Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 30 octobre 2020

Alexandre Del Valle : "La Turquie s'attaque à la France parce qu'elle est faible"

Alexandre-del-Valle.jpg

Alexandre Del Valle : "La Turquie s'attaque à la France parce qu'elle est faible"

 
 
Avec Alexandre Del Valle, Géopolitologue, enseignant, directeur de recherche au Multipolar World Institute de Bruxelles et au CF2R. Actualité, politique, invités...
 
Du lundi au vendredi, de 12h à 13h20, retrouvez André Bercoff dans tous ses états.
 

jeudi, 29 octobre 2020

Bélarus. L’appel de l’opposition à une « grève générale pour paralyser le pays » ne parvient pas à convaincre les travailleurs

6QLFBSLPZMFXIDTFKKVXU2MARI.aspx.jpg

Bélarus. L’appel de l’opposition à une « grève générale pour paralyser le pays » ne parvient pas à convaincre les travailleurs

Par Moon of Alabama

Le 30 avril 2019 au Venezuela, un certain Random Guyaidó était pris au piège d’une tentative de coup d’État qui s’était transformé en farce lorsque les troupes qu’il avait espéré voir le soutenir ne se sont pas présentées :

La tentative de coup d'État s'est déroulée dans un couloir de 500 x 200 mètres, 
sans que rien de significatif ne se produise en dehors de ce couloir. Un dangereuse
propagande, mais jusqu'à présent rien de plus que cela. Cette légère modification de l’image de Guaidó et López ci-dessous semble appropriée.
Ces mecs ne sont que des comiques, des héros de fantaisie à la noix.

On aurait pu penser que l’échec d’une telle farce aurait mis fin aux tentatives de changement de régime similaires soutenues par l’« Occident ».

Ce n’est malheureusement pas le cas.

En juin 2020, il est devenu évident qu’une révolution de couleur dirigée par les États-Unis était planifiée pour renverser le président biélorusse Loukachenko. Cela s’est produit comme d’habitude après que les résultats des élections ont été mis en doute. Mais quelques jours plus tard, il est devenu évident que la tentative avait échoué :

Alors que le président Alexandre Loukachenko affirmait avoir remporté 80% des voix 
lors de l'élection de dimanche dernier, la candidate "occidentale" Svetlana Tikhanovskaya
affirmait avoir gagné. (Si ces 80 % sont certainement trop élevés, il reste très probable
que Loukachenko ait été le véritable vainqueur). Des protestations et des émeutes ont suivi. Mardi, Mme Tikhanovskaya s'est vu dire en termes très clairs de quitter le pays.
Elle est allée en Lituanie.

des-dizaines-de-milliers-de-manifestants-continuent-de-se_5368875_676x443p.jpg

Loukachenko a alors conclu un accord avec la Russie qui lui a promis une protection en échange de progrès dans la création d’un État de l’Union Russie-Biélorussie.

Même l’Atlantic Council, organe proche de l’OTAN, admettait que la tentative de coup d’État avait échoué :

L'auteur conclut à juste titre :

"La résistance du régime de Loukachenko se renforce de jour en 
jour. La Russie semblant désormais soutenir fermement Loukachenko,
des rassemblements photogéniques et des grèves sporadiques ne
suffiront pas à provoquer un changement historique."
C'est fini. Les "grèves sporadiques" n'ont jamais été de véritables actions syndicales.

Quelques journalistes de la télévision d'État biélorusse se sont mis en grève. Ils
ont été licenciés sans cérémonie et remplacés par des journalistes russes. Quelques
centaines d'ouvriers de l'usine de tracteurs MTZ de Minsk ont tenté une grève. Mais
MTZ compte 17 000 employés et les 16 500 autres qui n'ont pas quitté leur poste savent
très bien pourquoi ils ont encore leur travail. Si Loukachenko venait à tomber, il est
très probable que leur entreprise d'État serait vendue pour quelques centimes et remis
immédiatement "à la bonne taille", ce qui signifie que la plupart d'entre eux seront
au chômage. Au cours des 30 dernières années, ils ont vu cela se produire dans tous
les pays autour du Bélarus. Ils n'ont pas envie d'en faire l'expérience eux-mêmes. Lundi, le leader du mouvement de grève à MTZ, un certain Sergei Dylevsky, a été arrêté
alors qu'il cherchait à provoquer d'autres grèves. Dylevsky est membre du Conseil de
coordination autoproclamé de l'opposition qui exige des négociations sur la présidence.
D'autres membres du conseil ont été convoqués pour être interrogés par les enquêteurs
de l’État dans le cadre d'une affaire pénale contre le conseil.

430730698_highres.jpg

Pendant ce temps, la malheureuse candidate de l'opposition, Svetlana Tsikhanouskaya, 
qui a faussement prétendu avoir gagné les élections, est toujours en Lituanie. Elle est
censée être professeur d'anglais, mais elle a des difficultés à lire les textes en anglais,
ce qui l'oblige à demander un soutien "occidental" (vidéo). Elle a déjà rencontré plusieurs
hommes politiques "occidentaux", dont Peter Zeimiag, le secrétaire général du parti de
l'Union chrétienne-démocrate allemande, parti de la chancelière Angela Merkel, et le
secrétaire d'État adjoint américain Stephen Biegun. Aucun des deux ne pourra l'aider.

Malgré son manque évident de soutien populaire, Svetlana Tikhanovskaya, comme Juan Guaidó au Venezuela, a été exhortée à faire une nouvelle tentative.

Il y a deux semaines, elle a eu le courage de lancer un ultimatum à Loukachenko pour qu’il démissionne :

Mardi, le leader de l'opposition biélorusse en exil a donné au président Alexandre 
Loukachenko un délai de deux semaines pour démissionner, mettre fin à la violence et
libérer les prisonniers politiques, avertissant qu'il serait sinon confronté à une
grève générale paralysant le pays. Svetlana Tikhanovskaya, qui affirme être la véritable gagnante des élections du 9 août,

a lancé un "ultimatum du peuple", exigeant que Loukachenko quitte le pouvoir avant le
25 octobre et mette fin à la "terreur d'État" déclenchée par les autorités contre les
manifestants pacifiques. "Si nos demandes ne sont pas satisfaites d'ici le 25 octobre, le pays tout entier
descendra pacifiquement dans la rue"
, a-t-elle déclaré dans une déclaration publiée

en Lituanie, où elle est actuellement en exil après avoir quitté le Belarus à la suite
des élections. "Et le 26 octobre, une grève nationale commencera dans toutes les entreprises, toutes
les routes seront bloquées et les ventes dans les magasins d'État s'effondreront"
, a-t-elle

déclaré. "Vous avez 13 jours."

Le 25 octobre, il y a effectivement eu une autre manifestation de taille moyenne à Minsk. Mais ceux qui y ont participé faisaient partie de la classe moyenne supérieure et les personnes les plus aisées, et non les travailleurs de l’industrie et les agriculteurs qui constituent la majorité du peuple biélorusse.

ouvriers-lusine-potasse-Belaruskali-greve-18-reclament-depart-president_0_730_512.jpg

Mais la grève générale annoncée pour hier n’a eu que peu ou pas de participants :

"Aujourd'hui, la grève du peuple commence - la prochaine étape pour les Biélorusses vers 
la liberté, la fin de la violence et de nouvelles élections"
, a déclaré Mme Tikhanovskaya

lundi. "Les Biélorusses savent que l’objectif principal du 26 octobre est de montrer que
personne ne travaillera pour le régime".
Cependant, malgré la vue de grandes colonnes de manifestants dans les rues - et le

sentiment que la protestation a retrouvé une partie de l'élan qu'elle avait perdu
ces dernières semaines - il n'y a eu aucun signe d'un nombre significatif de travailleurs
dans les usines contrôlées par l’État qui se soient joints à la grève pendant une période
prolongée. ... À l'usine de tracteurs de Minsk, l'une des grandes usines qui font la fierté de l'économie

néo-soviétique de Loukachenko, la plupart des travailleurs semblaient pointer normalement
pour l'équipe du lundi matin. Le leader d'une grève précédente à l'usine en août a été forcé de fuir le pays sous
la pression des autorités, et de nombreux travailleurs craignent des représailles pour
avoir fait grève. Tout au plus, certains travailleurs ont brièvement exprimé leur soutien
à la protestation avant ou après leur quart de travail, mais n'ont pas réellement refusé
de travailler.

Quelques centaines d’étudiants venant de certaines universités ont séché les cours et se sont promenés dans les rues. Mais les travailleurs ont continué à travailler. Aucune route n’a été bloquée. La circulation dans les magasins était normale.

Les travailleurs des industries d’État savent très bien que la plupart d’entre eux se retrouveront sans emploi et pauvres si l’opposition néolibérale, soutenue par l’« Occident », prend le pouvoir en Biélorussie. Tout serait privatisé pour quelques centimes et remis « à la bonne taille » par des licenciements massifs. Ils ont vu cela se produire encore et encore dans chacun de leurs pays voisins.

Juan Guaido a déclaré un coup d’État sans s’être assuré que les soldats qu’il attendait se présenteraient. Les soldats savaient qu’il n’était pas dans leur intérêt de le suivre.

Svetlana « Guaidoskaya » a déclaré une grève générale sans comprendre que les travailleurs auxquels elle faisait appel n’étaient pas intéressés par ses projets néo-libéraux. Le fait qu’elle, ou ses responsables, aient même tenté de provoquer une grève montre à quel point ils ne comprennent pas les véritables préoccupations des travailleurs.

La Biélorussie, comme le Venezuela, a un gouvernement et un système qui est soutenu par la majorité de sa population. Aucun des deux pays ne changera de régime sans une intervention militaire organisée par l’étranger. Ce n’est pas demain la veille.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

Deux aspects non visibles de la géopolitique

AI.jpg

Deux aspects non visibles de la géopolitique

Par Alastair Crooke

Source Strategic Culture

Au niveau visible, la lutte géopolitique actuelle concerne le maintien de la primauté du pouvoir américain ; le pouvoir financier étant un sous-facteur de ce pouvoir politique. Carl Schmitt, dont les réflexions ont eu une telle influence sur Leo Strauss et sur la pensée américaine en général, préconisait que ceux qui ont le pouvoir doivent « l’utiliser ou le perdre ». L’objectif premier de la politique est donc de préserver son « existence sociale ».

Mais à un niveau moins visible, le découplage technologique vis-à-vis de la Chine est un aspect implicite d’une telle stratégie (camouflé sous le slogan de la récupération des emplois et de la propriété intellectuelle « volés » aux États-Unis) : L’objectif que l’Amérique cherche réellement à atteindre est de s’accaparer, au cours des prochaines décennies, toutes les normes mondiales en matière de technologie de pointe, et de les refuser à la Chine.

Ces histoires de normes peuvent sembler obscures, mais elles sont un élément crucial de la technologie moderne. Si la guerre froide était dominée par une course à la construction du plus grand nombre d’armes nucléaires, la lutte actuelle entre les États-Unis et la Chine, ainsi que vis-à-vis de l’UE, se jouera, au moins en partie, par une lutte pour contrôler l’établissement de normes bureaucratiques qui se cache derrière les industries les plus importantes de l’époque. Et ces normes sont encore à établir.

1 Pe6K3yjw9bLsUlPu4yN18g.jpeg

La Chine s’est depuis longtemps positionnée stratégiquement pour lutter dans cette « guerre » des normes technologiques (voir « les normes chinoises 2035 », un plan directeur pour la gouvernance de la cybernétique et des datas).

Le même argument est valable pour les chaînes d’approvisionnement qui sont maintenant au centre d’une lutte acharnée qui a des implications majeures pour la géopolitique. Il est difficile et onéreux de démêler le rhizome des chaînes d’approvisionnement construites au cours de décennies de mondialisme : Les multinationales qui vendent sur le marché chinois n’ont pas d’autre choix que d’essayer de rester sur place. Toutefois, si le découplage, qui est un élément clé de la politique étrangère américaine, persiste, des produits allant des serveurs informatiques aux iPhones d’Apple pourraient se retrouver avec deux chaînes d’approvisionnement distinctes, l’une pour le marché chinois et l’autre pour une grande partie du reste du monde. Ce sera plus coûteux et moins efficace, mais c’est la voie que la politique prend (du moins pour l’instant).

Où en sommes-nous dans cette lutte pour le découplage ? Jusqu’à présent, c’est assez confus. Les États-Unis se sont concentrés sur le découplage de certaines technologies de pointe (qui ont également un double potentiel de défense civile). Mais Washington et Pékin sont restés à l’écart du découplage financier (jusqu’à présent), car Wall Street ne veut pas perdre un commerce financier bilatéral de 5 000 milliards de dollars.

Il y a quelques années, lors de leurs déplacements en Europe, les passagers devaient généralement sortir d’un train lorsqu’ils atteignaient la frontière, et passer à un autre train et à d’autres wagons, au-delà de la frontière. Cette pratique existe toujours. Les chemins de fer fonctionnaient sur des voies à écartement totalement différent. Nous n’avons pas encore atteint ce point là en technologie. Mais l’avenir risque de devenir plus complexe, et plus coûteux, si l’Europe, les États-Unis et la Chine adoptent des protocoles différents pour la 5G. Cette technologie, avec sa faible latence, permet d’extraire et de modéliser en temps quasi réel des données très diverses (un facteur qui change la donne pour les systèmes de ciblage de missiles et de défense aérienne, où chaque milliseconde compte).

5g-china-newjpg_48618.jpg

Il est donc possible que la 5G soit divisée en deux systèmes concurrents pour refléter les différentes normes américaines et chinoises ? Pour que des étrangers puissent entrer en concurrence, il pourrait être nécessaire de fabriquer des équipements distincts pour ces différents protocoles. Une certaine division est également possible dans le domaine des semi-conducteurs, de l’intelligence artificielle et dans d’autres domaines où la rivalité entre les États-Unis et la Chine est intense. Pour l’instant, les infrastructures russes et iraniennes sont pleinement compatibles avec la Chine. L’Occident n’est pas encore un « système séparé » ; il peut encore travailler avec l’Iran et la Russie, mais la double fonctionnalité dans la sphère technologique coûtera néanmoins, et nécessitera probablement, des aménagements juridiques minutieux, afin d’éviter toute sanction légale ou réglementaire.

Et pour être clair, la bataille pour l’influence sur les normes technologiques est distincte de la « guerre réglementaire » dans laquelle les données, l’IA et les éco-sphères réglementaires sont « balkanisées ». L’Europe est presque inexistante dans la sphère analytique du Cloud, mais elle essaie de rattraper rapidement son retard. Elle doit le faire. La Chine est tellement en avance que l’Europe n’a pas d’autre choix que de se frayer un chemin au bulldozer dans cet espace, c’est-à-dire en « réglementant » les activités américaines dans le Cloud (déjà sous la menace de lois anti-trust) vers l’Europe.

Les entreprises du cloud fournissent à leurs clients un espace de stockage de données, mais aussi des outils sophistiqués pour analyser, modéliser et comprendre les vastes ensembles de données qui se trouvent dans le Cloud. La taille même des ensembles de données modernes a déclenché une explosion de nouvelles techniques pour en extraire des informations. Ces nouvelles techniques sont rendues possibles par les progrès constants de la puissance et de la vitesse de traitement des ordinateurs, ainsi que par l’agrégation de la puissance informatique pour améliorer les performances (connue sous le nom de calcul haute performance, ou HPC).

12-Data-Mining-Tools-and-Techniques-Invensis.png

Nombre de ces techniques (« extraction de datas », « apprentissage machine », ou IA) font référence au processus d’extraction d’informations à partir de données brutes. L’apprentissage machine fait référence à l’utilisation d’algorithmes spécifiques pour identifier des modèles dans les données brutes et présenter ces données sous forme de modèle. Ces modèles peuvent ensuite être utilisés pour faire des déductions sur de nouveaux ensembles de données ou pour guider la prise de décision. Le terme « Internet des objets » (IoT) fait généralement référence à un réseau d’ordinateurs et de dispositifs physiques connectés qui peuvent générer et transmettre automatiquement des données sur des systèmes physiques. Le « système nerveux » qui sert à la « messagerie corporelle » sera de type 5G.

L’UE réglemente déjà les Big Data ; elle a l’intention de réglementer les plate-formes américaines de Cloud ; et elle cherche à établir des protocoles européens pour les algorithmes (afin de refléter les objectifs sociaux et les « valeurs libérales » de l’UE).

Toutes les entreprises qui dépendent de l’analyse et de l’apprentissage machine dans le Cloud seront donc touchées par cette fragmentation réglementaire en sphères distinctes. Bien entendu, les entreprises ont besoin de ces capacités pour faire fonctionner efficacement la robotique et les systèmes mécaniques complexes, et pour réduire les coûts. L’analytique a permis d’énormes gains de productivité. Accenture estime que l’analytique pourrait à elle seule générer jusqu’à 425 milliards de dollars de valeur ajoutée, d’ici 2025, rien que pour l’industrie du pétrole et du gaz.

p-30-kal-web.jpg

Ce sont les États-Unis qui ont déclenché ce cycle de découplage, mais la conséquence de cette décision initiale est qu’elle a incité la Chine à répondre par son propre découplage des États-Unis, dans le domaine des technologies de pointe. L’intention de la Chine n’est plus simplement de perfectionner et d’améliorer la technologie existante, mais de faire passer les connaissances existantes à un autre niveau technologique (par exemple en découvrant et en utilisant de nouveaux matériaux qui dépassent les limites actuelles de l’évolution des microprocesseurs). [Technologie quantique, NdSF]

Ils pourraient bien réussir, dans les trois prochaines années environ, étant donné les énormes ressources que la Chine consacre à cette tâche (c’est-à-dire aux microprocesseurs). Cela pourrait modifier l’ensemble du calcul technologique, et accorder à la Chine la primauté sur la plupart des domaines clés de technologie de pointe. Les États ne pourront pas facilement ignorer ce fait, qu’ils prétendent ou non « aimer » la Chine.

Ce qui nous amène au deuxième domaine non visible de cette lutte géopolitique. Jusqu’à présent, les États-Unis et la Chine ont largement séparé la finance du découplage principal. Mais un changement substantiel est peut-être en cours : Les États-Unis et plusieurs autres États expérimentent des monnaies numériques émises par leurs banques centrales, et les plateformes internet FinTech commencent à supplanter les institutions bancaires traditionnelles. Pepe Escobar remarque :

Donald Trump réfléchit à des restrictions sur Ant's, Alipay et d'autres plateformes 
de paiement numérique chinoises comme Tencent Holdings... et, comme pour
Huawei, l'équipe de Trump prétend que les plateformes de paiement numérique
de Ant's menacent la sécurité nationale des États-Unis. Il est plus probable que
Trump s'inquiète de ce que Ant menace l'avantage bancaire mondial que les
États-Unis considèrent depuis longtemps comme acquis.

featured-image-tencent-q4-2018-r.jpg

L'équipe Trump n'est pas la seule. Le gestionnaire de fonds spéculatifs 
américain Kyle Bass, de Hayman Capital, affirme que Ant et Tencent sont
"des dangers visibles et actuels qui menacent la sécurité nationale des
États-Unis plus que tout autre problème"
. Bass estime que le Parti communiste chinois pousse son système de
paiement numérique en yuan vers environ 62% de la population mondiale
d'une manière qui menace l'influence de Washington. Ce qui a commencé
comme un simple service de paiement en ligne s'est depuis fortement
transformé en une véritable jungle de services financiers. C’est en train
de devenir une véritable locomotive en matière de prêts, de polices
d'assurance, de fonds communs de placement, de réservation de voyages
et de toutes les synergies multi plate-formes permettant de réaliser des
ventes et des économies d'échelle. À l'heure actuelle, plus de 90 % des utilisateurs d'Alipay utilisent l'application
pour d'autres raisons que le simple paiement. Cela "crée effectivement un
écosystème en boucle fermée où il n'est pas nécessaire que l'argent quitte
l'écosystème du portefeuille"
, explique l'analyste Harshita Rawat de Bernstein
Research.

AntFinancial.jpg

Rawat note que Ant a "utilisé son service de paiement comme une source 
d'acquisition d'utilisateurs pour construire des fonctionnalités de services
financiers plus larges"
. Il s'agit notamment de trouver des moyens de croiser
l’ambition de Ant de devenir le centre de services financiers de la Chine avec
celle d'Alibaba de devenir le principal bazar en ligne... Étant donné que de nombreux Chinois ont déjà téléchargé l'application Alipay,
le PDG Eric Jing envisage d'exporter son modèle à l'étranger. Il collabore avec
neuf start-ups de la région, dont GCash aux Philippines et Paytm en Inde. Ant
prévoit d'utiliser le produit de sa cotation en bourse pour accélérer son pivot
vers l'étranger.

Le point ici est double : La Chine est en train de préparer le terrain pour défier un dollar papier, à un moment sensible de faiblesse du dollar. Et deuxièmement, la Chine met en place une politique de « fait accompli », en façonnant les normes de bas en haut, grâce à l’adoption généralisée de sa technologie à l’étranger.

Tout comme Alipay fait d’énormes percées en Asie, le projet chinois « Smart Cities » diffuse les normes chinoises, précisément parce qu’elles intègrent de nombreuses technologies : Systèmes de reconnaissance faciale, analyse de données volumineuses, télécommunications 5G et caméras IA. Toutes représentent des technologies pour lesquelles les normes restent à définir. Ainsi, les « villes intelligentes », qui automatisent de multiples fonctions municipales, contribuent également à l’évolution des normes chinoises.

Selon les recherches de RWR Advisory, un cabinet de conseil basé à Washington, les entreprises chinoises ont conclu 116 accords pour installer des systèmes de « ville intelligente » et de « ville sûre » dans le monde entier depuis 2013, dont 70 dans des pays qui participent également à l’initiative « Nouvelle Route de la soie ».

La principale différence entre les équipements pour villes « intelligentes » et « sûres » est que le second est principalement destiné à l’enquête et au suivi de la population, tandis que le premier vise principalement à automatiser les fonctions municipales tout en intégrant des fonctions de surveillance. Des villes d’Europe occidentale et méridionale ont signé au total 25 projets de ce type.

Mark Warner, vice-président Démocrate de la commission du renseignement du Sénat américain, voit la menace chinoise en termes très clairs : Pékin a l’intention de contrôler la prochaine génération d’infrastructures numériques, dit-il, et, ce faisant, d’imposer des principes « contraires aux valeurs américaines ». « Au cours des 10 à 15 dernières années, le rôle de leader [des États-Unis] s’est érodé et notre influence pour établir des normes et des protocoles reflétant nos valeurs a diminué », déplore Warner : « En conséquence, d’autres, mais surtout la Chine, ont comblé ce vide pour promouvoir des normes et des valeurs qui profitent au parti communiste chinois ».

Tout indique que l’influence de la Chine sur les normes technologiques mondiales augmente. Mais il est tout aussi certain que la réaction de Washington s’intensifie. Si les États-Unis devenaient plus conflictuels, cela pourrait conduire la Chine à accélérer son évolution vers des alternatives parallèles. Il pourrait en résulter, à terme, une arène où les normes industrielles feraient doublon.

Alastair Crooke

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

lundi, 26 octobre 2020

Kris Roman rencontre Robert Steuckers sur le thème des grands axes de communication terrestre en Eurasie

RS170920.jpg

Время Говорить 

Kris Roman rencontre Robert Steuckers sur le thème des grands axes de communication terrestre en Eurasie

 
ВРЕМЯ ГОВОРИТЬ! РАЗГОВОР С КРИСОМ РОМАНОМ
 
Dans le talk show Время Говорить («Il est temps de parler»), Kris Roman reçoit des invités spéciaux qui expliquent au grand public leurs découvertes et leurs connaissances sur des sujets d'actualité. Dans cet épisode, enregistré le 17-10-2020, Robert Steuckers est notre invité. Les conflits au Haut-Karabakh, en Syrie, dans le Donbass, au Yémen et ailleurs montrent une tension accrue dans le monde. Robert Steuckers explique dans cet épisode de «Vremya Govorit» les différents intérêts ainsi que les axes eurasiens.
 

samedi, 24 octobre 2020

Les limites du pouvoir chinois

28a9354_11609-1t3zjep.gq3e.jpg

Les limites du pouvoir chinois

Par Pepe Escobar

Source The Saker

En ce qui concerne les États-Unis et la Chine, tout dépend du résultat de la prochaine élection présidentielle américaine.

Trump 2.0 va surtout considérablement accélérer sa stratégie de découplage, visant à acculer la « vile » Chine par une guerre hybride à multiple fronts, à miner l’excédent commercial chinois, à coopter de larges pans de l’Asie, tout en insistant toujours pour caractériser la Chine comme le mal incarné.

L’équipe Biden, même si elle ne prétend pas vouloir tomber dans le piège d’une nouvelle guerre froide, selon le programme officiel du parti démocrate, ne serait que légèrement moins conflictuelle, « sauvant » ostensiblement « l’ordre fondé sur des règles » tout en maintenant les sanctions imposées par Trump.

8112335887_a02a09b3f4_b.jpg

Très peu d’analystes chinois sont mieux placés que Lanxin Xiang pour étudier l’échiquier géopolitique et géoéconomique : expert des relations entre la Chine, les États-Unis et l’Europe, professeur d’histoire et de relations internationales à l’IHEID à Genève et directeur du Center for One Belt, One Road Studies à Shanghai.

Xiang a obtenu son doctorat au SAIS Johns Hopkins, et est aussi bien respecté aux États-Unis qu’en Chine. Au cours d’un récent webinaire, il a exposé les grandes lignes d’une analyse que l’Occident ignore, à ses propres risques et périls.

Xiang a mis l’accent sur la volonté de l’administration Trump de « redéfinir une cible extérieure » : un processus qu’il qualifie de « risqué, dangereux et hautement idéologique ». Non pas à cause de Trump – qui « ne s’intéresse pas aux questions idéologiques » – mais parce que « la politique chinoise a été détournée par les véritables guerriers de la Guerre Froide ». L’objectif : « un changement de régime. Mais ce n’était pas le plan initial de Trump ».

Xiang dévoile la logique qui sous-tend ces « guerriers du froid » : « Nous avons fait une énorme erreur au cours des 40 dernières années ». C’est-à-dire, insiste-t-il, « absurde – en relisant l’histoire, et en niant toute l’histoire des relations entre les États-Unis et la Chine depuis Nixon ». Et Xiang craint « l’absence de stratégie globale qui crée une énorme incertitude stratégique – et conduit à des erreurs de calcul ».

Pour aggraver le problème, « la Chine n’est pas vraiment sûre de ce que les États-Unis veulent faire ». Parce que cela va bien au-delà de l’endiguement – que Xiang définit comme une « stratégie très bien pensée par George Kennan, le père de la guerre froide ». Xiang ne détecte qu’un schéma de « civilisation occidentale contre une culture non caucasienne. Ce langage est très dangereux. C’est une reprise directe de Samuel Huntington, et montre très peu de place pour le compromis ».

En un mot, c’est la « façon américaine de tomber dans la guerre froide ».

La surprise d’octobre ?

Tout ce qui précède est directement lié à la grande inquiétude de Xiang concernant une éventuelle surprise d’octobre : « Cela pourrait probablement se produire à Taïwan. Ou un engagement limité en mer de Chine méridionale ». Il souligne que « les militaires chinois sont terriblement inquiets. Une surprise d’octobre comme engagement militaire n’est pas impensable, car Trump pourrait vouloir rétablir une présidence de guerre ».

Pour Xiang, « si Biden gagne, le danger d’une guerre froide tournant à la guerre chaude sera réduit de façon spectaculaire. » Il est tout à fait conscient des changements dans le consensus bipartite à Washington : « Historiquement, les Républicains ne se soucient pas des droits de l’homme et de l’idéologie. Les chinois ont toujours préféré traiter avec les Républicains. Ils ne pouvaient pas traiter avec les Démocrates – les droits de l’homme, les questions de valeurs. Maintenant, la situation est inversée ».

Xiang, d’ailleurs, « a invité un conseiller de haut niveau de Biden à Pékin. Très pragmatique. Pas trop idéologique ». Mais dans le cas d’une éventuelle administration Trump 2.0, tout pourrait changer : « Mon intuition est qu’il sera totalement détendu, il pourrait même inverser la politique de la Chine à 180 degrés. Je n’en serais pas surpris. Il redeviendrait le meilleur ami de Xi Jinping ».

Dans l’état actuel des choses, le problème est « un diplomate en chef qui se comporte comme un propagandiste en chef, profitant d’un président erratique ».
Et c’est pourquoi Xiang n’exclut jamais une invasion de Taïwan par les troupes chinoises. Il imagine le scénario d’un gouvernement taïwanais annonçant « Nous sommes indépendants », associé à une visite du secrétaire d’État : « Cela provoquerait une action militaire limitée, et pourrait se transformer en escalade. Pensez à Sarajevo. Cela m’inquiète. Si Taïwan déclare son indépendance, les Chinois l’envahissent en moins de 24 heures. “

Pékin fait-il des erreurs de calcul?

413iZy1UTfL.jpgContrairement à la plupart des universitaires chinois, Xiang fait preuve d’une franchise rafraîchissante sur les propres lacunes de Pékin : « Plusieurs choses auraient dû être mieux contrôlées. Comme l’abandon du conseil initial de Deng Xiaoping, selon lequel la Chine devrait attendre son heure et faire profil bas. Deng, dans son dernier testament, avait fixé un délai pour cela, au moins 50 ans ». Le problème est que « la rapidité du développement économique de la Chine a conduit à des calculs hâtifs et prématurés. Et une stratégie mal pensée. La diplomatie du « guerrier loup » est une attitude – et un langage – extrêmement affirmés. La Chine a commencé à contrarier les États-Unis – et même les Européens. C’était une erreur de calcul géostratégique ».

Et cela nous amène à ce que Xiang caractérise comme « l’extension excessive de la puissance chinoise : géopolitique et géoconomique ». Il aime citer Paul Kennedy : « Toute grande superpuissance, si elle est trop étendue, devient vulnérable. » Xiang va même jusqu’à affirmer que l’initiative des « Nouvelles routes de la soie » (NRS), dont il loue le concept avec enthousiasme, est peut-être dépassée : « Ils pensaient qu’il s’agissait d’un projet purement économique. Mais avec une portée mondiale aussi large ? »

Les NRS sont-elles donc un cas de surcharge ou une source de déstabilisation ? Xiang fait remarquer que « les Chinois ne s’intéressent jamais vraiment à la politique intérieure des autres pays. Ils ne sont pas intéressés par l’exportation d’un modèle. Les Chinois n’ont pas de véritable modèle. Un modèle doit être mûr, avec une structure. A moins qu’il ne s’agisse de l’exportation de la culture traditionnelle chinoise ».

Le problème, une fois de plus, est que la Chine pensait qu’il était possible de « se faufiler dans des zones géographiques auxquelles les États-Unis n’ont jamais trop prêté attention, l’Afrique, l’Asie centrale, sans nécessairement provoquer de réactions géopolitiques. C’était de la naïveté ».

Xiang aime rappeler aux analystes occidentaux que « le modèle d’investissement dans les infrastructures a été inventé par les Européens. Les chemins de fer. Le Transsibérien. Les canaux, comme au Panama. Derrière ces projets, il y a toujours eu une concurrence coloniale. Nous poursuivons des projets similaires – moins le colonialisme ».

Pourtant, « les planificateurs chinois se sont mis la tête dans le sable. Ils n’utilisent jamais ce mot – géopolitique. » D’où ses plaisanteries constantes avec les décideurs chinois : « Vous n’aimez peut-être pas la géopolitique, mais la géopolitique vous aime. »

AVT_Confucius_6994.jpg

Demandez à Confucius

L’aspect crucial de la « situation post-pandémique », selon Xiang, est d’oublier « ce truc de guerrier-loup. La Chine pourrait être en mesure de relancer son économie avant tout le monde. Développer un vaccin vraiment efficace. La Chine ne devrait pas le politiser. Elle devrait montrer une valeur universelle à son sujet, poursuivre le multilatéralisme pour aider le monde, et améliorer son image ».

En matière de politique intérieure, Xiang est catégorique : « Au cours de la dernière décennie, l’atmosphère chez nous, sur les questions de minorités, sur la liberté d’expression, s’est resserrée au point de ne pas aider l’image de la Chine en tant que puissance mondiale ».

Observez cette situation, « l’opinion défavorable envers la Chine » dans une enquête sur les nations de l’Occident industrialisé qui ne comprend que deux pays asiatiques : le Japon et la Corée du Sud.

Et cela nous amène à l’ouvrage de Xiang, The Quest for Legitimacy in Chinese Politics, sans doute l’étude contemporaine la plus importante réalisée par un chercheur chinois capable d’expliquer et de combler le fossé politique entre l’Est et l’Ouest.

Ce livre est une telle percée que ses principales analyses conceptuelles feront l’objet d’une chronique complémentaire.

La thèse principale de Xiang est que « la légitimité dans la philosophie politique de la tradition chinoise est une question dynamique. Transplanter les valeurs politiques occidentales dans le système chinois ne fonctionne pas ».

recasting-the-imperial-far-east-britain-and-america-in-china-1945-50.jpgPourtant, même si le concept chinois de légitimité est dynamique, souligne Xiang, « le gouvernement chinois est confronté à une crise de légitimité ». Il fait référence à la campagne anti-corruption des quatre dernières années : « La corruption officielle généralisée, qui est un effet secondaire du développement économique, fait ressortir le mauvais côté du système. Il faut rendre hommage à Xi Jinping, qui a compris que si nous laissons cela se poursuivre, le PCC perdra toute légitimité ».

