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mercredi, 09 avril 2008

A.Mohler, disciple de Sorel

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Dr. Karlheinz WEISSMANN:

Armin Mohler : disciple de Sorel et théoricien de la vie concrète

 

Le “mythe” ou la “peinture d'une bataille”, naît spontanément et exerce un effet mobilisateur sur les masses, leur insuffle une “foi” et les rend capables d'actes héroïques, fonde une nouvelle éthique: telles sont les pierres angulaires de la pensée de Georges Sorel (1847-1922). Ce théoricien po­liti­que, par ses articles et ses livres, publiés avant la première guerre mondiale, a exercé une influence dérangeante tant sur les socialistes que sur les nationalistes. Toutefois, son in­térêt pour le mythe et sa foi en une morale ascétique ont toujours été  —et restent encore malgré le temps qui pas­se— des pierres d'achoppement pour la gauche, dont il se revendiquait. On peut encore lire cette réticence dans les ou­vrages publiés sur Sorel à la fin des années 60. Tandis que certains courants de la nouvelle gauche se sont revendiqués expressément de Sorel et considéraient que son apologie de l'action directe et ses conceptions anarchisantes réclamant l'avènement de petites communautés de “producteurs libres” étaient des anticipations de leurs propres visions, la majorité des groupes de gauche ne voyait en Sorel qu'une tête folle se réclamant de Marx à mauvais escient et apportant à la gau­che dans son ensemble plus de déboires que de bien­faits. Jean-Paul Sartre, évidemment, se comptait ainsi parmi les adversaires de Sorel, leur apportant la caution de sa no­to­riété et donnant ipso facto du poids à leurs arguments.

 

Lorsque Armin Mohler, entièrement en dehors des débats agitant les gauches, a affiché son grand intérêt  pour l'œuvre de Sorel, ce n'est pas parce qu'il voyait en lui le “prophète des poseurs de bombes” (Ernst Wilhelm Eschmann), ni par­ce qu'il croyait, comme Sorel l'espérait dans le contexte de son époque, que le prolétariat détenait une force de régéné­ration ni parce qu'il estimait que cette vision messianique du prolétariat avait encore une quelconque activité. Pour Moh­ler, Sorel était un exemple à méditer dans la lutte contre les effets et les vecteurs de la décadence. Mohler voulait utiliser le “pessimisme puissant” de Sorel contre un “pessimisme fai­ble”, répandu dans les rangs de la bourgeoisie.

 

Très tôt, Mohler a critiqué la “conception jardinière du con­ser­vatisme”. En relisant Sorel, il a compris qu'il est parfai­te­ment  absurde de vouloir tout “conserver”, alors que les si­tua­tions ont partout changé. La droite intellectuelle ne doit pas se contenter de prêcher simplement le bon sens contre les excès d'une certaine gauche, ni de prêcher les Lumières aux partisans de l'idéologie des Lumières; non, elle doit se mon­trer capable de forger elle-même sa propre idéologie, de comprendre les procès de décadence qui se déploient en son propre sein, et de s'en débarrasser, avant d'ouvrir véri­ta­blement la voie à une traduction concrète de ses propres po­sitions.

 

Une aversion commune contre les excès de l'éthique de la conviction

 

Quand Mohler croque son premier portrait de Sorel dans les colonnes de la revue Criticón en 1973, il écrit sans ambi­guïtés que les conservateurs allemands devraient prendre ce Français hors du commun comme modèle pour organiser la résistance contre la “désorganisation par l'idéalisme”. Moh­ler partageait l'aversion de Sorel contre les excès de l'é­thique de la conviction. On a vu celle-ci exercer ses ravages dans la France des années 1890 à 1910, avec le triomphe des Dreyfusards et l'incompréhension des Radicaux pour les véritables fondements de la Cité et du Bien Commun; on l'a vue aussi à la fin des années 60 dans la République Fé­dé­ra­le, lors de la grande fièvre “émancipatrice”, assortie de la vo­lon­té de jeter bas tout continuum historique en criminalisant systématiquement le passé allemand, toutes tares qui ont également touché le “centre” de l'échiquier politique.

 

Outre ces nécessités du moment, Mohler avait d'autres rai­sons, plus essentielles, pour redécouvrir Sorel. L'anti-libéra­lis­me et le décisionnisme de Sorel avaient impressionné Mohler, plus encore que l'absence de clarté qu'on reproche à la pensée sorélienne. Mohler pensait au contraire que cet­te absence de clarté était le reflet exact des choses elles-mê­mes, ce qui n'est jamais le cas, finalement, quand on use d'une langue trop descriptive et trop analysante. Surtout “quand il s'agit de saisir des éléments ou des évènements très divergents les uns des autres ou de capter des courants contraires, souterrains et porteurs”. Sorel a formulé pour la première fois une idée qui ne se laisse que très difficilement conceptualiser: les pulsions de l'homme, surtout les plus no­bles, ne s'expliquent que difficilement, car les solutions con­ceptuelles toutes faites et toutes proprettes, que l'on propose généralement, faillissent dans leur application; les modèles explicatifs du monde, qui ont la prétention d'être absolument complets, ne poussent pas les hommes en avant, mais, au contraire, ont un effet paralysant.

 

Ernst Jünger, disciple allemand de Georges Sorel

 

Mohler s'est également senti attiré par le style de la pensée de Sorel, par la puissance associative de ses explications. Il était aussi convaincu que ce style était inséparable de la “chose” mentionnée. Il a tenté de définir cette pensée soré­lien­ne avec plus de précision à l'aide de concepts comme la “construction organique” ou le “réalisme héroïque”. Ces deux nouveaux concepts révèlent l'influence d'Ernst Jünger que Mohler compte parmi les “disciples allemands” de Sorel. Chez Sorel, Mohler a retrouvé ce qu'il avait antérieurement découvert chez le Jünger des manifestes nationalistes et de la première version du Cœur aventureux: la détermination à surmonter les pertes endurées et, en même temps, à oser quelque chose de nouveau, à faire confiance à la force de la décision créatrice et de la volonté de donner forme à l'in­for­mel, contrairement aux utopies des gauches. Dans un tel é­tat d'esprit, en dépit de l'enthousiasme débordant des ac­teurs, ceux-ci restent conscients des conditions spatio-tem­po­relles concrètes et opposent à l'informel ce que leur créa­tivité a formé.

 

L'“affect nominaliste”

 

Ce qui agissait en filigrane, tant chez Sorel que chez Jünger, Mohler l'a appelé l'“affect nominaliste”, c'est-à-dire l'hostilité à toutes les “généralités”, à tout cet universalisme de quatre sous, qui veut toujours être récompensé pour ses bonnes in­tentions, l'hostilité à toutes les rhétoriques ampoulées et am­phi­gouriques, qui n'ont plus rien à voir avec la réalité concrè­te. C'est donc l'“affect nominaliste” qui a éveillé l'intérêt de Mohler pour Sorel. Jamais plus Mohler n'a cessé de se pré­oc­cuper des théories et des idées de Sorel.

 

En 1975, Mohler fait paraître un petit ouvrage bref, considéré comme une “bio-bibliographie” de Sorel, mais contenant aus­si un court essai sur le théoricien socialiste français. Moh­ler a utilisé l'édition d'un fin volume dans une collection pri­vée de la Fondation Siemens, consacré à Sorel et dû à la plu­me de Julien Freund, pour faire paraître ces trente pages (im­primées de manière si serrée qu'elles sont difficiles à lire!), présentant pour la première fois au public allemand une liste quasi complète des écrits de Sorel et de la litté­ra­ture secondaire qui lui est consacrée. A cette liste s'ajoutait une esquisse de sa vie et de sa pensée.

 

Dans ce texte, Mohler  a d'abord voulu présenter un synop­sis des phases successives de l'évolution intellectuelle et po­litique de Sorel, pour pouvoir bien mettre en exergue la po­sition idéologique excentrée de cet auteur. Ce texte avait été conçu à l'origine pour devenir une monographie de Sorel, où Moh­ler aurait mis en forme l'énorme documentation qu'il avait rassemblée et travaillée. Malheureusement, il n'a ja­mais pu terminer ce travail. Finalement, Mohler s'est décidé à couler le résultat de ses investigations dans un essai as­sez complet, qui est paru en trois parties dans les colonnes de Criticón en 1997. Les résultats de l'analyse mohlérienne peuvent se résumer en cinq points.

 

Une nouvelle culture qui n'est ni de droite ni de gauche

 

◊ Quand on parle de Sorel comme d'un des pères fonda­teurs de la Révolution conservatrice, on reconnaît son rôle de premier plan dans la genèse de ce mouvement intellec­tuel, qui, comme son nom l'indique clairement, n'est “ni de droi­te ni de gauche”, mais tente de forger une “nouvelle cul­ture”, qui prendra la place des idéologèmes usés et galvau­dés du 19ième siècle. Par ses origines, ce mouvement révolu­tionnaire-conservateur est essentiellement intellectuel: il ne peut pas être compris comme rejetant simplement le libéra­lis­me et l'idéologie des Lumières.

 

◊ En principe, on considère que les fascismes romans ou le national-socialisme allemand  ont tenté de réaliser ce con­cept, mais ces idéologies sont des hérésies, qui omettent de prendre en considération l'un des aspects les plus fonda­men­taux de la “Révolution conservatrice”:  la réticence à l'en­droit des idées qui évoquent la bonté naturelle de l'hom­me ou croient en la “faisabilité” du monde. Cette réticence de la RC est un héritage provenant du vieux fond de la droite clas­sique.

 

◊ La fonction de Sorel était en première instance une fonc­tion catalytique, mais, dans sa pensée, on retrouve tout ce qui a été travaillé ultérieurement dans les diverses familles de pensée de la RC: le mépris pour la “petite science” et la valorisation extrême des pulsions irrationnelles de l'homme, le scepticisme à l'égard de toute abstraction et l'enthou­sias­me pour la concrétude, la conscience qu'il n'existe rien d'i­dyl­lique, le goût de la décision, la conception que toute vie pai­sible ne vaut rien et le besoin de “monumentalité”.

 

Il n'y a pas de “sens” qui existe par lui-même

 

◊ Dans ce même ordre d'idées, nous trouvons aussi cette con­viction  que l'existence est dépourvue de sens (sinnlos) ou, mieux: la conviction qu'il est impossible de reconnaître avec certitude le sens de l'existence. De cette conviction dé­cou­le l'idée qu'on ne fait jamais que “trouver” le sens de l'existence en le forgeant graduellement soi-même, sous la pression des circonstances et des aléas de la vie ou de l'histoire, et qu'on ne le “découvre” pas comme s'il était tou­jours déjà là, caché derrière l'écran des phénomènes ou des épiphénomènes. Dès lors, le sens n'existe pas par lui-même, car seules quelques rares et fortes personnalités sont capa­bles de le fonder, et seulement à de rares époques charniè­res de l'histoire. Le “mythe”, lui, constitue toujours le noyau central d'une culture et la compénètre entièrement.

 

◊ Tout dépend finalement de la conception que Sorel se fait de la décadence  —et tous les courants de la droite, aussi différents soient-ils les uns des autres, en ont unanimement conscience—  conception qui diffère des modèles habituels, qui sont l'idée d'entropie ou celle de la cyclicité du temps, la doctrine classique de la succession constitutionnelle ou l'af­firmation du déclin organique de toute culture. Dans Les illu­sions du progrès, Sorel affirme: “C'est de la charlatanerie ou de la naïveté de parler d'un déterminisme historique”. La décadence équivaut toujours à la déperdition de la struc­tu­ration intérieure, à l'abandon de toute volonté de régénéra­tion. Sans aucun doute, la présentation de Sorel, que nous a donnée Mohler, a été rendue plus mordante par son esprit cri­tique.

 

Une théorie de la vie concrète immédiate

 

Pourtant, des pans entiers de la pensée sorélienne n'ont ja­mais intéressé Mohler. Notamment les lacunes de la pensée so­rélienne, pourtant patents, surtout quand il s'est agi de définir les processus qui auraient dû animer la nouvelle so­cié­té prolétarienne portée par le “mythe”. Mohler a égale­ment omis d'investiguer la plurivocité de bon nombre de con­cepts utilisés par Sorel. Mais Mohler a découvert chez Sorel des idées qui l'avaient lui-même préoccupé: on ne peut donc pas nier le parallèle entre les deux auteurs. Les affinités in­tel­lectuelles existent  entre les deux hommes, car Mohler com­me Sorel, ont cherché “une théorie de la vie concrète im­médiate” (pour reprendre les mots de Carl Schmitt).

 

Dr. Karlheinz WEISSMANN.

(article tiré de Junge Freiheit, n°15/2000; http://www.jungefreiheit.de ;  Le Dr. Weissmann est historien et directeur des études dans un ly­cée. Le texte ci-dessus est une version abrégée d'une étude qu'il fera pa­raître ce prochain automne dans le volume d'Armin Mohler, Georges Sorel. Perspektiven, Ed. Antaios, Frankfurt a. M.).

 

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mercredi, 27 février 2008

A. Romualdi: Introduccion a Gobineau

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Introduccion a: Arthur de Gobineau; la desigualdad de las razas

Adriano ROMUALDI

Hay libros que actúan sobre la realidad de muchos de los hechos políticos y que, saliendo del círculo estrecho de la discusión, se convierten en idea-fuerza, mitos, sangre que alimenta los procesos históricos. El más típico es indudablemente El Capital de Marx, un estudio histórico-económico que se ha convertido en dogma religioso, arma de batalla, evangelio del vuelco mundial de todos los valores cumplimentado por la casta servil. A estos libros pertenece el Ensayo sobre la desigualdad de las razas humanas del conde de Gobineau, ignorado durante el tiempo que el autor vivió pero que - difundido en Alemania después de su muerte - fue destinado a transformarse en un de las más poderosas idea-fuerza del siglo XX: el mito de la sangre del nacionalsocialismo alemán.

Arturo de Gobineau nace en Ville d’Avray en el 1816 de una familia de antiguo origen normando. Poco antes de morir, en el Histoire d’Ottar Jara él revivirá los hechos del conquistador vikingo que arribó a las costas de Francia dando origen a su familia. El padre de Gobineau fue capitán en el Guardia Real de Carlo X. Después de la revolución del 1830 se apartó a vivir en Bretaña mientras el hijo fue a estudiar a Suiza. Aquí Gobineau aprendió el alemán y tuvo modo de asomarse a las vastas perspectivas que la filología germánica abrió en aquellos años. Ya Federico Schlegel en su Ueber die Sprache und Weisheit der Inder enseñó la afinidad entre las lenguas europeas y el sánscrito planteando una migración aria de Asia a Europa; en 1816, Bopp con su gramática comparada del griego, sánscrito, persa, griego, latino y gótico fundó la filología indoeuropea; por su parte, los hermanos Grimm redescubrieron el Edda y poesía germánica haciendo revivir el antiguo heroísmo y la primordial mitología germánica mientras Kart O. Müller halló en los dorios (Die Dorier, 1824) el alma nórdica de la antigua Grecia. Así, Gobineau tuvo modo que familiarizarse desde la adolescencia con un mundo que la cultura europea iba lentamente asimilado.

En 1834 Gobineau va a París. No es rico, y trata de hacerse paso como escritor y periodista. De sus obras literarias de entonces, Le prisionnier chancheux, Ternote, Mademoiselle Irnois, Les aventures de Nicolas Belavoir, E’Abbaye de Thyphanes, muchas páginas han resistido la usura del tiempo.

Un artículo aparecido en la Revue de deux mondes lo puso en contacto con Alexis de Tocqueville, el famoso autor de La democracia en América, también él de antigua estirpe normanda. Esta amistad les unió toda la vida a pesar de las fuertes diferencias de opinión entre los dos hombres: Tocqueville, el aristócrata que se resigna, y - sea incluso con melancolía - acepta la democracia como una realidad del mundo moderno y Gobineau, el aristócrata que se rebela e identifica la civilización con la obra de una raza de señores.

Fue Tocqueville, nombrado Ministro de Exteriores, quien llamó al amigo como jefe de gabinete. En vísperas del golpe de estado napoleónico Tocqueville dimitió; En cambio Gobineau hizo buen cara al cesarismo que - si bien no le reportaba a la predilecta monarquía feudal - al menos colocaba las esposas a la democracia y al parlamentarismo. Entró en diplomacia y fue como primer secretario a tomar la delegación de Berna. Es en Berna que escribió el Essai sur el inégalité des races humaines, cuyos dos primeros volúmenes aparecieron en el 1853, los segundos en 1855.

El ensayo retoma los movimientos del gran descubrimiento de la unidad indoeuropea, es decir de una gran familia aria extendida desde Islandia hasta la India. La palabra latina pater, el gótico fadar, el griego patér, los sánscritos pitar se revelan como derivaciones de un único vocablo originario. Pero si ha existido una lengua primordial de la que se han ramificado varios lenguajes, también habrá existido un estirpe primordial que - moviendose desde su patria originaria - difundirá este lengua en el vasto espacio existente entre Escandinavia y el Ganges. Es el pueblo que se dio el nombre de ario, término con el que los dominadores se designaban a sí mismos en contraposición a los indígenas de las tierras conquistadas (compara el persa y el sánscrito arya = noble, puro; el griego àristos = el mejor; el latino herus = dueño; el tudesco Ehre = honor).

Es aquí donde se encauza el razonamiento de Gobineau, movilizando a favor de sus tesis los antiguos textos indios nos muestra a estos arios prehistóricos - altos, rubios y con los ojos azules - penetrando en la India, en Persia, en Grecia, en Italia para hacer florecer las grandes civilizaciones antiguas. Con una demostración muy forzada también las civilizaciones egipcia, babilonia y china son explicadas con el recurso de la sangre aria. Cada civilización surge de una conquista aria, de la organización impuesta por una elite de señores nórdicos sobre una masa.

Si comparamos entre si a las tres grandes familias raciales del mundo la superioridad del ario nos aparecerá evidente. El negro de frente huidiza lleva en el cráneo "los índices de energías groseramente potentes". "Si sus facultades intelectuales son mediocres - Gobineau escribe - o hasta nulas, él posee en el deseo… una intensidad a menudo terrible". Consecuentemente, la raza negra es una raza intensamente sensual, radicalmente emotiva, pero falta de voluntad y de claridad organizadora. El amarillo se distingue intensamente del negro. Aquí los rasgos de la cara son endulzados, redondeados, y expresan una vocación a la paciencia, a la resignación, a una tenacidad fanática, pero que él diferencia de la verdadera voluntad creadora. También aquí tenemos que ver a una raza de segundo orden, una especie infinitamente menos vulgar que la negra, pero falta de aquella osadía, de aquella dureza, de aquella cortante, heroica, inteligencia que se expresan en el rostro fino y afilado del ario.

La civilización es pues un legado de sangre y se pierde con el mezcolanza de la sangre. Ésta es la explicación que Gobineau nos ofrece de la tragedia de la historia del mundo.

Su clave es el concepto de la degeneración, en el sentido propio de esta palabra, que se expresa en el alejamiento un género de su tipo originario (los alemanes hablarán de Entnordung, de desnorcización). Los pueblos antiguos han desaparecido porque han perdido su integridad nórdica, e igualmente puede ocurrir a los modernos. "Si el imperio de Darío todavía hubiera podido poner en campo a la batalla de Arbela persas auténticos, a verdaderos arios; si los romanos del basto Impero hubieran tenido un senado y una milicia formadas por elementos raciales iguales a los que existieron al tiempo de los Fabios, su dominación no habría tenido nunca fin."

Pero la suerte que ha arrollado las antiguas culturas también nos amenaza. La democratización de Europa, iniciada con la revolución francesa, representa la revuelta de las masas serviles, con sus valores hedonísticos y pacifistas, contra los ideales heroicos de las aristocracias nórdicas de origen germánico. La igualdad, que un tiempo era sólo un mito, amenaza de convertirse en realidad en el infernal caldero donde lo superior se mezcla con lo inferior y lo que es noble se empantana en lo innoble.

El Essai sur el inégalité des races humaines, si en muchos rasgos aparece hoy envejecido, conserva una sustancial validez. Gobineau tiene el gran mérito de haber afrontado por primera vez el problema de la crisis de la civilización en general, y de la occidental en particular. En un siglo atontado por el mito plebeyo del progreso, él osó proclamar el fatal ocaso de cada cultura y la naturaleza senil y crepuscular de la civilización ciudadana y racionalista. Sin el libro de Gobineau, sin los graves, solemnes golpes que repican en el preludio del Ensayo sobre la desigualdad de las razas humanas, y en aquellas páginas en que se contempla la ruina de las civilizaciones, toda la moderna literatura de las crisis de Spengler, a Huizinga, a Evola resulta inimaginable.

Falta valorar la solución que Gobineau ha ofrecido problema de la decadencia de la civilización. A menudo es simplista. El mito ario, queda como indispensable instrumento para la comprensión de la civilización occidental, no se puede explicar mecánicamente el nacimiento de las varias civilizaciones del globo. Gobineau se encarama sobre los espejos para encontrar un origen ario a las civilizaciones egipcia, babilona, chino. Aunque muchos recientes estudios ayudarían a sus tesis (piénsese en la hipótesis de un Heine-Geldern sobre una migración indo-europea de la región póntica a China, o a la comprobación de un elemento ario en el seno a los casitas que invadieron Babilonia y a los hyksos que dominaron Egipto), queda el simplismo de los métodos demostrativos gobinianos. Además, los materiales arqueológicos y filológicos de que él se servirá son completamente inadecuados frente a la masa de los datos de que disponemos hoy (1).

Y sin embargo, la idea de un diferente origen de las razas está demostrada por los estudios más recientes en la materia (Véase Coon. L’origene delle razze, Bombiani 1970), mientras que las estadísticas sobre los cocientes de inteligencia asignan un valor cuantitativo inferior a los negros con respecto de los blancos y a los amarillos. Mientras la civilización blanca arrastra en su movimiento a los pueblos de color, ellos se revelan en su mayor parte imitadores y parásitos, de lo que no hay duda que de que el mestizaje de la humanidad blanca conduciría a un estancamiento, si no a un retroceso. La crisis de las cepas germánicas y anglosajonas, a cuya voluntad e iniciativa se debe el dominio euro-americano sobre el mundo, y que en el tipo blanco representan el elemento más puro, es seguro la más dramática situación desde los principios de la historia.

La gran obra del Ensayo sobre la desigualdad de la razas fue terminada. Pero la cultura francesa no se dio cuenta.

Tocqueville intentó consolar a Gobineau profetizando que este libro sería introducido en Francia desde Alemania: fue en efecto una respuesta a un problema surgido en la cultura alemana, y de ella habría regresado a Francia, desde Alemania: fue en efecto una respuesta a problemas surgidos en la cultura alemana, y en ella habría sido discutida. De Berna, Gobineau pasó a Fráncfort, luego - como ministro plenipotenciario - a Teherán, Atenas, Rio de Janeiro y Estocolmo. El tiempo que estuvo en Persia le permitió dedicarse a sus predilectos estudios orientalísticos. El Traité des écritures cuneiformes, La Historie des Perses, Réligions et philosophie dans l’Asia centrale. También escribió las Nouvelles Asiatiques y, siempre en literatura, la novela Adelaida, el poema Amadis, el fresco histórico sobre La Renassance y la que es quizás su novela mejor lograda: Les Pleiades.

La guerra franco-prusiana le sorprende en el castillo de Trye que formaba parte del antiguo dominio de Ottar Jara y que él adquirió. No se hacía graciosas ilusiones (un biógrafo suyo cuenta: "El canto de la Marsellesa, los gritos: a Berlín!, repugnaron a su naturaleza. No le dio el nombre de patriotismo a esas sobreexcitaciones peligrosas, demasiado ayuntamientos con las razas latinas. Donde divisó síntomas funestos"), pero en su calidad de alcalde organizó la resistencia civil contra el invasor. Sobrevenidos los prusianos, se comporta con gran dignidad y, aunque se valiera de la lengua alemana como la suya propia, nunca quiso hablar con ellos otra que el francés.

El desastre del los años 70 y la suspensión de su candidatura a la Academia de Francia le disgustaron completamente. La misión a Estocolmo, en aquella Escandinavia que quiso como a una segunda patria, le fue de algún consuelo, hasta que en el 1877 fue jubilado anticipadamente. Para Gobineau transcurrieron los últimos años de su vida entre Francia e Italia. En Venecia conoció a Richard Wagner el cual dijo de él: "Gobineau es mi único contemporáneo". Un reconocimiento basado en una recíproca afinidad. Ambos advirtieron el atractivo romántico de los orígenes primordiales: los tonos profundos que se vislumbran en los abismos del caudal de El oro del Rin son los mismos que repican en el Essai sur el inégalité des races humaines. Fue Wagner quien presentó a Gobineau al profesor Schemann de Freiburg, el cual fundaría el Gobineau-Archiv.

Gobineau murió de repente en Turín en el octubre de 1882. Nadie pareció darse cuenta de su desaparición. Fue universalmente admirado como un hombre de espíritu y como brillante conversador. Años después, fue cuando en la universidad comenzaron a haber cursos sobre de él, Anatole France dijo: " Je el ai connu. El venait chez el princesse Matilde. Ello était un grand diable, parfaitement simple et très spirituel. On savait qu'il écrivait des livres, maíz personne de ello les avait lus. ¿Alors, el avait du génie? Comme c’est curieux."

Fueron los alemanes los que lo valorizaron. Wagner le abrió las columnas del Bayreuther Blätter: ahora el wagneriano Hans von Wolzogen, Ludwig Schemann, Houston Stewart Chamberlain anunciaron su obra. Fue Ludwig Schemann quien fundó el culto a Gobineau instituyendo un archivo cerca de la universidad de Estrasburgo, entonces alemana. En el 1896 Schemann fundó el Gobineau-Vereinigung que difundiría el gobinismo en toda Alemania. En el 1914 pudo contar con una red influyente de protectores y amistades; el Kaiser mismo la subvencionó y buena parte del cuerpo enseñante fue influido por sus ideas.

Sobre la estela de la obra de Gobineau nació el racismo: Vacher de Lapouge, Penka, Pösche, Wilser, Woltmann, H. S. Chamberlain y luego - después de la guerra - Rosenberg, Hans F. K. Günther, Clauss retomaron las intuiciones gobinianas y las amplificaron en un vasto organismo doctrinal. En el 1933 el Nacionalsocialismo - asumiendo el poder en Alemania - reconoció oficialmente la ideología de la raza. Se realizó así lo que Wittgenstein había profetizado a Gobineau: "Vos os decís un hombre del pasado, pero en realidad sois un hombre del futuro."

El batalla de Gobineau no fue en vano. Él escribió: "Quand la vie n'est pas un bataille, ell n'est rien."

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Las citas aquí indicadas están sacadas del primer libro del Ensayo sobre la desigualdad de las razas humanas, Ediciones de Ar, Padua 1964.

(1) Una exposición moderna de las migraciones arias y su importancia para la civilización he tratado de exponerla en mi "Introduzzione al problema indoeuropeo" en el prólogo al libro de Hans F. K. Günther, Religiosità indoeuropea, Edizioni de Ar, Padua 1970. A ella me remito para quién de este ensayo sobre Gobineau le llevara el deseo de conocer los puntos de vista más recientes en arqueología, filología y antropología.

dimanche, 24 février 2008

Sur Gustave Ratzenhofer (1842-1904)

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Robert STEUCKERS :

 

Sur Gustave RATZENHOFER (1842-1904)

 

Né à Vienne le 4 juillet 1842, le sociologue et Maréchal des armées impériales autrichiennes Gustav Ratzenhofer fut l'exemple même du self-made-man.  Fils d'horloger, orphelin très tôt, Ratzenhofer devient cadet dès l'âge de seize ans, en 1859. Sa volonté, son entêtement opiniâtre, ont triomphé des barrières sociales strictement hiérarchisées de l'Autriche-Hongrie du XIXième. L'œuvre de Ratzenhofer est un reflet de cette lutte constante qu'il mène, lui, le fils d'horloger, pour s'imposer aux aristocrates de l'état-major et de la bonne société viennoise. Il gravira tous les échelons de la hiérarchie militaire et terminera sa carrière comme président du tribunal militaire suprême de Vienne en 1898 et comme Feldmarschall-Leutnant  en 1901, année de sa retraite. Les idées et les notions sociologiques défilent dans ses livres comme des troupes à la parade et s'imposent au lecteur comme les ordres indiscutables d'un commandeur à ses troupes. Sa philosophie politique et sa sociologie font irruption dans l'histoire des idées comme un retour du romantisme politique de Fichte et de Schelling, mais sous les auspices d'une autre méthode, en l'occurrence la méthode biologique, en vogue depuis l'émergence des écoles darwiniennes. Chez Ratzenhofer, en effet, la méthode dialectique fait place à la méthode biologique.

 

Après avoir entamé une carrière d'écrivain militaire, Ratzenhofer se tourne vers la sociologie et la philosophie politique, armé des théories positivistes de Comte, Mill et Spencer et des idées de Ludwig Gumplowicz sur la lutte des races. Son premier ouvrage, Wesen und Zweck der Politik, als Teil der Soziologie und Grundlage der Staatswissenschaften  (Essence et but de la politique en tant qu'élément de la sociologie et assise des sciences politiques), paru en trois volumes à Leipzig en 1893, est d'inspiration résolument comtienne, à la différence que, pour Comte, la philosophie positive débouche sur la sociologie, tandis que la Weltanschauung  de Ratzenhofer, elle, se base sur la sociologie. Partant de la formule héraclitéenne polemos pathr pantwn, Ratzenhofer déduit que l'inimitié absolue est la force motrice primordiale de la politique. L'histoire humaine n'est pas seulement un cas spécial de l'histoire naturelle générale. L'homme est un élément de la nature globale: il n'est donc pas seulement soumis aux lois générales de la nature dans ses mécanismes et ses chimismes mais aussi dans son vécu intérieur, dans son psychisme.

 

Autre perspective développée par l'œuvre politique et sociologique de Ratzenhofer: l'évolution des divers types d'associations humaines. Une évolution réduite, par la méthode biologisante de Ratzenhofer, aux dimensions physiques, chimiques et biologiques des pulsions de l'âme humaine. Deux pulsions principales animent les hommes, les poussent à l'action: l'auto-conservation, soit la concurrence entre les sociétés pour les denrées alimentaires (Brotneid),  et le sexe, pierre angulaire des liens de consanguinité (Blutliebe).  Dans le monde des hordes primitives, le conflit, la règle de l'hostilité absolue, sont l'essence des relations entre les hordes. A l'intérieur d'une horde particulière, l'hostilité absolue est tempérée par les liens de consanguinité. L'Etat survient quand il y a conquête d'un territoire et de sa population par une ethnie forte: les vaincus sont réduits en esclavage et contraints d'exécuter les travaux de la sphère économique. La multiplication des contacts entre sociétés, favorisée par le commerce, atténue la rigueur des ordres sociaux nés des conquêtes violentes: c'est la civilisation.

 

Essence et objectif de la politique en tant que partie de la sociologie et fondement des sciences de l'Etat 

Wesen und Zweck der Politik, als Theil der Sociologie und Grundlage der Staatswissenschaften, 3 vol., 1893

 

Cet ouvrage en trois volumes débute par une définition des fondements sociologiques de la politique. Les rassemblements humains commencent au niveau de la horde; ensuite, vient le stade la communauté, fermée sur le monde extérieur mais où l'on repère déjà les gentes  et les clivages entre dominants et dominés. Le stade suivant est celui de l'Etat, porté par le peuple (Volk),  ouvert par nécessité sur le monde  —et par nécessité seulement—  et organisé par un gouvernement, expression de la personnalité sociale. Le stade ultime, venant immédiatement après celui de l'Etat, est le stade du Kulturkreis, de l'aire culturelle, laquelle est hypercomplexifiée et présente des ramifications sociales multiples. La lutte sociale est le produit du contact entre la société et les éléments qui lui sont étrangers. La vie sociale conduit à une différenciation continue des individualités sociales.

 

D'où Ratzenhofer déduit les lois essentielles de la sociologie: les sociétés politiques structurées tempèrent la lutte sociale mais cette temporisation n'est pas éternelle; les structures temporisatrices finissent pas s'essouffler et pas se révéler caduques. Elles doivent alors faire place à de nouvelles structures, mieux adaptées aux nécessités que la société doit affronter. Ensuite, Ratzenhofer constate que les Etats en phase de croissance cherchent l'adéquation de leurs institutions politiques avec les exigences de la société qu'ils policent. Les Etats en déclin sont ceux qui subissent le choc d'éléments culturels nouveaux, c'est-à-dire les Etats dont les structures sont progressivement disloquées par le choc de l'innovation et doivent céder le terrain à de nouvelles individualités politiques, mieux adaptées aux nécessités. Toutes les expressions de la vie sociale doivent conduire à des actes politiques. De ce fait, la sphère politique peut et doit tirer profit des développements de la science sociologique. Une bonne connaissance des rythmes et des diversités de la société conduit les serviteurs de l'Etat à adapter et à moderniser continuellement les structures politiques et à assurer de la sorte leur durée.

 

Ratzenhofer affirme ensuite que les lois de la société sont les mêmes que celles de la nature. Ainsi, le concept de politique équivaut à la Lebensklugheit,  c'est-à-dire l'intelligence intuitive des lois de la vie qui perçoit sans détours les nécessités politiques et opère sans cesse un recours sans illusion à l'environnement naturel. Cette Lebensklugheit,  ajoute Ratzenhofer, est le fait de l'homme libre, non de celui qui est contraint d'obéir pour survivre.  L'égoïsme, dans la sphère du politique, est égoïsme collectif car l'homme politique véritable est celui qui est capable de mettre sa propre Lebensklugheit  au service d'une instance collective, poussé par l'impératif éthique.

 

La célèbre loi de l'hostilité absolue, pierre angulaire du système sociologique de Ratzenhofer, nous révèle que les pulsions égoïstes, individuelles ou collectives, sont les moteurs des mouvements sociaux. Egoïsmes moteurs qui contredisent les théories eudémonistes du social car l'action politique, aux yeux de Ratzenhofer et de son inspirateur Ludwig Gumplowicz,  n'est pas de dévoiler le sublime qu'il y a dans l'homme mais de mesurer très objectivement les forces, les dynamismes qui agissent dans le tissu social. Ces forces, ces pulsions sont la source de la puissance politique d'une nation. L'objectif du politique, c'est de les harmoniser et de les canaliser dans le sens de l'idée motrice, du mythe mobilisateur qui fait la personnalité politique de la nation. Il faut donc comprendre les pulsions des hommes, puis les classer selon qu'elles appartiennent à telle ou telle «personnalité politique». Faire de la politique, c'est mobiliser les pulsions et prévoir les conséquences d'une mobilisation circonstantielle de telle ou telle pulsion. L'énergie de la volonté donne son plein rendement aux pulsions politiques et les poussent vers la créativité.

