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dimanche, 07 septembre 2008

Twee assen tegen het atlantisme

Twee assen tegen het atlantisme

“Vandaag de dag hebben de westerse ’stichtingen’ en drukkingsgroepen (Rockefeller, Agnelli, Trilaterale, Davos en andere) gezworen alle nationale staten en alle systemen van sociale bescherming te vernietigen die die laatste tot stand hebben gebracht. Ze spiegelen de lusten voor van een ‘federalisme’ bestaande uit vormen van regionale autonomie, terwijl hun echte doel volledig wordt samengevat in het oude Latijnse spreekwoord ‘Divide et impera’ (’verdelen om te heersen’) om het ditmaal toe te passen over heel de wereld door degenen die de maximale macht op het politieke en economische vlak hebben”.

Ugo Gaudenzi, in: Rinascita, Consolidons deux axes contre l’atlantisme! [13 augustus 2008]

Bron: Euro-Synergies

Hommage à Peter Schmitz

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Archives/Jeunes d'Europe: Texte de 1996

 

Hommage à Peter Schmitz

 

Peter Schmitz était un garçon formidable, calme et doux, déterminé et sûr de son engagement. Quiétude et détermination, voilà les deux qualités que Schmitz reflétait d'emblée. Il nous avait rendu visite deux fois lors de séminaires du comité de rédac­tion de Vouloir et Orientations, qui se tenaient chaque année en Flandre, avant que nous ne joignions nos efforts à ceux de la FACE, pour organiser nos universités d'été estivales. Thierry Mudry, Christiane Pigacé, nos camarades marseillais de Libération païenne et plus tard de l'équipe de Muninn, Ralf Van den Haute du maga­zine Europe-Nouvelles, Eric Van den Broele, Rein Staveaux, les jeunes du mouve­ment “De Vrijbuiter”, les Burschenschafter viennois, Alessandra Colla, Marco Battarra et moi-même conservons un souvenir ému de celui qui avait rendu justice au mouvement des Artamanen en leur consacrant une thèse de doctorat. C'est en son souvenir, notamment, que nous voudrions activer l'initiative “Jeune d'Europe”. La responsable allemande de ce projet, Beate-Sophie Grunske, rend ici à Peter Schmitz l'hommage qu'il mérite et nous reproduisons la recension qu'avait consacré à son livre l'historien Jan Creve, créateur du mouvement de jeunesse libertaire, régiona­liste et écologiste flamand “De Vrijbuiter” (Robert Steuckers).

 

Il y a un an environ, notre ami Peter Schmitz est mort inopinément dans un accident d'auto. Beaucoup d'entre nous l'avaient connu sous son nom de randonneur, “Wieland”. Dans tout le mouvement de jeu­nesse allemand, Peter Schmitz avait acquis une popularité bien partagée grâce à son livre Die Artamanen, Landarbeit und Siedlung bündischer Jugend in Deutschland 1924-1935.

 

C'est en 1985 que sa thèse sur le mouvement des Artamanen est publiée sous forme de livre. Quand Schmitz a abordé cette thématique, une véritable mutation s'est emparée de sa personne, a modifié la trajectoire de sa vie. Mais, indépendemment de cette sorte de transfiguration personnelle, sa thèse est très importante car elle constitue une contribution à l'histoire du mouvement de jeunesse allemand à équidistance entre la rigueur scientifique, la distance que cellle-ci implique et l'intérêt et l'enthousiasme que cette thématique peut susciter chez le chercheur.

 

Les Artamanen constituaient en effet un courant particulier au sein du mouvement de jeunesse allemand de l'époque de Weimar, dont la pensée et les idées motrices étaient pour une bonne part dérivées de la matrice dite “völkisch” (folciste). “Folciste”, cela signifiait pour une ligue comme celle des Artamanen, fo­calisée comme l'indique le titre du livre de Schmitz sur le travail rural et sur la colonisation de terres en friche, un péhnomène typiquement urbain, dans des villes où l'on cultive justement la nostalgie de la vie à la campagne et des rythmes immuables de l'existence paysanne. Les jeunes citadins, en cette époque de crise, constataient qu'ils ne devaient plus espérer une embauche dans l'industrie ou dans le secteur ter­tiaire, en dépit des aptitudes professionnelles qu'ils avaient acquises; une fraction d'entre eux a donc décidé de se consacrer entièrement à l'agriculture, non pas dans l'espoir de faire fortune, mais justement pour vivre en conformité avec leurs idéaux folcistes.

 

L'intention des Artamanen était aussi nationaliste et anti-capitaliste: les associations de propriétaires terriens faisaient venir des travailleurs agricoles et saisonniers polonais dans les provinces orientales de l'Allemagne (Poméranie, Brandebourg, Silésie), ce qui donnait à ses Polonais le droit de revendiquer le sol qu'ils cultivaient. Dans leur logique folciste, les Polonais et les Artamanen disaient: le sol appartient à celui qui le cultive. Ensuite, à l'instar de tout le mouvement de jeunesse de l'époque, les Artamanen sou­haitaient lancer un pont entre, d'une part, les citadins aliénés, ignorant l'essentiel que sont le travail et la production agricoles pour la vie d'une nation, et, d'autre part, les populations rurales qui conservaient tout naturellement les linéaments d'une culture paysanne germanique pluri-séculaire, des coutumes fonda­mentales dans le patrimoine de la nation et surtout les réflexes communautaires de la vie villageoise.

 

Dans leur majeure partie, les travaux agricoles entrepris par les Artamanen étaient ponctuels et tempo­raires: ils exécutaient des tâches saisonnières de mars à décembre. A une époque où le chômage était omniprésent et où l'Etat n'assurait pas le minimum vital parce qu'il ne le pouvait plus, l'Artambund deve­nait automatiquement le lieu où la jeunesse idéaliste se retrouvait, où ces jeunes condamnés au chômage recevaient une aide en échange d'une activité productive: ils bénéficiaient d'un logement et de la nourri­ture et/ou d'un salaire modeste correspondant à celui des travailleurs saisonniers polonais. L'égalité de traitement entre les Artamanen, aux mobiles idéalistes, et les travailleurs polonais a conduit à des conflits avec les propriétaires terriens car ceux-ci refusaient les revendications des Artamanen qui exigeaient un minimum de partenariat social. Résultat de ce conflit: les Artamanen établissent leurs propres communau­tés agricoles, où ils pouvaient pleinement vivre l'idéal du “Nous” communautaire, le fameux Wir-Gefühl, typique du mouvement de jeunesse.

 

Comme toutes les autres ligues de jeunesse, l'Artambund a été dissous après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes. Ses idées sont récupérées et reprises dans le cadre du “Service Rural” de la Hitlerjugend. Après 1945, les Artamanen ne ressuscitent pas, car la jeunesse prend malheureusement une toute autre attitude face à des valeurs telles l'altruisme, le sens du service et de la camaraderie; en­suite, les conditions de la vie agricole sont complètement bouleversées. Les régions où se trouvaient avant-guerre les latifundia allemandes sont sous administration polonaise.

 

Au début des années 80, Peter Schmitz, fils d'un médecin de Duisburg dans la Ruhr, commence à s'intéresser à ce mouvement et en fait l'objet de son travail de fin d'études. C'est donc en rédigeant une thèse sur les Artamanen qu'il termine son cycle d'ingénieur agricole à la Haute Ecole de Kassel. La rédac­tion de cette thèse a été pour lui un tournant important dans son existence: il a eu l'occasion, au cours de son enquête, de rencontrer d'anciens Artamanen ainsi que tous ceux qui les avaient côtoyés. Peter Schmitz a pu ressentir tout l'enthousiasme qui les avait animés lors de leur engagement dans les années 20. Il reste quelque chose de cet enthousiasme dans les ligues de jeunesse actuelles, ce qui a décidé Schmitz à s'engager à son tour et à participer à cette longue aventure.

 

Via un ami de son père, Peter Schmitz prend connaissance du «Wandervogel Deutscher Bund» et, dès la fin de ses études, au milieu des années 80, il s'engage dans le mouvement de jeunesse, à un âge où la plupart des Wandervögel mettent un terme à leur vie de randonneurs, fondent une famille et amorcent une carrière professionnelle. Avec Holger Hölting, «Chancelier» de la Ligue, il co-dirige le mouvement «DeutschWandervogel». Très vite, les deux hommes font une excellente équipe. Schmitz préférait rester à l'arrière-plan, s'occuper des questions logistiques et des tâches de rédaction, tandis que Hölting prenait en charge la direction concrète du mouvement. Cela ne signifie pas que Schmitz restait confiné dans son bureau et que la vie du mouvement se déroulait sans lui. Schmitz, pourtant un garçon très calme, aimait les imprévus et les fantaisies qui émaillent la vie de tout mouvement de jeunesse. C'est ainsi qu'une ex­pédition prévue pour le Sud-Tyrol n'est jamais arrivée à son lieu de destination mais... dans un camp du mouvement français «Europe Jeunesse» près de Lyon!

 

Très souvent, Schmitz aiguillait les expéditions vers les camps des groupes amis à l'étranger, notamment ceux du mouvement “Vrijbuiter” en Flandre ou d'Europe Jeunesse en France. C'est au cours d'un de ces camps que Schmitz a rencontré l'amour, en la charmante personne d'une jeune Flamande, Anne. Au prin­temps 1990, le couple se marie et s'installe à proximité de Kassel, où Schmitz travaille dans le domaine de la protection du patrimoine hydrographique, pour le Land de Hesse. La vie professionnelle commençait, mais Schmitz n'abandonnait pas ses idéaux: on pense qu'il continuait à conceptualiser une forme nou­velle de colonisation communautaire, parfaitement réalisable dans les conditions actuelles. Il en avait déjà parlé dans son livre, mais trop vaguement. Schmitz, à la veille de sa mort, était devenu un ingénieur agronome expérimenté, fort d'un double savoir: il connaissait l'arrière-plan idéologique du rêve néo-pay­san des ligues de jeunesse et il connaissait les paramètres scientifiques et écologiques de l'agriculture. Cependant, les projets écologiques du Land de Hesse ne lui convenaient pas. Il décida, avec la compli­cité d'un entrepreneur privé, de travailler dans un projet de recyclage que quelques communes voulaient lancer en guise d'alternative au système dit du “point vert”.

 

Avant que Peter Schmitz n'ait pu se donner entièrement à ce projet nouveau, un accident d'auto met fin à ses jours, au printemps 1995. Anne lui donne une fille quelques mois plus tard.

 

Son livre sur les Artamanen est devenu un véritable manuel pour comprendre toutes les questions rela­tives à cette colonisation agricole intérieure, telle que l'a pratiquée le mouvement de jeunesse allemand. Voilà pourquoi Peter Schmitz restera vivant dans le souvenir de ses amis et camarades, de tous ceux qui ont le bonheur et l'honneur de le connaître.

 

Beate-Sophie GRUNSKE.

 

 

samedi, 06 septembre 2008

Heurt frontal au Caucase

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Jan ACKERMEIER:

 

Heurt frontal au Caucase

 

La guerre de cinq jours dans le Caucase vient à peine de se terminer mais ses effets sur les rapports futurs entre les Etats-Unis et la Russie ne sont pas encore vraiment prévisibles dans toute leur portée. Ce qui est intéressant à analyser, c’est le calcul des Etats-Unis dans ce conflit.

 

La guerre a commencé, c’est connu, par l’entrée des troupes géorgiennes en Ossétie du Sud, “une province rénégate”, selon les Géorgiens. A la suite de cette opération, la grande puissance qui s’auto-proclame défenderesse des Ossètes, soit la Russie, intervient dans le conflit, repousse rapidement les troupes géorgiennes et s’avance profondément dans le territoire central de la Géorgie. Les médias occidentaux s’empressent de stigmatiser la contre-attaque russe, en la campant comme “une guerre d’agression contraire au droit des gens”, et se soumettent servilement aux impératifs de la politique et de la propagande américaines. Les Etats-Unis auraient apprécié que la Géorgie, alignée sur l’Occident et donc sur Washington, ait pu activement imposer ses intérêts dans le Caucase et veiller à limiter encore davantage l’influence de la Russie dans cette région.

 

Les Russes, toutefois, en dépit de leurs problèmes de politique intérieure, sont encore capables de faire valoir leurs intérêts de grande puissance: ce qui fait écumer de rage les Etats-Unis et leurs vassaux. On crie déjà au retour de la “Guerre froide” et la ministre américaine des affaires étrangères, Condoleezza Rice, s’est ridiculisée récemment en déclarant que “la Russie par sa  ‘guerre d’agression’ (!!!) contre la Géorgie avait perdu toute crédibilité internationale”! Cette hypocrisie manifeste, les Américains, baignant dans leur narcissisme, ne l’aperçoivent même plus, car, rappellons-le, les attaques américaines contre l’Irak et l’Afghanistan étaient au moins aussi équivoque sur le plan du droit des gens que l’intervention russe dans le Caucase.

 

Il faut tenir compte du fait que les Ossètes, tant ceux du Nord qui vivent au sein de la Fédération de Russie, que ceux du Sud, qui vivent dans une région revendiquée par la Géorgie, se perçoivent comme un et un seul peuple, d’une culture spécifique. Les prérequis pour l’exercice par les Ossètes d’un droit d’auto-détermination, sur les plans intérieur et extérieur, existent bel et bien. Et lorsque la Russie, puissance protectrice des Ossètes, se réclame du droit à l’auto-détermination quand elle intervient contre la Géorgie, ses justifications sont bien plus valables que celles invoquées naguère par les Etats-Unis, qui nous parlaient à tours de bras de la fable des “armes de destruction massive” de l’Irak ou de la menace que faisait peser sur les Etats-Unis eux-mêmes les terorristes afghans, ou encore, de l’autre fable médiatique, celle de l’exportation de la démocratie et des droits de l’homme. Bien entendu, les interventions russes dans le Caucase participent, elles aussi, d’une volonté de faire valoir ses intérêts de grande puissance, exactement comme l’avait fait la politique étrangère des Etats-Unis au cours de ces dernières décennies; parallèle que l’on ne veut pas voir en notre pays: n’est-on pas finalement, dans l’âme et dans les tripes, des vassaux de la “communauté occidentale des valeurs”.

 

Jan ACKERMEIER.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°35/2008 – août 2008 – trad. franç.: Robert Steuckers).

La lezione di K. Haushofer e la discreta presenza di G. Tucci nel dibattito geopolitico

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Giuseppe Tucci

 

LA LEZIONE DI KARL HAUSHOFER E LA DISCRETA PRESENZA DI GIUSEPPE TUCCI NEL DIBATTITO GEOPOLITICO DEGLI ANNI TRENTA

di Tiberio Graziani

 

 

Karl Haushofer, Italia, Germania, Giappone, a cura di Carlo Terracciano, Edizioni all'Insegna del Veltro, Parma 2004; pag. 34 + tavola illustrata a colori, Euro 5

 

Con la pubblicazione del testo di una conferenza del geopolitico tedesco Karl Haushofer1, dedicata alle affinità culturali tra l’Italia, la Germania e il Giappone, viene inaugurata, a cura delle Edizioni all’insegna del Veltro, la collana “Quaderni di Geopolitica”.

