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mercredi, 31 décembre 2008

L'oeuvre de Bernard Willms

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L'oeuvre de Bernard WILLMS, 1931-1991

 

 

par Robert Steuckers

 

Né le 7 juillet 1931 à Mönchengladbach dans un milieu catholique, Bernard Willms étudie la philosophie, la so­ciologie, l'histoire contemporaine, la philologie germanique et le droit public à Cologne et à Münster. Sous la direction de Joachim Ritter, il présente ensuite une thèse sur la liberté totale chez Fichte. Il devient ensuite, dans les années 60, l'assistant du sociologue libéral-conservateur Helmut Schelsky, brillant analyste de la famille al­lemande, de la sexualité et du rôle des intellectuels dans les sociétés libérales. Le politologue et juriste Ernst Forsthoff exerce également une influence prépondérante sur la pensée de Willms à cette époque où la philoso­phie allemande est déterminée par une autre école: l'Ecole de Francfort. En 1970, Willms est nommé Professeur de sciences politiques à Bochum, où il restera jusqu'à sa mort. Ses intérêts le portent à enseigner principalement la «théorie du politique» et l'histoire des idées politiques. Marqué par l'idéalisme allemand, et plus particulière­ment par Hegel, Willms aborde et approfondit ses connaissances de l'œuvre de Hobbes. Trois ouvrages sur le philosophe anglais, auteur du Leviathan, se succéderont entre 1970 et 1987, fruits de vingt années de spécula­tions et de méditations. Membre du Conseil honoraire de l'International Hobbes Association, il est reconnu comme l'un des plus éminents spécialistes au monde de la pensée de Hobbes.

 

Dans les années 80, Willms devient le philosophe du politique et de la nation. Il fonde de la sorte une école néo-idéaliste qui vise la reconstitution de la souveraineté allemande et désigne le libéralisme comme l'ennemi prin­cipal de toute pensée politique concrète. Programme qui transparaît dans son célèbre ouvrage Die deutsche Nation  (1982). Mais le nationalisme de Willms n'est pas un nationalisme de fermeture: en 1988, notre auteur, avec l'aide de Paul Kleinewefers, ébauche le plan d'une confédération centre-européenne (Allemagne RFA + RDA, Autriche, Tchécoslovaquie), prévoyant le respect des identités nationales/ethniques tout en dépassant le cadre étroit de l'Etat-Nation conventionnel. A partir de 1989, Willms affronte une dimension nouvelle de la philoso­phie politique, née dans le sillage des spéculations post-modernes. S'appuyant sur les classiques de la pensée politique allemande conservatrice de notre après-guerre, Carl Schmitt et Arnold Gehlen, Willms compare cet hé­ritage à la critique française contemporaine de la modernité (Foucault, Lyotard, Derrida, Baudrillard). Il en con­clut que la négation des principes de la modernité doit former l'assise d'un principe positif nouveau qui conduira les nations opprimées, dont l'allemande, à la liberté. Cette négation des fondements de la modernité est simul­tanément une négation du libéralisme, entendu comme idéologie hostile à toutes les institutions, dissolvante et impolitique.

En 1982, il devient co-éditeur de la prestigieuse revue de sciences politiques Der Staat, éditée à Berlin.

 

Bernard Willms meurt le 27 février 1991. Ses étudiants l'ont porté en terre, avec, sur le cercueil, une plaque de cuivre représentant le frontispice du Léviathan de Hobbes et la phrase percutante, inspirée de Caton l'Ancien, que Willms aimait prononcer à la fin de chacune de ses nombreuses conférences: ceterum censeo Germaniam esse restituendam.

 

La Nation allemande. Théorie, Situation, Avenir (Die Deutsche Nation. Theorie. Lage. Zukunft) 1982

 

Ouvrage de base, où Willms a récapitulé les axes principaux de sa démarche philosophique. L'objectif du livre est annoncé d'emblée: il faut penser en termes de «nation». Pour pouvoir penser en termes de nation, il faut élaborer une théorie de la nation. A partir de la renaissance, l'existence humaine se dégage des dogmes médiévaux et sco­lastiques et n'a plus d'autre référent qu'elle-même. Dès lors, elle peut soit sombrer dans l'individualisme  —che­min choisi et emprunté par le libéralisme—  soit se mettre à construire en toute conscience de la socialité  —chemin choisi par l'idéalisme allemand (Fichte, Hegel, Freyer)—  afin de ne pas basculer définitivement dans la loi de la jungle. Le travail, éminemment politique, de construction de la socialité passe par ce qu'Arnold Gehlen appelait les «institutions» (droit, Etat, etc.). Celles-ci ont pour fonction, dans toute société cohérente et civili­sée, de réguler le comportement des individus. Les institutions permettent aux individus de ne pas être désorien­tés dans l'infinité des possibilités d'action qu'offre le monde en perpétuelle effervescence. L'existence des insti­tutions implique qu'il n'existe aucune morale universelle et naturelle: elles sont des fixations toujours tempo­raires, posées devant un horizon infini de possibilités en interaction constante. Le politique, dans une telle op­tique, c'est le travail constant de modification/adaptation des institutions, l'application modulée des principes sur lesquels elles reposent.

 

Comme les institutions varient selon les contextes, les nous collectifs, réceptacles des libertés individuelles, que sont les nations constituent des réalités incontournables. La liberté individuelle ne peut s'exprimer concrè­tement qu'au travers d'un filtre institutionnel national, sinon elle déchoit en pure négativité (la voie du libéra­lisme). Toute philosophie ancrée dans le réel est donc «nationale» sur le plan politique. La philosophie de la na­tion explore de ce fait le rapport qui existe entre le particulier (la liberté individuelle) et le général (les institu­tions qui filtrent les énergies émanant de ce particulier, dans un contexte donné, soit la nation). La philosophie politique n'acquiert concrétude que par la reconnaissance de ce rapport qui fonde le politique, comme l'avait déjà reconnu Aristote, dont l'anthropologie faisait de l'homme un être théorique et politique ancré dans une polis, es­pace concret. La polis  actuelle est la nation. Par conséquent, l'impératif national est catégorique. La disparition ou l'effacement de la concrétude «nation» engendre l'irrationalité politique; ce n'est pas l'adhésion positive à cette concrétude qui est irrationnelle: Willms prend ici le contre-pied des postulats négateurs, hostiles à toute af­firmation dans l'orbite du politique, de la philosophie critique que l'Ecole de Francfort  —et à sa suite Habermas— avait voulu imposer au discours philosophique et politique allemand de notre après-guerre.

 

Le retour à la concrétude, la volonté de ré-ancrer la philosophie dans les contextes nationaux passe par une cri­tique serrée des principes de l'Aufklärung  et de ses avatars récents. Ceux-ci sont portés par un optimisme pro­gressiste qui raisonne au départ de situations inexistantes: la société sans classe ou le village-monde des «mondialistes». Or, dans le concert international, depuis toujours, nous n'avons affaire ni à l'une ni à l'autre mais à un pluriversum  de nations, aux institutions différenciées, répondant aux besoins, aux nécessités et aux aspirations d'hommes ancrés sur des sols particuliers qui leur imposent géologiquement un mode de vie précis, non interchangeable.

 

Cet ancrage dans la polis/nation n'est pas une disposition naturelle de l'homme, comme les sentiments qui le lient à son terroir, mais est le produit d'un travail de réflexion. Le politique, qui est travail, se sert d'un instru­ment, l'Etat, qui se comporte vis-à-vis de la concrétude nation, de la matière nation, comme l'ébauche de l'architecte vis-à-vis du bâtiment construit, comme la forme vis-à-vis de la matière travaillée. Ce qui implique qu'il n'a pas d'objet sans la concrétude et qu'exclure ou amoindrir conceptuellement la matière nation est une sot­tise théorique. Le rapport de la nation à l'Etat est donc un rapport d'auto-réalisation consciente. L'Etat, dans cette optique, n'est pas un concept abstrait mais un concept nécessaire, un concept qui exprime une nécessité vitale. Concept et Begriff  signifient, étymologiquement, con-capere, be-greifen  saisir et rassembler, fédérer: il im­plique donc la présence d'une concrétude à saisir, à travailler, à hisser à un niveau de conscience supérieur.

 

L'Etat est concept nécessaire donc réel et est soumis aux conditions mêmes du réel: exister dans le temps et dans l'espace. Dans une histoire et sur un territoire, aux frontières mouvantes sous les coups des aléas. L'idéologie de l'Aufklärung  refuse les implications de la réalité histoire. C'est pourquoi elle bascule dans l'abstraction et l'utopie. L'histoire est soit acceptée dans sa totalité soit intégralement ignorée. Les individualités ou les peuples qui perdent le sens de leur histoire perdent également tout rapport fécond avec le réel dans le présent. Les partis politiques n'acceptent qu'une partie de l'histoire; ils entretiennent à son égard un rapport partisan/sélectif mutilant qui conduit au déclin par insuffisance théorique et négligence des pans de réel qui déplaisent.

 

L'idée «Nation», la perspective nationale-idéaliste, est née à l'aube du XIXième siècle, de la conjonction des théories émises précédemment par Rousseau, Herder, Schiller, Arndt, Görres, Fichte et Wilhelm von Humboldt. Willms entend réactualiser ce corpus doctrinal, battu en brèche par le libéralisme et les idéologies politiques de diverses obédiences, nées dans son sillage. L'idée nationale, dans ce sens, recèle une dimension subversive, dans le sens où elle est un projet idéel positif et affirmateur qui se mesure sans cesse à une réalité faite de com­promis boîteux, régie par les «Princes» ou l'«établissement».

 

Cette dimension subversive de l'idée nationale ne puise pas dans le corpus de l'Aufklärung  mais dans une tradi­tion qui lui est opposée et qui a été théorisée de Herder à Arnold Gehlen. Cette tradition philosophique idéaliste s'insurge contre l'interprétation occidentale (française, anglaise et américaine) du rationalisme, qui, sur le plan politique, tombe rapidement dans un «contractualisme unidimensionnel» figé et refuse souvent de reconnaître les limites de temps et d'espace inhérentes à toute réalité. Kant, le théoricien le plus pointu de la tradition des Lumières, a pourtant perçu les limites de l'Aufklärung,  nous explique Willms, en constatant que l'esprit peut théoriquement descendre partout mais que quand il descend, il descend toujours dans une concrétude pluri-déter­minée par la langue, l'histoire, le peuple. La tradition opposée aux Lumières appliquées stricto sensu, sans réfé­rence explicite au temps et à l'espace, constitue donc une pensée plus riche et plus profonde, tenant compte de davantage de paramètres. La pluralité des paramètres oblige à plus de circonspection; tenir compte de cette plura­lité, de la complexité et de l'imprévisibilité qu'elle postule, n'est pas de l'«irrationalisme» mais, au contraire, constitue une rationalité plus fine, qui n'exclut pas l'aléatoire.

 

Certes, l'idée nationale peut se radicaliser dangereusement et les sentiments nationaux, légitimes, peuvent subir des manipulations qui les discréditent ultérieurement. C'est un risque qu'il faut inclure dans tous les calculs poli­tiques.

 

Pour Willms, il n'existe aucun concept politique qui soit hiérarchiquement supérieur, en théorie comme en pra­tique, à l'Etat national. L'idée d'humanité, d'Etat mondial, de société humaine globale sont toutes des construc­tions abstraites qui n'ont aucun répondant dans le monde réel. Celui-ci, parce qu'il est un pluriversum, ne connaît que des Etats nationaux. De plus, toute forme de coopération internationale ne peut fonctionner que par la recon­naissance et dans le respect des sujets politiques, donc des Etats nationaux. Le monde évoluera sans doute vers des confédérations sur de plus grands espaces: il n'empêche qu'elles se forgeront au départ d'adhésions volon­taires d'Etats nationaux ou seront rassemblées par la coercition, l'hégémonisme ou l'impérialisme. Toutes les formes d'internationalisme iréniste sont vouées à l'échec. Il existe toutefois une forme d'internationalisme particuliè­rement pernicieuse: celle qui dérive de la dynamique d'un sentiment national, comme l'idée de «grande nation» de la France révolutionnaire. Cet internationalisme part d'une concrétude nationale tangible, la France, mais veut se débarrasser des limites incontournables, propres à toute concrétude nationale, pour se mondialiser. Ce pro­cessus pervers d'évacuation des limites s'accompagne généralement d'un engouement pour les idéologèmes de l'Aufklärung  et d'une accentuation extrême du pathos nationaliste. En dépit de ce pathos qui peut surgir à tout moment, l'idée nationale postule, en ultime instance, une ascèse assez rigoureuse qui limite son action à un cadre précis sans vouloir le déborder. Le nationalisme français ne s'adresse plus à la seule nation française mais veut planétariser les idéaux des Lumières. Le national-socialisme allemand se mue en impérialisme qui veut asseoir dans le monde entier la domination de la race nordique, éparpillée sur plusieurs continents, donc sur une multi­tude de contextes différents, ce qui interdit de la penser comme une nation, donc comme limitée à un et un seul contexte précis. Avec Max Weber, Willms affirme que la Nation ne doit vouloir que sa propre continuité, ne doit affirmer qu'elle-même. L'idée de nation n'est donc pas une valeur, qui pourrait être contestée comme toutes les va­leurs, mais un fait objectif que l'on ne contourne pas, un destin (Schicksal).

 

Donc la nation est un but en soi, elle n'est jamais un moyen pour arriver à d'autres fins, comme, dans le cas fran­çais, à faire triompher une idéologie, celle des Lumières, ou, dans le cas allemand/hitlérien, à promouvoir à l'échelle de la planète entière un fantasme racial, ou, dans le cas anglais, à généraliser une praxis économique qui ne connaît pas de limites, le libre-échange libéral.

 

Willms pense également la coexistence politique, car différences ne signifient pas nécessairement antago­nismes. Pour Willms, la coexistence part 1) de la reconnaissance des réalités politiques que sont les nations; 2) d'une prise en compte des transformations dues aux faits de guerre et de paix; 3) d'une contestation de toutes les prétentions à vouloir représenter seul, devant l'histoire et le monde entier, la réalité humaine dans toute sa glo­balité; 4) d'une promptitude à amorcer toute espèce de coopération en politique extérieure qui aille dans le sens des intérêts de toutes les parties.

 

Après ce panorama théorique, Willms analyse la situation historique de l'Allemagne: d'où vient-elle, où est-elle? Le pays est divisé et un ensemble précis de forces cherche à perpétuer ad infinitum cette division. Dans le con­texte du grand débat autour de la nation qui s'est déroulé en Allemagne dans la première moitié des années 80, Willms énonce des recettes pour reconstituer la nation allemande dans son intégralité. Cette nation reprendra ensuite sa place dans un contexte international.

 

Identité et résistance. Discours sur fond de misère allemande (Identität und Widerstand. Reden aus dem deutschen Elend), 1986

 

Le recul de la politologie nationale a créé un vide en Allemagne. Un vide théorique d'abord puisque les traditions politologiques dérivées de l'idéalisme allemand, de Fichte, Treitschke, etc. ont été abandonnées et n'ont plus été approfondies, confisquant du même coup au peuple allemand la possibilité d'élaborer un droit et une praxis poli­tique concrète en accord avec ses spécificités identitaires. Un vide existentiel ensuite, puisque, sans pleine sou­veraineté, le peuple allemand ne jouit pas de droits pleinement garantis, car, en dernière instance, cette garantie se trouve entre les mains de puissances étrangères. Pour Willms, le peuple allemand, en perdant ses traditions intellectuelles, a perdu le pouvoir de cerner son identité (de prendre sereinement acte de «son» réel) et d'articuler une praxis politique en conformité avec cette identité. Conséquence: le déficit en matière d'identité postule un droit imprescriptible à la «résistance».

 

Willms se penche ensuite sur l'arrière-plan de cette misère allemande qui devrait déclencher cette résistance. Cette misère est à facettes multiples et d'une grande complexité. A l'échelle du globe, la misère allemande a pour toile de fond la fin de l'après-guerre, processus qui s'est déroulé en plusieurs étapes: décolonisation, guerre froide, course aux armements. La confrontation entre les deux superpuissances, les Etats-Unis et l'URSS, jette l'Europe et l'Allemagne dans une situation d'insécurité. Le centre du continent européen est devenu une zone d'affrontement potentiel. L'intérêt de tous les Européens est de sortir de ce contexte insécurisant qui leur con­fisque tout destin.

 

L'idée de nation, poursuit Willms, permet de sortir de cette impasse. Le monde est un pluriversum  de nations, de sujets politiques et non un One World  ou une société sans classe planétaire. Les hommes, animaux politiques selon la définition d'Aristote, n'existent concrètement que dans des communautés politiques déterminées, les­quelles sont plurielles et diverses. Cette diversité est postulée par la nécessité brute et vitale de faire face à des aléas naturels et historiques, chaque fois différents selon les circonstances, les lieux, les époques. Dire qu'il existe des idées supérieures à l'idée de nation, c'est utiliser une formule idéologique pour occulter une volonté dé­libérée de domination, d'impérialisme ou de colonialisme. Ainsi, le «socialisme universel» sert les desseins de l'impérialisme soviétique, tandis que l'idéal démocratique des droits de l'homme sert la machine politico-écono­mique des Américains. Nous avons donc là deux idéologies supra-nationales qui égratignent les souverainetés concrètes des puissances plus petites, en injectant, de surcroît, dans leurs tissus sociaux, des ferments de décom­position par le biais de partis à leur dévotion qui servent d'officines de propagande aux idéaux abstraits instru­mentalisés depuis Moscou ou Washington.

 

Willms démontre les effets pervers des idéologies mondialistes: elles arasent les droits concrets et diversifiés des peuples, les plongeant dans une bouillabaisse de droits mutilés, handicapés et stérilisés par les abstractions. Le concert des nations a des dimensions bellogènes  —Willms ne le nie pas—  mais le type de conflits qui en ressort, reste localisé et permet d'asseoir et d'affirmer des formes de droit particulières, bien adaptées à des con­textes précis. Malgré ce risque de guerre localisée, les limites qu'implique l'idée de nation offrent aux citoyens un horizon saisissable, qui confère du sens. Les super-puissances, elles, sont des impasses de l'évolution histo­rique, affirme Willms. Gigantesques comme des dinosaures, elles n'ont pas d'avenir sur le long terme car leurs jeunesses vivent en permanence un sentiment d'absurde, issu de ce discours tablant sur l'illimité, donc trop abs­trait et insaissisable pour le citoyen moyen, confiné dans une spatio-temporalité précise, limitée et déterminée. Les universalismes engendrent un sentiment d'absurde par évacuation de la concrétude nation. Par suite, le retour de la concrétude nation restaure du sens dans l'histoire et dans le monde.

 

Instruments des grandes puissances dominatrices, les idéologies universalistes désignent des ennemis qui ne sont pas les ennemis immédiats et réels des peuples soumis à leur emprise. Le jeu normal du politique est dès lors vicié puisqu'une désignation concrète de l'ami et de l'ennemi s'avère impossible. La mobilisation des citoyens, dans un tel contexte aberrant, s'effectue au bénéfice de religions laïques, issues des spéculations philosophiques du XVIIIième siècle. Ces religions désignent des ennemis absolus, contrairement au politique qui ne connaît que des ennemis provisoires, qui peuvent devenir amis demain et alliés après-demain.

 

Prenant le cas de l'Allemagne, Willms constate qu'elle a très peu d'amis réels, qui souhaitent franchement sa réu­nification. Les hommes politiques allemands doivent dès lors œuvrer à soutenir les initiatives étrangères qui ac­ceptent le principe de la réunification parce que celle-ci contribuerait à déconstruire les antagonismes qui s'accumulent en Europe centrale. Sont donc ennemis intérieurs de la nation allemande, tous ceux qui embrayent sur les discours universalistes, camouflages des impérialismes qui mettent l'Allemagne sous tutelle, tous ceux qui font passer d'autres intérêts que ceux qui concourent à accélérer la réunification. Willms énonce sept péchés capitaux contre l'identité allemande, dont l'auto-culpabilisation, la moralisation du politique (projet irréalisable car tout ne peut être moralisé d'emblée), le renoncement à forger une démocratie taillée sur mesure pour l'identité allemande, la servilité à l'égard des vainqueurs de 1945, la reconnaissance de facto de la division allemande, l'irénisme infécond, cultiver la peur de l'histoire (même si la peur est compréhensible dans la perspective d'un conflit nucléaire en Europe centrale).

 

Idéalisme et nation. A propos de la reconstruction de la conscience de soi politique chez les Allemands (Idealismus und Nation. Zur Rekonstruktion des politischen Selbstbewußtseins der Deutschen),  1986

 

Anthologie de textes classiques des grands auteurs de référence de Willms, tels Justus Möser, Herder, Ernst Moritz Arndt, Joseph Görres, Wilhelm von Humboldt et Fichte, ce livre est doublé d'une série de définitions et d'analyses philosophiques, ayant pour objets les contenus conceptuels de cette «conscience nationale alle­mande», exprimée par l'idéalisme et le romantisme. Willms cherche surtout à comparer et à opposer les Lumières (Aufklärung)  et l'idéalisme. Dans cette opposition se reflète également le dualisme antagoniste franco-alle­mand. Les Lumières ont pris leur envol en France car, depuis Philippe le Bel et la corruption des Papes d'Avignon, les diversités composant la société française ont été progressivement mises au pas au profit de l'absolutisme royal. La Saint-Barthélémy de 1572 et la révocation de l'Edit de Nantes ont constitué deux mesures de restauration de l'absolutisme en déclin. L'idéologie des Lumières en France s'insurge contre cet absolutisme mais en reprend les structures mentales dans la mesure où elle perçoit le monde comme une diversité dépourvue de sens qu'il faut soumettre aux critères d'une raison omnilégiférante. Montesquieu a été une exception: il relativi­sait l'absolutisme en recourrant à l'histoire et au réel. Les Lumières, version révolutionnaire, n'ont pas retenu sa leçon. Leur démarche dualiste et moralisante restaurait une pensée para-religieuse, paradoxalement la même que celle qui régissait la religion et l'absolutisme qu'elles combattaient. Depuis Guillaume d'Ockham et la renais­sance, les hommes avaient découvert le Règne de la Liberté, c'est-à-dire un règne du hasard, de l'aléatoire, du risque qui réclame l'action consciente, la création consciente et constante d'ordres politiques viables. Le Règne de la Liberté, rude et rigoureux, postule Travail et Devenir. Les Lumières, elles, chavirent dans le pastoralisme idyllique et immanent, mauvaise caricature de la théologie défunte. Avec Thomas Hobbes, l'auteur du Léviathan, Willms demande de prendre la Règne de la Liberté au sérieux. La liberté est un défi à cette existence humaine mi­séreuse, animale, brève (Hobbes, Léviathan, Ch. 13), à cette déréliction où l'homme peut être un dieu ou un loup pour l'homme. La liberté et la raison n'existent que dans un devenir fragile, si bien qu'elles doivent être inlassa­blement construites dans le Léviathan, seule réalisation active pensable de la liberté et de la raison.

