Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 25 novembre 2020

Luc-Olivier d'Algange ou l'Europe secrète

Luc-Olivier-d%u2019Algange-@TV-Liberté-1280x720.jpg

Luc-Olivier d'Algange ou l'Europe secrète

par Christopher Gérard

Ex: http://archaion.hautetfort.com

Lecteur de Balzac, disciple du gnostique Raymond Abellio et du mystique monarchiste Henry Montaigu, Luc-Olivier d’Algange poursuit depuis des décennies une quête exigeante, nourrie d’immenses lectures, de Platon à Nietzsche, et dont l’objectif est toujours de « sauvegarder en soi, contre les ricaneurs, le sens de la tragédie et de la joie ».

Même s’il en appelle parfois au Christ, un Christ solaire et victorieux à des années lumières du dolorisme ecclésiastique, Luc-Olivier d’Algange se révèle Hellène, adepte d’une pensée de type orphique.

AVT_Luc-Olivier-d-Algange_4535.jpgContre-moderne résolu, allergique aux « voies ferrées » de l’infralittérature officielle, il résiste à toutes les formes d’hébétude et d’anesthésie, à la massification globale comme aux formes nouvelles ( ?) d’obscurantisme.

Il y a chez lui du paladin de l’ancienne France royale et du mystique de l’Allemagne secrète. Par son travail de recherche et d’approfondissement effectué dans la solitude et dans l’indifférence aux modes, l’homme prépare un « dé-confinement » esthétique et spirituel, une sortie de la Caverne ainsi qu’un recours à l’essentielle leçon des Grecs, nos Pères : faire de l’homme « la mesure de toute chose » pour citer le Protagoras de Platon. Il s’agit bien de faire contrepoids aux langueurs du déclin : « L’exil intérieur est source de folles sagesses dont aucune ne se soumet à la tristesse ».

C’est dire s’il faut applaudir la réédition revue et augmentée de quatre de ses livres dans la belle collection Théôria que dirige Pierre-Marie Sigaud chez L’Harmattan, et qui a pris la suite de la regrettée collection Delphica des éditions L’Âge d’Homme. Il s’y retrouve en bonne compagnie aux côtés de Françoise Bonardel, de Jean Borella ou de Frithjof Schuon. L’ombre de Venise, le salut aux mânes de Dominique de Roux, les relectures de Dante et d’Hölderlin, l’alchimie et Henry Corbin peuplent des pages marquées au sceau de l’exigence.

Luc-Olivier d’Algange ou le Bon Européen, celui « qui ne se soumet point au temps » !

Christopher Gérard.

Luc-Olivier d’Algange, L’Âme secrète de l’Europe, L’Harmattan, 368 pages, 38€

71-OYmeHqeL.jpg

Extrait d'un entretien paru en 2007

Christopher Gérard : Pouvez-vous retracer les grandes étapes de votre parcours spirituel et littéraire ? Les grandes lectures qui vous ont marqué à jamais, les grandes rencontres ?

Le regard rétrospectif est souvent trompeur, les grandes étapes que nous croyons distinguer dans notre cheminement témoignent bien mieux de ce que nous sommes au moment où nous parlons que du chemin parcouru. Nous confondons, souvent de bonne foi, les auteurs qui nous ont véritablement influencés avec ceux qui nous apparurent comme des confirmations d’une pensée déjà éprouvée. De même que l’histoire est écrite par les vainqueurs, le moment présent détient le secret de ce que nous pensons de notre passé. Or, de  mon propre passé, je ne trouve à dire que du bien, mais un bien indéfinissable, polyphonique, versicolore, chatoyant.  Je ne puis m’empêcher de voir dans le passé personnel ou hérité un faisceau de circonstances heureuses, de coups de chance, de bonheurs inexplicables, de dons inespérés, quand bien même rien ne m’inclina jamais à me dissimuler à moi-même le caractère désastreux de la situation d’ensemble, dans une France triplement, ou quadruplement vaincue, dont l’hébétude s’est changée peu à peu en un conformisme assez hargneux, voire inquisitorial, au point de faire de tout auteur, une figure assez crédible d’accusé. Dans le domaine littéraire, de nos jours, le rôle de procureur ne le cède, et rarement encore, qu’à celui de l’avocat. Il me semble, au contraire, que les œuvres, par les joies qu’elles nous donnent, par l’énergie nerveuse qu’elles nous communiquent, par les sollicitations sensibles et intellectuelles qu’elle prodiguent, appartiennent aux bienfaits de l’existence, quand bien même elles contredisent à nos convictions ou à nos croyances.

luc-olivier-dalgange-366168.pngMa première grande lecture, fut celle, vers l’âge de dix ans, de Balzac. Expérience prodigieuse : l’impression que le Saint-Esprit lui-même était descendu sur terre pour connaître l’humanité ! Je vous livre mon sentiment d’alors dans toute sa naïveté… Il n’en demeure pas moins que ma lecture de René Guénon, de Raymond Abellio ou de Henry Corbin est issue, pour ainsi dire de ma lecture du Louis Lambert de Balzac. Loin de moi d’exclure l’hypothèse que ma curiosité pour la Chine et le Tibet, ma lecture des taoïstes et de Milarepa n’eût été influencée, depuis l’enfance, par les albums de Hergé. Mon père eut l’excellente idée de me faire lire Voltaire et Barbey d’Aurevilly, sans me dire exactement s’il fallait préférer l’un ou l’autre. J’eus ensuite la chance d’avoir pour professeur en classe en cinquième, Jacques Delort, auteur d’un beau livre sur la poésie et le sacré, qui nous fit découvrir, entre autres, Rimbaud, Mallarmé, Stefan George, Saint-John Perse, André Breton et René Daumal. J’étais armé. Mes promenades du côté du Quartier Latin et de Saint-Germain, du temps où les librairies et les salles de cinéma n’avaient pas encore cédé la place aux marchands de ticheurtes et de bouffe, me permirent de parfaire une culture improvisée, je ne dirais pas d’autodidacte, mais d’amateur ou de promeneur. Quelques expériences dionysiaques me portèrent à m’intéresser à Mircea Eliade, Julius Evola et Ernst Jünger. Enfin, je devins un lecteur éperdu des romantiques allemands et anglais dont les œuvres me semblaient non seulement une admirable révolte contre la platitude imposée, mais comme l’approche d’une connaissance de l’âme humaine et de l’âme du monde. Novalis, Jean-Paul Richter, Arnim, Brentano, Chamisso, Eichendorff, Hoffmann, Schlegel, ces noms évoquent une pensée déliée, heureuse, légère où la raison et les mystères s’épousent plus qu’il ne se heurtent, où l’on pouvait croire encore en une civilisation, c’est à dire en une civilité romane, placée sous le signe des Fidèles d’Amour. Si l’on connaît mieux un écrivain en lisant ses livres qu’en dînant avec lui, au contraire du préjugé journalistique et de la psychologie de bazar, deux rencontres demeurent marquantes pour moi, celle de Raymond Abellio, attentif et généreux, et celle de Henry Montaigu, chevalier de l’Idée Royale «  quêteur de Graal et chercheur de noise ».

Depuis trente ans, vous écrivez sans relâche, imperturbable. Pouvez-vous évoquer en quelques mots votre conception du travail de l’écrivain, par exemple en partant de deux citations de L’Ombre de Venise («  Les œuvres ne valent qu’opératoires, je veux dire en tant qu’instrument de connaissance. Toute poésie est gnose » et « faisons du mot saveur un mot-clef ») ?

Ces trente ans que vous évoquez me donnent un vague sentiment d’effroi. J’ai toujours l’impression d’écrire pour la première fois et dans la plus grande improvisation. L’art d’écrire m’évoque la navigation. Nous prenons le large sur une embarcation plus ou moins frêle, avec une vague idée de retour, et sommes ensuite livrés à toutes sortes de chances maritimes ou météorologiques auxquelles nous ne pouvons presque rien. La notion de « travail du texte » me semble incongrue : elle  vaut pour ceux qui restent à quai et passent leur temps à ripoliner leur coque. Si les œuvres ne sont pas des instruments de connaissance, si elles ne nous portent pas vers des Hespérides inconnues, vers ces « Jardins de la mer » qu’évoquent les Alchimistes, si nous ne sommes pas tantôt encalminés tantôt jetés dans la bourrasque, à quoi bon ? La saveur est le savoir, le sel de Typhon. La saveur est exactement le « gai savoir » nietzschéen, la sapide sapience qui est le secret de tout art de l’interprétation.  L’écrivain est aruspice, il s’inspire des configurations aériennes ; ses signes sont des vols d’oiseaux sur le ciel blanc. La fin de l’interprétation est de prendre les choses pour ce qu’elles sont, des Symboles, autrement dit de magnifiques évidences. Nous écrivons pour que les choses redeviennent ce qu’elles sont, dans toute leur plénitude. Nous témoignons d’une préférence pour ce qui est, nous ne voulons pas d’autre monde que celui-ci, qui est à la fois naturel et surnaturel, en gradations infinies, du plus épais au plus subtil, du plus tellurique au plus archangélique. Nous aimons cette joie qui nous est donnée et nous détestons ce qui voudrait nous en exproprier.

31zT0N7t5tL._SX346_BO1,204,203,200_.jpgL’Ombre de Venise : quelle en est la genèse ? Et le principal angle d’attaque… Car il s’agit d’un livre de combat, n’est-ce pas ?

Toute œuvre est de combat ; c’est exactement ce qui distingue une œuvre d’un travail. La genèse de L’Ombre de Venise fut simplement le dessein de capter un moment de ce dialogue intérieur qui accompagne mes promenades. Je suis, en effet, comme Powys, un écrivain du grand air… Quant au combat, c’est un combat contre l’abrutissement, l’inertie, le ressentiment, un combat contre l’indifférence et l’oubli qui nous menacent à chaque instant. Un combat contre le travail et contre la distraction, un combat pour l’otium. Un combat pour la possibilité d’être dans un corps, une âme et un esprit, autrement dit un combat pour la multiplicité des états de la conscience et de l’être. Tout, dans le monde moderne, semble vouloir nous réduire individuellement et collectivement à un seul état de conscience plus ou moins harassé, hypnotique, triste et morose. Il s’ agit de s’éveiller, de reprendre possession des biens qui nous sont offerts, à commencer, par notre pouvoir d’énonciation de ce beau cosmos miroitant qui nous entoure. La morale procustéenne dispose de mille ruses pour nous affaiblir, j’écris pour en déjouer quelques unes. D’où l’importance de l’œuvre de Nietzsche, qui inspire ces déambulations vénitiennes, exhortations à « l’éternelle vivacité » que nous préférons à la « vie éternelle ».

Vous évoquez à chaque page le réenchantement du monde, et même une ferveur païenne. Qu’entendez-vous par ce paganisme… aux accents souvent taoïstes ?

Il y eut, aux dernières décennies du siècle précédent, un fort courant « philosophique », prônant le « désenchantement du monde ». Ces philosophes associaient l’enchantement à la barbarie, l’un d’eux n’hésitant pas à écrire, je cite :  « Critiquer la technique au nom de la poésie de la nature est une barbarie » ! On voit bien ce qu’un philosophe héritier des Lumières peut trouver à redire aux enchantements. Mais ces ensorcellements obscurs, cette défaite de la Raison, cette capitulation de l’entendement devant des puissances ténébreuses me semblent bien plus, désormais, le fait de la Technique que d’une « poésie de la nature ». Autrement dit : la conscience humaine, avec ses vertus classiques, ou pour ainsi dire « humanistes », est aujourd’hui bien plus directement menacée par l’hubris technologique, avec ses folies génétiques et ses réalités virtuelles, que par les héritiers de Jacob Böhme ou de Novalis.

9782917579145.jpgL’idée que l’enchantement et l’entendement humain soient exclusifs l’un de l’autre est des plus étranges. Ces dieux et ces mythologies chasseresses dans les jardins royaux, les Contes de Perrault, et, plus proche de nous Jean Cocteau, dans ses œuvres littéraires et cinématographiques, témoignent de l’alliance heureuse entre l’esprit décanté, usant des pouvoirs de la raison et l’enchantement immémorial. Toute pensée naît, pour reprendre l’expression de René Char, d’un « retour amont ». Aux antipodes des philosophes du désenchantement, nous trouvons donc les taoïstes, épris de ces « randonnées célestes » propices aux belles lucidités : «  Après la perte du Tao, écrit Lao-Tzeu, vint la vertu. Après la perte de la vertu, vinrent les bons sentiments. Après la perte des bons sentiments vint la justice. Après la perte de la justice restèrent les rites ». Ainsi nous est donné à comprendre, pour nous en garder, le triomphe des écorces mortes : le fondamentalisme moderne et la modernité fondamentaliste qui se partagent le monde.

L’enchantement, loin d’être le signe d’une dépossession ou d’une régression est le signe d’une recouvrance. C’est au moment où nous nous approchons du sens que le monde s’irise et s’enchante. Nous désirons un monde clair, et le mot lui-même renvoie d’abord au son, avant de dire la lumière ou la raison. C’est d’un chant que naît la clarté, comme le disent les poèmes d’Hölderlin. Un monde désenchanté est un monde obscurantiste, « qui ne rime plus à rien », un monde sans voix, ou dont les voix sont couvertes par « le vacarme silencieux comme la mort ».

Entretien complet :

http://archaion.hautetfort.com/archive/2007/06/04/rencont...

samedi, 21 novembre 2020

Thibaud Gibelin : « Viktor Orbán n’a pas attendu 2015 pour subir les foudres des médias occidentaux »

orban.jpg

Thibaud Gibelin : « Viktor Orbán n’a pas attendu 2015 pour subir les foudres des médias occidentaux »

Ex: https://www.breizh-info.com

Le Brexit consommé, l’axe franco-allemand déséquilibré, l’Union européenne aborde à bout de souffle les années 2020. Un vent de fronde souffle sur l’Europe centrale, où Viktor Orbán dessine depuis dix ans une alternative politique qui inquiète l’Europe de l’Ouest.

Premier ministre de Hongrie une première fois de 1998 à 2002, son retour en 2010 marque un véritable tournant européen. En une décennie d’exercice continu du pouvoir, Viktor Orbán a fait exploser tous les clivages : avocat de l’unité européenne, mais bête noire de Bruxelles ; à la fois démocrate et illibéral ; rigoureux en économie, mais opposé au libre-échange global ; défenseur de l’Occident chrétien et diplomate empressé auprès de la Chine, la Turquie et la Russie…

L’Union européenne prendra-t-elle le visage de l’homme fort de Budapest dans les années à venir ?

gibelin-orban.jpgDans un livre qui vient de paraître, intitulé « Pourquoi Viktor Orbán joue et gagne » (éditions fauves) Thibaud Gibelin retrace l’histoire du groupe de Visegrád – la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie – pour mieux comprendre ce qui se joue aujourd’hui en Europe centrale et éclairer la personnalité d’un chef d’État parmi les plus décriés et certainement les plus expérimentés du continent.

Nous l’avons interrogé sur l’ouvrage, particulièrement éclairant sur ce qu’il se passe à quelques heures d’avion, au centre de l’Europe, loin des commentaires de journalistes mainstream à la solde d’institutions non élues qui font la pluie et le beau temps au sein de l’Union Européenne.

Pour commander le livre, c’est ici

Breizh-info.com : Vous publiez un livre intitulé « Pourquoi Viktor Orbán joue et gagne ». Quelle est la genèse de ce livre ?

Thibaud Gibelin : La genèse de ce livre, c’est d’abord une dizaine d’années d’étude, de voyage et de travail à travers l’Europe. J’avais suivi de près les élections législatives de 2018, quand Viktor Orbán a été réélu, pour la seconde fois d’affilée, avec 2/3 des sièges au Parlement. On était alors dans le sillage de la crise migratoire, qui a mis en vue cet homme d’Etat sur la scène politique européenne. Les médias prophétisaient la déroute de son parti, et en ont été pour leurs frais. Il m’a semblé important d’expliquer de quoi Viktor Orban est le nom. En éclairant ses positions à la lumière de l’histoire centre-européenne. En replaçant sa carrière politique dans ces grandes faillites idéologiques que sont la chute du communisme au tournant des années 1990, et la crise systémique de l’Occident libéral depuis 2008 environ.

Breizh-info.com : Viktor Orbán est devenu y compris malgré lui la figure de proue étatique et politique de la résistance identitaire à l’immigration et à l’islamisation en Europe. Comment l’expliquez-vous ? Cette image est-elle fondée ?

Thibaud Gibelin : Il y a bien sûr une part de réalité. Il y a aussi une projection des espoirs et des craintes de l’opinion publique occidentale. Espoir d’une restauration de la puissance publique en faveur de la continuité historique des nations européennes ; crainte d’un populisme chaotique et inconséquent.

Les préoccupations identitaires en Hongrie viennent de loin. Le pays a subi l’impérialisme ottoman de longs siècles, et refuse d’ouvrir les vannes de l’immigration musulmane. La situation géographique du pays, au sud-est de l’espace Schengen, l’oblige selon les traités à garder la frontière extérieure face à un nombre considérable de migrants illégaux.

La Hongrie compte à peine 10 millions d’habitants, son influence dans le concert européen tient à la solidarité tissée avec les autres pays du groupe du Visegrad. De même, c’est paradoxalement l’appartenance à l’Union européenne qui donne aux positions hongroises une envergure continentale. Pas plus tard qu’hier, en bloquant l’adoption du budget européen pluriannuel 2021-2027 et celui du plan de relance – réfutant ainsi qu’un biais idéologique détermine l’allocation des fonds européens.

Breizh-info.com : Viktor Orbán fût encensé par les médias occidentaux à l’époque où il luttait contre le joug soviétique, puis démoli après s’être opposé à l’immigration. Comment expliquez-vous ce revirement ?

Thibaud Gibelin : Viktor Orbán n’a pas attendu 2015 pour subir les foudres des médias occidentaux. Il est vrai qu’à l’époque communiste et à celle du changement de régime, le libéralisme occidental exerçait une invincible attirance sur le personnage. Mais dès 1993, Viktor Orbán assoit sa domination sur le Fidesz et impose un tournant conservateur à sa formation politique. Ceci lui vaut à trente ans une première bronca médiatique. Autant dire que le personnage ne craint plus la « diabolisation ».

Ce n’est pas lors de sa première expérience de gouvernement, de 1998 à 2002, qu’il devient la bête noire des médias occidentaux, mais de façon croissante depuis 2010.

La question migratoire peut même paraître secondaire parmi les reproches qu’adressent nombre de médias à la Hongrie. Par exemple, le soutien apporté à l’épanouissement de la famille traditionnelle plutôt qu’à l’agenda LGBT dévoile des ruptures abyssales entre Budapest et Bruxelles. Les efforts de la diplomatie hongroise pour tisser des partenariats tous azimuts, notamment avec la Russie et la Chine, déplaisent à l’Allemagne qui regarde l’Europe centrale comme sa zone d’influence attitrée.

Breizh-info.com : Nos informations font tout de même état d’une contestation anti Viktor Orbán qui monte en Hongrie actuellement, et d’intentions de vote pas en sa faveur. Qu’en est-il ?

Thibaud Gibelin : Les antagonismes politiques en Hongrie sont réels et particulièrement violents. Chaque camp dispose d’une importante surface médiatique, ce qui attise les oppositions. Zapper d’une chaîne à l’autre en amont des élections de 2018 vous donnait le vertige, tant les camps ennemis se rendent coup pour coup ; c’est le revers de la pluralité médiatique. Il est vrai que l’opposition à Viktor Orbán tente de former un front commun, de l’extrême-droite réformée (Jobbik) à la gauche. Cette configuration « arc-en-ciel » a permis de ravir Budapest et quelques métropoles provinciales au Fidesz l’automne dernier. Cette contestation disparate inspire cependant peu de confiance à travers la pays.

Le grand enjeu est désormais la gestion de la « crise de la Covid 19 », à commencer par la contraction importante de l’économie.

Breizh-info.com : Pensez-vous que la stratégie de Viktor Orbán et plus globalement du groupe de Visegrad, puisse un jour déteindre sur l’Europe de l’Ouest ou bien les paramètres sont fondamentalement différents ?

Thibaud Gibelin : Si on peut parler de « stratégie », celle de Viktor Orbán est dictée par les circonstances. La Hongrie a besoin de l’envergure du groupe de Visegrad pour se faire entendre à Bruxelles. De même l’Europe centrale, en tant que périphérie du monde occidental, ne peut envisager le maintien de son intégrité culturelle sans faire muter Bruxelles. Tout Etat membre pèse à sa mesure dans l’identité double de l’UE : visage unitaire du continent ou cosmopolitisme sans visage. Rarement l’histoire européenne n’a été aussi tragique qu’à présent. Ce livre donne la mesure du siècle européen qu’on édifie à Budapest.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : Wikimedia commons (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

mercredi, 18 novembre 2020

Pierre Le Vigan sur Achever le nihilisme

maxresdefaultplvnih.jpg

Pierre Le Vigan sur Achever le nihilisme

"Nietzsche et le nihilisme"

 
 
Autour de mon livre ACHEVER LE NIHILISME, paru chez SIGEST en 2019.
 
 
81s3i-l9v1L.jpg

dimanche, 15 novembre 2020

Sarrazin: Der Staat an seinen Grenzen

Thilo-Sarrazin-SPD-arbitration-commission-confirms-party-exclusion.img.jpeg

Sarrazin: Der Staat an seinen Grenzen

(JF-TV Interview)

 
Coronakrise, Asylkrise, islamischer Terror: auf immer mehr Themenfeldern gerät „der Staat an seinen Grenzen“, wie der Titel des neuen Buches von Bestseller-Autor Thilo #Sarrazin lautet. Im JF-TV Interview mit Moritz Schwarz erläutert er seine Thesen.
 
UNTERSTÜTZEN SIE JF-TV, GANZ EINFACH MIT EINER SPENDE VIA PAYPAL! DAMIT FÖRDERN SIE DIE PRODUKTION ZUKÜNFTIGER JF-TV FILME: https://jungefreiheit.de/service/foer... 
 
 
„Der Staat an seinen Grenzen“ von Thilo Sarrazin finden Sie im JF-Buchdienst unter: https://jf-buchdienst.de/Buecher/Poli...
 
9783784435725coverm.jpg
 
Die Junge Freiheit abonnieren: jf.de/abo

mercredi, 11 novembre 2020

Entretien avec Monsieur K: "Nos ennemis nous ont déclaré une guerre à mort"

IMG_20200825_111601_654-1.jpg

« Nos ennemis nous ont déclaré une guerre à mort »

Entretien avec Monsieur K

Il est la voix de plusieurs émissions, anciennement sur Méridien Zéro (MZ) et aujourd’hui sur ERFM. Ils sont des milliers en effet à connaître Monsieur K, ses émissions, particulièrement fouillées, et ses invités, variés.

Vieux militant et briscard de la dissidence, avec donc un regard intéressant sur ses composantes, mais aussi sur l’évolution du système qu’elle combat, nous l’avons interrogé, dans un entretien particulièrement libre.

Breizh-info.com : Tout d’abord, qui est Monsieur K ? D’où vient ce pseudonyme ?

Monsieur K : Je suis le père de quatre enfants. Je suis un militant nationaliste d’Action française et de la Révolution Conservatrice depuis plus de vingt ans.

Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour formuler une critique du capitalisme, ainsi que de proposer des voies concrètes en puisant des éléments partout où j’entrevois une vérité politique. Cela va de la grande filiation aristotélico-thomiste qui va d’Aristote (IVe siècle avant Jésus-Christ) à Marcel De Corte en passant par Maurras et les non-conformistes des années Trente, à la critique radicale d’un Guy Debord ou encore l’expérience du marxisme-léninisme, le marxisme en moins. J’ai animé et produit des émissions pendant 15 ans sur Radio Courtoisie, avant d’en être éjecté sans un mot par sa directrice. J’ai également eu de brèves expériences dans la presse parisienne. J’ai animé d’innombrables heures de radio, donné des dizaines de conférences, j’en ai organisé plus encore, ainsi qu’une quinzaine d’universités d’été, j’ai fait des campagnes électorales, référendaires, d’information et de propagande, j’ai travaillé pour des élus et des exécutifs, participé à de nombreuses manifestations, eu mon lot de bagarres, de gardes à vues et de condamnations.

Malgré les « insultes et horions » (paroles du Chant des Lansquenets), malgré surtout la quasi-mort sociale à laquelle je suis condamné, je continue, sûr que si « nous ne changerons pas le monde, le monde ne nous changera pas » (Dominique Venner) et que nous irons de « défaite en défaite jusqu’à la victoire finale » (Mao).

MZ-mk.png

Mon pseudonyme date de l’époque où avec des camarades identitaires nous avons animé une émission en langue française hébergée par Radio Bandiera Nera, la radio en ligne et en continu lancé par CasaPound au début des années 2000, intitulée « Derrière ta porte », puis sur Méridien Zéro qui lui a fait suite.

Breizh-info.com : Parlez-nous des émissions que vous animez, sur Méridien Zéro.

Monsieur K : À l’invitation de mon vieux camarade le Lieutenant Sturm, j’ai embarqué sur le vaisseau pirate de la Révolution conservatrice Méridien Zéro dès 2007.

Méridien Zéro est une expression tirée de l’œuvre d’Ernst Jünger. J’en retiendrais surtout les « panorama actu », où avec une belle équipe de flibustiers nous commentions les dérives du monde contemporain. Beaucoup de ces émissions ont conservé un intérêt malgré le contexte qui a changé, car nos commentaires s’inspiraient de principes qui, eux, ne changent pas. Nos boussoles indiquent toujours le Nord avec la même exactitude. Et si nous avons vieilli, notre politique est plus que jamais d’actualité, car elle prend sa source dans les terres toujours vertes de la vérité politique et du service de la Cité. C’est-à-dire à la fois le service des plus humbles de nos compatriotes et de ce qu’il y a en nous de plus grand que nous.

locaux-mz.jpg

On me demande souvent pourquoi on ne m’entend plus sur MZ. La raison est très triviale. Lorsque le Lieutenant Sturm est retourné avec sa nombreuse famille sur la terre de ses aïeux en Normandie, ne connaissant pas aussi bien la nouvelle équipe, les liens se sont distendus sans qu’il y eut de fâcherie. Et puis un non-dit également.

Après les attentats du Bataclan, j’ai senti une inflexion vers une ligne hostile à l’Islam. Il m’a semblé alors qu’il ne fallait pas perdre de vue sous le coup de l’émotion – qui ne m’a pas effleuré – que nos ennemis principaux, quoique pas exclusifs, restent les courants du judaïsme politique et ses alliés : la Loge, le LGBTQ, le mondialisme… Bref ce que Martin Pelletier appelle si justement la « révolution arc-en-ciel », sous direction talmudique. Je me suis alors concentré sur « Fréquence Orages d’Acier » qui devait être une émission dans la grille de MZ, qui cessait d’être un émission pour devenir une radio.

Avec l’aide précieuse de mes camarades de Dextra et du Cercle Henri-Lagrange, j’ai donné une voix à la Révolution Conservatrice en langue française. Mon but était alors de contribuer à la résurrection d’une droite authentique, c’est-à-dire classique, selon le mot du professeur Guillaume Bernard. Une droite réaliste, nationaliste, fédéraliste, sociale, anti-chrématistique, hiérarchique, spiritualiste et championne des libertés concrètes. J’ai conçu ces émissions comme des dossiers, sans y laisser de place ou presque à l’actualité pour leur garantir une meilleure longévité. J’y ai bien réussi, ces émissions peuvent s’écouter aujourd’hui sans préjudice.

Breizh-info.com : Et sur ERFM ?

Monsieur K : Sur ERFM, j’ai la chance de pouvoir produire les émissions comme je le veux, avec l’aide d’un secrétariat, d’un technicien, d’un service informatique, d’une illustratrice, d’un producteur musical… et le soutien de la rédaction de combat menée par Pierre de Brague. J’y anime trois émissions, le magazine politique intitulé « Pourquoi tant de haine ? » où je reçois les auteurs et les acteurs français de la résistance au Nouvel Ordre Mondial sur des sujets qui vont de la crise financière à la fausse religion du réchauffement climatique anthropique, ou bien encore de l’axe de la Résistance à la marchandisation de la vie humaine. On en est déjà à plus d’une trentaine d’émissions. Elles sont très écoutées du fait de la place centrale qu’occupe aujourd’hui E&R dans les médias alternatifs.

