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mardi, 20 février 2018

Comment Internet et l'informatique ont créé notre dystopie

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Comment Internet et l'informatique ont créé notre dystopie

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Pendant que nous avons le nez plongé dans nos portables ou nos écrans d’ordinateur, le monde s’endette, s’enlaidit et s’appauvrit. Les huit hommes les plus riches du monde ont autant que les quatre ou cinq milliards les plus pauvres, et cent millions de gamines pas forcément idiotes s’extasient tous les jours de la page Instagram de la fille Jenner. On peut continuer pendant des pages…

Les hommes les plus riches du monde sont souvent jeunes et sortis de la nouvelle économie. Ils hypnotisent ou contrôlent des milliards d’hommes (Alfred Hitchcock parle d’une orgue dont les touches sont l’humanité, et que les malins font résonner à volonté), emploient des milliers ou des millions de personnes en Inde ou ailleurs, et payés au lance-pièces. La globalisation est néo-féodale et divise le monde en deux castes principales : les brainlords, les manipulateurs de symboles, qui ont détruit les classes moyennes en occident par le « progrès technologique » (défense d’exploser de rire) et les techno-serfs. On va tout expliquer.

Voici comment j’annonçais la situation présente à la fin de mon livre sur Internet nouvelle voie initiatique (les Belles lettres, 2000), traduit en portugais et recensé par Roger-Pol Droit dans le Monde.

« Si le programme de la nouvelle économie est la richesse et l'information pour tout le monde, la réalité est tout autre. Robert Reich avait déjà remarqué en 1990 que l'informatique ne nourrissait pas du tout son homme. Il distingue une élite, des cadres et des mainteneurs, chargés de vider ou de recharger les machines. L'assemblage des ordinateurs ne coûte guère non plus, quand il est fait au Mexique ou en Malaisie.

L'externalisation vers les pays les plus pauvres est contemporaine de cette explosion de richesses soudaines concentrée entre les mains de quelques-uns. 85 % de la croissance boursière américaine est restée entre les mains de 10 % de la population. En France même, paradis autoproclamé du socialisme, les richesses boursières ont décuplé en dix ans ; et pendant que les médias célèbrent les stock-options et les richesses en papier des créateurs de start-up, ils passent sous silence les difficultés de dix millions de personnes.

Drucker-portrait-bkt_1014.jpgL'émergence d'une nouvelle économie techno-féodale qui distingue les information rich et les information-poor (et certes il ne suffit pas de se connecter sur le réseau pour être information rich) fait les délices des polémistes. Le gourou du management moderne Peter Drucker (photo) dénonce cette société qui fonctionne non plus à deux mais à dix vitesses : « Il y a aujourd'hui une attention démesurée portée aux revenus et à la richesse. Cela détruit l'esprit d'équipe. » Drucker comme le stupide Toffler, qui devraient se rappeler que Dante les mettrait au purgatoire en tant que faux devins, font mine de découvrir que la pure compétition intellectuelle génère encore plus d'inégalités que la compétition physique. C'est bien pour cela que les peuples dont les cultures symboliques sont les plus anciennes se retrouvent leaders de la Nouvelle Économie.

C'est encore un artiste, un écrivain de science-fiction, qui a le mieux décrit le monde féodal en train d'émerger, et qui disloque les schémas keynésiens archaïques.

neuromancer_by_davidsimpson2112-d4ft3sr.jpgWilliam Gibson, l'inventeur du cyberspace, imaginait en 1983 une société duale gouvernée par l'aristocratie des cyber-cowboys naviguant dans les sphères virtuelles. La plèbe des non-connectés était désignée comme la viande. Elle relève de l'ancienne économie et de la vie ordinaire dénoncée par les ésotéristes. La nouvelle élite vit entre deux jets et deux espaces virtuels, elle décide de la consommation de tous, ayant une fois pour toutes assuré le consommateur qu'il n'a jamais été aussi libre ou si responsable. Dans une interview diffusée sur le Net, Gibson, qui est engagé à gauche et se bat pour un Internet libertaire, dénonce d'ailleurs la transformation de l'Amérique en dystopie (deux millions de prisonniers, quarante millions de travailleurs non assurés...).

Lui-même souffre d'agoraphobie cyber-spatiale et ne se connecte jamais ; mais il encourage les pauvres, I’underclass, à le faire pour oublier ou dépasser le cauchemar social américain. Et de regretter que pendant les émeutes de Los Angeles les pauvres ne volaient pas d'ordinateurs, seulement des appareils hi-fi ... Comme nos progressistes, Gibson n'admet pas que les pauvres ne veuillent pas leur bien. Une classe de cyber-shérifs obligera sans doute un jour les pauvres et les autres à se connecter pour leur bien.

Pour Michael Vlahos, dans la Byte City de l'an 2020 qu'il décrit sur le Web, les castes dirigeantes regrouperont les gens les mieux informés. Ce sont les brainlords. Viennent ensuite les cyber-yuppies puis les cyber-serfs, le peuple perdu (on retrouve cette division chez Reich, Huxley, et mon ami Raymond Abellio avait recyclé les castes hindoues dans ses romans du huitième jour). L'inégalité n'est ici pas dénoncée avec des larmes de crocodiles, elle est au contraire encouragée et célébrée avec cynisme. Pendant longtemps – avant la révolution industrielle - les forts en thème et en maths n'ont pas été riches ; ils le deviennent avec le réseau, la technologie et le néocapitalisme qui ne récompense plus seulement les meilleurs, mais les plus intelligents. C'est à une domination néo-cléricale qu'il faut s'attendre maintenant. Abellio me parlait du retour de la caste sacerdotale ; lui-même écrivit deux livres sur la bible comme document chiffré (voyez mon chapitre sur la technognose).

lessard1.pngLes rois de l'algorithme vont détrôner les rois du pétrole. Les malchanceux ont un internaute fameux, Bill Lessard (photo), qui dénonce cette nouvelle pauvreté de la nouvelle économie. Lessard évoque cinq millions de techno-serfs dans la Nouvelle Économie, qui sont à Steve Case ce que le nettoyeur de pare-brise de Bogota est au patron de la General Motors. Dans la pyramide sociale de Lessard, qui rappelle celle du film Blade Runner (le roi de la biomécanique trône au sommet pendant que les miséreux s'entassent dans les rues), on retrouve les « éboueurs » qui entretiennent les machines, les travailleurs sociaux ou webmasters, les « codeurs » ou chauffeurs de taxi, les cow-boys ou truands de casino, les chercheurs d'or ou gigolos, les chefs de projet ou cuisiniers, les prêtres ou fous inspirés, les robots ou ingénieurs, enfin les requins des affaires. Seuls les quatre derniers groupes sont privilégiés. Le rêve futuriste de la science-fiction est plus archaïque que jamais. Et il est en train de se réaliser, à coups de bulle financière et de fusions ...

Gibson reprend dans son roman le thème gnostique du rejet du corps. Case « taille des ouvertures dans de riches banques de données », il est donc un hacker. Puni, il voit son système nerveux endommagé par une myxotonine russe (toujours ces Russes ! Sont-ils utiles tout de même !), et c’est « la Chute. Dans les bars qu'il fréquentait du temps de sa gloire, l'attitude élitiste exigeait un certain mépris pour la chair. Le corps, c'était de la viande. Case était tombé dans la prison de sa propre chair. »

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Gibson a popularisé le cyberspace. Le héros Case, un cow-boy donc, avait « projeté sa conscience désincarnée au sein de l'hallucination consensuelle qu'était la matrice ». L'expression « hallucination consensuelle » évoque les univers conditionnés de Philip K. Dick, elle évoque surtout le réseau des réseaux, paramétré pour nous faire vivre une seconde et meilleure vie. « La matrice tire ses origines des jeux vidéo, explique Gibson, des tout premiers programmes holographiques et des expérimentations militaires ... une guerre spatiale en deux dimensions s'évanouit derrière une forêt de fougères générées de manière mathématique, démontrant les possibilités spatiales de spirales logarithmiques ... le cyberspace est une représentation graphique extraite des mémoires de tous les ordinateurs du système humain ... des traits de lumière disposés dans le non-espace de l'esprit. »

Cet univers algorithmique et non-spatial est dominé par des Modernes, « version contemporaine des grands savants du temps de ses vingt ans ... des mercenaires, des rigolos, des techno-fétichistes nihilistes ». Gibson nous fait comprendre de qui ces Modernes sont les héritiers : « Pendant des milliers d'années, les hommes ont rêvé de pactes avec les démons. »

Sur ces questions lisez Erik Davies.