 

L'idéologie des Lumières entend construire un stade final de l'histoire dans l'immanence, où le travail constant de réalisation/incarnation de la raison et de la liberté ne sera plus nécessaire. L'au-delà de la religion descend dans l'immanence, transformant l'idéologie des Lumières en nouvelle foi laïque organisée par une hiérocratie d'intellectuels qui n'hésite pas, le cas échéant, à déclencher la terreur. L'idéologie des Lumières est par consé­quence une tentative d'échapper aux implications du Règne de la Liberté. Elle rompt les liens qui unissent les hommes au réel. Ce n'est donc pas parce que les intellectuels modernes occidentaux ont perdu Dieu que leur pen­sée s'est affranchie du réel mais parce qu'ils ont opéré cette immanentisation des structures mentales fixistes de la religion, fuyant de la sorte les impératifs du réel qui réclament l'action permanente. Cette rupture entre la pen­sée et le réel a conduit aux horreurs des révolutions française et russe et des guerres du XXième siècle. Si l'idée motivante d'une construction permanente du Léviathan n'avait pas cessé, à cause de l'idéologie des Lumières, de mobiliser les hommes dans la mesure et les limites spatio-temporelles inhérentes à tout fait de monde, ce cor­tège d'horreurs, déclenché parce qu'il y a volonté d'absolu dans l'immanence, n'aurait jamais eu lieu.

 

Les ordres concrets qui structurent les peuples sont perçus, par les tenants de l'idéologie des Lumières, comme des résidus irrationnels et pervers qu'il faut éliminer. En refusant de tenir compte de la tangibilité de ces ordres concrets, les protagonistes de l'idéologie des Lumières, prétendant introduire dans le discours politique une di­mension «critique», s'abstraient des conditions concrètes de leur propre histoire. Erreur dans laquelle l'idéalisme allemand n'a pas basculé. Willms enjoint ses lecteurs à relire Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Goethe, Hölderlin et Schiller. Cet idéalisme s'enracine toujours dans une spécificité qui, en l'occurrence, est allemande. L'esprit al­lemand a toujours voulu saisir pleinement le réel. Ce qui le rend immanent parce que conscient. Cette conscience dans l'immanence conduit à concevoir tout réel comme réalisation (Verwirklichung). Tout réel est, par suite, de­venir. L'idéalisme allemand restaure donc le lien qui unit la pensée européenne contemporaine à Héraclite. Mais l'Obscur d'Ephèse est observateur du devenir tandis que l'idéaliste conçoit la réalisation du réel par un sujet, c'est-à-dire par un homme conscient de sa liberté. Il y a donc dans l'idéalisme germanique un primat du pratique, de l'action. Son anthropologie repose sur une conception où l'homme ne doit compter que sur lui-même pour af­fronter le monde, que sur ses propres mains et son propre cerveau.

 

La liberté qui rend possible le travail de «réalisation du réel» n'est donc pas simplement définissable négative­ment; elle n'est pas simple «bris de chaînes»: elle exprime la structure réflexive de l'organisme humain; elle est la conditio humana  par excellence.

 

Ouverture sur l'erreur comme sur la réussite, la liberté, sur le plan politique, doit travailler à créer des institu­tions, c'est-à-dire des cadres de vie communautaires/collectifs déterminés par un ensemble de circonstances pré­cises. L'idéalisme complète de la sorte le nominalisme d'Ockham qui reconnaissait la rationalité du contingent, la réalité du particulier et les lois propres régissant l'individuel. Il n'y a, pour la tradition nominaliste née sous l'impulsion d'Ockham, que du particulier et de l'individuel. Ce qui ne signifie pas que le monde est un chaos ato­misé. Il y a du général individué à organiser. Ce général individué se présente au sujet réalisateur tantôt avec pré­cision tantôt avec imprécision. Le sujet le hisse au niveau de l'idée, ce qui le rend instrumentalisable et systéma­tisable. L'idée n'est de ce fait pas une abstraction: elle émerge du réel auquel elle peut sans cesse être confrontée. L'idée est réalité hissée au niveau de la conscience. L'idéalisme est de ce fait une attitude mentale qui consiste à élever sa propre existence au niveau de l'idée, donc à tirer de soi le meilleur de soi-même. Pour parler le langage de l'entéléchie: à devenir ce que l'on est. Deux erreurs philosophiques règnent aujourd'hui: dire que le matéria­lisme est plus proche du réel que l'idéalisme. Ensuite, dire que l'idéalisme est un romantisme nébuleux, une illu­sion détachée du réel et lui opposer un «réalisme» qui n'est qu'utilitarisme particulier ou trivialité.

 

Mais l'idéalisme a basculé dans les abîmes du XXième siècle. Il s'agit, non pas de le reconstruire, mais d'en redé­gager la substance. A la suite de Walter Wimmel (Die Kultur holt uns ein. Die Bedeutung der Textualität für das geschichtliche Werden, Würzburg, 1981), Willms décrit l'idéalisme comme un «grand texte», fonctionnant comme un dépôt, un magasin, un champ ouvert, où les éléments sont entassés ou rangés en vue d'un usage futur. L'archétype qui structure le «grand texte» de l'idéalisme est celui de la liberté qui appelle les hommes au travail de construction du Léviathan, dieu périssable, tandis que l'archétype de l'idéologie des Lumières est la volonté de réaliser une fois pour toutes le paradis céleste sur la terre, état de chose voulu comme définitif.

 

Puisque la vie dans le Règne de la Liberté est travail et combat, le noyau de l'idéalisme, expression et reconnais­sance philosophique de cet état de chose, c'est le politique, réalisation de l'éthique dans le temps et l'espace comme veut le démontrer le discours hégélien. Le cadre du politique est la nation, aux dimensions précises et li­mitées, instance qui ne saurait en aucun cas se soumettre aux critères d'une morale absolue, soustraite au temps et à l'espace. De même, il est impossible de hisser l'individu au-dessus du collectif nation, produit de l'histoire, sans sombrer dans la pure démagogie ou dans l'absurdité. L'homme, en effet, ne peut vivre qu'imbriqué dans un réseau de rapports politiques concrets, déterminé par un temps et un espace. En dehors de tels rapports, dont la concrétion est la polis  d'Aristote ou ses avatars ultérieurs, dont la nation au sens allemand du terme, l'homme n'est pas homme: il n'est qu'animal ou dieu.

 

En définissant l'idéalisme selon la tradition allemande, Willms opte pour une «politique réaliste» contre une «politique idéologique». Avec la domination depuis près de deux cents ans qu'exercent les principes de l'Aufklärung  d'origine française, notre civilisation a basculé dans le nihilisme. En bout de course, l'idéalisme lui-même s'est trop mâtiné d'illuminisme, si bien que le nationalisme allemand, qui, théoriquement, voulait agir dans le cadre concret d'une nation  —l'allemande— prise dans sa globalité, a échoué parce qu'il s'est imposé sur la scène politique dès l'ère wilhelminienne comme un parti, donc comme une instance d'exclusions multiples qui refusait de prendre en compte bon nombre de pans du réel. Pour Willms, la «révolution conservatrice» est un idéalisme de l'ère nihiliste, qui a nié le parlement de Weimar, son système de partis et n'a vu dans le général de son époque qu'un vulgaire système de besoins et d'intérêts. Négation non suivie d'un investissement concret de ces instances pour les infléchir dans le sens de l'idée de nation. La «révolution conservatrice» n'a pas suivi les traces des deux grands continuateurs de l'idéalisme, Hans Freyer et Arnold Gehlen.

 

En conclusion de son anthologie et de son plaidoyer pour l'idéalisme contre les Lumières, Willms énonce les pistes que doit emprunter, à ses yeux, l'idéalisme à l'ère atomique: cet idéalisme doit refuser toutes les utopies de type religionnaire; il ne fonctionne pas à la haine ou à l'emphase mais a besoin de décision. Il ne reconnaît que des nécessités, au-delà du bien et du mal. Il désigne ses ennemis mais n'a aucun ennemi a priori, défini au nom de sentiments, d'une idéologie, d'une race. Il combat tous les ennemis de sa nation concrète et se montre solidaire à l'égard de toutes les autres nations libres.

L'idéaliste contemporain doit ensuite juger et agir au nom de la raison nationale-politique et non au nom d'une idéologie qui ne connaîtrait pas de cadre précis, limité dans le temps et dans l'espace.

 

La lutte pour la liberté est une lutte pour permettre à celle-ci de s'exercer de toutes les façons, de forger en tous lieux des institutions adaptées à chaque locus  destinal, de manière à canaliser et renforcer des flux d'énergies par­ticuliers, uniques, non interchangeables.  

 

Renouveau au départ du centre. Prague. Vienne. Berlin. En-deçà de l'Est et de l'Ouest (Erneuerung aus der Mitte. Prag. Wien. Berlin. Diesseits von Ost und West),  1988

 

Ecrit en collaboration avec Paul Kleinewefers, ce livre répond à l'engouement pour la Mitteleuropa qui a agité le débat politique allemand au cours des années 1984-1989. L'objet premier de ce travail est de penser l'Europe cen­trale au-delà de la partition du continent, scellée dans l'immédiat après-guerre. L'objet second est de concevoir une unité allemande sans liens trop privilégiés avec l'Ouest. Une Westbindung  trop prononcée serait une invo­lution historique déracinante et renforcerait la division du continent. Le renouveau européen doit dès lors venir du centre de l'Europe. Sur le plan institutionnel, ce renouveau doit se baser sur un fédéralisme associatif regrou­pant Tchèques, Slovaques, Allemands (de l'Est et de l'Ouest) et Autrichiens dans une instance confédérale nou­velle, animée par des principes économiques de «troisième voie». Willms étudie les principes historiques du fé­déralisme et les structures de la démocratie libérale en vigueur en RFA et en Autriche pour proposer une réforme constitutionnelle allant dans le sens d'une assemblée tricamérale (Parlement, Sénat, Chambre économique). Le Parlement se recruterait pour moitié parmi des candidats désignés par des partis et élus personnellement (pas de vote de liste); l'autre moitié étant constituée de représentants des conseils corporatifs et professionnels. Le Sénat est essentiellement un organe de représentation régional. La chambre économique, également organisée sur base des régions, représente les corps sociaux, parmi lesquels les syndicats.

 

En concevant ce plan pour une nouvelle Mitteleuropa, Willms ne renonce pas à sa théorie de la nation, cadre ins­titutionnel indépassable. Tout comme l'idée d'Etat, quand elle est correctement comprise, ne détruit pas la liberté de l'individu, mais, au contraire, permet qu'elle se déploie, la libre coopération entre nations libres est un projet qui permet à ces nations de croître, de se rendre plus fortes par la coopération, à rebours de ce qui se passait dans l'ancien système fait de nations en conflit. La coopération entre grandes et petites nations au sein des confédéra­tions de modèle nouveau doit être réglée juridiquement.

 

Willms a voulu dépasser le nationalisme étroit que certains polémistes et idéologues croyaient déceler dans son œuvre. La Mitteleuropa est un projet de civilisation dans lequel tous les peuples ont leur place et toute leur place. Ce projet n'est pas une utopie: il n'est pas quelque chose qui n'a pas de lieu. Au contraire, il gère, harmonise et organise des lieux. Il rappelle tout simplement sur la scène de l'histoire une réalité historique qui a été.

 

Thomas Hobbes. Le Règne du Léviathan (Thomas Hobbes. Das Reich des Leviathan), 1987

 

Couronnement des multiples études de Willms sur Hobbes, ce livre nous offre une biographie politique du philo­sophe anglais, une présentation fouillée de sa science et de son système, sa théorie de la guerre civile, sa théorie du Léviathan, son appréhension du facteur religion et ses positions relatives à la théologie. En fin d'ouvrage, Willms brosse un tableau de l'influence de l'œuvre de Hobbes aux XVIIième, XVIIIième et XIXième siècles et ana­lyse les recherches sur Hobbes au XXième.

 

Willms rappelle les circonstances de la naissance de Hobbes en 1588. L'Angleterre était prise de panique à l'approche de la grande armada de Philippe II d'Espagne. Une fausse alerte, annonçant le débarquement des troupes espagnoles, provoqua l'accouchement prématuré du petit Thomas qui, plus tard, aimait à dire qu'il avait une sœur jumelle, la peur. Toutes les réflexions politiques ultérieures du philosophe seront axées sur l'omniprésence angoissante de la peur dans les sociétés.

 

Devenu à l'âge adulte précepteur des Barons Cavendish, Hobbes voyagera à travers toute l'Europe avec ses pu­pilles. Au cours de l'un de ces «grands tours», il découvre les Elementa  d'Euclide, qui le fascinent par leur ratio­nalité parfaite et leur mode d'argumentation sans faille. Cette lecture lui fournit l'armature de son système philo­sophique articulé en trois volets: la nature, l'homme et la politique (De corpore, de homine, de cive). La science, pour Hobbes, consiste à comprendre constructivement le réel parce que l'homme a toujours affaire à lui-même, soit à ses propres constructions. Celles-ci, faits de monde, doivent d'abord être conceptuellement démontées puis recomposées par un jeu d'analyse et de synthèse que Hobbes appelle la méthode «résolutive/compositive» (De Corpore, VI, 1). La generatio,  dans l'orbite de cette méthode «résolutive/compositive», est donc la force in­trinsèque de la raison productive et constructive. La dissociation des éléments conduit à leur connaissance et à leur conceptualisation. La vision du monde de Hobbes n'est donc pas purement mécaniciste ni physicaliste ni scientiste, explique Willms. Les méthodes mécanicistes sont précisément des méthodes d'action;  elles ne vi­sent pas à expliquer  le monde. Contrairement aux tenants de l'idéologie des Lumières, Hobbes ne croit  pas à la science ou à un progrès qui serait mis à l'enseigne du mécanicisme. L'axiomatique physicaliste de Hobbes ne se veut pas modèle du monde mais tremplin de départ pour le travail constructeur de la raison. Cette axiomatique ne veut pas réduire le monde à un éventail de formules mathématiques. Elle ne cherche qu'à évacuer les faux ques­tionnements, les reliquats des philosophies abâtardies par les engouements stériles et les opinions génératrices de luttes intestines et de guerres civiles.

Cette méthode et cette axiomatique font de l'homme le point focal de la philosophie. C'est lui qui construit le savoir qui l'oriente dans le monde.

 

La phrase de Hobbes, homo homini lupus  (l'homme est un loup pour l'homme) est connue mais souvent citée en dehors de son contexte où elle a été écrite à côté de homo homini deus  (l'homme est un dieu pour l'homme). Hobbes, pour avoir dit que l'homme pouvait être un loup pour l'homme, a été considéré comme un philosophe pessimiste voire un misanthrope. Mais il n'a souligné que les deux possibles de l'homme tout en insistant sur la menace que fait peser sur la paix publique les tendances agressives tapies dans l'âme humaine. Menace dont il faut encore tenir compte dans tout calcul politique. L'homme, pour Hobbes, est essentiellement mu par la passio  qui est tantôt «pulsion vers», tantôt «évitement de», qui est tantôt amour tantôt haine ou peur. Contrairement à ce qu'avaient affirmé la théologie et la métaphysique traditionnelles, les fondements de la morale ne sont donc plus extérieurs à l'homme; ils s'enracinent en lui, dans sa finitude qui est mélange d'instincts divers, tirant vers le sublime ou vers l'horreur, au gré du hasard. Cette finitude imparfaite fonde l'anthropologie des temps mo­dernes et c'est au départ de cette imperfection, de cette corporéité humaine, que doit se construire le politique. L'homme ajoute aux choses de ce monde en mouvement des connotations moralisantes spécifiques, posant du même coup une classification opératoire distinguant les choses «bonnes pour moi» et «mauvaises pour moi». Plongé dans l'incertitude et la peur, l'homme désire un avenir stabilisé; comme le dit Hobbes, etiam fame futura famelicus  (il a faim anticipativement en pensant à la famine de demain). Cette faculté d'anticiper fait que l'homme est le seul être mortel, fini, à avoir un avenir ouvert. Ouverture due à la peur qui corrobore sa liberté. La raison est donc intimement liée à la peur. Dans l'orbite du politique, cette raison dérivée de la peur appelle une question angoissante: comment peut-on affronter, en tant que philosophe, la catastrophe de la guerre civile? En dépassant l'état de nature, où l'homme est toujours un loup pour l'homme. Dans l'état de nature, qui réémerge dans la guerre civile, règnent la concurrence, la défiance, le désir d'acquérir gloire et honneurs. Dans une telle situa­tion, écrit Hobbes, travail, assiduité, zèle constructif n'ont plus de place, ne peuvent plus se faire valoir. Tous réclament le droit à tout. Tout le monde affronte tout le monde. Chaos qui est le résultat de la nature humaine, privée à l'ère moderne de ses référants axiologiques traditionnels. La disparition de ces référants provoque le re­tour de l'état de nature et postule une stabilisation raisonnable. Comme la liberté, qui découle de la disparition du cadre axiologique traditionnel, ne peut nullement s'exercer dans le chaos de l'état de nature, il faut la limiter pour qu'elle puisse s'exercer quand même dans un cadre bien circonscrit. Cette limitation s'effectue grâce au contrat, lequel institue un Etat, une civitas,  instances qui stabilisent provisoirement le déchaînement des passions de l'état de nature. Cet Etat est le Léviathan, dieu mortel qui nous procure une paix toujours provisoire et permet à nos énergies de donner le meilleur d'elles-mêmes. Le Léviathan lie et oblige les hommes tout en annullant l'état de nature qui empêche leur liberté d'être productrice. Willms perçoit dans l'anthropologie de Hobbes l'antidote par excellence qui nous vaccine contre toutes les séductions des utopies et de l'idéologie des Lumières. La mé­thode claire et euclidienne du philosophe anglais fait de son œuvre le «plus grand réservoir de sagesse poli­tique».

 

Postmodernité et politique (Postmoderne und Politik), 1989

 

Prélude à un livre que Willms n'a jamais pu écrire, ce texte important, paru dans la revue Der Staat  (Berlin), pré­figurait les orientations nouvelles que notre philosophe cherchait à impulser dans le discours (méta)politique al­lemand. Pour Willms, la postmodernité, surtout celle théorisée par Jean-François Lyotard, permet un dépasse­ment constructif de l'idéologie des Lumières, dominante depuis deux bons siècles. La démarche de Lyotard, pour Willms, correspond très précisément à celle de Hobbes, dans le sens où elle veut instituer des «enchaînements» pour contrer l'action déliquescente du chaos, postérieur à l'effondrement des grands récits modernes. En voulant instituer des «enchaînements», Lyotard, selon Willms, prend le relais de Hobbes et réclame le retour du déci­sionnisme politique. L'étude de Hobbes, des grands classiques de l'idéalisme allemand et de Carl Schmitt doit donc se compléter d'une exploration minutieuse du continent philosophique «post-moderne» et de l'œuvre de Lyotard.

 

(Robert Steuckers).

 

- Bibliographie: Die totale Freiheit. Fichtes politische Philosophie, 1967; Die Antwort des Leviathans. Thomas Hobbes' politische Philosophie, 1970; Revolution und Protest oder Glanz und Elend des bürgerlichen Subjekts, 1969; traduction japonaise; Planungsideologie und revolutionäre Utopie, 1969; Funktion. Rolle. Institution, 1971; Die politischen Ideen von Hobbes bis Ho Tschi Minh, 1971; 2ième éd., 1972; trad. finlan­daise; Entwicklung und Revolution, 1972; Kritik und Politik. Jürgen Habermas oder das politische Defizit der Kritischen Theorie, 1973; Entspannung und friedliche Koexistenz, 1974; Selbstbehauptung und Anerkennung. Grundriß einer politischen Dialektik, 1977; Offensives Denken, 1978; Einführung in die Staatslehre, 1979; Der Weg des Leviathan,  1979; Die Hobbes-Forschung von 1968-1978, 1981; Die deutsche Nation. Theorie. Lage. Zukunft, 1982; Idealismus und Nation. Zur Rekonstruktion des politischen Selbstbewußtseins der Deutschen, 1986; Identität und Widerstand. Reden aus dem deutschen Elend, 1986; Deutsche Antwort. Zehn Kapitel zum Recht auf Nation, 1986; Thomas Hobbes. Das Reich des Leviathan, 1986; Erneuerung aus der Mitte. Prag. Wien. Berlin, 1988 (en collaboration avec Paul Kleinewefers).

- Contributions à des ouvrages collectifs (liste non exhaustive); «Zur Dialektik der Planung. Fichte als Theoretiker einer geplanten Gesellschaft», in Säkularisation und Utopie. Ernst Forsthoff zum 65. Geburtstag, Stuttgart, 1967; «Systemüberwindung und Bürgerkrieg. Zur politischen bedeutung von Hobbes' Behemoth, in H. Baier (Hrsg.), Freiheit und Sachzwang, Opladen, 1977; «Tendenzen der gegenwärtigen Hobbes-Forschung», in U. Bermbach et K.M. Kodalle (Hrsg.), Furcht und Freiheit. Leviathan-Diskussion 300 Jahre nach Thomas Hobbes, Opladen, 1982; «Tendencies of Recent Hobbes Research», in J. G. v.d. Bend, Thomas Hobbes. His View of Man, Amsterdam, 1982; «Antaios oder die Lage der Philosophie ist die Lage der Nation», in Norbert W. Bolz (Hrsg.), Wer hat Angst vor der Philosophie?, Paderborn, 1982; «Die sieben Todsünden gegen die deutsche Identität und die auf sie antwortenden sieben Imperative», in Peter Dehoust (Hrsg.), Die deutsche Frage in der Welt von morgen, Kassel, 1983; «Das deutsche Wesen in der Welt von morgen. Überlegungen zur Aufgabe der Nation, in Peter Dehoust (Hrsg.), op. cit., Kassel, 1983; «Die Erneuerung des Nationalbewußtseins aus dem Geist der Politik. Kampf um Selbstbehauptung», in Peter Dehoust (Hrsg.), Mut zur geistigen Wende, Kassel/Coburg, 1984; «Die politische Identität der Westdeutschen. Drei erbauliche Herausforderungen und eine politische Antwort», in H.J. Arndt, D. Blumenwitz, H. Diwald, G. Maschke, W. Seiffert, B. Willms, Inferiorität als Staatsräson. Sechs Aufsätze zur Legitimität der BRD, Krefeld, 1985; «Die Idee der Nation und das deutsche Elend», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band I, Geistiger Bestand und politische Lage, Tübingen, 1986; «Volk, Staat, Nation und Gesellschaft. Die methodische und politische Bedeutung des nationa­len Standpunktes», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band II, Nationale Verantwortung und liberale Gesellschaft, Tübingen, 1987; «Über die Unfähigkeit zu erinnern. Geschichtsbewußtsein und Selbstbewußtsein in Westdeutschland», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band 3, Moderne Wissenschaft und Zukunftsperspektive, Tübingen, 1988; «Carl Schmitt - jüngster Klassiker des politischen Denkens?», in Helmut Quaritsch (Hrsg.), Complexio Oppositorum. Über Carl Schmitt,  Berlin, 1988.