 

L'objectif réel de toute lutte politique c'est l'acquisition d'espace. Pour Ratzenhofer comme pour Ratzel, le but des conflits politiques, c'est de conquérir de l'espace (Raumgewinn)  ou d'acquérir des moyens pour mettre son espace propre en valeur (esclaves, avantages commerciaux, etc.). Ensuite, deuxième objectif du conflit: asservir d'autres hommes pour assouvir des besoins (le Dienstbarmachen).

 

Le droit en politique est facteur de puissance, comme l'a démontré, avant Ratzenhofer, Rudolf von Ihering. Dans cette optique, le droit acquis constitue le socle des pulsions politiques. Le droit en vigueur constitue l'assise sur laquelle se déroule la lutte politique. Il est contesté mais détermine les règles d'action des antagonistes tout en favorisant, en dernière instance, le pouvoir de ceux qui détiennent l'autorité.

 

Dans toutes les sociétés, on trouve des principes de progression et des principes de régression. Les forces ou les personnalités politiques jouent sur les deux types de principes pour avancer leurs pions à leur avantage. Les mouvements autonomistes visent la dissolution de certaines structures en place, tandis que les mouvements centralisateurs cherchent à renforcer et à simplifier la puissance politique en place. Ces idées-forces sont en fait des instruments manipulés par des personnalités organisées en corps (ou en corporations). De ce fait, la politique n'est rien d'autre qu'un effet des forces de la nature. Ratzenhofer définit ensuite l'essence de la politique sociale. La société est un tissu d'associations et d'organisations, basées sur les communautés de sang (les groupes de descendants d'un même ancêtre ou des mêmes ancêtres), les communautés locales, les nationalités, les communautés confessionnelles et les Stände (les états).

 

Cette hétérogénéité conduit à une multitude d'«opérations politico-sociales» contradictoires et antagonistes. Les communistes agissent et s'organisent sur base d'une pulsion humaine très ancienne: donner aux éléments sociaux dépourvus de propriétés et de droits un accès à la propriété et au droit. La noblesse n'a eu de fonction sociale que jusqu'au XIIIième siècle, où elle détenait les fonctions juridiques, exécutives et militaires. Après son rôle a été de moins en moins pertinent, jusqu'à l'inutilité complète; d'où l'aristocratisme militant est stérile, surtout en France. Le grand capital tente de s'emparer de tout le pouvoir. Les classes moyennes sont trop hétérogènes pour pouvoir s'organiser de façon cohérente. Les nationalités, les ethnies, forment des parentés de langue et de mœurs et trouve leur point culminant dans les mouvements pangermaniste, panromaniste et panslaviste. L'Eglise tente de s'emparer d'un maximum de pouvoir dans les Etats modernes. Les Juifs veulent conserver les droits qu'ils ont acquis depuis leur émancipation mais ne forment pas un bloc homogène: ils sont divisés, notamment, entre assimilés et orthodoxes. Le rôle de l'Etat, c'est de contrer les opérations socio-politiques menées par tous ces groupes.

 

Toute doctrine du politique procède d'une étude psycho-pathologique de l'homme, ce qui n'est pas toujours enthousiasmant. Conclusion: la civilisation consiste en un pouvoir croissant de la société sur les individus. Avec elle, le général triomphe du particulier.  Toute éthique repose sur nos devoirs sociaux, sur la maîtrise de nos pulsions individuelles au profit d'un projet collectif. Toute éthique déduite de l'intériorité de l'individue, comme celle de Schopenhauer, est dépourvue de valeur sociale et néglige une dimension essentielle de notre existence.  de l'intériorité de l'individualeur sociale et néglige la essentielle de notre existence, c'est-à-dire notre imbrication dans une collectivité. Le postulat kantien («agis toujours de façon à ce que la maxime de ta volonté puisse être en même temps le principe d'une loi générale») correspond pleinement à la volonté ratzenhoferienne d'imbriquer l'éthique dans les réflexes collectifs.

 

Wesen und Zweck der Politik  nous explique également la différence entre civilisation et barbarie. La civilisation est un effet de la production de biens et de valeurs; elle est un développement culturel de l'humanité sous l'influence constante de la politique, qui crée et consomme forces et biens de façon équilibrée. La barbarie a pour caractéristique de consommer de façon effrénée, sans compenser par une production réparatrice. La barbarie est ainsi marquée par le déficit permanent, le gaspillage désordonné des forces. D'où, les objectifs pratiques de la politique «civilisante» sont 1) de limiter le principe d'hostilité absolue en circonscrivant la lutte politique au terrain du droit (but: la paix politique); 2) de favoriser l'égalité de tous devant le droit; 3) d'accorder la liberté par des lois, sous réserve que les individus se soumettent aux nécessités collectives; 4) d'accroître les sources de production de façon à assurer l'avenir de la collectivité; 5) de promouvoir le développement des sciences; 6) de promouvoir le développement des arts, afin de sublimer la nature et ses formes; 7) de laisser se déployer us et coutumes naturels; 8) de laisser se déployer la religiosité intérieure, laquelle exprime des aspects insaisissables de la nature); 9) de promouvoir l'hygiène afin d'allonger l'espérance de vie; 10) de favoriser une conscience éthique, de façon à ce que tous connaissent clairement leurs droits et leurs devoirs.

 

L'autorité libère les hommes du sort peu enviable que leur laisserait l'hostilité absolue et les pulsions brutes, non bridées. De ce fait, pour Ratzenhofer, l'autorité, c'est la liberté. La politique civilisante doit s'opposer à deux dangers: 1) l'orientalisme ou la barbarie centre-asiatique, contre laquelle la Russie s'érige en rempart. Malheureusement, pense Ratzenhofer, les offensives successives de l'Empire ottoman ont contribué à orientaliser le monde slave et partiellement la Russie; 2) le communisme, dû à la dislocation des structures d'organisations corporatives en France et à la mainmise progressive du grand capital. Le Culturkreis  européen doit organiser les Balkans, de façon à les soustraire à l'influence orientale/ottomane. Mais l'hostilité entre les différents peuples européens empêche le progrès de la civilisation et l'organisation rationnelle des sociétés: la France, par exemple, refuse d'appliquer certaines sciences, sous prétexte qu'elles ont été élaborées en Allemagne.

 

L'essence de la civilisation, c'est d'être un produit du politique, de la lutte contre les égoïsmes spontanés des hommes pour faire triompher les objectifs collectifs. Tout progrès civilisateur dérive d'un succès politique ayant eu pour objet une tâche d'intérêt commun. La civilisation s'oppose à la pulsion négative de vouloir exercer à tout prix le pouvoir (Herrschzucht) et de soumettre la collectivité à ses intérêts propres (que ce soient ceux d'un chef, d'un parti, de confessions, de nationalités, etc.). La civilisation, par ailleurs, a le droit de s'opposer à la barbarie. Elle doit transformer les égoïsmes privés, individuels ou organisés, en forces bénéfiques pour la collectivité. Elle doit affiner les mœurs naturelles et les faire accéder au niveau éthique. La civilisation connait des rythmes sinusoïdaux ascendants et descendants. Les phases de haute conjoncture sont celles où l'hostilité absolue est bien bridée et où les communautés politiques croissent et s'épanouissent. Les phases de basse conjoncture sont celles où les communautés sont détruites et où les privilèges se multiplient, où les pulsions égoïstes refont surface, où les arts et les sciences dégénèrent et où l'économie se fonde sur l'exploitation de tous par tous.

 

En guise de conclusion, Ratzenhofer la politique en tant qu'élément de la sociologie et assise den gouvernement, expression d'une vitales/socialesse n'a eu d'utilité Par la suite, de langue et de mœurs et s'organisent, en ultime instance, catholiquects insaisissables de la natureen sur le fonctionnement de toutes les sociétésK(Herrschs  prône un socialisme qui n'est pas celui des sociaux-démocrates (lequel est en fait un individualisme des masses déracinées) mais une force politique agissant sur les forces sociales qui développent la société et créent la civilisation. Les individualismes de toutes natures, privés ou collectifs, disloquent la société.

 

Ethique positive. Réalisation du devoir-être éthique

Positive Ethik. Verwirklichung des Sittlich-Seinsollenden, 1901

 

L'objet de cet ouvrage est d'ancrer le devoir-être éthique dans la pratique socio-politique. L'homme, explique Ratzenhofer, dispose d'atouts que n'ont pas les animaux: le langage, l'utilisation d'outils, la maîtrise du feu, la station verticale, etc. Ces atouts ont avantagé l'homme dans la concurrence qui l'oppose aux animaux. Ce qui a conduit à l'extermination d'espèces concurrentes. Au cours de leur expansion coloniale, les Anglais ont transposé cet état de choses dans les rapports inter-raciaux: ils ont exterminé les Tasmaniens, après avoir quasi éliminé les Indiens d'Amérique du Nord, les Aborigènes d'Australie et les Boshimans. Ce processus est en œuvre depuis longtemps, constate Ratzenhofer, en embrayant sur le discours racisant, propre à son époque: la disparition des primates anthropomorphes et des races dites primitives sont un seul et même mouvement qui aboutira au triomphe de l'«Aryen» qui s'opposera ensuite au Juif.

 

Cette élimination des espèces concurrentes provoque une distanciation toujours plus accentuée entre l'homme et le monde animal. Car l'homme ne tue pas seulement pour se nourrir immédiatement mais pour dominer la terre. Cette volonté de domination totale, Ratzenhofer la juge négative: elle est ce qu'il appelle l'individualisme. Cet individualisme, ce processus qui vise à s'individuer, est le plus intense chez l'homme; individuellement, l'homme a intérêt à se placer au-dessus de toutes les créatures qui vivent à ses côtés et à se considérer comme le point focal de tous les phénomènes. Et à agir en conséquence. Mais d'où vient cet individualisme délétère? Dans les conditions primitives, les hommes vivent une socialisation de niveau tribal, à l'instar des animaux vivant en groupes. La pulsion naturelle est alors de privilégier le collectif, l'utilité collective plutôt que la pulsion individuelle. La conscience naturelle, au départ, est collective, tant chez les hommes que chez les animaux. Elle est facteur d'ordre, de stabilité (exemple: les fourmis).

 

Cette pulsion primitive naturelle grégaire s'estompe chez les prédateurs: l'intérêt physiologique acquiert plus de poids que la pulsion grégaire (par exemple chez les félins), qui, elle, décline. Chez l'homme, les progrès de la culture ébranlent la conscience grégaire au profit des intérêts physiologiques individuels, ce qui conduit à l'égoïsme et au désir pathologique de dominer les autres. Comment s'amorce le processus individualisant chez l'homme préalablement grégarisé, vivant en horde? Des incitations extérieures de diverses natures font que les individualités douées s'aperçoivent qu'il y a moyen de bien vivre en dehors du cadre restreint de la horde primitive.

 

Ce processus, essentiellement favorisé par l'attrait du lointain, amorce le développement intellectuel et culturel de l'homme. Le circuit limité des réflexes grégaires, quasi animaux, est rompu. Dès lors, l'homme doué qui crée, provoque, suscite cette rupture offense l'intérêt social de sa communauté, qu'il négligera ou voudra dominer, afin de satisfaire ses aspirations à un «lointain» séduisant. Au stade grégaire, la volonté est quasi nulle; c'est le règne de l'indifférence et de la morale de l'utile (le «bon») et du nuisible (le «mal») à l'échelon de la horde. Quand s'amorce le processus d'individualisation, cette distinction entre le bien/l'utile et la mal/le nuisible se transpose au niveau de l'individu: est bon ce qui va dans le sens de ses aspirations non grégaires; est mauvais ce qui les contrarie. Or toute éthique doit être fondée sur des rapports sociaux concrets et non sur une vérité détachée des relations sociales.

 

Ratzenhofer observe de ce fait: 1) que l'éthique, au stade de la horde, n'est pas un besoin ressenti; 2) que les individualités émergentes entrent en conflit avec les lois implicites de la horde; 3) que les expériences collectives positives de l'histoire démontrent l'existence d'une éthique de l'utilité collective; l'éthique, quasi inexistante au stade grégaire pur, éclot comme un avertissement permanent de revenir au souci de la collectivité. Tel est le Seinsollende  (le devoir-être): une barrière morale nécessaire pour éviter la dislocation puis la disparition et des individualités fortes et des espèces (Gattungen).  La culture est constituée de l'ensemble des volontés d'élargir l'horizon, limité au départ à celui de la horde. La Sittlichkeit, la moralité, est la pratique du devoir-être qui ramène sans cesse les esprits à l'intérêt collectif. La conjonction de la Sittlichkeit  et de la culture donne la civilisation, dans laquelle sont unis les lois naturelles, l'épanouissement culturel de l'homme et l'éthique du devoir-être. Dans les rythmes sinusoïdaux de la civilisation, le devoir-être est présent dans les phases ascendantes; dans les phases descendantes, au contraire, son impact est de moins en moins évident.

 

La philosophie morale de Ratzenhofer, qu'il appelle «éthique positive», repose sur une dialectique entre l'individualisation et l'éthique. Le propre des races supérieures, c'est de réussir à faire triompher l'éthique de l'intérêt social qui se déploie sous divers oripeaux: militaire, religieux, scientifique.

 

Pour Ratzenhofer, il n'y a plus de peuples plongés dans la grégarité originelle. Tous subissent, à un degré ou à un autre, le processus d'individualisation. Si le processus d'individualisation culturante est freiné par des circonstances d'ordre spatial, ou intellectuel ou transcandental, il se mue en un processus vicié d'individualisation égoïste, sans que l'impératif éthique ne puisse agir en tant que correctif. Ces sociétés demeurent alors prisonnières de leurs égoïsmes jusqu'au moment où un puissant agent extérieur provoque l'éclosion d'un processus d'«éthicisation». Certains peuples déploient leurs énergies dans le monde grâce aux efforts de personnalités égoïstes et conquérantes. Celles-ci peuvent basculer soit dans la civilisation soit dans la barbarie. Le mélange racial peut être un facteur dynamisant ou un facteur de déliquescence (comme en Autriche où se mêlent toutes les races européennes, affirme Ratzenhofer). En Grande-Bretagne, les éléments du mixage racial étaient proches les uns des autres (Angles, Saxonx, Scandinaves - Ratzenhofer omet de mentionner l'élément celtique, pourtant très différent) et l'insularité a provoqué une endogamie positive, prélude à l'éclosion d'un profil éthico-politique bien distinct.

 

La civilisation, ajoute Ratzenhofer, signifie une lutte constante pour imposer un devoir-être éthique conforme à une race donnée (artgemäß). Le processus de civilisation passe par une promotion des connaissances scientifiques, de la religiosité intérieure, en tant que propension à satisfaire les impératifs collectifs (que ceux-ci dérivent de confession ou de la philosophie moderne moniste), par un développement des corpus juridiques, dont l'effort est civilisateur parce qu'il régule des rapports conflictuels d'ordre politique ou économique. Le processus de civilisation passe enfin par une élimination des inégalités en matières de droit et de propriété, par l'élévation spirituelle, intellectuelle, morale et physique de la race. La civilisation, ajoute Ratzenhofer, aide les meilleurs à détenir l'autorité.

 

Le développement de l'intellect favorise l'«éthicisation» avec l'appui des institutions de l'Etat. Le déploiement de l'éthique ne tue pas l'individualité collective, l'individualité du peuple, mais la renforce dans la lutte générale qu'est la vie.

 

Enfin, l'«éthique positive», que préconise Ratzenhofer, n'est pas celle, égoïste, de Nietzsche, qui dissocie l'individu de son peuple. Elle n'est pas non plus celle de Marx, dont le socialisme est «individualisme des masses» et favorise l'«animalité qui gît dans les masses». Elle n'est pas celle du christianisme qui transforme le peuple, personnalité politique, en «un troupeau de faibles». Le processus d'individualisation doit viser le bien commun. Si tel est le cas, nous avons affaire, dit Ratzenhofer, à un positivisme moniste, où les héros éthiques rendent les masses nobles. Les peuples qui vivent ce positivisme moniste sont sûrs de triompher dans la compétition générale entre les peuples du monde.

 

Parti aux Etats-Unis pour une tournée de conférences, il meurt sur le navire qui le ramène en Europe, le 8 octobre 1904.

- Bibliographie:

A. Ecrits militaires: «Die taktischen Lehren des Krieges 1870-1871» in Streffleurs Österreichische Militärische Zeitschrift, 1872; Unsere Heeresverhältnisse, 1873 (anonyme); Die praktische Übungen der Infanterie und Jägertruppe, 1875, 2ième éd., 1885; Zur Reduktion der kontinentalen Heere, 1875; Feldzüge des Prinzen Eugen, Bd. IV (le quatrième volume de cet ouvrage collectif édité par l'état-major général des armées royales et impériales autrichiennes est entièrement dû à la plume de Ratzenhofer), 1879; Im Donaureich (sous le pseudonyme de Gustav Renehr), vol. I («Zeitgeist und Politik»), 1877, vol. II («Kultur»), 1878; Die Staatswehr. Untersuchung der öffentlichen Militärangelegenheiten, 1881; Truppenführung im Karst Serajewo, 1888; de 1874 à 1901, Ratzenhofer publie plus d'une trentaine d'articles à thèmes militaires dans le Streffleurs Österreichische Militärische Zeitschrift et l'Organ der militärwissenschaftlichen Vereine.

B: Ouvrages sociologiques et philosophiques: Wesen und Zweck der Politik, 3 vol., Leipzig, Brockhaus, 1893; Soziologische Erkenntnis, ebenda, 1898; Der positive Monismus,  ebenda, 1899; Positive Ethik,  1901; Kritik des Intellekts,  1902; à partir de 1900, Ratzenhofer publie de nombreux articles dans les revues viennoises Die Wage, N.Fr. Presse, Politische-anthropologische Revue  (cette dernière étant éditée par Woltmann); Die Probleme der Soziologie,  discours prononcé à Saint Louis (USA) en septembre 1904; éd. américaine: «The Problems of Sociology», in Vol. 5, pp. 815-824, International Congress of Arts and Science,  St. Louis, 1904, édité par Howard J. Rogers, Boston. Le même texte paraît dans American Journal of Sociology,  Vol. 10, pp. 177-188; quelques-uns des nombreux manuscrits laissés à sa mort ont été publiés sous le titre de Soziologie: Positive Lehre von den menschlichen Wechselbeziehungen,  Leipzig, Brockhaus, 1907.

 

- Sur Ratzenhofer:

 

Ludwig Stein, «Gustav Ratzenhofer» in Anton Bettelheim (Hrsg.), Biographisches Jahrbuch und Deutscher Nekrolog, IX. Band, 1904,  Berlin, Duncker & Humblot, 1906; Otto Gramzow, Gustav Ratzenhofer und seine Philosophie,  Berlin, Schildberger, 1904; Albion W. Small, General Sociology: An Exposition of the Main Development in Sociological Theory from Spencer to Ratzenhofer,  University of Chicago Press, 1905; Albion W. Small, «Ratzenhofer's Sociology», American Journal of Sociology,  vol. 13, pp. 433-438; Floyd N. House, «Gustav Ratzenhofer»,  in David L. Sills (ed.), International Encyclopedia of the Social Sciences, vol. 13, The Macmillan Company & The Free Press, 1968.

 

(Robert Steuckers).  

 

vendredi, 22 février 2008

Introduction à l'oeuvre de L. F. Clauss

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Robert Steuckers:

Introduction à l'œuvre de Ludwig Ferdinand CLAUSS  (1892-1974)

Né le 8 février 1892 à Offenburg dans la région du Taunus, l'anthropologue Ludwig Ferdinand Clauss est rapidement devenu l'un des raciologues et des islamologues les plus réputés de l'entre-deux-guerres, cumulant dans son œuvre une approche spirituelle et caractérielle des diverses composantes raciales de la population européenne, d'une part, et une étude approfondie de la psyché bédouine, après de longs séjours au sein des tribus de la Transjordanie. L'originalité de sa méthode d'investigation raciologique a été de renoncer à tous les zoologismes des théories raciales conventionnelles, nées dans la foulée du darwinisme, où l'homme est simplement un animal plus évolué que les autres. Clauss renonce aux comparaisons trop faciles entre l'homme et l'animal et focalise ses recherches sur les expressions du visage et du corps qui sont spécifiquement humaines ainsi que sur l'âme et le caractère.

Il exploite donc les différents aspects de la phénoménologie pour élaborer une raciologie psychologisante (ou une «psycho-raciologie») qui conduit à comprendre l'autre sans jamais le haïr. Dans une telle optique, admettre la différence, insurmontable et incontournable, de l'Autre, c'est accepter la pluralité des données humaines, la variété des façons d'être-homme, et refuser toute logique d'homologation et de centralisation coercitive.

 

Ludwig Ferdinand Clauss était un disciple du grand philosophe et phénoménologue Edmund Husserl. Il a également été influencé par Ewald Banse (1883-1953), un géographe qui avait étudié avant lui les impacts du paysage sur la psychologie, de l'écologie sur le mental. Ses théories cadraient mal avec celles, biologisantes, du national-socialisme. Les adversaires de Clauss considéraient qu'il réhabilitait le dualisme corps/âme, cher aux doctrines religieuses chrétiennes, parce que, contrairement aux darwiniens stricto sensu, il considérait que les dimensions psychiques et spirituelles de l'homme appartenaient à un niveau différent de celui de leurs caractéristiques corporelles, somatiques et biologiques. Clauss, en effet, démontrait que les corps, donc les traits raciaux, étaient le mode et le terrain d'expression d'une réalité spirituelle/psychique. En dernière instance, ce sont donc l'esprit (Geist)  et l'âme (Seele)  qui donnent forme au corps et sont primordiaux. D'après les théories post-phénoménologiques de Clauss, une race qui nous est étrangère, différente, doit être évaluée, non pas au départ de son extériorité corporelle, de ses traits raciaux somatiques, mais de son intériorité psychique. L'anthropologue doit dès lors vivre dans l'environnement naturel et immédiat de la race qu'il étudie. Raison pour laquelle Clauss, influencé par l'air du temps en Allemagne, commence par étudier l'élément nordique de la population allemande dans son propre biotope, constatant que cette composante ethnique germano-scandinave est une “race tendue vers l'action” concrète, avec un élan froid et un souci des résultats tangibles. Le milieu géographique premier de la race nordique est la Forêt (hercynienne), qui recouvrait l'Europe centrale dans la proto-histoire.

 

La Grande Forêt hercynienne a marqué les Européens de souche nordique comme le désert a marqué les Arabes et les Bédouins. La trace littéraire la plus significative qui atteste de cette nostalgie de la Forêt primordiale chez les Germains se trouve dans le premier livre évoquant le récit de l'Evangile en langue germanique, rédigé sous l'ordre de Louis le Pieux. Cet ouvrage, intitulé le Heliand (= Le Sauveur), conte, sur un mode épique très prisé des Germains de l'antiquité tardive et du haut moyen âge, les épisodes de la vie de Jésus, qui y a non pas les traits d'un prophète proche-oriental mais ceux d'un sage itinérant doté de qualités guerrières et d'un charisme lumineux, capable d'entraîner dans son sillage une phalange de disciples solides et vigoureux. Pour traduire les passages relatifs à la retraite de quarante jours que fit Jésus dans le désert, le traducteur du haut moyen âge ne parle pas du désert en utilisant un vocable germanique qui traduirait et désignerait une vaste étendue de sable et de roches, désolée et infertile, sans végétation ni ombre. Il écrit sinweldi, ce qui signifie la «forêt sans fin», touffue et impénétrable, couverte d'une grande variété d'essences, abritant d'innombrables formes de vie. Ainsi, pour méditer, pour se retrouver seul, face à Dieu, face à la virginité inconditionnée des éléments, le Germain retourne, non pas au désert, qu'il ne connaît pas, mais à la grande forêt primordiale. La forêt est protectrice et en sortir équivaut à retourner dans un “espace non protégé” (voir la légende du noble saxon Robin des Bois et la fascination qu'elle continue à exercer sur l'imaginaire des enfants et des adolescents).

 

L'idée de forêt protectrice est fondamentalement différente de celle du désert qui donne accès à l'Absolu: elle implique une vision du monde plus plurielle, vénérant une assez grande multiplicité de formes de vie végétale et animale, coordonnée en un tout organique, englobant et protecteur.

 

L' homo europeus ou germanicus n'a toutefois pas eu le temps de forger et de codifier une spiritualité complète et absolue de la forêt et, aujourd'hui, lui qui ne connaît pas le désert de l'intérieur, au contraire du Bédouin et de l'Arabe, n'a plus de forêt pour entrer en contact avec l'Inconditionné. Et quand Ernst Jünger parle de “recourir à la forêt”, d'adopter la démarche du Waldgänger, il formule une abstraction, une belle abstraction, mais rien qu'une abstraction puisque la forêt n'est plus, si ce n'est dans de lointains souvenirs ataviques et refoulés. Les descendants des hommes de la forêt ont inventé la technique, la mécanique (L. F. Clauss dit la  Mechanei), qui se veut un ersatz de la nature, un palliatif censé résoudre tous les problèmes de la vie, mais qui, finalement, n'est jamais qu'une construction et non pas une germination, dotée d'une mémoire intérieure (d'un code génétique). Leurs ancêtres, les Croisés retranchés dans le krak des Chevaliers, avaient fléchi devant le désert et devant son implacabilité. Preuve que les psychés humaines ne sont pas transposables arbitrairement, qu'un homme de la Forêt ne devient pas un homme du Désert et vice-versa, au gré de ses pérégrinations sur la surface de la Terre.

 

A terme, la spiritualité du Bédouin développe un “style prophétique” (Offenbarungsstil), parfaitement adapté au paysage désertique, et à la notion d'absolu qu'il éveille en l'âme, mais qui n'est pas exportable dans d'autres territoires. Le télescopage entre ce prophétisme d'origine arabe, sémitique, bédouine et l'esprit européen, plus sédentaire, provoque un déséquilibre religieux, voire une certaine angoisse existentielle, exprimée dans les diverses formes de christianisme en Europe.  

 

Clauss a donc appliqué concrètement —et personnellement—  sa méthode de psycho-raciologie en allant vivre parmi les Bédouins du désert du Néguev, en se convertissant à l'Islam et en adoptant leur mode de vie. Il a tiré de cette expérience une vision intérieure de l'arabité et une compréhension directe des bases psychologiques de l'Islam, bases qui révèlent l'origine désertique de cette religion universelle.

 

Sous le IIIième Reich, Clauss a tenté de faire passer sa méthodologie et sa théorie des caractères dans les instances officielles. En vain. Il a perdu sa position à l'université parce qu'il a refusé de rompre ses relations avec son amie et collaboratrice Margarete Landé, de confession israélite, et l'a cachée jusqu'à la fin de la guerre. Pour cette raison, les autorités israéliennes ont fait planter un arbre en son honneur à Yad Vashem en 1979. L'amitié qui liait Clauss à Margarete Landé ne l'a toutefois pas empêché de servir fidèlement son pays en étant attaché au Département VI C 13 du RSHA (Reichssicherheitshauptamt), en tant que spécialiste que Moyen-Orient.

 

Après la chute du IIIième Reich, Clauss rédige plusieurs romans ayant pour thèmes le désert et le monde arabe, remet ses travaux à jour et publie une étude très approfondie sur l'Islam, qu'il est un des rares Allemands à connaître de l'intérieur. La mystique arabe/bédouine du désert débouche sur une adoration de l'Inconditionné, sur une soumission du croyant à cet Inconditionné. Pour le Bédouin, c'est-à-dire l'Arabe le plus authentique, l'idéal de perfection pour l'homme, c'est de se libérer des “conditionnements” qui l'entravent dans son élan vers l'Absolu. L'homme parfait est celui qui se montre capable de dépasser ses passions, ses émotions, ses intérêts. L'élément fondamental du divin, dans cette optique, est l' istignâ, l'absence totale de besoins. Car Dieu, qui est l'Inconditionné, n'a pas de besoins, il ne doit rien à personne. Seule la créature est redevable: elle est responsable de façonner sa vie, reçue de Dieu, de façon à ce qu'elle plaise à Dieu. Ce travail de façonnage constant se dirige contre les incompétences, le laisser-aller, la négligence, auxquels l'homme succombe trop souvent, perdant l'humilité et la conscience de son indigence ontologique. C'est contre ceux qui veulent persister dans cette erreur et cette prétention que l'Islam appelle à la Jihad. Le croyant veut se soumettre à l'ordre immuable et généreux que Dieu a créé pour l'homme et doit lutter contre les fabrications des “associateurs”, qui composent des arguments qui vont dans le sens de leurs intérêts, de leurs passions mal dominées. La domination des “associateurs” conduit au chaos et au déclin. Réflexions importantes à l'heure où les diasporas musulmanes sont sollicitées de l'intérieur et de l'extérieur par toutes sortes de manipulateurs idéologiques et médiatiques et finissent pas excuser ici chez les leurs ce qu'ils ne leur pardonneraient pas là-bas chez elles. Clauss a été fasciné par cette exigence éthique, incompatible avec les modes de fonctionnement de la politicaille européenne conventionnelle. C'est sans doute ce qu'on ne lui a pas pardonné.

 

Ludwig Ferdinand Clauss meurt le 13 janvier 1974 à Huppert dans le Taunus. Considéré par les Musulmans comme un des leurs, par les Européens enracinés comme l'homme qui a le mieux explicité les caractères des ethnies de base de l'Europe, par les Juifs comme un Juste à qui on rend un hommage sobre et touchant en Israël, a récemment été vilipendé par des journalistes qui se piquent d'anti-fascisme à Paris, dont René Schérer, qui utilise le pseudonyme de «René Monzat». Pour ce Schérer-Monzat, Clauss, raciologue, aurait été tout bonnement un fanatique nazi, puisque les préoccupations d'ordre raciologique ne seraient que le fait des seuls tenants de cette idéologie, vaincue en 1945. Schérer-Monzat s'avère l'une de ces pitoyables victimes du manichéisme et de l'inculture contemporains, où la reductio ad Hitlerum devient une manie lassante. Au contraire, Clauss, bien davantage que tous les petits écrivaillons qui se piquent d'anti-fascisme, est le penseur du respect de l'Autre, respect qui ne peut se concrétiser qu'en replaçant cet Autre dans son contexte primordial, qu'en allant à l'Autre en fusionnant avec son milieu originel. Edicter des fusions, brasser dans le désordre, vouloir expérimenter des mélanges impossibles, n'est pas une preuve de respect de l'altérité des cultures qui nous sont étrangères.

 

Robert STEUCKERS.  

 

-Bibliographie:

Die nordische Seele. Artung. Prägung. Ausdruck, 1923; Fremde Schönheit. Eine Betrachtung seelischer Stilgesetze, 1928; Rasse und Seele. Eine Einführung in die Gegenwart, 1926; Rasse und Seele. Eine Einführung in den Sinn der leiblichen Gestalt, 1937; Als Beduine unter Beduine, 1931; Die nordische Seele, 1932; Die nordische Seele. Eine Einführung in die Rassenseelenkunde, 1940 (édition complétée de la précédente); Rassenseelenforschung im täglichen Leben, 1934; Vorschule der Rassenkunde auf der Grundlage praktischer Menschenbeobachtung,  1934 (en collaboration avec Arthur Hoffmann); Rasse und Charakter, Erster Teil: Das lebendige Antlitz, 1936 (la deuxième partie n'est pas parue); Rasse ist Gestalt, 1937; Semiten der Wüste unter sich. Miterlebnisse eines Rassenforschers, 1937; Rassenseele und Einzelmensch, 1938; König und Kerl, 1948 (œuvre dramatique); Thuruja,  1950 (roman); Verhüllte Häupter, 1955 (roman); Die Wüste frei machen, 1956 (roman); Flucht in die Wüste, 1960-63 (version pour la jeunesse de Verhüllte Häupter); Die Seele des Andern. Wege zum Verstehen im Abend- und Morgenland, 1958; Die Weltstunde des Islams, 1963.

 

- Sur Ludwig Ferdinand Clauss:

Julius Evola, Il mito del sangue,  Ar, Padoue, 1978 (trad.franç., Le mythe du sang, Editions de l'Homme Libre, Paris, 1999); Julius Evola, «F. L. Clauss: Rasse und Charakter», recension dans Bibliografia fascista, Anno 1936-XI (repris dans Julius Evola, Esplorazioni e disamine. Gli scritti di “Bibliografia fascista”, Volume I, 1934-IX - 1939-XIV, Edizioni all'Insegna del Veltro, Parma, 1994);  Léon Poliakov/Joseph Wulf, Das Dritte Reich und seine Denker. Dokumente und Berichte, Fourier, Wiesbaden, 1989 (2ième éd.) (Poliakov et Wulf reproduisent un document émanant du Dr. Walter Gross et datant du 28 mars 1941, où il est question de mettre Clauss à l'écart et de passer ses œuvres sous silence parce qu'il n'adhère pas au matérialisme biologique, parce qu'il est «vaniteux» et qu'il a une maîtresse juive); Robert Steuckers, «L'Islam dans les travaux de Ludwig Ferdinand Clauss», in Vouloir, n°89/92, juillet 1992.       

jeudi, 21 février 2008

La tradicion perenne en A. Romuladi

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La tradicion perenne

en Adriano Romualdi

Tommaso ROMANO

Fue a finales de los años sesenta, frecuentar un Liceo en Palermo –como dirigente de la Giovane Italia– a partir del 1968, era peligroso. Lo que me salvó entonces a mí y a parte de los jóvenes de Destra, de la deriva nihilista y violenta (pensemos en Magiameli y en Concutelli), fue precisamente el encuentro decisivo con Adriano Romualdi a través del símbolo de una época que fueron las noventa paginas publicadas, por el nunca suficientemente recordado ingeniero Giovanni Volpe en la "Collezione Europa", bajo el título de Julius Evola: l’uomo e l’opera en el año fatídico de 1968, septuagésimo del Maestro nacido en Roma –quizás por voluntad del Hado– pero ciertamente de la muy siciliana familia de los Guisi, provincia de Palermo.