 

La conferenza “Analogie di sviluppo politico e culturale in Italia, Germania e Giappone“ venne tenuta dal professore tedesco, su invito del grande orientalista e tibetologo italiano Giuseppe Tucci2, il 12 marzo 1937, a Roma, presso l’Istituto per il Medio ed Estremo Oriente (ISMEO) 3.

 

Essa si inserisce, storicamente, come peraltro puntualmente evidenziato dal curatore del Quaderno, Carlo Terracciano, nel contesto delle attività culturali volte a informare e sensibilizzare l’intellighenzia italiana sulle opportunità e necessità, nonché problematicità, sottese all’accordo politico-militare relativo all’asse Roma-Berlino, siglato tra Italia e Germania il 24 ottobre 1936, e a quello antikomintern firmato, nello stesso periodo, tra Germania e Giappone. Ma testimonia soprattutto un aspetto, ancora poco esplorato dagli storici della cultura e della politica estera italiana, quello delle attività dell’ISMEO, ed in particolare del suo fondatore e vicepresidente, Giuseppe Tucci - originale ed inascoltato assertore dell’unità geopolitica dell’Eurasia4 - orientate alla promozione di una visione culturale, geopoliticamente fondante, dei rapporti tra l’Europa e il continente asiatico.

 

Un’impostazione, quella del Tucci, che si contraddistingue per essere non solo puramente culturale, accademica e, occasionalmente, di supporto alla nuova politica dell’appena nato impero italiano, ma per operare una sorta di svecchiamento, sia in ambito culturale che politico, dell’ancora persistente mentalità piccolo nazionalista sabauda che, nel solco della prassi colonialista italiana dei primi del Novecento, tentava di condizionare il nuovo corso impresso dal governo di Mussolini alla politica estera. A questo riguardo è utile riportare l’acuta osservazione di Alessandro Grossato che, sulla base di una lunga e profonda consuetudine con l’opera di G. Tucci, ritiene il fondatore dell’ISMEO un vero e proprio eurasiatista ed afferma che l’espressione “Eurasia, un continente” veniva intesa dall’orientalista marchigiano in un’accezione “soprattutto culturale, volendo [con essa] sottolineare le grandi identità di fondo fra civiltà solo in apparenza così distanti nello spazio e nella mentalità”5.

 

Il convincimento di Tucci sulla culturale identità di fondo delle civiltà eurasiane suppone un’adesione, da parte dello studioso italiano, a quel sistema di pensiero che interpreta le singole culture quali autonome ed autoconsistenti manifestazioni storiche di un unico sapere primordiale e ad esso le riconduce al fine di coglierne gli aspetti autenticamente fondativi. Il ricondurre le varie espressioni culturali ad un’unica tradizione primordiale si traduce, sul piano della ricerca storica e dell’analisi geopolitica, in un procedimento comparativo, che Haushofer, (inconsapevolmente e) magistralmente, adotta e utilizza in questa breve conferenza dedicata a individuare le analogie tra l’Italia, la Germania e il Giappone. Haushofer, pur basandosi su criteri oggettivi e “scientifici”, quali sono quelli della geopolitica, sorprendentemente6, perviene agli stessi risultati cui sembra essere giunto Tucci. Il geopolitico tedesco, infatti, nella sintetica e veloce conclusione di questa conferenza, si augura che “Possa questo modo di vedere i popoli [l’essersi cioè egli adoperato, nella sua prolusione, a porre in piena luce le armonie e le analogie che possono facilitare la comprensione reciproca dei grandi popoli tedesco, italiano e giapponese] superare qualunque tempesta d’odio di razza e di classe, soprattutto tra i sostegni del futuro.”

 

Certo, chi è abituato a sentir parlare di Haushofer come un rappresentante del cieco e rozzo pangermanesimo, o del cosiddetto imperialismo germanico, rimarrà stupito nel leggere questa frase appena citata.

 

Sarà proprio il fallimento della naturale alleanza eurasiatica, preconizzata negli anni Trenta dagli Haushofer, dai Tucci e dai Konoe7, a far precipitare i popoli e le nazioni dell’intero globo in una tempesta di cui ancora, dopo oltre sessanta anni, non si intravede la fine e che, anzi, è continuamente alimentata dall’odierna politica neocolonialista dei governi di Washington e Londra e dai propagandisti dello scontro di civiltà.

 

Il procedimento comparativo adottato da Haushofer lungi dall’appiattire le differenze tra i popoli presi in considerazione e dallo svilirne le appartenenze etniche, in virtù della generica appartenenza al genere umano e secondo la triste e riduttiva visione individualista, valorizza armonicamente, al contrario, le affinità e le differenze, e le riconduce ad un’analoga condivisione, pur con sensibilità diverse, di valori che potremmo definire ad un tempo etici ed estetici, cioè “nobili”. Essi si esprimono, nella visione haushoferiana, sia per il Giappone, sia per la Germania, l’Italia e la Russia in una loro precisa funzione geopolitica, quella di concorrere all’unificazione della massa continentale e di difenderne pertanto il limes, al fine di poter sviluppare armonicamente le potenzialità delle popolazioni che vi abitano. Si contrappongono dunque alle “invasioni” degli uomini del mare, del commercio, della morale individualistica, del lusso e del consumo, ai predatori delle risorse naturali.

 

Il testo di Haushofer si contraddistingue per la sua chiarezza e semplicità, ed in questo senso rappresenta un documento didattico di rilevante importanza per gli studiosi di geopolitica. Da scienziato della geopolitica, egli evidenzia gli elementi geografici che hanno influito sulla storia e sulla politica dei tre popoli in esame, soffermandosi brevemente sulla analoga formazione delle cellule regionali avvenuta in Germania e in Giappone, e sulla fondazione di Roma, Berlino e Tokyo, città fondate originariamente sul confine nordest delle loro regioni, e “debitrici di una parte del loro splendore alla circostanza che la loro posizione di margine, in origine coloniale, si rivelò più tardi favorevolissima agli scambi ed ebbe funzione di ponte. Il flavus Tiberis, l’originaria valle di congiunzione dell’Oder coll’Elba, e il Kwanto col ponte Nihon provvedono alle città rispettive una posizione similmente favorevole e sono loro debitrici di analoga protezione.” Ma accanto ai dettami del determinismo geopolitico, Haushofer sottolinea le affinità culturali tra Italia, Germania e Giappone, che nota soprattutto nel “ghibellin fuggiasco” Dante Alighieri, araldo dell’idea imperiale, in Chikafusa8, un altro grande fuggiasco nonché impareggiabile autore del Jinnoshiki, e nei Minnesaenger tedeschi “fedeli all’Imperatore e al popolo”. Altre affinità colte da Haushofer sono quella tra lo spirito della Cavalleria occidentale e il Bushido giapponese e quella dei comportamenti tra coloro che egli chiama gli eroi fondatori del risorgimento nazionale: Ota Nobunaga, Sickingen-Wallestein, Cesare Borgia.

Haushofer sostiene che si possa parlare anche per il Giappone, come per l’Italia e la Germania di un periodo romanico, gotico, rinascimentale, barocco, di un rococò, di un romanticismo e financo di uno stile impero.

 

Un termine che ricorre spesso negli scritti Haushofer è quello di “destino”. E’ forse nel sintagma “destino comune” che si esprimono più compiutamente le affinità di popoli (apparentemente) tanto diversi sul piano culturale e etnicamente differenti su quello fisico. La coscienza di un destino comune dei popoli e delle nazioni che vivono nel “paesaggio” eurasiatico è la sola arma che abbiamo per sconfiggere la civilizzazione occidentalistica e talassocratica dei predoni del XXI secolo.

 

1) Karl Haushofer (Monaco, 27 agosto 1869 – Berlino, 10 marzo 1946), fondatore della rivista Zeitschrift für Geopolitik ed autore di numerose opere di geopolitica, fu assertore dell’unità geopolitica della massa continentale eurasiatica. Demonizzato come ideologo del cosiddetto espansionismo hitleriano, fu invece autenticamente antimperialista. Secondo lo studioso belga Robert Steuckers, “la geopolitica di Haushofer era essenzialmente anti-imperialista, nel senso che essa si opponeva agli intrighi di dominio delle potenze talassocratiche anglosassoni. Queste ultime impedivano l’armonioso sviluppo dei popoli da loro sottomessi e dividevano inutilmente i continenti”. In traduzione italiana è disponibile l’opera di Haushofer Il Giappone costruisce il suo impero, a cura di Carlo Terracciano, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma, 1999.

 

2) Giuseppe Tucci (Macerata, 5 giugno 1894 - San Polo dei Cavalieri (Tivoli), 5 aprile 1984) ritenuto il più grande orientalista italiano del Novecento, e fra i massimi tibetologi a livello internazionale, nel 1930 diviene docente di lingua e letteratura cinese all'Università di Napoli, e nel 1932 insegna religione e filosofia dell'Estremo Oriente all'Ateneo di Roma. Nel 1933 fonda l'Istituto italiano per il Medio ed Estremo Oriente. “L'attenzione rivolta anche agli aspetti politico-economici è documentata, oltre che dalle numerose pubblicazioni dell'Istituto come i periodici Bollettino dell'Istituto italiano per il Medio ed Estremo Oriente (1935) e Asiatica (1936-1943), dallo specifico interesse di Tucci per la geopolitica dell'Asia in un periodo cruciale della sua storia, e dalla sua amicizia personale con Karl Haushofer, che invita a tenere importanti conferenze su questa materia. Tucci concentra i suoi viaggi di ricerca nella vasta regione himalayana, quale naturale crocevia storico fra tutte le diverse culture dell'Asia, raccogliendo sistematicamente materiale archeologico, artistico, letterario, di documentazione storica e altro. Risultati eccezionali vengono così ottenuti dalle sue lunghe spedizioni in Tibet fra il 1929 e il 1948, anno in cui l'Is.M.E.O. riprende in pieno la sua attività postbellica sotto la sua diretta presidenza, destinata a durare fino al 1978. Tra il 1950 e il 1955 egli organizza nuove spedizioni in Nepal, seguite dalle campagne archeologiche in Pakistan ('56), in Afghanistan nel ('57) ed in Iran ('59). Sempre nel 1950 avvia il prestigioso periodico in lingua inglese East and West, e nel 1957 fonda il Museo Nazionale di Arte Orientale di Roma. Tra i suoi numerosi ed importanti scritti ricorderemo solamente, sia i sette volumi di Indo-tibetica (Accademia d'Italia, 1932-1942) che i due di Tibetan Painted Scrolls (Libreria dello Stato, 1949) per la loro ampiezza documentaria, e la Storia della filosofia indiana (Laterza, 1957) per la sua portata innovativa, specie per quanto riguarda la logica indiana. Ma Giuseppe Tucci ci ha soprattutto trasmesso la sua appassionata ed intelligente dimostrazione dell'unità culturale dell'Eurasia, e una lucida consapevolezza del fatto che, giunti come siamo ad un capolinea della storia, essa dovrà tradursi anche in un'effettiva unità geopolitica.” (Alessandro Grossato, Giuseppe Tucci in http://www.ideazione.com/settimanale/78-20-12-2002/78tucc...).

 

3) L’Istituto per il Medio ed Estremo Oriente venne fondato nel 1933 su iniziativa del tibetologo Giuseppe Tucci e di Giovanni Gentile, che ne assunsero rispettivamente la vicepresidenza e la presidenza, con lo scopo di “promuovere e sviluppare i rapporti culturali fra l'Italia e i paesi dell'Asia Centrale, Meridionale ed Orientale ed altresì di attendere all'esame dei problemi economici interessanti i Paesi medesimi”.

Nel 1995 l’Ismeo è stato accorpato all’Istituto Italo Africano (IIA) dando origine all’Istituto Italiano per l’Africa e l’Oriente (IsIAO), che ne ha raccolto l’eredità e gli scopi culturali nonché la prestigiosa biblioteca.

 

4) Confronta Alessandro Grossato, Il libro dei simboli. Metamorfosi dell’umano tra Oriente e Occidente Mondatori, 1999.

 

5) A. Grossato, op. cit. p.10

 

6) Haushofer venne invitato dall’ISMEO per una seconda conferenza, che si tenne il 6 marzo 1941. Il testo della conferenza “Lo sviluppo dell’ideale imperiale nipponico” è, attualmente, in corso di stampa per le Edizioni all’insegna del Veltro.

 

7) “Il leader degli Eurasiani giapponesi era il principe Konoe, uno dei politici più in vista del Giappone d’anteguerra, primo ministro dal 1937 al 1939 e dal 1940 al 1941; ministro di Stato nel 1939; membro di gabinetto nel 1945 del principe Hikasikuni (gabinetto che firmò la capitolazione e fu, pressoché interamente, arrestato dagli Americani). Konoe era sostenitore della maggiore integrazione possibile con la Cina, dell’unione con la Germania ed era un risoluto avversario della guerra contro l’Unione Sovietica (il patto di non aggressione fu firmato quando egli era primo ministro). Konoe odiava gli Americani e si suicidò nell’autunno del 1945 alla vigilia del suo arresto. Ancora oggi, egli gode di una grande notorietà in Giappone e la sua personalità suscita sempre rispetto.” (da una lettera del nippologo russo Vassili Molodiakov al geopolitico e filosofo Alexander Dughin, pubblicata in Elementy, n.3 - http://www.asslimes.com/documenti/mondialismo/giappone.htm).

 

8) Kitabatake Chikafusa (1293-1354), nell’opera classica (Jinnoshiki) del pensiero politico giapponese, fissava, in coerenza con la tradizione shintoista, i principi di legittimità della discendenza imperiale

 

 

vendredi, 05 septembre 2008

La politique étrangère européenne après la guerre du Caucase

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Andreas MÖLZER, MPE:

 

La politique étrangère européenne après la Guerre du Caucase

 

En jouant le rôle d’intermédiaire dans le conflit du Caucase, par le biais du Président en exercice du Conseil de l’UE, Nicolas Sarközy, et de la Chancelière fédérale allemande Angela Merkel, l’UE tente, vaille que vaille bien que la démarche soit importante, d’acquérir une certaine autonomie en politique étrangère. Parce que le Caucase, au contraire des déserts du Tchad africain, se trouve véritablement à la périphérie de l’Europe, les engagements que prend Bruxelles ont un sens, surtout parce qu’il ne faut pas laisser le terrain à une puissance extérieure à l’Europe, notamment les Etats-Unis.

 

Après l’attitude pondérée et bien balancée adoptée par Sarközy et Merkel au début de l’affaire géorgienne, les tentatives de médiation de l’UE risquent désormais de s’enliser dans les sables mouvants d’un parti-pris unilatéral en faveur de la Géorgie. Ainsi, le Président français Sarközy a menacé les Russes de “conséquences” s’ils ne retiraient pas leurs troupes le plus rapidement possible du pays voisin. Merkel, elle aussi, n’a pas fait mystère de ses sentiments lors de sa visite à Tiflis. La Géorgie peut, si elle le souhaite, devenir membre de l’OTAN, a déclaré la Chancelière fédérale. Or ce sont justement les effots entrepris par le Président géorgien Saakachvili pour faire adhérer son pays à l’OTAN qui ont constitué l’une des raisons majeures du conflit actuel qui l’oppose à la Russie. Car le Kremlin, pour des raisons bien compréhensibles, n’a pas le moindre intérêt à ce que l’Alliance atlantique, dominée par les Etats-Unis, se cramponne dans une région qui forme l’arrière-cour de la Russie.

