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jeudi, 04 juillet 2024

Les erreurs de la vision libérale-occidentale du Proche-Orient

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Les erreurs de la vision libérale-occidentale du Proche-Orient

Filip Martens

L'échec de l'Islam et le succès de l'Occident

Pendant des siècles, l'Islam a été une grande culture, à la pointe de la science et de la technologie. Toutefois, à partir du XVIe siècle, cette culture a lentement commencé à se laisser distancer par l'Europe. Au XIXe siècle, l'ensemble du monde islamique s'est effondré en un rien de temps et est tombé aux mains de l'Europe impérialiste. Sur le plan militaire, les musulmans ont été vaincus à maintes reprises et même l'Empire ottoman, autrefois puissant, a été contraint de signer des traités de paix dictés par l'Europe. En outre, les économies libérales occidentales se sont avérées bien plus puissantes que celles du monde islamique. Sur le plan politique également, le Proche-Orient ne comptait plus. Le monde islamique s'est alors interrogé sur ce qui n'allait pas.

Le déplacement vers l'Atlantique des échanges commerciaux et intellectuels pluriséculaires entre l'Europe et le Proche-Orient signifiait le déclin du Proche-Orient. La découverte de l'Amérique en 1492 a modifié les routes commerciales pluriséculaires: elles ne passaient plus par le Proche-Orient. L'Europe commerçait désormais avec l'Afrique (esclaves) et avec ses colonies asiatiques et américaines. Parallèlement, l'Europe développe des armes plus performantes et le capitalisme naissant stimule le colonialisme en mobilisant d'importants capitaux. Jusqu'à la fin du XVIe siècle, le Proche-Orient continue de fournir des textiles à l'Europe.

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L'histoire moderne du Proche-Orient commence en 1798 avec l'invasion de l'Égypte et de la Palestine par le général Napoléon Bonaparte. À cette époque, le processus de défaite et de recul de l'Islam avait déjà commencé dans les Balkans et en Europe de l'Est. L'invasion française a enseigné au monde islamique qu'une puissance européenne pouvait entrer et faire ce qu'elle voulait en toute impunité. Même le départ des troupes françaises n'a pas été provoqué par les Égyptiens ou les Ottomans, mais par la flotte britannique du vice-amiral Horatio Nelson, ce qui a permis de tirer une deuxième leçon: seule une autre puissance européenne peut faire repartir une puissance européenne envahissante.

Ainsi, à partir du XVIIIe siècle, l'Empire ottoman s'est affaibli et l'Europe a commencé à y construire sa sphère d'influence. Les différentes religions de l'Empire ottoman formaient chacune un "millet", de sorte que chaque croyance jouissait d'une autonomie sur le plan religieux, ce qui facilitait l'infiltration européenne. Cela a effectivement facilité l'infiltration européenne. Les "capitulations" ont notamment joué un rôle très important. Il s'agissait de traités entre l'Empire ottoman et des pays occidentaux amis, en vertu desquels les sujets de l'État occidental en question n'étaient pas soumis au droit pénal ottoman, mais étaient jugés selon le droit de leur propre pays. Le traité le plus connu est celui conclu entre la France et l'Empire ottoman en 1536, qui s'est transformé en 1740 en une combinaison de pacte de non-agression, de traité commercial et de privilèges étendus pour les sujets français dans l'ensemble de l'Empire ottoman. Cette capitulation ayant acquis en 1740 une validité perpétuelle, la France a pu s'en prévaloir au XIXe siècle pour s'immiscer dans les affaires de l'Empire ottoman affaibli.

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Après avoir examiné l'échec islamique et le succès occidental, des réformes ont été lancées: modernisation de l'armée (méthodes, armes et entraînement occidentaux), industrialisation de l'économie et adoption du système politique occidental. Mais en vain. Tout au long du XIXe siècle, l'Empire ottoman tente de faire face à l'impérialisme croissant de l'Europe libérale et industrielle. Néanmoins, de nombreux territoires ottomans d'Afrique du Nord et d'Asie du Sud-Ouest sont devenus des colonies ou des zones d'influence européennes. Plusieurs réformes des structures impériales ottomanes ont donc eu lieu pour mieux défendre l'empire contre la domination étrangère. Si ces réformes ont profondément réformé le système judiciaire, l'armée et l'administration vers le début du XXe siècle, elles ont également entraîné une présence économique et culturelle européenne croissante et l'émergence de mouvements nationalistes naissants parmi de nombreux peuples de l'Empire ottoman, par exemple les Arméniens, les Arabes et les chrétiens maronites dans les montagnes libanaises. Le monde islamique a donc été non seulement dépassé par l'Europe au cours des trois derniers siècles, mais aussi dominé et colonisé par elle.

Par ailleurs, le débat sur l'"ijtihad" dans le monde islamique dure depuis trois siècles et ne cesse de fournir de nouvelles explications. Ijtihad" signifie raison, mais ce terme fait surtout référence aux divers mouvements qui ont émergé et exigé des changements depuis la fin du XVIIIe siècle. Ces mouvements étaient primo le wahhabisme réformiste et le salafisme conservateur ; secundo le modernisme islamique de Jamal ad-Din al-Afghani et Mohammed Abdu ; et tertio les combinaisons que Rashid Rida et Hassan al-Banna en ont fait.

Le choc des définitions

Le livre de Samuel Huntington "Le choc des civilisations" [1], publié en 1993, annonçait une politique mondiale totalement nouvelle, mais il s'agit d'un mythe. Huntington affirmait que, jusqu'alors, la guerre était menée entre des idéologies et que les conflits internationaux auraient désormais une cause culturelle. Ces "civilisations qui s'affrontent" - c'est-à-dire les civilisations occidentales contre les civilisations non occidentales - domineraient désormais la politique internationale. Il capitalisait ainsi sur l'idée d'un "nouvel ordre mondial" lancée par le président Bush père et sur le changement de millénaire qui était imminent.

La thèse de Huntington est une version recyclée de la thèse de la guerre froide selon laquelle les conflits sont idéologiques: pour lui, après tout, tout tourne autour de l'idéologie libérale occidentale contre les autres idéologies. En d'autres termes, la guerre froide s'est simplement poursuivie, mais sur de nouveaux fronts (Islam et Proche-Orient). Selon Huntington, l'Occident doit adopter une position interventionniste et agressive à l'égard des civilisations non occidentales pour éviter la domination de celles-ci sur l'Occident. Il voulait donc poursuivre la guerre froide par d'autres moyens au lieu d'essayer de comprendre la politique mondiale ou de réconcilier les cultures. Ce langage belliqueux apporte de l'eau au moulin du Pentagone et du complexe militaro-industriel américain.

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Cependant, Huntington ne s'intéressait pas à l'histoire des cultures et était également très mal inspiré. En effet, nombre de ses arguments proviennent de sources indirectes: il n'a donc pas analysé correctement le fonctionnement des cultures, s'appuyant principalement sur des journalistes et des démagogues plutôt que sur des scientifiques et des théoriciens. Il a même emprunté le titre de son livre à l'article de Bernard Lewis "The Roots of Muslim Rage" [2]: un milliard de musulmans seraient furieux contre notre modernité occidentale, mais cette idée d'un milliard de musulmans pensant tous la même chose face à un Occident homogène est simpliste. Huntington reprend ainsi à Lewis l'idée que les cultures sont homogènes et monolithiques, ainsi que la différence immuable entre "nous" et "eux".

L'Occident serait également supérieur à toutes les autres cultures, et l'Islam serait anti-occidental par définition: cependant, le fait que les Arabes aient exploré de grandes parties du monde (Europe, Asie du Sud, Afrique de l'Est) bien avant Marco Polo et Christophe Colomb n'avait pas d'importance pour lui. Huntington pensait également que toutes les cultures (Chine, Japon, monde slave orthodoxe, Islam, ...) étaient ennemies les unes des autres et, de plus, il voulait gérer ces conflits en tant que gestionnaire de crise plutôt que de les résoudre. On peut ici s'interroger sur le bien-fondé de peindre une image aussi simpliste du monde et de faire agir les généraux et les hommes politiques sur cette base. Après tout, cela mobilise la guerre raciale et culturelle. En fait, nous devons nous demander pourquoi quiconque souhaite augmenter la probabilité d'un conflit !

Des abstractions grotesques, vagues et manipulables telles que "l'Occident", "l'Islam", "la culture slave", ... sont omniprésentes aujourd'hui et imprègnent des idéologies racistes et provocatrices bien pires que celles de l'impérialisme européen de la seconde moitié du 19ème siècle. Les puissances impérialistes inventent ainsi leurs propres théories culturelles pour justifier leur expansionnisme, comme la Destinée Manifeste des États-Unis ou le "Choc des civilisations" de Huntington. Ces théories sont basées sur les luttes et les chocs entre les cultures. De tels mouvements existent également en Afrique et en Asie, comme l'islamo-centrisme, le sionisme israélien, l'ancien régime d'apartheid sud-africain, ...

250824.jpgDans chaque culture, les dirigeants politiques et culturels définissent ce que "leur" culture signifie, ce qui devrait être qualifié de "choc des définitions" plutôt que de "choc des civilisations". Cette culture officielle parle au nom de l'ensemble de la communauté. Cependant, dans chaque culture, il existe des formes de culture alternatives, hétérodoxes et non officielles qui remettent en question la culture officielle orthodoxe. Le "choc des civilisations" de Huntington ne tient pas compte de cette contre-culture des ouvriers, des paysans, des bohèmes, des marginaux, des pauvres, ... Pourtant, aucune culture ne peut être comprise sans tenir compte de cette remise en question de la culture officielle, car ce faisant, on passe à côté de ce qui est vital et fructueux dans cette culture ! Ainsi, selon l'historien Arthur Schlesinger [3], l'histoire américaine des grands politiciens et des grands éleveurs devrait être réécrite pour inclure les esclaves, les serviteurs, les immigrants et les travailleurs, dont les histoires sont réduites au silence par Washington, les banques d'investissement de New York, les universités de la Nouvelle-Angleterre et les magnats de l'industrie du Midwest. En effet, ces groupes prétendent représenter le discours des groupes réduits au silence.

Un débat culturel similaire existe également dans l'Islam, et c'est précisément cela que Huntington n'a pas su reconnaître. Il n'existe pas de culture unique et définie. Après tout, chaque culture est constituée de groupes en interaction et chaque culture est également influencée par d'autres cultures.

La souffrance du monde islamique

Les musulmans considèrent la disparition de l'Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale comme l'humiliation suprême. Pourtant, la chute avait commencé quatre siècles auparavant par un processus lent et douloureux (cf. supra). La Turquie, pays central, a surmonté cette épreuve lorsque le soulèvement de Mustafa Kemal (Atatürk) en Anatolie centrale a chassé les occupants alliés, mais il ne s'agissait pas d'une victoire islamique, mais d'une nouvelle défaite islamique. Après tout, Mustafa Kemal était un laïc et il a aboli le sultanat et le califat. La disparition du califat en particulier a été un désastre car elle a détruit l'unité religieuse dans la partie sunnite du monde islamique. Tout le monde au Proche-Orient s'en rend bien compte !

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Aujourd'hui, l'ancien empire ottoman est divisé en États-nations créés artificiellement par la France et la Grande-Bretagne. Cependant, les musulmans ne se considèrent pas en termes nationaux et régionaux, mais plutôt en termes d'identité religieuse et d'allégeance politique.

Le prophète Mahomet est né à La Mecque et a fondé l'islam à Médine, d'où il a également conquis La Mecque. Les non-musulmans ne sont pas autorisés à pénétrer dans ces deux villes saintes, ainsi que dans l'ensemble du Hedjaz [4], afin de ne pas déshonorer le prophète. Selon certains, cette interdiction s'applique même à toute l'Arabie. C'est pourquoi la présence de troupes américaines (mais pas dans le Hedjaz) sur le golfe Persique est si problématique pour les musulmans. De plus, ces troupes ont attaqué l'Irak dès la genèse de l'islam, qui a été le siège du califat pendant un demi-millénaire - également la période la plus glorieuse de l'histoire de l'islam. Or, c'est précisément pour ces raisons que les Britanniques n'ont jamais pénétré à l'intérieur de l'Arabie, mais se sont cantonnés à sa périphérie (Koweït, Bahreïn, Qatar, Émirats arabes unis, Oman, Aden).

Les tromperies de l'orientalisme

L'orientaliste juif britannico-américain Bernard Lewis a affirmé que le monde islamique était de plus en plus hostile aux États-Unis depuis 1990 [5]. Bien que Lewis ait pris sa retraite en 1986, il est resté influent jusqu'à ce qu'il soit TRÈS influent ! La Maison Blanche et les deux partis politiques américains ont sollicité son avis sur le Proche-Orient, ce qui signifie qu'il a exercé une énorme influence sur la politique étrangère des États-Unis.

716KpIUe2YL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgBernard Lewis voyait une bataille entre "l'Islam" et "l'Occident" qui durait depuis treize siècles (croisades, djihad, Reconquista, ...), l'un l'emportant de temps en temps sur l'autre. Après l'implosion de l'URSS en 1991, il restait selon lui un ennemi majeur pour l'Islam: les Etats-Unis. Ce faisant, il a même brandi de grands mots comme "la survie de notre civilisation". Depuis que les États-Unis ont occupé militairement certaines parties du Proche-Orient, la résistance s'est accrue. Par exemple, la défense irakienne contre les États-Unis en 2003-2011 a permis d'éviter la domination américaine sur l'Irak.

Lewis a également affirmé que la politique occidentale à l'égard du Proche-Orient n'avait pas été pas bonne jusqu'alors. Son conseil à l'administration américaine était le suivant : soyez fermes ou sortez ! Par "durcir le ton", il entendait poursuivre le "bon" travail entamé en Afghanistan et donc multiplier les attaques contre des pays et des groupes prétendument "terroristes". Par "sortir", il entendait trouver un substitut au pétrole pour que le Proche-Orient ne soit plus important.

La théorie simpliste de Bernard Lewis sur le "choc des civilisations" remonte à l'orientalisme. Ce que l'Occident libéral définit aujourd'hui comme l'"Islam" en vertu de la théorie du "choc des civilisations" a été défini par l'orientalisme. Il s'agit d'une construction artificielle visant à susciter l'hostilité à l'égard d'un continent qui intéresse les États-Unis en raison de son pétrole et de sa concurrence avec l'Occident. L'orientalisme offre à l'Occident une certaine image du Proche-Orient, ce qui amène les Occidentaux à penser qu'ils savent comment les gens se comportent là-bas et quel genre de personnes y vivent. Par conséquent, ils commencent à considérer ces personnes à partir de cette "connaissance" qu'ils croient avoir d'elles. L'orientalisme n'offre cependant pas une connaissance innocente ou objective du Proche-Orient, mais reflète certains intérêts.

Le choc de l'ignorance

Les médias apparemment indépendants d'une société libérale sont contrôlés par des intérêts commerciaux et politiques: il n'y a pas de journalisme d'investigation, seulement la répétition de la position du gouvernement et des personnes les plus influentes au sein du gouvernement. Ils utilisent l'islam comme un paratonnerre extérieur pour dissimuler les graves problèmes sociaux, économiques et financiers des sociétés occidentales. Parce que les médias peuvent si facilement attirer l'attention sur un aspect négatif de l'islam, il était également très facile, à la fin de la guerre froide, de créer un nouvel ennemi étranger et de continuer à légitimer l'existence de l'énorme armée américaine.

Les Américains ne connaissent pas grand-chose à l'histoire, même ceux d'entre eux qui sont très instruits. Ils ne peuvent donc ni capter ni comprendre les références historiques. Par exemple, lorsque Oussama Ben Laden a parlé du "désastre d'il y a quatre-vingts ans", tout le monde au Proche-Orient savait qu'il parlait de la chute de l'Empire ottoman. Les Américains, en revanche, n'avaient aucune idée de ce dont parlait Ben Laden. En outre, il est très difficile de trouver de la littérature favorable à l'islam aux États-Unis, car l'islam est considéré comme une menace pour la nation juive et protestante que sont les États-Unis.

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Le "Choc de l'ignorance" [6] d'Edward Saïd a réfuté les affirmations de Lewis: chaque pays du Proche-Orient a sa propre histoire et sa propre interprétation de l'islam. En outre, il faut comprendre le Proche-Orient non pas comme des pays séparés, mais à travers la dynamique qui existe entre eux. Le "choc des ignorances" de Saïd a montré que l'orientalisme de Lewis généralise de manière simpliste l'"islam": après tout, il existe de multiples types d'islam ! Néanmoins, le "choc des civilisations" de Lewis domine la politique étrangère des États-Unis au Proche-Orient. Cependant, cette vision libérale-occidentale de l'"Islam" est totalement différente de la façon dont les musulmans perçoivent l'Islam ! Par exemple, il y a un monde de différence entre l'Islam en Algérie, en Afrique de l'Est et en Indonésie ! Il est donc extrêmement imprudent de considérer cet ensemble disparate comme une seule entité islamique, irrationnelle, terroriste et fondamentaliste. Selon Edward Saïd, une culture exclusive est impossible: nous devons donc nous demander si nous voulons nous efforcer de séparer les cultures ou de les faire coexister.

Épilogue

La version de Huntington du "choc des civilisations" de Lewis a d'abord été publiée sous la forme d'un article de magazine dans Foreign Affairs, parce qu'elle pouvait ainsi influencer les décideurs politiques : après tout, ce discours a permis aux États-Unis de poursuivre le schéma de pensée de la guerre froide. Mais il est bien plus utile d'adopter une nouvelle mentalité, consciente des dangers qui menacent actuellement l'ensemble de l'humanité: pauvreté croissante, haine ethnique et religieuse (Bosnie, Congo, Kosovo, Nagorno-Karabakh, Ukraine, ...), analphabétisme croissant et nouvel analphabétisme (en ce qui concerne les communications électroniques, la télévision et l'internet).

L'histoire devrait être dénationalisée et montrer clairement que nous vivons dans un monde très complexe et mélangé, dans lequel les cultures ne peuvent pas être simplement séparées: l'histoire devrait être enseignée comme un échange entre les cultures, en montrant clairement que les conflits sont inutiles et ne font qu'isoler les gens. Or, aujourd'hui, l'enseignement de l'histoire en Occident continue d'enseigner que l'Occident est le centre du monde.

Les différences entre les cultures doivent également subsister : il n'est pas bon de vouloir effacer les cultures ou de vouloir que les cultures s'affrontent. Nous devrions nous efforcer de faire coexister des cultures, des langues et des traditions différentes et donc de préserver ces différences plutôt que de viser une culture mondiale unique ou - comme Huntington et Lewis l'ont fait - la guerre.

L'idée orientaliste erronée du "choc des civilisations" doit être combattue en révélant ce qui la sous-tend réellement, en en débattant, par l'éducation et en faisant prendre conscience aux intellectuels américains et européens de l'impact énorme des interventions étrangères de l'Occident sur les autres cultures.

Notes:

[1 ] HUNTINGTON (Samuel), Colliding Civilisations, Anvers, Icarus, 1997, pp. 412.

[2] LEWIS (Bernard), The Roots of Muslim Rage, in : The Atlantic Monthly, 1990.

[3] SCHLESINGER (Arthur), The Disuniting of America, New York, Norton, 1992, pp. 160.

[4] Le Hedjaz est une région située à l'ouest de l'Arabie, qui comprend les villes saintes islamiques de La Mecque et de Médine.

[5] LEWIS (Bernard), What went wrong ? Western Impact and Middle Eastern Response, Oxford, Oxford University Press, 2002, pp. VII + 180.

[6] SAÏD (Edward), Orientalism, Londres, Penguin, 2003, pp. 396.

mardi, 04 juin 2024

Un « Choc des civilisation ? Vraiment ?

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Un « Choc des civilisation? Vraiment?
 
Claude Bourrinet
 
Invoquer l'Occident, pour le louer ou le vouer aux gémonies de l'Histoire, c'est fatalement interroger le concept moderne (inusité dans les temps anciens) d'identité, car on ne proclame son identité que quand l'on l'a perdue.
 
Généralement, la notion d' « Occident » est appliquée aux pays qui ont porté au monde le capitalisme, à partir de la fin du XVIIIe siècle, avec, en parallèle, le libéralisme politique. Ces nations constituent l'Europe de l'Ouest, d'abord l'Angleterre puis la France et l'Allemagne pour ne parler que des plus importantes, et la colonie anglo-saxonne du Nord, devenue les États-Unis et le Canada, avec les autres dominions de l'empire britannique, de souche, du Pacifique, Australie et Nouvelle Zélande. C'est ce bloc qui s'oppose actuellement aux BRICS, et principalement à la Russie et à la Chine.
 
Évidemment, l'adoption d'un tel découpage civilisationnel suppose l'effacement d'une opposition entre l'Amérique du Nord et la « Vieille Europe ».
 
Or, l' « Occident » est aussi ce mouvent économique, social, politique, culturel, civilisationnel, qui a pris son essor en Italie et dans la partie Nord du continent européen, notamment dans l'axe Rhône/Rhin et Italie du Nord/Pays-Bas, et a transformé l'antique société ordonnée selon des principes verticaux et holistes, en zone où l'individu est roi, et l'argent empereur. Dès que la révolution industrielle s'est imposée, au XIXe siècle, elle a essaimé, aidée de canons, dans l'ensemble du Globe, en infusant sa logique technique, scientifique, prométhéenne, et en ruinant les traditions, en arasant le Vieux Monde. A ce titre, toutes les régions du Monde sont « occidentales », y compris la Russie et la Chine, et maintenant l' « archaïque » Inde, qui envoie des fusées sur la Lune. L'un des signes les plus sensibles de cette appartenance à l'Occident moderne est la propension de ces pays à vanter leurs réalisations modernes, et à démontrer qu'ils n'ont rien à envier aux mégalopoles américaines et aux avancées techno-scientifiques de l' « Ouest ». Cette manie s'est d'ailleurs universalisée, et touche des régions jadis considérées comme « arriérées ». Chacun court après le modèle new-yorkais, ou californien, ou texan, selon...
 
Adopter le schéma productiviste et techniciste « occidental », voire sa logique marchande, qu'elle soit plus ou moins encadrée par l’État, ou par des géants commerciaux transnationaux, c'est se condamner ipso facto à se modeler sur le type de société qu'il induit, à savoir l'individualisme utilitariste, la recherche hédoniste d'un certain confort de vie, la sécularisation des devoirs, rabattus à la satisfaction de besoins, etc.
 
Certes, ce processus se différencie par des disparités et des « couleurs » civilisationnelles différentes selon l'Histoire de chaque entité « culturelle », autrefois enracinée dans une vision singulière de l'homme et du monde. Mais désormais, cette weltanschauung particulière à chaque civilisation n'existe plus. Le Dernier homme est l'unique horizon, et, par-là, Fukuyama a eu raison. Mais il a eu tort quand il en a conclu, dans sa Fin de l'histoire, à l'achèvement des conflits et de la guerre. Au contraire, on sait que l'égalité et l'uniformité génèrent la haine, la tension, et la violence. Paradoxalement, l'harmonie et la paix entre individus et nations, sont mieux assurées dans une hiérarchie justifiée par les siècles et l'assentiment des dieux. Quand l'homme est l'unique parangon de ce qui est souhaitable, et le seul arpenteur du réel, surtout d'un progrès infini et indéfini, fatalement, l'anarchie s'installe, avec son lot de règlements armés de comptes.
 
Prosaïquement, l'état de guerre mondiale actuel se résume à des revendications de partage du gâteau. L'Occident (au sens politique restreint) est considéré comme un accapareur illégitime des richesses planétaires. La relation entre nations nécessite un nouvel rééquilibrage, ce que n'ont pas compris les classes dominantes de l'Amérique du Nord et de sa vassale européenne. Les divergences sociétales, comme le poids massif du lobby lbgt dans le bloc occidental, que le reste du monde considère comme déstabilisant et agressif, sont à relativiser. Les « pays émergents » ont gardé, en assoyant leur nouvelle puissance économique, voire militaire, des traits du capitalisme viril, qui a marqué le XXe siècle. Mais ils n'en sont qu'au stade de la confiance collective de soi, âge où l’État est encore puissant, comme les muscles d'un jeune homme sont solides ; mais ils parviendront à l'état de sénilité fébrile de l'Occident décadent, où certes les muscles faillissent, avec la virilité, mais peuvent encore faire mal.
 
La logique techno-scientifique et productiviste aboutit, inévitablement, au nihilisme, et personne n'y réchappera.
 
Quid de l' « identité » ? La Russie est-elle « orthodoxe » ? La Chine, « confucéenne » ? L'Inde, « hindouiste » ?
 
Comme disaient Marx et Engels, dans L'Idéologie allemande, il ne faut jamais juger un homme sur ce qu'il dit être, mais sur ce qu'il fait. En l'occurrence, sa praxis. Le monde « religieux » (on entendra par-là un monde « relié » - religare = religion au supra-humain), est animé par toutes les croyances, les convictions, par les gestes, les réflexes, les rêves, les desseins qu'un tel assentiment suppose. Or, les nations du monde contemporain, DANS LES FAITS sécularisé, matérialistes et menées à vue d'homme (ou d’État), sont conduites par des objectifs d'accroissement de la puissance, par des considérations utilitaristes, économiques et uniquement militaires. Le reste n'est que de l'accompagnement idéologique.
 
Les revendications « identitaires », pour peu qu'elles soient bien comprises et ajustées à des réalités civilisationnelles réelles (car on a tendance à glisser derrière elles des chromos fabriqués et aussi authentiques que des cartes postales touristiques, comme cette confusion, courante en Europe, entre la Vieille Europe, souvent guindée et pudibonde, avec la modernité américaine « libérée » et obscène), sont souvent des fantasmes surgissant face à une déshumanisation, à une décivilisation de nos sociétés, et une reconstruction à partir de bribes de « savoirs » scolaires – souvent faux et biaisés -, à la manière de la IIIe République, qui a créé le « roman national », ou du romantisme du XIXe siècle (et, au XXe siècle, hollywoodien), mensonger et partial, sur lesquels se fondent pathétiquement les cerveaux incultes (pour la plupart) des militants qui se battent pour ne pas être « grand remplacés ». La notion d'identité est bien souvent parente des ces slogans publicitaires de marques qui tentent de se distinguer des concurrents, ou de plaire aux clients, en se prévalent d'un ancrage dans une réalité authentique d'existence, tout en demeurant des machines à désosser l'existence.

mercredi, 15 mars 2023

Choc des civilisations ?

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Compte rendu de Oriente contra occidente, par Denis Collin. Letras inquietas. Cenicero, 2022, 57 p.

Choc des civilisations ?

Par Genís Plana

Sources : El Viejo Topo & https://rebelion.org/choque-de-civilizaciones/

Denis Collin est l'un de ces penseurs inconfortables du spectre politique homologué : c'est-à-dire de cette actualisation de l'axe gauche-droite selon laquelle la gauche se ferait la championne du multiculturalisme cosmopolite, tandis que la droite revendiquerait la défense folklorique de la tradition nationale ; mais dans les deux cas, les intérêts économiques des classes populaires seraient absents. Ce n'est pas le système de coordonnées politiques sur lequel évolue Collin. Maître de conférences à l'université de Rouen jusqu'à sa retraite en 2018, ce philosophe français "s'efforce de réconcilier socialisme et républicanisme" tout en "défendant l'État-nation contre les tendances dissolvantes, mondialistes et globalisantes de notre temps". Et cette audace, aujourd'hui stigmatisée par le stigmate du "rouge-brunisme", caractérise plusieurs de ses écrits, dans lesquels il se penche sur ce que certains ont considéré comme l'angle mort du marxisme : la nation.

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Selon lui, le marxisme standardisé commettrait une erreur d'analyse s'il considérait que les conflits nationaux ne sont que l'expression de conflits entre groupes capitalistes. Collin considère que les nations ont une densité culturelle et religieuse propre, et que celle-ci n'est pas un simple épiphénomène de la sphère économique. Certes, dans le mode de production capitaliste, l'économie prend une dimension prépondérante dans la vie sociale, mais elle le fait sur la base idéologique de chaque pays ou région, qui doit aussi être prise en compte comme un facteur actif dans les processus historiques. Sur la base de ces hypothèses, quelle est l'approche centrale du livre ? L'approche est la suivante :

Face à l'unipolarité qui a émergé après la disparition de l'Union soviétique, on pourrait supposer que la lutte des classes s'exprimerait à travers une lutte des peuples opprimés par l'impérialisme américain. C'est pourquoi de nombreux gauchistes verraient dans l'islamisme une sorte de mouvement anti-impérialiste capable d'exprimer la voix des opprimés. Cependant, c'est une thèse que Collin nie : ces autres peuples ou nations non occidentaux ne constituent pas, dans l'ensemble, une alternative au capitalisme, car dans leur propre réalité, la logique du capital a déjà pénétré. En effet, le développement du capitalisme dans le monde implique l'absorption de la culture et de la religion de chaque pays ou région, ce qui rend viable la pleine compatibilité du capitalisme avec les différentes formes d'État, des théocraties comme celles des pays arabes aux systèmes parlementaires des républiques consolidées. Ainsi, "les contradictions et les conflits entre les différentes parties du système capitaliste mondial" ne doivent pas être compris comme une prétendue lutte entre le capitalisme impérialiste américain d'une part et l'anti-impérialisme des peuples opprimés d'autre part. Il faut plutôt examiner "l'articulation entre le mode de production capitaliste et l'héritage historique propre à chaque pays".

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En fait, l'auteur nie l'existence d'un conflit entre l'Occident chrétien et l'Orient musulman, thèse avancée par des auteurs tels que Samuel P. Huntington qui cherchent à légitimer le nouvel ordre mondial américain face à la menace que représente le fondamentalisme islamique. Collin affirme que l'Est et l'Ouest sont des catégories qui fonctionnent idéologiquement pour dissimuler l'influence du pouvoir américain sur le wahhabisme, qui a été instrumentalisé à de multiples reprises par l'impérialisme américain. Et bien que le fondamentalisme islamique ait été présenté comme l'ennemi juré du monde anglo-saxon à la suite de l'attaque des tours jumelles, tous deux sont dans la même tranchée contre un ennemi commun : le communisme. L'auteur ne mâche pas ses mots : "Le fondamentalisme islamique est un ennemi mortel de la démocratie, du mouvement ouvrier et de l'émancipation de l'humanité. Et il doit être traité comme tel par tous les défenseurs du socialisme, du communisme ou même du simple idéal républicain".

La lecture de ce très court essai permet de montrer que l'opposition simpliste entre l'Occident et l'Orient masque les aspects réellement à l'œuvre dans les conflits actuels, où s'entremêlent logiques culturelles et, bien sûr, intérêts économiques. Letras Inquietas a raison d'oser publier en espagnol un auteur qui, bien que méconnu, est largement intéressant.

Rebelión a publié cet article avec l'autorisation de l'auteur sous une licence Creative Commons, en respectant sa liberté de le publier dans d'autres sources.

mardi, 14 mars 2023

Fin de l'histoire ou choc des civilisations?

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Fin de l'histoire ou choc des civilisations?

par Mauro Magatti

Source : Avvenire & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/fine-della-storia-o-scontro-di-civilta

L'enchantement de la mondialisation des années 1990 et du début des années 2000 est définitivement rompu. Il n'y aura pas de retour en arrière. Dans les années 1990, un long débat a opposé les thèses de Francis Fukuyama (la fin de l'histoire), qui prévoyait la diffusion progressive du modèle libéral-démocratique au-delà de l'Occident, et les thèses opposées de Samuel Huntington, qui voyait se profiler le choc des civilisations. Selon Huntington, l'Occident doit prendre conscience qu'il est une civilisation parmi d'autres et non la civilisation, et par conséquent abandonner le rêve illusoire d'une civilisation universelle en devenir, fondée sur la démocratie et les droits de l'homme, dont le principal objectif politique est de défendre ses frontières, comme condition "immunitaire" de la sauvegarde de son identité et de ses valeurs. Lesquelles ne sont pas, et ne seront vraisemblablement pas, universellement partagées. Une stratégie qui, dans la perspective de nouvelles formes d'isolationnisme, n'exclut pas la possibilité d'un conflit armé.

Or, le risque que la simplification de Fukuyama - la mondialisation homogène néolibérale - soit suivie de la simplification de Huntington - le choc des civilisations - est bien réel. De même que l'idée d'une mondialisation linéaire et progressive n'a pas résisté au poids de l'histoire (désavouant les arguments claironnés il y a des années sur "l'exportation de la démocratie"), de même l'idée d'un choc apocalyptique des civilisations entre démocraties et autocraties doit être évitée de toutes nos forces.

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Huntington a raison sur un point, trop facilement considéré comme acquis dans la vulgate de la mondialisation néolibérale : la modernisation, c'est-à-dire l'adoption par d'autres cultures d'éléments typiques de la modernité occidentale (comme le marché et la technologie), peut se faire sans impliquer également le développement de la démocratie et des libertés individuelles. Ce développement peut suivre à long terme, mais il n'est pas à l'ordre du jour à court et moyen terme.

Et dire cela ne permet pas de conclure que le seul avenir qui nous attend est le choc des civilisations. Au-delà des deux positions polarisées - celle de Fukuyama et celle de Huntington - il y a une voie que les démocraties peuvent et doivent suivre : travailler à renforcer la logique de coexistence et de collaboration au niveau planétaire.

samedi, 22 juin 2019

Champ de bataille mondial : un monde entre géopolitique et mondialisation

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Champ de bataille mondial :

un monde entre géopolitique

et mondialisation

Par Shahzada Rahim

Source : https://www.fort-russ.com/2019/05/global-battleground-a-w...

& http://www.in-limine.eu

Cet article traite du domaine des rivalités pour les ressources et les emplacements stratégiques à travers le monde. En outre, l'article explique également comment les imaginations géopolitiques contrastées dans la politique mondiale créent un vide dynamique qui alimente la concurrence vicieuse. - Rahim


Par Shahzada Rahim : un étudiant de troisième cycle qui porte un vif intérêt pour l'écriture sur l'histoire, la géopolitique, l'actualité et l'économie politique internationale.


On dit souvent que la géopolitique et la mondialisation sont les deux faces d'une même pièce, mais avec des attributs différents. L’histoire de ces deux acronymes remonte à une date très ancienne jusque l’époque antique romaine et grecque. Aujourd'hui, le paysage géopolitique et celui de la mondialisation ont dépassé la terre et la mer pour atteindre l'espace extra-atmosphérique. De nombreux chercheurs estiment que la mondialisation et la géopolitique sont chacune l'antithèse l’une de l’autre et englobent différents modes de pouvoir. Alors que la mondialisation nous parle des vertus et des valeurs universelles, la géopolitique, quand à elle, nous parle de vices et d’intérêts réalistes injustifiables.


À l’aube du XXe siècle, un nouveau débat mondial s’est ouvert entre d’une part le « Déclin de l’Ouest » d’Oswald Spengler et, d’autre part, la « Civilisation » d’Arnold Toynbee. Le livre de Spengler était rempli de déclarations audacieuses qui prétendaient prédire l’histoire à venir. Ce que Spengler disait : « Le déclin de l’Ouest classique est inévitable comme l’histoire elle-même ; les symboles de la culture naturelle dégénéreront en une décadence matérielle semblable à celle du cycle de vieillissement humain ». Mais lorsque Toynbee écrivit : « Une étude de l’histoire » dans les années 1930, il remplaça l’attitude d’avertissement de Spengler faite de clairvoyance et de déterminisme par l’idée d’agencement [réponses aux défis]. Fondamentalement, Toynbee propose deux options engageant soit une adaptation, soit un fondamentalisme inflexible.

Ce fut peut-être le premier débat passionné faisant allusion à la compétition imminente entre la géopolitique et la mondialisation. Ce que Toynbee disait, c’était : « Une nouvelle civilisation occidentale hégémonique a tenu entre ses mains le destin de toute l'humanité ». En effet, la prétention de Toynbee se révèle en faveur de la « théorie du monde plat » de Thomas L. Friedman, qui affirme que la mondialisation avec la plus grande économie de marché est le destin du monde. Néanmoins, force est de constater que la géopolitique et la mondialisation sont dictées par deux forces éternelles : la peur et la cupidité.


C'était le célèbre scientifique allemand géopolitique Frederick Ratzel, qui a déclaré très clairement, à l'aube du XXe siècle, qu ' »il fallait que les empires se développent pour survivre ». C'est Rudolf Kjellen, l'élève de Ratzel, qui a inventé le mot "Géopolitik", qui fait référence à la géographie pure remplie de ressources naturelles massives. De même, le célèbre géographe britannique Harford Mackinder a appelé la géopolitique le cycle de la vie de l'organisme mondial. Le célèbre historien français Ferdinand Braudel a qualifié la géopolitique de "longue durée". De nos jours, la géopolitique et la mondialisation sont les phénomènes les plus révolutionnaires de la politique mondiale. Leurs principales préoccupations sont les ressources, le pouvoir, la stabilité et les conflits.

Fondamentalement, la géopolitique visait principalement à capturer des positions géographiques stratégiques, des ressources et des économies, alors que la mondialisation tentait initialement de définir le monde en tant qu’organisme unique enchevêtré dans la toile d’araignée des connexions s’étendant de l’économie aux ressources. C’est ce qui ressemble aujourd’hui à la géopolitique du XXe siècle avec des impacts variés sur la géographie et l’idéologie.

 

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En conséquence, dans les années 1990, un nouveau grand débat s’est ouvert entre les visions contrastées de "La fin de l’histoire" de Francis Fukuyama et le "Clash de civilisation" de Samuel P. Huntington - les visions contradictoires de l’utopisme et du fatalisme. Au fond, Francis Fukuyama a présenté sa thèse de "Fin de l’histoire" marquant la fin des guerres idéologiques et a donné la vision du nouveau millénaire en tant que mondialisation de l’ordre libéral. Sa théorie divise le monde en trois zones, soit le Premier Monde (mondialisé), le Deuxième Monde (partiellement mondialisé) et le Tiers Monde (non mondialisé). Ce que Fukuyama a affirmé, c’est que les idéaux chéris du Premier Monde domineront les sphères sociopolitiques du Deuxième et du Tiers Monde au travers d’une universalisation orientée libérale.

Pour Huntington, avec le début du nouveau millénaire, le monde évoluera vers un paradoxe des civilisations : une nouvelle rivalité entre les civilisations commencera entre l’Est et l’Ouest, englobant les idéaux mêmes de l'identité, des traditions et de la religion. Dans le poème de Shelley "Ozymandias", la mort est le destin de toute chose - les civilisations s’affrontent souvent et finissent toutes par mourir. Selon Huntington, la civilisation occidentale est moderne et scientifique, tandis que la civilisation orientale est encore entravée par la pauvreté et le mysticisme. De ce fait, l'expansionnisme plus large des valeurs universelles occidentales éclairées pourrait entrer en conflit avec les habitudes traditionnelles et arriérées de l'Est. Mais, pour Fukuyama, rien ne peut arrêter l'expansionnisme d'un ordre libéral fondé sur un marché libre à l’échelle du monde. Pour être plus précis, Fukuyama a ouvertement déclaré le triomphe de l'ordre démocratique libéral comme le destin du nouveau millénaire. Il avança que « ce dont nous sommes peut-être témoins n’est pas la fin de la guerre froide, mais la fin de l’histoire en tant que telle ; c’est-à-dire le point final de l’évolution idéologique de l’homme et de l’universalisation de la démocratie libérale occidentale ».


En revanche, si l’on prend en compte l’imaginaire géopolitique des Lumières occidentales, c’est principalement l’aspect impérial qui a pesé sur la concurrence physique et biologique pour obtenir des gains relatifs. De même, le contexte géopolitique au sens de Montesquieu et de Voltaire en référence à Alexandre le Grand se limitait principalement à l'échange de lieux et à la redistribution des ressources. Mais à l'ère de la mondialisation, la géopolitique est devenue brutale et avide de contrôler la géographie et les ressources du monde. Par conséquent, nous ne vivons pas à l’ère de la mondialisation, mais plutôt à l’ère vicieuse de la géopolitique de la mondialisation, où le monde oscille entre géopolitique et mondialisation.

mardi, 22 novembre 2016

Entretien de Youssef Hindi à "Algerie patriotique"

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Entretien de Youssef Hindi à "Algerie patriotique": «Les réformistes veulent apporter leur poison comme remède au wahhabisme»

Ex: http://www.algeriepatriotique.com

L’historien, écrivain et chercheur indépendant Youssef Hindi prône le retour à «une étude saine des textes de l’islam, par-delà le réformisme et le wahhabisme» et à «utiliser le corpus islamique pour comprendre le sens de l’Histoire et faire une critique de la modernité». Pour lui, il ne faut pas «soumettre l’islam au monde moderne», mais «proposer une alternative au projet globaliste, totalitaire et destructeur». Interview.

Algeriepatriotique : Dans votre livre Occident et islam : sources et genèse messianiques du sionisme ; De l'Europe médiévale au choc des civilisations, vous parlez des racines du messianisme kabbalistique et de son influence sur les trois religions monothéistes, à partir du XIIIe siècle. Quel rôle le wahhabisme et les Frères musulmans ont-ils joué dans la subversion de la religion musulmane par la tradition kabbalistique ?

Youssef Hindi : Il est impossible de comprendre le rôle historique du wahhabisme et des Frères musulmans sans retracer la genèse du réformisme islamique (dont est issu le frérisme) et son lien historique et idéologique avec un des mouvements kabbalistiques qu’est le sabbato-frankisme. Les deux piliers fondateurs de la kabbale – depuis sa formation au Ier siècle – sont, d’une part, l’étude de la fin des temps (l’apocalyptique) et, d’autre part, l’ésotérisme et le mysticisme qui englobent une réflexion sur le monde d’ici-bas et de l’au-delà, à quoi il faut ajouter la notion purement kabbalistique d’évolution vers la révélation de la connaissance cachée, induisant l’idée que la kabbale progresse et avec elle l’histoire. Un progrès historique par paliers successifs menant droit vers les temps messianiques, vers la fin des temps et l’apogée du peuple élu.