Xiang souligne comment, en Chine, « la légitimité est basée sur le concept de moralité – depuis Confucius. Les communistes ne peuvent pas échapper à cette logique. »

Avant Xi, personne n’osait s’attaquer à la corruption. Il a eu le courage de l’éradiquer et a arrêté des centaines de généraux corrompus. Certains ont même tenté deux ou trois coups d’État.

Dans le même temps, Xiang est catégoriquement opposé au « durcissement de l’atmosphère » en Chine en matière de liberté d’expression. Il mentionne l’exemple de Singapour sous Lee Kuan Yew, un « système autoritaire éclairé ». Le problème est que « la Chine n’a pas d’État de droit. Il y a cependant beaucoup d’aspects juridiques. Singapour est une petite ville-État. Comme Hong Kong. Ils ont juste repris le système juridique britannique. Cela fonctionne très bien pour cette taille. »

Et cela amène Xiang à citer Aristote : « La démocratie ne peut jamais fonctionner dans les grands pays. Dans les villes-États, elle fonctionne. » Et armés d’Aristote, nous entrons à Hong Kong : « Hong Kong avait un État de droit – mais n’a jamais eu de démocratie. Le gouvernement était directement nommé par Londres. C’est comme ça que Hong Kong fonctionnait en réalité – comme une dynamo économique. Les économistes néolibéraux considéraient Hong Kong comme un modèle. C’était un arrangement politique unique. Une politique du magnat. Pas une démocratie – même si le gouvernement colonial n’a pas gouverné comme une figure autoritaire. L’économie de marché a été déclenchée. Hong Kong était dirigée par le Jockey Club, HSBC, Jardine Matheson, avec le gouvernement colonial comme coordinateur. Ils ne se sont jamais souciés des gens en bas de l’échelle ».

Xiang note que « l’homme le plus riche de Hong Kong ne paie que 15 % d’impôt sur le revenu. La Chine a voulu conserver ce modèle, avec un gouvernement colonial nommé par Pékin. Toujours une politique de magnats. Mais maintenant, il y a une nouvelle génération. Des gens nés après la rétrocession – qui ne connaissent rien de l’histoire coloniale. L’élite chinoise au pouvoir depuis 1997 n’a pas prêté attention à la base et a négligé le sentiment de la jeune génération. Pendant toute une année, les Chinois n’ont rien fait. La loi et l’ordre se sont effondrés. C’est la raison pour laquelle les Chinois du continent ont décidé d’intervenir. C’est l’objet de la nouvelle loi sur la sécurité ».

Et qu’en est-il de l’autre acteur « malveillant » favori de l’autre côté du Beltway – la Russie ? « Poutine aimerait voir la victoire de Trump. Les Chinois aussi, jusqu’à il y a trois mois. La guerre froide était un grand triangle stratégique. Après le voyage de Nixon en Chine, les États-Unis se sont retrouvés au milieu, manipulant Moscou et Pékin. Maintenant, tout a changé ».

Pepe Escobar

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

vendredi, 23 octobre 2020

Charles Gave : "Comment Biden est utilisé par l'État profond américain"

BidenBoutef4.jpg

Charles Gave : "Comment Biden est utilisé par l'État profond américain"

 
 
 
Avec Charles Gave, financier, entrepreneur, et président de l’Institut des Libertés.
 
Actualité, politique, invités... Du lundi au vendredi, de 12h à 13h20, retrouvez André Bercoff dans tous ses états.
 

Le Grand jeu : l’art de dompter les éléments

1488225292-afghan.jpg

Le Grand jeu : l’art de dompter les éléments

Mais comment diable fait-il ? Pas plus tard qu’il y a une dizaine de jours, la MSN ne pouvait cacher sa joie, poussant des cris de victoire. Caucase, Biélorussie, Kirghizstan : les nuages s’amoncelaient sur le pourtour russe et Poutine était en grosse difficulté. Brzezinski était même prêt à sortir de sa tombe pour danser la polka, son Grand échiquier à la main. Sans compter l’affaire Navalny qui allait, cette fois c’était sûr ma bonne dame, stopper définitivement le démoniaque Nord Stream !

Et puis patatras…

L’Allemagne veut son gazoduc russe

La mascarade Navalny a accouché de sanctionnettes pour la forme tandis que le ministère des Affaires étrangère allemand, par la voix du pourtant peu russophile Heiko Maas, vient de déclarer que le gazoduc sera terminé, un point c’est tout. Le ton est même assez cinglant pour un euronouille : « Nous prenons nos décisions sur notre politique énergétique ici, en Europe. » Certes, ceux qui connaissent les aléas du South Stream ne pourront que sourire à cette affirmation péremptoire, mais ne gâchons pas le moment de gloire du vassal qui se lève enfin.

Si tous les doutes allemands ont été ainsi balayés, c’est aussi que Berlin pourrait bien avoir tourné casaque vis-à-vis d’Ankara. Frau Milka a eu, on le sait, les yeux de Chimène pour Erdogan pendant de longues années. Mais il semble que la Bundeskanzlerin et toute son équipe aient fini par en avoir assez de ses multiples provocations.

Le sultan joue là un jeu d’ailleurs bien maladroit. Son rêve de faire de la Turquie une plaque tournante énergétique au carrefour du Moyen-Orient, de la Caspienne et de l’Europe entre en collision avec son autre rêve, néo-ottoman celui-là. Les nuisances turques se multiplient et s’étendent, notamment dans des contrées qui fleurent bon le gaz et le pétrole en transit (pipelines azéris). Toute la zone qui entoure la Turquie commence à sentir dangereusement le souffre et le message a peut-être été compris du côté de Berlin : Ankara fait n’importe quoi et n’est pas fiable, tournons-nous définitivement vers les Russes.

La cote de la Russie monte en Arménie

Caucase, justement. Sur le terrain, les Turco-Azéris ont enfin réussi à progresser dans le sud du Haut-Karabagh, plaine propice à leur supériorité aérienne ; il n’en sera pas de même dans les montagnes. Quant aux autorités de l’enclave, elles ont intelligemment pris la Russie et l’Iran par les sentiments en proposant d’établir un centre de contre-terrorisme avec en vue, évidemment, les modérément modérés transférés par Ankara. S’il y a peu de chance de voir acceptée cette proposition venant d’un gouvernement non reconnu internationalement, Moscou et Téhéran n’ont en revanche aucune intention de voir un barbuland s’établir à leurs frontières. L’armée russe a d’ailleurs envoyé un petit message il y a quelques jours, bombardant à Idlib un camp d’entraînement de volontaires en partance pour l’Azerbaïdjan. Histoire d’établir une ligne rouge à ne pas franchir…

51y6YXP1jLL.jpg

Malgré les pertes considérables de part et d’autre, la portée du conflit est ailleurs. Eurasianet vient de publier un article extrêmement intéressant et, une fois n’est pas coutume pour cette officine proche du Washingtonistan, très objectif. La cote de Moscou est en train de monter en flèche en Arménie et des voix de plus en plus nombreuses regrettent que la “Révolution de velours”, ayant mené Nikol Pachinian au pouvoir, ait créé de la friture sur la ligne avec le grand frère russe.

Le bonhomme lui-même a toujours été assez ambigu. D’un côté, son gouvernement compte plusieurs personnalités ouvertement pro-occidentales issues du petit monde des ONG impériales et certains gestes (enquêtes criminelles ouvertes contre des compagnies russes et même contre le patron de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective) ont été fort mal perçus du côté du Kremlin.

Dans le même temps, il n’a jamais vraiment voulu rompre avec la Russie et a même apporté sa petite pierre à l’édifice de la dédollarisation comme nous le rapportions il y a six mois :

Dernier exemple en date, le premier ministre arménien Nikol Pachinian vient de proposer à Poutine de payer le gaz russe en roubles et non plus en dollars. Certes, rien n’étant gratuit en ce bas monde, l’initiative est sans doute la contrepartie à une demande de réduction du prix du gaz. Certes encore, ce n’est pas la petite Arménie qui bouleversera le marché financier international et les flux d’or bleu entre Moscou et Erevan sont anecdotiques si on les compare à d’autres.

Toutefois, la proposition, qui s’ajoute à des dizaines d’autres exemples de dédollarisation de par le monde, est symbolique, particulièrement de la part d’un leader que l’on soupçonnait vaguement d’être arrivé au pouvoir en 2018 par le biais d’une révolution qui fleurait bon son Soros.

En son temps, Pachinian voulait ni plus ni moins sortir de l’Union économique eurasienne si chère au Kremlin, accréditant l’idée qu’il était un pion de l’empire dans le petit pays caucasien. Aujourd’hui, il justifie sa proposition en des termes qui comblent d’aise l’ours : « On parle sans arrêt de la dédollarisation au sein de l’UEE mais nous payons toujours le gaz russe en dollars. Il serait plus logique de payer notre gaz en roubles au sein de cette organisation. »

Ambiguïté, donc, à laquelle le Kremlin répond par une égale ambiguïté. Les télés russes, très regardées en Arménie, prennent plutôt partie contre l’Azerbaïdjan, accusé d’avoir déclenché la guerre, tout en critiquant en creux Pachinian. La population du petit pays caucasien semble penser la même chose, que l’on pourrait résumer un peu vulgairement par un : en voulant prendre ses distances avec Moscou, Pachinian nous a mis dans la m…..

Les personnalités pro-occidentales semblent elles aussi revenir de leur mirage. L’exemple d’Edmon Marukian est frappant. Ancien partisan de la sortie de l’Union économique eurasienne, rien que ça, il ne jure aujourd’hui plus que par l’alliance russe : « J’ai parlé à plusieurs ambassadeurs occidentaux. L’un d’eux m’a dit « à la fin, c’est la géographie qui gagne » et a conseillé de demander l’aide russe. Ils pensent que seule la Russie peut nous aider (…) Si l’ambassadeur d’un pays qui a de mauvaises relations avec Moscou dit que seule la Russie peut nous aider, comment un Arménien (Pachinian, ndlr) vivant sur Terre ne peut le comprendre ? »

81cN4VTYIUL.jpg

Nous sommes en train d’assister à un virage à 180° parmi certaines franges dégrisées de l’élite arménienne. Un premier geste a eu lieu fin septembre, avec le limogeage du tout nouveau chef du Bureau de la Sécurité nationale, considéré comme anti-russe. Quant à la population, elle semble clairement en faveur d’un rapprochement avec Moscou ; d’après un sondage, le seul pays qui a vu sa cote de popularité augmenter après le début de la guerre est précisément la Russie.

Ainsi, avec ce numéro d’équilibriste consistant à soutenir Erevan en sous-main sans aller au-delà, à montrer par le biais de déclarations où son cœur penche (voir la mise au point un peu sèche de Lavrov « Nous n’avons jamais considéré la Turquie comme un allié stratégique ») tout en laissant Pachinian se rendre compte de l’impasse où il s’est engagé, l’ours est en train de récupérer doucement mais sûrement l’Arménie. Il faudra cependant qu’il siffle bientôt la fin de la récré afin de ne pas perdre ce crédit joliment acquis et ne pas, une nouvelle fois serait-on tenté de dire, se laisser rouler par le marchand de loukoums comme cela a été le cas à Idlib…

En Biélorussie, les sanctions européennes poussent un peu plus Minsk dans les bras de Moscou

En Biélorussie, le Kremlin contrôle jusqu’à présent la situation, comme nous l’avons montré dans plusieurs billets dont le dernier. Ne mettant pas tous ses œufs dans le même panier, il joue à la fois Loukachenko et, quoique plus discrètement, la carte d’une partie de l’opposition. Avec, en vue, une transition pacifique du pouvoir entre le moustachu et, au hasard, un certain Babariko par exemple.

Là comme ailleurs, tout est dans le dosage. Un soutien trop marqué à l’autocrate aliénerait clairement une partie de la population ; un soutien trop distant permettrait à l’empire de s’infiltrer dans les interstices.

En attendant, les sanctions européennes (sur les personnes seulement, précision importante) ont poussé Minsk un peu plus dans les bras de Moscou, notamment dans le domaine énergétique. On se rappelle les chantages homériques de Loukachenko réclamant, avec force frémissements de moustache, toujours plus de ristournes. Le bon temps semble bel et bien fini pour la partie biélorusse qui n’a plus trop le courage de négocier…

L’entregent de l’ours au Kirghizistan

Envolons-nous pour finir vers l’Asie centrale, région capitale du Grand jeu mais qui ne vient pourtant que par intermittence sur le devant de la scène. La dégringolade américaine n’y est sans doute pas pour rien :

Les années 90 ou l’âge d’or de l’empire. La Russie eltsinienne est alors au fond du gouffre, la Chine n’est pas encore ce qu’elle est devenue et la thalassocratie américaine peut rêver les yeux ouverts de s’implanter durablement au cœur même du continent-monde.

Elle soutient dès 1994 le séparatisme tchétchène menaçant de désagréger le Heartland russe tandis que fleurissent les projets de captation des richesses énergétiques de la Caspienne afin d’isoler Moscou. Le fameux BTC est conçu, véritable bébé de Brzezinski qui publie en 1997 son non moins fameux Grand échiquier :

Il est impératif qu’aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l’Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l’Amérique. La mise au point d’un plan géostratégique relatif à l’Eurasie est donc le sujet de ce livre.

Tout est dit. Ce plan n’est rien moins que monumental :

En mars 1999, au moment même où les premières bombes s’abattaient sur la Serbie et quelques jours avant que la Pologne, la Hongrie et la République tchèque ne deviennent membres de l’OTAN, le Congrès américain approuva le Silk Road Strategy Act, ciblant ni plus ni moins huit ex-républiques de l’URSS – les trois du Caucase et les cinq -stan d’Asie centrale. Derrière la novlangue de rigueur, le but était de créer un axe énergétique est-ouest et d’arrimer fermement ces pays à la communauté euro-atlantique. Dans le collimateur, même si cela n’était pas dit explicitement : Moscou et Pékin.

Mars 1999 ou la folie des grandeurs américaine… Europe de l’est, Balkans, Caucase, Asie centrale : la Russie serait isolée sur tout son flanc sud et l’Eurasie divisée pour toujours.

Un quart de siècle plus tard, Lisa Curtis, directrice du département Asie centrale et méridionale au Conseil de Sécurité Nationale, ne peut que constater les dégâts : « L’influence chinoise augmente sans cesse dans la région tandis que le poids de la Russie y est toujours aussi fort, ce dans toutes les sphères, politique, économique et militaire. » Puis vient la confidence, terrible pour les petits génies des années 90 : « Nous ne nous attendons pas à ce que la situation change et nous ne cherchons pas (plus ?) à rivaliser avec l’influence russe. » Dr Zbig doit se retourner dans sa tombe…

Pour Washington, c’est game over en Asie centrale et dame Curtis ne fait qu’entériner un état de fait. Qu’elles sont loin, les prodigieuses velléités impériales de l’âge d’or. Et ce n’est pas le sympathique voyage de Pompée au Kazakhstan et en Ouzbékistan qui changera quoi que ce soit, comme le reconnaît, désabusé, un autre think tank.

Si les -stan utilisent souvent ces rares visites américaines pour faire monter un peu les enchères vis-à-vis de Moscou et Pékin dans leurs négociations bilatérales, cela ne trompe personne et surtout pas les Etats-Unis. D’ailleurs, deux semaines après le départ du secrétaire d’Etat US, le nouveau président kazakh, Tokaïev, a remis les points sur les i à la conférence de Munich :

    • le Kazakhstan restera une « locomotive de l’intégration de l’Eurasie »
    • il faut accélérer le développement de l’Union Economique Eurasienne [d’obédience russe]
    • les nouvelles routes de la Soie chinoises sont une bénédiction pour l’Asie centrale.

Pompeo a dû entendre ses oreilles siffler mais, pour le fidèle lecteur de nos Chroniques, c’est tout sauf une surprise. Nous prévenions l’année dernière que la démission du liderissimo Nazarbaïev et l’arrivée au pouvoir de Tokaïev ne changeraient rien aux liens étroits d’Astana avec l’ours et le dragon et pourraient même les renforcer.

Bingo ! Et le nouveau président kazakh de conclure en énumérant quelques-unes des réalisations liées aux routes de la Soie ou aux financements chinois, dont la voie ferroviaire Kazakhstan-Ouzbékistan-Iran qui connecte les steppes d’Asie centrale au Golfe persique sous le bienveillant patronage de Pékin et de Moscou. Alors que l’empire a plié bagage, le maillage du continent-monde se met en place…

Le Pompée du Potomac a-t-il totalement jeté l’éponge ? Pas tout à fait si l’on en croit le judicieux Bhadrakumar, qui voit dans les événements kirghizes la main de tonton Sam tentant une énième “révolution colorée” dans les steppes. Vous l’avouerais-je ? votre serviteur est pour sa part beaucoup plus circonspect sur ce qui s’est vraiment passé. La conclusion, par contre, est la même : game over pour le Washingtonistan.

A1W1z2H61hL.jpg

D’après l’ex-diplomate indien, les élections contestées du 4 octobre, ont provoqué une insurrection alimentée par les déclarations de l’ambassade US et des habituelles officines type Radio Liberté. C’est là que je diverge : j’ai du mal à y voir autre chose qu’un simple suivisme des événements, teinté de bienveillance certes, mais qui ne va guère au-delà, d’autant que l’influence américaine s’est largement érodée et n’est plus l’ombre de ce qu’elle était au temps des Tulipes révolutionnaires de 2005…

Toujours est-il que, les voyages de l’envoyé du Kremlin aidant, un nouveau personnage a été propulsé en avant et a mis tout le monde d’accord, remplaçant au pied levé le président qui, à la surprise générale, a démissionné après avoir assuré qu’il ne le ferait jamais. Le nouvel homme fort, Sadyr Japarov de son doux nom, n’était pas du tout attendu par l’ambassade états-unienne qui se lamente de la prise du pouvoir par “un gang criminel”. Et Bhadrakumar de conclure que la Russie a court-circuité comme à la parade la tentative de putsch de Washington.

Que cette tentative soit réelle ou non, une chose est sûre : l’ours a un entregent certain dans la région, contre lequel les Américains ne peuvent tout simplement pas lutter. Chose intéressante, il se pourrait que Pékin, dont le fort intérêt pour le Kirghizistan (routes de la Soie) n’est plus à démontrer, ait laissé à son allié le soin de régler la situation. Ce serait un nouvel exemple accompli de partage des tâches qui ne ferait que confirmer la symbiose sino-russe dont nous parlons depuis longtemps.

Biélorussie, Caucase, Kirghizistan, Nord Stream II : en une dizaine de jours, Moscou a, par petites touches subtiles, retourné la situation de façon magistrale. Les stratèges impériaux, qui pensaient enfin marquer des points, doivent se demander ce qui a bien pu se passer…

=> Source : Le Grand jeu

Soros, Gates, Covid-19 : la répression commence ! Entretien avec Pierre-Antoine Plaquevent

PA.jpg

Soros, Gates, Covid-19 : la répression commence !

Entretien avec Pierre-Antoine Plaquevent

 
Pierre Antoine Plaquevent était invité à présenter son travail à l'occasion de la rencontre locale du pays réel organisée par Civitas en région parisienne le 3 octobre 2020 : "Covid, Big Pharma, Bill Gates, Soros, de la tyrannie sous prétexte sanitaire au nouvel ordre mondial". Il reprend ici pour nous son intervention.
 
 
 

Chers amis, 

Voici un entretien d'environ 45 min réalisé avec Média Presse Info. Cet entretien brosse un tableau d'ensemble de la séquence en cours.

Parmi les thématiques abordées :

-          L'enrichissement colossal des milliardaires globalistes pendant le confinement

 

-          La répartition des domaines d'influence métapolitique au sein de la gouvernance mondiale entre milliardaires (Soros, Gates, Buffet etc)

 

-          L’affrontement global entre paléo-capitalisme (personnifié par Trump) et néo-capitalisme (Gates, Soros, Buffet, Bézos etc)

 

-          Les objectifs et les buts de l'opération Covid : vaccination de masse, reset économique, passage à la digitalisation totale, télé-travail généralisé, robotisation, salaire universel, décroissance démographique etc.

 

-          Répression des nationalistes-révolutionnaires à la faveur de l'état d'urgence sanitaire : Ryssen, Soral, Aube dorée etc

 

-          Contours du paysage politique de l’avenir après répression des nationalistes-révolutionnaires : globalistes vs néo-conservateurs

 

-          Récupération et utilisation du Covid par les différents léviathans nationaux

 

-          France : l’état d'exception permanent depuis 2015. Utilisation des menaces terroriste et sanitaire pour soumettre la population majoritaire malgré la déréliction de l'État que génère la soumission de nos politiques à l’agenda globaliste. Le séparatisme vient d'abord d'en-haut. Passage du politique à la cybernétique et à l'ingénierie sociale pure 

 

-          République actuelle = GOG – Gouvernement d'Occupation Globaliste

 

-       Cause réelle de la crise globale actuelle : USA de Trump se découplent de la gouvernance globale  

 

-          L’affrontement interne au sein de la gouvernance globale entre judéo-protestantisme pro-vie et globalitarisme trans / post-humaniste

 

-       USA vs gouvernance globale + Chine

 

-          USA : les démocrates accepteraient-ils de perdre les élections ? Le “Transition Integrity Project” démontre que non

 

-          Gouvernance globale et guerre civile planétaire

 

Bien amicalement, 

Pierre-Antoine Plaquevent

jeudi, 22 octobre 2020

Géopolitique des élections américaines

11678341.image.jpg

Géopolitique des élections américaines

 
 
Auteur : Alexandre Douguine
Ex: http://www.zejournal.mobi

Un consensus centenaire des élites américaines

L’expression même de « géopolitique des élections américaines » semble assez inhabituelle et inattendue. Depuis les années 1930, la confrontation entre deux grands partis américains – le Great Old Party (GOP) et les Blue Democrats – est devenue une compétition basée sur l’accord avec les principes de base de la politique, de l’idéologie et de la géopolitique acceptés par les deux parties. L’élite politique des États-Unis était fondée sur un consensus profond et complet – tout d’abord, sur la dévotion au capitalisme, au libéralisme et à l’affirmation des États-Unis comme principale puissance du monde occidental. Qu’il s’agisse des « républicains » ou des « démocrates », il était possible de s’assurer que leur vision de l’ordre mondial était presque identique – mondialiste,

  • libérale,
  • unipolaire,
  • atlantique et
  • americano-centrique.

Cette unité a été institutionnalisée au sein du Council on Foreign Relations (CFR), créé au moment de l’accord de Versailles après la Première Guerre mondiale et réunissant des représentants des deux partis. Le rôle du CFR ne cesse de croître et, après la Seconde Guerre mondiale, il devient le principal siège du mondialisme montant. Pendant les premières étapes de la guerre froide, le CFR a permis la convergence des deux systèmes, avec l’URSS, sur la base des valeurs communes des Lumières. Mais en raison du net affaiblissement du camp socialiste et de la trahison de Gorbatchev, la « convergence » n’était plus nécessaire, et la construction de la paix mondiale était entre les mains d’un seul pôle – celui qui a gagné la guerre froide.

george-w-bush-michelle-obama-4d1dd1-0@1x.jpeg

Le début des années 90 du XXe siècle a été la minute de gloire des mondialistes et du CFR lui-même. À partir de ce moment, le consensus des élites américaines, quelle que soit leur affiliation politique, s’est renforcé et les politiques de Bill Clinton, George W. Bush ou Barack Obama – du moins en ce qui concerne les grandes questions de politique étrangère et l’attachement à l’agenda mondialiste – ont été pratiquement identiques. Du côté des républicains – analogue à la « droite » des mondialistes (représentés principalement par les démocrates) – se trouvent les néoconservateurs qui ont évincé les paléoconservateurs à partir des années 1980, c’est-à-dire ces républicains qui maintenaient la tradition isolationniste et qui restaient fidèles aux valeurs conservatrices, ce qui était caractéristique du parti républicain au début du XXe siècle et aux premiers stades de l’histoire américaine.

Oui, les Démocrates et les Républicains divergeaient en matière de politique fiscale, de médecine et d’assurance (ici, les Démocrates étaient économiquement de gauche et les Républicains de droite), mais c’était une dispute au sein du même modèle, qui n’avait que peu ou pas d’incidence sur les principaux vecteurs de la politique intérieure, et encore moins sur les vecteurs étrangers. En d’autres termes, les élections américaines n’avaient pas de signification géopolitique, et donc une combinaison telle que « géopolitique des élections américaines » n’avait pas cours, en raison de son absurdité et de sa vacuité.

Trump est en train de détruire le consensus

Tout a changé en 2016, lorsque l’actuel président américain Donald Trump est arrivé au pouvoir de manière inattendue. En Amérique même, son arrivée a été quelque chose d’assez exceptionnel. Tout le programme électoral de Trump était basé sur la critique du mondialisme et des élites américaines au pouvoir. En d’autres termes, M. Trump a directement contesté le consensus des deux partis, y compris l’aile néoconservatrice de son parti républicain, et ….il a gagné. Bien sûr, les 4 années de présidence de Trump ont montré qu’il était tout simplement impossible de restructurer complètement la politique américaine d’une manière aussi inattendue, et Trump a dû faire de nombreux compromis, y compris jusqu’à la nomination du néoconservateur John Bolton comme son conseiller à la sécurité nationale. Mais quoi qu’il en soit, il a essayé de suivre sa ligne, au moins en partie, ce qui a rendu les mondialistes furieux. Trump a ainsi brusquement modifié la structure même des relations entre les deux grands partis américains. Sous sa direction, les républicains sont partiellement revenus à la position nationaliste américaine inhérente aux premiers GOP – d’où les slogans « America first ! » ou « Let’s make America great again ! ». Cela a provoqué la radicalisation des démocrates qui, à partir de l’affrontement entre Trump et Hillary Clinton, ont en fait déclaré la guerre à Trump et à tous ceux qui soutiennent sa guerre à lui en matière politique, idéologique, médiatique, économique, etc.

7785673826_une-du-the-seattles-times-9-novembre-2016.jpg

Pendant 4 ans, cette guerre n’a pas cessé un seul instant, et aujourd’hui – à la veille de nouvelles élections – elle a atteint son apogée. Elle s’est manifestée

  • dans la déstabilisation généralisée du système social,
  • dans le soulèvement des éléments extrémistes dans les grandes villes américaines (avec un soutien presque ouvert du Parti démocrate aux forces anti-Trump),
  • dans la diabolisation directe de Trump et de ses partisans, qui, si Biden gagne, sont menacés d’une véritable épuration, quel que soit le poste qu’ils aient occupé,
  • en accusant Trump et tous les patriotes et nationalistes américains de fascisme,
  • dans des tentatives de présenter Trump comme un agent des forces extérieures – principalement Vladimir Poutine – etc.

L’aigreur de la confrontation entre les partis dans laquelle certains républicains eux-mêmes, principalement des néoconservateurs (comme Bill Kristol, l’idéologue en chef des néoconservateurs) se sont opposés à Trump, a conduit à une forte polarisation de la société américaine dans son ensemble. Et aujourd’hui, à l’automne 2020, sur fond d’épidémie persistante de Covid-19 et de ses conséquences sociales et économiques, la course électorale représente quelque chose de complètement différent de ce qu’elle avait été au cours des 100 dernières années de l’histoire américaine – à partir du traité de Versailles, les 14 points mondialistes de Woodrow Wilson et la création du CFR.

Les années 90 : une minute de gloire mondialiste

Bien sûr, ce n’est pas Donald Trump qui a personnellement brisé le consensus mondialiste des élites américaines, mettant les États-Unis pratiquement au bord d’une guerre civile à part entière. Trump était un symptôme des profonds processus géopolitiques qui se sont déroulés depuis le début des années 2000.

Dans les années 90, le mondialisme a atteint son apogée, le camp soviétique était en ruines, la Russie était dirigée par des agents américains directs et la Chine commençait tout juste à copier docilement le système capitaliste, ce qui a créé l’illusion de la « fin de l’histoire » (F. Fukuyama). Ainsi, la mondialisation n’a été ouvertement contrée que par les structures extraterritoriales du fondamentalisme islamique, à leur tour contrôlées par la CIA et les alliés des États-Unis, d’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golfe, et par certains « États voyous » – comme l’Iran chiite et la Corée du Nord encore communiste, qui ne représentaient pas en eux-mêmes le grand danger. Il semblait que la domination du mondialisme était totale, que le libéralisme restait la seule idéologie capable de subjuguer toutes les sociétés et que le capitalisme était le seul système économique. On est allé jusqu’à la proclamation du gouvernement mondial (c’est l’objectif des mondialistes, et en particulier, le point culminant de la stratégie du CFR).

Les premiers signes de la multipolarité

Mais quelque chose a mal tourné depuis le début des années 2000. La désintégration et la dégradation de la Russie se sont arrêtées avec Poutine, cette Russie dont la disparition définitive de l’arène mondiale était une condition préalable au triomphe des mondialistes. S’engageant sur la voie de la restauration de sa souveraineté, la Russie a parcouru en 20 ans un long chemin, devenant l’un des pôles les plus importants de la politique mondiale, bien sûr, encore bien souvent inférieure à la puissance de l’URSS et du camp socialiste, mais cessant d’être l’esclave soumise à l’Occident, comme elle l’était dans les années 90.

cb_china_dr1.jpg

Dans le même temps, la Chine, en entreprenant la libéralisation de l’économie, a gardé le pouvoir politique entre les mains du parti communiste, échappant au sort de l’URSS, à l’effondrement, au chaos, à la « démocratisation » selon les normes libérales, et devenant progressivement la plus grande puissance économique, comparable aux États-Unis.

En d’autres termes, il y avait les conditions préalables à un ordre mondial multipolaire, qui, avec l’Occident lui-même (les États-Unis et les pays de l’OTAN), avait au moins deux autres pôles assez importants et significatifs – la Russie et la Chine de Poutine. Et plus on s’éloignait, plus cette image alternative du monde apparaissait clairement, dans laquelle, à côté de l’Occident libéral mondialiste, d’autres types de civilisations basées sur les pôles de pouvoir croissants – la Chine communiste et la Russie conservatrice – faisaient entendre leur voix de plus en plus fort. Des éléments du capitalisme et du libéralisme sont présents à la fois ici et là. Ce n’est pas encore une véritable alternative idéologique, ni une contre-hégémonie (selon Gramsci), mais c’est autre chose. Sans devenir multipolaire au sens plein du terme, le monde a cessé d’être unipolaire sans ambiguïté dans les années 2000. La mondialisation a commencé à s’étouffer, à perdre son cap. Cela s’est accompagné d’une scission imminente entre les États-Unis et l’Europe occidentale. En outre, le populisme de droite et de gauche a commencé à se développer dans les pays occidentaux, ce qui a rendu visible un mécontentement croissant de l’opinion publique face à l’hégémonie des élites libérales mondialistes. Le monde islamique a également poursuivi sa lutte pour les valeurs islamiques, qui ont toutefois cessé d’être strictement identifiées au fondamentalisme (contrôlé d’une manière ou d’une autre par les mondialistes) et ont commencé à prendre des formes géopolitiques plus claires :

  • la montée du chiisme au Moyen-Orient (Iran, Irak, Liban, en partie Syrie),
  • l’indépendance croissante – jusqu’aux conflits avec les États-Unis et l’OTAN – de la Turquie sunnite de Erdogan,
  • les oscillations des pays du Golfe entre l’Occident et d’autres centres de pouvoir (Russie, Chine), etc.

L’élan de Trump : un grand coup de théâtre

Les élections américaines de 2016, qui ont été remportées par Donald Trump, se sont déroulées dans ce contexte – à une époque de grave crise du mondialisme et des élites mondialistes au pouvoir.

C’est alors que la façade du consensus libéral a conduit à l’émergence d’une nouvelle force – cette partie de la société américaine qui ne voulait pas s’identifier avec les élites mondialistes au pouvoir. Le soutien de Trump est devenu un vote de défiance à l’égard de la stratégie du mondialisme – non seulement démocratique, mais aussi républicain. Ainsi, le schisme s’est installé dans la citadelle même du monde unipolaire, dans le siège de la mondialisation. Sous le poids du mépris, ils devenaient les « déplorables », une majorité silencieuse, une majorité dépossédée (V. Robertson). Trump est devenu un symbole du réveil du populisme américain.

featured00_square.jpg

Ainsi, aux États-Unis, la vraie politique est revenue, les disputes idéologiques ont repris et la destruction de monuments de l’histoire américaine est devenue l’expression d’une profonde division de la société américaine sur les questions les plus fondamentales.

Le consensus américain s’est effondré

Désormais, élites et masses, mondialistes et patriotes, démocrates et républicains, progressistes et conservateurs sont devenus des pôles à part entière et indépendants – avec leurs stratégies, programmes, points de vue, évaluations et systèmes de valeurs changeants. Trump a fait sauter l’Amérique, a brisé le consensus des élites et a fait dérailler la mondialisation.