Si l’UE prend parti unilatéralement en faveur de la Géorgie, ce ne sera pas seulement un acte relevant de la sottise politique mais un acte tout à fait contraire aux intérêts de l’Europe. Finalement, la Russie n’est pas seulement importante pour l’Europe sur le plan de la politique énergétique, elle l’est aussi sur le plan stratégique, afin de s’opposer de concert aux tentatives d’imposer l’hégémonie des Etats-Unis sur le monde. Si, un jour, l’UE veut jouer un véritable rôle en politique internationale, au-delà des discours policés et dominicaux de son établissement, elle ne pourra pas faire autrement que de tendre la main à Moscou. Cette politique de la main tendue implique de respecter les sphères d’intérêts de la Russie, celles qu’elle a acquises au cours de son histoire, depuis le temps du Tsar Pierre le Grand.

 

Bien sûr, un partenariat avec la Russie ne sera pas toujours facile à gérer. Mais vouloir transformer l’UE en complice de Washington et sacrifier la vie de soldats européens pour les seuls intérêts américains, voilà deux attitudes qui ne peuvent, en aucun cas, constituer une alternative viable et intelligente.

 

Andreas MÖLZER.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°34/2008, trad. franç. : Robert Steuckers).

M. Mann et la notion d'"Empire incohérent"

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Synergies Européennes – Ecole des Cadres / Bruxelles – octobre 2004

 

Dimitri SEVERENS :

Michael Mann et la notion d’”Empire incohérent”

 

Face aux entreprises de l’Amérique de Bush en Afghanistan et en Irak, les réactions sont diverses, multiples, montrant, hélas, la disparité problématique d’une opposition trop bigarrée à la guerre américaine en Mésopotamie. Bon nombre de réactions relèvent d’un pacifisme pur et simple, c’est-à-dire d’une idéologie diffuse qui a pour caractéristique principale d’être irréaliste, de ne pas réinscrire les événements d’aujourd’hui dans la trame éternelle de l’histoire mondiale, dans le cadre géopolitique d’un Proche- et d’un Moyen-Orient disputé entre puissances rivales depuis la fin de l’ère néolithique.

 

D’autres ouvrages critiques méritent cependant le détour, notamment celui du sociologue Michael Mann, qui enseigne en Californie. Michael Mann a rédigé un plaidoyer pacifiste, qui consiste, en gros, à dire que les entreprises de Bush, inspirées par l’école néo-conservatrice où se rencontrent tous les anciens comploteurs rooseveltiens-trotskistes, ne sont ni plus ni moins que les expressions d’un “néo-militarisme”. Rien de bien original dans cette assertion, qu’il suffit de répéter pour se faire bien voir dans les salons de la gauche planétaire, où l’on bavarde sans jamais défier le système sur le fond. Donc première remarque d’ordre stratégique : l’ouvrage de Mann pourrait nous servir à apprendre le langage des pions en place, dans la vitrine pseudo cultureuse et bien-pensante des établissements occidentaux, qui se piquent d’anti-bushisme. Mann permet donc l’entrisme, une stratégie habile de dissimulation à la Sun Tzu. Le militant identitaire peut apprendre le langage de ceux qu’il souhaite ardemment renverser, jeter à la poubelle de l’histoire. Ce qui nous amène à formuler une deuxième remarque stratégique, à tirer de la lecture du livre du Prof. Michael Mann : celui-ci poursuit son raisonnement en disant que ce néo-militarisme conduit à l’incohérence. Montrer l’incohérence de l’adversaire, pour le déstabiliser, est une pratique du combat culturel et politique dont il faut être virtuose.

 

Pour Mann, l’incohérence américaine actuelle consiste à proclamer et à espérer l’avènement d’un “Nouvel Ordre Mondial”, sans être en mesure d’asseoir une réelle “pax americana”. Mann ne cite pas une seule fois Carl Schmitt dans son ouvrage, or son argument majeur rappelle pourtant quelques éléments de l’œuvre du grand politologue et juriste allemand, et procède du constat que les Etats-Unis ne sont pas une “nouvelle Rome”, en dépit de cette prétention souvent affirmée ces dernières années dans les cénacles néo-conservateurs , notamment chez des auteurs comme Charles Krauthammer et Robert Kagan. Pour Schmitt, les Etats-Unis des années 40 à 70 étaient une sorte de “nouvelle Carthage”, dont l’élément-symbole était l’eau, l’eau salée de la mer, de l’océan, sur laquelle les hommes ne peuvent rien faire pousser, ne peuvent habiter. Schmitt raisonne en paysan romain, germanique et catholique tout à la fois, en natif de ce patelin qu’est Plettenberg dans le Sauerland. La mer n’est rien de concret, même si elle procure la puissance, une puissance issue de la piraterie éternelle, à qui la maîtrise techniquement. Mieux, dans ses écrits d’après-guerre, Schmitt, notamment dans son journal, le fameux “Glossarium”, revient sans cesse sur la dichotomie Terre/Mer et se fait prophète : un impérialisme maritime est un impérialisme qui va introduire la mort car il est, par définition, un impérialisme mouvant comme un navire. Sur la mer, il faut donc bouger sans cesse car qui s’arrête de bouger, de nager, de flotter sur un radeau ou une coquille de noix, sombre, coule à pic et meurt. L’homme est un être politique, lié à la Terre, qu’il organise et qu’il féconde : c’est le “nomos” de la Terre. Le pirate est un vauteur, dans cette perspective, non pas un “zoon politikon”, qui gère, norme, arpente, mesure comme un géomètre, plante et récolte.

 

Mann ne dit pas autre chose, mais dans une langue assez conformiste, qui peut passer comme une petite pilule toute légère à travers le gosier délicat des écervelés contemporains. Schmitt était agacé par le discours “démocratique” de l’Amérique de Wilson et de Rossevelt, qu’il considérait comme une formidable hypocrisie. Plus on parle de démocratie, constatait-il, plus la praxis est brutale et haïssable, diamétralement différente du discours lénifiant. Mann affirme dans son livre que l’Amérique contemporaine parle de liberté et de démocratie, d’abondance matérielle, de cette paix perpétuelle qui viendra après l’élimination des “mauvais”, mais qu’en réalité les guerres se multiplient et se succèdent, les terrorismes jaillissent du sol comme les champignons après la pluie. L’Amérique n’est donc pas une puissance politique au sens d’Aristote et de Schmitt : elle ne pacifie pas, elle ne procède pas au travail du “nomos”.

 

Mann, comme Schmitt, constate que les fondements concrets, idéologiques et économiques, des Etats-Unis sont faibles, dans le fond, et que cette faiblesse postule une politique brutale, celle d’un militarisme qui frappe mais ne construit pas d’acqueducs ou de routes comme les légionnaires de la Vieille Rome. Washington peut gagner la puissance mais n’aura jamais cette fascinante “auctoritas”, fondatrice des vrais empires historiques, qui apportent la paix pendant de longs siècles. Si le langage pacifiste de Mann peut nous faire croire, de prime abord, que son analyse de la situation actuelle est irréaliste, mais, finalement, elle donne, pour qui sait raisonner dans les termes et les catégories que nous a légués Carl Schmitt, la clef pour présenter, hors milieu identitaire, un schmittisme soft (en apparence, car aucun schmittisme n’est soft, in fine) aux âmes fragiles, habituées à un discours médiatique tout de guimauve. Autre concept intéressant de Mann : l’Amérique comme puissance schizophrénique. La schizophrénie américaine selon Mann consiste, comme on l’a vu au cours de ces neuf dernières décennies, à osciller entre “multilatéralisme” et “unilatéralisme”, à conquérir des pays mais sans pouvoir les remettre d’aplomb (comme les Romains l’avaient fait en Gaule), sans comprendre les ressorts des pays conquis, comme l’ethno-nationalisme ou le fondamentalisme religieux.

 

Que faut-il faire du livre de Mann? Un Cheval de Troie pour entrer dans le discours de l’établissement et y injecter un schmittisme corrosif !

 

Dimitri SEVERENS.

 

Michael MANN, Incoherent Empire, Verso, London, 2003. La version française vient de sortir de presse : L'Empire incohérent. Michael Mann, Paris, Calmann-Lévy. ISBN 2702135005. EAN 9782702135006. Code Hachette

5176904. Format : 230x150x25 mm. 384 pages. Prix TTC : 19,00 €.

 

jeudi, 04 septembre 2008

V.Dachitchev : les Etats-Unis veulent la guerre

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Géorgie: les Etats-Unis veulent la guerre

Entretien avec le Professeur Viatcheslav Dachitchev, ancien conseiller de Gorbatchev

 

Q.: Professeur Dachitchev, avez-vous été étonné de l’escalade en Géorgie?

 

VD: Non, à plusieurs reprises j’avais prévu qu’une guerre allait survenir dans la région. Depuis que Mikhail Saakachvili a pris le pouvoir en Géorgie, ce pays est devenu un satellite des Etats-Unis. Les dirigeants américains veulent la guerre dans le Caucase. Le but est d’abord de chasser la Russie du Caucase et des rives de la Mer Noire, ensuite d’y attiser un foyer de conflictualité permanente et de l’exporter en Asie centrale.

 

Q.: Cette guerre aurait-elle pu être évitée?

 

VD: Probablement. Les dirigeants russes auraient du reconnaître l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud comme des Etats pleinement indépendants et forger avec eux une alliance défensive. Cela ne s’est pas passé: j’estime que c’est une grave erreur.

 

Q.: Exactement comme l’Occident a reconnu  le Kosovo...

VD: Bien entendu.

 

Q.: Pourquoi cela ne s’est-il pas passé?

 

VD: Parce que jusqu’ici le Kremlin avait parié pour une politique d’apaisement face à Washinton, même si l’OTAN se rapprochait toujours davantage du territoire russe. S’il n’avait fallu tenir compte que de la volonté américaine, la Géorgie aurait été depuis  longtemps membre de l’OTAN. Cette politique américaine d’agression pourrait mener à une guerre mondiale.

 

Q.: Comment?

 

VD: Il y a cinq ans déjà, j’évoquais une crise de pré-belligérance, dans laquelle nous nous trouvons toujours. Tous les paramètres le confirment. La comparaison avec les situations qui règnaient avant les première et deuxième guerres mondiales est possible. Jusqu’à présent, Washington a parié pour l’ “approche indirecte” (“indirect approach”), telle que l’avait décrite l’historien militaire Basil Liddell Hart. Le but était d’affaiblir la Russie de manière si décisive qu’on aurait pu la dominer de l’intérieur et l’éliminer en tant que contrepoids militaire et politique des Etats-Unis. Cette stratégie de l’approche indirecte peut cependant déboucher rapidement sur une “guerre chaude”, comme viennent de le démontrer les événements de Géorgie. Les Etats-Unis ne se contentent pas de susciter des conflits dans le Caucase: ils le font aussi au Proche Orient, en Iran, en Pologne et en Lituanie et surtout, ce qui est le pire aux yeux des Russes, en Ukraine.

 

Q.: Quelle sera l’issue du conflit russo-géorgien?

 

VD: Saakachvili a fort mal calculé son coup. Depuis longtemps, on prêche la haine de la Russie en Géorgie et l’on y développe une progagande virulente et hostile à notre pays. Mais les Ossètes du Sud se réclament de la Russie et la plupart d’entre eux possède la citoyenneté russe. Les Abkhazes sont musulmans mais se réclament, eux aussi, de la Russie. Poutine ne peut plus se retirer de ces régions, sans perdre la face.

 

Q.: Une guerre contre l’Iran est-elle encore à l’ordre du jour?

 

VD: Oui. L’opinion publique est préparée de manière optimale pour accepter une attaque contre l’Iran. Depuis deux ans, la menace est militairement bien présente dans la région. Le monde commence à se lasser de cette question iranienne: c’est quand  cette lassitude aura atteint un point “x” que l’attaque surviendra, soudainement.

 

Q.: Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure vous avez apprécié Alexandre Soljénitsyne, le Prix Nobel de littérature, récemment décédé?

VD: Soljénitsyne a critiqué le système stalinien de manière virulente et, simultanément, il  s’est avéré un grand patriote. C’est pour cette raison qu’il n’a pas pu rester aux Etats-Unis. Il s’opposait à fond à la politique hégémonique poursuivie par les Etats-Unis et ne cessait de souligner la spécificité des peuples. Lorsqu’Eltsine a voulu lui  octroyer la plus haute distinction russe, l’Ordre de Saint-André, il a refusé de l’accepter, car c’était Eltsine qui avait ruiné le pays.

 

Q.: Estimez-vous fondé le reproche d’antisémitisme que l’on adresse à Soljénitsyne, pour ses deux ouvrages “Les juifs en Union Soviétique” et “Deux siècles ensemble” (trois tomes qui relatent les rapports entre Russes et Juifs au cours de l’histoire récente de la Russie)?

 

VD: J’ai lu ces ouvrages et je les tiens pour équilibrés et pondérés. Si l’étude des faits révèle un rôle négatif des juifs dans la révolution de février ou dans la révolution d’octobre, cela ne signifie nullement que leur simple évocation relève de l’antisémitisme.

 

Q.: Vous étiez officier dans l’Armée Rouge en 1945, tout comme Soljénitsyne. Avez-vous lu les rapports qu’il a écrits, à l’époque, sur l’entrée de cette Armée Rouge en Prusse orientale?

 

VD: Oui. Mais à la différence de Soljénitsyne et de Lev Kopelev, que j’ai personnellement bien connu, mon unité n’a pas été engagée en Prusse orientale, mais en Slovaquie.

 

(entretien paru dans DNZ, Munich, n°34/2008 – août 2008 – trad. franç.: Robert Steuckers).

Les orientations géopolitiques de la Turquie

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ARCHIVES: Texte de Jean-Gilles Malliarakis datant de l'automne 2003.

 

Les orientations géopolitiques de la Turquie

 

Les orientations géopolitiques de la Turquie n’ont rien à voir avec les réalités de l’Europe

 

Article de Jean-Gilles Malliarakis extrait du site: www.europelibre.com

 

Recevant le Premier ministre turc Erdogan début septembre à Berlin, le chancelier Schroeder a-t-il cru nécessaire de qualifier de "polémique de caniveau" la volonté de la CSU bavaroise exprimée par Edmund Stoiber de faire campagne contre l’adhésion de la Turquie lors des élections européennes de 2004. Le débat relatif à la candidature de la Turquie à l’Union européenne a certes le mérite de rappeler aux Européens qu’ils relèvent d’une identité commune. Et bien entendu, toute l’offensive de la pensée unique cherche, depuis l’affirmation de cette évidence (1) à contourner cette identité. On balaye ainsi allègrement d’un trait de plume des siècles d’Histoire européenne.