Aquella pequeña obra, cuando yo tenía catorce años, me hizo descubrir al barón, que después habría conocido y frecuentado durante los últimos tres años de su vida, reeditando, entonces, en mi neo-nata Edizione Thule, dos pequeñas obras que el mismo Evola quiso titular como Note sulla Monarchia (1972) y Prospettive sui Miti della Spiritualità Eroica (1973). Pero fue al principio de los años 70, cuando tuve experiencia asociativa y formativa de mi juventud. Esto es, la participación activa en el Centro siciliano di Studi Tradizionali de la calle General Atreva en Palermo animado por Gaspare Canonizzo (benemérito y todavía hoy un coherente y combativo Director de Via della Tradizione) y Orazio Sbacchi, hombre de indudable profundidad intelectual, con otros bravos amigos como Salvador Ruta de Messina, Felice Cammerata, Lorenzo Giordano, Guido Laure, Angelo Cona, Francesco Ragonese, Alfredo Montini, Pier Luigi Aurea. Fue precisamente con el grupo palermitano y con la revista de Canizzo, en la que Adriano Romualdi comenzó a colaborar tempranamente. Y fue gracias al profesor Giuseppe Tricoli, historiador y hombre político de una raza desaparecida, que Adriano Romualdi pudo ser nombrado, en la Facultad de Magisterio de Palermo, profesor adjunto ordinario. Y fue Tricoli quien corrigió con amor y rigor el volumen póstumo, querido por su padre, Il Fascismo come fenomemo europeo. Entre el “Centro” de calle Atreva y los paseos palermitanos surgió un intensa camaradería con Adriano y me gusta recordar el día entero transcurrido con Él en el Monte Pellegrino, a la búsqueda de los mitos que acompañan la época de los grafitos de las grutas del Addarra, el sagrado monte palermitano.

Adriano Romualdi, no sólo porque fue un muy digno hijo de Pino (al que incluso tuve el honor de frecuentar y luego publicar, su Intervista sull’Europa), fue ciertamente un hombre de la Derecha radical europea, ni patriotera ni conservadora (aunque, con reserva, Adriano admiró el conservadorismo de Giusseppe Prezzolini), heredero, sin banales nostalgias, de los muchos y variados «fascismos». Lo que intentaba Adriano, hombre sin embargo sabiamente templado, era reconducir, resumir y actualizar el «problema del la Tradición europea». Sobre estos temas, llevó a cabo muchas búsquedas, filológicamente irreprochables, e indudablemente motivadas por un pathos viril y consciente, en una palabra clásico. A la decadencia de la Europa de aquellos años (de esta Europa de nuestro tiempo de los mercaderes y los banqueros, de los agnósticos y de los mentecatos de la política, es superfluo hablar, ¡basta con constatar!), Romualdi opuso la raíz del mito y la historia eterna. Contra la lectura racionalista e iluminista, localizó cautelosamente los símbolos permanentes, los valores fundamentales. Consciente del ocaso de Spengler, Romualdi quiso citar a los Maestros clásicos y los «buenos» del Romanticismo, pero sobre todo propugnó, como a Su Mayor y Maestro Evola, la revuelta contra el mundo moderno, activa y contemplativa al mismo tiempo. Adriano, lo escribió y me lo expresó muchas veces, la lectura cautísima, de René Guénon, de la Crisis y sus aspectos nivelados, no bastaba.

El guerrero, el caballero tenía que ser (sin ilusiones de Victoria, porque ésta poco contaba) libre y determinado, fuerte en la fe y hábil en la espada. Un combatiente, no un soñador.

La «Tradición Perenne» en Adriano Romualdi es ciertamente dinámica, revolucionaria en la acepción –también nietzcheana– del «eterno retorno» al punto originario.

Es precisamente en las páginas palermitanas de Via della Tradizione, donde Romualdi traza un cuadro orgánico del mundo de la Tradición con un largo ensayo publicado en tres partes: en los números 3, 4 y 5 –es decir desde el número de julio de1971 al número de enero-marzo de 1972–, con el título Sul problema de una Tradizione Europea. Bien entendida, sin sustraer nada a la tradición específica de la otra Europa, y por tanto, espiritual y civilizadora, escribe, al «espiritualismo genérico y anti-histórico que pudiera degradarse y llegar a ser una "segunda religiosidad" de función antioccidental».

El objetivo de Romualdi, hablando de Tradición y de Europa, está dirigido a «intentar una síntesis cuyo significado sea la identificación de una tradición europea».

Para dar un contenido, un sentido a tal hipótesis, para hacer brillar tal fundamento que como un resto precioso debe señalarse, Romualdi no identifica en la ecuación «cristianismo-civilización europea», porque ya en el mundo clásico grecorromano o en los pueblos del Norte, pero incluso también a los que llama los «occidentales del Oriente», es decir de India y Persia, juegan «un papel de primer plano en la definición de una espiritualidad indoeuropea y blanca», basada en el Orden. En efecto cita el Himno a Mitra y Varuna: «Con el Orden vosotros sujetáis todo el mundo. En el cielo vosotros colocáis el chispeante carro del Norte». «Esta concepción del orden – continuaba Romualdi– es distinta a una actitud quietista e inmovilista. Al contrario, esta es una intuición sobre multiplicidad del ser por la que cualquier riesgo, pérdida o herida se vanifican frente al principio reintegrador del Todo». No al azar cita luego los versos de Goethe del Eins un dalles. En buena sustancia los europeos, Romualdi dice, son el «pueblo de la luz».

«El pueblo destinado a llevar el logos, la ley, el orden, la medida. El pueblo que ha divinificado al Cielo frente a la Tierra, el Día frente a la Noche. La raza olímpica por excelencia». Es una elección, continua, destinada a señalar una orientación durante milenios; contra la nivelación y a la promiscuidad, está el orden de la luz, la familia y el Estado. La decadencia en la «fraternidad» espuria, tiene en el cristianísimo de los orígenes –para Romualdi– la articulación de una abjuración del clasicismo en su sentido extenso, con nuevos modelos espirituales y sociales. Es sólo alrededor del año mil cuando las «generaciones románico-germánicas emprenden, cada vez más rápidamente, un proceso de reasimilación del cristianismo»; será, todavía dice, bajo la mirada clara de los rostros góticos del cristianismo en el que se «alumbra su sustancia y se hace olímpico» y con ello «la restauración de un Imperio que es romano y sagrado a un tiempo. Así, al pacifismo cosmopolita del primer cristianismo, sucede el movimiento de la guerra santa y la bernardiniana laus novae militiae».

La concepción orgánica del kosmos propia de la cultura griega reflorece, a través de los estudios aristotélicos en Santo Tomás de Aquino. Con ello, la cultura clásica recobra el dominio del espíritu europeo mucho antes del Renacimiento y en un contexto menos individualista e intelectualista. Es por esto que la estación medieval de la civilización europea, lejos del ser aquella abstracta «negación del mundo», es en realidad la de una integración del kosmos visible en lo ininteligible. No es de extrañar que Romualdi cite, copiosamente, en este sentido, el itinerarium mentis in Deum de san Buenaventura y con él, Dante en la dimensión no fideística sino la de la recta ratio, como «certeza de cosas esperadas y argumento de lo que se tiene apariencia»

El discurso de la edad media religiosa es para Nuestro autor (Romualdi) «siempre en función de una lógica del orden (…) la antigua vocación a la racionalidad olímpica resurge y, con la misma pasión geométrica que proyectó en el espacio las columnas dóricas, se mide el kosmos con la valiente matemática de las catedrales góticas. En tal modo el cristianísimo, romanizado en los órdenes jerárquicos, germanizado en la sustancia humana y helenizado por la continua transfusión de aristotelismo y neoplatonicismo, que adquiere plena ciudadanía en Europa». Romualdi en todo caso subraya que «la letra del dogma cristiano choca contra una metafísica originaria» y por ejemplo toma en consideración, siguiendo la estela de Evola, la mística medieval europea, que tendería a «evadirse del cuadro del cristianismo»: cita Meister Eckart y al «centro del alma» de Plotino, para llegar a la afirmación «pagana» que «el hombre noble es el que se aventura en esta zona que lo hace idéntico a Dios».

En todo caso, «el injerto de la religiosidad cristiana en la sustancia espiritual europea es un hecho innegable» y dura hasta el final del siglo XVIII, cuando «el concepto de cristiandad: un ecumene unida no sólo por una religión, sino por una costumbre de mansedumbre y firmeza alejada de cada exceso y que opone de hecho al cristiano, como el europeo al bárbaro. Es en este sentido que Nietzsche alabó el auténtico cristiano como uno de los tipos más respetables de la civilización europea. Frente al salvaje, pero también al turco y al oriental, el cristiano se definía por la «medida» en el practica de la fe y en el comportamiento; es esta mayor medida o pureza que es sentida inmediatamente como el carácter de la civilitas europea de raíz cristiana. Así, la cristiandad deviene la fórmula en que se recogen las características del “Homo Aeropaeus”». Pero el cristianismo, en tal acepción, para Romualdi, no es más que una estación, incluso importante, de la vuelta al Clasicismo, del «canon clásico». La crítica que Romualdi le hace al hombre europeo de los últimos cientos de años (estamos a principio de los años setenta) está motivada fuertemente (no tanto a los efectos de la reforma, ni a Napoleón -pongamos- a Cavour, personajes que podrían admirarse) sino en que «la curación es un patrimonio exclusivo del enfermo». Está aquí la clave de la investigación y de la perspectiva romualdiana: no considerar –contra escolásticas a menudo embalsamadas– el ciclo como conclusivo. Más bien el problema no se soluciona en la abstracción existencialista y/o espiritualista sino «en encontrar una forma espiritual capaz de contener tres o más milenios de espiritualidad europea».

Una forma no sincretista, sino «activa en un mundo cuyo tema central es del dominio de las fuerzas elementales. La invasión de lo elemental -técnica, distancia, excitación - parece ser la característica de nuestra época. Esto hace necesaria una capacidad de disciplina y ejemplificación ajena de toda caída espiritualista. Un estilo que casi quiera coger de las luces blancas, firmes y metálicas de cierta modernidad, el presagio de un nuevo clasicismo. El estilo de una metafísica del esfuerzo y la formación del sí mismo».

Fundir «claridad antigua y audacia moderna» es, para Adriano Romualdi, la temática propuesta para una «nueva espiritualidad europea». En eso es profeta y anticipador, también en retomar y mirar la naturaleza «como manantial de meditación religiosa. La niebla en los bosques por la mañana, los perfiles sauros de los montes nos hablan de pureza y distancia».

Incluso insistiendo sobre el «Hombre blanco» de modo determinista, con los límites de una investigación que tuvo que desenvolverse y principalmente caracterizarse, la aportación innovadora hacia una Tradición perenne, es una importante y decisiva contribución innovadora a cualquier estéril y paralizante ortodoxia. De Platón y Nietzsche, de Evola a los combatientes del honor de Europa, refulge a los despavoridos, a los traidores, la coherencia adamantina de Adriano Romualdi y con él la búsqueda de nuevas vías de la Tradición y la Política, en mayúsculas, «destinada a ser nuestro destino» según sus palabras. Tendremos, teníamos, necesitamos del ejemplo y de la enseñanza de Adriano Romualdi a treinta años de su trágica desaparición, para no ceder, para no enterrar en el fraccionamiento infantil, un elevado mensaje. Encontrar el fundamento de la política es, por lo tanto –hoy en estos tiempos oscuro para nuestra Patria– volver viviente la perenne Tradición de los Padres y darle renovado sentido.

Tommaso Romano.

jeudi, 14 février 2008

Friedrich Sieburg

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Friedrich Sieburg

 

Célèbre par son Dieu est-il français? (1929), Friedrich Sie­burg fait l'objet d'une excellente biographie de Cecilia von Bud­denbrock. Correspondant de presse à Paris de 1926 à 1933, pilote dans l'escadrille von Richthofen durant la Gran­de Guerre, Friedrich Sieburg reviendra à Paris de 1940 à 1943, détaché au service culturel de l'ambassade d'Allema­gne. Dominique Venner écrit dans sa préface: «Mieux que son rôle effacé entre 1940 et 1943, ce qui associe Sieburg à la France, c'est son essai Dieu est-il français?, célèbre dès sa parution. Le fait que Raymond Poincaré se soit risqué à ré­futer la livre dans une communication de l'Institut fit son suc­cès. Pourtant, la critique se montra assez peu réceptive. Ro­bert Brasillach, tout jeune encore, étrilla l'ouvrage dans L'action française du 4 décembre 1930, à l'occasion d'une chro­nique intitulée "Contrebande germanique". Relisant au­jourd'hui l'essai de Sieburg, on comprend difficilement ce re­jet, tant son auteur fait des efforts louables de compré­hen­sion. Ses censeurs lui reprochèrent de montrer la France des années 30 comme une sorte de charmant anachronisme adonné au bonheur de vivre à l'heure de son clocher, mé­prisant l'industrialisation forcenée d'une Allemagne pauvre et spartiate. Ce portrait-là était vrai, on l'a bien vu un peu plus tard. Il a même aujourd'hui valeur de document ethnologique pour une France disparue» (PM).

 

Cecilia von BUDDENBROCK, Friedrich Sieburg 1893-1964, Editions de Paris (7 rue de la Comète, F-75.007 Pa­ris), 306 pages, 159 FF.

 

mardi, 12 février 2008

Armin Mohler ou l'image comme argument

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Hommages à Armin Mohler pour ses 80 ans

 

L'image comme argument

 

Quand on entre chez Armin Mohler, dans son appartement munichois, on suit d'abord un long corridor sombre. Au début de ce couloir, près de l'entrée, se dresse une commode, avec, en face d'elle, un grand miroir. Puis, on suit une ran­gée de bibliothèques énormes et très larges, s'élevant jus­qu'au plafond, qui rendent ce corridor plus étroit. Une ou deux heures plus tard, on se trouvera en face d'elles, avec le maître du logis, pour s'entendre dire que celle-ci contient les ouvrages sur les réalistes russes, celles-ci les ouvrages sur les Espagnols, les Scandinaves, les Américains. Ainsi s'ali­gnent plusieurs milliers de superbes volumes consacrés à l'histoire de l'art, la préoccupation majeure de l'autre Mohler, celle que le public politisé et idéologisé ne connaît pas. Car le Mohler que ce public plus militant connaît est avant toute chose l'auteur d'une thèse de doctorat, devenue un ouvrage de référence essentiel, Die Konservative Revolution in Deutsch­land. Ce livre, aujourd'hui publié en deux volumes avec tous les ajouts cumulés au fil du temps, a permis de forger un concept  —celui de “Révolution Conservatrice”—  qui est toujours utilisé dans les ouvrages traitant de l'histoire culturelle et politique allemande de ce siècle. Ensuite, ce li­vre a eu un effet de cristallisation, dans la mesure où il sert de référence à tous les penseurs de la droite.

 

Cet amateur d'art, ce fabuleux collectionneur de beaux ou­vra­ges, cet homme qui a donné aux intellectuels de droite un fil d'Ariane, se tient debout au milieu de la pièce et appuie son corps massif sur une canne. Plusieurs opérations aux genoux ont fait leur effet. Les cheveux blancs sont peignés en arrière. Visiblement, il s'est préparé pour nous recevoir. A côté de son fauteuil préféré se trouve une liasse de papier et un petit tas de livres. Nous entrons directement dans le vif du sujet. Aucune de nos questions reste sans réponse. Moh­ler fait venir de nouveaux documents de la pièce voisine. Trois portraits-icônes sont accrochés au mur: Ernst Jünger, Carl Schmitt, Arnold Gehlen. Nous avons une courte conver­sa­tion sur ces trois géants de la pensée allemande de ce siè­cle. Ensuite, dans la foulée, Mohler me fait traverser la piè­ce et frappe du bout de sa canne une autre photographie, accrochée au-dessus du chambranle de la porte, et dit: «Cet homme a eu un grand mérite en prononçant son fameux dis­cours, si bien qu'on peut beaucoup lui pardonner». Je recon­nais le visage de Martin Walser.

 

Penser avec les yeux

 

Oui, Armin Mohler, figure de proue du néo-conservatisme allemand, a cloué une photographie de Walser au-dessus de sa porte. Car Mohler est un homme qui pense avec les yeux (Er ist ein Augenmensch). Il a étudié l'histoire de l'art et il a écrit beaucoup d'articles sur le cinéma et sur les expositions. Ses livres, au fond, sont truffés d'images; Mohler harponne toujours le concret, raconte des anecdotes afin de déceler, par leur médiation, la tendance dont elles sont un reflet, la courant qui se profile derrière elles, les lignes directrices de leur époque; Mohler rend visibles les modes de comporte­ment. Sa démarche d'esprit est tout le contraire d'une logi­que de juriste, qui cherche à capter et à figer tout ce qui peut don­ner lieu à une interprétation logique. Au contraire, les ima­ges suggérées et décrites par Mohler visent à révéler im­mé­diatement le noyau fondamental de ce qu'il veut nous mon­trer ou nous démontrer.

 

Mais ces images deviennent floues sur leurs bords, elles semblent fuir, se fondre dans le fond-de-monde. C'est l'é­vi­dence. Il ne faut pas le répéter sans cesse. Armin Mohler ne se défend jamais contre ceux qui ne veulent pas le com­pren­dre. Il se moque d'eux, tout simplement.

 

Pourtant Mohler aime les véritables joutes intellectuelles, cel­les où l'on prend son adversaire au sérieux, où on le con­si­dère comme honnête, comme un partenaire qui s'efforcera, sans céder sur l'essentiel de ses positions, d'arriver à une ana­lyse commune avec vous, au départ d'idées pourtant di­ver­gentes, un adversaire qui tentera de forger une approche com­mune ou d'atteindre simplement la vérité dans la discus­sion, même s'il croit à des paramètres politiques complète­ment différents des vôtres. La liste des orateurs que Mohler avait choisis jadis, quand il était directeur de la Fondation Sie­mens, prouve ce goût prononcé pour les polémiques fruc­tueu­ses. Ainsi, Bernard Willms est monté à cette tribune d'a­bord comme jeune homme de gauche, puis comme homme mûr de droite. Dans tous les débats de la Fondation Sie­mens (et dans les autres!), Mohler est toujours resté fidèle à sa méthode, c'est-à-dire la méthode des images. Pour lui, il ne s'agit pas de terrasser ou de surplomber ou de déchirer l'i­ma­ge que suggère un adversaire, ni même de faire dévier la discussion vers le flou infini qui entoure l'image, car alors le débat chavirerait dans un flot non maîtrisable de défini­tions chaotiques et les adversaires sortiraient tous vain­queurs sans avoir rien réglé ni décidé ni tranché. Armin Moh­ler cultivait un plaisir vraiment agonal quand il pouvait suggé­rer une plus belle image que celle de son adversaire.

 

◊ ◊ ◊

 

Cette scène est tiré d'un débat où Mohler a participé:

«Monsieur Mohler, vous dites que l'homme ne trouvera le sens que s'il a une conscience nationale. Pourquoi cela serait-il vrai?».

«Parce que nous le disons. Une telle idée, on la pose. Je ne peux pas vous expliciter ses fondements par la logique. Dans ce sens, je n'ai pas de théorie. Je pose une image et les gens doivent l'accepter ou non. S'ils ne l'aiment pas, eh bien, c'est simple, ils ne l'aiment pas. C'est dommage pour moi».

«Donc vous posez simplement une image et vous pensez que les gens n'ont pas besoin d'explications?».

«Exactement. Par l'éducation, que vous avez reçue, vous pensez évidemment que l'on doit, quelque part, trouver une explication logique. Mais moi, je ne peux pas vous donner d'explication logique. Il existe très certainement des gens qui pourront vous en donner. Mais ceux qui pensent comme moi ne peuvent pas faire grand chose de ces explications logi­ques. Nous disons: “cela ne doit pas être fondé (logique­ment)”, nous le savons. C'est cela le perspectivisme. C'est MA perspective et j'essaie de la rendre accessible aux gens par des images. Souvent aussi par des arguments…».

 

◊ ◊ ◊

 

Armin Mohler ouvre tout à coup son armoire à verres, en extrait quelques gros classeurs et les étalent sur la table. Ils contiennent sa correspondance avec Ernst Jünger, le Maître. Une correspondance privée. Impubliée jusqu'ici. Une vérita­ble mine de renseignements. On a envie de rester assis dans ce sofa très bas, presque à ras du sol, de commencer à lire sans s'arrêter: les lettres de Jünger débutent par la for­mule “Lieber Sekretarius”. Chaque fois, la réponse, sur copie carbone, est accrochée à la lettre initiale. Mais on n'a pas le temps de les lire. Mohler apporte les livres où signent tous les hôtes de la maison. La première mention est d'Ernst Jünger. Il est vrai que c'est par lui que tout a commencé. Le disciple Armin Mohler, rappelons-le, souffrait, dans sa Suis­se en paix, d'une “sous-alimentation monumentale” et, sur fond de cette ambiance morose, tout à coup, l'Allemagne at­ta­que l'Union Soviétique; un sentiment indéfinissable s'em­pa­re du jeune Mohler et met rapidement un point final à ses agissements d'intellectuel de gauche, aimant les arts et les beaux esprits. Maintenant, c'est le moment décisif. Mohler avale d'un seul trait le Travailleur de Jünger. Ce fut une lec­ture existentielle. L'ouvrage met un homme jeune sur les rails qu'il n'abandonnera jamais plus. Après cette lecture, tout sera différent. Mohler n'a jamais été au front. Il a étudié à Berlin. Pendant des semaines de travail, il a retranscrit à la main les essais de Jünger, au temps où il était militant na­tio­naliste et national-révolutionnaire. Il est devenu ainsi le meil­leur connaisseur du Maître. Plus tard, le souvenir de cet en­goue­ment pour le Travailleur et pour les écrits nationaux-ré­volutionnaires d'Ernst Jünger, servira de noyau à la critique acerbe que Mohler adressera au Maître quand celui-ci com­mencera à réécrire et à réadapter ses œuvres. Pour Mohler, un auteur qui, par ses livres, a bouleversé toute une géné­ra­tion, ne peut agir ainsi. Travailler l'image que l'on veut laisser derrière soi peut paraître insuffisant. Toutefois, Ernst Jünger (et d'autres!) ont eu des lecteurs qui, après avoir fermé ses (leurs) livres, ne se sont pas contenté de réfléchir dans leur fau­teuil à côté de leur feu ouvert…

 

Armin Mohler a fêté ses 80 ans le 12 avril 2000.

 

Götz KUBITSCHEK.

(article tiré de Junge Freiheit, n°15/2000; http://www.jungefreiheit.de ; G. Kubitschek participera à l'ouvrage d'hommages à Armin Mohler qui paraîtra sous le titre Lauter Dritter Wege, Ed. Antaios, Alte Frankfurter Straße 59, D-61.118 Bad Vilbel).

 

lundi, 11 février 2008

Hommage à Piet Tommissen

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Hommage à Piet Tommissen pour ses 75 ans

 

Piet Tommissen ou de la vertu de l'obstination

 

Cicéron a dit un jour: «Rien ne fait plus impression que l'ob­sti­nation». Cette phrase pourrait parfaitement s'appliquer à la vie et l'œuvre de l'économiste politique flamand Piet Tom­mis­sen, qui a fêté le 20 mars dernier ses 75 ans en gardant intacte son impressionnante puissance de travail.

 

Ceux qui cherchent encore la preuve de cette évidence  —que toute culture repose sur l'acte gratuit, sur le travail pres­té sans rémunération—  il la trouvera dans la personne de Piet Tommissen. Après la deuxième guerre mondiale, Carl Schmitt était le bouc émissaire favori dans la sphère des sciences juridiques et politiques allemandes, mais aussi, faut-il le rappeler, le “chêne sous lequel les sangliers ve­naient chercher leurs truffes” (dixit Roman Schnur). Pendant cette période sombre, le jeune Piet Tommissen a donné son amitié à Schmitt, avec quelques rares amis allemands fidèles; il a aussitôt rédigé la première bibliographie de Carl Schmitt dans des conditions difficiles (Versuch einer Carl-Schmitt-Bibliographie, Academia Moralis, Düsseldorf, 1953). Et quand je dis “conditions difficiles”, je veux rappeler à mes contemporains que Tommissen a effectué ce travail long­temps avant qu'il n'existât partout des photocopieurs, com­me aujourd'hui, où l'on peut reproduire des textes à foison. Tom­missen retranscrivait, à la main, avec son stylo à encre, des centaines d'articles de Schmitt ou il les tapait sur une vieille machine à écrire de voyage, avec papier carbone, per aspera ad astra. Il a effectué ce travail quand il était un étu­diant sans moyens, dans les dures années de l'après-guer­re, où tout voyage d'exploration vers Plettenberg (où Schmitt s'était retiré) représentait des difficultés financières à la chaî­ne. C'est donc avec des débuts aussi difficiles que Tommis­sen, au fil des années, est devenu le meilleur connaisseur, et le plus méticuleux, de l'œuvre de Carl Schmitt.

 

Les fruits de ce travail désintéressé se retrouvent aujourd'hui dans d'innombrables articles et études, dans de nouvelles bibliographies et, depuis 1990, dans une collection de livres, baptisée “Schmittiana”, qui paraît chez Duncker & Humblot à Berlin. Aujourd'hui, nous estimons tous que de tels travaux sont aisés à achever, mais ce fut loin d'être le cas à l'époque héroïque du jeune étudiant et du jeune économiste Tommis­sen. Je dirais même plus: sans la foule d'apports et de dé­tails apportés et découverts par Tommissen, l'entreprise de dif­famation internationale qui a orchestré le boycott et l'ostra­cis­me contre Schmitt —et ainsi contribué à sa gloire!—  ap­pa­raîtrait encore plus sotte et plus lamentable, parce qu'elle n'aurait aucun argument valable, ne saurait rien des innom­bra­bles facettes de sa personne.

 

Tommissen, qui a étudié les sciences économiques à la Hau­te Ecole économique Sint-Aloysius à Bruxelles et à l'Uni­versité des Jésuites d'Anvers, a dû, à côté de ses recher­ches, travailler pour gagner sa croûte comme fondé de pou­voir dans l'industrie. Il accède au titre de docteur en 1971 en pré­sentant une thèse sur Vilfredo Pareto. Intitulée De eco­no­mische epistemologie van Vilfredo Pareto (Sint-Aloysius Han­delshogeschool, Bruxelles, 1971), cette thèse peut être con­sidérée comme l'un des ouvrages les plus importants et les plus fondamentaux jamais rédigés sur le grand homme. Tout chercheur qui souhaite se pencher sérieusement sur l'Ita­lien Pareto devrait au moins acquérir une connaissance pas­sive du néerlandais. Ce qui ne m'empêche pas de regret­ter que Tommissen n'ait pas écrit son livre en allemand ou en français: mais hélas, la gloire est injuste, monstrueuse pour les langues minoritaires.

 

Dans ce travail, nous rencontrons déjà Tommissen tout en­tier: un observateur interdisciplinaire qui manie cette inter­disci­plinarité avec le plus grand naturel, comme si elle était l'évidence; un auteur qui possède le grand art de mettre en exergue les liens entre les choses les plus diverses. Nous n'acquerrons pas seulement, à la lecture de cette thèse, con­naissance des problèmes fondamentaux de l'économie po­liti­que européenne jusqu'aux années qui ont immédia­te­ment suivi la première guerre mondiale, mais aussi de tout l'arrière-plan politique, philosophique et psychologique qui animait le “solitaire de Céligny”. Tommissen nous restitue avec amour et expressivité tout ce background, générale­ment ignoré par bon nombre d'auteurs, trop attachés à la surface des textes. Par conséquent, aucune autre étude dé­tail­lée ne rendra la thèse de Tommissen caduque.

 

Mais on comprendrait mal le personnage Tommissen si on ne le considérait que comme un spécialiste de Schmitt et de Pareto, lui qui a enseigné de 1972 à 1990 à la Haute Ecole d'économie Sint-Aloysius à Bruxelles où il éditait la collection “Eclectica”, qui recèle des montagnes de trésors, des anec­dotes et des détails sur Schmitt, toujours inattendus. Peu de cher­cheurs savent en Allemagne qu'il est aussi un bon con­nais­seur de Georges Sorel, de Julien Freund et de la pensée politique française des 19ième et 20ième siècle. Tommissen a tou­jours déclaré, expressis verbis, qu'il voulait faire “des scien­ces humaines au sens le plus large du terme”.

 

Exemple particulièrement frappant de concrétisation de cette volonté: son livre Economische Systemen (Uitgeverij N.V., Deurne, 1987). En peu de pages, Tommissen y brosse l'his­toire des idées économiques de l'antiquité à la Chine post-maoïste et les innombrables notes et remarques fondées qu'il a ajoutées au texte nous ouvrent au drame qu'est l'his­toi­re économique de l'humanité et nous communiquent les ra­ci­nes et les fondements politiques, culturels et idéologi­ques de l'homme travaillant tout au long de l'histoire. Un bon li­vre rend la lecture de cent autres superflue et nous encou­rage à en lire encore d'autres milliers. Voilà!

 

D'extraordinaires connaissances en littérature et en histoire de l'art…

 

Mais dans tous les travaux d'économie et de sciences politi­ques écrits par Tommissen, le lecteur est constamment sur­pris par ses extraordinaires connaissances en littérature et en histoire de l'art, car il avait caressé longtemps l'idée d'étu­dier la philologie germanique et l'histoire de l'art. Par exem­ple, il connaît le dadaïsme et le surréalisme européens dans toutes leurs variantes. Il n'était pas encore âgé de trente ans qu'il invitait en Flandre des auteurs allemands comme Heinz Piontek et Heinrich Böll, pour y prononcer des conférences (et je serais tenté d'ajouter: quand ils étaient encore des é­crivains intéressants…!).

 

Seuls ceux qui sont conscients de l'énorme travail presté par Tommissen sont en droit d'émettre une critique: ce maître de la note en bas de page exagère parfois dans son zèle à vou­loir tout dire, car il sous-estime volontiers les connaissances de ses lecteurs. Mais chez Tommissen, il n'y a là aucun or­gueil, qui motive son action, ni aucune vanité, car il est la cha­leur humaine incarnée. Pour lui, l'homme est né pour ai­der son proche et pour recevoir de lui une aide équivalente. Si bien que Tommissen, l'éminence, n'a aucune honte d'ap­pren­dre quelque chose, même d'infime, chez un écrivaillon à peine sorti de la puberté et inexpérimenté.

 

Un dévouement fidèle à Pareto et à Schmitt

 

Toujours heureux de donner un renseignement, toujours en quê­te de renseignements chez autrui avec la plus exquise des amabilités, Tommissen a permis l'éclosion de bon nom­bre de travaux scientifiques, a semé beaucoup plus que les nombreux ingrats ne le laissent supposer à leur public. Un hom­me de cette nature si particulière et si valable mérite à juste titre nos hommages parce qu'il a donné volontairement, avec fidélité, une grande partie de sa vie à ceux qu'il consi­dère comme ses maîtres: Vilfredo Pareto et Carl Schmitt. On pense de suite à un essayiste brillant et un conteur souve­rain comme Adolf Frisé qui n'a pas hésité à explorer pendant de longues décennies l'œuvre de Robert Musil et à la propa­ger. Souvent la lumière qui brille sous le boisseau est la plus vive! Ad multos annos, Piet Tommissen!

Ton ami,

Günter MASCHKE.

(hommage extrait de Junge Freiheit, 12/2000).

dimanche, 27 janvier 2008

E. E. Dwinger: sens de la souffrance

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Ulli BAUMGARTEN:

Edwin Erich Dwinger: donner un sens à la souffrance

 

Au cours de sa jeunesse, il arrive de tomber sur les livres de certains écrivains qui vous impressionnent tellement que leur œuvre ne vous quitte jamais plus. Edwin Erich Dwinger, écrivain très célèbre sous la République de Weimar, qui fut, à côté de Werner Beumelburg, le principal écrivain du « nationalisme soldatique » (soldatischer Nationalismus), appartient aujourd’hui à la catégorie peu enviée des écrivains oubliés de l’entre-deux-guerres. Même si certains de ces livres ont été réédités, il y a quelques années, son nom ne dit plus rien à personne, y compris dans les rangs du néo-conservatisme néo-nationaliste, où, forcément, on ne lit plus ses livres. A tort !

 

Edwin Erich Dwinger est né le 23 avril 1898 à Lübeck, fils d’une mère russe et d’un officier allemand. Pendant toute sa vie, il a été tiraillé entre l’Allemagne et la Russie. Comme pour beaucoup de jeunes Allemands de sa génération, la première guerre mondiale sera l’événement central de son existence. Il se porte volontaire en 1915. Les années de guerre le marqueront tellement qu’à sa profession de paysan, librement choisie, il ajoutera celle d’écrivain, mu par le désir ardent de raconter son vécu de combattant et d’y identifier sa patrie, l’Allemagne.

 

Après un bref engagement sur le front russe, le jeune aspirant d’un régiment de dragons, âgé de 17 ans est grièvement blessé et pris prisonnier par les soldats du Tsar. Avec ses camarades, il aboutit au terrible camp de prisonniers de Totzkoïe, dont des milliers de soldats allemands ne reviendront jamais. L’administration du camp est inhumaine : les détenus meurent du typhus ou, plus simplement et plus cruellement, de faim. Dans la première partie de sa trilogie « Die deutsche Passion » (= La passion allemande), intitulée « Armee hinter Stacheldraht » (= Une armée derrière les barbelés), Dwinger tente de donner un sens à cette souffrance indicible, provoquée par la brutalité de l’administration du camp ; il écrit : « Tout homme qui n’est pas capable de sa sacrifier pour une idée, de quelque nature qu’elle soit, n’est pas un homme au sens le plus élevé (…). Nous subissons ici, ce qui fait de l’homme un homme : souffrir pour une idée ». Les survivants de cet enfer sur la Terre finiront par être transportés plus à l’Est, aux confins de la Chine. Bien que la guerre entre le Reich et la Russie se soit terminée en 1917, les prisonniers de guerre allemands, devenus jouets aux mains des Blancs et des Rouges, sont maintenus dans les camps. Les derniers ne seront libérés qu’en 1921.

