jeudi, 28 août 2008
Brève note sur Heimito von Doderer

Brève note sur Heimito von Doderer
Né le 5 septembre 1896, sous le nom de Franz Carl Heimito, Chevalier von Doderer, à Hadersdorf-Weidlingau et mort à Vienne le 23 décembre 1966, Heimito von Doderer fut un écrivain autrichien, fils d'un architecte et entrepreneur de travaux de construction. Il a servi comme aspirant dans un régiment de dragons pendant la première guerre mondiale. Il a été prisonnier pendant quatre ans en Russie [ndt: plus exactement, en Sibérie]. En 1920, il revient en Autriche, où il étudie l'histoire à Vienne, notamment sous la férule du Chevalier Heinrich von Srbik [ndt: et obtient son diplôme en 1925]. Sous la forte influence d'Albert Paris Gütersloh, il tente de s'initier au difficile métier d'écrivain. Il a commencé, ainsi, mais sans grand succès, par publier des poèmes, de brèves nouvelles et des romans. En 1933, il adhère à la NSDAP, qui est interdite en Autriche à l'époque, mais la quitte en 1938. Cette année-là, il accède enfin à une plus vaste notoriété grâce au roman Ein Mord den jeder begeht. En 1940, après sa conversion, il est accepté au sein de l'Eglise catholique. Pendant la seconde guerre mondiale, il sert en tant qu'officier de la force aérienne. Finalement, il acquiert la gloire par la publication de deux grands romans à thématique sociale, Die Strudlhofstiege (1951) et Die Dämonen (1956).
La prose de Doderer se caractérise par une langue imagée, totalement inédite. Une série de motifs revient sans cesse dans son écriture, dont une critique systématique du progrès technique et de la civilisation moderne des grandes métropoles; Doderer rejette aussi tous les linéaments de l'ère des masses, qui empêchent, dit-il, le déploiement optimal de l'individualité personnelle. Il écrit, à ce propos: «Celui qui appartient aux "masses", a d'ores et déjà perdu la liberté et peut s'installer où il veut».
Une adhésion à la plénitude complète du réel
[ndt: Le style littéraire de Doderer est largement influencé par Marcel Proust et Robert Musil, dans la mesure où, tout entier, il part, lui aussi, à la "recherche du temps perdu"; chez lui, cette recherche vise à retrouver les innombrables fractions de bonheur de l'Autriche-Hongrie d'avant 1914, en replongeant dans l'histoire sociale des hommes et des familles. Pour Doderer, le chaos de la société moderne exprime la crise de l'universalité, raison pour laquelle la tâche de l'écrivain doit être d'esquisser une nouvelle universalité, qui n'est évidemment pas un universalisme idéologique à côté d'autres universalismes idéologiques, mais une adhésion à la plénitude complète du réel, comme on l'éprouvait généralement sans détours dans l'ancien empire danubien austro-hongrois. L'homme universel n'est pas un modèle abstrait, taillé sur mesure une fois pour toutes, mais un être qui se manifeste sous des "variations multiples". En revanche, plongé dans le carcan étroit d'une "réalité seconde", faite de restrictions mutilantes de nature idéologique, il perd et son universalité et ses variations pour n'être plus qu'un instrument au service des pires barbaries politisées de l'histoire. Heimito von Doderer dénonce l'idiotie immanente de toutes les positions doctrinaires, quelles qu'elles soient. En cela, Doderer est disciple de Hoffmansthal, qui disait: «L'idiotie, comme l'indique l'étymologie de ce mot étranger, n'est rien d'autre que l'auto-limitation de l'homme par lui-même». Une telle posture implique de revaloriser les communautés humaines, avec leurs échelles variables de formes sociales et de classes, contre l'uniformité grise des sociétés totalitaires, plaide simultanément pour une restauration des qualités humaines contre les affres de la quantité (Musil, Guénon). Universalité, variété et qualité impliquent de ce fait de respecter et de conserver le jeu des interpénétrations créatrices entre les éléments contradictoires du réel prolixe pour unir l'esprit conservateur et l'esprit émancipateur dans une quête permanente de la "totalité" (Ganzheit) ou, comme on le dit plus justement aujourd'hui en philosophie, l'"holicité" - RS].
