Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 08 mai 2021

Interview d’Alberto Buela sur la métapolitique

2021-05-05-alberto-buela.jpg

Interview d’Alberto Buela sur la métapolitique

Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/05/06/una-gran-entrevista-en-la-que-alberto-buela-habla-sobre-metapolitica/

"Les classiques ne sont rien d'autre que des auteurs anciens qui ont des réponses contemporaines."

Nous reproduisons ici une partie de l'entretien que le Professeur Alberto Buela a accordé au journal perfil.com.

Comment expliqueriez-vous la métapolitique à un profane ?

En 1994, nous avons commencé à publier un magazine intitulé Disenso sur papier. À l'époque, il n'y avait pas d'Internet ou, du moins, nous n’en disposions pas. Le magazine m'a permis d'entrer en contact avec de nombreuses personnalités d'Europe et des États-Unis. À un moment donné, un auteur italo-chilien, Primo Siena, m'a envoyé une lettre et m'a dit: « Alberto, ce que tu fais est métapolitique, pourquoi ne lis-tu pas Silvano Panunzio? Un auteur italien qui n'est pas connu ici ». J'ai demandé à un ami de Rome, Aldo La Fata, de m'envoyer un de ses textes. Don Silvano était sur le point de mourir. Je l'ai trouvé intéressant bien qu'il ait une vision quelque peu ésotérique. En philosophie, nous avons l'habitude de réfléchir avec la raison. Nous savons que l'homme, comme le disait José Ortega y Gasset, est une île rationnelle entourée d'une mer d'irrationalités, mais nous devons toujours œuvrer à sauver la rationalité de l'être humain. Si je reste dans l'irrationnel, je fais des horoscopes, je me consacre aux sciences occultes; quelque chose de différent de la philosophie stricte. Je commence donc à l'étudier, je le lis et je découvre d'autres auteurs. Primo Siena m'écrit à nouveau. Je demande à des gens qui font de la science politique, des chercheurs du CONICET (Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas)... Rien.

md10011052628.jpg

Puis un philosophe très important en Espagne à la fin du XXe siècle, Gustavo Bueno, m'écrit. Bueno était un philosophe matérialiste issu du parti communiste. Il avait ensuite quitté le PC, bien qu'il soit resté matérialiste jusqu'à sa mort. C'est lui qui m'a dit que j'avais "les conditions idéales pour développer la métapolitique, car la métapolitique n'est rien d'autre que la métaphysique de la politique". J'ai répondu que cela ne me plaisait pas car on peut lier la politique à la métaphysique. La métaphysique parle du nécessaire et la métapolitique parle du contingent parce que la politique est contingente, elle peut se positionner dans un sens ou dans un autre. Le nécessaire ne peut aller que dans un seul sens. Je préfère définir la métapolitique comme les grandes catégories qui conditionnent l'action politique. C'est ainsi que j'ai trouvé un texte de Max Scheler. Il faut toujours aller vers les grands car les classiques ne sont rien d'autre que des auteurs anciens qui ont des réponses contemporaines. Il est difficile de se tromper si l'on se tourne vers Max Scheler. J'ai trouvé une de ses conférences à l'école de guerre allemande en 1927, un an avant sa mort, sur la phase de nivellement. Il y dit: "Espérons que ce cours que je donne pourra à terme remplacer culturellement la classe dirigeante allemande qui est dépassée aujourd’hui" ; il y avait, en effet, à cette époque, toute la décadence de la République de Weimar. Et Scheler ajoutait : "... et que nous pourrons construire une haute politique". C'est là que j'ai découvert le véritable fondement de la métapolitique.

La métapolitique est-elle un progrès par rapport à la théorie politique ?

Il la met en crise, la soumet à la critique. Si on la pratique bien, la métapolitique montre quels sont les présupposés politiques des acteurs, l'idéologie. Nos acteurs politiques, de notre président à l'un des 88 secrétaires d'État, font essentiellement de l'idéologie. L'idée d'étudier la métapolitique est de se confronter aux grandes catégories, telles que l'homogénéisation, la pensée unique, la théorie du genre, entre autres.

portada-buela-dalmacio.jpg

La métapolitique est-elle une simple activité culturelle ou précède-t-elle nécessairement une action politique ultérieure ?

Il existe deux versions. Une version est la version française, qui dit que la métapolitique doit être faite sans politique. Nous, en revanche, nous soutenons que nous devons faire de la métapolitique, mais en cherchant un ancrage dans la politique. Nous avons un besoin impérieux et manifeste de l'étudier, surtout en Argentine. Nous constatons que nous avons un gouvernement progressiste, de gauche, libéral, social-démocrate, dans lequel Bob Dylan a plus d'influence que Perón. Nous devons d'une manière ou d'une autre clarifier ce mélange.

Comment voulez-vous éclaircir la situation ?

Au lieu de parler des droits de l'homme, je parlerais des droits des peuples. Au lieu de parler de privilégier les minorités, je privilégierais les majorités. Comme aujourd'hui aucun gouvernement n'en dispose, ils privilégient les minorités par rapport aux majorités, même s'ils se disent péronistes. Contrairement à ce que le péronisme a toujours fait. "La métapolitique est un ensemble de grandes catégories qui conditionnent l'action politique".

(...)

sobreelseryelobrar_web.jpg

Que pensez-vous de l'utilisation de la métapolitique par la nouvelle droite ?

La nouvelle droite se trompe dans son approche de la politique. Elle veut faire de la métapolitique sans politique. C'est comme Gramsci, mais au départ de la droite. Cela n'a aucun sens pour moi de commencer à réfléchir à la manière de modifier les catégories qui conditionnent l'action politique des agents politiques et de ne rien faire pour modifier cela.

Y a-t-il un rapport entre cela et les libertaires actuels qui sont si à la mode en Argentine ?

Les libéraux et les ‘’terra-planistes’’ sont des minorités qui ont poussé comme des champignons partout.

La nouvelle droite ne mène pas d'action politique de parti parce qu'elle considère que les partis politiques ont été dépassés en pouvoir d'initiative par les méga-médias et que c'est là que se trouve le courant de pensée et que la contestation doit être menée?

C'est là une métapolitique sans fin. C'est une métapolitique conforme à l’idéologie des Lumières. La droite, en ce cas, fait une ‘’métapolitique des Lumières’’. C'est philosopher comme Descartes depuis sa chambre: il voit passer un homme avec un parapluie et philosophe depuis sa cloche de verre. Ce n'est pas non plus de la philosophie. On agit comme on pense ou on finit par penser comme on agit.

(..)

Que pensez-vous de ce que vit l'Argentine aujourd'hui et quel conseil ou message pourriez-vous donner aux lecteurs ?

D'abord, un sentiment de tristesse. Je suis né dans un pays où nous étions inclus dans une communauté. J'ai 72 ans aujourd’hui, j'ai été élevé moitié en ville, moitié à la campagne. Je suis né à Parque Patricios mais deux jours plus tard, mes parents m'ont emmené à Magdalena, où toute ma famille se trouvait, donc je suis né là-bas en fait. J'y ai grandi, nous avions l'école, le club Huracán, il y avait la paroisse de San Bartolomé à Chiclana et Boedo. Nous avions de nombreuses organisations qui nous soutenaient; nous étions une famille modeste. J'avais l'habitude d'aller à la piscine de la rue Pepirí, je m'exprimais en tant que nageur. Au club Huracán, je jouais à la pelote ou au fronton, ce qui me plaisait aussi. Dans la paroisse, nous avions l'habitude d'aller dans des camps. A l'école, nous avons étudié. Je suis né dans une communauté. Je suis né dans une polis. Et nous avons produit quelque chose d'extraordinaire: tout comme les Grecs sont passés des tribus à la polis, nus avons suivi la même voie. Voici ce que dit Platon dans le dernier livre des lois: "La différence avec les barbares, c'est que nous avons la polis et qu'ils n'en ont pas. Et nous avons un système de lois qui fait dire à Socrate, lorsqu'il doit échapper à la ciguë: "La loi est ma mère et ma sage-femme". L'Argentine a réalisé un mauvais miracle extraordinaire, en plus d'avoir Lionel Messi et Diego Maradona. Je suis né dans une polis et je vais mourir dans une tribu. Nous avons les tribus des avorteurs, des anti-avorteurs, des ‘’terraplanistas’’, des subventionnés, des mères, des enfants, des cousins, des Indiens. L'idée du peuple en tant que majorité a été brisée. Nous avons fait le contraire des Grecs.

30257258977.jpg

 

vendredi, 07 mai 2021

Histoire et perspective du nationalisme breton - Entretien avec Padrig Montauzier

couv-n°50.jpg

Histoire et perspective du nationalisme breton

Entretien avec Padrig Montauzier

Propos recueillis par Enric Ravello Barber

Ex: https://www.enricravellobarber.eu/2021/05/

Breizhiz, preizh oc'h deut da vezañ da lezennoù didruez ur reizhiad bedelour ha bedvroelour ha da veañs ar re zo ouzh e ren. Bazhyevet oc'h dindan lezennoù estren Bro-C'hall hag a zo bet a-viskoazh o klask hoc'h enteuziñ hag a zistruj kement tra a c'hallfe ho tieubiñ. Ar falsprofeded-se o deus troet ac'hanoc'h en atomoù denel, e Frañsizien vat reizh ha sentus. Ar pezh a anvont demokratelezh hiziv n'eo nemet maskl ar servelezh ekonomikel hag an displedoni vezhus.

Hiziv, pobl Vreizh, n'ac'h eus ket a vammvro anavezet ez-ofisiel ken. Arc'hoazh n'az-po mui na familh, na hevelebiezh : n'az po nemet mistri. Klaoustre, siwazh, en em laki da garout ar sujidigezh-se en ur grediñ e waranto dit bevañ ez aes.

Traduction française :

Bretons, vous êtes livrés aux lois impitoyables d’un système mondialiste et cosmopolite et à l'égoïsme de ceux qui le dirigent. Vous êtes soumis aux lois étrangères de la France qui se livre depuis toujours à une politique d’assimilation forcée, et détruit tout ce qui peut vous libérer. Ces mauvais prophètes vous ont transformé en atomes humains, en bons Français dociles et disciplinés. Ce qu'ils nomment aujourd'hui démocratie n'est que le masque de l'esclavage politique, du servage économique et de l'abjection morale.

Aujourd’hui, peuple breton tu n’as plus de patrie reconnue officiellement. Demain tu n’auras ni famille, ni identité : tu n’auras que des maîtres. Mais malheureusement tu risqueras d’aimer encore cette servitude croyant qu'elle te garantira l'aisance matérielle.

19934869lpw-19934874-article-drapeau-breton-twitter-jpg_6831408_600x314.jpg

IDENTITÉ 

La Bretagne est une nation avec une personnalité forte et profondément enracinée, pour commencer l'interview, j'aimerais que vous nous expliquiez la genèse de la nation bretonne.Beaucoup de gens pensent que les Bretons sont les restes des Celtes gaulois qui ont survécu à la romanisation, mais en réalité c'était l'Armorique et c'était totalement romanisé, vous, les Bretons, vous vous appelez ainsi précisément parce que vous venez de Grande-Bretagne et êtes les descendants deles Celtes ont émigré en Armorique à la suite de l'invasion anglo-saxonne de l'île.Pouvez-vous expliquer brièvement cela? L'arrivée des Bretons était-elle dans une certaine mesure une « re-celtisation » de l'Armorique?

Padrig Montauzier : La presqu’île habitée aujourd’hui par les Bretons et située à l’extrémité de l’Europe occidentale était connue dans le passé sous le nom d’Armorique, « le pays du bord de la mer ». Les premières manifestations de la vie humaine en Armorique datent de l’époque paléolithique avec notamment les fouilles du Mont Dol en Ille et Vilaine. Les hommes qui ont dressé les mégalithes vivaient aux environs de l’an 2000 avant Jésus-Christ, possédaient des armes de bronze et imposèrent alors leur domination sur tout l’Occident, jusqu’au jour où les Celtes qui occupaient l’Europe centrale partirent à la conquête des terres avoisinant la Baltique, la mer du Nord, la Grande Bretagne et l’Irlande.

Au premier siècle avant Jésus-Christ, plusieurs tribus celtes occupent le massif Armoricain. Elles appartiennent au rameau « celto-belge » qui peuple une partie des îles Britanniques. Cinq peuples se partagent le territoire appelé actuellement la Bretagne : Les Redones, les Namnètes, les Vénètes, les Ossismes et les Curiosolites.

7107d1f7c01df7714255821599b1424f.jpg

L’île de Bretagne, c’est-à-dire la Grande Bretagne actuelle, était habitée par des populations de race ligure puis ensuite envahie par les Celtes, les Goidels dans un premier temps puis par les Bretons. L’invasion saxonne commence vers 449 et se poursuit jusqu’à la fin du VIème siècle. Les succès des troupes saxonnes forcent   les Bretons à se réfugier dans l’Ouest du pays en formant ainsi trois groupes : au Sud, les Bretons de Cornouailles (Cornwall), au Nord, les Bretons de Cumbrie et entre les deux, les Bretons de Cambrie ou Pays de Galles. D’autres Bretons, pour échapper à la fureur des Saxons, traversent l’océan et abordent par exemple les côtes de Galice… les autres, beaucoup plus nombreux arrivent en Armorique et fondent la nation bretonne qui occupe aujourd’hui notre péninsule.

A la suite des persécutions exercées par les Anglo-Saxons contre les Bretons, l’émigration en Armorique prend des proportions considérables. Cette émigration de Grande Bretagne en Armorique se fait sans doute par tribus, une flottille part sous la direction d’un tiern (chef) ou encore d’un moine et débarque dans la péninsule. Les exilés se groupent autour d’un chef puissant et c’est ainsi l’origine des principautés créées par les Bretons sur le sol de leur nouvelle patrie. Ces principautés sont au nombre de trois : la Domnonée, la Cornouaille, et le Bro-Warroch ou Bro-Erec. La re-celtisation de l’Armorique se fait sur deux zones distinctes. A l’Ouest l’élément celtique domine complètement car cette région est en partie très dépeuplée. A l’Est par contre où la population armoricaine est plus dense, il se forme ce que l’on appelle aujourd’hui la Haute Bretagne ou pays gallo, une zone mixte à la fois bretonne et armoricaine. Sans l’émigration bretonne, la péninsule armoricaine aurait été un pays de langue latine, simple province du royaume des Francks, languissante et inculte… Cette émigration bretonne lui a donné un peuple nouveau de race et de langue celtiques, un peuple fier, indépendant… en un mot qui en a fait la Bretagne. Voilà ce que les émigrés ont apporté en ce pays, voilà ce que ce pays leur doit. Lorsque les Bretons quittèrent la Cambrie ou le Cornwall pour l’Armorique, ils ne partaient pas pour une terre totalement inconnue. Ils avaient le souvenir des nombreuses relations commerciales entretenues jadis au temps de la Celtique indépendante avec les tribus armoricaines et les paysages de cette nouvelle Bretagne leur rappelaient ceux de la patrie perdue.        

be8d8ac5b0b1d9928b4fd6bc1d39f921.jpg

Vous êtes donc frères des Gallois - et des Cornouaillais - certains nationalistes bretons pensent que Galles et la Grande-Bretagne sont la même nation divisée en deux, "deux tranchants de la même épée" m'a dit un jour un bon nationaliste breton;en fait l'hymne de Galles et celui de la Bretagne, qu'en pensez-vous ?

Padrig Montauzier : Effectivement nous sommes frères, frères celtes et unis par une même culture. Il est vrai que le Pays de Galles et la Bretagne ont toujours été, sur le plan culturel, très proches principalement au niveau de la langue, Comme vous le mentionnez, nous avons un hymne identique ce qui démontre bien une très grande proximité culturelle. Une différence toutefois, nos frères gallois, comme pour les autres nations celtes, bénéficient de pouvoirs réels et d’une reconnaissance par la couronne anglaise, ce qui n’est pas le cas du peuple breton sous tutelle coloniale française et privé de ses droits nationaux.

A la fin du 19e siècle, au début du 20e siècle, on assiste à un renouveau du celtisme, proposant même une unité pan-celtique, dont chacune des nations celtiques serait une province (Écosse, Irlande, Pays de Galles, Cornouailles, Ile de Man, Grande-Bretagne).Êtes-vous favorable à cette idée ?

Padrig Montauzier : Cette idée évidemment j’y suis favorable et l’on voit bien qu’elle est profondément ancrée chez les Bretons. Regardez par exemple le succès du festival inter-celtique de Lorient qui rassemble depuis de nombreuses années des milliers de spectateurs venant du monde entier. Toutefois, si après la seconde guerre mondiale nos frères irlandais et gallois se sont mobilisés pour aider les militants nationalistes bretons persécutés par le gouvernement gaulliste/communiste français, il ne faudrait pas oublier que dans l’ensemble tous nos frères celtes restent relativement très francophiles. Personnellement, sur le plan politique, je regarde plus vers l’Est pour un soutien à notre cause de libération nationale. C’est là que l’on voit qu’il existe parfois un « fossé » entre le culturel et le politique, alors que les deux sont étroitement liés !

Le Gwenn ha Du (blanc et noir) est le nom donné au drapeau breton que nous connaissons tous, mais la Bretagne a eu de plus en plus de drapeaux plus anciens, comme celui avec la croix noire sur fond blanc, lequel d'entre eux représente le mieux l'histoire et l'identité bretonne, quelle est la différence entre eux ?

Padrig Montauzier : Faisons abstraction des drapeaux représentant les pays (Broioù) de Bretagne et intéressons-nous aux trois drapeaux symbolisant la Nation bretonne. Les drapeaux basés sur une croix de couleurs découlent en fait de l’époque des croisades. Lors des deux premières croisades, les différentes nations y participant arboraient toutes la croix rouge sur fond blanc. C'est seulement lors de la troisième croisade, en 1188, que chaque nation put avec l'accord du pape disposer de sa propre couleur de croix afin de se distinguer des autres nations. Avec l'approbation du pape Gregoire IX, les Bretons auraient reçu la couleur noire pour leur croix. Les différentes traces historiques ont le plus souvent montré la croix noire sous forme d'écu, de bannière, ou encore associée à des hermines. Le Kroaz Du (croix noire en breton) devient l'emblème de l’État breton jusqu'à l'annexion par la France. Le Kroaz Du évoluera à cette date et sera utilisé par la marine bretonne qui lui rajoute des mouchetures d'hermine. Lors de l'annexion définitive en 1532, il disparaîtra alors au profit de l'hermine plain, les différents rois de France successifs estimant que la croix noire rappelait trop la monarchie et l’indépendance bretonne, et risquait de remettre en cause la légitimité du rattachement du duché de Bretagne à la France. Le Kroaz Du a été remis en lumière à partir de l’année 2000 sous l’impulsion du parti de droite nationaliste ADSAV.

anna-vreizh-drapeau-ok.jpg

Appelé Bannière d'hermine ou drapeau hermine plain, ce drapeau historique de Bretagne voit le jour en 1316 sous le règne du duc de Bretagne Jean III qui décide de changer d'armoiries et opte pour le semé de mouchetures d'hermine, que l'on appelle en héraldique « hermine plain ». Aujourd'hui encore, le drapeau d'hermine est utilisé lors certaines manifestations historiques, politiques et fêtes religieuses, par certains bagadoù et mairies de Bretagne et flotte sur des bateaux de plaisance, châteaux et églises de Bretagne.

Enfin le Gwenn ha Du (blanc et noir en breton). Au XIXème siècle, un réveil celtique, partie prenante du romantisme et du principe des nationalités, gagne toute l’Europe, d’Ouest en Est, et les hermines du Gwenn-ha-Du en frémirent dans le vent. C’est en 1925 que Morvan Marchal, militant nationaliste breton et co-fondateur de Breiz Atao, ce laboratoire expérimental des partis bretons de l’avenir, créé le drapeau breton à bandes. Il fallait inventer un drapeau breton d’esprit moderne tout en conservant au maximum les couleurs et les hermines primitives. Au point gauche du drapeau neuf bandes égales alternativement noires et blanches, couleur traditionnelle, lesquelles bandes représentent, les blanches les pays bretonnants : Léon, Trégor, Cornouaille, Vannetais, les noires, les pays gallos : Rennais, Nantais, Dolois, Malouin, Penthièvre.

Ce drapeau n’a jamais voulu être un drapeau politique mais un emblème moderne de la Bretagne et il constitue une synthèse parfaitement acceptable de la tradition du drapeau d’hermine et d’une figuration de la diversité bretonne. Dès 1937, il est reconnu par le gouvernement français à l’Exposition Internationale où il flotte sur l’Esplanade des Invalides à égalité avec les autres drapeaux du monde entier.

Ainsi, arboré à ses débuts par le seul Parti National Breton, il fut rapidement adopté par d’autres fractions militantes aussi différentes qu’Ar Falz et le Bleun-Brug. Il guidera les militants sur les lieux historiques et flottera au cours de leurs manifestations et congrès. Avant, pendant et après la seconde guerre mondiale des centaines de Bretons iront en prison, se battront et mourront pour ce drapeau parce qu’il symbolise leur personnalité d’homme libre dans la réalité toujours enchaînée.

Le Gwenn ha Du est donc aujourd’hui le drapeau national officiel de la nation bretonne.

a.jpg

On parle de la possibilité de réintégrer la capitale historique de la Bretagne, Nantes, en Bretagne, dont elle a été retirée en 1941 pour créer le département artificiel de la Loire-Atlantique.Cette réunification de la Grande-Bretagne est un jalon pour le nationalisme breton ?

Padrig Montauzier : Le décret signé sous le régime français du Maréchal Pétain retirant la Loire Atlantique du reste de la nation bretonne est en fait un vieux projet décidé par les radicaux socialistes français afin d’affaiblir la Bretagne de la réduire sur le plan européen car l’État français n’a jamais perdu en mémoire le fait séparatiste breton. Tous les gouvernements français ont fidèlement suivi et appliqué ce décret et cette horrible amputation de notre nation. Cette partition de notre Bretagne ne repose que sur des volontés politiques françaises dont les conséquences continuent de peser lourdement sur notre nation : économiquement, nous sommes affaiblis ; et outre le déni évident de démocratie, le temps poursuit l’érosion de notre identité et amenuise cette force qu’elle constitue, ce levier dont tous devrions tirer profit. La question de la réunification de la Bretagne est plus que jamais d’actualité, mais, nous nationalistes et indépendantistes bretons, restons opposés à la tenue d’un référendum pour de multiples raisons. La première est d’une évidence toute simple : l’État français, en organisant la partition, en amputant la nation bretonne d’une partie de son territoire national, a-t-il demandé son avis au peuple breton ? Non bien évidemment ! Alors pourquoi tant de gymnastique ? Pourquoi demander, je dirais quémander, un référendum ?

La voie du référendum est un véritable piège sur cette question fondamentale qu’est le retour de la Loire Atlantique en Bretagne. Un leurre, un appeau comme disent les chasseurs, un référendum bien pensé, cadenassé, ambigu quant à la définition, au périmètre ou encore à la formulation et aux libellés des questions posées… Un référendum sujet à toutes les manipulations de la part des ennemis jurés de la réunification et ils sont nombreux à être aux aguets, sans oublier des politiques en bout de course qui aujourd’hui reviennent sur le devant de la scène et qui dans le passé ont trahi.

indexnantes.jpgIl existe pourtant un mode législatif tout simple pour régler le problème: le décret. Il suffirait en effet d’un simple décret, répondant à celui du gouvernement français en 1941, pour réintégrer la Loire Atlantique en Bretagne, clore ainsi définitivement cette abomination et rendre enfin justice au peuple breton. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ! Alors faut-il que la réunification de la Bretagne pose problème et inquiète à ce point pour devoir choisir la voie la plus tortueuse pour résoudre une fois pour toute l’éternelle revendication du peuple breton qui, dans son immense majorité et principalement les habitants de la Loire Atlantique, demande la fin de cette partition ? Il est vrai qu’une Bretagne, son intégrité territoriale retrouvée, deviendrait une nation européenne conséquente, d’où l’origine de son amputation, sans sous-estimer les craintes toujours actuelles d’un État français, enfermé dans un colonialisme d’un autre âge, redoutant quelques velléités séparatistes de la part d’une Bretagne toujours réputée rebelle.

Refusons catégoriquement cette solution référendaire qui pourrait se retourner contre nous et signifier la fin de notre rêve d’unité.

NATIONALISME  

Vous avez été condamné à 15 ans de prison pour votre participation à l'attentat du Château de Versailles (une attaque sans victimes qui ne cherchait que des dommages matériels et symboliques) en tant que membre du FLB / ARB, vous êtes donc l'une des plus grandes références du nationalisme Breton, pouvez-vous nous résumer brièvement votre vie de militant ?

Padrig Montauzier : Mon parcours politique pourrait être assez classique s’il n’y avait pas eu la période « clandestine », les condamnations puis les prisons françaises.

Comme je l’ai maintes fois mentionné, j’ai très jeune été baigné dans un environnement politique, un environnement familial puisque mon père était militant et dirigeant syndicaliste ouvrier. C’est ainsi que tout gamin j’ai participé à certaines grandes manifestations organisées par le parti communiste français et mes souvenirs restent encore, à ce jour, intacts, comme ces « premier mai » au parc du Thabor à Rennes.

Padrig-4-2-2012.jpg

La suite est logique, la route est toute tracée. Adhésion aux Jeunesses communistes quelques années avant les fameux évènements de mai 68 et c’est à partir de cette date que tout va basculer. Un mouvement clandestin FLB (Front de Libération de la Bretagne) se manifeste bruyamment en Bretagne en faisant exploser des bâtiments administratifs symboles de la présence française en Bretagne. Une revendication claire : l’indépendance de la Bretagne… Évidemment ce n’était pas du goût d’un PCF jacobin et ennemi juré de tout ce qui pouvait être assimilé au mouvement breton. Vient également s’ajouter à cette première dissension, le mouvement de révolte de mai 68 et le regard d’un jeune lycéen de 18 ans, un regard en totale opposition avec les positions communistes (PCF) et celles de la centrale ouvrière affiliée à ce parti.

C’est la rupture totale et mon intérêt soudain pour tout ce qui concerne la Bretagne et le mouvement breton, tant culturel que politique. Un premier déclic : apparition à la télévision régionale d’un homme s’exprimant en langue bretonne ! Cet homme, vous l’avez reconnu, c’était Charlez ar Gall. Seconde chose qui déclenche mon intérêt pour la cause bretonne c’est une lecture de l’Histoire de la Bretagne de l’abbé Poisson et là l’affaire était conclue. S’ensuivent les lectures de nombreux journaux politiques de l’époque dont l’Avenir de la Bretagne dirigée par Yann Fouéré, et le Peuple breton l’organe de l’UDB. Le choix a été rapide, et l’homme de gauche que j’étais encore resté, opte pour les idées exprimées dans un journal classé « à droite », le journal de Yann Fouéré et à cette époque organe de SAV (Strollad Ar Vro, parti de la patrie en français.

unnamedbret.pngDébut des années 70, adhésion au parti SAV et quelques temps plus tard je prends la fonction de secrétaire fédéral pour le pays de Rennes.

Entre temps les attentats du FLB (Front de libération de la Bretagne) s’intensifient, ainsi que les arrestations, les condamnations… L’État français, fidèle à lui-même, reste totalement sourd malgré la multiplication des « nuits bleues » et les scores très honorables du mouvement politique breton légal aux diverses élections.

Alors encore une suite logique… Pourquoi poursuivre dans la voie légale qui semble être une impasse ? Quelques mois plus tard le pas est franchi. C’est mon engagement dans le mouvement clandestin. Responsable de Kevrennoù sur plusieurs départements, membre du Kuzul Meur (Grand conseil), attentats en série... puis arrestation et jugement devant une juridiction spéciale française : la Cour de Sûreté de l’État. Une première condamnation à 15 années de réclusion criminelle, puis quelques mois plus tard, seconde condamnation (pour une trentaine d’attentats) à 15 autres années d’emprisonnement dans les geôles françaises. A noter que lors du premier procès, j’ai refusé d’y participer au motif que je ne reconnaissais pas cette juridiction française et demandais à être jugé en Bretagne par un juridiction bretonne. Dans le box des accusés, je me suis limité à lire une longue déclaration de plusieurs heures après 20 jours de grève de la faim, et demandé à mes avocats de se retirer afin de laisser, entre elle, la justice française délibérée en son âme et conscience ! (Petit rappel, la peine de mort avait été envisagée).

flb.jpg1981, élection de Mitterrand, amnistie… et 3 ans et demi passés dans les cachots du pays qui nous occupe toujours. A peine libéré, création avec Yann Fouéré et une poignée de militants nationalistes du POBL (Parti pour l’Organisation de la Bretagne Libre). A l’issue d’une première assemblée générale je suis nommé secrétaire national, puis quelques années plus tard je deviens un des présidents jusqu’à la création d’ADSAV (la relève ou la renaissance) en français, parti de la droite nationaliste bretonne. A l’initiative de ce nouveau parti, j’en prends la direction pendant de nombreuses avant de laisser la place à une équipe plus jeune et me consacrer uniquement à la revue War Raok/La voix de la nation bretonne qu’il faut impérativement moderniser et développer… un outil indispensable pour faire avancer, voire triompher, la cause indépendantiste bretonne.

La Première Guerre mondiale du fait de son impact démographique et de son acculturation française, après la Seconde on fut considérée « tout le breton » comme un soupçon de «collaborationnisme», comment ces deux conflits affectèrent-ils réellement la Bretagne ?

Padrig Montauzier: La première guerre mondiale a été une véritable catastrophe pour la Bretagne. 240.000 Bretons sont morts dans une guerre où la Bretagne n’était en rien concernée, mais cette guerre correspond surtout à la fin d’un mode de vie traditionnelle, à la régression de la langue bretonne… et à la montée d’un fanatisme républicain français culpabilisant les Bretons d’appartenir à un peuple fier et distinct.

La seconde guerre mondiale a été également un conflit qui a affecté durement notre patrie. Toutefois il faut noter que si durant le premier conflit le mouvement breton était peu existant sur le plan politique, il n’en est pas de même lors de cette seconde guerre mondiale. L’EMSAV est organisé, relativement influent avec plusieurs partis politiques mais également bien représenté dans le domaine culturel. On conteste ouvertement la présence française en Bretagne, le journal Breiz Atao, le Parti National Breton ouvrent la voie et parlent d’indépendance… le groupe clandestin Gwenn ha Du fait parler la poudre, le journal La Bretagne, plus modéré, demande un statut d’autonomie… Il y a donc une véritable « contestation » nationaliste bretonne et l’État français en alerte met en route son appareil répressif. Premières arrestations de leaders politiques, premiers emprisonnements.    

51KCT7U+AdL._SX348_BO1,204,203,200_.jpgJe vous donne deux citations de chefs et militants nationalistes bretons à cette période :

« Quelques centaines de Bretons résolus peuvent, à l’occasion du prochain confit, faire de la Bretagne une seconde Irlande ». Frañsez Debauvais.

Ou encore :

« Dans un délai prévisible il n’y aura plus de France, nous devons être sur les rangs pour prendre notre part des dépouilles de la bête ». Célestin Lainé.

Pendant ces années du conflit, deux camps s’affrontent : les Bretons qui se rangent du côté de la France en résistance contre l’occupation allemande, et les nationalistes bretons qui ne veulent pas entrer dans ce jeu guerrier où la Bretagne n’est nullement en conflit avec l’Allemagne. On retrouve cette même situation en Irlande avec le mouvement républicain et notamment avec l’attitude de l’IRA. Profitant de cette situation particulière en Bretagne et sous l’influence de plusieurs responsables allemands très celtisants, le IIIème Reich accorde quelques largeurs aux milieux nationalistes sur le plan culturel, notamment la diffusion de la langue bretonne sur les ondes. Quant à son engagement, en cas de victoire, d’accorder à la Bretagne une réelle indépendance, cela reste assez floue et pour ce qui me concerne reste au stade d’une vague promesse.

Ce qu’il faut surtout retenir de ce second conflit et de son incidence en Bretagne, c’est le comportement de ceux, qui au nom d’une résistance à l’occupant allemand, commettent les pires crimes, les plus odieux assassinats de militants bretons. C’est ainsi, après le lâche assassinat de l’abbé Yann-Vari Perrot par les communistes, que des militants nationalistes créent la formation Perrot (Bezen Perrot) et s’engagent, en tant que Bretons, au côté des forces allemandes et traquent alors les réseaux de résistants afin de préserver la vie des militants bretons. Ces hommes, ne se reconnaissant pas français, n’ont donc pas collaboré, c’est une différence avec les millions de Français qui, eux, ont joué la carte allemande contre leur propre pays.

Enfin, après la guerre, la France gaulliste et communiste a traduit et fait condamner un nombre considérable de militants bretons tant politiques que culturels, et malheureusement certains ont été passés par les armes. Rappelons, que lorsqu’ils étaient condamnés à mort face au peloton d’exécution, ils ne criaient pas «Heil Hitler» mais «Breizh Atao». Et si l’histoire avait été autre ? Nos militants seraient aujourd’hui des héros, des rues, des places porteraient leurs noms…

En tant que nationaliste breton et indépendantiste, je me suis toujours refusé à condamner ces camarades. J’ai le plus grand mépris pour ceux qui le font et qui sont tous, vous devez vous en douter marxistes et communistes, éternels ennemis d’une Bretagne libre.

La France n’est pas à une honte près... Cette période a laissé des traces, et malgré les tombereaux de mensonges déversés constamment par la bonne presse régionale, entretenant cet esprit de vengeance, le mouvement breton a néanmoins su relever la tête et reprendre le combat contre cet État français englué dans un colonialisme et un impérialisme d’un autre âge.  

AVT_Olier-Mordrel_1724.jpgOlier Mordrel est-il la référence maximale de la pensée nationaliste bretonne ?

Padrig Montauzier : Même si nous ne partageons pas toutes les positions d’Olier Mordrel, il nous faut reconnaître qu’il compte parmi le grand penseur et acteur du nationalisme breton. Ce grand homme a eu cette chance d’être présent et de militer pendant le second conflit mondial, puis après un exil forcé, de continuer à militer et à promouvoir les idées nationalistes bretonnes. Un autre grand homme, que j’ai bien connu et milité avec lui de très nombreuses années, c’est Yann Fouéré. Autre personnage, bien différent d’Olier Mordrel, pas tant sur les idées, mais sur l’approche et sur la façon de les présenter et de les promouvoir. N’oublions pas que Yann Fouéré fut un ancien haut fonctionnaire, ancien sous-Préfet de Morlaix dans le Finistère et donc habitué à une certaine diplomatie… ce que fait de lui un redoutable homme politique. En fait, ces deux hommes se complètent admirablement. Maintenant, d’autres ont écrit, peu il est vrai, mais de grande valeur également. Un grand regret, suite à la mort prématurée, du fait d’une longue maladie, pendant la seconde guerre mondiale de celui que je considère comme le grand artisan du mouvement nationaliste breton et fidèle équipier d’Olier Mordrel, je veux parler de Frañsez Debauvais. Très peu d’écrits malheureusement de sa part et je pense que s’il avait survécu nous aurions eu très certainement une autre version, ou plutôt, une approche différente du nationalisme breton qui aurait été un véritable outil, une véritable arme, pour notre combat de libération nationale.

Malheureusement, dans les années 60-70, le nationalisme breton a été pénétré par le gauchisme, des magazines comme War Raok, que vous dirigez, ou des partis comme ADSAV, dont vous êtes co-fondateur, sont-ils la possibilité de retrouver le véritable sens identitaire du nationalisme breton ?

Padrig Montauzier : Les années 60-70 sont en fait les années du fameux Mai 68 avec ses dérives qui ont gangrené non seulement les milieux politiques mais également toute la société en Bretagne. Le mouvement breton n’a pas échappé au virus gauchiste et a encore, aujourd’hui, bien du mal à en guérir. Cette véritable maladie mentale nous a fait perdre un nombre considérable d’années dans notre combat pour l’émancipation de notre peuple. Notre objectif de militant breton nationaliste est de permettre à la Bretagne de renaître et ce simple objectif dépasse le clivage gauche/droite, clivage que nous revivrons lorsque nous aurons recouvré notre liberté ! Aujourd’hui notre peuple breton est menacé dans son existence même. L’Europe est en proie à une grave crise d’identité, l’image même des peuples est brouillée, le mot nation ne dit plus rien et son sens premier s’efface. Le sentiment d’appartenance n’existe plus que dans la réalité des nations charnelles et dans les aires de vieille culture… Aujourd’hui, la nation s’appelle Bretagne, Flandre, Écosse, Catalogne, Corse, Pays de Galles, Euskadi…

20285090.jpg

C’est l’orientation choisie par la revue War Raok, orientation qui refuse tout sectarisme idéologique véritable frein dans notre lutte de libération. Le peuple breton a besoin de propositions qui s’inscrivent dans une démarche de renouveau, de propositions porteuses d’idées fortes mais simples qui permettront demain à notre nation de prendre un nouvel essor dans une Europe nouvelle. Comme dit précédemment, on doit s’écarter et se dégager de tout dogme idéologique, de tout impératif de conformisme et de bienséance politiques qui l’emportent sur les intérêts du peuple breton. Notre démarche résulte d’une prise de conscience nationaliste, de décisions qui nous sont propres car nous ne laisserons jamais à d’autres le soin de nous définir. Nous voulons tout simplement faire entrer notre peuple dans l’histoire en lui rendant la possibilité d’agir pour lui-même et d’être l’acteur de son devenir. Ce qui caractérise notre nationalisme, ce qui nous caractérise c’est que nous envisageons notre lutte pour l’indépendance de la Bretagne comme un appel à certaines attitudes morales, sociales et politiques en rupture totale avec le système colonial qui nous opprime.  

IMMIGRATION

La Bretagne est en train de devenir un lieu d'arrivée massive d'immigrants ces dernières années, avec l'augmentation conséquente de l'insécurité, pensez-vous que le gouvernement parisien utilise consciemment l'immigration pour « dé-bretoniser » la Bretagne ? Que pensez-vous de ces psycho-nationalistes bretons en faveur du «papal pour tous» ?

Padrig Montauzier : Excellente question qui ne s’applique malheureusement pas uniquement à la Bretagne. L’État français utilise bien sûr ce phénomène migratoire, avec le déplacement de ces populations étrangères et extra-européennes, et déstabilise ainsi l’homogénéité ethnique des peuples. Il le fait régulièrement en Bretagne et dans certaines grandes villes bretonnes aujourd’hui on ne sait plus très bien dans quelle partie du monde nous nous trouvons ! Autrefois on déplaçait les populations (régimes communistes), aujourd’hui la façon de faire est différente, plus anodine, mais toute aussi efficace. Mais comme vous le dites dans votre question, certains militants « bretons » acceptent ce procédé mortifère qui menace l’existence même du peuple breton, peuple dont ils se réfèrent et prétendent défendre l’identité !

maxresbretimm.jpg

De tout temps les déplacements de population ont marqué l’histoire, mais accomplis à l’intérieur d’un vaste ensemble ethno-culturel relativement homogène, ils n’ont jamais affecté la cohésion, ni mis en péril les caractères communs des peuples. La présence de plus en plus massive, en Europe, de populations immigrées extra-européennes est en fait le produit d’un certain système idéologique négateur des spécificités. Il faut également remarquer qu’une immigration massive, comme nous le constatons actuellement, devient obligatoirement une colonisation !

Il nous appartient donc, nous défenseurs des peuples, de refuser ce qui devient une invasion démographique. Les problèmes liés à cette immigration extra-européenne en Europe appellent une solution idéologique favorable à la cause des peuples. Les irresponsables qui prônent la fusion des peuples par idéologie mondialiste font le jeu des puissances d’argent et de la haute finance cosmopolite. Leur ardeur humanitaire masque en fait leurs véritables motivations.

Au même titre que nous, nationalistes et indépendantistes bretons, refusons l’exode des Bretons, nous refusons l’exode immigrationniste dans le reste du monde.

EUROPE DES PEUPLES

Yann Fouéré, un nationaliste breton, a écrit le célèbre livre Pour l'Europe des cent drapeaux qui proposait une Europe fédérale basée sur les patries charnelles.Quelle est votre proposition pour la construction de cette "Europe aux cent drapeaux" ?

Padrig Montauzier : Tout d’abord je voudrais préciser que l’on peut difficilement séparer le combat qui se mène aujourd’hui en Bretagne (ou en Catalogne, en Flandre, en Corse, au Pays Basque, en Écosse...) et le destin de l’Europe. L’Europe que nous voulons bâtir est l’Europe des peuples, l’Europe aux cent drapeaux, aux cent nations... l’Europe ethnique. Dois-je rappeler que la Bretagne est une des plus anciennes nations européennes. L’Europe fait donc partie de notre combat et d’un bout à l’autre de cette Europe des peuples luttent pour leur émancipation et leur libération nationale. De l’un à l’autre, les buts et les moyens varient, mais l’impulsion initiale est la même.

imaempl.jpgCette lutte des peuples, concerne ou concernera tous les peuples européens. Mais comme je le précisais précédemment, cette Europe devra se construire sur des bases ethniques, des peuples-patries… Une Europe européenne. Dois-je vous énumérer les dangers actuels qui risquent de conduire l’Europe à sa perte : l’immigration extra-européenne, l’islam religion guerrière, la menace de certains pays émergents… etc. La situation est aujourd’hui critique car nous sommes plus qu’hier devant un grave danger d’assimilation. Je suis un défenseur et du côté des peuples de culture contre les systèmes massifiants, les complices et les agents du déracinement. A nous d’organiser la résistance, peuples européens. A nous Bretons de participer activement à la construction de cette Europe des peuples qui est en marche. Ce qu’il faut à cette Europe c’est d’abord une vision, un idéal, un souffle nouveau. Cette Europe nouvelle doit bien sûr échapper à toutes tentations impérialistes, centralistes, à tout système unitaire. Elle sera une fédération dont chaque nation sera membre. Ces membres, eux-mêmes États, se gouvernant, s’administrant en toute souveraineté selon leurs propres lois. La Bretagne adhérera librement à ce pacte fédéral et ne déléguera uniquement que ce qu’elle ne pourra gérer seule. A tout moment cependant, elle sera libre de suspendre telle compétence à l’Europe, voire, si la situation l’exige, de se retirer totalement du pacte.

couv-War-Raok-n°51.jpg

Enfin, quels sont vos projets culturels et politiques actuels ?

Padrig Montauzier : Actuellement je projet qui me tient à cœur c’est de faire en sorte qu’une revue comme War Raok perdure et devienne un véritable outil pour la cause qui m’anime et qui anime tous les défenseurs des libertés bretonnes. La revue que je dirige doit devenir une référence dans cette résistance de notre peuple face à un État français colonialiste et impérialiste. War Raok, avec plus de 20 années d’existence, œuvre concrètement pour une réelle renaissance bretonne, refuse par les articles traités que le peuple breton se laisse contaminer par des émotions étrangères, émotions préfabriquées, afin de mieux se réapproprier ses propres émotions… celles liées à sa terre, à sa culture, à son histoire, à sa langue, à sa religion et à ses traditions.

wr.jpgIl faut que War Raok continue à diffuser les idées généreuses de liberté, sans complaisance mais avec objectivité et rigueur. Si certains ont peur de leur ombre, se passent eux-mêmes la camisole intellectuelle, nous préférons à War Raok agir pour une véritable renaissance bretonne en évitant surtout de ne pas tomber dans le piège d’une revue contestataire, irresponsable ou extrémiste.

Voilà mon cher Enric.

A galon vat Enric, Bennozh Doue deoc’h kamaladed, ha bevet dieubidigezh Vreizh ha Bro Gatalonia.

"Chaque nation est basée sur une foi fondatrice" - Entretien avec Carlos X. Blanco

Don_Pelayo,_rey_de_Asturias_(Museo_del_Prado).jpg

"Chaque nation est basée sur une foi fondatrice"

Entretien avec Carlos X. Blanco à l'occasion de la présentation de son livre LA INSUBORDINACIÓN DE ESPAÑA (Letras Inquietas, La rioja, 2021).

Ex : https://decadenciadeeuropa.blogspot.com/2021/05/toda-naci...

imagesIEsp.jpg"Chaque nation est basée sur une foi fondatrice", écrivez-vous. Quand et pourquoi l'Espagne a-t-elle abandonné son idée d'un empire civilisateur et sa foi catholique ?