 

Entre Blancs et Rouges

 

Dwinger réussit toutefois à s’échapper du camp en 1919, mais est repris prisonnier par les Blancs anti-bolcheviques, et placé devant l’alternative : ou la mort ou l’engagement dans la lutte contre les communistes. Dans le deuxième volume de sa trilogie, « Zwischen Weiß und Rot » (= Entre Blanc et Rouge), Dwinger décrit la pire et la plus brutale des guerres, la guerre civile. Il y décrit les atrocités commises par les uns et les autres, ciselant les phrases les plus poignantes de son œuvre. Au début des années 20, l’Europe a eu peur du bolchevisme mais en a également été fascinée. La peur du bolchevisme explique l’émergence de partis radicaux de droite. Seuls ceux qui ont vécu le destin du peuple russe en ces années terribles de la guerre civile entre Blancs et Rouges peut comprendre de tels sentiments.

 

La défaite de l’armée de Koltchak, à laquelle le malgré-lui Dwinger appartenait, signifia l’effondrement définitif de la résistance anti-bolchevique. Dwinger se retrouve une nouvelle fois dans un camp de prisonnier. Il s’évade et peut, à l’été 1920, franchir la frontière allemande. D’heureuses circonstances lui permettent d’acquérir un emploi d’intendant dans une grande propriété de Prusse orientale. Quelques-uns de ces camarades y ont également trouvé refuge et ont essayé d’y démarrer une carrière de paysan-défricheur. Dwinger décrit les troubles de ces années, avec la cession forcée de territoires allemands et l’inflation galopante, dans le troisième volume de sa trilogie « Wir rufen Deutschland » (= Nous appelons l’Allemagne). Cette trilogie, parue entre 1929 et 1932, a assis la réputation d’écrivain de Dwinger.

 

La majeure partie de son œuvre complète, comptant plus de trente livres totalisant près de deux millions de volumes, est consacrée aux rapports germano-russes. Ainsi, par exemple, « Die letzten Reiter » (= Les derniers cavaliers), livre paru en 1935. L’auteur y décrit la tragédie des Pays Baltes et de la caste dominante allemande qui y était installée depuis plus de 700 ans. Cette caste avait participé à l’éclosion culturelle et à l’essor économique de cette région d’Europe. « Und Gott schweigt ? » (= Et Dieu se tait ?), paru en 1936, est également un ouvrage très connu de Dwinger. Il y décrit les impressions d’un jeune communiste, qui émigre en 1933 en Russie, mais est horrifié par la situation de la Russie bolchevique, se transforme progressivement en militant anti-communiste et revient en Allemagne.

 

Dwinger et la politique slave du IIIième Reich

 

Vu ses origines et ses expériences vécues, vu cette double im­pré­gnation biologique et existentielle, Dwinger est resté pendant toute sa vie un anti-communiste convaincu, mais, sous le Troisième Reich, n’a jamais accepté la politique slave de l’Etat national-socialiste. Dwin­ger voulait donner aux peuples de Russie une place équi­va­lente, des droits égaux et un rôle égal, à celui des Allemands. Pour cette raison, les rapports entre Dwinger et les détenteurs du pouvoir nationaux-socialistes ont toujours été ambigus. En tant que repré­sen­tant du mouvement littéraire du « nationalisme soldatique », il ap­partenait davantage au camp national-révolutionnaire qu’à celui des pro­tagonistes de la politique raciale du IIIième Reich. Cependant Dwin­ger n’a pas résisté à l’appel de Heinrich Himmler, Reichsführer SS. Pendant la campagne de Russie, il devient SS-Obersturm­bann­führer et surtout conseiller spécial de Himmler pour les questions so­viétiques.

 

Mais la carrière de Dwinger s’est poursuivie aussi en dehors du ca­dre SS. Dès 1933, il était devenu membre de la section littéraire de l’Académie Prussienne des Arts et « Sénateur culturel du Reich » (Reichs­kultursenator), une fonction avant tout honorifique, non as­sor­tie d’un quelconque pouvoir dans la scène culturelle de l’Etat na­tional-socialiste, plurielle et divisée en factions antagonistes. Toute­fois, ces positions de natures académique ou politique nous permet­tent de douter du rôle de « résistant » que Dwinger s’était donné après 1945. Dans la procédure de dénazification qu’il a subie, ses ju­ges lui ont toutefois accordé « un grand courage à plusieurs repri­ses » ; il aurait été « jusqu’au bout du possible ».

 

Après la seconde guerre mondiale, Dwinger a connu encore une fois le succès littéraire, avec son livre « Wenn die Dämme brechen » (= Lorsque les barrages cèdent), paru en 1950, où il décrit l’effon­dre­ment de la Prusse orientale. Le 17 décembre 1981, Dwinger meurt ; avec lui disparaît un écrivain allemand qui a incarné, comme aucun autre, les liens tragiques entre l’Allemagne et la Russie. Certes, il serait bien trop simple de décrire Dwinger comme le contraire de Re­marque, de la réduire à une sorte d’anti-Remarque. Mais sans le suc­cès mondial de Remarque, avec « A l’Ouest rien de nouveau », et sans le rejet unanime de ce livre par le camp nationaliste sous Wei­mar, les ouvrages de Dwinger n’auraient pas connu le succès qu’ils ont eu.

 

Ulli BAUMGARTEN.

(texte issu de Junge Freiheit, n°23/1999).

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vendredi, 25 janvier 2008

Joseph Görres

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25 janvier 1776, naissance à Coblence en Rhénanie du philosophe Joseph Görres.

Au début de sa grande carrière de penseur politique et de théologien, il montre un enthousiasme pour la révolution française et pour le “Club des Jacobins” qui sévit dans sa ville natale, bientôt annexée à la “République”. Il part à Paris pour plaider cette annexion de la Rhénanie mais revient dégoûté des mœurs politiques parisiennes.

Görres avait imaginé que la révolution allait avoir un effet bénéfique sur le plan éthique. Elle n’a généré pourtant que corruption et déni de droit et de justice. Pendant la première décennie du 19ième siècle, il se retire, entièrement désillusionné, de la politique et s’adonne aux études philosophiques, pour découvrir la “Naturphilosophie” de Schelling, le renouveau romantique allemand et la pensée mystique médiévale, ce qui l’amène, tout naturellement, à rejeter les principes secs et froids de la pseudo-pensée des “Lumières”.

Dès 1814, il fonde le journal “Rheinischer Merkur”, autour duquel se forme un club politique original, critique à l’endroit des folies révolutionnaires, mais non adepte de la restauration pure et simple. Au nom d’une pensée romantique, organique et mystique, il critique sévèrement cette volonté arbitraire de restauration. Son journal est interdit et il est contraint à l’exil, en Suisse et en Alsace.

Rappelé par le roi de Bavière à Munich, pour une fonction d’enseignant, il y approfondit ses études sur la mystique et sur l’œuvre de Saint François d’Assise. La vie de Görres est donc un itinéraire intéressant, dans la mesure où il prouve que les philosophades des Lumières ne valent que ce qu’elles valent, c’est-à-dire pas grand chose sinon rien, et que le recours à l’essence de l’Europe passe par une redécouverte du patrimoine mystique. Pour en savoir plus, cf.: www.bautz.de

mardi, 22 janvier 2008

Sur Ernst Kantorowicz

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Stefan PIETSCHMANN :

Ernst Kantorowicz, biographe de Frédéric II de Hohenstaufen

„Vivet et non vivit“ (= Il vit et n’a pas vécu). A la fin de sa monumentale monographie consacrée à Frédéric II, Ernst Kantorowicz a placé cette citation latine, car il était indubitablement animé par une intention mystique : le mythe de l’Empereur Hohenstaufen, figure clef, est rappelé ainsi à la vie, au-delà des siècles, au-delà de la mort physique. Dès la parution de ce maître ouvrage en 1927, Ernst Kantorowicz acquiert d’un coup la célébrité.

Ernst Hartwig Kantorowicz, né en mai 1895 à Posen, est issu d’une vieille famille juive en vue. Après avoir passé son « Abitur » en 1913, il entame des études d’ingénieur commercial à Hambourg, afin de pouvoir, plus tard, gérer l’entreprise familiale, une fabrique de spiritueux. Dès qu’éclate la première guerre mondiale, Kantorowicz se présente comme volontaire au 20ième Régiment d’Artillerie de campagne de Posnanie, où il servira jusqu’à la fin des hostilités. Il revient du combat la poitrine constellée de décorations. En mai 1918, il s’était inscrit à l’Université de Berlin, en faculté de philosophie. C’est dans la capitale qu’il vécut la révolution, ce qui l’amena à retourner dans sa province natale de Posnanie, pour s’engager immédiatement dans un Corps Franc, dont le but était de défendre les revendications allemandes dans cette région de l’Est du Reich. Au cours du printemps 1919, il est engagé contre les Spartakistes à Berlin, et puis, en mai, alors qu’il étudie les sciences économiques, contre la République des Conseils à Munich.

Il déménage ensuite à Heidelberg. Il fait connaissance avec le poète Stefan George et, immédiatement après avoir remis sa thèse de doctorat (sur « L’essence des associations musulmanes d’artisans »), se consacre au thème de sa vie : la figure de l’Empereur Frédéric II de Hohenstaufen.

Indubitablement, il a été amené à ce choix, inspiré par les poèmes de Stefan George. Dans son poème « Rom-Fahrer », George avait averti ses disciples en faisant allusion au destin tragique de l’Empereur Frédéric II et de son petit-fils Konradin. « La grandeur des grandeurs de Frédéric, véritable nostalgie des peuples » est une nouvelle fois évoquée dans le poème « Die Gräber in Speier ». George y rappelle la figure de ce petit-fils de Béatrice de Bourgogne, dont la tombe est à Spire (Speyer) ; elle avait été la seconde épouse de Frédéric Barberousse. George voyait dans le règne de Frédéric II revivre la politique générale des Empereurs germaniques issus de ces premières lignées que furent les Carolingiens, les Ottoniens et les Saliens, une politique générale couplée au sens impérial et romain de l’Etat, à la culture grecque et orientale.

La fin des grands temps

Dans ses « Conversations avec Stefan George », Edith Landmann fait dire au poète ce qu’il ressentait face à la figure de Frédéric II, des Allemands en général. Question d’Edith Landmann : «Vous avez évoqué le passage de la belle ère allemande médiévale à l’époque plus prosaïque de Rudolf von Habsburg… ». Réponse de George : « Ce Rudolf était déjà un roi bourgeois. Avec lui, c’est autre chose. Les grands temps sont passés. C’est insaisissable, ce qui s’est passé là ; pourra-t-on jamais revenir au-delà de cette césure ? La meilleure explication de ce passage me semble celle-ci : à certaines époques, les dieux visitent un pays et quand ils repartent, les hauts temps s’évanouissent ». Le « Frédéric II » d’Ernst Kantorowicz décrit le déclin des Staufen, et fait de cette description une lecture si captivante, qu’elle ne laisse aucun lecteur indifférent. « Quelle impression cela a fait sur les Italiens, la mort de ce bel homme ! Les Allemands, en revanche, lui ont comme tapé sur l’épaule, en lui demandant de restreindre ses élans et en lui disant : tu aurais mieux fait de rester au pays, voilà ce qui arrive quand on ne le fait pas ». « Cette phrase, écrit Edith Landmann, m’est restée gravée dans la mémoire… ». 

Stefan George disait de Kantorowicz qu’il était « ce que les Français nomment un ‘Chevalier’ » et, ajoutait-il, « il était si entièrement ‘Chevalier’, qu’on ne s’en apercevait plus ». Homme du monde, très élégant dans le choix de ses vêtements, dans sa gestuelle quotidienne, dans son langage ; il avait tout, dit le germaniste Boehringer, d’un escrimeur, virtuose du fleuret. « Son intelligence, qui avait la faculté de pénétrer profondément en toute matière, se doublait d’une étonnante capacité à percevoir les choses dans leurs interrelations ; c’est sur ces facultés intellectuelles-là que repose sa vision et sa présentation si grandioses et si vivantes de l’histoire ».

Le livre consacré à Frédéric II de Hohenstaufen, Kantorowicz l’a écrit, pour l’essentiel, dans son appartement de Heidelberg, charmante petite ville universitaire où George, lui aussi, tenait ses quartiers à l’époque, du moins pendant quelques étés jusqu’en 1926. Plusieurs passages du livre en témoignent. Stefan George et les frères von Stauffenberg en ont corrigé les épreuves et négocié sa publication auprès des éditeurs.

L’Allemagne secrète à Naples et à Palerme

Le livre contient une sorte de préambule, dont le style et la teneur sont typiques du Cercle de Stefan George : « Lorsqu’en mai 1924, le Royaume d’Italie a célébré le 700ième anniversaire de la fondation de l’Université de Naples, que Frédéric II de Hohenstaufen avait fondée, on a trouvé, au pied du sarcophage de l’Empereur, dans la cathédrale de Palerme, une couronne portant l’inscription suivante : ‘A ses empereurs et héros, l’Allemagne secrète’ (= Das Geheime Deutschland) ». Cette couronne et ce bandeau votif avaient été déposés, selon toute vraisemblance, par des amis de George, qui séjournaient vers Pâques 1924 à Palerme : parmi eux, il y avait Ernst Kantorowicz. Son mérite demeurera, d’avoir ramené au présent la figure sublime de Frédéric II, grâce aux stupéfiantes facultés de son intelligence critique, à la pertinence profonde de son questionnement. L’Etat, construit en Sicile par Frédéric II, fondé et gouverné par le truchement de la Constitution de Melfi, selon les lois de la raison, se référait à l’antiquité, jugée en son temps « païenne ». Ce « paganisme » antique et ce recours à la raison politique contribuèrent à faire de lui, pour ses ennemis, un « hérétique ». Il n’y avait pourtant rien d’autre d’ « hérétique », chez lui, que d’être simplement en avance sur son temps. Quelques siècles plus tard, personne n’aurait parlé de ‘stupor mundi’, en faisant référence à l’œuvre qu’il avait bâtie. Frédéric II nous interpelle, nous et nos contemporains, dans tous les domaines qu’il a touchés, tout simplement parce que sa pensée, sa sensibilité, sa volonté et son action anticipaient les époques qui allaient advenir, après l’ère proprement médiévale.

En décembre 1933, Stefan George meurt à Minusio en Suisse, sur un territoire politiquement neutre, afin d’échapper aux honneurs que n’auraient pas manqué de lui réserver le nouveau régime national-socialiste. La veillée funèbre du poète fut assumée par Ernst Kantorowicz, Claus von Stauffenberg et quelques autres. Il faut rappeler ici que c’est justement Kantorowicz, et non pas seulement Stefan George, qui a conforté les trois frères von Stauffenberg dans la certitude, mythique, qu’ils étaient les descendants des Staufer et donc, possédaient un sang royal.

Les différends d’ordre idéologique avaient pourtant déjà profondément divisé l’ « Etat », c’est-à-dire le Cercle de George, ce que ressentaient tout particulièrement les amis, sympathisants et membres de confession israélite qui étaient restés en Allemagne entre 1936 et 1938. Tout en ressassant ses souvenirs sur ces clivages qui divisaient cruellement le Cercle, Edgar Salin expliqua plus tard à Berlin, en quelques lignes poignantes, les sentiments de Kantorowicz, qui venait, lui, d’émigrer aux Etats-Unis en 1938 : « Il avait été profondément marqué par l’affliction générale qui avait uni dans la douleur tous ceux qui firent partie du Cercle mais avaient été séparés par les circonstances politiques. Mais lorsqu’il se hissa dans le train pour quitter la Suisse, il vit, à une autre fenêtre du wagon, un des ‘amis’ lever le bras à la nouvelle mode qui régnait alors en Allemagne, et deux autres, plus jeunes, répondant à son salut depuis le quai, de la même manière ». Ces deux jeunes hommes étaient ceux qui avaient soigné et aidé George, dans les derniers mois de sa vie, à Minusio.

En novembre 1938, Kantorowicz réussit à quitter l’Allemagne, grâce à son ami le Comte Albrecht von Bernstorff, qui fut assassiné en 1945 dans la prison de Berlin Moabit. En passant d’abord par l’Angleterre, son exil finit par le conduire aux Etats-Unis où il enseigna, dès 1939, à l’Université de Berkeley.

Refus des injonctions maccarthystes

En 1951, une fois de plus, Kantorowicz agit de cette manière chevaleresque, qu’admirait tant chez lui Stefan George : c’était à l’époque où sévissait la commission McCarthy. Comme en Allemagne en 1933, Kantorowicz demeura fidèle à lui-même et refusa de prêter le serment d’allégeance et de loyauté que les Etats-Unis exigeaient des professeurs. Il fut licencié sur le champ.

On est touché de constater combien les traces de la vision politico-mythique de George persistent dans l’œuvre de Kantorowicz, tant d’années après la mort du poète. Kantorowicz est resté fidèle à l’ « Allemagne secrète », à ce Reich de mystères et de mythes. Dans ses derniers ouvrages, il prouve encore qu’il ne cesse de servir ces mythes, d’explorer et d’étayer les concepts éducateurs et pédagogiques préconisés par le Cercle de Stefan George. A partir de l’automne 1951, il travaille à l’ « Institute for Advanced Study » à Princeton. En 1957, le deuxième de ses deux ouvrages majeurs sort de presse, intitulé « The King’s Two Bodies », « Les deux corps du Roi », qui ne fut traduit en allemand qu’en 1991 ! C’est un immense travail synoptique, composé d’innombrables pièces formant, toutes ensemble, une magnifique mosaïque, qui n’est pas toujours aisée à comprendre dans chacun de ses éléments. Tentons de cerner le noyau même de ce maître ouvrage en donnant ses sources principales : le point de départ de la quête de Kantorowicz se situe dans la « doctrine des deux natures » de l’église primitive, où le Christ est à la fois Dieu et homme ; ensuite dans les oeuvres des juristes de Cour anglais de l’époque des Tudor, qui avaient élaboré une « christologie royale » très sophistiquée.

En 1963, Ernst Kantorowicz rejoint Stefan George dans la mort. Il avait été un grand historien juif et allemand et aussi un patriote animé par une foi nationale infaillible.

Stefan PIETSCHMANN.

(article paru dans l’hebdomadaire berlinois « Junge Freiheit », n°30/2000 ; trad. franç. : Robert Steuckers).

lundi, 21 janvier 2008

Over Oswald Spengler (NL)

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TEKOS:

Over de actualiteit van Oswald SPENGLER

De Duitse denker Oswald Spengler (1880-1936) weet al vanaf de Eerste Wereldoorlog conservatieve cultuurcritici te inspireren. Tegenwoordig wordt hij zelfs als "groene" onheilsprofeet omarmd.  Het oude Europa is gevoeliger voor cultuurpessimisme dan voor het "vooruitgangsgeloof", schrijft de germanist Jerker Spits.

De oude dame Europa lijkt om de zoveel jaren vatbaar voor de koorts van het cultuurpessimisme. Ook nu weer is er sprake van een herleving. Hedendaagse conservatieve denkers mogen daarbij graag teruggrijpen op de Duitse filosoof Oswald Spengler, die als geen ander verlangde naar een herstel van oude tradities die in de moderne maatschappij verloren waren gegaan.

In zijn jonge jaren was Oswald Spengler een romanticus. Maar zoals veel Duitse dichters en denkers ontwaakte hij aan de vooravond van de Eerste Wereldoorlog.  "Ik verbaas me er nog steeds over", zou hij later schrijven,  "hoe ik tot mijn vijfentwintigste in een droom leefde. Hulpeloos, angstig, maar toch gelukkig. Wat heb ik toen niet allemaal opgeschreven!"

Na de oorlog eiste Spengler van zijn land een radicale en meedogenloze aanpassing aan de rationele, technische tijd. Hij treurde niet langer om wat verloren ging. De mens moest de nieuwe krachten van zijn tijd omarmen. Vanaf zijn dertigste zou hij zijn tijdgenoten provoceren met een loflied op de techniek.  "Voor de prachtige, zeer intellectuele vormen van een snel stoomschip of een staalfabriek geef ik alle rommel van de huidige kunstnijverheid inclusief schilderkunst en architectuur weg.”

Spengler leefde als privégeleerde in München. Hij meed de artistieke kringen van de Beierse hoofdstad. Zijn zelfgekozen isolement en afkeer van de Münchense bohémien is opmerkelijk als je bedenkt welke grootheden zich daar in die tijd ophielden: de schrijvers Thomas en Heinrich Mann, de dichters Stefan George en Rainer Maria Rilke, de kunstenaars Alfred Kubin, Franz von Stuck, Wassily Kandinsky, Paul Klee. Maar geen van hen beschouwde Spengler als zijn gelijke. Ook in Thomas Mann zag Spengler een decadente romanticus, een kunstenaar die niet met zijn tijd was meegegaan. Werk ging bij hem sowieso voor vriendschap. In de gedachtenwisseling met artistieke tijdgenoten was hij niet bijzonder geïnteresseerd.  Ik spreek nog liever met een meisje dat ik van de straat pluk, dan met die kunstenaarsbende.”

Spengler vereenzaamde, al wekten verspreid verschenen voorstudies van zijn nieuwe boek "Der Untergang des Abendlandes" veel belangstelling. In dit magnum opus wilde hij alle grote vragen van zijn tijd beantwoorden. Naar eigen zeggen ging het in "Der Untergang" om de  natuurlijke, door allen donker voorvoelde filosofie van deze tijd. Wiskunde, oorlog, Rembrandt, poëzie, taal – in Spenglers ogen smolt de wereldgeschiedenis samen. Hij zag daarin een eeuwige Gestaltung en Umgestaltung, een wonderbaarlijk worden en vergaan van organische vormen.  Culturen, levende wezens van de hoogste orde, groeien in een verheven doelloosheid op zoals bloemen op een veld. Ze behoren net als planten en dieren tot de levendige natuur.”

De mens moest volgens hem zijn leven aanpassen aan de ontwikkelingsfase van de cultuur. De belangen van het individu waren ondergeschikt aan het collectief waartoe hij behoorde.

"Der Untergang" gaat uit van het onderscheid tussen Kultur en Zivilisation. Spengler volgde hierin een specifiek Duitse traditie die sinds het einde van de negentiende eeuw vorm had gekregen. In de Eerste Wereldoorlog zagen jonge Duitsers zich als de verdedigers van de "ideeën van 1914" – de cultuur. Zij verdedigden die tegenover de "ideeën van 1789" – de civilisatie. Duitsland moest naast een oorlog ook een geestelijke strijd voeren: tegen Russische barbaren in het Oosten en tegen materialisme en winstdenken in het Westen. Duitsland zou het Westen moeten redden van de Angelsaksische kruideniersgeest en ontspoorde vrijheid. De "civilisatie" van langs elkaar levende individuen stond tegenover de "cultuur" waarin de mens de band met de gemeenschap, het verleden en de eigen natie levend houdt.

Spengler was verklaard tegenstander van de Zivilisation. Kwantiteit zou het daarin afleggen van kwaliteit. De Gemeinschaft zou plaats maken voor de Gesellschaft. De mens zou een "intellectuele nomade" worden, omdat hij niet langer leefde in het besef onderdeel van een gemeenschap te zijn.

Dit wereldbeeld was in Duitsland na de Eerste Wereldoorlog niet ongewoon. Ook Thomas Mann verklaarde in zijn "Betrachtungen eines Unpolitischen" (1918) dat democratie, politiek zelf "het Duitse wezen" vreemd is.  Mann schreef "De Duitse aard, dat is cultuur, ziel, vrijheid en niet civilisatie, maatschappij, stemrecht, literatuur." Later schreef de Nobelprijswinnaar niet zonder ironie:  De overwinning van Engeland en Amerika bezegelt en beëindigt het lot van onze ouder wordende cultuur. Wat nu volgt, is de Angelsaksische wereldheerschappij, dat betekent de volmaakte civilisatie. Waarom niet? Men kan er comfortabel in leven.”

Maar niet iedereen kon deze stap nemen. Het Duitse Bildungsbürgertum klampte zich vast aan de Duitse Kultur – en vond in Spengler zijn intellectuele leidsman.

Oswald Spengler was overtuigd van zijn missie.  Ik had als kind al het idee dat ik een soort van Messias moest worden. Een nieuwe zonnereligie stichten, een nieuw Duitsland, een nieuwe Weltanschauung.” Van valse bescheidenheid had Spengler geen last:  Ik schrijf het beste Duits, dat op dit moment in boeken te lezen is.”

In zijn brieven en dagboekaantekeningen lijkt hij zijn grote voorbeeld Friedrich Nietzsche naar de kroon te willen steken. En net als zijn voornaamste inspirator werd Spengler geplaagd door langdurige depressies.  Niemand weet wat het betekent met zulke ideeën te vechten, waarvan de bittere ernst de zelfmoord dichterbij brengt, dagenlang geen woord te spreken, geen ander mens te zien. En dan, in de uiterste terneergeslagenheid, wijn, muziek of een paar schrijvers (Shakespeare, Baudelaire, Hoffmann) te hebben. Wat heb ik door die eenzaamheid niet verloren! Hoeveel energie, die ik anders aan andere dingen had kunnen besteden!”

Toen het eerste deel van "Der Untergang des Abendlandes" in 1918 verscheen, raakte intellectueel Duitsland in Spenglers ban. Alle belangrijke Duitse intellectuelen namen kennis van het boek. Thomas Mann prees het in de hoogste bewoordingen. De filosoof Georg Simmel noemde het  de belangrijkste geschiedenis van de filosofie sinds Hegel”. Kritiek was er uit de hoek van egyptologen en oriëntalisten die zich beklaagden over onnauwkeurigheden in Spenglers beschrijving van de wereldgeschiedenis. Maar de honderdduizenden lezers schoven deze professorale kritiek spottend terzijde. Het ging hen niet om de verschillen tussen de vijfde en zesde Egyptische dynastie.

Het Duitse Bildungsbürgertum had omstreeks 1920 het idee dat er na Goethe, Schiller en Nietzsche een verval was ingetreden. In de ogen van veel lezers was er geen andere auteur dan Oswald Spengler die dit zo treffend wist te verwoorden. Al snel werden hem leerstoelen aangeboden. Spengler wees deze handreikingen vriendelijk maar beslist af. Hij wilde geen gewone geleerde zijn. Intellectuele vrijheid ging bij hem boven maatschappelijke status. Bovendien verafschuwde Spengler de academische filosofie van zijn tijd haast net zo hevig als Schopenhauer dit een eeuw voor hem had gedaan. "Filosofische vakwetenschap is filosofische onzin.”

Veel lezers duidden Spenglers boek als een schets van de ondergang van de westerse wereld. Alsof Spengler vol nostalgie zou hebben teruggeblikt op verloren erfgoed. Maar van deze romantische visie wilde Spengler na de Eerste Wereldoorlog juist afscheid nemen.

In de jaren twintig vroeg een rijke Duitse Spengler om raad: waar moest zij, nu de westerse wereld spoedig zou ondergaan, haar aandelen onderbrengen? Al in 1921 klaagde Spengler over het modewoord ’ondergang’ als gevolg van zijn titelkeuze. (Het is veelzeggend dat het woord ontbreekt in de oorspronkelijke titel van het werk: "Konservativ und liberal".) Hij schreef immers niet alleen over wat verdween, maar ook over wat nieuw was en de toekomst zou bepalen.

Spengler zag de wereld om hem heen veranderen. Bildung, geestelijke aristocratie en esthetische fijnzinnigheid verdwenen in een maatschappij die voor de wetten van de markt boog. De mens, het door Goethe en Humboldt geprezen vrije en zelfbewuste individu, ging op in de massa, werd gereduceerd tot consument en arbeidskracht.

Tussen de werkelijkheid van alledag en de idealen van de Duitse gymnasia gaapte volgens Spengler een onoverbrugbare kloof. De opkomst van de massamaatschappij, de groeiende rol van volkse sentimenten baarden hem zorgen. De moderne massamedia zouden de mens een illusie van vrijheid geven, maar hem in werkelijkheid op geraffineerde wijze tot slaaf maken.  Eens durfde men niet vrij te denken; nu mag men het, maar kan het niet meer.”

Niet zonder reden wordt Oscar Spengler wel beschouwd als een van de "geestelijke wegbereiders" van het nationaal-socialisme. Daarmee deelde hij immers de afkeer van de slappe Weimarrepubliek en de voorliefde voor het krachtige Pruisendom. Maar vrijwel onmiddellijk na de machtsovername van Hitler in 1933 viel de filosoof in ongenade. En ook Spengler zelf nam al snel afstand van het nieuwe regime, in zijn boek "Jahre der Entscheidung". Wat de nationaal-socialisten bovenal in Spengler hinderde was zijn afwijzing van ieder vooruitgangsidealisme. Het gevolg was dat zijn boeken en denkbeelden niet meer in het openbaar genoemd mochten worden.

Zijn ster verbleekte. Op 8 mei 1936, kort voor zijn 56ste verjaardag, stierf hij aan een hartaanval. Na 1945 raakte de filosoof meer en meer in vergetelheid.

In de optimistische jaren negentig, na de val van het communisme, leek de ondergang van het Avondland verder weg dan ooit. Francis Fukuyama voorspelde in "Het einde van de geschiedenis" de verdere zegetocht van de westerse democratie en het liberalisme.

Na 11 september 2001 kwam hier verandering in. Er bleken andere culturen die de westerse hegemonie betwistten. En in het Avondland zelf ging de aandacht steeds meer uit naar de schaduwzijden van de massademocratie. Mondigheid zou zijn ontaard in brutaliteit en schaamteloosheid, het ter discussie stellen van autoriteit zou burgers hebben wijsgemaakt dat regels altijd en overal moeten worden aangevochten, de "massacultuur" zou de democratie "verzwelgen".

Het werk van Spengler werd langzaam herontdekt. Ook onder hedendaagse cultuurfilosofen leeft kritiek op de massacultuur, op de genivelleerde maatschappij, waarin de meerderheid niet alleen beslist over de zetels in het parlement, maar ook over de collectieve moraal. En je hoeft Spenglers antwoorden – een vlucht naar voren, de "roofdiermens" als de enig mogelijk overgebleven "hogere" vorm van leven – niet te beamen om de geldigheid van zijn tijdsdiagnose te onderkennen.

Een groeiend aantal intellectuelen staat wantrouwend tegenover de wil en de smaak van de massa. Zij richten hun pijlen op de mondiale "gelijkschakeling". Overal verschijnen dezelfde merken, dezelfde levensstijlen, eenzelfde vrijgevochten manier van denken, verdwijnen tradities ten gunste van geldelijk gewin of persoonlijke geldingsdrang.

De Nederlandse filosoof Ad Verbrugge spreekt in zijn bestseller "Tijd van onbehagen" in vergelijkbare termen als Spengler over de schaduwzijden van globalisering en de ongeremde werking van de vrije markt. Soms met nogal overtrokken commentaar. Zo is de huidige liberale consumptiemaatschappij volgens Verbrugge  even totalitair als het fascisme en het communisme”.

Ook voor de Franse filosoof Alain Finkielkraut is de moderne massacultuur gespeend van alle grote gedachten – een geestelijk barbarendom, maar burgerlijk en comfortabel ingericht, zoals Spengler het al beschreef. De waarschuwende roep van Spengler is eveneens bij Finkielkraut hoorbaar: nog teert het Westen op zijn rijke verleden, maar eens zal de beschaving, als zij niet door haar culturele elite verdedigd wordt, onder daverend geruis ineenstorten. Dankbaar grijpt Finkielkraut de plunderingen van jonge Arabieren in de Parijse voorsteden aan: de barbaren staan aan de poorten van de stad.

Sommigen zien in deze conservatief geïnspireerde cultuurkritiek een terugkeer naar riskante denkpatronen en een hang naar obscurantisme. Zij bekritiseren de hang naar traditie, naar oude zekerheden, de revitalisering van het christelijk geloof, de terugkeer naar het denken over geschiedenis als "heilsgeschiedenis".

En de affiniteit met Spenglers tijdsdiagnose blijft geenszins beperkt tot conservatieve denkers. Al in 1997 haalde De Groene Amsterdammer Spengler van zolder, om te waarschuwen tegen een "pulpdemocratie" waarin  "de emoties van de massa regeren". De banvloek die progressieve intellectuelen na de Tweede Wereldoorlog over Duitse denkers uitspraken, is gebroken. Ook in Duitsland zelf is er sprake van een hernieuwde belangstelling voor Spengler, onder wetenschappers én bij filosofen als Peter Sloterdijk.

De laatste jaren wordt Spengler ook gezien als een ’groene’ onheilsprofeet avant la lettre. Voorzag hij niet al in 1918 de "ondergang" van onze leefomgeving, waarschuwde hij dus eigenlijk niet al voor de opwarming van de aarde en de gekkekoeienziekte? De receptie van zijn werk is daarmee terug bij af. Hij is niet meer dan de leverancier van een trefwoord waaraan je je eigen angsten kunt verbinden.

Toch blijft Spengler een ongemakkelijk denker. Vooral zijn instinctieve afkeer van het verstand is problematisch. Hij enthousiasmeert en vervoert méér dan dat hij overtuigt. Spengler was een metafysicus en zag zichzelf als dichter-filosoof. Hij hechtte meer waarde aan een esthetische blik dan aan strenge logica. Tijdgenoten zagen in hem niet ten onrechte een nieuwe Nietzsche, met alle gevaren van dien.

Als een van de eerste Europese filosofen richtte Spengler zijn blik op niet-westerse culturen en voorspelde hun opkomst. Maar voor de steeds belangrijker rol van Amerika bleef hij blind. Hij voorzag niet dat uitgerekend de door hem zo verafschuwde massademocratie en vrije markt een wereldmacht zou voortbrengen.

Johan Huizinga merkte al op dat het Angelsaksische deel van de wereld slechts in geringe mate gevoelig is voor ondergangsfantasieën. Ook nu lijkt het oude Europa gevoeliger voor een spengleriaans cultuurpessimisme dan voor een vooruitgangsgeloof zoals dit door Fukuyama werd uitgedragen en door de huidige Amerikaanse president wordt gekoesterd. Aan de horizon van George W. Bush gloort een universele civilisatie naar Amerikaans model.

Fukuyama schijnt intussen zijn bekomst te hebben gekregen van het neoconservatieve geloof van zijn president. Zijn verre Duitse voorganger was er al langer van overtuigd dat alleen opkomst en ondergang werkelijk bestaan.  Wie een keer over het Forum van Rome heeft gewandeld, moet beseffen dat het geloof in een eeuwig voordurende vooruitgang een waanbeeld is”.