Le monde techno-paranoïaque de Gibson, où l'on est identifié par son code de Turing, est dirigé par des multinationales à qui il donne le fameux nom nippon de zaibatsu. Ces derniers, « qui modèlent le cours de l'histoire humaine, avaient transcendé les vieilles barrières. Vus comme des organismes, ils étaient parvenus à une sorte d'immortalité ». Le Neuromancien s'achève par la vision d'une araignée cybernétique qui tisse sa toile pendant le sommeil de tous (…).

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Les brainlords nous laissent miroiter la noosphère, et accaparent la bonne terre. Ils sont les dignes héritiers des évêques médiévaux. Evoquons la résistance maintenant.

L'injustice moderne génère alors ses hérétiques et ses rebelles, les hackers. Les hackers, ou pirates du Web, sont les nouveaux brigands de la société techno-féodale. Sans scrupules et surdoués, ils reproduisent les archétypes des voleurs de Bagdad et des Mandrins d'antan. C'est sans doute pour cela qu'ils sont rarement condamnés sévèrement: ils suscitent trop d'admiration. Ils sont susceptibles d'autre part de pirater les puissants, sociétés, administrations, portails importants, et donc de venger l'internaute moyen. Ils font peur, comme le dieu Loki de la mythologie scandinave qui passe des farces et attrapes au Ragnarök ; car ils peuvent déclencher l'apocalypse virtuelle qui fascine tout le monde et justifient les stocks d'or ou les garde-manger des milices et des paranoïaques.

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Le hacker représente le dernier bandit de l'histoire, et le premier criminel du cyberspace. Il y a une mystique du hacker qui recoupe celle du Graal. C'est le très professionnel Mark Pesce qui l'affirme dans un texte baptisé Ignition et adressé aux world movers, aux cyber-nomades du Grand Esprit. L'inventeur du langage virtuel énonce les vérités suivantes : « Commençons par l'objet de notre désir. Il existe, il a existé de tout temps, et il continuera éternellement. Il a retenu l'attention des mystiques, des sorcières et des hackers de toutes les époques. C'est le Graal. La mythologie du Sangraal - du Saint-Graal - est l'archétype de l'illumination retirée.

La révélation du Graal est toujours une expérience personnelle et unique ... Je sais – parce que je l'ai entendu d'innombrables fois de beaucoup de gens dans le monde - que le moment de la révélation est l'élément commun de notre expérience en tant que communauté. Le Graal est notre ferme fondation. »

(…)

Le cyberspace de Pesce correspond à l'espace sacré antérieur décrit par Mircea Eliade. Dans un monde pollué et réifié par la consommation touristique, le cyberspace devient le nec plus ultra du pèlerinage mystique.

Pesce présente ici le hacker comme un mystique hérétique en quête du Graal. Le Graal est lié au centre sacré, Montsalvat ou le château du roi-pêcheur. Il est père nourricier, donne vie éternelle et santé, et la connaissance absolue du monde : tout ce qui est attendu par les prêtres du cyberspace et du Net, censés résoudre toutes les contradictions de l'humanité. Le hacker dans ce cadre fait figure de chevalier sauvage. L'expression chevalier sauvage désigne le guerrier initié, soumis à la solitude et à l'effroi des lieux les plus sinistres, mais également à la volonté du Bien, celui qui comme Lancelot n'a pas un sillon de terre et qui sillonne toute la terre pour quérir les aventures les plus étranges et merveilleuses. Comme le jongleur (joker de Batman, homme qui rit de Hugo), initié mué en bouffon, l'extraordinaire Lancelot se déplace sans cesse dans un espace-temps où rien ne le retient, si ce n'est ce lien particulier qui le relie à l'Esprit, et qui est figuré par sa Dame la Reine, source de de vie et de sagesse pour tout chevalier sauvage, tout Fidèle d' Amour. Montsalvat est un lieu où l'espace rejoint le temps, comme dit Wagner. L'ère numérique répond ainsi à des aspirations immémoriales.

Bibliographie

Nicolas Bonnal – Perceval et la reine (alchimie et ésotérisme dans la littérature arthurienne, préface de Nicolas Richer, professeur à l’EN.S., Amazon.fr) – Internet nouvelle voie initiatique (Amazon.fr, Avatar éditions) – Comment les peuples sont devenus jetables (Amazon.fr)

William Gibson – Le neuromancien (Editions j’ai lu)

Erik Davies – Techgnosis

Roger-Pol-Droit-.jpgRoger-Pol Droit, "Les démons du web" (29.09.2000). Je cite un extrait de son article :

« Nicolas Bonnal brosse le portrait de cette résurgence de vieilles terreurs sur les réseaux nouveaux. D'après lui, nous serions en pleine croissance de la technognose. Ainsi, le « w » correspondant en hébreu au chiffre 6, beaucoup se préoccuperaient aujourd'hui que le World Wide Web (www) équivale à 666, soit le chiffre de la Bête dans l'Apocalypse de Jean. Le Net, ce serait le filet contre lequel Job se battait déjà. Dans la kabbale, il n'est question, comme sur Internet, que de portails, de codes, de nœuds. Comme dans la gnose, la vieille lutte contre le corps, ses pesanteurs et ses incohérences, est à l'ordre du jour : certains rêvent d'entrer dans le réseau, de devenir téléchargeables, de survivre comme pure information. Pour ces anges New Age, évidemment, notre viande est une gêne. Ils rêvent de n'être que lumière, instantanément diffusée dans un monde sans pesanteur ni animalité.

Les hackers, ces pirates qui contournent les barrières et les mesures de sécurité des systèmes informatiques, sont les chevaliers d'Internet, selon Nicolas Bonnal. Déjouer les plus retorses défenses est leur quête du Graal, aussi interminable que celle des compagnons du roi Arthur. Ce ne serait donc pas un hasard si les jeux de rôles - donjons, dragons et autres occasions de mortels combats - se sont développés sur la Toile de manière spectaculaire. Les ordinateurs se délectent d'anciennes légendes. Ils brassent allégrement Pythagore et la Kabbale, des secrets chiffrés et des mœurs médiévales. On les croyait postmodernes. Ils risquent de se révéler préclassiques.

…Nicolas Bonnal, en dépit de certaines imperfections, met le doigt sur une question importante : le monde hypertechnique est aussi un univers mythologique, régressif, crédule, traversé éventuellement de toutes les hantises et les phobies des âges les plus anciens, celles que l'on avait cru trop vite révolues. Sans doute ne faut-il pas noircir aussitôt le tableau. Il n'est pas vrai que nos disques durs soient truffés de signes maléfiques et nos modems peuplés de gremlins prêts à bondir. Mais il y a une tendance. Une sorte de boucle possible entre l'avenir et le passé. Le futur risque d'être archaïque. On pense à ce mot attribué à Einstein : “Je ne sais pas comment la troisième guerre mondiale sera menée, mais je sais comment le sera la quatrième : avec des bâtons et des pierres.” » 

Revoir l’Europe: la construction européenne selon Laurent Wauquiez

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Revoir l’Europe: la construction européenne selon Laurent Wauquiez

par Georges FELTIN-TRACOL

LW-livbre.jpg« La force de l’Europe est sans doute d’avoir été perpétuellement traversée par une envie d’ailleurs, une forme de doute existentiel qui nous a poussés à aller toujours plus loin, à nous questionner et à nous remettre sans cesse en cause. Ce besoin de dépassement est pour moi la plus belle forme de l’esprit européen (p. 290). » C’est à tort qu’on attribuerait ces deux phrases à Guillaume Faye. Leur véritable auteur n’est autre que Laurent Wauquiez, le nouveau président du parti libéral-conservateur de droite Les Républicains. Il avait publié au printemps 2014 Europe : il faut tout changer. Cet essai provoqua le mécontentement des centristes de son propre mouvement, en particulier celui de son mentor en politique, Jacques Barrot, longtemps député-maire démocrate-chrétien d’Yssingeaux en Haute-Loire. Après sa sortie sur le « cancer de l’assistanat » en 2011, ce livre constitue pour l’ancien maire du Puy-en-Velay (2008 – 2016) et l’actuel président du conseil régional Auvergne – Rhône-Alpes une indéniable tunique de Nessus. Il convient cependant de le lire avec attention puisqu’il passe de l’européisme béat à un euro-réalisme plus acceptable auprès des catégories populaires.