 

Innombrables sont les déclarations conventionnelles de nos hommes politiques sur le thème "L’Europe n’est pas un club chrétien". Avec quelques variantes, c’est surtout la date qui change.

 

Le Premier ministre turc abonde aujourd’hui dans le même sens: "L’Union européenne, dit-il sentencieu­sement, n’est pas une communauté culturelle, religieuse ou géographique. C’est une communauté de va­leur". Si la Bolivie, la Malaisie ou le Zimbabwe prétendent partager ces "valeurs", eh bien ces pays pour­raient donc rejoindre l’Union européenne.

 

Mais ce faisant on bazarde aussi l’identité et la géopolitique spécifiques de la Turquie elle-même. Ce pays, quant à lui, n’a pas le souci de se présenter comme une "communauté de valeurs". Sa réalité nationale est à la fois culturelle, religieuse et géographique. Et, avant que de lui décerner des couronnes de fleurs et de lui dire "aloha", c’est peut-être sur l’identité géopolitique de ce candidat exotique que les Européens gagneraient à être mieux informés.

 

Selon les milieux, selon les institutions, selon les forces politiques, la vision géopolitique des Turcs n’est certes pas identique. De plus les lignes de forces évoluent : on ne pensait pas de manière identique à Ankara en 1952, quand la Turquie participait à la guerre de Corée, et, en 2002, quand pour la première fois depuis la fondation de la république kémaliste un parti musulman obtenait 35 % des voix et la majorité des sièges au Parlement.

 

Soulignons d’abord un aspect essentiel de l’État turc : il est constitutionnellement nationaliste. Il fait de la nation la valeur suprême et le Code pénal ne badine pas avec les atteintes à la sécurité nationale, à l’identité nationale, à l’unité nationale. Quelles que soient les réformes formelles, votées en 2003 (abolition de la peine de mort, progrès de la liberté d’expression, reconnaissance timide du droit des minorités), ou celles promises pour 2004, la conception turque des Droits de l’Homme demeurera longtemps (pour ne pas dire toujours) tributaire de la suprématie fondamentale du Droit de la nation.

 

L’ambition du pays est multiforme.

 

Dans un premier temps, la Turquie kémaliste a conçu sa construction comme une révolution dirigée contre les puissances européennes. Lorsqu’en 1922 l’armée grecque d’Asie mineure, soutenue puis trahie par l’Angleterre, est vaincue, la guerre victorieuse de Kemal est présentée comme une guerre de libération. Elle s’inscrit dans la grandiose vision "anticolonialiste" du congrès de Bakou. Et dans les premières années il est posé en dogme que les frontières du traité de Lausanne ne seront plus jamais remises en question.

 

Mais très vite, la politique turque se révélera expansionniste (2). Tout d’abord, elle cherche à établir des liens avec des pays où l’influence "touranienne" peut être invoquée - légitimement ou, au contraire, de manière très approximative pour ne pas dire fantaisiste : aussi bien la Bulgarie que l’Iran ou l’Irak. Le panturquisme deviendra bien vite une notion à la fois floue et sentimentale comportant des directions fort différentes.

 

Sa première caractéristique a toujours été de tourner le dos à la fois à l’Europe et aux liens du passé. Si l’Empire ottoman a laissé quelques (rares) traces de nostalgies, si certains bons esprits "occidentaux" croient possible de le reconstruire, notamment pour briser toute trace de nationalisme arabe, très peu nombreux sont les Turcs désireux de renouer avec l’espace du Croissant fertile qu’ils ont pourtant dominé pendant près de 1 000 ans. La garnison ottomane chassée d’Akaba en juillet 1917 par le colonel Lawrence l’a probablement été pour toujours.

 

Depuis les années 1950 les Turcs sont indéfectiblement alliés des Israéliens. Dans l’affaire d’Irak, leur préoccupation vise d’abord de maintenir sous tutelle les populations kurdes : il ne doit pas exister de Kurdistan irakien afin d’empêcher la contagion dans les départements kurdes du sud-est anatolien. Éventuellement, on se souviendra que les pétroles du nord de l’Irak appartenaient avant 1918 à une Turkish Petroleum Company. Et, enfin, ce qui est invoqué actuellement par les Turcs pour intervenir dans le nord de l’Irak c’est la protection des minorités turkmènes... La solidarité turco-arabe n’est donc qu’une vue de l’esprit. Accessoirement on remarquera que l’Europe est bien loin.

 

La dimension islamique de la politique extérieure turque ne doit pas non plus faire l’objet d’un malentendu. Depuis le XVIe siècle, l’islam turc est soumis à l’État (3). La prétendue laïcité kémaliste n’a fait que renforcer cette tendance en instaurant l’usage de la langue turque et en encadrant la vie religieuse par 60 000 fonctionnaires de la Diyanet (4). La religion est utilisée comme moyen de rayonnement national, certainement pas comme un courant de solidarité effective avec les coreligionnaires arabes. Elle offrait aux Kurdes, par exemple, un moyen de se mettre au service de l’Empire d’hier : c’est chez les islamistes kurdes que se recrutait la milice du sultan Abdül Hamid. De même pendant les 15 ans de lutte contre la guérilla du PKK, les milices de protecteurs de villages étaient recrutées sur la base de la religion. La vraie solidarité que ressentent et manifestent constamment aussi bien les politiciens, les milieux militaires, les hommes d’affaires ou les confréries s’exprime en direction de toutes les populations plus ou moins mythiquement, linguistiquement ou réellement apparentées aux "Turks"(5).

 

Un “monde turc de l’Adriatique à la Muraille de Chine”

 

Au début de la guerre de Yougoslavie par exemple Türgüt Özal, premier homme politique turc civil à prendre le relais du pouvoir militaire justifia son soutien aux ennemis des Serbes orthodoxes par le rêve d’un "monde turc allant de l’Adriatique à la muraille de Chine". Il se trouve que dans les Balkans la base démographique de ce rêve est très étroite et se compose de quelques rares minorités turques ou musulmanes, les groupes les plus consistants étant albanais ou bosniaques. Il est vrai que du point de vue turc ces Européens, convertis à l’islam autour du xviie siècle, sont représentés par d’importantes communautés considérées comme turques, présentes à Istanbul et dans les couches dirigeantes.

 

En 1991, George Herbert Bush déclarait ainsi, sans périphrase : "La Turquie est l’étoile montante de l’Europe". De la sorte, depuis cette date on a vu de manière systématique les hommes d’affaires d’Istanbul et les agents des services spéciaux d’Ankara servir de relais à l’expansion américaine dans la zone d’expansion "rêvée" par Özal. On les a vus dans toute l’Europe du Sud-Est, où la diplomatie turco-américaine a cherché à mettre en place la "zone de coopération de la Mer Noire". Mais on les a également observés en Asie Centrale et jusque dans le territoire chinois du Sin-jiang revendiqué par les Turks Ouïgours (6).

 

La communauté linguistique des Turks est un phénomène impressionnant. En restaurant ce qu’il appelait la "langue soleil", purgée des apports arabes et persans, Mustapha Kemal a ainsi rapproché la langue parlée par les Turcs d’Anatolie des langues parlées en Asie centrale. C’est une des bases du panturquisme. Et tout naturellement à partir de 1992 quand les républiques soviétiques dessinées artificiellement sous le stalinisme (Ouzbékistan, Kirghizstan, Turkménistan, Azerbaïdjan - le Kazakhstan est à moitié russe et le Tadjikistan est de souche iranienne) sont devenues théoriquement indépendantes. Leurs dirigeants, quoiqu’issus des appareils communistes, ont cherché à contrebalancer l’influence russe. Les agents turco-américains y ont donc été reçus à bras ouverts et il semble bien que l’enthousiasme était général. D’autre part, dans ces pays, les confréries islamiques dont l’existence n’avait jamais disparu sous le communisme ont pour la plupart retrouvé dans l’enthousiasme leurs homologues turcs (7). Certes, depuis, certaines illusions se sont dissipées (8), mais cette ambition demeure une constante de la politique d’Ankara.

 

On doit se souvenir que, dès les années 1910, la révolution jeune turque a commencé à s’intéresser à ce qu’on appelait alors le "Turkestan russe". À la même époque, les provinces arméniennes d’Anatolie représentaient un obstacle géopolitique non négligeable et se tournaient au contraire vers la Russie (9). On retiendra le destin exemplaire d’Enver Pacha. Principal chef des jeunes-turcs lors des révolutions de 1908-1909, après la défaite de l’Empire ottoman en octobre 1918, il fut chassé de Constantinople, se réfugia dans le Caucase où il prit la tête des Basmadjis, révoltés touraniens qui cherchèrent, tout d’abord, à s’allier avec les bolcheviks en Asie centrale, mais se retournèrent contre leurs alliés d’un moment. Et c’est les armes à la main qu’il fut abattu par un détachement de l’armée rouge en août 1922.

 

Les rapports de von Papen

 

Dans les années 1940, l’Axe s’intéressera beaucoup à cet héritage, et aux braises panturquistes d’aujour­d’hui sous la cendre soviétique. Toutefois les Occidentaux auraient dû prendre mieux connaissance des rapports de von Papen, ambassadeur allemand à Ankara : il concluait de manière assez négative quant aux retombées bien concrètes de cette parenté linguistique et mythique des Touraniens. Parmi les ambitions les plus réalistes de l’expansionnisme turc, fondées aujourd’hui par une démographie galopante, opposées à ses voisins du Proche Orient notamment sur la disposition des réserves d’eau, attirées par toute la géopolitique du Pétrole - dans le nord de l’Irak comme dans le Caucase - il en reste une. C’est pro­bablement l’ambition sur laquelle l’islamiste "modéré" Erdogan et le chef de l’armée "laïc", le général Ozkok, semblent être tombés d’accord pendant l’hiver 2002-2003 : à cette date on sortait du coup de tonnerre de l’élection de novembre 2002 donnant la majorité au parti d’Erdogan.

 

Il ne s’agira pas en effet, de servir l’islamisme mondial (10), mais de s’en servir, avec l’argent des Européens, afin de construire une immense puissance orientale. Et alors "l’étoile montante de l’Europe" (Bush père dixit) redeviendra pour l’Occident une menace tangible, comme elle l’était à l’époque du siège de Vienne. Mais cette fois les églises seront-elles là pour sonner le tocsin ?

 

Jean-Gilles Malliarakis.

 

Notes:

(1) Au sein de la classe politique, elle a été constatée notamment par le chancelier Kohl, par M. Giscard d’Estaing, etc.  

(2) La première entorse sera opérée en 1939 lors du traité franco-anglo-turc de 1939 aux termes duquel la France remettait avec la bénédiction de la Grande-Bretagne le sandjak d’Alexandrette détaché de la Syrie, alors sous mandat français, en échange de la promesse Turque de se joindre à la guerre contre l’Allemagne, ce qu’elle fit... en 1945.

(3) Dans l’Empire ottoman, à partir du XVIe siècle et contrairement au droit coranique, c’est le Sultan qui nommait le Cheïkh ül-islam.

(4) Direction des Affaires religieuses

(5) Un certain usage désigne comme "turks" avec un k les populations apparentées linguistiquement aux Turcs d’Anatolie, et qui n’ont pas nécessairement d’Histoire commune avec les Turcs. Nous préférons l’appellation de "Touraniens".

(6) La découverte par les Chinois d’agents militaires turcs et de militants islamistes parmi les terroristes ouïgours à la fin des années 1990 aura été un coup de tonnerre amenant Pékin à reconsidérer sa politique extérieure et ses relations, tant avec la Turquie qu’avec le Pakistan.

(7) On rappellera à ce sujet qu’un personnage comme Özal était affilié à la secte des "derviches" naqshbandi, etc...

(8) En particulier l’Ouzbekistan a la prétention au leadership en Asie centrale et ne désire point y voir la Turquie trop active.

(9) Sans justifier le moins du monde les affreux massacres de 1915, cette situation géopolitique explique une volonté d’éradication qui semble avoir épargné les Arméniens de Constantinople.

(10) Rappelons que la Turquie prétendument "laïque" appartient à l’Organisation de la Conférence Islamique. De plus en janvier 2003, le ministre des Affaires étrangères Abdüllah Gül n’a pas hésité à faire acte de candidature à... la Ligue arabe. Où est donc l’appartenance européenne dans tout celà ?

 

mercredi, 03 septembre 2008

Doctrine de Monroe et géopolitique moderne

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James Monroe

Pankraz / “Junge Freiheit”:

 

Doctrine de Monroe et géopolitique moderne

 

Les héritiers de Friedrich Ratzel et de Karl Haushofer ont bien du pain sur la planche ces jours-ci. Le concept de “géopolitique”, qu’ils ont forgé jadis, est dans toutes les bouches. En effet, les événements de Géorgie et autour de la Géorgie ont fait prendre conscience même au plus obscur des téléspectateurs que la politique étrangère actuelle n’est pas un jeu simple, qui se joue sur un damier rudimentaire et enfantin et sur base de quelques règles proprettes de politologie et de quelques principes juridiques relevant du droit de gens, mais qu’elle est bien plutôt un art de jonglerie, d’une haute complexité, avec  un nombre incalculable de balles qui, de surcroît, sont de dimensions différentes, et dont le mouvement propre est seulement “devinable” par les acteurs en piste et ne peut jamais, ne pourra jamais, être totalement prévisible.

 

Celui qui voudra sur le long terme connaître le succès en politique étrangère devra, par la force des choses, se faire géopolitologue. Il ne suffit pas de se réclamer pompeusement des droits de l’homme, qui sont abstraction, et, pour le reste, s’efforcer d’avoir un potentiel supérieur de suffrages ou de présenter de bons scores électoraux, il faudra bien plutôt immerger ses pensées dans le “génie de l’espace” (comme disait Rudolf Kjellén), c’est-à-dire respecter au cas par cas les traditions régionales, prendre au sérieux les passions du lieu, se donner des idées claires, sans illusions, au-delà de l’espace réduit de ses propres compétences et autorités. 

 

En fait, ce que je dis là sont de pures évidences, que l’on pouvait déjà lire chez Montesquieu (1689-1755). L’ère du colonialisme européen et, à la suite de celui-ci, l’époque de la communication technique embrassant le globe tout entier (la “globalisation”) ont fait en sorte que ces évidences ont perdu de leur lustre. On s’est mis à cultiver l’illusion que l’on pourrait (et devrait) mettre tout dans le même sac, juger tout à la même aune, en matière de politique. On a tenté de mettre en pratique des doctrines sotériologiques universelles, ce qui eut des conséquences désastreuses. La fable qu’un “policier mondial”, soi-disant hissé au-dessus de tous les partis, a eu son heure de gloire; un “policier mondial” qui aurait eu le droit de s’immiscer partout dans tout, avec ou sans l’aval d’un caucus ou d’un conseil autorisé.