- Articles importants (liste non exhaustive): «Einige Aspekte der neueren englischen Hobbes-Literatur», in Der Staat, 1, 1962, pp. 93-106; «Von der Vermessung des Leviathan. Aspekte neuerer Hobbes-Literatur», in Der Staat,  6, 1967, pp. 75-100; «Ist weltpolitische Sicherheit institutionalisierbar? Zum Problem des neuen Leviathan», in Der Staat, 15, 1974, pp. 305-334;  «Staatsräson und das Problem der politischen Definition. Bemerkungen zum Nominalismus in Hobbes' Behemoth», in Staatsräson, 1975, pp. 275-300; «Tendenzen der gegenwärtigen Hobbes-Forschung», in Zeitschrift für philosophische Forschung, 34, 1980, pp. 442-453; «Politische Identität der Deutschen. Zur Rehabilitation des nationalen Arguments», in Der Staat, 21, 1982, pp. 69-96; «Weltbürgerkrieg und Nationalstaat. Thomas Hobbes, Friedrich Meinecke und die Möglichkeit der Geschichtsphilosophie im 20. Jahrhundert», in Der Staat, 22, 1983, pp. 499-519; «Fängt der mündige Bürger heute erst beim Parteifunktionär an?», in Die Welt,  9 avril 1983; «Autorenporträt: Thomas Hobbes (1588-1679)», in Criticón, 92, 1985, pp. 241-247, article suivi d'une bilbiographie précise sur Hobbes; «Deutsches Nationalbewußtsein und Mitteleuropa. Die europäische Alternative», Criticón, 102, 1987, pp. 163-165; «Widergänger oder Widerlager? Zum aktuellen Umgang mit Hegels Rechtsphilosophie», in Der Staat, 27, 3, pp. 421-436; «Der Leviathan und die delischen Taucher. Zur Entwicklung der Hobbes-Forschung seit 1979», in Der Staat, 27, 3, pp.569-588; «Gespräch mit Prof. Dr. Bernard Willms», Na klar!, 43, 1988 (trad. franç., cf. infra); «Il Leviatano, le superpotenze e la postmodernità» (texte d'une leçon publique incluse dans un cycle de sémi­naires sur Thomas Hobbes, tenue pendant l'année académique 1988-89 à Teramo à la Faculté de Jurisprudence et de sciences politiques de l'Université Gabriele d'Annunzio), in Behemoth, 6, 1989); «Postmoderne und Politik», in Der Staat, 3, 1989 (trad. it.: «Postmoderno e politica», in Behemoth, 8, 1990).

- En français: Martin Werner Kamp, «Le concept de nation selon Bernard Willms», in Vouloir, n°19/20, 1985; Luc Nannens, «Identité allemande et idée nationale. Le combat du Professeur Willms», in Vouloir, n°40/41/42, 1987; «Entretien avec le Professeur Bernard Willms. Vous avez dit "Mitteleuropa"?», in Vouloir, n°59/60, 1989; Thor von Waldstein, «Hommage au Professeur Bernard Willms. Entre Hobbes et Hegel», in Vouloir, n°73/74, 1991.

THEMES CONNEXES: idéalisme, nation, institution, nature du politique, liberté, cité, idéologie des Lumières, concrétude, idée, identité, destin, coexistence, droit de résistance, souveraineté, irénisme, devenir, nomina­lisme, révolution conservatrice.

PHILOSOPHES: Helmut Schelsky, Fichte, Ernst Forsthoff, Hegel, Hobbes, Carl Schmitt, Arnold Gehlen, Hans Freyer, Michel Foucault, Jacques Derrida, Jean-François Lyotard, Jean Baudrillard, Jean-Jacques Rousseau, Herder, Schiller, Ernst Moritz Arndt, Görres, Wilhelm von Humboldt, Max Weber, Justus Möser, Guillaume d'Ockham.

 

 

samedi, 27 décembre 2008

Vilfreedo Pareto and Political Irrationality

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Vilfredo Pareto and Political Irrationality

Tomislav Sunic

Few political thinkers have stirred so much controversy as Franco-Italian sociologist and economist Vilfredo Pareto (1848-1923). In the beginning of the twentieth century, Pareto exerted a considerable influence on European conservative thinkers, although his popularity rapidly declined after the Second World War. The Italian Fascists who used and abused Pareto's intellectual legacy were probably the main cause of his subsequent fall into oblivion. 

Pareto's political sociology is in any case irreconcilable with the modern egalitarian outlook. In fact, Pareto was one to its most severe critics. Yet his focus extends beyond a mere attack on modernity; his work is a meticulous scrutiny of the energy and driving forces that underlie political ideas and beliefs. From his study, he concludes that irrespective of their apparent utility or validity, ideas and beliefs often dissimulate morbid behavior. Some of Pareto's students went to so far as to draw a parallel between him and Freud, noting that while Freud attempted to uncover pathological behavior among seemingly normal individuals, Pareto tried to unmask irrational social conduct that lay camouflaged in respectable ideologies and political beliefs. 

In general, Pareto argues that governments try to preserve their institutional framework and internal harmony by a posteriori justification of the behavior of their ruling elite--a procedure that stands in sharp contrast to the original objectives of government. This means that governments must "sanitize" violent and sometimes criminal behavior by adopting such self-rationalizing labels as "democracy," "democratic necessity," and "struggle for peace," to name but a few. It would be wrong, however, to assume that improper behavior is exclusively the result of governmental conspiracy or of corrupted politicians bent on fooling the people. Politicians and even ordinary people tend to perceive a social phenomenon as if it were reflected in a convex mirror. They assess its value only after having first deformed its objective reality. Thus, some social phenomena, such as riots, coups, or terrorist acts, are viewed through the prism of personal convictions, and result in opinions based on the relative strength or weakness of these convictions. Pareto argues that it is a serious error to assume that because his subjects or constituents feel cheated or oppressed, a leader of an oppressive regime is necessarily a liar or a crook. More than likely, such a leader is a victim of self-delusions, the attributes of which he considers "scientifically" and accurately based, and which he benevolently wishes to share with his subjects. To illustrate the power of self-delusion, Pareto points to the example of socialist intellectuals. He observes that "many people are not socialists because they have been persuaded by reasoning. Quite to the contrary, these people acquiesce to such reasoning because they are (already) socialists." 
       

Modern Ideologies and Neuroses 

In his essay on Pareto, Guillaume Faye, one of the founders of the European "New Right," notes that liberals and socialists are scandalized by Pareto's comparison of modern ideologies to neuroses: to latent manifestation of unreal effects, though these ideologies--socialism and liberalism--claim to present rational and "scientific" findings. In Freud's theory, psychic complexes manifest themselves in obsessional ideas: namely, neuroses, and paranoias. In Pareto's theory, by contrast, psychic impulses--which are called residues--manifest themselves in ideological derivatives. Rhetoric about historical necessity, self-evident truths, or economic and historical determinism are the mere derivatives that express residual psychic drives and forces such as the persistence of groups once formed and the instinct for combination. 

For Pareto, no belief system or ideology is fully immune to the power of residues, although in due time each belief system or ideology must undergo the process of demythologization. The ultimate result is the decline of a belief or an ideology as well as the decline of the elite that has put it into practice. 
        
Like many European conservatives before the war, Pareto repudiated the modern liberal, socialist myth that history showed an inevitable progression leading to social peace and prosperity. Along with his German contemporary Oswald Spengler, Pareto believed that no matter how sophisticated the appearance of some belief or ideology, it would almost certainly decay, given time. Not surprisingly, Pareto's attempts to denounce the illusion of progress and to disclose the nature of socialism and liberalism prompted many contemporary theorists to distance themselves from his thought. 
        
Pareto argues that political ideologies seldom attract because of their empirical or scientific character--although, of course, every ideology claims those qualities--but because of their enormous sentimental power over the populace. For example, an obscure religion from Galilee mobilized masses of people who were willing to die, willing to be tortured. In the Age of Reason, the prevailing "religion" was rationalism and the belief in boundless human progress. Then came Marx with scientific socialism, followed by modern liberals and their "self-evident religion of human rights and equality." According to Pareto, underlying residues are likely to materialize in different ideological forms or derivatives, depending on each historical epoch. Since people need to transcend reality and make frequent excursions into the spheres of the unreal and the imaginary, it is natural that they embrace religious and ideological justifications, however intellectually indefensible these devices may appear to a later generation. In analyzing this phenomenon, Pareto takes the example of Marxist "true believers" and notes: "This is a current mental framework of some educated and intelligent Marxists with regard to the theory of value. From the logical point of view they are wrong; from the practical point of view and utility to their cause, they are probably right." Unfortunately, continues Pareto, these true believers who clamor for social change know only what to destroy and how to destroy it; they are full of illusions as to what they have to replace it with: "And if they could imagine it, a large number among them would be struck with horror and amazement." 
        
Ideology and History 
        

The residues of each ideology are so powerful that they can completely obscure reason and the sense of reality; in addition, they are not likely to disappear even when they assume a different "cover" in a seemingly more respectable myth or ideology. For Pareto this is a disturbing historical process to which there is no end in sight: 
        

"Essentially, social physiology and social pathology are still in their infancy. If we wish to compare them to human physiology and pathology, it is not to Hippocrates that we have to reach but far beyond him. Governments behave like ignorant physicians who randomly pick drugs in a pharmacy and administer them to patients." 
        
So what remains out of this much vaunted modern belief in progress, asks Pareto? Almost nothing, given that history continues to be a perpetual and cosmic eternal return, with victims and victors, heroes and henchmen alternating their roles, bewailing and bemoaning their fate when they are in positions of weakness, abusing the weaker when they are in positions of strength. For Pareto, the only language people understand is that of force. And with his usual sarcasm, he adds: "There are some people who imagine that they can disarm their enemy by complacent flattery. They are wrong. The world has always belonged to the stronger and will belong to them for many years to come. Men only respect those who make themselves respected. Whoever becomes a lamb will find a wolf to eat him." 
        
Nations, empires, and states never die from foreign conquest, says Pareto, but from suicide. When a nation, class, party, or state becomes averse to bitter struggle--which seems to be the case with modern liberal societies--then a more powerful counterpart surfaces and attracts the following of the people, irrespective of the utility or validity of the new political ideology or theology: 
        
"A sign which almost always accompanies the decadence of an aristocracy is the invasion of humanitarian sentiments and delicate "sob-stuff" which renders it incapable of defending its position. We must not confuse violence and force. Violence usually accompanies weakness. We can observe individuals and classes, who, having lost the force to maintain themselves in power, become more and more odious by resorting to indiscriminate violence. A strong man strikes only when it is absolutely necessary--and then nothing stops him. Trajan was strong but not violent; Caligula was violent but not strong." 
        
Armed with the dreams of justice, equality, and freedom, what weapons do liberal democracies have today at their disposal against the downtrodden populations of the world? The sense of morbid culpability, which paralyzed a number of conservative politicians with regard to those deprived and downtrodden, remains a scant solace against tomorrow's conquerors. For, had Africans and Asians had the Gatling gun, had they been at the same technological level as Europeans, what kind of a destiny would they have reserved for their victims? Indeed, this is something that Pareto likes speculating about. True, neither the Moors nor Turks thought of conquering Europe with the Koran alone; they understood well the importance of the sword: 
        
"Each people which is horrified by blood to the point of not knowing how to defend itself, sooner or later will become a prey of some bellicose people. There is probably not a single foot of land on earth that has not been conquered by the sword, or where people occupying this land have not maintained themselves by force. If Negroes were stronger than Europeans, it would be Negroes dividing Europe and not Europeans Africa. The alleged "right" which the people have arrogated themselves with the titles "civilized"--in order to conquer other peoples whom they got accustomed to calling "non-civilized"--is absolutely ridiculous, or rather this right is nothing but force. As long as Europeans remain stronger than Chinese, they will impose upon them their will, but if Chinese became stronger than Europeans, those roles would be reversed."


        
Power Politics 
        
For Pareto, might comes first, right a distant second; therefore all those who assume that their passionate pleas for justice and brotherhood will be heeded by those who were previously enslaved are gravely mistaken. In general, new victors teach their former masters that signs of weakness result in proportionally increased punishment. The lack of resolve in the hour of decision becomes the willingness to surrender oneself to the anticipated generosity of new victors. It is desirable for society to save itself from such degenerate citizens before it is sacrificed to their cowardice. Should, however, the old elite be ousted and a new "humanitarian" elite come to power, the cherished ideals of justice and equality will again appear as distant and unattainable goals. Possibly, argues Pareto, such a new elite will be worse and more oppressive than the former one, all the more so as the new "world improvers" will not hesitate to make use of ingenious rhetoric to justify their oppression. Peace may thus become a word for war, democracy for totalitarianism, and humanity for bestiality. The distorted "wooden language" of communist elites indicates how correct Pareto was in predicting the baffling stability of contemporary communist systems. 
        
Unfortunately, from Pareto's perspective, it is hard to deal with such hypocrisy. What underlies it, after all, is not a faulty intellectual or moral judgment, but an inflexible psychic need. Even so, Pareto strongly challenged the quasi-religious postulates of egalitarian humanism and democracy--in which he saw not only utopias but also errors and lies of vested interest. Applied to the ideology of "human rights," Pareto's analysis of political beliefs can shed more light on which ideology is a "derivative," or justification of a residual pseudo-humanitarian complex. In addition, his analysis may also provide more insight into how to define human rights and the main architects behind these definitions. 
        
It must be noted, however, that although Pareto discerns in every political belief an irrational source, he never disputes their importance as indispensable unifying and mobilizing factors in each society. For example, when he affirms the absurdity of a doctrine, he does not suggest that the doctrine or ideology is necessarily harmful to society; in fact, it may be beneficial. By contrast, when he speaks of a doctrine's utility he does not mean that it is necessarily a truthful reflection of human behavior. On the matters of value, however, Pareto remains silent; for him, reasoned arguments about good and evil are no longer tenable. 
        
Pareto's methodology is often portrayed as belonging to the tradition of intellectual polytheism. With Hobbes, Machiavelli, Spengler, and Carl Schmitt, Pareto denies the reality of a unique and absolute truth. He sees the world containing many truths and a plurality of values, with each being truthful within the confines of a given historical epoch and a specific people. Furthermore, Pareto's relativism concerning the meaning of political truth is also relevant in reexamining those beliefs and political sentiments claiming to be nondoctrinal. It is worth nothing that Pareto denies the modern ideologies of socialism and liberalism any form of objectivity. Instead, he considers them both as having derived from psychic needs, which they both disguise. 
        
The New Class 
        
 For his attempts to demystify modern political beliefs, it should not come as a surprise that Pareto's theory of nonlogical actions and pathological residues continues to embarrass many modern political theorists; consequently his books are not easily accessible. Certainly with regard to communist countries, this is more demonstrably the case, for Pareto was the first to predict the rise of the "new class"--a class much more oppressive than traditional ruling elites. But noncommunist intellectuals also have difficulties coming to grips with Pareto. Thus, in a recent edition of Pareto's essays, Ronald Fletcher writes that he was told by market researchers of British publishers that Pareto is "not on the reading list," and is "not taught" in current courses on sociological theory in the universities. Similar responses from publishers are quite predictable in view of the fact that Pareto's analyses smack of cynicism and amorality--an unforgivable blasphemy for many modern scholars. 
        
Nevertheless, despite the probity of his analysis, Pareto's work demands caution. Historian Zev Sternhell, in his remarkable book La droite revolutionnaire, observes that political ideas, like political deeds, can never be innocent, and that sophisticated political ideas often justify a sophisticated political crime. In the late 1920s, during a period of great moral and economic stress that profoundly shook the European intelligentsia, Pareto's theories provided a rationale for fascist suppression of political opponents. It is understandable, then, why Pareto was welcomed by the disillusioned conservative intelligentsia, who were disgusted, on the one hand, by Bolshevik violence, and on the other, by liberal democratic materialism. During the subsequent war, profane application of Pareto's theories contributed to the intellectual chaos and violence whose results continue to be seen. 
        
More broadly speaking, however, one must admit that on many counts Pareto was correct. From history, he knew that not a single nation had obtained legitimacy by solely preaching peace and love, that even the American Bill of Rights and the antipodean spread of modern democracy necessitated initial repression of the many--unknowns who were either not deemed ripe for democracy, or worse, who were not deemed people at all (those who, as Koestler once wrote, "perished with a shrug of eternity"). For Pareto the future remains in Pandora's box and violence will likely continue to be man's destiny. 
       

The Vengeance of Democratic Sciences 
        
Pareto's books still command respect sixty-five years after his death. If the Left had possessed such an intellectual giant, he never would have slipped so easily into oblivion. Yet Pareto's range of influence includes such names as Gustave Le Bon, Robert Michels, Joseph Schumpeter, and Rayond Aron. But unfortunately, as long as Pareto's name is shrouded in silence, his contribution to political science and sociology will not be properly acknowledged. Fletcher writes that the postwar scholarly resurgence of such schools of thought as "system analysis," "behavioralism," "reformulations," and "new paradigms," did not include Pareto's because it was considered undemocratic. The result, of course, is subtle intellectual annihilation of Pareto's staggering erudition--an erudition that spans from linguistics to economics, from the knowledge of Hellenic literature to modern sexology. 
        
But Pareto's analyses of the power of residues are useful for examining the fickleness of such intellectual coteries. And his studies of intellectual mimicry illustrate the pathology of those who for a long time espoused "scientific" socialism only to awaken to the siren sound of "self-evident" neoconservativism--those who, as some French writer recently noted, descended with impunity from the "pinnacle of Mao into the Rotary Club." Given the dubious and often amoral history of the twentieth-century intelligentsia, Pareto's study of political pathology remains, as always, apt. 

Tomislave Sunic, a Croatian political theorist, has contributed a long essay to Yugoslavia: The Failure of Democratic Communism (New York, 1988).

[The World and I (New York), April, 1988]

 

 

 

 

jeudi, 27 novembre 2008

En souvenir de Julien Freund

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Archives de "Synergies Européennes" - 1993

En souvenir de Julien Freund

 

par Alessandra COLLA

 

Le 10 septembre 1993, Julien Freund nous a quitté silencieusement. En Europe, il était l'un des plus éminents philosophe de la politique, une référence obligée pour tous ceux qui voulaient penser celle-ci en dehors des sentiers battus. La presse n'en a pas fait écho.

 

Né à Henridorff, en Alsace-Lorraine, en 1921, il s'engage dans les rangs de la résistance au cours de la seconde guerre mondiale. Dans l'immédiat après-guerre, il enseigne d'abord la philosophie à Metz, puis devient président de la faculté des sciences sociales de l'université de Strasbourg, dont il assurera le développement.

 

Inspiré initialement pas la pensée de Max Weber, un auteur peu connu dans la France de l'époque, Freund élabore petit à petit une théorie de l'agir politique qu'il formule, en ses grandes lignes, dans son maître-ouvrage, L'essence du politique (1965).

 

«Le politique est une essence, dans un double sens: d'une part, c'est l'une des catégories fondamentales, constantes et non éradicables, de la nature et de l'existence humaines et, d'autre part, une réalité qui reste identique à elle-même malgré les variations du pouvoir et des régimes et malgré le changement des frontières sur la surface de la terre. Pour le dire en d'autres termes: l'homme n'a pas inventé le politique et encore moins la société et, d'un autre côté, en tous temps, le politique restera ce qu'il a toujours été, selon la même logique pour laquelle il ne pourrait exister une autre science, spécifiquement différente de celle que nous connaissons depuis toujours. Il est en effet absurde de penser qu'il pourrait exister deux essences différentes de la science, c'est-à-dire deux sciences qui auraient des présupposés diamétralement opposés; autrement, la science serait en contradiction avec elle-même».

 

Ou encore: «La politique est une activité circonstancielle, causale et variable dans ses formes et dans son orientation, au service d'une organisation pratique et de la cohésion de la société [...]. Le politique, au contraire, n'obéit pas aux désirs et aux fantaisies de l'homme, qui ne peut pas ne rien faire car, dans ce cas, il n'existerait pas ou serait autre chose que ce qu'il est. On ne peut supprimer le politique  - à moins que l'homme lui-même, sans se supprimer, deviendrait une autre personne».

 

Freund, sur base de cette définition de l'essence du politique, soumet à une critique serrée l'interprétation marxiste du politique, qui voit ce dernier comme la simple expression des dynamiques économiques à l'œuvre dans la société. Freund, pour sa part, tient au contraire à en souligner la spécificité, une spécificité irréductible à tout autre critère. Le politique, dans son optique, est «un art de la décision», fondé sur trois types de relations: la relation entre commandement et obéissance, le rapport public/privé et, enfin, l'opposition ami/ennemi.

 

Ce dernier dispositif bipolaire constitue l'essence même du politique: elle légitimise l'usage de la force de la part de l'Etat et détermine l'exercice de la souveraineté. Sans force, l'Etat n'est plus souverain; sans souveraineté, l'Etat n'est plus l'Etat. Mais un Etat peut-il cessé d'être «politique»? Certainement, nous répond Freund:

 

«Il est impossible d'exprimer une volonté réellement politique si l'on renonce d'avance à utiliser les moyens normaux de la politique, ce qui signifie la puissance, la coercition et, dans certains cas exceptionnels, la violence. Agir politiquement signifie exercer l'autorité, manifester la puissance. Autrement, l'on risque d'être anéanti par une puissance rivale qui, elle, voudra agir pleinement du point de vue politique. Pour le dire en d'autres termes, toute politique implique la puissance. Celle-ci constitue l'un de ses impératifs. En conséquence, c'est proprement agir contre la loi même de la politique que d'exclure dès le départ l'exercice de la puissance, en faisant, par exemple, d'un gouvernement un lieu de discussions ou une instance d'arbitrage à la façon d'un tribunal civil. La logique même de la puissance veut que celle-ci soit réellement puissance et non impuissance. Ensuite, par son mode propre d'existence, la politique exige la puissance, toute politique qui y renonce par faiblesse ou par une observation trop scrupuleuse du droit, cesse derechef d'être réellement politique; elle cesse d'assumer sa fonction normale par le fait qu'elle devient incapable de protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge. Pour un pays, en conséquence, le problème n'est pas d'avoir une constitution juridiquement parfaite ou de partir à la recherche d'une démocratie idéale, mais de se donner un régime capable d'affronter les difficultés concrètes, de maintenir l'ordre, en suscitant un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui surviennent inévitablement dans toute société».

 

On perçoit dans ces textes issus de L'essence du politique  la parenté évidente entre la philosophie de Julien Freund et la pensée de Carl Schmitt.

 

Particulièrement attentif aux dynamiques des conflits, ami de Gaston Bouthoul, un des principaux observateurs au monde de ces phénomènes, Freund fonde, toujours à Strasbourg, le prestigieux Institut de Polémologie  et, en 1983, il publie, dans le cadre de cette science de la guerre, un essai important: Sociologie du conflit, ouvrage où il considère les conflits comme des processus positifs: «Je suis sûr de pouvoir dire que la politique est par sa nature conflictuelle, par le fait même qu'il n'y a pas de politique s'il n'y a pas d'ennemi».

 

Ainsi, sur base de telles élaborations conceptuelles, révolutionnaires par leur limpidité, Freund débouche sur une définition générale de la politique, vue «comme l'activité sociale qui se propose d'assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d'une unité politique particulière, en garantissant l'ordre en dépit des luttes qui naissent de la diversité et des divergences d'opinion et d'intérêts».