Bien sûr, il ne l’a pas fait seul. Mais il a eu l’audace – peut-être sous l’influence idéologique du conservateur atypique et antimondialiste Steve Bannon (un cas rare d’intellectuel américain familier du conservatisme européen, et même du traditionalisme de René Guénon et de Julius Evola) – de dépasser le discours libéral dominant, ouvrant ainsi une nouvelle page de l’histoire politique américaine. Sur cette page, cette fois, on lit clairement la formule « géopolitique des élections américaines ».

L’élection américaine de 2020 : tout est remis en jeu

En fonction du résultat des élections de novembre 2020, les éléments suivants seront redessinés :

  • l’architecture de l’ordre mondial (transition vers le nationalisme et la multipolarité réelle dans le cas de Trump, poursuite de l’agonie de la mondialisation dans le cas de Biden),
  • la stratégie géopolitique globale des États-Unis (l’Amérique d’abord dans le cas de Trump, un saut désespéré vers le gouvernement mondial dans le cas de Biden),
  • Le sort de l’OTAN (sa dissolution en faveur d’une structure qui reflète plus strictement les intérêts nationaux des États-Unis – cette fois-ci en tant qu’État, et non comme un rempart de la mondialisation dans son ensemble (dans le cas de Trump) ou la préservation du bloc atlantique en tant qu’instrument des élites libérales supranationales (dans le cas de Biden),
  • l’idéologie dominante (le conservatisme de droite, le nationalisme américain dans le cas de Trump, le mondialisme de gauche, l’élimination définitive de l’identité américaine dans le cas de Biden),
  • la polarisation des démocrates et des républicains (poursuite de la croissance de l’influence des paléo-conservateurs au sein du gouvernement en cas de victoire de Trump) ou retour au consensus bipartite (dans le cas de Biden avec une nouvelle croissance de l’influence des néoconférences au sein du gouvernement),
  • et même le sort du deuxième amendement constitutionnel (son maintien dans le cas de Trump, et son éventuelle abrogation dans le cas de Biden).

uploads_2F1569507774818-7tx787ti1lf-793d5923f5901694cf5f4eea6b9f82f8_2FTrump2020_New2.jpg

Ce sont des moments si importants que le sort de Trump, les murs de Trump, et même les relations avec la Russie, la Chine et l’Iran s’avèrent être quelque chose de secondaire. Les États-Unis sont si profondément et si complètement divisés que la question est maintenant de savoir si le pays survivra à des élections aussi inédites. Cette fois, la lutte entre les démocrates et les républicains, Biden et Trump, est une lutte entre deux sociétés disposées agressivement l’une contre l’autre, et non un spectacle insensé dont rien ne dépend fondamentalement. L’Amérique a atteint un clivage fatal. Quel que soit le résultat de cette élection, les États-Unis ne seront plus jamais les mêmes. Quelque chose a changé de manière irréversible.

C’est pourquoi nous parlons de la « géopolitique de l’élection américaine », et c’est pourquoi elle est si importante. Le sort des États-Unis est, à bien des égards, le sort du monde moderne tout entier.

Le phénomène du « Heartland »

La notion de géopolitique la plus importante depuis l’époque de Mackinder, le fondateur de cette discipline, est celle de « Heartland ». Cela signifie le noyau de la « civilisation terrestre » (Land Power), s’opposant à la « civilisation de la puissance maritime ».

Mackinder lui-même, et surtout Carl Schmitt, qui a développé son idée et son intuition, parle de la confrontation entre deux types de civilisations, et pas seulement de la disposition stratégique des forces dans un contexte géographique.

La « Civilisation de la mer » incarne l’expansion, le commerce, la colonisation, mais aussi le « progrès », la « technologie », les changements constants de la société et de ses structures, à l’image de l’élément très liquide de l’océan – la société liquide de Z. Bauman.

C’est une civilisation sans racines, mobile, mouvante, « nomade ».

La « civilisation de la terre », au contraire, est liée au conservatisme, à la constance, à l’identité, à la durabilité, à la méritocratie et aux valeurs immuables ; c’est une culture qui a des racines, qui est sédentaire.

Ainsi, le « Heartland » acquiert lui aussi une signification civilisationnelle – il n’est pas seulement une zone territoriale aussi éloignée que possible des côtes et des espaces maritimes, mais aussi une matrice d’identité conservatrice, une zone de fortes racines, une zone de concentration maximale d’identité.

Ob_cf43ac_copy-of-spykman.jpg

En appliquant la géopolitique à la structure moderne des États-Unis, on obtient une image étonnante par sa clarté. La particularité du territoire américain est que le pays est situé entre deux espaces océaniques – entre l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. Contrairement à la Russie, il n’y a pas aux États-Unis de tendance nette au déplacement du centre vers l’un des pôles – bien que l’histoire des États-Unis ait commencé sur la côte Est et se soit progressivement déplacée vers l’Ouest; aujourd’hui, dans une certaine mesure, les deux zones côtières sont plutôt développées et représentent deux segments de la « civilisation de la mer » distincte.

Les États-Unis et la géopolitique électorale

Et c’est là que le plaisir commence. Si nous prenons la carte politique des États-Unis et que nous la colorions avec les couleurs des deux principaux partis en fonction du principe de savoir quels gouverneurs et quels partis dominent dans chacun d’eux, nous obtenons trois bandes :

  • La côte Est sera bleue, avec de grandes zones métropolitaines concentrées ici, et donc dominées par les démocrates ;
  • la partie centrale des États-Unis – zone de survol, zones industrielles et agraires (y compris « l’Amérique à un étage »), c’est-à-dire le Heartland proprement dit – est presque entièrement en rouge (zone d’influence républicaine) ;
  • La côte ouest concentre à nouveau des mégalopoles, des centres de haute technologie, et par conséquent la couleur bleue des démocrates.

Bienvenue dans la géopolitique classique, c’est-à-dire en première ligne de la « Grande Guerre des Continents ».

Ainsi, US-2020 ne se compose pas seulement d’échantillons variés de population, mais exactement de deux zones de civilisation – le Heartland central et deux territoires côtiers, qui représentent plus ou moins le même système social et politique, radicalement différent du Heartland. Les zones côtières sont la zone des démocrates. C’est là que se trouvent les foyers de la contestation la plus active du BLM, des LGBT+, du féminisme et de l’extrémisme de gauche (groupes terroristes « anti-fa »), qui ont été impliqués dans la campagne électorale des démocrates pour Biden et contre Trump.

election-results.jpg

Avant Trump, il semblait que les États-Unis n’étaient qu’une zone côtière. Trump a donné sa voix au cœur de l’Amérique. Ainsi, le centre rouge des États-Unis a été activé et activé. Trump est le président de cette « deuxième Amérique », qui n’a presque aucune représentation dans les élites politiques et n’a presque rien à voir avec l’agenda des mondialistes. C’est l’Amérique des petites villes, des communautés et des sectes chrétiennes, des fermes ou même des grands centres industriels, dévastée et dévastée à répétition par la délocalisation de l’industrie et le déplacement de l’attention vers des zones où la main-d’œuvre est moins chère. C’est une Amérique qui est déserte, loyale, oubliée et humiliée. C’est la patrie des vrais Amérindiens – des Américains avec des racines, qu’ils soient blancs ou non, protestants ou catholiques. Et cette Amérique centrale est en train de disparaître rapidement, à l’étroit entre  les zones côtières.

L’idéologie du cœur de l’Amérique : la vieille démocratie…

Il est révélateur que les Américains eux-mêmes aient récemment découvert cette dimension géopolitique des États-Unis. En ce sens, l’initiative de créer un Institut de développement économique complet, axé sur des plans de relance des micro-villes, des petites villes et des centres industriels situés au centre des États-Unis, est typique. Le nom de l’Institut parle de lui-même: « Heartland forward », « Heartland forward ! ». En fait, il s’agit d’un décryptage géopolitique et géoéconomique du slogan de Trump « Let’s make America great again ! »

9781641770941.jpg

Dans un article récent du dernier numéro du magazine conservateur American Affairs (Automne 2020. V IV, ? 3), l’analyste politique Joel Kotkin publie des documents du programme « The Heartland’s Revival » sur le même sujet – « La renaissance de Heartland ». Et bien que Joel Kotkin ne soit pas encore parvenu à la conclusion que les « États rouges » sont, en fait, une civilisation différente des zones côtières, de par sa position pragmatique et plus économique, il s’en rapproche.

La partie centrale des États-Unis est une zone très spéciale avec une population, où prévalent les paradigmes de la « vieille Amérique » avec sa « vieille démocratie », son « vieil individualisme » et sa « vieille » idée de la liberté. Ce système de valeurs n’a rien à voir avec la xénophobie, le racisme, la ségrégation ou tout autre substantif péjoratif que les Américains moyens des États intermédiaires se voient généralement attribuer par les intellectuels et les journalistes arrogants des mégalopoles et des chaînes nationales. C’est l’Amérique, avec toutes ses caractéristiques, la vieille Amérique traditionnelle, quelque peu figée dans sa volonté initiale de liberté individuelle depuis l’époque des pères fondateurs. Elle est surtout représentée par la secte amish, encore habillée dans le style du XVIIIe siècle, ou par les mormons de l’Utah, qui professent un culte grotesque mais purement américain, rappelant très vaguement le « christianisme ». Dans cette vieille Amérique, une personne peut avoir toutes sortes de croyances, dire et penser ce qu’elle veut. C’est la racine du pragmatisme américain : rien ne peut limiter ni le sujet ni l’objet, et les relations entre ceux-ci ne se révèlent que dans le feu de l’action. Encore une fois, cette action a un seul critère : ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas. Et c’est tout. Personne ne peut prescrire un éventuel « vieux libéralisme » selon lequel chacun devrait penser, parler ou écrire. Le politiquement correct n’a aucun sens ici.

Il est seulement souhaitable d’exprimer clairement sa propre pensée, qui peut être, théoriquement, tout ce que l’on veut. Dans une telle liberté de tout, tout est l’essence du « rêve américain ».

Deuxième amendement à la Constitution : protection armée de la liberté et de la dignité …

Le cœur de l’Amérique ne se résume pas à l’économie et à la sociologie. Elle a sa propre idéologie. C’est une idéologie amérindienne – plutôt républicaine – en partie anti-européenne (surtout anti-britannique), reconnaissant l’égalité des droits et l’inviolabilité des libertés. Et cet individualisme législatif s’incarne dans le libre droit de posséder et de porter des armes. Le deuxième amendement à la Constitution est un résumé de toute l’idéologie d’une telle Amérique « rouge » (au sens de la couleur GOP). « Je ne prends pas ce qui est à toi, mais tu ne touches pas non plus à ce qui m’appartient. » C’est le résumé de ce que véhicule un couteau, un pistolet, une arme à feu, mais aussi une mitrailleuse ou un pistolet mitrailleur. Il ne s’agit pas seulement de choses matérielles, mais aussi de croyances, de modes de pensée, de choix politiques libres et d’estime de soi.

unnamedcalhip.jpg

6c799ac8-8cf7-11ea-8a72-3b4a65ec119d_image_hires_131450.jpg

Mais les zones côtières, les territoires américains de la « Civilisation de la mer », les États bleus, voilà ce qui est attaqué. Cette « vieille démocratie », cet « individualisme », cette « liberté » n’ont rien à voir avec les normes du politiquement correct, avec une culture de plus en plus intolérante et agressive, avec la démolition des monuments aux héros de la guerre de Sécession ou avec le fait de baiser les pieds des Afro-Américains, des transsexuels et des monstres à corps positif. La « civilisation de la mer » considère la « vieille Amérique » comme un ensemble de « déplorables » (selon les termes d’Hillary Clinton), comme une masse de « fascistophiles » et de « dissidents ». À New York, Seattle, Los Angeles et San Francisco, nous avons déjà affaire à une autre Amérique – une Amérique bleue de libéraux, de mondialistes, de professeurs postmodernes, de partisans de la perversion et d’un athéisme prescriptif offensif, qui chasse de la zone de tolérance tout ce qui ressemble à la religion, à la famille, à la tradition.

La Grande Guerre des Continents aux Etats-Unis : Proximité de l’issue

Ces deux Amériques – Earth America et Sea America – rassemblent leurs forces aujourd’hui dans une lutte acharnée pour leur président. Et tant les démocrates que les républicains n’ont sciemment aucune intention de reconnaître un gagnant s’il vient du camp opposé. Biden est convaincu que Trump « a déjà truqué les résultats des élections », et que son « ami » Poutine « s’en est déjà mêlé » avec l’aide des services secrets, la GRU, du « nouveau venu », des trolls Holguin et d’autres écosystèmes multipolaires de la « propagande russe ». Par conséquent, les démocrates n’ont pas l’intention de reconnaître la victoire de Trump. Ce ne sera pas une victoire, mais une « fake news ».

Les républicains les plus conséquents le considèreraient également comme une falsification. Les démocrates utilisent des méthodes illégales dans la campagne électorale – en fait, les États-Unis eux-mêmes ont une « révolution des couleurs » dirigée contre Trump et son administration. Et les traces de ses organisateurs, parmi les principaux mondialistes et opposants de Trump George Soros, Bill Gates et autres fanatiques de la « nouvelle démocratie », les représentants les plus brillants et les plus conséquents de la « civilisation de la mer » américaine, sont absolument transparentes derrière cette révolution. C’est pourquoi les républicains sont prêts à aller jusqu’au bout, d’autant plus que le ressentiment des démocrates contre Trump et les personnes nommées par ce dernier au cours des 4 dernières années est telle que si Biden se retrouve à la Maison Blanche, la répression politique contre une partie de l’establishment américain – du moins contre toutes les personnes nommées par Trump – aura une ampleur sans précédent.

C’est ainsi que la tablette de chocolat américain se brise sous nos yeux – les lignes de fracture possibles deviennent les fronts de la véritable guerre elle-même.

Ce n’est plus seulement une campagne électorale, c’est la première étape d’une véritable guerre civile.

Dans cette guerre, deux Américains – deux idéologies, deux démocraties, deux libertés, deux identités, deux systèmes de valeurs s’excluant mutuellement, deux politiciens, deux économies et deux géopolitiques – se font face.

Si nous comprenions l’importance actuelle de la « géopolitique de l’élection américaine », le monde retiendrait son souffle et ne penserait à rien d’autre – ni même à la pandémie de Covid-19 ou aux guerres, conflits et catastrophes locales. Au centre de l’histoire du monde, au centre de la détermination du destin de l’avenir de l’humanité se trouve la « géopolitique des élections américaines » – la scène américaine de la « grande guerre des continents », la terre américaine contre la mer américaine.

Source : http://dugin.ru et https://izborsk-club.ru/20027 

Traduit du russe par « Le rouge et le blanc », sur : http://pocombelles.over-blog.com/2020/10

Traduction revue par Maria Poumier

L'auteur, Alexandre Guelievitch Douguine né en 1962 est un éminent philosophe, écrivain, éditeur, personnalité publique et politique russe. Docteur en sciences politiques. Professeur de l'Université d'État de Moscou. Leader du Mouvement international eurasien. Membre permanent du Club d’Izborsk.

mercredi, 21 octobre 2020

Kaukasus-Konflikt

Depositphotos_414274900_s-2019.jpg

Kaukasus-Konflikt

Willy Wimmer

Ex: https://www.world-economy.eu

Im Kaukasus sterben Menschen und sie sterben, weil ein regionaler Krieg zwischen zwei Kaukasus-Staaten wieder aufgeflammt ist. Die Kriegsparteien sind bekannt. Es handelt sich um Armenien und Aserbeidschan. Sich diese beiden Staaten alleine anzusehen, reicht nicht. Beide Staaten stehen für Konfliktfelder, die eine globale Dimension haben. Es überschneiden sich Rivalitäten, die weit in die Geschichte von zwei Jahrhunderten zurückreichen und Staaten wie Russland und Amerika, die Türkei und Frankreich ebenso betreffen wie heute Iran und Israel.

Es reicht völlig, sich die Staaten in ihrer jeweiligen Kooperation anzusehen. Der internationale Akteur, der jedenfalls die Lage vor Ort kannte, wurde vor Ausbruch der Kämpfe politisch aus dem Verkehr gezogen: die OSZE. Derzeit kann keine internationale Struktur den Konflikt auffangen. Die Bemühungen Russlands um einen Waffenstillstand machen deutlich, wie hoch das Gefährdungspotential über den Kaukasus hinaus eingeschätzt wird. Jetzt hat der Vorsitzende armenischer Kirchengemeinden in Deutschland die Bundesregierung aufgefordert, sich in dem Konflikt zu engagieren und gleich die Geschichte ins Feld geführt. Hier zeigt sich bereits im Ansatz, was das Führungschaos bei der OSZE bewirkt hat. Niemand kann heute sagen, wer den ersten Schuss in dem bislang fast eingefrorenen Konflikt abgefeuert hatte? Feststellen kann jeder, wie die Ausgangslage für diesen Krieg aussieht. Es gibt mehrere Grundtatbestände. Das sind zunächst die international anerkannten Grenzen. Danach liegt der Zankapfel namens „Berg-Karabach“ eindeutig auf dem Staatsgebiet von Aserbeidschan. Ebenso unbestritten sind zwei weitere Umstände. Berg-Karabach wird mehrheitlich von Armeniern besiedelt. Über das Gebiet von Berg-Karabach hinaus haben armenische Streitkräfte als Ergebnis des Konfliktes von 1991-1994 um das Gebiet von Berg-Karabach Teile des Staatsgebietes von Aserbeidschan besetzt. Hunderttausende Flüchtlinge sind nach den Feststellungen der UN Binnenflüchtlinge in Aserbeidschan.

Welchen Zielen soll eine deutsche Initiative gelten? Nach dem jetzigen Stand der Dinge muss das Sterben beendet werden. Dafür besitzen andere die Durchschlagskraft, dies jedenfalls zu versuchen. Wenn es gilt, internationale Standards wieder zu respektieren, kann niemand von Deutschland erwarten, dass unser Land sich dafür einsetzen sollte, territoriale Kriegsgewinne aus dem Konflikt 1991-1994 anerkannt zu sehen. In der Zeit von Helmut Kohl haben die Kriegsparteien Realismus genug gezeigt, eine allseits anerkannte und respektierte Regelung zu treffen. Der Vater des heutigen Präsidenten von Aserbeidschan war pragmatisch genug und in Jerewan war man das auch. Man kann nicht einfach anknüpfen, denn das lassen die Hintermänner nicht zu.

Die Meinung des Autors/Ansprechpartners kann von der Meinung der Redaktion abweichen. Grundgesetz Artikel 5 Absatz 1 und 3 (1) „Jeder hat das Recht, seine Meinung in Wort, Schrift und Bild frei zu äußern und zu verbreiten und sich aus allgemein zugänglichen Quellen ungehindert zu unterrichten. Die Pressefreiheit und die Freiheit der Berichterstattung durch Rundfunk und Film werden gewährleistet. Eine Zensur findet nicht statt.“

 

mardi, 20 octobre 2020

Les États-Unis ne trouvent pas d’alliés pour lancer une guerre contre la Chine

7463851.jpg

Les États-Unis ne trouvent pas d’alliés pour lancer une guerre contre la Chine

Par Moon of Alabama

Les États-Unis veulent contrer la position économique et politique croissante de la Chine dans le monde.


L’administration Obama a tenté un « pivot vers l’Asie » en construisant une zone économique à bas tarif via le Partenariat Trans Pacifique (TPP) qui aurait exclu la Chine.

L’administration Trump a rejeté le TPP et s’en est retirée. Elle a lancé une guerre économique contre la Chine en augmentant les droits de douane sur les produits chinois, en interdisant les fournitures de haute technologie aux fabricants chinois et en refusant aux entreprises chinoises l’accès à son marché.

Elle a également tenté de construire une coalition militaire qui l’aiderait à menacer la Chine. Elle a relancé le dialogue quadrilatéral de sécurité 2007-2008 et l’a rebaptisé « Quad de consultations États-Unis-Australie-Inde-Japon ». L’objectif était d’en faire une OTAN asiatique sous commandement américain :

Le diplomate n°2 du Département d'Etat américain a déclaré lundi que Washington visait 
à "formaliser" des liens stratégiques croissants avec l'Inde, le Japon et l'Australie
dans un forum connu sous le nom de "Quad", une initiative qui, selon les experts, est
implicitement destinée à contrer la Chine dans la région indo-pacifique. "C'est une réalité que la région indo-pacifique manque de structures multilatérales
fortes. Ils n'ont rien d'équivalent à la force de l'OTAN ou de l'Union européenne",

a déclaré le secrétaire d'État adjoint américain Stephen Biegun lors d'un séminaire
en ligne en marge du forum annuel sur le partenariat stratégique entre les États-Unis
et l'Inde. "Il y a certainement une possibilité, à un moment donné, de formaliser une structure
comme celle-ci"
, a-t-il ajouté.

Mais il s’avère que ni l’Australie, ni le Japon, ni l’Inde n’ont d’intérêt à adopter une position ferme vis-à-vis de la Chine. Tous considèrent la Chine comme un partenaire commercial important. Ils savent que tout conflit avec elle leur coûterait très cher.

Le 6 octobre, le secrétaire d’État Mike Pompeo s’est envolé vers Tokyo pour une réunion avec les autres ministres des affaires étrangères du Quad. Il s’est vite rendu compte que personne ne se joindrait à son discours militant :

Lors d'une réunion avec les ministres des affaires étrangères du Japon, de l'Inde et 
de l'Australie à Tokyo, le secrétaire d'État Mike Pompeo a insisté mardi pour qu'ils
renforcent leur quatuor de démocraties afin de résister à une Chine de plus en plus
affirmée. ... Si, comme il le semble, Pompeo cherchait à pousser les autres membres du Quad à prendre
le parti des États-Unis dans une confrontation avec la Chine, il n'a pas obtenu de
soutien public retentissant, et ses propos se sont heurtés à ceux de son hôte. Pompeo a visé directement le Parti communiste chinois dans ses remarques avant

que les diplomates de haut niveau des quatre nations ne s'assoient pour discuter. "En tant que partenaires de ce Quad, il est plus que jamais essentiel que nous
collaborions pour protéger nos peuples et nos partenaires de l'exploitation, de
la corruption et de la coercition du PCC"
, a-t-il déclaré. Mais le principal porte-parole du gouvernement japonais, Katsunobu Kato, a insisté

lors d'un point de presse mardi: "Cette réunion du Quad ne s’est pas faite en ayant
un pays particulier à l’esprit."

L’Australie et l’Inde étaient également réticentes à dire quoi que ce soit qui pourrait potentiellement offenser la Chine.

L’initiative de Pompeo a échoué. L’ancien ambassadeur indien M. K. Bhadrakumar explique pourquoi le Quad ne fonctionnera pas :

La Chine ne peut être battue car, contrairement à l'URSS, elle fait partie de la même 
société mondiale que les États-Unis. Regardez l'étendue des champs de bataille entre
les États-Unis et la Chine : gouvernance mondiale, géoéconomie, commerce, investissements,
finances, utilisation des devises, gestion de la chaîne d'approvisionnement, normes et
systèmes technologiques, collaboration scientifique, etc. Cela témoigne de la vaste
portée mondiale de la Chine. Ce n'était pas le cas de l'URSS. Surtout, la Chine n'a pas d'idéologie messianique à exporter et préfère donner l'exemple
par ses performances. Elle ne cherche pas à provoquer un changement de régime dans d'autres
pays, et s'entend en fait plutôt bien avec les démocraties. ... Les États-Unis ont créé l'ASEAN, mais aujourd'hui, aucun partenaire asiatique en matière

de sécurité ne veut choisir entre l'Amérique et la Chine. L'ASEAN ne peut pas être
réorientée pour former une coalition afin de contrer la Chine. Ainsi, aucun des opposants
à la Chine au sujet de la mer de Chine méridionale n'est prêt à rejoindre les États-Unis
dans leurs provocations navales contre la Chine. La Chine a des ressources, y compris de l'argent, à offrir à ses partenaires, alors que
le budget américain est en déficit chronique et que même les opérations courantes du
gouvernement doivent maintenant être financées par la dette. Les États-Unis doivent

trouver les ressources nécessaires pour maintenir leurs infrastructures humaines et
physiques à des niveaux compétitifs par rapport à ceux de la Chine et d'autres grandes
puissances économiques. Pourquoi diable l'Inde devrait-elle se mêler à cette affaire chaotique dont le point
culminant est acquis d'avance ? ... La Chine n'a pas besoin de faire la guerre parce qu'elle est déjà en train de gagner.

Les États-Unis ont également tenté d’inciter leurs alliés européens de l’OTAN à prendre position contre la Chine :

Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a averti, samedi, que l'influence 
croissante de la Chine avait créé un "changement fondamental dans l'équilibre mondial
des pouvoirs"
qui ne devait pas être négligé. Dans une interview au journal allemand Welt am Sonntag, publiée à l'avance, le responsable

norvégien y déclarait que Pékin disposait du deuxième budget de défense au monde après
les États-Unis et qu'il investissait massivement dans des armes nucléaires et des missiles
à longue portée qui pourraient atteindre l'Europe. "Une chose est claire : la Chine se rapproche de plus en plus des portes de l'Europe",
a-t-il déclaré. "Les alliés de l'OTAN doivent relever ce défi ensemble."

Cette initiative coulera en Europe aussi vite que l’initiative du Quad a coulé en Asie et pour les mêmes raisons. La Chine n’est pas un danger idéologique ou militaire pour l’Europe. C’est un mastodonte économique et les relations avec elle doivent être gérées avec soin. Elles exigent du respect et des discussions, et non des roulements de tambour.

La Chine a dépassé les États-Unis en tant que premier partenaire commercial de l’UE :

Au cours des sept premiers mois de 2020, la Chine a dépassé les États-Unis pour devenir 
le plus grand partenaire commercial de l'Union européenne (UE), a déclaré Eurostat,
l'organisme statistique de l'UE. ... Les importations de l'UE en provenance de Chine ont augmenté de 4,9 % en glissement
annuel au cours de la période janvier-juillet, a noté Eurostat. Selon l'Office fédéral des statistiques d'Allemagne, la plus grande économie de l'UE,
la Chine, premier partenaire commercial de l'Allemagne depuis 2016, a dépassé les
États-Unis pour la première fois au deuxième trimestre de cette année pour devenir
le plus grand marché d'exportation de l'Allemagne, et les exportations allemandes
vers la Chine en juillet ont presque retrouvé leur niveau de l'année dernière.

Il est temps pour les États-Unis de se regarder dans un miroir et de s’éveiller à la réalité. C’est un pays très endetté avec une armée bien trop chère et, de plus, inefficace. Au cours des dernières décennies, son rôle économique dans le monde n’a cessé de décliner. Ses constantes prises de positions militantes et son attitude « faites comme on vous le dit » ont aliéné ses alliés. Sans alliés, les États-Unis n’ont aucune chance de vaincre la Chine dans un conflit potentiel.

Ce que les États-Unis pourraient encore faire, c’est rivaliser honnêtement avec la Chine. Mais cela nécessiterait de l’humilité, une politique industrielle forte et une main-d’œuvre bien payée et compétitive.

Aucune de ces conditions n’est en vue.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

samedi, 17 octobre 2020

Qui a peur de l’ours russe?

images.jpg

Archives: article de 2007

RUSSIE. Poutine taxé d’antidémocrate à cause de sa bataille contre les oligarques

Qui a peur de l’ours russe?

Ex: http://www.30giorni.it

Interview de Maurizio Blonde, auteur de Stare con Putin? «Le processus d’intégration entre Europe et Russie est dans les faits. Il s’agit simplement de l’accompagner en évitant que d’autres ne le détruisent, agissant pour leurs propres intérêts»

Interview de Maurizio Blondet par Davide Malacaria

«Russie et Europe ne peuvent que s’intégrer de plus en plus, en une sorte de destin manifeste». Celui qui prononce ces mots est Maurizio Blondet, qui a été longtemps l’une des signatures les plus en vue d’Avvenire, le quotidien des évêques italiens pour lequel il a signé de nombreux éditoriaux. Blondet a abandonné depuis longtemps les défis du quotidien catholique pour se dédier à un quotidien en ligne, Effedieffe.com, une publication aux teintes plutôt fortes, mais toujours intéressante et bien documentée. Il a récemment publié Stare con Putin? [ Soutenir Poutine? ndr], l’ouvrage qui sera l’objet de notre interview. Nous l’avons rencontré avant le sommet informel entre le président des États-Unis, George Bush, et le président de la Fédération russe, Vladimir Poutine, qui s’est tenu au début de juillet dans le Maine, dans la résidence de Bush senior. Une rencontre qui a fait naître des espérances. Mais celles-ci restent à vérifier.
Pourquoi être du côté de Poutine?
 
 
 
 
MAURIZIO BLONDET: Je crois que le président russe, après le 11 septembre et le début de ce que l’on a appelé la guerre contre le terrorisme, a représenté un point de stabilité, d’équilibre dans le monde. Et puis, l’Europe ne peut trouver que des bénéfices à s’intégrer avec la Russie. Malheureusement, les bureaucrates de Bruxelles s’y opposent: les Barroso, les Solana, des personnes qui sont à la tête de l’Europe sans aucune investiture populaire et qui ne font que compliquer cette intégration. Peut-être parce qu’ils doivent obéir à d’autres, à des gens qui n’ont aucun intérêt à ce processus.

À savoir?

BLONDET: Avant tout, les États-Unis. Il y a des gens qui voudraient marginaliser la Russie et en faire une petite puissance asiatique.

index.jpg

Une thèse vaguement conspirationniste...

BLONDET: Pas du tout. Je vous lis un passage d’un essai écrit en 1997 par Zbigniew Brzezinski, ancien secrétaire d’État avec Carter: «L’Ukraine, nouveau et important espace sur l’échiquier euroasiatique, est un pilier géopolitique parce que son existence même comme pays indépendant permet de transformer la Russie. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire euroasiatique. La Russie sans l’Ukraine peut encore se battre pour sa situation impériale, mais elle deviendra un empire substantiellement asiatique, probablement entraîné dans des conflits éreintants avec les nations de l’Asie centrale, qui seraient soutenues par les États islamiques, leurs amis du sud [...]. Les États qui méritent le plus fort soutien géopolitique américain sont l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et (en dehors de cette région) l’Ukraine, dans la mesure où ils sont tous les trois des piliers géopolitiques. Ou plutôt, c’est l’Ukraine qui est l’État essentiel, dans la mesure où elle pèsera sur l’évolution future de la Russie». Cette lecture est utile pour comprendre ce qui est arrivé dans ces dernières années. Ce texte a été écrit bien avant que n’éclatent les “révolutions colorées”.

Des révolutions colorées...

BLONDET: La révolution orange en Ukraine, la plus importante du point de vue géopolitique, la révolution rose en Géorgie, et puis celles des Pays baltes et des pays asiatiques comme l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, toutes financées par les États-Unis à travers une myriade d’organisations non gouvernementales qui ont poussé comme des champignons à l’intérieur de ces États, en dépit du fait qu’il y ait aux États-Unis des lois qui interdisent de manipuler les sociétés civiles des autres pays. J’ai aussi parlé, dans mon livre, de l’homme le plus important de la révolution kirghize, l’Américain Mike Stone qui, en plein milieu des troubles, crée un journal dans lequel on apprend les gens à faire la grève de la faim, à organiser une manifestation, à faire de la résistance passive... et quand les autorités lui coupent l’électricité, il réussit quand même à imprimer grâce à des générateurs que l’ambassade américaine au Kirghizstan met gentiment à sa disposition. Une autre figure singulière est celle de Kateryna Chumachenko, la femme de Viktor Yushenko, leader de la révolution orange et l’actuel président de l’Ukraine. Née à Chicago, elle était fonctionnaire de la Maison Blanche sous Ronald Reagan et ensuite au Ministère du Trésor. À la Maison Blanche, elle était membre du Public Liaison Office et elle avait pour spécialité de gagner des sympathies pour les politiques reaganiennes auprès des groupes anticommunistes de l’Est européens, en particulier les dissidents ukrainiens. Ce ne sont que quelques exemples.

Vous parliez des révolutions qui ont eu lieu dans les pays de la Russie asiatique...

BLONDET: Il s’agit de pays caucasiens et de ceux qui, s’étendant de la mer Caspienne à la Chine, séparent au sud la Russie de l’Iran, de l’Afghanistan et du Pakistan. Des États fondamentaux d’un point de vue géopolitique, dans la mesure où ils mettent la Russie en communication avec la mer Caspienne, riche, entre autre, de pétrole et de gaz naturel, mais surtout parce qu’ils constituent les voies de transit des oléoducs russes. Actuellement, l’armée américaine enrôle des marines en Géorgie; elle n’a plus de volontaires américains, parce que ces derniers offrent leurs services à des entreprises privées qui paient mieux, alors les États-Unis sont obligés d’aller chercher des renforts pour leur armée dans des pays de ce genre... Mais les choses n’ont pas marché exactement comme le voulaient les stratèges néocons: Après une période de subordination aux nouveaux patrons occidentaux, les politiciens locaux de certains de ces pays ont commencé à tisser de nouveaux liens avec Moscou. D’ailleurs, la Russie est beaucoup plus proche d’eux que les États-Unis, et il est impossible de ne pas en tenir compte.

Et pourtant, après le 11 septembre, les États-Unis et la Russie apparaissaient unis contre la menace terroriste.

