lundi, 01 décembre 2025
La transmission des mythes par les textes mythologiques irlandais

La transmission des mythes par les textes mythologiques irlandais
Source: Celtes , Gaulois fierté autochtone | Facebook
L’Irlande, terre de légendes et de mystères, a préservé à travers les siècles un patrimoine mythologique d’une richesse inégalée. Les textes mythologiques irlandais, rédigés principalement entre le VIIe et le XIIe siècle, jouent un rôle central dans la transmission des récits fondateurs, des croyances et des valeurs de la culture celtique. Ces écrits, souvent compilés par des moines chrétiens, sont le fruit d’une tradition orale bien plus ancienne, remontant à l’âge du bronze et à l’époque pré-christienne. Ils offrent une fenêtre unique sur l’imaginaire, la spiritualité et la vision du monde des anciens Irlandais.
1. Les Sources des Mythes Irlandais : de l’Oral à l’Écrit
Avant d’être consignés par écrit, les mythes irlandais se transmettaient oralement, de génération en génération, par le biais des filid (poètes) et des seanchaí (conteurs). Ces gardiens de la mémoire collective avaient pour mission de perpétuer les récits héroïques, les généalogies des dieux et des rois, ainsi que les explications des phénomènes naturels. Avec l’arrivée du christianisme en Irlande au Ve siècle, les moines, soucieux de préserver la culture locale tout en l’adaptant à leur nouvelle foi, ont commencé à transcrire ces récits. Les manuscrits les plus célèbres, comme le Lebor Gabála Érenn (Le Livre des Conquêtes de l’Irlande), le Táin Bó Cúailnge (La Rafle des Vaches de Cooley) ou encore les Dindsenchas (Lore des Lieux), sont ainsi nés de cette rencontre entre deux mondes.
Ces textes, bien que réécrits sous une influence chrétienne, conservent des traces évidentes des croyances païennes. Par exemple, les Tuatha Dé Danann, souvent présentés comme une race mythique ou des dieux, sont parfois dépeints comme des êtres surnaturels ou des ancêtres glorifiés, afin de les intégrer dans une vision chrétienne de l’histoire. Cette superposition de couches culturelles rend les textes irlandais particulièrement fascinants : ils mêlent mythes pré-christiens, symboles païens et réinterprétations chrétiennes.
2. Les Cycles Mythologiques : une Structure Narrative Unique
Les mythes irlandais sont traditionnellement organisés en quatre grands cycles
- Le Cycle Mythologique : Il raconte l’histoire des dieux et des créatures surnaturelles, comme les Tuatha Dé Danann, les Fomoriens et les Fir Bolg. Ces récits expliquent la création du monde, les batailles cosmiques et l’origine des paysages irlandais.
- Le Cycle d’Ulster : Centré autour du héros Cú Chulainn, ce cycle met en scène des exploits guerriers, des tragédies et des quêtes épiques. Le Táin Bó Cúailnge, joyau de ce cycle, illustre la lutte entre l’Ulster et le Connacht, tout en explorant des thèmes universels comme l’honneur, la loyauté et la fatalité.
- Le Cycle de Fenian : Il suit les aventures de Finn Mac Cumhaill et de ses guerriers, les Fianna, dans un monde où magie et réalité s’entremêlent.
- Le Cycle des Rois : Ce cycle relate les exploits des souverains historiques ou semi-légendaires, comme Conchobar ou Cormac Mac Art, et aborde des questions de pouvoir, de justice et de destin.
Chaque cycle reflète des valeurs et des préoccupations spécifiques, tout en partageant des motifs récurrents : les voyages dans l’Autre Monde (le Tir na nÓg), les objets magiques (comme la Lance de Lug ou la Pierre de Fal), et les figures de druides et de guerriers.

3. La Transmission des Mythes : entre Symbolisme et Enseignement
Les textes mythologiques irlandais ne se contentent pas de divertir : ils enseignent. Ils transmettent des leçons sur la nature humaine, la relation entre les hommes et les dieux, et l’équilibre entre ordre et chaos. Par exemple, le mythe de la Deuxième Bataille de Mag Tuired symbolise la victoire de la lumière (les Tuatha Dé Danann) sur les forces obscures (les Fomoriens), une allégorie de la lutte entre civilisation et barbarie. De même, les récits mettant en scène des héros comme Cú Chulainn ou Finn Mac Cumhaill soulignent l’importance du courage, de la sagesse et du respect des traditions.
Les lieux mythiques, comme la colline de Tara ou le lac de Derryclare, sont souvent associés à des événements surnaturels, renforçant le lien entre le paysage et la mémoire collective. Les Dindsenchas, en particulier, expliquent l’origine des noms de lieux à travers des légendes, créant une géographie sacrée où chaque rocher ou rivière a une histoire.
4. L’Influence Chrétienne et la Réinterprétation des Mythes
Avec la christianisation, certains dieux païens ont été transformés en saints ou en figures bibliques. La déesse Brigid, par exemple, est devenue Sainte Brigitte, tandis que des fêtes païennes comme Samhain (l’ancêtre d’Halloween) ont été intégrées au calendrier chrétien. Cette assimilation a permis aux mythes de survivre, tout en les adaptant aux nouvelles croyances. Les moines irlandais, en copiant ces textes, ont ainsi sauvé de l’oubli une partie de la tradition orale, même si certains éléments ont été édulcorés ou réinterprétés.

5. La Postérité des Mythes Irlandais
Aujourd’hui, les textes mythologiques irlandais continuent d’inspirer la littérature, la musique et les arts. Des auteurs comme W.B. Yeats ou J.R.R. Tolkien se sont nourris de ces récits pour créer leurs propres univers. Les festivals celtiques, les reconstitutions historiques et même le tourisme culturel en Irlande s’appuient sur ces légendes pour célébrer l’identité irlandise.
En conclusion, la transmission des mythes irlandais par les textes médiévales est un témoignage remarquable de la résilience d’une culture. Grâce à l’écrit, des récits qui auraient pu disparaître ont traversé les siècles, offrant aux générations futures un héritage à la fois poétique, philosophique et spirituel. Ces textes rappellent que les mythes ne sont pas de simples histoires : ils sont le reflet de l’âme d’un peuple, un pont entre le passé et le présent.
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jeudi, 27 novembre 2025
Le « Mal » dans la cosmogonie de Tolkien

Le « Mal » dans la cosmogonie de Tolkien
par Ralf Van den Haute
La lecture de l'épopée Le Seigneur des Anneaux[1] ne révèle pas toute la portée mythique de l'œuvre de J. R. R. Tolkien, qui fournit dans Le Silmarillion[2] la véritable clé de son univers. On y trouve une description de l'origine du monde, des dieux et du « Mal ». Le statut de ce dernier dans l'œuvre de Tolkien correspond à plusieurs égards aux différentes manifestations du Mal dans la mythologie germanique. Le but de cet article est d'examiner cet aspect et de retracer certaines similitudes entre le Mal dans l'œuvre de Tolkien et la mythologie germanique telle qu'elle nous est transmise par les Eddas[3] .
Le « Mal » dans l'œuvre de Tolkien ne correspond pas à la définition qui nous a été transmise par le monothéisme chrétien: il faut plutôt le considérer comme un ensemble de forces destructrices qui défient la vie et l'ordre divin, comme on le retrouve dans l'Edda.
Dans la littérature fantastique, et plus particulièrement dans le genre appelé « fantasy héroïque », Tolkien jouit indéniablement d'une popularité inégalée. Éminent philologue, spécialiste de la grammaire comparée des langues germaniques et indo-européennes, il n'est pas seulement l'auteur d'un récit merveilleux et d'une épopée. Contrairement aux innombrables livres et productions cinématographiques pseudo-mythiques — qui sont dépourvus de toute dimension tragique —, l'œuvre de Tolkien constitue un système mythologique véritablement cohérent, basé sur un mythe cosmogonique et doté d'un cadre dans lequel peut se dérouler une épopée quasi homérique.

Le Silmarillon, clé de l'œuvre de Tolkien
Tout dans cette œuvre — des anneaux aux épées magiques, des représentants du « Bien » et du « Mal » — est l'expression d'un ordre intérieur propre à l'être humain, tant à l'individu qu'à la communauté du destin. Il s'agit d'un ordre immanent à ce monde, dont l'essence ne peut être comprise en lisant uniquement Le Hobbit[4] - qui a commencé comme une histoire que Tolkien a écrite pour ses enfants - et Le Seigneur des Anneaux. Dans Le Silmarillion, le lecteur séduit par la Terre du Milieu trouvera les clés indispensables. Bien qu'il ait été publié après Le Seigneur des Anneaux, l'auteur a commencé à écrire le texte dès son retour des tranchées en 1916. Initialement destiné à être inclus dans Le Livre des contes perdus[5] , le manuscrit partiellement inachevé a finalement été publié en 1977 par Christopher Tolkien, le fils de l'auteur.
Dès le départ, Le Silmarillion apparaît comme un livre moins accessible que l'épopée de Tolkien : c'est l'histoire des origines, du commencement lointain – la nuit des temps – qui n'est pas sans rappeler la Völuspá, dans laquelle la mystérieuse Völva raconte les origines et le destin du monde. Le Silmarillion contient tout le contenu mythique qui permet de mieux comprendre Le Seigneur des Anneaux, d'autant plus que les événements du Silmarillion précèdent chronologiquement ceux du Seigneur des Anneaux et en décrivent les causes en détail. Le lecteur y découvre l'élaboration d'un véritable mythe cosmogonique originel, la présence d'un panthéon — dont les fonctions des divinités ne sont pas toujours complètement élaborées — et une vision de la fonction du « Bien » et du « Mal », qui atteindra son apogée dans Le Seigneur des Anneaux.

Certains ont voulu voir dans cette dynamique entre deux forces opposées une allégorie — comme celle de la Seconde Guerre mondiale. Tolkien lui-même a rejeté cette interprétation. Il nous semble plus intéressant d'étudier le statut du « Mal » dans l'œuvre de Tolkien à la lumière de la mythologie germanique telle qu'elle est représentée dans l'Edda. Pourquoi spécifiquement la mythologie germanique ? Germaniste, Tolkien connaissait particulièrement bien plusieurs langues germaniques anciennes telles que le vieux norrois, le vieil anglais et le gothique, et a lui-même traduit et commenté plusieurs textes épiques et mythologiques. Sa connaissance des mythes et légendes germaniques était pour le moins très approfondie. Cette tentative d'analyse succincte n'exclut pas l'existence d'autres influences : certains noms dans le Silmarillon semblent notamment être tirés de l'épopée finlandaise Kalevala. Le quenya et le sindarin, langues elfiques créées par Tolkien, sont quant à elles basées sur le finnois et le gallois. Il est difficile de se prononcer de manière catégorique sur les parallèles entre le Silmarillion et le mythe de la création dans le Mahabarata, car on ne sait pas dans quelle mesure Tolkien connaissait le contenu de ce texte. Certains suggèrent que les sept rivières d'Ossiriand seraient inspirées des sapta sindhu, les sept rivières du Rigveda. Quoi qu'il en soit, il est possible de démontrer de manière convaincante que Tolkien a rédigé un mythe de la création, une mythologie et une épopée héroïque à part entière, qui s'inscrivent dans la lignée de la mythologie germanique et indo-européenne au sens large.
Le mythe fondateur
Le problème du « Mal » ne peut être dissocié de l'ensemble de la cosmogonie. Le mythe tolkienien de la création en fournit lui-même l'explication : il ne s'agit pas d'une création comme acte unique émanant d'une divinité unique et toute-puissante. Cette cosmogonie s'inscrit plutôt dans une conception de l'origine telle que l'a formulée Ernst Jünger dans Besuch auf Godenholm[6] : « La création (...) était possible à chaque point où les flammes de l'inétendu éclataient. »

Dans le Silmarillion, Eru, ou Ilúvatar (illustration) — un nom apparenté à l'allemand Allvater, l'un des nombreux noms d'Odin — crée les Ainur et leur donne trois thèmes musicaux qu'ils doivent élaborer et développer. Ils donnent ainsi forme à Arda, la Terre, et à Eä, le « monde qui est », l'univers.
Ilúvatar ne possède aucune des caractéristiques du dieu jaloux de la Bible ; au contraire, il semble incarner le principe du Devenir. N'envoie-t-il pas ses flammes éternelles à travers l'espace — les flammes de l'inétendu de Jünger —, flammes qui sont à l'origine des mélodies infinies, véritables sculptures musicales ? C'est ainsi que la Terre et l'univers deviennent réalité.

Les Valar, les dieux de la cosmogonie tolkienienne, sont les meilleurs parmi les Ainur. Ils sont quatorze et leurs fonctions sont multiples. Certains Valar présentent des similitudes avec les dieux de notre panthéon familier : il y a ainsi un dieu de la mer (et des eaux en général). Ils correspondent à des forces de la nature, et l'on pourrait ici utiliser le terme de « religion naturelle », si Tolkien ne semblait pas veiller soigneusement à ne jamais inclure de culte religieux ou de forme quelconque d'eschatologie dans son œuvre.
Les Valar, qui participent au chant éternel des Ainur, représentent en quelque sorte les forces de la nature qui façonnent et refaçonnent sans cesse le visage du monde. Ce chant symbolise le devenir : seuls des éléments créateurs peuvent exister. Un monde sans éléments destructeurs serait statique, incomplet et, en l'absence d'une dimension tragique, totalement inintéressant.
Friedrich Gundolf, membre éminent du cercle de poètes autour de Stefan George, suggère que « les dieux subliment toutes les tensions humaines en forces créatrices ».[7] Ces tensions existent également dans l'œuvre de Tolkien ; elles en constituent même le fondement. Quels sont donc les éléments destructeurs nécessaires pour rendre possibles les tensions créatrices ? Le « Mal », en tant que force opposée au « Bien », apparaît déjà dans l'Ainulindalë, où Tolkien raconte le développement des mélodies par les Ainur.

Alors que les Ainur et les Valar façonnent le monde et la vie à travers leur musique, Melkor — lui-même un Valar — développe ses propres mélodies, dissonantes et violentes, qui semblent consister en une négation des harmonies créées par les autres Valar. Les mélodies de Melkor s'ajoutent à l'ensemble des mélodies des Valar : à certains moments, les tonalités harmoniques prédominent, non sans difficulté ; à d'autres moments, c'est la musique dissonante de Melkor qui domine.
Cet antagonisme, mais aussi cette alternance entre les deux forces, reflète la lutte entre les dieux et les Titans, entre l'ordre et le chaos, entre la vie et la mort. Les Valar sont ainsi constamment confrontés à la destruction de leur œuvre, voire à leur propre destruction. Les deux forces sont engagées dans une lutte éternelle, dans laquelle aucune des deux ne peut jamais se vanter d'une victoire définitive.
L'eucatastrophe
Mais Le Seigneur des Anneaux ne se termine-t-il pas par une eucatastrophe ? Tolkien lui-même mentionne l'eucatastrophe comme l'une des issues possibles dans un essai intitulé On Fairy-stories[8] . La définition qu'il donne à ce terme — dérivé du grec eu et katastrophê — est la suivante : « L'eucatastrophe est le revirement soudain et joyeux [...] une grâce soudaine et miraculeuse, sur laquelle on ne doit jamais compter pour qu'elle se reproduise. »
Dans cet essai, Tolkien décrit comment la structure du conte de fées, notamment à travers l'eucatastrophe, trouve un écho lointain dans l'histoire du salut chrétien. Tolkien, qui a écrit cet essai une dizaine d'années avant de commencer ses récits, relativise lui-même cette notion lorsqu'il affirme que l'eucatastrophe n'est pas la seule fin possible. Cet essai traite des contes de fées en général, et non spécifiquement du Seigneur des Anneaux, dont la rédaction n'a commencé qu'une dizaine d'années plus tard.
Dans l'eschatologie chrétienne, le Mal est définitivement vaincu lors du Jugement dernier, qui marque la fin de l'Histoire (qui, dans la tradition judéo-chrétienne, a commencé avec l'expulsion d'Adam et Ève du Paradis). Si l'œuvre de Tolkien contient des éléments chrétiens, c'est plutôt dans le personnage de Nienna, une déesse (Valar) qui présente certains attributs de Notre-Dame et plus précisément de la Mater dolorosa, à savoir la tristesse, la compassion et la miséricorde.
Cependant, de nombreux indices suggèrent que le « Mal » n'est pas définitivement vaincu à la fin de la grande bataille dans Le Seigneur des Anneaux. Comme le fait remarquer Paul Kocher dans Master of Middle-Earth[9] : « À en juger par les Âges précédents, le Mal reviendra bientôt. » Lors du dernier conseil avant la bataille, Gandalf, personnage emblématique de l'épopée, déclare que même si Sauron était vaincu et qu'un grand mal était ainsi banni du monde, d'autres se lèveraient.
Par l'intermédiaire de Gandalf, l'auteur relativise davantage l'eucatastrophe, un concept qu'il définit et décrit certes dans un essai, mais dont les perspectives chrétiennes sont finalement absentes tant dans son récit cosmogonique que dans son épopée.

Histoire cyclique
Le « soleil invaincu » est un autre thème récurrent dans l'œuvre de Tolkien : vers la fin du Seigneur des anneaux, le soleil renaît à l'horizon. Tout cela indique que la vision de l'histoire n'est pas linéaire ici : tant que le soleil se lèvera le matin, les grands midis seront inévitablement suivis de crépuscules. La victoire du soleil sur les ténèbres, de l'ordre sur le chaos, est elle-même de nature cyclique.

Le risque et le défi sont donc étroitement liés : la lutte entre les peuples libres (the free people) et les autres — les esclaves des ténèbres, porteurs de destruction et de chaos (les Orques, les Nazgûl, etc.) — revêt ici une dimension véritablement cosmique, mythique et intemporelle. On retrouve cette lutte dans la chasse effrénée du Vala Oromë (ill.), un dieu qui ressemble à Odin à plus d'un titre : le martèlement des sabots de son cheval annonce l'aube et chasse les ténèbres, qui réapparaissent immédiatement derrière lui.
La guerre entre Melkor et les Valar est sans fin et de nature cyclique. Selon Mircea Eliade[10] , la notion de temps chez les peuples archaïques ou les sociétés indo-européennes traditionnelles n'est pas vécue de manière linéaire, mais cyclique. Les rites, les mythes et les fêtes reproduisent les actes originels des dieux, des héros ou des ancêtres mythiques et permettent aux participants de revenir à chaque fois à l'époque primitive (illud tempus).
Eliade fait notamment référence à la tradition védique : les kalpas y sont des époques qui se succèdent à l'infini ; le rituel (agnihotra) permet la régénération du cosmos (au sens de l'Ordre). Eliade estime que le renouvellement périodique du pouvoir royal (dans les traditions iranienne et romaine) constitue une variante indo-européenne de la régénération cosmique.
Lutte éternelle
Peut-on alors compter Le Silmarillio parmi la tradition indo-européenne et plus précisément germanique, dont on sait qu'elle fut l'une des principales sources d'inspiration de l'auteur ? L'Edda nous raconte l'histoire des géants qui ont tué le géant primitif Ymir et ont utilisé les différentes parties de son corps pour façonner l'Univers et le Monde, avant d'être bannis aux confins du Monde par les dieux. Les géants se sont sentis humiliés, et c'est ainsi qu'a commencé une guerre sans fin entre les géants — représentants des forces brutes du commencement du monde et du chaos destructeur — et les dieux, symboles de l'ordre.



Gustav Neckel y voit un élément mythique très ancien et démontre sa présence dans les récits perses, helléniques et celtiques (principalement irlandais). Dans Vom Germanentum[11] , Neckel parle de l'«*ewigen Kampf dieser entgegengesetzten Gewalten*» (lutte éternelle entre ces forces opposées), dans le même contexte que celui que l'on retrouve dans l'œuvre de Tolkien.
La vision du monde des Indo-Européens considère la vie comme une lutte éternelle entre des forces qui s'opposent et qui constituent ensemble le Devenir. Tolkien oppose le monde ensoleillé des forêts et des paysages verdoyants et vallonnés, avec ses sources et sa magie, aux déserts, à la désolation des terres arides couvertes de nuages sombres.
En ce sens, la cosmogonie et la mythologie de Tolkien, qui se déploient autour de ce *Streit der aufbauenden mit den niederreißenden Gewalten* (lutte entre les forces constructrices et destructrices, selon Neckel), sont à la fois crédibles et cohérentes.
Les arbres de Yavanna
Dans Le Silmarillion, Tolkien illustre ce cycle à travers l'histoire des deux arbres de Yavanna. Ces deux arbres sont étroitement liés à la mythologie germanique, et plus particulièrement à Yggdrasil, l'if sacré des Germains. Yavanna, tantôt déesse, tantôt arbre sacré reliant la terre et le ciel, veille sur Laurelin et Telperion, deux arbres qui partagent avec l'if sacré des Germains la notion de fertilité et de croissance, ainsi que la menace de leur destruction.

Yggdrasil est en effet constamment menacé par un cerf qui broute son feuillage et par des serpents qui rongent ses racines. Grâce à la présence des Nornes du destin, qui vivent sous ces racines, il ne succombera pas aux attaques sans cesse renouvelées avant le Ragnarök. Yggdrasil reflète la condition humaine et celle du monde dans la mythologie germanique.
Les deux arbres sous la protection de Yavanna finiront par périr, empoisonnés par Melkor : leur disparition marquera la fin de l'ère solaire et le début d'une période sombre, qui ne prendra fin que lorsqu'une des précieuses graines de Telperion redeviendra un arbre. Cela ne se produira qu'au moment où un roi légitime, héritier de l'épée de ses ancêtres les plus lointains et divins, aura reconquis le trône ancestral.
Il s'agit bien sûr d'un mythe de régénération, qui n'est pas sans rappeler le cycle arthurien et les récits de la quête du Graal (Chrétien de Troyes, Wolfram von Eschenbach, mais aussi T. S. Eliot dans The Waste Land[12] ). Le rôle de ces arbres sacrés montre à quel point Tolkien nous plonge dans un univers qui nous est familier.
Loki
Quant au personnage de Melkor, lui aussi semble avoir ses homologues du côté germanique. Tout comme les géants, il a été banni de leur demeure par les dieux. Humilié, il ne cesse de penser à se venger. Il existe une parenté tout aussi évidente entre Melkor, qui est particulièrement rusé, et Loki, le dieu germanique du feu, que Felix Genzmer décrit dans Die Edda[13] comme un fauteur de troubles, un instigateur de tous les malheurs qui frappent les dieux.

Georges Dumézil a consacré une étude approfondie[14] à ce dieu aux multiples facettes. Loki est en effet associé à la ruse et au mensonge. Il est après tout le père de la géante Hel, du serpent Midgard et du loup Fenrir, qui joueront un rôle important dans le Ragnarök. Melkor s'est également forgé une réputation de menteur qui trompe ses victimes par la ruse, la peur, la tromperie et la violence. Les Valar parviennent un jour à le précipiter dans le Néant (nothingness), mais sa place est immédiatement prise par Sauron. Il s'agit clairement d'une fonction essentielle, sinon il n'y aurait eu aucune nécessité de le remplacer.

Loki a engendré des créatures monstrueuses : Melkor fait de même et forme, à partir d'êtres vivants capturés ou enlevés, des races dégénérées, primitives et laides. Les Orques, son chef-d'œuvre — une race monstrueuse et cruelle — sont en effet une dégénérescence de la noble race des Elfes.
La parenté ainsi établie entre Melkor et Loki soulève une question pertinente: alors que Loki vit parmi les Ases à Asgard, Melkor est banni aux confins du monde. Pourquoi les dieux ne se débarrassent-ils jamais complètement de Loki, qui sera finalement responsable de la mort de Balder, le dieu germanique du soleil — un événement qui annonçait le début du Ragnarök et correspond à l'empoisonnement des arbres sacrés par Melkor ?
Après la mort de Balder, les dieux soumettent Loki à d'horribles tortures. À une autre occasion, lorsque Loki se moqua et insulta les dieux, Thor menaça de lui fracasser le crâne avec son marteau. Dans les deux exemples cités, Loki réussit toutefois à échapper à cette punition.
Il en va de même pour Fenrir : bien qu'Odin sache qu'il sera dévoré par ce loup au moment du Ragnarök, il ne le tue pas, mais l'enchaîne. Thor et un géant réussirent un jour à capturer le serpent Midgard ; eux non plus ne le tuèrent pas, mais le laissèrent au contraire libre dans les profondeurs de l'océan, afin qu'il puisse accomplir sa tâche fatidique lors du Ragnarök.
Dans chacun des cas mentionnés, le représentant du Mal — dans toute sa dimension cosmique — parvient à chaque fois à s'échapper alors qu'il est sous le pouvoir des dieux.
Dans le chapitre du Silmarillion intitulé « De la venue des Elfes et de la captivité de Melkor », les Valar capturent Melkor et lui lient les mains avec une corde magique, qui rappelle les chaînes de Fenrir. Pourtant, en échange de quelques vagues promesses, les Valar ne font rien de mieux que de lui rendre sa liberté.
Quand, bien plus tard, ils parviennent enfin à se débarrasser de lui, un successeur endosse immédiatement le même rôle.

Melkor, Loki, Fenrir et le Serpent de Midgard ne sont rien d'autre que les adversaires nécessaires, les ennemis qui confèrent aux dieux leur dimension tragique. Ce sont ces adversaires indispensables qui créent les tensions nécessaires à l'élan créateur du monde.
Gustav Neckel voit dans cette tendance à épargner un ennemi qui s'avérera mortel à l'avenir l'expression mythique d'un ordre cosmique nécessaire, car imposé par le Destin. Même si les dieux avaient voulu détruire ces acolytes du Chaos, ils n'y seraient pas parvenus, car, précise Neckel, le destin est scellé.
Paul Kocher remarque que la survie des héros dans Le Seigneur des anneaux dépend de la chance, de la providence et du destin. Certains personnages de cette épopée connaîtront un destin tragique et héroïque et mèneront une vie risquée.
Quête de régénération
Melkor incarne donc plusieurs aspects du Mal, tels qu'ils sont exprimés dans l'Edda. Soulignons tout d'abord la place du Mal dans la cosmogonie germanique et tolkienienne, telle qu'elle est exposée dans l'Ainulindalë, le premier chapitre du Silmarillion. Il existe ensuite des similitudes indéniables entre la fonction de Melkor et celle de Loki au sein de leurs panthéons respectifs. Melkor n'est pas le diable du monothéisme, mais plutôt un démiurge tragique, sans doute apparenté à Loki, voire à Prométhée.
Ce point de vue est diamétralement opposé à la réinterprétation catholique de l'œuvre de Tolkien. Bien qu'il soit incontestable que Tolkien lui-même était catholique, toute trace d'eschatologie chrétienne est absente de son œuvre.
Dans l'œuvre de Tolkien, on ne trouve aucune trace d'une création du monde ex nihilo. Tout tourne autour d'un mythe de la création dans lequel le Devenir prend forme à travers l'harmonie (l'Ordre), la disharmonie (le Chaos) et la lutte éternelle entre les deux. Melkor, comme Ymir dans la cosmogonie germanique, fait partie des êtres qui précèdent les dieux et n'est pas un ange déchu. Melkor, qui est doté de tous les dons, aspire à l'autonomie et à la domination. Il est le créateur du Chaos, comme les Titans et autres géants dans la tradition indo-européenne.
Et ce Chaos, composante indispensable du devenir, en fait partie intégrante. Melkor confère au monde une dimension tragique qui rend possible l'apparition du héros — une notion qui fait défaut au christianisme, qui préfère vénérer les martyrs qui aspirent à une récompense transcendante.
Nous pouvons conclure que la mythologie créée par Tolkien — même s'il était lui-même catholique — n'a pas un caractère théologique, mais véritablement mythologique, caractérisé par la lutte éternelle entre des forces à la fois opposées et complémentaires: l'Ordre et le Chaos, comme dans les mythes de la création de la tradition indo-européenne.
Le Bien et le Mal dans l'œuvre de Tolkien n'ont pas une dimension morale, mais purement ontologique. Le christianisme aspire au salut ; dans le monde de Tolkien, nous assistons à une quête de régénération, de rétablissement d'un équilibre entre les forces cosmiques. Tout comme dans le Ragnarök, la destruction et la renaissance sont ici indissociables.
Ralf Van den Haute
Notes:
[1] Tolkien, J. R. R. Le Seigneur des anneaux. Londres : George Allen & Unwin, 1955.
[2] Tolkien, J. R. R. Le Silmarillion. Éd. Christopher Tolkien. Londres : George Allen & Unwin, 1977.
[3] Ralf Van den Haute. Indo-European and traditional mythological elements in Tolkien: A comparative study of the pantheon in « The Silmarillion » and « The Edda », Université libre de Bruxelles, 1984.
[4] Tolkien, J. R. R. Le Hobbit ; ou, Aller et retour. Londres : George Allen & Unwin, 1937.
[5] Tolkien, J. R. R. Le Livre des contes perdus. Partie I. Édité par Christopher Tolkien. Londres : George Allen & Unwin, 1983.
[6] Ernst Jünger. Besuch auf Godenholm. Francfort-sur-le-Main : Vittorio Klostermann, 1952
[7] Gundolf, Friedrich. Goethe. Berlin : Georg Bondi, 1916.
[8] Tolkien, J. R. R. « On Fairy-Stories ». Dans Essays Presented to Charles Williams, édité par C. S. Lewis, 38–89. Oxford : Oxford University Press, 1947.

[9] Kocher, Paul H. Master of Middle-earth: The Fiction of J. R. R. Tolkien. Boston : Houghton Mifflin, 1972.
[10] Eliade, Mircea. Le Mythe de l’éternel retour : Archétypes et répétition. Paris : Gallimard, 1949
[11] Neckel, Gustav. Vom Germanentum : Ausgewählte Aufsätze und Vorträge. Leipzig : Harrassowitz, 1944.
[12] Eliot, T. S. The Waste Land. New York : Boni and Liveright, 1922.
[13] Genzmer, Felix (trad.). Die Edda. Iéna : Eugen Diederichs, 1912-1920.
[14] Dumézil, Georges. Loki. Paris : G. P. Maisonneuve, 1948
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vendredi, 21 novembre 2025
Le guerrier impie

Le guerrier impie
Ralf Van den Haute
Le guerrier impie ignore les présages qui mènent à sa perte, après avoir commis les trois péchés du guerrier.
C’est Georges Dumézil qui, par son travail monumental en mythologie comparée, a donné à cette discipline ses lettres de noblesse scientifiques, encourageant les jeunes chercheurs Claude Sterckx et Frédéric Blaive [1] à suivre leur intuition et à démêler le mythe indo-européen du «guerrier impie».
La pertinence de ce thème, largement abordé dans la revue Ollodagos – Actes de la Société belge d’études celtiques, dans Studia Indo-Europaea et dans Latomus – revue d’études latines, se reflète dans le nombre de philologues qui ont poursuivi la recherche académique sur ce sujet, principalement du côté francophone : Alexandre Tourraix, Dominique Briquel, Marcel Meulder et Bernard Sergent.
Le mythe du guerrier impie est partagé par plusieurs peuples parlant une langue indo-européenne et semble totalement absent en dehors de cette aire linguistique. Blaive et Sterckx ont d’abord trouvé de nombreux exemples indiens, iraniens, scandinaves et latins de ce mythe. Plus tard, des exemples ont été découverts dans la plupart des langues indo-européennes, même celles dont les plus anciens documents manquent, comme l’antiquité slave, les ballades ossètes, certains textes de la littérature médiévale. Ce mythe ne semble en tout cas pas exister en dehors de l’aire indo-européenne : aucun exemple chinois, arabe, berbère, ouralien ou turco-mongol n’est connu.
Une autre particularité de ce mythe : Blaive et Sterckx, familiers de la structure trifonctionnelle de la mythologie indo-européenne, constatent que les trois avertissements ou erreurs qui précèdent la fin du guerrier impie ne peuvent être assimilés à cette structure trifonctionnelle. La triade, en tant que telle, se retrouve en effet, indépendamment de la structure trifonctionnelle propre aux mythes indo-européens, aussi fréquemment ailleurs.
Outre le mythe du guerrier impie, il existe aussi un mythe autour des trois péchés du guerrier, qui sont liés aux trois fonctions de Dumézil [2] : un meurtre, un viol (ou rapt ?) et un sacrilège, qui reflètent respectivement la deuxième, la troisième et la première fonction. Les trois péchés du guerrier précèdent le mythe du guerrier impie, qui commet d’abord ces trois péchés, s’attire ainsi une malédiction, puis est confronté aux présages de cette malédiction, les ignore et finit par mourir.

L’un des plus anciens exemples connus d’un tel héros négatif est Ravana, dans l’épopée hindoue du Ramayana. Ravana tue un messager, enlève une femme et défie les dieux. S’ensuivent les présages de sa mort : une pluie de sang, des chevaux qui trébuchent et pleurent. Le cheval apparaît d’ailleurs fréquemment dans les différentes manifestations de ce mythe.

Dans la mythologie grecque, le héros Achille de l’Iliade semble, après examen, répondre à plusieurs critères du guerrier impie. Son cheval ne prédit-il pas sa mort devant les portes de Troie s’il tue Hector ? Mais il y a plus : Achille est connu pour ses accès de colère incontrôlables, d’abord contre Agamemnon, puis contre Hector, et il menace à plusieurs reprises le dieu Apollon.
L’une des traditions indo-européennes les plus archaïques, la celtique, connaît une variante particulière de ce mythe: les Celtes impies commettent évidemment aussi les erreurs qui mènent à leur perte, mais les commettent à contrecœur et sous la contrainte absolue d’une obligation supérieure. Dans la légende irlandaise Togail Bruidhne Dhadhearga, le haut roi Conaire Mor est soumis à une série de tabous qu’il ne peut que transgresser progressivement jusqu’à sa chute finale.

Le plus célèbre héros celtique, Cuchulainn, subit un destin similaire le dernier jour de sa vie: il ignore les incantations des femmes qui sentent sa mort approcher et d’autres présages sombres, comme sa propre fibule qui tombe de ses mains et blesse son pied, son cheval Liath Macha qui refuse d’être attelé et lui montre trois fois son flanc gauche. Il part néanmoins combattre l’armée ennemie qui ravage l’Ulster. En chemin, il rencontre trois sorcières qui font rôtir un chien sur un feu de branches de sorbier. Elles aspergent le chien de poison et prononcent des malédictions. Cuchulainn est soumis à un geis, un tabou qui lui interdit de passer devant un feu sans partager le repas qui y est préparé. Un autre tabou lui interdit de manger la viande de son homonyme : or, le surnom du héros irlandais est justement « chien de Culann ». Cuchulainn fait mine de ne pas remarquer les sorcières, mais elles l’interpellent et lui offrent de la main gauche – autre mauvais présage – un morceau du chien. Cuchulainn ne peut que l’accepter, ce qu’il fait de la main gauche, et le mange. Il perd aussitôt la moitié de sa force. Il part tout de même au combat, mais ses ennemis parviennent à le placer à nouveau devant un dilemme fatal, et il succombe finalement, désarmé.
La plupart des épopées mythiques indo-européennes connaissent un héros négatif sous la forme d’un guerrier au caractère excessif et arrogant, pour qui rien ni personne n’est sacré et qui ne respecte aucun ordre, même divin. La vie d’un tel guerrier ne peut être que criminelle jusqu’à ce que le champion du camp opposé le vainque et rétablisse l’ordre du monde.
La nature fatale et prophétique du cheval dans différentes cultures indo-européennes a déjà été décrite à la fin du XIXe siècle, principalement par des philologues allemands. Le présage du cheval qui pleure ou trébuche (tombe) est fréquent et annonce la mort du guerrier impie. Meulder a constaté que l’absence totale de ce motif dans d’autres cultures, comme la tradition populaire hongroise ou chez les Kirghizes où c’est au contraire un bon présage, confirme qu’il s’agit d’un mythe purement indo-européen.

Le mythe du guerrier impie a des prolongements dans la littérature européenne. Chez Jacob Grimm, par exemple, le faux pas du cheval annonce un malheur. Dans la Njallsaga norvégienne, la saga de l’incendie de Njall, cela arrive à Gunnar, un guerrier impie. Mais aussi dans la Saga du roi Harald de la Heimskringla, le cheval du roi Harald se cabre au moment où celui-ci veut attaquer l’Angleterre. Le roi d’Angleterre espère à haute voix que cela signifie la fin de la chance de Harald. Et en effet, celui-ci est mortellement touché par une flèche.
Il existe encore de nombreux exemples où le motif du guerrier impie semble pertinent : l’empereur païen Julien dans sa lutte contre les Parthes, Charlemagne, Jules César. Tout guerrier qui semble impie ne l’est pas forcément : il convient de noter que les historiens romains étaient particulièrement habiles à noircir les dernières années de vie de leurs adversaires politiques, ce qui peut donner l’impression que le mythe du guerrier impie est très présent dans la culture latine – alors que les formes archaïques de la mythologie indo-européenne étaient à peine encore présentes dans l’Empire romain.
Cette contribution n’est rien de plus qu’une brève introduction à ce mythe indo-européen fascinant. Ceux qui souhaitent en savoir plus sur ce sujet devront principalement se tourner vers la littérature francophone des auteurs mentionnés plus haut. Une certaine familiarité avec le mythe du guerrier impie et celui des trois péchés du guerrier devrait permettre de découvrir soi-même ces motifs dans les textes archaïques.
Source: Traduction d’un texte paru dans Traditie, Jaarboek voor traditionele erfgoedbeleving in de lage landen, Brasschaat 2025. ISBN 9789491436260
Notes:
[1] Frédéric Blaive en Claude Sterckx : Le mythe Indo-européen du guerrier impie, L’Harmattan, Parijs 2014
[2] Georges Dumézil (1898-1986) a réussi, grâce à la mythologie comparée, à ouvrir une nouvelle voie et à mettre au jour les structures idéologiques sous-jacentes des mythes auxquelles ceux-ci doivent leur cohérence interne. Le résultat en est la découverte du système trifonctionnel comme idéologie principale dans la pensée indo-européenne archaïque. Dumézil a principalement étudié des textes sources de l’Inde archaïque, de Rome et de la Scandinavie : ces textes sont accessibles et contiennent des couches mythologiques très anciennes et bien conservées.
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vendredi, 25 juillet 2025
La fable chrétienne et le mythe

La fable chrétienne et le mythe
Claude Bourrinet
Le christianisme, issu du judaïsme, n'était pas armé conceptuellement, pour comprendre le paganisme. C'est un truisme. Il n'est qu'à lire par exemple La Cité de Dieu, de Saint Augustin, pour constater que l'évêque d'Hippone ne saisissait pas la complexité polysémique et pluridimensionnelle, de la Weltanschauung gréco-romaine. Le lien religieux, au tournant du 5ème siècle, tant du reste chez les chrétiens, que chez les néoplatoniciens, se résolvait en une relation morale entre l’existence et Dieu, relation justifiée par le suprahumain, qui porte sens. Toute la traduction de l'histoire de l'empire romain pivote autour de la question nodale de la vertu – non au sens antique de valeur, de force éthique, mais dans l'acception que le terme a fini par prendre, de probité, d'honnêteté, de décence, de pureté, bref, de convenance avec le Bien en soi. Pour autant, Augustin a beau jeu de souligner combien l'élite romaine usait de cette manière de juger la religion en critiquant l' « immoralité » des dieux du panthéon. Il note ce jugement chez un Pline l'Ancien, par exemple. En vérité, l'épistémè « païenne » correspondait, de facto, à celle des chrétiens, en cette fin du paganisme, c’est-à-dire à partir du triomphe de Constantin. Il existait de nombreux ponts entre le monde nouveau et le monde ancien.