 

Dans un livre largement auto-biographique, publié sous la forme d'un entretien (L'aventure du politique, 1991), Freund exprime son pessimisme sur le destin de l'Occident désormais en proie à une décadence irrémédiable, due à des causes internes qu'il avait étudiées dans les page d'un autre de ses ouvrages magistraux, La décadence (1984). Défenseur d'une organisation fédéraliste de l'Europe, il avait exprimé son point de vue sur cette question cruciale dans La fin de la renaissance (1980). Julien Freund est mort avant d'avoir mis la toute dernière main à un essai sur l'essence de l'économique. C'est le Prof. Dr. Piet Tommissen qui aura l'insigne honneur de publier la version finale de ce travail, à coup sûr aussi fondamental que tous les précédents. Le Prof. Dr. Piet Tommissen sera également l'exécuteur testamentaire et le gérant des archives que nous a laissé le grand politologue alsacien.

 

Dott. Alessandra COLLA.

(la version italienne originale de cet hommage est paru dans la revue milanaise Orion, n°108, sept. 1993; adresse: Via Plinio 32, I-20.129 Milano; abonnement pour 12 numéros: 100.000 Lire).

 

dimanche, 02 novembre 2008

Une biographie de Bertrand de Jouvenel

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Bertrand de Jouvenel 

de Olivier Dard (Auteur)
Présentation de l'éditeur
 
Homme du monde, journaliste brillant, essayiste à succès, théoricien politique, pionnier de l'écologie, républicain militant tenté par le fascisme, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) a eu tant de facettes qu'il semble défier l'analyse. C'est dire tout l'intérêt de cette première biographie, pour laquelle Olivier Dard a pu bénéficier - outre ses livres, ses articles et sa correspondance - des 250 Cahiers tenus par Jouvenel tout au long de sa vie. Cette source inédite, qui tient à la fois du document de travail, d'une chronique du siècle et d'un journal intime, permet de démêler l'écheveau d'une vie où se croisent Colette, Emmanuel Berl, Drieu la Rochelle, Otto Abetz, Pierre Mendès France, Jacques Doriot, Adolf Hitler, Raymond Aron et Friedrich von Hayek.

Biographie de l'auteur

Olivier Dard, professeur à l'université Paul-Verlaine de Metz, est un spécialiste reconnu des années 1920-1960 ; il a notamment publié chez Perrin La Synarchie, le mythe du complot permanent et Voyage au cœur de l'OAS.


 

  • Broché: 526 pages
  • Editeur : Librairie Académique Perrin (28 août 2008)
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2262029164
  • ISBN-13: 978-2262029166

mardi, 28 octobre 2008

Etat national et subsidiarité

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Etat national et subsidiarité

 

 

par Germanico GALLERANI

 

Il y a longtemps, à la fin de l'année 1947, Carl Schmitt, le célèbre philosophe allemand du politique, avait clairement pris conscience que l'Etat national cheminait désormais vers un déclin inexorable. La forme “Etat” que Schmitt voyait décliner était celle qui avait caractérisé la grande période historique qui va de Hobbes à Hegel, période à laquelle on peut lier le concept d'“Etat”.

 

Aujourd'hui, si l'on observe les multiples mouvements qui ébranlent les Etats nationaux, on est bien contraint de dire que ces mouvements, dans ce qu'ils ont d'essentiel, s'expriment en dehors du cadre national. L'Etat national, sur le plan intérieur, se lézarde fortement, à cause de l'apparition de nouveaux mouvements sociaux et de la persistance de régionalismes et d'autonomismes qu'il ne réussit plus à intégrer; à tout cela s'ajoutent une prolifération de réseaux associatifs et l'affirmation de nouvelles formes communautaires. C'est précisément ainsi que se reconstruisent les structures intermédiaires de socialité que l'Etat national avait détruites au cours de son processus d'édification. Aujourd'hui, ces structures détruites se reconstituent, reviennent à l'avant-plan et se tournent contre la structure centralisée qu'est l'Etat national. C'est ainsi que s'approfondit sans cesse le fossé qui sépare la société civile de la classe politique et qui a généré le vide de sens dont souffrent les institutions. C'est ainsi également que les demandes les plus intelligentes et les plus conscientes de participation à la vie politique ont été déviées vers d'autres «mondes vitaux», étrangers à l'Etat.

 

Sur le plan extérieur, l'Etat national est en crise parce qu'il se constitue des bureaucraties intergouvernementales, parce qu'il se forme des institutions supranationales, et parce que l'influence des appareils techno-scientifiques internationaux devient de plus en plus forte, de même que les pressions des groupes transnationaux. En somme, l'Etat national en arrive à une situation telle, qu'il est de fait dépassé, du moins pour une large part de ses prérogatives. A cela s'ajoute que l'expansion mondiale du marché, sous l'influence des multinationales, du jeu des opérations boursières, du mouvement financier continu, de la bataille financière artificielle qui se livre sans cesse, extravertit les économies nationales au détriment des marchés internes et induit ce phénomène d'«occupation industrielle», déjà décrit par Carl Schmitt en son temps, une «occupation industrielle» qui consiste à prendre possession de la totalité des moyens de production, selon l'adage cuius industria, eius regio.

 

Contestée à la base comme au sommet, la forme «Etat national» n'est plus capable d'assurer une fonction intégratrice ni de garantir la réglementation des rapports entre une “société politique”, critiquée de toutes parts, et une “société civile”, en voie de fragmentation. La forme «Etat national» semble donc avoir épuisé ses potentialités. Mais si la forme «Etat national», centralisatrice, totalisante, omnia facens,  est véritablement en train de mourir, le «Principe-Etat», lui, en revanche, est toujours bien vivant; c'est ce Principe cardinal du politique qui permet aux choses de tenir, de rester en place, de se maintenir debout (stare),  qui confère stabilité et durée à un ensemble d'éléments qui, autrement, subiraient la dispersion centrifuge.

 

L'Etat, entendu comme principe politique se situant au-delà des particularités, confère totalité  et unité  aux multiples segments dont se compose la société nationale; mais cet Etat n'est pas lié à une forme déterminée une fois pour toutes. Ce n'est pas la société qui confère unité  à l'Etat, mais c'est le principe de pouvoir et de souveraineté, qu'incarne l'Etat, qui rend une  la société nationale. Le Principe-Etat, en somme, se place, dans son essence, sous le signe de l'unité des contraires, où l'unité n'agit pas selon un mode destructeur ou niveleur, en d'autres mots, contre  la multiplicité qui constitue la société.

 

En conséquence, l'Etat est toujours un, même quand sa forme, au lieu de s'inspirer d'un critère d'unitarisme rigide et mécanique, se moule sur une idée d'unité organique, composite, approuvant les autonomies, les décentralisations et la pluralité, en d'autres mots, respectant et reflétant ce qui est la structure naturelle de la société des hommes.

 

Que des structures intermédiaires de socialité se reforment, prennent corps à l'intérieur même de l'Etat national, que des «mondes vitaux» se meuvent dans des directions différentes par rapport à la collectivité, c'est désormais un fait qui nous interpelle dramatiquement: en effet, ce sont là des questions qui ne sont plus évacuables; est-il encore possible de réintégrer en une unité des phénomènes sociaux qui, tout en étant des éléments de vitalité positive, fonctionnent pour le moment dans le sens d'une désarticulation du cadre formel unitaire de l'Etat et remettent en cause la possibilité même d'un consensus civil. Est-il dès lors possible de disposer d'un principe,  simultanément capable de recomposer le tissu des divers autonomismes, en les confinant dans l'espace qui est légitimement leur, et de les articuler dans une unité?  Il nous semble qu'un tel principe,   —qui serait en mesure de restituer au monde social et politique ordre et intelligibilité, dans l'attente que se profile une nouvelle forme-Etat—  pourrait se retrouver dans l'idée de subsidiarité,  remise sur le tapis aujourd'hui par la philosophie sociale chrétienne.

 

Le principe de subsidiarité  est utilisé pour désigner les sociétés articulées, où l'ordre résulte d'un rapport organique entre personnes singulières, entre sociétés mineures et sociétés majeures, d'un rapport centré sur un lien d'aide, sur l'idée de subsidium afferre,  qui ne doit jamais se transformer en absorption ou en élimination de la personne ou de la société aidées. Cela signifie que la société aidante doit s'auto-limiter dans son action, de façon à ne pas envahir la sphère de compétence d'autrui, comme il n'est pas licite d'enlever aux individus ce que ces individus sont capables d'accomplir par leurs propres moyens; une tel acte de confiscation de compétences et de droits représente une entorse gravissime à l'encontre de tout ordre social juste: on ne transfère pas à une société majeure, de grade plus élevé, ce que des sociétés mineures et de grade inférieur sont en mesure d'accomplir de leurs propres forces. Trouvant son origine dans la détermination des fonctions de l'Etat et des limites de son action face aux individus et aux sociétés mineures, le principe de subsidiarité, dans sa formulation entière, vise à dépasser toutes les formes d'individualisme et indique le chemin à suivre pour atteindre un système harmonieux de rapports entre les individus et les communautés existantes et entre les diverses communautés entre elles. Ce principe, en maintenant des espaces politiques décentralisés et des zones de décision jouissant d'une autonomie relative, vise à conserver unis  les multiples segments de la société.

 

Il nous semble utile de rappeler que le principe de subsidiarité ne se pense pas sur le mode de l'abstraction. Au contraire, il se veut une norme spéciale qui, dans le «concret», régle les compétences des personnes singulières et des diverses sociétés naturelles et politiques, et détermine les devoirs qu'ont ces sociétés vis-à-vis de leurs membres. L'organicité de la polis,  qu'implique le principe de subsidiarité, anticipe une forme d'Etat comprenant des fonctions multiples qui conservent leurs caractères spécifiques et une relative autonomie, en se coordonnant, en s'intégrant réciproquement, en convergeant vers une unité supérieure qui ne cesse jamais d'être pré-supposée au niveau de l'idéal. Il y a donc autant d'unité que de multiplicité, il y a gradualité et articulation, mais jamais ce binôme entre un centre et une masse qui lui est soumise, qu'il nivelle. Le principe de subsidiarité, comme critère de la “totalité” sociale, semble être sur la même longueur d'onde que le principe d'unité qui fonde le concept d'Etat.

 

Mais, avant toute chose, le principe de subsidiarité assure que l'autonomisme relatif est un élément essentiel dans tout système organique, au même titre qu'une décentralisation relative; celle-ci pourra être d'autant plus poussée que le centre unifiant saura exprimer unité, souveraineté et autorité.

 

Germanico GALLERANI.

(article issu de Pagine Libere di Azione sindacale, n°2/1993, dossier spécial: «Reinventare la democrazia»; adresse: Via Principe Amedeo 42, I-00.185 Roma; abonnement annuel (six numéros): 40.000 Lire; traduction française: Robert Steuckers).

samedi, 18 octobre 2008

Entretien avec M. Veneziani (1995): démocratie participative

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Archives de "Synergies Européennes" - 1995

Pour une nouvelle politique, une démocratie participative, communautaire et décisionniste

 

Entretien avec Marcello Veneziani

 

Q.: Dans votre dernier livre Sinistra e destra (= Gauche et droite), vous accusez le système majoritaire d'avoir enfoncé les partis dans le ”politicantisme”. Mais ce ”politicantisme” n'est-il pas plutôt dû à l'enlisement des idéologies, qui a permis le dialogue civil?

 

MV: Je ne crois pas que le système majoritaire a en soi provoqué cette situation. Je crois en revanche que ce sont les sujets politiques qui ont interprété le système majoritaire de cette façon. Le “politicantisme” naît de la tentative de recentrer les instances de la gauche et de la droite, dans l'espoir d'obtenir un consensus, même dans le ventre modéré de notre paysage politique. Je crois que le “politicantisme” est un échec aujourd'hui, tant sur le plan projectuel (on ne peut plus formuler de projet réel) parce qu'on n'a plus d'idées, que sur le plan concret, parce qu'on est devenu incapable de gouverner. Nous avons débouché sur une phase où la politique reste suspendue entre les idées et les faits et se contente d'images et de paroles.

 

Q.: Quelles sont les perspectives actuelles de créer des idées réalistes et réalisables et de formuler des programmes réels?

 

MV: Je crois que de telles perspectives sont liées à la qualité des classes dirigeantes qui, en ce moment, me semble fort décadentes, ce qui implique, forcément, que les perspectives sont difficiles. Je crois que toutes les “agences civiles”, à commencer par les journaux, devraient se poser la question et proposer des hypothèses, ensuite et surtout, solliciter les forces politiques à présenter des programmes clairs et distincts qui ne sont pas de simples paroles et ne se fondent pas sur de simples slogans. Je pense que c'est sur cette base que l'on pourra attirer l'attention des électeurs sur les idées, même si nous sommes aujourd'hui dans un pays un peu démotivé à la suite de deux années d'espérance révolutionnaire où les concrétisations n'ont pas abouti.

 

Q.: Vous accusez la droite d'être hostile non seulement à la culture de gauche mais à toute forme de culture. Je ne comprends pas votre raisonnement car la droite, et vous-même, s'est donné pour modèle celui de l'intellectuel gramscien...

 

MV: C'est vrai. Mais ce n'est pas là toute la vérité. Il est vrai toutefois que nous avons, voici quelques années, identifier l'intellectuel à l'intellectuel organique de gauche, parce que la droite restait hostile à la libre pensée. La droite a cru que l'idéal de ses militants devait être de croire, d'obéir et de combattre, d'où l'idée que l'on puisse penser, émettre des objections, était incompatible avec cet idéal quiritaire. A travers mes multiples expériences personnelles, je puis effectivement témoigner du fait qu'il est difficile de concilier l'engagement absolu et la défense de sa propre liberté d'expression et son propre esprit critique. Je crois que c'est une tare de la droite de se méfier à ce point de la culture, ce qui, par ailleurs, ne rend pas justice à la richesse des références culturelles que pourrait avancer la droite: ces références mériteraient d'être bien plus amplement défendues et illustrées dans les cadres politiques actuels.

 

Q.: La gauche, écrivez-vous, projette vers l'avenir un modèle de société préconçu, tandis que la droite prend acte de la société telle qu'elle est. Donc, si la droite se met à son tour à formuler des projets futuristes de société, elle perd sa nature, ou est-il possible d'envisager une droite qui propose une nouvelle architecture sociale?

 

MV: La marque la plus profonde de la gauche, c'est la recherche d'un monde meilleur, d'un monde nouveau faisant abstraction des réalités histroriques, concrètes, faisant abstraction des traditions de tous les pays, de tous les peuples. L'idée de “pays normal” qu'envisagent de promouvoir ou de construire des hommes de gauche tels Bobbio, Foa, ou, plus récemment, D'Alema, est en fait une Italie imaginée, une Italie qui doit être faite et non pas une Italie qui est. Je crois effectivement que le trait fondamental de la gauche est cette propension à l'utopie, cette volonté d'avancer l'idée de libération comme émancipation de tous les liens et de toutes les traditions.

 

De l'autre côté, la culture de droite se fonde sur l'enracinement, sur le besoin d'enraciner ses propres expériences politiques ou sa propre existence dans une culture précise, non remise en cause, sur des valeurs civiles ou religieuses léguées. Tels sont à mon sens les grands principes qui divisent la gauche et la droite. Cependant, si on regarde les réalités politiques de plus près, on constatera que le paysage politique est si bouleversé qu'il est possible désormais de découvrir des gauches droitières et des droites gauchisantes, si bien que pour finir, gauches et droites s'acheminent vers l'annulation d'elles-mêmes et finissent par ne plus rien représenter du tout.

 

Q.: Quelles sont les formes politiques de la “Révolution Conservatrice” que vous avez théorisées?

 

MV: Je crois que la révolution conservatrice moderne est l'idée d'une démocratie participative, communautaire et décisionniste, c'est-à-dire d'une démocratie qui, institutionnellement, s'exprime à travers un pacte direct et fiduciaire, à travers un rapport direct entre gouvernants et gouvernés, à travers l'élection directe de l'exécutif mais qui aurait comme équivalent, précisément, ce populisme, que l'on définit toujours péjorativement, et qui devrait être le trait fondamental de la droite moderne, c'est-à-dire la capacité d'interpréter le tissu national et populaire d'un pays en termes modernes.

 

Q.: Vous écrivez aussi que l'ennemi naturel de la droite n'est pas la gauche mais le nihilisme des valeurs qui se profile derrière celle-ci. Ne pensez-vous pas que le libéralisme pur que la droite italienne a adopté sans restriction est une forme de soft-idéologie, donc de nihilisme?

 

MV: L'adoption de ce libéralisme pur procède d'une lacune: la droite politique n'a pas interprété les phénomènes politiques et civils à la lumière d'une tradition culturelle bien ancrée. Si elle accepte la logique bipolaire qui est une logique d'agrégation d'éléments divers, si elle accepte l'idée que le sujet politique Berlusconi représente la variante la plus importante de notre système politique, son discours devient compréhensible. Quand on ne fait pas la distinction entre la plan politique et le plan culturel, on risque de devenir le vecteur sain ou malsain d'une variante floue du nihilisme qui pourrait éventuellement prendre les traits d'un ultra-libéralisme ou d'un libéralisme; parce que le nihilisme, finalement, n'a pas a priori une connotation de droite ou de gauche en soi; son trait essentiel c'est de provoquer la dissolution des identités et de leurs significations, en empruntant le véhicule d'une culture de type progressiste pour déboucher sur une culture globale “modérée”. En bout de course, on vivra la coexistence de formes sociales, politiques et économiques de type capitaliste.

 

Q.: La patrie, les racines, les valeurs communautaires: comment peuvent-elles survivre à notre époque qui rapidement dépasse tout, brûle tout, annulle toutes les valeurs. Dans un tel contexte, faut-il construire ce que Domenico Fisichella a appelé le “droite néo-futuriste”?

 

MV: Justement, si l'on veut éviter la présence de ce “novisme” continuel, on doit construire des contre-poids solides. Ces contre-poids ne peuvent être que les racines qui permettent de gouverner la modernité. Celui qui croit que l'on doit accepter passivement la modernité devient en fait une victime de la modernité et cesse d'être un acteur politique et historique, devient un sujet passif. Je crois qu'il faudra bien vite redécouvrir ce fameux “modernisme réactionnaire”, qu'avait naguère définit un historien des idées américain, en soulignant la capacité de ce complexe idéologique à affronter efficacement la modernité, ses dégâts, mais aussi ses innovations positives. Ce “modernisme réactionnaire” s'est montré capable d'affronter son époque en se basant sur des anticorps solides; en effet, quand il n'y a pas d'anticorps, on ne peut plus affronter et maîtriser cette modernité: on la subit, tout simplement.

 

Q.: Vous nous signalez la présence d'un mal endémique de la politique italienne: l'extrémisme, qui trahit une absence historique de pensée modérée. Comment expliquez-vous ce phénomène?

 

MV: Je tiens à dire, d'abord, que je ne considère pas comme un mal en soi la présence, dans toute notre culture politique, d'une culture “immodérée”, c'est-à-dire rétive aux enfermements de la modération. Car le “modératisme” n'est rien d'autre que le déguisement d'une culture faite d'“arrangements”, de compromis au sens le plus vulgaire du terme. L'“immodératisme” peut donc souvent être positif. On ne peut juger une culture politique au taux de modération qu'elle porte en elle. Je préfère la juger à son taux de vérité, de dignité et de crédibilité. Je n'accorde aucune valeur axiologique au fait d'être modéré ou de ne pas l'être, mais je reste convaincu que l'extrémisme en soi reste, comme le disait Lénine, une “maladie infantile”.

 

Q.: Quels risques court-on de voir s'affirmer les dites “minorités illuminées” dans notre société?

 

MV: Le risque est de voir se créer une nouvelle forme de jacobinisme porté par une secte d'illuminés qui décrètera qui sera normal et qui ne le sera pas, qui valorisera ceux qui se mouvront correctement dans l'esprit du temps et qui condamnera ceux qui resteront incorrectement en opposition à cet esprit, qui appuira seulement ceux qui se placeront dans la logique du présent et du progrès. Tel est le plus grand danger qui nous guette et qui semble prendre forme dans certains cénacles de gauche. Cette volonté de contrôle et d'inquisition est née de la conviction que le peuple n'exprime que des consensus inadéquats dérivés de réflexes et d'instincts frustes, vulgaires, rétrogrades, brutaux et réactionnaires. Et de la conviction que seules les minorités éclairées peuvent stabiliser le pays dans un projet de modernité. Voilà une dérive condamnable, qui nous mènera à l'intolérance la plus rabique, à l'exemple du jacobinisme français. Il convient de dénoncer ce danger.

 

Q.: Nous allons voir. Mais le Mezzogiorno a connu un précédent, notamment la réaction du peuple face à la République Parthénopéenne de 1799, réprésentant le phénomène politique le plus “avancé” de son temps. Dans cette construction révolutionnaire, imitée de la France, le comportement de la minorité éclairée face au peuple confirme votre thèse...

 

MV: En observant cette révolution de 1799, je partage les positions de Vincenzo Cuoco qui affirmait que les révolutions importées, imposées de haut par des sectes éclairées sont surtout des révolutions qui ne durent jamais longtemps parce qu'elles ne s'ancrent pas solidement dans le peuple; ce sont des révolutions soudaines et éphémères, non des révolutions qui s'imbriquent dans les faits. Il me semble important de relier les racines organiques d'un peuple à sa culture et à sa manière de représenter ses humeurs, son art de vivre et ses intérêts matériels. A partir du moment où ce circuit de réciprocité s'interrompt, nous avons affaire à la folie jacobine, où la violence de la minorité éclairée s'exerce sur la majorité; dans une phase ultérieure, quand il y a scrutin, la majorité dégagée exerce alors son pouvoir sans ménagement et fait subir mille et une vexations aux minorités, ce que nous pouvons voir dans les variantes démagogiques des démocraties de masse. Signalons aussi la violence pédagogique exercée par les minorités actives sur la majorité.

 

Q.: Vous affirmez que la liberté n'est pas une valeur, mais la condition qui permet aux valeurs de s'affirmer. Votre affirmation ne pourrait-elle pas servir d'alibi aux liberticides pour mettre un terme à l'exercice de la démocratie sous prétexte que celle-ci ne laisse pas d'espace à l'expression de leurs propres valeurs minoritaires? Ils légitimeraient ainsi leur propre pouvoir de minorité éclairée, ce qui serait un processus totalement négatif, comme vous venez de l'indiquer.

 

MV: Je crois que la liberté court effectivement le danger de tomber entre les mains de ceux qui l'affirment par pure rhétorique, sans jamais définir ce que doit être la démocratie au concret. Je crois que la liberté est une condition de vie et non pas une valeur. La liberté est une condition pour l'exercice des valeurs, pour exprimer sa différence et sa personnalité: une condition indispensable. Si je retiens la liberté comme indispensable, je crois donner à la valeur liberté une importance fondamentale, sans laquelle il est impossible d'avoir une société civile avancée; je perçois un danger chez ceux qui utilisent le terme “liberté” ou “libéralisme” comme une simple étiquette et mettent dans cette coquille vide tous leurs fantasmes, toutes les fables auxquelles il croient.

 

Q.: Qu'y a-t-il au-delà de la droite et de la gauche?