BLONDET: À l’époque, les États-Unis croyaient pouvoir manœuvrer la Russie. Or tout est devenu plus compliqué lorsqu’au contraire, Poutine a commencé à faire une politique qui a petit à petit sorti la Russie du chaos organisé dans lequel elle était tombée avec Eltsine. Il y a réussi aussi grâce aux revenus du gaz et du pétrole. La guerre contre l’Irak, qui représentait dans l’esprit des stratèges américains un pas vers l’hégémonie mondiale, en causant une hausse du prix du pétrole, a eu pour eux un effet qu’ils ne souhaitaient pas en aidant le redressement économique de la Russie... Et Poutine a utilisé le pétrole pour assainir la nation, au lieu de remplir les poches des quelques oligarques comme cela se passait sous Eltsine, quand un petit groupe de magnats sans scrupules se sont accaparés pour quelques sous et grâce à leurs accointances avec l’ancien président russe, les énormes richesses du pays.

Les oligarques... il y a entre eux et Poutine une guerre souterraine.

BLONDET: Et c’est la raison pour laquelle le président russe a été l’objet de si nombreuses attaques du côté occidental. Jusqu’à l’arrestation du magnat Mikhaïl Khodorkovski en octobre 2003, les relations avec l’Occident étaient bonnes. Après, elles n’ont fait que se détériorer: depuis, Poutine a été accusé d’attenter à la démocratie et que sais-je encore... En effet, l’arrestation de Khodorkovski a été le signal de l’inversion de tendance, le signal que les temps des vaches grasses était fini pour les oligarques, que le nouvel habitant du Kremlin n’aurait pas toléré les exactions de ces personnages qui bénéficiaient de l’appui de la finance internationale. Khodorkovski était devenu le patron de Youkos, le plus grand groupe pétrolier russe, en déboursant 309 millions de dollars pour acquérir 78% des actions... le lendemain, à la bourse russe, le groupe montrait sa vraie valeur: 6 milliards de dollars. Évidemment, l’argent n’appartenait pas à Khodorkovski, mais il lui avait été prêté par des financiers internationaux connus auxquels il s’apprêtait à revendre le groupe avant d’être arrêté.


Vladimir Poutine pendant le sommet informel avec le président des États-Unis George W. Bush dans le Maine, dans la résidence de Bush senior, le 2 juillet 2007

Vladimir_Putin_and_George_W._Bush.jpg

Vous faites allusion, dans votre livre, aux rapports entre les oligarques et les terroristes tchétchènes.

BLONDET: Ce n’est pas un mystère que Chamil Bassaev, le terroriste qui a revendiqué le massacre de Beslan dans lequel ont péri 394 personnes dont 156 enfants, était le chef des gardes du corps de Boris Abramovich Berezovsky, le plus puissant de ces oligarques, actuellement “exilé” à Londres. Aslan Maskhadov, un autre chef de la guérilla tchétchène, lui aussi impliqué, entre autre, dans le massacre de Beslan, était l’un des gardes du corps de Berezovsky... mais il y aurait bien des choses à dire sur la guérilla tchétchène. Quand, au cours d’une fusillade, les troupes russes tuent Rizvan Chitigov, alors numéro trois de la guérilla, ils trouvent sur lui la plaque caractéristique des marines, sur laquelle est gravée son identité, et la carte verte, à savoir le permis de séjour permanent aux États-Unis. Juste pour dire que les États-Unis, eux aussi, ont intérêt à maintenir la plaie de la guerre tchétchène ouverte, comme un fer au flanc de la Russie...

Désormais, presque tous les oligarques russes se sont réfugiés à l’étranger...

BLONDET: Mais ils ont encore des accointances à l’intérieur de la Russie. N’oublions pas qu’ils ne sont pas nés d’hier. Ce sont des hommes qui viennent de la nomenclature soviétique, avec des liens solides dans la police et dans les services secrets, au point que Poutine, qui leur fait en partie obstacle, est en partie obligé de pactiser avec eux. Poutine a placé ses hommes dans les postes qui comptent, mais il ne peut pas contrôler tout ce qui se passe en Russie.

Anna Politkovskaïa, une journaliste qui ne lésinait pas ses critiques envers Poutine, a été assassinée en octobre dernier. Cet homicide a jeté une ombre sur le président russe.

BLONDET: Je crois que c’était justement cela l’objectif des assassins. Il est évident que le seul qui n’avait aucun intérêt à cet assassinat était justement Poutine. Personnellement, je suis convaincu que cette journaliste a été la victime sacrificielle immolée sur l’autel de l’anti-impérialisme russe. Certains milieux ont pensé qu’elle était plus utile morte que vive. Je tiens néanmoins à souligner que le vacarme médiatique de cet homicide a été excessif. Un autre crime édifiant a connu un tout autre sort médiatique: peu avant la journaliste, a été tué Andreï Kozlov, vice-président de la Banque centrale russe, un homme de premier plan de la Fédération russe. Kozlov était en train de mener une enquête sur le recyclage et il s’apprêtait à retirer des licences bancaires, un geste ruineux pour certains milieux financiers. Bien évidemment, Kozlov n’agissait pas en opposition à Poutine, et c’est pour cela que ce crime est passé presque inaperçu en Occident.

Un autre assassinat édifiant, celui d’Alexandre Litvinenko, décédé en novembre 2006. Encore des accusations contre Poutine...

BLONDET: On a beaucoup parlé du polonium, la substance radioactive avec laquelle il a été empoisonné... mais peut-on vraiment croire que Poutine ait donné l’ordre de tuer quelqu’un en utilisant une substance qui laisse des traces partout, au point que pour trouver le coupable, il suffit d’en suivre le sillage radioactif? À mon avis, comme la Politkovskaïa, Litvinenko a été, lui aussi, une victime sacrificielle pour discréditer le président russe, même si dans ce cas, il y a une variante. Le pauvre Litvinenko n’est pas mort tout de suite, mais il a beaucoup parlé au cours de sa longue agonie en donnant une quantité prodigieuse d’interviews dans lesquelles il a lancé des accusations contre les dirigeants russes (et là aussi, il y a de quoi sourire en pensant à un mandant qui laisse à sa victime le temps de parler si longtemps... il y a des méthodes beaucoup plus rapides pour tuer). Ce qui est curieux, c’est qu’étant donnée la situation, personne ne pouvait accéder à son chevet. Toutes ses déclarations ont été recueillies par la seule personne autorisée à rencontrer le moribond, un certain Alex Goldfarb, qui agit comme une sorte de porte-parole du moribond. C’est lui qui rapporte les paroles de Litvinenko à l’extérieur, qui explique et qui accuse... Dans mon livre, je fais remarquer que des traces de polonium ont été retrouvées aussi dans les bureaux de Berezovsky. Je crois que ce détail devrait être approfondi.

La Maison Blanche a récemment annoncé qu’elle installera un nouveau système antimissile en Pologne pour faire obstacle, disent les Américains, à une éventuelle menace iranienne. Cette démarche a suscité des réactions négatives à Moscou.

BLONDET: C’est évident, car cette initiative est perçue par les Russes, à juste titre, comme une menace envers eux. L’ouverture que Poutine a faite en réponse, lorsqu’il a proposé de créer une collaboration entre États-Unis et Russie pour déployer ce bouclier antimissiles dans un État asiatique, a dérouté les néocons. Ils ne peuvent pas dire non, parce que cette proposition est plus que raisonnable – d’ailleurs on ne voit pas ce que la Pologne a à voir avec l’Iran – mais ils chercheront à la faire capoter par tous les moyens. Nous verrons ce qui va se passer.

Poutine avec Benoît XVI, le 13 mars 2007

unnamedpb16.jpg

Pensez-vous, vous aussi, que l’Iran soit une grave menace internationale?

BLONDET: Lorsque Bush s’est rendu en Inde il y a quelque temps, il a offert à cette nation une collaboration pour développer une technologie nucléaire; or c’est exactement ce qu’il ne veut pas qu’ait l’Iran. En réalité, pour les néocons, l’attaque contre l’Iran est devenue une véritable obsession. Il y a quelque temps, Brzezinski a dit, en s’adressant au Congrès américain, que l’actuelle administration américaine serait capable de faire un attentat en territoire américain en l’attribuant aux islamistes, pourvu que cela leur donne un prétexte pour attaquer l’Iran...

Paradoxal... mais n’aviez-vous pas dit que Brzezinski était partisan d’une politique agressive de la part des États-Unis?

BLONDET: Brzezinski, comme Kissinger, est un stratège politique qui, à juste titre, s’inquiète du destin de sa propre nation et en recherche la prospérité, même si c’est parfois par des méthodes discutables. Mais il s’agit de personnes qui connaissent les voies de la politique et de la diplomatie, ce qui n’a rien à voir avec la folie des néocons, partisans de la guerre préventive, de l’exportation de la démocratie à coups de canons, du réaménagement du Moyen-Orient sur la base des directives de la droite israélienne... une folie qui s’est greffée sur la vieille politique américaine en la dénaturant. Il y a une différence entre les uns et les autres, une différence qui a débouché sur un conflit ouvert.

Revenons à Poutine. Vous disiez que l’intégration entre Russie et Europe...

BLONDET: ... n’apporterait que des bénéfices. En réalité, cette intégration est déjà en train de se construire, jour après jour. Il y a une ligne ferroviaire à grande vitesse en cours de construction entre l’Allemagne et la Russie, et celle-ci sera reliée à une ligne entre Russie et Chine. De cette manière les marchandises chinoises, celles d’une certaines valeur évidemment, pourraient arriver en Europe par voie terrestre, en évitant des routes plus longues et plus coûteuses. C’est dans cette même perspective que se situe la construction d’un gazoduc sous la mer Baltique qui, contournant la Pologne, fournira l’Europe en évitant que cette précieuse ressource ne passe à travers les territoires des démocraties de l’Est, asservies aux États-Unis. En somme l’intégration est dans les faits. Il s’agit seulement d’accompagner ce processus, en évitant que d’autres ne le détruisent, agissant pour leurs propres intérêts.

Dans ces dernières années, de nombreux analystes ont noté un rapprochement entre la Russie et la Chine.

BLONDET: Il y toujours eu de la méfiance entre les deux géants asiatiques. La politique agressive menée par les États-Unis a eu pour effet de rapprocher ce qui a toujours été éloigné. Des synergies militaires, économiques et commerciales sont nées entre la Chine et la Russie, mais il n’est pas dit que ce processus soit destiné à se développer ultérieurement. La Chine a un destin asiatique, la Russie a un destin européen. Il est bon de le souligner.
 

RAND et l'encerclement malveillant de la Russie

3283896000_1_2_1Zxyuyb7.jpg

RAND et l’encerclement malveillant de la Russie

par F. William Engdahl

Ex: http://www.zejournal.mobi

Au cours des dernières semaines, une série d’événements a éclaté dans les États entourant la Fédération de Russie qui ne sont certainement pas accueillis avec joie au Kremlin. Chaque centre de crise n’est pas en soi un facteur décisif de changement pour la sécurité future de la Russie. Pris ensemble, ils suggèrent que quelque chose de bien plus inquiétant se prépare contre Moscou. Une récente étude de la RAND préparée pour l’armée américaine suggère avec une précision remarquable qui pourrait être derrière ce qui deviendra sans aucun doute une menace majeure pour la sécurité russe dans les mois à venir.

Les attaques de l’Azerbaïdjan contre le Nagorno-Karabakh, soutenues par la Turquie, qui ont embrasé un territoire après près de trois décennies de relative impasse et de cessez-le-feu, la déstabilisation en cours de Loukachenko en Biélorussie, le comportement bizarre de l’UE et du Royaume-Uni concernant l’empoisonnement présumé du dissident russe Navalny et, plus récemment, les protestations de masse au Kirghizstan, une ancienne partie de l’Union Soviétique en Asie Centrale, portent les empreintes du MI6 britannique, de la CIA et d’une série d’ONG privées spécialisées dans le changement de régime.

Haut-Karabakh

Le 27 septembre, les forces militaires d’Azerbaïdjan ont rompu le cessez-le-feu de 1994 avec l’Arménie concernant le conflit dans le Haut-Karabakh, à prédominance ethnique arménienne. Les combats les plus intenses depuis des années ont eu lieu des deux côtés, alors que la confrontation s’intensifiait. Erdogan, de Turquie, a ouvertement soutenu Bakou contre l’Arménie et le Nagorno-Karabakh peuplé d’Arméniens, ce qui a conduit Nikol Pashinyan, le Premier Ministre arménien, à accuser la Turquie de « poursuivre une politique génocidaire comme une tâche pragmatique ». Il s’agissait d’une référence claire à l’accusation arménienne de génocide de 1915-23 de plus d’un million de Chrétiens arméniens par l’Empire Ottoman. Aujourd’hui encore, la Turquie refuse de reconnaître sa responsabilité.

1040866925_0 211 3002 1836_1000x541_80_0_0_f58340854622ef2ced346d4baeaf3246.jpg

Alors que l’Arménie reproche à Erdogan de soutenir l’Azerbaïdjan dans le conflit actuel du Caucase, l’oligarque russe Evgeny Prigozhin, parfois appelé « le chef de Poutine » pour son empire de la restauration ainsi que ses liens étroits avec le Président russe, a déclaré dans une interview à un journal turc que le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a été provoqué par « les Américains » et que le régime de Pashinyan est essentiellement au service des États-Unis. C’est là que cela devient intéressant.

En 2018, Pashinyan est arrivé au pouvoir grâce à des manifestations de masse appelées « Révolution de velours ». Il a été ouvertement et fortement soutenu par la Fondation Open Society de Soros – Arménie qui, depuis 1997, finance activement de nombreuses ONG pour la « démocratie » dans le pays. En tant que Premier Ministre, Pashinyan a nommé les bénéficiaires de l’argent de Soros à la plupart des postes clés du cabinet, notamment à la sécurité et à la défense de l’État.

En même temps, il est impensable que la Turquie de Erdogan, toujours membre de l’OTAN, soutienne aussi ouvertement l’Azerbaïdjan dans un conflit qui pourrait potentiellement conduire à une confrontation entre la Turquie et la Russie, sans le soutien préalable d’une forme quelconque de Washington. L’Arménie est membre de l’Union Économique Eurasiatique, association économique et de défense, avec la Russie. Cela rend les commentaires de Prigozhin particulièrement intéressants.

Il est également intéressant de noter que la chef de la CIA, Gina Haspel, et le chef récemment nommé du MI-6 britannique, Richard Moore, sont tous deux des experts de la Turquie. Moore a été Ambassadeur du Royaume-Uni à Ankara jusqu’en 2017. Haspel était la chef de la station de la CIA en Azerbaïdjan à la fin des années 1990. Avant cela, en 1990, Haspel était officier de la CIA en Turquie, parlant couramment le turc. Notamment, bien que sa biographie officielle de la CIA ait été supprimée, elle a également été chef de la station de la CIA à Londres juste avant d’être nommée chef de la CIA de l’administration Trump. Elle s’est également spécialisée dans les opérations contre la Russie lorsqu’elle était à Langley à la Direction des Opérations de la CIA.

Cela soulève la question de savoir si une opération de renseignement anglo-américaine est à l’origine du conflit actuel entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans le Haut-Karabakh. Ajoutant de la poudre aux troubles dans le Caucase, le 5 octobre, le Secrétaire Général de l’OTAN Jens Stoltenberg a déclaré que les intérêts de sécurité de l’OTAN sont synonymes de ceux de la Turquie, malgré l’achat par la Turquie de systèmes de défense aérienne avancés russes. Jusqu’à présent, Washington est resté remarquablement silencieux sur le conflit du Caucase ou sur le rôle présumé de la Turquie.

Et la Biélorussie…

L’éruption du conflit du Haut-Karabakh qui couve près de la frontière sud de la Russie n’est pas le seul État où Washington encourage activement la déstabilisation de voisins russes vitaux ces jours-ci. Depuis les élections du mois d’août, la Biélorussie est sujette à des protestations orchestrées accusant le Président Loukachenko de fraude électorale. L’opposition a été active en exil depuis les pays baltes voisins de l’OTAN.

3000.jpeg

En 2019, le National Endowment for Democracy (NED), financé par le gouvernement américain, a répertorié sur son site web quelque 34 subventions de projets du NED en Biélorussie. Tous ces projets visaient à soutenir et à former une série de groupes d’opposition anti-Loukachenko et à créer des ONG nationales. Les subventions ont été accordées pour des projets tels que le « Renforcement des ONG : Accroître l’engagement civique local et régional… identifier les problèmes locaux et développer des stratégies de plaidoyer ». Un autre projet consistait à « développer un dépôt en ligne de publications qui ne sont pas facilement accessibles dans le pays, notamment des ouvrages sur la politique, la société civile, l’histoire, les droits de l’homme et la culture indépendante ». Puis une autre subvention du NED a été accordée pour « défendre et soutenir les journalistes et les médias indépendants ». Et une autre, « Renforcement des ONG : Encourager l’engagement civique des jeunes ». Une autre subvention importante du NED a été attribuée à la « formation des partis et mouvements démocratiques à des campagnes de sensibilisation efficaces ». Derrière les projets du NED, qui semblent innocents, se cache un modèle de création d’une opposition spécialement formée sur le modèle du NED de la CIA « Les Révolutions de Couleur ».

Comme si les troubles dans le Caucase et en Biélorussie n’étaient pas suffisants pour donner des migraines à Moscou, le 29 septembre à Bruxelles, le Premier Ministre géorgien Giorgi Gakharia a rencontré le Secrétaire Général de l’OTAN Jens Stoltenberg. Stoltenberg lui a déclaré que « l’OTAN soutient l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Géorgie à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues. Nous appelons la Russie à mettre fin à sa reconnaissance des régions [géorgiennes séparatistes] d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud et à retirer ses forces ». Stoltenberg a ensuite déclaré à Gakharia : « Et je vous encourage à continuer à utiliser pleinement toutes les possibilités de vous rapprocher de l’OTAN. Et à vous préparer à l’adhésion« . Bien sûr, l’adhésion à l’OTAN de la Géorgie, voisine de la Russie, constituerait un défi stratégique pour la Russie, tout comme celle de l’Ukraine. Les commentaires de l’OTAN ajoutent aux tensions auxquelles le Kremlin a été confronté récemment.

La troisième Révolution de Couleur au Kirghizstan ?

Le Kirghizistan, république d’ex-Union Soviétique en Asie Centrale, vient également d’éclater dans des manifestations de masse qui ont fait tomber le gouvernement pour la troisième fois depuis 2005, suite aux allégations de l’opposition de fraude électorale. L’USAID, une couverture connue pour les opérations de la CIA, est active dans le pays, tout comme la Fondation Soros qui a créé une université à Bichkek et finance l’éventail habituel de projets, « pour promouvoir la justice, la gouvernance démocratique et les droits de l’homme ». Il convient de noter que le Kirghizstan est également membre de l’Union Économique Eurasiatique dirigée par la Russie, aux côtés de l’Arménie et de la Biélorussie.

indexkirgpr.jpg

Ensuite, pour augmenter la pression sur la Russie, les services de renseignement allemands de la Bundeswehr et maintenant l’OIAC accusent la Russie d’avoir empoisonné le dissident russe Alexei Navalny en Russie en utilisant « un agent neurotoxique de l’ère soviétique », que les Allemands appellent Novitchok. Alors que Navalny est manifestement sorti de l’hôpital vivant, les responsables allemands et britanniques ne se donnent pas la peine d’expliquer une telle guérison miraculeuse de ce qui est réputé être l’agent neurotoxique le plus mortel qui ait jamais existé. Suite à la déclaration de l’OIAC selon laquelle il s’agissait de Novitchok, le Ministre des Affaires Étrangères allemand menace de sanctions sévères contre la Russie. Beaucoup demandent à l’Allemagne d’annuler le projet de gazoduc russe Nord Stream 2 en guise de réponse, un coup qui frapperait la Russie à un moment de grave faiblesse économique due à la faiblesse des prix du pétrole et aux effets du verrouillage dû à la Covid.

L’Allemagne ne prend pas non plus la peine d’enquêter sur la mystérieuse compagne russe de Navalny, Maria Pevchikh, qui prétend avoir récupéré la bouteille d’eau vide « empoisonnée par le Novichok » dans la chambre d’hôtel de Navalny à Tomsk, en Russie, avant qu’il ne soit transporté par avion à Berlin sur l’invitation personnelle d’Angela Merkel. Après avoir livré la bouteille empoisonnée à Berlin en personne, elle s’est apparemment envolée rapidement pour Londres où elle vit, et aucune autorité allemande ou autre n’a apparemment essayé de l’interroger en tant que témoin matériel potentiel.

Pevchikh a une longue association avec Londres où elle travaille avec la fondation Navalny et serait en contact étroit avec l’ami de Jacob Rothschild, Mikhail Khodorkovsky, le fraudeur condamné et ennemi de Poutine. Khodorkovsky est également l’un des principaux bailleurs de fonds de la Fondation Anti-Corruption de Navalny (FBK en russe). Il existe des rapports crédibles selon lesquels la mystérieuse Pevchikh serait une agent du MI-6, le même MI-6 qui a dirigé un autre drame ridicule de Novitchok en 2018, affirmant que le transfuge russe Sergei Skripal et sa fille Yulia Skripal ont été empoisonnés en Angleterre par les services secrets russes en utilisant le Novitchok mortel. Là encore, les deux Skripal se sont miraculeusement remis de l’agent neurotoxique le plus mortel et ont officiellement reçu leur congé de l’hôpital, après quoi ils ont « disparu ».

Un plan de RAND ?

Si des recherches plus approfondies permettront sans doute de trouver davantage de preuves, le schéma des mesures actives de l’OTAN ou des Anglo-Américains contre les principaux pays de la périphérie russe ou contre les intérêts économiques stratégiques de la Russie, toutes dans la même période, suggère une sorte d’attaque coordonnée.

rand-corporation-logo.jpg

Et il se trouve que les cibles des attaques correspondent précisément aux grandes lignes du rapport d’un important groupe de réflexion militaire américain. Dans un rapport de recherche de 2019 destiné à l’armée américaine, la société RAND a publié une série de recommandations politiques sous le titre « Étendre la Russie : Concurrencer à partir d’un Terrain Favorable ». Ils notent que par étendre la Russie, ils entendent « mesures non violentes qui pourraient faire pression sur l’armée ou l’économie de la Russie ou la position politique du régime à l’intérieur et à l’étranger ». Tous les points de tension développés ci-dessus correspondent certainement à cette description.

Le rapport aborde spécifiquement ce qu’ils appellent les « mesures géopolitiques » pour surcharger la Russie. Il s’agit notamment de fournir une aide létale à l’Ukraine, de promouvoir un changement de régime en Biélorussie, d’exploiter les tensions dans le Caucase du Sud, de réduire l’influence russe en Asie Centrale. Il comprend également des propositions visant à affaiblir l’économie russe en remettant en cause ses secteurs gazier et pétrolier.

Il s’agit notamment des mêmes zones de turbulences géopolitiques qui se trouvent aujourd’hui dans la sphère d’influence stratégique de la Russie. Plus précisément, sur le Caucase, RAND déclare : « La Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie faisaient partie de l’Union Soviétique, et la Russie maintient encore aujourd’hui une influence significative sur la région… » Ils notent que « Aujourd’hui, la Russie reconnaît l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie comme des pays séparés (un des rares gouvernements à le faire) et s’engage à les défendre…. Les États-Unis pourraient également renouveler leurs efforts pour faire entrer la Géorgie dans l’OTAN. La Géorgie cherche depuis longtemps à adhérer à l’OTAN… » Rappelons les remarques citées par Stoltenberg de l’OTAN pour encourager la Géorgie à rejoindre l’OTAN et exiger de la Russie qu’elle renonce à reconnaître l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

Le rapport RAND souligne également les tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan : « La Russie joue également un rôle clé avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie, en particulier sur le territoire contesté du Haut-Karabakh… les États-Unis pourraient faire pression pour une relation plus étroite de l’OTAN avec la Géorgie et l’Azerbaïdjan, ce qui conduirait probablement la Russie à renforcer sa présence militaire en Ossétie du Sud, en Abkhazie, en Arménie et dans le sud de la Russie. Sinon, les États-Unis pourraient essayer d’inciter l’Arménie à rompre avec la Russie ».

Kashgar-Tashkent-automobile-corridor.jpg

En ce qui concerne les protestations massives actuelles au Kirghizstan en Asie Centrale, RAND note que « la Russie fait partie de deux entreprises économiques liées à l’Asie Centrale : l’UEE et l’Initiative Ceinture et Route ». Un changement de régime pro-OTAN pourrait ériger une barrière importante entre la Russie et la Chine ainsi qu’au sein de son UEE. En ce qui concerne les pressions économiques, le rapport RAND cite la possibilité de faire pression sur l’UE pour qu’elle abandonne le projet de gazoduc Nord Stream 2 qui relie directement la Russie à l’Allemagne. Le récent incident de Navalny crée une pression croissante au sein de l’UE et même en Allemagne pour arrêter le Nord Stream 2 comme sanction de l’affaire Navalny. RAND note : « En termes d’extension économique de la Russie, le principal avantage de créer des alternatives d’approvisionnement au gaz russe est que cela réduirait les revenus des exportations russes. Le budget fédéral russe est déjà sous pression, ce qui entraîne des réductions prévues des dépenses de défense, et la baisse des revenus du gaz mettrait encore plus le budget sous pression ».

Si l’on examine les pressions croissantes sur la Russie à partir des exemples cités ici et si l’on compare avec le langage du rapport RAND de 2019, il est clair que nombre des problèmes stratégiques actuels de la Russie sont délibérément conçus et orchestrés depuis l’Occident, en particulier depuis Washington et Londres. La manière dont la Russie gère cette situation ainsi que certaines pressions futures de l’OTAN représentent clairement un défi géopolitique majeur.

Traduit par Réseau International

vendredi, 16 octobre 2020

L’ombra di Brzezinski sul Nagorno-Karabakh

Visuel_Zbigniew-Brzezinski-le-conseiller-spécial-«-venu-du-froid-».jpg

L’ombra di Brzezinski sul Nagorno-Karabakh

di Vladimir Malyshev

Fonte: SakerItalia & https://www.ariannaeditrice.it

Commentando l’attuale sanguinoso scontro militare tra Armenia e Azerbaijan sul Nagorno-Karabakh, molti lo vedono come un conflitto puramente interno tra i due Paesi, nonché come conseguenza dell’intervento di una Turchia sempre più ambiziosa. Tuttavia, ci sono anche voci di coloro che credono che questo sia in realtà un gioco geopolitico molto più ampio, in cui sono coinvolti gli Stati Uniti.

“L’ombra di Brzezinski sul Nagorno-Karabakh” – sotto questo titolo il quotidiano italiano “Il Giornale” ha pubblicato un articolo in cui la guerra per il Karabakh richiama parte del grande gioco geopolitico, iniziato a tempo debito dalla Gran Bretagna e ora proseguito da Washington.

“È impossibile comprendere appieno cosa sta succedendo in Nagorno-Karabakh senza tener conto del contesto più ampio, che non è il contesto di una semplice disputa azero-armena, ma è il contesto delle nuove guerre russo-turche e ancor di più della partita a scacchi per il controllo dell’Heartland”. , scrive il giornale. Allo stesso tempo, Heartlandomon chiama “il nucleo dell’Eurasia, che si estende dall’Asia centrale alle steppe siberiane, e il destino voleva che la Russia lo governasse”.

L’obiettivo finale di Washington nell’era moderna è lo stesso che guidò Londra tra la fine del XVIII e l’inizio del XX secolo: impedire a qualsiasi potenza eurasiatica di assumere il pieno controllo del cosiddetto Heartland, osserva il giornale. Per questo gli anglosassoni erano bravi. Per avere una conferma, basta ricordare almeno l’omicidio a Teheran nel 1832 dell’ambasciatore russo e notevole poeta e diplomatico Alexander Griboyedov. L’attacco all’ambasciata russa a Teheran fu poi appoggiato dall’Inghilterra, che cercò a tutti i costi di impedire l’espansione dell’influenza dell’Impero russo nella regione.

300px-Az-qa-location-fr.svg.png

Parlando nel 2016 alla Duma di Stato, il regista Nikita Mikhalkov ha detto che mentre lavorava alla sceneggiatura del film La vita e la morte di Alexander Griboedov, ha lavorato con fonti, incluso l’archivio del ministero degli Esteri, e ha trovato documenti che indicano che “l’omicidio di Griboedov – non è dovuto ad una “marmaglia musulmana arrabbiata”, è un assassinio politico pianificato e freddo, creato, inventato e portato a termine dagli inglesi “. C’erano anche “documenti assolutamente incredibili, dai quali è chiaro che il conte Nesselrode, il cancelliere dell’Impero russo, ma tedesco di nascita, era un agente dell’intelligence britannica”, ha detto Mikhalkov.

Oggi, gli Stati Uniti continuano la politica insidiosa dell’Inghilterra volta a cacciare la Russia dalla regione e minare la sua influenza.

“L’egemonia sul Caucaso meridionale, una regione dalla quale la Russia è stata quasi completamente estromessa negli anni a causa dell’opportunità unica offerta dal crollo dell’URSS, è un passo necessario in questo contesto per il suo ruolo chiave nell’unire il Mar Nero e il Mar Caspio, collegare l’Europa con l’Asia centrale: ecco perché gli Stati Uniti hanno sponsorizzato la rivoluzione colorata in Georgia, poi in Armenia e ora appoggiano l’Azerbaigian “, osserva Il Giornale.

Sir Halford Mackinder, che in Occidente è considerato il padre fondatore della moderna geopolitica, ne ha scritto nel suo libro “The Geographical Pivot of History”. Ha sostenuto che se il Regno Unito vuole mantenere la sua egemonia globale, deve spostare la sua attenzione dalla supremazia marittima alla dimensione terrestre, in particolare l’Eurasia. Mackinder era spaventato da tre forze: Germania, Russia e Cina. Di conseguenza, ha definito i principi guida per una grande strategia volta ad evitare l’asse russo-tedesco, e portare l’Heartland fuori dal controllo di qualsiasi grande potenza eurasiatica. Secondo Mackinder, “chi governa l’Europa orientale, governa l’Heartland; colui che governa l’Heartland governa l’Isola del mondo; chi governa L’isola del mondo governa il mondo. “

Lo stesso punto di vista è stato espresso da Zbigniew Brzezinski sulle pagine del libro “The Great Chessboard” [la Grande Scacchiera]. A suo parere, il moderno Azerbaigian, come aveva previsto, è diventato un fornitore di energia vitale per l’Occidente. Ma Baku, con le sue condutture, doveva rientrare nella sfera di influenza di Ankara per essere veramente utile e pienamente utilizzabile in una partita a scacchi. La Turchia impedirebbe alla Russia di esercitare il monopolio sull’accesso alla regione, e quindi priverebbe anche la Russia della sua decisiva influenza politica sulle politiche delle nuove repubbliche dell’Asia centrale.

Quindi, ciò che sta accadendo ora in Nagorno-Karabakh è una conseguenza del tentativo dell’Occidente di attuare questa strategia di dominio predetta da Brzezinski, che la Gran Bretagna iniziò a perseguire molti anni fa, e che poi fu adottata dagli Stati Uniti.

È curioso che gli Stati Uniti abbiano precedentemente fornito assistenza finanziaria al Nagorno-Karabakh sulla base della decisione della commissione per gli stanziamenti esteri. Secondo il direttore esecutivo di questo comitato, Aram Hambaryan, l’assistenza finanziaria statunitense contribuisce a “promuovere gli interessi degli Stati nella regione strategica”. Per che cosa? Non si tratta solo di piani per l’egemonia globale nella regione, ma anche di risolvere un problema specifico. Come ha avvertito Vladimir Zakharov, direttore dell’Istituto per la ricerca sociale e politica della regione del Mar Nero-Caspio, nel 2014, gli americani desideravano da tempo utilizzare il territorio della repubblica non riconosciuta in un attacco all’Iran.

1440x810_344117.jpg

“Gli Stati Uniti non stanno abbandonando l’idea di iniziare le ostilità con l’Iran. E per questo, gli americani hanno bisogno di avere tali posti nelle immediate vicinanze dell’Iran da cui possano decollare gli aerei americani “, ha osservato Zakharov.

L’Azerbaigian, secondo Zakharov, non è adatto al ruolo di testa di ponte per l’aviazione americana, poiché Teheran ha messo in guardia sulla possibilità di un attacco di ritorsione contro questa repubblica se fornirà assistenza militare attiva agli Stati Uniti. “Gli americani devono lasciare intatto il loro satellite. E il Karabakh è una posizione eccellente per l’inizio delle ostilità “, ha sottolineato Zakharov.

Il dispiegamento di forze di pace statunitensi nel Nagorno-Karabakh è parte integrante del piano per invadere l’Iran. Le truppe americane ritirate dall’Afghanistan saranno dispiegate in Azerbaigian.

La guerra degli Stati Uniti con l’Iran potrebbe iniziare con operazioni su larga scala delle truppe azere nel Nagorno-Karabakh. Dopodiché, le truppe americane entreranno nel Nagorno-Karabakh con lo scopo di mantenere la pace. E poi questi “peacekeepers” prenderanno parte alla campagna militare contro l’Iran.

Una tale previsione è stata fatta una volta da un esperto russo, e quindi è possibile che questa sia proprio la ragione principale della guerra inaspettata tra Azerbaigian e Armenia oggi. Il conflitto tra loro è causato, ovviamente, sia da ragioni interne sia dal fatto che gli armeni non possono dimenticare il genocidio turco del 1914. Tuttavia, come parte dell’URSS, vivevano pacificamente, ma ora, essendo repubbliche indipendenti, sono diventate vittime di istigatori dietro le quinte e conduttori inconsapevoli di interessi globali stranieri.