Quoi qu'il en soit, le rationalisme occidental, même quand il fut antichrétien, partagea ce mépris pour les « superstitions » païennes, y voyant, au mieux, un divertissement pour écoliers ahanant sur des exercices latins ou grecs, au pire, des contes pour les paysans arriérés, voire de la sorcellerie. Christianisme et scientisme sont tombés d'accord pour conférer au polythéisme un rang civilisationnel inférieur, puéril, dans la longue marche de l'humanité, qui doit aboutir au nettoyage de toutes les impuretés irrationnelles dans la vie, comme dans la cité. De là, par exemple, la répulsion pour le panthéon fourmillant de dieux grands ou petits de l'Hindouisme, ou bien, paradoxalement, a contrario, l'attirance irrésistible pour lui de la part d'Occidentaux las de trop de rationalisme.
L'accord entre christianisme et rationalisme modernes s'est aussi effectué sur un terrain commun, celui de l'Histoire. Pour les Juifs et les Chrétiens, la Bible, longtemps, a conté des faits datés, et prétendument avérés. On évaluait, sous l'Ancien Régime, l'histoire humaine, à quelque six mille ans. Je passe les détails chronologiques, en ce qui concerne la durée qui était censée nous séparer de la Création, mais le comput très compliqué qui était pratiqué en cette matière était sujet à débats. Toujours est-il que la conception commune avait pour socle la véracité des faits contés. Il ne faisait guère de doute que David eut existé, qu'il fut roi de Jérusalem, et que la Ville sainte fut une cité riche et resplendissante (ce que, maintenant, les archéologues contestent), et que Jésus ressuscita le troisième jour de sa crucifixion.
Il est vrai que l'Eglise actuelle évite de s'appesantir sur les miracles, très nombreux dans le Nouvel Evangile, sauf à y voir des allégories. On ne met pas expressément en doute la transformation de l'eau en vin, mais cette mutation passe pour traduire une métanoïa spirituelle, soit collective, soit individuelle. On se gausse en général qu'une demoiselle se transforme en buisson, ou qu'un gentilhomme malchanceux devienne un cerf dévoré par les chiens de Diane (dont la seule existence supposée suscite le sourire ou la moue méprisante), mais on n'osera pas démentir l'Evangile qui évoque l'exfiltration, par la volonté de Jésus, des démons résidant chez des porcs, ou dans un possédé, et se mettant à galoper comme des lapins.

On ne sortira pas de ces apories si on pose comme postulat l'existence d'un seul et unique mode de perception et d'interprétation, de fait tributaire de la valeur que l'on accorde à des traditions religieuses. Pour un chrétien, que la Vierge lui apparaisse soudainement fait partie des choses possibles. D'innombrables cas de cette espèce en attestent la réalité. En revanche, le païen, qui vivait en adéquation constante, dans sa vie quotidienne ou dans ses actions politiques, avec les dieux de la cité, aurait bien été surpris si Zeus lui fût apparu au détour d'un chemin, bien qu'une telle situation ne fût pas rare dans les mythes.


Paul Veyne s'est demandé si les Anciens « croyaient » à leurs mythes. C'est en fait une question qui n'appartient qu'à un monde où la « foi » est devenue le fondement du lien religieux. Les païens n'avaient pas la « foi » (qui est une adhésion toute subjective), mais considéraient que le monde, qui était bien fait, avait été compartimenté en plusieurs domaines, et que les dieux avaient le leur, comme les hommes, ou les animaux, et que, parfois, il pouvait y avoir des passerelles. Mais ce cadre était pour ainsi dire « objectif », et tenait le cosmos, à la suite de quoi les rites étaient bien utiles pour cimenter le tout.
Il se peut en outre que les quatre Evangiles, pour ne pas parler de l’Ancien Testament, qui, somme toute, appartient à la même catégorie littéraire, soit le prototype de tout roman moderne. La fiction contemporaine, dont l’on peut dater la naissance au 12ème siècle, avec les récits de la « matière de Bretagne », passe conventionnellement pour transcrire la réalité (qu’elle soit « réaliste », ou « fantastique », l’essentiel étant qu’elle soit « vraisemblable », c’est-à-dire respectant les codes du genre), et ce, à partir d’un protocole psychologique de lecture, d’un « pacte », selon lesquels il va de soi, durant le procès de lecture, et même après, comme une traînée atmosphérique, que ce qui est raconté est « vrai ». Quand on lit un roman de Chrétien de Troyes, les fées sont aussi chargées de réalité que la locomotive de La Bête humaine, de Zola. La prise de distance critique relève d’une autre dimension de l’existence, comme le monde profane est séparé du monde de la sacralité. Le roman est du « mentir-vrai ». Il arrive même que les faits racontés émeuvent davantage que les faits vécus dans la vie vernaculaire. Julien Sorel est plus vivant que mon voisin.
Or, tout se passe comme si les Evangiles proposaient ce genre de « pacte ». On présente comme une « preuve » de la résurrection du Christ, non seulement le témoignage de femmes, mais aussi, entre autres, le fait que Thomas, le sceptique, soit convaincu (et nous avec) de la réalité christique par l’acte de toucher les plaies de Jésus. Le croyant naïf se satisfait de cette démonstration, et l’Église aussi, en l’érigeant comme l’archétype de l’attestation indiscutable, témoignage pourtant qui ne dépasse pas les bornes de ce qui est raconté-lu, de la « legenda ». Il aurait fallu un témoignage contemporain qui ne fût pas celui d’un chrétien. Et encore ! Tous les historiens actuels d’un temps aussi reculés (et même plus proche de nous) savent combien il est difficile de « prouver » la réalité d’un fait, et même chez les meilleurs historiens de ces époques, comme Tacite, Suétone etc. Ce n’est qu’en recoupant les témoignages que l’on peut donner quelque crédit à une assertion. Bref, le croyant fait du bovarysme, en accordant pleinement, avec tout son coeur, la confiance à un récit qui n’a aucune valeur historique.

Le christianisme, néanmoins, a pu bénéficier d’un doute favorable, parce qu’il est une religion de l’Histoire, et qu’il a appuyé son eschatologie et ses révolutions internes (par exemple, le césaropapisme, ou bien le papisme de Grégoire VII - icône, ci-dessus), sur l’Histoire des hommes. Dans les Evangiles, d’ailleurs, combien de fois se soucie-t-on d’inscrire la geste de Jésus dans la réalité de la société juive de l’époque ! La religion du Christ est une spiritualité qui ne peut que reposer sur des faits qui ne reviennent jamais. Ce qui est fait, est fait. C’est une force, mais aussi une faiblesse, si ces « faits » sont mis en doute.
Mais quand les sciences du temps long, le naturalisme, la zoologie, la paléontologie, la géologie, les sciences de la préhistoire et de la longue durée, au 19ème siècle, se sont imposées, il y eut un conflit violent entre cette vision diachronique de l’évolution des espèces, de la nature, et ce qui est proposé dans la Bible, surtout vétérotestamentaire. En reculant indéfiniment l’âge du monde, et l’apparition de l’homme, on mit en cause les « vérités » bibliques. L’Église anglicane, notamment par la voix de W. Buckland, tenta de faire la part du diable, en récupérant certaines découvertes, comme les fossiles d’animaux plus ou moins géants, enfouis dans les strates profondes de la terre, en affirmant qu’il s’agissait de bêtes noyées par le Déluge. Mais la Genèse ne pouvait être inscrite dans le grand Récit positiviste de la science de la Terre et des espèces. Le singe taquinait Adam et Eve.
Le christianisme, en prétendant être en adéquation avec l’histoire positive, refusait le mythe, contrairement au paganisme. Pour lui, le mythe, la « fable », le « mythos », c’est du mensonge. Qu’Europe soit enlevée par Zeus transformé en Taureau blanc, c’est une fabulation. Qu’Adam et Eve ait croqué le fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, et que le Serpent leur ait suggéré de devenir des dieux, c’est ce qui arriva vraiment. Que Prométhée ait volé le feu à Zeus, et qu’il en ait été puni en étant attaché au mont Caucase, son foie dévoré éternellement par un vautour, c’est de la fable d’ivrogne.

Le mythe, faut-il le rappeler, est un récit (mythos) expliquant pourquoi les choses sont comme cela. En quelque sorte, il fait concurrence à la démonstration scientifique, mais en se déroulant sur un autre mode, celui de l’imaginaire. Il n’en est pas moins aussi efficace. Les hommes, durant un temps immense, peut-être 99 % de leur existence en tant qu’hommes, ont construit leur vie sur des visions mythiques. Ils le font encore. Mais ces mythes, pour autant qu’ils donnaient du sens aux actions, à la vie, se situaient « in illo tempore », en ce temps-là, comme on dit dans les contes. Ils étaient « vrais », mais en même temps, ils appartenaient à une dimension qui était celle des dieux, ou à un âge où ceux-ci étaient très présents.
En refusant la légitimité du mythe, en alléguant une véracité historique pleinement qu’il ne pouvait avoir, le christianisme s’est condamné à entrer violemment et frontalement en conflit avec les sciences du temps. Il n’allait pas en sortir indemne. En revanche, le paganisme, qui a toujours distingué des ordres innombrables de réalité, peut gérer des contradictions, qui n’en sont pas, car elles relèvent de la multiplicité des états d’être. L’unilatéralité, l’intolérance, la réduction du champ d’interprétation de l’histoire humaine ou naturelle, qui marquent le judaïsme et ses avatars, les condamnent au sort du chêne orgueilleux et rigide brisé par la tempête, tandis que le roseau plie, mais ne rompt pas.
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samedi, 14 septembre 2024
Interprétation métaphysique des mythes

Interprétation métaphysique des mythes
Eduard Alcántara
Source: https://septentrionis.wordpress.com/2019/09/22/interpretacion-metafisica-de-los-mitos/
On rencontre souvent des interprétations de mythes faites à partir de la littéralité de ce qu'on y lit. Une première lecture de ceux-ci y conduit indubitablement. Mais les mythes des différentes traditions sapientielles présentent différents degrés d'interprétation, chacun d'entre eux étant approprié au type d'homme qui y accède. Ceux qui connaissent l'ésotérisme qu'ils contiennent doivent s'efforcer de les interpréter en profondeur: dans une perspective métaphysique.

À titre d'exemple, nous avons, comme nous l'expliquent les Eddas, ce qui s'est passé entre Sigmund et Odin et l'intervention du dieu pour faciliter la mort du héros. Nous ne devrions pas, à cet égard, faire des réflexions qui appartiennent à un plan différent de celles que nous devrions faire sur les influences que la déesse Freya aurait pu avoir sur les décisions d'Odin... et ce plan devrait être le plan métaphysique et non le plan humain.
Au-delà des commentaires mondains sur les prétendues « calzonacerías » du dieu qui écoute ce que lui dit sa femme, nous devons nous élever à un niveau d'interprétation ésotérique et, par conséquent, nous n'avons pas moins à nous rappeler certains commentaires très justes qu'Enrique Ravello a faits il y a de nombreuses années sur la race solaire des Tuatha de Dannan, dont la tradition celtique nous parle dans « Le livre des invasions ». Nous avons été frappés par le fait qu'une race solaire ait le nom de « Dannan » associé à son ethnonyme, car ce terme nous semblait renvoyer à des divinités de type démétrique-chtonien-matriarcal.

Ravello a fait une comparaison très éclairante avec Shiva et Kali. Kali danse autour de son consort Shiva, symbolisant en réalité la shakti (énergie cosmique) qui, par son action, permet au Principe (Shiva - ou, selon l'approche, brahman) de passer de la puissance à l'acte (de s'actualiser) et donc de se manifester ; tout comme l'atman (la semence divine) peut s'actualiser dans l'homme différencié grâce à l'activation de ladite énergie (appelée, chez l'être humain, kundalini). Ainsi, Dannan serait l'équivalent de Kali (la shakti) et expliquerait de manière satisfaisante la conquête du divin (à partir de l'activation de la shakti-kundalini-Dannan) par cette race solaire (les Tuatha). Et, de la même manière, Freya symbolise (non pas sur un plan exotérique mais sur un plan ésotérique) cette shakti qui actualise Odin pour qu'il se manifeste et, sur le plan sensible de la réalité, prenne des décisions et agisse. C'est dans ce sens qu'il faut interpréter l'influence de Freya (ou de Héra) sur les décisions d'Odin (ou de Zeus).
Nous répétons que dans un environnement purement religieux et exotérique, les mythes seraient perçus d'un point de vue littéral, mais dans un environnement traditionnel, il serait inexcusable de ne pas percevoir l'arrière-plan principal des mythes, qui est de nature métaphysique et ésotérique.
Si, par exemple, Odin brise l'épée de Sigmund, nous devons y voir le reflet de la spiritualité traditionnelle, pour laquelle le monde des hommes et celui des dieux ne sont pas irrémédiablement séparés. Par leurs rites, les hommes peuvent interagir avec le monde nouménal (des dieux) et ce dernier, par ces rites, peut se manifester dans le monde sensible et, en outre, - dans le cas de l'initié - être un symbole - cette manifestation nouménale - des effets suprasensibles réels que l'homme, en conséquence de ses actes, peut éprouver dans son for intérieur. Nous comprendrons ainsi comment les dieux apparaissent dans l'Iliade s'affrontant sur le même champ de bataille où s'affrontent les armées achéenne et troyenne, et nous comprendrons aussi comment le héros Diomède attaque - au cours de cette guerre - Aphrodite et la blesse à la main, ou comment il blesse lui-même Arès au flanc d'un coup de lance et oblige le dieu qui saigne à se retirer dans l'Olympe.

Nous pourrions comprendre la confrontation entre Diomède et Arès comme celle du héros qui a atteint l'éveil au premier principe non manifesté et qui est donc au-dessus de la divinité d'Arès, qui, en tant que dieu, fait partie du monde manifesté (même s'il est subtil). On pourrait également interpréter qu'en blessant Arès, il blesse sa propre fureur, symbolisée par ce dernier, comprenant ainsi le déconditionnement des turbulences mentales que l'initié doit réaliser sur son chemin vers la conquête de l'Éternel et de l'Impérissable dans son propre être.
Dans les vers de l'Iliade, les dieux et les héros se côtoient et interagissent, comme un reflet fidèle de la proximité ontologique qui existait entre eux, et les dieux prennent l'un ou l'autre parti sur le champ de bataille. C'est une conséquence du fait que l'homme a été intérieurement transfiguré et est devenu un héros : il a réveillé, activé et actualisé la divinité dormante que nous portons tous en nous... il lui parle et regarde donc le dieu sur un pied d'égalité.
Du point de vue de la métaphysique, toute interprétation des mythes basée sur des critères rationalistes, psychologiques, moraux, bref, humains, est donc déplacée.
Eduard Alcántara
eduard_alcantara@hotmail.com
eduardalcantaracalatrava@gmail.com
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mardi, 13 août 2024
Les fondements mythiques du capitalisme

Les fondements mythiques du capitalisme
Gil-Manuel Hernàndez i Martí
Source: https://geoestrategia.es/noticia/43145/politica/los-fundamentos-miticos-del-capitalismo.html
Ceux qui ont perdu leurs symboles historiques et ne peuvent se contenter de "substituts" se trouvent aujourd'hui dans une situation difficile: le néant s'ouvre devant eux, devant lequel l'homme détourne le visage avec effroi. Pire encore, le vide est rempli d'idées politiques et sociales absurdes, toutes spirituellement désertées (Carl G. Jung : Sur les archétypes de l'inconscient collectif, 1934).
Le pouvoir du mythe
Le capitalisme, en tant que système économique et social prépondérant dans le monde, a exercé et continue d'exercer une influence significative sur nos vies et sur la formation des sociétés de manière profonde, complexe et durable. Cette formation historique, enracinée dans des théories et des pratiques économiques et politiques, fonctionne comme un mode de production matérielle, une machine à générer et à concentrer les profits, et un mécanisme de contrôle social qui repose sur une logique d'exploitation englobant diverses dimensions telles que la classe, le sexe, la race et l'espèce. Il s'agit également d'une force puissante pour façonner les subjectivités et d'un dispositif hégémonique pour la reproduction culturelle. En tant que tel, il se manifeste comme une structure intégrale de domination et de transformation du monde, avec la capacité d'influencer toutes ses sphères, et même de conduire l'humanité vers un état d'effondrement civilisationnel, en raison de sa nature écocide.
Si l'anthropocentrisme, le patriarcat et la construction de l'ego humain existaient déjà avant l'avènement du capitalisme, ce dernier les intensifie, les exacerbe et les subordonne à une logique prédatrice centrée sur la recherche du profit dans le cadre d'un marché prétendument concurrentiel, qui prévaut sur toute autre considération éthique ou forme de relation sociale.
Cependant, une exploration plus approfondie du capitalisme nous permet de l'analyser dans une perspective plus large, en plongeant dans ses fondements mythiques et archétypaux. Dans cet article, nous allons tenter d'explorer la manière dont la logique du capitalisme, façonnée autour du 16ème siècle et développée avec une intensité croissante à partir du 18ème siècle, est particulièrement synchronisée avec l'énergie psychique et sociale de certains mythes et archétypes qui ont existé tout au long de l'histoire de l'humanité. Ces configurations mythiques et archétypales sont présentes, avec diverses adaptations et nuances, dans la plupart des cultures humaines, comme l'ont montré l'anthropologie et la psychologie des profondeurs. Dans cette exploration, nous nous appuierons sur la mythologie grecque comme référence, en raison de sa proximité culturelle. Elle a laissé une empreinte profonde sur la formation de la psyché collective de l'Occident, où le capitalisme a émergé et s'est développé.

Il convient de souligner qu'un mythe est un récit, généralement traditionnel et sacré, qui a une signification symbolique et qui est partagé au sein d'une communauté ou d'une culture spécifique. Les mythes fonctionnent comme des incarnations culturelles des archétypes, compris comme les forces impersonnelles de l'inconscient collectif. Selon Carl Jung (2004), les archétypes constituent une sorte de modèles fondamentaux dans la psyché humaine, qui se manifestent par des images archétypales et s'expriment de manière synchronisée dans la façon dont les individus et les collectifs perçoivent leur environnement et y réagissent (Jung, 2010). Comme le souligne Joseph Campbell (2015) dans son célèbre ouvrage The Power of Myth, les mythes sont métaphoriquement vrais et précieux parce qu'ils véhiculent des vérités sur l'expérience humaine qui échappent à une approche exclusivement rationnelle et scientifique. Les mythes constituent des universaux culturels qui, tout au long de l'histoire, ont servi de récits symboliques pour donner un sens au monde, car les symboles qu'ils contiennent expriment des idées-force qui dépassent le rationnel et le temporel pour entrer dans le mystère et l'ineffable (Chevalier et Gheerbrant, 2007). En effet, comme l'a souligné Thomas Berry (2015), les symboles sont des sources d'énergie et, en même temps, des moyens de transformation psychique. Les symboles expriment des significations partagées, avec la capacité de représenter quelque chose qui est reconnu et compris par un groupe ou une communauté. En tout état de cause, les mythes que les symboles articulent sont souvent flexibles et s'adaptent à l'évolution de la société, conservant leur pertinence et leur signification au fil du temps.

En effet, comme l'a souligné Carl Kerenyi (2009), le mythe survit grâce à la plasticité du mythologème, qui fait référence au riche matériel mythique qui est continuellement révisé, généré et reconfiguré avec des éléments culturellement spécifiques. En d'autres termes, le mythologème fait référence aux composantes minimales et universelles d'un mythe, qui peuvent être répétées ou combinées sous diverses formes pour construire des récits mythologiques plus complexes. Ainsi, le mythologème fonctionne comme un motif récurrent qui apparaît dans différents récits mythologiques et peut se référer à des personnages, des événements, des objets ou des situations. Les mythologèmes ont constitué les fondements de récits qui ont résisté à l'épreuve du temps, des récits qui, "au lendemain d'un monde qui se dissout, restent le miroir dans lequel nous nous contemplons et donnons un sens à notre existence" (Marcet, 2023).
Certes, les mythes peuvent déformer plus ou moins la réalité, mais ils contribuent aussi à la façonner, à la construire et à l'orienter. Les mythes servent à établir, étayer et renforcer des valeurs, des identités, des normes et des croyances partagées au sein d'une communauté, en se transmettant de génération en génération. Ils sont véritablement performatifs et prescriptifs, ce qui explique leur pouvoir et leur transcendance. Comme Vicente Gutiérrez (2023) l'a récemment affirmé en parlant des "mythes qui soutiennent le capitalisme fossiliste", les mythes soutiennent culturellement les modes de production, qui sont également des modes de production de mythes, de sorte que sans les mythes, la permanence, la force et l'acceptation des systèmes économiques, politiques et sociaux ne peuvent pas être comprises. En effet, un mythe ne consiste pas en une simple "superstructure" dérivée du déterminisme matérialiste qui caractérise les relations entre les forces productives. Il s'agit plutôt d'une infrastructure génératrice de connaissances et de sens, d'une "structure de sentiment", d'un tissu symbolique, d'un cadre interprétatif et d'une philosophie quotidienne aux caractéristiques numineuses indéniables. Les mythes, en tant que traduction culturelle des archétypes, expriment la force énergétique des archétypes et leur capacité à harmoniser, stimuler, orienter et renforcer les actions des sociétés humaines et, par conséquent, des modes de domination dans chaque cycle historique.

L'hybris du capitalisme
L'analyse des fondements mythiques du capitalisme, c'est-à-dire l'exploration de ses mythologèmes, permet à la fois de mesurer sa force historique et de comprendre à quel point il est difficile de le réformer, de le dépasser ou d'imaginer des alternatives viables. Lorsque Mark Fisher (2016) a inventé le terme "réalisme capitaliste", il tentait de décrire un état culturel et politique dans lequel le capitalisme a si profondément imprégné la société qu'il est perçu comme la seule façon possible d'organiser la vie. Ainsi, même lorsque les gens reconnaissent les problèmes et les échecs du capitalisme, il leur est difficile d'imaginer et d'élaborer des alternatives significatives, en raison de l'hégémonie écrasante de la pensée capitaliste.
Les motivations et les manifestations du pouvoir du capitalisme, au sens économique, politique et idéologique, sont bien connues et bien étudiées. Mais les impulsions psychiques et archétypales du capitalisme, véhiculées culturellement par les mythes classiques et exprimées dans les mythologèmes, sont peut-être moins connues, en raison du parti pris excessivement matérialiste et rationaliste des sciences sociales critiques. C'est pourquoi nous devons leur prêter attention, car depuis les profondeurs silencieuses de l'inconscient collectif, elles poussent sans relâche, suivant une logique synchronistique (Jung, 2004), pour être entendues, connues et comprises. Une tâche nécessaire pour proposer des alternatives émancipatrices crédibles face à un système totalisant qui menace de tout balayer.
Dans notre modeste approche de ce que nous comprenons comme les fondements mythiques du capitalisme, nous nous concentrerons sur l'idée qu'ils parlent tous d'une inflation pathologique et destructrice de l'ego. Selon Marcet (2023), toutes les mythologies des cultures de la terre nous mettent en garde contre l'hybris: nous ne pouvons pas être comme des dieux, car nous en périrons. Dans la tradition grecque, l'hybris ou hubris est un terme qui renvoie à une arrogance excessive, à un manque de respect pour les dieux, pour la nature. L'hybris, dans sa version capitaliste, se retrouve donc dans les récits mythiques qui présentent des personnages ou des situations reflétant la poursuite effrénée du pouvoir, de la richesse et du succès, sans tenir compte des conséquences morales ou sociales de leurs actions.

L'hybris de la mythologie grecque a constitué une impulsion archétypale liée au long développement historique de la notion d'individualité, comprise comme l'illusion d'un sujet indépendant et autonome. Cependant, cette hybris a été exacerbée lorsque la conception moderne du progrès a pris forme, ce que le capitalisme a traduit en une obsession compulsive d'avancer, de croître et d'accumuler des richesses et du pouvoir, quel qu'en soit le prix, en regardant toujours vers le temps du futur, ce temps propulsé par une modernité qui a annulé l'ancien lien entre l'humanité et la nature/divinité (Marcet, 2023). Cette pulsion irrépressible, qui implique une démesure due à l'aveuglement et à l'orgueil impie (Jappe, 2021), se manifeste par la recherche du profit, l'avidité systémique, l'expansion économique et la croissance perpétuelle. Les dettes, cependant, doivent être remboursées à un moment ou à un autre.
Dans ce champ narratif, les exploits des "entrepreneurs", des hommes d'affaires prospères et des acteurs "perturbateurs" du marché font souvent référence à l'archétype du héros classique ivre d'hybris. Ces combattants légendaires de l'avant-garde capitaliste relèvent des défis, prennent des risques, rivalisent sans relâche et surmontent des obstacles dans leur quête d'expansion, ce qui explique pourquoi ils sont vénérés comme garants de l'avancement de la civilisation. La vie est à leur portée. Bien sûr, plus de modération, de retenue, de compassion, de consensus ou de conciliation est toujours possible, ne serait-ce que par souci de stratégie, et cela a d'ailleurs été le cas dans certaines phases historiques du capitalisme. Mais en fin de compte, l'élan implacable de l'hybris capitaliste signifie que la composante faustienne de sa dynamique structurelle conduit nécessairement au désastre. Le néolibéralisme sauvage contemporain en est la preuve.
En effet, comme les mythes grecs nous mettent en garde contre les excès de l'hybris, défier certaines limites, qu'elles soient naturelles ou divines, ne pas tenir compte des avertissements concernant les excès, commettre les mêmes erreurs encore et encore, a un coût élevé, qui s'incarne dramatiquement dans les krachs, les crises ou les effondrements. Ces événements, loin de s'arrêter ou de s'atténuer, tendent à se répéter cycliquement dans le capitalisme, intensifiant et mettant en danger la vie sur la planète elle-même. Le système a-t-il appris quelque chose des leçons historiques fournies par la puissance de ses fondations mythiques ? Il ne semble pas, et c'est plutôt inquiétant. Examinons, même si c'est de manière impressionniste, certains de ces anciens mythes particulièrement révélateurs.

Les mythes anciens de l'hybris capitaliste moderne
Le mythe d'Icare
Icare et son père Dédale s'échappèrent de Crète, où ils étaient retenus par le roi Minos, au moyen d'ailes faites de plumes attachées à leurs épaules avec de la cire. Cependant, Icare, aveuglé par sa propre arrogance, a désobéi aux avertissements de son père de ne pas s'élever trop haut au-dessus de la mer, s'approchant dangereusement du soleil, faisant fondre la cire et tomber Icare dans l'eau. Ce mythe illustre les conséquences désastreuses de l'ambition démesurée, de l'imprudence technologique, de la mégalomanie, de la vanité et de l'insouciance qui caractérisent le capitalisme. Le mythe montre comment le fait d'ignorer les avertissements de ne pas dépasser certaines limites peut conduire à l'échec et à la ruine. Symboliquement, il suggère également que la surchauffe de la civilisation thermo-industrielle, représentée par le réchauffement climatique, entraîne sa ruine en la précipitant dans les abysses de la mer, elle-même symbole fondamental de l'inconscient collectif et du monde souterrain.

Le mythe du roi Midas
Grâce à son hospitalité envers le satyre Silène, tuteur et fidèle compagnon de Dionysos, ce dernier donna au roi Midas le pouvoir de transformer en or tout ce qu'il touchait. Bien que ce don ait d'abord semblé être une bénédiction, le roi Midas ne tarda pas à en découvrir les conséquences désastreuses, car même sa nourriture et sa fille se transformaient en or lorsqu'il les touchait. Réalisant qu'il ne pouvait pas apprécier une nourriture qui se transformait en métal à son contact, il supplia Dionysos de le libérer de son don. Ce dernier lui demanda de se laver dans la rivière Pactole, ce qui le ramena à la normale. Le mythe met en garde contre la façon dont l'obsession de la richesse (l'or qui prolifère) et l'accumulation de biens peuvent conduire à un malheur généralisé, comme c'est notamment le cas dans le capitalisme mondial financiarisé, déconnecté de la sphère productive et livré à la spéculation la plus brutale. Cette situation symbolise cette quête insatiable du profit (l'or) qui guide le capitalisme (le roi), déconnecté de toute instance transcendante, sensible ou spirituelle, qui conduit immanquablement à l'aliénation, à la dégradation de l'humanité et à l'anéantissement de la vie. D'une certaine manière, le désir ultime du roi Midas de réparer le mal suggère la possibilité d'un certain repentir sous la forme d'une diminution, d'un endiguement ou d'une modération des besoins matériels inhérents au fonctionnement du système, mais cela reste à voir.

Le mythe de Tantale
Après avoir été invité par les dieux à leur banquet, Tantale succomba à la tentation de les égaler en leur offrant de la nourriture, allant même jusqu'à sacrifier son propre fils pour leur servir ses restes. En guise de punition, Tantale fut condamné à un tourment éternel dans les enfers, où on lui présentait de la nourriture et de la boisson qui lui étaient toujours retirées lorsqu'il essayait de les prendre. En outre, un énorme rocher se balançait au-dessus de lui, menaçant de l'écraser. Ce mythe illustre l'addiction démesurée du système à être un dieu, axée exclusivement sur une obsession vorace pour les biens matériels. Le capitalisme, reflété dans ce mythe, génère un désir insatiable et constant, à l'instar du consumérisme de masse qu'il promeut à l'échelle mondiale. Cependant, l'objet du désir ne peut jamais être complètement satisfait, car de nouveaux appétits apparaissent constamment et la poursuite avide se poursuit afin que le taux de profit continue de croître, avec les risques que cela comporte (le rocher qui oscille). Ce récit reflète la réalité systémique d'une ambition permanente, d'une quête sans fin de désirs à satisfaire et d'une frustration chronique qui n'apporte qu'angoisse, frustration et malheur.

Le mythe de Prométhée
Le titan Prométhée trompa Zeus et, pour le punir, le dieu suprême de l'Olympe lui refusa l'accès au feu. Prométhée vola cependant des escarbilles incandescentes pour les donner aux humains afin de les aider dans leur développement. En réponse, Zeus l'enchaîna à un rocher où un aigle dévora à plusieurs reprises son foie qui se régénérait sans cesse. Il fut libéré par Héraklès, fils de Zeus, et le centaure Chiron, mais Prométhée dut désormais porter un anneau attaché à un morceau du rocher auquel il était enchaîné. Ce mythe met en évidence l'aspiration au progrès, à l'amélioration intellectuelle et matérielle de soi, ainsi que l'assimilation à l'intelligence divine, que la société capitaliste incarne si bien (aujourd'hui avec l'"intelligence artificielle").
Cependant, Marx et le socialisme ont également admiré Prométhée en tant que symbole de la révolution et du progrès civilisationnel. Tout au long de l'histoire de la culture occidentale, le mythe de Prométhée a été interprété de trois manières: comme une figure charismatique qui permet le progrès humain; comme le prototype romantique du rebelle qui défie les dieux et la nature; mais aussi comme une figure maléfique dont le savoir et la capacité technologique ont causé de grands désastres et d'énormes souffrances. Ce mythe caractéristique de la modernité, que le Frankenstein de Mary Shelley a mis à jour (ce n'est pas pour rien qu'il est sous-titré "ou le Prométhée moderne"), raconte la dangereuse tendance à vouloir ressembler à la divinité. En d'autres termes, il raconte comment l'ambition technologique et la perversion de la connaissance scientifique dans le contexte capitaliste intrinsèquement titanesque peuvent déclencher des monstruosités éthiques et des effets dystopiques imprévus. En outre, le mythe souligne que, bien qu'il existe une possibilité de se libérer de ces maux, l'humanité doit rester humble et se souvenir de ses effondrements passés, comme l'indique l'image de l'anneau avec le morceau de roche que Prométhée doit toujours porter.

Le mythe de Narcisse
La dimension psychopathologique du capitalisme est énoncée par la figure de Narcisse. Narcisse était célèbre pour son extraordinaire beauté, mais aussi pour sa profonde vanité. Pour punir son arrogance, la déesse Némésis le fit tomber amoureux de sa propre image reflétée dans un étang. Absorbé dans sa contemplation, il ne put s'arracher à son propre reflet. Dans une version romaine du mythe, il est dit que lorsque Narcisse a vu son visage dans l'eau, il a été pris au piège: de peur d'abîmer son image, il n'a pas voulu la toucher et n'a pas pu s'empêcher de la regarder. Narcisse se serait suicidé en se jetant dans l'étang, car il ne parvenait pas à posséder l'objet de son désir. Ce mythe renvoie à l'égocentrisme et au soi-disant narcissisme, des aspects qui sont clairement caractéristiques du capitalisme. Il apparaît séduit par sa propre dynamique de destruction créatrice (la "beauté" du capital). Cette fascination l'empêche de modérer ses appétits, ce qui le conduit inévitablement à l'aliénation ultime et, finalement, au suicide par écocide.

Le mythe de Phaéton
Phaéton était le fils d'Hélios et, désireux de se vanter de sa lignée auprès de ses amis, il persuada son père de lui accorder un vœu. Il demanda à pouvoir guider le char du soleil dans le ciel pendant une journée. Malgré les tentatives de dissuasion d'Hélios, Phaéton resta inflexible dans sa détermination. Le jour venu, le jeune homme fut pris de panique et perdit le contrôle des chevaux blancs qui tiraient le char. Désespéré, il monta trop haut, refroidissant la terre, puis redescendit trop bas, provoquant sécheresse et incendies. Phaéton transforma par inadvertance une grande partie de l'Afrique en désert, brûlant la peau des Éthiopiens. Finalement, Zeus fut contraint d'intervenir, frappant le char déchaîné d'un coup de foudre pour l'arrêter, provoquant la chute de Phaethon qui se noya dans le fleuve Eridanus (Po). Ce mythe illustre de manière impressionnante comment l'ambition excessive et l'irresponsabilité dans le maniement de certaines technologies peuvent déclencher l'altération anthropogénique de la planète, comme c'est le cas dans la réalité d'aujourd'hui avec le chaos climatique causé par le capitalisme et sa religion technologique dogmatique.

Le mythe du Minotaure
Ce récit mythique reflète le processus par lequel une engeance contre nature (le capitalisme mondial) peut conduire à la barbarie et au sacrifice de l'avenir d'une société (les nouvelles générations et celles à venir). Le Minotaure, ou "taureau de Minos", était le fils de Pasiphaé, épouse du roi crétois Minos, et d'un taureau blanc que Minos appréciait beaucoup, car il lui avait été donné par Poséidon. Le Minotaure ne mangeait que de la chair humaine et, en grandissant, il devenait de plus en plus sauvage. Lorsque le monstre devint incontrôlable - comme la civilisation industrielle capitaliste - Dédale construisit le labyrinthe de Crète, une structure gigantesque composée d'un nombre incalculable de couloirs entrecroisés, dont un seul menait au centre de la structure, où le Minotaure était abandonné. Pendant des années, Athènes, soumise au roi Minos, a dû livrer quatorze de ses jeunes hommes, qui ont été enfermés dans le labyrinthe, où ils ont erré, perdus, pendant des jours, jusqu'à ce qu'ils rencontrent le Minotaure et lui servent de nourriture. C'est ainsi que le héros Thésée, aidé par le fameux fil fourni par Ariane, fille du roi Minos, a pu pénétrer dans le labyrinthe et tuer le Minotaure. Cela montre que même si nous essayons de contenir le capitalisme, sa nature prédatrice ne change pas, et qu'il n'y a donc rien de mieux que de le tuer.

L'économiste grec Yanis Varoufakis (2024) fait référence au mythe du Minotaure, notant que la satisfaction de la faim de la créature était cruciale pour maintenir la paix imposée par le roi Minos, qui permettait au commerce de traverser les mers, apportant avec lui les avantages de la prospérité pour tous. En adaptant cette métaphore au capitalisme contemporain, Varoufakis identifie un Minotaure mondial sous la forme de l'hégémonie économique des États-Unis et de Wall Street. Cette hégémonie s'appuie sur le déficit commercial des États-Unis, qui importent massivement des produits manufacturés du reste du monde au profit de Wall Street et des grands investisseurs américains. Selon Varoufakis, alimenté par ce flux constant de tributs, le Minotaure mondial, lié au néolibéralisme et à l'informatisation de la finance, a permis et maintenu l'ordre mondial post-Bretton Woods, tout comme son prédécesseur crétois avait préservé la Pax Creta, bien qu'au prix d'importantes souffrances pour les populations du monde et d'énormes risques financiers. Cependant, comme le Minotaure originel, ce système a commencé à s'effondrer avec la crise économique de 2008. Varoufakis (2024) conclut ainsi: "En fin de compte, on se souviendra de notre Minotaure comme d'une bête triste et bruyante dont le règne de trente ans a créé, puis détruit, l'illusion que le capitalisme peut être stable, que la cupidité peut être une vertu et que la finance peut être productive".

Le mythe de Sisyphe
Sisyphe, connu pour avoir irrité les dieux en raison de son extraordinaire ruse, fut condamné à une tâche apparemment interminable et futile dans le monde souterrain (le royaume de l'inconscient collectif). Son travail consistait à pousser un énorme rocher en haut d'une colline escarpée. Cependant, chaque fois qu'il était sur le point d'atteindre le sommet et de se libérer de son fardeau, la pierre redescendait, l'obligeant à recommencer. Ce cycle se répétait à l'infini et Sisyphe ne parvenait jamais à achever sa tâche.
Ce mythe a été interprété de diverses manières. Certains y voient l'histoire d'un effort sans fin et dépourvu de sens, qui met en évidence l'absurdité de la condition humaine. D'autres l'interprètent comme une métaphore du courage humain, de la détermination, de l'effort et de l'endurance face à des obstacles apparemment insurmontables. Du point de vue du fonctionnement historique du capitalisme, le mythe de Sisyphe semble se rapporter à la puissance considérable des forces archétypales qui s'accordent avec un système régi par une conception purement expansive, ascendante et technico-matérielle du progrès. Cette obsession folle de l'accumulation de richesses et du sentiment de maîtrise conduit à un cycle sans fin de labeur et de stress sans récompense significative, car les problèmes finissent par réapparaître, conduisant à une nouvelle chute qui détruit une grande partie de ce qui a été créé et oblige à chercher de nouvelles voies d'ascension avec de lourds fardeaux sur les épaules. Ces fardeaux, tels que l'exploitation, l'inégalité, la violence ou la domination, font partie de la logique perverse du système, qui pèse structurellement sur ses ambitions excessives. Ainsi, l'inconscience ou l'arrogance face aux limites du système, imposées par la nature (le divin), génère des crises ou des effondrements récurrents, dont on ne tire pas vraiment les leçons. Cela ouvre la porte à de nouvelles tentatives irrationnelles d'ascension, elles aussi vouées à l'échec.

Le mythe d'Erysichthon et le capitalisme catabolique
Mais s'il est un mythe, par ailleurs peu connu, de la dérive actuelle vers un capitalisme catabolique et autolytique, c'est bien celui d'Erysichthon. Mais avant de l'aborder, il faut rappeler que le capitalisme catabolique désigne un capitalisme assoiffé d'énergie et sans possibilité de croissance, le catabolisme étant entendu comme un ensemble de mécanismes métaboliques de dégradation par lesquels un être vivant se dévore lui-même. Comme le souligne Collins (2018), à mesure que les ressources énergétiques et les sources de production rentables s'épuisent, le capitalisme est contraint, par sa soif continue de profit, de consommer les biens sociaux qu'il a autrefois créés. Ainsi, en se cannibalisant lui-même, le capitalisme catabolique transforme la pénurie, les crises, les catastrophes et les conflits en une nouvelle sphère de profit. En d'autres termes, la marchandisation de l'apocalypse finit par générer des perspectives commerciales lucratives (Horvat, 2021). Par conséquent, le processus d'effondrement déclenché par la contradiction même entre la logique expansive capitaliste et les limites naturelles de la planète s'intensifie.
La condition catabolique de ce capitalisme crépusculaire est renforcée par sa dérive autolytique. En biologie, l'autolyse est un processus par lequel les enzymes présentes dans les cellules d'un organisme mort commencent à décomposer la structure cellulaire. Cependant, l'autolyse peut également se produire dans des corps vivants mais malades, de sorte que dans certaines conditions pathologiques, telles que les maladies dégénératives ou les blessures graves, les cellules peuvent activer des mécanismes d'autolyse, conduisant à la dégradation des tissus et des structures cellulaires au sein de l'organisme vivant. Une comparaison qui illustre de manière frappante la décomposition et la désintégration du tissu social, déjà malade, sous l'action du capitalisme historique, qui à son tour intensifie le capitalisme catabolique. Ce dernier définit un système en phase terminale, en passe d'être remplacé par un système émergent potentiellement plus pernicieux, éventuellement de nature néo-féodale ou techno-féodale (Varoufakis, 2024).

Pour en revenir au mythe d'Erysichthon, il raconte l'histoire d'un roi thessalien connu pour son appétit brutal et son ambition débridée. Nous savions que le capitalisme a un caractère cannibale, qui le conduit à tout engloutir sur son passage pour continuer à croître (Fraser, 2023). Mais le mythe d'Erysichthon va plus loin, et Anselm Jappe (2019) le sauve dans son ouvrage La société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction, qui traite du caractère auto-cannibalisant du capitalisme contemporain. Selon Jappe, le mythe d'Erysichthon, jadis recueilli par le poète grec Callimaque et le romain Ovide, raconte l'histoire d'un personnage devenu roi de Thessalie après avoir expulsé ses habitants autochtones, les Pélasgiens, qui avaient consacré une magnifique forêt à Déméter, la déesse des récoltes. En son centre se dressait un arbre gigantesque, et à l'ombre de ses branches dansaient les Dryades, les nymphes de la forêt. Mais Erysichthon, désireux de transformer l'arbre sacré en planches de bois pour construire son palais, se rendit dans la forêt avec ses serviteurs dans l'intention de l'abattre. La déesse Déméter elle-même tente de l'en dissuader, mais le roi répond par le mépris. Devant le refus des serviteurs d'accomplir le sacrilège, Erysichthon abattit lui-même l'arbre, alors que du sang en coulait et qu'un châtiment était annoncé. Dans ce cas, l'abattage dans la forêt sacrée représente un affront direct aux dieux et à la nature elle-même. L'histoire illustre comment des actions imprudentes et égoïstes peuvent conduire à la dégradation et au désastre, tant au niveau personnel qu'environnemental.
En effet, Déméter a envoyé la faim personnifiée dans Erysichthon, pénétrant son corps par son souffle. Le roi fut pris d'une faim insatiable, et plus il mangeait, plus il avait faim. Il engloutit et consomme tout ce qui se trouve à sa portée, vendant sa fille pour obtenir plus de nourriture. Mais comme rien ne pouvait apaiser son incroyable appétit, il commença à s'arracher ses propres membres, de sorte que son corps, en se dévorant, s'amenuisa jusqu'à ce qu'il meure. Pour Jappe, il s'agit d'un des mythes grecs qui évoque l'hybris, qui finit par provoquer la némésis, c'est-à-dire le même châtiment divin que Prométhée, Tantale, Sisyphe, Icare, Midas ou Phaéton, entre autres, subiraient également. Un mythe étonnamment actuel, puisqu'il fonctionne comme une anticipation archétypale de ce qui se passe lorsque la nature n'est pas respectée, car un tel manque de respect attire nécessairement la colère des dieux, ou de la nature elle-même. Pour Jappe, seule la disparition presque complète de la familiarité avec l'antiquité classique peut expliquer pourquoi la valeur métaphorique de ce mythe a échappé jusqu'à aujourd'hui aux porte-parole de la pensée écologique.
Selon Jappe, la faim d'Erysichthon n'a rien de naturel, et donc rien de naturel ne peut l'apaiser. Il s'agit d'une faim énorme qui ne peut être satisfaite. Sa tentative désespérée de l'atténuer pousse le roi à consommer sans relâche, dans une allusion mythique claire à la logique de la valeur, de la marchandise et de l'argent. Mais le besoin et l'avidité ne cessent pas : "Ce n'est pas simplement la méchanceté des riches qui est en jeu ici, mais un enchantement qui fait écran entre les ressources disponibles et la possibilité d'en jouir" (Jappe, 2019:13). La déesse punit Erysichthon à la hauteur de son crime : incapable de se nourrir, il vit comme si toute la nature avait été transformée en un désert qui refuse de fournir un support naturel à la vie humaine.

Pourtant, souligne Jappe (photo), l'aspect le plus remarquable du mythe d'Erysichthon est sa fin. Une rage abstraite qui ne contient pas seulement la dévastation du monde, mais qui se termine par l'autodestruction et l'autoconsommation. Le mythe ne parle donc pas seulement de l'anéantissement de la nature et de l'injustice sociale, mais aussi du caractère abstrait et fétichiste de la logique marchande et de ses effets destructeurs et autodestructeurs dans le cadre du capitalisme catabolique. C'est comme l'image d'un bateau à vapeur qui continue à naviguer tout en consommant progressivement ses propres composants, ou la fameuse scène des Marx Brothers à bord d'une locomotive en marche, où pour la faire fonctionner il faut démonter les wagons et les utiliser comme combustible, jusqu'à ce qu'ils finissent par être consumés par le feu.
Mais, comme le suggère Jappe, le mythe rappelle aussi la trajectoire des toxicomanes en manque, comme cette soif constante d'argent qui caractérise la logique capitaliste et qui n'est jamais pleinement satisfaite. Erysichthon est un narcissique pathologique, qui nie l'objectivité et la sensibilité du monde extérieur, qui à son tour lui refuse l'aide matérielle. L'hybris d'Erysichthon reflète la tendance à l'autodestruction implicite dans le capitalisme catabolique, animé par une pulsion suicidaire "que personne ne veut consciemment mais à laquelle tout le monde contribue" (Jappe, 2019:15).
En effet, à ce stade, il est crucial de mentionner le lien profond entre le mythe de Mars (Arès), dieu de la guerre, et le capitalisme, étant donné que ce dernier fonctionne comme un régime de guerre permanente contre la vie. Dans cette perspective, le "terrible amour de la guerre", archétype universel évoqué par le psychologue jungien James Hillman (2010), est fortement amplifié par la logique capitaliste. En effet, cet "amour de la guerre" dévastateur, capable de générer un sens, un but et une transcendance dans son action destructrice, est particulièrement sacralisé par les présupposés existentiels du capitalisme. Par conséquent, en raison de la convergence mythique-archétypale entre l'hybris et l'amour de la guerre, le capitalisme tend inévitablement vers la dévastation du monde.
Des fondements mythiques du capitalisme à l'impossible capitalisme mythique
Comme nous l'avons vu, le capitalisme possède des fondements mythiques attestés par les grands mythes de l'antiquité classique occidentale, qui à leur tour traduisent et incarnent des archétypes universels. Ces fondements mythiques parlent de l'hybris, cette arrogance qui défie les dieux, et malgré leurs avertissements de ne pas dépasser certaines limites, celles-ci sont ignorées, avec les graves conséquences que cela implique, comme cela s'est produit et continue de se produire avec les excès inhérents au fonctionnement du capitalisme. Mais, paradoxalement, bien que le capitalisme cherche à devenir un mythe pour améliorer sa reproduction, en acquérant une aura d'authenticité et d'unicité qui lui donne une apparence de transcendance, il lui est impossible d'y parvenir. En effet, le mythe communique à travers le symbole, qui est inaccessible au capitalisme en raison de sa nature "diabolique".

Ceci nécessite une explication. Le capitalisme, surtout dans sa forme la plus contemporaine de société de marché consumériste, appelée aussi "capitalisme libidinal" (Fernández-Savater, 2024), utilise abondamment un désir perpétuellement inassouvi, cherchant à définir, à consacrer et à renforcer sa propre condition mythique. Il se présente comme l'incarnation moderne des anciens héros classiques, particulièrement propulsés par toutes sortes de pulsions prométhéennes. En outre, il cherche à incorporer et à réinterpréter laïquement le paradis terrestre biblique comme une terre d'abondance et de bonheur. Elle exploite divers moyens pour tenter d'y parvenir, comme en témoignent les grands blockbusters artistiques de l'industrie culturelle, les parcs à thème, les récits médiatiques sur les avancées en matière de conquêtes, d'innovations, d'inventions, de progrès scientifiques et technologiques, ainsi que sur la connaissance des secrets du macrocosme et du microcosme. L'attention est outrageusement attirée par l'exploration spatiale, la découverte d'énergies miraculeuses, les développements perturbateurs de l'économie de l'attention, les algorithmes sophistiqués, les possibilités de consommation immédiate à la demande, l'informatique quantique, les crypto-monnaies, le cybermonde, la robotique de nouvelle génération, l'intelligence artificielle. Cependant, malgré les efforts du capitalisme pour se constituer en mythe avec tout cela, c'est un faux mythe, juste un feu d'artifice, parce qu'en fin de compte, la désolation causée par le capital progresse, l'effondrement écosocial s'intensifie, l'extinction de la nature s'étend, les dommages causés à l'humanité prolifèrent, et tout cela ne décrit pas un mythe, mais son avortement. Le capitalisme mythique devient une impossibilité.
Le monde des mythes authentiques remet les choses à leur place : "Le capitalisme libidinal est un monstre, un centaure en particulier, tiraillé entre une pulsion de conservation, de stabilisation, de normalisation, et une pulsion désordonnée de conquête, de pillage et de saccage. Un double régime, la promesse et le poison, la productivité et la dévastation, le bien-être et la guerre, qui traverse toutes les institutions et tous les dispositifs, tous les objets de consommation et chacun d'entre nous". (Fernández-Savater, 2024:6-7).
Il en est ainsi parce que le mythe renvoie au symbole et que le symbole renvoie à l'union, à ce qui unit, relie, lie et crée. L'opposé du symbole est le diabolique, c'est-à-dire ce qui sépare, ce qui divise, ce qui contredit, ce qui est destructeur. Comme le souligne Marcet (2023), le mal ne peut être que l'antonyme du Symbole. Pour les anciens chrétiens, comme pour les Grecs classiques, le Symbole constituait l'essence de leurs mythes, de leur poésie et de leur religion, ce qui vertébrait et religiosait tout. C'est pourquoi, si le Symbole était ce qui réunissait à nouveau, le mal devait être par force ce qui divisait et opposait les hommes. D'ailleurs, souligne Marcet, les racines grecques des mots symbole et démon sont éclairantes. Symbole vient de synballein (syn, "un"), qui signifie "jeter ensemble, unir". En revanche, diaballein (dia, "deux"), du grec diabolos (διάβολος), signifie "jeter séparément, provoquer une querelle (diviser)". L'opposé du symbole est donc le diable: celui qui divise le "un" en "deux" et initie le conflit irrésolu entre les opposés. De même, le capitalisme n'est pas seulement ambivalent, contradictoire et conflictuel dans ses pulsions, mais il est finalement entraîné dans sa chute par celles d'un rang plus pervers qui provoquent davantage de division, de déstructuration, de fragmentation, de chaos et de perdition. Le capitalisme aspire à être mythiquement dionysiaque, aphrodisiaque et paradisiaque, c'est-à-dire le jardin des délices, mais finit par être sordidement catabolique, hyperbolique et diabolique, c'est-à-dire le Mordor. Tout le contraire du symbole. Bref, l'antithèse même du mythe unificateur du monde que le capital prétend incarner.

Comme nous l'avons vu, le capitalisme, dans sa quête d'expansion et de croissance illimitées, s'accorde, traduit et actualise l'énorme énergie des archétypes qui, à travers les mythes, expriment l'hybris et ses conséquences. Dans tous les mythes, nous trouvons le motif ou le mythologème des avertissements divins/naturels contre les effets des excès de l'hybris, ainsi que le motif ou le mythologème de l'ignorance délibérée de ces effets. Dès les débuts de la révolution industrielle capitaliste, de nombreux avertissements ont été lancés sur les conséquences désastreuses du développement du système pour la nature et l'humanité. Malgré cela, les responsables de l'expansion capitaliste ont fait et continuent de faire le choix conscient de la destruction (Riechmann, 2024).
Un capitalisme mythique est donc irréalisable, car il ne peut se construire sur des symboles réels, c'est-à-dire sur des constructions ayant la capacité unificatrice de représenter quelque chose qui est reconnu, compris et assumé par un groupe ou une collectivité. Si les mythes authentiques tendent à synchroniser les peuples à travers des symboles partagés, dans la mesure où ils sont susceptibles d'une compréhension universelle en raison de leur caractère archétypal, les faux mythes, comme le capitalisme qui prétend devenir un mythe, sont construits sur la division, l'inégalité et l'exclusion, sur la négation même du mythe. Et s'ils traduisent un archétype, c'est celui du diable, entendu comme une énergie de l'inconscient collectif synonyme de séparation, d'incompréhension, de déviation ou d'erreur.
Le capitalisme, malgré ses promesses renouvelées et toujours trahies de progrès, d'abondance et de prospérité, perpétue l'exploitation, la division et le malheur. Son incompétence mythico-symbolique et son inévitable tendance à l'effondrement deviennent visibles dans cette "apocalypse" qui fonctionne comme une "révélation" de ses limites, comme une terrible convergence de ces "tournants eschatologiques" (Horvat, 2021) qui certifient l'échec existentiel du capital. Archétypiquement lié aux configurations mythiques de l'hybris, il est condamné à faire face aux conséquences de ses excès. La question est de savoir si d'autres mythes puissants, avec leurs symboles authentiques, pourront empêcher le capitalisme d'entraîner le monde dans sa chute.
Bibliographie:
- Berry, T. (2015) : The Dream of the Earth, Berkeley, Counterpoint Press.
- Campbell, J. (2015) : Le pouvoir du mythe, Madrid, Capitán Swing.
- Chevalier, J. et Gheerbrant, A. (2007) : Dictionnaire des symboles, Barcelone, Herder.
- Collins, C. (2018) : "Catabolism : the terrifying future of capitalism", CounterPunch, 1er novembre 2018.
- Fernández-Savater, A. (2024) : Le capitalisme libidinal. Antropología neoliberal, políticas del deseo, derechización del malestar, Barcelona, Ned Ediciones.
- Fisher, M. (2016) : Capitalist realism : Is there no alternative, Buenos Aires, Caja Negra Editora.
- Fraser, N. (2023) : Cannibal capitalism. Qué hacer con este sistema que devora la democracia y el planeta, y hasta pone peligro su propia existencia, Buenos Aires, Siglo XXI.
- Gutiérrez, V. (2023) : "Contra los mitos sostenedores del capitalismo fosilista. La subjetividad colectiva atrapada entre el metamito del progreso y el protomito del colapso", Ekintza Zuzena, numéro 49.
- Hillman, J. (2010) : Un terrible amour de la guerre, Madrid, Sexto Piso.
- Horvat, S. (2021) : Després de l'apocal-lipsi, Barcelone, Arcàdia.
- Jappe, A. (2019) : La société autophage. Capitalismo, desmesura y autodestrucción, Logroño, Pepitas de Calabaza.
- Jung, C.G. (2004) : La dinámica de lo inconsciente, Madrid, Trotta.
- Jung, C.G. (2010) : Les archétypes et l'inconscient collectif, Barcelone, Paidós.
- Kerenyi, C. (2009) : Les héros grecs, Vilaür, Atalanta.
- Marcet, I. (2023) : La historia del futuro, Barcelone, Plaza y Janés.
- Riechmann, J. (2024) : Ecologismo : pasado y presente (con un par de ideas sobre el futuro), Madrid, Los Libros de la Catarata.
- Varoufakis, Y. (2024) : Technofeudalism. El sigiloso sucesor del capitalismo, Barcelone, Deusto.
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dimanche, 05 février 2023
De Zalmoxis à Gengis Khan: religions et folklore de la Dacie et de l'Europe de l'Est selon Eliade

De Zalmoxis à Gengis Khan: religions et folklore de la Dacie et de l'Europe de l'Est selon Eliade
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/da-zalmoxis-a-gengis-khan...
Mircea Eliade, l'éminent historien roumain des religions, bien qu'ayant vécu la majeure partie de sa vie en exil à l'étranger, a conservé un lien étroit avec la culture de son propre peuple et, surtout, un intérêt jamais dissimulé pour la spiritualité de l'ancienne Dacie. En témoigne, de manière très détaillée, son ouvrage intitulé Da Zalmoxis a Genghis Khan. Le religioni e il folklore dell'Europa orientale (= "De Zalmoxis à Gengis Khan. Les religions et le folklore de l'Europe orientale"), que l'on peut trouver en librairie grâce aux Edizioni Mediterranee, édité par Horia Corneliu Cicortaş et avec une traduction d'Alberto Sobrero (pour les commandes : 06/3235433, ordinipv@edizionimediterranee.net, pp. 275, euro 27,00). Ce volume a été publié pour la première fois en France en 1970. Il est sorti en Italie en 1972 et, vu son discret succès critique et commercial, a été traduit dans de nombreuses langues en peu de temps. Le texte se compose de huit chapitres: six d'entre eux sont des reprises d'essais précédents publiés dans des magazines et des périodiques. Deux chapitres sont spécialement conçus pour ce livre.

Le premier d'entre eux fait référence à Zalmoxis et traite de l'histoire religieuse des Gétes & Daces. Un autre essai est consacré à la relation entre cette ancienne population et les loups, tandis qu'un article sur la "Ballade du mouton devin" est destiné, selon les intentions d'Eliade, à compléter les cinq autres essais sur les traditions populaires roumaines. Ils traitent respectivement des mythes cosmogoniques dualistes, de la chasse rituelle, de la légende de Maître Manole, des pratiques chamaniques et du culte de la mandragore. La référence du titre à Gengis Khan, nous rappelle Cicortaş, est purement symbolique: "puisque les invasions mongoles ne sont pas mentionnées dans le livre" (p. 8), alors qu'elles ont joué un rôle fondamental dans la formation de l'imaginaire des Daco-Romains, notamment par rapport à l'ancêtre totémique identifié dans le Loup gris. Il ne faut pas oublier que, pour Eliade, "le culte de Zalmoxis et tous les mythes, symboles et rituels qui informent le folklore religieux des Roumains ont leurs racines dans un univers de valeurs spirituelles antérieur à l'apparition des grandes civilisations du Proche-Orient ancien et de la Méditerranée" (p. 17).

Cela explique l'intérêt pour ce patrimoine spirituel, qui n'a jamais failli chez l'érudit. Elle s'est d'abord manifestée à la fin des années 1920, après le séjour du savant en Inde, mais est revenue se manifester dans les années 1940, avant et après la fin de la Seconde Guerre mondiale. De plus, Eliade avait fondé, en 1938, la première revue internationale roumaine d'études historico-religieuses, intitulée, non par hasard, Zalmoxis. Sur le texte que nous présentons, l'intellectuel a travaillé entre 1968 et 1969, à une époque où il était occupé à peaufiner certaines de ses œuvres les plus érudites. Sans cette concomitance d'engagements, De Zalmoxis à Genghis Khan "aurait probablement été beaucoup plus vaste" (p. 11). En effet, l'auteur avait prévu d'ajouter à la première édition des chapitres consacrés à d'autres aspects de la ritualité et du folklore de la Roumanie et de l'Europe de l'Est. Le lecteur de la nouvelle édition italienne trouvera en annexe l'essai que l'historien des religions a consacré à l'exégèse des căluşari, fêtes masquées saisonnières.

Cet essai confirme également l'importance méthodologique attribuée par Eliade, dans le comparatisme historico-religieux, à la dimension ethnologique. Il recourt continuellement, pour aller au fond des choses, au sens caché des mythes et des rituels: "à l'héritage culturel du folklore [...] Une source précieuse surtout dans le cas des peuples dits "non scripturaires"" (p. 11). Le chercheur est fermement convaincu que l'humus spirituel des Daces ne pouvait être appréhendé que "dans l'univers des valeurs spécifiques des chasseurs et des guerriers, ou plus précisément à la lumière des rites initiatiques de nature militaire" (p. 18). Plus précisément, la duplicité ambiguë, chthonique et tellurique, de Zalmoxis "devient compréhensible lorsque le sens initiatique de l'occultation et de l'épiphanie du dieu est révélé" (p. 18). Le mythe cosmogonique roumain, à la lumière de cette intuition, ne peut être réduit, sic et simpliciter, aux dualismes des Balkans et de l'Asie centrale, mais doit être lu, note Eliade, à travers le thème de la "lassitude de dieu": "une expression surprenante de ce deus otiosus réinventé plus tard par le christianisme populaire, dans la tentative désespérée de rendre dieu étranger aux imperfections du monde et à l'apparition du mal" (p. 18).
La même "chasse rituelle", pratiquée aux premiers temps de la Dacie, pour l'intellectuel roumain doit être placée à l'origine de la principauté de Moldavie. Le monastère d'Argeş parvient également à rendre son symbolisme explicite, non pas simplement par rapport aux mythes de construction, mais par rapport aux autres: "le sens originel d'un sacrifice humain primitif" (p. 18). L'une des ballades populaires les plus connues de Roumanie, la Mioriţa présente la fonction oraculaire des animaux dans la Dacie antique.

Le culte de la mandragore, s'il est interprété correctement, met en évidence le lien étroit entre la Vie et la Mort. Lire ce livre, c'est être projeté dans un univers archaïque d'une grande profondeur symbolique. Eliade, dans ces pages, a transmis à l'époque contemporaine l'héritage immémorial sur lequel s'est construite la civilisation européenne. Une occasion à ne pas manquer, à ne pas gaspiller, à l'heure où la culture de l'annulation entend faire une tabula rasa de notre mémoire historique.
Giovanni Sessa
19:10 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditions, traditionalisme, mircea eliade, roumanie, dacie, gètes, daces, mythologie, folklore, zalmoxis |
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samedi, 10 décembre 2022
Le serpent dans les anciennes traditions religieuses égyptiennes et autres

Le serpent dans les anciennes traditions religieuses égyptiennes et autres
Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2022/11/el-eje-del-mundo-y-la-serpiente.html
Parmi les artefacts sumériens et akkadiens, nous trouvons des images d'arbres ou de troncs symbolisant l'AXIS MUNDI ou axe du monde. Il s'agit de l'arbre de la sagesse ou de l'arbre de vie, le même que celui que l'on trouve dans la Genèse et dans tant d'autres traditions culturelles.
Invariablement, aussi, un serpent grimpe ou serpente le long du tronc ou se trouve enroulé à sa base. Parfois, ce serpent est personnifié comme l'archétype d'une déesse, comme dans le conte de Gaileach du cycle arthurien.

Dans le mythe grec de la Toison d'or, la toison d'or est suspendue au sommet d'un arbre magique gardé par un dragon ou un serpent. Dans les mythes de ce type, le serpent est le gardien et le protecteur de la sagesse secrète de la vie éternelle. Mais le secret du serpent réside aussi dans le serpent lui-même.
Selon Adolf Erman, les Égyptiens croyaient que "si l'âme venait de Nout ou du Serpent qui gardait le Soleil, les deux devaient l'accueillir comme leur fils. Ils devaient avoir pitié de lui et lui offrir leur sein à téter, afin qu'il vive et redevienne un enfant".
Ceci est un parfait exemple de la façon dont le dieu ou la déesse serpent était considéré comme un être capable d'insuffler une "nouvelle vie" à quiconque en faisait la demande, tout en indiquant que les anciens Égyptiens connaissaient l'Élixir de vie.
Nous retrouvons une idée similaire dans le mythe d'Osiris, dont on dit qu'il est entré dans la queue d'un énorme serpent, qu'il a percé son corps et qu'il est ressorti de sa bouche comme un être renaissant. La queue du serpent représente la fin de l'ancienne vie et sa tête le début de la nouvelle vie : une image liée à l'Ouroboros (le serpent qui se mange lui-même).

Le mythe d'Osiris est également lié à celui des "12 heures de Duat", les 12 heures de la nuit ou du temps nocturne, l'"obscurité" et donc la moitié "négative" du cycle de 24 heures de la journée, pendant laquelle, croyait-on, le soleil traversait le monde souterrain ou Duat.
Une autre figure importante du panthéon égyptien est la déesse Isis (*). On disait que des serpents sacrés dotés de pouvoirs oraculaires vivaient dans ses temples et que d'énormes catastrophes se déchaîneraient sur l'Égypte si jamais les serpents décidaient de la quitter.


Isis tirait son pouvoir du venin des serpents et des scorpions. Il existe un texte dans lequel on la voit poser ses mains sur un enfant empoisonné et extraire le poison.
Il existe de nombreux textes dans lesquels Isis est vue comme Isis-Meri, allaitant l'enfant Horus, dans une image très similaire à celles de Marie et de l'enfant Jésus, ce qui renvoie aux origines symboliques de Jésus en tant que serpent.
Il ne faut pas oublier que l'axis mundi était symbolisé par le Caducée (**). Dans l'Égypte ancienne, la santé était immédiatement associée au serpent, comme en témoigne la couronne formée par l'Aspic ou Thermutis sacré, un attribut particulier d'Isis, déesse de la vie et de la santé. Selon Hargrave, auteur d'OPHIOLATREIA, "il était sans doute destiné à symboliser la vie éternelle".
Isis aussi, le serpent "Reine du Ciel", tel un chien ou un loup, guidait les âmes à travers les "tours d'Amenti" ou "séjours d'Amenti", autre nom du labyrinthe des Enfers. Il s'agit d'une autre image du serpent en tant que gardien ou protecteur du trésor secret de la connaissance.
Isis et Nephitis, divinités respectives des opposés de la vie et de la mort, sont devenues le double serpent : une association qui rappelle les énergies serpentines Pingala et Ida associées à l'expérience d'illumination du Kundalini Yoga. L'ascension de ces deux serpents dans et autour des CHAKRAS alignés avec la colonne vertébrale humaine est un écho de la légende égyptienne dans laquelle la "mère serpent" tisse le fil rouge de la vie avec le fil noir et blanc du jour et de la nuit, dont le résultat est l'immortalité. (***)
Philip Gardiner - Gary Osborn : LE GRAAL ET LE SERPENT.
Notes:
(*) Puissante magicienne, épouse d'Osiris (le dieu des morts) et mère d'Horus. Grâce à ses connaissances magiques, elle a réussi à ressusciter Osiris et à protéger son fils du dieu Seth, qui avait assassiné et démembré son mari.
(**) Le caducée est un bâton muni d'ailes à l'une de ses extrémités, entouré de deux serpents ou couleuvres entrelacés ensemble. Aujourd'hui, il est le symbole de la médecine et du commerce. Le dieu romain Mercure portait un caducée comme symbole de paix et de richesse.
(***) Le rouge, le blanc et le noir sont les trois couleurs symboliques de l'alchimie.
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lundi, 10 octobre 2022
La nature de l'homme dans le mythe grec

La nature de l'homme dans le mythe grec
Alex Capua
L'ascension d'Héraklès vers l'Olympe dans un char tiré par quatre chevaux symbolise le fait qu'Héraklès était un héros solaire, patron des Jeux olympiques. Chaque cheval représentait une année, tandis que les quatre chevaux ensemble représenteraient les quatre années entre les Jeux olympiques.
Chaque héros atteint sa capacité productive maximale et son meilleur état possible lorsqu'il développe pleinement sa nature. C'est ce qu'on appelle l'arete, la vertu. L'homme y est enclin par les forces germinatives qu'il porte en lui dès sa naissance, mais ce sont des "graines", des "étincelles" et il doit lui-même atteindre le développement et la vertu par ses propres efforts. Heraklès en est un bon exemple.
La sensibilité grecque ne s'exprime pas par "vous devez", mais par "vous pouvez". Les plantes ou les animaux portent en eux une autodétermination innée qui leur fait atteindre une satisfaction conforme à leur nature ; de même, l'homme ne doit développer pleinement son essence particulière que pour atteindre sa nature, l'arete, et en elle doit aussi résider son eudaimonia, un mot grec qui signifie originellement que l'homme a son propre daimon par lequel il est guidé.
Daimon est synonyme de Theos (Dieu), mais chez Homère et Hésiode, il désigne les dieux ou la divinité en général. Par exemple : lorsque Homère dit de Lycaon qu'un dieu "l'a jeté dans les mains d'Achille" (Iliade XXI, 47), il ne fait pas référence à un dieu spécifique, mais à un démon (daimon). Chez Homère, le mot daimon était appliqué aux dieux en tant que puissance indéfinie ; cependant, Hésiode est le premier à se référer avec ce mot à des divinités mineures (Travaux et Jours v. 123).


Ainsi, les démons d'Hésiode n'agissent pas comme des êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes. Ils étaient conçus comme des êtres immortels vivant sur un plan intermédiaire, participant à l'action invisible et à la vie éternelle des dieux. Dans Homère, le démon exerce une action bénéfique ou maléfique sur l'humanité (Iliade, XV, 418, 468 ; XXI, 93). De là est né le terme de polydémonisme, c'est-à-dire la croyance en de nombreux démons qui entourent la vie de l'individu.
Dans le domaine philosophique, Pythagore exprime que "l'air est tout plein d'âmes qui sont appelées démons et héros. Ce sont eux qui envoient aux hommes des rêves et des signes de maladie et de santé" (cf. D. L., VIII 32). Ici, le terme change radicalement, par rapport à Hésiode et Homère, car les pythagoriciens soulignaient l'idée que l'âme recevait à chaque renaissance un nouveau daimon.
Chez Platon, le terme daimon oscille entre des nuances bien précises : le daimon-conseiller qui guide l'homme durant sa vie et conduit son âme devant les juges après sa mort (Phèdre, 242) ; le daimon-âme, une âme raisonnable donnée à chaque homme (Timée, 41e) ; et, enfin, le produit d'un dieu et d'un mortel (Lois, IV, 717b).
Chez Socrate, il fait référence au guide de l'âme pendant la vie et après la vie, c'est un protecteur personnel qui accompagne et dirige.
"Il m'arrive je ne sais quoi de divin et de démoniaque... C'est une voix qui se fait entendre de moi et qui, chaque fois que cela m'arrive, me détourne de ce que je suis éventuellement sur le point de faire, mais qui ne me pousse jamais à l'action" (Apologie de Socrate, 31d).
Quelle est la nature de l'homme ?
Les courants philosophiques grecs expriment que seul le logos peut indiquer à l'homme sa fin et façonner à juste titre sa vie.
Dans le monde de la Tradition, elle indique que l'homme partage le principe actif de l'éternité (l'Atman). On comprend ainsi que l'homme se considère comme éternel, mais pas immortel ; tout le contraire des dieux.
L'Atman ne se niche qu'en l'homme, à l'état dormant, c'est la semence divine. Le but de l'homme est l'éveil de la graine divine par l'initiation. Héraklès (avec l'accomplissement de ses douze travaux), Jason (dans la recherche de la Toison d'or), Ulysse lors de son retour à Ithaque, sont des exemples clairs de processus initiatiques pour l'éveil de la divinité en l'homme.

En bref, avec Héraclès, nous apprenons que la nature de l'homme est orientée vers le développement et le maintien de notre essence donnée par la nature. Si nous tournons le dos au Transcendant, nous nous écartons de notre nature, nous nous séparons de nos racines, c'est-à-dire de tout ce qui est d'origine divine avec ses multiples manifestations sur le plan humain. La rupture homme-divinité se produit lorsque nous ne reconnaissons pas notre véritable nature. Héraklès, Jason, Thésée, Ulysse nous rappellent dans leurs histoires pérennes notre nature divine et la lutte quotidienne et continue que nous devons mener pour atteindre ce développement spirituel.
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jeudi, 28 juillet 2022
Quelques réflexions sur la langue de Tolkien dans "Le Seigneur des Anneaux"

Riccardo Rosati:
Quelques réflexions sur la langue de Tolkien dans Le Seigneur des Anneaux
Source: http://www.bietti.it/riviste/j-r-r-tolkien-unepica-per-il-nuovo-millennio/alcune-ri%EF%AC%82essioni-sul-linguaggio-di-tolkien-ne-il-signore-degli-anelli-di-riccardo-rosati/?fbclid=IwAR0FvUDE6WELFgVbVoduGnO1Y33hyJY63izjBJThnUGnGVH39vj_XhvgJrU
Un article publié récemment dans le Corriere della Sera, par Dario Fertilio (1), a rappelé les rejetés les plus étonnants, et souvent inexplicables, du prix Nobel de littérature ; confirmant le fait que la liste des exclus est peut-être plus illustre que celle des lauréats du célèbre prix (2). Parmi les auteurs jugés "pas à la hauteur" figure également le nom de J. R. R. Tolkien. La raison de ce rejet est surprenante : il semble que l'anglais utilisé par l'écrivain et linguiste dans ses romans n'était pas digne d'un tel prix. Dans la présente analyse, nous entendons fournir, pour des raisons évidentes d'espace, seulement des indications premières et des clés d'interprétation sur un sujet décidément complexe qui n'a pratiquement pas été étudié dans la littérature de ce type en langue italienne. Pour en revenir à l'article précité de Fertilio, nous lisons comment les jurés choisis par l'Académie royale des sciences de Suède, à l'époque, ont qualifié l'œuvre de Tolkien de "prose de second ordre", et peu importe s'il s'agit de l'un des auteurs les plus lus et les plus appréciés de toute l'histoire de la littérature mondiale. L'absurdité est atteinte quand on sait que non seulement Tolkien était professeur de littérature anglaise médiévale à Oxford, mais aussi traducteur expert de textes anciens (3). Sur cette question, il peut être utile de citer un essai intéressant de l'universitaire anglo-saxon Ross Smith, dans lequel la passion de Tolkien pour le vieil anglais, et donc pour les racines mêmes de la langue anglaise, est mise en évidence :
"Un article du professeur Tom Shippey intitulé Tolkien et le poète de Beowulf commence par la question rhétorique suivante : 'Tolkien s'est-il jamais demandé s'il pouvait être le poète de Beowulf réincarné ?'" (4).

Néanmoins, l'anglais de Tolkien a longtemps été considéré par beaucoup comme pas assez bon.
Jugement irréfléchi ? Sous-estimation flagrante ou simple myopie intellectuelle ? Après tout, n'a-t-on pas dit la même chose de Joseph Conrad, autre monstre sacré de la littérature anglo-saxonne ? Si pour ce dernier, la raison de sa prétendue insuffisance littéraire était due au fait qu'il était d'origine étrangère (5), l'anglais n'étant en effet pas sa première langue. En ce qui concerne Tolkien, nous croyons fondé d'affirmer que sa "faute" résidait précisément dans la forme de littérature dans laquelle il s'exprimait : (6) la Fantasy. Cependant, Tolkien n'a pas été le seul à être "maltraité", à cette occasion, par les jurés du prix Nobel (7). Ce n'est un mystère pour personne que la répartition géographique entre les pays et l'équilibre entre droite et gauche (avec une prévalence pour cette dernière) ont toujours présidé aux critères de sélection. Le préjugé historique à l'encontre de Tolkien est principalement lié à l'accusation de fuir la réalité, de ne pas être un auteur engagé, mais seulement un bon artisan qui s'essaie à écrire des contes de fées complexes pour des enfants trop grands. L'écrivain Howard Jacobson, pour ne citer que l'un des nombreux cas d'hostilité intellectuelle qui se sont succédé au fil des ans, a réagi avec un mépris furieux à l'incroyable succès des œuvres de notre auteur :
« Tolkien... c'est pour les enfants, n'est-ce pas ? Ou pour les adultes attardés... »

Rarement un roman aura suscité autant de controverses et le vitriol des critiques a mis en évidence le schisme culturel entre les lettrés "éclairés" et le public des lecteurs. Patrick Curry s'est vigoureusement élevé pour défendre Tolkien, il y a quelques années. Dans l'une de ses études (8), il affirme sans ambages que Le Seigneur des Anneaux est tout sauf une "évasion de la réalité". Pour Curry, Tolkien ne se contente pas de nous faire la leçon, comme chez John Ruskin ou G. K. Chesterton, sur les dangers du monde moderne. Il a en effet tissé, avec son opposition à la modernité, un récit riche et complexe qui offre une alternative, avec la création d'un monde complètement différent, monde qui est lui-même une proposition de redécouverte de notre Tradition.
L'ostracisme du monde anglo-saxon à l'égard de Tolkien se retrouve également dans les propos de Chris Woodhead, chef du School Inspection Service en Angleterre de 1994 à 2000, qui a stigmatisé les faibles attentes culturelles de l'œuvre de Tolkien, affirmant à plusieurs reprises que :
"Le Seigneur des Anneaux est un livre qui se lit très bien, mais n'est pas le meilleur produit de la littérature anglaise de ce siècle".
Woodhead a exprimé les préoccupations de nombreux pédagogues surpris par le succès de Tolkien. Ainsi, d'une part, le snobisme intellectuel mal dissimulé de nombreux critiques, d'autre part, la crainte des éducateurs que des romans tels que Le Seigneur des Anneaux ne détournent les jeunes de l'apprentissage d'un anglais parfait et de la construction d'une culture solide en fréquentant les auteurs canoniques qui utilisent un anglais classique, académique.
L'hostilité à l'égard de Tolkien avait également sa "scène" italienne (9). En effet, dès sa première édition en 1970, dans laquelle figure aussi le résumé introductif savant et suggestif d'Elémire Zolla, divers préjugés entourent notre auteur. Ne pouvant être attaqué sur sa langue (l’anglais), Le Seigneur des Anneaux a été accusé d'être une histoire réactionnaire, proche des sympathies d'une droite néo-fasciste. Cependant, sur les qualités de celui que Zolla a appelé "le plus grand érudit de la littérature anglo-saxonne et médiévale" (10), le silence s'est fait, car Tolkien était tabou et l'est resté pendant longtemps. Si l'on veut analyser les qualités linguistiques de Tolkien, il est essentiel de garder à l'esprit que son premier emploi après son retour du front de la Première Guerre mondiale a été celui d'assistant au prestigieux Oxford English Dictionary (OED) (11). Tolkien lui-même affirmait avoir appris davantage au cours de ces deux années qu'au cours de toute autre période de temps égale dans sa vie. Il existe peu d'auteurs qui ont puisé autant de leur veine créatrice dans l'histoire et l'évolution des mots pris individuellement. De son amour pour les mots et sa façon de les utiliser, nous pouvons tirer une autre preuve de la manière dont il a assidûment recherché une langue aussi riche que variée, comme l'indique l'étude minutieuse The Ring of Words (12), dans laquelle Tolkien est également qualifié de créateur de mots (13).

Tolkien était aussi un traducteur pointilleux (14). Ross Smith souligne également comment la traduction en tant que concept était omniprésente chez notre écrivain, même dans ses œuvres de création :
« En parlant maintenant de la prose de Tolkien, il est intéressant de noter comment, dans l'annexe F du Seigneur des Anneaux, il nous dit que toute son histoire épique est en fait une traduction. » (15).
Il est clair que les personnages de la Terre du Milieu ne parlent pas anglais, en fait leur langue ou lingua franca est le westron. Le "truc" inventé par Tolkien est de prétendre qu'il n'a fait que traduire Le Seigneur des Anneaux en anglais afin de rendre cette histoire compréhensible même pour l'homme moderne. De toute évidence, l'auteur s'amuse en faisant un clin d'œil à la possible véracité de son roman, tout en créant un agréable divertissement littéraire.
Pour en revenir au sujet clé de notre brève argumentation, il est très curieux qu'une personne aussi attentive au sens des mots - c'est en effet la principale qualité d'un traducteur - ait été néanmoins incapable d'utiliser un anglais de qualité. Nous pensons qu'il s'agit là d'un autre point assez solide en faveur de ceux qui affirment - et l'auteur [Riccardo Rosati] en fait partie - que depuis longtemps les romans de Tolkien sont victimes de plus qu'un simple malentendu, et que son langage mérite une étude attentive et impartiale. Pour parler maintenant plus précisément de la langue de Tolkien, nous constatons qu'elle est riche, grâce à la présence d'un vocabulaire varié et sophistiqué. A plusieurs reprises, l'écrivain nous offre de merveilleuses descriptions, avec un ton évocateur qui dans certains passages met en valeur la beauté de la langue. Surtout, il crée un univers de mythes, de magie et d'archétypes qui résonne au plus profond de la mémoire et de l'imaginaire du monde occidental. Tolkien était un érudit de premier ordre, puisant dans l'héritage vital anglo-saxon.

Ayant atteint ce point, nous allons maintenant analyser quelques brefs extraits du tome I de la Trilogie, que l'on trouve dans le chapitre intitulé Le Pont de Khazad-Dûm (16). Cette section particulière de l'œuvre de Tolkien a été choisie pour deux raisons. La première est qu'elle fait partie des parties les plus connues de la saga du Seigneur des Anneaux. La seconde, comme nous le verrons, parce que ce chapitre contient de nombreux éléments distinctifs du style narratif de l'auteur. Il y a trois extraits, démontrant autant d'aspects de la langue de l'écrivain Tolkien.
Le premier est un exemple significatif de la façon dont la présence d'une idée de culture ancienne (en anglais lore) a aidé l'auteur à penser son œuvre comme un livre dans le livre, créant ainsi un exemple significatif de métalittérature et d'hypertextualité. C'est ce qui se passe lors de la lecture par Gandalf du journal du peuple des Nains qui habitaient autrefois les Mines de la Moria. Les paroles prononcées par le magicien se confondent avec les événements des protagonistes de l'histoire, l'horreur qui a détruit les habitants de ces lieux, page après page, tandis que le magicien gris, est déterminé à lire, il est sur le point de frapper à son tour la Communauté de l'Anneau :
« Une crainte et une horreur soudaines de la chambre tombèrent sur la Compagnie.
« Nous ne pouvons pas sortir'', murmura Gimli. ''C'était bien pour nous que l'étang se soit un peu vidé, et que le Guetteur se soit endormi à l'extrémité sud. » (423) (17)
Le deuxième passage que nous avons choisi pourrait être qualifié de "classique", c'est-à-dire un exemple de la manière dont Tolkien a largement codifié le langage des scènes d'action fantastiques, avec l'utilisation de certains mots pour représenter les actions et les sons :
« Il y eut un fracas sur la porte, suivi d'autres fracas. Des béliers et des marteaux frappaient contre elle. Elle s'est fissurée et a reculé, et l'ouverture s'est soudainement élargie. Des flèches sont entrées en sifflant, mais ont heurté le mur nord et sont tombées inoffensives sur le sol. » (18) (426).
Que les flèches "sifflent" est désormais une expression codifiée dans ce genre narratif, et l'ensemble de la configuration linguistique des scènes d'action chez Tolkien, comme le montre bien cet extrait, représente le canon de toutes les batailles fantastiques écrites après Le Seigneur des Anneaux.

Enfin, l'auteur anglais maîtrise aussi ce pouvoir d'évocation visuelle (19) de la langue, si cher à Italo Calvino :
« Les flammes se sont élevées pour le saluer, et l'ont enveloppé ; et une fumée noire a tourbillonné dans l'air. Sa crinière ruisselante s'est enflammée et a flamboyé derrière lui. » (20) (432).
La narration de Tolkien démontre ici cette capacité fondamentale de créer une abstraction chez le lecteur, grâce à l'utilisation du langage, afin de le fasciner et, comme l'affirme Calvino, reprenant les mots de Dante, de l'emmener dans un autre lieu, celui de la littérature pure :
« O imagination, tu as le pouvoir de t'imposer à nos facultés et à notre volonté et de nous entraîner dans un monde intérieur, nous arrachant au monde extérieur, de sorte que même si mille trompettes sonnaient, nous n'en serions pas conscients. » (21).
Peut-être le jury du prix Nobel a-t-il mésestimé les qualités linguistiques et littéraires de Tolkien ou, plus vraisemblablement, il n'était pas possible de décerner un prix aussi prestigieux à un auteur d'"histoires pour enfants". Les jurés ont pu justifier leur décision de l'écarter en identifiant, par exemple, certaines incohérences dans son écriture, comme le positionnement de certains adverbes avant ou après les auxiliaires, dans la manière différente d'écrire des mots tels que toward et towards, rapprochés (458) ou, toujours rapprochés (454), l'alternance dans l'écriture du verbe "être" (to be) au subjonctif, avec la bonne orthographe (were) mais aussi la mauvaise orthographe (was), bien que cette dernière soit acceptée par la majorité des linguistes depuis des années.
En conclusion, même si l'écriture de Tolkien a ses petites faiblesses, comme c'est le cas pour pratiquement tous les auteurs, sont-elles vraiment si nombreuses et si graves qu'elles obscurcissent l'immensité de sa vision, la fécondité de son imagination, la puissance rythmique de sa langue ? Nous pensons que non, s'agissant d'un écrivain chez qui langue et littérature ne font qu'un :
« Toutes les pages d'un seul livre, une expérience linguistique d'abord et une expérience culturelle ensuite. » (22)
Par conséquent, Tolkien doit également être apprécié comme le créateur d'un logos typique de la fantasy - peut-être en essayant de le lire dans la langue originale - dans les pages duquel s'incarne l'idée du "mythe comme langage" (23) et grâce auquel ont été codifiés non seulement un genre narratif, mais aussi une manière d'écrire.
Notes:
(1) Il est fait référence à l'édition qui est sortie le 7/1/2012.
(2) Rappelons, par exemple, le triple rejet de Yukio Mishima, pour des raisons purement politiques. Depuis des années, il est considéré par la critique internationale comme l'un des écrivains japonais les plus importants de l'après-guerre.
(3) Plusieurs traductions importantes sont de lui, dont celle du premier texte de la littérature anglaise médiévale (en vieil anglais et moyen anglais), Beowulf, dont l'auteur et la date de composition sont encore incertains. On attribue également à Tolkien ce qui est encore considéré comme le plus grand ouvrage critique, datant de 1936, sur ce texte ancien : The Monsters and the Critics and other Essays, HarperCollins, Londres 1997.
(4) R. Smith, J. R. R. Tolkien and the art of translating English into English, publié dans la revue en ligne English Today, 99, septembre 2009, p. 1. L'essai auquel Smith fait référence est : T. Shippey, Roots and Branches : Selected Papers on Tolkien, Walking Tree Publishers, Zurich-Berne 2007, p. 1. Ma traduction.
(5) Son vrai nom était Józef Teodor Nałęcz Konrad Korzeniowski, né à Berdicev (Pologne) en 1857. Pour être précis, l'anglais est la troisième langue qu'il apprit : la première était, bien sûr, le polonais et la deuxième le français. Néanmoins, de nombreux critiques considèrent que l'anglais de Conrad est sans aucun doute riche, avec une utilisation évocatrice et parfois symbolique de la langue. L'écrivain n'avait peut-être pas les compétences d'un locuteur natif à l'oral, car son accent trahissait une origine étrangère.
(6) Nous préférons ne pas suivre l'usage assez répandu en Italie d'utiliser ce terme au féminin, de là le choix du terme Fantasy, puisque la langue anglaise n'attribue pas de genre aux substantifs. Pour cette raison, nous pensons que l'usage de l'expression : "le genre fantastique" est plus correct.
(7) Il y eut d'autres rejetés illustres la fatidique année 1961. Parmi eux, deux géants de la littérature du 20e siècle : Graham Greene et Karen Blixen. Ces derniers, cependant, ont été traités tout à fait différemment de Tolkien, puisqu'ils se sont classés respectivement deuxième et troisième, après avoir été soigneusement évalués pour leurs qualités littéraires.
(8) P. Curry, Defending Middle-Earth : Tolkien, Myth and Modernity, HarperCollins, Londres 1998.
(9) L'un des spécialistes italiens de Tolkien les plus attentifs, Gianfranco de Turris, a retracé une évolution historique précise de ce phénomène, soulignant comment la période de plus grand ostracisme envers Tolkien dans notre pays peut être identifiée entre 1977 et la fin des années 1980. Cf. De la terre aux feuilles, dans L'Arbre de Tolkien. Comment le Seigneur des anneaux a marqué la culture de notre temps, édité par G. de Turris, Bompiani, Milan 2007.
(10) J. R. R. Tolkien, La Communauté de l'Anneau, Bompiani, Milan 2006, p. 11.
(11) Ce dictionnaire a longtemps été considéré comme le canon de l'anglais britannique et est souvent comparé à son "rival" historique, le Cambridge Dictionary. Si le premier représente en fait la tradition linguistique anglaise, le second tend à encourager l'utilisation d'un anglais international avec une nette empreinte américaine. Ce n'est donc pas un hasard si Tolkien, le futur philologue et linguiste, est sorti de l'école de l'OED.
(12) P. Gilliver, J. Marshall, E. Weiner, The Ring of Words : Tolkien and the Oxford English Dictionary, University Press, Oxford 2006.
(13) Sa connaissance approfondie du lexique anglais est démontrée par le grand nombre d'archaïsmes dans ses écrits. Une liste de ceux-ci peut également être trouvée sur Internet : http://www.glyphweb.com/arda/words.html.

(14) Il a notamment traduit des ouvrages médiévaux de la littérature anglo-saxonne. Une autre de ses œuvres importantes dans ce domaine est la traduction du poème anonyme du 14ème siècle : Sir Gawain and the Green Knight, Pearl and Sir Orpheus, édité par C. Tolkien, Allen & Unwin, Londres 1975.
(15) R. Smith, op. cit. p. 9. Ma traduction.
(16) Il s'agit du chapitre V du premier tome de la Trilogie. Le titre original est Le Pont de Khazad-Dûm.
(17) Dans le corps du texte, les numéros de pages de l'édition originale anglaise : The Fellowship of the Ring, HarperCollins, Londres 2001. Cependant, la note de bas de page contient les traductions en italien, par Vicky Alliata di Villafranca, des passages cités.
« Une peur et une horreur soudaines se sont emparées de cette pièce. Nous ne pouvons plus sortir, murmura Gimli. "Il était bon pour nous que l'étang baisse légèrement, et que l'Observateur dorme à l'extrémité sud." J. R. R. Tolkien, La Communauté de l'Anneau, cité, p. 424.
(18) "Un coup retentit avec fracas contre la porte, suivi d'un autre et d'autres encore. Les béliers et les marteaux frappaient avec une force croissante. La porte grinça et chancela, et la fente s'ouvrit soudainement. Des flèches sifflaient, mais en heurtant le mur, elles tombaient inoffensives sur le sol. » Ibid, p. 427.
(19) Nous faisons évidemment référence au chapitre du même nom, qui fait partie du célèbre texte d'Italo Calvino : Lezioni americane, Mondadori, Milan 1993, pp. 89-110.
(20) « Avec un rugissement, les flammes s'élevèrent en saluant, se tordant autour de lui ; une fumée noire tourbillonnait dans l'air. La crinière flottante de la forme sombre prit feu, le brûlant". J. R. R. Tolkien, La Communauté de l'Anneau, cité, p. 433.
(21) I. Calvin, op. cit. p. 92.
(22) A. Bonomo, Nostalgie d'une innocence perdue : désobéissance et sacrifice dans Le Hobbit de J. R. R. Tolkien, in Rivista di Studi Italiani, Année XXIX, n° 1, juin 2011, p. 291.
(23) Ibid, p. 288.
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lundi, 27 juin 2022
L'origine de la philosophie: un fondamental par Pavel A. Florensky

L'origine de la philosophie: un fondamental par Pavel A. Florensky
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/lorigine-della-filosofia-un-fondamentale-di-pavel-a-florenskij-giovanni-sessa/
Pavel A. Florensky est certainement une figure incontournable de la pensée du vingtième siècle. Intelligence polyvalente, passionnée, intransigeante et anti-moderne, il a passé sa vie, tout au long d'une existence marquée par la douleur et la tragédie, à essayer de trouver une issue à l'état actuel des choses. La récente publication d'un de ses volumes d'une grande importance historique-philosophique, ainsi que théorique, en est la preuve. Nous nous référons à Primi passi della filosofia: Lezioni sull’origine della filosofia occidentale paru dans le catalogue Mimesis, édité par Andrea Dezi (pour les commandes: 02/24861657, mimesis@mimesisedizioni.it, pp. 257, euro 22.00). Le livre rassemble deux cycles de conférences que Florensky a données entre 1908 et 1909 à l'Académie de théologie de Moscou sur le thème de l'origine de la philosophie. Le texte fait référence à l'édition russe non abrégée parue en 2015.
Le fil conducteur de toute la discussion se trouve dans la ferme conviction du penseur que la philosophie est née du culte de Poséidon. Dezi note avec Florensky: "La philosophie apparaît au VIe siècle avant J.-C. [...] comme une impulsion dialectique [...] à la formulation de l'idée religieuse de Poséidon" (p. 11). Pour le philosophe russe, comme pour Colli, "les concepts philosophiques ne sont que des transformations de formes religieuses, mythiques. Le mythologème précède génétiquement le philosophème" (p. 11). La philosophie, en bref, n'est pas apparue comme une connaissance "rationnelle" en opposition au mythe, mais s'est inscrite dans la continuité du contenu exprimé par le mythe. Les connaissances théoriques ont reformulé le religieux d'une nouvelle manière. De plus, le mythe n'est nullement réductible à un savoir légendaire, proche de la fable, à tel point que, avec la philosophie qui en découle, les premiers rudiments de la science de la nature se sont manifestés chez Thalès. Thalès a été le premier à comprendre "la possibilité d'un croisement dialectique de l'actualité divine poséidonique" (p. 12). Florensky est arrivé à cette thèse sur la base du regain d'intérêt russe pour la pensée antique. En particulier, ses pages révèlent l'influence de S. N. Trubeckoj, un professeur que le théologien avait suivi pendant ses années d'études universitaires.


L'intérêt pour l'antiquité avait été alimenté en Russie, à cette époque, par les fouilles qu'Arthur Evans (photo) menait en Crète: on attendait de ces fouilles l'ouverture d'un monde lointain et mystérieux. Florensky était convaincu qu'un changement d'époque était proche, dans lequel le nouveau ferait remonter à la surface l'ancienne racine de la civilisation européenne. Le philosophe l'identifie au platonisme: un platonisme, remarquez, résolument christianisé, selon les canons de l'école théologique qu'il avait rencontrée à l'Académie de Moscou. En Russie, le platonisme s'était transfusé dans les cultes populaires, dans la lecture magique de la nature à laquelle les paysans étaient attachés.
En un mot, Florensky a initié une revalorisation du "regard de l'homme simple" sur le monde: "Le peuple [...] voit des anges dans l'herbe, dans les fleurs, dans les oiseaux" (p. 16). Une conception collant au panpsychisme néo-platonicien, dans lequel la distinction entre sujet et objet avait disparu. Cette lecture particulière du platonisme, issue de Schelling, dans l'œuvre duquel s'est produit le chevauchement de la philosophie de la nature et de la philosophie de la mythologie, en particulier du schellingianisme de V. I.. Ivanov.

De ces derniers, le philosophe des "portes royales" a hérité de la vision rythmique de l'histoire. Il y manifeste: "une succession constante de jours et de nuits de culture" (p. 18), de phases diurnes et nocturnes de l'histoire, deux fils parallèles entrelacés. Les phases diurnes de l'ère moderne auraient continué et se seraient accordées avec les anciennes phases diurnes, et il en va de même pour les ères nocturnes. Ainsi, les diurnes et les nocturnes "représentent, au-delà de tout ordre chronologique, le moderne et l'ancien dans l'histoire" (p. 18). L'apparition de la philosophie est un phénomène d'un passé au trait diurne: "dans la modernisation du religieux dans lequel elle se reconnaît d'abord, un aspect essentiellement moderne de la culture prend forme" (pp. 18-19). Ce passé de la philosophie est identifié, en vertu des découvertes crétoises, à la vision du monde de la civilisation minoenne et plus tard mycénienne. La Crète est d'ailleurs mise en relation avec le mythe de l'Atlantide, comme le montre un artiste, Léon Bakst, évoqué dans ces pages, qui a représenté la destruction de cette ancienne civilisation dans l'un de ses tableaux. Il s'agit d'une représentation claire de l'élément poséidonique avec la figure féminine souriante au centre de la scène, qui évoque également la terreur antique chez les contemporains.

En quoi consiste cette terreur ? En éprouvant l'angoisse induite par la réalisation "naturaliste" de l'immuabilité du destin des entités de la physis, la mort: "L'implacable exécution du Destin peut tout anéantir; tout est fragile, ombre ténue d'un regard " (p. 20). Malgré cela, Amour-Aphrodite continue de sourire. Au 'Destructive Fate' correspond 'Love-Generation'. Le Zeus-Poséidon crétois n'est autre que le visage céleste de la Terre Mère, le principe masculin "interne", exprimé dans la philosophie milésienne. Cet aspect céleste indique, pour Florensky, la possibilité d'un autre destin possible pour la pensée européenne, nocturne, platonique et médiévale, bien symbolisé par le cheval, le Pégase ailé, capable de surgir soudainement de la dimension tellurique-poséidonique : " La possibilité future de surmonter la modernité [...] est enfermée précisément dans cette image "transcendantalement" poséidonique " (p. 23).
L'écrivain, contrairement à Florensky, pense qu'avec la philosophie classique, une déformation conceptuelle, centrée sur le logos, de la Sagesse a eu lieu. Depuis lors, l'universel s'est substitué à la dimension imaginaire-poséidonique, statique de la réalité. Le moderne est le résultat de la primauté exclusive du rapport, du masculin sur le féminin. Pour une relation sans appréhension avec la physis, la récupération de la potestas du Poséidon diurne est nécessaire.
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dimanche, 03 avril 2022
Asturies, mythologie et identité

Un pays ignoré, un livre inconnu
Asturies, mythologie et identité
Compte rendu du livre de Cristobo de Milio Carrín: La Creación del mundo y otros mitos asturianos.
La création du monde et autres mythes asturiens
par Carlos X. Blanco, Professeur de philosophie (Ciudad Real)
Source: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com/2022/04/un-pays-ignore-un-livre-inconnu.html
Résumé :
Nous proposons une critique de ce livre sur la mythologie asturienne, La Creación del Mundo, y otros Mitos Asturianos, où sont exposés les mythes du folklore asturien recueillis à la lumière de comparaisons avec la mythologie celtique et d'autres domaines. Carrin expose les survivances d'une ancienne religion européenne, répandue dans la zone atlantique, mais occultée par l'obsession espagnole pour tout ce qui tourne autour du latin et de la Méditerranée. Ils fournissent également des indices sur les raisons pour lesquelles les asturiens ignorent largement ces questions cruciales.
We offer a review of this book on Asturian mythology, La Creación del Mundo, y otros Mitos Asturianos where myths are exposed in Asturian folklore collected in the light of comparisons with Celtic mythology and other fields. Carrin exposes the survivals of an ancient European religion, widespread in the Atlantic area, but obscured by the Spanish obsession for all things around Latin and Mediterranean. Also provide clues about why asturianists largely ignore these critical issues
Un excellent livre
Le manque de temps, une substance fugitive, nous impose la restriction de n'écrire des critiques que sur des livres excellents. Si, en plus de l'excellence, nous ajoutons la condition d'être inconnu, inaccessible, peu fréquenté, nous nous trouvons devant ce que l'on peut sans doute qualifier de "trésor" (ayalga est le mot asturien qui vient à l'esprit). La création du monde et autres mythes asturiens, de Cristobo de Milio Carrín, est, sans aucun doute, l'un de ces trésors cachés, peu connus, qui méritent une plus large audience (Carrín, 2008). Un trésor, une ayalga.
Cristobo de Milio a travaillé pendant de longues années de silence et sans aucun soutien officiel ou académique (pour autant que je sache), à la rédaction d'un volume épais mais lisible consacré à la mythologie asturienne. L'édition, réalisée par l'auteur lui-même, est soignée et comporte quelques photographies dans ses pages centrales. La structure du livre en différentes parties, avec un résumé à la fin de chacune d'elles, ainsi que des conclusions et une bibliographie étendue, font de ce travail un objet précieux pour l'étudiant érudit de la mythologie, non seulement asturienne et péninsulaire, mais européenne en général.
Centré sur la mythologie asturienne, le livre de Cristobo est l'une des rares tentatives, je ne sais pas si c'est la première, visant à son interprétation au-delà de la vulgarisation. La mythologie asturienne est une grande inconnue, et ce sont les folkloristes des XIXe et XXe siècles qui ont tenté d'extraire un catalogue d'êtres féeriques des légendes populaires, de la tradition orale du peuple paysan.

Dès l'époque du romantisme du XIXe siècle, le courant de la culture celtique a commencé à se répandre parmi les chercheurs les plus périphériques d'une Espagne qui se reconnaissait officiellement plus latine et méditerranéenne qu'atlantique. Comme on le sait, c'est en Galice que la culture celtique a attiré le plus grand nombre d'adeptes et que la production littéraire et savante celtique est encore assez abondante (Beramendi, 2007).
Celtisme et Covadonguismo.
Nous pouvons maintenant comparer la Galice à une Asturie qui est aveugle à elle-même, à ses propres sources ethnologiques et historiques, une Asturie victime du "Covadonguismo", c'est-à-dire victime d'une idéologie que ses propres élites propagent depuis de nombreuses années : que "les Asturies sont l'Espagne et le reste est une terre conquise", que les Asturies n'ont d'entité et d'importance historique et ethnologique que dans la mesure où elles ont dû être le "berceau" d'une nation espagnole pratiquement éternelle, préexistante dès la préhistoire et, bien sûr, en gestation dans cet étrange acte de Covadonga, au début du VIIIe siècle.
Parmi certains rochers féroces, on prétend que des Asturcantabriens non moins féroces, dirigés par un Goth et avec l'objectif de restaurer une monarchie gothique perdue au profit des Maures - une monarchie plutôt inamicale et éloignée des intérêts et des motivations des farouches montagnards asturiens - ont vaincu la plus grande puissance de l'époque, l'Islam. Ce n'est pas le moment de revenir sur la bataille de Covadonga, elle-même un mythe fondateur, bien que basé sur des événements réels. Mais il est important dans cette revue d'expliquer la raison du blocage du celtisme dans les Asturies et, par la suite, la raison de la méconnaissance du livre de Cristobo Carrín.
Covadonga, le Gesta ou mythe fondateur, est un mythe classique "des débuts", mais des débuts de quoi ? De la nation espagnole uniquement? Ce préjugé, cette idée non critique et neutralisante, l'idée d'une Espagne déjà préexistante au VIIIe siècle, et même renaissante à partir des précédents goths et romains, est ce qui a bloqué l'idée de Covadonga comme acte fondateur, comme "Mythe des commencements" d'une autre peuple, le peuple asturien sensu stricto. Le fait que les Asturiens aient en partie absorbé l'idée qu'"ils sont les Espagnols purs", a bloqué la recherche objective des racines celtiques des Asturiens qui, comme les Cantabres, les Galiciens et d'autres peuples du nord-ouest de la péninsule ibérique, sont partagés dans un continuum difficile à remettre en question du point de vue archéologique, ethnique, folklorique, etc.
Bien sûr, le celtisme du XXIe siècle est très différent de celui qui était défendu dans le passé. Aujourd'hui, il s'agit du sauvetage d'une civilisation, la civilisation celtique, qui était globale et large, et qui existait bien au-delà de la diversité des races et des ethnies que ce monde mental rassemblait. L'élément religieux et culturel est le plus remarquable de tous ceux qui l'ont caractérisé, bien que l'art, les armes, les sépultures et autres témoignages matériels ne fournissent guère de preuves complètes de l'univers mental des Celtes. Dans la péninsule ibérique, et plus encore dans le Nord-Ouest de celle-ci à l'époque préromaine et romaine (étant donné la latinisation superficielle de ces régions, même après l'arrivée des musulmans), nombreux sont ceux qui préfèrent parler de culture "atlantique", comme si le choix d'un terme géographique réduisait les connotations raciales indésirables - pour certains - qui sont généralement attachées au terme celte. Mais peu importe: plus personne n'accepte l'homogénéité raciale des peuples celtiques, et il n'existe pas de critère trop objectif pour indiquer le plus haut degré de "celtisme" d'un peuple.
Au siècle dernier, on a utilisé le critère de la survie linguistique: il n'y a pas de survie des langues celtiques dans la péninsule ibérique, a-t-on dit, comme dans les îles britanniques et en Bretagne, et par conséquent, l'astur, le cantabrique et le galicien seraient en dehors de cet univers mental. Il est aujourd'hui reconnu, au contraire, que le Nord-Ouest de la péninsule - dans son ensemble - était une région importante de la civilisation celtique. Les témoignages linguistiques, archéologiques, ethnologiques, etc. s'accumulent pour former une masse énorme que la romanité académique s'acharne inutilement à ignorer.

Romanomanie
Nous appelons romanomanie (Carrín et Álvarez Peña, 2011) toutes les tentatives académiques, surtout archéologiques, visant à minimiser l'importance des cultures "indigènes" ou "préromaines" du Nord-Ouest de la Péninsule, et surtout des Asturies, mettant plutôt en évidence la mission civilisatrice de l'Empire romain dans une zone dont l'influence - incontestable, par ailleurs - était plutôt pauvre ou discrète par rapport aux autres régions de l'ancienne Hispanie (le Nord-Ouest était une véritable limite de la barbarie, c'est-à-dire de la non-romanité, par rapport aux régions levantines et méridionales de l'Espagne, par exemple). L'agrandissement d'un Gijón/Xixón romain, d'une supposée "Ruta de la Plata", la dissimulation et l'abandon délibéré des importantes fortifications défensives de La Carisa, et un long etc, ont dessiné le paysage d'une Archéologie d'un Gijón/Xixón romain et ont dessiné le paysage d'une archéologie asturienne fortement infiltrée par les débats idéologiques, dans laquelle Rome apparaît - curieusement et pittoresquement - pour certains politiciens et gestionnaires régionaux et municipaux - comme une transcription de l'"Espagne", tandis que les Asturiens, n'étant pas reconnus comme un peuple homogène et suffisamment fort pour constituer un contre-pouvoir résistant à l'Empire, contre toute évidence scientifique, apparaissent désormais comme les fantômes nationalistes ou séparatistes qui menacent le rêve centraliste jacobin d'une Espagne unitaire.
Il est pour le moins curieux que des événements qui se sont déroulés il y a deux mille ans suscitent autant de boursouflures parmi les forces centralistes représentées dans les Asturies (PSOE, PP, VOX, Podemos), et que les Asturiens, bien que par des moyens inconscients et à travers des complexes psychologiques difficiles à expliquer, continuent d'être un peuple inconfortable. Ces Asturiens qui ont résisté à Rome (et plus tard à l'Islam) semblent être l'archétype de ce que les Asturiens continuent d'être au fond d'eux-mêmes : un groupe ethnique qui ne semble colonisé et oublieux de lui-même qu'en apparence. Ceux qui souffrent de cette romanophilie ont tendance à se placer idéologiquement dans la sphère du nationalisme espagnol, un type de nationalisme qui exclut normalement les périphéries et qui s'identifie, de manière raisonnée ou non, à l'idée de l'Empire. L'Empire hispanique (aujourd'hui, simplement, le Royaume d'Espagne) serait le prolongement de cet Empire de Rome.
L'université tourne le dos
Dans les Asturies, l'introduction tendancieuse, voire le veto à l'introduction elle-même, de certaines sciences humaines et sociales (comme l'anthropologie culturelle ou l'ethnologie) à l'Université a dépendu de diverses circonstances curieuses, circonstances qui remontent à la fin de l'ère franquiste. Le rôle joué par des egos trop influents et très valorisés, comme celui de Gustavo Bueno, a empêché jusqu'à présent la création d'études académiques en Anthropologie (ou Ethnologie), qui pourraient mettre en valeur l'énorme patrimoine que le peuple asturien nous a laissé dans son histoire. La culture asturienne a été négligée par l'Université d'Oviedo, une institution absente de tant de réalités fondamentales de la Principauté, et surtout inattentive aux choses du pays où se trouve l'Université. Dernièrement, des manuels ou des ouvrages généraux consacrés à l'étude de la culture ou de l'anthropologie des Asturies sont apparus (par exemple, Adolfo García, 2008), mais dans ce domaine, il me semble que la fertilisation et la culture continuent de dépendre des efforts individuels plutôt que du soutien institutionnel.

Le travail des individus
Si l'on laisse de côté l'inaction des universitaires et des institutions en matière d'ethnologie, il convient de souligner le travail méritoire de certaines personnes qui mettent au jour l'immense patrimoine oral du peuple asturien, sans le moindre préjugé romanomaniaque ou espagnoliste. Je fais référence au collectif Belenos qui, depuis de nombreuses années, publie une excellente revue (Asturies, Memoria Encesa d'un País) et organise des rencontres scientifiques au cours desquelles, malgré le climat hostile qui règne dans les Asturies à l'égard de la culture celtique, il transmet à la société l'image correcte de ce pays : un vieux pays atlantique, fortement lié aux autres peuples du nord-ouest de la péninsule ibérique (Galice, Lleón, Cantabrie), mais avec des liens très anciens et plus étroits qu'on ne le pense avec les autres pays atlantiques.
En face de la Mare Nostrum, la Méditerranée, il y avait jusqu'à l'époque moderne une autre mer, plus au nord, qui devait aussi être un vecteur de communication et de jumelage des peuples. En fait, comme on le disait dans l'Antiquité, les Asturies étaient bordées au nord, avec la mer entre les deux, par les îles britanniques et les côtes d'Aquitaine et de Bretagne. Avant l'obsession de l'asphalte des autoroutes et la manie de l'AVE [train à grande vitesse], qui afflige tant d'Asturiens aujourd'hui, la mer était un moyen de communication culturelle plus rapide et plus efficace, bien plus que ces chemins de chèvres qui, presque jusqu'à aujourd'hui, faisaient communiquer la Principauté avec le plateau, c'est-à-dire avec l'Espagne. Ces routes, d'ailleurs, étaient fermées aux calèches pendant les chutes de neige de l'hiver. Les Asturies ont été liées pendant des milliers d'années à ces autres régions et pays d'Europe.
Alberto Álvarez Peña est membre de Belenos et auteur prolifique de livres sur la mythologie asturienne (Álvarez Peña, 2001). Nombre de ses textes peuvent être lus dans la maison d'édition Picu Urriellu, des livres dans lesquels apparaissent de magnifiques dessins du chercheur et diffuseur du folklore asturien lui-même. Contrairement à ses prédécesseurs, comme Aureliano del Llano ou Constantino Cabal, l'œuvre d'Alberto A. Peña n'est pas contaminée par des préjugés espagnolistes, castillanisants.
Il est bien connu que les précédents chercheurs en folklore asturien avaient tendance à considérer la culture asturienne comme un sous-système de la supposée culture espagnole, parallèlement à leur conception de la langue: ils avaient tendance à considérer l'asturien (dont les informateurs s'exprimaient toujours dans certaines de ses variantes) comme un sous-système de l'espagnol ou du castillan. Le celtisme plus ou moins diffus, mais jamais aussi explicite que celui de la Galice, me semble avoir été subordonné à la théorie de l'"héritage commun" des Hispaniques, sans parler des liens atlantistes avec la Bretagne, l'Irlande, l'Écosse, le Pays de Galles... Alberto Peña rompt avec cette tendance, il fait aussi du travail de terrain, c'est-à-dire qu'il profite des derniers informateurs qui restent dans le pays, un pays tellement détruit par un industrialisme que les Asturiens n'ont ni recherché ni désiré, mais qui leur a été imposé de l'extérieur, transformant les Asturies en une colonie minière et sidérurgique. Cette colonie industrielle - et en cours de concentration urbaine - a tué la campagne asturienne et avec elle le véritable être du pays, c'est-à-dire ses traditions, son droit, sa langue, sa musique. Avant que ne survienne la catastrophe où 90% des Asturiens (encore des Asturiens ?) vivent dans le triangle Xixón-Uviéu-Avilés, il existe encore des dépositaires vivants de la tradition. Mais pour cela, il faut chausser ses bottes, marcher le long des sentiers (caleyes), explorer les villages et les vallées, parler aux habitants. Parler et écouter les habitants d'un pays beaucoup plus grand qu'il n'y paraît sur les cartes, cartes sur lesquelles les Asturies sont généralement dessinées comme une petite province coupée au nord-ouest de l'Espagne, dans une Espagne qui semble grande en comparaison. Si par Asturies anthropologiques et linguistiques nous entendons un Pays Asturien (selon la proposition de l'universitaire X.Ll. García Arias) qui déborde les limites administratives de l'actuelle Principauté et inclut León, entre autres, le pays asturien prend d'autres dimensions. De manière plus générale, si nous plaçons le point central dans le golfe de Gascogne et non dans le golfe de León : alors les Asturies peuvent être comparées à la Bretagne, au Pays de Galles, à l'Irlande et à d'autres nations, pour la plupart sans État, mais sans aucun doute des nations culturelles.

La méthodologie
Le livre que nous analysons ici se situe dans un univers mental très proche de celui du groupe Belenos et de l'ethnographe Alberto A. Peña. Il n'y a pas beaucoup de matériel direct collecté de première main, "travail de terrain", bien qu'il ne manque pas de notes recueillies personnellement par l'auteur ou par d'autres informateurs directs. Non, en effet, il ne s'agit pas d'un ouvrage empirique, mais plutôt d'un livre de mythologie comparée au sens le plus classique du terme. Comme Cristobo Carrín le dit lui-même dès le début, le guide pour établir les comparaisons se veut être le plus simple "bon sens". Il semble que ce soit la volonté de l'auteur de ne pas s'égarer dans d'autres voies épistémologiques ou métathéoriques. Il y a le matériel recueilli par les ethnologues du monde entier, y compris ici une mention spéciale du matériel écrit déjà classique de la mythologie mondiale (du Mabinogion à l'Iliade). Avec ce matériel en main, Cristobo procède à de nombreuses triangulations : par exemple, les légendes irlandaises, grecques et asturiennes. La liste des éléments communs montre déjà la grande similitude des personnages et des récits asturiens avec ceux de la mythologie occidentale, notamment atlantique. Et de cette liste de similitudes, de clichés presque identiques, émergent aussi les différences notables développées sur la même structure commune: plus ou moins grande christianisation de la légende, plus ou moins grande évergétisation des personnages divins, plus ou moins grande dégradation sociale des personnages, etc.
Cette simplicité méthodologique peut agacer le corps académique, très enclin à suivre les modes étrangères et les disquisitions épistémologiques de plus en plus éloignées d'un matériel empirique souvent éloquent. Cela explique en partie pourquoi ce livre est tombé dans l'oubli. Pour moi, en particulier, cela semble être l'une de ses grandes vertus. On a l'impression que l'auteur a assemblé son hypothèse comme s'il rassemblait les pièces les plus diverses d'un puzzle, des pièces qui, au cours de l'histoire, étaient devenues des unités sans lien entre elles, des monades dépourvues de sens en elles-mêmes, des fossiles d'époques absurdes qui n'avaient rien à voir avec autre chose que la répétition même de phrases, d'histoires et de rites. Une répétition qui se justifierait d'elle-même. Mais en assemblant le puzzle, la situation change.
Par exemple, si dans un village asturien on répète sans cesse "cuando llueve y fai sol, anden les vieyes alredor" [quand il pleut et qu'il fait soleil, les vieilles femmes se promènent], il faut se demander qui sont ces "vieyes" -vieilles, en asturien ? Ce ne sont pas simplement les vieilles femmes de l'endroit, et d'ailleurs, quelle relation les grands-mères ont-elles avec les phénomènes atmosphériques ? De plus, dans les Asturies, l'arc-en-ciel (qui a tendance à apparaître précisément les jours où il pleut et où le soleil brille) s'appelle "Arcu la Vieya". Qui ou quoi est ce "vieya" ?
La simplicité de la méthode de comparaison permet de découvrir des indices et encore des indices. Comme dans d'autres pays européens et atlantiques, la Vieya est une manière anthropomorphique de désigner une divinité féminine qui contrôle les phénomènes atmosphériques, une femme d'un âge avancé peut-être pour mettre en valeur son caractère immortel, vénérable, "plus vieille que le monde", une Terre-Mère dont tout et tous, au fond, proviennent. Cette Vieya apparaît souvent en triade, accompagnée de deux autres divinités plus jeunes et plus belles. L'apparition de la Vieya ou de la Triade brandissant un fuseau, thème récurrent dans la mythologie et le folklore européens et asturiens, nous rappelle l'iconographie des Parques de la mythologie classique, ces terribles fileuses entre les mains desquelles repose le destin qui, littéralement, "ne tient qu'à un fil".

Fuyant le diffusionnisme romanophile
En revanche, le Cristobo de Milio Carrín est très austère en matière de spéculation sur l'origine et le sens profond de tous ces mythes. Les thèses générales du livre sont également très proches du bon sens, et devraient être plus largement diffusées auprès du public. Dans les Asturies, toute allusion à la celtisation des Asturiens et des Cantabres est déjà l'objet de la colère irrationnelle des "romanomanes". Tout comme il serait absurde de nier notre héritage latin (dans la langue asturienne, dans la religion chrétienne, dans les vestiges archéologiques, etc.), bien que beaucoup moins important que celui d'autres territoires de la Péninsule, notre héritage celtique ou atlantique est tout aussi indéniable. À partir du moment où le panthéon celtique est clairement et purement dérivé du panthéon indo-européen commun, de nombreuses similitudes entre la religion de l'Europe ancienne (et donc asturienne) et la religion grecque et romaine sont évidentes, et grâce à cet argument, l'argument (très souvent utilisé par G. Bueno et son école) a été avancé dans les Asturies, ad nauseam, comme un moyen de diffusionnisme diffusionniste. Bueno et son école) selon laquelle tout, absolument tout élément culturel ancien des Asturies, notamment préchrétien ou asturien, est d'origine gréco-romaine et méditerranéenne. Les résidus atlantiques ou celtes ne seraient que pure et simple sauvagerie. On a même dit que les castros étaient romains, que les cornemuses avaient été apportées par les légions, que le diañu ou busgosu [gobelins et lutins spécifiques au peuple asturien] moqueur était le satyre des classiques latins, etc. Les obsédés de la Méditerranée refusent toute civilité à l'Atlantique (ou au Cantabrique dans notre cas) et, maniant les homologies culturelles qui sont dues à un passé indo-européen commun issu de la lointaine préhistoire, ils penchent - au contraire - vers un diffusionnisme irrationnel. Ces jours lointains où l'on défendait la maxime ex oriente lux sont encore valables aux Asturies en raison de l'influence excessive que subit le pays de la part d'une petite clique d'universitaires et de journalistes plongés dans une sorte de complexe provincialiste. Les Asturies sont pro-vincia ("vaincus", au sens étymologique) de l'Espagne, dans leurs schémas idéologiques, de la même manière que le territoire des Asturiens (qui ne coïncide pas avec l'actuelle Principauté, comme on le sait) l'était aussi après la conquête romaine. Curieusement, à Gijón/Xixón, il y a un monument masochiste au Conquérant Auguste, la cause de tant de morts et d'esclavages, comme il sied à tout impérialiste.
Le fameux "syndrome de Stockholm", en vertu duquel les kidnappés, les victimes, en viennent à s'identifier moralement et affectivement à leurs ravisseurs ou bourreaux, est bien connu. Des processus similaires se produisent dans l'histoire des peuples. La "nomenclature" d'Oviedo, bien installée dans la bourgeoisie et la bureaucratie, fait la sourde oreille à toute histoire ou recherche qui défend le caractère national, ou même la spécificité régionale de sa "province", bien qu'elle soit devenue un Royaume médiéval, une Principauté quasi-indépendante à l'époque moderne, bien qu'elle ait sa propre langue et des caractéristiques claires. Cette nomenclature - largement représentée dans une université comme celle d'Oviedo, qui a toujours tourné le dos au pays - est sourde à toutes les preuves qui restent inexploitées intellectuellement.

Asturianisme, en Babia [en Espagne, "estar en Babia" signifie ne pas avoir conscience d'un problème urgent.]
Il est évident que la nomenclature romanomaniaque pro-méditerranéenne est devenue très forte dans la presse et dans l'enseignement depuis l'époque du franquisme, époque longue et centraliste, époque du nationalisme espagnol intransigeant qui a coupé les discrètes avancées régionalistes de l'époque précédente, initiées par l'indispensable Jovellanos. Mais, dialectiquement, il faut aussi tenir compte de l'absence d'une classe intellectuelle asturianiste solidement établie, aimée et reconnue par la société à laquelle elle appartient. Il y a, en effet, quelques personnes qui, à part Cristobo Carrín, comprennent les Asturies en termes de nationalité. Il convient de répéter la mention, dans le même domaine, d'Alberto A. Peña, et dans le domaine des essais, plus en termes de philoso-identité que d'ethnologie, de Xuan Xosé Sánchez-Vicente, Xaviel Vilareyo et, dans sa brève période d'asturianisme, José Carlos Loredo Narciandi.
L'intérêt de ces quelques auteurs pour les Asturies en tant que "fait national" réside également dans le fait qu'ils ont utilisé la langue asturienne comme vecteur de réflexion sur ce qu'est l'Asturie, sur la place qu'elle doit occuper en Espagne, en Europe et dans le monde et, bien sûr, sur les caractéristiques ethnologiques qui différencient la culture asturienne des autres cultures environnantes. Les essais de ces écrivains, généralement isolés et incompris dans leur propre environnement provincialiste et "acculturé", sont comme des oasis dans un désert. Ils sont comme des oasis dans un désert, un désert où prédomine l'ignorance par la population de sa propre langue, de sa culture, de ses traditions et de son histoire. Il est évident que la liste des écrivains en langue asturienne dans des genres tels que la poésie, les romans, les nouvelles, etc. est beaucoup plus longue, mais je n'ai pu voir l'analyse profonde et calme de la nationalité asturienne que chez ces trois personnes mentionnées, qui ont également écrit en langue asturienne.
Le plus grand problème du nationalisme et du régionalisme asturien ne réside peut-être pas, curieusement, dans cette "nomenclature" qui refuse de reconnaître la nationalité des Asturies, son caractère, sa langue, sa tradition, sa propre histoire politique... Le plus grand problème du nationalisme ou du régionalisme asturien réside dans les asturianistes et les nationalistes eux-mêmes, et nous allons voir brièvement pourquoi.
La "nomenklatura" nationaliste espagnole est en effet forte à gauche et à droite du spectre idéologique, et bénéficie de tribunes importantes telles que le professorat et la presse. Elle a également réussi pendant des décennies (et même des siècles) à instiller une sorte de "haine de soi" (selon les termes de Sánchez-Vicente) dans la masse du peuple qui, conscient de sa spécificité, a néanmoins été mentalement associé à une condition d'infériorité ou de subalternité vis-à-vis d'une culture officielle et unitaire, la culture espagnole. Mais le plus grand obstacle à cette situation, qui a été renversée (au moins en politique et en éducation, ce qui revient au même) en Euskadi, en Catalogne et, plus près de nous, en Galice, réside dans la myopie et l'aveuglement des quelques personnes qui se prétendent asturianistes (qu'elles soient nationalistes ou régionalistes, une distinction politique qui n'est pas pertinente ici). Parce que, pour en revenir au livre de Cristobo Carrín, ce même texte peut servir de symptôme: quelle a été la réaction de l'asturianisme face à un effort personnel de recherche et d'autoédition, consacré à retracer les racines religieuses de nos aînés ? J'ose dire aucun. Les écrivains en asturien, en général, ou les dirigeants (un mot trop grand pour eux) de minuscules partis qui revendiquent pompeusement la réalité nationale du pays des Asturies, sont peut-être des gens très méritants dans d'autres domaines, mais ils ne savent presque rien des Asturiens, de leurs mythes, de la survivance des rites et des mythes ancestraux encore vivants dans le folklore, et très peu de l'histoire du pays avant la Révolution de 1934. J'ai vu des livres et des articles en langue asturienne sur l'Afrique du Sud, Gaza, l'"Euskalherria", par exemple. Mais peu sur l'asturien. Les préoccupations "internationalistes" remplissent les pages web de ces petits médias qui tentent de sortir de la sphère unitariste de l'espagnolisme. Mais La Creación del Mundo y Otros Mitos Asturianos est écrit en espagnol et ce simple fait aliène déjà les lecteurs potentiels intéressés par les Asturies en tant que peuple ancestral. Des lecteurs qui, s'ils croient vraiment en une nationalité asturienne, devraient accorder l'importance qu'elle mérite à la mythologie et aux traditions du peuple pour lequel ils revendiquent des droits collectifs.

La bataille culturelle, qui est celle qui nous intéresse le plus ici, est perdue d'avance de la part de la minorité asturianiste, si ce secteur n'est pas en mesure d'étudier les racines d'une culture européenne comme l'Astur en elle-même, sans imposer les conditions de subalternité que les folkloristes précédents (le groupe "La Quintana", A. del Llano, C. Cabal) ont établies pour cette étude. Le nationalisme culturel est la seule condition de possibilité qui permette un nouvel épanouissement du nationalisme politique. L'accent excessif mis sur les revendications linguistiques a conduit de nombreux intellectuels et écrivains qui veulent ou ont voulu échapper à l'uniformisme espagnol dans les Asturies à tomber dans des attitudes réductionnistes, bien connues dans la Principauté sous le nom de "talibanismo" [fanatisme, comme le fanatisme religieux des musulmans d'Afghanistan]. Un phénomène caractérisé par l'intransigeance à l'égard des positions non-conformistes, l'obsession du langage et l'oubli de l'histoire, le jargon pseudo-révolutionnaire, etc.
Une œuvre comme celle-ci, qui fournit des indices - le temps nous dira s'ils sont erronés - sur le passé celtique ou, en général, indo-européen des Asturiens, est largement ignorée par le simple fait que le véhicule linguistique dans lequel elle a été écrite, le castillan. Une langue que, inutile de le dire, cent pour cent des Asturiens maîtrisent et comprennent mieux ou moins bien. Dans son important article sur le nationalisme et l'identité dans les Asturies, José Carlos Loredo (Loredo, 2009) met en évidence de nombreuses pathologies du soi-disant asturianisme, pathologies qui, si elles ne sont pas corrigées, conduiront à l'échec encore et encore. Car je crois, comme lui, qu'aussi justes que soient les revendications linguistiques et nationales, les méthodes et formes sectaires dans lesquelles elles sont parfois véhiculées parviennent à dénaturer complètement le problème. Si les Asturies sont une entité culturelle sur un pied d'égalité avec d'autres entités culturelles nationales : bretonne, galloise, basque ou galicienne, par exemple.
Dans son prologue, l'auteur de La Creación del Mundo fournit lui-même une série de clés qui permettent de répondre à cette énorme contradiction dans laquelle se trouvent les chercheurs et les défenseurs d'une culture nationale asturienne. D'une part, la grande masse de la société asturienne considère avec danger et suspicion toute recherche qui parle, non pas de nationalité, mais de la spécificité de l'asturianité. Comme le dit Cristobo, on reçoit même des épithètes peu amènes comme "plouc" ou "séparatiste" pour avoir agi ainsi. Nous avons déjà mentionné que la "nomenclature" au service d'un nationalisme espagnol intransigeant est très bien représentée à l'université, dans l'enseignement secondaire, dans le journalisme, dans l'élite politico-syndicale, etc. Et c'est le cas, plus ou moins, depuis des siècles. Mais la marginalisation de la langue asturienne, dénoncée devant les tribunaux d'État et les instances européennes compétentes, n'a pas suscité une réaction populaire suffisamment forte depuis les années 70 du siècle dernier, date de la fondation de Conceyu Bable. Il se passe quelque chose. Le fait suivant fait peut-être partie du problème: la revendication linguistique de l'asturien ne s'est pas accompagnée d'une réinterprétation profonde des traditions ancestrales, du système de mythes, de l'organisation paysanne naturelle, du droit traditionnel, etc. Tout cela est inconnu d'une minorité de "talibans" qui prennent des modèles étrangers (et malheureux) tels que basque, irlandais ou cubain pour leurs revendications au lieu de trouver un miroir dans lequel ils peuvent simplement se voir comme asturiens.
Des miroirs pour voir et déformer
Tout cet écheveau linguistique est analogue à l'écheveau ethnologique que l'auteur démêle pour nous. Il faut savoir qu'il existe des miroirs déformants qu'il est préférable de ne pas posséder. J'ai déjà mentionné le miroir déformant du "basquisme", et ses concomitants (minoritaires, heureusement) en termes de radicalisme verbal, de mauvaises manières, de séparatisme ridicule et déconnecté de la masse sociale qui, à la lumière de toutes les enquêtes sérieuses, s'identifie plus à l'asturien qu'à l'espagnol, mais sans établir une disjonction exclusive avec l'espagnol... Un autre miroir déformant serait aussi le celtisme s'il était lié (comme il l'a été en Galice dans le passé) à des attitudes racistes ou, au moins, racisantes. Mais il n'y a rien de tel dans des ouvrages tels que celui qui fait l'objet de la présente analyse, ou dans le groupe de recherche de Belenos. Au contraire, M. Carrín insiste sur le caractère universel de nombreux mythes bien attestés dans les Asturies, ainsi que sur l'indéniable continuum avec León et d'autres régions du nord et du plateau qui, ne l'oublions pas, étaient également des territoires asturiens, un territoire qui, à mon avis, était tout à fait celtique (la grande civilisation celtique était plurielle et consistait en une succession de couches ou de degrés de celtisation) et, en revanche, peu romanisé. Le miroir déformant du celtisme, contrairement au prisme grossier du basque, peut remplir d'importantes fonctions correctives. Je m'explique : dans la mesure où la vie de cette culture, qui était bien sûr la perdante de Rome, ne nous est pas directement accessible, il ne nous reste plus qu'à corriger tous les filtres longs, puissants et terriblement efficaces qui ont été accumulés sur un matériau primordial. La méthode qui nous reste pourrait être comparée à celles-ci : une "purification" d'une substance au sens chimique, un examen archéologique des couches les plus profondes, sans se laisser tromper par les plus superficielles ou les plus récentes, une suppression des ajouts modernes pour redonner à un bâtiment ancien sa splendeur d'antan, etc. Toutes ces analogies nous aident à comprendre l'engagement de Carrín.

Il convient donc de se poser la question : des miroirs déformants ? Oui, certains nous conduisent à la perdition et à l'erreur. D'autres, en revanche, contrebalancent la distorsion de leurs rivaux plus forts et plus efficaces. Il ne fait aucun doute que l'action du miroir "castillan-centrique" a presque succombé aux traits culturels de la nationalité asturienne, mais, d'autre part, le miroir celtique - étant nécessairement une déformation, puisque la civilisation des perdants de Rome est largement inconnue - sert à contrecarrer les tendances centralisatrices, obsédées par la Méditerranée et l'empreinte latine de toute histoire possible.
Il existe un autre miroir et filtre de la déformation (et l'histoire, dans une large mesure, n'est que cela, la déformation) que nous devons commenter. Je fais référence au christianisme. Il est fascinant de lire dans le livre de Cristobo de Milio Carrín comment la vie des saints (hagiographie) aux racines populaires, et l'emplacement des sanctuaires (marial, surtout, notamment celui de Covadonga) peuvent être compris à la lumière de l'ancienne religion celtique et, plus généralement, indo-européenne. Le revêtement chrétien n'était pas toujours un placage léger, mais il s'agissait en tout cas d'un renouvellement de l'ancien rituel et de l'ancienne mythologie. La dévotion populaire des Asturiens trouve ses racines dans des dates bien antérieures à la naissance du Christ et à l'expansion de son Église. C'est une chose que comprend tout Asturien qui n'est pas déconnecté de son pays et de son essence rurale, et qui est également perçue par tout visiteur étranger mais observateur.
Mon compte-rendu se conclut simplement en recommandant la lecture du livre. Si elle doit être critiquée depuis les domaines spécialisés de l'ethnologie, de la mythologie comparée, du folklore, etc. Mais elle ne mérite en aucun cas d'être ignorée.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
(Álvarez Peña, 2001) : Mitología Asturiana. Picu Urriellu, Xixón.
(Beramendi, 2007) : De Provincia a Nación. Xerais, Santiago.
(Carrín, 2008) : La Creación del Mundo y otros Mitos Asturianos, édition d'auteur, Uviéu.
(Carrín et Álvarez Peña, 2011) : "Romanómanos : delirios imperiales en el Xixón de hoy". Atlántica XXII, pps. 21-22.
(García, 2008) : Antropología de Asturias. I : La cultura tradicional, patrimonio de futuro. KRK, Uviéu.
(Loredo, 2009) : "Apuntes sobre nacionalismo, identidad y Asturias", Nómadas, nº 24, 149-157 : http://www.ucm.es/info/nomadas/24/jcloredo.pdf.
13:09 Publié dans Terres d'Europe, Terroirs et racines | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : asturies, espagne, terres d'europe, celtisme, romanomanie, mythologie asturienne, mythologie, traditions, terroirs, racines |
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mercredi, 30 mars 2022
Héros de l'ère anti-héroïque

Héros de l'ère anti-héroïque
par Rita Remagnino
(2020)
Source: https://legio-victrix.blogspot.com/2022/03/rita-remagnino-herois-da-era-anti.html
Platon précise dans le Cratyle que herōs dérive de érōs car les héros "naissent soit d'un dieu amoureux d'une mortelle, soit d'un mortel amoureux d'une déesse". Il s'ensuit que le héros de l'Antiquité classique était un hybride dont la naissance était idéalement située à l'époque lointaine où il existait une attraction mutuelle entre les lignées divine et humaine.
C'est précisément cette nature hybride qui a donné à ce type d'individu deux visages, l'un sombre et l'autre lumineux. D'une part, il y avait un guerrier extraordinaire qui semblait percevoir dans son cœur la tradition solaire de la matrice indo-européenne comme un héritage dont il était le porteur conscient, d'autre part, un individu immature qui montrait qu'il ne savait pas comment s'y prendre, ou du moins qu'il ne le savait pas assez bien.
Cependant, le héros de l'âge du bronze tardif est toujours resté fidèle à lui-même. Même lorsqu'il a été rattrapé par le destin, qu'il a été vaincu au combat ou qu'il était sur le point de perdre la vie, il a fait preuve d'une foi inébranlable dans son projet. Il est resté sans peur, adhérant à une sorte d'autosuffisance morale et spirituelle fondée sur la détermination de celui qui ne connaît aucune contrainte, même lorsque la douleur l'emportait.
S'il voulait pleurer, le héros pleurait ; s'il voulait rire, le héros riait. Des attitudes qui seraient inconcevables dans le monde d'aujourd'hui, où la substance ne compte plus pour rien car tout est basé sur l'apparence. Mais à cette époque, la mystification publique, le label, la façade de papier mâché érigée pour cacher les misères, n'étaient pas encore nés.
Les ambiguïtés n'empêchaient pas le héros d'être un mythe, une merveille, une star adulée par le peuple comme on peut adorer une rock star aujourd'hui. Une icône permanente de jeunesse et de beauté. Si le guerrier solaire Indra a pu saisir la vérité en vieillissant, une fois son ego encombrant mis de côté, le guerrier de bronze Achille n'a pas eu le temps de le faire, car une mort prématurée l'a emporté avant toute transformation.

Comparé au héros solaire, celui de l'âge du bronze semblait plus déséquilibré du côté de l'humanité. Ce ne sont pas les épées ou les flèches qui agitent son sommeil, c'est même dans le fer que réside toute sa fortune. Ni la mort, qu'il a accueillie au combat comme si elle était la bienvenue, une amie toujours à célébrer. Si, toutefois, sa force physique diminuait, ou si une blessure provoquait un handicap permanent, alors il déraperait comme un enfant qui apprend à faire du vélo.
Mais le peuple ne s'attendait pas à ce que ses idoles soient des champions de la stabilité. Ou qu'ils s'intéressent à des questions très élevées, telles que celles concernant l'Esprit, un Être immatériel considéré à l'âge du bronze comme largement surpassé par la poursuite de la puissance physique, l'expression la plus élevée de la virilité et la source de la gloire éternelle.
Une grandeur qui ne concernait pas seulement ceux qui l'incarnaient, mais l'ensemble de la communauté. C'est précisément l'"effet d'attraction" exercé par ces jeunes hommes prêts à tout pour permettre à la race humaine de se projeter dans une dimension "supérieure", dans une vie plus grande, dans une histoire fondatrice sans laquelle personne n'aurait jamais pu naître, grandir et se développer.
Le récit grec attribue à la déesse géniale, Athéna, l'idée de mettre fin à l'ère des héros par une grande sortie. Après l'enterrement d'Ulysse sur l'île d'Eea, la déesse a fait en sorte que Pénélope s'unisse à Télégon et que Circé épouse Télémaque. L'Histoire de l'âge du bronze a officiellement déplacé le centre de gravité de la Grèce vers l'Italie, entrant dans une dimension de familisme privé plutôt que collectif : de Circé et Télémaque est né Latinus, de Pénélope et Télégon est né Italus. La société humaine a changé de cap, suivant la voie du personnalisme.
Aujourd'hui, le mot "héros" a une saveur ancienne. Pour mener les guerres mécaniques de la vie quotidienne, il n'est pas nécessaire d'écraser son adversaire de la tête aux pieds dans l'espoir de ne pas être traité de la même manière si l'autre personne s'avère plus forte.

En raison de l'égalitarisme de masse qui a vidé de son sens le concept de "communauté", la société actuelle est confrontée à une génération d'individus éloignés, enfants d'une mère névrosée ou frustrée et d'un père inexistant ou peu viril, à qui tout est dû. Petit-fils biologique de 1968, le nouveau modèle d'homme, excessivement anxieux et potentiellement agressif, exige tout immédiatement et trouve toute interdiction intolérable. Échoué aux examens? Les enseignants sont à blâmer. Sa petite amie l'a quitté? Elle n'était pas assez bien pour lui. Ils l'ont licencié pour mauvais résultats? Des exploiteurs ignorants qui n'ont pas compris son talent. Il a renversé une vieille dame sur le passage clouté? À cet âge, on ne sort pas tout seul.
L'individualiste de masse est une personne née innocente, bien consciente de ses droits et toujours prête à poursuivre son voisin, à dénoncer quiconque ose émettre le moindre soupçon sur la justesse de ses actions, ou ses merveilleuses qualités d'homme/femme et de citoyen. Et si une pandémie mondiale se déclare, faisant des victimes surtout dans la tranche d'âge supérieure, tant pis pour ceux qui meurent ; lui et ses pairs ne peuvent pas sacrifier l'essentiel comme les snacks et les pizzas en compagnie (de leur smartphone, en fait) pour le bien-être de leurs grands-parents.
En affichant chaque jour son visage sur un réseau social, M. Nobody se croit spécial, mais il n'est qu'un hédoniste pathologique qui veut voir reconnus des mérites inexistants et de vagues ambitions. La façon dont il a été possible de rendre une humanité convaincue d'être toujours en crédit avec le monde a été écrite livre après livre. Tout revient cependant à l'angoisse existentielle liée à la peur de la mort et au désir humain connexe de se réaliser dans "l'ici et maintenant".
Tant que la mort était considérée comme la "transition naturelle" vers un niveau d'existence purement spirituel, plutôt que la "fin" de tout, les angoisses restaient sous contrôle. Les âmes des défunts sont entrées dans le royaume de l'Esprit, la réalité non ordinaire, un lieu de transformation et d'évolution rapide, pour poursuivre leur voyage ailleurs. Mais le renforcement de l'ego a dangereusement aliéné l'homme de son côté spirituel, transformant la mort, une expérience inévitable de la vie, en un "problème" à résoudre. Comme si c'était possible.
Il y a un peu moins d'un siècle, le penseur Julius Evola prédisait la naissance d'un nouvel "Âge héroïque" qui, brisant la parabole descendante de l'humanité, produirait une coupure dans l'Histoire capable de retrouver la "luminosité de l'Origine" et de rouvrir la voie à un cycle sans précédent. Pour l'instant, il n'y a pas de grands héros à l'horizon, mais de nombreux petits héros agissent anonymement dans un monde en constante mobilisation.

Une déségrégation énorme et sanglante de la Terre est en cours, des virus inconnus s'attaquent à la vie des gens et rappellent à l'homme sa fragilité, les paysages sont en constante transformation et perturbation, les provisoires informatifs de la modernité sont hors de contrôle, les procédures scientifiques et les appareils techno-bureaucratiques agissent dans une froideur générale déconcertante. Il faut une bonne dose d'héroïsme, avouons-le, pour vivre dans une période aussi désastreuse. Et en effet, chacun à sa petite manière est un "vrai" héros, un "héros de la résistance".
Il est certain que la postérité, étudiant notre histoire dans des milliers d'années, ne trouvera aucun Hercule ou Lug Lámfada à se remémorer, et toute trace des influenceurs si populaires aujourd'hui aura été perdue. L'homme ne vaut que par les empreintes qu'il laisse derrière lui, et nous n'aurons pas laissé grand-chose derrière nous. La majeure partie de l'histoire est déjà derrière nous, nous sommes à la fin d'un cycle et la quantité d'événements est trop importante pour que quiconque puisse accomplir quoi que ce soit de significatif.
Cependant, notre immense désespoir fait de nous une puissance dans le sens où nous formons une masse d'un impact sans précédent. Nous sommes désespérément forts, et c'est précisément en utilisant cette énergie que les prochaines générations réapprendront à vivre en tant qu'êtres humains, en adhérant à de nouveaux idéaux et en rejetant les exigences mécanistes imposées par une Technologie de plus en plus envahissante. Le monde futur sera quelque chose de complètement différent des époques précédentes, quelque chose que nous ne pouvons pas imaginer dans le présent, quelque chose qui peut être fait, mais qui n'a pas encore été fait.
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mardi, 11 janvier 2022
Les religions des Celtes et des peuples balto-slaves: une étude classique de Vittore Pisani

Les religions des Celtes et des peuples balto-slaves: une étude classique de Vittore Pisani
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/le-religioni-dei-celti-e-dei-popoli-balto-slavi-uno-studio-classico-di-vittore-pisani-giovanni-sessa/
Vittore Pisani, éminent chercheur décédé en 1990, a apporté du prestige à la tradition des études philologiques et historico-religieuses. Il enseignait aux universités de Florence et de Cagliari et, plus tard, à l'université de Milan, qui avait déjà intégré l'Académie royale scientifique et littéraire, où Graziadio Isaia Ascoli de Gorizia avait auparavant enseigné. L'illustre savant de la région d'Isonzo a eu le mérite de libérer la glottologie des contraintes méthodologiques qui la rattachaient jusqu'alors à l'histoire comparée des langues. Pisani a travaillé sur la base de l'intuition d'Ascoli. C'est ce que rappelle Maurizio Pasquero dans l'introduction d'un important ouvrage du philologue, Le religioni dei Celti e dei Balto-Slavi nell'Europa preeristiana. Le volume vient d'être publié par Iduna editrice (pour les commandes : associazione.iduna@gmail.com, pp. 101, euro 12.00).

La première édition du livre était sortie en 1950. Il s'agissait d'une réélaboration d'une série d'écrits que l'auteur avait publiés dans la prestigieuse Storia delle religioni, éditée par UTET et dirigée par Pietro Tacchi Venturi, connu comme le "jésuite de Mussolini". Le texte a la rigueur d'une étude académique mais est en même temps capable d'impliquer le lecteur non-spécialiste.
Le trait qui se dégage immédiatement des œuvres de Pisani est la dimension fabulatrice et impliquante de la prose. Le volume en question s'ouvre sur une discussion de la religion des Celtes. L'auteur part de la présentation de l'état "fluide" dans lequel se trouvait l'Europe primitive, suspendue entre les cultes chthoniques-féminins des religions indo-méditerranéennes et la nouvelle vision dont les envahisseurs eurasiens étaient porteurs. Ces derniers avaient une vision patrilinéaire et, par conséquent, leur monde était "socialement stratifié, élevant [...] des figures majoritairement masculines dans leur panthéon céleste" (p. IV). Dans l'exégèse des cultes des peuples étudiés, un mélange des deux cultures émerge. Du point de vue de la méthode, il faut tenir compte du fait que les informations dont nous disposons sur la période la plus archaïque des religions des Celtes et des Balto-Slaves sont limitées et, dans les périodes ultérieures, viciées par les interprétations romaines et chrétiennes.
Au centre de la religion celte se trouvait la caste sacerdotale des druides, qui transmettait oralement le savoir sacré. Le Keltiké des origines avait l'apparence d'"une religion homogène, polythéiste, fortement liée aux manifestations de la nature" (p. V) mais, au fil du temps, elle a subi une transformation. Les druides exerçaient à la fois des fonctions sacerdotales, thaumaturgiques et magiques et, selon la leçon de Lucian : " ils transmettaient la doctrine de la transmigration des âmes. Mais cela [...] n'excluait pas la croyance en un "autre monde"" (pp. V-VI). Les druides officiaient lors du rituel, car ils étaient les intermédiaires de la divinité suprême, que César identifiait au Dis pater. Parfois, ils présidaient à des sacrifices humains. Ces pratiques sont stigmatisées négativement par les commentateurs gréco-latins. En réalité, la pratique de "la décapitation des ennemis n'était pas un acte de cruauté gratuite, les Celtes honoraient un vaillant adversaire et, pour célébrer sa mémoire, conservaient et exposaient sa tête" (p. VI). La triade divine suprême était représentée par Taranis, " la foudre ", Teutates, le " dieu des armées ", Esus, le dieu " sanglier ", suivis de divinités mineures comme Ogma, le dieu " éloquence ", et Cernunnus, le dieu " cerf ", en référence au Paśupati védique, Seigneur des animaux. Il y avait aussi des dieux féminins et une foule de nymphes, qui étaient honorés dans des sanctuaires naturels en plein air.


La religion des Slaves, selon Pisani, était un système hénothéiste caractérisé par un arrangement dans lequel excellait Perun, le dieu suprême, auquel le chêne était consacré. Il était souvent représenté sous la forme du feu, prenant également le nom de "dieu de la chaleur de l'été". Il y avait aussi des dieux anthropomorphes et d'autres avec plus d'un buste ou plusieurs bras, des caractéristiques qui indiquent de possibles influences orientales. Chez les Slaves, la déification des phénomènes naturels était très répandue : le feu, les sources, les forêts, les arbres, où l'on vénérait un nombre considérable d'elfes ruraux, souvent de nature maléfique.

Dans le culte domestique, les divinités tutélaires, semblables aux Penates romains, étaient importantes. Les rites funéraires comprenaient l'incinération et l'inhumation. En général, la crémation consistait à placer le cadavre dans une barque et à y mettre le feu. Les femmes pouvaient devenir prêtresses : la pratique de la mantique leur était attribuée. Les lieux de culte étaient des constructions en bois, sur le modèle nordique, mais "les forêts étaient le lieu de culte privilégié, tout comme les arbres étaient la résidence des dieux" (p. X).
La religion des Baltes révèle, dès le début, une harmonie évidente avec la religion indo-européenne primitive. Le père suprême était Perkúnas, une divinité ouranienne dont l'attribut était la foudre et qui est souvent identifiée au feu perpétuel, le Soleil. C'est ce que raconte le mythe de Teljavel, le forgeron qui aurait forgé le disque solaire et l'aurait placé dans le ciel. La mère du dieu suprême, Perkunatete, lavait chaque nuit le Soleil dans l'Océan pour que, le lendemain, régénéré, il brille à nouveau sur le monde.

Parmi les divinités telluriques, un rôle important était joué par Kurkas, dieu de la fertilité. En son honneur, dans la Pologne du milieu du siècle dernier, la dernière gerbe de la récolte était encore érigée en forme de phallus. La déesse Pergrubias occupe une place centrale, faisant référence au printemps, à l'éternelle renaissance de la vie. Son culte était accompagné de celui de Pūšátis, seigneur des bois, qui vivait parmi les racines d'un sureau et était suivi par de nombreux elfes. La triade suprême du Panthéon prussien était représentée par Patelus, Perkúnas et Patrimpas. Patelus était vénéré comme un aîné, tandis que Patrimpas avait les traits d'un jeune homme. Leur pouvoir était contré par le malveillant dieu chthonien, Vēlionis, gardien des âmes et praticien de la magie noire. Les landes, les eaux et les forêts étaient considérées comme sacrées: "Les cultes religieux se déroulaient principalement en plein air et consistaient en des sacrifices qui [...] comprenaient des offrandes végétales et animales" (p. XIII). Le temple le plus important se trouvait à Romowe et le culte était présidé par un pontifex maximus.
Il s'agit d'un livre important, car il met en lumière les aspects essentiels des religions archaïques, encore peu connues aujourd'hui, mais pertinentes pour la définition de l'ubi consistam de la Tradition européenne.
Giovanni Sessa
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lundi, 11 octobre 2021
Minos et Minotaure: l'enlèvement de l'Europe symbolise le destin de la partie occidentale de l'"indo-européanisme"

Minos et Minotaure: l'enlèvement de l'Europe symbolise le destin de la partie occidentale de l'"indo-européanisme"
Alexander Eliseev
Ex: https://zavtra.ru/blogs/faktor_minosa_i_minotavra
1. Un monde et deux rois
Tout d'abord, il faut simplement disséquer l'image du roi Minos de Crète. Notons, pour départ, que son nom même renvoie déjà à un archétype ancien. René Guénon note: "Le titre de "roi de la paix", entendu dans son sens le plus sublime, le plus complet et en même temps le plus sévère, est en réalité appliqué à Manu, le législateur universel des temps primitifs, dont le nom, dans telle ou telle prononciation, se retrouve chez de nombreux peuples anciens; il suffit de penser au Minas ou Ménès des Égyptiens, au Manannan ou Manawyd des Celtes, à Minos des Grecs. Mais tous ces noms n'appartiennent à aucune figure historique ou légendaire; ils sont en fait la désignation d'un certain principe, d'une Raison cosmique, qui est le reflet de la pure Lumière spirituelle, qui prononce les formules de la Loi (Dharma) correspondant aux conditions de notre monde et du cycle d'existence; Manu est en même temps l'archétype de l'homme, vu avant tout comme un être pensant (manava en sanskrit)". ("Roi du monde").
Un complément est nécessaire ici. Il faut distinguer entre Manu en tant que Principe super-personnel, et Manu en tant que figure "historique". Selon la tradition indo-aryenne, il existe le Roi de la Paix - Vaishwanara, Chakravartin. Il est également appelé Manu, faisant précisément référence à l'archétype royal de l'être humain. Mais il y a aussi Manu qui est purement terrestre, historique, le premier homme qui a donné naissance à l'existence terrestre de tous les humains. "Si Chakravarti ne représente que le pôle lumineux de l'archétype (pôle solaire), alors Manu est comme la lune qui reflète la lumière à un degré maximal lors de la pleine lune (Paradis Adam) mais qui peut aussi ne pas la refléter du tout, comme lors d'une nouvelle lune" - remarque A. G. Douguine.
En d'autres termes, Manu est un archétype réfléchissant. Il est intéressant de noter que les racines des mots "homme" et "lune" sont très proches dans de nombreuses langues (allemand "Mensch" et "Mond", anglais "man" et "moon", etc.), ce qui indique le caractère naturel et la conscience de la relation symbolique dans les formes linguistiques des anciennes traditions. En revanche, la même racine désigne souvent la "raison" - sanskrit "manas", latin "mens", russe "pensée" (étymologiquement lié, soit dit en passant, au mot "mari", c'est-à-dire "homme"), etc. Dans ce cas, il s'agit déjà de souligner la nature légère du Manu historique, en substituant au monde matériel le sujet, car le mental au sein de la tribhuvanah est la qualité la plus subjective provenant directement ou indirectement de l'intellect premier, buddhi. En ce sens, Manu en tant qu'ayant manas (esprit) est un aspect de viraja, l'esprit global du cosmos dense, propre au Vaishwanara." ("Chemins de l'absolu").
La tradition indo-aryenne elle-même parle à la fois du Manu historique et du dieu lunaire Soma. Lui aussi agit comme le premier roi, et c'est Soma qui a accompli le premier rite d'initiation à la royauté (rajasuya). Cependant, le roi a rapidement méprisé les bons vœux et a enlevé la femme de son cousin Brihaspati.

Parfois, Soma est identifié à Yama, qui agit également comme le roi - des morts, le seigneur de l'au-delà. (Yama lui-même était présenté comme une sorte d'"adjoint" du roi de la paix - il est un fils de Vivasvat, et Agni lui cède la place de dirigeant du monde d'outre-tombe). Yama, d'autre part, a un analogue iranien - Yima ou Jamshid, qui était un roi juste, mais a ensuite dévié de la droiture et, par conséquent, a été détrôné et tué par son propre frère Spitura qui l'a coupé en deux (un symbole de la dualité, qui est le début de la mort).
Il semble que Manu (le frère de Yama), le Soma lunaire, le Roi des Morts Yama et son homologue Yima (Jamshid) soient tous des noms différents pour le même géniteur, d'où jaillit l'humanité "lunaire", historique, reflétant l'Archétype de la lumière du soleil, et ici, bien sûr, la même dualité, dans laquelle notre monde divisé est piégé, prend place. D'une part, la réflexion de la lumière est sa déformation, d'autre part, la lumière elle-même a toujours un effet bénéfique. La lune est le soleil des morts, mais elle éclaire aussi la terre lorsque le soleil se couche.
Comme il est évident, le nom Manu indique l'aspect lunaire, réfléchi, du commencement du roi.
2. Un souverain thalassocratique
Et, surtout, cela s'applique au roi Minos. Il est révélateur qu'il ait établi une puissante thalassocratie en Crète. Ainsi, Minos a considérablement déformé la tradition hyperboréenne, continentale et fluviale. ("L'Hyperborée comme royaume de la rivière").
A propos, Minos a un certain analogue - le russe Sadko. Ce dernier a également été tenté par la thalassocratie, et il a été tenté par le "tsar de la mer". Cependant, le "riche invité" a tout de même réussi à refuser le rôle inverse qui lui était imposé. ("Sadko et la thalassocratie commerciale").

Mais revenons à Minos. Ses adultères constants avec sa femme sont révélateurs. Ils mettent en avant le rôle inversé et volatile de l'Europe (plus largement de l'Occident), qui a traversé une série de révolutions nihilistes au cours des siècles. ("L'ancien programme de l'Occident").
L'image de Minos est étroitement liée à celle de Dédale, l'ingénieur et artiste légendaire. Il a commis un crime similaire à une trahison. Dédale, qui est égoïste, a essayé de tuer son apprenti et neveu Talos, car il était jaloux de son succès. Il a conduit le jeune homme en haut d'une colline escarpée et l'a jeté en bas. Cependant, Athéna a empêché Talos d'être écrasé et l'a transformé en perdrix. L'Aréopage athénien, indigné par l'action de Dédale, le condamne au bannissement.
Le meurtrier et traître fut accueilli par Minos, à qui Dédale rendit de nombreux services, notamment en lui faisant une statue. Il a fait une vache en bois sur roues pour Pasiphaë. La reine s'y cachait afin d'assouvir sa passion pour le taureau. En fait, c'est du coït avec lui qu'est né le Minotaure. Ces derniers habitaient dans un labyrinthe, que Dédale avait construit sur le modèle égyptien. Et il convient ici de rappeler que l'Égypte a été fortement influencée par la contre-tradition de l'Atlantide. Et la Crète elle-même était une formation purement thalassocratique, c'est-à-dire "atlante", dont nous parlerons plus loin.

Dédale s'est lassé de la "tutelle" de Minos et s'en est enfui avec son fils Icare. Ce dernier, comme on le sait, est mort alors que le Soleil avait fondu la cire de ses ailes. Cela peut être considéré comme une indication du commencement solaire, qui empêche le commencement lunaire de se renforcer. Dédale a ensuite construit un temple à Apollon, cherchant clairement à renforcer son origine solaire déformée.
Dédale a trouvé refuge à Camicus en Sicile. Minos réussit à le trouver et exige qu'il remette le maître au roi Cocalos de Sicile. Ce dernier le convoque dans un bain où les filles de Cocalos versent de l'eau bouillante sur le roi crétois. C'est ainsi que Minos a subi la mort par l'élément eau dont il était guidé.
3. Crète atlantique
Minos est né du lien entre Zeus et Europe, que le chef des Olympiens a volé et avec lequel il est apparu en Crète. Sur la même île, Zeus s'est caché de son père Chronos. Cela nous amène à la tradition crétoise. Il est intéressant de noter que l'ancienne civilisation de Crète est souvent identifiée à l'Atlantide, alors qu'elle croyait qu'il n'y avait pas d'"île" engloutie dans l'océan Atlantique. Les similitudes entre l'Atlantide et la Crète sont soulignées. ("L'Atlantide est la Crète").
Oui, cette similitude est frappante, mais elle ne signifie pas du tout une identité. La civilisation de Crète pourrait être une projection particulière de l'Atlantide, une sorte de "remake" méditerranéen. Si tel est le cas, nous assistons à un symbolisme troublant qui s'applique également à Zeus qui y trouve refuge. La tradition atlante elle-même impliquait une rupture avec la tradition primordiale, hyperboréenne; c'est en Atlantide que s'est épanoui le magisme indissociable du polythéisme.

Pour la Crète antique, l'image du taureau, qui y était très répandue, est très importante. Mais l'image du taureau est également prise par Zeus lui-même - lors de l'enlèvement d'Europe. Et le monstrueux Minotaure (homme à tête de taureau), comme il a été mentionné plus haut, est né de la liaison de la princesse Pasiphaé avec le taureau, qui, selon une version, lui a été envoyé non pas par Poséidon, mais par Zeus. (A. F. Lossev a écrit que le Minotaure est une hypostase de Zeus en Crète). Il serait d'ailleurs opportun de rappeler ici le thème de l'homme-bête lié à l'image du Taureau. ("Le culte de la bête et la technologie de l'inhumanité").
L'enlèvement d'Europe symbolise le sort de la partie occidentale de l'"indo-européanisme", la "zone Kentum", qui est tombée sous l'influence de la tradition atlantique et s'est inclinée vers le polythéisme. Zeus arrive en Europe sous la forme d'un taureau, ce qui est également très révélateur, car le taureau exprime symboliquement l'origine lunaire; ainsi, dans l'ancienne tradition iranienne, le mois est appelé "avoir la semence du taureau". Ainsi, les Romains sacrifiaient des taureaux à Jupiter, tout comme les Slaves - "le dieu unique, créateur de la foudre" (Procopius de Césarée).
Apparemment, il s'agissait d'un certain rituel, symbolisant la conversion du début lunaire au début tonnerre. Selon les païens, grâce au sacrifice d'un taureau, le début lunaire, chthonique, était transformé et s'élevait à un nouveau niveau. Mais Zeus affirme l'image du taureau, ce qui témoigne une fois de plus de l'inversion de la Grèce antique. ("Zeus : l'histoire d'une inversion").

4. Le fruit de l'inversion
Maintenant, nous devons analyser l'image du Minotaure. Minos a demandé à Poséidon (dans une autre version - Zeus) d'envoyer un animal pour un sacrifice. Un taureau blanc comme neige lui fut envoyé (de la mer). Minos était tout simplement émerveillé par sa splendeur. Il a donc renvoyé le taureau dans ses propres troupeaux et en a apporté un autre à la place. L'interprétation suivante est possible ici. Minos n'était pas prêt à surmonter complètement le début lunaire et bovin. Il l'a donc simplement parodié. Et les conséquences ont été terribles - dans tous les sens du terme. En guise de punition pour avoir trompé les dieux, Poséidon a amené l'épouse royale Pasiphaë à développer une passion pour le plus beau des taureaux. C'est de cette passion qu'est né le Minotaure ("Minos le taureau").
L'homme-taureau lui-même a été maîtrisé par Héraclès, puis tué par Thésée. Le fils de Minos, Androgos, a été assassiné à Athènes. Minos a alors forcé le roi Égée à payer un tribut. Ce dernier était censé fournir sept garçons et sept filles par an. Ils étaient condamnés à être mangés par le Minotaure qui vivait dans le Labyrinthe. La version de Plutarque est très intéressante, selon laquelle ceux qui s'aventuraient dans le labyrinthe mouraient eux-mêmes. C'est déjà une image de la perdition spirituelle, où l'on erre dans les fragments de l'esprit comme pour fragmenter la personnalité elle-même. Voici une distinction essentielle entre l'esprit intellectuel et l'esprit (intellect), la superintelligence. Dans la tradition orthodoxe, l'esprit est le nous, qui s'oppose au logikon rationnel. Et tandis que le nous est recueilli en lui-même, le logikon erre partout, il doit être recueilli.
Et voici une autre curieuse multi-variation. Selon certaines versions, Thésée est celui qui tue le Minotaure - avec une épée ou son poing. Mais sur le trône d'Amiclès, Thésée est représenté d'une manière très inhabituelle - il dirige le Minotaure, certes ligoté, mais vivant. (On se souvient peut-être de l'image du Dragon, non pas tué, mais tenu en laisse).

Voici une indication des deux voies de l'Héroïque. La voie glorieuse, bien que "inférieure" (relativement), consiste à tuer le monstre extérieur. Ce faisant, le héros, sans le vouloir, mais plus ou moins, est assimilé au monstre tueur lui-même. (Le phénomène du tueur de dragon qui devient le Dragon lui-même).
"La voie du dragon"
Mais il existe une autre voie, plus élevée, qui, parallèlement à la lutte contre les monstres "extérieurs" (ou en dépit de celle-ci), consiste à lutter contre le monstre "intérieur" (selon l'expression des Saints Pères, contre le serpent qui se trouve sous le cœur). ("Pour soumettre le serpent").
Il convient de noter que les deux voies, bien que différentes, ne sont pas contradictoires. Ils peuvent être combinés, ce qui est la meilleure façon de sortir du Labyrinthe de la Passion.
5. "Bull Nation"
Le nom "Minotaure" évoque les Tauriens, une entité ethno-politique qu'Hérodote situait dans une zone montagneuse sur une péninsule s'avançant dans le Pont. Ce lieu était situé entre Kerkinitida et Chersonesos le Rocheux, atteignant le détroit de Kerch. Les Hellènes appelaient cette formation "Tauri", c'est-à-dire "taureaux" (le nom propre n'est pas conservé). Il en découle une conclusion tout à fait logique : le culte le plus important des Tauriens était celui du Taureau. C'est-à-dire que nous parlons de la réalisation de l'origine lunaire, navi.
Le "moment" suivant est indicatif. Les Tauriens sacrifiaient les étrangers capturés par eux à une certaine déesse Maiden. Les malheureuses victimes ont été frappées à la tête avec une massue et jetées à la mer. Selon d'autres versions, ils ont été enterrés dans le sol. Notez également que les ennemis capturés au combat avaient la tête coupée et exposée autour de la maison sur de hautes perches. Ammianus Marcellinus rapporte que les victimes ont été poignardées à mort et que leurs têtes ont été clouées aux murs du temple "comme monuments éternels de leurs actions glorieuses".
Et là, les contes de fées russes viennent immédiatement à l'esprit. Ils décrivent la clôture de Baba-Yaga, faite d'ossements humains : "Des crânes humains avec des yeux dépassent de la clôture.
Le culte de la Vierge Marie a été adopté par les Tauriens et les habitants de Chersonesos, mais sans les sacrifices qui l'accompagnent.
Baba-Yaga elle-même est une image du côté décrépit et lunaire de l'âme du monde.

"Baba Yaga, l'âme du monde"
Notez que le thème de la féminocratie est extrêmement important - en termes de thème de l'inversion ("Hercule, Scythianisme, 'reptilianisme' et 'féminocratie'").
L'origine ethnique des Tauriens est contestée, et les historiens donnent des versions différentes. L'une d'entre elles en font des Cimmériens, c'est-à-dire que les Tauriens sont issus d'un peuple ancien et mystérieux, les Cimmériens. Nous parlons ici de l'ethnos praskifien, qui a fortement influencé l'ethnogenèse des futurs Slaves et Sakhs (nomades du nord de l'Iran).
Les Cimmériens eux-mêmes, semble-t-il, sont les Scythes royaux, dont Hérodote a parlé. Selon lui, ces derniers, sous l'assaut des forces orientales ("Novoscythes") se sont retirés. À ce moment-là, les croisés supérieurs (en fait des rois) ont refusé de fuir et se sont entretués lors d'un duel rituel.

Une observation intéressante sur les Cimmériens a été faite par le professeur A .G. Kuzmin : "...Les commentateurs grecs ultérieurs ont essayé de comprendre le nom des Cimmériens comme étant des 'hivernants' ('heimerioi'), ou des 'gens des tombes'...". Dans la tradition grecque antique, les constructions réelles ou imaginaires des Cimmériens devaient indiquer leur proximité avec la terre mythique des morts du royaume d'Hadès, dont l'entrée était située à différents endroits de la côte maritime. La notion de "peuple des tombes" peut être associée à celle d'un culte funéraire exagéré, du point de vue des Grecs... Tout au long de la tradition antique court la notion d'une parenté entre les Cimmériens de la mer Noire et les populations de l'"Occident" le plus lointain et de la côte de l'"Océan". ("Le début de la Russie. Les secrets de la naissance du peuple russe").
Ici, il est possible de supposer que la communauté des Cimmériens a vécu un processus d'extinction spirituelle de sa Tradition. La perte de la caste des tsars accompagnée de la fuite exactement à l'Ouest (le coucher du soleil; sur le coucher du soleil les Anciens ont localisé le "pays des morts") a signifié l'apparition d'une contre-tradition des restes spirituels, "psychiques" (d'où le thème de "l'Hadès cimmérien").
Le thème du ken-taur, c'est-à-dire du cheval humain, est extrêmement important. Encore une fois, nous devrions parler de la combinaison de l'humain et de l'animal. Pour être plus exact, sur le renforcement de la seconde au détriment de la première.

Les centaures eux-mêmes sont un exemple de tentative de surmonter l'ignition du commencement animal. À cet égard, le nom de "centaure" a une signification spéciale et mystique. Il signifie "celui qui tue le taureau" (ken - "j'ai tué", tauros - "taureau").
La venue du Christ et l'établissement du christianisme ont porté un coup dur au culte de la bête. Le baptême et la communion rendaient le salut possible pour tous les hommes - y compris ceux qui avaient déformé leur apparence au maximum. "Dans les légendes occidentales, écrit V. Karpets, on raconte qu'après la Nativité du Christ, les centaures sortirent des forêts, demandèrent aux ermites chrétiens de les baptiser, et les ermites ne les refusèrent pas ("La Russie, qui a dominé le monde").
Nous avons ici un certain chemin symbolique de réinitiation, du "Taureau" lunaire au "Cheval" solaire. Voici le dépassement du "bovin" en faveur du noble.
Le thème du Cheval:
Тема Коня.
«Конёк-Горбунок: мистерия Полёта»
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lundi, 12 juillet 2021
Le symbolisme du serpent dans la mythologie grecque

Le symbolisme du serpent dans la mythologie grecque
Ex: https://animasmundi.wordpress.com/2021/07/09/el-simbolismo-serpentino-en-la-mitologia-griega/
Dans la mythologie et la religion, et notamment dans la mythologie grecque, le terme chthonique (du grec ancien χθόνιος khthónios, " qui appartient à la terre ", " de la terre ") désigne ou fait référence aux dieux ou esprits des enfers, par opposition aux divinités célestes, notamment Hadès et Perséphone. Toutes ces divinités étaient simultanément liées aux notions de vie et de mort dans la mesure où les végétaux, source et symbole de la vie, plongent leurs racines et puisent leur nourriture dans les profondeurs de la terre.

L'animal chthonique par excellence était le serpent, et en tant que tel, il figurait sur le caducée d'Asclépios, dieu de la médecine. Dans la mythologie grecque, Asclépios ou Asclépios (en grec Ἀσκληπιός), Esculape pour les Romains, était le dieu de la Médecine et de la guérison, vénéré en Grèce dans divers sanctuaires. Asclépios devient le centre du culte populaire. Des temples ont été construits en son honneur dans toutes les villes de Grèce. Des foules de gens passaient la nuit dans des pièces spéciales où ils dormaient. Ils y espéraient que le dieu les guérisse directement par le biais d'une apparition en rêve ou que leurs rêves indiquent une guérison ou des signes que le prêtre du temple pouvait interpréter. Le pouvoir de ressusciter les morts était le motif qui a incité le dieu Zeus à mettre fin à la vie d'Asclépios. Le dieu Zeus n'était pas très heureux de la résurrection des mortels car il craignait que cela ne complique l'ordre du monde. Asclepius est monté dans les cieux et est devenu la constellation Serpentarium.

Il faut noter que le serpent était un animal très accepté dans la Grèce antique. En tant qu'animal de l'âme, le serpent était particulièrement lié à la tombe et notamment à celle du héros, représenté comme un symbole de fertilité et de survie. Cette fonction particulière du serpent s'est développée à partir de sa position d'animal protecteur de la maison, bien que les Grecs eux-mêmes aient parfois suggéré que la moelle des os d'un cadavre devenait un serpent. Le serpent représente également une icône religieuse, un véhicule du sacré à travers lequel la réalité métaphysique et les vérités primordiales se manifestent dans l'imaginaire grec. Il suffit de regarder les principaux mythes grecs : le combat cosmogonique entre Zeus et Typhon, la lutte d'Apollon avec le serpent Python pour la possession du sanctuaire de Delphes, le combat de Cadmos avec le serpent thébain et les voyages initiatiques de Jason en Colchide, d'Héraclès au Jardin des Hespérides, de Méduse et de Persée, entre autres.

Au sein du mythe, le serpent joue un rôle prépondérant avec de multiples significations et interprétations telles que le fait que le serpent est dépouillé de la vieillesse en renaissant, la relation avec la guérison et la capacité de restaurer la vie, sa relation avec le phallus masculin et la fertilité féminine, avec l'éternité et sa configuration tardive comme symbole du temps qui revient à lui-même, son rôle de gardien des sources de vie et de l'immortalité ; les croyances concernant son androgynie, son omniscience, son agressivité, son insomnie, son éveil, ainsi que son union avec les forces obscures et sa considération comme un être qui effectue, facilite ou entrave la transition entre les niveaux, brisant ainsi l'espace même de la réalité actuelle. En bref, la croyance en une force spéciale, résidente, émanée, inhérente ou symbolisée dans le serpent, une force, une énergie alignée du côté du primordial, de la force pure et seule : en somme, la vie, avec tous ses paradoxes et ses complexités.
D'autre part, le thème du serpent compris comme âme des morts n'est pas trop objectif, puisque le terme "âme" est utilisé sans réflexion sur la relation entre la psyché comme âme des morts et le serpent. Hésiode a décrit la mue d'un serpent par les mots "seule la psyché demeure". Il est possible que l'attribution du psychisme à un serpent soit liée au rare pouvoir de muer la peau que possède cet animal.
L'analyse de ce symbole dans la culture grecque montre que le mythe du serpent n'est jamais vraiment mort, puisque sa morphologie versatile, sa capacité d'adaptation et la longue liste de mythes et de situations religieuses auxquels il était lié, lui ont garanti une longue survie, dont le message est de rapprocher l'homme de l'inintelligible.
Dans la mythologie grecque, nous pouvons citer Typhon, fils de Gaïa, de la terre et du Tartare, l'abîme du sous-sol, c'est-à-dire un monstre d'origine chthonique. Hésiode, dans la Théogonie, écrit :

" De ses épaules naquirent cent têtes de serpents, terribles dragons, piquant de leurs langues sombres. Des yeux de leurs têtes ineffables, sous leurs sourcils, brillait le feu. De toutes leurs têtes, le feu jaillissait quand ils regardaient.
Dans toutes, il y avait des voix qui lançaient une rumeur variée et indicible ; parfois elles émettaient des articulations, comme pour comprendre les dieux ; (...) d'autres, les riguidos d'un lion sans pitié (...) d'autres encore sifflaient et les énormes montagnes lui faisaient écho. (Théogonie 836-68)
L'écrivain José Carlos Fernandez souligne le symbolisme du serpent sur les points suivants :
- Sagesse, de la perfection et du dynamisme du Réel ; elle représentait aussi la régénération psychique et l'immortalité.
- C'est l'image de l'âme qui se réincarne et "revêt une nouvelle peau". Il fait également référence au premier rayon de lumière émanant du Mystère Divin.
- C'est un symbole de l'Éternité, de ce qui s'est produit sans interruption.
- En outre, pour compléter la signification précédente, il est un symbole du temps et de ses cycles.
- Comme presque tous les premiers symboles, il s'agit d'un double symbole : il est la lumière, à la fois physique et spirituelle, mais aussi le symbole de son ombre, de l'obscurité de la matière, du mal, de la substance spirale qui emprisonne l'âme dans son tourbillon.
- Le serpent est le symbole du Soleil Spirituel (le Soleil Central des traditions occultes) et de son "corps", le Soleil visible ; symbole, donc, du Logos Créateur comme de l'Intelligence glissant dans l'Eternité. Mais aussi, par exemple, en Égypte, il était lié, astronomiquement, aux éclipses, comme un serpent qui veut dévorer le Soleil, par exemple, Apap en Égypte.
- Avec plusieurs têtes en mouvements spasmodiques, il est le symbole des passions humaines, mais aussi des pouvoirs psychiques.
- C'est un symbole de la grande Vie Unique, le Jiva-Prana des hindous, et de son mouvement, qui appelle les mondes à l'existence.
- Mais aussi de la mort et du guide qui accompagne le défunt, dans le royaume invisible.
- Il fait référence aux sages, aux éternels vivants, mais aussi aux âmes désincarnées.
- Le serpent est un symbole de l'énergie sexuelle, des corps qui tentent de perpétuer leurs formes, et des âmes qui tentent de se perpétuer dans leurs essences inaltérables.
- Il est le symbole de la Terre, de ses énergies et de ses potentialités, la "mère de tout ce qui bouge" des textes sacrés hindous.
Source : Bremmer, J. N :
Bremmer, J. N. "Le concept de l'âme dans la Grèce antique". Ediciones Siruelas.
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mardi, 27 avril 2021
Mnémosyne

Mnémosyne
Álex Capua
Ex : https://animasmundi.wordpress.com
Mnémosyne (Μνημοσύνη) était une Titane, fille d'Uranus et de Gaea. Avec Zeus, elle engendra les neuf Muses. C'est la "Mémoire" (Hésiode. Theog. 134-135 ; Apollod. Bibl. 1, 1, 1, 1 ; 3, 1). Cependant, une autre généalogie qui proviendrait d'un poème cosmologique d'Alcman (7e siècle avant J.-C.), affirmait que ces neuf Muses étaient nées au début des temps comme filles d'Uranus et de Gaea. C'est pourquoi on dit qu'elles appartiennent au groupe des Titans, car elles représentent des forces mondiales anciennes et fondamentales, qui sont à l'origine du cosmos.
Selon Hésiode dans la Théogonie :
"(...) Gaea, couchée avec Uranus, a donné naissance à l'Océan des ruisseaux profonds, à Kéo, à Chrio, à Hypérion, à Japet, à Théa, à Rhéa, à Thémis, à Mnémosyne, à Phoebus à la couronne d'or, et à la douce Thétys. Après eux naquit le plus jeune, Cronos, à l'esprit tordu, le plus terrible des fils, et il était rempli d'une haine intense envers son père".
Mnémosyne est la mémoire et le souvenir et, par conséquent, elle a la capacité de se rappeler ce qui existe déjà et de faire revenir le passé dans des images du devenir titanesque. Elle ne désire pas l'avenir, car elle se plie elle-même et répète en pensée quelque chose qui s'est toujours produit et qui revient à son tour comme s'il s'agissait d'un cercle intérieur, d'une sorte de boucle. La mémoire est basée sur l'expérience et l'expérience est une répétition (événements) et des automatismes.
Comme en témoignent les sources, les poètes de la Grèce antique étaient formés à la mémorisation et à la composition orale. Dès le début de l'épopée, ils ont formé et transmis des connaissances mythologiques. Grâce à Mnémosyne, la tradition mythique était un répertoire transmis oralement qui se transmettait (de manière répétitive et riche en images) de père en fils.
Homère et Hésiode sont les épigones d'une vieille tradition de bardes qui composaient magistralement et qui sollicitaient la faveur de la Muse ou des Muses, le lien avec ce savoir mémorisé que ces divinités (les filles de la Mémoire, Mnémosyne) transmettaient au poète.
Les deux poètes étaient chargés de transmettre une ancienne tradition orale qui allait commencer à faire parler d'elle au huitième siècle avant Jésus-Christ, peu après l'introduction de l'alphabet en Grèce. Homère et Hésiode sont tous deux les gardiens d'un savoir traditionnel qui n'est pas leur invention, mais ils ont répété des thèmes et évoqué des figures divines et héroïques connues de tout le peuple hellénique, tout en réitérant des formules épiques et en invoquant, comme principal protecteur, le patronage des Muses, afin qu'elles garantissent la véracité de leurs propos. Rappelons qu'Homère commence par invoquer la Muse et qu'Hésiode nous raconte que ce sont les Muses qui lui sont apparues sur le mont Hélicon (dans la région de Thespias, en Béotie) pour lui confier la mission de transmettre le message mythique véridique et ordonné de la Théogonie et des Travaux et des Jours.

Selon le mythe, et entre autres lieux, à Eleutherae (au nord de l'Attique) il y avait un culte où Mnémosyne était adorée et on dit qu'en une occasion à Eleutherae, Mnémosyne a libéré Dionysos de son extase, c'est-à-dire qu'elle lui a rendu sa mémoire.
Un autre mythe racontait que celui qui souhaitait descendre au sanctuaire et à l'oracle souterrain de Trophonius (en Béotie) était conduit, tout d'abord, aux fontaines d'eaux où il devait boire l'eau du Léthé (le fleuve de l'oubli) et ensuite s'immerger dans la fontaine de Mnémosyne, ce qui le ferait se souvenir de ce qu'il avait vu dans sa vie. Disons que l'initié vivrait une expérience très similaire lorsque la psyché (l'âme) quitterait le corps et se rendrait aux enfers, à Hadès, mais pas avant de se baigner dans les cinq fleuves du royaume des ombres: l'Achéron (le fleuve de la douleur), le Cocyte (le fleuve des lamentations), le Phlégéthon (le fleuve du feu), le Léthé (le fleuve de l'oubli) et le Styx (le fleuve de la haine). Cependant, il existait une autre rivière, la Mnémosyne, où les initiés aux Mystères avaient le privilège de boire afin de se souvenir de leurs vies passées et d'atteindre un statut supérieur.
On suppose que Mnémosyne est venu en aide aux initiés dans les soi-disant grands mystères jusqu'à ce qu'ils puissent atteindre la sagesse et se reconnaître eux-mêmes, leur environnement et retourner à leur lieu d'origine. En fait, dans les tablettes orphiques liées à l'initié et au monde mystique qu'il exprime :
« Je brûle de soif et je meurs ; mais donne-moi, vite, l'eau froide qui coule du marais de Mnémosyne ».
Le but de ce processus initiatique était qu'avec l'aide de la mémoire, l'initié devienne un dieu au lieu d'un mortel, le libérant de la mort et lui donnant la vraie vie.
La mémoire, la vie, la renaissance, dieu et la pleine lune sont les conquêtes mystiques contre l'oubli, la mort, le fini et le temporel qui appartiennent à ce monde. En retrouvant la mémoire du passé, l'homme s'est identifié à Dionysos.
Un exemple qui nous inciterait à nous souvenir et à préserver la mémoire avec toutes ses facultés intellectuelles et intuitives se trouve dans l'Odyssée (livre X), lorsque Circé recommande à Ulysse, pour plaire aux dieux, de rechercher la connaissance de Tirésias (l'un des plus célèbres devins de la Grande Hellade), et de pouvoir ainsi retourner dans sa patrie, Ithaque. Ulysse lui demande où il habite et Circé lui répond :
« Tirésias ne vit pas, Ulysse, du moins pas dans ce monde, il est une ombre dans le royaume d'Hadès. Cependant, il y garde son esprit intact, car lui seul a été autorisé à conserver ses dons et les facultés de son esprit, alors que les autres âmes ne sont que des ombres errantes ». (Les voyages d'Ulysse. National Geographic. Spécial Mythologie. Mars 2020).
En somme, Tirésias est présenté par Circé comme "l'aveugle qui n'a rien perdu de son esprit" (X, 492). Tirésias a donc eu le privilège de se baigner dans le fleuve de Mnémosyne, car il connaissait tout des mystères, grand prophète, médiateur entre les dieux et les hommes et avec le pouvoir de canaliser entre le monde des vivants et celui des morts.
Pour conclure. nous pouvons affirmer que Mnémosyne ne contient pas seulement la mémoire, mais domine aussi tout ce qui est rythmique. Le Cosmos a un son subtil, inappréciable pour nous, des ondes rythmiques (très similaires au courant de la mer) qui repose sur la perception accordée, éthérée et des structures harmonieuses. Le rythme enveloppe l'espace, son mouvement est toujours circulaire et son langage est rythmique. Par exemple, les Muses dansent sur la musique du Cosmos, elles dansent au son du Cosmos, accompagnées d'Apollon. Par conséquent, Mnémosyne a un rôle fondamental dans la construction progressive du Cosmos, destiné à être gouverné par Zeus.
Sources :
Diccionario Etimológico de la Mitología Griega.
Friedich Georg Jünger Los Mitos Griegos.
García Gual. C. Introducción a la mitología griega. Alianza Editorial.
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mardi, 20 avril 2021
L'esprit traditionnel dans la mythologie grecque

L'esprit traditionnel dans la mythologie grecque
Álex Capua
Ex : https://animasmundi.wordpress.com/2021/04/16/el-espiritu-...
Pour comprendre l'esprit traditionnel, nous devons garder en tête un axiome irréfutable relatif au ‘’Principe des deux natures’’: il existe un ordre physique et un ordre métaphysique. Nous appelons ordre physique le monde tangible, visible (par les cinq sens), le devenir qui entraîne l'homme dans un monde sans direction et sans sens. Nous faisons référence au monde métaphysique lorsque nous parlons du monde invisible et, au-delà de celui-ci, de la sphère immatérielle.
Un exemple qui illustre ce que nous avons décrit dans les lignes précédentes se trouve dans la civilisation archaïque minoenne: le roi souverain Minos servait de pont, c'est-à-dire qu'il agissait comme un bâtisseur entre les deux mondes (physique-métaphysique) et exerçait son pouvoir sur les deux, en tant que roi et prêtre par la volonté et la protection de Poséidon et, à son tour, il était le fils de Zeus. De cette façon, les lois divines étaient promulguées de manière exacte, juste et équitable et appliquées dans le royaume, répondant à la vérité, puisque Minos lui-même parlait au nom non pas de sa propre personne (mortelle et éphémère) mais de l'intégrité entière d'une personne complète qui savait parfaitement comment combiner les deux mondes. Pour cette raison, le sang d'une progéniture procédant du divin (Zeus) et d'une mortelle (Europa) était ‘’récapitulatoire’’. Selon l'émanationnisme, il héritait de sa mère l'Atman, de Zeus la lignée divine, autrement dit, le roi souverain Minos avait une descendance non seulement de sang mais d'esprit. Si cette ascendance spirituelle et cette noblesse étaient perdues, elles devenaient des termes vides, un pont qui ne permettrait pas de se connecter aux deux mondes. Cette base provenait de la Tradition occulte qui mettait son poids et sa force dans le maintien de la lignée ou de la succession des Rois sacrés, formant ainsi un axe de lumière pérenne et d'éternité dans le temps.

Après la rupture avec la Tradition et avec ce pont sacré et, au fur et à mesure que des mortels sans lignée divine se succédaient dans la fonction de roi souverain, ils ont commencé à former une politique de tyrans, de despotes et d'entourages qui abusaient non seulement du pouvoir, mais aussi de la distorsion des lois divines et de la rupture avec une tradition sacrée. On y explique, par exemple, le long processus de décadence de l'homme, dû à cette fracture avec les dieux, brillamment reflété dans les quatre âges. Précisément, Hésiode détaille le processus de chute par lequel passe l'homme de l'âge d'or à l'âge de fer, un cycle descendant par lequel l'homme ferait disparaître les forces subtiles ou nouménales de son monde physique. Cependant, Hésiode met en évidence les cycles dits héroïques où les castes de valeureux guerriers (Achille, Agamemnon, Héraklès, Thésée, entre autres) surmontent leur simple condition de mortel pour se connecter au Transcendant. Ainsi, par exemple, dans le mythe d'Héraclès, avec ses douze travaux, il finit par équilibrer son moi inférieur avec le monde céleste.
D'autre part, la Tradition mentionne également le premier Principe ou Élément, celui du feu, comme une composante de l'univers, cachée et invisible mais présente dans la nature qui nous entoure, comme une gaine lumineuse qui nous enveloppe. Cet agent invisible est appelé Agni et apparaît déjà chez les anciens Rishis de l'Inde, c'est-à-dire chez ces sages de l'antiquité védique qui vénéraient cet élément en accomplissant des rituels très solennels pour leurs guerriers. Héraclite, par exemple, a exprimé que : "Le feu est l'élément générateur et de ses transformations, qu'il soit raréfié ou condensé, naissent toutes choses (...)".

Dans la mythologie, Achille est le héros qui hésite entre une vie tranquille, longue et familiale ou une vie immortelle, mais qui choisit finalement de perdre sa vie sur le champ de bataille avant de l'avoir vécue pleinement et de se coucher sur son lit de mort.
Achille est le fils d'un mortel, Pelée (un descendant de Zeus), et d'une néréide, Thétis, nymphe de la mer. Thétis ne voulait pas que ses enfants soient mortels comme leur père. Pour ce faire, elle soumet le petit Achille à un rituel impliquant l'action du feu afin de purifier la composante mortelle qu'Achille a héritée de son père Pelée. Mais Pelée a réussi à le tirer des flammes à temps, bien que le talon droit du garçon ait été endommagé par le feu. Plus tard, le centaure Chiron réparera les dommages causés par le rituel de Thétis en remplaçant l'os brûlé par celui d'un géant célèbre pour sa rapidité, qualité qui lui sera reconnue bien plus tard, car Achille sera connu comme "le pied léger". Il semble qu'Achille avait le don de courir à une vitesse exceptionnelle, mais avec son talon comme seul point vulnérable. Une autre version raconte que Thétis plongea Achille dans les eaux magiques de la rivière Styx, qui avaient la propriété de le rendre invulnérable, mais immergea tout le corps sauf le talon droit. Les deux versions prennent l'eau ou le feu comme éléments purificateurs. Le feu, lorsqu'il se condense, se vaporise, et cette vapeur prend consistance et devient de l'eau qui retourne à la terre.
Il est clair que l'homme (quelle que soit la civilisation consultée), aux temps de l'Age d'Or, avait bénéficié d'une connexion instinctive avec les forces intimes et cachées de la nature, ainsi qu'avec les énergies cosmiques, qu'il percevait directement dans la vie des éléments (feu, eau, air, terre), ou par une communion immédiate et directe avec le principe qui est à l'origine des choses. Pendant l'âge d'or, nous mettons en évidence la race aryenne (descendants directs de la branche atlante) qui s'était installée dans les chaînes de montagnes de l'Himalaya. Cette race a migré en formant les peuples indo-européens qui se sont répandus en Irlande, en Angleterre, dans le nord de la France, en Scandinavie ; tandis qu'au sud, ils ont donné naissance aux Aryens de l'Inde, en plus des Sarmates, des Germains, des Italiens et, bien sûr, du peuple grec Dorien. En tant qu'idéologie principale, les peuples indo-européens ont transmis les mystères et les hautes doctrines ésotériques avec lesquels la pensée religieuse indo-européenne allait commencer à évoluer, cet esprit glorieux que Hans Friedrich Karl Günther met en évidence dans son essai La religiosité nordique.
En suivant les directives de Günter, l'essence de la religiosité grecque de caractère indo-européen peut être résumée comme suit :
- Elle n'est pas née d'une quelconque forme de peur.
- Elle ne craint pas la mort.
- Elle ne craint pas Dieu. Son Dieu n'est pas un dieu qui punit.
- Elle ne croit pas que Dieu ait conçu le monde.
- Pour le Grec, le monde était autrefois un ordre hors du temps: les hommes et les dieux ont leur siège, leur voie et leur mission.
- Ils croient en une alternance éternelle de mondes qui naissent et disparaissent, en des "crépuscules répétés des dieux", par exemple, en des cataclysmes, des catastrophes cosmiques.
- Ils ne croient pas au jugement dernier, ni à l'avènement d'un royaume de Dieu.
- Ils n'ont pas été créés par Dieu, ni par la volonté d'un créateur.
- L'origine de l'homme, comme du Cosmos, est la manifestation du principe suprême d'émanation. (Pour plus d'informations : s’informer sur l’Emanantisme).
- Il n'est pas soumis à Dieu.
- La religiosité grecque n'est pas une servitude.
- Dieu est conçu comme la Raison suprême manifestée dans l'ordre du monde, un lien Dieu-Homme, l'essence même du monde grec, étant une rationalité commune. Ils ne doutaient pas d'une réalité supérieure qui leur était évidente.
- Les Grecs recherchaient la sagesse.

Le Grec a confiance en une communauté qui comprend les hommes et les dieux, la Polis d'Athènes. Les dieux, comme les hommes, doivent trouver l'origine de leur existence dans la manifestation (par émanation) du Principe suprême. Des héros comme Thésée (roi sacré d'Athènes) et Ulysse (roi sacré d'Ithaque) représentent le guerrier spirituel, qui restaure, équilibre et harmonise le microcosme en leur sein, faisant ainsi partie du monde suprasensible du macrocosme. L'enseignement des deux héros consiste à dépasser toute sorte de barrière qui fait obstacle au voyage initiatique qui mène à la Grande Libération et à revenir à sa genèse : inconditionnée, éternelle, divine ?
L'union des dieux autour d'une cité à des moments critiques devait répondre à l'union des hommes, une union dans laquelle la force et l'efficacité symbolique s'exprimaient dans des moments tels que les Panathénées. Tant les Panathénées à Athènes que les Hyacinthes à Sparte, pour donner l'exemple des fêtes les plus fastueuses de deux cités helléniques de référence, sont le moyen de renouveler le pacte qui unit la cité à ses dieux et qui garantissait l'ordre et la prospérité.
Les Grecs honoraient une divinité avec respect, politesse, ils priaient debout, les yeux dirigés vers le ciel, les bras tendus: "A Pallas Athéna, illustre déesse, je commence à chanter, l'œil de hibou, riche en industries, que possède un cœur indomptable, vénérable jeune fille, que protège la cité, vaillante, Tritogenia, que l'industrieux Zeus a seule engendrée sur sa tête sainte, d'armes guerrières dotées, dorées, resplendissantes" (28ème Hymne homérique, c. s. VII B.C).

La religiosité grecque, de base indo-européenne, est la religiosité de notre monde et l'une de ses graines les plus caractéristiques est qu'ils ne connaissaient pas le sentiment de péché, ils ne se sentaient pas victimes, pour eux il n'y avait ni peur ni souffrance, ni mortification pour s'élever devant Dieu.
Curieusement, au sein de la chaîne indo-européenne qui s'est établie au Tibet, on trouve les Rishis (sages de l'antiquité védique), qui ont réussi à préserver et à transmettre une partie de leurs pouvoirs spirituels originels à travers une discipline qu'ils ont appelée "yoga", dont le fondement est d'unir l'esprit à la divinité par la pratique de la méditation et de l'ascèse spirituelle. Plus tard, les brahmanes furent les héritiers des Rishis et avec Krishna, chef et ascète de l'Himalaya, ils créèrent et innovèrent leur religion, Brahma étant le Dieu de l'univers, et Vishnu le "Verbe", deuxième personne de la divinité et sa manifestation invisible.
Avec le passage des âges ou périodes suivants, l'homme perdrait les capacités et facultés de l'âge d'or, comme, par exemple, le contact direct avec les puissances supérieures. Cette pensée élevée et transcendante des brahmanes, abritée et isolée dans leurs lointains ermitages de l'Himalaya, s'éloignait de plus en plus du monde du devenir et des plaisirs terrestres. Ainsi, l'homme a abandonné cette voie rigoureuse, stricte et ascétique, et il y a donc eu une séparation entre l'Homme et Dieu.

Dans la Grèce antique, cependant, ils ont réussi à canaliser les souvenirs de cet âge d'or, et il est curieux qu'un personnage ait surgi pour renouer avec ces puissances supérieures: Orphée. Son nom signifie "celui qui guérit par la lumière". Orphée a réveillé le sens de la divinité avec sa lyre à sept cordes qu'il a lui-même sculptée et qui a ensuite été portée par Apollon, ce qui symbolise le fait de savoir vibrer dans les sept notes fondamentales de l'univers, qui correspondent aux sept planètes sacrées traditionnelles et qui ont également une analogie avec les sept chakras principaux. La religion orphique se manifeste progressivement au 6e siècle avant J.-C. et Orphée en est le prophète.
La grande vertu d'Orphée, d'origine thrace, était d'entretenir une relation particulière, intime et directe avec la nature. Grâce à sa subtilité, Orphée a pu capter l'essence que d'autres ne pouvaient ou ne savaient pas capturer. Ainsi, Orphée apparaît comme le médiateur entre la nature et l'homme, une sorte d'interprète du langage merveilleux des choses au langage ordonné des mots et de la musique qui est en relation directe avec l'univers. De cette façon, elle devait transcender et dépasser la médiocrité de la vie humaine et son transit pauvre et éphémère dans le monde. Sans doute Orphée avait-il le don de divination, puisqu'il a lui-même institué les Mystères de Dionysos, version orphique, et répandu son culte. Selon les Orphiques, Dionysos, qui représente le "moi" cosmique, a été détruit et mis en pièces par les Titans, mais grâce à Athéna, il a été recomposé car elle lui a redonné vie et l'a offert à Zeus. Zeus fulmina contre les Titans ; les frappa de sa foudre et, de leurs cendres, qui tombèrent sur la terre naquit l'humanité qui avait transgressé les lois divines et qui devait se racheter. L'humanité avait d'une part cette part titanesque et d'autre part une part divine, représentée par Dionysos. L'homme, en effet, possède en lui le feu latent (Agni) qu'il devait allumer, telle une étincelle, et vivre une vie spirituelle en lien avec les dieux. Ulysse, Héraklès, Thésée, entre autres héros, ont atteint ce degré de connexion divine, grâce à la réalisation de certains travaux ésotériques qu'ils ont dû accomplir sur le plan terrestre pour élever leur âme, passant de cette manière symbolique de l'homme terrestre Dionysos à l'homme divin Dionysos, c'est-à-dire qu'il y a une transmutation de l'être terrestre à l'être spirituel. C'est pourquoi Orphée est également lié à une société de guerriers, avec leurs rites d'initiation, comme en témoignent les peuples indo-européens.

Chaque héros qui entrait en contact avec Orphée savait qu'il avait la possibilité d'acquérir des capacités surhumaines. Orphée accompagne Jason et les Argonautes dans leur quête de la Toison d'or. Dans cette histoire, nous pouvons déjà voir qu'Orphée escorte ces héros vers le monde du divin, leur montrant le chemin de la libération des âmes et de leur ascension finale, après les rites pertinents de purification et d'initiation et, enfin, les conduisant à la recherche de la sagesse.
De même, le mythe de la descente de Dionysos dans l'Hadès pour sauver sa mère Sémélé est étroitement lié, sur le plan symbolique, à l'histoire de la descente d'Orphée pour retrouver sa femme Eurydice. Le mythe lui-même a été développé sous la vision orphique comme un paradigme mythique de la libération de l'âme et de la bénédiction que Dionysos lui-même a pu accorder à ses dévots dans l'Hadès.
Ainsi, dans l'orphisme, Dionysos est le fils de Zeus et de Perséphone et a la capacité d'intercéder auprès d'elle pour que ses initiés reçoivent un destin heureux dans l'autre monde.

En synthèse, les différentes religions ésotériques exposées dans les paragraphes précédents avaient pour objectif fondamental d'exposer les principes des lois naturelles du cosmos, la feuille de route ésotérique que l'homme devait suivre pour atteindre l'éveil de la divinité, jusqu'à atteindre l'ascèse mystique. Par l'intermédiaire des fondateurs de leurs religions, cet ascétisme pouvait être atteint par un contact direct.
Il faut noter que, malgré la pluralité des dieux et des prophètes, ils partent tous de la même source, puisqu'il n'y avait pas tant de vérités différentes, mais une seule vérité vue par différents prophètes et une pluralité de dieux ; la diversité des dieux n'est pas contradictoire avec l'idée d'unité du divin.
Cela nous fait comprendre que, grâce à une base ésotérique qui se manifeste sans en altérer les principes, l'évolution d'un peuple est également en accord avec elle.
Les religions ésotériques se caractérisaient par leur spiritualité supérieure, laissant de côté le païen. De ce point de vue, elles sont considérées comme des religions de salut. À Éleusis, ils présentaient une série de cérémonies et de représentations dramatiques dans lesquelles Déméter jouait un rôle fondamental, tandis que sa fille Perséphone représentait un témoin muet. Les fidèles étaient captivés et abstraits par la magie de l'environnement et sa musicalité, qui réveillait les recoins invisibles et insondables des initiés, où ils reconnaissaient en Perséphone le symbole de leur âme immortelle. Déméter accordait deux dons: le blé, source de vie, et les mystères, promesse d'une vie meilleure, au-delà du plan terrestre.

À Delphes, Dionysos était vénéré dans un culte extatique où l'initié ressentait une mutation intérieure de la conscience qui changeait radicalement sa perception du monde et de lui-même. Par une transe, il s'est laissé posséder par l'esprit de Dionysos, une énergie plus puissante et infinie. Il ne s'agissait pas de perdre conscience, mais de laisser parler la folie originelle et sacrée qui est en soi. Très probablement, et suite aux tragédies des classiques, les initiés ont perdu la notion du temps et ont soustrait tout sens lié à la vue, l'ouïe et la parole. La grande étape de la libération de l'âme serait sûrement le Mont Parnasse, qu'ils verraient comme un reflet du cosmos, et l'initié se sentirait relié à lui par son âme. En perdant cette conception de l'espace, vous n'auriez pas non plus la conception du temps, car le but ultime était d'être le phénomène de la nature qui est sur le point de naître en vous. Chaque geste, chaque danse, chaque action serait parfaite. Il n'y avait pas de marge d'erreur, il n'y avait pas de plan ou d'intention préméditée. Dionysos représentait dans cet instant infini l'action pure dans l'éternel présent. Dans Les Bacchantes d'Euripide, il s'exprime (73-151) :
"Heureux l'initié béat aux mystères des dieux qui consacre sa vie et offre son âme comme compagne à la tante du dieu, dansant sur les montagnes comme les Bacchantes dans les saintes purifications (...) Le lait coule de la terre, le vin coule, le nectar des abeilles coule. On respire un arôme semblable à l'encens de Syrie lorsque Bacchus élève haut dans les airs la flamme rouge de la torche de pin avec son feu, laissant dans l'air ses boucles délicates et avec des danses et des hurlements il fait bouger les femmes en délire qui rugissent avec des cris d'évohé".
Grâce à l'état de délire et de possession divine, les dévots pouvaient réaliser toutes sortes de prodiges dans leurs danses et chants dans la montagne, entre les rites de chasse et de mort d'un animal, ainsi que d'autres "miracles" dionysiaques, liés aux domaines du dieu (la végétation, la vigne...).

En conclusion, comme le nom de Dionysos n'a pas de racine indo-européenne, il relève d’une influence orientale. Certains auteurs relient le dieu à l'Inde, bien que la ligne continue des cultes archaïques, qui reliait directement la Méditerranée à l'Inde par le Moyen-Orient et la Perse, ait été perdue pour une bonne part. Sa transcription indienne serait Shiva. Shiva correspondrait au principe destructeur qui conformerait la trinité hindoue, Brahma étant le principe créateur et Vishnu, le principe conservateur. Shiva, comme Dionysos, représenterait non seulement le principe destructeur, mais symboliserait également le phallus, en tant qu'expression de la fécondité. Il est également représenté comme le seigneur de la danse cosmique. Plus tard, les peuples aryens lui ont donné une place dans leurs rituels et l'ont associé au protecteur de la nature et des animaux sous le nom de Pashupati. On reconnaît à Shiva les traits suivants, très semblables à ceux de Dionysos: la vigne, la fertilité de la terre, le seigneur des animaux, l'invocation de la danse ou du théâtre, liée à des forces incontrôlées, oscillant entre la vie (festins, orgies nocturnes) et la mort. Progressivement, les traces du shivaïsme ont été intégrées au brahmanisme védique, le transformant profondément, d'où la difficulté de le rattacher à ses origines. Il en va de même pour Dionysos, dont l'origine est ambiguë et dont le culte est resté sous-jacent malgré la vague d'invasions et les guerres qui en découlaient. Quoi qu'il en soit, si nous devions penser que le Dionysos archaïque a été la même divinité que le Shiva de la religion védique, nous trouverions des divinités "identiques" dans différentes religions, et cette possibilité est également très valable pour relier les religions occidentales et orientales.
Bibliographie
Burkert, W. Cultos mistéricos antiguos. Ed. Trotta.
Capelle, W. Historia de la Filosofía Griega. Ed. Gredos
Bernabé, A. Orfeo y la tradición órfica. Akal Universitaria. Serie Religiones y mitos.
Günter, H. Religiosidad nórdica. Ed. EAS.
Montes, A. Repensar a Heráclito. Ed. Trotta.
Grimal, P. Diccionario de mitología griega y romana. Ed. Paidos.
Bhagavad Gita: el canto del Señor. Círculo de Lectores.
Liens intéressants :
12:03 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, mythologie, mythologie grecque |
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mardi, 30 mars 2021
Homère dans la Baltique : essai sur la géographie homérique

Homère dans la Baltique : essai sur la géographie homérique
Un livre de Felice Vinci (*) paru aux Editions Fratelli Palombi à Rome
Pourquoi, Homère dans la Baltique ? Depuis l'Antiquité, tous les chercheurs ont été surpris par les nombreuses et inexplicables contradictions de la géographie de l'Iliade et de l'Odyssée concernant des lieux méditerranéens comme, par exemple, la situation et la topographie d'Ithaque, la configuration de son archipel, l'aspect plat du Péloponnèse, etc. Plutarque est celui qui nous donne la clé pour entrer dans le monde réel des deux poèmes lorsque, dans l'une de ses œuvres, De fade quae in orbe lunae apparet, il affirme une chose étonnante : Ogygia, l'île de la déesse Calypso, se trouverait dans l'Atlantique Nord" à cinq jours de navigation de cette île que nous appelons maintenant la Grande-Bretagne".

Le monde d'Homère dans la Baltique et l'Atlantique Nord
Voici le début de nos recherches: en effet, l'archipel des Färöer, où se trouve une île appelée "Mykines", correspond parfaitement aux indications de Plutarque. De plus, sur une des îles du même archipel, appelée Stòra Dimun, face à la mer, se trouve une montagne appelée Högoyggj. D'ici, en suivant toujours les indications détaillées de l'Odyssée sur la route vers l'Est qu'Ulysse a suivie après avoir quitté l'Ogygie, on peut identifier le pays des Phéaciens, "Escheria", sur la côte méridionale de la Norvège: près de Stavanger, on découvre une région très riche en témoignages archéologiques de l'âge du bronze et, de plus, dans l'ancienne langue du Nord "skerja" signifiait "récif". En suivant ce littoral, un examen comparatif attentif nous permet de découvrir le véritable archipel d'Ithaque parmi les îles du Danemark, car selon l'Odyssée, près d'Ithaque se trouvaient trois îles principales : Dulychius ("la longue" en grec, introuvable en Méditerranée), Same et Zacinthe, qui correspondent respectivement à Langeland ("le long pays" en danois), Aere et Tâsinge, les principales îles de l'archipel danois du "Sud-Fyn". Et Ithaque, la patrie d'Ulysse, quelle est-elle ? Il s'agit simplement de l'actuelle Lyo, qui lui correspond parfaitement par sa position géographique: en effet, comme l'Odyssée le souligne à plusieurs reprises, elle est située à l'extrémité occidentale de l'archipel et à côté d'Aero; de plus, Homère nous apprend qu'entre Ithaque (Lyo) et Same (Aero) se trouvait une autre petite île, Asteris, qui correspond en fait à l'actuelle Avernako. Or, si l'Ithaque méditerranéenne est très différente de l'Ithaque homérique non seulement par sa situation dans l'archipel mais aussi par sa topographie, Lyo correspond à la patrie d'Ulysse tant dans les détails morphologiques que topographiques. On y trouve par exemple le "Port de Forcis" et le "Rocher du Corbeau" (un dolmen néolithique dans la partie occidentale de l'île). À l'est de Lyo se trouve le "Péloponnèse" homérique - ou "l'île de Pylos" - où régnaient les rois Atreus et Nestor, c'est-à-dire la grande île de Sjaelland (où se trouve aujourd'hui Copenhague, la capitale du Danemark). En effet, cette île est plate et correspond à la description d'Homère. Au contraire, le Péloponnèse grec n'est ni plat ni insulaire, malgré son nom ; il est néanmoins situé au sud-ouest de la mer Égée, c'est-à-dire dans une position correspondant à celle du Sjaelland dans la Baltique : voilà encore un témoignage de la transposition des noms géographiques faite par les Achéens lorsqu'ils descendirent du nord pour atteindre le sud de l'Europe.

Et les voyages d'Ulysse après la guerre de Troie? Alors qu'il était sur le point d'atteindre Ithaque, il fut chassé de sa patrie par une tempête, après quoi il eut de nombreuses aventures dans des lieux fabuleux avant d'atteindre l'île d'Ogygie : aventures dont le cadre, comme nous allons le voir, est certainement celui de l'Atlantique Nord, où Plutarque nous a indiqué la situation d'Ogygie. En effet, l'île Aeolia, où règne le "roi des vents", fils d'Hippocrate, c'est-à-dire "le fils du chevalier", est l'une des îles Shetland (peut-être Yell) où soufflent les vents terribles et où vivent aussi de petits chevaux. Les Cyclopes - qui ressemblent aux Trolls, les géants mythiques du folklore norvégien dont la mère s'appelle "Toosa" - se sont installés sur la côte norvégienne (où il y a un "Tosen-fjorden"). La région des Lestrigones se trouvait également sur la même côte, plus au nord: l'Odyssée nous apprend que les journées y sont très longues. Et où se trouve l'île "Lamoy" (c'est-à-dire le "Lamos" homérique), l'île de la magicienne Circé, où le soleil est visible à minuit et où ont lieu les levers de soleil qui tournent (Homère les appelle "les danses de l'Aurore"), danses qui se retrouvent sous la forme des "danses d'Ushas" de la mythologie védique dont parle Tilak dans son ouvrage Origine polaire de la tradition védique ? Cette île peut être identifiée à Jan Mayen, au nord du cercle polaire. Il convient de noter que jusqu'au début de l'âge du bronze, le climat du Nord était beaucoup plus chaud. Il faut également noter que les "Wandering Rocks" (les rochers mouvants) sont des icebergs et que Charybde correspond sans doute au célèbre tourbillon appelé Maelström, près des îles Lofoten. Après l'épisode de Charybde, Ulysse débarque sur l'île de Trinacria, c'est-à-dire "le Trident" ; or, à côté du Maelström, il existe certainement une île à trois pointes appelée Vaeroy.

Les Sirènes, qu'Ulysse rencontre avant d'atteindre le détroit de Charybde, sont en réalité des récifs très dangereux pour les marins qui sont attirés par le murmure mélancolique du ressac, et qui, s'ils s'en approchent en croyant que la côte est proche, courent le risque de s'échouer. Ainsi, le "chant des sirènes" est une métaphore comparable à celle des kennings de la littérature nordique. Enfin, le "fleuve océan" de la mythologie grecque correspond au Gulf Stream, qui longe les côtes de la Norvège jusqu'à la mer glaciaire arctique.
En un mot, ces aventures, probablement inspirées des récits de marins de l'âge du bronze sur la mer du Nord, datent d'une époque où la navigation était très développée, surtout en Norvège où le climat était plus doux qu'aujourd'hui, et rappellent les routes océaniques des marins de l'époque telles qu'elles ont été revues par l'imagination du poète ; ces aventures deviendraient incompréhensibles si elles étaient transposées dans un tout autre contexte, à savoir la Méditerranée.
Notre enquête porte maintenant sur la situation de Troie : il existe aujourd'hui des chercheurs, comme le célèbre professeur anglais Moses Finley, qui nient que la Troie homérique puisse coïncider avec la ville découverte par Heinrich Schliemann sur la colline de Hissarlik en Anatolie. En effet, la ville chantée par Homère était située au nord-est de la mer, en face du "vaste Hellespontine" (dont on sait qu'il est très différent du détroit des Dardanelles), et l'historien médiéval danois Saxo Grammaticus a plusieurs fois fait mention d'un village des "Hellespontines", ennemis des Danois, dans la Baltique orientale. Or, dans une région du sud de la Finlande, entre les villes d'Helsinki et de Turku, on trouve de nombreux noms de lieux similaires aux noms de lieux et de villages alliés aux Troyens mentionnés dans l'Iliade: Askainen, Reso, Karjaa, Nâsti, Lyökki, Tenala, Killa, Kiikoinen, Aijala, et bien d'autres. De plus, des noms de lieux tels que Tanttala et Sipitä (le roi mythique Tantalus était enterré sur le mont Sipylus) ne rappellent pas seulement la géographie homérique mais évoquent aussi toute la mythologie grecque. Et Troie, où la trouve-t-on ? Au centre de cette région baltique, où se trouvent de nombreux témoignages archéologiques de l'âge du bronze, nous découvrons un lieu dont la morphologie est extraordinairement similaire aux descriptions homériques, c'est-à-dire un territoire vallonné dominant une plaine traversée par deux rivières, c'est-à-dire un territoire qui descend vers la mer avec une zone plus accidentée. Et puis nous découvrons que la cité du roi Priam a survécu aux pillages et aux incendies des Achéens et qu'elle a gardé son nom presque inchangé jusqu'à ce jour: c'est "Toija", comme on l'appelle maintenant. La vraie Troie est un paisible village finlandais qui a oublié son passé glorieux et tragique. Quelques kilomètres plus loin en mer, là où se trouvait l'ancien littoral, le village appelé Aijala rappelle cette plage qu'Homère appelle, en grec, "aigialos" (Iliade XIV, 34), la plage où les Achéens avaient débarqué et établi leur camp retranché.
C'est pourquoi, dans les récits de l'Iliade, un "brouillard épais" s'abat souvent sur les guerriers qui combattent dans la plaine de Troie. Il est maintenant facile de comprendre pourquoi la mer d'Ulysse ne ressemble en rien à la mer brillante de la Grèce, mais est toujours décrite comme "grise" et "brumeuse": le monde homérique est empreint de la rigueur du climat nordique, dans lequel prédominent le froid, le vent, le brouillard, la pluie, la tempête, la glace et la neige (Iliade XII, 284), et où le soleil et la chaleur sont absents. En effet, les personnages d'Homère sont toujours enveloppés dans de lourds manteaux de laine - des manteaux semblables à ceux que l'on trouve dans les tombes danoises de l'âge du bronze - même pendant la saison la plus propice à la navigation. En bref, ce monde homérique n'a rien à voir avec les plaines torrides d'Anatolie. De plus, les murs de Troie, faits de pierres et de rondins, ressemblent davantage à ceux des anciennes cités du Nord qu'à ceux des puissantes forteresses mycéniennes.
Ainsi, ce qui est étrange dans la longue bataille, dans la partie centrale de l'Iliade, avec deux midi (XI, 86 ; XVI, 777) et une "nuit terrible" (XVI, 567) mais sans aucune interruption des combats pendant la nuit - ce qui est impossible dans le bassin méditerranéen, où toutes les batailles sont interrompues par l'obscurité - est immédiatement expliqué : il s'agit d'une description de la nuit claire du solstice d'été dans les hautes latitudes qui permet aux troupes reposées de Patroclus, qui sont entrées dans le combat le soir, de combattre sans repos jusqu'au lendemain.
Et maintenant, après avoir découvert le monde d'Ulysse dans les îles danoises et celui de Troie dans le sud de la Finlande, le "Catalogue des navires", tiré du chant II de l'Iliade, nous permet de reconstituer tout l'univers perdu d'Homère et de la mythologie grecque en suivant les côtes de la Baltique dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Un exemple: la région de Stockholm correspond à la Béotie homérique; ici, la baie suédoise de Norrtälje, d'où partent aujourd'hui les ferry-boats pour Helsinki, correspond à l'ancienne Aulide béotienne, où la flotte achéenne se rassemblait avant de partir pour Troie. Autre exemple : dans l'archipel d'Åland, entre la Suède et la Finlande, l'actuelle Lemland est Lemnos, où les Achéens s'arrêtaient pendant la traversée, tandis qu'au retour de la guerre ils passaient devant Chios, qui correspond à Hiiumaa, ou Chiuma, une île estonienne. Notons également que près de Stockholm, Täby est Thèbes, la ville d'Œdipe, Tyresö rappelle le devin thébain Tirésias, et une colline appelée Nysättra est le mythique mont Nyssa, où naquit le thébain Dionysos. L'Athènes d'origine de Thésée se trouvait sur la côte sud de la Suède, près de Kalkskrona: en effet, selon le dialogue de Platon, Critias, elle était située dans une plaine sinueuse avec de nombreux fleuves, très différente de sa morphologie actuelle ; ensuite, le "Catalogue des navires" mentionne les régions du Péloponnèse, de Dulychium et de l'archipel d'Ithaque, selon une séquence impossible en Méditerranée, et confirme son identification avec Sjaeltand, Langeland et Lyo, déjà obtenue par l'Odyssée. La Crète, qu'Homère n'appelle jamais "île" mais "le vaste pays", était située le long de la côte polonaise de la Baltique: c'est pourquoi l'art minoen crétois ne fait aucune allusion à la mythologie grecque (d'ailleurs, le nom de la Pologne, "Polska", rappelle les "Pélasgiens", habitants mythiques de la Crète). De plus, en suivant le mythe de Thésée et Ariane, qui nous dit qu'entre "Crète" et "Athènes" se trouvait l'île de Naxos, nous pouvons voir qu'entre les côtes polonaises et suédoises se trouve une île, Bornholm, avec une ville appelée Nekso. Toujours selon le "Catalogue", le long de la longue côte finlandaise, la ville mythique de Jason, Yolco, correspond à l'actuelle Jolkka, près du golfe de Botnie. Toujours en Finlande, le mont Pallas (Pallastunturi) ressemble à Pallas, c'est-à-dire à Athéna, et la rivière Kyrön (Kyrönjoki) évoque le centaure Chiron, et semble indiquer que les Lapons actuels seraient les descendants des mythiques Lapithes, ennemis des Centaures. Ainsi, dans le monde balte, on trouve aussi d'autres peuples que l'on croyait perdus: les descendants des Danaens et des Curètes homériques seraient respectivement les Danois actuels et les habitants de Curlandia, une région de Lettonie.

Et que dire de l'île de Paros, "à une journée de navigation du fleuve Égypte", et de la ville appelée "Thèbes d'Égypte", qui, selon Homère, était proche de la mer ? C'est l'une des plus célèbres énigmes de la géographie homérique, car l'île égyptienne de Paros se trouve près de la côte, devant le port d'Alexandrie, et la ville de Thèbes est à une centaine de kilomètres à l'intérieur des terres. Or, le fleuve qui, dans la Baltique, se trouve dans une position correspondant à celle du Nil est la Vistule. En effet, devant son embouchure (un delta semblable à celui du fleuve africain), au milieu de la Baltique (c'est-à-dire "à une journée de navigation"), se trouve une île appelée Fårö. C'est donc ici que Ménélas rencontre Protée, le "Vieux de la mer", que l’on retrouve dans la figure du "marmendill", un devin de la mythologie nordique. De plus, à la même bouche du fleuve, la ville polonaise de Tczew rappelle le nom de la Thèbes homérique. Quant à l'Égypte que nous connaissons, son ancien nom était "Kemi", tout comme celui de Thèbes était "Wò'se" : les noms actuels ont été donnés par les Mycéniens qui, après leur descente en Méditerranée, ont voulu reconstituer ici leur monde d'origine.
En somme, la géographie homérique, qui souffre en Méditerranée d'innombrables et irrémédiables contradictions, trouve sa place naturelle dans le monde balto-scandinave: cette localisation nordique dessine un tableau géographique, morphologique, toponymique et climatique totalement cohérent avec le monde des deux poèmes et de la mythologie grecque. De plus, la civilisation chantée par Homère présente des affinités singulières avec celle des Vikings, ainsi qu'avec leur mythologie, malgré l'énorme distance temporelle qui les sépare. Toutefois, les spécialistes ont remarqué que le monde homérique semble nettement plus archaïque que celui des Mycéniens, apparus en Grèce aux alentours du XVIe siècle avant J.-C. De toute évidence, ces derniers, qui étaient de grands navigateurs et commerçants, ont immédiatement établi des contacts avec les civilisations méditerranéennes les plus raffinées après leur arrivée en zone méditerranéenne: c'est la raison de leur évolution rapide.
Pour le reste, en ce qui concerne l'origine nordique de la civilisation mycénienne, tout cela est corroboré par les preuves archéologiques recueillies en Grèce. En effet, l'archéologie l'a constaté (Prof. Martin P. Nilsson, Homère et Mycènes, Londres 1933, pages 71-86) :
- la présence d'une grande quantité d'ambre, probablement balte, dans les tombes mycéniennes les plus anciennes et son absence dans les autres;
- les caractéristiques nordiques de son architecture: le mégaron mycénien "est identique à la salle de réunion des anciens rois scandinaves";
- "la ressemblance frappante" des dalles de pierre, trouvées dans une chambre funéraire près de Dendra, "avec les menhirs connus de l'âge du bronze en Europe centrale";
- les crânes de type nordique de la nécropole de Kaîkani, etc.
D'autre part, les chercheurs ont trouvé des similitudes remarquables entre la représentation des figures de l'art minoen (mycénien et crétois) et certaines gravures uniques trouvées sur les dalles de sarcophage appartenant à un énorme monticule de l'âge du bronze (75 mètres de diamètre) à Kivik, dans le sud de la Suède. Et que dire de la présence d'un "graffiti" représentant une dague mycénienne sur un mégalithe à Stonehenge en Angleterre? En outre, on trouve dans cette région d'autres traces ("civilisation du Wessex") qui rappellent la civilisation mycénienne, mais qui semblent avoir précédé de quelques siècles ses débuts en Grèce. À cet égard, l'Odyssée mentionne un marché de bronze dans une localité étrangère, située outre-mer, appelée "Tamise", jamais identifiée en Méditerranée: en se rappelant que le bronze est un alliage de cuivre et d'étain et que, en Europe du Nord, ce dernier était produit presque exclusivement en Cornouailles, on pourrait en déduire que cette "Tamise" homérique correspondait à l'estuaire de la Tamise (appelé "Thamesis" ou "Tamensîm" dans l'Antiquité).
En bref, le véritable lieu d'origine des poèmes homériques et de la mythologie grecque était le monde balto-scandinave, où l'âge du bronze, favorisé par un climat exceptionnellement doux, s'est épanoui avec des produits splendides semblables à ceux de la Méditerranée. Rappelons que les savants fondent leurs spéculations sur un "optimum climatique", après la dernière glaciation, qui aurait duré jusqu'au début du deuxième millénaire avant J.-C., ce qui confirme également la thèse de l'origine arctique des Aryens soutenue par Tilak en Inde. Notons également que lorsque cette période s'est terminée et que le climat est devenu très rude (plus qu'aujourd'hui), c'est le moment où commencent les migrations des Indo-Européens: ainsi, alors que les Aryens se sont installés en Inde, leurs "cousins" achéens se sont dirigés vers la Méditerranée - en descendant peut-être les grands fleuves russes, comme le Dniepr - et ont donné naissance à la civilisation mycénienne; de sorte qu'ils ont attribué, aux différents lieux où ils se sont installés, des noms identiques à ceux des régions qu'ils avaient quittées dans leur patrie perdue, en se servant d'une certaine similitude entre les deux bassins, la Baltique et la Méditerranée. En outre, les vieilles histoires de leurs ancêtres ont été transmises d'une génération à l'autre, à partir desquelles ont germé les premières graines de l'Iliade et de l'Odyssée, et qui peuvent être considérées comme des "fossiles littéraires" ayant survécu à l'effondrement de l'âge du bronze en Europe du Nord.
C'est pourquoi on ne sait rien de leur(s) auteur(s). Enfin, l'effondrement de la civilisation mycénienne (causé par les Doriens vers le XIIe siècle avant J.-C.) a fait oublier définitivement le souvenir de leur émigration du Nord, pourtant attestée par l'archéologie: ainsi, leurs anciens récits, transmis par les aèdes jusqu'à l'âge classique, ont perdu leur contexte "hyperboréen" originel, bien que celui-ci n'ait jamais été complètement oublié par les Grecs anciens, et ont ensuite été transférés dans le monde méditerranéen, où ils sont restés dans une dimension mythique hors de l'espace et du temps (1).
Felice Vinci
(*) Italien, né à Rome, spécialisé dans l'ingénierie nucléaire ; cependant, son penchant pour la Grèce antique l'a fait travailler pendant des années avec érudition sur l'approche inédite de la géographie des œuvres d'Homère.
Note :
(1) En avril 2017, une conférence internationale sur "Homère dans la Baltique" a été organisée dans un institut académique grec à Athènes. Un résumé actualisé de cet article a été publié par le Athens Journal of Mediterranean Studies. Pour accéder au contenu, rendez-vous sur le site :
https://www.athensjournals.gr/mediterranean/2017-3-2-4-Vinci.pdf
Par ailleurs, une critique de l'article, signée par Arduino Maiuri, philologue à l'Université de Rome, vient d'être publiée dans l'American Journal et peut être consultée sur le site :
Http://www.davidpublisher.com/Home/Journal/SS
ou également à :
Http://www.davidpublisher.org/index.php/Home/Article/index?id=31714.html
00:41 Publié dans archéologie, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : archéologie, felice vinci, homère, iliade, odyssée, ulysse, guerre de troie, mer baltique, histoire, mythologie, mythologie grecque, hellénisme, antiquité grecque |
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mercredi, 03 mars 2021
Rémi Soulié évoque « Les Métamorphoses d’Hermès »

Rémi Soulié évoque « Les Métamorphoses d’Hermès »
Entretien
Ex: https://www.breizh-info.com
Qui ne connaît pas Hermès, fils de Zeus et de la nymphe Maïa, protecteur des voyageurs et des voleurs, messager des dieux ? Son association au logos, au discours raisonné, est en revanche moins connue, bien qu’elle soit nécessaire à son rôle de messager. C’est cette facette méconnue que Rémi Soulié, dans un livre intitulé Les Métamorphoses d’Hermès paru aux éditions La Nouvelle Librairie (collection Longue mémoire de l’Institut Iliade) s’attache à révéler et à expliquer. Dieu d’une connaissance sacrée et voilée, Hermès donne son nom à l’hermétisme, doctrine ésotérique particulièrement utilisée par les alchimistes, et à l’herméneutique, science du déchiffrement et de l’interprétation de textes.
Pour partir à la rencontre d’Hermès avant que vous ne vous penchiez dessus plus en détail dans l’ouvrage (à commander ici), nous avons interviewé Rémi Soulié.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Rémi Soulié : C’est pour votre serviteur un exercice plus difficile qu’il n’y paraît ! Disons que je suis écrivain et philosophe, que j’ai publié une dizaine de livres dont le dernier s’intitule Racination et qu’il a paru en 2018 aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux. Comme vous êtes également « enracinés », je précise que la question de l’enracinement traverse tous mes livres, qu’elle en est même la trame et…que j’étais cet été dans votre pays breton, que j’aime beaucoup, sur les traces de Saint-Pol-Roux, Georges Perros et Xavier Grall (après avoir vécu une curieuse expérience, il y a quelques années, à la Fontaine de Barenton, sur laquelle s’« ouvre » mon prochain livre, L’Éther – où il sera question de l’unité de l’enracinement terrestre et céleste.) Mon pays est occitan, c’est le Rouergue – lequel correspond, à quelques paroisses près, à l’actuel département de l’Aveyron. Il occupe une grande place dans mes livres, qu’elle soit centrale ou « disséminée ».
Au moment de vous répondre, je songe également que La Nouvelle Librairie réédite bientôt L’Ile aux trente cercueils, de Maurice Leblanc, que j’ai eu le plaisir et l’honneur de préfacer : il y est question de la Bretagne, des Celtes et de l’Europe. Arsène Lupin y est rendu à lui-même, contre les manipulations en cours.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au personnage mythologique d’Hermès ? Qui est-il ?
Rémi Soulié : Je me suis intéressé à Hermès à partir de la pensée hermétique, sur laquelle je reviendrai.
A mes yeux, il est moins un « personnage mythologique », au sens où nous entendons aujourd’hui cette formule, qu’un dieu grec (mais pas « seulement ») et je fais partie de ceux pour qui les dieux ne sont pas morts. Je veux dire par là que le « Dieu est mort » de Nietzsche – constat de décès indubitable – s’applique au dieu moral et, pour une part, au dieu unique, mais que le divin, si crépusculaire soit-il, demeure. Au fond, c’est surtout nous qui sommes crépusculaires, nous, les derniers hommes, les tard venus, qui avons perdu la vue et l’ouïe au point de ne plus voir la merveille du monde, il est vrai recouverte par les monceaux d’ordures de l’industrialisme et du capitalisme planétaires.
Cet été, j’ai donc été me recueillir sur la tombe de Saint-Pol-Roux et de sa fille Divine – sans commentaire… – puis je me suis rendu sur les ruines de son manoir. Je peux vous dire que les dieux étaient là, comme ils étaient à Ouessant, où je me suis rendu quelques jours plus tard. Pour de très nombreuses raisons, la Bretagne est une terre sacrée.
Mais revenons à Hermès, quoique nous ne l’ayons quitté qu’en apparence. Traditionnellement associé aux échanges, il est un dieu de l’entre-deux, un dieu messager et intercesseur dont les ailes lui permettent d’aller et de venir des dieux aux mortels, de l’Empyrée aux Enfers, en particulier pour porter la parole de Zeus. En tant quel tel, il détient une connaissance, un savoir, un pouvoir d’ « in-formation », ce qui ouvre le champ des formes, donc, de la métaphysique. Espiègle, joueur, rieur, il ne nous élève pas moins vers les sommets. En serviteur inutile, j’ai voulu contribuer à l’« arracher » à ceux qui voudraient en faire le dieu de la « communication », au sens moderne, qui est donc l’autre nom de la surdité et de la cécité. Hermès ouvre à l’épaisseur mystérieuse des mondes. Comme Hamlet, avec qui il partage la même initiale, il sait qu’il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel que n’en rêve notre philosophie. D’ailleurs, le H a la forme d’une échelle, qu’elle soit de Jacob, de S. Jean Climaque ou de Dame Alchimie, et une échelle, ça se monte et ça se descend. Les Modernes, eux, vivent dans la seule dimension d’une horizontalité qu’ils pensent, sans rire, égalitaire. Un peu plus de H, pour la route – de H et d’Héros : ceux de Hiérarchies, Hiérogamies…

Breizh-info.com : Qu’est-ce que l’herméneutique ? L’hermétisme ?
Rémi Soulié : L’herméneutique est l’art de l’interprétation des signes que j’entends, ultimement, comme symboles. Autrement dit, il est l’art de voir l’esprit vivant sous la lettre morte, qui est l’autre nom de la pensée. L’hermétisme, quant à lui, permet de comprendre qu’en fait, la lettre et l’esprit ne s’opposent pas, qu’ils sont l’un et l’autre prodigieusement vivants, qu’ils s’interpénètrent comme l’âme et le corps en un ensemble subtil, sub-tela, sous la toile, sous le tissu, sous le textile, donc, sous le texte du monde, auquel il est le répons. Nous lui avons substitué, en parodistes, l’écriture juridique, l’écriture morte d’une langue morte. Aux herméneutes (aux poètes, si vous préférez) s’est substituée ce que Péguy appelait l’« avocasserie ». Les Modernes se gargarisent de l’inflation des lois écrites, comme dans toutes les époques de très grande corruption, or, les lois et les règlements modernes sont de la mort en barre : le juridisme embaume un ordre mort, celui de l’État de droit. Partout, le mécanique s’est substitué à l’organique. Cette horreur contractuelle est d’ailleurs logique puisque nous sommes des cadavres qui, en ayant perdu le symbole, avons perdu la vie. Nous sommes quelques-uns à être éveillés, à être sortis de la Matrice, mais un trop grand nombre de nos contemporains a encore le sommeil lourd et prend le cauchemar pour un rêve – c’est vous dire à quels points ils dorment debout. A leur décharge, l’hypnose spectaculaire est incessante… Notre ascèse consiste à nous situer au plus près du réel, du pays réel, du pays des merveilles, comme Alice. L’enfance, en effet, a toujours raison. L’Hermès de l’Hymne homérique est bien entendu un dieu enfant. Il ne faut jamais croire les « grandes personnes », comme disait Bernanos. Les « vieux » mentent (d’où leur grimage « jeuniste »). En ce qui me concerne, je tends à l’Imitation du Ravi de la crèche, de l’Idiot du village planétaire, du Simplet de Blanche-Neige (le nom de ce conte – il faut toujours en revenir aux contes – est d’ailleurs devenu intolérable ; quel racisme ! De ce point de vue, relisons Patrouille du conte, de Pierre Gripari qui, comme tous les grands écrivains, fut un visionnaire). Je pourrais aussi bien évoquer les Gens du blâme, les Fols en Christ ou le Fou du tarot. Chaque fois que je croise un technocrate ou un oligarque, je rigole. Dèmos Roi est à poil et il ne le voit pas. La démocratie libérale requiert une pataphysique. C’est un nouveau chantier, très exaltant.
Breizh-info.com : En quoi est-il nécessaire de se replonger dans notre mythologie, à l’heure actuelle, pour avancer ?
Rémi Soulié : Il faut en effet renouer avec le mythe qu’une raison étriquée a trop longtemps relégué, sinon, à l’enfance de l’humanité (le « raisonneur métis », comme disait Gobineau, est progressiste), du moins, à des balbutiements prélogiques, pré-rationnels ou magiques alors que le mythe, pour parler un langage hégélien, est la révélation de l’Esprit à lui-même, donc, à nous-mêmes. Le démocrate déconstructeur et déconstruit, qui passe donc son temps à « se reconstruire », bricole du sens provisoire pour ne pas se tuer alors que le sens est prodigalement et prodigieusement donné. C’est un cadeau, un don, un présent, le présent du présent en quelque sorte, qui est l’éternité même, et même l’Ethernité, comme dirait le Docteur Faustroll. Les petites subjectivités électorales-stercorales n’en connaissent que la parodie démoniaque. Seul compte le Graal, vous le savez bien. La chevalerie est le seul souci politique.
Le mythe excède donc l’usage instrumental de la petite rationalité technique moderne. Comme tel, il est le poème accompli de la vie et du sens dévoilé – plus que « révélé », d’ailleurs, car il excède également les religions dites du salut et leurs révélations historiques plus ou moins concurrentes, juive, chrétienne, arabo-islamique. Le mythe les englobe et les dépasse comme il englobe et dépasse l’Histoire dite sainte. Quel paradoxe de l’avoir associé à la fabulation supposée des fables alors qu’il est le juste chant harmonieux de l’Âme du Monde, le chant des Muses ! Combien notre monde spectaculaire de toc, de stuc et de kitsch est-il inconsistant comparativement à cette Grande parole !
Breizh-info.com : Vous avez donc publié Racination, en 2018, chez Pierre Guillaume de Roux, disparu il y a peu. Un commentaire sur sa disparition ?
Si vous le permettez, vous pouvez indiquer à vos lecteurs le site d’Éléments, où je me suis exprimé, avec d’autres, sur cette terrible et douloureuse nouvelle : https://www.revue-elements.com/pierre-guillaume-de-roux-c...
Je connaissais Pierre-Guillaume de Roux depuis plus de vingt ans, depuis la publication de mon deuxième livre, consacré à son père, Dominique de Roux. Nous avons échangé des mails trois jours avant son décès. Élégant jusqu’au bout, enthousiaste et jovial, il n’a rien laissé paraître. Je pleure, comme tous ses amis, un homme intègre, droit, rigoureux, acharné à défendre l’idée qu’il se faisait de la littérature jusqu’à l’héroïsme, tant la situation économique était difficile. Comme toujours, on ne mesurera pleinement que dans quelques années ce que fut son œuvre. Hors le courage et le goût, sa plus grande qualité fut peut-être la discrétion. Pierre-Guillaume de Roux travaillait ; il « ne la ramenait pas », comme tous les grands. Cela ne vous étonnera pas : il dort à Avallon, à Avalon, où ces deux ailes l’ont emporté.
Propos recueillis par YV
Photo d’illustration : DR
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dimanche, 03 janvier 2021
Essai sur l'importance du mythe

Essai sur l'importance du mythe
Askr Svarte
http://www.polemos.ru/index/2017/09/30/as-myth/
Tout ce qu'on appelle aujourd'hui magie, mysticisme et ésotérisme, dans un sens large, sont des souvenirs et des dérivés, avec différents degrés de déformation, de la pensée mythologique et du mythe comme réalité de perception et comme forme descriptive. Malgré des siècles d’éradication systématique du mythe hors de la conscience sociale - un "désenchantement du monde", selon les termes de Max Weber - les structures de la pensée mythologique et de la perception de la réalité, qui lui est propre, continuent à vivre jusqu'à aujourd'hui, parfois même en subjuguant les méthodes scientifiques.
En grec ancien, le mot μῦθος signifie "tradition", "mythe". Un mythe est une chose qui se raconte oralement et se transmet de génération en génération. Si le mythe se raconte de lui-même, alors la mythologie (μῦθος + λόγος) est déjà une narration et une réflexion sur le mythe lui-même et son contenu ; la mythologie est une image rationalisée et généralisée, dont les intrigues dans le mythe lui-même sont données séparément et poétiquement.
Dans la société traditionnelle, le mythe occupait une place centrale ; il déterminait tous les aspects de la vie et de la vision du monde d'une personne. La fonction du mythe est d'expliquer l'origine du monde, l'origine de l'homme et de la société, pourquoi il est ainsi disposé, quelles sont les lois divines qui règnent dans le monde et le gouvernent, d'où viennent ces choses et ces fonctions, comment se comporter correctement avec les autres personnes, avec les animaux et la nature en général, et plus encore. De là découle la propriété de toute mythologie : le holisme, la "totalité" en langue grecque ; le mythe est un tout et englobe intégralement tous les niveaux de l'être : les mythes, y compris les contes de fées, les croyances, les traditions et les légendes, expliquent tout en général.
La pensée ordinaire actuelle se réfère au mythe et à la mythologie comme on se réfèrerait à un endroit, qui existait il y a longtemps, dans un passé lointain, que l'humanité a surmonté comme une étape de l'enfance, comme on abandonne une croyance naïve en quelque chose de mythique. Mais si nous considérons le temps, selon le généralement accepté dans nos sociétés modernes, et le percevons comme une flèche lancée vers l'avenir, nous constatons que l'ère de la vision traditionnelle du monde remonte à la préhistoire, puis passe par les civilisations que nous connaissons sous le qualificatif de « pré-chrétiennes » : Égypte, Mésopotamie, Grèce, Rome et autres; des millénaires de traditions païennes sont remplacés par le christianisme du Moyen-Orient, qui affirme son mythe historique et dogmatique spécifique, et est finalement interrompu à la fin du 16ème siècle, lors du passage de la Renaissance à l'aube des Lumières. La Renaissance commence l'ère moderne : la période de destruction de l'antiquité religieuse,[1]... La modernité se termine au début du 20ème siècle après les révolutions et la chute des derniers empires continentaux pendant la Première Guerre mondiale. Nous vivons maintenant dans l'histoire postmoderne depuis un siècle. Si l'on compare les périodes historiques au cours desquelles la société et l'homme ont vécu dans la conscience mythique et religieuse, il s'avère que le mythe couvre une bonne partie des millénaires de l'histoire humaine, alors que la modernité ne dure qu’un peu plus de cinq cents ans. Ainsi, nous voyons que l'humanité - et maintenant nous parlons principalement des peuples européens et voisins - a abandonné la conscience mythologique et la pensée "d'hier", mais s'en est détachée très rapidement et radicalement. Dans d'autres régions du monde, dans d'autres civilisations, le pouvoir du mythe et de la vision traditionnelle du monde est encore plus ou moins préservé, il n'a pas encore été expulsé et il a survécu. Et si nous examinons de plus près encore les données de l'ethnographie et du folklorisme, nous verrons que les sociétés les plus modernes et les plus a-mythologiques se trouvent dans les villes, tandis que dans les villages, avec un mode de vie paysan et rural, on trouve encore d'immenses strates de pensée relevant des mythologies et des superstitions qui persistent. Donc, d'un point de vue historique, le mythe était la partie la plus importante, c'était le langage utilisé pour décrire le monde jusqu'à "hier".
L'un des plus éminents penseurs allemands du 20ème siècle, Friedrich Georg Jünger, frère d'Ernst Jünger, analysant le contenu de la mythologie grecque au milieu du 20ème siècle, [2] conclut que les trames mythologiques sont intemporelles. Le mythe est une méta-histoire, ce qui se situe au-dessus des réalités historiques comme toile de fond du cours des événements ; en d'autres termes, malgré les changements de la société humaine, de la religion, de l'idéologie, des valeurs et des points de vue, l'humanité au plus haut niveau, sous une forme ou une autre, incarne, joue avec les trames des mythes paradigmatiques. Voici une question ouverte : les gens, dans leur destin, incarnent-ils cycliquement différents mythes, ou toute l'histoire humaine n'incarne-t-elle qu'un seul mythe de base ? Pour l'Europe, les mythologies grecque et romaine sont devenues une source inépuisable d'images, de métaphores, de modèles et de personnages, qui sont encore sans cesse reproduits dans la culture, l'art verbal et visuel. Ils sont présents dans le discours quotidien sous forme de phrases établies ou de noms communs, servent de sources à la terminologie scientifique et de modèles pour l'interprétation de la culture, c'est-à-dire pour la réflexion. Comme l'a dit Losev, le passé grec est devenu un passé commun pour toute l'Europe et pour les jeunes qui commencent tout juste à entrer dans la période de maturité.
Souvenons-nous de Sigmund Freud et Carl G. Jung, les fondateurs de deux écoles de psychanalyse, qui ont chacune eu recours aux thèmes des mythes grecs. Freud s'intéressait particulièrement au mythe tragique d'Œdipe, qu'il considérait comme un événement archaïque possible et un mythe fondamental pour la culture et la psyché européennes (avec des variations sur l'esprit du mythe d'Electre). Encore plus axé sur la mythologie et la religion, son étudiant et rival Carl G. Jung a consacré beaucoup de ses travaux à expliquer la psyché humaine en relation avec le symbolisme religieux et sa propre doctrine des archétypes, qui sous-tendent également la mythologie des peuples du monde.
À partir du milieu du 20ème siècle, un changement d'approche dans l'étude des religions et des visions mythologiques des peuples anciens et modernes est advenu. La science refuse de considérer le mythe et la religion comme des reliquats de superstition, comme la simple "enfance" de l'humanité. Une approche phénoménologique et structuraliste de l'étude et de l'interprétation des différentes traditions s’établit en milieux scientifiques. La première approche est associée au classique roumano-américain des études religieuses, Mircea Eliade, qui a partagé la thèse sur l'éternité du mythe et défendu la méthode d'étude des mythes, laissant derrière lui toute une école d'études religieuses [3]... Il est à noter que Mircea Eliade et Carl G. Jung, outre qu'ils étaient d'éminents chercheurs en mythologie, culture, sociologie et philosophie du 20ème siècle, faisaient partie du cercle intellectuel d'Eranos (1933-2006), qui s'est donné pour tâche de comprendre et de développer une nouvelle approche de l'étude des cultures et des sociétés.
La deuxième approche est associée à l'école française du structuralisme et à la figure de l'éminent linguiste et mythologue Georges Dumézil. Dans ses écrits [4], il a montré et démontré que la grande majorité des mythes indo-européens sont basés sur une même structure, qu'il a appelée tripartite ou trifonctionnelle. En se basant sur l'analyse d'une grande variété de légendes et de mythologies européennes, indiennes, caucasiennes (surtout ossètes) et orientales, il montre que la structure de la société indo-européenne, héritée par des peuples et des traditions ultérieurs distincts, est composée de trois fonctions principales, au sein desquelles presque tous les individus sont répartis. Prêtres, guerriers et agriculteurs ou artisans. Cette division de l'ensemble de la société en une pyramide à trois parties (les exclus, les esclaves, les criminels, etc. en sortent) peut être retracée à travers l'histoire ancienne avec des changements mineurs. Par exemple, en matière de pouvoir séculier et politique, le sommet de la pyramide est généralement occupé par des soldats, et en matière de pouvoir et de culte sacré, il est dominé par les prêtres. Cette division de la société a été clairement préservée jusqu'à la fin du Moyen Âge et n'a pas complètement disparu jusqu'à présent, surtout dans les régions les plus conservatrices. Le lien de cette structure avec les mythologies réside dans le fait que la structure de la société est un dérivé de la mythologie du peuple, dans laquelle J. Dumézil montre la présence des trois fonctions issues des figures divines : les dieux suprêmes donnent naissance à la classe des prêtres et à leur place et rôle social ; les dieux de la guerre et de la justice donnent naissance au pouvoir militaire des rois et au pouvoir politique ; les dieux de la fertilité, des récoltes et de la terre donnent naissance au mode de vie et aux valeurs incarnées dans le tiers état : agriculteurs, artisans, pêcheurs, etc. En d'autres termes, le mythe sacré est le prototype (l’icône) de l'ordre social qui s'incarne dans le monde réel. Là où dans la mythologie il y a des dieux de la fertilité, dans la société il y a une caste d'agriculteurs et leurs propres cultes et traditions. Il en va de même pour les guerriers, les dirigeants, les chamans et les prêtres. Dans une société mythologique, le pouvoir vient des dieux, de haut en bas, du mythe au social. Ainsi, Dumézil aborde l'étude du mythe par un autre côté, mais confirme indirectement la thèse sur "l'éternité du mythe" et le rôle de ses formes (structures) dans la vie des peuples, structures qui ne sont pas effacées de l'histoire.
La question du pouvoir, du mythe politique et culturel est au centre de l'attention des spécialistes de la culture, des anthropologues, des sociologues et des philosophes du 20ème siècle, surtout dans la période de l'après-guerre. Selon la sémiotique de Roland Barthes, la société moderne, comme dans l'Antiquité, se développe dans un environnement et croit en divers mythes. Ce n'est qu'aujourd'hui que l’on ne cherche plus des exemples d'excellence chez les Grecs ou chez les Allemands, mais dans la mythologie de la culture pop, des médias et de la propagande politique, ce qui apparaît clairement dans l'histoire des régimes totalitaires. Dans la pensée quotidienne, nous rencontrons ces mythes sous forme de stéréotypes, de préjugés, de fascination pour des idoles pop ou des personnalités politiques que nous ne connaissons pas, mais nous voyons constamment leur image artificielle sur les émissions de télévision ou sur YouTube. Ainsi, il a été démontré que, malgré le passage de la pensée traditionnelle à la pensée scientifique, la grande majorité de la société continuait à vivre dans un environnement d'images irrationnelles et fantomatiques, ne changeant que le langage : on ne se réfère plus à la mythologie grecque classique, par exemple, mais à un journal, un parti politique ou une chaîne de télévision. En même temps, la croyance mythique dans l'importance d'une pop star ou d'un chef de parti lui redonne une certaine autorité, fait de lui un modèle moral et un berger de ses fans. Mais maintenant que cette mythologie se construit de bas en haut, le pouvoir de l'idole dépend du caractère de masse de son fan club. Les mécanismes par lesquels la mythologie de la société capitaliste moderne et celle des médias façonnent le pouvoir et influencent la société et la personne en particulier sont examinés en détail et de façon critique dans les travaux de M. Foucault, R. Barthes, J. Baudrillard et d'autres. Les opposants à la société mythologique - par exemple, R. Bultmann et P. Riker - ont insisté sur la nécessité d'une purification et d'une rationalisation strictes de la culture et même de la religion, afin de séparer les significations de la nébuleuse de l'irrationnel. Il convient de rappeler ici la critique de la méthodologie scientifique, qui est traditionnellement opposée à toute forme de mythologie, en tant que système strict, logique et rationnel de preuves objectives. Dans ses écrits, le philosophe Paul Fayerabend a clairement montré que la science et les scientifiques violent constamment, et même n'ont jamais observé, les méthodes d'investigation scientifique ou les propres résultats expérimentaux établis par eux. Outre la critique de la société de masse moderne du côté de la philosophie française, il a également pris en compte la critique de la modernité du point de vue de Julius. Evola et Ernst Jünger - partisans du mythe, il est possible de lire toute la perception scientifique moderne du monde comme une forme spéciale et originellement arrangée de la même mythologie, où les docteurs en sciences prennent la place des prêtres, et les ingénieurs et les mécaniciens celle des agriculteurs. Aujourd'hui, un nouveau monde "magique" est également présent, celui de la réalité virtuelle et de sa mythologie (ce que nous appelons New-Age, Wicca, néo-paganisme, parapsychologie, etc.)
Vidéo: Moot with Askr Svarte and Stead Steadman - Pagan Traditionalism and "Polemos" book
Par ailleurs, les tendances croissantes de la virtualisation et de la mondialisation poussent de plus en plus les sociétés et les peuples à chercher leurs racines et leur identité dans les religions et les traditions anciennes. La recherche de la stabilité dans un monde en constante évolution conduit une fois de plus les gens vers une source d'ordre, de structure et de sens, ontologiquement supérieure aux conventions ou décisions momentanées. De nombreux événements religieux, conflits, phénomènes et problèmes culturels ont leurs racines ici. La "personne" n'est plus ce qu'elle était et la mythologie est en déclin. Mais en cette ère de changement, une nouvelle fenêtre d'opportunité s'ouvre pour que le mythe illumine le monde et mette de l'ordre dans les sociétés. Cela peut ou non se produire. Aujourd'hui, beaucoup dépend des gens eux-mêmes. Sur leur dévotion (fidelis) à leur Chemin, au Sacré, aux Dieux et aux idéaux les plus élevés qui s'élèvent dans le monde des ruines (Julius Evola).
Notes :
[1] A. F. Losev «Estética del Renacimiento», «Pensamiento», 1982.
[2] F.G. Junger «Mitos griegos».
[3] M. Eliade «Lo sagrado y lo mundano»
[4] J. Dumezil «Los dioses supremos de los indoeuropeos».
Traducido por Alejandro Linconao
Tomado de: http://www.polemos.ru/index/2017/09/30/as-myth/
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vendredi, 01 janvier 2021
Le symbolisme du sanglier

Le symbolisme du sanglier
par Gérard Thiemmonge
A propos de l'auteur : J'ai rencontré Gérard Thiemmonge, l'auteur de cet article publié à titre posthume, lors d'une université d'été de la Nouvelle Droite au début des années 80. Jusqu'à sa mort il y a quelques années, nous avons entretenu une amitié étroite, accompagnée d'un échange régulier de documentation sur l'histoire de certaines régions d'Europe et de leurs traditions. Au fil des ans, Gérard Thiemmonge est devenu un encyclopédiste infatigable qui a compilé un impressionnant catalogue d'illustrations, de cartes postales et de documentation sur des sujets aussi divers que la tradition musicale entourant la cornemuse en Europe, les runes et les animaux sacrés dans la tradition indo-européenne. Cependant, Gérard Thiemmonge, enraciné et passionné d'histoire et des traditions d'Europe, était aussi un véritable reître, un aventurier chevronné et un expert en techniques de survie et de la guerilla. À la fin des années 1970, il a combiné ses connaissances de baroudeur dans deux ouvrages, publiés chez Copernic : "Objectif Raid" et "Guide pratique pour l'expédition et l'aventure".
Ralf Van den Haute.
Le symbolisme du sanglier trouve ses origines dans la Tradition primordiale et hyperboréenne, elle-même fondatrice des divers mythes indo-européens.
A côté du cerf, le sanglier faisait partie du monde marginal et divin de la forêt. Il participait de l’animation visible, (lat. anima = âme) comme témoin du panthéon des dieux que l’esprit des hommes avait forgé, pour hiérarchiser le sacré et appréhender le monde.
Animal solaire, le sanglier participait des trois fonctions de l’idéologie tripartite des indo-européens, et c’est à ce titre que la compréhension de sa symbolique est particulièrement difficile. Perçu distinctement par les castes, sa valeur magico-religieuse était conflictuelle. Cette situation se maintiendra jusqu’au moyen-âge, illustrée en Seine-et-Marne par la légende de Ste Osmanne.
La caste sacerdotale, (les druides) participait de la fonction souveraine. Détentrice du savoir et du sacré, elle dominait la société dans ses orientations.
Selon J. Chevalier et A. Geerbrant, (1) le sanglier est en conflit avec la caste guerrière. Comme le druide, il est en rapport étroit avec la forêt, se nourrit du gland du chêne, et la laie, symboliquement entourée de ses neuf marcassins, fouit la terre au pied du pommier, arbre d’immortalité. Aussi bien dans la société druidique que brahmanique, le sanglier y figure l’autorité spirituelle. Il est l’avatâra sous lequel Vishnu ramène la terre à la surface des eaux pour l’organiser.
Dans le monde indou, notre cycle est désigné comme étant celui du sanglier blanc.
Pour la caste guerrière, le sanglier participait du rituel de la chasse, c’est-à-dire du combat loyal contre la force vénérée et distincte, combat par qui la victoire élève vers les dieux. Le mythe de « La Chasse Sauvage » et le légendaire Hubertien (2) ne sont que des avatars populaires et parfois christianisés de ses rituels initiaux.
Pour la caste paysanne, (fonction productrice) l’animal était naturellement celui qui assure la subsistance du groupe. L’animisme aidant, on s’évertuait à acquérir sa force et son courage. Il remplissait les ventres et les âmes.
Comme on le voit, cette perception distincte ne pouvait qu’entrainer des conflits, des interdits comme la chasse, le sacrifice ou la consommation hors certaines périodes.

Le nom du sanglier vient du latin populaire singularis, de singulus = seul. Le mot « singulier », combat d’un seul contre un seul, à la même origine. Le nom de la laie vient du francique lêka (moyen haut allemand liehe). Le même mot, remarque L.R. Nougier, désigne également un chemin forestier. (3)
Au moyen-âge, on évoquait le sengler, ou porcq saingler. Le terme servait aussi à désigner un homme solitaire. (4)

La plus ancienne représentation connue d’un sanglier concerne une peinture pariétale dans la grotte d’Altamira, en Espagne. Elle est d’époque magdalénienne. (Paléolithique supérieur, 12000 ans).
De Perse, de l’Inde, de la Grèce à l’Irlande, il est partout présent dans le monde indo-européen. Il est également présent au Japon et en Chine, au Moyen-Orient, mais sa symbolique se réfère à des mythèmes distincts. (5)
En Grèce, Hercule parvient à rapporter un gigantesque sanglier qui semait la terreur en Arcadie, sur les collines d’Erymanthe. L’animal est transporté vivant sur les épaules. Cet exploit constitue le troisième des douze travaux d’Hercule.
Ailleurs, c’est un autre monstre dévastant l’Etolie, le sanglier de Calydon, que combattent les héros de la Toison d’Or.
Dans la mythologie nordique, le nain Brokk forge un anneau d’or pour Odhin-Wotan, un marteau pour Thor et un sanglier pour Frey.
Frey est le dieu de la fertilité, le dieu de la troisième fonction chez les Scandinaves. « Voici un animal qui peut courir nuit et jour, aussi bien sur terre que dans le ciel et sur l’eau. Il va plus vite que n’importe quel cheval. Et ses soies d’or resplendissent tant qu’elles peuvent éclairer les ténèbres les plus profondes. » (6) Du martellement des forges de Brokk, naissent la fidélité, la puissance et la maîtrise. La maitrise du temps et de l’espace.
C’est en Ardennes (Arduenna sylva), au carrefour des mythes celtes et germaniques, que l’archéologie nous cèdera une petite statuette, hélas décapitée, représentant le seul témoignage connu d’une déesse chevauchant un sanglier. On a évoqué le nom de Diane. Mais celui de Freya, sœur de Frey et déesse de l’amour pourrait s’imposer tout autant.
Chez les Celtes, le sanglier revêt donc une importance fondamentale. Il apparaît sur nombre de monnaies gauloises, et figure comme enseigne ethnique ou guerrière sur les vexillum.

La stèle calcaire d’Euffignix (Haute-Marne), fait état d’un personnage orné d’un torque au cou, avec un sanglier vertical gravé sur sa poitrine. On peut soupçonner le caractère sacertodal de cette stèle, s’il était confirmé que le motif symbolique de la patte droite est bien une crosse. Cette crosse (francique krukkja = béquille) serait de même nature que l’actuel attribut de l’épiscopat chrétien. Il était déjà l’emblème de dignité religieuse sous le paganisme romain, où du nom lituus, il équipait, les augures et les pontifes.
L’archéologie irlandaise de son côté, nous confirme la présence de diverses crosses sur les sites cultuels, de même curieusement, que certains monuments mégalithiques. (7) Sur le côté de la stèle, on peut également distinguer la présence d’un œil. La valeur magico-relieuse de l’ensemble, nous permet d’imaginer le troisième œil, celui qui voit, celui de qui vient la religion. (lat. religio = qui relie)
Est-ce un hasard, si un autre dieu du panthéon celtique a été trouvé sous le chœur de N.D. de Paris, en 1970 ? Il s’agit de Cernunnos, « le dieu aux cornes de cerf ». On l’a également localisé à Reims, à Vandoeuvres, à Saintes, et il apparaît sur le célèbre chaudron de Gundestrup, accompagné d’un sanglier.
Comme pour relier les fonctions souveraine et productrice, le sanglier constituait la nourriture sacrificielle de la fête de Samain. (ou Samuhain, Samonios dans le calendrier de Coligny, le 1 novembre. La Toussaint en est la survivance christianisée). (8) On le consacre à Lug, qu’on associe à Mercure. (L’un des surnom de Mercure, Moccus = porc, est attesté par une inscription gallo-romaine à Langres).
La légende de Twrch Trwyth (irlandais triath = roi) s’opposant à Arthur, représente le sacerdoce en lutte contre la royauté, à une époque de décadence spirituelle. (9) Le père de Lug, Cian, se transforme en porc druidique, pour échapper à ses poursuivants, avant néanmoins de mourir sous forme humaine.
Paradoxe d’importance, l’ensemble des textes irlandais, même d’inspiration chrétienne, n’accorde pas de mauvaise part au symbolisme du sanglier. Il s’agit là d’une contradiction flagrante avec les tendances de la tradition judéo-chrétienne.
Dans la Bible, le sanglier est associé à l’impureté, aux déchainement des passions, aux forces démoniaques.
Parmi les légendes recueillies par Roger Lecotté, (10) il en est une qui se rapporte au thème du sanglier, et qui concerne le village de Percy, en Seine-et-Marne.
Ste Osmanne, princesse d’Irlande, après de longues pérégrinations, vint s’établir dans la retraite de Féricy. « Avec sa servante, elle bâtit un abri de feuillage et mena une existence austère. Un jour, un jeune seigneur des environs, chassant un sanglier, vit la bête se réfugier auprès de la sainte, alors en prière près d’une fontaine. Malgré les cris des veneurs, les chiens ne pouvaient bouger, et le seigneur, voulant tuer le sanglier demeura figé. Il injuria Osmanne, qu’il prit pour une enchanteresse et se retira. Passant à Sens, il raconta les faits à St Savinien qui se rendit auprès de la solitaire et la reconnut comme une croyante ; aussi il la baptisa avec l’eau de la fontaine, et lui donna, le nom d’Osmanne. »

Le bruit de sa sainteté se répandit partout, et de nombreux fidèles vinrent lui demander soulagement de leurs maux.
Anne d’Autriche délégua deux pèlerins pour obtenir la naissance de Louis XIV, puis envoya un courrier à Féricy pour annoncer l’heureuse nouvelle, et fit don du tabernacle actuel.
Un registre de confrèrie du XVII° siècle porte de nombreuses demandes et procès-verbaux de guérisons ou miracles.
Selon la légende locale, les anciennes cloches de l’église, enfouies en 1789 dans la mare de l’abime, et qui, envasées, n’ont jamais pu être récupérées, se font entendre à ceux qui se penchent au-dessus de l’onde, car elles sonnent encore pour la fête de Ste Osmanne.
Ce texte démontre à lui seul, s’il en était besoin, combien l’animisme est vivace au VII°siècle, (10) et comment il est réintégré par l’Eglise sans autre forme de procès.
A partir de quels critères l’évêque de Sens reconnait-il Osmanne comme une croyante ? Elle dispose de pouvoirs légués par la tradition celto-païenne, c’est-à-dire spécifiques aux coutumes de l’animisme européen. On songe aux oracles de Delphes et à la Pythie officiant en extase, près de la source Castalie. (11)

On songe aux légendes médiévales et aux « sorcières » des forêts profondes. On songe surtout au sanglier comme symbole druidique. On rappellera encore que le nom de « fontaine » désignait initialement une source, et l’on aura posé le décor dans lequel évoluent les acteurs de l’époque.
Sachant que les édifices de la chrétienté médiévale ont été élevés aux lieux même des sites sacrés du paganisme, il resterait à démontrer, au-delà des phénomènes de syncrétisme connus, la part de glissement sacro-religieux réalisée au titre de la Tradition entre la société druidique et la Chrétienté.
Gérard Thiemmonge.
Bibliographie :
- 1) Dictionnaire des symboles, R. Laffont, Paris 1969
- 2) J. Rousseau, La Chasse Sauvage, mythe exemplaire, in Nouvelle Ecole n° 16, Paris 1972
- 3) Au temps des Gaulois, Hachette, Paris 1981
- 4) Dictionnaire de l’ancien français jusqu’au milieu du XIV° siècle, A.J. Greimas, Larousse, Paris 1980
- 5) Chevalier et A. Geerbrant, Op.cit.
- 6) Mabire, les dieux maudits, récits de mythologie nordique, Corpenic, Paris 1978
- 7) Sharkey, Celtic mysteries, the ancient religion, Thames & Hudson, Londres 1975
- 8) J. Rousseau, Op.cit.
- 9) Thème du conflit intrafonctionnel, entre le pouvoir et le sacré.
- 10) Recherches sur les cultes populaires dans l’actuel diocèse de Meaux, CNRS/FF d’Ile-de-France n° IV, Paris 1953
- 11) Basile Pétrakos, Delphes, Editions Clio, Athènes 1977
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jeudi, 31 décembre 2020
Sleipnir, le cheval à huit jambes de la mythologie nordique


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jeudi, 03 décembre 2020
Le Symbolisme du Langage des Oiseaux

Le Symbolisme du Langage des Oiseaux
par Tibet Dikmen
Le symbolisme a toujours été un attribut inséparable de l’être humain. Qu’ils soient conscients ou inconscients, explicites ou implicites, les symboles ont toujours pris leur place dans les différentes castes sociales des sociétés traditionnelles. Le mode de vie profane et post-moderne a fortement diminué notre capacité à appréhender les différents symboles qui persistent autour de nous, ils sont devenus presque complètement inintelligibles. Seulement la partie qualitative et exotérique persiste or la coquille ne signifie rien sans l’essence du noyau. Manifestement, le symbole le plus significatif qui persiste aujourd'hui est le langage lui-même, car le langage est l'un des symbolismes les plus complexes et les plus répandus, que ce soit le langage profane ou le langage ‘sacré’.
Cependant, même si, à première vue, les arts et les sciences traditionnelles sont devenus profanes et ont été dépouillés de toute signification d’ordre supérieur, différents penseurs traditionalistes et métaphysiciens ont oeuvré pour reconstituer, ne fusse que d’une manière générale, certains liens ésotériques que l’on pourrait considérer comme universels. Le plus frappant d’entre eux serait le symbolisme omniprésent dans différentes traditions dites du ‘Langage des Oiseaux’.
L’allusion à ce symbole peut être observée à la fois dans les traditions occidentales et orientales.
Dans la mythologie européenne, cette qualité de ‘parler la langue des oiseaux’ est souvent attribuée aux héros mythiques, vainqueurs du dragon. Notamment dans la légende nordique de Siegfried, où le héros comprend aussitôt le langage des oiseaux. En partant de ce point, nous pouvons facilement déduire que ce langage est un attribut des initiés menant le combat contre le dragon, qui est également le symbole de la contre-initiation, de l’antéchrist, de forces du bas-monde, et bien d’autres caractéristiques d’ordre négatif. Cette victoire signifie également la conquête de l’immortalité, c’est-à-dire le retour à l’état principiel de l’homme, en relation directe avec le supérieur. Cette image que nous venons de dessiner s’applique également de manière parfaite à l’Archange Saint-Michel qui combat le dragon, symboles et sculptures duquel nous pouvons fréquemment observer en Europe occidentale. Un phénomène identique peut être observé dans la tradition hindoue dans l’épopée du combat de Garuda contre le Nâga. Garuda étant symbolisé par l’aigle (et ailleurs remplacé par l’ibis, la cigogne ou le héron) et le Nâga prenant la forme d’un reptile (dragon ou serpent).

Le combat de Garuda contre Naga.
Cependant, le fort rapprochement de cette symbolique, entre l’Orient et l’Occident, se manifeste de manière évidente dans les traditions abrahamiques. Nous pouvons citer la parabole évangélique décrivant des « oiseaux du ciel » venant se poser sur les branches de l’arbre représentant l’axe passant par le centre de chaque état d’être et les reliant tous entre eux. Ceci s’est notamment manifesté sous la forme du symbole médiéval du Peridexion. Une image analogue existe dans la tradition islamique, plus précisément dans l’œuvre du grand-maître soufi Ibn’ Arabi dont la pensée et les œuvres ont été répandues dans la sphère intellectuelle européenne grâce aux efforts de Titus Burckhardt et autres penseurs traditionalistes. Dans son œuvre intitulé ‘L’arbre essentiel et les quatre oiseaux’, par l’allégorie de l'arbre universel, représentant l'être humain complet, et des quatre oiseaux posées sur celui-ci, représentant les quatre aspects essentiels de l'existence, Ibn 'Arabi explique son enseignement sur la nature et la signification de l'union avec Dieu. Ce qui laisse déduire que la compréhension concrète des aspects essentiels de l’existence serait possible si une communication avec ces oiseaux s’effectue avec succès, qualifiant le ‘langage des oiseaux’ en tant que clé pour la compréhension des vérités métaphysiques.

Illustration du Peridexion (Bodleian Library, MS. Bodley 764 )
Le symbolisme de ce langage se manifeste semblablement chez l’un des contemporains d’Ibn Arabi en Perse. En faisant allusion au verset coranique attribuant au Roi Salomon d’Israël la capacité de communiquer avec les oiseaux, le maître soufi Farid’uddin Attar de Neyshabur (qui exerça une grande influence sur Rumi) écrit un recueil de poèmes médiévaux d’environ 4500 distiques, intitulé ‘La Conférence des Oiseaux’. Dans ce poème colossal, Attar lie la quête pour le fabuleux oiseau Simorgh de la mythologie perse pré-islamique avec l’enseignement initiatique et mystique du Soufisme.

Illustration Safavide du « Conférence des Oiseaux » d’Attar
En conclusion, nous pouvons dire que si, avec un peu d’effort, nous parvenions à contourner l’acte délibéré et continu de profanation de nos arts et des sciences traditionnelles, un trésor caché s’ouvrira à nous. Comme René Guénon a insisté maintes fois : Vincit Omnia Veritas.
Sources :
- Symboles de la Science sacrée, René Guénon (Gallimard, 1962)
- Le Langage des Oiseaux, Farid-ud’Din Attar (trad. Garcin de Tassy, Albin Michel, 1996)
- La Sagesse des Prophètes, Ibn’ Arabi (trad. Titus Burckhardt, Albin Michel, 2008)
-The Symbolism of Letters and Language in the Work of Ibn ‘Arabī, Pierre Lory (The Ibn’ Arabi Society Vol. XXIII, 1998)
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jeudi, 19 novembre 2020
Quelques réflexions sur le Ragnarök

Robert Steuckers :
Quelques réflexions sur le Ragnarök
Le Ragnarök est un récit récurrent de la mythologie scandinave dont les sources se trouvent dans la Völuspa (littéralement, la « prophétie de la voyante ») et dans l’Edda de Snorri Sturluson (1179-1241). Le Ragnarök évoque une fin du monde catastrophique que l’on retrouve certes dans l’Apocalypse de la Bible mais aussi dans bon nombre de traditions indo-européennes, zoroastriennes et bouddhistes. La Völuspa a été rédigée vers l’an 1000 de l’ère chrétienne, à l’époque où l’humanité européenne s’attendait à une fin de monde. On a parlé de la « terreur de l’an 1000 », où l’on pensait que le monde allait s’effondrer en 1033, soit mille ans après la crucifixion du Christ. Cette vision eschatologique a été exprimée par Raoul le Glabre, moine né en Bourgogne vers 985. Georges Duby utilisera ses écrits pour prouver qu’il existait, vers l’an 1000, une crainte généralisée de voir disparaître le monde dans un scénario proche de l’Apocalypse. Comme dans la Völuspa, Raoul le Glabre imaginait que cet effondrement serait précédé d’un bouleversement calamiteux de l’ordre des saisons. L’interprétation de Duby est remise en cause aujourd’hui : nos ancêtres, en l’an 1000, n’auraient pas été aussi tourmentés par l’idée d’une fin du monde.
Snorri Sturluson, poète et homme politique islandais, né à la fin du 12ème siècle, a étudié le latin, la théologie, la géographie et le droit islandais. Son Edda est un livre destiné à la formation des scaldes et des poètes, véritable institution dans l’Islande de son époque qui exportait des chansons de geste et des poésies à la gloire de hauts seigneurs, principalement norvégiens et anglais.
Avant la rédaction de la Völuspa, qui fait directement référence au panthéon scandinave préchrétien, le monde littéraire germanique a produit le Muspilli, fragment de 103 vers, dont le manuscrit a été retrouvé en Bavière et date de la seconde moitié du 9ème siècle, copié vraisemblablement d’une version originale venue des Iles Britanniques. Elle est une christianisation des thèmes eschatologiques païens voire mithraïques, où l’Ange et le Démon s’affrontent pour le salut des âmes des hommes, lors d’un Jugement dernier. Finalement, une armée arrive depuis les étoiles du ciel pour en affronter une autre, issue du feu de l’enfer. Jusqu’ici l’inspiration est biblique-mithraïque voire zoroastrienne. Elias (Odin) affronte l’Antéchrist (Fenrir). Mais, dans la suite du récit, les thématiques cosmiques du paganisme se révèlent clairement : quand le sang d’Elie (Odin) coule sur le sol de la Terre, « les montagnes se mettent à trembler, plus aucun arbre ne demeure debout sur la Terre, les eaux s’assèchent, les marais s’engloutissent eux-mêmes, le ciel se consume dans les flammes et la lune tombe, l’espace de la Terre brûle ». Les 103 vers du Muspilli, et l’antériorité du manuscrit par rapport à la Völuspa et à l’Edda de Snorri Sturluson, attestent d’une pérennité de thématiques eschatologiques que le christianisme n’a pas pu éradiquer.

La caractéristique de ces récits est d’exagérer considérablement les catastrophes qui surviennent, à intervalles réguliers, dans l’histoire de l’humanité : bouleversements climatiques, éruptions volcaniques, déluges, etc. Dans l’histoire européenne qui a immédiatement précédé l’apparition du Muspilli et de la Völupsa (l’Edda de Snorri est plus récente, de même que le Chant des Nibelungen), des catastrophes ont marqué les esprits. Ainsi, la crainte de voir s’installer un hiver interminable a-t-elle été renforcée par les événements de l’année 536, où, inexplicablement pour les contemporains en nos régions du Nord-Ouest de l’Europe, le soleil se brouille, le ciel s’obscurcit, les étoiles ne sont plus visibles la nuit et les choses n’ont plus d’ombre. L’astre apollinien n’est plus un disque rayonnant mais une tache informe et jaunâtre qui marque vaguement le ciel. Les quartiers de lune ne sont plus visibles et les hommes ne peuvent donc plus mesurer le temps. L’archéologue anglais David Keys a pu démontrer qu’un volcan avait fait irruption quelque part en Indonésie, probablement le Krakatoa, en cette année 536, lâchant dans l’atmosphère d’épais nuages de cendres et de cristaux de glace sulfureux, provoquant une catastrophe climatique sans précédent et sans suite, à part les éruptions du Tambora en 1815 (expliquant le climat exécrable lors de la bataille de Waterloo et l’année sans hiver de 1816, où il a neigé en juin sur la côte Est des Etats-Unis) et du Krakatoa en 1883. L’éruption de 536 aurait été bien plus considérable et conséquente que les deux autres, observées au 19ème siècle. L’angoisse générée par cet « hiver » permanent aurait incité Médard, évêque franc-mérovingien de Tournai, à envoyer une expédition vers l’Est pour « aller chercher le soleil absent », expédition qui aurait également entraîné la soumission au pouvoir franc des tribus installées entre Rhin et Thuringe. Les années sans soleil de 535-536 marquent donc les esprits au point de s’ancrer immanquablement dans l’imaginaire mythologique.

De même, l’idée d’une grande bataille finale, certes présente dans de nombreux récits mythologiques indo-européens, a dû apparaître plausible en Europe centrale et occidentale suite à l’invasion hunnique. Le fameux manuscrit frison « Oera-Linda », souvent jugé faux mais décrypté par le professeur Frans J. Los, évoquerait des faits historiques des 4ème et 5ème siècles. Des invasions hunniques et finno-ougriennes ravagent l’Europe orientale, l’Est de l’Allemagne actuelle, le territoire aujourd’hui polonais mais aussi la Scandinavie, plus exactement la Scanie (le Sud de la Suède actuelle). La « mère du peuple », la « Volksmutter » des Frisons, dont le système était matrilinéaire, est tuée. Un combat oppose les Danois et les Huns sur mer. La Frise est menacée car les Huns et les Finno-Ougriens s’installent à l’est de la Weser. L’anarchie règne. Aucune nouvelle Volksmutter ne peut être nommée. Les raids ennemis se succèdent, où les familles des Volksmütter sont décimées. Finalement, en 450-451, le pays frison est inondé par un raz-de-marée. Seul demeure intact, le fortin de l’île de Texel. La mer détruit les forêts (dans le Muspilli et la Völuspa : plus aucun arbre ne reste debout sur la Terre). Le souvenir de ce raz-de-marée dans un pays assiégé par des ennemis assimilés à des démons (parce que foncièrement étrangers) et la destruction des forêts servent à renforcer concrètement les images déjà véhiculées par les récits mythologiques.

Les trois récits évoquent aussi une destruction du monde par le feu. Dans l’espace grec-égéen, on a le souvenir de l’éruption antique du Santorin. Pour les spécialistes de la mythologie scandinave Hilda Ellis Davidson et Bertha Phillpotts, l’idée d’une destruction par le feu est tributaire d’une observation par les Islandais, récemment arrivés sur leur île de l’Atlantique Nord, des activités sismiques et volcaniques qui y ont cours en permanence. La figure de Surtr, dirigeant des colonnes infernales qui prennent l’Asgard d’assaut, est celui qui, à la fin du récit mythologique de la Völuspa, détruit le monde par le feu. Pour Bertha Phillpotts, Surtr est un démon volcanique car la scène qui le décrit en train de bouter le feu au monde évoque des fumées et des flammes qui atteignent les étoiles. En 1783, un volcan islandais entre en éruption, le Skaptar Yökul. La description qu’en firent les contemporains correspond aux images léguées par la Völuspa : d’abord des secousses sismiques qui ébranlent les montagnes puis l’obscursissement du soleil par les nuages de cendres, puis les flammes qui jaillissent, la fonte des glaces et un raz-de-marée.


La fin du monde est donc une convergence de catastrophes naturelles et sociales car, rappelle Klaus Bemmann, en décrivant les linéaments de la vision de la fin du monde chez les Germains : « D’inquiétants signes avant-coureurs laissaient deviner le mal. Durant trois longs hivers successifs, de grandes batailles furent livrées dans le monde entier. Les hommes s’ensauvageaient, les mœurs entraient en déliquescence, les liens dans les clans n’étaient plus respectés. Les frères s’entretuaient, les fils levaient leurs épées sur leurs pères et les pères assassinaient leurs fils. Personne ne craignaient plus l’adultère et le vice ».
Nous avons donc un mixage entre des éléments mythologiques locaux, scandinaves et germaniques, des éléments mythologiques indo-européens très anciens (comme nous allons le voir) et des éléments de l’Apocalypse et de l’eschatologie chrétienne, surtout dans le Muspilli, rédigé forcément par des clercs. Au 13ème siècle, Snorri Sturluson lui-même est un clerc : il a donc été formaté par la religion du pouvoir à son époque. Il n’empêche que les traditions populaires prennent malgré tout le dessus : Hilda Ellis Davidson rappelle qu’Axel Olrik (1864-1917), spécialiste des traditions populaires danoises, pionnier dans l’étude des sources orales, a signalé, dans ses recherches, que les narrations populaires au Danemark contenaient des récits similaires à ceux de la Völuspa et de l’Edda : un monstre qui dévore le soleil, la Terre qui finit par sombrer dans la mer, un géant entravé qui se libère pour déchainer le chaos. Ce qu’Olrik découvre dans les campagnes du Jutland ou de la Scanie suédoise au 19ème siècle devait encore être plus prégnant dans les siècles où le christianisme venait à peine de s’imposer. L’héritage mythologique est inamovible sauf peut-être à notre époque où il n’est pas défié par une religion concurrente mais par un consumérisme omnidévorant, dont les effets pervers correspondent à la description de Bemmann.

Ces thèmes mythologiques ne sont pas le propre des peuples scandinaves : on les retrouve dans d’autres traditions indo-européennes. Pour Mircea Eliade ou Rudolf Simek, le récit de la Völuspa et de l’Edda relève du temps cyclique. Dans le récit du Ragnarök, les figures régénérantes qui président au renouveau cosmique après l’effondrement total du monde et son incendie sont Lîf et Lîfthrasir, soit la vie et le principe vital. Nous avons là ce que les mythologues appellent une « anthropogénie dupliquée », la genèse du monde et des hommes se répète une seconde fois et le cycle recommence. Lîf et Lîfthrasir émergent de troncs d’arbre : là encore, le folklore populaire rappelle que ce mythe d’une (re)naissance post-catastrophique est indestructible. En effet, une légende bavaroise évoque un berger qui vit dans un tronc d’arbre et dont les descendants repeuplent la Terre après une peste dévastatrice.

L’idée d’un hiver cosmique interminable ou de trois hivers consécutifs aux effets calamiteux, telle celle du Fimbulwinter scandinave se retrouve dans la mythologie iranienne. Les récits du Bundahishn et de Yima en attestent, y compris dans leurs transpositions zoroastriennes où les forces bénéfiques d’Ahura Mazda affrontent celles d’Angra Mainyu, qui se soumet et sombre dans l’inertie pendant trois mille ans. Ahura Mazda profite de l’inertie d’Angra Mainyu pour créer Ewagdad, la vache primordiale, et Gayomard, l’homme primordial, et pour organiser le monde selon les critères de l’Ard, de la Vérité, laquelle doit faire barrage contre les manigances d’Angra Mainyu qui cherche à détruire le monde. Le mythe de Yima, quatrième roi de la dynastie perse des Pishdadian, nous campe un roi lumineux qui, selon Henry Corbin, crée le château, le Var, où se rassemblent les élus parmi tous les êtres, les plus nobles et les plus gracieux, pour qu'ils soient préservés de l’hiver mortel que provoquent les puissances démoniaques qui ravageront la Terre. Après l’oeuvre de destruction de ces forces maléfiques, les vertueux du Var repeupleront la Terre et transfigureront le monde. Persépolis, dans l’empire perse, devait être à l’image du Var de la mythologie.
Dans le bouddhisme, l’ère du « bon savoir », du dharma, va prendre fin cinq mille ans après la mort du Bouddha. Une ère nouvelle commencera après, avec un nouveau Bouddha, le Bouddha Maitreya, dont le règne adviendra après une période de dégénérescence complète de l’humanité, marquée par la violence, l’impiété, la dépravation sexuelle, l’effondrement social.

Cette vision bouddhique doit nous faire réfléchir, aujourd’hui, où notre monde part totalement en quenouille. Les manifestations du déclin, bien visibles, surtout depuis deux décennies, où elles ont pris des proportions démesurées par rapport à ce que nous connaissions déjà comme affres du déclin, sont justement les manifestations évoquées par nos mythologies, correspondent à la convergence des catastrophes dont elles craignaient la survenance. Au bout de cet effondrement dramatique, nous périrons tous mais Lîf et Lîfthrasir reviendront. Et l’herbe reverdira, percera la cendre des feux volcanique déchaînés par Surtr.
Bibliographie :
- Klaus BEMMANN, Der Glaube der Ahnen – Die Religion der Deutschen bevor sie Christen wurden, Phaidon, Essen, 1990.
- R. Ellis DAVIDSON, Gods and Myths of Northern Europe, Penguin, Harmondsworth, 1963-1971.
- Hans Jürgen KOCH, Die deutsche Literatur in Text und Darstellung – Mittelalter I, Reclam, Stuttgart, 1976 (pour le texte du Muspilli).
- Frans J. LOS, Die Ura Linda Handschriften als Geschichtsquelle, J. Pieters, Oostburg (NL), s. d.
- Reinhard SCHMOECKEL, Deutschlands unbekannte Jahrhunderte – Geheimnisse aus dem Frühmittelalter, Lindenbaum Verlag, Schnellbach, 2013.
- Rudolf SIMEK /Hermann PALSSON, Lexikon der Altnordischen Literatur,Kröner, Stuttgart, 1987.
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