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dimanche, 21 septembre 2008

Citation de Louis-Ferdinand Céline

Cassez vos télévisions

 

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C'est un prodigieux moyen de propagande. C'est aussi, hélas! un élément d'abêtissement en ce sens que les gens se fient à ce qu'on leur montre. Ils n'imaginent plus. Ils voient. Ils perdent la notion de jugement et ils se prêtent gentiment à la fainéantise. La TV est dangereuse pour les hommes. L'alcoolisme, le bavardage, et la politique en font déjà des abrutis. Etait-il nécessaire d'ajouter encore quelque chose?

Louis-Ferdinand Céline

G. Faye: le choc des conceptions du monde

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Le choc des conceptions du monde

 

par Guillaume FAYE

 

La pensée métaphysique, issue du monothéisme et qui s'achève dans l'humanisme, a voulu définitivement nommer l'être, le «connaître», et, par là fixer les valeurs. La métaphysique, rompant avec la philosophie grecque pré-socratique, a pensé l'être-du-monde comme un acquis, comme une valeur suprême. Elle a envisagé l'être comme Sein  (Etre-en soi) et non comme Wesen (Etre-Devenir). Le mot français «être», ne rend pas ce double sens. Rechercher   —et prétendre trouver—  l'être comme Sein (einai en grec), c'est le dévaluer, c'est commencer une "-«longue marche vers le nihilisme». La philosophie de l'Esprit (Geist;  le noús  platonicien) prend le pas sur la philosophie de la vie et de l'action, sur la «création», la poiésis.  Toute une anthropologie en découle: pour la conception-du-monde de la tradition métaphysique et humaniste, l'humain est un être achevé puisqu'il participe de valeurs suprêmes (Dieu, notamment, ou des «lois», des «grands principes moraux») elles-mêmes achevées, connaissables, stables, universelles. «Il n'y a plus de mystère dans l'être» dit alors Heidegger. Enfermé dans les essences et les principes, l'humain perd son mystère: c'est l'humanisme précisément. Toute possibilité de dépassement de l'humain par l'homme doit être abandonnée. Les «valeurs» humaines, prononcées une fois pour toutes, courent alors le risque de la sclérose ou du tabou.

 

D'où la séparation, qui s'est toujours remarquée dans l'histoire, entre les valeurs proclamées avec emphase par les philosophies monothéistes et humanistes, et les comportements auxquels elles donnaient lieu. Sur le plan religieux, l'enfermement de l'action humaine dans des «lois», et le caractère infini mais fini à la fois du Dieu suprême, que l'on sait être définitivement omnipotent, tend a transformer le lien religieux en relation intellectuelle, en logos,  compromettant à la longue la force des mythes. Spinoza, Leibniz, Pascal et Descartes offrent des exemples de cette transformation de la métaphysique religieuse en logique; il faut se souvenir de l'amor intellectualis dei  de Spinoza, de la déduction des attributs de Dieu chez Leibniz, de l'intelligibilité de Dieu pour toute raison, affirmée par Descartes, ou, allant encore un peu plus avant dans le nihilisme religieux, du paradigme marchand du pari sur le divin de Pascal. Bernard-Henri Lévy avait parfaitement raison, en proclamant conjointement son biblisme et son athéisme, dans Le Testament de Dieu,  de se dire fidèle à la religion métaphysique hébraïque, creuset des autres monothéismes, la première à avoir formulé la préférence du logos  sur le muthos.

 

Perpétuel interrogateur

 

Au rebours, la tradition grecque qui commence avec Anaximandre de Samos et Héraclite, et qui serpentera, en tant que conception-du-monde implicite dans toute l'histoire européenne jusqu'à Nietzsche, se refuse à nommer l'être. Celui-ci est pensé comme Wesen  (être-en-devenir) comme gignesthai  (devenir transformant), mais n'est jamais défini. Le mot grec pour «vérité», nous explique Heidegger, est alèthéia,  ce qui signifie «dévoilement inachevé». La vérité n'y est point celle du Yahvé biblique, «Je suis l'Un, je suis la Vérité». Est vérité ce qui est éclairé par la volonté humaine, cette volonté qui soulève le voile du monde sans jamais faire advenir au jour la même réalité.

 

Dans la philosophie grecque, comme chez Heidegger, des mots innombrables sont utilisés pour «penser l'être». On ne pourra jamais répondre à la question de l'être, comme on ne pourra jamais connaître 1'«essence du fleuve», perpétuellement changeant, qui coule sous le pont. Le monde, dans son être-devenir, reste alors toujours l'«Obscur», et l'homme, un perpétuel interrogateur, un animal en quête constante de l'«éclairement». L'hominité, nous dit Heidegger, est caractérisée par le deinotaton, l'«inquiétance»: inquiéter le monde, c'est le questionner éternellement, le faire sortir et se faire sortir soi-même de la quiétude, cette illusion de savoir où l'on est et où l'on va.

 

Cette conception-du-monde se représente l'humain, perpétuel donneur de sens, en duel avec le monde, qui se dérobe à ses assauts, et qui demande, pour se laisser partiellement arraisonner, toujours de nouvelles formes d'action humaine, de nouveaux sens, de nouvelles valeurs, qui seront à leur tour transgressées.

 

Sacré et ouverture-au-monde

 

La mythologie grecque qui nous offre le spectacle de combats entre des dieux inconstants et des guerriers humains jamais découragés, toujours ardents dans leur passion de violer les lois divines pour préserver leur vie ou les lois de leur communauté, constitue l'aurore de cette conception européenne du monde. Une fin de l'histoire, par la réconciliation avec le divin métaphysique, enfin connu, lui est profondément étrangère. Cette conception-du-monde est la seule qui autorise à envisager la fondation d'un surhumanisme: l'humain, passant de cycles historiques de valeurs en cycles historiques de valeurs, transforme à chaque étape épochale la nature de sa Volonté-de-Puissance selon le processus de l'Eternel Retour de l'Identique. Le cosmos reste un mystère, il est 1'«obscur en perpétuel devoilement», comme, de manière singulièrement actuelle, l'envisage aussi la physique moderne. Le mythe reste présent au cœur du monde; cette impossibilité voulue et acceptée de connaître et de nommer l'être du monde, confère à celui-ci un caractère aventureux et risqué, et à l'action humaine la dimension tragique et solitaire d'un combat éternellement inachevé. Le sacré, au sens le plus fort, peut alors surgir dans le monde: il réside dans cette distance entre la volonté humaine et la «dérobade» du monde, bien visible d'ailleurs dans les entreprises scientifiques et techniques modernes. Le sacré n'est pas réservé à un principe (moral ou divin) ou à un attribut substantiel de l'être (un dieu), mais il habite par le fait de l'homme, le monde. Le sacré s'apparente à un sens donné par l'humain à son entour: le monde, nous dit Hölderlin, est vécu alors comme «nuit sacrée». Il n'y a plus lieu de se rassurer en recherchant 1'«essence de l'être», prélude à la fin de l'histoire, puisque l'homme de cette conception grecque du monde désire l'inquiétude. Il s'assume ainsi comme pleinement humain, c'est-à-dire toujours en marche vers le sur-humain, puisqu'il se conforme à son ouverture-au-monde ( la Weltoffenheit  dont parlait Gehlen) inscrite dans sa physiologie et éprouvée par la biologie moderne.

 

La recherche de l'être comme Sein, quête de l'absolu métaphysique et moral, peut s'envisager alors comme une entreprise in-humaine, et l'humanisme qui en découle philosophiquement comme une idéologie proprement non-humaine, plus exactement maladive. C'est dans l'historicité (Geschichtlichkeit)  et la mondanité (Weltlichkeit),  ce que les grecs appelaient le to on (l'étant) et les latins l'existentia, que réside le chemin que nous pouvons choisir de suivre ou de ne pas suivre.

 

Le suivre, s'enfoncer dans le Holzweg, la sente de bûcheron qui ne mène «nulle part» sinon «au cœur de la forêt sacrée», dont nous parle mystérieusement Heidegger, voilà ce qui est renouer avec l'aurore de la Grèce: reprendre le fil coupé par le christianisme et «la sortir de l'oubli». La sente ne mène pas vers un bourg, celui où les marchands se reposent, mais, inquiétante, elle s'enfonce vers l'aventure. L'«aventure», c'est-à-dire   l'advenir, ce qui, au détour du chemin «surgit du futur»: l'histoire.

 

Voici donc le sens fondamental de l'entreprise de Nietzsche, puis de Heidegger, et après lui sans doute de bien d'autres: réinstaller, en Europe, à l'époque technique, cette conception-du-monde incomplètement formulée, inachevée par certains grecs, mais le faire sous une forme différente, auto-consciente en quelque sorte, en sachant que même ce travail sera à recommencer. Nous, hommes du soir, de l'Hespérie (Abend-land), (par rapport à cette Grèce des pré-socratiques qui a voulu être l'Aurore d'une conception du monde) un travail nous attend, qui n'a rien de philosophique, au sens intellectuel du terme: rendre auto-consciente, au sein de l'Europe de la civilisation technique, une forme transfigurée de cette conception-du-monde, ou de cette religion-du-monde de l'aube grecque, tirée de l'oubli par Nietzsche et Heidegger.

 

Guillaume FAYE.

 

samedi, 20 septembre 2008

Citation de Gonzague de Reynold

Même avec des bottes de sept lieues...

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On ne vit pas sans s'anémier en dehors de son climat. Vous m'objecterez, vous, hommes de progrès, qu'aujourd'hui le moteur a raccourci les distances physiques : je vous répondrai qu'il a augmenté les distances morales. Vous ajouterez que l'homme contemporain vit d'une manière autrement indépendante de sa terre que l'homme d'autrefois : je vous répondrai que cet homme a fait passer sa terre dans sa conscience, qu'il a reconnu toute l'influence du milieu, qu'il y a des atavismes collectifs, que les origines naturelles ont imprimé à chaque peuple des caractères indélébiles et lui ont assigné une direction initiale et que, même si nous avons des bottes de sept lieues, nous emportons toujours notre sol natal aux clous de nos souliers.

Gonzague de Reynold, Défense et Illustration de l'esprit suisse

Les oppositions américaines à Roosevelt

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Les oppositions américaines à la guerre de Roosevelt

 

 

Robert STEUCKERS

 

Analyse : Ronald RADOSH, Prophets on the Right. Profiles of Conservative Critics of American Globalism, Free Life Editions, New York, 1975 (ISBN : 0-914156-22-5).

 

L’histoire des oppositions américaines à la seconde guerre mondiale est très intéressante. Elle nous initie aux idées des isolationnistes et neutralistes des Etats-Unis, seuls alliés objectifs et fidèles que nous pouvons avoir Outre-Atlantique, mis à part, bien en­tendu, les patriotes d’Amérique hispanique.

 

Aborder ce sujet implique de formuler quelques remarques préliminaires.

-          L’histoire contemporaine est é­valuée sous l’angle d’une propa­gande. Laquelle ? Celle qui a été orchestrée par les bellicistes a­mé­ricains, regrou­pés autour du Président Roosevelt. La tâche de l’his­toire est donc de retrouver la réalité au-delà du rideau de fumée propagandiste.

-          L’histoire contemporaine est dé­terminée par la perspective roose­veltienne où

a)       les Etats-Unis sont l’avant-gar­de, la terre d’élection de la liber­té et de la démocratie ;

b)       les Etats-Unis doivent agir de fa­çon à ce que le monde s’ali­gne sur eux.

c)       Via leur idéologie messianique, interventionniste et mondialiste, les Etats-Unis se posent comme le bras armé de Yahvé, sont appelés à unir le monde sous l’au­torité de Dieu. Leur président est le vicaire de Yahvé sur la Terre (et non plus le Pape de Rome).

 

Mais, pour s’imposer, cette idéologie messianique, interventionniste et mon­dia­liste a eu des ennemis inté­rieurs, des adversaires isolationnistes, neutralistes et différentialistes. En effet, dans les années 30, 40 et 50, deux camps s’affron­taient aux Etats-Unis. En langage actualisé, on pourrait dire que les partisans du « village universel » se heurtaient aux partisans de l’ « au­to-centrage ».

 

Quels ont été les adversaires du mon­­dialisme de Roosevelt, outre le plus célèbre d’entre eux, le pilote Lind­­bergh, vainqueur de l’Atlan­tique. Nous en étudierons cinq :

1)       Oswald Garrison VILLARD, é­di­teur du journal Nation, ancré à gauche, libéral et pacifiste.

2)       John T. FLYNN, économiste et éditorialiste de New Republic, é­galement ancré à gauche.

3)       Le Sénateur Robert A. TAFT de l’Ohio, chef du Parti Républicain, surnommé « Mr. Republican».

4)       Charles A. BEARD, historien pro­­gressiste.

5)       Lawrence DENNIS, intellectuel éti­queté « fasciste », ancien di­plo­mate en Amérique latine, no­tamment au Nicaragua et au Pérou.

 

Tous ces hommes avaient une biographie, un passé très différent. Dans les années 38-41, ils étaient tous iso­lationnistes. Dans les années 43-50, ils sont considérés com­me « con­ser­vateurs » (c’est-à-dire adversaires de Roosevelt et de l’al­liance avec l’URSS) ; de 1948 à 1953, ils refusent la logique de la Guerr­e Froide (dé­fendue par la gauche sociale-dé­mo­crate après guerre).

 

Pourquoi cette évolution, qu’on ne comprend plus guère aujourd’hui ?

-          D’abord parce que la gauche est favorable au « globa­lis­me » ; à ses yeux les isolation­nistes sont passéistes et les interventionnistes sont inter­natio­nalistes et « progres­sis­tes ».

-          Dans le sillage de la Guerre du Vietnam (autre guerre interventionniste), la gauche a changé de point de vue.

 

En effet, l’interventionnisme est synonyme d’impérialisme (ce qui est moralement condamnable pour la gauche hostile à la Guerre du Vietnam). L’isolationnisme relève du non-impérialisme américain, de l’anti-colonialisme officiel des USA, ce qui, dans le contexte de la Guerre du Vietnam, est moralement acceptable. D’où la gauche militante doit renouer avec une pensée anti-impérialiste. La morale est du côté des isolationnistes, même si un Flynn, par exemple, est devenu macchartyste et si Dennis a fait l’apologie du fascisme. Examinons les idées et les arguments de chacun de ces cinq isolationnistes.

 

Charles A. BEARD

 

Charles A. Beard est un historien qui a écrit 33 livres et 14 essais importants. Sa thèse centrale est celle du « déterminisme économique » ; elle prouve qu’il est un homme de gauche dans la tradition britannique de Mill, Bentham et du marxisme modéré. La structure politique et juridique, pour Beard, dérive de la stratégie économique. La complexification de l’éco­nomie implique une complexification du jeu politique par multiplication des acteurs. La Constitution et l’appareil légal sont donc le reflet des desidera­ta des classes dirigeantes. La complexification postule ensuite l’in­tro­duc­tion du suffrage universel, pour que la complexité réelle de la société puisse se refléter correcte­ment dans les re­pré­sentations.

 

Beard sera dégoûté par la guerre de 1914-18.

1.        Les résultats de cette guerre sont contraires à l’idéalisme wilsonien, qui avait poussé les Etats-Unis à intervenir. Après 1918, il y a davantage de totalitarisme et d’autoritarisme dans le monde qu’auparavant. La première guerre mondiale se solde par un recul de la démocratie.

2.        Ce sont les investissements à l’étranger (principalement en France et en Grande-Bre­ta­gne) qui ont poussé les Etats-Unis à intervenir (pour sauver leurs clients de la défaite).