*****

 Articolo di Vladimir Malyshev pubblicato sul sito di Nikolay Starikov il 10.10.2020

dimanche, 11 octobre 2020

Le résultat des élections étasuniennes n’aura aucun impact sur la politique étrangère de ce pays

_113951166_index_promo_simple_guide_976_v2.jpg

Le résultat des élections étasuniennes n’aura aucun impact sur la politique étrangère de ce pays

Par Moon of Alabama

John Kiriakou, qui a dénoncé la torture pratiquée par la CIA sous le régime de Bush, met en garde contre la politique étrangère que l’administration de Joe Biden mènerait :

Littéralement, la dernière chose que je ferais serait d'exhorter quiconque à voter pour 
Donald Trump. Le président a été un désastre dans tous les sens du terme, en politique
étrangère comme en politique intérieure. Le pays ne peut pas supporter quatre années
supplémentaires de présidence Trump. Mais Biden n'est pas la panacée. C'est un
remplaçant de centre-droit. [..] Si vous pensez que les choses vont changer en politique étrangère sous la présidence
de Biden, détrompez-vous. Ce sera la même vieille politique expansionniste et
militariste que nous avions sous Bill Clinton et Barack Obama. Alors rentrez dans
l'isoloir avec les yeux ouverts.

À mon avis, Biden est plus à droite qu’au centre. Même son slogan de campagne est partagé avec les conservateurs britanniques.

Une administration Biden amplifierait les politiques hostiles envers la Russie et à la Chine et continuerait à faire pression pour un changement de régime au Venezuela, en Syrie, en Iran et au Belarus. Et ce, alors même que l’organe de l’orthodoxie de la politique étrangère américaine, le magazine Foreign Affairs, affirme que les changements de régime induits par les États-Unis n’atteignent jamais leurs objectifs :

c6f8c27df0caa016d7f965b4398769f4-1601364235.jpg

L'affirmation répétée de la secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice, à l'époque 
de la guerre en Irak, selon laquelle la poursuite par Washington de la "stabilité aux
dépens de la démocratie"
au Moyen-Orient n'avait produit aucun des deux était globalement

vraie. Mais il s'est avéré qu'elle avait un corollaire, à savoir que la poursuite de
la démocratie aux dépens de la stabilité pouvait également ne produire ni l'un ni l'autre,
mais que cela coûtait plus cher. ...
Les changements de régime tenteront toujours Washington. [...] La longue, diverse et

tragique histoire des changements de régime soutenus par les États-Unis au Moyen-Orient
suggère cependant qu'il faut résister à de telles tentations, comme à la plupart des
solutions rapides qui surgissent dans la vie et en politique. La prochaine fois que
les dirigeants américains proposeront d'intervenir dans la région pour renverser un
régime hostile, on peut supposer sans risque qu'une telle entreprise aura moins de
chance de réussite, sera plus coûteuse et plus lourde en conséquences involontaires
que ses partisans ne le réalisent ou ne veuillent bien l'admettre. Jusqu'à présent il
n’en a jamais été autrement.

photo-transmise-par-l-agence-officielle-syrienne-sana-du-president-bachar-al-assad-lors-d-une-interview-le-10-juin-2018-a-damas_6071054.jpg

De présidence en présidence, la politique étrangère américaine ne change jamais. Dans une récente interview, le président syrien Bachar al-Assad expliquait pourquoi il en est ainsi :

Question 9 : Vous suivez sans aucun doute la campagne présidentielle aux États-Unis. 
Espérez-vous que le nouveau président américain, quel que soit le nom du vainqueur,
révisera sa politique de sanctions à l'égard de la Syrie ? Président Assad : Nous ne nous attendons généralement pas à des présidents lors des
élections américaines, nous nous attendons à des PDG ; parce que vous avez un conseil
d'administration, ce conseil est composé de lobbies et de grandes entreprises comme
les banques, les fabricants d’armes et les producteurs de pétrole, etc. Donc, vous
avez un PDG, et ce PDG n'a pas le droit ni l'autorité de faire des changements ;
il doit juste exécuter. C'est ce qui est arrivé à Trump lorsqu'il est devenu président
après les élections - Journaliste : Il a été PDG pendant de nombreuses années auparavant. Président Assad : Exactement ! Il reste un PDG de toute façon. Il voulait suivre ou
poursuivre sa propre politique, et il était sur le point d'en payer le prix - vous
vous souvenez du problème de sa mise en accusation. Il a dû ravaler chaque promesse
faite avant les élections. C'est pourquoi je dis qu’il ne faut pas s’attendre à un
président, mais seulement à un PDG. Si vous voulez parler de changer la politique,
vous avez un conseil d'administration - ce conseil ne changera pas sa politique.
Le PDG changera, mais le conseil d'administration reste le même, alors n'attendez rien. Question 10 : Qui est ce conseil d'administration ? Qui sont ces personnes ? Président Assad : Comme je l'ai dit, ce conseil est composé des lobbies, donc ils
mettent en œuvre ce qu'ils veulent, et ils contrôlent le Congrès et les autres, et
les médias, etc. Aux États-Unis, Il y a donc une alliance entre ces différentes sociétés
qui ne pensent qu’à leurs intérêts particuliers.

36a516899f997bc7e0d53fb64aabd7a2.jpg

Caitlin Johnstone serait probablement d’accord avec ce point de vue. Elle affirme que les deux camps politiques aux États-Unis ne diffèrent guère :

Lorsque vous regardez la politique américaine, il semble qu'il y ait deux factions 
politiques principales qui sont en très fort désaccord l'une avec l'autre. "Divisé"
est un mot qui revient souvent. "Polarisé" en est un autre. ... Mais au delà des insultes et des débats passionnés, ces deux factions sont en fait
furieusement en accord l'une avec l'autre. Elles sont d'accord tout le temps. Elles sont d'accord pour que le gouvernement américain reste le centre d'un empire
mondial ; elles se contentent d'ergoter avec colère sur quelques détails concernant
la manière dont cet empire devrait être dirigé [...]. ... Sur toutes les questions qui affectent le plus gravement les personnes réelles à
grande échelle, ces deux factions politiques sont en accord total. Elles ne font
que déverser beaucoup de bruit et de fureur sur le minuscule 1% du spectre sur
lequel elles sont en désaccord. Ils ne permettent aucune discussion générale sur la question de savoir si l'empire
oligarchique doit continuer à exister ; toutes leurs questions, arguments et histoires
tournent autour de la façon dont il devrait exister. C'est ce qu'ils sont conçus pour faire. ...
La politique n'est pas réelle en Amérique. C'est un spectacle. Un spectacle de
arionnettes à deux mains pour distraire le public pendant que des pickpockets
le volent totalement. Si vous voulez voir les choses clairement, ignorez complètement le faux drame

du spectacle de marionnettes et concentrez-vous sur l'avancement du vrai débat :
que l'empire oligarchique centralisé aux États-Unis est corrompu au-delà de toute
rédemption et devrait être complètement démantelé.

Comment ne pas être d’accord avec ces points de vue ?

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

Can and Should Russia Stop the War in the Caucasus?

Location_Nagorno-Karabakh2.png

Can and Should Russia Stop the War in the Caucasus?

This war is officially a war between Azerbaijan and the (unrecognized) Republic of Nagorno Karabakh (RNK) aka “Republic of Artsakh” (ROA) which I shall refer to simply as Nagorno Karabakh or “NK”. As is often the case, the reality is much more complicated. For one thing, Erdogan’s Turkey has been deeply involved since Day 1 (and, really, even much before that) while Armenia has been backing NK to the hilt since the breakup of the Soviet Union. It is even worse: Turkey is a member of NATO while Armenia is a member of the CSTO. Thus a war started over a relatively small and remote area could, in theory, trigger an international nuclear war. The good news here is that nobody in NATO or the CSTO wants such a war, especially since technically speaking the NK is not part of Armenia (Armenia has not even recognized this republic so far!) and, therefore, not under the protection of the CSTO. And since there have been no attacks on Turkey proper, at least so far, NATO also has no reason to get involved.

I should mention here that in terms of international law, NK is an integral part of Azerbaijan. Still, almost everybody agrees that there is a difference between NK proper and the kind of security zone the army of NK created around NK (see map)

Deatailed_Map_NK.png

(note: the Nakhichevan Autonomous Republic is part of Azerbaijan)

The reality on the ground, however, is very different, so let’s look at the position of each actor in turn, beginning with the party which started the war: Azerbaijan.

Azerbaijan has been reforming and rearming its military since the Azeri forces got comprehensively defeated in the 1988-1994 war. Furthermore, for President Aliev this war represents what might well be the best and last chance to defeat the NK and Armenian forces. Most observers agree that should Aliev fail to achieve at least an appearance of victory he will lose power.

Armenia would have been quite happy to keep the status quo and continue to form one country with the NK de facto while remaining two countries de jure. Still, living in the tough and even dangerous “neighborhood” of the Caucasus, the Armenians never forgot that they are surrounded by more or less hostile countries just like they also remained acutely aware of Erdogan’s neo-Ottoman ideology which, sooner or later, would make war inevitable.

Iran, which is often forgotten, is not directly involved in the conflict, at least so far, but has been generally sympathetic to Armenia, primarily because Erdogan’s neo-Ottoman ideology represents a danger for the entire region, including Iran.

Turkey has played a crucial behind the scenes role in the rearmament and reorganization of Azeri forces. Just as was the case in Libya, Turkish attack drones have been used with formidable effectiveness against NK forces, in spite of the fact that the Armenians have some very decent air defenses. As for Erdogan himself, this war is his latest attempt to paint himself as some kind of neo-Ottoman sultan which will reunite all the Turkic people under his rule.

One of the major misconceptions about this conflict is the assumption that Russia has always been, and will always be, on the side of Armenia and the NK, but while this was definitely true for pre-1917 Russia, this is not the case today at all. Why?

Let’s examine the Russian position in this conflict.

First, let’s get the obvious out of the way: Armenia (proper, as opposed to NK) is a member of the CSTO and should anybody (including Azerbaijan and/or Turkey) attack Armenia, Russia would most definitely intervene and stop the attack, either by political or even by military means. Considering what Turkey has done to the Armenian people during the infamous Armenian Genocide of 1914-1923 this makes perfectly good sense: at least now the Armenian people know that Russia will never allow another genocide to take place. And the Turks know that too.

And yet, things are not quite that simple either.

For example, Russia did sell a lot of advanced weapon systems to Azerbaijan (see here for one good example). In fact, relations between Vladimir Putin and Ilham Aliyev are famously very warm. And while it is true that Azerbaijan left the CSTO in 1999, Russia and Azerbaijan have retained a very good relationship which some even characterize as a partnership or even an alliance.

0426-DDP-armenia.jpg

Furthermore, Azerbaijan has been a much better partner to Russia than Armenia, especially since the Soros-financed “color revolution” of 2018 which put Nikol Pashinian in power. Ever since Pashinian got to power, Armenia has been following the same kind of “multi-vector” policy which saw Belarus’ Lukashenko try to ditch Russia and integrate into the EU/NATO/US area of dominance. The two biggest differences between Belarus and Armenia are a) Belarusians and Russians are the same people and b) Russia cannot afford to lose Belarus whereas Russia has really zero need for Armenia.

On the negative side, not only has Azerbaijan left the CSTO in 1999, but Azerbaijan has also joined the openly anti-Russian GUAM Organization (which is headquartered in Kiev).

GUAM_AZERBAIJAN_2020_site.jpg

Next, there is the Turkey-Erdogan factor as seen from Russia. Simply put, the Russians will never trust any Turk who shares Erdogan’s neo-Ottoman worldview and ideology. Russia has already fought twelve full-scale wars against the Ottomans and she has no desire to let the Turks trigger another one (which they almost did when they shot down a Russian Su-24M over northern Syria). Of course, Russia is much more powerful than Turkey, at least in military terms, but in political terms an open war against Turkey could be disastrous for Russian foreign and internal policy objectives. And, of course, the best way for Russia to avoid such a war in the future is to make absolutely sure that the Turks realize that should they attack they will be suffering a crushing defeat in a very short time. So far, this has worked pretty well, especially after Russia saved Erdogan from the US-backed coup against him.

Some observers have suggested that Russia and Armenia being Christian, the former has some kind of moral obligation towards the latter. I categorically disagree. My main reason to disagree here is that Russians now are acutely aware of the disgusting lack of gratitude of our (supposed) “brothers” and (supposed) “fellow Christians” have shown as soon as Russia was in need.

Most Armenians are not Orthodox Christians, but members of the Armenian Apostolic Church, which are miaphysites/monophysites. They are also not Slavs.

The ONLY slavic or Orthodox people who did show real gratitude for Russia have been the Serbs. All the rest of them have immediately rushed to prostitute themselves before Uncle Shmuel and have competed with each other for the “honor” of deploying US weapons systems targeted at Russia. The truth is that like every superpower, Russia is too big and too powerful to have real “friends” (Serbia being a quite beautiful exception to this rule). The Russian Czar Alexander III famously said that “Russia only has two true allies: her army and her navy”. Well, today the list is longer (now we could add the Aerospace forces, the FSB, etc.), but in terms of external allies or friends, the Serbian people (as opposed to some of the Serbian leaders) are the only ones out there which are true friends of Russia (and that, in spite of the fact that under Elstin and his “democratic oligarchs” Russia shamefully betrayed a long list of countries and political leaders, including Serbia).

Then there is the religious factor which, while crucial in the past, really plays no role whatsoever in this conflict. Oh sure, political leaders on both sides like to portray themselves as religious, but this is just PR. The reality is that both the Azeris and the Armenians place ethnic considerations far above any religious ones, if only because, courtesy of the militant atheism of the former USSR, many, if not most, people in Armenia, Azerbaijan and even Russia nowadays are agnostic secularists with no more than a passing interest for the “spiritual values which shaped their national identity” (or something along these lines).

Syria-Takfiri.jpg

One major concern for Russia is the movement of Turkish-run Takfiris from Syria to Azerbaijan. The Russians have already confirmed that this has taken place (the French also reported this) and, if true, that would give Russia the right to strike these Takfiris on Azeri soil. So far, this threat is minor, but if it becomes real, we can expect Russian cruise missiles to enter the scene.

Finally, there are major Azeri and Armenian communities in Russia, which means two things: first, Russia cannot allow this conflict to sneak across the borders and infect Russia and, second, there are millions of Russians who will have ties, often strong ones, to both of these countries.

Though they are not currently officially involved, we still need to look, at least superficially, at the Empire’s view of this conflict. To summarize it I would say that the Empire is absolutely delighted with this crisis which is the third one blowing up on Russia’s doorstep (the other two being the Ukraine and Belarus). There is really very little the Empire can do against Russia: the economic blockade and sanctions totally failed, and in purely military terms Russia is far more powerful than the Empire. Simply put: the Empire simply does not have what it takes to take on Russia directly, but setting off conflicts around the Russia periphery is really easy.

For one thing, the internal administrative borders of the USSR bear absolutely no resemblance to the places of residence of the various ethnicities of the former Soviet Union. Looking at them one would be excused for thinking that they were drawn precisely to generate the maximal amount of tension between the many ethnic groups that were cut into separate pieces. There is also no logic in accepting the right of the former Soviet Republics to secede from the Soviet Union, but then denying the same right to those local administrative entities which now would want to separate from a newly created republic which they don’t want to be part of.

Second, many, if not most, of the so-called “countries” and “nations” which suddenly appeared following the collapse of the Soviet Union have no historical reality whatsoever. As a direct result, these newborn “nations” had no historical basis to root themselves in, and no idea what independence really means. Some nations, like the Armenians, have deep roots as far back as antiquity, but their current borders are truly based on nothing at all. Whatever may be the case, it has been extremely easy for Uncle Shmuel to move into these newly independent states, especially since many (or even most) of these states saw Russia as the enemy (courtesy of the predominant ideology of the Empire which was imposed upon the mostly clueless people of the ex-Soviet periphery). The result? Violence, or even war, all around that periphery (which the Russians think of as their “near abroad”).

tahlil.jpg

I think that most Russian people are aware that while there has been a major price to pay for this, the cutting away of the ex-Soviet periphery from Russia has been a blessing in disguise. This is confirmed by innumerable polls which show that the Russian people are generally very suspicious of any plans involving the use of the Russian Armed Forces outside Russia (for example, it took all of Putin’s “street cred” to convince the Russian people that the Russian military intervention in Syria was a good idea).

There is also one more thing which we must always remember: for all the stupid US and western propaganda about Russia and, later, the USSR being the “prison of the people” (small nations survived way better in this “prison” than they did under the “democratic” rule of European colonists worldwide!), the truth is that because of the rabidly russophobic views of Soviet Communists (at least until Stalin – he reversed this trend) the Soviet “peripheral” Republics all lived much better than the “leftover Russia” which the Soviets called the RSFSR. In fact, the Soviet period was a blessing in many ways for all the non-Russian republics of the Soviet Union and only now, under Putin, has this trend finally been reversed. Today Russia is much richer than the countries around her periphery and she has no desire to squander that wealth on a hostile and always ungrateful periphery. The bottom line is this: Russia owes countries such as Armenia or Azerbaijan absolutely nothing and they have no right whatsoever to expect Russia to come to their aid: this won’t happen, at least not unless Russia achieves a measurable positive result from this intervention.

Still, let’s now look at the reasons why Russia might want to intervene.

First, this is, yet again, a case of Erdogan’s megalomania and malevolence resulting in a very dangerous situation for Russia. After all, all the Azeris need to do to secure an overt Turkish intervention is to either attack Armenia proper, which might force a Russian intervention or, alternatively, be so severely beaten by the Armenians that Turkey might have to intervene to avoid a historical loss of face for both Aliev and Erdogan.

Second, it is crucial for Russia to prove that the CSTO matters and is effective in protecting CSTO member states. In other words, if Russia lets Turkey attack Armenia directly the CSTO would lose all credibility, something which Russia cannot allow.

Third, it is crucial for Russia to prove to both Azerbaijan and Armenia that the US is long on hot air and empty promises, but can’t get anything done in the Caucasus. In other words, the solution to this war has to be a Russian one, not a US/NATO/EU one. Once it becomes clear in the Caucasus that, like in the Middle-East, Russia has now become the next “kingmaker” then the entire region will finally return to peace and a slow return to prosperity.

So far the Russians have been extremely careful in their statements. They mostly said that Russian peacekeepers could only be deployed after all the parties to this conflict agree to their deployment. Right now, we are still very far away from this.

Here is what happened so far: the Azeris clearly hoped for a short and triumphant war, but in spite of very real advances in training, equipment, etc the Azeri Blitzkrieg has clearly failed in spite of the fact that the Azeri military is more powerful than the NK+Armenian one. True, the Azeris did have some initial successes, but they all happened in small towns mostly located in the plain. But take a look at this topographic map of the area of operations and see for yourself what the biggest problem for the Azeris is:

Topography.jpg

Almost all of NK is located in the mountains (hence the prefix “nagorno” which means “mountainous”) and offensive military operations in the mountains are truly a nightmare, even for very well prepared and equipped forces (especially in the winter season, which is fast approaching). There are very few countries out there who could successfully conduct offensive operations in mountains, Russia is one of them, and Azerbaijan clearly is not.

Right now both sides agree on one thing only: only total victory can stop this war. While politically that kind of language makes sense, everybody knows that this war will not end up in some kind of total victory for one side and total defeat of the other side. The simple fact is that the Azeris can’t overrun all of NK while the Armenians (in Armenia proper and in the NK) cannot counter-attack and defeat the Azeri military in the plains.

Right now, and for as long as the Azeris and the Armenians agree that they won’t stop at anything short of a total victory, Russia simply cannot intervene. While she has the military power to force both sides to a total standstill, she has no legal right to do so and please remember that, unlike the US, Russia does respect international law (if only because she has no plans to become the “next US” or some kind of world hegemon in charge of maintaining the peace worldwide). So there are only two possible options for a Russian military intervention:

  1. A direct (and confirmed by hard evidence) attack on the territory of Armenia
  2. Both the Azeris and the Armenians agree that Russia ought to intervene.

I strongly believe that Erdogan and Aliev will do whatever it takes to prevent option one from happening (while they will do everything in their power short of an overt attack on Armenia to prevail). Accidents, however, do happen, so the risk of a quick and dramatic escalation of the conflict will remain until both sides agree to stop.

5f79961402051.jpg

Right now, neither side has a clear victory and, as sad as I am to write these words, both sides have enough reserves (not only military, but also political and economic) to keep at it for a while longer. However, neither side has what it would take to wage a long and bloody positional war of attrition, especially in the mountain ranges. Thus both sides probably already realize that this one will have to stop, sooner rather than later (according to some Russian experts, we are only talking weeks here).

Furthermore, there are a lot of very dangerous escalations taking place, including artillery and missile strikes on cities and infrastructure objects. If the Armenians are really pushed against a wall, they could both recognize NK and hit the Azeri energy and oil/gas infrastructure with their formidable Iskander tactical ballistic missiles. Should that happen, then we can be almost certain that both the Azeris and the Turks will try to attack Armenia, with dramatic and most dangerous consequences.

This conflict can get much, much more bloody and much more dangerous. It is thus in the interests of the entire region (but not the US) to stop it. Will the Armenian lobby be powerful enough to pressure the US into a more helpful stance? So far, the US is, at least officially, calling all sides for a ceasefire (along with France and Russia), but we all know how much Uncle Shmuel’s word can be trusted. At least there is no public evidence that the US is pushing for war behind the scenes (the absence of such evidence does, of course, not imply the evidence of the absence of such actions!).

At the time of writing this (Oct. 9th) Russia has to wait for the parties to come back to reality and accept a negotiated solution. If and when that happens, there are options out there, including making NK a special region of Azerbaijan which would be placed under the direct protection of Russia and/or the CSTO with Russian forces deployed inside the NK region. It would even be possible to have a Turkish military presence all around the NK (and even some monitors inside!) to reassure the Azeris that Armenian forces have left the region and are staying out. The Azeris already know that they cannot defeat Armenia proper without risking a Russian response and they are probably going to realize that they cannot overrun NK. As for the Armenians, it is all nice and fun to play the “multi-vector” card, but Russia won’t play by these rules anymore. Her message here is simple: if you are Uncle Shmuels’s bitch, then let Uncle Shmuel save you; if you want us to help, then give us a really good reason why: we are listening”.

This seems to me an eminently reasonable position to take and I hope and believe that Russia will stick to it.

PS: the latest news is that Putin invited the Foreign Ministers of Azerbaijan and Armenia to Moscow for “consultations” (not “negotiations”, at least not yet) with Sergei Lavrov as a mediator. Good. Maybe this can save lives since a bad peace will always be better than a good war.

PPS: the latest news (Oct 9th 0110 UTC) is that the Russians have forced Armenia and Azerbaijan to negotiate for over thirteen hours, but at the end of the day, both sides agreed to an immediate ceasefire and for substantive negotiations to begin. Frankly, considering the extreme hostility of the parties towards each other, I consider this outcome almost miraculous. Lavrov truly earned his keep today! Still, we now have to see if Russia can convince both sides to actually abide by this agreement. Here is a machine translation of the first Russian report about this outcome:

Statement by the Ministers of Foreign Affairs of the Russian Federation, the Republic of Azerbaijan and the Republic of Armenia

In response to the appeal of the President of the Russian Federation V.V. Putin and in accordance with the agreements of the President of the Russian Federation V.V. Putin, President of the Republic of Azerbaijan I.G. Aliyev and Prime Minister of the Republic of Armenia N.V. Pashinyan, the parties agreed on the following steps :

1. A ceasefire is declared from 12:00 pm on October 10, 2020 for humanitarian purposes for the exchange of prisoners of war and other detained persons and bodies of the dead, mediated and in accordance with the criteria of the International Committee of the Red Cross.

2. The specific parameters of the ceasefire regime will be agreed upon additionally.

3. The Republic of Azerbaijan and the Republic of Armenia, with the mediation of the OSCE Minsk Group co-chairs, on the basis of the basic principles of the settlement, begin substantive negotiations with the aim of reaching a peaceful settlement as soon as possible.

4. The parties confirm the invariability of the format of the negotiation process.

samedi, 10 octobre 2020

L’escalade des tensions entre la France et la Turquie : entre guerre économique, jeux d’influence, désinformation et rivalités géopolitiques

Capture-d%u2019écran-2020-10-07-à-12.00.59.png

L’escalade des tensions entre la France et la Turquie : entre guerre économique, jeux d’influence, désinformation et rivalités géopolitiques

par Sophie Guldner

Ex: https://infoguerre.fr

A la suite d’un sommet réunissant les pays méditerranéens du sud, le Président Macron a tweeté le 10 septembre dernier « Pax Mediterranea ». Quelques jours plus tard, on apprenait que la France allait vendre des rafales à la Grèce. De ce fait, ce tweet a été accueilli avec scepticisme par de nombreux analystes d’autant plus que la France a répondu militairement par l’envoi de rafales et de navires de guerre à l’incursion dans les eaux territoriales grecques de navires turcs de prospection gazière, ce qui a suscité en outre l’inquiétude de ses alliés européens. En juillet dernier, Erdogan a signé un accord de coopération militaire avec le Niger, pays se situant dans la zone d’influence de la France, et a en outre intensifié sa présence économique dans ce pays dans le secteur minier et celui des infrastructures. L’affrontement actuel entre la France et la Turquie en méditerranée orientale est aussi le corolaire de rivalités géoéconomiques sur de multiples terrains.

Il revient d’analyser les causes de cette escalade qui combinent des intérêts économiques, des rivalités géopolitiques et des enjeux liés à l’agenda politique interne de ces deux dirigeants. Il revient également de mener une réflexion sur les stratégies déployées par ces deux Etats qui font appel à toute une gamme d’instruments :

  • Une démonstration classique de puissance fondée sur la capacité militaire ;
  • l’usage de la désinformation sur les réseaux sociaux émanant particulièrement de la Turquie et imitant le savoir-faire russe dans ce domaine ;
  • L’exercice d’une influence au sein de l’OTAN et de l’UE en vue de diviser ou de former un consensus.
  • La conquête de nouveaux marchés par la Turquie dans la sphère d’influence française en mobilisant des ressources idéologiques.

Cette analyse s’avère d’autant plus nécessaire que cet affrontement suscite de nombreux débats et polémiques sur les réseaux sociaux en particulier entre journalistes, chercheurs et diplomates que l’on peut qualifier de véritable guerre informationnelle tant les échanges sont vifs et les thèses contradictoires.

De manière schématique, deux camps se sont constitués autour de cette polémique :

  • D’une part, les partisans d’une politique de conciliation avec la Turquie. Ils s’opposent à l’escalade unilatérale de la France tant verbale que militaire avec un allié stratégique au sein de l’OTAN et louent la politique de médiation de la chancelière allemande ;
  • D’autre part, ceux qui sont favorables à la posture de fermeté à l’encontre de la Turquie tenue par la France du fait de la violation par cette dernière du droit international, de ses attaques répétées à l’encontre de la France et de sa « politique impérialiste » dans son environnement régional. Selon eux, la négociation avec la Turquie doit s’accompagner d’une politique dissuasive au plan militaire.

carte-conflit-mediterranée(1).png

L’affrontement entre la France et la Turquie en Méditerranée orientale s’inscrit plus largement dans un contexte régional tendu où s’affrontent des puissances régionales, ce qui se traduit par des conflits internationalisés en Syrie et en Libye. Et la guerre informationnelle susmentionnée porte plus globalement sur la stratégie française en Libye de soutien au générale Haftar contre le gouvernement d’union nationale (GNA) de tendance islamiste soutenue par la Turquie. De ce fait, il est nécessaire d’avoir en arrière-plan les rivalités de puissance dans la région pour comprendre les enjeux de cet affrontement en Méditerranée orientale.

Ces tensions ne sont pas nouvelles, l’offensive turque en Syrie avait déjà induit une montée des tensions entre les deux pays. Pour mémoire, Emmanuel Macron avait critiqué l’opération turque contre les kurdes du PYD dans le Nord de la Syrie, alliés de la France dans le cadre de la lutte contre Daesh et ayant joué un rôle de premier plan contre ce groupe terroriste. La Turquie considère que ce groupe kurde est terroriste du fait de son affiliation au parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). En réponse à la critique du Président français, le ministère turc des affaires étrangères Mevlut Cavusoglu avait qualifié Macron de « sponsor du terrorisme ».

Dans cette nouvelle escalade des tensions en Méditerranée orientale, la France et la Turquie font appel à leur capacité militaire, d’influence voire de nuisance. Cet épisode s’accompagne en outre d’une escalade verbale très virulente tant du côté de la Turquie que du côté de la France. Le Président Turc jugeant le président français « incompétent », « arrogant » et « développant une politique néo coloniale ». Le président français caractérisant la politique turque « d’inadmissible » et de « responsabilité criminelle » sans aller jusqu’à attaquer personnellement le président Erdogan. Néanmoins, la France, tout en se lançant dans une surenchère verbale et en menaçant la Turquie de sanctions, continue à rappeler dans ses communiqués la nécessité de dialoguer avec la Turquie.

La Mer Méditerranée orientale est le théâtre de confrontations autour d’enjeux géoéconomiques et géostratégiques : des tensions autour de la délimitation des frontières et du partage des réserves de gaz, la gestion des flux migratoires et la sécurité de l’Etat d’Israël. En outre, la Libye est confrontée à un conflit internationalisé opposant le camp de la contre-révolution autoritaire dans le monde arabe qui comprend les Emirats, l’Arabie-Saoudite, l’Egypte et la Russie au camp de soutien à l’islam politique et, dans le cas précis de la Libye, au gouvernement d’union nationale (GNA), dans lequel se trouve la Turquie et le Qatar. Comme susmentionné, la France y a joué un rôle ambigu en soutenant le général Haftar au motif qu’il serait plus à même de combattre le terrorisme que le GNA de tendance islamiste et reconnu par l’ONU et en vue d’empêcher une vague de réfugiés libyens de déferler en Europe. Cette stratégie se double d’un alignement de la diplomatie française sur l’agenda politique émirati et saoudien dans la région. Enfin, le partage du pétrole libyen est également un axe de ce conflit.

Quels sont alors les enjeux de cet affrontement ? Commet expliquer une telle escalade verbale et militaire entre deux alliés au sein de l’OTAN ? Quels sont les leviers mobilisés par ces deux pays ? Qui sort vainqueur de cet affrontement ?

  1. Les multiples grilles de lecture de l’affrontement franco-turc

Une lecture géoéconomique de cet affrontement

Tensions autour de l’émergence d’un nouveau pôle énergétique en Méditerranée

La dimension de « guerre économique » des tensions autour du gaz de la méditerranée orientale est évidente. De fait, la Méditerranée orientale est devenue un pôle énergétique majeur après la découverte en 2009-2010 de gisement gazier ravivant les nombreux conflits frontaliers dans cette mer étroite où les zones économiques exclusives (ZEE) se chevauchent.

Les enjeux de ces tensions portent tant sur l’exploitation du gaz que sur son transport. Concernant le volet transport, la Grèce, Chypre et Israël ont signé un accord gazier qui prévoit la construction d’un gazoduc « East Med » visant à transporter du gaz naturel entre 9 milliards et 11 milliards de mètre cube depuis les réserves off-shore de Chypre et d’Israël vers la Grèce. La Turquie a été mise à l’écart de ce projet alors que, de son point de vue, sa position géographique entre l’Orient et l’Occident la prédestine à devenir un hub gazier et qu’elle a développé des ambitions dans ce sens. C’est dans ce cadre que la Turquie et la Russie ont formé un projet concurrent le « Turkstream » visant à acheminer en Turquie et en Europe du gaz en Russie.

En outre, un Forum du gaz de la Méditerranée orientale (EMGF) réunissant l’Egypte, Chypre, la Grèce, l’Italie, Israël, la Jordanie a été créé en vue de former des projets communs et de développer des infrastructures. La Turquie n’a pas non plus été intégrée à ce forum.

Accord-Grèce-Egypte-Carte.jpg

Sur le volet de l’exploitation du gaz naturel, le Turquie a signé accord fin 2019 afin de s’octroyer une large part du gaz en méditerranée orientale. Elle vise à réduire sa dépendance au gaz, en particulier vis-à-vis de la Russie. La Grèce a répliqué par la signature d’un accord similaire avec l’Egypte en aout 2020, ce qui a constitué l’élément déclencheur de l’envoi par la Turquie d’un navire de prospection dans les eaux territoriales grecques et qui a débouché sur l’escalade militaire actuelle que l’on connait. Cette découverte de gaz sert les intérêts européens en ce qu’elle leur offre l’opportunité de réduire leur dépendance énergétique  à la Russie.

En outre, à l’annonce de la vente de rafales par le France à la Grèce dans ce contexte inflammable, des analystes ont considéré que cette vente était la cause de l’appui au plan militaire apporté par la France à la Grèce. Or même si elle est bien consécutive de cet appui, cette lecture mettant en avant exclusivement la défense des intérêts économiques de la France est à relativiser au regard de la pluralité des enjeux que révèle cette crise.