Dans les ouvrages de Doderer, nous trouvons donc trois concepts centraux, présentés sous des facettes diverses: celui d'"aperception" (Apperzeption), celui de "seconde réalité" (zweite Wirklichkeit) et celui du "devenir-homme" (Menschwerdung). Celui qui refuse de percevoir la réalité (telle qu'elle est), c'est-à-dire la réalité première, dit Doderer, fait éclore en lui, justement par ce refus de l'aperception, une seconde réalité, sous la forme d'une représentation fixiste (fixe Vorstellung) ou d'une idée-corset ou idée-cangue (Zwangsidee), ce qui correspond à une image du donné viciée par l'idéologie. Doderer considère que l'Etat totalitaire constitue une "seconde réalité" de ce type, de même que ces volontés révolutionnaires et fébriles de vouloir tout changer, que le primat accordé névrotiquement à la politique, que les complexes d'ordre sexuel, que les névroses et que l'attachement forcené à certains systèmes et ordres.
La vie telle qu'elle est
Une bonne partie des personnages de l'univers romanesque de Doderer sont en lutte contre les formes de "seconde réalité". Les dépasser n'est possible que par un processus de "devenir-homme", soit par le fait que l'homme revient ainsi à sa véritable destination, en s'ouvrant, de manière inconditionnelle, à la première réalité, la seule vraie, qui, pour Doderer, est la vie civile naturelle, sans fard et sans excitations artificielles. Dans ce contexte, Doderer se réclame "de la vie telle qu'elle est" et nous enjoint de l'accepter. Il faut dès lors se détourner des fixismes idéologiques —qu'il désigne comme les "hémorroïdes de l'esprit"— des convictions et des idéaux qui sont soi-disant sublimes, pour s'adonner à l'aperception pleine et entière du réel. Cette aperception est essentiellement conservante —ici, Doderer articule clairement sa position— car celui qui adopte cette position ne souhaite pas voir modifier ce qu'il aime réceptionner par "aperception" et se trouve autour de lui. Raison pour laquelle Doderer dit: «L'attitude fondamentale de l'homme apercevant est conservatrice».
Dr. Ulrich E. ZELLENBERG.
(extrait de "Lexikon des Konservatismus" - Caspar v. Schrenck-Notzing /Hrsg. - Leopold Stocker Verlag, Graz, 1996 - ISBN 3-7020-0760-1; trad. franç.: Robert Steuckers).
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dimanche, 29 juin 2008
Les "Oies Sauvages": soldats irlandais au service du Saint-Empire

Les “Oies Sauvages”: les soldats irlandais au service du Saint-Empire pendant la Guerre de Trente Ans
Il y a plus de 380 ans commençait l'une des plus grandes catastrophes de l'histoire européenne, dont nous subissons encore aujourd'hui les séquelles: la Guerre de Trente Ans.
Je vais raconter ici l'histoire d'une armée de sans-patrie, dont les soldats ont combattu sur tous les champs de bataille de la Guerre de Trente Ans en Europe centrale. On les appelait les “Oies Sauvages” (Wild Geese) et on les comparait à ces oiseaux migrateurs qui quittent à intervalles réguliers leur verte patrie insulaire. Mais à la différence des oies sauvages, les Catholiques irlandais, chassés de leur patrie au 17ième siècle, ne connaissaient qu'un départ sans retour vers le continent. Presque jamais ils ne revenaient en Irlande.
Des marins français les introduisaient clandestinement sur le continent via la Flandre ou la Normandie. Débarqués, ils étaient confrontés au néant. Mais ils étaient libres. Un flot ininterrompu de mercenaires irlandais sont ainsi arrivés en Europe continentale. Ils étaient des hommes jeunes ou des adolescents, à peine sorti de l'enfance: la plupart d'entre eux n'avaient que quinze ou seize ans, les plus âgés en avaient dix-neuf. Ils voulaient faire quelque chose de leur vie ou du moins voulaient être libres.
Après 1600, l'histoire irlandaise s'était interrompue. Le pays était devenu une colonie anglaise, où les Tudors, pour la première fois, avaient appliqué la tactique de la terre brûlée. Les autochtones irlandais ont été dépossédés de leurs terres. Leur sol leur a été arraché. On y a implanté des colons protestants anglais ou écossais.