3.        D’où le véritable remède est celui de l’autarcie continentale (continentalism).

4.        Aux investissements à l’étran­ger, il faut opposer, dit Beard, des investissements intérieurs. Il faut une planification natio­nale. Il faut construire une bonne infrastructure routière aux Etats-Unis, il faut aug­menter les budgets pour les écoles et les universités. Pour Beard, le planisme s’oppose au militarisme. Le militarisme est un messianisme, essen­tiel­le­ment porté par la Navy League, appuyée jadis par l’Amiral Mahan, théoricien de la thalassocratie. Pour Beard, l’US Army ne doit être qu’un instrument défensif.

 

Beard est donc un économiste et un théoricien politique qui annonce le New Deal de Roosevelt. Il est donc favorable au Président américain dans un premier temps, parce que celui-ci lance un gigantesque plan de travaux d’intérêt public. Le New Deal, aux yeux de Beard est une restructuration complète de l’économie domestique américaine. Beard raisonne comme les continentalistes et les autarcistes européens et japonais (notamment Tojo, qui parle très tôt de « sphère de co-prospérité est-asiatique »). En Allemagne, cette restructuration autarcisante préconisée par le pre­mier Roosevelt suscite des enthousiasmes et apporte de l’eau au mou­lin des partisans d’un nouveau dialogue germano-américain après 1933.

 

Le programme « Big Navy »

 

Mais Roosevelt ne va pas pouvoir appliquer son programme, parce qu’il rencontrera l’opposition des milieux bancaires (qui tirent plus de dividendes des investissements à l’étranger), du complexe militaro-in­dustriel (né pendant la première guerre mondiale) et de la Ligue Na­vale. Pour Beard, le programme « Big Navy » trahit l’autarcie promise par le New Deal.

 

Le programme « Big Navy » provoquera une répétition de l’histoire. Roosevelt prépare la guerre et la militarisation des Etats-Unis, déplo­re Beard. En 1934, éclate le scandale Nye. Une enquête menée par le Sénateur Gerald Nye prouve que le Président Wilson, le Secrétaire d’Etat Lansing et le Secrétaire d’Etat au Trésor Gibbs McAdoo, le Colonel House et les milieux bancaires (notamment la J.P. Morgan & Co) ont délibérément poussé à la guerre pour éviter une crise, une dépression. Résultat : cette dépres­sion n’a été postposée que de dix ans (1929). Donc la politique raison­nable serait de décréter un em­bargo général à chaque guerre pour que les Etats-Unis ne soient pas entraînés aux côtés d’un des belligérants.

 

En 1937, Roosevelt prononce son fameux « Discours de Quarantai­ne », où il annonce que Washington mettra les « agresseurs » en quarantaine. En appliquant pré­ventivement cette mesure de ré­torsion aux seuls agresseurs, Roo­sevelt opère un choix et quitte le terrain de la neutralité, constate Beard. En 1941, quand les Japonais attaquent Pearl Harbour, le matin du 7 décembre 1941, Beard révèle dans la presse que Roosevelt a délibérément obligé le Japon à commettre cet irréparable acte de guerre. De 1941 à 1945, Beard ad­mettra la nature « expansion­niste » de l’Allemagne, de l’Italie et du Ja­pon, mais ne cessera d’exhorter les Etats-Unis à ne pas suivre cet ex­emple, parce que les Etats-Unis sont « self-suffisant » et que l’a­gressivité de ces Etats n’est pas directement dirigée contre eux. Ensuite, deuxième batterie d’argu­ments, la guerre désintègre les institutions démocratiques améri­cai­nes. On passe d’une démocratie à un césarisme à façade dé­mo­cratique.

 

Beard accuse le gouvernement américain de Roosevelt de chercher à entrer en guerre à tout prix contre le Japon et l’Allemagne. Son accusation porte notamment sur quatre faits importants :

1.        Il dénonce l’échange de destroyers de fabrication américaine contre des bases militaires et navales anglaises dans les Caraïbes et à Terre-Neuve (New Foundland).

2.        Il dénonce la « Conférence de l’Atlantique », tenue entre le 9 et le 12 août 1941 entre Churchill et Roosevelt. Elles ont débouché sur un acte de guerre au détriment du Portugal neutre : l’occupation des Açores par les Américains et les Britanniques.

3.        Il dénonce l’incident de septembre 1941, où des navires allemands ripostent aux tirs de l’USS Greer. Beard prétend que Roosevelt monte l’incident en épingle et il appuie son argumentation sur le rapport de l’Amiral Stark, prouvant l’inter­vention du navire aux côtés des Anglais.

4.        En octobre 1941, un incident similaire oppose des bâtiments de la Kriegsmarine à l’USS Kearny. Roosevelt amplifie l’événement avec l’appui des médias. Beard rétorque en s’appuyant sur le rapport du Secrétaire de la Navy Knox, qui révèle que le navire américain a pris une part active aux combats opposants bâtiments anglais et allemands.

 

Une stratégie de provocation

 

Beard conclut que la stratégie de Roosevelt cherche à provoquer dé­libérément un incident, un casus belli. Cette attitude montre que le Président ne respecte pas les institutions américaines et ne suit pas la voie hiérarchique normale, qui passe par le Congrès. La dé­mo­cratie américaine n’est plus qu’une façade : l’Etat US est devenu cé­sa­riste et ne respecte plus le Con­grès, organe légitime de la nation.

 

Il est intéressant de noter que la gauche américaine récupèrera Beard contre Johnson pendant la guerre du Vietnam. De Roosevelt à Johnson, la gauche américaine a en effet changé du tout au tout, modifié de fond en comble son argumentation ; elle était favorable à Roosevelt parce qu’il était l’im­pulseur du New Deal, avec toutes ses facettes sociales et dirigistes, et qu’il fut le leader de la grande guerre « anti-fasciste ». Elle cesse de soutenir l’option présidentialiste contre le démocrate Johnson, redevient favorable au Con­grès, parce qu’elle s’oppose à la guerre du Vietnam et à l’emprise des lob­bies militaro-industriels. En fait, la gauche américaine avouait dans les années 60 qu’elle avait été autoritaire, bouclier de l’autocratie rooseveltienne et anti-parlemen­taire (tout en reprochant aux fas­cistes de l’être !). Pire, la gauche avouait qu’elle avait été « fasciste » par « anti-fascisme » !

 

Dans une première phase donc, la gauche américaine avait été interventionniste. Dans une seconde, elle devient isolationniste. Cette contradiction s’est (très) partiellement exportée vers l’Europe. Cette mutation, typiquement américaine, fait la spécificité du paysage politique d’Outre-Atlantique.

 

Mettre le Japon au pied du mur…

 

Intéressantes à étudier sont également les positions de Beard sur la guerre américaine contre le Japon. Beard commence par constater que le Japon voulait une « sphère de co-prospérité est-asiatique », incluant la Chine et étendant l’in­fluence japonaise profondément dans le territoire de l’ex-Céleste Empire. Pour cette raison, croyant contrarier l’expansion nippone, Roo­sevelt organise l’embargo con­tre le Japon, visant ainsi son asphyxie. En pratiquant une telle politique, le Président américain a mis le Japon au pied du mur : ou périr lentement ou tenter le tout pour le tout. Le Japon, à Pearl Harbour, a choisi le deuxième terme de l’alternative. L’enjeu de la guerre américano-japonaise est donc le marché chinois, auquel les Etats-Unis ont toujours voulu avoir un accès direct. Les Etats-Unis veulent une politique de la « porte ouverte » dans toute l’Asie, comme ils avaient voulu une politique iden­tique en Allemagne sous Weimar. Dans la polémique qui l’op­pose à Roosevelt, Beard se range du côté de Hoover, dont la critique à du poids. Beard et Hoover pensent que l’action du Japon en Chine n’enfreint nullement la sou­veraineté nationale américaine, ni ne nuit aux intérêts des Etats-Unis. Ceux-ci n’ont pas à s’inquié­ter : ja­mais les Japonais ne par­viendront à japoniser la Chine.

 

Après la deuxième guerre mondia­le, Beard ne cessera de s’opposer aux manifestations de bellicisme de son pays. Il critique la politique de Truman. Il refuse la bipolarisation, telle qu’elle s’incruste dans les ma­chines propagandistes. Il critique l’intervention américaine et britanni­que en Grèce et en Turquie. Il critique la recherche d’incidents en Méditerranée. Il rejette l’esprit de « croisade », y compris quand il vise le monde communiste.

 

En conclusion, Beard est resté pen­dant toute sa vie politique un par­tisan de l’autarcie continentale amé­ricaine et un adversaire résolu du messianisme idéologique. Beard n’était ni anti-fasciste ni anti-com­muniste : il était un autarciste amé­ricain. L’anti-fascisme et l’anti-com­munisme sont des idées internationalistes, donc désincarnées et ir­réalistes.

 

Oswald Garrison VILLARD

 

Né en 1872, Oswald Garrison Vil­lard est un journaliste new-yorkais très célèbre, offrant sa prose pré­cise et claire à deux journaux, Post et Nation, propriétés de son père. L’arrière-plan idéologique de Villard est le pacifisme. Il se fait membre de la Ligue anti-impérialiste dès 1897. En 1898, il s’oppose à la guerre contre l’Espagne (où celle-ci perd Cuba et les Philippines). Il estime que la guerre est incom­patible avec l’idéal libéral de gau­che. En 1914, il est l’un des prin­cipaux avocats de la neutralité. De 1915 à 1918, il exprime sa déception à l’égard de Wilson. En 1919, il s’insurge contre les clauses du Trai­té de Versailles : la paix est in­ju­ste donc fragile, car elle sanction­ne le droit du plus fort, ne cesse-t-il de répéter dans ses colonnes. Il s’oppose à l’inter­ven­tion américaine contre la Russie so­viétique, au mo­ment où Wa­shing­ton débarque des troupes à Arkhan­gelsk. De 1919 à 1920, il se félicite de l’éviction de Wilson, de la non-adhésion des Etats-Unis à la SdN. Il apporte son soutien au néo-isolationnisme.

 

De 1920 à 1930, Villard modifie sa philosophie économique. Il évolue vers le dirigisme. En 1924, il soutient les initiatives du populiste La­Follette, qui voulait que soit inscrite dans la constitution américaine l’obligation de procéder à un réfé­ren­dum avant toute guerre voire avant toute opération militaire à l’étranger. Villard souhaite également la création d’un « Third Par­ty », sans l’étiquette socialiste, mais dont le but serait d’unir tous les progressistes.

 

En 1932, Franklin Delano Roosevelt arrive au pouvoir. Villard salue cette accession à la présidence, tout comme Beard. Et comme Beard, il rompra plus tard avec Roo­sevelt car il refusera sa politique extérieure. Pour Villard, la neutralité est un principe cardinal. Elle doit être une obligation (compulsory neutrality). Pendant la Guerre d’Espagne, la gauche (dont son journal Nation, où il devient une exception) soutient les Républicains espagnols (comme Vandervelde au POB). Lui, imperturbable, plaide pour une neutralité absolue (comme Spaak et De Man au POB). La gauche et Roosevelt veu­lent décréter un embargo contre les « agresseurs ». Villard, à l’instar de Beard, rejette cette position qui in­terdit toute neutralité absolue.

 

Plus de pouvoir au Congrès

 

Les positions de Villard permettent d’étudier les divergences au sein de la gauche américaine. En effet, dans les années 30, le New Deal s’avère un échec. Pourquoi ? Parce que Roosevelt doit subir l’oppo­si­tion de la « Cour Suprême » (CS), qui est conservatrice. Villard, lui, veut donner plus de pouvoir au Congrès. Comment réagit Roosevelt ? Il augmente le nombre de juges dans la CS et y introduit ainsi ses créatures. La gauche applaudit, croyant ainsi pouvoir réaliser les promesses du New Deal. Villard refuse cet expédient car il conduit au césarisme. La gauche reproche à Villard de s’allier aux conservateurs de la CS, ce qui est faux puisque Villard avait suggéré d’aug­menter les prérogatives du Con­grès.

 

Dans cette polémique, la gauche se révèle « césariste » et hostile au Con­grès. Villard reste fidèle à une gauche démocratique et parlemen­taire, pacifiste et autarciste. Villard ne « trahit » pas. Ce clivage conduit à une rupture entre Villard et la ré­daction de Nation, désormais dirigée par Freda Kirchwey. En 1940, Villard quitte Nation après 46 ans et demi de bons et loyaux services, accusant Kirchwey de « pro­stituer » le journal. Cette « pro­stitution » con­siste à rejeter le principe autarcique et à adhérer à l’universalisme (messianique). Villard va alors con­tre-attaquer :

1.        Il va rappeler qu’il est un avo­cat du Congrès, donc qu’il est démocrate et non philo-fasci­ste.

2.        Il va également rappeler qu’il s’est opposé aux conservateurs de la CS.

3.        Il va affirmer que c’est l’ama­teurisme de Roosevelt qui a conduit le New Deal à l’échec.

4.        Il démontre qu’en soutenant Roosevelt, la gauche devient « fasciste » parce qu’elle con­tribue à museler le Congrès.

 

Ni le Japon ni l’Allemagne n’en veulent aux Etats-Unis, écrit-il, donc nul besoin de leur faire la guerre. L’objectif raisonnable à pour­suivre, répète-t-il, est de juxtaposer sur la planète trois blocs modernes autarciques et hermétiques : l’Asie sous la direction du Japon, l’Europe et l’Amérique. Il re­joint l’America-First-Committee qui affirme que si les Etats-Unis interviennent en Asie et en Europe, le chaos s’étendra sur la Terre et les problèmes non résolus s’ac­cu­mu­leront.

 

Villard n’épargnera pas la politique de Truman et la criblera de ses cri­ti­ques. Dans ses éditoriaux, Tru­man est décrit comme un « po­li­ti­cien de petite ville incompétent », monté en épingle par Roosevelt et sa « clique ». Villard critiquera le bom­bardement atomique de Hiro­shima et de Nagasaki. Il s’opposera au Tribunal de Nuremberg, aux Amé­ricains cherchant à favoriser la mainmise de la France sur la Sarre, à tous ceux qui veulent morceler l’Allemagne. Villard sera ensuite un adversaire de la Guerre Froide, s’in­surgera contre la partition de la Corée et contre la création de l’OTAN.

 

Robert A. TAFT

 

Le père de Robert A. Taft fut pendant un moment de sa vie Président de la CS. Le milieu familial était celui des Républicains de vieil­le tradition. Robert A. Taft exerce ses premières activités po­litiques dans le sillage de Herbert Hoover et collabore à son « Food Programm ». En 1918, il est élu en Ohio. En 1938, il devient Sénateur de cet Etat. Dès cette année, il s’engage à fond dans le combat pour la « non-intervention ». Toute politique, selon lui, doit être défensive. Il fustige les positions « idéa­listes » (c’est-à-dire irréalistes), des messianistes démocrates. « Il faut défendre du concret et non des abstractions », tel est son leitmotiv. La guerre, dit-il, conduirait à museler le Congrès, à faire reculer les gouvernements locaux, à renforcer le gouvernement central. Même si l’Allemagne gagne, argumente-t-il, elle n’attaquera pas les Etats-Unis et la victoire éventuelle du Reich n’arrêterait pas les flux commerciaux. D’où, affirme Taft, il faut à tout prix renforcer le « Neutrality Act », empêcher les navires américains d’entrer dans les zones de combat, éviter les incidents et décréter un embargo général, mais qui permet toutefois le système de vente « cash-and-carry » (« payer et emporter »), à appliquer à tous les belligérants sans restriction. Taft est réaliste : il faut vendre tous les produits sans exception. Nye, Sénateur du North Dakota, et Whee­ler, Sénateur du Montana, veulent un embargo sur les munitions, les armes et le coton.