 

Ce que nous apercevons aujourd’hui, c’est la fin de cette politique de la “planche à dessin”, de l’épure permanente hors du réel, et le retour de la géopolitique. On reconnaît désormais, lentement mais sûrement, que les “droits fondamentaux”, conçus par la pensée aux heures les plus sublimes de l’histoire occidentale, se télescopent en permanence dans le concret des situations spatiales/territoriales; il en va ainsi de la doctrine de l’intangibilité des Etats et de leurs frontières; cette doctrine de l’intangibilité se heurte, sans espoir aucun d’accalmie, à celle du droit des peuples à l’auto-détermination. 

 

Si les Albanais du Kosovo ont le droit de se débarrasser des structures étatiques qui les liaient à la Serbie, pourquoi les Ossètes du Caucase n’auraient-ils pas, à leur tour, le droit de se séparer de l’Etat géorgien? Quelle loi autorise-t-elle l’une sécession et interdit l’autre? Quelle loi autorise-t-elle l’OTAN, instance étrangère à l’espace balkanique, de bombarder Belgrade dans l’intérêt des Albanais? Quelle loi interdit-elle à la Russie, qui est depuis des siècles la puissance protectrice des Ossètes, d’intervenir à leur profit en Géorgie? Ces lois, que j’évoque dans mes questions, n’existent pas, ni réellement ni potentiellement.

 

Il n’existe que des intérêts et des rapports de force entre regroupements d’Etats, proches ou étrangers à l’espace où se déroulent les affrontements. Sur leurs torts ou leurs raisons ne statue pas une “table de lois” transcendantale, mais, à chaque fois, une constellation régionale concrète, faite d’accords, de conventions et de nécessités. Il est clair, bien évidemment, que les forces inhérentes à l’espace ou proches de cet espace, c’est-à-dire les forces qui sont immédiatement confrontées à la teneur de ces accords et conventions, les forces dont le quotidien est marqué par ceux-ci, ont un droit plus direct et prépondérant à agir ou réagir sur le terrain que les forces qui sont étrangères à cet espace. Ce principe demeure valable même à notre époque de communication globale, où la politique qui régit le flux des finances et des matières premières est mondiale.

 

Lorsque le président américain James Monroe proclame en 1823 la fameuse doctrine qui porte son nom, il a posé, à coup sûr, le premier grand acte de géopolitique prévoyante, visant le long terme. Les Etats-Unis ne se mêleront pas des affaires européennes, disait Monroe, rassurant; mais il fallait aussi que les Européens s’interdisent toute immixtion dans les affaires américaines ou toute implantation de colonies sur un territoire américain. La devise était: “L’Europe aux Européens”, ce qui avait pour corollaire implicite, “L’Amérique aux Américains”.

 

Bien entendu, nous pourrions dire que ce sont là des déclarations et des mots d’ordre antérieurs à la globalisation: il n’en demeure pas moins vrai qu’ils recèlent un solide noyau de réalisme, transcendant les époques; les peuples auraient eu un avenir bien meilleur, s’ils avaient écouté ces déclarations et mots d’ordre plus attentivement; nous aurions pu éviter toute l’ère du colonialisme européen et des guerres mondiales. Aujourd’hui, sous les conditions dictées par les technologies globales de la communication à haute vitesse, plus aucune Doctrine de Monroe n’est possible, sous quelque forme que ce soit. Mais son intention première était juste, comme nous nous en apercevons à nouveau, chaque jour, dans les faits.

 

Prenons en considération la guerre d’Irak et ses conséquences catastrophiques. Le gouvernement Bush, à Washington, disposait de toutes les informations nécessaires pour évaluer de manière réaliste les conséquences de cette guerre. Mais il a obtenu exactement le contraire de ce qu’il avait planifié. Il voulait affaiblir l’Iran, mais celui-ci s’est considérablement renforcé. Mais, au fond, il ne s’agissait pas vraiment d’informations disponibles mais bien plutôt de l’incapacité américaine  —parce que l’Amérique, là-bas, est une puissance totalement étrangère à l’espace moyen-oriental—  à comprendre et à interpréter correctement les informations disponibles dans le cadre des spécificités régionales de cette partie du monde.

 

Les géopolitologues conclueront dès lors: lorsque l’on cherche à résoudre les conflictualités d’une région du monde, il faut appliquer une sorte de principe de subsidiarité, tenant compte du degré d’éloignement spatial par rapport au foyer du conflit. Cet éloignement devant constituer l’instrument de mesure le plus important. Les premiers à pouvoir exercer le droit de résoudre un conflit devraient être les Etats, les peuples et les ethnies qui sont directement concernés par les affrontements. Dans ce cadre, la voix des acteurs les plus modestes devraient peser davantage dans la balance que celle des acteurs les plus puissants. Les forces qui, elles, sont éloignées géographiquement et mentalement du foyer de conflit devront se contenter de patienter et, dans les cas où elles interviendraient effectivement, elles devraient le faire avec beaucoup de décence, de distance et d’indépendance. Elles devraient juguler leur fringale de puissance et surtout faire montre d’une réelle retenue dans leurs médias.

 

Tout beuglement médiatique émis au départ d’un poste soustrait à tous les dangers de la belligérance, dans des rédactions ou des bureaux très lointains sont une nuisance, du point de vue géopolitique. Bien sûr, cela vaut aussi, et d’abord, pour les parties directement concernées. Pour le reste, la géopolitique relève bien de l’esprit de notre temps. Elle vit une nouvelle haute conjoncture.  C’est bon signe.

 

PANKRAZ.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°36/2008 – 29 août 2008 – trad. franç.: Robert Steuckers).

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R. Steuckers: entretien à "Militant" (1992)

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ARCHIVES: Un entretien de 1992, pour tous ceux qu'intéressent à l'histoire du mouvement identitaire et "néo-droitiste" (en dépit des variétés que cette appelation peut recouvrir). A noter, cet entretien a été accordé à Xavier Cheneseau quelques semaines avant la rupture définitive avec le "canal historique" (et hystérique) de la nouvelle droite centrée autour d'Alain de Benoist et au moment des accords de Maastricht. La donne internationale a considérablement changé depuis. Prière aux lecteurs de 2008 d'en tenir compte!

 

 

Entretien de Robert Steuckers à la revue «Militant»

 

I - Animateur de la «Nouvelle Droite», pensez-vous que votre mouvance a contribué à préparer le terrain pour le Front National, par exemple?

 

Je voudrais d'abord apporter une petite précision: je ne me sens ni ne me considère comme étant de «droi­te», même si j'ai souscrit à bon nombre d'ana­lyses posées par le mouvement d'Alain de Benoist, abusivement baptisé «Nouvelle Droite» par les milieux du journalisme parisien. Dans cette mouvan­ce, c'est essentiellement la «nouveauté» qui m'a sé­duit. Je ne crois pas que la «Nouvelle Droite» d'A­lain de Benoist et de Guillaume Faye ait préparé le terrain pour le Front National. Celui-ci a été porté par une dynamique qui lui est propre. Si le Front Na­tional s'était laissé inspirer par les thèses de la ND, il aurait choisi une orientation moins occiden­taliste et repris à son compte l'anti-américanisme gaul­lien; son programme économique n'aurait pas été directement calqué sur Reagan et Thatcher, mais aurait opté pour un dirigisme à la française (Déat, le néo-socialisme, le gaullisme) ou pour un auto-cen­tra­ge tel que l'a préconisé le grand économiste fran­çais François Perroux. Enfin, le poids de l'intégris­me catholique aurait été moins net dans la presse du FN, si le souffle du «paganisme néo-droitiste» l'a­vait touchée, paganisme qui, en dernière instance, est une religion de la Cité et un refus tranché de tou­te forme de cosmopolitisme.

 

2 - Ne pensez-vous pas que le succès relatif du lepénisme peut apparaître com­me un démenti cinglant à la stra­té­gie métapolitique?

 

Le succès électoral du FN, drôlement étrillé à cause des manipulations de la loi électorale, est une chose. La stratégie métapolitique en est une autre. Celle-ci n'a nullement perdu de sa validité, quand le FN a com­mencé son ascension. Par stratégie métapoli­ti­que, il faut entendre une volonté de réactiver des idées, des pratiques, des programmes, des faits d'his­toire, qui ont été refoulés par les idéologies do­minantes. Devant les effets du déclin, que nous cons­tatons tous, cette stratégie métapolitique possè­de des vertus réparatrices: elle permet, sur base d'u­ne documentation, d'une incessante combinaison de thèmes politiques et historiques, de critiquer les idéo­logies dominantes, d'en montrer les tares et les insuffisances qui conduisent à des faillites reten­tis­santes, ce que prouvent des faits comme la désin­dustrialisation de l'Europe, le chômage de masse, le déclin démographique, l'incapacité de construire une défense européenne cohérente et de fédérer les a­touts industriels de notre continent, et, enfin, le lais­ser-aller généralisé, que les sociologues contempo­rains ont appelé l'«ère du vide» de la «bof-gene­ra­tion». Le FN a obéi à une toute autre logique que celle de la «métapolitique» d'Alain de Benoist: il a réac­tivé les clivages de la IVème République, re­nonçant ainsi à prendre acte des potentialités de l'ère gaullienne: organisation de la société française selon les critères de la «participation», orientations diplo­matiques de Troisième Voie (dialogue euro-arabe, re­lations avec l'Amérique Latine, avec la Chine, l'URSS, l'Inde, etc.), indépendance militaire et nuc­léaire, centrage de l'économie (Elf-Aquitaine), grands projets technologiques (Concorde), etc. La ND, quant à elle, n'a peut-être pas assez insisté sur ces réalités, bien que les livres de Faye constituent un bon tremplin didactique pour les réinjecter dans le débat.

 

3 - Partisan d'une Europe indépen­dan­te, vous préconisez une économie au­to-centrée. Pouvez-vous dire pourquoi et comment vous comptez y arriver?

 

L'idée d'un auto-centrage de notre continent est as­sez ancienne et, dans la littérature économique, elle est récurrente. Je songe aux projets de Friedrich List (1789-1846), qui fut l'artisan du Zollverein alle­mand et des politiques protectionnistes américaines, à l'œuvre d'Anton Zischka, qui traverse le siècle, et aux théories de François Perroux, qui a démontré les atouts du centrage des économies et la nécessité, pour le bon fonctionnement de celles-ci, d'une ho­mo­généité culturelle. C'est dans cette tradition multi­céphale, refoulée, radicalement différente de celles des idéologies dominantes, que je m'inscrit. Ce qu'il faut faire, sur base de ces théories? D'abord mi­liter pour la diffusion de ces alternatives cohé­ren­tes, non utopiques et, abandonner l'a priori anti-éco­nomie des «droites», qui rend leurs programmes to­talement inopérants à long terme. Ensuite, quand ces idées pratiques auront acquis une certaine notoriété, travailler à infléchir la logique actuelle qui est mon­dialiste, qui disperse les capitaux tous azimuts et dé­laisse l'investissement dans nos pays. A l'échelon eu­ropéen, nous nous ferons les défenseurs des fu­sions industrielles internes à notre continent. En clair, nous applaudirons à des fusions comme Ma­tra-Ericsson (le cas du contrat de la CGCT), comme Volvo-Daf, comme Peugeot-Mercedes et nous lutte­rons contre les fusions qui impliquent des parte­nai­res non européens, japonais ou américains. Cette idée, nous la partageons avec beaucoup d'Euro­péens engagés dans d'autres circuits politiques et idéo­logiques que le nôtre. Nous espérons que se réa­lisera un jour la fusion de ces bonnes volontés, en dépit des étiquettes actuelles.

 

4 - La politique euro-arabe préconisée par Benoist-Méchin vous paraît-elle tou­jours applicable?

 

Le monde arabe est pluriel, malgré la force unifi­ca­trice de l'Islam ou les nostalgies nasseriennes. Le rô­le de l'Europe est de jouer la conciliation entre les parties, sans imposer quelque politique que ce soit. Les Arabes sont nos voisins et, si nous sommes réa­listes, nous devons bien admettre qu'il faut s'enten­dre avec eux pour éliminer, chez nous, les effets né­ga­tifs de Yalta. La logique des relations euro-arabes futures ne saurait plus être de type colonialiste, puis­que les Arabes disposent désormais de solides atouts dans leur jeu: pétrole, démographie en haus­se, identité politique, grands espaces. L'Europe, mal­gré son déclin démographique préoccupant, pos­sède encore et toujours les cerveaux techniciens et une infrastructure industrielle remarquable, qui a be­soin de débouchés. Les Arabes ont intérêt à s'en­ten­dre avec les Européens plutôt qu'avec les Amé­ri­cains qui financent une tête de pont dans leur es­pa­ce, Israël, qui bafoue leur dignité et ne serait pas via­ble sans cette aide. Des opérations comme l'orga­nisation de la téléphonie saoudienne par les Suédois d'Ericsson, la vente d'appareils militaires français, la reconquête des zones désertifiées en Algérie par une équipe du Baden-Wurtemberg, les pourparlers (tor­pillés) entre Belges et Libyens ou entre Français et Irakiens en matières nucléaires, les bonnes rela­tions commerciales que continue à entretenir la RFA avec l'Iran, sont autant d'opportunités qui s'offrent à nos pays de sortir de la logique binaire de Yalta, de s'affranchir des dépendances économiques impo­sées par les réseaux transnationaux téléguidés de­puis Washington et d'accroître leurs potentiels in­dus­triels. A la logique de Benoist-Méchin, qui, mal­gré son passé collaborationiste, a infléchi la politi­que de la Vème République dans un sens arabo­phi­le, doit s'ajouter la logique de Zischka, qui en 1952 avait ébauché un plan de reconquête et de renta­bi­lisation du Sahara, plan que les politiciens médio­cres de notre après-guerre n'ont pas retenu (cf. Anton Zischka, Afrique, complément de l'Europe, Laffont, 1952). L'industrialisation et la refertili­sa­tion des zones sahariennes exigeront beaucoup de main-d'œuvre et les immigrés maghrébins d'Europe pourraient y pourvoir. L'immigration, qui crée un an­ta­gonisme euro-arabe compréhensible, est un fruit du libéralisme économique: cette idéologie a tou­jours rejeté les planifications audacieuses, comme cel­les de Zischka, parce que, par idéalisme irréaliste, elle ne reconnaît pas le primat du politique. Le retour à un planisme grandiose permettrait de règler la ques­tion de l'immigration dans un sens positif. Le pé­trole des Libyens et des Saoudiens pourrait large­ment financer des projets agricoles et industriels de ce type. Les fermes libyennes, irriguées selon des pro­cédés modernes, sont d'ores et déjà des modèles du genre.

 

Autre écueil à éviter: prendre parti pour une et une seule idéologie arabe, au détriment de toutes les au­tres. Les Européens, dans leur politique arabe, ne doi­vent privilégier aucun interlocuteur: ni les nassé­riens, ni les intégristes, ni les baathistes, ni les frè­res musulmans, ni les Libyens, ni les Irakiens mais vi­ser la conciliation de tous sans s'immiscer dans les affaires intérieures des pays arabes.

 

5 - La Turquie, Israël, les pays d'Afrique du Nord ont demandé à rejoindre la CEE. Que vous inspirent ces deman­des?