Systématiquement, la colonisation de modèle normand démontrait son efficacité. Déjà, dans la foulée de leurs campagnes contre les Anglo-Saxons à partir de 1066, les Normands vainqueurs perpétraient des destructions sans nom pour confisquer définitivement leur histoire aux vaincus. On brûlait leurs villages, on rasait leurs églises et leurs bâtiments, de façon à ne plus laisser la moindre pierre qui soit un souvenir de leur culture. Ravage, pillage et violence, oppression systématique, famine organisée contre la population: toutes les tactiques utilisées plus tard par les Anglais en Amérique, puis par les Américains ailleurs, ont été mises au point en Irlande.
Une force militaire inutilisée
Pourtant, sur cette île ruinée par la colonisation anglaise, il y avait une force militaire inutilisée. Les Irlandais étaient des soldats farouches qui ne craignaient pas la mort. Ils se feront rapidement une solide renommée dans les batailles. Ils étaient commandés par des officiers compétents, d'excellente réputation, qui feront l'admiration de tous sur le continent.
Dans le Saint-Empire Romain de la Nation Germanique, dirigé par un Empereur catholique, beaucoup d'Irlandais devenus apatrides ont vu un allié puissant voire une puissance protectrice au passé glorieux. Par milliers, ils sont venus s'engager au service de cet Empereur de la lignée des Habsbourgs. Beaucoup sont parvenus en Autriche à la suite de périples fort aventureux.
La première vague d'immigrants irlandais est arrivée en 1619 en Autriche. Ces jeunes hommes combatifs ont débarqué sur le continent de deux manières totalement différentes. Les uns sont arrivés par des voies clandestines, opération osée dans la mesure où les fugitifs de ce type risquaient la peine de mort. Les autres ont été recrutés de forces par les Anglais en Irlande et, contre leur volonté, ont dû servir dans l'armée anglaise protestante. Sur base de traité qui unissait l'Angleterre aux princes d'Allemagne du Nord, ils se sont retrouvés sur le continent dans des unités auxiliaires anglaises au début de la Guerre de Trente Ans. Par une ironie du destin, comme souvent dans les guerres anciennes, il n'y avait quasiment pas d'Anglais ethnique dans ces troupes, mis à part quelques officiers supérieurs. La plupart de ces soldats étaient donc “déportés” hors des Iles Britanniques et ces Irlandais encombrants s'en allaient ainsi mourir sur le Continent comme chaire à canons. Les Anglais s'en débarrassaient à bon compte.
Une infanterie montée
Ces Irlandais avaient été incorporés dans des Régiments de Dragons, où les pertes étaient généralement très élevées. Mais au début du 17ième siècle, ces Irlandais profitent de la première occasion pour se rendre sans combattre aux troupes impériales catholiques. Très vite, ils enfilent l'uniforme autrichien. L'Empire aligne ainsi ses premiers régiments irlandais. La plupart de ces Irlandais choisissent de servir dans les dragons. A l'époque, cette cavalerie était très appréciée et on la surnommait “l'infanterie montée”. Les hommes se déplaçaient à cheval mais combattaient à pied. Ils étaient très rapides et très mobiles et ne dépendaient pas vraiment du cheval comme la cavalerie proprement dite. Dans une certaine mesure, ces dragons constituaient une troupe d'élite, crainte et admirée, dont le cri de guerre est devenu vite célèbre: “Den Weg frei!” (La voie libre!). Rapières au clair, ils fonçaient dans les rangs ennemis.
Les Anglais eux-mêmes, comme tous les autres officiers protestants, respectaient ces mercenaires irlandais au service de l'Empereur et les traitaient mieux qu'ils ne les avaient jamais traité en Irlande, alors qu'ils étaient devenus leurs ennemis. Ainsi, les Roi de Suède Gustave Adolphe fit soigner les soldats catholiques irlandais après la bataille de Francfort-sur-l'Oder au printemps de 1631, lors de la prise de cette ville par les armées protestantes. Le Roi suédois admirait le courage des Irlandais au service de l'Autriche. L'officier irlandais Richard Walter Butler, au départ recruté de force par les Anglais, était passé aux Impériaux lors de la fameuse bataille de la Montagne Blanche en 1620. Il avait quitté le corps auxiliaire anglais. A Francfort-sur-l'Oder, il était parmi les blessés, sérieusement atteint. Un coup l'avait frappé au bras et sa hanche était percée d'un coup d'estoc. Le Roi de Suède fit soigner ce blessé. Après quelques mois de captivité, il fut libéré.