Dans le second chapitre de mon ouvrage, je retrace l'histoire du wahhabisme, du réformisme islamique et du réformisme chrétien, en mettant en évidence leurs racines communes : le messianisme antinomique sabbato-frankiste.

jacob-frank-hp.jpgIssu d'un double mouvement, né aux XVIIe et XVIIIe siècles avec les faux messies Sabbataï Tsevi et Jacob Frank (l’un faussement converti à l’islam et l’autre au catholicisme), ce messianisme apocalyptique s'opposant à Dieu et à la loi naturelle, par les conversions massives des sabbatéens à l'islam et des frankistes au catholicisme, va promouvoir l'athéisme au cœur de ces deux mondes, via notamment des loges maçonniques.

Jacob Frank

Les principes premiers d’un mouvement historique déterminant ses finalités, les fondements de la kabbale ont conditionné la forme de messianisme dont il est issu, et par la suite, donné au sabbato-frankisme le caractère qui est le sien. Le sabbato-frankisme fut l’inéluctable conséquence de l’évolution de la kabbale, le fruit de l’histoire de la mystique juive aux plans idéologique, intellectuel, politique et moral.

Sabbatai_tsevi.jpgDans la même perspective, le programme apocalyptique du choc des civilisations est partie intégrante du dessein messianique juif. Le projet de destruction du christianisme et de l’islam que l’on trouve au XIIIe siècle, dans le Zohar, a dirigé quelques siècles plus tard et à la suite de tentatives qui en posèrent les fondations, le sabbato-frankisme vers cet objectif.

Le réformisme islamique eut comme point d’ancrage les régions sabbataïstes, et son expansion s’est faite via les loges maçonniques infiltrées par les sabbataïstes. Les loges se sont propagées, à partir du XVIIIe siècle, en Turquie, en Iran, en Asie centrale, mais aussi en Egypte et en Syrie.

Sabbataï Tsevi

De son côté, le père du wahhabisme, Muhammad Ibn Abd Al-Wahhab (tout comme les réformistes allant de Afghani à Hassan Al-Banna, en passant par Abduh et Rachid Ridha) prétendait revenir à l’islam en massacrant les musulmans, avec l’aide des Saoud, pour imposer son idéologie.

Lorsque l’on fait le parallèle entre Cromwell qui, au XVIIe siècle, l’Ancien Testament à la main, massacra en masse les catholiques irlandais et écossais, en détruisant les églises, massacrant prélats, hommes, femmes et enfants, pour imposer une nouvelle religion, et Mohamed Ibn Abd Al-Wahhab un siècle plus tard, l’on y voit bien plus que quelques similitudes. C’est exactement le même schéma. Abd al-Wahhab prétendait revenir à l’islam des origines, comme les protestants qui se présentaient comme des fondamentalistes, véritables tenants du christianisme, en renouant avec l’Ancien Testament. Dans les faits, Abd Al-Wahhab et ses sectateurs d’hier et d’aujourd’hui font montre d’une haine dévastatrice de l’islam, du Prophète et de ses compagnons, dont ils se sont acharnés à détruire systématiquement les tombeaux et l’héritage tant religieux que culturel.

Le réformisme islamique forme avec le wahhabisme deux faces d’un même projet, se complétant l’un et l’autre sous une apparente opposition, soit une hérésie à deux visages suivant ce que j’appelle une dialectique infernale.

Depuis l’apparition d’Abd Al-Wahhab, Malkun Khan (le premier grand réformiste), Afghani et Abduh, ainsi que leurs disciples, cela jusqu’à nos jours, le wahhabisme et son versant libéral réformiste, dont l’ultime avatar sont les Frères musulmans, ont agi comme des agents corrosifs et des facteurs de décomposition matérielle et spirituelle de l’islam ; et nous sommes à présent témoins de la dernière étape de ce processus historique de subversion.

Les wahhabites et les Frères musulmans jouent un rôle essentiel dans ce grand échiquier géopolitique dans lequel s’applique la stratégie du choc des civilisations : les troupes wahhabites fanatisées détruisent les villes et les Etats musulmans, guidées par des prédicateurs et de pseudos savants wahhabites et Frères musulmans ; tandis que les Frères musulmans pilotés, financés par les occidentalistes tant arabes qu’européens et américains sont portés au pouvoir comme en Egypte et en Tunisie.

YH-arton41737.jpgDans vos deux livres Occident et islam et Les mythes fondateurs du choc des civilisations, vous décrivez le choc des civilisations comme étant une doctrine programmée. Qui est à l’origine de cette stratégie qui vise à faire s’affronter les civilisations ?

Mes recherches montrent que cette stratégie a été élaborée par un kabbaliste du nom de Solomon Molcho – suivant les interprétations rabbiniques et eschatologiques de la Bible – qui, au XVIe siècle, a tenté de lancer l'Eglise puis le Saint-Empire romain germanique dans une guerre contre l'Empire ottoman, afin d'expulser ce dernier de Palestine et y reconstruire le royaume d'Israël. C’est précisément ce que les Britanniques ont fait au sortir de la Première Guerre mondiale, par le démantèlement de l’Empire ottoman et la création du Foyer juif en Palestine (1919-1920) à la suite de la promesse faite par les Anglais aux sionistes dans la Déclaration Balfour (1917).

Le projet de Molcho a mis quatre siècles à s’accomplir, mais il s’est finalement réalisé ; ceci est une des preuves que j’apporte en guise de démonstration de la permanence du projet messianique et du lien intrinsèque existant entre le sionisme et la stratégie du choc des civilisations, la seconde étant la condition préalable à la réalisation du premier.

En 1957, Bernard Lewis, le maître de Samuel Huntington, «laïcisera» cette stratégie messianique en lui donnant un habillage scientifique pour l'ériger ainsi en théorie. Lewis, en digne héritier de Molcho, dans l’optique de fomenter des guerres entre le monde (post)chrétien et le monde musulman, décrète alors que ces deux grandes religions seraient ontologiquement vouées à s’affronter. C’est ce même Bernard Lewis, de confession juive et détenteur des nationalités israélienne, britannique et étasunienne, qui œuvra dans le début des années 2000 pour convaincre Dick Cheney, alors vice-président des Etats-Unis, d’envoyer l’Amérique en guerre contre l’Irak.

Ce choc des civilisations fabriqué de toutes pièces n'est au fond que le faux nez de ce que j'appelle «un choc idéologique mondial» opposant le monde vétérotestamentaire – recouvrant le bloc anglo-thalassocratique, ses vassaux anciennement catholiques du vieux Continent, les pétromonarchies wahhabites et Israël – au reste de l'humanité.

L’idéologie wahhabite, Daech et la propagande occidentale ont largement contribué à déformer la perception qu’ont les non-musulmans de l’islam. Sur quels mythes déformants repose cette fausse perception ?

Les mythes fabriqués au cours des siècles autour de l’islam sont très nombreux, mais dans mon second ouvrage Les mythes fondateurs du choc des civilisations, je déconstruis les principaux sur lesquels s’appuie la stratégie du choc des civilisations. J’ai choisi cinq mythes – qui me semblent être les plus importants – que j’ai traités dans cinq chapitres à thèmes.

Ces mythes et accusations ont notamment trait au rapport existant entre l’islam, la violence et la guerre. Mon étude part à ce propos d’une contextualisation historique de la naissance et de l’expansion de l’islam, combinée à une minutieuse étude exégétique ; s’ensuit un focus sur les rapports, souvent méconnus ou oubliés, de la chrétienté et du monde musulman, ainsi que sur la place de la femme dans la religion musulmane.

Mon ouvrage s’achève sur une réflexion fondamentale, à savoir : quelle est la place véritable de Dieu et de la religion dans les sociétés humaines, ceci en relation directe avec la notion de souveraineté. Car il nous est asséné que le problème fondamental du monde musulman et son retard seraient dû au fait qu’il n’aurait pas procédé à un aggiornamento, une séparation complète du religieux et du politique.

Vous affirmez que si l’islam est rejeté en Occident, la faute en incombe aux Occidentaux qui n’ont pas compris cette religion. Peut-on leur en vouloir du moment que le discours alternatif à l'idéologie wahhabite extrémiste et violente est totalement inaudible ?

Je n’ai pas affirmé cela. J’explique que le rejet de l’islam est en grande partie dû à sa diabolisation par les grands médias occidentaux, les idéologues et intellectuels ainsi que les politiciens. Cette diabolisation se fait par la diffusion de vieux mythes forgés dans des contextes historiques, politiques et géopolitiques à partir du Moyen-Age, combinée à la propagation de l’idéologie wahhabite dans le monde – via plusieurs canaux et financée par les pétrodollars : médias, institutions, chaires universitaires, mosquées… –, qui a débuté après la Seconde Guerre mondiale et le Pacte de Quincy (février 1945) passé entre le président des Etats-Unis, Roosevelt, et le roi d’Arabie Saoudite, Abdelaziz Ibn Saoud, avec l’aide et la bénédiction du monde occidental, les Etats-Unis en tête. Sans les pétrodollars et le soutien anglo-américain apporté à l’Arabie Saoudite, le wahhabisme (et ses avatars terroristes) ne serait pas devenu l’orthodoxie musulmane aux yeux des Occidentaux et d’un certain nombre de musulmans.

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La propagande médiatique wahhabite et occidentale rend totalement inaudible le discours des savants traditionnalistes et des intellectuels qui ont étudié l’histoire et le rôle du wahhabisme.

Des penseurs s'accordent à dire qu'il faut aller vers une refondation de la pensée théologique de l'islam afin de dégeler toutes les glaciations théologiques. Quel est votre avis sur cette question ?

Ces penseurs musulmans, dont le discours est accompagné par les idéologues qui veulent finir d’abattre l’islam, sont les héritiers des réformistes francs-maçons (Malkun Khan, Afghani, Abduh et leurs élèves) qui ont commencé ce travail de dilution de l’islam dans la modernité.

Les réformistes se bousculent aujourd’hui, dans la logique de ce mouvement dialectique entre wahhabisme et réformisme dont j’ai parlé, prenant pour prétexte les atrocités de Daech et des autres groupes terroristes, pour apporter leur poison sous forme de remède à une maladie qu’ils ne nomment jamais : le wahhabisme.

Mon avis est qu’il faut revenir à une étude saine des textes de l’islam, par-delà le réformisme et le wahhabisme, et utiliser le corpus islamique pour comprendre le sens de l’Histoire et faire une critique de la modernité ; non pas pour soumettre l’islam au monde moderne, mais pour proposer une alternative aux idéologies modernes et au projet globaliste, totalitaire et destructeur, sous couvert de progressisme, qu’elles ont générés.

Selon vous, Eric Zemmour, Bernard-Henri Levy et Alain Finkielkraut obéissent à un même mouvement qui existe dans la tradition juive, à savoir le mouvement assimilationniste ou «Haskalah». Qu’est-ce que ce mouvement ? Quels sont ses objectifs ?

moses-mendelssohn-german-philosopher-photo-researchers.jpgDans une conférence récente, j’ai expliqué qu’Eric Zemmour s’inscrit dans ce mouvement (on peut y inscrire aussi Finkielkraut dans une certaine mesure), mais pas Bernard-Henri Levy. La Haskalah est un mouvement initié en 1780 par le philosophe juif allemand Moses Mendelssohn (1729-1786). Il propose aux juifs d’Europe de s’assimiler en apparence aux cultures européennes, mais tout en préservant leur identité. La Haskalah appartient au mouvement frankiste qui prône une assimilation par la conversion au catholicisme et/ou par la dissimulation de l’appartenance au judaïsme, pour détruire le monde chrétien de l’intérieur.

Moses Mendelssohn

Dans mon premier livre, je cite l’historien Gershom Scholem, qui est le plus grand spécialiste de la kabbale et de son histoire, et qui écrit à propos de la doctrine de Jacob Frank et de ses finalités (et dont est issu le mouvement de la Haskalah) : «La conception de Jacob Frank revêtit un aspect résolument nihiliste. Sous le sceau du silence, le vrai croyant (c’est-à-dire le partisan de Frank), qui possède Dieu dans le secret de son cœur, peut traverser toutes les religions, les rites et les ordres établis sans donner son adhésion à aucun, au contraire, en les anéantissant de l’intérieur et en instaurant ainsi la véritable liberté. La religion constituée n’est qu’un manteau qui doit être endossé puis rejeté sur le chemin de la "connaissance sacrée", la gnose du point où toutes les valeurs traditionnelles sont anéanties dans le courant de "vie". Il propagea ce culte nihiliste sous l’appellation de "voie vers Esaü" ou "Edom" (le monde chrétien occidental), incitant à l’assimilation sans vraiment y croire, espérant la miraculeuse renaissance d’un judaïsme messianique et nihiliste surgissant dans les douleurs de l’enfantement d’un bouleversement universel. Ces conceptions ouvraient la voie à la fusion entre la dernière phase du messianisme et de la mystique sabbataïste, d’une part, et, de l’autre, le rationalisme contemporain et les tendances laïques et anticléricales. La franc-maçonnerie, le libéralisme, voire le jacobinisme peuvent être considérés comme d’autres façons de tendre au même but.»

La destruction du christianisme à laquelle se sont attelés les frankistes, d’une part, et celle de l’islam par les sabbataïstes, d’autre part, se sont faites en parallèle via des voies quasi-similaires : en accédant et en s’intégrant aux élites et aux classes dominantes, notamment via des loges maçonniques – le concept kabbalistique de la rédemption par le mal, celui de la Table rase en quelque sorte, détruire pour reconstruire, pénétra les mondes chrétien et musulman en passant par des loges maçonniques kabbalistiques.

C’est en comprenant l’origine de ce mouvement et ses finalités, qui se résument à la destruction totale de l’Occident (spirituellement et physiquement), que l’on peut comprendre le discours d’un Zemmour qui se présente comme un patriote assimilé, plus français que les Français, et qui attise paradoxalement depuis des années les flammes de la guerre civile en France, tout comme BHL travaille lui, comme son coreligionnaire Bernard Lewis, à la destruction du monde musulman.

Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi

vendredi, 25 mars 2016

Choc des civilisations : théorie ou stratégie?

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Choc des civilisations : théorie ou stratégie?

Conférence de Youssef Hindi et Jean-Michel Vernochet à Nancy

L’équipe d’E&R Lorraine recevra Youssef Hindi et Jean-Michel Vernochet à Nancy le samedi 26 mars 2016 à 15h pour une conférence sur le thème du « Choc des civilisations ».

En préambule de la conférence, les participants pourront assister à la projection du documentaire Chrétiens d’Orient, de Sylvain Durain.

Réservations : ERLorraine54@gmail.com

Entrée : 5 euros.

 

jeudi, 19 novembre 2015

Botsing der beschavingen, of doorgeslagen macho-universum?

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Door: Johan Sanctorum

Ex: http://www.doorbraak.be

Botsing der beschavingen, of doorgeslagen macho-universum?

Parijs, 13 november: mannen spelen hier de hoofdrol, aan beide kanten. - Proberen te denken voorbij de grenzen van het grote gelijk.

Parijs, lichtstad, bakermat van de Verlichtingsfilosofie en historisch centrum van de moderniteit: zin voor symboliek kan de terroristen van 13/11 niet ontzegd worden. Afgezien van de Franse betrokkenheid in Syrië en het feit dat hier een internationale voetbalmatch aan de gang was, staat Parijs voor alles waar het anti-Westerse ressentiment van walgt: vrijheid, openheid, leut, het ‘waw!’-gevoel, triomf van de verbeelding en de intellectuele durf. Door en door goddeloos-verdorven dus, het hedendaagse Gomorrha, samen met New-York, het decor van die andere legendarische slachtpartij op 11/9/2001.

Mondiale beweging tegen de moderniteit

Want laten we wel wezen: ‘ze’ haten ons, en ‘ze’, dat is ondertussen zowat heel het Zuidelijk halfrond. Waarom ze ons haten,- en ik volg hier de stelling van de Nederlandse antiterreurexpert Peter Knoope, is complex, maar het heeft te maken met ons tomeloze geloof in onze eigen culturele superioriteit, het Verlichtingsidealisme, het vooruitgangsdenken, en de ijdelheid waarmee we waarden als democratie, vrijemeningsuiting, rechtstaat en tutti quanti wereldwijd willen exporteren. Manu militari als het moet, zie de Golfoorlogen en al de rest.

Dat op zich is uiteraard dan weer verbonden met het aloude kolonialisme, de missionarishouding, en nadien de postkoloniale steun aan Westers-gezinde (en veelal tot in het merg corrupte) regimes genre Mobutu-Kabila. De overgang van oude tribale structuren naar staatsnationalisme is desastreus geweest voor heel het Afrikaans continent, en is tot op vandaag de oorzaak van spanningen en instabiliteit. We willen democratieën vestigen waar dictators regeren, mensenrechten afdwingen waar ze mankeren, maar we vergeten dat parlementaire democratie en mensenrechten Europese uitvindingen zijn, die meer bepaald rond 1800 het licht zagen in Parijs, of all places.

Men wil ginder gewoon niets meer weten van de principes die we zelf als universeel verklaarden. Het gaat dus om een planetaire cultuurstrijd, waarbij het terrorisme strategisch het meest aangewezen is voor een beweging die de Europese waarden van vrijheid en tolerantie in de kern wil treffen. Dat vaststellen is iets ingewikkelder dan roepen ‘Weg met de islam!’, maar met achterlijke strijdkreten komen we geen stap vooruit.

In die optiek is de islam maar een vehikel van het anti-modernistische en anti-Westerse ressentiment, dat in het Zuiden opgang maakt. Mag ik er overigens op wijzen dat wij die argwaan tegen de vooruitgang en heimwee naar de traditie ook kennen binnen onze cultuur: als ik sommige rechts-conservatieve denkers bezig hoor, lijken ze wel imams in maatpak.  In de limiet zou een consequente Vlaams-Belanger of een rechtsdraaiende NVA-er best kunnen leven met een soort sharia, zijnde een rigide rechtspraak gefundeerd op een traditionele maatschappijvisie waarin waarden als democratie, non-discriminatie van vrouwen en homo’s, scheiding van kerk en staat, en vrijemeningsuiting niét centraal staan. Vervang gewoon Allah door God en Mohammed door Jezus, en men komt al een heel eind in een synopsis tussen Islamfundamentalisme en Christelijk conservatisme.

Het is trouwens nog maar vrij recent dat extreem-rechts in Vlaanderen de Verlichting, de democratie, mensenrechten en de non-discriminatie inroept als argument tegen de Islam. Voorheen (ik spreek over het pre-9/11 tijdperk) waren ze tegen die ‘decadente’ Verlichtingsmoraal, hoorden vrouwen hun plaats te kennen en moesten homo’s zich niet teveel aanstellen.

Een voorliefde voor het katholiek onderwijs, tegen de seculariteit, tegen de culturele ontaarding, zelfs tegen de openbare omroep, ‘geïnfiltreerd door links-progressieve betweters’, hoorde daarbij. Denken we ook aan de standpunten tegen abortus, en zelfs het aanhangen van het creationisme bij bepaalde conservatief-Christelijke groepen.  En last but not least: Edmund Burke, de filosofische peetvader van N-VA-voorzitter Bart de Wever, was een fervente anti-Verlichtingsdenker en beschouwde de parlementaire deomocratie zowat als een duivelse uitvinding. Bien etonnés de se trouver ensemble…

Patriarchale jagerscultuur

Allemaal goed en wel, maar hoe moet het nu verder? Gaan we naar een grootscheepse escalatie, die onvermijdelijk zal kantelen in een mondiale Noord-Zuid-confrontatie? En zal de klimaatverandering, die Europa (o ironie, bakermat van de industriële revolutie die de CO2-uitstoot in gang zette) relatief ontziet en vooral Afrika zal teisteren, geen enorme volksverhuizing naar het Noordelijk halfrond op gang brengen die finaal zal overgaan in een gewelddadige overrompeling?

Hier moeten we, denk ik, nog iets meer achteruit gaan staan en het antropologische spiegeltje-aan-de-wand aanspreken: welke toekomst is er voor de mensheid nog weggelegd op deze aardkluit?

Herbekijk eens de TV-beelden van gisteren, vrijdag in Parijs: de terroristen, de politie, het leger, president Hollande, zelfs de voetballers en de supporters,- men zag vrijwel alleen maar mannen. Penissen, knuppels en schiettuigen, enkel de slachtoffers waren (ook) vrouwelijk. Dat is misschien geen toeval.

Het is voor elke antropoloog evident dat de traditionele mannelijke waarden, waar de anti-Westerse zeloten tussen Kaboel en Damascus zo aan hechten, eigenlijk de voortzetting vormen van een patriarchale jagerscultuur, gericht op het (gewelddadig) verspreiden van genen via oorlog, stammentwisten, roof. Dat is niet anders bij de stadsbendes in onze grootsteden en heel de allochtone subcultuur. Vrouwen zijn hier per definitie ‘object’, buit, trofee, zelfs betaalmiddel.

choc des civilisations, islam, occident, ocidentalisme, djihad, virilité, actualité, réflexions personnelles, De islam is daar een extreme exponent van, zie Boko Haram, maar ook het ‘blanke’, Europese vooruitgangsdenken van de pionier-ontdekkingsreiziger is mannelijk-imperialistisch. Neen, we huwen geen kindbruidjes (meer) uit, maar de onderliggende macho-cultuur is ook de onze. Poetin, Assad, maar ook Juncker of Verhofstadt of Michel, kampioenen van de democratie, zijn in hetzelfde bedje ziek: voluntaristische ego’s die’ willen ‘scoren’ en van erectie tot erectie evolueren. Altijd is er een doel, een schietschijf, een trofee.

Het is dus niet omdat wij vrouwenrechten en homorechten kennen, dat onze patriarchale cultuurwortels zijn verdwenen. Heel onze maatschappij, het wetenschappelijke denken, de politieke ratio, is doordrenkt van mannelijke beheersings- en controlelogica die altijd met geweld gepaard gaat. Hetzij structureel geweld, hetzij echt wapengekletter. Daarin verschillen we in niets van de IS-ideologie, we doen het alleen wat subtieler. Agenten schieten met rubberkogels op onhandelbare 14-jarige meisjes en voor de rest moet iedereen zich schikken naar de onleesbare 20.000 pagina’s van het Wetboek waar alleen nog de grootste juridische haarklievers hun weg in vinden.

Dus ja, onder het fatale Noord-Zuid-treffen dat zich vandaag ontrolt, flakkert een miniem vlammetje hoop van een zich herstellend matriarchaat, vrouwen die wereldwijd in opstand komen tegen de terreur van het patriarchale denken. Van links of rechts, Noord of Zuid, Oost of West. Fuck the fucking macho’s.

Sowieso heb ik moslima’s altijd al veel slimmer gevonden dan moslims, en wie weet ontstaat er, over alle religieus en ideologisch gekrakeel heen, een feministisch front waar geen enkele kalashnikov nog doorheen kan. Lysistrata, het fameuze toneelstuk van de Griekse kluchtschrijver Aristophanes, schemert hier uiteraard door: vrouwen van beide oorlogskampen organiseren gemeenschappelijk een seksstaking en krijgen de dappere ijzervreters op de knieën.

Dat is maar een metafoor voor een meer omvattende culturele revolutie die een nieuw mensbeeld oplevert, een nieuwe wereldorde, een andere verhouding met de natuur, en het besef dat we niet persé vooruit moeten hollen noch achteruit keren, maar gewoon in het hier en nu moeten leven. En met het inzicht dat alles terugkeert zoals de seizoenen en de maandstonden. Vrouwelijk-cyclische tijdrekening, niet gericht op het hiernamaals.

Een oorlog dus, jawel, maar niet helemaal zoals IS en het Westen het zich voorstellen. En wat is een martelaar-terrorist zonder zijn 77 maagden in het paradijs? Inderdaad…

Johan Sanctorum is filosoof, publicist, blogger en Doorbraak-columnist.

mardi, 02 juin 2015

T&P-magazine 63: choc des civilisations

Communiqué de "Terre & Peuple"-Wallonie:

Le numéro 63 de TERRE & PEUPLE Magazine 

'Le choc des civilisations'

terre_et_peuple_magazine_63.jpgPierre Vial, dans son éditorial, souligne la gigantesque manipulation de la masse des Français, suite aux massacres de Charlie Hebdo et du Super Kascher.  Ces drames ont été instrumentalisés comme de providentiels dérivatifs de leur attention, détournée ainsi des hontes et turpitudes, des vicissitudes et inaptitudes des imposteurs au gouvernement.  Mais ce soufflé est vite retombé : chômage, insécurité, ce sont à présent des élus socialistes qui osent avouer ne plus croire au 'vivre ensemble'.  Dont Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères de Mitterand, dans son livre 'Politiquement incorrect'.

Attilio Vanini brûle un cierge au Maréchal Rodolfo Graziani, à la mémoire de qui sa ville natale d'Affile vient d'édifier un monument.  C'est assez pour que le New York Times s'en indigne et que le Daily Telegraph lance une p^étition pour la destruction de cette incorrection !

Pierre Gillieth tresse une couronne d'immortelles à l'acteur incomparable qu'a été Robert Le Vigan (Goupi Tonkin, dans 'Goupi Mains-Rouges' de Jacques Becker), sacrifié expiatoire à la correctitude.

En introduction au dossier central, Jean-Patrick Arteault s'est laissé interviewer sur la barnumesque manipulation de masses de 'Je suis Charlie' à laquelle ont donné lieu les attentats de Paris.  S'agit-il d'une puissante réaction collective d'occidentaux à l'action violente de la civilisation islamique contre des marqueurs symboliques de leurs, valeurs, conflagration qu'a prophétisée Samuel Huntington, une phase de son fameux 'Choc des civilisations' ?   Le détonateur de la crise française est le salafisme, frange minoritaire mais non marginale de l'islam qui représente entre 15 et 25% des musulmans mondiaux.  Mais la confrontation ne pose de problème que parce qu'il y a l'immigration et parce que le laïcisme joue les musulmans comme un antidote aux catholiques, eux-mêmes empressés de battre leur coulpe.  Alors que les Bobos, qui avaient décidé que l'islam est occidentalo-compatible, sont embarrassés d'avoir à se déjuger à l'endroit des islamistes radicaux, découvrent que les bons musulmans méprisent les valeurs occidentales, homosexualité, pornographie, féminisme, démocratie messianique, révérence pour le sionisme, etc.  Par ailleurs, l'Oumma (communauté des croyants) comprend des civilisation diverses arabo-, irano-, turco-, négro-, indo-musulmane.  Par ailleurs, on peut définir notre occident comme une structure, ce que suppose sa durée.  Une structure de domination de l'ensemble de la planète, une structure en réseau polysynodique, où chaque élément est à la fois autonome et complémentaire.  Une domination qui s'exerce notamment sur quatre champs : celui des idées et du conditionnement des masses, celui de la pyramide sociale avec à son sommet une oligarchie richissime et prédatrice que l'argent unit et divise à la fois, celui de la mondialisation de la finance qui poursuit la privatisation des profits et la socialisation des pertes et, enfin, celui de l'énergie.  Sans oublier la puissance militaire des Etats-Unis et leur cynique détermination, autant collatérale que chirurgicale.

Alain Cagnat note que, pour la masse des bobos séduits par le mirage du 'vivre ensemble', Samuel Huntington s'est à l'évidence fourvoyé avec son 'Choc des civilisations'.  L'ouvrage avait, en 1996, fait l'effet d'une bombe dans l'euphorie de la fin de la guerre froide et du triomphe du capitalisme libéral, à qui s'ouvrait la perspective de 'La fin de l'histoire' (Fukushima).  Les rangs des défenseurs de la liberté risquaient de se disloquer.  Par bonheur, l'Axe du mal n'a pas tardé à révéler sa monstrueuse réalité lorsque l'abominable s'en est pris au pauvre petit Koweit et à ses maternités.  L'ONU a alors rétabli l'OTAN dans son rôle d'archange justicier, en Irak d'abord et bientôt en Afghanistan, libéré des soviétiques pour tomber aux mains des fanatiques talibans.  Tout cela semblait donner raison à Huntington, notamment l'attentat du 11 septembre 2001 !  Mais plus profondes que les affrontements locaux entre peuples et états-nations, il y a les collisions entre blocs civilisationnels, ensembles plus vastes et durables.  Huntington en identifie neuf : l'occident chrétien, l'orthodoxie slave, l'islam, l'Inde hindouiste, la Chine, le Japon, l'Amérique latine et l'Afrique.  Aymeric Chauprade en dénombre quinze, dont la civilisation européenne et le Foyer judaïque et quatre civilisations islamiques (arabique, turque, iranienne et indonésienne).  La civilisation, par opposition à la barbarie, serait la marque du 'Monde libre', euphémisme qui recouvre la prétention d'hégémonie américaine.  Arrogante, la civilisation anglo-saxonne est décadente.  Ses moeurs dépravées, sa sous-culture de masse, son consumérisme, sa dévirilisation, sa démographie vieillissante éveillent le mépris.  Du déclin naît le risque d'invasion.  Huntington relève deux puissances renaissantes susceptibles d'en profiter : la civilisation orthodoxe eurasiatique et l'islam.  Américano-centré, il ne considère de civilisation occidentale qu'à partir de la chrétienté des carolingiens !  Et les slaves orthodoxes étant les rivaux des Américains, ne peuvent pas faire partie de la même civilisation !  Il accommode les réalités en fonction du projet américain.  Il n'aperçoit pas l'immigration qui gangrène les peuples européens : ce qui n'est que  normal pour un immigré.

Sous l'intitulé 'Faux drapeau', Robert Dragan traite de l'enquête fouillée menée par l'historien Laurent Guyenot sur les attentats du 11 septembre 2001 et sur l'assassinat de Kennedy en 1963.  Celui-ci invite à envisager que l'affrontement Occident-Islam soit, plus probablement qu'une réalité géopolitique, le fait de manoeuvres d'un parti sans scrupules, maître dans l'art du maquillage et de la manipulation.  Guyenot considère que 1963 marque une rupture et la naissance d'un 'Etat profond' américain, mêlant affairistes, militaires bellicistes, politiciens corrompus et CIA, milieu tout-puissant capable à l'époque de canaliser la commission d'enquête.  Robert Dragan juge ce point de départ discutable et s'étonne que n'ait pas été préféré la fondation de la Réserve fédérale (que Kennedy s'apprêtait à museler).  Mais pour arranger une affaire comme le 11 septembre, il paraît hautement improbable qu'une simple coïncidence d'intérêts ait pu y parvenir.  Les invraisemblances des explications officielles sont criantes.  Ne serait-ce que le fameux 'nez de Pinocchio' (l'image diffusée d'un avion qui pénètre comme dans une motte de beurre dans la structure en acier de la tour et en ressort de l'autre côté!).  Elle suppose des complicités au plus haut niveau audiovisuel, mais induit l'absence d'avions  mais la nécessaire présence d'explosifs.  Guyenot suggère le recours à une arme nucléaire miniaturisée, ce qui aurait résolu le problème gigantesque de la mise en place de tonnes d'explosifs classiques nécessaires.  Ce qui explique la présence dans les décombres, trois semaines après l'écroulement, de masses de métal en fusion et les cancers fulgurants développés par les sauveteurs.  Quand il s'agit d'identifier les commanditaires, l'auteur explore deux pistes, pour en écarter une.  Il rappelle l'histoire américaine des agressions simulées (l'explosion de l'USS Maine pour arraisonner Cuba en 1898, le torpillage du Lusitania pour entrer en guerre en 1917, Pearl Harbour en 1941, etc).  Mais le risque sanitaire majeur au coeur symbolique des Etats-Unis l'incite à douter que l'Etat profond américain en soit l'auteur.  Le crime n'a pas profité aux pétroliers et équipementiers américains aussi pharamineusement qu'on s'est plus à la répéter.  Pour faire porter la suspicion sur une méchante bourgeoisie blanche? Ou sur un complot du Pentagone ? Et écarter ainsi l'idée d'une origine étrangère ?  La thèse de Guyénot est que l'équipe Bush, surprise par une manipulation beaucoup plus ample qu'attendue, a été l'otage d'un chantage qui l'a contrainte à envahir l'Irak (aventure que Bush père avait toujours refusée) .  Ses soupçons se portent sur Israël !  Les indices ne sont pas peu nombreux.

Pour Llorenc Perrié Albanell, le choc des civilistations est un leurre qu'agite le capitalisme mondialiste libéral pour manipuler les masses.  Après le communisme, l'islamisme, un autre impérialisme, vert comme le billet du même nom.

Robert Dragan croque avec appétit le tube de Zemmour.  'Le suicide français' est une histoire événementielle, non sans charme ni valeur, de nos quarante dernières années que l'auteur décrit en sociologue.  Il date l'origine de nos maux de Mai 68.

C'est une couronne mortuaire que tresse Jean Haudry au livre 'Mais où sont passés les Indo-Européens ?' de Jean-Paul Demoule.  Ce curieux scientifique créature de Pierre Vidal-Naquet, sans pourtant récuser la concordance des langues dites indo-européennes, y dénonce à la vindicte populaire, et surtout aux idéologues de son clan, non seulement les 'mal-pensants', mais les simples déviants.  Il y révèle notamment qu'Antoine Meillet, pourtant « républicain progressiste », définit l'indo-européen reconstruit comme « une langue de chefs et d'organisateurs imposée par le prestige d'une aristocratie ».  Et que chez Emile Benveniste, pourtant juif, on peut relever une « proximité idéologique avec les représentations aryennes de l'Allemagne nazie ».  C'est toutefois cette même grossière persécution qui est parvenue à faire retirer de la vente par les Presses Universitaires de France les deux 'Que Sais-je ?' de Jean Haudry (dont elles ont cependant vendu quarante mille exemplaires!) et à faire supprimer par l'université Lyon III l'Institut d'études indo-européennes.  Jean Haudry souligne que Jean-Paul Demoule reprend ainsi l'ancienne conception de l'Eglise catholique, qui voulait croire à la filiation hébraïque des langues de la chrétienté.  Ce que reconnaît maladroitement Demoule, qui veut voir dans l'hypothèse indo-européenne « un mythe d'origine qui dispenserait les Européens d'emprunter le leur aux Juifs et à la Bible. »

Jean Haudry, encore, expose l'hypothèse paradoxale que les Indo-Européens aient, à la fin de la période commune, connu un 'choc de civilisation' interne qui aura opposé des groupes sédentaires installés et enrichis à des compagnonnages de jeunes guerriers (Männerbünde), migrants et prédateurs.  La guerre entre les Latins et les Troyens et surtout celle de la fondation de Rome entre les Sabins et les premiers Romains conduits par les jumeaux divins Romulus et Remus en sont des figurations.  Il en va de même chez les Scandinaves avec la 'première guerre du monde' entre les Vanes, riches et endogames, et les Ases qui accepteront une réconciliation mais imposeront l'exogamie.  Les Romains enlèveront enlevé les Sabines, lesquelles imposeront la réconciliation entre leurs frères et leurs époux.

François Delacroix a lu pour nous le dernier roman de Michel Houellebecq 'Soumission', qui met en scène la victoire sur Marine Le Pen, au second tour des présidentielles de 2022, de la Fraternelle Musulmane de Ben Abbès.  Et ce n'est pas la guerre civile.  A peine si les rayons kasher disparaissent discrètement dans les supermarchés.  Comme le démontre Arnold Toynbee, les civilisation ne meurent pas assassinées : elles se suicident en douceur.  Une renaissance européenne dans une soumission au Dieu de l'islam qui remplacerait Celui du marché, François Delacroix y croira le jour où Eric Zemmour se convertira à l'islam.

La sainte colère qui gonfle le beau texte d'Alain Cagnat sur « nos frères au col dégrafé » ne peut pas se résumer.  Elle foudroie la mémoire des tueurs de l'épuration qui a décapité le poète André Chénier en 1794 dans le même éclair que celle « des rats sortis des égouts » pour fusiller le poète Robert brasillac le 6 février 1945.

Pierre Vial en fin cite le grand philosophe politique juif Léo Strauss : « La civilisation occidentale est composée de deux éléments en total désaccord : Jérusalem et Athènes. »  Notre histoire se présente comme une suite de tentatives de les harmoniser, toutes promises à l'échec.  Nous sommes les héritiers d'hommes libres, les hoplites de Miltiade qui ont chargé au pas de course, à Marathon, la masse des sujets soumis du Grand Roi. Ils en ont triomphé pour que survive une conception du monde qui allait devenir le patrimoine commun des Européens.

 

samedi, 24 janvier 2015

Islam, immigration, intégration: Marine et Valls, même utopie

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Islam, immigration, intégration: Marine et Valls, même utopie

Manuel Valls a accusé l’”apartheid” la ”ghettoïsation” et l’”exclusion” des immigrés d’être indirectement responsables des récents attentats djihadistes. Il en a appelé à une politique de force pour imposer aux Français un ”peuplement” par les immigrés, par répartition territoriale. De son côté, Marine Le Pen a censuré Aymeric Chauprade pour ses propos sur une ”guerre de civilisation”, jugés extrémistes. Ces deux positions relèvent d’une même idéologie utopique et du déni de réalité.  

Le FN, le cul entre deux chaises

L’Eurodéputé  Aymeric Chauprade a évoqué dans une vidéo la théorie du « choc des civilisations », ce qui a déplu à Marine Le Pen qui a annoncé qu’il ne serait plus conseiller spécial aux affaires internationales, lui signifiant en quelque sorte : ”couvrez ce sein que je ne saurai voir”, comme le Tartuffe de Molière. Dans cette vidéo du 15 janvier (« La France est en guerre »), le géopoliticien pointe le développement d’une « 5e colonne » qui menacerait la France : « la France est en guerre avec des musulmans. Elle n’est pas en guerre contre les musulmans […]  L’argument du fait minoritaire ne tient pas. L’idéologie ressassée du ”pas d’amalgame” est non seulement fausse mais elle est dangereuse. […] Une 5e colonne puissante vit chez nous et peut se retourner à tout moment contre nous en cas de confrontation générale. […] On nous dit qu’une majorité de musulmans est pacifique, certes. Mais une majorité d’Allemands l’étaient avant 1933 et le national-socialisme »

Cette position, qui est une observation de simple bon sens, a été rejetée par la présidente du FN qui a déclaré, exactement comme l’auraient fait Cambadélis, Sarkozy ou Bayrou : « la responsabilité d’un mouvement politique, c’est d’éviter précisément l’engrenage d’un choc de civilisation. Il faut l’éviter, il est très facile de se soumettre à cette logique et je la trouve terrible » Le problème est que si l’autruche met sa tête dans le sable pour ne pas voir le réel, le réel, lui, subsiste. Suivant l’idéologie dominante, Marine Le Pen occulte la réalité, elle l’exorcise. Preuve qu’une tension commence à fissurer le FN, sa nièce, la députée Marion Maréchal Le Pen, lui a désobéi et a diffusé la vidéo de Chauprade. Marine Le Pen semble suivre une voie électoraliste et, exactement comme l’”UMPS”,  commettre un déni de réalité et s’aligner plus ou moins sur la vulgate. C’est un mauvais calcul politicien. Elle prend le risque, pour acquérir une bienséance, de décourager une partie de son électorat. Le recentrage du FN le sort d’une logique d’opposition révolutionnaire au système et le remet dans l’ordre d’un parti politicien comme les autres.

Robert Ménard, maire de Béziers affilié au FN, commentant les récentes attaques djihadistes a eu ce mot très juste mais insuffisant : « tout cela est hélas le résultat d’une politique massive d’immigration doublée d’un abandon de la politique d’assimilation ». Mais toute politique d’assimilation est impossible dès lors qu’on pratique l’immigration de masse ! Surtout lorsqu’il s’agit de populations non-européennes musulmanes, par nature inassimilables et inintégrables en Europe ; comme l’avait vu De Gaulle, en parlant de « cervelles de colibri » pour désigner ceux qui croyaient (en Algérie, à l’époque) à une ”intégration” possible, en un temps (1962) où l’islam n’était pas encore radicalisé. Toute cohabitation pacifique est rigoureusement impossible, a fortiori lorsqu’elle implique des millions d’individus, et débouche nécessairement sur l’affrontement. Et non pas sur l’harmonie heureuse,  consensuelle et multiethnique, comme dans les séries télé et les films à grand spectacle produits par l’idéologie des ”élites” culturelles. On remplace, béatement, la réalité par la fiction et l’imagination. 

Le même Robert Ménard a déclaré avec lucidité : « moi, ce qui m’inquiète le plus est la faible mobilisation de la population musulmane. Des imams sont venus manifester avec moi mais pourquoi les musulmans étaient-ils si peu nombreux? Même si les islamistes radicaux sont une minorité, ils ont de l’emprise sur un certain nombre de quartiers. Ils font peur aux gens. Je ne suis pas sûr aujourd’hui que, même si certains musulmans ont envie de manifester, ils osent le faire. Dans certains quartiers, certaines filles se font insulter si elles ne portent pas le voile. Ma police municipale me rapporte que certains individus leur font des doigts d’honneur en criant ”Allah Akbar”. Cette réalité, nous devons la dire telle qu’elle existe. »

Dans le New-York Times, Marine Le Pen déclare que l’ennemi n’est pas l’islam mais « le fondamentalisme islamique » et qu’il faut « éviter l’amalgame », reprenant la langue de bois de l’idéologie dominante. En même temps, elle souhaite « renforcer le contrôle des frontières et des questions migratoires ».  De telles ambigüités sont dignes de l’UMP.     

Réponses aux mensonges du Premier ministre

Dans ses vœux à la presse, Manuel Valls, rappelant les émeutes de 2005 dans les banlieues en majorité immigrées a lancé, après les massacres des djihadistes, comme pour les expliquer en les excusant : « ces derniers  jours ont souligné beaucoup de maux qui rongent notre pays ou des défis que nous avons à relever. À cela il faut ajouter toutes les fractures, les tensions qui couvent depuis trop longtemps, et dont on parle peu, la relégation péri-urbaine, les ghettos, un apartheid territorial, social, ethnique, qui s’est imposé à notre pays. À la misère sociale, s’additionnent les discriminations quotidiennes, parce qu’on n’a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau, ou bien parce que l’est une femme. » Essayons de rétablir la vérité, après ce discours de type soviétique. Un discours qui est, en fait, destiné à apaiser les députés de la ”majorité”, d’obédience trotskiste.