 

MV: Je crois qu'on va redéfinir complètement la droite et la gauche et qu'on leur donnera peut-être de nouveaux noms. Personnellement, je ne me batterai pas pour ces vocables et je ne briserai aucune lance pour les restaurer. Si les prochaines représentations bipolaires se nomment encore gauche et droite, je les nommerai aussi ainsi, mais si elles se nomment autrement, je les nommerai autrement. Je cherche bien plutôt à préciser une opposition entre un type de culture libéral et un type de culture communautaire, en espérant que cette distinction sera de quelque utilité pour comprendre l'avenir.

 

Q.: Si vous deviez créer un parti sur base de vos réflexions comment le réaliseriez-vous? Quelles allures aurait le parti de Marcello Veneziani?

 

MV: Je vous dis tout de suite que je n'ai pas la moindre intention de créer un parti. Ceci dit, je pense que pour faire un parti qui représenterait les besoins et les malaises d'un peuple, il faudrait d'emblée le concevoir comme d'inspiration communautaire et décisionniste tout à la fois. Ce parti devrait aussi représenter les exigences diffuses d'un pouvoir influent, c'est-à-dire d'un pouvoir suffisamment fort et capable de satisfaire correctement, sans recours à la coercition, le besoin du pays en décisions claires et nettes. Et, en même temps, le besoin de le réamarrer aux racines communautaires, en sachant que l'unique légitimation qu'une force politique peut avoir est justement celle d'interpréter l'âme d'un pays selon un mode actuel, non anachronique. A partir du moment où la politique n'incarne plus l'âme d'un pays, on n'a plus besoin de politique, il suffit d'avoir des administrateurs et des technocrates qui assureront sans heurts leurs condominium. Ensuite, il me paraît nécessaire que la politique conserve ce zeste de passion civile sans lequelle elle n'a plus raison d'être.

 

Q.: Que pensez-vous de la droite actuelle? Vous avez eu des mots très durs à son égard.

 

MV: Il faut tenir compte du fait que le niveau de ces personnages de la droite, tant d'un point de vue humain que d'un point de vue stratégique et politique, est plutôt bas. En Italie existe une droite profonde mais je crois que la droite majoritaire l'a supprimée; par ailleurs, il existe une culture de droite qui a ses lettres de noblesse et qui s'est enraciné dans la paysage culturel italien. Au milieu de tout cela, nous avons des sujets politiques qui n'ont pas la moindre attention de les écouter. Je pense qu'aujourd'hui cette force de droitesans profil, sans profondeur ni culture, entre dans une phase de pure jactance où communient et la gauche et la droite, avant de participer sans vergogne aux structures du pouvoir. Elle mobilisent les foules sur les places publiques pour des motifs dépourvus de toute noblesse.

 

Q.: Existe-t-il une véritable culture de droite actuellement? Vous avez opéré des distinctions très nettes entre la droite politique et la droite culturelle.

 

MV: Je pense que la culture de droite existe surtout au niveau des racines; il existe en effet un grand patrimoine culturel de droite mais qui baigne dans l'indifférence la plus totale, auquel la caste politique manifeste de l'hostilité. Un patrimoine qui n'est finalement que peu de chose. Mais pourquoi? Il en subsiste peu de chose à l'état actif car la droite a subi l'hégémonie culturelle de la gauche, soit un pouvoir culturel qui exerçait la contrainte contre tous ceux qui osaient penser différemment. Face à cette terreur, elle a dû pratiquer le mimétisme ou se doter d'un corpus culturel complètement éloigné de la politique, où ses protagonistes vivaient mal leur frustration d'être marginalisés. Mais il faut dire aussi que la droite politique est incapable de penser une politique culturelle; en disant cela, je pense à ce que le communisme de Togliatti a été capable de faire à gauche; les droites qui ont essayé d'imiter cette stratégie payante, en fondant des maisons d'édition, des centres culturels, des revues et des journaux, ne sont pas arrivées à la cheville de leur modèle communiste. Je connais bien l'histoire des revues de droite: c'est une histoire perpétuelle d'homicides et de suicides culturels, causés par ceux qui ne toléraient pas les expressions non aliénées dans le monde de la droite.

(propos recueillis par Matteo Bua et Nino Reina; ex Parolibera, n°3/95; traduction française: Robert Steuckers).

jeudi, 16 octobre 2008

Carl Schmitt: Etat, Nomos et "grands espaces"

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Carl Schmitt: Etat, Nomos et “grands espaces”

 

La maison d'édition berlinoise Duncker & Humblot, qui publie l'essentiel de l'œuvre de Carl Schmitt, a eu le mérite l'an passé d'avoir publié une anthologie d'articles définitionnels fondamentaux du juriste et polito­logue allemand (CS, Staat, Großraum, Nomos - Arbeiten aus den Jahren 1916-1969), magistralement pré­facés par Günter Maschke. Ce fut sans doute, à nos yeux, le nouveau livre le plus important en philoso­phie politique exposé à la Foire de Francfort en octobre 1995. Mais c'est aussi un livre fondamental pour comprendre dans tous ses rouages le monde d'après la Guerre Froide. Günter Maschke, un des plus grands spécialistes allemands de Carl Schmitt, mérite nos éloges pour avoir annoté avec une remar­quable précision tous ces articles et surtout les avoir resitués dans leur vaste contexte. Maschke fournit en effet au lecteur  —à l'étudiant comme à l'érudit—  des commentaires et des analyses très mé­thodiques et très fouillées. Staat, Großraum, Nomos est divisé en quatre parties: 1. Constitution et dicta­ture; 2. Politique et idée; 3. Grand-Espace et Droit des gens et 4. Du Nomos de la Terre. A notre avis, l'essentiel pour notre monde en effervescence depuis la chute du Mur réside dans les deux dernières par­ties.

 

Cette nouvelle anthologie a l'immense mérite de concentrer toute son attention sur un aspect moins connu, mais toutefois déterminant, de la pensée et de l'œuvre de Carl Schmitt: la géopolitique. Notre “Centre de Recherches en Géopolitique” avait jadis déjà mentionné quelques-uns de ces textes fonda­mentaux, mais le vaste ensemble d'articles et d'essais sélectionnés par Maschke permet de jeter, sur cette géopolitique schmittienne, un regard beaucoup plus synoptique.

 

Le “Grand-Espace”

 

Notre Centre a publié depuis 1988 un certain nombre de textes de géopolitique; depuis 1991, nous réflé­chissons intensément sur le nouvel ordre mondial après l'effondrement de l'Union Soviétique. L'ère nou­velle sera très vraisemblablement marquée par la notion de “Grand-Espace”, toutefois dans un sens peut-être différent de celui que lui donnait Carl Schmitt. Commençons notre analyse par une citation de Joseph Chamberlain qui illustre bien l'intention des géopolitologues et de Schmitt lui-même: «L'ère des petites na­tions est révolue depuis longtemps. L'ère des empires est advenue» (1904). Mais l'effondrement de l'URSS nous enseigne que l'ère des empires traditionnels est elle aussi révolue, si l'on considère toutefois que le dernier des empires traditionnels a été l'Union Soviétique. A la place des empires, nous avons dé­sormais les “Grands-Espaces”. Dans son essai Raum und Großraum im Völkerrecht, Schmitt définit clai­rement le concept qu'il entend imposer et vulgariser: «Le “Grand-Espace” est l'aire actuellement en ges­tation, fruit de l'accroissement à l'œuvre à notre époque, où s'exercera la planification, l'organisation et l'activité des hommes; son avènement conduira au dépassement des anciennes constructions juridiques dans les petit-espaces en voie d'isolement et aussi au dépassement des exigences postulées par les systèmes universalistes qui sont liés polairement à ces petits-espaces».

 

Schmitt cite Friedrich Ratzel et montre, en s'appuyant sur ces citations, comment, à chaque génération, l'histoire devient de plus en plus déterminée par les facteurs géographiques et territoriaux. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui pour notre génération, car la bipolarité d'après 1945 fait place à une multipolarité, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de protagonistes.

 

Maschke, dans ses commentaires sur l'article intitulé Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte, mentionne à juste titre la théorie de Haushofer qui envisa­geait de publier un Grundbuch des Planeten, un livre universel sur l'organisation territoriale de la planète. La géopolitique, selon Haushofer, ne devait pas servir des desseins belliqueux  —contrairement à ce qu'allèguent une quantité de propagandistes malhonnêtes—  mais préparer à une paix durable et éviter les cataclysmes planétaires du genre de la première guerre mondiale. Ce Grundbuch  haushoférien devait également définir les fondements pour maintenir la vie sur notre planète, c'est-à-dire la fertilité du sol, les ressources minérales, la possibilité de réaliser des récoltes et de pratiquer l'élevage au bénéfice de tous, de conserver l'“habitabilité” de la Terre, etc., afin d'établir une quantité démographique optimale dans cer­tains espaces. Les diverses puissances agissant sur la scène internationale pratiqueraient dès lors des échanges pour éviter les guerres et les chantages économiques. Certes, on peut reprocher à ce Grundbuch de Haushofer, un peu écolo avant la lettre, d'être utopique et irénique, mais force est de cons­tater que ses idées étaient fondamentalement pacifistes et qu'elles ne coïncidaient pas avec les projets agressifs de l'Allemagne nationale-socialiste. Pourtant, Maschke rappelle que Schmitt et Haushofer ne correspondaient apparemment pas et ne s'étaient jamais vus.

 

Cet article sur le völkerrechtliche Großraumordnung... constituaient une tentative d'introduire en Europe une “doctrine de Monroe” au cours de la seconde guerre mondiale. Dans son commentaire, Maschke rap­pelle les thèses d'un géographe américain, Saul Bernard Cohen, qui a eu le mérite de maintenir à flot les idées géopolitiques avant leur retour à l'avant-plan. Le concept cohenien de “région géopolitique”, déve­loppé depuis les années 60 et actualisé aujourd'hui, s'avère pertinent dans le contexte actuel de “fin de millénaire”. Ces idées de “grand-espace” et de “région géopolitique” se retrouvent également chez les deux experts espagnols de droit international, fortement influencés par Schmitt: Camilo Barcia Trelles et Luis Garcia Arias.

 

L'étude de Schmitt Das Meer gegen das Land (La mer contre la terre) de 1941 contient le noyau essentiel du futur livre de Schmitt Land und Meer. Maschke pense que Schmitt a été influencé par la lecture de Vom Kulturreich des Meeres (1924) de Kurt von Boeckmann, et de Vom Kulturreich des Festlandes (1923) de Leo Frobenius.

 

Une recension écrite par Schmitt en 1949 garde toute sa pertinence aujourd'hui, souligne Maschke. Elle s'intitule Maritime Weltpolitik. Schmitt y écrit: «La domination de l'espace aérien et la possession de moyens de destruction modernes pourront à elles seules s'assurer la domination sur la terre et sur la mer. [Par ces moyens techniques], notre planète est encore devenue plus petite. En comparaison avec les structures qu'érige la technique moderne sur la planète, la Tour de Babel apparaît comme une entreprise très modeste. La Mer a perdu sa puissance en tant qu'élément et notre Terre est devenue un aérodrome» (p. 479 de l'édition de Maschke).

 

Quelques années après la seconde guerre mondiale déjà, Schmitt tire la conclusion: dans le futur, le con­trôle de la planète s'exercera par le biais des communications aériennes (et plus tard spatiales); la Terre et la Mer perdront de l'importance. Le nouvel espace  —jeu de mot!—  sera l'espace.

 

Schmitt mentionne l'œuvre de l'Américain Homer Lea (1876-1913) dans sa recension. Lea avait terminé sa carrière comme conseiller militaire de Sun Yat Sen en Chine. Il avait écrit des livres importants, largement oubliés aujourd'hui: The Day of the Saxon (1912) et The Valor of Ignorance (1909). Le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, ami et complice de Maschke, avait préfacé une réédition allemande de The Day of the Saxon et prépare actuellement une vaste étude sur le écrits militaires et géopolitiques de Lea.

 

Le Nomos

 

Penchons-nous maintenant sur la quatrième partie de cette anthologie, qui commence par la définition que donne Schmitt du “nomos”: «Il est question d'un Nomos de la Terre. Ce qui signifie: je considère la Terre  ­l'astéroïde sur lequel nous vivons—  comme un Tout, comme un globe et je recherche pour elle un ordre et un partage globaux. Le terme grec “nomos”, que j'utilise pour désigner ce partage et cet ordre fondamental, dérive de la même étymologie que le mot allemand “nehmen” (= prendre). Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”. Ensuite, ce terme signifie, le partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre, partager, faire paître sont les actes primaires et fonda­mentaux de l'histoire humaine, ce sont les trois actes de la tragédie des origines» (Maschke, p. 518).

 

Dans une étude datant de 1958 et intitulée Die geschichtliche Struktur des Gegensatzes von Ost und West  (= La structure historique de l'opposition entre l'Est et l'Ouest), Schmitt mentionne quelques-unes des théories géopolitiques de base énoncées par Sir Halford John Mackinder. Il se réfère au géographe britannique quand il affirme que l'opposition entre puissances continentales et puissances maritimes constitue la réalité globale de la guerre froide. Quand il commente cette étude, Maschke commet la seule erreur que j'ai pu trouver dans son travail par ailleurs exemplaire. L'“Ile du monde” selon Mackinder est l'Europe + l'Asie + l'Afrique et non pas l'“hémisphère oriental” comme le dit Maschke (p. 546). Celui-ci af­firme également que Mackinder avait été influencé par le géographe allemand Joseph Partsch. Je ne pré­tends pas être un expert dans l'œuvre de Mackinder, mais c'est bien la première fois que je lis cela...

 

Nous avions déjà eu l'occasion de recenser un ouvrage important de Schmitt, Gespräch über den neuen Raum (= Conversation sur le nouvel espace). C'est l'une des contributions les plus pertinentes de Schmitt à la géopolitique depuis 1945. Le message de Schmitt dans ce travail (et dans d'autres), c'est un appel à la constitution de différents “Grands-Espaces”, ce qui semble advenir aujourd'hui, surtout depuis la Guerre du Golfe. La théorie du pluralisme des Grands-Espaces, Schmitt l'a bien exprimée dans un autre texte figurant dans l'anthologie de Maschke: Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg (= l'Ordre du monde après la seconde guerre mondiale). Schmitt y écrivait: «De quelle manière se résoudra la con­tradiction entre le dualisme de la Guerre Froide et le pluralisme des Grands-Espaces...? Le dualisme de la Guerre Froide s'accentuera-t-il ou bien assistera-t-on à la formation d'une série de Grands-Espaces, qui généreront un équilibre dans le monde et, par là même, créeront les conditions premières d'un ordre paci­fique stable?» (Maschke, p. 607).

 

En 1995, nous connaissons la réponse à la question que posait Schmitt en 1962. Le dualisme n'est plus et nous pouvons assister à l'émergence (timide) de Grands-Espaces, qui pointent à l'horizon. Nous ne pouvons toujours pas deviner quelle sera l'issue de ce processus. Des changements surviendront indubi­tablement dans le cours des choses mais nous pouvons d'ores et déjà penser que l'ALENA et l'UE seront deux de ces Grands-Espaces, et ils coopéreront sans doute avec le Japon. Le Lieutenant-Général William E. Odom de l'US Army, aujourd'hui à la retraite, a lancé quelques éléments dans le débat visant à structurer le système qui prendra le relais de celui de la Guerre Froide dans son ouvrage How to Create a True World Order (= Comment créer un véritable Ordre Mondial?; Orbis, Philadelphia, 1995). La Russie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique et le monde musulman pourraient bien devenir des Grands-Espaces autonomes. L'Afrique continuera à végéter dans la misère, sauf peut-être le Nigéria et l'Afrique du Sud. L'attitude agressive croissante de la Chine aura sans doute pour résultat d'avertir les petites puissances d'Asie; elles prépareront dès lors leur défense contre l'impérialisme chinois à venir.

 

Dans la quatrième partie de l'anthologie de Maschke, nous trouvons encore un texte fondamental, Gespräch über den Partisanen (= Conversation sur la figure du partisan). Au départ, il s'agissait d'un dé­bat radiodiffusé en 1960 entre Schmitt et un maoïste allemand, Joachim Schickel. ce débat était bien en­tendu marqué par la grande question de cette époque: l'insurrection croissante au Vietnam. Il n'en de­meure pas moins vrai que la question de la guerilla (ou du Partisan) demeure. Le Law Intensity Warfare (= la guerre à basse intensité) continuera à faire rage sur la surface du monde et influencera les processus politiques. Résultat: le terme de “Guerre civile mondiale” acquerra sans cesse de l'importance (1).

 

Carl Schmitt n'était pas en première instance un géopolitologue. Il était un expert en droit constitutionnel et international. Toutefois, au moment où nous allons aborder le nouveau millénaire, il est temps, me semble-t-il, de remettre sur le métier les approches schmittiennes en matières géopolitiques et géostra­tégiques globales. Même si Schmitt reste une personnalité controversée (à cause des opinions qu'il a émises au début des années 30), il est devenu impossible de l'ignorer quand on élabore aujourd'hui des scénarii pour l'avenir du monde.

 

Theo HARTMAN.

(«State, Nomos and Greater Space. Carl Schmitt on Land, Sea and Space», in Center for Research on Geopolitics (CRG), Special Report no.4, Helsingborg/Sweden, 1996. Adresse: CRG, P.O.Box 1412, S-251.14 Helsingborg/Suède; traduction française: Robert Steuckers).

 

Références du livre de Maschke: Carl SCHMITT, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916-1969. herausgegeben, mit einem Vorwort und mit Anmerkungen verse­hen von Günter Maschke, Duncker & Humblot, Berlin, 1995.

 

Note:

(1) Pour une analyse complète de na notion de “Guerre civile mondiale”, cf. le manuscrit impublié de Bertil Haggman, directeur du CRG suédois, intitulé Global Civil War - A Terminological and Geopolitical Study, 1995).

dimanche, 05 octobre 2008

De doodstrijd van de hidige machtskaste

De doodsstrijd van de huidige machtskaste

Weer groot nieuws op het politieke front: de politieke nepwereld heeft zichzelf weer in extase gebracht door het feit dat de N-VA haar steun aan de federale regering heeft opgezegd. Dat de N-VA niet in die regering zat, is blijkbaar een verwaarloosbaar detail. De N-VA verhuurde alleen maar haar 5 parlementairen aan een fractie van de Belgische kaste, met name de CD&V-fractie, zolang ze daar brood in zag. In de andere Belgische deelregering, die men ook wel eens Vlaamse regering durft te noemen, blijven de separatisten van de N-VA leuk zitten, broederlijk naast die andere “echte” separatisten van het VB, maar dan met een bonus in de vorm van een ministerpost. Ze hebben uit financiële en carrièreoverwegingen zichzelf wijsgemaakt dat de Vlaamse regering los zou staan van de Belgische machtkaste, nochtans zijn die Vlaamse regering en dat Vlaamse parlement gewoon een onderdeel van die Belgische machtstructuur.

Maar er zijn een paar ernstige problemen binnen de huidige Belgische machtkaste: de centen en procenten moeten herverdeeld worden en de verschillende clans en belangengroepen hebben eindelijk door (of zouden ze het nog niet echt begrijpen?) dat hun geliefde vaderland al is verkocht aan een derde partij: de Europese. De verkoop van dit land is al lang bij de notaris vastgelegd in contracten en wettelijke verplichtingen, en neergelegd bij de Europese commissie, die de begunstigden zijn van de staatsoverdracht. België bestaat in die zin niet echt meer. Wij van het N-SA noemen ons dan ook een post-Belgische beweging. Natuurlijk is er een Belgische regering en een Belgische volksvertegenwoordiging nodig om de uitverkoop van onze soevereiniteit zo ongemerkt mogelijk te laten verlopen en ook om dat volksverraad een legitieme waarde te geven. Europa dicteert hier in ons land de wet en de sociale consensus. Het bepaalt welke begrotingstekorten kunnen, maar ook in hoeverre er staatssteun in de economie of de sociale structuren al dan niet mogen worden gepompt. Het ultraliberale Europees zakenconcern dat men Europese commissie noemt en haar uitvoerders - “de commissarissen” - willen dat de sociale structuur van een overgenomen land, zoals België, wordt afgebroken.

De deelregeringen van de staat in vereffening - “de Belgische staat” - willen de Europese bonzen zeer ter wille zijn en vooral de Vlaamse wil graag tegemoet komen aan de eisen van de Eurostaat? Daarom wil men het tewerkstellingsbeleid en het loonbeleid - en dus de economische mechanismen - in handen nemen. Niet om Vlaanderen sterker te maken en al zeker niet om Vlaanderen onafhankelijker te maken, want Vlaanderen is al doorverkocht en zit in het globale Belgische pakket dat aan de Euromanagers en de Europese kapitaalgroepen is verkwanseld. De deelelite in de vijf parlementen en dito regeringen voelen nu al aan hun ellebogen dat ze overbodig zijn geworden in de Europese context en dat er een herverkaveling van de macht op til is. Er zal op bevel van de eurobazen gesnoeid moeten worden in die wildernis aan politieke mandaten en machtposities. Het besef dat ze machteloos zijn geworden en misschien binnenkort een job zullen moeten gaan zoeken waar ze moeten werken voor hun geld verlamt de heren en dames van die politieke klasse met angst. Daarom dat de politieke klasse zo euforisch doet als er weer iemand van hun bende een stout woordje durft te zeggen, zoals mijnheer Dewever. Dat is voor die heren en dames parlementairen zo revolutionair en zo zelfbevestigend dat ze daarna weer allen druk bezig kunnen zijn met hun onnuttige bestaan.

Op 11 oktober zullen we onze standpunten verder verduidelijken op ons eerste congres. Aan de links-liberale stoottroepen willen we duidelijk zeggen: jullie zijn niet welkom. In tegenstelling tot die grote burgerlijke rechtse partijen moeten wij geen rekening houden met kiezers. Mocht het Blokbuster-terreurcommando dat niet goed begrijpen, dan zouden ze het wel eens tot in Keulen kunnen horen donderen.

Eddy Hermy
Algemene Coördinator

samedi, 04 octobre 2008

Ni Izquierda ni Derecha

Ni Izquierda ni Derecha
Por Alberto Buela

El lúcido pensador italiano Marcello Veneziani comienza un bello artículo sobre el antiglobalismo con la siguiente observación: "Si te fijas en ellos, los anti-G8 son la izquierda en movimiento: anarquistas, marxistas, radicales, católicos rebeldes o progresistas, pacifistas, verdes, revolucionarios. Centros sociales, monos blancos, banderas rojas. Con el complemento iconográfico de Marcos y del Ché Guevara.