CB : Il est clair qu'avant même cette grande usurpation réalisée par la Maison de Bourbon, assise sur le trône d'Espagne, une haute noblesse décadente, corrompue, corruptrice et creuse, très éloignée - par le sang et la foi - de la noblesse espagnole, avait déjà commencé à vaciller pendant la période dite des Habsbourg mineurs. C'est l'éternelle élite empoisonnée, parasite de la Cour, qui a trahi le noble élan de reconquête du peuple hispanique. Ces mêmes élites, artificiellement affublées de titres par des monarques médiocres, mais descendants d'origines sombres et pourries, ont toujours prospéré à Madrid, à la Cour, et laissé une partie importante du peuple être gâtée ou mourir de faim. Aujourd'hui, à la place des "Grands" d'Espagne, nous avons la caste politique professionnelle. Mais il est clair que le grand changement culturel est intervenu avec l'avènement des Bourbons. La francisation de l'Espagne, comme la "britannisation" du Portugal, fut une catastrophe. Les idées étrangères sont arrivées en Espagne comme les virus arrivent aujourd'hui, détruisant tout, à commencer par cette foi "fondatrice" dont parle Marcelo Gullo.

La foi des Espagnols est née à Covadonga: un élan de reconquête qui n'aurait pas dû s'arrêter en Afrique du Nord, une région qui devait être, en obéissant au souhait et au mandat d'Isabelle la Catholique, une extension hispanique et catholique de la péninsule. Au contraire, les intérêts maçonniques ou similaires, de plus en plus orientés vers le crémentisme, vers l'individualisme, vers l'exploitation coloniale et non vers la gouvernance civilisatrice, ont miné la Compagnie universelle reconquérante, celle qui est née avec Pelayo et qui a fondé, dès 718, la Hispanidad.

Cangas_de_Onís_-_Monumento_a_Don_Pelayo.jpg

L'Espagne d'aujourd'hui a-t-elle une quelconque ressemblance avec l'Espagne de l'histoire ?

L'Espagne historique ou, mieux, l'Espagne traditionnelle, existe encore, bien qu'enfouie sous une populace et, quand ce n'est pas une populace, sous une masse anomique et "cosmopolite". En fait, l'Espagne, je parle maintenant de l'Espagne péninsulaire, a suivi des tendances très similaires à celles enregistrées dans les autres pays d'Europe occidentale: hédonisme, ramollissement, érotomanie, toxicomanie, flaccidité de la volonté et de l'esprit de sacrifice, culte de la technologie, acculturation yankee, afro-américaine et mahométane, etc. Mais ce qui aggrave notre propre décadence, ce qui lui donne une "marque espagnole" particulière par rapport à celle des Français, des Belges, des Anglais ou des Allemands, par exemple, c'est d'avoir complètement abandonné son élan civilisateur et reconquérant. Ces autres peuples d'Occident ne l'ont vécu comme leur, que dans des spasmes temporels très limités, lors des croisades par exemple, privilégiant dans leur histoire le moment prédateur sur le moment fondateur ou civilisateur. Les Espagnols traditionnels, en revanche, représentaient un idéal d'unité catholique et d'empire au sens le plus pur d'équilibre, d’arbitrage, conciliant et "fondateur". Il s'agissait, surtout depuis les Rois Catholiques, de créer une superstructure politico-spirituelle qui durerait des milliers d'années et résisterait aux tendances à la désintégration que le nominalisme décadent du XIVe siècle annonçait déjà, et qui a fatalement explosé dans le protestantisme du XVIe siècle. De la même manière qu'aujourd'hui il faut sauver la Civilisation chrétienne et rationnelle (pas "rationaliste") de l'intégrisme de la secte mahométane, aux XVIe et XVIIe siècles les Espagnols s'étaient déjà entraînés depuis le VIIIe siècle (depuis Covadonga) à l'usage de l'épée au service de la Croix, et voyaient au-delà des Pyrénées, au cours de la Modernité, de nouveaux "djihadistes" qui, bien que se disant chrétiens (calvinistes, luthériens), allaient conduire le monde au désastre. L'Espagne a sauvé l'Église romaine et a donné à la moitié du monde les instruments de la civilisation. Même à une époque aussi décadente que le XIXe siècle, la moitié de l'Espagne, l'Espagne "carliste", est restée fidèle à cet idéal et était consciente de cette mission. Mais, malheureusement, dans ce siècle d'une Espagne diminuée, la guerre devait être menée à l'intérieur.

Aujourd'hui, seules quelques minorités sont conscientes de l'aberration dans laquelle vit l'Espagne, l'Espagne péninsulaire. Mais, tant que ces minorités existeront, ceux qui nous colonisent ne pourront pas dormir en paix.

full_filles-plage-mains-photobomb.jpg

Dans quelle mesure l'Espagne est-elle "une pauvre nation subordonnée"? Qui ou qui nous tire les ficelles? Nous avons démantelé notre industrie et notre autosuffisance. Nous avons renoncé à défendre nos frontières et avons été contaminés par des idéologies étrangères". Malgré cette analyse extraordinairement négative (ou réaliste), est-il possible de renverser cette situation de prostration ?

CB : Successivement, nous avons été colonisés par les Français, les Anglais et les Américains. Aujourd'hui, les ploutocrates qui tiennent l'Espagne sous leur botte s'appuient largement sur cette idéologie obtuse, fanatique et, en fin de compte, stupide qu'est l'européanisme. Ils nous ont vendu l'idée de l'Europe comme une panacée, surtout depuis la dernière étape du franquisme. En réalité, il faut distinguer l'Europe, une entité culturelle qui existe depuis le XVIe siècle grâce à l'Espagne, et l'Union européenne. L'Union européenne, en tant que prétexte et en tant que gouffre par lequel notre souveraineté s'est échappée, était parfaite pour ces élites colonialistes qui siègent dans les bureaux de Madrid et dans les satrapies autonomes. Parfait pour fuir les responsabilités devant le peuple, qui sont le genre de responsabilités qui sont clairement historiques. De plus, avec Felipe González, et depuis sa période désastreuse à la Moncloa, la vente de notre souveraineté productive a été consommée. Les politiciens se sont laissés corrompre par les Français et les Allemands. Ils se sont débarrassés de l'Espagne en tant que concurrent commercial et ont inventé une Espagne mendiante et subventionnée. Avec Aznar, la porte a été ouverte à une main-d'œuvre non espagnole bon marché mais colonisatrice, à la bulle immobilière, à l'Espagne du bar de plage et du bordel de route... C'est à la caste répugnante de politiciens que nous le devons car nous avons autorisée cette soi-disant "démocratie" à laquelle nous devons une colonisation ou une subordination informelle à des puissances étrangères. Ces pouvoirs ont toujours existé et existeront toujours. La clé est de ne pas permettre aux "élites" ochlocratiques de vendre notre patrie, notre héritage et notre mission historique. Désormais, les puissances subordonnées ne sont plus seulement des unités politiques étatiques mais des unités de force strictement privées (multinationales, fondations, lobbies), même si elles continuent d'employer certains États comme "mamporreros" (sous-fifres) et garçons de courses pour certains agendas globaux de domination mondiale.

Carlisme-800x400.jpg

Le mondialisme semble aujourd'hui être un ennemi imbattable, mais peut-on le combattre efficacement? Comment le combattre?

CB : Avec le traditionalisme, avec la Contre-Révolution. Et cela commence dans la famille et dans le quartier. Il s'agit de préserver et d'inculquer la foi de nos aînés, la fierté de l'identité, le lien avec la terre. Si nous recréons un réseau de familles qui cultivent leur propre terre, sans préjudice des autres métiers et services, et si nous sommes capables d'introduire chez les enfants l'amour de l'histoire, l'amour des faits et non des idéologies, d'où découle la fierté de sa propre identité, pour le passé, pour les exploits de nos aînés... si nous bannissons aussi de l'âme nationale cette tendance au parasitisme, à la paresse, au picaresque, qui est même exaltée de façon récurrente par les puissants et par les mauvaises élites sous la forme du "majismo", du "señoritismo", du "flamenquismo", etc. alors les Espagnols redeviendront les dignes "fils de quelque chose", les nobles paysans, les seuls véritables "sang bleu", qui ont manié l'épée aussi bien que labouré un champ, et qui ont avancé depuis les falaises de la mer Cantabrique pour récupérer l'ancienne Hispanie gothique plus au sud pour la Civilisation.

9-2.jpg

De votre point de vue, la survie et la renaissance de l'Espagne passent sans équivoque par la récupération de l'hispanisme. À quoi devrait ressembler l'hispanisme du XXIe siècle?

CB : Comme je l'ai dit dans de nombreuses autres interviews, il faut être humble et avoir un esprit fédérateur quand on parle aux Espagnols d'Amérique. Nous devons dire clairement que l'hispanisme n'est pas le rêve fou de faire de l'actuel État espagnol un leader néo-impérial parmi les républiques américaines pauvres... Ce serait ridicule. De nombreuses nations d'Amérique latine sont mille fois plus grandes que nous en termes de population, de sensibilisation, de préparation, de ressources... C'est nous, les péninsulaires, qui devons apprendre d'elles. Mais il est vrai que nous pouvons être la nation hispanique qui peut agir comme un coin et un pont en Europe, parce que nous sommes en Europe (et très proche de l'Afrique). Nous pouvons être parfaits pour exercer une pression, comme un bélier, et pour faire de la médiation. Mais notre potentiel linguistique, humain et spirituel ne peut être renforcé qu'en créant un bloc ou un pôle analogue à celui des Chinois, des Russes, des Anglo-Saxons, des Arabes, etc. Et ce bloc a son siège dans les Amériques, en attendant de pouvoir récupérer des espaces ibérophones en Asie et en Afrique. Nous devons nous parler, nous contacter davantage, créer des forums d'échange permanents.

e9ce3fa30b783d242fc1e9e0e440cb43.jpg

Si l'Espagne s'engage à récupérer cette union historique avec la région ibéro-américaine, devons-nous continuer à faire partie de l'Union européenne? Quelles relations devons-nous avoir avec le reste de l'Europe?

CB : Il y a un instant, j'ai utilisé ces métaphores: coin, bélier, pont... Un pôle de puissance géopolitique ibérophone peut compter sur l'Espagne et le Portugal comme têtes de pont pour imposer d'autres politiques en Europe, pour inverser les dérives. Au lieu d'être l’impasse méridionale de l'Europe, l'Espagne péninsulaire (et le Portugal) peuvent devenir le croc mordant d'une Hispanidad unie, qui fera irruption dans cette Europe flasque, corrompue et sans plus aucun destin. Un pont, aussi, parce que les Espagnols les plus traditionnels sont les plus européens de tous, et que nous pouvons continuer à transférer les valeurs fondatrices de l'Europe millénaire (celle qui remonte à Homère, et selon des auteurs comme Venner, à des sources bien plus lointaines, au milieu de la préhistoire) à des contingents humains qui en sont très éloignés. De même que de nombreux frères et sœurs hispano-américains se sont laissés contaminer par l'indigénisme (en étant ainsi affectés par un "auto-racisme" indien) ou par l'africanisme (en exacerbant le mythe du bon sauvage), il existe aussi des Andalous aux noms de famille asturiens ou aux traits slaves qui ont la nostalgie d'al-Andalus... Être un pont avec l'Europe signifie sauver l'Européen ancestral et authentique qui se niche dans les Espagnols des deux continents et dans l'âme de tous, indépendamment de la couleur de leur peau. Nous, les péninsulaires, devons bien sûr jeter à la poubelle toutes les sottises des "trois cultures" (d'Américo Castro à Zapatero), ainsi que l'aliénation "majismo", "flamenquismo" et "cañí".

61bzXi-UuKL._AC_UY218_.jpgPar contre, le conglomérat européiste franco-allemand tremblera le jour où nous, péninsulaires, deviendrons des Européens à part entière qui, en plus, serviront de crocs à un axe géopolitique ibérophone ayant son propre poids, très différent et peut-être rival du monstre yankee et bureaucratique de l'UE.

Source : LTPV

mardi, 04 mai 2021

Nuccio Ordine: "Nous avons l'Europe des banques et de la finance, mais pas celle de la culture"

Nuccio-Ordine.jpg

Nuccio Ordine: "Nous avons l'Europe des banques et de la finance, mais pas celle de la culture"

Propos recueillis par Miguel Manso de Lucas

Source : Compte vk de Natella Speranskaya

Nuccio Ordine (né à Diamante, Calabre, 1958) est professeur de littérature italienne à l'université de Calabre et auteur de plusieurs ouvrages, dont un sur Giordano Bruno. Il a été professeur invité dans des centres tels que l'Université de Yale, l'Université Paris IV Sorbonne, le CESR de Tours, l'IEA de Paris, l'Institut Warburg et la Société Max Planck de Berlin. Il est également membre du Harvard Center for Italian Renaissance Studies, de la Fondation Alexander von Humboldt, et chevalier de la Légion d'honneur française (2002). Il a récemment reçu le prix du Museo Liceo Egipcio en même temps que Noam Chomsky.

31xA7IECzOL._AC_UL600_SR363,600_.jpgLes éditions Acantilado ont publié L'utilité de l'inutile et Les classiques de la vie, que Nuccio Ordine nous explicite via un lien vidéo depuis la ville calabraise de Rende, dans le sud de l'Italie. L'auteur parle un espagnol parfait et nous informe qu'il s'est plongé dans l'écriture d'un livre sur les petites histoires qui se sont déroulées entre le 14ème et le 17ème siècles. Au cours de son travail, il a découvert la fonction thérapeutique du rire, notamment dans le Decameron de Boccace, qui fuit à la campagne depuis Florence, dévastée par la peste (1348), pour raconter des histoires comiques et guérir son esprit.

Q : C'est très opportun d'écrire sur ce sujet maintenant.

Réponse : C'est un pur accident.

Q : Dans Classics for Life, vous évoquez le professeur Louis Germain, qui préparait son meilleur élève, et le plus pauvre, à une bourse d'études dans un lycée d'Algérie, et ce, de manière totalement gratuite. L'étudiant ne remerciera son professeur que 33 ans plus tard, lorsqu'il recevra le prix Nobel de littérature: "J'ai d'abord pensé à ma mère, puis à vous", lui écrit Albert Camus. Les enseignants comme Louis Germain sont-ils plus que nécessaires aujourd'hui ?

Réponse : Oui. Aujourd'hui, par exemple, compte tenu de l'expérience de la pandémie, nous observons deux réactions opposées. Il y a des enseignants et des recteurs qui ont dit: "Comme c'est merveilleux que la pandémie nous donne l'occasion de comprendre ce que sera l'enseignement à l'avenir, car la télématique est fondamentale pour la transmission des connaissances". Mon idée est à l'opposé de cela. Je pense que la seule façon d'enseigner est l'enseignement en face à face, car la transmission du savoir se fait en communauté ; sans relations entre étudiants et étudiants, entre professeurs et étudiants, entre professeurs et instructeurs, la sagesse ne peut être transmise. Je dis cela parce qu'on pense aujourd'hui qu'une bonne plateforme numérique peut changer la vie d'un étudiant. C'est faux. C'est impossible. Seul un bon professeur peut le changer.

Le professeur Ordine fait ici une digression pour parler de ses professeurs.

"L'histoire de Camus résume de nombreuses histoires que nous ne connaissons pas. La mienne, par exemple. Je suis né dans une petite ville de Calabre, Diamante, qui n'avait même pas d'école. Pendant les quatre premières années de l'école primaire, mon professeur a tenu ses cours dans sa propre maison. Puis un bâtiment a été construit (où mes nièces et neveux étudient maintenant). Pour moi, né dans une ville pauvre du Sud, sans librairies, sans bibliothèques, sans théâtres, sans rien, l'école était la seule possibilité de changer ma vie. J'avais de bons professeurs, avec un grand cœur. La rencontre avec l'école a changé ma vie. Il était impensable qu'un garçon de six ans originaire d'une ville pauvre devienne professeur d'université. Ce fut donc une école miraculeuse. De tels miracles existent dans le monde entier: peut-être dans une hutte en Afrique ou dans un igloo au Groenland. Mais aujourd'hui, il y a cependant des fous qui pensent que la télématique peut changer votre vie’’.

NOclass.jpgQ : D'un prix Nobel à un autre. D'un Albert à un autre. De Camus à Einstein. Dans Classics for Life, vous citez un célèbre physicien à propos de l'éducation: "Le but de l'école devrait toujours être de former un individu harmonieux, et non un spécialiste’’. Et il semble qu'un pas important ait été fait récemment dans cette direction - votre livre L'utilité de l'inutile a connu un grand succès et a déjà été publié en 24 éditions en Espagne et a été publié dans 32 pays.

Réponse : Il y a un processus très dangereux dans l'éducation aujourd'hui - l'éducation considère le marché comme son étoile polaire. On pense que l'école doit être un outil pour répondre aux besoins du marché. C'est de la folie. Si nous ne regardons que le marché, en croyant que l'éducation est principalement un outil pour trouver un emploi, maîtriser une profession, nous faisons une énorme erreur. Si le marché ne crée pas une demande pour des connaissances qui n'ont pas d'application pratique, ces connaissances seront exclues des programmes universitaires. À quoi servent le latin et le grec, la littérature, la poésie et la philosophie ? Pourquoi avons-nous besoin des mathématiques ? Les mathématiques dans leur application pratique créent l'intelligence artificielle. Mais il y a des mathématiciens qui pensent comme des poètes, et ils ne cherchent pas l'"utilité". Un théorème a une beauté qui n'a pas d'application pratique immédiate. Einstein savait très bien que la science vit de la créativité, et il est très important de la nourrir de curiosité, d'imagination, de fantaisie. Vous pouvez apprendre en lisant des romans, des poèmes, en contemplant des tableaux, en étant en contact avec l'art, en écoutant de la musique. C'est pourquoi nous sommes confrontés à cette distinction aujourd'hui: d'une part, il existe des connaissances injustement inutiles parce qu'elles n'ont pas d'application pratique immédiate, et d'autre part, il existe des connaissances qui sont considérées comme importantes uniquement parce qu'elles ont une application pratique immédiate.

Ordine se souvient d'une conversation entre un scientifique et un politicien devant une commission du Sénat américain. Un physicien du Fermilab (l'un des plus grands laboratoires de physique des particules) défendait le financement du projet lorsqu'un sénateur démocrate lui a demandé : "À quoi sert cette expérience, est-elle utile pour défendre militairement les États-Unis, est-elle utile dans notre compétition avec les Russes ?". Le physicien a répondu: "Cette recherche est inutile pour défendre notre pays, mais elle est utile pour rendre notre pays digne d'être défendu". Ordine explique: "Si votre pays n'a pas de pensée, pas de recherche, c'est un pays sans valeur."

Il poursuit: "Toutes les grandes découvertes et inventions de l'histoire des sciences ont commencé par des expériences qui, au départ, n'avaient aucune application pratique. Aujourd'hui, le GPS est utilisé dans les téléphones portables, les avions, les bateaux... Sans la théorie de la relativité d'Einstein, le GPS aurait été impensable, mais lorsqu’Einstein a développé sa théorie, il n'avait aucune idée qu'elle pourrait être utilisée dans les téléphones portables ou même le GPS. Pour lui, la tâche consistait à apprendre sur le monde, sur la nature.

Nuccio-Ordine-Docente-Unical.jpg

Question : En tant que professeur d'université constamment entouré de jeunes, que pensez-vous des réseaux sociaux ?

Réponse: ils sont une pure illusion. Facebook, WhatsApp, Twitter créent l'illusion que nous pouvons développer des relations humaines par leur intermédiaire, mais en fait ils créent une nouvelle forme de solitude: croyant communiquer avec d'autres personnes, nous sommes enfermés dans notre propre maison 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Et c'est ce à quoi la pandémie nous a habitués. Une chose est indispensable: je ne peux pas sortir de chez moi car une loi me l'interdit, mais je peux parler à ma mère, qui se trouve à 100 km de moi, par liaison vidéo. C'est l'exception. Mais dans des circonstances normales, ce n'est pas une véritable communication. La vraie communication est une relation humaine physique. Le toucher est très important dans les relations humaines, et de tels moyens les rendent impossibles: je peux vous voir et vous parler, mais je ne peux pas vous toucher. Le toucher est très important. Les philosophes en ont beaucoup parlé. Le toucher est une véritable relation humaine: deux corps se touchent, sentent la peau de l'autre; c'est comme une énergie qui va de l'un à l'autre. C'est pourquoi je suis très inquiet. Cette solitude est dangereuse: elle préfigure les changements anthropologiques à venir. La pandémie nous a fait prendre conscience que l'on peut continuer à rester cloîtré chez soi car il y a Amazon qui vous envoie un livre, un restaurant qui vous livre une paella, il y a le télétravail et l'apprentissage numérique. Mais la vie entre chez vous sous la forme de la consommation, sans véritables relations sociales.

8137LMJ-83L.jpg

Q : Le fait de passer du temps en ligne vous détourne-t-il de la lecture de livres?

Réponse : C'est un gros problème. Les nouveaux outils numériques sont affûtés pour la vitesse. Je regarde un objet, mais j'ai un faible seuil d'attention. Deux minutes tout au plus. Je passe immédiatement à autre chose, comme lorsque je feuillette les chaînes de télévision. C'est pourquoi les écoliers d'aujourd'hui ont un seuil d'attention très bas. Lire un texte sur papier et le lire sur un écran sont deux choses différentes. Le niveau de concentration sur l'écran est plus faible que sur le texte papier. Il y a beaucoup de distractions sur l'écran, des messages contextuels, des appels pour aller à d'autres parties du texte. C'est ce que les neuroscientifiques étudient aujourd'hui. Lorsque j'ai commencé à enseigner il y a 30 ans, les élèves pouvaient écouter tranquillement le professeur pendant une heure. Maintenant, c'est 15-20 minutes au maximum. Mais ce n'est pas la faute des étudiants. D'après mon expérience, si les enseignants travaillent dur, les élèves suivront. Les étudiants ont toujours des valeurs en demande.

Q : Quels conseils donneriez-vous aux élèves du secondaire qui doivent décider d'une orientation professionnelle ?

R : Et le conseil est de choisir non pas ce qui vous permettra de gagner plus d'argent, mais ce qui vous intéresse et vous passionne. Par exemple, de nombreux étudiants choisissent aujourd'hui des carrières médicales parce que l'avenir financier d'un médecin est assuré, tout comme celui d'un ingénieur informatique.

163131.1615863602.jpgJe me souviens qu'à la fin d'une de mes conférences, une dame s'est précipitée vers moi et m'a dit: "Professeur, je pleure parce que je me suis rendu compte que j'ai fait une énorme erreur dans ma vie: je suis médecin et je gagne beaucoup d'argent, mais je suis malheureuse parce que chaque jour je me lève pour faire quelque chose qui ne m'intéresse pas, qui ne me passionne pas du tout’’.

C'est mieux de faire ce que tu aimes. Par exemple, pour moi, le travail n'est pas du tout du travail, je ne peux pas vivre sans mes livres (il désigne l'étagère). Si je pars en vacances, je mets toujours des livres dans ma valise, car je ne peux pas imaginer des vacances sans lire un roman, un poème... En vacances, je me permets de lire uniquement pour mon propre plaisir.

Q : Passons à des thèmes plus importants. Sur la page consacrée aux Lettres de Nicolas Machiavel, le secrétaire florentin affirme que chaque journée est toujours complétée par la lecture des classiques qui "nourrissent l'esprit": "Pendant quatre heures, j'oublie l'ennui, je ne pense pas à mes chagrins, je ne me décourage pas de la pauvreté et ne crains pas la mort: je suis entièrement transporté vers eux’’.

Réponse : C'est l'idée du "pain de la pensée", qui est une métaphore utilisée par Garcia Lorca, Pétrarque, Victor Hugo, ainsi que Machiavel: il faut non seulement du pain pour le corps, mais aussi du pain pour l'esprit. C'est une erreur de croire que seul le corps a besoin de pain. En cas de pandémie, il faut garder ouverts non seulement les supermarchés, mais aussi les écoles, les universités et les librairies, car c'est le "pain de la pensée". Sans ce pain, la société échouera.

Dans notre monde matérialiste, nous vivons dans une désertification de l'esprit.

Il est inimaginable que le président des États-Unis soit un ignorant sans éducation. C'est une conséquence du fait que la classe politique a abaissé son seuil d'attention et de connaissance. Si nous perdons le savoir, injustement jugé inutile, nous perdons l'occasion de cultiver le "pain de la pensée".

Q : C'est maintenant le tour de la politique. Sur une autre page de ses Discours, Montesquieu déclare: "Si je savais quelque chose d'utile à ma patrie, mais de dangereux pour l'Europe et pour l'humanité, je le regarderais comme un crime’’.

Réponse : Cette page vous permet de comprendre le problème de la Catalogne. J'ai beaucoup d'amis catalans, certains d'entre eux sont indépendantistes, d'autres non. L'idée de Montesquieu n'est pas de créer de petits États, mais de les éliminer et de créer une Europe plus grande, plus vaste. L'objectif principal est de supprimer les barrières entre l'Espagne, la France, l'Allemagne et l'Italie. Mes amis catalans pensent que c'est une bonne idée. La protection de leur langue et de leur culture est nécessaire, mais toujours dans une perspective européenne, et à l'avenir, dans le but de devenir des citoyens du monde.

artworks-000431531682-s8dsy3-t500x500.jpg

Q : "L'Europe, oubliant ses racines culturelles, tue progressivement l'étude des langues anciennes, de la philosophie, de la littérature, de la musique et de l'art en général", dites-vous dans l'introduction de Classics for Life. Êtes-vous pessimiste quant à l'avenir du Vieux Continent ?

Réponse : Le problème de l'Europe est que nous n'avons pas d'Europe culturelle. Nous avons une Europe des banques et de la finance, mais pas de la culture.

Le paradoxe est que l'ère de la culture existait à l'époque de Giordano Bruno, qui a vécu à la cour d'Henri III en France, puis à la cour de Rodolphe II à Prague, et plus tard à la cour d'Angleterre avec la reine Élisabeth I. Des scientifiques comme Galilée ont interagi avec d'autres scientifiques cosmologistes dans d'autres parties de l'Europe. Il y avait une sorte de République de la littérature, de la science, de la culture. Il n'y a rien de tel aujourd'hui. Il existe un égoïsme économique très fort dans chaque pays. Une pandémie pourrait être une bonne occasion de changer cela et de devenir plus solidaire avec les États qui ont le plus souffert. Comme l'Italie et l'Espagne. Cette idée de solidarité nous permettrait de faire de l'Europe une véritable union de citoyens réfléchissant à un avenir commun.

Nuccio Ordine tire une conclusion décevante : "L'égoïsme est le résultat des politiques néolibérales qui ont tout détruit dans le monde. La pandémie nous a fait prendre conscience de la valeur de deux piliers de la dignité humaine: le droit à la santé et le droit à la connaissance. Pourtant, au cours des trente dernières années, les budgets consacrés à la santé et à l'éducation ont été considérablement réduits parce qu'ils étaient considérés comme inutiles. Aujourd'hui, nous payons pour cette erreur. J'espère que nous n'oublierons pas ce que nous avons appris pendant la pandémie".

Le professeur Ordine résume ses réflexions par une citation tirée du Livre du rire et de l'oubli de Milan Kundera: "La lutte de l'homme contre le pouvoir est une lutte de la mémoire contre l'oubli." "Si nous oublions, les choses seront encore pires qu'avant", conclut le professeur, avant de revenir aux histoires de Boccace.

Interviewé par Miguel Manso de Lucas,

Traduction de l'espagnol par Natella Speranskaya.

lundi, 03 mai 2021

Littérature turque : religion, géopolitique, identité - Entretien avec Apollinaria Avrutina

shutterstock_721552321.jpg

Littérature turque : religion, géopolitique, identité

Entretien avec Apollinaria Avrutina, turcologue à Saint-Pétersbourg

Propos recueillis par Daniil Avdeev

Ex : https://www.geopolitica.ru/

L'art - la conscience de soi de la société. À travers le prisme de la littérature, nous apprenons comment une nation se voit et voit ses voisins, ce en quoi elle croit, ce qu'elle pleure et ce qu'elle espère. C'est pourquoi, dans notre conversation avec Apollinaria Avrutina, docteur en philologie, éminente spécialiste russe de la philologie turque et directrice du ‘’Centre pour la Turquie moderne et les relations russo-turques’’ à l'université d'État de Saint-Pétersbourg, nous parlerons de la littérature turque, un pays qui prend actuellement de plus en plus de poids sur la scène géopolitique mondiale.

La Turquie publiera bientôt la première collection complète des œuvres de Léon Tolstoï en turc. D'une manière générale, notre grand compatriote a toujours été aimé par l'intelligentsia turque et n'a pas été trop accepté par les dirigeants "de droite" de ce pays. Ainsi, dans la préface de la première édition du roman Anna Karénine, l'éditeur s'est plaint que la traduction n'ait pas vu le jour pendant plus de 20 ans parce que c’est un texte faisant la promotion des valeurs occidentales et du christianisme. Cependant, sous le règne d'Atatürk, de nombreuses œuvres de l'écrivain ont été publiées, notamment son récit Le Père Serge, qui tient presque du manifeste. Et maintenant, une collection complète d'œuvres, y compris des notes et de la correspondance, en plus des romans, des nouvelles et des paraboles. Comment et dans quelle mesure notre littérature russe a-t-elle influencé les figures littéraires turques au siècle dernier?

Je suppose que l'influence de Tolstoï (en particulier) sur la littérature turque moderne est très grande, et qu'elle se lit dans presque tous les auteurs turcs modernes considérés comme plus ou moins classiques. En fait, Tolstoï est publié en masse en Turquie, et l'a toujours été (du moins dans la seconde moitié du 20ème siècle). La première traductrice turque de Tolstoï vivait à Istanbul - elle s'appelait Olga Lebedeva - et elle avait écrit un merveilleux ouvrage sur l'histoire de la littérature russe, en langue turque. Elle correspondait avec Tolstoï. Mais elle a oublié d'inclure Dostoïevski dans son anthologie, la première anthologie de littérature russe en Turquie - curieusement - alors que Dostoïevski était déjà très populaire en Russie à cette époque. Lorsque nous examinons la littérature turque du 20ème siècle, en particulier - à partir du milieu de celui-ci (les années 50) et au-delà - nous voyons les œuvres d'écrivains tels que Ahmet Hamdi Tanpınar et Orhan Pamuk, qui ont été traduites en russe. Chacun de ces auteurs veut imiter les œuvres de Tolstoï, mais à sa manière. Les deux auteurs ont les "notes" de Tolstoï et les pensées de Tolstoï. Tanpinar est appelé le ‘’Tolstoï turc’’, car il a emprunté de nombreuses idées à Léon Tolstoï, et son roman A Mind at Peace, publié en russe en 2018, en est d'ailleurs la preuve la plus évidente. Il dépeint la société (turque) dans l'entre-deux-guerres, après le mouvement de libération. Tout ce qui est décrit fait penser à Guerre et Paix, en fait: l'histoire de gens ordinaires avec en toile de fond les changements tectoniques qui se produisent dans la société. Il n'y a probablement pas grand-chose à dire sur l'amour d'Orhan Pamuk pour Tolstoï, et il a lui-même déclaré que Tolstoï est l'un de ses principaux maitres en littérature (d'ailleurs, il a aussi comme l'un de ses principaux professeurs de littérature, Tanpinar). Les nombreuses références de Pamuk à Tolstoï dans ses œuvres sont bien connues. Il suffit de dire qu'il a écrit son roman Le musée de l'innocence comme un Anna Karénine turc: il voulait aussi écrire un manuel sur son époque, un "musée" de son temps.

Après tout, Tolstoï n'était plus seulement un grand écrivain russe, mais un maillon important de la tradition littéraire mondiale, y compris de la tradition occidentale. Ici, je pense qu'il serait approprié de poser la question: peut-on généralement qualifier la littérature turque moderne d'originale, ou essaie-t-elle généralement de suivre les tendances et les courants du monde ?

Il me semble que la littérature turque est orientée vers la littérature russe. De plus, au milieu du vingtième siècle, elle était orientée vers la littérature française avec son modernisme - elle était, en général, empruntée aux Français. Mais à part cela, dans l'ensemble, elle est extrêmement originale. Mais si nous regardons le travail des jeunes écrivains contemporains, nous voyons dans chacun d'eux les traits de Tolstoï ou de Dostoïevski. Ces deux écrivains (qui, soit dit en passant, font partie du programme scolaire en Turquie et sont recommandés par le ministère de l'éducation en tant que lecture obligatoire pour les collégiens) ont une énorme influence sur les auteurs turcs. Avant-hier encore, j'ai participé à un débat animé par l'écrivain turc Defne Suman. Cette soirée littéraire était basée sur sa lecture du roman Anna Karénine. Nous étions réunis autour de ‘’Zoom’’, il y avait des traducteurs du monde entier - et il y avait beaucoup d'écrivains, beaucoup de traducteurs et de turcologues - et donc nous discutions du roman Anna Karénine, ou plutôt, les Turcs en discutaient, et j'écoutais avec curiosité.

J'espère que je n'irai pas à l'encontre de la vérité en disant que votre vie est en partie consacrée à l'écrivain Orkhan Pamuk...

Je ne dirais pas cela: je traite avec de nombreux écrivains, je promeus le travail des écrivains russes en Turquie et j'essaie de traduire autant de textes différents que possible. Au contraire, une partie de ma vie est consacrée à la littérature turque, mais pas toute.

1728.jpg

Je veux dire, vos noms sont souvent à côté l'un de l'autre.

Eh bien, oui, parce que j'ai traduit la plupart de ses romans et l'ai fait venir en Russie à plusieurs reprises. C'est vrai.

Qu'est-ce qui pourrait attirer un turcologue spécialisé vers cet auteur ?

Eh bien, un turcologue spécialisé est attiré par une variété de textes turcs, une variété de romans. Lorsque j'étais à l'université, nous avions l'habitude de lire uniquement Orhan Pamuk: principalement Le Château blanc, Le livre noir - en turc, comme lecture à domicile. Mais maintenant les étudiants lisent d'autres romans car, à part Pamuk, il y a beaucoup de bons auteurs turcs, connus dans le monde entier. Donc nous ne nous limitons plus à Pamuk maintenant. Bien que son prix Nobel ait renforcé la position de la littérature turque dans le monde.

En parlant de gloire internationale. Il y a une opinion selon laquelle la "communauté mondiale" essaie de faire pression sur la Turquie à travers la figure de cet écrivain. En général, la relation de cet homme avec le gouvernement turc est un sujet long et controversé. Qu'avez-vous à dire concernant ces allégations ?

Citez-moi au moins un écrivain populaire, dont les opinions sont en accord avec le cours de l'État. Il n'y a pas de pression sur le pouvoir via la figure d'Orhan Pamuk et il n'y en aura jamais. De plus, si la communauté internationale tente d'exercer une pression sur les autorités turques par l'intermédiaire de Pamuk, ce dernier aura des ennuis. La Turquie est stricte à ce sujet: personne ne se promène avec des lanternes et des drapeaux. De plus, Pamuk lui-même dit toujours (avant toute interview, par exemple): "Nous ne parlons en aucun cas de politique, je ne parle pas de politique. Ces dernières années, surtout après son procès très médiatisé de 2005, il a essayé de se distancer le plus possible de la politique et de ne pas s'y impliquer de quelque manière que ce soit.

En général, vous savez, il existe une attitude très ambivalente à son égard en Turquie, beaucoup de gens le considérant comme un traître pour ses opinions libérales. L'attitude négative prévaut; de nombreux Turcs le qualifient de "traître à la patrie" (en turc, cela ressemble à vatan haini). En même temps, Orhan Pamuk lui-même aime son pays natal, aimerait vivre en Turquie (où il vit maintenant la plupart du temps) et ne veut pas "jouer avec le feu" dans ces questions. Il veut continuer à vivre dans son pays natal.

81BeJjlvnyL.jpg

Cela dit, les Turcs l'apprécient en tant que figure culturelle. Il y a une double attitude très étrange envers Pamuk. D'un côté, beaucoup de gens le détestent. En revanche, lorsque Pamuk va prendre un verre au restaurant et marche dans la rue, les gens s'écartent et s'inclinent presque devant lui. Tout le monde le traite avec respect et est (en partie) fier qu'il vive dans le quartier, dans le même bâtiment qu'eux.

Peut-on dire que les autorités et le peuple turcs modernes sont intéressés à faire entendre la voix de leur littérature à l'étranger ?

Oui, ils le sont. Le gouvernement turc fait beaucoup pour cela. Le ministère de la culture de la République de Turquie a un projet spécial pour soutenir et promouvoir la littérature turque dans le monde. Et la littérature turque traduite est assez populaire; en outre, certains écrivains turcs essaient d'écrire en anglais (ils sont ensuite traduits en turc). En général, il s'agit d'une tendance globale chez les auteurs orientaux. C'est à peu près comme ça que Nabokov l'a fait aussi : ce Russe écrivait en anglais. Par exemple, Khaled Hosseini écrit en anglais, Elif Shafak écrit en anglais, et ainsi de suite...

La tendance au néo-ottomanisme et au pan-turquisme est de plus en plus visible en Turquie aujourd'hui. Ces idéologies ont-elles leurs "hérauts" parmi les écrivains turcs modernes?

Je dirais que le panturquisme n'est pas le bienvenu en Turquie, bien qu'il y soit présent. Les cercles dirigeants le soutiennent "point par point" lorsqu'il leur est favorable. Quant à la politique du pan-turquisme, elle est bien sûr présente. Nous sommes probablement très semblables à la Turquie à cet égard. La Turquie représente l'ancien grand empire ottoman et la Russie l'ancien grand empiredes Tsars et des Soviets. Dans les deux pays, les souvenirs du grand passé impérial sont très vivants. Il y a une attitude face à la réalité depuis la position majestueuse de "Seigneur du monde" (enfin, de la moitié du monde, au moins). À une époque, la Turquie était désireuse de rejoindre l'Europe, l'Union européenne, désir dont il est d'ailleurs beaucoup question dans les livres de Pamuk (par exemple, dans D’autres couleurs). Aujourd'hui, les Turcs se moquent de l'Europe et de l'Union européenne. Ils croient en leur propre voie, en leur propre mission, en leur propre idée.

d-autres-couleurs_bv_435171.jpg

Et je ne dirais pas qu'il y a des "idéologues panomaniaques" parmi les écrivains. Il y a des auteurs qui écrivent sur le pan-ottomanisme, mais dans la fiction, il s'agit plutôt d'une forme de fiction, par exemple, une histoire sur des événements dans le contexte de l'histoire de l'Empire byzantin, dans le contexte de l'histoire de l'Empire ottoman. Ce type de fiction est très populaire. Maintenant, en Turquie, les romans historiques sur la vie des sultans, la vie de la cour, des courtisans, des artistes sont très populaires. Mais je pense que ce n'est pas lié à l'idéologie du pan-ottomanisme. Il me semble que la littérature turque existe par elle-même et n'est orientée vers aucune des idéologies - ni celle d'Atatürk, ni celle du panturquisme, ni celle du pan-ottomanisme. Les écrivains turcs sont, bien sûr, dans l'ensemble, un "point de convergence plutôt libéral". Ils sont largement orientés vers les pays occidentaux, dans une moindre mesure vers la Russie. Certains d'entre eux sont orientés vers leur passé, leur histoire, leur culture. Mais il n'y a pas de pression idéologique.

On peut donc dire que dans la littérature turque, l'élément national s'exprime plutôt à travers une sorte de ressentiment, une sorte de flair nostalgique ?

Oui. En général, le concept de hüzün - mélancolie, nostalgie - est celui de la nostalgie du passé révolu du grand empire. C'est quelque chose qui ressemble au "désir russe".

Comment peut-on caractériser l'identité des Turcs modernes? Quelle proportion de cette identité est turque? Et Quelle est la part " ottomane "? La part islamique?

Je l'appellerais Ottomane-islamique. Mais là encore, la société turque est très diverse. Il y a des gens qui sont très "modernes", très "européens". Et il y a des gens qui sont très traditionnels. La société est comme une courtepointe en patchwork; elle est très différenciée. Mais il est certain qu'il n'y a pas de personnes indifférentes. Les Turcs en général sont extrêmement passionnés.

Dans les termes de la "Noomachie" d'Alexandre Douguine: quel est le ‘’Logos’’ de la Turquie? Léger, ascétique, apollonien, crépusculaire, esthétique, logos de Dionysos ou logos chthonique, logos de Cybèle (son sanctuaire est situé sur le territoire de la Turquie...) ?

Vous savez, je réfléchis à cette question depuis longtemps. Apparemment, elle doit être apollinienne. Bien que l'islam turc ait toujours été très "libéral", large, ouvert et pas aussi rigide que dans d'autres pays.

Au XXIe siècle, la sécularisation de la population en Turquie a été de plus en plus prononcée sous la pression de l'industrialisation. Par ailleurs, le gouvernement d'Erdogan est largement favorable à l'Islam. Comment la question de la religion se reflète-t-elle dans la littérature contemporaine de la Turquie?

Vous savez, je ne dirais pas que la Turquie se sécularise. Je dirais qu'il se passe la même chose en Turquie que ce qu'Orhan Pamuk a décrit dans son roman Neige de 2006: "nous sommes fiers de notre âme "non-européenne", nous sommes fiers du fait que nous ne sommes pas européens. Nous sommes fiers de ne pas être comme vous, et nous n'allons pas enlever le hijab: au contraire, nous le remettrons volontiers". Il me semble qu'à l'heure actuelle, la conscience religieuse de la société est très forte et qu'il existe un besoin aigu de foi parmi les masses. Il existe certes des "îlots libéraux", mais je dirais qu'à l'heure actuelle, même l'élite, qui a toujours été plus ou moins orientée vers l'"occidentalisation", s'est tournée vers l'Islam. J'en ai parlé plus d'une fois dans mes articles: cela se reflète parfaitement dans les œuvres d'Orhan Pamuk, car si nous suivons les grandes lignes de ses œuvres (en partant des premiers romans jusqu'aux plus récents), il est absolument clair que dans les premiers romans, les personnages se cherchent entre l'Est et l'Ouest et souffrent ensuite pour avoir choisi les idéaux occidentaux. Leur vie part complètement en vrille. Dans les romans de la période centrale (par exemple, Le musée de l'innocence), les personnages sont punis pour avoir transgressé les traditions de la société musulmane, et punis très sévèrement. Dans le dernier roman, le héros, qui a choisi une tradition occidentale plutôt qu'une tradition islamique orientale, est assassiné par son propre fils, un féroce musulman. Et le fils ne le paie en aucune façon ; il se retrouve, devient un écrivain célèbre, et le père meurt sans jamais se réaliser. Les œuvres de Pamuk montrent clairement que la société turque (et la société orientale en général) évolue dans la direction opposée à celle de l'Occident.

le_musee_de_l_innocence-996923-264-432.jpgLe spécialiste russe de l'islam Ruslan Silatev a un jour qualifié la littérature religieuse turque circulant en Russie de "propagande du panturquisme" et l'a qualifiée de provocation pour les musulmans de notre pays. Dans quelle mesure son affirmation correspond-elle à la réalité ?

Eh bien, ce n'est pas tout à fait vrai. Il s'agit peut-être d'une déclaration "à l'emporte-pièce", car il existe une énorme quantité de littérature différente publiée en Turquie (ainsi qu'en Russie). Il y a du normal et il y a du ‘’pas normal’’. Il existe une très bonne littérature religieuse turque. Il existe de bons ouvrages réalisés par de bons auteurs. Il y a des œuvres qui sont maintenant traduites en russe et qui sont publiées dans les meilleures maisons d'édition de notre pays. Mais il y a aussi des livres qui sont interdits dans la Fédération de Russie, même s'ils sont disponibles dans les grandes foires du livre turc. Vous ne pouvez pas juger "sans discernement" la littérature religieuse turque, elle est différenciée, elle aussi. D'ailleurs, il existe une énorme quantité de littérature religieuse pour enfants. J'ai personnellement vu des maisons d'édition absolument merveilleuses en Turquie qui publient une excellente littérature musulmane pour enfants, très bien publiée et merveilleusement, magnifiquement écrite. Quel est le problème avec ça ? Peut-être qu'en Russie, nous ne parvenons pas à filtrer tout ce qui nous est apporté. De plus, tout le monde ne connaît pas le turc.

Et qu'en est-il de l'éventuelle propagande du panturquisme par la Turquie? Peut-elle constituer une menace pour la Russie?

Je ne pense pas qu'il y ait de "menace" pour la Fédération de Russie. Une autre chose est qu'ils essaient certainement d'introduire ces idées dans la conscience publique dans certaines de nos régions (parfois avec un succès variable), mais les menaces... Vous savez, les musulmans russes et les Turcs sont tellement intégrés dans notre espace international et interculturel que parler de toute idée... qui peut influencer la situation dans le pays dans une certaine mesure... Je pense que ce n'est pas nécessaire.

En général, le "précurseur" de la fiction en Turquie (ainsi que dans tout le monde islamique) est la poésie religieuse. Cette tradition a-t-elle une place dans la littérature moderne de la Turquie ?