Enfin, le conflit en Libye où la France et la Turquie soutiennent des parties différentes présente un volet énergétique concernant le partage des réserves pétrolières libyennes. En conséquence, l’enjeu énergétique est un axe majeur de l’affrontement franco-turc.

La Turquie à la conquête de marchés au Maghreb et en Afrique subsaharienne

Au-delà des enjeux énergétiques, l’intervention de la Turquie en Libye vise également à renforcer les liens commerciaux entre les deux pays ainsi que la présence des entreprises turques en Libye. Cette ambition a été formalisée par un accord commercial entre les deux pays. La Turquie est devenue le deuxième plus grand exportateur en Libye après la Chine.

Enfin, la Turquie est en discussion avec la GNA pour implanter une base turque à Misrata afin de devenir une grande puissance en Afrique du Nord.  Les enjeux sont donc aussi géopolitiques comme cela sera analysé plus bas. Mais ce statut de puissance poursuivi en Afrique du Nord vise également à lui ouvrir l’accès aux marchés de l’Afrique subsaharienne, en particulier au Sahel où elle avance ses pions. Elle pénètre aussi la Corne de l’Afrique, ce qui suscite des tensions avec l’Egypte, les Emirats et l’Arabie Saoudite, en particulier en Ethiopie qui a un différend majeur avec l’Egypte autour de la construction du barrage de la renaissance sur les eaux du Nil. Du point de vue de certains analystes, cette  guerre économique en Afrique entre ces puissances a contribué à consolider l’alignement de la, politique étrangère de la France, des Emirats et de l’Egypte.

erdo-serraj.jpg

La conquête de nouveaux marchés par la Turquie dans son environnement régional, en particulier en Afrique (Maghreb et Afrique Subsaharienne) s’intensifie depuis plusieurs années. Son isolement, consécutif du gel des accords d’adhésion avec l’Union européenne, constitue à l’évidence le principal moteur de cette stratégie de conquête qui inclut dans son périmètre la sphère d’influence de la France, ce qui constitut un facteur de tension entre ces deux pays.

La Turquie remporte des succès au Maghreb, en particulier en Algérie, où le pouvoir politique aurait développé « un tropisme turc ».  La Turquie a depuis l’époque Bouteflika investit dans le marché des infrastructures en Algérie. Elle compte alors 800 entreprises dans divers secteurs (BTP, textile, sidérurgie, agroalimentaire, énergie) et elle est le premier investisseur du pays si l’on exclut le secteur des hydrocarbures. Néanmoins, le France reste le premier pays exportateur en Algérie et la Turquie se situe loin derrière. Si les relations entre les deux pays se sont distendues pendant la période de transition du général Gaid Sallah proche de l’axe autoritaire émirati et saoudien, celles-ci sont de nouveau au beau fixe depuis l’élection du Président Tebboune qui a fait un voyage officiel en Turquie et qui cherche à prendre ses distances avec l’axe emirati et saoudien en Libye. En outre, le président Tébboune a été ministre de l’habitat pendant cinq années où il a eu à négocier avec des sociétés turques, et a dû être impliqué dans le passage de marché douteux. Enfin, se rapprocher de la Turquie est un moyen de se légitimer en interne dans une société où le sentiment anti-français est encore vivace et où le pouvoir y est contesté par un mouvement populaire le « hirak ». Enfin, de la même manière qu’en Libye, l’Algérie comme l’a affirmé le président Erdogan est  « l’un des principaux points d’entrée vers le Maghreb et l’Afrique ». Les ambitions d’Erdogan ne se limitent donc pas à ce pays ami.

En Tunisie, la Turquie a une réelle influence sur le plan culturel où elle y exporte ses séries, et où des instituts dispensent des cours de langue turque et où l’on mange des Kebabs et où la Sublime Porte inspire chez certains de la nostalgie. Son modèle politique a aussi été attractif auprès d’un pan de la population et du pouvoir lui-même qu’ils s’agissent du Kémalisme dont Bourguiba s’inspirait ou de celui de l’AKP qui a permis une forte croissance économique dans les années 2000. Néanmoins, sur le plan économique, la Tunisie souffre d’un déficit d’attractivité .pour les investisseurs turcs. Enfin, avec le Maroc, les relations sont éminemment moins chaleureuses, et des frictions entre les deux pays, notamment dues à un accord de libre-échange liant ces deux pays et déséquilibré en faveur de la Turquie, nuisent à leurs relations.

Face à la montée de l’influence turque dans la sphère d’influence de la France au Maghreb, la diplomatie française du point de vue de certains experts [1]ne permet pas de répondre au défi actuel. L’Union pour la Méditerranée crée en 2008 à l’initiative du Président Sarkozy est une coquille vide. Selon, Beligh Nabli (IRIS), l’absence de concertation de la France avec les pays européens en amont de sa création est la principale cause de cet échec, l’Allemagne aurait en représailles imposé que cette union inclut tous les pays de l’UE et non les pays du pourtour méditerranéen. Dans la même veine, l’initiative du Président Emmanuel Macron intitulé « le sommet des deux rives » qui s’est tenu à Marseille les 23 et 24 juin 2019 réunissant les pays de la rive sud et de la rive nord de la Méditerranée n’a pas eu l’écho escompté et est passé presque inaperçu. De la même manière, le travail de mémoire de la guerre d’Algérie confié à Benjamin Stora, aussi louable soit-il, ne suffira probablement pas à refonder les relations entre la France et l’Algérie[2].

Detachement-francais-Ansongo-Mali_0_1400_933.jpg

La France dispose de forces opérationnelles au sud du Maghreb, en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad ainsi que des bases militaires au Sénégal, en Cote d’Ivoire et au Gabon. Cela n’a pas empêché la Turquie et le Niger de signer un accord de coopération portant sur l’économie et la défense en juillet dernier par lequel la Turquie prend part à l’industrie minière, secteur hautement stratégique pour la France. Erdogan a également réalisé une tournée au Sénégal et en Gambie en janvier 2020. En Afrique Subsaharienne, la Turquie mobilise dans sa stratégie des ressources idéologiques. Le thème d’un néocolonialisme est l’un des éléments de cette stratégie. De fait, à l’occasion d’un sommet d’affaires Turquie-Afrique en 2016, Erdogan a mis en avant la formation d’un nouveau modèle de colonisation mis en place par l’Occident et les institutions internationales et a déclaré « nous autres Africains et Turcs incarnons la résistance à ce modèle ». Ce discours révèle que la Turquie a parfaitement assimilé la thèse de Bertrand Badie [3] selon laquelle le système international est « oligarchique » et dominé par les vieilles puissances qui imposent leurs normes « aux faibles », et que « l’humiliation » du faible permet de mobiliser contre la domination. De fait, ce discours montre une instrumentalisation de « la dénonciation du fort » [4]par la Turquie en vue de conquérir de nouveaux marchés. C’est en particulier en exploitant le sentiment anti-français que la Turquie étend son influence en Afrique. C’est certainement dans ce cadre qu’il faut comprendre les attaques actuelles de la Turquie contre la France autour de son passé colonial, et sur l’exploitation financière de l’Afrique.

A l’heure où la France est confrontée à la montée d’un sentiment anti-français au Sahel où elle est embourbée dans une guerre ressemblant par bien des aspects à la guerre en Afghanistan face aux Talibans, et à l’heure où elle connait au Sénégal une opposition dirigée contre ses intérêts économiques et ciblant ses entreprises (Orange) et où elle fait face à des mobilisations contre la monnaie CFA dont la réforme à minima annoncée en décembre dernier par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ne suffira probablement  pas à éteindre le sentiment anti-CFA en Afrique, le thème d’une nouvelle forme de colonialisme est porteur. Et la France doit réagir et ne pas négliger ces attaques informationnelles.

macky-erdogan.jpg

Enfin, la Turquie mobilise également l’islam dans sa stratégie de conquête. Tel est le cas au Sénégal. Elle est devenue un partenaire économique de premier plan du Sénégal en particulier dans le secteur des infrastructures (participation à la réalisation du TER, gestion de l’aéroport international Blaise Diagne pendant 25 ans, construction du centre international de conférence Abou Diouf…). En outre, les relations commerciales entre ces deux pays s’intensifient. Selon Oumar Ba, professeur au centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris, le fait que ces « deux pays partagent le même islam sunnite » a contribué à consolider les relations économiques et commerciales entre ces deux pays. Ils sont tous les deux membres de l’Organisation de la Conférence islamique qui constitue un cadre d’échange privilégié. Le financement en 2018 par la fondation turque Diyanet d’une des plus grandes mosquées d’Afrique de l’Ouest au Ghana est un autre exemple de cette diplomatie mobilisant l’islam. A côté de l’islam, la Turquie mobilise d’autres registres tels que le sport qui est très populaire en Afrique. C’est le groupe turc Yenigun qui a la charge de la construction du complexe sportif de Japoma au Cameroun qui accueillera la coupe d’Afrique des nations en 2021. La Turquie a aujourd’hui établi un réseau de 41 ambassades en Afrique et possède 20 agences de l’agence de coopération TIKA et a densifié ses liaisons aériennes via sa compagnie Turkish Airlines. [5]

La Turquie à travers la poursuite d’une influence dans son environnement régional cherche également un soutien ou du moins une neutralité dans le dossier Libyen où elle est isolée. Toutefois, cette stratégie a ses limites et la réflexion d’Erdogan sur les « crimes coloniaux » de la France n’a pas particulièrement plu au pouvoir à Alger qui s’efforce à « afficher une neutralité de façade » en dépit de son soutien au GNA. Il propose en outre de jouer un rôle de médiateur.

Ainsi ce volet d’influence économique de la Turquie de l’Afrique Subsaharienne, en passant par le Maghreb et la Méditerranée orientale – ou cet encerclement cognitif Turc – est un axe de cet affrontement entre la France et la Turquie.

Néanmoins, une lecture exclusivement géo économique ne suffit pas à cerner tous les enjeux de cet affrontement. Il est nécessaire d’y superposer une grille de lecture géopolitique.

Une lecture géopolitique : des rivalités de puissance au cœur de l’affrontement franco-turc

La confrontation symbolique entre deux puissances

La Turquie, au même titre que d’autres puissances au Moyen-Orient (Iran, Emirats, l’Arabie-Saoudite), déploie une politique nationaliste que d’aucuns qualifient même d’impérialiste ou de « néo-Ottomane » en ceci qu’elle s’accompagne d’un expansionnisme en Syrie et en Libye mais aussi sur d’autres terrains comme susmentionné. Ce nationalisme est probablement porté par l’humiliation du traité mort-né de Sèvre qui visait à démanteler la Turquie. Elle résulte de manière plus évidente des négociations d’adhésion avec l’UE qui sont actuellement gelées et du rôle ambivalent de l’Europe à l’égard de l’adhésion de la Turquie. Enfin, cette affirmation du nationalisme turc repose également sur des causes internes en lien avec l’alliance de l’AKP et d’un parti ultranationaliste désormais nécessaire au maintien au pouvoir de l’AKP qui a perdu sa majorité.

1eUI9oKk47CAPhWE2wA4kT.jpg

La délimitation des frontières est au cœur des tensions en Méditerranée orientale. Et la découverte de gisement de gaz vient alors raviver ces tensions. La Convention de Montego Bay sur droit de la Mer est complexe concernant la délimitation de frontières autour des iles. Des lors, cette délimitation requiert une négociation bilatérale entre les Etats de la région, ce qui n’est pas acquis compte tenu des tensions entre ces Etats (Israël/Liban, Grèce/Turquie, division de Chypre). En outre, la Turquie n’a pas ratifié cette Convention.

Pour les tenants de la position de fermeté avec la Turquie[6], l’appui militaire à la Grèce est justifié en ceci que l’UE doit montrer qu’elle est capable de défendre ses frontières extérieures. En outre, la France est une puissance en Méditerranée où elle possède un sous-marin d’attaque. Enfin, l’effacement des Etats-Unis dans la région octroie à la France le rôle de puissance stabilisatrice.

Pour les tenants de la posture de conciliation, l’appui militaire unilatéral de la France à la Grèce s’inscrit dans le contexte régional de rivalités entre puissances, en particulier en Libye. De leur point de vue, l’échec de la stratégie de la France en Libye après la défaite du général Haftar face au GNA soutenu par la Turquie est l’un des moteurs de l’implication au plan militaire de la France en Méditerranée orientale. Plus globalement, c’est le paradigme de soutien de la France à des partenaires « appartenant à l’école autoritaire »  (Sissi, Haftar, MBZ) qui est remis en cause. Et selon eux, les déboires de la France en Libye attestent de l’inanité de cette stratégie.  L’alignement de la position française sur celle des Emirats est masqué par la France, du fait de la politique autoritaire et peu soucieuse des droits humains des Emirats dont l’intervention au Yémen révèle de manière éclatante. Et cet échec de la diplomatie française en Libye alimente la virulence de la France contre la Turquie qui est dans le camp opposé. C’est d’ailleurs dans ce cadre que se comprend l’appui à la Grèce des Emirats, pays non méditerranéen, à travers l’envoi de quatre F16.

download_10.jpg

Enfin, l’Irak, où la Turquie a lancé une offensive dans le Nord de grande envergure dite « Griffes du Tigres » et où elle est présente dans 35 bases irakiennes, est un autre terrain de rivalités entre les deux pays. Cette offensive turque serait au cœur de la volonté française de s’impliquer dans le pays, comme en témoigne la visite éclaire de Macron le 2 septembre dernier et son insistance sur son appui à la « souveraineté de l’Irak ». La France a également des intérêts économiques dans ce pays, en particulier dans le secteur pétrolier, et y voit une manière de retrouver une influence au Moyen-Orient bénéficiant du retrait américain.

La dimension de politique interne de cet affrontement

La politique extérieure d’un pays s’articule très souvent avec sa politique intérieure. Cette dernière est à prendre en compte dans l’analyse de l’affrontement entre la France et la Turquie.

De fait, la France a, par le passé, instrumentalisé l’adhésion de la Turquie à l’UE à des fins électorales. On se souvient du Président Sarkozy qui avait fait du refus de cette adhésion un thème de sa campagne électorale en vue de rallier l’électorat de l’extrême droite. Il est possible que la virulence des propos du Président Macron vise également à mobiliser l’opinion publique.

En outre, Bertrand Badie y voir une volonté d’Emmanuel Macron de restaurer la souveraineté de l’Union européenne et de se présenter comme le leader. Il note néanmoins que cette stratégie a des limites, en ce que le conflit en méditerranée orientale ne peut que se terminer par une négociation entre les Turcs et les Grecs, ce qui est susceptible de conforter le bien-fondé de la posture de médiation de l’Allemagne et de préserver, voire de consolider les intérêts économiques de cette dernière.

Côté Turc, cette instrumentalisation apparait clairement. De fait, le pouvoir de l’AKP est en quête de légitimité alors que la Turquie connait une crise économique et qu’il a perdu la ville d’Istanbul lors des dernières élections. Le sentiment nationaliste turc particulièrement ancré dans la société fait que même l’opposition en Turquie soutient le pouvoir dans son escalade avec la France[7]. Sa stratégie se révèle ainsi gagnante à ce stade sur le plan de la politique interne turque.

  1. Analyse des stratégies turques et françaises

Le recours à une démonstration de force

La stratégie de ces deux pays repose sur le hard power. La France a envoyé des rafales et des navires militaires pour dissuader la Turquie en réponse à l’envoi par la Turquie de navires de prospection escortés par des navires militaires.

La Turquie est la deuxième armée de l’OTAN en effectifs et de ce fait, elle connait son importance dans le système de défense. En outre, les Etats-Unis, depuis l’administration Obama, cherchent à se retirer de la région dans une stratégie dite de « pivot vers l’Asie ». Ceci s’est accentué sous la présidence du Président Trump. De ce fait, les Etats-Unis considèrent que la Turquie pourrait jouer le rôle de puissance stabilisatrice dans la région[8]. A ce titre, la Turquie jouit d’une influence au sein de l’OTAN et de l’UE.

2224224314.11.jpg

Quant à la France, elle propose à la Grèce une alliance militaire qui inclut un volet industriel. L’acquisition de rafales par la Grèce va donner un avantage à l’armée grecque sur l’armée turque dans les airs.

Plus globalement, la région de la méditerranée orientale connait une véritable course aux armements incluant tous les pays à l’exception de Chypre et du Liban.

A côté de ce volet militaire, la stratégie de ces deux Etats repose sur l’exercice d’une influence et sur l’instrumentalisation des rapports de force au sein de l’OTAN et de l’UE.

L’exercice de leur influence au sein de l’OTAN et de l’UE

La Turquie joue sur les divisions au sein de l’OTAN et de l’UE. Ankara peut se permettre une surenchère en Méditerranée orientale en ceci qu’elle est un chainon central du système de défense otanien en Méditerranée. Certains considèrent qu’elle « jouit d’une forme d’impunité au sein de l’OTAN ».

De ce fait, La Turquie mène une « stratégie de mise en tension »[9]en sachant que les Etats-Unis, qui ne voient pas d’un bon œil la montée en puissance de la Russie en Méditerranées Orientale et qui ont basculé dans une forme d’isolationnisme, ne semblent pas enclins à intervenir. De fait, les Etats-Unis, à travers une déclaration de Mike Pompéo, appellent à une résolution pacifique du conflit. Néanmoins, l’accord de coopération en matière de défense signé entre les Etats-Unis et la Grèce en janvier dernier vient signifier à la Turquie une mise à distance avec son allié privilégié dans la région.

Les Européens eux-mêmes sont divisés. De fait, l’affaire de la frégate française « Courbet » visée par des radars d’une frégate turque soupçonnée de violer l’embargo sur les armes en Libye est révélateur du faible soutien apporté à la France par ses alliés dans le cadre de l’OTAN mais aussi par les Etats membres de l’Union européenne dont huit seulement l’ont soutenue. Selon Cyril Bret, la position de la France est loin d’être majoritaire tant sur les symptômes du « brain dead » de l’Otan pointés par celle-ci que sur le plan des remèdes proposés.

CARTE_LIBYE_web.jpg

Cette absence de soutien franc à la France, en particulier émanant de pays de l’Union européenne, a diverses causes.

La première cause est liée à son soutien au général Haftar en Libye contre le GNA reconnu par l’ONU. En outre, les pays du sud de la Méditerranée, en particulier l’Italie, considèrent la Turquie comme un partenaire important dans la gestion des flux migratoires. L’Italie se situe en outre en Libye dans le camp de soutien au GNA. Les pays de l’Europe de l’Est considèrent également que la Turquie est un partenaire central au sien de l’OTAN dont l’un des volets est la lutte contre la menace russe. L’Allemagne considère aussi la question migratoire comme majeure et a en outre une large diaspora turque favorable à l’AKP et des intérêts économiques en Turquie. Si elle est alignée sur la France concernant les inquiétudes soulevées par l’expansionnisme de la Turquie, elle diffère sur la méthode et elle privilégie la négociation et les sanctions[10]. Enfin, la virulence de la rhétorique de Macron a pu susciter la méfiance au sein de ses partenaires. [11]

La France et la formation d’un front uni contre la Turquie

Si la Turquie joue sur les divisions au sein de ses organisations, la France cherche à former un consensus en vue de l’imposition de sanctions additionnelles à l’encontre de la Turquie à l’occasion du sommet européen des 24 et 25 septembre. De fait Emmanuel Macron a réuni en Corse les dirigeants du sud de la Méditerranée en vue de définir une ligne commune. Il a eu des propos très durs déclarant que la Turquie n’était plus un partenaire en Méditerranée.

Une communication virulente émanant de l’exécutif de ces deux Etats

Les deux présidents appuient leur stratégie d’influence d’une communication virulente.

Il n’est pas certain que cette stratégie soit gagnante côte française en ceci qu’elle suscite la méfiance chez ses partenaires, en particulier l’Allemagne mais aussi parmi les pays d’Europe du Sud et de l’est, qui voient avec inquiétude l’escalade entre deux partenaires au sein de l’OTAN. En outre, cette communication sert les intérêts politiques d’Erdogan en interne, le peuple turc étant réputé très nationaliste.

Enfin, la Turquie va encore plus loin en ceci qu’elle développe des méthodes de désinformation en imitant le savoir-faire russe en diffusant de fausses informations dans des langues étrangères.

La négociation

L’Allemagne a tenté d’opérer une médiation entre la Grèce et la Turquie. Si la Turquie a accepté cette initiative, les Grecs se sont montrés plus réticents, considérant qu’ils étaient sous la pression militaire de la Turquie mais aussi parce qu’elle se sent en position de force en ce que l’UE va probablement infliger des sanctions à la Turquie qui se trouve dans un relatif isolement. L’OTAN qui ne dispose pourtant d’aucun mécanisme de règlement des différends a proposé d’arbitrer ce conflit ce qui a été accepté par les deux parties.

Le retrait du navire de prospection turc des eaux territoriales grecques est de nature à apaiser les tensions actuelles et faciliter des négociations.

La mobilisation de ressources idéologiques par la Turquie

La politique expansionniste de la Turquie s’appuie sur des ressources culturelles (séries TV, nostalgie de l’empire Ottoman…) et sur des ressources idéologiques, à savoir l’islam (Sénégal), le sentiment néocolonial (Afrique) et le panturquisme.

h_54579513.jpg

Une illustration de cette dernière ressource a été éclatante à l’occasion de la célébration  de l’anniversaire de la victoire seldjoukide de Manzikert contre l’empire Byzantin en 1071 qui a été accompagnée de discours nationalistes aux accents pan-turcs, proche d’un ethno nationalisme. Cette stratégie entre dans la volonté de redorer l’image de l’AKP. Mais ce panturquisme s’adresse également aux turcs à l’extérieur de la Turquie. A ce titre, la diplomatie éthno-nationaliste remporte quelques succès au Liban qui octroie la citoyenneté aux quelques milliers de Turkmènes dans le pays.

Le Liban où la Turquie cherche à prendre pied, profitant de la marginalisation de la communauté sunnite depuis que l’Arabie Saoudite s’est désengagée du fait d’un premier ministre sunnite, Saad Hariri, jugé insuffisamment ferme face au Hezbollah, pourrait constituer un nouveau terrain de concurrence entre la France et la Turquie à l’heure où la France revient sur le devant de la scène dans ce pays. La France considère que du fait de ses liens particuliers avec ce pays (histoire, diaspora, langue française), elle est la mieux placée pour peser sur la politique de ce pays en encourageant une meilleure gouvernance. La possibilité d’une nouvelle vague migratoire liée à la crise économique et institutionnelle au Liban est également un facteur de ce réengagement français.

Enfin, la normalisation des relations entre les Emirats et le Bahreïn et Israël sert la politique d’influence de la Turquie qui se présente comme la protectrice de l’islam sunnite et garante de la cause palestinienne aux côtés de l’Iran.

La France a-t-elle les moyens de cette diplomatie active ?

Ainsi, cet affrontement complexe, en ce qu’il mêle des enjeux économiques et politiques et qu’il a pour décor de multiples terrains, révèle une diplomatie active de la France. Néanmoins, du point de vue de nombreux analystes, la France en Afrique et au Moyen-Orient manque d’une stratégie de long-terme et d’une ligne claire[12]. En outre, sur le plan de la « guerre économique » en Afrique, la Turquie n’est pas la seule puissance à conquérir des marchés et la Chine représente un concurrent de taille. Enfin, il convient de se demander si la France a les moyens de cette diplomatie offensive et unilatérale face à la Turquie. A ce titre, le vente de rafale a la Grèce pose des difficultés à l’armée de l’air française qui fait face à un manque d’appareils permettant d’assurer toutes les missions extérieures de la France. Quant à la Turquie, en dépit d’une diplomatie active mobilisant tous les registres lui permettant de recueillir une neutralité, voire un soutien, sur le dossier Libyen (Algérie, Tunisie), une popularité croissante au sein de communautés marginalisées (sunnites du Liban, palestiniens) et la conquête de nouveaux marchés (Sénégal), il n’est pas certain qu’elle en sorte gagnante tant elle est isolée dans son environnement régional.

 

Sophie Guldner

Notes

[1] Didier Billon dans IRIS conférence Quels enjeux stratégiques en 2021, 15 septembre 2020

[2] Didier Billon dans IRIS conférence Quels enjeux stratégiques en 2021, 15 septembre 2020

[3] Bertrand Badie, Quand le Sud réinvente le monde, Essai sur la puissance de la faiblesse, La Découverte, 2018

[4] Bertrand Badie, Quand le Sud réinvente le monde, Essai sur la puissance de la faiblesse, La Découverte, 2018

[5] Le monde, en visite au Sénégal, le président turc confirme ses ambitions africaines, 30 janvier 2020

[6] Bruno Tertrais dans Cuture Monde : rentrée diplomatique, la France à la manœuvre : Méditerranée, Paris joue les gendarmes, 27 aout 2020

[7] Propos tenus par Ahmed Insel à l’antenne de France culture dans Méditerranée : la bataille du gaz

[8] Propose tenu par Dorothée Schmidt dans Affaires étrangères, Méditerranée : la bataille du gaz, 12 septembre 2020

[9] Propos tenus par Cyril Bret dans Affaires étrangères, Méditerranée : la bataille du gaz, 12 septembre 2020

[10] Drothée Schmidt dans dans Affaires étrangères, Méditerranée : la bataille du gaz, 12 septembre 2020

[11] Bruno Tertrais dans Cuture Monde : rentrée diplomatique, la France à la manœuvre : Méditerranée, Paris joue les gendarmes, 27 aout 2020

[12] Richard Banégas, la politique d’intervention de la France en Afrique vue d’en bas, Réflexions à partir du cas de la Cote d’Ivoire, Gallimard, « les Temps modernes », 2017, page 288 à 310

Die Arktis wird umkämpft

X0570_4_deutsch_D3-1_Web.jpg

Die Arktis wird umkämpft

Niklas Kharidis
Frödert Ulfsbörn

Ex: https://www.world-economy.eu

In den letzten Jahren ist die Arktis zunehmend zum Ziel der Interessen angrenzender Mächte geworden, aber auch der Länder, die geografisch sehr weit vom Nordpol entfernt sind.


Immer häufiger erheben Länder wie Dänemark, Norwegen, die Vereinigten Staaten und Russland, aber auch beispielsweise China, Ansprüche auf natürliche Ressourcen, auf bestimmte Gebiete, auf eine privilegierte Position im Seegebiet um die Arktis herum. Wenn Russlands Behauptungen in vielerlei Hinsicht durch die Länge seiner an die Arktis angrenzenden Küste gerechtfertigt sind, dann sind die Interessen von Ländern wie China oder Indien in dieser Region wiederum sehr umstritten.

Auch die Zunahme der NATO-Aktivitäten und der Konfrontationen in der Arktis kann nicht das Ziel der deutschen Politik sein, dies widerspricht den Interessen Deutschlands. Es kann nicht ausgeschlossen werden, dass die Intensivierung der Versuche, die eigene Präsenz in der Arktis zu erhöhen, zum Anstieg der Verteidigungsausgaben der europäischen Länder führen wird. Dies gilt insbesondere für Deutschland, das bereits unter dem Druck der Vereinigten Staaten steht, den Anteil des Militärhaushalts und die Beiträge zum NATO-Haushalt zu erhöhen.


Es muss daran erinnert werden, dass das Pentagon bereits 2019 die sogenannte Arktis-Strategie veröffentlicht hat. Diese Strategie konzentriert sich auf China und Russland. Natürlich geht es dabei um militärische Faktoren im Zusammenhang mit der Arktis: „China und Russland als zentrale Her­ausforderung für langfristige Sicherheit und Wohlstand der USA.“


In dem Strategiepapier steht dazu:


„The Arctic as a potential corridor for strategic competition: The Arctic is a potential avenue for expanded great power competition and aggression spanning between two key regions of ongoing competition identified in the NDS — the Indo-Pacific and Europe — and the U.S. homeland. U.S. interests include maintaining flexibility for global power projection, including by ensuring freedom of navigation and overflight; and limiting the ability of China and Russia to leverage the region as a corridor for competition that advances their strategic objectives through malign or coercive behavior.“

csm_Disko-Bucht_1200x600_b03624e252.jpg

Bereits 2013 skizzierte Barack Obama, der damalige Präsident der Vereinigten Staaten, seine Ziele in der Arktis. Während seiner Präsidentschaft wurde dieses strategische Dokument entworfen, in dem der Ausbau und die Entwicklung der arktischen Infrastruktur und, gleichzeitig, die Verstärkung der internationalen Zusammenarbeit bei der Nutzung und dem Verbrauch natürlicher Ressourcen in der Arktis beschrieben werden.


Experten der Stiftung Wissenschaft und Politik e.V. (SWP e.V.) berichten darüber ausführlich in ihren analytischen Papieren (sieh. Quellenangabe).


Die Bundesregierung hat wiederholt ihr Interesse einer Beteiligung an der Entwicklung der Arktis bekundet, aber all diese Aussagen gingen nicht über schöne diplomatische Formulierungen hinaus. Gleichzeitig betont Deutschland in jeder Hinsicht seine mangelnde Bereitschaft, die Arktis zu militarisieren. Und dies ist ein völlig korrekter Ansatz, der es ermöglicht, die natürlichen Ressourcen der Arktis in einer ruhigen Atmosphäre zu erschließen, ohne die Angst vor militärischen Konflikten zu schüren. Diese Position Berlins scheint ausgewogen und richtig zu sein und spiegelt den Wunsch Deutschlands wider - unabhängig vom Druck seitens der USA und Kanada - einen eigenen Platz in der Arktisfrage einzunehmen.

c9f03427-0001-0004-0000-000001472487_w750_r1.77_fpx60.54_fpy50.jpg

In der Beschreibung der Situation mit der Arktis, die auf den Seiten des Auswärtigen Amtes zu finden ist, wird das Verhältnis der Bundesregierung durch folgende Formel ausgedrückt: „Die Bundesregierung plädiert für die Beibehaltung eines eindeutig defensiven Charakters jedweder militärischer Maßnahmen, um einer verstärkten Militarisierung der Arktisregion entgegenzuwirken.“


Überraschenderweise unterscheidet sich die Position der deutschen Verteidigungsministerin Kramp-Karrenbauer jedoch deutlich von den strategischen Plänen ihrer Regierung. Während einer Videokonferenz mit dem NATO Joint Warfare Centre sprach sich die Ministerin beispielsweise dafür aus, dass sich die Westliche Militärallianz künftig „intensiver mit der Region befassen“ sollte.


Dies ist eine merkwürdige Position der Verteidigungsministerin, zumal es nach Angaben der Bundeswehr in der norwegischen Stadt Stavanger bereits mehr als 40 deutsche Soldaten gibt. Es versteht sich von selbst, dass sie an allen Manövern in der Region teilnehmen, beispielsweise an dem Manöver "Cold Response 2020" in Nordnorwegen, das bereits im März begonnen hat. Aufgrund der Pandemie verlief es nicht vollständig wie geplant, dennoch nahmen Schiffe der Bundeswehr an den Manövern vor der Küste Islands teil. Laut der Zeitung „Junge Welt“ findet die Militarisierung der Arktis unter aktiver Beteiligung Deutschlands statt.


Es ist bedauerlich, dass Berlin dem Druck anderer Länder erliegt die Arktis zu militarisieren und sich an diesen Plänen mit der Bundeswehr beteiligt. Die Bundeswehr und ihre Marine befinden sich in einem militärtechnischen Zustand, der vieles zu wünschen übrig lässt. Nach Einschätzungen von Marine-Experten erfordert die deutsche Militärtechnik, einschließlich der Militärschiffe, seit langem eine gründliche Modernisierung oder einen kompletten Ersatz durch neue Ausrüstungsgegenstände.

Der Einsatz der Bundeswehr in der gegenwärtigen Situation, zur Deckung der Bedürfnisse der NATO, versetzt die militärtechnische Basis Deutschlands in die Position eines Landes, das an militärischen Manövern beteiligt ist, die den eigenen nationalen Interessen diametral entgegen stehen. Richtig und ausgewogen wäre eine Politik, die auf eine friedliche Entwicklung der Arktis abzielt, ohne eine harte Konfrontation zu provozieren, die die Situation in dieser Region und in der ganzen Welt verschlechtern würde.

Quellen:

  1. https://www.swp-berlin.org/10.18449/2019A56/

  2. https://www.auswaertiges-amt.de/blob/2239806/0c93a2823fcf...

  3. https://www.jungewelt.de/artikel/384010.arktis-berlin-mis...

vendredi, 09 octobre 2020

Options russes dans le conflit du Karabakh

60967.jpg

Options russes dans le conflit du Karabakh

Par The Saker 

Source The Saker

Avec les yeux de la plupart des gens rivés sur le débat entre Trump et Biden, le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au sujet du Haut-Karabakh (NK) a reçu relativement peu d’attention en Occident. Pourtant, c’est une situation potentiellement très dangereuse.

Pensez à ceci : les Arméniens accusent les Turcs d’avoir abattu un Su-25 arménien au-dessus de l’Arménie – pas au dessus du Nagorno-Karabakh ! Si cela est vrai, certains diront que c’est une énorme nouvelle car cela signifierait qu’un État membre de l’OTAN a commis un acte d’agression contre un membre de l’OTSC [Collective Security Treaty Organization]

Cela signifie-t-il que la guerre entre deux plus grandes alliances militaires de la planète est inévitable ?

À peine.

En fait, il me semble que ni l’OTSC, ni l’OTAN n’ont beaucoup d’enthousiasme pour s’impliquer.