Luego te das cuenta de que ninguno de ellos pone en discusión el Dogma Global, la interdependencia de los pueblos y de las culturas, el melting pot y la sociedad multirracial, el fin de las patrias. Son internacionalistas, humanitarios, ecumenistas, globalistas. Es más: cuanto más extremistas y violentos son, más internacionalistas y antitradicionales resultan".
[1]

Se da cuenta que la oposición desde la izquierda a la globalización es sólo una postura que se agota en una manifestación. Seattle, Génova, Nueva York, Porto Alegre, pero no pasa nada, "el mundo sigue andando" como decía Discepolín. Es que la política del "progresismo" como ha observado agudamente el filósofo, también italiano, Massimo Cacciari, ordena los problemas pero no los resuelve. [2]

De esto mismo se percata el sociólogo marxista más significativo de Iberoamérica, Heinz Dieterich Steffan quien en un reciente artículo señala: "Si la tarea actual de todo individuo anticapitalista es, por lo tanto, absolutamente clara: ¿Por qué "la izquierda" y sus intelectuales no la encaran? ¿Por qué repiten en foro tras foro la misma letanía sobre la maldad del neoliberalismo y se contentan con sus ritualizadas propuestas terapéuticas inspiradas en Keynes, Tobin y Stiglitz? ¿Por qué no convierten la realidad capitalista en objeto de transformación antisistémica, en lugar de mantenerla como muro de lamentaciones?" [3]

El fracaso rotundo de la izquierda, hoy rebautizada "progresismo", es que, además de no haber elaborado, deglutido sería el término exacto, la derrota del "socialismo real" con la implosión soviética y la caída del Muro, no reelaboró sus categorías de lectura, y se quedó anclado al mundo categorial de Marx, Engels, Lenin, Rosa Luxemburgo y eventualmente Trotsky, haciendo arqueología política.

Lo más significativo del siglo XX, la escuela neomarxista de Frankfurt, luego de los esfuerzos de Adorno, Apel, Cohen y Marcuse, termina con el publicitado Habermas y su teoría del consenso (sin percatarse que el consenso siempre ha sido de los poderosos entre sí) y sus discípulos aventajados James Bohman y Leo Avritzer con su teoría de la democracia deliberativa, que como un nuevo nominalismo pretende arreglar las injusticias políticas, económicas y sociales con palabras. Conversando en una especie de asambleísmo permanente.

Si la izquierda está liquidada, ¿qué queda de la derecha? ¿Se puede esperar algo de ella?

De la derecha clásica, tanto del nacionalismo orgánico o integral al estilo de Charles Mauras, como del fascista de Mussolini o del católico de Oliveira Salazar no queda nada. Sólo trabajos de investigación históricos y pequeños grupos políticos sin peso en sus sociedades respectivas. Eso sí, queda como derecha el neo conservadorismo estadounidense y los gobiernos que le son afines. Y de esta derecha liberal, la única que existe con peso político, solo se puede esperar que las cosas empeoren para la salud y el bienestar de los pueblos.




Si esto es así, denunciamos una vez más de entre las cientos de veces que lo hemos intentado mostrar, que la dicotomía izquierda-derecha es estrecha, por no decir falsa, para encarar una lectura adecuada de la realidad.

Hoy situarse a la izquierda o a la derecha es no situarse, es colocarse en un no-lugar, sobre todo para el pensador (rechazo de plano el término intelectual) que pretende elaborar un pensamiento crítico. Y el único método que hoy puede crear pensamiento crítico es el disenso. Disenso no sólo con el pensamiento único y políticamente correcto sino también y sobre todo, con el orden constituido, con el statu quo vigente.

El disenso es estructuralmente una categoría del pensamiento popular, en tanto que el consenso, como vimos, es una apropiación de la izquierda progresista para lograr la democracia deliberativa que tiene mucho de ilustrada, y también, aunque en otro sentido, propiedad del liberalismo como acuerdo de los que deciden, de los poderosos (G8, Davos, FMI, Comisión trilateral, Bildelbergers, etc.).

El disenso que se manifiesta como negación tiene distinto sentido en el pensamiento popular que en el culto. En este último, regido por la lógica de la afirmación, la negación niega la existencia de algo o alguien, en tanto que en el pensamiento popular lo que se niega no es la existencia de algo o alguien, sino su vigencia. La vigencia puede ser entendida como validez, como sentido. El disenso niega el monopolio de la productividad de sentido a los grupos o lobbys de poder, para reservarla al pueblo en su conjunto, más allá de la partidocracia política.

La alternativa hoy es situarse más allá de la izquierda y la derecha. Consiste en pensar a partir de un arraigo, de nuestro genius loci dijera Virgilio. Y no un arraigo cualquiera sino desde las identidades nacionales, que conforman las ecúmenes culturales o regiones que constituyen hoy el mundo. Con esto vamos más allá incluso de la idea de estado-nación, en vías de agotamiento, para sumergirnos en la idea política de gran espacio etnocultural.

Desde estas grandes regiones es desde donde es lícito y eficaz plantearse el enfrentamiento a la globalización o americanización del mundo. Hacerlo como pretende el progresismo desde el humanismo internacional de los derechos humanos, o desde el ecumenismo religioso como ingenuamente pretenden algunos cristianos, es hacerlo desde un universalismo más. Con el agravante que su contenido encierra un aspecto de loable, pero vacuo, inverosímil y no eficaz a la hora del enfrentamiento político.

Pero este enfrentamiento se está dando igual, a pesar de la falencia de los pensadores en no poder elaborarlo aún, a través del surgimiento de los diferentes populismos, que más allá de los reparos que presentan a cualquier espíritu crítico, están cambiando, como observa Robert de Herte
[4] las categorías de lectura. Así la oposición entre burgueses y proletarios de la izquierda clásica va siendo reemplazada por la de pueblo vs. oligarquías, sobre todo financieras y las de izquierda y derecha por la de justicia y seguridad.

Así, mientras que desde la izquierda progresista la crítica a la globalización queda limitada a la no extensión de sus beneficios económicos a la humanidad sino sólo a unos pocos. Porque la izquierda, por su carácter internacionalista no puede denunciar el efecto de desarraigo sobre las culturas tradicionales y sobre las identidades de los pueblos. Su denuncia se transforma así, en un reclamo formal para que la globalización vaya unida a los derechos humanos.




En cambio, es desde los movimientos populares que se realiza la oposición real a las oligarquías transnacionales [5]. Es desde las tradiciones nacionales de los pueblos donde mejor se muestra la oposición a la sociedad global sin raíces, a ese imperialismo desterritorializado del que hablan Hardt y Negri. Es desde la actitud no conformista que se rechaza la imposición de un pensamiento único y de una sociedad uniforme, y se denuncia la globalización como un mal en sí mismo.

Es que el pensamiento popular, si es tal, piensa desde sus propias raíces, no tienen un saber libresco o ilustrado. Piensa desde una tradición que es la única forma de pensar genuinamente según Alasdair MacIntayre
[6], dado que "una tradición viva es una discusión históricamente desarrollada y socialmente encarnada". Por lo que les resulta imposible a los pueblos y a los hombres que los encarnan situarse fuera de su tradición. Cuando lo hacen se desnaturalizan, dejan de ser lo que son. Son ya otra cosa.

Notas

[1] El antiglobalismo de derecha. Marcello Veneziani (1955) periodista del Giornale y del Menssaggero y colaborador con la Rai, es autor de varios ensayos entre los que se destacan: La rivoluzione conservatrice in Italia (1994), Processo all´Occidente (1990) y L´Antinovecento (1996). Podemos inscribirlo dentro de la corriente de pensamiento no-conformista.
[2] Massimo Cacciari(1944). Filósofo, diputado del PC y Alcalde de Venecia hasta 1993. Autor de varios ensayos: L´Angelo necesario (1986), Dell´Inicio (1990), Dran: Meridianos de la decisión en el pensamiento contemporáneo (1992), Geo-filosofia dell´Europa (1995). Pensador disidente de la izquierda europea.
[3] La bancarrota de la izquierda y sus intelectuales (31-3-04). Heinz Dieterich Steffan, es sociólogo y profesor en la UNAM de Méjico y columnista del diario El Universal. Predicador itinerante en todos los países de América de un nuevo proyecto histórico del marxismo. Es autor de una treintena de libros entre los que se destacan: El fin del capitalismo global (1999) y La crisis de los intelectuales en América Latina (2003)
[4] Robert de Herte es el seudónimo de Alain de Benoist (1943). Editor de las revistas Eléments y Krisis y autor de innumerables trabajos entre los que cabe recordar Vu du droite (1977), Orientations pour des années décisives (1982), L´empire intérieur (1995), Au-dela des droits de l´homme (2004). Es el más significativo pensador de una corriente de pensamiento no conformista, alternativa y antiigualitarista en donde se destacan, entre otros, Guillaume Faye, Robert Steuckers, Julien Freund, Alessandro Campi, Claude Karnoouh, Tarmo Kunnas, Thomas Molnar, Dominique Venner, Pierre Vial, Javier Esparza, Giorgio Locchi, etc.
[5] Sobre la relación entre pensamiento popular y negación puede consultarse con provecho el libro La negación en el pensamiento popular (1975) del filósofo argentino Rodolfo Kusch (1922-1979), así como nuestro trabajo: Papeles de un seminario sobre G.R.Kusch (2000). Entre los no pocos filósofos originales que ha dado la Argentina (Taborda, de Anquín, Guerrero, Cossio, Rougés) Gunther Rodolfo Kusch ocupa un destacado lugar. No sólo por la originalidad de sus planteamientos filosóficos sino además porque los mismos han generado toda una corriente de pensamiento a través de la denominada filosofía de la liberación en su rama popular.
[6] Alasdaire MacIntyre (1929) es un filósofo escocés que vive y enseña en los Estados Unidos y que se destacó por su crítica a la situación moral, política y social creada por el liberalismo. Sus trabajos son el basamento de todo el pensamiento comunitarista norteamericano. Sus libros más destacados son: After Virtue (1981), Whose Justice? Which Rationality? (1988), Three rival versions of moral enquiry (1990).

Der Beutewert des Staates

Der Beutewert des Staates

Autor: Thor v. Waldstein
ISBN: 978-3-902475-33-6
Verlag: ARES

 

Die vermeintlichen Vorzüge des Pluralismus werden in der öffentlichen Diskussion häufig betont; allerdings wissen die wenigsten, welcher konkrete politische Begriff sich hinter dieser Vokabel verbirgt. Tatsächlich geht es nicht um die – richtige – philosophische Feststellung, daß die Welt vielfältig, also plural ist und dies auch bleiben sollte. Im politikwissenschaftlichen Kontext ist vielmehr ein Staat pluralistisch, wenn seine Willensbildung beeinflußt – wenn nicht dirigiert – wird von dem Kampf und dem Kompromiß von wirtschaftlich-sozialen, im nichtstaatlichen Raum angesiedelten Mächten. Dieser verdeckte Kampf der Pressuregroups, denen eine demokratische Legitimation fehlt, läßt sich heute für den aufmerksamen Zeitgenossen auf nahezu allen Politikfeldern beobachten, so daß das Thema von hoher Aktualität ist.


Es war Carl Schmitt, die paradigmatische Gestalt im deutschen Staatsrecht des 20. Jahrhunderts, der die von Harold Laski in England nach dem Ersten Weltkrieg entwickelte Pluralismustheorie in den Jahren 1926–1934 einer ebenso gründlichen wie schillernden Kritik unterzog. In seiner Pluralismuskritik spiegeln sich die zentralen Schmitt’schen Positionen und Begriffe der 1920er und 1930er Jahre. Im Fortgang der Untersuchung schält sich die Analyse Carl Schmitts an der unsichtbaren Herrschaft der Verbände als ein zentrales Element seines Antiliberalismus heraus.


Die vorliegende Arbeit, eine bei dem Hobbes-Forscher Bernard Willms („Die Deutsche Nation“) entstandene Dissertation, arbeitet Begriff und Gestalt des Laski’schen Pluralismus heraus, um anschließend die Kritik Schmitts im einzelnen darzustellen und zu analysieren.

 

Der Autor: Thor v. Waldstein wurde 1959 in Mannheim geboren. Von 1978 bis 1985 Studium der Rechtswissenschaft, Geschichte, Philosophie, Politikwissenschaft und Soziologie an den Universitäten München, Mannheim und Heidelberg. 1989 Promotion zum Dr. rer. soc. an der Ruhr-Universität Bochum mit der vorliegenden Arbeit. 1992 Promotion zum Dr. iur an der Universität Mannheim mit einer Arbeit aus dem Binnenschiffahrtsrecht. Seit 1989 als Rechtsanwalt in Mannheim tätig.

www.ares-verlag.com


lundi, 29 septembre 2008

M. Gauchet: l'avènement de la démocratie

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MARCEL GAUCHET: L'AVENEMENT DE LA DEMOCRATIE

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Écrit par Augustin Septfons   

Trouvé sur: http://groupe-sparte.com

1-Rappel sur l’œuvre :
Marcel Gauchet est le penseur du désenchantement, de la sortie des religions, qu’ont opérée nos sociétés européennes depuis la Renaissance.
Sur ce thème weberien, Marcel Gauchet décrit un phénomène complexe et dans la durée, faisant transiter nos sociétés depuis l’unicité produite par une représentation organique de la communauté où les personnes se pensent au sein d’un grand tout sur le mode de la fusion, jusqu’à la situation actuelle, que l’auteur situe dans les années soixante dix, où au contraire l’individu  atomisé prédomine.
Ce passage depuis l’hétéronomie à l’autonomie s’effectue donc de manière  contradictoire. Les avancées de chaque période sur la voie de la liberté, de l’égalité, de l’immanence des lois, de leur auto-production (par les sociétés respectives à chaque étape et au sein d’elle mêmes, la place accrue de l’individu au sein des dispositifs d’action et d’auto-représentation) se fait de manière ambiguë. En effet, Marcel Gauchet insiste à chaque fois sur le caractère résiduel, sur la dimension de l’hétéronomie qui semble assurer la cohésion du groupe comme si, à elles seules les valeurs de l’autonomie, ne pouvaient assurer le vivre-ensemble. Dans cette même veine comparative de l’autonomie et de l’hétéronomie, Marcel Gauchet est l’auteur de « La démocratie contre elle-même ». Dans cet ouvrage il avait analysé comment le destin qui entraînait les sociétés occidentales vers « l’égalité des conditions » décrite par Tocqueville allait se retourner en son contraire dans la phase que nous connaissons actuellement. En effet, nous l’avons dit plus haut, la période moderne centrée autour de l’Homme et sa Raison va lentement s’émanciper de toute source normative extérieure à lui-même :c’est la marche vers l’autonomie (être à soi même la source de sa propre loi, notamment dans l’apogée kantienne au niveau théorique). Mais cette absence de transcendance (source extérieure de la norme et traversant l’Homme) semble lui être fatale : comment faire tenir debout l’édifice historique, social, économique, métaphysique sans appel à un fondement situé dans un au-delà de la volonté auto-émancipatrice des hommes ?
Les divers mouvements caractéristiques de cette marche en avant de la modernité vers la (reconnaissance de sa) pure et simple auto-production ont débouché sur une crise du sens et une crise du politique. Le mouvement même de la société dans ses différentes strates a opéré une disparition du politique ; au profit de l’économique, par exemple ou du sociétal. L’hédonisme consumériste ou le tourbillon industrieux pressenti par Tocqueville a engendré des atomes aux connections avec l’Un réduites au marché ou aux média de piètre qualité.
Le devenir même de la démocratie en accentuant la déréliction, défaisant le lien social, menace la démocratie, elle même impensable sans l’activité consciente et délibérée de la communauté dans cette sphère spécifique (irréductible à l’Etat-administration ou à la société civile) qu’est le politique.

2-Le cycle : L’avènement de la démocratie (Tome I et II novembre 2007) :
C’est à une approche généalogique de cette crise de la démocratie dans la phase contemporaine dite post-moderne , décrite dans « La démocratie contre elle-même » que se livre maintenant Marcel Gauchet dans une tétralogie sous le nom générique de « L’avènement de la démocratie ». Comment s’est mis en place le cadre  de la crise actuelle de la démocratie ?
On va y retrouver en toile de fond la question lancinante de l’opposition entre autonomie et hétéronomie comme si l’absence de transcendance perçue dans les sociétés contemporaines constituait l’origine de la Krisis.
Pour tenter de décrire ce phénomène de crise de manière génétique Marcel Gauchet va mettre en travail trois « variables » (le politique, le juridique, l’historique) et analyser leurs flexions, leurs transformations et leurs interactions tout au long des siècles de la période moderne.
Le premier volume recouvrant la période s’échelonnant du schisme de la chrétienté aux années 1900 est le plus dense et le plus synoptique car il présente une longue introduction d’une quarantaine de pages où l’auteur livre l’essence de sa démarche.
Le second volume, paru lui aussi, va traiter de « La crise du libéralisme ».
A paraître : les deux autres tomes , « A l’épreuve des totalitarismes » et « Le nouveau Monde » où l’auteur devrait poursuivre son analyse concernant la présente période inaugurée dans les années 1970.
Marcel Gauchet explore une critique de la démocratie depuis l’intérieur du Credo : c’est non seulement un libéral mais un démocrate. Ce qui n’exclue pas une parfaite lucidité quant à la nature de la crise actuelle. Marcel Gauchet s’appuie sur un optimisme non dénué de fondement : qui aurait parié un  Pfennig sur les démocraties parlementaires, dans les années trente, confrontées aux terribles coups de boutoir des totalitarismes communautaires, organiques, tenantes de l’Unicité ? L’envolée destinale qui caractérise la marche en avant libérale et démocratique suscitera-t-elle un rebond grâce à une nouvelle déclinaison du credo moderne ? Rien n’est moins sûr. Il n’existe peut être pas de dynamisme ou de mécanisme propre à un système et garantissant un avenir radieux. L’analyse matérialiste dialectique de Marx s’appuyant sur une mécanique déterministe stricte (le jeu du devenir des forces productives induisant nécessairement un changement révolutionnaire est à ranger dans les fameuses poubelles (qui débordent) de l’Histoire).
Marcel Gauchet tout au long des périodes précédant la contemporaine, n’a de cesse de traquer l’hétéronomie au sein même de chaque nouvel avatar de l’autonomie. On l’a dit plus haut, c’est comme si la vigueur du lien social été assurée par ce qui subsiste d’hétéronomie dans le nouvel état.
Premier exemple : la référence au Droit naturel moteur de la pensée moderne aux 17° et 18° siècles s’appuie sur des Droits de naissance, propres à l’homme, non créés par lui et qu’on ne peut lui ôter. Référence à une naturalité bien commode dans le combat à mener face au pouvoir monarchique censé toujours prompt à empiéter sur le droit de ses sujets. Mais cette référence à un état de nature, cet essentialisme  sera par la suite combattu dans des étapes suivantes de la pensée moderne (qu’on pense à Sartre …) car considérée à son tour comme réactionnaire. A juste titre. Cette naturalité de l’homme s’oppose à la destinée de l’autoproduction de l’homme en tant que société puis individu, destinée portée par le projet moderne.
Dans le combat contre le despotisme (incarnant le droit divin, la tradition, l’un organique, bref l’hétéronomie) la référence à la Nature humaine (même porteuse de droits) renvoie elle aussi à une transcendance (la nature comme limite à la volonté humaine) donc à une hétéronomie.
Le second exemple concerne le messianisme prolétarien initié par Marx puis le mouvement ouvrier « révolutionnaire » mais aussi présent chez Sorel. La théorie du grand tout que constitue la classe (le prolétariat) développe certes des aspects modernes. En effet l’auto-reconnaissance opérée par la société est bien quelque chose de nouveau (c’est le siècle de l’invention du mot et de la discipline : sociologie). La société n’est pas l’Etat ni l’Eglise mais un nouvel être qui s’organise notamment autour du Travail. La société se produit donc, indépendamment du politique, des cercles traditionnels des notables etc Cette reconnaissance d’une auto-production, signe d’un processus de différenciation au sein du grand tout qu’est la communauté est bien dans la ligne de l’autonomie moderne et des ses qualités auto-poïétiques. Mais là encore : paradoxe. Sous ses aspects typiquement modernes l’imaginaire de la Classe ressortit profondément de l’hétéronome. Cet avenir radieux terrestre est largement emprunté aux millénarismes religieux récurrents en Europe (la parousie chrétienne). De plus, cette fusion organique au sein du prolétariat comme réponse à l’atomisation sécrétée ou mise en place délibérément par le Capital fleure bon le mythe de la communauté primitive.
Critique opérable de même avec le fascisme ou le nazisme centrés autour de la nation ou de la race comme idéologies holistes et comme réponse possible à la dislocation du lien social par le jeu même du devenir de la modernité, réponse engendrée elle-même largement sur des présupposés de cette même modernité. On voit donc à chaque étape jusque dans les années 1970 se confronter au sein même d’un univers de représentations les deux dimensions d’autonomie et d’hétéronomie.