Nous ne devons pas parler uniquement de la poésie religieuse. C'est une petite partie de toute la littérature ottomane: il y avait de la poésie lyrique et de la poésie satirique ; il y avait de la prose - humoristique, hagiographique, satirique, et des descriptions de villes. Il y avait beaucoup de choses différentes. Vous voulez sans doute parler de la littérature soufie, qui ne représente qu'une partie de l'ensemble de la littérature turque. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de dire qu'elle se développe. De nos jours, il y a, bien sûr, des ashiqs. Au Moyen Âge, c'étaient des derviches errants qui chantaient l'amour d'Allah, et aujourd'hui, ils sont un peu comme nos bardes, et on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une tradition strictement religieuse.

derviche.jpg

De plus, les écrivains turcs aiment écrire sur les derviches. Comme tous les écrivains turcs que vous rencontrez, ils écrivent sur les derviches parce que ça se vend bien et que c'est très populaire en Occident.

Parmi les antimondialistes, il existe une notion populaire selon laquelle l'"hégémon mondial" du système libéral global ne peut être vaincu que par l'émergence de "centres de pouvoir" indépendants dans le monde, capables de s'opposer tous ensemble à l'hégémon. La Russie et la Turquie voient de tels "centres de pouvoir indépendants". Néanmoins, il existe un certain nombre de contradictions géopolitiques entre la Turquie et la Russie. Serons-nous des alliés les uns des autres contre l'"ennemi commun" ou des rivaux dans l'arène géopolitique locale ?

Comme je l'ai dit, la Russie est un pays autosuffisant, et la Turquie est un pays autosuffisant. Je pense que nous ne parlons ici que de partenariat et de coopération dans le cadre des intérêts des deux pays. Bien sûr, comme nous l'avons vu, il existe d'autres forces dans le monde qui tentent d'influencer nos relations, mais je pense que notre autosuffisance prévaut dans cette situation.

Et comment les différentes minorités sont-elles représentées dans la littérature turque moderne? Je ne parle pas des minorités sexuelles, bien sûr, mais des minorités religieuses, nationales...?

Très bien représentées! En Turquie, il existe une constellation d'écrivains issus de ces minorités. Il y a beaucoup d'écrivains juifs qui écrivent en turc - je suis en train de traduire un roman intitulé A Time to Love, de Liz Behmoaras. Il s'agit de la relation entre un homme musulman et une femme juive pendant la Seconde Guerre mondiale. Et en général, il y a beaucoup d'auteurs qui écrivent sur les Arméniens, sur les Juifs. L'histoire de la famille arménienne, l'histoire de la famille juive... Un sujet populaire dans la littérature turque.

908x1200.jpg

En tant que représentant d'une publication traditionaliste de droite, je ne peux m'empêcher de poser une question particulière: quelles œuvres d'écrivains turcs pourriez-vous conseiller à nos lecteurs conservateurs ? Que pouvons-nous apprendre de ces œuvres ?

Mon œuvre préférée, que j'ai traduite pendant 10 ans, est le roman Rest d'Ahmed Hamdi Tanpınar, dont j'ai déjà parlé. Il a été publié en 2018 par Ad Marginem. Je le recommande à tous les conservateurs. Et probablement aussi le roman Ces choses étranges en moi d'Orhan Pamuk. Ces deux romans traitent du destin d'un homme au milieu d'une société turque différente, en pleine mutation. Dans l'ensemble, ces romans traitent de la tradition, de la manière dont une société persiste face au changement. Elle survit grâce à ses traditions, grâce à sa culture.

unnamedOPchetremoi.jpg

vendredi, 30 avril 2021

L'identité des peuples: un double héritage culturel et biologique... - Entretien avec Henri Levavasseur

Bollenhut-Gutach.jpg

L'identité des peuples: un double héritage culturel et biologique...

Entretien avec Henri Levavasseur
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Henri Levavasseur à Breizh Info à l'occasion de la sortie de son essai L’identité, socle de la Cité. Réconcilier ethnos et polis (La Nouvelle Librairie, 2021).

Docteur en histoire, médiéviste et germaniste, Henri Levavasseur a notamment collaboré à La Nouvelle Revue d’histoire, ainsi qu’à deux ouvrages édités par l’Institut Iliade : Ce que nous sommes — Aux sources de l’identité européenne (Pierre-Guillaume de Roux, 2018), et Nature, excellence, beauté — Pour un réveil européen (La Nouvelle Librairie, 2020). Il a également contribué à La Bibliothèque du jeune Européen, recueil dirigé par Alain de Benoist et Guillaume Travers (Le Rocher, 2020).

Henri Levavasseur : « L’identité des peuples se fonde sur un double héritage, culturel et biologique »

BREIZH INFO : Henri Levavasseur, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?

HENRI LEVAVASSEUR. Historien et linguiste de formation, je m’intéresse depuis longtemps à la genèse des cultures de l’Europe ancienne. Ma vision du monde a par ailleurs été fortement influencée par la lecture de Martin Heidegger et la manière dont ce philosophe reprend les questionnements fondamentaux de la pensée grecque pour parvenir à une compréhension intime de la modernité. Attaché à mes racines normandes, j’accorde une grande importance à la notion de « patrie charnelle », telle que la conçoivent Barrès et Péguy. Soucieux de transmettre la flamme aux jeunes générations à l’heure où se joue le destin de l’Europe, je me suis tout naturellement rapproché de l’institut Iliade, qui accomplit dans ce domaine un travail remarquable.

kdp8L7jgm8_VYeFE27ipEmrHgeQ.jpg

BREIZH INFO : Votre essai constitue une réflexion fondamentale sur la notion d’identité, et sur l’articulation de cette notion avec la Cité, c’est-à-dire avec le Politique. Quelle est votre vision de l’identité de la nation française ? L’identité politique de la république ne s’est-elle pas construite en niant précisément l’identité « charnelle » des peuples et des régions ?

HENRI LEVAVASSEUR. Les entités politiques ne doivent pas être pensées comme des notions abstraites et figées, mais comme des réalités organiques. En tant que telles, elles constituent des ensembles qui valent plus que la somme de leurs parties, mais qui ne peuvent se maintenir en vie lorsque les organes qui les composent cessent de fonctionner harmonieusement. De même, la nation est une entité politique souveraine, qui représente plus que la somme des identités régionales et locales qu’elle rassemble, mais qui ne peut exister de manière pérenne sans ces dernières. La nation est un organisme vivant dont les familles, les communes, les régions forment en quelle sorte le « corps ». Être français, ce n’est pas (ou pas seulement) adhérer à des « valeurs » et à des institutions politiques, c’est d’abord être Normand, Picard, Breton, Provençal, Lorrain (pour ne citer que quelques-unes des identités réelles et enracinées qui constituent collectivement l’essence de la nation française, telle qu’elle s’est progressivement formée au fil des siècles).

Depuis la Révolution française, cette conception organique de la nation tend malheureusement à disparaitre au profit d’une conception idéologique coupée du réel et de l’histoire, fondée sur des valeurs à prétentions universalistes, intangibles et « républicaines ». J’entoure ici de guillemets l’adjectif « républicain », puisque ce discours, révolutionnaire et subversif par essence, vise à nier ou à transformer de manière radicale l’identité française héritée de notre histoire : ce républicanisme-là n’a plus guère à voir avec le service de l’état et du bien commun, c’est-à-dire avec la res publica au sens romain (signification que ce mot conserve encore sous la plume du juriste Jean Bodin au WVIe siècle).

Werdenfelser_Festtracht.jpg

Il est d’ailleurs assez paradoxal que les révolutionnaires français se soient réclamés du système romain, fondé sur une conception très inégalitaire et aristocratique de la citoyenneté. Mais ces rêveurs sanguinaires n’étaient pas à une contradiction près : ne prêchaient-ils pas l’amour de l’humanité tout en exterminant les Vendéens ? J’évoque dans mon essai les circonstances horribles de la mort de la princesse de Lamballe, massacrée dans des conditions de sauvagerie qui rappellent étrangement l’égorgement récent d’un professeur de lycée par un mahométan fanatique…

BREIZH INFO : L’invocation des « valeurs de la république », qui prend aujourd’hui une dimension quasiment religieuse, ne dissimule-t-elle pas, derrière les appels à l’unité nationale, la fracture béante qui traverse la société française ?

HENRI LEVAVASSEUR. De toute évidence, la question de l’identité de la France se pose aujourd’hui en des termes nouveaux, du fait de l’entrée sur notre territoire, en l’espace d’un demi-siècle à peine, de millions d’immigrés provenant de l’espace extra-européen. A l’échelle du contingent, c’est un phénomène d’une ampleur sans équivalent depuis la Préhistoire. Je renvoie sur ce point aux travaux de l’un de nos plus grands démographes, le regretté Jacques Dupâquier, membre de l’Institut.

Le traumatisme culturel, social, économique et politique provoqué par l’arrivée de ces flux humains considérables a créé en France, mais aussi dans la plupart des pays d’Europe, une véritable fracture entre l’identité ethnoculturelle et l’identité civique, entre ce que les Grecs nommaient, à l’aube de l’histoire européenne de la pensée, l’ethnos (« ethnie ») et la polis (« cité »).

C’est le constat de cette fracture sans précédent, qui menace la cohésion et l’existence même des nations et des peuples d’Europe, qui m’a conduit à écrire ce livre, afin d’inciter mes contemporains à prendre toute la mesure du problème, et surtout à trouver en eux-mêmes les ressources nécessaires pour redonner à nos nations l’avenir qu’elles méritent.

BREIZH INFO : Comment concevez-vous donc la notion même d’identité ? Est-ce une donnée figée ? L’identité n’est-elle pas, comme l’affirment certain, une construction en perpétuelle évolution ?

HENRI LEVAVASSEUR. L’identité des peuples doit naturellement être pensée de manière dynamique : elle est soumise, comme toute réalité vivante, à la loi du devenir. Pour comprendre l’origine et le sens de notre identité, il faut donc revenir aux fondements d’une saine anthropologie. En dépit de ce qu’affirment les tenants de l’idéologie libérale-libertaire, l’homme n’est pas une construction abstraite : il ne se réduit pas à l’image d’un individu doté à la naissance de droits universels, libre de signer un « contrat social » avec ses pairs. Nous savons tout au contraire, depuis Aristote, que l’homme est un « animal politique ». Cela signifie que son identité se construit dans l’espace d’une Cité, sur un territoire où s’exerce une souveraineté, qui permet de garantir la pérennité et le développement d’une culture. Car la « nature » de l’homme est précisément celle d’un « être de culture », comme l’a bien montré le philosophe allemand Arnold Gehlen dans son ouvrage magistral intitulé L’homme, dont la traduction française vient de paraître cette année chez Gallimard. L’existence de la personne humaine se déploie donc toujours, dès l’origine, dans le cadre d’une famille et d’un peuple.

118225478-w-960.jpg

L’identité des peuples se fonde sur un double héritage, culturel et biologique. Les deux dimensions sont indissociables et se « façonnent » mutuellement, en constante interaction avec le milieu et le territoire. C’est pourquoi les revendications très platement « racialistes » des « indigénistes » sont absurdes : vouloir revendiquer des droits en fonction de la couleur de peau, indépendamment de l’appartenance à une cité, à un territoire et surtout à une culture, n’a aucun sens.

BREIZH INFO : Existe-t-il donc pour vous une identité « européenne », ou l’Europe n’est-elle qu’une construction vide de sens, un fantasme dangereux qui s’opposerait à l’identité des nations ?

HENRI LEVAVASSEUR. Les peuples d’Europe ont en commun plus de cinq mille ans d’histoire, ce que confirment les données établies par la linguistique indo-européenne, l’archéologie et la paléogénétique. Je renvoie ici à la synthèse récente publiée par le généticien David Reich, de l’université de Harvard (Comment nous sommes devenus ce que nous sommes, Quanto, 2019).

L’Europe, ce n’est pas l’Occident, ou plutôt : l’Occident, ce n’est plus l’Europe. Les notions d’Europe et d’Occident ont certes été plus ou moins synonymes jusqu’au xxe siècle. Mais la « Grande guerre mondiale de trente ans », qui a éclaté en 1914 et s’est achevée en 1945, a laissé les nations européennes exsangues, soumises pour moitié au joug communiste, pour moitié à la domination américaine. Or, depuis la chute du système soviétique et le retour des nations d’Europe centrale à la liberté, les concepts d’Occident et d’Europe ne se recoupent plus : l’Occident prend de plus en plus la forme d’un système idéologique libéral-libertaire mondialiste, hostile à l’identité, à la culture, aux traditions, aux intérêts et à la souveraineté des nations européennes.

Il va de soi que l’Europe ne se confond pas davantage avec l’édifice institutionnel de l’U.E., qui s’acharne précisément à nier l’existence de l’identité européenne, en réduisant cette dernière aux « valeurs » occidentales, et en transposant à l’échelle du continent les aberrations du discours idéologique jacobin.

Carnaval-de-Venise-1526.jpg

A la différence des nations qui la composent, l’Europe n’est pas une entité politique. Elle est à la fois autre chose que cela, et bien plus. Elle constitue un espace de civilisation, dont l’existence ne peut être distinguée de celle des cultures, des nations et des peuples qui l’incarnent et lui donnent vie. Cet ensemble véritablement polyphonique se déploie sur un territoire délimité par la géographie et l’histoire, c’est-à-dire par le poids des réalités géopolitiques. L’Europe, c’est une très longue mémoire partagée. C’est la conscience de racines communes, d’autant plus solides qu’elles plongent dans un passé plurimillénaire. C’est la claire vision de l’appartenance à un « concert des nations chrétiennes », voué à dépasser les antagonismes immédiats lorsque les périls extérieurs menacent la pérennité même de l’ensemble. L’Europe, c’est l’union sacrée des nations chrétiennes se portant au secours de Vienne, capitale du Saint-Empire romain germanique, afin de repousser les Ottomans qui l’assiègent en 1683.

BREIZH INFO : L’Europe que vous évoquez est-elle donc un produit de l’histoire, un reflet du passé ? En quoi la référence à l’héritage de l’Europe ancienne peut-il aider dans l’avenir nos peuples à préserver et réaffirmer leur identité ?

HENRI LEVAVASSEUR. Recueillir et revendiquer cet héritage, ce n’est pas s’enfermer dans une vision figée ou idéalisée du passé, c’est parvenir à une compréhension intime de « ce que nous sommes », de ce qui constitue notre spécificité en tant que peuples porteurs de cultures issues d’une matrice commune. C’est mieux saisir ce qui caractérise notre vision du monde et l’éthique qui nous anime. Les mots grecs ethos (« éthique ») et ethnos (« ethnie ») sont d’ailleurs étymologiquement apparentés. Cette relation étymologique est évidemment significative : l’éthique est une manière de « se tenir », conformément à l’usage reçu des aïeux.

Se réapproprier notre héritage, c’est concevoir l’identité comme la réalisation d’un potentiel et l’expression d’un génie propre, qui permet d’agir dans le monde d’une manière conforme à notre nature, c’est-à-dire à notre culture. Prendre conscience de « ce que nous sommes », c’est acquérir l’intuition de « ce que nous pouvons ». Renan, dans son célèbre discours sur la nation, ne dit pas autre chose : une nation, écrit-il, est un « principe spirituel » qui unit la mémoire d’un passé commun à la volonté de prolonger cet héritage. Renan ne dit pas que la nation se réduit à l’expression d’une volonté de « vivre ensemble », mais que cette volonté, naturellement indispensable à la pérennité de notre souveraineté politique, n’a de sens et de solidité que dans la mesure où elle s’enracine dans un patrimoine spirituel commun.

C’est pourquoi le discours à prétentions « républicaines », dans son extrémisme subversif, ne peut pas se réclamer de Renan sans le travestir. Je suis d’ailleurs parti de ce constat pour écrire ce livre.

BREIZH INFO : Comment procéder selon vous à la prise de conscience identitaire que vous appelez de vos vœux ? Quelles formes concrètes cette démarche peut-elle adopter ?

HENRI LEVAVASSEUR. Reprendre conscience de « ce que nous sommes », c’est-à-dire de ce qui nous caractérise en tant que peuple, implique naturellement de rejeter l’absurdité de la « cancel culture », mouvement qu’il faut plutôt qualifier de « culture cancel » : non pas « culture de l’effacement », mais bien « effacement de la culture » !

Gorjani_Trachten.jpg

Il faut également renoncer aux illusions de l’intégration soi-disant « républicaine », qui prétend imposer à tous (sans en être réellement capable) le respect de « valeurs » plus ou moins universelles (donc abstraites), au prix de notre identité spécifique et de nos libertés concrètes : afin de séduire des éléments exogènes qui ne voient aucune nécessité ni aucun intérêt à s’intégrer, les populations autochtones sont sommées de renoncer à leur identité propre. Cela n’est pas acceptable.

Comme nous y invite Julien Langella dans un ouvrage récent, il faut « refaire un peuple », conscient de son histoire et de sa vocation propre. De manière concrète et pratique, cela signifie qu’il faut rebâtir la Cité à partir de ses fondations, en s’appuyant sur les « communautés organiques » que les tenants de l’idéologie révolutionnaire « arc-en-ciel » s’efforcent précisément de détruire. Ces communautés naturelles, historiques et politiques sont par exemple la famille, la paroisse, la commune, le terroir ou la région – conçues non pas comme de simples entités administratives, mais comme des communautés liées à un territoire, au sein desquelles s’épanouit une identité à la fois enracinée et incarnée, à l’échelle individuelle aussi bien que collective. C’est dans ce cadre qu’il devient possible de réveiller le sens du « bien commun », en saisissant toutes les occasions de redonner vie à nos traditions. Non pas pour singer le passé ou se complaire dans le folklore, mais pour que les germes de vie contenus dans ces traditions puissent à nouveau croître, sans être étouffés par la grisaille « républicaine », la folie « woke », ou les velléités suprématistes manifestées par des cultures exogènes. La jeunesse a un rôle clé à jouer dans ce processus de renouveau, qui doit être guidé naturellement par une « avant-garde ». Tel est l’appel que je lance dans la conclusion de mon ouvrage – tâche ambitieuse à laquelle travaille notamment l’institut Iliade, à travers ses cycles de formation. Il ne s’agit pas pour l’Institut de dispenser un savoir académique, mais de réveiller les mémoires et les énergies, et de proposer un modèle de solidarité communautaire fondée sur la philia, sur la conscience identitaire vécue au quotidien et partagée. Cette avant-garde devra s’engager dans toutes les formes de vies associatives (culturelles et artistiques, intellectuelles et scientifiques, professionnelles et économiques, mais aussi politiques) pour affirmer, moins par le discours que par l’exemple, sa capacité à se réapproprier notre identité et à la faire vivre.

Dans le même temps, l’importance accordée à la dimension communautaire et locale ne doit pas dispenser ce qui le veulent, et le peuvent, d’exercer une influence à d’autres échelons, dans les cercles décisionnels au sein desquels ils auront su pénétrer. Si nos communautés sont des sanctuaires, où sont préservées les sources pérennes de notre identité, cela ne doit pas nous amener à déserter pour autant l’horizon du politique : n’oublions pas qu’il nous faudra un jour, le moment venu, savoir à nouveau manier les instruments de la puissance.

33d32307c87c34956fba26a917affd00.jpg

Enfin, cette entreprise de reconquête intérieure ne pourra provoquer un véritable renouveau de notre civilisation que si elle est menée simultanément dans tous les pays d’Europe, qui doivent plus ou moins faire face aujourd’hui aux mêmes défis. La tâche est immense et exaltante. Elle requiert toute notre intelligence, toute notre volonté, et surtout tout notre courage. Il n’est plus temps de reculer, ni même de tergiverser. Comme l’écrit Ernst Jünger dans le Traité du Rebelle : « La grandeur humaine doit être sans cesse reconquise. Elle triomphe lorsqu’elle repousse l’assaut de l’abjection dans le cœur de chaque homme. C’est là que se trouve la vraie substance de l’histoire. »

Henri Levavasseur, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh Info, 28 avril 2021)

 

mercredi, 28 avril 2021

AfD goes East (interview with German politician Petr Bystron)

2020-02-14_Deutscher_Bundestag_IMG_3615_by_Stepro.jpg

AfD goes East (interview with German politician Petr Bystron)

Ex: https://katehon.com/en/

Tim Kirby: So first question: what brings you to Moscow?

Mr. Bystron:  Oh well, it’s a working visit. I’m on the head of the parliamentarian group of the Alternative for Germany in the German parliament so foreign policy is my job. Every year at least one time, I am in Moscow. This year we did this visit together with Dr. Alice Weidel, who is the head of our group in the Bundestag. And we visited a couple of our friends here in Russia.

Tim: It's pretty much almost a media staple that they always see the relations between Russia and Europe are bad. I think maybe the evidence for that would be that there are sanctions between Russia and Europe, things have been a little bit off. But what's the core reason what's the real problem? Why are relations bad?

Mr. Bystron:  Well this is a big deal for us and it was also a big topic for in all our talks. We met Mr. Slutsky and the Duma, we met Mr. Tjapkin and the foreign ministry and a lot of other people. Of course this is like one of the main topic, why is it so? Obviously, there are there are powers which are interested in that the relationships between Germany and Russia especially but also between Europe and Russia are getting worse. We see it since 2014 with the Ukrainian crisis and then of course it followed it with Crimea and so on and so on. Now with we say Scripali, Navalny and so on.

Tim: Well it's interesting! Because you kind of say that with a smile. You almost acknowledge that this this whole situation with Navalny and Scripali is kind of silly. Does it seem silly?

Mr. Bystron:  Of course it's silly. Because I can see it from the other side, you know. We are in the parliament and we see always how fast and uncritical certain things are communicated through the whole media landscape in Germany. And it was the same with Skripali, it was the same with Navalny. There is no thinking about and at the beginning there was nothing like “Oh let's investigate, let's wait how where is the true?” But the true is from the beginning defined and it is just communicated through. And therefore I’m smiling about it and this is a strong difference to other cases in other countries. It's always specifically against Russia. But see what happened with Mr. Khashoggi and the embassy?

Tim: So your colleagues in Germany, I'll call them colleagues depending whether you see them as colleagues or enemies that's up to you, but the people you're with, who are with you - sort of in the German government, who don't like Russia - is it a matter that they have this sort of deep-seeded fear or dislike of Russia, that every bit of news from Russia they believe it? Or are they just sort of typical bureaucrats or they get a piece of paper and it says that “Putin poisoned the Navalny and this is bad” - I have to believe this because I got the piece of paper that says it's bad? So are they just mindless bureaucrats or is it something personal?

Mr. Bystron:  It's a mixture. You know for a really a long period of time the Soviet Union was really “The Enemy”, and it was the “Empire Of The Evil”. But then in the 90s it turned around completely. And you can follow it even in the Hollywood movies you know. It was a period of time when a Russian policemen were side by side with the with the US policemen. They were working together in New York and so on. Not promoting movies but you know it is and it was the whole period. Before it was Rambo against the Russian and then it was Red Heat. So it changed. And the Russians were no enemies anymore, they were friends. And now it's slowly coming back to Rambo and it’s docking on the synapses in the people's brains you know. Now the people are triggering the same pictures of “the evil Russia”. So this is this is the psychological background. Of course there are there are people that are even politicians who are doing this on purpose. They are not interesting in good relations with Russia. And what surprises me a lot, you know, is that German politicians were saying “we are against Nordstream-2” for example. This is totally a US position. I don't blame the USA you know. If the USA say “our geopolitical, our strategical targets are that we don't want the cooperation between Russia and Germany” - that's fine you know. This is they say it frankly they do it. This is their position. But what I don't understand when German politicians say this, because it's not good for Germany.

bystron-trifkovic.jpg

Tim: Not so much. Interesting how that works out. One thing about defying Washington then is we can sit here and talk about that and we can maybe get into these ideas that there's sort of conspiracy theories that it's really Washington pulling all the strings, but then how does your party get seats? Because you guys try to fight these mystery forces?

Mr. Bystron:  Well this is a good question that I’m asking every day myself. And it was a very special situation in 2013 when I would say the system allowed unknown professor Bernd Lucke to enter during a period of five or six weeks еvery big TV show in German television, political TV show and get an audience of five, six, seven million and spread his news. And in this period of time, those five, six weeks seventeen thousand people entered a party which didn't exist. It was just an idea. This professor Lucke said “I have a party.” There was nothing, and then seventeen and a half thousand people entered and said, “I identify myself with the content and ideas this guy is saying on public television”. So and there we were, in this party, and they let us to run for elections. We did quite well and became the most successful party in the postwar history. We entered every parliament we have in Germany, and in each state in the Bundestag of the European parliament. Around 2016 there were public polls, which said 35 percent of the German population could imagine to vote for this party. With 35 - 36 percent in Germany, you can get chancellor. From this point we become “Nazis” or “extremely right wing” - you know and so on and so on and this is incredible. If you imagine that we are a party where a lot of foreigners like me. I’m from Czechoslovakia, I’ve got political asylum in Germany and we have many colleagues who are coming from Russia, from Romania, who just got German passport, and they are not Germans by birth. We have also a lot of voters from foreigners who are voting for us and just imagine how what kind of nonsense it is to say this is a “Nazi party where foreigners are giving votes to foreigners because they are not this is incredible.

Tim: Well some crazy things do happen in politics. I mean look at Kiev, but that's another story…

Mr. Bystron:  This is a funny story because in Kiev, the real Nazis are in Kiev. Nobody cares in Germany and nobody cares in in the EU. In the EU, there are real Nazis supporting the regime change. Nobody was talking about that. Maybe there are good and bad Nazis?

Tim: The ones that go against Russia I think are the good ones? I think that that's overall what unites them, but let's get into this: I’m kind of curious so when we talk about this whole Nordstream and energy deals between Europe and Moscow because it's always through Germany. People always talk about Berlin and Moscow having this deal, but you know, when it snows in Hungary — it snows in the Czech Republic. Why it is such a big thing to send gas from Moscow to Berlin?

Mr. Bystron:  I really don't know, because we have already since the 70’s. There is a pipeline, you know, and it was a deal between western Germany and the former Soviet Union, and it worked perfectly. Despite that we had the Iron Curtain, the Soviet Union was always a reliable partner delivering. This is also a funny thing: we have quite every winter the media brings the news “Oh, now there is a winter. It's dangerous because the Russians maybe will not deliver the gas”. And I think, “Okay, why should they do it, because they want to sell something, you know. We have the money and they want our money. Why should they stop the delivering the gas to us”? It’s complete nonsense.

Bystron_Petr_FotoAfD_Tschechien_Pixabay_Elionas-678x381.jpg

Tim: I guess maybe the idea would be to sort of scare you into controlling you, to make you agree to something? Because if you threaten someone so do this or else, that's the threat. So what would be the “do this”?

Mr. Bystron:  Exactly, it's just reasoning the people and creating an image of Russians that they are not a reliable partner, that they would like to stop the delivery of gas, and this is what you asked before. If they are normal people, why do they react as they react? Because you have permanent propaganda like this or permanent news like this, so it works. And if they repeating and repeating it. There is a saying, “if you if you repeat a lie thousand times it becomes true.”

Tim: Now in Russia there's this belief that in the 1800s, so long long ago, the Tsars were very confident that things were going to go well with Germany because Germany was becoming a rising power. This is the whole Bismarck era and that it looked like the continental Europe would be mostly controlled by Germany. But there was a lot of sort of inter-marriages and interrelations between the Russian aristocracy and the German aristocracy, so everyone Russia thought “this is gonna be great. There's not gonna be any more wars, we're gonna be able make agreements with these guys, they're gonna control everything it'll be real easy. We'll sort of split the world with the Germans”. Well, that didn't happen. With World War I Germany and Russia fought and it was really, really bad, I think for both sides. World War II was really bad for both sides, especially the German side. The cold war probably didn't help. So one thing is in Germany why is no one sort of woken up to the possibility that maybe conflict with Russia has really shot Germany in the foot at least twice, maybe more?

Mr. Bystron:  Well I would go even more years back, maybe two thousand years back to the Roman Empire. You remember what happened when the Roman Empire split to the western and the eastern part? From the west, the western part developed to the Holy Roman Empire of the German nation and the eastern – to Byzantine. It is the heritage on which Russia is standing. There are not many people that know that the word “Tsar” comes from “Caesar”. So what I want to say is that Russia and Germany — those are just like Yin and Yang those are two parts which belong together. They’ve just been separated but they have common roots. And in my view Russia is the eastern part of Europe historically seen. So and what we want as a party and what many people want is that those two parts come together again and that they work together again and that they even profit both from this from this alliance.

Tim: You've had the opportunity to talk to a lot of Russian politicians. You've probably had the opportunity to talk to a lot of American politicians. Do foreign people really understand Germany? Or do someone understand it more or less or is Germany still a bit of a mystery the outside?

Mr. Bystron:  Germany is a total mystery. At first, many people outside of Germany have a picture of Germany as it was in the 90s maybe and they don't realize that the country changed totally getting worse. We have a really heavy problem with democracy inside the country. Just an example: we are the biggest opposition party in the German parliament but our politicians get beaten on the street quite to death.

Tim: By whom?

Mr. Bystron:  By left extremists, by Antifa. And the point is these Antifa groups are not just coming out from nowhere. They are there for years and years and many of them have established legal formations that are donated by the state. So they're getting public money and the same people who are then beating the opposition.

Tim: Now are you talking about a protest where there are two sides and the sides fight? Or are you talking about like someone hunting down a politician, finding out where they live, watching their daily routine and then picking a day and getting them right? You talked about that?

Mr. Bystron:  Of course! It happened to me! It happened to me. It wasn’t an attack on my person, but it was an attack on my car, on my house. They sprayed my house, they crashed my car and but it was exactly as you described. There were two Antifa people in the street in the morning, in the day they just checked out where I live. I was going with my six-year-old son to school, and they saw where we live. At night, they did the attack. The next morning, the whole way from my home to the school of my son, it was labeled with Antifa stickers like “we know where you are, we know where your son is going to school”. But I had also I had been physically attacked on the street by Antifas. This is nothing unusual - it goes to thousands and thousands, and this is not everything. You know, people are losing their jobs in Germany just because they are engaging in themselves in the opposition party. People are even losing their jobs just because they meet with our boss. There is a case that went public. Professor Mending was just having a lunch in a restaurant with professor Meuthen, who is the boss of our party. Somebody saw them and the professor Mending lost his job in the television and public television. They said “no you're meeting you're meeting this guy. He was doing his job, and this is nothing unusual people losing their jobs nowadays just because they are in the opposition.

Tim: Well proving the motivations of why someone's fired can be hard, but with physical attacks… what do the police do? Or for some reason the cases just disappear? Why don't the police react to these things, these attacks?

Mr. Bystron:  Well this is a good question because the police is always investigating. It is a special part of the police — it's the «Stadtschutz», so they really know their opponents. I have an interesting experience because when it happened to me. This police task force come and they ask me “Have you seen something you can tell us?” And I said “yes I saw. I saw two suspects in the street in the morning”. They are not living here in the area I am going every morning there — so I know the people there. And they are obviously from Antifa, they look like this and I described them I said “There was a girl she had the blue hairs I don't know her”. Then I described the guy because I knew him already from the demonstrations. You know, I described him and the policeman said, “oh I know who it is,” so they know their you know suspects uh-huh of course when I know them just from speaking in public and seeing them as an anti-demonstration. This is always the same bench. So the police of course they know them. They investigate but I didn't got any results.

Tim: Gotcha. Oh that's really depressing, that's really really rough.

Mr. Bystron:  It continues, now this is a very hot topic. We have a secret service, domestic secret service, which is which is used to suppress the opposition. It was publicly announced that the secret service will take this political party under of observation, because we are supposed to be extremists. Isn’t that funny? The only thing is that we say we would like that the government is following the rules and the laws. And we are saying the government is breaking the laws! And they say “Wow they are extremists”.

Tim: Gotcha. What’s the one thing that maybe Germany could actually stand to learn from Russian culture or history or the way Russians do things?

Mr. Bystron:  There are many things that the Germans could learn from the Russians. And there are many things the Russians could learn from the Germans. I mean I would say just talk to each other just meet each other just relax, don't paint any pictures of enemies on the walls. And we will be fine all together.

Tim: Well thank you very much for being with us that was great.

mardi, 27 avril 2021

Entretien avec le collectif Zannekinbond: Socialiste Révolutionnaire et Flamand

ZB-LogoRond-300x300-1.png

Entretien avec le collectif Zannekinbond: Socialiste Révolutionnaire et Flamand

Ex: https://rebellion-sre.fr/

Nous, animateurs de la revue Rébellion, sommes très heureux t’offrir la parole à nos camarades du collectif Zannekinbond. Ils font un important travail qu’il faut soutenir pour faire vivre une alternative socialiste révolutionnaire partout en Europe.

Pourriez-vous présenter Zannekinbond ?

Le Zannekinbond a été créé officiellement le 11 juillet 2019. Il a l’ambition d’être un groupe de réflexion dans le but d’établir un corpus idéologique de fond, avant d’être un groupe d’action. Cette possibilité n’est pas exclue à l’avenir mais nous souhaitons, pour l’instant, nous placer dans la bataille des idées. Nous voulons mener cette bataille nécessaire car en Flandre, en Belgique et dans les Pays-Bas en général, les idées que nous portons sont absentes. Alors que beaucoup de nouvelles idées intéressantes circulent à l’étranger, la mentalité de clocher et la politique des polders persistent en Flandre. La plupart restent bloqués sur les mêmes idées démodées depuis les années 1990. Dans les années 70, les idées développées en France, en Allemagne et en Italie se sont facilement propagées ici. Quand il pleut à Paris, il coule à Bruxelles et bruine à Anvers. Mais il n’y a plus d’innovation politique depuis le début des années 90.

La tribalisation politique, qui caractérisent actuellement la politique en Europe, et plus généralement le monde occidental dans son ensemble, sont apparus très tôt en Flandre. D’une part, le libéralisme progressiste de gauche et, d’autre part, la droite, libérale, conservatrice ou identitaire. Cette droite qui ,tout comme chez nos voisins du Nord, est de plus en plus guidée par des tendances venue de l’autre côté de l’Atlantique.

Les partis politiques et les protagonistes vont et viennent, mais les thèmes restent largement les mêmes, les deux partis jouant de facto le rôle d’idiots utiles du grand capital. Notre activité s’inscrit dans la diffusion d’une vision qui est, d’une part, explicitement de gauche sur le plan socio-économique, de nature socialiste sans se réduire à un mouvement spécifique au sein de la grande famille socialiste. D’autre part, le Zannekinbond souhaite offrir au nationalisme flamand un ressourcement, un nouveau souffle, loin des recettes libérales.

Nous souhaitons revenir aux origines du mouvement radical qui a défié la Belgique depuis la Première Guerre mondiale. De nombreux Flamands, même au sein du mouvement national flamand, ont oublié les batailles, les grandes figures et leurs points de vue de l’époque. Pourtant, Il est étonnant de constater à quel point les questions du passé peuvent encore inspirer les problèmes actuels.

Par exemple, nous souhaitons apporter une critique saine de la politique d’ouverture des frontières. Le discours habituel de la droite radicale n’est que trop peu de crédibilité pour une partie considérable de la population car elle s’exprime sur fond de racisme. Cette radicalité engendre une polarisation entre, d’un côté, le camp de la droite radicale qui restera toujours indigeste pour une majorité de la population et, en face, cette majorité qui reste sous l’influence d’une élite libérale et cosmopolite qui prône l’ouverture des frontières. Nous pensons qu’une politique économique de type socialiste n’est possible que si la souveraineté nationale est restaurée et si le travail n’est plus considéré comme un facteur de production mobile à l’échelle mondiale, comme le souhaitent les capitalistes. En outre, nous concentrons nos flèches sur la mise en péril du socialisme par la politique identitaire libérale. Nous affirmons que que la privation de droits nationaux et la lutte des classes coïncident. Il ne peut en être autrement.

Nous constatons qu’à l’étranger, les idées profondément innovantes sur le plan social, économique, politique et géopolitique sont dynamiques. Ces idées ne sont pas nouvelles, mais elles prennent de plus en plus d’ampleur. L’objectif du Zannekinbond est donc d’entreprendre une nouvelle approche au débat, de développer de nouvelles idées, de lancer des analyses critiques et d’importer de nouvelles idées de l’extérieur en Flandre et de les y adapter. Par exemple en traduisant des œuvres politiques pour un public néerlandophone. L’objectif est de déconstruire le clivage habituel gauche/droite afin d’en synthétiser des idées pertinentes. Cette synthèse ne se situe pas tant « à gauche du capital, à droite de la morale » mais devrait construire un nouveau cadre de référence sur lequel de nouvelles valeurs peuvent être construites pour le 21ème siècle. Et parfois, s’inspirer et adapter les anciennes à notre siècle.

Quel lien faite vous entre combat de libération nationale et socialisme?

L’un ne va pas sans l’autre. D’une part, il ne peut y avoir de souveraineté populaire tant que les Nations, les peuples et les régions, restent soumises à des structures supranationales au service d’un ordre mondial qui est en contradiction avec l’idée de souveraineté. D’autre part, les mouvements et les partis politiques qui parlent de souveraineté et d’indépendance ne semblent pas pouvoir analyser correctement cette situation et semblent même en être souvent les plus grands défenseurs. Par exemple, au sein du Mouvement flamand traditionnel, il était jusqu’à très récemment impossible de remettre en question le rôle des multinationales, car ces dernières étaient nécessaires dans la prospérité de la Flandre en renforçant sa position concurrentielle vis-à-vis de nos voisins. La myopie l’emporte. Maintenant que ces mêmes multinationales sont activement engagées dans une politique d’identité, de genre, de communautarisme et de censure, le fusil change lentement d’épaule. Mais il est trop tard.

137206729_709985169890317_8813321179792705794_n.jpg

Pour nous, les deux sont donc inséparables : les notions de lutte des classes et de libération nationale se fondent en un mélange explosif qui peut briser le statu quo libéral. Ernst Niekisch avait déjà indiqué les moyens de la lutte des classes pour parvenir à la libération nationale. Nous récusons La croyance romantique – et ultérieure – selon laquelle il existerait une communauté populaire indivisible dans laquelle il n’y aurait pas d’intérêts opposés dans un environnement libéral-capitaliste. L’Histoire de libération du peuple flamand contredit également ce constat : la classe ouvrière flamande a été à maintes reprises trahie par son élite économique qui, dès que l’occasion de monter dans l’échelle sociale se présentait en étant incluse dans l’élite économique belge.

Avec le Zannekinbond, nous sommes vigilants aux courants de type fascistes, ou autres tendances d’extrême droite, qui s’infiltrent dans le courant national-révolutionnaire. Par le passé, en Flandre comme ailleurs en Europe, des groupes d’extrême droite ont abusé de l’étiquette « national-révolutionnaire » pour cacher leurs véritables opinions. Mais, assez rapidement, les masques tombent et, aussi bien le racisme brut que l’autoritarisme de droite, apparaissent. Pour nous, l’inspiration se trouve plus souvent dans un James Connolly ou un Henning Eichberg et certainement pas dans la Falange espagnole par exemple. Cela signifie que la résistance à l’impérialisme coïncide avec la volonté d’assurer la liberté et la souveraineté de chaque peuple sans perdre de vue le tableau européen dans son ensemble. Les luttes de libération nationale, à l’heure actuelle et en ce qui concerne l’Union européenne, mais aussi en ce qui concerne les États nationaux européens, ont connu leurs meilleurs moments.

149610797_728903137998520_7587851546139304035_n.jpg

Une Europe socialiste de Dublin à Vladivostok dans laquelle tous les peuples peuvent vivre leur spécificité culturelle et où il n’y a plus de place pour des Etats comme la Belgique, la France, l’Espagne. Notre nationalisme est basé sur l’idée que cette nation peut encore construire son propre empire tel qu’il a été propagé dans les années trente. Pour nous, ce que Jean Thiriart a appelé le « petit nationalisme » en ce qui concerne la Flandre, la Bretagne, la Corse etc. s’applique aux États européens multiethniques qui, à maintes reprises, empêchent une véritable unification européenne par leur nationalisme inspiré soit par les valeurs de 1789, soit par le traditionalisme réactionnaire catholique. Comme les jumeaux siamois, ils sont attachés par leurs élites à l’UE, à l’OTAN et à l’ordre socio-économique existant. Le statu quo institutionnel et politique est lié à l’emprise des États-Unis sur l’Europe. L’UE et sa Banque centrale européenne veillent au libre marché et à une politique néo-libérale dans les États membres. En échange de quoi ces derniers sont autorisés à s’accrocher désespérément à leur propre armée nationale au sein de l’OTAN et à leur propre corps diplomatique comme dernier noyau de leur « souveraineté nationale ». Nous saluons le fait que la Russie ait déjà montré qu’elle considère la lutte pour les droits des peuples d’Europe occidentale et d’ailleurs comme un moyen d’affaiblir le statu quo, comme en témoigne la conférence « Dialogue des nations : le droit à l’autodétermination et la construction d’un monde multipolaire » en 2015.

En ce qui concerne ce positionnement géopolitique, nous constatons le même problème au sein du Mouvement flamand traditionnel. Pendant des décennies, les nationalistes flamands se sont révélés être de grands défenseurs d’institutions telles que l’OTAN, l’UE, et ont soutenu les guerres au Moyen-Orient, parce que c’était « contre l’Islam ». Nous voyons encore qu’ils sont – avec leurs « ennemis » de gauche d’ailleurs – en première ligne lorsqu’il s’agit de mener une politique hostile à l’égard de la Russie ou de la Chine – car c’est là que les « communistes » règnent en maître. Nous sommes chaque fois très surpris de voir ces mêmes institutions supranationales se retourner finalement contre leurs vassaux. On ne mord pas la main qui nourrit, on nourrit la bouche qui mord. Le néolibéralisme en est à la pointe ; le socialisme, en revanche, est détesté. Avec le Zannekinbond, nous essayons de briser cette spirale descendante.

Ce qui se présente comme de “gauche » a non seulement quitté le nationalisme populaire, ce qui n’était certainement pas le cas par le passé, mais aussi le socialisme ! Un cocktail mortel de mondialisme, de politique identitaire et de néolibéralisme en constitue désormais l’épine dorsale et tente également de dominer le discours social, universitaire et politique. Ainsi, toute opposition à ce projet sera fondée en premier lieu sur la souveraineté nationale, et en second lieu sur le socialisme comme alternative économique au service de la communauté, et non au service du grand capital. La lutte de libération nationale est donc nécessaire pour libérer la communauté populaire et souveraine des entraves de l’oligarchie internationale afin de réaliser le véritable socialisme comme base économique et sociale au service de cette même communauté. C’est la seule alternative au néolibéralisme globalisant. Nous ne faisons aucune distinction entre le socialisme marxiste et non marxiste. Avec les éléments du passé, nous tirons les leçons nécessaires et déconstruisons et (re)construisons ce qui doit être démasqué et analysé comme une plate-forme stable pour construire des communautés et des nations solides.

ZB-kapitalisme-is-het-ergste-virus-1.jpg

Comment jugez-vous la situation politique de la Belgique après une dizaine d’année de crise politique ?

En fait, la crise politique en Belgique est beaucoup plus ancienne. Pour la comprendre, il faut revenir à la naissance de l’État belge. La Belgique est une construction artificielle de l’État qui devait servir les intérêts politiques internationaux de l’époque en obtenant un équilibre des superpuissances européennes de l’époque tout en proposant un projet très libéral. La révolution belge de 1830 fut avant tout une révolution de type libérale, soutenue par la bourgeoisie libérale francophone d’une part et par le concours de l’Église catholique d’autre part pour qui la crainte du protestantisme aux Pays-Bas était justifiait de devoir accepter une constitution très libérale. En 1831, sur la recommandation de la famille bancaire britannique Rothschild, les familles Saxe-Cobourg et Gotha ont été placées sur le trône royal. L’une des principales raisons en est l’activité financière du premier roi, Léopold Ier. À aucun moment, le soulèvement belge n’a été un soulèvement ouvrier. Le nationalisme belge était et est toujours bourgeois. À l’époque, les Flamands étaient une population paysanne appauvrie dont l’élite était francisée, et la nouvelle élite belge voulait étendre cette francisation à toute la Flandre.

La crise en Belgique se renforce alors que l’élite dirigeante capitaliste belge se mondialise. Elle se transforme en une élite cosmopolite qui trouve les frontières nationales gênantes. Le libéralisme belge est en train de tuer son propre enfant, la Belgique. Plus rien ne justifice cet état, sauf peut-être encore quelques intérêts financiers de groupes capitalistes. Parce qu’un État belge unitaire s’est avéré intenable après la Seconde Guerre mondiale – les Flamands exigeant plus de droits politiques – une construction fédérale nébuleuse a été conçue. En plus de l’État fédéral, des régions et des communautés viennent s’y superposées, et ce système arrive à terme. Il est temps d’abolir définitivement cette construction belge. D’un point de vue purement électoral, la situation au niveau fédéral, belge et national devient intenable. La formation du gouvernement fédéral est extrêmement difficile car la population wallonne vote plus à gauche et la population flamande plus à droite. Cette orientation de droite en Flandre est principalement basée sur des valeurs culturelles plutôt que sur des questions socio-économiques.

