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dimanche, 19 avril 2020

Pierre Daye, un esthète dans la tourmente

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Pierre Daye, un esthète dans la tourmente

par Christophe Dolbeau

            Lorsque le 28 février 1960, le très discret Pierre Daye s’est éteint à Buenos-Aires, très peu de Belges se souvenaient probablement de lui. Et pourtant ce Porteño d’adoption avait été l’un des journalistes européens les plus brillants de la première moitié du XXe siècle, ainsi qu’un protagoniste majeur de la vie politique bruxelloise d’avant-guerre. Grand reporter à la façon d’un Albert Londres, d’un Paul Morand ou d’un Henri Béraud, brillant causeur et plaisant conférencier, il avait également été député et avait même occupé des fonctions gouvernementales sous l’Occupation. Effacé de la mémoire collective comme des annales littéraires belges, ce personnage aux multiples facettes mérite amplement, 60 ans après sa disparition, de sortir du purgatoire.

Un globe-trotter

            C’est dans une famille très bourgeoise de Schaerbeek, l’une des communes de Bruxelles, que Pierre Daye vient au monde le 24 juin 1892. Scolarisé chez les pères jésuites du Collège Saint-Michel, il se voit offrir, dès l’enfance, la possibilité de faire plusieurs beaux voyages. À une époque où l’on circule bien moins qu’aujourd’hui, le jeune Pierre découvre Venise (août 1901), la Bretagne et les pistes de ski de Kandersteg (1904). Il assiste même à une audience du Pape Saint Pie X. À 17 ans, il passe des vacances à Tanger (1909) puis intègre l’Institut Saint-Louis où il va suivre deux années de droit. Appelé ensuite sous les drapeaux, il se trouve donc fin prêt, en juillet 1914, pour répondre à la mobilisation générale. Le jeune homme prend part aux batailles de Namur, d’Anvers et de l’Yser, puis son goût pour l’exotisme le conduit à se porter volontaire pour rejoindre, en Afrique, les troupes du général Charles Tombeur (1867-1947). Ces unités (la Force publique congolaise) se battent contre le célèbre général allemand Paul Emil von Lettow-Vorbeck (1870-1964). Mitrailleur, Pierre Daye participe à la prise de Tabora (19 septembre 1916), le principal fait d’armes des bataillons belges. Il consacrera plus tard un livre à cette épopée tropicale (1). Promu officier mais sévèrement atteint par la malaria, il est alors rapatrié en Europe. Au terme de sa convalescence, le conflit n’est pas achevé, ce qui lui vaut d’effectuer encore une dernière mission, nettement moins périlleuse celle-là : assurer, à Washington, la promotion de la Belgique, en qualité d’attaché militaire adjoint. C’est à ce titre qu’il est reçu, en décembre 1918, par le président cubain García Menocal (1866-1941). De son séjour américain, il tirera matière à un livre, Sam ou le voyage dans l’optimiste Amérique, qui paraîtra en 1922.

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Pierre Daye, officier de la "Force publique" congolaise.

            Rendu à la vie civile en 1919, Pierre Daye s’intéresse dès lors aux joutes politiques. Membre de la Ligue de la Renaissance nationale, où il côtoie Pierre Nothomb (2), l’aviateur Edmond Thieffry (3) et le peintre Delville (4), il en est candidat suppléant lors des élections de novembre 1919. On le trouve ensuite au Comité de politique nationale, un groupe qui milite, sous la houlette de Pierre Nothomb, pour « la plus grande Belgique », et il collabore à l’hebdomadaire La Politique (1921). Très sédentaire, cette activité n’est toutefois pas à même de le retenir bien longtemps car, au fond, sa véritable passion, ce sont les voyages. Dès 1922, il embarque donc sur l’Élisabethville et repart pour l’Afrique : durant plusieurs mois, il sillonne le Congo, en voiture, en train, à pied ou en « typoï » (chaise à porteurs), et navigue sur le lac Tanganyika. Puis, avant de rentrer en métropole, il fait un crochet par l’Union sud-africaine où il s’entretient avec le Premier ministre Jan Smuts.

9200000102951244.jpgEmbauché comme reporter par le grand quotidien Le Soir, il va désormais multiplier les expéditions les plus lointaines et les entrevues exclusives. En une quinzaine d’années, ses pérégrinations vont l’emmener aux quatre coins de l’univers et lui permettre de rencontrer un nombre incroyable de personnalités de premier plan. Après le Congo (où il retournera plusieurs fois), Pierre Daye visite ainsi le Maroc, où il s’entretient avec le sultan Moulay Youssef (1881-1927), les Balkans, où il est reçu par le Premier ministre bulgare Alexandre Tsankov (1879-1959), et l’Argentine, où il se rend, en 1925, en faisant le subrécargue sur un modeste cargo. Après Buenos-Aires, où il se lie avec l’écrivain nationaliste Leopoldo Lugones (1874-1938), il traverse la Cordillière des Andes et découvre le Chili, puis se rend en Uruguay et au Brésil. En 1926, il est à Moscou, approche Léon Trotsky, Leonid Krassine (5) et Maxime Litvinov (6), puis passe par la Pologne et s’y entretient avec Sikorski (7), avant de regagner Bruxelles pour y faire rapport au roi Albert Ier. D’autres expéditions le conduisent en Angola, en Nubie mais aussi au Maroc espagnol, où il rencontre le général Primo de Rivera, et en Asie qu’il visite en qualité de chargé de mission. Après une escale à Ceylan, il passe par les Indes britanniques, la Malaisie, Sumatra, le Japon, la Chine et la Mandchourie. Dans l’Empire du Milieu, il va voir les tombes des Mings, rencontre Pou-yi (8) et obtient une entrevue avec le président Tchang Tso-lin (9). D’une curiosité insatiable, Pierre Daye effectue ensuite un tour du monde par les îles, périple original qui le conduit au Cap Vert, aux Antilles, à Panama, à Tahiti, aux îles Fidji, aux Nouvelles-Hébrides, en Nouvelle-Calédonie, en Australie et à Java. Il va sans dire que toutes ces étapes donnent naissance à autant d’articles ou de livres captivants (10). Notre impénitent voyageur connaît également bien Constantinople et le Moyen-Orient. Passé par la Syrie, la Palestine et Jérusalem, il séjourne assez longuement en Égypte (1931), ce qui lui permet de visiter Memphis (avec le peintre Herman Richir), Thèbes, Abou Simbel et le temple d’Edfou.

vie-et-mort-d-albert-ier-1.jpgAjoutons encore à la liste de ses voyages mémorables, la traversée de la Sibérie par 30° au-dessous de zéro, et un séjour en Perse qui lui offre l’occasion de converser avec Reza Chah Pahlavi. Son goût affirmé pour les contrées lointaines ne l’empêche pas d’apprécier aussi les découvertes européennes. Angleterre, Portugal, Italie, Autriche, Hongrie et pays scandinaves n’ont guère de secrets pour lui ; en août 1932, il est même en Lituanie, à Nida, où l’a invité Thomas Mann, tandis qu’en 1935, il visite les Pays-Bas et l’Allemagne en compagnie de Pierre Gaxotte. À Berlin, les deux hommes auront l’occasion d’échanger quelques propos avec Ribbentrop et Otto Abetz. Aventurier dans l’âme, Pierre Daye ne se contente pas de flâner nonchalamment mais il n’hésite pas, le cas échéant, à se rendre sur le théâtre de certains conflits : on le verra par exemple, en pleine guerre civile espagnole, faire la tournée des lignes de front avec Gaxotte et José Félix de Lequerica (11).

Un homme du monde

            Chroniqueur réputé et homme du monde, Pierre Daye est également un habitué des dîners en ville où ses commensaux sont généralement des personnes de qualité. On l’apercevra ainsi à la table du maréchal Joffre ou à celle de Raymond Poincaré. Ami de Pierre Gaxotte (qui le fera bientôt entrer à Je suis partout), il est également lié au poète Éric de Haulleville, à Pierre Drieu la Rochelle, Maurice Mæterlinck et Georges Remi (Hergé). Sa popularité de journaliste et ses talents de causeur en font par ailleurs l’un des hôtes les plus réguliers des salons à la mode de la capitale belge. Membre assidu du très chic Cercle Gaulois, que fréquentent André Tardieu, Paul Claudel ou Pierre Benoit, il est aussi l’un des convives attitrés des dîners que donne Isabelle Errera (Goldschmidt), des soirées de prestige qu’organise Madame Jules Destrée, ou encore des réunions qu’orchestre la belle Lucienne Didier (Bauwens). Très éclectiques, ces rendez-vous accueillent aussi bien des notables de gauche, comme Henri De Man (12) et Paul-Henri Spaak (13), que des intellectuels de droite, comme Louis Carette (le futur Félicien Marceau), Brasillach, Montherlant et Fabre-Luce, ou des penseurs indépendants, comme Emmanuel Mounier (14). Dans les années 1930, il n’est pas excessif de dire que Daye est un homme arrivé. Un peu sarcastique, Jean-Léo le présente ainsi : « Grand bourgeois catholique, un peu précieux, toujours habillé avec recherche (sauf quand il pratique le nudisme), il affectionne les cravates club et ne fume que des ‘Abdalla’ à bout doré » (15). « Gentleman globe-trotter », précise-t-il encore, « habitué des sleepings, des paquebots, des palaces et des restaurants quatre étoiles (…) il est un peu boudé par la bonne société qui lui reproche ‘des mœurs dissolues’ (L’expression, à une époque où l’on ne s’éclate pas encore dans les Gay pride, désigne son homosexualité que Marcel Antoine, dans ses caricatures, suggère en le représentant jouant du bilboquet » (16). Confirmant ce portrait, l’historien Jean-Michel Etienne ajoute que l’homme est sans conteste intelligent et bon connaisseur des milieux diplomatiques belges et étrangers (17).

Disons aussi que si Pierre Daye est effectivement familier de la haute société, il ne succombe jamais à ce miroir aux alouettes qu’il observe un peu comme une sorte d’entomologiste. Parlant des « gens du monde », voici d’ailleurs ce qu’il en dit : « … vains, souvent paresseux, certains ont pour excuse sinon leur fortune, tout au moins leur culture ou leur goût, qui sont parfois réels. Snobs, comme on dit, ils se nourrissent néanmoins d’idées toutes faites, à condition qu’elles soient à la mode (…) On trouve chez eux, souvent, de l’élégance extérieure, du brillant, du charme, ce que l’on a appelé la douceur de vivre, et parfois du comique involontaire. C’est pourquoi je les ai beaucoup fréquentés, et ils m’ont beaucoup amusé. À condition de les juger pour ce qu’ils sont et de ne rien leur demander, les gens du monde apparaissent d’un utile et agréable commerce pour un célibataire qui se pique d’être en même temps un observateur professionnel » (18)

           rubens-28.jpg Au demeurant, il serait injuste et inexact de ne voir en Pierre Daye qu’un voyageur nanti et un mondain frivole : il s’agit aussi et surtout d’un écrivain talentueux dont les nombreux livres se vendent très bien. Auteur de multiples récits de voyage (19), il a également consacré plusieurs ouvrages aux souverains belges (20), ainsi que plusieurs essais à l’Afrique (21). Dans la première partie de sa vie, il a, en revanche, peu abordé la politique dans ses livres, et lorsqu’il l’a fait, ce fut plutôt sous l’angle de la politique étrangère (22). Il s’est par ailleurs peu intéressé à la fiction, sinon sous la forme de quelques nouvelles et contes. L’un de ceux-ci, Daïnah, la métisse (1932), sera même adapté au cinéma par Jean Grémillon (avec Charles Vanel dans l’un des rôles principaux).

Député rexiste

            Dans les années 1930, la politique, qu’il avait autrefois délaissée au profit des voyages, l’attire de nouveau. Secrétaire du socialiste Jules Destrée, Daye se refuse toutefois à rallier le Parti Ouvrier Belge (POB). En fait, il se range parmi les conservateurs « éclairés » : membre (depuis 1926) de l’Union paneuropéenne, il se montre sensible aux questions sociales, mais à la façon des catholiques, et reste très fidèle au roi comme à l’unité nationale. Partisan de la colonisation et hostile à une émancipation rapide du Congo, il n’est cependant absolument pas raciste et ne témoigne d’aucune hostilité de principe à l’égard des Noirs. Dès 1921 et dans un article consacré au mouvement « pan-nègre » (23), il souligne qu’ « il serait vain de croire que la suprématie de la race blanche pourra se maintenir intacte », proclame que « les préjugés de race sont absurdes » et s’affirme partisan « des généreuses idées de collaboration des races ». À propos des Africains, il déclare : « Nous sommes les premiers à vouloir que le sort de la race noire soit amélioré ; que là où des abus existent, ils soient redressés ; que l’on s’occupe de l’éducation, de la formation intellectuelle et – par après – de la liberté des nègres. Mais il faut procéder avec ordre ». Car, ajoute-t-il, « il nous faut veiller à ce qu’au nom de principes sentimentaux, on n’aille pas saper notre autorité en Afrique ». Si nous insistons quelque peu sur ces opinions, disons paternalistes, de Pierre Daye, c’est afin de mieux souligner toute l’absurdité qu’il y a à le qualifier de « nazi » comme d’aucuns le feront un jour…

            image-original.jpgDésireux de descendre dans l’arène pour y défendre ses idées catholiques, sociales et nationales, Pierre Daye découvre en 1935 le nouveau phénomène politique qu’est Léon Degrelle. Le 24 janvier, il le voit, pour la première fois, à Louvain où le jeune orateur l’impressionne beaucoup. « J’attendais depuis plusieurs années », racontera-t-il, « que se manifestât dans mon pays un effet de ce grand mouvement européen dont j’avais découvert en tant de nations les signes tangibles » (24). Séduit, l’écrivain n’est pas long à rejoindre les rangs de Rex où il siège d’emblée au Conseil politique (mais pas au Bureau exécutif). Aux élections du 24 mai 1936, le mouvement, qui a le vent en poupe, obtient du premier coup 33 élus (21 députés et 12 sénateurs). « Nous étions partis, nous pouvons bien le dire », se souvient-il, « sans aucun moyen ; nous n’avions pas d’argent, aucune expérience, très peu d’hommes, pas de journaux. Mais nous avions la foi. Et la jeunesse aussi… » (25). Et le 27 mai, dans les colonnes du Pays réel, le nouveau député bruxellois se montre plus laudatif encore, affirmant entre autres que « Léon Degrelle est devenu l’interprète de tout ce qui, dans la nation, est jeune, vivant, audacieux, tourné vers l’avenir » (26). L’Assemblée que découvre Pierre Daye n’a rien de bien attrayant : selon lui, « les trucs, les combinaisons, l’intérêt personnel, la stérilité, la suffisance, la vulgarité, tels étaient quelques-uns des traits que révélait l’examen de l’institution parlementaire » (27). Il semble néanmoins tout à fait décidé à jouer le jeu et à faire sérieusement son travail de député. Placé à la tête du groupe parlementaire, il s’efforce donc, en premier lieu, de discipliner ses collègues rexistes qui font souvent preuve d’une nonchalance et d’un amateurisme consternants. Auteur d’un projet de loi réduisant la durée du service militaire, il s’exprime aussi au sein de la Commission des Colonies et de celle des Affaires Étrangères où il plaide fougueusement pour l’Espagne nationaliste. Assez proche du chef, il est souvent associé aux grandes manœuvres de ce dernier. En septembre 1936, par exemple, il est aux côtés de Degrelle lorsque celui-ci est reçu par Hitler (invité par Rudolf Hess, il profite du déplacement pour assister au 8e congrès de Nuremberg). C’est par ailleurs autour de la table de Pierre Daye que se nouent certains contacts discrets entre des gens comme Gustave Sap (28), Hendrik Borginon (29), Gérard Romsée (30), Joris van Severen (31), Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (32), et Léon Degrelle. Plus tard, et au grand dam du Quai d’Orsay, il demandera la dénonciation de l’accord militaire franco-belge, ainsi que des accords de Locarno (33).

            3021089-gf.jpgDévoué mais exigeant, Pierre Daye va vite se lasser des carences profondes du groupe parlementaire rexiste dont il abandonne d’ailleurs la présidence dès juin 1937. Cela ne l’empêche cependant pas de continuer son travail à la Chambre. Dans le même temps, il poursuit son activité de chroniqueur et d’essayiste. En octobre 1936, il joue un rôle clef dans la parution d’un numéro spécial de Je suis partout entièrement consacré à Rex, avec une « Lettre aux Français » de Léon Degrelle et des articles de Serge Doring, Carlos Leruitte et Lucien Rebatet [La même année, Robert Brasillach fait paraître Léon Degrelle et l’avenir de Rex (Plon) et l’année suivante (3 novembre 1937), il dédiera toute une page de Je suis partout au mouvement belge]. Régulièrement présent dans les colonnes de l’hebdomadaire parisien, Pierre Daye signe également, en 1937, un livre sur Léon Degrelle et le rexisme (Fayard), suivi en 1938 d’une Petite histoire parlementaire belge. Malgré cet engagement sans faille, les erreurs répétées de Rex et de son chef finissent toutefois par user sa patience. Ce désenchantement le conduit même, en 1939, à refuser de se représenter aux élections et à quitter le mouvement. Le 10 mars, il prend donc définitivement congé du groupe parlementaire et se tourne dès lors vers le parti catholique où il a conservé nombre d’amis. Il s’en va, certes, mais demeure en excellents termes avec Degrelle, ce que la suite des événements ne va pas tarder à démontrer.

La catastrophe de 1940

            À nouveau libre de ses initiatives et très hostile à l’idée d’un nouveau conflit avec l’Allemagne, Pierre Daye s’associe, le 23 septembre 1939, au manifeste des intellectuels (34) « pour la neutralité belge, contre l’éternisation de la guerre européenne et pour la défense des valeurs de l’esprit ». Le texte paraît le 29 septembre dans la Revue catholique des idées et des faits, puis dans Cassandre, le Pays réel, les Cahiers franco-allemands, et ses treize signataires se voient aussitôt interdire l’accès au territoire français. En décembre, Daye rejoint Robert Poulet, Hergé, Gaston Derijcke (Claude Elsen) et Raymond De Becker, au nouvel hebdomadaire L’Ouest qui se veut le prolongement du manifeste. La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne étant entrées en guerre le 3 septembre, la situation devient dès lors chaotique en Belgique où partis politiques et ministres ne parviennent pas à faire des choix clairs et consensuels.

            Et puis survient soudain le cataclysme, avec l’attaque allemande du 10 mai 1940 et la débandade quasi immédiate du gouvernement belge. Avant de filer vers Paris, Poitiers, Limoges ou Vichy, les autorités ont tout de même fait appréhender tous ceux qu’elles soupçonnent – à tort le plus souvent – d’appartenir à la cinquième colonne. Averti de l’arrestation de nombre de ses amis mais épargné par la première rafle, Pierre Daye juge dès lors prudent de s’éloigner au plus vite de Bruxelles. Accompagné de son neveu, Jacques Lesigne, il part donc, le 12 mai, pour La Panne, dans le but de trouver asile en France. Refoulé car il ne possède pas les visas nécessaires, il parvient cependant, le 14 mai, à franchir la frontière à Poperinghe et à filer vers Eu. Après une étape de cinq jours à Lisieux, il reprend la route, le 20 mai, traverse Nantes et atteint La Rochelle où son ami Pierre Bonardi (35) lui offre le vivre et le couvert. Le 24 mai, il pousse encore jusqu’à la périphérie de Bordeaux, laisse son neveu à Libourne, puis rebrousse chemin et regagne La Rochelle où les Bonardi le dirigent vers l’île de Ré où ils possèdent un moulin.

8065721862.jpgDaye va donc séjourner plusieurs semaines à Saint-Clément-des-Baleines. Loin des combats, il fait de la bicyclette, se balade avec Henri Béraud et aperçoit de temps en temps Suzy Solidor ou le peintre Paul Colin. Cette paisible villégiature s’achève toutefois vers la fin juin car avec l’armistice, le journaliste souhaite désormais rentrer chez lui. Le 8 juillet 1940, il remonte donc sur Paris, s’y arrête le temps de voir Jean Chiappe, puis regagne Bruxelles. Informé du massacre d’Abbeville (36) et du décès de Léon Degrelle, le journaliste ne tarde pas à réapparaître à Paris où l’ambassadeur Abetz, une vieille connaissance, lui apprend incidemment que Degrelle n’est absolument pas mort, mais probablement interné dans un camp du sud de la France. En dépit des divergences politiques qui ont pu opposer les deux hommes, Daye estime alors de son devoir de se porter au secours du chef de Rex et part aussitôt à sa recherche. Accompagné de Jacques Crokaert et Carl Doutreligne, il file à Vichy, rencontre Adrien Marquet mais aussi plusieurs ministres belges en déréliction… L’administration française n’ayant pas mis longtemps à localiser Degrelle qui se trouve dans l’Ariège, au camp du Vernet, le trio de sauveteurs (« mes trois mousquetaires » dira Degrelle dans La cohue de 40) s’empresse de reprendre la route. Quelques heures plus tard, ils sont à Carcassonne où ils retrouvent enfin Léon Degrelle, « sale, amaigri, méconnaissable » (37), ainsi que l’ex-député rexiste Gustave Wyns.

Au cœur des intrigues

            La petite troupe ne s’attarde pas dans l’Aude et remonte aussitôt vers Paris où une brève escale permet à Degrelle de remercier Abetz et de s’entretenir avec Fernand de Brinon. De retour à Bruxelles le 30 août, Pierre Daye reçoit bientôt la visite du comte Robert Capelle auquel il relate la triste épopée de Degrelle. À cette occasion, le secrétaire du roi lui fait part de la position circonspecte et réservée du souverain, et lui conseille de collaborer à la presse. « Le patriotisme », énonce-t-il, « commande que les patriotes s’emparent des journaux, au lieu de les laisser à d’autres » (38). Là-dessus, Daye effectue un nouveau séjour à Paris, sa terre d’élection. Le 7 août 1940, il présente Degrelle à Pierre Laval, puis déjeune avec Bertrand de Jouvenel, et dîne un soir avec Abetz, Degrelle et Henri de Man. Le 12 août, enfin, il est chez le comte de Beaumont où il passe la soirée en compagnie de Pierre Drieu la Rochelle, avant de regagner Bruxelles.

R200016998.jpgLoin d’être le pestiféré qu’il deviendra bientôt, Pierre Daye conserve en cette époque troublée de nombreuses relations mondaines : il organise, chez lui, une rencontre entre le comte Capelle et le chef de Rex, dîne avec les frères Heymans (dont l’un, Corneille, est prix Nobel) et séjourne au Zoute, chez le banquier Wauters. Invité chez le vicomte Jacques Duvignon, ancien ambassadeur à Berlin, il revoit également Mme Destrée et Robert Poulet, tandis que lors d’un enième séjour à Paris, il croise Alphonse de Chateaubriant (qui l’accueille dans les locaux de La Gerbe), Bernard Grasset, l’historien Pierre Bessand-Massenet et Stanislas de la Rochefoucauld. Si, en dépit des circonstances, Pierre Daye est quelqu’un qui demeure attaché aux petits plaisirs de la vie et aux relations sociales, il serait erroné de ne voir en lui qu’un second couteau falot et superficiel. En fait, il sert de passerelle entre beaucoup d’acteurs importants du jeu politico-diplomatique et maintient notamment d’étroits contacts avec les proches du roi. En relation avec les secrétaires du souverain, il voit aussi, très régulièrement, les anciens ministres Maurice Lippens et Henri De Man, ainsi que le général Van Overstræten, aide-de-camp de Léopold III. Pour le palais royal, Daye est donc une précieuse source de renseignements : « Je servis bien souvent d’informateur au souverain », écrit-il, « et le bloc-notes en main, le comte Capelle prenait des indications ‘pour sa Majesté’ durant la plupart de nos entretiens » (39). Il facilite par ailleurs certains contacts improbables comme cette entrevue, chez lui, le 22 mai 1943, entre Capelle et l’abbé Louis Fierens, l’aumônier (non rexiste) de la Légion Wallonie… Aucun reproche, explicite ou implicite, ne lui ayant jamais été exprimé, le journaliste s’étonnera plus tard des accusations de félonie formulées à son encontre : « Pouvais-je n’être pas convaincu », demande-t-il dans ses mémoires, « après tous mes rapports plus ou moins directs avec lui (le roi), par l’intermédiaire de son entourage, que ma conduite était approuvée ? Ou que tout au moins, elle n’était pas blamée ? » (40). Et pour être encore plus clair, il ajoute : « Si des ‘collaborationnistes’ sincères se trompaient, Léopold III aurait dû les avertir, ou les faire avertir, même au risque de déplaire aux Allemands » (41).

Engagé mais avec raison

            Il faut dire que conformément aux conseils de Capelle, Pierre Daye s’engage assez nettement dans la « politique de présence » en rejoignant, à l’automne 1940, la rédaction du Nouveau Journal que lance Paul Colin, son ancien condisciple de l’Institut Saint-Louis. Déjà patron de l’hebdomadaire Cassandre, ce dernier est, selon Jean-Léo, un véritable « Frégoli polygraphe, merveilleusement à l’aise une plume à la main » (42). Rescapé du camp du Vernet, il a réuni autour de lui une équipe brillante où figurent entre autres Robert Poulet, le rédacteur en chef, Nicolas Barthélémy, Guido Eeckels, Paul Herten, Joseph Jumeau (alias Pierre Hubermont) et Paul Werrie (43). Son quotidien revendique « un esprit nouveau » et veut « montrer aux Belges que leur pays doit réclamer et prendre sa place dans l’économie continentale à l’érection de laquelle le Reich allemand – c’est un fait – consacre aujourd’hui une grande partie de son effort » (44). Partisan d’une collaboration digne et relativement modérée, il s’agit néanmoins, aux yeux des résistants et des Belges de Londres, d’un journal « emboché ».

Daye-Pierre.jpgChargé de la rubrique de politique étrangère, Pierre Daye en sera l’un des principaux chroniqueurs jusqu’en avril 1943. Le Nouveau Journal n’est pas le seul organe de presse à accueillir sa prose puisque l’on trouve également sa signature dans Junges Europa, Das Neue Europa, Europäische Revue, Signal, Actu, le Petit Parisien, Je suis partout, et qu’il s’exprime de temps à autres au micro de Radio-Bruxelles. Quoique très dense, cette activité journalistique ne l’empêche pas de publier aussi quelques nouveaux livres. En 1941, il fait ainsi paraître un essai politique, Guerre et révolution, lettre d’un Belge à un ami français, suivi d’un Rubens, puis de Par le monde qui change, un ouvrage où il évoque quelques-uns des pays qu’il a visités, décerne au passage quelques compliments au Reich pour avoir encouragé la jeunesse et amélioré la race, et décrit Adolf Hitler comme « un homme simple, très différend des hobereaux allemands d’autrefois » (45). Si l’homme de lettres ne fait pas mystère de ses sympathies, il s’abstient toutefois de franchir certaines limites : il garde notamment ses distances avec la Légion Wallonie et fait même publiquement savoir qu’il n’est jamais intervenu en sa faveur auprès du palais royal. Il admire, dit-il, le courage des volontaires mais ne comprend pas vraiment leur démarche. Très attaché à l’unité et à l’intégrité de la Belgique comme à la personne du roi, il prend grand soin de ne jamais cautionner une autre ligne que celle-là. Hostile à la persécution des Juifs comme à tout démembrement du royaume, Pierre Daye considère globalement les affaires politiques d’un œil sévère : « Trop de gens aux dents longues, trop de bonshommes intéressés. Trop de tripotages. Trop de fortunes aussi gigantesques que rapides » (46). Désireux de voir la Belgique se réorganiser sur un schéma centralisateur, monarchique et corporatif, il regroupe autour de lui un « Bureau politique », auquel prennent part  ses amis Gustave Wyns et Jacques Crokaert, puis s’associe, en mai 1941, à la tentative de créer un Parti des Provinces Romanes. Ce dernier doit soutenir l’Ordre Nouveau européen, protéger la race et favoriser la fondation d’un État autoritaire, corporatif et chrétien (47). Le projet fera long feu car le 5 août 1941, les autorités allemandes y opposent leur veto. Autre geste politique de Pierre Daye : le 1er février 1943, il adhère à la Société Européenne des Écrivains (48) et plus précisément à l’une de ses deux sections belges, la Communauté Culturelle Wallonne (49). Cet engagement sans détour ne fait cependant pas de lui un fanatique ou un ultra, et c’est assez souvent, il faut le dire, qu’il intervient en faveur de certains Israélites ou de résistants (dont le communiste  Albert Marteaux et le socialiste Victor Larock).

            DSC08139.JPGLa guerre n’a pas émoussé le goût pour les voyages de Pierre Daye qui continue, dans la mesure où les événements le permettent, à se déplacer en Europe. Début 1942, il est par exemple au Portugal, puis en août en Hongrie, et séjourne, en fin d’année, à Rome. Dans la ville éternelle, il renoue avec de vieux amis, comme la duchesse de Villarosa ou le sénateur Aldobrandini Rangoni, tous très anglophiles, et s’entretient, le 10 janvier 1943, avec le prince Umberto. Quatre jours auparavant, il a pu être reçu par le Souverain Pontife, ce qui revêt pour lui une importance toute particulière. Grâce à un proche du Pape, le père jésuite Tacchi-Venturi, il a en effet obtenu de voir brièvement Sa Sainteté Pie XII qui l’a interrogé sur la situation belge et lui a donné sa bénédiction. « Ce qui m’avait le plus ému durant cette entrevue », rapporte-t-il, « c’est la grande allure du Saint-Père, son air de seigneur, la beauté de son visage ascétique et blême, avec ses yeux d’un noir brillant, sa longue bouche volontaire, son nez en bec d’aigle, la noblesse de ses gestes » (50). Peu de temps après cette promenade italienne, en février-mars 1943, Pierre Daye se rend à Madrid. N’étant inféodé à aucune faction politique, il profite de ce passage dans un pays non-belligérant pour adresser, de son propre chef, un courrier à Paul van Zeeland : « Il faut souhaiter », lui écrit-il, « que des éléments provenant des deux clans entre lesquels se divise aujourd’hui la Belgique, celui des “gens de Londres“ et celui de ceux que vous appelez, je crois, les “collaborationnistes“ (je suis pour ma part convaincu que tous deux comptent des patriotes sincères) puissent bientôt, à l’issue des hostilités, se comprendre et collaborer, autour du Roi, dans l’intérêt même de notre pays » (51). Par le biais de l’armateur Pierre Grisar, il envoie une missive du même genre à Hubert Pierlot, le chef du gouvernement belge en exil. Faut-il préciser qu’il n’obtiendra aucune réponse…

Face à l’orage

            La destination préférée de Pierre Daye reste la France où le Belge a ses habitudes depuis des lustres et où il compte de nombreux amis. À Paris, il rencontre bien sûr les gens de Je suis partout : Lucien Rebatet (« bouillant, grinçant, belliqueux, rageur »), Brasillach, Lesca (« serein, définitif et magnifique »), Georges Blond, Pierre-Antoine Cousteau, Claude Jeantet et Alain Laubreaux (« féroce, débordant d’esprit, d’érudition théâtrale »). À La Gerbe, il rend visite à Alphonse de Chateaubriant qu’il invitera bientôt à Bruxelles. Toujours friand de distractions, il retrouve aussi son complice Carl Doutreligne et dîne parfois avec lui chez Maxim’s où les deux compères coudoient Cécile Sorel et Maurice Chevalier, mais aussi Fernand de Brinon, Alice Cocéa, Serge Lifar et l’ambassadeur Scapini. Sans parler de quelques Belges comme les barons Jean Empain et de Becker-Remy… Doué pour les croquis, Pierre Daye en parsème les articles qu’il donne alors au Nouveau Journal et au Petit Parisien. On y voit défiler Fernand de Brinon, « la taille moyenne, le profil aquilin, la voix un peu haute », Pierre Laval, « l’œil plein d’ironie » et presque « asiatique », Jean Chiappe, avec « ses souliers vernis à tiges de drap mastic et ses hauts talons, son melon un peu penché sur l’oreille, sa canne à bague d’or », ou encore Robert Brasillach, « le regard toujours ingénu derrière ses grosses lunettes à monture d’écaille ». De cette galerie, le chroniqueur n’omet pas le maréchal, « figure ferme, au teint mat et sain », ni Jacques Doriot, « grand, de visage plus martelé que sur les photos, agile, quoique puissant (…), l’œil très noir derrière les verres ronds, le geste sobre » (52).

MLA 11826.jpgPrésent dans les gazettes, Pierre Daye l’est tout autant aux devantures des librairies : en 1942, il fait paraître deux essais politiques (L ‘Europe aux Européens et Trente-deux mois chez les députés), puis en 1943, un texte sur l’Afrique (Problèmes congolais), et en 1944, un recueil de contes (D’ombre et de lumière). À compter de 1943, son engagement se concrétise aussi par son accession à un poste officiel dans l’administration belge. Sur recommandation du Flamand Gérard Romsée, il est en effet nommé, le 25 juin 1943, au poste un peu inattendu de … commissaire général à l’Éducation Physique et aux Sports. En soi, il s’agit d’une fonction peu compromettante et qui fournit à son titulaire d’excellentes justifications pour voyager. Reste qu’elle fait de Pierre Daye un fonctionnaire officiel de la collaboration, ce qui peut se révéler extrêmement dangereux. De fait, loin d’aller vers l’apaisement qu’il souhaitait, la situation se dégrade et les rivalités belges se muent désormais en sanglants règlements de compte. « Les hitlériens de nationalité belge [sont] plus abjects encore que leurs maîtres allemands », proclame un journal clandestin communiste. « Cette vermine immonde doit être écrasée (…) Les Partisans belges se sont juré de liquider ces bêtes puantes » (53) L’année 1942 est ponctuée d’au moins 67 attentats et l’année 1943 connaît une recrudescence vertigineuse des actes violents, au point que le chef de l’administration allemande, Eggert Reeder, parle carrément d’une vague de meurtres ou Mordwelle. « Dans la rue et les campagnes, surtout à partir de 1943 », écrit une historienne belge, « règne une atmosphère de guerre civile : rexistes et nationalistes flamands, ainsi que les membres de leurs familles, sont abattus, sans autre forme de procès, sans distinction d’âge ou de sexe » (54).

            Le 14 avril 1943, Paul Colin, le patron et l’ami de Pierre Daye, est abattu dans sa librairie. L’un de ses employés, Gaston Bekeman, tombe sous les balles du même assassin. Le meurtrier, Arnaud Fraiteur, un étudiant de 22 ans (55), et ses deux complices, André Bertulot et Maurice Raskin, seront condamnés à mort et pendus. « Paul Colin », écrit Pierre Daye, « n’était pas seulement le premier critique d’art de Belgique (…) l’auteur de tant d’essais littéraires, artistiques, politiques, l’historien profond des ducs de Bourgogne, l’éditeur, le directeur du Nouveau Journal et de Cassandre, le chroniqueur et le pamphlétaire, le fondateur et le président de l’Association des journalistes belges, mais un amateur éclairé, un homme de goût et surtout un être terriblement intelligent, un des plus intelligents que j’ai rencontrés dans cette partie agitée de ma carrière » (56) « Il était détesté, naturellement », ajoute-t-il, « car il haïssait la médiocrité et ne se privait pas de le montrer, avec une verve, un éclat terribles. Il avait la dent dure et adorait se faire des ennemis » (57).

Pierre Daye Feuillets bleus 1931.jpgProfondément choqué par le déferlement de violence auquel il assiste, Pierre Daye en juge sévèrement les inspirateurs : « Il fallait », constate-t-il amèrement, « par la provocation, empoisonner une atmosphère trop paisible, donc trop favorable à l’occupant. Il fallait susciter des vengeances, allumer l’esprit de représailles » (58). Et confronté à cet engrenage fatal (59), il en décrit tristement le mécanisme : « De braves gens, mûs uniquement par le sentiment patriotique, ne se doutaient point du vrai rôle qu’on leur faisait ainsi jouer. Et des canailles trouvaient, en se glissant parmi eux, le moyen de commettre les plus bas crimes (…) Se sentant sans protection, d’autres braves gens, de l’autre idéologie, se dirent alors qu’il fallait se défendre soi-même ; non pas se venger, mais si l’on voulait vivre, répondre à la terreur par la terreur » (60).

            Sa charge administrative facilitant les déplacements, Pierre Daye ne se prive pas de revenir en France autant qu’il le souhaite. Le 29 novembre 1943, il est à Vichy où il déjeune avec Pierre Laval, « la mèche napoléonienne sur la lippe fatiguée (…) Ironique, sans illusion, finaud » (61). Le soir, il dîne au Chantecler avec Stanislas de la Rochefoucauld, l’ambassadeur Gaston Bergery (« toujours l’air d’un jeune père jésuite, sec, précis et désabusé, strictement vêtu de drap sombre ») et son épouse, Bettina Jones, ancienne égérie de Schiaparelli. Au retour, le Belge s’arrête bien sûr à Paris où il rend visite à Drieu, avenue de Breteuil. « Il m’effraye », note-t-il, « par sa lucidité triste : la guerre, la décadence des possédants, la lourdeur des Allemands, l’incompréhension des femmes, le préoccupent. Son scepticisme me désespère et me séduit à la fois » (62). De retour chez lui, avenue de Tervueren, à Etterbeek, Pierre Daye n’est pas rasséréné par l’atmosphère ambiante. Les attentats se multiplient et les positions des uns et des autres se crispent jusqu’à l’absurde. Même les nuits ne laissent désormais plus aucun répit : « Qui n’a pas connu », raconte-t-il, « l’angoisse causée par des centaines d’avions passant sur les têtes, tandis que roulait à travers les nuages un bruit sourd, dominant tous les autres, et la sensation de la mort qui pouvait vous atteindre à chaque seconde, alors que l’on se sentait accablé d’impuissance, hors de toute possibilité de fuite ou de recours quelconque, ne sait pas ce que furent pour les nerfs ces heures démoralisantes » (63).