3-Premier tome : « La révolution moderne » :
Dans le second tome (« La crise du libéralisme »), que nous ne résumerons pas ici, Marcel Gauchet va opérer un développement intéressant sur Edmund Burke. Le décrivant non pas comme un penseur des anti-Lumières mais comme un libéral plus circonspect. La thèse de Burke, on le sait, appuie sur le côté « émergent » des institutions. Pour lui, en politique, on ne peut, sans dommage, faire  table rase et démarrer ex-nihilo un système de normes nouvelles : on ne décrète pas. Sans récuser le nouveau (qui arrive forcément dans le cadre d’une pensée qui accorde aux hommes en totalité ou en partie la paternité de leurs œuvres historiques) Burke pense que la tradition bonifie les institutions, les sanctifie. Leur octroyant, dans le rappel de leur attachement au passé, une dimension historique, ce, dans le cadre d’une saine historicité. Pour Burke donc l’hétéronomie au sein du fondement du politique est une donnée indépassable.
Ce rappel à Burke au sein du tome II nous semble livrer une clé expliquant cette récurrence de la confrontation autonomie/hétéronomie constitutive de l’ approche généalogique du phénomène moderne par Marcel Gauchet. D’où la thèse qu’il énonce en incipit : « […] les structures de la société autonome s’éclairent uniquement par contraste avec l’ancienne structuration religieuse. » Mais la vertu de cette confrontation a plus que des valeurs explicatives…
Dans ce tome I , le monde désenchanté va donc faire l’objet d’une analyse non seulement génétique mais aussi structurelle, nous l’avons dit à l’aide de trois  composantes : l’ordre politique, l’ordre juridique, l’ordre historique.
Grâce à l’évolution de chacune de ces variables et de leurs interactions le lecteur va voir comment, alors qu’un état d’apogée semble être réalisé dans un de ces ordres, la crise va surgir des conséquences induites au sein des deux autres ordres. Par exemple, comment à cause d’une nouvelle conception de l’histoire, un système politique qui a atteint le stade du suffrage universel et du gouvernement représentatif, semblant indiquer par là une avancée sans précédent de l’imaginaire démocratique et libéral, va vaciller dans les années trente.
L’univers sacral et holiste va de toute manière d’une manière générale céder (tout en se maintenant sous certaines espèces…) à la conjonction « de l’orientation vers l’avenir, de la forme Etat-Nation et de l’individu de droit ».
Le facteur qui préside à cette démarche est le constat concernant la période  post-moderne et son paradoxe apparent : comment « la puissance réelle déserte la machinerie à mesure que ses rouages se perfectionnent » ? Après sa victoire inattendue sur les totalitarismes c’est dans le mouvement même s’appuyant sur les Droits de l’homme et qui lui permettait de surpasser ses adversaires que la société démocratique se disjoint d’elle-même : « La consécration des droits de chacun débouche sur la dépossession de tous. »
Mais Marcel Gauchet demeure une démocrate, il croit même en ce domaine à une fin de l’Histoire (la démocratie est, sinon un horizon indépassable, du moins le meilleur ou « acceptable »). Mais cette fin de l’Histoire n’est pas hégélienne au sens de la réalisation de l’Esprit devenu « pour-soi » c'est-à-dire en sa pleine maîtrise, accomplissant son essence rationnelle.
« Nous n’avons touché quelque chose comme un terme de l’histoire, [|…] que pour y trouver, non la maîtrise et la paix d’une pleine possession de nous-mêmes, mais l’inconnu d’une soustraction à nous-mêmes […] la déréliction festive des derniers hommes.».
Optimiste cependant, l’auteur envisage cette crise comme une crise de croissance. Si la crise est là c’est par un « affermissement inégal » des trois dimensions citées plus haut. Dimensions entraînées par la phase actuelle dans un triple approfondissement. En même temps exigence de plus grande participation au Public et accroissement de l’indépendance privée. D’autre part l’approfondissement de l’exigence du droit (pour le meilleur et pour le pire -juridisation des rapports sociaux et politiques) contrecarre les exigences de la dimension politique comme l’avènement d’une nouvelle historicité. Alors « cette démocratie satisfaite ne se gouverne pas ».
Nous avons bien là une impuissance. Impuissance qu’engendre la suprématie actuelle du Droit dans sa variante actuelle :l’idéologie des Droits de l’homme.Suprématie donc au détriment du politique (le collectif) et de l’historique (effacement de l’avenir au profit de l’actualité –voir tome II).
Le politique qui était le socle de l’unité collective est éclipsé au profit du principe d’individualité. D’où « un pouvoir sans contenu s’auto-célébrant dans le vide ».
Mais Marcel Gauchet ne renonce pas à son hypothèse d’une reprise par rééquilibrage des autres dimensions. L’enfermement dans cette primauté du Droit doit être surmonté pour « réintégrer l’objectif du gouvernement du devenir et les moyens du politique. »
Ce « challenge » n’est pas nouveau, cycliquement la démocratie a rencontré des obstacles.
Un réarmement du politique et une nouvelle historicité devraient nous sortir « hors de l’impasse des droits de l’homme et de la sacralisation du singulier. »
Face à la nation américaine Marcel Gauchet voit une « Europe des nations qui tourne le dos à la puissance et s’interdit les moyens du rôle auquel elle aspire. »
Et son « universalisme […] en expiation des horreurs du passé, l’empêche de se poser comme nation, tout en dissolvant les nations dont elle est composée. »
Pour Marcel Gauchet c’est le sort de la démocratie libérale au XXI° siècle qui s’y joue.
C’est peut être aussi celui de l’Europe et de l’Occident comme identité et comme forme au-delà de l’imaginaire de la démocratie…Alors il est urgent avec Gauchet de participer au réarmement politique de l’Europe

Dernière mise à jour : ( 26-01-2008 )

jeudi, 25 septembre 2008

La décision dans l'oeuvre de Carl Schmitt

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La décision dans l'œuvre de Carl Schmitt

 

par Robert Steuckers

 

Carl Schmitt est considéré comme le théoricien par excellence de la décision. L'objet de cet exposé est:

- de définir ce concept de décision, tel qu'il a été formulé par Carl Schmitt;

- de reconstituer la démarche qui a conduit Carl Schmitt à élaborer ce concept;

- de replacer cette démarche dans le contexte général de son époque.

 

Sa théorie de la décision apparaît dans son ouvrage de 1922, Politische Theologie. Ce livre part du prin­cipe que toute idée poli­tique, toute théorie politique, dérive de concepts théologiques qui se sont laïcisés au cours de la période de sécularisation qui a suivi la Renaissance, la Réforme, la Contre-Réforme, les guerres de reli­gion.

 

«Auctoritas non veritas facit legem»

 

A partir de Hobbes, auteur du Leviathan  au 17ième siècle, on neu­tralise les concepts théologiques et/ou religieux parce qu'ils condui­sent à des guerres civiles, qui plongent les royaumes dans un “état de nature” (une loi de la jungle) caractérisée par la guerre de tous contre tous, où l'homme est un loup pour l'homme. Hobbes ap­pelle “Léviathan” l'Etat où l'autorité souveraine édicte des lois pour pro­téger le peuple contre le chaos de la guerre civile. Par consé­quent, la source des lois est une autorité, incarnée dans une per­sonne physique, exactement selon l'adage «auctoritas non veritas facit le­gem»  (c'est l'autorité et non la vérité qui fait la loi). Ce qui revient à dire qu'il n'y a pas un principe, une norme, qui précède la déci­sion émanant de l'autorité. Telle est la démarche de Hobbes et de la philosophie politique du 17ième siècle. Carl Schmitt, jeune, s'est enthousiasmé pour cette vision des choses.

 

Dans une telle perspective, en cas de normalité, l'autorité peut ne pas jouer, mais en cas d'exception, elle doit décider d'agir, de sévir ou de légiférer. L'exception appelle la décision, au nom du principe «auctoritas non veritas facit legem».  Schmitt écrit à ce sujet: «Dans l'exception, la puissance de la vie réelle perce la croûte d'une mé­canique figée dans la répétition». Schmitt vise dans cette phrase si­gnificative, enthou­siaste autant que pertinente, les normes, les mé­caniques, les rigidités, les procédures routinières, que le républica­nisme bourgeois (celui de la IIIième République que dénonçait Sorel et celui de la République de Weimar que dénonçaient les te­nants de la “Révolution Conservatrice”) ou le ronron wilhelminien de 1890 à 1914, avaient généralisées.

 

Restaurer la dimension personnelle du pouvoir

 

L'idéologie républicaine ou bourgeoise a voulu dépersonnaliser les mécanismes de la politique. La norme a avancé, au détriment de l'incarnation du pouvoir. Schmitt veut donc restaurer la dimension personnelle du pouvoir, car seule cette dimension personnelle est susceptible de faire face rapidement à l'exception (Ausnahme, Ausnahmenzustand, Ernstfall, Grenzfall). Pourquoi? Parce que la décision est toujours plus rapide que la lente mécanique des procé­dures. Schmitt s'affirme ainsi un «monarchiste catholique», dont le discours est marqué par le vitalisme, le personnalisme et la théolo­gie. Il n'est pas un fasciste car, pour lui, l'Etat ne reste qu'un moyen et n'est pas une fin (il finira d'ailleurs par ne plus croire à l'Etat et par dire que celui-ci n'est plus en tous les cas le véhicule du poli­tique). Il n'est pas un nationaliste non plus car le concept de nation, à ses yeux et à cette époque, est trop proche de la notion de volonté générale chez Rousseau.

 

Si Schmitt critique les démocraties de son temps, c'est parce qu'elles:

- 1) placent la norme avant la vie;

- 2) imposent des procédures lentes;

- 3) retardent la résolution des problèmes par la discussion (reproche essentiellement adressé au parlementarisme);

- 4) tentent d'évacuer toute dimension personnelle du pouvoir, donc tout recours au concret, à la vie, etc. qui puisse tempérer et adapter la norme.

 

Mais la démocratie recourt parfois aux fortes personnalités: qu'on se souvienne de Clémenceau, applaudi par l'Action Française et la Chambre bleu-horizon en France, de Churchill en Angleterre, du pouvoir direc­torial dans le New Deal et du césarisme reproché à Roosevelt. Si Schmitt, plus tard, a envisagé le recours à la dictature, de forme ponctuelle (selon le modèle romain de Cincinnatus) ou de forme commissariale, c'est pour imaginer un dictateur qui suspend le droit (mais ne le supprime pas), parce qu'il veut incarner tempo­rairement le droit, tant que le droit est ébranlé par une catastrophe ou une guerre civile, pour assu­rer un retour aussi rapide que pos­sible de ce droit. Le dictateur ou le collège des commissaires se pla­cent momentanément  —le temps que dure la situation d'exception—  au-dessus du droit car l'existence du droit implique l'existence de l'Etat, qui garantit le fonctionnement du droit. La dictature selon Schmitt, comme la dictature selon les fas­cistes, est un scandale pour les libéraux parce que le décideur (en l'occurrence le dictateur) est indépendant vis-à-vis de la norme, de l'idéologie dominante, dont on ne pour­rait jamais s'écarter, disent-ils. Schmitt rétorque que le libéralisme-normativisme est néanmoins coercitif, voire plus coer­citif que la coercition exercée par une personne mortelle, car il ne tolère justement aucune forme d'indépendance personnalisée à l'égard de la norme, du discours conventionnel, de l'idéologie éta­blie, etc., qui seraient des principes immortels, impas­sables, appelés à régner en dépit des vicissitudes du réel.

 

La décision du juge

 

Pour justifier son personnalisme, Schmitt raisonne au départ d'un exemple très concret dans la pratique juridique quotidienne: la dé­cision du juge. Le juge, avant de prononcer son verdict est face à une dualité, avec, d'une part, le droit (en tant que texte ou tradi­tion) et, d'autre part, la réalité vitale, existentielle, soit le contexte. Le juge est le pont entre la norme (idéelle) et le cas concret. Dans un petit livre, Gesetz und Urteil  (= La loi et le jugement), Carl Schmitt dit que l'activité du juge, c'est, essentiellement, de rendre le droit, la norme, réel(le), de l'incarner dans les faits. La pratique quotidienne des palais de justice, pratique inévitable, incontour­nable, contredit l'idéal libéral-normativiste qui rêve que le droit, la norme, s'incarneront tous seuls, sans intermédiaire de chair et de sang. En imaginant, dans l'absolu, que l'on puisse faire l'économie de la personne du juge, on introduit une fiction dans le fonctionnement de la justice, fiction qui croit que sans la subjectivité inévitable du juge, on obtiendra un meilleur droit, plus juste, plus objectif, plus sûr. Mais c'est là une impossibilité pratique. Ce raisonnement, Carl Schmitt le transpose dans la sphère du politique, opérant par là, il faut l'avouer, un raccourci assez audacieux.

 

La réalisation, la concrétisation, l'incarnation du droit n'est pas au­tomatique; elle passe par un Vermittler  (un intermédiaire, un in­tercesseur) de chair et de sang, consciemment ou inconsciemment animé par des valeurs ou des sentiments. La légalité passe donc par un charisme inhérent à la fonction de juge. Le juge pose sa décision seul mais il faut qu'elle soit acceptable par ses collègues, ses pairs. Parce qu'il y a iné­vitablement une césure entre la norme et le cas concret, il faut l'intercession d'une personne qui soit une autorité. La loi/la norme ne peut pas s'incarner toute seule.

 

Quis judicabit?

 

Cette impossibilité constitue une difficulté dans le contexte de l'Etat libéral, de l'Etat de droit: ce type d'Etat veut garantir un droit sûr et objectif, abolir la domination de l'homme par l'homme (dans le sens où le juge domine le “jugé”). Le droit se révèle dans la loi qui, elle, se révèle, dans la personne du juge, dit Carl Schmitt pour contredire l'idéalisme pur et désincarné des libéraux. La question qu'adresse Carl Schmitt aux libéraux est alors la suivante, et elle est très simple: Quis judicabit?  Qui juge? Qui décide? Réponse: une personne, une autorité. Cette question et cette réponse, très simples, consti­tuent le démenti le plus flagrant à cette indécrottable espoir libé­ralo-progressisto-normativiste de voir advenir un droit, une norme, une loi, une constitution, dans le réel, par la seule force de sa qua­lité juridique, philosophique, idéelle, etc. Carl Schmitt reconstitue la dimension personnelle du droit (puis de la politique) sur base de sa réflexion sur la décision du juge.

 

Dès lors, la-raison-qui-advient-et-s'accomplit-d'elle-même-et-par-la-seule-vertu-de-son-excellence-dans-le-monde-imparfait-de-la-chair-et-des-faits n'est plus, dans la pensée juridique et politique de Carl Schmitt, le moteur de l'histoire. Ce moteur n'est plus une abstraction mais une personnalité de chair, de sang et de volonté.

 

La légalité: une «cage d'acier»

 

Contemporain de Carl Schmitt, Max Weber, qui est un libéral scep­tique, ne croit plus en la bonne fin du mythe rationaliste. Le sys­tème rationaliste est devenu un système fermé, qu'il appelait une «cage d'acier». En 1922, Rudolf Kayser écrit un livre intitulé Zeit ohne Mythos  (= Une époque sans mythe). Il n'y a plus de mythe, écrit-il, et l'arcanum  de la modernité, c'est désormais la légalité. La légalité, sèche et froide, indifférente aux valeurs, remplace le mythe. Carl Schmitt, qui a lu et Weber et Kayser, opère un rappro­chement entre la «cage d'acier» et la «légalité» d'où, en vertu de ce rapprochement, la décision est morale aux yeux de Schmitt, puisqu'elle permet d'échapper à la «cage d'acier» de la «légalité».

 

Dans les contextes successifs de la longue vie de Carl Schmitt (1888-1985), le décideur a pris trois vi­sages:

1) L'accélarateur (der Beschleuniger);

2) Le mainteneur (der Aufhalter, der Katechon);

3) Le normalisateur (der Normalisierer).

 

Le normalisateur, figure négative chez Carl Schmitt, est celui qui défend la normalité (que l'on peut mettre en parallèle avec la lé­galité des années 20), normalité qui prend la place de Dieu dans l'imaginaire de nos contemporains. En 1970, Carl Schmitt déclare dans un interview qui restera longtemps impublié: «Le monde en­tier semble devenir un artifice, que l'homme s'est fabriqué pour lui-même. Nous ne vivons plus à l'Age du fer, ni bien sûr à l'Age d'or ou d'argent, mais à l'Age du plastique, de la matière artifi­cielle».

 

1. La phase de l'accélérateur (Beschleuniger):

 

La tâche politique de l'accélérateur est d'accroître les potentialités techniques de l'Etat ou de la nation dans les domaines des arme­ments, des communications, de l'information, des mass-media, parce tout accroissement en ces domaines accroît la puissance de l'Etat ou du «grand espace» (Großraum), dominé par une puissance hégémonique. C'est précisément en réfléchissant à l'extension spa­tiale qu'exige l'accélération continue des dynamiques à l'œuvre dans la société allemande des premières décennies de ce siècle que Carl Schmitt a progressivement abandonné la pensée étatique, la pensée en termes d'Etat, pour accéder à une pensée en termes de grands espaces. L'Etat national, de type européen, dont la po­pula­tion oscille entre 3 et 80 millions d'habitants, lui est vite apparu in­suffisant pour faire face à des co­losses démographiques et spatiaux comme les Etats-Unis ou l'URSS. La dimension étatique, réduite, spatialement circonscrite, était condamnée à la domination des plus grands, des plus vastes, donc à perdre toute forme de souveraineté et à sortir de ce fait de la sphère du politique.

 

Les motivations de l'accélérateur sont d'ordres économique et tech­nologique. Elles sont futuristes dans leur projectualité. L'ingénieur joue un rôle primordial dans cette vision, et nous retrouvons là les accents d'une certaine composante de la “révolution conservatrice” de l'époque de la République de Weimar, bien mise en exergue par l'historien des idées Jeffrey Herf (nous avons consulté l'édition italienne de son livre, Il mo­dernismo reazionario. Tecnologia, cultura e politica nella Germania di Weimar e del Terzo Reich, Il Mulino, Bologne, 1988). Herf, observateur critique de cette “révolution conservatrice” weimarienne, évoque un “modernisme réactionnaire”, fourre-tout conceptuel complexe, dans lequel on retrouve pêle-mêle, la vi­sion spenglerienne de l'histoire, le réalisme magique d'Ernst Jünger, la sociologie de Werner Sombart et l'“idéologie des ingénieurs” qui nous intéresse tout particulièrement ici.

 

Ex cursus: l'idéalisme techniciste allemand

 

Cette idéologie moderniste, techniciste, que l'on comparera sans doute utilement aux futurismes italien, russe et portugais, prend son élan, nous explique Herf, au départ des visions technocratiques de Walter Rathenau, de certains éléments de l'école du Bauhaus, dans les idées plus anciennes d'Ulrich Wendt, au­teur en 1906 de Die Technik als Kulturmacht (= La technique comme puissance cultu­relle). Pour Wendt, la technique n'est pas une manifestation de matérialisme comme le croient les marxistes, mais, au con­traire, une manifestation de spiritualité audacieuse qui diffusait l'Esprit (celui de la tradition idéaliste alle­mande) au sein du peuple. Max Eyth, en 1904, avait déclaré dans Lebendige Kräfte  (= Forces vi­vantes) que la technique était avant toute chose une force culturelle qui asservissait la matière plutôt qu'elle ne la servait. Eduard Mayer, en 1906, dans Technik und Kultur,  voit dans la technique une expression de la personnalité de l'ingénieur ou de l'inventeur et non le résultat d'intérêts commerciaux. La technique est dès lors un «instinct de transformation», propre à l'essence de l'homme, une «impulsion créatrice» visant la maîtrise du chaos naturel. En 1912, Julius Schenk, professeur à la Technische Hochschule de Munich, opère une distinction entre l'«économie commerciale», orientée vers le profit, et l'«économie productive», orientée vers l'ingénierie et le travail créateur, indépendamment de toute logique du profit. Il re­valorise la «valeur culturelle de la construction». Ces écrits d'avant 1914 seront exploités, amplifiés et complétés par Manfred Schröter dans les années 30, qui sanctionne ainsi, par ses livres et ses essais, un futurisme allemand, plus discret que son homologue italien, mais plus étayé sur le plan philosophique. Ses col­lègues et disciples Friedrich Dessauer, Carl Weihe, Eberhard Zschimmer, Viktor Engelhardt, Heinrich Hardenstett, Marvin Holzer, poursuivront ses travaux ou l'inspireront. Ce futurisme des ingénieurs, poly­techni­ciens et philosophes de la technique est à rapprocher de la sociolo­gie moderniste et “révolutionnaire-conservatrice” de Hans Freyer, correspondant occasionnel de Carl Schmitt.

 

Cet ex-cursus bref et fort incomplet dans le “futurisme” allemand nous permet de comprendre l'option schmittienne en faveur de l'«accélérateur» dans le contexte de l'époque. L'«accélérateur» est donc ce technicien qui crée pour le plaisir de créer et non pour amasser de l'argent, qui accumule de la puissance pour le seul profit du politique et non d'intérêts privés. De Rathenau à Albert Speer, en passant par les in­génieurs de l'industrie aéronautique al­lemande et le centre de recherches de Peenemünde où œuvrait Werner von Braun, les «accélérateurs» allemands, qu'ils soient dé­mocrates, libéraux, socialistes ou na­tionaux-socialistes, ont visé une extension de leur puissance, considérée par leurs philosophes comme «idéaliste», à l'ensemble du continent européen. A leur yeux, comme la technique était une puissance gratuite, produit d'un génie naturel et spontané, appelé à se manifester sans entraves, les maîtres poli­tiques de la technique devaient dominer le monde contre les maîtres de l'argent ou les figures des anciens régimes pré-techniques. La technique était une émanation du peuple, au même titre que la poésie. Ce rêve techno-futuriste s'effondre bien entendu en 1945, quand le grand espace européen virtuel, rêvé en France par Drieu, croule en même temps que l'Allemagne hitlé­rienne. Comme tous ses compatriotes, Carl Schmitt tombe de haut. Le fait cruel de la défaite militaire le contraint à modifier son op­tique.

 

2. La phase du Katechon:

 

Carl Schmitt après 1945 n'est plus fasciné par la dynamique indus­trielle-technique. Il se rend compte qu'elle conduit à une horreur qui est la «dé-localisation totale», le «déracinement planétaire». Le juriste Carl Schmitt se souvient alors des leçons de Savigny et de Bachofen, pour qui il n'y avait pas de droit sans ancrage dans un sol. L'horreur moderne, dans cette perspective généalogique du droit, c'est l'abolition de tous les loci, les lieux, les enracinements, les im-brications (die Ortungen). Ces dé-localisa­tions, ces Ent-Ortungen, sont dues aux accélarations favorisées par les régimes du 20ième siècle, quelle que soit par ailleurs l'idéologie dont ils se ré­clamaient. Au lendemain de la dernière guerre, Carl Schmitt estime donc qu'il est nécessaire d'opérer un retour aux «ordres élémen­taires de nos existences ter­restres». Après le pathos de l'accélération, partagé avec les futuristes italiens, Carl Schmitt déve­loppe, par réaction, un pathos du tellurique.

 

Dans un tel contexte, de retour au tellurique, la figure du décideur n'est plus l'accélérateur mais le kate­chon, le “mainteneur” qui «va contenir les accélérateurs volontaires ou involontaires qui sont en marche vers une fonctionalisation sans répit». Le katechon est le dernier pilier d'une société en perdition; il arrête le chaos, en main­tient les vecteurs la tête sous l'eau. Mais cette figure du katechon n'est pourtant pas entièrement nouvelle chez Schmitt: on en perçoit les prémices dans sa valorisation du rôle du Reichspräsident  dans la Constitution de Weimar, Reichspräsident qui est le «gardien de la Constitution» (Hüter der Verfassung), ou même celle du Führer  Hitler qui, après avoir ordonné la «nuit des longs cou­teaux» pour éliminer l'aile révolutionnaire et effervescente de son mouvement, apparaît, aux yeux de Schmitt et de bon nombre de conservateurs allemands, comme le «protecteur du droit» contre les forces du chaos révolutionnaire (der Führer schützt das Recht). En effet, selon la logique de Hobbes, que Schmitt a très souvent faite sienne, Röhm et les SA veulent concrétiser par une «seconde révolution» un ab­solu idéologique, quasi religieux, qui conduira à la guerre civile, horreur absolue. Hitler, dans cette lo­gique, agit en “mainteneur”, en “protecteur du droit”, dans le sens où le droit cesse d'exister dans ce nou­vel état de nature qu'est la guerre civile.

 

Terre, droit et lieu - Tellus, ius et locus

 

Mais par son retour au tellurique, au lendemain de la défaite du Reich hitlérien, Schmitt retourne au conser­vatisme implicite qu'il avait tiré de la philosophie de Hobbes; il abandonne l'idée de «mobilisation totale» qu'il avait un moment partagée avec Ernst Jünger. En 1947, il écrit dans son Glossarium, recueil de ses ré­flexions philosophiques et de ses fragments épars: «La totalité de la mobilisation consiste en ceci: le moteur immobile de la philosophie aristotélicienne est lui aussi entré en mouvement et s'est mobilisé. A ce moment-là, l'ancienne distinction entre la contemplation (immobile) et l'activité (mobile) cesse d'être perti­nente; l'observateur aussi se met à bouger [...]. Alors nous devenons tous des observateurs activistes et des activistes observants. [...] C'est alors que devient pertinente la maxime: celui qui n'est pas en route, n'apprend, n'expérimente rien».

 

Cette frénésie, cette mobilité incessante, que les peintres futuristes avaient si bien su croquer sur leurs toiles exaltant la dynamique et la cinétique, nuit à la Terre et au Droit, dit le Carl Schmitt d'après-guerre, car le Droit est lié à la Terre (Das Recht ist erdhaft und auf die Erde bezogen). Le Droit n'existe que parce qu'il y a la Terre. Il n'y a pas de droit sans espace habitable. La Mer, elle, ne connaît pas cette unité de l'espace et du droit, d'ordre et de lieu (Ordnung und Ortung).  Elle échappe à toute tentative de codifica­tion. Elle est a-so­ciale ou, plus exactement, “an-œkuménique”, pour reprendre le lan­gage des géopolito­logues, notamment celui de Friedrich Ratzel.