Laurent Wauquiez avoue volontiers avoir cru à 16 ans que « nous serions cette génération qui accoucherait du fédéralisme européen (p. 9) ». Le projet européen conduit par François Mitterrand, Helmut Kohl et Jacques Delors stimulait son imagination juvénile. « La cause était entendue : les limites nationales étant trop étroites pour enfermer nos rêves de grands espaces, c’est résolument vers l’Europe que nos regards rêveurs se tournaient (p. 9). » Il ne s’agit pas d’une allusion aux grands espaces schmittiens : l’auteur ignore tout de ce penseur majeur du XXe siècle… Ce n’est pas son seul manque. Bien que major à l’agrégation d’histoire, il avoue volontiers ignorer la vie et l’action de Grundtvig (p. 256). Preuve qu’il n’a jamais lu les ouvrages de Jean Mabire. Trois décennies plus tard et après ses expériences d’élu local et de secrétaire d’État porte-parole du gouvernement (2007 – 2008), de secrétaire d’État chargé de l’Emploi (2008 – 2010), de ministre des Affaires européennes (2010 – 2011), et de ministre de l’Enseignement supérieure et de la Recherche (2011 – 2012), son enthousiasme s’étiole et se tiédit. Certes, « les grands desseins politiques ont besoin d’incarnation (p. 27) ». Or, il remarque à juste titre que « l’Europe manque cruellement de grands projets mobilisateurs et fédérateurs (p. 27) ».

Ses critiques font mouche quand il ironise respectivement sur la Commission européenne qualifiée de « tapir qui se regarde le nombril (p. 112) », le Conseil européen de « tribu des Lémuriens (p. 119) » dont « les grandes manœuvres [… en font un] pays des grands fauves (p. 123) », le Parlement européen de « grenouille et […] bœuf (p. 128) » et la Banque centrale européenne de « dernier rempart fédéral (p. 213) ». Il prévient que les bâtiments à Bruxelles – Strasbourg – Francfort – Luxembourg sont cernés par « la meute des lobbies (p. 135) ». À qui la faute ? À la sempiternelle coalition libérale – sociale-démocrate-chrétienne qui monopolise l’eurocratie ?

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Refonder politiquement l’Europe ?

Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des essais signés naguère par Michel Poniatowski, Philippe de Villiers, voire Bruno Mégret (1), avec cette sous-estimation notable des enjeux de puissance. Les manques y sont notables ! Laurent Wauquiez agrémente sa démonstration de nombreuses et parfois savoureuses anecdotes ministérielles. Ainsi, dès qu’il faut aborder les questions européennes, les députés français quittent-ils en masse l’hémicycle… Il déplore « la démission du politique face à l’expertise administrative (p. 121) » et constate que « c’est le politique qui a abandonné Bruxelles et non le fonctionnaire qui a pris la place (p. 123) ». Comment alors redonner aux institutions européennes un sens politique quand celles-ci persévèrent à neutraliser toute action du politique ?

Si les plumitifs le poursuivent de leur vindicte, c’est probablement parce que Laurent Wauquiez défend un « choc des civilisations » et les racines spirituelles de l’Europe. Outre l’humanisme et les Lumières, il se rabat sur l’habituel et paresseux triangle Athènes – Rome – Jérusalem bien qu’il reconnaisse que l’« apport barbare constituera la matrice des futurs États-nations (p. 287) ». À ses yeux, les billets en euro témoignent de l’absence d’identité concrète. « L’identité européenne vue par les institutions actuelles s’y trouve toute entière résumée : une construction artificielle, sans frontière, sans début, sans fin, sans contenu (p. 276). » Il assume pour sa part que « l’Europe a été chrétienne et on se condamne à ne rien comprendre si l’on cherche à tout prix à nier ce pan de notre histoire (p. 284). » En revanche, il ne voit pas Charlemagne en père de l’Europe. « Le véritable enfantement historique de l’Europe est le Moyen Âge. Cette naissance […] est la résultante de deux tendances : l’action du christianisme et l’opposition à l’islam (p. 279). » Il souligne que « notre histoire est une histoire commune, mais c’est l’histoire d’un affrontement entre la civilisation européenne et la civilisation ottomane (p. 168) ». Par conséquent, « historiquement, la Turquie n’a jamais été un pays européen. […] Le combat entre la Sublime Porte et les puissances européennes était un combat à mort pour la suprématie d’une puissance sur l’autre (p. 167) ». Cette logique d’affrontement est plus qu’actuelle avec la nouvelle Turquie du Reis Erdogan qui maintient son inacceptable occupation du Nord de Chypre et son blocus scandaleux envers la vaillante Arménie.

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La Turquie ne devrait pas rejoindre l’Union européenne comme d’autres États candidats à l’adhésion tels que « l’Ukraine a vocation à être un pays charnière entre Europe et Russie et doit le rester (p. 88) ». Il rappelle qu’à l’instar d’Emmanuel Macron, Nicolas Sarközy défendait l’élargissement aux États des Balkans, ce que ne veut pas Wauquiez qui rejette, quant à lui, les élargissements récents. Il considère même que « c’est l’élargissement qui a tué l’Europe (p. 293) ».

Pour ce livre, l’auteur entreprend un vibrant « plaidoyer pour une rupture (p. 171) ». Il existe une particularité européenne par rapport à d’autres continents eux aussi européens. « Il y a en Europe une combinaison de facteurs que l’on ne trouve pas en Amérique : l’enracinement dans un paysage (l’architecture, la nature travaillée par l’homme, les frontières); l’enracinement dans des langues et, au final, une recherche permanente d’équilibre (pp. 289 – 290). » C’est quand même à demi-mot que Laurent Wauquiez s’insurge contre une certaine forme du politique correct. « Tétanisés par Maastricht, les pro-européens n’osent plus émettre la moindre critique. Ils ont abdiqué toute forme d’esprit critique (p. 16). » D’après lui, « dénoncer les défaillances de l’Union européenne ne revient pas à se classer automatiquement dans le camp des anti-européens (p. 22) ». Les pro-européens manquent de lucidité critique, ce qui favorise la perdition certaine des institutions de l’Union pseudo-européenne. Il condamne l’idéologie mortifère de la Direction générale de la concurrence sise à Bruxelles. Ses lubies idéologiques ultra-libérales nuisent aux intérêts européens. « La concurrence devrait être un moyen et non une fin en soi (p. 47). » Quant aux normes de plus en plus intrusives et dispendieuses, elles « ne sont pas une dérive, elles sont le mal profond d’une Europe qui faute de faire des grands projets s’ennuie dans des sujets accessoires (p. 34) ». Les instances soi-disant européennes ne sont pas les seuls responsables de cet ennui existentiel. « Les États membres contribuent à cette dérive (p. 33). » Qu’on ne s’étonne pas ensuite que « l’Europe n’arrive plus à dépasser les lobbies et les querelles d’intérêts entre États membres (p. 34) ». En effet, « dans les négociations européennes, chacun met toute sa pugnacité à faire reconnaître tel ou tel particularisme local, qui alimente encore plus le luxe de détail des directives européennes (p. 33) ». L’absence de coordination effective incite les participants à jouer leur propre carte sans s’aviser de la dimension continentale des défis. Par ailleurs, bien qu’impolitique, « l’Europe a une capacité étonnante à se faire des ennemis. L’accès aux aides européennes est ainsi un épouvantable parcours du combattant (p. 25) ». Il regrette par exemple la lenteur d’application du programme Galileo du fait de la nonchalance du commissaire italien de l’époque, Antonio Tajani, « un homme sympathique mais qui a manqué de rigueur et de détermination (p. 29) ». Aujourd’hui, Antonio Tajani préside le Parlement européen et serait le probable candidat Forza Italia de Silvio Berlusconi à la fonction de président du Conseil en cas de victoire aux législatives de mars prochain de la Coalition des droites.