Popup-Kart-d0861-1b028.png

J’y anime également un magazine réaliste-fantastique intitulé « Les Dossiers de Monsieur K. » où je ne m’appuie que sur des documents attestés et incontestables. J’y explore les profondeurs de l’histoire cachée et de la guerre occulte dans les pas de Crétineau-Joly, Julius Evola ou encore Henri Coston.

Enfin, du mardi au vendredi, je produis une quotidienne intitulé « Le Quart d’heure de vérité », librement inspirée de l’univers de 1984 d’Orwell. J’y fais une revue de presse sur laquelle j’éditorialise selon les leçons d’Action française qui est une école du journalisme quotidien. J’essaye, au milieu d’une actualité dystopique déprimante, de faire ressortir de bonnes nouvelles ou au moins de faire sourire l’auditeur. Dans le même esprit, sur une suggestion du directeur de l’antenne, Ian Purdom, elle s’achève sur un morceau tiré de ma discothèque. Les morceaux que je propose sont ceux que j’écoute. Par ce biais, j’essaye d’établir une connexion personnelle avec l’auditeur, j’essaye d’entretenir un haut moral, car j’envisage mon travail radiophonique comme le ferait un commissaire politique d’une armée au front. Et si c’est le service de la Vérité – d’où le titre de l’émission – qui est mon mobile principal, je n’en oublie pas pour autant que nous travaillons avec des être de chair et de sang, souvent durement éprouvés par une guerre qu’ils n’ont pas déclarée et qu’on leur mène pourtant.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui se fait de mieux au sein de la Dissidence selon vous ? Quels sont les écueils à éviter ?

Monsieur K : Le modèle à suivre c’est le Hezbollah libanais. Ils montrent la voie à tous les résistants au Nouvel Ordre Mondial, en résistant au régime antéchristique de Tel Aviv. En France, le meilleur à ce jour, c’est le travail qu’est capable d’accomplir la base militante d’E&R. Le succès politique et le défi logistique du premier festival de la Réconciliation du 15 août en Bourgogne en atteste.

syria-lebanon-hezbollah-ap-img.jpg

La tenue de l’université d’été d’Academia Christiana, qui a réuni près de 400 jeunes de 16 à 25 ans en Anjou, cet été, durant une semaine, pour se former à la pensée et à l’action politique et qui est devenu le rendez-vous de formation à ne pas manquer. Dans le même esprit, il y a également le camp-école à destination des familles animé par Sursum Corda qui s’est tenu pour la troisième année consécutive en Savoie et qui se propose de former des « cœurs pour la France et des âmes pour le Ciel ». C’est pour moi le modèle de ce qu’il faut faire dans chacun des pays de France avant de les grouper dans un mouvement de portée nationale.

Le principal écueil est l’inaction des hommes de bien. Le mal ne progresse que du fait de leur inaction. Et les hommes de bien n’agissent pas du fait de leur inorganisation. Il faut donc résoudre le problème de l’organisation. Le second écueil est la pusillanimité. Nos ennemis nous ont déclaré une guerre à mort. Elle se déploie sur tous les fronts.

Il faut donc une réponse synthétique à toutes leurs offensives : LGBTQ, immigration de remplacement, infécondité des Européens, individualisme, déracinement et désaffiliation, confiscation fiscale, contrôle étatique et mercantile, règne de la machine et tyrannie de l’argent… Je propose une riposte via un mouvement bioconservateur intégral et assumé qui se donne pour programme la préservation de tous nos cadres de vie : sexes, famille, patrimoine, matries, nation française, civilisation européenne et religion chrétienne. Ce bioconservatisme serait à la fois populiste et de droite, faisant la jonction des classes populaires et des classes moyennes, il aurait pour base-arrière la ruralité et la France périphérique. C’est la seule formule en mesure de répondre aux aspirations des populations et de garantir la constitution d’un bloc de gouvernement de salut public.

Photo-by-Todd-Cravens-on-Unsplash.jpg

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous le succès, significatif, de votre émission mais plus globalement, de toute la sphère autour d’ERFM notamment (et d’E&R tout court) malgré diabolisation, pénalisation, censure ?

Monsieur K : La vérité politique, comme toutes les vérités, a la même propriété que l’eau, elle s’infiltre partout. De plus, la vérité à un caractère d’autorité qui finit par s’imposer face à toutes les dénégations, censures et répressions. Humblement, nous essayons de nous mettre à son service. C’est, je crois, la première raison.

La seconde est le professionnalisme des équipes : rédaction, informatique, édition et librairie, illustration, Faits et Documents, radio. Alain Soral a réussi le pari de la professionnalisation. J’ajouterais le caractère libérateur et presque jubilatoire de pouvoir relâcher la pression face à la tyrannie pesante et ampoulée du politiquement correct sur beaucoup de sujets qui occupent légitimement le public : santé, éducation, condition féminine, médias, politique, humour, culture.

Les équipes de Soral maîtrisent bien les codes de la contre-culture, il a formulé une sorte de « gauchisme de droite », qui est probablement un des ingrédients de la formule.

Breizh-info.com : En parlant de censure, êtes-vous inquiet de ces lois qui nuisent tout de même clairement, il faut l’avouer, à toutes les initiatives dissidentes ? Quelles perspectives d’ailleurs pour la dissidence selon vous dans les années à venir ?

Monsieur K : Je ne suis ni surpris ni inquiet. La répression est au programme quand on déclare la guerre à la domination. Le pouvoir gouverne mal mais se défend bien.

Cela va contraindre les opposants à retourner sur le terrain, à créer des réseaux d’initiatives, des systèmes de distribution et de solidarités alternatives. Voire, à un retour de l’action clandestine. On en a vu les débuts avec la destruction de milliers de radars lors du mouvement des Gilets jaunes. La répression est le moment où le pouvoir profond est contraint de baisser le masque. « Si vos ennemis vous attaquent c’est une excellente chose » disait le glorieux président Mao Tsé Toung.

Breizh-info.com : N’y a-t-il pas finalement tout à réinventer, tout à construire, alors que le système semble avoir trouvé – après des années de liberté – des parades et des ripostes pour contrer toutes les initiatives qui avaient pris un rythme de croisière depuis quelques années ?

Monsieur K : L’opposition ne part pas de rien, elle ne repart pas de zéro. Un de mes camarades m’a dit un jour qu’en politique tous les gestes s’additionnent. Et si la parenthèse enchantée de l’Internet libre se referme, le mal est fait, le virus a été inoculé. L’heure n’est plus à la propagande électronique, au combat identitaire sur Twitter qui faisait rire aux larmes mon vieux compère Rodolphe Crevel qui en a même fait des papiers cruels dans son journal Le Lys Noir.

lysnoir.jpg

Le temps des bâtisseurs est revenu, l’heure est aux fondations. Il est temps pour nous de nous consacrer à bâtir des institutions, des écoles, des fermes agro-écologiques, des églises, des tours de gué.

Mais aussi et surtout des communautés d’hommes libres unis par un culte commun, celui de la célébration de la vie bonne, où l’on fait des bébés bio et des fils aux corps et aux têtes bien faites. La victoire est incertaine, mais l’époque est exaltante. Après le cauchemar climatisé des Trente Glorieuses et des Trente Piteuses, voici que l’Histoire s’en vient.

Les années Trente sont devant nous. Et quand bien même nous serions emportés par la prison ou la mort, comme dit la chanson La Ligue noire : « Quand on meurt pour la Patrie, n’a-t-on pas assez vécu ? »

Alors s’ouvriront devant nous les champs Élyséens où nous attendent tous nos saints et nos héros, dans la lumière incréée du Soleil invaincu.

0dc2529f70b471b4339be6aaf5e6b18c.jpg

• Propos recueillis par Yann Vallerie.

• D’abord mis en ligne sur Breizh-Info, le 24 octobre 2020.

mercredi, 04 novembre 2020

L’histoire est ouverte et nous ne sommes pas encore morts... Entretien avec Laurent Ozon

2064111005.jpg

L’histoire est ouverte et nous ne sommes pas encore morts...

Entretien avec Laurent Ozon
 
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Laurent Ozon à Breizh Info et consacré aux différents stress qui frappent les sociétés européennes et à leurs conséquences potentielles. Essayiste et analyste politique, tenant d'une écologie localiste et identitaire, Laurent Ozon est l'auteur de l'excellent essai intitulé France, années décisives (Bios, 2015).

Confinement, attentats islamistes, accélération de l’Histoire. Pour Laurent Ozon « L’histoire est ouverte et nous ne sommes pas encore morts »

Breizh-info.com : Tout d’abord, vous écrivez après l’attentat de ce matin à Nice que les médias n’ont plus le temps de dénaturer les faits. Qu’entendez vous par là ?

Laurent Ozon :  Pour bien répondre à votre question, il faut éclairer le rôle des médias dans nos sociétés. Les grands médias forment une sorte de système nerveux, conducteur d’impulsions, sous la forme d’informations ou de stress. Ce système nerveux se sent autant investi d’une fonction d’information que de régulation. En effet, la plupart des journalistes se sentent investis d’une mission de gestion des émotions collectives. Parfois sous l’influence de leurs propriétaires mais le plus souvent, de leur propre chef. Un journaliste ne déforme pas toujours la réalité pour induire en erreur mais parce qu’il cherche, consciemment le plus souvent, à apaiser les stress, les passions, limiter et détourner les colères parfois sous le louable prétexte d’éviter la violence, le racisme, la haine, l’anarchie sociale etc.

41cTSy54NrL._SX314_BO1,204,203,200_.jpgD’une certaine façon, le système médiatique fonctionne comme un inhibiteur d’immunité collective destiné à empêcher le rejet des greffes, c’est à dire les populations imposées sur notre territoire et autour de nous. Les grands médias produisent des stress horizontaux pour éparpiller l’attention et briser les réflexes de coopération active qui naissent lorsque les populations entrent en phase de Coopération sous Stress Maximal (Heiner Mühlmann) face à une menace. Ces phases génèrent un processus d’auto-renforcement qui alimentent l’altruisme (le dévouement ou le sacrifice pour le groupe si vous préférez), les alignements synchrones de réaction, le rejet des porteurs de stress ou de menace, etc.   Ces phases précèdent et accompagnent les périodes de conflits intenses où se jouent la vie ou la mort des organismes sociaux. Dans une société multi-ethnique, c’est malheureusement souvent la guerre civile assurée s’il n’y a pas de débouchés politiques dans les institutions. Pour empêcher ces phases d’unification violente, il y a les techniques de manipulation de l’information classiques mais aussi la fabrication perpétuelle de stress dérivatifs, diviseurs, inhibant les stress dominants. Car les stress ne convergent pas pour le moment, mais propulsent des solutions contradictoires. J’y reviendrai.

Dans le cas du stress sécuritaire qui prend le pas depuis quelques jours et à chaque nouvel attentat ou assassinat, les médias doivent produire un gros travail de reformulation pour faire passer la population de – pour faire très simple – « foutons-les dehors » à « c’est le vivre-ensemble qui est attaqué et qu’il faut protéger » parfaitement incarnée par le slogan gouvernemental « WE are ONE » Cette manipulation de l’opinion est de plus en plus difficile et dans la période où nous nous trouvons, les médias n’ont plus assez de temps pour fabriquer des récits unificateurs efficaces. Débordés ils ne peuvent plus contrarier le retour des stress de survie, annonciateurs de nouvelles étapes vers une situation de Coopération sous Stress Maximal (CSM).

Vous semblez penser que nous sommes en guerre. Néanmoins ne vous semble-t-il pas que les Européens ne le sont pas, hormis à considérer que les journées d’hommage, les bougies, les marches blanches, seraient des actes de guerre ?

Factuellement nous ne sommes pas en guerre. Nous y entrerons lorsqu’un stress submergera les autres ou convergera avec les autres stress de sorte que le processus de CSM sera activé. A ce moment, la créature de Frankenstein qu’est devenue notre société se fragmentera et chaque population inaugurera un cycle de réponse à la menace, à l’enjeu de vie ou de mort, dans laquelle elle éprouvera le besoin de son unité et de sa cohésion. Le conflit ouvert commencera à cet instant. Le pouvoir ne craint pas l’islamisme radical mais ce qui peut unifier la population majoritaire autochtone qui tient debout ce pays.

000_1WW1TX.jpg

Sur un autre plan, quelle est votre réaction à l’annonce d’un nouveau confinement par Emmanuel Macron ? Il semblerait que majoritairement, les Français soutiennent les annonces….

La politique sanitaire du gouvernement vise à accompagner l’évolution d’une situation dont sa politique est en grande partie responsable. Les élites ont fait la démonstration de leur incompétence. Personne ne se faisait trop d’illusion sur leurs vertus mais on leur prêtait encore un semblant de savoir-faire. L’ensemble du dispositif est discrédité mais que faire quand même les responsables de l’opposition ne semblent pas avoir de plan global de rechange et que les esprits sont pollués par des informations et avis contradictoires à longueur de journée ? Ce bordel alimenté par les grands médias et le pullulement des stress sur les réseaux sociaux contribue à la désorientation. Et croyez moi, cela ne touche jusqu’au plus haut niveau de la société.

Vous avez relayé l’annulation du confinement en Serbie suite à des émeutes en juillet 2020. Est-ce le seul horizon pour les peuples d’Europe, c’est à dire l’émeute et les incidents pour reconquérir sa liberté ?

Informer n’est pas souhaiter ou encourager. D’une façon générale, l’absence de réaction populaire est fréquemment interprétée comme un quitus par le pouvoir. Mais la violence qui débouche sur une confrontation police-citoyen ne le déstabilise pas beaucoup. Les actions qui sont dangereuses pour tous les pouvoirs sont celles qui emportent l’adhésion du grand nombre en répondant « spontanément » à un stress dominant à son pic.

92875729.gifComment jugez vous les réactions de l’opposition politique à Emmanuel Macron, sur la question du Covid comme sur celle de la prétendue «lutte contre le séparatisme islamiste»?

L’opposition oscille entre logique insurrectionnelle en épousant la colère de la population et logique institutionnelle en jouant le jeu des récits unificateurs. Quand on veut accéder au pouvoir, il faut surtout aligner les compétences pour passer du stade d’opposant à celui d’alternative. C’est dans la capacité de l’opposition à persuader la population qu’elle peut faire mieux ou « moins pire » que le pouvoir sur les trois stress dominants, que se jouera un basculement. Prenons l’exemple de MLP. On trouvera facilement une majorité pour penser qu’elle serait plus efficace pour répondre au stress sécuritaire. Mais il n’y a pas aujourd’hui, de majorité pour croire qu’elle pourrait faire mieux que le gouvernement pour répondre à la crise économique ou sanitaire. Sa seule chance, c’est de rattraper son handicap, peut-être en s’alliant avec des personnes ou des forces politiques qui rassureront sur ces deux derniers points. Sinon, il faudra que le stress sécuritaire soit archi-dominant pour compenser sa faiblesse perçue sur l’économie et le logistico-sanitaire. J’en doute. La présidentielle pourrait s’ouvrir sur une dominante de stress économique. Sauf si des forces cherchent à peser dans la balance…

Vous évoquez trois stress (économique, sécuritaire, épidémique) actuellement. Comment en sortir ?

On n’en sort pas, on cherche à comprendre et on anticipe. Mon job c’est de comprendre les processus pour éclairer l’action et proposer des stratégies. Que chacun joue son rôle. L’histoire est ouverte et nous ne sommes pas encore morts. Loin s’en faut.

Parlez nous de la chaine Télégram que vous animez ? Comment vous y rejoindre ?

Simple: www.ozoncanalaudio.org . Attention c’est souvent théorique, mais si j’en juge par le profil des abonnés, cela pourrait bien avoir une petite influence…

Laurent Ozon, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh Info, 30 octobre 2020)

dimanche, 01 novembre 2020

Paul Gottfried: «Trump n’est pas un accident de l’histoire américaine»

7800891556_le-president-trump-le-18-aout-2020.jpg

Paul Gottfried: «Trump n’est pas un accident de l’histoire américaine»
 
Ex: https://frontpopulaire.fr

ENTRETIEN. Historien des idées et intellectuel américain influent, Paul Gottfried a notamment été conseiller de Richard Nixon. Grand penseur du conservatisme, il publie L’Amérique de Trump, entre nation et empire chez Jean-Cyrille Godefroy. A la veille des élections américaines, nous l’avons interrogé pour comprendre le phénomène Trump.

41Tm8r-HWdL._SX195_.jpgFront Populaire : Depuis la campagne électorale américaine de 2016, Donald Trump a été conspué par beaucoup et partiellement adulé par d’autres, mais sans doute jamais vraiment compris dans sa spécificité. De quoi Trump est-il le nom, et quelle serait une définition du « trumpisme » ?

Paul Gottfried : Pour autant que le terme « trumpisme » ait un sens, on pourrait le définir comme la jonction entre le talent manœuvrier, le pragmatisme d’un homme d’affaire démocrate de New York et des courants souterrains d’une partie de l’opinion américaine qui entend qu’on lui rende un pays dont elle s’estime dépossédée.

FP : Vous expliquez au début de votre ouvrage que Donald Trump a été l’alibi des médias libéraux dans leur volonté de détourner le mouvement conservateur de son sillon traditionnel. Qu’entendez-vous par là ?

PG : Plus largement, les médias libéraux (au sens américain du terme) se servent de Trump comme ils se sont servis des néoconservateurs mais dans un sens différent. Avec les néoconservateurs, les médias libéraux mettaient en avant les plus « progressistes » comme dirait votre président (en fait partisans du libre-échange, de la finance, du multiculturalisme et de l’option militaire tous azimuts). Pour Trump, il s’agit de faire de lui un épouvantail pour réunir une gauche émiettée entre ceux pour qui les droits des minorités et la lutte contre les mâles blancs pauvres priment toute considération et un renouveau socialiste qui se fait jour aux États-Unis. Alors que pour le conservatisme américain historique, Donald Trump est sinon un homme de gauche du moins de centre gauche.

FP : Vous vous revendiquez vous-même du « paléo-conservatisme ». A quoi correspond ce courant d’idées et comment s’insère-t-il dans le conservatisme américain ? Et par rapport aux néoconservateurs ?

PG : Ce qu’on appelle « paléoconservatisme » équivaut à la tentative américaine de constituer un courant conservateur sur le modèle européen avec un succès discutable. Les néoconservateurs sont un groupe de pression qui a pris le contrôle du parti républicain à partir des années 70, en a expulsé les conservateurs classiques et qui ont imposé leurs visions économiques (libérales), géopolitiques (militariste) et sociales (multiculturelles) alors que le conservatisme américain originel est avant tout un anti-étatisme avec toutes les conséquences que cela implique (refus des grands travaux fédéraux, refus du multiculturalisme imposé par Washington et refus des aventures militaires).

images_e791ab626e6785062374d45b25cc6e7f.jpg

Paul Gottfried.

FP : Les courants idéologiques américains sont à restituer dans leur propre horizon de cohérence. Par exemple, le qualificatif « libéral » n’a pas le même sens outre-Atlantique que chez nous. Pourriez-vous nous donner quelques exemples de ce type de pièges à éviter pour penser le champ des idées américaines ?

Libéral équivaut au français « gauchiste », conservateur ou paléoconservateur est un courant qui n’a plus de représentation politique américaine autre qu’intellectuelle (via American conservative). Néoconservateur est le visage le plus connu du wilsonnisme soit l’école de l’impérialisme américain bien-pensant. Les libéraux radicaux au sens économique et philosophique sont des libertariens dans le lignage de Murray Rothbard. Les populistes américains sont un courant spécifique que vous connaissez en France à travers l’œuvre de mon regretté ami Christopher Lasch.

FP : En France, nous sommes en train, depuis quelques années déjà, de questionner la pertinence du vieux clivage gauche-droite pour d’autres formes d’approches transversales des oppositions politiques. Pourriez-vous nous éclairer sur les grands clivages politique du monde américain ?

imatz-droite-gauche.jpgPG : De mon point de vue, la grille de lecture droite/gauche est encore plus problématique aux États-Unis qu’elle ne l’est en France comme l’a démontré mon ami Arnaud Imatz, notamment dans son ouvrage Droite-Gauche, pour sortir de l’équivoque. Je pense que le clivage le plus structurant de la vie politique américaine s’articule aujourd’hui dans l’opposition entre les partisans de l’« America First » (ndlr : littéralement, L’Amérique d’abord, soit une politique fondée sur la primauté des intérêts intérieurs américains) contre ceux qui entendent que l’Amérique domine le monde (y compris, selon eux, pour le bien de celui-ci) en s’engageant un peu partout sur la planète. Cela explique le regard noir porté sur la politique protectionniste du président sortant.

FP : Vu depuis l’Europe, Trump représente la figure par excellence d’un certain populisme vulgaire et droitier, comme une créature de l’ancien monde que personne n’avait vu venir. Comment analysez-vous ce populisme, et lui voyez-vous des équivalences à l’étranger ?

PG : Dès qu’un homme confesse aimer son pays, dès lors qu’il n’est pas convaincu que Justin Trudeau soit l’avenir de l’humanité et qu’il appelle un chat un chat, il devient pour la social-démocratie mourante un « populiste vulgaire et droitier ». Vous savez, vous Français, qu’ils ont fait la même chose avec de Gaulle en son temps. Ils ne voudront jamais comprendre cette leçon essentielle de l’histoire : ce sont les États faibles qui attirent la ruine, les guerres civiles et les régimes autoritaires. Trump ou d’autres dans le monde, comme Poutine en Russie par exemple, incarnent cette volonté de force et d’incarnation face à l’Histoire. Est-ce si répréhensible de vouloir vivre ?

FP : La société américaine a toujours semblé fracturée sur des thématiques de race, de genre, d’origine et d’identité. Les présidents américains sont-ils condamnés à ne pouvoir être les représentants que d’une certaine catégorie de la population contre les autres ?

PG : Au-delà de quelques extrémistes qui trouvent d’ailleurs des gens – pour ne pas dire des manipulateurs - pour les aider, les influencer, les utiliser et les jeter, les américains issus des minorités veulent être Américains avant tout parce que le patriotisme n’est pas une notion vaine ici, donc je suis plutôt confiant sur ce point. Le problème est bien plus large que cela. La question est davantage : est-ce que l’Amérique n’est qu’une sous-culture mondialisée ou est-elle une vraie nation consciente d’elle-même ? C’est cela l’enjeu.

FP : A la veille de l’élection américaine, pouvez-vous nous faire un court bilan de la présidence Trump ? Quelles sont selon vous ses chances de réélection ?

PG : Il n’a pas engagé les États-Unis dans de nouvelles guerres extérieures. En se concentrant sur la politique intérieure, il a géré ce qu’il a pu avec les moyens qui étaient les siens, le tout avec, dans son dos et sur ses côtes, une guérilla institutionnelle et médiatique de tous les instants qui a fragilisé nos institutions. Ensuite, le paléo-conservateur que je suis est obligé de remarquer qu’il n’a pas engagé une politique vraiment conservatrice. Pour ce qui est des élections, il est devenu très difficile, à l’heure actuelle et compte tenu des conditions exceptionnelles de vote (ndlr : le vote par correspondance pour cause de Covid-19), de faire une prédiction fiable. Je peux toutefois faire une remarque de fond : Trump en lui-même, en tant que personne, peut être vaincu mardi prochain, mais il n’est pas un accident de l’histoire américaine. A ce titre, les courants souterrains et la dynamique historique qui l’ont porté lui survivront.

FP_HS1_couv_4.ind_3.jpg

 
 

vendredi, 30 octobre 2020

Interview de Thomas Ferrier, leader du Parti des Européens

Thomas-Ferrier-Antique.jpg

« Une Europe qui ne serait pas européenne n’aurait aucun sens »

Interview de Thomas Ferrier, leader du Parti des Européens

Ex: https://barr-avel.blog

Nous proposons aujourd’hui à nos lecteurs une interview de Thomas Ferrier, leader du Parti des Européens et figure de l’européisme identitaire dans le monde francophone. Bien que nous ne partagions pas toutes ses options, il nous semblait intéressant de donner la parole à l’un de ceux qui luttent contre l’impasse souverainiste française.

  • Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et présenter votre parcours politique ?

Thomas FERRIER, 43 ans, dirigeant du Parti des Européens, seul mouvement européiste identitaire assumé. J’ai fait mes classes à proximité de la droite nationale sur un malentendu idéologique, avant de m’en détacher nettement. N’étant pas anti-européen mais au contraire intégralement pro-européen, n’étant pas spécialement catholique puisque païen revendiqué, ne pensant pas que Clovis a créé la France, condamnant l’utilisation de troupes coloniales par la France en 14/18 et 39/45 et la colonisation elle-même, qui a ruiné la France, ce qui m’a valu récemment de perdre ma place sur Radio Courtoisie, j’ai compris l’impasse politique représentée par la fameuse « mouvance » comme ses partisans ont tendance à l’appeler.

  • Vous animez le LPE (Le Parti des Européens), un parti politique (re)fondé en 2016 sur les cendres du PSUNE (Parti socialiste unitaire national-européen). Quels sont les propositions phares du parti et qu’en est-il aujourd’hui de l’implantation du parti à l’échelle européenne ?

La position du LPE est très originale et susceptible potentiellement d’unir l’électorat des deux droites et de mordre sur le centre. Nous défendons en effet une Europe politique bien plus ambitieuse que celle prônée par Emmanuel Macron, démentie chaque jour par ses actes. Nous prônons un Etat européen unitaire se substituant aux Etats existants afin de ne pas avoir à hériter juridiquement et politiquement de leurs trahisons vis-à-vis des peuples qu’ils auraient dû protéger et qu’ils ont livrés au péril migratoire et à la globalisation économique, et maintenant épidémique.

unnamedpeur.png

Mais une Europe qui ne serait pas européenne n’aurait aucun sens. Si l’Europe ne pourrait être qu’une étape aux yeux des euro-mondialistes, pour nous elle est au contraire une finalité et un destin. Les « droites nationales » n’existent que par leur refus, de plus en plus tiède d’ailleurs, de l’immigration post-coloniale et extra-européenne, principalement musulmane mais surtout planétaire. Associer l’Europe politique et la mise en place de processus remigratoires destinés à restaurer l’européanité de l’Europe, c’est unir l’électorat de la droite pro-européenne (pro-€ et pro-intégration) et l’électorat de la droite nationale (anti-immigration).

Le LPE n’est pas connu en dehors de la France aujourd’hui ou à la marge, même si des sections en Albanie, en Suisse et en Russie notamment sont envisagées du fait de soutiens d’un certain nombre de gens de valeur sensibles à notre discours dans ces deux pays. Il est ironique d’ailleurs de souligner que ces pays sont hors de l’UE actuelle, car le LPE se veut un parti de tous les Européens, et pas seulement de ceux de l’UE. Mais nous avons besoin d’une réelle émergence médiatique en France pour pouvoir l’imaginer chez nos voisins. De fait, il faudra bien un Piémont pour démarrer.

  • Quel regard portez-vous sur le Rassemblement National ? Un parti d’opposition peut-il exister à l’heure où le RN s’impose comme leader dans le domaine en France ?

Je considère que le Rassemblement National (ex-Front National) a représenté une véritable duperie, un leurre pour les électeurs qui lui ont fait confiance. Sa mise en avant par Mitterrand était destinée à diviser la droite, et surtout Jean-Marie Le Pen a été son propre bourreau en cédant à la stratégie des bons mots et des provocations stériles sur des sujets mémoriels délicats n’intéressant personne, y compris ses propres électeurs.

Si Jean-Marie Le Pen représentait, malgré sa culture et son talent rhétorique, une impasse, que dire alors de Marine Le Pen qui est dans la même impasse stratégique, mais sans les deux talents susmentionnés. Elle navigue à vue, entouré de courtisans fielleux et de partisans aveugles, après un lamentable débat de second tour en 2017.

marine_le_pen_la_clau.jpg

Sa stratégie de dédiabolisation, qui est un échec total, l’amène à avoir aseptisé son discours au moins de le rendre indigeste. Mais elle est sauvée par Macron, qui voit en elle son meilleur adversaire pour sa réélection, et par des media qui continuent de la diaboliser, malgré toutes ses reptations idéologiques. Son soutien aux DOM, Mayotte en tête, comme caution anti-raciste, est pathétique. Elle a renoncé à envisager toute restauration du caractère européen de la France, reprenant les antiennes soraliennes, l’antisémitisme en moins certes. C’est la réconciliation de la carpe et du lapin autour de « l’amour de la France », slogan incantatoire vide de sens. Ainsi, en juillet 2020, explique-t-elle défendre les millions de français d’origine non-européenne contre une minorité nocive. C’est résumer la question au seul prisme sécuritaire et passer la question identitaire sous le boisseau.

