« Qu’ils s’en aillent tous ! »
Rien qu’au titre, on se dit qu’on va avoir droit à un livre populiste.
Et, à la lecture, on se dit qu’on a en effet droit à un livre populiste.
D’ailleurs, Mélenchon l’assume, et même le revendique : il veut être populiste. Parce que, il l’avoue à mots à peine couverts, il pense qu’une vague populiste se prépare, et tant qu’à faire, il aimerait bien la chevaucher.
Voilà qui a le mérite de la clarté, et nous évitera une critique banale sur le thème « encore un politicien qui veut surfer sur le populisme ». Nous savons maintenant pourquoi « Méluche » a, jadis, suggéré l’interdiction du FN : c’est parce qu’il veut prendre la tête d’un front « de gauche », qui captera l’électorat populaire du FN.
A vrai dire, on s’en doutait.
Ce constat d’évidence évacué, ouvrons donc l’ouvrage, et faisons l’inventaire des thèses et propositions du sieur Mélenchon.
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Thèse 1 : fondamentalement, ce dont crève la France, c’est de la répression exercée par les oligarchies sur les forces productives. Donc, l’objectif est de libérer les forces productives, en brisant le pouvoir des oligarchies.
Thèse 2 : il existe aujourd’hui des exemples de peuples qui ont récemment réussi à briser leurs oligarchies, ce sont les peuples sud-américains (Venezuela, Equateur…). C’est leur exemple qu’il faut suivre, en déclenchant une « révolution citoyenne », c'est-à-dire faite par les citoyens, dans le cadre d’une prise en main collective de son destin par le peuple, à travers une démocratie plus ou moins référendaire.
Thèse 3 : pour rendre possible cette « révolution citoyenne », il faut faire radicalement évoluer les institutions, au point de les refonder. Donc, il faut une nouvelle constitution (la VI° République). Et donc, il faut une assemblée constituante. Proposition : que cette assemblée soit en elle-même un renouvellement, et pour cela, que les députés actuels ne soient pas éligibles.
Thèse 4 : une fois les institutions politiques refondées, les autres institutions suivront. L’école redeviendra le lieu de formation des futurs citoyens (Mélenchon a le courage d’assumer le bilan désastreux de la « gauche », et n’hésite pas à parler de la casse de l’Education Nationale, pour le plus grand intérêt final des marchands d’éducation – il faut lui reconnaître ce point). Les médias seront pris en main par les citoyens, à travers des institutions permettant l’appropriation de la parole publique par le « public » lui-même, qui cessera donc d’être un « public » pour redevenir un corps civique (les détails de la réforme envisagée ne sont pas exposés, ce qui fait qu’on ne voit pas très bien en pratique en quoi cette solution diffèrerait radicalement d’une banale appropriation de l’outil médiatique par l’Etat).
Thèse 5 : une fois les institutions (politiques et autres) refondées, il sera possible d’enclencher une véritable révolution sociale.
Dans l’ensemble, le contenu de cette révolution sociale reste assez nébuleux.
Sur le diagnostic, Mélenchon dénonce le rôle des banques, mais son analyse n’est pas très approfondie. Il expose comment le partage de la valeur ajoutée se fait toujours davantage en faveur du capital, mais il n’explique pas comment cette évolution est contrainte par le système de mondialisation. On lui reconnaîtra en revanche un bon point : il ne manque pas la distinction entre le capital industriel productif (TPE et PME, en particulier) et le capital spéculatif totalement nomade et mondialisé (multinationales, grandes institutions financières).Il parvient à énoncer une position relativement claire sur la localisation exacte du front dans la présente lutte des classes. Sur ce point, il est beaucoup plus lucide que l’extrême gauche LO (ne parlons pas du NPA).
Sur le remède, on n’arrive pas vraiment à savoir si le projet économique est une relance par la consommation ou par l’investissement. Le titre du livre donne au fond à peu près tout le programme : « Qu’ils s’en aillent tous ! », c'est-à-dire, en matière économique, « que les patrons du CAC 40 et les économistes fous s’en aillent ». Il s’agit de proposer un nouveau partage de la valeur ajoutée à la faveur d’un renouvellement massif des élites économiques, mais on ne sait ni comment ce renouvellement se fera (ce n’est pas forcément le pouvoir politique français qui nomme les patrons du CAC 40, en l’état des choses en tout cas, puisque ces firmes ne sont souvent plus françaises que de nom), ni pour mener quelle politique exactement. On peut supposer, au ton général de l’ouvrage, que les méthodes Chavez sont envisagées, mais on regrettera ici l’absence d’une réflexion sur la possibilité de transférer ces méthodes à un pays comme la France, dont l’industrie est fortement intégrée à la mondialisation, et dont le niveau de développement technologique et capitalistique est tout de même différent de celui du Venezuela.
Thèse 6 : pour que cette révolution sociale vive, il faut aussi, outre les institutions, changer les mentalités. Mélenchon prend par exemple le cas Anelka, et fait remarquer que ce personnage réfugié fiscal en Grande-Bretagne ne se pose pas la question de savoir comment a été financée sa formation (c'est-à-dire : par le contribuable français). Moins anecdotique, « Méluche » propose de briser totalement l’esprit d’irresponsabilité des classes dirigeantes (ah, l’ivresse des rémunérations en siècles de SMIC !) en adoptant une fiscalité confiscatoire pour les très hauts revenus.