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Pour l’euro

Laurent Wauquiez se veut pragmatique. S’il s’oppose à « notre folie libre-échangiste (p. 226) », il aimerait que « l’Europe doit nous permettre de bâtir un patriotisme industriel européen à même de faire face à la Chine et aux États-Unis (p. 53) ». Cela ne l’empêche pas d’approuver la logique libre-échangiste globalitaire de l’OMC. Il paraît ne pas connaître les travaux d’Emmanuel Todd, ni même les écrits du Prix Nobel d’économie Maurice Allais qui était un libéral atypique. Wauquiez aurait tout intérêt à s’en inspirer. Mais il ne le fera pas de crainte de déplaire aux médiats officiels de désinformation.

L’entité soi-disant européenne est une bureaucratie. Soit ! Mais « quand la technocratie prend le pouvoir, ce n’est pas la technocratie qu’il faut blâmer mais le politique (p. 214) ». Comment politiser l’Europe alors que celle-ci est foncièrement impuissante ? La question se fait pressante. Par « un réarmement intellectuel à un moment où l’Europe doit faire face aux défis venus des continents qui se réveillent (p. 279) », écrit-il. Il se doute que « le danger est tout simplement que l’Europe sorte de l’histoire et s’enfonce dans une molle décadence (p. 21) ». Pour Laurent Wauquiez, l’Europe est une nécessité, sinon « ce rendez-vous est sans doute le dernier. […] Différer, attendre, revient à choisir de sortir de l’histoire. Nous sommes dans la position des empires décadents. Nous avons encore la possibilité de choisir notre destin, mais demain il sera trop tard et l’avenir se fera alors sans nous (p. 297) ». Il réclame un changement profond des structures institutionnelles européennes. La France devrait sortir de l’Espace Schengen, retrouver la maîtrise complète de ses frontières, exiger que l’immigration revienne aux États membres et que Paris pratique une politique migratoire fondée sur des quotas ! Dans le même temps, l’Union dite européenne devrait établir des limites géographiques précises à son extension. « Oui, il faut des frontières, oui, il faut des protections et des règles : cela vaut pour l’immigration comme pour l’économie. L’Europe, si elle renonce à défendre son limes, se condamne (p. 252). »

Hostile au sans-frontièrisme, il conspue l’action délétère de la Cour européenne des droits de l’homme et invite les fonctionnaires européens à travailler pour de courtes périodes dans les administrations nationales. Là où son discours ne surprend plus concerne la monnaie unique. Laurent Wauquiez « reste convaincu que renoncer à l’euro serait une folie (p. 195) ». Parlant des États membres de l’Eurolande, il a bien compris que « l’euro les oblige à être ensemble mais la réalité est que leurs divergences restent fortes et ne permettent pas de constituer un véritable affectio societatis européen (p. 181) ». En fait, « la crise de l’euro n’est pas une crise de la dette ou des déficits excessifs. […] La crise de l’euro est avant tout la crise de pays dont les chemins économiques divergeaient de plus en plus et qui n’avaient plus du tout la même compétitivité. Les marchés se sont tout simplement pris à douter qu’il soit possible de tenir la même monnaie entre une Allemagne forte et une Grèce ou une Espagne exsangues sur le plan économique (p. 199) ». Il ignore là encore l’influence néfaste de la Haute Finance cosmopolite. Donc, conclut-il, « l’euro a besoin d’un exécutif fort (p. 217) ». Oui, mais comment ?

euro-373008_640.jpgIl reste sur ce point d’une grande ambiguïté. « Toute tentation fédéraliste, tout renforcement quel qu’il soit des institutions européennes dans le cadre actuel doit être systématiquement rejeté (pp. 293 – 294). » Il est révélateur qu’il n’évoque qu’une seule fois à la page 187 la notion de subsidiarité. Il pense en outre qu’« il n’y a pas un peuple européen, et croire qu’une démocratie européenne peut naître dans le seul creuset du Parlement européen est une erreur. Il faut européaniser les débats nationaux (p. 139) ». Dommage que les Indo-Européens ne lui disent rien. Il reprend l’antienne de Michel Debré qui craignait que le Parlement européen s’érigeât en assemblée constituante continentale. « Construire l’Europe avec la volonté de tuer la nation est une profonde erreur (p. 285). » À quelle définition de la nation se rapporte-t-il ? La nation au sens de communauté de peuple ethnique ou bien l’État-nation, modèle politique de l’âge moderne ? En se référant ouvertement à la « Confédération européenne » lancée en 1989 – 1990 par François Mitterrand et à une « Europe en cercles concentriques » pensée après d’autres par Édouard Balladur tout en oubliant que celui-ci ne l’envisageait qu’en prélude à une intégration pro-occidentale atlantiste avec l’Amérique du Nord, Laurent Wauquiez soutient une politogenèse européenne à géométrie variable. Dans un scénario de politique-fiction qui envisage avec deux ans d’avance la victoire du Brexit, il relève que « le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne suite à son référendum, mais a contribué à faire évoluer les 27 autres États membres pour qu’ils acceptent une forme plus souple de coopération autour d’un marché commun moins contraignant (p. 191) ». D’où une rupture radicale institutionnelle.

Un noyau dur « néo-carolingien »

EUR6.pngLa configuration actuelle à 28 ou 27 laisserait la place à une entente de six États (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie et Pays-Bas) qui en exclurait volontairement le Luxembourg, ce paradis fiscal au cœur de l’Union. « Le noyau dur à 6 viserait une intégration économique et sociale forte (p. 185). » Il « pourrait s’accompagner d’un budget européen, poursuit encore Wauquiez, qui aurait comme vocation de financer de grands projets en matière de recherche, d’environnement et de développement industriel (p. 186). » On est très loin d’une approche décroissante, ce qui ne surprend pas venant d’un tenant du productivisme débridé. Cette « Union à 6 » serait supervisée par « une Commission restreinte à un petit nombre de personnalités très politiques qui fonctionnerait comme un gouvernement élu par le Parlement (pp. 187 – 188) ». S’il ne s’agit pas là d’une intégration fédéraliste, les mots n’ont aucun sens ! Laurent Wauquiez explique même que « la politique étrangère et la défense sont d’ailleurs toujours parmi les premières politiques mises en commun dans une fédération ou une confédération d’États (p. 92) ». Il n’a pas tort de penser que ce véritable cœur « néo-carolingien » (2) serait plus apte à peser sur les décisions du monde et surtout d’empêcher le déclin de la civilisation européenne. Faut-il pour le moins en diagnostiquer les maux ? « La première défaite, observe-t-il, c’est d’abord une Europe qui a renoncé à être une puissance mondiale. Elle accepte d’être un ventre mou sans énergie et sans muscle. Elle a abandonné toute stratégie et ne cherche plus à faire émerger des champions industriels (pp. 250 – 251) ». L’effacement de l’Europe a été possible par l’influence trouble des Britanniques. Londres imposa la candidature de l’insignifiante Catherine Ashton au poste de haut-représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité « a méthodiquement planifié par son inaction l’enlisement de la politique étrangère de sécurité et de défense (p. 90) ». Un jour, Laurent Wauquiez discute avec son homologue britannique. Quand il lui demande pourquoi avoir choisi cette calamité, le Britannique lui répond qu’« elle est déjà trop compétente pour ce qu’on attend d’elle et de la politique étrangère européenne, c’est-à-dire rien (p. 90) ». Résultat, le projet européen verse dans l’irénisme. « L’Europe a pensé que sa vertu seule lui permettrait de peser alors qu’il lui manquait la force, la menace, les outils d’une diplomatie moins morale mais plus efficace (p. 93). » L’essence de la morale diverge néanmoins de l’essence du politique (3).