En termes de politique actuelle, le gouvernement dit de Vivaldi qui est une mosaïque composées de libéraux, de sociaux-démocrates, de verts et des chrétiens-démocrates flamands, et qui a été formée après une autre longue période de négociation politique, représente le pire des mondes. Culturellement, elle exprime un libéralisme de gauche agressif par lequel elle se distingue du précédent gouvernement du Premier ministre Michel qui est désormais le président de l’Union européenne. Elle était perçue comme conservatrice et néolibérale en raison de la présence de la N-VA, parti nationaliste flamand de type libéral-conservateur. Dans une large mesure, cela était correct. Le gouvernement Michel Ier n’a pas caché son soutien aux organisations patronales en faisant reculer beaucoup de droits et acquis sociaux.

Mais à bien des égards, le gouvernement actuel ne diffère guère de son prédécesseur. La parodie de « changement » de ce gouvernement vise en fait à intégrer des sous-identités dans son administration afin de donner à l’ensemble un faux air de « justice sociale ». Celà sert à masquer les mêmes mesures néolibérales et à imposer à la population un projet social qu’elle n’a pas demandé.

De plus, la situation devient de plus en plus urgente. Les partis politiques qui composent la coalition Vivaldi se rendent compte qu’ils pourraient être le dernier gouvernement d’un État unitaire s’ils échouent dans leur tâche de reconquérir le soutien populaire. Les rapports de force évoluent. Les partis flamands séparatistes et confédéralistes voient leur influence augmenter dans les sondages, tout comme les communistes. Les « partis majoritaires » bénéficient du soutien d’une minorité de la population. En 2024, il pourrait donc y avoir un cap important. Mais cela en dit peu sur le type de société vers lequel nous évoluerons. Si ces mêmes groupes d’intérêt se recentrent sur le niveau flamand, au lieu du niveau belge comme actuellement, ce que nous constatons déjà par le lobbying de certains groupes d’intérêt et partis politiques conservateurs de droite et nationalistes flamands, alors en fin de compte, peu de choses changeront pour la communauté.

Vue depuis la France, le mouvement national flamand semble très libéral. Cette impression est une réalité?

Depuis les années 60, le mouvement national flamand s’est de plus en plus préoccupé des intérêts d’une certaine classe moyenne naissante, avec la mentalité d’épicier qui en découle. Cela lui a donné la réputation, en tant que rare mouvement nationaliste populaire en Europe, d’être marqué très à droite, très libéral et très réactionnaire. C’est une grande différence avec l’Irlande, la Corse ou l’Écosse, pour n’en citer que quelques-unes des régions européennes en lutte. L’un des rares mouvements régionalistes en Europe avec lequel vous pourriez comparer le mouvement flamand actuel est l’ancienne Lega Nord sous Umberto Bossi. Mais vous pourriez aussi avoir du mal à le qualifier de nationaliste populaire. De plus, le Mouvement flamand est aujourd’hui en proie à des clichés anticommunistes, à une adoption superficielle du nouveau langage formel de l’altright, à un populisme informe et sans but, et à un sentiment général que le gouvernement est responsable de toutes les souffrances, d’autant plus qu’il s’agit du gouvernement belge. Pourtant, le fait que des partis nationalistes flamands, tels que la Volksunie ou la N-VA, aient partagé le pouvoir à plusieurs reprises par le passé, ne semble pas constituer une objection à cela. Cela crée une symbiose entre les idées libérales et libertaires de droite, souvent issues des États-Unis, et le nationalisme populaire flamand, qui, à notre avis, est non seulement tout à fait unique en Europe, mais aussi contradictoire sur le plan interne.

imageszbpal.jpgCette image libérale du mouvement flamand est donc largement correcte ou du moins compréhensible. Il est dominé par un parti conservateur-libéral de centre-droit, la N-VA, et par le Vlaams Belang, un parti radical de droite. Tous deux sont libéraux lorsqu’il s’agit de vision socio-économique. La N-VA est plus explicitement pour le libre-échange – moins de gouvernement, plus de privatisation – que le Vlaams Belang. Mais ce dernier continue aussi à prôner une économie de l’offre déterminée par les forces du marché libre. Ces dernières années, le Vlaams Belang a adopté un profil socio-économique plutôt de gauche, mais on ne peut pas se défaire de l’impression qu’il s’agit là d’un opportunisme propagandiste. La preuve étant les vote de leurs élus dans les parlements lorsque des dossiers socio-économiques sont sur la table, ainsi que de leurs attaques persistantes contre l’action syndicale.

Les deux partis soutiennent aussi explicitement le camp pro-occidental en termes de politique internationale, en laissant de côté les exceptions individuelles. La domination de ces deux partis sur la scène politique flamande conduit également à son caractère visceralement anti-socialiste. L’une des conséquences de cette main-mise politique est que la Wallonie et la population wallonne sont visées à la place de l’État belge, de sa monarchie et de ses principaux groupes capitalistes, qui de fait se maintiennent au pouvoir.

Avec le Zannekinbond, en revanche, nous souhaitons rétablir une vision de l’État belge et de son élite dirigeante comme principal ennemi du peuple flamand en lieu et place de la Wallonie et de la classe ouvrière wallonne. Nous souhaitons revenir aux véritables racines émancipatrices du Mouvement flamand. Il devrait en résulter un nouveau cadre conceptuel, adapté au 21e siècle mais avec les deux pieds dans les traditions sociales du Mouvement flamand. Bien sûr, il reste encore beaucoup de travail à faire, mais nous pensons que le moment est venu, plus que jamais !

L’Histoire du mouvement radical flamand prouve qu’il n’a pas toujours été à “droite”. Lorsqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, le mouvement s’est radicalisé et a résolument choisi la voie anti-belge – abandonnant ainsi la voie de la réfome linguistique dans un cadre belge – cela a souvent coïncidé avec des sympathies ou des positions socialistes et révolutionnaires au début de l’entre-deux-guerres. La période 1916-1922 a clairement vu naitre des opinions révolutionnaires et socialistes parmi les vétérans du front flamands et les militants flamands. On relève des sympathies pour la rébellion de Pâques irlandaise de 1916 et pour la révolution d’octobre russe de 1917. Ces racines ont été quelque peu oubliées et Zannekinbond veut contribuer à les ramener sur le devant de la scène.

Si nous regardons la société contemporaine, nous pensons que la politique bourgeoise libérale et/ou de droite radicale ne peut pas offrir une solution de long terme. C’est surtout la politique au jour le jour en fonction du mécontentement général de la population. La phase actuelle du capitalisme tardif montre de plus en plus que la défense de la souveraineté populaire, des traditions et de l’individualité coïncide avec l’anticapitalisme, avec la volonté de repositionner la politique au-dessus de l’économie et de réguler à nouveau cette dernière, avec la volonté d’écrire une nouvelle histoire d’inspiration socialiste. Les Flamands attachent une grande importance aux valeurs de droit culturel, au respect des traditions. Mais sur le plan socio-économique, les Flamands sont souvent beaucoup plus à gauche qu’on ne le pense, y compris en Flandre même. La grande majorité de la population flamande n’est pas favorable à la privatisation de la sécurité sociale. 80 % des Flamands pensent que le grand capital devrait contribuer davantage aux revenus de l’État. Le problème, c’est que lorsqu’ils votent pour la droite bourgeoise, ils obtiennent une politique libérale, aussi et surtout sur le plan économique.

ZB-afb-sinterklaas.png

Lorsque l’on examine la genèse du mouvement flamand radical, celui qui ne se contenta plus de défendre les droits linguistiques mais qui a décidé de remettre en question l’État belge, il apparaît que bon nombre de cadres de ce mouvement se sont naturellement aligner non seulement sur les positions socialistes mais aussi sur la lutte contre l’impérialisme militaire qui a pris forme dans le mouvement pacifique flamand. Elle a conduit aux célèbres pèlerinages de l’Yser où des milliers de nationalistes flamands sont venus prêter serment d’allégeance à l’héritage politique des soldats flamands du front. Avec le Zannekinbond, nous pensons que ce mouvement pacifiste flamand a besoin d’être relancé, compte tenu de la politique d’agression de l’OTAN à l’égard de la Russie et à laquelle la Belgique atlantiste reste fidèle. Il reste un mystère pour nous, par exemple, de savoir comment les Flamands de droite, conservateurs et libéraux, parviennent à jurer allégeance au “Testament de fer” des “Fronters” et à accepter ensuite les crédits de guerre pour le soutien militaire belge en Syrie, à accepter les propositions de réintroduction du service militaire dans l’armée belge ou même d’adhésion à l’OTAN…

Comment intégrer vous la dimension européenne à votre engagement pour la Flandre ?

En ce qui nous concerne, la reconquête de la souveraineté des communautés s’inscrit avant tout dans la réalité de l’Union Européenne. Mais cela ne signifie en aucun cas une croyance ni dans une Europe des nations indépendantes, ni dans une Europe aux 100 drapeaux selon la vision de Yann Fouéré. Nous pensons que cette souveraineté ne peut être garantie que lorsqu’il existe un projet idéologique commun aux différentes communautés de personnes, qui peut être une alternative à l’ordre mondial atlantique et néo-libéral. La liberté des peuples européens, d’une part, et l’organisation d’une économie socialiste, d’autre part, ne peuvent être séparées de la (re)construction d’une Europe unifiée. Une association de peuples ne sert donc pas à subordonner ces peuples à certaines prémisses idéologiques, telles que le libre marché ou la liberté absolue des formes d’expression individuelles, ou à une oligarchie de groupes d’intérêts financiers, comme c’est le cas actuellement de l’UE, mais plutôt à soutenir les intérêts de ces peuples et à sauvegarder leur souveraineté. Le leitmotiv idéologique, c’est à dire un cadre commun socialiste et nationaliste populaire, est nécessaire pour défendre l’intégrité de ces communautés, ainsi que de promouvoir l’amitié et la fraternité entre les différents peuples. La Belgique, par contre, a été dès le départ du côté de l’Atlantisme, du côté de l’économie capitaliste volatile, du colonialisme, de l’économie de marché libérale, du développement d’un État occidentaliste.

images.jpgEn ce qui concerne la Flandre et ses relations avec l’Europe, nous optons pour la « civilisation de la terre », pour la fermeté, l’identité, la durabilité, les valeurs immuables et l’enracinement, une économie basée sur les principes socialistes où la politique peut diriger l’économie. Cela signifie qu’il faut regarder plus loin vers l’Est, vers un rapprochement avec l’Europe centrale et orientale, y compris la Russie. Avec le Zannekinbond, nous nous concentrons – précisément en raison de cette souveraineté des communautés – sur un espace politique eurosibérien et, par extension, sur un espace spirituel eurasien. Il y a donc certainement des questions où l’Europe a besoin d’une unification politique, mais cela ne peut se faire uniquement dans le cadre de l’Union européenne. L’UE actuelle est née des souhaits des Américains qui, avec leur plan Marshall, ont exigé que les Européens disposent désormais d’un marché plus vaste qui faciliterait l’approvisionnement en produits américains. Les élites libérales européennes ont travaillé davantage sur ce point en voulant réaliser l’unification politique par l’unification économique. Outre l’érosion de la souveraineté nationale, le résultat est une Europe impuissante sur le plan international car elle reste le jouet des Américains.

Ainsi, pour savoir quelle peut être la dimension européenne d’un futur projet flamand, il faut d’abord savoir : quelle Europe et quelle Flandre ? Ensuite, il faut déterminer quel est le cadre le plus approprié pour réaliser ces objectifs. Selon nous, il s’agit d’un projet continental de Dublin à Vladivostok, où les peuples de langues, de cultures et d’ethnies différentes peuvent préserver leur identité organique, leurs intérêts économiques et leur intégrité écologique dans un cadre idéologique partagé, une plate-forme consultative commune et, si nécessaire, une organisation de sécurité commune.

Merci à vous camarades.

Retrouvez nos camarades sur le net :

http://zannekinbond.org/

https://www.facebook.com/zannekinbond/

mardi, 20 avril 2021

Un Russe nommé Poutine

w1280-p1x1-2020-06-23T153716Z_1889883054_RC23FH9SIWF3_RTRMADP_3_RUSSIA-PUTIN-TAXATION.jpg

Un Russe nommé Poutine

Ex: Compte vk de Jean-Claude Cariou

Recension: Héléna PERROUD, Un Russe nommé Poutine, Editions du Rocher, 2018, 314 pages.

Héléna Perroud est l’une des meilleures spécialistes de la Russie en France et elle a eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises Vladimir Poutine. Dans son dernier livre, Héléna Perroud nous permet de mieux comprendre la personnalité de l’un des hommes les plus puissants de la planète. La trajectoire de cet homme, qui inquiète autant qu’il fascine en Occident, est analysée par une femme au parcours singulier qui l’a rencontré à plusieurs reprises. Française de langue maternelle russe, familière des cercles de pouvoir russes et français, et connaissant aussi intimement la Russie « ordinaire », elle a voulu avec cet ouvrage, reposant sur de nombreux entretiens, y compris à l’Élysée et au Kremlin, faire comprendre au public français comment Vladimir Poutine est perçu par les Russes. Agrégée d’allemand, Héléna Perroud a été collaboratrice à l’Élysée au cabinet du Président Chirac. Elle a dirigé l’Institut français de Saint-Pétersbourg entre 2005 et 2008. Depuis 2015, elle exerce une activité de conseil entre la France et la Russie, et elle effectue de nombreux déplacements en Russie dans ce cadre.

ynwFC6QMgoA.jpg

A travers cet ouvrage, elle croise ce qu’elle sait des réalités de la vie russe de ces dernières décennies avec ce qu’elle sait du regard que peuvent porter les Occidentaux sur la Russie et l’homme qui la dirige. Et elle tente de répondre sans a priori idéologique à cette question si souvent entendue : Qui est Vladimir Poutine ?

Elle apporte un éclairage sur l’homme, qu’il plaise ou non, qui préside aux destinées de la Russie depuis le 31 décembre 1999 et sur qui par quatre fois se sont portées les voix de dizaines de millions de ses compatriotes. Elle essaye de le voir surtout avec un œil russe, l’œil de Saint-Pétersbourg, de Moscou et des « profondeurs » du pays, comme on dit là-bas. Car elle a trop longtemps vu en Russie des correspondants de grands journaux occidentaux qui ne connaissaient pas le russe et rédigeaient leurs articles sur les seules bases des réunions de presse de l’ambassade des Etats-Unis.

russia-must-sees-1-formatted.jpg

Au-delà de la biographie, replacée dans son contexte historique, de Vladimir Vladimirovitch Poutine, ce livre tente de faire comprendre pourquoi les Russes, dans leur majorité, croient toujours en lui et comment il incarne une certaine idée de la Russie en ce début du XXIe siècle.

Une partie de l’explication tient dans le fait que Vladimir Poutine n’est pas un homme de Moscou, ni un apparatchik, ni un fils d’apparatchik. Il n’est pas issu de l’élite dirigeante de la capitale. C’est un provincial, à l’aise avec les petites gens et à l’aise dans la nature et il sait parfaitement cultiver cette image aux yeux des Russes .

Il a la particularité de vouloir réconcilier les deux Russie, la grandeur tsariste et celle de l’URSS, pour écrire une histoire apaisée. Il se voit avant tout comme un homme au « service » de la Russie, voulant rétablir la place de celle-ci dans le monde.

***
Interview d'Héléna PERROUD:

" Vous nous permettez de comprendre l’âme russe et la façon dont Vladimir Poutine aborde l’histoire de la Russie, qu’il prend dans son intégralité, alors que vous nous rappelez que nos dirigeants français ont tendance à ne commencer l’histoire de France qu’en 1789 et qu’ils parlent plus souvent de la République que de la France…

C’est un point fondamental pour bien comprendre ce que Poutine essaie de faire avec son pays : il essaie de le réconcilier avec son histoire. On ne comprend pas Poutine si l’on ne comprend pas dans quelle histoire il s’inscrit. En Russie, on s’inscrit dans le temps long et on se projette loin devant. C’est vrai, nos dirigeants français parlent beaucoup plus de la République que de la France. Quand Vladimir Poutine arrive au pouvoir, le 31 décembre 1999, il s’agit d’un pays qui est très jeune puisque la Fédération de Russie n’existe que depuis 1991. L’élection du 18 mars 2018 a été la septième élection d’un président au suffrage universel. Donc, la démocratie russe est extrêmement jeune, mais l’histoire de la Russie est millénaire. Le cœur de la Russie historique a commencé à Kiev à la fin du neuvième siècle. La décennie 90 a été très compliquée pour les Russes et Poutine arrive après l’effondrement de l’URSS, qui a duré 70 ans, et après deux événements tragiques pour les Russes avec des millions de pertes humaines : la révolution de 1917 et la résistance contre les nazis, avec plus de 30 millions de morts.

unnamrmo.jpg

Vous rappelez d’ailleurs le lourd tribut payé par les Russes lors de la Seconde Guerre mondiale…

Les Russes ont payé un prix très élevé à cette victoire. Dans les entretiens entre Oliver Stone et Vladimir Poutine, il y a une séquence très intéressante, lorsque Stone lui dit que les Occidentaux ne se rendent pas compte du prix payé par les Russes : « Vous avez donné tout ce que vous aviez… » C’est une question d’Américain. Et Poutine a une réponse de Russe : « Non, on n’a pas donné tout ce que nous avions, on a donné jusqu’à la dernière goutte de notre sang… » Cela veut dire que l’on a donné tout ce que nous étions. C’est l’être côté russe et c’est l’avoir côté américain…

Sur la question de la démocratie, vous montrez à quel point les avancées sont importantes, mais vous insistez sur cette volonté des Russes d’avoir un État fort et, surtout, de placer Vladimir Poutine au-dessus des querelles internes… Il y a là une autre forme de vision de la démocratie…

J’ai visionné des centaines d’heures de vidéos de Vladimir Poutine et de ses opposants, tout en russe, et il y a une séquence très intéressante où Vladimir Poutine dialogue avec un chanteur de rock de Saint-Pétersbourg. C’est d’ailleurs un chanteur très populaire que je connais bien. Il n’hésite pas à dire ce qu’il pense et à descendre dans la rue pour participer à des manifestations lorsqu’il n’est pas d’accord… C’est Iouri Chevtchouk du groupe DDT et Poutine lui dit que la Russie n’a pas d’autre avenir que démocratique : « Il n’y a que dans une société démocratique qu’un homme peut librement s’épanouir, librement travailler au bien de sa famille et librement travailler au bien de son pays ». C’est toujours l’idée du patriotisme qui est le fil rouge de l’action de Poutine. Mais Poutine a le souvenir d’un événement qui a traumatisé les Russes, que les Occidentaux ne connaissent pas bien : c’est en octobre 1993, lorsque Boris Eltsine a fait tirer sur le Parlement communiste avec des milliers de morts à Moscou. Le souci principal de Poutine, c’est la concorde civile. Il sait qu’il peut y avoir de la violence en Russie et, lorsqu’il arrive au pouvoir, la violence est très importante en Tchétchénie. Ce souci fait qu’il faut d’abord assurer la sécurité et la paix, et ensuite introduire des éléments de démocratie.

404813.ori.jpg

Vous citez quand même les Russes qui disent avec humour que « le taux de mortalité est très élevé chez les opposants… »

Il ne faut pas faire d’humour avec ces choses-là, mais c’est une remarque de l’homme de la rue et des observateurs occidentaux… Il y a une violence physique sur la scène politique russe, elle existe, mais le souci de Poutine et de son équipe est de la minimiser. Il y a des journalistes qui ont dénoncé des faits graves comme Anna Politkovskaïa, assassinée en bas de chez elle le jour de l’anniversaire de Poutine, ce qui a eu une signification particulière, choquant énormément de Russes. Elle dénonçait notamment les exactions de l’armée en Tchétchénie. Il y a eu le meurtre de Boris Nemtsov en février 2015, alors qu’il rentrait du restaurant un soir. Mais il ne faut pas faire de raccourcis trop rapides entre ces assassinats et le Kremlin. Il y a eu des procès, les exécutants ont été jugés et ils sont tous en prison. Sur la question des commanditaires, il n’y a pas de réponse précise… Mais dans l’équipe très rapprochée de Poutine, depuis octobre 2016, il y a un homme qui était un ami très proche de Boris Nemtsov, Sergueï Kirienko, et il doit même le début de sa carrière politique à Nemtsov. Donc, les choses sont beaucoup plus compliquées que ce que l’on peut voir au premier coup d’œil…

Il y a eu une réelle volonté de Vladimir Poutine de se rapprocher de l’Europe et des États-Unis. Cependant, la première humiliation du peuple russe, c’était le bombardement de la Serbie en 1999 car il ne pouvait rien faire pour leurs frères serbes…
C’était la première humiliation sérieuse sur le plan extérieur. Il y a eu ensuite un événement majeur qui a vraiment traumatisé les esprits en Russie : c’était le naufrage du sous-marin nucléaire Koursk, très peu de temps après l’arrivée de Poutine au pouvoir, car les Russes n’ont rien pu faire pour les 118 marins qui ont péri dans cet accident effroyable. L’armée russe était dans une situation de désastre.

Vous étiez à l’Élysée en 1999 : comment avez-vous vécu le bombardement sur la Serbie ?

À titre personnel, je ne vous dirai rien… Il est dramatique de penser que l’on ait pu connaître de tels événements au cœur de l’Europe. Dans les années 90, il y a eu aussi les tickets de rationnement dans les villes russes, tout cela au cœur de l’Europe aussi… C’était une décennie vraiment très dure pour les Russes.

9216874b0bae2136364e7f25855d3bcf.jpg

La Russie a beaucoup aidé l’Occident dans sa lutte contre le terrorisme, mais elle a le sentiment de ne pas avoir été remerciée à sa juste valeur. Elle vit aussi comme un échec le fait de ne pas être considérée comme un pays européen à part entière…

Ce sentiment est tout à fait juste, parce que la culture russe est une culture européenne à bien des égards. Imaginez ce que serait la culture européenne sans les Russes, sans Tchaïkovski, sans Pouchkine ou sans Dostoïevski… Pour un homme comme Poutine, ce sentiment est encore plus important parce qu’il est originaire de la ville la plus européenne de Russie, Saint-Pétersbourg, et c’est ce qui m’a frappé en vivant trois ans à Saint-Pétersbourg, lorsque j’ai eu le bonheur de diriger l’institut français de Saint-Pétersbourg, que j’ai fait déménager – d’ailleurs sans le faire exprès – à l’adresse natale de Sacha Guitry. Il y a des clins d’œil de l’histoire à tout moment dans cette ville. Pour un homme comme Poutine, le caractère européen de la Russie est évident et c’est ce qu’il dit dans une autobiographie publiée en mars 2000. Les Russes n’ont même pas à se demander s’ils sont européens, ils le sont, avec un pays qui est plus large que l’Europe stricto sensu. Poutine est aussi le dirigeant le plus européen que la Russie ait connu depuis les Romanov : à l’exception d’Andropov, les autres dirigeants russes n’ont pas connu l’Europe aussi intimement que Poutine. Il a vécu en Allemagne, entre 1985 et 1990, certes en Allemagne de l’Est, puisqu’il était envoyé au titre de sa mission au KGB. C’est un homme qui maîtrise parfaitement l’allemand et c’est le seul à avoir eu cette expérience de vie ordinaire. Il a donc vécu la vie d’un Allemand ordinaire pendant quelques années.

Il y a aussi une occasion manquée pour la France, car Saint-Pétersbourg est une ville francophile et vous dites qu’à la sortie de l’aéroport, on voit encore des grandes affiches publicitaires en français…

C’est manifeste. En ce moment, quand vous arrivez à Saint-Pétersbourg, vous avez une grande publicité en français pour les baignoires Jacob Delafon et vous avez un autre panneau très important pour un grand magasin, construit par un Belge, qui s’appelle « Au Pont Rouge » et, sur la grande façade, il est écrit en français et en russe « Chaussures, ganterie… » Très honnêtement, il est plus difficile de trouver au monde un peuple plus francophile que les Russes !

ngu-new.jpg

Malheureusement, le peuple russe n’a pas le sentiment de recevoir en retour l’amour qu’il nous porte. Vous évoquez les sanctions à l’égard de la Russie et vous soulignez que cela a pénalisé nos agriculteurs en profitant à ceux d’Afrique du Nord…

Les sanctions étaient une bêtise de la part des Occidentaux, car elles n’ont pas impacté les Russes. À l’origine, les Occidentaux voulaient désolidariser les Russes de Poutine mais, sur un plan politique, on a vu que les élections législatives de 2016 ont donné beaucoup plus de voix au parti « Russie unie » de Poutine et il y a eu de nombreuses chansons et de réactions populaires aux sanctions en disant : « Nous sommes derrière notre président et nous allons accroître notre production ! » La réaction était : « Vous, les Occidentaux, vous ne comprendrez jamais rien à la Russie ! » Du jour au lendemain, les magasins ont vu disparaître de leurs rayons, en raison de l’embargo sur certains produits alimentaires, les viandes, les poissons, les fruits et légumes venus d’Europe. D’abord, ils les ont remplacés par d’autres importations en provenance d’Afrique du Nord, mais ils ont surtout appris à produire ce qu’ils ne pouvaient plus importer. Je donne des chiffres précis dans le livre sur la viande porcine et le blé, et la Russie prend les marchés qui étaient traditionnellement ceux de la France. Le chancelier autrichien a même dit que les sanctions avaient coûté aux Autrichiens 0,3 % de leur PIB.

Vous revenez sur le divorce de Vladimir Poutine, qui s’est déroulé dans des conditions très dignes. L’explication officielle était : « Je me concentre sur la patrie… »

Cette explication était étonnante. Il n’y a pas eu de communiqué, mais il était devant les caméras, avec sa femme, lors de l’entracte lors de la représentation d’un ballet. Il ne fait pas référence à ses trente ans de mariage et il dit : « Elle a été à son poste, en tant que première dame, pendant neuf ans, elle a fait son devoir et elle a monté la garde… » Il emploie un vocabulaire militaire et il précise que c’est une femme qui n’aime pas du tout la vie publique, qui n’aime pas les caméras et qui n’aime pas les déplacements en avion. Or, Poutine se déplace énormément. Il fait des milliers de kilomètres chaque semaine, ce sont les dimensions de la Russie, et cette vie n’était pas faite pour elle, donc il la libère de cette tâche. On peut prendre cela comme on veut, mais il essaie de mettre à l’ombre sa femme et ses filles. Il n’aime pas du tout en parler et il demande aux journalistes de comprendre ce souci de ne pas leur faire subir le fait d’être leur père, en leur laissant vivre une vie normale.

vladivostok-russie.jpg

Cependant, il y a un grand échec, c’est la difficulté qu’à la Russie de contrôler son image à l’extérieur… Ils n’ont pas Hollywood…

Il y a deux points sombres en Russie : l’image extérieure et la démographie. Leur souci majeur est l’enjeu démographique. C’est un pays immense, le plus grand pays du monde, avec une population qui n’est pas à la hauteur de la superficie du pays. Quand on essaie de faire le bilan, entre 1990 et 2010, la Russie a perdu 5 millions d’habitants, ce qui est énorme. Le taux de fécondité est de 1,16 enfant par femme quand il arrive au pouvoir. Évidemment, cela ne suffit pas, donc il fixe pour objectif la famille de trois enfants : c’est la famille modèle, le minimum syndical qu’il demande aux familles russes. Pour cela, il a déployé un arsenal financier important en aidant beaucoup les familles. Aujourd’hui, le pays est à 1,76. Il a su inverser cette tendance et cela veut dire que les Russes vont mieux et qu’ils croient en l’avenir de leur pays. Ce mieux-être est associé aux années Poutine. Sur l’influence de la Russie dans le monde, l’image pourrait être meilleure, Poutine se soucie de ce sujet, les instruments du « soft power » existent et ils ont été théorisés. Ce vecteur d’influence vise surtout à faire comprendre, c’est d’abord de l’explication de texte. Il y a eu un classement international sur le succès de l’apprentissage de la lecture chez les enfants de 9 à 10 ans et la France n’arrête pas de dégringoler, puisqu’elle est 34e. Or, les Russes sont premiers devant Singapour. Les Russes savent former leurs jeunes générations, donc ce sont des gens qui ont sans doute des choses à nous dire, mais il faut savoir les entendre."

mercredi, 14 avril 2021

Romain d'Aspremont: "La droite doit se réapproprier le feu de la technique"

Michael-Fassbender-as-David-in-Prometheus.0.jpg

"La droite doit se réapproprier le feu de la technique"

Entretien accordé par Romain d'Aspremont à Il Primato Nazionale (Rome)

Romain d'Aspremont est l'auteur de “Penser l'Homme nouveau : pourquoi la droite perd la bataille des idées” et de “The Promethean Right”.

Vos livres nous invitent à cultiver un "progressisme de droite", futuriste et faustien. C'est une approche très rare dans les mouvements de droite d'aujourd'hui. Pourquoi, selon vous, la droite a si souvent cultivé une attitude technophobe?

Rien n'est plus naturel que l'aversion des personnes âgées envers les nouvelles technologies. Mais que cette frilosité transpire au sein de notre famille politique est consternant. J'associe le tempérament de droite au goût de l'aventure et à la volonté de repousser les frontières de l'inconnu, y compris sur le plan scientifique et technologique. Hélas, la droite s'est laissé ravir le concept de progrès par la gauche, pour devenir synonyme de conservatisme. Or quoi de plus révolutionnaire que le feu de la technique ? Il est une déclaration de guerre envers tout ce qui se prétend immuable. Au XXIe siècle, ce feu menace jusqu'à la nature humaine. En bons conservateurs, les droitards forment déjà leurs bataillons afin de sauvegarder Homo Sapiens. Mais le scénario est connu d'avance : ils ne parviendront qu'à ralentir la marche vers l'homme nouveau de gauche, vers le transhumain de gauche.

DgcBkd-XkAAmPd9.jpgLes conservateurs assimilent l'avenir (et par conséquent le progrès technique) à un déploiement inéluctable du progressisme de gauche. Ils en viennent à prendre l'objet (l'avenir, la technologie) façonné par le sujet (la gauche) pour le sujet lui-même : “l'avenir/la technique c'est la gauche !”. Le futur étant devenu synonyme d’avancées “progressistes”, l’unique remède ne pourrait être que son contraire, le passé, plutôt qu'un avenir de droite. La droite conservatrice est si profondément convaincue que les nouvelles technologies dissolvent la tradition et l'identité qu'elle concède volontiers à la gauche le monopole du feu prométhéen.

Quelles sont, selon vous, les principales erreurs de la droite dans la bataille des idées?

Si l'histoire de l'Occident n'est qu'un long processus de gauchisation, c'est que la droite offre le monopole de l'homme nouveau et de la société nouvelle à la gauche. L'Occident crève du fait que la droite soit anti-utopiste. Celle-ci se cantonne au rôle de ralentisseur du progressisme de gauche, évitant une trop brutale fuite en avant. C’est une tâche utile mais tout entière au service des gauchistes. Prévenir la réaction suppose de procéder par petits pas : les conservateurs, idiots utiles de la gauche, s’en assurent. Ils sont les agents régulateurs de la révolution libérale permanente.

Les projets d'homme nouveau donnent parfois l'impression d'échouer, que ce soit l'homme nouveau chrétien, l'homme nouveau de la révolution française, l'homme nouveau communiste, ou la chose nouvelle asexuée, végétalienne et antispéciste qui fleurit dans nos métropoles. Mais sur le temps long, l'Occidental s'imbibe toujours davantage des valeurs de gauche.

De Gaulle affirmait que le « courant du mouvement » était tout aussi « nécessaire » que le « courant de l’ordre ». Il illustre le talon d'Achille de la droite, qui peine à comprendre que cet équilibre lui est  intrinsèquement défavorable. Un véritable équilibre voudrait qu'à un progressisme de gauche s'oppose un progressisme de droite. Le conservatisme est utile afin de lutter contre l'hubris de gauche, mais en l'absence d'une droite prométhéenne la gauchisation se poursuivra.

Enfin, la droite doit se libérer du logiciel chrétien, matrice du gauchisme. Je comprends la volonté des droitards de défendre notre héritage chrétien, mais les valeurs chrétiennes sont la principale raison pour laquelle la droite est si sensible aux procès sur le terrain de la morale, notamment concernant l'immigration. Une partie du cerveau de l'homme de droite se dit : “Mon Dieu, ils ont raison, je suis un salaud”. Ce qui signifie : “Si je ne veux pas de ces migrants, c'est que je suis un mauvais chrétien”.

La seule droite décomplexée, c'est celle qui a embrassé l'avenir et la création d'un homme nouveau. C'est celle qui a su se libérer du christianisme et s'emparer du contenant de gauche (le principe d'un homme nouveau) pour y verser un contenu de droite. Je ne souhaite pas un retour au fascisme, qui n'est qu'une des variantes possibles de la droite prométhéenne (ou révolutionnaire), mais sans un réveil de cette famille politique l'Occident ne survivra pas. Les victoires électorales des populistes à la Trump sont bienvenues, mais elles ne sont que des sursauts conjoncturels, qui ne livrent pas le combat de fond : celui de l'évolution de la nature humaine.       

Vous récupérez la définition de «droite révolutionnaire» au sens utilisé par Zeev Sternhell. Mais le prométheisme, en posant des solutions radicalement nouvelles, n'implique-t-il également un dépassement des anciennes catégories, y compris celles de droite et de gauche?

image_1398130_20210121_ob_2c6413_the-promethean-right-2.jpgLes concepts de droite et de gauche ne seront jamais dépassés, car ils recouvrent deux pôles de valeurs éternellement opposés. La droite, c'est la valorisation de la lutte, de l'élitisme, de la hiérarchie et du dépassement. La gauche, c'est le royaume de l'égalitarisme, de la victimisation, du culte de la faiblesse, de l'amour des ennemis et du relativisme. L'opposition à la mondialisation libérale ne saurait réconcilier ces deux pôles idéologiques.

Par ailleurs, il n'est pas impossible d'imaginer un prométhéisme de gauche, comme celui promu par Trotsky. De même, le transhumanisme a pu être présenté comme un dépassement du clivage droite-gauche : Esfandiary, un des premiers transhumanistes, a prophétisé l'avènement d'un clivage haut-bas. Mais la question demeure : en haut vers la gauche ou en haut vers la droite ? Un transhumain de gauche ou un transhumain de droite ? Le clivage droite-gauche prendra des formes nouvelles, mais il ne disparaîtra pas.

Au-delà des questions philosophiques, quel pourrait être le programme politique concret de la droite prométhéenne?

Sur le plan biologique, il faut livrer le combat pour le futur de la nature humaine. L'humanité est à l'aube d'un changement radical de sa nature. Si la droite n'arrive pas à se défaire de son conservatisme, elle se limitera une fois de plus à sa fonction de ralentisseur. Mais cette fois, la gauchisation sera permanente car ancrée dans notre génome. Les gènes de la loyauté envers le groupe, du sens de la hiérarchie, de l'agressivité et du goût de la compétition seront éliminés, au nom de l'anti-racisme et de la théorie du genre.

Sur le plan géopolitique, il faut réunifier l'Occident. Notre idéal ne doit plus être celui de l'Etat nation, mais celui d'une fédération pan-occidentale, de Seattle à Vladivostock. Un nouvel Empire romain peuplé de surhommes de droite : voilà une vision pour le XXIe siècle.

À première vue, vos idées sembleraient similaires à celles de Guillaume Faye. Cependant, vous avez critiqué l'idée de l'archéofuturisme. Qu'est-ce qui ne vous convainc pas de l'idéologie de Faye?

e8595ed6492426397a431482bc1fed2b.jpgL'Archéofuturisme est présenté comme un remède à l'approche trop conservatrice de la droite – une synthèse harmonieuse entre tradition et de technophilie. L'Archéofuturisme est en réalité davantage archaïque que futuriste, comme si le tempérament de droite de Faye le poussait à équilibrer son éloge du progrès technologique par un retour aux valeurs médiévales. L'archéofuturisme reflète fidèlement la psychologie des conservateurs, peu enclins au risque et au changement.

Faye rêve d'un ordre éternel baptisé “archaïsme” qu'il définit comme étant « ce qui crée et demeure immuable ». Or, rien dans l'univers n'est immuable et certainement pas la nature humaine. L'homme a été chasseur-cueilleur vingt fois plus longtemps qu'il n'a été agriculteur. Notre nature a été façonnée au cours de ces millénaires où les humains vivaient en petits groupes, relativement égalitaires, ou en tout cas dépourvus des « castes guerrières » et de l' « organisation sacerdotale » que Faye regrette tant. L'ordre social de l'Antiquité et du Moyen Âge ne reflète pas une harmonie éternelle, mais résulte de la conjonction de la nature humaine (qui elle-même évolue) et de l'état technologique de l'époque. Faye peut marteler que « la modernité est rétrograde, tandis que l'archaïsme est futuriste », cette affirmation n'en sera pas moins fausse.

Selon lui, la combativité des immigrés musulmans proviendrait de leur mentalité archaïque. Or, leur archaïsme n'est une force que dans le contexte de la faiblesse morale européenne. L'erreur est de séparer leur mentalité archaïque de leur irrationalisme : leur archaïsme est indissociable de leur aversion envers la science. De même, le chevalier médiéval bardé de technologies est une antinomie.

Lorsque Faye affirme que nous devrions nous débarrasser et de notre pacifisme et de notre mentalité moderne, il jette le bébé avec l'eau du bain. Au mieux, une société hautement technologisée, mais disposant d'une mentalité traditionaliste stagnerait ; au pire, elle déclinerait. Aussi, une droite prométhéenne est-elle requise, aux antipodes de cette tentative de rafistolage de la tradition au moyen de la technologie. Faye a toutefois le mérite d’affirmer une ligne technophile au sein d’une famille politique minée par la technophobie.

Le futurisme italien pourrait-il être un modèle pour la droite prométhéenne aujourd'hui?

Tout comme la pensée de Nietzsche, le futurisme est une inspiration salutaire, mais il ne saurait être un modèle politique, à défaut d'être suffisamment structuré. Il est un élan vital qui nous rappelle que le mouvement est viril et la conservation sclérosante. Les futuristes nous mettent en garde contre le risque de bureaucratisation de la droite prométhéenne. Eux qui s'élevèrent contre le fascisme institutionnalisé, pragmatique, planiste et technocratique : le fascisme confronté aux réalités du pouvoir. Chronologiquement, les futuristes incarnent le premier fascisme, mystique et romantique. Ils sont la part d'enfance qui invite l'homme de droite à ne pas se prendre trop au sérieux.

Pour commander les ouvrages de Romain d'Aspremont:

https://www.amazon.fr/Penser-lHomme-nouveau-Pourquoi-bataille/dp/1983070254/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=1PD7VHQTMSYTX&dchild=1&keywords=romain+d%27aspremont&qid=1618213454&sprefix=romain+d%27as%2Caps%2C181&sr=8-1

https://www.amazon.fr/Promethean-Right-Losing-Battle-Revi...

mardi, 13 avril 2021

« Cessons d’être des Occidentaux et redevenons des Européens d’origine boréenne » - Entretien avec Georges Feltin-Tracol

276444d19570bf6ad1af8519a9ad14a0.jpg

« Cessons d’être des Occidentaux et redevenons des Européens d’origine boréenne »

Entretien avec Georges Feltin-Tracol

Propos recueillis par Andrej Sekulovic

Pour commencer, pouvez-vous nous donner une brève introduction sur votre domaine d’expertise, votre travail et vos activités en cours ?

J’ai 50 ans. Formé aux sciences politiques, à l’histoire et à la géographie, j’ai aussi suivi des cours de droit constitutionnel.

J’écris mes premiers articles dès 1993. J’ai publié une dizaine de livres et collaboré à une dizaine d’autres. En 2005, je fonde avec quelques amis le site identitaire français Europe Maxima dont j’assume la rédaction en chef.

Je collabore aux Cahiers d’histoire du nationalisme, à la revue Synthèse nationale et au Magazine des Amis de Jean Mabire. Je tiens enfin chaque semaine sur le site officiel de TVLibertés un podcast intitulé « Chronique hebdomadaire du Village planétaire ».

Dans le passé, vous étiez également membre du grand groupe de réflexion français de la « Nouvelle Droite », le GRECE. Parlez-nous un peu de votre travail au sein de ce groupe de réflexion et de la « Nouvelle Droite » elle-même ?

Il faut d’abord rappeler aux lecteurs que le terme de « Nouvelle Droite » provient de journalistes de gauche hostiles qui alimentent une violente campagne de presse de l’été 1979. Fondé à la fin des années 1960, le GRECE est un groupe de réflexions pluridisciplinaires et contre-encyclopédiques qui n’a jamais pris de positions politiques, sauf à deux occasions :

– en 1974, quand son secrétaire général, Jean-Claude Valla (1944 – 2010), appelle les lecteurs d’Éléments à voter pour Valéry Giscard d’Estaing au second tour de l’élection présidentielle contre le candidat de l’union de la gauche socialiste – communiste François Mitterrand;

– en 1992, quand le rédacteur en chef d’Éléments, Charles Champetier, défend le « non » au référendum sur le traité européen de Maastricht. Sa prise de position suscite de vifs débats. Si Alain de Benoist s’abstient, les « Nouvelles Droites » flamande et italienne soutiennent le « oui ».

GFT2-site.jpg

Le GRECE m’a intellectuellement formé. J’y ai rencontré de grandes figures pionnières aujourd’hui décédées comme Roger Lemoine (1928 – 1999), Maurice Rollet (1933 – 2014) ou Jacques Marlaud (1944 – 2014). J’ai d’abord publié des articles dans ses publications régionales avant d’écrire dans Éléments. Parrainé par Jacques Marlaud et Charles Champetier, je me suis occupé du Lien, son bulletin interne. Je suis aussi intervenu à ses nombreuses universités d’été dans les années 1990 – 2000.

Aujourd’hui, le GRECE n’existe plus dans les faits. Il a été remplacé par l’Institut Iliade dont l’ambition plus politique s’inscrit dans la perspective d’un retour en politique après 2022 de Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen. Je me suis détaché pour diverses raisons de la « Nouvelle Droite » parisienne qu’il ne faut pas confondre avec les « Nouvelles Droites » présentes dans les différentes régions françaises, ni avec les autres manifestations ailleurs sur le continent indépendantes, en particulier les initiatives autour de Synergies européennes de l’excellent Robert Steuckers. Je continue à ma modeste mesure l’immense entreprise de démolition des mystifications de la Modernité, du Progrès et de l’Égalité.

Une partie de votre travail porte sur la géopolitique. Que pouvez-vous nous dire sur l’actuelle situation géopolitique ? Pensez-vous que les objectifs géopolitiques de grands « acteurs » tels que la Chine, la Russie, les États-Unis d’Amérique ou de l’Union européenne évolueront dans un proche avenir ?

Balayer l’actuelle situation géopolitique en quelques lignes ne serait pas sérieux. Je ne lis pas l’avenir. Mais je ne me dérobe pas.

L’Union dite européenne prouve chaque jour son inutilité géopolitique. Ce vide existentiel atteint aussi les nations, les États et les peuples, ce qui invalide le souverainisme national et les propositions de « Frexit » ou d’« Italexit ». Le risque de sécession de la Catalogne montre aussi que l’indépendantisme et le gauchisme travaillent en réalité pour le mondialisme. Sauver notre civilisation passe par un saut historique vers une véritable unité européenne.

unnamed.jpgLa Russie reste une puissance d’ordre continental, mais l’immensité de son territoire, son faible nombre d’habitants, sa natalité toujours déficiente et sa porosité démographique avec les populations du Caucase méridionale et d’Asie Centrale fragilisent ses ambitions. N’oublions pas que Vladimir Poutine n’est pas immortel.

Avec Joe Biden élu grâce aux fraudes massives de l’« État profond », les États-Unis redeviennent le sheriff du monde entier. Mais ont-ils encore les moyens de dominer les cinq continents ? La société yankee est plus que jamais divisée. Les États-Unis se rapprochent du Tiers-Monde et la drogue ravage leurs campagnes. Verra-t-on leur éclatement ? Je le souhaite, mais je ne parierai pas.

Quant à la Chine, grâce à sa dynastie septuagénaire, le Parti communiste, elle retrouve la place qu’elle a perdue à la fin du XVIIIe siècle : la première. Face à la montée en puissance de Pékin, il faut prendre en compte l’émergence de l’Inde sous le gouvernement national-conservateur de Narendra Modi. On oublie que la Chine vieillit et qu’en 2050, l’Inde sera l’État le plus peuplé du monde. Et si le XXIe siècle était son siècle?