1) Les populations immigrées et leurs zones d’habitat bénéficient d’aides, d’exemptions, de favoritismes et de ”discriminations positives” massives et très coûteuses. Ce sont les Français de souche des classes moyennes et pauvre, peu aidés,  surtaxés, qui sont relégués dans les zones péri-urbaines.

2) Le racisme quotidien  s’exerce contre les Français de souche et contre les Juifs et non pas contre les populations immigrées. L’actualité fourmille de cas.

3) Les ”ghettos” d’immigrés extra-européens se sont formés parce que les populations autochtones ont fui  ces zones, à cause de conditions de vie insupportables et d’une hostilité à leur égard.

4) Les discriminations, violences et oppressions  contre les femmes proviennent du fait et du seul fait de l’islamisation des zones où elles se produisent .       

Au fond, M. Valls nous explique : ” les Français de souche sont racistes, tout est de leur faute”. Sauf que c’est l’inverse qui est vrai. M. Valls, qui est un grand bourgeois républicain qui vit dans les beaux quartiers méprise le peuple. Il fait penser à un apparatchik soviétique.

Les pompiers pyromanes

Les Français sont pusillanimes, inconstants et naïfs : Hollande et Valls ont rebondi en hausse dans les sondages à la suite de leur gestion des attentats et des paroles pseudo viriles du Premier ministre. Pourtant le pouvoir PS, un cran au dessus de la droite qui l’a précédé, est le premier responsable de la situation : augmentation de l’immigration (musulmane à 90%) et des naturalisations, apathie volontaire face à l’islamisation générale, laxisme judiciaire inscrit dans la loi, démolition et ”défrancisation” de l’Éducation nationale,  désorganisation des services de renseignements, etc.  Ce sont des pompiers pyromanes. Ils ont allumé l’incendie et ils veulent l’éteindre. Quitte à revenir en arrière (un peu) sur leurs utopies et leur déni de réalité, en prenant des mesures d’urgence qui ne serviront à rien.

Les attentats de janvier 2015 (qui ne sont qu’un début) sont la conséquence directe de toute la politique de l’oligarchie depuis quarante ans, droite et gauche confondues. C’est-à-dire un mélange d’angélisme et de cynisme qui a favorisé l’immigration et l’islamisation. Même s’il y avait eu une rigoureuse politique disciplinaire de ”francisation”, à l’école notamment,  cela n’aurait rien changé, vu la quantité et la proportion des populations allogènes.  Toute la sociologie historique, discipline qui a été fondée par Xénophon, Tite-Live et Tacite et qui repose aussi sur les considérations d’Aristote remarque une constante : la cohabitation de populations d’origine différente débouche nécessairement sur la guerre. Ce qui conforte une conception anthropologique anti-cosmopolite : chacun chez soi. 

Le ”choc des civilisations” (reprise du concept de Samuel Huntington) qui choque tant Marine Le Pen et l’UMPS confondus, est un fait et non pas un choix idéologique. Il est imposé par l’ennemi. Vouloir arrêter une guerre qui commence par des appels à l’armistice et à la négociation (esprit munichois de 1938) est d’une insondable stupidité. Ce refus de la guerre est sans issue puisque l’ennemi la veut. D’ailleurs, la situation actuelle en France et en Europe est sans issue – hors affrontement – parce que nous avons dépassé le point de non-retour. La pacification intérieure, le communautarisme harmonieux, l’intégration cool, l’assimilation forcée, sont  des rêves éveillés, tous parents, de Terra Nova à l’actuelle direction du FN. Du délire, de l’alcool idéologique pur, contre l’histoire, contre les faits, contre l’expérience du peuple.

Lorsque Marine Le Pen censure les propos d’Aymeric Chauprade, qui relèvent du simple bon sens, elle est, comme toute la classe politique – ou plutôt politicienne – dans le déni de réalité. Elle défend une certaine ”idéologie française”, exactement la même  que celle de Manuel Valls (s’en rend-elle compte ?) Cette idéologie – qui s’exprime chez Renan – part du principe utopique qu’une Nation n’est pas ethnique mais purement politique. C’est l’héritage de l’extrémisme cosmopolite de la Révolution. À l’époque, cette idée était innocente et gratuite puisque l’immigration n’existait pas. L’islam a été toujours été l’ennemi de la civilisation européenne, depuis le VIIe siècle, mais il n’est pas le danger majeur, s’il est exclu de l’aire européenne. Le danger majeur, c’est l’immigration de masse qui colonise et submerge, c’est si l’islam finit par devenir majoritaire chez nous. Un islam très minoritaire ne pose aucun problème. Mais un islam radicalisé (qui retrouve ses véritables racines) avec une base démographique en constante augmentation débouchera nécessairement sur la guerre civile. C’est cette évidence que le peuple sent et que l’oligarchie refuse de voir. Exactement comme l’aristocratie romaine des IVe et Ve siècle qui fermait les yeux sur les faits, qui allaient aboutir à l’effondrement de leur civilisation.     

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mercredi, 21 janvier 2015

Le choc des non-civilisations

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Le choc des non-civilisations

par Fares Gillon

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Choc des civilisations vraiment ? De part et d’autre, l’entretien de cette fiction permet surtout d’oublier l’état réel de la civilisation que l’on prétend défendre, et de se lancer en toute bonne conscience dans de lyriques et exaltantes considérations identitaires. Dans ce ridicule concours des fiertés (civilisation pride ?), les divers gardiens de néant oublient l’essentiel : ils veillent sur un champ de ruines.

Dans Respectez la joie, chronique publiée il y a déjà douze ans, Philippe Muray posait la question suivante : « Comment spéculer sur la défense d’une civilisation que nous ne faisons même pas l’effort de voir telle qu’elle est, dans toutes ses extraordinaires et souvent monstrueuses transformations ? » Face à l’ennemi islamiste, à sa haine de « l’Occident », qu’avons-nous à faire valoir pour notre défense, hormis « la liberté d’expression », « les jupes courtes », « le multipartisme », « le sexe » ou « les sandwichs au bacon » ? Pas grand-chose. Et ces éléments sont eux-mêmes illusoires : « Le seul ennui, écrit Muray, c’est que ces mots recouvrent des choses qui ont tant changé, depuis quelques décennies, qu’ils ne désignent plus rien. » Ainsi de la liberté sexuelle, brandie comme un progrès civilisationnel (ce qui en soi peut se contester), alors même qu’elle est de moins en moins effective : « On doit immédiatement reconnaître que c’est la civilisation occidentale elle-même qui a entrepris de détruire, en le criminalisant, le commerce entre les sexes ; et de faire peser sur toute entreprise séductrice ou galante le soupçon du viol ; sans d’ailleurs jamais cesser de se réclamer de la plus grande liberté. »

L’Occident s’est tiré deux balles dans le pied

L’Occident post-moderne a achevé l’Occident moderne, celui de la liberté individuelle et de la pensée critique. Et l’Occident moderne était né lui-même de la destruction de l’Occident traditionnel, de sa civilisation, de son histoire et du christianisme. L’Occident post-moderne est le fruit d’un double meurtre : d’abord celui de la royauté de droit divin, avec tout ce qu’elle comporte de représentations symboliques traditionnelles, avec toute la conception hiérarchique de l’ontologie qu’elle suppose. Puis, celui de l’individu. Muray, en vieux libéral qu’il est, est évidemment plus touché par ce dernier meurtre : l’individu réellement libre – c’est-à-dire : ayant les moyens intellectuels de l’être – n’est plus. Cela n’empêche pas toute l’école néo-kantienne de la Sorbonne – entre autres – de répéter à l’envi que le respect de l’individu caractérise notre civilisation, par opposition à la « barbarie » médiévale d’une part, et au « retard » des autres civilisations d’autre part, encore prisonnières d’un monde où le groupe, la Cité, importent davantage que l’individu. La réalité est pourtant plus amère, et il n’y a pas de quoi fanfaronner : notre civilisation a fini par tuer l’individu réellement libre, si durement arraché à l’Ancien Monde.

Par un étrange paradoxe, c’est précisément en voulant émanciper l’individu que nous l’avons asservi. En effet, nous avons souscrit à la thèse progressiste selon laquelle la liberté politique et intellectuelle de l’individu suppose son arrachement à tous les déterminismes sociaux, à tous les enracinements familiaux, culturels, religieux, intellectuels. Seuls les déracinés pourraient accéder à la liberté dont l’effectivité « exigerait au préalable un programme éducatif ou un processus social (ou les deux) capable d’arracher les enfants à leur contexte familier, et d’affaiblir les liens de parenté, les traditions locales et régionales, et toutes les formes d’enracinement dans un lieu ». Cette vieille thèse, résumée ici par Christopher Lasch (Culture de masse ou culture populaire ?), est toujours d’actualité : Vincent Peillon, ex-ministre de l’Éducation nationale, a ainsi déclaré vouloir « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».

Elle est pourtant contredite par la réalité de la société de marché que nous avons bâtie. Ainsi que le remarque Lasch, « le développement d’un marché de masse qui détruit l’intimité, décourage l’esprit critique et rend les individus dépendants de la consommation, qui est supposée satisfaire leurs besoins, anéantit les possibilités d’émancipation que la suppression des anciennes contraintes pesant sur l’imagination et l’intelligence avait laissé entrevoir ».

Le cas de l’islam en France

Comment alors s’étonner des phénomènes que l’on constate dans les « quartiers difficiles », de l’illettrisme généralisé et de la violence banalisée qui s’y côtoient ? Comment s’étonner des effets du double déracinement des immigrés ? Voilà des gens que l’on a arraché à leur terre (ou qui s’en sont arrachés), qui ont abandonné leur culture, ont oublié leur langue, et qui n’ont dès lors plus rien à transmettre à leurs enfants. Ces enfants, parfaits cobayes de l’expérimentation de la liberté par le déracinement, sujets idéals de l’idéologie délirante d’un Peillon, sont les premiers post-humains. Sans racines, et bientôt, après un passage par l’école républicaine, sans savoir et sans attachement à leur nouvelle terre. Coupés de leurs origines sans qu’on leur donne la possibilité de s’enraciner dans une civilisation qui se sabote elle-même, ils incarnent au plus haut degré le néo-humain sans attaches, sans références, celui que rêvent les idéologues de la post-modernité. Ce n’est donc pas en tant qu’étrangers à la France que les déracinés de banlieue posent problème, mais en tant qu’ils sont les parfaits produits de la nouvelle France, celle qui se renie elle-même.

Ce règne, chaotique dans ses effets, de la table rase n’est pas sans provoquer un certain malaise chez les individus les plus conscients. On a beau déraciner, la réalité demeure : l’enracinement est un besoin essentiel à l’humanité. On y revient toujours, d’une manière ou d’une autre. « Le déracinement détruit tout, sauf le besoin de racines », écrit Lasch. D’où le phénomène de réislamisation, processus de ré-enracinement parmi d’autres (car il en est d’autres), qui s’explique par la recherche d’une alternative à ce que l’on nomme le « mode de vie occidental » (en réalité le mode de vie mondialisé de la consommation soumise).

Il est d’ailleurs amusant de constater que le plus grand grief que la koinè médiatique fait aux beurs réislamisés ou salafisés, plus grave encore que les attentats qu’ils projettent ou commettent, c’est « le rejet du mode de vie occidental ». Horreur ! Peut-on imaginer plus atroce blasphème ? « Comment peut-on être pensant ? » comme dit Muray. Faut-il donc être un odieux islamiste tueur d’enfants (juifs de préférence) pour trouver à redire à ce merveilleux monde démocratico-festif, qui n’est pourtant plus que l’ombre d’une ombre ?

Face à la chute des anciens modèles occidentaux, les jeunes déracinés que nous avons produits cherchent à reprendre racine. Que certains se tournent vers l’Islam, comme vers un modèle qui leur semble traditionnel et producteur de sens, doit être compris comme une réaction au modernisme du déracinement culturel. Dans la mesure où toute alternative au « mode de vie occidental » est présentée comme une régression barbare, la radicalité de la réislamisation, le fait qu’elle se fasse notamment – mais pas uniquement – dans les termes du salafisme, paraît inéluctable : le néo-Occident permet qu’on le fuie, à condition que l’on se jette dans les impasses qu’il ménage à ses opposants.

La déchéance civilisationnelle de l’islam

Il est une autre raison à la radicalité de la réislamisation. Elle tient à la chute de l’islam comme civilisation. À l’instar de l’Occident, à sa suite et sous son influence, l’Orient en général et l’islam en particulier subissent les effets de la modernité et des bouleversements politiques, sociaux, intellectuels, théologiques qu’elle entraîne.

Historiquement et politiquement, cela s’est fait d’abord par la pression occidentale sur le califat ottoman, qui ployait déjà sous son propre poids. N’oublions pas que le monde arabo-musulman est mis au contact de la pensée des Lumières dès 1798, avec l’expédition d’Égypte de Napoléon. À peine la France avait-elle accompli sa Révolution qu’elle tentait déjà d’en exporter les principes, appuyés par une subjuguante supériorité technique. Les Britanniques, mais aussi, dans une moindre mesure, les Français, n’eurent ensuite de cesse d’encourager l’émergence des nationalismes, insufflant chez les peuples arabes le désir de révolte contre la domination turque : ils posèrent en termes modernes, ceux des nationalismes, un problème qui ne se posait pas ainsi. Plus tard, ce fut l’islamisme dont se servirent cette fois les Américains. À ces facteurs, il faut ajouter l’apparition de la manne pétrolière, mise au service du wahhabisme (lui-même soutenu originellement par les Britanniques) et la révolution islamique iranienne. Tout concourrait à la destruction des structures politiques et sociales traditionnelles de la civilisation islamique : les interventions étrangères certes, mais également un certain essoufflement de l’Empire ottoman, qui avait manqué le train de la révolution industrielle et se trouva dépassé par les puissances occidentales.

En l’absence de structures sociales fortes, ce fut bientôt la pensée islamique traditionnelle elle-même qui succomba. Face aux puissances occidentales, les musulmans réagirent de deux façons antagonistes, que l’excellent historien Arnold Toynbee a qualifiées de « zélotisme » et d’ « hérodianisme ». Voyant une analogie entre la réaction des musulmans à la domination occidentale, et celle des Juifs à la domination de l’Empire romain, Toynbee explique que tout bouleversement venu de l’étranger entraîne historiquement une réaction de repli sur soi, d’une part, et une réaction d’adhésion et de soumission totales aux nouveaux maîtres, d’autre part. Mais dans les deux cas, on sort de la sphère traditionnelle : ni les zélotes ni les hérodiens ne peuvent prétendre représenter la pensée islamique traditionnelle. Leurs conceptions respectives de l’islam obéissent à des circonstances historiques déterminées, et ne sont plus le résultat de la réflexion sereine d’une civilisation sûre d’elle-même.

Les nombreuses manifestations de l’islamisme contemporain sont autant de variétés d’un islam de réaction. Couplée à la mondialisation, qui est en réalité occidentalisation – au sens post-moderne – du monde, et à ses conséquences, cette réaction a fini par produire un islam de masse, adapté aux néo-sociétés, et qu’Olivier Roy a admirablement analysé dans ses travaux. Dans L’Islam mondialisé, il montre ainsi en quoi le nouvel islam est un islam déraciné pour déracinés, et en quoi la réislamisation est « partie prenante d’un processus d’acculturation, c’est-à-dire d’effacement des cultures d’origines au profit d’une forme d’occidentalisation ».

Dès lors, il apparaît clairement que le prétendu « choc des civilisations » procède d’une analyse incorrecte de la situation. Il n’y a pas de choc des civilisations, car il n’est plus de civilisations qui pourraient s’entrechoquer ; toutes les civilisations ont disparu au profit d’une « culture » mondialisée et uniformisée, dont les divers éléments ne se distinguent guère plus que par de légères et inoffensives différences de colorations. Ce à quoi on assiste est donc plutôt un choc des non-civilisations, un choc de déracinés.

Auteur: Fares Gillon (Philosophe et islamologue de formation)

Source: Philitt

samedi, 12 octobre 2013

Entretien avec Aymeric Chauprade

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Aymeric Chauprade : « Si les États-Unis n’acceptent pas le monde multipolaire, alors il y aura une guerre mondiale encore plus terrible que les deux précédentes »

Alors que la 3e édition de la Chronique du choc des civilisations, le fameux « Chauprade », comme on dit désormais, vient de sortir en librairie, Nouvelles de France a interrogé son auteur. Entretien sans langue de bois !

Aymeric Chauprade, vous publiez dans votre Chronique du choc des civilisations une très instructive carte du grand Moyen-Orient voulu par les États-Unis d’Amérique. Sur quoi est-elle fondée ?

Il s’agit d’une représentation d’un possible redécoupage des frontières moyen-orientales sur une base communautaire (religieuse ou ethnique). Cette idée n’est pas nouvelle. Elle a été imaginée plusieurs fois depuis les années 1980 dans certains cercles stratégiques israéliens et américains. Elle n’a jamais été adoptée comme politique des États-Unis, puisque officiellement, c’est l’intangibilité des frontières qui prévaut, mais l’on voit bien qu’avec la création du Kosovo dans les Balkans, les États-Unis ne sont en rien fixés sur l’intangibilité des frontières existantes.


Plusieurs auteurs issus de think tanks américains ont publié de telles cartes. Je pense que rien n’est tranché sur cette question. La vérité en la matière n’est ni noire, ni blanche, elle est grise. Ces intentions existent, et peut-être certains milieux stratégiques américains et israéliens pensent-ils que leur suprématie au Moyen-Orient sera mieux assurée si une telle recomposition se produit et qu’Israël voit naître de petits États alliés (druze, kurde…) face aux Arabes sunnites.


Mais les forces qui remuent un État ne sont en réalité jamais unifiées, et peuvent même être contradictoires. La politique est la résultante de toutes ces forces. Mon intention est donc de permettre au lecteur d’imaginer ce qui est possible, sans pour autant l’enfermer dans une vérité systématique.


« J’ai été l’un des premiers, en France, à éclairer le basculement de la géopolitique américaine après l’effondrement soviétique dans une stratégie de refus d’ascension de la Chine et plus généralement de refus d’un monde multipolaire. »


L’une des grandes thèses de votre Chronique, c’est la fin progressive d’un monde unipolaire organisé autour des États-Unis d’Amérique au profit d’un monde multipolaire (Chine, etc.), le Moyen-Orient comme condition à cette évolution et l’islamisme comme barrage. En quoi cette thèse est-elle novatrice ? Est-elle opposée ou complémentaire à la thèse du choc des civilisations actualisée par Samuel P. Huntington ou à celle du choc traditionalisme/progressisme (Caroline Fourest) ?


Je ne sais pas si ma thèse est novatrice. Ce que je sais c’est que j’ai été l’un des premiers, en France, à éclairer le basculement de la géopolitique américaine après l’effondrement soviétique dans une stratégie de refus d’ascension de la Chine et plus généralement de refus d’un monde multipolaire.


Je pense que le Moyen-Orient est le lieu principal, mais non unique, de cet affrontement entre forces de l’unipolarité, tendues vers le projet d’une hégémonie américaine, et forces (diverses) de la multipolarité. Cette idée n’est opposée ni à la thèse de Huntington ni à celle de Fourest. Huntington a eu le mérite de rappeler que les civilisations existent et que le monde ne se réduit pas à un affrontement idéologique entre les démocraties et les tyrannies, un conte pour enfants qui est pourtant « vendu » par les politiques occidentaux à leurs électeurs.


Moi je dis que l’Histoire ne se réduit pas au choc des civilisations, car les nations et les figures historiques jouent aussi un rôle central, mais que le choc des civilisations est une réalité du temps long de l’Histoire.


Quant à la thèse de Caroline Fourest, cela va vous paraître curieux mais je la partage, à la différence près (essentielle) que je me situe dans le camp opposé au sien ! On peut être marxien sans être marxiste. Fourest est à la pointe du combat LGBT ; il est normal qu’elle ait compris très tôt la guerre qu’elle faisait au monde de la tradition !


« Les États-Unis et l’Union européenne sont devenus les promoteurs de la destruction de la famille par la THÉORIE DU GENRE, par le MARIAGE HOMOSEXUEL, par la MARCHANDISATION DU CORPS ; en face, la Russie va s’affirmer comme l’État qui défend les valeurs traditionnelles et la véritable liberté de l’homme. »


Donc en effet, en plus des permanences et des ruptures géopolitiques, il existe un affrontement idéologique. Celui d’un monde qui pense que la liberté et la dignité de l’homme reposent sur les valeurs naturelles (et ces valeurs dépassent le christianisme, elles ne découlent pas de la religion, elles sont en chacun d’entre nous, quelques soient nos croyances) comme la famille ; et celui d’un autre monde (Fourest en est l’avant-garde) fondé sur le grand marché de « ce que nous pourrions être à la place de ce que la nature a voulu que nous soyons ».


Ces deux systèmes de valeur vont s’affronter en effet de plus en plus dans les années à venir. Les États-Unis et l’Union européenne sont devenus les promoteurs de la destruction de la famille par la théorie du genre, par le mariage homosexuel, par la marchandisation du corps ; en face, la Russie va s’affirmer comme l’État qui défend les valeurs traditionnelles et la véritable liberté de l’homme. Je ne suis pas allé parler à la Douma par hasard !


Quant à l’islamisme, il y a longtemps que je dis qu’il est le meilleur allié du projet américain dans la guerre contre le monde multipolaire. Il est l’idiot utile de l’Occident américain.


Cette évolution de l’unipolarité à la multipolarité est-elle inéluctable ? Quelles conséquences la fin d’un monde unipolaire aura-t-elle pour Israël ?


Il n’y a d’inéluctable que ce que l’on accepte. Je ne crois pas au sens de l’Histoire. La seule flèche de l’Histoire est celle du progrès des sciences et des techniques dont découle l’essentiel des révolutions mentales. Pour le reste, certaines valeurs immuables, comme la famille, traversent le temps. Le Bien et le Mal sont immuables. Ils ont traversé les siècles et malheureusement le Mal n’est pas moins fort aujourd’hui qu’il ne l’était hier.

Ce que je pense, c’est que si les États-Unis n’acceptent pas le monde multipolaire, alors il y aura une guerre mondiale encore plus terrible que les deux précédentes. De mon point de vue, Israël ne devrait pas souhaiter cela car, alors, une nouvelle catastrophe surviendrait pour le peuple juif. Je pense pour ma part qu’Israël peut survivre et même trouver toute sa place dans un monde multipolaire.


Je ne vois pas au nom de quoi j’empêcherai à un peuple d’exister et d’avoir la sécurité. Cela nécessite un progrès dans les mentalités tant du côté israélien, que du côté arabe. En tout cas je ne crois pas du tout que le destin d’Israël soit lié à l’hyperpuissance américaine. Israël joue de l’hyperpuissance, mais une autre stratégie viable est possible pour ce pays.


« Sous prétexte de s’opposer à la géopolitique américaine, il ne faudrait pas non plus tomber dans l’idéalisme béat qui voudrait que les Chinois ou les Russes soient des bisounours… »


En dévorant votre Chronique, un lecteur non-initié pourrait penser que la géopolitique est décidément bien immorale et cynique. Est-ce par principe vrai ou la cause de ce constat se trouve-t-elle dans le fait que la plupart des pays développés sont aux mains de l’oligarchie mondialiste ?


L’oligarchie mondialiste (et les États occidentaux qu’elle contrôle) n’est pas la seule à défendre des intérêts cyniques. Ne caricaturons pas les choses. Tous les États du monde, y compris ceux qui s’opposent à l’oligarchie, obéissent au principe de la realpolitik et des intérêts.


Ce que je dis, c’est que le réaliste accepte et prend en compte le droit des États à défendre leurs intérêts et qu’il essaie ensuite de voir comment faire en sorte que la compétition des intérêts ne se transforme pas en bain de sang. Sous prétexte de s’opposer à la géopolitique américaine, il ne faudrait pas non plus tomber dans l’idéalisme béat qui voudrait que les Chinois ou les Russes soient des bisounours…


Je me méfie de toute façon de tous les manichéismes, aussi bien quand il s’agit de faire endosser la peau du méchant au Russe, au Serbe, à l’Israélien ou à l’Arabe. Regardons les intérêts de chacun, essayons de comprendre leur point de vue, et méfions-nous de ne pas appliquer les modes de pensée de nos adversaires, ceux de la diabolisation de l’ennemi.


En quoi le mondialisme (idéologie) est-il distinct de la mondialisation (un fait déjà ancien, certains disent qu’elle a commencé sous l’Empire romain) ?


La mondialisation est le résultat de l’action d’une hyperpuissance, hier Rome, aujourd’hui les États-Unis, qui décloisonne le monde dans le sens de ses intérêts propres. Le mondialisme est l’idéologie qui donne une légitimité philosophique et politique à cette action. Il existe un lien entre les deux, mais les deux phénomènes sont néanmoins à distinguer.


Par exemple, certains aspects du progrès scientifique et technique poussent dans le sens de l’émancipation des territoires et des frontières. D’autres aspects, comme la biométrie, permettent au contraire de mieux réguler les flux et de revenir aux signatures biologiques de l’homme, au moment où son état-civil est souvent falsifié.


Le fait que vous travailliez désormais avec Marine Le Pen et que vous l’assumiez publiquement ne risque-t-il pas de rendre moins crédible vos travaux aux yeux du grand public ?


Vous connaissez l’adage : « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Évidemment, ce serait plus confortable de profiter de mon statut de consultant international, de rester sur les sphères tranquilles de la « métapolitique » sans mettre les mains dans le cambouis.


Le problème c’est que je ne supporte plus d’assister à la destruction lente de mon pays, en restant les bras croisés, dans la posture d’un Cicéron assistant au déclin de Rome. Je ne sais absolument pas si mon action sera utile, mais j’ai l’envie de me rendre utile au pays. Et je me dis que ma position en géopolitique, laquelle est, me semble-t-il, respectée, peut apporter quelque chose à la dynamique engagée par Marine Le Pen.


Après tout, la quasi-totalité des experts de mon domaine assument une appartenance politique, souvent socialiste, parfois UMP. Autrement dit, ils se sentent proches de partis qui, depuis plus de 30 ans, ont trompé les Français et affaibli la France. Pourquoi devrais-je avoir honte de dire que je me sens proche d’une femme de caractère, dont l’amour de la France n’est pas à mettre en doute et auxquels les Français ont de plus en plus envie de donner sa chance ?


Vous ne pensez pas que cette femme, qui a grandi dans l’hostilité violente, injuste, que le système opposait au talent de son père, a justement la cuirasse qu’il faut pour affronter les défis de la France et faire les choix courageux qui s’imposent en matière d’immigration et de réforme de l’État-providence ? Je crois que le problème de la France, c’est avant tout le manque de courage de ses élites : les gens qui nous gouvernent sont conformistes et sans caractère, et ne font que suivre  les idées dominantes.


Je connais ma valeur, mes forces et mes limites et n’ai jamais cherché la reconnaissance d’une caste d’universitaires sectaires. Il est connu et reconnu que j’ai réveillé la tradition géopolitique réaliste en France. Si cela échappe à certains ici, cela n’a pas échappé aux nombreux pays avec lesquels je travaille. Je m’honore à ne pas être honoré par un système que je combats de toutes mes forces et depuis toujours.

Combien d’exemplaires des deux premières éditions de votre Chronique du choc des civilisations avez-vous déjà vendu ? À combien d’exemplaires a été tirée la nouvelle ?

Pour les deux premières éditions de Chronique du choc des civilisations, nous en sommes à près de 30 000 exemplaires vendus. J’ignore à combien mon éditeur a tiré cette troisième édition. Je lui fais confiance car c’est un grand professionnel et comme je suis, par ailleurs, éditeur depuis 20 ans je n’ai pas pour habitude de harceler mes éditeurs!

Nouvelles de France


http://fortune.fdesouche.com/327299-aymeric-chauprade-si-les-etats-unis-nacceptent-pas-le-monde-multipolaire-alors-il-y-aura-une-guerre-mondiale-encore-plus-terrible-que-les-deux-precedentes#more-327299

samedi, 20 août 2011

Choc des civilisations ou querelles intestines?

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Choc des civilisations ou querelles intestines ?

Thierry MUDRY
 
En Europe, la thèse du « choc des civilisations », en partie inspirée de l’œuvre de Samuel Huntington, s’est frayé, semble-t-il, un chemin jusque dans le discours de certains partis de gouvernement qualifiés de « modérés » ou « conservateurs ».

Cette thèse postule l’existence de conflits inévitables entre les systèmes religieux porteurs de normes politiques, juridiques et culturelles qui structurent les civilisations. Ainsi, aux yeux d’un nombre croissant d’Européens, la civilisation occidentale christo-centrée apparaît-elle menacée sur le territoire européen même par l’Islam: par le terrorisme islamique et, plus sournoisement, par les tentatives des croyants musulmans visant à imposer une plus grande visibilité sociale de leur religion et à se conformer à des normes dérogatoires à l’ordre public (polygamie) et à la culture dominante (port du voile).

Il est pourtant évident que tous les résidents ou citoyens européens d’origine ou de croyance musulmane ne partagent pas l’opinion des éléments les plus radicaux d’entre eux qui prétendent placer l’Islam, tant symboliquement que politiquement, au cœur de l’espace public. Et ce désaccord n’est pas seulement motivé par l’adhésion à un crédo laïque « à la française », mais aussi, dans de larges secteurs, par une interprétation somme toute assez classique de la doxa islamique ou une approche assez conforme à la jurisprudence islamique de ce que doivent être les rapports entre l’Islam et l’État dans une société majoritairement non musulmane.

Il est également évident que le terrorisme islamiste vise prioritairement les pays musulmans et les populations musulmanes elles-mêmes qu’il prétend vouloir ramener à ce qu’il affirme être la pureté du message muhamadien.

C’est là un exemple parmi d’autres du fait que les conflits religieux n’opposent pas tant les religions entre elles, dans un « choc des civilisations », que des factions adverses au sein de chaque religion, voire au sein de chaque dénomination.

Cela ne revient évidemment pas à dire que ce « choc des civilisations » est une fiction, qu’il est purement fantasmé, loin s’en faut. Il acquiert une réalité du seul fait que nombre d’acteurs politiques croient en son existence, et que certains autres l’instrumentalisent aux fins d’affaiblir leurs rivaux ou ennemis potentiels: on sait l’usage que les États-Unis ont fait de l’arme islamique contre le nationalisme arabe laïque et contre l’Union soviétique, usage que Zbigniew Brzezinski avait remarquablement décrit dans Le Grand Échiquier, et l’usage qu’en a fait Israël contre les chrétiens palestiniens, souvent surreprésentés dans le mouvement de libération nationale, et contre l’O.L.P. Aujourd’hui, il est permis de se demander si la promotion de la multi-culturalité par la puissance américaine, modèle imposé à l’Europe, avec les tensions sociales qu’elle y fait naître et le « choc des civilsations » qu’elle y favorise, n’obéit pas, elle aussi, à des buts politiques précis…

Qui qu’il en soit, il faut admettre que le « choc des civilisations » n’est bien souvent lui-même que le produit, que la conséquence d’un rapport de forces et de conflits internes aux ensembles religieux en cause.

Ainsi l’actuelle polémique pan-européenne sur la construction des minarets et sur le port du voile intégral apparaît-elle d’abord comme un débat interne à la communauté musulmane avant que d’être un débat impliquant la société globale. On peut même considérer qu’elle constitue d’abord un enjeu de pouvoir au sein de la communauté musulmane et que le bénéfice que souhaitent en tirer les radicaux n’est pas l’« islamisation » de l’Europe (objectif certes souhaitable à leurs yeux mais difficilement accessible) que la « ré-islamisation » et la radicalisation de l’opinion musulmane locale.

Les parallèles historiques avec la situation actuelle de l’Islam en Europe ne manquent pas.

On pourrait évoquer la conquête ottomane des Balkans avec laquelle s’affirme l’image d’un Islam militairement expansif voué à subjuguer l’Europe et à la plier à sa loi.

Or, comme l’ont montré Irène Beldiceanu-Steinherr et Michel Balivet, cette conquête a été menée, avec l’appui de derviches hétérodoxes, par des seigneurs des frontières indociles échappant au contrôle d’un pouvoir central ottoman embryonnaire. Elle a débouché, dans un premier temps, moins sur l’islamisation des populations soumises que sur l’émergence d’un syncrétisme local.

La réaction sunnite qui s’est fait jour à partir du règne de Selîm Ier (1512-1520), face à la menace des Safavides iraniens devenus les champions du chiisme (encore un conflit interne à l’Islam!), conduira les dynastes ottomans à mettre au pas les musulmans d’Anatolie et des Balkans, dont on pouvait craindre les sympathies safavides, et à procéder à leur normalisation politique et religieuse.

C’est dire que la conquête ottomane des Balkans a d’abord été l’expression de dissensions internes à la société et à l’État musulmans ottomans, plutôt qu’un affrontement frontal entre Chrétienté et Islam. Le sultan a d’ailleurs été longtemps plus assuré de la loyauté de ses sujets chrétiens que de celle de ses sujets musulmans balkaniques!

Quittant les rives de la Méditerranée, il n’est pas inutile d’évoquer l’un des derniers conflits « religieux » armés dont l’Europe a été le théâtre: le conflit nord-irlandais.

Même si Samuel Huntington n’a pas compté, au nombre des fractures civilisationnelles qu’il inventorie, l’opposition entre le « catholicisme gaélique irlandais » et le « protestantisme anglo-saxon britannique » (pour reprendre une terminologie populaire aux XIXème et XXème siècles tant dans les Îles britanniques qu’en Amérique du Nord), celle-ci revêt encore aux yeux de beaucoup en Irlande du Nord l’aspect d’un choc de civilisations.

Les accords du Vendredi Saint qui ont, en 1998, mis un terme progressif au conflit nord-irlandais en organisant le désarmement et le démantèlement des groupes para-militaires républicains et loyalistes, et la participation de leurs branches politiques au processus électoral local, ont en quelque sorte conforté cette vision des choses en associant indissolublement catholicisme, républicanisme et culture gaélique, d’un côté, protestantisme, unionisme et culture britannique dans sa variante « ulster scot », de l’autre. Avec ces accords destinés à restaurer la paix se voit donc consacrée la division « sectaire » des six comtés en deux sociétés, deux cultures irréductiblement distinctes.

Pourtant, la situation ainsi figée par les accords de paix est un produit de l’histoire récente de l’île.

Il faut relever en effet que la confédération de Kilkenny qui fut, au XVIIème siècle pendant la guerre des Trois Royaumes, la première expression politique du catholicisme irlandais unissant les Gaels, les habitants originels de l’île, et les Vieux-Anglais, les descendants des premiers colons anglais de l’île restés fidèles au catholicisme (la confédération de Kilkenny soutenait le roi Charles Ier contre le parlement anglais et Cromwell), consacra l’hégémonie de la langue anglaise et de la loi anglaise, la common law, au sein du catholicisme local.

A l’inverse, une grande partie, voire la majorité des colons presbytériens d’Irlande du Nord venus d’Écosse étaient à l’origine de langue et de culture gaéliques comme l’ont montré récemment J. Michael Hill et l’historien du presbytérianisme irlandais Roger Blaney.

Au XVIIIème siècle, ce sont les protestants, seuls détenteurs des droits politiques, qui contestèrent la domination politique, économique et culturelle britannique sur l’Irlande à travers le mouvement des Volontaires irlandais et celui, plus radical, des Irlandais-Unis, tandis que l’Église et les classes moyennes catholiques espéraient que l’union de l’Irlande à la Grande-Bretagne déboucherait sur l’émancipation des catholiques irlandais.

La situation actuelle résulte en fait clairement des mutations du catholicisme et du protestantisme irlandais amorcés au XIXème siècle.

Le premier a connu une « révolution dévotionnelle » (selon l’expression d’Emmet Larkin) initiée par le cardinal Cullen au lendemain de la Grande Famine. Ce prélat s’était donné pour objectif d’aligner le catholicisme local sur les canons du catholicisme continental et de « re-catholiciser » de la sorte ses ouailles suspectes d’indifférence religieuse, de s’adonner à des pratiques païennes ou, encore, de manifester des inclinations protestantes.

Chez les protestants s’affirma le courant évangélique et pan-protestant au sein du presbytérianisme et de l’anglicanisme, soucieux d’unir dans un prosélytisme agressif la famille protestante jusqu’alors divisée contre la menace démographique et les revendications « papistes ». Avec lui se dessina bien tardivement le « sectarisme » protestant dans ses dimensions tout à la fois religieuses, politiques et culturelles.

Mais il aura fallu pour cela que le courant évangélique l’emporte définitivement sur le courant « non-souscripteur » (ce courant refusait l’adhésion obligatoire à la confession de Westminster) et sur le courant millénariste du presbytérianisme irlandais, engagés à des degrés divers dans la lutte contre l’establishment politico-religieux anglican, comme le montre l’implication de leurs pasteurs et de leurs paroisses dans le mouvement des Irlandais-Unis et le soulèvement révolutionnaire de 1798.

Il aura fallu qu’il l’emporte également sur les courants anglo-catholique et libéral de l’anglicanisme irlandais sensibles aux convergences dogmatiques et liturgiques avec le catholicisme et aux affinités entre croyants des deux confessions.

Ce sont donc ces mutations décisives qui favoriseront en Irlande l’affrontement direct entre le catholicisme et le protestantisme.

Là aussi, à l’image de la question musulmane telle qu’elle est posée aujourd’hui en Éurope, la prétendue guerre de religions ou de civilisations n’y est que la conséquence d’un règlement de comptes interne.

C’est dire que la géopolitique des conflits religieux se doit d’être d’abord une géopolitique des conflits intra-confessionnels.

Thierry Mudry

À propos de l'auteur

Thierry Mudry
 
Docteur en droit et avocat au Barreau de Marseille, Thierry Mudry est également chargé d'enseignement à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence. Ses recherches et ses cours portent sur le fait religieux et ses rapports avec la problématique identitaire et les dynamiques géopolitiques.

jeudi, 05 mai 2011

L'Afrique face à l'Europe: du choc démographique au choc culturel

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L'Afrique face à l'Europe : du choc démographique au choc culturel

Communication de Jean-Yves Le Gallou, président de Polémia
Au Colloque de l’Institut de géopolitique des populations
sur : « Les prochaines guerres seront-elles démographiques ? » - 28 avril 2011

Ex: http://www.polemia.com/

Choc démographique

Un peu de géographie d’abord. Trois espaces doivent être distingués : –

L’Europe : elle a connu un baby-boom de 1945 à 1973 ; elle connaît un papy-boom aujourd’hui ; aucun pays n’y atteint plus, depuis de longues années, le taux de fécondité de 2,1 enfants par femme, nécessaire au simple renouvellement des générations.

– Le Maghreb : Maroc, Tunisie et Algérie ont connu un baby-boom jusque dans les années 1990 ; ils sont actuellement en situation de transition démographique, avec des taux de fécondité proches de 2. La proportion de jeunes actifs dans la population reste très forte.

En Algérie, 50% des 34 millions d’habitants ont moins de 25 ans. Au Maroc, 50% des 32 millions d’habitants ont moins de 27 ans. En Tunisie, 50% des 11 millions d’habitants ont moins de 30 ans. Il y a donc là les conditions démographiques de ce qu’Alfred Sauvy a appelé, dans un livre célèbre, « La Révolte des jeunes » – un élément majeur d’explication de ce que les grands médias ont baptisé les « révolutions arabes » et qui jusqu’ici n’ont été en fait que des révoltes déstabilisatrices.

Ainsi de la Tunisie, pays du Maghreb le plus développé, où le taux de chômage va passer, de 2010 à 2011, de 11% à 17%, selon le ministre tunisien de l’emploi – avec les conséquences que l’on constate de Lampedusa à Vintimille sur les flux migratoires.

– L’Afrique : la fécondité subsaharienne reste la plus élevée de la planète ; encore de 6,2 enfants par femme en 1990, elle a été ramenée en 2008 à 4.9 enfants par femme.

Le nombre des naissances de l’Afrique subsaharienne qui, en 1950, était encore comparable à celui de l’Union européenne dans ses limites actuelles, lui est aujourd’hui près de 7 fois supérieur : tous les ans, 33 millions de naissances contre 5 millions, selon les travaux de Philippe Bourcier de Carbon.

Les flux d’immigrants (réguliers et irréguliers) dans les pays de l’Union européenne en provenance de l’Afrique subsaharienne sont aujourd’hui essentiellement composés de jeunes adultes âgés de 20 à 40 ans et plus de 40% de ces flux sont désormais constitués de jeunes femmes de ces tranches d’âge. Les effectifs de ces jeunes adultes âgés de 20 à 40 ans sont donc appelés à doubler d’ici à 2040 en Afrique subsaharienne, passant de 250 millions à 500 millions en trente ans. Cela signifie – toutes choses égales par ailleurs, en particulier si la probabilité d’émigrer dans l’Union reste ce qu’elle est aujourd’hui – que la pression migratoire des jeunes adultes en provenance de l’Afrique subsaharienne sur les frontières de l’Union est appelée à doubler au cours des trois prochaines décennies.

Ce face-à-face de l’Europe (y compris la Fédération de Russie) ou de l’Union européenne avec l’Afrique subsaharienne peut donc se résumer ainsi en ce début du XXIe siècle :

  • – La zone la plus urbaine de la planète fait à présent face à la zone la plus rurale ;
  • – La zone la plus riche de la planète fait à présent face à la zone la plus pauvre ;
  • – La zone la plus stérile de la planète fait à présent face à la zone la plus féconde ;
  • – La zone où la vie est la plus longue fait à présent face à celle où elle est la plus courte ;
  • – La zone la plus âgée de la planète fait à présent face à celle où elle est la plus jeune ;
  • – La zone où le nombre des décès excède celui des naissances fait face à celle où la croissance naturelle de la population est la plus rapide.

Le constat d’échec des politiques migratoires

Depuis les années 1960, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Benelux subissent des vagues migratoires : de travail pour faire baisser les salaires, familiales pour des raisons « humanitaires ».