De Nederlandse schrijver en essayist Menno ter Braak (1902-1940) bezocht in maart 1935 een lezing van Oswald Spengler aan de Leidse universiteit. De zaal zat "propvol".  Men was dus gekomen om Oswald Spengler te zien, meer nog dan om hem te horen waarschijnlijk. Het zijn vaak de philosophen van de heroische ondergang der cultuur, die het meeste publiek trekken, omdat zij profeteren.” Een briljant spreker was Spengler volgens Ter Braak niet.  Hij spreekt zoals zijn gehele uiterlijk is: als een superieure schoolmeester, die zijn publiek iets doceert. Geen enkel effect, ook geen spoor van rhetoriek; bijna onbeweeglijk staat Spengler achter de lessenaar. [...] Even knipperen de oogleden, als er duizend jaar achteloos in de zaal worden geslingerd; een handbeweging is dat niet eens waard.”

Na Spenglers overlijden, een klein jaar later, schrijft Ter Braak:  Zijn dood betekent voor Europa het verlies van een onafhankelijke geest, een onverzoenlijke aristocraat van de militaire soort, die zijn verachting voor de massa en de massabijeenkomst [...] eens uitdrukte door de woorden: "Den Neandertaler sieht man in jeder Volksversammlung". Het is dit soort stramme aristocratie, die langzaam maar zeker romantisch wordt en uitsterft. In Spengler beleefde zij een verbintenis met de geest en het aesthetisch raffinement, die vermoedelijk na hem niet vaak meer zal voorkomen.

mardi, 15 janvier 2008

Festschrift für Günther Rohrmoser

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Dennoch!

Eine bemerkenswerte Festschrift für Günter Rohrmoser

Das Fach Politische Philosophie ist so “umstritten” wie die meisten seiner Vertreter. Günter Rohrmoser hat nichts getan, um diesen Ruf zu verändern. Er ist ständig gegen den “Mainstream” geschwommen und hat sich bei den politischen Parteien, die er vielfach und maßgeblich beriet, mit seinen schonungslosen Analysen nicht immer beliebt gemacht. Umso mehr erstaunt es, in der zu seinem 80. Geburtstag herausgegebenen Festschrift Kardinäle, Bischöfe, Ministerpräsidenten, bekannte Politiker, hohe Militärs, Publizisten und natürlich eine Reihe von namhaften Wissenschaftlern aus so verschiedenen Disziplinen wie Theologie, Philosophie, Geschichte, Literatur, Soziologie, Ethik, Jurisprudenz, Nationalökonomie, Pädagogik und Naturwissenschaften  zu finden. Um nur einige Namen ohne Titel zu nennen: Meisner, Mixa, Löwe, Filbinger, Beckstein, Jenninger, Biedenkopf, Rommel, Dohnanyi, Bahro, Schabowski, Buttiligone, Bartoszewski, Daschitschew, Frenkin, Biser, Spaemann, Pannenberg, Marquard, Lübbe,  Nolte, Fetscher, Schrenck-Notzing, Wolffsohn. Sie alle vereint der Respekt vor einem Gelehrten, der mit ganz außerordentlicher Überzeugungskraft für die unverzichtbare Verankerung der Politik in der Religion eingetreten ist. Politik ohne Religion mündet in Dekadenz, Lockerung der “Ligaturen” und schließlich Auflösung und Untergang. Für Rohrmoser war es selbverständlich, dass wir doch zumindestens seit Auschwitz begriffen haben sollten, dass Politik nicht mehr möglich ist ohne Ethik; Ethik aber der philosophischen Begründung bedarf; die Aporetik der Philosophie aber nicht zu überwinden ist ohne Religion. Diese Einsicht in die Korrespondenz von Religion, Philosophie, Ethik und Politik verbindet die einzelnen Beiträge, die die Festschrift nicht nur zu einer lehrreichen, sondern zu einer geradezu aufregenden Lektüre machen.

Friedrich Romig

Philipp Jenninger/Rolf W. Peter/Harald Seubert (Hrsg.): Tamen! Gegen den Strom. Günter Rohrmoser zum 80. Geburtstag. 640 Seiten. Geb. Dr. Neinhaus-Verlag, Stuttgart 2007. ISBN 978-3-87575-027-6.  EURO 38,-

 

 

lundi, 07 janvier 2008

Du texte au corps

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Du texte au corps

The John Hopkins University Press : Harold B. Segel vient de sortir un ouvrage scientifique fondamental sur la renaissance du culte du corps à partir des premiers Jeux Olympiques de 1896 et à la suite des mouvements de gymnastique allemand (Turnverein) et tchèque (Sokol) et du scoutisme anglais. Les diverses formes d’expression corporelle indiquent une mutation dans l’esprit européen, qui tourne le dos au langage (ou à une culture basée exclusivement sur le langage et l’écrit) pour promouvoir d’autres formes expressives, plus gestuelles, mythiques, chorégraphiques et corporelles, culminant dans l’apologie de la guerre, du sport et de l’aventure. Des manifestations comme le “pantomine” de Max Reinhardt dans The Miracle sont des tentatives de revitaliser la langue littéraire par un appel aux expériences plus directes. Segel explore l’univers littéraire de d’Annunzio, Marinetti, Goumilev, Jünger, Hemingway, Montherlant et Saint-Exupéry, tout en montrant que la spiritualité sous-jacente dans leurs œuvres se démarque des apports du judéo-christianisme.

Harold B. SEGEL, Body Ascendant. Modernism and the Physical Imperative, 1998,ISBN 0-8018-5821-6, 312 pages, £30.00.

samedi, 05 janvier 2008

Renaissance évolienne en Hongrie

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Claudio MUTTI :

 

Renaissance évolienne en Hongrie

 

Le message évolien circule particulièrement bien dans l'Est de l'Europe.

Juste après avoir édité sous forme de brochure les résultats d'une re­cherche que nous avions menée sur les activités de Julius Evola dans certains pays de l'Europe centrale, et sur l'influence des écrits de cet auteur traditionaliste dans ces régions (Julius Evola sul fronte dell'Est, Ed. All'insegna del Veltro, Parma, 1998), nous avons eu con­nais­sance de faits nouveaux qui confirment l'idée de départ de notre en­quête, à savoir, la certitude d'une présence évolienne active et opé­rationnelle dans cette partie de l'Europe.

 

A cent ans de la naissance de ce penseur italien, l'intérêt des Hon­grois pour l'œuvre d’Evola est un facteur culturel important, à tel point que le professeur Imre Madarasz, directeur du Département d'études italianistes de l'Université de Debrecen, dans un essai intitulé Un tra­di­tionaliste antitraditionnel: la découverte de Julius Evola, parle mê­me d'un phénomène de « Renaissance évolienne ». D'autre part, les tra­ducteurs du volume de mise à jour du Vlagirodalmi Lexikon (= Dic­tionnaire littéraire mondial), paru en 1996, ont jugé opportun d'in­sé­rer, aux pages 347-348, une nouvelle entrée :  « Evola, Julius ». En ce qui concerne l'essai du professeur Madarasz, le sens de ce titre é­trange est justifié par l'auteur lui-même par ces mots: « Le paradoxe su­prême, le plus grand, le plus caractéristique et le plus instructif de l'œu­vre et de la philosophie de Julius Evola est qu'en Europe aucun phi­lo­sophe anti-traditionaliste n'a jamais été aussi actif que Julius E­vola, qui est considéré comme l'un des (voire le plus significatif) pen­seurs traditionalistes les plus significatifs.

 

Pour l'homme européen, la Tradition (Hagyomany), celle qu'on écrit a­vec un grand « T », représente exactement ce qu’Evola, de plus en plus énergiquement au fil de ses activités, a toujours condamné et ré­fu­té de façon presque totale: l'Antiquité classique, le Christianisme (dont Novalis usait comme d'un synonyme d'Europe par le biais de la con­jonction « oder » (= « ou »)), l'Humanisme de la Renaissance, syn­thèse des deux termes précédents, et tous ces courants qui en con­servent, augmentent et développent ultérieurement l'héritage, com­me le rationalisme, l'idéologie des Lumières, les libéralismes na­tio­naux et la démocratie. Tout ce qui se place en dehors de ces linéa­ments ne fait pas partie de cette « Tradition », car il n'y a pas, alors, de continuité. Ce qui existait avant ces « traditions » se réduit à des hy­pothèses, des spéculations, voire des légendes. Ce qui s'est op­po­sé à tout cela ne mérite pas beaucoup de gratitude de la part de l'Eu­ro­pe moderne: et c'est précisément “cela” qu’Evola a appelé « Tra­di­tion positive ».

 

On pourrait objecter que le rapport d’Evola avec l'Antiquité (même cel­le dite « classique ») et avec le Christianisme est un peu plus com­ple­xe que le tableau qui nous en esquisse le professeur Madarasz. Mais, à part cela, pourquoi s'occuper de l'œuvre d’Evola, si on ne par­tage pas la conception évolienne de la Tradition et si on refuse sa po­sition par rapport aux courants de pensée qui ont marqué de leur sceau la culture européenne ?

 

D'après le professeur Madarasz, l'œuvre d’Evola a la valeur d'un défi. Puisque la menace d'une interruption de la tradition culturelle euro­péen­ne, cette tradition où réside le seul remède possible pour guérir les maux de l'Europe (et en particulier de l'Europe centrale et orien­ta­le) est bien réelle ; aujourd'hui plus que jamais, trouver ce remède é­qui­vaudra à « trouver la réponse la plus authentique au défi lancé par E­vola ».

 

Toujours à l'occasion du centenaire de sa naissance, deux écrits d’E­vo­la sont parus dans un volume de mélanges intitulé Tradicio, à côté d'auteurs classiques (Guénon, Burckhardt, Hossein Nasr, Hamvas, etc.) ;  ensuite un article de Robert Horvath sur le thème évolien de l'a­narchisme de droite est également paru ; enfin, une maison d'é­di­tions de Budapest, Stella Maris, a réuni trois courts textes d’Evola (La doc­trine aryenne de lutte et de victoire, Ethique aryenne et Orien­ta­tions) dans un petit livre édité par Robert Horvath. D'autres traduc­tions d'écrits évoliens sont parues entre 1997 et 1998 dans le maga­zi­ne Sacrum Imperium, édité par la Kard-Kereszt-Korona Szovetség (= Association Epée-Croix-Couronne). Mais l'événement le plus mar­quant dans le cadre de la Renaissance évolienne en Hongrie reste la pa­rution, en 1977, de l'édition magyare de Révolte contre le monde mo­derne, auprès de la maison d'éditions Kotet, dans une collection qui porte le titre évolien de « Les livres du Chemin du Cinabre ».

 

Claudio MUTTI.

Article paru dans Orion n°166 (n° 7/ nouvelle série) - juillet 1998 - pages 13-14. Trad.franç. : LD.

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vendredi, 04 janvier 2008

E. Jünger: "La Paix" du Guerrier

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Max SERCQ :

Ernst Jünger: "La Paix" du Guerrier

«Que pensez-vous des nationalités?». Interrogé par ses tra­duc­teurs italiens MM Antonio Gnoli et Franco Volpi dans leur livre Les prochains Titans, paru chez Grasset en 1999, Ernst Jünger ré­pondait: «Les nations sont à mon avis un phénomène de tran­si­tion (...) Nous assistons à une lutte entre diadoques qui, tôt ou tard, débouchera sur l’Etat universel». Une opinion aujourd’hui cor­roborée par les faits, mais défendue par l’anarque de Wilf­lingen depuis 1941, alors qu’en pleine apogée des armées du IIIe Reich, et au cœur de Paris, Jünger écrivait son essai La Paix, qui devait tant influencer Rommel dans sa participation au com­plot du 20 juillet 1944.

«Ce n’est pas dans l’équilibre  bourgeois, mais dans le tonnerre des apo­calypses que renaissent les religions» (Walter Schubart, L’Europe et l’Ame de l’Occident ).

On avait failli l’oublier. Submergé par les rééditions chez Bourgois de ses premiers récits guerriers et la parution chez Grasset de son en­tre­tien-testament Les prochains Titans, et malgré sa présence à la Ta­ble Ronde en collection Vermillon depuis 1994, on avait failli ou­blier l’existence de La Paix. Pourtant ce petit essai, écrit par Ernst Jün­ger à l’Hôtel Majestic, en plein Paris occupé par une armée alle­man­de dont il a lui-même revêtu l’uniforme feldgrau, «en somme dans le ventre du Léviathan» (E.J.), La Paix, en rupture avec ses pré­cé­dents écrits, «peut être (dixit le résumé en quatrième de cou­ver­tu­re) considéré comme une contribution théorique à l’attentat manqué de 1944 contre Hitler. La plupart des auteurs du complot trouvèrent la mort; Jünger fut l’un des rares à y échapper». Ironie du sort, il aura fall­u en France la publication par Michalon en 1998 du livre La ten­ta­tion allemande; ramassis hystérique, signé Yvonne Bollmann, de soi-disant preuves des prétentions gouvernementales allemandes à la res­tauration du Reich, quatrième du nom, pour qu’on redécouvre La Paix. Un phantasme germanophobe bien d’actualité, mais que n’au­rait pas désavoué un Déroulède, et immédiatement confondu par F. G. Dreyfus dans Historia.

Que vient faire Jünger dans ce déballage d’inepties? Laissons Mme Boll­mann nous le dire: «Un essai comme celui-ci, qui alors était dan­ge­reux et à écrire et à lire, peut très bien, aujourd’hui, donner l’im­pres­sion que le vaincu veut donner une leçon de conduite aux vain­queurs» (E.J.). «Mais, lui rétorque-t-elle, il n’est que la caricature de l’"al­liance pacifique", de la "fédération d’Etats libres" voulue par le phi­losophe. Ce traité illustre bien plutôt l’une des maximes de so­phiste, qui guident, selon Kant, le pauvre savoir-faire d’une politique im­morale: Fac et excusa - Agis d’abord et excuse-toi ensuite». Au con­traire, la lecture posée de ce petit texte limpide, ruisselant de mé­di­tations fécondes, dévoile un Jünger européen, homo metaphysicus cer­tes, mais inscrit dans les tumultes de son temps, auxquels il en­tre­voit peut-être des perspectives grandioses, la paix recouvrée. La Paix du guerrier bien sûr.

Jünger, «intellectuel dégagé»

Si vis pacem, para bellum. De l’acuité de la maxime romaine, Jünger est convaincu, qui lui a sacrifié ses années de jeunesse. Mais à pré­sent que la guerre dégénère en une auto-reproduction du système ca­pitaliste, Jünger, «intellectuel dégagé», pressent que des formes de la cessation des hostilités dépendra la régénérescence de la civili­sation, ou sa mort. «Deux voies s’ouvrent aux peuples. L’une est celle de la haine et de la revanche; comment douter qu’elle conduise après un moment de lassitude, à un regain de lutte plus violente encore, pour s’achever dans la destruction générale? La vraie voie, par contre, mène à la civilisation. Les forces qui s’anéantissaient en s’op­posant doivent s’unir pour un nouvel Ordre, pour une vie nou­velle. Là seulement se trouvent les sources de la paix véritable, de la ri­chesse, de la sécurité, de la puissance». Il faut être, Mme Bollmann, bien mal intentionné, ou ignorant du personnage, pour prêter aux pro­pos de Jünger des ambitions de «nazisme inversé». Poursuivons. Quel nouvel Ordre Jünger oppose-t-il dès 1941 à l’Ordre nouveau a­lors à son zénith?

«En d’autres termes, les anciennes frontières ont à cé­der devant des alliances nouvelles qui uniront les peuples en de nou­veaux et plus vastes empires. C’est la seule voie par laquelle puis­se se terminer, en équité, et avec profit pour chacun, cette que­relle fratricide». Folle utopie, désir insatiable de justice et de fra­ter­nité, son incompréhension, ou sa fin de non-recevoir, des con­sé­quen­ces idéologiques est manifeste. «Mais en vérité la déclaration d’in­dépendance de l’Europe est un acte plus spirituel encore. Elle sup­pose que ce continent s’affranchisse de ses conceptions pé­tri­fiées, de ses haines invétérées, faisant de la victoire un bienfait pour tous (...) Peu importe le vainqueur: au triomphe des armes il incombe une lourde responsabilité. La logique de la violence pure doit aller jus­qu’au bout pour qu’apparaisse la logique supérieure de l’Alliance». Dos au mur, l’Allemagne nazie doit céder pour que rejaillisse l’Alle­ma­gne éternelle dont il est, avec Mann, Hesse et quelques autres, dis­sé­minés entre la Suisse et les Etats-Unis, l’ultime héritier. Re­staurée dans son identité, donc fédérale, impériale, revenue de 1806, l’Al­lemagne préfigurera l’Europe qu’il appelle de ses vœux. Son pre­mier devoir sera «moins de venger les victimes que de rétablir le droit, et surtout la notion de droit (...)

La volonté de justice doit être di­ri­gée vers l’ordre, vers l’assainissement». Car rien n’est plus distant du droit international qui naîtra des procès de Nuremberg que l’idée jün­gerienne du droit: «Or la main qui veut aider l’homme et le tirer de l’a­veuglement, doit être elle-même pure de tout crime et de toute vio­len­ce». «Aussi importe-t-il non seulement pour les vaincus, mais pour les vainqueurs, que la guerre se termine par des traités solides et du­ra­bles, élaborés non par la passion, mais par la raison». Un appétit mé­taphysique que ne respecteront nullement les signataires du traité de Yalta. Et pour cause, le document entérinant un déplacement des puis­sances dominantes contraire aux aspirations formulées dans La Paix: «Or à considérer sans passion l’enjeu de cette guerre, on con­state qu’elle soulève presque tous les problèmes qui agitent les hom­mes (...) La première est celle de l’espace, car il y a des puissances d’agression, ou totalitaires (...) Pour durer, la paix doit donc apaiser ce trouble d’une manière équitable. Encore faut-il que de telles exi­gen­ces, fondées sur le droit naturel, soient satisfaites sur un plan su­pé­rieur, par des alliances, des traités, et non par des conquêtes».

«Car la matière nationale des peuples s’est consumée en d’ultimes sacrifices»

La mobilisation totale et L’état universel annonçaient la dissolution des états. Avec le conflit gigantesque qui s’abat sur le monde, les na­tions désormais sont promises à pareil destin. «Car la matière des peu­ples s’est consumée en d’ultimes sacrifices, impossibles à renou­ve­ler sous cette forme. Le bienfait de ce drame est qu’il ébranle les vieill­es frontières et permet la réalisation de plans spirituels dé­pas­sant leurs cadres (...) Dans ce sens, aucune des nations ne sortira de la guerre telle qu’elle y est entrée. La guerre est la grande forge des peu­ples comme elle est celle des cœurs».

Déterminismes géopolitiques, libération des peuples de leurs entra­ves stato-nationales, et relativisation postmoderne des certitudes ra­tio­nalistes sont les trois piliers qui soutiennent son Union Euro­péen­ne, sa vision prophétique. Prophétique comme l’est son emphase; une emphase qui ne s’emporte jamais sur la vague de la facilité intel­lectuelle mais rebondit toujours sur une idée nouvelle. Une dia­lec­ti­que parfaite de maîtrise qui nous remémore que le théoricien lucide du totalitarisme technicien fut aussi l’interlocuteur privilégié de Hei­deg­ger.

«Et les nations qui naquirent alors des dynasties et des éclats de vieux royaumes sont aujourd’hui en demeure de fonder l’Empire. Les exemples abondent, d’ailleurs, d’Etats où s’amalgament les races, les langues, les peuples les plus divers: que l’on pense à la Suisse, aux Etats-Unis, à l’Union Soviétique, à l’Empire britannique. Ils ont cristal­lisé, dans leurs territoires, une grande somme d’expériences po­li­tiques: il n’est que d’y puiser. En fondant la nouvelle Europe, il s’agit de donner à un espace divisé par l’évolution historique, son unité géo­politique. Les écueils se trouvent dans l’ancienneté des traditions, et dans le particularisme des peuples».

Aussi, comment déborder l’obstacle? Par la constitution, si l’on se sou­vient de ce qui a été dit précédemment, mais un droit et une con­sti­tution de nature sacrale, et non plus seulement contractuelle. «La paix ne saurait se fonder uniquement sur la raison humaine. Simple con­trat juridique conclu entre des hommes, elle ne sera durable que si elle représente en même temps un pacte sacré. Il n’est d’ailleurs pas d’autre moyen de remonter à la source la plus profonde du mal, is­su du nihilisme».

Ni autoritaire ni libérale, puisque de leur arbitraire a découlé la guerre mon­diale, la constitution doit délimiter strictement les attributions éta­ti­ques. Un état à dimension européenne donc, soucieux de «satis­faire à deux principes fondamentaux, unité et diversité», sans quoi l’al­liance virera à la coercition, à l’indifférenciation mortifère. «Uni dans ses membres, le nouvel empire doit respecter les particularités de chacun».

L’homme nouveau, dépositaire et gardien de l’alliance

«La constitution européenne doit donc être assez habile pour faire la part de la culture et celle de la civilisation». Notons ici que Jünger opère à la manière de Thomas Mann une distinction entre la culture, qui concerne la sphère intérieure propre à tout homme, et la civi­li­sa­tion, qui la prolonge et l’éprouve dans l’action». «L’Etat, symbole su­prême de la technique, rassemble les peuples sous son égide, mais ils y vivent dans la liberté. Alors l’histoire se poursuit en s’enrichissant de valeurs nouvelles. L’Europe peut devenir une patrie sans détruire pour autant les pays et les terres natales». L’homme nouveau pres­senti par Jünger, dépositaire et gardien de l’alliance, n’est déjà plus la figure du Travailleur, ni encore tout à fait celle de l’anar­que. C’est un être complet, étroitement relié aux forces tellu­ri­ques et cosmiques. Organiciste et patriote, il se sait être la mail­lon d’une chaîne spatio-temporelle communément appelée com­mu­nauté. Mystique aussi, l’homme de l’alliance est un moine-sol­dat pénétré de ses devoirs envers la Cité, serviteur de son Dieu. Croisé d’une ère nouvelle  —petite et grande guerres sain­tes réunies—, sa paix intérieure découle de sa mission cheva­le­resque. «[c’est pourquoi] l’unité de l’occident, prenant corps pour la pre­mière fois depuis l’Empire de Charlemagne, ne saurait se borner à réu­nir les pays, les peuples et les cultures, mais elle doit aussi res­sus­citer dans l’Eglise (...) La véritable défaite du nihilisme, condition de la paix, n’est possible qu’avec l’aide de l’Eglise. De même que le lo­yalisme de l’homme, dans l’Etat nouveau, ne peut reposer sur son internationalisme, mais sur sa fidélité nationale, son éducation doit se fonder sur sa foi et non sur son indifférence. Il faut qu’il soit l’homme d’une patrie, dans l’espace et dans l’infini, dans le temps comme dans l’éternel. Et cette initiation à une vie qui embrasse la totalité de l’homme, doit se fonder sur une certitude supérieure à celle que l’Etat donne dans ses écoles et ses universités.»

Réconciliant science et théologie («la théologie, reine des sciences»), mythos et logos, comme Hesse avant lui dans Le jeu des perles de verre, Jünger insiste sur la nécessité de fonder une élite théolo­ga­le de kshatriya  pratiquant «le culte de l’Univers».

Car le message que nous délivre Jünger est celui-ci: vous ne sau­ve­rez l’Occident qu’en sauvant son âme, vous ne sauverez l’Occident qu’en le sauvant de lui-même.

Révolution conservatrice

Libre à chacun aujourd’hui de juger la justesse de son propos, son de­gré de prescience, les limites de son pacte. Reconnaissons-lui néan­moins, en des temps de cataclysmes, le courage rare, lui le guer­rier, d’avoir su se réconcilier avec le monde et, plus encore, avec lui-même.

Et pour Mme Bollmann, qui, manifestement, par engagement anti­fasciste n’a pas poussé le vice jusqu’à lire l’introduction de La Paix, citons cette courte confession jüngerienne: «Mais un homme qui ne s’était jamais menti, ne connaissant de la passion que ses flammes, non le rayonnement noir de la haine et du ressentiment (...) Cet hom­me-salamandre, capable de se livrer aux bêtes et aux flammes sans lais­ser entamer en lui la part divine de l’homme, ne pouvait pas re­con­naître dans l’Allemagne hitlérienne, fondée sur le désespoir des mas­ses et la puissance surnaturelle du mensonge d’un névrosé, l’i­ma­ge de ses premières amours viriles».

Noblesse oblige.

Max SERCQ.  

La Paix, Ernst Jünger, La Table Ronde, 1994.

Ernst Jünger aux faces multiples, Banine, L’Age d’Homme, 1989.

Les prochains Titans, Antonio Gnoli et Franco Volpi, Grasset, 1999.

La tentation allemande, Yvonne Bollmann, Michalon, 1998.  

samedi, 15 décembre 2007

Impact de Nietzsche sur la gauche et la droite

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L'impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite

par Robert Steuckers

intervention lors de la 3ième Université d'été de la FACE, Provence, juillet 1995

Analyse:

-Steven E. ASCHHEIM, The Nietzsche Legacy in Germany. 1890-1990, University of California Press, Berkeley/Los Angeles/Oxford, 1992, 337 p., ill., ISBN 0-520-07805-5.
- Giorgio PENZO, Il superamento di Zarathustra. Nietzsche e il nazionalsocialismo, Armando Editore, Roma, 1987, 359 p., 25.000 Lire.

L'objet de mon exposé n'est pas de faire de la philosophie, d'entrer dans un débat philosophique, de chercher quelle critique adresse Nietzsche, par le biais d'un aphorisme cinglant ou subtil, à Aristote, à Descartes ou à Kant, mais de faire beaucoup plus simplement de l'histoire des idées, de constater qu'il n'existe pas seulement une droite ou un pré-fascisme ou un fascisme tout court qui dérivent de Nietzsche, mais que celui-ci a fécondé tout le discours de la sociale-démocratie allemande, puis des radicaux issus de cette gauche et, enfin, des animateurs de l'Ecole de Francfort. De nos jours, c'est la ³political correctness² qui opère par dichotomies simplètes, cherche à cisailler à l'intérieur même des discours pour trier ce qu'il est licite de penser pour le séparer pudiquement, bigotement, de ce qui serait illicite pour nos cerveaux. C'est à notre sens peine perdue: Nietzsche est présent partout, dans tous les corpus, chez les socialistes, les communistes, les fascistes et les nationaux-socialistes, et, même, certains arguments nietzschéens se retrouvent simultanément sous une forme dans les théories communistes et sous une autre dans les théories fascistes.

La ³political correctness², dans sa mesquinerie, cherche justement à morceler le nietzschéisme, à opposer ses morceaux les uns aux autres, alors que la fusion de toutes les contestations à assises nietzschéennes est un impératif pour le XXIième siècle. La fusion de tous les nietzschéismes est déjà là, dans quelques cerveaux non encore politisés: elle attend son heure pour balayer les résidus d'un monde vétuste et sans foi. Mais pour balayer aussi ceux qui sont incapables de penser, à gauche comme à droite, sans ces vilaines béquilles conventionnelles que sont les manichéismes et les dualismes, opposant binairement, répétitivement, une droite figée à une gauche toute aussi figée.

La caractéristique majeure de cet impact ubiquitaire du nietzschéisme est justement d'être extrêmement diversifiée, très plurielle. L'¦uvre de Nietzsche a tout compénétré. Méthodologiquement, l'impact de la pensée de Nietzsche n'est donc pas simple à étudier, car il faut connaître à fond l'histoire culturelle de l'Allemagne en ce XXième siècle; il faut cesser de parler d'un impact au singulier mais plutôt d'une immense variété d'impulsions nietzschéennes. D'abord Nietzsche lui-même est un personnage qui a évolué, changé, de multiples strates se superposent dans son ¦uvre et en sa personne même. Le Dr. Christian Lannoy, philosophe néerlandais d'avant-guerre, a énuméré les différents stades de la pensée nietzschéenne:
1er stade: Le pessimisme esthétique, comprenant quatre phases qui sont autant de passages: a) du piétisme (familial) au modernisme d'Emerson; b) du modernisme à Schopenhauer; c) de Schopenhauer au pessimisme esthétique proprement dit; d) du pessimisme esthétique à l'humanisme athée (tragédies grecques + Wagner).
2ième stade: Le positivisme intellectuel, comprenant deux phases: a) le rejet du pessimisme esthétique et de Wagner; b) l'adhésion au positivisme intellectuel (phase d'égocentrisme).
3ième stade: Le positivisme anti-intellectuel, comprenant trois phases: a) la phase poétique (Zarathoustra); b) la phase consistant à démasquer l'égocentrisme; c) la phase de la Volonté de Puissance (consistant à se soustraire aux limites des constructions et des constats intellectuels).
4ième stade: Le stade de l'Antéchrist qui est purement existentiel, selon la terminologie catholique de Lannoy; cette phase terminale consiste à se jeter dans le fleuve de la Vie, en abandonnant toute référence à des arrière-mondes, en abandonnant tous les discours consolateurs, en délaissant tout Code (moral, intellectuel, etc.).

Plus récemment, le philosophe allemand Kaulbach, exégète de Nietzsche, voit six types de langage différents se succéder dans l'¦uvre de Nietzsche: 1. Le langage de la puissance plastique; 2. Le langage de la critique démasquante; 3. Le style du langage expérimental; 4. L'autarcie de la raison perspectiviste; 5. La conjugaison de ces quatre premiers langages nietzschéens (1+2+3+4), contribuant à forger l'instrument pour dépasser le nihilisme (soit le fixisme ou le psittacisme) pour affronter les multiples facettes, surprises, imprévus et impondérables du devenir; 6. L'insistance sur le rôle du Maître et sur le langage dionysiaque.

Ces classifications valent ce qu'elles valent. D'autres philosophes pourront déceler d'autres étapes ou d'autres strates mais les classifications de Lannoy et Kaulbach ont le mérite de la clarté, d'orienter l'étudiant qui fait face à la complexité de l'¦uvre de Nietzsche. L'intérêt didactique de telles classifications est de montrer que chacune de ces strates a pu influencer une école, un philosophe particulier, etc. De par la multiplicité des approches nietzschéennes, de multiples catégories d'individus vont recevoir l'influence de Nietzsche ou d'une partie seulement de Nietzsche (au détriment de tous les autres possibles). Aujourd'hui, on constate en effet que la philosophie, la philologie, les sciences sociales, les idéologies politiques ont receptionné des bribes ou des pans entiers de l'¦uvre nietzschéenne, ce qui oblige les chercheurs contemporains à dresser une taxinomie des influences et à écrire une histoire des réceptions, comme l'affirme, à juste titre, Steven E. Aschheim, un historien américain des idées européennes.

Nietzsche: mauvais génie ou héraut impavide?

Aschheim énumère les erreurs de l'historiographie des idées jusqu'à présent:
- Ou bien cette historiographie est moraliste et considère Nietzsche comme le ³mauvais génie² de l'Allemagne et de l'Europe, ³mauvais génie² qui est tour à tour ³athée² pour les catholiques ou les chrétiens, ³pré-fasciste ou pré-nazi² pour les marxistes, etc.
- Ou bien cette historiographie est statique, dans ses variantes apologétiques (où Nietzsche apparaît comme le ³héraut² du national-socialisme ou du fascisme ou du germanisme) comme dans ses variantes démonisantes (où Nietzsche reste constamment le mauvais génie, sans qu'il ne soit tenu compte des variations dans son ¦uvre ou de la diversité de ses réceptions).
Or pour juger la dissémination de Nietzsche dans la culture allemande et européenne, il faut: 1. Saisir des processus donc 2. avoir une approche dynamique de son ¦uvre.

Le bilan de cette historiographie figée, dit Aschheim, se résume parfaitement dans les travaux de Walter Kaufmann et d'Arno J. Mayer. Walter Kaufmann démontre que Nietzsche a été mésinterprété à droite par sa s¦ur, Elisabeth Förster-Nietzsche, par Stefan George, par Ernst Bertram et Karl Jaspers. Mais aussi dans le camp marxiste après 1945, notamment par Georg Lukacs, communiste hongrois, qui a dressé un tableau général de ce qu'il faut abroger dans la pensée européenne, ce qui revient à rédiger un manuel d'inquisition, dont s'inspirent certains tenants actuels de la ³political correctness². Lukacs accuse Nietzsche d'irrationalité et affirme que toute forme d'irrationalité conduit inéluctablement au nazisme, d'où tout retour à Nietzsche équivaut à recommencer un processus ³dangereux². L'erreur de cette interprétation c'est de dire que Nietzsche ne suscite qu'une seule trajectoire et qu'elle est dangereuse. Cette vision est strictement linéaire et refuse de dresser une cartographie des innombrables influences de Nietzsche.

Arno J. Mayer rappelle que Nietzsche a été considéré par certains exégètes marxisants comme le héraut des classes aristocratiques dominantes en Allemagne à la fin du XIXième siècle. L'insolence de Nietzsche aurait séduit les plus turbulents représentants de cette classe sociale. Aschheim estime que cette thèse est une erreur d'ordre historique. En effet, l'aristocratie dominante, à cette époque-là en Allemagne, est un milieu plutôt hostile à Nietzsche. Pourquoi? Parce que l'anti-christianisme de Nietzsche sape les assises de la société qu'elle domine. L'³éthique aristocratique² de Nietzsche est fondamentalement différente de celle des classes dominantes de la noblesse allemande du temps de Bismarck. Par conséquent, Nietzsche est jugé ³subversif, pathologique et dangereux². La ³droite² (en l'occurrence la ³révolution conservatrice²) ne l'utilisera surtout qu'après 1918.

Les ³transvaluateurs²

Hinton Thomas, historien anglais des idées européennes, constate effectivement que Nietzsche est réceptionné essentiellement par des dissidents, des radicaux, des partisans de toutes les formes d'émancipation, des socialistes (actifs dans la social-démocratie), des anarchistes et des libertaires, par certaines féministes. Thomas nomme ces dissidents des ³transvaluateurs². La droite révolutionnaire allemande, post-conservatrice, se posera elle aussi comme ³transvaluatrice² des idéaux bourgeois, présents dans l'Allemagne wilhelmienne et dans la République de Weimar. Hinton Thomas concentre l'essentiel de son étude aux gauches nietzschéennes, en n'oubliant toutefois pas complètement les droites. Son interprétation n'est pas unilatérale, dans le sens où il explore deux filons de droite où Nietzsche n'a peut-être joué qu'un rôle mineur ou, au moins, un rôle de repoussoir: l'Alldeutscher Verband (la Ligue Pangermaniste) et l'univers social-darwiniste, plus particulièrement le groupe des ³eugénistes².