 

« Lend-Lease » et « cash-and-carry »

 

Taft ne sera pas candidat républicain aux élections présidentielles car l’Est vote contre lui ; il ne bénéficie que de l’appui de l’Ouest, hostile à la guerre en Europe. Il s’opposera à la pratique commerciale du « Lend-Lease », car cela implique d’envoyer des convois dans l’Atlantique et provoque immanquablement des incidents. En juillet 1941, la nécessité de protéger les convois aboutit à l’occu­pation de l’Islande. Taft formule une contre-proposition : au « Lend-Lea­se », il faut substituer le « cash-and-carry », ce qui n’empêche nul­le­ment de produire des avions pour la Grande-Bretagne. En juin 1941, la gauche adhère à une sorte de front international anti-fasciste, à l’instigation des communistes (vi­sibles et camouflés). Taft maintient sa volonté de neutralité et constate que la majorité est hostile à la guerre. Seule une minorité de financiers est favorable au conflit. Taft martèle alors son idée-force : le peuple travailleur de l’Ouest est manipulé par l’oligarchie financière de l’Est.

 

Dans le cadre du parti Républicain, Taft lutte également contre la fraction interventionniste. Son adversaire principal est Schlesinger qui prétend que les isolationnistes provoquent un schisme à l’intérieur du parti, qui risque de disparaître ou d’être exclu du pouvoir pendant longtemps. Dans cette lutte, que s’est-il passé ? Les interventionnistes républicains, rangés derrière Wendell Willkie, chercheront l’al­lian­ce avec la droite démocratique de Roosevelt, pour empêcher les Républicains de revenir au pouvoir. De 1932 à 1948, les Républicains seront marginalisés. Une telle con­figuration avait déjà marqué l’his­toire américaine : le schisme des Whigs en 1858 sur la question de l’esclavage (qui a débouché ensuite sur la Guerre de Sécession).

 

Pour Schlesinger, les capitalistes, les conservateurs et la CS sont hostiles à Roosevelt et au New Deal, qu’ils estiment être une forme de socialisme. Taft rétorque que les ploutocrates et les financiers se sont alliés aux révolutionnaires, hostiles à la CS, car celle-ci est un principe étatique éternel, servant la cause du peuple, celui de la majorité généralement silencieuse. Les ploutocrates sont favorables au bel­licisme de Roosevelt, parce qu’ils espèrent conquérir des marchés en Europe, en Asie et en Amé­rique la­tine. Telle est la raison de leur bell­i­cisme.

 

Tant Schlesinger que Taft rejettent la responsabilité sur les capitalistes ou les financiers (les « plouto­cra­tes » comme on disait à l’époque). La différence, c’est que Schlesinger dénonce comme capitalisme le ca­pital producteur enraciné (investis­se­ments), alors que Taft dénonce le capital financier et vagabond (non-investissement).

 

Contre l’idée de « Croisade »

 

Quand les Japonais bombardent Pearl Harbour le 7 décembre 1941 et y détruisent les bâtiments de guerre qui s’y trouvent, la presse, unanime, se moque de Taft et de ses principes neutralistes. La stratégie japonaise a été de frapper le port hawaïen, où ne stationnaient que de vieux navires pour empêcher la flotte de porter secours aux Philippines, que les Japonais s’apprêtaient à envahir, avant de foncer vers les pétroles et le caoutchouc indonésiens. Taft rétorque qu’il aurait fallu négocier et accuse Roosevelt de négligence tant aux Iles Hawaï qu’aux Philippines. Il ne cesse de critiquer l’idée de croisade. Pourquoi les Etats-Unis se­raient-ils les seuls à pouvoir dé­clencher des croisades ? Pourquoi pas Staline ? Ou Hitler ? L’idée et la pratique de la « croisade » con­duit à la guerre perpétuelle, donc au chaos. Taft dénonce ensuite comme aberration l’alliance entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS (chère à Walter Lipp­mann). A cette alliance, il faut sub­stituer des plans régionaux, regrou­per autour de puissances hé­gé­mo­niques les petits Etats trop faibles pour survivre harmonieusement dans un monde en pleine mutation d’échelle.

 

Taft s’opposera à Bretton Woods (1944), aux investissements massifs à l’étranger et à la création du FMI. Il manifestera son scepticisme à l’endroit de l’ONU (Dumbarton Oaks, 1944). Il y est favorable à condition que cette instance devienne une cour d’arbitrage, mais refuse tout renforcement de l’idéo­logie utopiste. Après la guerre Taft s’opposera à la Doctrine Truman, à la création de l’OTAN, au Plan Marshall et à la Guerre de Corée. En 1946, Churchill prononce sa phrase célèbre (« Nous avons tué le mauvais cochon », celui-ci étant Hitler, le « bon cochon » sous-entendu et à tuer étant Staline) et déplore qu’un « rideau de fer » soit tombé de Stettin à l’Adriatique, plongeant l’Ostmitteleuropa dans des « régimes policiers ». Taft, conservateur « vieux-républicain », admet les arguments anti-com­mu­nistes, mais cette hostilité légitime sur le plan des principes ne doit pas conduire à la guerre dans les faits.

 

Taft s’oppose à l’OTAN parce qu’elle est une structure interventionniste, contraire aux intérêts du peuple américain et aux principes d’arbitrage qui devraient être ceux de l’ONU. En outre, elle sera un gouffre d’argent. Vis-à-vis de l’URSS, il modifie quelque peu son jugement dès que Moscou se dote de la Bombe A. Il appuie toutefois Joe Kennedy (père de John, Robert/Bob et Ted) quand celui-ci réclame le retrait des troupes américaines hors de Corée, de Berlin et d’Europe. Taft est immédiatement accusé de « faire le jeu de Moscou », mais il reste anti-com­muniste. En réalité, il demeure fi­dè­le à ses positions de départ : il est un isolationniste américain, il con­sta­te que le Nouveau Monde est sé­paré de l’Ancien et que cette sé­paration est une donnée naturelle, dont il faut tenir compte.

 

John T. FLYNN

 

John T. Flynn peut être décrit com­me un « New Dealer » déçu. Beard et Villard avaient également ex­pri­mé leurs déceptions face à l’échec de la restructuration par Roosevelt de l’économie nord-américaine. Flynn dénonce très tôt la démarche du Président consistant à se don­ner des « ennemis mythique » pour dévier l’attention des échecs du New Deal. Il critique la mutation des communistes américains, qui deviennent bellicistes à partir de 1941. Les communistes, dit-il, tra­hissent leurs idéaux et utilisent les Etats-Unis pour faire avancer la politique soviétique.

 

Flynn était proche malgré lui des milieux fascisants (et folkloriques) américains (Christian Front, German-American Bund, l’American Destiny Party de Joseph McWilliams, un antisémite). Mais le succès de Lindbergh et de son America-First-Committee l’intéresse. Après la guerre, il critiquera les positions de la Fabian Society (qu’il qualifie de « socialisme fascisant ») et plai­dera pour un gouvernement po­pulaire, ce qui l’amène dans le silla­ge de McCarthy. Dans cette opti­que, il fait souvent l’équation « com­­munisme = administration », arguant que l’organisation de l’ad­ministration aux Etats-Unis a été introduite par Roosevelt et para­chevée par Truman. Mais, malgré cette proximité avec l’anti-commu­nisme le plus radical, Flynn reste hostile à la guerre de Corée et à toute intervention en Indochine, con­tre les communistes locaux.

 

Lawrence DENNIS

 

Né en 1893 à Atlanta en Géorgie, Lawrence Dennis étudie à la Philips Exeter Academy et à Harvard. Il sert son pays en France en 1918, où il accède au grade de lieutenant. Après la guerre, il entame une carrière de diplomate qui l’emmène en Roumanie, au Honduras, au Ni­caragua (où il observe la rébellion de Sandino) et au Pérou (au moment où émerge l’indigénisme pé­ru­vien). Entre 1930 et 1940, il joue un rôle intellectuel majeur. En 1932, paraît son livre Is Capitalism Doomed ? C’est un plaidoyer planiste, contre l’extension démesurée des crédits, contre l’exportation de capitaux, contre le non-investis­se­ment qui préfère louer l’argent que l’investir sur place et génère ainsi le chômage. Le programme de Dennis est de forger une fiscalité cohérente, de poursuivre une politique d'investissements créateurs d’em­ploi et de développer une autarcie américaine. En 1936, un autre ou­vra­ge suscite le débat : The Coming American Fascism. Ce livre con­state l’échec du New Deal, à cause d’une planification déficiente. Il constate également le succès des fascismes italien et allemand qui, dit Dennis, tirent les bonnes con­clusions des théories de Keynes. Le fascisme s’oppose au communisme car il n’est pas égalitaire et le non-égalitarisme favorise les bons techniciens et les bons gestionnaires (les « directeurs », dira Burnham).

 

Il y a une différence entre le « fas­cis­me » (planiste) tel que le définit Den­nis et le « fascisme » roose­vel­tien que dénoncent Beard, Villard, Flynn, etc. Ce césaris­me/fas­­cisme roo­seveltien se dé­ploie au nom de l’anti-fascisme et agresse les fascismes européens.

 

En 1940, un troisième ouvrage de Dennis fait la une : The Dynamics of War and Revolution. Dans cet ouvrage, Dennis prévoit la guerre, qui sera une « guerre réactionnaire ». Dennis reprend la distinction des Corradini, Sombart, Haushofer et Niekisch, entre « nations prolétariennes » et « nations capita­listes » (haves/havenots). La guer­re, écrit Dennis, est la réaction des nations capitalistes. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, nations ca­pi­talistes, s’opposeront à l’Alle­magne, l’Italie et l’URSS, nations prolétariennes (le Pacte germano-soviétique est encore en vigueur et Dennis ignore encore qu’il sera dissous en juin 1941). Mais The Dynamics of War and Revolution constitue surtout une autopsie du monde capitaliste américain et occi­dental. La logique capitaliste, explique Dennis, est expansive, elle cherche à s’étendre et, si elle n’a pas ou plus la possibilité de s’é­ten­dre, elle s’étiole et meurt. D’où le capitalisme cherche constamment des marchés, mais cette recherche ne peut pas être éternelle, la Terre n’étant pas extensible à l’infini. Le capitalisme n’est possible que lors­qu’il y a expansion territoriale. De là, naît la logique de la « frontière ». Le territoire s’agrandit et la population augmente. Les courbes de profit peuvent s’accroître, vu la né­ces­sité d’investir pour occuper ou coloniser ces territoires, de les équiper, de leur donner une infrastructure, et la nécessité de nourrir une population en phase d’explo­sion démographique. Historiquement parlant, cette expansion a eu lieu entre 1600 et 1900 : les peuples blancs d’Europe et d’Amérique avaient une frontière, un but à at­teindre, des territoires à défricher et à organiser. En 1600, l’Europe in­vestit le Nouveau Mon­de ; de 1800 à 1900, les Etats-Unis ont leur Ouest ; l’Europe s’étend en Afrique.

 

L’ère capitaliste est terminée

 

Conclusion de Dennis : l’ère capitaliste est terminée. Il n’y aura plus de guerres faciles possibles, plus d’injection de conjoncture par des expéditions coloniales dotées de faibles moyens, peu coûteuses en matières d’investissements, mais rapportant énormément de dividendes. Cette impossibilité de nouvelles expansions territoriales explique la stagnation et la dépression. Dès lors, quatre possibilités s’offrent aux gouvernants :

1.        Accepter passivement la sta­gnation ;

2.        Opter pour le mode communis­te, c’est-à-dire pour la dicta­ture des intellectuels bourgeois qui n’ont plus pu accé­der au capitalisme ;

3.        Créer un régime directorial, corporatiste et collectiviste, sans supprimer l’initiative pri­vée et où la fonction de con­trôle politique-étatique con­siste à donner des directives efficaces ;

4.        Faire la guerre à grande é­chelle, à titre de palliatif.

 

Dennis est favorable à la troisième solution et craint la quatrième (pour laquelle opte Roosevelt). Dennis s’oppose à la seconde guerre mon­diale, tant dans le Pacifique que sur le théâtre européen. Plus tard, il s’opposera aux guerres de Corée et du Vietnam, injections de con­jonc­ture semblables, visant à dé­truire des matériels pour pouvoir en reconstruire ou pour amasser des dividendes, sur lesquels on spéculera et que l’on n’investira pas. Pour avoir pris de telles positions, Dennis sera injurié bassement par la presse du système de 1945 à 1955, mais il continue imperturbablement à affiner ses thèses. Il commence par réfuter l’idée de « péché » dans la pratique politique internationale : pour Dennis, il n’y a pas de « péché fasciste » ou de « péché communiste ». L’obsession américaine de pratiquer des politiques de « portes ouvertes » (open doors policy) est un euphémisme pour désigner le plus implacable des impérialismes. La guerre froide implique des risques énormes pour le monde en­tier. La guerre du Vietnam, son en­lisement et son échec, montrent l’inutilité de la quatrième solution. Par cette analyse, Dennis a un impact incontestable sur la pensée contestatrice de gauche et sur la gauche populiste, en dépit de son étiquette de « fasciste ».

 

En 1969, dans Operational Thinking for Survival, Dennis offre à ses lecteurs sa somme finale. Elle con­siste en une critique radicale de l’A­merican Way of Life.

 

Conclusion

 

Nous avons évoqué cinq figures d’opposants américains à Roosevelt. Leurs arguments sont similaires, en dépit de leurs diverses provenances idéologiques et politiques. Nous aurions pu comparer leurs positions à celles de dissidents américains plus connus en Europe comme Lindbergh ou Ezra Pound, ou moins connus comme Hamilton Fish. Nous aurions pu également analyser les travaux de Hoggan, historien contemporain non conformiste, soulignant les res­ponsabilités britanniques et américaines dans le deuxième conflit mon­dial et exposant minutieux des positions de Robert LaFollette. En­fin, nous aurions pu analyser plus en profondeur l’a­venture politique de cet homme politique populiste des années 20, leader des « pro­gres­sistes ». Leur point commun à tous : la volonté de maintenir une ligne isolationniste, de ne pas inter­venir hors du Nouveau Monde, de maximiser le dé­veloppement du territoire des Etats-Unis. 80% de la population les a suivis. Les intellectuels étaient partagés.

 

L’aventure de ces hommes nous montre la puissance de la manipulation médiatique, capable de re­tour­ner  rapidement l’opinion de 80% de la population américaine et de les entraîner dans une guerre qui ne les concernait nullement. Elle démontre aussi l’impact des principes autarciques, devant con­duire à une juxtaposition dans la paix de grands espaces autonomi­sés et auto-suffisants. En Europe, ce type de débat est délibérément ignoré en dépit de son ampleur et de sa profondeur, l’aventure intellectuelle et politique de ces Américains non conformistes est désormais inconnue et reste inexplorée.

 

Une étude de cette problématique interdit toute approche manichéen­ne. On constate que dans la gauche américaine (comme dans une certaine droite, celle de Taft, p. ex.), l’hostilité à la guerre contre Hitler et le Japon implique, par une logique implacable et constante, l’hostilité ultérieure à la guerre con­tre Staline, l’URSS, la Corée du Nord ou le Vietnam d’Ho Chi Minh. Dans l’espace linguistique francophone, il semble que les non-con­formismes (de droite comme de gau­che) n’aient jamais tenu compte de l’opposition intérieure à Roosevelt, dont la logique est d’une clarté et d’une limpidité admirables. Navrante myopie politique…

 

Robert STEUCKERS.