Map_of_Visegrad_Group.pngAutour de ce Noyau dur européen s’organiseraient en espaces concentriques une Zone euro à dix-huit membres, puis un marché commun de libre-échange avec la Grande-Bretagne, la Pologne et les Balkans, et, enfin, une coopération étroite avec la Turquie, le Proche-Orient et l’Afrique du Nord. Cette vision reste très mondialiste. L’auteur n’envisage aucune alternative crédible. L’une d’elles serait une Union continentale d’ensembles régionaux infra-européens. Au « Noyau néo-carolingien » ou « rhénan » s’associeraient le « Groupe de Visegrad » formellement constitué de la Pologne, de la Hongrie, de la Tchéquie, de la Slovaquie, de l’Autriche, de la Croatie et de la Slovénie, un « Bloc balkanique » (Grèce, Chypre, Bulgarie, Roumanie), un « Ensemble nordico-scandinave » (États baltes, Finlande, Suède, Danemark) et un « Axe » Lisbonne – Dublin, voire Édimbourg ? C’est à partir de ces regroupements régionaux que pourrait ensuite surgir des institutions communes restreintes à quelques domaines fondamentaux comme la politique étrangère, la macro-économie et la défense à condition, bien sûr, que ce dernier domaine ne soit plus à la remorque de l’Alliance Atlantique. Il est très révélateur que Laurent Wauquiez n’évoque jamais l’OTAN. Son Europe ne s’affranchit pas de l’emprise atlantiste quand on se souvient qu’il fut Young Leader de la French-American Foundation.

Dès lors, il a beau proclamé que « l’Europe c’est […] faire ensemble des projets que l’on ne peut faire seul, aborder fièrement la concurrence et montrer à la face du monde qu’unis, les Européens ont de l’énergie à revendre, qu’ils forment un continent d’ingénieurs et d’industriels capables de relever tous les défis (p. 39) ». Cela reste de pieuses intentions. Tout son exposé se fonde sur les méthodes viciées de la démocratie bourgeoise libérale représentative et de la sinistre partitocratie.

Étonnante synthèse

JMon-Time.jpgLaurent Wauquiez méconnaît les thèses fédéralistes intégrales et non-conformistes. Il semble principalement tirailler entre Jean Monnet et Philippe Seguin. « Les deux sont morts aujourd’hui, et c’est la synthèse de Monnet et Séguin qu’il faut trouver si l’on veut sauver l’Europe (p. 18). » Cette improbable synthèse ne ferait qu’aggraver le mal. Wauquiez affirme que « Monnet et Séguin avaient raison et il faut en quelque sorte les réconcilier (p. 17) ». À la fin de l’ouvrage, il insiste une nouvelle fois sur ces deux sinistres personnages. « La vision de Monnet n’a sans doute jamais été aussi juste ni d’autant d’actualité (p. 293) » tandis que « définitivement, Philippe Séguin avait raison et le chemin suivi depuis maintenant vingt ans est en mauvais chemin (p. 291) ». Se placer sous le patronage à première vue contradictoire de Monnet et de Séguin est osé ! Jean Monnet le mondialiste agissait en faveur de ses amis financiers anglo-saxons. Quant à Philippe Séguin qui prend dorénavant la posture du Commandeur posthume pour une droite libérale-conservatrice bousculée par le « bougisme » macronien, cet ennemi acharné de la Droite de conviction représentait toute la suffisance, l’illusion et l’ineptie de l’État-nation dépassé. Sa prestation pitoyable lors du débat avec François Mitterrand au moment du référendum sur Maastricht en 1992 fut l’un des deux facteurs décisifs (le second était la révélation officielle du cancer de la prostate de Mitterrand) qui firent perdre le « Non » de justesse le camp du non. François Mitterrand n’aurait jamais débattu avec Marie-France Garaud, Philippe de Villiers ou Jean-Marie Le Pen…

Europe : il faut tout changer est un essai qui tente de trouver une voie médiane entre une Union actuelle en dysfonctionnement total et l’option souverainiste. Certaines suggestions paraissent intéressantes, mais Laurent Wauquiez demeure malgré tout un modéré. S’il a les mêmes convictions que Séguin, voire du Chirac de l’« appel de Cochin » (décembre 1978), les droitards sans cesse cocufiés risquent de voir leurs cornes encore plus poussées… Wauquiez devine l’enjeu européen sans s’extraire du train-train politicien. Pas sûr que cet entre-deux de pondération mitigé incite les électeurs de la « France périphérique » à voter pour la liste que soutiendra Wauquiez aux élections européennes de 2019.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : cf. de Michel Poniatowski, l’excellent L’avenir n’est écrit nulle part, Albin Michel, 1978, et L’Europe ou la mort, Albin Michel, 1984; de Philippe de Villiers, Notre Europe sans Maastricht, Albin Michel, 1992, La Machination d’Amsterdam, Albin Michel, 1998, etc., de Bruno Mégret, La Nouvelle Europe. Pour la France et l’Europe des nations, Éditions nationales, 1998, L’Autre Scénario pour la France et l’Europe, Éditions Cité Liberté, 2006, ou Le Temps du phénix. Récit d’anticipation, Éditions Cité liberté, 2016.

2 : Ce cœur « néo-carolingien » ou « rhénan » s’apparente aux thèses de Marc Rousset développées dans La nouvelle Europe de Charlemagne. Le pari du XXIe siècle (Économica, 1995), préface d’Alain Peyrefitte.

3 : cf. Julien Freund, L’essence du politique, Dalloz, 2003.

• Laurent Wauquiez, Europe : il faut tout changer, Odile Jacob, 2014, 302 p.

Future intégration économique entre la Russie et le Japon?

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Future intégration économique entre la Russie et le Japon?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Poser la question ne paraît pas sérieux. D'une part les deux pays faute d'un traité de paix sont encore juridiquement en guerre. D'autre part et surtout, beaucoup de différences séparent leurs économies.

Le Japon est bien intégré dans l'économie libérale américaine et européenne. La Russie cherche sa voie dans une alliance avec la Chine, en perspective d'une future Eurasie. Même si son économie s'ouvre de plus en plus à des relations technologiques et financières avec le monde dit « occidental », à l'exclusion des Etats-Unis, elle reste très fermée et difficile à pénétrer par des intérêts étrangers. Ne mentionnons pas le fait que le Japon demeure politiquement une sorte de satellite de Washington. Les choses pourront changer si les Japonais y trouvaient de l'intérêt. D'ailleurs la récente rencontre Shinzo Abe-Vladimir Poutine au forum économique de Vladivostok a été d'un bon présage à cet égard.

sakhhokk.pngIl ne faut pas sous-estimer les points sur lesquels les deux économies pourraient dès maintenant coopérer, si les circonstances politiques le permettaient. La Russie représente un vaste marché de consommation, que les industries russes peineront à satisfaire, faute de financements et de produits adaptés. Son vaste continent, notamment au delà du cercle polaire, est assez grand pour accueillir des investisseurs japonais. Ceux-ci diminueraient la dépendance actuelle à l'égard de la Chine. En contrepartie, la Russie pourrait fournir des matières premières et de l'énergie dont le Japon manque cruellement. Ses industries militaires qui sont extrêmement compétitives et modernes, pourraient intéresser Tokyo au cas où celui-ci déciderait de se constituer une défense indépendante des forces américaines et de leurs matériels.

Si l'on ne peut envisager, malgré leurs aspects complémentaires, une future intégration des deux économies, de très importants rapprochements pourraient se faire rapidement. Mais il faudrait pour cela un grand programme géopolitique qui permettrait aux populations et aux décideurs des deux pays de visualiser concrètement les avantages qu'en tireraient les deux partenaires.

Un futur pont-tunnel

C'est le rôle que pourrait jouer le projet de pont-tunnel à l'étude entre les deux pays. Nous avons déjà mentionné ce projet et marqué son intérêt dans un article de janvier 2018 Un projet de pont entre la Russie et le Japon https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-baquiast/blog/140118.... Dans le présent article, il n'est pas inutile d'y revenir.