En somme, on peut dire que Nietzsche rejette les systèmes, son anti-socialisme est un anti-grégarisme mais qui est ignoré, n'est pas pris au tragique, par les militants les plus originaux du socialisme allemand de l'époque. Les intellectuels sociaux-démocrates s'enthousiasment au départ pour Nietzsche mais dès qu'ils établissent dans la société allemande leurs structures de pouvoir, ils se détachent de l'anarchisme, du criticisme et de la veine libertaire qu'introduit Nietzsche dans la pensée européenne. La social-démocratie cesse d'être pleinement contestatrice pour participer au pouvoir. Roberto Michels appelera ce glissement dans les conventions la Verbonzung, la ³bonzification², où les chefs socialistes perdent leur charisme révolutionnaire pour devenir les fonctionnaires d'une mécanique partitocratique, d'une structure sociale participant en marge au pouvoir. Seuls les libertaires comme Landauer et Mühsam demeurent fidèles au message nietzschéen. Enfin, au-delà des clivages politiques usuels, Nietzsche introduit dans la pensée européenne un ³style² (qui peut toujours s'exprimer de plusieurs façons possibles) et une notion d'³ouverture², impliquant, pour ceux qui savent reconnaître cette ouverture-au-monde et en tirer profit, une dynamique permanente d'auto-réalisation. L'homme devient ce qu'il est au fond de lui-même dans cette tension constante qui le porte à aller au-devant des défis et des mutations, sans frilosité rédhibitoire, sans nostalgies incapacitantes, sans rêves irréels.

Enfin, Nietzsche a été lu majoritairement par les socialistes avant 1914, par les ³révolutionnaires-conservateurs² (et éventuellement par les fascistes et les nationaux-socialistes) après 1918. Aujourd'hui, il revient à un niveau non politique, notamment dans le ³nietzschéisme français² d'après 1945.

L'impact de Nietzsche sur le discours socialiste avant 1914 en Allemagne

En Allemagne, mais aussi ailleurs, notamment en Italie avec Mussolini, alors fougueux militant socialiste, ou en France, avec Charles Andler, Daniel Halévy et Georges Sorel, la philosophie de Nietzsche séduit principalement les militants de gauche. Mais non ceux qui sont strictement orthodoxes, comme Franz Mehring, que les nietzschéens socialistes considèrent comme le théoricien d'un socialisme craintif et procédurier, fort éloigné de ses tumultueuses origines révolutionnaires. Franz Mehring, gardien à l'époque de l'orthodoxie figée, évoque une stricte filiation philosophie  ‹en dehors de laquelle il n'y a point de salut!‹   partant de Hegel pour aboutir à Marx et à la pratique routinière, sociale et parlementariste, de la sociale-démocratie wilhelminienne. Face à ce marxisme conventionnel et frileux, les gauches dissidentes opposent Nietzsche ou l'un ou l'autre linéament de sa philosophie. Ces gauches dissidentes conduisent à un anarchisme (plus ou moins dionysiaque), à l'anarcho-syndicalisme (un des filons du futur fascisme) ou au communisme. Ainsi, Isadora Duncan, une journaliste anglaise qui couvre, avec sympathie, les événements de la Révolution Russe pour L'Humanité, écrit en 1921: "Les prophéties de Beethoven, de Nietzsche, de Walt Whitman sont en train de se réaliser. Tous les hommes seront frères, emportés par la grande vague de libération qui vient de naître en Russie". On remarquera que la journaliste anglaise ne cite aucun grand nom du socialisme ou du marxisme! La gauche radicale voit dans la Révolution Russe la réalisation des idées de Beethoven, de Nietzsche ou de Whitman et non celles de Marx, Engels, Liebknecht (père), Plekhanov, Lénine, etc.

Pourquoi cet engouement? Selon Steven Aschheim, les radicaux maximalistes dans le camp des socialistes se réfèrent plus volontiers à la critique dévastatrice du bourgeoisisme (plus exactement: du philistinisme) de Nietzsche, car cette critique permet de déployer un ³contre-langage², dissolvant pour toutes les conventions sociales et intellectuelles établies, qui permettent aux bourgeoisies de se maintenir à la barre. Ensuite, l'idée de ³devenir² séduit les révolutionnaires permanents, pour qui aucune ³superstructure² ne peut demeurer longtemps en place, pour dominer durablement les forces vives qui jaillissent sans cesse du ³fond-du-peuple².

En fait, dès la fin de la première décennie du XXième siècle, la sociale-démocratie allemande et européenne subit une mutation en profondeur: les radicaux abandonnent les conventions qui se sont incrustées dans la pratique quotidienne du socialisme: en Allemagne, pendant la première guerre mondiale, les militants les plus décidés quittent la SPD pour former d'abord l'USPD puis la KPD (avec Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht); en Italie, une aile anarcho-syndicaliste se détache des socialistes pour fusionner ultérieurement avec les futuristes de Marinetti et les arditi  revenus des tranchées, ce qui donne, sous l'impulsion de la personnalité de Mussolini, le syncrétisme fasciste; etc.

le socialisme: une révolte permanente contre les superstructures

Par ailleurs, dès 1926, l'Ecole de Francfort commence à déployer son influence: elle ne rejette pas l'apport de Nietzsche; après les vicissitudes de l'histoire allemande, du nazisme et de l'exil américain de ses principaux protagonistes, cette Ecole de Francfort est à l'origine de l'effervescence de mai 68. Dans toutes ces optiques, le socialisme est avant toutes choses une révolte contre les superstructures, jugées dépassées et archaïques, mais une révolte chaque fois différente dans ses démarches et dans son langage selon le pays où elle explose. A cette révolte socialiste contre les superstructures (y compris les nouvelles superstructures rationnelles et trop figées installées par la sociale-démocratie), s'ajoute toute une série de thématiques, comme celles de l'³énergie² (selon Schiller et surtout Bergson; ce dernier influençant considérablement Mussolini), de la volonté (que l'on oppose chez les dissidents radicaux du socialisme à la doctrine sociale-démocrate et marxiste du déterminisme) et la vitalité (thématique issue de la ³philosophie de la Vie², tant dans ses interprétations laïques que catholiques).

Une question nous semble dès lors légitime: cette évolution est-elle 1) marginale, réduite à des théoriciens ou à des cénacles intellectuels, ou bien 2) est-elle vraiment bien capillarisée dans le parti? Steven Aschheim, en concluant son enquête minutieuse, répond: oui. Il étaye son affirmation sur les résultats d'une enquête ancienne, qu'il a analysée méticuleusement, celle d'Adolf Levenstein en 1914. Levenstein avait procédé en son temps à une étude statistique des livres empruntés aux bibliothèques ouvrières de Leipzig entre 1897 et 1914. Levenstein avait constaté que les livres de Nietzsche étaient beaucoup plus lus que ceux de Marx, Lassalle ou Bebel, figures de proue de la sociale-démocratie officielle. Cette étude prouve que le nietzschéisme socialiste était une réalité dans le c¦ur des ouvriers allemands.

"Die Jungen" de Bruno Wille, "Der Sozialist" de Gustav Landauer

En Allemagne, la première organisation socialiste/nietzschéenne était Die Jungen (Les Jeunes) de Bruno Wille. Celui-ci entendait combattre l'³accomodationnisme² de la sociale-démocratie, son embourgeoisement (rejoignant par là Roberto Michels, analyste de l'oligarchisation des partis), le culte du parlementarisme (rejoignant Sorel et anticipant les deux plus célèbres soréliens allemands d'après 1918: Ernst Jünger et Carl Schmitt), l'ossification du parti et sa bureaucratisation (Michels). Plus précisément, Wille déplore la disparition de tous les réflexes créatifs dans le parti; l'imagination n'est plus au pouvoir dans la sociale-démocratie allemande du début de notre siècle, tout comme aujourd'hui, avec l'accession au pouvoir des anciens soixante-huitards, l'imagination, pourtant bruyamment promise, n'a plus du tout droit au chapitre, ³political correctness² oblige. Ensuite, autre contestataire fondamental dans les rangs socialistes allemands, Gustav Landauer (1870-1919), qui tombera les armes à la main dans Munich investie par les Corps Francs de von Epp, fonde une revue libertaire, socialiste et nietzschéenne, qu'il baptise Der Sozialist. Chose remarquable, son interprétation de Nietzsche ignore le culte nietzschéen de l'égoïté, l'absence de toute forme de solidarité ou de communauté chez le philosophe de Sils-Maria, pour privilégier très fortement sa fantaisie créatrice et sa critique de toutes les pétrifications à l'¦uvre dans les sociétés et les civilisations modernes et bourgeoises.

Max Maurenbrecher et Lily Braun

Max Maurenbrecher (1874-1930), est un pasteur protestant socialiste qui a foi dans le mouvement ouvrier tout en se référant constamment à Nietzsche et à sa critique du christianisme. La première intention de Maurenbrecher a été justement de fusionner socialisme, nietzschéisme et anti-christianisme. Son premier engagement a lieu dans le Nationalsozialer Verein de Naumann en 1903. Son deuxième engagement le conduit dans les rangs de la sociale-démocratie en 1907, au moment où il quitte aussi l'église protestante et s'engage dans le ³mouvement religieux libre². Son troisième engagement est un retour vers son église, un abandon de toute référence à Marx et à la sociale-démocratie, assortis d'une adhésion au message des Deutschnationalen. Maurenbrecher incarne donc un parcours qui va du socialisme au nationalisme.

Lily Braun, dans l'univers des intellectuels socialistes du début du siècle, est une militante féministe, socialiste et nietzschéenne. Elle s'engage dans les rangs sociaux-démocrates, où elle plaide la cause des femmes, réclame leur émancipation et leur droit au suffrage universel. Ce féminisme est complété par une critique systématique de tous les dogmes et par une esthétique nouvelle. Son apport philosophique est d'avoir défendu l'³esprit de négation² (Geist der Verneinung), dans le sens où elle entendait par ³négation², la négation de toute superstructure, des ossifications repérables dans les superstructures sociales. En ce sens, elle annonce certaines démarches de l'Ecole de Francfort. Lily Braun plaidait en faveur d'une juvénilisation permanente de la société et du socialisme. Elle s'opposait aux formes démobilisantes du moralisme kantien. Pendant la première guerre mondiale, elle développe un ³socialisme patriotique² en arguant que l'Allemagne est la patrie de la sociale-démocratie, et qu'en tant que telle, elle lutte contre la France bourgeoise, l'Angleterre capitaliste et marchande et la Russie obscurantiste. Son néo-nationalisme est une sociale-démocratie nietzschéanisée perçue comme nouvelle idéologie allemande. La constante du message de Lily Braun est un anti-christianisme conséquent, dans le sens où l'idéologie chrétienne est le fondement métaphysique des superstructures en Europe et que toute forme de fidélité figée aux idéologèmes chrétiens sert les classes dirigeantes fossilisées à maintenir des superstructures obsolètes.

Contre le socialisme nietzschéen, la riposte des ³bonzes²

Avec Max Maurenbrecher et Lily Braun, nous avons donc deux figures maximalistes du socialisme allemand qui évoluent vers le nationalisme, par nietzschéanisation. Cette évolution, les ³bonzes² du parti l'observent avec grande méfiance. Ils perçoivent le danger d'une mutation du socialisme en un nationalisme populaire et ouvrier, qui rejette les avocats, les intellectuels et les nouveaux prêtres du positivisme sociologique. Les ³bonzes² organisent donc leur riposte intellectuelle, qui sera une réaction anti-nietzschéenne. Le parallèle est facile à tracer avec la France actuelle, où Luc Ferry et Alain Renaut critiquent l'héritage de mai 68 et du nietzschéisme français des Deleuze, Guattari, Foucault, etc. Le mitterrandisme tardif, très ³occidentaliste² dans ses orientations (géo)politiques, s'alignent sur la contre-révolution moraliste américaine et sur ses avatars de droite (Buchanan, Nozick) ou de gauche, en s'attaquant à des linéaments philosophiques capables de ruiner en profondeur  ‹et définitivement‹  les assises d'une civilisation moribonde, qui crève de sa superstition idéologique et de son adhésion inconditionnelle aux idéaux fluets et chétifs de l'Aufklärung. L'intention de Ferry et Renaut est sans doute de bloquer le nietzschéisme français, afin qu'il ne se mette pas au service du lepénisme ou d'un nationalisme post-lepéniste. Démarche bizarre. Curieux exercice. Plus politicien-policier que philosophique...

Kurt Eisner: nietzschéen repenti

L'exemple historique le plus significatif de ce type de réaction, nous le trouvons chez Kurt Eisner, Président de cette République des Soviets de Bavière (Räterepublik), qui sera balayée par les Corps Francs en 1919. Avant de connaître cette aventure politique tragique et d'y laisser la vie, Eisner avait écrit un ouvrage orthodoxe et anti-nietzschéen, intitulé Psychopathia Spiritualis,  qui a comme plus remarquable caractéristique d'être l'¦uvre d'un ancien nietzschéen repenti! Quels ont été les arguments d'Eisner? Le socialisme est rationnel et pratique, disait-il, tandis que Nietzsche est rêveur, onirique. Il est donc impossible de construire une idéologie socialiste cohérente sur l'égocentrisme de Nietzsche et sur son absence de compassion (ce type d'argument sera plus tard repris par certains nationaux-socialistes!). Ensuite, Eisner constate que l'³impératif nietzschéen² conduit à la dégénérescence des m¦urs et de la politique (même argument que le ³conservateur² Steding). A l'injonction ³devenir dur!² de Nietzsche, Eisner oppose un ³devenir tendre!², pratiquant de la sorte un exorcisme sur lui-même. Eisner dans son texte avoue avoir succombé au ³langage intoxicateur² et au ³style narcotique² de Nietzsche. Contrairement à Lily Braun et polémiquant sans doute avec elle, Eisner s'affirme kantien et explique que son kantisme est paradoxalement ce qui l'a conduit à admirer Nietzsche, car, pour Eisner, Kant, tout comme Nietzsche, met l'accent sur le développement libre et maximal de l'individu, mais, ajoute-t-il, l'impératif nietzschéen doit être collectivisé, de façon à susciter dans la société et la classe ouvrière un pan-aristocratisme (Heinrich Härtle, ancien secrétaire d'Alfred Rosenberg, développera un argumentaire similaire, en décrivant l'idéologie nationale-socialiste comme un mixte d'impératif éthique kantien et d'éthique du surpassement nietzschéenne, le tout dans une perspective non individualiste!).

Si Eisner est le premier nietzschéen à faire machine arrière, à amorcer dans le camp socialiste une critique finalement ³réactionnaire² et ³figeante² de Nietzsche et du socialisme nietzschéen, si Ferry et Renaut sont ses héritiers dans la triste France du mitterrandisme tardif, Georg Lukacs, avec une trilogie inquisitoriale fulminant contre les mutliples formes d'³irrationalisme² conduisant au ³fascisme², demeure la référence la plus classique de cette manie obsessionnelle et récurrente de biffer les innombrables strates de nietzschéisme. Pourtant, Lukacs était vitaliste dans sa jeunesse et cultivait une vision tragique de l'homme, de la vie et de l'histoire inspirée de Nietzsche; après 1945, il rédige cette trilogie contre les irrationalismes qui deviendra la bible de la ³political correctness² de Staline à Andropov et Tchernenko dans les pays du COMECON, chez les marxistes qui se voulaient orthodoxes. Pourtant, les traces du nietzschéisme sont patentes dans la gauche nietzschéenne, chez Bloch et dans l'Ecole de Francfort.

Les gauchistes nietzschéens

Par gauchisme nietzschéen, Aschheim entend l'héritage d'Ernst Bloch et d'une partie de l'Ecole de Francfort. Ernst Bloch a eu une grande influence sur le mouvement étudiant allemand qui a précédé l'effervescence de mai 68. Une amitié fidèle et sincère le liait au leader de ces étudiants contestataires, Rudy Dutschke, apôtre protestant d'un socialisme gauchiste et national. Bloch opère une distinction fondamentale entre ³marxisme froid² et ³marxisme chaud². Ce dernier postule un retour à la religion, ou, plus exactement, à l'utopisme religieux des anabaptistes, mus par le ³principe espérance². Lukacs ne ménagera pas ses critiques, et s'opposera à Bloch, jugeant son ¦uvre comme ³un mélange d'éthique de gauche avec une épistémologie de droite². Bloch est toutefois très critique à l'égard de la vision de Nietzsche qu'avait répandue Ludwig Klages. Bloch la qualifiera de ³dionysisme passéiste², en ajoutant que Nietzsche devait être utilisé dans une perspective ³futuriste², afin de ³modeler l'avenir². Bloch rejette toutefois la notion d'éternel retour car toute idée de ³retour² est profondément statique: Bloch parle d'³archaïsme castrateur². Le dionysisme que Bloch oppose à celui de Klages est un dionysisme de la ³nature inachevée², c'est-à-dire un dionysisme qui doit travailler à l'achèvement de la nature.

Bloch n'appartient pas à l'Ecole de Francfort; il en est proche; il l'a influencée mais ses idées religieuses et son ³principe espérance² l'éloignent des deux chefs de file principaux de cette école, Horkheimer et Adorno. Les puristes de l'Ecole de Francfort ne croient pas à la rédemption par le principe espérance, car, disent-il, ce sont là des affirmations para-religieuses et a-critiques. Dans leurs critiques des idéologies (y compris des idéologies post-marxistes), les principaux protagonistes de l'Ecole de Francfort se réfèrent surtout au ³Nietzsche démasquant², dont ils utilisent les ressources pour démasquer les formes d'oppression dans la modernité tardive. Leur but est de sauver la théorie critique, et même toute critique, pour exercer une action dissolvante sur toutes les superstructures léguées par le passé et jugées obsolètes. Dans ce sens, Nietzsche est celui qui défie au mieux toutes les orthodoxies, celui dont le ³langage démasquant² est le plus caustique; Adorno justifiait ses références à Nietzsche en disant: "Il n'est jamais complice avec le monde". A méditer si l'on ne veut pas être le complice du ³Nouvel Ordre Mondial²...

Marcuse: un nietzschéisme de libération

Quant à Marcuse, souvent associé à l'Ecole de Francfort, que retient-il de Nietzsche? L'historiographie des idées retient souvent deux Marcuse: un Marcuse pessimiste, celui de L'homme unidimensionnel, et un Marcuse optimiste, celui d'Eros et civilisation. Pour Steven Aschheim, c'est ce Marcuse optimiste  ‹il met beaucoup d'espoir dans son discours‹  qui est peut-être le plus ³nietzschéen². Son nietzschéisme est dès lors un nietzschéisme de libération, teinté de freudisme, dans le sens où Marcuse développe, au départ de sa double lecture de Nietzsche et de Freud, l'idée d'un ³pouvoir libérateur du souvenir². Jadis, la mémoire servait à se souvenir de devoirs,   d'autant de ³tu dois², suscitant tout à la fois l'esprit de péché, la mauvaise conscience, le sens de la culpabilité, sur lesquels le christianisme s'est arcbouté et a imprégné notre civilisation. Cette mémoire-là ³transforme des faits en essences², fige des bribes d'histoire peut-être encore féconds pour en faire des absolus métaphysiques pétrifiés et fermés, qu'on ne peut plus remettre en question; pour Nietzsche, comme pour le Marcuse optimiste d'Eros et civilisation, il faut évacuer les brimades et les idoles qu'a imposées cette mémoire-là, car les instincts de vie (pour Freud: l'aspiration au bonheur total, entravée par la répression et les refoulements), doivent toujours, finalement, avoir le dessus, en rejettant sans hésiter toutes les formes d'³escapismes² et de négation. Pour Marcuse, en cela élève de Nietzsche, la civilisation occidentale et son pendant socialiste soviétique (Nietzsche aurait plutôt parlé du christianisme) sont fondamentalement fallacieux (parce que sur-répressifs) (*) car ils conservent trop d'essences, d'interdits, et étouffent les créativités, l'Eros. On retrouve là les mêmes mécanismes de pensée que chez un Landauer.

La ³science mélancolique² d'Adorno

Adorno, dans Minima Moralia, se réfère à la dialectique négative de Nietzsche et se félicite du fait que cette négation nietzschéenne permanente ne conduit à l'affirmation d'aucune positivité qui, le cas échéant, pourrait se transformer en une nouvelle grande idole figée. Mais, Adorno, contrairement à Nietzsche, ne prône pas l'avènement d'un ³gai savoir² ou d'une ³gaie science², mais espère l'avènement d'une ³science mélancolique², sorte de scepticisme méfiant à l'endroit de toute forme d'affirmation joyeuse. Adorno se démarque ainsi du ³panisme² de Bloch, des idées claires et tranchées d'un Wille ou d'une Lily Braun, du communautarisme socialiste d'un Landauer ou, anticipativement, du ³gai savoir² d'un philosophe nietzschéen français comme Gilles Deleuze. Pour Adorno, la joie ne doit pas tout surplomber.

Pour Aschheim, l'Ecole de Francfort adopte alternativement deux attitudes face à ce que Lukacs, dans sa célèbre polémique pro-rationaliste, a qualifié d'³irrationalisme². Selon les circonstances, l'Ecole de Francfort distingue entre, d'une part, les irrationalismes féconds, qui permettent la critique des superstructures (dans ce qu'elles ont de figé) et/ou des institutions (dans ce qu'elles ont de rigide) et, d'autre part, les irrationalismes réactionnaires qui affirment brutalement des valeurs en dépit de leur obsolescence et de leur fonction au service du maintien de hiérarchies désuètes.

A quoi sert la ³political correctness²?

Aschheim constate que l'idéologie des Lumières introduit et généralise dans la pensée européenne le relativisme, le subjectivisme, etc. qui développent, dans un premier temps, une dynamique critique, puis retournent cette dynamique contre le sujet érigé comme absolu dans la civilisation occidentale par les tenants de l'Aufklärung eux-mêmes. Ce que Ferry a appelé la ³pensée-68² est justement cette idéologie des Lumières qui devient justement sans cesse plus intéressante, en ses stades ultimes, parce qu'elle retourne sa dynamique relativiste et perspectiviste contre l'idole-sujet. Ferry estime que ce retournement est allé trop loin, dans les ¦uvres de philosophes français tels Deleuze, Guattari, Foucault,... La ³pensée-68² sort donc de l'Aufklärung stricto sensu et travaille à dissoudre le sacro-saint sujet, pierre angulaire des régimes libéraux, pseudo-démocratiques, nomocratiques et/ou ploutocratiques, axés sur l'individualisme juridique, sur la méthodologie individualiste en économie et en sociologie. Par conséquent, contre l'avancée de l'Aufklärung jusqu'à ses conséquences ultimes, avancée qui risque de faire voler en éclat des cadres institutionnels vermoulus qui ne peuvent plus se justifier philosophiquement, un personnel composite de journalistes, de censeurs médiatiques, de fonctionnaires, de juristes et de philosophes-mercenaires doit imposer une ³correction politique², afin de restituer le sujet dans sa plénitude et sa ³magnificence² d'idole, afin de promouvoir et de consolider une restauration néo-libérale.

Revenons toutefois à Aschheim, qui cherche à remettre clairement en évidence les linéaments de nietzschéisme dans l'Ecole de Francfort, tout en montrant par quelles portes entrouvertes la correction politique, sur le modèle des Mehring, Eisner, Lukacs, Ferry, etc., peut simultanément s'insinuer dans ce discours. Horkheimer, chef de file de cette Ecole de Francfort et philosophe quasi officiel de la première décennie de la RFA, juge Nietzsche comme suit: le philosophe de Sils-Maria est incapable de reconnaître l'importance de la ³société concrète²   (**) dans ses analyses, mais, en dépit de cette lacune, inacceptable pour ceux qui ont été séduits, d'une façon ou d'une autre, par le matérialisme historique de la tradition marxiste, Nietzsche demeure toujours libre de toute illusion et voit et sent parfaitement quand un fait de vie se fige en ³essence² (pour reprendre le vocabulaire de Marcuse). Horkheimer ajoute que Nietzsche ³ne voit pas les origines sociales des déclins². Position évidemment ambivalente, où admiration et crainte se mêlent indissolublement.

Nietzsche, le maître en ³misologie²

En 1969, J. G. Merquior, dans Western Marxism,  ouvrage qui analyse les ressorts du ³marxisme occidental², rappelle le rôle joué par les diverses lectures de Nietzsche dans l'émergence de ce phénomène un peu paradoxal de l'histoire des idées; Nietzsche, disait Merquior, est un ³maître en misologie² (néologisme désignant l'opposition radicale des irrationalistes à l'endroit de la raison voire de la logique). Cette misologie transparaît le plus clairement dans la Généalogie de la morale  (1887), où Nietzsche dit que ³n'est définissable que ce qui n'a pas d'histoire²; en effet, on ne peut enfermer dans des concepts durables que ce qui n'a plus de potentialités en jachère, car des potentialités insoupçonnées peuvent à tout moment surgir et faire éclater le cadre définitionnel comme une écorce devenue trop étroite.

Notre point de vue dans ce débat sur l'Ecole de Francfort: cette école critique à juste titre l'étroitesse des vieilles institutions, lois, superstructures, qui se maintiennent envers et contre les mouvements de la vie, mais, dans la foulée de sa critique, elle heurte et tente d'effacer des legs de l'histoire qui gardent en jachère des potentialités réelles, en les jugeant a priori obsolètes. Elle n'utilise qu'une panoplie d'armes, celles de la seule critique, en omettant systématiquement de retourner les forces vives et potentielles des héritages historiques contre les fixations superstructurelles, les manifestations institutionnelles reflètant dans toutes leurs rigidités les épuisements vitaux, et les processus de dévitalisation (ou de désenchantement). Bloch, en dépit de ses références aux théologies de libération et aux messianismes révolutionnaires, abandonne au fond lui aussi l'histoire politique, militaire et non religieuse  ‹c'est du moins le risque qu'il court délibérément en déployant sa critique contre Klages‹   pour construire dans ses anticipations quasi oniriques un futur somme toute bien artificiel voire fragile. Son recours aux luttes est à l'évidence pleinement acceptable, mais ce recours ne doit pas se limiter aux seules révoltes motivées par des messianismes religieux, il doit s'insinuer dans des combats pluriséculaires à motivations multiples. Adorno et Horkheimer abandonnent eux aussi l'histoire, la notion d'une continuité vitale et historique, au profit du magma informe et purement ³présent², sans profondeur temporelle, de la ³société² (erreur que l'on a vu se répéter récemment au sein de la fameuse ³nouvelle droite² parisienne, où l'histoire est étrangement absente et le pilpoul sociologisant, nettement omniprésent). Le risque de ce saltus pericolosus, d'Adorno et Horkheimer, dit Siegfried Kracauer (in: History: The Last Things Before the Last, New York, OUP, 1969), est de perdre tout point d'appui solide pour capter les plus fortes concrétions en devenir qui seront marquées de durée; pour Kracauer la ³dialectique négative² des deux principaux parrains de l'Ecole de Francfort ³manque de direction et de contenu². Tout comme les ratiocinations jargonnantes et sociologisantes d'Alain de Benoist et de sa bande de jeunes perroquets.

L'entreprise de ³dé-nietzschéanisation² de Habermas

Si Nietzsche a été bel et bien présent, et solidement, dans le corpus de l'Ecole de Francfort, il en a été expulsé par une deuxième vague de ³dialecticiens négatifs² et d'apôtres, sur le tard, de l'idéologie des Lumières. Le chef de file de cette deuxième vague, celle des émules, a été sans conteste Jürgen Habermas. Aschheim résume les objectifs de Habermas dans son travail de ³dé-nietzschéanisation²: a) ¦uvrer pour expurger les legs de l'Ecole de Francfort de tout nietzschéisme; b) rétablir une cohérence rationnelle; c) re-coder (!) (Deleuze et Foucault avaient dissous les codes); d) reconstruire une ³correction politique²; e) réexaminer l'héritage de mai 68, où, pour notre regard, il y a quelques éléments très positifs et féconds, surtout au niveau de ce que Ferry et Renaut appelerons la ³pensée-68²; dans ce réexamen, Habermas part du principe que la critique de la critique de l'Aufklärung, risque fortement de déboucher sur un ³néo-conservatisme²; de ce fait, il entend militer pour le rétablissement de la ³dialectique de l'Aufklärung²  dans sa ³pureté² (ou dans ce qu'il veut bien désigner sous ce terme). Pour Habermas, le nietzschéisme français, le néo-heideggerisme, le post-structuralisme de Foucault, le déconstructivisme de Derrida, sont autant de filons de 68 qui ont chaviré dans ³l'irrationalisme bourgeois tardif². Or ces démarches philosophiques non-politiques, ou très peu politisables, ne se posent nullement comme des options militantes en faveur d'un conservatisme ou d'une restauration ³bourgeoise², bien au contraire, on peut conclure que Habermas déclenche une guerre civile à l'intérieur même de la gauche et cherche à émasculer celle-ci, à la repeindre en gris. Dans son combat, Habermas s'attaque explicitement aux notions d'hétérogénité (de pluralité), de jeu (de tragique, de kaïros tel que l'imaginait un Henri Lefebvre), de rire, de contradiction (implicite et incontournable), de désir, de différence. Selon Habermas, toutes ces notions conduisent soit au ³gauchisme radical² soit à l'³anarchisme nihiliste² soit au ³quiétisme conservateur². De telles attitudes, prétend Habermas, sont incapables d'envisager un changement chargé de sens (i. e. un sens progressiste et modéré, évolutionnaire et calculant). D'où Habermas, et à sa suite Ferry et Renaut, estiment être les seuls habilités à énoncer le sens, lequel est alors posé a priori, imposé d'autorité. Le libéralisme ou le démocratisme que habermas, Ferry et Renaut entendent représenter sont dès lors les produits d'une autorité, en l'occurence la leur et celle de ceux qui les relaient dans les médias.

Le libéralisme et le démocratisme autoritaires (sur le plan intellectuel), mais en apparence tolérants sur le plan pratique, constituent en fait le fondement de notre actuelle ³political correctness² qui se marie très bien avec le pouvoir des ³socialistes établis², héritiers du social-démocratisme à la Mehring, et flanqués des orthodoxes marxistes dévitalisés à la Lukacs. Cette alliance vise à remplacer un autoritarisme par un autre, une superstructure par une autre, qui serait le réseau des notables, des mafieux et des fonctionnaires socialistes. Une telle constellation idéologique renonce à émanciper continuellement les masses, les citoyens, les esprits mais entend installer un appareil inamovible (au besoin en noyautant les services de police, comme c'est le cas des socialistes en Belgique qui transforment la gendarmerie, déjà Etat dans l'Etat, en une armée au service du ministère de l'intérieur socialiste, tenu par un ancien gauchiste adepte de la marijuana). Cette constellation idéologique et politique refuse de réceptionner l'innovation, de quelqu'ordre qu'elle soit, et les rénégats de 68, les repentis à la façon d'Eisner, trahissent les intellectuels féconds de leur propre camp de départ, pour déboucher sur un discours sans relief, sans sel.

Donc l'aventure commencée par Die Jungen  autour de Wille est un échec au sein de la sociale-démocratie. Ses forces dynamiques vont-elles aller vers un nouveau fascisme? Il semble que la sociale-démocratie n'écoute pas les leçons de l'histoire et qu'en alignant à l'université des Habermas, des Ferry et des Renaut, ou en manipulant des groupes de choc violents, ou en animant des cercles conspirationnistes parallèles comme le CRIDA de ³René Monzat², elle prépare un nouvel autoritarisme, qu'en d'autres temps elle n'aurait pas hésiter à qualifier de ³fascisme². Dans toute tradition politico-intellectuelle, il faut laisser la porte ouverte au dynamisme juvénile, immédiatement réceptif aux innovations. Une telle ouverture est une nécessité voire un impératif de survie. Dans le cas de la sociale-démocratie, si ce dynamisme juvénile ne peut s'exprimer dans des revues, des cercles, des associations, des mouvements de jeunesse liés au parti, il passera forcément ³à droite² (ce qui n'est jamais qu'une convention de langage), parce que la gauche-appareil ne cesse de demeurer sourde à ses revendications légitimes. Aujourd'hui, ce passage ³à droite² est possible dans la mesure où la ³droite² est démonisée au même titre que l'anarchisme au début du siècle. Et les démonisations fascinent les incompris.

Nietzsche et la ³droite²

Avant 1914, la droite allemande la plus bruyante est celle des pangermanistes, qui ne se réfèrent pas à Nietzsche, parce que celui-ci n'évoque ni la race ni la germanité. Lehmann pensait que Nietzsche restait en dehors de la politique et qu'il était dès lors inutile de se préoccuper de sa philosophie. Paul de Lagarde ne marque pas davantage d'intérêt. Quant à Lange, il est férocement anti-nietzschéen, dans la mesure où il affirme que la philosophie de Nietzsche est juste bonne ³pour les névrosés et les littérateurs², ³les artistes et les femmes hystériques². A Nietzsche, il convient d'opposer Gobineau et de parier ainsi pour le sang, valeur sûre et stable, contre l'imagination, valeur déstabilisante et volatile. Otto Bonhard, pour sa part, réfute l'³anarchisme nietzschéen².

C'est sous l'impulsion d'Arthur Moeller van den Bruck que Nietzsche fera son entrée dans les idéologies de la droite allemande. Moeller van den Bruck part d'un premier constat: le défaut majeur du marxisme (i. e. l'appareil social-démocrate) est de ne se référer qu'à un rationalisme abstrait, comme le libéralisme. De ce fait, il est incapable de capter les véritables ³sources de la vie². En 1919, la superstructure officielle de l'empire allemand s'effondre, non pas tant par la révolution, comme en Russie, mais par la défaite et par les réparations imposées par les Alliés occidentaux. L'Armée est hors jeu. Inutile donc de défendre des structures politiques qui n'existent plus. La droite doit entrer dans l'ère des ³re-définitions², estime Moeller van den Bruck, et à sa suite on parlera de ³néo-nationalisme².