Loin des épurateurs

            Dans ces conditions, et compte tenu de l’avenir immédiat de la Belgique tel qu’il l’anticipe, Daye songe de plus en plus à mettre quelque distance entre les futurs libérateurs du royaume et lui-même. En mai 1944, l’occasion s’offre à lui d’effectuer une tournée officielle en Espagne en qualité de commissaire aux sports, déplacement qui possède l’immense avantage de le mettre à l’abri des pistoleros du Front de l’Indépendance, comme des bombes de la RAF et de l’US Air Force. Le 19 mai, le quotidien madrilène ABC rapporte que le Belge a donné une conférence de presse dans la capitale ibérique, et quant à l’intéressé lui-même, il signale qu’il passe ensuite quelques jours à Barcelone afin de s’entretenir avec le général Moscardo (1878-1956), délégué national aux sports. Peu pressé de rentrer en Belgique, Pierre Daye se trouve encore à Madrid le 6 juin lorsque tombe la nouvelle du débarquement allié en Normandie. Ses supérieurs le pressent de rentrer au pays, mais l’écrivain n’en a cure : « J’étais venu librement comme les autres fois », commente-t-il. « Nul ne m’avait donné d’ordres, et je ne me sentais pas d’humeur à commencer à en recevoir » (64). D’ailleurs, un retour impliquerait de traverser une France en pleine insurrection et comme il le souligne : « Je possédais les meilleures raisons du monde pour ne pas tomber entre les mains d’excités pris de folie sanguinaire » (65). À cette époque commence donc pour Pierre Daye une seconde existence, celle d’un émigré politique. Elle va durer un peu plus de quinze ans.

            yvhth_gkgw.jpgLes premiers temps d’exil ne sont pas trop durs car l’expatrié possède encore quelques relations : il est reçu chez le phalangiste Eugenio d’Ors (66) ou chez le général Eugenio Espinosa de los Monteros, ancien ambassadeur à Berlin, et dîne même parfois avec Walter Starkie (67), le directeur de l’Institut Britannique de Madrid. Plus tard, il verra de temps en temps François Piétri et l’académicien Abel Bonnard. Quelles que soient les difficultés qu’il rencontre et la peine qu’il éprouve, cet exil lui épargne à tout le moins un sort funeste. L’épuration belge se veut en effet particulièrement vindicative puisque, si l’on en croit Paul Sérant, un certain Marcel Houtman exige par exemple que soient exécutés tous les Belges ayant combattu sur le front de l’Est, tous les écrivains et journalistes de la collaboration et tous les fonctionnaires ayant servi les desseins de l’occupant ! (68) Les intellectuels ne peuvent donc guère espérer de mansuétude. Le poète René Baert a été sommairement abattu au coin d’un bois, quelque part en Allemagne, plusieurs journalistes sont condamnés à la peine capitale et fusillés (Paul Herten, José Sreel, Jules Lhoste, Victor Meulenyser, Charles Nisolles, Paul Lespagnard), d’autres échappent de très peu au poteau (Robert Poulet, Paul Jamin), et quelques-uns, comme Pierre Hubermont et Gabriel Figeys, écopent de lourdes peines de détention. Le peintre Marc Eemans est frappé d’une peine de huit ans de prison, tandis que le dramaturge Michel de Ghelderode se fait copieusement insulter et chasser de son emploi. Beaucoup ne retrouveront un peu de tranquillité qu’à l’étranger : Simenon, Hergé et Henri de Man en Suisse, Paul Werrie en Espagne puis en France, Raymond de Becker (condamné à mort puis à la détention perpétuelle), Claude Elsen (condamné à mort par contumace) et Louis Carette (condamné par contumace à 15 ans de travaux forcés) en France. Certains feront malgré tout, hors de Belgique, de brillantes carrières : émigré à Paris, Oscar Van Godtsenhoven, alias Jan Van Dorp, y remportera un prix (1948) pour son Flamand des vagues ; Louis Carette, alias Félicien Marceau, sera élu à l’Académie française (1975), tandis que Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse vendront des milliers de livres sous les noms d’emprunt de Paul Kenny et Jean-Gaston Vandel. « La répression contre les intellectuels », note Elsa Van Brusseghem-Loorne, « surtout en Wallonie (69), prendra (…) une tournure dramatique et particulièrement cruelle, comme si le pouvoir, détenu par des classes en déclin, voulait éliminer par tous les moyens ceux qui, par leurs efforts, étaient la preuve vivante de son infériorité culturelle » (70)…

Au pays de Martin Fierro

            Faute d’avoir pu épingler Pierre Daye à leur tableau de chasse, les nouvelles autorités belges se penchent néanmoins sur son cas, et la 4e Chambre du Conseil de Guerre n’éprouve aucun scrupule à le condamner par contumace, le 18 décembre 1946, à la peine de mort. Des pressions sont exercées sur l’Espagne qui ne peut décemment, sous le nez des Alliés, offrir l’hospitalité à tous les proscrits d’Europe et se voit donc contrainte d’effectuer des choix. Si le Caudillo a accordé l’asile politique à Léon Degrelle, Jean Bichelone ou Abel Bonnard, il n’a pas gardé Pierre Laval qui a fini devant un peloton d’exécution… Malgré le soutien de quelques dignitaires franquistes, comme José Félix de Lequerica, Manuel Aznar et José María de Areilza, Pierre Daye fait lui aussi partie des gens que l’on incite vivement à quitter l’Espagne. Muni d’un passeport espagnol libellé au nom de Pedro Adán, l’ancien commissaire aux sports s’envole donc pour Buenos Aires où il arrive le 21 mai 1947. En Argentine, le nouveau venu n’est pas livré à lui-même car plusieurs amis et connaissances l’ont précédé et sont là pour l’accueillir. Au nombre de ces fidèles, citons Charles Lesca (71), alias Carlos Levray ou Pedro Vignau, ancien directeur de Je suis partout, Georges Guilbaud (72), alias Jorge Degay, et Robert Pincemin (73), alias Rives ; dans le comité d’accueil figure également Mario Octavio Amadeo (74), l’un des proches conseillers du Président Perón. À peu près à la même époque, Buenos Aires voit aussi arriver Jean-Jules Lecomte, alias Jean Degraaf Verhegen, ancien bourgmestre rexiste de Chimay ; plus tard, en 1949, débarquera encore Henri Collard-Bovy, un avocat bruxellois d’un certain renom. Avisée de l’arrivée de Pierre Daye, Bruxelles se manifeste aussitôt auprès du gouvernement argentin et réclame son extradition (17 juin 1947). Cette demande ayant été rejetée, l’écrivain est alors tout simplement déchu de sa nationalité. À compter du 24 décembre 1947, l’ancien combattant de 1914-18, vétéran de Tabora et ex-député, n’est donc plus citoyen belge, il est apatride.

          daye_p_le_congo_belge_1931.jpg  Âgé de 55 ans et plutôt combatif, l’homme est cependant loin d’avoir dit son dernier mot. Le 29 juin 1948, il prend part, avec quelques autres expatriés (75), à la création de la Société Argentine pour l’Accueil des Européens ou Sociedad Argentina para la Recepción de Europeos (SARE). Jouissant de la discrète protection de l’anthropologue Santiago Peralta, patron des services d’immigration, et bénéficiant des encouragements du cardinal Santiago Luis Copello (1880-1967), cette société s’efforce d’aider les « maudits » qui continuent d’affluer sur les rives du Rio de la Plata. Pierre Daye reprend aussi son métier de journaliste et participe au lancement de plusieurs publications dont Hebdo (1947), Europe-Argentine (1948), Argentina 49, Paroles françaises et Nouvelles d’Argentine. Naturalisé argentin en 1949, il collabore également aux revues Criterio et Itinerarium, à El Economista, le journal que fonde l’ancien Premier ministre yougoslave Milan Stojadinović (1888-1961), ainsi qu’à Dinámica Social, le mensuel que lance, en 1952, l’ancien hiérarque fasciste Carló Scorza (alias Camillo Sirtori)-(76). Organe officiel du Centre d’Études Économiques et Sociales, cette revue regroupe de nombreuses plumes de talent dont celles du philosophe roumain Georges Uscatescu, d’Ante Pavelić (alias A. S. Mrzlodolski), du père Juan Ramon Sepich, de Julio Irazusta, ou encore de Jean Pleyber, André Thérive, Jacques de Mahieu et Jacques Ploncard (alias Jacques de Sainte-Marie). Pierre Daye ne délaisse pas non plus le terrain politique où il parvient, avec son entregent habituel, à rester en bons termes à la fois avec les traditionalistes catholiques et les péronistes. Durant l’été 1949, il a quelques contacts avec le Centre des Forces Nationalistes, mais s’intéresse aussi à la Troisième Position de Juan Perón. Avec Radu Ghenea, Georges Guilbaud, René Lagrou (77) et Victor de la Serna, il signe d’ailleurs à ce sujet une note qui sera remise au chef de l’État. En septembre 1950, l’écrivain a le plaisir de renouer avec le ministre belge Marcel Henri Jaspar (1901-1982) qui est de passage dans le cône sud. Autre contact important, Sir Oswald Mosley, qu’il rencontre en novembre 1950, lors de la visite que l’ancien chef de la British Union of Fascists fait en Argentine (78). Venu s’entretenir avec Hans Ulrich Rudel, l’Anglais sera reçu par Juan Perón. Installé à Buenos Aires, dans le quartier de Palermo, et nommé professeur à l’Université de La Plata (sur recommandation de son ami le ministre des Affaires Étrangères Hipólito Jesús Paz), Pierre Daye entretient d’autre part une abondante correspondance.

On sait notamment qu’il a de fréquents échanges épistolaires avec des gens comme Jean Azéma, Maurice Bardèche, Henri de Man, Georges Remi (Hergé), Christian du Jonchay (alias Della Torre), le père Omer Englebert, Simon Arbellot, Henri Poulain ou l’éditeur genevois Constant Bourquin. Au plan des relations sociales, il est probable qu’il rencontre assez souvent quelques collègues d’autrefois comme Henri Lèbre (alias Enrique Winter), un ancien du Cri du Peuple, Henri Janières, vétéran de Paris-Soir (et futur correspondant local du Monde) et Pierre Villette-Dorsay, ancien chroniqueur parlementaire à Je suis partout et rescapé de Radio-Patrie (79), qui tous résident dans la capitale fédérale. Il possède également d’excellents amis argentins, comme Juan Carlos Goyeneche (1913-1982), l’attaché de presse de la présidence de la République. En août 1951, il assiste sans doute, à la cathédrale de Buenos Aires, à la messe qui est célébrée, devant des milliers de fidèles, pour le repos de l’âme du maréchal Pétain, et fin 1952 à celle qui est dite pour Charles Maurras.  Séparé de son lectorat habituel et résidant dans un pays hispanophone, Pierre Daye ne publie quasiment plus de livres : seul paraîtra, en 1952, un essai politique, El suicidio de la burguesía (Le suicide de la bourgeoisie). Cela ne l’empêche bien évidemment pas d’écrire et il laissera à la postérité de nombreux inédits. Parmi ceux-ci et outre divers essais (Le voyageur de la guerre, 1940-1945 ; Panorama espagnol ; En Argentine ; Pris aux autres), son long exil lui permet de rédiger d’imposants mémoires. Intitulés D’un monde à l’autre et ne comptant pas moins de 63 chapitres ou 1600 pages dactylographiées, ces mémoires sont, hélas, encore inédits et dorment toujours dans les bibliothèques bruxelloises…

           108740.jpg La chute de Juan Perón, en septembre 1955, n’entraîne pas d’inconvénients majeurs pour Pierre Daye qui n’est pas vraiment un acteur de la vie politique locale. Tenu pour proche du péronisme, il se retrouve néanmoins marginalisé et éloigné des nouveaux cercles dirigeants. Plus que le changement de régime, c’est plutôt l’isolement et l’oubli qui le menacent désormais. Le temps fait lentement son œuvre et la plupart des Belges l’ont d’ores et déjà oublié. Pas mal d’émigrés ont regagné l’Europe, on lui demande de moins en moins d’articles et la solitude le guette. C’est dans ce contexte un peu maussade que le 20 février 1960, à un peu moins de 68 ans, une hémorragie cérébrale vient brutalement mettre un terme à son existence. Cultivé, discret et fort modéré, on se demande encore ce que cet homme avait bien pu faire pour que la Belgique d’après-guerre lui témoigne d’une vindicte aussi tenace. Se pourrait-il tout simplement que l’on ait jugé, en haut lieu, qu’il en savait beaucoup trop long sur les arcanes (et les drôles de combines) de l’Occupation et qu’il fallait le discréditer à jamais ?

Christophe Dolbeau

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(1) Avec les vainqueurs de Tabora, Paris, Perrin et Cie, 1918.

(2) Le baron Pierre Nothomb (1887-1966) fut avocat mais surtout écrivain et homme politique. Leader des nationalistes belges, il sera plus tard sénateur du Parti catholique puis du Parti social-chrétien. Voy. Lionel Baland, Pierre Nothomb, Qui suis-je, Grez-sur-Loing, Pardès, 2019.

(3) Edmond Thieffry (1892-1929) était un as de l’aviation belge. En 1925, il accomplit l’exploit de rallier Léopoldville (Kinshasa) depuis Bruxelles, à bord d’un avion Handley Page W8.

(4) Jean Delville (1867-1953) était un poète et un peintre symboliste. Il enseigna son art à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles entre 1907 et 1937.

(5) L’ingénieur Leonid Krassine (1870-1926) était un dirigeant bolchevik qui fut commissaire du peuple au commerce extérieur, puis ambassadeur soviétique à Paris et Londres.

(6) Fils de banquier, Maxime Litvinov ou Meir Henoch Wallach-Finkelstein (1876-1951) fut commissaire du peuple aux Affaires Étrangères et ambassadeur soviétique à Londres, puis auprès de la SDN.

(7) Le général Wladyslaw Sikorski (1881-1943) avait été, en 1920, l’un des artisans de la défaite des bolcheviks devant Varsovie. Il sera successivement chef d’état-major, Président du Conseil et ministre des affaires militaires.

(8) Pou-yi (1906-1967) fut le dernier empereur de Chine. Destitué en 1912 puis réfugié à Tianjin, il sera placé par les Japonais à la tête du « Grand État mandchou de Chine » ou Mandchoukouo (1932).

(9) Seigneur de guerre et généralissime, Tchang Tso-lin (1875-1928) sera brièvement président de la République de Chine (juin 1927-juin 1928) après avoir été longtemps le maître de la Mandchourie.

(10) Par exemple Le Maroc s’éveille (1924), Moscou dans le souffle de l’Asie (1926), La Chine est un pays charmant (1927), Le Japon et son destin (1928), La clef anglaise (1929), Beaux jours du Pacifique (1931) et Aspects du monde (1934).

(11) José Félix de Lequerica (1891-1963) fut maire de Bilbao (1938-39), puis ambassadeur d’Espagne en France, ministre des Affaires Étrangères (1944-45) et ambassadeur aux Etats-Unis (1951-54).

(12) Président du Parti Ouvrier Belge, Henri de Man (1885-1953) sera ministre des Travaux publics (1934-35) et ministre des Finances (1936-38). Condamné en 1946 à 20 ans de détention et dix millions d’amende pour avoir « servi les desseins de l’ennemi », il finira ses jours en Suisse (écrasé par un train sur une voie de chemin de fer où sa voiture s’était immobilisée).

(13) Militant socialiste, Paul-Henri Spaak (1899-1972) sera ministre des Transports et des PTT, ministre des Affaires Étrangères et Premier ministre. Il est considéré comme l’un des « pères de l’Europe ».

(14) Voy. Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945 », Cahiers d’Histoire de la IIe Guerre mondiale, Bruxelles, Centre de Recherches et d’Études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10, octobre 1986, p. 165-168.

(15) Voy. Jean-Léo, La Collaboration au quotidien – Paul Colin et le Nouveau Journal 1940-1944, Bruxelles, Racine, 2002, p. 107.

(16) Ibid, p. 109.

(17) Voy. Jean-Michel Etienne, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940, Paris, Armand Colin, 1968, p. 73.

(18) Voy. Le Dossier du Mois, n° 12 (décembre 1963), Bruxelles, Editions du Ponant, p. 35 – extrait du chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(19) Voy. supra, note 10.

(20) À savoir La politique coloniale de Léopold II (1918), Léopold II (1934), Vie et mort d’Albert Ier (1934), La jeunesse et l’avènement de Léopold III (1934).

(21) Par exemple Les conquêtes africaines des Belges (1918), L’Empire colonial belge (1923), Le Congo belge (1927), Congo et Angola (1929),  Stanley (1936), Livingstone retrouvé par Stanley (1936),

(22) Voy. En Espagne, sous la Dictature (1925), La Belgique et la mer (1926), La Belgique maritime (1930) et L’Europe en morceaux (1932).

(23) « Le mouvement pan-nègre », Le Flambeau, 4e année, n° 7, juillet 1921, pp. 360-375 (consultable en ligne).

(24) Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Paris, Fayard, 1937, p. 10.

(25) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 2 – chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(26) Voy. Jean-Michel Etienne, op.cit., p. 36.

(27) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 4 – chapitre XXXV des mémoires de Pierre Daye.

(28) Le Flamand Gustave Sap (1886-1940) était le propriétaire du journal catholique De Standaard. Député du Parti catholique, il sera ministre des Travaux publics, de l’Agriculture et du Commerce (1932-34), ministre des Finances (1934), puis de l’Économie et du Commerce (1939-40). Ses sympathies pour la droite et le rexisme entraîneront son exclusion du Parti catholique…

(29) L’avocat Hendrik Borginon (1890-1985) était l’un des dirigeants du parti nationaliste flamand VNV.

(30) Député du Parti catholique populaire flamand, Gérard Romsée (1901-1975) fut ensuite l’une des figures de proue du parti nationaliste flamand VNV. En avril 1941, il sera nommé secrétaire général à l’Intérieur et la Santé, ce qui lui vaudra d’être condamné à mort puis à la réclusion perpétuelle en 1945.

(31) Nationaliste flamand, Joris van Severen (1894-1940) fut le fondateur du mouvement solidariste thiois Verdinaso. Arrêté en 1940 sur soupçon (totalement infondé) d’appartenance à la 5e colonne, il sera sommairement abattu par des militaires français, le 20 mai, à Abbeville.

(32) Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (1888-1967) était un sénateur du Parti catholique. Il sera ministre de l’Agriculture en 1939-40 et ministre sans portefeuille dans le gouvernement belge en exil à Londres (1940-44).

(33) « On ne comprit pas », écrit Pierre Daye, « ou plutôt on ne voulut pas comprendre, qu’en politique, les sentiments et le réalisme sont deux choses et que si mon affection pour la culture et pour le peuple de France n’a jamais varié, je ne pouvais pas rester aveugle devant la folie de sa politique guerrière… » – Le Dossier du Mois, n° 12, p. 8 –  chapitre XXXV des mémoires de Pierre Daye.

(34) Voy. Bernard Delcord, op. cit., pp. 177-179.

(35) Autonomiste corse, Pierre Bonardi (1887-1964) était un journaliste et un écrivain. Longtemps proche du Parti radical-socialiste et de la Ligue contre l’antisémitisme (LICA), il adhèra ensuite au PPF et soutint Pierre Laval durant l’Occupation.

(36) Le 20 mai 1940, 21 personnes arrêtées en Belgique et soupçonnées d’appartenir à la 5e colonne sont assassinées sans jugement, à Abbeville, par une compagnie de l’armée française aux ordres du capitaine Marcel Dingeon et du lieutenant René Caron. Disparaissent (entre autres) dans ce massacre le leader flamand Joris Van Severen et son adjoint Jan Ryckoort, le rexiste René Wery, le hockeyeur canadien Robert Bell, deux communistes et deux Juifs. Léon Degrelle échappe de justesse à la mort. Voy. Léon Degrelle, La guerre en prison, in Relectures Léon Degrelle, Lyon, Irminsul Éditions, s.d. ; Carlos Vlaeminck, Dossier Abbeville, Louvain, Davidsfonds, 1977.

(37) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 15 –  chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(38) Ibid, p. 16 – chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(39) Ibid, p. 22 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(40) Ibid, p. 24 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(41) Ibid, p. 24 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(42) Voy. Jean-Léo, op.cit., p. 28.

(43) Ibid, pp. 41-48.

(44) Voy. Jean-Léo, op. cit., p. 56.

(45) cité par Roland Roudil, Jean-François Durand et Guillaume Bridet, in Le reportage colonial,  Pondicherry, Kailash, 2016, p. 462.

(46) Le Choc du Mois, n° 12, p. 36 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(47) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 183.

(48) Voy. C. Dolbeau, « Weimar 1941-1942 : la Société Européenne des Écrivains », Tabou, vol. 25, Saint-Genis-Laval, Akribeia, 2019, 160-183.

(49) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 182.

(50) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 27 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(51) Ibid, p. 27-28 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(52) Ibid, pp. 31-32 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(53) Voy. Jacques Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Éditions universitaires, 1986, p. 279.

(54) Voy. Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La libération et l’épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (juillet-août 1994), p. 62.

(55) petit-cousin de Robert Poulet (1893-1989), le rédacteur en chef du Nouveau Journal.

(56) Le Dossier du Mois, n° 12, pp. 28-29 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(57) Ibid, p. 29 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(58) Ibid, p. 35 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(59) Les Partisans communistes se vantent d’avoir « exécuté » 962 soldats ennemis et 1137 collaborateurs (voy. J. Willequet, op. cit., p. 300) et l’on parle de 700 rexistes assassinés. En face, des commandos ripostent, en abattant le banquier Alexandre Galopin et l’ancien gouverneur François Bovesse ou en massacrant 27 otages à Courcelles-Charleroi.

(60) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 35 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(61) Ibid, p. 34 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(62) Ibid, p. 34 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(63) Ibid, p. 36 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(64) Ibid, p. 36 – chapitre XLIX des mémoires de Pierre Daye.

(65) Ibid, p. 36 – chapitre XLIX des mémoires de Pierre Daye.

(66) Célèbre écrivain et critique d’art catalan, Eugenio d’Ors i Rovira (1881-1954) fut ministre des Beaux-Arts du gouvernement nationaliste durant la Guerre Civile. Membre de l’Association des amis de l’Allemagne, il siégeait aussi à l’Académie royale espagnole.

(67) Universitaire et musicien, Walter Starkie (1894-1976) était un grand spécialiste de la culture rom. Il avait appartenu, dans les années 1920, au Centre International d’Études sur le Fascisme (CINEF) avec Giovanni Gentile, James S. Barnes et Herman de Vries de Heekelingen.

(68) Voy. Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964, p. 136.

(69) Il ne faut toutefois pas sous-estimer les effets de la répression du côté flamand, avec notamment l’exécution d’Auguste Borms et Karel de Feyter, la condamnation à mort puis à la détention perpétuelle de Ward Hermans, Johannes Timmermans, Gérard Romsée et Josephus Van De Wiele, la condamnation à mort de Jozef François, la condamnation à mort par contumace du père Cyriel Verschaeve, de Wies Moens, Hendrik Elias, Frans Daels et Edgar Delvo, la peine de 20 ans de détention infligée à Hendrik Borginon (avec une amende de 10 millions), celle de 12 ans de prison infligée à Jules Callewaert  ou celle de 10 ans infligée à Filip de Pillecijn – Voy. Franz W. Seidler, Die Kollaboration 1939-1945, Munich-Berlin, Herbig, 1999.

(70) Elsa Van Brusseghem-Loorne, op. cit., p. 62.

(71) Charles Lesca (1887-1948) était né en Argentine et s’appelait en fait Carlos Hipólito Saralegui Lesca. Ami personnel de Charles Maurras, il succéda à Robert Brasillach à la direction de Je suis partout, ce qui lui valut, en mai 1947, d’être condamné à mort par contumace. Voy. Dominique Venner, Histoire de la Collaboration, Paris, Pygmalion, 2000, p. 620-621 ; Philippe Randa, Dictionnaire commenté de la Collaboration française, Paris, Jean Picollec, 1987, pp. 560-562.

(72) Ancien fort des Halles mais aussi docteur en droit, Georges Guilbaud (1914) était un ex-communiste qui avait rejoint le PPF de Jacques Doriot. Directeur du journal L’Écho de la France, il fut également plénipotentiaire français auprès de la République Sociale Italienne. Voy. Dominique Venner, op. cit., p. 600.

(73) Ancien ingénieur de l’École Centrale, Robert Pincemin avait dirigé la Milice française dans les départements de l’Ariège et de la Haute-Garonne. Il fondera en Argentine une branche locale de la Cité catholique et publiera plusieurs ouvrages de politique et d’économie.

(74) Philosophe et diplomate, Mario Octavio Amadeo (1911-1983) était l’un des fondateurs de l’Action catholique en Argentine. Proche un temps de Juan Perón, il s’en écartera par la suite et sera brièvement ministre des Affaires Étrangères en 1955. Chef de la délégation argentine aux Nations Unies, il en présidera même le Conseil de Sécurité en 1959.

(75) En l’occurrence le Roumain Radu Ghenea (1907-1973), ex-ambassadeur de Roumanie à Madrid et ancien avocat de Corneliu Zelea Codreanu, Ferdinand Durčansky (1906-1974), ancien ministre slovaque de l’Intérieur et des Affaires Étrangères, Mgr Ferenc Luttor (1886-1953), protonotaire apostolique hongrois, Eugenio Morreale, ex-ambassadeur d’Italie à Madrid, et Robert Pincemin (voy. note 73).

(76) Plusieurs fois élu député, Carló Scorza (1897-1988) fut, en 1943, le dernier secrétaire du Parti national fasciste.

(77) L’avocat flamand René Lagrou (1904-1969) fut le premier chef de l’Algemeene-SS Vlaanderen puis il rejoignit la Waffen-SS en qualité de correspondant de guerre et obtint le grade de Sturmbannführer dans la division Langemarck.

(78) Il voyage alors sous l’amusant pseudonyme de Harry Morley.

(79) Voy. C. Dolbeau, « Des Français chez Perón », Écrits de Paris, n° 727, janvier 2010, 47-53.

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Bibliographie

Le Dossier du Mois, n° 12 (décembre 1963), Bruxelles, Éditions du Ponant (« Les Mémoires de Pierre Daye »).

– Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La libération et l’épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (juillet-août 1994), 61-63.

– Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Paris, Fayard, 1937.

– Pierre Daye, « Le mouvement pan-nègre », Le Flambeau, 4e année, n° 7, juillet 1921, 360-375.

– Léon Degrelle, La cohue de 40, Lausanne, Robert Crauzaz, 1949.

– Léon Degrelle, La guerre en prison, in Relectures Léon Degrelle, Lyon, Irminsul Éditions, s.d.

– Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964.

– Jean-Michel Etienne, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940, Paris, Armand Colin, 1968.

– Jacques Willequet, La Belgique sous la botte. Résistances et collaborations 1940-1945, Paris, Éditions universitaires, 1986.

– Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945) », Cahiers d’Histoire de la IIe Guerre mondiale, Bruxelles, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10, octobre 1986, 153-205.

– Bernard Delcord et José Gotovitch, Papiers Pierre Daye, Inventaires 22, Bruxelles, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, 1989.

– Jean-Léo, La collaboration au quotidien – Paul Colin et le Nouveau Journal 1940-1944, Bruxelles, Racine, 2002.

– Louis Fierens, 39-45 Carnets de Guerre – Prêtre chez les SS, Waterloo, Éditions Jourdan, 2012.

             

mercredi, 11 mars 2020

La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck

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par Denis BILLAMBOZ
Ex: https://interligne.over-blog.com
 
Pour clore la trilogie qu’il a consacrée aux insectes vivant en société organisée, Maurice Maeterlinck, après avoir étudié la vie des abeilles et des termites, s’est intéressé à celle des fourmis qui est encore plus complexe car il existe une diversité énorme de fourmis, différentes d’une espèce à l’autre, vivant selon des principes, des règles et des mœurs complexes eux aussi. « On en a décrit à ce jour six mille espèces qui toutes ont leurs mœurs, leurs caractères particuliers ». Il n’a pas étudié lui-même les fourmis comme il n’avait pas auparavant étudié la vie des termites, il a compulsé les meilleurs auteurs parcourant la presque totalité de la production sur le sujet à la date de la publication de son ouvrage. Rappelons que s’il a publié « La vie des abeilles » en 1901, « La vie des termites » n’est paru qu’en 1926 et  « La vie des fourmis » en 1930.
 

Maurice_de_Maeterlinck,_crop.jpgLa fourmilière est peuplée par des reines, des femelles fécondées, vivant une douzaine d’années, d’innombrables cohortes d’ouvriers (ou ouvrières ) asexués vivant trois ou quatre ans et de quelques centaines de mâles qui disparaissent au bout de cinq à six semaines. Dans une fourmilière peuvent cohabiter plusieurs colonies avec plusieurs reines et même parfois différentes espèces en plus ou moins bonne harmonie. La fourmilière héberge aussi une quantité de parasites, l’auteur écrit qu’on en comptait, au moment de la rédaction de son ouvrage, « plus de deux milles espèces, et d’incessantes découvertes accroissent journellement ce nombre ». Je n’ai pas eu la curiosité de vérifier cette donnée auprès d’autres sources, la vie et l’histoire de ce monde en miniature sont pourtant fascinantes et permettent de formuler moult élucubrations plus ou moins fantaisistes mais, pour certaines, tout à fait plausibles. L’auteur s’est penché sur cette vie grouillante et pourtant très organisée qui peut évoquer l’humanité à une échelle réduite et peut-être même dotée d’une intelligence au moins comparable. C’est là un vaste champ d’investigation, de réflexion, d’imagination et  de recherche qui ne sera sans doute jamais exploré jusqu’à ses ultimes limites.

Pour suivre le préfacier, Michel Brix, nous retiendrons que l’auteur formule deux interrogations à travers cette trilogie : « les insectes sont-ils heureux ? Et quelle spiritualité serait susceptible d’éclairer et de conforter les humains dans leur marche vers une existence plus « sociale », marquée par le renoncement à l’intérêt individuel ?» Ainsi, la trilogie est-elle empreinte de cette double question et principalement ce troisième opus consacré aux fourmis qui sont plus dévouées au collectif que les abeilles et les termites, leur l’esprit de sacrifice étant absolu. Maeterlinck les considère comme les infimes parties d’un tout vivant, à l’exemple d’une cellule d’un corps humain.

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Certaines espèces de fourmis sont extrêmement évoluées, elles peuvent cultiver des champignons, élever des parasites, moissonner, elles sont encore plus ingénieuses et mieux organisées que les abeilles et les termites. Mais, comme si toute évolution impliquait un esprit hégémonique et conquérant, « seules, entre tous les insectes, les fourmis ont des armées organisées et entreprennent des guerres offensives ». Nombre d'entre elles peuvent aussi causer des dégâts cataclysmiques dans la végétation, dans les villages, partout où leur énorme flot se déverse en un  fleuve tranquille mais dévastateur. Elles ont aussi inventé l’esclavage en contraignant les espèces les moins solides, les moins débrouillardes, à les servir.

L’étude de la vie des fourmis bute néanmoins sur de nombreux mystères que la science n’a pu élucider avant la publication de cet ouvrage et pas davantage aujourd’hui, même si la connaissance a probablement évolué depuis la publication de l'opus. Un des problèmes fondamental réside dans l’expansion incessante du nombre des individus, la reine pond sans cesse à un rythme effréné sans qu’aucun système de régulation ne freine le processus de reproduction. Quel pourrait être le but d’une telle frénésie reproductrice ? L’auteur laisse cette question en suspens. Pour clore la trilogie, nous resterons sur une autre interrogation formulée également par Maeterlinck : « Les fourmis iront-elles plus loin ? » Rien ne permet de le dire mais rien n’est impossible, l’accroissement exponentiel du nombre des individus reste une hypothèse plausible et, dans ce cas, l’étendue des dégâts qu’elles causent peut croître elle aussi de façon extraordinaire. Et si cette question n’appartenait pas au seul domaine de la science ? A la lecture de la trilogie, on constate que Maeterlinck n'a pas craint de se la poser.


Denis BILLAMBOZ


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mardi, 03 mars 2020

Henri Conscience et la chouannerie belge

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Henri Conscience et la chouannerie belge

Ex: https://lepassebelge.blog

« De Boerenkryg » , le roman d’Henri Conscience (1853), relate de manière réaliste le soulèvement contre le régime français, pour la foi catholique et pour la patrie belge, qui mobilisa dans toutes les couches de la population. Mais la diffusion de cette œuvre, comme le souvenir des événements eux-mêmes, se sont largement estompés (1798).

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Le monument conçu par Ernest Dieltiens et érigé en 1898 à Herentals pour le centenaire de la guerre des Paysans. (Source: https://www.herentals.be/boerenkrijgmonument)

   La Belgique est française depuis trois ans et Overmere, près de Termonde, appartient au département de l’Escaut quand, le 12 octobre 1798, un huissier, accompagné de quelques soldats de l’armée occupante, vient saisir les biens d’un citoyen récalcitrant à l’impôt. L’affaire fait rapidement le tour du village. Les jeunes commencent à s’attrouper, montrant les dents ou les poings en direction des sbires qui n’en mènent pas large. Les cris de « Vive l’Empereur » (d’Autriche) sont lancés comme autant de défis. Les représentants de l’ordre n’insistent pas: ils s’en vont sous les huées.

   Partie remise, bien sûr. On envoie peu après des gendarmes pour réduire les bagarreurs. Mais les jongens ont ameuté les communes environnantes. La guerre des Paysans est déclenchée. Elle va s’étendre, à des degrés divers, dans toutes nos provinces et, malgré l’appellation réductrice, mobiliser dans toutes les couches sociales. La République mettra trois mois au moins pour venir, partiellement, à bout de l’incendie.

   Un demi-siècle s’est écoulé depuis ces événements quand Henri (ou Hendrik) Conscience en fait, en 1853, la matière d’un roman qui sera l’un de ses plus grands succès, tant en néerlandais qu’en traduction française.

De Boerenkryg (La guerre des Paysans), observe Kevin Absillis (Université d’Anvers), a « ancré dans la mémoire collective belge et flamande » ce chapitre de l’histoire en en faisant, « selon les standards d’alors, une épopée tourbillonnante » [1]. C’est une révolte pour la foi et pour la patrie – patrie qui est bien d’un bout à l’autre la Belgique. Même si l’essentiel de l’action se situe en Flandre, dans le village campinois de Lichtaart (Kasterlee) rebaptisé du nom de Waldeghem, les héros sont les « Belges opprimés » et la « Belgique combattante » . Cinq mois après la parution du livre, le roi Léopold Ier offrira à Conscience une bague en diamant comme « marque de Sa haute bienveillance » .

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Depuis, des interprétations en sens divers ont fait leur chemin. L’une d’elles veut que l’intérêt pour la chouannerie belge ait été lié à la crainte – nullement infondée – d’une résurgence des projets annexionnistes français après la révolution de 1848 et surtout sous le Second Empire. D’autres exégèses tiennent du procès idéologique intenté à un écrivain chantre de la tradition catholique et rurale. L’historien et journaliste Marc Reynebeau, dans Het klauwen van de leeuw (1995), y ajoute une dose de freudisme: la haine de la France serait liée à un complexe d’Œdipe, l’artisan du renouveau des lettres flamandes étant né d’un père français! Kevin Absillis entend pour sa part exonérer l’auteur de sa supposée mauvaise réputation pour en faire un louable réformiste. Il se demande surtout, à la fin de son étude, si la modernité opposée au conservatisme culturel et religieux des paysans n’est pas elle-même une construction discursive (beaucoup moins appréciée par ses protagonistes quand elle est invoquée dans un contexte colonial…).

   Qu’en est-il au fond ? Pour « l’homme qui apprit à lire à son peuple » , selon l’expression consacrée, il n’est pas douteux que la Terreur condamne 1789 et que nos contrées, au XVIIIè siècle, n’avaient pas de leçons de libertés à recevoir de la France, étant sur ce point beaucoup mieux loties qu’elle. Dès les premiers paragraphes du prologue de De Boerenkryg, Conscience n’hésite pas à qualifier la Belgique de « pays natal de la liberté » , rappelant que dès le Moyen Age, entre prince et peuple, « les droits et les devoirs de chacun étaient réglés par des lois écrites » . Toute notre histoire a été « un gigantesque déploiement de forces pour la défense de la liberté » , ajoute l’écrivain, se montrant aussi éloigné de la monarchie absolue portée à sa quasi-perfection par Louis XIV que du libéralisme national et romantique pour lequel le passé antérieur à la Révolution française se résume à une longue nuit.

   cms_visual_1024445.jpg_1519392015000_300x399.jpgCeci posé, le lecteur du récit ne peut manquer d’être frappé par le soin qui y a été mis à casser les stéréotypes et autres images d’Epinal. Le meneur de l’insurrection à Waldeghem, Bruno Halinx, n’a rien du fruste campagnard qu’on serait tenté de se représenter dans ce rôle. Fils du notaire de la localité, il a pu bénéficier d’un enseignement de qualité à l’école latine des augustins d’Anvers. Le futur héros est raffiné, quelque peu efféminé même, au point que le début de l’œuvre ressemble à un roman d’apprentissage, où la force des circonstances transforme un homme peu viril en chef intrépide.

   La fiancée de Bruno, Genoveva, est tout aussi éloignée de la Vlaamse boerin dont il « conviendrait » qu’elle soit une femme faible et effacée. Fille du maître d’école et sacristain, elle est intelligente et bien au fait des questions politiques. Sa fermeté et son intransigeance vont jusqu’à susciter l’admiration des soldats français pour qui elle n’a rien à envier à l’icône de la République! Mais son héroïne à elle est Charlotte Corday, qui a assassiné Marat pour sauver les vies de ses futures victimes.