Les Britanniques respectaient cet ennemi qu'ils avaient asservi et humilié jadis. Ces Irlandais jouaient souvent le rôle d'émissaires de l'Empereur, car ils maîtrisaient la langue anglaise. Les nobles anglais les appréciaient et reconnaissaient pleinement leurs qualités d'émissaires ou d'interprètes. En 1635, quand la France catholique se joint à la coalition protestante et trahit le Saint Empire Romain de la Nation Germanique, la situation devient tragique pour les Irlandais catholiques qui combattent désormais dans les deux camps. Soldats d'élite, on les excite les uns contre les autres.
Certains volontaires servaient dans des armées protestantes. La France du Cardinal Richelieu avait besoin de bons soldats. Officiellement, elle était catholique et, par conséquent, incitait bon nombre d'Irlandais à la servir. Les Irlandais qui traversaient le pays étaient sollicités à rejoindre ses armées. Leur confiance a été trahie par Richelieu qui, souvent, a envoyé ces hommes se battre contre leurs frères de sang, fidèles à la légitimité du Saint Empire.
Dévouement et respect pour l'Empereur
Ces soldats irlandais avaient un dévouement et un respect pour l'Empereur. Ils étaient les mercenaires les plus fidèles de la cause impériale et autrichienne. En Irlande même, l'amour du Saint Empire ne cessait de grandir, de même que le culte de la légitimité impériale. Les mercenaires affluaient sans cesse et s'engageaient dans l'armée autrichienne. Souvent des familles entières débarquaient et parfois tous les fils mouraient sur les champs de batailles, pour le salut du Saint-Empire.
Le Comte irlandais Richard Wallis, persécuté par les Anglais, arrive en 1622 avec ses deux fils pour se mettre au service de l'Empereur Ferdinand II. Nommé colonel, il se bat à la tête de son régiment irlandais à Lützen en novembre 1632, une bataille au sort indécis mais qui a exigé un lourd tribut de sang. Wallis y est grièvement blessé. Il meurt de ses blessures à Magdebourg. Son plus jeune fils, Oliver Wallis, reçoit de l'Empereur Ferdinand III un régiment d'infanterie. Il fera en Autriche une brillante carrière militaire. Dans les rangs de l'armée impériale, plusieurs régiments irlandais sont mis sur pied entre 1620 et 1643. Chaque régiment comptait de 1000 à 1200 hommes. Le nombre des pertes a été très élevé. L'ennemi a parfois annihilé des régiments entiers d'Irlandais. Mais, rapidement, de nouveaux volontaires permettent de les reconstituer. Avant d'être une nouvelle fois annihilés… Malgré ces pertes dramatiques, l'Autriche aligne plus de soldats irlandais à la fin de la Guerre de Trente Ans qu'au début.
L'intégration des immigrés de la Verte Eirinn
Les officiers (chaque régiment appartient à un colonel) étaient allemands ou irlandais. Mais tous étaient acceptés. Parfois on mélangeait les recrues allemandes et irlandaises. Les survivants se sont presque tous installés en Autriche, devenue leur nouvelle patrie. Jamais on ne les a considérés comme des étrangers. Ils étaient des Européens (chrétiens), qui apprenaient très vite la langue du pays. Ils étaient fidèles à l'Empereur, leurs mœurs et leur aspect physique ne déconcertaient pas. Dans tous les pays appartenant à la monarchie des Habsbourgs, ces immigrés venus de la Verte Eirinn se sont immédiatement intégrés.
Pendant cette Guerre de Trente Ans, de vastes territoires de l'Empire ont été complètement dépeuplés à causes des opérations de guerre qui y ont fait rage. Il a fallu attendre la fin du 18ième siècle pour ramener le chiffre de la population centre-européenne à celui du 16ième siècle. Les pays du Nord du Danube, où les batailles ont été livrées, de même que les territoires catholiques de la Bavière, de la Souabe et de la Forêt Noire (ndt: et de la Franche-Comté impériale) ont dû être partiellement repeuplés.
Bon nombre d'Irlandais au service de l'Autriche sont ainsi devenus colons, des fermiers qui ont reçu des chambres impériales le droit de mettre en valeur des biens fonciers abandonnés, dévastés ou négligés; il fallait recultiver des terres auparavant fertiles. Les Irlandais sont restés et ont participé à la reconstruction du Saint-Empire. Leurs descendants, élevés en Autriche, vivent encore parmi nous.
Alexander ERETH.
(article tiré de "Zur Zeit", n°21/1998; trad. franç.: Robert Steuckers).
00:15 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : irlande, militaria, autriche, allemagne | |
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