Au cours de la dernière décennie, ces migrations se sont amplifiées :

  • – tous les pays de l’Europe à quinze sont désormais concernés : les pays scandinaves et l’Irlande, au nord ; l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, au sud ;
  • – les mouvements d’entrées se sont accrus : 500 000 étrangers ont été régularisés en Espagne en 2005 ; de 500 000 à 800 000 en Italie depuis 2008 ; en Grande-Bretagne le solde migratoire de 1997 à 2009 s’est élevé à 2,2 millions de personnes, selon le premier ministre David Cameron ; en France, c’est plus de 1,5 million de personnes qui sont entrées de 2002 à 2010.

Dans le même temps les politiques suivies à l’égard des populations immigrées ne donnent pas les résultats attendus : qu’il s’agisse du multiculturalisme assumé de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas, ou de l’assimilation/intégration à la française, l’échec est au rendez-vous. Et il est constaté par les principaux acteurs qui ont conduit ces politiques.

Angela Merkel a déclaré à Potsdam le 16 octobre 2010 devant les jeunes militants de la CDU et de la CSU : « L’instauration d’une société multiculturelle, où chacun prendrait plaisir à vivre côte à côte, a fait faillite. » « Nous nous sentons liés aux valeurs chrétiennes. Celui qui n’accepte pas cela n’a pas sa place ici », ajoutait-elle. La veille, le dirigeant des conservateurs bavarois, Horst Seehofer, avait lancé : « Le Multikulti est mort »

Le premier ministre belge Yves Leterme a suivi ses collègues allemands en affirmant sur RTL Belgique : « Mme Merkel a raison, en ce sens que les politiques d'intégration n'ont pas toujours eu les effets bénéfiques qu'on attendait d'elles. »

Le 5 février 2011, David Cameron, s'exprimant devant la 47e Conférence sur la sécurité, a dénoncé le multiculturalisme tel que l'a pratiqué le Royaume-Uni : « Le multiculturalisme a conduit à ce que des communautés vivent isolées les unes des autres. Ces sociétés parallèles ne se développent pas selon nos valeurs. Nous ne leur avons pas donné une vision de ce qu'est notre société. »

Vendredi 15 avril 2011, c’est au tour du ministre de l’Intérieur français Claude Guéant d’affirmer : « L’intégration est en panne » – une opinion partagée par 76% des Français qui, selon un sondage Harris interactive du 20 avril 2011, estiment que « les étrangers ne font pas suffisamment d’efforts pour s’intégrer ».

Certes, l’analyse n’est pas nouvelle : les plus lucides l’avaient déjà fait depuis… trente ans. Ce qui est nouveau, c’est que le constat émane des hommes au pouvoir, de ceux qui servent la superclasse mondiale (SCM) et dont les politiques ont consisté à promouvoir la mondialisation.

Dans la revue Le Débat de mars–avril 2011, l’essayiste André Grejbine commente ainsi la montée, à ses yeux parallèle, de l’islamisme et du populisme en Europe : « Derrière les beaux discours sur le dialogue des civilisations et la diversité des cultures, c’est un engrenage de ressentiment et de rejet réciproque qui se développe. » C’est reconnaître le choc des cultures.

Minorités visibles, minorités qui se rendent visibles

Les Américains ont créé dans les années 1960 la notion de minorités visibles pour qualifier des populations qui, même lorsqu’elles sont intégrées, apparaissent visiblement différentes : c’est le cas des Afro-Américains aux Etats-Unis ou, en France, des Antillais.

Mais en Europe, on a assisté à un phénomène différent, celui de minorités se rendant visibles, c'est-à-dire de Turcs et de Maghrébins, hommes pourtant de race blanche mais choisissant d’accentuer leurs différences par rapport aux populations d’accueil par leurs comportements et leurs exigences, tels que le voile islamique, les interdits alimentaires, les revendications religieuses ou simplement culturelles.

Choc culturel

Le choc culturel prend des formes multiples tant en raison des différences d’origine des cultures et des civilisations que des différences d’évolution historique et sociologique des sociétés.

Orient versus Occident

La fracture entre l’Orient et l’Occident est aussi profonde qu’ancienne : elle remonte aux guerres Médiques et aux guerres Puniques. Elle oppose la personne aux masses, les libertés individuelles à la soumission collective. Cette opposition se retrouve dans l’Empire romain avec la victoire de l’Occident à Actium puis la division du IIIe siècle entre Empire d’Orient et Empire d’Occident.

Islam versus Europe

L’opposition entre l’Islam et l’Europe est une structuration géopolitique majeure de l’espace euro-méditerranéen. Elle s’étend sur douze siècles : de la bataille de Covadonga (722) à la libération de la Grèce (1822/1832). Mais plus encore qu’un choc militaire, c’est un choc de mentalités : l’Islam, c’est la « soumission », l’Europe, c’est l’exercice du libre-arbitre et de la liberté. La théorie des trois « religions monothéistes » dont les sources seraient identiques fait l’impasse sur l’hellénisation et l’européanisation du christianisme.

Les différences entre l’Islam et l’Europe sont nombreuses et majeures :

  • - dans la relation avec le divin ;
  • - dans la séparation, d’un côté, la soumission, de l’autre, entre le domaine de Dieu et celui de César ;
  • - dans la représentation de la figure divine et de la figure humaine ;
  • - dans la conception et la représentation de la femme ;
  • - dans le lien avec la nature ;
  • - dans l’existence ou non d’une multitude d’interdits ;
  • - dans les pratiques et les rituels alimentaires ;
  • - dans les configurations architecturales.

Société intolérante versus société tolérante

L’Europe – et singulièrement l’Europe moderne – s’est construite autour de la liberté d’expression. L’Islam n’admet ni l’étude critique de l’histoire du prophète, ni la représentation de Mahomet (sauf chez les Persans). L’Islam exige l’application de lois sur le blasphème, ce qui heurte profondément la sensibilité européenne, comme l’a montré l’affaire des caricatures danoises de Mahomet.

Plus gravement, il est difficile de faire cohabiter sur le même sol une culture de la tolérance et une culture de l’intolérance :

  • - Que certaines femmes puissent porter le voile islamique, pourquoi pas ? Mais quand dans un quartier une majorité de femmes porte le voile islamique, il est très difficile pour les autres de ne pas en faire autant, sauf à accepter de passer pour des proies ;
  • - Que des musulmans veuillent faire ramadan, c’est leur choix ; que ceux qui veulent s’en abstenir y soient contraints, c’est insupportable ;
  • - Que des musulmans veuillent manger halal, pourquoi pas ? Mais que de plus en plus de non-musulmans soient contraints d’en faire autant, ce n’est pas acceptable ;
  • - Qu’il y ait des mariages mixtes (au regard de la religion ou de la culture), pourquoi pas ? Mais comment trouver normal que la conversion s’opère systématiquement dans le même sens, c'est-à-dire vers l’Islam ?

En fait, les relations entre une culture tolérante et une culture intolérante sont dissymétriques : car la culture intolérante finit par imposer ses règles à la culture tolérante. C’est la négation de la règle de réciprocité.

Il est d’ailleurs significatif de voir les nations européennes et chrétiennes poussées à abandonner leurs repères symboliques : crèches de Noël, œufs de Pâques, fêtes du cochon.

Afrique versus Europe : société individualiste/rationaliste versus société instinctive et tribale

Une partie des Africains noirs sont musulmans. Mais, indépendamment de leur religion – musulmane, catholique ou pentecôtiste – les Africains noirs ont généralement un rapport au monde différent de celui du rapport européen. Le collectif y pèse plus que l’individuel. Le froid rationalisme y joue un rôle moins important. Il ne s’agit pas ici de dire où est le bien, où est le mal, mais de souligner des différences de comportement qui pèsent dans la vie collective, la capacité de développement économique et la vitalité démographique.

D’autres distinctions méritent d’être abordées : indépendamment de leurs constructions mythologiques et de leur histoire, les sociétés musulmanes et africaines d’un côté, européennes de l’autre sont à des stades différents de leur évolution.

Société traditionnelle versus modernité

Depuis le XVIIIe siècle, l’Europe est entrée dans une modernité individualiste. Pour le meilleur et pour le pire. Les sociétés africaines et musulmanes – même si elles sont touchées par la modernité, surtout lorsqu’elles sont transposées en Occident – sont restées davantage holistes et traditionnelles : le salut collectif, l’attachement à la lignée, le respect des valeurs ancestrales, le maintien de codes d’honneur y jouent encore un rôle important. Or ce qui peut paraître « archaïque » à l’Européen moderniste peut être un avantage évolutif dans la compétition entre sociétés ; c’est incontestablement le cas en termes d’expansion démographique.

Droit du sol versus droit du sang

Dans leur logique « d’intégration » des immigrés, les pays européens ont tous adopté le droit du sol ou le double droit du sol. Né en Europe, l’enfant d’immigrés a donc juridiquement vocation à acquérir la nationalité du pays de son lieu de naissance. Mais cela ne l’empêche pas, lui et ses descendants, de garder la nationalité de ses pères. En terre d’Islam, nationalité et religion sont liées : acquérir la nationalité du pays d’accueil ne dispense pas de conserver la nationalité du pays d’origine, qui est irrévocable, tout comme l’apostasie est impossible. D’où l’explosion dans tous les pays européens de doubles nationaux pratiquant la double allégeance (dans le meilleur des cas !)

Société individualiste versus société communautaire

En premier lieu, l’Occidental individualiste a placé au sommet de ses valeurs : « le droit de l’enfant ». C’est au nom du droit de l’enfant (et de son intérêt supposé) que les jurisprudences européennes – et singulièrement les jurisprudences françaises – ont imposé le regroupement familial dans le pays d’accueil et non dans le pays d’origine. En France, en 1978, c’est le Conseil d’Etat, par l’arrêt GISTI, qui décide que « Les étrangers qui résident régulièrement en France ont le droit de mener une vie familiale normale, et en particulier celui de faire venir leur conjoint et leur enfant mineur. » C’est ainsi une interprétation individualiste de textes généraux qui prévaut.

En second lieu, c’est la même logique qui prévaut pour le mariage. Au nom du « mariage d’amour » entre deux individus, on autorise le déplacement de blocs de population. Deux grandes catégories de cas sont ici à distinguer :

  • - l’étranger qui cherche à venir en France ou bien le clandestin déjà présent sur le territoire qui veut obtenir une régularisation peuvent recourir à la voie du mariage : mariage arrangé, mariage gris ou simple escroquerie sentimentale ; les bénéficiaires en sont souvent des hommes jeunes ;
  • - l’immigré de deuxième génération, français au regard de la nationalité plus qu’au regard de la culture, qui veut se marier au « bled », c'est-à-dire dans le pays d’origine de sa famille ; il s’agit généralement de jeunes hommes qui se marient avec des filles du pays réputées plus respectueuses des mœurs traditionnelles ; cela concerne aussi des jeunes filles pas toujours mariées selon leur gré.

Ce comportement qui peut s’analyser comme un refus de l’intégration est un puissant facteur d’accélération de l’immigration. C’est là que se niche la cause majeure de l’immigration de peuplement subie par l’Europe : « l’immigration nuptiale ».

Société à famille nucléaire versus société à famille élargie

Les mentalités et le droit français s’inscrivent dans une vision nucléaire de la famille. Or les pays du sud de la Méditerranée ont une vision élargie de la famille. Il est encore normal de vivre avec sa belle-famille, d’où le regroupement familial des ascendants. Quant aux descendants, la vision est large : la jurisprudence française reconnaît la pratique de la Kafala (quasi-adoption) au moins pour les Algériens. Les Africains ont une conception souple de la parenté qui n’est pas uniquement biologique. D’où l’élargissement du regroupement familial aux bâtards et aux neveux (ce qu’aurait empêché le contrôle génétique) – regroupement familial d’autant plus facilement élargi que la qualité des états civils africains reste imparfaite… pendant que le système social français est généreux et donc incitatif à l’arrivée de nouveaux bénéficiaires.

Choix communautaires et cascades d’immigration…

L’immigration familiale a représenté 82 762 entrées régulières en 2009. Les dix premiers pays concernés étant l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal, la Chine, le Congo (RDC).

La dynamique migratoire la plus commune est la suivante : un immigré de deuxième génération se marie avec quelqu’un de même origine que lui – un phénomène en voie d’accélération rapide : il y a eu 23 546 transcriptions d’actes de mariage établis par les postes français à l’étranger en 1995, 48 301, soit plus du double, en 2009. Le nouveau, plus souvent la nouvelle mariée rejoint ensuite la France, ce qui peut lui permettre d’acquérir la nationalité française et de faire venir des membres de sa famille.

Par ailleurs, ces arrivées concernent des jeunes femmes en âge d’être fécondes et dont le taux de fécondité en France est supérieur à celui des femmes nées en France, bien sûr, mais aussi à celui des femmes étrangères restées à l’étranger. Il y a donc un effet multiplicateur des populations immigrées. En 2009, d’après les chiffres du Haut Conseil à l’intégration, 7,0% des naissances provenaient de deux parents étrangers, 13,1% d’un parent français et d’un parent étranger : une « nuptialité mixte » au regard de la nationalité mais rarement mixte au regard de l’origine et de la culture. A ces naissances il faudrait ajouter les naissances d’enfants d’immigrés de la deuxième génération pour pleinement mesurer ce qui est en train de se passer en termes de substitution, au moins partielle, de population.

Quelles solutions ?

Nous sommes en face d’un choc démographique doublé d’un choc de civilisations. Un choc de civilisations qui se passe à l’intérieur des frontières des Etats. Les solutions ne sont pas techniques. Elles sont tributaires des valeurs dominantes. Plus précisément, les solutions supposent un changement radical des dogmes dominants tels qu’ils sont imposés par la superclasse mondiale à travers les médias.

Préférence de civilisation versus Big Other

L’écrivain Jean Raspail a remarquablement résumé l’idéologie dominante de l’Europe : Big Other, ce qui revient à placer l’autre – sa religion, ses mœurs, ses pratiques – au-dessus de tout. Là est la source de la formidable asymétrie dont les peuples européens souffrent. Changer, c’est revenir à la préférence de civilisation ; à la préférence pour sa civilisation ; soit parce que nous la trouvons meilleure dans l’absolu, soit tout simplement, dans une perspective plus relativiste, parce qu’elle est la nôtre. Il ne s’agit pas de haïr l’autre mais d’en finir avec la haine de soi. Il s’agit de cesser d’opposer une société innocente (celle des immigrés) à des nations européennes coupables.

Droit à la défense des libertés individuelles

Nous vivons une époque où ce n’est pas la majorité qui opprime les minorités mais des minorités communautaristes qui prétendent imposer leurs lois à la majorité. Les libertés individuelles sont au cœur de la civilisation européenne : liberté d’expression, liberté de recherche, liberté de débat, liberté de circulation, liberté de consommer, liberté de s’habiller, liberté d’ignorer le licite et l’illicite des autres, liberté de boire de l’alcool et de manger du cochon, y compris dans les transports et les cantines. Lorsque des libertés sont menacées, elles doivent être défendues. Rappelons-nous la phrase de Royer-Collard : « Les libertés ne sont pas autre chose que des résistances. »

Droit à la défense des libertés collectives

Mais ces libertés individuelles sont inséparables des libertés collectives. Sans défense des libertés collectives aujourd’hui, sans défense du modèle de civilisation européenne, il n’y aura pas de libertés individuelles demain. Les nations européennes doivent donc réaffirmer – y compris dans leur Constitution comme viennent de le faire les Hongrois – leur droit à l’identité, leur droit à des frontières, leur droit à rester eux-mêmes.

Droit à l’identité des peuples versus droit des individus à immigrer

Allons plus loin : face au choc démographique et au choc migratoire, il faut mettre en œuvre le principe de précaution, et bloquer toute immigration en provenance de pays dont beaucoup de ressortissants – même de nationalité française – sont peu ou pas assimilés. Ici le droit collectif à l’identité des peuples doit l’emporter sur le droit des individus à immigrer.

Le populisme contre le putsch des médias et des juges

En matière d’immigration (et de politique familiale), le pouvoir n’appartient plus aux hommes politiques. Il appartient aux médias et aux juges : au tribunal médiatique qui fixe les limites du licite et de l’illicite dans les discours ; aux cours internationales et aux cours suprêmes qui interprètent les principes fondamentaux des droits de l’homme à leur manière : pour le droit des étrangers contre le droit des peuples ; pour le politiquement correct contre les libertés individuelles. Mais partout en Europe de puissants courants populistes s’expriment. Ils demandent un retour aux frontières car ils savent que le sort de la civilisation européenne ne se joue pas à Benghazi mais à Lampedusa.

Jean-Yves Le Gallou
Polémia
28/04/2011

Texte en PDF cliquer ici

Voir aussi les articles Polémia :

Une lecture très protectrice des droits des étrangers par les juridictions françaises restreignant les possibilités de réaction du gouvernement face à la pression migratoire accrue à laquelle est confronté notre pays 
« Eloge des frontières », de Régis Debray 
L'immigration par escroquerie sentimentale
L'immigration noire africaine : un phénomène qui s'amplifie
L'Implosion démographique européenne face à l'explosion démographique africaine : l'Afrique déborde-t-elle sur l'Europe ?

et

Rapport au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration et d’intégration (année 2009) 

Image : démographie en Afrique

 

Jean-Yves Le Gallou

lundi, 07 février 2011

Conférence de Michel Drac au Carré: texte et questions

Conférence de Michel Drac au Carré : le texte et les questions

Ex: http://www.scriptoblog.com/

drac.png La conférence était donnée par Michel Drac au Carré Parisien, 1 rue du général Beuret, à Paris, le 24 janvier 2011, à l’invitation du Cercle Aristote. Le thème en était : « le choc des civilisations ».

La salle étant trop petite, une partie du public ayant dû rester debout, la conférence ayant débuté légèrement en retard, le conférencier a sauté quelques passages du texte prévu, pour raccourcir son intervention. Cependant, le texte complet est donné ici. Les questions et réponses se trouvent à la fin.


 

Introduction

 

Bonsoir mesdames et messieurs. Je suis invité ce soir par le cercle Aristote. Ce qui me vaut cet honneur, c’est un livre coécrit l’an dernier avec deux anonymes : « Choc et Simulacre ».

La thèse générale de ce livre peut être résumée ainsi : « Il y a un choc des civilisations. L’Histoire a été ponctuée par d’innombrables chocs de civilisations. Le concept n’est donc nullement absurde, même s’il faut le relativiser. Cependant, la réalité du choc des civilisations est très éloignée de sa représentation propagandiste par ceux qui veulent l’utiliser pour les meilleurs intérêts de l’impérialisme US/Grande-Bretagne/Israël. »

« Choc et simulacre » faisait, à partir de là, un balayage des stratégies contemporaines de ce que l’on appelle parfois la « guerre de l’information », et qu’on devrait plutôt appeler la « guerre cognitive ». Le livre établissait en particulier la mise en contexte de cette notion de « guerre cognitive » dans le cadre plus général de la « guerre de quatrième génération » théorisée à West Point dès la fin des années 80, et illustrait cette mise en contexte en zoomant sur une problématique précise : l’instrumentalisation du « choc » entre Islam et « Occident » par les réseaux US/Grande-Bretagne/Israël.

Si nous avons choisi cet axe de présentation, ce n’est pas que nous estimions par hypothèse que l’Empire US/Grande-Bretagne/Israël est le seul à recourir aux stratégies de la guerre cognitive : il est évident qu’il n’est pas le seul. Et, à vrai dire, si nous avions écrit non depuis l’Europe, mais depuis, disons, la péninsule indochinoise, nous aurions probablement zoomé sur le concept chinois de « guerre hors limite », équivalant pékinois du « fourth generation warfare » américain.

Le choix de cet axe de présentation n’implique pas davantage qu’à nos yeux, le heurt « Islam » / « Occident » soit le seul « choc de civilisation » susceptible de donner lieu à une instrumentalisation par l’Empire US/Grande-Bretagne/Israël. Si, par exemple, nous avions écrit depuis la Pologne, et non depuis la France, nous nous serions probablement intéressé à d’autres aspects de la cartographie civilisationnelle élaborée en 1993 par Samuel Huntington, et particulièrement à la question de savoir si le Dniepr, qui sépare catholiques romains et orthodoxes slaves, est vraiment plus large que l’Atlantique, qui sépare les protestants non-conformistes anglo-saxons de la vieille Europe majoritairement catholique.

Nous avons choisi cet axe de présentation parce qu’à nos yeux, au sein de la problématique générale soulevée par l’évolution de la guerre vers sa « quatrième génération », pour nous Français, la question essentielle est l’instrumentalisation du heurt « Islam » / « Occident » par l’Empire US/Grande-Bretagne/Israël.

Sous l’angle de cette urgence, ce livre a été écrit pour de bonnes raisons. Sans doute il était utile d’avoir ce titre au catalogue de notre maison d’édition, le Retour aux Sources. Parler de la « guerre occulte », pour reprendre la terminologie évolienne, est toujours une bonne chose, justement parce que cela rend cette guerre « moins occulte ».

Toutefois, je vous avouerais que ce soir, devant un public averti, qui sait déjà à quoi s’en tenir quant aux manipulations impérialistes, je ne vois pas l’utilité de revenir sur cet aspect des choses. Au demeurant, les évolutions montrent de manière évidente que l’islamisme est très largement une baudruche, un leurre agité par les impérialistes pour cautionner leur politique d’ingérence. Les choses deviennent si claires, qu’il serait sans doute mal venu de les exposer une énième fois.

Voici Ben Ali, le supposé « rempart contre l’islamisme », se réfugiant en Arabie Saoudite à la suggestion des Etats-Unis : est-il besoin d’expliquer en quoi il est curieux qu’un « adversaire de l’islamisme » trouve refuge précisément en Arabie Saoudite ? A peine Ben Ali a-t-il quitté Tunis que l’armée organise un gouvernement de transition, chargé de faire en sorte, évidemment, que tout change pour que rien ne change. Et voilà que, comme par miracle, des islamistes réfugiés au Londonistan, donc au cœur de l’Empire US/Grande-Bretagne/Israël, reviennent en Tunisie, où, masquant les véritables problématiques sociales et économiques, ils vont représenter, on le pressent déjà, une « menace » contre la « démocratie », une « menace » qui justifiera qu’on maintienne la « démocratie » avec l’aide des tanks, comme en Algérie, dans les années 90… Tout cela est si cousu de fil blanc ! Pourquoi commenter encore ?

C’est pourquoi je préfère vous parler ce soir d’un autre aspect de la question. Il ne s’agira pas dans cette conférence de décortiquer les stratégies de l’impérialisme autour du concept de « choc des civilisations », mais plutôt de décortiquer le concept en lui-même, et en particulier de cerner exactement dans quelle mesure il recouvre une réalité. Et quelle réalité.

Le « choc des civilisations », le vrai, c’est quoi ?

Voilà ma question.

 

Le discours des salauds

 

Partons de l’argumentaire de Samuel Huntington. Je crois qu’il y a dans cet argumentaire une part de vérité, et une part de mensonge.

A mon avis, ce qui est vrai, chez Huntington, c’est ce qui, dans son « clash of civilizations » renvoie au concept préexistant de « clash of cultures ». Il est exact que les cultures peuvent se heurter les unes aux autres.

On peut voir les cultures, après tout, comme des ensembles de virus mentaux plus ou moins coordonnés, tantôt opportunistes les uns par rapport aux autres, tantôt fonctionnant comme antivirus les uns des autres. Chaque culture, sous cet angle, est un complexe de virus mentaux opportunistes s’adossant les uns aux autres. Il est clair que de tels complexes peuvent entrer en compétition lorsqu’ils coexistent au sein du même « système d’information », disons dans le même espace social et médiatique, et incluent des virus fonctionnant mutuellement comme des antivirus.

Dans ces conditions, on comprend bien que la mondialisation va engendrer une multiplication des « clashs of cultures ». Et on se doute qu’ils vont effectivement s’avérer très structurants dans l’évolution des sociétés.

Sur ce plan, Huntington a raison : il est hors de doute que l’unification de l’espace informationnel mondial va fabriquer, dans un premier temps, beaucoup plus de clashs que de convergence. Le choc des cultures entre culture européenne et culture arabo-musulmane est resté un phénomène de frontières, donc marginal, tant qu’il existait une frontière linéaire entre le monde européen et le monde arabo-musulman. Dès lors que la frontière s’abaisse, deux complexes de virus mentaux se trouvent en concurrence dans un seul et même monde ; de cette concurrence sortira peut-être un jour une synthèse disjonctive. En attendant, ce qu’on voit, ce qu’on constate, c’est la concurrence.

Ce qui est faux, en revanche, chez Huntington, c’est l’idée selon laquelle le « clash of cultures » devrait se superposer aux failles, ruptures et conflits géostratégiques dans une logique quasi-mécanique, la concurrence entre complexes de virus mentaux devant en quelque sorte, dans sa vision, prédéterminer les choix opérés par les Etats et ligues d’Etats dans une perspective de puissance. Toute l’Histoire est là pour démonter l’inanité de cette thèse. De François Ier de France allié au Turc contre l’Empire de Charles Quint à Guillaume II d’Allemagne allié, lui aussi, au Turc, contre l’Empire Britannique : en pratique, les acteurs géopolitiques ont obéi, toujours, à des logiques de puissance, dans lesquelles la question du « choc des cultures » n’est pas un élément prédéterminant, mais au contraire un aspect du social utilisable dans une pure perspective « réaliste », voire machiavélique.

Même quand le « choc des cultures » a joué temporairement un rôle moteur, ce rôle s’est très vite réduit à une fonction de justification, pour ne pas dire à un argument de propagande ; une fois passée la première croisade, le conflit médiéval pour la Terre Sainte eut beaucoup plus à voir avec les intérêts commerciaux des marchands italiens qu’avec la religion, et les acteurs les plus intelligents le comprirent parfaitement. On se souviendra à ce propos que pour finir, les croisés saccagèrent Byzance sans reprendre Jérusalem, et que Philippe Auguste fut, sans aucun doute, absolument ravi des malheurs glorieux de Richard Cœur de Lion au pays des Sarrazins. Ces quelques exemples devraient donner matière à réflexion à ceux qui envisagent de se  croiser vertueusement ; qu’on se le dise : en général, le principal bénéficiaire d’une croisade est celui qui l’a prêché avec flamme, pas celui qui s’est croisé après le prêche enflammé ! On aimerait qu’ici, les héritiers du rusé Capétien aient retenu sa leçon aussi bien que ceux du fougueux Plantagenêt.

Au final, s’agissant de Samuel Huntington et compagnie, nous dirons donc : d’une part, que ces gens disent la vérité quand ils annoncent l’intensification du « choc des cultures » ; mais qu’en parfaits salauds, ils utilisent cette vérité pour promouvoir un mensonge, le supposé « choc des  civilisations ».

 

La déculturation par le mélange

 

Zoomons maintenant sur la réalité : le choc des cultures. Essayons de comprendre comment il se déroule, quel impact il a.

La première conséquence du choc des cultures, c’est la dislocation accélérée des rares cadres de référence collectifs qui avaient survécu au rouleau compresseur consumériste. Les « cultures », ces complexes de virus mentaux opportunistes, ne peuvent se propager et se maintenir au sein de leur espace de propagation que dans la mesure où cet espace n’est pas infesté de virus mentaux fonctionnant, à l’égard du complexe culturel en cause, comme autant d’antivirus. Si un espace social est saturé de virus et d’antivirus s’annulant mutuellement, plus aucun complexe structuré ne peut émerger, et il n’y a plus d’esprit collectif harmonieux possible.

Il faut l’admettre, dans un premier temps, les mélanges prennent mal. Ils aboutissent d’abord à généraliser les pathologies induites  par les diverses cultures, et non leurs productions supérieures. Au demeurant, rien de mystérieux à cela : ce qui se propage le plus facilement, c’est ce qui est simple ; or ce qui est simple, c’est rarement ce qu’il y a de supérieur dans une culture.

Pour prendre l’exemple de la culture française, ce qu’elle a produit de plus élevé, de plus beau, c’est sans doute notre conception de la fraternité, auto-extériorité de l’immanence politique ; eh bien, c’est compliqué, et au fond, personne en Europe ne nous a compris sur ce plan. Inversement, ce que notre culture a produit de plus pathogène est probablement notre esprit de cour ; or, cela, c’est simple, et nous l’avons exporté facilement.

Voici une loi historique : quand deux cultures se mélangent, il faut du temps, beaucoup de temps, pour qu’une synthèse disjonctive marie leurs aspects supérieurs. A la longue, cela se fait. Mais il faut généralement plusieurs générations. Prenez les Saxons et les Normands en Angleterre : il a fallu environ deux siècles. Prenez les Espagnols et les Nahuatls au Mexique : trois siècles environ pour créer des Mexicains. Quand Alexandre a conquis la Judée, l’esprit juif a pénétré dans l’espace grec. De cette date à l’invention d’une synthèse par Saint Paul, presque quatre siècles. De l’invention de cette synthèse à sa compréhension réelle par les masses ? On ne sait pas, le processus est encore en cours. Plus les cultures sont éloignées, plus ce qu’elles ont à synthétiser est élevé donc complexe, plus la synthèse prend du temps.

LE-LOC~1.JPGA la longue, il est exact que les mélangent sont fructueux. Mais cela prend du temps, beaucoup de temps, et l’Histoire ne laisse pas toujours le temps au temps. A l’inverse, l’exacerbation mutuelle des pathologies va vite. Au début, c’est donc cela qu’on constate : le caractère pathogène du choc des cultures. Et ce mécanisme général d’arasement, de destruction de toute construction culturelle élevée, débouche mécaniquement sur une acculturation générale. Il ne s’agit même pas ici de parler des stratégies d’abrutissement collectif promues par le pouvoir, bien que ces stratégies existent ; il s’agit de constater un effet mécanique et très logique de la constitution d’un espace culturel mondialisé. Le niveau baisse, si vous voulez, de lui-même, parce que ce qui permet une synthèse rapide, c’est ce qui est simple, et donc dans l’ensemble, plutôt ce qui est bas.

Remarquons ici que ce processus n’est pas spécifique au heurt entre culture arabo-musulmane et culture européenne, ni même au heurt entre culture européenne et culture extra-européenne.  Avant la déculturation par la mondialisation, il y a eu, et il y a encore, l'acculturation destructrice par l’occidentalisation.

On définit une culture comme un complexe de virus mentaux capables de s’adosser les uns aux autres. Mais on peut aussi constater qu’une culture renvoie toujours plus ou moins explicitement à une sorte de « virus primordial », un principe essentiel dont découle une forte proportion des virus mentaux constitutifs du complexe terminal.

Or, force est de constater qu’il existe, en Europe, trois « virus primordiaux » distincts.

Dans le monde latin, et particulièrement en France, la valeur centrale est la fraternité, réconciliation de l’égalité et de la liberté. C’est une sécularisation des conceptions catholiques de la Contre Réforme. Mais dans le monde germanique, c’est l’unité qui tient la position centrale – unité du peuple, fondée sur l’unité de la conscience, sécularisation des conceptions issues de la Réforme.

Si notre devise est « Liberté, Egalité, Fraternité », le premiers vers de l’hymne allemand est : « Unité et Justice et Liberté pour la patrie allemande ». On voit bien la distinction : la liberté, chez les Allemands, n’est pas un prédicat qu’il faudrait ensuite réconcilier avec l’égalité ; elle est au terme d’un processus qui l’encadre, la définit comme fondamentalement collective, et la ramène ainsi à la conscience de la justice comme sa condition, et de l’unité comme condition de la justice. Il en découle que si nous, Français, voulons concilier égalité et liberté, chez les Allemands, il s’agit, pour garantir une autre conception de la liberté, de préserver l’unité au besoin via l’inégalité. On voit bien qu’entre leur culture et la nôtre, il y aura au final la différence qui sépare leur « virus primordial » et le nôtre, tant que nous n’aurons pas inventé une synthèse disjonctive.

A cette opposition entre Germains et Latins, il faut ajouter l’existence d’un troisième terme, distinct et des uns et des autres : les anglo-saxons. Fondamentalement, le « virus primordial » constitutif de leur culture a été exprimé par le cri : « Give me Liberty, or give me death ! ». « La liberté ou la mort ! » : ce cri, que les Français et les Allemands ont parfois repris, n’a jamais été qu’un des termes de leur pensée, alors qu’il est au cœur de la pensée anglo-saxonne. La liberté, et finalement la liberté seule : voilà le « programme » déployé par cette culture, qui ignore donc aussi bien notre soif de fraternité que l’exigence germanique d’unité.

L’occidentalisation est, en Europe comme ailleurs depuis quelques décennies, le processus par lequel le « virus primordial » de la culture anglo-saxonne, prédominante, contamine et déstructure les autres cultures, latines et germaniques. Elle explique que l’exigence de liberté soit devenue le prétexte à une destruction de toute fraternité, à l’empêchement de toute unité. Elle n’est pas la cause unique du désastre culturel contemporain, bien sûr : les stratégies du pouvoir jouent un rôle, avec par exemple la casse du système éducatif. Mais elle constitue, depuis les années 50, une toile de fond favorable au déploiement de ces stratégies – raison pour laquelle l’impérialisme a constamment encouragé le processus.

Il est à noter, soit dit en passant, qu’elle participe d’une entreprise générale d’arasement qui revient en boomerang dans les pays anglophones, si bien qu’on peut parler, à travers l’occidentalisation, de destruction de la culture européenne et de la culture américaine. Une machine à incuber ce qui est bas, en ne laissant subsister que ce qui est assez simple, assez  rudimentaire, pour être compris même par ceux dépourvus des clefs de décodage culturel les plus élémentaires : voilà à quoi nous avons affaire. Qu’on ne s’y trompe pas : les peuples anglo-saxons n’y sont pour rien. Le Globish est aussi une arme contre l’Anglais, le vrai.

 

Le conflit de civilisation comme père du nouvel être occidental

 

Une des questions qui viennent à l’esprit, une fois ce constat dressé, c’est évidemment : pourquoi, dans ces conditions, le « choc des cultures » Islam / Occident est-il constamment mis en avant, perçu, souligné, alors qu’on voit bien que l’occidentalisation recouvre, en elle-même, un choc destructeur ?

A cette question, je propose une réponse simple : c’est justement le choc de l’occidentalisation, trop complexe pour être décodé, qui crée un appétit de simplicité, de brutalité même, appétit que le heurt Islam / Occident vient satisfaire.

C’est que le heurt entre Islam et Occident permet de poser le problème du « virus primordial » sous notre culture, sans avoir à reconnaître la complexité de la question. Derrière la mise en avant obsessionnel de cette opposition, le fantasme d’une réunification de soi. Pour les Français, qui aiment à croire que leur idéal de fraternité survit sous le culte anglo-saxon du Marché, pour les Allemands, qui font de même avec leur idéal d’unité, l’opposition avec l’Islam permet de reconstruire une cohérence autour de l’idée de liberté, devenue si évidente, du fait de l’opposition avec l’Islam, que sa définition n’est plus nécessaire.

Il faut reconnaître ici, bien sûr, que l’opposition Islam / Occident est réelle, qu’elle renvoie à une véritable différence culturelle majeure. Si c’est à juste titre qu’un Emmanuel Todd a pu souligner que catholicisme et islam partagent une conception du monde fondamentalement universaliste, il n’en reste pas moins qu’il s’agit, aussi, de deux universalismes rivaux.

On a vu, à l’instant, la complexité de la culture européenne, complexité telle, en fait, qu’on peut se poser la question de l’unité de cette culture. Mais il faut admettre aussi que, renvoyée à la différence radicale que l’islam peut incarner, cette unité cesse de faire débat.

Les « virus primordiaux » allemands, anglais, français, font en effet tous une place à la liberté – pas la même place, mais toujours une place. A l’inverse, la notion de liberté n’est pas centrale en Islam. On peut même se demander si elle existe. Le croyant, en Islam, est dans le Bien quand il suit la « guidée » que Dieu a mis dans son cœur, et généralement, il suit cette « guidée », en pratique, en respectant la tradition, interprétée par les clercs.

Cela fait bel et bien deux univers mentaux difficilement compatibles.

L’actuelle conception musulmane est peut-être le mode de pensée qui prévalait dans l’Europe médiévale, peut-être même pas, peut-être est-ce quelque chose de fondamentalement différent.

Dans l’Europe médiévale, il existait peut-être, tout de même, cette prédisposition que Marcel Gauchet a décelée dans le christianisme, et qui préparait ce qu’il appelle la sortie de la religion. Nombre de musulmans soulignent d’ailleurs, dans leurs écrits, cette différence irréductible ; il faut dire cependant que ce sont surtout les musulmans extérieurs à l’Afrique du Nord qui pensent ainsi. Il faudrait, pour approfondir ce débat, connaître à fond l’islam, savoir en particulier à quoi correspond cette « soumission », ce complet « abandon » exigé par la doctrine musulmane. Je n’ai hélas pas le niveau de connaissance requis pour traiter ce point du débat en profondeur.

Quoi qu’il en soit, la différence Islam/Europe est là, réelle, on ne peut pas la nier. Selon qu’on retiendra ou pas la thèse de Gauchet, on situera la rupture entre Islam et monde européen, sur la question de la liberté, soit à l’épître de Paul aux Romains, qui introduisait la personne comme acteur autonome de la religion, soit à la Réforme, qui remet en cause l’autorité de l’Eglise et prépare sa séparation d’avec l’Etat. Mais de toute façon, on doit reconnaître qu’aujourd’hui, entre « nous », la majorité des européens, et « eux », la majorité des musulmans, il y a une différence culturelle majeure, en comparaison de laquelle nos différences internes à l’Occident sont en quelque sorte reléguées à l’arrière plan – donc minorées, presque rendues négligeables. C’est un peu  comme quand on floute une image : on en simplifie les formes, on finit par en gommer certaines.

Il me paraît évident que c’est précisément cet effet simplificateur qui vaut à la thèse simpliste du « choc des civilisations » une certaine audience dans le grand public occidental. C’est un mécanisme vieux comme le monde : la conscience de la différence externe comme outil pour oblitérer du champ de conscience collectif les débats sur les différences internes, qu’on ne veut pas voir. Tout cela est, vraiment, vieux comme le monde.

Le choc Islam/Occident sert de traitement antidouleurs aux traumatisés de l’Occidentalisation. Le conflit de civilisation est le père du nouvel être occidental.

 

La ronde des barjos utiles

 

Simplification : c’est le mot-clef. Quand le réel est trop complexe pour rester pensable par la majorité, les discours qui portent sont les discours simplificateurs. Et dans le genre, hélas, il ne manque pas de fous pour cautionner, par leurs aberrations, le discours des salauds. Des fous que les paumés écoutent, parce que les fous parlent simplement des choses compliquées ; ils proposent une axiologie unique, claire, avec un bien et un mal, essentialisés et réconfortants dans leur stabilité.

Souvent, c’est presque comique, d’ailleurs, tant c’est caricatural.

Dans la famille « idiot utile » du « choc des civilisations », je demande le bobo pro-immigration.  « Faisons venir des millions de musulmans en Europe, et enrichissons-nous de leur différence ! »

Ils s’imaginent quoi, les gens qui disent ça ? Qu’une synthèse des éléments supérieurs de ces cultures va émerger spontanément, par l’opération du Saint Esprit ? Ces doux dingues vous expliqueront que le mélange se fait, que la synthèse opère, parce qu’on mange du couscous en buvant du bordeaux. En quoi ils prouvent qu’ils ne savent pas que la culture va au-delà de la gastronomie… Ou encore, si on veut être méchant, qu’ils sont heureux de voir, dans le processus, les musulmans perdre leur foi et les chrétiens de même. L’égalité par l’arasement, la ressemblance par le vide. Quelle synthèse !

Le résultat de ce processus, c’est la production en séries de types humains médiocres, déracinés, acculturés à l'inculture. Le rappeur Morsay, si vous voulez, du côté « issu de l’immigration ». Et les ahuris style « j’ai ma place dans Loft Story », du côté « de souche ». C’est pathétique, tout ça. Ça finit par fabriquer le petit bolo bêlant racketté par la racaille – un phénomène d’ailleurs maintenant si répandu que les doux dingues pro-immigration sont en train tout doucement de disparaître : ils ont perdu toute crédibilité.

Cela dit, les barjos utiles travaillent en équipe, c’est le fond du problème. Le barjo utile « pro-immigration » invite chez nous le barjo utile « islamiste fou », lequel suscite le barjo utile « islamophobe obsessionnel », lequel fait un bon compagnon au barjo utile du type le plus redoutable, le genre « sioniste en délire ». Il y a une sorte de chaîne d’engendrement des discours simplistes, qui se cautionnent et se fabriquent les uns les autres, dans une espèce de ronde des fous. Concrètement, le « choc des civilisations » se manifeste, se déploie, se communique beaucoup ainsi, par la production d’un espace fantasmatique commun aux fous des tendances opposées ou alliées.

C’est tellement fantasmatique, tout cela, d’ailleurs, que c’en est parfois comique. Il y a un décalage extraordinaire entre le réel et sa représentation par les fous simplistes.

Le barjo utile « islamiste fou » est, je trouve, particulièrement drôle. Dans le genre, je citerais par exemple l’inénarrable Abdelkader Bouziane, dit « l’imam de Vénissieux ». Pour ceux qui auraient oublié ce grand comique méconnu, il s’agit du bonhomme qui nous avait expliqué, en 2004, que dans sa version de l’islam, un mari pouvait frapper sa femme, mais seulement sous le nombril. Je n’ai jamais réussi à savoir si la survenue de ce cas était liée à l’affaire Cantat/Trintignant… En tout cas, ce que je peux dire à mes auditeurs d’origine arabo-musulmane, c’est que, dans mon regard de Français dit « de souche », un type comme ça, c’est vraiment déconcertant. La forme de vie religieuse la plus basse sur terre. Franchement, on se demande d’où ça peut sortir. Qu’est-ce ? De l’humour wahhabite peut-être ? Ou alors il nous demande de reconnaître ses lumières sérieusement ? Il nous offre son wahhabisme saoudien 100 % garanti sans sucre ajouté pour remercier, à cause des allocs touchées au titre de ses je ne sais plus combien de rejetons ? Avouez qu’il y a de quoi être surpris…

Par contraste, le barjo utile « islamophobe obsessionnel » est plutôt tristounet. Il me fait un peu pitié. Le discours, dans son cas, est très caricatural, mais sans exotisme. C’est vraiment le choc avec l’Islam comme antidote au désarroi identitaire. On va trouver là des gens qui vont regretter la disparition du mode de vie français des années 60/70, et imputer cette disparition quasi-exclusivement à la survenue de la religion musulmane en France, ce qui est ridicule ; cette survenue joue un  rôle dans la déstructuration de l’espace français jadis relativement homogène, mais tout le monde voit bien que le néolibéralisme et l’esprit libertaire, avec leur cortège de catastrophes économiques, sociales et culturelles, ont fait beaucoup plus de dégât, à ce stade, que la présence musulmane. Ça ne se compare pas. Le nier, c’est vraiment le signe d’une panique devant le réel.