(Conférence prononcée à Ixelles à la Tribune de l’EROE en 1986, sous le patronage de Jean E. van der Taelen ; texte non publié jusqu’ici).

vendredi, 19 septembre 2008

Jünger et l'Allemagne secrète

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Jünger et l'Allemagne secrète

 

Antonio GIGLIO

 

La polémique qui s'est déclenchée à propos d'Ernst Jünger, remet à l'avant-plan, une fois de plus, les fan­tasmes nés de la guerre civile européenne et du passé qui ne passe pas, mais, pire encore, les fan­tasmes plus insidieux générés par l'incompréhension totale de nos contemporains face à l'histoire poli­tique et culturelle de ce siècle. A Jünger qui est aujourd'hui, à 100 ans, le plus grand écrivain européen vi­vant, on a reproché d'être, dans le fond, un complice des nazis. Pour clarifier cette question, il nous appa­raît opportun de récapituler, depuis le début, l'histoire des activités politiques et culturelles de Jünger, le héros de la Première Guerre mondiale, un des rares soldats de l'armée impériale, avec Rommel, à avoir reçu la plus haute décoration militaire allemande, l'Ordre “Pour le Mérite”. Le thème des premières œuvres littéraires de Jünger est l'expérience de la guerre, dont témoigne notamment son célèbre roman Orages d'acier.  Ces livres de guerre lui ont permis de devenir en peu de temps l'un des écrivains les plus lus et les plus fameux de l'Allemagne. En outre, Jünger est rapidement devenu l'un des chefs de file du nouveau nationalisme, suscité par les conditions de paix très dures imposées à l'Allemagne. Il réussit à forger une série de mythes politiques représentant la synthèse ultra-révolutionnaire de tout ce que la droite alle­mande avait produit à cette époque.

 

L'écrivain évoluait entre les bureaux d'études de l'armée, les groupes paramilitaires et nationaux-révolu­tionnaires, et réussissait à fusionner plusieurs projets politiques: celui du philologue Wilamowitz visant la création d'un Etat régi par un Ordre ascétique ou une caste sélectionnée d'hommes de culture et de science, celui de Spengler visant le contrôle et la domination des nouvelles formes technologiques en train de transformer le monde, celui du poète Stefan George chantant une nouvelle aristocratie, celui de Moeller van den Bruck axé sur la nécessité de rénover de fond en comble le “conservatisme” ou plutôt sur la nécessité de lancer une “révolution conservatrice”, formule inventée par le poète Hugo von Hoff­mann­sthal et traduite par Jünger en termes ultra-nationalistes et guerriers. Pourtant, Jünger, in­fluencé par la fu­rie iconoclaste de Nietzsche, propose à l'époque de détruire totalement la société bour­geoise, ce qui lui permet d'utiliser aussi les mythes politiques de la gauche, dont l'idée bolchévique sug­gérée par Lénine, soit la mobilisation totale et militaire de l'Etat, utilisée auparavant en Allemagne par le Général Erich Ludendorff; chez Jünger, cette mobilisation totale deviendra la mobilisation totale de tout ce qui est allemand. Enfin, il utilise le mythe du travailleur-soldat, déjà loué par Trotsky; Jünger l'adopte et le pro­po­se, transformé par la pensée du philosophe Hugo Fischer. Cette synthèse de Lénine, Trotsky et Fischer deviendra Le Travailleur, au moment même où Jünger est l'allié du national-bolchévique Ernst Niekisch. Il faut encore noter que la pensée philosophique et politique de Heidegger a été profondément influencée par ce célébrissime essai de Jünger, qui moule audacieusement en une puissante unité philo­sophique la technique, le nihilisme et la volonté de puissance.

 

Parallèlement, l'écrivain se propose d'unifier tous les mouvements nationalistes allemands; c'est cette in­tention qui explique sa tentative initialement favorable à Hitler; il suffit de penser à la dédicace rédigée de son livre de 1925, Feuer und Blut  (= Feu et Sang) à l'intention du “Führer national” Adolf Hitler, même si l'année précédente, il avait désapprouvé la décision des nazis d'adopter des méthodes légales et craint une trahison nationale-socialiste à l'égard de la pureté des idéaux nationaux-révolutionnaires. Quoi qu'il en soit, en 1927, Hitler propose à Jünger un siège au Parlement, mais l'écrivain ne l'accepte pas parce qu'il refuse le parlementarisme et toute forme de parti. Après 1933, Jünger se retire complètement de la politique parce qu'il est trop élitaire, aristocratique et révolutionnaire pour accepter qu'un mouvement de masse s'accapare de ses idées; par ailleurs, il se sent trop impliqué dans bon nombre d'idées nationa­listes pour pouvoir critiquer ouvertement le nouveau régime. En 1939, cependant, Jünger semble vouloir inter­venir directement, de manière critique, dans le régime nazi, en publiant son roman Sur les falaises de marbre. Selon un philosophe allemand contemporain, Hans Blumenberg, Jünger a rassemblé dans ce ro­man toutes les allusions aux événements de l'époque dans un scénario mythique, surtout après l'élimi­na­tion des opposants à Hitler lors de la “nuit des longs couteaux”, décidant ainsi de n'opposer plus qu'une résistance animée par la pure force de l'esprit. Un spécialiste plus connu du nazisme, George L. Mosse affirme que Jünger, dans ce roman, rejette les idées de sa jeunesse et retourne au protestan­tisme. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes.

 

De fait, Jünger, en 1938, dans la seconde version de son livre Le cœur aventureux,  fait allusion pour la première fois au mystérieux Ordre des Maurétaniens, une élite mystique de mages savants et guerriers, qui deviendra le protagoniste collectif du roman Sur les falaises de marbre, et, par la suite, de tous les autres romans de l'auteur. En premier lieu, nous devons souligner que Jünger et les révolutionnaires na­tionalistes de sa génération sont obsédés par le mythe politique d'un Ordre qui régit l'Etat et guide les masses. Les Maurétaniens sont à mi-chemin entre les Templiers et les Chevaliers Teutoniques, ils sont l'incarnation de ce mythe.

 

Donc, en 1938, Jünger écrit qu'au lieu de rester coincé dans ses chères études, il va s'introduire dans le milieu des Maurétaniens, qu'il définit comme des polytechniciens subalternes du pouvoir, parmi lesquels il nomme Goebbels et Heydrich, un des chefs de la SS. Ce n'est dès lors pas un hasard si Carl Schmitt écrit, dans son journal, que les Maurétaniens sont une allégorie des SS. Jünger, en outre, ajoute textuel­lement qu'«une équipe sélectionnée des nôtres est au travail dans les lieux secrets du plus secret Thibet». Effectivement, à cette époque, existait une organisation culturelle liée à la SS et dénommé l'Ahnenerbe  (= l'Héritage des Ancêtres), qui organisait entre autres choses des expéditions plus ou moins secrètes au Thibet, et était reçue par le Dalaï Lama en personne. Par ailleurs, il faut signaler que cette structure avait été mise sur pied, au départ, par un ami de Jünger, Friedrich Hielscher, le chef spiri­tuel des jeunes nationalistes allemands, avant d'être incluse par Himmler dans les institutions SS. Mais quand paraît le roman-pamphlet Sur les falaises de marbre, certains nazis, ignorant ces faits, réclament la tête de Jünger, qui sera défendu par le “Maurétanien” Goebbels, et ensuite par Hitler lui-même, qui, ne l'oublions pas, avait confessé à Rauschning, stupéfait et attéré, avoir fondé un Ordre mystérieux. Nous sommes donc en présence d'un mystère historiographique et politique du 20ième siècle.

 

Le roman de Jünger est probablement le témoignagne d'un conflit politique et culturel qui se déroulait à l'intérieur du noyau dirigeant national-socialiste, et aussi, sans doute, à l'intérieur même de cet Ordre mystérieux, pour savoir comment imposer et diriger la politique intérieure et extérieure du IIIième Reich. Jünger, qui plus est, considère que l'un des protagonistes du roman, le Maurétanien Braquemart, est semblable à Goebbels, et que la figure démoniaque et destructive du Forestier peut être ramenée à Staline. Ensuite, en 1940, il attribue la victoire fulgurante des troupes allemandes en France à la Figure du Travailleur, décrite dans son livre Der Arbeiter.  En 1942, il fait rééditer son essai sur la mobilisation totale, au moment même où Hitler mobilise totalement et désespérément tout ce qui est allemand. Ce conflit in­terne entre les Maurétaniens, dans lequel Jünger entendait bel et bien intervenir en publiant son roman-pamphlet, s'est avivé pendant la durée du conflit, à cause des conséquences catastrophiques de la guerre voulue par Hitler et non par les autres membres de l'Ordre des Maurétaniens. Voilà pourquoi Jünger et son ami Hielscher en sont arrivés à comploter contre le Führer: ils voulaient désespérément éviter le destin tragique qui allait frapper l'Allemagne, ou au moins l'atténuer.

 

Jünger, en effet, fut l'un des organisateurs de la tentative de coup d'Etat du 20 juillet 1944, qui aurait dû avoir lieu après l'attentat contre Hitler. A Paris, où il est officier d'état-major dans le Haut Commandement des troupes d'occupation, centre du complot contre Hitler, Jünger écrit l'essai La Paix  qui est, en fait, le texte politique essentiel de ce complot, et dont le manuscrit avait été lu et approuvé par Rommel, le seul officier supérieur capable de mettre un terme à la guerre sur le front occidental et à affronter la guerre ci­vile. Mais le complot échoue, Rommel est contraint au suicide parce qu'il est condamné à mort. Le Maurétanien Hielscher est arrêté à son tour. Jünger semble vouloir nous dire que le Prince Sunmyra, un des auteurs malchanceux de l'attentat contre le Forestier dans le roman-pamphlet, peut être comparé au Colonel von Stauffenberg, l'auteur malchanceux de l'attentat contre Hitler. Claus von Stauffenberg, héros de la “Résistance allemande”, était un disciple de Stefan George, donc un représentant de ces Maurétaniens qui s'étaient donné le devoir de préserver l'Allemagne secrète. Et Hitler ne pouvait pas con­damner à mort l'Allemagne secrète, incarnée dans l'œuvre et la personne de Jünger.

 

Antonio GIGLIO.

(article extrait de l'Italia settimanale, n°13/1995; trad. franç.: Robert Steuckers).

jeudi, 18 septembre 2008

J. Evola: Jünger et l'irruption de l'élémentaire dans l'espace bourgeois

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Julius EVOLA:

 

Jünger et l'irruption de l'élémentaire dans l'espace bourgeois

 

Il est visible et il nous paraît évident qu'à travers l'économie se sont réveillées des forces «élémentaires», qui, en de nombreux domaines, échappent au contrôle du bourgeois et, ainsi, deviennent le substrat d'une nouvelle unité, collective cette fois.

 

Ce constat nous amène effectivement à certains aspects de la crise du monde bourgeois et à les étudier; selon Jünger, il faut tourner notre attention vers quelques traits caractéristiques du bourgeois qui correspondent à son idéal de sécurité commode et d'exclusion de toute force élémentaire hors de sa vie.

 

Le concept d'élémentaire joue un rôle central dans le livre de Jünger. Comme chez d'autres auteurs allemands, le terme «élémentaire» n'est pas utilisé chez Jünger dans le sens de “primitif”; il désigne bien plutôt les puissances les plus profondes de la réalité qui échappent aux structures intellectuelles et moralistes et qui sont caractérisées par une transcendance, positive ou négative selon l'individu: c'est comme si l'on parlait des forces élémentaires de la nature. Dans le monde intérieur, il existe des puissance qui peuvent faire irruption dans la vie, tant la vie personnelle que la vie collective, en venant d'une strate psychique plus profonde. Quand Jünger parle de l'exclusion de l'élémentaire dans le monde bourgeois, il est évident qu'il s'associe à la polémique développée par plusieurs courants d'idées contemporains, depuis l'irrationalisme, l'intuitionnisme, la religion de la vie (ou vitaliste) jusqu'à la psychanalyse et à l'existentialisme; il s'insurge contre la vision rationaliste-moraliste de l'homme, prédominante hier encore. Mais nous allons voir que la position de Jünger est originale dans ce contexte, car il conçoit des formes actives, lucides, non régressives des rapports de l'homme à l'élémentaire, ce qui le distingue de l'orientation problématique, propre à la grande majorité des courants que nous venons de mentionner.

 

La préoccupation constante du monde bourgeois est donc «de fermer hermétiquement l'espace vital à tout irruption de l'élémentaire», de «se créer une ceinture de sécurité face à l'élémentaire». De ce fait, la sécurité dans la vie est donc l'exigence de ce monde, que devra consolider et légitimer le culte de la raison: une raison «pour laquelle tout ce qui est élémentaire équivaut à l'absurde et à l'insensé». Inclure l'élémentaire dans l'existence, avec tous les problèmes et les risques que cela peut impliquer, voilà ce qui apparaît inconcevable au bourgeois; pour lui, c'est une aberration qu'il faut prévenir par le truchement de techniques pédagogiques adéquates. Jünger écrit: «Le bourgeois ne se sent jamais assez hardi pour se mesurer au destin en luttant et en s'exposant aux dangers, parce que l'élémentaire réside en dehors de son monde idéal; pour lui, l'élémentaire est l'irrationnel voire l'immoral. Il cherchera donc à le tenir toujours à distance, que celui-ci lui apparaisse sous le mode de la puissance ou de la passion, ou se manifeste dans les forces de la nature, dans le feu, l'eau, la terre ou l'air. De ce point de vue, les grandes villes du début du siècle apparaissaient comme les citadelles de la sécurité, comme le triomphe des murs qui, à ce moment-là, cessaient d'être les murs antiques des enceintes fortifiées et se manifestaient désormais comme pierres, asphalte et vitres encerclant la vie, similaires à la structure des rayons d'une ruche, pénétrant jusqu'à la trame la plus intime de la vie. Dans ce sens, toute conquête de la technique est un triomphe de la commodité et toute apparition de l'élémentaire est régulée par l'économie».

 

Pour Jünger, le caractère anomal de l'ère bourgeoise ne réside pas tant dans la recherche de la commodité «que dans ce trait spécifique qui s'associe à ces tendances: c'est-à-dire dans le fait que l'élémentaire se présente comme l'absurde et, partant, que les murs d'enceinte de l'ordre bourgeois se présentent simultanément comme les murs d'enceinte de la rationalité». Tel est donc bien le point d'ancrage de la polémique anti-bourgeoise de Jünger. Il distingue bien la rationalité du culte de la raison et conteste l'idée qui veut qu'un ordre et une mise en forme rigoureuse de la vie soient possibles et concevables seulement selon le schéma rationaliste, partant d'une imperméabilisation de l'existence face à l'élémentaire. Parmi les tactiques utilisées par le bourgeois, il y a celle qui consiste à «présenter toute attaque contre le culte de la raison comme une attaque contre la raison en elle-même, afin de pouvoir bannir cette attaque dans l'aire de l'irrationnel». En vérité, toute attaque peut s'identifier à une autre, mais seulement selon la vision bourgeoise, c'est-à-dire seulement sur base de «la conception spécifiquement bourgeoise de la raison, caractérisée par une “inconciliabilité” avec l'élémentaire». Cette antithèse ne peut être retenue comme valide par un nouveau type humain: du reste, cette antithèse est dépassée de fait par des figures «comme, par exemple, celles du croyant, du guerrier, de l'artiste, du navigateur, du chasseur, du travailleur et, aussi, finalement, du délinquant»; pour toutes ces figures, à l'exception de la dernière, le bourgeois nourrit une aversion plus ou moins ouverte, parce que «pour ainsi dire, elles portent déjà à l'intérieur même des cités, par leurs apparences, l'odeur du danger, parce que déjà leur simple présence représentent une instance dirigée contre le culte de la raison».