 

Mer, flux et logbooks

 

La logique de la Mer, constate Carl Schmitt, qui est une logique an­glo-saxonne, transforme tout en flux délocalisés: les flux d'argent, de marchandises ou de désirs (véhiculés par l'audio-visuel). Ces flux, dé­plore toujours Carl Schmitt, recouvrent les «machines impé­riales». Il n'y a plus de “Terre”: nous naviguons et nos livres, ceux que nous écrivons, ne sont plus que des “livres de bord” (Logbooks, Logbücher).  Le jeune philosophe allemand Friedrich Balke a eu l'heureuse idée de comparer les réflexions de Carl Schmitt à celles de Gilles Deleuze et Félix Guattari, consignées notamment dans leurs deux volumes fondateurs: L'Anti-Oedipe  et Mille Plateaux.  Balke constate d'évidents parallèles entre les réflexions de l'un et des autres: Deleuze et Guattari, en évoquant ces flux modernes, surtout ceux d'après 1945 et de l'américanisation des mœurs, parlent d'une «effusion d'anti-production dans la production», c'est-à-dire de stabilité coagulante dans les flux multiples voire désordonnés qui agitent le monde. Pour notre Carl Schmitt d'après 1945, l'«anti-pro­duction», c'est-à-dire le principe de stabilité et d'ordre, c'est le «concept du politique».

 

Mais, dans l'effervescence des flux de l'industrialisme ou de la «production» deleuzo-guattarienne, l'Etat a cédé le pas à la société; nous vivons sous une imbrication délétère de l'Etat et de l'économie et nous n'inscrivons plus de “télos” à l'horizon. Il est donc difficile, dans un tel contexte, de manier le «concept du politique», de l'incarner de façon durable dans le réel. Difficulté qui rend impos­sible un retour à l'Etat pur, au politique pur, du moins tel qu'on le concevait à l'ère étatique, ère qui s'est étendue de Hobbes à l'effondrement du III°Reich, voire à l'échec du gaullisme.

 

Dé-territorialisations et re-territorialisations

 

Deleuze et Guattari constatent, eux aussi, que tout retour durable du politique, toute restauration impa­vide de l'Etat, à la manière du Léviathan de Hobbes ou de l'Etat autarcique fermé de Fichte, est désormais impossible, quand tout est «mer», «flux» ou «production». Et si Schmitt dit que nous naviguons, que nous consi­gnons nos impressions dans des Logbooks, il pourrait s'abandonner au pessimisme du réaction­naire vaincu. Deleuze et Guattari accep­tent le principe de la navigation, mais l'interprètent sans pessi­misme ni optimisme, comme un éventail de jeux complexes de dé-territorialisations (Ent-Ortungen)  et de re-territorialisations (Rück-Ortungen).  Ce que le praticien de la politique traduira sans doute par le mot d'ordre suivant: «Il faut re-territorialiser partout où il est possible de re-territorialiser». Mot d'ordre que je serais person­nellement tenté de suivre... Mais, en dépit de la tristesse ressentie par Schmitt, l'Etat n'est plus la seule forme de re-territorialisation possible. Il y a mille et une possibilités de micro-re-territorialisa­tions, mille et une possibilités d'injecter de l'anti-production dans le flux ininterrompu et ininterrompable de la «production». Gianfranco Miglio, disciple et ami de Schmitt, éminence grise de la Lega Nord d'Umberto Bossi en Lombardie, parle d'espaces potentiels de territorialisation plus réduits, comme la région (ou la commu­nauté autonome des constitutionalistes espagnols), où une concen­tration localisée et circonscrite de politisation, peut tenir partielle­ment en échec des flux trop audacieux, ou guerroyer, à la mode du par­tisan, contre cette domination tyrannique de la «production». Pour étendre leur espace politique, les ré­gions (ou communautés autonomes) peuvent s'unir en confédérations plus ou moins lâches de régions (ou de communautés autonomes), comme dans les initia­tives Alpe-Adria, regroupant plusieurs subdivi­sions étatiques dans les régions alpines et adriatiques, au-delà des Etats résiduaires qui ne sont plus que des relais pour les «flux» et n'incarnent de ce fait plus le politique, au sens où l'entendait Schmitt.

 

L'illusion du «prêt-à-territorialiser»

 

Mais les ersätze de l'Etat, quels qu'ils soient, recèlent un danger, qu'ont clairement perçu Deleuze et Guattari: les sociétés modernes économi­sées, nous avertissent-ils, offrent à la consommation de leurs ci­toyens tous les types de territorialités résiduelles ou artificielles, imaginaires ou symboliques, ou elles les restaurent, afin de coder et d'oblitérer à nouveau les personnes détournées provisoirement des “quantités abs­traites”. Le système de la production aurait donc trouvé la parade en re-territorialisant sur mesure, et provisoire­ment, ceux dont la production, toujours provisoirement, n'aurait plus besoin. Il y a donc en per­manence le danger d'un «prêt-à-territorialiser» illusoire, dérivatif. Si cette éventualité apparaît nettement chez Deleuze-Guattari, si elle est explicitée avec un voca­bulaire inhabituel et parfois surprenant, qui éveille toutefois tou­jours notre attention, elle était déjà consciente et présente chez Schmitt: celui-ci, en effet, avait perçu cette déviance potentielle, évidente dans un phénomène comme le New Age  par exemple. Dans son livre Politische Romantik (1919), il écrivait: «Aucune époque ne peut vivre sans forme, même si elle semble complètement marquée par l'économie. Et si elle ne parvient pas à trouver sa propre forme, elle recourt à mille expédients issus des formes véritables nées en d'autres temps ou chez d'autres peuples, mais pour rejeter immé­diatement ces expédients comme inauthentiques». Bref, des re-territorialisations à la carte, à jeter après, comme des kleenex... Par facilité, Schmitt veux, personnelle­ment, la restauration de la “forme catholique”, en bon héritier et disciple du contre-révolutionnaire espa­gnol Donoso Cortés.

 

3. La phase du normalisateur:

 

La fluidité de la société industrielle actuelle, dont se plaignait Schmitt, est devenue une normalité, qui en­tend conserver ce jeu de dé-normalisation et de re-normalisation en dehors du principe po­litique et de toute dynamique de territorialisation. Le normalisa­teur, troisième figure du décideur chez Schmitt, est celui qui doit empêcher la crise qui conduirait à un retour du politique, à une re-territorialisation de trop longue durée ou définitive. Le normalisa­teur est donc celui qui prévoit et prévient la crise. Vision qui cor­respond peu ou prou à celle du sociologue Niklas Luhmann qui ex­plique qu'est souverain, aujourd'hui, celui qui est en mesure, non plus de décréter l'état d'exception, mais, au contraire, d'empêcher que ne survienne l'état d'exception! Le normalisateur gèle les pro­cessus politiques (d'«anti-production») pour laisser libre cours aux processus économiques (de «production»); il censure les discours qui pourraient conduire à une revalorisation du politique, à la res­tauration des «machines impériales». Une telle œuvre de rigidifica­tion et de censure est le propre de la political correctness, qui structure le «Nouvel Ordre Mondial» (NOM). Nous vivons au sein d'un tel ordre, où s'instaure une quantité d'inversions sémantiques: le NOM est statique, comme l'Etat de Hobbes avait voulu être sta­tique contre le déchaînement des pas­sions dans la guerre civile; mais le retour du politique, espéré par Schmitt, bouleverse des flux divers et multiples, dont la quantité est telle qu'elle ne permet au­cune intervention globale ou, pire, absorbe toute intervention et la neutralise. Paradoxalement le partisan de l'Etat, ou de toute autre instance de re-territorialisation, donc d'une forme ou d'une autre de stabilisation, est au­jourd'hui un “ébranleur” de flux, un déstabilisa­teur malgré lui, un déstabilisateur insconscient, surveillé et neutralisé par le normalisateur. Un cercle vicieux à briser? Sommes-nous là pour ça?

 

Robert Steuckers.

dimanche, 20 juillet 2008

Les idées politiques de Gustave Le Bon

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Les idées politiques de Gustave Le Bon

Source : Recension Les idées politiques de Gustave Le Bon, Catherine Rouvier (PUF, 1986) par Ange Sampieru, revue Vouloir n°35/36 (janv. 1987).

Né en 1841, mort en 1931, le docteur Gustave Le Bon est resté célèbre dans l'histoire des idées contemporaines pour son ouvrage historique, La psychologie des foules, paru en 1895. Pourtant, en dépit de plusieurs décennies de gloire, que Catherine Rouvier situe entre 1910 (date de la plus grande diffusion de son ouvrage) et 1931, année de sa mort, il erre depuis maintenant 50 ans dans un pénible purgatoire. Cette éclipse apparaît, au regard de la notoriété de Le Bon, comme un sujet d'étonnement. L’influence de Le Bon ne fut pas seulement nationale et française. Son livre fut lu, loué et utilisé dans de nombreux pays étrangers. Aux États-Unis, par ex., où le Président Théodore Roosevelt déclarait que l’ouvrage majeur de Gustave Le Bon était un de ses livres de chevet. Dans d'autres pays, le succès fut également assuré : en Russie, où la traduction fut assurée par le Grand-Duc Constantin, directeur des écoles militaires ; au Japon et en Égypte aussi, des intellectuels et des militaires s'y intéressent avec assiduité. Cette présence significative de Gustave Le Bon dans le monde entier ne lui évita pourtant pas la fermeture des portes des principales institutions académiques françaises, notamment celles du monde universitaire, de l'Institut et du Collège de France.

Un ostracisme injustifié

Le mystère de cet ostracisme, exercé à l'encontre de ce grand sociologue aussi célèbre qu'universel est l'un des thèmes du livre de Catherine Rouvier. La curiosité de l’auteur avait été éveillée par une étude sur le phénomène, très répandu, de la "personnalisation du pouvoir". Autrement dit, pourquoi les régimes modernes, parlementaires et constitutionnalistes, génèrent-ils aussi une "humanisation" de leurs dirigeants ? Ce phénomène apparaît d'ailleurs concomitant avec un phénomène qui lui est, historiquement parlant, consubstantiel : l'union des parlementaires contre ce que le professeur Malibeau nommait une "constante sociologique". De Léon Gambetta à Charles de Gaulle, l’histoire récente de France démontre à l'envi cette permanence. D'ailleurs les régimes démocratiques, à l'époque de Le Bon, n'étaient évidemment pas seuls à sécréter cette tendance. Les régimes totalitaires étaient eux-mêmes enclins à amplifier cette constante (Hitler en Allemagne, Staline en Russie). Après maintes recherches dans les textes devenus traditionnels (Burdeau, René Capitant) Catherine Rouvier découvrit l'œuvre maîtresse de Le Bon. Malgré les nombreuses difficultés rencontrées dans sa recherche laborieuse d'ouvrages traitant des grandes lignes de la réflexion de Le Bon, c'est finalement dans un article paru en novembre 1981 dans le journal Le Monde, double compte-rendu de 2 ouvrages traitant du concept central de Le Bon, la foule, que l'auteur trouva les 1ers indices de sa longue quête. En effet les 2 ouvrages soulignaient l’extrême modernité de la réflexion de Le Bon. Pour Serge Moscovici, directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences sociales, et auteur de L'Âge des foules (Paris, Fayard, 1981), Le Bon apporte une pensée aussi nouvelle que celle d'un Sigmund Freud à la réflexion capitale sur le rôle des masses dans l'histoire. Il dénonce dans la même foulée l'ostracisme dont est encore frappé cet auteur dans les milieux académiques français.

Pour Moscovici, les raisons sont doubles : d'une part, "la qualité médiocre de ses livres", et d'autre part, le quasi-monopole exercé depuis des années par les émules de Durkheim dans l'université française. Et, plus largement, l'orientation à gauche de ces milieux enseignants [mode du freudo-marxisme]. Contrairement au courant dominant, celui que Durkheim croyait être source de vérité, Le Bon professait un scepticisme général à l'égard de toutes les notions communes aux idéologies du progrès. Les notions majeures comme celles de Révolution, de socialisme, de promesse de paradis sur terre, etc. étaient fermement rejetées par Le Bon. On l'accusa même d'avoir indirectement inspiré la doctrine de Hitler. Sur quoi Catherine Rouvier répond : pourquoi ne pas citer alors Staline et Mao qui ont, eux aussi, largement utilisé les techniques de propagande pour convaincre les foules ?

Une dernière raison de cet ostracisme fut le caractère dérangeant de la pensée de Le Bon. Son approche froidement "objective" du comportement collectif, le regard chirurgical et détaché qu'il porte sur ses manifestations historiques, tout cela allait bien à l'encontre d'un certain "moralisme politique". En associant psychologie et politique, Le Bon commettait un péché contre l'esprit dominant.

De la médecine à la sociologie en passant par l'exploration du monde...

Avant de revenir sur les idées politiques de G. Le Bon, rappelons quelques éléments biographiques du personnage. Fils aîné de Charles Le Bon, Gustave Le Bon est né le 7 mai 1841 dans une famille bourguignonne. Après des études secondaires au lycée de Tours, G. Le Bon poursuit des études de médecine. Docteur en médecine à 25 ans, il montre déjà les traits de caractère qui marqueront son œuvre future : une volonté de demeurer dans !'actualité, une propension à la recherche scientifique, un intérêt avoué pour l'évolution des idées politiques. En 1870, il participe à la guerre, d’où il retire une décoration (il est nommé chevalier de la légion d'honneur en décembre 1871). Paradoxalement, cet intérêt pour des sujets d'actualité n'interdit pas chez cet esprit curieux et travailleur de poursuivre des recherches de longue haleine. Ainsi en physiologie, où il nous lègue une analyse précise de la psychologie de la mort. Gustave Le Bon est aussi un grand voyageur. Il effectue de nombreux déplacements en Europe et, en 1886, il entame un périple en Inde et au Népal mandaté par le Ministère de l'Instruction publique. Il est d'ailleurs lui-même membre de la Société de Géographie. Et c'est entre 1888 et 1890 que ses préoccupations vont évoluer de la médecine vers les sciences sociales. Le passage du médical au "sociologique" passera vraisemblablement par le chemin des études d'une science nouvelle au XIXe siècle : l'anthropologie. Il rejoindra d'ailleurs en 1881 le domaine de l'anthropologie biologique par l'étude de l'œuvre d'AIbert Retzius sur la phrénologie (étude des crânes).

De cet intérêt est né la "profession de foi" anthropologique de Le Bon, consignée dans L'homme et les sociétés. La thèse principale de ce pavé est que les découvertes scientifiques, en modifiant le milieu naturel de l'homme, ont ouvert à la recherche une lecture nouvelle de l'histoire humaine. Le Bon utilise d'ailleurs l'analogie organique pour traiter de l'évolution sociale. Avant Durkheim, il pose les bases de la sociologie moderne axée sur les statistiques. Il propose aussi une approche pluridisciplinaire de l'histoire des sociétés. Mais, en fait, c'est l'étude de la psychologie qui va fonder la théorie politique de Le Bon.

Naissance de la "psychologie sociale"

En observateur minutieux du réel, le mélange des sciences et des acquis de ses lointains voyages va conduire Le Bon à la création d'un outil nouveau : la "psychologie sociale". La notion de civilisation est au centre de ses réflexions. Il observe avec précision, en Inde et en Afrique du Nord, le choc des civilisations que le colonialisme provoque et exacerbe. C'est ce choc, dont la dimension psychologique l'impressionne, qui mènera Le Bon à élaborer sa théorie de la "psychologie des foules" qui se décompose en théorie de la "race historique" et de la "constitution mentale des peuples". Rejetant le principe de race pure, Le Bon préfère celle de "race historique", dont l'aspect culturel est prédominant. Là s'amorce le thème essentiel de toute son œuvre : "le mécanisme le propagation des idées et des conséquences". À la base, Le Bon repère le mécanisme dynamique de la "contagion". La contagion est assurée par les 1ers "apôtres" qui eux mêmes sont le résultat d'un processus de "suggestion". Pour Le Bon, ce sont les affirmations qui entraînent l'adhésion des foules, non les démonstrations. L'affirmation s'appuie sur un médium autoritaire, dont le 'prestige" est l'arme par excellence.

Le Bon est aussi historien. Il trouve dans l'étude des actions historiques le terrain privilégié de sa réflexion. Deux auteurs ont marqué son initiation à la science historique : Fustel de Coulanges et Hippolyte Taine. La lecture de La Cité Antique, ouvrage dû à Fustel de Coulanges, lui fait comprendre l'importance de l'étude de l'âme humaine et de ses croyances afin de mieux comprendre les institutions. Mais Taine est le véritable maître à penser de Le Bon. Les éléments suivants sous-tendent, selon Taine, toute compréhension attentive des civilisations : la race, le milieu, le moment et, enfin, l'art. La théorie de la psychologie des foules résulte d'une synthèse additive de ces diverses composantes. Mais Le Bon va plus loin : il construit une définition précise, "scientifique", de la foule. L'âme collective, mélange de sentiments et d'idées caractérisées, est le creuset de la "foule psychologique". Le Bon parle d'unité mentale...

Un autre auteur influence beaucoup Le Bon. Il s'agit de Gabriel de Tarde. Ce magistrat, professeur de philosophie au Collège de France, est à l'origine de la "loi de l’imitation", résultat d'études approfondies sur la criminalité. La psychologie des foules, théorie de l'irrationnel dans les mentalités et les comportements collectifs (titre de la 1ère partie), offre à Gustave Le Bon une théorie explicative de l'histoire et des communautés humaines dans l'histoire. À travers elle, l'auteur aborde de nombreux domaines : les concepts de race, nation, milieu sont soumis à une grille explicative universelle.

Une nouvelle philosophie de l'histoire

Le Bon se permet aussi une analyse précise des institutions politiques européennes : ainsi sont décortiquées les notions de suffrage universel, d'éducation, de régime parlementaire. L'actualité fait aussi l'objet d'une approche scientifique : Le Bon analyse les phénomènes contemporains de la colonisation, du socialisme, ainsi que les révolutions et la montée des dictatures. Enfin, Le Bon traite de la violence collective au travers de la guerre, abordant avec une prescience remarquable les concepts de propagande de guerre, des causes psychologiques de la guerre, etc. Tous ces éléments partiels amènent Le Bon à dégager une nouvelle philosophie de l'histoire, philosophie qui induit non seulement une méthode analytique, mais aussi et surtout les facteurs d'agrégation et de désintégration des peuples historiques (plus tard, à sa façon, Ortega y Gasset parlera, dans le même sens, de peuples "vertébrés" et "invertébrés"). La civilisation est enfin définie, donnant à Le Bon l'occasion d’aborder une des questions les plus ardues de la philosophie européenne, celle que Taine avait déjà abordé et celle que Spengler et Toynbee aborderont.

G. Le Bon est un auteur inclassable. Profondément pessimiste parce que terriblement lucide à propos de l'humanité, Le Bon utilise les outils les plus "progressistes" de son époque. Il sait utiliser les armes de la science tout en prévenant ses lecteurs des limites de son objectivité. Observateur des lois permanentes du comportement collectif, Le Bon est un historien convaincu. Il comprend très vite l'importance, en politique, de la mesure en temps. L'histoire est le résultat d'une action, celle qu'une minorité imprime sur l'inconscient des masses. Il constate que cette influence des minorités agit rarement sur la mentalité, donc sur les institutions de ses contemporains. Il y a donc un écart historique entre l'action et la transformation effective du réel. L'élaboration d'une idée est une étape. La pénétration concrète de cette idée est l'étape suivante. Son application enfin, constitue une autre étape. Cette mesure au temps vaut au fond pour tous les domaines où l'homme s'implique. Dans l'histoire bien sûr mais aussi dans la science, dans le politique. Le grand homme politique est simplement celui qui pressent le futur de son présent. Il est la synthèse vivante et dynamique des actions posées par les générations précédentes. L'histoire du passage de l'inconscient au conscient est aussi à la mesure de ce temps. Les institutions et le droit sont les fruits de l'évolution des mentalités.

Au-delà des misères de la droite et de la gauche

Le livre de Catherine Rouvier a un immense mérite : comprendre, au travers de l'œuvre de Le Bon, comment l'histoire des idées politiques est passée du XIXe au XXe siècle. La multiplicité des questions abordées par l'auteur est le miroir de l'immense variété des outils de réflexion utilisés par Le Bon. Les idées politiques de Gustave Le Bon supportent mal une classification simplette. Si la droite libérale lance aujourd'hui une tentative de récupération de Le Bon et si la gauche continue à dénoncer ses théories, on peut déceler dans ces 2 positions, au fond identiques même si elles sont formellement divergentes, une même incompréhension fondamentale de la théorie de Le Bon. Les idées politiques de ce sociologue de l'âge héroïque de la sociologie, dont le soubassement psychologique est présenté ici, ne sont en fait ni de droite ni de gauche. La dialectique d'enfermement du duopole idéologique moderne refuse catégoriquement toute pensée qui n'est pas immédiatement encastrée dans une catégorie majeure. C'est le cas de Le Bon. Catherine Rouvier compare d'ailleurs, avec beaucoup de pertinence, cette originalité à celle des travaux de Lorenz (cf. Postface, p. 251 et s.). Le Bon exprime bien l’adage très connu de Lénine : les faits sont têtus...

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* Petites phrases :

  • "Nous sommes à l'époque des masses, les masses se prosternent devant tout ce qui est massif." Nietzsche, Par delà Bien-Mal, § 241
  • "La foule est plus susceptible d'héroïsme que de moralité." G. Le Bon, Aphorismes du temps présent
  • "La preuve du pire, c'est la foule." Sénèque, De beatam vitam
  • "Non, le mal est enraciné en chacun, et la foule placée devant l'alternative vie-mort crie "La mort ! La mort !" comme les Juifs répondaient à Ponce-Pilate "Barabas ! Barabas !" ". M. Tournier, Le Roi des Aulnes
  • "Une société de masse n'est rien de plus que cette espèce de vie organisée qui s'établit automatiquement parmi les êtres humains quand ceux-ci conservent des rapports entre eux mais ont perdu le monde autrefois commun à tous." H. Arendt, La Crise de la culture
  • "Il faut se séparer, pour penser, de la foule / Et s'y confondre pour agir." Lamartine
  • "La maturité des masses consiste en leur capacité de reconnaître leurs propres intérêts." A. Koestler, Le Zéro et l'Infini
  • "En fait, la plupart du temps, la masse les précède, leur indique le chemin en silence, mais d'un silence qui n'est pas moins efficace puisque c'est de leur capacité à savoir l'écouter que ces "grands hommes" tirent leur pouvoir." M. Maffesoli, La Transfiguration du politique
  • "Toute la publicité, toute l'information, toute la classe politique sont là pour dire aux masses ce qu'elles veulent." / "L'énergie informatique, médiatique, communicationnelle dépensée aujourd'hui ne l'est plus que pour arracher une parcelle de sens, une parcelle de vie à cette masse silencieuse." J. Baudrillard, Les Stratégies fatales