Thèse 7 : l’ensemble de ces mesures n’est évidemment applicable que si la France « sort du traité de Lisbonne ». Sur ce plan, l’analyse de Mélenchon recoupe, il faut le reconnaître, à peu de choses près celle de la plupart des intervenants de ce site : l’Europe est, dit-il, une « gargouille », s’exprimant en globish, qui coûte à la France beaucoup plus que ce qu’elle lui rapporte. On notera au passage que Mélenchon parle des projets de marché transatlantique et en souligne (sans entrer dans les détails) la nocivité. C’est certainement la partie de l’ouvrage la plus intéressante, celle où Mélenchon devient authentiquement politique, puisqu’il désigne un ennemi (l’Europe de Bruxelles, telle qu’elle s’est faite concrètement), et propose clairement une stratégie de combat (frontale : il propose que la France réclame un « opt out » à la carte pour les règles communautaires, ce qui implique une revendication de souveraineté effective). Point positif : Mélenchon avoue avoir été fédéraliste « idiot utile », qui n’avait pas compris que l’UE était devenue le cheval de Troie des USA. Mais en revanche, autre point, qu’on pourra juger négatif : il maintient que le fédéralisme européen sera, un jour, dans un autre contexte, un projet à reprendre (on sera d’accord… ou pas !).
Thèse 8 : au-delà de la « sortie du traité de Lisbonne », la France doit entreprendre une politique internationale audacieuse, pour une véritable « planification écologique », seul moyen de sauver l’écosystème de l’humanité. Mélenchon prend ici une position très claire, n’hésitant pas à dénoncer « l’écologie business » qui voudrait nous vendre la poursuite des tendances actuelles (modes de production et de consommation anti-écologiques), en faisant porter le coût écologique de ces tendances sur les peuples et classes pauvres. A noter en particulier : sa prise de position en faveur d’une relocalisation générale des activités, pour un localisme qui permettrait de réduire le coût énergétique et écologique associé à l’explosion des flux du commerce international. Il en déduit qu’il faut mettre un terme au libre-échange (sans entrer dans le détail du protectionnisme à mettre en place).
Thèse 9 : enfin, pour rendre possible cette entreprise plutôt de bon sens, Mélenchon souligne qu’il faut se préparer à affronter le « risque américain » (c'est-à-dire l’usage de la force par l’Empire US confronté à son déclin dans l’économie). Il en déduit, en particulier, que la France ne doit pas accepter de désarmement nucléaire unilatéral, mais promouvoir un désarmement concerté entre les grandes puissances.
Par ailleurs, sur la question iranienne, il propose une dénucléarisation complète du Moyen Orient, Israël devant, lui aussi, renoncer à l’arme nucléaire.
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Il n’y a sans doute pas de raison, pour la plupart des intervenants de ce site, de rejeter le « programme » proposé par « Méluche ». Fondamentalement, ce qu’il dit est logique, et, sous réserve d’inventaire, tout le monde devrait être à peu près d’accord, ici.
La critique, si critique il y a, ne pourra porter que sur les angles morts du discours. Le problème, ce n’est pas ce que dit Mélenchon, c’est ce qu’il ne dit pas.
Pas un mot sur la question de l’identité du corps des citoyens qui forme la France. C’est problématique : comment ne pas poser la question de ce qui unifie la Cité « France », aujourd’hui ? Et si cette question n’est pas traitée, comment définir ensuite le corps des citoyens ? Les islamistes wahhabites financés par les pétrodollars saoudiens, les binationaux (de papier ou de cœur) du CRIF, vont-ils tous, d’un même élan, passer outre les injonctions de leurs patrons respectifs (ou même pas respectifs…), pour se joindre au corps des citoyens qui feront cette révolution ? Sans tomber dans l’obsession anti-communautariste, on peut tout de même soulever la question, et s’étonner du silence de Mélenchon sur ce point. Un peu gêné aux entournures, « Méluche », peut-être ? Rappelons ici la blague qui circulait sur le cabinet Mélenchon, au temps où l’impétrant siégerait au gouvernement de Lionel Jospin : « C’est un cabinet très à gauche… du Jourdain ! »
Pas un mot non plus sur la nécessité de démanteler certains réseaux d’influence, qui pourtant ont une part de responsabilité dans le désastre. On aimerait bien, pourtant, qu’un ancien ministre de l’enseignement professionnel nous explique qui, au juste, a « cassé » l’Education Nationale. Le « qu’il s’en aille tous » doit-il aussi s’appliquer à la sous-intelligentsia « de gauche », ou encore à la franc-maçonnerie (dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle a été mêlée au processus de sélection de ces élites qui « doivent s’en aller ») ? Curieusement, « Méluche » n’a rien à dire là-dessus. Etonnant, non ?
Et enfin, et surtout, pas un mot sur le « front élargi » qui, seul, pourra réussir une « révolution citoyenne ».
A ce propos, on peut se poser la question suivante : imaginons que Marine Le Pen soit élue à la tête du FN en janvier 2011 (ce n’est pas certain, mais assez probable). Imaginons qu’elle inscrive dans son programme politique le retour à la souveraineté monétaire (abolition de la loi Pompidou) et la sortie du « traité de Lisbonne » (clause d’opt-out pour la France, valable sur toute directive européenne). Imaginons encore que ces orientations ne figurent pas dans le programme du Parti Socialiste (absurde si le candidat est DSK, hautement improbable si c’est Aubry). Et imaginons encore (tant qu’on y est), que le second tour oppose Marine Le Pen à Aubry (ou DSK, ou Royal, ou un PS quelconque). Ce n’est pas encore probable, mais c’est en tout cas possible, vu l’état de déliquescence de l’UMP.
Dans une telle configuration, pour qui « Méluche » appellerait-il à voter ?
Voilà la question qu’on voudrait lui poser. Ne serait-ce que pour vérifier si Mélenchon est un simple rabatteur du PS, ou, ce qui peut sembler improbable mais serait autrement plus intéressant, un pion pré-positionné par certains réseaux d’influence pour capter une réorientation politique globale de fond.