 

Mais «pour le guerrier la bataille est un événement dans lequel se réalise un ordre suprême, pour le poète les conflits les plus tragiques sont des situations où le sens de la vie peut se condenser en un mode particulièrement net»; la délinquence elle-même peut être expliquée par une rationalité lucide; quant au croyant, «il participe à la sphère plus vaste d'une vie pleine de signification. Soit par le malheur ou le danger ou le miracle, le destin l'englobe directement dans un tissu d'événements plus puissants. Les dieux aiment se manifester dans les éléments, dans les astres enflammés et dans la foudre, dans les ronces que la flamme ne consume pas». L'élément décisif qu'il s'agit surtout de reconnaître ici est que «l'homme peut demeurer en rapport avec l'élément(aire) sur un plan supérieur ou sur un plan inférieur et qu'en conséquence, multiples sont les plans sur lesquels tant la sécurité que le danger retournent dans l'ordre. Au contraire, dans le bourgeois, on perçoit un homme qui ne reconnaît comme valeur suprême que la sécurité, et détermine sa conduite de vie sur base de cet idéal de sécurité». «Les conditions pour promouvoir cette sécurité, que le progrès cherche à réaliser, sont corollaires de la domination universelle de la raison bourgeoise, laquelle devrait non seulement limiter, mais, en bout de course, détruire, toutes les sources de danger. Et, comme à la lumière de cette raison, le danger est présenté comme étant l'irrationnel, on ôte à celui-ci tout droit de faire partie de la réalité. Il est fort important, dès lors, dans un tel mode de penser, de voir l'absurde dans tout danger: celui-ci semble éliminé dès le moment où, dans le miroir de la raison, il apparait comme une erreur».

 

«Dans les ordonnancements tant spirituels qu'objectifs du monde bourgeois, on peut constater tout cela», poursuit Jünger. «En grand, on peut le voir dans la tendance à concevoir l'Etat  —lequel, normalement, se base pour l'essentiel sur la hiérarchie, en termes de société—  comme une forme ayant pour principe fondamental l'égalité et se constituant par le truchement d'un acte de la raison. Cette vision révèle la volonté d'imposer une organisation complexe, un système de sécurité devant ventiler et atténuer toutes les formes de risques, non seulement dans le domaine de la politique intérieure et extérieure, mais aussi dans celui de la vie individuelle, ce qui constitue une tendance à dissoudre le destin par un calcul de probabilités. Cette vision révèle enfin, dans ses multiples et complexes tentatives de ramener la vie de l'âme à des rapports de cause à effet, dans sa volonté de transférer la vie de l'âme du domaine de l'imprévisible à celui du calculable, et puis de l'insérer dans la sphère “éclairée” de la conscience extérieure». Dans tous les domaines, la tendance est d'éviter les conflits et de démontrer leur “évitabilité”. Mais vu que les conflits surviennent malgré tout, pour le bourgeois, «l'important est de démontrer qu'ils sont une erreur que l'éducation et une pédagogie “éclairée” des esprits devront empêcher la répétition».

 

Mais un tel monde ne serait qu'un monde d'ombres, où l'idéologie des Lumières surévaluerait ses propres forces, en croyant qu'il puisse tenir vraiment debout. En réalité, «le danger est toujours présent; comme un élément de la nature, il cherche continuellement à briser la digue que l'ordre a construit pour l'enserrer; et, par l'effet des lois d'une mathématique occulte mais infaillible, il se fait d'autant plus menaçant et mortel que l'ordre cherche à l'exclure. En fait, le danger veut être non seulement un élément de cet ordre mais, en plus, le principe d'une sécurité supérieure, que jamais le bourgeois ne pourra connaître». En règle générale, si l'on peut exclure l'élémentaire dans un type donné d'existance, cette exclusion «doit être soumise à certaines lois, parce que l'élémentaire n'existe pas seulement dans le monde externe mais est aussi inséparable de la vie de chaque individu». L'homme vit dans l'“élémentarité” dans la mesure où il est un être naturel, un être mu spirituellement par des forces profondes. «Aucun syllogisme ne pourra jamais se substituer au battement du cœur ou à l'activité des reins; il n'existe aucune grandeur qui puisse naître de la seule raison, qui, de temps en temps, doit bien se soumettre aux passions, nobles ou ignobles». Enfin, se référant au monde économique, Jünger note que «s'il est beau le mode par lequel nous nous voyons imposer des calculs, et si l'unique résultat de ceux-ci doit être le bonheur, il restera toujours un résidu qui se soutraira à toute analyse et l'être humain aura le sentiment d'être appauvri, de vivre une désespérance croissante».

 

Mais l'élémentaire a une double source. «D'une part, il a sa source dans un monde qui est toujours dangereux, comme la mer recèle en elle le danger même quand elle n'est pas troublée par le moindre ventelet. D'autre part, il a d'autres sources dans l'âme humaine, qui a soif de jeu et d'aventure, d'amour et de haine, de triomphe et de chute, qui ressent tant le besoin du risque que de la sécurité; et donc, pour cette âme humaine, un Etat absolument sécurisé apparaît comme un Etat d'incomplétude». En prononçant d'aussi audacieuses paroles, Jünger se réfère implicitement à un type humain différent de celui véhiculé par le monde bourgeois, mais que ce monde génère malgré lui.

 

La domination des valeurs bourgeoises peut donc se mesurer «à la distance que l'élémentaire semble avoir prise en se retirant de l'existence». Jünger dit “semble”, parce que l'élémentaire se sert de multiples masques et trouve toujours un moyen de se nicher au centre même du monde bourgeois, pour en miner les ordonnancements rationalisants et émerger dès que survient une crise. Par exemple, Jünger rappelle comme déjà dans le passé, sous le signe de la Révolution française, quelles noces cruelles furent celles qui unirent la bourgeoisie et le pouvoir. Le dangereux et l'élémentaire se sont réaffirmés «face aux astuces les plus subtiles par lesquelles on a cherché à les circonvenir; ils s'introduisent de façon imprévue dans les rouages mêmes de ces astuces, en prennent les travestissements, ce qui fait que tout ce qui est civilisation [au sens bourgeois] présente un visage ambigu; nous connaissons tous les rapports qui existent entre les idéaux de fraternité universelle et les gibets, entre les droits de l'homme et les massacres». Non que ce soit le bourgeois lui-même qui veuille imposer de telles circonstances contradictoires: car quand il parle de rationalité et de moralité, il se prend terriblement au sérieux: «tout cela est plutôt un terrible rire sarcastique qu'adresse la nature aux masques se présentant sous le visage de la moralité, une exultation frénétique du sang dirigée contre l'intellect, après que se soit achevé le prélude des beaux discours». En revanche, ce qui mérite d'être remarqué, c'est «le jeu ingénieux des concepts par lequel le bourgeois cherche à faire ressortir ces vertus et à ôter aux mots tout ce qu'ils ont de dur et de nécessaire, afin que transparaisse seulement une moralité que tous sont tenus de reconnaître». Par exemple, cette attitude est bien visible sur le plan international, «quand on cherche à présenter la conquête d'une colonie comme étant une pénétration pacifique ou comme une opération civilisatrice, ou l'incorporation d'une province appartenant à un pays voisin comme un effet de la libre auto-décision des peuples, ou, enfin, les rapines perpétrées par les vainqueurs comme des réparations». Il est évident qu'à ces exemples avancés par Jünger on pourrait facilement ajouter des faits plus récents. Parmi les cas les plus typiques, nous pourrions ajouter les «nouvelles croisades», les tribunaux de vainqueurs, les «aides aux pays sous-développés», etc.

 

Dans ce même ordre d'idées, est exact ce que dit Jünger quand il relève que c'est justement à l'époque où se sont officiellement et bruyamment propagées les valeurs bourgeoises de “civilisation” que l'on a assisté à des événements que l'on n'aurait plus cru possibles dans un monde éclairé: des phénomènes de violence et de cruauté, de délinquence organisée, de déchaînements d'instincts, de massacres. Tous ces événements représentent «la réduction à l'absurde de l'utopie bourgeoise de la sécurité». En guise de bon exemple, Jünger signale les conséquences qu'a déjà eues le prohibitionnisme aux Etats-Unis: il constitue une tentative moralisatrice, promise par une littérature faite d'utopisme social, et qui semble avoir été conçue comme une mesure de sécurité; elle n'a cependant réussi qu'à attiser des forces élémentaires du plus bas niveau. Ainsi, l'Etat, en suivant rigidement le principe bourgeois, se réfère à des catégories abstraites, rationnelles et moralisantes, et exclut l'élémentaire; mais, en réalité, cet Etat fait en sorte que cet élémentaire s'active en dehors du cadre qu'il installe. «Le moral et le rationnel n'étant pas des liens primordiaux mais seulement des liens propres à l'esprit abstrait, dit Jünger, toute autorité ou tout pouvoir qui veulent se baser sur eux, ne seront qu'autorité ou pouvoir apparents, et, simultanément, la sécurité bourgeoise ne tardera pas à manifester son caractère utopique et éphémère». Il serait bien difficile de contester la réalité de cette dialectique, surtout dans la période qui a suivi la rédaction du Travailleur. C'est effectivement à cette dialectique que se rapportent, d'une part, l'un des facteurs principaux de la crise du monde bourgeois, et, d'autre part, cette autre face, informe, obscure et dangereuse des structures sociétaires modernes, ordonnées et régulées seulement en surface, mais privées tant d'un sens supérieur que de racines dans les strates psychiques les plus profondes.

 

Déjà au moment de la rédaction du Travailleur,  après la première guerre mondiale, il était clair qu'un phénomène analogue de contre-coup allait se produire quand on allait appliquer de tels principes, notamment celui qui se profile derrière le concept bourgeois de liberté abstraite: dans la mesure où l'on reconnaît au principe de la démocratrie nationale une validité universelle, sans opérer la moindre discrimination, on aboutit automatiquement à un état d'anarchie mondiale, suscitant de nouvelles causes de crise au sein de l'ordre ancien, telle la révolte des peuples colonisés et de toutes les forces auxquelles, en Europe et ailleurs, le principe d'auto-détermination des peuples a donné une souveraineté politique même quand il s'agissait de tribus ou de populations, explique Jünger, «dont le nom n'était pas connu de l'histoire politique mais seulement, à la rigueur, des manuels d'ethnologie. Cet état de choses a pour conséquence naturelle la pénétration dans l'espace politique de courants purement élémentaires, de forces appartenant moins à l'histoire qu'à l'histoire naturelle». Aujourd'hui, ce constat est encore plus exact qu'hier.

 

Pour nous, il est cependant plus important d'examiner la crise du système dans ses aspects spirituels. Jünger parle surtout de formes de défense et de compensation qui se sont déjà manifestées en marge de la société bourgeoise, avec le phénomène du romantisme. «Il y a des périodes où les relations de l'homme avec l'élémentaire se manifestent sous l'aspect de propensions au romantisme, lesquelles constituent déjà en soi un point de fracture. Selon les circonstances cette fracture se fera visible: on se perdra dans le lointain (l'exotique), dans l'ivresse, la folie, la misère ou la mort. Ce sont là toutes des formes de fuite où l'homme isolé, après avoir cherché en vain une voie de sortie dans tout l'espace du monde spirituel ou matériel, met bas les armes. Mais, en tant que telle, la capitulation, peut aussi revêtir les apparences d'une attaque, comme quand un navire de guerre, en sombrant, tire encore une ultime bordée à l'aveuglette».

 

«Nous avons su reconnaître la valeur de la sentinelle tombée sur sa position perdue, continue Jünger. Nombreuses sont les tragédies auxquelles se lient de grands noms, mais il y a aussi beaucoup de tragédies anonymes, où des groupes entiers, des strates sociales entières, qui subissent une raréfaction de l'air nécessaire à la vie, comme s'ils avaient été pris par un vent de gaz toxiques». Ce que Jünger ajoute ensuite a une base autobiographique et reflète ses propres expériences de jeunesse, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler: «Le bourgeois a presque réussi à persuader le cœur aventureux que le danger n'existe pas, qu'une loi économique gouverne le monde et l'histoire. Mais les jeunes gens qui dans la nuit et le brouillard abandonnent la maison de leur père ont le sentiment intime de devoir aller très loin à la recherche du danger, au-delà de l'océan, en Amérique, à la Légion Etrangère, dans des pays où poussent les arbustes qui donnent le poivre. Mais surgissent aussi des figures qui n'auront pas le courage de s'exprimer dans ce langage propre et supérieur, comme celle du poète qui se sent pareil au pétrel dont les ailes puissantes, créées pour la tempête, ne deviennent, hélas, plus qu'un objet de curiosité inopportune dans un milieu étranger, sans vent, ou comme celle du guerrier né, qui semble n'être qu'un bon à rien, parce que la vie du marchand le remplit de dégoût».

 

Pour Jünger, le point décisif de fracture a eu lieu pendant la première guerre mondiale. «Dans la joie, les volontaires l'ont saluée (écrit Jünger en se souvenant visiblement de ce qu'il a lui-même vécu) parce qu'elle leur procurait un sentiment de libération des cœurs et que, d'un trait, se révélait à eux une vie nouvelle, plus dangereuse. Dans cette joie, se cachait aussi, tapie, une protestation révolutionnaire contre les valeurs anciennes, tombées irrémédiablement en désuétude. A partir de ce moment-là, dans tous les courants de pensée, dans tous les sentiments et dans tous les événements, s'est infusé une couleur nouvelle, élémentaire». L'important, ici, est de voir comment, par la force même des choses, un nouveau mode d'être a commencé à se différencier. Jünger relève aussi le rôle qu'ont joué dans la jeunesse combattante, entraînée dans la complexité de cette guerre, les enthousiasmes, les idéaux et les valeurs du patriotisme conventionnel lié au monde bourgeois. Mais, bien vite, il est apparu clairement que cette guerre réclamait des réserves de forces bien différentes de celles nourries à ces sources bourgeoises: et cette différence est celle qui distingue les sentiments d'enthousiasme des troupes quittant les gares, d'une part, et «leur action entre les cratères, sous le fer et le feu d'une bataille de matériel», d'autre part. Alors, dans cette épreuve du feu, disparait le contexte qui justifiait la protestation romantique. Cette protestation-là, écrit Jünger, «est condamnée au nihilisme, là où elle est fuite, simple polémique contre un monde qui sombre, or en tant que telle, elle reste conditionnée par lui. Elle ne devient force que quand elle donne lieu à un type spécial d'héroïsme». Là s'annonce le thème central du Travailleur:  traverser une zone de destruction sans être soi-même détruit. La même expérience aura des effets totalement opposés chez des hommes d'une même génération: «les uns se sont sentis déchirés par elle, les autres ont participé à un vécu jamais expérimenté auparavant, grâce à l'extrême proximité de la mort, avec le feu et le sang». La discordance découle de l'ambigüité d'avoir eu comme uniques béquilles les valeurs bourgeoises qui se basaient sur l'individu et sur l'exclusion de l'élémentaire, et d'avoir été capables de vivre une nouvelle liberté. S'il avait été déchiré, brisé, par la guerre, Jünger aurait pu se référer aux mots qu'Erich Maria Remarque a mis en exergue de son fameux livre A l'Ouest rien de nouveau:  «Ce livre ne veut ni accuser ni démontrer une thèse; il veut seulement dire quelle fut une génération, déchirée par la guerre même quand les obus l'ont épargnée». Mais comme Jünger est de ceux qui savent intimement qu'ils ont vécu une expérience unique, il voit en ses compagnons de combat ceux qui anticipativement ont constitué le «type»: c'est-à-dire un homme qui se tient debout parce qu'il veut se rendre capable d'un rapport actif avec l'élémentaire, et, parallèlement, développer des formes supérieures de lucidité, de conscience et de maîtrise de soi, parce qu'il veut se dés-individualiser et accepter un réalisme absolu, parce qu'il connaît le plaisir des prestations absolues, de la plénitude maximale de l'action, assortie d'un minimum de “pourquoi?” et de “dans quel but?”. C'est là que «les lignes de la force pure et celles de la mathématique se rencontrent»; dans l'aire d'une conscience accrue, «il est possible de potentialiser les moyens et les énergies premières de la vie, dans un sens inattendu, jamais encore expérimenté».