Cette négation, en fait, ce qu’elle veut dire, c’est : « Je ne veux pas voir que j’ai attrapé une sorte de pathologie, une idolâtrie de la liberté qui m’empêche de définir la liberté, et qui aboutit à nier la fraternité, autre valeur que je porte, et que je ne veux pas renier, mais que je ne peux plus vraiment comprendre, en profondeur – parce que mon mode de pensée a été déstructuré. Et ça, je ne veux pas le voir. Alors, n’est-ce pas, le problème, c’est ‘les musulmans’, c’est plus simple. »

Quand je tombe sur ce genre de discours, ça me fait de la peine.

Et pour finir, n’oublions pas que dans la chaîne des barjos utiles, il y a le timbré sioniste. Grand ami en général de l’islamophobe obsessionnel, pour des raisons qu’il n’est même pas nécessaire d’expliquer…

Alors là, on peut rencontrer des cas relevant carrément de la psychiatrie lourde. Je pense par exemple à quelqu’un comme le rav Dynovisz. Pour ceux qui ne situent pas le personnage, il s’agit du rabbin qui vient récemment de faire un buzz formidable sur le web, avec un discours où il explique que la race blanche est menacée d’extinction.

Ce n’est pas ce discours-là qui me fait dire qu’il y a un problème psychologique chez lui. Ça, ça se discute. Ce qui m’interpelle chez lui, c’est un autre « cours », comme il dit, qu’il a donné au moment de l’opération Plomb Durci, à Gaza, et où il explique, dans la joie et la bonne humeur, qu’il est « bon » que l’armée israélienne ait tué beaucoup de Palestiniens, parce que, voyez-vous, c’est un peuple « impur » ; c’est même un peuple qui est un « concentré d’impureté » (il le dit comme ça). Mais, pour autant, dit-il, il ne faut pas les tuer tous, les Palestiniens, parce que les derniers, « c’est pour le Messie », figurez-vous. Seul le Messie est, selon le rav Dynovisz, « qualifié », « spirituellement », pour tuer les derniers Palestiniens…

Quand on entend ça, on se dit qu’on préfèrerait être sourd.

Mais surtout, on se dit que ce délire obsessionnel tendance internement d’urgence, concrètement, ce que ça veut dire, c’est : « Je n’ai plus d’identité, parce que mon identité, c’était l’attente du jour où Dieu lèverait le châtiment, et où il rendrait la Terre Promise au peuple juif, parce que ce peuple se serait enfin libéré de l’idolâtrie et du péché. Je n’ai pas eu la patience d’attendre, donc maintenant, ou bien j’admets que mon identité est israélienne mais pas juive, et alors j’appartiens à une nation, comme les autres, ou bien je dois transformer ma religion pour fabriquer une nouvelle attente. Et comme je n’ai pas envie d’appartenir à une nation ordinaire ; comme je veux le beurre, c'est-à-dire le principe d’élection, et l’argent du beurre, c'est-à-dire une patrie à moi, où je ne suis pas le réprouvé, l’errant ; comme je ne veux donc pas reconnaître que l’Etat d’Israël n’est qu’une œuvre humaine, eh bien je décide que désormais, je n’attends plus l’heure où Israël sera sans péchés, puisque cette heure est supposée déjà venue ; maintenant, j’attends l’heure où Israël aura la force pour lui, toute la force pour lui. Et je vais vivre, maintenant, la psychose à la place de la névrose, grâce à la perversion de mon identité originelle, m’effrayer et me rassurer alternativement devant ma propre violence, et donc devant celle que je suppose en l’Autre, pour maintenir une tension dans mon esprit qui, sans cela, serait condamné à se disloquer, faute de principe structurant… »

Et là, quand on a compris que le délire de Dynovisz, ça veut dire tout ça, on sait que lui, il clôt la ronde des barjos utiles.

 

Pessimiste, mais pas désespéré

 

Que dire, en conclusion ?

Eh bien, tout d’abord, qu’il faut être raisonnablement pessimiste, pour anticiper sur ce qui vient.

drac2.pngVous voyez certainement, après ce tour d’horizon, la nature du problème : le choc des civilisations existe en partie, mais il n’a presque rien à voir avec ce qui est présenté généralement comme tel. Il est instrumentalisé par des salauds, très malins, qui comptent sur les difficultés prévisibles des gens ordinaires, un peu paumés en ce moment quand il faut décoder la complexité de ce choc à plusieurs niveaux, dans plusieurs directions, qui crée un malaise diffus, dont on n’arrive pas à isoler la cause. Et pour tout arranger, toutes sortes de barjos utiles viennent gambader au milieu du tableau, proposant des discours simplistes qui séduisent les gens égarés.

Dans ces conditions, il est bien évident que nous n’arriverons pas à empêcher complètement les salauds de manipuler les paumés avec l’aide des fous.

Ils y arriveront au moins en partie, parce que ce que nous avons à expliquer aux gens est beaucoup trop compliqué, pour que nous le fassions comprendre avant que les salauds n’aient manipulé certains paumés. On peut faire se faire comprendre vite des gens malins, mais il y a toujours une frange de retardataires. Trop lents, trop simples, trop frustrés. Trop d’accidents dans la vie aussi, parfois… Des gens comme ça, il y en a partout. Des deux côtés du choc des cultures. Il ne faut jamais l’oublier : les paumés sont parmi nous. Et ils vont gober tout rond ce que leur diront les fous.

Vous comprenez, ça va beaucoup plus vite de raconter qu’il faut tuer les Palestiniens mais pas tous, que d’analyser en détail la mécanique de sortie de la religion appliquée spécifiquement au monde juif. Ça va beaucoup plus vite d’expliquer à un pauvre gars qui a eu des ennuis avec les racailles pourquoi il doit détester les musulmans, que de lui faire comprendre pourquoi le problème des racailles n’est pas le « problème musulman ». C’est toujours plus facile de faire passer un message bête, mais simple, qu’un message intelligent, mais compliqué.

Donc on va perdre. En partie au moins. Les salauds vont réussir à manipuler les cons avec l’aide des tarés – excusez ma rudesse.

Et donc les cons, qui veulent leur guerre civile parce qu’ils s’imaginent que la guerre civile, c’est la solution… eh bien, ils risquent de l’avoir, leur guerre.

A vrai dire, ce n’est pas une surprise. Quand avec quelques amis, nous avons écrit « Eurocalypse », en 2006, nous le savions déjà. Historiquement, ça s’est toujours passé comme ça : ce sont les cons qui gagnent.

Cela dit, il ne faut pas désespérer.

D’abord on peut se consoler en se disant que, certes, ce sont les cons qui gagnent, mais enfin, ils ne gagnent jamais que le droit de se faire trouer la peau pour le compte des salauds. Donc on peut aussi se dire qu’une fois qu’ils auront commencé à y goûter, à leur guerre, ils vont se calmer très vite. J’ai remarqué que les gens, qui ont vu réellement des situations de troubles civils violents, ne souhaitent pas revivre ce type de situation. Parfois, ils s’habituent. Jamais ils ne demandent que ça reprenne, quand ça s’est arrêté. Et ça, c’est une constante : tout le monde réagit ainsi.

Ensuite, il faut voir qu’une fois que la température va monter sérieusement en France, ce qui finira par arriver, plusieurs forces contradictoires vont traverser le corps collectif. Certaines de ces forces seront positives, et elles viendront peut-être contrebalancer les forces négatives orchestrées par les ordonnateurs du « choc des civilisations ». C’est une raison de plus de souhaiter la révolte sociale. Si la guerre civile est, pour certains, un antidote à la révolution, la révolution peut aussi être un antidote à la guerre civile. C’est d’ailleurs pourquoi, à mon avis, il vaut mieux ne pas trop parler du choc des cultures : cela lui donne une importance excessive, et peut nuire à l’émergence de logiques étrangères à sa formulation.

Il faut s’attendre à devoir jouer ce genre de partition. Je ne saurais pas vous dire exactement quand ou comment, mais je pense que le début des réjouissances, c’est pour bientôt. Une affaire d’années, pas de décennies. A ce moment-là, il faudra susciter, canaliser, organiser ces forces positives, ces forces de la révolte positive – ces forces révolutionnaires latentes. Elles nous permettront peut-être de repousser les échéances quant au clash des cultures, sur notre sol.

Et cela peut nous laisser ensuite le temps qu’il faudra pour gérer ce clash, pour dialectiser, pour inventer les médiations nécessaires. Bref, pour faire le travail d’éducation évoqué à la fin de « Choc et simulacre », un travail qui, lui prendra, des décennies. Une génération au moins, peut-être deux ou trois.

Voilà, à mon avis, où nous en sommes, s’agissant de la France et du « choc des civilisations ».

 

QUESTIONS

 

Quelle différence faites-vous entre salafisme et wahhabisme ?

Vous êtes probablement originaire de la culture arabo-musulmane, et donc c’est vous qui pourriez sans doute m’instruire sur ce point !

Vous avez sans doute remarqué que je suis resté très vague sur le monde musulman dans mon propos, me contentant de souligner ce qui, à mon avis, le sépare de l’Europe. Ce n’est pas que je souhaite l’ignorer. Je me doute que les mécanismes mentaux que j’ai décrits pour l’Europe ont leur contrepartie dans le monde arabo-musulman, où manifestement, une certaine propagande antichrétienne est instrumentalisée par les pouvoirs, sans doute en partie pour produire cette simplification perverse qui conduit au « choc des civilisations ».

J’ai été vague sur le monde musulman pour la simple raison que je le connais mal. Ce n’est pas mon monde. Je ne parle pas arabe. Je peux évidemment lire le Coran, les commentaires du Coran, les classiques de la littérature arabe. Mais tout cela est loin de moi, je peux faire des contresens, tout le temps. Vous savez, je suis protestant ; et cela fait des années que j’entends des gens porter sur le supposé « monde protestant » des jugements qu’ils construisent en généralisant ce qu’ils ont, d’ailleurs souvent très mal, compris au sujet d’une fraction très minoritaire de ce monde. Alors je n’ai pas envie d’infliger aux musulmans des considérations du même ordre, les concernant.

La seule chose que j’ai comprise au sujet de cette histoire de salafisme, d’islamisme etc., c’est qu’il est important de regarder, quand on nous parle des « islamistes », qui est soutenu par l’Arabie Saoudite et qui ne l’est pas. Même depuis mon point de vue euro-centré, j’ai compris que l’emploi d’une même catégorie « islamiste », regroupant les musulmans soutenus par l’Iran et ceux soutenus par l’Arabie Saoudite, ne peut constituer qu’une erreur, d’entrée de jeu. Une faille dans la catégorisation, qui interdit tout raisonnement sérieux.

On utilise plus ou moins ces termes pour dire, en fait, « qui ne veut pas la séparation de l’Eglise et de l’Etat », enfin, « de la religion et de l’Etat », mais je pense qu’il peut y avoir plusieurs raisons, plusieurs manières, de ne pas vouloir cette séparation. Bref, une catégorie simplificatrice, que j’emploie toujours entre guillemets, si vous voulez.

Pour le reste, je serais bien en peine de vous donner une définition précise des doctrines religieuses en place. J’ai cru comprendre que le wahhabisme était porteur d’une interprétation plus littérale du Coran, qui sous-entend en quelque sorte une rigidité contraire, me semble-t-il, à ce que comme chrétien, je juge juste pour ma propre religion, et il me semble que cela peut expliquer certaines choses sur le régime politique saoudien. Quant au reste, je m’intéresse surtout à ces questions dans la mesure où elles ont un impact sur nous, ici, en Europe.

J’ai lu « Les secrets de la Réserve Fédérale ». J’en ai tiré pas mal de conclusions, sur l’idéologie sioniste entre autres, sur ces liens avec le mondialisme, sur l’apologie du métissage, mais seulement pour les non-juifs… Voici ma question : pensez-vous que le sionisme soit le cœur du problème ?

Quelques définitions, tout d’abord. Sinon, on ne sait pas de quoi on parle.

Il y a historiquement au moins deux grands « types » de sionisme.

Le premier type, qui apparaît au XVIII° siècle, est religieux. Il naît dans l’espace chrétien, dans une catégorie particulière de protestants, qu’on appelle les puritains. Sans entrer dans les détails très compliqués des évolutions à mon avis franchement pathologiques d’une partie du protestantisme anglo-saxon, il s’agit d’une théorie historiciste, qu’on pourrait définir ainsi : à la différence des idéologies classiques, issues des premières générations sorties de la religion et qui consistaient à faire de l’Histoire, de telle ou telle classe sociale, ou encore de l’Etat, des formes divinisées, ce sionisme a transformé la religion elle-même en idéologie.

Ce n’est donc pas une sortie de la religion, mais une inclusion dans la religion d’une forme proto-idéologique, forme ensuite enflée jusqu’à saturer tout l’espace religieux. Il reste donc une enveloppe religieuse, avec un contenu en réalité purement idéologique. La forme est religieuse, parce qu’on annonce la fin des tribulations et le retour d’Israël, on s’appuie sur les prophètes. Le contenu est idéologique, de manière dissimulée, parce que ce n’est pas Dieu qui ramène en Israël une génération sans péché, c’est Israël qui s’auto-élit, si j’ose dire, « zappant » pour ainsi dire l’étape purificatrice qu’est la production d’une génération sans péché.

Cela revient en gros à lire la fin du livre d’Ezéchiel sans en connaître le début, à recevoir la promesse du pardon de Dieu sans passer par le châtiment qui, donné par amour, dans le cadre de l’éducation de l’homme par Dieu, doit corriger les fils des fautes de leurs pères, afin qu’ils ne recommencent pas, qu’Israël soit digne de son Election. En fait, cette démarche, lire la  fin du prophète sans le début, revient pour faire court à se pardonner à soi-même. Bref, sur le plan religieux, c’est un sacrilège, et sur le plan psychologique, une perversion : la négation du nom du père, de l’interdit, et le refus de la sublimation.

Le second type de sionisme, qui naît au XIX° siècle, est idéologique. Il s’inscrit, lui, dans le cadre général classique des productions idéologiques, au moment où un groupe humain sort de la religion, ou en tout cas de la régulation stricte par la religion.

Il a deux  versants.

Dans un versant militariste, Jabotinsky par exemple, il ne fait que reproduire les productions idéologiques des anciennes sociétés d’ordre, autoritaires et inégalitaires, en train de passer de la religion à l’idéologie. C’est logique : dans une grande partie du monde juif, le modèle anthropologique n’est pas très éloigné de celui qui prévaut en Allemagne, ou en Hollande. Ce sont des cultures de la dictature du Surmoi, et donc, quand elles passent de la religion à l’idéologie, elles passent de l’Ancien Testament au fascisme, ou à peu près. D’où cette curiosité historique trop peu connue : l’entente finalement longtemps assez bonne entre sionistes et nazis, dans les années 30, en Allemagne !

Il existe un second versant de l’idéologie sioniste, qui renvoie à une autre partie du monde juif, caractérisée par un certain universalisme, conséquence de siècles de Diaspora. C’est le sionisme de gauche, sans doute plus sympathique aux Français, puisque plus proche de leurs représentations.

Aujourd’hui, ces deux grands types de sionisme ont tendance à se marier pour accoucher d’improbables rejetons, des protestants devenus bizarrement universalistes, ou disons mondialistes, par sionisme chrétien, ce qui ne veut rien dire, ou encore des Juifs religieux devenus sionistes via la pathologie du puritanisme anglo-saxon, importée dans leur propre système de représentation. D’où le rav Dynovisz, par exemple.

Cet ensemble d’idéologies floues sur fond de religion déstructurée est-il central dans la catastrophe actuelle ? A mon avis, non. C’est un des rares points sur lesquels je me sépare de mon ami Alain Soral, et donc, il peut être intéressant de préciser ma pensée.

Pour Soral, si j’ai bien compris, il existe une continuité stricte entre judaïsme talmudique et sionisme, et le sionisme est en quelque sorte l’esprit, la quintessence de la volonté de domination, qui en procèderait nécessairement. Je réfute ces deux affirmations.

Je pense qu’il n’existe pas de continuité stricte et parfaite entre judaïsme talmudique et sionisme idéologique, parce qu’il n’existe pas de continuité stricte entre religion et idéologie. Bien sûr, une idéologie sortant d’un monde jadis religieux sera porteuse de certains traits hérités de ce monde religieux, donc de cette religion. Mais ces traits sont alors resitués dans l’idéologie, ce qui en modifie le sens. Il n’y a continuité entre judaïsme et sionisme idéologique qu’au sens où il y a continuité entre le catholicisme classique gallican et l’universalisme républicain, ou entre le protestantisme allemand et le nazisme, ou entre le catholicisme autoritaire espagnol et le phalangisme. En fait, il y a continuité des fragments, mais pas de leur arrangement, pas du sens qu’ils produisent. C’est plus compliqué qu’une simple continuité stricte, franche.

Il n’existe pas non plus de continuité stricte et parfaite entre judaïsme talmudique et sionisme religieux parce que le sionisme religieux vient fondamentalement du monde protestant, plus précisément de sa composante puritaine. On ne peut comprendre ce phénomène que dans les catégories particulières du puritanisme, en fonction de son histoire. C’est très complexe, mais pour faire court : c’est ce qui arrive quand vous vous êtes mis une telle pression, que vous disjonctez littéralement. Dans les entreprises aujourd’hui, on appelle ça un burn out. Or, cela n’est pas juif : l’Election collective sur une base ethnique produit sans doute des pathologies, clanisme, rapport tronqué à l’universel, insertion ambiguë dans les processus sociaux généraux, etc. Mais elle ne peut pas engendrer ce type de burn out. Quand on répète l’année prochaine à Jérusalem, en réalité on est hors du temps. Le rapport juif au temps, je veux dire le rapport religieux juif au temps, dissipait l’angoisse ; c’est la combinaison d’un rapport au temps issu de la modernité, en particulier dans sa variante anglaise, et d’une métaphysique de l’Election à la fois prédéterminée et individuelle, personnelle disons, qui a créé la surpression à l’origine du burn out. Les Juifs ont leur défaut, leur idéologie nationale agressive est aussi conne que les autres, mais on ne peut pas leur mettre sur le dos la catastrophe du sionisme religieux. Ça, c’est un bug du logiciel protestant anglo-hollandais. Sous cet angle, soit dit en passant, il est très maladroit de réfuter l’argumentaire sioniste sur la base d’une lecture historiciste de l’Ecriture.

Je pense ensuite que le sionisme n’est pas nécessairement l’esprit, la quintessence de la volonté de domination, qui peut venir d'ailleurs ; et je pense encore moins qu’on puisse inscrire ce trait, l'esprit de domination, dans une continuité avec un judaïsme supposé parfaitement unitaire.

Concernant le lien supposé entre judaïsme et esprit de domination, je sais bien sûr qu’ici on me sortira les passages sanglants du Talmud, ceux où il est expliqué qu’un goy n’a pas toutes les fonctions de l’esprit, qu’un Juif a le droit de tuer un goy, etc. Le seul problème, c’est que vous trouverez l’équivalent à peu près dans toutes les traditions, y compris celle du christianisme. Il est vrai que nous n’avons jamais écrit nos lois orales, ce qui limite le caractère sanguinolent des fragments qu’on exhumera de notre tradition. Mais quant au reste, vous n’avez qu’à piocher dans ce que nous avons dit des musulmans, ce qu’eux ont dit de nous ou des Hindous, lesquels ne doivent pas être en reste, etc. Sur ce plan, la seule originalité des Juifs, réelle et significative il est vrai, est d’avoir écrit très tôt leur loi orale, créant ainsi une mémoire de tout, y compris du pire.

En réalité, aucune tradition ne peut survivre des siècles si elle n’inclut pas plusieurs tendances opposées. La tradition juive ne fait pas exception. Il y a toujours eu, chez les Juifs comme ailleurs, des types assoiffés de domination. Et il y a toujours eu, chez les Juifs comme ailleurs, des types assoiffés de justice. Comme la tradition juive est fondamentalement différencialiste, il est vrai que la justice n’y rime pas avec l’égalité. Mais elle est bien là, d’une manière qui peut étonner en France, aujourd’hui, mais qui est réelle.

Enfin, concernant le lien supposé entre sionisme et esprit de domination, il est exact, mais pas exclusif ou même particulièrement structurant dans la réalité du monde contemporain.

Le sionisme idéologique juif est dominateur parce que c’est une idéologie nationaliste, et les idéologies nationalistes sont dominatrices. Ce n’est pas une spécificité juive ; les Allemands, dans le genre, ont fait très fort aussi, ainsi que les Japonais. Nous-mêmes, nous aurions quelques reproches à nous faire.

Le sionisme religieux est dominateur, et il est vrai qu’il l’est de manière particulièrement dangereuse. C’est une perversion de l’esprit qui se rapproche beaucoup de la perversion idéale, et sans doute, pour un occidental, il est tentant d’y voir en quelque sorte l’alpha et l’oméga du principe de domination. Ça peut se comprendre. Les sionistes, d’ailleurs, se donnent énormément de mal pour nous convaincre de cela ; je me demande parfois s’il n’y a pas ici une forme de sadomasochisme, une perversion dans la perversion. Ça fait penser à un enfant qui sait qu’il a désobéi, et qui cherche inconsciemment à se faire choper par la patrouille, pour vérifier que papa va le punir, et donc s’intéresse à lui. Bref.

Le hic, en tout cas, c’est qu’il n’y a pas de sioniste en Chine, et que pourtant, on fait difficilement plus dominateur que le pouvoir chinois contemporain. Il faudrait quand même se souvenir à un moment donné qu’il n’y a pas qu’en Palestine qu’on ne peut pas faire trois mètres sans qu’un militaire vous fasse ouvrir votre sac. Allez donc vous balader à Pékin dans les zones gouvernementales, vous allez voir. Semblablement, il n’y a pas que les financiers juifs de Wall Street qui se comportent comme des porcs ; renseignez-vous sur le capitalisme indien, ce n’est pas triste.

En réalité, le fond du problème, c’est le capitalisme, et derrière le capitalisme, le pouvoir de la technique régnante, auto-justifiée. Nos sociétés fabriquent les conditions objectives pour que les pires sociopathes s’installent au sommet du pouvoir, et en jouissent sans retenue. Et la création de ces conditions objectives résulte, fondamentalement, d’un progrès technologique qui est allé beaucoup, beaucoup plus vite que l’avancement spirituel de l’humanité. En dernière analyse, c’est ça le problème. Le reste, c'est-à-dire l’action des réseaux d’influence, n’est que maladie opportuniste.

Attention : qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. D’abord, je n’ai pas dit que le sionisme n’était pas un problème. C’en est un, et un gros. Des types dans l’état psychologique du rav Dynovisz avec 400 têtes nucléaires à portée de la main, c’est un très, très gros problème. Ensuite, je n’ai pas dit que Soral devait être puni pour ses propos à ce sujet. Je trouve qu’il faut le contredire quand il dit quelque chose de faux, mais je suis prêt à le soutenir, financièrement si nécessaire, si on l’embête avec cette histoire, judiciairement je veux dire. On doit avoir le droit de donner son opinion en France, même quand on se plante.

Ce que je dis en revanche, pour synthétiser, c’est qu’il ne faut pas croire, si on voit un tankiste debout dans une tourelle, que c’est forcément lui qui a donné l’ordre de faire rouler le char sur une foule de manifestants. Au fond, c’est peut-être, tout au plus, un barjo utile, voire un simple exécutant.

Quant à Jacques Attali, il n’est représentatif que du niveau des « élites » actuelles.

Est-ce que vous pensez vraiment que le gars qui est contrôlé dix fois par jour par un militaire, en Irak, il a le temps de comprendre que ce militaire américain n’est pas représentatif de sa société ?

Je crois, hélas, que ce militaire est représentatif de la société US, qui est dans l’ensemble brutale et très stupide. En revanche, il n’est pas représentatif du projet de Thomas Jefferson.

Pour le reste, bien sûr que non, le gars n’a pas le temps de comprendre. C’est d’ailleurs ma conclusion : les salauds vont réussir à manipuler les gens. Là-bas comme ici. A nous de faire en sorte qu’ils manipulent le moins possible, le moins longtemps possible.

Est-ce que vous ne croyez pas que le choc des cultures, que vous dites réel, n’est pas déjà surmonté par les classes dirigeantes elles-mêmes ?

D’une manière générale, le choc des civilisations, c’est pour les pauvres. Au niveau des classes supérieures, le besoin de créer une synthèse des aspects supérieurs des cultures antagonistes est beaucoup plus faible, parce que ces classes ont le temps et les codes pour intégrer la coexistence de plusieurs cultures. En surplomb de ces cultures, elles ont généralement accès aux méthodes d’intermédiation et de dialectisation qui permettent justement ces coexistences culturelles. En outre, elles disposent des conditions de vie matérielle qui rendent possible une mise à distance physique de l’Autre, qu’on peut aller voir quand on le souhaite, mais aussi cesser de voir quand on préfère ne pas le voir. Et, cerise sur le gâteau, ces classes supérieures s’inscrivent dans des logiques collectives de réseau qui permettent la coopération même sans lien culturel fort – quand on a beaucoup à gagner avec quelqu’un, on oublie sa couleur de peau ou sa religion…

Ce sont ces méthodes du surplomb culturel qu’il faudra, dans les générations qui viennent, enseigner aux pauvres, pour que le choc des civilisations, ce ne soit plus l’affaire de personne. Mais ce sera très difficile, parce que ces méthodes reposent généralement sur la construction d’une authenticité de la personne à travers le pouvoir, la richesse, le principe de différenciation que la personne détient. D’où le problème : comment mettre le peuple en surplomb de la culture populaire ? C’est la complexité de cette question qui fait qu’à mon avis, il faudra des générations pour inventer le monde culturel de la mondialisation matérielle.

Est-ce que vous ne croyez pas qu’au fond, il faudrait arrêter complètement de parler du choc, faire comme s’il n’existait pas ? Est-ce que rien ne peut nous unifier ?

Je suis d’accord qu’il ne faut pas trop en parler. Cela dit, on ne peut pas non plus faire comme si on ne remarquait rien, quand un monsieur au Bengladesh sort un bouquin, intitulé « Le livre du Dajjal », où il est écrit en toute lettre, si je résume, que l’Antéchrist, c’est notre civilisation, parce qu’à cause de Saint Paul, nous avons un jour séparé l’Eglise et l’Etat, et donc nié que l’homme doive vivre entièrement selon la Loi divine. On voit bien qu’il y a un problème, quand au même moment, des milliers de mosquées sont en projet chez nous.

Je pense qu’il faut parler du sujet pour en montrer la complexité, produire de l’analyse, refuser les simplismes – mais ne pas trop en parler. C’est un équilibre à trouver. L’objectif, c’est de faire comprendre au maximum de gens que nous devons trouver, ensemble, une voie pour sortir de la situation impossible où nos dirigeants nous ont mis. Si les gens comprennent cela, ils sortiront de la logique de confrontation.

Ce qui peut nous unifier, en réalité, c’est la prise de conscience du caractère obscène de nos classes dirigeantes et des manipulations par lesquelles elles se maintiennent. En ce  sens, dénoncer le choc des civilisations est utile aussi pour dénoncer ceux qui le promeuvent.

Ce qui nous unifie, c’est l’exigence de respect, au fond. Quand on est musulman, on ne comprend pas forcément pourquoi les occidentaux défendent ce qu’ils appellent la liberté, sans bien définir le mot. Quand on est occidental, on ne comprend pas pourquoi les musulmans défendent l’islam, qui de notre point de vue les opprime. Mais tout chrétien peut comprendre pourquoi un musulman refuse que les émirs se payent du champagne et des putes à Marbella, pendant que ces mêmes émirs prêchent le puritanisme wahhabite au Saoudien ordinaire. Et tout musulman peut comprendre pourquoi il n’est pas normal qu’un chômeur américain crève de faim, au pied d’un gratte-ciel où des traders se versent des bonus monstrueux parce qu’ils ont détruit son entreprise. Si quelque chose peut nous sauver du choc programmé, faire prendre conscience à tous qu’il faut sortir du piège, c’est bien cette commune conscience de l’indécence et cette universelle exigence de respect.

 

vendredi, 14 janvier 2011

Un choc interne des civilisations

UN CHOC INTERNE DES CIVILISATIONS

1244568071.jpg Par Dominique Venner

Editoral de la Nouvelle Revue d'Histoire n°51 (cliquez ici)

Les comparaisons historiques sont toujours stimulantes. Celles que propose notre dossier sur les années 30 montrent à quel point nous sommes entrés dans une autre histoire et une tout autre époque.

L’histoire n’évolue pas comme le cours d’un fleuve, mais comme le mouvement invisible d’une marée scandée de ressacs. Nous voyons les ressacs, pas la marée. Ainsi en est-il du moment historique actuel que vivent les Européens et les Français. Les ressacs contradictoires de l’actualité leur masquent la marée inexorable d’un choc des civilisations sur leur propre sol.

Avec une prescience assez remarquable, dès 1993, Samuel Huntington avait discerné l’une des grandes nouveautés de l’époque qui a suivi la fin de la guerre froide. Sa thèse du « choc des civilisations » suscita des réactions indignées et des critiques parfois justifiées (1). Pourtant, ce qu’elle annonçait s’est peu à peu inscrit dans la réalité. En substance, Huntington avait prévu que, dans le monde nouveau d’après la guerre froide, les distinctions, les conflits ou les solidarités entre les puissances ne seraient plus idéologiques, politiques ou nationales, mais surtout civilisationnelles. 

Le « choc des civilisations » est-il vraiment un phénomène neuf ? On répondra qu’il y a toujours eu des conflits de civilisations dans le passé, guerres médiques, passage de la romanité au christianisme, conquêtes musulmanes, invasions mongoles, expansion européenne à partir du XVIe siècle, etc.

La nouveauté de notre époque, d’ailleurs mal discernée par Huntington, tient à la combinaison de trois phénomènes historiques simultanés : l’effondrement de l’ancienne suprématie européenne après les deux guerres mondiales, la décolonisation et la renaissance démographique, politique et économique d’anciennes civilisations que l’on aurait pu croire disparues. C’est ainsi que les pays musulmans, la Chine, l’Inde, l’Afrique ou l’Amérique du Sud dressent, face à la puissance américaine assimilée à l’Occident, le défi de leurs civilisations renaissantes et parfois agressives.

L’autre nouveauté de l’époque, une nouveauté absolue, conséquence des mêmes retournements historiques, est l’immigration de peuplement d’origine africaine, orientale et musulmane qui frappe toute l’Europe occidentale. Partout, ses effets deviennent écrasants, en dépit des efforts de dissimulation des oligarchies politiques et religieuses, objectivement complices.

Au-delà des questions de « sécurité », agitées dans des intentions électorales, tout montre que s’exacerbe en réalité un véritable choc des civilisations sur le sol européen et au sein des sociétés européennes. Rien ne le prouve mieux que l’antagonisme absolu entre Musulmans et Européens sur la question du sexe et de la féminité. Question que l’on pourrait qualifier d’éternelle, tant elle est déjà discernable dans l’Antiquité entre l’Orient et l’Occident, puis tout au long du Moyen Age et des époques modernes (2). Le corps de la femme, la présence sociale de la femme, le respect pour la féminité sont des révélateurs éloquents d’identités en conflit, de façons d’être et de vivre irréductibles qui traversent le temps. On pourrait ajouter quantité d’autres oppositions de mœurs et de comportement, touchant au savoir-vivre, à l’éducation, à la nourriture, au respect de la nature et du monde animal.

Par contre coup, cette altérité fondamentale fait découvrir aux Européens leur appartenance à une identité commune. Celle-ci surclasse les anciens antagonismes nationaux, politiques ou religieux. Français, Allemands, Espagnols ou Italiens découvrent peu à peu qu’ils sont embarqués dans un même bateau menacé, confrontés au même défi vital devant lequel les partis restent muets, aveugles ou désemparés.

Face à ce conflit de civilisation, les réponses politiques d’autrefois apparaissent soudain dérisoires et périmées. Ce qui est en cause n’est pas une question de régime ou de société, de droite ou de gauche, mais une question vitale : être ou disparaître. Mais avant de trouver l’énergie de décider ce qui doit être fait pour sauver notre identité, encore faudrait-il avoir de celle-ci une conscience forte (3). Faute d’une religion identitaire, cette conscience a toujours manqué aux Européens. L’immense épreuve qu’ils traversent se chargera de l’éveiller.

1) Voir la NRH n° 7, p. 27 et p. 57.

2) Denis Bachelot, L’Islam, le sexe et nous (Buchet-Chastel, 2009). Voir aussi l’article de cet auteur dans la NRH n° 43, p. 60-62.

3) Sur cette question de l’identité, je renvoie à mon essai Histoire et tradition des Européens (Le Rocher, nouvelle édition 2004).

La Nouvelle Revue d'Histoire est en vente dans toutes les Maisons de la Presse.

mardi, 18 mai 2010

Lo scontro delle civiltà in America

Lo scontro delle civiltà in America

di Carlos Pereyra Mele

Fonte: eurasia [scheda fonte]


 
Lo scontro delle civiltà in America

La crisi finanziaria ed economica scoppiata nel 2008 come conseguenza delle bolle finanziarie americane e che si è diffusa a livello planetario grazie alla propria dinamica globalizzatrice, ha contagiato e assestato un duro colpo alle economie degli affiliati storici della triade (USA, UE e Giappone), la sua ultima manifestazione è quella rappresentata dal quasi default della Grecia nella cosiddetta Eurozona. Inoltre, si può confermare, che le potenze emergenti del cosiddetto gruppo BRIC (Brasile, Russia, Cina e India) non solo hanno superato la crisi, ma detengono forti tassi di crescita se comparati con quelli della triade summenzionata.

Sebbene sia prematuro determinare se in un futuro ravvicinato il BRIC si consoliderà in un blocco contrapposto a quello della triade, la sola crescita della Cina ha già determinato nell’attuale politica internazionale un forte cambio nei rapporti di potere come si sono conosciuti fino ad ora. Il BRIC approfondisce i suoi rapporti e lentamente sta stabilendo un’agenda comune i cui esiti si sono visti nel recente summit svoltosi in Brasilia (1).

Questa nuova realtà si presenta in termini politici e strategici globali con un evidente declino di quella che fu la superpotenza assoluta, gli USA, che, con la scomparsa dell’ex URSS, cercò di instaurare un mondo unipolare con gli alleati minori della Triade in funzione di soci. La realtà dimostra che la sua strategia, fondata su un gigantesco apparato militare dalle proporzioni mai viste nella storia dell’umanità, e per il quale non ha lesinato risorse finanziarie, economiche e tecnologiche, non ha raggiunto gli obiettivi prospettati dai governi americani, da Reagan fino a oggi. Anzi, si ammette che questo sistema è in crisi dottrinale e che cerca di rinnovare le sue strategie di fronte al rinvigorimento delle potenze continentali emergenti con le quali si confronta.

Per ottenere appoggio ideologico e dottrinale, i gruppi di potere degli USA hanno fatto ricorso a diverse dottrine e una di queste è stata quella dello Scontro delle Civiltà, concepita dal professor Samuel P. Huntington dell’Università di Eaton e direttore del John M. Olin Institute for Strategic Studies dell’Università di Harvard. Per mezzo di questa teoria l’autore ha predetto che i principali attori politici del secolo XXI saranno le civiltà al posto degli stati-nazione. Questa teoria è servita per individuare un nuovo “nemico”, poiché quello della guerra fredda, ossia l’URSS, era scomparso negli ultimi anni, identificato su misura con quello del “fondamentalismo islamico”, il quale è passato a rimpiazzare il comunismo internazionale.

Ma questo cerchio pericoloso non si è chiuso così e il già scomparso Samuel P. Huntington riformulò la sua idea dello scontro delle civiltà in un altro libro: Chi siamo: le sfide all’identità nazionale americana, apparso nel 2004, nel quale s’individuava un nuovo “pericolo” per gli Stati Uniti, poiché, secondo lui, era in gioco: “L’identità nazionale americana e la possibile minaccia rappresentata dall’immigrazione latinoamericana su grande scala, la quale dividerà gli Stati Uniti in due popoli, due culture e due lingue”, giacché Huntington afferma che gli Stati Uniti storicamente sono stati un paese di cultura protestante anglosassone. E che l’arrivo in massa degli immigranti latini negli USA attentano contro il sogno americano, il quale, secondo le sue parole, è il “sogno creato da una società anglo-protestante”, e aggiunge che i messicani-americani possono “partecipare a questo sogno e a questa società solo se sognano in inglese”. Queste idee si sono intrise in profondità e in maniera molto notevole nei settori più reazionari della destra americana, soprattutto adesso quando gli ispano parlanti formano il segmento della popolazione che negli ultimi anni più si è sviluppato negli USA, secondo i dati resi noti dall’Ufficio del Censimento americano. E questo nuovo “pericolo” offre argomento, in epoche di crisi, allo spuntare negli USA di movimenti politici di estrema destra conservatrice come è il caso del cosiddetto Tea Party, “espressione ultraconservatrice che si è formata un anno fa in protesta al progetto di stimolo economico e che, in termini di visibilità, si è sviluppato nella campagna contro la riforma della salute voluta dal governo di Barack Obama. Questo movimento nella sua maggioranza è conformato da uomini bianchi repubblicani maggiori di 45 anni, i quali si considerano arrabbiati o furiosi nei confronti di Washington”. E sono anche causa: “Di manifestazioni d’ira popolare di destra che si registrano quando s’informa della presenza di maggiori crimini per odio razziale o per l’aumento dei gruppi xenofobi di estrema destra (2). I gruppi di civili armati sono cresciuti esponenzialmente (denominati milizie “patriottiche”, formate da uomini bianchi, anglosassoni e protestanti), secondo quanto comunicano all’opinione pubblica le agenzie federali sulla sicurezza negli USA. E che nella frontiera con il Messico si dedicano a “cacciare” immigranti privi di documenti, ad esempio, i fine settimana. È la rinascita del nazionalismo conflittuale.

Per questa ragione, con un altro giro di vite, e facendo riferimento a questa idea forza, lo stato dell’Arizona ha emanato la legge di Immigrazione, applicazione della legge e popolazione sicura, che costituisce un affronto alla dignità umana e che dimostra che non è per tutti “l’era della globalizzazione” e, in particolare, per gli immigranti latini che si trovano negli USA.

Evidentemente, le notizie quotidiane sul fenomeno del narcotraffico e la violenza in Messico sono alla base di questa legge, ma dobbiamo mettere in chiaro alcuni punti: Messico è socio degli USA, insieme a Canada, del NAFTA (stramba società questa, solo pensata in termini di affari, ma non per il libero movimento dei suoi cittadini all’interno del blocco), un altro aspetto è quello che il fenomeno del narcotraffico è una conseguenza del fatto che gli USA sono il principale mercato mondiale del consumo di droghe, il quale non è riuscito a combattere con efficacia le mafie operanti sul suo territorio, facendo ricadere al Messico la causa del problema ( così come anche alla Colombia, la Bolivia e il Perù ), attualmente il Messico si trova in una gravissima situazione di violenza senza precedenti e che nei circoli di potere americani ha sollevato il problema di intervenire sul suo territorio militarmente. L’ex presidente Clinton ha pubblicamente preso in considerazione che, per quanto concerne il Messico, si devono gettare le basi di un accordo simile a quello del “Plan Colombia” (il che trasformerà questo paese in uno stato fallito); e un dettaglio da non tralasciare è quello rappresentato dalle gravi conseguenze economiche e sociali cagionate dall’incorporazione di questo paese nell’accordo di libero commercio con gli USA (NAFTA). Per questa serie di ragioni, la teoria dello scontro delle civiltà rappresenta un argomento fallace e crudele nei confronti del popolo messicano.

Iberoamerica e, in particolare, l’America meridionale deve continuare con l’approfondimento di un proprio modello d’integrazione e di sviluppo, di fronte al nuovo ordine mondiale che si sta conformando, partendo da un processo strategico autonomo e diverso da quello che cerca d’imporre la superpotenza declinante e che, diciamocelo di una buona volta, nei nostri paesi conta ancora con l’appoggio di numerosi settori di potere vincolati a quel tipo di dipendenza, giacché se vediamo di là dei discorsi e delle buone intenzioni come quella di Obama nell’ultimo summit con i paesi del continente, la veduta e la strategia di Washington non si è modificata nei confronti del continente. Concretamente, si continua a scommettere sulla militarizzazione e la segregazione dei popoli latinoamericani, stabilendo una specie di diplomazia di “vicini lontani”, poiché ciò che solo interessa è preservare i propri privilegi conquistati durante la guerra fredda e impedire l’entrata di paesi extracontinentali concorrenti. Per questo motivo il fatto di irrobustire strutture come l’UNASUR o il MERCOSUR, la creazione di un organismo regionale che soppianti l’OEA e che escluda la partecipazione americana, rilanciare la Banca Sudamericana, un proprio sistema difensivo e avere come orizzonte la costruzione di uno stato continentale industrializzato, rappresentano i mezzi concreti e reali per consentirci di uscire dalla nuova dipendenza che si cerca di mettere in pratica nel secolo XXI e, in questo modo, consolidare i propri percorsi che sono diversi da quelli della potenza del Nord. Perché nella pratica concreta un rapporto asimmetrico e individuale nei confronti degli USA da parte di ogni singolo paese solo impedisce la nostra crescita e sviluppo e ci introduce in conflitti che questo ha generato, dei quali non abbiamo nulla da spartire, poiché sono diversi e distanti dai problemi reali che i latinoamericani dobbiamo affrontare in questo nuovo secolo. Così come anche il fatto di denunciare la xenofoba teoria dello scontro delle civiltà deve impedire che la stessa si applichi su scala globale.