   Quant au collaborateur de l’ennemi, Simon Meulemans, devenu commandant d’un régiment de sans-culottes qui opprime le village, il dépasse tout autant les figures unidimensionnelles. Il n’est pas Wallon ou francophone – ce qui aurait été pour l’auteur le choix de la commodité. Il est né et a grandi à Waldeghem. Révolutionnaire fanatique, responsable de l’exécution du père de Bruno, il peut aussi être taraudé par le doute. A la fin, il revient à Dieu et à la Belgique.

   En toile de fond de ces figures qui déjouent les a priori, on n’en retrouve pas moins la mise en valeur d’un passé glorieux et d’un héritage ancestral proposés comme remèdes aux dérives du temps présent. Le mal en Simon, qui est l’autodéracinement, est symbolisé par sa décision de se faire appeler Brutus, en référence au fondateur légendaire de la République romaine, qui fit condamner à mort ses deux fils royalistes. Qui rejette le nom de son père mérite la plus grande « indignation » possible, avait déjà écrit Conscience dans De Leeuw van Vlaenderen (Le Lion de Flandre, 1838). Et ce n’est pas fortuitement que la conversion du futur Simon « Brutus » commence à Bruxelles où il séjourne pendant la première occupation française (novembre 1792 – mars 1793). Il y subit l’influence d’un club entiché des doctrines venues de Paris, qui l’amène progressivement à quitter le droit chemin et à mépriser la vie pieuse de sa campagne natale.

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Cette dualité entre ruraux résistants et citadins égarés (ou à tout le moins passifs) s’exprime encore dans l’épilogue où Henri Conscience s’imagine, longtemps après les faits, en interviewer de Genoveva, devenue une vieille dame de 75 ans. « Maintenant, lui dit-elle, les histoires du pays ne disent pas un mot des pauvres Brigands [2] qui eurent le courage de verser leur sang à flots pour l’indépendance commune, alors que les villes courbaient lâchement la tête devant la tyrannie de l’étranger » .

   Relevons encore – ce que ne font pas Kevin Absillis ni Philippe Raxhon – la manière habile dont sont distillées, dans les propos de Simon, des expressions d’origine biblique, comme pour souligner la prétention de l’idéologie jacobine à s’ériger en religion. Ainsi, quand le séide du nouveau régime déclare à ses concitoyens de Waldeghem qu’il a rejoint les rangs des apôtres de l’affranchissement pour « annoncer la liberté des peuples jusqu’aux confins de la terre » (« tot aen de uiterste uithoeken der aerde » ), la similitude avec la parole du Christ envoyant ses témoins en mission [3] a été de toute évidence voulue. Et quand le même personnage affirme ailleurs qu’ « en vérité, un républicain ne devrait avoir sur terre ni père, ni mère, ni amis » (« in der waerheid, een Republikein zou op aerde noch vader, noch moeder, noch vrienden mogen hebben » ), comment ne pas y entendre une résonance du renoncement évangélique [4] ?

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On le voit: La guerre des Paysans mérite à coup sûr d’être considérée comme autre chose et plus qu’un pensum patriotique simpliste. Mais encore faut-il lire ce livre et sa diffusion sur papier, pour l’heure, est en panne. La dernière réédition (en néerlandais) date de 1985… Le souvenir des boerenkrijgers s’est tout autant estompé derrière les tragédies des deux guerres mondiales. Quelques cercles d’histoire locale maintiennent la flamme, certes, et nombreux demeurent les monuments élevés naguère aux héros de 1798: à Herentals, Mol, Bornem, Overmere, Turnhout, Hasselt, Clervaux… Mais combien de passants, en les voyant, pourraient dire à leurs enfants quelle épopée ces vieilles pierres devaient préserver de l’oubli ?

P.V.

[1] « Mag Conscience spreken ? « De Boerenkryg » (1853) anders gelezen » , dans De grote onleesbare. Hendrik Conscience herdacht, dir. Kris Humbeeck, Kevin Absillis & Janneke Weijermars, Gent, Academia Press, 2016, pp. 463-496. Cfr aussi Philippe RAXHON, « Henri Conscience and the French Revolution » , dans Nationalism in Belgium. Shifting Identities, 1780-1995, dir. Kas Deprez & Louis Vos, Basingstoke (Hampshire, Great Britain) – New York, Macmillan Press Ltd – St. Martin’s Press Inc., 1998, pp. 72-80. On notera que le premier auteur critique sans ménagements la lecture que fait le second du roman de Conscience.

[2] C’est ainsi que les Français désignaient les paysans insurgés.

[3] Les Actes des Apôtres, 1:8.

[4] Luc, 14:26. – Matthieu, 10:37.

dimanche, 01 mars 2020

Carnavals et fêtes des fous: fêtes médiévales pleines de sens

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Carnavals et fêtes des fous: fêtes médiévales pleines de sens

Carnavals et autres fêtes des fous révèlent une fonction unificatrice de la communauté

Ex: https://lepassebelge.blog

Qu’ils parodient un mandement épiscopal de carême ou invitent à danser et à boire, les prolongements littéraires des carnavals et autres fêtes des fous font ressortir leur fonction unificatrice de la communauté locale (XVè-XVIè siècles).

(ndlr: article qui remet les pendules à l'heure au moment où les forces du chaos s'efforcent de détruire nos traditions immémoriales au nom de chimères idéologiques sans consistance  avec l'appui d'un pouvoir politique dévoyé. Sauvons St Nicolas et le Carnaval ! ).

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Le combat entre le carnaval et le jeûne, gravure de Frans Hogenberg, Anvers, 1558. Les armes des combattants sont du poisson (à droite) ou de la viande et des œufs, entre autres (à gauche). (Source: n. 1; Rijksmuseum Amsterdam, RP-P-OB-7664, https://www.rijksmuseum.nl/nl/zoeken?q=RP-P-OB-7664&v...)

   Fetes_des_fous_et_carnavals.jpgDe tout temps, les carnavals et autres fêtes des fous ont compté, parmi leurs fonctions notoires, celle de dire leur fait à ceux qui le méritaient. Magistrats corrompus, seigneurs impitoyables, clercs aux mœurs dissolues… en prenaient pour leur grade. Il y avait là un fond très moral: les satires, même de mauvais ton, donnaient une leçon d’humilité et de sagesse populaires à ceux qui en faisaient les frais, tout en consolant leurs acteurs et spectateurs d’être parfois si mal dirigés. Mais un autre rôle, autrement important que celui d’une soupape de sûreté, peut être mis en évidence: celui de ciment de la vie commune, fût-ce en toute légèreté et sans avoir l’air d’y toucher. Un projet de recherche en cours à l’Université d’Utrecht vise à éclairer sous cet angle la culture festive du Moyen Age finissant et la production littéraire qui lui était liée [1].

   Issu du domaine francophone, le Placcaet vande Vasten, parodie d’un mandement épiscopal de carême, témoigne bien des raisons d’être multiples de ce qui peut être perçu de prime abord comme un simple amusement, en un temps où l’irrévérence envers les autorités est aussi naturelle qu’elle sera périlleuse face aux Big Brothers des XXè et XXIè siècles. Dans sa langue originale ou dans sa version en moyen néerlandais, le texte a circulé amplement dans nos anciens Pays-Bas, bien avant le XVIè siècle, époque des plus anciens manuscrits bruxellois, gantois ou courtraisien ainsi que des imprimés (almanachs, feuilles volantes) par lesquels il nous est connu. Conçu pour qu’on y reconnaisse, y compris à la lecture publique, les instructions de l’évêque relatives aux restrictions alimentaires, à la prière et à d’autres activités propres aux quarante jours de pénitence avant Pâques, le Placcaet prolonge le thème très récurrent du combat métaphorique entre le carnaval et le jeûne. Le carême y est personnifié par les nourritures autorisées: on l’appelle, par exemple, « Coninck der zeevisscherije » (« Roi de la pêche en mer » ) ou encore « Grave van caerpels, snouken » (« Comte des carpes et des brochets » ). Il a pour greffier « Wouter Ijdelbuijck, Vrijheere van magher maeltijt en Co » (« Wouter Ventrevide, baron du repas maigre et Cie » ). De son domaine, appelé « de stadt van gooten hongher » (« la ville de grand faim » ), les mets interdits et les contrevenants que sont, par exemple, « Nichtien selden nuchter » (« Petite Cousine rarement à jeun » ) ou « Jan den smul coningh » (« Jean le roi du régal » ), sont impitoyablement bannis jusqu’à Pâques.

   Pourtant, tout n’est pas que symboles passe-partout dans ce pastiche du discours pastoral. On peut y déceler des allusions à des personnes existantes au sein de la communauté, encouragées à continuer par leurs facéties à mettre temporairement le monde à l’envers (mundus inversus) et rendre la ripaille plus méritoire que la mortification. Par ce moyen, écrivent les chercheuses, « le Placcaet œuvre à renforcer l’identité de groupe et la cohésion sociale » . C’est notamment le cas pour le manuscrit conservé à la bibliothèque de l’Université de Gand, connexe d’autres textes carnavalesques, qui se caractérise en outre par l’emploi de mots et d’expression typiques du parler local. Nombre de chansons déploient des thèmes identiques, tel le Liedt op den vasten, connu par une feuille imprimée du XVIIIè siècle conservée aux Archives de la Ville d’Audenarde, où le « Joncker Swijnaert » (« Gentilhomme Grains » – il s’agit des grains pour cochons), qui distribue jambon, lard et saucisses, est loué bien plus que le maigrichon « Vasten Graef » (« Comte Carême » )… d’autant que le poisson coûte trop cher.

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Carnaval 2019 à Besançon, ville qui, par cette fête populaire et immémoriale, renoue avec son glorieux passé impérial, habsbourgeois, baroque et espagnol, profondément mutilé par la conquête absolutiste du 17ème et par le fatras insipide et cruel de la "république". Une bonne nouvelle (ndlr).

Hors du temps censé s’achever après le Mardi Gras, d’autres festivités offrent l’occasion de divertir la collectivité tout en la soudant. L’Antwerps Liedboek, plus vieux recueil imprimé de chants profanes des Pays-Bas (1544), en porte les traces. Très populaire, réimprimé au moins quatre fois, il contient notamment (lied 17) les paroles d’un air à danser intitulé « Coppelt aen een, den nacht is lanck » (« Joignons nos bras, la nuit est longue » ). Si la parodie est aussi présente – on s’y moque de ceux qui ne participent pas –, d’autres mobiles émergent au fil de ce texte représentatif du genre. L’emploi du pronom personnel « nous » et la répétition de passages à reprendre en chœur apparaissent comme autant de manifestations d’une visée intégrative, sans laquelle nombre d’allusions, de références, de jeux de mots… seraient vides de sens ou inintelligibles. Des personnages ou des localités sont désignés nommément. Les habitants de Dixmude sont tournés en dérision, ce qui leur arrive fréquemment au cours des zottenfeesten. Si des gens, même pauvres, sont présentés comme dépensant sans compter pour profiter de la vie, ils peuvent aussi payer à crédit ou espérer que « thooft van Malen salt al betalen » (« le président van Malen payera tout » ). Une strophe qui donne à penser que le « nous » est ici celui de membres d’une gilde (terme utilisé à la fin), d’une confrérie ou d’une société bibitive, nombreuses à l’époque.

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Un certain théâtre ludique, mettant en scène des thèmes sociaux ou de la vie quotidienne, peut lui aussi contribuer à unifier la population par le rire. Cela va de la compétition remportée par le meilleur imitateur d’un homme ivre assenant des vérités sur la vie (à Arras en 1431) à la parade humoristique où sont ridiculisés, par des scènes jouées sur des chariots, les hommes battus par leur femme à coups de vaisselle (à Lyon, seconde moitié du XVIè siècle). Les mêmes railleries, par l’écrit notamment, passent allègrement d’une région à l’autre. La charité n’y trouve pas toujours son compte, mais c’est parfois le prix de l’harmonie…

P.V.

[1] Katell LAVÉANT, Cécile de MORRÉE & Rozanne VERSENDAAL, « Spot en spel: de vrolijke feestcultuur van de Late Middeleeuwen » , dans Madoc. Tijdschrift over de Middeleeuwen, jaargang 31, n° 3, 2017, pp. 171-179.
https://www.verloren.nl/tijdschriften/madoc, Drift 6, 3512 BS Utrecht, Nederland.

dimanche, 08 septembre 2019

Introduction succincte à la géopolitique et à l’historiographie géopolitique des Bas-Pays

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Louvain, 17 novembre 2018

Discours tenu lors du IIème Colloque du « Geopolitiek Instituut Vlaanderen-Nederland »

Introduction succincte à la géopolitique et à l’historiographie géopolitique des Bas-Pays

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

GIVN-RS.jpgLes principaux manuels de géopolitiques, notamment celui que le Professeur David Criekemans a rédigé selon les critères de la plus haute scientificité dans le cadre de l’Université de Louvain, commencent presque toujours par une histoire de cette discipline depuis les premières tentatives de saisir conceptuellement les faits géographiques, non pas tant dans une perspective purement empirique mais surtout dans une perspective stratégique, notamment à l’aide de la cartographie établie par Carl Ritter, de l’anthropo-géographie de Ratzel ou des définitions données par le Suédois Rudolf Kjellén. C’est, personne ne le niera, un travail des plus utiles, ce qui était aussi mon intention lorsque feu le Professeur Jean-François Mattéi m’avait invité à présenter les penseurs de la géopolitique dans sa remarquable Encyclopédie des Œuvres philosophiques entre 1990 et 1992, encyclopédie qui fut ultérieurement publiée aux Presses Universitaires de France. L’intention du Prof. Mattéi correspondait à celle qu’avait déjà formulée le géopolitologue Yves Lacoste, à savoir élargir le cadre de la discipline, philosophique pour le premier, géographique/géopolitique pour le second. Mattéi voulait donc élargir le champ de la philosophie, tout simplement parce que plus aucune philosophie sérieuse ne peut encore être pensée sans tenir compte du temps et de l’espace, de l’émergence de tous les phénomènes, faits, modes de pensée et aspirations religieuses ou éthiques qui, tous, nécessairement, se déploient en des lieux et des périodes précises qu’ils influencent ensuite en profondeur, les inscrivant dans la durée et leur assurant une résilience difficilement éradicable.

Yves Lacoste, fondateur et ancien éditeur de la célèbre revue Hérodote, voulait, lui aussi, élargir le champ scientifique de sa propre discipline, la géographie, dans le sens où même la description la plus purement factuelle d’un espace géographique ou d’une zone maritime sert le chef de guerre, si bien que, de ce fait, elle cesse d’être une science véritablement exacte : la géographie sert donc à faire la guerre, dit Lacoste, et toute guerre est menée au départ d’une perspective politique, historique ou religieuse, où des valeurs organiques, par définition non rationnelles, jouent un rôle toujours décisif, état de choses qui fait que tout géopolitologue doit prendre en considération ces valeurs, notamment à cause des dynamiques qu’elles suscitent, de l’impact qu’elles ont ensuite sur l’organisation d’un pays, de son agriculture et de ses armées, même si cet impact n’est pas exclusivement de nature géographique.

YL-géo.jpgLacoste a prouvé que la géographie sert les chefs de guerre en démontrant que les premières tentatives de dessiner des cartes dans la Chine de l’antiquité servaient à indiquer les voies à suivre aux chefs de guerre, de manière à ce qu’ils puissent mouvoir leurs armées de manière optimale dans les paysages et terrains divers de leur propre pays ou dans le pays de l’ennemi. Ensuite, dans un livre succinct, mais rédigé de manière magistrale, il nous a montré que le Prince Henri du Portugal, Anglais par sa mère, a fondé  et soutenu son « école de la mer »  afin de trouver de nouvelles voies maritimes extra-méditerranéennes pour que l’écoumène chrétien/européen de son époque puisse trouver le chemin vers les épices indiennes et vers le mystérieux « Cathay » en échappant aux blocus terrestres et maritimes que lui imposait le contrôle turc/ottoman des accès aux routes continentales vers l’Asie et des voies maritimes en Méditerranée. Quelques décennies plus tard, les Portugais livreront bataille dans la Corne de l’Afrique et des navires lusitaniens surgiront face aux côtes du Gujarat en Inde pour vaincre glorieusement une flotte musulmane. Tant les seigneurs de la guerre que les empereurs chinois du monde antique et que le Prince Henri du Portugal ont donc fait dessiner des cartes pour que des militaires ou des marins avisés puissent mener la guerre ou des expéditions exploratrices de manière optimale. Le raisonnement de Lacoste est parfaitement exact, et fut posé en dépit de son engagement idéologique dans les rangs de la gauche pacifiste.

Halford John Mackinder prononce un célèbre discours en 1904 en Ecosse où il évoque le Heartland, la « Terre du Milieu » ou le « Cœur du Monde », capable de se soustraire à tous les efforts que la puissance navale britannique pourrait déployer pour y détruire la puissance continentale, russe, allemande ou chinoise, qui en serait devenue la maîtresse parce que le feu terrifiant des dreadnoughts de la flotte anglaise ne pourrait frapper ses points névralgiques. La puissance navale britannique se voyait dès lors contrainte de neutraliser et d’occuper, dans la mesure du possible, les rimlands, les bandes littorales plus ou moins profondes, du grand continent eurasiatique et de les « protéger » contre toute tentative du Heartland de les conquérir. On a appelé cette stratégie la stratégie de l’endiguement (containment), y compris après 1945, après que l’alliance entre les puissances anglo-saxonnes et l’Union Soviétique se soit dissoute et que les anciens partenaires soient devenus ennemis dans le cadre de la guerre froide. Les Etats-Unis vont alors organiser militairement les rimlands, en créant trois organisations défensives : l’OTAN, le CENTO (ou « Pacte de Bagdad », dissout partiellement en 1958 après le retrait de l’Irak baathiste) et l’OTASE pour l’Asie du Sud-Est. Après Mackinder, qui meurt en 1947, cette nouvelle stratégie de la guerre froide est théorisée par Nicholas Spykman, un stratégiste et géopolitologue américain d’origine néerlandaise, dont l’itinéraire et les idées ont été récemment étudiées par le Prof. Olivier Zajec, par ailleurs auteur d’une Introduction à l’analyse géopolitique (Ed. du Rocher, sept. 2018). On peut donc parler d’une lutte quasi permanente entre puissances continentales et puissances maritimes, permanence immuable sur l’échiquier global que ne cesse d’explorer et d’expliciter le discours géopolitique.

RH-geo.pngMais s’il existe des permanences immuables en géopolitique, comment devons-nous repérer celles qui se manifestent dans le cadre géographique de nos bas pays ? La méthode, que je souhaite utiliser ici, et que j’ai toujours utilisée notamment dans l’écriture de ma trilogie, qui porte pour titre Europa, est celle d’un géopolitologue non politisé du temps de la République de Weimar. Son nom était Richard Henning (1874-1951), auteur d’un ouvrage très copieux, Geopolitik – Die Lehre vom Staat als Lebewesen, qui a connu cinq éditions successives. Henning avait une écriture très claire, limpide, n’utilisait jamais un jargon compliqué et illustrait chacun de ses arguments par des cartes précises. Au départ, sa discipline était la géographie des communications et des transports, renforcée par une géographie historique, où il mettait toujours l’accent sur le rôle des états, des hommes d’état et des surdoués politiques dans l’organisation et la transformation des espaces. Sa thèse centrale était de dire, à son époque, que les données spatiales d’un peuple devaient être davantage valorisées conceptuellement plutôt que les facteurs raciaux, ce qui le fit entrer en conflit avec les thèses officielles du pouvoir sous le Troisième Reich, même si, Prussien natif de Berlin, il défendait le principe clausewitzien d’une nécessaire militarisation défensive de tout état, en tenant compte, bien sûr, du vieil adage romain, Si vis pacem, para bellum. Dans les années 50 et 60 du 20ème siècle, son œuvre exerça une influence importante en Argentine sous le régime du Général Juan Peron et, plus tard, s’est retrouvée en filigrane dans les cours des écoles militaires du pays.

pye-livre.jpgPar suite, si je privilégie l’exemple d’un historien-géographe comme Henning dans ma façon de raisonner en termes géopolitiques, je dois me limiter aux bas pays dans un exposé aussi bref que celui que je vais tenir aujourd’hui à Louvain, car il m’est impossible de parler de tous les pays qu’Henning a étudiés. Le temps qui m’est accordé est de fait limité et mon exposé se bornera à suggérer un certain nombre de pistes que nous devrons, ultérieurement, approfondir tous ensemble. Dans un ouvrage relativement récent de l’historien britannique Michael Pye, The Edge of the World – How the North Sea Made Us Who We Are (Viking/Penguin, London, 2014), nous trouvons, très largement esquissé, un cadre historique précis dans lequel Pye suggère l’émergence d’une histoire culturelle particulière qui se déploie, du moins au tout début de notre histoire, entre l’Islande et Calais et entre le Skagerrak danois/norvégien et les eaux de la Mer Baltique. Pour Pye, c’est en cette région que nait un monde à part, qui entretient certes des contacts, d’abord ténus, avec l’espace méditerranéen tout en restant plutôt autonome dans ses limites intérieures et où Bruges en constitue la plaque tournante méridionale à proximité du Pas-de-Calais. La Flandre médiévale abrite de ce fait le port principal de cette région de la Mer du Nord et de la Baltique qui doit nécessairement entretenir des contacts avec la Normandie, la Bretagne et surtout les côtes atlantiques du nord de l’Espagne, principalement le Pays Basque puis le Portugal, libéré par des croisés venus justement de toutes les régions du pourtours de la Mer du Nord, opération réussie dès le 12ème siècle qui démontre qu’il y avait une visée géopolitique implicite cherchant à étendre l’écoumène nordique à toutes les côtes de l’Atlantique européen. Cette Flandre prospère, pointe avancée vers le sud de cet espace nordique défini par Pye, cherche aussi à ouvrir une voie terrestre entre le Pays Basque et la Catalogne, sur le cours de l’Ebre, voie la plus courte vers les produits de la Méditerranée à une époque où la péninsule ibérique est encore sous contrôle musulman et ne peut être contournée sans danger.

Le site particulier de la Mer du Nord détenait pourtant sa spécificité bien avant le dynamisme marchand et hanséatique de la Flandre médiévale : bien peu d’entre nos contemporains se souviennent encore d’une figure de l’époque romaine dans nos régions. Il s’agit d’un militaire romain du nom de Carausius. Il vécut au 3ème siècle, était ethniquement parlant un Ménapien, originaire de la Gallia Belgica. Après plusieurs décennies de turbulences dans les Gaules romaines, il est nommé par ses troupes « Imperator Britanniarum » ou « Empereur du Nord ». Il a régné à ce titre sur les provinces romaines de Britannia, de Gallia Belgica Prima et Secunda pendant treize ans. Commandant de la « Classis Britannica », c’est-à-dire de la flotte de la Manche, il avait reçu pour tâche de détruire la piraterie franque et saxonne qui en écumait les eaux, troublant le commerce de l’étain en provenance des Cornouailles. Les Romains l’ont accusé de coopérer avec ces pirates pour acquérir personnellement du butin. En réaction contre ces accusations, il se crée un propre empire dans la Manche et la Mer du Nord (Mare Germanicum) avec l’appui de quatre légions, de troupes auxiliaires indigènes, de sa propre flotte et de celle des pirates qu’il avait dû préalablement combattre, avant de s’en faire des alliés. Il est assassiné en 293. Carausius, toutefois, est le premier chef de guerre, sur terre et sur mer, qui a considéré l’ensemble de nos régions comme une unité géostratégique, non plus seulement autour des trois grands fleuves, le Rhin, la Meuse et l’Escaut mais autour des espaces maritimes de la Manche et de la Mer du Nord.

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L’approche romaine du territoire était plutôt axée sur les rivières : en effet, César a d’abord dû contrôler le bassin du Rhône pour le protéger contre les Helvètes celtiques ou contre les Germains d’Arioviste qui, au départ de la Forêt Noire, traversaient le Rhin à hauteur de Bâle, remontaient le Doubs, soit le principal affluent de la Saône qui, elle, était le principal affluent du Rhône. Or si l’on veut contrôler le cours tout entier de la Saône, on doit tenir aussi le Plateau de Langres, principal château d’eau des Gaules, où la Seine et la Marne, et aussi la Meuse, prennent leur source. Toute puissance qui entend utiliser l’atout hydropolitique du Plateau de Langres doit également avoir pour but le contrôle des bassins de la Seine, de la Meuse et de la Moselle et toute puissance qui veut empêcher que le Doubs devienne la première porte d’entrée des Germains en marche vers Provence, contrôlée par Rome, doit nécessairement contrôler le Rhin jusqu’à son embouchure dans la Mer du Nord.

Le destin géopolitique des bas pays dépend donc des rivières et fleuves, surtout de la Meuse et de l’Escaut et aussi, en ce qui concerne le Luxembourg, de la Moselle. Mais ils dépendent aussi de l’écoumène qui a surgi, au cours de l’histoire, autour de la Mer du Nord depuis l’époque de ce fameux Carausius, dont l’un des héritiers sera le Danois Knut ou Canute au début du 11ème siècle, qui règnera sur l’Angleterre, la Norvège et le Danemark.

L’écoumène de la Mer du Nord a été lié, pendant toute l’époque médiévale, à la Mer Baltique, avec le Danemark comme plaque tournante, un Danemark qui exigeait parfois d’énormes droits de passage pour les navires flamands ou anglais qui entendaient se rendre dans les eaux de la Baltique. La Hanse, bien qu’elle constitue un idéal pour ceux qui rêvent d’un monde nordique autonome, à l’abri des turbulences de la Méditerranée, n’a pourtant pas été une structure idéale à cause des concurrences diverses qui surgissaient entre les villes qui la composaient et à cause d’alliances parfois problématiques entre certaines villes et certains pirates contre d’autres villes et d’autres pirates. Plus tard, la Prusse, puissance montante dans l’hinterland des deux mers, aura pour objectif géopolitique d’en contrôler les côtes et d’en éliminer toutes les formes de concurrence stérile, en s’opposant parfois à la Suède.

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Revenons au continent. Lorsque les petits-fils de Charlemagne se partagent l’Empire de leur aïeul lors du Traité de Verdun en 843, cette division de l’héritage est souvent apparue comme absurde. Or elle était rationnelle dans la mesure où les trois héritiers se partageaient des bassins fluviaux. Leur géopolitique implicite était de fait une hydropolitique. A Verdun en 843 s’amorce une dynamique qui conduira aux trois guerres franco-allemandes depuis 1870. Le plus jeune des petits-fils, Louis, dit Louis le Germanique, s’empare in fine de la partie centrale qui avait été dévolue à feu son frère aîné, Lothaire, ce qui heurte les intérêts de Charles, devenu roi de la Francie occidentale, la future France, qui fera tout pour reprendre les deux parties de la grande « Lotharingie » de Lothaire, en vain dans la première phase de cette lutte pluriséculaire. L’héritage de ce Lothaire, mort prématurément, consistait en une Basse Lotharingie et une Haute Lotharingie, une Burgondie ou un  Arélat, ce qui correspond à nos Pays-Bas pour la Basse Lotharingie et à la Lorraine, l’Alsace, la Franche-Comté et la Suisse romande pour la Haute Lotharingie ; quant à la Burgondie ou Arélat, elle est formée par le bassin du Rhône jusqu’à la Méditerranée provençale (comprenant la Bresse, la Savoie, le Dauphiné et la Provence). Lothaire possédait aussi l’Italie du Nord, plus exactement le bassin du Pô. De Philippe le Bel à Napoléon III, qui annexera la Savoie, Paris s’emparera systématiquement de territoires qui firent partie de l’héritage de Lothaire, si bien que nous pouvons aujourd’hui décrire la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg comme de minuscules résidus d’un empire potentiellement puissant qui n’a jamais pu se développer sauf pendant le règne bref de l’Empereur germanique Konrad II, au 11ème siècle.

Isabelle_de_Portugal_(1397-1471).jpgLes ducs de Bourgogne essaieront, par une politique habile, de ressusciter l’Empire de Lothaire mais sans succès. Pour comprendre la dynamique de l’histoire européenne dans nos régions, nous devons donc, aujourd’hui, étudier la géopolitique implicite de ces ducs qui entendaient consolider une alliance avec l’Angleterre et englober la Lorraine et l’Alsace dans leur orbite politique afin de joindre leurs possessions de l’ancienne Basse Lotharingie (« Pays de Par-Deça ») avec celles de l’ancienne Haute Lotharingie et de la Bourgogne (fief français inclus dans la Francie occidentale de Charles le Chauve). Cependant, dans cette étude, nous ne devons surtout pas oublier que la tête pensante de cette géopolitique bourguignonne a été Isabelle de Portugal (ou Isabelle de Bourgogne), épouse de Philippe le Bon et mère de Charles le Hardi (dit le « Téméraire » en France). Isabelle de Portugal était la sœur du Prince Henri, dit « Henri le Navigateur », fils du roi du Portugal et de Philippine de Lancaster, princesse anglaise. Le Prince Henri (1394-1460) a fondé son école maritime, école géopolitique avant la lettre, à Sagres au Portugal, dans le but de créer les conditions requises pour le développement de flottes de haute mer et de mobiliser tous les savoirs pratiques disponibles pour pouvoir, à terme, contourner les empires musulmans et trouver de nouvelles voies vers l’Inde et la Chine. Yves Lacoste, fondateur de la revue Hérodote et pionnier de la redécouverte des théories géopolitiques en France à partir des années 1970, a consacré une bonne part de son livre sur l’histoire de la cartographie à la figure d’Henri le Navigateur et a ainsi démontré que ce prince fut l’impulseur premier de la conquête européenne du monde.

Isabelle de Portugal voulait poursuivre sa politique maritime et continentale à une époque où la France était sortie victorieuse de la guerre de cent ans et où l’Angleterre avait sombré dans une guerre civile entre les Maisons de York et de Lancastre. Philippe le Bon voulait, lui, retourner à une politique française parce que l’Angleterre semblait hors-jeu tandis que son épouse et son fils voulaient maintenir une ligne pro-anglaise contre Charles VII de France et son fils, le futur Louis XI. Finalement, la géopolitique bourguignonne débouchera sur une double alliance continentale, avec l’entrée en scène des Habsbourgs pour sauver les Pays-Bas de l’invasion française, ensuite avec la Castille et l’Aragon pour créer un bastion anti-français dans le sud de l’Europe, créant ainsi dans le delta des fleuves et dans la péninsule ibérique la fusion géostratégique rêvée par les marchands hanséatiques flamands du 12ème siècle. L’Empereur Charles-Quint règnera sur l’ensemble de ces terres rassemblées par son aïeul Charles, son bisaïeul Philippe et son arrière-grand-mère Isabelle et nous savons tous, Flamands comme Néerlandais, quel sort tragique les bas pays et l’Allemagne ont connu dans cette orbe impériale qui, hélas, ne fut jamais harmonisée.

Rey_Felipe_III.jpgSous Philippe III d’Espagne, fils de Philippe II que nous n’aimions guère, se déchaîne une véritable guerre mondiale entre les puissances réformées et les puissances catholiques, qui n’eut pas que l’Europe comme théâtre d’opération mais où les affrontements eurent également lieu en Afrique, en Amérique et, ce que l’on oublie généralement, dans les eaux de l’Océan Pacifique, considéré à l’époque comme un « océan espagnol ».  Sous le règne de Philippe III, tous les conflits d’ordre géopolitique, tous les conflits nés de la volonté des uns et des autres de maîtriser des sites stratégiques indispensables le long des voies maritimes ont émergé et sont parfois encore virulents aujourd’hui: plusieurs puissances non européennes de nos jours les activent encore régulièrement, notamment dans la Mer de Chine du Sud et entre les Philippines et les côtes de la Chine continentale. Une étude de cette période, dont nous ne nous souvenons plus sauf peut-être l’épisode du siège d’Ostende, s’avère nécessaire pour comprendre la situation géopolitique des bas pays car leurs provinces méridionales faisaient partie, volens nolens, de cet empire espagnol et devinrent, au cours des innombrables affrontements durant le règne de Philippe III et de ses successeurs, ce que les historiens anglais nomment aujourd’hui la fatal avenue, le « corridor fatal », où passaient et s’affrontaient les armées.

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La bataille de Rocroi (1643) fut la dernière bataille des fameux tercios espagnols, où ils ont appliqué leurs techniques de combat, auparavant imparables. Ils furent battus mais leur sacrifice ne fut pas inutile. Ils y ont rudement éprouvé l’ennemi, si bien qu’il a été impossible aux Français de marcher sur Bruxelles après le choc. Il n’existe qu’une seule brochure sur la « géopolitique du Nord-Ouest » (de l’Europe), qui expliquent les motivations géographiques des belligérants sur ce territoire, notamment au temps de cette bataille de Rocroi. Elle a été écrite par un homme qui est demeuré totalement inconnu, un certain J. Mercier, qui l’a rédigée pendant la seconde guerre mondiale sans s’orienter sur une politique pro-belge ou pro-allemande. Pour lui, les Pays-Bas du Sud sont composés de trois parties du point de vue géopolitique : la Flandre occidentale, à l’ouest de l’Escaut et de la Lys ; le centre qu’il appelle « l’espace scaldien » parce qu’il se situe entre le cours de l’Escaut et celui de la Meuse ; et, enfin, le glacis ardennais à l’est de la Meuse. La dynamique qui articulait ce triple ensemble était la suivante :

  • La Flandre occidentale était une région qui servait aux Français à encercler, le cas échéant, le centre (« l’espace scaldien ») ; c’est la raison pour laquelle la France de Louis XIV a, un moment, annexé Furnes, Ypres et Ostende ;
  • Le centre était considéré, normalement, comme l’objectif le plus important de toute conquête éventuelle de l’ensemble des Pays-Bas Royaux ou espagnols, parce que Bruxelles et Anvers s’y trouvaient ;
  • Le glacis ardennais était un espace de réserve qui, après Rocroi, a accueilli les troupes vaincues du Colonel Fontaine (« de la Fuente » dans certaines sources espagnoles) pour les joindre à celles d’un autre colonel espagnol, von Beck, commandant des tercios allemands et luxembourgeois, prêt à lancer une nouvelle offensive contre les vainqueurs.

meusegéo.jpgLa Meuse est un axe de pénétration géostratégique dans la direction d’Aix-la-Chapelle, capitale symbolique du Saint-Empire : ce qui explique les tentatives répétées de Richelieu pour acheter la neutralité de la Principauté épiscopale de Liège et l’entêtement des Néerlandais du Nord, et plus tard des Prussiens, de conserver la place forte de Maastricht, de la soustraire aux Français ou à une Belgique qui serait inféodée à la France. La brochure de J. Mercier est un survol assez bref de la situation géopolitique des Pays-Bas et, plus particulièrement, de la fatal avenue, que leur portion méridionale allait devenir au cours de l’histoire. Le contenu de cette brochure mériterait d’être étoffé de bon nombre de faits historiques sur la période bourguignonne, sur le régime espagnol du Duc d’Albe à 1713, sur la période autrichienne au 18ème siècle et sur les stratégies défensives au temps des conquêtes de la France révolutionnaire, jusqu’à l’ultime bataille de Waterloo en juin 1815.

Dans la production littéraire et historiographique du mouvement flamand existe un gros volume, aujourd’hui oublié, dû à la plume de Maurits Josson et datant de 1913 ; cet ouvrage copieux et dense récapitule toutes les batailles qui ont été livrées pour contenir, avec des fortunes diverses, les invasions venues du Sud. Le livre a été publié juste avant la mort de Josson et le déclenchement de la première guerre mondiale. Josson était une figure intéressante de son époque, de la Belgique d’avant 1914 : il devint célèbre comme reporter pendant la guerre des Boers en Afrique du Sud, devenant dans la foulée un critique virulent de l’impérialisme britannique dans le cône austral du continent noir. Son étude en trois volumes de la révolte belge de septembre 1830 (« de Belgische Omwenteling ») et de ses prolégomènes mérite toute notre attention si nous voulons approfondir la géopolitique des Pays-Bas du Sud. Son livre sur « la France comme ennemis pluriséculaire de la Belgique » a été écrit, notamment, quand sévissaient de houleux débats dans le parlement belge sur la question des chemins de fer entre Bruxelles et Liège et entre Liège et l’Allemagne. Les Français avaient exercé une pression économique et menacé la Belgique de guerre si les chemins de fer et l’industrie belge de l’acier étaient reliés aux lignes ferroviaires allemandes, donc à la région de la Ruhr, et si la ligne Cologne-Liège était prolongée jusqu’à Bruxelles et Anvers. Nous retombons ici dans une problématique toute actuelle : la construction de chemins de fer et l’établissement de communications terrestres, ajoutant de la qualité à un espace, quel qu’il soit, suscitent encore et toujours la méfiance, notamment, aujourd’hui, à Washington parce que les politiques de développement en ces domaines viennent désormais de Chine. Ici, une fois de plus, Richard Henning, a raison dans sa méthode : l’organisation de toutes formes de réseaux de communication détermine la géopolitique d’un pays et aussi les réactions de ses ennemis, même s’ils appartiennent à la même « race ».