Si tout doit être redéfini, le socialisme doit l'être aussi, aux yeux de Moeller. Celui-ci ne saurait plus être une ³analyse objective des rapports entre la superstructure et la base², comme le voulait l'idéologie positiviste de la sociale-démocratie d'après le programme du Gotha, mais une ³volonté d'affirmer la vie². En disant cela, Moeller ne se contente pas d'une déclamation grandiloquente sur la ³vie², de proclamer un slogan vitaliste, mais dévoile les aspects très concrets de cette volonté de vie: une juste redistribution permet un essor démographique. La vie triomphe alors de la récession. Dès lors, ajoute Moeller, les clivages sociaux ne devraient plus passer entre des riches qui dominent et des masses de pauvres. Au contraire, le peuple doit être dirigé par une élite frugale, apte à diriger des masses dont les besoins élémentaires et vitaux sont bien satisfaits. Ce processus doit se dérouler dans des cadres nationaux visibles, assurant une transparence, et, bien entendu, clairement circonscrits dans le temps et l'espace pour que le principe ³nul n'est censé ignorer la loi² soit en vigueur sans contestation ni coercition.

Même raisonnement chez Werner Sombart: le nouveau socialisme s'oppose avec véhémence à l'hédonisme occidental, au progressisme, à l'utilitarisme. Le nouveau socialisme accepte le tragique, il est non-téléologique, il ne s'inscrit pas dans une histoire linéaire, mais fonde un nouvel ³organon², où fusionnent une vox dei et une vox populi, comme au moyen-âge, mais sans féodalisme ni hiérarchie rigide.

Spengler et Shaw

Pour Spengler, on doit évaluer positiviement le socialisme dans la mesure où il est avant toute chose une ³énergie² et, accessoirement, le ³stade ultime du faustisme déclinant². Spengler estime que Nietzsche n'a pas été jusqu'au bout de ses idées sur le plan politique. Ce sera Georges Bernard Shaw, notamment dans Man and Superman et Major Barbara, qui énoncera les méthodes pratiques pour asseoir le socialisme nietzschéen dans les sociétés européennes: mélange d'éducation sans moralisme hypocrite, de darwinisme tourné vers la solidarité (où les communautés les plus solidaires gagnent la compétition), d'ironie et de distance par rapport aux engouements et aux propagandes. Shaw, en annexe de son drame Man and Superman, publie ses Maxims for Revolutionists, rappelle que la ³démocratie remplace la désignation d'une minorité corrompue par l'élection d'un grand nombre d'incompétents², que la ³liberté ne signifie [pas autre chose] que la responsabilité et que, pour cette raison, la plupart des hommes la craignent²; enfin: ³l'homme raisonnable est celui qui s'adapte au monde; l'hommer irraisonnable est celui qui persiste à essayer d'adapter le monde à lui-même. C'est pourquoi le progrès dépend tout entier de l'homme raisonnable. L'homme qui écoute la Raison est perdu: le Raison transforme en esclaves tous ceux dont l'esprit n'est pas assez fort pour la maîtriser². ³Le droit de vivre est une escroquerie chaque fois qu'il n'y a pas de défis constants². ³La civilisation est une maladie provoquée par la pratique de construire des sociétés avec du matériel pourri². ³La décadence ne trouvera ses agents que si elle porte le masque du progrès².

Le socialisme doit donc être forgé par des esprits clairs, dépourvus de tous réflexes hypocrites, de tout ballast moralisant, de toutes ces craintes ³humaines trop humaines². Dans ce cas, conclut Spengler à la suite de sa lecture de Shaw, le ³socialisme ne saurait être un système de compassion, d'humanité, de paix, de petits soins, mais un système de volonté-de-puissance². Toute autre lecture du socialisme serait illusion. Il faut donner à l'homme énergique (celui qui fait passer ses volontés de la puissance à l'acte), la liberté qui lui permettra d'agir, au-delà de tous les obstacles que pourraient constituer la richesse, la naissance ou la tradition. Dans cette optique, liberté et volonté de puissance sont synonymes: en français, le terme ³puissance² ne signifie pas seulement la volonté d'exercer un pouvoir, mais aussi la volonté de faire passer mes potentialités dans le réel, de faire passer à l'acte, ce qui est en puissance en moi. Définition de la puissance qu'il convient de méditer,  ‹et pourquoi pas à l'aide des textes ironiques de Shaw?‹   à l'heure où la ³correction politique² constitue un retour des hypocrisies et des moralismes et un verrouillage des énergies innovantes.

Aschheim montre dans son livre le lien direct qui a existé entre la tradition socialiste anglaise, en l'occurence la Fabian Society animée par Shaw, et la redéfinition du socialisme par les premiers tenants de la ³révolution conservatrice² allemande. Dénominateur commun: le refus de conventions stérilisantes qui bloquent l'avancée des hommes ³énergiques².

Nietzsche et le national-socialisme

Au départ, Nietzsche n'avait pas bonne presse dans les milieux proches de la NSDAP, qui reprend à son compte les critiques anti-nietzschéennes des pangermanistes, des eugénistes et des idéologues racialistes. Les intellectuels de la NSDAP poursuivent de préférence les spéculations raciales de Lehmann et se désintéressent de Nietzsche, plus en vogue dans les gauches, chez les littéraires, les féministes et dans les mouvements de jeunesse non politisés. Ainsi, au tout début de l'aventure hitlérienne, Dietrich Eckart, le philosophe folciste (= völkisch) de Schwabing, rejette explicitement et systématiquement Nietzsche, qui est ³un malade par hérédité², qui a médit sans arrêt du peuple allemand; pour Eckart, la légende d'un Nietzsche qui vitupère contre l'Allemagne parce qu'il l'aime au fond passionément est une escroquerie intellectuelle. Enfin, constate-t-il, l'individualisme égoïste de Nietzsche est totalement incompatible avec l'idéal communautaire des nationaux-socialistes. Après avoir édité des exégèses de Nietzsche pourtant bien plus fines, Arthur Drews, théologien folciste inféodé à la NSDAP, s'insurge en 1934 dans Nordische Stimme  (n°4/34), contre la thèse d'un Nietzsche qui aime son pays malgré ses vitupérations anti-germaniques et affirme  ‹ce qui peut paraître paradoxal‹   que le jeune poète juif Heinrich Heine, lui, critiquait l'Allemagne parce qu'il l'aimait réellement. Nietzsche est ensuite accusé de ³philo-sémitisme²: pour Aschheim et, avant lui, pour Kaufmann, le texte le plus significatif de l'ère nazie en ce sens est celui de Curt von Westernhagen, Nietzsche, Juden, Antijuden (Weimar, Duncker, 1936). Alfred von Martin, critique protestant, revalorise l'humaniste Burckhardt et rejette le négativisme nietzschéen, plus pour son manque d'engagement nationaliste que pour son anti-christianisme (Nietzsche und Burckhardt, Munich, 1941)! Finalement, les deux auteurs pro-nietzschéens sous le Troisième Reich, outre Bäumler que nous analyserons plus en détail, sont Edgar Salin (Jacob Burckhardt und Nietzsche, Bâle, 1938), qui prend le contre-pied des thèses de von Martin, et le nationaliste allemand, liguiste (= bündisch) et juif, Hans-Joachim Schoeps (Gestalten an der Zeitwende: Burckhardt, Nietzsche, Kafka, Berlin, Vortrupp Verlag, 1936). Quant au critique littéraire Kurt Hildebrandt, favorable au national-socialisme, il critique l'interprétation de Nietzsche par Karl Jaspers, comme le feront bon nombre d'exilés politiques et Walter Kaufmann. Jaspers aurait développé un existentialisme sur base des aspects les moins existentialistes de Nietzsche. Tandis que Nietzsche s'opposait à toute transcendance, Jaspers tentait de revenir à une ³transcendance douce², en négligant le Zarathoustra et la Généalogie de la morale. Enfin, plus important, l'apologie de la créativité chez Nietzsche et sa volonté de transvaluer les valeurs en place, de faire éclore une nouvelle table des valeurs, font de lui un philosophe de combat qui vise à normer une nouvelle époque émergeante. Dans ce sens, Nietzsche n'est pas un intellectuel virevoltant (freischwebend) au gré de ses humeurs ou de ses caprices, mais celui qui jette les bases d'un système normatif et d'une communauté positive, dont les assises ne sont plus un ensemble fixe de dogmes ou de commandements (de ³tu dois²), mais un dynamisme bouillonant et effervescent qu'il faut chevaucher et guider en permanence (Kurt Hildebrandt, "Über Deutung und Einordnung von Nietzsches System", Kant-Studien, vol. 41, Nr. 3/4, 1936, pp. 221-293). Ce chevauchement et ce guidage nécessitent une éducation nouvelle, plus attentive aux forces en puissance, prêtes à faire irruption dans la trame du monde.

Plus explicite sur les variations innombrables et contradictoires des interprétations de Nietzsche sous le Troisième Reich, est le livre du philosophe italien Giorgio Penzo (cf. supra), pour qui l'époque nationale-socialiste procède plus généralement à une dé-mythisation de Nietzsche. On ne sollicite plus tant son ¦uvre pour bouleverser des conventions, pour ébranler les assises d'une morale sociale étriquée, mais pour la réinsérer dans l'histoire du droit, ou, plus partiellement, pour faire du surhomme nietzschéen un simple équivalent de l'homme faustien ou, chez Kriek, l'horizon de l'éducation. On assiste également à des démythisations plus totales, où l'on souligne l'infécondité fondamentale de l'anarchisme nietzschéen, dans lequel on décèle une ³pathologie de la culture qui conduit à la dépolitisation². Ce reproche de ³dépolitisation² trouve son apothéose chez Steding. D'autres font du surhomme l'expression d'une simple nostalgie du divin. L'époque connaît bien sûr ses ³lectures fanatiques², dit Penzo, où l'incarnation du surhomme est tout bonnement Hitler (Scheuffler, Oehler, Spethmann, Müller-Rathenow). Seule notable exception, dans ce magma somme toute asses confus, le philosophe Alfred Bäumler.

Bäumler: héroïsme réaliste et héraclitéen

La seule approche féconde de Nietzsche à l'ère nationale-socialiste est donc celle de Bäumler. Pour Bäumler, par ailleurs pétri des thèses de Bachofen, Nietzsche est un ³penseur existentiel², soit un philosophe qui nous invite à nous plonger dans la concrétude sociale, politique et historique. Bäumler ne retient donc pas le reproche de ³dépolitiseur², que d'aucuns, dont Steding, avaient adressé à Nietzsche. Bäumler définit l'³existentialité² comme un ³réalisme héroïque² ou un ³réalisme héraclitéen²; l'homme et le monde, dans cette perspective, l'homme dans le monde et le monde dans l'homme, sont en devenir perpétuel, soumis à un mouvement continu, qui ne connaît ni repos ni quiétude. Le surhomme est dès lors une métaphore pour désigner tout ce qui est héroïque, c'est-à-dire tout ce qui lutte dans la trame en devenir de l'existence terrestre.

On constate que Bäumler donne la priorité au ³Nietzsche agonal² plutôt qu'au ³Nietzsche dionysiaque², qui hérissait Steding, parce qu'il était le principal responsable du refus des formes et des structures politiques. Bäumler estime que Nietzsche inaugure l'ère de la ³Grande Raison des Corps², où la Gebildetheit, ne s'adressant qu'au pur intellect en négligeant les corps, est inauthentique, tandis que la Bildung, reposant sur l'intuition, l'intelligence intuitive, et une valorisation des corps, est la clef de toute véritable authenticité. Notons au passage que Heidegger, ennemi de Bäumler, parlait aussi d'³authenticité² à cette époque. La logique du Corps, qui est une logique esthétique, sauve la pensée, pense Bäumler, car toute la culture occidentale s'est refermée sur un système conceptuel froid qui ne mène plusà rien, système dont la trajectoire a été jalonnée par le christianisme, l'humanisme (basé sur une fausee interprétation, édulcorée et falsifiée, de la civilisation gréco-romaine), le rationalisme scientiste. La notion de Corps (Leib), plus le recours à ce que Bäumler appelle la ³grécité véritable², soit une grécité pré-socratique, de même qu'à une germanité véritable, soit une germanité pré-chrétienne, conduisent à un retour à l'authentique, comme le prouvent, à l'époque, les innovations de la philologie classique. Cette mise en équation entre grécité pré-socratique, germanité pré-chrétienne et authenticité, constitue le saltus periculosus de Bäumler: dénier toute authenticité à ce qui sortait du champs de cette grécité et de cette germanité, a valu à Bäumler d'être ostracisé pendant longtemps, avant d'être timidement réhabilité.

Les impasses philosophiques de la bourgeoisie allemande

Dans un second temps, Bäumler politise cette définition de l'authenticité, en affirmant que le national-socialisme, en tant que Weltanschauung, représente ³une conception de l'Etat gréco-germanique². Bäumler ne se livre pas trop à des rapprochements hasardeux, ni à des sollicitations outrancières. Pourquoi affirme-t-il que l'Etat national-socialiste est grèco-germanique au sens où Nietzsche a défini la corporéité grecque et accepté la valorisation grecque des corps? Pour pouvoir affirmer cela, Bäumler procède à une inteprétation de l'histoire culturelle de la ³bourgeoisie allemande², dont tous les modèles ont été en faillite sous la République de Weimar. L'Aufklärung, première grande idéologie bourgeoise allemande, est une idéologie négative car elle est individualiste, abstraite et ne permet pas de forger des politiques cohérentes. Le romantisme, deuxième grande idéologie de la bourgeoisie allemande, est une tradition positive. Le piétisme, troisième grande idéologie bourgeoise en Allemagne, est rejeté pour les mêmes motifs que l'Aufklärung. Le romantisme est positif parce qu'il permet une ouverture au Volk, au mythe et au passé, donc de dépasser l'individualisme, le positivisme étriqué et la fascination inféconde pour le progrès. Cependant, en gros, la bourgeoisie n'a pas tiré les leçons pratiques qu'il aurait fallu tirer au départ du romantisme. Bäumler reproche à la bourgeoisie allemande d'avoir été ³paresseuse² et d'avoir choisi un expédiant; elle a imité et importé des modèles étrangers (anglais ou français), qu'elle a plaqué sur la réalité allemande.

Parmi les bricolages idéologiques bourgeois, le plus important a été le ³classicisme allemand², sorte de mixte artificiel d'Aufklärung et de romantisme, incapable, selon Bäumler, de générer des institutions, un droit et une constitution authentiquement allemands. En rejetant l'Aufklärung   et le piétisme, en renouant avec le filon romantique en jachère, explique et espère Bäumler, le national-socialisme pourra ³travailler à élaborer des institutions et un droit allemands². Mais le nouveau régime n'aura jamais le temps de parfaire cette tâche.

Action, destin et décision

Dans l'interprétation bäumlerienne de Nietzsche, la mort de Dieu est synonyme de mort du Dieu médiéval. Dieu en soi ne peut mourir car il n'est rien d'autre qu'une personnification du Destin (Schicksal). Celui-ci suscite, par le biais de fortes personnalités, des formes politiques plus ou moins éphémères. Ces personnalités ne théorisent pas, elles agissent, le destin parle par elles. L'Action détruit ce qui existe et s'est encroûté. La Décision, c'est l'existence même, parce que décider, c'est être, c'est se muer en une porte qu'enfonce le Destin pour se ruer dans la réalité. Ernst Jünger aurait parlé de l'³irruption de l'élémentaire². Pour Bäumler, le ³sujet² a peu de valeur en soi, il n'en acquiert que par son Action et par ses Décisions historiques. Ce déni de la ³valeur-en-soi² du sujet fonde l'anti-humanisme de Bäumler, que l'on retrouve, finalement, sous une autre forme et dans un langage marxisé, chez Althusser, par exemple, où la ³fonction pratique-sociale² de l'idéologie prend le pas sur la connaissance pure (comme, dans la conception de Bäumler, le plongeon dans la vie réelle se voyait octroyer une bien plus grande importance que la culture livresque de l'idéologie des Lumières ou du classicisme allemand). Pour Althusser, dont la pensée est arrivée à maturité dans un camp de prisonniers en Allemagne pendant la 2ième Guerre mondiale, l'idéologie (la Weltanschauung?), était une instance mouvante, portée par des penseurs en prise sur les concrétudes, qui permettait de mettre en exergue les rapports de l'homme avec les conditions de son existence, de l'aider dans un combat contre les ³autorités figées², qui l'obligeaient à répéter sans cesse,  ‹³sisyphiquement² serait-on tenter de dire‹, les mêmes gestes en dépit des mutations s'opérant dans le réel. Pour Althusser, l'idéologie ne peut donc jamais se muer en une science rigide et fermée, ne peut devenir pur discours de représentation, et, en tant que conceptualisation permanente et dynamique des faits concrets, elle conteste toujours le primat de l'autorité politique ou politico-économique installée et établie, tout comme l'³anarchisme² gauchiste et nietzschéen de Landauer refusait les rigidifications conventionnelles, car elles étaient autant de barrages à l'irruption des potentialités en germe dans les communautés concrètes. Enfin, il ne nous paraît pas illégitime de comparer les notions d'³authenticité² chez Bäumler (et Heidegger) et de ³concrétude² chez Althusser, et de procéder à une ³fertilisation croisée² entre elles.

L'anti-humanisme de Bäumler repose, quant à lui, sur trois piliers, sur trois ¦uvres: celles de Winckelmann, de Hölderlin et de Nietzsche. Winckelmann a brisé l'image toute faite que les ³humanités² avaient donné de l'antiquité grecque à des générations et des générations d'Européens. Winckelmann a revalorisé Homère et Eschyle plutôt que Virgile et Sénèque. Hölderlin a souligné le rapport entre la grécité fondamentale et la germanité. Mais l'anti-humanisme de Bäumler est une ³révolution tranquille², plutôt ³métapolitique², elle avance silencieusem

mercredi, 12 décembre 2007

H. Blüher: héros masculins, porteurs d'Etat

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Hans Blüher: les héros masculins, porteurs d'Etat

par Michael Morgenstern

Son père l'avait averti de la toute-puissance de la société établie: "Ils t'injurieront et te brocarderont. Tu iras frapper en vain à la porte des maisons d'édition et des rédactions des journaux. Ils tairont ton nom et en feront un tabou que personne n'osera briser ou contourner". Pourtant, à 23 ans, le jeune Blüher était fermement décidé à poursuivre sa voie: il voulait décrire le mouvement Wandervogel tel qu'il l'avait vécu, c'est-à-dire comme un ³phénomène érotique². Son premier ouvrage, paru en trois volumes en 1912, il l'appelait son ³brigand². Grâce à lui, il déboule d'un seul coup sous les feux de la rampe, où il récolte bien entendu les injures et les quolibets que son père lui avait prophétisés. Il était devenu l'advocatus diaboli en marge du mouvement de jeunesse. Le Wandervogel était décrit par son jeune historiographe comme un mouvement révolutionnaire dirigé contre l'esprit du temps et contre la poussiéreuse ³culture des pères² car porté par la passion (érotique) de la jeunesse masculine.

Armin Mohler a placé Blüher à côté d'Oswald Spengler, de Thomas Mann, de Carl Schmitt et des frères Jünger, dans la phalange de tête des penseurs de la Révolution Conservatrice, et l'avait compté parmi les ³principaux auteurs d'esprit bündisch².  Malgré ce grand honneur, son nom est aujourd'hui quasi oublié, plus rien ne s'écrit sur lui et ses ouvrages ne sont pas réédités. Le tabou fonctionne toujours.

Né en 1888 à Freiburg en Silésie, fils d'un pharmacien, Hans Blüher est profondément marqué par l'éducation qu'il reçoit au Gymnasium   de Berlin-Steglitz, où il fait ses ³humanités². Ce Gymnasium est aussi, ne l'oublions pas, le berceau du mouvement Wandervogel. Dans cette école, Blüher accède au monde spirituel de la mythologie antique, dont il restera compénétré jusqu'à la mort. Au même moment, les institutions prussiennes, prodigant leur formation militarisée  ‹c'est un de leurs mérites, pense Blüher‹  suscitent aussi l'éclosion de forces différentes, contraires, de facture anarchisante, romantique et libre-penseuse.

Assoiffé de savoir, Blüher est attiré par la pensée de Nietzsche, que les maîtres et les directeurs d'école condamnent encore. Cet engouement pour le philosophe de Sils-Maria le conduit à aller étudier brièvement la philologie à Bâle. A cette époque, Blüher part en randonnée, traverse les Alpes et se retrouve en Italie. Il dévore les ¦uvres de Max Stirner, surtout L'unique et sa propriété. Il en dira: "Ce fut l'extrémité la plus audacieuse, vers laquelle je pus me diriger". Parce qu'il partageait avec lui la même vénération pour Carl Spitteler  ‹pour Blüher, c'était un "Homère allemand"‹   il rencontre le pédagogue réformateur et charismatique Gustav Wyneken, figure de proue du mouvement de jeunesse. Wyneken avait créé la ³Communauté scolaire libre de Wickersdorf² en Thuringe. Blüher considérait que cette initiative constituait le pôle apollinien du mouvement de jeunesse, tandis que le Wandervogel en constituait le pôle dionysiaque. Blüher ne rompit avec Wyneken, le réformateur des écoles, que lorsque celui-ci se mit à théoriser la notion d'un ³peuple pur et bon² à la mode socialiste et à militer en faveur de l'³Etat failli² qu'était la République de Weimar. Blüher, lui, resta un monarchiste convaincu (il précisait: un ³royaliste prussien²); il rendit même visite à l'Empereur Guillaume II en exil à Doorn aux Pays-Bas, où le monarque déchu était contraint de fendre son bois de chauffage à la hache.

De tout son c¦ur, Blüher, l'outsider   et l'universaliste, haïssait l'univers des doctes professeurs maniaques et méticuleux qui s'enfermaient dans leur spécialité. Il a finalement abandonné la rédaction de son mémoire sur Schopenhauer, dès qu'il s'est rendu compte qu'un tel travail n'était que superflu et inutilement pénible. Il considérait que l'université n'était plus qu'un ³magasin à rayons multiples², dans lequel il allait pouvoir se servir selon son bon vouloir et ses humeurs. La monographie controversée sur le Wandervogel   fut le premier coup d'éclat de Blüher. Mais il a continué à exploiter cette thématique en publiant chez Eugen Diederichs à Iéna son ¦uvre majeure: Die Rolle der Erotik in der männlichen Gesellschaft. Eine Theorie der menschlichen Staatbildung nach Wesen und Wert  (= Le rôle de l'érotisme dans la société masculine. Pour une théorie sur l'essence et la valeur de la constitution de l'Etat humain). Ce sera son ouvrage le plus important, celui qui eut le plus de suites. La thèse de Blüher: l'Eros masculin cherche à atteindre deux principes de socialisation opposés, celui qui repose sur la conquête sexuelle de la femme et sur la fondation d'une famille, d'une part, et celui qui vise la constitution d'une ³ligue d'hommes² (Männerbund), d'autre part. Cette dernière forme de socialisation, dont l'érotisme est le moteur, n'a pas seulement été le pilier porteur de la culture grecque antique, mais a constitué l'assise de tout ordre de type étatique.

Dès lors, en suivant le même raisonnement, Blüher affirme que la protestation du mouvement de jeunesse bündisch et la forte valorisation des ³héros masculins² dans ces milieux, où l'on s'insurgeait contre le monde bourgeois, étaient en fait des révoltes contre l'absoluisation dominante, dans ce même monde bourgeois, de la forme de socialisation visant la création de familles. Au cours de ce processus de survalorisation de la famille, l'homme se féminisait et la femme se virilisait. L'érotisme inter-masculin, décrit par Blüher, ne doit pas être confondu avec l'homosexualité, car il n'y conduit que dans des cas exceptionnels. Pourtant, comme l'affirmait Nicolaus Sombart dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung  à l'occasion du centenaire de la naissance de Blüher, Die Rolle der Erotik.. peut être considéré comme une réaction aux ³procès Eulenburg² de 1907 à 1909, qui ont enclenché une persécution des homosexuels qui a éclaboussé le mouvement de jeunesse.

Blüher a subi l'influence décisive de Freud, dont il avait très tôt lu les ouvrages et repris le concept de ³refoulement². A l'aide de cette notion-clef, il a examiné le cas du ³persécuteur d'homosexuels²: celui-ci est dans le fond tout autant attiré érotiquement par la jeunesse masculine que l'homosexuel, mais ne l'admet pas et agit de toutes ses forces pour camoufler ses tendances vis-à-vis du monde extérieur en les transformant en leur contraire. Freud lui-même a publié un texte sur Blüher et sur sa théorie de la bisexualité dans la revue qu'il dirigeait, Imago. Il louait la perspicacité de son disciple Blüher: "Vous êtes une intelligence puissante, un observateur pertinent, un gaillard doué de beaucoup de courage et sans trop d'inhibitions". Autodidacte et précepteur libre, Blüher devait finalement à Freud son existence matérielle quotidienne: comme la psychanalyse n'était pas encore ancrée dans les curricula universitaires, l'auteur de Die Rolle der Erotik... a pu ouvrir un cabinet de psychothérapeute, sans détenir ni titre ni diplôme. Il en a vécu chichement pendant toute sa vie.

Hans Blüher, chrétien et nietzschéen tout à la fois, monarchiste et révolutionnaire, était un homme bourré de contradictions. Il comptait parmi ses amis et ses interlocuteurs des intellectuels libéraux de gauche ou des pacifistes juifs comme Kurt Hiller, Gustav Landauer, Magnus Hirschfeld et Ernst Joel, ce qui ne l'a pas empêché d'écrire des ouvrages très critiques à l'encontre de la judaïté. Ainsi, par exemple, son livre Secessio Judaica (1922) ou Streit um Israël. Briefwechsel mit Hans-Joachim Schoeps  (1933; = Querelle à propos d'Israël. Correspondance avec H.J. Schoeps). Ces textes lui ont valu l'étiquette d'³antisémite². Avec le recul, et malgré l'esprit de notre temps, cette accusation ne tient pas: il suffit, pour s'en convaincre, de lire les souvenirs autobiographiques que Blüher nous a laissés. Ils sont parus en 1953 chez l'éditeur Paul List à Munich, deux ans avant la mort de leur auteur, sous le titre de Wege und Tage. Geschichte eines Denkers  (= Chemins et jours. Histoire d'un penseur).

Sous le Troisième Reich, ce penseur de la transgression a vécu retiré de tout, en préparant un ouvrage philosophique de grande ampleur qui a reçu le titre de Die Achse der Natur  (= L'Axe de la Nature) quand il est paru en 1949. Il avait traité Hitler d'³estropié érotique².

(article tiré de Junge Freiheit, n°6/1995).
 

[Synergies Européennes, Junge Freiheit (Berlin) / Vouloir (Bruxelles), Octobre, 1996]

jeudi, 06 décembre 2007

Perfectibilité infinie

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L'idée de perfectibilité infinie: noyau de la pensée révolutionnaire et libérale

Robert Steuckers

Le Professeur Ernst Behler, qui enseigne à Seattle aux Etats-Unis, grand spécialiste de Friedrich Schlegel, sommité interna-tio-nale, vient de se pencher sur ce rêve optimiste de la perfecti-bi-lité absolue du genre humain, rêve sous-tendant toute l'aven-ture illuministe et révolutionnaire qui s'est enclenchée au XVIIIiè-me siècle. Ce rêve, qui est le noyau de la modernité, se repère dès la fameuse "querelle des anciens et des modernes", dans l'Aufklärung  allemand, chez l'Anglais Godwin, chez Con-dorcet (de loin le plus représentatif de la version "illuministe" de ce rêve), Mme de Staël, Constant, les Roman-tiques anglais (Words-worth, Coleridge) et aux débuts du roman-tisme allemand (Novalis, Schlegel). L'évolution de cette pensée de la perfecti-bi-lité, aux sinuosités multiples depuis l'Aufklärung  jusqu'au ro-man-tisme de Novalis et Schlegel, a été appréhendée en trois éta-pes, nous explique Ernst Behler dans son livre

Ernst BEHLER, Unendliche Perfektibilität. Euro-päische Romantik und Französische Revolution, Fer-dinand Schöningh, Paderborn, 1989, 320 S., DM 48,- (ISBN-3-506-70707-8).

La première étape s'étend de 1850 à 1870, et constitue une réac-tion négative à l'endroit du romantisme. La deuxième étape, de 1920 à 1950, est marquée par trois personnalités: Carl Schmitt, Alfred Bäumler et Georg Lukacs. La troisième étape, non encore close, est celle des interprétations contemporaines du complexe Aufklärung/Romantisme. A nos yeux, il est évident que les in-terprétations de la deuxième étape sont les plus denses tout en étant les plus claires. Pour Carl Schmitt, le romantisme, par son subjectivisme, est délétère par essence, même si, en sa phase tar-dive, avec un Adam Müller, il adhère partiellement à la poli-tique de restauration metternichienne. Face à ce romantisme ger-ma-nique dissolvant, aux discours chavirant rapidement dans l'in-signifiance, Carl Schmitt oppose les philosophes politiques Bo-nald, de Maistre et Donoso Cortés, dont les idées permettent des décisions concrètes, tranchées et nettes. A l'occasionalisme (ter-mi-nologie reprise à Malebranche) des Romantiques et à leur frei-schwebende Intelligenz  (leur intellect vagabond et planant), Schmitt oppose l'ancrage dans les traditions politiques données.

Alfred Bäumler, le célèbre adversaire de Heidegger, l'apologiste de Hitler et le grand spécialiste de Bachofen, pour sa part, dis-tingue une Frühromantik  dissolvante (romantisme d'Iéna) qui se-rait l'"euthanasie du rococo", le suicide des idées du XVIIIiè-me. Cette mort était nécessaire pour déblayer le terrain et inau-gurer le XIXième, avec le romantisme véritable, fondateur de la philologie germanique, rénovateur des sciences de l'Antiquité, pro-moteur de l'historiographie rankienne, avec des figures com-me Görres, les frères Grimm et Ranke. Avec ces deux phases du romantisme, se pose la problématique de l'irrationalisme, affirme Bäumler. L'irrationalisme procède du constat de faillite des grands systèmes de la Raison et de l'Aufklärung.  Cette faillite est suivie d'un engouement pour l'esthétisme, où, au monde réel de chair et de sang, la pensée op-pose un monde parfait "de bon goût", échappant par là même à toute responsabilité historique. Nous pourrions dire qu'en cette phase, il s'agit d'une irrationalité timide, soft,  irresponsable, désincarnée: le modèle de cette na-tu-re, qui n'est plus tout à fait rationnelle mais n'est pas du tout charnelle, c'est celui que sug-gère Schelling. Parallèlement à cette nature parfaite, à laquelle doit finir par correspondre l'homme, lequel est donc perfectible à l'infini, se développe via le Sturm und Drang,  puis le roman-tisme de Heidelberg, une appréhension graduelle des valeurs tel-luriques, somatiques, charnelles. A la théo-rie de la perfectibilité succède une théorie de la fécondi-té/fé-condation (Theorie der Zeu-gung).  A l'âge "des idées et de l'humanité" succède l'âge "de la Terre et des nationalités". La Nature n'est plus esthétisée et su-blimée: elle apparaît comme une mère, comme un giron fécond, grouillant, "enfanteur". Et Bäumler de trouver la formule: "C'est la femme (das Weib) qui peut enfan-ter, pas l'"Homme" (der Mensch);  mieux: l'"Homme" (der Mensch)  pense, mais l'homme (der Mann)   féconde".

Georg Lukacs, pourfendeur au nom du marxisme des irrationa-lismes (in Der Zerstörung der Vernunft),  voit dans la Frühro-mantik  d'Iéna, non pas comme Bäumler l'"euthanasie du ro-coco", mais l'enterrement, la mise en terre de la Raison, l'ou-verture de la fosse commune, où iront se décomposer la rai-son et les valeurs qu'elle propage. Comme Schmitt, qui voit dans tous les romantismes des ferments de décomposition, et contrairement à Bäumler, qui opère une distinction entre les Romantismes d'Ié-na et de Heidelberg, Lukacs juge l'ère roman-tique comme dangereusement délétère. Schmitt pose son affirma-tion au nom du conservatisme. Lukacs la pose au nom du marxisme. Mais leurs jugements se rejoignent encore pour dire, qu'au moment où s'effondre la Prusse frédéricienne à Iéna en 1806, les intellectuels allemands, pourris par l'irresponsabilité propre aux romantismes, sont incapables de justifier une action cohérente. Le conservateur et le marxiste admettent que le sub-jectivisme exclut toute forme de décision politique. Cette triple lecture, conservatrice, natio-na-liste et marxiste, suggérée par Beh-ler, permet une appréhension plus complète de l'histoire des idées et, surtout, une historio-gra-phie nouvelle qui procèdera dorénavant par combinaison d'élé-ments issus de corpus considérés jusqu'ici comme antagonistes.

Dans le livre de Behler, il faut lire aussi les pages qu'il consacre à la vision du monde de Condorcet (très bonne exposition de l'idée même de "perfectibilité infinie") et aux linéaments de per-fec-ti-bilité infinie chez les Romantiques anglais Wordsworth et Coleridge. Un travail qu'il faudra lire en même temps que ceux, magistraux, de ce grand Alsacien biculturel (allemand/français) qu'est Georges Gusdorf, spécialiste et des Lumières et du Romantisme.

[Synergies Européennes, Vouloir, Septembre, 1995]

lundi, 03 décembre 2007

Victor Leemans

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Boudewijn DHONDT :

Victor Leemans

www.deuzie.be/artikels/20-3-02.htm.

jeudi, 29 novembre 2007

Citaat van Karl Otto Paetel

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Wat wij willen? Voor vandaag diegenen helpen, die "men" nog niet ziet, maar die eens dat de eendagsvliegen afgestorven zijn, verdomd levendig zullen zijn. Wij spreken voor hen, die kunnen zwijgen en wachten, en spreken slechts voor diegenen waar het op zal aankomen, dat ze vandaag al weten dat ze niet alleen zijn."

(Karl Otto Paetel, voormalig Duits journalist en sociaalrevolutionair nationalist)

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mercredi, 28 novembre 2007

Arnolt Bronnen entre communisme et national-socialisme

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Arnolt Bronnen entre communisme et national-socialisme

Werner Olles

Arnolt Bronnen (dont le nom à l¹état civil est : Arnold Bronner) est né le 19 août 1895 à Vienne. Dès son adolescence, il avait décidé de changer son nom et d¹adopter celui qui allait faire sa célébrité dans le monde des lettres. Cette curieuse propension à maquiller le réel ne l¹abandonnera plus tout au long de son existence. C¹est ainsi qu¹il s¹est converti : de Juif viennois, il est devenu Aryen germanique, de citoyen allemand, citoyen autrichien, puis à nouveau citoyen allemand ; de communiste, il est devenu national-révolutionnaire, puis national-socialiste, pour redevenir en fin de compte communiste.