Ce projet, dans l'esprit de l'OBOR chinois, impliquerait de massifs investissements d'infrastructures. Or c'est un domaine dans lequel les Chemins de fer russes (http://eng.rzd.ru/) excellent, ceci dès le temps du Transsibérien. Quant aux financements, ils pourraient provenir, non seulement de la Russie et du Japon, mais de la Chine et de la Corée du Sud, qui souhaitent des relations économiques plus faciles que par mer avec le Japon.

Le projet une fois décidé pourrait provoquer une vague d'investissements dans les iles Sakhalin et Hokkaido, sans mentionner la région de Vladivostok. Le chemin de fer faciliterait l'accès du Japon aux matières premières et produits primaires russes, dont il manque et qu'il est obligé d'importer de plus loin. Comme indiqué ci-dessus, les consommateurs russes seront preneurs des produits sophistiqués de l'économie japonaise. Il s'agirait d'échanges gagnant-gagnant , ce qui n'est pas le cas dans les relations du Japon avec les Etats-Unis et l'Europe, qui voient un lui un concurrent n'offrant pas de contreparties.

Reste à savoir si l'ogre américain laissera son porte-avion japonais en mer du Japon et dans le Pacifique lui échapper. Peut-être qu'affaibli  il ne pourra pas faire autrement.

TERRE & PEUPLE Magazine n°74: Jacobinisme liberticide

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Communiqué de "Terre & Peuple-Wallonie"

TERRE & PEUPLE Magazine n°74: Jacobinisme liberticide

Le numéro 74 de TERRE & PEUPLE Magazine est centré autour du thème du 'Jacobinisme liberticide'.

Dans son éditorial, Pierre Vial croise ses projecteurs sur les dénis du réel que proclament sans pudeur les saltimbanques obscènes de la comédie politicienne européenne, avec en tête le micro-Macron.  Président des riches, il affecte de ne pas voir la pauvreté de neuf millions de ses compatriotes, ou de pouvoir l'imputer à leur paresse.  Et de n'apercevoir, dans la crise démographique et le grand remplacement, qu'une hypothèse complotiste, et dans la menace djihadiste et la radicalisation qu'un problème de rééducation de déséquilibrés.  Il serait, cela mis à part, l'homme de l'avenir.  Quel avenir ?

indo-europeens_jean_haudry_F_B.jpgC'est Robert Dragan qui recueille la pensée de Jean Haudry, prélat de la confession indo-européaniste, sur son livre 'La religion des Indo-Européens' et en particulier sur 'Le feu dans la tradition indo-européenne'.  Le feu est primordial dans la tradition préhistorique, central dans le foyer qu'il illumine et réchauffe.  Il éclaire des métaphores, telle le feu de la parole qualifiante, le feu des eaux, qui désigne l'or.  Si, à l'époque classique, il est présenté sous les formes d'une profusion de divinités diverses, d'Hestia-Vesta à Prométhée, en passant par Apollon, Héphaïstos et Artémis, avec leurs correspondants celtiques, germaniques, indiens, slave ou baltes, cette prolifération exprime l'importance de la notion : le feu est omniprésent dans la nature et dans l'homme.  L'idée que la fortune est liée au feu apparaît à la fois très ancienne, à en juger sur les correspondances sur lesquelles elle se fonde, et très durable.  Pour Héraclite, le feu constitue la substance même de l'univers.  Aristote fait remonter cette conception à Pythagore.  De fait, pour Philolaos, le « foyer de l'univers, maison de Zeus, principe de cohésion et mesure de la nature » est situé au milieu du monde.  Or, comme l'a montré Schuhl, à partir d'un passage du Phèdre, la Nécessité s'identifie à la fois à Hestia « qui siège au centre du monde comme au coeur des cités, sur l'omphalos, au foyer des prytanées » et à l'idée du Bien : « Ce n'est pas un Atlas qui supporte le monde, mais le bien et l'obligation qui supportent toute chose. »  Conception proche de celle de l'hymne védique à Mitra, « Mitra (contrat d'amitié) soutient terre et ciel», elle repose sur une homologie traditionnelle entre le respect des obligations, la cohérence du monde qui en dépend et le feu qui est l'élément lié à Mitra. 

Jean-Patrick Arteault dresse avec une grande pénétration un état de l'opinion avant, pendant et après les dernières élections présidentielles.  De nombreux Français étant attachés, par peur du changement, à l'euro et à l'Union européenne, il aurait mieux valu n'en point parler, d'autant plus que la souveraineté n'est qu'un moyen pour faire respecter l'identité.  Et mener plutôt des actions discrètes, pour restaurer d'abord les souverainetés nationales, sans lesquelles on ne peut appliquer de politiques identitaires.  Et faire le choix d'alliances avec des nations européennes souveraines, dont la Russie, pour en faire, à très long terme, naître une synthèse impériale, et non impérialiste.  L'incapacité patente de la gauche intellectuelle à renouveler ses idées, le désarroi de ses plumitifs devant la défiance grandissante du public, son asservissement à l'oligarchie libérale, dont elle reprend tous les éléments de langage, tout cela a pu faire croire que la bataille métapolitique était gagnée.  Cette victoire ne sera toutefois acquise que lorsque la grande majorité des écrivains et artistes exprimera consciemment (ou encore mieux inconsciemment) notre vision, lorsque la majorité des journalistes valorisera nos idées sans y être contraints.  Lorsque la majorité des histrions qui façonnent la culture populaire travailleront spontanément dans notre sensibilité.  Lorsqu'une grande majorité des enseignants transmettront nos concepts et valeurs, y ayant adhéré profondément.  Lorsque pour une grande majorité de chercheurs notre vision du monde sera devenue le paradigme de leurs travaux.  Dès lors, plus que jamais, c'est l'impératif métapolitique qui est à l'ordre du jour, l'investissement politique n'étant qu'une affiche de propagande.  En matière électorale, à propos de la 'Ligne Buisson' qui vise à exploiter autant que la veine ouvriériste celle des conservateurs, l'auteur relève pas mal d'ambiguité : des conservateurs, mais de quoi ?  D'une forme politique qui, à défaut de fond, permet la survie tant que le capitalisme financier n'a pas détruit les cadres sociaux et culturels ?  Quand ce n'est pas un conservatisme réactionnaire de nostalgiques, ou tout simplement de nantis, voire de colbertiens raisonnables qu'inquiètent les partageux.  L'ambiguïté de leur conservatisme est encore aggravée pour les catholiques, par leur vocation universaliste, quand ce n'est pas par leur 'anti-fascisme'.  On est loin de la fidélité à la tradition culturelle populaire et ses fondamentaux moraux.  Jean-Patrick Arteault veut croire à la sincérité de Patrick Buisson quand celui-ci veut joindre aux conservateurs intégraux la couche populaire instinctivement identitaire.  Il avertit contre le risque de servir de Harkis à une bourgeoisie apatride.  On ne peut blâmer le FN de tenir à distance des éléments compromis dans des structures largements infiltrées d'indicateurs, de provocateurs et de policiers, qui sont utilisés pour lui nuire.  Mais bien de négliger les enjeux actuels qui préoccupent la majorité de la population.  La dédiabolisation est un échec pour le FN, qui a rallié l'idéologie d'un ennemi que cela ne retiendra pas pour autant de le disqualifier médiatiquement et de l'incapaciter politiquement.  Il en va de même de sa pudibonde bouderie à l'égard des catholiques de tradition, trop faibles pour faire la différence, mais assez forts pour qu'on ne puisse les ignorer, même s'il est vrai que certaines références culturelles des traditionnels sont à peu près aussi ouvertes que celles des salafistes.  La Nouvelle Droite a bien démontré que l'occidentalisme est la phase terminale de la laïcisation du christianisme.  Mais elle a contribué à déchristianiser une frange identitaire, la coupant d'une pratique native du sacré religieux qu'un néo-paganisme intellectualisé ne remplace pas.