 

«Dans les centres occultes de la force, par laquelle on domine la sphère de la mort, on rencontre une humanité nouvelle, qui se forme par le biais d'exigences nouvelles», écrit Jünger. «Dans un tel paysage, on ne peut plus apercevoir l'individu qu'avec beaucoup de difficultés; le feu a calciné tout ce qui n'a pas un caractère objectif». Les processus en plein développement sont tels que toute tentative de la raccorder encore au romantisme et à l'idéalisme de l'individu finissent par sombrer irrémédiablement dans l'absurde. Pour dépasser victorieusement «quelques centaines de mètres où règne la mort mécanique», on n'a nul besoin des valeurs abstraites, morales ou spirituelles, de la libre volonté, de la culture, de l'enthousiasme ou de l'ivresse aveugle qui méprise le danger. Pour cela, il faut une énergie nouvelle et précise, tandis que «la force combattive du milieu dans son ensemble assume un caractère moins individuel que fonctionnel». En outre, on découvre des correspondances entre le point de destruction et l'apogée spirituelle d'une existence; c'est là que se déchaînent les prémisses de la personne absolue. Les rapports avec la mort se transforment et «la destruction peut surprendre l'homme singulier dans ces instants précieux où on lui demande un maximum d'engagement vital et spirituel». Alors, «à la fin, on peut aussi reconnaître la liberté la plus élevée». Tout cela devient, finalement, un part naturelle, voulue d'avance, d'un nouveau style de vie. Finalement se présentent «des figures d'une suprême discipline du cœur et des nerfs, indices d'une froideur quasi métallique, extrême et lucide, où la conscience héroïque se montre capable d'utiliser le corps comme un pur instrument, en lui imposant une série d'actions complexes, au-delà de l'instinct de conservation. Entre les flammes d'un avion touché, dans les chambres d'air d'un submersible qui coule, on accomplit encore un travail qui, au sens propre, transcende la sphère de la vie et dont jamais aucun communiqué ne signalera». Les deux termes qui s'unissent dans ce «type» sont donc l'élémentaire en acte, en soi et en dehors de soi, d'une part, et la discipline, l'extrême rationalité, l'extrême objectivité, c'est-à-dire un contrôle abstrait et absolu de l'activation totale de son être propre, d'autre part.

 

C'est ainsi, d'après Jünger, que déjà au cours de la première guerre mondiale, s'annonçait l'avènement d'une nouvelle «forme intérieure», et nous avons déjà eu l'occasion de dire qu'en elle, il voyait ce qui allait devenir décisif pour l'humanité en devenir, c'est-à-dire les culminations exceptionnelles, à l'image des extériorisations guerrières. La crise finale du monde bourgeois et de toutes les valeurs anciennes, pour Jünger, découle de la civilisation de la technique et de la machine, et de toutes les formes d'élémentarité qui leur sont consubstantielles. Et substantiellement identique serait le type d'homme qui, spirituellement, n'est pas le vaincu mais le vainqueur, que ce soit sur les champs de bataille modernes ou dans un monde absolument technicisé. Substantiellement identique serait le type de dépassement et de formation intérieure qui serait requis dans les deux cas. C'est ainsi que s'ébauche la figure de l'homme que Jünger nomme le “Travailleur”, qu'une continuité idéale unirait «au soldat vrai, invaincu, de la Grande Guerre».

 

Julius EVOLA.

(Chapitre extrait de L'«Operaio» nel pensiero di Ernst Jünger,  éd. Volpe, Rome, 1974; trad. franç.: Robert Steuckers).

Julius EVOLA

mercredi, 17 septembre 2008

Citation de Chateaubriand

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E. Jünger: 70 s'efface, IV

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70 s'efface, IV

 

 

Karlheinz SCHAUDER

 

Il a largement dépassé le grand âge de Goethe: Ernst Jünger, le Patriarche de Wilflingen, vient de fêter ses 100 ans le 29 mars 1995. L'écrivain se sent comme l'Ahasver de la légende et s'étonne d'avoir atteint cet âge après toutes ses “tribulations”. Lui, l'auteur d'une œuvre exemplaire dans la littérature contemporaine, respectée par ses adversaires, remarque, à ce propos: «Depuis des années, l'âge avance, se place à l'avant-scène, se mue en une qualité que je n'avais pas prévue. Je suis frappé, comme toujours, par le nombre impressionnant de perspectives différentes par lesquelles je suis passé, depuis que je suis capable de penser. Cela a l'avantage de donner plus de poids à mes assertions, mais je n'en suis pas responsable».

 

Cette phrase se trouve dans le quatrième volume des Journaux qu'écrit Jünger depuis son 70ième anniversaire sous le titre de Siebzig verweht, traduit en français par Soixante-dix s'efface. Ce quatrième volume constitue, une fois de plus, une collection impressionnante de notules personnelles, rédigées entre janvier 1986 et décembre 1990. Avec les sens toujours en éveil, avec une force expressive intacte, Jünger enregistre ainsi toutes ses rencontres et ses conversations, ses lectures et ses réflexions. Une fois de plus, on est fasciné de voir comment cet écrivain et ce contemporain parvient à tirer l'essentiel d'une journée, à y goûter: «Parmi mes bonnes œuvres, il y a le fait que j'incite beaucoup de mes contemporains à tenir un journal. Quelle qu'en soit la teneur, il demeurera une prestation qui aura une valeur personnelle et documentaire. Ensuite, cette rédaction satisfait une pulsion: notre cheminement est balisé. Le sacré peut advenir; l'homme est seul avec lui-même. Il est bon qu'un Journal commence tôt dans la vie; mieux: qu'il se poursuive jusqu'à la fin, jusqu'à proximité de la mort».

 

En ce siècle, quelques écrivains et philosophes ont choisi d'écrire des notes quotidiennes, pour refléter leur temps et transmettre une pensée vraiment vivante. Ce sont particulièrement Léon Bloy et André Gide, Julien Green et Paul Léautaud qui ont veillé à ce que le Journal ne soit pas une simple habitude privée, mais un genre littéraire, permettant de communiquer des impressions ou des idées, créant un espace où l'on peut raconter et rêver. Chez Ernst Jünger également, les notes quotidiennes occupent une place essentielle dans l'œuvre complète. Lorsqu'il écrit ses Journaux, il ne néglige pas les autres formes de création littéraire, mais hisse tout simplement ses notes au rang d'une forme littéraire significative.

 

Dans ses notes de voyage et ses souvenirs, ses anecdotes et ses considérations, il s'exprime tout à la fois comme écrivain et comme penseur. Cette démarche n'autorise aucune dissipation ni aucun bavardage, comme c'est parfois le cas chez Thomas Mann. Les notes sont séparées par des dates ou des astérisques; souvent pendant plusieurs jours, voire pendant toute une semaine, on ne trouve rien. Sans nul doute, Jünger stylise et rédige ces notes pour qu'elles soient publiées ultérieurement. Il choisit et sélectionne celles qui lui paraissent les plus significatives, les plus chargées de sens, les plus précieuses. Ce qu'il veut communiquer est dit avec précision et concision. Certes, ces qualités-là ôtent quelque lambeaux de spontanéité et d'authenticité à l'écriture immédiate. La construction des phrases est objective et distanciée, souvent certains thèmes s'y répètent, ou un ton docte s'y insinue.

 

Les impressions de l'environnement le plus proche, du paysage des alentours de Wilflingen occupent un vaste espace dans ces annotations. Le très vieil écrivain vit intensément au rythme de la nature, note les observations qu'il glâne dans son jardin ou au cours de ses promenades. Il consigne les transformations saisonnières que subissent plantes et animaux, s'occupe d'ornithologie et de botanique, et surtout d'entomologie. Jünger est d'ailleurs devenu un entomologiste célèbre qui s'est fait un nom dans l'univers scientifique, si bien que quelques espèces portent son nom. C'est avec joie qu'il commente les envois d'insectes que des amis du monde entier lui expédient. C'est pour se livrer aux «chasses subtiles» que le nonagénaire entreprend encore de longs voyages vers les pays exotiques: en Malaisie par exemple où il a pu observer la comète de Halley qu'il avait vu pour la première fois il y a 76 ans avec ses parents, ses frères et ses sœurs; enfin, à Sumatra, dans les Seychelles et à l'Ile Maurice.

 

L'envie de voyager de l'écrivain, sa curiosité envers le monde, sont demeurées intactes. Sans cesse, il prend des vacances en compagnie de sa femme Liselotte, qu'il appelle affectueusement «Petit Taureau», et séjourne dans les pays européens, où il visite les bouquinistes et flâne dans les musées. Ou il circule en France, est reçu par les Chevaliers du Taste-Vin, visite en compagnie de Rolf Hochhuth les grottes de Lascaux et revient, en bout de course, dans l'appartement de Paris. L'octroi de prix ou de doctorats honoris causa le conduit à Palerme, à Rome ou à Bilbao, ce qui lui rappelle de nombreux souvenirs, ravive en lui des impressions anciennes. Jünger rencontre à Berne ou à Munich des amis et des collègues, participe aux jubilés et aux fêtes villageoises de Wilflingen. Dans la gestion quasi ménagère de son œuvre, Jünger consigne dans ses Journaux le meilleur de son courrier et les messages de remerciement. En dépit de tous les honneurs qu'on lui accorde, il conserve une distance par rapport à la gloire: «Les étapes de la gloire et leur mi-temps: depuis le moment où l'on arrive dans le dictionnaire jusqu'au moment où on en est radié. Un chapitre en soi: le rapport entre la gloire et l'après-gloire, riche en déceptions et en surprises, sans intérêt pour la personne concernée».

 

Outre les impressions de voyage, l'auteur honore les moments qu'il a vécu avec ses contemporains et ses compagnons de route: il nous évoque ainsi une visite du dramaturge allemand Heiner Müller, une virée avec Ionesco, une correspondance avec Wolf Jobst Siedler ou avec Rainer Hackel, d'anciennes rencontres avec Ernst Niekisch et Ernst von Salomon, des souvenirs d'Alfred Kubin et de Valeriu Marcu. Le nonagénaire relit ses anciennes lettres, se souvient de son père, de sa première femme, se rappelle avec chagrin de son frère Friedrich Georg, qui, lui aussi, fut un grand écrivain, et avec douleur de son fils Ernstel, tombé au champ d'honneur en Italie pendant la seconde guerre mondiale. Quand Jünger rumine tous ses souvenirs douloureux, il ne pense presque jamais à sa propre mort, mais surtout à la présence des disparus. Les défunts sont tout particulièrement présents dans les rêves du vieil homme.

 

Jünger accorde aux rêves une grande importance: ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface commence et se termine par la description d'un rêve. Dans un cas précis, Jünger raconte pendant quatorze pages en détails et avec minutie une de ses visions nocturnes. A côté du monde bizarre des rêves, il nous décrit une manifestation de l'inconscient, qu'il désigne comme “troisième voie”. Les Journaux offrent ainsi matière à réflechir pour les psychanalystes. Pour les jeux et joutes d'idées pendant l'éveil, la lecture est indispensable; on ne peut y renoncer et Jünger écrit: «Même si la journée d'hier a été fatigante, j'ai encore lu, la nuit tombée, quelques pages du Journal de Renard. Je ne peux imaginer un jour sans lecture et je me demande souvent si, au fond, je n'ai pas vécu la vie d'un lecteur. Le monde des livres serait ainsi le monde réel, et le vécu n'en serait que la confirmation —et cet espoir serait toujours déçu. Ce qui pourrait avoir pour effet que les auteurs présentent la matière sur un plan supérieur et que cette matière s'inscrusterait mieux que le tissu des hasards biographiques. Nous ne voyons que le dos du gobelin. Voilà pourquoi je m'y retrouve mieux dans un bon roman que dans ma propre biographie».

 

Jünger se préoccupe ensuite, dans ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface, des célèbres cas juridiques de Pitaval, se penche encore sur Montaigne, Léon Bloy et Léautaud, relit les œuvres de Tourgueniev, Dostoïevski et Tolstoï. Il note encore le texte d'antiques sagesses d'Egypte, des proverbes chinois dans ses chroniques quotidiennes et fait référence à des versets de l'Ancien et du Nouveau Testament. Pour ce qui concerne la littérature contemporaine, il a été séduit par un roman de Gabriel Garcia Márquez et sait apprécier les poèmes de Helena Paz, la fille d'Octavio Paz.

 

En guise d'anticipation à la publication prochaine de sa correspondance, Jünger reprend de nombreux extraits de lettres dans son Journal. Il cite des parties de lettres qui lui ont été adressées, note des salutations originales issues de cartes postales, nous révèle des réponses à ses traducteurs Henri Plard et Pierre Morel, qu'il consulte toujours en cas de litige. Avec des remarques bien étayées, il commente la préface qu'a rédigée Julien Hervier pour l'édition française du Travailleur, ou il reproduit le texte d'un interview téléphoné qu'il a accordé au Figaro. Il nous parle du travail qu'il a effectué dans le texte des Ciseaux,  où il tente de nous léguer une théodicée, et introduit dans son Journal un passage qu'il a ôté du texte définitif. Il s'occupe de subtilités grammaticales et stylistiques avec une telle intensité que cette précision lui apparaît comme un phénomène de vieillissement! Autrement, il n'a que de petits tracas, constate-t-il: le principal, c'est qu'ils ne se répercutent pas sur sa prose.

 

En tant qu'anarque —c'est ainsi qu'il s'“auto-désigne”—  il a l'impression de vivre davantage dans les livres que dans “notre misérable réalité”. Les rencontres immédiates avec la réalité, avec les événements politiques et culturels, sont quasiment absentes de cette partie du Journal, elles ne sont pas transposées dans l'écriture. Ainsi, les visites répétées à Wilflingen du Chancelier fédéral et du Président Mitterrand ou du Premier Ministre espagnol Gonzales. Ainsi, ses vols en hélicoptère vers Bonn, à l'invitation du Chancelier ou sa participation aux fêtes du jubilé du Traité d'amitié franco-allemand à Paris. Quand on a dépassé 100 ans, les événements du jour n'ont plus trop d'importance, car on a déjà vécu tout et le contraire de tout. Pourtant, deux événements l'ont touché: la fête en l'honneur de son 95ième anniversaire dans le Neuer Schloß de Stuttgart et le nuit de la réunification allemande en novembre 1989.

 

Le Journal de Jünger n'est nullement un “journal intime”, qui, en première instance, sert à exprimer les sentiments du moi qui écrit. Tout, dans les notices de ce Journal, semble être parfaitement maîtrisé, soupesé; la prose admirablement ciselée de ce monologue mis en écriture montre que le Journal de Jünger, en fait, est un moyen de prendre distance et non pas de rester trop proche du vécu. Il s'agit des visions et des expériences d'un homme qui, sans mélancolie, se meut dans la sphère du très grand âge, avec froideur, comme s'il n'était pas concerné. La propre vie et la propre œuvre de l'auteur lui servent à relier et à rapprocher les événements immédiats et lointains, le proche et l'éloigné, le rêve et l'imprimé. Les remarques philosophiques, culturelles, sociologiques et critiques de Jünger, les idées qu'il exprime sur l'histoire et la civilisation ne sont nullement des plaintes pessimistes. Il se borne à enregistrer les évolutions et les bouleversements, il décrit la destruction de la nature due à l'avancée de la technique. Sur notre situation globale, il écrit: «Ce que notre situation a de particulier et peut-être d'unique, c'est que nous sommes plongés non pas seulement dans une révolution mondiale mais aussi et surtout dans une révolution tellurique. Ainsi culmine la résistance qui s'oppose tant à l'artiste qu'au philosophe. Leur œuvre sera soit insuffisante soit provisoire. L'insuffisant sera détruit par les événements, mais le provisoire pourra se révéler si significatif que les événements ne le rattraperont pas».