Vous avez également écrit sur la troisième voie et le mouvement solidariste. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les solidaristes et sur les grands principes des mouvements de troisième voie ?

Au risque de me défausser, ma réponse développée dépasserait le cadre de cet entretien. Après une publication récente en espagnol, Pour la troisième voie solidariste pourrait être traduit en anglais ou en slovène. Dans cet ouvrage, je me concentre sur la France sans pour autant ignorer les voisins européens et les expériences en Amérique du Sud et en Russie.

Le solidarisme est d’abord une formulation de l’homme politique français, le républicain Léon Bourgeois (1851 – 1925), premier président du Conseil de la Société des Nations. Il veut donner au radicalisme – le mouvement républicain franc-maçon qui constitue le cœur nucléaire de la IIIe République française (1870 – 1940) – une idéologie. L’ingénieur allemand Rudolf Diesel (1858 – 1913) écrit en 1903 un essai intitulé Solidarismus. Le Flamand Joris van Severen (1894 – 1940) fonde en 1931 en Belgique le Verdinaso (Ligue des solidaristes nationaux thiois). Dans la même décennie, avant de rejoindre la Phalange espagnole, Ramiro Ledesma Ramos (1905 – 1936) anime le national-syndicalisme et influence les mouvements d’Amérique latine tels le péronisme argentin ou le sinarquisme mexicain.

A1AKoDnIhYL.jpg

Après la Guerre d’Algérie en 1962, les jeunes militants de l’Algérie française reprennent à leur compte le solidarisme et travaillent avec la NTS (la résistance solidariste russe en exil). En 1975, un militant solidariste français, Francis Bergeron qui dirige maintenant le quotidien national-catholique Présent, distribue des tracts anti-soviétiques sur la Place Rouge à Moscou ! À la même époque, d’autres solidaristes français partent au Liban combattre aux côtés des phalangistes chrétiens contre les musulmans progressistes.

La troisième voie (« Ni trusts ni soviets » et « Ni Washington ni Moscou ») prend des formes variées. En France, elle se manifeste avec le bonapartisme de l’empereur Napoléon III, le catholicisme social des royalistes contre-révolutionnaires, le distributisme cher à l’écrivain britannique G.K. Chesterton ou le gaullisme de Charles De Gaulle. Ce dernier prônait l’indépendance nationale, une Europe libérée des blocs issus de Yalta et la justice sociale (l’association du capital et du travail, l’intéressement aux bénéfices et la participation des producteurs à l’avenir de leur entreprise).

Quels autres auteurs, philosophes et écrivains ont-il eu le plus d’influence sur vous et vos travaux ? Quels auteurs recommanderiez-vous à nos lecteurs ?

Je ne mentionne que des défunts : l’Italien Julius Evola, les Allemands Carl Schmitt et Arthur Moeller van der Bruck, le Suisse Denis de Rougemont, l’Étatsunien Francis Parker Yockey, le Belge Jean Thiriart, les Français Joseph de Maistre, René Guénon, Charles Maurras, Maurice Barrès, Robert Aron, Arnaud Dandieu, Julien Freund, Guillaume Faye, Robert Dun, Dominique Venner ou Guy Debord. J’en oublie bien sûr…

J’invite vos lecteurs à les lire dans le texte ou dans une traduction disponible en anglais ou en allemand.

Quelle est votre avis sur les mouvements identitaires et nationalistes contemporains ?

Vaste question ! Chaque mouvement est différent, y compris au sein d’un même pays. Je porte un regard assez positif sur les mouvements nationalistes et identitaires, surtout s’ils s’opposent au monde financier et au multiculturalisme, à l’immigration extra-européenne et à la corruption politique.

9782367980652-475x500-1.jpgJe déplore en revanche que certains mouvements cherchent encore à régler des désaccords frontaliers et les contentieux historiques. Les nationalistes doivent renoncer aux vieilles et vaines querelles pour défendre l’intérêt général européen. Je n’apprécie pas que le FPÖ s’attaque à la minorité slovène en Carinthie. Je n’aime pas que les nationalistes norvégiens ou suédois s’indignent de la présence des Samis, ces indigènes d’Europe septentrionale.

Disciple de Julius Evola, fils d’un des cofondateurs du MSI, le penseur italien Adriano Romualdi (1940 – 1973) affirmait avec raison que « seuls les nationalistes peuvent faire l’Europe ». Les « bons Européens » doivent soutenir les avant-postes de notre civilisation européenne : protéger les enclaves espagnoles au Maroc, libérer Chypre de l’occupation turque et l’unir à la Grèce, reprendre à la Turquie la Thrace orientale et Constantinople, soutenir l’Arménie et l’Artsakh – Nagorny Karabakh. Ils doivent enfin exiger le départ de toutes les troupes US d’Europe et la dissolution de l’OTAN.

Que pouvez-vous nous dire sur la situation politique actuelle en France ? Comment voyez-vous les développements au sein de l’Union européenne, y compris les migrations massives, la crise du covid-19 et le fossé entre les États-membres du V4 et le reste des pays occidentaux « libéraux » de l’UE ?

Votre question comporte plusieurs sous-questions. La France arrive lentement à son nadir historique. Sa classe politique, intellectuelle, artistique, culturelle, économique, technicienne et sanitaire est d’une affligeante nullité. Les Français sont responsables de ce drame historique. Les nationalistes les ont prévenus depuis cinquante ans. Ils ne les ont pas écoutés ! En 1973, le gouvernement français interdit le mouvement Ordre nouveau, créateur du Front national, qui avait tenu une réunion électorale contre l’immigration, principal vecteur de la tiers-mondisation de l’Europe.

L’actuelle crise sanitaire favorise l’expansion du capitalisme de surveillance. Le covid-19 permet une expérience incroyable d’ingénierie sociale et de guerre psychologique 3.0 afin de domestiquer les peuples européens récalcitrants. Ce dressage social réussira-t-il ou bien connaîtrons-nous des insurrections salvatrices ? L’avenir nous le dira.

Le pessimiste lucide que je suis ne croit pas à l’influence déterminante du V4 (ou Groupe de Visegrad). Sous le même emballage « illibéral », la Hongrie et la Pologne divergent par rapport à la Russie. Varsovie et Budapest se plient aux conditions sur l’« état de droit » du plan de relance européen. Le V4, même avec l’apport de la Slovénie, voire de la Croatie, ne fera jamais le poids face à l’axe franco-allemand. Par ailleurs, Viktor Orban et Jaroslaw Kaczynski sont des « faux héros réactionnaires (ou conservateurs) ». On doit cette notion à Thomas Molnar (1921 – 2010) dans son essai La Contre-Révolution (1969). Catholique hongrois polyglotte exilé aux États-Unis, Thomas Molnar participait au courant paléo-conservateur. Ce collaborateur des « Nouvelles Droites » française, allemande, autrichienne et italienne conseilla le jeune Orban entre 1998 et 2002.

9782367980485-475x500-1.jpgLes régimes hongrois et polonais ne sont pas révolutionnaires–conservateurs, mais plutôt nationaux-conservateurs. Ils prennent une bonne direction, mais ils manquent de radicalité.

Quelle conséquences géopolitiques pensez-vous qu’auront les élections américaines de l’année dernière ?

Avec Joe Biden, l’humanitarisme armé et interventionniste retrouve la Maison Blanche. Les États-Unis reprennent leur volonté d’exporter partout leur conception frelatée et aliénée du bonheur bourgeois, mais ils sont très divisés : la guerre culturelle fait rage sur les campus et dans les mass media. Le sang des Étatsuniens coulera encore et encore au nom du Progrès et des droits de l’homme (pardon ! de l’humain fluide non genré trans-post-méta-sexuel…). Il importe au contraire de valoriser toutes les affirmations identitaires qui s’y développent. Ce modèle d’ultra-modernité doit éclater sous ses contradictions internes.

Selon vous, quel est l’avenir de l’Europe et de l’Occident ?

Je tiens à distinguer l’Occident de l’Europe. En 2021, l’Occident relève de l’atlantisme et du cosmopolitisme. L’Occident ne coïncide donc plus avec l’Europe dont l’antique civilisation brille de ses derniers feux. Cessons d’être des Occidentaux et redevenons des Européens d’origine boréenne. Comment ? En bâtissant un État central continental qui délivrerait la nationalité européenne aux seuls Européens. Ainsi serais-je un citoyen français de nationalité européenne et les lecteurs, des citoyens slovènes, autrichiens ou allemands de nationalité européenne. Je ne verrai pas de problème qu’un Danois ou un Italien soit maire de Strasbourg ou qu’un Hongrois devienne président de la République européenne de France.

Trêve de rêverie ! L’Europe court avec l’affreuse Union européenne vers sa perte finale. Amor fati !

Avez-vous un dernier conseil ou un dernier message pour les lecteurs slovènes ?

Je les salue. Ils appartiennent à un vieux peuple et à un jeune État. Pendant des siècles, ils ont connu diverses dominations étrangères plus ou moins consenties. Au XXe siècle, la Slovénie a subi l’oppression de la première Yougoslavie royale serbe, puis de la seconde Yougoslavie titiste. Le peuple slovènes a quand même conservé leur identité, base indispensable pour fonder la souveraineté. Il est un bel exemple de persévérance historique.

Outre de magnifiques paysages karstiques, la Slovénie est la patrie du célèbre groupe musical Leibach et du remarquable courant artistique NSK à l’esprit néo-futuriste, ironique et « situationniste ». Leur apparition a correspondu aux premiers signaux de la fin de la Guerre froide.

Amis Slovènes, vous êtes le Midi de la Mitteleuropa danubienne !

Propos recueillis par Andrej Sekulovic pour le site slovène tradicijaprotitiraniji.org mis en ligne en anglais et en slovène les 19 et 22 mars 2021, versions allemande et néerlandaise consultables sur Synergon Infos, le 4 avril 2021.

https://synergon-info.blogspot.com/2021/04/georges-feltin-tracol-die-rettung.html

https://synergon-info.blogspot.com/2021/04/georges-feltin...

jeudi, 25 mars 2021

Tomislav Sunic : « Il faudra un certain temps pour que nos idées progressent, mais nous sommes sur la bonne voie »

10eb36a48e2d18b20e38.jpeg

Tomislav Sunic : « Il faudra un certain temps pour que nos idées progressent, mais nous sommes sur la bonne voie »

Propos recueillis par Andrej Sekulovic (Slovénie)

Source : https://tradicijaprotitiraniji.org/2021/03/11/

Le Dr Tomislav Sunić est un auteur et conférencier croate et l'un des plus éminents représentants de l'école de pensée qu’est la Nouvelle Droite. Il est né en 1953 à Zagreb, où il a obtenu un diplôme d'anglais et de français. De 1983 à 1992, il a vécu aux États-Unis en tant que réfugié politique, où il a obtenu un doctorat en sciences politiques. Il est l'auteur de plusieurs livres, essais et autres articles en anglais, français, allemand et croate. Nous lui avons parlé de la nouvelle droite, du grand bouleversement démographique, de l'hégémonie culturelle, etc.

Racontez-nous quand et dans quelles circonstances vous avez commencé à vous intéresser aux idées de la droite ?

Je suis né dans un certain ‘’climat’’. Plus précisément, dans l'ancienne Yougoslavie communiste et dans une famille catholique et anticommuniste. Mon père était avocat. En ce qui concerne mon intérêt pour les idées dites de droite, il ne s'agissait pas d'un simple hobby, mais je m'y intéressais principalement parce que je suis par nature une personne à la curiosité très développée. C'est pourquoi, dès mon plus jeune âge, alors que je n'avais que six ou sept ans, j'ai aimé poser des questions et m'interroger, y compris de manière critique, sur le milieu politique, sociologique et culturel dans lequel je vivais. Il s'agissait, bien sûr, de la Yougoslavie communiste au début des années 1960, lorsque j'étais élève de l'école primaire et plus tard de l'école secondaire dans le Zagreb communiste. J'ai toujours aimé découvrir les idées qui étaient différentes des idées généralement acceptées et standardisées. À cette époque, bien sûr, je ne savais pas comment l'exprimer de manière académique, car j'étais très jeune.

Plus tard, à la faculté de philosophie de Zagreb, au début des années 1970, j'ai commencé à exprimer un peu mieux ces idées, qui étaient très critiques à l'égard du système de l'époque. J'avais peut-être un avantage et un privilège. Je suis né dans une famille modeste. Mon père était avocat, mais il a eu beaucoup de problèmes avec les autorités communistes de l'époque et a même été emprisonné deux fois. J'ai néanmoins eu le privilège d'avoir des livres à la maison. Nous n'avions pas la télévision, mais nous avions beaucoup de livres. J'ai donc été exposé aux langues étrangères dans ma jeunesse et à la littérature allemande, anglaise, française, latine et un peu italienne. J'ai toujours été intéressé par l'autre côté de la médaille, pour ainsi dire. Comme je l'ai déjà dit, il y avait une atmosphère anticommuniste à la maison, mais plus tard, j'ai aussi fréquenté l'école religieuse et je suis allé à l'église, non pas tant par amour de Dieu ou de la théologie et du christianisme, mais pour la simple raison que dans la Yougoslavie communiste de l'époque, l'église en Croatie, et je crois aussi en Slovénie, représentait un contrepoids au système communiste, où certaines choses pouvaient être dites et exprimées de manière critique. C'est une autre raison pour laquelle j'ai commencé à formuler mes idées à cette époque.

Comment cette formulation d'idées a-t-elle évolué au cours de vos années d'études ?

Je dois admettre que lorsque j'étudiais le français et l'anglais à l'université, j'ai peut-être eu de la chance car j'étais en compagnie de professeurs qui faisaient bien sûr partie du régime, mais qui n'étaient pas communistes, ou qui n'étaient guère favorables à la Yougoslavie, même s'ils ne l'exprimaient pas publiquement. En particulier dans les départements d’études romanes des années 1970, on pouvait voir que ces universitaires étaient assez critiques à l'égard du communisme et du titisme, y compris le regretté professeur Matvejevic. Il se considérait sans doute comme un gauchiste et un Yougoslave, mais il était très correct avec moi et m'a même permis de lire de la littérature qui était alors interdite non seulement en Yougoslavie mais aussi en France. Notamment Louis Ferdinand Céline, un écrivain célèbre qui a écrit des pamphlets antisémites qui sont encore interdits en France aujourd'hui, et aussi Robert Brasilliach et la multitude d'écrivains et d'auteurs qui étaient très actifs en France pendant la période de l'occupation allemande, de 1940 à 1944. J'ai donc toujours voulu, non pas par sympathie pour une sorte de "fascisme", mais par curiosité intellectuelle, connaître l'autre côté de la médaille. Je crois que même si, disons, les fascistes, les nationaux-socialistes ou la NDH étaient au pouvoir aujourd'hui, j'aurais également certaines difficultés, car j'ai toujours été intéressé justement par cet ‘’autre côté de la médaille’’. Je pense que c'est un penchant positif chez moi, et je pense que c'est plus une question de caractère que d'idées politiques. Je pourrais continuer à raconter comment, lorsque j'ai émigré en Amérique, où j'ai obtenu l'asile politique, j'ai élargi mes horizons grâce aux livres, car à cette époque, j'ai découvert un grand arsenal d'écrivains, de philosophes et de sociologues de droite qui avaient été pratiquement oubliés et exclus des programmes d'études, même en Europe occidentale et aux États-Unis. J'ai donc lentement évolué sur le plan intellectuel et je peux dire que, avec le recul, je ne vois pas de grande différence, si ce n'est que je continue à élargir mes horizons. Je me relativise toujours, je me regarde d'un œil critique et je pense à la façon dont mes adversaires me voient.

417yXZXPeQL._SX322_BO1,204,203,200_.jpg

Vous êtes également l'auteur de Contre la démocratie et l'égalité, un livre dont le thème principal est l'école de pensée de la Nouvelle Droite. Pouvez-vous nous en dire plus sur le livre lui-même ?

Tout d'abord, je dois mentionner que l'ouvrage Contre la démocratie et l'égalité - La nouvelle droite européenne a été traduit en flamand, en espagnol et, il y a environ dix ans, également en croate sous le titre Europska nova desnica - korijeni, ideje i mislioci ("Nouvelle droite européenne - racines, idées et penseurs"). Par ailleurs, il s'agissait en fait de ma thèse de doctorat, car j'ai fait mon doctorat sur le sujet à l'université de Californie aux États-Unis, sauf qu'en tant que thèse, elle portait le titre plus acceptable, ou, si je puis dire, plus ‘’politiquement correct’’, de European New Right and the Crisis of Modern Politics, puis European New Right and the Crisis of Modern Political Society. Bien sûr, plus tard, j'ai fait un peu de marketing autour de ma thèse de doctorat, que j'ai soutenue en 1988, et j'en ai changé le nom un peu pour des raisons commerciale. J'ai opté pour un titre plus explosif pour la simple raison que je pensais, et je n'avais pas tort, que le livre se vendrait non seulement mieux en termes quantitatifs, mais c'était le cadet de mes soucis, mais qu'il bénéficierait également d'une plus grande publicité. Je peux dire que ma décision a été la bonne. Ce livre est encore relativement bien lu aujourd'hui, et il est également largement cité. Je n'entre pas dans une grande controverse dans ce livre ; il est écrit de manière sobre et académique. Je suggère également aux étudiants et à vos lecteurs de se familiariser avec le thème principal de ce livre.

Quelle a été la réaction des autres auteurs et des représentants de la Nouvelle Droite à votre livre ?

Quant au titre lui-même, mon bon collègue Alain de Benoist, qui connaît bien le livre, c'est-à-dire ma thèse de doctorat, qu'il a beaucoup aimée, m'a dit plus tard, bien sûr en toute bonne foi, "Tomislav, quant au titre lui-même, il risque de susciter quelques réactions négatives, car nous ne sommes pas des adversaires de la démocratie, nous sommes juste très critiques à l’endroit de la démocratie libérale". Je le cite ici, mais la même attitude s'applique à moi. Il a également approuvé le contenu du livre et a compris pourquoi j'avais choisi ce titre. Comme je l'ai déjà dit, la thèse de doctorat portait un titre politiquement correct qui était acceptable pour mes collègues avec lesquels j'ai soutenu ma thèse en 1988. J'ai ensuite publié le livre en trois éditions sous le titre Contre la démocratie et l'égalité. Alain de Benoist n'était pas tout à fait d'accord avec ce titre, mais il était d'accord sur le fond avec le livre, avec la table des matières et la bibliographie, pour laquelle il m'a également aidé en partie, étant donné que tout le livre lui est en quelque sorte dédié, puisque j'y traite d'un sujet sur lequel il avait écrit bien avant moi, dès la fin des années 1960.

Pourriez-vous donner à nos lecteurs une idée des grands principes et des idées de la Nouvelle Droite?

Je vais maintenant dire quelque chose à ce sujet. Qu'est-ce que la nouvelle droite ? Je l'explique également dans le premier chapitre du livre déjà mentionné. Il s'agit peut-être d'un pléonasme linguistique, car je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire de mentionner une "nouvelle" ou une "vieille" droite. En fait, je peux dire brièvement qu'il s'agit des idées qu'Alain de Benoist et moi-même, entre autres, représentons et que mon livre décrit également. Pour être clair, ce n'est pas un pamphlet, c'est un livre sérieux avec de nombreuses citations. Alain de Benoist et l’association qu’il patronne, le GRECE (Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne), ont voulu faire revivre, en quelque sorte, la tradition conservatrice en philosophie, en sociologie, en littérature et dans d'autres domaines de la connaissance humaine, qui était pratiquement tombée dans l'oubli après la Seconde Guerre mondiale, ou qui n'était plus accessible pour des raisons politiques, parce que, comme nous le savons, après la Seconde Guerre mondiale, une hégémonie culturelle complètement nouvelle a commencé à émerger.

9781912079391.jpgDites-nous en plus sur cette hégémonie culturelle et pourquoi elle est importante ?

J'ai également consacré un chapitre du livre à ce sujet, dans lequel j'explique pourquoi cette hégémonie culturelle est importante dans la lutte politique. Chaque parti ou mouvement politique, qu'il s'agisse de Trump aux États-Unis, de Janša en Slovénie ou de Plenković en Croatie, doit établir une certaine hégémonie culturelle avant de pouvoir accéder au pouvoir, ou même avant d'être capable d'accéder au pouvoir. En d'autres termes, toute force politique doit compter un certain nombre d'intellectuels dans ses rangs et avoir une emprise sur le discours dominant, ou bien elle doit maîtriser ses propres idées et être capable de les imposer, comme l'ont fait les libéraux en Europe occidentale et les communistes en Europe orientale en 1945. Un exemple typique, peu importent son œuvre et la qualité de ses travaux, de cette hégémonie culturelle établie en 1945 est Slavoj Žižek. Malheureusement, dans cette hégémonie culturelle, on ne pouvait entendre que le côté gauche, ou plutôt la scolastique freudo-marxiste, qui incluait la French theory, etc. Mais la philosophie politique qui était auparavant assez forte en France et en Allemagne, comme les filons de la célèbre révolution conservatrice allemande sous la République de Weimar, est complètement tombée dans l'oubli. Ainsi, aujourd'hui, les étudiants n'ont aucune idée de ce qui se passait sur la scène intellectuelle conservatrice et de qui en étaient les principaux leaders, ou, si je puis dire, de la grosse Bertha conservatrice, ou artillerie lourde, qui est très peu connue dans les universités aujourd'hui, qu'il s'agisse de la faculté des arts de Ljubljana, de Zagreb ou de Berkeley aux États-Unis. Ce que je veux faire avec mes livres, et je dois aussi faire l'éloge d'Alain de Benoist sur ce point, c'est de rééquilibrer d'une certaine manière ce déséquilibre et de montrer que la droite, qu'on appelle aujourd'hui la nouvelle droite, a aussi sa propre artillerie lourde intellectuelle, qui se répand lentement, comme on peut le voir aux États-Unis, mais aussi en France, en Allemagne et ailleurs. Il ne faut cependant pas oublier que l'hégémonie culturelle des anciens freudo-marxistes, qui ont bien sûr changé de nom et opèrent sous la forme de diverses associations indépendantes qui aiment parler de tolérance, ou de divers groupes homosexuels et alternatifs de gauche, est toujours forte. Il serait difficile de soutenir que ces groupes font aujourd'hui appel à Marx ou à Freud, car ils ne sont plus en vogue, mais d'autres auteurs le sont, mais néanmoins l'idée d'une nouvelle droite est encore loin d'être implantée dans le cœur et l'âme des gens et des jeunes étudiants d'Europe, précisément parce que cette hégémonie de l'ancienne gauche, ou des antifascistes, ou des anciens et nouveaux ‘’culturistes’’, comme nous les appelons en Croatie, est encore assez forte. Ils ont des sponsors et des financiers puissants, il faudra donc du temps pour que nos idées percent, mais nous sommes sur la bonne voie.

Dans vos essais, vous mentionnez plusieurs fois les titans de la Grèce antique et vous êtes également l'auteur de la nouvelle Les Titans sont en ville. Que représentent réellement les titans aujourd'hui ?

Je suis content que vous me demandiez ça. Lorsque les gens me demandent quelle est ma profession, je leur réponds généralement que j'ai étudié les sciences politiques et la littérature, mais je peux aussi me vanter de ne pas être ce que les Allemands appellent un "Fachidiot". Dans l'enseignement supérieur, notamment aux États-Unis, où l'on parle d'"expertise", ou de "compétence", cela m'a toujours dérangé qu'il y ait aussi, malheureusement, ce "Fachidiotismus", où de grands scientifiques et experts connus se concentrent exclusivement sur leur sujet. Aujourd'hui, malheureusement, il n'y a plus en Europe ou aux États-Unis de penseurs du type de ceux qui ont fait jadis la Renaissance : on voit grouiller des dizaines d’universitaires qui sont seulement forts dans leur "Fach", qui, dans mon cas est la sociologie politique ou la philosophie politique. Mais on ne rencontre plus qu’une misérable poignée d’intellectuels qui connaissent encore la littérature, ou du moins sont familiers avec la littérature classique, qu'il s'agisse d'Homère ou d'Hésiode, ou savent ce que signifient dans la mythologie les Titans, les figures représentées sur les gargouilles et les différents dieux. En parlant de titans, on peut dire que Prométhée est l'un des principaux héros "légitimes" de notre littérature. Nous le rencontrons dans le Faust de Goethe, mais bien sûr, nous le retrouvons surtout dans la mythologie grecque antique. Prométhée est aujourd'hui, même, je suppose, pour le citoyen ordinaire, qu'il soit slovène ou croate, ainsi que pour l'intellectuel, le symbole d'un homme libre-penseur capable de résister à toutes sortes de mythes modernes, même si ces mythes sont faux ou corrects, et capable de risquer sa vie, comme Prométhée, qui a passé 30.000 ans attaché à un roc dans le Caucase, où l'aigle légendaire lui tenaillait constamment le foie. Mais il ne pouvait pas mourir, car les titans, comme les dieux, sont immortels. 

51hvnlJjs-L.jpg

Dites-nous en plus sur la nouvelle Les Titans sont en ville?

Tout cela m'a un peu inspiré pour écrire une nouvelle, qui, je le souligne, n'est pas un essai politique. Les Titans sont dans la ville est exclusivement une nouvelle d'environ quatre-vingts pages, dans laquelle j'ai dépeint une sorte de ville mythique, et j'avais Vukovar dans mon subconscient, mais en même temps c'est une projection de villes européennes en général, que ce soit Ljubljana, Kranj, Klagenfurt ou Zagreb, montrant à quoi ressembleront ces villes dans environ vingt ou trente ans dans ce grand conflit entre les Saturniens négatifs et les Titans positifs. D'une certaine manière, c'est une allégorie, et j'ai été assez inspiré par le frère d'Ernst Jünger, Friedrich Georg Jünger. J'ai beaucoup lu Ernst Jünger, mais malheureusement je ne l'ai jamais rencontré. Mort en 1998, il est l'une des principales figures parmi les grands écrivains, romanciers et romancières de la littérature allemande. Ce que l'on sait moins, c'est que son frère était également un bon écrivain et qu'il a beaucoup écrit sur les titans. Il a publié un livre pendant la guerre, en 1944, intitulé Die Titanen (Les Titans), que je possède en allemand et aussi en traduction française et anglaise, dont je peux dire qu'elle est très bonne. Ce livre m'a donné un peu d'élan pour écrire ma nouvelle sur cette ville mythique, Titan Town. Je ne mentionne nulle part Vukovar en particulier, mais en général, il pourrait s'agir de n'importe quelle ville d'Europe occidentale, peut-être même des États-Unis, où les gens sont entourés de ces fameux Saturniens que l'on ne voit jamais et dont on ne sait même pas quelle est la forme de leur corps, de leur visage ou de leur morphologie, mais dont on peut dire qu'ils sont négatifs. Mais ici, nous avons aussi des titans positifs, dont l'un s'appelle Held, ce qui signifie héros en allemand, et sa femme s'appelle Heroine, qui patrouillent dans cette enclave isolée, qui est en fait au bord de la mort, entourée de Saturniens, avec des armes. Ils sont confrontés à la mort, et je dois dire à nouveau que la ville de Vukovar m'a aussi un peu inspiré, mais ils se battent, malgré les faibles chances, parce qu'ils savent qu'il vaut mieux se battre en sachant qu'on s'est battu que d'abandonner, de se rendre ou de se suicider collectivement. Bien sûr, je ne parle pas de Vukovar ou de la Croatie, mais je fais en tout cas allusion à des villes européennes qui sont en un sens également assiégées aujourd'hui, bien qu'indirectement, non pas par un ennemi direct ou armé, mais par ce que nous pourrions appeler une migration silencieuse, qui a une note humanitaire et un peu larmoyante. Cette note lui est donnée par le système, et je pense ici en particulier au système libéral de l'Union européenne et à l'État profond des États-Unis, qui contrôlent tout cela de manière pratiquement très fine en favorisant l'arrivée de non-Européens dans cette ville, défendue par les restes de ces titans déjà un peu dépassés.

Avez-vous été inspiré pour écrire cette nouvelle par d'autres livres que l'œuvre de Jünger mentionnée ci-dessus, que vous pourriez recommander à nos lecteurs ?

Je me suis également inspiré d'un livre de Jean Raspail que j'ai lu il y a longtemps, intitulé Le camp des saints. Je peux dire que la traduction anglaise de ce livre est également très bonne, je l'ai lu moi-même dans les années 1980 et je l'ai comparé avec l'original français. Je peux dire qu'il est en effet très bien traduit, et je vous recommande sans hésiter ce livre. Jean Raspail a écrit ce brillant roman en 1973 sur ce que nous voyons aujourd'hui dans l'Union européenne, ou plutôt en Méditerranée, sur l'arrivée constante de migrants non européens qui modifient la composition de la population. Cela part peut-être d'une bonne intention, mais je ne veux pas porter mes jugements moraux maintenant, de peur d'être accusé de racisme. Je pourrais parler de cela aussi, de cette inversion des mots, mais le fait est qu'il s'agit d'un remplacement de population. Je peux mentionner ici un autre auteur français proche de la nouvelle droite, Renaud Camus. J'ai son livre Le Grand Remplacement. Je ne sais pas s'il a été traduit en anglais, mais je le cite beaucoup, parce qu'il parle précisément des choses dont Alain de Benoist, la Nouvelle Droite et une foule d'auteurs de ces milieux ont déjà parlé de manière indirecte, c'est-à-dire de ce qu'ils prévoyaient il y a trente ans, ce remplacement de la population et la disparition progressive des Européens et du patrimoine culturel de l'Europe. Mon bref roman n'a peut-être rien d'exceptionnel, et je pourrais peut-être y ajouter quelques éléments, mais il me tient à cœur. Il est écrit de cette manière culturellement pessimiste, que je fais mienne, et fait référence à ce qu'ont écrit Camus et Raspail, aux thèses de Friedrich-Georg Jünger, mais aussi à Spengler. Tous, d'une certaine manière, peuvent être comptés parmi les précurseurs de la Nouvelle Droite.

81DPzzzqPYL.SR160,240_BG243,243,243.jpgAujourd'hui, nous, Européens, sommes tous confrontés à des problèmes similaires, tels que les migrations de masse, la mondialisation, etc. Néanmoins, il existe de vieilles rancœurs et des conflits entre certaines nations européennes qui sont le résultat de conflits du passé. C'est également le cas entre les Serbes et les Croates. Comment voyez-vous cela et avez-vous des contacts avec les groupes de droite et les identitaires serbes?

J'ai certains contacts avec l'organisation NAŠI de Serbie. J'ai également participé avec eux à un séminaire sur les thermes romains en Slovénie, organisé par l'association Svetilnik. Ivan Ivanović et son collègue au sein de cette organisation m'ont fait une très bonne impression. J'ai souvent des nouvelles d'eux et je corresponds avec eux, et j'ai été invité à Belgrade pour donner une conférence sur l'immigration de masse et le grand changement démographique, à laquelle auraient pu participer le professeur Kevin MacDonald des États-Unis, ainsi que moi-même, parce que nous voulions organiser quelque chose à une échelle un peu plus grande, mais malheureusement cela a été annulé à cause de la crise sanitaire actuelle. J'ai donc certains contacts, mais ils sont loin d'être ce qu'ils devraient être, pour la simple raison que c'est aussi un sujet clé dans cette thématique. Il existe encore une certaine méfiance, je ne dirai pas ‘’haine’’, car le mot est trop fort, mais une certaine incompréhension entre les conservateurs serbes et croates. Je les encourage, aux côtés de mes collègues slovènes, c'est-à-dire à vos côtés, à se joindre d'une manière ou d'une autre à cette lutte commune, et à voir tous ensemble quelles sont nos priorités, sans pour autant renier nos identités nationales et culturelles.

Quelle est votre vision globale des relations entre la Croatie et la Serbie aujourd'hui ?

Il est difficile d'en parler à l'heure actuelle car la Croatie est un pays spécifique et il existe de nombreux malentendus dans ses relations extérieures, qu'il s'agisse de la Republika Srpska, de la Bosnie-Herzégovine ou de la Serbie. J'aimerais donc beaucoup donner un jour une conférence spéciale sur ce sujet. Je dois dire que, bien que j'aie de bonnes relations avec des personnes issues de milieux nationalistes, voire même nationalistes et de droite dits ‘’extrêmes’’ (membres de l'idéologie dite de droite et du ‘’Parti croate du droit’’, op. cit.), je n'ai pas la même opinion qu'eux sur certaines approches, ou je ne suis pas d'accord avec leur méthodologie. Leur point de vue est correct sur de nombreux détails concernant le début de la guerre lors de l'éclatement de la Yougoslavie, mais je ne suis pas le genre de personne obsédée par sa conscience historique au point de couper complètement tout contact avec les Serbes, qu'ils vivent à Chicago, Banja Luka ou Belgrade. Je pense qu'il est très mauvais, nuisible et néfaste de construire son identité nationale sur l'exclusion, ou plutôt sur la diabolisation, la satanisation et l'insulte d'un autre peuple. J'appelle cela une identité négative. Je n'ai pas besoin des opposants serbes pour développer ma conscience nationale et être un bon Croate. Malheureusement, en Croatie, et je crois aussi en Slovénie et en Serbie, il y a un nombre important de personnes, dont beaucoup font partie du gouvernement, qui construisent leur identité serbe ou croate sur la haine, ou sur la diabolisation de toute la nation serbe ou de toute la question serbe, etc. Attention, ce n'est pas seulement le cas ici, mais malheureusement ce problème existe aussi ailleurs en Europe, mais peut-être pas dans la même mesure, par exemple avec les Catalans et les Castillans, ou avec les Hongrois et les Roumains.

u0YO071Y.jpg small.jpg

 

Dans quelle mesure pensez-vous qu'il est important que les peuples européens travaillent ensemble dans cette lutte pour la préservation et l'existence de l'Europe ?

Il ne s'agit pas de broutilles, mais de différences importantes et fatales. Que l'on lise Ante Starčević ou certains auteurs serbes qui glorifient la grande Serbie, il faut savoir tout cela et être capable de replacer ces personnes dans un contexte historique. Cependant, en ce moment de l'histoire, et je ne pense pas qu'il s'agisse d'une déclaration prétentieuse de ma part, nous sommes vraiment au dernier souffle de l'Europe. Le profil ethnique, ou plus exactement racial, de l'Europe a radicalement changé. Ce n'est plus l'Europe d'il y a trente ans ou celle d'il y a soixante-dix ans. Aujourd'hui, c'est un profil de personnes complètement différent. Nous parlons de soixante ou soixante-dix millions de personnes vivant dans l'Union européenne qui ne sont pas d'origine européenne. Par conséquent, une décision doit maintenant être prise, qu'il s'agisse de la baie de Piran ou de certaines parties de la Slovénie autour de Bregana ou peut-être autour de Medjimur, si, en tant que nationaliste croate, c'est mon objectif principal et mon centre d'intérêt, pour ne pas dire mon obsession, de discuter avec vous ou avec l'un de vos politiciens importants au sujet de morceaux de terre qui sont sous la juridiction slovène, ou notre objectif commun est de maintenir plus ou moins le statu quo et d'essayer de nous protéger de ce remplacement de population très subtil, qui ne se fait pas actuellement par un conflit armé, bien que nous ne puissions pas non plus l'exclure à l'avenir, et qui, en même temps, a le potentiel de détruire la nation serbe, ainsi que la nation croate, la nation slovène et toutes les autres nations d'Europe.

Ce dont je parle maintenant concerne notre micro-environnement en particulier, mais ce micro-environnement peut facilement être transféré en France ou en Allemagne. Il y a 20 millions d'étrangers en Allemagne, dont 10 millions, voire plus, sont d'origine non-européenne. Il s'agit de chiffres vraiment "conservateurs", qui sont en réalité beaucoup plus élevés, sans parler de la France, où les statistiques changent littéralement d'un jour à l'autre. En regardant la Suède, l'Allemagne, pratiquement toutes ces villes multiculturelles, on doit se demander si, aujourd'hui, on marche dans le centre de Paris ou de Francfort, ou si on vit à Tombouctou, en Algérie, dans une banlieue d'Istanbul, ou si on est encore dans une ville européenne. Je suis d'avis que, nonobstant nos politiques et nos haines mutuelles qui se sont avérées désastreuses, nous devons nous débarrasser complètement du nationalisme qui nous a fait tant de mal, ce nationalisme de la première moitié du XXe siècle, et nous n'avons tout simplement pas le choix en la matière. Ce nationalisme a causé d'énormes dommages aux Slovènes, aux Croates et aux Serbes, ainsi qu'aux Polonais et aux Allemands, sans parler d'une multitude d'autres nationalités. Nous avons un objectif commun, et je dirais franchement que notre problème fondamental et principal est le système du globalisme et du capitalisme.

Dites-nous en plus sur ce lien entre migration de masse et capitalisme ?

La chose la plus facile à faire est de dénigrer les migrants qui sont venus du Bangladesh et qui peuvent maintenant traverser le Gorski kotar, entrer dans Novo mesto ou errer autour de la frontière slovène de votre côté ou du nôtre. Il est trop facile d’attaquer ces migrants, trop facile de se moquer des Algériens et des Somaliens, en disant qu'ils ne se lavent pas, qu'ils sont laids ou qu'ils sont des terroristes potentiels. Tout cela est en partie vrai, mais nous devons nous demander quelles sont les causes de cette migration et quelles sont les possibilités d'y remédier, ou de revitaliser l'Europe. Alors, où se situent les causes ? Beaucoup de mes collègues qui sont des défenseurs du marché libre et, disons-le, du capitalisme, sont aussi de bons anticommunistes, comme moi, qui suis fier d'être anticommuniste, et nous pourrons en parler une autre fois. Toutefois, avant d'analyser certains problèmes, nous devons savoir où se trouvent les causes profondes. Je vais maintenant attirer votre attention sur un certain paradoxe. D'une part, vos collègues, comme vous-mêmes, sont opposés à la migration et au remplacement de la population, et ce à juste titre. Ils s'opposent au fait qu'un grand nombre de criminels, qu'il s'agisse des prisons viennoises et autrichiennes ou des prisons allemandes, voire plus de 60 %, sont composés de personnes d'origine africaine ou asiatique. Tout cela est vrai. Cependant, nous devons comprendre un fait : vous ne pouvez pas arrêter les migrations de masse si vous ne mettez pas d'abord fin au principe libéral du libre marché, ou à la libre circulation des personnes et des capitaux.

Alors, en fait, le capitalisme est-il en grande partie responsable des migrations de masse et du remplacement de la population ? Comment cela fonctionne-t-il en pratique ?

L'Union européenne et l'ensemble de la doctrine libérale, d'Adam Smith à Hayek et tous ces théoriciens libéraux d'aujourd'hui, sont fondés sur le principe que nous devons avoir la libre circulation des capitaux et des personnes. C'est, après tout, un des principes fondamentaux de l'Union européenne. Donc, pour revenir au paradoxe, et pour l'illustrer un peu de manière simple, j'ai un bon collègue, bon catholique et anticommuniste, grand analyste, qui s'exprime constamment contre les migrants, mais qui est aussi un grand défenseur du marché libre... Ce n'est tout simplement pas cohérent. Si je peux me permettre une petite allégorie, pour un commerçant, qu'il s'appelle Schmitt, Kovac, Maréchal ou Kovacevic, et où qu'il soit dans le monde, qu'il soit catholique ou juif, croate ou slovène, le plus important est qu'il vende ses marchandises. C'est pourquoi l'ouverture des frontières est dans son intérêt. Vous ne pouvez pas l'empêcher d'en profiter. Il y a des employeurs croates qui ont leurs magasins et leurs restaurants à Zadar, pour vous donner une illustration un peu plus poussée de tout cela, et ils ont de grandes croix accrochées dans ces restaurants. Ils sont ultra-catholiques et affichent parfois leur ‘’croatitude’’ de manière un peu grotesque, tout en embauchant une main-d'œuvre bon marché de Bosnie-Herzégovine et du Kosovo, pour la simple raison que pour eux, le profit passe avant l'idée nationale. Je ne veux pas perdre mon temps avec de telles personnes. Je ne veux pas perdre mon temps avec ces faux Croates, Serbes ou identitaires, dont beaucoup sont des gens honnêtes. Je le répète donc, nous ne pouvons pas arrêter la migration si nous n'analysons pas d'abord le capitalisme. Après tout, les principaux "employeurs" de ces migrants sont précisément les grandes entreprises capitalistes, qui ont tout intérêt à obtenir une main-d'œuvre bon marché aujourd'hui et demain, tout en réduisant les salaires et revenus mensuels de la population blanche autochtone.

Mais quels sont les intérêts des néo-marxistes d'aujourd'hui, qui soutiennent aussi avec passion ce changement de population ?

En ce qui concerne les marxistes, il faut comprendre qu'il a toujours été dans leur intérêt et celui des communistes de créer une société mixte, car pour eux tout nationalisme sent le fascisme. Pour être clair, je peux me moquer d'eux, ce sont mes adversaires, de classe ou de race, pourrait-on dire. Mais il faut admettre que si les nationalistes européens, comme je l'ai déjà dit, on peut aussi les appeler les ‘’identitaires’’, avec leurs éternelles guerres tribales qui remontent à cent cinquante ans, qu'ils soient français, allemands, croates, serbes, catalans, castillans, bretons, jacobins et j'en passe, ne vont pas s'arrêter un jour, alors bien sûr, ils donnent du pain et des jeux, ou des opportunités tant pour les capitalistes que pour ces néo-marxistes ou antifascistes modernes, comme ils s'appellent aujourd'hui, pour une légitimité et une alimentation supplémentaires, d'inviter, ou plutôt d'ouvrir la porte légalement à des millions de candidats à l'immigration qui attendent en Afrique du Nord, en Libye, sans parler des trois millions et demi qui attendent en Turquie et d'un peu plus d'un million en Jordanie et en Syrie. Donc, en théorie, il y a environ dix millions de personnes qui attendent en Afrique et en Asie de venir en Europe.

Vous avez vous-même vécu à la fois dans la Yougoslavie communiste et multiethnique et dans les États-Unis multiraciaux. Quelle est votre expérience de la "multiculture" ?

Je n'ai pas besoin d'expliquer ce que cette migration massive peut nous apporter. J'ai vécu assez longtemps dans la Yougoslavie multiculturelle pour voir la fin de cette fraternité et de cette unité dont on parle aujourd'hui aux États-Unis, où je vivais avec ma famille à Los Angeles. Là-bas, il fallait être armé, et il n'y avait pas de téléphones portables à l'époque, mais aujourd'hui il faut avoir deux téléphones portables et une bonne voiture performante. Lorsque je vivais là-bas, j'étais constamment dans une sorte de peur et sous tension, car le soir, on entend presque constamment des coups de feu dans le Los Angeles multiculturel. Je ne pense pas exagérer, car vous pouvez également voir à la télévision les preuves empiriques de ce qui se passe aujourd'hui, non seulement à Los Angeles, mais aussi à Seattle et dans toutes les grandes villes et maintenant dans les petites villes des États-Unis. Maintenant, je ne veux pas porter ici de mauvais jugements sur les Afro-Américains, les Asiatiques ou même les antifascistes blancs, quels qu'ils soient. Il faut toujours chercher d'abord les causes de tout cela, il faut comprendre leur façon de raisonner. En Europe aussi, il y a encore beaucoup à faire, notamment avec la crise actuelle du COVID et l'énorme changement démographique. Je ne peux pas prédire s'il y aura des guerres ou non, car un homme peut perdre une guerre sans tirer un seul coup de feu.

Comment voyez-vous la société de consommation moderne créée par l'idéologie libérale?

Ce qui me gêne personnellement, c'est cette note un peu décadente que je remarque même chez moi et chez mes collègues, qui sont habitués à une certaine dictature de la prospérité et à ce progrès constant, à vouloir toujours, comme disent les Américains, "plus, toujours plus". Nous sommes une société trop opulente et trop riche, nous ne sommes plus habitués à une certaine note prométhéenne, à savoir que chaque chose a son prix. Comme le disait Alain de Benoist, dans le libéralisme, ou plutôt dans le mondialisme auquel nous assistons aujourd'hui, plus rien n'a de valeur, mais chaque chose a un prix. Et nous allons devoir payer ce prix de manière assez sanglante dans les années à venir.

Merci pour cette interview ! Enfin, dites-nous quels sont vos projets pour l'avenir proche et y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire à nos lecteurs ?