Le RN ne s’impose pas. Il est imposé. La gauche est en lambeaux, la droite est en pièces. Par défaut, le RN est la seule opposition, opposition nominale car fondamentalement factice. Marine Le Pen n’a jamais cherché à gagner car elle se sait incapable de gouverner. Mais elle cherche en revanche à maintenir cette rente électorale, qui offre bien des avantages, sans avoir à en assumer les conséquences.

yannick-jadot-2_5729973.jpg

Un homme nouveau peut-il émerger en vue des élections présidentielles ? Je reste sceptique. On aura toujours à peu près les mêmes. Seul Yannick Jadot (EELV), mais il en est loin, pourrait éventuellement représenter le troisième homme et griller de justesse Macron ou Marine Le Pen, mais j’en doute. Son parti est davantage un boulet à traîner qu’un renfort. Le jeu des élections nationales semble verrouillé mais est-il le véritable enjeu ?

  • Voyez-vous les signes d’un réveil identitaire en Europe aujourd’hui ?

Les populismes de droite progressent et régressent en sinusoïde et en décalé. La Lega en Italie a eu le vent en poupe mais régresse dans les sondages. Le DFP danois est moribond. L’AfD est en crise interne depuis des mois. La droite nationale a disparu en Grèce, en Bulgarie, en Roumanie et dans bien d’autres pays. Certes les Démocrates Suédois sont forts en ce moment, les Vrais Finlandais aussi. Au Royaume-Uni, le « fake nationalism » de UKIP a tout détruit avant de disparaître lui-même. S’il y a un réveil identitaire, c’est en dehors des partis populistes. Or en effet je pense que les Européens sont de plus en plus conscients du péril migratoire et démographique, mais ils ne veulent pas pour autant cautionner des idéologies réactionnaires et europhobes sous prétexte que le Système leur a laissé le monopole de la dénonciation de l’immigration. C’est l’europhobie (en France) ou le cléricalisme (en Pologne) qui décrédibilisent ce courant politique.

  • Envisagez-vous de présenter des candidats aux prochaines élections européennes ?

Si les moyens financiers et humains sont suffisants, et si nous avons pu émerger médiatiquement même à la marge, oui.

samuel-paty-ces-confidences-bouleversantes-sur-sa-relation-avec-son-fils.jpeg

  • Que vous évoque la récente décapitation de Samuel Paty ?

Que la civilisation européenne a été trop permissive depuis 1968 et découvre que l’homme n’est pas bon par nature. Le rêve rousseauiste tourne au cauchemar. Être enseignant en 2020 est un métier compliqué, avec le sentiment d’une hiérarchie pleutre qui cherche à éviter les « vagues ». Et peut mener à l’horreur dont cet enseignant courageux de 47 ans a été la victime, son seul tort aux yeux des fanatiques ayant été d’illustrer concrètement la nécessaire liberté d’opinion et d’expression, fondement de toute démocratie, deux libertés essentielles que même les gouvernements d’Europe occidentale ont tendance à trop souvent vouloir limiter.

  • Peut-on encore changer quelque chose à la situation en France ?

Oui mais pas en restant dans le cadre politique français. Pour guérir la France, il faut bâtir l’Europe unie.

  • Quel regard portez-vous sur la Bretagne et le monde celtique en général ?

Comme la plupart des Français, j’ai une grande part de Gaulois en moi. Mais le gaulois comme langue a disparu au cours du VIème siècle, sous le double coup de la romanisation et de la christianisation. On ne pourra pas le ranimer. Mais on peut en revanche chérir les langues celtiques qui nous rattachent à sa mémoire, et en premier lieu le breton (brezhoneg), qui est assez proche du gallois (cymraeg). Je trouve que la renaissance de la langue cornique en Cornouaille britannique (Kernow) est admirable.

ob_902ec5_400-copie-copie-3-copie-copi.JPG

Je possède pour ma part le dictionnaire breton/français du grand Roparz Hemon. C’est une mine remarquable d’information et de termes, comme drouiz (« le druide »), parmi des milliers d’exemples. On découvre un breton riche et beau, qui donne envie de l’apprendre malgré sa relative complexité. J’avoue que les grammaires de gallois et de gaélique m’effraient parfois à cause de cela. Mais les langues celtiques sont admirables, magnifiques à l’écoute, et je soutiens l’extension maximale de l’apprentissage du breton en Bretagne.

Dans l’Europe Nation, la Bretagne aussi est une nation. Breizh Bro. Tous ceux qui comme vous œuvrent à la défense et à l’illustration des langues celtiques, de la culture celtique, voire de la tradition druidique authentique (je pense à l’éminente revue « Message du Groupe druidique des Gaules » ou à la vieille revue de jadis « Nemeton »), lorsqu’elle n’est pas polluée de délires New Age bien entendu.

  • Comment suivre ou soutenir le Parti des Européens ?

Le LPE utilise les moyens modernes de communication, à défaut de pouvoir accéder aux grands media télévisés qui restent essentiels pour se faire connaître. Il est donc présent par la chaîne youtube « Thomas Ferrier », par le canal telegram (http://t.me/LePartiDesEuropeens), par mon compte twitter (@ThFerrier) ou celui du parti (@PDesEuropeens), par mon blog (http://thomasferrier.hautetfort.com) et par le site du parti (http://psune.fr) où vous pourrez retrouver le programme du parti. Ce dernier est également traduit en anglais, espagnol et italien, et bientôt en russe.

vendredi, 23 octobre 2020

Michel Maffesoli : « Le transhumanisme est l’aboutissement de la paranoïa moderne »

questionnement_transhumanisme_by_camynow-1.jpg

Michel Maffesoli : « Le transhumanisme est l’aboutissement de la paranoïa moderne »

Entretien

Ex: https://www.breizh-info.com

michel_maffesoli_image-1223316390-ed0bf.jpgAu dernier colloque de l’Institut Iliade, en date du 19 septembre 2020, dont le thème était « La nature comme socle », la question du transhumanisme aurait dû être abordée lors d’une table ronde avec l’éminent sociologue Michel Maffesoli, professeur émérite à la Sorbonne, et François Bousquet, essayiste et directeur de La Nouvelle Librairie. Faute de temps, le sujet est resté en suspens et notre curiosité de même ! Histoire de rattraper l’opportunité manquée, nous avons interrogé Michel Maffesoli.

Breizh-info : Le transhumanisme est régulièrement évoqué dans les médias, sans que le commun des mortels sache réellement de quoi il s’agit. À mi-chemin entre la science-fiction et la science tout court, le transhumanisme peut vite devenir sujet de fantasmes. Est-ce que vous pourriez proposer une définition de ce qui est avant tout un courant de pensées ?

Michel Maffesoli : Il est toujours difficile de donner des définitions. Le transhumanisme, comme beaucoup d’autres sujets, n’est pas unique. Ses tenants peuvent avoir des positions différentes les uns des autres. Néanmoins, il est possible de considérer le transhumanisme comme l’aboutissement logique du mythe du progrès tel qu’il s’est élaboré au XIXe siècle, dans le sillage de la philosophie des Lumières et de sa grande ligne directrice qui veut que rien ne soit étranger à la raison. Le transhumanisme est en ce sens un « rationalisme exacerbé ». Il pousse cette idée de rationalisme jusqu’au bout. Attention à bien distinguer le rationalisme de la rationalité. Cette dernière est notre spécificité humaine, alors que le rationalisme est une position qui évacue tout ce qui n’est pas rationnel (le sensible, le spirituel, etc.) C’est une façon de penser, sur laquelle notre esprit critique est parfaitement libre de s’exercer.

Effectivement, le transhumanisme peut devenir sujet de fantasme. Il exacerbe cette pensée de Descartes, selon laquelle les hommes peuvent se rendre « maîtres et possesseurs de la nature » grâce à la technique. Cette citation bien connue du Discours de la méthode est au centre de la modernité. Le transhumanisme l’incarne jusqu’à la paranoïa (étymologiquement, la paranoïa est une « pensée par le haut », une pensée surplombante). Il est l’aboutissement de la paranoïa moderne.

Breizh-info : Au cœur du sujet, on voit bien que c’est la conception de l’homme qui est en jeu. Le transhumanisme ne semble pas considérer l’homme dans son ensemble, comme un être vivant, mais comme un « homme-machine », pour paraphraser Descartes qui le disait de l’animal. Les antispécistes bondissent s’ils entendent parler de l’animal-machine, mais peu de monde semble s’offusquer que l’homme puisse aujourd’hui être vu comme une addition de parties pouvant être analysées, démontées, réparées, remplacées…, indépendamment les unes des autres. Comment en est-on arrivé là ?

Michel Maffesoli : Le transhumanisme s’inscrit en effet dans une certaine conception de l’homme. Il suit notamment la logique de l’une des idées du XIXe siècle, qui est le grand siècle moderne, le temps de l’élaboration du progrès, du rationalisme social, etc. Cette idée est celle que Freud nommait la coupure (« die Spaltung »). Mon maître, l’anthropologue Gilbert Durand, parlait du « principe de coupure ».

Le transhumanisme suit donc ce principe de coupure, qui veut séparer la nature de la culture, le corps de l’esprit, etc. Le matériel et le corporel sont privilégiés, au détriment, entre autres, du religieux, du mystique, de l’imaginaire. La majeure partie des tenants du transhumanisme ont une vision dichotomisée du monde.

Mais il existe, au contraire, un mouvement de fond qui résiste à cette idée de coupure et vient heurter le transhumanisme dans sa caractéristique dominante. Il s’agit d’une tendance que l’on peut observer dans les sociétés, ce que j’ai appelé une « sensibilité écosophique » [NDLR : cette perception a été explicitée dans l’article accessible ici]. Cette sensibilité considère l’homme dans son ensemble – vision holiste –, et va donc à l’encontre du transhumanisme qui ne voit que l’homme-machine.

9948343_img-4561.jpg

Le transhumanisme s’inscrit-il donc dans la logique de Descartes ? Oui. Mais on peut apporter une nuance : il suit la logique de l’interprétation de Descartes, c’est-à-dire le cartésianisme. Descartes en tant que tel est plus subtil. On se réfère toujours au Discours de la méthode, mais ses cinquième et sixième Méditations métaphysiques nuancent le cartésianisme. Comme quoi, il faut toujours faire la distinction entre le penseur et le « -isme » qui en découle ! Toutefois, c’est évidemment le cartésianisme qui a dominé au cours de l’Histoire.

Breizh-info : Depuis des lustres, la médecine tente de guérir les hommes et allonge par conséquent la durée de vie. À une époque, mourir à 40 ans pouvait passer pour un âge raisonnable, on est passé à 60 ans, puis à 90 ans. Finalement, on pourrait très bien aller jusqu’à 120 ans, 150 ans, tout ceci n’est peut-être qu’affaire de seuil psychologique. Le transhumanisme considère le vieillissement comme une maladie contre laquelle il faut lutter. Que répondre à cela ?

Michel Maffesoli : Je dirais qu’on a toujours voulu dépasser l’âge de la mort, et non repousser. Toujours au XIXe, en ce siècle de l’avènement de la modernité, Hegel a mis en lumière l’idée d’« Aufhebung », du « dépassement ». Celle-ci s’était en effet répandue dans toute la vie sociale et a participé à l’essor du scientisme.

Il faut bien comprendre que l’instrument logique que nous utilisons toujours est celui de la dialectique, cette fameuse suite ternaire : thèse, antithèse, synthèse. Lorsque la médecine entend dépasser la maladie, la vieillesse, la mort, cela signifie qu’elle veut concrètement arriver au stade de la synthèse.

Depuis le XIXe siècle, ce mouvement de dépassement a effectivement été conforté par l’allongement notable de la durée de vie. Mais aujourd’hui, on touche à une certaine limite. On se rend compte que cette synthèse à laquelle on s’est habitué ne va plus fonctionner longtemps. On veut toujours le dépassement de la mort – et les actuelles mesures sanitaires contre le covid-19 en sont un bel exemple –, mais on se rend compte que l’humaine nature est ainsi faite que la mort en fait partie. Et c’est précisément cette crise sanitaire qui nous rappelle l’existence de la mort. On avait cru l’évacuer. Elle revient en force. Cet épisode laissera des traces.

Le transhumanisme, dans son fantasme, entend dépasser la mort, la nier. Or, à vouloir nier la mort, c’est la vie que l’on perd. Ne pas accepter la mort, c’est refuser toute cette tradition de ce que l’on pourrait appeler l’« homéopathisation » de la mort. Depuis toujours, il y a eu des croyances, des rituels religieux, des traditions qui avaient pour rôle d’adoucir l’idée de la mort en la laissant entrer dans la vie sociale. On peut penser par exemple au carnaval, à la fête des fous, aux danses macabres, à la Vierge Marie qui était honorée comme Notre Dame de la bonne mort, etc. La philosophie est également une préparation à la mort. Dans toute l’Histoire, les sociétés équilibrées sont celles qui ont su intégrer la mort.

Si on reprend Aristote et sa notion de catharsis, l’idée est bien de se purger, de se purifier des passions par le spectacle, par le jeu. Mais en aucun cas on ne les nie.

En se cantonnant à la négation de la mort, à cause de sa logique progressiste, le transhumanisme perd toute cette dimension vitale.

Breizh-info : De la même façon, on recourt déjà aux prothèses ou aux greffes, depuis longtemps. Des manipulations génétiques sont déjà effectuées sur des lymphocytes pour guérir certains cancers. La frontière avec le transhumanisme peut parfois sembler extrêmement perméable. Y a-t-il un critère objectif qui pourrait être mis en évidence et permettrait de savoir à quel moment on s’avance sur des sables mouvants ?

Michel Maffesoli : Il existe en effet déjà des manipulations sous différentes formes. Mais mon hypothèse est encore une fois que nous sommes dans une période de mutation, comme je l’ai écrit dans mon ouvrage Écosophie [NDLR : paru aux éditions du Cerf en 2017]. Un sentiment diffus, une sensibilité écosophique résiste de plus en plus à ce genre de choses. D’un point de vue sociologique, on voit bien qu’un autre rapport à la nature se développe aujourd’hui. On se rend compte que la domination exercée par l’homme « maître et possesseur de la nature » n’a abouti qu’à la « dévastation » – un terme cher à Heidegger.

On ne peut qu’observer l’évolution des tendances sociétales et voir ce que cela donnera.

2281942-lv06.jpg

Breizh-info : Malgré son grand discours quasi théologique en vue d’améliorer le sort de l’humanité et de la sauver de la mort, le transhumanisme ne concernera certainement qu’une frange très aisée de la population, accroissant encore les écarts économiques. Comme tous les progrès techniques depuis la Préhistoire, il conduira sûrement à toujours plus de domination de la part de l’élite ayant accès à ces nouveaux outils. Qu’en pensez-vous ?

Michel Maffesoli : Il est clair que le transhumanisme est une affaire élitiste, et même élitaire [NDLR : « élitiste » désigne un comportement promouvant l’élitisme, tandis que « élitaire » caractérise le comportement d’une élite en particulier]. Quant à son discours franchement théologique, cela me rappelle la réflexion de Carl Schmitt sur la sécularisation en concepts politiques de concepts, à l’origine, théologiques !

Il existe actuellement un vrai décalage entre les élites et le peuple [NDLR : en 2019, Michel Maffesoli a publié La faillite des élites, en collaboration avec Hélène Strohl, aux éditions du Cerf, collection LeXio]. Mais outre cet état de fait, on ne peut que se réjouir de la manière dont les jeunes générations usent de la technique pour ruser avec la technique ! Je pense évidemment aux réseaux sociaux, sur lesquels on peut voir que ces populations se soumettent de moins en moins aux injonctions d’améliorer le sort de l’humanité. Elles sont davantage ancrées dans l’action présente, pas dans les projections abstraites. Notons au passage que, outre-Atlantique, les réflexions portant sur le net-activisme, la citoyenneté numérique, etc. sont bien plus avancées que chez nous.

La postmodernité est précisément ce moment de synergie de l’archaïsme et du développement technologique. Internet a par exemple permis l’essor du « co- » : colocation, covoiturage, coworking, etc.

Donc, oui, le transhumanisme se conforte dans sa dimension élitiste et élitaire, mais paradoxalement, l’usage de la technique permet aussi de lutter contre les dérives de la technique. En contrepoint du « désenchantement du monde » selon Max Weber, j’irais même jusqu’à dire que la technologie peut réenchanter le monde [NDLR : Le réenchantement du monde, publié aux éditions de La Table ronde en 2007].

Big Pharma, le progressisme transhumaniste sont la partie dominante, visible du monde actuel. Mais à l’image du « roi clandestin » décrit par le philosophe et sociologue Georg Simmel au début du XXe siècle, il existe une véritable tendance de fond. Elle est encore souterraine, mais elle résiste déjà.

Breizh-info : Votre posture est très optimiste !

Michel Maffesoli : On me le dit souvent. Mais je ne suis pas optimiste, je suis réaliste ! Le réalisme, dans la perspective d’Aristote ou de Thomas d’Aquin, consiste à constater ce qui est, et non à promulguer ce qui devrait être, ou ce que l’on aimerait qui soit.

Breizh-info : Le transhumanisme est véritablement le fruit de la modernité nihiliste telle que vous l’avez définie lors du colloque Iliade, cette modernité qui a extrait l’homme de sa participation à un cosmos, qui l’a coupé de Dieu si on se place dans le contexte chrétien de la révolution cartésienne. La start-up Neuralink est un bel exemple de cet hybris californien ; lancée par Elon Musk, elle entend connecter le cerveau humain à tout support informatique au moyen d’un implant cérébral. Face à une telle démesure, la sensibilité écosophique dont vous avez parlé est-elle de taille à lutter ?

imagestrhum.jpgMichel Maffesoli : Je crois que l’éclosion de cette sensibilité est inéluctable. La toute-puissance du progrès est un phénomène qui arrive à saturation, comme lors du processus chimique du même nom.

Effectivement il y a hybris, utilisation à outrance de la technologie. Nous sommes arrivés à une forme paroxystique du rationalisme. Mais l’expérience montre qu’il y a toujours une ruse. L’idée de limite se réimpose, en réaction à la modernité. Il faut être attentif à cette sensibilité diffuse. Elle n’évolue pas dans la société officielle, mais on la constate dans la société officieuse.

À titre d’anecdote, j’avais travaillé il y a longtemps sur l’importance du numérique dans la vie sociale, à l’époque où il commençait tout juste à poindre. En ce temps-là, le 3615 du Minitel était à l’origine un instrument de l’armée utilisé à des fins d’organisation logistique. Il a été détourné pour la création de sites de rencontres et de messageries roses. Comme quoi, on voit bien à toutes les époques que la ruse est un processus anthropologique. Kierkegaard la nommait « als ob » : « comme si »…

Propos recueillis par Isabelle Lainé

[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine V

dimanche, 18 octobre 2020

James Howard Kunstler: Adapting To The End Of The World As We Know It

JamesHowardKunstler_colorPhoto_By_CharlieSamuels.jpg

James Howard Kunstler: Adapting To The End Of The World As We Know It

Posted by in Podcast

 

Link to the podcast: https://guadalajarageopolitics.com/2020/10/08/james-howard-kunstler-adapting-to-the-end-of-the-world-as-we-know-it/

Author James Howard Kunstler discusses the end of the world as we know it and how the thinking class has gone nuts. He faults our unsustainable energy policies and how the “shale revolution” has only served to extend and pretend the collapse of the oil-based economy and the unviable nature of suburbia. Neither will the”alt-energy freak show” of renewables and EVs save us. He covers food production, the electric grid, and feels we are on the cusp of an economic dam ready to burst and that beyond the election anything is possible (e.g. impasse, civil war). He comments on the Jacobin “wokester” cancel culture and identity politics movement and looks at ways we can adapt to the “long emergency.”

*Support/Donate to Geopolitics & Empire:

Patreon https://www.patreon.com/empiregeopolitics
SubscribeStar https://www.subscribestar.com/geopolitics
PayPal https://www.paypal.me/geopolitics
Bitcoin http://geopoliticsandempire.com/bitcoin-donate

Show Notes

Forecast 2020 — Whirlin’ and Swirlin’ https://kunstler.com/clusterfuck-nation/forecast-2020-whi...

Websites

James Howard Kunstler https://kunstler.com

Clusterfuck Nation Blog https://kunstler.com/writings/clusterfuck-nation

KunstlerCast Podcast https://kunstler.com/writings/podcast

Books https://kunstler.com/writings/books

Twitter https://www.twitter.com/Jhkunstler

About James Howard Kunstler

James Howard Kunstler says he wrote The Geography of Nowhere, “Because I believe a lot of people share my feelings about the tragic landscape of highway strips, parking lots, housing tracts, mega-malls, junked cities, and ravaged countryside that makes up the everyday environment where most Americans live and work.”

geography-of-nowhere-9780671888251_hr.jpg

Home From Nowhere was a continuation of that discussion with an emphasis on the remedies. A portion of it appeared as the cover story in the September 1996 Atlantic Monthly.

His next book in the series, The City in Mind: Notes on the Urban Condition, published by Simon & Schuster / Free Press, is a look a wide-ranging look at cities here and abroad, an inquiry into what makes them great (or miserable), and in particular what America is going to do with it’s mutilated cities.

unnamedjhklong.jpg

This was followed by The Long Emergency, published by the Atlantic Monthly Press in 2005, is about the challenges posed by the coming permanent global oil crisis, climate change, and other “converging catastrophes of the 21st Century.” This was followed in 2012 by Too Much Magic: Wishful Thinking, Technology, and the Fate of the Nation which detailed the misplaced expectations that technological rescue remedies would fix the problems detailed in The Long Emergency.

His 2008 novel, World Made By Hand, was a fictional depiction of the post-oil American future. It eventually became a four part series that included The Witch of Hebron, A History of the Future, and (forthcoming in June 2016), The Harrows of Spring.

41WvWwF8qwL.SX316.SY316.jpg

Mr. Kunstler is also the author of eight other novels including The Halloween BallAn Embarrassment of Richesand Maggie Darling, a Modern Romance. He has been a regular contributor to the New York Times Sunday Magazine and Op-Ed page, where he has written on environmental and economic issues.

Mr. Kunstler was born in New York City in 1948. He moved to the Long Island suburbs in 1954 and returned to the city in 1957 where he spent most of his childhood. He graduated from the State University of New York, Brockport campus, worked as a reporter and feature writer for a number of newspapers, and finally as a staff writer forRolling Stone Magazine. In 1975, he dropped out to write books on a full-time basis. He has no formal training in architecture or the related design fields.

He has lectured at Harvard, Yale, Columbia, Princeton, Dartmouth, Cornell, MIT, RPI, the University of Virginia and many other colleges, and he has appeared before many professional organizations such as the AIA , the APA., and the National Trust for Historic Preservation.

He lives in Washington County, upstate New York.

*Podcast intro music is from the song “The Queens Jig” by “Musicke & Mirth” from their album “Music for Two Lyra Viols”: http://musicke-mirth.de/en/recordings.html (available on iTunes or Amazon)

jeudi, 15 octobre 2020

Interview de Nicolas Bonnal sur Hitchcock et les femmes

600x337_hitchcock-_estate_jeanloup_sieff.jpg

Interview de Nicolas Bonnal sur Hitchcock et les femmes (éditions Dualpha)

Ex: https://nicolasbonnal.wordpress.com

Tu as écrit sur des auteurs récents (Kubrick, Ridley Scott) et tu te risques sur un classique?

Oui, mais Hitchcock n’est pas tout à fait un classique. Il est un éternel. C’est un peu comme Fritz Lang. Ces deux géants viennent du muet et ils traversent les siècles. Hitch a inventé le cinéma d’aventures modernes avec sa mort aux trousses (que je rebaptise mère aux trousses), il nous a mis dans la matrice du cinéma d’action comme on dit, et on n’en est pas sortis… D’un autre côté, il est un génie des dialogues aussi et du portrait psychologique, en particulier de certains types de femme. C’est un roi des huis clos avec peu de personnages : voyez Sueurs froides, les oiseaux et bien sûr psychose. Avec trois personnages on montre que l’enfer c’est (presque) toujours les autres. J’ajoute que Serge de Beketch me disait que Sueurs froides avait changé sa vie : c’est logique puisque ce film montre que le monde tel quel est une immense duperie.

hitchcock-et-femmes-quadri.jpg

Pourquoi ce livre sur Hitchcock et les femmes précisément ?

Il a dit lui-même que plus réussi est le méchant, meilleur est le film. Or je ne crois pas que ce soit vrai. Le méchant est vite abusif, excessif ou stressant. Il vire vite à la parodie et dans plusieurs films. L’inconnu du nord-express est un personnage caricatural et ridicule, et il n’est pas le seul (sa mère est par contre passionnante, malgré son petit rôle). Hitchcock a raté d’autres méchants comme dans Frénésie, qui est son dernier film intéressant (on voit la destruction du Londres traditionnel de Sherlock Holmes). Il me semble au contraire que ses meilleurs films, surtout en technicolor sont ceux où la femme resplendit. Ce sont donc les films où la femme – le personnage féminin –  est la meilleure qui sont les plus puissants dans son cinéma d’auteur absolu. Je pensais aussi à la plastique extraordinaire qui se dégage de Grace Kelly ou de Kim Novak, à la magie discrète de Suzanne Pleschette dans les Oiseaux (personnage le plus émouvant du film, et de loin). Dans ce film Hitch a enlaidi cette très belle actrice pour renforcer la malédiction de son caractère. Elle a renoncé à la vie et au bonheur à cause de son échec amoureux.   Et elle explique tout cela à Mélanie qui va connaître aussi un sort horrible. Cet homme est une trappe…

1200px-Rebecca_(1939_poster).jpegTu distingues de nombreux type de femmes…

Dans Rebecca on a un très beau personnage de complexée. Joan Fontaine, dont le personnage n’a pas de nom (!), reste un animal de compagnie. Elle est hantée par le vrai personnage du film absente divinisée dont le contexte fait un monstre, et qui semble avoir été ennuyée par un mari benêt. Le complexe alimenta sa maladresse. On a vu l’institutrice dans les Oiseaux. A l’inverse on a les culottées, comme Mélanie dans les oiseaux.  Hitchcock aime bien les culottées car il les punit goulument ! Voyez psychose ou Sueurs froides…

Tu expliques ce besoin de punir la femme…

Oui, c’est lié à son obsession de Victorien Sardou, auteur théâtral du milieu du dix-neuvième et qui disait qu’il faut punir la femme. Je recommande son théâtre culotté et moderne, qui dépeint la femme libre et chahuteuse américaine. Hitchcock adorait aussi Madame Bovary, où Flaubert ne rate pas son personnage mille fois plus populaire que la pâle créole de son éducation sentimentale. En réalité bien punir la femme c’est se garantir un vrai succès et triompher de l’adversité – l’impopularité de l’œuvre. La punition de la femme reflète aussi sa libération : de Marnie à Frénésie on voit poindre ce fil rouge de sang. On peut en tirer toutes les explications que l’on veut et se tromper. Car le ressort est dramatique avant tout et c’est pourquoi ces films nous hypnotisent soixante ans après, beaucoup plus que les femmes fatales trop vantées de leurs films noirs, femmes qui se contentent d’apporter la scoumoune à un mâle bien falot…

Tu aimes bien citer le livre de Truffaut, pourquoi ?

C’est une rencontre extraordinaire et Dieu sait que je n’aime pas Truffaut qui a incroyablement vieilli comme tout le cinéma de la nouvelle vague. Au moins il a bien laissé s’expliquer le maître, et il a compris une clé (il y en a mille) de Sueurs froides ; deux hommes – deux maîtres – déguisent et fabriquent une femme, comme des metteurs en scène de cinéma. C’est le thème de la copie, de l’être artificiel et creux qui devient un simple habitacle. En même temps c’est le plaisir de fabriquer une poupée parfaite ! Mais le génie du film vient avant tout de sa réflexion sur la tromperie. C’est une essence baroque magique, dans ce monde on nous trompe avec tout, et nous sommes entourés de vides et de rien. On a la même idée dans Psychose quand Norman avoue qu’il aime empailler les êtres, stuff, les bourrer en anglais. Seul le vide soutient l’univers. Les scènes psychologiques qui précèdent les tempêtes sont pour moi les plus extraordinaires des films du maître.

Et la mère ?