 

On ne crée pas un espace économique auto-centré sans homogénéité culturelle. Les différences entre le Nord et le Sud de l'Europe, entre les pôles latin et germanique, entre les Britanniques et les Continen­taux, etc. rendent le fonctionnement de l'Europe des 12 déjà fort problématique. Si l'on y adjoint le Ma­ghreb et la Turquie, le chaos sera à son comble. Tout centrage économique sans homogénéité cultu­relle conduit à une logique implosive, à un dérè­gle­ment généralisé. Au nom des impératifs géopo­liti­ques, la Turquie et les pays du Maghreb doivent de­venir des alliés de l'Europe, dans des sphères voi­si­nes, intégrées selon les mêmes règles de l'auto-cen­trage. La Turquie, dont l'opposition politique à Tür­güt Özal ne veut pas de la CEE, a intérêt à rejouer un rôle «ottoman» au Proche-Orient et à renouer avec la Syrie, l'Irak et l'Iran, en dépit des conflits récents. Tout axe diplomatique optimal pour la Turquie s'o­riente vers le Golfe Persique, alors que l'axe occi­den­tal, choisi par Özal, conduirait Ankara à n'être qu'un appendice mineur de la CEE, mal industrialisé et incapable de tenir devant les concurrences ouest-eu­ropéennes. Les Nord-Africains, eux, doivent jouer la carte du Grand Maghreb et refuser que leurs ressortissants ne deviennent les nouveaux esclaves de l'Europe industrialisée. L'Europe doit, pour sa part, tolérer l'expansion des Etats nord-africains vers le sud et, en tant que non français, je déplore l'ac­tion retardatrice que joue sur ce plan l'armée fran­çaise au Tchad, faisant ainsi le jeu des Amé­ri­cains, ennemis de toute forme de rassemblements con­tinentaux ou sub-continentaux. Quant à Israël, un seul choix s'offre à lui, qui s'articule comme suit: renoncer à son rôle de tête de pont de l'im­pé­ria­lisme américain en Méditerranée orientale, s'en­ten­dre avec les Palestiniens comme le préconisent les di­plomates européens et l'Internationale Socialiste (cf. la récente visite d'Arafat à Strasbourg), dia­lo­guer avec les Turcs soucieux d'orienter leur diplo­matie dans un sens ottoman. L'option CEE n'est pas un remède pour Israël: en effet, comment pourrait-il y vendre ses fruits devant la concurrence espagnole? De plus, il serait excentré et détaché artificiellement de son voisinage. La faiblesse géographique de l'E­tat hébreux le rend inviable à long terme, a fortiori quand la démographie palestinienne minorise déjà le peuplement juif. Les élites israëliennes, comme les chrétiens du Liban, ont intérêt à réviser leur sio­nis­me ou leur particularisme dans la perspective d'un néo-ottomanisme: c'est pour eux une question de vie ou de mort politiques.

 

6 - L'Acte Unique européen vous paraît-il une bonne base de départ pour l'Em­pire européen à construire?

 

Votre question n'autorise pas de réponse tranchée. L'Ac­te Unique aura pour conséquence d'éliminer des secteurs viables sur le plan national mais aussi des tares locales anachroniques. L'Acte Unique fa­vo­risera les grandes entreprises capitalistes au dé­triment des PME mais créera simultanément des ins­titutions permettant une plus grande mobilité d'ac­tion pour tous. Nous restons conscients du fait que la CEE a été créée jadis pour faciliter la pénétration en Europe des capitaux du Plan Marshall mais que l'idée d'une unité continentale et d'une intégration éco­nomique est plus ancienne et ne provient pas des Etats-Unis. Le défi à affronter, complexe et à fa­cet­tes multiples, est donc le suivant: choisir une poli­ti­que d'auto-centrage mais ne pas confisquer à cer­tains Européens les relations privilégiées qu'ils en­tretiennent avec des Etats européens non membres de la CEE. Le «grand espace» de 1992 ne sera pas d'emblée un paradis, un bijou politique. Le risque d'un gigantisme stérilisant demeure, donc cette Eu­ro­pe en gestation ne doit pas se considérer comme achevée; elle doit être ouverte à toutes les candida­tu­res européennes, fermée aux candidatures non euro­péennes. Prenons quelques exemples: la Suède et la Norvège comptent des industries de pointe remar­quables, avec lesquelles les grands consortiums eu­ro­péens ont intérêt à s'entendre plutôt qu'avec des équi­valents japonais ou américains. La RDA est mem­bre du COMECON mais, par le biais des rela­tions inter-allemandes, elle constitue aussi, officieu­se­ment, le treizième Etat de la CEE; la RFA, à partir de 1992, ne devra pas renoncer à ses liens spéciaux avec la RDA ni avec les autres pays de l'Est euro­péen, car cette situation est l'amorce d'un élargisse­ment généralisé à toute l'Europe. La Grèce souhaite, pour sa part, une accentuation des relations inter-bal­kaniques. Toutes ces dynamiques et ces syner­gies, dont l'impact dépasse le cadre territorial de la CEE, ne seront possibles que quand disparaîtra l'OTAN et l'inféodation à Washington, car sinon ja­mais les Suédois, les Suises, les Autrichiens et les Yougoslaves, qui détiennent des zones cruciales en Europe, ne pourront participer à la construction de notre continent. Mes amis et moi-même, qui consti­tuons une forme de pôle germano-belge de la ND eu­ropéenne, avons souvent été accusés de pro-so­vié­tisme par des camarades français. Nous consta­tons, en revanche, que ces accusateurs sont frappés d'une étrange myopie historique et réduisent l'Eu­rope au territoire de la CEE ou à celui de l'OTAN. A l'heure où la perestroïka  de Gorbatchev est avant tou­te chose un aveu d'impuissance économique, le danger ne vient plus prioritairement de l'Est. Il vient des concurrences capitalistes extra-continentales. Le danger soviétique ne redeviendra primordial que si l'Eu­rope actuelle, celle des libéraux et des mar­chands, reste sur ses positions et refuse les dy­na­mi­ques que je viens d'évoquer. Les Russes n'auront plus qu'une solution: reconduire leur vieille alliance avec l'Amérique. Car il faut savoir que la Russie ne pactice qu'avec le plus fort: avec l'Amérique comme pendant la Guerre de Sécession  —ce qu'avait prévu Tocqueville en 1834—  ou sous Roosevelt (de 1941 à 1945) et Khroutchev (de 1959 à 1962); avec l'Allemagne (de 1939 à 1941) ou l'Europe unie quand celles-ci sont puissantes et fermes.

 

En conclusion, l'Acte Unique peut être le meilleur ou le pire: espérons au moins qu'il balaiera les ana­chronismes nationaux, portés par des politiciens sans envergure, sans mémoire historique et, surtout, sans vision d'avenir grandiose.

 

mardi, 02 septembre 2008

Analyse géopolitique des événements de Géorgie

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John LAUGHLAND:

Analyse géopolitique des événements de Géorgie

 

Sir Halford John Mackinder (1861-1947), professeur de géographie à l’Université d’Oxford, directeur de la London School of Economics et membre du Parlement, est généralement considéré comme le fondateur de la “géographie politique”. Profondément pénétré de l’idée très britannique qu’il est nécessiare de maintenir l’équilibre entre les puissances du continent pour pouvoir conserver l’hégémonie sur la mer, Mackinder, en 1904, pose sa fameuse affirmation: l’Eurasie est le pivot géographique de l’histoire mondiale; de cette affirmation découle que celui qui contrôle l’Europe orientale contrôle simultanément l’Eurasie et, par conséquence, le monde entier.

 

Ses écrits ont eu une influence énorme, qui s’exerce encore aujourd’hui: Zbigniew Brzezinski, le conseiller de Jimmy Carter pour les questions de sécurité nationale, est l’un des principaux débiteurs actuels de Mackinder, notamment pour sa théorie qui veut que l’Amérique doit exercer un contrôle sur l’Asie centrale pour consolider sa propre hégémonie dans le monde. Cependant, les férus actuels de géopolitique ne se rappellent guère que le sommet de la carrière politique de Mackinder fut atteint en 1919, lorsque Lord Curzon, ministre des affaires étrangères, le nomma Haut Commissaire britannique pour la Russie méridionale.

 

La Grande-Bretagne de l’époque avait envoyé des troupes en Russie méridionale pour combattre aux côtés des forces anti-bolcheviques commandées par le Général Denikine. Mackinder avait persuadé ce dernier de reconnaître l’indépendance des peuples du Caucase en cas de victoire blanche; dès que Mackinder s’en retourna à Londres, il déclara que la Grande-Bretagne aurait dû forger une alliance entre une Ukraine indépendante et les Etats du Caucase et maintenir un contrôle sur la ligne de chemin de fer Bakou/Batoum afin de ne pas mettre en danger les fournitures de pétrole en provenance de la Caspienne et afin d’empêcher les Bolcheviques de règner sur l’ensemble des côtes septentrionales de la Mer Noire. A l’époque, la Grande-Bretagne n’opta pas pour cette politique et l’Union Soviétique de Lénine a fini par contrôler efficacement tous les territoires qui avaient appartenu jadis à l’Empire russe (même si elle le transforma en une “fédération”). La vision de Mackinder, elle, n’est devenue réalité qu’un peu moins d’un siècle plus tard, en 1991, au moment de l’effondrement de l’Union Soviétique.

 

C’est à la lumière de cette perspective historique et idéologique que nous devons appréhender, aujourd’hui, le soutien énergique qu’ont apporté les géo-stratèges américains à l’adhésion à l’OTAN de tous les pays riverains de la Mer Noire qui ne le sont pas encore, c’est-à-dire l’Ukraine et la Géorgie. Comme Mackinder jadis, les géo-stratèges américains actuels veulent transformer la Mer Noire en un lac “otanique” et expulser la Russie de tous les territoires pontiques qu’elle a absorbés au cours de l’histoire. Leurs objectifs sont au nombre de trois: 1) protéger les fournitures énergétiques; 2) contribuer à la “démocratisation” (c’est-à-dire à l’occidentalisation) du “Grand Moyen-Orient” de Casablanca à Kaboul; et 3) infliger une défaite décisive à la Russie sur le plan géostratégique. Ces objectifs expliquent pourquoi l’Occident a soutenu Victor Youchtchenko en Ukraine, un politicien pro-OTAN, ainsi que la décision du gouvernement géorgien de reprendre le contrôle de deux provinces séparatistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, où les tensions se sont dangereusement amplifiées, avec des dizaines de tués lors d’un affrontement aux abords de la capitale sud-ossète Tskhinvali.

 

Quelles sont les chances de succès de l’Occident dans son entreprise? Certes, plusieurs éléments de la théorie de Mackinder ont déjà été traduits dans le réel: l’UE et l’OTAN ont été élargies en direction de l’Est et l’influence de l’Occident vient de progresser en Serbie. Le projet de créer un bouclier “anti-missiles” en Europe orientale avance également et, quand il sera parachevé, il constituera indubitablement une menace pour la Russie. Mais la violence dans le Caucase, si elle s’intensifie, sera la première véritable guerre pour un objectif stratégique depuis l’invasion de l’Irak en 2003; l’ “indépendance” du Kosovo, elle, a été obtenue sans qu’un seul coup de feu n’ait été tiré.

 

Dans son dernier livre, “Le nouveau XXIe siècle”, l’économiste français Jacques Sapir écrit, de manière particulièrement convaincante, que le projet de créer un empire mondial américain est mort-né et cela, depuis 2003. Bien sûr, le projet agite encore l’esprit de quelques fanatiques à Washington.

 

Evidemment, l’économie et la politique des Etats-Unis continuent d’être lourdement influencées par l’industrie militaire, qui stipendie les politiciens pour qu’ils plaident la cause d’un expansionisme militaire, qui a encore le vent en poupe. Enfin, il est patent aussi que les Etats-Unis font montre d’une tendance inquiétante à susciter de nouvelles crises pour distraire l’attention des observateurs, afin qu’ils n’examinent plus trop les crises plus anciennes.

 

Mais les guerres d’usure en Irak et en Afghanistan démontrent que les Etats-Unis ne peuvent effectivement “démocratiser” le Moyen-Orient ni le contrôler véritablement; il s’avère dès lors de plus en plus difficile, dans de telles conditions, de songer à vouloir contrôler toute l’Asie centrale, pour ne pas évoquer l’ensemble du monde. L’armée américaine, finalement, n’est pas assez nombreuse. On peut douter que Washington décide d’envoyer ses propres troupes pour combattre contre les forces pro-russes (ou russes) en Géorgie, même si une telle éventualité reste malgré tout fort probable si John McCain devient président. Mais il ne sera pas nécessairement vrai que “celui qui contrôle Tskhinvali, contrôle le monde”. Néanmoins, l’issue de cette guerre décidera de l’équilibre des forces entre la Russie et l’Amérique dans les prochaines années à venir.

 

John LAUGHLAND.

(article paru dans “Rinascita”, Rome, 12 août 2008; trad. franç.: Robert Steuckers).

A. J. Langbehn: le prophète solitaire de la simplicité

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August Julius Langbehn: le prophète solitaire de la simplicité

Hommage à l'Allemand qui aimait Rembrandt à l'occasion du 90ième anniversaire de sa mort

 

Dans les années 90 du siècle passé, la bourgeoisie cultivée allemande, la Bildungsbürgertum, a été saisie par un malaise culturel, qui s'était lentement insinué dans les esprits à partir de la fondation du IIième Reich et avait atteint son point culminant dans l'atmosphère “fin-de-siècle” vers 1900. Dans cette époque de désorientement culturel où l'on recherchait de nouvelles voies, un nouveau livre est paru avec un titre tout aussi prophétique que mystérieux: Rembrandt als Erzieher - Vom einen Deutschen (= Rembrandt comme éducateur. Par un Allemand). L'auteur restait en effet anonyme. Mais son livre deviendra vite l'un des plus gros succès de librairie du siècle. Edité pour la première fois en 1890, il connaîtra 43 éditions rien que dans les trois années suivantes.

 

L'auteur, August Julius Langbehn, est pratiquement tombé dans l'oubli aujourd'hui. Né en 1851 dans le Nord du Slesvig/Schleswig dans la famille d'un vice-recteur de Gymnasium, Langbehn sombra vite dans la détresse matérielle après la mort prématurée de son père, ce qui ne l'empêcha pas, à terme, de s'inscrire dans les universités de Kiel et de Munich dès 1869, où il termina des études de philologie et de science naturelle. Après un long voyage en Italie, il se tourna finalement vers l'archéologie des premiers âges de la Grèce antique. Il termine ces études en 1880 et rédige un mémoire. Pendant et après ses études, qui ont duré dix ans, Langbehn a vécu une existence nomade, instable et très précaire. Mais jamais il n'a exercé de profession parallèle; pendant longtemps, il n'a vécu que de petites publications ou des dons de quelques mécènes comme le peintre Wilhelm Leibl et Hans Thoma.