 

Malgré des observations contrariantes et des détails effrayants, Jünger cherche la loi secrète, l'ordre caché, qui régit tout cela. Qu'il formule des observations sur une couleur ou sur une spirale, qu'il examine un insecte ou décrit une floraison, il s'efforcera toujours de déchiffrer l'«écriture imagée immédiate», de se rapprocher de la plénitude et de l'harmonie du tout cosmique. Il demeure animé par une volonté inconditionnelle de sens et ne se montrera jamais prêt à abandonner la foi en ce sens. Un jour, il s'est demandé: «Qu'est-ce qui est le plus important pour un écrivain? La redécouverte de l'impassable dans le temps passé: l'Etre dans l'existence».

 

Pour Jünger, l'écrivain est une personne morale qui s'est extraite de la quotidienneté sociale, qui, par la force de son imagination, peut reconnaître les rapports entre les choses. Ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface  est lui aussi un outil idéal et sublime pour pénétrer, avec son «regard stéréoscopique», dans le monde pour le révéler, pour pénétrer dans sa pensée qui est un “voir” dans l'espace et dans les profondeurs. Cette collection de notices et de témoignages, de souvenirs et de lettres est un document littéraire de tout premier rang, une chambre aux trésors où l'on trouve les plans et les analyses les plus fines sur notre temps. Une lecture indispensable, captivante, fécondante.

 

Karlheinz SCHAUDER.

(recension tirée de Criticón,  n°146/1995; adresse: Criticón Verlag, Knöbelstrasse 36/0, D-80.538 München; abonnement: DM 64; étudiants: DM 42; trad. franç. : Robert Steuckers).

mardi, 16 septembre 2008

Le réveil de la Russie

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Un achat indispensable pour tous les stagiaires de l'école des cadres !
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Les positions philosophiques d'Alexandre Douguine

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Denis CARPENTIER :

 

 

Les positions philosophiques d’Alexandre Douguine

 

Alexandre Douguine, qui avait pris la parole au colloque du GRECE en 1991, aux côtés d’Alain de Benoist, de Jacques Marlaud et de Charles Champetier, a fait un sacré bonhomme de chemin depuis lors. Incroyablement actif sur internet, écrivain très prolifique, homme orchestre de plusieurs média audio-visuels russes où on l’appele le “disk-jockey de la métaphysique”, il a creusé son trou dans l’entourage du Président Poutine et participe, intellectuellement, au réarmement moral et politique de sa patrie russe. Le Chilien Sergio Fritz, de la “Nueva Derecha Chilena”, et son ami italien Daniele Scalea, qui participe à son site “Eurazia”, ont brossé en quelques paragraphes clairs et succincts la pensée de ce Russe étonnant, sorti de la marginalité dissidente des années 80 pour se hisser, petit à petit, sans jamais se renier ou se dédouaner, aux plus hautes sphères du pouvoir russe actuel. Examinons en bref les idées qui l’animent depuis toujours:  

 

Dougine développe des idées géopolitiques “eurasiennes”, dans la mesure où il inverse la thèse énoncée par Mackinder en 1904, qui prévoyait l’endiguement et l’encerclement de la Russie; comme Carl Schmitt, il conçoit l’histoire comme l’affrontement éternel entre un “Léviathan” et un “Béhémoth”, soit entre la “Terre” et la “Mer”. L’Allemagne et la Russie sont, pour le juriste allemand d’hier comme pour le traditionaliste russe actuel, les forces de la Terre en lutte contre les forces malfaisantes et déliquescentes de la Mer, représentées aujourd’hui par les Etats-Unis.

 

Douguine s’inscrit dans la tradition de la “politique hermétique”: ce sont en effet des forces spirituelles qui guident le monde et l’ont toujours guidé. Originalité de sa position : le communisme russe, après l’éviction des comploteurs “atlanto-trotskistes” (selon sa terminologie), est devenu une sorte de “voie de la main gauche”. Cette expression un peu énigmatique est tirée de l’œuvre d’Evola et de la tradition indienne; elle signifie qu’une force en apparence anti-traditionnelle peut en réalité dissimuler une puissance active et positive qui va subrepticement dans le sens de la Tradition, donc de l’esprit de la “Terre” par opposition à celui de la “Mer”. On songe au tantrisme indien, en apparence débauché, mais poussant la débauche si loin qu’elle se mue en force rénovatrice et restauratrice.

 

Douguine se place tout naturellement dans le sillage de la “révolution conservatrice” allemande des années 20 et 30. Il est l’homme qui a réintroduit en Russie les thèses énoncées par le néo-nationalisme soldatique allemand d’après 1918, période de défaite pour Berlin, comme l’effondrement de l’URSS était, finalement, une période de défaite pour la puissance russe. Douguine est évidemment séduit par la russophilie des “révolutionnaires conservateurs”, dont la première source d’inspiration a été l’œuvre de Dostoïevski, traduite à l’époque en allemand par l’exposant principal de la “révolution conservatrice”, Arthur Moeller van den Bruck, dont toutes les idées politiques dérivent de l’oeuvre du grand romancier russe du 19ième siècle. La “révolution conservatrice” allemande est donc essentiellement “dostoïevskienne” pour le Russe Douguine. Il est donc naturel et licite de la ramener en Russie, où, espère-t-il, elle trouvera un terreau plus fécond.

 

Douguine a introduit ensuite la “pensée traditionaliste” en Russie en y vulgarisant, en y traduisant et en y publiant les œuvres de René Guénon et Julius Evola. Dans cette optique, Douguine n’adopte pas entièrement les mêmes positions que ses homologues ouest-européens. A l’influence des deux traditionalistes français et italien, il ajoute celle du Russe Constantin Leontiev pour qui la Tradition est ou bien othodoxe ou bien islamique. Pour Leontiev, le catholicisme et le protestantisme sont des voies résolument anti-traditionnelles, produits de l’”Occident dégénéré” (Leontiev, Danilevski). L’autre objectif de Douguine, en diffusant la pensée d’Evola et de Guénon, est de lutter contre toutes les entreprises de vulgarisation spirituelle du “New Age” californien, qui risquait fort bien de s’abattre sur une Russie déboussolée et tentée par toutes les expériences occidentales, dont cette confusion des genres, ce bazar de pseudo-spiritualités de pacotille qu’est ce “New Age”.

 

Douguine plaide en politique pour une “convergence des extrêmes”, à l’instar de l’activiste italien des années 70, Giorgio Freda, auquel les journalistes mal intentionnés avaient collé l’étiquette de “nazi-maoïste”. Les activistes et les militants considérés par les bien-pensants comme des “extrémistes” veulent tous, quelles que soient les étiquettes dont ils s’affublent, la “désintégration du système” (Freda). Il faut unir ces forces et non pas les maintenir en un état de division, où des antagonismes artificiels vont les faire s’exterminer mutuellement. La figure emblématique de cette “convergence des extrêmes” est l’irlando-argentin Che Guevara, que Jean Cau avait chanté en son temps, pourtant après sa rupture avec Sartre!

 

Douguine travaille certes dans l’entourage de l’actuelle présidence russe mais ce soutien apporté à Poutine n’est pas a-critique et inconditionnel. Pour Douguine, Poutine est pour le moment un “moindre mal” (explique-t-il dans un entretien accordé à Scalea pour le site et le journal Italia Sociale). Il reproche au Président russe d’avoir laissé tomber Chevarnadze en Géorgie et Yanoukovitch en Ukraine, ce qui pourrait inquiéter les présidences fidèles à Moscou en Biélorussie (Loukatchenko), au Kazakstan (Nazarbaïev) et ailleurs. Il préférerait voir l’ancien militaire Pavel Ivanov au pouvoir à Moscou mais Poutine, selon lui, a eu le mérite insigne de mettre fin à l’ère de totale déliquescence qu’avait provoquée le clan Eltsine. Pour Douguine, Poutine avance toutefois trop lentement : il n’est pas assez ferme contre les “oligarques”, il ne cherche pas à créer une élite alternative mentalement bien structurée, prête à prendre les rênes du pouvoir et à barrer la route à tous les charlatans sans cervelle et sans tripes que manipulent les services américains via les “révolutions colorées”, rose ou orange. Le risque de cette faiblesse chronique est de voir la Russie exposée à une “menace orange” en 2008, lors des prochaines présidentielles. Autre danger: la reconstitution tacite d’un cordon sanitaire autour de la Russie et la création d’antagonismes de pure fabrication pour susciter des conflits permanents, retardateurs, à l’intérieur même de l’espace eurasiatique, qui doit s’unir s’il veut rester libre. La stratégie du “divide ut impera”, pratiquée par Washington, implique dans un premier temps, par exemple, un soutien à Sakachvili en Géorgie contre la Russie, puis un soutien à Poutine contre Sakachvili, de façon à maintenir et à entretenir un désordre permanent dans la région, permettant toutes les politiques manipulatoires. Après la Géorgie et l’Ukraine, le scénario de “révolution spontanée” ou de “révolution colorée” se répète au Kirghizistan, où le président Akaïev, ni pro-russe ni pro-américain mais “eurasien”, est déstabilisé parce que l’US Army entend, à terme, utiliser le territoire kirghize comme base pour encercler la Chine. Alors qu’Akaïev voulait que son pays soit la plaque tournante des communications routières et ferroviaires entre la Russie, l’Inde et la Chine. Dès lors est-ce un hasard s’il est dans le collimateur... et tout d’un coup considéré comme “corrompu” par notre bonne presse...?

 

Suivre Douguine sur internet est captivant. La matière est vaste et apporte chaque jour son bon petit lot d’informations originales et explosives. En parfaite contradiction avec la pensée dominante, “politiquement correcte”.

 

Denis CARPENTIER. 

 

Bibliographie :

Sergio FRITZ, “Alexander Dughin o cuando la metafísica y la política se unen”, http://www.angelfire.com/zine/BLH/nueve1.html... .

Daniele SCALEA, “Le ‘rivoluzioni colorate’ mirano alla distruzione della Russia” – Intervista con Aleksandr Dugin, http://www.italiasociale.org/Geopolitica_articoli/geo2105... (30 mai 2005).

lundi, 15 septembre 2008

Klages e la mistica del primordiale

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La mistica del primordiale

Autore: Luca Leonello Rimbotti

Tommaso Tuppini, <I>Ludwig Klages. L'immagine e la questione della distanza Credeva che l’Amore, forza cosmica ancestrale, fosse impersonale e assoluto. Che vagasse nell’etere, come un’energia che proveniva dai mondi della creazione. Klages non era un visionario. O almeno, non solo. Era un filosofo-poeta contro l’epoca moderna. Nella società della tecnica vedeva la negazione della vera identità dell’uomo, che secondo lui proveniva dalle leggi primitive dell’esistenza, da ciò che lui chiamava anima. Anima è l’origine, è il segreto della vita, è il sigillo che ogni uomo e ogni popolo si porta dietro come un simbolo. Anima è la fusione con la natura, è la voce silenziosa degli avi, che non sappiamo più percepire. Tipico dell’epoca moderna è il voler andare contro l’anima, il voler costruire ideali artificiali, rapporti sociali falsi, utopie ingannatrici. Contro la purezza originaria della vita e contro l’armonia primordiale degli uomini e delle cose è sorto un giorno quel vizio assurdo che è lo spirito, cioè la ragione, l’intelletto razionalista. Energia distruttrice delle radici cosmiche dell’uomo, lo spirito ha in ogni epoca edificato imposture: tra queste, la coscienza repressiva invece dell’anima libera, la volontà tirannica invece della libertà senza limiti di spazio, la storia invece del tempo senza tempo.

Si capisce subito che in Klages rintoccano alcune eco di Nietzsche: la celebrazione delle origini e delle radici, la nostalgia di un’epoca mitica - quella dei “Pelasgi” - in cui gli uomini erano potenze dell’universo prive di angosce e paure, padroni di se stessi e dei propri istinti sovrani.

Nostalgia per l’epoca in cui sorsero i miti delle antiche civiltà, quando l’intuito, l’inconscio e le percezioni sensitive non erano ancora stati repressi dalle armi di distruzione della perversa intelligenza: il concetto, il giudizio, il criticismo. Quella era la vera vita: liberazione degli istinti e delle sensazioni, senza complessi, senza colpe, senza nessuna idea del “peccato”. Questo dell’uomo razionalista è invece il trionfo dell’anti-vita artificiale, che crea i mostri della tecnica e del progresso materiale.

La vita come estasi. Se l’uomo fosse in grado di tornare alla magia dell’origine, potrebbe sbarazzarsi di tutti i fardelli angosciosi che impone la schiavitù della modernità, che ha robotizzato i cervelli e isterilito le anime. La libera psiche è Eros, amore cosmico, distacco romantico dai vuoti interessi terreni. Nel suo libro famoso Dell’Eros cosmogonico, risalente al 1922, Klages celebrò l’Amore totale, il magnete che attrae magicamente due poli anche lontani tra loro, al di là della semplice sessualità, come un moto unitario di natura e un legame di sangue: “Il compimento consiste nel destarsi dell’anima, ed il destarsi dell’anima è contemplazione, ma essa contempla la realtà delle immagini originarie; le immagini originarie sono anime del passato che appaiono; per apparire esse hanno bisogno del legame con il sangue di chi è ancora vivo ed ha ancora un corpo”. In questo “mistico sposalizio” tra anima e “demone generatore” si compie, alla maniera platonica, secondo Klages, la trasformazione del semplice uomo in uomo assoluto, cosmico.

Klages amava la cultura romantica, che pensava per simboli, e che assegnava ai sentimenti il primo posto nella scala dei valori. Ma amava anche Goethe, la sua ricerca dei fenomeni originari come manifestazione del divino. Goethe era poeta, romanziere, scienziato. Ma uno scienziato che credeva ai fenomeni intuitivi, alla magia che è in natura. Ad esempio, il suo romanzo sulle Affinità elettive - in cui rappresentò il caso di una gravidanza condizionata dalla forza psichica del pensiero d’amore, al di là delle normali leggi biologiche - piacque moltissimo a Klages, che giunse a considerare Goethe come un maestro di sapienza inconscia, un poeta delle possibilità magnetiche della psiche umana. Non dunque il solare, l’olimpico genio che siamo abituati a conoscere, ma una sorta di mago indagatore dei segreti dell’anima e dei poteri occulti racchiusi nelle energie di Madre Natura.

Ritroviamo questi temi nella recente traduzione italiana di un piccolo libro di Klages del 1932, Goethe come esploratore dell’anima (editore Mimesis), in cui Goethe diventa quasi un sacerdote neo-pagano. Egli, studiando ad esempio la metamorfosi delle piante, in realtà aveva penetrato il mondo delle segrete potenze primordiali: i mutamenti, le polarità, i magnetismi. Klages, con mentalità irrazionale e religiosa, vede dunque nel genio di Goethe non semplicemente un grande poeta o un grande romanziere, ma un uomo capace di avvicinarsi al cuore divino della vita. Scienziato mistico e non razionalista, Goethe diventa agli occhi di Klages il massimo profeta di un ritorno alla natura e alle sue leggi di attrazione tra simili e di differenziazione universale. Klages amò la natura, fu un “ecologista” ante-litteram, ma non così profano e banale come i “verdi” del nostro tempo materialista. Nel suo capolavoro del 1929, Lo spirito come avversario dell’anima - un tomo di oltre mille pagine che fece epoca - Klages scrisse che “chi distrugge il volto della terra, uccide il cuore della terra e priva della loro ’sede’ le potenze che ora si sono dileguate nell’etere”.