Day-of-the-Saxon-1.jpgImmédiatement avant la première guerre mondiale, en 1912, meurt une autre figure importante de la pensée géopolitique concernant nos régions : Homer Lea, auteur de The Day of the Saxon. Lea avait été un élève handicapé de West Point qui avait su maîtriser avec brio toutes les disciplines théoriques de sa célèbre école militaire mais ne pouvait évidemment pas servir sur le terrain, au sein d’un régiment, vu son pied bot. Il fut actif en Chine pour soutenir le mouvement modernisateur de Sun Ya Tsen dans l’espoir de faire éclore une alliance durable entre l’Empire du Milieu, devenu république moderne, et les Etats-Unis. Son livre me parait, à moi comme au stratégiste suisse Jean-Jacques Langendorf, aussi important que le texte de Mackinder où le géographe écossais esquisse la dualité terre/mer et jette les fondements de la géostratégie globale des puissances anglo-saxonnes. Dans The Day of the Saxon, Lea explique comment la Grande-Bretagne et les Etats-Unis doivent, en toutes circonstances, empêcher la Russie de dépasser la ligne Téhéran/Kaboul. L’état actuel de conflictualité diffuse entre la telluricité russe et le thalassocratisme anglo-saxon depuis 1979, qui a commencé dès l’intervention soviétique en Afghanistan, est donc une application du précepte préconisé par Lea dans son livre, puisque l’Armée rouge de Brejnev avait franchi cette ligne fatidique. Pour ce qui concerne les Pays-Bas, les Low Countries, Lea a esquissé, bien avant les coups de feu de Sarajevo, les raisons d’une future guerre anglo-allemande, que Londres, à ses yeux, devait impérativement mener : les côtes de la Hollande, de la Belgique et du Danemark ne peuvent en aucun cas tomber entre les mains des Allemands et les « Saxons » doivent s’apprêter à défendre la France contre l’Allemagne pour que les ports de Dunkerque et de Calais ne soient pas occupés par la Kriegsmarine et pour que les armées du Kaiser ne prennent pas pied en Normandie sur les côtes de la Manche. Il était évident, dès lors, que l’Angleterre allait combattre l’Allemagne si celle-ci violait la neutralité belge ou néerlandaise. Pour la Belgique, une telle violation, en fait, n’avait guère d’importance puisque, de facto, elle faisait partie de la Zollunion allemande, de même que les Pays-Bas. A la limite, elle pouvait récupérer les départements du Nord et du Pas-de-Calais, perdus depuis le 17ème siècle. En revanche, pour le Congo, c’était une autre histoire : le Roi Albert I ne pouvait accepter le transit des troupes allemandes vers la France car, dans ce cas, les Anglais auraient immédiatement occupé le Congo et plus particulièrement le Katanga, tout simplement parce que cette province, riche en mines de cuivre, formait surtout un obstacle territorial au grand projet de Cecil Rhodes, celui de relier le Cap au Caire par une même ligne de communications terrestres. Il y avait aussi un précédent que méditaient les chancelleries : les colonies hollandaises du Cap, de l’Ile Maurice et de Ceylan avaient été envahies et annexées au moment où Napoléon Bonaparte avait transformé les Pays-Bas du Nord en une série de départements français, prétextant que le territoire de la Hollande était français puisqu’il provenait d’alluvions de fleuves français.

Pour résumer la problématique :

Les Français veulent contrôler le Rhin et utiliser le cours de la Meuse pour réaliser un des objectifs éternels de leur politique : être présents en Mer du Nord, au nord du Pas-de-Calais, ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire, puisque le Comté de Flandre, initialement fief français qui leur donnait accès à cette mer tant convoitée, s’est toujours montré rebelle et rétif.

bimrgg.jpgLes Allemands veulent contrôler les côtes de la Mer du Nord et, éventuellement, celles de la Manche ; pendant la première guerre mondiale, ils développent considérablement les infrastructures des ports flamands d’Ostende et de Zeebrugge ; leur objectif est donc de déboucher également dans la Manche pour avoir meilleur accès à l’Amérique. C’était déjà le but de Maximilien de Habsbourg, époux de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Hardi dit le Téméraire, à la fin du 15ème siècle, avant même la découverte du Nouveau Monde par Colomb ; Maximilien avait voulu contrôler la Bretagne, excellent tremplin vers l’Amérique, en en épousant la duchesse et en liant cette péninsule armoricaine aux Pays-Bas.

Les Anglais ne voulaient à aucun prix qu’Anvers, Flessingue et le « Hoek van Holland » ne tombent aux mains des Français ou des Allemands car la possession de ces ports par une puissance dotée d’un vaste hinterland continental est, pour eux, un cauchemar, celui de voir, comme au 17ème siècle, un nouvel amiral de Ruyter partir d’un port néerlandais pour atteindre Londres en une seule nuit (au temps de la marine à voiles). Les Pays-Bas, du Nord comme du Sud, doivent donc demeurer divisés et « neutralisés », c’est-à-dire ne rejoindre aucune alliance trop étroite avec la France ou avec l’Allemagne, selon l’adage latin Divide ut impera, que l’Angleterre conquérante n’a jamais cessé de vouloir concrétiser, partout sur le globe.

J’ai esquissé, trop brièvement, j’en ai bien conscience, le cadre initial, au départ duquel nous devons articuler nos réflexions d’ordre géopolitique, en récapitulant les voies globales qui furent jadis ouvertes à partir de notre espace, défini par Pye : vers l’Atlantique Nord en suivant les bancs de morues, vers l’Arctique à partir de la découverte, par les Scandinaves, des Iles Svalbard, porte d’entrée de l’Arctique, vers tous les comptoirs de la Hanse et, par la Manche, vers les ports de la partie septentrionale de la péninsule ibérique et du Portugal et, de là, à partir de la découverte de l’Amérique par Colomb, vers l’Amérique du Sud et l’Antarctique, sans oublier le désir des Croisés, des Ducs de Bourgogne et des Rois d’Espagne de rouvrir les routes de la soie, maritimes et terrestres vers la Chine, en ancrant une présence hispano-habsbourgeoise dans le Pacifique, ce que n’ont jamais omis non plus les futurs Etats contemporains de nos Pays-Bas divisés, en Insulinde par le biais de la colonisation nord-néerlandaise, en Chine et au Japon par la voie d’une diplomatie belge, du moins quand elle n’était pas encore totalement inféodée à l’atlantisme, incluse dans le « Spaakistan » comme le rappelle le Prof. Rik Coolsaet de l’Université de Gand.

Donc les questions qui se posent à nous aujourd’hui sont les suivantes :

  • Devons-nous participer ou non à une nouvelle dynamique qui se dessine en Europe centrale et en Europe orientale et cela, sans aucune limite ?
  • Devons-nous participer à l’élaboration de nouvelles voies de communication, selon le projet chinois de la « Route de la Soie », tout en tenant compte du fait bien évident que les ports de Rotterdam et d’Anvers sont les ports les plus importants qui réceptionnent de nos jours les marchandises importées de Chine et, simultanément, les ports les plus importants d’où partent les marchandises européennes exportées vers la Chine, situation qui se confirmera, a fortiori quand la route arctique sera bientôt ouverte ?
  • Devons-nous encore et toujours dépendre mentalement de l’idéologie occidentale, qui nous empêche, de commercer normalement avec la Russie, qui fut, pour la Belgique, le principal partenaire commercial avant 1914, qui a fait de la Belgique un pays très riche avant le cataclysme de la première guerre mondiale ?
  • Devons-nous opter avec l’Amérique, une Amérique avec ou sans Trump, pour l’isolement atlantique au détriment de toute coopération eurasiatique ?
  • Devons-nous développer une géopolitique originale, pour le bénéfice de nos bas pays, où l’historien et le géopolitologue doivent coopérer pour additionner tous les faits qui, au fil des siècles, se sont avérés positifs pour nos régions et pour vulgariser ces perspectives innovantes de façon à ce qu’elles se diffusent dans la population et chez les décideurs ?
  • Devons-nous nous souvenir ou devons-nous oublier que nous fîmes partie de l’Empire de Charles-Quint et, du moins pour les Pays-Bas du Sud, de l’empire espagnol en Amérique et dans le Pacifique, sous les règnes de Philippe III, Philippe IV et Charles II, et que nous fûmes actifs sur toutes ces parties du globe, en n’oubliant pas non plus que le Père Ferdinand Verbist fut le principal ministre de la Chine du 17ème siècle ?
  • Devons-nous oublier et abandonner ce tropisme chinois qui fut toujours, tacitement, un désir fécond de la politique et de la diplomatie belges ?
  • Devons-nous aussi oublier que nous avons tous vécu de formidables aventures en Indonésie, dans le Pacifique et dans les Amériques, que ce soit sous la bannière catholique ou réformée et que nous avons été des acteurs féconds dans tous les coins du monde (cf. : « Vlaanderen zendt zijn zonen uit ») ?

Voilà donc les questions que nous devons nous poser, auxquelles nous devons répondre, positivement et activement, tant que nous sommes en vie, tant que nous sommes actifs pour le bien-être de nos peuples.

Je vous remercie pour votre attention.

Robert Steuckers,

17 novembre 2018.

Sur le même sujet, à lire: http://robertsteuckers.blogspot.com/2018/06/geopolitique-de-la-belgique.html

 

 

mardi, 20 août 2019

Une biographie de l'écrivain nationaliste belge Pierre Nothomb par Lionel Baland

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Une biographie de l'écrivain nationaliste belge Pierre Nothomb par Lionel Baland

L'historien liégeois Lionel Baland, spécialiste des mouvements nationaux et identitaires en Europe cliquez ici, vient de publier aux Editions Pardès une biographie de son compatriote belge au parcours atypique Pierre Nothomb.

Pierre Nothomb naît en Belgique en 1887. Il y étudie le droit et devient avocat. Démocrate-chrétien avant la Première Guerre mondiale, il combat au début du conflit dans la garde civique. Actif à partir de 1915 au sein des cercles gouvernementaux belges en exil en France, il est un des propagandistes du nationalisme belge et milite pour la réalisation, à l’issue de la guerre, d’une Grande Belgique résultant de l’annexion du Luxembourg, d’une partie des Pays-Bas et d’une partie de l’Allemagne.

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Au cours des années 1920, ami et adepte de Benito Mussolini – ses adversaires le surnomment Mussolinitje (« petit Mussolini ») –, Pierre Nothomb dirige les Jeunesses nationales, qui affrontent physiquement socialistes, communistes et nationalistes flamands. Après avoir pris part aux débuts du rexisme aux côtés de Léon Degrelle, il rejoint le Parti catholique et, en 1936, devient sénateur.

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Auteur de nombreux ouvrages, il est, jusque l’année précédant son décès survenu en 1966, sénateur du Parti Social-Chrétien. Son fils, Charles-Ferdinand, devient vice-Premier ministre, président de la Chambre des députés et président du Parti Social-Chrétien. Son arrière-petite-fille est la romancière Amélie Nothomb.

Ce « Qui suis-je ? » Pierre Nothomb présente l’écrivain et l’homme politique nationaliste et catholique dont la vie est liée de manière intime à celle de son pays, la Belgique, et à la terre de ses ancêtres.

Citation : « Une nation tranquille, endormie dans la paix et n’ayant d’autre orgueil, semblait-il, que sa richesse, sentit tout à coup peser sur elle la plus formidable menace. Cette guerre, qui devait l’épargner […], elle allait en être la première victime. L’odieux ultimatum allemand lui demanda l’Honneur ou la Vie. Elle répondit : la Vie. » (Les Barbares en Belgique.)

L’auteur : Lionel Baland est un écrivain belge francophone, quadrilingue, spécialiste des partis patriotiques en Europe et du nationalisme en Belgique.

Pierre Nothomb, Lionel Baland, Pardès, collection "Qui suis-je ?", 2019, 12 euros

vendredi, 15 mars 2019

Entretien avec Christopher Gérard

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Entretien avec Christopher Gérard

Propos recueillis par Pierre Saint-Servan

Ex: http://archaion.hautetfort.com

Au mois de mars MMXV, à l’occasion de la réédition de mon roman Le Songe d’Empédocle, j’avais répondu aux questions de Pierre Saint Servan, critique littéraire et journaliste à Novopress. En voici le texte légèrement remanié.

Vous écrivez de votre héros, le jeune Padraig, « à quinze ans, il était déjà un émigré de l’intérieur ». Qu’a donc ce monde moderne pour susciter ainsi chez les esprits les plus vifs ou les plus sensibles un tel sentiment de rejet ? Ou peut-être que n’a-t-il pas ?

ob_c66c12_empedocle-gerard.jpgComme le remarqueront les lecteurs du Songe d’Empédocle, le jeune Padraig est du genre à avoir « la nuque raide », pour citer l’Ancien Testament, une fois n’est pas coutume. Je veux dire que ses origines hiberniennes et brabançonnes ne prédisposent en rien cet homme archaïque à la soumission, fût-elle grimée en divertissement festif, ni à la docile acceptation des dogmes, quelle que soit leur date de fabrication. Druide et barde à la fois, il ne peut que suffoquer dans l’étouffoir spirituel que représente son époque, définie en ces termes  par le regretté Philippe Muray : « Le grand bain multicolore du consentir liquéfiant ».

Eh bien, le Vieil-Européen qu’est Padraig ne consent ni ne baigne ! Il surnage en recrachant une eau souillée. L’inversion des valeurs, l’ostracisme contre toute verticalité, le règne des parodies, la prolétarisation du monde meurtrissent ce clerc obligé de vivre dans une clandestinité supérieure.

Vous le savez aussi bien que moi : il n’est jamais drôle de participer au déclin d’une civilisation. Dans son Introduction à la métaphysique, Martin Heidegger dit l’essentiel sur l’âge sombre qui est le nôtre : « Obscurcissement du monde, fuite des Dieux, destruction de la terre, grégarisation de l’homme, suspicion haineuse envers tout ce qui est créateur et libre ».

N’oublions pas non plus que notre ami Padraig vit à Bruxelles, capitale de la Fédération, dont la bureaucratie tentaculaire construit ce trou noir où s’évapore l’homme de chair et de sang…

Alors qu’elles irriguent toute votre œuvre et – nous le devinons – toute votre vie, comment fûtes-vous confronté à la culture antique et aux traditions européennes ? Cette eau irriguait-elle encore votre famille ou avez-vous dû remonter à contre-courant jusqu’à la source ?

La Belgique, nos voisins français l’ignorent souvent, est un pays fort singulier, difficile à comprendre, car encore très médiéval, traversé de clivages qui peuvent (à tort) prendre l’apparence de frontières : la langue, l’argent (comme partout), la sensibilité philosophique. On appartient au réseau catholique, soit au réseau laïc – ce qui conditionne le choix de l’école, de l’université, et donc du milieu fréquenté. Du conjoint aussi. Né dans un milieu déchristianisé depuis le XIXème siècle – des socialistes purs et durs qui, en 1870, par solidarité avec la Commune, descendirent dans la rue avec le drapeau rouge – je suis le fruit de l’école publique, et fier de l’être. J’ai étudié à l’Université de Bruxelles, créée peu après notre indépendance en réaction à la mainmise du clergé sur l’enseignement.

Par tradition familiale et scolaire, j’appartiens à ce milieu anticlérical (mais non plus socialiste, même si mon grand-père était, comme tant d’autres anciens combattants, monarchiste de gauche) qui a ses ridicules et ses grandeurs, comme la bourgeoisie catholique. Dès l’âge de douze ans, j’ai eu la chance d’étudier le latin à l’athénée (et non au collège – clivage oblige), un latin exempt de toute empreinte chrétienne : l’Antiquité, la vraie, la païenne, m’a donc été servie sur un plateau d’argent par des professeurs d’exception, de vrais moines laïcs que je ne manque jamais de saluer. Comme en outre, j’ai participé dès l’âge de treize ans à des fouilles archéologiques dans nos Ardennes, le monde ancien m’a très vite été familier.

source.jpgJ’en parle dans La Source pérenne, qui retrace mon itinéraire spirituel : en dégageant les ruines d’un sanctuaire païen du Bas Empire, en nettoyant tessons et monnaies de bronze portant la fière devise Soli invicto comiti, en reconstruisant les murs du fanum gallo-romain (car en plus d’être terrassier, j’ai aussi joué au maçon – l’archéologie comme humanisme intégral), j’ai pris conscience de mon identité profonde, antérieure. Ce paganisme ne m’a pas été « enseigné » stricto sensu puisque mon entourage était de tendance rationaliste. Je l’ai redécouvert seul… à moins que les Puissances – celles du sanctuaire ? – ne se soient servies de moi. Les lectures, les fouilles, le goût du latin puis du grec, des expériences de type panthéiste à l’adolescence dans nos forêts, tout cela a fait de moi un polythéiste dès l’âge de seize ans. Depuis, je n’ai pas dévié et n’ai aucunement l’intention de le faire : je creuse mon sillon, en loyal paganus.

Pendant près de dix années, vous avez repris le flambeau de la revue polythéiste Antaios. Dans quel esprit avez-vous plongé dans cette aventure ?

Durant mes études de philologie classique, j’avais découvert un exemplaire d’Antaios, la revue d’Eliade et de Jünger (1959-1971). Sa haute tenue, l’éventail des signatures (de Borges à Corbin) et cette volonté de réagir contre le nihilisme contemporain m’avaient plu. A l’époque, au début des années 80, le milieu universitaire se convertissait déjà à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « politiquement correct », expression confortable et passe-partout à laquelle je préfère celle d’imposture matérialiste et égalitaire, plus offensive. L’aventure d’Antaios(1992-2001) est née d’une réaction à l’imposture ; elle constituait, oui, une offensive. Minuscule, périphérique, mais réelle et qui, j’en suis certain, a laissé des traces.

61dAamQeBPL.jpgEn 1992, comme il n’existait aucune revue sur le paganisme qui correspondît à mes attentes de rigueur et d’ouverture, j’ai décidé de relancer Antaios, deuxième du nom, dans le but de défendre et d’illustrer la vision païenne du monde, et aussi, je le concède, de me faire quelques ennemis. Jünger m’a écrit pour m’encourager ; il me cite d’ailleurs dans l’ultime volume de ses mémoires, Soixante-dix s’efface. Pour son centième anniversaire en 1995, je lui ai fait parvenir la réplique en argent de la rouelle gallo-romaine qui servait d’emblème à Antaios.

L’esprit de la revue, que j’ai dirigée de manière autocratique, se caractérisait par une ouverture tous azimuts – ce qui m’a été reproché à ma plus profonde jubilation. Le franc-maçon progressiste côtoyait l’anarchiste déjanté et le dextriste ; l’universitaire frayait avec le poète : de Jean Haudry, sanskritiste mondialement connu, à Jean Parvulesco, l’ami d’Eliade et de Cioran, tous communiaient dans une quête des sources pérennes de l’imaginaire indo-européen, de Delphes à Bénarès. Seule l’originalité en ouvrait les portes, ainsi que la fantaisie et l’érudition. Jamais l’esprit de chapelle. Ce fut un beau moment, illustré par les trois aréopages parisiens, où nous reçûmes des gens aussi différents que Michel Maffesoli ou Dominique Venner. Je suis particulièrement fier des livraisons consacrées à Mithra, aux Lumières du Nord. Quand je suis allé aux Indes et que j’ai montré Antaios à des Brahmanes traditionalistes, j’ai eu la joie d’être approuvé avec chaleur.

Ce n’est pas vous faire insulte que de noter que votre goût ne vous porte pas vers la sphère politique. Vous préférez regarder le monde avec l’œil du philosophe et de l’esthète détaché. Considérez-vous que l’ensemble des conflits actuels, des luttes humaines peuvent finalement être ramenées au combat primordial du Beau contre le laid ?

Le faux n’est jamais beau, le laid jamais vrai : telle est la loi du Dharma, l’ordre naturel des choses. Il serait toutefois réducteur de tout interpréter selon ce prisme, même si cette dimension n’est pas absente de l’incessant polemos… auquel je prends part à ma manière, car l’écrivain n’est jamais « détaché » de son peuple ni de son temps. D’où mon intérêt pour la géopolitique et pour l’histoire comme art de décoder l’actualité, comme technique de résistance aux propagandes les plus sournoises. Si l’esthète peut lui aussi être un combattant, ne fût-ce que par une posture refusant le relâchement général, le consommateur, lui, ne se hausse jamais à ce niveau. Toutefois, vous avez raison, la posture du militant n’est pas la mienne… même si je me considère d’une certaine manière comme un soldat métapolitique au service d’une idée de la civilisation européenne, dont le déclin programmé me crucifie. Soldat de l’Idée, d’accord, mais pas dans une unité régulière. A chacun de servir à sa manière, du mieux qu’il peut. Moi, c’est comme électron libre.

Je n’ai pas hésité à écrire ailleurs que votre songe d’Empédocle me semblait voisin et frère des grandes aventures adolescentes de la collection Signe de Piste. Je pense notamment à la saga du Prince Eric et au Foulard de Sang. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Louis Foncine était un fidèle abonné d’Antaios, que je retrouvais à divers colloques dans les années 90. Un gentilhomme d’une politesse exquise, Croix de Guerre 39-40, qui m’avait offert Un si long orage, ses mémoires de jeunesse (il avait vécu le bombardement de Dresde). Je dois toutefois préciser que je n’ai jamais lu une ligne de cette littérature qui, dans les athénées belges en tout cas, est connotée « collège », donc bourgeoisie bien-pensante : a priori, ces beaux jeunes gens si blonds, si proprets et leur chevalerie un peu ambiguë ne m’inspirent guère. Moi, je lisais plutôt Jules Verne et Alexandre Dumas, Tintin, Blake et Mortimer… Si vous cherchez des sources au Songe d’Empédocle, voyez plutôt du côté de Hesse et Jünger, de Lawrence et Yourcenar. Le regretté Pol Vandromme, qui m’aimait bien, avait comparé Le Songe d’Empédocle aux « réussites majeures d’André Fraigneau », un auteur qui a illuminé mes années d’étudiant.

Dans un récent échange avec Alain de Benoist, celui-ci envisageait que les luttes idéologiques soient de plus en plus attirées sur un plan secondaire et que ce sont les modes de vie, les incarnations qui pourraient faire échec au chaos « des adorateurs de la matière et [des] serviteurs de l’or ». Cette approche du « grain de sable » vous est-elle familière ?

Oui, vivent les grains de sable, qui rayent les dentiers ! Leurres et simulacres peuplent en effet notre modernité finissante, où règnent la futilité et le mensonge. Regardez l’Ukraine : même l’identité nationale peut être manipulée au service de l’hyperpuissance…

Le règne des médias menteurs et des images trafiquées pollue tout, y compris et surtout la langue française, notre bien le plus précieux. En tant que philologue, ancien professeur de latin et de français, en tant qu’écrivain, membre de cette pluriséculaire légion étrangère qui tente de servir la langue française avec honneur et fidélité, je ne puis qu’être horrifié par les distorsions démoniaques que les agents du système lui font subir. Au point de ne jamais regarder la télévision, de ne pas écouter la radio, de lire très peu de journaux, depuis bientôt trente ans. La plupart des débats avec leurs slogans truqués et leurs fausses lignes de fracture me soulèvent le coeur. Dès les premières lignes, je perçois chez un confrère à quelles sources il s’abreuve, s’il résiste ou non à la mise au pas, s’il fait partie des Véridiques, les seuls que je respecte. Pour ma part, je tente, non sans peine, de préserver mes yeux, mes oreilles, tant je sais la laideur contagieuse. Il y a une phrase du génial penseur colombien Gomez Davila qui synthétise à merveille cette vision : « Seuls conspirent efficacement contre le monde actuel ceux qui propagent en secret l’admiration de la beauté ».

19957851115.jpgVous citez volontiers Ernst Jünger parmi vos maîtres, vos créanciers spirituels. Comment avez-vous rencontré son œuvre ?

Par les Orages d’acier, magnifique journal des tranchées, que j’ai lu étudiant. Par Les Falaises de marbre – un livre talisman pour moi. Puis par les Journaux parisiens, lus à l’armée, et ensuite tout le reste.

Si vous deviez retenir trois grandes idées ou visions dans la cohorte de ses essais, journaux et correspondances, quelles seraient-elles ?

Les idées ne m’intéressent guère : j’imagine le jeune biologiste à Naples avec son nœud papillon, le capitaine de la Wehrmacht qui sauvegarde des archives pendant la Campagne de France, l’entomologiste aux cheveux blancs, le centenaire qui grille une cigarette dans son jardin… Il y a quelque chose de magique chez cet homme. Une lumière intérieure, une probité, une classe. Voyez le buste qu’en a fait Arno Breker : impérial.

Si Ernst Jünger est reconnu – peut-être plus en France qu’en Allemagne – comme un auteur majeur du XXème siècle, il est peut être d’autant plus extraordinaire par l’exemplarité de sa vie. Sa « tenue » comme dirait Dominique Venner. Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr ! Comment ne pas être séduit par la haute tenue de l’homme, sa noblesse si visible, qui font de lui un modèle d’altitude. Un seigneur, subtil et érudit, sensible et lucide. Rara avis !

Ceux qui envisagent l’œuvre de Jünger de manière trop figée, comme l’Université y invite souvent, y découpent facilement des blocs (l’élan guerrier, l’exaltation nationaliste, l’admiration pour la technique puis sa critique, le retrait de l’anarque …). Jünger n’est-il pas tout simplement Européen, c’est-à-dire déterminé à faire naître de la confrontation des actes et des idées un dépassement par le haut. Ce qu’il semble avoir pleinement réussi en un siècle de vie…

Jünger est un seigneur, qui n’a pas dérogé. Pour ma part, c’est davantage l’observateur des hommes et de la nature, le capitaine des troupes d’occupation qui salue l’étoile jaune, le conjuré de 44, le subtil diariste qui me séduisent. Le romancier de Sur les Falaises de marbre, qui nargue un régime sombrant dans la folie furieuse – les massacres de Pologne et d’ailleurs. L’anarque, en un mot. Le théoricien de la technique, le nationaliste des années 1920 ne m’intéressent qu’à titre anecdotique.

Ce qui est souvent passé au second plan lorsque l’on évoque Jünger est son rapport extrêmement profond, amoureux, mystique avec la nature. Sa passion entomologique n’est nullement anecdotique. Il semble nous enseigner qu’en toutes circonstances, la contemplation de la nature suffit à nous ramener aux vérités premières…

C’est un trait de caractère éminemment germanique, cette tendresse pour la nature, cette vision panthéiste du monde.


En faisant renaître la revue Antaios, vous avez été régulièrement en contact avec le sage de Wilflingen, quels souvenirs conservez-vous de ces échanges ?

J’ai quelques cartes et lettres, un livre hors commerce dédicacé d’une splendide écriture, Prognosen. Une citation dans son Journal – ce qui ne me déplaît pas. Une carte postale à son image qu’il m’écrivit pour ses cent ans : l’écriture en est d’une absolue netteté. Ferme, comme celle de Dominique Venner sur sa lettre d’adieu, envoyée le jour de sa mort volontaire…

Permettez-moi de soumettre à l’auteur du Songe d’Empédocle ces quelques mots : « On ne peut échapper à ce monde. Ici ne s’ouvre qu’un seul chemin, celui de la salamandre, qui mène à travers les flammes »

Belle illustration de la tension tragique, que je fais mienne.

jeudi, 21 février 2019

Gaston Compère et Charles le Hardi, dit le Téméraire, Grand-Duc d'Occident

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Gaston Compère et Charles le Hardi, dit le Téméraire, Grand-Duc d'Occident

par Ivan de Duve

Duc de Bourgogne après Philippe le Hardi, premier Valois de Bourgogne, Jean sans Peur, Philippe le Bon qui fonda l’ordre de la Toison d’Or et fut l’un des princes les plus puissants de son temps, Charles le Téméraire (1433-1477) ne laisse qu’une fille pour héritière, Marie de Bourgogne, qui épousa Maximilien d’Autriche et offrit au comte du Brabant la très jolie petite église de Haren.

gc-chT.jpgJ'avais en mémoire le Charles le Téméraire décrit par Marcel Brion en 1977. Gaston Compère me le décrit sous un autre angle. Un angle que je préfère. Écrit à la première personne du singulier, Je soussigné, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne est un roman tout comme Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie de Jean Raspail est un roman Celui de Gaston Compère est aussi différent de la biographie de Marcel Brion, parue sous le titre Charles le Téméraire, que celui de Jean Raspail l’est de celle de Saint-Loup Le roi blanc des Patagons.Avec Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar avait porté le roman biographique à sa perfection ; avec Je soussigné, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, Gaston Compère fait voler en éclats la biographie romanesque. Né en Wallonie en 1929, cet écrivain s’avère visionnaire. Il investit l’âme du Téméraire, qui n’aimait pas son nom et qui eût préféré celui de Charles le Hardi.

Nous nous trouvons ici devant un petit bijou. Compère a trouvé le ton juste pour nous parler de ce destin vécu à la frontière du Moyen Âge et de la Renaissance. Dernier des quatre ducs qui se sont succédé à Dijon, notre héros avait le génie d’entreprendre mais n’a pas eu le talent de conserver. Au matin de la bataille de Nancy, le lion qui se détache de son cimier à la bataille de Nancy, et tombe dans la boue finit par rouler vers le néant.

Nous assistons à la mort de la Bourgogne , de cette Bourgogne occupée d’abord par les Éduens, ensuite par les Burgondes qui s’y établirent au milieu du Vième siècle, pour se trouver,  par le traité de Verdun en 843 lors du partage de l’empire de Charlemagne, dans la part de Charles le Chauve et non pas dans celle de Lothaire Ier ! Avant sa mort, Charles le Chauve crée un duché de Bourgogne géré par Philippe le Hardi, premier Valois de Bourgogne, par Jean sans Peur, par Philippe le Bon qui fonde l’ordre de la Toison d’Or et devint l’un des plus puissants princes de son temps pour se trouver enfin entre les mains de Charles le Téméraire (1433 – 1477).

Dans le roman de Gaston Compère, c’est Charles le Téméraire qui parle, qui pense, qui réagit, qui, comme l’écrit si joliment Benoît Ducarme, nous donne une épine dorsale. Et il pense juste. À lire Compère, l’on comprend mieux la rivalité qui oppose ce grand duc de Bourgogne à Louis XI, roi de France, surnommé l’universelle aragne, ancêtre des jacobins. Et l’on comprend mieux la naissance du mythe bourguignon.

Un autre livre, celui de Drion du Champois, l’ancêtre en géopolitique de notre Robert Steuckers, infatigable animateur des Synergies Européennes, appelle à restaurer l’ancienne Lotharingie en y incorporant non seulement les Bourguignons mais également les Suisses, les Lombards et les Autrichiens. Compère démontre que l’objectif du duc était de forger cette alliance continentale qui deviendra réalité avec Charles-Quint né vingt trois ans après le décès du Téméraire et qui fut empereur germanique de 1519 à 1558.

Il reste, nous dit Benoît Ducarme, il reste à méditer cette phrase prononcée par le personnage mort du Duc « L’histoire de ma vie ne fera vivre personne. Tout au plus ferai-je naître dans l’imagination de certains de grands et fertiles mouvements. Cela suffit ». 

gastoncompère.jpgCela suffit peut-être mais je ne peux m’empêcher de citer ici quelques perles qui font à la fois comprendre l’esprit qui anima Charles le Téméraire et l’immense talent de Gaston Compère.

« Les peuples ont une merveilleuse propension à confondre la casse et le séné. Et que dire des érudits qui se prennent pour des oracles ? Pour moi, j’aurai passé sur la Terre sans que nul ne sache qui j’ai été, sans que j’aie rien fait pour qu’on le sache ».

« Et ce désir de la croisade, je sais maintenant qu’il n’était qu’un signe, celui qu’il me fallait partir pour partir, à la recherche de je ne sais quoi et qui me dépassait ».

« L’impossible est de refuser notre destin ; l’abominable, de l’accepter. Je viens de dire un de mes secrets, et sans doute le plus ancré et le plus amer ».

«  La Chevalerie avait perdu cet idéal qui avait fait d’elle une institution incomparable dont mes rêves s’étaient nourris, cet idéal qui se nourrissait au plus vif de la foi, de l’espérance et de l’amour. Toute ma jeunesse s’est abreuvée aux romans de chevalerie. S’il vint un jour où je les abandonnai, c’est qu’ils m’avaient donné toute leur substance. J’y avais trouvé ceci à quoi je comptais consacrer mon règne : l’établissement de la justice, la défense des pauvres, la pratique de la loyauté, de la bravoure et de la courtoisie. Je rêvais, on devine que je rêvais ».

« Il me plairait de croire que je vivais dans un monde où les êtres échangeaient des signaux dont il n’était pas un qui ne fût éclairant ».

« J’écoutais, pour me parfaire, d’autres voix –de celles qui parlent d’ailleurs et de plus haut que moi. Notre vie est ailleurs, je le sais.les hommes s’en doutent obscurément, à leurs heures privilégiés ».

« À chacun son devoir, et que, dans sa pratique, rien ne soit laissé au hasard ».

« On reconnais l’homme que je suis. Cet homme à la hauteur des vignerons dijonnais et des marchands brugeois. Cet homme à la hauteur de l’homme ».

« Mon père se tenait pour plus que roi. Bon sang ne peut mentir. Qu’on me tienne pour plus qu’empereur. Et que l’empereur lui-même vienne mendier à ma porte. Ma faute crève les yeux : d’avoir tenu le rôle que j’aurais voulu voir jouer à l’empereur. Impatience. Sombre impatience ».

« Nous ne croyons pas avoir jamais rien fait qui ait pu nous mériter de perdre l’amour ou la fidélité de notre peuple ».

« Il n’est rien sous le soleil que l’homme n’ait profané ; mais le soleil reste de la plus éclatante pureté ».

« Je pensais sortir violemment de moi-même. Il n’en fut rien. Je ne pouvais m’empêcher de suivre un unique chemin, et je savais que, si j’étais parvenu à la quitter, il se serait, d’une façon inimaginable, détourné de son tracé pour se replacer sous mes pieds ».  

Ivan de Duve.

Gaston Compère, Je soussigné, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, Belfond 1985.

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mercredi, 09 janvier 2019

Entretien sur Le Prince d'Aquitaine - Trois questions à Christopher Gérard

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Entretien sur Le Prince d'Aquitaine

Trois questions à Christopher Gérard

Propos recueillis par Bruno Favrit

Ex: http://archaion.hautetfort.com

Le Prince d’Aquitaine est votre douzième livre et votre cinquième roman. Comment qualifier ce livre et, tout d’abord, pourquoi ce titre d’inspiration nervalienne ?

Vous avez raison de souligner l’origine du titre, qui évoque de manière explicite, par le biais d’une citation des Chimères, l’un des plus mystérieux poèmes de Nerval, et l’un des plus sublimes sonnets de notre littérature – El Desdichado : « Je suis le Ténébreux, - le Veuf, -l’Inconsolé, Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie ; ».

Le Prince d’Aquitaine est en fait un chevalier de la suite de Richard-Cœur-de-Lion, dépossédé (tel est le sens de l’espagnol desdichado) de son trône, celui de Castille, par Jean-sans-Terre.  Ce prince évincé se réfugie en Languedoc, si l’on en croit Walter Scott dans Ivanhoe, un roman de chevalerie qu’avait dévoré Gérard de Nerval. L’Aquitaine, ici, est une terre mythique, de même que le prince est légendaire. Le sonnet tout entier baigne dans une atmosphère mystique et hermétique qui a fasciné et continue de fasciner ses lecteurs. Le Prince d’Aquitaine incarne à mes yeux la solitude du chevalier médiéval, la lente remontée depuis le monde des Enfers d’un homme frappé par le cruel destin, mais qui survit à l’épreuve. Il faut aussi savoir que l’un des manuscrits du poème, celui qui appartint à Eluard, porte comme titre non pas El Desdichado, mais Le Destin.

Mon roman illustre le combat mené, entre misère et orgueil, entre la nuit la plus noire et le soleil le plus éclatant, par un jeune chevalier contre des destins contraires – j’insiste sur le caractère symbolique, et donc universel, du récit, qui ne se réduit pas à une banale autobiographie. D’où, je pense, son caractère anachronique au sens noble – à rebours du siècle. Le dernier mot du livre, katharsis, purification en grec ancien, rappelle qu’il s’agit d’une tragédie, qui, selon Aristote, se définit par la purification qu’elle impose au spectateur. Il s’agit bien d’un roman initiatique, doublé d’une description quasi clinique d’un phénomène de résilience -  comment d’anciennes cicatrices se referment, comment une armure muée en prison tombe en pièces, désormais inutile.

princed'aquitaine.jpgDans vos deux premiers romans, Le Songe d’Empédocle et Maugis (L’Age d’Homme), vos personnages sont en quête de sacré, à rebours d’une époque anémique. Dans Le Prince d’Aquitaine, le procédé semble différent, même si le lecteur n’en sort pas indemne. Qu’en est-il ?

Deux ou trois mots sur le roman proprement dit, pour éclairer le lecteur.

Le Prince d’Aquitaine  est un itinéraire affectif, esthétique et philosophique, qui s’étend sur un siècle, des tranchées de l’automne 1914 à nos jours. C’est aussi le dialogue d’un fils avec l’ombre de son père, qui trace un portrait parfois cruel du monde « d’avant » – celui des années 50 à 80.

On y lit des réflexions sur le dandysme, sur la vision tragique de l’existence, sur les blessures trans-générationnelles – un obus allemand occasionnant ici des plaies qui durent cent ans. Drieu, Stendhal, Léautaud sont convoqués. C’est le fruit de dizaines d’années d’observations, d’expériences et de réflexions, dans un esprit antimoderne.

Comme dans mes précédents romans, le sujet central est bien ce combat millénaire que se livrent les forces du chaos, ici incarnées par un personnage littéralement possédé, le père du narrateur, et celles de la lumière, ou, pour citer Empédocle d’Agrigente, Arès aux noires prunelles, figure de la Haine et de la division, et Aphrodite aux mille parfums, figure de l’Amour et de la concorde. Mon narrateur, né dans une famille éclatée, dévastée par le nihilisme contemporain, étouffe et risque de perdre le combat qu’il mène, d’abord de manière inconsciente dans son enfance, contre ces forces infernales. Tout le récit narre comment ce fils du Soleil triomphe, malgré les blessures, et regagne son royaume, évitant ainsi d’être stérilisé et de rejoindre le vaste troupeau des âmes mortes.