Prenons un peu de recul et mentionnons quelques éléments de base.

  • L’Arménie a suivi une voie anti-russe depuis la révolution de couleur soutenue par Soros en 2018.
  • L’Azerbaïdjan est clairement allié avec, et soutenu par, la Turquie – un pays actuellement dans des crises politiques, ou autres, avec à peu près tout le monde. Erdogan est clairement une planche pourrie perdante et on ne peut lui faire confiance en aucune circonstance.
  • En vertu du droit international, le Haut-Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan. Pour cette raison, l’Arménie ne peut pas faire appel à l’OTSC – tout comme le plaidoyer d’Erdogan pour le soutien de l’OTAN contre la Russie lorsque les Turcs ont abattu un Su-24M russe au-dessus de la Syrie a été rejeté par l’alliance.
  • Militairement parlant, l’Azerbaïdjan a l’avantage quantitatif et même qualitatif sur l’Arménie, même si cette dernière dispose d’un équipement moderne. Pourtant, comme aucune des deux parties ne dispose d’une force aérienne moderne, il n’est pas impossible que la Turquie ait envoyé des F-16 pour aider l’armée de l’air azérie, pour l’essentiel obsolète, à s’occuper des Su-25 arméniens.

eng149570361647.jpg

Découvrez l’immense complexe de l’ambassade américaine à Erevan et demandez-vous ce que font tous ces gars toute la journée ?

On aurait pu imaginer que la Russie se rangerait immédiatement du côté de l’Arménie chrétienne contre les Azéris musulmans, mais cette fois-ci, il y a des preuves que les Russes ont – enfin ! – tiré des leçons douloureuses de l’histoire, en particulier sur les « frères putatifs orthodoxes » de la Russie. La triste vérité est que, tout comme la Biélorussie sous Loukachenko, l’Arménie suit, depuis au moins 2018, le même type de parcours politique «entre deux chaises» que la Biélorussie. Je résumerais cette politique comme ceci : «tenir un cap politique anti-russe tout en exigeant le soutien de la Russie». Les Russes n’aimaient pas plus cela en Arménie qu’en Biélorussie. Mais la grande différence est que si la Russie ne peut pas se permettre de «perdre» la Biélorussie, elle n’a pas du tout besoin de l’Arménie, en particulier d’une Arménie hostile.

Cela ne veut pas dire que la Russie devrait soutenir l’Azerbaïdjan. Pourquoi ? Eh bien, cela n’a rien à voir avec la langue ou la religion et tout à voir avec le fait que l’Azerbaïdjan moderne est un protégé politique de la Turquie d’Erdogan, ce protégé est vraiment l’un des pays et des régimes politiques les plus dangereux, que la Russie devrait approcher avec la prudence d’un charmeur de serpents face à une vipère particulièrement méchante et imprévisible. Oui, la Russie doit s’engager à la fois avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, ne serait-ce que parce que ces deux pays sont puissants, au moins dans un sens régional, et parce qu’ils sont presque toujours prêts à faire le pire, en particulier la Turquie.

Ensuite, il y a la question du rôle des États-Unis dans tout cela. Nous pouvons être à peu près sûrs que les États-Unis parlent aux deux parties en leur disant que tant qu’ils maintiennent un cap anti-russe, ils obtiendront le soutien de l’oncle Shmuel. Il y a deux problèmes avec cette attitude :

  • Les deux parties savent que les États-Unis parlent aux deux côtés
  • Quand les choses se gâtent, le soutien des États-Unis importe vraiment très peu

Je dirais même que toute escalade majeure du conflit prouvera aux deux parties que les États-Unis sont prolixes sur les promesses et avares de les tenir réellement. En revanche, la Turquie tient ses promesses. Oui, imprudemment et, oui aussi, en violation du droit international, mais quand même – la Turquie tient ses promesses et elle n’hésite pas à le confirmer.

Tout comme dans le cas de la Biélorussie ou de l’Ukraine, la Russie pourrait mettre fin à ce conflit, surtout si le Kremlin décide d’utiliser la force militaire, mais ce serait terrible en termes politiques, et je suis convaincu que la Russie n’interviendra pas ouvertement. D’une part, cette guerre est un cas clair de jeu à somme nulle dans lequel un compromis négocié est presque impossible à atteindre.

De plus, les deux parties semblent déterminées à aller jusqu’au bout, alors pourquoi la Russie devrait-elle intervenir ?

Il semble que rester un intermédiaire neutre est la meilleure et la seule chose que la Russie devrait faire pour le moment. Une fois la poussière retombée et une fois que chaque partie se rendra pleinement compte que l’oncle Shmuel est plus fort en paroles qu’en actes, alors peut-être que la Russie pourra, une fois de plus, essayer d’offrir une solution régionale, impliquant éventuellement l’Iran et excluant les États-Unis à coup sûr. Mais cela ne pourra se faire que plus tard.

À présent les deux côtés se sont bloqués chacun dans un coin du ring et semblent également engagés vers une victoire militaire totale.

Conclusion

Dans ce conflit, la Russie n’a ni alliés ni amis. À l’heure actuelle, les Azéris semblent gagner, mais si l’Arménie engage ses missiles Iskander ou reconnaît l’indépendance du Haut-Karabakh – ce que les Arméniens menacent maintenant de faire – cela tournera mal et une intervention turque deviendra possible.

Voyons comment – et même si – les États-Unis feront quelque chose pour aider Erevan. Sinon, il sera intéressant de voir ce qui se passera une fois que les Arméniens redécouvriront une vérité historique bien connue : l’Arménie ne peut pas survivre sans la Russie. Et même si les Arméniens arrivent aussi à cette conclusion, je recommanderais tout de même que la Russie fasse très attention en plaçant son poids derrière les deux camps du conflit, d’autant plus que les Azéris ont le droit international de leur côté.

En d’autres termes, je recommande à la Russie d’agir uniquement et exclusivement dans son propre intérêt géostratégique et de laisser toute la région découvrir à quel point l’oncle Shmuel peut vraiment apporter, ou pas, son aide. Plus précisément, j’affirme qu’il est dans l’intérêt de la sécurité nationale de la Russie de s’assurer que :

  • La Turquie reste aussi faible que possible le plus longtemps possible
  • Les USA restent aussi faibles que possible dans toute la région

À l’heure actuelle, la Pax Americana est aussi mauvaise dans le Caucase qu’elle l’est au Moyen-Orient. C’est bon pour la Russie et elle ne devrait rien faire qui puisse aider l’oncle Shmuel. Ce n’est qu’une fois que les États-Unis seront hors jeu, y compris en Arménie, que la Russie pourra offrir son aide et son soutien à un accord de paix entre les deux belligérants.

The Saker

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

Les marches des empires sous haute tension

Et de trois. Les drones turcs qui officiaient déjà en Syrie et en Libye survolent désormais le Haut-Karabakh, cette région montagneuse où les Arméniens affrontent les Azéris, soutenus par Ankara non seulement dans les airs, mais également au sol. Les supplétifs syriens à la solde de la Turquie, qui combattaient d’abord les Kurdes, ont migré vers la Tripolitaine libyenne puis aujourd’hui vers le Caucase, troisième front militaire pour le régime nationaliste de Recep Erdogan. 

Dans les mêmes contrées, Moscou pèse également de tout son poids, quoique moins offensivement qu’Ankara. En Syrie très officiellement pour soutenir coûte que coûte le gouvernement de Damas. En Libye, pour appuyer sans le dire ouvertement le régime du maréchal Haftar, sis en Cyrénaïque. La Russie est également une alliée historique de l’Arménie, quoi qu’elle maintienne aussi des relations de bon voisinage avec l’Azerbaïdjan, ancienne république d’URSS. Nous saurons certainement dans les prochains jours quelle attitude le grand pays orthodoxe adoptera dans le conflit du Haut-Karabakh. Une chose est sûre, la Russie et la Turquie ont montré en Syrie et en Libye qu’elles savaient s’entendre, nouant une étrange relation mêlant compétition et coopération, ce que le management nomme parfois “coopétition”. Pour la Syrie et peut-être plus discrètement pour l’Arménie, une autre grande puissance régionale est de la partie : l’Iran. La République islamique a su depuis longtemps maintenir des relations relativement cordiales avec la Turquie, tout en projetant ses ambitions géopolitiques le long de l’« arc chiite », avec, dans le cas syrien, l’appui russe, là aussi mêlé de rivalité.

Trois puissances régionales (dans le cas de Moscou également mondiale, vestige atomique de la Guerre froide) ; trois anciens empires. Ils se jaugent et rivalisent sans cesse, s’affrontent parfois, rarement directement, coopèrent souvent. Les points de friction qui deviennent objets de négociation se cristallisent naturellement dans leurs “marches”, le mot prenant ici un sens géopolitique. Les marches sont situées aux confins des empires et servent le plus souvent de zone tampon. Elles sont métissées et mélangées, ethniquement et religieusement. Leurs identités sont multiples, selon que l’on appartient à telle ou telle communauté, l’ensemble formant une mosaïque insaisissable. Pour un Européen de l’ouest, habitué à l’Etat-nation et à des frontières qui délimitent distinctement un dedans et un dehors, la notion de marche apparaît mystérieuse. Elles sont pourtant une réalité historique, souvent tragique. L’Arménie est un cas intéressant : elle est pour le coup un Etat-nation, mais est en même temps une marche aux confins des trois empires turc, russe et iranien. L’enclave arménienne du Haut-Karabakh en est la manifestation la plus criante.  

unnamedcauc.jpg

Ces marches sont aujourd’hui sous haute tension au Levant. Les Etats-Unis se retirant progressivement du Moyen-Orient, les trois anciens empires se repositionnent derechef pour définir ensemble, mais au mieux de leurs intérêts, de nouveaux équilibres régionaux. Depuis 2015, la Russie tente de jouer les arbitres musclés, mais ouverts aux négociations. L’Iran, lui, joue un jeu plus solitaire pour consolider l’axe qui le mène à la Méditerranée. Quant à la Turquie, elle apparaît aujourd’hui comme l’acteur le plus véhément et le plus offensif de cette triade. 

Les actions géopolitiques de ces trois vieux empires sont le signe de la nouvelle multipolarité de notre monde. Des puissances moyennes déroulent leur propre agenda sur les ruines d’un monde bipolaire qui a vécu. L’Asie n’est pas en reste. Aux confins de la Chine, du Pakistan et de l’Inde, la tension militaire est à son comble dans la région disputée du Cachemire, autre mosaïque de populations au sang mêlé, où les armes résonnent de plus en plus, depuis des mois. Sans parler d’une autre marche chinoise, le Xinjiang, peuplé de Ouïghours contre lesquels Pékin exerce une emprise de plus en plus puissante.  

Etonnant paradoxe : en Europe, on ne cesse de vanter la diversité, les mosaïques, les mélanges, le métissage, mais le discours dominant ne sait comment penser ces “marches” géopolitiques, symboles d’une histoire longue et tragique qui n’entre pas dans les cases trop binaires du “droit-de-l’hommisme” ou du “néo-conservatisme”. Le vieux continent, du reste, n’échappe pas à ce phénomène des marches sous tension. Que l’on pense à l’Ukraine et, aujourd’hui, à la Biélorussie. Le schéma de pensée que l’on calque sur ces deux pays est souvent de deux ordres. D’un côté, le logiciel de la Guerre froide : il faudrait absolument que l’Ukraine devenue pro-européenne entrât dans l’OTAN pour endiguer la Russie. En 2014, certains intellectuels et politiques, qui, comme Cassandre n’ont pas été écoutés, ont senti le danger immense de jouer sur cette corde sensible qui n’allait qu’augmenter la douleur des Ukrainiens. “Ukraine”, en russe, signifie justement “marche”. Le nom même d’Ukraine aurait dû nous mettre en garde : jouer ce pays contre la Russie était incroyablement dangereux. L’histoire de ces cinq dernières années n’a fait qu’augmenter le syndrome d’encerclement russe. La seule solution sage aurait consisté à faire du rapprochement – heureux ! – de l’Ukraine avec l’Europe un pont vers la Russie. Encore aurait-il fallu, pour cela, que l’Europe eusse été indépendante des Etats-Unis, qui se refusent toujours d’en finir avec la Guerre froide. En l’occurrence, le maintien d’une logique bipolaire dans les relations Est/Ouest attise la tension qui existe dans les anciennes marches de l’empire russe. L’autre lecture trop courante est celle de la simple opposition entre démocratie et dictature. Car si la Biélorussie est bien une dictature et que l’on ne peut que souhaiter qu’elle ne le soit plus à l’avenir, elle n’est pas qu’un régime politique, mais aussi un pays, un peuple, une histoire, une culture composites, indissociablement liés à la Russie. Heureusement, jusqu’à présent, les Européens ont fait preuve de davantage de prudence qu’en Ukraine. L’avenir dira ce qu’il adviendra du régime dictatorial de Loukachenko. Mais une chose est sûre : la Biélorussie ne devra jamais servir de bouclier contre la Russie. Transformer une marche en un mur est un risque que l’on ne peut se permettre de prendre.

7233-trtworld-gallery-362964-401310.jpg

Cette leçon devra aussi servir pour l’avenir, alors que le couple formé par les Etats-Unis et la Chine fait peser sur le monde le risque d’une nouvelle bipolarité à l’échelle internationale, laquelle ne sera pas forcément contradictoire avec le maintien d’une certaine multipolarité à l’échelle régionale. Samuel Huntington a trop souvent mal été lu : le père du “choc des civilisations” n’était pas partisan de l’ingérence militaire, mais bien au contraire d’une forme d’isolationnisme réfléchie. Selon lui, les Etats-Unis ne devaient pas intervenir partout dans le monde mais s’appuyer sur les grandes puissances régionales – chacune dominant une civilisation – pour déterminer un équilibre global qui soit le moins mauvais possible. Un projet qui, malheureusement, n’a pas été retenu. Il avait pourtant bien des qualités, à commencer par une forme de sage prudence. Aujourd’hui, pour le bien des Arméniens comme des Azéris, et plus globalement pour le bien de toutes les minorités du Moyen-Orient qui vivent dans les “marches” des vieux empires, l’Europe aurait peut-être tout intérêt à encourager, non sans fermeté, la formation d’un nouvel équilibre, le moins précaire possible, entre la Russie, la Turquie et l’Iran. Mais il nous faudrait pour cela abandonner notre vieille Guerre froide avec la Russie, en finir avec nos rêves d’une Turquie européenne qui existerait à notre image et arrêter de voir l’Iran comme un pays dont l’histoire aurait commencé en 1979. Bref, assumer un monde multiple, divers et fragile, à l’image de ses marches qui souffrent dans leur chair. 

*Alexis Feertchak, membre fondateur de Geopragma

jeudi, 08 octobre 2020

La guerre du Haut-Karabakh est-elle déjà dans une impasse ?

nagorno-karabakh.jpg

La guerre du Haut-Karabakh est-elle déjà dans une impasse ?

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com 

Sept jours après que l’Azerbaïdjan a lancé l’attaque contre le territoire du Haut-Karabakh tenu par les Arméniens, ce pays n’a pas avancé sur le terrain.
L’Iran et la Géorgie comptent sur leur territoire d’importantes minorités azéries et arméniennes.

Les hautes terres du Haut-Karabakh sont ethniquement arméniennes. Les districts en bleu clair étaient à l’origine azéris mais ont été ethniquement nettoyés pendant la guerre du début des années 1990.

La Turquie soutient l’Azerbaïdjan en lui fournissant des drones turcs et des mercenaires qui sont des « rebelles syriens modérés » amenés de Syrie et de Libye. Tous sont acheminés par avion en traversant l’espace aérien géorgien. D’autres mercenaires semblent venir d’Afghanistan. Du matériel supplémentaire arrive par la route, également par la Géorgie. Un autre partisan de l’agresseur est Israël. Au cours de la semaine dernière, des avions de transport militaire azerbaïdjanais ont volé au moins six fois en direction d’Israël pour revenir avec des drones suicides israéliens supplémentaires à bord. Ces drones Harop ont été largement utilisés dans des attaques contre des positions arméniennes. Un missile balistique à courte portée LORA, de fabrication israélienne, a été utilisé par l’Azerbaïdjan pour attaquer un pont qui relie le Haut-Karabakh à l’Arménie. Il y aurait également des avions de chasse F-16 pilotés par des Turcs en Azerbaïdjan.

La Turquie semble diriger les drones et les avions de chasse en Azerbaïdjan et au Haut-Karabakh par le biais d’avions de contrôle aérien de type AWACS qui volent en cercle à la frontière turco-arménienne.

photo-1_0.jpg

Le plan d’attaque que l’Azerbaïdjan avait à l’esprit lorsqu’il a lancé la guerre prévoyait de prendre des zones de plusieurs miles de profondeur par jour. Ce plan n’a pas survécu au premier jour de bataille. L’Azerbaïdjan a commencé l’attaque sans préparation d’artillerie importante. L’attaque au sol n’a été soutenue que par des frappes de drones sur les chars, l’artillerie et les positions de défense aérienne arméniennes. Mais les lignes défensives tenues par l’infanterie arménienne n’ont pas été endommagées par les drones. L’infanterie arménienne retranchée pouvait utiliser ses armes antichars et anti-infanterie à pleine capacité. Les chars et l’infanterie azerbaïdjanais ont été massacrés lorsqu’ils ont tenté de percer les lignes. Les deux camps ont subi des pertes importantes, mais dans l’ensemble, les lignes de front n’ont pas bougé.

Cette guerre semble déjà être dans une impasse. Ni l’Arménie ni l’Azerbaïdjan ne peuvent se permettre d’utiliser la puissance aérienne et les missiles balistiques achetés à la Russie sans le consentement de celle-ci.

Les attaques de drones ont été, pendant un certain temps, assez réussies. Un certain nombre de vieux systèmes de défense aérienne ont été détruits avant que les Arméniens n’en tirent la leçon et les camouflent. Les Azerbaïdjanais ont alors utilisé une astuce pour dévoiler les positions cachées de la défense aérienne. Des avions Antonov AN-2 radiocommandés, des reliques propulsées par hélices de la fin des années 1940, ont été envoyés au-dessus des positions arméniennes. Lorsque la défense aérienne a ensuite lancé un missile contre eux, un drone suicide a été immédiatement largué sur la position de tir.

L’astuce semble avoir marché pendant un jour ou deux, mais de telles attaques de drones sont désormais devenues rares. Des dizaines de drones ont été arrêtés avant d’avoir pu atteindre leur cible et l’Azerbaïdjan semble être à court de drones. Un clip musical bizarre que les Azerbaïdjanais ont posté montre quatre camions transportant chacun neuf drones. Il y avait peut-être plusieurs centaines de ces drones, mais probablement moins de mille. Israël est actuellement soumis à un strict confinement à cause de la pandémie. Le réapprovisionnement en drones sera un problème. Depuis, l’Azerbaïdjan a fait appel à plus d’artillerie lourde, mais il semble qu’il l’utilise principalement pour frapper les villes et les agglomérations, et non les lignes de front où cela serait plus utile.

On ne sait pas qui commande les troupes azerbaïdjanaises. Il y a quelques jours, le chef de l’état-major général de l’Azerbaïdjan a été viré après s’être plaint d’une trop grande influence turque sur la guerre. Cela n’a pas aidé. Deux attaques terrestres plus importantes lancées par l’Azerbaïdjan plus tôt dans la journée ont également échoué. Les Arméniens contre-attaquent actuellement.

960x0gggg.jpg

Dans notre précédent article concernant cette guerre, nous avions souligné les plans américains visant à « déborder la Russie » en créant des troubles dans le Caucase, comme c’est le cas actuellement. Fort Russ note : L'actuelle directrice de la CIA, Gina Haspel, a effectué des missions sur le terrain en Turquie au début de sa carrière, elle parlerait turc, et elle a déjà été chef de station à Bakou, en Azerbaïdjan, à la fin des années 1990. On peut donc supposer qu'elle a toujours des liens avec les élites du gouvernement local et du monde des affaires. L'actuel chef du MI6, Richard Moore, a également travaillé en Turquie, où il a accompli des tâches pour les services de renseignement britanniques à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Moore parle couramment le turc et il a également été ambassadeur britannique en Turquie de 2014 à 2017. Les chefs des services de renseignements des deux pays les plus puissants de l'Anglosphère sont des « turcophones » ayant des connexions en Turquie et en Azerbaïdjan. Il serait raisonnable de supposer qu'un conflit régional d'une telle ampleur qui se déroule actuellement, sous leur surveillance, est loin d'être une simple coïncidence.

5fae5af1-cfbc-44aa-8e8f-0926c31eec39.jpg

Avant que le président Trump ne mette fin au programme, la CIA avait utilisé la compagnie aérienne azerbaïdjanaise Silk Way Airlines, pour plus de 350 vols, afin d’acheminer des armes de la Bulgarie vers la Turquie et les remettre aux « rebelles syriens ». Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, n’est pas seulement une station de la CIA mais aussi un centre du Mossad pour mener sa guerre silencieuse contre l’Iran.

L’ancien ambassadeur indien en Turquie, M.K. Bhadrakumar, a écrit deux articles intéressants sur le conflit actuel. Dans le premier, il nous rappelle la révolution de couleur de 2018 en Arménie, qui, selon lui, cherchait à créer des problèmes à Moscou.

Je n’ai jamais vu les choses de cette façon. Même si l’actuel Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a essayé de se mettre les puissances « occidentales » et l’OTAN dans sa poche, il n’a pas pu changer fondamentalement la politique étrangère de l’Arménie. Il y a cent ans, la Turquie, avec aujourd’hui la deuxième plus grande armée de l’OTAN, avait lancé un génocide contre les Arméniens. Ces derniers ne l’ont jamais oublié. Il était également certain que les relations avec l’Azerbaïdjan continueraient à être hostiles. Cela ne changera que si les deux pays se retrouvent à nouveau dominés par un empire. L’Arménie dépend autant que l’Azerbaïdjan du soutien en armes de la Russie, mais l’Azerbaïdjan a plus d’argent et paie plus pour ses armes russes, ce qui permet à la Russie de subventionner celles qu’elle vend à l’Arménie.

unnamednkmap.jpg

Après que Nikol Pashinyan fut installé, et a tenté de se tourner vers l’« Occident », la Russie a fait la même chose qu’avec la Biélorussie, lorsque le président Loukachenko a commencé à conclure des accords avec l’« Occident ». Elle s’est tenue à carreau en attendant que l’« Occident » trahisse ses nouveaux partenaires. C’est ce qui s’est passé en Biélorussie il y a quelques semaines. Les États-Unis ont lancé une révolution de couleur contre Loukachenko et celui-ci n’avait pas d’autre choix que de se tourner vers la Russie. Aujourd’hui, l’Arménie est attaquée par des forces soutenues par l’OTAN et ne peut espérer aucune aide autre que celle de la Russie.

De même, l’Iran ne craint pas le nouveau gouvernement arménien d’Erevan. Il était préoccupé par les récents échanges diplomatiques de Pashinyan avec Israël, qui ont été effectués à l’initiative de la Maison Blanche. Mais cette inquiétude a maintenant été levée. Pour protester contre la récente vente d’armes par Israël à l’Azerbaïdjan, l’Arménie a rappelé son ambassadeur en Israël deux semaines seulement après l’ouverture de son ambassade dans ce pays.

Pashinyan devra s’excuser auprès de Moscou avant que la Russie ne vienne à son secours. Comme le relaie Maxim Suchkov : C'est intéressant : Evgeniy "le chef de Poutine" Prigozhin donne une courte interview pour exprimer son "opinion personnelle" sur le Haut-Karabakh. Quelques pistes : - Le Karabakh est un territoire azerbaïdjanais - La Russie n'a aucune base légale pour mener des activités militaires au Karabakh - il y a plus d'ONG américaines en Arménie que d'unités militaires nationales - Le Premier ministre Pashinyan est responsable de la situation - jusqu'en 2018, la Russie a pu faire en sorte que l'Arménie et l'Azerbaïdjan discutent du conflit autour d’une table de négociations, puis les États-Unis ont amené Pashinyan au pouvoir à Erevan et celui-ci se sentant le roi n’a pas voulu parler avec Aliyev Je me demande si les remarques de Prigozhin suggèrent qu'il serait réticent à déployer ses hommes en Arménie - si nécessaire ou si on lui demande de le faire - ou bien s'il ne fait qu'exprimer ses propres opinions ou si c'est une façon de faire délicatement entendre à Pashinyan que Moscou n'est pas content de lui... ?

L’intérêt de la Russie – et de l’Iran – est de geler à nouveau le conflit du Haut-Karabakh. Mais pour cela, il faut que les deux parties se plient à cette exigence. C’est pourquoi la Russie n’a pas d’objection à ce que l’Azerbaïdjan exerce actuellement une certaine pression sur Pashinyan. Mais elle ne peut pas permettre à l’Azerbaïdjan de remporter une victoire significative. Une de ses principales préoccupations sera de mettre la Turquie hors-jeu et cela nécessitera un soutien à l’Arménie. L’Iran a une stratégie assez similaire. Les États-Unis vont probablement essayer d’aggraver la situation et de compliquer les choses pour la Russie. Il est probable qu’ils disent en silence à la Turquie d’accroître sa participation à la guerre.

La Russie n’interviendra probablement que si l’une ou l’autre des parties réalise des gains territoriaux importants. À moins que cela ne se produise, elle laissera probablement la guerre se poursuivre dans l’espoir qu’elle s’épuise toute seule : Les conditions hivernales à venir, associées à la rudesse du terrain, limiteront les opérations militaires à grande échelle. De plus, les économies paralysées de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie ne leur permettront pas de maintenir une confrontation militaire conventionnelle prolongée.


Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

Révolution de couleur aux Etats-Unis

sjgpsbymzfudmgh8_1568442903.jpg

Révolution de couleur aux Etats-Unis

par Paul Craig Roberts

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

Révolution de couleur aux Etats-Unis, mise en œuvre par le complexe militaro-sécuritaire, les médias et le Parti Démocrate.

J’ai établi que le complexe militaro-sécuritaire, avec l’aide des médias et des Démocrates, se propose de transformer l’élection de novembre en une révolution de couleur. La C.I.A. a beaucoup d’expérience en matière de révolutions de couleur, puisqu’elle en a déclenché dans plusieurs pays dont le gouvernement ne lui convenait pas. Comme nous le savons depuis les attaques de John Brennan (ancien directeur de la C.I.A.) contre le Président Trump, ce dernier déplaît lui aussi à la C.I.A. Du point de vue de cette agence, Trump ne diffère pas d’Hugo Chavez, de Nicolas Maduro, de Charles De Gaulle, de Manuel Zelaya, d’Evo Morales, de Victor Yanukovitch et de beaucoup d’autres.

Le Russiagate fut un coup d’État raté, suivi par un autre ratage: l’Impeachgate. Appréhendant la réélection de Trump, et se rendant compte qu’une fois réélu Trump serait en mesure de s’occuper de la trahison fomentée contre lui, l‘ »Etat profond » a décidé de le renverser par une révolution de couleur.

La preuve qu’une révolution de couleur est en cours est abondamment fournie par CNN, MSNBC, le New York Times, NPR(National Public Radio), le Washington Post et de nombreux sites internet ouverts par la C.I.A. et par les fondations et entreprises à travers lesquelles elle agit, tous œuvrant à expulser Trump du Bureau Ovale. Le public américain ne comprend pas à quel point les institutions d’une société libre ont été pénétrées et retournées contre la liberté. Tous ces médias, toutes ces organisations sont en train de faire croire aux Américains que Trump ne quittera pas sa fonction lorsqu’il perdra, ou volera les élections et qu’il faudra l’y forcer. Je reçois des emails de lecteurs britanniques et européens selon lesquels les médias d’Europe et du Royaume Uni préparent les esprits à accepter une révolution de couleur de la C.I.A. contre le Président Trump. Les médias et les politiciens européens et britanniques tiennent pour acquis que Trump ne pourra pas être réélu parce que :
  • c’est un agent de Poutine
  • il abuse de son pouvoir
  • il représente ces racistes que sont les « Trump deplorables »
  • c’est un coureur de jupons – « attrapez-les par le minou »
  • c’est à cause de lui que l’Amérique a le plus grand nombre de cas et de morts du Covid dans le monde
  • il ne soutient pas l’OTAN (une sinécure pour beaucoup d’Européens)
  • il nous est étranger, il n’appartient pas à l’Oligarchie (« Establishment »), « il n’est pas comme nous »
  • il a les cheveux orange (l’orange étant considéré comme une couleur vulgaire).
Vous pouvez allonger la liste à votre gré.

EZQ45XmXQAE_YIU.jpg

Les médias américains, européens et britanniques envisagent deux scénarios qui établissent la nécessité d’une révolution de couleur pour chasser Trump de la Présidence:
  • Trump perd l’élection, refuse de quitter son poste et doit en être délogé, sinon c’est la mort de la démocratie.
  • Trump gagne frauduleusement l’élection et doit être chassé, sinon c’est la mort de la démocratie.
Aucun scénario n’imagine que Trump puisse l’emporter grâce au vote populaire. Cette éventualité n’est même pas envisageable. Selon les médias, Trump ne peut que perdre ou bien voler l’élection.

Comme les Antifas et les Black Lives Matter sont maintenant bien rôdés aux manifestations violentes, ils seront lâchés de nouveau sur les villes américaines dès qu’on apprendra que Trump a été élu. Les médias expliqueront que cette violence est nécessaire pour nous libérer d’un tyran, et ils encourageront la violence comme le fera le Parti Démocrate. La C.I.A. aura la certitude du bien fondé de cette violence.

Trump, isolé dans son propre gouvernement, lequel n’a pas été capable d’inculper le clan Obama pour avoir monté un coup contre le Président des États-Unis et tenté de le renverser – Barr et Durham représentent l’Oligarchie (« Establishment »), non pas le Président ni la loi – sera coupé de Twitter, Facebook et de tous les médias, presse comme télévision. Tout ce qu’apprendront les Américains et le reste du monde, c’est que Trump a perdu et doit partir, ou qu’il a gagné en trichant et doit partir. Il sera impossible pour Trump ou n’importe qui d’autre de réfuter ces accusations. Les Républicains, qui manquent d’intelligence comme de volonté, s’aplatiront. Les Républicains ne sont pas des gens combatifs. Ils croient que dénigrer le complexe militaro-sécuritaire est antipatriotique. Ce qui en fait des cibles faciles.

La C.I.A., le « National Endowment for Democracy », « Radio Liberty », etc. ont utilisé des révolutions de couleur contre d’autres qui faisaient obstacle à l’État américain de Sécurité Nationale. Seul Maduro leur a résisté victorieusement. Jusqu’ici.

GettyImages-1227785218-820x550.jpg

Le « Secret Service » a coopéré avec la C.I.A. et les chefs d’État Major dans l’assassinat du Président John F. Kennedy. Que pourra bien faire un Président Trump réélu lorsque le Secret Service refusera de repousser les Antifas et les Black Lives Matter lorsque ceux-ci feront irruption dans la Maison Blanche ? Il est hors de doute que le Secret Service est pénétré par la C.I.A. Sinon, comment le Président Kennedy aurait-il pu être assassiné ?

La démocratie américaine est sur le point d’être abolie à jamais, et les médias du monde entier présenteront cet événement comme étant le victorieux renversement d’un tyran.

Paul Craig Roberts

Traduit par J.A., relu par Hervé pour le Saker Francophone

Entre la Russie, les USA et la Chine, « l’Arctique est une guerre économique »

7a7ffaa1-n_daily_concentration_hires.png

Entre la Russie, les USA et la Chine, «l’Arctique est une guerre économique»

 
 
La banquise d'été en Arctique avait rarement autant fondu qu’en 2020, atteignant seulement 3,74 millions de kilomètres carrés, sa plus petite superficie enregistrée depuis 2012. Alors que la route commerciale du Grand Nord devient ainsi praticable, le brise-glace nucléaire russe Arktika, le plus grand du monde, sera bientôt mis en service. Les grandes puissances lorgnent sur la région, qui abrite 30% des réserves de gaz mondial. En quoi ce drame écologique renforce-t-il la guerre économique entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine ? Laurent Mayet, président du think-tank Cercle polaire et ancien représentant spécial des Affaires étrangères pour les questions polaires a répondu aux questions de Sputnik.
 
 
Retrouvez toute l’actualité, les reportages, les analyses et les chroniques sur notre site : https://fr.sputniknews.com/
 
Suivez-nous sur : Facebook https://www.facebook.com/sputnik.france

mercredi, 07 octobre 2020

Guerre au Haut-Karabagh. Entretien avec Hovannès Gervorkian

22239777.jpg

Guerre au Haut-Karabagh.

Entretien avec Hovannès Gervorkian

 
 
Le Haut-Karabagh est de nouveau l'objet d'une guerre depuis l'offensive du 27 septembre. La présence turque est désormais certaine, avec l'envoi de drones, d'avions de chasse et de mercenaires.  Jean-Baptiste Noé reçoit Hovannès Gervorkian, représentant de l'Artsakh en France, pour faire le point sur ce conflit. 
 