Ici Donald Spoto a bien raison : la mère c’est le réceptacle du malaise et de l’angoisse dans le monde. Cary Grant est torturé par sa mère avant de se lancer à l’aventure. Sa mère est vénale du reste et ne cesse de l’humilier publiquement. Quel surmoi ! Norman est obsédé par sa mère tout comme Mitch dans les oiseaux. Sa mère est sa vraie épouse et il ne peut s’en séparer. Elle acceptera Mélanie réduite à l’état de petite fille et mutilée par les oiseaux. Sa maison au toit troué où Mélanie se perd fait penser à barbe bleue et à son cabinet exterminateur. Mais c’est le cabinet de la mère. N’oublions pas que l’institutrice est aussi tuée. La mère est la divinité glacée et elle annonce bien notre monde. Le féminisme, a dit Chesterton, annonce le pouvoir moderne dont nous souffrons maintenant. A la même époque Godard fait dire à mon ami Parvulesco que la femme américaine a pris le pouvoir…Dans Alien l’ordinateur qui sacrifie l’équipage se nomme Mother…

original.jpgTu évoques beaucoup les décors dans ton essai…

Oui, on a Joan Fontaine perdue dans le château gothique, Mélanie perdue dans la maison de la mère, Janet Leigh paumée dans le motel (venu d’Orson Welles et de la géante soif du mal), face à la vieille maison hantée ; on a la maison nazie des enchaînés, histoire alambiquée mais plus beau rôle d’Ingrid Bergman ; on a la maison du Dr Edwardes, très beau titre en français qui montre le côté labyrinthique, fabriqué d’un décor qui a tout de psychanalytique. Goethe disait que l’architecture est de la musique solidifiée, ici elle est de la psychologie solidifiée. Je pense aussi à la maison extraordinaire de James Mason dans la Mort aux trousses. C’est le lieu où l’ogre se régale de sa victime, le lieu du minotaure… Hitchcock construit des palais minoens pour engloutir ses victimes.

Jusque-là on a surtout des femmes victimes ou objets. Il y en a de moins passives et de plus héroïques…

Oui, mais elles sont de deux types. On les trouve surtout dans les chefs d’œuvre des années quarante. Avant on a de jeunes héroïnes amoureuses et américaines façon Sardou : les trente-neuf marches ou la femme disparaît. Elles sont marrantes et modernes (mal élevées en fait), mais sans plus. Après cela devient plus hitchcockien… On a Joan Fontaine dans Rebecca, fille simple et gentille qui se bat contre des ombres et des souvenirs. Puis il y a les Jeanne d’Arc comme Ingrid Bergman ou la jeune ado Theresa Wright dans l’ombre d’un doute. Elle est active et courageuse, et surtout dépitée par son monde. Elle commence par un monologue désespéré contre sa famille (redécouvrez au passage Thornton Wilder, qui inspira le transcendant Mr North de la famille Huston) et la vie ordinaire insupportable : c’est étonnant, on dirait du Guénon – ou du Salinger, qui est écrit à la même époque et déconstruit le modèle familial bourgeois. Puis elle est tentée par le diable (l’oncle assassin de vieilles veuves riches, auteur d’un beau monologue à ce sujet) et rentrera dans le rang en l’éliminant. Toute rébellion n’est pas bonne à suivre. Ingrid Bergman est superbe dans la Maison du Dr Edwardes et devient une femme salvatrice par amour. C’est un des plus beaux films, les plus positifs, avec une musique époustouflante de Rozsa. Prenons aussi Fenêtre sur cour ou la Main au collet. Par amour aussi Grace Kelly devient active mais au lieu d’aller au Tibet ou au Cachemire elle va dans l’appartement d’en face où elle manque de se faire écharper. Il y a d’ailleurs rivalité mimétique avec la jeune française et c’est Cary Grant d’ailleurs pas bon à grand-chose qui est ici le McGuffin ou l’enjeu sexuel malgré (ou à  cause de) son âge. Chez Hitchcock (et j’explique pourquoi) les filles jeunes et belles courent après les hommes mûrs ! Mais les autres héroïnes actives sont plus manipulées et  conditionnées. Elles reflètent la condition des actrices. Eva Marie-Saint est une agente qui ne s’appartient plus puisqu’on lui ordonne de coucher avec un tel ou un autre. La salle des enchères où sa chair est estimée symbolise son triste sort. Même Bergman dans les Enchaînés est victime de ce sort de prostituée puisqu’elle épouse un nazi sur ordre des services (sévices ?) secrets. On n’est pas loin de James Bond mais avec un drame humain réel en plus. Tout cela est dénoncé, mais pudiquement, habilement.

On va terminer par deux personnages très décalés, la masseuse et la veuve…

Oui, le personnage de Thelma Ritter est bouleversant. C’est la femme du peuple, encore un peu traditionnelle, qui refuse le monde des voyeurs (la fenêtre sur cour, c’est ton poste de télé). Elle a un discours rationnel et naturel avec cet enfant gâté de James Stewart ; elle défend la nature et l’amour traditionnel, elle refuse l’intelligence qui n’a fait qu’amener des malheurs au monde. Elle a aussi un don de vision, prévoyant la catastrophe qui manque de s’abattre sur Stewart et sa promise. C’est le point de vue populiste, que ne méprise jamais Hitchcock. J’ai donc terminé sur elle pour m’éloigner des horreurs machistes !

Notorious_(1946_film_poster).jpgEt il y a Shirley McLaine dans Harry…

Oui, c’est la Lotus Seven (voiture du Prisonnier) du cinéma ce film. C’est un film sans morale. Hitchcock ne fait jamais la morale et là avec ce nonsense britannique et cet été indien du Vermont reconstitué en studio, il s’éloigne de toute histoire et de toute morale. Elle a quelque chose de Lolita cette veuve soyeuse-là. Son gamin use d’un fusil-laser et on est sur une autre planète en effet.

Et ta scène préférée ?

Celle où James Stewart reconnait le collier sur le cou de Kim Novak et se rend compte qu’il a été dupé, qu’il a aimé une simple copie. Ce monde moderne, comme dit Guénon, ce n’est jamais qu’une illusion.

Propos recueillis par Fabrice Dutilleul

Nicolas Bonnal – Hitchcock et les femmes (éditions Dualpha)

vendredi, 09 octobre 2020

Louis-Ferdinand CÉLINE : Faut-il distinguer l'oeuvre de l'homme ?

ferdinand-celine-peter-hereel.jpg

Louis-Ferdinand CÉLINE :

Faut-il distinguer l'oeuvre de l'homme ? (2020)

 

dimanche, 04 octobre 2020

CHESTERTON, un catholique social anglais

chesterton.jpg

CHESTERTON, un catholique social anglais

Ex: https://anti-mythes.blogspot.com

Rencontre avec Philippe Maxence, auteur de L'Univers de G.K. Chesterton

M & V : A maints égards, la pensée de Gilbert Keith Chesterton semble être le pendant anglais de celle des catholiques sociaux français : la guilde anglaise, par exemple, partage plus d'un point commun avec la corporation. Comment cette parenté s'exprime-t-elle ?

Philippe Maxence : Comme les catholiques sociaux français, Chesterton a été profondément touché par l'encyclique de Léon XIII, Rerum novarum. Il y a toutefois deux différences entre les Français et Chesterton. La première est que les Français voient dans l’encyclique de Léon XIII une confirmation : de leurs propres vues. Pour Chesterton, Rerum novarum est véritablement un point de départ. La seconde différence tient aux situations particulières en Angleterre et en France. Les Français, et singulièrement les catholiques, vont vite se diviser sur la question du meilleur régime : monarchie ou république. Ce n’est pas le cas des Anglais.

D'autre part, la France reste majoritairement agricole et artisanale. La propriété privée y est plus abondamment répandue. En revanche, en Angleterre, les terres appartiennent principalement à des grandes familles aristocratiques ou aux grands capitaines d'industrie. Le paysan y est d'abord un ouvrier, de même que l’artisan. L'industrialisation y est plus développée que dans notre pays, et y produit des effets dramatiques. En fonction de ces différences, les catholiques sociaux français vont insister sur l’organisation sociale dans son ensemble, par le biais d'un système corporatiste, tandis que Chesterton et ses amis vont mettre l'accent sur la large distribution de la propriété privée.

M & V : En pourfendant la ploutocratie ou le grand magasin, c'est la famille que défend Chesterton. Il la définit à la fois comme la « base » et la « cellule mère » de la société, mais aussi comme « l'institution anarchiste par excellence ». Comment expliquer ce paradoxe ?

PM.: Chesterton place en effet la famille à la base et même au cœur de la société. Lorsqu'il utilise l'expression d'institution anarchiste, il entend affirmer que la liberté ne s'apprend et ne s éduque véritablement qu'au sein de la famille. C'est l'un des sens du paradoxe chestertonien. L'autre, c'est que la loi qui régit la famille est l’amour et que cette loi distingue radicalement l'institution familiale de toute autre institution humaine.

9782916727370_1_75.jpg

M & V : « Pour sauver la famille, il nous faut révolutionner la nation », écrit Chesterton. Par de nombreux côtés, cet écrivain catholique, qui reproche au socialisme, non pas « de vouloir révolutionner notre vie commerciale », mais « de vouloir la conserver si horriblement pareille », est en effet un révolutionnaire, par exemple lorsqu'il prône le « distributisme ». Qu'entend-il par là ?

PM. : Avant d'être une théorie économique, le distributisme est une vision du monde qui refuse de réduire l'homme à son aspect économique tel qu'il découle de la révolution anthropologique des Lumières. Il s'affirme en premier lieu, pour la liberté de l'homme et de sa famille, pour qu'il soit maître de son destin qu'il soit concrètement propriétaire de sa maison et des moyens de production deuxièmement, pour un monde fondé sur l'acceptation des limites et qui de ce fait respecte les petites nations et s'organise donc de façon décentralisée. Plus de société et moins d'État enfin pour des économies plus locales, s'appuyant sur l'artisanat et l’agriculture, sur des groupements professionnels autogérés et des mutuelles coopératives.

M & V : Plus généralement, la critique et les conceptions sociales de Chesterton vous paraissent-elles encore d'actualité ?

PM.: S'il manque peut-être à Chesterton une réflexion sur le cadre institutionnel, il n'en reste pas moins que ses conceptions rencontrent de plein fouet la réalité de notre monde contemporain, qui repose sur une mondialisation dépossédant les nations et les familles, et qui veut faire exploser toute notion de limites par la course en avant de la consommation et de la technologie. Le renouveau d'intérêt que connaissent ses idées dans le monde anglo-saxon témoigne de sa pertinence face aux problèmes actuels.

Monde&Vie 13 décembre 2008 n°804 

vendredi, 02 octobre 2020

Entretien avec Massimo Magliaro

Massimo-Magliaro.jpg

Entretien avec Massimo Magliaro

Propos recueillis par Lionel Baland 
Ex: https://eurolibertes.com

Massimo Magliaro est l’auteur du numéro des Cahiers d’histoire du nationalisme consacré au MSI (Pour le commander, cliquez ici).

Cahiers-Histoire-du-nationalisme-MSI.jpgMassimo Magliaro a été un haut cadre du parti nationaliste italien dénommé Mouvement Social Italien (MSI) et a été très proche de l’ancien dirigeant de cette formation politique Giorgio Almirante. Après le décès de ce dernier en mai 1988, Massimo Magliaro est devenu journaliste à la Radio-Télévision italienne, puis directeur de la RAI Internationale et enfin président de la RAI Corporation, filiale de la RAI en Amérique. Il est l’auteur du numéro des Cahiers d’histoire du nationalisme consacré au Mouvement Social Italien (MSI). Lionel Baland l’a interrogé pour Eurolibertés.

Dans le numéro 11 des Cahiers d’histoire du nationalisme, que vous avez rédigé, vous contez l’histoire du Mouvement social italien (MSI) – et de l’Italie – de 1946 jusqu’à 1995. Il apparaît, à la lecture de votre texte, que votre pays a connu, durant ces années, de très fortes tensions politiques et de nombreux actes de violence physique et notamment des attentats sanglants. Comment expliquez-vous cette situation ? Les services secrets des États-Unis ou italiens étaient-ils impliqués en sous-main dans de tels actes ? Si oui, dans quel but ?

Mon pays se situait à la frontière entre l’Occident et l’Orient. Mieux, entre une certaine idée de l’Occident et une certaine idée de l’Orient. L’Occident représentait la liberté de s’exprimer, de s’organiser, de faire de la politique, l’argent et le bien-être ; l’Orient était la dictature la plus dure et atroce de l’histoire, le goulag, le Mur de Berlin, le Rideau de fer, les millions de morts, la famine, des contrôles de police partout, la liberté politique et la liberté d’expression inexistantes. Tout cela ne se déroulait pas seulement en Russie, mais aussi dans tous les pays du Pacte de Varsovie. De l’autre côté de la frontière orientale italienne, il y avait la Yougoslavie de Tito, lequel, avant de devenir tiers-mondiste (avec Nasser et Nehru), a été un fier soldat de Staline et de la patrie du communisme mondial, l’URSS.

Le Parti communiste italien, qui était le plus grand parti communiste de ce côté-ci, était riche (avec l’aide soviétique) et armé (avec les dépôts d’armes de la Résistance, monopolisés par les communistes – qui étaient commandés par Luigi Longo et par Pietro Secchia, chefs militaires des partisans rouges –, en vérité, la majorité d’entre eux étaient des partisans). Tout cela a produit le fait que l’Italie était inévitablement le théâtre d’un affrontement national et international permanent. La violence et le terrorisme étaient la conséquence de cette situation tendue.

qualunquismo-fronte-uomo-qualunque.jpg

Le qualunquisme (Front de l’homme ordinaire), une sorte de poujadisme avant la lettre qui s’est développé en Italie au sortir de la IIe Guerre mondiale, a-t-il eu une influence sur le MSI ?

Influence très relative et surtout très brève. Ce mouvement, conduit par un écrivain de théâtre, Guglielmo Giannini, a vécu si peu de temps que… la pacification nationale, la fin de l’épuration contre les fascistes, la critique de la très jeune partitocratie ont été des arguments stratégiques du MSI qui a très rapidement vidé le bassin électoral qualunquiste. Parmi les premiers dirigeants du MSI, ceux qui avaient adhéré au qualunquisme avant la fondation du parti n’étaient pas plus que cinq ou six.

L’enlèvement et l’assassinat, réalisés par les Brigades rouges, en 1978, du démocrate-chrétien Aldo Moro, partisan du « compromis historique » entre les démocrates-chrétiens et les communistes, ont retenu l’attention du public francophone. Pensez-vous que les États-Unis et l’Italie ont manœuvré pour que Moro ne soit pas libéré et ainsi être débarrassé de lui ? Quel était, pour la Démocratie chrétienne, l’intérêt de ce compromis avec les communistes ?

L’Italie est un pays plein de mystères politiques : Ustica, le massacre de la gare de Bologne (accusé : la droite radicale ; coupable : le groupe palestinien de Habash), la mort de Sindona, l’attentat contre Falcone et, après, contre Borsellino, la nature même des Brigades rouges (formées par qui ? financées par qui ? couvertes par qui ? au service de qui ?), le massacre de la piazza Fontana, toute la stratégie de la tension, etc. L’assassinat de Moro est (ou était) peut-être le plus grand de ces mystères. Mystère comme les Brigades rouges. Mystère comme la persécution contre Craxi qui était le seul à vouloir effectuer des tractations avec les terroristes de gauche pour libérer Moro contre la volonté de la majorité de la Démocratie chrétienne. Mystère, comme la classification de certains documents relatifs à cette histoire. Oui, les USA n’aimaient pas Moro. Plutôt, ils aimaient Andreotti. Et l’intérêt de la Démocratie chrétienne était de survivre à tout prix, aussi avec les communistes desquels la Démocratie chrétienne n’a jamais été adversaire. Il faut se souvenir que la Démocratie chrétienne était dans la Résistance avec les rouges et qu’au sein de la Démocratie chrétienne, le pouvoir était aux mains de l’aile « libérale-progressiste » d’Alcide De Gasperi et de ses fils politiques (contre la fraction « national-catho » de Luigi Sturzo) depuis la fin de la guerre.

36747.jpgEn janvier 1995, à Fiuggi, le MSI s’autodissout. L’Alliance nationale (AN) y tient ensuite son premier congrès. Vous écrivez : « Dans son rapport d’ouverture, Fini affirme que les thèses du congrès d’AN, rédigées par un groupe de diverses extractions intellectuelles, ‘’sont les contenus d’une formation politique libérale-démocratique’’. » 

Alors que le MSI a pris part, entre mai et décembre 1994, au gouvernement Berlusconi I et que le parti a obtenu des résultats importants lors du deuxième tour des municipales de fin 1993, notamment à Rome (Gianfranco Fini reçoit presque 47 %) et Naples (Alessandra Mussolini décroche plus de 44 %), pourquoi Fini a-t-il décidé de liquider le MSI et sa ligne idéologique ? Comment expliquez-vous l’échec de cette stratégie ? En cette époque d’après-guerre froide, le logiciel du MSI pouvait-il être maintenu ? Ne correspondait-il plus à l’air du temps ?

La vie interne du MSI a toujours été clivée autour du débat entre qui était pour entrer à tout prix dans le système partitocratique et qui disait non à ce mariage contre nature en se souvenant que l’origine idéale, culturelle, doctrinaire, politique et humaine du MSI était de contester la partitocratie. Lorsque Gianfranco Fini a pris la place de Giorgio Almirante, il a été entouré par qui était du premier groupe, celui qui peut être défini comme centriste. D’ici il y a eu tout de suite la coupure des racines dont je parlais. Après est arrivé la démarche que nous connaissons. Le prix à payer pour entrer dans les salles dorées du pouvoir avec les privilèges du pouvoir (télé, argent, clientèle, journaux, voyages, ambassades, grande entreprise, etc.) a été payé en quelques semaines. Et est arrivée la catastrophe : le passage dans la salle du pouvoir (un passage qui n’a pas été bref, comme on s’en souvient) n’a pas laissé de trace de la droite. Aucune trace. Quel a été le sens d’être allé au pouvoir pour faire ce que veulent les centres du pouvoir italiens et internationaux qui t’ont ouvert la porte ?

De nos jours, les deux partis patriotiques, la Ligue et Frères d’Italie, ont le vent en poupe. Ils sont donnés dans les sondages, ensemble, à plus de 40 %. Frères d’Italie, dirigé par la belle Giorgia Meloni, porte-t-il l’héritage politique du MSI ? A-t-il récupéré les cadres et les structures du MSI ? La Ligue et son leader Matteo Salvini, depuis leur changement de ligne politique, se sont-ils rapprochés de la ligne idéologique qui a été celle du MSI ? Y a-t-il au sein des structures de la Ligue, ou proches de celle-ci, des héritiers du MSI ?

Non. Je veux être franc. La Ligue n’a rien en commun avec le MSI. Elle émane d’une histoire de sécession (le nord de l’Italie, contre le reste de mon pays), désormais terminée parce que cette idée a fait faillite. Et c’est exactement pour cela que la Ligue de Salvini s’est rapprochée des thèmes nationaux. Mais c’est tactique, tactique seulement.

Pour ce qui concerne Frères d’Italie, le discours est différent. Ils sont les héritiers du MSI et d’AN. Ils ont acquis cet électorat et l’ont élargi. Bien. Les crises de la politique italienne, de sa classe dirigeante, du gouvernement, ne sont pas épisodiques. Ce sont des crises structurelles. Elles sont la conséquence de la crise du système. Et alors une droite comme celle de Frères d’Italie doit conduire cette lutte pour l’alternative au système, comme le point numéro un de sa vie, de sa bataille et de sa présence au pouvoir, si le pouvoir lui tombe entre les mains dans le futur. J’espère que tout cela arrivera. Je veux que tout cela arrive à condition que…

5d4284d4240000a94593713c.jpeg

Giorgia Meloni.

Le M5S, qui a pour figure de proue Beppe Grillo et dont le dirigeant entre 2017 et 2020 était Luigi Di Maio qui a vu son propre père être autrefois un dirigeant local du MSI, a-t-il été influencé par le MSI ? 

Luigi Di Maio est nul. Son métier était de faire le steward au stade de football de l’équipe de Naples. Grillo est un ex-acteur qui a eu du succès il y a des années. C’est tout. Ils appartiennent à la mascarade italienne d’aujourd’hui. Demain, on dira : les Italiens ont été gouvernés, une fois au cours de leur histoire, par un tel Di Maio. Qui ? Di Maio ! Et qui était-il ? Boh !

samedi, 19 septembre 2020

Prof. Dr. David Engels: “Onze culturele neergang is onvermijdelijk”

David-Engels.jpg

Prof. Dr. David Engels: “Onze culturele neergang is onvermijdelijk”

 
Ex: https://pallieterke.net

Toen Francis Fukuyama zijn optimistische “End of History” publiceerde, was David Engels amper de lagere school ontgroeid. Vrij snel werd de rooskleurige voorspelling door de feiten ingehaald. Steeds meer lijken ze trouwens de nuchter-pessimistische kijk van Engels te schragen. “In alle grote beschavingen zit naast een groei en piek een ondergang ingebakken”, stelt hij. Een gesprek over Spengler, cyclisch denken en hoe we gedoemd zijn een verdere afbrokkeling van de westerse beschaving te moeten ondergaan.

David Engels is geen heraut met een blijde boodschap. Meer nog: van zijn analyse over hoe de achteruitgang van Europa en het Westen zich op een haast fatalistische manier voltrekt, wordt een mens zelfs vrij somber. Hijzelf ook trouwens. Maar er is de academicus die observeert, analyseert en concludeert, en daarnaast ook de burger, vader en echtgenoot die de onderzochte processen op een vrij confronterende manier ondergaat.

Enkele jaren geleden publiceerde hij “Le Déclin, la crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine”, een boek dat hem een zekere bekendheid bezorgde als publieke intellectueel. Enkele jaren eerder werd hij aangesteld als hoofd van de leerstoel Romeinse Geschiedenis aan de Franstalige Universiteit van Brussel (ULB). Een jaar later zou het werk in het Duits verschijnen en een tijdje geleden kwam ook – eindelijk – een Nederlandstalige vertaling op de markt: “Op weg naar het Imperium. De crisis van de EU en de ondergang van de Romeinse republiek – historische parallellen”, uitgeven bij De Blauwe Tijger. We maakten er onmiddellijk een eerste aanknopingspunt voor ons gesprek van.

Romeinse Rijk

le-declin.jpg“Le Déclin” leverde u enige intellectuele bekendheid op. Vanwaar het idee om net de parallellen te onderzoeken tussen de toestand van de EU en het wegkwijnende Romeinse Rijk?

Sinds mijn prille jeugd heb ik het gevoel gehad in, zoals men dat in het Duits zegt, “Spätzeit” te leven. In een ver gevorderde fase van een periode zeg maar. Het einde van een tijdperk, om het wat zwaarwichtiger te stellen, de epiloog van een beschaving. Dit was een aanvoelen dat ik pas ten volle heb kunnen plaatsen na lectuur van Oswald Spengle”s “Untergang des Abendlandes”. (Inmiddels is David Engels ook voorzitter van het Oswald Spengler genootschap, MVD). Ik maakte kennis met zijn cyclisch denken, met de opkomst en later ook ondergang van de grotere culturen doorheen de geschiedenis. En dan begin je onmiddellijk verbanden te zoeken tussen verschillende periodes. Maar de echte en directe aanzet voor het schrijven van het boek kwam er na een lezing die ik hield voor de ‘Fédération royale des professeurs de grec et de latin”. Er was me gevraagd enkele antieke teksten te verzamelen om die vervolgens vanuit een modern perspectief te analyseren. Uit die oefening is dan het boek voortgekomen.

Wat opvalt bij het lezen van uw boek, is het frequent voorkomen van de term ‘collectieve identiteit’. Wat begrijpt u precies onder deze term?

We zien in het Europa van vandaag, net zoals in de late Romeinse Republiek, de nauwe verwevenheid tussen een gedeelde identiteit en de aanwezigheid – of het ontbreken – van solidariteit. Het is belangrijk dat zo’n identiteit aanwezig is om de gevraagde solidariteit te schragen. Het belang hiervan zie je binnen nationale staten, net zoals binnen de Europese ruimte. Symptomatisch voor een realiteit waar dit scheef zit, zijn afscheidingsbewegingen en -partijen, maar evenzeer euro-kritische stemmen. De kern van het probleem van de EU is dat men er niet in geslaagd is een duizendjarige identiteit te incarneren. Europa steunt op pijlers – Rome, Athene, maar evenzeer de joods-christelijke traditie -, maar de EU draagt dat niet uit. Het miskennen van onze historische identiteit effent het pad voor de situatie waarin we vandaag terecht gekomen zijn met relativering, individualisme, het bepleiten van het multiculturalisme,… Koppel daar het fenomeen van de massa-immigratie en de demografische achteruitgang van de autochtone bevolking aan en je krijgt de realiteit van vandaag. Eigenlijk moeten we ons eerder de vraag stellen of Europa meer wil zijn dan een economische ruimte en echt een verbonden beschavingsgemeenschap wil zijn. Een collectieve identiteit is meer dan de som van de delen. Er is diepgang voor nodig, historisch bewustzijn, en dat ontbreekt volledig vandaag.

Hoe tekenend was de discussie destijds rond de Europese Grondwet en het erin opnemen van die verwijzing naar onze historische roots?

Het schouwspel dat we toen hebben gezien was niet onschuldig. Eerder dan het Europa van vandaag als de vrucht van verschillende historische etappen te beschouwen, beperkt men zich tot een aantal principes als ‘vrijheid’, ‘tolerantie’. Daar zit de echte zwakte van Europa: we snijden ons af van het verleden waarop onze identiteit precies zou moeten berusten. Dat debat was symptomatisch voor het probleem dat ik net schetste.

m1jh0lga_002_.jpegBeeldenstorm

Waar plaatst u tegenover deze achtergrond de heisa die een tijdje geleden ontstond tegen standbeelden van mensen die sommigen volgens bepaalde eigentijdse normen onaanvaardbaar vinden?

We plukken de vruchten van een jarenlang gevolgde linkse cultuurpolitiek. Als men jaren, decennia inmiddels al, de algemeen vormende taak van het onderwijs ondergraaft, dan betaal je daar op termijn een prijs voor. Cash. Het ondermijnen van ons onderwijs is bovendien gekoppeld aan een politiek correcte filter, een “Meinungskorridor”. De resultante is dat men zonder afdoende feitenkennis op een wel erg eenzijdige manier tegen de eigen geschiedenis gaat aankijken. Een beschaving met een zelfbewuste identiteit zou niet toelaten dat op zo’n manier met het eigen verleden gesold wordt.

Sommigen zien in deze toestand iets dat men als ‘cultureel Darwinisme’ kan bestempelen. Kan u zich hierin vinden?

Mijn benadering is helemaal anders dan het Darwinisme. Het is niet een andere beschaving die plots de onze verovert of verdringt, het probleem en de verklaring van wat nu gebeurt moet niet extern gezocht worden. De gevolgde cyclus zit precies in onze cultuur ingebakken. Ik ben er rotsvast van overtuigd dat alle grote beschavingen een vergelijkbaar traject volgen, ook al kunnen de omstandigheden soms sterk verschillen. Er is het ontstaan, de groei, de bloei, de maturiteit, maar daarna ook de achteruitgang, de sclerose en mogelijk zelfs het verdwijnen. Jammer genoeg zijn we in de laatste fase aanbeland in Europa, en zeker in westelijk Europa. Het aantal mensen dat zich bewust is van en trots is op ons Europees-zijn, onze gewoontes en tradities, neemt systematisch af. Ook, en vooral dat is onrustwekkend, bij de politieke elites die ons besturen. Als net in deze kringen dit bewustzijn helemaal zoek geraakt is, heb je als beschaving een serieus probleem.

Het kan toch niet ontkend worden dat de immigratie een factor is die onze Europese cultuur zwaar onder druk plaatst?

Klopt, alleen is deze inwijking van ongeveer overal, maar vooral uit de Afrikaanse en islamitische wereld, een gevolg van het probleem, niet de oorzaak. Dat men toelaat dat de demografische verschuiving die we vandaag ondergaan plaatsvindt, is de verantwoordelijkheid van zij die instaan voor het beleid. Waarom zou je je iets van de Europese identiteit aantrekken als je die zelf niet in je draagt? Dát is de kern van het probleem.

U draagt uw later boek op aan uw zonen. Al de voorgaande vaststellingen moeten u toch somber stemmen, zeker als vader?