Je tiens à remercier vos lecteurs. J'aimerais que plus de gens lisent mes livres, donc toutes les personnes sérieuses et les étudiants qui aiment lire peuvent me contacter par e-mail. Je serais également heureux de donner une conférence chez vous, pas nécessairement sur des sujets politiques, mais peut-être sur le thème du prométhéisme dans la littérature européenne, où nous pourrions également aborder la politique du moment. Nous avons également pu aborder les sujets plus sensibles de la Seconde Guerre mondiale et de la catastrophe qui a eu lieu dans la Corne de Kočevje en 1945. Je suis ouvert à la conversation et j'aime entendre, non seulement des applaudissements, mais aussi des questions critiques plus complexes. Je serais heureux si quelque chose pouvait être organisé à l'avenir. J'apprécie les identitaires et je suis en contact avec eux dans une certaine mesure. Le problème de l'organisation de ces événements est généralement la logistique, mais ma vieille règle, je crois que c'est Nietzsche qui l'a dit, est que rien ne tombe du ciel. En fait, je vais très bientôt donner une conférence en anglais en Finlande sur Nietzsche, intitulée "Nietzsche et la signalisation de la vertu". Il s'agit du nouveau terme "virtue signalling", qui fait référence à la moralisation. Nous devons travailler sur notre hégémonie culturelle et faire preuve d'un peu plus de courage civique. Je tiens à vous remercier une fois de plus, ainsi que vos lecteurs. Si quelqu'un souhaite en savoir plus et aussi apprendre quelque chose, il peut me contacter à l'adresse tom.sunic@gmail.com  ou visiter mon site web www.tomsunic.com .

En français:

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/792-la-croatie-un-pays-par-defaut-.html

EOP-6w_WAAAZyD7.jpg

Tomislav Sunic décrit le phénomène de la « soudaineté » et des aléas dans la notion du politique chez les peuples dépourvus d’États stables. En s’appuyant sur de nombreux ouvrages d’écrivains allemands, français, croates et américains, il s’intéresse plus particulièrement au cas de la Croatie avant d’élargir sa réflexion et de passer en revue les « fausses identités » qui interviennent dans la construction des nationalismes européens. Ce livre incontournable présente les identités nationales par « défaut » ou par « procuration ».

Les victimologies et les hagiographies communistes, véhiculées par une certaine gauche occidentale et les médiats fantasmagoriques, ont été volens nolens à l’origine de l’exacerbation du conflit en ex-Yougoslavie — comme elles le seront peut être demain dans l’Union Européenne.

L’ouvrage traite également du glissement sémantique des vocables à la mode, tels que « fascisme », « antifascisme »,  « racisme », etc., et présente au lecteur la face cachée d’une forme de postmodernité mimée à outrance par les Européens de l’Est.

Cette nouvelle édition s’enrichit d’une introduction de Robert Steuckers nous éclairant sur le parcours de l’auteur et son œuvre.

mercredi, 24 mars 2021

Pierre Le Vigan : Nietzsche et l'Europe, une mise au point

8562f9c_925670280-01-friedrich-nietzsche.jpg

Pierre Le Vigan: Nietzsche et l'Europe, une mise au point

Pierre Le Vigan, urbaniste et essayiste, répond aux questions de Marianne Corvellec à l'occasion d'une mise au point sur Nietzsche et L'Europe. 
 
 
➡️ Abonne-toi, camarade !

vendredi, 19 mars 2021

Entretien avec Claudio Mutti

maxresdefCMport.jpg

Entretien avec Claudio Mutti

Propos recueillis par Théo Buttignol

Claudio Mutti est un ancien militant nationaliste-révolutionnaire italien, disciple de Jean Thiriart, il est essayiste, éditeur, directeur de la revue Eurasia, mais également philologue de formation et grand érudit en ce qui concerne les langues Finno-ougriennes.

Il a accepté, avec beaucoup de sympathie, de répondre à quelques-unes de mes questions.

Théo Buttignol : Vous êtes le directeur de la revue d’études géopolitiques Eurasia, pour vous, le soleil, demain, se lèvera t-il à l’est ?

Claudio Mutti : Le soleil se lève toujours à l’Est, il ne s’est jamais levé à l’Ouest. Pour faire la clarté sur ces termes de Est et Ouest, il suffirait de regarder le planisphère d’un quelconque atlas : on pourra se rendre compte que l’Occident de la géographie terrestre coïncide avec le continent américain et les eaux océaniques qui l’entourent. Donc, l’Europe n’est pas l’Occident : elle se trouve dans l’hémisphère oriental et fait partie de cette unité continentale qui s’appelle Eurasie. Actuellement, ce continent est gardé par deux grandes puissances aux dimensions impériales, la Russie et la Chine, qui en empêchent le contrôle par les Américains. 

61BoQQT8pRL.jpg

L’idée eurasiatique peut-elle irradier l’Europe du même esprit que l’Empire Romain ou le Saint Empire Romain germanique dans le passé?

M : L’idée eurasienne est une variante de l’idée d’Empire proportionnée aux exigences géopolitiques du XXI siècle. Comme l’unipolarisme nordaméricain n’est pas du tout éternel et donc il faut réalistiquement envisager la prochaine transition à un nouvel “nomos de la terre”, c’est urgent que l’Europe, si elle ne veut pas rester aux marges de l’histoire, prenne en sérieuse considération le modèle impérial, le seul modèle politique d’unité supranationale qu’elle a réalisé dans le cours de son histoire. 

B : Aujourd’hui, beaucoup de nationalistes croient au « Choc des civilisations » . Qu’est-ce que nous pouvons leur répondre ?

M : Il faut bien démasquer la théorie du “choc des civilisations”, élaborée par Samuel Huntington, et dénoncer ce qu’elle représente en réalité. Cette théorie, selon laquelle il faudrait désormais penser les conflits en termes culturels, est un outil idéologique de la stratégie nord-américaine, laquelle vise la déstabilisation du continent eurasien. Le vrai choc, c’est le choc entre les civilisations traditionnelles de notre continent et la barbarie yankee.

B : Julius Evola a dit : "Le fait que la Monarchie n'apparaisse pas actuelle prouve non pas un progrès, mais une régression : cela signifie qu'une certaine partie de l'humanité est tombée tellement bas qu'elle n'est plus à la hauteur d’une telle institution" (Cité dans Totalité, numéro 26, 1986). Que pensez-vous de cette citation ?

M : Ce n’est pas seulement la Monarchie traditionnelle qui n’apparaît pas “actuelle” à cette “certaine partie de l’humanité” qui est l’humanité occidentale, puisque cette dernière est incapable de concevoir toute institution politique qui ne soit la démocratie parlementaire d’inspiration libérale.  Pour cette humanité, aussi la République est inconcevable, si on songe à l’“Etat parfait” de la doctrine platonicienne ou bien à l’institution historique qui a donné naissance à l’Empire romain.

Théo Buttignol.

00:17 Publié dans Entretiens, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : entretien, claudio mutti, géopolitique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 18 mars 2021

Peut-on interpréter le retour au pouvoir des "élites" comme une incohérence du populisme?

unMT.jpg

Peut-on interpréter le retour au pouvoir des "élites" comme une incohérence du populisme?

Entretien avec le Prof. Marco Tarchi

Propos recueillis par Filippo Romeo

Source : https://www.ariannaeditrice.it

Le terme "populisme" est l'un des plus récurrents dans le débat politique actuel. Il est fréquemment utilisé comme un élément de discrimination à l'encontre de telle ou telle force politique, présente sur l’échiquier politique. Pour libérer le terrain des interprétations trompeuses, nous reproposons une interview donnée par le professeur Marco Tarchi en novembre 2017 (et publiée sur le portail vita.it), réactualisée en ce mois de mars 2021 à la lumière du nouveau cadre politique installé en Italie depuis quelques semaines. Édité par Filippo Romeo.

Entretien de 2017

Comme vous êtes l'un des plus grands spécialistes du phénomène populiste, pourriez-vous nous donner une définition appropriée du terme "populisme" ?

La définition que j'en ai donnée dans mon livre Italia populista est la suivante : "la mentalité qui identifie le peuple comme une totalité organique artificiellement divisée par des forces hostiles, lui attribue des qualités éthiques naturelles, oppose son réalisme, son travail et son intégrité à l'hypocrisie, à l'inefficacité et à la corruption des oligarchies politiques, économiques, sociales et culturelles et revendique sa primauté comme source de légitimation du pouvoir, au-dessus de toute forme de représentation et de médiation". Presque trois ans plus tard (ndt : après la parution du livre), je la trouve plus appropriée que jamais.

73665F08-8A76-43F0-9287-C4AC0C630D3D.jpeg

710rLtfjMJL.jpg

Quelles sont les conditions idéales qui permettent à ce phénomène de s'enraciner et de se développer?

Des situations de crise et de méfiance généralisée envers la classe politique, qui peuvent être déterminées par les facteurs que j'ai indiqués dans la définition que je viens de mentionner. En ce sens, le populisme n'est pas, comme on le prétend souvent, un facteur d'usure des systèmes politiques démocratiques, mais un produit de leurs insuffisances.

Quels sont les objectifs politiques poursuivis par ses promoteurs ?

Dans l'abstrait - ou, si l'on préfère, à long ou très long terme - la restauration de cette unité et de cette harmonie du corps populaire qui est à la base de leur imagination. Concrètement, et à moins long terme, la conquête du pouvoir, du gouvernement, en espérant qu'il soit le seul à ne pas avoir à subir de conditionnements et d'entraves, pour mettre en œuvre les réformes qu'ils jugent essentielles pour atteindre les objectifs ultimes. Habituellement, parmi les premières mesures espérées, figure le lancement de procédures de démocratie directe qui remplaceront progressivement les institutions fondées sur le principe de la représentation indirecte, qui, aux yeux des populistes, n'est rien d'autre qu'un mécanisme visant à exproprier le peuple des prérogatives d'autogestion auxquelles il a droit. Évidemment, ces projets sont complétés par d'autres dans divers domaines, toujours orientés vers l'objectif principal.

Le populisme peut-il être incarné par les membres des institutions ? Si oui, pouvez-vous donner quelques exemples ?

Si nous nous référons aux institutions représentatives traditionnelles, il est certainement possible que ceux qui en font partie ou qui les dirigent utilisent le jargon et la rhétorique du populisme ; mais il s'agit généralement d'utilisations instrumentales, qui ne se rapportent pas à la mentalité que j'ai mentionnée. De nos jours, pas mal de politiciens professionnels, représentants de ce que les populistes appellent l'establishment, réalisant l'emprise que certains arguments typiquement populistes ont sur des secteurs importants de l'opinion publique, les empruntent pour affronter ces adversaires sur leur propre terrain. Cela explique pourquoi Renzi, par exemple, a souvent recours à des attaques verbales virulentes contre des sujets que les populistes mettent au pilori : les "bureaucrates de Bruxelles", "l'Europe des banques et de la finance", etc.

Dans votre livre "L'Italie populiste", vous définissez notre pays, l’Italie, comme un laboratoire du populisme. Pouvez-vous nous donner les raisons de cette évaluation ?

Il me semble que l'histoire politique de l'Italie républicaine démontre abondamment que les formes les plus diverses de populisme ont été expérimentées sur notre sol : le qualunquisme, le laurisme, certains aspects du radicalisme panéliste, le légaïsme, le dipyethrisme, le réseau d'Orlando, le berlusconisme, les Girotondi, jusqu'aux formes de prédication propres à Beppe Grillo ; et la liste pourrait continuer. Dans mon livre, j'ai essayé de mettre en évidence toutes les caractéristiques, communes et spécifiques, de ces phénomènes, qui autorisent à parler d'un véritable laboratoire. Mais avant moi, l'historien latino-américain Loris Zanatta, à qui nous devons la création de l'expression, l'avait remarqué. L'historien et politologue français Guy Hermet est allé plus loin en parlant de l'Italie, pour les mêmes raisons, comme du "paradis des populistes".

ph-zanatta.png

unnamedLZnatcath.jpg

9788858141281_0_0_626_75.jpg

Loris Zanatta et deux de ses ouvrages sur le populisme en Argentine.

Guy+Hermet.jpg

81H9VNEPB6L.jpg

9782213606118-G.JPG

Est-il correct d'interpréter les récents événements politiques en Europe et aux États-Unis comme une vague populiste ?

Oui, à condition de ne pas mettre dans un même sac tous ces mouvements qualifiables de « populistes » et de savoir distinguer la spécificité de chacun des phénomènes qui l'ont caractérisée: dans le Brexit, dans l'élection de Trump et dans les succès des partis de Marine Le Pen, Geert Wilders et Hans-Christian Strache, il y a des éléments communs mais aussi des différences que l’on ne peut nullement considérer comme secondaires.

Les mouvements et partis de "droite radicale" qui progressent dans diverses régions d'Europe peuvent-ils être inclus dans la catégorie du populisme ?

Cela dépend. Je me méfie de l'étiquette très utilisée qui entend désigner les "partis de la droite radicale populiste", car, comme je l'ai démontré de manière argumentée dans le livre que vous avez cité, la droite radicale ou l'extrême droite - et là aussi on se heurte au caractère glissant des classifications, sur lesquelles, dans le domaine scientifique, il n'y a pas de consensus, loin s'en faut - se distingue du populisme sur un grand nombre d'aspects. Après tout, dans une sphère, on peut parler d'une véritable idéologie, tandis que dans la seconde, on est confronté à une mentalité caractéristique : ce sont des entités différentes. Cela explique pourquoi ils attribuent des significations différentes à des concepts fondamentaux, tels que le peuple, la nation, l'État, la société, l'individu, le dirigeant, l'élite, la démocratie, le marché - et les utilisent par conséquent de manière parfois opposée. Cela ne nous empêche pas d'enregistrer certaines contiguïtés ou chevauchements dans leurs positions ou campagnes, ou l'identification de cibles polémiques communes. Mais, pour donner un exemple, il y a une nette différence, en Allemagne, entre l'AfD (Alternative für Deutschland), populiste, et la Npd (Nationaldemokratische Partei Deutschlands), d'extrême droite, ou en Italie entre Lega Nord et Forza Nuova.

Quels sont les partis ou mouvements en Italie que l'on pourrait définir comme populistes? Et pour quelles caractéristiques?

Les caractéristiques, évidemment, doivent être celles qui figurent dans la définition dont je suis parti. Si nous parlons de populisme pur, aujourd'hui en Italie, je vois deux manifestations: la Ligue du Nord et le discours politique de Grillo, que je sépare de l'action politique du Mouvement 5 étoiles parce que plusieurs fois, sur des questions qui ne sont pas secondaires, les " grillini " ont pris des chemins différents de ceux indiqués par leur " garant " ou leur " mégaphone " (il suffit de penser au problème de l'immigration). Cependant, je n'ai pas une vision monolithique du populisme : étant une mentalité, par nature fluide, on peut le trouver en différents pourcentages dispersés chez différents acteurs du système politique, et il se peut que le M5S finisse par en absorber de telles doses qu'on puisse l'attribuer à cette catégorie, comme le pensent déjà divers autres chercheurs, ou qu'il s'en débarrasse progressivement, en se détachant de l'empreinte du fondateur.

Addendum de 2021

Au cours de la dernière décennie, le phénomène populiste a alterné entre des moments de grand succès et des moments de déclin, parmi lesquels la victoire du Leave en Grande-Bretagne en 2016 ou l'ascension de Trump et sa récente sortie de scène. Quel bilan peut-on tirer de ce phénomène politique ?

Le populisme a toujours eu un schéma cyclique: explosion, succès, déclin, disparition, puis à nouveau explosion. Ce n'est pas un hasard si un spécialiste attentif comme Loris Zanatta l'a comparé à une rivière karstique, qui suit un long parcours souterrain pour ensuite réapparaître à la surface. Cela dépend de sa nature en tant que phénomène de protestation: il recueille des soutiens lorsque les choses vont mal et, s'il existe des leaders et des mouvements efficaces pour l'interpréter, il gagne des positions; lorsque le scénario s'améliore ou que les préoccupations qui l'avaient motivé sont dépassées par d'autres, il perd de la force. Dans les cas que vous avez mentionnés, cela s'est passé comme suit: en Grande-Bretagne, le seul objectif de Farage était de quitter l'Union européenne. Ayant atteint cet objectif, ses partisans se sont tournés vers d'autres questions, que ni l'Ukip ni le Brexit Party n'ont pu aborder efficacement. Trump a été vaincu par la pandémie, face à laquelle il s'est montré peu préparé et peu rationnel ; cela ne l'a pas empêché d'élargir sa base électorale mais l'a rendu incapable d'attirer les électeurs indécis et indépendants. En général, la Covid-19 a vu les populistes indécis sur ce qu'ils devaient faire et fluctuants dans leurs choix. Mais dans tous les pays, cela ne les a pas fait reculer dans la faveur populaire. Il est donc impossible de dresser un bilan net, et il est probable que leur présence persistera, avec des hauts et des bas, pendant longtemps, dans des régimes politiques qui, comme les démocraties occidentales, continuent à lutter pour résoudre des problèmes ayant un impact social grave.

188dbbc0-00d2-11eb-b50d-dc4778dc85b0.jpg

Comment évoluent les forces qui, aux États-Unis et en Europe, sont devenues les protagonistes du "moment populiste" ces dernières années ?

Une réponse qui comprendrait pleinement leur dynamique est impossible, car une autre caractéristique de ces formations est la relation presque exclusive qu'elles entretiennent avec leur contexte national spécifique: chacune ne parle qu'à son propre peuple, sans élaborer de projets et de propositions à une échelle qui dépasse les frontières de l'État dans lequel elle opère. Ainsi, chacun d'entre eux suit une stratégie spécifique et met en œuvre les choix tactiques qui en découlent: il y a ceux qui radicalisent les tonalités anti-establishment et ceux qui les atténuent, ceux qui envisagent une opposition rigide aux gouvernements sociaux-démocrates ou libéraux et ceux qui cherchent plutôt à obtenir une place dans les coalitions gouvernementales de même signe. Cela dépend des opportunités qui se présentent, mais aussi de ce que l'on appelle en sciences politiques la variable idiosyncratique, c'est-à-dire le caractère, la psychologie, les ambitions de leurs dirigeants. Il n'y a donc pas d'évolution commune ; les chemins peuvent être très différents.

Peut-on interpréter le retour au pouvoir des "élites" comme une incohérence du populisme?

Tout d'abord, c'est un signe de la force de ces mêmes élites - ou oligarchies, comme les populistes préfèrent les appeler -, qui continuent à détenir des ressources considérables de pouvoir, à commencer par leur poids financier, qui, à une époque où la politique est si fortement conditionnée par la logique économique qu'elle lui apparaît presque toujours subordonnée, compte de manière décisive. Ces élites ont également, et exercent, un grand pouvoir dans la sphère culturelle, et par ce biais, elles influencent massivement la mentalité générale des populations, les attirant vers leurs propres choix et solutions. Et puis, bien sûr, il y a les insuffisances de ces partis populistes qui, ayant réussi à exercer (plus souvent en commun qu'en propre) des fonctions gouvernementales, n'ont pas tenu une partie plus ou moins grande des promesses qu'ils avaient faites. Et cela tient aux faibles ressources en termes d'expertise technique que possèdent les populistes, à leur habitude de traiter les questions complexes de manière simpliste : un défaut auquel ils n'ont pas pu remédier jusqu'à présent et qui les met en difficulté face à "ceux d'en haut".

salvini-grillo-960x576.jpg

L'expérience populiste italienne, avec l’ex-alliance M5S/Lega, en fin de partie, conduit à la formation de ce que beaucoup appellent déjà le "Gouvernement des élites". Quelles conclusions peut-on en tirer?

Cette institutionnalisation est le grand ennemi des mouvements populistes (à supposer que le M5S puisse réellement être considéré comme tel): elle risque de les transformer en partis comme les autres et leur enlève toute envie de remettre en cause l'establishment.

mercredi, 17 mars 2021

Si les populistes ne disparaissent pas, ils sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés"

franco-cardini-e1526044331672-1.jpg

Si les populistes ne disparaissent pas, ils sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés"

par Franco Cardini

Source : https://www.lintellettualedissidente.it/

Sur le thème du populisme, nous présentons aujourd’hui un interview du professeur Franco Cardini, historien de renommée internationale. Déjà en 2017, il était intervenu sur le sujet (avec une interview publiée sur vita.it que nous reproduisons ici sous une forme actualisée) "prophétisant" le reflux des mouvements populistes et soulignant les différences avec les mouvements populaires. Aujourd'hui, à la lumière du nouvel ordre politique, social et géopolitique, également déterminé par l'avènement de la pandémie de la Covid-19, Cardini exclut une "résurrection à court terme" du phénomène populiste désormais "englouti par la politique" et, surtout, ne voit pas d'opportunités pour l'Europe subordonnée au dessein hégémonique des États-Unis. Édité par Filippo Romeo en 2017.

Ces derniers temps, nous assistons à une croissance exponentielle du populisme. Pourriez-vous nous aider à cadrer le phénomène d'un point de vue historique en expliquant ce qu'il est, où il est apparu et comment il s'est développé ?

Je crois que l’on a déjà répondu cette question de manière exhaustive : mon ami et collègue Marco Tarchi, avec lequel je suis entièrement d'accord, y a précisément répondu et je reconnais son extraordinaire compétence en la matière.

Quelle a été son évolution en Italie ?

Je ne remonterai pas trop loin, et en particulier je n'aborderai pas la question de savoir si le fascisme était un populisme ou s'il avait un quelconque caractère y afférant. Il va sans dire qu'en Italie les grands mouvements "populaires" (y compris le communisme, qui se présentait comme classiste mais ne l'était pas en réalité) n'étaient pas populistes dans la mesure où du populisme ils n'avaient pas un caractère fondamental: la méfiance et/ou la lassitude et/ou le mépris de la politique. Le fascisme lui-même, qui avait en commun avec le populisme classique (boulangisme, par exemple) le mépris de la politique comme praxis ou comme revendication "démocratique", résolvait ce mépris en termes de hiérarchie et de discipline dans le militantisme ; de même, étant anti-classe et inter-classe, il résolvait cette position en termes corporatifs, s'inspirant de théoriciens très proches de la doctrine sociale de l'Église (Toniolo).

515i91eUP4L._SX333_BO1,204,203,200_.jpgQuant aux mouvements "populistes" actuels, leur parabole a déjà été parcourue au cours des vingt dernières années par la "Lega" et est en train d'être parcourue par le "M5S" : succès initial soudain, dû à la nouveauté, insistance sur quelques thèmes de propagande facilement déclinés avec quelques variables (anti-islamisme, xénophobie, anti-européanisme, "anti-politique", moralisme, etc.), lassitude vis-à-vis de la politique politicienne démocratique habituelle, due à la routine d’une politique professionnelle et incompétente, puis impasse et crise dues à une détérioration rapide – à un vieillissement. L'absence de véritables programmes et surtout d'une authentique tension civique conduit fatalement à un échec cyclique mais peut-être aussi à une résurrection rapide sur des modules récurrents (le berlusconisme et le recyclage des thèmes et sympathies de l'ex-Ligue dans le grillisme en sont la preuve).

En Europe, outre l'avancée du populisme, nous assistons à une croissance exponentielle des partis et mouvements nationalistes. Quelles sont les implications de ces phénomènes ?

Je n'ai aucune estime ni confiance dans les mouvements néo-micro-nationalistes: la seule issue possible pour un mouvement nationaliste sérieux dans un pays européen, dans les décennies entre les années 1950 et aujourd'hui, aurait été de viser, avec des mouvements nationalistes similaires, une identité européenne sérieuse, la construction d'un patriotisme européen et d'une conscience civique européenne. Sur ce sujet, il y avait eu quelques tâtonnements dans les années 1960 (le mouvement de Jean Thiriart, héritier en grande partie du "socialisme européen" de Pierre Drieu La Rochelle). La constellation de groupes et de personnalités du petit monde de la culture - je ne veux pas les appeler "intellectuels" parce que je n'aime pas ce terme - qui, depuis les années 70, a trouvé un catalyseur en Alain de Benoist, aurait pu reprendre ces thèmes: elle a choisi une autre voie, très intéressante cependant. Je n'attends rien du développement et peut-être du succès électoral des groupes néo-micro-nationalistes, sinon une utilisation hystérique et en même temps instrumentale de la xénophobie. Si et quand certains de ces groupes prendront comme objectif principal la nécessité d'une sérieuse reprise en mains de la souveraineté nationale, ce qui implique avant tout la sortie de l'OTAN, alors nous pourrons relancer le débat sur une base plus sérieuse et concrète. Jusque-là, je ne vois que des vœux pieux et une chasse aux sièges.

790x1200.jpgLe populisme peut-il être lu comme la énième désintégration d'une pensée européenne construite sur des cathédrales, des monastères et des universités ?

La pensée "européenne" de la chrétienté occidentale - celle qui est chantée dans un célèbre essai de Novalis - est celle qui s'est exprimée précisément dans les cathédrales, les monastères et les universités. C'est une pensée fondée sur la métaphysique, sur les distinctions hiérarchiques et sur le communautarisme. La modernité, qui est essentiellement l'individualisme et le primat de l'économique et du technologique, l'a détruit. Le monde moderne, celui de l'économie-monde, de "l'échange symétrique" et de l'exploitation généralisée de l'homme par l'homme (c'est ce qu'est la mondialisation) n'est pas né d'un développement harmonieux de ce qui existait auparavant, mais d'une révolution: la Révolution individualiste et matérialiste. Il faudra une autre Révolution pour le détruire. Sur le plan social et anthropologique, le mot grec qui exprime le mieux le caractère de ce type de Révolution est Metanoia.

La définition de "populiste" a été adoptée, par des spécialistes faisant autorité, également par le pontificat du pape Bergoglio. A votre avis, peut-on parler d'un moment populiste dans l'Eglise catholique ?

Mario Jorge Bergoglio a été péroniste dans sa jeunesse : il a donc connu un mouvement aux caractéristiques populistes-charismatiques assez explicites et avancées. Lorsqu'il est entré dans la Compagnie de Jésus, il a certainement gardé intacte cette tension vers la justice qui avait très probablement caractérisé son expérience péroniste, mais il l'a métabolisée, précisément, en termes de Metanoia. Je ne vois aucune trace de populisme dans la pensée de Bergoglio : j'y vois une profonde vocation eschatologique et une vocation prophétique-apocalyptique. Je ne sais pas si Bergoglio est le "dernier pape" prophétisé par Malachie : je sais qu'il est un pape des derniers temps, qui invite à vivre l'Eschata.

draghi-salvini.jpg

Propos complémentaires de 2021

Dans votre interview de 2017, vous avez prédit de manière prophétique le flux et le reflux des mouvements populistes. Face à la situation socio-politique actuelle, quelle direction le phénomène prendra-t-il ? Et sous quelle forme pourrait-elle ressusciter ?

Il n'y avait pas de prophétie: c'est la tendance, parfaitement observable, des mouvements populistes qui soit échouent en tant que tels, soit sont réabsorbés par la politique (politicienne établie). Max Weber dirait que, puisqu'ils sont à leur manière du côté du "charisme", tôt ou tard, l'"institution" a raison d'eux. D'autre part, comme les révolutionnaires et les extrémistes, les populistes, s'ils ne disparaissent pas, sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés". Maintenant, à part les boutades de Grillo qui - au moins aujourd'hui - est le premier à ne pas y croire, le gros du M5S prendra la voie des mécontents vaguement de gauche, à part une certaine frange de droite qui reviendra à sa position initiale. Sans aucun doute, le choix de Giorgia Meloni, outre le fait qu'il était obligatoire si elle voulait éviter de faire partie de l’inutile charrette de queue du nouveau gouvernement, était politiquement intelligent : Lorsque la "lune de miel" entre Draghi et la majeure partie de la politique italienne (ne parlons pas de la "vraie" société civile, qui ne se distingue même plus, submergée par les clameurs des médias) sera terminée, c'est-à-dire dans quelques semaines ou quelques mois, l'ancien M5S réapparaîtra fragmenté ou du moins redimensionné, à l'exception des politiciens les plus compétents qui le composent et qui font déjà la queue pour s’engager dans un PD, qui, à son tour, entre également en crise. Une "résurrection populiste" à court terme n'est pas prévisible : la métabolisation du mouvement « pentastellé » (Cinq Etoiles) devenu un semi-parti sera lente.

Peut-on considérer l'institutionnalisation comme un facteur de déclin des mouvements populistes ?

C'est généralement la règle: soit ils réussissent et se transforment en forces politiques, soit ils disparaissent. Le fait est qu'ils ont raison de se méfier de la politique, qui est injuste et malhonnête. C'est pour cette raison qu'elle a toujours raison d'eux: elle les engloutit, aussi parce qu'en général, à leur tête, il y a des gens qui meurent d'envie de faire de la politique, en se transformant d'outsiders en leaders.

La pandémie de la Covid 19 a accéléré certains processus qui ont affecté l'architecture géopolitique, et révélé, s'il en était encore besoin, la limite des modèles actuels d'organisation économique et sociale. À votre avis, à quoi ressemblera la prochaine mondialisation ? Les nouveaux changements pourraient-ils être une opportunité pour l'Europe ?

Franchement, je ne vois pas de changement qui pourrait constituer une opportunité. Draghi a été très explicite: volontairement ou non, il a énoncé un programme et un projet très clairs, parlant d'atlantisme et d'européanisme. Par "atlantisme", Draghi entend la fidélité aux pactes constitutifs de l'OTAN, qui sanctionnent la subordination politique et militaire, et donc diplomatique, de l'Union européenne au dessein néo-hégémonique américain, une caricature du "multilatéralisme" auquel Obama croyait peut-être sérieusement, caractérisée par un retour au programme "classique" du parti démocrate américain: le "gendarme démocratique" américain qui surveille et sanctionne le monde entier, au nom du principe axiomatique selon lequel la paix et la prospérité du monde (c'est-à-dire de 10% de la population mondiale, qui possède et gère 90% des richesses de la planète entière), donc la stabilité du statu quo, coïncident avec les intérêts des États-Unis. Par "européanisme" Draghi entend précisément le statu quo, c'est-à-dire une "Union" économico-financière/technologique qui doit considérer l'OTAN comme son bras militaire (dont la politique est dictée à Washington) et ne jamais rêver d'atteindre l'indépendance et la souveraineté politique en se transformant en une Fédération ou une Confédération souveraine capable de développer une position internationale propre, ce qui serait très utile et louable, soit une position de médiation entre les deux blocs de la nouvelle "guerre froide" qui se prépare entre les États-Unis d'un côté, la Russie et la Chine de l'autre.

h_55366682-1-800x600.jpg

Pour autant que je sache, le lancement d'une véritable Fédération européenne - maintenant que le projet de constitution, lancé il y a des années, a lamentablement échoué sur le faux obstacle du préambule relatif aux "racines chrétiennes" - n'est plus à l'ordre du jour ni à Bruxelles ni à Strasbourg; aucun signe de mouvement politique européiste à l'horizon; la seule personne qui a eu l'intelligence concrète de relancer un discours politique pro-européen unitaire, en écartant explicitement la formule fédéraliste, inadaptée à l'histoire européenne, et en parlant plutôt d'un possible projet confédéré, a été Giorgia Meloni. Il s'agissait d'un appel nouveau et intelligent, lancé une seule fois à ma connaissance et qui n'a été repris par personne. En revanche, Meloni ne peut rien faire: elle est "sous la claque" et le sait très bien. Si, dans quelque compétition électorale future, elle parvenait à dépasser les 15%, aussitôt quelque part exploseraient quelques bombes sous un monument à la Résistance, contre les murs de quelque synagogue, apparaîtraient quelques croix gammées, l'ANPI se mettrait aussitôt en branle, la "question morale antifasciste" renaîtrait et elle serait à nouveau formellement isolée. D'autre part, avec un "Parlement européen" comme celui-ci, expression des parlements des différents pays et marionnette de la volonté des Etats-Unis, on fait peut-être une politique des "fonds de relance", mais on ne va pas aller au-delà de l'euro. C'est la fin du projet européiste inauguré il y a des décennies par De Gasperi, Adenauer et Schuman.

GettyImages-1224647205.jpg

jeudi, 11 mars 2021

Kris Roman meets Robert Steuckers: on Navalny, Klaus Schwab, liberalism, etc.

snapshotTSER.jpg

Время Говорить

Kris Roman meets Robert Steuckers: on Navalny, Klaus Schwab, liberalism, etc.

(in English)

In the talk show Время Говорить ('Time to Speak'), Kris Roman receives special guests who explain their findings and knowledge on current topics to the general public. In this episode, recorded on 15-02-2021, Robert Steuckers is our guest.
 
He talks about Carl Schmitt, about Navalny, about liberalism, about Klaus Schwab and his plans to ban private property.
Robert Steuckers also talks about his personal experiences with Russia.
 
©Время Говорить/Kris Roman 2021
 
В ток-шоу «Время Говорить» Крис Роман принимает специальных гостей, которые объясняют широкой публике свои выводы и знания по актуальным темам. В этой эфире, записанной 15-02-2021, Роберт Штакерс - наш гость.
 
Он говорит о Карле Шмитте, о Навальном, о либерализме, о Клаусе Швабе и его планах запретить частную собственность. Роберт Штюкерс также рассказывает о своем личном опыте общения с Россией.
 
©Время Говорить/Kris Roman 2021
 

mercredi, 10 mars 2021

Julien Rochedy: «Je reproche au conservatisme traditionnel son manque de courage»

julien_rochedy_sipa_2.jpg

"Nous allons devoir redécouvrir la communauté"...
 
Entretien avec Julien Rochedy
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Julien Rochedy à une revue culturelle suisse, dédiée au débat d'idées, Le Regard Libre, pour y évoquer son combat métapolitique.

Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure montante de la mouvance conservatrice et identitaire. Il vient de publier un essai intitulé Nietzsche l'actuel.

Julien Rochedy: «Je reproche au conservatisme traditionnel son manque de courage»

Le Regard Libre: En 2014, vous avez quitté le Front national pour vous lancer exclusivement dans le combat métapolitique. Pourquoi ce choix?

Julien Rochedy: J’étais entré en politique assez jeune et je ne voulais pas devenir exclusivement politicien. La politique est un monde dont il est difficile de sortir une fois à l’intérieur: on y entre avec des idéaux et de la passion, et on les perd en général au bout de quelques années. On ne peut cependant plus quitter ce monde parce qu’on y gagne de l’argent. Aujourd’hui, je pense même que la majorité des hommes politiques n’aiment pas particulièrement ce qu’ils font, mais y sont obligés, aspirés par leur milieu. Je pense que le monde de demain ne sera pas nécessairement structuré par la politique. Celle-ci n’est qu’une caisse enregistreuse des grands mouvements culturels et sociaux qui se jouent en Europe et en Occident. C’est désormais la société qui prévaut. Par conséquent, pour avoir un pouvoir sur ce qui va arriver demain, il s’agit d’acquérir ce qu’on appelle «l’influence». Influence sur la jeunesse, sur les intellectuels, sur les classes dirigeantes. Influence qu’on acquiert davantage par le truchement du combat des idées que par la pure «politique politicienne».

Vous avez été un membre influent du Front national, mais vous ne vous reconnaissez plus dans la ligne politique souverainiste adoptée par Marine Le Pen. Il existe néanmoins au sein du parti une ligne plutôt libéral-conservatrice, dans le sillage de Marion Maréchal. Vous reconnaissez-vous dans cette droite-là?

Oui, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté le Front national. Marine Le Pen s’est choisi un positionnement strictement souveraino-populiste, tandis que – s’il fallait absolument me mettre une étiquette, nécessairement réductrice – je suis effectivement plus proche des libéraux-conservateurs.

Qu’est-ce qu’une droite libérale-conservatrice?

Disons qu’en ce qui concerne la France, c’est une droite qui prend conscience avant tout des problèmes identitaires – les plus graves que nous ayons à affronter. C’est une droite qui se concentre sur nos racines civilisationnelles, tout en considérant la réduction nécessaire des impôts et des charges sociales qui pèsent terriblement sur les acteurs économiques français – notamment sur nos petites entreprises, nos travailleurs et nos artisans. Je me sens proche de ces idées-là. Je pense que c’est ce que nous pouvons faire de mieux en ce moment. Avant de promettre que la société française se portera bien mieux quand on aura changé le monde et l’Europe, il faut régler les problèmes franco-français, liés à notre Etat omnipotent et à notre culture très gauchiste. Evidemment, nous pouvons dans le même temps tenter d’insuffler quelque chose de neuf en Europe, mais nous ne pouvons pas nous défausser de tous nos problèmes sur l’Union européenne – ce que les souverainiste ont tendance à faire en permanence. Une façon de faire assez fausse en plus d’être démagogique.

Vous parlez beaucoup d’identité. Est-ce cela qui complète l’étiquette de libéral-conservateur, que vous jugez simplificatrice?

Oui. Le cadre intellectuel du libéral-conservatisme tel que je m’y retrouve est un cadre plutôt national, qui nécessite un contexte civilisationnel homogène. La libre entreprise fonctionne dans la mesure où les gens sont capables de s’autoréguler moralement, sans être dépendants des lois et des règlements émanant d’un Etat, car ils tirent ces règles d’eux-mêmes et de l’organisation communautaire. Un des modèles de ce libéral-conservatisme est l’Amérique, du moins dans certaines de ses parties, où les gens sont libres mais où «l’église est au milieu du village» – c’est-à-dire qu’il y existe une régulation communautaire effective. Sans cette dernière, le libéralisme perd tous ses freins moraux et entre dans un processus négatif. On parle alors de «libéralisme libertaire» ou de «libéralisme progressiste». Par conséquent, parce que le libéralisme doit être construit sur une base cohérente pour fonctionner, le libéral-conservatisme se doit nécessairement d’intégrer une certaine dose d’«identitarisme».

A propos de conservatisme, vous critiquez souvent la droite conservatrice traditionnelle – la droite du Figaro par exemple – qui draine une part non négligeable de l’opinion publique. Pourquoi cette critique? Après tout, les thèmes identitaires y sont très présents depuis plusieurs années déjà.

Je reproche au conservatisme traditionnel sa pusillanimité, son manque de courage. C’est une droite qui n’ose pas tirer toutes les conséquences de ses réflexions. Elle est souvent en retard sur ses raisonnements et tient tellement à être bien vue par les élites progressistes qu’elle a finalement peur de son nom. Dès lors qu’elle avance une idée légèrement radicale, elle fait aussitôt marche arrière, pour ne pas être traitée d’extrémiste. Or, cette crainte précisément donne tout pouvoir à la gauche, qui se régale de jeter des anathèmes sur la droite, la rendant inefficiente. Ce que je reproche le plus au conservatisme, c’est de ne pas oser affronter la gauche en face, n’assumant pas ce qu’il est: une droite qui peut tirer des enseignements de la contre-révolution, de l’antimodernisme, de la tradition anglaise «burkienne». Par peur, cette droite-là n’ose pas aller sur le champ de bataille idéologique avec toutes les munitions qu’elle possède.

nietzsche-l-actuel.jpg

Sur le plan idéologique précisément, vous dites combattre le nihilisme – reprenant évidemment le vocabulaire de Nietzsche sur lequel vous avez écrit un livre: Nietzsche l’actuel. Qu’entendez-vous par là?

On parle souvent de «racisme systémique» pour décrire la société occidentale; je parle quant à moi de «nihilisme systémique». Ce nihilisme s’incarne dans la volonté de l’Occident, consciente ou inconsciente, de s’auto-supprimer. Le nihilisme, c’est le désir du néant, du néant en soi-même – du suicide en quelque sorte. L’Occident et l’Europe occidentale semblent souvent tout faire pour se supprimer eux-mêmes, pour supprimer ce qu’ils sont dans leur chair, dans leur matérialité.

Quelle est la place de Nietzsche dans cette analyse?

L’Occident s’est jeté au XIXe siècle dans une toute nouvelle aventure: celle de la «mort de Dieu» – comme l’a appelée Nietzsche. Dans ce contexte, Nietzsche est l’un des premiers à avoir analysé l’avènement du nihilisme occidental. C’est le philosophe qui a réfléchi aux conséquences d’une civilisation qui se passe de Dieu à tous les niveaux, alors que toutes les civilisations dans le monde et dans l’histoire ont toujours cru en une divinité ou en une religion – importantes pour fédérer les individus et tenir en bride le nihilisme qu’ils peuvent avoir en eux. Nietzsche a analysé ce que cela pouvait produire sur nos consciences, en psychologie. Il a vu que le nihilisme menaçait et qu’il pouvait conduire à la ruine totale de la civilisation européenne, à son autodestruction. Nietzsche disait lui-même qu’il faudrait le lire un siècle après sa mort ; nous y sommes. C’est en cela qu’il est intéressant: nous vivons exactement ce qu’il avait prédit et ce contre quoi il nous avait mis en garde. Mais s’il avait prévu ces choses-là dans sa philosophie, on peut aussi y trouver des éléments qui nous permettent de nous sauver.

Justement, au-delà du constat passif, de l’analyse et de la critique de la société, quels sont les combats qu’il faut mener «activement» selon vous? Qu’y a-t-il à construire?

C’est une large question. C’est un travail que je mène en réfléchissant à ce qui pourrait être un nouvel idéal pour la société européenne, un nouveau souffle. On constate bien aujourd’hui que l’Occident ne sait plus que faire, sinon se supprimer. La crise profonde qu’il traverse résulte de cette absence de but et d’idéal. C’est aussi pour cela que la civilisation occidentale a trouvé des succédanés à la religion pour essayer de continuer de rêver et ainsi ne pas sombrer dans le nihilisme. Ce furent par exemple les idéaux totalitaires du XXe siècle, qu’ils fussent communistes ou nationaux-socialistes. Ces idéaux permettaient de croire en quelque chose. Mais depuis que la société «libérale-progressiste» a gagné et que le communisme est mort, les gens n’ont plus rien pour se projeter dans le futur. On le constate avec des phénomènes comme l’écologie, ou plutôt «l’écologie progressiste», qui conduit les gens à ne plus vouloir faire d’enfants – symptôme typique du nihilisme. C’est l’idéologie punk: no future, parce que nous pensons être détestables et avoir rendu le monde détestable. Dans ce contexte suicidaire, c’est à nous, intellectuels, de chercher ce qui pourrait nous donner un nouvel idéal, nous redonner l’envie de vivre, de faire des enfants, afin de poursuivre le destin de notre civilisation.

484_1739421.gifAu cœur de l’Occident décadent, vous parlez souvent de « l’individu postmoderne » en le comparant au dernier homme décrit dans Ainsi parlait Zarathoustra. Qu’est-ce que cet «individu postmoderne»?

L’individu postmoderne est un individu réduit à son seul individualisme. Il est d’une naïveté à faire peur et croit que nous sommes sortis de l’Histoire, que l’Histoire n’est plus tragique. Il se concentre exclusivement sur sa petite santé et n’est plus mû par une vraie philosophie jouisseuse, mais se contente d’une médiocre jouissance du bien-être. Cet individu correspond au «bouddhisme européen» décrit par Nietzsche: non pas le grand bouddhisme beau et intelligent des civilisations asiatiques, mais un bouddhisme au sens d’une pensée médiocre qui se concentre sur les petites souffrances, les petites vertus et les petites douleurs. On ne fait plus rien de grand, on ne se projette plus, on ne parle plus que d’amour du prochain. L’individu post-moderne est finalement un chrétien devenu fou, pour reprendre la formule de Chesterton. C’est un tout petit individu qui ne rêve plus à grand-chose, ou, comme le disait Jacques Brel en répondant à la question «qu’est-ce qu’un imbécile?», c’est celui qui pense qu’il faut se contenter de vivre. Ce faisant, l’individu devient complètement fou.

Pensez-vous qu’il s’agisse du type d’individu majoritaire en Europe?

En Occident, en tous cas, c’est le type d’individu que l’on a fabriqué. Mais nous sommes en train de vivre la fin de cet individu post-moderne – en même temps que son apogée – parce que les temps redeviennent tragiques. Nous allons devoir redécouvrir la communauté et on peut espérer, dans notre malheur, retrouver un certain bon sens, un nouveau souffle pour l’Europe.

008672180.jpg

On constate que vous basez une grande partie de votre analyse sur la pensée de Nietzsche. Cependant, vous êtes en profond désaccord avec la tradition française du «nietzschéisme de gauche» – dont Michel Onfray est une des figures actuelles. Que lui reprochez-vous?

Michel Onfray, effectivement, était un nietzschéen de gauche, mais il est en train de changer, comme on peut le remarquer. Lui-même a déclaré à des amis il y a un ou deux ans qu’il commençait seulement à comprendre Nietzsche. C’est-à-dire qu’il était parti sur une base nietzschéenne relativement fausse, qu’il remet en question désormais. On le voit à son parcours : il se sépare de plus en plus de ses idées de gauche et progressistes qu’il pouvait avoir il y a encore dix ou vingt ans. Je reproche aux nietzschéens dits «de gauche» d’utiliser Nietzsche pour détruire les bases de la société classique occidentale – notamment le christianisme. Ces gens-là utilisent en fait la critique nietzschéenne pour se libérer d’un certain nombre de carcans qu’ils trouvent oppressifs, mais dont ils oublient que si Nietzsche les a critiqués, c’était précisément pour nous mettre dans des carcans encore plus durs, encore plus exigeants, et tout à fait antiprogressistes. C’est donc ne prendre de Nietzsche que ce qui les arrangent, sans aller au fond des choses.