Après la première guerre mondiale, à laquelle il a participé comme Kaiserjäger (Chasseur de l¹Empereur) sur le front du Tirol où il a reçu une blessure très grave au cou, il débute sa carrière littéraire en 1922 en publiant une pièce de théâtre intitulée " Vatermord " (= Parricide), qu¹il avait commencé à écrire tandis qu¹il était prisonnier des Italiens. Bronnen appartenait à l¹époque à un groupe de dramaturges, d¹écrivains et d¹acteurs de l¹avant-garde expressionniste, rassemblés autour de Berthold Brecht, avec qui il entretenait des liens d¹amitié étroits. Brecht est celui qui aurait dû monter cette pièce pour le théâtre, malheureusement, il a abandonné ce travail après avoir écrit les consignes de la mise en scène.

Après la première à Francfort, eut lieu une autre première, à Berlin, le 14 mai 1922, sur les planches du " Jeune Théâtre " (Junge Bühne) du " Deutscher Theater " : elle déclencha un immense scandale. Mais après sa deuxième pièce, " Anarchie in Sillian " (= Anarchie à Sillian), la plupart des critiques ne voyaient plus en Brecht le dramaturge de l¹avenir, mais bien en Bronnen.

En 1924, on joue la première de sa pièce " Katalaunische Schlacht " (= La bataille des Champs Catalauniques) au grand Théâtre de Francfort. Un an plus tard, Bronnen écrit " Die Rheinischen Rebellen " (= Les rebelles rhénans), une pièce qui suscite les questions d¹un grand nombre de critiques : l¹auteur, connu jusqu¹alors comme sympathisant des courants marxistes, n¹est-il pas passé au nationalisme ? Mais Bronnen n¹avait pas encore franchi le pas.

Il écrit ensuite " Ostpolzug " (= Campagne vers le Pôle Est), un drame tournant autour de la personnalité d¹Alexandre le Grand. En 1925, il sort et fait jouer " Exzesse " (= Excès), qui, une fois de plus, à cause de ses scènes et de ses dialogues érotiques, provoque un scandale dès la première. En 1926, sort " Reparationen " (= Réparations), une pièce de théâtre consacrée à la résistance nationale contre l¹occupation française de la Rhénanie et contre le paiement des réparations que l¹Allemagne vaincue devait payer aux occupants vainqueurs.

Du marxisme au nationalisme révolutionnaire

En 1929, Bronnen publie un roman sur la Haute Silésie, intitulé " O.S. ", où il décrit la lutte des Corps Francs contre les insurgés polonais après la première guerre mondiale et où il célèbre l¹assaut sanglant de ces volontaires allemands contre l¹Annaberg. Tucholsky lui reproche d¹avoir rédigé là un " bâclage insensé " et évoque un " mensonge propre au fascisme de salon ", où aucun véritable sentiment ne peut s¹exprimer. En revanche, Josef Goebbels écrit dans le journal national-socialiste : " ³O.S.² de Bronnen est un livre que nous aurions tous pu écrire nous-mêmes ! ". Ernst Jünger considérait que ce roman " était un premier signe, indiquant que dans le camp de Bronnen, on éprouvait un sens de la responsabilité ". Dans " Der Tag " et dans les " Münchener Neueste Nachrichten " : " Nous, les Nationalistes, nous obtenons ici un soutien vivant, venant d¹un autre bord, et que nous avons longtemps attendu ". Frans Schauwecker écrit dans " Berliner Nachtausgabe " : " C¹est plus qu¹un roman, c¹est une profession de foi et de la grande politique ", tandis qu¹Alfred Rosenberg, dans le " Völkischer Beobachter ", tire à son tour sa référence, même s¹il considérait habituellement le " bon vivant " Bronnen comme un " nuisible ".

Politiquement, Bronnen était devenu un national-révolutionnaire. A ce groupe d¹intellectuels qui s¹exprimaient dans des revues comme Die Standarte, Deutsches Volkstum, Arminius, Deutsche Front, Das Dritte Reich, Gewissen, Die Kommenden, Nationalsozialistische Briefe, Der Vormarsch, Der Wehrwolf et Widerstand, appartenaient notamment les frères Ernst et Friedrich-Georg Jünger, Friedrich Hielscher, Franz Schauwecker, Ernst von Salomon, Herbert Blank, Otto Strasser, Ernst Niekisch et A. Paul Weber. En tant qu¹ancien intellectuel de la gauche marxiste, protagoniste d¹un socialisme populaire de combat, Bronnen s¹est rapidement senti à l¹aise dans ces cercles.

Sur le plan professionnel, le dramaturge Bronnen commence alors à faire carrière à l¹agence UfA et à la Reichsrundfunkgesellschaft (= Société radiophonique du Reich), et rompt les ponts avec les extrémistes de gauche qu¹il avait fréquenté jusqu¹alors. Lors d¹une grande réunion de travail, dont le thème était " Littérature et Radio ", il choque délibérément ses collègues écrivains Alfred Döblin, Walter von Molo, Börries von Münchhausen, Alfons Paquet, Ludwig Fulda, Herbert Euleberg et Arnold Zweig en disant qu¹il voulait mettre la radio " au service du peuple ", car " elle n¹existait pas pour les littérateurs mais pour le peuple ", et qu¹elle n¹était pas " une institution alimentaire pour des littérateurs à la retraite ". Pour lui, l¹homme de lettres n¹est " que l¹instrument exprimant les idées de la nation ".

En janvier 1930, il organise un débat, devenu célèbre pour la postérité, devant les micros de Radio Berlin : entre Kurt Hiller, chef du Groupe des Pacifistes Révolutionnaires, et Franz Schauwecker, écrivain phare du nationalisme révolutionnaire. Ensuite, il écrit une biographie du Chef des Corps Francs von Roßbach et fait la connaissance de Goebbels, dont la personnalité le fascine. Bronnen devient le provocateur numéro un de toute l¹Allemagne. Quand Thomas Mann demande, lors d¹un meeting, que la bourgeoisie allemande défende, coude à coude avec les sociaux-démocrates, les institutions de la République de Weimar contre les nationaux-socialistes, Bronnen déboule dans la salle, flanqué de vingt gaillards de la SA prêtés par Goebbels, et réclame la dissolution de la réunion. Lors de la première présentation du film " A l¹Ouest, rien de nouveau ", réalisé d¹après le livre du même nom d¹Erich Maria Remarque, Bronnen, avec sa femme Olga, une amie de Goebbels  ‹qui lui donnera une fille en 1938, Barbara, qui, plus tard, comme son père, deviendra écrivain‹  chahute, accompagné de quelques camarades, l¹événement en lâchant des souris blanches dans la salle. Goebbels connaissait l¹ascendance juive de Bronnen ; après diverses dénonciations de collègues qui ne l¹appréciaient guère et quelques poulets parus dans la presse, le ministre de la propagande à étendu sa main protectrice sur le provocateur.

Lorsque les nationaux-socialistes prennent le pouvoir en 1933, Bronnen connaît quelques difficultés à cause de ses origines. D¹abord, il déclare qu¹il est un enfant naturel, puis, se fait mesurer le crâne selon les critères de l¹anthropométrie, pour prouver qu¹il est purement " aryen ". Il ne partageait plus les idées de résistance anti-nazie de ces anciens amis nationaux-révolutionnaires et nationaux-bolcheviques et critique ouvertement leur aversion pour les nouveaux maîtres de l¹Allemagne. Avant 1933, par exemple, Bronnen avait protégé Ernst Niekisch contre les a priori et les injures que lui adressait Goebbels ; après la prise du pouvoir, au contraire, il fait clairement savoir qu¹il ne partage plus du tout l¹anti-hitlérisme de Niekisch.

Après Stalingrad : déclin de l'étoile Bronnen

Sur les ondes de Radio Berlin, Bronnen avait, à l¹époque, plus de pouvoir que l¹Intendant officiel. Bronnen épure la station radiophonique de la capitale allemande de tous les hommes de gauche, des libéraux et des juifs.. Il écrit un roman sur la radio, " Der Kampf in Äther " (= La lutte pour les ondes) qu¹Alfred Rosenberg fait aussitôt mettre à l¹index ! Parce qu¹il estime qu¹il y a trop de parallèles évidents avec la politique culturelle des nationaux-socialistes. Quelques mois plus tard, Bronnen devient l¹un des pionniers de la télévision, avec une petite équipe qui filme les Jeux Olympiques de Berlin en 1936 et que l¹on mettre bien en exergue.

L'étoile de Bronnen ne se mettra à pâlir que pendant la tragédie de Stalingrad. Alfred Rosenberg, hostile aux avant-gardes dans les arts et la littérature, n¹avait jamais pu encaisser le Dandy Bronnen, pur produit de la Bohème littéraire allemande. Lors d¹une conversation de table avec Hitler dans le QG, Rosenberg a tonné contre la poignée de littérateurs " bolchevistes culturels " qui se taillaient des sinécures sur les arrières du front, tandis que les jeunes soldats allemands versaient leur sang sur le front russe et gelaient dans l¹hiver des steppes. Parmi les noms que Rosenberg a cité : Erich Kästner et Arnolt Bronnen. Après ce procès d¹intention, une interdiction de toute activité littéraire frappe Bronnen, puis il est exclu de la Chambre des Ecrivains du Reich. Quand Bronnen demande pourquoi cette sanction, on lui répond qu¹elle est due à ses anciennes activités littéraires avant-gardistes et " scandaleuses ". Plus tard, lors d¹une audition par la Gestapo, on a même parlé d¹une " détention préventive ", comme l¹explique Bronnen lui-même dans son autobiographie.

En 1944, Bronnen quitte l¹Allemagne et s¹installe à Goisern im Salzkammergut, où il rejoint un groupe de résistance anti-nazi, puis, après un autre intermède, où il revêt l¹uniforme de la Wehrmacht, il revient en Autriche le 8 mai 1945 et se fait élire bourgmestre du village. Jusqu¹en 1950, il travaillera comme journaliste du quotidien Neue Zeit à Linz.

En RDA

Au début des années 50, il revient à Berlin-Est. Il adhère à la SED socialo-communiste est-allemande et écrit sa biographie en 1954, " Arnolt Bronnen gibt zu Protokoll " (= A.B. donne à archiver), qu¹il embellit considérablement à son avantage. Ensuite, viennent " Deutschland ­ Kein Wintermärchen " (= Allemagne, tu n¹es pas un petit conte d¹hiver) en 1956, et " Tage mit Bert Brecht " (= Journées avec Bert Brecht), en 1959. En 1957, sur un coup de tête stupide, il tente de republier un de ses anciens livres, un roman de quatre sous, " Film und Leben der Barbara La Marr " (= Film et vie de Barbara La Marr). La presse alignée de la RDA s¹est aussitôt insurgée, a fulminé, et a même parlé d¹ " antisémitisme et de pornographie ". On lui a reproché l¹ " attitude fondamentalement anti-humaine de sa conscience à l¹époque ". On a rappelé " ses péchés de jeunesse sans goût ", dont le " style maniéré " et les " poses cyniques et insolentes " étaient à la mode " dans les bas étages de la pyramide littéraire de l¹époque ". La nouvelle édition de ce roman a été interdite en RDA. La carrière de dramaturge de Bronnen prit alors une fin abrupte. Mais Brecht intervient, appelle à la mansuétude, car il se souvient de leur ancienne amitié. Il parvient à procurer à Bronnen un emploi fixe de critique de théâtre, ce qui permet à notre non-conformiste viscéral d¹échapper à la mort par le silence et à l¹exclusion définitive du monde culturel et professionnel. Mais Bronnen ne jouera plus aucun rôle politique dans la RDA communiste.

Le 12 octobre 1959, Bronnen meurt à l¹âge de 64 ans à Berlin. Pendant toute sa vie, il a été un personnage controversé, qu¹il ait été dramaturge de gauche ou romancier national-socialiste ou national-révolutionnaire. Arnolt Bronnen a incarné ce curieux mélange de non-conformisme, d¹opportunisme et de dandysme : mais il n¹a pas été un rénégat, plutôt un éternel converti, ce qui fut, sans nul doute, sa vocation et le secret de ses talents.

(texte paru dans Junge Freiheit, Nr. 41/1999; trad. franç.: Robert Steuckers).

mardi, 27 novembre 2007

Sur Otto Koellreutter

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Réflexions sur l'oeuvre d'Otto Koellreutter

27 novembre 1883: Naissance à Fribourg en Brisgau du juriste et constitutionaliste allemand Otto Koellreutter. Etudiant en droit, il rédige une thèse sur la figure du juge anglais puis poursuit ses investigations après la première guerre mondiale, où il est appelé sous les drapeaux, en se spécialisant dans le droit administratif anglais. Enseignant à Halle et à Iéna, il formule un antiparlementarisme couplé à la recherche d’une forme d’«Etat populaire» (Volksstaat) reposant sur des principes radicalement autres que ceux du positivisme juridique. Il reçoit à cette époque l’influence des idées d’Oswald Spengler.

De 1927 à 1944, il est le co-éditeur de la célèbre revue Archiv des öffentlichen Rechts. Militant national-socialiste depuis les élections du 14 septembre 1930, il espère que le nouveau régime transposera dans le réel ses théories de l’«Etat populaire». D’essence bourgeoise et d’inspiration anglo-saxonne, les idées de Koellreutter peuvent être qualifiées de conservatrices. En fait, elles relèvent d’un conservatisme particulier qui croit percevoir une alternative viable au libéralisme dans le mouvement hitlérien. De 1933 à 1942, Koellreutter édite la revue Verwaltungsarchiv (= Archives d’administration). Au fil du temps, ses espoirs sont déçus: le régime déconstruit l’Etat de droit sans rien construire de solide à la place.

Il visite le Japon, en étudie le droit, et se transforme, à partir de 1938/39 en adversaire du régime dont il s’était fait le propagandiste zélé entre 1930 et 1936, en écrivant à son intention une longue série de brochures didactiques et précises. Ces nombreux écrits recèlent tous de pertinentes polémiques à l’encontre des thèses de Carl Schmitt, notamment de celle qui fait de la distinction ami/ennemi le fondement du politique. Pour Koellreutter, au contraire, le politique se fonde sur la capacité de distinguer l’ami, l’allié et de forger, avec lui, une politie durable. En 1942, la rupture avec le régime national socialiste est consommée: dans un article de la revue Verwaltungsarchiv, il compare le droit et la figure du juge tels qu’ils sont perçus en Allemagne et en Angleterre, démontrant que ce dernier pays respecte davantage les principes du vieux droit germanique. Koellreutter quitte l’université en 1952, rédige pendant sa longue retraite trois sommes sur le droit constitutionnel et administratif, qui serviront à étayer le droit de la nouvelle République Fédérale. Il meurt le 23 février 1972 dans sa ville natale. Robert Steuckers lui a consacré une étude dans l’ « Enclyclopédie des Œuvres Philosophiques » des Presses Universitaires de France en 1992.

dimanche, 25 novembre 2007

Sur Léopold Ziegler

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Sur Leopold Ziegler

25 novembre 1958: Mort à Überlingen, sur les rives du Lac de Constance, du philosophe traditionaliste allemand Leopold Ziegler. Né à Karlsruhe en 1881, il deviendra, en Allemagne, l’exposant de la « Tradition primordiale », mais avec un succès plus mitigé que Guénon en France ou Evola en Italie.

Pour Ziegler, les traditions religieuses, métaphysiques et culturelles trouvent toutes leur origine dans une « révélation primordiale » du divin (eine Ur-Offenbarung des Göttlichen). Dès la fin de ses études secondaires et universitaires, Ziegler demeurera fidèle à cette vision et ne cessera plus jamais de l’approfondir. Les initiés savent que cette Tradition existe, écrivait-il, qu’elle forme une unité derrière l’apparente prolixité des phénomènes. En 1951, on lui octroie le titre de docteur honoris causa de l’Université de Marburg (Faculté de théologie). Dans les années 50, avec Walter Heinrich, il tente de généraliser la « méthode traditionnelle » et de défendre la « Tradition intégrale ».

On connaît moins son rôle dans les années 30, au moment de la montée en puissance du mouvement national socialiste. Ami et éminence grise d’Edgar Julius Jung, il avait rédigé un ouvrage capital en deux volumes, « Das heilige Reich der Deutschen » (Le Saint Empire des Allemands), qui avait amorcé sa notoriété dans les milieux conservateurs. Jung s’en était inspiré dans son ouvrage sur la domination des hommes de moindre valeur (Herrschaft der Minderwertigen). En mai 1934, Jung, surexcité, lui fait part de son projet d’assassiner Hitler et de prendre sa place, pour sauver le pays du désastre. Ziegler tente de le dissuader en avançant l’argument suivant : « L’union en une seule personne de l’assassin politique et du Guide suprême ne peuvent conduire le peuple et l’Empire qu’à la ruine ». Jung est assassiné lors de la nuit des longs couteaux, fin juin 1934. Ziegler échappe sans doute au même sort, grâce aux bons offices de quelques amis suisses, qui le mettent à l’abri des escouades vengeresses lancées par Hitler aux trousses de ses adversaires.

Notons enfin qu’à la fin des années 50, peu avant sa mort, Ziegler participe au lancement de la revue « Antaios », fondée par Ernst Jünger, Julius Evola, Mircea Eliade et Ziegler lui-même. Cette revue, interrompue dans sa parution, sera reprise par le philologue classique belge Christopher Gérard en 1992, qui fera paraître une quinzaine de numéros, notamment, entre 1992 et 1998, avec le concours du peintre surréaliste Marc Eemans, ancien éditeur d’une revue de haute tenue, Hermès (parue entre 1933 et 1939). Eemans avait été sollicité par Jünger et Ziegler pour participer au projet. Jünger donnera son aval à Gérard (Robert Steuckers).

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jeudi, 15 novembre 2007

Der antibürgerliche Evola

Der antibürgerliche Evola

Junges Forum Nr. 6: Evola von links! Metaphysisches Weltbild - Antibürgerlicher Geist

Mit Beiträgen von Alexander Dugin, Julius Evola, Falk Liepe;

56 S., geheftet. Regin Verlag: Straelen 2006.

Achtung, Vorsicht! Evola von links! Nein, ich kann Sie beruhigen, der Baron ist kein Geisterfahrer. Er ist das, was er immer war, ein antibürgerlicher Rechter, zwischen Tradition und Idealismus, Avantgarde und Reaktion. Auf dem Cover prangt seine Karikatur als feister Bourgeois, aber das ist natürlich ein Irrtum. Denn er hat seine Antibürgerlichkeit in keiner Phase seines Lebens verleugnet. Der im Heft auch abgedruckte Aufsatz "Unsere antibürgerliche Front" steht ja bei weitem nicht alleine, und von allen Vorwürfen die man an Evolianer richten kann, wäre der am unbegründetsten, das man dies nicht erkannt hätte. Im Gegenteil: man hat eine äußere Attitüde daraus gemacht, genauso wie man "heidnischen" Rahm von seinem Werk abzuschöpfen versuchte, ohne sein Fundament, die Tradition, zu verstehen. Falk Liepe, der den längeren Aufsatz "Revolution und Tradition" in diesem Jungen Forum verfaßt hat, können diese Vorwürfe nicht gemacht werden. Er "entdeckt" nicht nur das, was es nicht zu entdecken gibt, sondern höchstens zu begründen – damit nicht die Antibürgerlichkeit selbst zum spießbürgerlichen Assecoir wird (*) - , da es zu offensichtlich ist, sondern erspart uns auch nicht die Kritik Evolas am Nationalismus und am Naturalismus, die der hiesigen "Rechten" vielleicht unangenehm sind, deswegen aber noch lange nicht links (im Gegenteil!) Sein Aufsatz ist jedoch keine Evola-Exegese. Wer vom Titel her, ein Heft über Evola erwartet hat, wird vielleicht enttäuscht sein. Bis auf den sehr kurzen Text aus Alexander Dugins nationalbolschewistischer Epoche, das dem Heft den Titel gegeben hat, und tatsächlich über Evola und auch auf dessen Rezeption von links reflektiert, ist es vielmehr ein Heft im evolianischen Rahmen (und teilweise am Schluß auch darüber hinausgehend oder auch –schießend), das auch z.B. Edgar Julius Jung als Referenz heranzieht, aber auch Karl Marx als Kapitalismuskritiker, aber es ist ein "Marx von rechts", insofern nicht Evola der marxistischen Analyse unterworfen, sondern Marx (bzw. manche seiner Aspekte) in eine sich als evolianisch verstehende Perspektive eingemeindet wird. (**)
Liepe schreibt: "Die Perversität der kapitalistischen Logik müßte auch dem letzten Nationalisten einleuchten", und das wird sie wohl tatsächlich. Nicht unbedingt zu erwarten ist jedoch, unserer Erfahrung nach, daß er weiß, daß diese Logik nicht idealistisch überwunden werden kann, also indem man richtige Prinzipien der falschen Wirklichkeit entgegenhält – und das scheint auf längere Strecken auch die Schwäche des Textes zu sein, bevor sich der Autor dann natürlich noch dessen bewußt wird, dazu später mehr -, und es wird ihm vielleicht nicht einleuchten, daß der Kapitalismus und der Nationalismus historisch nicht nur gleichzeitige Erscheinungen sind, sondern der Nationalismus auch aus der ersten, konstitutiven Phase der Kapitalakkumulierung, in der der bürgerliche Nationalstaat zum Schutz der Kapitalisten erforderlich wird und daher gegen den traditionsgebundenen "wahren" Staat von Thron und Altar durchgesetzt wird, stammt, und seine historische Funktion in den entwickelten Staaten in der nächsten Phase, der Globalisierung, verloren hat. Liepe trägt dem Rechnung, indem er sich mit seiner Studie dem Eurasien-Gedanken anschließt. Er geißelt auch die "Rechte", die immer sein Bezugsrahmen bleibt, auch für die Islamfeindlichkeit, und insgesamt schließt sich dieses Heft schön an die beiden früheren Nummern des "Jungen Forums" an, die "Eurasien über alles!" und "Der Islam und die Rechte" betitelt waren. Den Lesern sei deren ergänzende Lektüre empfohlen.
Und jetzt kommen wir zu der Schwäche des an sich sympathischen Ansatzes des Autors. Eine Schwäche, die auch den nicht in das System integrierten Linken bewußt sein dürfte, sofern diese sich nicht mit dem Dreschen alter Phrasen begnügen. Die Revolution ist schön, ihre Prinzipien klar und das Ziel deutlich – na ja, vielleicht weniger deutlich, aber irgendwie doch – vor Augen. Wer macht´s? Vom Standpunkt der Tradition kommt hier natürlich noch ein entscheidender, vom Autor anscheinend nicht reflektierter, jedenfalls nicht verbalisierter, Einwand hinzu, denn man will und kann ja nicht ex nihilo die Tradition neu erschaffen. (***) Liepe widmet sich der Frage nach dem "revolutionären Subjekt" sozusagen, in seinem Epilog und formuliert: "Es wäre in jedem Fall zu begrüßen, wenn sich die Unterklassen ihrer absurden Situation bewußt werden, revolutionäre Qualitäten entwickelten und die herrschende Elite absetzten." Also ob begrüßenswert oder nicht, so ist es wohl unmöglich, denn die Unterklassen sind nicht natürwüchsig, in der Tradition verwurzelt, aber vielleicht marginalisiert, sondern sie werden vom Kapitalismus hervorgebracht. Ihr Bewußtsein ist das Bewußtsein der Bewußtseinsindustrien, abgestimmt auf die natürliche Triebwelt, die so instrumentalisiert wird, daß sie genügend Befriedigung erhalten, um in der Tretmühle zu bleiben, und soviel Bildung, wie zur Bedienung der Maschinenwelt notwendig ist. Ein Sonderfall sind Migranten, die aus Gebieten mit noch einigermaßen vorhandener Traditionsverwurzelung stammen, in erster Linie aus der islamischen Welt. Aber auch die Frage der Wünschbarkeit stellt sich. Warum sollten die neuen Herrscher besser sein als die alten? Bei Marx ist es der Taschenspielertrick der Hegelschen Dialektik (****), mit dem selben Trick vom selben Meister bedienen die gar nicht so wenigen deutschen nationalistischen Ideologen, um ganz andere Ergebnisse herbeizuzaubern, von dem bürgerlichen Nationalstaat als nicht mehr zu übertreffendes Produkt der Geschichte, über Aufstände des deutschen Geistes, die alle daran kranken, daß sie aus Idealismus Reales erzeugen möchten. Marx hat dies nun angeblich dadurch überwunden, indem er in der Arbeiterklasse den Vertreter des Allgemeinmenschlichen identifiziert, deren Privation durch die Unterwerfung unter die kapitalistische Produktionsweise sie gerade befähigen soll, das System aus der Angel zu heben, und im Sozialismus den im Kapitalismus potentiell vorhandenem Überfluß an alle zu distributieren. Darauf ist er nicht durch die realistischen Schilderungen der Lebensumstände der Arbeiterklasse (wie sie Engels verfaßt hat) gekommen, sondern weil sein Kopf verhegelt war. Die überprüfbare Wirklichkeit ist banaler: der Arbeiter will nicht das befreite Individuum werden, sondern endlich selber Bürger (Besitzender), nur auf die Bildungsbürgerlichkeit verzichtet er gerne. Es kann auch gar nicht anders sein, die Idee daß der Kapitalismus seine eigene Aufhebung hervorbringt, ist eben nur eine Idee, die nicht deswegen real wird, weil sie "vernünftig" ist. Tatsächlich mag der Kapitalismus sein Ende hervorbringen, aber nur als Auslöschung, als Katastrophe der Vernichtung jener technischen Möglichkeiten, die auch – nach Marx – Voraussetzung für den Sozialismus wären. Von rechts her gesehen, gilt es nicht seine Lieblingsklasse zu finden, sondern das System der Klassen durch Kasten zu ersetzen. Dies kann – rein hypothetisch – so funktionieren, daß die bestehenden Klassen in Kasten rückverwandelt werden, dies ist das Ziel des Ständestaates (Spann, Heinrich). Aber genauso möglich wäre es, die Kasten völlig neu zu konstitutieren, eine revolutionäre Lösung. Dies ließe sich von Dugins Behauptung (in "Evola von links betrachtet" in diesem Heft) Evola hätte die Klasse mit der Kaste verwechselt, her entwickeln. Tatsächlich hat Evola die Degeneration der Kasten zu Klassen ja genau beschrieben. Es sind eben alle Klassen heute deformiert, weil die lebendige Verbindung zur Traditionswelt vernichtet wurde, auch und gerade die "Unterklassen" – und im übrigen sind Revolutionen immer nur von aufsteigenden und nicht von absteigenden Klassen durchgeführt worden (dies richtet sich allerdings auch gegen Evolas reaktionären Irrtum, man könnte jetzt die geschichtlichen Revolutionen in umgekehrter Richtung durchlaufen.)
Es gibt nur eine andere Alternative, und die schmeckt den "Nationalisten" genauso wenig wie den meisten heutigen und hiesigen Linken. Nämlich diejenigen Völker zu unterstützen, die noch eine Verbindung zur Tradition haben, und denen der Kapitalismus als Äußeres gegenüber tritt, als Imperialismus. Die antiimperialistische Haltung der "nationalrevolutionären" Rechten in Italien oder Frankreich, die von engstirnigen Nationalisten vor allem in Deutschland als Verrat an der weißen Rasse gesehen wird, ist keine "Drittwelt-Romantik", sondern beruht auf der Vision einer Rückkehr Europas zu den Prinzipien der Tradition, durch Zerstörung desjenigen Imperialismus, der zuerst die europäischen Traditionen weitgehend ausgelöscht und danach die Vernichtung der außereuropäischen Traditionen in Angriff genommen hat. Der Träger des völlig traditionslosen Imperialismus sind die USA und deren in einem traditionsverbundenen System verwurzelte Gegner ist der Islamismus. Jedenfalls in der augenblicklichen historischen Lage gilt: Tertium non datur. Das haben jene antiimperialistischen Linken erkannt, die nach Zögern und mit Zähneknirschen dessen Avantgardefunktion im Befreiungskampf erkannt haben, das haben jene Rechten nicht erkannt, die sich gleich mit den USA und dem Islam anlegen wollen (man kann nie genug Feinde haben) oder als Neutralisten den Kopf in den Sand stecken möchten, in dem sie ansonsten ihre Burgen bauen, Bürger ganz eigener Art.
Voranstehende Ausführungen sollen an die Überlegungen Liepes mehr anschließen als diesen kritisieren, denn sein Text ist in jedem Fall eine anregende Lektüre.

(*) Das beliebteste ist natürlich die Denunziation des bürgerlichen Moralismus, dem natürlich Evola – Leben wie Werk - völlig zuwiederläuft. Nun scheint der Moralismus im allgemeinen doch so etwas wie ein toter Hund zu sein, auf den einzuprügeln nicht sehr tapfer ist. Wichtiger ist es, in Bezug auf Evola, hervorzuhaben, daß Evola der Vertreter einer starken und strengen Ethik war, der aristokratischen, heroischen, unzeitgemäßen, "arischen". Und was die Moral betrifft, so bemüht sich Liepe ein bißchen hilflos um eine Erledigung Kants, dessen infantile Formulierung "Was du nicht willst daß man dir tut, das füg auch keinen anderen zu" eigentlich auf Rabbi Hillel zurückgeht. In diesem Zusammenhang interessanter schiene es die Formulierung als "allgemeines Gesetz", gedacht analog zu den Naturgesetzen und damit in Konsequenz des bürgerlichen Bewußtseins auch der ökonomischen Gesetze, aufzugreifen, und dann zeigt sich daß es tatsächlich kein äußerer Zwang ist, sondern die Frage welche meiner möglichen moralischen Entscheidungen universalierungsfähig wäre, und das Widerstandsrecht daher systemintern aus richtigen Gründen abgelehnt wird (was Liepe moniert). Die Kritik an Kant hat nicht zu lauten, daß er der äußeren Autorität folgt, sondern daß er dies nicht tut. Aber das Problem mit der bürgerlichen Moral ist ein viel grundsätzlicheres. Die bürgerliche Moral heißt in ihrer Reinform nämlich ganz anders: Private Laster, öffentliche Tugenden. Der gesamte kapitalistische Werbeapparat beruht darauf, sich auf sämtliche Todsünden einzulassen, da sie den Konsumationsmechanismus antreiben. Den Widerspruch zu den öffentlich verkündeten moralischen Grundsätzen des Anstands hat das Individuum zu (er)tragen, das ist dann seine "moralische Autonomie". Der erwähnte Grundsatz, nachdem man dem anderen nichts antun soll, was man nicht selber erleiden möchte, ist genau derjenige nachdem man im Kapitalismus nicht handeln darf, wenn man die von den Marktgesetzen vorgegebene Konkurrenz überleben will. Er kann daher von den Marxisten zurecht als Vorschein des sozialistischen Humanismus in Anspruch genommen werdne.

(**) Mit der Marxrezeption beschäftigt sich auch eine kurze Buchvorstellung in diesem Heft, betitelt "Fetischismuskritik statt Produktionskult". Liepe ist beizupflichten, daß eine Kritik der Zirkulationssphäre bei unveränderter Produktionssphäre völlig abgehoben von der Realität ist. Eine Durchführung des Zinsverbots im Rahmen des Kapitalismus schafft diesen natürlich nicht ab, aber beschneidet ihn. Wenn der Zins in vorkapitalistischen Gesellschaften keine große Rolle gespielt hat, so eben auch wegen des Zinsverbots in den traditionellen Religionen (im Judentum ist das Zinsverbot nur auf die Stammesgenossen bezogen, die Ausbeutung von Nichtjuden erlaubt). Man kann sich natürlich darüber streiten inwiefern dies die Heraufkunft des Kapitalismus hat bremsen können – oder hätte können, wenn man sich daran gehalten hätte. In jedem Fall ist der Zins schon eine Vorform des Kapitalismus innerhalb der traditionellen Gesellschaften und daher geächtet, insofern auch hier die Geldvermehrung das ausschließliche Ziel ist, ein Ziel dem dann später die Produktionsweise unterworfen wird. Wenn man Marx gegen den Vorwurf der positiven Sicht des Zins verteidigen will, so müßte man doch umgekehrt auch erwähnen, daß Marx den ganzen Kapitalismus und das Bürgertum verteidigt, insofern es erst die Voraussetzungen für den proletarischen humanistischen Sozialismus schafft – und nicht für "neue Hierarchien", sondern das Entstehen neuer Hierarchien unmöglich macht, denn nur mehr der Geldbesitz bemißt den sozialen Stand, und wenn dieses beseitigt oder zumindest gleich verteilt ist, dann... soweit jedenfalls die Theorie.

(***) Evola sah, wie klar aus dem abgedruckten Text über die "antibürgerliche Front" hervorgeht, demgegenüber die "richtige" faschistische Revolution darin bestehend, daß zunächst eine Revolution gegen die Arbeiterklasse, dann eine Revolution gegen das Bürgertum durchgeführt wird, die geschichtliche Abfolge nach rückwärts durchlaufend. Dies ist ein reaktionärer Ansatz, der völlig unverdaulich für einen "Evola von links" ist, aber auch nicht sein letztes Wort in dieser Frage ist, sondern sein Versuch, die unabhängig von ihm existierende faschistische Bewegung zu lenken. Er nimmt damit offensichtlich die am weitesten rechts stehende Position innerhalb des Spektrums des Faschismus ein.

(****) Die sich als Entwicklung des bürgerlichen Bewußtseins ja ganz hübsch zu lesende Dialektik des Denkens wird von Hegel auf das Reale übertragen, in der Tradition, nach der "Sein und Denken dasselbe" sind. Die Dialektik ist keine überzeitliche Gegebenheit, sondern Ausdruck der Widersprüchlichkeit des kapitalistischen Individuums, worauf wir in Bezug auf die Moral schon hingewiesen haben, es gilt auch für andere Bereiche. Evolas absoluter Idealismus bezieht sich nicht auf Hegel, sondern auf Stirner, Fichte und teilweise Schelling. Der Prüfstein für die "Realität" seiner Theorie ist die Initiation (oder "Magie" wie in "magischer Idealismus"). Ob die traditionelle Initiation als reale Veränderung des metaphysischen Zustandes von Evolas Philosophie korrekt abgebildet wird, ist eine Frage für sich. Guénon hat diese bekanntlich vehement abgelehnt.