9783944305455-de-300.jpgAbsoluut. Als historicus vind ik het boeiend deze dingen te observeren en parallellen te zoeken met vergelijkbare toestanden in het verleden. Maar als vader raakt de idee me dat mijn kinderen opgroeien in een beschaving die op haar einde loopt. Het was voor mij alvast een belangrijke reden om naar Polen te komen. Op die manier kan ik ervoor zorgen dat ze opgroeien in een samenleving die Europees is, stukken meer toch dan tot wat het Westen verworden is.

Europese omgeving

Hoe hebt u die verhuis beleefd. Ander land, andere taal,…?

Ik moet bekennen dat toen ik naar hier kwam, ik niet over een grondige kennis van Midden- en Oost-Europa beschikte. Tot dan was mijn leven eerder op de Atlantische wereld afgestemd, in het bijzonder Frankrijk en Groot-Brittannië. Het was dan ook een aangename verrassing te kunnen vaststellen dat een zin voor tradities en levensgevoel bestaat die ik enkel in mijn kindertijd ervaren heb. Ondanks de taalbarrière oogt Polen Europeser dan België. Er is de aanwezigheid van de katholieke traditie die de samenleving kenmerkt (“prägt”), de hoffelijkheid van de mensen, maar ook de lage graad van criminaliteit, iets wat vandaag ondenkbaar is in Brussel, Luik of mijn eigen thuisstad Verviers.

Stel dat we als Europeanen de cyclus waarin we ons bevinden toch willen doorbreken voor, zeg maar, een imperiale toekomst. Wat zijn hiervoor de voorwaarden?

Het belangrijkste is dat we terug de herinnering aanwakkeren aan onze zowel Grieks-Romeinse als joods-christelijke identiteit. Europa is meer dan de optelsom van de individuele ervaringen van mensen die hier toevallig op een gegeven moment wonen. Het is een historisch gegroeid gegeven. Belangrijk is ook de aanwezigheid van een “Leitkultur”, een dominante cultuur waar nieuwkomers zich naar moeten schikken; de norm. Een bijzondere rol in het smeden van die herwonnen identiteit is voor de Europese instellingen weggelegd. Ik ben ervan overtuigd dat meer nog dan vandaag op bepaalde domeinen een intensievere samenwerking tot stand moet worden gebracht. Voorbeelden hiervan: buitenlandse politiek, bescherming van de grenzen, criminaliteitsbestrijding, onderzoek en ontwikkeling, toegang tot strategische grondstoffen, en dergelijke.

Is het niet paradoxaal dat zij voor wie onze Europese traditie nog wel van belang is, vaak ook scherpe critici van het EU-gebeuren zijn?

De instellingen zoals we die vandaag kennen, zijn in mijn ogen een secundair probleem. Weet u, er zijn in de geschiedenis vele voorbeelden terug te vinden van aristocratische of oligarchische structuren die de eigen historische identiteit in zich droegen en ook bij de bevolking een grote legitimiteit genoten. Waarom zouden we dit niet verkiezen boven democratieën die zelfdestructief zijn voor onze samenleving? Wanneer men kritiek heeft op de EU-elite, en die moet er zijn, moet die niet zozeer gericht zijn op de instellingen, dan wel op het feit dat die lui onvoldoende het identitaire Europese zelfbewustzijn in zich dragen.

Laten we nog even terugkeren naar onze plaats in de cyclus. Zou men kunnen stellen dat de regressie vandaag sneller loopt dan destijds in het Rome van toen het geval was?

De snelheid waarmee de dingen evolueren blijft me verbazen. In mijn analyse had ik het over een periode van burgerlijke onzekerheid die misschien wel twintig jaar in beslag kon nemen. Hier was de parallel de burgeroorlogen die Rome hebben geteisterd. Die fase zou gevolgd worden door de installatie van een autoritair regime dat een soort van orde zou herstellen. Daar gaan we nu naartoe. Elk land kent zijn eigen gegeven situatie, maar je merkt overal die groeiende tegenstellingen, vaak onderhuids. In een land als Frankrijk valt dat probleemloos op, minder in Duitsland, maar onderschat de situatie daar niet: er suddert iets in de Duitse samenleving. De polarisatie tekent zich scherper af, er is onbehagen bij een steeds groter deel van de bevolking. De indruk van stabiliteit bedriegt. Wie had trouwens in 1989 de val van de Muur en de implosie van het Oostblok durven voorspellen.


44732.jpg

David Engels

David Engels (°1979 in Verviers) komt uit de Duitstalige gemeenschap van dit land. Hij studeerde geschiedenis, filosofie en economie aan de Rheinisch-Westfälische Technische Hochschule (RWTH) in Aken. In 2005 behaalde hij zijn doctoraatstitel met een proefschrift over de waarzeggerij in het Romeinse Rijk. Hij werd assistent aan de RWTH om in 2008 de leerstoel Romeinse Geschiedenis aan de ULB aangeboden te krijgen. Sinds 2018 is hij vrijgesteld van zijn taken aan deze universiteit en is hij onderzoeksprofessor aan het Instytut Zachodni in Poznań (Posen). Binnen deze instelling focust hij zich op de ideeëngeschiedenis van het Avondland, de Europese identiteit en de relatie tussen Polen en West-Europa.

 
Michaël Vandamme (°1974, Brussel) studeerde rechten, filosofie en internationale betrekkingen. Beroepshalve is hij redacteur en voormalig hoofdredacteur van een aantal vakbladen.

jeudi, 17 septembre 2020

Julien Rochedy : « Lire Nietzsche est très intéressant au moment où l’Europe est en danger de mort »

nietzsche.jpg

Julien Rochedy : « Lire Nietzsche est très intéressant au moment où l’Europe est en danger de mort » [Interview]

Ex: https://www.breizh-info.com

Julien Rochedy se présente comme « un retraité de la politique, jeune essayiste, combattant pour le futur et l’identité de l’Europe ». Il vient de publier un livre intitulé Nietzsche l’actuel, consacré au philosophe allemand comme son nom l’indique, avec dans la foulée Nietzsche et l’Europe.

Un livre qui permettra à ceux qui ont du mal à pénétrer l’univers de Nietzsche d’enfin le faire, car particulièrement accessible. Nous le recommandons vivement (il a été publié en auto édition, et peut se commander ici).

Nous nous sommes entretenus avec Julien Rochedy de son ouvrage.

Julien-Rochedy-elin-krantz-viol-meurtre.jpg

Breizh-info.com : Question qui fâche : n’êtes-vous pas un peu jeune encore pour prétendre avoir compris et analysé l’œuvre de Nietzsche dans son ensemble ?

Julien Rochedy : J’ai commencé à lire Nietzsche quand j’avais quatorze ans. Cela fait donc plus de dix-huit ans ans que je le lis, et mieux, qu’il m’accompagne. De surcroît, je n’ai pas d’approche « universitaire » de son œuvre, ce qui rend la lecture de mon livre d’autant plus accessible.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous attire, vous fascine, chez le philosophe allemand ?

Julien Rochedy : Il a été mon maître pendant des années et je lui dois l’essentiel de ma vision du monde. J’aime la force de son écriture, l’amoralisme de ses idées, l’actualité brûlante de ses questions. Il est à la fois un roboratif dans le cadre d’un développement personnel exigeant, et une lumière pour éclairer les phénomènes qui nous entourent.

Breizh-info.com : Vous écrivez que nous vivons aujourd’hui l’apogée, ou plutôt l’acmé, de ce que Nietzsche avait vu et prévu en Europe, c’est-à-dire ?

Julien Rochedy : Nietzsche pose la question du nihilisme après l’évènement colossal de ce qu’il appelle « la mort de Dieu », c’est-à-dire la quasi-suppression de la religion dans les déterminants majeurs de notre civilisation. Les conséquences de cette « mort », à entendre d’un point de vue symbolique, peuvent être funestes pour les coupables de ce crime, à savoir les Européens. Nous vivons aujourd’hui l’acmé de ce nihilisme, dont l’un des symptômes est cette volonté radicale d’en finir avec notre civilisation, c’est-à-dire avec nous-mêmes.

Breizh-info.com : Au même titre que le marxisme semble aujourd’hui – eu égard à l’évolution de nos sociétés – en partie dépassé, la philosophie de Nietzsche ne l’est-elle pas également, lui qui a pensé en un autre temps, profondément différent ?

Julien Rochedy : Je crois au contraire que Nietzsche est plus actuel que jamais. Lui même disait qu’il ne serait vraiment compris que dans un siècle, autrement dit à notre époque. Nietzsche a vu la plupart des phénomènes qui allaient conduire à la situation que nous sommes en train de vivre. Maintenant arrive le moment de vérité : c’est au bord du précipice que nous pourrons nous sauver.

Breizh-info.com : En quoi votre ouvrage, Nietzsche et l’Europe, prolonge-t-il votre introduction à sa philosophie ? En quoi est-ce profondément d’actualité ?

Julien Rochedy : J’ai ajouté à mon introduction à la philosophie nietzschéenne « Nietzsche l’actuel » le mémoire que j’avais écrit durant mes années universitaires : « Nietzsche et l’Europe ». Il est très intéressant de lire celui qui se considérait comme un bon Européen, car au moment où l’Europe est en danger de mort, il est peut-être celui qui la connaissait le mieux, qui décrivit parfaitement les terribles menaces planant au dessus de sa tête, et qui révéla surtout les idées pour qu’elle se métamorphose.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

mercredi, 09 septembre 2020

Kris Roman ontmoet Dr Koenraad Elst over Indië/China - deel 2 & deel 3

nationalherald_2020-06_9ee8b175-1a49-49b7-b3b8-01f6fcc2acba_2020_6_largeimg_179773178__1_.jpg

Время Говорить:

Kris Roman ontmoet Dr Koenraad Elst over Indië/China - deel 2 & deel 3

Deel 1:

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2020/09/01/kris-roman-ontmoet-dr-koenraad-elst-over-indie-china.html

 
 
Deel 2 In het praatprogramma Время Говорить ('Tijd om te Spreken') ontvangt Kris Roman speciale gasten die hun bevindingen en kennis over actuele thema's aan het grote publiek verduidelijken.
 
In deze aflevering, opgenomen op 17-08-2020, is Dr. Koenraad Elst te gast. Recent (zomer 2020) vonden er dodelijke schermutselingen plaats tussen Indiaase en Chinese grenswachten plaats.
 
Dr. Koenraad Elst zal ons verduidelijken wat er aan de hand is. De veelheid aan informatie die Dr. Koenraad Elst meegaf verplicht ons het interview in drie delen te publiceren.
 
Dr. Koenraad Elst is Dokter in de Oosterse filologie en geschiedenis, Licentiaat in de wijsbegeerte, Indo-Iranistiek en Sinologie.
 
 
Deel 3:
 

lundi, 07 septembre 2020

Liban: que se passe-t-il? Gilbert Dawed répond aux questions de l'Académie Europe

Photo LPJ(23).jpg

Liban: que se passe-t-il?

 
Liban: Entre terrorisme, crise, révolution et pouvoirs forts
Académie Europe: La vidéo de la rencontre avec Gilbert Dawed
 

Gabriele Adinolfi et Georges Feltin-Tracol évoquent le corporatisme

EDC-16-500x340-1.jpg

L’Echo des Canuts: "Sur le corporatisme"

Roberto reçoit Gabriele Adinolfi et Georges Feltin-Tracol pour évoquer le corporatisme et démonter quelques mythes…

Lien (pour écouter): https://radiomz.org/lecho-des-canuts-16-sur-le-corporatisme/?fbclid=IwAR2Pz2p9sA4xfz2o2se1-7wS9zB4UT9LL5N9-jMRRHFCya94dxmASYltZd0

vendredi, 04 septembre 2020

Kris Roman ontmoet Robert Steuckers over Witrusland

snapshotRSB2.jpg

Время Говорить

Kris Roman ontmoet Robert Steuckers over Witrusland

Nederlandse versie

 
In het praatprogramma Время Говорить ('Time to Speak - Tijd om te Spreken') ontvangt Kris Roman speciale gasten die hun bevindingen en kennis over actuele onderwerpen aan het grote publiek uitleggen.
 
In deze aflevering, opgenomen op 25-08-2020, is Robert Steuckers onze gast. In augustus 2020 begon een opstand in Wit-Rusland. Wat zijn de oorzaken? Waar zal dit eindigen? Geopolitiekspecialist Robert Steuckers beantwoordde deze vragen. Robert Steuckers is een specialist in geschiedenis en geopolitiek. Hij spreekt meerdere talen, waaronder Frans, Nederlands, Engels, Duits, Spaans, etc. Hij heeft talloze lezingen gegeven. Hij schreef talloze geopolitieke teksten. Hij heeft verschillende boeken van hoge kwaliteit geschreven en gepubliceerd, waaronder een driedelige serie genaamd "Europe", een tweedelige "the German Conservative Revolution", Nordic Pages en Celtic Pages. Hij schreef een boek over de Duitse politieke filosoof Carl Schmitt. Vergeet niet dat Robert Steuckers zijn mening en zijn analyses in honderden artikelen heeft neergepend.
 

samedi, 29 août 2020

Le « mystère russe » au chevet de l’Occident

unnamedag.jpg

Le « mystère russe » au chevet de l’Occident

Après Eugène-Melchior de Vogüé ou comment la Russie pourrait sauver la France , la Guebwilleroise d’origine russe Anna Gichkina publie un nouvel essai sur son thème de prédilection : L’Europe face au mystère russe : transcendance, nation, littérature.
 
Propos recueillis par M. PF.
Ex: https://www.lalsace.fr
 
 

Historiquement, l’Occident est issu du rationalisme grec, du droit romain et de la tradition chrétienne. J’appelle « naturelles » les valeurs morales qui en découlent. En rejetant son héritage chrétien, l’Occident tourne le dos à ces valeurs. Le libéralisme, tel qu’on le connaît justifie toute action individuelle qui ne dérange pas d’autres individus. Poussé à l’excès et sans encadrement, comme c’est le cas aujourd’hui, il donne lieu à une société où le matérialisme triomphe. L’Occident a perdu la notion d’éternité au profit de l’hédonisme et de la vision à court terme.

31h3qOp1YqL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_.jpgLe rejet de la religion est-il vraiment la source de tous les maux de l’Occident ?

« Si Dieu n’existe pas, tout est permis », écrivait Dostoïevski (c’est en fait la synthèse d’un passage des Frères Karamazov, N.D.L.R.). Quand il n’y a plus de points de repère, ou plutôt quand l’Homme fixe ses propres règles, il finit par les changer. Et sans toujours en imaginer les conséquences.

Si l’Occident va mal, que dire de la Russie où, pour ne prendre que l’exemple le plus récent, l’opposition est malmenée par le pouvoir en place ?

Y a-t-il vraiment plus de violences du pouvoir en Russie que contre les manifestants en France ? Plus sérieusement, je sais très bien que tout n’est pas parfait là-bas. La Russie, même si elle va mieux qu’il y a quelques années, est un pays qui est encore très mal organisé en comparaison de la France. Il y a encore des choses aberrantes, trop de corruption, trop de pauvreté, notamment dans les campagnes…

Malgré cela, vous estimez qu’elle a beaucoup à offrir à l’Europe…

Oui car, en dépit de tous ses défauts, elle ne tourne pas le dos à sa tradition et sa religion (majoritairement orthodoxe, N.D.L.R.). Malgré son histoire tourmentée, le pays revient toujours à ses fondamentaux. Il vit avec la conscience de son histoire et la volonté de la porter et de la transmettre. L’idée que la Russie est un « pays-messie » est partagée par de nombreux penseurs et écrivains russes.

Qu’est-ce que le « mystère russe » qui donne une partie de son titre à votre ouvrage ?

C’est cette façon de toujours se relever de ses malheurs et d’aller de l’avant sans jamais se couper de son passé ni s’enfermer dans un progressisme vide de sens. Le philosophe russe Nicolas Berdiaev (qui a d’ailleurs passé une partie de sa vie en France, N.D.L.R.) avait trouvé une formule pour expliquer cela : « La beauté des ruines appartient au présent ». Et puis il y a la littérature…

La littérature russe pour « sauver » l’Occident ?

Dans mon livre, je parle de « sainte littérature russe ». Le XIXe siècle est considéré à juste titre comme l’âge d’or avec Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï. C’est à la fois un manuel de morale et un remède au vide spirituel européen. Elle enseigne la pitié, la compassion et la charité.

L’Europe face au mystère russe : transcendance, nation, littérature (Anna Gichkina, éd. Nouvelle Marge, 91 p., 14 €).

«L'Europe face au mystère russe» par Anna Gichkina

 
Conférence du 11 Novembre 2019
Parloir Chrétien : 9 rue du Vieux Colombier 75006 PARIS
Les vidéos des conférences d'Octobre seront prochainement mises en ligne. Nous avons eu un sérieux souci technique, en voie de réparation, merci de votre compréhension.
 
 
Abonnez-vous et partagez si vous avez aimé, c'est gratuit !
Si vous voulez faire un don :
Retour au Réel : https://retouraureel.fr

jeudi, 20 août 2020

Entretien sur Guillaume Faye et l’archéofuturisme - Robert Steuckers répond aux questions de Philip Stein

517h25d94ZL.jpg

Entretien sur Guillaume Faye et l’archéofuturisme

Robert Steuckers répond aux questions de Philip Stein

Monsieur Steuckers, vous êtes de nationalité belge et je suis Allemand mais nous pouvons réaliser cet entretien en langue allemande, sans avoir besoin de traducteur. Si je ne m’abuse, j’aurais pu poser mes questions en espagnol, en français ou en anglais. Comment êtes-vous parvenu à maitriser autant de langues européennes?

Ce n’est nullement étonnant: je ne suis pas le seul dans ce cas en Belgique. Le Prof. David Engels écrit tout aussi bien en français qu’en allemand (et en polonais!), sûrement parce qu’il est originaire d’Eupen; mon collègue linguiste et journaliste Lionel Baland, qui s’est spécialisé dans l’étude des partis et mouvements non-conformistes et populistes, qui est natif de Liège, travaille, lui aussi, en quatre langues (français, allemand, néerlandais et anglais); le Dr. Frank Judo a également eu l’occasion de prendre la parole en allemand lors d’un symposium dans la „Bibliothek des Konservativismus“, etc. Dans un groupe d’amis, à Louvain, nous utilisons très souvent la langue allemande et tous les membres de ce petit club sont invités à bien la connaître pour continuer à en faire partie. Par ailleurs, je suis diplômé de l’école des traducteurs. On peut aussi dire qu’entre néerlandophones et germanophones, la différence est mince: nous ne sommes séparés que par deux mutations consonantiques. Ensuite, j’ai suivi les cours de latin en secondaire à une époque où cela valait encore la peine d’étudier une langue morte, car ce n’était pas inutile, comme le racontent à l’envi tous les adeptes de la jactance néolibérale et festiviste. Sur base de ce savoir scolaire, les langues romanes sont d’un accès facile, du moins à la lecture. Finalement, mon épouse est née à Madrid, au pied du monticule où se trouve le palais royal. Cela aide.

Bildschirmfoto-2020-05-14-um-11-39-36_720x600.pngMalgré vos innombrables activités éditoriales et métapolitiques, nous n’allons pas parler de vous aujourd’hui mais de Guillaume Faye, plus précisément de sa brève nouvelle intitulée „Une journée dans la vie de Dimitri Léonidovitch Oblomov“ qui est parue en traduction allemande dans notre maison d’édition il y a quelques semaines. Sur votre compte Twitter, vous avez annoncé cette parution avec enthousiasme, sinon de manière euphorique. Révélez-nous pourquoi un tel enthousiasme ?

Le grand espoir de Faye était de voir ses travaux édités en allemand. Vous êtes donc ceux qui, post mortem, ont réalisé ce voeu très cher de mon vieux camarade décédé. En étalant cet enthousiasme euphorique, comme vous dites, j’ai voulu exprimer la joie que Faye aurait ressentie s’il avait pu savoir qu’un petit livre de lui était enfin paru en allemand, du moins après tant d’années. L’éditeur Wigbert Grabert avait certes fait traduire quelques-uns de ses textes mais non ses brochures théoriquement si importantes sur l’économie, la sexualité, la nouvelle société de consommation, la modernité, etc. Ces petits travaux, très denses, ont vraiment été pionniers dans notre mouvance. Faye a toujours essayé, dans les années 1980, d’être actif dans des cercles avant-gardistes. Récemment, j’ai découvert sur Facebook une brève allusion à ses „Soirées Avant-Guerre“ de Paris. Pierre Robin, un compagnon de Faye à cette époque, en est l’auteur.

Robin nous révèle, très exactement, ce que Faye concoctait dans ces années-là. Robin écrit, avec pertinence, que Faye, in petto, n’était pas vraiment intéressé par les musiques et les modes dites de la „New Wave“ mais, en revanche, il savait très bien que sans une „mise à jour“, rien ne serait plus possible. Dans ses souvenirs des „Soirées Avant-Guerre“ de Paris, Robin nous dit que, pour Faye, il n’était pas possible de réanimer la Weltanschauung classique, grecque et aristotélicienne, ni même le dionysisme des anciens Hellènes en répétant de manière scolaire les cours donnés jadis dans les classes d’humanités classiques. Il fallait donc d’autres moyens, d’autres instruments, pour tenter de sortir de l’étau de la modernité mortifère.

Ce n’est pas un secret de dire que cette petite nouvelle, que nous avons éditée en allemand, n’est qu’une annexe à son épais volume titré „L’archéofuturisme“, où il expose ses idées sur le monde futur après la „grande catastrophe“. Pouvez-vous nous esquisser ce que Faye entendait par „archéofuturisme“ et quel en était le noyau idéologique?

La réponse à votre question se repère aisément dans la nouvelle: on y décèle parfaitement ce qu’il a voulu dire. L’élite de l’Etat, de l’Empire, les dirigeants de la „Fédération“, avec leur formation pluridisciplinaire, les chefs des armées futures, seront futuristes, bénéficieront de toutes les technologies hypermodernes et les utiliseront comme instruments pour asseoir une puissance planétaire indestructible. Le reste de la population sera à nouveau lié à la terre, aura un mode de vie agraire, et développera une culture populaire stable et éternelle. L‘“archéofuturisme“ est donc archaïque, agraire, écologique pour la grande masse des populations et hyper-technique et futuriste pour les élites.

9781907166099-fr.jpgFaye s’intéressait très fort aux projets de chemins de fer, surtout pour la ligne transsibérienne „Baïkal-Amour“, aussi pour les anciens projets allemands de la „Breitspurbahn“, pour l’aérotrain de la France de De Gaulle, pour les projets japonais similaires, etc. Voilà pourquoi Oblomov passe sa journée dans un train, partiellement souterrain. Pour Faye, la tâche première de tout Etat ou de tout Empire était d’organiser des communications ultra-rapides, exactement comme l’empire romain reposait sur ses routes et en dépendait. Mon fils et moi-même fumes un jour très étonné de constater qu’il lisait avec grand intérêt des revues de vulgarisation scientifique traitant de toutes les nouvelles technologies et biotechnologies, comme Science & Avenir, Sciences & Vie, etc. Même si quelques gros malins, croyant tout savoir et se piquant d’être omniscients, considéraient que ce genre de préoccupation était ridicule, je persiste à croire, avec le recul, que les diplômés en sciences humaines, littéraires ou sociologiques, doivent se donner pour hygiène mentale de glaner du savoir sur les révolutions en cours dans les sciences naturelles, physiques, et dans les domaines des hautes technologies (comme la nanotechnologie par exemple), afin de ne pas énoncer des théories boiteuses et incomplètes.

Pourquoi Faye s’est-il décidé à ajouter cette petite nouvelle, un travail purement littéraire, à son livre sur l’archéofuturisme? Pour donner une teneur littéraire à la matière? Ou doit-on émettre l’hypothèse qu’il y a un „plus“ derrière cette décision, l’enthousiasme de Faye pour la littérature?

Faye, tout comme Jean Thiriart d’ailleurs, n’était pas tellement intéressé à la pure littérature, du moins pendant les années où je l’ai connu (car sa culture littéraire n’est pas négligeable pour autant). Il lisait essentiellement des ouvrages de sociologie (Maffesoli, Lipovetsky), de philosophie (Heidegger), de sciences politiques (Freund), d’économie (List, Perroux, Grjebine), d’histoire et de géographie, comme le prouve les recensions qu’il publiait dans éléments ou dans des feuilles internes du G.R.E.C.E. Une exception toutefois chez ces deux penseurs politiques non-conformistes: Louis-Ferdinand Céline, que tous deux appréciaient grandement. L’objectif de cette petite nouvelle bien ficelée de Faye, que vous venez de traduire et d’éditer, est d’éveiller l’attention de ses lecteurs sur le double aspect que porte en lui son concept d’archéofuturisme, notamment la nécessité de penser simultanément hypertechnicisme et archaïsme organique. Faye regrettait que les cercles de la nouvelle droite n’évoquaient jamais de telles thématiques ou les refoulaient. Cette attitude négative face aux hautes technologies ou aux biotechnologies était l’indice, à ses yeux, d’une attitude impolitique, contemplative et „muséale“, ce qu’il explique d’ailleurs très clairement, et avec emphase, dans son livre intitulé L’archéofuturisme. Il a très certainement souhaité créer un monde de science-fiction pour obliger les „littéraires“ de la nouvelle droite (comme les appelait Thiriart en se foutant d’eux copieusement!) à s’intéresser enfin à des thématiques porteuses d’avenir. Ce souhait englobait également les biotechnologies, thème choisi, pour l’un de ses livres, par son vieil ami italien, le juriste Stefano Sutti Vaj. Le futurisme de Faye doit être pensé simultanément avec le biotechnologisme de Sutti Vaj. Les deux approches, celle de Faye et celle de Sutti Vaj, sont malheureusement restées dans une impasse dans le petit univers néo-droitiste franco-italien.   

9781910524923-fr.jpgL’intérêt de Faye pour ce type de littérature se repère également dans le livre qui fait suite à L’archéofuturisme, soit L’Archéofuturisme V2.0: Nouvelles cataclysmiques, un volume constitué seulement de courtes historiettes, qui se focalisent toutes sur la thématique de l’archéofuturisme? Mais en 1985 déjà, Faye s’était profilé comme l’auteur d’une bande dessinée intitulée Avant-Guerre, où plusieurs éléments de ses futures nouvelles apparaissent, comme l’idée d’une „Fédération euro-sibérienne“. Faye a-t-il inventé un grande histoire, un monde qui lui était propre, auquel il a réfléchi pendant de longues années, qu’il a peaufiné en sa tête… ?

Oui, c’est certain. Il s’est aussi toujours intéressé à la conquête spatiale, aux projets européens Ariane. C’est aussi le résultat qu’un intérêt enthousiaste, depuis son enfance et son adolescence, pour la bande dessinée franco-belge, pour les „romans graphiques“ comme disent les Anglais aujourd’hui. Deux séries ont été déterminantes pour l‘engouement que Faye a eu, pendant toute sa vie, pour la conquête spatiale, pour les sciences et la haute technologie, soit pour le „futurisme“.  D’abord la série „Spirou et Fantasio“ de Franquin où deux scientifiques entrent en concurrence: d’une part, Zorglub, qui conçoit et construit d’étonnantes machines volantes puis envoie des centaines de fusées sur la lune pour y inscrire une publicité pour Coca-Cola; d’autre part, Pacôme, Comte de Champignac, qui est chimiste et crée des armes organiques inouïes au départ de champignons, comme, par exemple, le „Metamol“, qui ramollit et liquéfie tous les métaux. Le „Métamol“ détruit ainsi une armée sud-américaine et des tanks chinois. La base de Zorglub dans la jungle amazonienne est détruite par quelques grenades au „Métamol“ contenant un extrait de champignon capable de tout dévorer: toutes les constructions humaines sont alors englouties dans un magma vert et organique, à une vitesse inimaginable.

61sIMJwhfPL._SX380_BO1,204,203,200_.jpgEnsuite, il y a la série „Blake et Mortimer“ d’Edgard P. Jacobs, où l’on trouve un „roman graphique“, qui nous décrit et nous dessine un royaume d’Atlantide se situant sous les flots au beau milieu de l’Océan Atlantique, juste en dessous des Açores. Ce royaume sous-marin est dirigé avec sagesse par un vieux Basileus, inspiré par l’harmonie grecque antique, mais, il est simultanément menacé par des barbares surexcités qui entendent prendre le pouvoir et massacrer les Atlantes. Ces barbares finissent par vaincre mais détruisent les barrages qui protègent des flots la cité sous-marine d’inspiration platonicienne qui est alors engloutie par l’océan. Mais les Atlantes et leur Basileus peuvent quitter la Terre à temps à bord de centaines de fusées pour se donner un avenir sur une autre planète.