Mais n’est-ce pas le même piège qui se présente à vous qui souhaitez pratiquer une sorte de «nietzschéisme de droite»? Ne doit-on pas d’abord considérer Nietzsche comme un poète plutôt que d’en faire une «utilisation» militante?

Nombreux sont ceux qui, pour ne pas tirer toutes les conséquences de sa pensée, réduisent Nietzsche à un poète, à quelqu’un qui n’est pas systématique, qui se contredit. Ces gens restent pour moi très à l’écart de ce que dit Nietzsche réellement, et je ne peux pas être d’accord avec eux. Je tiens Nietzsche pour un philosophe complet. Certes, il ne s’est pas attardé à la production d’un système tout à fait cohérent, mais il a produit une œuvre dans laquelle on trouve une vision du monde relativement globale sur tous les sujets. La philosophie nietzschéenne est aussi très utile pour comprendre le monde que nous avons à affronter. Comme je l’ai avancé précédemment, Nietzsche a vu toutes les conséquences de la nouvelle ère sans Dieu de la civilisation occidentale, dont nous arrivons au terme aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que je sois nietzschéen à cent pour cent. Je ne dis pas que Nietzsche aurait été à mes côtés dans tous mes combats politiques d’aujourd’hui – j’essaie du reste de dépasser sa pensée sur un certain nombre de choses. Je dis simplement qu’il y a dans sa philosophie des éléments par lesquels il est absolument nécessaire de passer si l’on veut tenter de comprendre totalement le monde actuel.

Julien Rochedy, propos recueillis par Antoine Bernhard (Le Regard Libre, 4 février 2021)

jeudi, 04 mars 2021

Anna Gichkina interviewée par la revue La Emboscadura​ sur le mystère russe, l'âme occidentale et la pandémie actuelle

anna-gichkina-auteur-de-l-europe-face-au-mystere-russe-transcendance-nation-litterature-document-remis-1568294375.jpg

Anna Gichkina interviewée par la revue La Emboscadura​ sur le mystère russe, l'âme occidentale et la pandémie actuelle

Anna Gichkina

Ex: https://www.linkedin.com
Propos recueillis par Jordi Garriga
 
Anna Gichkina, PhD, Directrice de la Communication chez Adscientis, Auteur/Conférencière sujets franco-russes, Présidente du think tank "Cercle du Bon Sens", Artiste Chants russes

Interviewée par Monsieur Jordi Garriga pour la revue espagnole La Emboscadura. Texte en français suivi par sa traduction en espagnol (langue de la revue) réalisée par également par Jordi Garriga. Février 2021. Je les remercie de cette belle attention.

1.     La première question qui nous parâit essentielle : vous êtes née à Arkhangelsk, sur les rives de la mer Blanche, sur les rives du cercle polaire arctique, vous êtes une fière citoyenne russe, alors comment avez-vous décidé de vous installer en France, un pays apparemment si différent ?

Avant tout, je tiens à vous remercier pour cette aimable attention à mon égard. Je tiens également à souhaiter une belle année 2021 à vous et à tous vos lecteurs.

Pour répondre à votre première question je commencerai par dire que je suis née et j’ai habité dans la ville qui s’appelle Arkhangelsk et non pas Archange bien que l’étymologie de « Arkhangelsk » réfère à « Archange », l’Archange Michaïl étant le patron de ma ville avec sa représentation sur son blason. Et il s’agit bien du cercle polaire, oui. Notre ethnie s’appelle Pomors (des deux mots : le mot « po » qui se traduit par la préposition « sur » et le mot « more » qui se traduit comme « la mer »). Une des rares ethnies slaves qui s’est très peu mélangée avec d’autres slaves ni avec des peuples étrangers. Juste un peu avec les Finois à un moment de l’histoire. 

En 2005, je suis arrivée en France. Ce fut une suite logique de mes études universitaires russe où ma spécialisation était la langue et la civilisation française. J’ai étudié cinq années durant la langue française enseignée par les professeurs russes qui, majoritairement, n’ont jamais été en France, donc les conditions d’apprentissage d’une langue étrangère furent isolées de l’imprégnation de la culture réellement française. Et un beau jour une possibilité d’aller étudier dans le pays de ma spécialisation vient vers moi (et encore fallait-il se battre pour pourvoir sortir de la Russie et être acceptée en France directement au niveau supérieur d’études). J’ai pris la décision de saisir cette possibilité d’un long voyage pour deux raisons : perfectionnement de mes connaissances de la culture française et curiosité très forte de voir comment les gens vivent ailleurs qu’en Russie. Néanmoins m’installer en France cela n’a jamais été mon objectif ni ma volonté. J’ai eu beaucoup de projets (professionnels et personnels) en Russie et ma volonté était le retour en Russie après l’acquisition d’un diplôme français. Mais à vingt-deux ans la tentation d’une vie confortable et rassasiée que la France m’offrait m’a corrompue… J’ai eu une vie très modeste en Russie, surtout durant mon enfance soviétique, et les joies capitalistes que la France me proposait m’ont tourné la tête… A cette époque, je ne me rendais pas encore compte qu’en choisissant le confort et satiété je perdais mon âme…

Anna-Gichkina_060.jpg

La pression de mes parents en Russie pour qui mon éventuel retour aurait été considéré comme échec ne m’aidait pas à faire le meilleur choix, mes parents pensaient qu’en France j’aurais un avenir meilleur (cette ancienne génération des Russes qui ne sont jamais sortis du pays et qui pensent qu’en Europe la vie est belle et facile pour tout le monde). Mais aujourd’hui les choses ont changé pour moi, au bout de 15 ans de vie dans un pays étranger qui est la France. J’ai su apprécier l’accueil que la France m’a réservée, j’ai su voir sa générosité, sa sécurité, son respect et sa considération. C’est un pays qui, différemment de la Russie, sait s’occuper de la sécurité et du confort de ses citoyens. La seule chose qui ne me rend ici qu’à moitié vivante c’est le vide spirituel dans l’air, c’est le vide d’un noyau culturel qui fut pourtant fort auparavant, c’est l’absence de foi en « beauté qui sauvera le monde », c’est le potentiel humain qui est de plus en plus réduit ici aux besoins de base dans la pyramide de Maslow. Mais on ne peut pas tout avoir. Ma vie est désormais en France, mon mari est Français, mon enfant aussi, et la famille c’est ce qui compte avant tout. Chaque culture est différente et chaque culture a ses richesses et ces défaillances. Concernant le monde occidental et la Russie j’aimerais citer ici cette phrase de Dostoïevski : « L’Europe nous donne le « ratio » et nous, nous lui donnons le Christ ». L’idéal ce serait d’avoir et de vivre ces deux génies à la fois. Mais l’idéal est justement idéal parce qu’il est parfait et inatteignable.

2.     Pour nous, Européens de l’Ouest, il est courant de dire ou de supposer que « la Russie est un mystère » ou qu’elle est incompréhensible. C’est vraiment cela ? La Russie est-elle un pays européen particulier ou est-ce tout autre chose ?

Oui. La Russie est un pays « incompréhensible avec la raison » comme dirait Tutcheff. La Russie est incompréhensible même pour les Russes eux-mêmes comment voulez-vous qu’il soit accessible à la compréhension des étrangers. 

102901666_c4fc79bab4_b.jpg

La Russie pour moi n’est pas un pays européen. Je la mettrais à part. Je dirais que c’est une civilisation à part. Ce qui nous laisse la définir comme européenne c’est l’affirmation des origines gréco-romaines communes avec le monde européen. Mais quand on prend en considération cet argument on oublie de nous rappeler que l’empire romain à la fin de son existence s’est divisé en deux mondes :  Rome et Byzance. Et c’est de Byzance que naît la civilisation russe et non pas de Rome et quand on comprend la provenance de la culture russe on explique mieux les différences fondamentales entre la Russie et l’Occident.

3.     La religion joue un rôle fondamental dans la composition mentale des peuples. Dans le cas du christianisme, il est évident que la culture des racines catholiques et celle des racines orthodoxes ont développé, depuis la séparation de ces Églises, des mentalités différentes. Dans quelle mesure cela a-t-il pu séparer nos nations spirituellement ? 

Oui, la mentalité de la civilisation occidentale héritière de Rome est différente de celle de la civilisation russe héritière de Byzance. Je pense que la séparation spirituelle des nations dont vous parlez réside principalement dans la question de la souffrance. L’Occident a pris la voie slalom qui a pour objectif principal d’éviter la souffrance et la Russie s’est mise sur la voie opposée, la voie qui cultive la souffrance pour faire grandir l’âme. Si on regarde attentivement le développement de ces deux branches du christianisme à partir du schisme on peut très bien observer la modernisation progressive du catholicisme (sans parler du protestantisme qui se modernise encore plus vite) et son adaptation aux besoins et aux façons nouvelles de vivre à chaque nouvelle époque. L’orthodoxie, elle, reste rétrograde, relativement constante et fidèle au christianisme originel. Sa pratique nécessite donc le sacrifice constant du matériel, notamment du confort (rien que l’absence des bancs dans l’église et les messes debout pour tout le monde sans exception ou encore les restrictions quant au comportement à l’intérieur de l’église, l’interdiction aux femmes d’entrer dans la partie où ce trouve l’autel, interdiction d’entrer dans l’église aux femmes avec leurs têtes découvertes, interdiction d’entrer dans l’église aux femmes en période de leur menstruation, les messes en ancien slavon qui rend leur contenu incompréhensibles à ceux qui les écoutent etc.) Cet effort et ce sacrifice permettent de vivre dans la conscience du sacrifice du Christ, parce que là où il y a la souffrance il y l’humilité. La souffrance et l’humilité ce sont deux mots qui résument l’orthodoxie. Lisez Dostoïevski, c’est le meilleur exemple de la mentalité russe.

9782343141343-xs.jpg4.     La figure d’Eugène-Melchior de Vogüé est totalement inconnue en Espagne, et nous pensons qu’il est très probable qu’en France c’est aussi le cas … Pourquoi ce personnage vous a-t-il encouragé à écrire sur lui ? 

E.-M. de Vogüé fut un Homme noble non seulement par sa lignée mais aussi par son cœur. C’est un Français qui a merveilleusement bien senti l’essence de l’âme russe et qui a su la décrire à ses compatriotes d’une façon si éloquente et passionnante que les Français sont restés pendant longtemps figés dans cet émerveillement. Cet illustre personnage de l’histoire française qu’est Vogüé m’a fasciné par son parcours intellectuel et personnel mais surtout m’a encouragé à œuvrer, à son exemple, à la meilleure compréhension de la Russie en France et en Occident en général. L’art du « ratio » tellement propre à la culture occidentale et tellement accompli dans les textes de Vogüé c’était pour moi comme le maillon manquant à la meilleure explication de l’âme de mon pays.

5.     D’un point de vue traditionnel et conservateur, on peut voir comment « les droits de l’homme » sont établis comme une sorte de pseudo-religion planétaire, sans aucun lien avec le passé. Sans affirmer que c’est le résultat de conspirations , pourquoi certains groupes et certaines personnes verraient-ils bien de construire une religion sans transcendance ? Est-ce possible ?

Si l’on prend le mot religion dans son sens unificateur de rassembler le peuple ou des peuples autour d’un élément culturel commun alors dans ce cas oui la religion sans transcendance est possible, cela s’appelle l’idéologie. Je pense à l’URSS ou l’idéologie des Droits de l’Hommes. Mais si l’on prend le mot religion dans son sens étymologique et originel (du latin « relegare » - relier) la religion est donc ce qui permet de relier le Ciel avec la Terre et la transcendance dans ce cas est la condition fondamentale. Toute société qui a éliminé Dieu et le sacré de sa culture redevient barbare parce que ce n’est pas le contrat social qui unit véritablement la société et fait les lois c’est le cœur des hommes et leur foi en idéal parfait et absolu. Comme l’homme est fait pour croire et pour avoir la foi, si l’on lui enlève Dieu il trouvera autre chose à croire. Il croira alors en l’argent ou en un autre homme. Mais le problème d’une telle situation est que l’absolu est remplacé dans ce cas par le relatif et les vérités relatives, les idéaux changeants ne sont pas capables de créer des cœurs nobles et de satisfaire l’homme spirituellement. Il n’y a que la perfection absolue qui est crédible et qui est une source inépuisable d’espérance et du perfectionnement de l’âme humaine.

giselle_ratmanksy_15_p.jpg

6.     La littérature, la musique, la poésie … sont sans aucun doute des activités humaines aussi nécessaires que manger et dormir. Les tendances artistiques dites « contemporaines » qui semblent s’appuyer sur le plus laid et le plus vil de l’âme humain, sont-elles vraiment de l’art ou sont-elles juste une autre affaire basée sur les émotions et non sur les sentiments ?

Cette question est très compliquée. Tout peut être appelé art à partir du moment où il s’agit de la création consciente de quelque chose par quelqu’un avec un but conscient et voulu également. Comme le but de chaque création est différent les émotions qu’elle provoque sont également différentes. La question du beau et du laid dans l’art est une question de choix personnel, tout comme le choix de la théorie philosophique : il y en a ceux qui aiment Schopenhauer et ceux qui aiment Pascal ou Florensky etc. Ou c’est comme choisir le monde avec Dieu ou le monde sans Dieu. Faut-il encore bien définir ce que l’on entend sous « beau ». Quant à moi, le beau pour moi c’est ce qui est moral et haut. L’art pour l’art ce n’est pas pour moi. 

7.     La Russie est un pays qui a réussi à surmonter un terrible effondrement survenu il y a trente ans. Au-delà du politique, l’âme russe a-t-elle démontré sa force, malgré la période soviétique, ou peut-être grâce à elle ?

L’âme russe a toujours su préserver son essence. « La Russie change de Maîtres mais reste inchangée elle-même », - peut-on lire chez Custine. (Je crois que c’est la seule phrase positive que nous pouvons trouvez chez lui à l’égard de la Russie, mais quelle phrase !) Peu importe quelle secousse vit la Russie dans son histoire, son pilier qui est l’orthodoxie culturelle ne bouge pas parce que si le pilier bouge la maison s’écroulera. Le peuple russe a comme une sorte de conscience collective archétypale de ce pilier et de son importance.

lac-des-cygnes.jpg

8.     La pandémie actuelle et la crise dans laquelle elle nous entraîne, malgré toute la propagande, seront-elles un catalyseur qui pourra réveiller le meilleur des Européens (spirituellement, culturellement) ou, peut-être, le point de non-retour qui fait définitivement de l’Union européenne la version orientale des USA (déracinement, consumérisme, hédonisme) ?

L’Occident n’a plus de pilier, lui. Ce qui donne l’espoir, le sens et la force aux pays comme la Russie fut éliminé en Occident. Les sociétés déracinées ne savent plus comment faire pour être heureux et sereins. Je ne suis pas sûre que la situation covid réveillera dans les sociétés la nostalgie de l’éternité, je pense que pour cela il faut une situation beaucoup plus grave. La tension et l’incertitude actuelle risquent d’amplifier et de faire ressortir plutôt le pire qui est en nous : toutes les peurs, les mal êtres, les frustrations relatifs à la succession des besoins qui restent sans satisfactions en engendrant de nouveaux besoins. 

9.     Vous dirigez l’association « Cercle du Bon Sens », visant principalement à une bonne entente entre les peuple russe et français (nous comprenons européen en général) . Nous aimerions que vous nous informiez de certaines activités ou réalisations remarquables.

Avec plaisir. Vous êtes les bienvenus. Avant les restrictions covid imposées nous avons organisé un événement par mois. Nous refusons de passer en mode wébinars car les rencontres et échanges intellectuels réels sont importantes pour nous.  

10.  Enfin, nous sommes curieux de connaître votre opinion sur l’Espagne, sur le peuple espagnol, qui a toujours eu une relation particulière avec la Russie à distance et malgré les guerres.

Espagne ! Merveilleux pays gardant encore ses attaches fortes à ses traditions. S’il reste aujourd’hui en Occident un pays où le sacré est encore dans l’air c’est bien le vôtre. Je regarde en ce moment la série Netflix « Casa del Papel ». Ce que je remarque dans cette ciné-production contemporaine espagnole c’est le courage d’accentuer par les moments les racines chrétiennes de votre culture et le courage de ne pas être politiquement correct dans le choix des acteurs. L’atmosphère espagnole de chaque épisode ne laisse aucun doute sur le pays par lequel la série fut créée. 

mercredi, 03 mars 2021

Rémi Soulié évoque « Les Métamorphoses d’Hermès »

Hermes_Logios_Altemps_Inv8624_n2bb.jpg

Rémi Soulié évoque « Les Métamorphoses d’Hermès »

Entretien

Ex: https://www.breizh-info.com

Qui ne connaît pas Hermès, fils de Zeus et de la nymphe Maïa, protecteur des voyageurs et des voleurs, messager des dieux ? Son association au logos, au discours raisonné, est en revanche moins connue, bien qu’elle soit nécessaire à son rôle de messager. C’est cette facette méconnue que Rémi Soulié, dans un livre intitulé Les Métamorphoses d’Hermès paru aux éditions La Nouvelle Librairie (collection Longue mémoire de l’Institut Iliade) s’attache à révéler et à expliquer. Dieu d’une connaissance sacrée et voilée, Hermès donne son nom à l’hermétisme, doctrine ésotérique particulièrement utilisée par les alchimistes, et à l’herméneutique, science du déchiffrement et de l’interprétation de textes.

Pour partir à la rencontre d’Hermès avant que vous ne vous penchiez dessus plus en détail dans l’ouvrage (à commander ici), nous avons interviewé Rémi Soulié.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Rémi Soulié : C’est pour votre serviteur un exercice plus difficile qu’il n’y paraît ! Disons que je suis écrivain et philosophe, que j’ai publié une dizaine de livres dont le dernier s’intitule Racination et qu’il a paru en 2018 aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux. Comme vous êtes également « enracinés », je précise que la question de l’enracinement traverse tous mes livres, qu’elle en est même la trame et…que j’étais cet été dans votre pays breton, que j’aime beaucoup, sur les traces de Saint-Pol-Roux, Georges Perros et Xavier Grall (après avoir vécu une curieuse expérience, il y a quelques années, à la Fontaine de Barenton, sur laquelle s’« ouvre » mon prochain livre, L’Éther – où il sera question de l’unité de l’enracinement terrestre et céleste.) Mon pays est occitan, c’est le Rouergue – lequel correspond, à quelques paroisses près, à l’actuel département de l’Aveyron. Il occupe une grande place dans mes livres, qu’elle soit centrale ou « disséminée ».

Au moment de vous répondre, je songe également que La Nouvelle Librairie réédite bientôt L’Ile aux trente cercueils, de Maurice Leblanc, que j’ai eu le plaisir et l’honneur de préfacer : il y est question de la Bretagne, des Celtes et de l’Europe. Arsène Lupin y est rendu à lui-même, contre les manipulations en cours.

hermes.jpg

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au personnage mythologique d’Hermès ? Qui est-il ?

Rémi Soulié : Je me suis intéressé à Hermès à partir de la pensée hermétique, sur laquelle je reviendrai.

A mes yeux, il est moins un « personnage mythologique », au sens où nous entendons aujourd’hui cette formule, qu’un dieu grec (mais pas « seulement ») et je fais partie de ceux pour qui les dieux ne sont pas morts. Je veux dire par là que le « Dieu est mort » de Nietzsche – constat de décès indubitable – s’applique au dieu moral et, pour une part, au dieu unique, mais que le divin, si crépusculaire soit-il, demeure. Au fond, c’est surtout nous qui sommes crépusculaires, nous, les derniers hommes, les tard venus, qui avons perdu la vue et l’ouïe au point de ne plus voir la merveille du monde, il est vrai recouverte par les monceaux d’ordures de l’industrialisme et du capitalisme planétaires.

Cet été, j’ai donc été me recueillir sur la tombe de Saint-Pol-Roux et de sa fille Divine – sans commentaire… – puis je me suis rendu sur les ruines de son manoir. Je peux vous dire que les dieux étaient là, comme ils étaient à Ouessant, où je me suis rendu quelques jours plus tard. Pour de très nombreuses raisons, la Bretagne est une terre sacrée.

Mais revenons à Hermès, quoique nous ne l’ayons quitté qu’en apparence. Traditionnellement associé aux échanges, il est un dieu de l’entre-deux, un dieu messager et intercesseur dont les ailes lui permettent d’aller et de venir des dieux aux mortels, de l’Empyrée aux Enfers, en particulier pour porter la parole de Zeus. En tant quel tel, il détient une connaissance, un savoir, un pouvoir d’ « in-formation », ce qui ouvre le champ des formes, donc, de la métaphysique. Espiègle, joueur, rieur, il ne nous élève pas moins vers les sommets. En serviteur inutile, j’ai voulu contribuer à l’« arracher » à ceux qui voudraient en faire le dieu de la « communication », au sens moderne, qui est donc l’autre nom de la surdité et de la cécité. Hermès ouvre à l’épaisseur mystérieuse des mondes. Comme Hamlet, avec qui il partage la même initiale, il sait qu’il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel que n’en rêve notre philosophie. D’ailleurs, le H a la forme d’une échelle, qu’elle soit de Jacob, de S. Jean Climaque ou de Dame Alchimie, et une échelle, ça se monte et ça se descend. Les Modernes, eux, vivent dans la seule dimension d’une horizontalité qu’ils pensent, sans rire, égalitaire. Un peu plus de H, pour la route – de H et d’Héros : ceux de Hiérarchies, Hiérogamies…

8750633333_4ae0a6273d_z.jpg

Breizh-info.com : Qu’est-ce que l’herméneutique ? L’hermétisme ?

Rémi Soulié : L’herméneutique est l’art de l’interprétation des signes que j’entends, ultimement, comme symboles. Autrement dit, il est l’art de voir l’esprit vivant sous la lettre morte, qui est l’autre nom de la pensée. L’hermétisme, quant à lui, permet de comprendre qu’en fait, la lettre et l’esprit ne s’opposent pas, qu’ils sont l’un et l’autre prodigieusement vivants, qu’ils s’interpénètrent comme l’âme et le corps en un ensemble subtil, sub-tela, sous la toile, sous le tissu, sous le textile, donc, sous le texte du monde, auquel il est le répons. Nous lui avons substitué, en parodistes, l’écriture juridique, l’écriture morte d’une langue morte. Aux herméneutes (aux poètes, si vous préférez) s’est substituée ce que Péguy appelait l’« avocasserie ». Les Modernes se gargarisent de l’inflation des lois écrites, comme dans toutes les époques de très grande corruption, or, les lois et les règlements modernes sont de la mort en barre : le juridisme embaume un ordre mort, celui de l’État de droit. Partout, le mécanique s’est substitué à l’organique. Cette horreur contractuelle est d’ailleurs logique puisque nous sommes des cadavres qui, en ayant perdu le symbole, avons perdu la vie. Nous sommes quelques-uns à être éveillés, à être sortis de la Matrice, mais un trop grand nombre de nos contemporains a encore le sommeil lourd et prend le cauchemar pour un rêve – c’est vous dire à quels points ils dorment debout. A leur décharge, l’hypnose spectaculaire est incessante… Notre ascèse consiste à nous situer au plus près du réel, du pays réel, du pays des merveilles, comme Alice. L’enfance, en effet, a toujours raison. L’Hermès de l’Hymne homérique est bien entendu un dieu enfant. Il ne faut jamais croire les « grandes personnes », comme disait Bernanos. Les « vieux » mentent (d’où leur grimage « jeuniste »). En ce qui me concerne, je tends à l’Imitation du Ravi de la crèche, de l’Idiot du village planétaire, du Simplet de Blanche-Neige (le nom de ce conte – il faut toujours en revenir aux contes – est d’ailleurs devenu intolérable ; quel racisme ! De ce point de vue, relisons Patrouille du conte, de Pierre Gripari qui, comme tous les grands écrivains, fut un visionnaire). Je pourrais aussi bien évoquer les Gens du blâme, les Fols en Christ ou le Fou du tarot. Chaque fois que je croise un technocrate ou un oligarque, je rigole. Dèmos Roi est à poil et il ne le voit pas. La démocratie libérale requiert une pataphysique. C’est un nouveau chantier, très exaltant.

Breizh-info.com : En quoi est-il nécessaire de se replonger dans notre mythologie, à l’heure actuelle, pour avancer ?

Rémi Soulié : Il faut en effet renouer avec le mythe qu’une raison étriquée a trop longtemps relégué, sinon, à l’enfance de l’humanité (le « raisonneur métis », comme disait Gobineau, est progressiste), du moins, à des balbutiements prélogiques, pré-rationnels ou magiques alors que le mythe, pour parler un langage hégélien, est la révélation de l’Esprit à lui-même, donc, à nous-mêmes. Le démocrate déconstructeur et déconstruit, qui passe donc son temps à « se reconstruire », bricole du sens provisoire pour ne pas se tuer alors que le sens est prodigalement et prodigieusement donné. C’est un cadeau, un don, un présent, le présent du présent en quelque sorte, qui est l’éternité même, et même l’Ethernité, comme dirait le Docteur Faustroll. Les petites subjectivités électorales-stercorales n’en connaissent que la parodie démoniaque. Seul compte le Graal, vous le savez bien. La chevalerie est le seul souci politique.

Le mythe excède donc l’usage instrumental de la petite rationalité technique moderne. Comme tel, il est le poème accompli de la vie et du sens dévoilé – plus que « révélé », d’ailleurs, car il excède également les religions dites du salut et leurs révélations historiques plus ou moins concurrentes, juive, chrétienne, arabo-islamique. Le mythe les englobe et les dépasse comme il englobe et dépasse l’Histoire dite sainte. Quel paradoxe de l’avoir associé à la fabulation supposée des fables alors qu’il est le juste chant harmonieux de l’Âme du Monde, le chant des Muses ! Combien notre monde spectaculaire de toc, de stuc et de kitsch est-il inconsistant comparativement à cette Grande parole !

Breizh-info.com : Vous avez donc publié Racination, en 2018, chez Pierre Guillaume de Roux, disparu il y a peu. Un commentaire sur sa disparition ?

Si vous le permettez, vous pouvez indiquer à vos lecteurs le site d’Éléments, où je me suis exprimé, avec d’autres, sur cette terrible et douloureuse nouvelle : https://www.revue-elements.com/pierre-guillaume-de-roux-c...

Je connaissais Pierre-Guillaume de Roux depuis plus de vingt ans, depuis la publication de mon deuxième livre, consacré à son père, Dominique de Roux. Nous avons échangé des mails trois jours avant son décès. Élégant jusqu’au bout, enthousiaste et jovial, il n’a rien laissé paraître. Je pleure, comme tous ses amis, un homme intègre, droit, rigoureux, acharné à défendre l’idée qu’il se faisait de la littérature jusqu’à l’héroïsme, tant la situation économique était difficile. Comme toujours, on ne mesurera pleinement que dans quelques années ce que fut son œuvre. Hors le courage et le goût, sa plus grande qualité fut peut-être la discrétion. Pierre-Guillaume de Roux travaillait ; il « ne la ramenait pas », comme tous les grands. Cela ne vous étonnera pas : il dort à Avallon, à Avalon, où ces deux ailes l’ont emporté.

Propos recueillis par YV

Photo d’illustration : DR
[cc] BREIZH-INFO.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

lundi, 01 mars 2021

Entretien avec Thomas Ferrier

1- Pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, présentez-vous.

« Thomas FERRIER, 44 ans, dirigeant du Parti des Européens, seul parti explicitement européen et non coalition de partis nationaux. »

2-: Quel est votre parcours ? Votre jeunesse, vos études, vos projets déjà réalisés et vos succès passés ?

« A l’issue d’une formation universitaire en histoire ancienne, je suis devenu cadre de la fonction publique, tout en défendant mes idées à visage découvert en faveur d’une Europe forte, unie de l’Islande à la Russie, et surtout européenne.

Le Parti des Européens est une refondation en 2016 de tentatives antérieures, avec choix d’un nom explicite et rassembleur. L’idée générale est que l’avenir de l’Europe ne peut passer que par la synthèse d’un discours européiste (en faveur donc d’une Europe politique) et identitaire (en faveur d’une Europe toujours européenne). »

3-: Qu’est-ce qui vous a amené à lancer votre projet ? Quelles sont les étapes qui vous y ont menées ?

« J’ai toujours été passionné par la chose politique. J’ai fait mes premières armes à droite, où j’ai compris au bout de quelques années qu’elle était dans l’impasse, qu’elle était même une impasse. Ceux qui croient à l’union des droites, entre pour résumer LR et le RN, perdent leur temps. Il faut rassembler les Européens lucides, pas des « clans » ou des « familles politiques » « 

4-: Pouvez-vous nous expliquer plus en détail en quoi consiste vos projets, votre démarche et pourquoi vous faites ce que vous faites ?

« L’Europe comme civilisation est en très grand péril. Je ne vous apprends rien. Elle connaît un hiver démographique tenace, avec un taux de natalité bien inférieur au taux de renouvellement requis (2,1 enfants/femme), et subit par ailleurs des flux migratoires post-coloniaux intenses qui modifient son profil et sont la cause d’un péril identitaire inédit, sans évoquer les conséquences financières ou sécuritaires engendrées. Elle est politiquement divisée donc la proie des USA et de la Chine, notamment, qui profitent du jeu nocif entre Etats et gouvernements, jeu que l’UE actuelle n’a en rien aboli, même si le rapport de force se fait désormais en son sein davantage qu’en dehors.

C’est face à ces immenses menaces sur la civilisation européenne tout entière qu’une réponse politique démocratique à l’échelle du continent doit émerger. Le parlement européen de Strasbourg, par son mode de scrutin qui le rend plus démocratique que le mode de scrutin pour les élections nationales, en tout cas en France, peut être demain le pivot de bascule permettant de passer d’une UE désunie et anti-identitaire à une Europe unie et identitaire, élargie à terme à l’ensemble du continent, Russie comprise. »

5-: Quelles sont vos principales sources d’inspiration, vos influences et vos références ?

« Elles sont multiples parce que je suis un lecteur forcené, mais disons que je considère que toutes les figures ayant prêché sainement l’unité de l’Europe sont mes « ancêtres » idéologiques, en commençant par Georges de Podiebrad au XVème siècle qui prônait une Europe unie pour résister aux Ottomans. Il ne faut pas opposer les européistes entre eux, et on doit pouvoir concilier Giscard et De Gaulle, Mosley et Monnet, Venner et Schuman. »

6-: Qu’est-ce que le conservatisme selon vous ? Et pensez-vous qu’il est important aujourd’hui ?

« Le conservatisme englobe à la fois le passé, le présent et le futur. C’est à la fois les châteaux de France, les églises de Bavière, le savoir-être courtois du gentleman anglais, les statues grecques et les tableaux des peintres italiens. Comment avancer sans s’inspirer de l’ancien ? Nous avons besoin de valeurs et de convictions pour être des hommes et des femmes complets et le conservatisme en fait partie. Si nous laissons le progressisme guider nos actions, nous finirons dans le néant à coup sûr. »

7-: Que pensez-vous du contexte actuel de la société en Europe ? Et à l’échelle du monde ?

« Je pense sincèrement que l’Europe n’a jamais été aussi menacée dans son existence même qu’au cours de ce XXIème siècle, même si elle a connu des situations tragiques au XXème siècle, qui l’ont affaiblie et menée à la situation actuelle. Si le communisme est tombé, son jumeau hétérozygote globaliste n’a jamais été aussi fort, du moins en apparence. Et il est davantage destructeur de l’âme des peuples. On constate que les pays de l’ex-bloc soviétique ont sur le plan identitaire en tout cas mieux résisté que les pays d’Europe occidentale. Pendant que la France a connu Mai 68, avec ses « valeurs » délétères porteuses d’un individualisme forcené dont on paie aujourd’hui le prix, les Tchèques et les Slovaques connaissaient les chars soviétiques dans leurs rues. »

8-: Si vous deviez donner 5 éléments sur lesquels tout français devrait sérieusement travailler au niveau individuel, lesquels seraient-ils ?

  • « L’auto-critique qui est saine lorsqu’elle est menée sans esprit de repentance mais dans le but de s’améliorer.
  • La fierté d’être un européen et d’assumer le devoir qu’implique cette identité, à savoir le dépassement permanent, la culture du doute face aux dogmes aveuglants, le respect des ancêtres à qui nous devons un immense héritage.
  • Le sentiment du devoir de défendre sa civilisation.
  • Le refus du chauvinisme étroit et l’acceptation du destin européen.
  • Le choix d’une religiosité de résistance et non d’ouverture à l’Autre. »

9-: Pouvez-vous nous partager votre ressenti sur la jeunesse d’aujourd’hui ?

« Elle est à la fois source d’une extrême tristesse et d’un immense espoir. Le jeune européen qui réussit, dans ce monde qui lui est si hostile, face à une propagande quotidienne voulant saper son moral, avec une inéducation nationale des plus nocives, à se penser en tant qu’européen, à se lever face à l’apathie générale, à faire le choix de lire et de progresser, est plus fort qu’il ne l’imagine. Et ils sont plus nombreux qu’on ne le croit ceux qui ont été capables de résister. Ils seront l’avenir de l’Europe. »

10-: Beaucoup de jeunes français cherchent à renouer avec leur héritage, quel est le meilleur moyen selon vous d’y parvenir ?

« Je crois qu’il faut beaucoup lire mais toujours avec un esprit ouvert et attentif aux petites choses. Il n’y a pas de recette miracle. Il ne faut en tout cas pas faire confiance aux media ou à l’école. Cultiver ce doute qui pousse à la curiosité. Arpenter son chemin avec lucidité, prudence et volonté. »

11-: Quels sont les principaux dangers qui menacent la civilisation européenne selon vous ?

« Je les ai évoqués plus haut mais pour résumer: le péril démographique, le péril migratoire et l’individualisme de reniement (en termes clairs, ne pas assumer qui on est et croire qu’on peut devenir autre chose), ce dernier amenant à toutes les dérives sur le « genre » ou au pseudo-nationalisme civique qui est un universalisme illusoire à peine déguisé. »

12-: Quels sont les principaux espoirs et leviers qui permettraient de surpasser ces menaces ?

« L’unité de l’Europe sur les bases de notre identité commune est la seule réponse. Le levier est l’éveil des Européens à cette nécessité et sa transposition politique via les élections européennes. »

13-: Quels sont les personnalités, auteurs, initiatives ou organisations qui paraissent dignes d’intérêts aujourd’hui selon vous ?

« Tous ceux qui ont compris l’importance de l’unité politique de l’Europe pour faire face aux périls susmentionnés. Ceux qui par exemple s’opposent à l’immigration de substitution mais sans tomber dans les travers de l’euroscepticisme, impasse suprême. »

14-: Y a t-il un sujet qui vous paraît délaissé aujourd’hui ou que vous considérez ne pas voir suffisamment dans les médias ou le débat public ?

« L’identité européenne est le grand tabou. Ceux qui parlent positivement d’Europe n’y voient qu’un projet politique, et non ethno-civilisationnel, porteur de valeurs universelles. C’est l’europhobie par globalisme qui n’envisage l’Europe que comme un magma artificiel.

Or l’Europe unie n’est un projet politique que comme la transposition d’une réalité anthropologique. C’est parce que les Européens sont de même souche qu’ils ont un même destin et qu’ils peuvent l’avoir unis. »

15-: Pouvez-vous nous donner un livre, un film et une musique, qui selon vous vous représente, ou auquel vous tenez ?

Parmi tant d’autres,

« Homère, « L’Iliade ».
« Excalibur », de John Boorman
IXème symphonie, Beethoven »

16-: Que pensez-vous pouvoir apporter à quelqu’un qui vous découvre ?

« Un point de vue audacieux sur l’Europe, une certaine lucidité face aux propagandes euro-mondialistes comme euro-sceptiques, un jugement plus nuancé sur l’actuelle Union Européenne, l’espoir aussi d’un avenir à nouveau solaire pour les Européens. »

17-: Quels sont vos projets à l’avenir ? Dans les prochaines semaines et mois, à court terme, mais également votre vision à long terme.

« L’objectif principal et même fondamental est l’émergence médiatique et pas seulement sur les canaux du pauvre (réseaux sociaux, youtube) mais au premier plan. Seule cette émergence peut permettre de présenter une liste crédible aux élections européennes, financée, avec de vrais bulletins et de vraies affiches, et donc dans des conditions idéales pour éviter de faire 3 000 voix sur toute la France, comme l’ont fait certaines listes identitaires en 2019.« 

18-: Où peut-on vous suivre ? Sur quel média ou réseau êtes-vous le plus actif?

« Je suis actuellement présent surtout sur Twitter (@ThFerrier) et aussi sur Telegram (t.me/LePartiDesEuropeens) où il y a plusieurs centaines d’audios accessibles désormais sur différents sujets que chacun peut écouter (religion, histoire, politique, institutions, droit, propositions du parti, éléments du programme, actualités…).« 

19-: Un mot pour la fin ?

« Elle ne saurait mourir que si elle était incapable de s’unir mais elle va y parvenir même si cela devait être « au bord du tombeau » pour paraphraser Nietzsche. »

lundi, 22 février 2021

Entretien avec Carlos Javier Blanco: L'Espagne se désagrège, tout en laissant l'invasion et la colonisation culturelle s'installer. Mais si l'Espagne tombe, c'est toute l'Europe qui tombe.

foto-carlos-4-1068x1067.jpg

Entretien avec Carlos Javier Blanco:

L'Espagne se désagrège, tout en laissant l'invasion et la colonisation culturelle s'installer. Mais si l'Espagne tombe, c'est toute l'Europe qui tombe.

Propos recueillis par Andrej Sekulović

Ex: https://demokracija.eu/

Carlos Javier Blanco est un professeur de philosophie espagnol, et auteur de plusieurs livres, qui se concentre principalement sur la pensée du philosophe allemand Oswald Spengler. Nous avons discuté avec lui du déclin des civilisations auquel l'Europe est actuellement confrontée, et de la manière d'arrêter ce déclin. Nous avons également parlé des migrations de masse, de la situation politique en Espagne, et d'autres sujets intéressants.

Pourriez-vous présenter votre travail et votre domaine d'expertise à nos lecteurs, et nous parler un peu de vos activités ?

J'ai obtenu mon doctorat en philosophie à l'Université d'Oviedo (Principauté des Asturies, Espagne) en 1994, et dans les premières années de mon enseignement et de mes recherches, j'ai contribué à forger la théorie dite de la ‘’fermeture catégorielle’’ dans l'école dite "d'Oviedo" dirigée par le philosophe espagnol (aujourd'hui décédé) Gustavo Bueno. De la philosophie des sciences et de la théorie de la connaissance, mes intérêts ont dérivé vers la philosophie de l'histoire, d'où mes abondantes publications sur Marx, Nietzsche et Spengler. L'atmosphère sectaire du "matérialisme" asturien m'a fait me désengager progressivement de cette façon abstruse et "scientifique" de faire de la philosophie et, au contraire, j'ai abordé l'étude de certains classiques de la pensée allemande. Outre ceux déjà mentionnés, j'ai écrit des ouvrages sur Kant, Schopenhauer... En tout cas, étant donné l'effroyable décadence de la civilisation européenne, la figure d'Oswald Spengler a pris de plus en plus d'importance dans mes études. Au cours de la dernière décennie, j'ai compris que Spengler est le philosophe le plus important du XXe siècle, et pourtant c'est un auteur maudit. En cherchant à savoir qui avait repris son héritage et l'avait étudié sérieusement ces derniers temps, j'ai pris conscience de deux sources principales récentes. D'une part, ceux qui avaient d'abord appartenu à la soi-disant Nouvelle Droite, avec un noyau français (de Benoist, Faye) ou belge (Steuckers), et d'autre part, les travaux du professeur David Engels, également Belge (plutôt germano-belge), qui fait actuellement des recherches en Pologne.

51jO-M6UChL._SX351_BO1,204,203,200_.jpgD'autre part, la soi-disant "nouvelle droite", si une telle tendance existe encore véritablement, je pense, n'est bien consciente, d’une part, des liens entre Spengler et la révolution conservatrice allemande et, d’autre part, la nouvelle identité et la pensée anti-décadente, que si l'on se concentre sur la figure de Robert Steuckers.

Engels, à son tour, est le président de la Société Oswald Spengler pour l'étude de l'humanité et de l'histoire du monde [ https://www.oswaldspenglersociety.com/ ] et travaille dur pour la reconnaissance et l'étude de l'approche spenglerienne en ce XXIe siècle décadent. Je suis en contact étroit et amical, en ligne, avec les deux auteurs, Steuckers et Engels, et j'ai beaucoup appris d'eux.

L'idée spenglerienne de l'histoire m'a été très utile pour réinterpréter l'Hispanité dans une clé géopolitique : la Reconquête et le rôle du royaume des Asturies, la lutte des Asturiens et des Espagnols pour se libérer des Maures et ne pas être absorbés par eux, le maintien de l'identité catholique et celto-germanique face aux barbares du sud.

Vous êtes également l'administrateur du blog espagnol Spengleriana - Decadencia de Europa, parlez-nous un peu de ce blog...

"Spengleriana" (Décadence de l'Europe, https://decadenciadeeuropa.blogspot.com/ ) rassemble maintenant près de 200 articles, certains d'une longueur considérable, d'autres très courts. Si je ne me trompe pas, il a commencé en janvier 2012 et a déjà dépassé les 136 000 visites. La plupart des articles sont les miens, bien qu'il y ait quelques exceptions, notamment des traductions d'articles ou d'interviews que je considère importantes. Je sais qu'il s'agit d'un blog consulté depuis les régions les plus diverses du monde, et pas seulement depuis les pays qui composent le monde hispanique (étant donné que l'espagnol est la principale langue utilisée dans le blog). C'est également l'un des rares blogs consacrés à une approche spenglerienne de l'histoire et du présent, bien qu'il faille le dire de manière très générale, car cette approche spécifique que j’ai adoptée peut être qualifiée de bien d'autres façons : pour certains, le blog est trop conservateur, pour d'autres, il est trop marxiste, ou trop nationaliste... Sur le blog, j'inclus beaucoup de mes publications académiques, bien qu'il y ait aussi des essais écrits expressément pour le blog ou pour des publications amies, où je suis un contributeur régulier (La Tribuna del País Vasco, Tradición Viva, Geopolitica.ru en Español, etc. ).

978849489524.JPGIl est évident que le contenu du blog est influencé par le philosophe allemand Oswald Spengler, et son idée du déclin de l'Occident. Pourquoi diriez-vous que sa philosophie est toujours importante à notre époque, et dans quelle mesure ses prédictions sur le déclin et ses vues sur la montée et le déclin des cultures se sont réalisées, selon vous ?

Spengler était un "prophète" non pas grâce à des dons divins, mais par la vertu même de sa méthode. Spengler a adopté une méthode morphologique selon laquelle le cycle d'une culture, qui vieillit et devient ainsi ‘’civilisation’’, passe par des étapes nécessaires, et celles-ci peuvent être prévues de manière générique. Tout comme dans la biographie d'un homme, on peut prévoir que sa vieillesse viendra après un certain temps et que sa vieillesse sera ainsi ou ainsi si l’on connait ses habitudes de vie, ses vices, sa personnalité, etc. et sur la base d'analogies avec d'autres êtres humains qui sont passés par des étapes similaires, etc. L'Europe, comme toutes les civilisations, va mourir, mais elle va mourir dans un temps encore long, et dans cette vieillesse il y a encore place pour un intervalle de "césarisme" (sur lequel Engels insiste beaucoup), en analogie avec la dernière étape chaotique de la République romaine, étape ponctuée de guerres civiles (selon le schéma d’une "convergence de catastrophes" comme l’a prédit G. Faye, dans laquelle il y aura des phases de "guerre civile") et aussi des phases de "Reconquête européenne", pour sauver son identité au milieu de l'invasion créée par le néo-libéralisme, en analogie avec la Reconquête initiée par les rois asturiens pour sauver la péninsule ibérique de la domination mahométane.

La civilisation européenne est en déclin, désarmée, impuissante dans un contexte multipolaire très dangereux pour ses nations et ses peuples. Les élites qui prétendent gouverner au nom des ethnies européennes sont vendues, des élites corrompues qui sont prêtes à tout pour maintenir leurs privilèges et rester les chiens de garde bien payés d'une masse asservie. Spengler a très bien dépeint le processus de conversion d'une communauté autrefois saine, forte et bien organisée en une masse docile d'esclaves impuissants, vivant dans des ruches, sans âme, colonisés mentalement, stériles, sans famille et sans enfants, prêts à se vendre encore plus pour continuer à consommer leur drogue et à ne pas travailler dans les champs ou manier un fusil. Nous avons déjà cette Europe ochlocratique dans notre ligne de mire. Et ils nous mangeront tout crus, ils nous dévoreront vivants. Cette prédiction se réalisera à moins qu'un interrègne césariste s’institue ou qu'une réaction s’opère sous la forme d’une "Reconquista".