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Introduisant le dossier central, Pierre Vial qualifie le jacobinisme d'utérus d'où est sorti le système à broyer les peuples et les individus.  Pour confisquer les libertés concrètes que ceux-ci s'étaient conquises, il a coupé les têtes au nom de la Liberté.  Pour les isoler et anéantir leur conscience identitaire, il a coupé les racines qui rattachent les individus à leur terre et à leurs ancêtres.

Alain Cagnat rappelle que Louis XVI, ayant commis la faiblesse de convoquer les Etats Généraux, a activé les doléances de nombreuses sociétés de pensée, dont le Club Breton.  Les députés du tiers état se proclament Assemblée constituante et le club breton Société des amis de la Constitution, qui rédige la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et va s'installer au couvent des Jacobins.  Il va connaître un développement rapide, notamment en province, sans cesser de se radicaliser.  Allégeant ses conditions d'adhésion, il gonfle ses effectifs, qui basculent bientôt dans l'extrémisme.  Peu après, Paris se soulève et ramène de force Louis XVI à Paris.  D'abord réservé, Robespierre rallie la ligne dure et, le 29 juillet 1792, propose la destitution du roi et l'élection au suffrage universel d'une Convention.  Le 9 août, la Commune insurrectionnelle de Paris est créée et le 17 août siège le premier tribunal révolutionnaire.  Le massacre se déchaîne.  La monarchie est abolie.  Le 21 janvier, le roi est guillotiné.  Certaines provinces se rebellent.  La France, qui est dans le même temps en guerre avec tous ses voisins, lève 300.000 hommes.  La patrie étant en danger,  pour sauver la Révolution, un Comité de salut Public de douze députés cumule tous les pouvoirs.  Les tribunaux révolutionnaires champignonnent et les têtes roulent, tandis que se consomme le génocide vendéen.  Succès au plan international, les alliés se replient derrière le Rhin.  Les Jacobins liquident tous leurs adversaires politiques.  Robespierre, qui croit triompher, entame la brève période de la Grande Terreur, mais se laisse maladroitement arrêter.  Il est décapité deux jours plus tard.  Le jacobinisme est bien autre chose que le parisianisme centralisateur, qui a régné en France depuis Philippe le Bel jusque Louis XV.  C'est une dictature qui justifie sa violence par la vertu : le peuple souverain est constitué des hommes vertueux.  Robespierre est 'Incorruptible'.  La loi est le lien social et le délinquant se retranche du peuple.  La loi jacobine est infaillible et sa justice est éternelle.  L'objectif est une loi naturelle universelle.  Celui qui y contrevient est impur, il doit être éliminé.  Elue par le peuple, la Convention se considère son image parfaite et elle décide la mort du roi, plutôt que par un referendum dont l'issue aurait été incertaine.  Le peuple lui-même peut être corrompu et c'est le cas de la gangrène vendéenne.  Justice prompte et inflexible, la Terreur est une émanation de la vertu.  Dans les influences à la source du jacobinisme, l'auteur voit l'usure de la piété au XVIIIe siècle, les réticences du clergé à l'égard du progrès scientifique, la contestation de l'autorité papale par les protestants, les philosophes des Lumières.  Ceux-ci mettent à mal la Révélation, mais se partagent entre ceux qui osent se déclarer athées et les déistes, dont Voltaire que l'univers embarrasse et qui ne peut « songer que cette horloge existe et n'ait point d'horloger».  La conclusion est à Michel Onfray : « De Marine Le Pen à Philippe Poutou en passant par Macron et Mélenchon, Hamon ou Fillon, tous communient dans une même religion jacobine.  C'est ce logiciel qu'il faut jeter à la poubelle. »

GuerreVendée_1.jpgLe tableau émouvant des Guerres de Vendée que brosse Pierre Morilleau constitue une grande fresque, monumentale jusque dans ses détails, dont il est pratiquement impossible d'extraire la synthèse.  Des horreurs abominables des guerres de Vendée (auxquelles n'ont mis fin qu'en janvier 1800 les Paix de Montfaucon et de Candé), on pourrait dire que, quelque fournie qu'en soit l'information que nous en avions réunie, le présent rappel démontre que nous étions encore loin du compte.  Il démontre surtout que ces horreurs ont été générées par la roide logique jacobine, comme en témoignent les citations dont l'auteur émaille son texte.  Notamment « Les forêts seront abbatues, les récoltes seront coupées pour être portées sur les derrières de l'armée, les bestiaux seront saisis. » - « Soldats de la Liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés.  Le salut de la patrie l'exige, l'impatience du peuple français le réclame, son courage l'accomplira. » - « On emploira tous les moyens pour découvrir les rebelles ; tous seront passés au fil de la baïonnette ; les villages métairies, bois, landes, genêts et tout ce qui peut être brûlé sera livré aux flammes. »  On ne saurait oublier les Colonnes infernales, ni celles des fuyards dans la Virée de Galerne, ni l'armée des 'puants'  rongés de dyssenterie, ni les noyades de masse dans la Loire.

Robert Dragan rappelle que, dans la Bretagne de 1789 que l'impôt régionalisé favorisait, le petit peuple avait fait corps avec la noblesse contre la centralisation et s'opposait dans la rue à la bourgeoisie que soutenaient les étudiants.  Aux Etats-Généraux, les députés de Bretagne formèrent alors un Club breton, qui fédère bientôt nombre de sociétés révolutionnaires, jusqu'à dépasser le millier en 1791.  Installant ses assises au couvent des Jacobins, il se rebaptise Société des amis de la Constitution.  Quand éclatent les guerres de Vendée, les mêmes opposition villes-campagnes se marquent.  Nantes, ville de négociants et d'armateurs, est révolutionnaire.  Le coup d'état d'extrême gauche de 1794 balaye les Feuillants et Girondains modérés et régionalistes, les amis de la Constitution le cédant aux amis de la Révolution.  Des aventuriers, agissant comme commissaires du Comité révolutionnaires commettent des monstruosités.  Les prisons débordant, des camps de concentration, des pontons, des manufactures sont ouverts.  La famine et le typhus y règnent.  A la guillotine trop lente on substitue des exécutions collectives.  

adb-bret.jpgLes Bretons, insulaires délogés de Grande-Bretagne, n'ont jamais su trouver leur centre.  Constitués en royaume à la faveur des incursions des Vikings, ils redeviennent bientôt un duché, disputé entre les Plantagenets et les Capétiens, lesquels l'emporteront.  L'annexion sera consacrée par le double mariage de la duchesse Anne avec Louis XII et ensuite Charles VIII et par celui de leur fille Claude avec François Ier.  Depuis, la France leur promet l'unité et l'indépendance et, en fait, elle les divise. Dès 1781, les persécutions religieuses et les levées de soldats provoquent résistance et révoltes, dont celle de Jean Cottereau, dit Jean Chouan.  En 1796, malgré le génocide de la Vendée, on estime à 50.000 le nombre des Chouans. Ils forment des compagnies, avec des capitaines élus, parfois des généraux comme Cadoudal.  Les discordes sont fréquentes.  Les républicains les qualifient de Brigands, ce qui n'est pas toujours immérité, car le général Rossignol a l'idée de créer des faux Chouans chargés de discréditer les vrais en commettant les pires exactions.  Après la chute de Robespierre, des contacts sont pris pour conclure une paix qu'une minorité seulement signe.  Les autres proclaméés en état d'arrestation, le conflit reprend.  Hoche, qui a succédé à Rossignol, obtient une reddition. Les Chouans, jouant le jeu, gagnent les élections de 1797, qui sont alors confisquées : la République ne survit que par les armes, la forfaiture et la dictature.  En 1799, la Loi des otages; qui présume les parents complices, relance l'insurrection.  Nantes et Le Mans sont prises et les prisonniers libérés.  Mais, en novembre, Bonaparte prend le pouvoir et propose l'amnistie contre la reddition.  Certains chefs l'acceptent, d'autres refusent, dont Cadoudal qui bat les armées d'Harty, mais se résigne à signer la paix.  Son entrevue avec Bonaparte ayant été un échec, il projette de l'enlever pour le livrer aux Anglais.  Trahi, il est arrêté par Fouché et exécuté.  En 1830, quand la révolution bourgeoise met Louis-Philippe à la place de Charles X, la bru de celui-ci, la duchesse de Berry, tente de réveiller la chouannerie et est arrêtée.  En 1892, l'encyclique de Léon XIII, qui prône le ralliement à la République, désarme le clergé et les monarchistes.  A l'imitation des Gallois, les Bretons créent en 1900 le Gorsedd ou assemblée des druides. 