Faye était ensuite fasciné par les avions que Jacobs avait dessinés pour sa trilogie de la série „Black et Mortimer“, intitulée Le secret de l’Espadon, notamment „l’aile rouge“ du Colonel Olrik, incarnation du mal, et l’Espadon de ses adversaires anglais. Cet appareil a très nettement inspiré Faye quand il imaginait ses propres chasseurs „Squalines“, fers de lance des forces aériennes de la „Fédération“. On peut également ajouter que Faye a lu, avec beaucoup d’attention, les deux albums de „Tintin et Milou“, où Tintin s’embarque pour la lune avec le Capitaine Haddock dans une fusée qui ressemble aux V2 allemands de la seconde guerre mondiale. Les armes à ultra-sons inventées par le Professeur Tryphon Tournesol dans L’Affaire Tournesol l’intéressaient beaucoup, elles aussi.

6151weT+qiL.jpgLa fascination de Faye pour les technologies futuristes, pour l’exploration spatiale et les armes biologiques découle certainement d’une connaissance profonde des „romans graphiques“ belges de Franquin, Jacobs et Hergé. Dans la mouvance en France, il n’était d’ailleurs pas le seul dans ce cas: le musicien et dessinateur Jack Marchal, qui avait inventé le petit peuple des rats noirs néofascistes, avait à l’évidence puisé son inspiration chez le dessinateur wallon Raymond Macherot qui, lui aussi, avait créé un peuple de méchants rats vivant dans les égouts d’une ville imaginaire et en sortaient pour commettre mille méfaits. Ensuite son ami le peintre Olivier Carré et son camarade de combat (du moins au début de sa carrière) Grégory Pons étaient également „tintinophiles“, tout comme l’avocat genevois Pascal Junod (toujours très actif en Suisse romande) et moi-même. Cette influence de la bande dessinée belge ne se perçoit quasiment pas dans les milieux politiques germanophones. Je pense en outre qu’il aurait trouvé cela fantastique si des dessinateurs avaient utilisé les thèmes de son oeuvre métapolitique pour lancer de nouvelles séries de BD sur le marché !

Je serai direct: combien de science-fiction y a-t-il dans „Une journée dans la vie de Dimitri Leonidovitch Oblomov“ et dans les autres courtes nouvelles de Faye? Il affirme cependant qu’il s’agit d’une vision d’avenir très réaliste…

Oui, de fait, Faye rêvait d’un partenariat euro-russe où les distances immenses entre la Bretagne  -qu’il aimait parce que son meilleur ami, le nationaliste culturel breton Yann-Ber Tillenon lui avait communiqué le sens de la „bretonnitude“ tout en demeurant son plus fidèle soutien-   et la Sibérie orientale, plus exactement le Kamtchatka, auraient été surmontées par des moyens de communication hyperrapides. Dans sa courte nouvelle, une telle „Fédération“ euro-russe ou euro-sibérienne est devenue réalité. Et, comme je viens de le dire, l’élite de cette „Fédération“ est marquée et formée par une praxis hypertechnicisée et futuriste tandis que les masses populaires vivent à un rythme agraire et conservent, de manière vivante et créative, leurs vieilles racines culturelles celtiques, germaniques ou slaves. Faye réconcilie, dans cette nouvelle, les deux pôles, en apparence foncièrement différents, qui s’opposent au sein des mouvances conservatrices-révolutionnaires voire nationales-révolutionnaires et qui existaient déjà au temps de Weimar: le monde du „Travailleur“ d’Ernst Jünger et l’anti-technicisme de son frère Friedrich-Georg.  

En publiant L’archéofuturisme, Faye opère son retour dans la mouvance néodroitiste en 1998, après avoir passé de nombreuses années dans une sphère apolitique, où il a été animateur de radio et avait tourné le dos à la (méta)politique. Juste avant cette parenthèse, il s’était détaché de la „Nouvelle Droite“ d’Alain de Benoist ou, plutôt, en fut expulsé de manière particulièrement inélégante. Vous avez subi un sort analogue. Aviez-vous des contacts à cette époque? Comment, à votre avis, faudrait-il interpréter le retour de Faye, avec, pour arrière-plan, cette utopie archéofuturiste? Comment caractériser Faye à ce moment-là de son existence?

Le processus de rupture avec Benoist a duré environ huit mois, entre l’été 1986 et mars 1987, avant de devenir définitif. L’université d’été du G.R.E.C.E. de 1986 avait été un fiasco total. Faye a ensuite exprimé ses griefs à l’occasion du colloque annuel de l’association en novembre 1986. En mai 1987, il publie sa lettre d’adieu, rédigée en des termes courtois et modérés. Je l’ai traduite en allemand pour le bulletin de la D.E.S.G. (Deutsch-Europäische Studien-Gesellschaft), qui paraissait à Hambourg. A cette époque-là, grâce au soutien de Jean van der Taelen et de Guibert de Villenfagne de Sorinnes, j’étais parfaitement indépendant de la clique parisienne rassemblée autour de Benoist. Jean-Marie Simar, un ami de Liège, avait édité trois brochures de Faye avec de très modestes moyens: Europe et modernité (à coup sûr, l’essai le plus profond que Faye ait jamais écrit), Petit lexique du partisan européen (la première mouture de Pourquoi nous combattons ?) et L’Occident comme déclin (autre essai magistral qui, hélas, n’a jamais été traduit, pas même en anglais).

index.jpgAprès la rupture entre Faye et Benoist, je n’ai évidemment pas eu les réflexes imbéciles de la secte, en excommuniant à mon tour mon vieux camarade Guillaume Faye. Nous nous sommes vus en août 1987 en Suisse, où Pascal Junod, qui n’était pas encore un avocat renommé, avait organisé une fête paneuropéenne. Faye y a distribué sa lettre d’adieu et y a rencontré un bon paquet d’amis venus des quatre coins de la France et d’ailleurs. J’ai profité de l’occasion pour l’inviter en septembre à Bruxelles, dans les salons de l’Hôtel Métropole (aujourd’hui fermé pour cause de faillite suite au confinement de ce printemps 2020), afin qu’il puisse y présenter un livre et un thème, La soft-idéologie, qu’il avait travaillé et rédigé avec le grand analyste et stratégiste français des médias et des guerres de quatrième dimension, François-Bernard Huyghe. Faye, à l’époque, avait des contacts avec les cercles académiques les plus prestigieux. Sa conférence à Bruxelles sur la soft-idéologie fut la dernière qu’il fit à une tribune de la mouvance dite de „nouvelle droite“. Ensuite, pour moi, il a disparu, sans traces et sans donner signe de vie, dans le labyrinthe des médias alternatifs, polissons mais toutefois notoirement connus sur la place de Paris, où il joua, entre autres facéties, le rôle de Skyman, une sorte de superman vengeur des opprimés, capable d’organiser les plus désopilants des canulars.     

skyman.png

Son retour, dans un premier temps, a été discret mais, selon sa bonne habitude, percutant. Il accorda un entretien à la rédaction d’une jeune revue à l’époque, Réfléchir & Agir (que l’on trouve dans tous les kiosques de France aujourd’hui). Le thème principal qu’il aborda dans cet entretien était les courants musicaux de l’époque qui auraient pu provoquer un effet de rupture salutaire dans la société et l’espace politique, du moins s’ils étaient impulsés dans la bonne direction par une élite porteuse d’une véritable Weltanschauung alternative. De cette manière, un monde alternatif aurait pu émerger. Un ami commun, qui militait pour diffuser Réfléchir & Agir, nous organisa une rencontre à Bruxelles, parce que Faye souhaitait me revoir avant de réapparaître pour de bon dans la mouvance. Un beau jour du printemps 1998, Faye sonna à la porte de ma maison. Il avait certes pris un coup de vieux car la vie dans le petit monde du „Showbiz“ n’est bien sûr ni paisible ni sobre. Cela avait laissé des traces. Mais nous avons entamé la conversation comme si la dernière réunion de son département „Etudes & Recherches“ avait eu lieu une semaine auparavant. Il était resté joyeux, espiègle et polisson, son rayonnement intellectuel était intact. Il nous expliqua ce que signifiait son concept d’archéofuturisme et annonça à tous les amis présents la parution imminente de son livre sur le sujet. Quelques membres de la section hambourgeoise de „Synergon“ étaient présents, de même que le Dr. Tomislav Sunic. Ce fut l’une des journées les plus inoubliables de mon existence !

Le terme central: „Fédération euro-sibérienne“: Faye, en fait, prend une position dans sa nouvelle, qui s’oppose à la conception que se fait Douguine de l’Eurasie. Faye plaide pour une „Euro-Sibérie“ qui ne comprend que la partie européenne de la Russie. Comment jugez-vous cette position aujourd’hui, en tenant compte de l’arrière-plan des querelles qui se sont faites jour dans les rangs de la nouvelle droite française?

Je pense qu’il ne faudrait pas prendre trop au sérieux les différences perceptibles dans les emplois des termes „Eurasie“ et „Euro-Sibérie“. Certes, Douguine est politiquement plus conséquent car il est derechef ancré dans les réalités de l’histoire russe, ce qui l’oblige à tenir compte des anciennes frontières de l’URSS défunte, où Staline a été, volens nolens, un successeur de Catherine II, la « rassembleuse des terres ». Douguine n’escamote pas de manière simpliste l’histoire de l’Union Soviétique. Faye, en fait, développe et élargit une perspective que l’on trouve tout à la fois chez De Gaulle et chez Thiriart: il espère ainsi faire émerger un „grand-espace continental“ qui serait suffisamment autarcique pour pouvoir résister aux entreprises malveillantes d’autres grands espaces impériaux. Faye est ici disciple de Friedrich List et de François Perroux, lequel avait esquissé des plans pour donner de la cohérence au continent latino-américain afin qu’il puisse s’affirmer contre les menées impérialistes de Washington. Pour Faye, pour Thiriart ou pour Perroux, les Etats, petits et moyens, de l’Europe sont trop exigus et l’Europe seule, sans la Russie-Sibérie, n’est pas suffisamment autarcique pour simplement survivre sur le long terme. La Russie, de son côté, est trop peu densément peuplée pour avoir un poids démographique suffisant, face à des adversaires potentiels.

hqdefault.jpg

Le débat Faye/Toulaev à Moscou.

A Moscou et à Termonde (Dendermonde, Flandre orientale, une petite ville à proximité de Bruxelles), Faye a mené des débats intéressants avec un idéologue national russe, hispaniste et historien de l’art: Pavel Toulaev. Ce dernier critiquait le concept d’Euro-Sibérie dans la mesure où la Sibérie n’a jamais été un sujet de l’histoire et que, dans l’espace sibérien, seule la Russie l’a été et l’est restée, puisque l’empire mongol de Gengis Khan et de ses successeurs a définitivement disparu. C’est la raison pour laquelle Toulaev et l’activiste flamand russophone Kris Roman parlent plutôt d’Euro-Russie. On voit ici qu’il y a une différence notable entre cette perspective euro-russe, qui table sur des peuples de souche purement européenne, et la perspective „touranienne“ que Douguine a faite sienne, suite à d’autres eurasistes du 20ème siècle russe, qu’ils aient été « blancs » ou « rouges ». Quoi qu’il en soit, Faye a toujours été partisan d’une alliance euro-soviétique ou euro-russe, comme l’attestent ses très nombreux articles, parus sur son site, sur celui de Thomas Ferrier ( http://thomasferrier.hautetfort.com ) ou sur mon blog http://euro-synergies.hautetfort.com.

unnamed.jpgIl était, sur ce plan, sur la même longueur d’onde qu’Yvan Blot, un très ancien animateur de la nouvelle droite qui avait aussi rompu avec l’inénarrable de Benoist et qui est, hélas, décédé quelques mois avant Guillaume Faye, laissant un vide énorme dans la mouvance, qui n’est guère perçu dans l’espace germanophone, alors que Blot parlait parfaitement l’allemand. Il n’y a guère de querelles sur ce sujet dans les rangs de la nouvelle droite française actuelle: la plupart des activistes et sympathisants sont plutôt pro-russes, y compris bon nombre de catholiques de la vieille droite, bien que quelques-uns, et non des moindres, soutiennent l’ultra-droite ukrainienne (PS d’août 2020: les événements tout récents de Biélorussie modifieront sans doute quelque peu la donne, wait and see).  

Les Etats-Unis, dans sa nouvelle, connaissent un sort peu enviable, celui d’une implosion. Or Faye, à la fin de sa carrière, a pris parti pour Israël et a défendu une vision très négative de l’islam, qui correspond à celle des néoconservateurs américains, théoriciens du „Contre-Djihad“. Comment expliquez-vous cette mutation dans son discours? Est-ce une posture à prendre au sérieux?

De concert avec d’autres observateurs de la société américaine de ses dernières décennies, comme, par exemple, James Howard Kunstler ou Dmitry Orlov, Faye était convaincu que la trépidance qui sous-tend le dynamisme erratique de la société américaine ne pouvait se maintenir sur le long terme. En plus, pensait-il, les Etats-Unis sont marqués par une idéologie libérale incapacitante, un biblisme irréaliste et anti-scientifique et un moralisme agressif. Ces idéologèmes ne peuvent constituer de véritables fondements politiques, au sens où Carl Schmitt et Julien Freund entendaient et définissaient „le politique“. Sans fondements véritablement politiques, un Empire ne peut durer. Il est alors condamné à entrer en décadence. Dès lors, quand a émergé un gigantesque empire, fictif mais peut-être réel demain, comme la „Fédération“, les Etats-Unis se sont automatiquement ratatinés sur le plan de la puissance parce que, contrairement à la figure mythologique grecque d’Antaios, ils ne puisent pas leur force dans un terreau culturel „tellurique“, en entrant à intervalles réguliers en contact avec la Terre, ne se revigorent pas au contact d’un sol à eux. L’avenir appartient à des empires liés à leurs propres sols, qui construisent leur avenir à partir des forces vives de leur „arkhè“. La „Fédération“ euro-russe, tout comme la Chine ou l’Inde, est un empire de ce type, ancré sur son propre sol. La jeune femme indienne, qui voyage en compagnie d’Oblomov dans la nouvelle de Faye, appartient, elle aussi, à un empire ancré dans ses fondements védiques, comme elle le dit d’ailleurs dans la conversation qu’elle a engagée avec le haut fonctionnaire russe de la „Fédération“. Elle voyage en direction d’un autre empire traditionnel, la Chine, dont elle étudiera les fondements traditionnels sans s’y immiscer.

Couv-elements-53.jpgFaye a été dans les années 80, le fougueux avocat d’une coopération euro-arabe anti-impérialiste. Un colloque euro-arabe, visant un tel objectif, a eu lieu à l’université de Mons en Hainaut en 1985, auquel deux Allemands de la mouvance nationale-révolutionnaire, autour de la revue Wir Selbst,  ont participé: Siegfried Bublies et Karl Höffkes (et, moi, j’étais leur interprète). C’était au temps où le monde arabe était dominé par le nationalisme militaire (Algérie), par le laïcisme, le nassérisme, le baathisme ou l’idéal de la „troisième théorie universelle“ de Khadafi. Depuis lors, la donne a considérablement changé. Les réseaux salafistes et wahhabites saoudiens ont oblitéré toute la scène politico-religieuse arabe. Or le salafisme, le frèrisme et le wahhabisme sont des instruments de l’impérialisme américain tout comme le sionisme. Le salafisme a ébranlé durablement l’Algérie et, plus tard, a déstabilisé l’Egypte et meurtri la Syrie, qui se trouve aujourd’hui dans un bien triste état. Chacun sait aujourd’hui que Brzezinski a soutenu les moudjahiddins afghans et leur a fourni des missiles Stinger, tout en recrutant Ben Laden comme mercenaire saoudien pour combattre les Soviétiques dans les montagnes de l’Hindou Kouch. La situation n’est plus aussi simple, aussi gérable, que dans les années 1980.

Entre 2000 et 2004, Faye s’était lié d’amitié avec le géopolitologue Alexandre Del Valle, qui s’était posé comme l’avocat d’une orientation pro-sioniste. La plupart des observateurs de la mouvance nationale-révolutionnaire et néodroitiste en ont conclu que Faye avait opté pour un pro-sionisme radical. Ce qui est plus patent, ce qu’il serait plus pertinent de dire, c’est qu’il a réagi de manière trop émotionnelle et trop passionnelle, notamment dans son livre La nouvelle question juive parce qu’il en avait marre, plus que marre, d’entendre pérorer un certain Arnaud Guyot-Jeannin, satellite de l’inénarrable de Benoist, qui, avec une jactance aussi débile qu’insupportable, tentait de nous vendre un islamisme superficiel, caricatural et schématique. Les thèses de Del Valle se sont étoffées aujourd’hui et sont présentes dans bien des débats en France et en Italie. Dans son dernier livre, Le projet, il met l’accent sur le rôle des Frères musulmans dans l’émergence d’un indescriptible chaos au sein du monde arabe : la thèse est évidemment pertinente, on ne peut le nier. Del Valle avait commencé sa carrière, vers 1999, en dénonçant très clairement, et à très juste titre, l’alliance secrète entre les fondamentalistes islamistes et les faucons néoconservateurs américains. Sur ce plan, on ne peut pas dire qu’il s’est trompé. Son analyse de la situation en Syrie est également correcte. Mais, ce qu’il ne veut pas dire (ou ne peut pas dire), c’est que le sionisme est aussi un instrument de l’impérialisme américain. Les baathistes de Syrie, les Russes, les Chinois et les Chiites d’Iran ou du Liban forment ensemble, eux aussi, une alliance „contre-djihadiste“. Sans les salafistes, les wahhabites et les sionistes.

maxresdefaultadvprojet.jpg

Alain de Benoist s’est exprimé de manière très négative dans la recension qu’il a consacrée au livre de Faye L’archéofuturisme. De Benoist écrivait en conclusion: „Faye esquisse un univers fictif dans lequel je ne voudrais pas vivre“. Puis-je vous demander, tout en restant neutre et objectif, ce qui distingue Faye, le penseur et le provocateur, de ses anciens compagnons du G.R.E.C.E et ce qui rend la lecture de ses textes particulièrement intéressante?

Benoist ne s’intéresse pas du tout à la géopolitique, aux communications (terrestres et aériennes) ou aux hautes technologies (il est tenaillé par un affect anti-techniciste finalement très puéril). Ces désintérêts pour les thèmes concrets expliquent sa réaction négative, outre la haine viscérale qu’il portait à Faye. La vie idéale, pour le bonhomme de Benoist, se déroulerait dans des espaces intérieurs étroits et confinés, bourrés de bouquins et noyés dans un âcre brouillard de fumée de cigarettes, où erreraient aussi quelques chats discrets et fantomatiques qui compisseraient allègrement tapis et fauteuils (j’en ai fait la malodorante expérience dans un certain appartement sis dans une impasse parisienne à proximité du cimetière du Père Lachaise). Bien sûr, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je n’ai rien contre les chats (à condition qu’ils puissent grimper aux arbres avant de venir ronronner près de mon poêle à bois). Je trouve que les chats sont des animaux formidables. Mais, je vous l’avoue, je préfère me promener dans la forêt avec un chien.

102399920_135290054817270_4131420164048551936_o.jpg

Une planche "publicitaire' dans la BD de Faye, intitulée "Avant-Guerre": la fascination pour les grands projets ferroviaires transparait ici nettement !

Mais, trêve de plaisanterie, je vais, comme vous, essayer d’être neutre et objectif: des centaines de gens ont été actifs dans les cercles et unités régionales du G.R.E.C.E. Chacune de ces femmes et chacun de ces hommes avaient derrière lui un itinéraire personnel, un vécu spécifique, un bagage intellectuel précis, des engouements particuliers voire des dadas agaçants. Beaucoup appréciaient Faye comme homme et, après qu’il eut quitté l’association, beaucoup la quittèrent aussi, remplacés notamment par de très jeunes éléments qui ont gobé tous les ragots vomis par le pontife Benoist. En gros, nous pourrions dire que Faye, comme il l’écrit du reste dans L’archéofuturisme, moquait copieusement le paganisme naïf et rejetaient les dadas (droitiers) sempiternellement répétés. Ceux qui ne pratiquaient pas ce paganisme de pacotille, ceux qui ne cultivaient ni dadas ni obsessions incapacitantes (ce terme est de Faye!) étaient ses camarades. Il faut répéter ici, pour dissiper les méchants ragots, que Faye était un personnage affable, toujours à l’écoute d’autrui pourvu que cet autrui racontait des choses pertinentes, lui faisait découvrir de nouveaux territoires intellectuels ou culturels; il n’aimait pas les polémiques personnelles. Moi, que voulez-vous, je suis un vieux Bruxellois, moqueur et sarcastique, cru et caustique, et je ne peux m’empêcher de me foutre de parigots arrogants et prétentieux qui dissimulent mal leur vide intellectuel derrière leurs vilaines grimaces. C’est ainsi et je paraphraserais volontiers Luther en disant: „Me voici, je ne peux autrement“ (Hier bin ich, ich kann nicht anders).

Guillaume Faye est mort en mars 2019. Vous l’aviez connu pendant des décennies. Quel type d’homme était-il? Quels livres lisait-il en privé? Quelles anecdotes pouvez-vous nous rappeler?  

91dD1-WQymL.jpgJ’ai connu Faye au début de l’année 1976 (ou fin 1975), une journée où il faisait très froid et où il prononçait une conférence à Lille sur l’indépendance énergétique de l’Europe (toujours des thèmes concrets !). Comme je viens de le dire, il était un homme très aimable, amical, toujours bienveillant, jamais agressif. Quand quelqu’un venait à lui en lui faisant entrevoir des perspectives nouvelles, il l’écoutait toujours attentivement (ce fut mon cas, alors que j’étais encore un gamin). Faye avait étudié dans un collège des Jésuites à Angoulême, où il avait reçu une solide formation classique, gréco-latine. De fait, sa culture antique était époustouflante. Il avait lu tout Platon et tout Aristote, avait intériorisé leur savoir et leur sagesse. Plus tard, quand il est venu à Paris pour étudier et qu’il s’est rapproché des cercles premiers de la „nouvelle droite“ dans la capitale française, c’est-à-dire les Cercles Vilfredo Pareto et Oswald Spengler, il s’est mis à lire Jouvenel, Freund, Schmitt et Raymond Ruyer. Plus tard, il découvrit les premiers livres, fondamentaux, de Michel Maffesoli. Ses axes de recherche étaient essentiellement politiques, au sens du politique tel que défini par Aristote, Schmitt et Freund, du politique au sens le plus noble du terme.

Quant aux anecdotes, il y en aurait des centaines à raconter ! Je n’en évoquerai qu’une. Immédiatement après son retour, lors de l’université d’été de Synergies Européennes 1998 qui se déroulait dans le Trentin, Faye est arrivé avec un léger retard à un séminaire sur l’oeuvre de Bertrand de Jouvenel. Le jeune conférencier expliquait très en détails tous les aspects que pouvaient revêtir les concepts forgés jadis par Bertrand de Jouvenel dans ses nombreux ouvrages. C’était complexe et assez fastidieux. Tout d’un coup, Faye a dit: „Minute, j’ai assisté jadis aux cours de Jouvenel en 1967. C’est ainsi qu’il expliquait ces notions…“. Et Faye commença à répéter magistralement les leçons de Jouvenel, comme s’il les avait entendues la veille. Il faut aussi ajouter qu’il avait la faculté de pratiquer ce que l’on appelle désormais „l’art de la mémoire“, soit une méthode que l’on a utilisée en Europe jusqu’au 18ème siècle, pour retenir les lignes d’un discours à prononcer. Comme les orateurs de jadis, Faye griffonnait quelques mots-clefs et quelques flèches sur des bouts de papier minuscules, concevait ainsi ce que les anciens nommaient un „chemin“, ce qui lui permettait, comme eux, de tenir un discours continu pendant deux heures ou plus. Je l’ai vu faire à Bruxelles, le jour où il a présenté son livre prophétique La convergence des catastrophes. Le tout tenait sur le côté pile d‘un sous-bock, le verso étant une réclame pour une cervoise quelconque. J’ai été posément étonné et ai admiré d’autant plus son savoir-faire.

Et pour terminer, cher Monsieur Steuckers, quels projets comptez-vous poursuivre, quelles idées entendez-vous défendre dans un avenir proche?

D’abord, il faut tenir. Je veux maintenir intact le rythme avec lequel je travaille aujourd’hui en gérant les sites et les comptes à mon nom ou à celui de Synergies européennes. Ensuite je souhaite publier et compléter mes archives et les éditer sous forme de livres, avec le concours de mes éditeurs. Ce sera beaucoup de travail. Enfin, je souhaite sillonner l’Europe (mais pas trop!) pour rencontrer ceux et celles qui travaillent avec assiduité pour faire triompher la même Weltanschauung.

81s92DONdrL.jpg

Pour commander la traduction allemande de la nouvelle de Faye: https://www.jungeuropa.de/buecherschrank/192/ein-tag-im-leben-des-dimitri-leonidowitsch-oblomow?c=37

guillaume-faye-cet-esprit-fusee-hommages-verites.jpg

Pour commander "Guillaume Faye, cet esprit-fusée" auprès des éditions du Lore: http://www.ladiffusiondulore.fr/home/765-guillaume-faye-cet-esprit-fusee-hommages-verites.html

mardi, 18 août 2020

Violences gratuites, une vision prophétique. Entretien avec le Dr. Maurice Berger

BM-Illu-M-Berger.png

Violences gratuites, une vision prophétique.

Entretien avec le Dr. Maurice Berger

Propos recueillis par Tatiana Hachimi

Ex: https://b-mag.news

Les violences gratuites, ces agressions physiques sans raison apparente qui peuvent aller jusqu’au meurtre, se multiplient de façon dramatique. Au lendemain du massacre particulièrement insoutenable d’une jeune femme, Axelle Dorier, percutée par un conducteur qui l’a traînée sur huit-cents mètres dans une rue de Lyon avant de prendre la fuite, nous avons souhaité recueillir l’avis du Dr. Maurice Berger dont le dernier ouvrage  « Sur la violence gratuite en France: adolescents hyper-violents, témoignages et analyse » donne les principales clefs pour appréhender ce phénomène tant au niveaux des causes que des solutions. 

Les violences gratuites ne sont ni une surprise, ni une fatalité. Pour les comprendre, et les analyser, il faut aller au contact des auteurs. En remontant le fil leur histoire, de leur éducation on finit par observer plus que des récurrences, plutôt de véritables modèles qui constituent la matrice de cette violence particulière à plusieurs titres, dont notamment la surreprésentation des auteurs d’origine maghrébine.

BM-Ilu-Dr.M.-Berger-cover-livre-1024x783.jpg

Le dernier ouvrage du Dr. Maurice Berger consacré de façon prophétique aux violence gratuites qui se multiplient en France comme en Belgique.

B-Mag: Quel est votre regard  sur le drame de cette jeune femme percutée volontairement par un conducteur qui l’a ensuite traînée dans une rue de Lyon?

Dr. Maurice Berger : 

Même si cela ne représente qu’une partie des problèmes de sécurité, la proportion de délinquants d’origine immigrée est effectivement importante, et cela mérite qu’on y réfléchisse. Je précise d’emblée que je travaille dans un Centre éducatif renforcé dépendant du Ministère de la Justice, et dont l’équipe est à 80 % originaire du Maghreb. Ceci  montre que de nombreuses personnes appartenant à cette culture ont un fonctionnement compatible avec le respect des règles légales de la société. Dit autrement, on nait d’abord dans une famille qui transmet-ou non- des valeurs éducatives avant de naître dans un « quartier ».

A propos de la mort d’Axelle Dorier, la justice précisera les circonstances exactes de cet événement dramatique. Concernant l’auteur, je propose une hypothèse qui ne sera probablement pas explorée lors du procès.  Le conducteur d’origine maghrébine est confronté à une jeune femme, d’origine européenne de surcroît, qui se met en travers de la route pour le faire s’arrêter, c’est-à-dire se soumettre. Dans la culture maghrébine, comme l’indique la sociologue Nassima Driss, l’espace est genré, l’espace public est masculin alors que la place de la femme se situe au sein du foyer. Il y a là une différence anthropologique de représentation de l’espace. Pour cette jeune femme, on doit agir en être responsable et donc discuter. Pour l’auteur, cela a peut-être été impensable car c’est l’homme qui commande. 

a5af5e301ad89bd790c77e116267f4de88ba3b48.jpeg

Par ailleurs, j’entends l’indignation liée aux agressions mortelles récentes mais ces faits ne m’étonnent pas car nous vivons depuis des dizaines d’années dans un triple déni de la violence.