Emission enregistrée le 1er octobre 2020.
 

mardi, 06 octobre 2020

Alain Brossat : « Grand espace » et guerre froide

Un voyage en compagnie de l’infréquentable Carl Schmitt au pays de l’impérialisme universaliste

Alain Brossat, avec qui nous avions réalisé un entretien en juin dernier à l’occasion de la parution de son livre Hong Kong, le somnambulisme des mouvementistes (Éditions Delga), nous a fait parvenir cet article dans lequel il interroge l’actualité de la notion de « grand espace » forgée par Carl Schmitt, et la manière dont elle permet de saisir les enjeux contemporains de la nouvelle guerre froide qui oppose les États-Unis et la Chine, dont l’Asie orientale est l’un des principaux terrains de conflit.1)

51USNoSsgPL._SX329_BO1,204,203,200_.jpgLorsque Carl Schmitt écrit son essai consacré à la notion de « grand espace »1 (Grossraum) au printemps 1939, il entend manifestement mettre son talent et sa compétence de juriste au service des visées expansionnistes du Führer, en Europe de l’Est tout particulièrement, ceci quelques mois seulement avant l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht. La notion de « grand espace » est destinée à assurer, autant que faire se peut, un fondement théorique et juridique à l’entreprise guerrière de Hitler, à la conquête d’un « espace vital » (Lebensraum) à l’Est de l’Allemagne. On pourrait dire pour aller à l’essentiel que le Grossraum promu dans cet essai au titre à rallonge, c’est l’habillage juridique du Lebensraum de teinte, elle, distinctement vitaliste2.

Comme le dit Schmitt lui-même, ce livre est écrit « selon des thèses et des points de vue déterminés, dans une situation déterminée », ce qui en résume parfaitement le caractère instrumental, engagé et partisan. Dans la mesure même où cet essai se place explicitement au service d’une cause politique, d’une entreprise conquérante à propos de laquelle un consensus s’est établi, dès les lendemains de la Seconde guerre mondiale et de la chute du IIIème Reich, pour la qualifier comme entièrement illégitime et criminelle, son statut dans l’espace de la recherche académique persiste à être, aujourd’hui encore, particulièrement litigieux. Impossible en effet d’emprunter la catégorie de « grand espace » telle qu’il la déploie dans cet essai en faisant abstraction de sa destination très explicitement nazie. Il faut donc constamment en « casser la coquille » nazie lorsque l’on tente de la remobiliser dans l’horizon d’une analytique du présent – et singulièrement des configurations nouvelles qui se dessinent en Asie orientale, dans le contexte de la nouvelle Guerre froide dont les États-Unis et la Chine sont les principaux protagonistes.

Il faut, pour ce faire, commencer par reconstituer le dispositif argumentatif et théorique mis en place par Schmitt pour élever la notion de « grand espace » à la dignité d’un principe du droit international. Conçu comme une notion dynamique, concrète, en prise directe sur l’actualité historico-politique du moment, le « grand espace » se présente comme l’opérateur du dépassement de la situation figée, léguée par le droit international du XIXème siècle, selon lequel l’équilibre entre les États ou les États-nations constitue le fondement de tout ordre international et la garantie première de l’effectivité du droit des gens. L’introduction de la notion de « grand espace » dans l’horizon du droit international est ce qui va permettre, dit Schmitt, de prendre en compte des dynamiques effectivement à l’oeuvre dans le présent, tout particulièrement celle où l’on voit « un grand peuple » (le peuple allemand évidemment) affirmer sa vocation à prendre l’ascendant sur d’autres peuples, manifester sa puissance et se destiner ainsi à faire valoir son droit à s’établir dans un « grand espace concret ».

41Slx8ar6bL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgAvant d’en arriver à cette affirmation, Schmitt, de manière très habile, évoque ce qui, à ses yeux, constitue le premier exemple de formation d’un « grand espace » dans l’histoire moderne – la promotion par les États-Unis, dès les débuts du XIXème siècle, de la « Doctrine Monroe ». C’est là, dit-il, « dans l’histoire récente du droit international, le premier exemple, et le plus réussi à ce jour d’un principe du grand espace en droit international ». Donc le précédent doté d’une incontestable autorité que Schmitt va mobiliser afin de faire valoir les droits de l’Allemagne nazie à s’établir dans le « grand espace » qui lui revient, mais tout en dénonçant la perversion ou le détournement de l’esprit premier de la doctrine Monroe.

Le procédé est, on va le voir, d’une habileté d’autant plus diabolique que la critique argumentée par Schmitt est d’une acuité impressionnante, ayant résisté à l’épreuve du temps d’une manière si évidente que l’on en demeure accablé – comment un nationaliste-conservateur rallié au nazisme tant par calcul que par conviction (même si son nazisme se sépare sur bien des questions de celui des SS et autres idéologues et mythologues de l’aryanité) peut-il énoncer en 1939, dans un écrit destiné à donner un air de respectabilité juridique à l’hubris conquérante du Führer, une critique de ce qu’il appelle l’impérialisme universaliste dont le tranchant conceptuel continue de sauter aux yeux aujourd’hui même ? Tout se passe comme si, depuis que ce texte de circonstances a été écrit, le temps (le cours des choses) n’avait fait que travailler pour lui, s’acharner à en confirmer la qualité critique – lorsqu’il évoque le destin de la version originale du « grand espace » – celle dont les États-Unis ont été les promoteurs…

À l’origine, rappelle Schmitt, la Doctrine Monroe consista à déclarer une condition d’immunité : celle du continent américain tout entier face aux entreprises coloniales européennes. Il s’agissait bien d’affirmer, en effet, que « les peuples des continents américains (…) ne se sentaient plus les sujets des grandes puissances étrangères et ne voulaient plus être objets de colonisation ». Il s’agissait de proclamer leur sortie de l’orbite de l’histoire européenne, avec ses royaumes, ses empires, ses principes de légitimité monarchique et dynastique. La Doctrine Monroe, à ce titre, définit les Amériques comme un « grand espace » dont le propre est d’avoir rompu toute relation d’hétérogénéité avec les puissances européennes. Elle consiste, un pas plus avant, à faire des États-Unis le garant de la non-dépendance de ce « grand espace ». Simplement, une ambiguïté persistante existe à propos du statut même de cette « doctrine », remarque Schmitt : énonce-t-elle « un véritable principe de droit » ou bien est-elle « une maxime purement politique » mise en avant par le gouvernement des États-Unis en tant que celui-ci dispose des moyens d’en assurer l’efficience ? Cette sorte de « double nature » du premier « grand espace » est, nous le verrons, un enjeu de première grandeur dans la discussion portant sur cette notion même.

9780521115421.jpgRapidement, dans le cours de l’histoire des États-Unis, argumente Schmitt, la Doctrine Monroe a subi une décisive inflexion dont l’effet est le suivant : « Principe de non-intervention et de rejet des ingérences étrangères au départ, elle s’est muée en justification des interventions impérialistes des États-Unis dans d’autres États américains » – donc, le motif bien connu de l’Amérique centrale et l’Amérique latine comme chasse gardée de l’Oncle Sam… Et ici déjà, on voit que ce qui va l’emporter très vite, à l’usage, ce n’est pas la fondation d’un principe de droit international – donc doté d’une validité et d’une portée universelles – mais bien l’interprétation décisionniste de la Doctrine Monroe : « Ce que dit au fond la Doctrine Monroe, c’est au seul gouvernement des États-Unis d’Amérique qu’il revient de le définir [je souligne, AB], de l’interpréter et de lui donner sa sanction » (déclaration du Secrétaire d’État Hugues – 1923).

C’est à partir de ce tournant et sur sa lancée que la politique internationale des États-Unis va se réorienter en changeant d’échelle : en « falsifiant » la Doctrine Monroe, elle va abandonner son « principe d’espace continental et s’allie[r] à l’universalisme planétaire de l’Empire britannique » pour devenir une puissance mondiale et conquérante tendant à étendre la notion de « grand espace » à l’échelle de la Terre.

Et c’est ici que Schmitt va, si l’on peut dire, effectuer cette percée décisive dont l’effet est que son texte (de « circonstances nazies ») trouve un écho manifeste dans notre présent, ceci tout particulièrement dans cette partie du monde – en Asie orientale. Le changement d’échelle de la Doctrine Monroe entendue comme rationalisation ou mise en concept de la notion de « grand espace » a pour effet de s’énoncer désormais dans les tons universalistes et se transformer en dispositif d’intervention planétaire. Or, c’est là, note Schmitt à bon escient, que se situe le tour de passe-passe, que prend racine la falsification de ce qui constitue la disposition première, anti-coloniale, de cette doctrine : en dissolvant, dit Schmitt, une idée ordinatrice concrète, spatialement déterminée, dans des idées universalistes planétaires, la puissance états-unienne s’autorise à s’immiscer en toutes choses sous des prétextes humanitaires, à associer indissolublement « idéaux », « valeurs » et pan-interventionnisme.

9780415522861.jpgJe cite Schmitt: « Les notions générales universalistes applicables à la planète entière sont en droit international les armes typiques de l’interventionnisme ».

Cet énoncé présente une double caractéristique : d’une part, il s’inscrit distinctement dans une tradition qui est celle du discours anti- et contre-révolutionnaire inauguré par Edmund Burke lorsque celui-ci objecte à la proclamation de droits universels par la Révolution française que ceux-ci sont une vue de l’esprit – il n’existe, comme le dit Schmitt dans le même vocabulaire que Burke, que des droits « concrets » – ceux des Anglais, des Français, des Allemands, etc. Il n’est pas surprenant que, sur cette question primordiale, le crypto-nazi qu’est Schmitt mette ses pas dans ceux des théoriciens de la contre-révolution qui, tout au long du XIXème siècle, poursuivent la tradition burkienne – de Bonald, Donoso Cortès, etc. – ce qui en dit suffisamment long sur le genre de « révolution » dont se réclamaient les nazis.

Mais, d’un autre côté, il est incontestable, vérifiable à l’épreuve du siècle entier qui va du traité de Versailles (en tant que celui-ci est placé sous la houlette de Woodrow Wilson et des « principes » généraux qu’il proclame à cette occasion en même temps que se met en place le nouvel hégémonisme états-unien) aux guerres d’Irak et d’Afghanistan, que le discours universaliste et les pratiques qui s’y associent dans le champ de la politique internationale sont, sous cette condition, le truchement de politiques constamment hégémonistes – celles de l’Empire américain et de cet Occident qui, tout particulièrement depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, lui fait cortège.

Le trait de cette époque, si l’on peut dire, c’est que l’universalisme référé aussi bien à la Révolution américaine qu’à la Révolution française y est constamment accompagné comme son ombre par sa falsification « interventionniste » et hégémoniste – et c’est sur ce point que la critique schmittienne fait constamment mouche et, à l’épreuve de la situation présente, apparaît comme n’ayant pas pris une ride : par quelque bout qu’on prenne l’affaire, les jeunes « mouvementés » de Hong Kong « adoptés » par Donald Trump et Boris Johnson au nom de la défense des idéaux, principes et valeurs universels (liberté-démocratie), ça sonne faux, horriblement faux

Et ce n’est évidemment pas une mince épreuve pour nous qui ne sommes pas précisément de ce bord, que ce soit ce crypto-nazi de Schmitt qui, avec une extraordinaire prescience, mette le doigt sur ce point d’effondrement perpétuel, cette faille irréparable du discours universaliste occidental qui se réclame et de la tradition des grandes révolutions de la modernité et de celle des « Lumières » – les guillemets s’imposent ici. Le constant amalgame des intérêts impériaux avec le nom de l’universel, c’est-à-dire les principes et les valeurs, ou bien encore avec ce que Schmitt appelle « la pérennité et l’intérêt de l’humanité » – une opération typiquement occidentale en tant qu’hégémoniste -, c’est là ce qu’il appelle impérialisme universaliste, un concept dont la pertinence a fait mieux, depuis qu’il l’a forgé, que conserver son éclat et son actualité. « La Doctrine Monroe, écrit Schmitt, est devenue sous Theodore Roosevelt et Woodrow Wilson une doctrine planétaire d’impérialisme universaliste ».

imagescsp.jpgComme quoi des concepts dotés d’une considérable force propulsive, propres à intensifier la pensée du présent, ce peut être dans le fumier d’un argumentaire plein de vice et de malice en faveur de la constitution d’un « grand espace » nazi, tout autant que dans tel vénérable traité de philosophie politique sanctifié par la tradition qu’on les trouve, aussi révoltante la chose soit-elle.

Cette sorte d’autopsie de la Doctrine Monroe à laquelle procède Schmitt en ouverture de son récit répond à un double objectif : d’une part faire du « grand espace » une notion essentielle pour penser les relations internationales au XXème siècle, par-delà la codification des relations entre États-nations. L’époque, affirme Schmitt, n’est pas celle des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’égalité formelle des États-nations, grands et petits, n’est qu’une fabulation peut-être utile mais assurément inconsistante, la notion de droits des minorités une vue de l’esprit inspirée par un humanitarisme bêtifiant, ou bien alors le truchement de calculs tortueux destinés à entraver la montée en puissance de tel ou tel « grand peuple »… Et c’est ici que se dévoile le second objectif de Schmitt : fonder en raison et en droit l’ambition du Reich nazi de se doter de son propre « grand espace » – en faisant valoir son droit de conquête en Europe orientale et centrale.

« Nous ne proposons pas une ‘Doctrine Monroe’ allemande », dit Schmitt, désireux de prévenir l’objection des démocrates européens et états-uniens prompts à soupçonner Hitler de vouloir redessiner les frontières de l’Europe à ses conditions, comme Woodrow Wilson l’avait fait, aux siennes propres, lors de la signature du traité de Versailles. Une affirmation que l’on ne saurait entendre comme une pure dénégation : en effet, la constitution d’un « grand espace » allemand, telle que l’entendent les nazis, repose sur des prémisses toutes différentes de celles qui inspirent l’impérialisme universaliste états-unien. Comme chacun sait en effet, les nazis ne sont pas universalistes pour un sou – leur idéologie de la supériorité raciale et des droits historiques ou naturels des Allemands, leur mystique du Volk reposent au contraire sur un particularisme exacerbé. Ce qu’ils entendent faire valoir, c’est leur droit propre, en tant qu’ils sont ce qu’ils sont (supposés être) à la différence et l’encontre, s’il le faut, de tous les autres – ceci au nom de la race, de l’inégalité des races, au nom des droits allemands et nullement au nom de principes généraux, abstraits, humanitaires et universalistes.

Le droit, dit Schmitt, ils sont fondés à le faire valoir en tant qu’ils sont un grand peuple : « Lorsqu’un grand peuple fixe de sa propre autorité la manière de parler et même de penser des autres peuples, le vocabulaire, la terminologie et les concepts, c’est là un signe de puissance irrésistible ». À l’exemplarité, telle qu’elle se trouve au fondement de la politique du « grand espace » à l’américaine (« faites comme nous, soyez démocrates, puisqu’il se trouve que, providentiellement, la démocratie est le seul des régimes politiques civilisés et le nôtre en même temps… »), Schmitt oppose la prise d’ascendant à l’allemande (« vous n’échapperez pas à l’emprise de notre pensée, de nos concepts, de nos mots, car ce sont les plus puissants, ils sont irrésistibles ! » [mes guillemets, pas ceux de Schmitt !, AB]).

61n5Ya0GHqL.jpgEn termes de puissance, ce qui correspond pour Schmitt à la notion de « grand peuple » en droit de revendiquer un « grand espace », c’est l’empire. Certes, ce concept se décline sous des formes singulières, substantiellement différentes les unes des autres – ainsi, « Reich, imperium, Empire, ne sont pas la même chose ». C’est qu’il importe à Schmitt de souligner le caractère unique du Reich allemand – une singularité absolue – « nous n’ignorons pas que l’appellation Deutsches Reich dans sa singularité concrète et sa majesté, est intraduisible » énonce-t-il fièrement. Mais en même temps, opération délicate, il faut bien placer l’accent sur le fait que le Reich nazi relève de la catégorie générique d’empire, dans la mesure même où le statut ou la condition d’empire est ce qui, pour Schmitt, donne accès à des prérogatives tout à fait particulières : « Sont ’empires’ les puissances dirigeantes porteuses d’une idée politique rayonnant dans un grand espace déterminé [je souligne, A.B] d’où elles excluent par principe les interventions de puissances étrangères. (…) Il est certain que tout empire possède un grand espace où rayonne son idée politique, et qui doit être préservé de l’intervention étrangère ».

Disant cela, Schmitt entend établir définitivement deux choses. Premièrement que l’on n’est plus, en 1939, dans le temps du système ou de l’agencement général fondé sur l’équilibre conflictuel des États-nations, que l’État-nation n’est plus l’unité de compte de la politique européenne, mondiale et, par conséquent, du droit international. Deuxièmement, que l’Allemagne, en tant que « grand peuple », empire affirmant sa singularité, est en mesure de revendiquer son « grand espace » propre, tel que précédemment défini. « Que cette idée reçue de l’État, concept central du droit international, ne réponde plus au réalisme ni à la vérité, on en a dès longtemps pris conscience. (…) Ces dernières années, l’Allemagne a ébranlé la domination du concept d’État sur le droit international en lui opposant le concept de peuple », écrit-il, rendant sa perspective tout à fait explicite.

Je me trompe peut-être, mais il me semble que je pourrais maintenant interrompre cet exposé, me tourner vers vous qui vivez en Asie orientale et dire : voilà, je vous ai tout raconté, c’était une fable sur votre présent, sur votre actualité, imaginée par un vieux nationaliste-conservateur allemand passé au nazisme et qui décrit parfaitement les conditions qui sont les vôtres – de te fabula narratur… Mais puisque la commande qui m’a été passée exige que je livre le film avec les sous-titres, alors, allons-y, et ne craignons pas de passer du régime de la fable à celui de l’analytique du présent, laquelle inclut des diagnostics et des pronostics…

Après la défaite de l’Allemagne et du Japon, les États-Unis parachèvent la constitution de leur « grand espace » à l’échelle globale, ce qui ne veut évidemment pas dire que celui-ci coïncide avec les limites de la planète. L’existence d’un autre empire, soviétique, fixe des bornes à leur expansion impériale, de même que, dans une certaine mesure, la persistance de zones d’influence héritées des empires coloniaux européens. Mais après la Seconde guerre mondiale, l’empire dit américain se globalise en ce sens qu’il se projette sur tous les continents et s’affiche plus que jamais comme un modèle universel en termes de formes de vie, de « valeurs » proclamées, de civilisation.

v1sj4g9SDaMCdnJBk3wgOaXKlgk.jpg

Ce trait est particulièrement saillant en Asie orientale et dans le Pacifique où le « grand espace » états-unien est aussi bien terrestre que maritime et où il inclut toutes les sphères de la vie : le cas du Japon est, sur ce plan, exemplaire – les bases américaines, la démocratie parlementaire mais aussi le jazz et le bourbon. De même, le Pacifique devient pour les États-Unis ce que Schmitt appelle un « espace vital », comme la Méditerranée l’était pour l’Italie dans les rêves de grandeur de Mussolini. Avec cette « prise » (Nahme/Nomos) qu’effectuent les États-Unis sur le Pacifique après la victoire sur le Japon, la mer cesse d’être un élément rétif à la formation du « grand espace », « inaccessible à la domination humaine », dit Schmitt. Le Pacifique devient, pour les États-Unis, dans leur dimension impériale, « un espace de domination humaine et de déploiement effectif de la puissance ». L’extension du « grand espace » états-unien après 1945 vérifie l’assertion de Schmitt : « l’empire est plus qu’un État agrandi, de même que le grand espace n’est pas qu’un micro-espace agrandi ».

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, plusieurs épisodes-clé ont jalonné le processus de délimitation du « grand espace » états-unien dans le Pacifique et en Asie orientale – la Révolution chinoise, la guerre de Corée, la guerre du Vietnam pour l’essentiel – le rapprochement terminologique et conceptuel opéré par Schmitt entre Ordnung (ordre) et Ortung (localisation) y manifeste sa pleine validité : tout « grand espace » produit un « ordre » (fonctionnant selon des règles) et cet « ordre » est localisé, c’est-à-dire jalonné, balisé (où l’on retrouve un des gestes premiers de la philosophie politique de Schmitt – le nomos dans sa relation au traçage d’une délimitation, d’une frontière).

Sous ce régime de l’« empire », le « grand peuple » qui déploie sa puissance dans le « grand espace » qu’il a délimité n’y exerce pas sa souveraineté selon la définition de ce terme que propose la tradition de la philosophie classique européenne, une souveraineté qui s’est affirmée au XIXème siècle comme la prérogative des États-nations – elle y fixe des règles et limites : ainsi, dans le « grand espace » états-unien Asie de l’Est/Pacifique, pas question qu’une entité ou un territoire bascule dans l’autre « camp » au temps de la Guerre froide, pas question que Taïwan redevienne partie intégrante de la Chine, qu’Okinawa ou la Corée du Sud cessent d’accueillir des bases « américaines », que les communistes s’installent au pouvoir en Indonésie, etc.

1984-map.png

Dans son essai de 1939, Schmitt énonce une sorte d’utopie naïve (ou peut-être faussement naïve), sinistre dans tous les cas, une involontaire dystopie, donc, plutôt qu’une utopie à proprement parler : celle d’un ordre planétaire fondé sur une répartition réglée en « grands espaces », en bref, un partage du monde opéré par les « grands peuples » qui auraient su s’imposer, un partage entre des empires lesquels, par définition, ne sauraient être nombreux. Il faut, dit-il, « inventer le concept d’un ordre du grand espace » – une figure qui ressemble à s’y méprendre au cauchemar d’Orwell, dans 1984 – le partage du monde entre des empires répondant aux doux noms d’Eurasia, Océania, Eastasia

La question première qu’élude l’utopie grossräumig de Schmitt est évidemment celle des points de contact et de recouvrement entre les « grands espaces » – et des conflits qui en découlent. La raison pour laquelle il oblitère ce problème est évidente : en 1939, il épouse le discours de paix dont le Führer enrobe sans relâche le Drang nach Osten dans lequel il s’est engagé après l’invasion de la Tchécoslovaquie et à l’aube de la campagne de Pologne, une diversion dont la signature du Pacte germano-soviétique « de délimitation des frontières et d’amitié » en septembre 1939 (dans les mots de Schmitt lui-même) sera la plus brillante et infâme des manifestations. Pas question d’afficher que le Reich s’apprête à mettre l’Europe à feu et à sang pour faire valoir ses « droits » à son grand espace ; il s’agit au contraire de décrire la formation de cet espace comme découlant purement et simplement d’un décret du destin historique, voué à trouver son débouché de la plus naturelle et pacifique des façons.

Or, ce que montre l’attaque surprise lancée contre l’URSS en juin 1941, à l’instar même du raid éclair mené par l’aviation japonaise contre Pearl Harbor, c’est que le régime des « grands espaces » n’est pas tant celui des justes répartitions que celui d’une perpétuelle lutte à mort placée sous le signe de la lutte pour l’hégémonie (un concept que je n’ai pas trouvé chez Schmitt, curieusement). Les « grands espaces » ne cohabitent pas heureusement, qu’ils soient terrestres ou maritimes (ou les deux), le fameux traité de Grotius sur le droit de la mer l’illustre parfaitement, à l’aube de la modernité politique et économique, en tant que sa rédaction découle directement du heurt de deux ambitions « grand-spatiales » – en Asie notamment, celle des Pays-Bas et celle de la Grande-Bretagne.

68.jpg

Le concept de « grand espace » intensifie les enjeux de ce qui se subsume habituellement sous la notion de « zone(s) d’influence ». Il met crûment en lumière le fait que ce qui y est en jeu dans les répartitions qui s’opèrent sous ce régime, ce ne sont pas simplement des jeux d’« influence » mais bien des enjeux d’emprise, de territorialisation et d’exercice pratique de la puissance. Les États-Unis prennent en Indochine le relais du colonialisme français non pas pour y devenir « influents », mais pour tenter d’empêcher qu’y exerce son emprise le communisme entendu comme idéologie dont l’avers est un « grand espace » lancé à la conquête du monde. Ils se trompent du tout au tout quant à l’homogénéité de cet espace, sous-estiment les divisions et différends qui le minent, mais ce que met parfaitement en lumière la désastreuse guerre du Vietnam, c’est que le « grand espace », dès lors qu’il devient un opérateur réel – mais toujours caché, car à proprement parler inavouable – des relations internationales, contient en lui-même la guerre « comme la nuée porte l’orage » (Jean Jaurès).

En effet, c’est sous le signe de cette notion même, et d’elle seulement, qu’une puissance va pouvoir faire du conflit opposant deux factions dans un pays situé à plus de 11 000 km de ses côtes les plus proches (le Vietnam) un enjeu de sécurité vitale. Lorsque les gouvernants et les stratèges d’une puissance, lorsqu’un peuple (qui se voit comme « grand ») commencent à penser leur rapport au monde et aux autres puissances, aux autres peuples, selon les « logiques » du « grand espace », le seuil séparant les questions de politique intérieure et celles qui ont trait à la politique internationale tend à devenir flou, l’extérieur devient l’intérieur et, de ce fait même, des notions comme celles d’intérêt vital, de sécurité ou de danger vital vont tendre à devenir obsessionnelles en même temps qu’elles se globalisent – ce qui conduit les États-Unis à se projeter sur le théâtre vietnamien (comme naguère coréen) pour y défendre leurs « intérêts vitaux ».

Comme le rappelle Schmitt, la puissance doit se mettre en espace et pas seulement se territorialiser, se doter d’un territoire inscrit dans des frontières. La puissance est constamment portée à se désinscrire de son territoire en franchissant ses propres limites – l’intervention des États-Unis dans le conflit vietnamien, c’est exactement ça. Mais ce franchissement déterritorialisant n’est possible que parce qu’il s’opère sur « fond » de « grand espace » – depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les États-Unis voient le Pacifique et l’Asie orientale jusqu’à la façade maritime de la Chine comme leur zone de sécurité, incluant un pays comme les Philippines et excluant l’avènement d’un régime hostile dans tout le sud-est asiatique.

unnamedorwellworld.jpg

La chaîne d’équivalence construite par Schmitt entre « grand peuple », empire, puissance étatique et « grand espace » fonctionne parfaitement lorsqu’on la met à l’épreuve de la situation actuelle en Asie orientale et dans la zone occidentale du Pacifique. La montée en puissance de la Chine continentale au cours des dernières décennies suscite l’apparition d’une quête de « grand espace » inévitablement maritime en même temps que terrestre, un processus d’expansion qui, nécessairement, entraîne de périlleux « frottements » avec le grand espace établi dans cette zone au temps de la splendeur de la Pax Americana – dans cette région tout particulièrement.

Ces effets de friction (toujours susceptibles de s’enflammer) sont d’autant plus périlleux que l’une des puissances concernées et en déclin et l’autre en pleine ascension. D’une façon générale, lorsque la « mise en espace » de deux puissances étatiques débouche sur ce genre de heurt – cela produit des étincelles, mais tout particulièrement dans cette configuration où est en jeu non seulement la rencontre de deux « grands espaces » mais la position hégémonique à l’échelle globale. C’est la raison pour laquelle la Mer de Chine méridionale est aujourd’hui l’un des endroits les plus dangereux du monde et n’est pas près de cesser de l’être. Dans cette configuration où, chaque jour ou presque, des navires de guerre et des chasseurs-bombardiers de Chine populaire et des États-Unis se mesurent et se surveillent dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du Sud, il apparaît distinctement que la notion de « grand espace » permet de se tenir au plus près de ce qui est en jeu sur ce théâtre de crise en cours d’intensification : ce qui y est en jeu est bien davantage qu’un conflit classique entre deux États-nations. Il n’y est pas question de tracés de frontières, de territoires disputés entre l’une et l’autre puissance mais bien de spatialisation de la puissance dans un sens beaucoup plus général.

L’une des deux puissances impliquées dans le conflit s’active à construire un glacis maritime aux portes de son territoire, l’autre à préserver ses prérogatives impériales et hégémoniques dans un espace régional situé à des milliers de kilomètres de son territoire propre. Au reste, la confrontation en cours entre un « grand espace » en cours de formation et l’autre en cours de délitement a tout un arrière-plan fait de guerre économique et commerciale, et dont l’enjeu est la position de leader de l’économie mondiale.

En d’autres termes, et contrairement à ce que prétend Carl Schmitt lorsqu’il épouse le « discours de paix » de Hitler, le « grand espace » a pour vocation naturelle à se globaliser, se mondialiser, son développement est porté par une dynamique déterritorialisante qui fait sauter tous les verrous et tend à effacer toutes les frontières.

En ce sens, les ambitions de Pékin en Mer de Chine du Sud sont inséparables de ce qui se profile derrière les nouvelles « routes » chinoises s’ouvrant tous azimuts en direction de l’Asie du Sud-Est, de l’Asie centrale, l’Europe, l’Afrique…

170036.jpg

Il ne s’agit pas de dire pour autant que toutes les dynamiques à l’oeuvre dans le développement d’un « grand espace » se valent et se ressemblent – les ambitions chinoises en Mer de Chine du Sud couplées à la Belt and Road Initiative, ce n’est pas le remake de la Sphère de co-prospérité asiatique du Japon impérial, militariste et conquérant et pas davantage la copie conforme de la doctrine Monroe dans sa version impérialiste, hégémoniste et mondialisée. Simplement, mobiliser le concept de « grand espace » pour penser les conflits globaux d’aujourd’hui et les menaces de guerre qui pèsent sur la planète, c’est ce qui permet de comprendre que, comme Schmitt l’avait saisi dès 1939, nous ne vivons plus depuis belle lurette sous le régime de la conflictualité complémentaire des États-nations entendu comme « système », avec ses règles et ses conventions ; nous ne vivons pas davantage sous celui des « camps » comme au temps de la Guerre froide, mais bien sous celui des « grands espaces ». Fondamentalement, par exemple, l’échec de l’Union européenne qui n’est jamais parvenue à se constituer comme puissance et entité propre, autonome, capable de rivaliser, en politique internationale, avec d’autres puissances, c’est l’échec de l’ambition à former un « grand espace » reterritorialisé autour du vieux continent mais capable de rayonner dans le monde entier, en incarnant la capacité et la singularité d’un « peuple européen », d’une singularité européenne, ceci dans l’après de l’âge des empires coloniaux européens. Un tel peuple européen post-colonial(iste) a radicalement échoué à se former et, avec lui, son « imperium » et son « grand espace ».

Une formule comme celle que je relève dans Le Monde du jour même où j’achève la préparation de cette communication (3/07/2020) – « Des exercices militaires chinois autour de l’archipel des Paracels inquiètent le Pentagone » – ne devient intelligible que si on la réfère à la notion de « grand espace ». Dans son apparente banalité, cette formule ne prend son sens qu’en tant qu’elle se réfère implicitement à l’existence d’un « grand espace » états-unien s’étendant jusqu’aux confins maritimes de la RPC. Inversement, si la formule symétrique « Le ministère de la Défense chinois s’inquiète de la présence de navires militaires américains entre Key West et La Havane » est imprononçable et dénuée de sens, c’est à l’évidence qu’il n’existe pas de « grand espace » chinois s’étendant à proximité des côtes de la Floride. La notion de « grand espace » fonctionne ici comme ce qui accompagne le retour au réel. Le « réalisme » inspiré par Schmitt étant, dans cette configuration, ce qui s’oppose à l’« idéologique » – la fiction déréalisante selon laquelle toutes les souverainetés étatiques sont égales en droit(s) et donc en puissance. Si les États-Unis apparaissent fondés à « s’inquiéter » sans répit de garantir la souveraineté de facto de Taïwan, à s’alarmer de ce que les installations militaires chinoises sur des îlots situés en mer de Chine méridionale violent les droits du Vietnam, des Philippines, de Singapour et du Sultanat de Brunei (etc.), si la « liberté des mers » leur tient tout particulièrement à coeur dans cette zone, davantage sans doute qu’en d’autres espaces maritimes  (etc.), c’est bien que la notion de « grand espace » est, dans notre présent, plus fonctionnelle que jamais.

Mais c’est en même temps pour cette raison même que cette notion ne saurait figurer dans le lexique des chancelleries ni dans celui de la science ou la philosophie politique à l’occidentale – c’est en effet une notion dont l’effet premier est de « flouter » les lignes de partage entre ce qui est censé se situer au fondement du droit international considéré comme un acquis du progrès de la civilisation et notamment du rejet du « droit de conquête » – ceci tout particulièrement après la défaite des régimes militaristes et expansionnistes (Allemagne, Japon, Italie) lors de la Seconde guerre mondiale. La notion de « grand espace » est véridictionnelle très précisément en tant qu’elle disperse ces faux repères. Elle permet d’énoncer des diagnostics réalistes sur le présent et les dangers qu’il recèle, tout particulièrement dans cette région où se rencontrent les deux plaques telluriques du « grand espace » états-unien, usé mais nullement défait, et du « grand espace » chinois en voie d’expansion. Elle permet par conséquent d’imaginer aussi des pronostics d’avenir – pas tout à fait roses, dans leur réalisme même.

  1. 1) J’adopte la graphie « grand espace » afin de marquer qu’il ne s’agit pas simplement d’un espace qualifié de grand, mais d’un concept unitaire – j’aurais aussi bien pu opter pour grand-espace pour tenter de rendre le Grossraum allemand.
  2. 2) Le titre complet de l’essai de Schmitt est : Le droit des peuples réglé selon le grand espace proscrivant l’intervention de puissances extérieures – une contribution au concept d’empire en droit international (1939-1942, Krisis 2011).