 

Le livre Rembrandt als Erzieher  est le reflet de la conception que Langbehn se faisait de la vie. En plein milieu d'un siècle scientifique, perclus de positivisme et de modernité, d'un siècle qui voit émerger partout des mégapoles où croît démesurément l'importance de l'économie et du capital, Langbehn voulait annoncer et préfigurer une ère nouvelle placée sous l'enseigne de cet esprit prémoderne que fut l'idéalisme, un esprit qu'il espérait capable de propulser dans l'avenir le meilleur de la culture allemande. En écrivant ce livre, Langbehn était l'un des premiers en Allemagne à affirmer ouvertement, dans un langage clair, ce qu'une grande partie des bourgeois cultivés allemands ressentait confusément. Langbehn écrivait ainsi avec ses propres mots  —et portés par d'autres intentions—  ce qu'avant lui Nietzsche et Paul de Lagarde avaient exprimé dans leurs critiques de la culture européenne: à l'effondrement du système des valeurs qui avait dominé jusque là, il fallait répondre par un retour conscient aux valeurs spécifiques de son propre peuple. Pour Langbehn, outre le retour aux sources de la paysannerie allemande, il fallait aussi s'adonner totalement à l'art. Un art véritable, pensait-il, ne pouvait émerger et s'amplifier qu'au départ de cette force intacte du paysannat allemand, non encore appauvri dans ses instincts. C'est la raison pour laquelle les attaques critiques de Langbehn contre la culture dominante concernaient en première instance le scientisme. Par haine contre toutes les formes d'intellectualisme, il avait déchiré son propre diplôme de doctorat et l'avait renvoyé chez le doyen de l'université de Munich, afin d'être rayé de la liste des diplômés. A une culture trop savante et trop compilatoire, il opposait la simplicité comme “médicament pour les maux du présent”.

 

Bien que Langbehn se soit considéré comme un aristocrate, il était un défenseur véhément de la “communauté populaire” (Volksgemeinschaft). Très tôt, il souleva la question sociale et voulut dépasser les clivages entre classes. Peu sensible aux contradictions, il réclamait l'avènement d'un Ständestaat  et un retour de l'aristocratie au pouvoir, de façon “à ce que chacun puisse conserver sa dignité à sa place et faire valoir sa personnalité”, et “se soumettre volontairement à ceux qui sont au-dessus de lui”.

 

Le catholicisme d'un éternel enfant

 

A juste titre, on a reproché à Langbehn d'avoir produit un mauvais livre à l'écriture trop pathétique, un livre illisible véhiculant dans ses idées beaucoup trop de contradictions: une “rhapsodie d'irrationalisme” (Fritz Stern). D'autres en revanche le nommaient un “visionnaire”, un “homme à la quête de Dieu” ou un “héraut dans le désert”. C'est un fait: pendant toute sa vie, Langbehn a cherché. Issu d'un foyer au protestantisme strict, il se convertit en 1900 au catholicisme, dans l'espoir d'y trouver l'“holicité originelle perdue”. A ce propos, il a dit: “J'ai toujours été enfant et c'est en tant qu'enfant que je me sens attiré par la nature maternelle de l'église catholique”. C'est justement parce que le nationalisme et l'idée grande-allemande chez Langbehn ont pris ultérieurement des formes plus catholiques et que sa critique de la culture dominante s'en ressentait, que les nationaux-socialistes ont pris leurs distances par rapport à son œuvre. Son ouvrage principal, Rembrandt als Erzieher, a encore connu une édition en 1943  —sans doute parce qu'il avait des connotations antisémites—  mais depuis longtemps déjà la diffusion de ses ouvrages ne recevait plus aucun soutien.

 

Mais c'est essentiellement dans le mouvement de jeunesse que l'influence de Langbehn a duré le plus longtemps sans fléchir. Le fondateur du mouvement Wandervogel, Karl Fischer, le pédagogue et réformateur Ludwig Gurlitt, de même que Hans Blüher, étaient des disciples de Langbehn. Après la mort de Langbehn lors de son voyage à Rosenheim en 1907, il fut, selon ses vœux, enterré dans le village de Puch, près de Fürstenfeldbruck, sous un tilleul qui avait servi de toit à Sainte-Edigna au moyen-âge. Les garçons et les filles du mouvement de jeunesse ont fait de cette tombe un lieu de pélérinage. Ils voulaient honorer le “Rembrandtdeutscher” et se souvenir de lui.

 

Frank LISSON.

(texte paru dans Junge Freiheit, n°18/1997; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

lundi, 01 septembre 2008

Guerre du Caucase: chronologie des événements

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Soldats géorgiens en manoeuvre

 

Andreï ARECHEV:

Guerre du Caucase: chronologie des événements

 

Dans la chronologie des événements, qui ont précédé l’agression géorgienne contre l’Ossétie du Sud, il y a un aspect qui mérite tout particulièrement notre attention: le 31 juillet s’étaient clôturées des manoeuvres communes, regroupant unités géorgiennes et unités américaines, que l’on avait baptisées “Immediate Response 2008”; au cours de ces exercices, les instructeurs américains avaient entraîné les forces armées géorgiennes à parachever des “opérations de nettoyage” contre des terroristes embusqués en zones résidentielles. Les exercices comprenaient des actions comme nettoyer un village des terroristes qui s’y dissimulaient, probablement en vue des engagements futurs des soldats géorgiens en Irak, et de mettre en lieu sûr les populations civiles; Les atrocités commises par les forces géorgiennes à Tskhinvali sont donc le résultat de l’entraînement qu’elles ont reçues de leurs instructeurs occidentaux sous la couverture cynique de “lutte contre le terrorisme”. Les véritables objectifs sont bien entendu complètement différents. L’ancien ministre géorgien des affaires étrangères, Salome Zurabishvili, qui est indubitablement une personnalité bien informée, a déclaré que la présence des Etats-Unis en Géorgie impliquait le déploiement d’une vaste gamme d’activités, parmi lesquelles l’instruction des forces armées et le contrôle du corridor de grande importance stratégique qui passe par le Caucase, où est notamment installé le tracé de l’oléoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan. Selon Zurabishvili, c’est là l’objectif principal du conflit actuel, qui oppose la Géorgie à la Russie et renforce simultanément la loyauté qu’éprouvent désormais les Géorgiens à l’égard des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ce qui permet à ces deux dernières puissances de contrôler la Géorgie et, par voie de conséquence, l’ensemble du versant méridional du Caucase.

 

Il faut également noter que l’intensification du conflit caucasien, aux confins méridionaux de la Russie, a coïncidé avec les tensions qui ont agité la région autonome chinoise du Xinjiang, où, alors que commençaient les Jeux Olympiques, une attaque terroriste a été commise. Quelques jours auparavant, à Bishkek, la capitale du Kirghizistan, on avait découvert un dépôt illégal d’armes, près duquel résidaient une dizaine de militaires américains et plusieurs diplomates de l’ambassade des Etats-Unis dans ce pays  d’Asie centrale. L’agression de la Géorgie contre l’Ossétie du Sud est un acte de guerre, dans une guerre qui se déroulera dans l’intérêt de tierces puissances et où les Géorgiens sont destinés à jouer le rôle de chair à canon. Si l’agression contre cette petite région caucasienne ne trouve pas rapidement bonne fin, d’autres conflits régionaux seront inévitables et prendront à coup sûr une ampleur bien plus dramatique.

 

Andreï ARECHEV.

(extrait d’un article paru dans “Rinascita”, Rome, 12  août 2008; trad. franç.: Robert Steuckers).

Les Indo-Européens dans la Chine antique

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Reconstitution d'une des momies d'Urumtchi

 

Les Indo-Européens dans la Chine antique

Dans le livre troisième de son fameux Essai sur l'inégalité des races humaines, publié dans les années 50 du 19ième siècle, Arthur de Gobineau décrivait les flux migratoires des peuples indo-européens en Orient et relevait que «vers l'année 177 av. J. C., on rencontrait de nombreuses nations blanches à cheveux clairs ou roux et aux yeux bleus, in­stal­lées sur les frontières occidentales de la Chine. Les scribes du Céleste Empire, auxquels nous devons de connaître ce fait, citent cinq de ces nations… Les deux plus connues sont le Yüeh-chi et les Wu-suen. Ces deux peuples habitaient au nord du Hwang-ho, aux confins du désert de Gobi… De mê­me, le Céleste Empire avaient pour sujets, au sein de ses provinces du Sud, des nations aryennes-hindoues, immi­grées au début de son histoire» (1).

Arthur de Gobineau tirait ses informations des études de Ritter (Erdkunde, Asien) et de von Humboldt (Asie centra­le); tous deux se basaient sur les annales chinoises de la dynastie han, dont les premiers souverains ont commencé leur règne en 206 av. J. C. De fait, nous savons aujourd'hui que, dès le 4ième siècle avant J.C., les documents histo­riques du Céleste Empire évoquaient des peuples aux che­veux clairs, de mentalité guerrière, habitant sur les confins du territoire, dans ce que nous appelons aujourd'hui le Tur­kestan chinois ou le Xinjiang. Selon Gobineau, ces faits at­testaient de la puissance expansive et implicitement civi­lisatrice des populations "blanches". Mais, au-delà des in­ter­prétations unilatérales et, en tant que telles, inac­cepta­bles de l'écrivain français, presque personne n'a pris en con­sidération la signification que ces informations auraient pu revêtir pour retracer l'histoire de la culture et des in­fluences culturelles, sur un mode moins banal et linéaire que celui qui était en vogue au 19ième siècle.

On a plutôt eu tendance à rester incrédule quant à la fia­bilité des annales, parce qu'on était animé par un in­décrottable préjugé euro-centrique, selon lequel les peu­ples de couleurs étaient en somme des enfants un peu fan­tas­ques, incapables de saisir l'histoire dans sa concrétude. En outre, à l'époque, il était impossible de vérifier la pré­sence de ces populations "blanches" : même en admettant qu'elles aient existé, personne ne pouvait dire depuis com­bien de temps elles avaient disparu, noyées dans la mer mon­tante des populations asiatiques voisines. Cette zone géographique, jadis traversée par la légendaire "route de la soie" et devenue depuis longtemps en grande partie dé­sertique, était devenue inaccessible aux Européens, qui ne pouvaient évidemment pas y mener à bien des études ar­chéologiques sérieuses et approfondies.

Latin, irlandais ancien et tokharien

Comme l'a souligné Colin Renfrew, célèbre pour ses recher­ches sur les migrations indo-européennes, ce n'est qu'au dé­but du 20ième siècle que les premiers érudits ont pu s'a­ven­turer dans la région, en particulier dans la dépression du Ta­rim et dans diverses zones avoisinantes (2). Ils ont trou­vé de nombreux matériaux, bien conservés grâce à l'ex­trême aridité du climat désertique qui règne là-bas. Il s'agit essen­tiellement de textes en deux langues, écrits dans une lan­gue jusqu'alors inconnue, qui utilisait cependant un al­pha­bet du Nord de l'Inde; à côté du texte en cette langue, fi­gurait le même texte en sanskrit. Ce qui a permis de la com­prendre et de l'étudier assez rapidement. Cette langue a été appelée par la suite le "tokharien", dénomination que l'on peut juger aujourd'hui impropre. Elle se présentait sous deux formes légèrement différentes l'une de l'autre, qui ré­vélaient "diverses caractéristiques grammaticales les liant au groupe indo-européen" (3). Notons le fait que les res­sem­blances les plus frappantes liaient cette langue au cel­tique et au germanique, plutôt qu'aux groupes plus proches de l'iranien et des autres langues aryennes d'Asie. A titre d'exemple, nous comparerons quelques mots fondamentaux que l'on retrouve respectivement en latin, en irlandais an­cien et en tokharien. "Père" se dit "pater", "athir" et "pa­cer"; "Mère" se dit "mater", "mathir" et "macer"; ""Frère" se dit "frater", "brathir" et "procer"; "Sœur" se dit "soror", "siur" et "ser"; "Chien" se dit "canis", "cu" et "ku" (4). A titre de cu­riosité, signalons une autre correspondance: le nombre "trois" se dit "tres" en latin, "tri" en irlandais ancien et "tre" en tokharien.

Les affinités sont donc plus qu'évidentes. «Les documents remontent aux 7ième et 8ième siècles après J. C. et com­pren­nent des correspondances et des comptes rendus émanant de monastères… Des deux versions de la langue tokharien­ne, la première, nommée le "tokharien A" se retrouve éga­lement dans des textes découverts dans les cités de Ka­rashar et de Tourfan, ce qui a amené certains savants à l'ap­peler le "tourfanien". L'autre version, appelée "tokha­rien B", se retrouve dans de nombreux documents et textes trouvés à Koucha et donc baptisée "kouchéen" (5).

Processus endogène ou influence exogène? 

Aujourd'hui, on tend à penser que ces langues ont été par­lées par les Yüeh-chi (ou "Yü-chi"), le peuple mentionné dans les annales antiques, peuple qui avait entretenu des contacts prolongés avec le monde chinois. C'est là un point fondamental, qui est resté longtemps sans solution. En fait, sur la naissance de la civilisation chinoise, deux opinions s'affrontent : l'une entend privilégier un processus entiè­rement endogène, sans aucune influence extérieure d'au­tres peuples; l'autre, au contraire, met en évidence des apports importants, fondamentaux même, venus d'aires cul­turelles très différentes. La première thèse est na­tu­rellement la thèse officielle des Chinois, mais aussi celle de tous ceux qui s'opposent à toute conception de l'histoire qui pourrait donner lieu à des hypothèses "proto-colonialistes" vo­yant en l'Occident la matrice de tout progrès. Les dé­fenseurs les plus convaincants de la thèse "exogène" —c'est-à-dire Gobineau, déjà cité, mais aussi Spengler, Kossina, Gün­ther, Jettmar, Romualdi, etc.—  sont ceux qui souli­gnent, de manières très différentes, le rôle civilisateur des peuples indo-européens au cours de leurs migrations, par­ties de leur patrie primordiale, pour aboutir dans les con­trées lointaines auxquelles ils ont donné une impulsion bien spécifique. Bien sûr, dans certains cas, ces auteurs ont con­staté que l'apport culturel n'a pas été suffisamment fort pour "donner forme" à une nouvelle nation, vu le nombre réduit des nouveaux venus face aux populations indigènes; néanmoins, la simple présence d'une influence indo-euro­péenne a suffit, pour ces auteurs, pour imprimer une im­pul­sion vivifiante et pour animer un développement chez ces peuples avec lesquels les migrants indo-européens en­traient en contact. Ce serait le cas de la Chine avec les Tokhariens.

Par exemple, Spengler (6) souligne l'importance capitale de l'introduction du char de guerre indo-européen dans l'évolution de la société chinoise au temps de la dynastie Chou (1111-268 av. J. C.). D'autres auteurs, comme Hans Gün­ther, plusieurs dizaines d'années plus tard, avait avancé plusieurs hypothèses bien articulées et étayées de faits importants, attribuant à cette pénétration de peuples indo-européens l'introduction de l'agriculture parmi les tributs nomades d'Asie centrale, vers la moitié du deuxième millé­naire; il démontrait en outre comment l'agriculture s'était répandue en Asie centrale, parallèlement à l'expansion de populations de souche nordique.