Un déni sociologique, celui qui a forgé le concept de « sentiment d’insécurité » alors qu’il y a une insécurité réelle, avec une violence gratuite toutes les 44 secondes en France en 2018.

Un déni médiatique,  que je combats depuis 1992 lorsque j’ai décrit pour la première fois cette violence dont je commençais à voir l’augmentation dans ma pratique médicale, et où j’indiquais que nous allions avoir des milliers d’adultes violents dans vingt années à venir. En 2008, dans mon livre « Voulons-nous des enfants barbares ? Prévenir et traiter la violence extrême“, j’ai consacré un chapitre à la nécessité de comprendre  les processus menant à la violence chez les adolescents maghrébins. Aucun des nombreux journalistes qui m’ont interviewé à propos  de cet ouvrage n’a voulu évoquer ce chapitre, en m’expliquant que ce n’était pas politiquement correct. 

Un déni politique aussi, le mot d’ordre étant « après moi, le déluge ». 

On constate dans l’actualité  quotidienne le résultat logique de ce triple aveuglement.

Je  renvoie aussi à la récente étude d’Alain Bauer et Christophe Soullez, « Le grand retour de l’homicide? » (2020)  qui montre une augmentation du nombre des homicides en France après une baisse de 60 % entre les années 1994 et 2014. Les chiffres de 2018 sont de 845. Ceux de 2019, autour de 950, donc une augmentation de 8,5 % en un an. Ce chiffre de 2019 est supérieur à celui de 2015 (872, incluant les attentats terroristes du Bataclan) et à celui de 2016 (892, incluant l’attentat de Nice).  Les auteurs concluent : « En tout état de cause, un profond mouvement de retour à la violence physique semble se produire en Occident, ignoré, volontairement ou involontairement, ou sous-estimé (…), ce qui remet en cause un acquis fondateur : le droit de vivre ». Le crime est donc devenu un mode de traitement des litiges. 

B-MAG: Quelle est la part de la maltraitance dans l’historique des sujets violents?  

95% des sujets violents proviennent de familles maltraitantes au sens large qui englobe les négligences, avec souvent un trouble psychiatrique chez l’un des parents. 5% sont issus de familles sans problème éducatif majeur.

Mais parmi les éléments qui favorisent l’apparition d’un comportement violent, deux autres facteurs sont particulièrement fréquents. Tout d’abord, l’exposition à des violences conjugales avant l’âge de deux ans. Là où je travaille, ceci concerne 80 % des mineurs violents, lesquels ont intériorisé précocement ces scènes. Or ces violences conjugales sont plus fréquentes dans les cultures où il y a une inégalité homme-femme. 

indexviolenceor.pngUn autre élément  est un fonctionnement familial clanique,  très répandu chez les gens du voyage, les familles kosovares et maghrébines. Un clan est comme un corps dont chaque individu est un membre.  Alors que le but d’une famille devrait être que les parents cherchent à ce que leur enfant se construise une pensée personnelle et puisse s’éloigner d’eux pour se construire un projet personnel, dans une famille clanique le mode de pensée est indifférencié, le but n’est pas qu’un sujet pense par lui-même, son identité est d’abord d’appartenir au groupe. Le terme de ghettoïsation est donc inexact car on est enfermé dans un ghetto alors qu’ici au contraire, la contrainte est intérieure,  autosécrétée, car c’est l’éloignement du groupe qui est angoissant, en pensée, ou physiquement hors du territoire. Les populations concernées n’ont pas été contraintes de se regrouper, ce sont elles qui choisissent de se concentrer sur la base d’une identité groupale. Et la représentation que les membres d’un clan  ont de la relation n’est pas de personne à personne mais de groupe à groupe. Si l’un d’eux est en difficulté dans une relation, il rameute son groupe : « mes frères vont venir te tuer ». Ce mode clanique est un obstacle à l’intégration des individus, les codes du groupe peuvent primer sur les règles de la République.

Il faut ajouter actuellement que beaucoup de délinquants sont aussi d’origine sahélienne, leur organisation psychique peut être influencée  par la dimension  polygamique de leur famille qui s’accompagne de mariages forcés précoces.

B-MAG: Dans votre dernier ouvrage, « Sur la violence gratuite en France », un  concept que vous évoquez à titre de solution pour enrayer cette spirale de la violence est la « contenance ». Pouvez-vous en esquisser les contours?

La contenance est vraiment un élément essentiel de cet ouvrage, mais difficile à comprendre quand on n’est pas sur le terrain. Elle consiste avant toute chose à empêcher de manière physique la survenue d’un acte violent et à écouter les pensées qui surgissent alors chez le sujet.

Même si ce propos peut paraître choquant,  mon expérience auprès d’enfants et d’adolescents violents m’a montré que la violence se combat par la force et qu’il s’agit d’un passage presqu’obligé pour que la pensée advienne chez eux. 

Lorsqu’un sujet violent éprouve une forte tension, dans l’incapacité où il est de la mentaliser, il va la décharger sur l’extérieur.  Avec la contenance qui peut constituer en un enveloppement dans une couverture, une mise en pièce d’apaisement ou d’isolement, on va leur donner une sorte de prothèse d’enveloppe, de peau. Ce n’est qu’alors qu’ils peuvent commencer à penser, justement parce qu’on a empêché cette décharge sur autrui. Cela signifie non pas que le sujet est mis en exil, mais qu’un professionnel est présent pour écouter les sentiments et les pensées qui vont apparaître chez lui, souvent pour la première fois. En pratique, c’est très difficile à mettre en oeuvre car il faut construire une équipe qui soit d’accord sur ces principes et qui accepte d’être disponible  au gré des crises. Pour certains mineurs, la prison peut constituer plus qu’une sanction, mais aussi cette expérience de contenance

En France, le concept de contenance est très peu compris car il est balayé par un débat idéologique sur l’opposition entre répressif et éducatif.

FilipDeblaere.png

B-Mag : Le futur ?

Lutter contre la violence actuelle nécessite un ensemble de mesures pédagogiques, la mise en place de dispositifs législatifs et judiciaires, un véritable « plan violence » ayant une cohérence globale et qui nécessiterait plusieurs changements de paradigme. En particulier, il   faut commencer par arrêter de laisser grossir la quantité  de sujets problématiques, sinon les professionnels comme moi ont le sentiment de vider la mer avec une petite cuillère. Je ne vois pas comment éviter une remise en cause de la CEDH et de son dogme du regroupement familial qui est à l’origine de « l’importation » de fonctionnements claniques.  Ou encore, tout ceci coûte très cher: 560 euros par jour pour un jeune pris en charge dans un CER et  690 euros par jour dans un CEF  (NDLR: centre éducatif renforcé et centre éducatif fermé). II y a 58% de mineurs étrangers non accompagnés dans les établissements pénitentiaires pour mineurs de Marseille (540 euros par jour), 40% à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Ce n’est un secret pour personne qu’une grande partie de ces mineurs sont en fait des majeurs. Je pense que tout mineur non accompagné qui vient commettre des délits en France doit être expulsé afin que nous puissions consacrer nos moyens déjà très insuffisants à la prise en charge des mineurs violents nationaux. 

Maurice Berger est pédopsychiatre, psychanalyste, ex-professeur associé de psychologie de l’enfant. Il travaille en Centre Educatif Renforcé et enseigne à l’Ecole Nationale de la Magistrature.

Propos recueillis par Tatiana Hachimi

dimanche, 16 août 2020

Communisme revisité : ces nouveaux penseurs dont s’inspire Xi Jinping pour diriger la Chine d’une main de fer

17032018_xi_jinping.jpg

Communisme revisité : ces nouveaux penseurs dont s’inspire Xi Jinping pour diriger la Chine d’une main de fer

Ex: https://www.atlantico.fr

 
 

Atlantico.fr : Quelles sont les influences philosophiques dont semble s'inspirer Xi Jinping, notamment dans sa gestion de la crise de Honk Kong ?

41kdRCl60uL._AC_UL474_SR474,450_.jpg

 

Barthélémy Courmont : Les influences du régime chinois depuis quelques années, et notamment après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, semblent converger vers la reconnaissance des multiples facettes de la pensée chinoise. On pense aux travaux influents de Yan Xuetong sur le neoconfucianisme, ou encore au Tianxia 2.0 de Zhao Tingyang, entre autres. Ces penseurs brillants et reconnus ont en commun de mobiliser les fondements de la civilisation intellectuelle chinoise pour inscrire le régime dans la continuité de cette histoire pluri-millénaire et, à l’heure où la Chine revient au centre du monde après un siècle-et-demi de mise à l’écart (qualifiés à tort ou à raison « d’humiliations »), de légitimer le pouvoir. C’est une véritable rupture avec la révolution culturelle et le maoïsme, qui privilégiaient la mise au pilori des anciennes pensées et avaient pour ambition de créer une société nouvelle et « pure ». Cette ligne idéologique très prononcée, et qui mena la Chine au désastre, a donc laissé place à une approche pragmatique et inclusive de tout ce qui a fait la Chine, y-compris le nationalisme du Kuomintang. C’est pour cette raison qu’il est erroné de considérer que le régime actuel est profondément marqué idéologiquement, sa force étant précisément de ne pas être prisonnier d’une doctrine trop rigide.

edcerf.png

Il est en revanche indiscutable, et les événements de Hong Kong le confirment, que l’affirmation de puissance chinoise s’accompagne d’une certaine manière de penser les institutions chinoises. Et sur ce point, l’obsession de la stabilité et de la légitimité (inspirée du mandat céleste de la Chine impériale) est au cœur des préoccupations des dirigeants actuels, avec en conséquence une très grande méfiance pour les mouvements démocratiques, qualifiés de déstabilisants, voire chaotiques, et la justification d’un régime fort, au nom de l’ordre et de la stabilité. On trouve ainsi des influences diverses, chinoises mais aussi étrangères, y-compris chez des théoriciens très marqués comme le nazi Carl Schmitt, qui mettait en avant les « vertus » d’un système étatique fort face aux risques de chaos des démocraties. En clair, les influences politiques de a Chine contemporaine ne sont pas libérales, le libéralisme politique étant même suspecté d’être instrumentalisé par des puissances étrangères. 

Concernant le sort de Hong Kong, ces influences diverses expliquent le durcissement des mesures chinoises, tout autant que la mise en avant d’un « complot » étranger, pour ne pas dire occidental, qui ferait de Hong Kong une épine dans le pied de Pékin. Cette approche converge avec l’idée selon laquelle, pour les dirigeants chinois, Hong Kong appartient à la Chine depuis 1997, et que Pékin a donc toute autorité pour faire évoluer le système politique selon son bon vouloir. Il est à ce titre important de rappeler que toute critique de la répression à Hong Kong est qualifiée par Pékin d’ingérence dans ses affaires intérieures.

Ces influences sont-elles surprenantes ?

Non, pour plusieurs raisons. D’abord parce que derrière le vernis des discours convenus, la Chine n’est plus communiste (dans sa version maoïste, et même marxiste-leniniste) depuis quarante ans. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est libérale (pourquoi le binarisme hérité de la Guerre froide doit-il nécessairement opposer les deux, sans alternative?). Les dirigeants chinois continuent d’honorer Mao Zedong dans le seul but de maintenir la stabilité du régime et d’éviter le sort de l’URSS, mais à continuer de croire que la Chine est communiste, les puissances occidentales s’enfoncent dans une voie sans issue. La Chine est autoritaire et ne s’en cache pas. Elle n’hésite plus d’ailleurs à comparer les vertus de son autoritarisme (stabilité et ordre, toujours) aux vices de la démocratie qu’elle juge incapable de répondre aux attentes des populations. Il y a lieu de s’en inquiéter, mais c’est en tout cas le vrai défi chinois, le communisme étant réservé à ceux qui restent englués dans une logique de guerre froide d’un autre âge.

5359019772_8e564aa95b_o.jpg

Ensuite, tout connaisseur de l’histoire de la Chine comprend l’obsession de la stabilité, compte-tenu des innombrables révoltes que ce pays a connues. Dès lors, une pensée politique ne peut être influente auprès des dirigeants chinois que si elle met en avant la stabilité, et donc prône un régime fort.

Enfin, le mandat de Xi Jinping coïncide avec une affirmation de puissance (la Chine est devenue deuxième puissance économique mondiale en 2010, soit peu avant l’arrivée au pouvoir de Xi) et, dans le même temps, une faillite des Etats-Unis sûr la scène internationale. Contrairement à ses deux prédécesseurs, Xi a des ambitions qu’il ne cache pas, avec une feuille de route dont l’objectif est le statut de première puissance mondiale (pas uniquement économique) en 2049. Dans ce contexte, une pensée à la fois nationaliste et mettant en avant la récupération des territoires perdus bénéficie d’une grande influence.

Au regard de ces influences philosophiques, que peut-on deviner des intentions politiques du président chinois pour l'avenir ?

Il faut bien avoir en tête, et c’est trop rarement le cas quand on cherche à comprendre la Chine, que cohabitent plusieurs courants de pensée, et que leurs influences sont plus ou moins importantes selon les équipes au pouvoir et le contexte politique (et géopolitique). Dès lors, et compte-tenu des conséquences de la crise sanitaire, tant économiques et sociales que politiques voire identitaires et sécuritaires, les intellectuels les plus influents pourraient être concurrencés par d’autres courants de pensée. Il n’y a pas d’idéologie figée au sommet du pouvoir en Chine, tout dépendra surtout des succès ou des échecs du pouvoir actuel.

ep5.jpg

Concernant Xi Jinping, il est indéniable que le président chinois est plus « fort » que ses prédécesseurs et qu'il rassemble de nombreux pouvoirs. Mais il peut aussi être contesté selon ses résultats. Ses ambitions de recomposer l’espace chinois sont sans doute les plus inquiétantes, notamment en ce qui concerne Taïwan. Hong Kong pourrait n’être  qu'une étape, sorte de test pour mesurer les réactions aux ambitions de la Chine.

mercredi, 12 août 2020

Dmitry Orlov : Interview par Keith Woods sur Continuum

AVT_Dmitry-Orlov_8329.jpg

Dmitry Orlov : Interview par Keith Woods sur Continuum


Par Dmitry Orlov

Source Club Orlov

Bienvenue à l’émission d’aujourd’hui. Je suis ravi d’être rejoint par Dmitry Orlov, qui est un écrivain russo-américain. Il a écrit plusieurs livres sur l’effondrement et la technologie. Ravi d’être rejoint par vous, M. Orlov. Si vous souhaitez présenter votre travail au public pour quiconque ne le connaît pas, ce serait formidable.

DO : Tout d’abord, c’est formidable d’être dans votre émission. Je vous remercie de m’avoir invité.

Je ne suis plus un néophyte car je le fais depuis longtemps, mais écrire sur l’effondrement n’est pas vraiment mon métier. J’ai eu une carrière avant cela, en ingénierie informatique, puis en physique des hautes énergies, puis en commerce électronique, et en sécurité sur Internet, en conversion des médias, des choses comme ça, et finalement j’ai juste abandonné tous ces trucs d’entreprise parce que je me suis rendu compte que cela n’allait pas vraiment dans la direction que j’aimais. Et j’ai commencé à écrire sur ce que je pensais qu’il allait arriver aux États-Unis en me basant sur ce que j’avais observé en Union soviétique et en Russie à la fin des années 80 et au début des années 90, parce que je pensais que les États-Unis allaient s’effondrer.

J’ai commencé à le faire il y a une douzaine d’années et, bizarrement, j’ai reçu un accueil plutôt favorable pour commencer.

Maintenant, il y a deux types de personnes que je rencontre : celles qui crient et s’enfuient – je suppose qu’elles sont la majorité – et puis il y a aussi les personnes qui me suivent, ou celles qui se rendent compte que j’ai fait valoir des arguments valables depuis le début. J’ai donc pas mal d’adeptes en ce moment, et j’écris quelques articles par mois, la plupart sur des sujets d’actualité et d’analyse, et ça se passe plutôt bien et ça m’occupe, pas tellement en écrivant, mais en faisant des recherches pour l’écriture. C’est un travail à plein temps pour l’instant. Et c’est donc là que j’en suis aujourd’hui.

KW : Évidemment, avec les événements de ces derniers mois aux États-Unis, je pense avoir entendu l’idée de l’effondrement, ou l’idée d’un État en faillite, entrer de plus en plus dans la conscience des gens, mais quand vous regardez les États-Unis maintenant et surtout les tensions raciales, ethniques que nous avons vues ces derniers mois – est-ce que cela vous semble être une société qui est à un stade assez avancé d’effondrement maintenant, ou pensez-vous que l’empire américain peut encore continuer à voyager pendant quelques années à venir ?

81s1U3i9fGL.jpg

DO : Il est très difficile de prévoir le moment où cela se produira. En ce qui concerne les tensions raciales aux États-Unis, ce n’est pas nouveau. La pire émeute raciale de tous les temps s’est produite il y a une centaine d’années ; les gens l’oublient. Des pans entiers de villes ont été complètement brûlés, un grand nombre de personnes se sont retrouvées sans abri. C’était une très grande émeute raciale. Il y a eu des émeutes raciales après cela en divers endroits, à Chicago, à Los Angeles et ailleurs. C’est un processus plus ou moins répétitif. En ce moment, beaucoup de gens disent que « la vie des Noirs est importante ». C’est un slogan, et si vous regardez l’histoire – et ce n’est pas un jugement de ma part, c’est une observation – les vies noires semblent avoir de l’importance tous les 20 ou 30 ans.

Les Noirs aux États-Unis sont des pions politiques. Ils sont fondamentalement manipulés par l’establishment Démocrate et ils sont périodiquement lâchés sur le public. Ils sont maintenus au point d’ébullition par un certain nombre de politiques qui détruisent les familles noires, qui emprisonnent les hommes noirs, qui privent les enfants noirs de toute éducation significative. Tout cela les rend utiles comme pions. Ils vont commencer à se rebeller, à piller et à semer la pagaille dès que quelqu’un, au sein de l’establishment Démocrate, tirera sur la bonne ficelle, et c’est ce qui se passe cette année. Les pions ont été déployés afin de renverser Donald Trump parce que les Démocrates sont si désespérés. Ils sont incroyablement désespérés : c’est leur dernier soupir. Ils ont un candidat qui est absolument sénile, qui ne peut pas aligner une phrase. Et c’est donc un signe de désespoir. Je ne pense pas que cela se traduise immédiatement par l’effondrement des États-Unis ; je pense que cela a à voir avec des tendances à beaucoup plus long terme qui sont en cours depuis des générations et qui sont à ce stade inéluctables – non pas qu’elles aient toujours été inéluctables ; je n’ai jamais prétendu qu’elles l’étaient. Mais à ce stade, la plupart des commentateurs et analystes réfléchis diraient que ces processus vont simplement suivre leur cours.

KW : Diriez-vous que la source de l’effondrement est principalement financière ?

51jZ8PjAtxL._SY445_QL70_ML2_.jpgDO : Eh bien, j’ai beaucoup écrit à ce sujet. J’ai écrit un livre, The Five Stages of Collapse, dans lequel j’ai présenté l’effondrement comme un processus en plusieurs étapes : financière, commerciale, politique, sociale et culturelle, en montrant des exemples de sociétés, en faisant des études de cas de sociétés qui passent par chacune de ces étapes ou qui ont pu arrêter l’effondrement.

La séquence est logique, car le financement est essentiellement lié aux promesses que les gens se font les uns aux autres. Ces promesses doivent être étayées par une notion réaliste de ce qui peut être réalisé en termes, par exemple, de remboursement de la dette. La fonction de la finance est de financer l’activité productive, et si la finance décide qu’il n’y a pas de financement parce que les dettes ne seront pas remboursées, alors cela limite l’activité commerciale. Les usines ne sont pas construites, les produits ne sont pas expédiés, etc., ce qui entraîne une contraction de l’économie physique des biens et des services, provoquant une chute des recettes fiscales et paralysant le gouvernement qui ne peut plus dépenser comme il en a l’habitude. Cela entraîne une paralysie et un effondrement politiques, et une fois que le monde politique se dissout, les institutions sociales sont mises à rude épreuve et échouent souvent parce qu’à ce moment-là, le gouvernement ne peut plus subvenir aux besoins de la population, il s’agit donc de groupes caritatifs et d’organisations comme les organisations religieuses qui ne sont généralement pas à la hauteur.

Et le dernier bastion est la famille. Souvent, elle échoue aussi à cause du stress. Les familles se dissolvent et la culture s’effrite. La dernière étape de l’effondrement culturel est celle où les gens cessent de ressembler aux gens : ils deviennent plus comme des animaux. Et c’est la dernière étape de l’effondrement, après laquelle vous n’avez plus vraiment quelque chose que vous pourriez appeler humanité. Vous avez juste ces humains semi-fertiles qui courent dans tous les sens. J’ai même fait une étude de cas d’une société qui en est arrivée à ce point, où d’éminents chercheurs, des anthropologues – un anthropologue en particulier – ont décidé que de telles sociétés devraient être complètement démantelées : les individus n’ont plus rien à faire ensemble. Il faut les séparer, les diviser, parce qu’à ce moment-là, ce qui reste de la culture est pathologique.

Or, il s’avère que les États-Unis suivent cette séquence d’effondrement à l’envers. C’est une prise de conscience que j’ai eue tout récemment : [les États-Unis] ont commencé par un effondrement culturel.

Fondamentalement, le processus qui s’est déroulé aux États-Unis depuis la fin des années 50 et tout au long des années 60 a démembré les familles élargies, puis plus tard a également détruit les familles nucléaires, de sorte que les naissances hors mariage sont maintenant assez dominantes et que le nombre d’enfants, en particulier dans les familles noires, qui grandissent sans père est stupéfiant. Cela indique essentiellement que la culture a échoué. Il n’y a plus de véritable culture humaine, il n’y a plus qu’une culture commerciale de consommation. Les consommateurs, qui font attention aux prosommateurs, aux influenceurs et aux médias. La seule fonction qu’ils ont est de décider ce qu’ils vont consommer jusqu’à ce que l’argent s’épuise, et à ce moment-là, ils sont tout simplement laissés pour compte – complètement laissés pour compte, laissés à la dérive.

La société n’a plus vraiment de fonctions viables. Dans certains endroits, l’église est encore dominante et joue un rôle important, mais c’est vraiment la seule fonction sociale forte qui existe.

urban-decay-detroit-factory-usa-june-collapsed-tower-broken-windows-graffiti-old-fisher-body-works-highlight-post-56031159.jpg

En ce qui concerne le gouvernement, nous pouvons constater d’énormes dysfonctionnements dans la sphère politique. En gros, le pays tout entier se divise en zones rouges et bleues qui sont déjà plus ou moins en guerre les unes contre les autres, bien qu’il ne s’agisse pas encore d’une guerre à balles réelles dans beaucoup d’endroits, mais cela pourrait très bien évoluer en de réels combats.

Le commerce a évolué à un point tel que les États-Unis ne sont pas autosuffisants pour la plupart des produits manufacturés, et la plupart de ce qu’ils produisent est éphémère comme les logiciels et les médias, et peut-être certains produits pharmaceutiques qui sont incroyablement surévalués ; et beaucoup de produits agricoles. C’est donc en gros une économie de plantation pour le monde entier. Il n’y a plus de secteur industriel viable.

Et puis, financièrement, c’est un trou noir, parce qu’elle ne fait qu’imprimer de l’argent. Elle le prête principalement à des initiés. On ne s’attend pas à ce que ces dettes générées soient remboursées un jour, et elles sont finalement converties en instruments zombies financiers bizarres qui restent dans les livres de comptes de sociétés zombies qui sont à jamais maintenues hors de la faillite en imprimant à nouveau de l’argent et en le prêtant. Il n’est donc plus question de prétendre que le financement a quelque chose à voir avec l’estimation du risque et la décision de prêter en fonction de la capacité de remboursement prévue, car on ne s’attend pas à ce que quiconque, à quelque niveau que ce soit, rembourse quoi que ce soit.

Il s’agit donc simplement d’une presse à imprimer qui fonctionne à vide, et toute l’économie des États-Unis dépend maintenant de cette presse à imprimer. Dès qu’il s’avèrera qu’imprimer un dollar de plus ne produit aucune valeur mais produit en fait une valeur négative pour l’économie, c’est à peu près terminé, toute la partie sera terminée.

Il est très difficile de prévoir le moment où cela se produira, mais ce sera un événement, pas un processus. Un jour, les gens se réveilleront et réaliseront que l’impression par la Réserve fédérale de 100 000 milliards de dollars supplémentaires ne fera pas avancer l’économie d’un pouce, et c’est à ce moment-là que tout sera déclaré terminé.

C’est donc ce que je vois se produire maintenant.

KW : C’est intéressant que vous pensiez que la dernière étape a déjà eu lieu parce que cela suggérerait… Je veux dire, vous avez observé l’effondrement de l’Union soviétique, mais même si cela semble aussi mauvais que cela a été, au moins il y avait encore une unité familiale en dessous. Il y avait une société homogène et il n’a donc pas fallu beaucoup pour assurer la transition vers une sorte d’État russe cohérent. Mais si vous regardez les États-Unis, et le fait qu’il y a un effondrement culturel, et toutes ces tensions entre les classes, entre les races… dans une société très multi-ethnique.

Je suppose que la question est alors de savoir, si les États-Unis sont confrontés à ce genre d’effondrement, s’il y a des raisons de croire que les États-Unis en tant qu’entité survivraient même à cela en termes d’intégrité territoriale. En d’autres termes, envisageriez-vous la balkanisation et l’effondrement des États-Unis en tant que pays ?

DO : Il n’y a aucune raison de croire que les États-Unis continueront d’exister une fois que les États ne seront plus unis. Étant donné la politique actuelle, encore une fois, la séparation en zones rouge et bleue qui sont hostiles les unes aux autres à tous les niveaux, il est vraiment difficile de dire que les États-Unis sont unis. Encore une fois, ils sont unis par l’imprimerie de la Réserve fédérale. Une fois que le dollar américain aura fait faillite, il n’y aura plus rien pour maintenir l’unité des États, et il n’y aura plus rien pour maintenir l’unité de chaque État individuellement. Il n’y a aucune raison de continuer à avoir ce système qui se contente de redistribuer de l’argent imprimé – imprimé essentiellement à partir de rien – et il n’y a donc aucune raison de penser que cette entité politique va se maintenir.

329615661.jpg

Maintenant, au niveau ethnique, il y a encore de vastes zones – essentiellement rurales à l’heure actuelle – où l’ancienne couche de la société anglo-allemande se maintient, et il se peut donc qu’il y ait de vastes étendues de terres patrouillées par des locaux lourdement armés qui sont encore relativement sûres et relativement productives. La question est de savoir s’ils pourront réellement survivre sans accès aux côtes et aux ports, car les États-Unis ne produisent plus les pièces de rechange dont ils ont besoin pour faire fonctionner les usines et les équipements. Tout ce matériel est maintenant importé, principalement de Chine, et il n’y a donc aucune raison de s’attendre à ce que les États-Unis puissent se réindustrialiser dans ces conditions, car le pays ne dispose plus des compétences de base nécessaires pour se réindustrialiser. Les ingénieurs n’existent plus ; les gens capables font tous des études de droit et de finance depuis longtemps, et d’autres professions qui ont essentiellement trait à l’escroquerie. Il n’y a donc aucune raison d’espérer ce genre de renaissance.

En ce qui concerne les villes, la fonction qu’elles remplissent n’est pas vraiment claire. Les confinements à cause du coronavirus ont prouvé que les villes, à ce stade, ne remplissent aucune fonction vitale. Elles pourraient simplement être dissoutes. Elles pourraient être abandonnées. Il est donc très difficile de voir quelle nouvelle chose cohésive pourrait émerger de ce processus.

KW : Une autre question qui se pose alors, dans le sillage d’un effondrement potentiel des États-Unis, est que les États-Unis sont actuellement un hégémon mondial. La fin de cet ordre serait la fin de l’ordre que nous avons eu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La question est donc de savoir ce qui surgit dans ce vide de pouvoir. Pourriez-vous imaginer une sorte de monde multipolaire, sans hégémon, ou pensez-vous que la Chine ou la Russie – ou la Chine et la Russie combinées – combleront immédiatement ce vide ?