* Carlos Pereyra Mele, politologo argentino e membro del Centro de Estudios Estratégicos Suramericanos, collabora con la rivista “Eurasia”.

Fonti:

  1. Hu Tsintao, El viaje al occidente de Washington hasta Brasilia por Roman Tomberg,

http://licpereyramele.blogspot.com/china-y-el-nuevo-orden-mundial.html

  1. Noam Chomsky, Alerta sobre el auge de la ultraderecha en EE.UU

http://licpereyramele.blogspot.com/2010/04/la-crisis-en-usa.html

Ultime notizie:

Los hispanos marchan contra la xenofobia

http://www.elpais.com/articulo/internacional/hispanos/marchan/xenofobia/elpepuint/20100501elpepuint_9/Tes

(trad. di V. Paglione)
Tante altre notizie su www.ariannaeditrice.it

lundi, 29 juin 2009

"Le choc des civilisations" de Samuel Huntington

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2003

"Le choc des civilisations" de Samuel Huntington

Conférence de Metz

Samedi 27.09.03

Présentation d’un ouvrage de géopolitique : HUNTINGTON (Samuel P.), Le Choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 1997.

 

 

Introduction.

 

Identification de l’auteur : Samuel P. Huntington est professeur à l’Université de Harvard.  Il dirige le John M. Olin Institute for Strategic Studies.  Il a été expert auprès du Conseil national américain de sécurité (N.S.C.) sous l’administration Carter (1977-1981).  Par ailleurs, il est le fondateur et l’un des directeurs de la revue Foreign Policy.  Il s’agit donc d’un personnage important au sein de l’ « école de géopolitique » américaine.  Et il n’est pas négligeable de signaler que son livre a été salué par deux autres théoriciens américains de renom :

-         Zbigniew Brzezinski, lui-même conseiller du président des Etats-Unis de 1977 à 1981, expert au Center for Strategic and International Studies, professeur à l’université Johns Hopkins de Baltimore et auteur notamment du Grand Echiquier paru en 1997.

-          Henry Kissinger, conseiller en matière de sécurité nationale et ministre-secrétaire d’Etat (à partir de 1973) sous les présidents R. Nixon (1969-1974) et G. Ford (1974-1977).  Henry Kissinger a publié récemment La Nouvelle Puissance Américaine.

 

Avant de rentrer dans une explication plus approfondie des grands thèmes développés par Huntington dans chacun des chapitres de son ouvrage, il est nécessaire de retracer brièvement sa genèse et les objectifs poursuivis par son auteur.

 

Le livre est issu d’une réflexion amorcée par Huntington dans un article publié durant l’été 1993 dans la revue Foreign Affairs.  Cet article s’intitulait The Clash of Civilizations ? et était rédigé sous forme d’hypothèse : Les conflits entre groupes issus de différentes civilisations sont-ils en passe de devenir la donnée de base de la politique globale ? Selon les éditeurs de la revue, cet article a suscité des réactions et des commentaires en provenance de tous les continents.  A tel point que Huntington, afin de répondre à ses laudateurs comme à ses détracteurs, a approfondi sa réflexion et a couché sous forme de thèse cette fois-ci, une nouvelle grille de lecture des relations internationales dans le livre constituant l’objet de notre conférence.  Il a été publié pour la première fois en 1996 par Simon et Schuster sous le titre : The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order.  Il a été traduit en français dès 1997 chez Odile Jacob.  Cette œuvre est plus intéressante que celle publiée par Brzezinski car elle témoigne d’une véritable recherche et n’hésite pas à se référer à des auteurs importants comme Toynbee- Spengler - Braudel - De Maistre.  En substance, le professeur Huntington y affirme :

 

« Le monde d’après la guerre froide comporte sept ou huit grandes civilisations.  Les affinités et les différences culturelles déterminent les intérêts, les antagonismes et les associations entre Etats.  Les pays les plus importants dans le monde sont surtout issus de civilisations différentes.  Les conflits locaux qui ont le plus de chance de provoquer des guerres élargies ont lieu entre groupes et Etats issus de différentes civilisations.  La forme fondamentale que prend le développement économique et politique diffère dans chaque civilisation.  Les problèmes internationaux les plus importants tiennent aux différences entre civilisations.  L’Occident n’est plus désormais le seul à être puissant.  La politique internationale est devenue multipolaire et multicivilisationnelle. »[1]

 

L’objectif poursuivi par Samuel Huntington est avant tout de donner aux dirigeants politiques américains et pourquoi pas européens une nouvelle grille de lecture des relations internationales.   Certains ont accusé Huntington de théoriser et de justifier dans son ouvrage la confrontation entre les Etats-Unis et le reste du monde, bref d’adopter une logique ouvertement belliciste.  Nous pensons que cet avis est erroné si nous nous en tenons au texte réel d’Huntington.  La réflexion de Huntington n’est pas le fruit de son imagination, elle s’appuie sur des faits concrets.  Huntington constate ainsi le déclin de l’Occident et l’émergence de nouveaux pôles de puissance aux intérêts divergents.   Sa logique n’est donc pas offensive mais plutôt défensive.  Ce livre résonne comme un signal d’alarme à l’adresse de la classe dirigeante occidentale : si vous ne tenez pas compte de cette nouvelle réalité qu’est l’émergence des autres civilisations, le triomphe de notre civilisation risque bientôt de n’être plus qu’un souvenir d’ici quelques dizaines d’années.  N’en doutons pas, la thèse de Huntington est destinée à constituer un paradigme, un modèle permettant de décrypter la réalité confuse en matière de politique internationale.  Son livre est à ce titre truffé de concepts opératifs réutilisables dans l’interprétation de nombreux événements politiques, concepts que je tenterai de dégager au cours de cette conférence.  A la doctrine Truman qui a dominé toute la période de la guerre froide, doit succéder la doctrine Huntington.  Huntington précise toutefois que, comme toute théorie des relations internationales, sa doctrine n’est pas infaillible.  Elle ne saurait rendre compte de tous les événements politiques d’importance survenus après la guerre froide.  Toutefois, elle permet d’en expliquer une majorité et c’est en cela qu’il estime sa théorie plus valide que les autres.

 

Chapitre premier : Le nouvel âge de la politique globale.

 

Dans son chapitre premier, Huntington passe en revue toutes les théories survenues après la guerre froide afin de donner de nouveaux repères aux géopolitologues.  Il analyse leurs qualités et leurs défauts à la lumière d’une règle simple mais efficace.  En géopolitique, une théorie est semblable à une carte topographique.  Plus une carte est détaillée, plus elle reflète la réalité mais l’abondance d’informations représentées la rend d’autant plus compliquée à lire.  Au contraire, une carte simplifiée n’indiquant que les axes principaux de communication se lit plus aisément à l’instar d’une théorie plus englobante des faits politiques permettant d’apporter une réflexion d’ensemble sur la réalité internationale.  Toutefois, si elle est trop simplifiée, la carte risque de perdre le voyageur tout comme une théorie trop abstraite qui contribuerait moins à interpréter les faits qu’à enfermer l’analyste dans une logique trop réductrice.  L’auteur ne veut donc pêcher ni par excès de détails, ni par simplification outrancière des événements internationaux.  

 

A la lumière de ces critères de qualité, il n’est pas inutile de développer brièvement les quelques théories qu’Huntington entend dépasser.

 

Un seul et même monde : euphorie et harmonie :   La fin de la guerre froide a pu sembler signifier la fin des conflits importants et l’émergence d’un monde relativement harmonieux.  La formulation de ce modèle la plus connue est celle de Francis Fukuyama, qui a avancé la thèse de « la fin de l’histoire ».  Selon Fukuyama, nous pourrions la définir en ces termes : « Nous avons atteint le terme de l’évolution idéologique de l’humanité et de l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme définitive de gouvernement. »  L’avenir ne sera pas fait de grands combats exaltés au nom d’idées ; il sera plutôt consacré à la résolution de problèmes techniques et économiques concrets.  Au vu et au su du nombre de conflits qui ont éclaté après la fin de la guerre froide, Huntington déclare que la réalité jure trop avec cette théorie pour qu’elle puisse nous servir de repère.

 

Deux mondes : « eux » et « nous » : Quoi de plus facile au sortir de la guerre froide que de diviser le monde en deux entités bien distinctes !  Division qui se prête admirablement bien à tous les manichéismes.  Ainsi certains ont eu coutume de diviser le monde entre le Nord et le Sud, c’est-à-dire, entre les pays modernes, développés et les pays traditionnels, sous-développés ou en voie de développement.  D’autres préfèrent à cette séparation matérielle, une séparation culturelle entre l’Occident et l’Orient.  Huntington réfute la validité tout comme l’utilité de cette division en terme géopolitique.  Il est effectivement improbable que l’on vit un jour apparaître une coalition des pays sous-développés désireuse de faire la guerre aux « capitalistes du Nord ».  De même la division culturelle entre Occident et Orient relève plus de nos propres fantasmes que d’une réalité bien établie.  Autant l’unicité de l’Occident peut-elle être partiellement prouvée en matière économique, politique et culturelle [même s’il est douloureux pour nous Européens de le reconnaître].  A ce sujet, nous renvoyons nos auditeurs à l’ouvrage d’Alexandre Zinoviev : L’Occidentisme[2].  Autant la réalité orientale est multiple.  Quoi de plus différentes entre elles constate Huntington que les sociétés hindoues, musulmanes ou encore chinoises.  Cette théorie est donc caduque car elle caricature trop la réalité.

 

Cent quatre-vingt-quatre Etats environ : D’après la théorie « réaliste » des relations internationales, les Etats sont les acteurs majeurs, et même les seuls importants dans les affaires mondiales.  Pour assurer leur survie et leur sécurité, les Etats s’efforcent immanquablement de maximiser leur puissance.  Si un Etat constate qu’un autre est en train d’accroître sa puissance et peut donc devenir une menace potentielle, il s’efforce de protéger sa sécurité en accroissant sa propre puissance et/ou en s’alliant à d’autres Etats.  Ces hypothèses permettent de prédire les intérêts et les actions des cent quatre-vingts quatre Etats environ qui existent dans le monde d’après la guerre froide.  Ce paradigme étatique donne une image bien plus réaliste et opératoire de la politique globale que les paradigmes unitaire et binaire.  Pour autant, ses limites sont importantes.  Il suppose en effet que tous les Etats perçoivent de la même façon leurs intérêts et agissent de la même façon.  Cette théorie ne saurait donc expliquer pourquoi le Canada ne s’arme pas afin de résister à une invasion potentielle des Etats-Unis.  Elle ne saurait non plus expliquer pourquoi les pays européens ont décidé de se réunir en une entité politique plus large.  Huntington constate que les valeurs, la culture et les institutions influencent grandement la façon dont les Etats définissent leurs intérêts.  Des Etats qui ont une culture et des institutions similaires ont des intérêts communs.  Des Etats démocratiques ont des points communs avec d’autres Etats démocratiques.

 

Un pur chaos : L’affaiblissement des Etats et, dans certains cas, leur échec accréditent une quatrième image, celle d’un monde réduit à l’anarchie.  Ce paradigme s’appuie « sur le déclin de l’autorité gouvernementale, l’explosion de certains Etats, l’intensification des conflits tribaux, ethniques et religieux, l’émergence de mafias criminelles internationales, le fait que les réfugiés se comptent par dizaines de millions, la prolifération des armes de destruction massive, nucléaires ou autres, l’expansion du terrorisme, la persistance des massacres et des nettoyages ethniques. »[3]  Comme le paradigme étatique, le paradigme chaotique est proche de la réalité.  Il donne une vision imagée et précise d’une bonne partie de ce qui se produit effectivement dans le monde.  Cependant, ce paradigme n’est pas opératoire ; on ne saurait effectivement prendre de décision politique rationnelle si l’on considère que le monde fonctionne comme un pur chaos.  Le monde s’il devient de plus en plus chaotique, ne va pas sans un certain ordre, celui des civilisations !

 

Chapitre II : Les civilisations hier et aujourd’hui.

 

Encore faut-il s’entendre sur la définition d’une civilisation.  Aux XVIIIe et XIXe siècles, le concept de « civilisation » servait à désigner toute société évoluée, notamment en terme matériel et institutionnel par opposition aux sociétés dites « barbares ».  Ce n’est évidemment pas le sens que prend le terme « civilisation » dans l’ouvrage d’Huntington.  Il n’étudie pas « la civilisation » comprise dans un sens universaliste.  Il critique même cette conception purement occidentale à certains passages du livre.  Au contraire, il étudie « les civilisations » caractérisées selon lui par divers éléments :

 

-         Premièrement, une civilisation est une entité culturelle.  Parmi les éléments culturels clés qui définissent une civilisation, Huntington dénombre le sang, la  langue, la religion, la manière de vivre.  Il constate que de tous les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus important est en général la religion.  Beaucoup de civilisations se sont identifiées au cours de l’histoire avec les grandes religions du monde.  Au contraire, des populations faisant partie de la même ethnie et ayant la même langue, mais pas la même religion, peuvent s’opposer, comme c’est le cas au Liban, en ex-Yougoslavie et dans le subcontinent indien.

  

-         Deuxièmement, les civilisations sont englobantes, c’est-à-dire qu’aucune de leurs composantes ne peut être comprise sans référence à la civilisation qui les embrasse.  Pour reprendre les termes de Toynbee, « les civilisations englobent sans être englobées par les autres ».  Une civilisation est ainsi le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer des autres espèces.  Les civilisations sont les plus gros « nous » et elles s’opposent à tous les autres « eux ».

 

-         Troisièmement, Huntington constate que les civilisations sont mortelles mais qu’elles sont des réalités d’une extrême longue durée.  Les Empires naissent et meurent, les gouvernements vont et viennent, les civilisations restent et survivent aux aléas politiques, sociaux, économiques et même idéologiques.

 

-         Enfin, puisqu’une civilisation est une entité culturelle, elle ne revêt pas de fonctions politiques telles que maintenir l’ordre, dire le droit, collecter les impôts, mener des guerres, négocier des traités, etc.  Seul le Japon est à la fois une civilisation et un Etat tandis que la Chine est une civilisation qui se veut être un Etat.  Nous rajouterons que dans les cercles de Synergies Européennes, nous affirmons que l’Eurosibérie est une civilisation qui doit être un Etat !

 

Enfin, après avoir donné sa définition de ce qu’est une civilisation, Huntington dénombre sept grandes civilisations contemporaines (ou plutôt six et demi) :

 

-         La civilisation chinoise qui daterait au moins de 1500 av. J.-C., voire de mille ans plus tôt.

-         La civilisation japonaise, dérivée de la civilisation chinoise et apparue entre 100 et 400 ap. J.C.

-         La civilisation hindoue depuis 1500 av. J.C.

-          La civilisation musulmane, née dans la péninsule arabique au VIIe siècle ap. J.C., elle s’est étendue en Afrique du Nord, en Espagne, et à l’est, en Asie centrale, dans le sous-continent indien et en Asie du Sud-Est.  En conséquence de quoi, on distingue au sein de l’Islam plusieurs cultures ou sous-civilisations : l’arabe, la turque, la perse et la malaisienne.

-         La civilisation occidentale dont Huntington date l’apparition à 700-800 ap. J.C.  L’Occident regroupe l’Europe, l’Amérique du Nord et les autres pays peuplés d’Européens, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. 

-          L’Amérique latine qui possède des caractéristiques propres suite à une évolution différente.  Huntington parle d’une culture corporatiste et autoritaire différente de la démocratie occidentale.  L’Europe et l’Amérique du Nord ont subi les effets de la Réforme et ont combiné culture catholique et culture protestante.  Historiquement, l’Amérique latine a seulement été catholique.  Enfin, la civilisation d’Amérique latine inclut des cultures indigènes, lesquelles n’existaient pas en Europe et ont été éliminées en Amérique du Nord.

-         La civilisation africaine, si possible.  Huntington émet l’hypothèse que l’Afrique subsaharienne pourrait s’assembler pour former une civilisation distincte dont le centre de gravité serait l’Etat d’Afrique du Sud.

 

En analysant la figure n°1 (= carte 1.3 [4]) fournie par Huntington, on remarque que le géopolitologue laisse la place à deux autres entités qu’il classe également sous le titre de civilisation : l’espace orthodoxe et l’espace bouddhiste.  Toutefois, il considère que le Bouddhisme et l’Orthodoxie bien que ce soient deux grandes religions, n’ont pas été à la base de grandes civilisations. Remarquons également que dans son analyse, Huntington opère une distinction très nette entre l’Europe et la Russie orthodoxe (cf. figure n°3 = carte de ligne de partage entre l’Europe et le monde orthodoxe[5])  Certes, la Russie se différencie du reste de la population européenne par son origine slave et sa religion orthodoxe mais les peuples slaves sont majoritairement chrétiens, ils sont indo-européens, blancs et leur histoire est étroitement liée depuis plusieurs siècles déjà à l’histoire européenne.  La distinction religieuse est d’ailleurs plutôt simpliste pour ne pas dire fausse quand on sait qu’aux yeux de la religion catholique, les protestants sont considérés comme hérétiques alors que les orthodoxes sont simplement schismatiques.  Comment ne pas voir dans cette séparation une habile manœuvre politique destinée à théoriser auprès de nos « élites » européennes, une frontière culturelle qui est loin d’être évidente.  Comment ne pas y voir la peur sous-jacente d’une alliance euro-russe, peur déjà bien présente à l’esprit des Américains en 1939 lors du Pacte Molotov-Ribbentrop.  Comment ne pas y voir un voile discret jeté sur l’idée d’une alliance continentale que tous les stratèges britanniques ou américains ont cherché à combattre depuis Mackinder en passant par Mahan, Spykman, Brzezinski et plus récemment Kissinger.  Il suffit de lire leurs ouvrages pour comprendre que le cauchemar américain est effectivement la réalisation d’un bloc politique eurasiatique s’étendant de Reykjavik à Vladivostok  tel que l’ont théorisé Thiriard ou Guillaume Faye.  Nous aurons l’occasion de revenir dans notre conclusion sur cet élément important.

 

Après avoir dénombré les différentes civilisations contemporaines, Huntington souligne un détail essentiel.  En quoi la situation a-t-elle changé par rapport au passé ?  Les civilisations existent depuis longtemps.  Pourquoi tout d’un coup pointer du doigt le risque d’un choc des civilisations alors que certaines d’entre elles sont plusieurs fois millénaires ?  Tout simplement parce qu’aux rencontres limitées entre civilisations a succédé une période d’intenses interactions.  Au XVe siècle l’influence puissante et unidirectionnelle de l’Occident sur les autres civilisations a commencé à se manifester.  Pendant quatre cents ans, les relations intercivilisationnelles se sont résumées à la subordination par l’Occident des autres civilisations.  « L’expansion de l’Occident a été facilitée par la supériorité de son organisation, de sa discipline, de l’entraînement de ses troupes, de ses armes, de ses moyens de transport, de sa logistique, de ses soins médicaux, tout cela étant la résultante de son leadership dans la révolution industrielle.  L’Occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée.  Les Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais. »[6]  Cependant cette supériorité a commencé à s’estomper à partir de la Première guerre mondiale.  Au XXe siècle, les relations entre civilisations sont passées d’une période dominée par l’influence unidirectionnelle d’une civilisation en particulier sur les autres à une phase d’intenses interactions multidirectionnelles entre toutes les civilisations.  L’expansion de l’Occident s’est arrêtée tandis que la révolte contre celui-ci a commencé.  Par à coups, la puissance de l’Occident a décliné relativement à celle des autres civilisations.  Cette situation laisse donc la place à l’émergence des sociétés non occidentales qui redeviennent les actrices de leur propre histoire, surtout depuis la fin des conflits idéologiques.  Dans ce contexte et vu les échanges de plus en plus soutenus entre les différentes civilisations à l’échelle mondiale, un choc entre civilisations a beaucoup plus de chance de se produire que par le passé !  Les Etats-Unis tentent de se substituer au rôle de gendarme du monde autrefois tenu par l’Europe mais ils ne cessent de s’attirer la haine des peuples.  Une haine lourde de conflits à venir.

 

Chapitre III : Existe-t-il une civilisation universelle ?  Modernisation et occidentalisation.

 

La civilisation universelle ?

 

 Samuel P. Huntington est très critique vis-à-vis du concept de civilisation universelle que l’on apparente souvent à la culture de Davos.  Sont convertis à cette culture nombre de nos hommes politiques, dirigeants d’entreprise, banquiers, hauts fonctionnaires, intellectuels et journalistes.  « Ils partagent tous la même foi dans les vertus de l’individualisme, de l’économie de marché et de la démocratie politique. »[7]  Cette culture est extrêmement importante parce que les personnes qui la partagent possèdent des responsabilités dans presque toutes les institutions internationales, dans plusieurs gouvernements, dans l’économie mondiale, dans la défense et dans les universités.   Cependant, souligne Huntington, que représentent ces convertis à l’échelle mondiale ?  Il est probable qu’en dehors de l’Occident, ils ne sont qu’une petite poignée (1% [peut-être moins] de la population) à partager ses valeurs et ils ne sont pas forcément en position de force au sein de leur propre société.  Il suffit pour cela de prendre comme exemple la Jordanie durant la dernière guerre du Golfe pour se rendre compte que seuls les dirigeants soutenaient l’effort américain dans la région tandis que la population jordanienne y était largement hostile.  Cette culture de Davos est donc loin de former une culture universelle.

 

De même, Huntington critique l’idée selon laquelle la diffusion des structures de consommation et de la culture populaire occidentale à travers le monde crée une civilisation universelle.  Entendez l’idée selon laquelle, puisqu’un hindou boit du coca-cola et porte des blue-jeans, il est forcément converti aux valeurs consuméristes de la société américaine.  En effet, nous sommes assez d’accord avec Huntington lorsqu’il affirme que nous ne pouvons identifier les simples aspects matériels d’une culture avec ses valeurs et ses idéaux profonds.  « Seule l’arrogance, dit-il, incite les Occidentaux à considérer que les non-Occidentaux « s’occidentaliseront » en consommant plus de produits occidentaux.  Le fait que les Occidentaux identifient leur culture à des liquides vaisselle, des pantalons décolorés et des aliments trop riches, voilà qui est révélateur de l’Occident. »[8]  Cependant nous rajouterons qu’il ne faut pas sous-estimer, sur certains esprits plus faibles, le pouvoir attractif de toutes nos cochonneries.  La colonisation massive de peuples allochtones que l’Europe connaît à l’heure actuelle n’est hélas pas là pour le démentir.  Quoique, la capacité d’intégration de la société occidentale tende à diminuer à mesure que le nombre d’étrangers y est plus important.  Le regroupement communautaire massif de ces populations favorise en effet la conservation des pratiques culturelles issues du pays d’origine.  Face à un peuple s’identifiant aux marques de shampoing et aux voitures de luxe, il est normal que des cultures plus fortes comme la culture arabe prennent progressivement le dessus à l’extérieur, comme à l’intérieur de nos frontières !

 

Enfin Huntington bat également en brèche la thèse selon laquelle un surcroît d’interactions (commerces, investissements, tourisme, médias, communication électronique) engendrerait une culture mondiale.  Et dans la mesure où ce sont de grands groupes américains et européens qui dominent la diffusion de l’information à l’échelle planétaire, cette culture mondiale serait forcément occidentale.  Premier argument critique avancé par Huntington : les populations du monde ne perçoivent pas les informations avec les mêmes schèmes de pensée.  Chaque culture possède sa grille de lecture.  Les Chinois ne regardent pas Dallas de la même manière que les Américains !  Deuxième argument, à notre sens le plus important, sous forme de question critique : en quoi les interactions de plus en plus nombreuses entre les peuples seraient synonymes de paix et de solidarité ?  On avait déjà argué par le passé que si l’on augmentait les rapports commerciaux entre les nations, la probabilité qu’une guerre éclate entre elles diminuerait.  Cette affirmation est évidemment totalement fausse et tout le monde connaît à l’heure actuelle l’expression « guerre commerciale » qui n’a pas besoin d’être commentée tant elle est lourde de sens.  De même, la sociologie a abondamment prouvé cette règle très simple que beaucoup de nos « penseurs » contemporains s’évertuent pourtant à oblitérer. : « On se définit par ce qu’on n’est pas ».  En psychologie sociale, la théorie de la distinction montre que les personnes se définissent par leurs différences dans un certain contexte.  Autrement dit, comme les communications, le commerce et les voyages multiplient les interactions entre civilisations ; on accorde en général de plus en plus d’attention à son identité civilisationnelle.  « Deux Européens, un Allemand et un Français, qui interagissent ensemble s’identifieront comme allemand et français.  Mais deux Européens, un Allemand et un Français, interagissant avec deux Arabes, un Saoudien et un Egyptien, se définiront les uns comme Européens et les autres comme Arabes. »[9]

 

Huntington appuie sa critique du concept de civilisation universelle en constatant un renouveau des langues nationales au détriment des langues coloniales.  En Inde par exemple, il est plus facile pour un voyageur qui traverse le pays de communiquer en hindi qu’en anglais.  De même il constate une « indigénisation » de langues comme le français ou l’anglais, deux langues qui ont pourtant des prétentions universalistes. En effet, l’anglais parlé au Cachemire ou le français de Côte d’Ivoire sont loin d’avoir gardé les accents de leur métropole d’origine.  Le renouveau religieux notamment dans les pays musulmans est un autre signe manifeste d’une plus grande conscience identitaire des anciens pays colonisés.

 

Les réactions à l’Occident et à la modernisation.

 

Un autre versant intéressant de la réflexion du stratège américain réside dans sa conceptualisation des réactions des peuples traditionnels face à l’Occident et la modernisation.  Il en comptabilise trois :

 

-         Le rejet total de l’Occident, c’est-à-dire le rejet par de petites communautés traditionnelles non seulement des valeurs de l’Occident mais également des artifices de la modernisation.  Huntington affirme que ce rejet est quasi insoutenable dans le monde « hyperglobalisé » dans lequel nous vivons.  Une société traditionnelle ne peut lutter avec des arcs à flèches contre des chars !

 

-         Le kémalisme consiste à adhérer à la fois à la modernisation et à l’occidentalisation.  Il est fondé sur l’idée que la modernisation est désirable et nécessaire, que la culture indigène est incompatible avec la modernisation et doit être abandonnée ou abolie et que la société doit être entièrement occidentalisée afin de se moderniser convenablement.  L’exemple le plus frappant est celui de la Turquie de Mustafa Kemal.  Le problème des pays choisissant cette voie réside évidemment dans la déchirure profonde et douloureuse entre les valeurs ancestrales et la société moderne.

 

-         Le réformisme tente de combiner la modernisation avec la préservation des valeurs, des pratiques et des institutions fondamentales de la culture propre à la société concernée.  C’est la voie qu’ont choisie au XIXe siècle des pays comme la Chine ou le Japon : « éducation chinoise pour les principes fondamentaux, éducation occidentale pour la pratique. » - « esprit japonais, technique occidentale. »[10] 

 

Comme vous pouvez le constater, l’ouvrage de Huntington est intéressant car il contient une foule de concepts permettant d’abstraire et ainsi de comprendre la réalité.  A partir de ces concepts, l’esprit peut explorer de nouvelles voies.  Huntington constate par exemple que beaucoup de pays traditionnels ont évolué du kémalisme vers le réformisme.  En effet, durant les premières phases du changement, l’occidentalisation favorise la modernisation.  Pendant les phases suivantes, la modernisation favorise la désoccidentalisation et la résurgence de la culture indigène de deux manières.  « A l’échelon sociétal, la modernisation renforce le pouvoir économique, militaire et politique de la société dans son ensemble et encourage la population à avoir confiance dans sa culture et à s’affirmer dans son identité culturelle.  A l’échelon individuel, la modernisation engendre des sentiments d’aliénation et d’anomie à mesure que les liens et les relations sociales traditionnelles se brisent, ce qui conduit à des crises d’identité auxquelles la religion apporte une réponse. »[11] 

 

La religion comme moteur civilisationnel.

 

La place que Huntington confère à la religion est importante.  Il est évident que pour nombre de personnes désorientées, surtout dans des sociétés vides de sens, la religion peut constituer un refuge, voire une façon plus solide d’appréhender la vie dans son ensemble.  La religion rend aux gens la fierté qu’ils avaient perdue, elle leur donne un passé, un présent, un futur, une structure mentale et sociologique ainsi que des aspirations communes.  C’est ce qui fait la force des sociétés culturellement homogènes et la faiblesse des Etats multiethniques et multiculturels.  Les pays à majorité musulmane sont un bon exemple de ce phénomène.  Les organisations islamiques y sont de plus en plus présentes sur le terrain.  Elles ont compris que pour prendre le pouvoir, il fallait être les premières à agir en cas de problème et s’imposer comme la seule alternative possible face au gouvernement en place.  Lors des tremblements de terre en 1992, au Caire, ces dernières étaient souvent les premières à soigner les blessés tandis que les secours gouvernementaux tardaient.  Huntington note qu’en 1995, tous les pays majoritairement musulmans, sauf l’Iran, étaient culturellement, socialement et politiquement plus islamiques et islamistes que quinze ans auparavant.  L’exemple irakien est encore plus criant.  Dans la détresse la plus totale, le peuple irakien se retourne inexorablement vers ses racines sunnites ou chiites.  Les hôpitaux musulmans ne désemplissent pas car ils sont les seuls à offrir un service de soins efficaces et gratuits !  La suppression du régime laïc de Saddam a ouvert une voie royale à une réislamisation du pays, la présence américaine ne faisant qu’exacerber davantage la conscience identitaire de la population.  Huntington assimile donc la religion à un véritable moteur civilisationnel, source de dynamisme.  C’est une interprétation techniciste et bien américaine d’un phénomène à notre sens plus profond.  Cependant, ignorer superbement cette donnée essentielle en politique internationale serait une erreur.  Elle a déjà coûté cher à l’Occident et risque encore de lui poser des problèmes dans un proche avenir.

 

Chapitre IV : L’effacement de l’Occident : puissance, culture et indigénisation.

 

Si Huntington constate un déclin de l’Occident, il est néanmoins d’accord pour dire qu’à l’heure actuelle, après sa victoire contre le communisme, la société occidentale profite toujours de sa position d’hyper puissance avec à sa tête un leader américain incontesté.  Ouvrons une parenthèse pour remarquer au passage que Huntington prend bien soin de définir le communisme vaincu comme un phénomène extra-occidental.  Dans son obsession de séparer la Russie de l’Europe, Huntington commet là une faute grave.  Considérer le communisme indépendamment de ses racines occidentales est un non-sens historique.  En effet, quoi de plus « occidental » au sens traditionnel, que le progressisme et le matérialisme historique qui caractérisent la société communiste ? 

 

Vu sa position de leader, les sociétés appartenant à d’autres civilisations ont toujours besoin de l’Occident aujourd’hui pour parvenir à leurs fins et protéger leurs intérêts car les nations occidentales :

 

-         possèdent et animent le système bancaire international ;

-         contrôlent les monnaies fortes ;

-         représentent les principaux pays consommateurs ;

-         produisent la majorité des produits finis ;

-         dominent les marchés internationaux de capitaux ;

-         exercent une autorité morale considérable sur de nombreuses sociétés ;

-         contrôlent les voies maritimes ;

-         mènent les recherches techniques les plus avancées ;

-         contrôlent la transmission du savoir technique de pointe ;

-         dominent l’accès à l’espace ;

-         dominent l’industrie aéronautique ;

-         dominent les communications internationales ;

-         dominent le secteur des armements sophistiqués.[12]

     

Mais qu’adviendra-t-il demain de la société occidentale.  Huntington inventorie aussi les signes manifestes de notre déclin :

 

-         faible croissance économique ;

-         stagnation démographique ; (cf. figure n°2 = figure 5.2[13])

-         chômage ;

-         déficit budgétaire ;

-         corruption dans les affaires ;

-         faible taux d’épargne ;

-         déclin moral…[14]

 

Parmi les plus évidentes manifestations du déclin moral, Huntington cite avec une très grande lucidité :

 

-         Le développement de comportements antisociaux, tel que le crime, la drogue, et plus généralement la violence.

-         Le déclin de la famille, se traduisant par l’augmentation du taux des divorces, les naissances illégitimes, les grossesses d’adolescentes et les familles monoparentales.

-         Le déclin du « capital social », tout du moins aux Etats-Unis, c’est-à-dire la participation plus faible à des associations bénévoles et, de fait, le relâchement des relations de confiance qui s’y nouent.

-         La faiblesse générale de « l’éthique » et la priorité accordée à la complaisance.

-         La désaffection pour le savoir et l’activité intellectuelle, qui se manifeste aux Etats-Unis [comme en Europe] par la baisse du niveau scolaire.[15]

 

Il s’ensuit une certaine érosion de la culture occidentale, tandis que les mœurs, les langues, les croyances et les institutions indigènes, enracinées dans l’histoire, sont réaffirmées.  La puissance accrue des sociétés non occidentales sous l’effet de la modernisation engendre le renouveau des cultures non occidentales dans le monde entier.  « Le lien entre puissance et culture a presque toujours été négligé par ceux qui pensent qu’apparaît et doit apparaître une civilisation universelle comme par ceux pour qui l’occidentalisation est une condition nécessaire de la modernisation.  Ils refusent de reconnaître que la logique de ces raisonnements les incline à soutenir l’expansion et la consolidation de la domination de l’Occident sur le monde et que si les autres sociétés étaient libres de façonner leur propre destin, elles revigoreraient leurs croyances, leurs habitudes et leurs pratiques, ce qui, selon les universalistes, est contraire au progrès. »[16]  Et pourtant, désormais, les Extrêmes-Orientaux attribuent leur réussite économique non aux emprunts à la culture occidentale mais à leur adhésion à leur propre culture.  Ils réussissent, pensent-ils, parce qu’ils sont différents des Occidentaux.   Cette résurgence des cultures non occidentales, Huntington la désigne au moyen du concept d’ « indigénisation ».  Cette indigénisation s’accompagne d’un renouveau religieux favorisé notamment par la chute du communisme.  Les civilisations voient le communisme comme le dernier dieu laïc à avoir échoué.  La religion prend la place de l’idéologie, et le nationalisme religieux remplace le nationalisme laïc.  Nous sommes habitués dans nos pays d’Europe occidentale à associer la pratique religieuse à la vieille génération.  Force est de constater que dans les pays musulmans ou encore en Inde, ce sont les jeunes de la classe moyenne qui sont à la tête de ce mouvement religieux qu’Huntington appelle aussi « la revanche de Dieu. »  Face à cette déferlante jeune et dynamique, à forte conscience identitaire, Huntington n’a-t-il pas raison de lancer un cri d’alarme, n’en déplaise à ses détracteurs ?

 

Chapitre V : Economie et démographie dans les civilisations montantes.

 

Ce chapitre n’est pas essentiel.  Il ne fait qu’appuyer, colonnes de chiffres à l’appui que l’économie et la démographie occidentale régressent alors que plusieurs autres civilisations émergent dans les deux domaines.  Huntington écrit un peu avant la crise financière asiatique et n’en parle donc pas. 

 

Chapitre VI : La recomposition culturelle de la politique globale.

 

Une autre conséquence de la fin de la guerre froide est la suivante.  Alors qu’avant il était loisible à un peuple de se définir comme non aligné, c’est-à-dire comme n’appartenant ni à l’une ni à l’autre idéologie, il devient de plus en plus difficile à l’heure actuelle d’échapper à cette question : « Qui êtes-vous ? »  Selon Huntington, tous les Etats doivent pouvoir répondre à cette question au risque de ne pas trouver leur place dans le concert des nations.  Ce problème d’identité est évidemment d’autant plus intense dans les pays où vivent d’importants groupes de population appartenant à différentes civilisations.  C’est un élément crucial en effet.  Lorsque l’Inde entre en conflit avec son voisin pakistanais, les combats n’embrasent pas seulement les frontières mais également les centres urbains où cohabitent hindous et musulmans.   Huntington a très bien compris le danger que pouvaient représenter la cohabitation au sein d’une même entité politique de plusieurs communautés d’origine différentes.  La moindre étincelle est susceptible de mettre le feu aux poudres.  Nous croyons d’ailleurs que les dirigeants européens commencent tout doucement à comprendre le phénomène : leur refus de prendre part à la dernière guerre du Golfe n’était sans doute pas seulement motivé par le respect des institutions internationales.

 

Si le livre d’Huntington a suscité tant de cris de chattes effarouchées de la part de nos intellectuels européens « immigrophiles », c’est sans doute parce qu’il est bâti sur un principe très simple, tellement simple mais aussi tellement dérangeant que la propagande émolliente caractérisant nos médias tente chaque jour de nous le faire oublier : les affinités culturelles facilitent la coopération et la cohésion, tandis que les différences culturelles attisent les clivages et les conflits.  C’est pourquoi, pour répondre à ses détracteurs, Huntington dresse dans son chapitre six, un argumentaire en six points appuyant ce principe :

 

  1. Dans un monde globalisé, les entités culturelles les plus larges sont les civilisations.  Il est donc logique que les conflits entre groupes appartenant à différentes civilisations soient centraux dans la politique globale.
  2. Dans la mesure où l’Occident ne se contente pas d’appliquer la doctrine Monroe à seule sphère civilisationnelle mais cherche à l’étendre au monde entier, il est logique que par réaction, les cultures se radicalisent et adoptent une position défensive sinon de combat.
  3. L’identité se définit toujours par rapport à l’autre.  Si tout le monde était blanc, il serait stupide de nous définir comme étant de race blanche, c’est parce qu’il existe d’autres types de population que cette distinction devient effective.  Les exemples historiques ne manquent pas pour prouver que l’attitude des peuples a toujours été modelée selon ce principe.  Dans la haute Antiquité, les Grecs se distinguaient des barbares, au Moyen Age et durant les Temps modernes, les règles régissant les relations entre nations chrétiennes étaient différentes de celles dictant l’attitude vis-à-vis des Turcs et des autres « infidèles ».  Enfin le Coran distingue clairement le Dar al-Islam et le Dar-al-Harb (c’est-à-dire la zone des convertis et la zone à convertir) et la guerre sainte ne sera jamais totalement terminée tant que l’Islam ne se sera pas imposé à l’ensemble de la planète.
  4. Les différents culturels sont difficiles à résoudre car les valeurs et les principes d’une culture ne sont pas négociables.  Il en va ainsi des problèmes territoriaux très aigus qui opposent musulmans d’Albanie et orthodoxes serbes à propos du Kosovo ou bien des Juifs et des Arabes à propos de Jérusalem, puisque ces lieux ont pour chaque camp une signification historique, culturelle et affective profonde.  La question du foulard qui secoue la politique française actuellement et qui pose également des problèmes en Belgique, relève du même type de conflit.  De tels problèmes culturels appellent des réponses par oui ou par non, non des demi-mesures.
  5. Les conflits ont existé, existent et continueront à exister.  La guerre est une dimension ontologiquement humaine même si elle est à déplorer.  Tout au plus l’homme peut-il diminuer la probabilité qu’elle survienne. 
  6. Huntington reprend enfin l’idée force de Karl Schmitt : l’essence de la politique est de définir qui sont nos amis et qui sont nos ennemis.  Une entité politique qui n’a que des amis est une utopie.

 

La structure des civilisations.

 

Parmi les concepts opératifs majeurs présents dans son ouvrage, les plus importants à notre sens sont relatifs à la structure des civilisations.  Huntington propose de classer les pays selon différentes catégories :

 

-         Etats phares : Une civilisation possède en général un lieu au moins qui est considéré par ses membres comme la source principale de sa culture.  Ce lieu est souvent constitué d’un Etat ou de plusieurs Etats.  Huntington parle dans ce cas d’Etat phare.  L’Etat phare possède un rôle important dans la sphère civilisationelle puisque c’est généralement lui qui fédère les autres Etats autour de lui.  Dans la civilisation orthodoxe, c’est la Russie qui joue ce rôle.  La civilisation chinoise porte chez Huntington le nom de son Etat phare, la Chine.  Nous avons déjà mentionné précédemment que la Chine avait des prétentions à réunir dans un même Etat l’ensemble de ce qu’elle considère comme la civilisation chinoise.  L’axe franco-allemand et les Etats-Unis constituent les Etats phares de la civilisation occidentale.  Par contre, le problème de la civilisation musulmane, note Huntington, est qu’elle ne possède pas d’Etat phare.

 

-         Pays isolés : Un pays isolé n’a pas d’affinités culturelles avec d’autres sociétés.  L’Ethiopie par exemple, est isolée culturellement par sa langue dominante, l’araméen, écrit en caractères éthiopiens, par sa religion dominante, l’orthodoxie copte, par son passé impérial, par ses différences religieuses vis-à-vis de ses voisins en majorité musulmans.  Le plus important pays isolé est le Japon.  Aucun autre pays n’a la même culture, et les émigrés japonais sont peu nombreux dans les autres pays et guère assimilés culturellement.

 

-         Pays divisés : Ce sont des pays dont le territoire est traversé par une frontière entre civilisations.  Ces pays sont confrontés à des problèmes aigus pour préserver leur unité.  De nombreux pays africains sont minés par des guerres civiles interminables entre chrétiens et musulmans : Soudan, Nigeria, Tanzanie, Ethiopie…  Avec la chute du communisme, la culture a bien souvent remplacé l’idéologie comme facteur d’attraction et de répulsion.  « L’effet de division a été particulièrement visible dans les pays divisés dont la cohérence, à l’époque de la guerre froide, était assurée par des régimes communistes légitimés par l’idéologie marxiste-léniniste.  La Yougoslavie et l’Union soviétique ont éclaté et se sont divisées en entités nouvelles regroupées sur des bases civilisationnelles : les républiques baltes (protestantes et catholiques) [qui vont d’ailleurs bientôt rejoindre l’Europe], les républiques orthodoxes et musulmanes de l’ex-Union soviétique ; la Slovénie et la Croatie catholiques ; la Bosnie-Herzégovine partiellement musulmane ; la Serbie-Monténégro et la Macédoine orthodoxes en ex-Yougoslavie.  Là où ces entités nouvelles rassemblent encore des groupes appartenant à plusieurs civilisations, des divisions de second ordre apparaissent. »[17]  Rappelons que le livre d’Huntington a été publié en 1996 et que la guerre du Kosovo n’avait pas encore eu lieu ; pourtant l’auteur écrit déjà à l’époque : « Le Kosovo, peuplé d’Albanais musulmans, restera-t-il paisible au sein de la Serbie orthodoxe slave ?  On ne le sait pas.  De même, des tensions apparaissent entre la minorité musulmane albanaise et la majorité orthodoxe slave en Macédoine. »[18]

 

-         Pays déchirés : Dans un pays divisé, des forces répulsives éloignent les groupes culturellement différents les uns des autres.  Un pays déchiré, par contraste, a une seule culture dominante qui détermine son appartenance à une civilisation, mais ses dirigeants veulent le faire passer à une autre civilisation.  La Turquie est le pays déchiré type depuis que, dans les années vingt, elle a tenté de se moderniser, de s’occidentaliser et de s’intégrer à l’Occident.

 

Chapitre VII : Etats phares, cercles concentriques et ordre des civilisations.

 

Les rôles assumés par l’Etat phare d’une civilisation sont multiples.  Il est à la fois un leader, un protecteur, un gendarme, un modèle et un centre autour duquel gravitent les autres Etats.  La création d’un bloc civilisationnel uni politiquement autour de son Etat phare n’est pas si saugrenue que certains voudraient le penser.  Elle génère en effet dynamisme et ordre au sein d’un vaste espace géographique et évite souvent nombre de guerres intestines au sein d’une même civilisation.   Dans la même logique, l’absence d’Etat phare à l’intérieur d’une civilisation condamne celle-ci à la stagnation et à la faiblesse face aux autres réellement cohérentes. 

 

Un cas particulier, le monde arabe.

 

A la lumière de cette règle on comprend mieux le manque d’unité du monde arabe.  En effet, en Occident, le parangon de la loyauté est depuis le XVIIe siècle l’Etat-nation.  Les groupes qui  transcendent les Etats-nations - communautés religieuses, linguistiques ou civilisations - requièrent une loyauté et un engagement moins intense.  Dans le monde islamique, au contraire, les deux structures fondamentales, originales et durables sont d’une part la famille, le clan, la tribu et d’autre part la Religion et l’Empire à plus grande échelle.  Les tribus ont été centrales dans la vie politique des Etats arabes, tandis que les gens se sentaient unis par de-là les différences tribales dans une même communauté de langue, de culture, de style de vie et surtout de religion, la communauté des croyants, la Oumma, transcendant les particularismes. 

 

Cependant, l’Islam est divisé en plusieurs centres de pouvoirs concurrents, chacun tentant de capitaliser à son profit l’identification des musulmans avec la Oumma afin de réaliser la cohésion islamique sous son égide.  Le concept de Oumma présuppose que l’Etat-nation n’est pas légitime, et pourtant la Oumma ne peut être unifiée que sous l’action d’au moins un Etat phare fort qui fait actuellement défaut.  Pour que l’Islam comme communauté religieuse se matérialise, il faudrait que les suprématies religieuse et politique (califat et sultanat) soient combinées en une seule entité gouvernementale.  Ce manque d’unité a été savamment entretenu tout au long de l’histoire coloniale, d’abord par les Britanniques puis après la Deuxième guerre mondiale par les Etats-Unis et leur allié israélien.  On sait maintenant que, dans la guerre fratricide qui a opposé l’Iran et l’Irak durant de nombreuses années, la politique des Etats-Unis ne consistait pas à s’engager pour un camp ou pour l’autre mais à en entretenir le conflit afin d’éviter l’émergence de tout Etat phare dans la région. 

 

Il est devenu banal d’affirmer que les Etats-Unis sont partis en guerre contre l’Irak pour s’accaparer les ressources pétrolières du pays.  Il l’est peut-être moins d’affirmer que les stratèges américains éliminaient de surcroît un pion gênant sur l’échiquier proche-oriental, cet Irak à l’idéologie ouvertement panarabe et où les discours présidentiels surfaient de plus en plus sur la vague du renouveau islamique.  Lorsque les dirigeants européens accusaient l’Amérique de ne pas ramener la paix dans la région mais de semer un trouble encore plus grand, sans doute ne se doutaient-ils pas qu’ils étaient fort proches de la vérité.  En prétendant devant les caméras du monde entier, vouloir ramener la paix et la sécurité au Proche-Orient, les Etats-Unis poursuivaient sur le terrain l’objectif inverse : diviser pour régner.  Parmi les Etats susceptibles de jouer le rôle de centre au sein de la civilisation islamique, Huntington cite l’Indonésie, l’Egypte, l’Iran, le Pakistan, l’Arabie Saoudite et la Turquie.  Il prend bien soin de ne pas mentionner l’Irak !    Notons que les groupes islamistes transnationaux tels les moudjahidin participant au djihad partout où leur foi leur dicte de combattre, ont bien compris la politique du « Grand Satan » et tentent aujourd’hui de fédérer la communauté des croyants par de-là les frontières.

 

Chapitre VIII : L’Occident et le reste du monde : problèmes intercivilisationnels.

 

Huntington précise sa théorie du choc des civilisations en hiérarchisant les relations entre les grands blocs civilisationnels.  Les aspirations universelles de la civilisation occidentale, la puissance relative déclinante de l’Occident et l’affirmation culturelle de plus en plus forte des autres civilisations suscitent des relations généralement difficiles entre l’Occident et le reste du monde.  Cependant leur nature et leur degré d’antagonisme varient considérablement et se décomposent en trois catégories (cf. figure n°4 = figure 9.1. [19]).  Avec ses civilisations rivales, l’Islam et la Chine, l’Occident risque d’entretenir des rapports très tendus et même souvent très conflictuels.  Ses relations avec l’Amérique latine et l’Afrique, civilisations plus faibles et dans une certaine mesure dépendantes vis-à-vis de lui, impliqueront des conflits moins forts, en particulier avec l’Amérique latine.  Les relations de la Russie, du Japon et de l’Inde avec l’Occident risquent, quant à elles, de se situer entre ces deux autres groupes.  Ce sont des civilisations qui hésitent entre l’Occident, d’un côté, et les civilisations islamique et chinoise, de l’autre.[20] 

 

Huntington dénoue en les explicitant plusieurs nœuds de problèmes attisant les conflits entre l’Occident et le reste du monde.    

 

La prolifération des armements.

 

Vu l’avance technologique acquise par les Etats-Unis dans le domaine de l’armement, il existe peu de moyens d’empêcher sa domination.  Un bon raccourci pour les Etats consiste à acquérir des armes de destruction massive (bombe nucléaire) avec les moyens de les utiliser (vecteurs tels les missiles).  Celles-ci leur permettent tout d’abord d’établir leur domination sur les autres Etats de leur civilisation et de leur région, et, ensuite, elles leur donnent les moyens d’empêcher une invasion de leur civilisation ou de leur région par les Etats-Unis ou d’autres puissances extérieures.  Huntington avoue que si l’Irak avait attendu deux ou trois ans pour envahir le Koweit, le temps de posséder des armes nucléaires, il en aurait très probablement pris possession et se serait peut-être même emparé des champs de pétrole saoudiens.  Ainsi, le résultat de la Guerre du Golfe n’est pas la réduction de la prolifération des armements mais l’inverse puisque les Etats non occidentaux ont tiré les leçons du conflit.  Désormais, des pays comme la Corée du Nord ou l’Inde savent qu’il ne faut pas se battre avec les Etats-Unis à moins d’avoir des armes nucléaires.  « Cette leçon, déclare Huntington, a été apprise par cœur par les dirigeants politiques et les généraux dans tout le monde non occidental, avec son corollaire : « Si vous avez des armes nucléaires, alors les Etats-Unis ne se battront pas avec vous. » »[21]   Nous le rappelons, ce livre a été écrit en 1996.  Peu de temps après se déroulaient effectivement les premiers essais nucléaires indiens.  Et dernièrement, la Corée du Nord a relancé son programme nucléaire !  Autre conséquence évidente de ce principe.  Alors que son armée est en pleine déliquescence, la Russie compte toujours parmi les grandes puissances parce qu’elle a réussi à maintenir un arsenal nucléaire suffisant en état de marche.  Paradoxalement, la possession de quelques armes nucléaires devient l’arme des faibles.  Le terrorisme constitue également une arme privilégiée des faibles ; la plupart des Etats étant démunis quant à la réponse à apporter à ce type d’agression.  L’Etat ne peut réagir en attaquant un autre Etat comme dans une guerre classique : le conflit possède désormais un caractère asymétrique !

 

Ce type de conflit est d’ailleurs tellement embarrassant pour les Etats modernes qu’il est souvent dénoncé comme « injuste ».  Les Américains parlent souvent, à propos de l’usage des armes de destruction massive ou d’attentats terroristes, d’attaques « non conventionnelles », « lâches », « contraires aux lois de la guerre » parce qu’elles s’en prennent à des civils.  Cette technique de propagande n’est pas neuve et il ne faut pas se laisser prendre à ce genre de jeu sémantique sur le caractère « juste » ou « injuste » des armes employées.  Peut-être faudrait-il d’ailleurs rappeler aux Etats-Unis que ces attaques « non conventionnelles » étaient considérées il n’y a pas si longtemps par leur Etat-Major comme tout à fait conventionnelles,  notamment dans le cadre de leur opération « Little Boy » à Nagasaki et Hiroshima.  Ces attaques « non conventionnelles » sont en réalité la conséquence logique de l’hyper puissance américaine puisqu’elles sont à ce jour les seuls moyens de résistance réellement efficaces des peuples qui ont choisi de résister au diktat U.S.  Toutefois, Huntington met en garde l’Occident : « Isolément, le terrorisme et les armements nucléaires sont l’arme des faibles hors d’Occident.  S’ils les combinent, les faibles non occidentaux deviendront forts. »[22]  

 

Les Etats-Unis ont toujours soutenu, depuis qu’ils maîtrisent l’atome, une politique de non-prolifération des armes nucléaires tant à l’extérieur de l’Alliance Atlantique qu’en son sein.  Seuls les Britanniques ont pu bénéficier de cette technologie qu’ils ont toutefois dû développer en partenariat avec leurs cousins d’outre-Atlantique.  La fronde française, face à cet état de fait, a permis à un autre pays membre de l’OTAN de développer son propre arsenal.  Selon Huntington, à cette politique de non-prolifération doit logiquement succéder une politique de « prolifération négociée ».  C’est ce qu’il appelle « la diffusion lente et inéluctable de la puissance dans un monde multicivilisationnel. »[23]  De plus, le politologue américain souligne que les Etats-Unis pourraient profiter de ce changement en stimulant la prolifération dans l’intérêt des Etats-Unis et de l’Occident.  En d’autres mots, certains Etats alliés recevraient l’autorisation de développer un arsenal nucléaire.  Huntington pense notamment au Japon qui pourrait ainsi contrecarrer la puissance nucléaire chinoise, permettant ainsi de sanctuariser leur propre pays et de placer en première ligne leurs alliés dans le cadre d’une guerre nucléaire.  Un exemple contemporain de l’efficacité de la prolifération négociée est l’arsenal nucléaire israélien permettant de contrebalancer toute volonté de puissance arabe au Proche-Orient.      

 

Les droits de l’homme et la démocratie.

 

L’auteur reconnaît honnêtement que les droits de l’homme et la démocratie ne sont pas des valeurs partagées par l’ensemble des peuples de la planète et qu’il devient illusoire, voire même dangereux, vu la puissance déclinante de l’Occident, de vouloir absolument imposer ces valeurs.  Non seulement cette influence diminue, mais le paradoxe de la démocratie atténue aussi la volonté occidentale de défendre la démocratie dans le monde d’après la guerre froide.  « Le présupposé occidental selon lequel des gouvernements élus démocratiquement seront coopératifs et pro-occidentaux pourrait bien se révéler faux dans les sociétés non occidentales où la compétition électorale peut porter au pouvoir des nationalistes et des fondamentalistes anti-occidentaux. »   C’est sans doute la raison pour laquelle les Etats-Unis ne mettent pas trop d’ardeur à l’heure actuelle pour transmettre le pouvoir à un gouvernement de transition élu démocratiquement par l’ensemble du peuple irakien.  S’ils sont allés au feu, ils entendent bien préserver quelques avantages sur le terrain ![24]

 

L’immigration.

 

Lorsqu’il lit le chapitre d’Huntington consacré à l’immigration, le lecteur se rend vite compte qu’il n’a pas affaire à un auteur de gauche.  Un auteur belge ou français s’autorisant de telles assertions aurait tôt fait d’être taxé de raciste et de fasciste, voire d’être traduit devant un tribunal pour incitation à la xénophobie.  Huntington ne fait pourtant que constater des évidences. 

 

-         « Si la démographie dicte le destin de l’histoire, les mouvements de population en sont le moteur. (…) S’il y a une « loi » de l’immigration, soutient Myron Weiner, elle stipule que le flux migratoire, une fois qu’il a commencé à couler, induit son propre flux.  Les émigrés permettent à leurs frères et à leurs proches restés au pays d’émigrer en leur donnant des informations sur la façon de s’y prendre, en leur fournissant des moyens pour se déplacer et de l’aide pour trouver un travail et un logement. »  Il en résulte selon ses propres termes, une « crise migratoire globale ». »[25]

 

Les citations ci-après prouvent également que Huntington est particulièrement bien renseigné sur la situation européenne :

 

-         « Au début des années quatre-vingt-dix, les deux tiers des immigrés en Europe étaient musulmans.  La préoccupation des Européens en la matière concernait par-dessus tout l’immigration musulmane.  Le défi est démographique – les immigrés représentent 10 % des naissances en Europe occidentale et les Arabes 50 % de celles-ci à Bruxelles – et culturel.  Les communautés musulmanes, turque en Allemagne ou algérienne en France, n’étaient pas intégrées dans leur culture d’accueil et, au grand dam des Européens, ne semblaient pas devoir l’être. »[26]

-         « Vis-à-vis des immigrés, l’hostilité européenne est étrangement sélective.  Peu de gens en France s’inquiètent d’un afflux de ressortissants de l’Est – les Polonais, après tout, sont européens et catholiques.  Les immigrés africains qui ne sont pas arabes ne sont pour la plupart ni redoutés ni méprisés.  Le mot « immigré » est potentiellement synonyme de musulman, l’Islam étant aujourd’hui la deuxième religion en France (…). »[27]

-         « L’opposition publique à l’égard de l’immigration et l’hostilité vis-à-vis des immigrés se manifestent dans des cas extrêmes par des violences perpétrées contre des communautés musulmanes et des personnes.  Ce fut en particulier un problème en Allemagne au début des années quatre-vingt-dix.  Plus significative est l’augmentation des suffrages ralliés par les partis d’extrême droite, nationalistes et anti-immigrés.  En France, le Front national, négligeable en 1981, est monté à 9,6 % en 1988 et s’est ensuite stabilisé entre 12 et 15 % aux élections régionales et législatives.  En 1995, les deux candidats nationalistes à la présidence de la République ont rassemblé 19,9 % des voix (…).  En Belgique, le Bloc flamand et le Front national ont progressé de 9 % aux élections locales de 1994, le Bloc obtenant 28 % à Anvers.  (…) Ces partis européens hostiles à l’immigration étaient pour une bonne part l’image en miroir des partis islamistes dans les pays musulmans.  C’étaient des outsiders dénonçant un establishment social et politique corrompu. »[28]

-         « L’Europe ou bien les Etats-Unis peuvent-ils inverser la tendance ?  En France, le pessimisme démographique est de mise, depuis le roman de Jean Raspail[29] dans les années soixante-dix jusqu’aux analyses académiques de Jean-Claude Chesnais[30] dans les années quatre-vingt-dix.  Pierre Lellouche l’a bien résumé en 1991 : « L’histoire, la géographie et la pauvreté montrent que la France et l’Europe sont destinées à être noyés par la population des pays à problèmes du Sud.  L’Europe était blanche et judéo-chrétienne dans le passé ; elle ne le sera plus à l’avenir. »[31] »[32]

-         « Les sociétés européennes ne veulent en général pas assimiler les immigrés ou bien elles éprouvent de grandes difficultés à le faire.  Les immigrés musulmans et leurs enfants sont également ambigus quant à leur désir d’assimilation[33].  Une immigration importante ne peut donc que produire des pays divisés entre chrétiens et musulmans.  Ce phénomène pourrait être évité si les gouvernements et les électeurs européens étaient prêts à payer le prix de mesures restrictives (…). »[34]

 

Chapitre IX : La politique globale des civilisations.

 

Etats phares et conflits frontaliers.

 

Dans un monde reposant sur l’ordre des civilisations, les relations entre entités appartenant à différentes civilisations seront souvent conflictuelles, prophétise Huntington.  La paix froide, la guerre froide, la guerre commerciale, la quasi-guerre, la drôle de paix, les relations agitées, la rivalité intense, la coexistence dans la concurrence, la course aux armements seront autant d’expression caractérisant les relations intercivilisationnelles.  La confiance et l’amitié seront rares.  Huntington prévoit deux grands types de conflit :

 

-         Au niveau local, les conflits civilisationnels surviendront entre Etats voisins appartenant à différentes civilisations comme dans l’ex-Union soviétique et l’ex-Yougoslavie.

-         Au niveau global, les conflits entre Etats phares auront lieu entre les grands Etats appartenant à différentes civilisations.  Les conflits surviendront par exemple lorsqu’un Etat phare d’une civilisation donnée montera en puissance et mettra ainsi en péril la position d’Etats phares appartenant à d’autres civilisations.

 

L’Islam et l’Occident.

 

Huntington développe à propos de l’Islam, et de sa relation avec l’Occident, toute une série d’idées assez sulfureuses.  Le fait que le politologue attribue à cette relation un caractère problématique est une des raisons majeures expliquant l’ire que son ouvrage a suscitée dans les milieux bien pensant européens.  Toutefois, vous allez pouvoir constater que ces idées ne sont pas totalement dénuées de sens.  « Certains Occidentaux, déclare-t-il, comme le président Bill Clinton, soutiennent que l’Occident n’a pas de problèmes avec l’Islam, mais seulement avec les extrémistes violents.  Quatorze cents ans d’histoire démontrent le contraire.  Les relations entre l’Islam et le Christianisme, orthodoxe comme occidental, ont toujours été agitées.  Chacun a été l’autre de l’autre. (…) C’est la seule civilisation qui a mis en danger l’existence même de l’Occident, et ce à deux reprises.[35] »[36] 

 

Les causes de cet affrontement pluriséculaire et irréductible ne sont pas contingentes mais résident dans la nature même des deux religions, déclare Huntington : « Tous deux sont universalistes et prétendent incarner la vraie foi, à laquelle tous les humains doivent adhérer.  Tous deux sont des religions missionnaires dont les membres ont l’obligation de convertir les non-croyants.  Depuis ses origines, l’Islam s’est étendu par la conquête et, le cas échéant, le Christianisme aussi.  Les concepts parallèles de « Jihad » et de « Croisade » se ressemblent beaucoup et distinguent ces deux fois des autres grandes religions du monde. »[37]

A l’heure actuelle, le conflit a toutefois changé de visage.  En effet, c’est moins contre l’Occident chrétien que les musulmans se battent aujourd’hui que contre l’Occident athée, ayant élevé le matérialisme au rang de religion universelle.  Auparavant, l’ennemi des musulmans était le matérialisme dialectique en provenance des pays communistes.  Désormais, l’ennemi principal des musulmans est le matérialisme marchand.

 

Dernier élément sur lequel Huntington insiste dans la relation Islam/Occident : à mesure que l’influence de l’Occident s’efface des anciennes colonies du Proche-Orient, l’émergence d’Etats phares capables d’unir le monde arabe se fait plus pressante, elle est aussi plus probable.  On considère trop souvent que les musulmans engagés dans la guerre contre l’Occident ne représentent que la minorité.  Les scènes de liesse dans les rues de nombreux pays à majorité musulmane où dans certains faubourgs musulmans de nos villes européennes le 11 septembre 2001 laissent présumer le contraire !  Soutenir et applaudir, fussent-ils des actes passifs, constituent les premières étapes de la résistance… et de la résistance à la lutte, le pas est vite franchi.

 

L’Asie, la Chine et l’Amérique.

 

Pour Huntington, l’Asie, particulièrement l’Extrême-Orient, constitue le théâtre le plus probable des conflits entre civilisations.  Il donne d’ailleurs à cette région le nom de « chaudron des civilisations ».  En effet, « rien qu’en Extrême-Orient, on trouve des sociétés qui appartiennent à six civilisations – japonaise, chinoise, orthodoxe, bouddhiste, musulmane et occidentale -, plus l’Hindouisme en Asie du Sud.  Les Etats phares de quatre civilisations, le Japon, la Chine, la Russie et les Etats-Unis, sont des acteurs de poids en Extrême-Orient ; l’Inde joue également un rôle majeur en Asie du Sud, tandis que l’Indonésie, pays musulman, monte de plus en plus en puissance. »[38] 

 

Le risque de conflit généralisé dans la région est encore aggravé par les interactions de plus en plus nombreuses entres les sociétés asiatiques et les Etats-Unis.  Or, constate Huntington, il existe des différences fondamentales de valeur entre les civilisations asiatiques et la civilisation américaine : « L’ethos confucéen dominant dans de nombreuses sociétés asiatiques valorise l’autorité, la hiérarchie, la subordination des droits et des intérêts individuels, l’importance du consensus, le refus du conflit, la crainte de « perdre la face » et, de façon générale, la suprématie de l’Etat sur la société et de la société sur l’individu.  En outre, les Asiatiques ont tendance à penser l’évolution de leur société en siècles et en millénaires, et à donner la priorité aux gains à long terme.  Ces attitudes contrastent avec la primauté, dans les convictions américaines, accordée à la liberté, à l’égalité, à la démocratie et à l’individualisme, ainsi qu’avec la propension américaine à se méfier du gouvernement, à s’opposer à l’autorité, à favoriser les contrôles et les équilibres, à encourager la compétition, à sanctifier les droits de l’homme, à oublier le passé, à ignorer l’avenir et à se concentrer sur les gains immédiats. »[39]

 

Enfin, comme nous l’avons théorisé ici plus haut, les Etats-Unis ne peuvent supporter l’émergence de la Chine comme puissance régionale en Extrême-Orient car elle est contraire selon Huntington, aux intérêts vitaux américains.  Notons au passage que le gros problème de la politique américaine est le suivant : ils adoptent la doctrine Monroe à l’échelle de leur continent mais ils ne supportent pas que les Etats phares des autres civilisations fassent de même avec leur propre sphère de rayonnement !  Précisons toutefois qu’une Chine trop dynamique au point de vue démographique, serait contraire également à nos propres intérêts.  En effet, la Chine risque à terme de déverser son trop plein de population en Europe ou dans les vastes espaces de la Sibérie, riches en matière première.  A l’inverse des Etats-Unis, nous ne sommes pas opposés au rayonnement de la Chine en Extrême-Orient, du moment que cette expansion ne déborde pas sur notre propre sphère civilisationnelle qui comprendra nécessairement la Sibérie.

 

Face à cette montée en puissance de la Chine, les Américains espèrent jouer la carte du Japon, Etat traditionnellement « suiviste » de la puissance U.S. depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.  Le « suivisme » est un des autres concepts développés par Huntington.  Selon lui, les Etats peuvent réagir de deux manières à la montée d’une puissance nouvelle.  « Seuls ou alliés à d’autres, ils peuvent s’efforcer d’assurer leur sécurité en recherchant l’équilibre avec la puissance émergeante, la refouler ou, si nécessaire, entrer en guerre avec elle pour la vaincre.  Au contraire, ils peuvent se rallier à elle, se mettre d’accord avec elle et adopter une position secondaire ou subordonnée vis-à-vis d’elle dans l’espoir de voir leurs intérêts clés protégés. »[40]  Une solution médiane constituerait à alterner recherche de l’équilibre et « suivisme » mais elle risquerait à terme de vexer à la fois la puissance émergeante et les alliés alternatifs.  On comprendra aisément, suite à cette définition du « suivisme », que la solution japonaise n’est pas idéale pour les Etats-Unis puisque la particularité d’un Etat « suiviste » est d’abandonner la puissance dominante, une fois qu’une autre puissance émerge.  Effectivement, suite au déclin de l’Occident, le Japon restera-t-il fidèle à son allié américain ?  Choisira-t-il l’orbite chinoise ?  Nous ne pouvons qu’espérer l’émergence d’une nouvelle puissance dans la région : l’Empire eurosibérien qui saura séduire et rallier la civilisation japonaise et son porte-avions insummersible.

 

Chapitre X : Des guerres de transition aux guerres civilisationnelles.

 

Caractéristiques des guerres civilisationnelles.

 

Elles ont tendance à être très violentes et sanglantes parce qu’elles mettent en jeu des questions fondamentales d’identité.  En outre, elles traînent souvent en longueur ; il arrive qu’elles soient entrecoupées de trêves ou d’ententes, mais en général ces dernières ne durent pas, et les combats reprennent.  « D’autre part, en cas de victoire militaire décisive de l’un des deux camps, les risques de génocide sont plus élevés lorsqu’il s’agit d’une guerre civile identitaire.  (…) Les conflits civilisationnels sont parfois des luttes pour le contrôle des populations.  Mais, le plus souvent, c’est le contrôle du sol qui est en jeu.  Le but de l’un des participants au moins est de conquérir un territoire et d’en éliminer les autres peuples par l’expulsion, l’assassinat ou les deux à la fois, c’est-à-dire par la purification ethnique. »[41]  Les exemples du Ruanda ou encore du Kosovo sont éloquents à cet égard !   Retenons en tout cas ces deux caractéristiques fondamentales :

 

-         Comme elles mettent en jeu des questions fondamentales d’identité et de pouvoir, on a du mal à les résoudre par des négociations ou des compromis.  Un armistice obtenu ne signifie d’ailleurs jamais la fin d’un conflit qui, tel un feu de forêt maîtrisé, peut reprendre avec violence à tout instant.

 

-         Les guerres civilisationnelles éclatent entre groupes qui font respectivement partie d’ensembles culturels plus larges.  Les risques d’extension de la guerre sont donc énormes, surtout dans le monde « connecté » et « internationalisé » qui est le nôtre. « Les migrations ont donné naissance à des diasporas dans des tierces civilisations.  Les communications permettent plus facilement aux parties en présence d’appeler à l’aide, et à leurs « proches parents » d’apprendre immédiatement ce qui arrive à leurs alliés.  Le rétrécissement permet ainsi aux « groupes apparentés » de fournir un soutien moral, diplomatique, financier et matériel aux parties en présence. (…) A son tour, le soutien apporte un renfort aux parties en présence et prolonge le conflit. »[42]

 

Chapitre XI : La dynamique des guerres civilisationnelles.

 

Les guerres civilisationnelles sont particulièrement intenses, non seulement sur le terrain mais également psychologiquement, puisqu’elles mobilisent tout autant l’énergie des combattants que leur conscience identitaire.  De par ce caractère identitaire, elles ont des retombées néfastes sur l’ensemble des habitants des civilisations concernées.  Une menace localisée est naturellement magnifiée et généralisée à l’échelle de la civilisation.  Au début des années quatre-vingt-dix, les Russes ont ainsi défini les guerres entre clans et régions du Tadjikistan, ou la guerre en Tchétchénie, comme des épisodes d’un affrontement plus large, pluriséculaire, entre l’Orthodoxie et l’Islam, tandis que les opposants musulmans étaient engagés dans un djihad, soutenus par des groupes islamistes radicaux exploitant la conscience identitaire des révoltés.  De même une défaite locale d’un pays face à un pays appartenant à une autre civilisation, peut résonner comme un échec cuisant à l’échelle civilisationnelle.  On comprend dès lors l’acharnement que certains Etats phares mettent pour soutenir des Etats secondaires dans des conflits locaux.  La « théorie des dominos » en vogue durant la guerre froide est remise à l’honneur : une défaite dans un conflit local peut provoquer des pertes de plus en plus lourdes et conduire ainsi au désastre à l’échelle de la civilisation.[43]  Huntington note également que les processus de « diabolisation » sont particulièrement intenses dans les affrontements de civilisations : les opposants sont souvent dépeints comme des sous-hommes, ce qui donne le droit de les tuer.  De même, leur culture est vouée aux gémonies : tous les symboles, tous les objets culturels de l’adversaire deviennent des cibles.  On se rappellera au Kosovo des mosquées détruites par les forces serbes mais aussi des monastères orthodoxes saccagés par les Albanais.  « Dans les guerres entre culture, la culture est toujours perdante. »[44]

 

Les ralliements de civilisation : pays apparentés et diasporas.

 

A la différence de la guerre froide, les conflits de civilisation ne s’écoulent pas du haut vers le bas.  Ils bouillonnent à partir du bas.  Les Etats et les groupes ont différents niveaux d’engagement dans une guerre de ce genre (cf. figure n°5 = figure 11.1.[45]) :

 

-         Niveau primaire : les parties belligérantes qui s’entre-tuent.  Ce sont parfois des Etats, parfois des Etats embryonnaires comme en Bosnie ou au Nagorny-Karabakh ou des groupes locaux.

 

-         Second niveau : Ce sont généralement des Etats directement apparentés aux belligérants de base.  Par exemple l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Caucase.  La Serbie et la Croatie en ex-Yougoslavie.

 

-         Troisième niveau : Ce sont des Etats éloignés du théâtre des affrontements mais qui ont des liens de civilisation avec les belligérants, tels l’Allemagne, la Russie et les Etats islamiques dans le conflit yougoslave ou tels la Russie, l’Iran et la Turquie dans le cas du différend arméno-azéri.

 

Dans le cadre d’un conflit régional entre des factions appartenant à deux civilisations différentes, les intérêts des gouvernements de deuxième et troisième échelon sont plus compliqués que ceux des belligérants de base.  Ils apportent généralement leur soutien aux combattants élémentaires et même s’ils ne le font pas, dit Huntington, ils sont soupçonnés de le faire par les pays ennemis.  Toutefois, ces gouvernements ont souvent intérêt à contenir les tensions de la base, afin de ne pas être entraînés dans un conflit civilisationnel plus large et plus destructeur.  De ce constat très ingénieux, Huntington élabore une méthodologie de résolution des conflits.

 

Arrêter les guerres civilisationnelles.

 

Les parties de la base ont souvent beaucoup de mal à s’asseoir à la même table des négociations.  Les enjeux et les haines sont trop aiguës pour espérer par ce biais une résolution pacifique du conflit.  Les guerres entre pays d’une même civilisation ont l’avantage de pouvoir parfois être résolues par la médiation d’une tierce partie désintéressée, ayant une légitimité auprès des pays belligérants.  Souvent l’Etat phare joue un rôle d’arbitre au sein de la civilisation et limite les tensions entre les communautés.  Par contre, il est difficile dans un conflit civilisationnel de trouver une tierce partie qui ait la confiance des deux protagonistes.  C’est pourquoi « les guerres civilisationnelles ne sont pas interrompues par des individus, groupes ou organisations désintéressés, mais par des parties intéressées de deuxième et troisième échelon, parties qui se sont attiré le soutien de leur parentèle et qui ont la capacité de négocier des accords avec leurs homologues, d’une part, et de convaincre leur parenté d’accepter ces accords, d’autre part. »[46]  C’est également la raison pour laquelle, « les guerres sans parties de deuxième et de troisième échelon ont moins tendance à s’étendre que les autres guerres, mais elles sont aussi plus difficiles à arrêter, tout comme les guerres entre groupes appartenant à des civilisations sans Etat central. »[47]

 

Huntigton, grâce aux outils de pensée qu’il a façonnés, modélise ainsi l’arrêt des combats complet dans un conflit civilisationnel.  Cet arrêt suppose :

 

-         « l’implication active des parties de deuxième et troisième échelon,

-         des négociations entre parties de troisième échelon sur les termes généraux d’un arrêt des combats,

-         l’utilisation par ces parties de troisième échelon de la carotte et du bâton pour obtenir que les parties de deuxième échelon acceptent ces termes et fassent pression dans le même sens sur les parties de premier échelon,

-         le retrait du soutien venant du deuxième échelon et, en fait, la trahison du premier échelon par les parties du deuxième échelon,

-         et, résultat de ces pressions, l’acceptation des termes par les parties du premier échelon qui, bien entendu, les subvertiront quand elles considéreront que c’est là leur intérêt. »[48]

 

Chapitre XII : L’Occident, les civilisations et la civilisation.

 

Dans son dernier chapitre, Huntington développe sa réflexion sur le déclin de l’Occident.  Autant dire qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère.  Nous avons déjà évoqué plus haut les caractéristiques du déclin de l’Occident et de l’Europe.  Celui-ci touche les domaines moraux, démographiques, culturels et partiellement militaires.   Nous n’y reviendrons pas davantage.  Huntington insiste cependant sur le fait que « du déclin naît le risque d’invasion « quand la civilisation n’est plus capable de se défendre elle-même parce qu’elle n’a plus la volonté de le faire, elle s’ouvre aux envahisseurs barbares » qui viennent souvent « d’une autre civilisation plus jeune et plus puissante. »[49] »[50]  Néanmoins « tout est possible, mais rien n’est inévitable : tel est l’enseignement primordial qui ressort de l’histoire des civilisations.  Les civilisations peuvent, et ont pu, se réformer, se renouveler.  Le problème majeur pour l’Occident est le suivant : indépendamment de tout défi extérieur, est-il capable d’arrêter le processus de déclin interne et d’inverser la tendance. »[51]

 

L’un des grands périls qui guette notre civilisation d’après le politologue américain, c’est la modification du substrat ethnique européen avec comme conséquence l’émergence d’une société prétendument multiculturelle.  Dans le cas de l’Europe, la forte minorité arabo-islamique en pleine progression, ne manifestant désormais plus aucun désir de s’intégrer culturellement, devient un foyer de contestation et même de rejet des valeurs européennes en terre européenne !  Aux Etats-Unis comme en Europe, une coalition de politiciens irénistes et de gauchistes utopistes prétendent y voir un enrichissement et les prémisses d’une société multiethnique et multiculturelle harmonieuse.  Face à ces délires, le jugement d’Huntington est sans appel : « L’histoire nous apprend qu’aucun Etat ainsi constitué n’a jamais perduré en tant que société cohérente.  (…) L’avenir des Etats-Unis et celui de l’Occident dépend de la foi renouvelée des Américains en faveur de la civilisation occidentale.  Cela nécessite de faire taire les appels au multiculturalisme, à l’intérieur de leurs frontières.  (…) Les Américains font partie de la famille culturelle occidentale ; les partisans du multiculturalisme peuvent entamer, voire détruire cette relation, ils ne peuvent lui en substituer une autre.  Quand les Américains cherchent leurs racines culturelles, ils les trouvent en Europe. »[52]

 

Huntington préconise aussi une nouvelle construction géopolitique autour d’une zone de libre-échange transatlantique, suivie d’une véritable intégration politique, capable de donner les moyens d’un redressement civilisationnel et de redonner à l’Occident son statut de puissance hégémonique.  C’est ici que l’on voit tout l’intérêt que les Américains ont d’empêcher la création d’un bloc impérial eurosibérien car selon lui : « le rejet des principes fondamentaux et de la civilisation occidentale signifie la fin des Etats-Unis d’Amérique tels que nous les avons connus.  Cela signifie également la fin de la civilisation occidentale.  Si les Etats-Unis se désoccidentalisent, l’Ouest se réduira à l’Europe et à quelques zones d’implantation européenne, faiblement peuplées.  Sans les Etats-Unis, l’Occident ne représente plus qu’une fraction minuscule et déclinante de la population mondiale, abandonnée sur une petite péninsule à l’extrémité de la masse eurasienne. »[53]

 

Clefs pour l’avenir.

 

L’auteur, après avoir dressé un tableau de l’état déplorable de la civilisation occidentale, préconise toute une série de solutions mais il insiste surtout sur le fait que l’Occident doit renoncer à « sa prétention à l’universalité, [qui] tient pour évident que les peuples du monde entier devraient adhérer aux valeurs, aux institutions et à la culture occidentale parce qu’elles constituent le mode de pensée le plus élaboré, le plus lumineux, le plus libéral, le plus rationnel, le plus moderne.  Dans un monde traversé par les conflits ethniques et les chocs entre civilisations, la croyance occidentale dans la vocation universelle de sa culture a trois défauts majeurs : elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse. (…)  L’impérialisme est la conséquence logique de la prétention à l’universalité. »[54]  Il constate que les prétentions dans ce domaine pourraient mener à des conflits graves avec les autres civilisations et conduire éventuellement à la défaite de l’Occident.  « En résumé, pour éviter une guerre majeure entre civilisations, il est nécessaire que les Etats phares s’abstiennent d’intervenir dans les conflits survenant dans des civilisations autres que la leur.  C’est une évidence que certains Etats, particulièrement les Etats-Unis, vont avoir, sans aucun doute, du mal à admettre. »[55]  C’est la règle de l’abstention.  Cette règle préconise aussi que les Etats phares s’entendent pour contrôler et réduire les conflits frontaliers entre leur civilisation respective. 

Huntington propose aussi que les institutions internationales soient profondément remaniées afin que le Conseil de Sécurité de l’ONU cesse d’être le club des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale et qu’il accueille la nation phare de chaque grande civilisation, créant ainsi un forum permanent de dialogue intercivilisationnel.

 

Analyse : Ce que nous retenons, ce que nous critiquons.

 

Ce que nous retenons.

 

Nous considérons cet ouvrage comme fondamental et très stimulant pour une pensée prospective dans les relations internationales et civilisationnelles.  Les nombreux concepts opératifs contenus dans son livre se révèlent précieux et peuvent être repris dans nos propres analyses et nos propres théories.  Le caractère essentiel du livre n’a pas échappé à la critique universitaire et médiatique qui comme à son habitude, incapable qu’elle est de répondre à une pensée bien construite, s’est contentée de falsifier et de diffamer l’auteur et sa thèse afin de le discréditer.  

 

Si Huntington ne cite pas des géopoliticiens comme Carl Schmitt ou Karl Haushofer, il nous a semblé que le concept de « civilisation » qu’il développe n’est pas sans lien avec celui de Großräume (Grand Espace) présent dans l’œuvre des deux théoriciens allemands.  « Il [Carl Schmitt] souhaite surtout que différents grands espaces se constituent entre lesquels un nouveau nomos [en grec : la Loi, le Principe ordonnateur] devrait voir le jour. (…) La rivalité de ces grands espaces au sein d’un droit international reconnu[56] assurerait la présence d’amis et d’ennemis et maintiendrait l’histoire en mouvement. »[57] Contre la vision économico-matérialiste des libéraux, Carl Schmitt rejoint le schéma huntingtonien d’une unité politique basée sur une culture civilisationnelle : « Mais si l’idée de Großräume, de « Grand Espace », est née de la conviction que les Etats étaient devenus trop petits au regard du développement de la technique et de l’économie, les théoriciens de ce « Grand Espace » ont également dit que celui-ci ne pouvait être ni bâti ni organisé en priorité sur l’économie.  La conservation de la multiplicité des cultures est désormais un acte politique. »[58]  Cependant Carl Schmitt va plus loin que la conception immanente d’Huntington car il insuffle à sa théorie une dimension transcendantale : « L’Etat universel technicisé et normalisé lui semble l’œuvre de l’Antéchrist : contre cette possibilité, il entend mobiliser la puissance « catéchontique » d’un nouvel ordre juridique liant entre eux les grands espaces. »[59]  De même il semble qu’on puisse rapprocher le concept huntingtonien d’ « Etat phare » avec le concept schmittien d’ « Hegemon » qui doivent tous deux être le moteur de la création d’un « Grand Espace » (ou Etat civilisationnel) : « (…) L’idée d’unir plusieurs Etats sans qu’il n’y ait de puissance hégémonique est une impossibilité sociologique.  Aucune véritable fédération, au sens propre du terme, ne peut voir le jour sans hegemon. »[60]  Toute cette analyse mériterait cependant une recherche plus approfondie, nous nous bornons ici à tracer des pistes.

 

Huntington fait une analyse très intéressante de la méthode par laquelle les élites islamiques ont entrepris la reconquête de leur sphère civilisationnelle.  Alors que les milieux néo-droitistes nous ont gavé de théories sur la prise de contrôle du pouvoir culturel, sans grande réussite effective d’ailleurs, les Islamistes, eux, nous donnent l’exemple d’une réussite indéniable dans le domaine. Tout comme les Musulmans, nous devons faire de la métapolitique (gramscisme) efficace en investissant non seulement la sphère politique mais surtout la sphère sociale et culturelle.  L’idéologie révolutionnaire ne doit pas seulement s’exprimer dans le domaine intellectuel para-universitaire mais doit répondre aussi aux questions et aux problèmes concrets des gens.  Elle doit ensuite montrer sur le terrain que ses idées sont efficaces au contraire de celle du pouvoir, raison majeure pour laquelle la population doit la soutenir.  Prendre le pouvoir, c’est s’imposer comme la seule alternative possible, y compris en cassant les autres mouvements contestataires.  D’ailleurs, selon le mot d’ordre de Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle : « Le premier mérite d’une théorie critique exacte est de faire instantanément paraître ridicule toutes les autres. »  « Mais il faut aussi qu’elle soit une théorie parfaitement inadmissible [par le système et son discours].  Il faut qu’elle puisse déclarer mauvais, à la stupéfaction indignée de tous ceux qui le trouvent bon, le centre même du monde existant, en en ayant découvert la nature exacte. »

 

Ce que nous critiquons.

 

La question russe.

 

Dans son livre, Huntington pose la question suivante : « La Russie doit-elle adopter les valeurs, les institutions et les pratiques occidentales, et tenter de s’intégrer à l’Occident ?  Ou bien incarne-t-elle une civilisation orthodoxe et eurasiatique différente de l’Occident et dont le destin serait de relier l’Europe et l’Asie ? Les élites intellectuelles et politiques et l’opinion sont divisées sur ces questions.  D’un côté, on trouve les partisans de l’occidentalisation, les « cosmopolites », les « atlantistes », et de l’autre, les successeurs des slavophiles, qualifiés diversement de « nationalistes », d’ « eurasianistes » ou de « derzhavniki » (Etatistes). »[61]  Huntington répond clairement à cette question dans sa conclusion.  Il faut selon lui intégrer à l’Union européenne et à l’OTAN les Etats occidentaux de l’Europe centrale, c’est-à-dire les Etats du sommet de Visegrad[62], les Républiques baltes, la Slovénie et la Croatie.  Il faut considérer la Russie comme l’Etat phare du monde orthodoxe et comme une puissance régionale essentielle, ayant de légitimes intérêts dans la sécurité de ses frontières sud.  Les intérêts des Etats-Unis seront mieux défendus s’ils évitent de prendre des positions extrêmes en cherchant par exemple à intervenir dans les affaires des autres civilisations et s’ils adoptent une politique atlantiste de coopération étroite avec leurs partenaires européens, afin de sauvegarder et d’affirmer les valeurs de leur civilisation commune.[63]  Nous ne sommes pas d’accord avec Huntington pour deux raisons :

 

-         Premièrement la Russie fait partie intégrante de l’Europe.  Huntington considère qu’il existe une séparation entre ce qu’il appelle l’Europe occidentale et le monde orthodoxe.  Or nous ne voyons pas pourquoi la séparation entre peuples latins catholiques et germaniques protestants d’une part et peuples slaves orthodoxes d’autre part serait plus grave et plus fondamentale que la séparation entre peuples latins et germaniques.  Au contraire, puisque Huntington affirme dans son ouvrage que la religion est un élément primordial pour définir la culture d’une civilisation, nous pourrions arguer que le catholicisme considère les orthodoxes comme simplement schismatiques alors qu’il qualifie les protestants d’hérétiques.  L’histoire européenne elle-même vient infirmer les thèses du politologue américain.  En effet, la Russie n’a-t-elle pas été au cours des derniers siècles un protagoniste majeur dans les relations entre pays européens ?

 

-         Deuxièmement, l’Europe ne fait pas partie de l’Occident.  Comme l’avait déjà démontré dans les années quatre-vingt Guillaume Faye, il n’y a pas identité entre Occident et Europe.  Les deux termes sont même antagonistes.  Osons l’affirmer, l’Occident tel que défini par Huntington, moderne, héritier de l’Antiquité classique remise à l’honneur par la Renaissance et les Lumières, caractérisé par l’Etat de droit, le pluralisme social et l’individualisme, et spirituellement ancré dans le catholicisme de Vatican II lié au protestantisme, cet Occident là est une couverture répugnante qui étouffe le vieux brasier européen sommeillant au plus profond de nous, un feu qui couve et qui ne demande qu’à renaître.  Nos cousins d’outre-Atlantique ne possèdent pour culture que cette couverture odieuse, émergence cancéreuse de nos racines profondes et saines.  Marc Rousset, dans son livre sur les Euro-ricains, dresse à la fin de celui-ci le portrait de l’authentique Européen.  En voici un petit florilège :

 

-         « Gouverner [pour un Européen], c’est croire dans le politique, au sens noble et gaullien du terme (…). Gouverner, ce n’est pas flatter l’opinion, mais faire les choix qui s’imposent dans l’intérêt du pays ! »

-         « Etre Européen, c’est croire en des valeurs culturelles, nationales, familiales, religieuses ou mythiques pour s’opposer à l’envahissement de l’argent. » 

-         « Etre Européen, c’est refuser la société multi-ethnique. »

-         « Etre Européen, c’est refuser l’économie hédoniste, unidimensionnelle et futile des biens de consommation. »

-         « Etre Européen, c’est croire en des valeurs au lieu d’amasser et de consommer. »

-         « Etre Européen, c’est accorder de l’importance à la mentalité héroïque : tâche, désintéressement, abnégation, sacrifice, fidélité, candeur, vénération, bravoure, remplir ses devoirs.  C’est accorder moins d’importance à la mentalité mercantile : utilitarisme, hédonisme, droit au bonheur par l’argent, réclamer ses droits. »

-         « Etre Européen selon Nietzsche ce n’est pas être une brute blonde ou un être avide de gains mais un individu avide de connaissances qui se dépasse sans cesse.  Le salut de l’homme [est] (…) de se détacher du troupeau pour rejoindre Zarathoustra. »

-         « Etre Européen, c’est avoir le sens du beau. »[64]  

 

Outre les propositions détachées par Marc Rousset, nous rajoutons :  ETRE EUROPEEN c’est :

 

-         Avoir le sens de l’honneur, de la parole donnée et de la loyauté.

-         Avoir le sens de la honte (de déroger à ses propres yeux et aux yeux de Dieu).

-         Savoir qu’avec les Musulmans, les Chinois, les Hindous, les Japonais… nous partageons bien des valeurs communes mais pas celles du genre des droits de l’homme !!!

-         Faire de sa vie  (et de celle des autres) sa propre œuvre d’art.

-         Aimer le raffinement et le luxe sans jamais tomber dans le snobisme et la préciosité.

-         Pouvoir vivre avec un esprit égal, dans un palais ou dans un bivouac.

-         Aimer les femmes et les hommes, pas les PLAYBOY bellâtres « homomorphes » ou les collectionneuses vulgaires et superficielles.

-         Vouloir des hommes toujours plus hommes et des femmes toujours plus femmes.

 

Donc vous l’aurez compris, à l’inverse de Huntington, nous plaçons la séparation dans le monde blanc, non sur la frontière superficielle entre le monde orthodoxe et le monde catholique mais plutôt au niveau de l’Atlantique entre d’une part la « Vieille Europe » et d’autre part le « Nouveau Monde ».  Les motivations réelles qui se cachent derrière cette séparation artificielle sont clairement exprimées par Huntington lui-même à deux endroits de son livre :

 

« Depuis plus de deux cent ans, les Etats-Unis s’efforcent d’empêcher qu’émerge une puissance dominante en Europe.  Depuis presque cent ans, avec la politique de « la porte ouverte » vis-à-vis de la Chine, ils procèdent de même en Extrême-Orient.  Pour ce faire, ils se sont battus dans deux guerres mondiales et dans une guerre froide avec l’Allemagne impériale, l’Allemagne nazie, le Japon impérial, l’Union soviétique et  la Chine communiste. »[65]

 

« Cela serait conforme à la tradition, l’Amérique s’étant toujours souciée d’empêcher que l’Europe et l’Asie soient dominées par une seule puissance.  Ce n’est plus d’actualité en Europe, mais en Asie, cet objectif reste valide.  En Europe occidentale, une fédération relativement lâche [ndlr. dans les deux sens du terme], liée intimement aux Etats-Unis d’un point de vue culturel, politique et économique ne menacerait pas la sécurité américaine. »[66]

 

D’un point de vue européaniste, nous devons bien évidemment nous atteler à réaliser cet empire eurosibérien que les Américains redoutent tant.  Mais dès lors, une question se pose :

Une entité politique voulant correspondre avec une réalité civilisationnelle peut-elle contenir des minorités n’appartenant pas à la civilisation dominante ?  A notre sens, un empire eurosibérien majoritairement européen peut, dans un cadre institutionnel impérial, englober des territoires ne faisant pas partie de sa civilisation mais liés à lui historiquement et géopolitiquement, telles les républiques musulmanes d’Asie centrale.  A l’inverse la présence massive d’une immigration bariolée dans nos ensembles urbains ne peut être intégrée à un système fédéral basé sur les peuples et les ethnies.  Nous devons privilégier au sein de l’Empire européen l’ancrage des peuples sur leur terre d’origine.  Le concept de civilisation n’est donc pas réducteur !  D’aucuns voudraient nous faire croire qu’il enferme la diversité des communautés sous un même vocable et finit par tuer cette diversité.  Le fait qu’un Empire s’identifie à une civilisation (Chine, projet de Synergie Européenne) ne veut pas dire pour autant que les minorités y seront automatiquement brimées.  C’est la politique adoptée par les dirigeants qui conditionne la bonne cohabitation des différentes communautés.  La Chine est certes un mauvais exemple qu’on nous ressert d’ailleurs un peu trop souvent pour nous convaincre que toute volonté de politique civilisationnelle rime automatiquement avec impérialisme et disparition à long terme des minorités culturelles tel le peuple tibétain au sein de la sphère chinoise.  Pourtant  la Russie impériale (sauf durant la courte période de russification intensive pratiquée au XIXe siècle sous l’influence du nationalisme occidental) et surtout l’Empire austro-hongrois ne sont-ils pas des beaux exemples de cohabitation réussie de différentes communautés sous une seule et même autorité politique ?   Et au contraire, ne sont-ce pas justement le métissage, le multiculturalisme, le « mélange » des civilisations bref la grande soupe des peuples que nos « élites » politiques, culturelles et médiatiques nous préparent en chantant un hymne à la tolérance, ne sont-ce pas tous ces termes prononcés sur un ton solennel pour leur donner le relief qu’ils ne possèdent pas, tous ces mots creux et vides de sens qui seront dans le futur les véritables fossoyeurs des cultures ?

 

Les mouvements entre civilisations sont comparables à la tectonique des plaques : Sur les pourtours des sphères civilisationnelles se développent des zones de trouble comparables aux failles volcaniques.  Le fait de construire la civilisation européenne n’impliquera pourtant pas automatiquement l’absence de conflits également intracivilisationnels mais ces conflits ne seront pas insurmontables dans la mesure ou deux régions d’une même civilisation qui s’opposent doivent pouvoir s’entendre au nom d’intérêts civilisationnels communs.  Sauf si une civilisation ennemie vient bien entendu exciter les antagonismes.  Il faut faire la promotion d’une généralisation de la doctrine Monroe au niveau civilisationnel.  L’Amérique aux Américains, l’Asie aux Asiatiques, la Oumma islamique aux Musulmans et bien entendu l’Europe aux Européens !

 

 

Index des concepts clefs.

 

-         Abstention (Règle de l’…, p.24)

-         Chaudron des civilisations (p.19)

-         Civilisation comme entité culturelle (p.4)

-         Civilisation comme entité « englobante » (p.4)

-         Civilisation universelle (critique) (p.6-7-8)

-         Déclin moral (p.10)

-         Diffusion de la puissance (p.16)

-         Dominos (théorie des …, p.21)

-         Etat phare (p.12)

-         Fin de l’histoire (p.2)

-         Guerres civilisationnelles (p.20-23)

-         Indigénisation (p.10)

-         Kémalisme (p.8)

-         Niveaux d’engagement dans une guerre civilisationnelle (p.21-22)

-         Pays déchiré (p.13)

-         Pays divisé (p.13)

-         Pays isolé (p.12-13)

-         Prolifération négociée (p.16)

-         Réformisme (p.8)

-         Rejet (p.8)

-         Religion comme moteur civilisationnel (p.9)

-         Suivisme (p.20)

 

 

 

 



[1] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.25.

[2] ZINOVIEV (Alexandre), L’Occidentisme.  Essai sur le triomphe d’une idéologie. (traduction française)- Saint-Amand-Montrond, Plon, 1995

[3] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.35.

[4] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.22.

[5] Idem, p.231.

[6] Idem, p.61.

[7] Idem, p.71

[8] Idem, p.72-73.

[9] Idem, p.86.

[10] Idem, p.97.

[11] Idem, p.99.

[12] Idem, p.107-108.  D’après BARNETT (Jeffery R.), Exclusion as National Security Policy dans Parameters, 24, printemps 1994, p.54.

[13] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.127.

[14] Idem, p.108.

[15] Idem, p.458.

[16] Idem, p.125-126.

[17] Idem, p.197.   Si on possède l’honnêteté intellectuelle suffisante pour admettre que les pays divisés sont continuellement minés par des guerres civiles larvées, il devient très facile d’appliquer cette règle simple à nos propres pays.  L’arrivée massive de populations d’origine étrangère ne saurait effectivement qu’y multiplier la probabilité de conflits futurs entre les communautés de culture différente.

[18] Ibidem.

[19] Idem, p.364.

[20] Si nous parvenons à rétablir la Tradition en Europe, l’Inde pourrait devenir un allié important, d’autant plus que nous possédons des racines indo-européennes communes avec la civilisation hindoue.

[21] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.271.

[22] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.272-273.  Pensons notamment à l’usage de valises nucléaires mises au point par les Russes pendant la guerre froide.  Ces armes combinent habilement le facteur nucléaire avec la stratégie terroriste.

[23] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.280.

[24] Les Etats-Unis et l’Europe, « champions toute catégorie de la démocratie », poursuivent dans ce domaine une politique particulièrement hypocrite, condamnant les élections truquées ou annulées par des juntes militaires opposées à leurs intérêts mais fermant discrètement les yeux là où, comme en Algérie, l’armée annule le résultat d’élections légitimant l’arrivée au pouvoir de partis religieux tels le FIS algérien.

[25] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.289-290.

[26] Idem, p.292.

[27] Idem, p.292-293.  D’après ROBERSON (B.A.), Islam and Europe : An Enigma or a Myth ?, dans Middle East Journal, 48, printemps 1994, p.302

[28] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.293-294.

[29] RASPAIL (Jean), Le Camp des saints, Paris, Robert Laffont, 1973.

[30] CHESNAIS (Jean-Claude), Le Crépuscule de l’Occident : démographie et politique, Paris, Robert Laffont, 1995.

[31] LELLOUCHE (Pierre), cité dans MILLER, Strangers at the Gate, p.80.

[32] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.298.

[33] Notons que l’essor des moyens de communication n’a pas favorisé l’intégration des communautés étrangères.  Cablées sur les chaînes de leur pays respectif et retournant au pays chaque fois qu’elles en ont l’occasion, comment les familles musulmanes pourraient-elles réellement se sentir européennes ? 

[34] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.298-299.

[35] Au VIIIe siècle, l’invasion arabe n’ayant pu être stoppée que par Charles Martel à Poitiers en 732 et au XVIe siècle, le siège de Vienne en 1529 marquant un terme à l’avancée arabe.

[36] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.306-307.

[37] Idem, p.309.

[38] Idem, p.322.

[39] Idem, p.331-332.

[40] Idem, p.342.

[41] Idem, p.376-377.

[42] Idem, p.379-380.

[43] Idem, p.406-407.

[44] Idem, p.408.

[45] Idem, p.411.

[46] Idem, p.442.

[47] Ibidem.

[48] Idem, p.445.

[49] QUIGLEY, Evolution of Civilizations, p.138-139 et p.158-160.

[50] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.456.

[51] Ibidem.

[52] Idem, p.461- 462.

[53] Ibidem.

[54] Idem, p.467- 468.

[55] Idem, p.478.  Les missions de sécurité et de défense définies par les membres de l’UE sont également complètement opposées à cette règle puisqu’elles prévoient de s’immiscer dans des conflits étrangers où les droits de l’homme sont bafoués.

[56] Et non imposé comme l’actuel droit international d’obédience anglo-saxonne.

[57] WEYEMBERGH (Maurice), Carl Schmitt et le problème de la technique, dans CHABOT (Pascal) et HOTTOIS (Gilbert), Les philosophes et la technique.- Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, p. 161.

[58] MASCHKE (Günther), Unité du monde et Grand Espace européen, dans Vouloir n°1 (nouvelle série), avril-juin 1994, p.42.

[59] WEYEMBERGH (Maurice), Carl Schmitt et le problème de la technique, dans CHABOT (Pascal) et HOTTOIS (Gilbert), Les philosophes et la technique.- Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, p. 161.

[60] MASCHKE (Günther), Unité du monde et Grand Espace européen, dans Vouloir n°1 (nouvelle série), avril-juin 1994, p.43.

[61] Idem, p.205.

[62] Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie.

[63] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.470-471.

[64] ROUSSET (Marc), Les Euros-Ricains.- Paris, Ed. Godefroid de Bouillon, 200, p.469-484.

[65] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.338.

[66] Idem, p.344.

mercredi, 11 mars 2009

Soutien tunisien à Ayméric Chauprade

Le soutien des Tunisiens : "Choc de civilisations" et liberté de penser

Si toute histoire n'est que narration, l'Histoire, la grande, elle aussi est une narration. Elle est faite d'agencement causal d'évènements avec la prétention de dire le réel (les évènements) et le vrai (l'agencement causal).

chau1.jpgL'Histoire ainsi faite influe sur le futur et détermine les rapports de forces actuels.

Les attentats du 11 septembre 2001 n'échappent pas à cette logique. La restitution qu'en ont faite les autorités américaines dès les premiers jours a constitué non seulement une version officielle, mais aussi une légitimation pour des actions futures (les guerres d'Afghanistan et d'Irak) et une nouvelle politique mondiale : la lutte contre le terrorisme avec le camp du Bien et l'axe du Mal...

Et si la version officielle du 11 Septembre n'était qu'une vulgaire manipulation destinée à légitimer une nouvelle politique définie bien avant ces évènements ? C'est ce qu'on appelle habituellement "la thèse du complot", largement répercutée par la fiction américaine. Nombreux sont les films et les romans où l'on voit de sombres personnages, de préférence de la CIA ou du FBI, ourdir les machinations les plus rocambolesques pour atteindre des objectifs tortueux, un peu comme un coup d'échec, en apparence sans aucune utilité, mais qui prépare une attaque fatale une dizaine de coups plus tard.

Il y a beaucoup de points d'ombre dans la version officielle du 11 Septembre. Il y a ceux qui relèvent de la science (l'effondrement total des deux tours jumelles et d'une autre tour, la tour 47, pour des raisons assez inexplicables) et ceux relatifs à l'enquête elle-même. Il y a aussi l'imbrication prouvée

des services de renseignements israéliens dans l'environnement humain des jihadistes d'Al Qaïda chargés d'accomplir les attentats. L'important, aujourd'hui, n'est pas de statuer définitivement

sur la véracité de la version officielle et des versions "alternatives", mais de ne pas verrouiller ce champ d'investigation...

Et c'est justement de cela dont il s'agit, et en France, pays de Descartes et de Voltaire ! Aymeric Chauprade est un expert en géopolitique connu et reconnu. Il a enseigné les dix dernières années dans la prestigieuse Ecole de Guerre, dépendant du Ministère de la Défense français. Il a publié en janvier 2009 un livre "Chronique du choc des civilisations" qui lui a valu, presqu'immédiatement d'être congédié par le ministre de la Défense lui-même. Son "crime" ? C'est celui d'avoir consacré son premier chapitre à l'exposition des principales réserves sur la version officielle du 11 Septembre (Voir les bonnes feuilles du livre en page 14).

Le Professeur Chauprade n'est pas un auteur farfelu qui cherche la notoriété à n'importe quel prix. C'est un expert en géopolitique et un homme de science. Il se définit lui-même comme un conservateur classique (voir l'entretien qu'il nous a accordé en page 13). Chauprade n'adhère pas à la thèse du complot, mais il trouve que les arguments présentés contre la version officielle ne manquent pas de pertinence.

Il est évident que ce qui a aggravé le "cas Chauprade" auprès de certains grands médias français est l'implication, qui reste à déterminer, des services de renseignements israéliens dans l'entourage humain des kamikazes du 11 Septembre.

La célérité de la réaction du ministre de la Défense français est vraiment curieuse. Est-il interdit de douter dans le pays de Descartes ? Les idées émises dans le livre de Chauprade sont-elle délictueuses ? A le lire, on n'y voit ni racisme, ni diffamation, ni antisémitisme. Comment comprendre la réaction massive des grands médias pour défendre le magazine français qui a repris les caricatures danoises considérées blasphématoires par de nombreux Musulmans et le lynchage à échelle réduite d'Aymeric Chauprade ?

Y a-t-il des vérités sacrées et d'autres pas ? Le livre de Chauprade est prémonitoire, non pas à cause de ses doutes sur la version officielle du 11 Septembre, mais du titre même "Chronique du choc des civilisations" qui rappelle le célèbre livre de Samuel Huntington "Le choc des civilisations". Les intellectuels libres peuvent de moins en moins penser contre leur communauté ou leur civilisation. Un intellectuel occidental qui attaque l'Islam, même s'il frise le racisme et même si son argumentation est basée sur de fausses informations, trouve immédiatement des réseaux de solidarité et tous les grands médias revendiqueront sa liberté de penser.

Mais s'il s'attaque à certaines "vérités officielles" qui fondent la conscience occidentale, la machine médiatico-politique le broiera. Encore faut-il rappeler que la situation de l'intellectuel libre en terre d'Islam est loin d'être reluisante. Lui ne risquera pas l'omerta des médias et l'infamie publique seulement, mais aussi son intégrité physique et parfois sa vie.

Qu'on le souhaite ou qu'on le déplore, le "Choc des civilisations" est en ordre de bataille. Ses premières victimes sont la liberté de penser et les intellectuels indépendants.

Zyed KRICHEN

lundi, 09 mars 2009

Choc des civilisations: le slogan et la réalité

Choc des civilisations : le slogan et la réalité

Ex: http://soutien-chauprade.hautetfort.com/

« Le conflit réveille des tensions et des violences très fortes. Si nous ne faisons rien, nous risquons d'avoir un choc des civilisations, des guerres de religion qui mèneront le monde au bord de la catastrophe, et l'Europe en particulier, parce qu'elle est sur la ligne de fracture des civilisations. » En pleine offensive israélienne contre la bande de Gaza, Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, s'inquiétait ainsi, dans un entretien au Monde (daté du 6 janvier), des répercussions possibles de cette attaque meurtrière jusqu'au sein des sociétés européennes. En effet, durant les trois semaines de l'opération « Plomb durci », les tensions, plus ou moins récurrentes depuis quelques années - notamment en France -, entre les communautés musulmane - immigrée ou d'origine immigrée - et juive se sont soudain exacerbées, l'une s'identifiant au peuple palestinien « agressé », l'autre au peuple israélien en état de « légitime défense » contre le « terrorisme ». Dans le même temps, du Marocau Pakistan, en passant par les pays du Proche-Orient, les foules musulmanes manifestaient une nouvelle fois leur colère contre l'Etat hébreu et la « complicité » de la « communauté internationale » - Etats-Unis et Union européenne en tête -à son égard.

couv553.pngRégulièrement évoquée depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, la menace d'un « choc des civilisations » offrait ainsi, aux yeux de maints observateurs, une nouvelle illustration quelques jours, seulement, après la disparition, le 24 décembre2008, à l'âge de quatre-vingt-un ans, de son principal théoricien, le politologue américain Samuel Philips Huntington, et juste avant l'installation à la Maison-Blanche de Barack Obama.

Dans la foulée, un des principaux représentants de la jeune école française de géopolitique, Aymeric Chauprade, directeur de cours au Collège interarmées de défense (CID), professeur à l'université de Neuchâtel et invité dans de nombreuses universités étrangères, publie aujourd'hui Chronique du choc des civilisations. Sous-titré « Actualité, analyses géopolitiques et cartes pour comprendre le monde après le 11-Septembre », richement illustré, cet ouvrage présente un décryptage à ce jour le plus complet, le plus clair et le plus précis des nouveaux enjeux planétaires. Resituant ceux-ci dans la longue durée historique, il justifie son titre grâce à une grille d'analyse originale qui permet de mieux appréhender un thème autour duquel est entretenue une certaine confusion.

C'est en 1993 que Samuel P. Huntington, professeur de sciences politiques à Harvard, où il dirige le John M. Olin Institute of Strategic Studies, devient célèbre en publiant, dans la revue Foreign Affairs, un article intitulé de façon interrogative : « The clash of civilizations ? ». Son écho est tel qu'il entreprend de développer son propos dans un livre, publié trois ans plus tard sous le titre : The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order. Le point d'interrogation a disparu. Les débats passionnés suscités par l'article sortent des cercles spécialisés. Best-seller mondial, l'ouvrage sera traduit en trente-neuf langues. Paru en France, en 1997, sous le titre le Choc des civilisations, il sera plusieurs fois réédité.

Que dit Huntington ? Que « la culture, les identités culturelles qui, à un niveau grossier, sont des identités de civilisation, déterminent les structures de cohésion, de désintégration et de conflits dans le monde d'après la guerre froide ».

Autrement dit que, depuis l'effondrement de l'Union soviétique, les rapports internationaux ne sont plus régis par des logiques strictement étatiques - ni même économiques ou idéologiques -, mais par des logiques civilisationnelles. « La rivalité entre grandes puissances, écrit-il, est remplacée par le choc des civilisations. Dans ce monde nouveau, les conflits les plus étendus, les plus importants et les plus dangereux n'auront pas lieu entre classes sociales, entre riches et pauvres, entre groupes définis selon des critères économiques, mais entre peuples appartenant à différentes entités culturelles. »

L'ouvrage de Huntington peut se lire à deux niveaux. Le premier concerne l'affirmation que le monde est constitué de civilisations différentes, que celles-ci ne sont pas destinées à disparaître et qu'il existe entre elles des lignes de fracture qui ont jalonné l'histoire de l'humanité avec plus ou moins d'intensité, et qui sont en train de se réveiller.

Ce faisant, Huntington n'a rien inventé. « L'histoire du monde est l'histoire des grandes civilisations », soulignait déjà Oswald Spengler dans son célèbre Déclin de l'Occident (1928). Max Weber, Emile Durkheim, Marcel Mauss, Arnold Toynbee, Immanuel Wallerstein, Fernand Braudel et bien d'autres ont consacré une grande partie de leur vie à l'étude comparée des civilisations et, parfois, aux conflits qui ont pu les opposer.

« Pour toute personne qui s'intéresse au monde contemporain et à plus forte raison qui veut agir sur le monde, remarquait déjà Braudel dans ses Ecrits sur l'histoire (1969), il est "payant" de savoir reconnaître sur une mappemonde quelles civilisations existent aujourd'hui, d'être capable de définir leurs frontières, leur centre et leur périphérie, leurs provinces et l'air qu'on y respire, les formes générales et particulières qui existent et qui s'associent en leur sein. Autrement, quelle catastrophique confusion de perspective pourrait s'ensuivre. »

Et le grand historien notait, à propos de la bataille de Lépante (1571) qui, à l'entrée du golfe de Corinthe, opposa la flotte chrétienne de la Sainte Ligue à l'armada ottomane d'Ali Pacha, qu'elle fut un « de ces chocs sourds, violents, répétés, que se portent les bêtes puissantes que sont les civilisations ». « Le choc des civilisations, écrit pour sa part Aymeric Chauprade, traverse les siècles, et même, pour certaines civilisations, les millénaires ; il s'apaise, puis reprend, et donne à l'histoire des chocs sourds et puissants, comme si des plaques tectoniques venaient à en découdre, causant d'immenses secousses dans l'humanité. »

Le premier exemple répertorié de ces « chocs » se situe en 1280 avant J.-C. : il s'agit de la bataille de Kadesh, qui opposa l'empire égyptien de Ramsès II aux Hittites. La liste des « chocs » qui ont suivi est longue. On peut énumérer, entre autres, l'affrontement, au début du Ve siècle avant J.-C., entre le monde grec (l'Europe) et le monde perse (l'Asie) lors des guerres médiques ; les guerres puniques entre Rome et Carthage, aux IIIe et IIe siècles avant notre ère, mettant aux prises une nouvelle fois l'Europe et l'Asie, mais encore indiquait Braudel, « un peuple essentiellement maritime et marchand [Carthage] et un peuple essentiellement terrien, guerrier et paysan [Rome] » ; la lutte millénaire entre l'islam et la chrétienté, ponctuée d'épisodes qui ont profondément laissé leur empreinte dans les mémoires collectives : Poitiers (732), les croisades (XIe-XIIIe siècles), les huit siècles de la Reconquista espagnole, la prise de Constantinople par les Ottomans (1453), Lépante (1571), déjà cité, le siège de Vienne par les Turcs (1683) ; la quasi-disparition des civilisations précolombiennes d'Amérique du Sud, consécutive à l'arrivée des conquistadors ibériques ; le quasi-génocide des Indiens d'Amérique du Nord lors de la conquête de l'Ouest ; la pénétration du christianisme en Chine et au Japon à partir de la fin du XVIe siècle, puis, au XIXe , le dépouillement de l'empire du Milieu par les puissances européennes.

En remettant ainsi au premier plan la réalité civilisationnelle, sa pluralité et sa conflictualité, Samuel P. Huntington allait à rebours d'un certain universalisme occidental qui considère l'humanité comme une abstraction dépouillée de ses appartenances profondes. D'où l'effet de scandale créé par son livre.

Celui-ci (et l'article qui l'a précédé) a été souvent considéré comme une réponse à un autre ouvrage retentissant, paru quatre ans avant le sien, la Fin de l'Histoire et le dernier homme (1992) -précédé, lui aussi, par un article (publié en 1989 dans la revue National Interest) - de son jeune collègue Francis Fukuyama, professeur d'économie et de sciences politiques à l'université Johns Hopkins de Washington.

Empruntant l'idée de « fin de l'Histoire » à Hegel, Fukuyama prophétisait que la chute du mur de Berlin ouvrirait la voie au triomphe universel du modèle démocratique occidental, de l'économie de marché et de l'idéologie des droits de l'homme, mettant ainsi un point final aux conflits du passé.

La guerre de Yougoslavie, les conflits dans le Caucase et l'Asie centrale post-soviétiques, le génocide rwandais - pour ne prendre que ces exemples - n'ont pas tardé à démentir Fukuyama et à donner du crédit à Huntington. Crédit que sembleront confirmer, ensuite, la dégradation continue de la situation au Proche-Orient, la montée du fondamentalisme islamique et les attentats spectaculaires du 11 septembre 2001. C'est là qu'intervient le second niveau de lecture de sa thèse, niveau non plus descriptif mais normatif.

Car Samuel P. Huntington n'était pas seulement professeur de sciences politiques. Longtemps appointé par la CIA, proche de Zbigniew Brezinski, le grand théoricien du roll back, du refoulement de la puissance russe vers l'intérieur de l'Eurasie, il occupa, sous l'administration Carter, un poste important au Conseil national de sécurité, avant de travailler comme conseiller au département d'Etat sous les administrations Reagan et Bush père. Par ailleurs, cofondateur de la revue Foreign Affairs - celle-là même où il publia son article en 1993 et émanation du Council for Foreign Relations -, il fut l'un de ceux qui pensèrent la politique extérieure américaine au cours des trente-cinq dernières années.

Le Choc des civilisations n'est pas une étude désintéressée à la manière de Braudel, mais une contribution (certes personnelle) à la redéfinition des objectifs stratégiques des Etats-Unis après l'effondrement de l'URSS. Tout comme l'avait été, en son temps, la Fin de l'Histoire, de Francis Fukuyama. Les deux ouvrages, en effet, correspondent à deux moments de l'après-guerre froide. Le premier de ces moments - très bref - est celui du « nouvel ordre mondial » lancé par George Bush père, celui de la « mondialisation heureuse » sous l'égide « bienveillante » de l'Amérique, annonciatrice de « la fin de l'Histoire ». Le second est dominé par les difficultés de plus en plus grandes rencontrées par Washington à faire triompher ce programme, à maîtriser l'évolution du monde ; ce moment est celui de la « guerre contre le terrorisme ».

Promoteurs, après le 11 septembre 2001, de cette « guerre contre le terrorisme », les néoconservateurs qui entourent alors George W. Bush vont puiser chez Huntington de quoi justifier leur rhétorique et leur action, faisant du « choc des civilisations » un slogan mobilisateur. Parfois au corps défendant de l'intéressé. En effet, celui-ci ne partage pas la politique impérialiste agressive de l'administration Bush. « Pour éviter une guerre majeure entre civilisations, souligne-t-il au contraire, il est nécessaire que les Etats-noyaux s'abstiennent d'intervenir dans des conflits survenant dans d'autres civilisations. » S'abritant derrière le renom médiatique de Huntington, les néoconservateurs sont, en réalité, plus directement inspirés par les travaux de l'islamologue britannique Bernard Lewis. C'est d'ailleurs lui le véritable inventeur de l'expression « choc des civilisations » : « La crise au Proche-Orient [...] ne surgit pas d'une querelle entre États, mais d'un choc des civilisations », lança-t-il en 1964. Désignant exclusivement, sous sa plume, l'opposition entre l'« Islam » et l'« Occident », elle s'identifie parfaitement à la logique binaire néoconservatrice. Et à celle de son double et rival mimétique, le djihadisme de Ben Laden. Installé aux Etats-Unis depuis 1974, proche de la droite israélienne, Bernard Lewis sera, notamment, l'inspirateur du plan américain de Grand Moyen-Orient.

Reste que le livre de Huntington prête le flanc à l'instrumentalisation. Ne serait-ce que par ses raccourcis et simplifications, notamment en posant les civilisations comme des ensembles homogènes et unitaires, ce qu'elles ne sont pas. Surtout, son découpage du monde en neuf civilisations constitue en lui-même une instrumentalisation de la réalité civilisationnelle au service des permanences géostratégiques des Etats-Unis. Ainsi lorsqu'il intègre, sous le nom d'« Occident », l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord au sein d'une même communauté de destin transatlantique : ignorant délibérément que la seconde s'est construite en rupture avec la première, cette intégration répond, en revanche, parfaitement à l'impératif de Washington d'empêcher l'émergence d'une Europe puissance continentale qui associerait ses parties occidentale (catholique et protestante) et orientale (orthodoxe). Ou encore, lorsqu'il établit une distinction entre civilisation « japonaise » et civilisation « chinoise », c'est pour mieux légitimer l'alliance américano-nippone destinée à contenir la montée en puissance de la Chine.

La montée en puissance de la Chine : telle est précisément l'obsession de la géopolitique américaine depuis la fin de la guerre froide, ainsi que le montre Aymeric Chauprade dans son ouvrage. La stratégie globale déployée par les Etats-Unis depuis l'effondrement de l'URSS a consisté à contrôler la dépendance énergétique de l'empire du Milieu, à l'encercler par un nouveau réseau d'alliés, à soutenir les séparatismes en son sein (Xingiang, Tibet), à affaiblir la dissuasion nucléaire dans le monde par le développement du bouclier antimissile. La guerre en Afghanistan et en Irak, la volonté d'empêcher la sanctuarisation nucléaire de l'Iran s'inscrivent dans cette stratégie. Dans cette optique, la « guerre contre le terrorisme » islamiste ne serait, en réalité, que le paravent d'une guerre contre les puissances eurasiatiques, dont le 11-Septembre aura été l'accélérateur : la Chine comme cible, la Russie comme enjeu.

De l'orientation stratégique de la Russie dépend, en effet, la réussite de cette stratégie globale. Or, après avoir cru pouvoir faire « tomber » la Russie de son côté à la faveur du chaos post-soviétique des années Eltsine, Washington a dû déchanter depuis l'accession au pouvoir, en 2000, de Vladimir Poutine. Ayant entrepris de redresser la puissance russe en s'appuyant sur la civilisation orthodoxe et les richesses énergétiques du pays (pétrole et gaz), Poutine (et, depuis 2008, le tandem Medvedev-Poutine) est peut-être en train déjouer le rêve unipolaire américain au profit d'un monde multipolaire. S'étant rapprochée de la Chine, la Russie voit déjà des alliances se former autour d'elle, de l'Iran au Venezuela, en passant par le Nicaragua. Alliances de puissances, mais aussi, conclut Aymeric Chauprade, de civilisations qui « se dressent contre le mondialisme américain et le refusent car elles ont désormais les moyens de le refuser [...] ».

Christian BROSIO

jeudi, 12 février 2009

Encore un mauvais coup contre la liberté de recherche et la liberté d'expression

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Encore un mauvais coup contre la liberté de recherche et la liberté d'expression

Trouvé sur: http://www.polemia.com/ 

Aymeric Chauprade, chargé du cours de géopolitique au Collège interarmées de défense (CID, l'ancienne Ecole de guerre) a été brutalement congédié ce matin par le ministre de la Défense Hervé Morin, à la suite d'un article paru dans « Le Point ». Hervé Morin lui reproche d'être l'auteur d'un « texte au travers duquel passent des relents inacceptables » consacré aux attentats du 11 septembre, présentés comme le fruit d'un complot israélo-américain. Aymeric Chauprade vient de publier une « Chronique du choc des civilisations » aux éditions Chronique-Dargau, dont « Le Point » cite quelques expressions choc :

« L'attaque des tours jumelles du World Trade Center de New York et du 
Pentagone par des terroristes préparés par al-Qaïda ? »

« Le nouveau  dogme du terrorisme mondial »,

« Une « version officielle ».

Au World Trade Center, « l'incendie n'a pas été si violent que le prétend la commission d'enquête ».

« L'onde de choc n'a pas pu provoquer l'effondrement. (...) Seule une démolition contrôlée par des  explosifs permet d'obtenir un effondrement aussi rapide et parfait. »

Rien que du politiquement incorrect !

Quelques heures après la parution de cet article, le professeur est débarqué par le ministre de la Défense qui l'explique  :

« J'ai découvert un texte au travers duquel passent des relents inacceptables. Sur onze pages, on nous parle d'un complot israélo-américain imaginaire visant à la conquête du monde. Quand j'ai appris cela mardi soir, j'ai donné pour consigne au général Desportes, le directeur du Collège interarmées de défense [le supérieur de M. Chauprade], de ne pas conserver ce monsieur Chauprade dans son corps enseignant. Il n'a absolument rien à faire à l'École militaire ».

Interrogé par Libération/Secret défense, Aymeric Chauprade, 40 ans, se déclare « stupéfait »:

« On me coupe la tête. Je n'ai eu aucun contact avec le cabinet du ministre, qui n'a pas cherché à m'entendre avant de prendre cette décision à la suite de la parution d'un seul article ». « Très fâché », Chauprade entend se défendre.

Sur le fond de ce qui lui est reproché, il s’explique à son tour :

« Je présente la thèse [du complot américano-israélien], certes de manière avantageuse, mais sans la faire mienne. Je souhaitais mettre en opposition deux façons de voir le monde, sachant que la moitié de l'humanité pense que les attentats du 11 septembre sont le fruit d'un tel complot » et non l'oeuvre des islamistes d'Al Qaïda. »

Dès ce jeudi après-midi, des élèves du CID s'élevaient contre ce qui s'apparente, à leurs yeux, à une « chasse aux sorcières » au nom de « la pensée unique ».

Aymeric Chauprade, qui enseignait cette semaine aux officiers de l'armée marocaine, à Kenitra, sera reçu demain matin par le directeur du CID, le général Vincent Desportes. Il lui a été demandé de cesser immédiatement ces activités et n'assurera donc pas le séminaire « Energie et développement durable » qu'il devait animer ce vendredi. Aymeric Chauprade enseigne au CID depuis 1999 et dirige le cours de géopolitique depuis 2002. (…). [Il est] officier de réserve de la marine. Outre son séminaire, son cours porte sur les méthodes d'analyse géopolitique, destiné à des officiers d'environ 35 ans. Ses activités au CID représente environ un tiers de ses activités et donc de ses revenus. Il est par ailleurs éditeur et auteur de plusieurs ouvrages, dont une « Géopolitique, constantes et changements dans l'histoire » aux éditions Ellipses.

« Il n'a jamais fait de prosélytisme dans ces cours, n'a jamais exprimé sa vision du monde, mais en faisant état de ses fonctions au CID dans ces livres, il engage l'institution militaire avec des thèses qui ne sont pas les nôtres » assure le général Vincent Desportes, qui commande le CID.

Le général Desportes, qui est l'une des têtes pensantes des armées et l'auteur de nombreux livres, s'affirme « intellectuellement en opposition avec les thèses défendues par Chauprade, qui sont assez peu recevables ».

Dans ces livres et ses articles, Chauprade défend une théorie du choc des civilisations, au travers notamment d'une opposition entre l'Europe (incluant la Russie) et l'Islam.

Et « Le Point » de présenter Aymeric Chauprade dans l’introduction de l’article :

« Aymeric Chauprade est un géopoliticien qui ne cache pas ses convictions. Directeur de campagne de Philippe de Villiers aux européennes de 2004, en charge de la Revue française de géopolitique, il est très réservé sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.(…). Il s'est montré critique sur le récent « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale », ce qui ne manque pas de courage pour un enseignant censé se trouver en phase avec la politique de défense nationale »..

Sources :
http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense
et
http://lesalonbeige.blogs.com/
5/02/09

Correspondance Polémia
05/02/09

« Chronique du choc des civilisations »
http://www.amazon.fr/s/ref=nb_ss_w?__mk_fr_FR=%C5M%C5Z%D5%D1&url=search-alias%3Daps&fieldkeywords=Chronique+du+choc+des+civilisations&x=14&y=19

« Géopolitique, constantes et changements dans l'histoire »
http://www.amazon.fr/Géopolitique-Constantes-changements-dans-lhistoire/dp/2729811222/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1233938778&sr=8-2

Correspondance Polémia

jeudi, 01 janvier 2009

R.I.P. Samuel Huntington

 

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R.I.P. Samuel Huntington

Gevonden op: http://yvespernet.wordpress.info

Op 24 december 2008 is Samuel Huntington overleden, autheur van o.a. het zeer bekende “Clash of Civilizations”. De man heeft bakken kritiek gekregen van de zogenaamde “hybridisation”-aanhangers (de mensen die geloven dat globalisme zal zorgen voor een beter verstaan van culturen en het opnemen van elementen uit andere culturen, zonder dat daarbij de eigen cultuur schade lijdt, cfr. Jan Nederveen Pieterse), maar na 11 september groeide zijn aanhang enorm.

Persoonlijk heb ik de man zijn visies leren kennen van zijn “Clash of Civilizations”, trouwens ook het eerste politieke werk dat ik kocht. Ik zat toen ergens in het vijfde middelbaar en kan gerust zeggen dat een deel van mijn politiek “bewustzijn” mede door dat boek is ontstaan. Of toch alvast de fascinatie om zoveel mogelijk te weten komen over de processen die ons dagelijks bestaan op een globale schaal bepalen. Niet dat Huntington altijd gelijk heeft gekregen in zijn voorspellingen, maar op vele vlakken had de man wel degelijk een punt.

Samuel Huntington (New York City, 18 april 1927 – Martha’s Vineyard, 24 december 2008); rust in vrede. Hieronder een korte bibliografie (los van Wikipedia geplukt)

  • The Soldier and the State: The Theory and Politics of Civil-Military Relations (1957),
  • The Common Defense: Strategic Programs in National Politics (1961),
  • Political Order in Changing Societies (1968),
  • The Crisis of Democracy: On the Governability of Democracies (1976),
  • American Politics: The Promise of Disharmony (1981),
  • The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century (1991),
  • The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order (1996),
  • Who Are We? The Challenges to America’s National Identity (2004)