BAtao-ti.jpgAprès la Grande Guerre, une jeune garde identitaire, qui se définit 'na ru na gwen' (ni rouge ni blanc), se constitue autour du journal Breizh Atao.  Un parti autonomiste fédéraliste ayant été lancé sans succès, le Parti National Breton, plus radical, est créé en 1931.  En 1932, Célestin Laîné dynamite la statue de la Reine Anne (représentée à genoux aux pieds de Charles VIII).  Le PNB est dissous et Laîné et Mordrel sont condamnés.  En 1939, ils s'opposent à ce que la France apporte une aide à la Pologne.  Laîné s'évade et Mordrel et Debauvais (qui défend « un national-socialisme breton ») sont condamnés à mort.  Bien que s'évanouisse le rêve d'une indépendance concédée par l'Allemagne victorieuse, Laîné crée les groupes de combat Bagadou Stourm, qui deviendront le Brezen Perrot, après l'assassinat par les communistes de l'Abbé Perrot.  Après la guerre, le combat prend une forme culturelle, avec des réussites, comme celle de la musique, et des échecs, comme celui de la langue.  L'épuration consacre la domination de la gauche et fera de la Bretagne une terre d'élection du PS.

Fils de la Catalogne française, notre camarade Llorenç Perrié Albanell a pris part à Gérone (85.000 habitants) à l'ennivrant combat du 1er octobre pour la protection des urnes du referendum.  Celles du collège Santa Eulalia étaient protégées par 2.500 personnes, celles de l'école Eiximenis par 2.000.  Les Mossos d'Escuadra de la police catalane s'interposent alors entre la foule et la Guardia Civil espagnole.  C'est une authentique révolution populaire qui, malgré les provocations policières, reste non-violente.  La question que tout le monde se pose est celle de la stratégie de Puigdemont.  Alors qu'il avait la main, au lieu de chercher un soutien international au moment où se répandaient les images scandaleuses des violences policières contre des électeurs pacifiques, il attend un dialogue avec Rajoy qui n'en veut pas.  Et ce n'est que le 27 octobre que, soutenu par sa coalition et par des centaines de maires, il proclame la République catalane.  Mais il ne pose aucun acte d'indépendance : il ne place pas de Mossos aux frontières, il n'imprime aucun papier d'identité de la république, aucune milice citoyenne n'est constituée, aucune constitution provisoire n'est promulguée.  Il laisse partir son monde en weekend, sous la légalité espagnole, alors que Rajoy met en application l'article 155 de la Constitution.  Et il se prépare à participer, à partir de Bruxelles, aux élections, acceptant de se batre sur le terrain choisi par l'adversaire !

Alsace-Lorraine_Dialects.pngPour l'Alsacien Robert Spieler, révolutionnaire identitaire s'il en est, il est incroyable que Puigdemont et ses ministres ne se soient pas laissé emprisonner en Espagne : on ne peut faire de révolution qu'avec des révolutionnaires !  Annexée à la France en 1648, l'Alsace a pu conserver son dialecte allemand tant sous la monarchie française que sous l'empire allemand de 1870 à 1918, lorsqu'il existait un parlement alsacien et des députés alsaciens au Reichstag.  Les Strabourgeois francophiles célébraient alors chaque 14 juillet devant la statue du général Kléber.  En 1918, les troupes françaises furent bien accueillies.  Mais 110.000 personnes furent aussitôt expulsées, avec confiscation de leurs biens.  Le français fut imposé dans les écoles et le statut concordataire abrogé.  La révolte est générale et les autonomistes sont ovationnés.  Paris fait marche arrière.  Les journaux paraissent alors en allemand, y compris l'Action Française, mais les autonomistes sont persécutés.  Les fonctionnaires compromis sont mis à pied et un procès en haute trahison, le 'Procès du complot', est intenté aux chefs de l'opposition.  De violentes campagnes de presse fustigent les traîtres à la solde de l'Allemagne.  Le PC exige des exécutions.  A l'approche de la guerre, les leaders sont emprisonnées et Karl Roos est fusillé pour trahison.  Hermann Bickler ne survécut que grâce à la débâcle.  Mais le jacobinisme national-socialiste n'avait rien à envier à celui des Français et l'Alsace fut rattachée au Gau Oberrhein.  Après la guerre, l'éradication de la langue alsacienne fut féroce.

Pierre Vial rappelle que la société féodale avait mis en place une mosaïque de sphères d'autonomie, contre-pouvoirs au pouvoir royal, lequel se reconnaissait ainsi des limites.  Les libertés et franchises qu'il accordait ont facilité un esprit communautaire qui a débouché sur l'institution communale.  Par les avantages obtenus, les villes étaient des pôles d'attraction propices à l'activité économique.  L'absolutisme royal s'appliquait plutôt à soumettre l'aristocratie guerrière, brutalement (Richelieu) ou subtilement (Louis XIV).  La France comptait un certain nommbre de 'pays d'Etats', provinces qui disposaient d'assemblées de représentants des trois ordres (noblesse-clergé-tiers état) qui négociaient les impôts dus au roi avec ses intendants et les répartissaient ensuite entre diocèses et paroisses, en contrôlant la collecte. 

pontcallec-livre.jpgA la mort de Louis XIV, les guerres à répétition ayant mis les finances à sec, les Etats de Bretagne se sont estimés injustement pressurés et le parlement a refusé d'enregistrer l'édit de perception.  Le Régent fait alors exiler 73 délégués rebelles et accroît certains droits au mépris du Traité d'union.  Le Parlement de Bretagne interdit la levée et vote des remontrances.  Une Association patriotique bretonne mobilise plusieurs centaines de personnes et le marquis de Pontcallec réunit une petite troupe armée qui met en fuite les soldats chargés de la collecte.  Le Régent répond par une armée de 15.000 hommes.  Pontcallec, arrêté et promptement décapité, devient très populaire.  Le jacobinisme ne fera que reprendre, avec une violence inouie, l'éradication des identités et libertés des provinces.  Il les découpe en départements et, pour uniformiser les pensées, épouse la thèse de l'abbé Grégoire d'universaliser la langue française.  Contre ce système à tuer les peuples, des hommes se sont levés.  Francis Arzalier (Les régions du déshonneur, 2014) s'en désole: "La Corse, l'Alsace, la Bretagne prétendent exister: on n'en a jamais fini avec les volontés identitaires toujours renouvelées."  Les Corses, avec Pascal Paoli, chassèrent les Génois en 1755 et établirent une république démocratique.  La brutale conquête française verra dans les résistants des 'brigands' et, quand l'insurrection renaît avec la révolution, la République française ignorera la volonté populaire.  Avant la guerre, l'identité corse s'exprimait dans la revue A Muvra, très lue jusque dans les villages.  Saisie en 1938 et objet de poursuites, elle cesse de paraître en 1939.  En 1946, les procès intentés aux autonomistes se traduisent par de lourdes peines, malgré l'inanité des accusations de collaboration.  Les Alsaciens ont connu des sorts similaires, eux dont l'identité se trouve écartelée entre la France et l'Allemagne, ils sont pour la plupart attaché au bilinguisme que la France refuse.  C'est le cas de Karl Roos, un médecin, qui fonde le Parti de l'indépendance et qui, accusé d'intelligence avec l'ennemi, sera fusillé en février 1940.  Chez les Bretons, Olier Mordrel et Morvan Marchal animent le Parti autonomiste breton, lequel en 1927 invite à son congrès des délégations alsacienne, corse et flamands.  Cela déclenche la répression, en particulier contre les Alsaciens: quinze condamnés dont  deux viennent d'être élus député.  En réaction, le courant séparatiste va s'affirmer d'élection en élection: ce n'est qu'un début, continuons le combat.