DO : Je ne pense pas que la Russie et la Chine soient particulièrement intéressées par cela. Le mode de fonctionnement de la Russie consiste à mettre en place des organisations régionales avec ses partenaires eurasiens. Ce n’est pas tant du multilatéralisme que du bilatéralisme. Il s’agit essentiellement d’accords individuels avec divers pays. Ce sont aussi des cadres qui prennent du temps à se mettre en place. Il existe une relation solide avec la Chine – entre la Russie et la Chine – mais je ne pense pas que quiconque veuille intervenir et faire ce que les États-Unis prétendent faire, c’est-à-dire se ruiner par des dépenses militaires inefficaces.

fg_2643685-jdw-1121.jpg

Le fait que les États-Unis aient des troupes stationnées un peu partout et qu’ils dépensent plus que tout le monde en dollars n’a plus vraiment d’importance parce que [les États-Unis] n’ont plus vraiment de capabilité. Regardez ce qui s’est passé lorsque les Iraniens ont répondu au meurtre d’un de leurs généraux par les Américains en lançant des roquettes sur quelques bases militaires en Irak : rien. Il n’y a pas eu de réponse. Les Américains se sont contentés d’encaisser.

C’est le schéma qui a été établi depuis longtemps. Les Américains se mettent en danger, mais ils ne font rien. Ils n’ont pas eu de succès militaire depuis très longtemps. L’ensemble de l’establishment militaire américain est essentiellement une éponge à fric : c’est très cher, mais ce n’est pas très bon. Leurs avions ne volent pas très bien et il y a beaucoup de problèmes avec à peu près chaque partie. L’objectif n’est pas de défendre la nation, car personne n’attaque la nation. L’objectif est d’absorber autant d’argent que possible et de le distribuer à un petit groupe d’initiés.

Ainsi, si vous regardez la parité des dépenses de défense entre, disons, la Russie et les États-Unis, la Russie obtient dix fois plus pour chaque dollar dépensé que les États-Unis, donc l’armée russe s’est renforcée et la Russie a réduit ses dépenses de défense tout le temps, tandis que les États-Unis s’affaiblissent et continuent d’augmenter leurs dépenses militaires. Ces tendances sont indéniables. Ainsi, l’idée que les États-Unis restent un hégémon mondial basé sur leurs prouesses militaires est, je pense, totalement erronée.

Je pense que la seule chose qui maintient les États-Unis dans l’actualité mondiale à l’heure actuelle est la presse de la Réserve fédérale et le dollar américain. C’est tout. Rien d’autre.

KW : Une autre histoire a été divulguée hier concernant une prétendue ingérence russe. Cette fois, c’était au Royaume-Uni, où le ministre des affaires étrangères a déclaré que le Royaume-Uni avait de fortes raisons de croire que la Russie avait fait fuiter des documents à l’approche des dernières élections pour essayer d’aider le parti travailliste.

Je suis juste curieux parce que cette histoire de Russiagate est en train de devenir un trope maintenant. Elle est utilisée encore et encore pour tout ce à quoi l’establishment occidental est opposé. Même Tulsi Gabbard a été accusée d’être un agent russe. C’est juste un coup monté, ça ne veut rien dire.

Mais je suis curieux de savoir quelle est la perception [à l’intérieur] de la Russie, de toute cette hostilité qui est soudainement dirigée contre eux depuis l’Occident, et plus généralement, la perception par les Russes de l’Occident libéral et de beaucoup des problèmes auxquels nous sommes confrontés à l’Ouest maintenant.

DO : Eh bien, d’une part, la couverture médiatique en Russie que l’on voit, la couverture médiatique de l’Occident, de ce qui se passe au Royaume-Uni et aux États-Unis, est très modérée. Elle est factuelle, modérée, et n’est pas tendancieuse suivant mon point de vue. Mais c’est épouvantable. Je veux dire, les Russes regardent ça et pensent « Oh mon Dieu, pourquoi pensions-nous que ces gens méritaient qu’on s’occupe d’eux ? Pourquoi pensions-nous qu’ils comptaient ? »

this-week-in-russiagate-2.png

Alors il y a cette prise de conscience. En ce qui concerne les accusations qui ont été lancées au hasard contre la direction générale de la Russie pour ceci et cela, la plupart des gens en Russie savent maintenant ce que signifie « très probablement » en anglais. Les gens font la part des choses. Le mot « fake » a pénétré la langue russe, en particulier en référence à la plupart des choses venant de l’Ouest. Des « fausses nouvelles » sont souvent lancées. En général, il s’agit essentiellement de matériel pour des émission humoristiques à ce stade. Il n’y a rien de sérieux là-dedans. Il est même difficile de poursuivre la conversation à ce sujet parce que les gens en ont tellement marre. « Oh oui… fausses nouvelles… très probablement… bla bla bla. Peu importe. »

En dessous, si vous grattez la surface, les Russes sont convaincus que la vérité est de leur côté, et la vérité les rend invincibles. Ils en sont absolument convaincus. L’autre côté ne fait que mentir, donc peu importe ce qu’ils disent. Nous savons qu’ils mentent. Ce sont des menteurs. Et s’ils ne mentent pas, alors la question devient : quand ont-ils cessé de mentir et pourquoi ? Qu’est-ce qui a causé cette conversion sur le chemin de Damas, une révélation ? Parce que nous ne l’avons pas remarqué.

KW : C’est assez intéressant. Vous avez également écrit un livre intitulé Shrinking The Technosphere qui s’appuie sur de nombreuses idées de Jacques Ellul, une analyse similaire de la technologie comme cette sorte de démiurge, ou force de contrôle. Je pense que vous la décrivez comme une « force émergente ». Je suis un peu curieux : j’ai vu que la Russie elle-même investit beaucoup de ressources dans la cryptotechnologie et se prépare à ce que le monde passe de la monnaie fiduciaire à la crypto. Je suis juste curieux de savoir dans quelle mesure vous pensez que cela pourrait changer les paradigmes en termes de discussion sur un monde plus multipolaire, un système plus décentralisé avec plus d’anonymat, [rendant] plus difficile pour les gouvernements centraux de tracer les transactions financières et de contrôler les gens par des moyens financiers ? Quelle sera, selon vous, l’importance des innovations en matière de crypto ?

DO : La cryptographie, c’est juste un peu de logiciel. Bitcoin est phénoménalement idiot parce que c’est un horrible gaspillage d’énergie. C’est tout simplement l’invention la plus stupide du monde, compte tenu de ses besoins en énergie. L’anonymat qu’il accorde est surtout utilisé pour toutes sortes de parasitisme, d’escroqueries, de vols et des combines d’extorsion. Il n’y a rien de bon à cela, mais vous savez, la technologie autour de la Blockchain est juste un algorithme qui a des applications – certaines plutôt bonnes – dans certains domaines. Dans certains domaines, comme la finance, ce n’est peut-être pas le cas.

710Dlu+UrPL.jpg

En ce qui concerne ce qui se passe en Russie, beaucoup d’efforts sont déployés pour rationaliser les systèmes électroniques (Internet), pour éliminer la bureaucratie. Traditionnellement, la Russie a toujours été très gourmande en papier, beaucoup de papiers avec des timbres et des signatures nécessaires pour chaque chose, le tout fait dans l’urgence. Il est donc maintenant possible de réaliser n’importe quel projet avec un simple téléphone portable ou un iPad ou quelque chose de ce genre. Tout évolue vers un modèle où tout se fait par le biais de sites web et de serveurs Internet, ce qui est très positif.

La Russie vient de modifier sa politique fiscale de telle sorte qu’elle a peut-être le régime fiscal le plus indulgent pour les sociétés de technologie dans le monde, et étant donné qu’elle compte déjà beaucoup des meilleurs talents dans le domaine de l’IT, elle va probablement devenir une plaque tournante majeure pour le développement international de logiciels. Il faudra sans doute s’attendre à ce que le tonnerre retentisse dans des pays comme l’Irlande qui ont été en tête dans cette catégorie. Et c’est donc un développement positif pour la Russie.

KW : Tout comme cela est lié à votre travail sur l’effondrement, la dépendance que nous avons à l’égard des systèmes technologiques depuis si longtemps, est-ce que cela s’ajoute, ou est-ce un facteur aggravant, à l’effondrement dévastateur que connaîtrait une société moderne aujourd’hui ? Si ces systèmes technologiques commençaient à s’effondrer, cela aurait-il un effet aggravant en termes d’effondrement ?

DO : Eh bien, oui. L’élimination des stratégies de repli est généralement une chose très dangereuse. Ainsi, si vous regardez la Russie, par exemple, et la décision de la Russie d’aller à fond dans ces systèmes d’infrastructure modernisés, cela commence par les technologies de base telles que le pétrole, le gaz, le charbon et le nucléaire, qui génèrent l’énergie. Les procédés d’extraction et de fabrication qui assurent l’autosuffisance de tous les éléments essentiels de l’infrastructure, soit directement, soit par l’intermédiaire de partenaires de confiance comme la Chine. Et cela part de là. Ils ont mis en place un réseau électrique autosuffisant qui utilise des pièces fabriquées en Russie. Ils commencent à s’orienter vers la fourniture de leurs propres systèmes d’exploitation. Il y en a un qui remplace Android, basé sur Linux, qui est en cours de réalisation. Ils pourraient partager ce projet, ou être en train de le partager avec la Chine en raison de toute la folie qui entoure les sanctions contre Huawei. C’est donc un projet qui se construit d’en bas vers le haut.

Si vous regardez les États-Unis, ils ont produit beaucoup de pétrole léger de qualité relativement médiocre et inutile par le biais de la fracturation hydraulique, mais cela s’est effondré. Plus personne ne finance tout cela et c’est un gaspillage global d’argent et de ressources. Il n’y a pas vraiment de solutions de repli.

unnamedwind.jpg

Et puis il y a le lobby écologiste qui élimine les oléoducs et arrête le financement des projets énergétiques à moins qu’il ne s’agisse de projets « verts » qui utilisent l’énergie éolienne et solaire. Le problème avec l’éolien et le solaire est que la production d’énergie qui en découle est irrégulière, imprévisible et n’a rien à voir avec la demande. Elle est liée à l’offre de vent et de soleil, et il n’existe pas de mécanisme de stockage pour stocker de grandes quantités d’électricité qui soient abordables ou qui puissent être produites dans les délais requis.

Les technologies vertes sont donc une impasse évolutive, du moins à cette échelle, et il n’y a donc pas de plan. Pour l’instant, tout le monde dépend de la disponibilité permanente de l’internet, mais la base est le réseau électrique qui n’a pas été mis à niveau depuis longtemps aux États-Unis. Il dépend d’un grand nombre de centrales nucléaires, dont une centaine vieillissent rapidement. Il manque la compétence, ou le désir, d’en construire de nouvelles, et les États-Unis n’ont pas la capacité, ou la possibilité, d’enrichir l’uranium. Ils ont délégué cette tâche aux Européens, aux Français et à la Russie. Ainsi, 25% des ampoules électriques qui sont allumées aux États-Unis historiquement l’ont été grâce à du combustible MOX, du combustible nucléaire, expédié aux États-Unis depuis la Russie. Donc, si vous regardez toutes ces dépendances et ce que cela signifie, eh bien, oui : c’est incroyablement précaire. Ce genre de dépendance technologique est vraiment mauvais pour une nation qui pourrait au mieux, si on se projette, être une nation agraire lourdement armée, constellée de petits fiefs. Ce n’est donc pas une bonne chose pour aller de l’avant.

KW : Vous avez écrit sur le pic pétrolier. Il est évident que… le documentaire de Michael Moore « Planet of the Humans » a récemment fait la une des journaux et a sensibilisé les gens à ce problème, au manque d’efficacité des technologies vertes auxquelles nous croyons beaucoup, et vous en avez parlé. Mais la question est de savoir quelle est l’alternative, alors, si nous atteignons le pic pétrolier et que nos besoins en énergie ne peuvent être satisfaits, sera-t-il simplement nécessaire de réduire notre consommation ? Vous avez mentionné l’énergie nucléaire. L’énergie nucléaire est-elle une solution potentielle à long terme, ou avons-nous raté le coche sur ce point ?

41orpOXeccL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgDO : Les deux seuls pays qui ont la capacité de développer le nucléaire à la vitesse nécessaire sont la Russie et la Chine.

Le seul pays qui a réellement une chance de rendre la production d’énergie nucléaire sûre à long terme est la Russie, car elle est assez avancée dans le travail sur le cycle nucléaire fermé qui ne produira pas de déchets nucléaires de haute activité. Elle va tout brûler. Tous les autres pays ont abandonné cette stratégie. La Russie est la seule, et donc les autres devront au mieux attendre leur tour parce que la façon dont la Russie traite les installations nucléaires dans le monde est [qu’] elle construit essentiellement la centrale nucléaire. Elle forme des locaux pour l’exploiter. Elle signe des contrats pour tout le combustible nucléaire pour toute la durée de vie de la centrale ou de l’installation, qui pourrait être de plus de 100 ans à ce stade parce qu’ils ont appris à recycler les installations nucléaires.

Tous les pays du monde, et certainement ceux d’Europe ou des États-Unis, ne sont pas prêts à accepter ce contrat. D’autres pays comme la Turquie, par exemple, ou l’Iran, ou l’Égypte, sont plus qu’heureux de conclure un accord à si long terme, mais en gros, cela signifie qu’il y a un cordon ombilical de votre pays à la Russie pour toujours. Ainsi, les pays qui cultivent une attitude contradictoire envers la Russie n’ont aucune chance de voir un tel contrat se signer, du moins dans un avenir prévisible.

KW : C’est assez intéressant. Diriez-vous que dans le siècle à venir… lorsque vous pensez à certaines de ces choses, par exemple l’effondrement des États-Unis en tant qu’hégémon et le type de régionalisme que la Russie cultive, est-ce que nous envisageons la fin de la globalisation en tant que processus, la fin du globalisme dans ce siècle ?

DO : Eh bien, je pense que oui. Je pense que ce que nous voyons est le dernier écho mourant du colonialisme occidental – parce que c’est vraiment le modèle qui a été le moteur de tout cela. C’est le dernier souffle de l’économie de plantation, où les anciennes fortunes embauchent des MBA interchangeables et formatés pour gérer des projets dans le monde entier. Peu importe où ils se trouvent dans le monde. Payer des militaires pour surveiller les politiciens locaux afin de s’assurer qu’ils ne deviennent pas trop arrogants et n’essaient pas de s’accaparer trop de pouvoir. Et cela va mourir. Ce système est en train de mourir depuis longtemps : cela va s’accélérer. Cette dernière vague de globalisation qui a expédié les usines de l’Occident vers d’autres endroits du monde où l’énergie et la main-d’œuvre étaient bon marché et où les coûts de réglementation étaient faibles – a fait son temps.

Couverture-blog-864x520.jpg

Je pense donc que l’avenir nous réserve des pays différents allant dans des directions différentes, certains se développant, d’autres non, et certains restant à peu près tels qu’ils sont. Je ne m’attends pas à ce que tout cela affecte de manière très dramatique ce qui se passe dans les zones rurales du Cambodge ou du Laos, par exemple, mais d’autres pays – le Canada, par exemple – pourraient être très touchés. Cela dépend de l’endroit où ils se trouvent dans le monde, car il n’y a pas de globe : il n’y a que dans l’espace, depuis l’orbite terrestre, qu’on peut le voir ainsi. Mais depuis le sol, sur le sol, la terre ne ressemble pas à un globe terrestre ; elle ressemble à une parcelle de terre qui est visible depuis là où vous êtes, entourée par l’horizon, d’environ 30 kilomètres.

KW : Pour quelqu’un qui écoute ceci, [quelqu’un qui] partage votre pessimisme quant à la direction que prend l’Occident, je suppose que la question est de savoir ce que doit faire quelqu’un qui reconnaît la réalité, en termes de moyens pour se préparer au mieux à ce qui va arriver. Y a-t-il un meilleur moyen de se sevrer des éléments du système qui subiront probablement le pire sort ?

DO : Eh bien, les gens s’en sortent plutôt bien à condition qu’ils puissent se rendre utiles les uns aux autres. Pas dans le cadre d’un programme où vous allez sur un tableau d’affichage d’offres d’emploi cherchez un employeur, parce que ces [emplois] seront assez rares sur le terrain, je suppose. Mais ce que vous pouvez faire vous-même pour vos voisins immédiats, pour les gens avec qui vous pouvez entrer en contact. Et beaucoup de ces compétences sont assez basiques.

Donc dans les endroits les plus prometteurs du monde – prometteurs du point de vue de la survie – les gens cultivent ces habitudes, donc par exemple il n’y a aucune raison concevable qu’en Russie en ce moment je devrais faire pousser des pommes de terre… sauf que je le fais, et la plupart des autres personnes aussi. C’est une de ces choses que l’on ne veut jamais cesser de pouvoir faire, comme s’il n’y avait aucun doute que l’on abandonnerait sa capacité à faire pousser des pommes de terre même si je pouvais aller au supermarché et acheter toutes les pommes de terre que je voulais, et plus encore, pour quelques roubles. Il ne s’agit pas de cela. De même, les gens savent comment construire des cabanes en rondins ; les gens savent comment assembler des poêles en briques. Vous savez, il y a une myriade de choses comme ça que les gens savent faire. Ils font rouler de vieilles voitures parce qu’elles peuvent être réparées à l’aide d’outils à main sans les relier à un ordinateur. Il y a beaucoup, beaucoup d’adaptations de ce genre que les gens du monde entier se cultivent pour se préparer aux temps difficiles parce qu’ils savent par expérience que les temps difficiles arrivent. Ils le savent. Ce n’est pas une question de si mais de quand. Personne ne sait quand, et c’est donc maintenant qu’il faut s’entraîner.

hierro.jpg

Maintenant, il y a des gens en Occident qui pensent que le train train quotidien qu’ils ont adopté va continuer pour toujours, mais ce n’est pas un fait, ce n’est pas vrai. Il y a donc beaucoup de métiers modestes pour lesquels les gens pourraient commencer à se former, afin de se rendre utiles le moment venu.

KW : Ce qui tend à se produire… les croyances des gens en période d’effondrement… Je me souviens avoir lu que John Michael Greer avait prédit que les baby-boomers aux États-Unis commenceraient des sectes suicidaires à un stade avancé de l’effondrement, et il est vrai que certains des mouvements que nous voyons en Occident aujourd’hui – BLM [par exemple] – semblent ressembler à des sectes religieuses dans leur orientation. Mais je suis curieux : pour une société qui a vraiment adhéré à la religion du progrès, de la foi et de l’optimisme, que commence-t-il à se passer quand les choses tournent mal ? Verrons-nous apparaître une nouvelle religiosité, et si oui, à quoi cela ressemblerait-il ?

DO : Dans certains endroits, il y aura une nouvelle religiosité. Différentes populations sont plus ou moins susceptibles d’entrer dans des cultes. Il y a eu une forte pénétration des différents cultes en Russie au moment de l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 90, et il y a eu une période où les autorités ont dû se précipiter pour éteindre ces incendies et éliminer certains des cultes les plus répugnants. Certains d’entre eux existent toujours. C’est un vilain problème qu’il faut gérer. Et donc, oui, le désespoir engendre ce genre de vœux pieux, et les gens qui se présentent et vous vendent une sorte de rêve, aussi absurde soit-il, comblent ce vide d’espoir. Nous pouvons donc en attendre beaucoup.

KW : Mais la Russie elle-même semble avoir très bien rebondi, et assez rapidement, après l’effondrement de l’Union soviétique. C’est quelque chose de voir le niveau de religiosité, et la rapidité avec laquelle elle est passée d’une société athée à l’une des seules sociétés chrétiennes traditionnelles au monde.

Pensez-vous qu’en regardant simplement la trajectoire de l’Occident, il est inévitable qu’il y ait un retour à la société traditionnelle ? En d’autres termes, lorsque vous perdez le pouvoir de l’État centralisé, est-il nécessaire que les ordres plus organiques comme la religiosité et les communautés ethniques surgissent dans ce vide ?

DO : Je n’exagérerais pas cela, car il y a des choses qui ne fonctionnent qu’en Russie. Les choses russes ont tendance à ne fonctionner qu’en Russie ; les choses chinoises ont tendance à ne fonctionner qu’en Chine, et il est inutile d’essayer de les copier parce que, par exemple, l’incroyable richesse de la tradition chrétienne orthodoxe que la Russie n’a jamais perdue est ce qui a permis ce renouveau. Ce n’est pas quelque chose qui a été fait à partir de rien. Il s’agit essentiellement d’une tradition vivante qui ne s’est jamais éteinte, qui a repris vie, et qui s’est donc faite plus ou moins automatiquement, et peut-être même sans effort. Je ne dirais pas qu’une telle chose ne peut se produire dans aucun des pays catholiques ou protestants ; ce n’est tout simplement pas quelque chose d’organique à ces pays.

KW : Encore une question liée à ce qui vient après tout cela, ce qui vient après le progrès. En termes de croissance démographique, nous sommes sur une courbe assez raide. Je pense que la projection pour la fin du siècle est d’environ 11 milliards. Sans le pic pétrolier, et sans l’énorme excédent d’énergie qui nous a été donné – je pense que 97 % de la production agricole aux États-Unis provient des combustibles fossiles -, nous attendrions-nous à une forte diminution de ce chiffre ? Je veux dire que s’il y avait un effondrement de la civilisation industrielle, il y aurait probablement un énorme surplus de jeunes gens en Afrique ; je pense que la population du Nigeria devrait dépasser celle des États-Unis d’ici le milieu de ce siècle. Serait-il possible d’envisager des effets quasi-désastreux en termes de famine, de mortalité de la population ?

DO : Eh bien, je pense qu’il y aura des décès. Je pense que pendant de longues périodes, dans différentes parties du monde, le taux de mortalité dépassera le taux de natalité, ce qui est inéluctable. C’est une autre exponentielle que les sociétés ont tendance à suivre : elles se développent de manière exponentielle, puis elles se contractent de manière exponentielle.

nigeria-nigeria-lagos-population-demographie-foule-commerce-trafic-routes-circulation-afrique.png

En ce qui concerne la surpopulation dans son ensemble, quelle est la pertinence du Nigeria par rapport à la Russie ou au Canada ? Est-ce pertinent d’ailleurs ? La Russie et le Canada sont-ils surpeuplés ? Sont-ils en danger de surpopulation ? En ce qui concerne la faim, y a-t-il suffisamment de terres, si elles sont labourées sans mécanisation, pour nourrir, disons, dix fois la population russe ? Eh bien, oui. Là où je suis assis en ce moment, j’ai mon champ ; les voisins ont leurs champs, et autour de cela, nous avons des herbes hautes que personne ne coupe même pour le foin parce qu’il n’y en a pas vraiment besoin. C’est en jachère. Donc si le village où je suis s’agrandit d’un facteur 10, nous aurons encore beaucoup de terres en jachère. Et cela ne touche même pas la forêt, qui est énorme. Je ne pense donc pas que la Russie ait un problème de surpopulation. La Russie a un problème de sous-population.

Vous pourriez faire valoir que, eh bien… la Russie est bien placée, mais alors qu’en est-il du Bangladesh ? Le Bangladesh a la même population que toute la Fédération de Russie et il est plus petit en surface qu’une des petites régions russes, qui en compte plus de soixante-dix. Alors, qu’en est-il du Bangladesh ? La réponse est : le Bangladesh n’est pas la Russie, n’est-ce pas, alors quel est le sujet de conversation ? Il est inutile de parler de la population mondiale, absolument inutile, parce que, encore une fois, vous considérez une entité fictive appelée « le globe », alors que là où vous êtes assis, vous pouvez en observer une infime partie et vous ne rencontrerez jamais aucune de ces personnes. Vous ne voyagerez probablement jamais en dehors de quelques pays que vous pouvez visiter en toute sécurité. Il est donc inutile d’en parler.

KW : C’est vrai. Et en termes de discours, je suppose que c’est là que l’élément global entre en jeu, surtout ces dernières années. Beaucoup de gens en parlent et lient souvent cela à un effondrement, une sorte d’effondrement écologique global lié au réchauffement climatique qui finira par atteindre un précipice et détruira potentiellement l’Anthropocène. Il est évident que vous ne prenez pas ce genre de projections très au sérieux, n’est-ce pas ?

DO : Eh bien, ces projections sont basées sur des modèles qui… plus j’ai étudié la question, plus j’ai acquis la conviction que tout cela n’est que – pour ne pas trop préciser – des conneries. C’est de la connerie politique. Il n’y a pas de véritable science crédible derrière tout cela. Tout cela n’est qu’un effort pour obtenir une sorte d’avantage économique.

KW : C’est assez intéressant. Est-ce une croyance populaire en Russie, ou est-ce une croyance dissidente là-bas aussi ?

DO : Eh bien, en Russie, il n’y a pas de mécanisme pour faire croire à tout le monde à une chose aussi étrange qu’en Occident. Les gens ont tendance à vous écouter et à dire oui, on dirait que vous savez de quoi vous parlez, mais est-ce le cas ? Et donc ils regardent les tendances météorologiques et écoutent beaucoup de scientifiques. Les scientifiques russes sont aussi un groupe indiscipliné. Il n’y a pas ce genre de groupe occidental où soit vous croyez au réchauffement climatique et au changement climatique cataclysmique, soit vous êtes malchanceux et vous venez d’être licenciés. Il n’y a pas de ça.

Ainsi, par exemple, certains scientifiques russes sont perplexes quant au réchauffement de l’océan global. Cela dure depuis quelques décennies maintenant, et il se réchauffe partout, mais en commençant par le fond, à de grandes profondeurs. Et il s’avère que la planète entière se réchauffe un peu. Il y a quelque chose de similaire à un réacteur nucléaire ; c’est [mal compris], mais c’est caché profondément dans le magma fondu du cœur de la terre et cela semble avoir fait un bond en avant. Maintenant, il fluctue probablement, monte et descend, mais cela peut expliquer un peu le réchauffement. Et puis d’un autre côté, cela contrecarre une tendance qui est que le soleil se rapproche d’un minimum solaire majeur, ce qui rendrait en fait la terre plus froide. Et parce que l’océan se réchauffe, beaucoup plus de CO2 s’échappe des eaux océaniques – massivement plus que ce que toute activité industrielle pourrait produire ; juste des ordres de grandeur plus élevés. Cela a peut-être un rapport avec l’effet de serre, mais en ce qui concerne les cataclysmes, je pense que le plus grand risque que nous courons est le début de la prochaine période glaciaire, car nous sommes en retard. Et il y a beaucoup de scientifiques qui le croient.

Historical-Dynamics-Why-States-Rise-and-Fall.jpgKW : C’est assez intéressant. Nous arrivons à une heure d’interview, alors je vais juste terminer avec ça. Beaucoup de travail a été fait en termes de prévisions et de tendances politiques. Je ne connais pas les travaux de Peter Turchin, mais il prédit que les années 2020 seront la décennie la plus polarisée du siècle. Nous avons vu cette année des choses qui auraient pu être inimaginables il y a quelques années seulement. Je suis donc curieux : de votre point de vue, en ce qui concerne la prochaine décennie, que devrions-nous attendre dans les dix prochaines années ? Est-ce que ce sera le début du type d’effondrement dont vous parlez et que pouvons-nous espérer voir en termes de ramifications sociales et politiques ?

DO : Eh bien, j’ai prédit que les États-Unis s’effondreraient dans un avenir prévisible. Vers 1996, j’ai réalisé que cela allait se produire [mais] j’ai gardé le silence pendant un certain temps et puis au début de ce siècle, j’ai commencé à penser et à publier sur ce sujet, et j’ai commencé à le faire maintenant, 20 ans après le début du siècle.

Cette idée que les États-Unis vont s’effondrer n’est pas du tout farfelue. Beaucoup de gens disent la même chose. Dans cette mesure, je suis donc justifié et je m’attends à être pleinement justifié alors que je serai encore en vie, sans aucun doute. En fait, j’ai l’intention de passer à autre chose avec mon temps une fois que les États-Unis se seront effondrés, car le sujet sera effectivement épuisé en ce qui me concerne.

KW : Très bien. C’était une interview fascinante. Si vous voulez juste terminer en faisant la promotion de votre travail, où les gens peuvent trouver votre site web, quelque chose comme ça. Je vous en prie, allez-y.

DO : Oui, le site web principal, à partir duquel tout se ramifie se nomme cluborlov.blogspot.com. Et je ne publie que pour les abonnés sur SubscribeStar et Patreon. Je publie quelques articles chaque mois. J’ai un lectorat assez important, donc j’invite les gens à me rejoindre.

KW : Très bien. C’est très bien. Je recommande également vos livres. C’est une lecture fantastique et je pense vraiment que ce genre de sujets devient de plus en plus pertinent, et les gens recherchent des documents pertinents.

C’était formidable de vous avoir à bord, et je vous remercie encore une fois de m’avoir rejoint.

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone