mercredi, 27 janvier 2010
L'itinéraire d'Edgar Julius Jung
Archives de Synergies Européennes - 1992
L'itinéraire d'Edgar Julius Jung
par Robert Steuckers
Né le 6 mars 1894 à Ludwigshafen, fils d'un professeur de Gymnasium, Edgar Julius Jung entame, à la veille de la première guerre mondiale, des études de droit à Lausanne, où il suit les cours de Vilfredo Pareto. Quand la guerre éclate, Jung se porte volontaire dans les armées impériales et acquiert le grade de lieutenant. A sa démobilisation, il reprend ses études de droit à Heidelberg et à Würzburg mais participe néanmoins aux combats de la guerre civile allemande de 1918-19. Engagé dans le corps franc du Colonel Chevalier von Epp, il participe à la reconquête de Munich, gouvernée par les «conseils» rouges. Jung organise ensuite la résistance allemande contre la présence française dans le Palatinat. En 1923, il doit quitter précipitamment les zones occidentales occupées pour avoir trempé dans le complot qui a abouti à l'assassinat du leader séparatiste francophile Heinz Orbis. C'est de cette époque que date son aversion pour la personne de Hitler: ce dernier, sollicité par Jung envoyé par Brüning, avait refusé de rejoindre le front commun des nationaux et des conservateurs contre l'occupation française, estimant que le «danger juif» primait le «danger français». Pour Jung, ce refus donnait la preuve de l'immaturité politique de celui qui allait devenir le chef du IIIième Reich. En 1925, Jung ouvre un cabinet d'avocat à Munich. Il renonce à l'activisme politique et rejoint la DVP nationale-libérale, un parti toléré par les Français dans le Palatinat et qui rassemblait, là-bas, tous les adversaires du détachement de cette province allemande. Quand Stresemann opte pour une politique de réconciliation avec la France, dans la foulée du Pacte de Locarno (1925), Jung se distancie de ce parti, mais en reste formellement membre jusqu'en 1930. Il consacre ses énergies à toutes sortes d'entreprises «métapolitiques» et d'activités «clubistes». En effet, entre 1925 et 1933, la République de Weimar voit se constituer un véritable réseau de clubs conservateurs qui organisent des conférences, publient des revues intellectuelles, cherchent des contacts avec des personnalités importantes du monde de l'économie ou de la politique. Après avoir eu quelques contacts avec le Juniklub et le Herren-Klub de Heinrich von Gleichen et Max Hildebert Boehm (dont il retiendra la définition du Volk), Jung adhère et participe successivement aux activités du Volksdeutsches Klub (de Karl Christian von Loesch), de la Nationalpolitische Vereinigung (à Dortmund) et du Jungakademisches Klub de Munich, dont il est le fondateur. L'objectif de cette stratégie métapolitique est de créer une nouvelle conscience politique chez les étudiants, de manier l'arme de la science contre les libéraux et les gauches et de fonder une éthique pour les temps nouveaux. En 1927, paraît la première édition de son livre Die Herrschaft der Minderwertigen (= La domination des hommes de moindre valeur), véritable vade-mecum de la révolution conservatrice d'inspiration traditionaliste ou jungkonservative (que nous distinguons de ses inspirations nihiliste, nationale-révolutionnaire, soldatique comme chez les frères Jünger, nationale-bolchévique, völkische, etc.). Entre 1929 et 1932, paraissent plusieurs éditions d'une nouvelle version, comptant deux fois plus de pages, et approfondissant considérablement l'idéologie jungkonservative. Petit à petit, pense Jung, une idéologie conservatrice et traditionaliste, puisant dans les racines religieuses de l'Europe, remplacera la «domination des hommes de moindre valeur», établie depuis 1789. Mais, secouée par la crise, l'Allemagne n'emprunte pas cette voie conservatrice: le parlementarisme libéral s'effondre, plus tôt que Jung ne l'avait prévu, mais pour laisser le chemin libre aux communistes ou aux nationaux-socialistes. Jung constate avec amertume que le noyau conservateur qu'il avait formé dans ses clubs ne fait pas le poids devant les masses enrégimentées. Pour gagner du temps et barrer la route au mouvement hitlérien, Jung estime qu'il faut soutenir le gouvernement de Brüning. Ce gouvernement prolongerait la vie de la démocratie libérale pendant le temps nécessaire pour former une élite conservatrice, capable de passer aux affaires et de construire l'«Etat organique et corporatif» dont rêvaient les droites catholiques. Pour Jung, l'avènement du national-socialisme totalitaire serait la conséquence logique de 1789 et non son éradication définitive par une «éthique de plus haute valeur». En 1930-31, il rejoint les rangs de la Volkskonservative Vereinigung, qui soutient Brüning, et cherche à la rebaptiser Revolutionär-konservative Vereinigung pour séduire une partie de l'électorat national-socialiste. En mai 1932, Brüning tombe. Jung décide de soutenir son successeur Papen, qu'il juge aussi falot que lui. Jung devient toutefois son conseiller. Quand Hitler accède au pouvoir en janvier 1933, Jung prépare aussitôt les élections de mars 1933 en organisant la campagne électorale du Kampffront Schwarz-Weiß-Rot, visant à soutenir l'aile conservatrice du nouveau gouvernement et à transformer la révolution nationale de Hitler, marquée par une démagogie tapageuse, en une révolution conservatrice, chrétienne, tranquille, sérieuse, décidée. Cette ultime tentative connaît l'échec. Jung continue cependant à écrire les discours de von Papen. Le 17 juin 1934, ce dernier, lors d'un rassemblement universitaire à Marbourg, prononce un discours écrit par Jung, où celui-ci dénonce le «byzantinisme du national-socialisme», ses prétentions totalitaires contre-nature, ses polémiques contre l'esprit et la raison et réclame le retour d'une «humanité véritable» qui inaugurera l'«apogée de la culture antique et chrétienne». Le régime réagit en interdisant la radiodiffusion du discours et la circulation de sa version imprimée. Papen démissionne mais cède ensuite aux pressions de la police. Jung est arrêté le 25 juin et, cinq jours plus tard, on retrouve son cadavre criblé de balles dans un petit bois près d'Oranienburg. Le destin de Jung montre l'impossiblité de mener à bien une révolution conservatrice/traditionaliste à l'âge des masses.
La domination des hommes de moindre valeur. Son effondrement et sa dissolution par un Règne nouveau (Die Herrschaft der Minderwertigen. Ihr Zerfall und ihre Ablösung durch ein neues Reich), 1929
Jung a voulu faire de cet ouvrage une sorte de «bible» de la «révolution conservatrice», une révolution qu'il voulait culturelle et annonciatrice d'un grand bouleversement politique. S'adressant aux jeunes et aux étudiants, Jung veut donner à son conservatisme —son Jungkonservativismus— une dimension «révolutionnaire». Il explique que l'idéologie progressiste a eu son sens et son utilité historique; il fallait qu'elle brise l'hégémonie de formes mortes. Mais depuis que celles-ci ont disparu de la scène politique, l'attitude progressiste n'a plus raison d'être. L'idéologie du progrès n'est plus qu'une machine qui tourne à vide. Pire, quand elle reste sur sa lancée, elle peut s'avérer suicidaire. A la suite de la parenthèse progressiste, doit s'ouvrir une ère de «maintien», de conservation. Le Jungkonservativismus ne cherche donc pas à perpétuer des formes politiques dépassées. Quant aux formes sociales et politiques actuelles, pense Jung, elles ne sont plus des formes au sens propre du mot, mais des résidus évidés, balottés dans le chaos de l'histoire. Jung définit ensuite son conservatisme comme «évolutionnaire»: il vise le dépassement d'un monde vermoulu, l'inversion radicale et positive de ses fausses valeurs. Ce travail d'inversion/restauration est, aux yeux de Jung, proprement révolutionnaire.
La période qui suit la Grande Guerre est caractérisée par la crise épocale des valeurs individualistes et bourgeoises en pleine décadence. Pour les relayer, le Jungkonservativismus jungien propose un recours à Dilthey et à Bergson, à Spengler, Tönnies, Roberto Michels, Vilfredo Pareto et Nicolas Berdiaev. La crise s'explique, en langage spenglérien, par le passage au stade de «civilisation» qui est le couronnement de l'esprit libéral. Les liens sociaux sont détruits et les peuples tombent sous la coupe d'une démocratie inorganique, gérée par les «hommes de moindre valeur». Tel est le diagnostic. Pour sortir de cette impasse, il faut restaurer les vertus religieuses. Abandonnant ses positions initiales, lesquelles reposaient sur une philosophie des valeurs tirée du néo-kantisme, Jung veut désormais ancrer son «axiome de l'immuabilité de la pulsion métaphysique» dans un discours théologisé. Deux philosophes de la religion contribuent à le faire passer du néo-kantisme au néo-théologisme: Nicolas Berdiaev et Leopold Ziegler (qui deviendra son ami personnel). Jung embraye sur l'idée de Berdiaev qui évoque le fin imminente de l'époque moderne qui a vu le triomphe de l'irreligion. Pour Jung comme pour Berdiaev ou Ziegler, l'époque qui succèdera au libéralisme moderne sera un «nouveau Moyen Age» pétri de religion, réchristianisé. Eliminant les catastrophes de l'individualisme, ce nouveau «Moyen Age» restaure une holicité (Ganzheit), un universalisme dans le sens où l'entendait Othmar Spann, un «organicisme» historique et non biologique. Cette dernière position distingue Jung des nationalistes de toutes catégories. En effet, il rejette le concept de «nation» comme «occidental», c'est-à-dire «français» et révolutionnaire, libéral et atomiste. Dans ce concept de «nation», domine le rationalisme raisonneur de l'idéologie des Lumières. Les «nations», dans ce sens, sont les peuples malades ou morts. Les peuples qui n'ont pas subi l'emprise de l'idéologie nationale, qui est d'essence révolutionnaire et est donc perverse, sont vivants, conservent au fond d'eux-mêmes des énergies intactes et demeurent les «porteurs de l'histoire». Jung relativise ainsi au maximum la valeur attribuée à l'Etat national, fermé sur lui-même. Les concepts-clé sont pour lui ceux de peuple (Volk) et de Reich. Cette dernière instance, supra-nationale et incarnation politique du divin sur la Terre, est une idée d'ordre fédérative, tout à fait adaptée à l'espace centre-européen. De là, elle devra être étendue à l'ensemble du continent européen, de façon à instaurer un europäischer Staatenbund (une fédération des Etats européens). Sur le plan spirituel, l'idée de Reich est le seul barrage possible contre le processus de morcellement rationaliste et nationaliste. Les Etats-Nations reposent sur un fait figé rendu immuable par coercition, tandis que le Reich est un mouvement perpétuel dynamique qui travaille sans interruption les matières «peuples». Pour Jung, né protestant mais devenu catholique de fait, l'idée nationale est une tradition protestante en Allemagne, tandis que l'idée dynamique de Reich est une idée catholique. Sur le plan intérieur, ce Reich fédératif est organisé corporativement. A la place du Parlement et du suffrage universel, Jung suggère l'introduction d'une représentation populaire corporative et d'un droit de vote échelonné et différencié. L'organisation intérieure de son Reich idéal, Jung la calque sur les idées du sociologue et philosophe autrichien Othmar Spann. C'est le talon d'Achille de son idéologie: cette organisation corporative ne peut s'appliquer dans un Etat moderne et industriel. Son appel à l'ascèse et au sacrifice ne pouvait nullement mobiliser les Allemands de son époque, durement frappés par l'inflation, la crise de 29, la famine du blocus et les dettes de Versailles.
(Robert Steuckers).
- Bibliographie: Die geistige Krise des jungen Deutschland, 1926 (discours, 20 p.); Die Herrschaft der Minderwertigen. Ihr Zerfall und ihre Ablösung, 1927 (XIV + 341 pages); Die Herrschaft der Minderwertigen. Ihr Zerfall und ihre Ablösung durch ein neues Reich, 1929 (2ième éd.), 1930 (3ième éd.) (692 pages); Föderalismus aus Weltanschauung, 1931; Sinndeutung der deutschen Revolution, 1933; une copie du mémoire rédigé par E.J. Jung à l'adresse de Papen en avril 1934 se trouve à l'Institut für Zeitgeschichte de Munich, archives photocopiées 98, 2375/59 et chez Edmund Forschbach, ami et biographe d'E.J. Jung (cf. infra); d'après Karlheinz Weißmann (cf. infra), Jung serait l'auteur de la plupart des textes contenus dans le recueil de discours de Franz von Papen intitulé Apell an das deutsche Gewissen. Reden zur nationalen Revolution. Schriften an die Nation, Bd. 32/33, Oldenburg i.O., 1933.
- Principaux articles de philosophie politique: 1) Dans la revue Deutsche Rundschau: «Reichsreform» (nov. 1928); «Der Volksrechtsgedanke und die Rechtsvorstellungen von Versailles» (oct. 1929); «Volkserhaltung» (mars 1930); «Aufstand der Rechten» (1931, pp.81-88); «Neubelebung von Weimar?» (juin 1932); «Revolutionäre Staatsführung» (oct. 1932); «Deutsche Unzulänglichkeit» (nov. 1932); «Verlustbilanz der Rechten» (1/1933); «Die christiliche Revolution» (sept. 1933, pp. 142-147); «Einsatz der Nation» (1933, pp. 155-160); 2) Dans les Schweizer Monatshefte: 1930/31: Heft 1, p. 37, Heft 7, p. 321; 1932/33: Heft 5/6, p. 275; 3) Dans la Rheinisch- Westfälische Zeitung, où Jung utilisait le pseudonyme de Tyll, voir les dates suivantes: 1/1/1930; 5/3/1930; 5/4/1930; 24/4/1930; 2/5/1930; 31/5/1930; 12/10/1930; 8/11/1930; 30/12/1930; 28/1/1931; 7/2/1931; 4/3/1931; 1/4/1931; 10/4/1931; 1/8/1931; été 1931; 15/3/1932; 4) Dans les Münchner Neueste Nachrichten, voir les dates suivantes: 20/3/1925; 28/1/1930; 23/11/1930; 3/1/1931; 25/7/1931; 4/7/1931; 5) Dans les Süddeutsche Monatshefte: «Die Tragik der Kriegsgeneration», mai 1930, pp. 511-534; 6) Dans Die Laterne: «Was ist liberal?», Folge 6, 6/5/1931.
- Participation à des ouvrages collectifs: «Deutschland und die konservative Revolution», in E.J. Jung, Deutsche über Deutschland. Die Stimme des unbekannten Politikers, Munich, 1932, pp. 369-383; on signale également une contribution d'E.J. Jung («Die deutsche Staatskrise als Ausdruck der abandländischen Kulturkrise») dans Karl Haushofer et Kurt Trampler (éd.), Deutschlands Weg an der Zeitenwende, Munich, 1931; le livre signé par Leopold Ziegler, Fünfundzwanzig Sätze vom Deutschen Staat (Berlin, 1931) serait en fait dû à la plume de Jung.
- Sur Edgar Julius Jung: Leopold Ziegler, Edgar Julius Jung. Denkmal und Vermächtnis, Salzbourg, 1955; «Edgar Jung und der Widerstand» in Civis 59, Bonn, Nov. 1959; Friedrich Grass, «Edgar Julius Jung (1894-1934)», in Kurt Baumann (éd.), Pfälzer Lebensbilder, Bd. 1, Spire, 1964; Karl Martin Grass, Edgar Julius Jung, Papenkreis und Röhmkrise 1933-1934, dissertation phil., Heidelberg, 1966; Bernhard Jenschke, Zur Kritik der konservativ-revolutionäre Ideologie in der Weimarer Republik. Weltanschauung und Politik bei Edgar Julius Jung, Munich, 1971 (avec une bibliographie reprenant 79 articles importants d'E.J. Jung); Karl-Martin Grass, «Edgar J. Jung», in Neue Deutsche Biographie, 10. Bd., Berlin, 1974; Joachim Kaiser, Konservative Opposition gegen Hitler 1933/34. Edgar Julius Jung und Ewald von Kleist-Schmenzin, Texte non publié d'un séminaire de l'Université d'Aix-la-Chapelle, 1984; Edmund Forschbach, Edgar J. Jung, ein konservativer Revolutionär 30. Juni 1934, Pfullingen, 1984; Gilbert Merlio, «Edgar Julius Jung ou l'illusion de la "Révolution Conservatrice"», in Revue d'Allemagne, tome XVI, n°3, 1984; Karlheinz Weißmann, «Edgar J. Jung» in Criticón, 104, 1987, pp. 245-249; Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932. Ein Handbuch, 3ième éd., Darmstadt, 1989.
- Pour comprendre le contexte historique: Klemens von Klemperer, Konservative Bewegungen zwischen Kaiserreich und Nationalsozialismus, Munich/Vienne, 1957; Erasmus Jonas, Die Volkskonservativen 1928-1933, Düsseldorf, 1965; Theodor Eschenburg, «Hindenburg, Brüning, Groener, Schleicher», in Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, 9. Jg. 1961, 1; Kurt Sontheimer, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik, Munich 1962; Franz von Papen, Vom Scheitern einer Demokratie 1930-1933, Mayence, 1968; Klaus Breuning, Die Vision des Reiches. Deutscher Katholizismus zwischen Demokratie und Diktatur, Munich, 1969; Volker Mauersberger, Rudolf Pechel und die «Deutsche Rundschau» 1919-1933. Eine Studie zur konservativ-revolutionären Publizistik in der Weimarer Republik, Brème, 1971; Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Paris, 1972; Martin Greiffenhagen, Das Dilemma des Konservatismus in Deutschland, Munich, 1977.
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vendredi, 22 janvier 2010
Les néo-socialistes au-delà de la gauche et de la droite
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987
Les néo-socialistes au-delà de la gauche et de la droite
par Pierre-Jean Bernard
1) Les néo-socialistes: "ni droite, ni gauche", "néos" et perspectives socialistes.
Si la guerre de 14/18 sonne le glas du vieux monde, des vieilles choses, des idées reçues et de la morale bourgeoise, force est de constater les mutations qu'elle entraîne dans les divers courants politiques. Mutations qui s'opèrent parallèlement à l'avènement du monde moderne. Il en est ainsi du "mouvement socialiste", nous devrions plutôt dire des socialismes qui vont éclore et parfois s'affronter. Certes le public retiendra longtemps l'impact du dernier avatar du marxisme, à savoir le bolchévisme et l'élan que suscita la Révolution d'Octobre 1917. En France, les conséquences en sont l'apparition du PCF et la scission dans le mouvement syndical de la CGT, consécutive à la déchirante révision idéologique née du congrès "historique" de Tours. Mais finalement la conception bolchévique n'est que la "radicalisation" du courant marxiste, accompagnée d'un rejet du jeu parlementaire et légaliste.
Or que sait-on des courants néos opposés aux vieilles barbes de la SFIO? Que sait-on des idées de ces militants que le conflit mondial -et donc l'avènement brutal de la "modernité"- a rendu visionnaires, alors que d'autres, atteints de cécité politique, veulent absolument faire croire au public à la réalité éternelle de l'affrontement droite/gauche, hypothétiques blocs hermétiques qui symboliseraient deux conceptions du monde. L'une serait celle d'une gauche porteuse d'espérance et de générosité (mythes qui recouvrent en partie les sentiments de la classe ouvrière européenne dans ces années de capitalisme en plein essor), et l'autre celle d'une droite "fascisante et réactionnaire, ennemie de la démocratie (ce qui est vrai) et bras armé du capital, celui des deux cents familles! Ce qui est aussi partiellement vrai.
Mais, en réalité, qui sont donc les hommes qui refusent ce schéma trop simpliste? Leurs noms sont Georges Gressent, dit Valois, Marcel Déat, Henri De Man ou encore Marquet, Lefranc, Albertini, etc. L'absurde chaos de la "Grande Guerre", où ils se sont battus courageusement, parfois comme officiers, parfois comme simples soldats (le cas d'un Drieu la Rochelle), "les joies (sic) des tranchées" et le brassage des classes jeunes (ouvrières, paysannes, bourgeoises) dans les champs sanglants de l'Est et du Nord de la France, les ont enfin décillés. Avec l'absurdité et l'horreur, ils ont aussi connu le sens du sacrifice -car le mot "devoir" est bien trop faible pour évoquer leur cas- le sens également de la solidarité, de la camaraderie, rendant ineptes ou dépassés les vieux termes de droite ou de gauche, sanctionnant de manière désormais si désuète les clivages de classe. Et s'ils désapprouvent "la guerre civile européenne", selon le mot fameux de Valery, ils ont gardé au fond de leur cœur cette mystique de l'"Union sacrée" (mais pas au sens où l'entendaient les minables politiciens bourgeois de la future chambre bleue horizon). "Ni droite, ni gauche" crie le socialiste Albertini, auquel fait écho le "droitiste" Bucard. D'où une volonté de sortir du moule trop bien huilé des partis et des "systèmes", et d'essayer autre chose...
Georges Valois
G. Valois est chronologiquement le premier dans cette série de pionniers. S'il reprend du service à l'Action Française, c'est bien dans l'espoir de voir se perpétuer et s'approfondir le rapprochement des Camelots du Roy avec les cercles proud'honiens et soréliens d'avant-guerre, bref de réconcilier la monarchie des humbles, celle de la justice des peuples, avec l'anarcho-syndicalisme révolutionnaire (cf l'œuvre de Sorel, en particulier ses réflexions sur la violence, et ses matériaux d'une théorie du prolétariat). Mais l'AF, où il occupe dans le journal la place de l'économiste, est un mouvement qui, soit dit en passant, ne "croit" pas à l'économie... (l'"économie politique" est refusée au nom du célèbre postulat maurrassien du "politique d'abord"). Le "vieux maître" de Martigues est maintenant enfermé dans son système d'idées préconçues et confond par trop la "défense" (intellectuelle et morale) de la "monarchie nationale" avec les impératifs tactiques de l'Action française, au point de courtiser la vieille droite "cléricale" et sclérosée, étouffant l'idée royaliste sous un ordre moral "macmahonien", irrespirable pour un bon nombre de jeunes intellectuels (Bernanos en est le plus célèbre, avec Maulnier, Drieu...). Très rapidement, c'est la rupture et la création, par certains anciens militants, du "faisceau" (préfiguration du fascisme français) et vite rebaptisé "fesso" pour la circonstance par le talentueux polémiste L.Daudet, fils du célèbre écrivain Alphonse Daudet, tant les haines et les agressions des fidèles de Maurras et de la tendance réactionnaire du mouvement monarchiste seront virulentes.
Mais G. Valois, s'il se réfère au départ à la pensée mussolinienne (celle de la première période), s'écartera assez vite du "modèle" italien (la critique d'un "modèle" de régime ne date pas de l'eurocomunisme...), modèle auquel il reproche son aspect plus "nationaliste" (puis impérialiste) que "socialiste". Le "fascisme" valoisien est précisément l'union de l'"idée nationale" -réalité née de la guerre et des hécatombes meurtrières- et du courant socialiste français, socialisme non matérialiste, mais d'une inspiration spiritualitste et volontariste, qui doit autant à Charles Péguy qu'à l'idéologie sorélienne. Le socialisme valoisien, qui ne rejette pas les notions "économiques" de profit et de propriété, s'appuie sur une vision organiciste et non-mécaniciste (à rebours du libéralisme) de la société contemporaine. Il ajoute en outre une vériatble "mystique" du travail teintée de christianisme (cf la place qu'il accorde à l'idée de rédemption) dans un culte englobant des valeurs communautaires et "viriles" (le sport comme "pratique politique").
Mais la lutte que mènent désormais les partisans de l'Action Française, avec l'appui sans faille des groupes financiers catholiques qui soutiennent parallèlement les ligues d'extrême-droite et les partis droitistes, ne laissera aucun répit ni à Valois, bassement calomnié et injurié par la presse royaliste, selon une technique éprouvée qui fera "florès" lors de l'affaire Salengro, ni à ses troupes isolées. Les "chemises bleues" disparaîtront vite à la fin des années 20, et Valois ira rejoindre les rangs de la SFIO, en attendant de mourir pendant le second conflit mondial dans le camp de Bergen-Belsen, condamné à la déportation par les autorités allemandes pour fait de résistance. Là aussi, dans ce "grand dégoût collecteur", la voix de Valois rejoindra celle d'un Bernanos, celui des "grands cimetières sous la lune"...
Henri De Man
L'autre personnalité marquante du néo-socialisme est celle du Belge Henri De Man, connu internationalement pour ses critiques originales des théories marxistes, idéologie qu'il connait à fond pour y avoir adhéré dans ses premières années de militantisme. La fin de la première guerre mondiale est, pour De Man, la période des remises en question et des grandes découvertes. En s'initiant aux théories psychanalytiques de Freud et aux travaux du professeur Adler sur la volonté et le "complexe d'infériorité", il fait pour la première fois le lien entre les sciences humaines, donnant une signification de type psychologique, et bientôt éthique, à l'idéologie socialiste. Il s'agit d'une tentative remarquable de dépassement du marxisme et du libéralisme, qui est à l'opposé des élucubrations d'un W. Reich ou d'un H. Marcuse!!
Mais dans sa volonté de dépasser le marxisme, De Man en viendra inéluctablement à un dépassement de la "gauche" et s'intéressera aux théories néo-corporatistes et à l'organisation du "Front du Travail" national-socialiste. Cela dit, De Man préconise le recours au pouvoir d'Etat dans le but d'une meilleure régularisation de la vie économique et sociale, des rapports au sein de la société moderne industrielle, et cela grâce à un outil nouveau: le PLAN.
Le "planisme" connaîtra longtemps les faveurs des milieux syndicalistes belges et néerlandais et une audience plus militée en France. Il est alors intéressant de noter que De Man prévoit dans ce but l'apparition d'une nouvelle "caste" de techniciens, ayant pour tâche essentielle d'orienter cette planification. Vision prémonitoire d'une société "technocratique" dans laquelle les "néos" ne perçoivent pas les futurs blocages que l'expérience des quarante dernières années nous a enseignés. On peut également signaler l'importance, à la même époque, des idées appliquées par un certain J.M. Keynes qui verra, dans les années 30, le triomphe de ses théories économiques. Enfin, le planisme de De Man prévoit une application de type corporatiste.
En France, à la même époque, des hommes comme Marcel Déat, H. Marquet, M. Albertini, ou encore Lefranc, se situeront résolument dans cette mouvance. Leur insistance à refuser la "traditionnelle" dichotomie entre prolétariat et bourgeoisie (N'y a-t-il pas là une préfiguration de la critique plus récente contre la "société salariale" que Marx, Proudhon et d'autres encore, avaient déjà ébauché...) les place sans aucun doute dans ce courant des néos dont nous parlons ici. Cette division est pour eux d'autant plus dépassée que le prolétariat ne joue plus que partiellement le rôle de "moteur révolutionnaire". L'évolution de la société a enfanté de nouvelles forces, en particulier les "classes moyennes" dont la plupart sont issus. Leur confiance se reportant alors sur ces dernières qui sont les victimes de la société capitaliste cosmopolite. Le "système" rejette les classes moyenes par un mouvement puissant de nivellement des conditions et de rationalisation parcellaire du travail. Taylor est alors le nouveau messie du productivisme industrialiste... Le progrès est un révélateur de ces nouvelles forces, qui participent dorénavant de gré ou de force au mouvement révolutionnaire.
Désormais, au sein de la vieille SFIO, déjà ébranlée par la rupture fracassante des militants favorables au mouvement bolchévique, on assiste à une lutte d'influences entre "néos" et guesdistes; parmi ces derniers apparaissent certaines figures de proue: ainsi celle de Léon Blum. Là aussi, comme dans le cas du Faisceau de Georges Valois, les "néos" sont combattus avec violence et hargne par une "vieille garde" socialiste, qui réussit à étouffer le nouveau courant en expulsant ses partisans hors des structures décisionnaires du parti. L'avènement du front populaire sonnera le glas de leur espoir: réunir autour de leur drapeau les forces vives et jeunes du socialisme français. Certains d'entre eux, et non des moindres, se tourneront alors vers les "modèles" étrangers totalitaires: fascisme et national-socialisme allemand. De leur dépit naîtront des formations "fascisantes" ou nationales, et, pour beaucoup, la collaboration active avec la puissance occupante pendant les années 40 (Remarquons au passage que de nombreux militants "néos" rejoindront la résistance, représentant au sein de cette dernière un fort courant de réflexion politique qui jouera son jeu dans les grandes réformes de la libération).
En effet, si la grande tourmente de 1945 sera la fin de beaucoup d'espoirs dans les deux camps, celui de la collaboration et celui de la résistance intérieure, le rôle intellectuel des néos n'est pas pour autant définitivement terminé. Sinon, comment expliquer l'idéologie moderniste de la planification "à la française", à la fois "souple et incitative", où collaborent les divers représentants de ce qu'il est convenu d'appeler les "partenaires sociaux"? (cf. le rôle essentiel accordé par les rédacteurs de la constitution de 1958 à un organe comme le "Conseil économique et social", même si la pratique est en décalage évident avec le discours). On peut aussi expliquer pour une bonne part les idées nouvelles des milieux néo-gaullistes. Celles des idéologies de la "participation" ou celle des partisans de la "nouvelle société". La recherche d'une troisième voie est l'objectif souvent non-avoué de ces milieux. Une voie originale tout aussi éloignée des groupes de la "gauche alimentaire" que de la "droite affairiste", et appuyée davantage sur un appel au "cœur" des hommes plutôt qu'à leur "ventre".
2) L'après-guerre: néosocialisme et planification "à la française".
La grande crise des années 30 marque dans l'histoire économique mondiale la fin du sacro-saint crédo libéral du libre-échangisme, du "laisser faire, laisser passer", caractérisant ainsi le passage de l'Etat-gendarme à l'Etat-providence, en termes économistes. Et ceci, grâce en partie aux "bonnes vieilles recettes" du docteur Keynes...
L'Etat, nouveau Mammon des temps modernes, est investi d'une tâche délicate: faire pleuvoir une manne providentielle sous les auspices de la déesse Egalité... L'empirisme du "New Deal" rooseveltien fera école. En France, une partie du courant socialiste entrevoit le rôle étatique au travers d'administrations spécialisées et de fonctionnaires zélés (cf. les théories du Groupe X), en fait simple réactualisation d'un saint-simonisme latent chez ces pères spirituels de la moderne "technocratie".
On trouve l'amorce de cette évolution dans les cénacles intellectuels qui gravitent autour du "conseil national de la résistance". L'idée se fait jour d'une possible gestion technique et étatique de l'économie dans le cadre d'un plan général de reconstruction du pays en partie ruiné par le conflit. L'idée ne se réfère pas à un modèle quelconque (comme, par exemple, l'URSS dans les milieux du PCF), c'est-à-dire d'un dirigisme autoritaire pesant sur une société collectiviste, mais plutôt à un instrument permettant à l'Etat une "régulation" de l'économie -dans un système démeuré globalement attaché aux principes de l'économie libérale- grâce notamment à une planification "incitative", souple, concertée et enfin empirique. De quoi s'agit-il?
Pour les générations de la guerre, le traumatisme de la violence -et des régimes dictatoriaux qui l'ont symbolisée après la défaite des fascismes- est souvent lié à la grande dépression des années 30. L'objectif est donc de permettre au pouvoir politique, en l'occurence l'Etat comme instance dirigeante, de régulariser les flux et les rapports économiques, donc de contrôler pour une part ses évolutions, afin de favoriser un équilibre nécessaire à une plus forte croissance, mais aussi une plus juste croissance (hausse des revenus les plus défavorisés). Un indice est la création, dès la libération, des premières grandes institutions de Sécurité Sociale. La Constitution française de 1946 intègre officiellement ce souci du "social", où domine de plus en plus l'idée de redistribution égalitaire des revenus. Dans le même temps, les responsables du pays sont confrontés à la tâche écrasante de reconstruire la nation, de moderniser l'outil industriel frappé certes par la guerre, mais aussi par l'obsolescence.
facteurs démographiques, commissariat au plan, ENA
Cette tâche apparaît difficile si on tient compte que la population française vieillit. Heureusement, ce dernier point sera éliminé dans les années 50, grâce à une vitalité du peuple français assez inattendue (phénomène connu sous le nom de "baby boom"). Cette renaissance démographique aura deux effets directs positifs d'un point de vue économique: augmentation de la demande globale, qui favorise l'écoulement de la production, et croissance de la population active que les entreprises pourront embaucher grâce à la croissance du marché potentiel et réel. Sur cette même scène, s'impose le "géant américain", en tant que vainqueur du conflit (non seulement militaire mais aussi politique et surtout économique) qui se décrète seul rempart face à l'Union Soviétique. Un oubli tout de même dans cette analyse des esprits simples: le monde dit "libre" était déjà né, non pas de l'agression totalitaire des "rouges", mais de l'accord signé à Yalta par les deux (futurs) grands. Les dirigeants français doivent justifier l'aumône "généreusement" octroyée par les accords Blum-Byrnes, et surtout le plan Marshall.
C'est donc dans un climat politique gagné pour l'essentiel aux idéaux socialistes (pour le moins dans ses composantes "tripartite", exception faite de quelques conservateurs trop compromis dans les actes du régime de Vichy et qui vont se rassembler autour de A.Pinay), que l'idée de la planification aboutira. Il faut souligner le rôle majeur d'un Jean Monnet, créateur du "commissariat au plan", structure nouvelle composée de techniciens de l'économie, et qui fourniront aux pouvoirs publics le maximum des données indicielles nécessaires aux choix essentiels. On peut en outre noter à la même époque la création par Debré de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA), pépinière des futurs "technocrates" et point de départ d'une carrière qui ne passera plus exclusivement par les cursus des élections locales. La carrière de l'énarchie est celle des grands corps de l'Etat.
On assiste par ailleurs à la nationalisation des secteurs vitaux de l'économie française (chemins de fer, charbonnage, etc...), qui doivent être le soutien principal d'une politique économique nationale (à l'exception de Renault, nationalisée en régie d'Etat à cause de l'attitude "incivique" de son fondateur pendant l'occupation). Ce mouvement inspirera toutes les lois de nationalisation en France jusqu'en 81.
Planification certes, mais fondée sur la souplesse et l'incitation, qui exprime la volonté des pouvoirs publics de rendre plus cohérent le développement économique du pays. Cette volonté est claire: assurer les grands équilibres financiers et physiques, rechercher l'optimum économique qui ne soit pas simplement un assemblage de diverses prévisions dans les secteurs publics et privés. De plus, l'aspect humain n'est pas négligé, loin de là. Plus tard, passé le cap de la reconstruction proprement dite, les secondes étapes seront celles de l'aménagement du territoire et de la régionalisation (à la fin des années 60). Seront ensuite abordés les thèmes essentiels du chômage et de l'inflation. Priorité étant donnée aux thèmes les plus brûlants. Les administrations s'appuieront sur les services de l'INSEE, utilisant un nouvel "outil" privilégié: la comptabilité nationale réactualisée en 1976, puis les moyens plus récents que sont l'informatique et les techniques économétriques (plan FIFI (physio-financier), 6° Plan).
Planification concertée et empirique enfin, où les divers partenaires sociaux jouent un rôle non-négligeable au travers d'institutions spéciales telles le "Conseil économique et social". Le plan se veut une "étude de marché" -sous l'impulsion d'un homme comme P.Massé- à l'échelle nationale, imposant un axe de développement conjoncturel, éventuellement corrigé par des "indicateurs d'alerte", ou des clignotants (ex: les hausses de prix) dans un but de compétitivité internationale.
les risques du néo-saint-simonisme
Conclusion. On constate indubitablement une étatisation progressive de l'économie. Mais "étatisation" ne signifie pas obligatoirement, dans l'esprit des réformateurs et dans les faits, "nationalisation" de la production. La bureaucratisation est plutôt le phénomène majeur de cette étatitation. Relire à ce sujet l'ouvrage de Michel Crozier: La société bloquée. Cette "étatisation" se traduit en effet par la lutte de nouveaux groupes de pression: côteries politico-administratives, financières, patronales, syndicales enfin. Chacun de ces groupes étant axés sur la défense d'intérêts "corporatistes" plus que sur le souci d'intérêt national. Le jeu particulier de firmes "nationales" préférant traiter avec des multinationales, relève de cette philosophie de la rentabilité qui rejette le principe précédent.
La contestation de Mai 68 a pu jouer le rôle de révélateur de cette réalité. La société française, troublée par une urbanisation anarchique, une pollution croissante, a pris alors conscience de la perte d'une "qualité de vie". Enfin, au plan international, l'interdépendance croissante des économies, la dématérialisation progressive des relations financières victimes du dollar, ont pu montrer la relativité des objectifs poursuivis par les planificateurs français. Aidée en France par un courant saint-simonien de plus en plus puissant, cette évolution a précipité la dilution politique du pays; la collaboration entre les nouveaux gestionnaires et les puissances financières a aggravé incontestablement cette situation. N'y aurait-il pas alors une "divine surprise " des années 80: celle du rapprochement entre les derniers néosocialistes et les nationalistes conséquents (éloignés du pseudo-nationalisme mis en exergue récemment par les média) sous le signe du "Politique d'abord" ...
Pierre-Jean BERNARD.
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dimanche, 17 janvier 2010
Capitalisme libéral et socialisme, les deux faces de Janus
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1992
CAPITALISME LIBERAL ET SOCIALISME,
LES DEUX FACES DE JANUS
par Pierre Maugué
L'effondrement des régimes marxistes, en Union soviétique et en Europe orientale, et le triomphe du modèle capitaliste occidental sont généralement présentés comme l'issue d'un conflit qui opposait depuis des décennies deux conceptions du monde fondamentalement antagonistes. Cette vision manichéenne, sur laquelle se fondent les démocraties occidentales pour réaffirmer leur légitimité, mérite néanmoins d'être mise en question. En effet, l'opposition entre les deux systèmes qui se partageaient le monde sous la direction des Etats-Unis d'Amérique et de l'Union soviétique était-elle si essentielle, et ne masquait-elle pas d'étranges convergences, voire même d'inavouables connivences?
En 1952, dans son "Introduction à la métaphysique" , Heidegger écrivait : "L'Europe se trouve dans un étau entre la Russie et l'Amérique, qui reviennent métaphysiquement au même quant à leur appartenance au monde et à leur rapport à l'esprit". Si, pour lui, notre époque se caractérisait par un "obscurcissement du monde" marqué par "la fuite des dieux, la destruction de la terre, la grégarisation de l'homme, la prépondérance du médiocre", et si cet obscurcissement du monde provenait de l'Europe elle-même et avait commencé par "l'effondrement de l'idéalisme allemand", ce n'en est pas moins en Amérique et en Russie qu'il avait atteint son paroxysme.
L'affirmation de Heidegger, qui pose comme équivalentes, au plan de leur rapport à l'être, deux nations porteuses d'idéologies généralement pensées comme antinomiques peut paraître provocatrice. Elle ne fait pourtant que reconnaître, au plan métaphysique, la parenté certaine qui existe, au plan historique, entre capitalisme et socialisme (dont le marxisme n'est que la forme la plus élaborée et la plus absolue).
Capitalisme et socialisme sont aussi intimement liés que les deux faces de Janus. Tous deux sont issus de la philosophie du XVIIIe siècle, marguée par la trilogie : raison, égalité, progrès, et de la Révolution industrielle du XIXe siècle, caractérisée par le culte de la technique, du productivisme et du profit, et s'ils s'opposent, c'est beaucoup plus sur les méthodes que sur les objectifs.
L'émergence du socialisme moderne tient au fait gue non seulement la proclamation de l'égalité des droits par la Révolution de 1789 laissa subsister les inégalités sociales, mais que furent supprimées toutes les institutions communautaires (gérées par l'Eglise, les corporations, les communes) gui créaient un réseau de solidarité entre les différents ordres de la société, Quant à la Révolution industrielle, si elle marqua un prodigieux essor économique, elle provoqua également une détérioration considérable des conditions de vie des classes populaires, de sorte que ce qui avait été théoriquement gagné sur le plan politique fut perdu sur le plan social, La protestation socialiste tendit alors à démontrer qu'une centralisation et une planification de la production des richesses était tout-à-fait capable de remplacer la libre initiative des entrepreneurs et de parvenir, au plan économique, à l'égalité qui avait été conquise au plan juridique.
Bien que divergeant sur les méthodes (économie de libre entreprise ou économie dirigée), libéraux et socialistes n'en continuaient pas moins à s'accorder sur la primauté des valeurs économiques, et partageaient la même foi dans le progrès technique, le développement industriel illimité, et l'avènement d'un homme nouveau, libéré du poids des traditions. En fait, tant les libéraux que les socialistes pouvaient se reconnaître dans les idées des Saints-Simoniens, qui ne voyaient dans la politique que la science de la production, et pour lesquels la société nouvelle n'aurait pas besoin d'être gouvernée, mais seulement d'être administrée.
La même négation de l'autonomie du politique se retrouve ainsi chez les libéraux et les socialites de toute obédience. A l'anti-étatisme des libéraux, qui ne concèdent à l'Etat qu'un pouvoir de police propre à protéger leurs intérêts économiques, et la mission de créer les infrastructures nécessaires au développement de la libre entreprise, répond, chez les sociaux-démocrates, le rêve d'un Etat qui aurait abandonné toute prérogative régalienne et dont le rôle essentiel serait celui de dispensateur d'avantages sociaux. On trouve même chez les socialistes proudhoniens un attrait non dissimulé pour un certaine forme d'anarchie. Quant aux marxistes, bien qu'ils préconisent un renforcement du pouvoir étatique dans la phase de dictature du prolétariat, leur objectif final demeure, du moins en théorie, le dépérissement de l'Etat. Le totalitarisme vers lequel ont en fait évolué les régimes mar~istes constitue d'ailleurs aussi, à sa manière, une négation de l'autonomie du politique.
La pensée de Marx, nourrie de la doctrine des théoriciens de l'économie classique, Adam Smith, Ricardo, Stuart Mill et Jean-Baptiste Say, est toujours restée tributaire de l'idéologie qui domine depuis les débuts de l'ère industrielle . Le matérialisme bourgeois, l'économisme w lgaire se retrouvent ainsi dans le socialisme marxiste. Marx rêve en effet d'une société assurant l'abondance de biens matériels et, négligeant les autres facteurs socio-historiques, il voit dans l'économie le seul destin véritable de l'homme et l'unique possibilité de réalisation sociale.
Mais ce qui crée les liens les plus forts est l'existence d'ennemis communs. Or, depuis l'origine, libéraux et marxistes partagent la même hostilité à l'égard des civilisations traditionnelles fondées sur des valeurs spirituelles, aristocratiques et communautaires.
Le Manifeste communiste de 1868 est à cet égard révélateur. Loin de stigmatiser l'oeuvre de la bourgeoisie (c'est-à-dire, au sens marxiste du terme, le grand capital), il fait en quelque sorte l'éloge du rôle éminemment révolutionnaire qu'elle a joué. "Partout où elle (la bourgeoisie) est parvenue à dominer", écrit Marx, "elle a détruit toutes les conditions féodales, patriarcales, idylliques. Impitoyable, elle a déchiré les liens multicolores qui attachaient l'homme à son supérieur naturel, pour ne laisser subsister entre l'homme et l'homme que l'intérêt tout nu, le froid 'paiement comptant'... Elle a dissous la dignité de la personne dans la valeur d'échange, et aux innombrables franchises garanties et bien acquises, elle a substitué une liberté unique et sans vergogne : le libre-échange".
Prenant acte de cette destruction des valeurs traditionnelles opérée par la bourgeoisie capitaliste, Marx se félicite que celle-ci ait "dépouillé de leur sainte auréole toutes les activités jusque là vénérables et considérées avec un pieux respect" et qu'elle ait "changé en salariés à ses gages le médecin, le juriste, le prêtre, le poête, l'homme de science".
La haine du monde rural et l'apologie des mégapoles s'expriment également sans détours chez Marx, qui juge positifs les effets démographiques du développement capitaliste. "La bourgeoisie", écrit-il, "a soumis la campagne à la domination de la ville. Elle a fait surgir d'immenses cités, elle a prodigieusement augmenté la population des villes aux dépens des campagnes, arrachant ainsi une importante partie de la population à l'abrutissement de l'existence campagnarde". Il n'hésite pas non plus à faire l'éloge du colonialisme, se félicitant que "la bourgeoisie, de même qu'elle a subordonné la campagne à la ville ... a assujetti les pays barbares et demi-barbares aux pays civilisés, les nations paysannes aux nations bourgeoises, l'Orient à l'Occident". Cette domination sans partage de la fonction économique est magnifiée par Marx, de même que l'instabilité qui en résulte. C'est en effet avec satisfaction qu'il constate que "ce qui distingue l'époque bourgeoise de toutes les précédentes, c'est le bouleversement incessant de la production, l'ébranlement continuel de toutes les institutions sociales, bref la permanence de l'instabilité et du mouvement... Tout ce qui était établi se volatilise, tout ce qui était sacré se trouve profané".
Mais la bourgeoisie capitaliste n'en a pas moins souvent cherché à faire croire qu'elle défendait les valeurs traditionnelles contre les marxistes et autres socialistes, ce qui amène Marx à rappeler, non sans une certaine ironie, que les marsistes ne peuvent être accusés de détruire des valeurs que le capitalisme a déjà détruit ou est en voie de détruire. Vous nous reprochez, dit Mars, de détruire la propriété, la liberté, la culture, le droit, l'individualité, la famille, la patrie, la morale, la religion, comme si les développements du capitalisme ne l'avait pas déjà accompli.
«Détruire la propriété?" "Mais" dit Mars, "s'il s'agit de la propriété du petit-bourgeois, du petit paysan, nous n'avons pas à l'abolir, le développement de l'industrie l'a abolie et l'abolit tous les jours". "Détruire la liberté, l'individualité?" "Mais l'individu qui travaille dans la société bourgeoise n'a ni indépendance, ni personnalité". "Détruire la famille?" "Mais par suite de la grande industrie, tous les liens de famille sont déchirés de plus en plus".
Tous ces arguments de Marx ne relèvent pas seulement de la polémique. En effet, les sociétés capitalistes présentent bien des traits conformes aux idéaux marxistes. Ainsi, à l'athéisme doctrinal professé par les marxistes répond le matérialisme de fait des sociétés capitalistes, où toute religion structurée a tendance à disparaître pour faire place à un athéisme pratique ou à une vague religiosité qui, sous l'influence du protestantisme, tend à se réduire à un simple moralisme aux contours indécis, dont tout aspect métaphysique, tout symbolisme, tout rite, toute autorité traditionnelle est banni.
De même, au collectivisme tant reproché à l'idéologie marxiste (collectivisme qui ne se réduit pas à l'appropriation par l'Etat des moyens de production, mais consiste également en une forme de vie sociale où la personne est soumise à la masse) répond le grégarisme des sociétés capitalistes. Comme le note André Siegfried, c'est aux Etats-Unis qu'est né le grégarisme qui tend aujourd'hui à gagner l'Europe. "L'être humain, devenu moyen plutôt que but accepte ce rôle de rouage dans l'immense machine, sans penser un instant qu'il puisse en être diminué", "d'où un collectivisme de fait, voulu des élites et allègrement accepté de la masse, qui, subrepticement, mine la liberté de l'homme et canalise si étroitement son action que, sans en souffrir et sans même le savoir, il confirme lui-même son abdication". Curieusement, marxisme et libéralisme produisent ainsi des phénomèmes sociaux de même nature, qui sont incompatibles avec toute conception organique et communautaire de la société.
L'idéologie mondialiste est également commune au marxisme et au capitalisme libéral. Pour Lénine, qui soutient le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la libération complète de toutes les nations opprimées n'est en effet qu'un instrument au service de la Révolution et ne peut constituer qu'une "phase de transition", la finalité étant "la fusion de toutes les nations". Or, cette fusion de toutes les nations est également l'objectif du capitalisme libéral qui, tout en ayant utilisé les nationalismes des peuples de l'Est pour détruire l'Union soviétique, vise en fait à établir un marché mondial dans lequel toutes les nations sont appelées finalement à se dissoudre. Toutes les identités nationales sont ainsi destinées à disparaître pour être remplacées par un modèle uniforme, américanomorphe, au service duquel une intense propagande est organisée, modèle dont les traits caractéristiques sont le métissage, la culture rock, les jeans, le coca-cola, les chaînes de restaurant fast-food et le "basic English", le tout étant couronné par l'idéologie des droits de l'homme dont les articles de foi sont dogmatiquement décrétés par les grands-prêtres d'une intelligentsia qui n'a d'autre légitimité que celle qu'elle s'est elle-même octroyée.
En fait, tant le marxisme que le capitalisme libéral approuvent sans réserves toutes les conséquences économiques et sociales de la Révolution industrielle, qui se traduisent par la destruction de tous les liens communautaires, familiaux ou nationaux, le déracinement et la grégarisation. Une telle évolution est en effet nécessaire aussi bien à l'établissement d'un véritable marché mondial, rêve ultime du capitalisme libéral, qu'à l'avènement de l'homme nouveau, libéré de toute aliénation, qui constitue l'objectif du marxisme. Pour ce dernier, le prolétariat était d'ailleurs appelé à jouer un rôle messianique et à porter plus loin le flambeau de la Révolution, afin de mener à son terme la destruction de toutes les valeurs traditionnelles.
Pour le philosophe chrétien et traditionnaliste Berdiaev, capitalisme libéral et marxisme ne sont pas seulement liés au plan des sources idéologiques, mais ils sont également les agents d'une véritable subversion. "Tant la bourgeoisie que le prolétariat", écrit Berdiaev, "représentent une trahison et un rejet des fondements spirituels de la vie. La bourgeoisie a été la première à trahir et à abdiquer le sacré, le prolétariat lui a emboîté le pas." Soulignant les affinités qui existent entre la mentalité du bourgeois et celle du prolétaire, il déclare : "Le socialisme est bourgeois jusque dans sa profondeur et il ne s'élève jamais au-dessus du sentiment des idéaux bourgeois de l'existence. Il veut seulement que l'esprit bourgeois soit étendu à tous, qu'il devienne universel, et fixé dans les siècles des siècles, définitivement rationalisé, stabilisé, guéri des maladies qui la minent."
Si, pour Berdiaev, l'avènement de la bourgeoisie en tant gue classe dominante a correspondu à un rejet des fondements spirituels de la vie, Max Weber voit, pour sa part, une relation étroite entre l'éthique protestante et le développement du capitalisme moderne. Ces deux points de vue ne sont pas aussi contradictoires qu'ils peuvent paraître de prime abord. En effet, outre que la spiritualité ne se réduit pas à l'éthique, l'éthique protestante a tendu à devenir une simple morale utilitariste qui s'apparente en fait à la morale laïgue, et qui n'est plus sous-tendue par une vision spirituelle du monde. Max Weber relève d'ailleurs que "l'élimination radicale du problème de la théodicée et de toute espèce de questions sur le sens de l'univers et de l'existence, sur quoi tant d'hommes avaient peiné, cette élimination allait de soi pour les puritains ..." °
L'utilitarisme de l'éthique protestante apparaît d'ailleurs clairement dans sa conception de l'amour du prochain. En effet, selon celle-ci, comme le rappelle Max Weber, "Dieu veut l'efficacite sociale du chrétien" et "l'amour du prochain ... s'exprime en premier lieu dans l'accomplissement des tâches professionnelles données par la "lex naturae" revêtant ainsi "l'aspect proprement objectif et impersonnel d'un service effectué dans l'organisation rationnelle de l'univers social qui nous entoure." C'est d'ailleurs par la promotion de cette conception éthique dans le monde chrétien que le protestantisme a pu créer un contexte favorable au développement du capitalisme moderne.
Mais l'état d'esprit qui en est résulté, et qui s'est développé sans entraves aux Etats-Unis d'Amérique, paraît bien éloigné de toute sorte d'éthique. Comme l'a relevé Karl Marx à propos des "habitants religieux et politiquement libres de la Nouvelle Angleterre", "Mammon est leur idole qu'ils adorent non seulement des lèvres, mais de toutes les forces de leur corps et de leur esprit. La terre n'est à leurs yeux qu'une Bourse, et ils sont persuadés qu'il n'est ici-bas d'autre destinée que de devenir plus riches que leurs vo;sins".
Etudiant les liens qui existent entre l'esprit du capitalisme et l'éthique protestante, Max Weber avait souligné la "bibliocratie" du calvinisme, qui tenait les principes moraux de l'Ancien Testament dans la même estime que ceux du Nouveau, l'utilitarisme de l'éthique protestante rejoignant l'utilitarisme du judaïsme. Avant lui, Marx avait d'ailleurs déjà relevé les affinités qui existent entre l'esprit du capitalisme et le judaïsme même si cette analyse était peu conforme aux principes du matérialisme historique. Considérant que "le fond profane du judaïsme" c'est "le besoin pratique, l'utilité personnelle", Marx estimait ainsi que, grâce aux Juifs et par les Juifs, "l'argent est devenu une puissance mondiale et l'esprit pratique des Juifs, l'esprit pratique des peuples chrétiens", concluant que "les Juifs se sont émancipés dans la mesure même où les chrétiens sont devenus Juifs".
Ignorant délibérément la complexité des origines de l'idéologie socialiste, Berdiaev privilégiait quant à lui les affinités entre socialisme et judaïsme. Selon Berdiaev, le socialisme constitue en effet une "manifestation du judaïsme en terreau chrétien", et "la confusion et l'identification du christianisme avec le socialisme, avec le royaume et le confort terrestre sont dues à une flambée d'apocalyptique hébraïque", au "chiliasme hébreu, qui espère le Royaume de Dieu ici-bas" et "il n'était pas fortuit que Marx fût juif" . Cioran rejoint sur ce point Berdiaev lorsqu'il écrit : "Quand le Christ assurait que le "royaume de Dieu" n'était ni "ici ni "là", mais au-dedans de nous, il condamnait d'avance les constructions utopiques pour lesquelles tout "royaume" est nécessairement extérieur, sans rapport aucun avec notre moi profond ou notre salut individuel. 5
De différents points de vue, capitalisme libéral et socialisme moderne paraissent ainsi liés, non seulement au plan historique, mais également par leurs racines idéologiques, et ce n'est probablement pas un hasard si leur émergence a coïncidé avec l'effondrement du système de valeurs qui, pendant des siècles, avait prévalu en Europe, et qui affirmait, du moins dans son principe originel, la primauté de l'autorité spirituelle sur le pouvoir temporel, et la subordination de la fonction économique au pouvoir temporel.
L'écroulement des régimes marxistes, incapables d'atteindre leurs objectifs économiques et sociaux, n'aura donc pas changé fondamentalement le cours de l'Histoire, puisque la "Weltanschauung" commune au marxisme et au capitalisme continue toujours à constituer le point de référence de nos sociétés. Se trouvent en effet toujours mis au premier plan : le matérialisme philosophique et pratique, le règne sans partage de l'économie, l'égalitarisme idéologique (qui se conjugue curieusement avec l'extension des inégalités sociales), la destruction des valeurs familiales et communautaires, la collectivisation des modes de vie et le mondialisme. C'est peut-être d'ailleurs ce qui permet d'expliquer pourquoi les socialistes occidentaux et la majeure partie des marxistes de l'Est se sont aussi facilement convertis au capitalisme libéral, qui paraît aujourd'hui le mieux à même de réaliser leur idéal.
Mais la chute des régimes marxistes a l'Est nombre de valeurs qui, bien qu'ayant été niées pendant des décennies, n'avaient pu être détruites. On voit ainsi, dans des sociétés en pleine décomposition qui redécouvrent les réalités d'un capitalisme sauvage, s'affirmer à nouveau religions, nations et traditions.
Toutes ces valeurs qui refont surface, et dont l'affirmation avait été jugée utile par les Etats occidentaux, dans la mesure où elle pouvait contribuer au renversement des régimes marxistes, sont toutefois loin d'être vues avec la même complaisance dès lors que cet objectif a été atteint.
L'idéologie matérialiste des sociétés occidentales s'accommode en effet assez mal de tout système de valeurs qui met en question sa prétention à l'universalité et qui n'est pas inconditionnellement soumis aux impératifs du marché mondial. Tout véritable réveil religieux, toute affirmation nationale ou communautaire, ou toute revendication écologiste ne peuvent ainsi être perc,us que comme autant d'obstacles à la domination sans partage des valeurs marchandes, obstacles qu'il s'agit d'abattre ou de contourner.
Ainsi, l'établissement d'un véritable marché mondial qui puisse permettre aux stratégies des multinationales de se développer sans entraves étant devenu l'objectif prioritaire, des pressions sont exercées au sein du GATT - par le lobby américain - pour que les pays d'Europe acceptent le démantèlement de leur agriculture, quelles que puissent en être les conséquences sur l'équilibre démographique et social de ces pays, sur l'enracinement de leur identité nationale et sur leur équilibre écologique.
De même, les cultures et les langues nationales doivent de plus en plus se plier aux lois du marché mondial et céder le pas à des "produits culturels" standardisés de niveau médiocre, utilisant le "basic English" comme langue véhiculaire, et aptes ainsi à satisfaire le plus grand nombre de consommateurs du plus grand nombre de pays. Quant aux religions, elles ne sont tolérées gue dans la mesure où elles délivrent un message compatible avec l'idéologie du capitalisme libéral, et si elles s'accommodent avec les orientations fondamentales de la société permissive, qui ne sont en fait que l'application, au domaine des moeurs, des principes du libre-échange.
L'écologie, enfin, n'est prise en compte que si elle ne s'affirme pas comme une idéologie ayant la prétention d'imposer des limites à la libre entreprise. Les valeurs néo-païennes qu'elle véhicule (que le veuillent ou non ses adeptes) sont par ailleurs vivement dénoncées. Ainsi, Alfred Grosser se plaît à relever que "ce n'est pas un hasard si l'écologie a démarré si fort en Allemagne où la nature ("die Natur") tient une place tout autre qu'en France. La forêt ("der Wald") y est fortement chargée de symbole. La tradition allemande ... c'est l'homme mêlé, confondu à la nature". Ne reculant pas devant les amalgames les plus grossiers, il n'hésite pas à écrire : "La liaison entre les hommes et la nature, le sol et le sang, cette solide tradition conservatrice allemande a été reprise récemment par Valéry Giscard d'Estaing à propos des immigrés. C'était la théorie d'Hitler;". Et Grosser de conclure avec autant de naïveté que de grandiloquence : "La grandeur de la civilisation judéo-chrétienne est d'avoir forgé un homme non soumis à la nature".
L'idéologie capitaliste libérale, actuellement dominante, entre ainsi en conflit avec d'autres ordres de valeur, et ces nouveau~ conflits, dont nous ne voyons que les prémisses, pourraient bien reléguer au rang des utopies la croyance en une "fin de l'histoire". En effet, ces conflits n'opposent plus, comme c'était le cas depuis deux siècles, deux idéologies jumelles qui, tout en se combattant, partaqeaient pour l'essentiel les mêmes idéaux fondamentaux et ne s'opposaient que sur les moyens de les réaliser. Les sociétés fondées sur le capitalisme libéral vont en effet avoir désormais à affronter des adversaires dont l'idéologie est irréductible à une vision purement économiste du monde. L'antithèse fondamentale ne se situe pas en effet entre capitalisme et marxisme, mais entre un système où l'économie est souveraine, quelle que soit sa forme, et un système où elle se trouve subordonnée à des facteurs extra-économiques.
On voit ainsi reparaître l'idée d'une hiérarchie des valeurs qui n'est pas sans analogies avec l'idéologie des peuples indo-européens et celle de l'Europe médiévale, où la fonction économique, et notamment les valeurs marchandes, occupait un rang subordonné aux valeurs spirituelles et au pouvoir politique (au sens originel de pouvoir régulateur de la vie sociale et des fonctions économiques). Bien que, dans cet ordre ancien, la dignité de la fonction de production des biens matériels fût généralement reconnue , il était toutefois exclu que les détenteurs de cette fonction puissent usurper des compétences pour l'exercice desquelles ils n'avaient aucune qualification. L'économie se trouvait ainsi incorporée dans un système qui ne considérait pas l'homme uniquement comme producteur ou consommateur, et l'organisation corporative des professions mettait beaucoup plus l'accent sur l'aspect qualitatif du travail que sur l'aspect quantitatif de la production, donnant une dimension spirituelle à l'accomplissement de toutes les tâches, même des plus humbles. Quant à la spéculation, au profit détaché de tout travail productif, ils n'étaient non seulement pas valorisés, comme c'est le cas aujourd'hui, mais ils étaient profondément méprisés, tant par la noblesse que par le peuple, et ceux qui s'y adonnaient étaient généralement considérés comme des parias.
Ce n'est en fait que depuis deux siècles que les valeurs marchandes ont pris une place prépondérante dans la société occidentale, et que s'est instituée cette véritable subversion que Roger Garaudy qualifie de "monothéisme du marché, c'est-à-dire de l'argent, inhérent à toute société dont le seul régulateur est la concurrence, une guerre de tous contre tous". Un champion de l'ultra-libéralisme, comme Hayek, reconnaît d'ailleurs lui-même que "le concept de justice sociale est totalement vide de sens dans une économie de marché".
Cette subversion des valeurs est particulièrement sensible dans le capitalisme de type anglo-saxon que Michel Albert oppose au capitalisme de type rhénan ou nippon : le premier pariant sur le profit à court terme, négligeant outrancièrement les secteurs non-marchands de la société, l'éducation et la formation des hommes, et préférant les spéculations en bourse à la patience du capitaine d'industrie ou de l'ingénieur qui construisent et consolident jour après jour une structure industrielle; le second planifiant à long terme, respectant davantage les secteurs non-marchands, accordant de l'importance à l'éducation et à la formation et se fondant sur le développement des structures industrielles plutôt que sur les spéculations boursières.
Il est d'ailleurs intéressant de relever gue c'est le capitalisme de type rhénan ou nippon, qui conserve un certain nombre de valeurs des sociétés pré-industrielles et s'enracine dans une communauté ethno-culturelle, qui se révèle être plus performant que le capitalisme de type anglo-saxon, qui ne reconnaît pas d'autres valeurs que les valeurs marchandes, même s'il aime souvent se draper dans les plis de la morale et de la religion.
Mais le meileur équilibre auquel sont parvenues les sociétés où règne un capitalisme de type rhénan ou nippon n'en demeure pas moins fragile, et ces sociétés sont loin d'être exemptes des tares inhérentes à toutes les formes de capitalisme libéral. On peut d'ailleurs se demander si le capitalisme de type rhénan ou nippon, qui s'appuie sur les restes de structures traditionnelles, n'est pas condamné à disparaître par la logique même du capitalisme libéral qui finira par en détruire les fondements dans le cadre d'un marché mondial.
Par delà ces oppositions de nature éphémère qui existent au sein du capitalisme libéral, la question est finalement de savoir si celui-ci parviendra à établir de manière durable son pouvoir absolu et universel, marquant ainsi en quelque sorte la fin de l'histoire, ou s'il subira, à plus ou moins longue échéance, un sort analogue à celui de marxisme. En d'autres termes, une société ne se rattachant plus à aucun principe d'ordre supérieur et dénuée de tout lien communautaire est-elle viable, ou cette tentative de réduire l'homme aux simples fonctions de producteur et de consommateur, sans dimension spirituelle et sans racines, est-elle condamnée à l'échec, disqualifiant par là-même l'idéologie (ou plutôt l'anti-idéologie) sur laquelle elle était fondée?
Pierre Maugué
Novembre 1992
NOTES
1) Cf. Martin Heideqger, "Introduction à la métaphysique", page 56, Gallimard, Paris 1967.
2) Cf. Werner Sombart, "Le Socialisme allemand", Editions Pardès, 45390 Puiseaux.
3) Cf. Karl Marx, "Le manifeste communiste" in "oeuvres complètes", La Pléïade, Gallimard, Paris 1963.
4) René Guénon fait la même constatation gue Rarl Marx, mais, loin d'y voir l'annonce d'un monde nouveau, supérieur à l'ancien, il y voit au contraire une déchéance, la fin d'un cycle. Il relève ainsi que "partout dans le monde occidental, la bourgeoisie est parvenue à s'emparer du pouvoir", que le résultat en est "le triomphe de l'économique, sa suprématie proclamée ouvertement" et qu'"à mesure qu'on s'enfonce dans la matérialité, l'instabilité s'accroît, les changements se produisent de plus en plus rapidement". Cf. René Guénon, "Autorité spirituelle et pouvoir temporel", page 91, Les Editions Vega, Paris, 1964.
5) Cf. André Siegfried, "Les Etats-Unis d'aujourd'hui", pages 346, 349
et 350, Paris 1927.
6) Cf. Lénine, "Oeuvres", tome 22, page 159, Editions sociales, Paris 1960.
7) Comme le relève Régis Debray, "Nous avions eu Dieu, la Raison, la Nation, le Progrès, le Prolétariat. Il fallait aux sauveteurs un radeau de sauvetage. Voilà donc pour les aventuriers de l'Arche Perdue, les Droits de l'Homme come progressisme de substitution. Cf. Régis Debray, "Que vive la République", Editions Odile Jacob, Paris 1989.
8) Cf. Nicolas Berdiaev, "De l'inégalité", pages 150 et 152, Editions l'Age
d'Homme, Genève 1976.
9) Cf. Nicolas Berdiaev, op. cité, page 150. Dans le style qui lui est propre, Louis-Ferdinand Céline avait relevé la même analogie entre esprit bourgeois et esprit prolétaire. "Vous ne rêvez que d'être lui, à sa place, rien d'autre, être lui, le Bourgeois! encore plus que lui, toujours plus bourgeois! C'est tout. L'idéal ouvrier c'est deux fois plus de jouissances bourgeoises pur lui tout seul. Une super bourgeoisie encore plus tripailleuse, plus motorisée, beaucoup plus avantageuse, plus dédaigneuse, plus conservatrice, plus idiote, plus hypocrite, plus stérile que l'espèce actuelle". Cf. Louis-Ferdinand-Céline, "L'école des cadavres", Editions Denoël, Paris.
10) Cf. Max Weber, "L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme", page 129, Librairie Plon, Paris 1964.
11) Cf. Max Weber, op cité, pages 128 et 129.
12) Cf. Rarl Marx, "La question juive", pages 50 et 55, collection 10/18, Union générale d'éditions, Paris 1968.
13) Cf. Karl Marx, op cité, pages 49 et 50.
14) Cf. Nicolas Berdiaev, op cité, page 154
15) Cf. Cioran, "Histoire et Utopie", Gallimard, Paris 1960.
16) C'est ainsi que le modèle de la société libérale avancée, qui s'est imposé en Occident, correspond parfaitement à certains objectifs qu'Engels avait fixés au 21e point de son avant-projet pour le Manifeste du Parti communiste. Il écrivait ainsi : "(L'avènement du communisme) transformera les rapports entre les sexes en rapport purement privés, ne concernant que les personnes qui y participent et où la société n'aura pas à intervenir. Cette transformation sera possible du moment que ... les enfants seront élevés en commun, et que seront détruites les deux bases principales du mariage actuel, à savoir la dépendance de la femme vis-à-vis de l'homme, et celle des enfants vis-à-vis des parents".
17) Cf. Alfred Grosser, interview paru dans "Le Nouveau Quotidien" (Lausanne) du vendredi 24 janvier 1992 sous le titre : "Après le dieu Lénine des communistes, voici la déesse Gaia des écologistes".
18) Dans l'Inde traditionnelle, les "vaishya", représentants de la troisième fonction, ont la qualité d'"arya". Toutefois, dans le monde méditerranéen, chez les Romains et les Grecs de l'époque classique, on constate une dépréciation du travail manuel, qui n'existe pas en revanche dans les sociétés celtiques et germaniques, où l'esclavage tenait une place beaucoup moins importante.
19) Cf. Roger Garaudy "Algérie, un nouvel avertissement pour l'Europe", in "Nationalisme et République", No 7.
20) Cf. Michel Albert, "Capitalisme contre capitalisme", Editions du Seuil, collection "L'histoire immédiate", Paris 1991.
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mardi, 12 janvier 2010
Entretien avec Günter Maschke
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991
Entretien avec Günter Maschke
propos recueillis par Dieter STEIN et Jürgen LANTER
Q.: Monsieur Maschke, êtes-vous un ennemi de la Constitution de la RFA?
Q.: Monsieur Maschke, êtes-vous un ennemi de la Constitution de la RFA?
GM: Oui. Car cette loi fondamentale (Grundgesetz) est pour une moitié un octroi, pour une autre moitié la production juridique de ceux qui collaborent avec les vainqueurs. On pourrait dire que cette constitution est un octroi que nous nous sommes donné à nous-mêmes. Les meilleurs liens qui entravent l'Allemagne sont ceux que nous nous sommes fabriqués nous-mêmes.
Q.: Mais dans le débat qui a lieu aujourd'hui à propos de cette constitution, vous la défendez...
GM: Oui, nous devons défendre la loi fondamentale, la constitution existante car s'il fallait en créer une nouvelle, elle serait pire, du fait que notre peuple est complètement «rééduqué» et de ce fait, choisirait le pire. Toute nouvelle constitution, surtout si le peuple en débat, comme le souhaitent aussi bon nombre d'hommes de droite, connaîtrait une inflation de droits sociaux, un gonflement purement quantitatif des droits fondamentaux, et conduirait à la destruction des prérogatives minimales qui reviennent normalement à l'Etat national.
Q.: Donc, quelque chose de fondamental a changé depuis 1986, où vous écriviez dans votre article «Die Verschwörung des Flakhelfer» (= La conjuration des auxiliaires de la DCA; ndlr: mobilisés à partir de 1944, les jeunes hommes de 14 à 17 ans devaient servir les batteries de DCA dans les villes allemandes; c'est au sein de cette classe d'âge que se sont développées, pour la première fois en Allemagne, certaines modes américaines de nature individualiste, telles que l'engouement pour le jazz, pour les mouvements swing et zazou; c'est évidemment cette classe d'âge-là qui tient les rênes du pouvoir dans la RFA actuelle; en parlant de conjuration des auxiliaires de la DCA, G. Maschke entendait stigmatiser la propension à aduler tout ce qui est américain de même que la rupture avec toutes les traditions politiques et culturelles européennes). Dans cet article aux accents pamphlétaires, vous écriviez que la Constitution était une prison de laquelle il fallait s'échapper...
GM: Vu la dégénérescence du peuple allemand, nous devons partir du principe que toute nouvelle constitution serait pire que celle qui existe actuellement. Les rapports de force sont clairs et le resteraient: nous devrions donc nous débarrasser d'abord de cette nouvelle constitution, si elle en venait à exister. En disant cela, je me doute bien que j'étonne les «nationaux»...
Q.: Depuis le 9 novembre 1989, jour où le Mur est tombé, et depuis le 3 octobre 1990, jour officiel de la réunification, dans quelle mesure la situation a-t-elle changé?
GM: D'abord, je dirais que la servilité des Allemands à l'égard des puissances étrangères s'est encore accrue. Ma thèse a toujours été la suivante: rien, dans cette réunification, ne pouvait effrayer la France ou l'Angleterre. Comme nous sommes devenus terriblement grands, nous sommes bien décidés, désormais, à prouver, par tous les moyens et dans des circonstances plus critiques, notre bonne nature bien inoffensive. L'argumentaire développé par le camp national ou par les établis qui ont encore un petit sens de la Nation s'est estompé; il ne s'est nullement renforcé. Nous tranquilisons le monde entier, en lui disant qu'il s'agit du processus d'unification européenne qui est en cours et que l'unité allemande n'en est qu'une facette, une étape. Si d'aventure on rendait aux Allemands les territoires de l'Est (englobés dans la Pologne ou l'URSS), l'Autriche ou le Tyrol du Sud, ces braves Teutons n'oseraient même plus respirer; ainsi, à la joie du monde entier, la question allemande serait enfin réglée. Mais trêve de plaisanterie... L'enjeu, la Guerre du Golfe nous l'a montré. Le gouvernement fédéral a payé vite, sans sourciller, pour la guerre des Alliés qui, soit dit en passant, a eu pour résultat de maintenir leur domination sur l'Allemagne. Ce gouvernement n'a pas osé exiger une augmentation des impôts pour améliorer le sort de nos propres compatriotes de l'ex-RDA, mais lorsqu'a éclaté la guerre du Golfe, il a immédiatement imposé une augmentation et a soutenu une action militaire qui a fait passer un peu plus de 100.000 Irakiens de vie à trépas. Admettons que la guerre du Golfe a servi de prétexte pour faire passer une nécessaire augmentation des impôts. Il n'empêche que le procédé, que ce type de justification, dévoile la déchéance morale de nos milieux officiels. Pas d'augmentation des impôts pour l'Allemagne centrale, mais une augmentation pour permettre aux Américains de massacrer les Irakiens qui ne nous menaçaient nullement. Je ne trouve pas de mots assez durs pour dénoncer cette aberration, même si je stigmatise très souvent les hypocrisies à connotations humanistes qui conduisent à l'inhumanité. Je préfère les discours non humanistes qui ne conduisent pas à l'inhumanité.
Q.: Comment le gouvernement fédéral aurait-il dû agir?
GM: Il avait deux possibilités, qui peuvent sembler contradictoires à première vue. J'aime toujours paraphraser Charles Maurras et dire «La nation d'abord!». Première possibilité: nous aurions dû participer à la guerre avec un fort contingent, si possible un contingent quantitativement supérieur à celui des Britanniques, mais exclusivement avec des troupes terrestres, car, nous Allemands, savons trop bien ce qu'est la guerre aérienne. Nous aurions alors dû lier cet engagement à plusieurs conditions: avoir un siège dans le Conseil de Sécurité, faire supprimer les clauses des Nations Unies qui font toujours de nous «une nation ennemie», faire en sorte que le traité nous interdisant de posséder des armes nucléaires soit rendu caduc. Il y a au moins certains indices qui nous font croire que les Etats-Unis auraient accepté ces conditions. Deuxième possibilité: nous aurions dû refuser catégoriquement de nous impliquer dans cette guerre, de quelque façon que ce soit; nous aurions dû agir au sein de l'ONU, surtout au moment où elle était encore réticente, et faire avancer les choses de façon telle, que nous aurions déclenché un conflit de grande envergure avec les Etats-Unis. Ces deux scénarios n'apparaissent fantasques que parce que notre dégénérescence nationale et politique est désormais sans limites.
Q.: Mais la bombe atomique ne jette-t-elle pas un discrédit définitif sur le phénomène de la guerre?
GM: Non. Le vrai problème est celui de sa localisation. Nous n'allons pas revenir, bien sûr, à une conception merveilleuse de la guerre limitée, de la guerre sur mesure. Il n'empêche que le phénomène de la guerre doit être accepté en tant que régulateur de tout statu quo devenu inacceptable. Sinon, devant toute crise semblable à celle du Koweit, nous devrons nous poser la question: devons-nous répéter ou non l'action que nous avons entreprise dans le Golfe? Alors, si nous la répétons effectivement, nous créons de facto une situation où plus aucun droit des gens n'est en vigueur, c'est-à-dire où seule une grande puissance exécute ses plans de guerre sans égard pour personne et impose au reste du monde ses intérêts particuliers. Or comme toute action contre une grande puissance s'avère impossible, nous aurions en effet un nouvel ordre mondial, centré sur la grande puissance dominante. Et si nous ne répétons pas l'action ou si nous introduisons dans la pratique politique un «double critère» (nous intervenons contre l'Irak mais non contre Israël), alors le nouveau droit des gens, expression du nouvel ordre envisagé, échouera comme a échoué le droit des gens imposé par Genève jadis. S'il n'y a plus assez de possibilités pour faire accepter une mutation pacifique, pour amorcer une révision générale des traités, alors nous devons accepter la guerre, par nécessité. J'ajouterais en passant que toute la Guerre du Golfe a été une provocation, car, depuis 1988, le Koweit menait une guerre froide et une guerre économique contre l'Irak, avec l'encouragement des Américains.
Q.: L'Allemagne est-elle incapable, aujourd'hui, de mener une politique extérieure cohérente?
GM: A chaque occasion qui se présentera sur la scène de la grande politique, on verra que non seulement nous sommes incapables de mener une opération, quelle qu'elle soit, mais, pire, que nous ne le voulons pas.
Q.: Pourquoi?
GM: Parce qu'il y a le problème de la culpabilité, et celui du refoulement: nous avons refoulé nos instincts politiques profonds et naturels. Tant que ce refoulement et cette culpabilité seront là, tant que leurs retombées concrètes ne seront pas définitivement éliminées, il ne pourra pas y avoir de politique allemande.
Q.: Donc l'Allemagne ne cesse de capituler sur tous les fronts...
GM: Oui. Et cela appelle une autre question: sur les monuments aux morts de l'avenir, inscrira-t-on «ils sont tombés pour que soit imposée la résolution 1786 de l'ONU»? Au printemps de cette année 1991, on pouvait repérer deux formes de lâcheté en Allemagne. Il y avait la lâcheté de ceux qui, en toutes circonstances, hissent toujours le drapeau blanc. Et il y avait aussi la servilité de la CSU qui disait: «nous devons combattre aux côtés de nos amis!». C'était une servilité machiste qui, inconditionnellement, voulait que nous exécutions les caprices de nos pseudo-amis.
Q.: Sur le plan de la politique intérieure, qui sont les vainqueurs et qui sont les perdants du débat sur la Guerre du Golfe?
GM: Le vainqueur est inconstestablement la gauche, style UNESCO. Celle qui n'a que les droits de l'homme à la bouche, etc. et estime que ce discours exprime les plus hautes valeurs de l'humanité. Mais il est une question que ces braves gens ne se posent pas: QUI décide de l'interprétation de ces droits et de ces valeurs? QUI va les imposer au monde? La réponse est simple: dans le doute, ce sera toujours la puissance la plus puissante. Alors, bonjour le droit du plus fort! Les droits de l'homme, récemment, ont servi de levier pour faire basculer le socialisme. A ce moment-là, la gauche protestait encore. Mais aujourd'hui, les droits de l'homme servent à fractionner, à diviser les grands espaces qui recherchent leur unité, où à détruire des Etats qui refusent l'alignement, où, plus simplement, pour empêcher certains Etats de fonctionner normalement.
Q.: Que pensez-vous du pluralisme?
GM: Chez nous, on entend, par «pluralisme», un mode de fonctionnement politique qui subsiste encore ci et là à grand peine. On prétend que le pluralisme, ce sont des camps politiques, opposés sur le plan de leurs Weltanschauungen, qui règlent leurs différends en négociant des compromis. Or la RFA, si l'on fait abstraction des nouveaux Länder d'Allemagne centrale, est un pays idéologiquement arasé. Les oppositions d'ordre confessionnel ne constituent plus un facteur; les partis ne sont plus des «armées» et n'exigent plus de leurs membres qu'ils s'engagent totalement, comme du temps de la République de Weimar. A cette époque, comme nous l'enseigne Carl Schmitt, les «totalités parcellisées» se juxtaposaient. On naissait quasiment communiste, catholique du Zentrum, social-démocrate, etc. On passait sa jeunesse dans le mouvement de jeunesse du parti, on s'affiliait à son association sportive et, au bout du rouleau, on était enterré grâce à la caisse d'allocation-décès que les coreligionnaires avaient fondée... Ce pluralisme, qui méritait bien son nom, n'existe plus. Chez nous, aujourd'hui, ce qui domine, c'est une mise-au-pas intérieure complète, où, pour faire bonne mesure, on laisse subsister de petites différences mineures. Les bonnes consciences se réjouissent de cette situation: elles estiment que la RFA a résolu l'énigme de l'histoire. C'est là notre nouveau wilhelminisme: «on y est arrivé, hourra!»; nous avons tiré les leçons des erreurs de nos grands-pères. Voilà le consensus et nous, qui étions, paraît-il, un peuple de héros (Helden), sommes devenus de véritables marchands (Händler), pacifiques, amoureux de l'argent et roublards. Qui plus est, la fourchette de ce qui peut être dit et pensé sans encourir de sanctions s'est réduite continuellement depuis les années 50. Je vous rappellerais qu'en 1955 paraissait, dans une grande maison d'édition, la Deutsche Verlags-Anstalt, un livre de Wilfried Martini, Das Ende aller Sicherheit, l'une des critiques les plus pertinentes de la démocratie parlementaire. Ce livre, aujourd'hui, ne pourrait plus paraître que chez un éditeur ultra-snob ou dans une maison minuscule d'obédience extrême-droitiste. Cela prouve bien que l'espace de liberté intellectuelle qui nous reste se rétrécit comme une peau de chagrin. Les critiques du système, de la trempe d'un Martini, ont été sans cesse refoulés, houspillés dans les feuilles les plus obscures ou les cénacles les plus sombres: une fatalité pour l'intelligence! L'Allemagne centrale, l'ex-RDA, ne nous apportera aucun renouveau spirituel. Les intellectuels de ces provinces-là sont en grande majorité des adeptes extatiques de l'idéologie libérale de gauche, du pacifisme et de la panacée «droit-de-l'hommarde». Ils n'ont conservé de l'idéologie officielle de la SED (le parti au pouvoir) que le miel humaniste: ils ne veulent plus entendre parler d'inimitié (au sens schmittien), de conflit, d'agonalité, et fourrent leur nez dans les bouquins indigestes et abscons de Sternberger et de Habermas. Mesurez le désastre: les 40 ans d'oppression SED n'ont même pas eu l'effet d'accroître l'intelligence des oppressés!
Q.: Mais les Allemands des Länder centraux vont-ils comprendre le langage de la rééducation que nous maîtrisons si bien?
GM: Ils sont déjà en train de l'apprendre! Mais ce qui est important, c'est de savoir repérer ce qui se passe derrière les affects qu'ils veulent bien montrer. Savoir si quelque chose changera grâce au nouveau mélange inter-allemand. Bien peu de choses se dessinent à l'horizon. Mais c'est également une question qui relève de l'achèvement du processus de réunification, de l'harmonisation économique, de savoir quand et comment elle réussira. A ce moment-là, l'Allemagne pourra vraiment se demander si elle pourra jouer un rôle politique et non plus se borner à suivre les Alliés comme un toutou. Quant à la classe politique de Bonn, elle espère pouvoir échapper au destin grâce à l'unification européenne. L'absorption de l'Allemagne dans le tout européen: voilà ce qui devrait nous libérer de la grande politique. Mais cette Europe ne fonctionnera pas car tout ce qui était «faisable» au niveau européen a déjà été fait depuis longtemps. La construction du marché intérieur est un bricolage qui n'a ni queue ni tête. Prenons un exemple: qui décidera demain s'il faut ou non proclamer l'état d'urgence en Grèce? Une majorité rendue possible par les voix de quelques députés écossais ou belges? Vouloir mener une politique supra-nationale en conservant des Etats nationaux consolidés est une impossibilité qui divisera les Européens plutôt que de les unir.
Q.: Comment jugez-vous le monde du conservatisme, de la droite, en Allemagne? Sont-ils les moteurs des processus dominants ou ne sont-ils que des romantiques qui claudiquent derrière les événements?
GM: Depuis 1789, le monde évolue vers la gauche, c'est la force des choses. Le national-socialisme et le fascisme étaient, eux aussi, des mouvements de gauche (j'émets là une idée qui n'est pas originale du tout). Le conservateur, le droitier —je joue ici au terrible simplificateur— est l'homme du moindre mal. Il suit Bismarck, Hitler, puis Adenauer, puis Kohl. Et ainsi de suite, usque ad finem. Je ne suis pas un conservateur, un homme de droite. Car le problème est ailleurs: il importe bien plutôt de savoir comment, à quel moment et qui l'on «maintient». Ce qui m'intéresse, c'est le «mainteneur», l'Aufhalter, le Cat-echon dont parlait si souvent Carl Schmitt. Hegel et Savigny étaient des Aufhalter de ce type; en politique, nous avons eu Napoléon III et Bismarck. L'idée de maintenir, de contenir le flot révolutionnaire/dissolutif, m'apparait bien plus intéressante que toutes les belles idées de nos braves conservateurs droitiers, si soucieux de leur Bildung. L'Aufhalter est un pessimiste qui passe à l'action. Lui, au moins, veut agir. Le conservateur droitier ouest-allemand, veut-il agir? Moi, je dis que non!
Q.: Quelles sont les principales erreurs des hommes de droite allemands?
GM: Leur grande erreur, c'est leur rousseauisme, qui, finalement, n'est pas tellement éloigné du rousseauisme de la gauche. C'est la croyance que le peuple est naturellement bon et que le magistrat est corruptible. C'est le discours qui veut que le peuple soit manipulé par les politiciens qui l'oppressent. En vérité, nous avons la démocratie totale: voilà notre misère! Nous avons aujourd'hui, en Allemagne, un système où, en haut, règne la même morale ou a-morale qu'en bas. Seule différence: la place de la virgule sur le compte en banque; un peu plus à gauche ou un peu plus à droite. Pour tout ordre politique qui mérite d'être qualifié d'«ordre», il est normal qu'en haut, on puisse faire certaines choses qu'il n'est pas permis de faire en bas. Et inversément: ceux qui sont en haut ne peuvent pas faire certaines choses que peuvent faire ceux qui sont en bas. On s'insurge contre le financement des partis, les mensonges des politiciens, leur corruption, etc. Mais le mensonge et la corruption, c'est désormais un sport que pratique tout le peuple. Pas à pas, la RFA devient un pays orientalisé, parce que les structures de l'Etat fonctionnent de moins en moins correctement, parce qu'il n'y a plus d'éthique politique, de Staatsethos, y compris dans les hautes sphères de la bureaucratie. La démocratie accomplie, c'est l'universalisation de l'esprit du p'tit cochon roublard, le règne universel des petits malins. C'est précisément ce que nous subissons aujourd'hui. C'est pourquoi le mécontentement à l'égard de la classe politicienne s'estompe toujours aussi rapidement: les gens devinent qu'ils agiraient exactement de la même façon. Pourquoi, dès lors, les politiciens seraient-ils meilleurs qu'eux-mêmes? Il faudrait un jour examiner dans quelle mesure le mépris à l'égard du politicien n'est pas l'envers d'un mépris que l'on cultive trop souvent à l'égard de soi-même et qui s'accommode parfaitement de toutes nos petites prétentions, de notre volonté générale à vouloir rouler autrui dans la farine, etc.
Q.: Et le libéralisme?
GM: Dans les années qui arrivent, des crises toujours plus importantes secoueront la planète, le pays et le concert international. Le libéralisme y rencontrera ses limites. La prochaine grande crise sera celle du libéralisme. Aujourd'hui, il triomphe, se croit invincible, mais demain, soyez en sûr, il tombera dans la boue pour ne plus se relever.
Q.: Pourquoi?
GM: Parce que le monde ne deviendra jamais une unité. Parce que les coûts de toutes sortes ne pourront pas constamment être externalisés. Parce que le libéralisme vit de ce qu'ont construit des forces pré-libérales ou non libérales; il ne crée rien mais consomme tout. Or nous arrivons à un stade où il n'y a plus grand chose à consommer. A commencer par la morale... Puisque la morale n'est plus déterminée par l'ennemi extérieur, n'a plus l'ennemi extérieur pour affirmer ce qu'elle entend être et promouvoir, nous débouchons tout naturellement sur l'implosion des valeurs... Et le libéralisme échouera parce qu'il ne pourra plus satisfaire les besoins économiques qui se font de plus en plus pressants, notamment en Europe orientale.
Q.: Vous croyez donc que les choses ne changent qu'à coup de catastrophes?
GM: C'est exact. Seules les catastrophes font que le monde change. Ceci dit, les catastrophes ne garantissent pas pour autant que les peuples modifient de fond en comble leurs modes de penser déficitaires. Depuis des années, nous savions, ou du moins nous étions en mesure de savoir, ce qui allait se passer si l'Europe continuait à être envahie en masse par des individus étrangers à notre espace, provenant de cultures radicalement autres par rapport aux nôtres. Le problème devient particulièrement aigu en Allemagne et en France. Quand nous aurons le «marché intérieur», il deviendra plus aigu encore. Or à toute politique rationnelle, on met des bâtons dans les roues en invoquant les droits de l'homme, etc. Ceci n'est qu'un exemple pour montrer que le fossé se creusera toujours davantage entre la capacité des uns à prévoir et la promptitude des autres à agir en conséquence.
Q.: Ne vous faites-vous pas d'illusions sur la durée que peuvent prendre de tels processus? Au début des années 70, on a pronostiqué la fin de l'ère industrielle; or, des catastrophes comme celles de Tchernobyl n'ont eu pour conséquence qu'un accroissement générale de l'efficience industrielle. Même les Verts pratiquent aujourd'hui une politique industrielle. Ne croyez-vous pas que le libéralisme s'est montré plus résistant et innovateur qu'on ne l'avait cru?
GM: «Libéralisme» est un mot qui recouvre beaucoup de choses et dont la signification ne s'étend pas à la seule politique industrielle. Mais, même en restant à ce niveau de politique industrielle, je resterai critique à l'égard du libéralisme. Partout, on cherche le salut dans la «dé-régulation». Quelles en sont les conséquences? Elles sont patentes dans le tiers-monde. Pour passer à un autre plan, je m'étonne toujours que la droite reproche au libéralisme d'être inoffensif et inefficace, alors qu'elle est toujours vaincue par lui. On oublie trop souvent que le libéralisme est aussi ou peut être un système de domination qui fonctionne très bien, à la condition, bien sûr, que l'on ne prenne pas ses impératifs au sérieux. C'est très clair dans les pays anglo-saxons, où l'on parle sans cesse de democracy ou de freedom, tout en pensant God's own country ou Britannia rules the waves. En Allemagne, le libéralisme a d'emblée des effets destructeurs et dissolutifs parce que nous prenons les idéologies au sérieux, nous en faisons les impératifs catégoriques de notre agir. C'est la raison pour laquelle les Alliés nous ont octroyé ce système après 1945: pour nous neutraliser.
Q.: Etes-vous un anti-démocrate,
Monsieur Maschke?
GM: Si l'on entend par «démocratie» la partitocratie existente, alors, oui, je suis anti-démocrate. Il n'y a aucun doute: ce système promeut l'ascension sociale de types humains de basse qualité, des types humains médiocres. A la rigueur, nous pourrions vivre sous ce système si, à l'instar des Anglo-Saxons ou, partiellement, des Français, nous l'appliquions ou l'instrumentalisions avec les réserves nécessaires, s'il y avait en Allemagne un «bloc d'idées incontestables», imperméable aux effets délétères du libéralisme idéologique et pratique, un «bloc» selon la définition du juriste français Maurice Hauriou. Evidemment, si l'on veut, les Allemands ont aujourd'hui un «bloc d'idées incontestables»: ce sont celles de la culpabilité, de la rééducation, du refoulement des acquis du passé. Mais contrairement au «bloc» défini par Hauriou, notre «bloc» est un «bloc» de faiblesses, d'éléments affaiblissants, incapacitants. La «raison d'Etat» réside chez nous dans ces faiblesses que nous cultivons jalousement, que nous conservons comme s'il s'agissait d'un Graal. Mais cette omniprésence de Hitler, cette fois comme croquemitaine, signifie que Hitler règne toujours sur l'Allemagne, parce que c'est lui, en tant que contre-exemple, qui détermine les règles de la politique. Je suis, moi, pour la suppression définitive du pouvoir hitlérien.
Q.: Vous êtes donc le seul véritable
anti-fasciste?
GM: Oui. Chez nous, la police ne peut pas être une police, l'armée ne peut pas être une armée, le supérieur hiérarchique ne peut pas être un supérieur hiérarchique, un Etat ne peut pas être un Etat, un ordre ne peut pas être un ordre, etc. Car tous les chemins mènent à Hitler. Cette obsession prend les formes les plus folles qui soient. Les spéculations des «rééducateurs» ont pris l'ampleur qu'elles ont parce qu'ils ont affirmé avec succès que Hitler résumait en sa personne tout ce qui relevait de l'Etat, de la Nation et de l'Autorité. Les conséquences, Arnold Gehlen les a résumées en une seule phrase: «A tout ce qui est encore debout, on extirpe la moëlle des os». Or, en réalité, le système mis sur pied par Hitler n'était pas un Etat mais une «anarchie autoritaire», une alliance de groupes ou de bandes qui n'ont jamais cessé de se combattre les uns les autres pendant les douze ans qu'a duré le national-socialisme. Hitler n'était pas un nationaliste, mais un impérialiste racialiste. Pour lui, la nation allemande était un instrument, un réservoir de chair à canon, comme le prouve son comportement du printemps 1945. Mais cette vision-là, bien réelle, de l'hitlérisme n'a pas la cote; c'est l'interprétation sélectivement colorée qui s'est imposée dans nos esprits; résultat: les notions d'Etat et de Nation peuvent être dénoncées de manière ininterrompue, détruites au nom de l'émancipation.
Q.: Voyez-vous un avenir pour la droite en Allemagne?
GM: Pas pour le moment.
Q.: A quoi cela est-il dû?
GM: Notamment parce que le niveau intellectuel de la droite allemande est misérable. Je n'ai jamais cessé de le constater. Avant, je prononçais souvent des conférences pour ce public; je voyais arriver 30 bonshommes, parmi lesquels un seul était lucide et les 29 autres, idiots. La plupart étaient tenaillés par des fantasmes ou des ressentiments. Ce public des cénacles de droite vous coupe tous vos effets. Ce ne sont pas des assemblées, soudées par une volonté commune, mais des poulaillers où s'agitent des individus qui se prétendent favorables à l'autorité mais qui, en réalité, sont des produits de l'éducation anti-autoritaire.
Q.: L'Amérique est-elle la cible principale
de l'anti-libéralisme?
GM: Deux fois en ce siècle, l'Amérique s'est dressée contre nous, a voulu détruire nos œuvres politiques, deux fois, elle nous a déclaré la guerre, nous a occupés et nous a rééduqués.
Q.: Mais l'anti-américanisme ne se déploie-t-il pas essentiellement au niveau «impolitique» des sentiments?
GM: L'Amérique est une puissance étrangère à notre espace, qui occupe l'Europe. Je suis insensible à ses séductions. Sa culture de masse a des effets désorientants. Certes, d'aucuns minimisent les effets de cette culture de masse, en croyant que tout style de vie n'est que convention, n'est qu'extériorité. Beaucoup le croient, ce qui prouve que le problème de la forme, problème essentiel, n'est plus compris. Et pas seulement en Allemagne.
Q.: Comment expliquez-vous la montée du néo-paganisme, au sein des droites, spécialement en Allemagne et en France?
GM: Cette montée s'explique par la crise du christianisme. En Allemagne, après 1918, le protestantisme s'est dissous; plus tard, à la suite de Vatican II dans les années 60, ça a été au tour du catholicisme. On interprète le problème du christianisme au départ du concept d'«humanité». Or le christianisme ne repose pas sur l'humanité mais sur l'amour de Dieu, l'amour porté à Dieu. Aujourd'hui, les théologiens progressistes attribuent au christianisme tout ce qu'il a jadis combattu: les droits de l'homme, la démocratie, l'amour du lointain (de l'exotique), l'affaiblissement de la nation. Pourtant, du christianisme véritable, on ne peut même pas déduire un refus de la politique de puissance. Il suffit de penser à l'époque baroque. De nos jours, nous trouvons des chrétiens qui jugent qu'il est très chrétien de rejetter la distinction entre l'ami et l'ennemi, alors qu'elle est induite par le péché originel, que les théologiens actuels cherchent à minimiser dans leurs interprétations. Mais seul Dieu peut lever cette distinction. Hernán Cortés et Francisco Pizarro savaient encore que c'était impossible, contrairement à nos évêques d'aujourd'hui, Lehmann et Kruse. Cortés et Pizarro étaient de meilleurs chrétiens que ces deux évêques. Le néo-paganisme a le vent en poupe à notre époque où la sécularisation s'accélére et où les églises elles-mêmes favorisent la dé-spiritualisation. Mais être païen, cela signifie aussi prier. Demandez donc à l'un ou l'autre de ces néo-païens s'il prie ou s'il croit à l'un ou l'autre dieu païen. Au fond, le néo-paganisme n'est qu'un travestissement actualisé de l'athéisme et de l'anticléricalisme. Pour moi, le néo-paganisme qui prétend revenir à nos racines est absurde. Nos racines se situent dans le christianisme et nous ne pouvons pas revenir 2000 ans en arrière.
Q.: Alors, le néo-paganisme,
de quoi est-il l'indice?
GM: Il est l'indice que nous vivons en décadence. Pour stigmatiser la décadence, notre époque a besoin d'un coupable et elle l'a trouvé dans le christianisme. Et cela dans un monde où les chrétiens sont devenus rarissimes! Le christianisme est coupable de la décadence, pensait Nietzsche, ce «fanfaron de l'intemporel» comme aimait à l'appeler Carl Schmitt. Nietzsche est bel et bien l'ancêtre spirituel de ces gens-là. Mais qu'entendait Nietzsche par christianisme? Le protestantisme culturel libéral, prusso-allemand. C'est-à-dire une idéologie qui n'existait pas en Italie et en France; aussi je ne saisis pas pourquoi tant de Français et d'Italiens se réclament de Nietzsche quand ils s'attaquent au christianisme.
Q.: Monsieur Maschke, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien.
(une version abrégée de cet entretien est parue dans Junge Freiheit n°6/91; adresse: JF, Postfach 147, D-7801 Stegen/Freiburg).
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lundi, 11 janvier 2010
Der absolute Krieg
Der absolute Krieg
Da man den unabhängigen Willen des Gegners sich gegenüber hat, so gilt es, diesen Willen zu brechen. Dies geschieht mit Hilfe der eigenen Machtmittel und der eigenen Willenskraft. Wenn sich die eigenen Machtmittel als unzureichend erweisen oder die eigene Willenskraft der des Gegners nachsteht, müssen daraus gewissen Gegengewichte erwachsen. Diese beiden Faktoren sind daher von geradezu entscheidender Bedeutung. Jeder Kriegführende wird folgerichtig bestrebt sein, sie zu möglichst grosser Wirkung zu bringen, d. h. die "äusserste Anstrengung der Kräfte" vorzubereiten und in die Tat umzusetzen.
Theoretisch betrachtet, müsste man nun zu einem Maximum an personeller, materieller, wirtschaftlicher und willensmässiger Anstrengung gelangen können, aus dem sich ein völlig ungehemmter Krieg ergeben würde, den Clausewitz mit dem Begriff "Absoluter Krieg" umfasst. Aber das ist nur höchst selten der Fall. Vielmehr ist "die Gestalt, die der Krieg gewinnt, abhängig von allem Fremdartigen, was sich darin einmischt und daran ansetzt..., von aller natürlichen Schwere und Reibung der Teile, der ganzen Inkonsequenz, Unklarheit und Verzagtheit des menschlichen Geistes".
Der "absolute" oder, wie ihn Clausewitz gelegentlich auch nennt, der "abstrakte" Krieg hat also mit dem Krieg, wie er sich in der Wirklichkeit abspielt, nur wenig zu tun. Wenn auch gerade in neuester Zeit seit dem Zeitalter Napoleons das offensichtliche Bestreben zutage tritt, dem Kriege auch in der Wirklichkeit eine absolute Gestalt zu verleihen, so wurde dies doch noch nie in der letzten Vollkommenheit erreicht. Selbst die glänzendsten Feldzüge weisen hier und da, wenn auch kleinere, Lücken auf, die z. B. durch unvermeidliche Fehler von Unterführerm hervorgerufen worden sind.
Friedrich von Cochenhausen, Der Wille zum Sieg. Clausewitz´ Lehre von den dem Kriege innewohnenden Gegengewichten und ihrer Überwindung, erläutert am Feldzug 1814 in Frankreich, Berlin 1943.
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samedi, 09 janvier 2010
Slavoj Zizek, un fascista di sinistra dei nostri giorni
Slavoj Zizek, un fascista di sinistra dei nostri giorni
di Luciano Lanna
Ex: http://robertoalfattiappetiti.blogspot.com/
L'articolo è anche sul sito web del Secolo d'Italia: QUI
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Le monde comme système
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990
Le Monde comme Système
par Louis SOREL
Si le substantif de géopolitique n'est pas la simple contraction de «géographie politique», cette méthode d'approche des phénomènes politiques s'enracine dans la géographie; elle ne peut donc se désintéresser de l'évolution. Réputée inutile et bonasse (1), la géographie est un savoir fondamentalement politique et un outil stratégique. Confrontée à la recomposition politique du monde, elle ne peut plus se limiter à la description et la mise en carte des lieux et se définit comme science des types d'organisation de l'espace terrestre. Le premier tome de la nouvelle géographie universelle, dirigée par R. Brunet, a l'ambition d'être une représentation de l'état du Monde et de l'état d'une science. La partie de l'ouvrage dirigée par O. Dollfuss y étudie le Monde comme étant un système, parcouru de flux et structuré par quelques grands pôles de puissance.
O. Dollfuss, universitaire (il participe à la formation doctorale de géopolitique de Paris 8) et collaborateur de la revue Hérodote, prend le Monde comme objet propre d'analyses géographiques; le Monde conçu comme totalité ou système. Qu'est-ce qu'un système? «Un système est un ensemble d'éléments interdépendants, c'est-à-dire liés entre eux par des relations telles que si l'une est modifiée, les autres le sont aussi et par conséquent tout l'ensemble est transformé» (J. Rosnay).
Nombre de sciences emploient aujourd'hui une méthode systémique, les sciences physiques et biologiques créatrices du concept, l'économie, la sociologie, les sciences politiques… mais la démarche est innovante en géographie.
Le Monde fait donc système. Ses éléments en interaction sont les Etats territoriaux dont le maillage couvre la totalité de la surface terrestre (plus de 240 Etats et Territoires), les firmes multinationales, les aires de marché (le marché mondial n'existe pas), les aires culturelles définies comme espaces caractérisés par des manières communes de penser, de sentir, de se comporter, de vivre. Les relations entre Etats nourrissent le champ de l'international (interétatique serait plus adéquat) et les relations entre acteurs privés le champ du transnational: par exemple, les flux intra-firmes qui représentent le tiers du commerce mondial. Ces différents éléments du système Monde sont donc «unis» par des flux tels qu'aucune région du monde n'est aujourd'hui à l'abri de décisions prises ailleurs. On parle alors d'interdépendance, terme impropre puisque l'asymétrie est la règle.
L'émergence et la construction du système Monde couvrent les trois derniers siècles. Longtemps, le Monde a été constitué de «grains» (sociétés humaines) et d'«agrégats» (sociétés humaines regroupées sous la direction d'une autorité unique, par exemple l'Empire romain) dont les relations, quand elles existaient, étaient trop ténues pour modifier en profondeur les comportements. A partir du XVIième siècle, le désenclavement des Européens, qui ont connaissance de la rotondité de la Terre, va mettre en relation toutes les parties du Monde. Naissent alors les premièrs «économies-mondes» décrites par Immanuel Wallerstein et Fernand Braudel et lorsque toutes les terres ont été connues, délimitées et appropriées (la Conférence de Berlin en 1885 achève la répartition des terres africaines entre Etats européens), le Monde fonctionne comme système (2). La «guerre de trente ans» (1914-1945) accélèrera le processus: toutes les humanités sont désormais en interaction spatiale.
L'espace mondial qui en résulte est profondément différencié et inégal. Il est le produit de la combinaison des données du milieu naturel et de l'action passée et présente des sociéts humaines; nature et culture. En effet, le potentiel écologique (ensemble des éléments physiques et biologiques à la disposition d'un groupe social) ne vaut que par les moyens techniques mis en œuvre par une société culturellement définie; il n'existe pas à proprement parler de «ressources naturelles», toute ressource est «produite».
Et c'est parce que l'espace mondial est hétérogène, parce que le Monde est un assemblage de potentiels différents, qu'il y a des échanges à la surface de la Terre, que l'espace mondial est parcouru et organisé par d'innombrables flux. Flux d'hommes, de matières premières, de produits manufacturés, de virus… reliant les différents compartiments du Monde. Ils sont mis en mouvement, commandés par la circulation des capitaux et de l'information, flux moteurs invisibles que l'on nomme influx. Aussi le fonctionnement des interactions spatiales est conditionné par le quadrillage de réseaux (systèmes de routes, voies d'eau et voies ferrées, télécommunications et flux qu'ils supportent) drainant et irriguant les différents territoires du Monde. Inégalement réparti, cet ensemble hiérarchisé d'arcs, d'axes et de nœuds, qui contracte l'espace terrestre, forme un vaste et invisible anneau entre les 30° et 60° parallèles de l'hémisphère Nord. S'y localisent Etats-Unis, Europe occidentale et Japon reliés par leur conflit-coopération. Enjambés, les espaces intercalaires sont des angles-morts dont nul ne se préoccupe.
L'espace mondial n'est donc pas homogène et les sommaires divisions en points cardinaux (Est/Ouest et Nord/sud), surimposés à la trame des grandes régions mondiales ne sont plus opératoires (l'ont-elles été?). On sait la coupure Est-Ouest en cours de cicatrisation et il est tentant de se «rabattre» sur le modèle «Centre-Périphérie» de l'économiste égyptien Samir Amin: un centre dynamique et dominateur vivrait de l'exploitation d'une périphérie extra-déterminée. La vision est par trop sommaire et O. Dollfuss propose un modèle explicatif plus efficient, l'«oligopole géographique mondial». Cet oligopole est formé par les puissances territoriales dont les politiques et les stratégies exercent des effets dans le Monde entier. Partenaires rivaux (R. Aron aurait dit adversaires-partenaires), ces pôles de commandement et de convergence des flux, reliés par l'anneau invisible, sont les centres d'impulsion du système Monde. Ils organisent en auréoles leurs périphéries (voir les Etats-Unis avec dans le premier cercle le Canada et le Mexique, au-delà les Caraïbes et l'Amérique Latine; ou encore le Japon en Asie), se combattent, négocient et s'allient. Leurs pouvoirs se concentrent dans quelques grandes métropoles (New-York, Tokyo, Londres, Paris, Francfort…), les «îles» de l'«archipel métropolitain mondial». Sont membres du club les superpuissances (Etats-Unis et URSS, pôle incomplet), les moyennes puissances mondiales (anciennes puissances impériales comme le Royaume-Uni et la France) et les puissances économiques comme le Japon et l'Allemagne (3); dans la mouvance, de petites puissances mondiales telles que la Suisse et la Suède. Viennent ensuite des «puissances par anticipation» (Chine, Inde) et des pôles régionaux (Arabie Saoudite, Afrique du Sud, Nigéria…). Enfin, le système monde a ses «arrières-cours», ses «chaos bornés» où règnent la violence et l'anomie (Ethiopie, Soudan…).
La puissance des «oligopoleurs» vit de la combinatoire du capital naturel (étendue, position, ressources), du capital humain (nombre des hommes, niveau de formation, degré de cohésion culturelle) et de la force armée. Elle ne saurait être la résultante d'un seul de ces facteurs et ne peut faire l'économie d'un projet politique (donc d'une volonté). A juste titre, l'auteur insiste sur l'importance de la gouvernance ou aptitude des appareils gouvernants à assurer le contrôle, la conduite et l'orientation des populations qu'ils encadrent. Par ailleurs, l'objet de la puissance est moins le contrôle direct de vastes espaces que la maîtrise des flux (grâce à un système de surveillance satellitaire et de missiles circumterrestres) par le contrôle des espaces de communication ou synapses (détroits, isthmes…) et le traitement massif de l'information (4).
Ce premier tome de la géographie universelle atteste du renouvellement de la géographie, de ses méthodes et de son appareil conceptuel. On remarquera l'extension du champ de la géographicité (de ce que l'on estime relever de la discipline) aux rapports de puissance entre unités politiques et espaces. Fait notoire en France, où la géographie a longtemps prétendu fonder sa scientificité sur l'exclusion des phénomènes politiques de son domaine d'étude. Michel Serres affirme préférer «la géographie, si sereine, à l'histoire, chaotique». R. Brunet lui répond: «Nous n'avons pas la géographie bucolique, et la paix des frondaisons n'est pas notre refuge». Pas de géographie sans drame!
Louis SOREL.
Sous la direction de Roger Brunet, Géographie universelle, tome I, Hachette/Reclus, 1990; Olivier Dollfuss, Le système Monde, livre II, Hachette Reclus, 1990.
(1) Cf. Yves Lacoste, La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre, petite collection Maspero, 1976.
(2) Cf. I. Wallerstein, The Capitalist World Economy, Cambridge University Press, 1979 (traduction française chez Flammarion) et F. Braudel, Civilisation matérielle, Economie et Capitalisme, Armand Colin, 1979. Du même auteur, La dynamique du capitalisme (Champs Flammarion, 1985) constitue une utile introduction (à un prix "poche").
(3) I. Ramonet, directeur du Monde diplomatique, qualifie le Japon et l'Allemagne de «puissances grises» (au sens d'éminence…). Cf. «Allemagne, Japon. Les deux titans», Manières de voir n°12, édition Le Monde diplomatique. A la recherche des ressorts communs des deux pays du «modèle industrialiste», les auteurs se déplacent du champ économique au champ politique et du champ politique au champ culturel tant l'économique plonge ses racines dans le culturel. Ph. Lorino (Le Monde diplomatique, juin 1991, p.2) estime ce recueil révélateur des ambiguïtés françaises à l'égard de l'Allemagne, mise sur le même plan que le Japon, en dépit d'un processus d'intégration régionale déjà avancé.
(4) Les «îles» de «l'archipel-monde» (le terme rend compte tout à la fois de la globalité croissante des flux et des interconnexions et de la fragmentation politico-stratégique de la planète) étant reliée par des mots et des images, Michel Foucher affirme que l'instance culturelle devient le champ majeur de la confrontation (Cf. «La nouvelle planète», n°hors série de Libération, [ou du Soir en Belgique, ndlr], déc. 1990). Dans le même recueil, Zbigniew Brzezinski, ancien «sherpa» de J. Carter, fait de la domination américaine du marché mondial des télécommunications la base de la puissance de son pays; 80% des mots et des images qui circulent dans le monde proviennent des Etats-Unis.
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vendredi, 08 janvier 2010
Armin Mohler et la révolution conservatrice
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990
Armin Mohler et la «Révolution Conservatrice»
(2ième partie)
par Luc PAUWELS
Dans notre numéro 59/60 de novembre-décembre 1989, Robert Steuckers avait analysé la première partie de l'introduction théorique d'Armin Mohler. Au même moment, Luc Pauwels, directeur de la revue Teksten, Kommentaren en Studies (in nr. 55, 2de trimester 1989), se penchait sur le même maître-ouvrage de Mohler et mettait l'accent sur la seconde partie théorique, notamment sur la classification des différentes écoles de ce mouvement aux strates multiples. Nous ne reproduisons pas ci-dessous l'entrée en matière de Pauwels, car ce serait répéter en d'autres mots les propos de Steuckers. En revanche, le reste de sa démonstration constitue presque une sorte de suite logique à l'analyse parue dans notre n°59/60.
Débuts et contenu
Les premiers balbutiements de la Révolution Conservatrice, écrit Mohler, ont lieu lors de la Révolution française: «Toute révolution suscite en même temps qu'elle la contre-révolution qui tente de l'annihiler. Avec la Révolution française, advient victorieusement le monde qui, pour la Révolution Conservatrice représente l'adversaire par excellence. Définissons provisoirement ce monde comme celui qui refuse de mettre l'immuable de la nature humaine au centre de tout et croit que l'essence de l'homme peut être changée. La Révolution française annonce ainsi la possibilité d'un progrès graduel et estime que toutes les choses, relations et événements sont explicables rationnellement; de ce fait, elle essaie d'isoler chaque chose de son contexte et de la comprendre ainsi pour soi».
Mohler nous rappelle ensuite un malentendu tenace, que l'on rencontre très souvent lorsque l'on évoque la Révolution Conservatrice. Un malentendu qui, outre la confusion avec le fascisme et le national-socialisme, lui a infligé beaucoup de tort: c'est l'idée erronée qui veut que tout ce qui est (ou a été) fait et dit contre la Révolution française, son idéologie et ses conséquences, relève de la Révolution Conservatrice.
La Révolution de 1789 a dû faire face, à ses débuts, à deux types d'ennemis qui ne sont en aucune manière des précurseurs de la Révolution Conservatrice. D'abord, il y avait ses adversaires intérieurs, qui estimaient que les résultats de la Révolution française et/ou de son idéologie égalitaire étaient insuffisants. Cette opposition interne a commencé avec Gracchus Babeuf (1760-1797), adepte d'«Egalité parfaite» (la majuscule est de lui), qui voulait supprimer toutes les formes de propriété privée et espérait atteindre l'«Egalité des jouissances». Sa tentative de coup d'Etat, appelée la «Conjuration des Egaux», fut tué dans l'œuf et l'aventure se termina en parfaite égalité le 27 mai 1797... sous le couperet de la guillotine.
Toutes les tendances qui puisent leur inspiration dans l'égalitarisme de Babeuf et qui, sur base de ces idées, critiquent la Révolution française, n'ont rien à voir, bien entendu, avec la Révolution Conservatrice (RC). Elles appartiennent, pour être plus précis, aux traditions du marxisme et de l'anarchisme de gauche.
Ensuite, la Révolution française, dès ses débuts, a eu affaire à des groupes qui la combattaient pour maintenir ou récupérer leurs positions sociales (matérielles ou non), que les Jacobins menaçaient de leur ôter ou avaient détruites. Les adeptes de la RC ont toujours eu le souci de faire la différence entre leur propre attitude et cette position; ils ont qualifié l'action qui en découlait, écrit Mohler, de «restauratrice», de «réactionnaire», d'«altkonservativ» («vieille-conservatrice»), etc. Mais, au cours du XIXième siècle, les tenants de la RC (qui ne porte pas encore son nom, ndt) et les «Altkonservativen» font face à un ennemi commun, ce qui les force trop souvent à forger des alliances tactiques avec les réactionnaires, à se retrouver dans le même camp politique. Ainsi, la différence essentielle qui sépare les uns des autres devient moins perceptible pour les observateurs extérieurs. Dans les rangs mêmes de la RC, on s'aperçoit des ambiguïtés et le discours s'anémie. Pour les RC de pure eau, ces alliances et ces ambiguïtés auront trop souvent des conséquences fatales. Mohler nous l'explique: «Car, à la RC, n'appartiennent —comme le couplage paradoxal des deux mots l'indique— que ceux qui s'attaquent aux fondements du siècle du progrès sans simplement vouloir une restauration de l'Ancien Régime».
Sous sa forme pure, la RC est toujours restée au stade de la formulation théorique. Rauschning, lui aussi, décrit ce caractère composite dans son ouvrage intitulé précisément Die Konservative Revolution: «Le mouvement opposé, qui se dresse contre le développement des idées révolutionnaires, a amorcé sa croissance au départ de stades initiaux embrouillés et semi-conscients, pour atteindre ce que nous nommons, avec Hugo von Hoffmannstahl, la RC. Elle représente le renversement complet de la tendance politique actuelle. Mais ce contre-mouvement n'a pas encore trouvé d'incarnation pure, adaptée à lui-même. Il participe aux tentatives d'instaurer des modèles d'ordre totalitaire et césariste ou à des essais plattement réactionnaires. C'est pour toutes ces raisons, précisément, qu'il reste confus et brouillon...».
Sur base de cette constatation, Mohler observe que toute description cohérente du processus de maturation de la RC se mue automatiquement en une véritable histoire des idées. Si on cherche à la décrire comme une partie intégrante de la réalité politique, elle déchoit en un événement subalterne ou marginal. De ce fait, il ne faut pas donner des limites trop exiguës à la RC: elle déborde en effet sur d'autres mouvements, d'autres courants de pensée. Et vu le flou de ces limites, flou dû à la très grande hétérogénéité des choses que la RC embrasse, des choses qui font irruption dans son champs, Mohler est obligé de tracer une démarcation arbitraire afin de bien circonscrire son sujet. Il s'explique: «Au sens large, le terme "Révolution Conservatrice" englobe un ensemble de transformations s'appuyant sur un fondement commun, des transformations qui se sont accomplies ou qui s'annoncent, et qui concerne tous les domaines de l'existence, la théologie comme par exemple les sciences naturelles, la musique comme l'urbanisme, les relations interfamiliales comme les soins du coprs ou la façon de construire une machine. Dans notre étude, nous nous bornerons à donner une définition exclusivement politique au terme; notre étude se limitant à l'histoire des idées, nous désignons par "Révolution Conservatrice" une certaine pensée politique».
Les pères fondateurs, les précurseurs et les parrains
Une pensée politique, une Weltanschauung, implique qu'il y ait des penseurs. Mohler les appelle les Leitfiguren, les figures de proue, que nous nommerions par commodité les «précurseurs». Mohler souligne, dans la seconde partie de son ouvrage, inédite dans les premières éditions, que l'intérêt pour les précurseurs s'est considérablement amplifié. Les figures qui ont donné à la RC sa plus haute intensité spirituelle et psychique, ses penseurs les plus convaincants et aussi ses incarnations humaines les plus irritantes ont désormais trouvé leurs biographes et leurs analystes».
Si l'on parle de «père fondateur», il faut évidemment citer Friedrich Nietzsche (1844-1900), reconnu par les amis et les ennemis comme l'initiateur véritable du phénomène intellectuel et spirituel de la RC. A côté de lui, le penseur français, moins universellement connu, Georges Sorel (1847-1922)... Nous reviendrons tout à l'heure sur ces deux personnages centraux.
Au second rang, une génération plus tard, nous trouvons le «trio» (ainsi que le nomme Mohler): Carl Schmitt (1888-1985), Ernst Jünger (°1895) et Martin Heidegger (1889-1976). Mohler cite ensuite toute une série de penseurs dont l'influence sur la RC est sans doute moins directe mais non moins intense. Les parrains non-allemands sont essentiellement des sociologues et des historiens du début de notre siècle qui, très tôt, avaient annoncé le crise du libéralisme bourgeois: les Italiens Vilfredo Pareto (1848-1923) et Gaëtano Mosca (1858-1941), l'Allemand Robert(o) Michels (1876-1936), installé en Italie, l'Américain d'origine norvégienne Thorstein Veblen (1857-1929). L'Espagne nous a donné Miguel de Unamuno (1864-1936) puis, une génération plus tard, José Ortega y Gasset (1883-1956). La France, elle, a donné le jour à Maurice Barrès (1862-1923).
Quelques-uns de ces penseurs revêtent une double signification pour notre propos: ils sont à la fois «parrains» de la RC en Allemagne et partie intégrante dans les initiatives conservatrices-révolutionnaires qui ont animé la scène politico-idéologiques dans nos propres provinces.
Parmi les «parrains» allemands de la RC, Mohler compte le compositeur Richard Wagner (1813-1883), les poètes Gerhart Hauptmann (1862-1946) et Stefan George (1868-1933), le psychologue Ludwig Klages (1872-1956) et, bien sûr, Thomas Mann (1875-1955), Gottfried Benn (1896-1956) et Freidrich-Georg Jünger (1898-1977), le frère d'Ernst.
D'autres parrains allemands sont à peine connus dans nos provinces; Mohler les cite: les poètes Konrad Weiss (1880-1940) et Alfred Schuler (1865-1923), les écrivains Rudolf Borchardt (1877-1945) et Léopold Ziegler (1881-1958), un ami d'Edgar J. Jung, connu surtout pour son livre Volk, Staat und Persönlichkeit («Peuple, Etat et personnalité»; 1917). Enfin, il y a Max Weber (1864-1920), le plus grand sociologue que l'Allemagne ait connu, célèbre dans le monde entier mais pas assez pratiqué dans nos cercles non-conformistes.
La RC dans
d'autres pays
Pour Mohler, la RC est «un phénomène politique qui embrasse toute l'Europe et qui n'est pas encore arrivé au bout de sa course». Dans la préface à la première édition de son ouvrage, nous lisons que la RC est «ce mouvement de rénovation intellectuelle qui tente de remettre de l'ordre dans le champs de ruines laissé par le XIXième siècle et cherche à créer un nouvel ordre de la vie. Mais si nous ne sélectionnons que la période qui va de 1918 à 1932, nous pouvons quand même affirmer que la RC commence déjà au temps de Goethe et qu'elle s'est déployée sans interruption depuis lors et qu'elle poursuit sa trajectoire aujourd'hui sur des voies très diverses. Et si nous ne présentons ici que la partie allemande du phénomène, nous n'oublions pas que la RC a touché la plupart des autres pays européens, voire certains pays extra-européens».
Mohler réfute la thèse qui prétend que la RC est un phénomène exclusivement allemand. Il suffit de nommer quelques auteurs pour ruiner cet opinion, explique Mohler. Quelques exemples: en Russie, Dostoievski (1821-1881), le grand écrivain, chaleureux nationaliste et populiste russe; les frères Konstantin (1917-1860) et Ivan S. Axakov (1823-1886). En France, Georges Sorel (1847-1922), le social-révolutionnaire le plus original qui soit, et Maurice Barrès (1862-1923). Ensuite, le philosophe, homme politique et écrivain espagnol Miguel de Unamuno (1864-1936), l'économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto (1848-1923), célèbre pour sa théorie sur l'émergence et la dissolution des élites. En Angleterre, citons David Herbert Lawrence (1885-1930) et Thomas Edward Lawrence (1888-1935), qui fut non seulement le mystérieux «Lawrence d'Arabie» mais aussi l'auteur des Seven Pillars of Wisdom, de The Mint, etc.
Cette liste pourrait être complétée ad infinitum. Bornons-nous à nommer encore T.S. Eliot et le grand Chesterton pour la Grande-Bretagne et Jabotinski pour la diaspora juive. Tous ces noms ne sont choisis qu'au hasard, dit Mohler, parmi d'autres possibles.
Dans les Bas Pays de l'actuel Bénélux, on observe un contre-mouvement contre les effets de la Révolution française dès le début du XIXième siècle. En Hollande, les conservateurs protestants se donnèrent le nom d'«antirévolutionnaires», ce qui est très significatif. Guillaume Groen van Prinsterer (1801-1876) et Abraham Kuyper (1837-1920) donnèrent au mouvement antirévolutionnaire et au parti du même nom (ARP, depuis 1879) une idéologie corporatiste et organique de facture nettement populiste-conservatrice (volkskonservatief). Conrad Busken Huet (1826-1886), prédicateur, journaliste et romancier, infléchit son mouvement, Nationale Vertoogen, contre le libéralisme, héritier de la Révolution française. Son ami Evert-Jan Potgieter (1808-1875) qui, en tant qu'auteur et co-auteur de De Gids, avait beaucoup de lecteurs, évolua, lui aussi, dans sa critique de la société, vers des positions conservatrices-révolutionnaires; il décrivait ses idées comme participant d'un «radicalisme conservateur» (konservatief radikalisme).
Après la première guerre mondiale, aux Pays-Bas, les idéaux conservateurs-révolutionnaires avaient bel et bien pignon sur rue et se distinguaient nettement du conservatisme confessionnel. Ainsi, le Dr. Emile Verviers, qui enseignait l'économie politique à l'Université de Leiden, adressa une lettre ouverte à la Reine, contenant un programme assez rudimentaire d'inspiration conservatrice-révolutionnaire. Sur base de ce programme rudimentaire, une revue vit le jour, Opbouwende Staatkunde (Politologie en marche). Le philosophe et professeur Gerard Bolland (1854-1922) prononça le 28 septembre 1921 un discours inaugural à l'Université de Leiden, tiré de son ouvrage De Tekenen des Tijds (Les signes du temps), qui lança véritablement le mouvement conservateur-révolutionnaire aux Pays-Bas et en Flandre.
Dans les lettres néerlandaises, dans la vie intellectuelle des années 20 et 30, les tonalités et influences conservatrices-révolutionnaires étaient partout présentes: citons d'abord la figure très contestée d'Erich Wichman sans oublier Anton van Duinkerken, Gerard Knuvelder, Menno ter Braak, Hendrik Marsman et bien d'autres. En Flandre, la tendance conservatrice-révolutionnaire ne se distingue pas facilement du Mouvement Flamand, du nationalisme flamand et du courant Grand-Néerlandais: la composante national(ist)e de la RC domine et refoule facilement les autres. Hugo Verriest et Cyriel Verschaeve, deux prêtres, doivent être mentionnés ici (1), de même qu'Odiel Spruytte (1891-1940), un autre prêtre peu connu mais qui fut très influent, surtout parce qu'il était un brillant connaisseur de l'œuvre de Nietzsche (2). En dehors du mouvement flamand, il convient de mentionner le leader socialiste Henri De Man (3), le Professeur Léon van der Essen (4) et Robert Poulet, récemment décédé et auteur, entre autres, de La Révolution est à droite (5). Sans oublier le Baron Pierre Nothomb (6), chef des Jeunesses Nationales et Charles Anciaux de l'Institut de l'Ordre Corporatif (7).
Les noms de Lothrop Stoddard et de Madison Grant, défenseurs soucieux de l'identité de la race blanche, de James Burnham, théoricien de The Managerial Revolution, mais aussi auteur du The Suicide of the West et de The War we are in, montrent que les Etats-Unis aussi ont contribué à la RC. Dans les grands bouleversements qui affectent depuis quelques dizaines d'années l'Afrique, l'Asie et l'Amérique Latine, on peut, explique Mohler, trouver des phénomènes apparentés: «Notamment le mélange, caractéristique de la RC, de lutte pour la libération nationale, de révolution sociale et de rédécouverte de sa propre identité».
Le mouvement ouvrier péroniste en Argentine, avec Juan et Evita Perón, constitue, sur ce chapitre, un exemple d'école. Plus nettement marquée encore est l'œuvre du révolutionnaire chinois, le Dr. Sun Ya-Tsen (1866-1925), fondateur du Kuo-Min-Tang, qui, dans son livre Les trois principes du peuple (8), prêche explicitement pour le nationalisme, la révolution sociale et la voie chinoise vers la démocratie.
Mohler pose un constat: le fait que la Révolution française a mis en branle un contre-mouvement conservateur dont le point focal a été l'Allemagne, indique clairement que nous avons affaire à un phénomène de dimensions au moins européennes; «L'accent mis sur l'élément allemand dans la RC mondiale se justifie sur certains plans. Mêmes les expressions non allemandes de cette révolution intellectuelle contre les idées de 1789 s'enracinent dans ce chapitre de l'histoire des idées en Allemagne, qui s'étend de Herder au Romantisme. En Allemagne même, cette révolte a connu sa plus forte intensité».
L'un des facteurs qui a le plus contribué à l'européanisation générale de la RC est sans conteste la large diffusion des œuvres et des idées de Nietzsche. Armin Mohler tente de ne pas englober Nietzsche dans la RC, mais démontre de façon convaincante que sans Nietzsche, le mouvement n'aurait pas acquis ses Leitbilder («images directrices») typiques et communes. Son influence s'est faite sentir dans les Bas Pays, notamment chez le jeune August Vermeylen (9) et, d'après H.J. Elias (10), sur toute une génération d'étudiants de l'Athenée d'Anvers, parmi lesquels nous découvrons Herman van den Reeck, Max Rooses, Lode Claes et d'autres figures célèbres. La philosophie de Nietzsche a permis qu'éclosent dans toute l'Europe des courants d'inspiration conservatrice-révolutionnaire.
Le Normand Georges Sorel, le second «père fondateur» de la RC selon Mohler (11), est toutefois resté inconnu dans nos régions. Cet ingénieur et philosophe n'a pratiquement jamais été évoqué dans notre entre-deux-guerres (12). A notre connaissance, la seule publication néerlandaise qui parle de lui est l'étude de J. de Kadt sur le fascisme italien; elle date de 1937 (13). On dit qu'il aurait exercé une influence discrète sur Joris van Severen (14) mais son meilleur biographe, Arthur de Bruyne (15), dont le travail est pourtant très fouillé, ne mentionne rien.
Les groupes «völkisch»
Nous ne devons pas concevoir la RC comme un ensemble monolithique. Elle a toujours été plurielle, contradictoire, partagée en de nombreuses tendances, mouvements et mentalités souvent antagonistes. Mohler distingue cinq groupes au sein de la RC; leurs noms allemands sont: les Völkischen, les Jungkonservativen et les Nationalrevolutionäre, dont les tendances idéologiques sont précises et distinctes. Ensuite, il y a les Bündischen et la Landvolkbewegung, que Mohler décrit comme des dissidences historiques concrètes qui n'ont produit des idéologies spécifiques que par la suite. Cette classification en cinq groupes de la RC allemande n'est pas aisément transposable dans les autres pays. Partout, on trouve certes les mêmes ingrédients mais en doses et mixages chaque fois différents. Cette prolixité rend évidemment l'étude de la RC très passionnante.
Le premier groupe, celui des Völkischen, met l'idée de l'«origine» au centre de ses préoccupations. Les mots-clefs sont alors, très souvent, le peuple (Volk), la race, la souche (Stamm) ou la communauté linguistique. Et chacun de ces mots-clefs conduit à l'éclosion de tendances völkische très différentes les unes des autres. Dans la foule des auteurs allemands de tendance völkische, signalons-en quelques-uns qui ont été lus et appréciés à titres divers chez nous, de manière à ce que le lecteur puisse discerner plus aisément la nature du groupe que par l'intermédiaire d'une longue démonstration théorique: Houston Stewart Chamberlain, Adolf Bartels, Hans F.K. Günther, Ernst Bergmann, Erich et Mathilde Ludendorff, Herman Wirth et Erwin Guido Kolbenheyer.
Chez nous, quand la tendance völkische est évoquée, l'on songe tout de suite à Cyriel Verschaeve qui y a indubitablement sa place. Les mots-clefs volk (peuple) et taal (langue) peuvent toutefois nous induire en erreur car l'ensemble du mouvement flamand a pris pour axes ces deux vocables. Une fraction seulement de ce mouvement peut être considérée comme appartenant à la tendance völkische, notamment une partie de l'orientation grande-néerlandaise qui, explicitement, plaçait le «principe organique de peuple» (organische volksbeginsel), théorisé par Wies Moens (16), ou le «principe national-populaire», au-dessus de toutes autres considérations politiques et/ou philosophiques. Nous songeons à Wies Moens lui-même et à la revue Dietbrand, à Ferdinand Vercnocke, à Robrecht de Smet et sa Jong-Nederlandse Gemeenschap (Communauté Jeune-Néerlandaise), à l'aile dite Jong-Vlaanderen (Jeune-Flandre) de l'activisme (17), à l'anthropologue Dr. Gustaaf Schamelhout (18), etc.
Au sein de la tendance völkische a toujours coexisté, chez nous, une tradition basse-allemande (nederduits), à laquelle appartenaient Victor Delecourt et Lodewijk Vlesschouwer (qui participait, e.a., à la revue De Broederhand), le Aldietscher (Pan-Thiois) Constant Jacob Hansen (1833-1910) (19) et le germanisant plus radical encore Pol de Mont (1857-1931), qui déjà avant la première guerre mondiale avait développé son propre corpus völkisch.
Le groupe des Jungkonservativen
A rebours de volks (völkisch), le terme de jungkonservativ (jongkonservatief) n'a jamais, à ma connaissance, été utilisé dans nos provinces. En Allemagne, démontre Mohler, le terme jungkonservativ est le vocable classique qu'ont utilisé les fractions du mouvement conservateur qui, par l'adjonction de l'adjectif «jeune» (jung), voulaient se démarquer du conservatisme antérieur, purement «conservant» et réactionnaire, l'Altkonservativismus. Les Jungkonservativen s'opposent, en esprit et sur la scène politique, au monde légué par 1789 et tirent de cette opposition des conséquences résolument révolutionnaires. Les grandes figures du Jungkonservativismus, également connue hors d'Allemagne, sont notamment Oswald Spengler (20), Arthur Moeller van den Bruck (21), Othmar Spann, Hans Grimm et Edgar J. Jung.
Le peuple et la langue, concepts-clefs des Völkischen, ne sont certes pas niés par les Jungkonservativen, encore moins méprisés. Mais pour eux, ces concepts ne sont pas pertinents si l'on veut construire un ordre: ils conduisent à la constitution d'Etats nationaux fermés, monotone, comparables aux Etats d'inspiration jacobine. De plus, ces Etats précipitent l'Europe, continent qui n'a que peu de frontières linguistiques et ethniques précises, dans des conflits frontaliers incessants, dans des querelles d'irrédentisme, des guerres balkaniques. En pervertissant le principe völkisch, ils provoquent une extrême intolérance à l'encontre des minorités ethniques et linguistiques à l'intérieur de leurs propres frontières. De tels débordements, l'histoire en a déjà assez connus.
Le mot-clef pour les Jungkonservativen est dès lors le Reich. L'idée de Reich, prisée également dans les Bas Pays, n'implique pas un Etat fermé à peuple unique ni un Etat créé par un peuple conquérant sachant manier l'épée. Le Reich est une forme de vivre-en-commun propre à l'Europe, né de son histoire, qui laisse aux souches ethniques et aux peuples, aux langues et aux régions, leurs propres identités et leurs propres rythmes de développement, mais les rassemble dans une structure hiérarchiquement supérieure. Dans ce sens, explique Mohler, l'Etat de Bismarck et celui de Hitler ne peuvent être considérés comme des avatars de l'idée de Reich. Ce sont des formes étatiques qui oscillent entre l'Etat-Nation de type jacobin et l'Etat-conquérant impérialiste à la Gengis Khan.
En langue néerlandaise, Reich peut parfaitement se traduire par rijk. Dans d'autres langues, le mot allemand est souvent traduit à la hâte par des mots qui n'ont pas le même sens: «Empire» suggère trop la présence d'un empereur; «Imperium» fait trop «impérialiste»; «Commonwealth» suggère une association de peuples beaucoup plus lâche.
Mentionnons encore trois particularités qui nous donnerons une image plus complète du groupe jungkonservativ. D'abord, l'influence chrétienne est la plus prononcée dans ce groupe. L'idée médiévale de Reich est perçue par quelques-uns de ces penseurs jungkonservativ comme essentiellement chrétienne, qualité qui demeurera telle, affirment-ils, même si l'idée doit connaître encore des avatars historiques. Les Jungkonservativen chrétiens perçoivent la catholitas comme une force fédératrice des peuples, comme une sorte de ciment historique. Pour eux, cette catholitas ne semble donc pas un but en soi mais un instrument au service de l'idée de Reich.
Ensuite, ces Jungkonservativen cutlivent une nette tendance à peaufiner leur pensée juridique, à ébaucher des structures et des ordres juridiques idéaux. C'est en tenant compte de cet arrière-plan que le deuxième concept-clef de la sphère jungkonservative, en l'occurrence l'idée d'ordre, prend tout son sens. En dehors de l'Allemagne, c'est incontestablement ce concept-là qui a été le plus typique. Mohler écrit, à ce propos: «L'unité, à laquelle songent les Jungkonservativen (...) englobe une telle prolixité d'éléments, qu'elle exige une mise en ordre juridique».
Enfin, troisièmement, les Jungkonservativen sont les plus «civilisés» de la planète RC et, pour leurs adversaires, les plus «bourgeois». Après eux viennent les Völkischen, qui passent pour des philologues mystiques ou des danseurs de danses populaires, et les Nationaux-Révolutionnaires, qui font figures de dinamiteros exaltés. Des cinq groupes, les Jungkonservativen sont les seuls, dit Mohler, qui ne s'opposent pas de manière irréconciliable à l'environnement politique établi, soit à la République de Weimar. Ils sont restés de ce fait des interlocuteurs acceptés. Entre eux et les adversaires de la RC, les ponts n'ont pas été totalement coupés, malgré les césures profondes qui séparaient à l'époque les familles intellectuelles.
Dans les Bas Pays, plusieurs figures de la vie intellectuelle étaient apparentées au courant jungkonservativ. Songeons à Odiel Spruytte qui, malgré son ancrage profond dans le Mouvement Flamand, restait un défenseur typique de l'«universalisme» d'Othmar Spann (22). Aux Pays-Bas, citons Frederik Carel Gerretsen, historien, poète (sous le pseudonyme de Geerten Gossaert) et homme politique (actif, entre autres, dans la Nationale Unie).
Lorque l'on recherche les traces de l'idéologie jungkonservative dans nos pays, il faut analyser et étudier les concepts de solidarisme et de personnalisme: les tenants de cette orientation doctrinale appartenaient très souvent à la démocratie chrétienne. Les «navetteurs» qui oscillaient entre la démocratie chrétienne et la RC, version jungkonservative, étaient légion.
Le Jungkonservativ le plus typé, le seul à peu près qui ait vraiment fait école chez nous, c'est Joris van Severen. Chez lui, les concepts-clefs d'«ordre» et d'«élite» sont omniprésents; sa pensée est juridico-structurante, ce qui le distingue nettement des nationalistes flamands aux démarches protestataires et friands de manifestations populaires. Autre affinité avec les Jungkonservativen: sa tendance à chercher des interlocuteurs dans l'aile droite de l'établissement... Mais ce qui est le plus étonnant, c'est la similitude entre sa pensée de l'ordre et l'idée de Reich des Jungkonservativen de l'ère weimarienne: Joris van Severen refuse la thèse «une langue, un peuple, un Etat» et part en quête d'un modèle historique plus qualitatif, reflet d'un ordre supérieur, mais très éloigné de l'Etat belge de type jacobin, qui, pour lui, était aussi inacceptable. Dans cette optique, ce n'est pas un hasard qu'il se soit référé aux anciens Pays-Bas, dans leur forme la plus traditionnelle, celle du «Cercle de Bourgogne» du Reich de Charles-Quint. Jacques van Artevelde (23) en avait lancé l'idée au Moyen Age et elle avait tenu jusqu'en 1795. L'argumentation qu'a développé Joris van Severen pour étayer son idéal grand-néerlandais dans le sens des Dix-Sept Provinces historiques (24), et contre toutes les tentatives de créer un Etat sur une base exclusivement linguistique, est au fond très semblable à celle qu'avait déployé Edgar J. Jung lorsqu'il polémiquait avec les Völkischen pour défendre l'idée de Reich. A la fin des années 30, van Severen parlait de plus en plus souvent du «Dietse Rijk» (de l'Etat thiois; du Regnum thiois), utilisant dans la foulée le vieux terme de Dietsland (Pays Thiois) (25) pour bien marquer la différence qui l'opposait aux «nationalistes linguistiques» (26).
Les nationaux-révolutionnaires
Le troisième groupe, celui des nationaux-révolutionnaires, est un produit typique de la «génération du front» en Allemagne. Il est plus difficile à cerner pour nous, dans les Bas Pays. De plus, la plupart des auteurs nationaux-révolutionnaires sont peu connus chez nous. Friedrich Hielscher, Karl O. Paetel, Arthur Mahraun, pour ne nommer que les plus connus d'entre eux, sont très souvent ignorés, même par les politologues les plus chevronnés. D'autres, en revanche, sont beaucoup plus célèbres. Mais cette célébrité, ils l'ont acquise pendant une autre période et pour d'autres activités que leur engagement national-révolutionnaire. Ainsi, Ernst von Salomon acquit sa grande notoriété pour ses romans à succès. Otto et Gregor Strasser, à la fin de leur carrière, ont été connus du monde entier parce qu'ils ont été les compagnons de route de Hitler, avant de s'opposer violemment à lui et, pour Gregor, de devenir sa victime. Ernst Niekisch, lui, est souvent considéré à tort comme un communiste parce qu'après la guerre il a enseigné à Berlin-Est (27). Mais cette notoriété, due à des faits et gestes posés en dehors de l'engagement politique, fait que les nationaux-révolutionnaires sont en général très mal situés. On les considère comme des «nazis de gauche», ce qui est inexact dans la plupart des cas, sauf peut-être pour Gregor Strasser, assassiné sur ordre de Hitler en 1934. Ou bien on les considère comme des communistes sans carte du parti, ce qui n'est vrai que pour quelques-uns d'entre eux.
En réalité, l'attitude nationale-révolutionnaire est le fruit d'une étincelle jaillie du choc entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite. Les étincelles ne meurent pas si l'on parvient, grâce à elles, à allumer un foyer: ce que voulaient les nationaux-révolutionnaires. Ils considéraient plus ou moins les Völkischen comme des romantiques et des «archéologues» et les Jungkonservativen comme des individus qui voulaient construire du neuf avant que les ruines n'aient été balayées. Evacuer les ruines, mieux, contribuer énergiquement au déclin rapide du monde bourgeois, dénoncer la décadence capitaliste: voilà ce que les nationaux-révolutionnaires comprenaient comme leur tâche. Pour la mener à bien, ils présentait un curieux cocktail de passion sauvage et de froideur sans illusions, produit de leur expérience du front.
Mohler cite une phrase typique de Franz Schauwecker, figure de proue du «nationalisme soldatique»: «L'Allemand se réjouit de ses déclins parce qu'ils sont le rajeunissement». La gauche comme la droite sont dépassées pour les nationaux-révolutionnaires. Ils voulaient dépasser la gauche sur sa gauche et la droite sur sa droite. Pour eux, Staline était un conservateur et Hitler un libéral. Ce que les temps nouveaux apporteront, ils ne le savent pas trop: «mouvement», tel est le premier mot-clef. Le deuxième, c'est la «nation», celle qui est née dans les tranchées. Schauwecker décrit comment la réalité et la foi, comment l'instinct et la profondeur de la pensée, la nature et l'esprit ont fusionné. «Dans cette unité, la nation était soudainement présente». C'est cela pour eux, le nationalisme: la société allemande sans classes.
Au Pays-Bas, il y a eu une figure nationale-révolutionnaire bien typée: Erich Wichman (1890-1929), surnommé souvent avec mépris le «premier fasciste néerlandais», alors qu'il est très difficile de coller l'étiquette de fasciste (si l'on entend par fasciste, cette sorte de militaires d'opérette chaussés de belles bottes bien cirées) sur ce représentant impétueux de la bohème hollandaise, au visage déformé par un oeil de verre. Les noms des groupuscules qu'il a fondé De Rebelse Patriotten (Les Patriotes Rebelles), De Anderen (Les Autres), De Rapaljepartij (Le Parti de la Racaille) trahissent tous l'élan oppositionnel et le défi adressé à «tout ce qui est d'hier», assortis d'un résidu de foi nationale. A son ami, le Dr. Hans Bruch, il écrivit ces phrases révélatrices: «Je n'ai pas besoin de vous dire que, moi comme vous, nous souhaitons que les Pays-Bas et Orange soient au-dessus de tout! Mais... ce cri de guerre ne peut plus être un cri de guerre parce qu'il a été répété a satiété, éculé, galvaudé et usé par les nationalistes de vieille mouture; par de gros bonshommes tout gras affublés de moustaches tombantes, qui remplissent des salles de réunion pour se plaindre, se lamenter et se consumer en jérémiades parce que notre nation, hélas, n'a jamais eu assez de sentiment national. (...) Et nous, les combatifs, nous ne pouvons rien avoir en commun avec eux! Car, nous, nous ne voulons pas nous plaindre, mais agir. Mais nous ne voulons pas non plus pousser des cris de joie, car nous savons qu'en tant que peuple nous n'avons encore rien - nous avons la ferme volonté de mettre un terme définitif à notre misère!» (28).
La prose de Wichman, en violence et en radicalisme, ne cède en rien devant les phrases de Franz Schauwecker ou d'autres nationaux-révolutionnaires: «Tout, aujourd'hui, est cérébralisé et calculé. Il n'y a plus place en ce monde pour l'aventure, l'imprévu, l'élasticité, la fantaisie et la «démonie». La raison raisonnante la plus bête garde seule droit au chapitre. Dieu s'est mis à vivre peinard. Cette époque est morte, sans âme, sans foi, sans art, sans amour. (...) Ce n'est plus une époque, c'est une phase de transition mais qui peut nous dire vers où elle nous mène? Si tout devient autrement que nous le voulons — et pourquoi cela ne deviendrait-il pas autrement? On pourra une fois de plus nous appeler "les fous". Tout acte peut être folie, est en un certain sens une folie. Et celui qui craint d'être appelé un "fou", d'être un "fou", celui qui craint d'être une part vivante d'un tout vivant, celui qui ne veut pas "servir", celui qui ne veut pas être "facteur" en invoquant sa précieuse "personnalité" et ainsi faire en sorte qu'advienne un monde contraire à ses pensées, celui qui a peur d'être un «lépreux de l'esprit», qui ne veut être "particule", qui ne veut être ni une feuille dans le vent ni un animal soumis à la nécessité ni un soldat dans une tranchée ni un homme armé d'un gourdin et d'un revolver sur la Piazza del Duomo (ou sur le Dam); celui qui ne commence rien sans apercevoir déjà la fin, qui ne fait rien pour ne pas commettre de sottise: voilà le véritable âne! On ne possède rien que l'on ne puisse jeter, y compris soi-même et sa propre vie. C'est pourquoi, il serait peut-être bon de nous débarrasser maintenant de cette "République des Camarades", de cette étable de "mauvais bergers". Oui, avec violence, oui, avec des "moyens illégaux"! C'est par des phrases que le peuple a été perverti, ce n'est pas par des phrases qu'il guérira (Multatuli) (29). Donc, répétons-le: aux armes!».
Le type du national-révolutionnaire a également fait irruption sur la scène politique flamande, surtout dans les tumultueuses années 20. Notamment dans le groupe Clarté et dans sa nébuleuse, qui voulaient forger un front unitaire révolutionnaire regroupant les frontistes flamands (30), les communistes, les anarchistes et les socialistes minoritaires. On hésite toutefois à ranger des individus dans cette catégorie car l'engagement proprement national-révolutionnaire n'a quasi jamais été qu'une phase de transition: quelques flamingants radicaux ont tenté de trouver une synthèse personnelle entre, d'une part, un engagement nationaliste flamand et, d'autre part, une volonté de lutte sociale-révolutionnaire. Après une hésitation, longue ou courte selon les individualités, cette synthèse a débouché sur un national-socialisme plus proche du sens étymologique du mot que de la NSDAP, encore peu connue à l'époque. Chez d'autres, la synthèse conduisit à un engagement résolument à gauche, à un socialisme voire un communisme teinté de nationalisme flamand.
Boudewijn Maes (1873-1946) est sans doute l'une des figures les plus hautes en couleurs du microcosme «national-révolutionnaire» flamand. Ce nationaliste flamand libre-penseur (vrijzinnig) avait lutté contre les activistes pendant la première guerre mondiale parce qu'ils étaient trop bourgeois à son goût. Après 1918, il les défendit parce qu'il était animé d'un sens aigu de la justice et parce qu'il s'estimait solidaire du combat national flamand. Aussi parce qu'il voyait en eux des victimes de l'«Etat bourgeois» belge et donc des révolutionnaires potentiels. En 1919, il est élu au Parlement belge sur les listes du Frontpartij. Il y restera seulement deux ans. Dans des groupuscules toujours plus petits, notamment au sein d'un Vlaams-nationaal Volksfront, il illustra un radicalisme pur, dont il ne faut pas exagérer la portée, et par lequel il voulait dépasser les socialistes et les communistes sur leur gauche. Plus tard, il passa au socialisme et mourut communiste flamand.
A propos des deux derniers groupes de la RC allemande, nous pouvons être brefs. Les Bündischen, héritiers des célèbres Wandervögel, constituent un phénomène typique dans l'histoire du mouvement de jeunesse allemand, lequel a véritablement alimenté tous les cénacles de la RC. Notre mouvement de jeunesse flamand, depuis Rodenbach (31), en passant par l'Algemeen Katholiek Vlaams Studentenverbond (AKVS) (32), jusqu'au Diets Jeugdverbond, n'est pas comparable aux Bündischen sur le plan idéologique: la majeure partie des affiliés à l'AKVS, à ses successeurs et à ses émules, est restée, des années durant, fidèle à une sorte de tradition völkische catholisante. D'autres noyauteront l'aile droite de la démocratie chrétienne flamande. Cette communauté de tradition forme aujourd'hui encore le lien entre les groupes nationalistes flamands et certains cénacles du parti catholique. C'est l'idéologie de base que partagent notamment un journal comme De Standaard et les animateurs du pélérinage annuel à la Tour de l'Yser (IJzerbedevaart).
La Landvolkbewegung fut une révolte paysanne, brève mais violente, qui secoua le Slesvig-Holstein entre 1928 et 1932. On peut tracer des parallèles entre des événements analogues qui se sont produits au Danemark et en France mais, dans nos régions, nous n'apercevons aucun phénomène de même nature. Mohler lui-même, dans son Ergänzungsband (cf. références infra) de 1989, revient sur sa classification antérieure des strates de la RC en cinq groupes: la Landvolkbewegung a été de trop courte durée, trop peu chargée d'idéologie et trop dépendante d'orateurs issus d'autres groupes de la RC (surtout des nationaux-révolutionnaires) pour constituer à égalité un cinquième groupe.
Le fascisme défini
par les Staliniens
Mohler note que la littérature secondaire concernant la RC parue depuis 1972 (année de parution de la seconde édition de son maître-ouvrage) est devenue de plus en plus abondante et imprécise. La raison de cet état de choses: la propagation de la conception stalinienne du fascisme, y compris dans les milieux universitaires. «Cette conception, qui a l'élasticité du caoutchouc, est en fait un concept de combat, contenant tout ce que le stalinisme perçoit comme ennemi de ses desseins, jusque et y compris les sociaux-démocrates. Lorsque l'on parlait jadis du national-socialisme de Hitler ou du fascisme de Mussolini, on savait de quoi il était question. Mais le «fascisme allemand» peut tout désigner: la NSDAP, les Deutsch-Nationalen, la CDU, le capitalisme, Strauß comme Helmut Schmidt - et c'est précisément cette confusion qui est le but. Et bien sûr, la RC, elle aussi, aboutit dans cette énorme marmite».
Cette confusion a débouché d'abord sur une littérature tertiaire traitant du fascisme et dépourvue de toute valeur historique, ensuite sur des petits opuscules apologétiques qui «désinforment» en toute conscience. Prenons un exemple pour montrer comment le concept illimité de fascisme, propre au vocabulaire stalinien, s'est répandu dans le langage courant au cours des années 70 et 80: l'écrivain néerlandais Wim Zaal écrit un livre qui connaitra deux éditions, avec un titre chaque fois différent pour un contenu grosso modo identique. Ce changement de titre est révélateur. En 1966, l'ouvrage est titré De Herstellers (Les Restaurateurs). Il traite de plusieurs aspects de l'idéologie conservatrice-révolutionnaire aux Pays-Bas. La définition qu'il donne de cette idéologie n'est pas tout à fait juste mais elle a le mérite de ne pas être ambiguë et parfaitement concise; nous lui reprocherions de réduire l'univers conservateur-révolutionnaire à celui des adeptes de l'«ordre naturel», ce qui n'est pas le cas car d'autres traditions intellectuelles l'ont alimenté. Ecoutons sa définition: «Ce que visait le mouvement restaurateur, c'était précisément de restaurer l'ordre naturel du vivre-en-commun et de le débarrasser des maux que lui avait infligés les forces révolutionnaires à partir de 1780. Toutes les conséquences de ces révolutions n'étaient pas perverses mais leurs principes l'étaient». La seconde édition (remaniée) du livre paraît en 1973: elle traite du même sujet mais change de titre: De Nederlandse fascisten (Les fascistes néerlandais).
De Gorbatchev au Pape Jean-Paul II, de Reagan à Khomeiny, y a-t-il une figure de proue du monde politique ou de l'innovation idéologique qui n'ait jamais été traité de «fasciste» par l'un ou l'autre de ses adversaires? Dans de telles conditions, ne doit-on pas considérer que le mot est désormais vide de toute signification, du moins pour ce qui concerne le récepteur. En revanche, dans le chef de l'émetteur, le message est très clair; celui qui traite un autre de «fasciste», veut dire: «J'entends vous discriminer sur le plan intellectuel»; en d'autres mots: «Je refuse tout dialogue».
Ni dans cet article ni dans le travail de Mohler, le fait de dénoncer cet usage élastique du terme «fascisme» ne constitue pas une tentative d'évacuer du débat les rapports historiques réels qui ont existé entre, d'une part, la RC et, d'autre part, le fascisme ou le national-socialisme. La pensée révolutionnaire-conservatrice ne peut être purement et simplement réduite au rôle de «précurseur» de l'idéologie fasciste. ce serait trop facile et grotesque. A ce propos, Mohler écrit: «Tous ceux qui critiquent les idées de 1789 courent le risque de se voir étiquettés par les protagonistes de ces idées révolutionnaires de "pères fondateurs du fascisme" (ou du "nazisme") (...) D'Héraclite à Maître Eckehart, en passant par Paracelse et Luther, Frédéric le Grand, Hamann et Zinzendorf, pour aboutir à Schopenhauer et Kierkegaard, on peut, dans la foulée, construire les arbres généalogiques du fascisme les plus fantasmagoriques».
En réalité, parmi les protagonistes des idées conservatrices-révolutionnaires, on trouvera les appréciations et les attitudes les plus diverses vis-à-vis du fascisme, tant en Allemagne que dans nos pays. La prudence et la précision s'imposent. Quelques figures de la RC se sont en effet converties très vite et avec beaucoup d'enthousiasme au nazisme, comme, par exemple, un Alfred Bäumler ou un Ernst Kriek, ou, chez nous, un Herman van Puymbroeck (33), futur rédacteur-en-chef de Volk en Staat. D'autres ont vu leur enthousiasme s'évanouir rapidement, mais trop tard pour échapper à la mort: l'exemple de Gregor Strasser, assassiné le 30 juin 1934, un jour avant Edgar J. Jung, qui avait, lui, combattu le national-socialisme dès le début et avec la plus grande énergie. Thomas Mann et Karl Otto Paetel choisirent d'émigrer, tout comme Otto Strasser et Hermann Rauschning. Le national-révolutionnaire dur et pur, ennemi de Hitler, Hartmut Plaas, mourra en 1944 dans un camp de concentration tout comme l'avocat liégeois Paul Hoornaert, grand admirateur de Mussolini et chef de la Légion Nationale.
Pour d'autres encore, la collaboration mena à un ultime engagement dans la Waffen-SS, dont ils ne revinrent jamais; pour citer deux exemples, l'un flamand, l'autre néerlandais: Reimond Tollenaere (1909-1942) et Hugo Sinclair de Rochemont (1901-1942). Au cours de cette même année 1942, la collaboration était déjà un passé bien révolu pour un Henri De Man ou un Arnold Meijer, ex-chef du Zwart Front néerlandais. Quant à Tony Herbert, jadis figure symbolique de tout ce qui comptait à droite en Flandre dans les années 30, il était déjà entré de plein pied dans la résistance. Dans la véritable résistance à Hitler, derrière l'attentat du 20 juillet 1944, se profile une quantité de figures issues de la RC, notamment de la Brigade Ehrhardt, comme l'Amiral Wilhelm Canaris, le Général Hans Oster voire l'écrivain Ernst Jünger. Quant à l'homme qui, en 1945, dans le tout dernier numéro de Signal, la revue de propagande allemande qui paraissait dans la plupart des langues européennes pendant la guerre, publia un article pathétique pour marquer la fin du IIIième Reich, était une figure de la RC: Giselher Wirsing, issu du Tat-Kreis (34). En 1948, il participera à la fondation du journal Christ und Welt, dont il deviendra le rédacteur en chef en 1954 et le restera jusqu'à sa mort en 1975 (35).
Les noms que nous venons de citer ne constituent pas des exceptions. Loin de là. Tous répondent en quelque sorte à la règle. Mais comment expliquer à quelqu'un qui a été élevé sous l'égide du concept stalinien de fascisme, ou a reçu un enseignement universitaire marqué par ce concept, que c'est un fait historiquement attesté que dès le début de l'année 1933, le citoyen néerlandais Jan Baars (36), chef de l'Algemene Nederlandse Fascistenbond (ANFB; = Ligue Générale des Fascistes Néerlandais), envoie un télégramme à Hitler pour protester contre la persécution des Juifs (37). Le 30 janvier 1933, le jour où Hitler arriva au pouvoir, un autre télégramme partit de Hollande. Non pas envoyé par Jan Baars mais par l'association des étudiants catholiques d'Amsterdam, le cercle Thomas Aquinas. C'était un télégramme de félicitations. Précisons-le. Au cas où vous ne l'auriez pas deviné.
Luc PAUWELS.
(texte paru dans la revue anversoise Teksten, Kommentaren en Studies, nr. 55, 2de Trimester 1989; adresse: DELTAPERS v.z.w., Postbus 4, B-2110 Wijnegem).
(1) cfr. Arthur De Bruyne, Cyriel Verschaeve - Hendrik De Man, West-Pocket, 4-5, De Panne, 1969.
Jos Vinks, Cyriel Verschaeve, de Vlaming, De Roerdomp, Brecht/Antwerpen, 1977.
Hugo Verriest (1840-1922) fut l'élève de Guido Gezelle au couvent théologique de Roeselare (Roulers). Nommé prêtre en 1864. Enseigne à Bruges, Roeselare, Ypres, Heule. Curé à Wakken, commune de la famille de Joris van Severen en 1888. Exerça une influence prépondérante sur le mouvement étudiant nationaliste d'Albrecht Rodenbach (la fameuse Blauwvoeterij).
A son sujet, lire: Luc Delafortrie, Reinoud D'Haese, Noël Dobbelaere, Antoon Van Severen, Rudy Pauwels, Dr. R. Bekaert, Hugo Verriest - Joris Van Severen, Komitee Wakken, Wakken, 1984.
(2) Frank Goovaerts, «Odiel Spruytte. Een vergeten konservatief-revolutionnair denker in Vlaanderen», in Teksten, kommentaren en studies, nr. 55/1989.
(3) Sur De Man en français: André Philip, Henri De Man et la crise doctrinale du socialisme, Librairie universitaire J. Gambier, Paris, 1928.
Revue européenne des sciences sociales, Cahiers Vilfredo Pareto, Tome XII, 1974, n°31 («Sur l'œuvre de Henri De Man»).
Michel Brelaz, Henri De Man. Une autre idée du socialisme, Ed. des Antipodes, Genève, 1985.
En guise d'introduction générale: Robert Steuckers, «Henri De Man», in Etudes et Recherches, GRECE, Paris, n°3, 1984.
En anglais: Peter Dodge, Beyond Marxism. The Faith and Works of Hendrik De Man, M. Nijhoff, The Hague (NL), 1966.
(4) Léon van der Essen, Pages d'histoire nationale et européenne, Les Œuvres/Goemare, Bruxelles, 1942.
Léon van der Essen, Alexandre Farnèse et les origines de la Belgique moderne, 1545-1592, Office de publicité, Bruxelles, 1943.
Léon van der Essen, Pour mieux comprendre notre histoire nationale, Charles Dessart éd., s.d.
(5) Robert Poulet, La Révolution est à droite. Pamphlet, Denoël et Steele, Paris, 1934.
(6) Frederic Kiesel, Pierre Nothomb, Pierre de Meyere éd., Paris/Bruxelles, 1965.
(7) Charles Anciaux, L'Etat corporatif. Lois et conditions d'un régime corporatif en Belgique, ESPES, Bruxelles, 1942.
(8) Dr. Sun Ya-Tsen, The Three Principles of the People, China Publishing Company, Taipei R.O.C., 1981.
(9) August Vermeylen, écrivain flamand, né à Bruxelles en 1872 et mort à Uccle en 1945. Etudie à Bruxelles, Berlin et Vienne. Il enseignera à Bruxelles et à Gand. Sera démis de ses fonctions par les autorités allemandes en 1940. Influence de Baudelaire et du mouvement décadent français mais défenseur de la langue néerlandaise. Co-fondateur de la revue littéraire Van Nu en Straks. Individualiste anarchisant à ses débuts, il évoluera vers un socialisme communautaire, justifié par un panthéisme dynamique. Son œuvre la plus célèbre est De wandelende Jood (Le Juif errant), illustrant la quête de la vérité en trois phases: la jouissance sensuelle, l'ascèse et le travail.
(10) Hendrik J. Elias, Geschiedenis van de Vlaamse Gedachte, 4 delen, Uitg. De Nederlandse Boekhandel, Antwerpen, 1971. Ces quatre volumes retracent l'histoire intellectuelle du mouvement flamand et recense minutieusement les influences diverses qu'il a subies, notamment celles venues des Pays-Bas, d'Allemagne et de Scandinavie. Ces ouvrages sont indispensables pour comprendre les lames de fond non seulement de l'histoire flamande mais aussi de l'histoire belge.
(11) Mohler se réfère surtout au livre de Michael Freund, Georges Sorel. Der revolutionäre Konservatismus (V. Klostermann, Frankfurt a.M., 1972). De même qu'aux passage que consacre Carl Schmitt à Sorel dans Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus (1926), aujourd'hui disponible en français sous le titre de Démocratie et Parlementarisme (Seuil, 1988).
(12) Sorel a exercé une incontestable influence sur le philosophe martyr José Streel (1910-1946), idéologue du rexisme et auteur, entre autres, de La Révolution du XXième siècle (Nouvelle Société d'Edition, Bruxelles, 1942). Dans cet ouvrage concis, on repère aussi l'influence prépondérante de Péguy, Maurras et De Man. Sur José Streel, lire ce qu'en écrit Bernard Delcord, «A propos de quelques "chapelles" politico-littéraires en Belgique (1919-1945)», in Cahiers du Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale/Bijdragen van het Navorsings- en Studiecentrum voor de Geschiedenis van de Tweede Wereldoorlog, Bruxelles, Ministère de l'Education nationale/Ministerie van Onderwijs, Archives Générales du Royaume - Algemeen Rijksarchief, Place de Louvain 4 (b.19), Bruxelles, 1986. On lira de même toutes les remarques que formule à son sujet le Prof. Jacques Willequet dans La Belgique sous la botte, résistances et collaborations, 1940-1945, Ed. Universitaires, Paris, 1986. Signalons aussi que José Streel fut l'un des artisans de l'accord Rex-VNV, règlant, dans le cadre de la collaboration, le problème linguistique belge.
(13) J. De Kadt, Het fascisme en de nieuwe vrijheid, N.V. Em. Querido's Uitgevers-Maatschappij, Amsterdam, 1939.
(14) Sur Joris Van Severen, lire: L. Delafortrie, Joris Van Severen en de Nederlanden, Oranje-Uitgaven, Zulte, 1963.
Jan Creve, Recht en Trouw. De Geschiedenis van het Verdinaso en zijn milities, Soethoudt, Antwerpen, 1987.
(15) Arthur De Bruyne, Joris Van Severen, droom en daad, De Roerdomp, Brecht/Antwerpen, 1961-63.
(16) Le poète Wies Moens (1898-1982) fut un activiste (un «collaborateur») pendant la première guerre mondiale. Il étudia à l'Université de Gand de 1916 à 1918. Il purgera quatre ans de prison pour ses sympathies nationalistes. Il fondera les revues Pogen (1923-25) et Dietbrand (1933-40). En 1945, il est condamné à mort mais trouve refuge aux Pays-Bas pour échapper à ses bourreaux. Il fut le principal représentant de l'expressionnisme flamand et entretint des liens avec Joris Van Severen, avant de rompre avec lui.
Cfr. Erik Verstraete, Wies Moens, Orion, Brugge, 1973.
(17) L'activisme est la collaboration germano-flamande pendant la première guerre mondiale. A ce propos, lire: Maurits van Haegendoren, Het aktivisme op de kentering der tijden, Uitgeverij De Nederlanden, Antwerpen, 1984.
(18) Frank Goovarts, «Dr. G. Schamelhout, antropologie en Vlaamse Beweging», in Teksten, kommentaren en studies, nr. 42, 1985. Le Dr. G. Schamelhout peut être considéré comme un élève de Georges Vacher de Lapouge. Il s'est intéressé également aux ethnies européennes.
(19) Le mouvement pan-thiois (Alldietscher Beweging) visait à unir toutes les «tribus» basses-allemandes, soit néerlandaises et allemandes du nord, en forgeant un Etat qui aurait rassemblé les Pays-Bas, la Belgique (avec les départements français du Nord et du Pas-de-Calais), la Prusse, le Hanovre, le Oldenbourg, etc. La langue de cet Etat aurait été une synthèse entre le néerlandais actuel et les dialectes bas-allemands. A ce sujet, lire: Ludo Simons, Van Duinkerke tot Königsberg. Geschiedenis van de Alldietsche Beweging, Orion, Brugge, 1980.
(20) Sur Spengler, l'ouvrage en français le plus complet est celui de Gilbert Merlio, Oswald Spengler, témoin de son temps, Akademischer Verlag Hans-Dieter Heinz, Stuttgart, 1982 (deux volumes).
(21) Sur Arthur Moeller van den Bruck, l'ouvrage en français le plus complet est celui de Denis Goeldel, Moeller van den Bruck (1876-1925), un nationaliste contre la révolution, Peter Lang, Frankfurt a.M./Bern, 1984.
(22) Deux livres récents sur Spann: Walter Becher, Der Blick aufs Ganze. Das Weltbild Othmar Spanns, Universitas, München, 1985.
J. Hanns Pichler (Hg.), Othmar Spann oder die Welt als Ganzes, Böhlau, Wien, 1988.
(23) Pour comprendre le mouvement d'unité dans les Bas Pays au Moyen Age, lire Léon Vanderkinderen, Le siècle des Artevelde. Etudes sur la civilisation morale et politique de la Flandre et du Brabant, J. Lebègue & Cie, Bruxelles, 1907.
(24) Les dix-sept provinces regroupent les pays suivants dans l'optique de Joris Van Severen et de ses adeptes de jadis et d'aujourd'hui: la Frise, le Groningue, la Drenthe, l'Overijssel, le Pays de Gueldre, le Pays d'Utrecht, la Hollande, la Zélande, le Brabant, le Limbourg (Limbourg historique, Limbourg belge, soit l'ex-Comté de Looz, Limbourg néerlandais contemporain), le Pays de Liège, le Pays de Namur, le Luxembourg (Grand-Duché, Luxembourg belge et Pays de Thionville/Diedenhofen), le Hainaut, la Flandre, l'Artois et la Picardie.
(25) Le terme néerlandais de «Dietsland» se traduit en français par «Pays Thiois». Le long de la frontière linguistique, en Pays de Liège, on trouve également la forme «tixhe», typique de l'ancienne graphie liégeoise. On parle également de «Lorraine thioise» pour désigner la partie allemande de la Lorraine.
(26) Van Severen semble être le seule représentant de la RC dans nos pays à avoir utiliser et revendiquer le terme de «conservateur-révolutionnaire». C'était dans un article du 23 juillet 1932, paru dans De West-Vlaming. Cité par Arthur De Bruyne, op. cit., p. 140.
Rappelons qu'une querelle demeure sous-jacente entre, d'une part, le nationalisme à base exclusivement linguistique, rêvant d'un Etat néerlandais unissant la Flandre et les Pays-Bas, et, d'autre part, les adeptes des Dix-Sept Provinces Unies, regroupant les régions néerlandophones, wallonophones, picardophones et germanophones de l'ancien «Cercle de Bourgogne».
(27) Pour comprendre l'itinéraire d'Ernst Niekisch, lire Uwe Sauermann, Ernst Niekisch und der revolutionäre Nationalismus, Bibliothekdienst Angerer, München, 1985.
(28) Cité par Wim Zaal dans De Nederlandse Fascisten, Wetenschapelijke Uigeverij, Amsterdam, 1973.
(29) Multatuli est le pseudonyme d'Eduard Douwes Dekker (1820-1887), écrivain néerlandais, pionnier de la colonisation de l'Indonésie. Lecteur de Nietzsche, il se posera en partisan d'une monarchie éclairée et d'un système d'éducation non étouffant. Son roman le plus célèbre est Max Havelaer, une chronique assez satirique de la colonie néerlandaise en Indonésie.
(30) Le frontisme est le mouvement politique des années 20 en Flandre, porté par les soldats revenus du front. Sur la scène électorale, il se présentait sous la dénomination de Frontpartij. Ce mouvement d'anciens soldats du contingent était pacifiste et soucieux de ne plus verser une seule goutte de sang flamand pour la France, considérée comme ennemie mortelle des peuples germaniques et du catholicisme populaire.
(31) Albrecht Rodenbach (1856-1880), jeune poète flamand, formé au séminaire de Roeselare (Roulers), élève de Hugo Verriest (cf. supra), fonde, en entrant à la faculté de droit de l'Université Catholique de Louvain, le mouvement étudiant flamand, la Blauwvoeterij. Ses poèmes mêlent un catholicisme charnel et sensuel, typiquement flamand, à un paganisme wagnérien, nourri de l'épopée des Nibelungen: un contraste étonnant et explosif...
A son sujet, lire: Cyriel Verschaeve, Albrecht Rodenbach. De Dichter, Zeemeeuw, Brugge, 1937.
(32) L'AKVS publie toujours une revue, AKVS-Schriften. Adresse: AKVS-Schriften, c/o Paul Meulemans, Kruisdagenlaan 75, B-1040 Brussel. Tél.: 02/734.25.52.
(33) La radicalité des positions de H. Van Puymbrouck transparaît dans le texte d'une brochure publiée à Berlin en 1941 et intitulée Flandern in der neuen Weltordnung (Verlag Grenze und Ausland, Berlin, 1941) et rééditée en 1985 par Hagal-Boeken, Speelhof 10, B-3840 Borgloon.
(34) Sur le Tat-Kreis, cfr.: Klaus Fritzsche, Politische Romantik und Gegenrevolution, Fluchtwege in der Krise der bürgerlichen Gesellschaft: Das Beispiel des «Tat-Kreises», edition Suhrkamp, es 778, Frankfurt a.M., 1976. Ouvrage très critique mais qui révèle les grandes lignes de l'idéologie du Tat-Kreis.
(35) A propos de Giselher Wirsing, on lira avec profit le texte que lui a consacré Armin Mohler au moment de sa mort en 1975 («Der Fall Giselher Wirsing») et repris dans son recueil intitulé Tendenzwende für Fortgeschrittene, Criticón Verlag, München, 1978.
(36) Jan Baars, né le 30 juin 1903, fit partie de la résistance néerlandaise pendant la guerre. Il est décédé le 24 avril 1989.
(37) Wim Zaal, op. cit., p.119.
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jeudi, 07 janvier 2010
La excepcion en Carl Schmitt - Una exposicion introductoria
La excepción en Carl Schmitt
Una exposición introductoria
Christian Reátegui / Ex: http://la-coalicion.blogspot.com/
La previsión de una dictadura comisarial en los dos últimos textos constitucionales peruanos ha pasado inadvertida. Para comenzar, la positivización del concepto jurídico de medida en dichos textos constitucionales ha pasado sin mayores comentarios. Tanto en la Constitución peruana de 1979 como en la de 1993 podemos leer textos similares:
Constitución de 1979“Artículo 211º.- Son obligaciones y atribuciones del Presidente de la República:
...
18.- Adoptar las medidas necesarias para la defensa de la República, la integridad del territorio y la soberanía en caso de agresión.”
Constitución de 1993
"Artículo 118º.- Corresponde al Presidente de la República:
...
15.- Adoptar las medidas necesarias para la defensa de la República, de la integridad del territorio y de la soberanía del Estado".
Se ha dicho que los constituyentes peruanos de 1979 adoptaron la fórmula de la empleada en el artículo 16 de la Constitución francesa de 1958, que fue a su vez recogida del texto del famoso artículo 48 de la Constitución de Weimar (1919). Lo que es menos conocido es que este artículo 48 fue el centro de un debate jurídico rico e intenso en la Alemania de esos años acerca de sus alcances y, en última instancia, acerca del concepto de Constitución, debate en el que el concepto de medida (maßnahme) desempeñó un papel central. Para el jurista alemán Carl Schmitt dicho artículo sustentaba la posibilidad de una Dictadura del Presidente del Reich. Es más, dicho artículo devenía en el referente interpretativo de toda la Constitución:
“Artículo 48. Si un Land no cumpliese con sus obligaciones conforme a lo dispuesto en la Constitución o en una Ley del Reich, el Presidente del Reich podrá hacérselas cumplir con ayuda de las Fuerzas Armadas.
Si la seguridad y el orden públicos se viesen gravemente alterados o amenazados, el Presidente del Reich podrá adoptar las medidas necesarias para el restablecimiento de la seguridad y orden públicos, utilizando incluso las Fuerzas Armadas si fuera necesario. A tal fin puede suspender temporalmente el disfrute total o parcial de los derechos fundamentales recogidos en los artículos 114, 115, 117, 118, 123, 124 y 153.
El Presidente del Reich está obligado a informar inmediatamente al Reichstag de la adopción de todas las medidas tomadas conforme a los párrafos 1º y 2º de este artículo. Las medidas deberán ser derogadas a petición del Reichstag.
En caso de peligro por demora, el Gobierno de cualquier Land podrá aplicar provisionalmente medidas de carácter similar a las referidas en el párrafo 2º de este artículo. Las medidas deberán ser derogadas a petición del Reichstag o del Presidente del Reich.
Una ley del Reich desarrollará el resto"
Para Schmitt el párrafo 2º, primera parte, de este artículo contiene el fundamento constitucional de un apoderamiento para una comisión de acción ilimitada, en términos precisos, una dictadura comisarial. Sobre la verificación o no del presupuesto (alteración o amenaza de la seguridad y del orden públicos) para dicho apoderamiento, decide de por sí el Presidente. De acuerdo a Schmitt, el párrafo 2º, en su parte primera, constituía derecho vigente y no requería la ley que desarrollara el estado de excepción que preveía el 5º párrafo. Ante el acaecimiento de alteración o amenaza de la seguridad y del orden públicos, el Presidente podía adoptar todas las medidas necesarias (nötigen Maßnahmen), cuya necesidad era evaluada de acuerdo a las circunstancias y al solo arbitrio del propio Presidente. En consecuencia la dictadura Presidencial cuya posibilidad preveía la Constitución de Weimar, se concretizaba en la adopción de medidas.
Para Schmitt una medida era una acción individualizada o una disposición general, adoptada frente a una situación concreta que se considera anormal, y que es, por lo tanto, superable, con una pretensión de vigencia por tiempo no indefinido. Una medida se caracteriza por su dependencia de la situación objetiva concreta. Ello supone que la magnitud de la medida, su procedimiento y su eficacia jurídica dependen de la naturaleza de las circunstancias. El aforismo latino rebus sic stantibus preside su adopción y ejecución. Ahora bien, la dictadura comisarial desarrollada por Schmitt no significaba la disolución del orden jurídico existente ni que el Presidente deviniese en soberano, ya que las medidas era sólo de naturaleza fáctica y no podían ser equiparadas con actos de legislación ni de administración de justicia, sin que ello significase que no se pudiesen tomar medidas que se aproximaran por sus resultados y consecuencias prácticas a fallos judiciales, decisiones administrativas conseguidas tras un procedimiento previamente establecido o a normas generales (leyes y/o reglamentos), pero que jurídicamente no serían equiparables en significado ni en eficacia jurídicas. Esto porque una medida no podía reformar, derogar o suspender preceptos constitucionales, pero sí podía desconocerlos, separándose de ellos para un caso concreto o una generalidad de casos concretos, en lo que Schmitt llamaba “quebrantamiento” (durchbrechung) de la Constitución. Hay que apuntar que, de acuerdo a Schmitt, hay que distinguir entre Constitución y leyes constitucionales. La Constitución sería la decisión de conjunto de un pueblo acerca de la forma y modo de su unidad política, mientras que las leyes constitucionales serían los preceptos o normas que, por una razón u otra, han sido recogidas en el texto constitucional. Entonces para nuestro autor la Constitución es intangible, mientras que las leyes constitucionales (preceptos o normas) no, por lo que pueden ser “quebrantadas” por las medidas para un caso determinado o casos determinados, y ello sólo en defensa de la propia Constitución en estados de excepción. Hay que precisar que cualquier ley constitucional podría ser desconocida puntualmente por las medidas (o “quebrantada”) y no sólo las que contienen derechos fundamentales, como sucede con lo permitido por la norma de la segunda parte del párrafo 2º como más adelante veremos.
Un ejemplo para clarificar la diferencia entre medida y decisión administrativa, sería la que da el propio Schmitt a propósito de lo establecido en el artículo 129º de la Constitución de Weimar. Este artículo preveía una serie de garantías a favor de los funcionarios, así, sólo podrían ser privados de su cargo mediante un procedimiento conforme a Derecho, tenían la posibilidad de interponer recursos impugnatorios, el respeto a sus derechos adquiridos, etc. A pesar de ello, a través de una medida se podría suspender a determinados funcionarios y confiar su cargo a otras personas. Tales medidas tendrían efectos o resultados jurídicos, pero no la eficacia de una decisión adoptada tras un proceso disciplinario que concluyese con la separación definitiva del cargo del funcionario. Esto significa que el funcionario suspendido continuaría disfrutando (jurídicamente) de su status de funcionario, situación que no se daría con el separado jurídicamente del servicio. Asimismo, la persona encargada, mediante una medida, del cargo y de sus tareas públicas no conseguiría, por ello, alcanzar la situación jurídica de funcionario.
Para Schmitt no escapó que esta comisión para una dictadura presidencial, entraba en contradicción con lo establecido en la segunda parte de ese mismo 2º párrafo, que para él contenía otra norma que, junto al apoderamiento general de su primera parte, determinaba que para conseguir el restablecimiento de la seguridad y el orden públicos, el Presidente del Reich también podía suspender (suspension), es decir, poner temporalmente fuera de vigencia, en todo o en parte, a los derechos fundamentales contenidos en las leyes constitucionales de los artículos 114º (libertad personal), 115º (inviolabilidad del domicilio), 117º (secreto de la correspondencia y de correo), 118º (libertad de prensa), 123º (libertad de reunión), 124º (libertad de asociación) y 153º (propiedad privada). Esta contradicción, que, por un lado, permitía suspender toda el ordenamiento jurídico existente y, por otro, sólo permitía suspender una serie de derechos enumerados taxativamente, se debía, según Schmitt, a la confusión entre dictadura soberana y comisarial, que supone el considerar que el Presidente del Reich podía emitir ordenanzas con fuerza de ley sin considerar la distinción entre ley y medida y la asignación de competencias que conformaba la Constitución del Reich, y a la creencia ingenua que, en el Estado de Derecho burgués, la seguridad sólo podría ser puesto en peligro por individuos o grupos de individuos en tumultos y motines, no por organizaciones políticas, colectivos o agrupaciones solidarias, ya que los grupos intermedios y gremios de este tipo habían desaparecido.
Esta misma contradicción, entre la existencia del establecimiento de una dictadura presidencial (artículos 211 numeral 18 de la Constitución de 1979, y 118 numeral 15 de la Constitución de 1993) con la de un régimen de excepción limitado (artículos 231 de la Constitución de 1979, y 137 de la Constitución de 1993) se ha dado, a nuestro entender, tanto en la Constitución peruana anterior como en la actual. Basta con leer el artículo 231º de la Constitución de 1979 y el 137º de la que nos rige actualmente:
Constitución de 1979
"Artículo 231.- El Presidente de la República, con acuerdo del Consejo de Ministros, decreta, por plazo determinado, en todo o parte del territorio y dando cuenta al Congreso o a la Comisión Permanente, los estados de excepción que en este artículo se contemplan:
a.- Estado de emergencia, en caso de perturbación de la paz o del orden interno, de catástrofe o de graves circunstancias que afecten la vida de la Nación. En esta eventualidad, puede suspender las garantías constitucionales relativas a la libertad y seguridad personales, la inviolabilidad del domicilio, la libertad de reunión y de tránsito en el territorio, que se contemplan en los incisos 7, 9 y 10 del artículo 2º y en el inciso 20-g del mismo artículo 2º. En ninguna circunstancia se puede imponer la pena de destierro. El plazo del estado de emergencia no excede de sesenta días. La prórroga requiere nuevo decreto. En estado de emergencia, las Fuerzas Armadas asumen el control del orden interno cuando lo dispone el Presidente de la República.
b.- Estado de sitio, en caso de invasión, guerra exterior, o guerra civil, o peligro inminente de que se produzcan, con especificación de las garantías personales que continúan en vigor. El plazo correspondiente no excede de cuarenta y cinco días. Al decretarse el estado de sitio el Congreso se reúne de pleno derecho. La prórroga requiere aprobación del Congreso”
Constitución de 1993
“Artículo 137.- El Presidente de la República, con acuerdo del Consejo de Ministros, puede decretar, por plazo determinado, en todo el territorio nacional, o en parte de él, y dando cuenta al Congreso o a la Comisión Permanente, los estados de excepción que en este artículo se contemplan:
1.- Estado de emergencia, en caso de perturbación de la paz o del orden interno, de catástrofe o de graves circunstancias que afecten la vida de la Nación. En esta eventualidad, pueden restringirse o suspenderse el ejercicio de los derechos constitucionales relativos a la libertad y la seguridad personales, la inviolabilidad del domicilio, y la libertad de reunión y de tránsito en el territorio comprendidos en los incisos 9, 11 y 12 del artículo 2º y en el inciso 24, apartado f del mismo artículo. En ninguna circunstancia se puede desterrar a nadie.
El plazo de emergencia no excede de sesenta días. Su prórroga requiere nuevo decreto. En estado de emergencia las Fuerzas Armadas asumen el control del orden interno si así lo dispone el Presidente de la República.
2.- Estado de sitio, en caso de invasión, guerra exterior, guerra civil, o peligro inminente de que se produzcan, con mención de los derechos fundamentales cuyo ejercicio no se restringe o suspende. El plazo correspondiente no excede de cuarenta y cinco días. Al decretarse el estado de sitio, el Congreso se reúne de pleno derecho. La prórroga requiere aprobación del Congreso".
El que el artículo 55 de la Constitución actual, que prescribe que los tratados celebrados por el Estado, y que se encuentren en vigor, forman parte del derecho nacional, y la 4º Disposición Final y Transitoria que dispone que las normas relativas a los derechos y a las libertades que la Constitución reconoce se interpretan de conformidad con la Declaración Universal de Derechos Humanos y con los tratados y acuerdos internacionales sobre dichas materias ratificadas por el Perú, pueden dar la impresión que el problema jurídico se ha zanjado. Ello puede ser considerado efectivamente así, pero pasa por alto que toda disciplina jurídica que pretende tener vigencia en el tiempo, es decir, eficacia social, no puede responder a autoengaños a partir de visiones ideologizadas de experiencias pasadas. Sobre ello queda mucho por abundar aún.
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mercredi, 06 janvier 2010
Démocratie américaine et dialectique de la liberté
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990
Démocratie américaine et dialectique
de la liberté
à propos d'un livre de Gottfried Dietze
par Hans-Dietrich SANDER
Parmi les livres dignes d'intérêt récemment parus, et soumis à la conspiration du silence, il y a l'ouvrage sur l'Amérique de Gottfried Dietze:
Gottfried Dietze, Amerikanische Demokratie — Wesen des praktischen Liberalismus, Olzog Verlag, München, 1988, 297 S., DM 42.
Depuis longtemps déjà, l'auteur n'avait plus publié d'articles dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung et dans Die Welt (Bonn). Il n'est plus membre de la Mount Pelerin Society. Il s'en est retiré, parce qu'il ne lui a pas été permis de prononcer son discours sur Kant en langue allemande lors d'une diète de la dite société à Berlin! Mais personne en revanche n'a pu le traiter de «terroriste intellectuel». Gottfried Dietze est professeur ordinaire de «théorie comparée des pouvoirs» à la John Hopkins University de Baltimore, l'une des cinq universités les plus cotées aux Etats-Unis (sa faculté occupe d'ailleurs la première place en son domaine). Ses travaux, il les publie en Allemagne chez J.C.B. Mohr (Paul Siebeck) et chez Duncker & Humblot, c'est-à-dire chez les meilleurs éditeurs de matières politologiques. La maison Olzog, qu'il a choisie pour éditer son livre sur l'Amérique, ouvrage destiné à un public plus vaste, ne suscite pas davantage les colères des professionnels hystériques qui entendent façonner l'opinion publique selon leurs seuls critères. La démocratie ouest-allemande vient manifestement d'atteindre un seuil critique, où, désormais, ceux qui prononcent des paroles libres, claires, transparentes, passent pour des excentriques. Et, «notre démocratie», pour reprendre les mots de son Président Richard v. Weizsäcker, ne peut pas se permettre des excentriques politiques.
Critique du libéralisme pur et réminiscences tocquevilliennes
Dietze passe depuis longtemps déjà pour un excentrique dans notre bonne république. Pour être exact, depuis que le Spiegel a découvert, jadis, qu'il servait de conseiller au candidat à la Présidence américaine Barry Goldwater, et cela, au moment où la guerre du Vietnam atteignait son point culminant. Toute évocation de son nom, à l'époque, suscitait la suspicion. Il a tenté de revenir en Allemagne, en y postulant un poste universitaire. Sans succès. Le dernier des grands théoriciens du libéralisme politique n'est pas le bienvenu dans la République fédérale, acquise pourtant aux principes du libéralisme. Cette situation n'est pas incompréhensible. Elle découle, d'une part, du rapport même que Dietze entretient avec l'idéologie libérale et, d'autre part, de son engagement politique aux côtés de Goldwater. La modestie de Dietze est telle, qu'il n'a pas osé paraphraser Kant dans les sous-titres de ses ouvrages majeurs, Reiner Liberalismus (Le libéralisme pur) et Amerikanische Demokratie (La démocratie américaine). Au premier, il aurait parfaitement pu donner le titre de Kritik des reinen Liberalismus (Critique du libéralisme pur); au second, Kritik des praktischen Liberalismus (Critique du libéralisme pratique). Il aurait ainsi imité le grand penseur de Königsberg, avec sa Critique de la raison pure et sa Critique de la raison pratique.
Le titre du livre qui me préoccupe ici, Amerikanische Demokratie, paraphrase pourtant un autre grand théoricien politique, Alexis de Tocqueville, auteur de La démocratie en Amérique. Mais Dietze adopte une perspective critique à l'endroit des idées de Tocqueville. Il cherche à donner d'autres définitions aux concepts. Contrairement à Tocqueville, qui, il y a 150 ans, voulait explorer l'essence de la démocratie à la lumière de la démocratie américaine, Dietze cerne la démocratie américaine en soi, qui, dans la forme qu'elle connaît aujourd'hui, n'existait pas encore vers 1830-40, sa transformation radicale par Andrew Jackson n'en étant qu'à ses premiers balbutiements. La démocratie américaine, explique Dietze, est fondamentalement différente des autres démocraties, ce qui la rend précaire quand elle est imposée à d'autres pays.
La néomanie américaine
Dietze approche son sujet en analysant les phénomènes et les discours de la quotidienneté américaine, de la banalité quotidienne de l'American Way of Life, qui, soutenu par cette bonne conscience typique du «Nouveau Monde», se présente comme une poussée incessante vers la nouveauté (Drang nach dem Neuen), vers tout ce qui est nouveau. Le concept américain de liberté repose sur un fondement problématique: en l'occurrence sur la volonté d'être toujours prêt à réceptionner cette nouveauté. Ensuite, ce concept trouve son apogée dans la notion de Manifest Destiny, du destin et de la mission de l'Amérique, qui est d'apporter cette liberté à tous les autres peuples. Dans la foulée de ses possibilités illimitées, la démocratie américaine n'a pas créé une forme spécifique de libéralisme politique mais des variations libérales toujours changeantes.
Ce type de démocratie a très fortement marqué le peuple américain et, à l'inverse, le peuple a marqué la démocratie américaine. Les origines des Etats-Unis, faites d'émigrations et d'immigrations, se sont transformées en migrations et en vagabondages, en manifestations et en agitations. Le résultat: une absence permanente de racines, qui trouve un parallèle saisissant dans le monde juif toujours dé-localisé (ent-ortet). Cette absence de racines est la condition première de la symbiose actuellement dominante. Contrairement aux symbioses d'antan, cette symbiose actuelle ne présente pas une panoplie de négations qui se combinent utilement à des positions données, mais une gamme de négations qui s'imposent sur la scène publique en se créant du tort les unes aux autres.
Une pulsion jamais assouvie de liberté jouissive
Le pouvoir du peuple en Amérique oscille ainsi de la démocratie élitaire à la démocratie égalitaire, de la démocratie représentative à la démocratie directe, de la démocratie limitée à la démocratie illimitée. Quelle vue d'ensemble cela donne-t-il? Celle d'un «pot-pourri dans le melting pot»; par «melting pot», nous n'entendons pas, ici, le seul mélange des races et des ethnies. Ce jeu chaotique dérive précisément de cette pulsion incessante vers la nouveauté et se maintient par la force intrinsèque dégagée par cette pulsion. Il dérive des droits inaliénables à jouir de la triade life, liberty and pursuit of happiness, d'une liberté toujours plus grande qui se mesure surtout à la possession de biens matériels et à leur jouissance. Dans une telle optique, le pays n'est rien, l'individu est tout.
Ce serait bien là le perpetuum mobile d'un monde totalement immanent, si la pulsion de liberté n'était pas pluri-signifiante et à strates multiples. Dans son analyse, Gottfried Dietze déploie une dialectique de la liberté, où sa position vis-à-vis du libéralisme prend des formes socratiques. En effet, le livre, en de longs passages, se lit comme un dialogue, où chaque facette est opposée à son contraire (son négatif), si bien qu'à la fin, on débouche sur des questions ouvertes.
La pulsion de liberté du libéralisme pur n'est pas seulement dirigée contre les tyrans: elle s'épuise dans la lutte interne de concurrences diverses aux frais des autres. Cela ne nous mène pas seulement à la lutte hobbesienne de tous contre tous, lutte où apparaîtrait juste la crainte de Hegel de voir l'homme considérer qu'une telle liberté autorise et prône le vol, le meurtre et le désordre, mais aussi à une exploitation despotique de la minorité par la majorité, ce qui serait parfaitement conciliable avec le libéralisme, parce qu'il exige plus de liberté pour l'individu sans regard pour les autres.
La transposition de cette émancipation dans le domaine de la libido, comme on a pu l'observer au cours de ces dernières décennies en Amérique, fait que cette pulsion, sans regard pour autrui, qui poursuit sa quête insatiable de bonheur conduit à une «jungle sexuelle» que Hobbes n'avait pas pu imaginer.
Une symbiose entre
Jefferson et Freund
La permissivité engendrée par la lutte concurrentielle outrancière et la multiplication des contacts sexuels, où la question du bien et du mal n'est plus posée, a forgé une symbiose entre Jefferson et Freud, dont les conséquences excessives ne peuvent surgir qu'en Amérique: «Les idées de Freud, telles qu'elles ont été prises en compte et perçues par les Américains, ont complété celles de Jefferson —du moins dans les interprétations qu'elles avaient acquises au cours du temps; elles les ont complétées de façon telle que le pensée libérale ancrée dans ce peuple s'est vue considérablement élargie, s'est apurée à l'extrême et s'est détachée de tout contexte axiologique».
Sur le plan de la liberté, nous apercevons très vite la différence essentielle entre Tocqueville et Dietze. Tocqueville voyait une démocratie américaine liée à l'idée d'égalité, suscitant une tendance générale et progressive à expulser toute notion de liberté. Dietze, au contraire, voit dans la liberté le pôle adverse de la démocratie et de l'égalité; et, pour lui, la liberté est tout aussi illusoire que la démocratie et l'égalité. Ce que Tocqueville craignait jadis, soit de voir advenir une dictature égalitaire de la démocratie, n'a pas eu lieu: la pulsion de liberté s'y est sans cesse heurtée et en a émoussé les contours.
La pulsion de liberté, en tant que fondement ultime du libéralisme à l'américaine, s'est toujours mise en travers de toutes les mesures de contrôle, d'équilibrage et de conservation. Sans ces mesures, le libéralisme devient un mouvement anti-autoritaire. De ce fait, le despotisme de la majorité et le mouvement anti-autoritaire sont les extrêmes du libéralisme pratique, extrêmes qui se rejoignent dans le libéralisme pur. Prenons deux exemples.
Une presse libre qui censure
ce qui ne lui plaît pas
Le premier montre comment l'expression «presse populaire» a acquis un sens ambigu. La presse, qui, à l'origine, était un instrument servant à presser des lettres sur du papier, a fini très vite par presser ses vues dans les cerveaux du peuple, à la manière la plus libérale qui soit: «L'ancienne liberté de presse, soit la liberté de la presse vis-à-vis de toute censure étatique, s'est transformée radicalement: elle est devenue liberté pour la presse de censurer, dénoncer et vilipender l'Etat, des citoyens individuels et des groupes précis de la société d'une manière éhontée, nuisant aux cibles infortunées et profitant à ceux qui usent et abusent de cette liberté. Cette situation s'observe dans tous les pays où la presse est libre mais elle est plus frappante encore aux Etats-Unis, écrit Dietze, le plus libéral des pays».
Le deuxième exemple nous montre les possibilités illimitées que laisse entrevoir le jeu de mot democracy/democrazy, où le «pouvoir du peuple» apparaît comme l'«enfollement du peuple». Dietze souligne à plusieurs reprises que la quintessence de la démocratie américaine ne permet pas de percevoir cet «enfollement» comme une dégénérescence. Car la quintessence de la démocratie américaine, c'est que son libéralisme est réellement sans principes, dépourvu de tout point de référence éthique et de toute forme de responsabilité.
Les déceptions des Européens face à l'extrême versatilité américaine ne sont dès lors pas convaincantes: «Vu d'Amérique, vu du lieu où se bousculent toutes les variantes et variations du libéralisme, il ne peut guère y avoir de déceptions nées du spectacle et du constat de comportements instables, du va-et-vient de la politique américaine. On ne peut être déçu que lorsque quelque chose évolue d'une façon autre, pire, que ce que l'on avait prévu. Mais, dans la démocratie américaine, qui se rapproche plus du libéralisme pur que n'importe quelle autre démocratie, on ne doit guère s'attendre à une politique constante. Toute constance y disparaît sous la pression des souhaits et des désirs des individus et du peuple, mus par l'humeur du moment».
Anarchie et volonté de simplification outrancière
Au point culminant de ses analyses enjouées et sans pitié, qui rappellent celles de Machiavel, Dietze cite le poète irlandais William Butler Yeats: «Things fall apart; the center cannot hold; Mere anarchy is loosed upon the world» («Les choses se disloquent; le centre ne maintient plus rien; une anarchie brute envahit le monde»). Pour Dietze, Yeats, dans cette phrase résume l'essence du libéralisme pur. Quand cette situation d'anarchie est atteinte, toute dialectique de liberté prend fin.
Dietze explique ensuite le processus dans son moteur intime et profond: «Bien des signes nous l'indiquent: la complexité croissante de la vie a éveillé une nostalgie du simple, du pur, avec des simplifications outrancières, si bien que la démocratie n'apparaît même plus comme une forme politique dans le sens où l'entendaient Locke ou Rousseau mais bien plutôt comme l'entendait Bakounine». La démocratie à l'américaine est le catalyseur de ce courant sous-jacent fondamental: «Sans doute, très probablement, les évolutions du Nouveau Monde, avec la pulsion constante de changement qui règne là-bas, ont accéléré le processus. Car l'américanisation du monde est un fait que l'on ne saurait ignorer en ce siècle, que les Américains déclarent être le leur, même si le rêve d'une pax americana est passé depuis longtemps».
La question finale que pose le livre de Dietze est la suivante: «Qu'adviendra-t-il de l'Amérique et de l'américanisme? Il faut attendre. L'avenir nous le dira». Question rhétorique ou question macabre? Dietze prononce des vérités que l'on n'aime guère entendre dans la République de Bonn, où l'on considère la démocratie à l'américaine comme une sotériologie, pour ne pas dire comme une vache sacrée, alors que cette démocratie a été instaurée en RFA comme un système provisoire mais qu'on s'est habitué à considérer comme définitif. Ce sont des vérités que l'on n'aime guère entendre parce qu'elles sonnent justes. On préfère se boucher les oreilles.
Après la révolution populaire allemande de RDA, qui fait apparaître la démocratie de Bonn pour ce qu'elle est vraiment, soit un système provisoire, et la remet en question, il n'est pourtant plus possible de se boucher les oreilles. Les Allemands devront, en opérant la synthèse de leurs divers systèmes politiques actuels, trouver une réponse adéquate, adaptée à leur histoire, pour dépasser le système de la démocratie à l'américaine.
Hans-Dietrich SANDER.
(recension parue dans Staatsbriefe 1/1990; adresse: Castel del Monte Verlag, Türkenstr. 57, D-8000 München 40).
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dimanche, 27 décembre 2009
La fallacieuse théorie du libre échange et la diabolisation du protectionnisme
La fallacieuse théorie du libre échange et la diabolisation du protectionnisme
Avec l’aimable autorisation de Polémia [1].
Le modèle de la théorie des coûts comparés de Ricardo, décrit en 1817, dans son ouvrage On the principles of Political Economy repose sur une hypothèse essentielle, à savoir que la structure des coûts comparatifs dans les divers pays reste invariable au cours du temps. Or, il n’en est ainsi que dans le cas des ressources naturelles. Ainsi, par rapport à l’Europe occidentale, les pays producteurs de pétrole disposent d’un avantage comparatif qui restera le même dans un avenir prévisible. De même, les produits tropicaux ont un avantage comparatif qui ne saurait disparaître.
La théorie des coûts comparés est fondée sur l’immobilité des facteurs de production
En revanche, dans le domaine industriel, aucun avantage comparatif ne saurait être considéré comme permanent. Chaque pays aspire légitimement à rendre ses industries plus efficaces et il est souhaitable qu’il puisse y réussir. Il résulte de là que l’arrêt de certaines activités dans un pays développé, en raison des désavantages relatifs d’aujourd’hui, pourra se révéler demain complètement stupide, dès lors que ces désavantages relatifs disparaîtront. Il faudrait alors rétablir ces industries, mais entre-temps on aura perdu le savoir-faire.
Voir : Les théories de la mondialité par Gérard Dussouy
http://www.polemia.com/article.php?id=2347 [2]
La théorie de Ricardo ne vaut que dans un monde stable et figé. Elle n’est pas valable dans un monde dynamique, où les fonctions de production et les salaires évoluent au cours du temps, où les capitaux peuvent se déplacer librement et où les industries peuvent être délocalisées.
Selon la théorie de Ricardo, le libre échange n’est justifié que si les taux de change correspondent à l’équilibre des balances commerciales. Or, c’est l’importance des flux financiers spéculatifs et des mouvements de capitaux qui expliquent l’extraordinaire instabilité des cours du dollar, du yen ou de l’euro. La prétendue régulation par les taux de change flottants des balances commerciales n’a donc aucune signification aujourd’hui.
Or capital et main d’œuvre sont de plus en plus mobiles
De tous les dogmes économiques, le libre-échange est celui sur lequel les néo-libéraux sont le plus intraitables. Formulé il y a presque deux siècles dans le contexte théorique de l’immobilité des facteurs de production (capital et travail) et de la division internationale du travail, il est toujours présenté comme le nec plus ultra de la modernité, et comme la recette du développement et de la croissance. Ses hérauts ont réussi le tour de force de le pérenniser dans un contexte exactement contraire à celui de sa conception : aujourd’hui, le capital ne connaît plus aucune entrave à sa circulation internationale et la main d’œuvre devient, elle aussi, de plus en plus mobile. Quant à la division internationale du travail, elle appartient au passé, avec la multiplication des entreprises mettant en œuvre des technologies de pointe dans les pays à bas salaires. L’économie mondiale est devenue un bateau ivre, sans gouvernail.
La réalité disqualifie intellectuellement le libre-échangisme
Voilà qui devrait disqualifier intellectuellement le libre-échangisme. Il n’en est rien. Il constitue, bien au contraire, le soubassement même de l’Union européenne, qui fait de la libre circulation des capitaux, des biens et des services trois de ses libertés fondamentales, la quatrième étant celle de la circulation des personnes.
Il est assez cocasse de remarquer que les Américains eux-mêmes, en la personne de Paul Volcker, ancien Président de la Federal Reserve Bank, dans un livre commun avec Toyoo Gyothen, ancien Ministre des Finances au Japon, ont reconnu que la théorie des avantages comparatifs perdait toute signification lorsque les taux de change pouvaient varier de 50% ou même davantage (1). Une forte dévaluation du dollar de 20% ou plus qui équivaut à une barrière douanière protectrice pour les pays qui appartiennent à la zone dollar est un énorme coup de canif aux principes du libre échange..
De Friedrich List à Paul Bairoch
Friedrich List, en 1840, expliqua qu’il fallait protéger les industries naissantes en Allemagne face à la concurrence sans merci des pays industriels les plus avancés : « Toute nation qui, par des tarifs douaniers protecteurs et des restrictions sur la navigation, a élevé sa puissance manufacturière et navale à un degré de développement tel qu’aucune autre nation n’est en mesure de soutenir une concurrence libre avec elle ne peut rien faire de plus judicieux que de larguer ces échelles qui ont fait sa grandeur, de prêcher aux autres nations les bénéfices du libre échange, et de déclarer sur le ton d’un pénitent qu’elle s’était jusqu’alors fourvoyée dans les chemins de l’erreur et qu’elle a maintenant, pour la première fois réussi à dénouer la vérité ».
Paul Bairoch, professeur à l’Université de Genève, a également montré que la croissance économique dans la période 1870-1940, fut largement liée au protectionnisme. Paul Bairoch a publié, en 1994, une étude sur les Mythes et Paradoxes de l’histoire économique (2). Il écrit : « On aurait du mal à trouver des exemples de faits en contradiction plus flagrante avec la théorie dominante qui veut que le protectionnisme ait un impact négatif, tout au moins dans l’histoire économique du XIXe siècle. Le protectionnisme a toujours coïncidé dans le temps avec l’industrialisation et le développement économique, s’il n’en est pas à l’origine. » Bairoch montre notamment que le protectionnisme ne fut pas la cause, mais bien la conséquence du krach de Wall Street en octobre 1929. A partir de séries statistiques s’étalant de 1800 à 1990, il explique que le monde développé du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, à l’exception de quelques brèves périodes, tira son expansion économique de politiques très majoritairement protectionnistes, mais que, en revanche, il imposa le libéralisme aux pays qui allaient devenir le tiers monde, à l’Inde en particulier. Ni le Royaume-Uni, ni la France, ni la Corée, ni le Japon, ni la Prusse n’ont acquis leur puissance industrielle en respectant la loi des avantages comparatifs de David Ricardo.
La croissance dopée par les droits de douane
Cette approche a même donné naissance au « paradoxe de la croissance dopée par les droits de douane » (Tariff-growth paradox). Il est en effet établi, pour le XIXe siècle comme pour une bonne partie du XXe siècle, que la croissance est en relation inverse avec le degré d’ouverture du commerce international (3).
Les « nouveaux pays industrialisés » d’Asie démontrent également l’importance du protectionnisme. Une étude, publiée par l’université Harvard, souligne qu’il peut, tout autant que le libre-échange, générer une forte croissance économique (4). Ainsi, alors que le discours dominant du journalisme économique proclame depuis deux décennies que le protectionnisme est le mal absolu, les travaux scientifiques les plus récents aboutissent à un résultat inverse. Il y a donc discordance entre les discours économiques médiatiques et le discours scientifique.
Droits de douane et protection de l’environnement
Par ailleurs la libéralisation des échanges est loin de produire les gains espérés (5). Elle engendre des coûts qui ne sont pas pris en compte dans les modèles utilisés par les organisations internationales. Son bilan économique, hors même tout jugement social, est bien plus sombre qu’on ne l’affirme. Les droits de douane par exemple contribuent à défendre l’environnement en diminuant les quantités de CO2 engendrées par les périples de la mondialisation. Avant de venir garnir les linéaires des grandes surfaces en Écosse, les crevettes « pêchées in Scotland » de la société Young’s Sea Food effectuent 27000 km aller retour avec le Bengla Desh pour être simplement décortiquées dans ce pays à bas coût de main d’œuvre ! (6)
Les États-Unis, une nation longtemps protectionniste…
Si l’on regarde l’histoire économique des États-Unis, depuis leur création, il n’y a pas eu de nation plus protectionniste que les États-Unis ! On a dit d’Alexander Hamilton, dès la création des États-Unis, qu’il était un autre Colbert. La guerre de sécession opposait le Nord industriel protectionniste au Sud agricole libre-échangiste (7). Le paroxysme du protectionnisme fut atteint en 1930 avec la loi Smoot-Hawley qui imposait des droits de douane record aux importations. De leur origine jusqu’aux années 1930, les États-Unis pratiquèrent donc un protectionnisme virulent avec des tarifs douaniers de l’ordre de 50% ; c’est avec cette stratégie qu’ils connurent le taux de croissance le plus élevé du monde et accédèrent au leadership mondial.
…Devenue libre-échangiste en 1945
Ce n’est que depuis 1945, sous la pression des Etats-Unis y trouvant leur intérêt, qu’une véritable pensée unique s’est mise en place : seul le libre échange absolu serait conforme à la rationalité économique. Toute autre analyse relève d’une pensée pré-scientifique et ne peut que susciter la commisération des gens compétents (8). Par ailleurs le pays qui s’est fait le soudain héraut du libre-échange le bafoue sans vergogne s’il n’y trouve plus avantage. Il y a fort à parier, avec une balance commerciale déjà déficitaire en 2006 de 763 milliards de dollars dont 232 milliards de dollars avec la Chine, que les mesures protectionnistes du Congrès américain vis-à-vis des importations chinoises vont se multiplier et prendre de plus en plus d’ampleur, malgré les digues de l’OMC.
Les Européens, en tant que consommateurs, peuvent acheter des produits de Chine ou d’Inde meilleur marché. Mais pour ces consommateurs, la contrepartie réelle de ces importations à bas prix est finalement la perte et la précarité de leur emploi ou la baisse de leurs salaires, ainsi que des prélèvements accrus pour couvrir le coût social du chômage. Les importations de biens de consommation en Europe augmentent d’une façon structurelle plus vite que les productions nationales menant le plus souvent à leur disparition.
Vers un protectionnisme européen ?
Emmanuel Todd a donc entièrement raison lorsqu’il a pu dire en décembre 2006 : « Je suis arrivé à la conclusion, il y a quelques années, que le protectionnisme était la seule conception possible et, dans un second temps, que la seule bonne échelle d’application du protectionnisme était l’Europe ». Mais là encore les médias et les moutons de panurge européens attendent que les États-Unis virent de bord à nouveau vers le protectionnisme, pour avoir enfin bonne conscience, voir les réalités en face et proclamer avec force leurs nouvelles certitudes d’une préférence communautaire qu’ils n’osent même pas évoquer à l’heure actuelle ! La forteresse Europe ne semble pouvoir être construite qu’à la remorque de « Fortress USA ». Ulysses Grant, Président des États-Unis de 1868 à 1876, a pu dire, avec un grand sentiment prémonitoire : « Pendant des siècles, l’Angleterre s’est appuyée sur la protection, l’a pratiquée jusqu’à ses plus extrêmes limites et en a obtenu des résultats satisfaisants. Après deux siècles, elle a jugé commode d’adopter le libre échange, car elle pense que la protection n’a plus rien à lui offrir. Eh bien, Messieurs, la connaissance que j’ai de notre pays me conduit à penser que dans moins de deux cent ans, lorsque l’Amérique aura tiré de la protection tout ce qu’elle a à offrir, elle adoptera le libre échange ».
En finir avec les bobards libre-échangistes !
Alors que cela est inexact, un très grand nombre d’Européens, crétinisés par les lieux communs médiatiques, établissent très souvent la comparaison avec la ligne Maginot, croyant ainsi mettre brillamment et très rapidement un terme aux discussions avec leur interlocuteur, essayant de lui faire comprendre que la messe est dite ! Or, à la réflexion, la ligne Maginot en mai 1940 a parfaitement joué son rôle, car la seule véritable erreur a été de faire sur le plan militaire le même pêché de naïveté qu’aujourd’hui sur le plan économique, à savoir de respecter la neutralité de la Belgique, tout comme l’on respecte aujourd’hui les bobards libre-échangistes, et de ne pas en achever la construction jusqu’à Dunkerque, dont l’équivalent économique actuel serait le rétablissement de la préférence communautaire ! L’Allemagne avait aussi sa ligne Maginot, la ligne Siegfried, qui a parfaitement joué son rôle fin 1944- début 1945 !
Marc Rousset – 15/12/2009 – Auteur de la Nouvelle Europe Paris Berlin Moscou, Godefroy de Bouillon, 538 p., 2009
Notes :
1) Paul Volcker et Toyoo Gyohten – Changing Fortunes – NY, Random House-1992-p293
2) Paul Bairoch – Mythes et Paradoxes de l’histoire économique – Editions La découverte, 1994, p.80
3) Kevin H. O’Rourke – Tariffs and growth in the late 19th century – Economic Journal, vol.110, n°3, Londres, avril 2000
4) Michael A. Clemens et Jeffrey G. Williamson – A tariff-growth paradox ? Protection’s impact in the world around 1875-1997 – Center for International Development – Université Harvard- Cambridge-Mass-août 2001
5) Franck Ackerman – The shrinking gains from trade : a critical assessment of Doha round projections – Global Development and Environment Institute – document de travail n° 05-01, Université Tufts-Medford (Mass)- octobre 2005
6) Thierry Fabre – L’incroyable parcours des produits « made in monde » – Capital – Mars 2007, pp 76-79
7) André Philip – Histoire des faits économiques et sociaux – Aubier-1963 – pp 142 – 146
8) Marc Rousset – Les Euroricains – Chapitre XX – Non au libre échange mondialiste – Godefroy de Bouillon -2001- pp.186 – 199
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samedi, 19 décembre 2009
Annotation sur le "Travailleur"
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995
Annotation sur le «Travailleur»
Dr. Karlheinz WEISSMANN
Ernst Jünger a toujours voulu que l'on inclue son Travailleur dans l'édition de ses œuvres complètes, surtout contre les “bien-pensants” qui l'exhortaient à prendre distance à l'endroit de ce “faux-pas” littéraire. Déjà dans une “Troisième lettres aux amis”, datée du 1er septembre 1946, Jünger insistait: il ne reniait rien de son œuvre, celle-ci devait être considérée comme un tout; il ne prenait ses distances d'aucun fragment de ce travail. Le rapport qui existe entre des écrits tels La mobilisation totale ou Le Travailleur, d'une part, et d'autres tels Jardins et Routes, est comparable à celui qui unit l'Ancien et le Nouveau Testament. Plus tard, il a répété cette formule de l'Ancien et du Nouveau Testament, mais cela ne nous dit rien de clair, finalement, sur la valeur qu'il faut attribuer actuellement aux premiers écrits de Jünger. La seconde version du Cœur aventureux déjà, la décision de publier en 1934 une édition des œuvres complètes mais sans les textes nationalistes du début des années 20 ensuite, signale la volonté de Jünger de marquer une césure entre la partie purement politique de ses premiers écrits et ses livres ultérieurs. Mais il fit tout de même une exception de taille: les deux ouvrages que nous venons de mentionner, La Mobilisation totale et Le Travailleur. Mais au prix d'une interprétation qui rend presque méconnaissable l'intention initiale. Voilà pourquoi il m'apparaît opportun de poser une nouvelle fois la question: quelle est l'“assise dans la vie” que possèdent ces textes? Ce qui doit nous permettre de tourner notre regard vers un fragment de l'histoire des impacts obtenus par ses livres-clefs, histoire au demeurant peu connue, mais ô combien instructive et éclairante.
La Mobilisation totale et Le Travailleur étaient tous deux des livres apocalyptiques. Depuis le début des années 30 la crise s'accentuait considérablement en Allemagne; simultanément augmentait le besoin de “grandes solutions”. Les modèles technocratiques, les “Plans” de réorganisation de l'Etat et de la société bénéficiait d'une incontestable conjoncture, puisque le jeu libre des libéraux, en politique comme en économie, avait incontestablement failli. Pour les extrémistes de gauche, le modèle était les plans quinquennaux soviétiques, tandis qu'une fraction des économistes professionnels autour de John M. Keynes imaginait une politique interventionniste du plein-emploi. Enfin, des cercles de non-conformistes, où se rencontraient, pour échanger des idées, hommes de gauche et de droite, libéraux, sociaux-démocrates, des banquiers, des conservateurs et des nationaux-socialistes. Ces idées ont trouvé une écho dans le fameux “Plan WTB” (d'après les noms de ses inventeurs: Wladimir Woytinski, Karl Baade et Fritz Tarnow), édité par la fédération des syndicats (Gewerkschaftsbund), de même que dans le Wirtschaftliches Sofortprogramm der NSDAP (= “Programme économique tout-de-suite de la NSDAP”) de Gregor Strasser ou dans le Sofortprogramm de Günther Gereke qui devint par la suite Commissaire du Reich pour la politique de l'emploi dans le Cabinet von Schleicher. En lançant son appel à la “nostalgie anti-capitaliste”, Strasser a pu transformer en triomphe pour la NSDAP les élections de juillet 1932; ailleurs, le Président de l'ADGB, Theodor Leipart, tentait de rassembler tous les partisans de l'autarcie nationale, qui voulaient délivrer les syndicats libres du carcan de la SPD. Dans son célèbre discours de Bernau, le 14 octobre 1932, Leipart expliquait que la tâche du travailleur était de se mettre au service de son peuple; il évoquait l'«esprit soldatique de l'imbrication dans le Tout et du don de soi au Tout», qui devait animer le prolétariat dans l'avenir.
On peut avancer la thèse que Leipart a été inspiré par Le Travailleur de Jünger. A une époque aussi chaotique, les ennemis d'hier se rassemblent dans de nouveaux groupements: Le Travailleur avait incontestablement touché une corde sensible dans l'air du temps. Mais ce livre mythique et apocalyptique a également suscité une série d'incompréhensions. Les uns considéraient Le Travailleur comme un ouvrage “bolchévique”, d'autres y voyaient le résultat d'un culte impolitique de la technique, d'autres encore en interprétaient le contenu comme l'expression d'une philosophie nihiliste, née sous la pression des faits. Ce sont précisément les admirateurs de Jünger dans les ligues de jeunesse nationales-révolutionnaires et le mouvement Widerstand d'Ernst Niekisch qui se sont sentis interpellés et irrités. Une irritation qui s'est encore accrue quand Jünger, sans ambages, accepte la modernité et insiste sur le rapport unissant la “mobilisation allemande” et la “domination planétaire du Travailleur”. Si Jünger a voulu faire du Travailleur un écrit programmatique du “nouveau nationalisme”, alors il n'a pas été compris de son public ou n'a été accepté qu'avec réserve. En 1933, les dernières possibilités d'organiser des discussions fructueuses disparaissent.
Mais, dans l'Allemagne nationale-socialiste, on comptait un petit nombre d'admirateurs de Jünger qui considéraient toujours que Le Travailleur était un manifeste et, en même temps, un manuel de politique pratique. Ce groupe se rassemble dans les années 30 autour de Meinhard Sild et Edgar Traugott. Tous deux appartenaient à la NSDAP clandestine d'Autriche et sont passés à la SS après l'Anschluß. Pourtant leurs idées étaient en ultime analyse bien différentes des directives principales qu'énonçaient les idéologues officiels de la NSDAP. Ils s'étaient doter d'un petit forum dans la revue Zeitgeschichte. La couverture de cette publication présentait un aigle et un serpent, les animaux du Zarathoustra de Nietzsche; la tonalité des articles et des poèmes publiés était franchement nietzschéenne. Ensuite, les jeunes hommes rassemblés autour de Sild et de Traugott se sentaient fidèles à un “socialisme” qui, tout-à-fait dans le sens du Travailleur de Jünger, voulait organiser la “mise au travail totale” et élever l'Allemagne au rang d'une puissance capable “d'intervenir de la façon la plus vigoureuse qui soit dans les rapports de force régissant le monde”. Pour eux, il ne s'agissait nullement de “totalitarisme” ou d'une justification folciste (= völkisch) des guerres pour l'espace vital: mais bien plutôt des effets de cette logique froide qui a tant fasciné Jünger lui-même. Traugott et Sild, à leur façon, tirent les leçons du “réalisme héroïque”, dont ils attendent qu'il “compénètre totalement le monde d'esprit guerrier, de réalisme et de paganisme”. Dans l'état actuel des recherches, on ne peut pas affirmer exactement quelle a été la nature du rapport entre Jünger, d'une part, et Traugott et Sild, d'autre part. Quoi qu'il en soit, leurs idées se sont différenciés dès que la guerre a éclaté. Sild a encore patronné l'édition de campagne de Feuer und Blut en 1941, mais déjà dans un article de juin 1939 pour les Nationalsozialistische Monatshefte, il exprime ses réserves quant à l'amitié qui lie Jünger au dessinateur Alfred Kubin, qui plonge son regard dans les abîmes les plus glauques de l'âme humaine et que Jünger considérait comme un “frère en esprit”. Cette amitié ne correspondait pas à ce que l'on attendait de Jünger, en qui on voyait, à l'époque, le “type même de l'activiste technique et le chef efficace”. La version finale des Falaises de marbre était, elle aussi, en contradiction avec cette image que l'on se faisait de Jünger. Traugott a consacré une longue recension à ce livre, dès sa parution, dans les colonnes de Zeitgeschichte: il y louait les qualités littéraires, tout en indiquant clairement ce qui le séparait de l'auteur. L'essai de Traugott, paru en 1941, Von der Führung (= Du Commandement) ne contient plus aucune allusion à Jünger; le contenu de cet ouvrage s'aligne largement sur l'orthodoxie nationale-socialiste.
Tout ce que je viens d'écrire sur le groupe rassemblé autour de Traugott et Sild permet de comprendre le Jünger “politique”. L'engagement de Jünger dans les années 20 n'a pas été une marotte: sans aucun doute, il a appartenu aux têtes pensantes de la droite révolutionnaire allemande. Mais sa participation au débat politique n'autorise aucune simplification extrême, comme celles de l'historiographie boîteuse qui se pare du label d'“antifascisme”, en répétant ses arguments à satiété. Jünger était un nationaliste à l'époque mais il a toujours été plus que cela. Mais, après avoir écrit Le Travailleur, il tire une conclusion: la politique n'est qu'un phénomène superficiel qui n'influe en rien sur les processus titaniques à l'œuvre dans notre monde; Jünger n'a pas voulu s'exposer aux coups de cette “titanisation”, parce qu'il la croyait inévitable. Cette attitude est sans doute le résultat d'un moment de faiblesse, mais elle est aussi empreinte de sagesse. Car l'un des messages les plus forts de Jünger demeure le suivant: il est bon “de deviner que derrière les excès de dynamisme de notre temps se trouve caché un centre immobile”.
Dr. Karlheinz WEISSMANN.
(article paru dans Junge Freiheit, n°12/95; trad. franç.: Robert Steuckers).
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lundi, 14 décembre 2009
Les thèses de Zeev Sternhell sur le fascisme français
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1985
Les thèses de Zeev Sternhell sur le fascisme français
par Robert STEUCKERS
Qui est Zeev Sternhell? Un historien israëlien, membre du Parti Travailliste de son pays et partisan du dialogue avec les Palestiniens. Son œuvre, constituée jusqu'ici de trois ouvrages majeurs (1), a pris pour thème principal l'histoire du fascisme français, perçue essentiellement sous l'angle de l'évolution des idées. Pour Sternhell, le fascisme français est un fascisme plus pur que ses équivalents italien ou allemand, pour ne parler que des "fascismes" (mes guillemets ne sont pas innocents, ici) les plus notoires. Il est plus pur car ses diverses composantes se distinguent bien clairement du reste des idéologies politiques du XIXème et du XXème siècles. Un autre grand explorateur du fascisme, l'Allemand Ernst Nolte, avait pris pour objets de ses investigations, le national-socialisme hitlérien, le fascisme mussolinien et l'Action Française de Maurras. Ce n'est pas cette dernière que Sternhell examine. Il ne réduit pas le phénomène fasciste français à la geste de Maurras, de son groupe et de son quotidien. Le phénomène est beaucoup plus complexe que cela. Beaucoup plus diversifié aussi. Certes, les interprétations de Sternhell ne sont pas exemptes de défauts et nous reviendrons, en fin d'exposé, sur quelques lacunes ou quelques omissions.
Je crois que l'œuvre de Sternhell doit ici être placée dans le contexte du XIXème siècle, qu'elle expose par ailleurs si brillament. Nous vivons aujourd'hui la fin des grandes idéologies. Peu nombreux sont ceux qui croient encore au démocratisme chrétien ou au traditionalisme catholique des ultramontains du siècle dernier, au libéralisme manchesterien qui revient un peu à la mode, au socialisme caricaturé par les médiocrités sociales-démocrates qui sont au marxisme ce qu'un misérable journaliste d'une quelconque feuille démocrate-chrétienne est à Thomas d'Aquin. Personne, en tout cas, n'est prêt à sacrifier sa vie, à donner des heures, des jours voire des semaines de militantisme pour ces vieilleries poussiéreuses.
Nous n'avons pas réalisé les espoirs du XIXème siècle, ce siècle où les idées ont fusé, où elles ont mobilisé savants et militants, où on est mort pour elles. Il faut se replonger dans ce XIXème siècle où l'on a jeté les bases des sciences humaines ou exactes les plus diverses. Sans son avidité pour le savoir humain, pas de sociologie, sans un Darwin, pas de biologie moderne, sans une myriade de savants, pas de psychologie, sans Mendeleïev, pas de chimie, sans Bopp, pas de linguistique moderne. La liste est longue. Ce que nous n'avons pas réussi, c'est à créer une nouvelle politique, tenant compte de ces acquis scientifiques, de ces connaissances nouvelles. Le XXème siècle reste, politiquement parlant, en-deçà des connaissances globales que nous possédons depuis une centaine d'années. Il n'est parvenu qu'à neutraliser les défis contenus dans les sciences humaines et exactes nées au cours du XIXème. Nous vivons aujourd'hui cette cassure, ce chiasme qui nous conduit chaque jour davantage sur la piste du déclin. Quelles que soient d'ailleurs nos options, révolutionnaires ou conservatrices. Les conservateurs peuvent puiser des arguments terriblement efficaces dans les découvertes des archéologues ou des linguistes, des philologues ou des historiens du XIXème. Les révolutionnaires tout autant. Un Julius Evola ne serait pas arrivé à ses conclusions sans les travaux d'un Bachofen ou d'un Fustel de Coulanges, sans un Cumont ou un Rohde, sans les acquis de la philologie latine. Marx, et surtout Engels, sont, eux aussi, les fils spirituels de ce XIXème. L'héritage darwinien est présent chez eux. Toute leur critique dirigée contre le phénomène religieux dérive des historiens des religions du XIXème. Toute la théorie d'Engels sur les origines de la famille et de l'Etat provient d'une lecture plus qu'attentive de Bachofen et de Morgan.
Mais nous, nous sommes les enfants de l'oubli; les enfants adoptés par une Amérique sans histoire mais affligée de beaucoup de vices. Celui de la gaminerie en tête. Celui de la haine de l'intellect, de la haine des souvenirs ensuite. Le personnel politique dont nous subissons la médiocrité intellectuelle et la vulgarité est aussi un résultat, navrant, de cet oubli.
Mais revenons à Sternhell.
Une question essentielle doit être posée et c'est celle que nous pose son œuvre: quels sont les fondements du fascisme français, quelles sont les racines, au XIXème siècle, de ces fondements?
C'est la question centrale à laquelle son livre La Droite révolutionnaire tente de répondre. Sternhell voit cinq composantes dans le fascisme français. Passons-les en revue.
1. Le Boulangisme:
Le substantif "boulangisme" dérive du nom du Général Boulanger. Ce personnage de la vie politique française émerge après les événements tragiques de 1871, la défaite de l'Empire de Napoléon III sous les coups de la nouvelle Allemagne de Bismarck et les tueries sanglantes de la Commune. La gauche parisienne, la plus combative d'antan, a été écrasée sous la mitraille des Versaillais. Les partis de gauche ont perdu leurs meilleurs hommes dans cette effroyable tourmente. Les réparations exigées par l'Allemagne sont énormes. L'économie française ne s'en porte forcément pas bien. Une agitation sociale voit le jour; des grèves éclatent. Boulanger apparaît comme une figure salvatrice. Ce général, non issu des milieux de gauche par la force des choses, attire à lui un très grand nombre d'électeurs socialistes. Son programme de justice sociale, couplé à un charisme évident et à un nationalisme qui réclame le retour de l'Alsace à la "patrie française", lui assure un inconstestable succès électoral. Ces succès, il les enregistre précisément dans les cantons où la gauche, traditionnellement, encaissait le plus de suffrages.
De cette aventure boulangiste, Sternhell retient surtout que les masses sont friandes de deux choses: un socialisme concret, pas trop abstrait, pas trop bavard, pas trop théorique et un nationalisme volontaire car elles savent instinctivement, qu'au fond, société et nation sont quasi identiques. Que ce sont des valeurs collectives et non individualistes.L'ennemi, pour ces masses parisiennes, c'est la classe qui a pour philosophie le libéralisme et l'individualisme, donc l'égoïsme, et qui met cette philosophie en pratique, avec, pour corollaire, les résultats sociaux désastreux dont la classe ouvrière se souvient encore.
2. L'antisémitisme de gauche et le "racisme":
Qu'est-ce que l'antisémitisme de gauche? Il est, à mes yeux, difficile à cerner pour la simple et bonne raison qu'il participe de la lutte contre les religions qu'ont décrétée les libertaires, les socialistes et les révolutionnaires depuis la fin du XVIIIème siècle. La religion chrétienne d'Europe dérivant d'une matrice proche-orientale, on rejettera tout ce qui procède de cette matrice pour renouer avec un héritage refoulé, que redécouvre la philologie en plein essor. Cet héritage, ce sont les antiquités grecque et latine, les patrimoines celte, germanique et slave dans les pays qui n’ont jamais été soumis aux aigles romaines. Les socialistes danois et allemands du Nord redécouvrent ainsi les traditions vikings. Ce recours aux racines a également une fonction politique indéniable: celle d'arracher au clergé le monopole de la culture, puisque le clergé, surtout dans les pays catholiques, constitue le bouclier intellectuel des classes dominantes.
a) Blanqui, Toussenel, Tridon:
Dans cet univers très diversifié à l'échelle européenne, une figure sort des rangs en France: celle d'Auguste Blanqui.Fondateur du cercle "Les Amis du Peuple", Auguste Blanqui incarne ce que l'on pourrait appeller un "élitisme révolutionnaire". Il a presque passé la moitié de sa vie en prison et tirait de cette expérience une fierté, un orgueil indéniables. Proches de lui, évoluaient deux antisémites: Toussenel et Tridon. Ces écrivains parlaient du "molochisme juif" et expliquaient que la religion biblique dérivait du culte de Baal-Moloch et que Yahvé en était un avatar ultérieur. L'Allemand Georg Friedrich Daumer, un grand oublié du XIXème (2), avait élaboré cette théorie du "molochisme juif" dès 1842. Marx a lu cet ouvrage, dérivé des découvertes philologiques de l'orientaliste Johann Arnold Kanne. Klages en a retenu l'essentiel et Ludwig Feuerbach comptait Daumer parmi ses amis. Le socialiste belge Edmond Picard en reparlera dans un pamphlet antisémite (3), distribué par la social-démocratie en Belgique.
La gauche la plus radicale de cette époque reproche dès lors aux religions orientales, et donc au christianisme qui a fait souche en Europe, de dériver d'un culte dont l'axe central est le sacrifice humain. Ce faisant, cette gauche révolutionnaire procède à une analogie entre le capitalisme, assimilé au fait juif chez Toussenel et Tridon, et le Baal-Moloch dévoreur de chair humaine (4). Le capitalisme, comme l'idole proche-orientale, dévore des énergies avant que celles-ci ne puissent donner la pleine mesure de leurs potentialités. Tel est donc le mécanisme de pensée que la théorie, purement philologique de Daumer, injecte volens nolens dans les slogans du socialisme blanquiste. Comment en est-on arrivé à ce glissement, aux possibles effrayants? Il faudra que les recherches parviennent à déterminer si, oui ou non, Toussenel et Tridon ont lu Daumer, des traductions partielles de son œuvre ou de la littérature secondaire concernant ses thèses. Quoi qu'il en soit, les bases d'un antisémitisme populaire sont jetées. Elles se greffent sur un réflexe d'hostilité religieuse, de haine de classe et d'analogies hâtives. Dans la naissance de cet idéologème antisémite, un peu oublié de nos jours, la philologie, comme toujours au XIXème siècle, joue un rôle primordial.
L'anticapitalisme est couplé à un antisémitisme, basé, lui, sur une interprétation de nature philologique qui implique le refus d'un héritage "étranger".
b) Vacher de Lapouge et le "mythe aryen":
L'antisémitisme de gauche se retrouve chez Vacher de Lapouge. Formé à une école marxiste, le noyau central de l'idéologie de Vacher de Lapouge est constitué par un refus de l'individualisme et une adhésion aux théories déterministes, véhiculées par le matérialisme philosophique de l'époque. Les hommes, dans cette optique, sont non seulement déterminés par leur situation socio-économique mais aussi par leur biologie, par leur race. Telle est la démarche de Vacher de Lapouge. Son matérialisme philosophique l'induit à postuler un matérialisme biologique. Dans son livre principal, L'Aryen et son rôle social (5), il mêle marxisme et darwinisme, parle de lutte des races (superposée bien évidemment à la lutte des classes). August Strindberg, le grand dramaturge suédois, socialiste et anarchiste à sa façon, mettra en scène une intuition du même genre dans Mademoiselle Julie (Fröken Julie ). Fröken Julie, fille de la bonne bourgeoisie suédoise est séduite par son domestique, brute d'une vitalité débordante. Ce dernier prend la place d'un fils de bourgeois qui, normalement, aurait dû initier Fröken Julie à la sexualité. La lutte des classes est envisagée ici sous l'angle de la biologie et de la sexualité. Lecteur de Darwin, de Marx, de Schopenhauer et de Nietzsche, Strindberg réalise une synthèse que le XXème siècle n'est sans doute plus capable de faire, malgré un David Herbert Lawrence (même problématique dans L'Amant de Lady Chatterley ) ou un Rozanov (6).
Vacher de Lapouge renoue également avec une tradition plus ancienne, encore toute empreinte des délicatesses du XVIIIème, la tradition gobinienne. Gobineau, qui se déclarait Normand et, par conséquent, descendant des Vikings danois qui s'emparèrent, avec leur Jarl Rollon, de la Normandie au Xème siècle, voyait dans les Nordiques, les Germains, les peuples qui avaient enrichi l'Europe entière, apportant, outre leur sang, jugé plus "pur", leur sens de l'organisation et leurs qualités guerrières. Le drame du monde contemporain, c'est de ne pas cultiver cet héritage, de faire fi de cette qualité raciale et d'inconsciemment enclencher un processus de dénordicisation. Si les théoriciens racistes allemands, britanniques et américains (7) reprendront à la lettre cette thèse et lui donneront une ampleur considérable, n'allons surtout pas croire qu'en tant que Français, Gobineau constitue une exception. Le "mythe nordique", avant de partir à la conquête des pays anglo-saxons et germaniques, fut une idée bien française. Au début du siècle, Madame de Staël s'était enthousiasmée pour l'Allemagne des poètes et des penseurs et le XVIIIème siècle avait connu l'engouement pour l'Angleterre, surtout chez un Montesquieu. Le Professeur André Devyver, de l'Université de Bruxelles, a consacré, en 1973, un ouvrage de 608 pages à cette tradition française de germanomanie ou de nordicomanie. Intitulé Le Sang épuré. Les préjugés de race chez les gentilshommes français de l'Ancien Régime (1560-1720) (Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1973), ce livre retrace l'histoire du "mythe germanique" depuis le début du XVIème siècle (Etienne Pasquier) jusqu'à la théorie des "vertus magiques du sang germanique" de Henry de Boulainvilliers (1658-1722) et ses prolongements (8).
Dans les origines du fascisme français, Sternhell met donc en exergue cette double tradition matérialiste portée par Vacher de Lapouge, celle du matérialisme philosophique et celle du matérialisme biologique. Le livre de Devyver lui semble inconnu. Mais, ici, on constatera aussi que des traditions décrétées parfaitement "démocratiques" (selon les critères en usage dans nos médias) ont, elles aussi, sacrifié au "mythe du sang germanique pur" puisque l'engouement qu'a montré tout le XVIIIème français pour ce qui était anglais partait du principe que le mode "communautaire" nordique, le mode de représentation communale ou parlementaire (et peut-être l'antique démocratie islandaise) constituaient des exemples historiques de sociétés non inféodées à un quelconque absolutisme. L'esprit politique de l'Europe du Nord, et plus spécialement de l'Angleterre, est rebelle à l'absolutisme. Il résiste . Niekisch, figure de proue du national-bolchévisme allemand, faisant sienne la définition de Dostoïevsky, selon laquelle les Allemands étaient un peuple protestataire , renouera, plus tard, dans son anti-romanisme anti-catholique, avec cette idée de résistance (Widerstand , comme le nom de son journal et de son cercle) mais en ne glorifiant pas, bien sûr, le parlementarisme anglais, mais bien l'esprit des Paysans révoltés du XVIème siècle, des Saxons de Witukind et des Chérusques d'Arminius. Chez Niekisch, l'influence du livre d'Engels sur la Guerre des Paysans n'a pas été sans importance non plus. Le mythe, indépendemment de ses interprétations et des peuples-acteurs qu'il met en scène, demeure le même. On pose un Nord "rebelle" (anglais, allemand ou scandinave) à un Sud qui croupit sous l'absolutisme. Par sa dénordicisation et par le recul subséquent de l'idée innée de liberté, présente chez les peuples du Nord selon Madame de Staël, Henry de Boulainvilliers, Gobineau, etc., la France serait en déclin. Elle serait décadante. De Vacher de Lapouge découle donc, affirme Sternhell, cette idée du déclin de la France, d'une France qui perd sa substance plus vite que les nations voisines. Il est vrai que la France, contrairement à l'Allemagne, l'Angleterre ou les Pays-Bas, connaissait, à la fin du siècle dernier, un tassement de sa croissance démographique. En 1899, le Baron Charles Mourre dressait le bilan de l'histoire de France, selon une optique semblable (in: D'où vient la décadence économique de la France. Les causes présentes expliquées par les causes lointaines , Paris, Plon/Nourrit, 1899). Parmi les causes du déclin français, Mourre cite: l'idée d'égalité (il rejoint en cela Gobineau), le culte du fonctionnariat, un trop important interventionnisme étatique (ce qui ne le range assurément pas parmi les "hommes de gauche"), l'affaiblissement de la natalité, l'immoralité publique, la question juive (leitmotiv de cette fin de XIXème et prélude à l'affaire Dreyfus), l'influence du climat (selon l'engouement déterministe de l'époque), etc. Mourre termine son ouvrage en expliquant pourquoi les Anglo-Saxons sont "supérieurs". Il ferme ainsi la boucle qui englobe Montesquieu et Gobineau, l'anglomanie du XVIIIème et la nordicomanie du XIXème. Cette supériorité s'expliquerait par la persistance d'un type d'organisation communautaire et du "foyer" familial. Mourre puise ses arguments chez Demolins et Le Play. Le leitmotiv persistera jusqu'à un Drieu La Rochelle qui sera fasciné par ses ancêtres normands, par la propension au sport que montrent les Anglais puis par la vigueur allemande mise en exergue par le culte du corps sain propre au national-socialisme.
Le "racisme" de Vacher de Lapouge lance trois idées-cadres: l'anti-individualisme, le déterminisme (biologique) et l'idée d'une France décadente (d'une France qui fait mal...). Ces trois idées-cadres sont déterminantes pour l'évolution ultérieure du fascisme français.
c) L'influence de Wagner:
Wagner a eu sur le XIXème siècle français une influence beaucoup plus importante qu'on ne le croit généralement. Barrès disait qu'il fallait honorer en lui "les préssentiments d'une éthique nouvelle". Ce sera, outre Barrès, l'écrivain et poète Paul Valéry qui se plongera le plus dans l'univers de la mystique wagnérienne. Mais au-delà de la littérature et de la musique, qu'apporte Wagner sur le plan strictement politique? En quoi est-il très précisément politisable? Il est politisable surtout parce qu'il a été lui-même un activiste de gauche. Maurice Boucher, germaniste français et Professeur à la Sorbonne, a consacré en 1947 un ouvrage aux idées politiques de Wagner (Les idées politiques de Richard Wagner. Exemple de nationalisme mythique , Paris, Aubier/Montaigne, 1947). Dans ce livre, Boucher évoque l'idée de perfectibilité humaine que Wagner avançait vers 1848. Mais cette perfectibilité, propre des idéologies de gauche, ne doit pas se subordonner à une quelconque représentation de l'au-delà. La perfectibilité est inscrite dans la nature matérielle. L'analogie avec Vacher de Lapouge est claire ici également. Et Wagner, malgré les mythes de ses opéras, se range dans la tradition matérialiste et révolutionnaire du XIXème. Sur le plan éthique, certes, son discours n'a rien de la sécheresse d'une démonstration matérialiste. Et, ajoute Boucher, si Wagner a cherché à concilier des intuitions chrétiennes avec l'hellénisme immortel, Herder, avant lui, jugeait cette synthèse impossible à faire et Nietzsche, bien sûr, la jugeait scandaleusement "immorale".
d) L'impact de Gustave Le Bon:
Sternhell souligne, à juste titre d'ailleurs, la grande influence de l'auteur de La psychologie des foules dans l'élaboration d'un corpus doctrinal "fasciste", si, du moins, il s'avère légitime de parler d'un corpus doctrinal fasciste. Gustave Le Bon se situe dans le sillage de la découverte de l'inconscient. Son influence a été et reste considérable. Chacun des quarante titres qu'il a publiés a été tiré à près de 500.000 exemplaires! Mussolini et Hitler ont lu sa Psychologie des foules avec attention et avec passion. Des passages entiers de Mein Kampf sont tirés des écrits de Le Bon. Mais l'impact des théories de Le Bon ne se limite pas aux seuls milieux des états-majors fasciste ou national-socialiste. Freud s'est basé sur lui pour rédiger sa Psychologie collective et son Analyse du moi. Ce qu'apporte Le Bon, c'est surtout une définition des instincts des peuples et de la foule. Ces instincts dominent tout et déterminent l'agir des hommes. La conscience est dès lors reléguée au second plan. Psychologie et biologie prennent le pas sur les fantasmes mécanicistes du siècle rationaliste. Au déterminisme rationaliste et mécaniciste se substitue un déterminisme d'ordre psychologique et biologique. Et Sternhell écrit: "Ce déterminisme implique un anti-individualisme extrême et une négation totale de la traditionnelle conception de la nature humaine". Psychologie collective, race, inconscient constituent des "forces obscures", l'âme invisible qui crée et secrète des institutions visibles. Une des composantes essentielles des fascismes selon Sternhell est précisément de placer ces "forces obscures" au-dessus de la "raison". Avec l'avénement des sciences du XIXème siècle, le culte de la raison s'effondre. Or, c'est sur ce culte, strictement individualiste, que se fondent nos sociétés et nos corpus juridiques. Parler de l'inconscient, des forces obscures des collectivités ou de la race, constitue donc un défi mortel aux structures juridiques de nos démocraties. La potentialité révolutionnaire de ces découvertes a été jugulée au cours du XXème siècle. Mais le barrage dressé tiendra-t-il sous la pression des instincts? La fin de ce siècle semble confirmer le contraire. L'agressivité des foules, comme, par exemple, sur les stades de football d'Angleterre ou du Heysel, devient telle qu'on se remet à douter de la raison humaine. Dans un autre registre, la vague écologiste, surtout en Allemagne, renoue avec des idéaux collectifs et avec l'idée de communauté si bien décrite par Ferdinand Tönnies. Sternhell ajoute que "forces obscures" de la psychologie et "mythes" soréliens possèdent bon nombre de caractéristiques communes. Nous y reviendrons.
e) Hippolyte Taine, maillon dans la chaîne:
Généralement, on ne considère guère Taine comme l'un des précurseurs du fascisme. Sternhell souligne avec brio l'importance qu'il a eu dans l'élaboration du dit fascisme français. Auteur du célèbre ouvrage Les origines de la France contemporaine et d'une Histoire de la littérature anglaise contemporaine , Taine fait de la "race" le premier facteur explicatif de l'histoire. Taine parle des "habitudes mentales innées" des peuples européens. Dans l'introduction à son histoire de la littérature anglaise, il énumère les trois facteurs déterminants qui président à la naissance de l'histoire et du génie littéraire d'un peuple: la race, le milieu et le moment. Trois déterminismes donc qui relient son analyse, sa méthode d'investigation historique, au corpus général de la pensée du XIXème siècle. Sternhell puise la majorité de ses arguments, pour ranger Taine parmi les précurseurs du fascisme français, dans l'introduction à l'Histoire de la littérature anglaise . On eut espéré quand même une analyse plus détaillée des Origines de la France contemporaine . Sternhell estimant globalement que le fascisme est une "réaction" contre les idées de 1789, leur rationalisme, leur individualisme et leur démocratisme, il aurait été utile de passer au peigne fin les douze volumes des Origines . Dans Maurice Barrès et le nationalisme français (Paris, Armand Colin, 1972), Sternhell dit simplement que Barrès tire de l'œuvre de Taine l'idée d'une France décérébrée et sur le déclin. Thèmes qui auront aussi leur impact sur Maurras, comme nous allons le voir. La référence à Taine aurait pu être, me semble-t-il, plus importante. Pour Sternhell, Taine est le maillon d'une chaîne qui relie Gobineau à Jules Soury (cf. infra) et à Barrès et ceux-ci aux fascistes français des années trente et de la collaboration.
f) l'influence prépondérante de Jules Soury:
Un des grands mérites de Sternhell, c'est d'avoir redécouvert la figure et l'œuvre de Jules Soury. Totalement oublié depuis quelques décennies, ce dernier était professeur à la Sorbonne et très populaire en tant que vulgarisateur scientifique et que propagandiste des idées de Darwin et Haeckel, au tournant du siècle. Certes, ses thèses correspondent en gros à celles, restées mieux connues, de Le Bon et de Vacher de Lapouge, et se développent autour d'un axe central: le déterminisme. Pour Soury, le monde social est régi par des "lois fatales", des "lois d'airain". Le libre-arbitre est une fable et l'homme moral aussi. L'homme, selon Soury, n'est qu'un des rouages de la gigantesque mécanique universelle. Il est le produit d'une sélection naturelle et la France, si elle a subi la défaite de 1871, c'est parce qu'elle ne s'est pas "épurée" à temps, qu'elle n'a pas voulu, à l'instar de l'Allemagne, redevenir une "race". Le langage de Soury est plus clair, moins ambigu, que celui des autres auteurs français situés dans la même veine.
Cette clarté sera perçue par Maurice Barrès qui a véritablement bu les paroles du professeur et les a faites siennes. Toute l'œuvre de l'auteur des Déracinés repose sur une interprétation, géniale sur le plan littéraire, des thèses de Soury. Nous mesurons par là l'importance du déterminisme de Soury dans la genèse du fascisme français.
3.La Droite prolétarienne
Dans cette genèse du fascisme français, Sternhell place le mouvement ouvrier anti-grèves des Jaunes . Cette juxtaposition est curieuse, surtout si l'on sait que, par exemple, Blanqui et Vacher de Lapouge, militants socialistes révolutionnaires, appartiennent, selon Sternhell, eux aussi, à l'ascendance du fascisme. Pour Sternhell, ce mouvement jaune , dirigé contre les mouvements de grève "rouges" par des hommes comme Lanoir et Biétry, exploite un mécontentement ouvrier en maniant un discours nationaliste à la Boulanger et chargé de thèmes antisémites. Ce sont ces idéologèmes-là qui incitent Sternhell à inclure le mouvement des Jaunes dans la généalogie du fascisme français. Il appelle ce mouvement une "droite prolétarienne" et constate qu'elle est opposée au prolétariat organisé par la gauche. Deux autres aspects de cette "droite prolétarienne" à signaler ici: le vertuisme et l'immobilisme social, préconisé comme étant dans l'intérêt des ouvriers.
4. L'extrême-gauche antidémocratique
Cette quatrième composante, d'après Sternhell, du fascisme français des origines est sans doute la plus importante. C'est elle qui aligne les noms les plus prestigieux, des noms connus dans l'Europe entière. Citons-en surtout trois: Lagardelle, Roberto Michels et Georges Sorel. Hubert Lagardelle définissait le socialisme comme un mouvement né pour lutter contre les idées libérales-bourgeoises. En prononçant cette définition, Lagardelle vise le mode de fonctionnement des démocraties libérales. Le mouvement ouvrier a commis l'erreur d'accepter le jeu démocratique et parlementaire. Ce faisant, il ne s'émancipe pas de l'Etat créé par les bourgeois. Roberto Michels, activiste de la SPD d'alors, le parti socialiste le plus puissant d'Europe, qualifiait la naissance de l'oligarchie socialiste de Verbonzung, Verkalkung, Verbürgerlichung, c'est-à-dire l'emprise des bonzes (des caciques), la sclérose doctrinale et l'embourgeoisement par le recrutement de trop de "juristes et d'avocats". Pour Michels, les socialistes officiels deviennent tout simplement une oligarchie parmi d'autres oligarchies. C'est alors que la veine révolutionnaire s'épuise. Quant à Georges Sorel, dont l'œuvre mérite à elle seule une longue exégèse, il est l'auteur des Réflexions sur la violence où, précisément, cette violence est conçue comme le moteur de l'histoire. La démocratie, pense Sorel, peut désormais travailler contre l'avénement du socialisme. Le syndicalisme, dans lequel Sorel place tous ses espoirs, réagira, lui, contre l'emprise de la démocratie et recourra, non aux urnes, procédé jugé aussi bourgeois que trompeur, mais à la violence qui effraie les "philanthropes", c'est-à-dire la grève générale.
5. Les dimensions non conservatrices de l'Action Française
L'Action Française, lancée par Vaugeois, Pujo et Maurras entre 1898 et 1900, est le modèle par excellence du mouvement de droite. Pourtant, elle contient dans son corpus doctrinal, des éléments que l'on classerait volontiers à gauche aujourd'hui. Nous y reviendrons dans la suite de cet exposé.
L'impact de Maurice Barrès
En 1972, quand paraissait en France l'ouvrage de Sternhell consacré à Maurice Barrès, le professeur Robert Soucy de l'Oberlin College de l'University of California (Berkeley) publiait un ouvrage intitulé Fascism in France. The Case of Maurice Barrès (University of California, 1972). Soucy cernait bien les six fondements de la pensée barrésienne. Formé à la lecture de Nietzsche, Dostoïevsky, Carlyle et Bergson (pour ne pas revenir sur les influences qu'il reçut de Wagner et de Soury), Barrès a d'abord navigué dans le "Culte du Moi". Le nationalisme ne le concernait pas et, lui, le fondateur du "culte des morts" écrivait alors: "Les morts, ils nous empoisonnent!". Petit à petit, son nationalisme allait se former et tourner autour de six axes, non coordonés en un système à la façon allemande et hégélienne, mais juxtaposés en un ensemble marqué d'esthétisme et de sensibilité. Ces six piliers sont:
1) Les trois vertus du héros "réaliste".
Ces trois vertus sont le sens du réel , de la "réalité". Ensuite, la force de la passion car les passions mènent le monde. Les passions et non les raisons frileuses. Et, enfin, l'énergie . Le culte de l'énergie, propre aux fascismes de l'entre-deux-guerres, découle tout droit de cette apologie barrésienne du dynamisme des chefs, des masses et des peuples.
2) Les racines.
Barrès découvrira ses racines lorraines. Du culte des racines découlera celui de la "Terre et des Morts".
3) Le vitalisme.
Pour Barrès, le vitalisme, c'est se fondre dans la volonté inconsciente des sentiments les plus obscurs de l'être, sentiments obscurs hérités de nos ancêtres, les Morts.
4) La démocratie de masse et le culte du chef.
Les masses sont le réceptacle des énergies obscures que le chef canalise et dirige vers des objectifs choisis. La liberté reçoit dès lors une nouvelle définition: c'est la force qu'acquiert un homme quand il est lié à d'autres hommes. Dans cette définition nouvelle de la liberté, posée par Barrès, se résument tous les arguments que nous avons préalablement analysés: le déterminisme hostile au libre-arbitre des libéraux et des conservateurs, l'impératif collectif de la race, des ancêtres et des morts dont nous devons poursuivre la mission historique. Enfin, l'inéluctabilité des "forces obscures", des "principes collectifs".
5) Le racisme.
C'est pour Barrès, l'héritage de Soury et l'idée de peuple, découverte chez Wagner.
6) Le culte du héros et le charisme.
De ces six "piliers", bien mis en évidence par Robert Soucy, Sternhell dégage les composantes de la théorie politique de Barrès, de son "nationalisme organique". Sternhell montre comment ces idées de base de Barrès vont être articulées dans la pratique politique qu'il suggèrera aux nationalistes français. Ce nationalisme implique:
1) Une hostilité farouche à la république "dissociée et décérébrée ".
2) L'affirmation de principes de stabilité.
Ces principes sont ceux qui découlent du culte de la Terre et des Morts. Ce culte permet aux Français de vivre "dans leur vérité propre". Barrès entame ici une polémique avec ce qu'il appelle le kantisme abstrait , un kantisme qui nous enseigne à agir de façon à ce que nos maximes puissent avoir une vérité universelle. Barrès s'insurge ici devant cet universalisme postulé par le kantisme car il arrache l'intellectuel à son peuple et en fait un déraciné .La stabilité historique d'une nation se mesure dès lors, dit Barrès, à sa capacité de défendre ses vérités propres et non à chercher la chimère d'une universalité quelconque (9).
3) Les facteurs de conservation.
Personnellement hostile au christianisme, Barrès finira par admettre le catholicisme comme un moyen de faire l'unité de la nation.
4) Les forces de destruction.
Celles-ci procèdent précisément des universalismes et des valeurs étrangères. Il convient de ne pas laisser au protestantisme la bride sur le cou car c'est une tradition allemande et non française (10). Parmi les universalismes les plus "pernicieux", selon Barrès, il y a le judaïsme (11). Ce dernier disloque la cohésion des nations, dit Barrès, et porte d'autres valeurs que celles de notre Terre et de nos Morts.
5) La question lorraine.
Province dont Barrès est issu, la Lorraine est en partie annexée à l'Allemagne impériale depuis la défaite française de 1871. Barrès part d'une exaltation de sa province, de son terroir, matrice de ses propres énergies. Cette province doit pouvoir échapper à un centralisme qui étouffe sa vitalité. La question lorraine sert de prélude à une idée barrésienne très importante, celle du régionalisme.
6) Le régionalisme.
En 1894-1895, Barrès mènera une campagne en faveur des libertés locales, régionales et syndicales. Il se fait là le porte-parole d'un fédéralisme dont les cellules de base seraient les provinces. Le fédéralisme permettrait justement de fédérer, de rassembler toutes les énergies de la nation et de n'en étouffer aucune.
Le rôle de l'Action Française
Née en 1898, sous l'impulsion de Vaugeois et de Pujo, l'Action Française prendra son envol définitif l'année suivante quand Maurras se joint à l'équipe initiale et quand se créent d'abord le Bulletin d'AF, puis la Revue d'AF. Charles Maurras sera le père du "nationalisme intégral" dont les deux idées-maîtresses seront le monarchisme (l'affirmation de la nécessité de faire gouverner la France par un roi fort et de décentraliser le pays) et la germanophobie, qui tournera souvent à l'obsession et au ridicule.
En plus du monarchisme et de la germanophobie, il convient d'ajouter une dimension résolument esthétique: le culte religieux qu'éprouvait Maurras pour la civilisation gréco-romaine, pour le Sud méditerranéen. Ce culte dérive d'une équation toute personnelle; Maurras est issu de la Provence et le soleil de sa patrie lui manquera toujours à Paris. En plus, depuis son jeune âge, il est sourd (ce qui renforce encore son caractère bourru et son entêtement devenu légendaire). Ce sont donc, chez lui, les organes de la perception visuelle et tactile qui auront le dessus. L'esthétisme maurrassien et son amour du soleil, de la lumière et des couleurs est le corollaire naturel de sa surdité. Ajoutons encore que Maurras sera, toute sa vie, fasciné par la personnalité de Richelieu.
Quel sera dès lors le nationalisme de Maurras ?
Avant toute chose, une synthèse. Lui-même dira qu'il n'innove rien et qu'il n'est qu'un perroquet. Ce "perroquet" n'est donc ni un philosophe ni un bâtisseur de systèmes mais un journaliste brillant, au talent sûr et indéniable et au style mordant. Le style prend ici le pas sur la vérité. L'esthétique sur le vrai. C'est là le propre des "races latines" comme le soulignait déjà Hippolyte Taine. Or, Maurras se sentait et se voulait "latin". Son engouement pour Taine, anglophile et germanophile, lui aura apporté sa propre définition du "Latin"! Pour Maurras, la France est une "déesse", l'œuvre des quarante rois capétiens et non de quelques décennies de démocratie. En fin de compte, le nationalisme intégral de Maurras, assez coupé des masses populaires, sera un nationalisme défensif, axé sur la xénophobie anti-allemande et sur l'antisémitisme. Ce nationalisme de repli sur soi est renforcé encore par le "traditionalisme" de Maurras. Qu'est-ce que le traditionalisme? C'est l'héritage des Contre-Révolutionnaires de Maistre, Bonald et Le Play. De l'œuvre de ces contre-révolutionnaires découle une apologie de l'Ancien Régime où le non-individualisme et l'organicisme permettaient une meilleure organisation de la société grâce aux corporations et aux corps de métier, dissous par les lois de la Révolution. Le nationalisme aura alors pour tâche de restaurer des structures sociales intermédiaires entre l'individu et l'Etat. Deuxième idée politique déduite de cette apologie de l'Ancien Régime: le régionalisme. La France était plus stable, affirment Maurras et ses disciples, quand les provinces avaient plus d'importance. La République néglige les meilleurs du peuple français: les paysans. Cette idée du "bon paysan" renoue avec un autre culte royaliste: celui des Chouans et des Vendéens.
Le traditionalisme maurrassien reste toutefois en-deçà de la critique portée en Allemagne à l'encontre des idées de 1789. Lorsque l'on analyse les ouvrages du Baron von Stein, d'Adam Müller ou de Savigny, on percevra mieux l'évolution des idées qui a d'abord porté au pouvoir les idéaux de 1789, puis a consommé le divorce entre la Révolution Française et les aspirations confuses qui dynamisaient le mouvement révolutionnaire pour être trahies par lui, puis a fait passé la volonté de participation de tous à la chose publique dans les mentalités germaniques par le truchement du romantisme. Maurras n'avait pas la moindre connaissance de la "politologie" romantique et réduisait celle-ci à certains aspects de Rousseau. Plus tard, Carl Schmitt analysera l'occasionalisme (12) romantique avec bien plus d'acuité que le chef de file de l'Action Française. L'organicisme de Maurras n'était finalement que fort superficiel. Faut-il y voir une des raisons majeures de l'échec politique de l'AF ?
Le nationalisme intégral de Maurras est également un "positivisme". Maurras, en effet, cherche à politiser à son profit les acquis de la philosophie d'Auguste Comte. N'étant pas chrétien et se définissant comme agnostique, Maurras ne peut pas justifier son idée monarchique par le recours au "droit divin". Ce qu'avaient fait les traditionalistes contre-révolutionnaires. Il lui faut donc avancer des arguments de nature "scientifique". Pour Maurras, ce ne sera donc pas Dieu qui veut la monarchie mais la "raison". La raison politique bien entendu. Il parlera donc d'un empirisme organisateur . Ce type de raison, invoqué par Maurras, n'est pas celui du siècle des Lumières, générateur de la Révolution et des idéaux de 1789 qu'il honnissait. La raison du XVIIIème siècle lui apparaît mièvre et démocratique. Celle qui le fascine, en revanche, est celle du XVIIème. Il revendique la clarté logique de ce XVIIème siècle où la France était la première puissance en Europe et où ses armées ravageaient le Saint Empire. Culte de Richelieu et de la clarté logique du XVIIème constituent donc les deux référentiels de base pour l'esthétique politique de Maurras. Ces référentiels sont ceux d'une France encore forte, d'une France qui a la population la plus dense du continent. Or, depuis la fin de l'épopée napoléonienne, ce n'est plus le cas. Le déclin démographique a commencé. L'Angleterre et l'Allemagne, l'Italie et la Russie ont connu des explosions démographiques formidables. La France perd son importance d'antan et Maurras, lecteur de Gobineau, de Taine, de Soury et sans doute aussi de Mourre (cf. supra), le sait. Il refuse ce déclin et rêve d'une France qui retrouverait sa puissance de jadis. C'est ici aussi que l'on peut observer la nature finalement "défensive" du nationalisme maurrassien.
Maurras ne pouvait ni se référer à la vigueur française des armées révolutionnaires ni à la geste grandiose de Napoléon. Son anti-républicanisme et son monarchisme l'en empêchaient. Il a donc puisé ses modèles exemplatifs dans le XVIIème. Les Allemands et les ressortissants des Pays-Bas du Sud, devenus Belgique depuis 1830, pourraient difficilement choisir comme référentiel ce siècle qui ne fut, pour eux, qu'une succession de misères atroces, de carnages, de villes incendiées, de famines et de guerres civiles. Pensons au Simplicissimus de Grimmelshausen (13) !
Reste la position de Maurras à l'égard de l'Eglise et du catholicisme. Sa position est double. Il dira "oui" à l'Eglise en tant que facteur d'ordre, en tant que principe organisateur. Il dira "non" au message intérieur du christianisme, parce que celui-ci repose sur des éléments juifs et non gréco-romains. Ce "oui" à l'Eglise et à ses principes hiérarchiques est inséparable du "non" au message des Evangiles, jugés "démocratiques". En dehors de l'Eglise, dira Maurras, les Evangiles sont un poison (14).
Parmi les aspects les plus intéressants du maurrassisme, aspects encore partiellement exploitables aujourd'hui, il faut évoquer le "socialisme anti-étatique". Maurras rejette le capitalisme parce qu'il est cosmopolite. Ce cosmopolitisme ne place a fortiori pas les intérêts de la nation française au-dessus de ses intérêts propres. De ce fait, pour Maurras, il doit être combattu. Cette position le rapproche du discours "révolutionnaire-syndicaliste" et du courant "anarcho-syndicaliste". "Monarchistes de gauche" et syndicalistes de diverses orientations se regrouperont en 1911 autour de la revue du Cercle Proudhon qui n'eut qu'une existence éphémère. Le dénominateur commun qui unissait ces hommes venus d'horizons aussi divers, c'était la volonté de donner au politique pur la priorité par rapport aux stratégies économiques cosmopolites. La défense de la nation, en tant qu'acquis historique incontournable, et la défense du peuple, en tant que masse démographique porteuse d'énergies héritées de l'histoire, se rejoignent dans une lutte commune contre une idéologie qui nie les héritages politiques et ne se soucie guère de la santé morale et physique des peuples. Pour les adversaires des monarchistes de gauche et des anarcho-syndicalistes (dont Georges Sorel), le "peuple" se présente comme une masse indifférenciée d'individus susceptibles d'être embauchés (et alors on les flatte) pour être ultérieurement licenciés, si les fluctuations du marché l'exigent. Cette gauche sociale et cette "droite" traditionaliste, non indifférente à la question ouvrière, se dressent donc conjointement face aux idéologies et aux acteurs politiques qui observent, pour leur strict intérêt personnel et financier, les soi-disant lois du marché. Pour la gauche et des hommes comme Lagardelle, Sorel et Michels (cf. supra), la social-démocratie accepte les lois du marché et se borne à demander de petits aménagements destinés à rendre la dictature du "marché" (nous serions tentés de dire la "théocratie" du marché) (15) supportable aux masses populaires. Cette acceptation par la social-démocratie "oligarchique" du jeu du marché a provoqué la désaffection de ses éléments les plus pugnaces et a contribué à la naissance des partis communistes, surtout au lendemain de la première guerre mondiale. Le fascisme est une autre variante de la réaction anti-sociale-démocrate. C'est vrai en France avec Sorel et Lagardelle. Ce sera vrai en Allemagne aussi avec des hommes et des femmes aussi différents que De Man, Liebknecht, Rosa Luxemburg, etc. Les PC et les "Luxemburgiens" riposteront par une nouvelle interprétation de l'œuvre de Marx et d'Engels. Les fascistes quitteront la tradition "marxiste" et puiseront leurs arguments dans d'autres doctrines et notamment celle de Proudhon.
Maurras dira, avec l'esprit de synthèse qu'on lui connaît: "Le nationalisme est comme une belle main et pour cette jolie main, un socialisme bien conçu, non démocratique et non cosmopolite, peut constituer un gant parfait". En conclusion, disons que l'anti-romantisme maurrassien repose sur deux idées-maîtresses: 1) l'hostilité à Rousseau, considéré comme le père spirituel de la Révolution et de la Terreur de Robespierre et 2) la germanophobie. L'Allemagne, aux yeux de Maurras, est la patrie du romantisme et le romantisme est le fruit des "brumes du Nord". A ces "brumes", il convient d'opposer le soleil des classicismes français et gréco-romain.
De 1914 à 1945
Avec Taine, Vacher de Lapouge, Drumont, Tridon, Toussenel, Barrès et Maurras, les assises du fascisme français du XXème siècle sont posées. C'est au départ de ces corpus doctrinaux que les écrivains fascistes et les théoriciens politiques qui se sont retrouvés dans leur sillage, échaffauderont leurs propres fascismes. J'insiste ici sur le pluriel . Nous verrons pourquoi. La première guerre mondiale sera une parenthèse sanglante. L'AF sombre dans le chauvinisme tricolore. Sorel se tait et désapprouve le carnage européen. Les esprits se séparent, alors qu'ils auraient pu joindre leurs voix et leurs protestations pour donner au siècle naissant la synthèse complète et définitive qu'il attendait et qu'il attend toujours. Après la guerre, l'acharnement des milieux de l'AF ne se tarit pas. Maurras rappelle sans cesse le testament politique de Richelieu, son idole: il faut coloniser subtilement la Belgique et le Luxembourg, les inclure dans une union douanière avec la France et les obliger à accepter des accords militaires. Bref, une annexion à peine déguisée que beaucoup en Belgique ne lui pardonneront jamais (16). Enfin, il faut morceler l'Allemagne, détacher si possible les régions catholiques du Sud de la Prusse protestante et "militariste", créer une république rhénane fantoche et en faire un protectorat français, imposer des réparations telles à l'Allemagne que la France puisse vivre sans travailler, etc. Les thèses maurrassiennes culminent lors de l'occupation de la Ruhr. Finalement, ce fut l'échec. Et aussi, faut-il l'ajouter, un mauvais calcul. Les colonies étaient déjà censées fournir à la France matières premières et richesses diverses; si l'on ajoutait l'Allemagne comme fournisseur obligé et contraint de produits finis et de machines-outils, l'on commettait finalement une erreur politique monstre: ne pas investir sur place et omettre de créer un outil industriel autochtone, basé sur une main-d'œuvre nationale, garante du bon fonctionnement de la machine économique. Par rapport à l'Allemagne qui, sous l'impulsion d'un économiste génial comme List (17), a toujours su créer son plein-emploi et produire une très large part de ses matières premières sur place en semi-autarcie, ce fut une faiblesse, une faiblesse que la France allait payer cher en 1940. L'historien J. Marseille (in: Empire colonial et colonialisme français , Albin Michel, Paris, 1985) reconnait que le colonialisme français a été un frein à l'essor, au développement et à la modernisation du capitalisme métropolitain (surtout sur le plan de l'outil). La décolonisation a plutôt été, dans les années 60, un mouvement de modernisation de la métropole française.
Plus clairvoyants et plus européens furent les "démocrates" Briand et Stresemann. Ces hommes ont cherché le rapprochement franco-allemand et la réconciliation au-delà des charniers de Verdun et de la Somme. Est-ce un hasard si Ferdinand de Brinon, ambassadeur de Vichy à Paris pendant la seconde guerre mondiale et chaleureux partisan de la collaboration franco-allemande, venait de ce pacifisme... L'intransigeance du nationalisme français, alors sans clairvoyance économique, a suscité la naissance d'un nationalisme allemand offensif, réponse à la politique de Clémenceau, considéré Outre-Rhin comme un nouveau Richelieu (18). L'irresponsabilité économique française se percevait également en Europe Centrale où elle a détaché les zones agricoles de Pologne et de Hongrie de ses débouchés traditionnels: l'Allemagne industrielle. Le peuple français n'a guère tiré profit de ce nationalisme-là, puisque son outil industriel n'a pas été rénové à la même vitesse que celui de l'Allemagne.
L'entre-deux-guerres a connu trois périodes successives dans l'élaboration de son fascisme. Ces périodes s'étendent, pour la première, de 1920 à 1930, puis de 1934 à 1940 et, enfin, de 1940 à 1945, celle de la "collaboration". Chaque génération a donc connu son fascisme.
La période de 1920 à 1930
Cette époque du fascisme français, la première, chronologiquement, du "fascisme conscient", a été dominée par la figure de Georges Valois, un fasciste naïf selon Sternhell. Valois a commencé sa carrière politique en tant que membre de l'Action Française. Il était un socialiste monarchiste. Son monarchisme dérive d'un culte du dirigeant, de l'homme d'Etat capable d'incarner et la théorie et la pratique. Pour Valois, Lénine et Mussolini étaient de tels hommes. Par la révolution bolchévique de 1917 et par la Marche sur Rome de 1922, Lénine puis Mussolini ont su allier théorie et pratique. Valois s'apercevra que Maurras n'est pas un homme de la même trempe. Il n'est qu'un théoricien, incapable d'accéder au pouvoir et de "marcher sur Paris". C'est la raison pratique qui a poussé Valois à quitter le milieu de l'AF et à fonder son propre mouvement, le Faisceau . La référence à Mussolini est clairement affichée. Le mot d'ordre de Valois, la clef de voûte de sa théorie politique se résume à une équation: "nationalisme + socialisme = fascisme".
Au départ, Valois n'était pas marxiste (au contraire de Mussolini et de Lénine) mais il n'était pas non plus anti-communiste, au sens où la droite classique, le fascisme des théoriciens ou des journalistes issus d'Action Française et celui des déçus du stalinisme (les adhérents du PPF de Doriot et de Victor Barthélémy) l'entendaient. Valois voulait unir les forces de gauche, les forces socialistes, dans un front unique pour le salut de la nation française. Ce front porterait un roi social au pouvoir. Dès lors, pourquoi ne pas marcher ensemble, main dans la main, communistes et fascistes? Cette idée, Valois a été à peu près le seul à la défendre en France après la première guerre mondiale. En Allemagne, la tentation "nationale-bolchévique" rassemblait plus de monde. Il suffit d'évoquer des noms comme ceux de Niekisch, Schlageter, Paetel, Tusk, Scheringer, Schulze-Boysen, Radek, Ernst von Salomon, etc.(19).
C'est en 1925 que Valois fonde son Faisceau . Le parti durera trois ans. Ensuite, Valois retrouvera les rangs de la gauche classique. Il abandonnera ses chimères royalistes et militera désormais pour une "République syndicale".
Il ne s'engagera pas dans la collaboration. Au contraire, actif dans un réseau de résistance, il sera arrêté en mai 1944 par la Gestapo et transféré au camp de Bergen-Belsen, où il mourra du typhus à l'âge de 66 ans.
La carrière de Valois prouve indubitablement son honnêteté foncière. C'est ce que Sternhell appelle, avec une inélégance que je déplore, de la "naïveté". Certes, les idées de Valois sont marquées de quelques incohérences. Catholique, sans adhérer aux thèses réactionnaires que le catholicisme a souvent fait siennes, Valois est aussi un "panlatiniste". Du temps du Faisceau , il cherchait à unir les nations romanes contre les puissances anglo-saxonnes. Maurras partageait sans doute cette option, mais sa germanophobie outrancière mettait l'ennemi anglo-saxon au second plan. Par son hostilité à l'égard des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes, Valois a été un précurseur et a fait montre d'une remarquable clairvoyance. En effet, en février 1923, Londres et Washington imposent une limitation du nombre des navires de guerre. L'Allemagne est particulièrement visée, bien sûr. Mais l'Italie et la France sont presque traitées avec la même rudesse. Valois s'insurge contre cette entorse aux souverainetés nationales des pays romans. Aujourd'hui, dans la construction de projets spatiaux, dans l'organisation de nos exportations de céréales, dans la coopération en matières nucléaires avec des pays latino-américains ou arabes, les Etats-Unis sabotent toute initiative européenne. C'est la conséquence de leur intervention dans les affaires de notre continent en 1917. Le Faisceau soulignait là un problème grand-européen qui n'a pas cessé d'exister, qui s'est même renforcé par la seconde intervention des Etats-Unis en 1942 (débarquement en Afrique du Nord).
La vision du monde de Valois, contrairement à ce que semble dire Sternhell, est, elle aussi, marquée par deux dualismes d'essence "raciste": le dualisme Aryen/Asiate et le dualisme Aryen/Juif. La phobie du "péril jaune" tourmentait Valois et il rangeait la Russie entre l'Asie et l'Europe, la considérait comme une puissance tantôt asiatique tantôt européenne. Le dualisme aryen/juif correspond à l'héritage du XIXème siècle que véhiculent presque tous les penseurs, théoriciens et journalistes fascistes. Valois est aussi l'initiateur du culte de Jeanne d'Arc. Sur le plan des analyses comparatives entre doctrines allemandes et doctrines françaises que les historiens seront inmanquablement amenés à faire, un rapprochement entre l'hostilité de Valois à l'égard des thalassocraties et celle de l'Allemand Sombart à l'égard de la Händlermentalität anglo-saxonne (mentalité marchande) s'impose. Signalons que Sombart est un ex-marxiste qui confère au catholicisme un rôle non négligeable de barrage contre la progression de l'esprit marchand en Europe continentale. En Flandre, Sombart était fort lu chez les catholiques autoritaires (et fascistoïdes dirait-on aujourd'hui). C'est Victor Leemans qui l'a introduit à l'Université de Louvain par une brochure excellente sur le plan didactique: Werner Sombart. Zijn Economie en zijn socialisme , De Nederlandsche Boekhandel, Antwerpen, 1939.
Valois n'a pas eu d'héritiers, si ce n'est, dit Sternhell, le francisme de Bucard. Mais Bucard n'était ni un économiste brillant comme Valois ni un bon analyste des relations internationales. Son fascisme sera religieux, à la limite du caricatural. Il sera fait de défilés et de cérémonies aux morts. Il sera tout rituel. Sans avoir le moindre impact sur les événements de la vie politique française. Ce fascisme réellement naïf sera l'un des premiers à être "internationaliste", c'est-à-dire attentif et sympathique à l'égard des mouvements similaires d'au-delà des frontières de l'Hexagone.
Le deuxième fascisme: 1930-1940
Ce deuxième fascisme sera un fascisme de journalistes, écrit Pierre-Marie Dioudonnat (in: Je suis partout. 1930-1944. Les maurrassiens devant la tentation fasciste , Paris, La Table Ronde, 1973). Non pensé, non érigé en système à la façon marxiste ou hégélienne, ce fascisme est "senti". Il est plus vitaliste-barrésien que positiviste-maurrassien. C'est d'ailleurs ce qui consomme la rupture de la plupart de ces fascistes de la deuxième génération avec Maurras. Enfin, il prend nettement ses distances avec le "nationalisme intégral" du chef de l'Action Française et se déclare "internationaliste", partisan du "fascisme immense et rouge". Ce fascisme a la faiblesse de ne pas constituer une doctrine de d'Etat. Il est impossible de le considérer comme une théorie de la société que ses adeptes chercheraient à traduire dans le concret. Chaque écrivain, chaque journaliste du célèbre "Je suis partout " crée son propre fascisme. Les expériences personnelles s'avèrent déterminantes. L'occasionnalisme est ici roi, pour reprendre la terminologie critique de Carl Schmitt à l'encontre du romantisme allemand et de celui de Lamartine. Pour ce que Paul Sérant nommait le "romantisme fasciste", le reproche schmittien d'occasionnalisme nous apparaît également valable. Dans l'orbite de Je suis partout , évoluent d'anciens communistes (comme Doriot), d'anciens socialistes (comme Déat), d'anciens radicaux de gauche à tendances nationales-jacobines, d'anciens pacifistes enthousiastes de la SDN (comme de Brinon), d'anciens conservateurs (comme Gaxotte), d'anciens nationaux-républicains et d'anciens royalistes d'AF.
Cette diversité ne permet pas de former un mouvement unique, un seul parti d'union des forces fascistes. Celui qui a eu le plus de succès, dans ce sens, fut Doriot avec son PPF, parce qu'il est parti d'une base préalablement communiste dans son fief de la banlieue rouge de Paris, notamment la ville de Saint-Denis. En revanche, sur un plan strictement métapolitique, l'influence de ces journalistes et écrivains s'est fait sentir bien au-delà des groupuscules fascistes.
Sternhell a suscité beaucoup de polémiques en France depuis la parution de son dernier livre parce qu'il avait inclu dans la mouvance fasciste le personnalisme chrétien d'un Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit . Mounier était pourtant resté très critique à l'égard du fascisme. Il a admis que le fascisme soulevait de bonnes questions mais que, non spiritualiste, sa révolution demeurait insuffisante. Ce personnalisme avait reçu les influences du socialiste belge Henri De Man et s'était penché sur la tradition proudhonienne. La figure de Proudhon, rappelons-le, avait déjà rapproché royalistes de gauche et anarcho-syndicalistes au sein des Cahiers du Cercle Proudhon , revue fondée en 1911 et à laquelle Sorel avait collaboré. Sternhell ne distingue pas, je crois, les problèmes de fond des problèmes de langage. Mounier et les siens voulaient acquérir une audience politique et ne pouvaient faire autrement que de sacrifier aux modes du temps. Indubitablement, le fascisme et le national-socialisme avaient lancé des modes: celle du culte des corps et du sport, celle de la communauté populaire et des vertus intégratrices du nationalisme. Mounier se serait automatiquement marginalisé s'il n'avait pas tenu compte de ces engouements.
L'expérience des néo-socialistes s'axe sur l'œuvre de Henri De Man (Cf. notre article in Etudes et Recherches n°3, GRECE, Paris, 1984). De Man apporte les influences allemandes, parallèlement à la découverte de l'idée de communauté, théorisée par Tönnies en Allemagne et introduite en France par Raymond Aron en 1935. De Man, du temps où il séjournait en Allemagne, avait édité ses ouvrages chez l'éditeur conservateur-révolutionnaire Eugen Diederichs (Cf. La "Konservative Revolution" et ses éditeurs par Michel Froissard in Vouloir , n°13, février 1985, Wezembeek-Oppem). Diederichs voulait dé-barrasser le mouvement ouvrier des "scories" d'un marxisme dépassé.Les livres de De Man lui paraissaient importants dans cette optique. Sternhell comprend parfaitement l'importance de De Man dans la genèse d'un socialisme alternatif français. Mais faut-il prendre le néo-socialisme français pour un "fascisme"? N'ayant lu de De Man que les seuls ouvrages traduits ou rédigés directement en français, Sternhell ne comprend guère les contextes allemand et belge où est né le planisme demaniste. Sternhell ne maîtrise pas les langues allemande et néerlandaise et risque de considérer De Man comme un penseur français parmi d'autres ayant exercé une influence sur de futurs collaborateurs tels Déat. En fait, c'est parce que Déat, sociologue de formation, s'est fortement inspiré de De Man que Sternhell range le socialiste belge parmi les théoriciens pré-fascistes voire fascistes. De Man reste une sorte de keynésien doté d'une forte influence allemande. Sa doctrine se résume en quelques points (du moins nous bornons nous ici à n'en soulever que les principaux):
1) Le matérialisme marxiste est dépassé. Il faut remplacer le déterminisme marxiste par une "théorie des mobiles", c'est-à-dire une assise philosophique qui tienne compte des acquis des sciences psychologiques. Or Sternhell avait considéré le déterminisme comme la pierre angulaire du "pré-fascisme" d'un Vacher de Lapouge, d'un Taine et d'un Soury. Le fascisme est-il dès lors à la fois déterministe et anti-déterministe? L'une position n'exclut-elle pas automatiquement l'autre? Il faut relever, me semble-t-il, cette contradiction majeure. La réponse au débat qu'elle appelle se trouve chez Diederichs. Avant 1914, Diederichs publie Jaurès, les écrits du socialiste suédois Steffen, puis, après la Grande Guerre, ceux de De Man parce qu'ils tiennent tous compte de l'apport philosophique de Bergson. Vacher de Lapouge, marxiste au départ, passe au déterminisme biologique. C'est pour donner au socialisme une puissance que le déterminisme marxiste ne pouvait lui conférer. Chez Vacher de Lapouge, l'homme reste agi par sa race, par sa biologie. Mais on peut purifier une biologie défaillante par l'eugénisme, dit Vacher de Lapouge (et après lui, Montandon et Martial). De Man restaure la volonté de l'homme, donc un "libre arbitre" correcteur. Mounier, en tant que chrétien, se soucie aussi de la préservation d'une forme ou d'une autre de "libre arbitre". Aux yeux des contradicteurs de Sternhell (comme Gilbert Comte, cf. infra), c'est une erreur de vouloir assimiler au fascisme le personnalisme de Mounier, puisque celui-ci tient compte du libre arbitre, seul garant de la démocratie et de la liberté humaine. De Man, par son volontarisme, intéresse les disciples et les amis de Mounier. La distinction entre "fascisme" et "non-fascisme" passerait-elle par une acceptation ou un refus du libre arbitre? Sternhell aurait dû y penser pour s'éviter les polémiques.
De Man se situe à la charnière puisque l'homme socialiste, pour lui, est agi par une soif de nature psychologique: vouloir une dignité . Un person-naliste ne peut rester sourd à ce plaidoyer et à cette démonstration.
2) De Man distingue le socialisme du "marxisme vulgaire". Ce dernier ne serait qu'une vulgate maniée par les oligarques des partis socialistes ayant perdu leur punch révolutionnaire.
3) L'idée du socialisme allemand, c'est-à-dire d'un socialisme conforme à chaque peuple a très longtemps préoccupé De Man. Il a indubitablement subi les influences de Sombart, Rathenau, Rosa Luxemburg (son spontanéisme), des dissidents de la SPD, de Keyserling et vraisemblablement du livre d'Ernst Jünger, Der Arbeiter. Dans l'ensemble, son œuvre vise à remplacer l'archaïque matérialisme, le vieux déterminisme marxiste par un volontarisme qui ne parie pas sur les "forces obscures" de la race, comme chez Barrès, mais sur la puissance que peut déployer l'aspiration humaine à la dignité. La nuance est de taille et je crois que Sternhell ne l'a pas entièrement perçue. Certes, l'aspiration à davantage de dignité et les pulsions obscures relèvent l'une et l'autre de l'irrationnel. Mais tous les irrationnels sont-ils identiques? Faut-il reprendre la dichotomie posée jadis par Lukacs dans Die Zerstörung der Vernunft ?
L'internationalisme fasciste
Il est légitime de dire, avec Pierre-Marie Dioudonnat, que l'internationalisme du fascisme des collaborateurs de Je suis partout constitue à la fois une réponse et un défi à l'anti-fascisme organisé des intellectuels parisiens et des émigrés anti-fascistes d'Allemagne. L'internationalisme se renforce par le culte des actes beaux: la résistance des défenseurs de l'Alcazar, la guerre d'Espagne, les Jeux Olympiques de Berlin en 1936, les "cathédrales de lumière" de Nuremberg auxquelles participèrent Robert Brasillach, Lucien Rebatet et le futur Sénateur rexiste Pierre Daye, lui aussi collaborateur de Je suis partout . Parmi les événements commentés positivement, il y avait la victoire électorale de Léon Degrelle à Bruxelles en 1936. Mais le mouvement de Degrelle, à cette époque, n'avait vraiment pas encore grand'chose de commun avec les autres fascismes ou avec le national-socialisme allemand: pas de chemises ni d'uniformes, peu de drapeaux, un ancrage très net dans le milieu catholique. Le rexisme de 1936 était une réaction spontanée de citoyens écœurés par les turpitudes politiciennes et cherchant des garanties contre un chômage qui les menaçait en permanence.
Cet internationalisme se complète d'un culte vitaliste, d'une idée de la jeunesse (que Rex s'annexait puisqu'il s'affirmait le représentant des "jeunes plumes" contre les "vieilles barbes"), de la notion de joie . En effet, c'est sans doute l'énergisme de Barrès qui constitue le lointain ancêtre de cette idée de joie . Mais est-ce, à cette époque, une caractéristique du seul fascisme? Certes, le Dr. Robert Ley crée, en Allemagne, l'organisation Kraft durch Freude (La force par la joie) . Mais le monde socialiste marqué par le marxisme n'y reste pas étranger. De Man avait écrit La joie du travail , dans une perspective socialiste et le Front Populaire, quand il accède au pouvoir, en France, fait éclater partout sa joie: danses, pique-niques, vacances, auberges de jeunesse, randonnées à bicyclette, etc... Brasillach, lui, ricanait des "congés payés" tout en s'émerveillant des réalisations sociales de l'Allemagne nationale-socialiste, où les ouvriers partaient aussi en congés payés; sur les navires de l'organisation Kraft durch Freude , ils partaient en croisière en Baltique, en Méditerrannée, dans les fjords de Norvège,... Est-ce, chez Brasillach, une pointe de conservatisme au milieu d'une explosion de joie révolutionnaire, à la fois fasciste et socialiste? Curieusement, libéraux et conservateurs n'ont jamais sacrifié au culte de la joie. Les nouveaux sociaux-démocrates d'après 1945, à vrai dire, non plus... Sic transiit gloria mundi...
La collaboration et l'épilogue
Le fascisme français n'a jamais vu ses idées traduites dans la réalité. Après la défaire de 1940, le gouvernement de Vichy organise, dans la mesure de ses moyens, la société française selon les critères du "conservatisme" et du "corporatisme" de la droite traditionaliste catholique. Le modèle n'est ni l'Italie de Mussolini ni l'Allemagne de Hitler, mais le Portugal de Salazar ou l'Espagne de Franco voire l'austro-fascisme clérical et réactionnaire de Dollfuß. On renoue avec l'esprit anti-révolutionnaire des milieux royalistes les plus sclérosés. On se réfère aux thèses les plus à droite de Maurras.
Face à cette situation, les écrivains et journalistes de Je suis partout adhèrent au "mythe SS", à l'idéologie internationaliste que véhiculaient les centres de recrutement de la Waffen SS. De ces centres est né un véritable "européisme" très différent du "nationalisme intégral" de Maurras. La dimension cesse ici d'être étroitement "nationale" pour prendre une ampleur "continentale". La presse allemande traduite en Français, comme l'hebdomadaire berlinois Signal , répand cette idéo-logie européenne. Les références à l'histoire et au "Reich fédérateur" introduisent en France une nouvelle vision du politique. Qui n'a guère eu d'épigones, faut-il l'ajouter.
Le PPF de Doriot, formation solide avant-guerre, passe du communisme de ses membres fondateurs au fascisme anti-communiste, surtout quand Doriot lui-même devient lieutenant de la Wehrmacht. L'anti-communisme du PPF prend souvent des tournures passionnelles et l'empêche d'élaborer un socialisme nouveau, inspiré, par exemple, des idées de De Man.
Parmi les écrivains les plus originaux et les plus typiques de l'époque, citons Drieu La Rochelle. Ancien combattant de la Grande Guerre, il est un écrivain hors ligne, fasciné par le mythe de la jeunesse et le culte de la force. Malheureusement, sa personnalité demeure fragile. Il ne sera pas un capitaine politique. Dans l'évolution doctrinale, dont nous venons d'esquisser les grandes lignes, Drieu a toute sa place car son culte de l'énergie l'a conduit successivement à admirer le monde anglo-saxon, puis le national-socialisme allemand et, enfin, peu de temps avant son suicide, il a placé ses espoirs dans les potentialités de la Russie de Staline.
Les réactions à l'encontre des thèses de Zeev Sternhell
Nous avons examiné trois réactions très différentes: celle d'Armin Mohler, auteur de Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1933 , celle du Club de l'Horloge, laboratoire d'idées des droites libérales en France (RPR,UDF,FN) et, enfin, celle du journaliste du Monde , Gilbert Comte, qui nous signale les détournements possibles, à des fins politiques, de l'œuvre de Sternhell.
Armin Mohler se félicite du succès des travaux de Sternhell parce qu'ils sortent les recherches sur le fascisme d'un ghetto où philosophes et sociologues voulaient encadrer ce phénomène politique très complexe dans des concepts trop rigides. Les études de Sternhell, écrit-il dans Criticón (n°76, mars-avril 1983), sont le fruit d'un travail d'historien qui ne se préoccupe que de saisir des événements uniques. L'unicité de ces événements interdit précisément de les enfermer dans des catégories toute faites, catégories qui seraient marquées du sceau de l'universel. Mohler apprécie le fait que Sternhell se soit davantage penché sur le fascisme proprement politique et non sur le fascisme de salon (dixit Mohler) ou le fascisme littéraire. Ensuite, il souligne l'importance de l'analyse strictement française que pose Sternhell. Pour Mohler, en effet, la France est le bouillon de culture d'une intelligence fasciste à l'état pur, qui ne se retrouve nulle part ailleurs en Europe. Si l'Italie et l'Allemagne ont connu des régimes "fascistes" (ou plus ou moins qualifiables comme tels) pendant vingt-et-un ou douze ans, la France a généré, elle, un fascisme épuré où transparaissent toutes les thématiques dans un langage simple, limpide, beau, facilement maniable et communicable aux masses. Pour Mohler comme pour Sternhell, c'est donc la France qui a inventé le fascisme à défaut de l'avoir mis en pratique. Le fascisme français doit sa pureté au fait qu'il n'est jamais passé à la pratique et aux compromissions qu'elle implique. Le "consensus républicain" a été inébranlable. Aussi inébranlable que les cénacles où germaient les diverses pensées fascistes françaises. Mohler admire aussi, chez Sternhell, le choix de la chronologie. Une chronologie exacte, figée, est impossible à déterminer pour ce qui concerne l'émergence, le développement et l'effondrement du fascisme français. Il existe une sorte de continuité qui va de 1885 à 1940. Mais Sternhell perçoit parfaitement, dit Mohler, que les années qui précédèrent 1914 sont plus importantes que celles d'après la Grande Guerre. Les fondements sont jetés; les générations ultérieures n'ont fait que les exploiter.
Autres mérites de Sternhell selon Mohler: il néglige l'étude des groupuscules bizarres, il considère que le fascisme, à son époque, est une idéologie comme les autres et non une aberration vis-à-vis de lois de l'histoire soi-disant infaillibles; pour Sternhell, enfin, le fascisme n'est pas le propre de groupes sociaux bien déterminés. La cause du fascisme ne réside pas dans une quelconque crise économique ou dans les résultats de l'une ou l'autre guerre mais bien dans l'effondrement de vieilles valeurs, de vieilles certitudes. Il est le produit d'une crise de civilisation.
Les valeurs qui s'effondrent sont celles du libéralisme, ce sont les convictions de la fin du XVIIIème. Les catalyseurs du phénomène fasciste sont surtout les "révisionnistes de gauche", soréliens ou adeptes des thèses de Labriola, de Michels, de Lagardelle et, plus tard, de Henri De Man. Le fascisme enregistre des succès parce qu'il faut aller, comme le disait De Man, au-delà du marxisme . La marque du socialisme révisionniste est telle qu'aucune équation entre fascisme et conservatisme ne s'avère possible.
Ce fait, qu'aucune équation entre fascisme et conservatisme ne s'avère possible, le Club de l'Horloge parisien compte bien l'exploiter. Pour poser l'équation "socialisme = fascisme", dans un but politicien et électoraliste. Henry de Lesquen rappelle les thèses de Sternhell pour signaler que le fascisme et la droite (à laquelle de Lesquen veut s'identifier) s'opposent et que, contrairement aux apparences, le nationalisme les sépare! Au cours du même colloque (consigné dans un livre intitulé Socialisme et fascisme: une même famille? , Albin Michel, Paris, 1984), le professeur François-Georges Dreyfus part, lui, de l'analyse de Hayek et met en exergue de sa contribution une phrase de Moeller van den Bruck, citée par l'auteur de The Road to Serfdom : "Toutes les forces antilibérales se liguent contre tout ce qui est libéral". Dreyfus explique la filiation qui relie le fascisme italien au socialisme révisionniste, le doriotisme au communisme pragmatique de son chef avant son émancipation par rapport au PCF, les éléments socialistes de la Konservative Revolution (Sombart, le "socialisme prussien" de Spengler et de Moeller van den Bruck, etc.), les racines socialistes de la NSDAP et leur mise en pratique sous l'impulsion du Dr. Ley. Dreyfus, tout en utilisant quelques arguments teintés de racisme (il évoque l'asiatisme de certains penseurs allemands comme Keyserling, Rathenau et surtout...Spengler! Cette notion d'asiatisme , il la puise dans l'ouvrage du maurrassien Henri Massis, L'Occident et son destin ), cherche a jeter les bases d'une interprétation néo-libérale des phénomènes politiques du XXème siècle. Il s'agit de rejeter a priori les idéologies ou les pensées qui se situent en marge des traditions libérales et social-démocrate keynésienne. Le communisme orthodoxe et le fascisme sont ainsi fourrés dans le même sac, parce qu'ils n'acceptent pas l'organisation libérale de l'économie de la planète. En fait, c'est un maccarthysme doré que nous livre le Club de l'Horloge. Il n'est plus question de mettre en doute le bien fondé des idées personnelles de Thatcher et de Reagan, puisées chez Friedmann et Hayek, von Mises et les néo-conservateurs américains.
C'est également ce que craignent Gilbert Comte et Claude Julien (directeur du Monde Diplomatique). Le point de départ de leur critique vient du fait que Sternhell juge le personnalisme de Mounier proche des fascismes des années trente. Claude Julien, dans son éditorial du Monde Diplomatique de mars 1985, écrit: "Pour que ce "libéralisme" (celui que redécouvre Louis Pauwels en même temps que les vertus chrétiennes et l'efficace stratégie de la secte Moon, ndlr) puisse prospérer, il importe de discréditer tous ceux qui, dans un passé encore proche, osaient en dénoncer les tares et lui opposer une autre conception de l'homme et de la société...". Claude Julien montre bien ici à quelles fins les thèses de Sternhell pourraient servir: la défense et l'illustration d'un "totalitarisme libéral", hostile à tout autre vision de la société que celle qui la soumet aux lois du marché. Et il ajoute: "Le reaganisme et le néo-libéralisme voudraient briser les solidarités humaines qui font la vitalité d'une société, tout subordonner à de prétendues lois économiques, évacuer tout idéal qui oserait s'opposer au matérialisme capitaliste; bref, leur affairisme et leur pseudo-réalisme renverraient dans les marges toute option qui ne serait pas exclusivement dictée par d'arbitraires priorités économiques. Enfin deviendrait gouvernables des sociétés ainsi dépolitisées ". Voilà donc l'analyse que posent Julien et Comte. Les transgressions sont dangereuses. Point de salut hors des ukases libéraux.
Certes, reprocher à Sternhell son manque de sérieux dans l'analyse des sources, comme le fait Gilbert Comte (Cf. Zeev Sternhell, "historien" du fascisme en France , in: Le Monde Diplomatique , mars 1985), est sans doute un peu fort. Néanmoins, inclure tous les révisionnismes socialistes et le personnalisme chrétien de Mounier dans une idéologie qui constitue "le diable" pour nos contemporains, permet des récupérations politiques dans le style de celle d'Henry de Lesquen et de François-Georges Dreyfus. Récupérations qui renforcent la restauration libérale qui, en Angleterre, aux Etats-Unis et en Belgique, est en train d'allier le libéralisme à l'Etat policier. Un phénomène est ainsi en gestation: le libéralisme policier. L'Europe connaît son "pinochetisme".
Quelle conclusion tirer de l'œuvre de Sternhell? D'abord que les manichéismes faciles sont désormais révolus. Le fascisme, démon rituel de nos médias, a été un phénomène capillarisé dans l'ensemble des sociétés européennes. Personne n'y a échappé, même pas ceux qui l'ont combattu. Il a exercé des séductions irréfutables. Le processus d'exorcisme, à l'œuvre depuis quarante ans, est donc condamné à l'échec: les thèses du fascisme, dont finalement aucune ne lui est propre, sont susceptibles de revenir sous divers oripeaux, écologistes, conservateurs ou socialistes. A propos du nationalisme, le sociologue ouest-allemand Arno Klönne (in: Zurück zur Nation? , Diederichs, Köln, 1984; Cf. également, Martin Werner Kamp, Retour à la nation? in: Vouloir n°15/16, avril-mai 1985) a montré comment les thèses néo-droitistes, écologistes, le nationalisme de gauche de Herbert Ammon et de Peter Brandt (le fils de Willy), le nationalisme plus traditionnel, fichtéen et idéaliste, de Bernard Willms, le neutralisme allemand actuel, les thèses "nationales-révolutionnaires" portées par des revues comme Aufbruch et Wir Selbst , l'analyse des sociétés occidentales effectuée par le sociologue conservateur Günther Rohrmoser, se mélangent en un cocktail explosif qui risque de reléguer le vieux conformisme libéral au dépotoir de l'histoire, réalisant en même temps un pas en avant vers la réunification allemande et la libération continentale à laquelle aspirent tous les Européens conscients, de l'Est comme de l'Ouest. Un fructueux pot-pourri, semblable à celui où ont germé non seulement les fascismes français, mais aussi les socialismes révisionnistes et le personnalisme chrétien (les "transgressions" de ce siècle), est en train de se constituer en Allemagne Fédérale aujourd'hui. Ce phénomène s'exporte rapidement dans tous les pays de l'Est européen, sous domination soviétique. Face à cette germination, un événement comme celui qui a secoué la France de la fin 1984 aux législatives de mars 1986, le phénomène Le Pen, est dérisoire. L'homme intelligent ne doit pas perdre de temps à analyser cette réaction épidermique, privée de toute espèce de clairvoyance politique et économique.
Aujourd'hui aussi les manichéismes s'effondrent.
Les libéraux aimeraient pourtant les restaurer. Ils aimeraient voir le monde divisé en "bons libéraux" et en "mauvais tous les autres". Pour sortir de l'impasse, la lecture de Sternhell nous apparaît indispensable; mais en tenant compte des avertissements d'un maître contemporain, Claude Julien.
Robert STEUCKERS.
Bruxelles, février-juin 1985.
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mercredi, 09 décembre 2009
L'alternative socialiste européenne
L'alternative socialiste européenne |
« Le socialisme a été, au XIXe siècle, une réaction contre les brutalités sociales de l’industrialisation dans une société dominée socialement par la bourgeoisie et idéologiquement par les libéraux. Mais le socialisme a toujours ambitionné d’être autre chose. Notamment de s’inspirer d’une autre vision de l’homme. Un homme non pas seulement ni même principalement régi par ses intérêts mais à la recherche de la satisfaction d’exigences fondamentales comme du lien social et de la coopération. En d’autres termes, tout socialisme repose sur une anthropologie distincte de celle des libéraux. Il repose sur une anthropologie non individualiste. En conséquence, il ne peut y avoir de social-libéralisme : il faut choisir, et les socio-libéraux, par exemple le parti actuellement dit socialiste, ont choisi, ils ont choisi le libéralisme. En identifiant le socialisme à la liberté au sens de l’autonomie de chacun, Jacques Généreux dit très justement : "Ce sont les liens qui libèrent." (Le Socialisme Néo-Moderne ou l’Avenir de la Liberté, Seuil, 2009). Tout est dit : à savoir que la vraie liberté, c’est d’assurer autour de l’homme l’existence et la vitalité d’un réseau de solidarités. Sur cette base d’une vision "solidariste" de la société, qui exclut les schémas de pure rivalité et d’addition d’égoïsmes, les socialistes ont proposé bien des projets dès le XIXe siècle. En écartant les utopies les plus précoces et souvent les plus idéalistes, les plus intéressants des projets ont toujours été ceux qui prenaient appui sur l’expérience ouvrière elle-même pour proposer des restaurations de la maîtrise du travail de chacun, ou encore des autogestions, ou encore des autonomies ouvrières. A côté de cela, la part faite à l’Etat dans les projets socialistes a toujours été variable, sachant que l’Etat fait partie du politique mais n’est pas tout le politique. […] La révolution socialiste dans l’aire de civilisation européenne comme réponse concrète et comme mythe mobilisation pour nos peuples. Ainsi pourra-t-il être mis fin au pseudo-"libre-échange" des hommes et des marchandises, c’est-à-dire à la "chosification" de l’homme. Ainsi l’immigration de masse pourra-t-elle être enrayée. Ainsi le déracinement pourra-t-il faire place aux liens sociaux de proximité et aux identités reconquises. Ainsi la nation pourra-t-elle être à nouveau aimée comme patrie socialiste dans une Union des Républiques Socialistes Européennes. Un beau programme, moins irréaliste qu’il n’y paraît, car l’illusion serait de croire qu’on peut rester libre dans le monde de l’hyper-capitalisme mondialisé. »
Pierre Le Vigan, "Union des patriotes contre le mondialisme ?", Flash n°13, 7 mai 2009 |
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mardi, 08 décembre 2009
Gildensozialismus
Gildensozialismus
Aus:
Harry Graf Kessler Aufsätze und Reden 1899-1933Gildensozialismus
(1920)
Bolschewismus und »Spartakismus« nehmen vor der Öffentlichkeit soviel Raum ein, daß die Entwicklung einer anderen, tief bedeutsamen Richtung innerhalb des Sozialismus ziemlich unbemerkt erfolgt ist. Diese neue Richtung macht sich seit kurzem in mannigfaltigen Formulierungen fast gleichzeitig in Deutschland, Österreich und England bemerkbar. Ihre Geschichte weist zurück auf den französischen Syndikalismus der ersten Jahre des Zwanzigsten Jahrhunderts, der – von Georges Sorel und seinem Intellektuellenkreis formuliert – die bis dahin bei der radikalen französischen Arbeiterschaft herrschende staatssozialistische Doktrin revolutionierte. Jener staatssozialistischen Idee setzte nämlich Sorel ein Programm entgegen, das als Ziel die Selbstherrlichkeit des einzelnen Betriebes oder wenigstens Produktionszweiges und die unbeschränkte Herrschaft seiner Arbeiter über seine Produktionsmittel und Produkte forderte und als wirksamstes Mittel zu diesem Ziele nicht erst die Eroberung der Staatsgewalt, sondern die direkte Besitzergreifung aller Produktionsmittel durch die Arbeiter mithilfe des Generalstreiks proklamierte. Aus diesem Ideenvorrat holte oder schuf sich die erste russische Revolution (1905) den Rätegedanken. Gleichzeitig begann aber auch schon der Syndikalismus den von ihm heftig bekämpften Marxismus zu befruchten. Und diese Kreuzung war der Ausgangspunkt der jetzt hervortretenden neuen Anschauungen.
Für ihre Verbreitung in Deutschland und Österreich muß es hier genügen, auf Otto Bauers ›Weg zum Sozialismus‹ und auf sein neues, glänzendes, in der ›Vossischen Zeitung‹ bereits ausführlich gewürdigtes Buch ›Bolschewismus oder Sozialdemokratie‹ hinzuweisen, ferner auf Hilferdings ›Mehrheitsbericht‹ der deutschen Kohlensozialisierungskommission sowie auf mannigfache Vorschläge von Walther Rathenau, Georg Bernhard und anderen für eine planmäßige Selbstverwaltung der Produktion. Diese Vorstellungen und Vorschläge nähern sich, von einer andern Seite, der sozialistischen Grundanschauung der ›Sozialistischen Monatshefte‹ und dem daraus folgenden Postulat eines Aufbaus der Gemeinschaftsproduktion, wie es auf dem zweiten Rätekongreß in Berlin von Julius Kallski und Max Cohen vertreten wurde.
In England, wo der französische Syndikalismus durch die Agitation des fanatischen und hochbegabten Arbeiterführers Tom Mann einen stürmischen, aber kurzlebigen Erfolg errang, gab den Anstoß zum sogenannten »Gildensozialismus«, in dem dort sich die neuen Anschauungen verkörpert haben, das 1906 erschienene Buch von Arthur J. Penty: ›The Restoration of the Gild System‹. Die eigentliche Theorie entwickelten in den nächsten Jahren die Schriftsteller A. R. Orage und S. B. Hodson in ihrer Zeitschrift ›The New Age‹ in einer Aufsatzreihe, die sie dann als Buch: ›National Guilds‹ herausgaben. Zu Einfluß gelangte die ganze Bewegung aber erst im Kriege, als die Notwendigkeit sich ergab, neue organisatorische Lösungen vorzubereiten für den Abbau der Kriegswirtschaft und für den Aufbau einer neuen Friedenswirtschaft. Ostern 1915 war als Propagandazentrum die ›National Guilds League‹ in London gegründet worden, und das allgemeine Bedürfnis nach neuen Organisationsformen der Wirtschaft bahnte ihren Ideen schnell einen Weg in die Arbeiterbewegung. Vor allem waren es gewisse einflußreiche Arbeiterführer, die das neue Programm in die Arbeiterschaft einzelner großer Produktionszweige hineintrugen. So schloß sich zum Beispiel der Generalsekretär der Bergarbeiterföderation Großbritanniens, Frank H. Hodges, der ›National Guilds League‹ an und begründete die 1918 vom Bergarbeiterkongreß der Regierung präsentierte Vorlage für die Sozialisierung des englischen Kohlenbergbaus auf dem Gilden-Gedanken. Auch der Vertreter dieser Vorlage vor dem Regierungsausschuß, der rasch zu großem Ansehen gelangte Arbeiter Straker, gehört zur ›National Guilds League‹. Noch bedeutsamer war der Anschluß der Eisenbahner, die ebenfalls ihr Sozialisierungsprogramm auf dem Gilden-Gedanken aufbauten; denn dieses übernahmen alsbald auch die amerikanischen und französischen Eisenbahner, so daß auch dort bereits eine gewaltige Bewegung den gleichen Zielen wie der Gildensozialismus nachstrebt. Die großen Eisenbahnerstreiks in diesem Jahre drüben und hüben bezweckten die Verwirklichung gerade von gildensozialistischen Forderungen.
Was ist nun das Neue und Positive am »Gilden-Sozialismus«? Zunächst ein großes Mißtrauen gegen den Staat und gegen jede Form des Staatssozialismus. Ein Mißtrauen, das im englischen Gildensozialismus vor allen Dingen wächst aus seinem Haß gegen jede Art von Despotismus. Dieses scheidet auch grundsätzlich den Gildensozialismus vom Bolschewismus. Der Pol, um den sich alle Gedanken der Gildensozialisten drehen, ist der der Freiheit, der zweckmäßigen Sicherung möglichst vollständiger politischer, wirtschaftlicher und kultureller Selbstbestimmung. Auf die Frage, was das Grundübel der modernen Gesellschaft ist, antwortet einer der bedeutendsten gildensozialistischen Schriftsteller, G. D. H. Cole, in seinem Buche ›Self Government in Industry‹ (London 1917): nicht die Armut weiter Schichten, sondern die Versklavung weiter Schichten. Der Arbeiter klagt die heutige Gesellschaft mit Recht an, nicht weil er arm, sondern weil er unfrei ist. »Die Massen sind nicht Sklaven, weil sie arm sind, sondern arm, weil sie Sklaven sind.« Das Problem ist nicht, dem Arbeiter mehr Lohn oder mehr Lebensannehmlichkeiten (etwa auf dem Wege patriarchaler Fürsorge) zu schaffen, sondern ihn zu einem freien Mann zu machen! Das Gegenteil der »gottgewollten Abhängigkeit« muß die Norm werden.
Aber außerdem verbindet er die Idee der Freiheit mit einer von Genossenschaftstheoretikern wie Gierke und dem Staatsrechtslehrer der Universität Bordeaux, Léon Duguit, übernommenen genossenschaftlichen Auffassung vom Aufbau der Gesellschaft und des Staates. Die Gesellschaft und der Staat sind danach nicht bloß ein Sammelsurium von geographisch durch die Landesgrenzen zusammengehaltenen Individuen, sondern ein kunstvolles Ineinanderarbeiten von tätigen genossenschaftlichen Gruppen. Der einzelne Mensch kann gleichzeitig einer ganzen Reihe verschiedener Gruppen (mehreren geographischen, mehreren beruflichen) angehören. Aber jede Gruppe ist trotzdem in sich geschlossen und von einem eigenen, spezifischen Leben erfüllt durch den Zweck, dem sie dient: durch die Funktion, die sie in der Gesellschaft ausübt. Nicht vom Staate, überhaupt nicht durch irgendwelche Verleihung oder »Delegation«, sondern aus sich selbst, aus ihrer Funktion, bekommt die Gruppe nicht bloß ihre Existenz, sondern auch ihr Recht, jedes ihr überhaupt zustehende Recht. Und zu diesen Rechten gehört auch für sie, ebenso wie für den einzelnen Menschen, die Freiheit, d. h. die Selbstbestimmung innerhalb der Grenzen ihrer Funktion. Die umwälzende staatsrechtliche und soziale Bedeutung dieser Anschauungen kann hier nur angedeutet werden. Es würde an dieser Stelle zu weit führen, darauf näher einzugehen. Nur ein Punkt muß noch hervorgehoben werden:
Den Rechten jeder funktionellen Gruppe steht die von diesen untrennbare Pflicht gegenüber, ihre Funktion möglichst vollkommen auszuüben, ihre funktionelle Energie auf das höchste zu steigern und daher allen Fähigkeiten innerhalb der Gruppe den Weg zu öffnen, damit sie ungeschmälert im Sinne der Funktion, der die Gruppe dient, wirken können. Auf dem Umwege über den Begriff der Funktion gelangt daher diese Anschauung zu einer neuen und erweiterten Begründung der menschlichen Freiheit: der Mensch muß frei sein, nicht bloß ganz allgemein als Individuum, als »Zeitgenosse« und gleiches unter gleichen Individuen, weil die Freiheit eine metaphysische oder ethische oder sentimentale Forderung ist; sondern er muß frei sein auch ganz besonders als tätiges Individuum, als spezifisches und ungleiches unter ungleichen Individuen, als Mitträger einer Funktion, als Glied einer innerhalb der menschlichen Gesellschaft spezifisch wirkenden Gruppe, damit seine Kräfte unvermindert zur Stärkung der Funktion, zur Stärkung der Gruppe bei ihrem funktionellen Wirken beitragen. Es ergibt sich ein Begriff der Demokratie, der, weit über das Politische hinausgreifend, alle Gebiete des menschlichen Lebens erfaßt und mit der Zeit verwandeln muß: der Begriff einer die einseitige, bloß politische Demokratie ergänzenden, allseitigen, funktionellen Demokratie, deren Ziel sich knapp in Nietzsches kraftvoll aktivistischen Worten formulieren läßt: »Freiheit sich schaffen, zu neuem Schaffen.«
Der Stellung des Arbeiters im modernen Unternehmen, dem Begriff der Lohnarbeit überhaupt widersprechen diese Forderungen, wie man sieht, von Grund auf. Denn der Arbeiter wird nicht mit allen seinen Kräften, als ganze Persönlichkeit, zur Produktion herangezogen, sondern nur als Lieferant einer Ware, seiner Ware »Arbeit«, die ihm der Unternehmer abkauft.
Und ebenso widersprechen jene Forderungen der Einstellung eines Produktionsprozesses auf den privaten Profit. Denn seine Rechte beruhen nach jener Theorie ausschließlich auf seiner öffentlichen Funktion (nicht auf dem Eigentum des Unternehmers). Seine Einstellung auf den größten privaten Profit statt auf den größten öffentlichen Nutzen und Bedarf ist daher eine Rechtsbeugung.
In beiden Punkten, in dem der Lohnarbeit und dem des privaten Profits, verlangt der Gildensozialismus einen radikalen Umschwung und bietet dafür jene Lösungen, die seine Eigenart ausmachen.
Die Lohnarbeit soll verschwinden dadurch, daß die Verwaltung der Unternehmungen den privaten Kapitalisten entzogen und auf die Gewerkschaften (Trade Unions) übertragen wird. Die Gildensozialisten weisen darauf hin, daß schon heute die Leiter, die technischen und kaufmännischen Direktoren, Aufsichtsratmitglieder usw. der großen Unternehmungen zum großen Teil nicht mehr mit eigenem Kapital arbeiten, sondern bloß Angestellte von Kapitalisten sind. Nunmehr sollen sie statt dessen Angestellte einer Gewerkschaft, der organisierten Werktätigen des betreffenden Produktionszweiges werden, wobei sie selbst als Mitbeteiligte am Produktionsprozeß ihre Stellung innerhalb der Gewerkschaft fänden. Jeder Produktionszweig der englischen Volkswirtschaft würde also eine von seinen sämtlichen organisierten Arbeitern und Angestellten verwaltete ›Nationale Gilde‹, die ganze englische Produktion eine planmäßige Maschine aus lauter selbstverwaltenden nationalen oder nationalföderierten Gilden, deren Mittelstück ein alle einzelnen Gilden zusammenfassender nationaler ›Gildenkongreß‹ zu sein hätte.
Damit wäre in der Tat die Lohnarbeit abgeschafft. Nicht aber ohne weiteres die Einstellung der Produktion auf den Profit. Denn ein selbstverwaltender Produktionszweig könnte ebenso für die in ihm organisierten Werktätigen wie ein kapitalistisches Unternehmen für seine Aktionäre sorgen und ebenfalls bloß auf deren Profit statt auf den gesellschaftlichen Nutzen und Bedarf sehen. Wer letzten Endes bestimmen soll, was und zu welchem Preise produziert wird, bleibt also problematisch. Auch sind sich in dieser Hinsicht die Gildensozialisten selbst noch nicht einig. Aber die Kämpfe, die um diese Frage in ihren Reihen vor sich gehen, sind gerade deshalb lehrreich. Und eine gewisse Klärung scheint sich anzubahnen. Ursprünglich beeinflußt von der staatssozialistischen, besonders durch den Altmeister des englischen Sozialismus, Sidney Webb, vertretenen Anschauung, daß der Staat, d.h. das Parlament der natürliche Vertreter der Konsumenten sei und als solcher das letzte Wort haben müsse, sind jetzt die Gildensozialisten, durch die Kriegswirtschaft abgeschreckt, eher geneigt, den Staat auch bei diesen Fragen zurückzudrängen. Die Sozialisierungsvorlage der englischen Bergarbeiter (1919) überträgt das Bergwerkseigentum nicht auf den Staat, sondern (Art. 5 und 1) auf einen zu gleichen Teilen von der Regierung und den Bergarbeitern (der Bergarbeiterföderation von Großbritannien) ernannten zwanzigköpfigen ›Rat‹ (›Mining Council‹), in dem der Staat nur insofern einen kleinen Vorsprung hat, als der Ratspräsident von der Regierung ernannt und dem Parlamente verantwortlich ist. Die Konsumenten als solche sind nicht vertreten, d. h. eben nur durch die Regierungsmitglieder im ›Rat‹.
Aber der Glaube, daß überhaupt der Staat (d. h. das Parlament) die gegebene alleinige und genügende Vertretung der Konsumenten gegenüber den organisierten Produzenten sein könnte, ist gerade in gildensozialistischen Kreisen stark erschüttert. Cole meint jetzt, daß es eine einzige, allumfassende Vertretung aller Konsumenten, wie der Staatssozialismus sie im Parlamente sehen will, überhaupt nicht geben könne, da die Interessen der Konsumenten viel zu mannigfaltig und widerspruchsvoll seien. Er verlangt zwar, daß die Vertretungen der Konsumenten geographisch abgegrenzt werden, im Gegensatz zu den beruflich abgegrenzten Produzentenorganisationen, lehnt es aber ab, das Staatsgebiet als die einzig maßgebende, ja auch nur als die wichtigste geographische Einheit anzusehen, erkennt vielmehr die Konsumentengruppe, die ein gemeinsames Interesse an irgendeinem Produkt oder Dienste hat, als eine wirkliche, lebendige Einheit an, die nach den Grundsätzen der funktionellen Demokratie von sich aus das Recht hat, die Befriedigung ihrer Bedürfnisse zusammen mit der Produzentengruppe zu regeln, und will daher je nach dem Produkt oder Dienst, dessen Art und Preis geregelt werden sollen, wechselnde Vertretungen der Konsumenten, deren geographische Basis auch verschieden groß sein kann. Also einerseits eine weitgehende Dezentralisation, so daß bei Bedürfnissen persönlicher und häuslicher Art örtliche Konsumvereine die Bestimmung hätten; bei mehr kommunalen Bedürfnissen örtliche, für das besondere Fach oder Produkt spezifische Vertretungen, die nicht etwa identisch wären mit unseren heutigen, unterschiedslos für alle Zwecke gewählten Gemeindevertretungen. Andererseits aber auch nationale und sogar internationale Zusammenfassungen der Konsumenten bei großen, gleichförmigen, nationalen oder internationalen Bedürfnissen oder Diensten. Mit diesem Ausblick, der auf das Gebiet des Völkerbundes hinübergreift, muß diese kurze, leider gar zu unvollständige Darstellung des gildensozialistischen Planes für die Organisation der Erzeugung und Verteilung enden.
Nur ein besonderer Fall soll zum Schluß noch kurz erwähnt werden, weil er die erste praktische Verwirklichung des Gildensozialismus werden könnte. Die Wohnungsnot hat im Januar dieses Jahres die Bauarbeiter von Manchester veranlaßt, ihre verschiedenen Gewerkschaften zu einem Gildenausschuß zusammenzufassen, der faktisch sämtliche Bauarbeiter der Stadt und Umgegend vertritt. Gestützt auf dieses Monopol, hat der Gildenausschuß dem Stadtrat von Manchester angeboten, sofort zweitausend Häuser zu bauen zu einem Preise, der wesentlich niedriger wäre als der von den Bauunternehmern angeforderte. Der Gildenausschuß verlangt als Gegenleistung nur Vorstreckung des nötigen Kapitals, wogegen natürlich die Stadt das Eigentum an den fertigen Häusern bekäme. Aus dem Artikel, in dem Cole (›New Republic‹ vom 3. März 1920) über diesen Plan berichtet, scheint hervorzugehen, daß seine Verwirklichung bevorstand. Man wird seine Fortschritte mit dem lebhaftesten Interesse verfolgen müssen, denn es wäre das erste Beispiel der wenn auch bloß örtlichen Selbstverwaltung eines großen und lebenswichtigen Produktionszweiges.
Quelle: http://gutenberg.spiegel.de/?
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samedi, 05 décembre 2009
Bertrand de Jouvenel, son amitié pour Pierre Drieu La Rochelle et les non-conformistes français de l'entre-deux-guerres
Séminaire de «Synergon-Deutschland», Nordhessen, 31 octobre 1998
Bertrand de Jouvenel, son amitié pour Pierre
Drieu la Rochelle et les non-conformistes
français de l'entre-deux-guerres
Le 11 novembre 1918, à onze heures, le vieux continent bascule dans le XXième siècle. L'Europe, qui dépose enfin les armes au soir de quatre années de lutte fratricide, peut contempler horrifiée les derniers vestiges de sa grandeur déchue. Élevés dans le culte positiviste du demi-dieu Progrès, fils de la déesse Raison, dix millions d'hommes, de frères, sont venus expirer sur les rivages boueux, semés de ferraille, tendus de barbelés, de la modernité. Nouveau Baal-Moloch d'une nouvelle guerre punique. Le premier, le poète Paul Valéry baisse les yeux devant tant de gâchis, et soupire: «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles (…) Nous sentons qu'une civilisation a la même fragilité qu'une vie». Malgré les sirènes bergsoniennes, dont le cri s'est depuis longtemps emparé des prophéties de Nietzsche, la France se réveille seulement de ses utopies. Il lui aura fallu pour en arriver là un million et demi de morts, deux fois plus de mutilés, une économie exsangue, un peuple tout entier anémié. Si pour les politiques unanimes, le responsable du massacre, c'est l'Allemand dans son essence, du Kaiser au plus petit fonctionnaire des postes impériales, la jeunesse pour sa part sent confusément que c'est toute l'Europe qui entre en décadence, menaçant jusqu'en leur tréfonds les bases de la civilisation.
De quelque nationalité qu'elle soit, le diagnostic de l'intelligentsia européenne est le même: 1918 marque l'entrée fracassante dans la «crise de civilisation». Des voix s'élèvent, d'Allemagne bien sûr avec Oswald Spengler et son Déclin de l 'Occident en 1922, mais aussi depuis la Grande-Bretagne, en les personnes de Norman Angel et le Chaos européen en 1920, ou Arnold Toynbee, qui publie L 'Eclipse de l 'Europe en 1926. Mais aussi depuis les exilés russes avec le Nouveau Moyen Age de Nicolas Berdiaeff (1924) sans oublier la France, Henri Massis et Défense de l'Occident en 1926, René Guénon, La Crise du Monde Moderne (1927) et André Malraux. Celui-ci, porte-parole des littérateurs à tendance révolutionnaire qui n'ont pas connu l'expérience de la guerre, embrasse toute la problématique de son époque dans son opuscule paru en 1926 et intitulé La Tentation de l'Occident .Il écrit: «La réalité absolue a été pour vous Dieu puis l'homme; mais l'homme est mort, après Dieu, et vous cherchez avec angoisse celui à qui vous pourriez confier son héritage. Vos petits essais de structure pour des nihilismes modérés ne me semblent plus destinés à une longue existence...». A droite comme à gauche de l'échiquier politique la désorientation et la révolte sont grandes, et l'on s'insurge contre une société qui a ainsi pu envoyer à la boucherie ses enfants pour le seul bénéfice de la bourgeoisie capitaliste. Beaucoup cherchent alors le salut à venir dans la révolution et se tournent vers un ordre nouveau qui mobiliserait toutes les énergies pour sauver le pays du marasme. Foulant au pied les vieilles chapelles partitocratiques, la jeunesse intellectuelle entre en ébullition dans ses deux décennies 1920-1930, appelant de ses vœux à l'Europe par-delà les patries, à une véritable tabula rasa contre la vieille bourgeoisie molle, fautive du charnier européen, tombeau de la civilisation.
Une mentalité générationnelle propre
Transcendant les querelles idéologiques, aspirant à prendre les rênes du pouvoir, cette fraction militante, éclatée en divers courants communément regroupés sous l'étiquette «non-conformiste», voit émerger quelques figures marquantes, pour la plupart issues des grands partis traditionnels. L'historien Philippe Burrin, discutant les thèses exprimées par Zeev Sternhell sur le «fascisme français», est arrivé au fil de ses recherches à sérier une mentalité générationnelle propre, unie dans la multiplicité des personnes, des revues, des cercles. Sur le débat non encore clos autour de l'imprégnation du phénomène fasciste sur ses différents mouvements, et par ricochet leur propre part de responsabilité dans l'émergence d'un large courant d'opinion favorable au fascisme (la thèse de la «nébuleuse concentrique fascistoïde» développée par Zeev Sternhell), il est convenu de scinder «l'esprit des années 30» en trois tendances:
- la Jeune Droite de Thieny Maulnier, brillant khâgneux dissident de l'Action Française,
- Esprit d'Emmanuel Mounier,
- et Ordre Nouveau d'Alexandre Marc.
Trois courants autour desquels gravitèrent de plus petites structures telles que Combat ou Réaction. Toutes convergeant vers une commune volonté de rompre avec le «désordre établi» pour un cornmunautarisme fédéral européen
Mais à trop focaliser leur travail sur les seules années 30 —relégant par là le mixtum compositum non-conformistes à une émanation supplémentaire de la pensée de droite face à l'hitlérisme—, les chercheurs en sont venus à oblitérer deux faits majeurs de la généalogie non-conformiste: la large provenance d'éléments de gauche, à l'apport théorique considérable pour le développement futur du courant personnaliste, et ce qu'on pourrait définir par esprit de contradiction d'«esprit des années 20», où seront jetées toutes les données de la mouvance.
Parmi cette nébuleuse, deux personnalités radicales-socialistes émergent: Bertrand de Jouvenel et Pierre Drieu la Rochelle. En marge du non-conformisme, dans le sillage du politicien Gaston Bergery, Jouvenel et Drieu seront de toutes les aventures intellectuelles de l'entre-deux-guerres. De la collaboration au périodique La Lutte des Jeunes à l'écriture d'essais théoriques inspirés de Henri de Man et au New Deal, en passant par des sommets d'amitié franco-allemande et l'engagement désespéré auprès du PPF doriotiste à la veille de 1939.
«De ces groupes, note le ténor du non-conformisme Jean de Fabrègues dans son livre Maurras et son Action Française, à ceux qui font la revue Plans avec Philippe Lamour ou à Alexandre Marc, ou à la Lutte des Jeunes avec Bertrand de Jouvenel et Pierre Andreu, ou à l'Homme Nouveau (...) ou même à Esprit avec Mounier et Izard, court une sorte de commune réaction. On écrira un jour: «la génération de 1930» et c'est vrai». Drieu Jouvenel, deux vies dans le siècle.
Deux voyageurs dans le siècle:
«Une génération forme un tout. Ceux qui lui appartiennent ont beau différer par leurs principes, leurs conditions, leurs natures? Ils sont plus près les uns des autres que de leurs pères ou de leurs fils. A subir les mêmes contagions, à se mêler aux mêmes combats, à se soumettre aux mêmes modes, aux disciplines sociales, aux conséquences des mêmes découvertes, ils ont acquis une unité morale, une ressemblance physique qu'ils ne remarquent point mais qui paraîtra flagrante à la postérité lorsqu'elle lira leur œuvre ou regardera leurs images». Ce n'est pas à Bertrand mais à son père, Henry de Jouvenel (1), qu'il revient d'avoir le mieux exposé dans La Paix Française, témoignage d'une génération (1932), ce que Denis de Rougemont nommera, pour sa part, «communauté d'attitude essentielle» dans le Cahier des Revendications de la NRF.
Dès à partir du milieu des années 20, «années décisives» s'il en est, la contestation s'est amplifiée parmi les rangs de la gauche. Motivé par la marche sur Rome victorieuse de Mussolini, par l'inquisition anti-trotskiste et l'excommunication de l'Action Française, le projet d'une «troisième voie» nationale se fait jour. Rénovation du politique, dynamique jeune, égale réfutation des modèles collectiviste et libéral, libération spirituelle et matérielle de la personne sont au centre des priorités. Tandis que Georges Valois, ancien animateur des Cahiers du Cercle Proudhon, fonde le Faisceau en 1925, un sémillant député radical-socialiste, Gaston Bergery, coordonne la fronde des «Jeunes Turcs» où s'illustre un journaliste fraîchement sorti de l'Université, Bertrand de Jouvenel, qu'inspire le thème de la «Quatrième République» défendu par Bergery. 1928 sera une année capitale pour Jouvenel.
Brillant combattant de 14-18, Bergery est rejoint au sein de la tendance réformatrice par un littérateur avec qui il s'est lié en 1916, Pierre Drieu la Rochelle. Mis en présence l'un et l'autre, Jouvenel et Drieu se rejoignent sur leurs espoirs européens, leur foi dans la SDN. Drieu a déjà publié quatre essais pro-européens à l'époque, Etat Civil (2), Mesure de la France (3), Le Jeune Européen (4) et Genève contre Moscou (5), où quatre thématiques essentielles se rejoignent:
- le patriotisme européen,
- la haine de la démocratie libérale,
- la crise spirituelle de l'Europe devant l'essor technologique,
- le socialisme éthique.
«L'Europe se fédérera, ou elle se dévorera, ou elle sera dévorée», écrit-il dans Mesure de la France.
Dans l'orbite de Bergery gravite un jeune éditorialiste, Jean Luchaire. Directeur du mensuel pacifiste Notre Temps depuis 1927, il n'hésite pas à ouvrir ses colonnes tant à l'équipe du Faisceau de Valois qu'aux idées révisionnistes du Belge Henri De Man, dont le planisme est divulgué en France par l'opuscule d'André Philip, Henri De Man et la crise doctrinale du socialisme.
Européisme et socialisme
Parues en 1928, les thèses de De Man impressionnent vivement Jouvenel, cependant que de nouveaux cercles d'inspiration planiste se constituent: X-Crise, Plans, Nouvelles Equipes. Le 31 octobre 1928, le premier exemplaire du journal La Voix sous la direction de Jouvenel sort de presse. De préoccupation socio-économique, le périodique expose un programme dirigiste qui entend se conformer aux nouvelles nécessités du temps:
«Assurer à la classe ouvrière un niveau de vie convenable par une politique de logement et un vaste système d'assurances (...)
«Assurer au peuple entier l'instruction gratuite, la sélection des plus aptes (...)
«Assurer le développement méthodique de la production de la production, selon un vaste plan qui encourage l'initiation individuelle.
«Assurer à l'Etat la compétence, à l'administration la promptitude, par la mise en œuvre des principes syndicalistes.
«Assurer la paix entre les peuples par l'arbitrage obligatoire
«Assurer la solution des problèmes économiques et sociaux par leur internationalisation.
«Voilà notre programme».
Simultanément paraît aux éditions Valois son premier livre, L'Economie Dirigée— Le Programme de la Nouvelle Génération. Jouvenel n'est pas le premier intellectuel du milieu luchairien à être publié par Georges Valois dans sa «Bibliothèque Nationale». Gaston Riou y a déjà sorti Europe, ma patrie et Luchaire s'apprête lui-même à y imprimer Une génération réaliste pour janvier 1929.
Européisme et socialisme réformiste forment les bases des revendications communes aux non-conformistes de gauche. Ni exaltée, ni utopiste, L'Economie Dirigée arrive en librairie pour son 25ième anniversaire. La recherche d'une marche économique socialement bénéfique cimente l'ouvrage. L'idée de plan est omniprésente. D'esprit saint-simonien selon ses propres propos, L'Economie Dirigée assigne aux industriels une mission sociale dans le développement harmonieux de la nation. Son dirigisme n'impose pas, mais incline la production grâce à la création d'un inventaire des possibilités de production nationale dont disposeraient les gouvernants. Novateur, son ouvrage récuse Wall Street comme Moscou et envisage un système de répartition des richesses équilibré, ni libertarien ni étatiste. «Au XlXième siècle, le travail a été la vache à lait du capital, au XXième siècle, le capital sera la vache à lait du travail» écrit-il alors, plein d'enthousiasme. Gorgée d'espoir, son corpus doctrinal élaboré, la jeune intelligentsia «rad-soc» marche à l'Europe. Le tremblement de terre américain du krach de 1929 est encore loin de faire ressentir ses secousses de ce côté de l'Atlantique, et les non-conformistes entendent œuvrer à la réconciliation franco-allemande concomitamment aux efforts de la Société des Nations. La jeunesse à la rescousse de ses pères. Non-conformistes et révolutionnaires-conservateurs se rencontrent pour relever l'étendard de Prométhée.
«Europe, Jeunesse, Révolution!»
«L'esprit de revanche de l'Allemagne a hanté ma jeunesse». La confession de Bertrand de Jouvenel n'est pas celle d'un cas isolé. La signature du Traité de Paix, où pas un Allemand ne fut convié à discuter des articles, est vécue par la jeune génération comme une injustice sans précédent dans l'histoire des relations européennes. L'article 231 du Traité de Versailles, qui reconnaît seule fautive l'Allemagne, entérine son dépeçage et la surcharge d'indemnités écrasantes, offense l'esprit européen qu'est censée défendre la Société des Nations. Et malgré la ratification des accords de Locarno, on sait l'édifice briandiste fébrile.
Humiliée, rejetée dans la crise économique par l'occupation de la Ruhr, I'Allemagne weimarienne peut à tout moment basculer. A l'esprit de réconciliation, la NSDAP montant rétorque par l'esprit de revanche. C'est à la jeunesse, pensent Jouvenel et Drieu, qu'il incombe de réaliser l'unité européenne.
Visionnaire mais surtout alarmiste, Drieu clame à qui veut l'entendre que «l'Europe ne peut pas vivre sans ses patries, et certes elles mourraient si en les tuant elle détruisait ses propres organes; mais les patries ne peuvent plus vivre sans l'Europe». Jouvenel et Drieu conjuguent leurs efforts et achèvent coup sur coup les manuscrits de Vers les Etats-Unis d'Europe (6) et L'Europe contre les Patries, deux essais prophétiques, pacifistes et antimilitaristes, fédéralistes et socialistes, en librairie en 1931. Raillant la devise de l'Action Française, «Tout ce qui est national est nôtre», Jouvenel place en sous-titre l'exorde suivant: «Tout ce qui est international est nôtre». Et de fait, depuis 1929, les jeunes radicaux se sont joints en un «front commun de la jeunesse intellectuelle», associant deux groupes:
- «l'Entente franco-allemande des étudiants républicains et socialistes» (lié au Deutscher Studentenverband)
- et le «Comité d'Entente de la jeunesse pour le rapprochement franco-allemand»,
initié par Jean Luchaire et Otto Abetz, dont le destin croisera à maintes reprises les routes de Drieu et Jouvenel.
Une connivence qui se matérialise en juillet-août avec la tenue des premières rencontres du «Cercle de Sohlberg», suivies en septembre d'un sommet à Mannheim, en août 1931 du congrès de Rethel auquel participe Jouvenel avec Pierre Brossolette. Au cours de ces réunions étudiantes, les deux parties s'entendent à récuser unilatéralement les clauses de Versailles et prônent de concert une réponse organique énergique au déclin de la civilisation.
Placées sous le credo de «révolution spirituelle», les intervenants du F.C.J.I. divergent cependant, césure majeure, sur la forme que devra prendre le nouvel ordre européen. Au nationalisme classique des Français, politique et culturel, s'oppose l'idée de «Reich» allemand, d'essence völkisch pour la plupart. Mais refus du nationalisme intégral comme de l'internationalisme réunissent les collectifs présents. Malheureusement ces rencontres se solderont par un échec. Deux événements de première importance dans le devenir des relations franco-allemandes vont torpiller les projets du Front Commun. En France d'abord, où la crise a atteint l'économie en 1931, la victoire ingérable du Cartel des Gauches aux législatives en 1932 débouche sur l'instabilité politique. Ni les Tardieu, Blum, Daladier ou Laval ne paraissent en mesure de répliquer à l'inertie qu'avaient manifestée avant eux les Clemenceau, Poincaré et Briand. Précipitées par la récession économique et la corruption des institutions les émeutes du 6 février 1934 poussent les intellectuels français à se repositionner par rapport a une nouvelle donne: fascisme et antifascisme. En Allemagne, par l'accession à la chancellerie d'Adolf Hitler en 1933, qui enterre la détente franco-allemande et sonne le glas du rêve lorcanien de désarmement. Déjà, la mort d'Aristide Briand, le 7 mars 1932, le jour même où Hitler obtint ses fatidiques 37% aux élections présidentielles, n'avaient pas manqué d'éveiller les craintes du Cercle de Sohlberg. Chacun avait compris que s'évanouissait le rêve d'une Europe fédérale. Au congrès de Francfort mené en février 1932 par Alexandre Marc d'Ordre Nouveau et Harro Schulze-Boysen de Planen succède en avril 1933 une rencontre à Paris sous l'impulsion de Luchaire avec, aux côtés de Drieu, Jouvenel et Fabre-Luce, des représentants des Jeunesses Radicales, du Sillon Catholique, de Jeune République, et du côté allemand des émissaires du nouveau régime. Ce colloque marque la fin des illusions et entérine le déclin du Front Commun.
Les réunions de Berlin et du Claridge, organisées par Jouvenel, Abetz et Kirchner, rédacteur en chef de la Frankfurter Zeitung passé au national-socialisme, destinées à «jeter les bases d'une société de coopération intellectuelle groupant l'élite (des) deux pays» (7), scellent logiquement le refroidissement des gouvernements français et allemand, dans un contexte nouveau de radicalisation des positions idéologiques. Des rencontres rhénanes ne subsistera que le goût amer d'un parallélisme d'idées dans le rejet, non dans les solutions proposées. A l'arrivée de Hitler, Bergery opposera désormais au “ni Droite ni Gauche” une nouvelle ligne stratégique marquant le retour du politique dans une logique de tensions nationale et internationale: démocratie contre totalitarisme.
Un exercice tercériste: “La Lutte des Jeunes”
La victoire du Cartel des Gauches en 1932 n'apporte que déception à Gaston Bergery, qui trahit son ambition d'un parti unitaire de la gauche. Rongeant son frein, il claque la porte du parti radical-socialiste en mars 33 et annonce simultanément la formation d'un Front Commun, anticipant le Front Populaire de 1936, qu'il veut antifasciste et anticapitaliste. Déat au nom des néo-socialistes et Doriot, venu sans autorisation du Parti Communiste, répondent présents. Drieu et Jouvenel rejoignent le mouvement et lancent début 1934 un bimensuel, La Flèche, qui expose les vues du Front Commun.
Drieu se cherche alors et oscille entre sa fascination pour l'efficacité communiste et son attirance pour l'héroïsme fasciste. L'idée d'une troisième voie lui apparaît de plus en plus comme une vue de l'esprit. Son chef-d'œuvre, Gilles, où Bergery parait sous les traits de Clérences, évoque ses tergiversations. La réponse ne se fait pas attendre. Pareils à Gilles, Drieu et Jouvenel vivent le 6 février 1934 comme un véritable électrochoc. Jouvenel prend la décision de fonder son hebdomadaire, qu'il intitule La Lutte des Jeunes. Au sentiment sourd d'une France passive, avachie a répondu la jeunesse descendue dans la rue. Mounier dans Esprit s'exalte pour cette «nouvelle génération», «neuve et hardie, qui sauve notre pays d'être le plus réactionnaire d'Europe»; Drieu, au comble de la joie, écrit: «On chantait pêle-mêle la Marseillaise et l'Internationale. J'aurais voulu que ce moment durât toujours». Plus circonspect, Jouvenel mesure pourtant l'émergence opportune d'un bloc de la jeunesse. Fidèle à la ligne non-conformiste, La Lutte des Jeunes s'adjoint la collaboration d'intellectuels d'horizons aussi divers que Mounier, Brossolette, Gurvitch, Beracha, Lacoste, Andreu. Et toujours Drieu.
Si Zeev Sternhell ne voit la que «fascistes, anti-démocrates et anticapitalistes» optant pour «un régime autoritariste et corporatiste» (simple préfiguration en somme de la Révolution Nationale pétainiste), le programme publié en première page de La Lutte des Jeunes est autrement plus réformiste et d'orientation planiste: «(...) Il faut “désembouteiller” les professions en permettant aux vieux de se retirer. Et il faut ainsi assurer l'embauchage des jeunes. Il ne suffira point de multiplier les stades, de faciliter la pratique du sport, il faudra encore permettre aux jeunes de vivre en pleine campagne durant un mois de l'année au moins (...) Où est la solution? Dans les camps de jeunesse qui peuvent être établis sur les domaines de l'Etat (...) C'est dans de pareils camps qu'une partie de la jeunesse chômeuse pourra être établie, y suivent des cours de formation professionnelle, travaillent dans des ateliers coopératifs».
Jouvenel rompt à son tour avec le Parti Radical mais se démarque de Bergery dont il pressent la perte de vitesse. Drieu devient le théoricien de la convergence. Seul il se réclame dorénavant du fascisme, écrivant le 11 mars 1934 dans sa chronique: «Il faut un tiers parti qui étant social sache aussi être national, et qui étant national sache aussi être social (...) il ne doit pas juxtaposer des éléments pris à droite et à gauche; il doit imposer à des éléments pris a droite et à gauche la fusion dans son sein». Il s'agit de ramener «les radicaux désabusés, les syndicalistes non fonctionarisés, les socialistes français, les anciens combattants et les nationalistes qui ne veulent pas être dupes des manœuvres capitalistes». Telle est la thèse de son livre Socialisme fasciste (8). Dans la foulée, Jouvenel lance des «Etats Généraux de la Jeunesse» auxquels prennent part une cinquantaine de groupes.
Le planisme de De Man, l'Union Nationale de Ramsay McDonald et le New Deal de Roosevelt
Où que se tourne le regard de Jouvenel, le triomphe du planisme le convie à s'en faire le propagateur français. En Belgique, c'est l'alliance que concluent à la Noël 33 Paul Van Zeeland, du parti catholique, premier ministre, et Henri De Man, vice-président du Parti Ouvrier Belge (POB), nommé ministre de la «résorption du chômage». En Grande-Bretagne, c'est la constitution d'un cabinet d'Union Nationale par Ramsay Mc Donald, chef du Labour Party et premier ministre britannique. Aux USA enfin, avec le 4 mars 1933 I'investiture de Franklin Delano Roosevelt, qui réoriente l'économie selon le modèle du New Deal. Un premier voyage effectue en Amérique fin 1931, ponctué d'un livre, La Crise du capitalisme américain, avait convaincu Jouvenel des tares intrinsèques, «génétiques» du système capitaliste. La victoire des Démocrates signe le retour de Washington sur Wall Street, d'un pouvoir volontaire, héroïque, d'un gouvernement qui gouverne. Le keynésianisme rooseveltien, que Jouvenel définit comme jumeau du socialisme alternatif de De Man, intègre pleinement sa vision économique: «Mais ce qui intéresse la prospérité de la nation, et du même coup sa puissance, ce sont les dépenses faites par les entreprises pour produire et pour investir en vue de produire plus et autre chose, et ce sont les dépenses faites par les travailleurs pour consommer plus et autre chose. L'harmonie entre ces catégories de dépenses et leur continuité, voilà qui est incomparablement plus important que l'équilibre budgétaire». Des propos criants d'actualité.
La Lutte des Jeunes n'était initialement conçue par Jouvene1 que comme le tremplin vers une nouvelle formation politique résolument d'avant-garde, et Drieu ne pense pas autrement. Aussi, quand les «Etats Généraux» marquent leurs premiers signes d'essoufflement, les deux intellectuels reportent aussitôt leur attraction sur la formation la plus originale de l'époque, le Parti Populaire Français de Jacques Doriot.
Grandeur et misère du doriotisme
En mai 1934, alors que paraissait le premier numéro de La Lutte des Jeunes, Jacques Doriot, meneur chahuteur et adulé du PC, est exclu de l'Internationale Communiste. Maire de Saint-Denis depuis 1931, le 6 février 1934 a pour lui aussi été décisif. Sans attendre la permission du parti. Doriot a mis sur pied un comité antifasciste dans sa ville et appelé à l'union de la gauche. Mal lui en prend car à l'époque la formule stalinienne du «social-fascisme» est encore de rigueur. Réélu maire en 1935, député en 1936, il fonde le PPF le 28 juin 1936 en réaction au Front Populaire.
D'emblée, le «Grand Jacques» attire à lui de nombreux intellectuels, dont Drieu et Jouvenel, qui le choisissent, l'un pour son attente d'un «nationalisme révolutionnaire» authentique, l'autre dans l'optique d'un programme planiste complet. Tous deux collaborent à la rédaction des périodiques L'Émancipation Nationale et La Liberté. Si Drieu justifie son adhésion par le nihilisme qui le gagne: «Il n'y a plus de partis en France, il n'y en a plus dans le monde... Il n'y a plus de conservateurs parce qu'il n'y a plus rien de nouveau. Il n'y a plus de socialistes parce qu'il n'y a jamais eu de chefs socialistes que des bourgeois et que tous les bourgeois depuis la guerre sont en quelques manières socialistes», Jouvenel s'appuie pour sa part sur les propres dires de Doriot: «Je ne veux copier ni Mussolini, ni Hitler. Je veux faire du PPF un parti de style nouveau, un parti comme aucun autre en France. Un parti au-dessus des classes (...)».
Accédant avec Drieu au bureau politique du parti en 1938, Jouvenel se fait l'avocat du planisme. Une fois de plus, la déconvenue est à la hauteur de leurs souhaits. Privé de son électorat traditionnel, le PPF compense ses pertes par un vote de droite qui l'attire vers le conservatisme le plus étriqué. Alors que Drieu s'éloigne, accusant Doriot d'abandonner son «fascisme révolutionnaire» pour un «fascisme réactionnaire» de compromission, Jouvenel constate l'échec du «socialisme à la française» qui l'avait mené au doriotisme. Définitivement sevré du PPF au soir des accords de Munich, que Doriot par pacifisme applaudit, Jouvenel rend sa carte en janvier 1939, ulcéré de la dérive antisémite du parti. Non sans avoir publié, ultime rebuffade devant les orages qui naissent au-dessus du continent, Le réveil de l'Europe. Relégué parmi les penseurs d'extrême-droite, Jouvenel devra s'adresser à Gringoire et Candide pour ses articles. Drieu poursuivra en solitaire sa carrière finalement plus anarchique que fasciste.
Faisant le point sur ses dix ans de revendication non-conformiste, Jouvenel confiera, dans son recueil de mémoires Un voyageur dans le siècle: «Nous étions une génération raisonnable, soucieuse de l'avenir, souhaitant que ce fut un avenir de réconciliation et de paix, et un avenir de progrès économique et social. Nous ne faisions pas de rêves. C'étaient hélas nos dirigeants qui rêvaient». Drieu suicidé en 1945, après que Jouvenel, réfugié en Suisse pour actes de résistance, ait vainement tenté de le retenir lors d'une de ses visites en 1943, celui-ci poursuivra son œuvre. Dénonçant l'inadaptation des appareils philosophiques et politiques aux mutations du monde moderne.
Aujourd'hui réduit à l'archéologie de l'histoire des idées, le courant anti-conformiste aura considérablement pesé après-guerre sur la génération fédéraliste des années 50, à l'origine du Conseil de l'Europe. Et quoi qu'en dise Zeev Sternhell, «l'esprit des années 30» n'aura pas été que le compagnon de route du fascisme. Michel Winock, historien issu des rangs d'Esprit, rappelle à juste titre le foisonnement de points de vue que Drieu et Jouvenel illustreront dans leur amitié: «Beaucoup de matière grise avait été dépensée. De tous ces plans, de ces programmes, de ces utopies, il reste seulement des archives quand la critique des souris n'a pas eu le temps de faire son œuvre. Néanmoins, quelques idées-forces germèrent, certaines pour alimenter la Révolution Nationale, où bon nombre de ces jeunes gens se retrouvèrent (ndlr: on pense à Luchaire, Doriot et Bergery), d'autre pour nourrir les programmes de la Résistance pour une France libérée et rénovée. On avait assisté à un feu d'artifice de la jeunesse intellectuelle. Les étincelles de quelques fumées persisteront». (extrait de Le Siècle des intellectuels, Seuil, 1997).
Nul doute que la pensée fédéraliste, telle que définie par Bernard Voyenne, aura abondamment puisé dans le personnalisme. Pilotes du mouvement, les revues La Fédération et Le XXème Siècle Fédéraliste compteront ainsi parmi leurs parrains les signatures de Halévy, Andreu, Daniel-Rops, Rougemont et bien sûr Jouvenel.
Juste reconnaissance pour celui qui dépassant les clivages aura aussi bien collaboré à Vu qu'à Marianne, à L 'Œuvre qu'à Paris-Soir. Pour autant, Jouvenel se détachera rapidement des tumultes politiques de l'après-guerre, navré de l'imprévision des hommes: «De 1914 à 1945, I'Europe se sera quasiment suicidée, de même que la Grèce dans sa guerre de Trente Ans. Et comme la Grèce s'était retrouvée par la suite exposée aux influences contraires de la Macédoine et de Rome, de même l'Europe entre la Russie et les Etats-Unis». Après La défaite, livre publié chez Plon en 1941, signifiait son abattement: «Il n'est pas douteux que la France aurait pu faire à temps sa propre révolution de jeunesse. Le fourmillement des manifestes, d'idées, de plans, de petits journaux et de jeunes revues qui suivit le 6 février 1934 en témoigne amplement. Les mêmes tendances anticapitalistes et antiparlementaires s'exprimaient dans la jeunesse de droite et dans la jeunesse de gauche, qui d'ailleurs multipliaient les contacts». Son maître-livre, Du Pouvoir, imprimé à Genève dès 1945, demeure la désillusion de toute une élite. La mort volontaire de Drieu n'y aura sans doute pas été étrangère.
Laurent SCHANG.
(1) directeur du quotidien Le Matin, ministre de l'instruction publique (1924), haut-commissaire au Levant (1925-1926). Epoux de Colette.
(2) 1921.
(3) 1922.
(4) 1927.
(5) 1928.
(6) qui paraît chez Valois.
(7) où sont présents Fernand de Brinon, Jean Luchaire, Jules Romains, Paul Morand, Drieu la Rochelle.
(8) publié en 1934.
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samedi, 28 novembre 2009
Hommage à Panajotis Kondylis
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998
Hommage à Panajotis Kondylis
(1943-1998)
Toute fama passe. C’est un adage que Panjotis Kondylis, philosophe grec né en 1943, a médité calmement. Il savait que si son œuvre était publiée d’abord en langue grecque, elle n’aurait guère d’impact. Kondylis s’est demandé s’il devait publier en anglais, en allemand ou en français. Finalement, il s’est décidé pour l’allemand. Aussi, dès cette décision prise, il a passé chaque année de sa vie six mois dans les bibliothèques de Heidelberg, six mois dans sa patrie hellénique.
La vie de Kondylis était celle d’un savant isolé, espèce en voie de totale disparition aujourd’hui. Kondylis était indépendant sur le plan matériel car il était issu d’une famille fortunée. Cette indépendance matérielle garantissait son indépendance d’esprit.
Son premier ouvrage, publié en 1979 et épais de 700 pages était la continuation d’études entamées à Heidelberg (Die Entstehung der Dialektik - Eine Analyse der geistigen Entwicklung von Hölderlin, Schelling und Hegel bis 1802; = La naissance de la dialectique. Analyse d’une évolution intellectuelle de Hölderlin, Schelling et Hegel jusqu’en 1802). Ensuite, il a publié Die Aufklärung im Rahmen des neuzeitlichen Rationalismus en 1981 (= L’idéologie des Lumières dans le cadre du rationalisme moderne). Kondylis n’interprétait pas les Lumières comme une idéologie découlant des principes de la rationalité (sapere aude) mais comme une réhabilitation de la sensualité. Le livre témoigne d’une immense culture livresque, même s’il apparaît un peu sec dans sa volonté opiniâtre de démontrer une thèse unique. Kondylis n’aimait pas les gris. Son ouvrage le plus connu, édité en 1991, Der Niedergang der bürgerlichen Denk- und Lebensform - Die liberale Moderne und die massendemokratische Postmoderne (Le déclin de la forme de pensée et de vie bourgeoise - La modernité libérale et la postmodernité démocratique de masse), était en fait une analyse du phénomène de la masse, de la société et de la démocratie des masses.
En 1992, parait Planetarische Politik nach dem Kalten Krieg (= Politique planétaire après la Guerre Froide). En 1996, Montesquieu und der Geist der Gesetze (= Montesquieu et l’esprit des lois). Mais dans les rangs des divers conservatismes, deux livres ont surtout mobilisé les attentions: Macht und Entscheidung (1984; = Pouvoir et Décision) et Konservativismus - Geschichtlicher Gehalt und Untergang (1986; = La conservatisme: contenu historique et déclin). Effectivement, sur le conservatisme, peu de livres ont donné une description aussi fouillée du phénomène. La conclusion de Kondylis, contenue déjà tout entière dans le sous-titre de l’ouvrage, a suscité pas mal de critiques. Kondylis affirmait effectivement: «Le conservatisme est mort. Il est historiquement lié à une époque, celle de la noblesse. Tout ce qui, ultérieurement, s’est donné le nom de “conservatisme”, devrait plus être qualifié de “vieux-libéralisme”, car une telle appelation serait plus exacte. Car ces conservatismes sont dorénavant soumis aux conditionnements de la modernité...». Mais c’est surtout sa thèse principale qui a été rejetée comme trop “mécanique”, malgré l’admiration de toute sa corporation pour une certaine pertinence de sa démonstration et pour son enquête à travers toutes les sphères culturelles de l’Europe: Kondylis affirmait qu’avec la dissolution des restes de la société civile médiévale, c’est-à-dire avec l’abandon de la féodalité et l’élimination des avantages juridiques et publiques de la noblesse, le conservatisme politique avait factuellement cessé d’exister.
Enfin, au moment de sa mort, Kondylis, le réaliste qui méprisait la “lourdeur moralisante”, travaillait à un ouvrage en trois volumes sur la “socio-ontologie”. Hélas, la Grande Faucheuse l’a emporté le 10 juillet, quelques heures avant qu’il ne quitte Athènes pour se rendre à Heidelberg.
Hans B. von SOTHEN.
(hommage paru dans Junge Freiheit, n°30/1998).
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vendredi, 27 novembre 2009
Tussen nationaal en internationaal kapitaal
Tussen nationaal en internationaal kapitaal
Geplaatst door yvespernet op 20 november 2009
Inleiding
Bedrijven klagen graag over wetten en regels die staat uitvaardigt m.b.t. interventie in de economie. We stellen echter ook vast dat de meeste bedrijven zich zullen uitspreken in voorkeur voor een staat. De staat kan immers de bedrijven beschermen en een economische politiek voeren waar zij baat bij hebben. Ook de arbeiders hebben baat bij een staat die zorgt voor sociale wetgeving en dus sociale rust, waar de bedrijven op hun beurt dan weer baat bij hebben. Algemeen gezien kan men stellen dat een volksnationalistische staat zorgt voor de nodige economische, politieke en sociale stabiliteit om in een degelijk niveau van welzijn én welvaart te voorzien. Maar tegenover deze bedrijven staan de grote multinationals van het grootkapitaal die net zullen ijveren naar zo weinig mogelijk staatsingrijpen. Dit omdat hun vertakkingen immers internationaal zijn en van zo een grote omvang dat zij enkel nog maar kunnen tegengehouden worden door staatsingrijpen. Zonder dat ingrijpen zouden zij immers monopolieposities kunnen innemen en volledig hun zin doen, vaak met desastreuze ecologische, sociale en economische gevolgen . Het is dus zeer belangrijk om in te zien dat men niet kan spreken van “hét kapitaal”, maar dat we een onderscheid moeten maken tussen het nationaal kapitaal en het internationaal (groot)kapitaal. Voor we dus verdergaan over de rol van de staat is het even nodig om stil te staan bij het verschil tussen deze twee.
Het verschil tussen nationaal en globaal kapitaal
Het nationaal kapitaal verkiest zich te hechten aan een staat en diens inwoners om zijn economische activiteiten te ontplooien. Ze zullen hun best doen om zoveel mogelijk van de subsidies in handen te krijgen om hun activiteiten op nationaal niveau uit te bouwen. Eventueel zijn daar wel internationale vertakkingen bij, maar deze vorm van kapitaal blijft zijn zwaartepunt in één land houden en zal bij besparingen ook in dat land als laatste besparen.
Het internationaal grootkapitaal heeft geen binding meer met één land. Hun hoofdvestiging is niet uitgekozen vanwege een emotionele verbinding, maar vanwege pure machtspolitiek. Zij zullen zich vestigen in een sterke staat die ze kunnen gebruiken om andere landen onder druk te zetten. Zodra zij echter kunnen, zullen zij echter de macht van de staat op de economie ondermijnen om hun activiteiten te vergroten. Voor het grootkapitaal telt enkel winst en nog meer winst.
Dit verschil is belangrijk voor onze strijd aangezien we vriend van vijand moeten kunnen onderscheiden. We zijn geen marxisten die alle kapitaalbezitters smeerlappen vinden, wij wensen ook niet een communistisch systeem te organiseren waarbij vooral de armoede collectief bezit is. Het is echter wel onze strijd dat wij wensen te strijden tegen entiteiten die onze eigenheid en onafhankelijkheid aanvallen. En momenteel is het grootkapitaal “goed” bezig met dat te doen en helaas met succes. Daarom moeten we ook onze bondgenoten gedeeltelijk zoeken in het nationale kapitaal, zonder daardoor blind te worden voor het feit dat ook in het nationale kapitaal elementen zitten die maar al te graag tot het internationale grootkapitaal willen horen.
De legitimatie van de staat
Liberalen en anarcho-kapitalisten stellen het bestaan van de staat en diens macht over maatschappij regelmatig in vraag. De eersten willen nog een minimum aan staat behouden, anarcho-kapitalisten willen echter alle vorm van staat afschaffen en alles overlaten aan de bedrijven en de vrije markt. Voor ons solidaristische volksnationalisten is dit echter onmogelijk. Wij beschouwen de staat immers als een hulpmiddel en een verdediging van de volksgemeenschap. In onze visie dienen de staatsgrenzen getrokken te worden rond de grenzen van volkeren en niet omgekeerd. Vanuit die optiek is de volksgemeenschap dus de kern en drijvende motor van het bestaan van de staat en tevens de oorzaak en middel van die staat om te functioneren. Verder stellen wij ook dat door het bestaan van de staat de volksgemeenschap en diens economie kan worden beschermd tegen het grootkapitaal dat enkel denkt aan winst en niets geeft om sociale wetgeving, of de ecologische en sociale gevolgen van hun manier van zaken doen.
Maar het is belachelijk om te denken dat een staat altijd perfect functioneert. Indien dat wel het geval zou zijn, zouden we niet met de problemen van vandaag de dag zitten. Het is dan ook belangrijk om een nationaal besef van plicht in te bouwen in de mensen die de bureaucratie van de staat bemannen. Wanneer de staat immers geplaagd wordt door grote corruptie en belastingsgelden het centrale gezag niet bereiken, zullen mensen de staat gaan beschouwen als een manier op zich om winst te maken. Waarop het centrale gezag vervolgens zal reageren door de staat te gaan gebruiken als een verzameling middelen die verkocht kunnen worden om aan geld te geraken. Niet enkel in de huidige corrupte Afrikaanse staten kunnen we dit terugvinden, ook bij ons hebben we dit probleem gehad in de geschiedenis van de staatsvorming. Kijken we maar naar de 16de eeuw waarbij posities in de staat verkocht worden. Als deelnemer aan het parlement van Parijs moest men gewoon 6.000 livres betalen in 1522, tegen 1600 was dit 60.000 livres geworden , om deze functie te krijgen. Normaal vereiste dit juridisch onderwijs en kunnen, maar doordat het centraal gezag constant geld nodig had, door het ontbreken van een vaste stroom belastingen en de visie op de staat als een manier van persoonlijke verrijking, en dus dit soort functies verkocht.
Sterker nog, een nachtwakerstaat zoals vele liberalen voorstellen is net veel kwetsbaarder voor dingen als een staatsgreep. Het principe van een staat houdt immers nog steeds in dat een staat de volledige autoriteit heeft binnen de bevoegdheidsgrenzen die door de staat worden gesteld. Maar wanneer de staat zijn handen aftrekt van belangrijke en winstgevende economische sectoren, kweken zij een groot ongenoegen naar de bevolking toe. Dit doordat dit meestal gebeurt in landen waar multinationals opeens enorm veel macht krijgen en allesbehalve ethisch handelen. Dit leidt tot sociale onrust waar de staat, wegens gebrek aan financiële middelen, niet kan ingrijpen. Landen waar de staat de controle afgeeft op economisch vlak zijn dan ook kwetsbaarder voor militaire staatsgrepen . Kijken we bvb maar naar landen waar de staat zich volledig heeft teruggetrokken uit de oliesector en die bedrijven grote macht hebben. Nigeria is daar een goed voorbeeld van, waar de Movement for the Emancipation of the Niger Delta, vecht tegen het beleid van Shell. Shell heeft ook in het verleden reeds voorvechters van de bevolking daar laten vermoorden. In het geval van de Niger delta en Shell heeft Shell meerdere keren in het verleden zelfs geweigerd om te betalen voor de door hen veroorzaakte milieuschade . Pas onlangs hebben zij een minimum aan schadevergoeding betaald voor de moord op een emancipatievoorman. Ook moeten we onthouden dat een machtsvacuüm altijd opgevuld zal worden. Als het centrale gezag ondermijnd wordt, zal het gezag steeds op een lager niveau worden hersteld . Het resultaat van het uitvoeren van dit soort anarchistische avonturen zal dan ook enkel leiden tot het opkomen van lokale krijgsheren die de volksgemeenschap enkel verdelen.
Een andere kritiek die vaak wordt gehoord over de staat is de stelling dat staatsbedrijven hopeloos inefficiënt zijn en gigantisch veel verlies draaien, ten koste van de gemeenschapsgelden van de belastingen. Het is een feit dat staatsbedrijven vaak door politieke spelletjes beperkt worden in hun werking en ook dringend gesaneerd moeten worden. We mogen ook de dubieuze rol van sommige vakbondsmilitanten niet negeren. De vakbond is een organisatie die wij dienen toe te juichen, maar zoals bij andere organisaties zitten ook daar rotte appels die liever staken omdat dat spannender en leuker is. Het is dan ook nodig dat het personeelsbeleid bij de overheid op kwaliteiten en werkinzet worden gebaseerd en niet op vaste benoemingen moet steunen, al mogen we natuurlijk niet raken aan het principe van sociale wetgeving en bescherming.
Maar we mogen ook een andere visie hierop niet vergeten: overheidsbedrijven die niet geprivatiseerd geraken, zijn vaak de sectoren waar bedrijven (nog) geen winst op kunnen maken. Wanneer de staatsbedrijven immers geprivatiseerd worden, zien we niet een daling in prijzen en een verhoging in aanbod. Integendeel, de liberalisering van de energiesector in België zorgde ervoor dat energieprijzen hier 30% naar boven gingen. De liberalisering van het spoorwegsysteem in Groot-Brittannië zorgde voor grote prijsstijgingen, een grote stijging in ongelukken en het bijna instorten van het spoorwegsysteem . Het hebben van staatsbedrijven die betaald worden door belastingsgeld heeft reeds in het verleden aangetoond dat het een beter aanbod kan geven dan de liberalisering van die bedrijven. Kijken we maar naar de voornoemde voorbeelden of als we verder van huis willen kijken: Indië. Een Indische studie naar tevredenheid van klanten over dienstverlening en aanbod van producten in de banksector had als resultaat dat de overheidsbank Bank of India op alle vlakken het best scoorde . Een ander heikel punt met het bestaan van de staat zijn de belastingen.
De staat en belastingen
Wanneer we de grenzen van soevereiniteit tussen bedrijven en de staat, en dus tussen economie en politiek beleid, willen bespreken, is het nodig om de zaken concreter te bekijken. Immanuel Wallerstein heeft in zijn “World System Analysis” gesteld dat de soevereine staten proberen om in de volgende zeven gebieden zoveel mogelijk autoriteit op te bouwen : (1) Staten zetten de regels uit waar de voorwaarden bepaald worden waarin kapitaal, goederen en arbeid hun grenzen mogen overschrijden. (2)Staten bepalen de wetten met betrekking tot eigendomsrechten. (3) Staten bepalen de regels met betrekking tot arbeids- en loonsbeleid. (4) Staten bepalen welke kosten bedrijven moeten internaliseren. (5) Staten bepalen welke economische sectoren gemonopoliseerd mogen worden en in welke mate en vorm. (6) Staten bepalen de mate, vorm en inning van belasting. (7) Staten kunnen ingrijpen in het beleid van bedrijven binnenin hun grenzen, waarmee zij echter ook indirect de beslissingen van andere staten bepalen.
We hebben elders in dit artikel reeds besproken dat het internationale grootkapitaal ijvert om zoveel mogelijk beperkingen op de vrije handel af te schaffen. Hiertegenover staan dan de arbeidersbewegingen die net staatsinterventie willen om zo sociale wetgeving af te dwingen. Het is echter ook duidelijk dat vele grote bedrijven toch wel een zekere vorm van staat willen behouden om bepaalde dingen af te dwingen. In het begin van dit hoofdstuk hebben we het reeds gehad over hoe de centrale staat in de eerste plaats zijn macht uitbreidde om zoveel mogelijk belastingsgeld naar de staat te kunnen doen vloeien. Om uit te leggen waarom vele van de grote bedrijven toch nog steeds een zekere vorm van staat willen, is het nodig om het principe van belastingen en de gevolgen van het gebruik daarvan van naderbij te bekijken.
Één van de meest gehoorde, en favoriete, kritieken op het principe van de staat is dat zij belastingen heffen. Sterker nog, heel het principe van belastingen heffen is net één van de kernpunten geweest waar heel het principe van de staat rond gebouwd is geweest in vroegere eeuwen. Er wordt wel eens gezegd dat niemand graag belastingen betaalt, maar eigenlijk is dit helemaal niet zo. Al zullen velen het niet graag toegeven, bijna iedereen, zowel bedrijven als personen, wilt belastingen afdragen zodat de staat kan zorgen voor bepaalde voorzieningen die opgebouwd en onderhouden worden met belastingsgeld. De grote kritiek op belastingen komt eigenlijk neer op twee bedenkingen:
Het belastingsgeld wordt niet nuttig besteed: deze kritiek komt neer op de bedenking dat het belastingsgeld niet gebruikt wordt om diegenen te helpen die het braaf afdragen, maar om politici, bureaucraten, de staat zelf of vreemdelingen te onderhouden. En we kunnen inderdaad stellen dat in vele West-Europese staten het belastingsgeld op deze manier wordt misbruikt.
Hoe meer belastingen voor de staat, hoe minder geld de anderen hebben: belastingsgeld afdragen betekent eigenlijk het plaatsen van persoonlijke financiële middelen in één grote gemeenschappelijke pot, waarover de controle in handen ligt van de vertegenwoordigers van de gemeenschap, maar niet in de handen van de individuele leden van die gemeenschap.
Wanneer we kijken naar de tweede bedenking, botsen we ineens op een praktisch gevolg van belastingsgeld. De staat herverdeelt het belastingsgeld via sociale voorzieningen, openbare voorzieningen en subsidies. Dit gecombineerd met het feit dat de staat tevens de controle heeft over de wetten m.b.t. personen- en goederenverkeer geeft de staat eigenlijk enorm veel macht. Zodra de staat echter die macht gebruikt, kunnen we niet spreken over neutraliteit. Elke beslissing die de staat neemt op dit vlak is automatisch een bevoordeling of benadeling van de vele groepen, personen of bedrijven in de samenleving. Er bestaat dan ook geen neutrale houding van de staat wanneer het op ingrijpen in de markt aankomt, net omdat de staat de beschikking heeft over grote financiële stromen, namelijk de belastingen. Door het aanwenden van deze belastingsgelden bepaalt de staat een zeer groot deel van de samenleving. De subsidiëring van bepaalde culturele initiatieven en het niet-subsidiëren van anderen kan zeer diepgaande effecten hebben op de ontwikkeling van de geesten in de maatschappij.
Vanuit die optiek is het dus naast monetaire politiek ook zeer belangrijk om als staat een controle te behouden over de inning van de belastingen. Met het gebruik van deze collectieve pot geld kan men immers meer doen dan de staat onderhouden en in openbare voorzieningen voorzien, het kan ook een cultuurbeleid en een mentaliteit sturen. Het kan ook een economie wijzigen door bepaalde sectoren, of zelfs individuele bedrijven, te bevoordelen. Dit is dan ook één van de redenen dat bedrijven nog steeds een zekere mate van staat zullen aanvaarden. Door het huidige systeem waarbij de politieke elite samenspant met de economische en culturele elites, is het beheersen van de staat handig om zo aan extra gelden voor het bekomen van een agenda. Ondanks het feit dat ik in de vorige stukken heb gesteld dat een staat soeverein moet zijn in zijn gebieden, volgens de zeven stellingen van Immanuel Wallerstein, sluit dit echter toch niet uit dat een staat invloed heeft op het beleid van een andere staat zonder dat daarbij noodzakelijk sprake moet zijn van geweld.
Conclusie
We kunnen dan ook stellen dat voor ons solidaristische volksnationalisten het van vitaal belang is om een functionerende staat te hebben die de volksgemeenschap en diens economie ondersteunt om zo het algemeen belang te dienen. Offensieven van het internationale grootkapitaal hiertegen dienen tegengehouden worden door een nieuw nationaal verbond van werkgevers en werknemers. Die eersten kunnen gemotiveerd worden om hier te blijven door speciale verankeringswetten (belastingsvoordelen als een bedrijf minstens x-aantal jaar gegarandeerd hier blijft en bij eventueel faillissement onder tijdelijke overheidscuratele komt). De staat dient ook zijn legitimatie uit de volksgemeenschap te halen omdat hij anders zijn volledige bestaansrecht verliest. Onze revolutie dient dan ook niet alleen een volksnationale revolutie te zijn, ze dient ook een revolutie in de structuren te zijn. Edgard Delvo zei het nog het beste door te stellen dat een volksgemeenschap dient ondersteunt te worden door een volksstaat.
Aldus, laten we strijden voor de Dietse Volksstaat!
Yves Pernet
Bronnen
- ROBIN, M.-M., “De wereld volgens Monsanto”, Uitgeverij De Geus, Breda, 2009
- WIENSHER-HANKS, M., “Early Modern Europe, 1450-1789”, Cambridge University Press, Cambridge, 2006, pp.96-97
- WALLERSTEIN, I. “World system analysis: an introduction”, Duke University Press, Durham, 2004, p.53
- <http://globalguerrillas.typepad.com/globalguerrillas/2006/05/journal_shell_r.html> (nagekeken op 17 juni 2009)
- “In the ongoing war between Shell Oil and Nigeria’s open source guerrilla movement (MEND), has reached a new level. Shell Oil was ordered by a Nigerian court (likely with Nigerian government support) to pay $1.5 billion in reparations for environmental damage to the Niger delta. Shell has refused to pay”
- WALLERSTEIN, I. “World system analysis: an introduction”, Duke University Press, Durham, 2004, p.53
- BROWN, E., “The Web of Debt”, Third Millenium Press, Baton Rouge, 2008, p.415
- HUMMEL, W., “A Plan for Monetary Reform”, < http://wfhummel.net/>
- WALLERSTEIN, I. “World system analysis: an introduction”, Duke University Press, Durham, 2004, p.46
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Panajotis Kondylis: Pouvoir et décision
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998
Panajotis Kondylis: Pouvoir et décision
Les livres les plus intéressants de Panajotis Kondylis, décédé en juillet dernier, sont: Geschichte des Konservativismus, Theorie des Krieges, Der Niedergang der bürgerlichen Lebensform et Macht und Entscheidung (= Histoire du conservatisme, Théorie de la guerre, Le déclin de la forme vitale bourgeoise et Pouvoir et décision). Dans Pouvoir et décision, Kondylis plaide pour une forme de la pensée qui a été copieusement décriée au cours des dernières décennies, et qui est le fondement de la démarche philosophique de Carl Schmitt. Kondylis justifie l’option de Schmitt en défendant le décisionnisme, tombé dans le discrédit depuis que les penseurs “héroïques” de la “révolution conservatrice” s’en sont emparé. Dans son ouvrage sur la décision, Kondylis démontre, appuyé sur ses innombrables connaissances, que toutes nos identités collectives et individuelles, y compris leurs expressions philosophiques ou rationnelles les plus élevées, reposent sur un fondement inaliénable qui est toujours une décision initiale, irrationnelle en dernière instance, révélant un rapport ami/ennemi.
Les idées sont dès lors des armes, qui servent l’objectif biologique de la lutte pour la survie ou pour l’accroissement de ses propres forces. La croissance et l’augmentation volontaire de ses potentialités dépendent étroitement, en fin de compte, de l’impératif de survie, auquel on ne peut se soustraire. Justement, c’est dans les périodes de crise que les individualités et les collectivités reviennent aux racines de leur propre identité, pour se renforcer et maintenir leurs forces. De ce fait, dans la formation des systèmes de pensée identitaires, la logique est un moyen parmi d’autres moyens, mais auquel on peut finalement renoncer.
Dans les systèmes théologiques, les principes de l’homme-créé-àl’image-de-Dieu et la faillibilité humaine constituent des contradictions sur le plan logique; de même, dans l’anthropologie de l’émancipation (Aufklärung), on trouve une contradiction: l’homme est une fraction de la nature, et, en même temps, les normes culturelles conditionnent le libre exercice de la volonté. Mais ces contradictions s’évanouissent dès qu’on les considèrent comme l’expression d’une volonté de pouvoir légitime. Les idées et les formes du savoir ne cherchent pas à “reflèter” la réalité: elles sont bien plutôt des constructions et des interprétations qui servent d’armes dans la confrontation ami/ennemi.
Comme Odo Marquard l’a remarqué: vouloir exprimer des vérités éternelles soustraites au temps est l’illusion majeure de la classe bourgeoise, qui pense qu’elle est au-dessus de toutes les autres classes. Les mythes, les religions et les idéologies sont donc des décisions au niveau de la Weltanschauung, qui assurent la permanence et la stabilité des identités. Souvent, la situation historique fait qu’il devient nécessaire de faire subir aux identités des mutations complètes, parce que la communauté politique ou nationale doit survivre. Le maintien de l’identité est un impératif existentiel que l’on ne peut toutefois pas détacher des circonstances spatio-temporelles. Même si l’identité est une fiction, elle demeure un impératif inaliénable. Si une individualité se rencontrait elle-même en temps que personne, mais dans un état antérieur à celui qu’elle revêt aujourd’hui, elle ne s’identifierait pas nécessairement à elle.
Holger von DOBENECK.
(article paru dans Junge Freiheit, n°34/1998; trad. franç.: Robert Steuckers).
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mardi, 24 novembre 2009
Le rapport politique-ésotérisme: entretien avec le Prof. G. Galli
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997
Le rapport politique-ésotérisme
Entretien avec le prof. Giorgio Galli
Pendant de nombreux siècles, les rois, les empereurs, les hommes politiques, toujours isolés de leurs contemporains, ont demandé les conseils de “mages”, d'astrologues, de voyants, d'alchimistes, avant de prendre des décisions importantes. Ces curieux conseillers étaient toujours présents, plus ou moins officiellement, dans l'orbite des hommes qui les consultaient fidèlement. La révolution scientifique nous a fait croire que le mystérieux filon occulte qui s'insère entre la politique et les pratiques ésotériques s'était dilué et avait disparu. Mieux vaut être prudent avant de l'affirmer péremptoirement! Même à notre époque pleinement sécularisée, marquée par un grand scepticisme, par l'athéisme généralisé, on peut repérer les liens obscurs unissant de mystérieuses congrégations aux hommes du pouvoir.
Giogio Galli, professeur d'histoire des doctrines politiques à l'Université de Milan, s'est préoccupé de ces thématiques, en écrivant des livres qui ont suscité la curiosité, l'intérêt mais aussi causé une certaine inquiétude. Nous lui avons demandé de nous expliquer dans quelle mesure l'ésotérisme influence les lieux du pouvoir dans le monde occidental, au seuil du troisième millénaire.
GG: «Les rapports entre l'ésotérisme et la politique n'ont plus de nos jours la continuité qu'ils avaient dans les temps passés, mais le phénomène n'est pas pour autant épuisé depuis l'avènement de la révolution scientifique. Il est moins apparent, mais il est néanmoins présent. En notre siècle qui s'achève, à côté des idéologies de masse qui ont favorisé l'avènement de l'homme nouveau, dominateur de la technique et de la science, forgé dans l'acier des fabriques et prêt à se jeter dans les tempêtes d'acier comme l'a décrit Ernst Jünger, nous voyons réémerger des cultures anciennes qui, bientôt, influeront les événements historiques. De la mystérieuse figure de Raspoutine installée à la cour des Tsars aux voyants consultés par Hitler pendant la guerre, on constate que les hommes à la tête de la politique mondiale contemporaine ont consulté des astrologues connus: autant de phénomènes qui contredisent l'apparent cynisme de notre société contemporaine et démontrent que l'homme, même s'il est puissant, a besoin de croire en quelque chose».
Q: Depuis plusieurs années, vous avez étudié les rapports entre la culture politique et les anciennes cultures ésotériques. En lisant vos livres consacrés à cette thématique, comme Hitler e il nazismo magico, La politica e i maghi, Alba magica, des pans obscurs des époques historiques récentes se révèlent et j'ai noté que l'ésotérisme en politique intéresse davantage la droite que la gauche. Comment cela se fait-il?
GG: «Je crois plutôt que la présence de l'occultisme est transversale et se retrouve dans tous les camps politiques, même si divers penseurs auxquels la droite extrême fait constamment référence, comme Julius Evola ou Ernst Jünger, ou l'entourage des SS de Himmler, ou les savants nationaux-socialistes qui se préoccupaient du Graal, se sont profondément intéressés aux arts ésotériques. Les écrivains Pauwels et Bergier, auteurs d'un livre devenu rapidement très célèbre, Le matin des magiciens, ont donné une définition lapidaire du national-socialisme: «C'est Guénon plus les Panzerdivisionen». René Guénon fut un grand connaisseur des cultes traditionnels pré-chrétiens et est devenu une sorte de “phare illuminant” pour certains cercles de la droite dure en Europe. Ces phénomènes idéologico-politiques nous amènent à constater ce que vous venez d'évoquer dans votre question: l'ésotérisme semble être un engouement des droites dures, mais, à l'analyse, on doit constater qu'il est présent dans toute la sphère politique et n'est nullement un apanage exclusif des droites. La recherche de l'irrationnel est profondément ancrée dans l'âme humaine. La science ne peut pas expliquer aux hommes pourquoi ils sont nés, pourquoi ils tombent amoureux, pourquoi ils meurent, etc.».
Q.: D'aucuns prétendent que lorsque l'on ne croit plus en Dieu, on croit en tout le reste...
GG: «Nous nous trouvons face à une grande crise des religions institutionalisées de modèle occidental. Le christianisme s'est transformé, alors que le mystère nous accompagne tout au long de notre vie. Le sacré connait une éclipse, aussi parce que l'Eglise catholique ne réussit plus à donner une réponse convaincante aux questions que les hommes lui posent. L'illusion des Lumièresa réduit les mystères de l'univers, ce qui s'est avéré une erreur. En outre, dans le monde entier, on assiste à un retour aux peurs ataviques de la fin des temps, parce que nous approchons le passage d'un millénaire à un autre. Toutes ces situations sont le terrain de culture de doctrines plus ou moins ésotériques, présentes en filigrane dans la société moderne: de l'homéopathie au New Age, de la prolifération des cartomanciennes aux prédicateurs itinérants. Ce vaste champ, qui a été jusqu'ici ignoré des historiens et des sociologues, pourrait être défini comme celui de la “fantapolitologie”: il pourrait révéler des indices intéressants sur la société actuelle. C'est pour cette raison que j'étudie le phénomène avec une attention soutenue».
Q.: Les symboles utilisés par les mouvements politiques peuvent avoir une signification dépassant le message politique proprement dit et renouer avec des mythes très anciens. Que pensez-vous de la récupération par la Lega Nord de Bossi des traditions celtiques et lombardes-germaniques? Et du symbole de la Padanie, le “Soleil des Alpes”?
GG: «Il me semble que la Ligue, qui existe depuis bientôt quinze ans, a connu des évolutions diverses. Le concept de Padanie est très récent et s'est imposé dans une phase de l'évolution du mouvement, où l'aspect symbolique est devenu plus important, où l'on assiste à la réémergence graduelle de cultures alternatives, y compris dans le champ politique. Aujourd'hui, la Ligue cherche à créer une identité padanienne, mais qui ne pourra pas se profiler sur une base seulement économique, religieuse ou linguistique, vu que la Padanie n'est pas l'Ecosse. D'où le projet de fonder cette identité sur un symbole fort. Indubitablement, la symbolique padanienne semble jouir d'un certain succès: la couleur (le vert) et le symbole (le Soleil des Alpes) sont immédiatement et clairement perceptibles. Evidemment, nous ne sommes pas en mesure de jauger de l'efficacité d'un tel message à court terme. Je ne crois pas que la référence à la culture celtique soit adaptée à la Padanie actuelle. Les Celtes possédaient une vision du sacré fortement liée à la nature. Les prêtresses druidiques y jouaient un rôle important. Les croyances celtiques n'ont rien de commun avec la culture des habitants de la Padanie en 1997».
Q.: De quoi parlera votre prochain livre?
GG: «Il traitera d'un aspect social particulier de l'Italie contemporaine. Je vais me référer au premier livre que j'ai écrit et j'intitulerai mon nouvel ouvrage Italia e meriggio dei maghi (= L'Italie et le midi des mages). Je parlerai des innombrables personnes qui se sont rapprochées des cultures restées jusqu'ici marginales dans la société post-industrielle. Je vais démontrer que ces personnes n'ont pas choisi cette voie parce qu'elles se défient de la science, ou qu'elles ne l'ont pas empruntée uniquement en raison d'une telle méfiance. En Italie, un quart de la population se tourne désormais vers la médecine alternative, croit aux horoscopes, visite les cartomanciennes ou se rapproche des philosophies orientales. L'Italie est en train de changer, sous bon nombre d'aspects».
(propos recueillis par Gianluca Savoini, parus dans La Padania, 22 oct. 1997; trad. frtanç.: Robert Steuckers).
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mercredi, 18 novembre 2009
Elk volk zijn socialisme!
Elk volk zijn socialisme!
Opmerkelijk is dat een aantal mensen uit de rechtse traditionele Vlaamse Beweging (voor zover daar nog “bewogen” wordt) plots het solidarisme herontdekt hebben, en daarbij menen te kunnen stellen dat het N-SA ten onrechte van de term “solidarisme” gebruik maakt. Ik verwijs hierbij naar een artikel van de hand van Stijn Calle dat verscheen bij het internetmagazine ‘Bitterlemon’. Omdat hierbij op een aantal vlakken nogal kort door de bocht werd gegaan, dit artikel als antwoord.
Ten eerste meent de heer Calle het verzamelbegrip “solidarisme” te moeten definiëren. Goed, en ook nodig, maar wat ons betreft kan de verscheidenheid binnen wie en wat zich doorheen de tijden als solidaristisch bestempelde niet zomaar plotsklaps ingeperkt worden tot de eigen visie. Solidarisme is en blijft een verzamelbegrip. De Fransman Léon Bourgeois, de christendemocraat Leo Tindemans, Verdinaso-leider Joris van Severen… noemden zich allen ooit “solidarist”. Hun mening(en), visies en initiatieven kunnen onmogelijk los gezien worden van het tijdskader en de maatschappelijke omstandigheden, en wijken vaak sterk onderling af en dus ook van wat vandaag het N-SA zegt of doet. Om maar te stellen hoe uiteenlopend de invullingen van dat solidarisme kunnen zijn. Niemand die dat betwist, maar toch meent de heer Calle dat hij bijvoorbeeld de Franse vrijmetselaar Léon Bourgeois kan verbannen uit het solidaristische kamp, omdat Calle aan het solidarisme een uitdrukkelijke Rooms-katholieke spirituele basis toekent. Het is juist dat de Rooms-Katholieke Kerk (RKK) in de ontwikkeling van haar sociale maatschappelijke leer in zeer belangrijke mate heeft bijgedragen tot de ontwikkeling van diverse solidaristische stromingen (cfr. Pesch, Rerum Novarum,…). Net omwille van die grote verscheidenheid binnen “het solidarisme” en het feit dat wij deze niet willen inperken door eenzijdige definities, heeft het N-SA destijds de benaming van het “nieuw-solidarisme” aangenomen.
Maar in zijn definiëringsijver gaat de heer Calle nog wat verder en stelt dat het solidarisme een “concretisering van wat gemeenschappelijk in tijd en ruimte de derde weg wordt genoemd”. Die “Derde Weg” is een al even problematisch verzamelbegrip als politiek “links” en “rechts” of zoals “het solidarisme” zelf. Die Derde Weg betekent in de eerste plaats afstand nemen van het politieke en maatschappelijke bestel dat door de heersende ideologie wordt gevormd met haar politiek-filosofisch centrum, linker- en rechterzijde. En dat doet Calle niet, integendeel hij wenst er een uitdrukkelijk rechtse (“radicaal rechts”) invulling aan te geven. Dat “het solidarisme” tot nog toe steeds leefde bij mensen en groepen die als “rechts” te catalogeren zijn, verandert niets aan het feit dat die Derde Weg de facto betekent dat er kruisverbanden worden gelegd uit diverse filosofische, wetenschappelijke, politieke… richtingen. Het N-SA bekent zich tot die Derde Weg, en neemt bijgevolg dus afstand van wat gemeenzaam “extreem-rechts” of eufemistisch door henzelf als“radicaal rechts” wordt omschreven. Net omdat het om een nieuw project voor een nieuwe tijd gaat, die op zowat alle vlakken lijnrecht ingaat tegen de heersende ideologie en haar politieke, maatschappelijke en institutionele systeem. Die Derde Weg betekent afstand nemen van het (conservatieve) status quo of van reactionair gedachtegoed. We raken hier onmiddellijk aan de kwestie van het nationaal-revolutionaire denken, waarover verder meer.
Een gebrek aan die eerdergenoemde spirituele basis van het solidarisme wordt het N-SA verweten, en daarmee zijn we bij het tweede punt van kritiek aanbeland. Onterecht, maar allicht heeft de heer Calle hier zijn mening gevormd op basis van wat op het debat van 3 oktober werd besproken, en waar die spirituele basis nauwelijks of niet aan bod kwam. Kern van zijn betoog is dat het solidarisme een beroep doet op een spiritualistische inhoud en zich daarmee onderscheid van zowel liberalisme als socialisme. Dat is juist en N-SA erkent dit ook, voor zover met dit socialisme de marxistische varianten bedoeld worden! Calle situeert die spirituele basis echter – in tegenstelling tot het N-SA - uitdrukkelijk en exclusief binnen het katholieke geloof. Dit anno 2009 doen, betekent zo veel als het organiseren van de begrafenis van het solidarisme. Immers de sociale leer van de RKK en de geloofsmatige basis daarvan, kan niet los gezien worden van het instituut die de Kerk op zich is. De Kerk socialiseert nauwelijks nog, haar macht en invloed bij de brede bevolking krimpt, nog slechts een kleine minderheid van Vlamingen is overtuigd katholiek gelovig en leeft ook volgens haar geloof, een grote maar slinkende groep Vlamingen bewijst er nog latent lippendienst aan. Bovendien wordt die grotendeels inhoudelijk gelijklopende spirituele basis evengoed geboden door andere filosofische overtuigingen, die soms diametraal tegenover het katholicisme staan. Ik verwijs hier bijvoorbeeld naar de Franse Nouvelle Droite rond Alain de Benoist met haar Manifest voor Europees Herstel en Vernieuwing dat aan de vooravond van de eeuwwisseling werd gepubliceerd.
In Vlaamse conservatief-katholieke en andere Vlaamsgezinde kringen die zich bij tijd en wijlen op solidarisme beroepen, is het echter al decennia lang (ongeveer sinds eind de jaren ’70 van vorige eeuw) oorverdovend stil aangaande theorievorming en concrete stellingname inzake solidarisme. Is het intellectuele luiheid en/of desinteresse? In elk geval is het claimen van of het ontzeggen aan anderen van “het solidarisme” vanuit die hoek dan ook op z’n zachtst gezegd potsierlijk te noemen. Het heeft er ook toe geleid dat – zeker op partijpolitiek vlak – conservatieve liberalen en zelfs neoliberalen de kaas van tussen het solidaristische brood namen. Wat men nog onder solidarisme kan verstaan bij de overblijvers, is niets meer dan een vorm van liefdadigheid die de bittere pil van economisch (neo)liberalisme moet vergulden. Tenzij deze mensen standpunten zouden verdedigen waar ze eigenlijk niet achter staan… Het soort solidarisme dus, waar destijds de katholieke baron Woeste zich op beriep toen zijn Bokken pensen mochten uitdelen aan de arbeiders en Daens door hen als… socialist werd versleten. Structurele wijzigingen in het sociaal-economische en maatschappelijke bestel zijn dan ongewenst, het conservatieve status-quo ten voordele van de machthebbers en het heersende regime kan er maar wel bij varen, maar dat is geenszins wat het N-SA wenst.
En daarmee komen we bij een volgende punt van “kritiek”: rond het N-SA hangen er te veel socialistische zwaveldampen, hetgeen wel des duivels moet zijn voor de gemiddelde conservatief. Zoals eerder gezegd, het N-SA heeft daar geen probleem mee, op voorwaarde dat we het hebben over niet-marxistisch socialisme. Het is een onderscheid die men ter klassieke rechterzijde wel eens durft te vergeten. Geen oubollige 20ste eeuwse retoriek en/of achterhaalde begrippen en inzichten, maar een nieuwe analyse die gebruik maakt van het eerder aangehaalde leggen van kruisverbanden over filosofische grenzen heen, zowel historisch als hedendaags.
Als nieuw-solidaristen menen wij dat we een kader kunnen aanreiken voor een vorm van socialisme dat vorm kan geven aan de maatschappij voor de Lage Landen. Elk volk zijn socialisme, wars van elke vorm van internationalisme en wat ons betreft voortbouwend op de brede en zeer gedifferentieerde solidaristische traditie (bewegingen, personen…) in de Lage Landen. Dit socialisme is zonder meer een ethisch socialisme, het is niet de abstracte ideeënconstructie maar de bezielende idee die de voornaamste taak van het nieuw-solidarisme omlijnt: de vorming van de gemeenschapsdienende persoonlijkheid bevorderen in deze tijd van een ontworteld begrip inzake persoonlijke vrijheid en een massaal verspreid materialistisch egoïsme. Voor nieuw-solidaristen is dit socialisme geen systeem, geen wetenschappelijk omkleedde constructie, maar eerder een vorm van geloof. Een geloof in het zinvolle van mens-zijn, een geloof in zelfontwikkeling en –ontplooiing voor elke mens in een omgeving waar welzijn hoger geacht wordt dan welvaart, zonder het belang van het materiële te willen ontkennen of verwaarlozen. Immers, om het even welk beleidssysteem dat er niet zou in slagen om de productieve krachten in de bevolking arbeid te verschaffen en een zekere mate van materiële welvaart te verzekeren, kan mensen hun zelfachting niet teruggeven. Een dergelijk systeem is op zich verwerpelijk en als het zichzelf niet naar de ondergang werkt, verdient het enkel maar op weg naar die ondergang gezet te worden.
Concreet betekent dit dat het N-SA de onzalige belangenstrijd door een solidariteitsbewustzijn tussen alle lagen van de bevolking wenst te vervangen en bijgevolg ook aanstuurt op de structurele en institutionele veranderingen die dit moet helpen mogelijk maken. Het N-SA bepleit de vorming van een volksfront en wijst bijgevolg automatisch klassenstrijd af! Er gaapt een zeer wijde kloof tussen het ethische socialisme van het nieuw-solidarisme enerzijds en het belangensocialisme van het marxisme anderzijds. Toch moet gesteld dat we in tegenstelling tot de klassieke conservatieven wel geloven in een – weliswaar beperkte – mate van maakbaarheid van de maatschappij. Zoniet, blijft elk solidarisme steken in liefdadigheid binnen het bestaande politieke, economische en institutionele systeem dat uitblinkt in wankelmoedigheid, immobilisme en willoze, besluiteloze regeringen. Het N-SA pleit dan ook voor de vorming van een nationaal-democratie, waar orde, gezag en autoriteit als wapen tegen willekeur en dictatuur gelden en waar medemenselijkheid niet langs het dwaalpad van liberale “vrijheid” loopt maar wel langs vrij aanvaarde plicht. Enkel plichtenleer is ethisch verantwoord, want wie de absolute individuele vrijheid als het hoogste goed erkent, aanvaardt onmiddellijk ook het recht ze naar eigen goeddunken te gebruiken en dus ook te misbruiken.
Ondanks de afwijzing van het marxisme, moeten we ook hier een kanttekening maken. Marx en zijn theorie kunnen op diverse wijzen worden benaderd. Wie een correct oordeel over Marx wil vellen zal en kan niet uit het oog verliezen dat in de maatschappelijke toestand en de kapitalistische verhoudingen van die tijd, de arbeiders wel degelijk proletariërs waren en dat de klassenstrijdleer van toen de belichaming was van de socialistische drang naar menselijke waardigheid. Marx wenste een menselijkere wereld, maar hij heeft zich vergist. Marx was fout indien hij dacht dat door het vervangen van het kapitalistisch productieproces door het collectivistisch model, meteen ook het egocentrische individualistische mensentype zou vervangen worden door een altruïstische, sociaalgezinde mens. Een betere maatschappij vergt boven alles een betere mens, en beter word je als mens door ethiek hoog in het vaandel te voeren en door het streven naar een zinvoller leven dat in ruime mate aan medemensen tegemoet komt. Marxisme kan beschouwd worden als een wetenschappelijke theorie en dan is het boven alles een analysetheorie van het kapitalisme van de 19de en begin 20ste eeuw, niet van het socialisme! Marx was correct toen hij het klassenbewustzijn van de arbeiders vooropstelde als sociologische integratiekracht met het oog op hun politieke en sociaal-economische ontvoogding, hij was fout toen hij daarop meende een sociale theorie te kunnen bouwen wegens te abstract, te gelijkschakelend, en vooral voor de dag van vandaag te sterk verouderd. Als dit woord (“klasse”en andere terminologie) dus voorkomt in discours van politieke militanten zowel binnen het N-SA als daarbuiten in niet-marxistische kringen, moet dit gezien worden in het licht hiervan. Het nieuw-solidarisme is geenszins gebaseerd op dit klassebegrip, wel integendeel!
Meteen raken we nog een volgende punt van kritiek aan, onder andere door de heer Calle aangehaald op het debat van 3 okt. jl., namelijk dat het principe van een vakbond tegengesteld zou zijn aan “het solidarisme”. Vakbond, syndicalisme, klasse, revolutie… zijn dan allemaal termen die toegewezen moeten worden aan het marxisme (of varianten daarvan) en die zogezegd niet zouden passen in het solidarisme. Dit is zowel historisch als inhoudelijk fout. Historisch gezien hebben diverse vakverenigingen in de eerste helft van de 20ste eeuw bijgedragen aan het ontstaan van een sterke solidaristisch geïnspireerde beweging in het toenmalige katholieke Vlaanderen. De Werkmansbond tot Zelfverdediging en het Vlaams Nationaal Vakverbond zijn maar twee voorbeelden hiervan. Of de rol die Jules Declercq speelde binnen het Verdinaso, wat vooral te maken had met het syndicalisme. Het Verbond van Nationale Arbeiderssyndikaten (NAS) vormde de belangrijkste wervingsbasis voor het Verdinaso, ondanks het gestook van nogal wat clerus tegen het NAS en het Verdinaso. Meermaals namen Dinaso-publicaties het op voor nationaalsyndicalisten.
De kritiek op de klassieke partijvakbonden van toen geldt ook nu nog: het zijn partijsyndicaten die een staat binnen de staat vormen, en waarvan de top belang heeft bij het status-quo. Er moet een onderscheid gemaakt worden tussen de bestaande toestand en wat daarmee aangevangen moet worden enerzijds, en de gewenste toestand in de toekomst zoals de nieuw-solidaristen dit zien anderzijds. De gewenste toestand is eenvoudig: syndicalisme is een systeem binnen hetwelk de economie kan worden geordend, sociale orde en rechtvaardigheid kan worden uitgebouwd. Nu is onderhand genoeg gebleken is dat correcties op het liberaal-kapitalisme voortdurend onder druk staan van neoliberale dwaalideeën. Het is een geheel waar verplichte samenwerking nieuwe instituten (vroeger corporaties genoemd) creëert, die voortbouwen op de Europese continentale traditie van sociaal overleg en waarin een vakbond dus een nieuwe invulling krijgt van haar taken die meer afgestemd zijn op de noden in de 21ste eeuw. In een tijd waarin zowat alles is gedegradeerd tot koopwaar (niet enkel arbeid), is het noodzakelijk dat echte oppositie een vakvereniging voorstelt die een dergelijke nieuwe invulling van haar taken en wezen krijgt. De bestaande wettelijke toestand daarentegen, zorgt er voor dat een dergelijke vakvereniging niet vanuit het niets kan worden opgebouwd naast de bestaande partijvakbonden die zich goed hebben beschermd tegen mogelijke nieuwe concurrentie. Bovendien is het bereiken van een werkbare ‘Orde’ binnen het huidige vroeg 21ste-eeuwse demoliberale bestel niet (meer) mogelijk. Dit betekent dat het regime in zijn geheel als politieke vijand beschouwd moet worden, en niet de belangenorganisaties van werknemers op zich die hoe dan ook de zwakste partij zijn binnen het bestaande systeem. Dit betekent volgens N-SA evenzeer dat de klassieke betekenis van syndicale actie en het nut van stakingen niet enkel mogelijk moeten zijn maar zelfs aanmoediging verdienen, zo lang dit demo-liberale systeem niet in de gewenste existentiële crisis verkeert.
Tot slot kan nog ingegaan worden op de – in principe reeds tot op de draad versleten – “kritiek” op de leiding van het N-SA en dan meer bepaald de hoofdcoördinator, zijnde Eddy Hermy, of het op de man spelen in het commentaar op gastsprekers (de heer Reitz). Ik verwijs hierbij naar commentaren van de heer Calle in meerdere artikels van het conservatieve internetmagazine Bitterlemon. Los van het bedenkelijke niveau die dergelijke “kritieken” meestal slechts halen, en het bijgevolg ook dit antwoordartikel niet ten goede komt om erop in te gaan, kunnen we dergelijke zaken maar moeilijk laten passeren. Dat sommigen, onder wie de heer Calle, het moeilijk hebben of hadden met bepaalde debattechnieken kan best zijn en daar is weinig aan te verhelpen, maar in het licht van bovenstaande verduidelijking omtrent nieuw-solidarisme, de verschillende vormen van socialisme en de eraan verbonden terminologie en visies, lijkt het verwijt van “intellectuele oneerlijkheid” die door eerdergenoemde werd gemaakt gewoon fout te zijn. Uiteindelijk komt het wat Eddy Hermy betreft telkens weer uit op de aloude insinuaties omtrent het verleden als Amada-militant. Dit in het licht van het discours en de visie die het N-SA erop nahoudt, wordt logischerwijs verdacht gemaakt door de klassieke extreem-rechtse zijde. Tenslotte is de heer Calle deeltijds medewerker van het VB en partijgenoot Philip Dewinter meende de insinuatie in een vraaggesprek in het links-liberale weekblad Humo van 27 okt. j.l. nog eens fijntjes te moeten overdoen. De voorbeelden van personen in de brede radicale Vlaamse Beweging en daarbuiten (ook in het buitenland) die de overstap maakten van marxistisch-revolutionair naar nationaal-revolutionair zijn veelvuldig. Ook het toekennen van een soort absoluut “Führerschap” aan de “leider” van het N-SA is op niets meer dan gebakken lucht gebaseerd. Het N-SA-bestuur bestaat uit een groep mensen die gezamenlijk, in consensus beslissen en waarvan elk lid heus wel voor zichzelf kan nadenken en voorstellen formuleren, onder wie ondergetekende.
Coördinator N-SA
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A Call to the Alternative Right
As one might surmise, one doesn’t get rich by serving the HL Mencken Club. Unlike other organizations, which have claimed the “conservative” label, belonging to our club is not a ladder to social acceptability or a means of increasing one’s income or deferred annuity allowance. Investing time and energy in an organization like ours is not a wise career move but something reminiscent of the fate that Mustafa Kemal thought would await Turkish troops as they prepared for the British attack at Gallipoli in 1915: “I am not asking you to stand and fight here; I am asking you to die in your tracks.” I doubt that even my favorite American military commander, the grim Stonewall Jackson, would have given his cavalry troops orders that were as bleak as this. But this is what the future founder of the Turkish republic said to his soldiers. I mention this not because I intend to order anyone to his death, but because I’m underlining the extraordinary dedication shown by those who have joined our ranks.
I’m especially impressed by those young people who are here. To say they have embraced the non-authorized Right indicates more than simply an ideological address. It betokens their willingness to become non-authorized dissenters, that is, to turn their backs on the characteristically stale conversations of media debates and the allowable differences of opinion within the Beltway.
Turning one’s back on this prescribed discourse means forfeiting the perks that flow from those in power. It also means being labeled as a troublemaker or extremist—and for those who persist in their orneriness, this choice may also mean being pushed out of magazines for which one previously wrote and having one’s books snubbed by the arbiters of acceptable political concerns.
A question I sometimes hear from my Republican son is this: Why do we believe that what we discuss here could not be discussed at conservative foundations or, say, on FOX-News? Presumably our conversation would be welcome in such outlets, unless we did something as shocking as badmouthing ethnic minorities. But there are two problems with this contention. One, the fact that we, or at least most of us, are kept from these outlets would suggest that whatever we discuss most definitely does not suit Republican- or neoconservative-sponsored forums or publications. This is the case even though we do not seek to insult any ethnic or religious group.
Two, we are obviously raising issues that for ideological or social reasons movement conservative organizations do not engage. A few illustrations might help make this point. Arguing that democracy and freedom are on a collision course, that modern liberal democracies, which combine universal rights with massive welfare states, necessarily undermine communal and family authorities, and that character and intelligence are largely fixed by heredity are not positions that neoconservative Beltway foundations would be eager to take on.
And if one considers the tight connection between movement-conservatives and the Republican Party, having authorized conservative organizations think outside the two-party box becomes even more problematic. After all, GOP partisans and clients do not want to hamper Michael Steele and the Republican National Committee from reaching out. And “reaching out” in this context means frantically trying to raid the other party’s base. Although GOP operators don’t hesitate to put down Democrats, what this amounts to is railing against the high costs of Democratic programs, while ignoring those incurred by the GOP in power.
Movement conservatives have assumed the task of airbrushing positions that GOP politicians are taking or would like some people to think they’re taking. Movement conservative publicists, for example, tried to convince us that Republican presidential candidates Rudolph Giuliani and Mitt Romney had shifted their social views, shortly before the presidential primaries in 2008. These supposedly genuine conversions had occurred on such delicate issues as late-term abortion, gay marriage, and the treatment of illegal immigrants. Nonetheless we were urged to take these timely shifts seriously, because someone at National Review or Weekly Standard has a thing for Rudy or struck up a friendship with Mitt. We were assured that Rudy was solid on the war and that he had once stiffed some Arab leader who came to New York. I would also call attention to a law prepared by Heritage, and introduced in 2005 by Governor Romney in Massachusetts, making sure that every Massachusetts resident had health insurance. Although this measure has contributed to towering state deficits, former Governor Romney, we are told, had nothing to do with this folly. It was supposedly altered by a Democratic legislation beyond recognition. Thus movement conservatives proclaimed, after they had tried to explain away Romney’s earlier support for gay marriage and other positions identified with the social Left.
Conservative journalists have done the GOP establishment other noteworthy favors. They scolded black civil rights leaders and more recently, former President Carter for suggesting that opponents of Obama’s health care plan are driven by racism. But this torrential indignation was almost entirely absent from GOP congressional leaders. Republican whip in the House, Eric Cantor of Virginia, pointedly refused to respond to the charge against his party. Cantor side-stepped the question when it came up in a press interview. Senate Minority leader Mitch McConnell became equally taciturn when confronted by the same charge.
What speaks volumes about how the GOP is handling Carter’s reproach is what GOP National Chairman Michael Steele said at a black institution Philander Smith College, in Little Rock, on September 22. Steele stressed his party’s urgent need to win over the black vote, and he denounced “the subtle forms of racism” that blacks encounter in both employment and college admissions. The GOP would take steps to deal with these subterranean forms of prejudice, and this audience should have no trouble figuring out what these countermeasures are. At last we can see the real value of movement conservative outcries against Democratic accusations of Republican racism. The apparent outrage is a mere diversionary noise for Republican politicians who are trying to make nice to the civil rights lobby. Some movement conservatives may have noticed this but are too ambitious or too comfortable to point out what is taking place.
Also illustrating the difference between us and movement conservatives, especially those who are joined at the hip with the GOP, are the differing ways in which we and they would react to something that recently happened at my college, which was the introduction of an elaborate plan for diversity training among students and faculty. This is something movement conservatives and the alternative Right may conceivably agree about, but here first impressions can be deceiving. Of course, we and they might scoff with equal disdain at our “Five-Year Plan for Strengthening Campus Diversity”—entitled “Embracing Inclusive Excellence”—which talks about the malice being vented against the handful of Jews, Muslims, and Hindus on campus. There is no evidence of these malicious outbursts, and the only evidence for discrimination cited is a methodologically dubious survey answered by 5 students, who were asked if they noticed white Christian students “glancing” suspiciously at them.
We and the neoconservative establishment would recognize (I hope) that these reports were invalid; and even if they were not, the solution offered, recruiting inner-city populations and providing them with scholarships, would not likely end the marginalization of Hindus. We might also have objected with equal annoyance to the plan for sending our faculty to affirmative-action training sessions; finally our two sides might have ridiculed the lop-sided 5 to1 majority by which the diversity plan passed the faculty—without any expectation that this document would be amended to conform to reality.
But having noted this conceivable area of agreement, I would also stress the divergence between our sides when it comes to extricating ourselves from the multicultural fever swamp. Possible neoconservative alternatives to what I’ve described, by such characteristic advocates as Lynne Cheney, David Horowitz and Bill Bennett, might include a compulsory course on the American heritage. This course would showcase our country as a self-perfecting global democracy; and it would take students on an inspirational journey from the Declaration of Independence’s proclamation that “All men are created equal” through FDR’s Four Freedoms down to Martin Luther King’s “I Have a Dream” speech. This and other similar measures would be used to teach students of all races and creeds “democratic values,” the spread of which, we would be told, is the high moral end for which the U.S. was brought into existence.
We might also hear a recommendation from neoconservative social commentator Dinesh D’Souza, calling for extraordinary efforts to integrate college students of all different ethnic backgrounds. D’Souza would accuse our administration of not going far enough to commit students and faculty to a universally exportable democratic way of life. We would also likely be told that recruiting minorities for the wrong reasons would create islands of separateness on our campus instead of making everyone into a member of the world’s first global nation. Finally we might be warned, perhaps by Cal Thomas or David Horowitz, that lurking behind calls for diversity is a hidden plea for anti-Zionism or a defeatist response to the War On Terror. Such hidden agendas characterize the advocates of diversity; who in any case are deviating from the goal of the saintly Martin Luther King, a firm opponent of all forms of quotas, even for black Americans.
Needless to say, I couldn’t think of anyone on the Alternative Right who would take any of these stands. Our side would stress that not every adolescent can do college work. Colleges that are serious about traditional disciplines might appeal to, at most, 20 percent of the young, which is the percentage of those who have the cognitive skills for doing college-level study. Given the fraudulent product that now passes for college education, it is not surprising that most students and faculty can neither learn nor teach what was once deemed appropriate as college subjects.
One could easily point to speakers at this conference who have taken the positions outlined. These fearless critics have questioned the transformation of American higher education into a devalued consumer product, made available to those who are incapable of real learning. Small wonder that colleges are turned into centers of multicultural social experiments and diversitarian gibberish! What better use could one find for a falsely advertised institution that is trying to entertain young social work, communication and primary education majors while taking their parents’ money!
Neoconservative educationists, we might also hear from the Alternative Right, have their own fish to fry. They are seeking to defend their version of the democratic welfare state as the best of all governments. They also have another far-reaching goal that is explicit or implicit in their college outreach. Neoconservatives, to speak about them specifically, wish to limit any disagreement on campuses generated by their aggressively internationalist foreign policy. In pursuit of this end, they happily falsify or obscure certain embarrassing historical facts, e.g., the massive deceit applied to pushing the U.S. into past foreign wars, and the published views of such neocon heroes as Churchill and Wilson dealing with racial and ethnic differences.
Neoconservatives and their defenders would accuse our side of taking positions that have no chance of being accepted. And they might be right on this last point. Our positions would infuriate the educational establishment and much of the public administration apparatus. Many of us, moreover, are strict constitutionalists, who would argue, to the consternation of the political class, that the federal government is excessively entangled in state and local education. It should be of no concern to public administrators whether a private college has or has not been recruiting designated minorities. Academic education should not be an occasion for government social planners to impose their vision on the private sector. Indeed private colleges, if they were truly concerned about being independent, would reject federal and state aid, and they would do all in their power to keep our managerial government from interfering with their institutions.
Note I am not defending “our side” in these debates. I am only making clear that we and they do not hold the same views about American education or about how its problems are to be engaged. I would also concede the obvious here, namely, that some people on our side of the divide may occasionally work for those on the other side and that the GOP out of power will occasionally get behind books and authors presenting arguments that would not please Republican administrations. Not all who make the arguments of the alternative Right have been subject to equally oppressive sanctions or have been uniformly denied a place in the sun. There are disparities in the ways that the GOP-movement conservative establishment has treated individual critics on the right. What seems beyond dispute however is that we and they disagree fundamentally on a wide range of questions, far more than we in this room would disagree with each other. The conventional conservative movement is therefore justified in recognizing that we are more different from their movement than establishment conservatives are from those on the center left. Movement conservatives and neoconservatives dialogue openly with the liberal Left while ignoring or ridiculing us—and this happens for a very good reason. The authorized version of the conservative movement understands that we and they are not of the same spirit. Unlike them, we do not serve the GOP; nor are we obliged to go along with neoconservative whims and fixations lest we lose our jobs or media outlets.
Most of us have already been confined to outer darkness; and there is no way we can change this unless we force our way, screaming and kicking, into the neoconservative-liberal conversation. The reason we must exist is that we dare to raise the questions that are anathema to the conventional media. And this is the reason that we lack corporate money and that our devotees are not writing for the Wall Street Journal, New York Times or Washington Post. We stand outside the egalitarian, managerial-state consensus, a consensus that in the end moves in only in one direction, which is leftward.
Those who opposed this trend were long an isolated minority, but now dissenters can be heard on talk radio, some of whom are even gaining a widespread popular appeal. This for me is a heartening development, despite the sad fact that most of us remain excluded from this turn of events, and although what is being described lacks any deep intellectual content. Note that nothing in these remarks would question the shallowness and histrionics of what I’m characterizing as the conservative talk-show phenomenon. As anyone who knows me can testify, it is hard for me to listen to Limbaugh or Beck for a protracted length of time without suffering an upset stomach. But what I’m noting here are long-range trends. There are forces on the American Right which have attracted mass-democratic attention, forces that the neoconservative media do not entirely own and which they can only provisionally preempt. This may bedevil our adversaries, especially if such populist heroes as Rush Limbaugh, Glenn Beck and Mike Savage strike out on their own, that is, decide to go after the GOP and the neoconservatives with the same fury that they’ve vented on the Democrats.
As the onetime isolated Right continues to gain adherents and visibility, what increases apace is the possibility for a breakthrough. And as one observes the sudden rise of our group, it seems to me that those who were once marginalized have become like lilies in a junkyard. Let us hope this junkyard, which is the conservative movement of programmed party-liners and GOP hacks, will eventually become something else. Perhaps the lilies that have sprung up amid the trash and debris will come to replace the present movement conservative wasteland—together with its FOX-News contributors.
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La subsidiaridad, entre la libertad y la autoridad
LA SUBSIDIARIEDAD, ENTRE LA LIBERTAD Y LA AUTORIDAD
Stéphane Gaudin (*) | |
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lundi, 16 novembre 2009
Les leçons de Vladimir Volkoff sur la désinformation
Les leçons de Vladimir Volkoff sur la désinformation
Intervention de Philippe Banoy lors de la 10ième Université d’été de “Synergies Européennes”, Basse-Saxe, août 2002.
I. Volkoff et la subversion
Vladimir Volkoff, fils d’immigrés russes en France, est principalement un romancier prolixe, qui s’est spécialisé dans le roman historique, dont les thèmes majeurs sont la Russie et la guerre d’Algérie, et dans le roman d’espionnage.
Lorsqu’il servait à l’armée, il a entendu, un jour, une conférence sur la guerre psychologique. Pour la petite histoire, il fut le seul, parmi ses camarades, à avoir apprécié ce cours. Ses compagnons tournaient ce genre d’activité en dérision. Volkoff, lui, s’est aussitôt découvert un intérêt pour ces questions.
Son héritage familial le prédisposait à être attentif aux vicissitudes du communisme et aux techniques mises au point par les Soviétiques en matières de manipulation. Poursuivant ses investigations, Volkoff découvre le livre de Mucchilli, intitulé La subversion, où la guerre subversive se voit résumée en trois points:
◊ 1. Démoraliser la nation adverse et désintégrer les groupes qui la composent.
◊ 2. Discréditer l’autorité, ses défenseurs, ses fonctionnaires, ses notables.
◊ 3. Neutraliser les masses pour empêcher toute intervention spontanée et générale en faveur de l’ordre établi, au moment choisi pour la prise non violente du pouvoir par une petite minorité. Selon cette logique, il convient d’immobiliser les masses plutôt que de les mobiliser (cf. : les révolutionnaires professionnels de Lénine, avant-garde du prolétariat).
Après le succès de son roman Le retournement, dont le thème central est l’espionnage soviétique en France, Volkoff est engagé par le SDECE pour écrire un autre roman, sur la désinformation cette fois et avec la documentation que le service avait rassemblée. Volkoff commence par réfléchir, puis accepte cette mission. Résultat: son livre intitulé Le montage. Il connaît vite un succès important. Sollicité par ses lecteurs, qui veulent savoir sur quoi repose ce livre, il publie Désinformation, arme de guerre, une anthologie de textes sur le sujet. Rappelons que Volkoff, dans Le montage, fait référence à Sun Tzu et à l’objectif du stratège de l’antiquité chinoise : gagner la guerre avant même de la livrer. Citations : «Dans la guerre, la meilleure politique, c’est de prendre l’Etat intact; l’anéantir n’est qu’un pis aller». «Les experts dans l’art de la guerre soumettent l’armée ennemi sans combat. Ils prennent les villes sans donner l’assaut et renversent un Etat sans opérations prolongées». «Tout l’art de la guerre est fondé sur la duperie». Sun Tzu, et à sa suite, Volkoff, formule ses commandements :
◊1. Discréditez tout ce qui est bien dans le pays de l’adversaire.
◊2. Impliquez les représentants des couches dirigeantes du pays adverse dans des entreprises illégales. Ebranlez leur réputation et livrez-les, le moment venu, au dédain de leurs concitoyens.
◊3. Répandez la discorde et les querelles entre citoyens du pays adverse.
◊4. Excitez les jeunes contre les vieux. Ridiculisez les traditions de vos adversaires [Volkoff ajoute : Attisez la guerre entre les sexes].
◊5. Encouragez l’hédonisme et la lassivité chez l’adversaire.
Comme le fait remarquer Volkoff, la subversionne peut faire surgir du néant ce type de faiblesses. Comme dans toute pensée de l’action indirecte, il faut savoir détecter, chez l’adversaire, toutes formes de faiblesse et les encourager. Tout peuple fort, en revanche, échappe à cette stratégie indirecte; il n’est pas aussi facilement victime de ces procédés.
2. De ce que n’est pas la désinformation
Avant d’expliquer ce que n’est pas l’information, il convient de formuler une mise en garde et de bien définir ce qu’est l’information à l’âge de la “société de l’information”. Le militaire distingue l’information, d’une part, et le renseignement, d’autre part. L’information est ce qui est recueilli à l’état brut. Le renseignement, quant à lui, est passé par un triple tamis : a) l’évaluation de la source (est-elle fiable ou non fiable, est-elle connue ou inconnue, quelles sont ses orientations philosophiques, politiques, religieuses, etc.?); b) l’évaluation de l’information (est-elle crédible ou non?); c) le recoupement de l’information. Dans toute information ou pour tout renseignement, il y a un émetteur et un récepteur. Les questions qu’il faut dès lors se poser sont les suivantes : Pourquoi l’émetteur émet-il son message? Pourquoi le récepteur est-il visé par l’émetteur et pourquoi écoute-t-il son message? L’officier de renseignement, en charge du recoupement, doit savoir que chacun est marqué par sa subjectivité. Il doit pouvoir en tirer des conclusions. Ce qui nous amène à constater que l’objectivité, en ce domaine, n’existe pas. Ceux qui prétendent donner une information objective sont soit idiots soit malhonnêtes.
◊A. LA DéSINFORMATION N’EST PAS DE LA PROPAGANDE.
Quand on fait de la propagande, on sait que c’est de la propagande. On sait qui émet et on sait qui est visé. La propagande est claire. Elle vise à convaincre en semblant s’adresser à l’intelligence mais, en réalité, elle vise les émotions.
◊B. LA DéSINFORMATION N’EST PAS DE LA PUBLICITé.
Le but de la publicité n’est pas de tromper mais de vendre. Le mensonge n’est qu’un moyen d’influencer le consommateur. Elle s’adresse aux pulsions et à l’inconscient des gens. La propagande feint de convaincre, alors que la publicité cherche à séduire, et son but est clair : “achetez Loca-Laco” ou “votez Clinton”.
◊C. LA DéSINFORMATION N’EST PAS DE L’INTOXICATION.
Elle ressemble à la désinformation puisqu’elle vise, via des informations, à tromper et à manipuler subtilement une cible. Mais l’intoxication ne vise que les chefs, pour les amener à prendre une mauvaise décision, qui doit causer leur perte.
3. Qu’est ce que la désinformation?
La désinformation dépend de trois paramètres:
◊1. Elle vise l’opinion publique, sinon elle serait de l’intoxication.
◊2. Elle emploie des moyens détournés, sinon elle serait de la propagande.
◊3. Elle a des objectifs politiques, intérieurs ou extérieurs, sinon elle serait de la publicité.
Ce qui nous conduit à la définition suivante : la désinformation est une manipulation de l’opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés.
4. Comment la désinformation est-elle conçue?
Au niveau de la méthode, nous relevons une analogie avec la publicité.
◊A. On doit définir qui est le bénéficiaire de l’opération : c’est celui pour qui l’opération est montée.
◊B. On doit disposer de celui qui va réaliser l’opération : l’agent (CIA ou KGB).
◊C. On doit procéder à une étude de marché : quel message va-t-on utiliser pour arriver au but et comment toucher la cible?
◊D. On doit déterminer les supports : la télévision, la presse, une pétition, internet, un intellectuel, etc.
◊E. On doit déterminer les relais : les “idiots utiles” et les agents payés dans les sphères de la télévision, de la presse écrite, des pages de la grande toile, les artistes, les acteurs, les écrivains, etc.
◊F. On doit déterminer les caisses de résonnance : tous les individus qui, touchés par l’information fausse, la répandent en toute bonne foi, la lancent et la propagent sur un mode idéologique ou autre.
◊G. On doit déterminer la cible : elle peut être la population du pays adverse dans son ensemble; elle peut aussi viser une partie de la population (par exemple, les enseignants) voire des pays tiers (p. ex. : l’opération “swastika” à la fin des années 50, pour faire croire à une résurgence du nazisme en Allemagne).
La diabolisation est une forme de désinformation, car elle vise à détruire l’image de l’adversaire (ou de ses chefs) par des méthodes pseudo-objectives. Quelles sont-elles? Quelques exemples : a) Diffuser de faux documents “officiels”; b) diffuser de fausses photos ou de vraies photos décontextualisées (exemples récents : un cliché de morts serbes avec une légende qui les désigne comme “kosovars”); c) fabriquer de fausses déclaration ou un montage; d) diviser les antagonistes en “bons” et en “mauvais”, en donnant à ce manichéisme des airs “objectifs”; dans la foulée, on passe sous silence les crimes des “bons”, et on s’abstient de toute critique à leur égard.
5. Comment la désinformation se pratique-t-elle ?
◊ a. On nie le(s) fait(s) ou on utilise le mode interrogatif ou dubitatif quand on les évoque. Les formules privilégiées sont : “On dit que... mais il s’agit d’une source serbe, ou néo-nazie, ou paléo-communiste, ou...”. On discrédite ainsi immédiatement l’information vraie que l’on fait passer pour peu “sûre”.
◊ b. On procède à l’inversion des faits.
◊ c. On procède à un savant mélange de vrai et de faux.
◊ d. On modifie le motif d’une action, par exemple, l’agression des Etats-Unis et de l’OTAN contre la Serbie a été présentée non pas comme une action militaire classique mais comme une “mission humanitaire”. Pour l’Irak, la volonté de faire main basse sur les réserves pétrolières du pays est camouflée derrière une argumentation reposant sur le “droit international”.
◊ e. On modifie les circonstances ou on ne les dit pas. Ce procédé est souvent utilisé dans les informations relatives au conflit israélo-palestinien ou à la guerre civile en Irlande du Nord.
◊ f. On noie l’information vraie dans un nuage d’informations sans intérêt.
◊ g. On utilise la méthode de la suggestion, conjuguée au conditionnel. Exemple : “Selon nos sources, il y aurait eu des massacres...”.
◊ h. On accorde une part inégale à l’adversaire dans les temps consacrés à l’information. Un exemple récent : on a accordé trois minutes d’antenne à Le Pen au second tour des Présidentielles françaises du printemps 2002, ainsi qu’à Chirac, mais, avant cette distribution “égale” du temps d’antenne, on a présenté pendant vingt minutes des manifestations anti-Le Pen.
◊ i. On accorde parfois la part égale en temps, en invitant les deux camps à s’exprimer : le premier camp, qui est dans les bonnes grâces des médias, est représenté par un universitaire habitué à parler sur antenne; l’autre camp, auquel les médias sont hostiles, est alors représenté par un chômeur alcoolique.
◊ j. On estime que chaque camp a une part égale en responsabilité. Dans le cas du conflit israélo-palestinien, les Palestiniens lancent des pierres, les Israéliens ripostent avec des chars. Le conflit est jugé insoluble : les deux camps sont de “mauvaise volonté”. Ainsi le conflit perdure au bénéfice du plus fort.
◊ k. On présente l’information en ne disant que la moitié d’un fait. Exemple pris pendant la crise du Kosovo : “Les Serbes ont utilisé des gaz”. Sous-entendu : des “gaz de combat” ou des “chambres à gaz”. En réalité, la police serbe avait dispersé une manifestation avec des gaz lacrymogènes.
6. Comment réagir face à la désinformation ?
◊ 1. Il faut d’abord rester modeste et ne pas prétendre simplifier à outrance des réalités complexes. L’homme libre, l’esprit autonome, pose un jugement historique (généalogique, archéologique), profond, sur les réalités politiques du monde.
◊ 2. Il faut, dans tous les cas de figure, rester méfiant. Il faut systématiquement recouper les informations, s’interroger sur la plausibilité d’une information médiatique, se méfier des répétitions et des appels systématiques à l’émotion.
◊ 3. Il faut s’informer soi-même, lire des ouvrages élaborés sur les peuples, les régions, les régimes, les situations incriminées dans les grands médias. Une culture personnelle solide permet de repérer immédiatement les simplifications journalistiques et médiatiques.
◊ 4. Il faut lire des ouvrages et des journaux ouvertement idéologiques, non conformistes, qualifiés de “marginaux”, car ils expriment des vérités autres, mettent en exergue des faits occultés par les grands consortiums médiatiques. Lire ces ouvrages et cette presse doit évidemment se faire de manière intelligente et critique, pour ne pas tomber dans des simplifications différentes et tout aussi insuffisantes.
◊ 5. Il faut créer et animer des cercles alternatifs d’analyse, afin de ne pas laisser “sous le boisseau” les vérités que l’on a glânées individuellement par de bonnes lectures alternatives.
Philippe BANOY.
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jeudi, 12 novembre 2009
L'"Arthasastra" de Kautilya: aux sources de la pensée politique indienne
L'«Arthasastra» de Kautilya: aux sources de la pensée politique indienne
L'Arthasastra de Kautilya est un grand texte classique indien en sanskrit consacré à l'art de gouverner. Il fut traduit intégralement en anglais pour la première fois en 1915. Les éditions du Félin viennent d'en publier une partie en français. Gérard Chaliand écrit dans son avant-propos: «L'Arthasastra est un monument considérable qui témoigne de la puissance et de l'originalité de la pensée politique indienne. L'Arthasastra est un traité sur l'Etat, le pouvoir et l'usage de la force. Ecrit matérialiste, pourrait-on dire, aux antipodes d'une conception théocratique, le traité de Kautilya pourrait être qualifié de machiavélien si l'anachronisme n'était flagrant, le discours indien précédant la réflexion du Florentin d'environ quinze siècles (...). Selon la tradition, le traité serait l'œuvre du ministre et conseiller du premier empereur de la dynastie des Maurya, contemporain d'Alexandre le Grand, qui régna au dernier quart du VIième siècle avant notre ère. En fait, la datation de l'œuvre est incertaine (elle varie du Iier avant au IVième après notre ère). On tend aujourd'hui à la situer aux alentours du Iier siècle. Bref, l'ouvrage a environ deux mille ans et son titre, Artha, désigne la prospérité et sa recherche, quête éminemment matérielle, qui, pour l'Etat, consiste à acquérir et conserver richesse et puissance. L'Arthasastra, ou science du politique, est un traité comprenant quinze livres —soit cinq cents pages— dont on ne trouvera ici qu'une modeste partie, mais qui me semble essentielle si l'on veut saisir l'essence de ce chef-d'œuvre politique. Car l'Arthasastra est à la naissance du politique ce que Sun Zi est à la naissance de la stratégie: une élaboration d'une originalité absolue» (J. de BUSSAC).
Kautilya, Arthasastra. Traité politique et militaire de l'Inde ancienne, Editions du Félin, 1998, 122 pages. 100 F.
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