978849495964.gifQuelles sont les principales caractéristiques d'une culture en déclin, et comment pouvons-nous, en tant qu'Européens, lutter contre ce déclin ? Est-il possible de le surmonter, ou un tel déclin est-il inévitable ?

Le déclin peut être retardé. Une contre-hégémonie peut se créer. Des mouvements populaires nationaux peuvent se constituer. Il ne sera jamais arrêté par le conservatisme, qui est en soi lâche et accommodant. Pas plus que le mode de pensée "progressiste", qui est le principal agent du déclin. Il est ridicule de lire la presse "conservatrice" et difficile de prendre au sérieux ses mises en garde contre le "communisme" chinois ou vénézuélien ou l'"autoritarisme" russe. Les mouvements nationaux-populaires européens ne peuvent être ni de gauche ni de droite. Ils doivent être des mouvements en faveur de la souveraineté nationale-populaire, qui luttent depuis chaque nation contre la domination néolibérale anglo-saxonne et montrent aux empires émergents (Russie, Chine) qu'il y a encore des peuples rebelles ici, en Europe. Ensuite, ils peuvent montrer que l'Europe n'est pas synonyme d'élites bureaucratiques néolibérales installées à Bruxelles, mais que l'Europe, ce sont des peuples indigènes qui ont le droit de décider de leurs propres territoires et de leur propre destin. Nous en sommes loin, mais une "bataille pour la culture", une lutte des idées, doit précéder la vraie bataille. Il y a des signes d'une telle lutte dans tous les pays, mais l'effort contre-médiatique, éditorial, intellectuel, etc. est encore titanesque.

Outre Spengler, vous vous concentrez également sur d'autres philosophes et idées dans votre travail. Dites-nous quels autres philosophes sont importants à notre époque, et lesquels ont eu le plus grand impact sur vous ?

foto-carlos-1-224x300.jpgPour les "conservateurs", c'est l'allergie et l'indigestion, mais avant d'avoir lu des auteurs décisifs comme Costanzo Preve ou Diego Fusaro, mon étude de l'œuvre de Marx m'avait déjà amené à la conclusion que le plus authentique des Marx, l'aristotélicien et le communautariste, le penseur idéaliste de la Totalité organique, n'a rien à voir avec le Marx des marxistes ni avec toute cette gauche dégénérée postmoderne, qui oublie tout du travail, de l'aspect productif de la vie sociale et est au contraire obsédée par ce que l'écrivain Juan Manuel de Prada appelle les "droits de codécision" (le droit à l'aberration sexuelle, à l'autodétermination des sexes et à la jouissance hédonique illimitée).

Si je devais mentionner Thomas d'Aquin, le maître de l'Ordre, cela provoquerait l'effondrement des "progressistes". Et pourtant, rien ne pourrait être plus révolutionnaire que la pensée classique et scolastique. Pour un nouvel Ordre, tel que celui que l'Église a répandu, avec l'aide des chevaliers, pendant mille ans, il n'y a rien de mieux que de s'inspirer de la Somme de la théologie thomiste. Une nouvelle Somme doit être écrite pour le prochain millénaire.

Y a-t-il des auteurs contemporains d'Espagne, ou plus largement d'Europe ou d'Occident, que vous recommanderiez à nos lecteurs intéressés par les idées et les points de vue dont nous discutons ?

Un homme m'a inculqué l'amour de la philosophie : Don Gustavo Bueno, un philosophe espagnol décédé en 2016, avec une œuvre étendue, très "baroque" et souvent inutilement technique. Il faut l'étudier directement, sans le filtre d'aucun de ses disciples, dont la grande majorité sont des idiots, qu'ils penchent vers le marxisme ou le conservatisme.

J'ai récemment découvert les théories politiques de Marcelo Gullo (un penseur argentin) sur "l'Insubordination Fondatrice", une nouvelle façon de comprendre l'Hispanité (bien qu'elles puissent être étendues à d'autres entités géopolitiques), des idées très fertiles contre le néolibéralisme et le néocolonialisme (anglo-saxon) basées sur la résistance culturelle et le protectionnisme économique des nations, et sur l'union de ces nations ethniquement ou culturellement liées contre l'empire qui tente sans cesse de les subordonner. Le problème de Gullo est qu'il veut présenter aux Espagnols européens et aux Espagnols américains une fausse disjonction exclusionniste : soit l'Hispanidad (qui inclut le métissage - métissage des races - dans les Amériques), soit le Germanismo (le Nordicisme), confondant les racines ethniques (celto-germaniques) du Nord de l'Espagne avec la soumission de l'actuel Royaume d'Espagne à une Union européenne corrompue et maladroite, dirigée par une Allemagne dénaturée. Mais Gullo pourrait être largement lu en Europe avec un grand profit.

Les deux auteurs européens actifs que je recommande le plus sont belges : Steuckers et Engels. Tous deux nous mettent au défi d'une renaissance spirituelle en tant qu'Européens.

portada-web.jpg

J'aime beaucoup le philosophe marxiste Diego Fusaro et j'ai également collaboré avec lui. Sa devise, quelque chose comme "valeurs de droite" (Tradition, Famille) et "idées de gauche" (Justice sociale, Travail décent et abolition du capitalisme) résume, pour moi, le vrai Marx, pas celui des progressistes ou des communistes résiduels ou des staliniens. Il résume aussi la Renaissance qui devrait nous arriver avant que nous ne succombions.

Il serait juste de dire qu'à l'Ouest, les universités et les établissements d'enseignement, en général, ont été repris par la gauche libérale, ce qui se traduit dans de nombreux cas par la suppression des cours européens ou occidentaux classiques du programme d'études dans certains pays, et ainsi de suite. Les milieux universitaires officiels stigmatisent tout ce qui n'est pas conforme au "politiquement correct". Dites-nous quelle est la situation en Espagne à cet égard, et quelles sont vos réflexions à ce sujet ?

L'Espagne est peut-être aujourd'hui le pays le plus touché par le virus du "politiquement correct". L'université et le reste du système éducatif sont aujourd'hui une gigantesque machine inquisitoriale. Les gens subissent un lavage de cerveau. Dans ma propre ville, Gijón, la plus grande ville de la Principauté des Asturies, à l'origine de la Reconquête, les gens se moquent de Don Pelayo (initiateur de la Reconquête et premier roi d'Espagne). Un jour, lorsque j'ai remis mon livre sur la Reconquête (La Luz del Norte) dans une bibliothèque, l'employé m'a dit que ce personnage n'existait pas. La parole correcte (de gauche) est maintenant de dire que les Maures n'ont pas envahi l'Europe, que la Deuxième République était une merveilleuse démocratie, que la Conquête espagnole des Amériques était un génocide, que la transition du franquisme au bourbonisme était "exemplaire"... Tout cela fait l'objet d'un lavage de cerveau.

L'Espagne est l'un des pays méditerranéens qui ont été submergés par des migrations massives depuis le début de la crise migratoire en 2015. Une grande partie des migrants qui se rendent en Europe en traversant la Méditerranée aboutissent en Espagne. Comment cela a-t-il affecté votre société et quels sont, à votre avis, les principaux problèmes que les migrations de masse représentent pour l'Espagne et l'Europe ?

Ils nous cachent que le sultan du Maroc envahit silencieusement l'Espagne, qu'il fait chanter le gouvernement espagnol, et aussi qu'il y a un plan pour s'emparer des îles Canaries, de Ceuta, de Melilla, et d'une bonne partie de l'Andalousie. Ils nous cachent qu'il existe un projet de création d'un "Grand Maroc" qui comprend l'ancienne province espagnole du Sahara, plus la Mauritanie, une partie de l'Algérie, le Mali et l'Espagne (et donc un fragment constitutif important de l'Europe). Les mafias font venir des gens de toute l'Afrique, ainsi que des excédents démographiques du Maroc lui-même, qui devront être soutenus par des fonds publics espagnols, qui ont déjà été gravement épuisés par la pandémie de Covid-19. Les études et l'entretien de milliers d'Africains, dont des Marocains, seront payés par l'État espagnol, un État en ruine - endetté, mortellement blessé par la pandémie, car trop dépendant du tourisme en tant que monoculture - et qui n'a plus de ressources pour sa propre population. Dans ce sens, plutôt que de dire qu'il y a une "émigration massive" ou une "invasion silencieuse", je préfère dire que l'Espagne devient une colonie du Maroc, un territoire victime du chantage à la "bombe humaine" et obligé de se sacrifier pour un autre État menaçant. D'autre part, il y a de nombreux agents - natifs ou non - au service du roitelet maghrébin, qui promeuvent l'idée de la "splendeur d'al-Andalus", de "l'Espagne des trois cultures (maures, juifs et chrétiens)" et du "patrimoine arabe de l'Espagne", ainsi que de nombreux chevaux de Troie dirigés contre l'idée d'une Espagne européenne et chrétienne, introduits, surtout parmi les partis de gauche. Personne ne réagit à cette situation. L'Espagne subit un processus centrifuge, se désagrège, tout en permettant l'invasion et la colonisation culturelle. Mais si l'Espagne tombe, c'est toute l'Europe qui tombe.

Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de la situation politique actuelle en Espagne ?

C'est la folie absolue, le triomphe de la stupidité. Après avoir fait vaincre les terroristes séparatistes par la police, le gouvernement national les loue et les reconnaît comme des sujets politiques. Ayant pu asphyxier économiquement la Generalitat de Catalogne, en raison de sa déloyauté envers la Nation, il continue à reconnaître son autonomie d'action, une action qui a toujours eu pour but d’imposer à l'Espagne un processus centrifuge délétère. Un gouvernement minoritaire, légiférant sans consensus dans une direction sans équivoque : créer la division, la fracture sociale. Un siècle et demi de guerres civiles ne leur ont pas suffi, ils veulent de plus en plus de guerres civiles. Et ils provoquent la terreur dans les classes moyennes et ouvrières avec leur programme post-moderne : euthanasie, droits des organes génitaux, et soutien aux minorités aberrantes et dégénérées... pure ingénierie sociale. Un État dirigé par une pseudo-gauche qui cherche à écraser les classes réellement productives de la société, au détriment des parasites. Et une droite lâche ou maniaque, qui manque d'intérêt et de préparation pour la "lutte culturelle", une guerre si essentielle à l'heure actuelle.

9788494763700.jpg

Selon vous, qu'est-ce qui attend l'Europe dans le futur, et qu'est-ce qui attend l'Occident et le monde, après l'année turbulente de 2020 ?

De nombreux mouvements identitaires vont émerger, très divers, car l'Europe possède déjà toute la diversité ethnique ancestrale dont elle a besoin, et ces mouvements nationaux-populaires feront de nombreuses erreurs et seront soumis à une criminalisation générique. Mais en fin de compte, ils s'aligneront dans tous les pays et toutes les villes contre les partisans du suicide de l'Europe. Les personnes "qui n'auront plus rien à perdre" descendront dans la rue, comme cela a toujours été le cas. Le rétablissement de l'ordre sera nécessaire et la grande solution génératrice d’ordre devra être centralisée, car l'Europe ne survivra pas si elle n'agit pas comme un seul corps, même si la situation est vécue différemment d’un pays ou l’autre. L'Union européenne se montrera, en même temps, de plus en plus perfide, fausse et inefficace, l'ennemie des peuples qu'elle prétend avoir unis. Et pourtant, il faudra parvenir à une unité des Européens, tout comme les Chinois, les Russes et, je l'espère, les hispano-américains sont déjà unis (une tâche dans laquelle il y a beaucoup à faire). Si les États-Unis fondent, cela ne doit pas nécessairement se produire dans l'Union européenne : nous sommes des peuples très anciens, avec des fonds communs ancestraux, et une sorte d'instinct peut venir à notre défense. C'est cet instinct, ou un Dieu, qui peut nous sauver.

 

vendredi, 19 février 2021

Guillaume Travers, « Il y a un double besoin de réenracinement »

unnamedenracin.jpg

Un besoin de réenracinement...

Entretien avec Guillaume Travers

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un  entretien donné par l'économiste Guillaume Travers au laboratoire d'idées Droite de demain à l'occasion de la publication de ses essais Capitalisme moderne et société de marché : l’Europe sous le règne de la quantité et Économie médiévale et société féodale : un temps de renouveau pour l’Europe aux éditions de La Nouvelle Librairie.

Guillaume Travers, « Il y a un double besoin de réenracinement »

Votre ouvrage traite notamment de l’apparition du capitalisme que vous opposez au féodalisme de l’époque médiévale, quels sont les rouages du système économique féodal?

Dans une large mesure, le système féodal est un contre-modèle par rapport au capitalisme libéral que nous connaissons aujourd’hui. Ses caractéristiques principales, que je mets en évidence dans un précédent livre (Économie médiévale et société féodale), sont les suivantes. C’est d’abord un monde de communautés, et non un monde d’individus. Les échanges économiques et les relations sociales sont donc toujours mises au service d’une vision du bien commun ; à l’inverse, notre époque veut laisser libre cours à tous les désirs individuels. Le monde féodal est en outre profondément terrestre, enraciné, et très largement rural. Le grand commerce demeure totalement périphérique ; les multiples communautés locales vivent dans une autarcie relative. Enfin, c’est un monde où la richesse est toujours mise au service de fins jugées plus hautes : le courage militaire, la sagesse religieuse. Les deux figures tutélaires du monde médiéval sont le saint et le chevalier, pas le financier qui accumule de grandes richesses.

Est-ce que ce n’est pas aussi la montée de l’individualisme qui rend totalement impossible un retour vers une économie du bien commun ?

Historiquement, le délitement de ce monde féodal est indubitablement lié à la montée de l’individualisme. Entendons-nous sur les mots : par individualisme, je n’entends pas seulement un trait psychologique qui pousse à l’égoïsme, mais une révolution dans la manière de penser l’homme. L’époque moderne est la seule qui en soit venue à considérer que l’individu précède toute communauté, que les appartenances et les enracinements ne sont que secondaires. Est-ce à dire que le retour vers une économie du bien commun soit impossible ? Je ne le crois pas. Il y a certes beaucoup de chemin à parcourir. Mais je crois qu’une série de crises pousseront les individus à recréer des communautés : crise sécuritaire, crise identitaire, crise écologique, etc. 

7c238bb78951df71569cb5bf8fc8ca8c.jpg

Le délitement de la nationalité, du patriotisme, la déconstruction des communautés humaines, ne sont-elles pas aussi responsables des comportements individualistes ?

C’est le problème de l’œuf et de la poule. Historiquement, les attaches communautaires ont été fortes partout, et d’une grande diversité : communautés de métiers, communautés villageoises et urbaines, confréries religieuses, etc. L’individualisme s’est affirmé contre ces communautés, proclamant qu’elles étaient illégitimes, qu’elles entravaient la « liberté » de l’individu. Mais l’inverse est aussi vrai : au fur et à mesure que ces communautés s’affaiblissent, qu’elles jouent de moins en moins leur rôle organique dans la vie des hommes, alors les individus sont portés à s’en détacher. Mais il me semble que ce processus touche aujourd’hui ses limites : la crise identitaire qui traverse toute l’Europe témoigne d’un besoin d’appartenance, de réaffiliation. Quand nombre de nos contemporains sombrent dans la consommation de masse, et croient s’affirmer en portant un vêtement de telle ou telle marque, ils ne font que témoigner d’un besoin latent d’appartenances plus structurantes. 

Peut-on réellement retrouver un esprit de vivre selon ses besoins à l’opposée de l’accumulation de richesse ? Au-fond n’est-ce pas tout simplement dans l’ADN de l’Homme de vouloir accumuler, posséder ?

L’idée selon laquelle l’homme aurait de tout temps été un pur égoïste entravé par les contraintes de la société est le postulat central de la philosophie libérale. La liberté individuelle serait un état originaire, et tout le reste (institutions, traditions, coutumes, etc.) serait purement artificiel : c’est ainsi que l’époque moderne prétend « libérer » l’individu en déconstruisant tous ces héritages. Tout cela est ridicule, dès lors que l’on se tourne vers l’histoire. Pendant la plus grande partie de leur histoire, les hommes ne se sont jamais représentés comme des individus tournés vers leurs seuls intérêts matériels. Cette idée de l’homme préoccupé uniquement par ses intérêts est une création finalement très récente dans l’histoire longue des idées et des mentalités. 

9-JW-tree-of-peace-millennium-tree-Fantasy.jpg

Le retour vers le localisme est-il le symptôme d’une prise de conscience des dérives d’un néolibéralisme incontrôlable ?

Je crois que cela témoigne d’un double besoin de réenracinement. On connaît la phrase célèbre de Christopher Lasch, que je crois très juste : « le déracinement déracine tout, sauf le besoin de racines ». Dans un monde où tous les repères ont été déconstruits, délégitimés, il y a un besoin de retrouver du sens. S’enraciner dans une ville, dans un village, prendre part à une communauté, est un moyen de redonner du sens à son quotidien. Acheter en grande surface des légumes importés, ou se les procurer auprès d’un voisin paysan, ce n’est pas la même chose. Derrière le localisme, il y a aussi la prise de conscience des déséquilibres écologiques, qui menacent jusqu’à notre vie. Je ne parle pas tant du réchauffement climatique que de la pollution des sols et des eaux, de la contamination de l’alimentation, des perturbateurs endocriniens, etc. 

Vous êtes critiques envers le libéralisme dans vos ouvrages, mais n’est-ce pas le système économique le plus égalitaire dans l’accession aux ressources ? Surtout, ne doit-on pas différencier le libéralisme classique du néolibéralisme mondialisé ?

Sur les différents types de libéralisme, je suis très sceptique. L’un mène nécessairement à l’autre. Une fois que l’on proclame que l’individu est supérieur au collectif, il lui est supérieur en tout. Si on dit que le monde n’est composé que d’individus, alors il est naturel que tout ce qui reste de distinctions soit progressivement balayé : il n’y a plus lieu de faire de différence entre Africains et Européens, car tous ne sont que des individus ; il n’y a plus lieu de faire de différence entre hommes et femmes, car tous ne sont que des individus abstraits, etc. En d’autres termes, la pente du libéral-conservatisme est glissante, et souvent pétrie de contradictions. Ceci dit, être anti-libéral ne veut pas dire que l’on nie tout concept de liberté, bien au contraire. Je pense par exemple que, à l’heure actuelle, tout ce qui relève du petit commerce et de l’artisanat est étouffé par des contraintes qu’il serait bon d’alléger. Mais cela ne fait pas de moi un libéral, en tout cas pas au sens philosophique. 

71Ui-ekdHaL._AC_SX522_.jpg

Quelles sont les valeurs du féodalisme qui peuvent, selon-vous, inspirer la droite de demain ?

Un écueil serait de vouloir simplement revenir en arrière, au Moyen-Âge ou à quelque autre époque. La volonté de restaurer le passé, quand bien même elle peut être touchante, est fondamentalement impolitique : cela n’arrivera pas, et s’accrocher à ce rêve est vain. En revanche, les valeurs héritées du passé, les structures mentales, les manières de penser l’homme et la société qui ont été propres au monde féodal peuvent nous inspirer. Je crois qu’il nous faut réapprendre à placer nos intérêts en tant que communautés avant nos intérêts individuels. Cela touche à tous les aspects du quotidien : soutenir les producteurs enracinés contre la grande distribution ou Amazon, etc. Cela signifie aussi renouer avec les valeurs traditionnelles – le courage, etc. – plutôt que de valoriser le seul confort que donne le bien-être matériel. S’il y a une droite de demain, elle ne doit pas être comme une bonne part de la droite actuelle : bien trop souvent une droite bourgeoise, qui préfère le confort au courage, ses intérêts matériels à ce qui n’a pas de prix.

Guillaume Travers, propos recueillis par Paul Gallard (La Droite de demain, 15 février 2021)

vendredi, 12 février 2021

Entretien de RigenerAzione Evola avec Eduard Alcantara

maxEAfront.jpg

Entretien de RigenerAzione Evola avec Eduard Alcantara

Interview récente réalisée par "RigenerAzione Evola" à propos de l'édition anglaise de The Man of Tradition.

Entretien avec Eduard Alcantara

avec une brève présentation d'Eduard Alcantara

Ex: https://septentrionis.wordpress.com/

D : Eduard Alcantara, parlez-nous un peu de votre livre. De quoi parle-t-il ?

indexEAenglish.jpgR : Le livre vise à montrer la caractérisation archétypale de ce que serait un Homme de Tradition, y compris - donc - les objectifs qu'il devrait s'efforcer d'atteindre, afin de servir de modèle à tous ceux de nos semblables qui aspirent à s'élever au-dessus de la médiocrité de l'homme moderne (et, plus encore, post-moderne), médiocrité qui est  hégémonique en nos temps de dissolution. En gardant toujours à l'esprit quels sont les traits essentiels qui définissent l'Homme de Tradition, il sera possible d'aspirer, petit à petit, à se forger intérieurement ; avoir ce modèle comme miroir dans lequel se regarder (et qui sait s'il ne sera pas possible d'aspirer à ne pas écarter la possibilité d'opérer un renouvellement ontologique intérieur). La difficulté ou l'impossibilité de trouver, de nos jours, quelque maillon des chaînes initiatiques qui nous relient à la Sagesse de la Tradition Primordiale nous amène à donner une valeur particulière à ce qu'Evola appelle la "voie autonome de réalisation". Le contenu de ce livre peut peut-être aider dans une certaine mesure à faire en sorte que ce chemin ne soit pas une chimère.

Les chapitres de notre travail sont ordonnés en crescendo, en commençant par les premiers relatifs à ce que le maître romain appelait la "race du corps", en continuant avec d'autres chapitres liés à la "race de l'âme" et en terminant par ceux qui seraient en relation étroite avec la "race de l'esprit" ; donc, liés aux trois composantes de l'être humain.

L'ensemble du livre est truffé et complété par une multitude de citations destinées à illustrer ce qui est démontré.

D : D'où venez-vous et quel est l'accueil de Julius Evola dans votre pays ?

R : Je vis à Hospitalet de Llobregat, une ville située à côté de Barcelone, en Espagne.

En Espagne, il y a pas mal de personnalités qui, travaillant dans le domaine de la dissidence à l'ordre établi, reconnaissent qu'elles sont fortement influencées par l'héritage évolien.

71zBlKkz7+L.jpg

Pour commander l'ouvrage:

https://editorialeas.com/producto/el-hombre-de-la-tradicion/

En 1975, la maison d'édition "Martínez Roca" a publié La tradition hermétique. En 1977, le magazine Graal a publié Orientations. Toujours en 1977, la maison d'édition Plaza & Janés publie Le mystère du Graal. En 1981, les Ediciones Heliodoro ont publié Metafísica del sexo. Dans les années 80, les Ediciones Alternativa, avec une nette tendance à faire évoluer la réception des idées traditionnelles, ont publié plusieurs opuscules de la pensée traditionnelle et quelques ouvrages tels que Masque et visage du spiritualisme contemporain et Les Hommes au milieu des ruines. En 1987, les Ediciones de Nuevo Arte Thor publient Cabalgar el tigre. Cette même maison d'édition a également publié Meditaciones de las cumbres (= Méditations du haut des cîmes). En 1991, la maison d'édition Edaf a publié Tantric Yoga ("Lo yoga della potenza").

Il existe de nombreux autres ouvrages d'Evola publiés en espagnol, mais qui appartiennent déjà à des éditeurs de pays d'Amérique latine, comme l'éditeur mexicain Grijalbo, qui a publié La doctrine de l'éveil ou les Ediciones Heracles, en Argentine, qui ont publié bon nombre de livres d'Evola.

De même, plusieurs maisons d'édition espagnoles ont publié des ouvrages sur l'œuvre léguée par le maître. Cela a été fait par Ediciones Nueva República, Editorial Fides, Hipérbola Janus, Eminves, Editorial Retorno, Ediciones Titania ou, entre autres, Editorial Excalibur.

Les Ediciones Camzo et Editorial Eas se sont également intéressées à l'œuvre de Julius Evola, au point d'être les maisons d'édition qui ont publié mes livres.

91zNzHFFRlL.jpg

Pour commander l'ouvrage:

https://editorialeas.com/producto/evola-frente-al-fatalismo/

L'association culturelle Tierra y Pueblo, en 2004, a organisé à Madrid un colloque d’hommage à Evola à l'occasion du 30e anniversaire de sa mort. Le contenu des conférences qui y ont été données, ainsi que les autres conférences d'un autre grand séminaire tenu à Rome par l'Associazione Culturale Raido, ont été publiées par Tierra y Pueblo sous le titre "Julius Evola. Un penseur politiquement incorrect".

De même, il existe des associations culturelles telles que l'association Genos dans laquelle l'influence de l'héritage d'Evola est évidente dans beaucoup de ses œuvres, insérées dans le magazine Europae.

D : Connaissiez-vous RigenerAzione Evola et que pensez-vous de ce projet ?

R : Je ne connaissais pas le site web de RigenerAzione Evola. Je l'ai regardé et j'ai vraiment aimé ce que j'ai vu. Excellente diffusion de l'œuvre d'Evola ! Il y a de nombreux articles dont je ne connaissais pas l'existence et des études intéressantes de différents auteurs sur l'œuvre d'Evola. Je vais essayer de le garder toujours à portée de main. J'ai été frappé par l'interview qui a été réalisée à son domicile en 1973, un an avant sa mort et dont le son peut être entendu dans la vidéo que le web nous procure.

***

A propos d’Eduard Alcàntara

J'enseigne depuis trois décennies et demie, en tant qu’instituteur dans l'enseignement primaire.

Deux de mes principaux passe-temps sont les questions liées à la métaphysique et à l'histoire. Si l'on ajoute à cela le fait que j'ai toujours admiré l'essence de l'armée, il n'est pas surprenant que j'aie fini par être attiré par la Tradition telle que Julius Evola nous l'a si magistralement transmise.

J'ai eu mon premier contact avec le maître romain dans la première moitié des années 80 du siècle dernier, à partir des travaux réalisés par Ernesto Milà dans des magazines, des livres et une maison d'édition qu’il avait lui-même fondée ("Ediciones Alternativa").

Je gère un blog traditionaliste dont le contenu s'inspire de l'héritage de "la dernière gibeline" : "Julius Evola". Septentrionis Lux" - https://septentrionis.wordpress.com/

Pendant plusieurs années, j'ai également administré un forum, également d'inspiration essentiellement évolienne, appelé "Traditio et Revolutio", dont les membres venaient d'Espagne et du Portugal ainsi que de plusieurs pays d'Amérique latine. En décembre 2020, les groupes de yahoo ont disparu et avec eux le forum.

J'ai collaboré à plusieurs magazines papier et numériques, ainsi qu'à plusieurs sites web et blogs en Espagne, au Portugal et en Amérique latine. Ediciones Titania a publié "Evola y la cuestión racial". Ediciones Camzo a publié "Reflexiones contra la modernidad". Editorial Eas a publié "L'homme de tradition" (1ère et 2ème éditions). L'Editorial FasciNaçâo a publié "O Homem da Tradiçao" (édition portugaise du livre mentionné ci-dessus).

Troy Southgate vient de publier "The Man of Tradition : Actualising the Evolian Character" (édition anglaise du livre ci-dessus). L'éditorial Eas a publié mon "Evola contre le fatalisme". J'ai également écrit un certain nombre d'avant-propos pour différents auteurs.

lundi, 01 février 2021

Pierre Bérard : « Julien Freund était un homme de la France d’avant qui pourrait être la France de demain »

Julien-FREUND2-e1545596217502.png

Pierre Bérard : « Julien Freund était un homme de la France d’avant qui pourrait être la France de demain »

Entretien

Ex: https://www.breizh-info.com

Les éditions de la Nouvelle Librairie ont publié récemment Le Politique ou l’art de désigner l’ennemi, de Julien Freund (1921-1993). Ce dernier est l’un des plus grands penseurs français du politique. Les éditions de la Nouvelle Librairie lui rendent hommage en publiant quatre longues études qu’il a signées dans le cadre des travaux de la Nouvelle Droite, présentées par Alain de Benoist et Pierre Bérard. Le premier préface l’ouvrage et publie la correspondance qu’il a échangée avec Freund. Le second présente la figure de Freund à travers une centaine de pages, entre le dialogue philosophique et les « propos de table ».

Pierre Berard est professeur agrégé d’histoire désormais à la retraite. Lorsqu’il était étudiant à Nantes il a participé en mai 1968 à la fondation du Groupe de Recherche sur la Civilisation Européenne plus connu sous son
acronyme de GRECE ou son étiquette publicitaire de Nouvelle Droite. Nous l’avons interrogé au sujet de cet ouvrage, majeur.

Pour commander l’ouvrage, c’est ici 

Breizh-info.com : Qui était Julien Freund ? À quelle occasion l’avez vous rencontré ? Qu’est-ce qui vous a marqué dans cette rencontre ?

Pierre Berard : Julien Freund (1921-1993) était un personnage tout à fait singulier. Né à Henridorff en Moselle, tout près de l’Alsace, dans un milieu de paysans et d’ouvriers, il a du interrompre ses études après le baccalauréat pour subvenir aux besoins de sa famille. Il est instituteur quand survient la seconde guerre mondiale. Détenu comme otage par les Allemands, il s’évade et rejoint Clermont-Ferrand en zone libre où se trouve repliée l’université de Strasbourg.


51-By5IxuRL.jpgIl y poursuit sa licence de philosophie puis entre en résistance dès janvier 1941 dans les groupes-francs de Combat dirigés par Henri Frenay. Arrêté deux fois, il s’évade deux fois et termine la guerre dans les maquis FTP de la Drome. Après le conflit il tâte brièvement de la politique, puis muni de son agrégation de philosophie se lance dans la rédaction de sa thèse qu’il soutient en 1965 sous la direction de Raymond Aron. Ses 765 pages sont éditées la même année sous le titre L’essence du politique chez Sirey. Elle a connu depuis plusieurs rééditions et demeure l’oeuvre la plus considérable de ce penseur hors pair, que Pierre-André Taguieff considère comme « l’un des rares penseurs du politique que la France a vu naître au XX siècle ».

J’ai rencontré Freund pour la première fois en janvier 1975 à Paris lors d’un colloque du GRECE où il s’était fait chaleureusement applaudir à la suite d’une conférence au titre assez provocateur « Plaidoyer pour l’aristocratie ».

« Aristocratie » devant être pris dans son sens étymologique du gouvernement des meilleurs, c’est à dire les plus aptes à diriger la cité pour le bien commun de ses nationaux. Dès les années suivantes mes relations avec lui sont passées du stade courtois à la franche complicité. Moi-même strasbourgeois, j’ai pu le fréquenter tant chez lui, à Villé, que dans les winstub alsaciennes ou dans les colloques où je me trouvais invité avec lui.

Ce qui marquait chez lui en dehors de son érudition phénoménale était sa simplicité et sa propension à parler avec tout le monde. Il était aussi rieur et souvent effronté, chose que j’ai tenu à mettre en scène dans les longues conversations que j’ai eu la chance de pouvoir entretenir avec lui jusqu’à sa mort. Il faut dire aussi que son espièglerie parfois persifleuse s’accommoderait fort mal avec le progressisme ou le salafisme dont notre époque est farcie jusqu’à la moelle.

Les imprécateurs de ces nouveaux dogmes sont trop imbus de leurs certitudes et ne savent en conséquence pratiquer ni l’humour ni le second degré. Oui, de toute évidence Julien Freund était un homme de la France d’avant qui pourrait être la France de demain. Un homme qui savait douter, y compris de ses propres opinions; il n’avait pas la prétention des sectaires.

Breizh-info.com : En quoi le livre « Le politique ou l’art de désigner l’ennemi » est essentiel, d’autant plus à notre époque ?

Pierre Berard : Le livre Le politique ou l’art de désigner l’ennemi est composé d’une brillante introduction d’Alain de Benoist qui souligne les grands thèmes qui ont agité la pensée de Freund et les propos de table échangés entre lui et moi durant une bonne quinzaine d’années, puis de quatre longs articles que Freund avait confié aux revues de la Nouvelle Droite. Successivement, Propos sur le politique, Plaidoyer pour l’aristocratie, Les lignes de force de la pensée politique de Carl Schmitt et de Prolégomènes à une étude scientifique du fascisme. Ainsi ce livre constitue-il une bonne approche d’une oeuvre marquée par un réalisme que n’encombre aucun des multiples tabous et censures qui caractérisent notre présent et rendent impossibles la libre discussion.

Freund est aujourd’hui un auteur injustement oublié. Il ne faut pas s’en étonner car c’est le lot de nombreux penseurs non-conformistes qui n’ont pas l’heur de satisfaire une université en proie à une idéologie qui s’attache à déconstruire ce qui faisait tout l’héritage du savoir européen. Freund avait d’ailleurs pressenti ce nouveau climat fait de lâcheté pour les uns et d’activisme forcené pour une minorité d’autres. Il démissionna de toutes ses fonctions académiques en 1972, à 51 ans, pour se retirer dans son village où il continua dans la sérénité à poursuivre son travail.

Julien Freund-23425200.png

Le livre est d’autant plus essentiel qu’à l’époque présente nous sommes inondés par les médias de grand chemin qui font la promotion incessante de minorités victimes de méchants « hommes blancs, hétérosexuels de plus de cinquante ans ».

À l’heure présente, celle des basses eaux, les victimes ont remplacé les héros, du moins dans notre Panthéon. À cette avalanche ininterrompue qui agit comme un formatage de l’opinion, il nous appartient de réagir sous peine de disparaître d’un continent qui a vu notre civilisation s’élaborer et s’épanouir et entreprendre la rude tâche de déconstruire les déconstructeurs.

Comme Max Weber, dont Freund fut un des passeurs en France, celui-ci affirme que le politique est affaire de puissance. Agir politiquement c’est exercer une puissance de même que renoncer à l’exercer c’est se soumettre d’emblée à la volonté et à la puissance des autres. Or sur le théâtre des opérations il y a bien des candidats à la puissance, à commencer par le plus visible, celui des États Unis, toujours aussi impérialistes et dont le soft power écrase nos identités, la Chine ou la Turquie d’Erdogan. Or nous ne pouvons que constater, sans être va-t-en-guerre pour autant, l’étonnante pusillanimité de l’Union européenne sur ces fronts là. Les lecteurs trouveront dans ce livre non seulement matière à se rasséréner mais surtout des arguments pour engager la contre-offensive nécessaire afin d’assurer notre survie. Dans cet ordre d’idées le raisonnement de Freund s’apparente à celui du grand juriste allemand Carl Schmitt.

418Xi+vyEML._SX332_BO1,204,203,200_.jpgPosons nous la question; est-il bien raisonnable de penser que tous les hommes ont vocation à s’entendre et de postuler l’avènement d’une paix universelle ? Ou bien ne s’agit-il là que d’une illusion angélique ? Le monde en effet n’est pas une unité politique, il n’est pas un universum mais bien plutôt un pluriversum politique. Freund incontestablement influencé par Carl Schmitt dans ce registre pose alors la question : ne convient-il pas de regarder la réalité en face et assumer le fait que le monde est composé d’ennemis potentiels et que seule une prise de conscience politique réaliste, dépourvue d’arguments moralisateurs peut engager une action responsable. Ceci est la base de la dialectique ami-ennemi. Penser la guerre comme actualisation ultime de l’hostilité n’est pas faire preuve de militarisme ou de bellicisme outrancier mais d’une prudence qui doit animer le politique.

Imaginons un peuple qui voudrait échapper à cette loi de l’ami et de l’ennemi et qui se convaincrait à grands coups de déclamations incantatoires qu’il n’a aucun ennemi et même qu’il déclare la paix au monde entier, il ne supprimerait pas pour autant la polarité ami-ennemi, puisque un autre peuple peut fort bien le désigner comme ennemi. C’est l’ennemi qui vous désigne dit Freund. Et Schmitt de surenchérir : « Qu’un peuple faible n’ait plus la force ou la volonté de se maintenir dans la sphère du politique, ce n’est pas la fin du politique dans le monde. C’est seulement la fin d’un peuple faible ».

La guerre n’est ni l’objectif ni la fin du politique mais elle demeure ce moment d’acmé dont tout homme d’État doit avoir l’hypothèse en tête. Freund ne croyait pas du tout à la disparition possible de la catégorie politique, raison pour laquelle il n’était pas libéral. En effet la pensée libérale mise sur la cessation des conflits, la fin de l’histoire et la dépolitisation de l’État en décrétant que le but des communautés humaines est la recherche du bonheur individuel en attribuant à l’instance dirigeante une simple posture de gestion, ce qui pour lui représentait une fiction délétère.

Breizh-info.com : « Rien n’est plus éloigné du politique que la morale » écrit Alain de Benoist évoquant l’oeuvre de Freund. Pourtant aujourd’hui, toute la vie politique se résume à des leçons de morale, qui intègre même les décisions pénales. Que faut-il alors retenir de Freund pour l’appliquer ensuite à la vie politique, judiciaire de ce pays ?

Pierre Berard : Pour Freund chaque activité est dotée d’une rationalité propre qui n’appartient qu’à elle. Il souligne à ce propos que l’erreur commune d’un certain marxisme (léniniste) et du libéralisme est de faire de la rationalité économique le
modèle de toute rationalité.

Il écrit à ce propos : « La pensée magique consiste justement en la croyance que l’on pourrait réaliser l’objectif d’une activité avec les moyens d’une autre ». Il insiste tout particulièrement sur la confusion de la morale et du politique et conseille d’en finir avec cet imbroglio. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la morale regarde le for intérieur privé tandis que le politique est une nécessité de la vie sociale. Aristote, l’un de ses maître, distinguait déjà vertu morale et vertu civique concluant que l’homme de bien est le bon citoyen. Un homme irréprochable du point de vue de la morale fait rarement un bon politique et d’autre part parce que la politique ne se fait pas avec de bonnes intentions morales, mais en s’attachant à ne pas faire de choix malheureux entrainant la perte de la cité.

Agir moralement ou prétendre le faire peut conduire à mener des guerres « humanitaires » (l’expression est de Carl Schmitt) et déclencher des catastrophes en chaîne comme on l’a vu avec l’opération occidentale en Libye, où nous avons été entrainés par l’imposteur Bernard-Henri Lévy et le narcissisme du président Sarkozy. Qui dit humanité veut tromper proclamait Proudhon. Cette déclaration s’est rarement démentie ! La politique n’est pas pour autant amorale ou immorale. Elle possède même sa dimension morale pour autant qu’elle poursuit le bien commun. Le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels mais ce que Tocqueville appelait le « bien du pays ».

Breizh-info.com : Désigner l’ennemi, c’est déjà forcément discriminer. Finalement, les lois qui aujourd’hui encadrent la liberté d’expression, et qui interdisent toute discrimination en France, ne sont-elles pas des lois qui vont à l’encontre du principe même de la vie de la cité, c’est à dire de la politique ?

Pierre Berard :  Discriminer est une obligation dans l’ordre intellectuel sous peine de sombrer dans le confusionnisme. Il en va de même dans l’ordre politique où la première des discrimination doit distinguer le citoyen du non citoyen. La mode actuelle
est à l’anti-discrimination sur le plan politique et pourtant l’État doit bien s’y résoudre quoi qu’il dise.

f4d9386989d372958a50272e943a7089.jpg

Par exemple l’Éducation nationale ne peut recruter que des citoyens tout comme l’armée, à l’exception de la légion étrangère. Il est interdit en France d’être anti-islamiste mais bien vu d’être russophobe et ainsi de suite. En bonne logique les lois anti-discrimination sont inapplicables mais la logique est absente du système…Par exemple, comment est qualifiée une information ?

Selon qu’elle plait ou non aux censeurs omniprésents ils la qualifieront de « complotiste » ou d’avérées. Dans le premier cas elle sera envoyée au pilon par les plateformes des oligarques la Silicon valley, dans le second elle aura droit à tous
les égards comme information fiable. Dans son livre Athéna à la borne (éditions Pierre-Guillaume de Roux) maître Thibault Mercier a tout dit dans son seul sous titre Discriminer ou disparaître.

Breizh-info.com : Quels sont, outre ce livre, les autres travaux de Freund que vous jugez important à lire et à comprendre ?

Pierre Berard : Outre nombre d’études spécialisées je vois deux livres qui me paraissent importants. Le premier intitulé La décadence est paru chez Sirey en 1984. Il passe en revue toute les théories du déclin des civilisations et déclare dans son avant- propos que « tant qu’une civilisation demeure fidèle à l’impératif de ses normes, on ne saurait parler de décadence. Elle s’y embarque, dès qu’elle rompt avec elles ». C’est dire si il croyait que nous étions engagés sur cette voie. Il voyait dans l’aboulie de l’Europe et dans l’abolition progressive du politique au profit de l’économie et de la morale le signe de ce déclin. Il disait aussi que la culpabilité et que le sentiment de mauvaise conscience entretenus par de pseudos élites chez les Européens relevait d’un ethno-masochisme dont on ne voit nulle trace ailleurs.

71iFZuzLqWL.jpg

Certes la capacité des Européens à sans cesse se remettre en question fut longtemps une force dans la mesure ou elle aboutissait à de nouvelles synthèses mais au point où nous en sommes arrivés on ne voit rien surgir de tel, qu’un affaiblissement morbide et général. Tous les peuple ont commis l’esclavagisme, le colonialisme etc; n’est-il pas stupide que nous devions en porter seuls le poids historique et faire seuls repentance ad libitum ?

Le deuxième livre que l’on peut conseiller aux lecteurs curieux est Politique et impolitique (toujours chez Sirey), un ample recueil d’articles dans lequel Freund définit ce qu’il entend par l’impolitique. Ce n’est ni l’apolitique ni l’antipolitique ni encore le non-politique. Une politique basée sur les droits de l’homme, par exemple, équivaudrait à une impolitique parce qu’elle serait à prétention morale. C’était aussi la conviction de Marcel Gauchet. Nous retrouvons là la confusion dénoncée par ailleurs qui consiste à réaliser l’objectif d’une activité avec les moyens d’une autre. Nous vivons en Europe une phase de confusion entre les essences qui correspond à une intense dépolitisation qui nous conduit à l’impuissance, aussi bien dans sur le plan intérieur qu’au plan diplomatique et géostratégique. Cela hérissait le poil de Julien Freund qui avait lu et retenu les leçons de Machiavel et de Thomas Hobbes, des apôtre de la politique réaliste.

D’ailleurs on pourrait résumer Julien Freund à un seul postulat, l’adage romain et machiavélien Salus populi suprema lex qu’on peut traduire ainsi « Que le salut du peuple soit la loi suprême ». Malheureusement on est en droit de se demander si nous constituons toujours un peuple quoi qu’en disent certains intellectuels qui vivent dans des catégories autres que celles dans lesquelles ils pensent.

Breizh-info.com : Peut-on dire que Freund était un disciple de Carl Schmitt ?

Pierre Berard : Bien sûr qu’il a été, sinon son disciple, du moins très inspiré par lui. Mais alors que la polarité ami-ennemi joue un rôle clé dans la définition du politique par Schmitt, elle n’en est qu’un des éléments pour Freund. Celui-ci
distingue des présupposés inhérents à toutes les sociétés humaines depuis toujours et opérant en couple.

L’économique tout d’abord qui articule rareté et abondance, l’utile et le nuisible, le lien du maître à l’esclave. Le religieux ensuite qui fait la discrimination entre le sacré et le profane, du transcendant et de l’immanent. Viennent encore successivement l’esthétique qui fait la différence entre ce que l’on trouve beau et ce que l’on trouve laid, l’éthique dans laquelle se trouvent opposés la décence et l’indécence etc… Ces couples sont permanents indépendamment de ce qu’on y loge. Le couple ami-ennemi ne constituant que l’ultime clé de voute de tout cet appareillage puisqu’il met en scène la concorde intérieure et la sécurité extérieure dont dépend la bonne marche de tout le reste. En tant que catégorie conceptuelle, l’essence désigne chez Freund l’une de ces « activité originaires » ou orientations fondamentales de l’existence.

Avancer l’idée selon laquelle il y a une essence du politique, c’est dire que le politique est un activité consubstantielle de notre être au monde. Mais cela signifie également que l’on ne saurait l’éliminer ainsi que l’ont tentés les marxistes pour qui le politique était synonyme d’aliénation et instrument de la domination de classe et aujourd’hui les libéraux qui le conçoivent comme une activité irrationnelle appelée à être remplacé par les lois du marché, bien entendu « libre et non faussé ». Le politique étant de tout temps il ne dérive pas d’un état antérieur, d’un état de nature non social. Fiction inventée par les théoriciens du contrat et reprise par les Lumières. L’essence selon Freund est « la part d’invariant existant dans une activité appelée dans la vie concrète à revêtir les figures les plus diverses » comme le rappelle Alain de Benoist dans son introduction.

Propos recueillis par YV