On trouve, au fond, dans votre roman une opposition entre la mémoire, la tradition, le sacré et ce que leur impose « l’époque » par ses injonctions modernistes et son mépris affiché envers qui prétendrait devenir ce qu’il est. Ce qui est fascinant, c’est de suivre le narrateur tout au long d’un parcours où il s’efforce de se construire face à un père fantasque, insaisissable, et qui ne ménage pas les siens. Derrière cette figure paternelle, il y a une tension, une tragédie, n’est-ce pas ?

Exactement. Un fils s’adresse au fantôme paternel non pour régler des comptes, mais pour les apurer et pour se libérer d’une ombre maléfique, car possédée par l’autodestruction, ici symbolisée par l’alcool.

Il ne s’agissait pas de déballer je ne sais quels banals secrets de famille, besogne dépourvue d’intérêt comme de tenue. Dans ce roman, qui est avant tout une construction littéraire, l’essentiel réside dans la colère froide du narrateur, dans la tension tragique vécue par une jeune âme qui tente de surnager face au courant qui l’emporte vers le gouffre. Pour reprendre la métaphore nervalienne, le « dépossédé » au sens de déshérité se lance à la reconquista de son royaume intérieur et devient ainsi ce qu’il est. Parfois, il faut le savoir, l’ennemi n’est pas au pied de nos murailles, mais dans la place, dans notre dos, voire en nous-mêmes !

Quand je parle d’héritage, je songe surtout à cet héritage immatériel que, pour la première fois dans l’histoire de notre civilisation, une génération d’ingrats refuse de transmettre par haine de soi. Et en même temps, le narrateur, de possédé au sens d’aliéné, devient « dépossédé » au sens de libéré. Cette tension dont vous parlez se résout par la joie tragique et grâce au triomphe de l’Amour.

Christopher Gérard

Propos recueillis par le confrère Bruno Favrit.

Août XVIII

dimanche, 30 décembre 2018

L’abbé Wallez, l’éminence noire de Degrelle et Hergé

Marcel Wilmet, écrivain et ancien journaliste, publie un ouvrage consacré à ce personnage et intitulé : L’abbé Wallez, l’éminence noire de Degrelle et Hergé.

Ce livre, qui émane d’un spécialiste de Tintin et de la bande dessinée, s’adresse également aux personnes qui s’intéressent au nationalisme belge et à son histoire. En effet, les deux pères du héros à la houppe – l’abbé Wallez et Hergé –, ainsi que Léon Degrelle, évoluent, pendant l’entre-deux-guerres, au sein du milieu qui véhicule ces idées politiques. Durant la IIe Guerre mondiale, ils appartiendront à la minorité des nationalistes belges qui navigueront dans les eaux de la Collaboration.

Sous la coupe de l’abbé Wallez

L’auteur décrit l’abbé : « Avec son mètre quatre-vingt-dix et ses plus de cent kilos, le nouveau patron du XXe Siècle en imposait et il en était parfaitement conscient. Dans sa soutane noire, Norbert Wallez, à l’époque âgé de 45 ans, déboulait dans les couloirs du journal, sa voix tonitruante résonnant dans l’ensemble du bâtiment situé au numéro 11 du boulevard Bischoffheim, près du jardin botanique à Bruxelles ».

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« D’emblée, Hergé peut aussi faire montre de sa maîtrise de la calligraphie lorsque Wallez lui demande de créer un nouveau logo pour le journal. Sous sa plume, Le XXe Siècle devient alors Le Vingtième Siècle, écrit en toutes lettres, titre nettement plus gracieux et dynamique ».

petit20.jpg« Les premières années de sa carrière de dessinateur, Hergé doit tout à son patron, sauf son talent bien entendu. Le directeur Wallez lui offrit des opportunités et le mentor Wallez lui prodigua de précieux conseils et d’indispensables encouragements. L’abbé le prit sous son aile et lui apprit qu’il devait être plus exigeant envers lui-même, qu’il devait davantage travailler à son développement spirituel, tenter de répondre à des normes morales toujours plus rigoureuses, mettre la barre toujours plus haut. C’est lui qui incita Hergé à inventer lui-même une histoire et à ne plus illustrer les idées des autres. Il l’encouragea à créer un petit personnage qui serait un exemple pour les jeunes lecteurs du journal. On peut dire que Wallez a été, avec Hergé, à l’origine de Tintin. Il est de notoriété publique que c’est lui, et non le dessinateur, qui a décidé d’envoyer le sympathique petit reporter successivement au pays des Soviets et au Congo, tout d’abord pour mettre les jeunes en garde contre les dangers du bolchévisme et ensuite pour leur montrer le formidable travail accompli par les missionnaires belges dans la colonie. Mais Wallez fit encore bien plus. Il fut le premier “agent littéraire” de Hergé et parvint à vendre les aventures de Tintin à l’étranger, plus précisément à l’hebdomadaire français Cœurs Vaillants dirigé par l’abbé Gaston Courtois, avec qui il était lié d’amitié et partageait les mêmes opinions conservatrices ».

WallezPqpas.jpgLe jeune Léon Degrelle publie des articles au sein du Vingtième Siècle sur les taudis, puis sur la situation des Cristeros, les paysans catholiques mexicains se soulevant contre le gouvernement anticatholique. Degrelle est appelé ensuite à exercer des fonctions ailleurs.

Wallez, ayant dénoncé des affaires qui touchent des membres de la mouvance politique catholique, est évincé de l’organe de presse qui appartient à ce milieu politique. Il devient prêtre à Aulne, un petit village, et ne fait plus parler de lui.

La germanité des Wallons

Si l’ouvrage a le mérite de réunir des connaissances accumulées sur la vie de Norbert Wallez, il présente aussi l’intérêt d’apporter un éclaircissement sur l’influence exercée par ce dernier sur le concept de germanité des Wallons, idée éminemment importante pendant la IIe Guerre mondiale au cours de laquelle la Belgique est occupée par un régime qui prône la supériorité des Germains. (Notons par ailleurs que la question de la germanité des Wallons sous-entend que les Wallons sont un peuple et que la Wallonie existe, ce qui est discutable).

Marcel Wilmet soumet au sein du livre l’hypothèse que l’abbé Wallez a insufflé l’idée de la germanité des Wallons à Léon Degrelle, qui l’a utilisée à des fins politiques en vue de séduire les dirigeants nationaux-socialistes. Il explique aussi comment l’abbé Wallez a influencé l’attaché culturel au sein de l’administration militaire allemande pour la Belgique occupée et le nord de la France, Franz Petri, auteur, avant-guerre, de l’ouvrage Germanisches Volkserbe in Wallonien u. Nord- frankreich (Patrimoine ethnique germanique en Wallonie et dans le nord de la France) (1), lu par Adolf Hitler le 5 mai 1942 (2).

Wilmet écrit que, durant la guerre, l’abbé Wallez revient sur le devant de la scène en prenant part en tant qu’orateur à cinq conférences sous l’égide de la Communauté Culturelle Wallonne (CCW), une organisation dont l’objectif est de resserrer les liens culturels entre la Wallonie et l’Allemagne :

« Le lundi 30 mars 1942, Norbert Wallez se retrouve sous les feux de la rampe à Liège où il est le dernier conférencier à prendre la parole lors du congrès de trois jours organisé par la Communauté Culturelle Wallonne (CCW), une organisation nationaliste ayant pour but de resserrer les liens culturels entre la Wallonie et l’Allemagne. La CCW avait été fondée par la Propaganda Abteilung allemande et était contrôlée par Franz Petri, un des principaux responsables de la politique culturelle allemande dans notre pays. Il reçut le nom de “pape culturel” du national-socialisme en Belgique. Lors du congrès, ce professeur allemand et officier siégeant au conseil de guerre de la Militärvervaltung (l’administration militaire) fit un exposé fort remarqué, avançant notamment que si la Belgique avait, entre le nord et le sud, une frontière linguistique précise, elle ne possédait pas “une frontière raciale clairement circonscrite”, en tout cas pas selon les dernières études raciales pas encore confirmées. Deux jours plus tard, sur le même podium, l’abbé Wallez bravera sans vergogne la prudence de Petri en déclarant sans détour « […] Wallons et Flamands ont des origines ethniques communes : ils sont, les uns et les autres, de race germanique ».

Le curé d’Aulne clôture ainsi les journées culturelles wallonnes de Liège par un sérieux coup de théâtre. Les Allemands dans la salle n’en croient pas leurs oreilles, le reste de l’auditoire est abasourdi. Wallez est néanmoins longuement et chaleureusement ovationné par le millier de personnes présent dans la salle. Ce jour-là, il déclenche quelque chose qui sera lourd de conséquences au sein de la collaboration wallonne. Quelle mouche l’a donc piqué ? ».

petri.jpgLe professeur Petri (photo), qui a assisté au discours de l’abbé Wallez, attend ce dernier à la sortie de la salle et le félicite pour « […] son élévation, sa vigueur et la nouveauté de plusieurs de ses aperçus ».

Après Liège, l’abbé Wallez prend la parole à Namur, Charleroi, Bruxelles et La Louvière.

Emprisonné à la fin de la guerre

À la Libération, Norbert Wallez passe seize mois en prison puis est libéré pour raison de santé. Il séjourne dans une maison de repos. Son procès débute le 28 mai 1947. Il lui est reproché d’avoir pris part aux conférences et d’avoir frayé avec des rexistes.

« Le vendredi 13 juin 1947, le conseil de guerre de Tournai condamne, en vertu de l’article 118 bis du Code pénal, Norbert Wallez à quatre ans de prison et une amende de 200 000 francs pour collaboration politique (propagande en faveur de l’ennemi). Pour avoir commis ce crime contre la sécurité extérieure de l’État, il est également déchu à vie de ses droits civiques et politiques. La cour précise avoir toutefois tenu compte des circonstances atténuantes – il n’a pas agi par appât du gain – et de son comportement méritoire durant la Première Guerre mondiale. L’abbé n’est pas non plus poursuivi pour le cas présumé de délation ».

petrilivre.jpgLe 28 février 1948, Wallez comparaît en appel. La peine est alourdie d’un an de prison supplémentaire. Il retourne à la maison de repos. Le dimanche 25 avril, il y est arrêté et ensuite emprisonné. Il est finalement relâché pour raison de santé, admis dans un hôpital et opéré.

« Mais l’abbé est tellement affaibli qu’il ne pourra retourner chez les sœurs de Charité du Beau-Vallon qu’en septembre 1948. Il y séjournera encore un peu plus de trois ans, mais assigné à résidence, avec interdiction d’aller se promener au-delà des murs du jardin de la maison de repos. Heureusement pour lui, l’abbé y recevra régulièrement la visite du couple Remi, toujours aussi prévenant envers leur ancien directeur ».

Ci-contre, une édition récente d'un ouvrage de Petri sur la frontière linguistique romano-germanique. Aujourd'hui, l'ex-Communauté française, devenue "Communauté Wallonie-Bruxelles, accepte les thèses de Petri (et, partant, de Wallez) dans un ouvrage de référence, très fouillé, sur l'histoire de la langue française en Wallonie.

« L’abbé ne profita pas longtemps de sa liberté retrouvée. Ses plus beaux moments de l’année 1952, il les passa à Céroux-Mousty, un petit village du Brabant wallon, où Georges et Germaine Remi venaient d’acheter une villa spacieuse, entourée d’un grand jardin. Le couple l’invita à séjourner chez eux et le vieux mentor accepta avec grande joie l’hospitalité de ses anciens protégés. Mais après environ trois mois, l’abbé se vit obligé de retourner au Beau-Vallon car il avait besoin de soins médicaux intensifs. Les dernières lettres qu’il envoya par la suite à Georges et Germaine – missives signées “votre vieux parrain” – témoignèrent de son immense gratitude et de l’affection qu’il ressentait pour ce couple.

Le mercredi 24 septembre, l’abbé Wallez décédera à l’âge de 70 ans à la maison de repos de Beau-Vallon près de Namur, au terme d’une longe maladie. Quelques jours plus tard, il fut enterré dans son village natal de Hacquegnies près de Tournai. Les rues étaient désertes, seuls des membres de sa famille l’accompagnaient, un étranger toutefois tint à aider les employés des pompes funèbres à porter le cercueil, c’était le père de Tintin et Milou » (Citation du témoignage écrit de Georges Mariage, ami de Norbert Wallez, qui, lui aussi, aida à porter le cercueil de l’abbé).

ugeux.jpgHergé, recyclé par la Résistance

Au sein des notes de fin de chapitre, Marcel Wilmet met en avant le rôle joué par les frères Ugueux dans le recyclage de Hergé après la guerre (3) : « En fait, le père spirituel de Tintin avait bel et bien deux bonnes connaissances – si pas amis – qui n’avaient pas trempé dans la collaboration : les deux frères Ugeux ! William, le dernier directeur du Vingtième Siècle que nous avons déjà souvent cité dans cet ouvrage, et son frère Pierre, qui, lui aussi, avait travaillé à la rédaction de ce quotidien et plus particulièrement dans l’équipe du Petit “Vingtième”. Les deux hommes avaient sympathisé avec Hergé et lui étaient restés très attachés, même lorsqu’il avait choisi de dessiner pour Le Soir volé, alors qu’eux avaient décidé de rejoindre la Résistance. Après la libération, William Ugeux fut nommé secrétaire général du tout nouveau ministère de l’Information. Sa tâche consistait à faire en sorte que la presse belge puisse redémarrer comme avant la guerre et que tous ceux qui avaient mis leur plume au service de l’occupant ne fassent plus partie des nouvelles rédactions. C’était donc un homme de grande influence dans le monde de la presse et il eut accès au dossier judiciaire que la Sécurité de l’État avait constitué contre les journalistes du Soir volé et contre Hergé. En ce qui concernait ce dernier, Ugeux déclara après lecture du dossier “Rien de grave”. Cet avis favorable suivi de sa recommandation en faveur de Georges Remi auprès de son ancien grand patron à Londres, Walter Ganshof Van der Meersch, l’auditeur général à la Cour militaire, et auprès du bras droit de ce dernier, le substitut Vinçotte (également un copain de Londres), qui était en charge du dossier Le Soir, fut sans aucun doute à l’origine du classement sans suite du dossier Hergé. William Ugeux ne s’en est d’ailleurs pas caché. Des années plus tard il déclara qu’il était intervenu personnellement en 1944 pour que “l’on n’embête plus Hergé pour sa collaboration au Soir” ».

L’ouvrage est publié sous une couverture cartonnée et vendu au prix de 20 euros + les frais de port. Infos : m.wilmet@ART9experts.com

Notes

(1) https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1938_num_17_1_12...

(2) https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_2000_num_39_1_1...

(3) http://eurolibertes.com/histoire/herge-obtint-certificat-...

Source : WILMET Marcel, L’abbé Wallez, l’éminence noire de Degrelle et Hergé, Art9experts, Dilbeek, 2018.

 

lundi, 19 novembre 2018

Grégoire Le Roy. Une présence dans l’histoire littéraire belge

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Grégoire Le Roy. Une présence dans l’histoire littéraire belge

par Daniel COLOGNE

Nombreux sont les écrivains belges de langue française qui démentent ce préjugé selon lequel ils recueilleraient post mortem la part la plus importante de leur notoriété. Au contraire, des auteurs comme Eugène Demolder, Sander Pierron, Georges Angelroth, Constant Burniaux et José Gers sont aujourd’hui oubliés après avoir eu de leur vivant un indéniable succès.

Tel est aussi le cas de Grégoire Le Roy, apprécié par Paul Fort, Paul Léautaud et Remy de Gourmont, encore célébré pour son centenaire dans La Revue Nationale et le quotidien Le Soir (article de Joseph Delmelle du 9 août 1962), puis tombé dans un oubli d’un demi-siècle avant qu’un universitaire anglais s’intéresse à lui en 2005.

Grégoire Le Roy naît à Gand le 7 novembre 1862. Sa mère est la petite-fille d’un Brunswick-Lunebourg. Son père est maître-brodeur en or d’ornements liturgiques. Il fréquente le collège Sainte-Barbe où il a pour condisciple Charles Van Lerberghe et Maurice Maeterlinck. Pour les lettres françaises de Belgique, c’est une génération dorée à laquelle appartiennent également Eugène Demolder et Max Elskamp. Il n’est pas superflu de rappeler que 1862 est aussi le millésime natal du lorrain Maurice Barrès, que Pierre Gillieth surnomme « la queue de comète du romantisme ».

Le Roy se détourne rapidement du Droit auquel le destine sa famille, d’abord pour fréquenter l’école Saint-Luc, où s’éveille sa vocation picturale, ensuite pour faire un petit séjour parisien durant lequel il peaufine ses dons de versificateur. Dans la capitale française, la fréquentation de Villiers de l’Isle-Adam incite Le Roy à se tourner vers le genre narratif. Parus en 1913, ses Contes d’après minuit sont illustrés par Stan Van Offel. Lui-même aquafortiste, Le Roy illustre son recueil poétique Le Rouet et la Besace. Pour d’autres florilèges, il fait appel à son gendre Jules Van Paemel ou à Fernand Khnoppf, qui appartient au « groupes des XX », comme Félicien Rops, Auguste Rodin et James Ensor.

Ce dernier fait l’objet de plusieurs biographies, dont celle de Le Roy en 1922 et celle d’Émile Verhaeren, qui raille quelque peu le narcissisme du peintre ostendais aux 118 auto-portraits. Le Roy et Verhaeren sont d’excellents amis. Verhaeren rend visite à Le Roy dans sa belle propriété de la périphérie bruxelloise et il y laisse ses initiales gravées dans le tronc d’un arbre. Nous sommes à Molenbeek, entre 1902 et 1914, à l’emplacement de l’actuel chalet du Daring Tennis Club. Le Roy dirige alors une firme d’installations électriques après avoir eu à Anvers d’autres activités commerciales. C’est également à Anvers qu’Auguste Vermeylen, écrivain bruxellois néerlandophone, et Emmanuel De Bom, bibliothécaire honoraire de la grande cité portuaire, lisent avec intérêt les deux premiers actes de L’Annonciatrice, une pièce de théâtre inspirée à Le Roy par la mort de son père, un drame inachevé pour lequel il ne semble avoir reçu aucun encouragement, ni de Maeterlinck, ni de Van Lerberghe, respectivement tenus pour pionniers du théâtre symboliste belge avec L’Intruse et Les Flaireurs. S’il avait persévéré dans l’écriture de son drame, Le Roy aurait certainement bénéficié d’une traduction en flamand et d’une représentation à Anvers.

glrlivre.jpgAinsi que le montre très bien le professeur Bales, de l’Université d’Exter, les condisciples formés par les Jésuites de Gand connaissent des hauts et des bas dans l’histoire de leur amitié riche en « interférences », mais aussi en « confrontations ». Après avoir rappelé la formation de bibliothécaire de Le Roy, le poste qu’il occupe ainsi à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, son rôle de conseiller artistique dans une galerie de la Porte de Namur et l’apothéose de sa carrière au Musée Wiertz, dont il devient le conservateur, revenons un moment sur son œuvre de conteur pour souligner Joe Trimborn, un recueil de nouvelles datant de cette année 1913 décidément très prolifique.

L’un de ces courts récits (L’étrange aventure de l’abbé Levrai), où il est question de la découverte d’un homme-singe à Bornéo, pose le problème d’un éventuel rapport avec la supercherie paléontologique de l’homme de Piltdown (1912), où est impliqué Pierre Teilhard de Chardin (1881 – 1955), Jésuite désireux de concilier la foi chrétienne et le transformisme darwinien. Une autre de ces nouvelles (La Malédiction du Soleil) se situe dans une Atlantide qui revient à l’avant-plan après les visions d’Edgard Cayce, avant le roman de Pierre Benoît et en attendant la revue Atlantis fondée en 1926 par Paul Le Cour. Autre grand écrivain belge oublié et aussi doublé d’un artiste-peintre et photographe, José Gers évoque aussi l’Atlantide dans son remarquable reportage Terre Mozabite (publié sans images en 1933 et avec illustrations en 1935). Lorsqu’il épouse l’Anversoise Marguerite-Louise Claes en 1889, Le Roy ne peut encore revendiquer que L’Annonciatrice, pièce inachevée, et les recueils La Chanson d’un soir et Mon cœur pleure d’autrefois. Mais quand il publie ses contes et nouvelles en 1913, il peut se targuer de diverses mentions dans des anthologies allemandes (1902) et italiennes (notamment à Bari et à Sienne), dans des histoires littéraires parues au Mercure de France et chez Flammarion, et bien entendu dans d’innombrables revues belges.

Basée à Londres et à New York, The Walter Scott Publishing assure sa réception dans le monde anglo-saxon, mais c’est évidemment dans sa Belgique natale que le parcours de Gérgoire Le Roy croise celui d’un grand nombre d’auteurs : Georges Rodenbach, Camille Lemonnier, Albert Mockel, Valère Gille, Roger Avermaete, André Baillon, Fernand Crommelieck, et d’autres moins connus comme Doutrepont, Marlow et Dumont-Wilden. Le folklore gantois lui inspire Fierlefijn écrit en néerlandais et on lui prête la fondation d’une revue Réveil dans sa ville de naissance où les classes cultivées sont encore, comme à Bruges et Anvers, très majoritairement francophones.

Il est moins sûr que Le Roy soit le fondateur de la revue parisienne La Pléiade, comme certains le prétendent, mais il en est certainement un collaborateur assidu et peut-être un des co-fondateurs. Les peintures de Le Roy font l’objet de comparaisons avec Courtens, Van Leemputte et Omer Coppens. Ses eaux-fortes sont en phase avec l’obsession de la mort caractéristique de son théâtre et de sa poésie. On pense en l’occurrence à un tableau comme L’Enterrement au Village, de même que L’Église de Lisseweghe rappelle le milieu où il grandit et où son père évolue en raison de son métier. Voici ce qu’écrit à ce sujet Louis Bakelants : « Il se rappelle sans doute l’envoûtement des litanies et des cantiques dévots entendus un jour dans l’atelier paternel tandis que les doigts habiles des vieilles ouvrières brodaient les festons et les œillets et que naissaient sur les coussinets des dentellières flamandes les féeriques guipures faites de rêve de d’ennui. »

Au fil des décennies, Le Roy s’oriente vers une position philosophique « marquée par un certain agnosticisme qui, à la différence d’autres agnosticismes, n’incrimine personne, ni le milieu familial auquel il s’est soustrait, ni les éducateurs qui lui furent donnés (Joseph-Marie Jadot) ». En remerciant Jadot pour une dédicace, Le Roy lui écrit en 1914 et le loue d’avoir « assez d’indulgence pour comprendre l’âme noire et l’accepter » (Jadot vit alors au Congo belge). Resté en Métropole, Le Roy ne peut deviner qu’en rêve « la profonde psychologie » des habitants de la lointaine colonie africaine et la « vie mystérieuse » des peuplades exotiques, de leurs arts divinatoires, de leur architecture et de leur quotidien.

« Dans mes songes aidés de livres et d’images

N’ai-je pas vu l’Asie où sont les Marabouts ?

L’Afrique aux Sphinx de pierre et les Congo sauvages

Où les peuples se font des huttes de bambous ? »

Puisque « la lente usure du temps » achève de détruire « la dépouille du passé », il convie ses lecteurs à « tourner les yeux vers cette clarté qu’est l’avenir ».

Voici donc un Le Roy agnostique, progressiste et humaniste qui semble contredire le côté « fin de siècle » que lui attribue le professeur Bales. Selon l’universitaire britannique, la disgrâce littéraire de Le Roy trouve son origine dans la répétition des thèmes décadents pouvant in fine inspirer une certaine « lassitude » à laquelle Bakelants lui-même, exégète très indulgent, avoue ne pas échapper.

« J’aime tout ce qui va finir,

Ce qui défaille et ce qui tombe. »

En réalité, Le Roy présente de multiples facettes. Il demande pardon à ses trois filles de les avoir mises au monde, comme s’il leur avait « infligé » la vie, ainsi parle Chateaubriand – ou comme si la vie était « reçue comme une blessure », selon l’expression de Lautréamont.

« La vague inquiétude

Et le regret d’on ne sait quoi,

Qu’aux heures de solitude,

L’on sent monter en soi. »

Jointe à sa passion de mélomane pour Wagner et à la sombre violence des rigueurs hivernales qui sont dans L’Annonciatrice les signes prémonitoires de la mort, cette angoisse existentielle de Le Roy le situe dans le sillage des romantiques, du mal-de-vivre de Senancour, du spleen baudelairien et de la noirceur de Nerval.

« Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé », peut s’écrier Le Roy après le décès de son épouse en cette triste fin de janvier 1938. Sa « nuit sans étoiles » fait écho aux vers de Gérard, « prince d’Aquitaine ».

« Ma seule étoile est morte et mon luth constellé

Porte le Soleil noir de la Mélancolie. »

La primauté du rêve sur la réalité se retrouve dans les vers que voici :

« La nuit s’efface dans le jour

Sans me réveiller de mes songes »,

tandis que s’estompe dans d’autres poèmes la cloison déjà très mince qui sépare la vie et la mort.

« Elle entrera chez moi, comme ma bien-aimée,

Sans frapper à la porte et familièrement,

Ne faisant ni de bruit ni de dérangement,

Enfin comme entrerait la femme accoutumée. »

Le Roy partage avec Elskamp, l’Anversois de mère wallonne, cette « sourdine de la rêverie mélancolique (Pol Vandromme) » qui affleure dans la chanson Notre mère des Écaussines si magistralement interprétée par Julos Beaucarne. Sa fascination pour la peinture rejoint celle de Demolder qui, dans le beau roman historique La Route d’émeraude, nous fait revivre les très riches heures de l’art hollandais au siècle de Rembrandt.

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Dix ans après la mort de Le Roy, la revue gantoise Épîtres lui consacre un numéro spécial contenant de nombreux textes inédits auxquels il faut ajouter le roman Daniel, que mentionne Jadot, mais sur lequel je n’ai pas à ce jour d’informations plus précises. Grégoire Le Roy s’éteint à Bruxelles le 5 décembre 1941 en laissant une œuvre certes disparate, mais qui aurait pu être couronnée dès 1922 par un titre d’académicien. En effet, après lui avoir consacré une livraison spéciale en 1920, la revue Le Thyrse convie, deux ans plus tard, ses lecteurs à un sondage d’opinion pour choisir les quatre prochains sociétaires de l’Académie royale de Belgique. La moitié des lecteurs sondés opte pour Grégoire Le Roy. C’est l’année où il publie sa biographie de James Ensor.

Loin d’être « un peintre égaré dans les lettres (Van Lerberghe) », Le Roy occupe une place importante dans l’histoire littéraire belge tout en laissant en héritage culturel une œuvre d’aquafortiste non négligeable et des textes de critique d’art qui l’apparentent à Camille Lemonnier, Émile Verhaeren, Georges Eekhoud et Sander Pierron.

Daniel Cologne

lundi, 25 juin 2018

Géopolitique de la Belgique, géopolitique en Belgique

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Géopolitique de la Belgique, géopolitique en Belgique

Par Robert Steuckers

Depuis de nombreuses années, j’ai consacré articles et causeries à la géopolitique, le plus souvent celle des points chauds de la planète, puisque ce sont évidemment ces thèmes-là qui intéressent le public, friand de découvrir des explications aux événements dramatiques qui animent la scène internationale.

En marge de ces conférences, dans des conversations privées avec des collègues ou des amis qui ne souhaitent pas fréquenter des cercles métapolitiques ou politisés, une question revient très souvent : qu’en est-il de la géopolitique en Belgique ? Qu’en est-il d’une pensée et d’une stratégie géopolitiques proprement belges, du moins si l’extrême petitesse du territoire permet d’en élaborer une sans susciter des sourires de commisération ?

David_Criekemans.jpgLe travail du Prof. David Criekemans

Pendant longtemps, le thème d'une géopolitique proprement belge n’intéressait personne. Cette discipline, mixte de sciences concrètes comme la géologie, l’hydrographie ou l’économie politique et de spéculations stratégiques, a été la grande absente de l’espace universitaire et des débats (où l’on répétait stupidement les axiomes d’une géopolitique américaine, britannique ou française, dans tous les cas « occidentale »). Si les Français ont pu bénéficier d’ouvrages généraux majeurs et incontournables comme ceux d’Yves Lacoste, d’Ayméric Chauprade ou de Pascal Gauchon, les Belges, soit la population vivant sur le dernier lambeau de la Lotharingie historique non conquis par les héritiers de la Francie occidentale de Charles le Chauve, n’avaient pas un ouvrage majeur de référence à leur disposition. C’est chose faite, cependant, depuis la parution de l’énorme pavé dû à la plume du Professeur David Criekemans, intitulé Geopolitiek – « geografisch geweten » van de buitenlandse politiek ?, composé de trois parties :

  • Une étude scientifique du rapport territorialité/politique ;
  • Une généalogie critique de la « géopolitique » (avec notes sur Hérodote, Thucydide, Aristote, Strabon, Bodin, Montesquieu, von Humboldt, Toynbee, Ratzel, Mahan, Mackinder, Kjellen, Haushofer, Vidal de la Blache, Demangeon, Spykman, Mead Earle, Strausz-Hupé, Morgenthau, etc.) ;
  • Une approche géopolitique dans l’étude des relations internationales ;

A ces trois parties s’ajoutent deux longues annexes :

  • Sur les conceptualisations possibles du néologisme « géopolitique » ;
  • Sur un survol général des centres d’études scientifiques autour du concept de géopolitique dans le monde (aux Etats-Unis, en France avec un passage en revue de toutes les universités qui offrent des modules géopolitiques à leurs étudiants, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne, en Scandinavie, en Amérique latine, en Israël, en Russie et dans les pays asiatiques, etc.).

Le travail de Criekemans est gigantesque, est source d’informations incontournables, d’autant plus que ce professeur flamand maîtrise à coup sûr les six langues acceptées par l’Académie Royale de Belgique, soit le français, le néerlandais, l’allemand, l’anglais, l’italien et l’espagnol, modèle d’ouverture que j’ai essayé de concrétiser au sein de l’association « Synergies européennes » que j’animais avec Gilbert Sincyr et Robert Keil, tous deux décédés en 2014.

RC-polext.gifTropisme anglo-saxon et spaakisme atlantiste

Depuis la seconde guerre mondiale, la Belgique officielle, réceptacle d’ignorance et d’opportunisme, est entièrement alignée sur le monde anglo-saxon. A Londres, contre l’avis du roi Léopold III, le gouvernement en exil Spaak/Pierlot envisage même l’annexion déguisée de la Belgique et du Congo à la couronne britannique ou, au moins, songe à une inféodation quasi complète qui ne garderait que les formes les plus superficielles de l’indépendance. Rien de cela n’arrivera mais l’adhésion précoce à l’OTAN, dont Spaak fut le premier secrétaire général, introduira le « suivisme » atlantiste dans la pratique des relations internationales. Ce suivisme sera contesté, en surface, par l’idée d’« Europe totale », lancée dans les années 1960 par le ministre Pierre Harmel. Le Professeur Rik Coolsaet, de l’université de Gand, dressera, il y a plus d’une vingtaine d’années, un bilan de toutes les tentatives de sortir de l’étau otanesque et « spaakiste ». En fait, seules les marges politiques, sans espoir d’asseoir ne fût-ce qu’une minorité parlementaire, ont élaboré des esquisses de politique étrangère intéressantes parce que non alignées sur les Etats-Unis : c’est pourquoi l’étude de leurs projets ou de leurs espoirs est plus intéressante à parfaire aujourd’hui, à l’heure où le leadership américain est contesté, au vu des désastres que le bellicisme atlantiste a provoqué en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Ukraine et dans les Balkans.

harmel.JPGCependant, le projet d’« Europe totale » du catholique Pierre Harmel, admiré par le socialiste alternatif Coolsaet, n’est possible que si tous les pays européens, à l’unisson, décidait, en un espace-temps très court, de suivre le même ordre du jour. Dans le contexte actuel, c’est évidemment impossible, l’idéal d’un Axe Paris-Berlin-Moscou, explicité en son temps par Henri de Grossouvre, n’ayant été qu’éphémère. Les dirigeants post-gaulliens que sont Sarközy, Hollande et Macron ne peuvent imaginer enclencher une audace innovante qui adhèrerait spontanément et très rapidement à l’idée harmélienne d’« Europe totale » (et à celle, tout aussi totale, d’un Jean Thiriart…). Cette absence de réalisme politique, métapolitique et géopolitique interdit de sortir de ce qu’il faut bien appeler une impasse, à l’heure où Washington appelle à une guerre contre la Russie de Poutine, à refouler toute présence chinoise en Mer de Chine du Sud et à un boycott général contre l’Iran, excellent client des industries européennes. Une impasse où nous ne pourrons connaître rien d’autre que le marasme et le déclin.

Venons-en maintenant à la géopolitique de la Belgique.

Avant-guerre, Jacques Crokaert, père de Monique Crokaert, épouse de Marc Eemans, avait écrit, pour l’éditeur Payot, un ouvrage remarqué sur la « Méditerranée américaine », soit les Caraïbes, sécurisées au bénéfice de Washington suite à l’éviction de l’Espagne hors de Cuba en 1898. Cet ouvrage de géopolitique important ne concernait pas l’espace réduit de la Belgique dans le Nord-Ouest européen. Pendant la seconde guerre mondiale, la collaboration germanophile opte évidemment pour une réorientation complète des stratégies en politique internationale. Le modèle centre-européen, préconisé par les Allemands, est alors interprété en Belgique comme un retour à Charles-Quint. Dans le chef des rexistes, autour de Léon Degrelle, s’ajoute, à ce tropisme germanisant (théorisé par Léon Van Huffel dès juin 1940), un universalisme camouflé, d’inspiration catholique et hispanisant où l’on cultivait sans doute l’espoir de « re-catholiciser » l’espace germanique, non pas en modifiant les cultes mais en absorbant les énergies allemandes pour un projet européen et global, né aux temps de la Grande Alliance entre les Habsbourgs/Bourgogne et les Aragonnais/Castillans. L’option pour le drapeau à Croix de Bourgogne (ou Croix de Saint André) symbolise ce choix  absolument non allemand et non national-socialiste, à peine dissimulé.

LH-MY.jpgMatière bourguignonne

Pendant la seconde guerre mondiale, nous avions donc un engouement néo-bourguignon, dont le théoricien premier n’était pas un rexiste mais un de leurs adversaires, en l’occurrence Luc Hommel, historien ardennais de la matière de Bourgogne et auteur d’un ouvrage sur la formation de la « Grande Alliance » hispano-bourguignonne. Hommel avait été le secrétaire du principal adversaire politique de Degrelle, le catholique technocratique Paul Van Zeeland.

En dehors de cet engouement « bourguignon » des rexistes, engouement vite abandonné par leurs adversaires qui ne voulaient plus être comparés à eux, il y avait une petite brochure, totalement oubliée et signée « J. Mercier » et intitulée « Géopolitique du Nord-Ouest ». Cette brochure, probablement tirée à compte d’auteur et non liée à une quelconque officine politique, collaborationniste ou non, est remarquable à plus d’un titre : en effet, elle ne développe pas une théorie géopolitique où l’espace belge ferait partie d’un plus vaste ensemble, comme le Saint-Empire ou la « Grande Alliance », mais prend acte de la réduction territoriale subie depuis le 17ième siècle, avec la perte des territoires qui forment aujourd’hui les départements français du Nord et du Pas-de-Calais, avec la disparition graduelle de l’espace lorrain contigu, arraché au Saint-Empire par lambeaux de François I à Louis XV, et, enfin, avec la perte du glacis franc-comtois, projection vers l’espace rhodanien et méditerranéen.

Le petit opuscule de J. Mercier

L’opuscule de Mercier définit l’espace belge actuel comme situé dans un « Nord-Ouest » englobant évidemment le Grand-Duché du Luxembourg, le cours de la Moselle, une partie de l’espace rhénan et les parties des Pays-Bas au sud des grandes rivières (Meuse, Rhin, Waal). C’est l’espace où se sont déroulées toutes les grandes batailles de l’histoire de ce « Nord-Ouest » depuis le haut moyen-âge et que les Anglais appellent la « fatal avenue ». Pour ce Mercier, demeuré inconnu, cet espace se subdivise en trois parties :

  • L’espace scaldien, entre l’Escaut et la Meuse, avec la vallée de la Sambre ; c’est l’espace central et principal de l’ensemble belge ;
  • L’espace transmosan, avec le massif ardennais ;
  • L’espace flandrien, poldérien et littoral, permettant, le cas échéant de prendre l’espace scaldien par l’Ouest.

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Mercier montre que l’ennemi principal, qui fut français pendant près d’un millénaire et fit de notre espace un espace exposé frontalement à ses coups réguliers, concentrera ses poussées vers le Nord en exploitant la « trouée de l’Oise » (die Oisepforte dans le langage des géopolitologues allemands), là où l’Oise prend sa source au sud de la petite ville de Chimay.

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La fameuse bataille de Rocroy (Rocroi), dans la zone de la « trouée de l’Oise », illustre très bien cette volonté de prendre Bruxelles et Anvers : sous les ordres du vieux Colonel Fontaine (‘de la Fuente’ dans les sources en castillan), qui mourra au combat à 80 ans, les tercios espagnols se battront aux côtés de leurs homologues allemands, luxembourgeois, wallons, alsaciens, francs-comtois et croates pour barrer la route de Bruxelles aux troupes françaises. Ils seront vaincus mais l’ennemi, assez durement éprouvé, n’exploitera pas sa victoire car les Luxembourgeois du Colonel espagnol von Beck approchaient avec des troupes fraîches. Jourdan aura plus de chance en 1794 et sera vainqueur à Fleurus. Napoléon passe par la « trouée de l’Oise » lors de la campagne des Cent Jours. La leçon, tirée du choc de Rocroi (1643), amène le Vauban espagnol, Monterrey, à construire sur le territoire du petit village de Charmoy, la forteresse de Charleroi, appelée à défendre, sur la Sambre, le Brabant, cœur de l’espace scaldien. Il en fait bâtir une autre, à Bruxelles, face à la Porte de Hal, sur le territoire de la commune de Saint-Gilles, si prisée par les bobos français qui s’installent de nos jours dans la capitale belge. De cette forteresse de Monterrey, il ne reste d’autres souvenirs que le nom de deux rues : la rue du Fort et la rue des Fortifications.

Flandre poldérienne et « trouée de l’Oise »

A l’ouest de l’espace scaldien, s’étendant des rives orientales de l’Escaut aux rives occidentales de la Meuse, se trouve l’ancien comté de Flandre, qui s’était étendu vers le sud au haut moyen-âge, s’était détaché de la tutelle française au fil des siècles pour y échapper de jure suite à la bataille de Pavie, gagnée par les armées de Charles-Quint en 1525. Il a été le théâtre de combats entre protestants néerlandais et catholiques, sujets du roi d’Espagne, à Nieuport lors de la bataille des plages en 1600, où les tercios espagnols étaient majoritairement composés de Wallons et de Britanniques catholiques (Anglais et Irlandais), et les troupes hollandaises de Wallons et de Britanniques protestants (Anglais et Ecossais). Louis XVI annexa Nieuport et Furnes à l’ouest de l’Escaut pendant ses campagnes militaires contre les Pays-Bas espagnols mais dut rendre finalement ces villes aux Habsbourgs. En 1794, le Général révolutionnaire Moreau prend la ville de Nieuport aux Autrichiens et y fait massacrer tous les émigrés royalistes français qui s’y trouvaient. La basse Flandre poldérienne a donc également été un axe de pénétration pour les armées françaises. En 1600, l’objectif de l’archiduc Albert, commandant des troupes du roi d’Espagne, était de protéger Dunkerque, encore espagnole à l’époque, contre un envahisseur venu du Nord.

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En 1690, le Duc de Luxembourg, commandant des armées françaises, pénètre, à son tour, par la « trouée de l’Oise et s’avance vers Fleurus où il livre victorieusement bataille au général zu Waldeck, commandant des troupes impériales et espagnoles : il ne prend pas Charleroi et ne peut exploiter sa victoire, pourtant retentissante. Les Impériaux et les Espagnols rameutent leurs troupes de réserve et les Brandebourgeois et les Liégeois compensent les pertes en mobilisant des troupes dans toute la région. En 1794, l’axe de pénétration des sans-culottes en Flandre poldérienne est un axe secondaire puisque c’est juste au-delà de la « trouée de l’Oise » que Jourdan emporte la décision finale et conquiert définitivement les Pays-Bas autrichiens, qui seront annexés à la République l’année suivante, en 1795, suite au Traité de Campoformio. Les révolutionnaires avaient pris Charleroi, assurant leur victoire qui, elle, sera bien exploitée. En 1815, Napoléon emporte une nouvelle victoire française à Fleurus/Ligny contre les Prussiens mais ne l’exploite pas, oublieux, peut-être, de la leçon de 1690 : des troupes fraiches attendaient aussi au-delà de la Meuse, où les Prussiens avaient une brigade intacte, qui allait épauler les trois autres brigades, étrillées durement à Ligny mais qui s’étaient regroupées et réorganisées, n’ayant pas été poursuivies. De plus, une armée russe était stationnée à Cologne et les Suédois campaient dans le Brabant septentrional. Cette négligence napoléonienne permit la victoire anglo-prussienne à Waterloo, le 18 juin 1815.

ballon_fleurus.jpgFleurus, 1794

Ces attaques par la « trouée de l’Oise » visent à prendre le cœur de l’espace scaldien, situé autour de Bruxelles et de Malines, et à s’emparer d’Anvers, port de guerre potentiel au fond de l’estuaire de l’Escaut. La victoire de Jourdan en 1794 amène les Britanniques à rejeter toute alliance avec la France révolutionnaire puis bonapartiste, tant que celle-ci se trouve à Anvers et libère le port du blocus imposé par les Pays-Bas protestants. La victoire française de Fleurus est à l’origine de la détermination des Anglais qui finiront par l’emporter à Waterloo, onze ans plus tard. Les manœuvres par la « trouée de l’Oise » sont aussi des manœuvres dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, glacis devant le cœur de l’espace scaldien et face à la vallée mosane. Toute conquête de l’Entre-Sambre-et-Meuse permet d’anticiper la conquête de tout l’espace scaldien et d’arriver dans la vallée mosane.

La portion du cours de la Meuse, qui appartint jadis aux Pays-Bas espagnols puis autrichiens et qui est sous souveraineté belge aujourd’hui, part de Givet (actuellement ville française) pour arriver à Dinant, Namur, Huy, Liège et Maastricht, autant de villes dotées de forteresses destinées à empêcher toute pénétration française en direction de Cologne et des plaines westphaliennes. A l’est du fleuve se trouve le massif ardennais, jugé difficilement pénétrable jusqu’en 1914 et même jusqu’en 1940. L’espace transmosan, exclusivement wallon, alors que l’espace scaldien est bilingue roman/germanique, a généralement été contourné par les envahisseurs du sud qui préféraient l’axe mosan à l’ouest du massif ardennais et l’axe mosellan à l’est de celui-ci, dont la continuation géologique en Allemagne s’appelle l’Eifel.

Raisonner en termes hydrographiques et hydropolitiques

Comprendre la géopolitique de l’espace belge implique de raisonner en termes hydrographiques et hydropolitiques. L’Oise, l’Escaut, la Sambre, la Meuse et la Moselle sont des axes fluviaux et stratégiques dont il faut impérativement saisir l’importance pour comprendre les dynamiques historiques qui ont tout à la fois façonné et disloqué le territoire aujourd’hui belge. L’Oise avait été, à l’aurore de l’histoire française, l’axe de pénétration pacifique des tribus franques/germaniques vers le bassin parisien. On nous donnait à méditer un chromo avec de grands guerriers débonnaires, barbus, qui accompagnait leurs riantes marmailles et leurs plantureuses épouses à tresses, paisiblement assises sur des chars à bœufs tandis que chevaux et bétail buvaient l’eau de l’Oise. Ils allaient, nous disait-on, régénérer un pays ravagé par l’effondrement de l’empire romain et en proie à une population autochtone et bigarrée (les bagaudes) retournée à une anarchie féroce et improductive, que Jean-François Kahn fait mine de prendre pour une panacée. Elle deviendra, après bien des vicissitudes historiques et a contrario, la voie de pénétration des armées françaises vers l’axe mosan et l’espace scaldien, d’où les Francs étaient venus.

Battle_audenarde.pngL’Escaut, curieusement, n’a guère été, sur ses rives et dans les environs immédiats de son cours, le théâtre de batailles aussi mémorables que celles de Rocroi, Fleurus ou Ligny, à l’exception peut-être de celle d’Audenarde (Oudenaarde), convoitée par les Français à plusieurs reprises au 17ième siècle, sous Louis XIV. En 1708, la coalition regroupant Autrichiens, Impériaux et Anglais, sous la conduite du Prince Eugène de Savoie-Carignan, du Duc de Marlborough (le «Malbrouck » de la chanson) et d’Henri de Nassau battent les troupes du Duc de Vendôme qui avaient fait de cette place flamande un redoutable bastion français.

La Meuse, axe de pénétration français en direction de la capitale symbolique du Saint-Empire, Aix-la-Chapelle, a été fortifiée en tous ses points, à Givet, où un régiment de zouaves est stationné aujourd’hui, à Dinant, Namur, Huy, Liège et Maastricht. Les Prussiens surtout entendaient sécuriser cet axe mosan pour tenir les Français éloignés du Rhin. Les Hollandais refuseront, avec l’appui prussien et russe, de rétrocéder à la nouvelle Belgique, la place de Maastricht (Mosae trajectum en latin, soit « le passage au-dessus de la Meuse », à une grosse vingtaine de kilomètres d’Aix-la-Chapelle). Sur un plan diplomatique, les Français, au 17ième siècle, chercheront à s’assurer de la neutralité des Princes-Evêques de Liège, maîtres de toute la vallée mosane qui, elle, rappelons-le, n’appartenait pas aux Pays-Bas espagnols puis autrichiens, contrairement à l’espace scaldien et aux Ardennes luxembourgeoises.

L’axe mosellan

La Moselle, formant une partie importante des frontières de l’ancien duché impérial du Luxembourg, est l’axe de pénétration français en direction du Palatinat et de la ville rhénane de Coblence, au confluent de cette rivière avec le Rhin. L’axe stratégique mosellan donne à la forteresse de la ville de Luxembourg une importance stratégique majeure, disputée depuis 1815, où les Prussiens ne voulaient pas la laisser aux mains des Français, les Hollandais aux mains des Belges après 1830, les Belges à la portée des Français immédiatement après la première guerre mondiale. L’importance de cet axe est notamment souligné dans un pamphlet signé par l’Abbé Norbert Wallez, le mentor d’Hergé : il ne fallait pas laisser à la République, qui voulait détacher la Rhénanie du Reich et autonomiser une république fantoche de Rhénanie, l’occasion d’occuper indirectement la vallée de la Moselle.

leapic.jpgEnfin, pour trouver des positions géopolitiques et géostratégiques directement liées à l’espace aujourd’hui belge, nous devons nous référer à un ouvrage absolument fondamental, toujours exploité par les puissances thalassocratiques anglo-saxonnes de nos jours : celui d’Homer Lea, intitulé The Day of the Saxons. Cet ouvrage de 1912, réédité immédiatement après l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan en 1979 et pourvu d’une remarquable préface du stratégiste suisse Jean-Jacques Langendorf, explique, à la suite de Halford John Mackinder, comment sécuriser les « rimlands » persan et indien contre les poussées russes dans le cadre du fameux « Great Game ». C’est là l’essentiel du livre mais rien n’a pris une ride : Lea préconise une politique de fermeté extrême voire prévoit un casus belli si l’influence russe dépasse la ligne Téhéran-Kaboul. En 1979, Brejnev a franchi délibérément cette ligne. La guerre afghane et toutes les guerres connexes dans l’espace entre Méditerranée et Indus sont le résultat d’un refus américain et britannique de voir s’étendre une influence russe ou soviétique au-delà de la ligne Téhéran-Kaboul.

Lea et la géopolitique anglaise en Mer du Nord

Mais Lea développe également une géostratégie visant à protéger les abords de la métropole anglaise. Les craintes anglaises ne remontent pas tellement à l’aventure tragique de la Grande Armada espagnole, battue par la marine et les pirates d’Elizabeth I. Elles se justifient plutôt par le souvenir cuisant des expéditions de l’Amiral hollandais De Ruyter au 17ième siècle. Les vaisseaux de De Ruyter mettaient une nuit à franchir la Mer du Nord depuis le « Hoek van Holland », à pénétrer dans l’estuaire de la Tamise et à incendier Londres. Il faut dès lors sécuriser les côtes et l’arrière-pays qui fait face aux Iles Britanniques. Ceux-ci doivent avoir une politique étrangère neutre et bienveillante à l’égard de l’Angleterre et ne jamais tomber aux mains d’une puissance disposant d’un hinterland de grandes dimensions, comme la France ou l’Allemagne réunifiée sous la férule de Bismarck. Lea a donc énoncé les règles qui ont justifié l’intervention immédiate des Britanniques aux côtés des Français dès que l’Allemagne de Guillaume II a fait valoir son « droit historique » à sécuriser la vallée de la Meuse et à l’interdire aux Français. Parce que les Allemands, en août 1914, pour faire face aux armées de la IIIème République, devaient non seulement sécuriser les axes mosan et mosellan, ce dont pouvait s’accommoder les Anglais, mais simultanément occuper tout l’espace scaldien et la côte de la Flandre poldérienne. L’Allemagne aurait alors disposé d’une façade maritime en Mer du Nord, ce qu’elle consolidera en effet pendant la première guerre mondiale : les ports de Zeebrugge et d’Ostende ont été développés par les ingénieurs de la Kriegsmarine, ont été sortis de l’insignifiance où ils avaient été plongés depuis plusieurs siècles. Les Allemands pouvaient dès lors rééditer les exploits de l’Amiral De Ruyter. L’historien flamand Ryheul, spécialiste de cette politique allemande pendant la première guerre mondiale et auteur d’un ouvrage de référence sur le « Marinekorps Flandern », montre comment le Canal maritime de Bruges grouillait de sous-marins sans protection antiaérienne à une époque où l’aviation militaire en était encore à ses premiers balbutiements : les Britanniques couleront un vieux navire en face de ce canal afin de barrer la route aux redoutables sous-marins du Kaiser.

mkfl.jpgPour les Allemands, l’espace scaldien et la zone transmosane sont donc des tremplins pour arriver à Paris. Comme le firent les Francs à l’aurore de l’histoire de France. L’histoire prouve toutefois que l’espace change de qualité et de dimensions entre l’ancienne frontière méridionale des Pays-Bas espagnols et le bassin parisien. L’espace s’y étire, l’habitat s’y raréfie, rendant la logistique plus compliquée voire ingérable avec un charroi précaire et exclusivement hippomobile. Les armées de Philippe II d’Espagne, commandées par le Comte d’Egmont et par Emmanuel-Philibert de Savoie, ne dépasseront pas Saint-Quentin malgré leur belle victoire. Les lansquenets de Götz von Berlichingen s’arrêteront à Saint-Dizier en Haute-Marne. En 1914, les troupes du Kaiser arriveront jusqu’à la Marne mais ne pourront pousser plus loin.

Le destin géopolitique de tous les Européens est désormais lié !

Pour vaincre l’espace entre les Flandres et le Bassin parisien, il faut un élément motorisé et suffisamment de pétrole. Gallieni parvient à sauver Paris en mobilisant les taxis de la capitale qui amèneront les renforts nécessaires. Pétain introduit une logistique motorisée sur la Voie Sacrée qui mène à Verdun. Fort des pétroles livrés par les Soviétiques de Staline, Hitler franchit allègrement l’espace que les armées du Kaiser n’avaient pas pu franchir. La mise en place de l’alimentation en carburant ralentit pendant plusieurs semaines la progression des Alliés anglo-américains vers le Nord, après le débarquement du 6 juin 1944 dans le Calvados. Les Allemands, malgré leurs carences en pétrole, peuvent gagner encore la bataille d’Arnhem en octobre 1944 parce que la logistique alliée reste encore lente. L’Europe, après la seconde guerre mondiale, est devenue un petit espace stratégique gérable : elle nous apprend que le destin géopolitique de tous les Européens est désormais indissolublement lié. La Mitteleuropa est accessible facilement depuis tous les littoraux de la péninsule eurasienne qu’est la Vieille Europe. On prend Hambourg au départ des plages normandes, Stuttgart à partir d’un débarquement réalisé en Provence, Berlin ou Vienne suite à une victoire à Koursk dans l’espace steppique russe.

Il reste sans doute beaucoup à écrire sur tous les aspects que j’ai évoqués dans cette modeste réponse aux questions qui me sont habituellement posées lors d’agapes entre amis ou de débats avec des collègues historiens. Certains sont férus de géopolitique, d’autres sont des historiens éminents, tantôt spécialistes de la diplomatie belge suite à des lectures sur Harmel ou émanant de la plume du Prof. Coolsaet, de l’histoire de la neutralité belge entre le Traité de Londres de 1839 et l’invasion allemande d’août 1914, de la Flamenpolitik des Allemands pendant la première guerre mondiale, des relations belgo-russes au fil de l’histoire, de la Principauté de Liège aux 17ième et 18ième siècles, de la gestion des Pays-Bas méridionaux sous les règnes de Marie-Thérèse et de Joseph II, etc.

Pluriversum et grands espaces

Je pense notamment à une analyse des travaux de Drion du Chapois, qui dirigea jadis le journal Le Rappel à Charleroi, où oeuvrait aussi Pol Vandromme. Ses travaux sur la « mission européenne des Belges » sont remarquables et expliquent pourquoi le « petit nationalisme » ne fait guère recette chez les esprits lucides de nos régions, où l’on préfère alors le repli sur le vernaculaire flamand ou wallon ou l’engouement pour l’Europe, dans une perspective rupturaliste  dans les cénacles nationaux-révolutionnaires (héritiers du militantisme de « Jeune Europe ») ou, chez les alignés par opportunisme ou par souci d’œuvrer dans un cadre institutionnel établi, dans une perspective européiste mais eurocratique donc a-historique et purement technocratique. Au-delà, il y a les universalistes qui émettent de lassants vœux pieux et imaginent un « universum » homogénéisable, alors que le monde restera toujours un « pluriversum » de variétés et de bigarrures. Si l’on veut dépasser le vernaculaire ou les nationalismes trop étroits, il faut penser, avec Carl Schmitt, en termes de « grands espaces », de Grossräume.  

Robert Steuckers,

Forest-Flotzenberg, juin 2018.

 

lundi, 12 février 2018

Michel de Ghelderode. Un prosateur méconnu en quête d’une patrie idéale

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Michel de Ghelderode. Un prosateur méconnu en quête d’une patrie idéale

par Daniel COLOGNE

Ultérieurement connu comme dramaturge sous le pseudonyme de Michel de Ghelderode, Adémar Martens naît le 3 avril 1898 à Ixelles, dans la banlieue Sud de Bruxelles.

C’est le dimanche des Rameaux, que les chrétiens nomment les Pâques fleuries. Par une étonnante coïncidence, dans cette rue de l’Arbre Bénit, est mort deux décennies plus tôt Charles De Coster (1827 – 1879), considéré comme le père fondateur des lettres belges de langue française (La Légende d’Ulenspiegel, 1867).

Dans un texte nostalgique de 1948, Ghelderode écrit :

« Ô cloches de neuf heures, ô larmes de ma mère,

Et ma sœur frappant d’un balai mon berceau

Parce que j’étais roux, que je n’étais pas beau !

Et naître près du lieu où mourut De Coster ! »

Balade_du_Grand_Macabre.jpgÀ son père archiviste, il doit sa « passion pour l’ancien ». Son nom de plume date de 1918 et s’inspire de celui d’un petit village des environs de Louvain, région natale de sa mère, qui berce son enfance par la narration de vieilles légendes flamandes.

Ghelderode exerce divers métiers, dont celui d’employé de librairie, qui lui permet de rencontrer Jeanne Françoise-Gérard (1894 – 1980). Il l’épouse en 1924. Il est alors fonctionnaire à l’administration communale de Schaerbeek, faubourg de Bruxelles où il décède le 1er avril 1962.

Ses chroniques sur les ondes de Radio-Bruxelles durant l’occupation allemande valent à Ghelderode une période de disgrâce toutefois relative et très courte, puisque Gallimard entame dès 1950 la publication de son Théâtre complet, dont le sixième et dernier volume paraîtra en 1982.

Luc Pire sa collection « Espace Nord » rééditent en 2016 Sortilèges, un recueil de contes fantastiques initialement paru en 1947, à Liège, aux éditions Maréchal. En ce début d’après-guerre, alors que Ghelderode est toujours totalement méconnu en tant que prosateur, le préfacier Franz Hellens, autre explorateur belge du paranormal, compare les récits ghelderodiens à ceux d’Hoffmann, de Poe et de Villiers-de-l’Isle-Adam.

En 1953 paraît aux éditions Durendal, à Bruxelles, La Flandre est un Songe, où sont rassemblées des chroniques parues dans les années 1930, dans des revues à tirage limité, voire confidentiel. C’est dans ces textes que Ghelderode étale une verve de narrateur qui reste encore à découvrir de manière d’autant plus impérative que l’opulente histoire de la Flandre en est la principale source d’inspiration.

Furnes et sa procession des pénitents du dernier dimanche de juillet, Gand où naquit Charles Quint, Malines qui fut la cité préférée des ducs de Bourgogne, Bruges qui se souvient du temps où ses quais étaient secoués par « la grande pulsation de la mer»: autant de villes où Ghelderode emmène ses lecteurs sur les traces de promeneurs imaginaires, « gens heureux puisqu’ils sont riches de temps à perdre ». Bruxelles complète la liste et si un autre poète a qualifié la capitale belge de « joyau flamand », c’est parce qu’elle était autrefois traversée par la Senne, affluent de la Dyle, qui arrose Malines et Louvain, et sous-affluent de l’Escaut. Bruxelles fait partie intégrante de la partie orientale du bassin scaldéen.

Voûtée depuis 1866 sur son parcours bruxellois, « l’aimable Senne coule souterrainement qu’on enjambe sans se douter de sa présence de rivière honteuse, dont le nom prêtait à sourire ». Pareille à son homologue et quasi homonyme parisienne, la Senne se divisait jadis en deux bras encerclant l’île Saint-Géry, du nom d’un évêque de Cambrai qui vint la visiter au VIIe siècle et dont la légende veut qu’il y affronta victorieusement des dragons.

MdGh-EB.jpgLa chronique de 1937 consacrée à Bruxelles renferme un superbe éloge du Flâneur, qui « est après tout le dernier avatar de l’homme libre dans une société où personne ne l’est plus guère ». « Ces flâneurs, dont je suis, ne les appelez pas des badauds. Ils méritent mieux, ces attendris, ces lunatiques. La flânerie est une badauderie dirigée, consciente. Et nombre de nos flâneurs ont droit au respect dû aux historiens et archéologues, car ils en savent long sur le passé de leur domaine et vous en révéleront à l’occasion les aspects sensationnels – voire les mystères. »

Ghelderode invite les habitants d’Anvers, de Lierre et d’autres hauts-lieux de sa Flandre bien-aimée à redécouvrir leur patrimoine citadin en se laissant guider par une sorte d’instinct venu du fond des âges. « Il suffira, un beau soir, de bonnement laisser aller vos jambes où elles veulent. Les jambes cessent d’être conduites par votre vouloir, suivent ataviquement et à votre insu les antiques routes marchandes de la cité. Ainsi font-elles, éclairées, éclairées par leur mémoire ancestrale, vous pouvez m’en croire. »

Comme De Coster, Ghelderode est fasciné par la Flandre du XVIe siècle courbant l’échine sous la rude domination des Habsbourgs d’Espagne. Avec Escurial et Le Soleil se couche, brefs morceaux de bravoure théâtrale, il nous laisse des petits chefs-d’œuvre dépeignant Philippe II à l’agonie dans son palais castillan et Charles Quint oublieux de sa fière devise dans le monastère d’Estrémadure, où il s’est retiré après son abdication et où Ghelderode ne lui tolère pour seule compagnie que des marionnettes et un perroquet proférant des jurons en dialecte marollien.

Autre drame très court et attestant la maîtrise de l’auteur : Les Aveugles. Trois pèlerins atteints de cécité croient cheminer vers Rome alors qu’ils tournent en rond dans la campagne brabançonne. Juché au sommet d’un arbre, un borgne leur assène la terrible vérité : tous les chemins mènent à la mort !

Il est cependant difficile de cataloguer Ghelderode parmi les auteurs anti-chrétiens quand on garde en mémoire la sublime Chronique de Noël de 1933. La Sainte-Famille suit le Massacre des Innocents dans le décor hivernal d’une ville flamande imaginaire qui rappelle l’Yperdamme d’Eugène Demolder (1862 – 1919) : contraction d’Ypres, à la flamboyante architecture gothique, et de Damme l’ensablée, où naît l’Ulenspiegel de De Coster. Tandis que les Rois-Mages patinent sur des canaux gelés, « la neige dégringole soudain, abolissant la ville et nous martelant d’innocence ». Joseph, Marie et Jésus s’en vont par les chemins enneigés d’une Flandre élevée au rang de terre sainte, comme dans les poèmes et les contes de José Gers (1898 – 1961), quasi strictement contemporain de Ghelderode, auteur oublié venu au monde sur les rives de l’Escaut. La Nativité de Ghelderode fait penser à Brueghel et à son Dénombrement de Bethléem, à l’arrière-plan duquel on reconnaît l’ancien village de Molenbeek.

MdGH-mann.jpgRevenons donc à Bruxelles et savourons l’évocation ghelderodienne de la « ville basse », qui « naquit péniblement dans les prés inondés enserrant l’île Saint-Géry » et de la « ville haute [qui] se développe sur le flanc de la vallée couronnée de forêts». Ghelderode est natif de la « ville haute » qui englobe « le pays d’Ixelles, si boisé, riche d’étangs et de terre conventuelles ». L’auteur pense évidemment à l’abbaye de la Cambre, qui abrita la retraite de Sabine d’Egmont, veuve de l’un des deux comtes (Egmont et Harnes) qui conduisirent une révolte anti-espagnole et furent décapités en 1568. Face à « l’homme contemporain de couleur neutre et de cervelle négative battant maussadement l’asphalte de l’Actuel », Ghelderode dresse le modèle du promeneur nostalgique inlassablement motivé par la redécouverte du Passé.

La Flandre est un Songe dévoile un Ghelderode prosateur très différent du dramaturge que d’aucun veulent enfermer dans la rubrique du « théâtre de la cruauté », sans que l’illustre anthologie de Lagarde et Michard lui concède pour autant une seule des lignes complaisamment accordées à Artaud, Arrabal et Genet.

Ce recueil de chroniques révèle aussi un Ghelderode fasciné par le mystère chrétien de la Nativité, en opposition avec le créateur de Barrabas, où le brigand occupe le devant de la scène au détriment d’un Jésus insignifiant. Saluons donc en Michel de Ghelderode un écrivain aux facettes multiples et contradictoires, un chantre d’une certaine idée de la Flandre, un narrateur-poète en recherche identitaire dont nous pouvons faire nôtres les lignes que voici : « Chacun sait où il va sur la planète, mais il arrive qu’on parte en quête d’une patrie morale. Le pèlerin se dit touriste que l’inquiétude pousse aux épaules vers quelque terre rêvée sainte, en appétit de ruines et de tombeaux, et secrètement préoccupé de retrouver le foyer primitif de sa tribu. Ainsi sommes-nous. »

Daniel Cologne

vendredi, 05 janvier 2018

Xavier de Grunne : de Rex à la Résistance

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Le Mont Ruwenzori (Congo)

Xavier de Grunne : de Rex à la Résistance

Lionel Baland est un écrivain belge, spécialiste des partis patriotiques en Europe, qui a écrit sur l’histoire du nationalisme belge. Il publie aux éditions Godefroy de Bouillon un ouvrage portant sur un pan de l’histoire du rexisme, le mouvement politique nationaliste belge dirigé au cours des années 1930-1940 par Léon Degrelle, intitulé « Xavier de Grunne. De Rex à la Résistance. »

Propos recueillis par Fabrice Dutilleul.

Xavier-de-Grunne.jpgQui est Xavier de Grunne ?

Xavier de Grunne (1894-1944) est issu de la vieille noblesse belge. Pionnier dans le domaine de l’alpinisme, il le pratique aux côtés du Roi Albert Ier et devient célèbre en dirigeant une expédition au Congo belge en vue de l’exploration complète du versant occidental du Ruwenzori. La colonne, constituée de scientifiques et de centaines de porteurs noirs, se fraie un chemin dans la forêt équatoriale avant d’atteindre les glaciers. Elle reste durant deux mois dans la pluie et le brouillard à plus de 4 000 mètres d’altitude à une température proche de zéro degré.

Léon Degrelle demande en 1936 à Xavier de Grunne, « l’homme du Ruwenzori », de se présenter sur les listes du mouvement anti-corruption catholique et nationaliste belge Rex. Xavier de Grunne est élu sénateur. Lors des élections législatives de 1939, il est aussi présent sur les listes de Rex, mais n’est pas réélu car ce mouvement subit alors un fort recul électoral.

Durant la « drôle de guerre » (début septembre 1939-10 mai 1940), Rex est totalement aligné sur la position ultra-neutraliste défendue par le Roi Léopold III. Xavier de Grunne n’est pas d’accord avec ce choix et désire voir Rex et la Belgique se ranger du côté des Français et des Britanniques.

Après la défaite, Xavier de Grunne fonde l’organisation de résistance « La Phalange », est arrêté par les Allemands et meurt en déportation. Pendant ce temps, Rex se lance dans la collaboration d’abord limitée, puis illimitée avec l’occupant. Son dirigeant, Léon Degrelle combat le communisme sur le Front de l’Est et termine la guerre en tant qu’officier supérieur de la Waffen SS, après avoir reçu à l’issue de la bataille de Tcherkassy/Korsun une des plus hautes décorations du IIIe Reich des mains d’Adolf Hitler qui, lui tenant la main entre ses deux mains (il est le seul à ma connaissance à qui cela est arrivé), lui dit : « Je me suis fait tant de soucis. »

Le parcours de Xavier de Grunne est-il atypique ?

Non. Il apparaît qu’en Belgique francophone durant la IIe Guerre mondiale, les nationalistes sont allés, comme l’indique le grand résistant liégeois et professeur d’université Léon-Ernest Halkin dans son ouvrage À l’Ombre de la mort, pour la plupart dans la Résistance et y ont souvent laissé leur vie ou leur santé. Ce qui deviendra la principale organisation de Résistance du pays et sera dénommé par la suite « Armée secrète », a été fondé par les patriotes Robert Lentz et Charles Claser. Quant aux adeptes de l’Ordre nouveau, une partie d’entre eux est allée dans la collaboration limitée, tel José Streel qui est un des penseurs principaux du rexisme aux côtés de Jean Denis, et une autre partie dans la collaboration illimitée, tel Léon Degrelle. Mais d’autres ont rejoint la Résistance.

Pierre-Nothomb_9959.jpgPierre Nothomb, fondateur au cours des années 1920 des Jeunesses nationales, a été inquiété à plusieurs reprises durant la guerre par les Allemands pour ses actes de résistance. La Légion Nationale, organisation nationaliste belge fondée en 1922 et qui devient ensuite un mouvement d’Ordre nouveau qui affronte physiquement les milices socialistes et communistes, entre dès le début de l’occupation dans la Résistance. Plusieurs de ses membres sont fusillés par les Allemands et son dirigeant, l’avocat Paul Hoornaert, meurt en déportation. Un certain nombre de rexistes ou d’anciens rexistes se sont également retrouvés dans la Résistance. L’écrivain Robert du Bois de Vroylande, ainsi que le rédacteur en chef du quotidien rexiste Le Pays Réel et membre du Conseil politique du mouvement rexiste Hubert d’Ydewalle, qui ont tous deux rompu avec Rex avant la guerre, meurent en déportation. Le Mouvement National Royaliste (Nationale Koninklijke Beweging), une des organisations de résistance du pays, est fondé par des rexistes restés fidèles au Roi Léopold III. Ajoutons que les intellectuels adeptes de l’Ordre nouveau et professeurs d’université Fernand Desonay et Charles Terlinden se sont retrouvés eux aussi dans la Résistance.

Notons que les rexistes qui se sont engagés dans la Collaboration l’ont fait, à leurs yeux, dans l’intérêt de la Belgique. Lorsque José Streel estime que la poursuite d’une telle politique ne penche plus en faveur de l’avantage du peuple belge, il se retire (ce qui n’empêchera pas son exécution en 1946). Léon Degrelle poursuit dans la Collaboration en ayant pour objectif la réalisation d’une grande Bourgogne inspirée de celle de Charles le Téméraire, ce qui correspond à l’idée d’une grande Belgique (idée déjà prônée durant la Ire Guerre mondiale par Pierre Nothomb), produit d’un nationalisme belge exacerbé.

Quels principaux éléments nouveaux apporte votre ouvrage ?

XG-br.jpgContrairement à ce qui a été souvent écrit, il apparaît que Xavier de Grunne est resté lié à Rex jusqu’en 1939, et que la rupture annoncée en 1937 au sein de l’ouvrage de Xavier de Grunne intitulé Pourquoi je suis séparé de Rex ? est purement stratégique afin de disposer de la liberté de pouvoir critiquer l’Église qui attaque Rex, tout en ne froissant pas les électeurs rexistes qui sont pour la plupart des catholiques convaincus.

Notons que Léon Degrelle encense au sein de ses écrits d’après-guerre Xavier de Grunne. L’ouvrage montre qu’au début de l’Occupation, rien n’est joué et que le basculement de certains dans la Résistance et d’autres dans la Collaboration a été avant tout une question de circonstances et de relations personnelles, les individus suivant souvent leurs proches relations politiques vers l’un ou l’autre bord.

Pourquoi la direction de Rex a-t-elle choisi la Collaboration ?

Rex, mouvement politique nationaliste belge et monarchiste, n’avait rien à aller faire dans la Collaboration avec un régime nationaliste allemand d’expansion. Un élément essentiel a conduit ce mouvement dans cette situation : lors de l’invasion par l’armée allemande de la Belgique le 10 mai 1940, le dirigeant rexiste Léon Degrelle, pourtant protégé par son immunité parlementaire, est arrêté par les autorités belges et déporté en France où il est malmené et tabassé, puis traîné de prisons en prisons avant de terminer au sein de camp de concentration du Vernet (rappelons que la République française a ouvert en 1939 des camps de concentration afin d’y placer dans des conditions sordides les réfugiés républicains espagnols). Revenu miraculé en Belgique au cours de l’été 1940 après la capitulation de la France, Léon Degrelle a des comptes à régler avec le système. De plus, l’Allemagne, ayant gagné la guerre sur le continent, paraît à cette époque pouvoir dominer pour des siècles. Rex, qui est à la mi-1940 rangé derrière le Roi, change de cap six mois plus tard et entre début 1941 dans la Collaboration. Cela aurait pu ne pas arriver et le mouvement rexiste aurait pu se trouver de l’autre côté durant la guerre.

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« Xavier de Grunne. De Rex à la Résistance », Lionel Baland, Godefroy de Bouillon.

Écrits de Lionel Baland sur le sujet :

Ouvrages :

* Xavier de Grunne. De Rex à la Résistance, Godefroy de Bouillon, Paris, 2017.

* Léon Degrelle et la presse rexiste, Éditions Déterna, Paris, 2009.

* Préface de la réédition de « La Révolution du XXe siècle » de José Streel, Éditions Déterna, Paris, 2010.

Articles :

* Fernand Desonay : des C.A.U.R. au maquis des Ardennes Belges, in : Bulletin d’Information du Centre Liègeois d’Histoire et d’Archéologie, n° 137, 2014, p. 63-66.

* Rex en wallon : Joseph Mignolet et Amand Géradin, in : Bulletin d’Information du Centre Liègeois d’Histoire et d’Archéologie Militaires, n° 141, 2017, p. 65-70.

lundi, 04 décembre 2017

Hergé par le Chouan des villes

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Hergé

par le Chouan des villes

Ex: http://lechouandesvilles.over-blog.com

Le film de Spielberg inspiré des aventures de Tintin m'offre l'occasion de parler un peu des relations qu’Hergé entretenait avec l'élégance. Le vêtement masculin tel qu'il apparaît dans les aventures elles-mêmes fera l'objet (peut-être...) d'un autre billet.

Hergé n'était pas beau. Son nez était trop grand, son visage trop allongé. Il avait quelque chose d’ingrat qui, jeune, le faisait ressembler à un coureur (belge, bien sûr...) du tour de France ! Ce qu'il avait de mieux, c'était ses yeux gris, aux reflets tantôt verts, tantôt bleus. Il y avait aussi sa silhouette longiligne, qui lui donnait une certaine allure. Toute sa vie, il fit attention à sa ligne. A la fin, sous l'effet de la maladie, la minceur devint maigreur. Les portraits d'alors provoquent un malaise : l'inéluctable est là, que des vêtements trop larges révèlent d'autant mieux qu'ils voudraient le dissimuler.

Hergé prêta, nous dit son biographe Benoît Peeters, « une éternelle attention aux vêtements (1). » L'origine de cette préoccupation remonte à son enfance : son père était l'employé d'un atelier de confection spécialisé dans les vêtements pour garçonnets et jeunes gens ; sa mère exerça jusqu'à son mariage la profession d'ouvrière tailleuse. C'est elle qui lui confectionna ses premiers costumes. Grâce à elle, il pouvait porter beau. Son élégance frappa dès leur première rencontre Germaine Kieckens, sa future femme, ou Paul Jamin, son assistant au Petit vingtième, le journal qui allait permettre à Hergé de se faire un nom... ou plutôt un pseudonyme.

Sur les photos de sa jeunesse, on le voit prendre des poses avantageuses, qui ont l'air empruntées à des vedettes de cinéma, succomber à des naïvetés de débutant.

Mais, très vite, il adopte un style discret, classique, reflet fidèle de ses idées conservatrices. Pierre Assouline, un autre de ses biographes, précise : « Pour ce qui est de l'élégance, ses collaboratrices évoquent sa netteté, son chic et son allure sportive (2). »

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Il ne fut cependant pas toujours indifférent à la mode. Il arbore dans les années 7O une coiffure dans le vent - cheveux plus longs recouvrant le haut des oreilles, mèche tombant artistiquement sur le front. La mise se décontracte, à l'image de celle de son héros qui, en 1977, dans Tintin et les Picaros, troque son célèbre pantalon de golf contre un vulgaire jean marron.

Hergé est arrivé alors au terme d'une lente et douloureuse évolution qui l'a amené à se détacher de tout ce qui n'était pas lui. Il a pris ses distances avec le catholicisme de sa jeunesse. Sa quête l'a conduit à s'intéresser, à partir de 1958, au taoïsme. Après bien des hésitations et des scrupules, il a quitté Germaine pour Fanny Vlamynck, de vingt-sept ans sa cadette, qu'il va finir par épouser en 1977. La palette de ses goûts s'est élargie. Il s'est initié à l'art contemporain sous l'influence de son tailleur, M. Van Geluwe, collectionneur d'oeuvres de ce genre. Les audaces de style du Hergé dernière manière témoignent de cette évolution. Audaces somme toute très limitées et parfaitement maîtrisées. Quand, en 1977, le festival d'Angoulême lui rend hommage, il ne renonce pas au costume-cravate. Au milieu des « bullistes » chevelus et mal nippés, sûr qu'il devait heureusement détonner !

S’il évolua, il ne se renia jamais. Ainsi aida-t-il du mieux qu’il le put ses amis journalistes qui, pour avoir « collaboré » avec lui au Soir de Bruxelles pendant la guerre, eurent maille à partir avec la justice.

Le goût d'Hergé pour les belles choses ne se limitait pas aux vêtements. Il aimait aussi, et notamment, les belles voitures. Il adorait la vitesse. « Ses voitures avaient longtemps été des sportives, nous dit Peeters, à la limite de la catégorie bolides. Il aimait conduire très vite, parfois sur des anneaux ou des pistes de performance. » Il a dessiné dans Tintin au pays de l'or noir la Lancia Aprilia à bord de laquelle il aurait quelques années plus tard un grave accident qui laisserait Germaine boiteuse à vie.

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Lancia Aprilia (1937)

Il roule en Porsche, en Mercedes...

Homme mûr, il se voit bien mener, dans sa vaste propriété de Céroux-Mousty, la vie d'un gentleman-farmer. Le Hergé d'alors, c'est un peu le Haddock qui, au début de L'affaire Tournesol, se promène, élégamment vêtu, dans la campagne entourant Moulinsart. Rêve de beauté et d'art de vivre...

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Porsche 1600: Hergé en posséda une...

Toute sa vie, Hergé eut le souci de la tenue, ce mot compris dans tous les sens. Souci né de la rencontre d’une éducation et d’un tempérament. « On ne naît pas impunément dans une famille liée au vêtement », écrit Peeters. J’ajoute qu’on ne naît pas non plus impunément dans une famille catholique ! « Rien ne le met en rage comme la désinvolture, dit Assouline. Plus qu’un crime contre l’esprit, elle est une faute de goût. Elle ne révèle pas seulement l’absence d’éducation, mais surtout le mépris des autres. » Difficile de distinguer ce qui, dans cette haine de la désinvolture et du laisser-aller, revient à l’éducation ou à la personnalité. La vulgarité sous toutes ses formes lui répugne. En 1932, un rappel militaire le sépare deux semaines de sa femme. Dans une lettre qu’il lui adresse, on peut lire ceci à propos des officiers : « La vie qu’ils mènent en commun leur enlève toute délicatesse, tout vernis. » Horreurs de la promiscuité…

Au sens le plus profond, Hergé était un homme d’ordre. Il lui fallait en toute chose – de la plus importante jusqu’à, apparemment, la plus dérisoire – introduire de la cohérence. Ses choix politiques, artistiques et, même, vestimentaires en portent témoignage. Son itinéraire spirituel aussi : découvrant qu’il n’avait jamais eu la foi, il se tourna vers d’autres formes de spiritualité, ne se résolvant pas à l’idée – moderne – d’un monde absurde. Dans l'œuvre univers d'Hergé (le concept est de Nimier), tout tourne rond, tout a du sens.

Les fragilités psychologiques et nerveuses d'Hergé sont connues. Sa rigueur, son exigence, son perfectionnisme le protégeaient de la menace, constante, du chaos. « Il n’avait pas la vocation du bonheur… Il y avait toujours quelque chose qui s’y mêlait… l’inquiétude… l’inquiétude… », écrit Peeters. L’effort créateur a sauvé Hergé du néant – de ce « rêve de blanc » qui, au moment de Tintin au Tibet, faillit venir à bout des défenses que, patiemment, il avait érigées pour contenir ses démons intérieurs. Le bonheur ? Un idéal pour Séraphin Lampion ! Hergé, c’était Sisyphe créateur. Un Sisyphe qu’il ne faut surtout pas imaginer heureux.

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1. Benoît Peeters, Hergé, fils de Tintin, Flammarion, 2002. 

2. Pierre Assouline, Hergé, biographie, Plon, 1996.

Tintin et moi

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Tintin et moi

Ex: http://lechouandesvilles.over-blog.com

Ce billet prolonge celui qu’une autre fois j’ai consacré à Hergé.

Quand la tintinophilie vire à la tintinolâtrie, elle ne m'intéresse plus. Ne me demandez pas combien de marches a l’escalier de Moulinsart ni le numéro d’immatriculation de la Lancia Aurelia qui, pilotée par un Italien survolté, traverse en trombe L’Affaire Tournesol. A peine si je sais distinguer les Dupondt à leurs moustaches. Je ne me ruinerais sûrement pas pour posséder l’édition rare d’un album. Je n’ai jamais acheté une statuette en résine d’un de mes personnages favoris. 

Mon amour pour Tintin est d’un autre ordre. Il puise à la source intarissable de l’enfance. Tintin a influencé pour toujours ma représentation de la réalité. Pour moi une canicule, c’est l’asphalte qui fond dans L’Etoile mystérieuse ; une éclipse, c’est Tintin ficelé à son poteau d’exécution qui implore Pachacamac dans Le Temple du soleil. Et chaque fois que je m’apprête à fréquenter un marché aux puces, je rêve d’y retrouver l’ambiance si poétique de celui que parcourt Tintin au début du Secret de la Licorne.

Des BD, il y en a beaucoup. Pourquoi, alors, cette fascination spéciale exercée par Tintin ? Des esprits très brillants ont tenté des réponses. Je n’aurai pas l’outrecuidance de me comparer à eux. Je me contenterai d’une observation fondée sur mon expérience. A mon avis, cette fascination tient beaucoup au dessin d’Hergé, qui a su trouver le point d’équilibre entre réalisme et imaginaire. Les personnages de Blake et Mortimer versent trop dans le premier ; ceux d’Astérix, trop dans le second. Le coup de génie d’Hergé consiste à avoir représenté les adultes avec un regard d’enfant. L’enfant est un caricaturiste-né. Les défauts des grandes personnes lui sautent aux yeux. La vérité peut alors sortir de sa bouche : « Maman, le monsieur a un très gros nez ! » ; « Papa, t’as vu comme la dame est maigre ! »

Si je sais lire les apparences, c’est en grande partie à Tintin que je le dois.

Tintin m’a appris à me méfier des gens qui se déguisent. Ils ont quelque chose à cacher. Je ne parle pas, bien sûr, de Tintin, qui se déguise quelquefois pour arriver à ses – nobles – fins, ni des Dupondt, dont les nombreux déguisements ridicules, censés les aider à se fondre dans le paysage, les désignent au contraire à la moquerie. Je pense à ce génie du mal qu’est Rastapopoulos, qui use d’identités et de panoplies diverses pour accomplir ses méfaits. Rastapopoulos se situe du côté dangereux de l’illusion. Ce n'est pas un hasard si, dans Les Cigares du pharaon, il s’occupe de cinéma et si, dans Coke en stock, il donne un bal masqué sur son yacht.

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Notre vêtement doit exprimer notre être profond. Cela aussi, c’est dans Tintin que je l’ai appris. En un sens, un homme stylé donne l’impression d’être toujours habillé de la même façon. Les saisons passent - auxquelles, bien sûr, il s’adapte -, mais sans affecter sa manière. Que quelqu’un vienne à lui dire : « C’est fou comme vos tenues d’été vous changent ! » et le voilà tout décontenancé. Un style est puissant quand il fait oublier les variations contingentes.

Tintin ne porte pas toujours les mêmes vêtements. Il est parfois en polo, ou en chemisette, ou en chemise, ou en pull… On le voit en costume ou en tenue dépareillée ; il arrive qu’il ait une cravate ou qu’il soit coiffé d’une casquette ; son imperméable est souvent droit, parfois croisé à martingale… Les couleurs aussi sont différentes : blanc, bleu, jaune, beige par exemple pour les chemises… Pourtant, l’impression qui domine, c’est l’absence de changement ! En cela, Tintin a du style. Qu’un élément vienne à dénoter, le lecteur, à raison, ne suit plus. Hergé a commis une faute en remplaçant, dans Tintin et les Picaros, la culotte de golf de son héros par un jean marron (1). Tintin, tout à coup, n’est plus Tintin. Parce que son style, c’est Tintin même.

Mon personnage préféré n’est pas Tintin ; c’est Haddock. Car plus complexe : humain, faible, soumis à son péché, généreux, enfantin, attaché au passé, mécontent des autres et de lui-même, colérique, dépressif – et sensible à la beauté. Ce dernier point a depuis longtemps retenu mon attention. En son château de Moulinsart, l’aventurier se fait gentleman. Il goûte à une vie de luxe et de calme : « Désormais, s’exclame-t-il au début de L’Affaire Tournesol, il ne me faut rien d’autre que cette promenade quotidienne (…) Ah ! le calme ! Ah ! le silence… Ecoutez-le, ce silence… » Dans Les Sept boules de cristal, il arbore le monocle et, dans Les Bijoux de la Castafiore, il revêt plusieurs tenues « dépareillées-chic » de belle apparence.

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Hélas ! La méchanceté des choses (2) a, à chaque fois, raison de son rêve de tranquillité. Son beau vase de Chine et son miroir florentin se brisent mystérieusement ; son ami Tournesol est enlevé ; la Castafiore attire les paparazzis chez lui…

Mon temps passe. Je vieillis. J’adapte du mieux que je peux mon vêtement à mon âge. Les héros d’Hergé n’ont pas eu à se donner cette peine. Pour ces bienheureux, le temps a arrêté son vol. Tintin est toujours un adolescent et Haddock, un homme entre deux âges. Cette bande dessinée a acquis l’intemporalité des œuvres classiques. Elle s’est détachée de sa période d’origine. Qui oserait prétendre qu’avec ses éternels cols durs Tournesol est démodé ? Les générations se succèdent. Tintin parle à mon fils d’une autre façon qu’il m’a parlé. Mais il lui parle ! Les années fuient. Je ne lis plus à cinquante-cinq ans Tintin au Tibet comme je le lisais quand j’étais enfant. Mais je continue de le lire !

Quand je suis triste, je me replonge dans ces livres d’images et ma tristesse se transforme en amicale nostalgie (3).

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1. Pierre Assouline explique, dans Hergé : biographie (Plon) : « La modernisation de l’apparence de Tintin (…), par complaisance vis-à-vis du producteur d’un des deux dessins animés adaptés de l’album, représente le seul moyen de rendre ce personnage à l’allure si désuète acceptable auprès du grand public américain. Mais pour qu’il y ait tout de même une continuité visuelle, les pantalons ne seront pas bleu délavé mais marron, solution bâtarde qui s’avère du pire effet. »
2. J’ai fait mienne cette belle expression de Liane de Pougy.
3. Pour les tenues dans Tintin, se reporter à l’étude qu’en a faite le regretté Paradigme de l’élégance ! 

dimanche, 11 juin 2017

Frontbeweging was geen speeltuin van beperkte groep intellectuelen

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Pieter Bauwens:

Frontbeweging was geen speeltuin van beperkte groep intellectuelen

Ex: http://www.doorbraak.be

De hete zomer van 1917: radicalisering van Vlaamse soldaten en de rol van een omstreden kapelaan.

Romain Vanlandschoot draagt, met zijn akoliet Pieter Jan Verstraete, de onofficiële titel ‘historicus van de Vlaamse Beweging’. In zijn bibliografie vinden we verschillende boeken en biografieën. Uitingen van een leven lang historisch onderzoek. Een van die biografieën is van Cyriel Verschaeve en Vanlandschoot is ook de afgevaardigd bestuurde van de vzw Kapelaan Verschaeve die het museum beheert dat in de voormalige kapelanij gevestigd is. De geknipte man om meer te vertellen over ‘de hete zomer van 1917’ en over de rol van Verschaeve in de Frontbeweging. Niet geheel toevallig het onderwerp van een colloquium op 8 juli 2017 in Alveringem.

Doorbraak: Hing er in ‘de hete zomer van 191’, een revolutionair klimaat in de loopgraven, of is dat overdreven?

Romain Vanlandschoot: ‘Neen dat is niet overdreven. Wat in de Belgische loopgraven gebeurde willen we plaatsen in een breder kader. Er waren de Ieren (na de Paasopstand in 1916 - red.), de Russische revolutie, de opstandigheid van de Franse soldaten én het ongemak aan de IJzer.’

De voorbeelden die u noemt zijn algemeen bekend, tenzij misschien wat in de Belgische loopgraven gebeurde.

‘Dat is ook het gevolg van een historische kijk op de Frontbeweging, de Vlaamse beweging aan het front. Dat werd te veel op zichzelf, los van de context bekeken. Ik ben nu al een aantal maanden bezig met een heel precies onderzoek naar de editorialen van Ons Vaderland het meest progressieve Vlaamsgezinde blad toen aan het front. Het is buitengewoon merkwaardig om de optelsom te maken van de internationale problemen die in de editorialen van Ons Vaderland worden besproken. Die internationale problemen vormen het kader waarin we de taaleisen en autonomie-eis aan het front kunnen plaatsen. Formeel is er natuurlijk een moment aan te wijzen: 11 juli  1917 met de brief aan koning Albert.’

Is toen het ongenoegen echt naar boven gekomen?

‘Een deel van die problemen bestonden al langer. Maar de meest eenvoudige uitleg is dat vele soorten van ongenoegen en ongemakken van de soldaten die in het slijk en de modder zaten toen samen kwamen. Het Belgische leger zat in een heel specifieke situatie vergeleken met de soldaten van de andere legers. De Engelsen en Fransen trokken welgezind naar huis op vakantie. Maar de Belgische soldaten zaten opgesloten achter het front. Het enige wat ze hadden waren kantonnementen en heel uitzonderlijk en pas vanaf 1917 kregen ze de kans om eens vijf dagen naar Engeland of Frankrijk ‘op congé’ te gaan. Je moet je de vereenzaming voorstellen in modder en slijk, in heel slechte winters, die van 1917 nog het slechts van al. En daar broeide en gistte van alles en nog wat aan ongenoegen.’

1917 is ook het activisme, had dat een invloed aan wat aan het front gebeurde?

‘Jazeker. Dat was voordien al begonnen. Lange tijd was ik van mening dat nauwelijks een paar mensen aan het front daarmee bezig waren. Er is een lange passage in het dagboek van Verschaeve in mei 1916, toen de belangrijkste maatregelen van Von Bissing in voege waren, hij schrijft een 20-tal bladzijden over het al dan niet accepteren van hulp bij het tot stand brengen van een fundamentele Vlaamse eis, de "Vlaamse Hogeschool" (in Gent - red.). Dat moet ook in de kapelanij bediscuteerd zijn. Maar de opinie was lange tijd: er is daar een kleine groep, enkele intellectuelen, maar de gewone Vlaamse jongens worden daar niet door geraakt. Maar in Ons Vaderland kan je lezen hoe aan de gewone Vlaamse soldaat wordt uitgelegd hoe belangrijk die Vlaamse universiteit voor hen is. Daarnaast is er de verbreding van de werking van het SKVH (Secretariaat van Katholieke Vlaamse Hoogstudenten - red.), dat begon als iets studentikoos, maar groeide uit tot veel meer. Het SKVH zette zich in voor elementaire vorming van soldaten zonder enige opleiding, die vaak analfabeet waren. Renaat De Rudder, is zo iemand die in heel eenvoudige taal voortdurend op die nagel klopt en soldaten leert lezen, rekenen en tekenen. Het was dus geen kleine afgescheiden groep intellectuelen. Het zat allemaal samen, maar in de historiografie van het interbellum en in het beeld dat het Vlaams-nationalisme zich gemaakt heeft, tientallen jaren later, is de visie verengd naar de Vlaamse eisen en zijn we het bredere zicht verloren.’

Klopt dan de stelling dat aan het front de flamingantische culturele en intellectuele beweging voeling kreeg met de volksjongens, tot dat moment zich weinig tot niet bewust van de  ‘Vlaamse zaak’ en een brede beweging werd?

‘Breder dan wat de officiële geschiedschrijving daarover kwijt wil. Sophie de Schaepdrijver zegt dat het een hoopje mensen is. Daarnaast is er het rapport van de hoofdaalmoezenier, Jan Marinis, die van de kardinaal de opdracht kreeg om een heel precies rapport te maken van de situatie aan het front, met inbegrip van de politieke eisen. Twee passussen zijn van belang als we het over de hete zomer van 1917 willen hebben. Marinis had begrip voor de taaleisen in het leger, maar was een formeel tegenstander van de politisering daarvan, en dat was waar Verschaeve voor stond. Volgens Marinis is de figuur van Verschaeve is groter en belangrijker dan wat men daar altijd over zegt. Daarnaast waarschuwt Marinis over de Frontbeweging, hij schrijft dat als het fout loopt met Verschaeve er minstens vijfduizend soldaten klaar staan om op straat te komen. Dat zegt een grote tegenstander van de frontbeweging, die op de vergaderingen van de aalmoezeniers en brancardiers formeel verbiedt om in de contacten met de soldaten te spreken over de Vlaamse kwestie en de taalproblemen.’

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Misschien moeten we de vraag anders formuleren. Is de Eerste Wereldoorlog het moment dat de gewone Vlaamse man als soldaat in contact kwam met die Vlaamse beweging en tot de conclusie kwam dat er iets niet klopte?

‘Het is duidelijk dat de Frontbeweging geen politieke speeltuin was van een beperkt clubje intellectuelen die hun studentikoze periode willen voortzetten aan het front. Het is dieper dan dat. Als je weet dat Ons Vaderland gedrukt werd op 9000 exemplaren en dat er 5000 verkocht werden dan kan je me niet meer wijsmaken dat er enkel een klein kringetje is van ex-AKVS’ers die elkaar vinden (AKVS = Algemeen Katholiek Vlaams Studentenverbond - red.). Het is breder. We moeten het ook niet overdrijven. Er waren ook Vlaamse soldaten die zich daar niets van aantrokken. Je kan niet zeggen dat de hele frontlijn wakker lag van de Vlaamse kwestie aan het front. De waarheid ligt daar tussen. Het grootste bewijs is gegeven in 1919, toen de Frontpartij deelnam aan de verkiezingen. Dan zie je aan het aantal stemmen hoe klein haar aanhang is vergeleken met het totale kiezersaantal, maar hoe groot hun aantal is bij de fronters, die niet allemaal plots wakker geschoten zijn in 1919. Dat is voornamelijk sterk beginnen leven in de zomer van 1917.‘

Op 11 juli 1917 is er een uitgebreide brief aan de koning verspreid aan het front. Een belangrijk en gedurfd signaal.

‘Hoe sterk autoritair en repressief de Belgische legerleiding ook was, men heeft die brief niet kunnen verhinderen. Vanaf mei 1917 is men aan de voorbereiding begonnen. Je kan dat lezen in het oorlogsdagboek van Van Severen. Die eerste brief is niet door Verschaeve geschreven. Verschaeve is er zelfs ontgoocheld over. Hij vindt die brief te chaotisch geschreven, te veel in "soldatentaal". De klachten zijn allemaal juist, maar de generaals in Houtem kunnen die te makkelijk wegzetten als goedkope soldatenklachten vindt Verschaeve. En dan reageert Verschaeve en daarover willen we het hebben in het colloquium op 8 juli. Hij schrijft daarop een hele serie brieven.’

‘De eerstvolgende is de Tweede Open Brief aan de Koning, veel korter en logischer opgebouwd. Door Verschaeve geschreven en veel scherper door een preciezere formulering. Die brief zet de toon voor de Frontbeweging in de komen de tijd. Die brief komt er al een maand na de eerste. De Fronters zijn nijdig, door gebrek aan antwoord en door de repressieve maatregelen die volgden na de brief. Daarna schrijft Verschaeve nog twee brieven: aan de paus en aan kardinaal Mercier. Heel typisch: Verschaeve denkt aan de paus en de kardinaal. Verschaeve schrijft aan de kardinaal een zuiver politieke brief om hem te zeggend dat hij fout zit met de maatregelen tegen de Von Bissingen. Mercier verwart volgens de brief politiek met godsdienst. Voor zover we dat kunnen natrekken in Vaticaanse documenten dacht men er in Rome ook zo over. Voor Verschaeve gaat het om de toekomst van Vlaanderen, eigenlijk kan België niet verder blijven bestaan, tenzij de twee ‘nationaliteiten’ structureel gevormd worden. De brief aan de kardinaal is volgens mij het meest politieke document van de Frontbeweging.’

‘De brief aan de paus is een typische "ultramontaanse" brief. Waarbij de paus ook gezien wordt als wereldlijk staatshoofd, met zeggenschap over de andere staatshoofden. De paus verdedigt de vrede en de kleinere volkeren en Verschaeve denkt naïef dat de paus zal deelnemen aan de vredesconferentie na de oorlog. Die context moet je meenemen als je de brief aan de paus leest. De paus wordt opgeroepen om in te grijpen voor de Vlamingen in België tijdens die vredesconferentie. De grote vraag is hoe die brief in Rome is geraakt en wat men ermee heeft gedaan. Er zijn in het Vaticaan verschillende brieven van aalmoezeniers aan de paus, niet enkel Vlaamse. Ook zijn er duidelijke aanwijzingen dat in het Vaticaan de positie van Mercier in vraag werd gesteld.’

Verschaeve had een enorme invloed in 1914-1918 en heeft na 1944 een heel slechte naam gekregen. Heeft de Tweede Wereldoorlog het beeld van de Verschaeve uit de Eerste Wereldoorlog beïnvloed?

‘De schaduw van de Tweede Wereldoorlog hangt over de verdiensten van Verschaeve. Dat is zo. Ik heb geprobeerd om dat historisch recht te zetten door een biografie van Verschaeve te schrijven. Ik wou een teken geven. Je kan de zware fouten die Verschaeve maakt er niet zomaar uit lichten en open spreiden over alles wat daarvoor is gebeurd. Dat is recurrente geschiedenis. Ik wil wel sporen zoeken in het leven van Verschaeve, hij was voor de Eerste Wereldoorlog al romantisch germanofiel en Deutschfreundlich. Er waren er meer zo in die tijd. Dat blijft aanwezig, maar mag niet in rekening gebracht worden om te zeggen in Wereldoorlog I, dat is de SS’er uit '44. Wat men wel gedaan heeft.’

‘Verschaeve heeft tijdens de Eerste Wereldoorlog wel nagedacht over het activisme en over de rol van Lodewijk Dosfel in het bijzonder. Hij maakte heel genuanceerde afwegingen over wat fout is en wat "schuld" is. Hij veroordeelde ten gronde en volledig de stap van de activisten naar de Duitsers en naar Berlijn. Maar hij vindt dat we achteraf bereid moeten zijn om te zien dat uit een slecht principe een goed gevolg kan komen. Dat is een bekend principe uit de moraaltheologie. Daarom moest de Vlaamse universiteit in Gent na de oorlog behouden blijven.’

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Dan is het des te verwonderlijk dat hij in de Tweede Wereldoorlog dezelfde weg op gaat en ook in fout gaat.

‘Hij maakt in de Tweede Wereldoorlog een hele zware fout. In mijn biografie heb ik geprobeerd om aan te duiden hoe Verschaeve na zijn zestigste verjaardag vereenzaamt. Politiek, ook door hem gewild, hij zweefde op wat de nationaalsocialistische propaganda over hem steeds herhaalde: "de geestelijke leider van Vlaanderen". Dat werd jaren na elkaar gezegd en in november 1940 stapt Verschaeve onmiddellijk in de collaboratie als voorzitter van de Cultuurraad. Maar hij ging daarna veel verder dan culturele collaboratie hij riep in toespraken op om mee te gaan in het verhaal van het nationaalsocialisme.’

We kennen die Verschaeve, maar was hij even radicaal in vorige oorlog?

‘Verschaeve is in zijn schrijven vrij ongenuanceerd, dat zeker, maar zowel Belpaire als minister Van de Vyvere die Verschaeve kennen en geen medestanders zijn, zijn overtuigd van zijn matigende invloed bij de militairen om niet over te gaan tot geweld. Je kan je niet voorstellen dat dat dezelfde man is die later oproept om met de SS te vechten in Rusland. Daar is Verschaeve nog de katholieke theoloog die tegen revoluties is, in het verlengde van de Franse revolutie.’

Hoe belangrijk was Verschaeve dan in de opbouw van de ‘ideologie’ van de Frontbeweging?

‘Zijn invloed is kleiner dan ik aanvankelijk dacht, maar groter dan groter dan uit de bestaande geschiedschrijving blijkt. Want in december 1918, nauwelijks enkele weken na de oorlog, zit Verschaeve in de redactie van (de krant - red.) Ons Vaderland dat zich wil ontpoppen tot het partijblad van de nieuw te ontwikkelen Frontpartij. En schrijft hij gedurende vier maanden minstens elke week een groot artikel onder de titel "de stem der Vlaamse doden". Die tien-twaalf artikels zijn een politieke explicitering van het vers "Hier liggen hun lijken als zaden in ’t zand, hoopt op den oogst o Vlaanderland". De oogst, dat was de Frontpartij. Hij pleit er ook voor in brieven dat de soldaten op de lijst staan van de Frontpartij in 1919.’

De Eerste Wereldoorlog was een belangrijk moment voor de Vlaamse beweging, maar in de herdenking van honderd jaar horen we daar maar weinig van.

‘Er is een eenzijdigheid die je al van vroeg zag aankomen. We hebben de kapelanij van Verschaeve aangepakt en geheroriënteerd. De focus van het historisch onderzoek is ook veranderd die ligt nu op het leven van de gewone soldaat. In soldatenbrieven gaat men op zoek naar hoe die soldaten de oorlog beleefden. Ik ben er van overtuigd dat uit Belgisch onderzoek ook die Vlaamse verzuchtingen naar boven zullen komen. Er is een soort verstenening van de mythes rond de Eerste Wereldoorlog, Belgische zowel als Vlaamse mythes. Ik ben ervan overtuigd dat die door het huidig onderzoek sterk genuanceerd zullen worden.’

We zijn honderd jaar later, maar er is blijkbaar nog veel dat niet onderzocht is. Siegfried Debaeke zei in een interview met Doorbraak dat het onderzoek naar het Belgische leger in de Eerste Wereldoorlog nog in de kinderschoenen staat. Deelt u die analyse?

‘Voor de helft heeft hij gelijk. Er zijn in de Westhoek twee verschijnselen, alles draait rond Flanders Fields en er bestaat een enorme blinde vlek; heel de bovenkant van de westhoek. Hoe leefden de Belgische soldaten in hun kantonnementen? Er is daar nauwelijks iets van onderzocht. We moeten ook die aspecten onderzoeken. We missen nu nog altijd een grote synthese van wat er met dat Belgische leger in die grote bocht van Nieuwpoort tot voorbij Diksmuide is gebeurd. We weten alles rond Passendale en Mesen. We weten iets van de dodengang, maar dat is fragmentair. Vele facetten zijn onderbelicht. Er komen nu nog honderd jaar later, nieuwe documenten boven. Ik inspireer me op de egodocumenten die er zijn in Flanders Fields. Ik vind dat hetzelfde moet gebeuren over de "Belgische Courbe". Je moet dan ook de vraag stellen hoe dat komt. Wel, ik denk dat men er in de officiële geschiedschrijving nooit is aan durven of willen beginnen, want als je die geschiedenis schrijft dan bots je natuurlijk op de hele geschiedenis van de Frontbeweging en alles wat eraan vasthangt. In die zin is de tekstkritische uitgaven van de Open Brieven een belangrijk moment. Dat het boek in het Vlaams Parlement werd voorgesteld is daarin symbolisch. De Frontbeweging is de geboorte van iets dat tot op de dag van vandaag doorwerkt. Met dat boek kan men daar ook wetenschappelijk niet meer zomaar omheen.’

Is de Frontbeweging dan zo belangrijk in de geschiedenis van de Vlaamse beweging?

‘Zij is een onverhoopt onverwacht acceleratiepunt van enkele eisen van de Vlaamse beweging die begonen is van een loutere taalbeweging maar plots verhoogd, verbreed en verdiept naar volksautonomie. Wilson zei dat er maar vrede kon komen in Europa als de kleine volkeren hun rechten krijgen. De paus steunde dat. Vlamingen voelden zich aangesproeken. Hun terminologie is onduidelijk en dat duurde de hele oorlog. Verschaeve heeft dat in zijn brief aan de kardinaal duidelijk gemaakt door over federalisme te spreken. Dis versnelling was revolutionair en mogelijk ondanks de legercensuur. De 21 juli van 1918 spreekt Van Cauwelaeert in Le Havre over het recht van de kleinere volkeren. Ons Vaderland vind maar een ding jammer ‘Hij vernoemt ons niet’. Ik denk dat hij niet durfde. Zo revolutionair was de Frontbeweging dus.’

Recent verscheen het boek ‘Alleen in u -o koning- geloven wij nog’ (recent besproken op Doorbraak) een tekstkritische publicatie van de Front brieven, en de historische context waarin ze tot stand kwamen. Daarin staan ook enkel bijdragen van Romain Vanlandschoot. Het boek is verkrijgbaar via onze webwinkel.

In de recent door Doorbraak uitgegeven politieke biografie van Frans van Cauwelaert, neemt de Eerste Wereldoorlog en de Frontbeweging een belangrijke plaats in. Ook dat boek is te koop op onze webwinkel.

Op zaterdag 8 juli 2017 organiseert de vzw Kapelaan Verschaeve een colloquium onder de titel ‘De hete zomer van 1917’. Naar aanleiding van de honderdste verjaardag van de Open Brief aan koning Albert I is het de bedoeling om de positie en de invloed van Verschaeve te herdefiniëren op basis van recente onderzoeken en publicaties.

mardi, 30 mai 2017

Quelques textes à lire impériativement du Professeur Roland Hubert

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Maurice Maeterlinck

Synergies européennes - Ecole des Cadres (Wallonie)

Quelques textes à lire impériativement du Professeur Roland Hubert (F.N.R.S. & Université Catholique de Louvain)

Ces textes expriment de manière approfondie le tropisme nouveau vers la littérature vernaculaire des provinces belges, afin de dégager le pays de la cangue que lui impose Paris et les marottes républicaines, répétées à satiété dans les médias dominants. Ce vaste mouvement a généré un travail remarquable, où se profile, en filigrane, la nostalgie de l'Allemagne, évincée de l'horizon culturel, surtout en Wallonie, depuis l'année fatidique de 1914. 

Cliquez pour lire le texte dans son intégralité:

Compte-rendu

lundi, 15 mai 2017

Dada in België

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Henk Jurgens:

DADA IN BELGIË

Ex: http://www.doorbraak.be

'Dada. Een geschiedenis' beschrijft het ontstaan en de ontwikkeling van de dadabeweging met bijzondere aandacht voor dada-Nederland en dada-België.

Een aantal tijdens de Eerste Wereldoorlog in het Zwitserse Zürich aangespoelde kunstenaars verenigden zich rond het cabaret Voltaire tot dada. Al gauw werd ‘Dada’ een geuzennaam voor allerlei groepjes schrijvers en kunstenaars die de beeldende kunst en de literatuur radicaal wilden vernieuwen. In Brussel werd Clément Pansaers gegrepen door dada. Hij was in 1917 door de Duitse schrijver Carl Sternheim als huisleraar voor zijn kinderen aangesteld. Sternheim woonde sinds 1912 in de villa Clairecolline te Terhulpen. De villa werd een ontmoetingsplaats voor de literaire en artistieke coterie van Brussel. Zo was Sternheim voor de oorlog goed bevriend met de Vlaamse dichter Emile Verhaeren. Na de Duitse inval in België wilde Verhaeren echter niets meer met Duitsers te maken hebben en emigreerde hij naar Engeland en later naar Frankrijk. Het was een radicaal einde van hun vriendschap.

Tijdens de oorlog kwamen veel Duitse kunstenaars die door de bezetters in Brussel gelegerd waren, bij Sternheim thuis. De dichter Gottfried Benn, die als legerarts in Brussel was gestationeerd, werd een intieme vriend, net als Otto Flake, Alfred Flechtheim en Carl Einstein (geen familie). De schrijver Otto Flake was bij de persvoorlichting gestationeerd en de kunsthandelaar Flechtheim bij de Duitse administratie. Einstein had als  ‘Generalgouvernement Brüssel Abteilung Kolonien’ in Tervuren zijn kantoor. Tijdens de oorlog bloeide het culturele leven in Brussel op. Concerten, toneelvoorstellingen en soirées werden druk bezocht. Cafés en restaurants beleefden hoogtij dagen.

Clément Pansaers en Carl Einstein raakten goed bevriend. Pansaers had voor de oorlog onder het pseudoniem ‘Julius Krekel’ in het tijdschrift  Onze Stam verhalen en gedichten gepubliceerd. Het is, zo schreef hij in Onze Stam, de taak van de ‘literators-talenten in Vlaanderen’ dat zij ‘op hunne wijze zaaien het zaad, het Vlamisch zaad van herwording, van eigen-zijn in hun eigen Vlaamsch Volk en land.’ Vanaf 1917 gaat Pansaers het Franstalig maandblad Résurrection uitgeven, waarschijnlijk met financiële steun van Sternheim. Vooral Duitse expressionisten kwamen aan het woord. ‘Pansaers “nieuwe België” moet uit twee delen - Vlaanderen en Wallonië - bestaan die hoogstens als federatie met elkaar verbonden zijn,’ schrijft Hubert van den Berg in zijn studie Dada, een geschiedenis. Deze belangwekkende studie is door Vantilt in Nijmegen uitgegeven. ‘De politieke oplossing die hij bepleit, sluit naadloos aan bij de Flamenpolitik van de Duitse bezetter. Wanneer de Duitse bezetting in 1918 ten einde loopt, wordt Pansaers voor “boche”, “mof”, aangezien en wordt zijn huis geplunderd. Hij zoekt een veilig heenkomen en vertrekt naar Berlijn, waar hij -net als andere Vlaamse vluchtelingen, onder wie Paul van Ostaijen – op een bescheiden toelage van de Duitse overheid kan rekenen, in zijn geval voor zijn aandeel in de Duitse Flamenpolitik tijdens de bezetting.’ Na de wapenstilstand in 1918 vertrok Sternheim naar Sankt Moritz in Zwitserland waar hij bevriend raakte met de Vlaamse kunstenaar Frans Masereel die in 1917 een gedichtenbundel van Emile Verhaeren geïllustreerd had. Op de vlucht voor Hitler en zijn trawanten vluchtte Sternheim in 1935 weer naar Brussel. Gottfried Benn was al in 1917 als legerarts ontslagen en teruggekeerd naar Berlijn. Otto Flake verhuisde in 1918 naar Zürich, waar hij zich aansloot bij de Dadaïsten. Na de oorlog heropende Alfred Flechtheim zijn galerie in Düsseldorf.

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Clément Pansaers

Carl Einstein was na de wapenstilstand nauw betrokken bij de Novemberrevolutie in Brussel. Op zondag 10 november 1918 werd de soldatenraad in Brussel geproclameerd. De Duitse staat was uit elkaar gevallen en de Belgische overheid had haar gezag nog niet kunnen herstellen. Einstein voerde namens de Soldatenraad de onderhandelingen met het Brusselse stadsbestuur. De geallieerde overwinnaars zagen een Soldatenraad in het net bevrijdde Brussel echter niet zo zitten en ook de Parti Ouvrier Belge, de Belgische socialisten, had geen belangstelling. Na een paar dagen werd de Soldatenraad weer opgeheven en vertrok Einstein naar Berlijn waar hij zich aansloot bij de Berlijnse dadaïsten.

‘In zijn Berlijnse tijd (1918-1921) staat Paul van Ostaijen heel dicht bij Dada, zowel persoonlijk als artistiek’ schrijft Van den Berg in zijn Dada-studie. ‘Hij kent verschillende Berlijnse dadaïsten. Toespelingen in zijn werk, vooral in het filmscript De bankroetjazz, tonen dat Van Ostaijen allerlei dadaïstische publicaties goed kent. Ook zijn voorliefde voor het groteske deelt hij met hen.’

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Paul van Ostaijen

In december 1919 schreef Pansaers, terug uit Berlijn, een brief naar de dadaïsten in Zürich. Hij doet net of hij slechts per ongeluk van dada heeft gehoord. ‘Ik ben tot nog toe de enige in België die principes vergelijkbaar met de uwe verdedigt. Als u ermee instemt, zou ik alles willen bundelen wat dada voor België aangaat.’ Bijna een jaar later schreef hij een brief aan de Parijse dadaïsten waarin hij voorstelde een grote manifestatie te organiseren om dada in België te introduceren. De manifestatie heeft nooit plaats gevonden. In april 1921 vertrekt Pansaers naar zijn dada-vrienden in Parijs. Intussen is in Antwerpen in april 1920 het eerste nummer verschenen van het dada-maandblad Ça Ira. Maurice van Essche, een leerling van James Ensor, had samen met de Vlaamse schilder Paul Joostens het initiatief genomen. In Ça Ira verscheen werk van de Vlaamse kunstenaars Jan Cockx, Frans Masereel, Jozef Peeters, Karel Maes en Paul Cantré. Ook de Nederlander Theo van Doesburg, de leider van de Stijl-groep werkte aan het tijdschrift mee. Het laatste nummer van Ça Ira verscheen in januari 1923. Een paar maanden eerder, in het najaar van 1922, had het tijdschrift nog in het Cercle Royal Artistique van Antwerpen een overzichtstentoonstelling georganiseerd.

Clément Pansaers stierf al in 1922. Hij is 37 jaar geworden.

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Titel boek : Dada. Een geschiedenis
Auteur : Hubert van den Berg
Uitgever : Vantilt, Nijmegen
Aantal pagina's : 352
Prijs : 29.95 €
ISBN nummer : 978 90 7569 797 1
Uitgavejaar : 2016

mercredi, 10 mai 2017

L’histoire de Neutral-Moresnet

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Matthias Hellner :

C’était le plus petit pays du monde, il y a cent ans

L’histoire de Neutral-Moresnet

Après les guerres napoléoniennes et les bouleversements que l’Empereur des Français avait imposés à l’Europe, les vainqueurs ont décidé de refaire la carte du continent. Au Congrès de Vienne, les territoires d’Europe furent redistribués : de nouvelles frontières furent tracées, tout en tenant compte d’une nécessité, celle d’assurer un équilibre entre les puissances. Dans la foulée de ce travail de réorganisation continentale, une curiosité est sortie des cogitations des diplomates : ce fut la naissance du plus petit pays du monde et de l’histoire européenne. Son existence s’est étendue sur environ 103 ans. Ce pays minuscule était le « Neutral-Moresnet », Moresnet-Neutre, un petit village situé à environ sept kilomètres au sud-ouest d’Aix-la-Chapelle (Aachen), entre la Rhénanie, province prussienne, arrondissement d’Aix-la-Chapelle et le Royaume-Uni des Pays-Bas. On ne savait pas à l’époque que faire de ce petit bout de territoire (344 hectares ou 3,4 km2, 256 habitants et quelque 50 maisons). Prussiens et Néerlandais ne s’étaient pas mis d’accord pour une raison bien simple : la commune recelait des gisements de calamine (ndt : d’où son nouveau nom en langue française : « La Calamine »). Ce minéral, proche du zinc, servait à fabriquer du laiton. A l’état natif, ce métal était particulièrement apprécié parce qu’il était léger et inoxydable. Moresnet (La Calamine) possédait ainsi le plus grand gisement de calamine de toute l’Europe occidentale. Pour cette raison, tant la Prusse que le Royaume-Uni des Pays-Bas revendiquaient la possession de ce village.

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Aucun des deux Etats ne souhaitait laisser Moresnet à l’autre. De surcroît, le Congrès de Vienne n’avait pas très bien défini le tracé des nouvelles frontières dans la région. Prussiens et Néerlandais décidèrent alors de signer un traité d’Etat en 1816, qui réglait la question à l’amiable et de manière très originale. Cet accord eut pour résultat de faire émerger sur la carte un petit pays de forme triangulaire, entre le Moresnet belgo-néerlandais et le Moresnet prussien. Le territoire était administré par deux « commissaires gouvernementaux », un Néerlandais et un Prussien. Après 1830, quand les provinces catholiques belges se séparèrent des provinces protestantes du Nord et que la Belgique acquit ainsi son indépendance, le commissaire néerlandais fut remplacé par un commissaire belge. Mais rien ne changea : le statu quo s’est maintenu.

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Le territoire de Neutral-Moresnet connut un véritable boom économique à partir de 1837, année où la société des mines dites de la « Vieille Montagne » fut créée afin d’exploiter les gisements de calamine. En 1857, Neutral-Moresnet avait pris de l’ampleur et comptait désormais 304 maisons. Le nombre d’habitants avait décuplé et était alors de 2572 âmes. En 1914, on avait atteint le chiffre de 4668 habitants.

belgiummoresnet.jpgNeutral-Moresnet ne connaissait ni tribunal ni élections ni service militaire : pour autant, l’anarchie n’y régnait pas. L’ordre y était maintenu par des policiers belges et prussiens qui avaient l’autorisation, si cela s’avérait nécessaire, de franchir la frontière pour cueillir des délinquants. La Belgique et la Prusse se partageaient la masse fiscale. Il n’y avait aucune taxe sur les importations et les exportations, ce qui avantageait la contrebande. Le village disposait de trois gares : Hergenrath pour les grandes lignes qui reliaient Liège à l’Allemagne ; une gare cul-de-sac qui avait, elle, un statut de neutralité et qui s’étendait sur quelques centaines de mètres au-delà de la zone neutre ; enfin, une troisième gare en direction de Moresnet sur la ligne Tongres/Aix-la-Chapelle. L’entreprise qui donnait du travail était pour l’essentiel la société des mines. Elle ne négligeait pas le bien-être des travailleurs qui bénéficiaient de temps libres, largement encouragés. Des chœurs et des orchestres de mineurs furent créés ainsi que pas moins de sept associations de « Schützen », une société de pêcheurs et plusieurs sociétés de carnaval. La densité des bistrots y était inégalée. Quand éclate la première guerre mondiale, le petit territoire de Neutral-Moresnet est immédiatement occupé par les armées du Kaiser mais reste, du moins sur le plan formel, administré conjointement par les Belges et les Prussiens. Le Traité de Versailles donne le territoire à la Belgique et s’appelle désormais « Kelmis » (en allemand et en néerlandais) et « La Calamine » (en français). Il s’était appelé « Kalmis » jusqu’en 1972.

Matthias Hellner.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°18/2017 – http://www.zurzeit.at ).

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Un article du Spiegel sur « Neutral-Moresnet »

Dans son édition n°17/2017, le célèbre hebdomadaire de Hambourg, Der Spiegel, a consacré trois pages à deux romans néerlandais, récemment traduits en allemand, et consacré à l’histoire de la petite zone neutre de Moresnet. Il s’agit de Zink de David Van Reybrouck, de nationalité belge, et de Niemands Land de Philip Dröge, de nationalité néerlandaise. Van Reybrouck imagine la vie agitée d’un habitant de la localité. Non sans avoir décrit l’incroyable liberté  et la joie de vivre qui régnaient dans le patelin, tout au long du 19ème siècle.

Droege.jpgAinsi arrive dans cet eldorado de la calamine une certaine Maria Rixen, servante allemande engrossé par son patron. Elle y cherche le bonheur, refuse l’exclusion qu’un siècle encore très pudibond inflige aux filles-mères en Prusse protestante. Elle accouche d’un garçon, confié, comme le veut l’époque, à une famille d’accueil : le petit Joseph Rixen est débaptisé dans la pratique car la maisonnée compte déjà un petit Joseph. On l’appelle Emile Pauly. Un gamin à double identité. En 1914, il devient allemand. En 1919, belge. En 1923, l’armée belge l’appelle comme conscrit. Il doit aller occuper la Ruhr. En 1940, il redevient allemand et est incorporé dans la Wehrmacht, encaserné dans la même caserne qu’il occupait à Krefeld sous l’uniforme belge. Il se sent belge, baptise son septième fils « Léopold », en l’honneur du roi. Il déserte mais est arrêté par des résistants qui le traitent en ennemi. Une belle région qui a été tiraillée entre trois pays. Aujourd’hui existe une structure européenne nommée l’Euroregio qui regroupe les provinces belges de Limbourg et de Liège, l’arrondissement d’Aix-la-Chapelle/Düren et la province néerlandaise du Limbourg (avec Maastricht), ce qui englobe tout le territoire de la « communauté germanophone de Belgique (Eupen, Saint-Vith et Malmédy). Les destins personnels au cours du 20ème siècle sont souvent complexes et peuvent servir de matière à des romans poignants. On aurait espéré plus de biographies personnelles. En effet, que n’ai-je pas entendu de récits trop fragmentaires de tel résistant (qui se germanisera après la guerre en épousant une belle Rhénane), de tel « malgré-lui » expédié en Russie, en France ou en Norvège, de tel Aixois d’origine wallonne mais de nationalité allemande, du prisonnier allemand devenu, contraint et forcé, mineur en pays liégeois (et qui a voulu y rester), de cet adjudant de carrière wallon qui a décidé de finir ses jours en Rhénanie car la vie y est plus conviviale, d’un Verviétois de mère allemande et de père wallon engagé sur le front russe, de tel Volksdeutsche habitant Liège ou natif de la Cité ardente qui ne saura pour qui opter, etc. Nos deux auteurs ont un message : revenir aux temps joyeux de Neutral-Moresnet.

mardi, 18 avril 2017

A propos d'une première monographie sur Jean Thiriart

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A propos d'une première monographie sur Jean Thiriart

par Eric Vuylsteke

YS-thiriart-pardes.jpgChef d’entreprise avisé, matérialiste athée, communiste réformateur, sportif, narcissique revendiqué, quelque peu mégalomane, redoutable organisateur et homme d’ordre, tiers-mondiste de droite, précurseur du nationalisme européen et de la grande Europe, jacobin, révolutionnaire inclassable, mal compris et souvent utilisé, tel est le Jean Thiriart (1922-1992) que nous dépeint Yannick Sauveur au terme de 127 pages fort bien documentées.

Celui qu’Alain de Benoist considérait comme une des rares têtes  pensantes de l’ultra-droite d’après la guerre voulut,  dès les années 1960, créer un parti historique capable de faire émerger les conditions d’une révolution nationale européenne qui verrait naître une Europe unitaire et centralisée de Brest à Bucarest d’abord, de Brest à Vladivostok ensuite.

Niant (ou ne prenant pas en compte) les faits ethniques et culturels, Thiriart voyait la grande Europe comme une communauté de destin sans tenir compte de l’enracinement et de l’histoire de ses composants: ce qui aboutit à vouloir créer une nation ou plutôt un empire sur du sable. Bref l’on est loin de l’Europe aux cents drapeaux que nous défendons.

Si l’on peut être favorable à la disparition des états nations, comme le voulait Thiriart, en faveur d’une grande Europe Impériale, encore faut-il accepter la longue mémoire des divers peuples composant l’Europe: fait qui ne peut être nié au profit de l’idée exacte mais réductrice d’une communauté de destin comme définition de la nation. Jean Thiriart se considérait (surtout à partir de 1980) comme un communiste non marxiste promouvant un «communisme intelligent» qu’il appelait communautarisme (mais ce terme était utilisé dès les années 1962/1963, le contenu ayant sans doute évolué) mais, à vrai dire et au-delà des apparences, le communautarisme de Thiriart est assez éloigné de l’idée de communauté du peuple car le fait ethnique et spirituel était absent de cette notion de communautarisme.

Il y eut certainement une évolution dans la pensée de Thiriart mais cette évolution est due en grande partie à l’évolution géopolitique depuis 1961, date de la constitution du mouvement "Jeune Europe" par Thiriart et plusieurs autres personnalités de la droite radicale belge.

Yannick Sauveur a connu le Thiriart des années post activisme soit aux alentours des années 1972 à 1992. «Jeune Europe» (principale organisation de l’ultra-droite de l’après-guerre en Belgique) fut active de fin 1961 à 1965 (même si théoriquement l’aventure pris fin en 1969) et se voulut une organisation révolutionnaire transnationale européenne mais la majorité de ses militants se trouvait en Belgique et en Italie.

Jeune Europe et son principal doctrinaire étaient profondément hostiles à l’impérialisme américain (mais bizarrement pas à l’impérialisme culturel américain) et à l’impérialisme soviétique communiste de l’époque  ("Ni Moscou Ni Washington" était le mot d’ordre).

Thiriart s’était rapidement imposé comme chef du mouvement Jeune Europe qu’il organisa de manière structurée et disciplinée avec ses membres, ses militants en chemises bleues qui, debout de part et d’autre de la salle, encadraient les meetings rassemblant plusieurs centaines de personnes.

Les orateurs portaient souvent le même uniforme (la chemise bleue, interdite par Thiriart après 1965, qui voulait ainsi éviter tout anachronisme et tout amalgame facile).

Les meetings se terminaient par le chant des troupes d’assaut  (Nous sommes les hommes des troupes d’assaut, les soldats de la révolution…..). A cela s’ajoutait les bagarres de salle et de rue, subies ou provoquées par Jeune Europe), bagarres où Thiriart était toujours en tête de ses hommes, la grosse laisse en métal de son chien à la main.

Cette période 1961 à 1965 (que j’ai connue partiellement dans mon extrême adolescence, comme militant) révélait une Jeune Europe de combat ou la croix celtique était à l’honneur et dont tant la pratique  que les discours s’inscrivaient dans un romantisme fascisant assumé.

Éric Vuylsteke.

Yannick Sauveur, "Qui suis-je ?" Thiriart, Editions Pardès, 2016.

sarl.pardes@orange.fr


vendredi, 17 mars 2017

Pascal Zanon overleden

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Pascal Zanon overleden
 

Ex: http://www.stripspeciaalzaak.be

In het al meermaals door sterfgevallen geplaagde jaar moeten we nog het schrijnende overlijden van de op 1 november 1943 in Brussel geboren tekenaar Pascal J. Zanon toevoegen. Hij tekende de eerste negen albums van de reeks Harry Dickson naar de held van Jean Ray.

Pascal_J_Zanon.jpgHij overleed al op 15 januari 2017, maar het nieuws raakte pas een paar weken geleden bekend. De 73-jarige man overleed namelijk in absolute eenzaamheid in een ziekenhuis in Brussel. Eind 2016 drong zijn dokter tijdens een routineonderzoek aan op een operatie omdat er een fatale slagaderbreuk dreigde. De operatie in het ziekenhuis was een succes, maar er waren complicaties en er wachtte hem een revalidatieperiode. Uiteindelijk overleed hij aan een longontsteking. Het ziekenhuis lichtte niemand in en hij werd inderhaast begraven in een kist die werd betaald door de gemeenschap.

Blogger Robert Steuckers herinnert Pascal "Julius" Zanon vooral als een zachtaardige, vriendelijke man met een gouden hart die meticuleus met documentatie te werk ging voor zijn tekeningen die in de klassieke tradities van de klare lijn passen. Dat proces kostte veel tijd waardoor het verschijningstempo laag was. Hij verdiende nauwelijks zijn brood en stortte geen enkele cent aan de sociale zekerheid. Hij gaf zijn geld liever uit aan boeken, ijsjes en taarten. Dat leverde hem weliswaar een proces op, maar na de verloren zaak vertikte hij het nog altijd om te betalen.

Harry Dickson verschijnt sinds 1986. Weldra verschijnt deel 12, het tweede album dat getekend is door Renaud (Jessica Blandy). Philippe Chapelle hielp mee aan deel 9 en tekende deel 10.

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dimanche, 26 février 2017

Hommage à Pascal Zanon, joyeux compagnon, cœur d’or et fidèle d’entre les fidèles

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Robert Steuckers :

Hommage à Pascal Zanon, joyeux compagnon, cœur d’or et fidèle d’entre les fidèles

J’ai rencontré Pascal Zanon à Bruxelles en juillet 1978, lors du défilé du 21 juillet où la foule était venue acclamer les parachutistes qui avaient sauté sur Kolwezi en mai. Il y avait encore une certaine ferveur politique (et non partisane) à cette époque : étudiants,  en ces jours proches des examens de fin d’année, nous étions attablés aux terrasses de la Place du Luxembourg, quand un crieur de journaux a annoncé que les paras de la Légion avaient sauté et nettoyé la ville minière du Katanga, un rugissement de joie sauvage a secoué la foule, les convives des terrasses comme les centaines d’employés qui se dirigeaient vers la gare en cette fin d’après-midi. Un vrombissement de joie et de colère, atavique et viscéral, que je n’ai plus jamais entendu depuis. Le 21 juillet, journée très ensoleillée cette année-là, je fais donc la connaissance, dans la foule des badauds, de celui que nous appelions « Julius » car c’est sous ce pseudonyme qu’il avait été le caricaturiste et le dessinateur d’Europe-Magazine, revue dirigée par Emile Lecerf, disciple de Montherlant. « Julius » croquait certes quelques figures de la détestable faune politicienne belge mais préférait son strip des aventures de la « P’tite Nem », une jolie et tendre étudiante, et, surtout, ne vivait alors que pour dessiner ses planches historiques, dont sa préférée, m’a-t-il confié, était celle de la bataille de Lépante (1571). L’histoire, tant l’évènementielle   -les nouvelles pédagogies ont essayé de l’éliminer-  que la quotidienne, l’intéressait bien davantage que la politique. Cela ne l’empêchait pas d’être un lecteur particulièrement attentif de toutes sortes de journaux et de revues politiques belges et françaises, dont il me résumait avec précision le contenu lors de chacune de nos rencontres. « Julius » était doté d’une mémoire d’éléphant.

PZ-ba.jpgLe 21 juillet 1978, c’est la volubilité de ce garçon d’origine italienne (au patronyme du Frioul et né d’une mère napolitaine), son accent du terroir bruxellois, son sens de la zwanze, sa bonté qui était immédiatement palpable, son incroyable gentillesse, qui m’ont fait dire tout de suite : « Voilà un excellent camarade ! ». J’ai su qu’il habitait Etterbeek mais ne suis jamais allé chez lui : nous nous rencontrions aux hasards de nos pérégrinations en ville : aux abords des bonnes librairies, dans le quartier de la Grand’Place, aux Puces de la Place du Jeu de Balle. « Julius » était immanquablement accompagné de copains et de copines, parfois très hauts en couleurs. Je me souviens ainsi d’une soirée au magnifique hôtel Métropole, suite à une rencontre dans une librairie toute proche qui n’existe plus aujourd’hui. Ces rencontres fortuites et agréables se sont étalées de 1978 à 1981. Mais la vie quotidienne, le déménagement avec mes parents à Wezembeek-Oppem, les études, les séjours à l’étranger (en Allemagne et en Angleterre) puis mon passage dans le cloaque du sinistre de Benoist à Paris et mon service militaire à Marche-en-Famenne m’ont fait perdre « Julius » de vue. En septembre 1983, je réaménage dans le quartier de la ville, qui, auparavant, avait toujours été le mien. Chez le libraire des lieux, surnommé « Jeremy Puddingtam »,  je tombe quelques années plus tard, en 1986, sur le premier album de la série « Harry Dickson », intitulé La bande de l’araignée. Le dessin me plait, ligne claire oblige. La représentation des véhicules, des bâtiments, des armes et des uniformes est très précise, ce qui fait la qualité d’une bonne bande dessinée depuis les exigences de réalisme d’Hergé et de Jacques Martin. La dernière planche de Coke en stock, album de Tintin que j’ai reçu à l’âge de trois ans et huit mois, m’avait fascinée, enfant, car j’y reconnaissais toutes les voitures qu’on trouvait à l’époque dans les rues de Bruxelles. Dans La bande de l’araignée (BA) et dans sa suite immédiate, Les spectres bourreaux (SB), cette volonté de reproduire avec la plus grande exactitude possible le réel est manifeste : comment ne pas être séduit par le premier dessin de Londres sous la brume, par le laitier anglais et le vendeur de journaux (p. 6), par l’immeuble de Scotland Yard (p. 14), par la voiture noire qui fonce sous un ciel d’automne tourmenté (p. 19), par les avions, par la calendre de la Peugeot (p. 25), par la Bugatti qui prend de l’essence sous la neige des Alpes (p. 30) ? Dans Les spectres bourreaux, album de 1988, le style s’est affirmé : splendides dessins que ce décollage d’appareils SIAI Marchetti (p. 4), que l’émergence hors des flots de l’U47 (p. 9), que les combats de la page 10, que le manoir anglais de la page 15, que l’avion au repos à Croydon (p. 17), que les commandos de marine anglais en fin d’album, etc. « Julius » était capable de donner du mouvement à ses dessins comme l’atteste de manière exemplaire la voiture noire d’Harry Dickson, fonçant à toute allure dans les rues de Londres (SB, p. 14).

PZ-HD.jpgEt surprise, après l’achat de ces deux albums, sans m’être rappelé que le prénom et le patronyme de « Julius » étaient Pascal et Zanon, au détour d’une rue de mon quartier, coucou, qui voilà qui déboule, comme le Général Alcazar au début de Coke en stock ? « Julius » ! Avec son intarissable volubilité habituelle, il me raconte ce qu’il est devenu : auteur de bande dessinée ! Le dessinateur d’Harry Dickson ! Son éditeur, Christian Vanderhaeghe, par ailleurs scénariste des albums, possède un hôtel de maître cossu dans le quartier. « Julius » en occupe le « basement » qui lui sert de studio.  Il m’emmène dans cette véritable caverne d’Ali Baba. Dans le fond, un matelas sommaire pour ses siestes et pour les soirs où il ratait le dernier tram vers Etterbeek. Des monceaux de livres avec des photos d’époque prises dans les sites que devait visiter  le héros Harry Dickson, au fil de ses aventures, pour que tout soit reproduit le plus fidèlement possible. Des livres avec des croquis militaires, des photos de matériels en action. Une maquette de tous les avions reproduits dans les albums. Une miniature de chaque voiture, au moins à l’échelle 1/43ème. Tout cela témoignait, sous mes yeux admiratifs, d’une volonté de pousser encore plus loin le réalisme voulu par Hergé et par Jacques Martin. Ce réalisme apparaît époustouflant dès le troisième album, Les trois cercles de l’épouvante (3CE, 1990), dont l’action se déroule surtout en Chine. « Julius » a été capable de reproduire bâtiments, véhicules, trains, bateaux, de la Chine des années 1930, avec le talent d’un maître avéré.

« Julius » devient une figure du quartier, fréquentant principalement le salon d’un glacier à barbe blonde, devenu témoin de Jéhovah, un des rares Belges à exercer ce métier artisanal dans le quartier car c’est l’apanage des Italiens. Il faut dire que « Julius » était un solide amateur de sucreries. Une boulimie insatiable ! Qui lui avait fait prendre des dizaines de kilos depuis notre première rencontre. Si je me contentais d’un café ou de deux boules à la vanille chez le glacier « jéhoviste », « Julius », invariablement, absorbait une plantureuse « coupe américaine », soit neuf boules de neuf parfums différents ! Et il n’était pas rare qu’il traversait la chaussée pour s’acheter un grand gâteau à la pâtisserie « Deneubourg-Baudet » qu’il allait dévorer tout entier en cachette dans sa caverne !

Après la parution des Trois cercles de l’épouvante, « Julius » quitte le quartier pour retourner à Etterbeek, à un jet de pierre de la station de métro Thiéffry. Nous nous rencontrons alors dans un café situé en un endroit hautement stratégique : en face, tout à la fois, d’un grand magasin de maquettes (Tamiya et autres), baptisé le « 16ème Escadron », et de la grande librairie de l’Escadron, spécialisée en livres d’histoire, d’histoire militaire et en opuscules sur tous les matériels existants et ayant existé, le tout en sept ou huit langues (polonais et russe compris). « Julius » et Vanderhaeghe sont évidemment des clients assidus de cette librairie, dont je deviendrai aussi un client fidèle, bien que moins fréquent. Et Vanderhaeghe se fournit en maquettes au « 16ème », pour donner aux albums la plus grande exactitude possible.

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« Julius » était tout seul dans son studio. Il n’avait pas une équipe d’adjoints autour de lui, comme Hergé ou Martin. C’est là qu’il faut saluer, humblement, sa puissance d’artiste : il faisait tout, absolument tout. Chaque détail des albums a été créé de sa main propre : on imagine le boulot, le temps investi, pour réaliser des planches comme celle de la page 21, dans Le royaume introuvable, où Harry Dickson va rencontrer son ennemi Georgette Cuvelier, sur la passerelle face au Quai de Valmy à Paris. Il faudra attendre le neuvième album, Les gardiens du gouffre, pour que Philippe Chapelle vienne apporter son excellente contribution, avant de prendre le relais de « Julius », dont la vue se troublait dangereusement à cause de la progression insidieuse de son diabète (rançon cruelle des « coupes américaines » et des gâteaux de Deneubourg-Baudet !). Dans cet album réalisé en duo, en trio avec Vanderhaeghe, il faut admirer une planche, celle où l’hydravion d’Harry Dickson survole la cité inca de Machu Picchu puis « une vallée encaissée de l’altiplano ». 

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Les conversations qui se déroulaient au café en face de la librairie de l’Escadron et du « 16ème Escadron » tournaient autour de la vie politique du royaume, de l’Europe et du monde, de l’évocation des amis actuels, anciens ou disparus mais je retiendrai surtout celles qui touchaient à l’histoire de la bande dessinée, au rôle et à la fonction de ce 9ème art, aux rencontres dans cet univers que « Julius » faisait, notamment suite aux festivals de la bande dessinée à Angoulême, où il s’était rendu assez souvent.

 « Julius » s’inscrivait, cela va sans dire, dans la tradition de la bande dessinée bruxelloise dite de la « ligne claire », inaugurée en son temps par Hergé. A cette ligne claire, il fallait ajouter un hyper-réalisme dans les décors. Aucun objet, bâtiment, véhicule ne pouvait être fictif, inventé au pied levé, et surtout anachronique. Comme j’avais pu le constater lors de ma visite de sa cave après notre première rencontre, chaque planche des aventures d’Harry Dickson est inspirée d’une photo d’époque, chaque véhicule ou aéronef est dessiné d’après maquette ou photo ou planche-profil : j’avais même un jour été avec Vanderhaeghe glaner dans une librairie de la Chaussée d’Alsemberg des ouvrages de photographies sur des villes européennes, Moscou, Saint-Pétersbourg et Istanbul, si je me souviens bien. Les scènes chinoises dans Les trois cercles de l’épouvante attestent tout particulièrement de cette infinie minutie, de ce souci maniaque de la documentation.  Jacques Martin tentait toujours de faire de même pour l’antiquité. Par ailleurs, ses excellents albums sur les costumes de l’antiquité, sur les villes des mondes grec et romain, dans la collection « les voyages d’Alix », puis du moyen-âge avec « les voyages de Jhen » et de l’époque contemporaine avec les « voyages de Lefranc », constituent un travail parallèle et utile, une poursuite de l’œuvre du maître discret tout à la fois de Goscinny pour Astérix et de Martin pour Alix, je veux parler de Jérôme Carcopino, auteur célèbre auprès des latinistes pour sa Vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’Empire. « Julius » m’expliquait qu’il devait sa formation de dessinateur à Jacques Martin, à qui il vouait une profonde reconnaissance : c’était l’inventeur d’Alix, Lefranc et Jhen (Xan) qui lui avait prodigué les conseils qui comptent. « Julius » me disait assez souvent qu’il avait envie de réaliser des albums historiques, des récits de bataille comme Gettysburg ou surtout Lépante car il était fasciné par le rôle des galéasses vénitiennes dans cet affrontement naval du 16ème siècle. Il m’avait réitéré ce désir juste après que j’eus rédigé un long essai sur cette bataille et ses préliminaires récapitulant toute la confrontation euro-turque depuis le choc Manzikert en 1071, qui avait ébranlé dangereusement l’Empire byzantin. Dans les pages des derniers numéros de l’Europe Magazine d’Emile Lecerf, « Julius » avait commencé à croquer des épisodes de l’histoire, avec le désir (jamais réalisé) de renouer avec une tradition du journal de Spirou : les pages didactiques et historiques de l’Oncle Paul : cette chronique s’était étalée de 1951 aux années 1970. L’Oncle Paul a ainsi raconté plus d’un millier d’histoires à ses jeunes lecteurs (dont nous fumes tous, bien entendu). « Julius » avait la culture historique requise pour reprendre une chronique de ce genre.

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Pour « Julius », qui s’avérait véritable théoricien de sa profession dans les conversations qu’il tenait à Etterbeek ou ailleurs, à Saint-Gilles ou à Forest, la fonction du dessinateur de bandes dessinées était de reprendre la tradition des illustrateurs, métier qui avait progressivement disparu avec l’invention, la généralisation et le perfectionnement de la photographie. Il évoquait les pages de L’Illustration, célèbre publication française, qui avait encore recours, avant 1940, à de géniaux illustrateurs pour compenser le manque de photographies. Malheureusement, jamais il ne couchera sa vision du métier sur le papier et jamais il ne donnera le long entretien qu’il s’était promis de me donner. J’essaie ici, vaille que vaille, de reconstituer le fil de sa pensée en la matière. Discret, « Julius » ne révélait rien de compromettant, de désagréable ou de grotesque sur les collègues qu’il rencontrait à Angoulême ou à d’autres festivals. Simplement, il évoquait sa rencontre avec la coloriste d’Hergé, France Ferrari, décédée en 2005, dont il avait recueilli les confidences, peu amènes à l’égard de l’héritière Fanny Vlamynck. « Julius » refusait de révéler ces propos car il estimait que les diverses polémiques contre le nouveau couple Vlamynck/Rodwell de l’entreprise « Moulinsart » et du Musée Hergé n’étaient pas toujours de mise et que son projet de conserver la pureté de l’héritage hergéen, de le soustraire à tous mauvais pastiches ou à toute exploitation de piètre qualité était juste. Il n’y avait donc pas lieu d’ajouter une louche, pensaient « Julius » et Vanderhaeghe. On déplorera simplement que cette vigilance est quelquefois excessive, surtout contre des initiatives qui ont, elles aussi, le souci de maintenir un « hergéisme pur » : je pense aux Amis d’Hergé et au sculpteur Aroutcheff. Le hergéisme pur (où le mot « pur » n’est pas innocent ici !) est incompatible avec la mentalité marchande anglo-saxonne : c’est comme si Rastapopoulos avait emménagé à Moulinsart ! Impensable !

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« Julius » se foutait royalement des conventions sociales de l’Etat-Providence. Travaillant lentement, non par paresse comme pourraient le dire de méchantes langues, mais parce qu’il bossait seul, tout seul ; il ne gagnait guère sa croûte, les albums ne paraissant pas à intervalles suffisamment rapides. Jamais, il n’a payé un sou à une caisse de sécurité sociale, une de ces pompes à fric qui bouffent nos héritages et nos rentes pour engraisser des parasites politiciens et apparentés. « Julius » préférait donner ses maigres sous à des libraires, à des glaciers ou à des pâtissiers. Juste vision des choses : un livre, un gâteau, une glace, c’est du concret. Un jour, quand je fis un procès à ma caisse de sécurité sociale parce qu’elle me réclamait des cotisations indues, suite à un changement de statut, j’entendis, dans la salle du tribunal du travail, que l’on citait le nom de notre « Julius », lequel était évidemment absent ; il avait « envoyer son chat » comme on dit en Flandre. La caisse « Partena » le harcelait, lui envoyait des huissiers, retardait la parution des albums. Le convoquait au tribunal. L’avocat qui le persécutait et celui qui, minable mercenaire, devait défendre sa boite de voyous contre moi, était le même. Le juge s’est fichu de lui, l’a engueulé. Penaude, cette larve infecte, à tronche molle de gamin gâté, est venue gémir dans mon gilet : mon cas étant réglé, j’ai pris la défense de « Julius » et menacé de lancer une pétition contre sa crapule de mandante et contre sa clique d’avocaillons qui avaient l’outrecuidance de poursuivre un des plus grands artistes de la « ligne claire » pour quelques misérables deniers à jeter dans le tonneau des Danaïdes du machin Partena. J’ai rompu une lance, non pas pour « Julius » seul mais pour l’art en général, pour les artistes, contre la vermine avocassière, mutuelliste et politicienne. De toutes les façons, la gesticulation de Partena et de ses vils mercenaires n’a servi à rien. « Julius » a poursuivi sa trajectoire, en sifflotant et en ne payant jamais un penny. On l’a toujours soigné pour rien. Il a l’aura de l’artiste, les autres, la marque de Caïn que portent tous les méchants imbéciles. Le monde des artistes est lumineux, comme le cœur et la voix de « Julius ». Le monde des juristes et des mutuellistes est sombre comme un cloaque, comme une géhenne pestilentielle. Cet incident démontre que le système occidental, libéral en son essence et adepte de l’ingénierie sociale pour corriger ses effets les plus désastreux, est mis en place pour annuler l’indépendance des citoyens et surtout leur voler leur temps métaphysique, le temps de la réflexion, de l’introspection réparatrice et de la création artistique. Certains futuristes italiens, et aussi Gabriele d’Annunzio (qui n’était pas des leurs), parlaient de la nécessité d’établir une « artecrazia » contre tout le bric-à-brac politicien où l’homme était traité avec condescendance et mépris comme un « pauvre » ou comme un être imparfait à corriger, à formater pour lui enlever ses tendances soi-disant violentes mais aussi sa propension irrationnelle à créer de la beauté visuelle ou sonore (le thème d’ Orange mécanique d’Anthony Burgess). Violence répréhensible et création artistique sont mises sur un même pied par la vermine du système : « Julius » devait donc, parce que créatif, être pressé comme un citron, ruiné, jeté dans la misère mais, dixit Partena, c’était pour son bien, pour sa sécurité sociale.

PZ-ELV.gifDans la foulée des conversations éparses que nous tenions à intervalles irréguliers, Vanderhaeghe me demande en 1997 de faire traduire en néerlandais L’étrange lueur verte. L’ami MvD s’y attèle. Je lui file un coup de main. Il le fallait bien. Imaginez comment traduire la prose lyrique de Vanderhaeghe : « Les langueurs océanes d’Atlantic City sont brutalement balayées par le rugissement de deux bolides teintés d’or et de sang ». Ou encore : « Dans un grondement de tonnerre, un lingot de métal affilé comme une lame surgit de l’ombre du box voisin ». Pire : « Foudroyée, la Daimler-Benz décolle de sa trajectoire irradiant une étincelante lueur verte ». « Mais telle une météorite traversant l’éther, le bolide argenté plonge irrémédiablement vers l’enfer ! ». « Une coulée d’or embrase les murailles du Nouveau Monde inconscient de la menace qui fond sur lui ». En plus, Max, le complice de Georgette Cuvelier , s’exprime en un argot de truand marseillais, repris des romans policiers de Léo Malet, ancien anarchiste et surréaliste mais néanmoins traité de « xénophobe » à la fin de sa vie. La boucle était bouclée : le « lyrisme » de Vanderhaeghe faisait penser à certaines phrases du Cœur aventureux d’Ernst Jünger ; avec l’argot du surréaliste Malet, on était en plein dans un drôle de bain,  on pouvait « numéroter nos abattis ». Le pauvre MvD et le pauvre de moi ont dû mettre cela en néerlandais : les tournures trop flamandes ont déplu aux critiques hollandais ; les tournures hollandaises, injectées à dessein par MvD, ont déplu aux critiques flamands : vieille histoire qui avait déjà cassé la tête de Willy Vandersteen qui, longtemps, avait dû publier deux éditions de ses aventures de Bob et Bobette. Une pour les Pays-Bas, une autre pour la Flandre. « Julius », lui, était heureux : il avait pu, dans L’étrange lueur verte, dessiner de splendides voitures de course, des autos de la police américaine, des Boeing F-48, un char T3, des camions de pompiers new-yorkais et surtout deux appareils futuristes dont l’aile bleue de Georgette Cuvelier qui vaut bien l’aile rouge d’Olrik dans les aventures de Blake et Mortimer. Les dessins illustrant le combat entre l’appareil de Georgette et celui , tout jaune, d’Harry Dickson sont époustouflants. Du bel art.

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Mes dernières rencontres avec « Julius » ont eu lieu à la librairie de l’Escadron. La cécité le menaçait, rendant pénible le métier de dessinateur. Le diabète faisait des ravages. Notre ami le Dr. Berens, dit le « Doc », avait prescrit une solide cure d’amaigrissement, l’avait exhorté à abandonner la consommation frénétique de gâteaux et autres sucreries. Les séjours à l’hôpital se succédaient. Mais rien n’abattait son insouciance. La famille Mosbeux, qui tenait la librairie de l’Escadron, avait pris « Julius » sous sa protection. Un repas chaud l’attendait souvent à la librairie, en fin d’après-midi, entre 17 h 30 et 18 h, confectionné avec tendresse et chaleur par Madame Mosbeux. Sa logeuse, Mme Podevin, avait toutes les indulgences pour lui, même si elle rouspétait parfois (à juste titre !). Vanderhaeghe était le bon Samaritain qui bougonnait mais qui avait une patience qui confinait à la sainteté. Douloureusement affecté par ces maux lancinants, « Julius » gardait intact son cœur d’or, son cœur d’enfant : il était toujours bouleversé quand un ami avait quelque ennui de santé, souvent bien moins grave que les siens. La dernière rencontre à l’Escadron ne laissait rien augurer de bon. « Julius » racontait des plaisanteries, était égal à lui-même, mais son état général avait empiré de façon inquiétante.

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Fin 2016, lors d’une visite de routine chez le médecin, celui-ci décèle l’imminence d’une rupture d’anévrisme, toujours fatale et de façon foudroyante. Réaction de « Julius » : « Bigre, je vais convoquer tous mes amis pour leur dire un dernier adieu » ! On le convainc de tenter l’opération. Elle réussit. Mais il y a des séquelles. Il part en revalidation. Il chope un début de pneumonie. Il meurt le 17 janvier 2017. Seul. Absolument seul. La clinique n’avertit personne. Le dernier héritier de la « ligne claire » est enterré à la va-vite, dans un cercueil « made in China », fourni par l’assistance publique. Une fin comme Mozart.

Nous avons perdu un excellent camarade. Nous n’en retrouverons jamais plus un pareil. Il est allé rejoindre l’ami Yves Debay qu’il admirait tant.

Robert Steuckers,

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dimanche, 19 février 2017

“Des bulles et des ailes. L’univers de Jean-Michel Charlier”

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“Des bulles et des ailes. L’univers de Jean-Michel Charlier”

Ce soir, Méridien Zéro vous propose un aperçu de l’oeuvre et de la vie de Jean-Michel Charlier, scénariste prolixe de la BD francophone et “père” de héros bien connus tels que Buck Danny, Tanguy et Laverdure ou encore Blueberry. Pour l’évoquer, PGL reçoit Francis Bergeron, avec la complicité d’Arnaud Naudin. L’émission est disponible en podcast ainsi que sur RBN et Kebeka Liberata.

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A la technique, JLR en ce jour anniversaire de la mort d’Ernst Jünger le 17 février 1998.

Pour écouter: 

http://radiomz.org/emission-n299-des-bulles-et-des-ailes-...

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lundi, 09 janvier 2017

Renaud Nattiez aux Amis de Hergé 2016

 

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Renaud Nattiez aux Amis de Hergé 2016

Renaud Nattiez est né entre Paris et la Belgique, pendant la gestation d'On a marché sur la Lune. Ancien élève de l'ENA et Docteur en économie, il est aujourd'hui inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche. Dans ce document, il nous parle de son livre, sorti aux édition "Les Impressions Nouvelles", de son livre intitulé "Le Mystère Tintin - Les raisons d'un succès universel".