Bronze et chars de guerre

De même, l'introduction du bronze en Chine semble, elle aussi, remonter aux invasions indo-européennes; ensuite, on peut supposer qu'aux débuts de l'histoire chinoise, il y a eu l'invasion d'un peuple équipé de chars de guerre, venu du lointain Occident. Par ailleurs, on peut dire que les sinologues actuels reconnaissent tous l'extrême importance du travail et du commerce du bronze dans le dévelop­pe­ment de la société en Chine antique (7). La même impor­tance est attribuée aujourd'hui, par de plus nombreux sino­logues, à l'introduction de certaines techniques agricoles et du char hippo-tracté.

Les études de Günther sur le parallélisme entre la présence de peuples aux cheveux clairs et la diffusion de la culture indo-européenne en Asie ont d'abord été diabolisées et os­tracisées, mais, aujourd'hui, au regard des apports nou­veaux de l'archéologie, elles méritent une attention nou­velle, du moins pour les éléments de ces études qui de­meu­rent valables. Peu d'érudits se rappellent que, dans l'oasis de Tourfan, dans le Turkestan chinois, où vivaient les To­khariens, on peut encore voir des fresques sur lesquelles les ressortissants de ce peuple sont représentés avec des traits nettement nord-européens et des cheveux clairs (8). C'est une confirmation de la fiabilité des annales du Céleste Em­pire. On ne peut donc plus nier un certain enchaînement de faits, d'autant plus que l'on dispose depuis quelques années de preuves plus directes et convaincantes de cette in­stallation très ancienne d'éléments démographiques indo-européens dans la zone asiatique que nous venons d'évo­quer. Ces installations ont eu lieu à l'époque des grandes mi­grations aryennes vers l'Est (2ième millénaire avant J. C.), donc avant que ne se manifestent certains aspects de la ci­vilisation chinoise.

Ces preuves, disions-nous, nous n'en disposons que depuis quelques années…

Les traits europoïdes des momies d'Ürümtchi

En 1987, Victor Mair, sinologue auprès de l'Université de Pennsylvanie, visite le musée de la ville d'Ürümtchi, capita­le de la région autonome du Xinjiang. Il y voit des choses qui provoquent chez lui un choc mémorable. Il s'agit des corps momifiés par cause naturelle de toute une famille : un homme, une femme et un garçonnet de deux ou trois ans. Ils se trouvaient dans une vitrine. On les avait dé­couverts en 1978 dans la dépression du Tarim, au sud du Tian Shan (les Montagnes Célestes) et, plus particu­lière­ment, dans le désert du Taklamakan (un pays peu hos­pi­ta­lier à en juger par la signification de son nom : "on y entre et on sort plus!").

Plusieurs années plus tard, Mair déclare au rédacteur du men­­suel américain Discover : «Aujourd'hui encore, je res­sens un frisson en pensant à cette première rencontre. Les Chinois me disaient que ces corps avaient 3000 ans, mais ils semblaient avoir été enterrés hier» (9). Mais le véritable choc est venu quand le savant américain s'est mis à ob­ser­ver de plus près leurs traits. Ils contrastaient vraiment avec ceux des populations asiatiques de souche sino-mon­gole; ces corps momifiés présentaient des caractéristiques soma­tiques qui, à l'évidence, étaient de type européen et, plus précisément, nord-européen. En fait, Mair a noté que leurs cheveux étaient ondulés, blonds ou roux; leurs nez étaient longs et droits; ils n'avaient pas d'yeux bridés; leurs os é­taient longs (leur structure longiligne contrastait avec cel­le, trapue, des populations jaunes). La couleur de leur épi­derme —maintenu quasi intact pendant des millénaires, ce qui est à peine croyable—  était typique de celle des po­pu­lations blanches. L'homme avait une barbe épaisse et drue. Toutes ces caractéristiques sont absentes au sein des po­pulations jaunes d'Asie.

Les trois "momies" (il serait plus exact de dire les trois corps desséchés par le climat extrêmement sec de la région et conservés par le haut taux de salinité du terrain, qui a empêché la croissance des bactéries nécrophages) consti­tuaient les exemplaires les plus représentatifs d'une série de corps —à peu près une centaine— que les Chinois avaient déterrés dans les zones voisines. Sur base des datations au radiocarbone (10), effectuées au cours des années précé­den­tes par des chercheurs locaux, on peut dire que ces corps avaient un âge variant entre 4000 et 2300 ans. Ce qui nous amène à penser que la population, dont ils étaient des ressortissants, avait vécu et prospéré pendant assez long­temps dans cette région, dont la géologie et le climat de­vaient être plus hospitaliers dans ce passé fort lointain (on y a d'ailleurs retrouvé de nombreux troncs d'arbre dessé­chés).

Spirales et tartans

Le matériel funéraire et les vêtements de ces "momies", eux aussi, se sont révélés fort intéressants. Par exemple: la présence de symboles solaires, comme des spirales et des swastikas, représentés sur les harnais et la sellerie des che­vaux, relie une fois de plus ces personnes aux Aryens de l'antiquité, sur le plan culturel.

L'étoffe utilisée pour fabriquer leurs vêtements était la lai­ne, qui fut introduite en Orient par des peuples venus de l'Ouest. Le "peuple des momies" connaissait bien l'art du tis­sage: on peut l'affirmer non seulement parce que l'on a re­trouvé de nombreuses roues de métier à tisser dans la ré­gion mais aussi parce que les tissus découverts sont d'une excellente facture. Pour attester des relations avec le Cé­leste Empire, on peut évoquer une donnée supplémentaire: la présence d'une petite composante de soie dans les effets les plus récents (postérieurs au 6ième siècle av. J. C.), qui ont de toute évidence été achetés aux Chinois. Les autres éléments vestimentaires, dans la majeure partie des cas, dé­montrent qu'il y avait des rapports étroits avec les cul­tu­res indo-européennes occidentales; le lot comprend notam­ment des vestes ornées et doublées de fourrure et des pan­talons longs.

Plus révélateur encore: on a retrouvé dans une tombe un fragment de tissu quasi identique aux "tartans" celtes (11) dé­couverts au Danemark et dans l'aire culturelle de Hall­statt en Autriche, qui s'est développée après la moitié du 2ième millénaire avant J. C., donc à une époque contempo­rai­ne de celle de ces populations blanches du Xinjiang. Si l'on pose l'hypothèse que les Celtes d'Europe furent les an­cêtres directs de ces Tokhariens (ou étaient les Tokhariens tout simplement), cette preuve archéologique s'accorde bien avec ce que nous disions plus haut à propos des simi­litudes entre la langue celtique et celle des Indo-Européens du Turkestan chinois : les deux données, l'une linguistique, l'autre archéologique, se renforcent l'une l'autre.

Chapeau à pointe et coquillages

Autre élément intéressant : la découverte d'un couvre-chef à pointe, à larges bords, que l'on a défini, avec humour, comme un "chapeau de sorcière"; il était placé sur la tête de l'une des momies de sexe féminin, remontant à environ 4000 années. Ce chapeau ressemble très fort à certains cou­vre-chef utilisés par les Scythes, peuple guerrier de la step­pe, et qu'on retrouve également dans la culture ira­nien­ne (on pense aux chapeaux des Mages). Ces populations étaient des populations d'agriculteurs, comme le prouve la présence de semences dans les bourses. Elles avaient éga­lement des rapports avec des populations vivant en bord de mer, vu que l'on a retrouvé près des momies ou sur elles de nombreux coquillages de mollusques marins.

L'intérêt extrême de ces vestiges a conduit à procéder à quel­­ques études anthropologiques (principalement d'an­thro­­­po­métrie classique), sous la direction de Han Kangxin de l'Académie Chinoise des Sciences Sociales (Beijing). Ces études ont confirmé ce que le premier coup d'œil déjà per­mettait d'entrevoir : dans de nombreux cas, les proportions des corps, des crânes et de la structure générale du sque­lette, ne correspondent pas à celles des populations asia­tiques jaunes, tandis qu'elles correspondent parfaitement à celles que l'on attribue habituellement aux Européens, sur­tout aux Européens du Nord.

Par le truchement de l'archéologie génétique, on pourra obtenir des données encore plus précises, pour élucider ultérieurement les origines et la parenté de ce peuple my­stérieux. La technique, très récente, se base sur la com­pa­raison de l'ADN mitochondrial (12) des diverses populations, que l'on veut comparer, afin d'en évaluer la distance gé­nétique. L'un des avantages de cette technique réside dans le fait que l'on peut aussi analyser l'ADN des individus dé­cé­dés depuis longtemps, tout en restant bien sûr très at­ten­tif, pour éviter d'éventuelles contaminations venues de l'en­vironnement (par exemple, les contaminations dues aux bactéries) ou provoquées par la manipulation des échan­tillons. L'archéologie génétique s'avère utile, de ce fait, quand on veut établir un lien, en partant des molécules, entre l'anthropologie physique et la génétique des popu­la­tions.

Les premiers tests ont été effectués par un chercheur ita­lien, le Professeur Paolo Francalacci de l'Université de Sassari. Ils ont confirmé ultérieurement l'appartenance des in­dividus analysés aux populations de souche indo-euro­péenne, dans la mesure où l'ADN mitochondrial, qui a été extrait et déterminé, appartient à un aplotype fréquent en Europe (apl. H) et pratiquement inexistant au sein des po­pulations mongoloïdes (13). Les autorités de Beijing n'ont autorisé l'analyse que d'un nombre réduit d'échantillons; beaucoup restent à étudier, en admettant que les autorisa­tions soient encore accordées dans l'avenir.

Traits somatiques des Ouïghours

Enfin, il faut également signaler que les habitants actuels du Turkestan chinois, les Ouïghours, présentent des traits so­matiques mixtes, où les caractéristiques physiques euro­poï­des se mêlent aux asiatiques. On peut donc dire que nous nous trouvons face à une situation anthropologique où des ethnies de souches diverses se sont mélangées pour former, en ultime instance, un nouveau peuple. Ce n'est donc pas un hasard si les autorités de Beijing craignent que la démonstration scientifique de l'existence de tribus blan­ches parmi les ancêtres fondateurs de l'ethnie ouïghour con­tribue à renforcer leur identité culturelle et qu'au fil du temps débouche sur des aspirations indépendantistes, vio­lem­ment anti-chinoises, qui sont déjà présentes. Cette si­tua­tion explique pourquoi les Chinois boycottent quasi ou­ver­tement les recherches menées par Mair et ses colla­bo­ra­teurs.

En conclusion, l'ampleur, la solidité et la cohérence des don­nées obtenues contribuent à confirmer les intuitions de tous les auteurs, longtemps ignorés, qui ont avancé l'hy­po­thèse d'une contribution extérieure à la formation de la ci­vilisation chinoise. Cette contribution provient de tribus ar­yennes (ndlr: ou "proto-iraniennes", selon la terminologie de Colin McEvedy que nous préférons utiliser), comme sem­ble l'attester les découvertes effectuées sur les "momies", et permet d'émettre l'hypothèse que le bronze et d'autres acquisitions importantes ont été introduites directement, et non plus "médiatement", par ces tribus dans l'aire cul­turelle de la Chine antique.

Par exemple, Edward Pulleyblank a souligné récemment qu'il «existait des signes indubitables d'importations venues de l'Ouest : le blé et l'orge, donc tout ce qui relève de la cul­ture des céréales, et surtout le char hippo-tracté, …, sont plus que probablement des stimuli venus de l'Ouest, ayant eu une fonction importante dans la naissance de l'âge du bronze en Chine» (14).

Bien sûr, cette découverte ne conteste nullement la for­midable originalité de la grande culture du Céleste Empire, mais se borne à mettre en évidence quelques aspects fon­damentaux dans sa genèse et dans son évolution ultérieure, tout en reconnaissant à juste titre le rôle joué par les no­ma­des antiques venus d'Europe.

Giovanni MONASTRA.

(e mail: g_monastra@estovest.org ; texte paru dans Per­corsi, anno III, 1999, n°23; le texte original italien est sur:

http://www.estovest.org/identita/indocina.html... ; trad. franç.: Robert Steuckers).

Notes :

[1] Arthur de Gobineau, Saggio sulla disuguaglianza delle razze umane, Rizzoli, Milano 1997, p. 443.

[2] Colin Renfrew, Archeologia e linguaggio, Laterza, Bari 1989, p. 77.

[3] ibidem, p. 79.

[4] Les Chinois, pour désigner le chien, utilisent le terme "kuan", qui est quasiment le seul et unique mot de leur langue qui ressemble au latin "canis" ou à l'italien "cane", sans doute parce que le chien domestique à été introduit dans leur société par des populations indo-européennes, qui ont laissé une trace de cette transmission dans le nom de l'animal.

[5] Colin Renfrew, Archeologia ecc.cit., pp. 78-9.

[6] Oswald Spengler, Reden und Aufsätze, Monaco 1937, p. 151.

[7] Jacques Gernet, La Cina Antica, Luni, Milano 1994, pp. 33-4.

[8] Luigi Luca Cavalli-Sforza, Geni, Popoli e Lingue, Adelphi, Milano 1996, p. 156.

[9] Discover, 15, 4, 1994, p. 68.

[10] La méthode du radiocarbone (14C) se base sur le fait que dans tout organe vivant, outre l'atome de carbone normal (12C), on trouve aussi une certaine quantité de son isotope, le radiocarbone, qui se réduit de manière constante, pour devenir un isotope de l'azote. Tandis que le rapport entre 14C et 12C reste stable quand l'organisme est en vie, cet équilibre cesse d'exister à partir du moment où il meurt; à partir de cette mort, on observe un déclin constant qui implique la disparition du radiocarbone, qui diminue de moitié tous les 5730 ans. De ce fait, il suffit, dans un échan­tillon, de connaître le rapport entre deux isotopes pour pouvoir calculer les années écoulées depuis la mort de l'organisme. La mé­thode connaît cependant une limite : elle ne peut pas s'utiliser pour des objets d'investigation de plus de 70.000 ans. 

[11] Archaeology, Marzo 1995, pp. 28-35. Le "tartan" est une étoffe typique du plaid écossais. Pour se documenter plus précisément sur les divers éléments liés aux textiles et aux vêtements de ce peuple, nous recommandons la lecture d'un ouvrage excellent et exhaustif, comprenant de nombreuses comparaisons avec les équivalents en zone européenne : Elizabeth Wayland Barber, The Mummies of Ürümchi, W. W. Norton & Company, Inc., New York, 1999.

[12] Les mitochondries sont des organites présents dans les cellules des eucaryotes (tous les organismes vivants, des champignons aux mammifères) à des dizainesde milliers d'exemplaires. Seules ces structures, mis à part le noyau cellulaire, contiennent de l'ADN, molécule base de la transmission héréditaire, mais leur ADN est de dimensions beaucoup plus réduites que celui du noyau (200.000 fois plus court) : il sert uniquement pour la synthèse des protéines né­cessaires à ces organites. Il faut se rappeler qu'au moment de la fécondation, il semble que seule la mère transmet les mitochon­dries à sa progéniture.

[13] Journal of Indo-European Studies, 23, 3 & 4, 1995, pp. 385-398.

[14] International Rewiew of Chinese Linguistics, I, 1, 1998, p. 12. Voir aussi: Elizabeth Wayland Barber, The Mummies of Ürümchi, op. cit.

 

 

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