Gli dèi sono fuggiti dal mondo perché l’uomo ha profanato la terra e desacralizzato la natura. Ma attenzione: tutto questo non era soltanto letteratura. Era molto di più. Nella rivalutazione dell’irrazionale e dell’inconscio c’era una guerra dichiarata al mondo razionalista, indifferenziato, democratico, ateo, materialista. Giampiero Moretti ha scritto che nell’idea di Klages di coniugare Goethe con Nietzsche c’era inciso il destino dell’Europa, “forse fin dai suoi primi albori, ad esempio, fin dal momento in cui le figure del guerriero e del sacerdote-poeta presero due strade diverse, spesso in lotta tra loro”.

Ora tutto è più chiaro. Molto oltre la mediocrità della new-age attuale, e con tanta profondità culturale in più, Klages fece parte di quella ribellione tradizionalista al mondo moderno che fu pensata in Europa come un’arma di difesa della terra, del sangue, dell’istinto, dell’origine mitica, del simbolo ancestrale, dell’identità mistica di popoli e gruppi umani. Una cultura politicamente vinta e dispersa. Ma non abbastanza da non lasciarci immaginare che possa presto o tardi riemergere, proprio come una di quelle occulte leggi della vita studiate da Goethe.

* * *

LUDWIG KLAGES: L’IRRAZIONALISMO INNANZI TUTTO

Nato a Hannover nel 1872, filosofo, psicologo e grafologo, Klages visse e insegnò a Monaco, dove conobbe Stefan George - il maggior poeta tedesco dell’epoca - entrando nel George-Kreis, il famoso sodalizio di cui facevano parte molti intellettuali di valore (tra gli altri, Bertram, Wolfskehl, Kantorowicz, Gundolf). Collaborò alla prestigiosa rivista di George “Blätter für die Kunst“, alla cui ideologia romantico-estetizzante si formarono intere generazioni di giovani tedeschi. Nel 1899 formò un suo gruppo culturale, i Kosmiker, vicino alle idee dell’antichista Johann Jakob Bachofen e di Alfred Schuler, il visionario studioso di Nietzsche e di Roma antica. Distaccatosi nel 1904 da George, Klages fondò il “Seminario di Psicodiagnostica”, che gli dette la notorietà. Il senso ideologico di questo ambiente consisteva nel recupero dei valori “dionisiaci” e tellurici, con una rivalutazione dell’irrazionalismo e degli aspetti esoterici della vita e della persona umana. Autore prolifico e originale, durante il Terzo Reich fu nominato Senatore dell’Accademia Tedesca di Monaco ma, a partire dal 1938, rimase appartato per l’inimicizia che gli portarono Alfred Rosenberg e i seguaci dell’ideologia volontarista e virilmente eroica, egemone all’interno della cultura nazionalsocialista. Epurato nel 1945, morì nei pressi di Zurigo nel 1956. Tra le sue opere tradotte in italiano: L’anima e lo spirito (Bompiani, Milano 1940); Dell’Eros cosmogonico (Multhipla, Milano 1979); Perizie grafologiche su casi illustri (Adelphi, Milano 1994); Stefan George, in S.George-L.Klages, L’anima e la forma (Fazi, Lucca 1995); L’uomo e la terra (Mimesis, Milano 1998). Di prossima pubblicazione è la riedizione de I Pelasgi presso le Edizioni Herrenhaus di Seregno. Si tratta di un capitolo dell’opera principale di Klages, Der Geist als Wiedersacher der Seele (Lo spirito come avversario dell’anima), mai tradotta in italiano.

Tratto da Linea del 21.III.2004.


Luca Leonello Rimbotti

Giovanni Sartori sur l'immigration

sartori.jpg SYNERGIES EUROPEENNES – BRUXELLES/MILAN –AVRIL 2004

Le grand politologue italien Giovanni SARTORI  déclare :
«Réunir plusieurs cultures sur un même territoire est dangereux»

“Ne doit entrer dans le pays que celui qui est prêt à s’intégrer”

Entretien avec Giovanni Sartori

L’immigration, non suivie de l’intégration, entraîne la mort du pluralisme et de la démocratie.

Il n’aime pas qu’on dise de lui qu’il est un homme “qui ouvre des pistes”, mais il admet en revanche se trouver en syntonie avec le Cardinal Biffi, qui  nous parle de la “bombe à fragmentation” que constitue l’ensemble des dangers représentés par l’immigration islamique.  L’homme revêtu de la toge pourpre cardinalice a lancé le débat.  Giovanni Sartori, le chef de file des politologues italiens, va, comme le Cardinal, à contre-courant et exprime sa pensée dans un nouvel essai, où il aborde cette thématique.

Son titre, peu original mais clair : «Pluralismo, multiculturalismo e estranei» [“Pluralisme,  multiculturalisme et étrangers”]. Malgré la sécheresse de cet intitulé,  la lecture de l’essai est captivante. Sartori parle à la  première personne. Il n’hésite pas à railler ses adversaires. On a l’impression d’assister à  l’un de ces innombrables conférences, si savoureuses, que ce professeur, aujourd’hui à la retraite, a prononcées à la Columbia University et à l’Université de Florence.

La thèse de Sartori est la suivante : l’immigration, non suivie de l’intégration, entraîne la mort du pluralisme et de la démocratie.  Parce que  ceux qui arrivent vivent dans une communauté fermée sur elle-même, avec des valeurs et des habitudes ramenées des pays d’origine. Inévitablement, on court à la balkanisation. Emergent forcément des conflits entre la culture du pays d’accueil et les cultures immigrées, conflits qui sont incompatibles avec le bon déroulement de la vie démocratique.

Sartori ajoute que les immigrés ne sont pas tous égaux, que ceux qui éprouvent le plus de difficultés à s’intégrer, qui sont les moins “intégrables”, sont originaires de nations “théocratiques”, qui ne connaissent pas la séparation de l’Eglise et de l’Etat. C’est le cas des ressortissants de pays islamiques.

 

Q.: Donc le multiculturalisme, la juxtaposition des styles de vie et des croyances différentes au sein d’un même Etat, constitue un risque pour le pluralisme?

GS : Avant toute  chose, je tiens à mettre en exergue la différence qui existe entre la notion de “multi-ethnisme” et celle de “multiculturalité”. Un pays qui est déjà multi-ethnique, qui compte en son sein des races et des peuples différents, ne doit pas craindre de voir le pluralisme disparaître. Les dangers  pour le pluralisme se perçoivent dans les pays qui sont devenus “multi-ethniques” et qui sont susceptibles de se  transformer en Etats “multiculturels”, où  l’on accorde la citoyenneté à tous ceux qui entrent, même à ceux qui pratiquent la polygamie et portent le tchador.

Q. : Le Cardinal Biffi a donc raison...

GS: Mettons les choses au point : je ne dis pas que les personnes de confession islamique ne peuvent pas venir chez nous; j’analyse le phénomène et je le  décris; je ne donne pas de recettes... Je suis partiellement d’accord avec le Cardinal, nous pouvons donc continuer l’entretien. Je dis que si tous les musulmans qui viennent s’installer en Italie s’intègrent, il n’y aura pas de problèmes. Les problèmes viennent des  fondamentalistes, car pour eux, nous sommes des Infidèles [...].

Q.: Vous  avez exprimé des critiques à l’égard du “tiers-mondisme” français et italien...

GS : Affirmatif. Parce que ce tiers-mondisme accepte l’immigration sauvage.

Q. : Qui devons-nous imiter, alors?

GS : L’Espagne,  par exemple : de manière absolue, l’Espagne refuse les “sans-papiers”, les clandestins. Les Espagnols ont créé une réseau électronique pour intercepter en mer les arrivants et pour les renvoyer immédiatement d’où ils viennent.

Q. : Vous avez également déclaré que les immigrés qui sont utiles aujourd’hui à l’économie de notre pays ne le seront plus demain...

GS: Les patrons veulent de la main-d’œuvre à bas prix mais si la conjoncture redevient défavorable, ils rejettent cette main-d’œuvre, la condamne à la marginalité : quel sera le coût social de ce jeu malsain?

Texte paru dans  "IL GIORNO", 15 septembre 2000

Ce texte peut se lire sur le site des “Cattolici Padani”: www.cattolicipadani.org

dimanche, 14 septembre 2008

Derrière le prétendu impérialisme russe: le pétrole qui sent l'impérialisme américain

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Derrière le prétendu impérialisme russe :

le pétrole qui sent l’impérialisme américain

Comme aux plus belles heures de la guerre du Kosovo, les médias « occidentaux » (c’est-à-dire ceux des pays inféodés à l’Oncle Sam) balancent des images en pagaille aux yeux des spectateurs (des images présentées comme celles de la guerre en Géorgie pourraient venir du Liban que personne ne s’en rendrait compte…), avec la traditionnelle répartition des rôles (Russie = puissance impérialiste cruelle, Géorgie = victime innocente et Etats-Unis/ « Communauté internationale » = grands frères protecteurs) et la scène peut être montée : avec la France dans le rôle pathétique des porteurs de riz et les Etats-Unis dans celui de l’acteur que l’on prend au sérieux, parce qu’il a les moyens de ses ambitions (contrairement au coq tricolore qui a renoncé à toute « ambition »). Il est particulièrement risible d’entendre parler « d’impérialisme » à propos de la Russie alors que la Géorgie (qui souhaite adhérer à l’OTAN) est depuis des années le chien fidèle, pour ne pas dire une colonie, des Etats-Unis (ce qui démontre que l’impérialisme n’est pas tant du côté russe qu’américain). Par ailleurs, le président Bush n’a pas craint le ridicule en appelant au respect le plus solennel de « l’intégrité territoriale » de la Géorgie ; on notera toutefois que le vol du Kosovo et le charcutage de « l’intégrité territoriale » de la Serbie n’ont pas particulièrement troublé le sommeil de la diplomatie US ces derniers mois… Joies et délices de l’hypocrisie américaine.

Derrière les pleurnicheries du président géorgien Mikheïl Saakachvili qui veut faire passer son pays pour la victime d’un nettoyage ethnique façon Darfour (il y a des « nettoyages ethniques » dans tous les conflits de nos jours, c’est merveilleux !) et la promptitude du bon samaritain américain à voler au secours de la Géorgie, il y a la réalité froide et incontournable des intérêts pétroliers américains et de leurs vassaux : en effet la Géorgie est l’intermédiaire entre l’axe atlantique (Etats-Unis/Europe de l’ouest) et les hydrocarbures d’Azerbaïdjan, situation bien pratique qui permet de contourner la Russie pour s’approvisionner en pétrole et ainsi accroître la tutelle américaine sur le continent européen grâce au pion géorgien… D’où l’inquiétude des Américains et de leurs alliés. De l’Irak à la Géorgie : rien de nouveau sous le soleil !

Enfin, dans cette affaire où les peuples des deux côtés de l’Atlantique sont pris pour des imbéciles par leurs élites médiatico-politiques, on remarquera cette propension bien journalistique à parler avec emphase de « communauté internationale » comme pour justifier les ingérences insupportables des élites américaines : la « communauté internationale » intervient ici, la « communauté internationale » fait cela… Et on oublie que derrière cette expression en trompe-l’œil (notion floue, sans aucun fondement juridique) se trouve l’œil de Washington puisque les Etats-Unis ont un poids considérable dans les décisions de l’OTAN (organisation politico-militaire héritée de la guerre froide et alliant les Etats-Unis et l’Europe occidentale pour la défense de cette dernière contre l’URSS). Chose qu’avait compris De Gaulle en retirant la France de sa structure militaire intégrée et de sa direction en 1966, se méfiant des arrières pensées du « grand frère américain ». Leçon oubliée par Nicolas Sarkozy qui annonce en 2008 le retour de l’hexagone dans le commandement intégré de l’OTAN. Attention donc aux termes tarte à la crème tels que « la communauté internationale » qui sous-entend de manière sournoise que la décision prise, parce qu’elle est « internationale », l’a été à l’unanimité ou est le résultat d’un consensus, alors que la plupart du temps ce sont les Etats-Unis qui ont le dernier mot (fait admis de tous).

La réémergence de la Russie sur la scène mondiale, débarrassée des scories du communisme, ardent défenseur du Kosovo serbe, impitoyable envers le terrorisme islamique et décidée à en finir avec la pax americana, devrait plutôt exciter la curiosité et la sympathie des Européens au lieu de se laisser bêtement prendre au piège de l’épouvantail soviétique agité par les Etats-Unis. L’âme de l’Europe, si elle est encore bien vivante, est très forte dans cette Russie orthodoxe fière de ses racines et de son identité.

La construction européenne, pour être crédible, ne peut pas se faire sans la Russie : revenir à la situation de la Guerre froide, avec un bloc américain à l’ouest et une Europe occidentale qui lui est totalement soumise (la seule différence aujourd’hui est que la sphère d’influence américaine s’étend jusqu’aux pays de l’est inclus), et un bloc russe d’autre part, serait, plus qu’un retour en arrière en forme de pied de nez historique, un insupportable gâchis ! Ne ratons pas cette occasion historique.

Julien Langella

 

Il volto ambiguo della Rivoluzione Conservatrice tedesca

Il volto ambiguo della Rivoluzione Conservatrice tedesca

Autore: Luca Leonello Rimbotti

La Rivoluzione Conservatrice - fenomeno essenzialmente tedesco, ma non solo - era un bacino di idee, un laboratorio, in cui vennero ad infusione tutti quegli ideali che da una parte rifiutavano il progressismo illuministico dell’Occidente, mentre dall’altra propugnavano il dinamismo di una rivoluzione in grande stile: ma nel senso di un re-volvere, di un ritornare alla tradizione nazionale, all’ordine dei valori naturali, all’eroismo, alla comunità di popolo, all’idea che la vita è tragica ma anche magnifica lotta.

Detlev J.K. Peukert, La Repubblica di Weimar Tra il 1918 e il 1932, questi ideali ebbero decine di sostenitori di alto spessore intellettuale, lungo un ventaglio di variazioni ideologiche molto ampio: dalla piccola minoranza di quanti vedevano nel bolscevismo l’alba di una nuova concezione comunitaria, alla grande maggioranza di coloro che invece si battevano per l’estrema affermazione del destino europeo nell’era della tecnica di massa, mantenendo intatte, anzi rilanciandole in modo rivoluzionario, le qualità tradizionali legate alle origini del popolo: identità, storia, stirpe, terra-patria, cultura. Tra questi ultimi, di gran lunga i più importanti, figuravano personaggi del calibro di Jünger, Schmitt, Moeller van den Bruck, Heidegger, Spengler, Thomas Mann, Sombart, Benn, Scheler, Klages, e molti altri. In quella caotica Sodoma che era la Repubblica di Weimar - dove la crisi del Reich fu letta come la crisi dell’intero Occidente liberale - tutti questi ingegni avevano un denominatore comune: impegnare la lotta per opporsi al disfacimento della civiltà europea, restaurando l’ordine tradizionale su basi moderne, attraverso la rivoluzione. Malauguratamente, nessuno di loro fu mai un politico. E pochi ebbero anche solo cultura politica. Quest’assenza di sensiblerie fu il motivo per cui, al momento giusto, spesso la storia non venne riconosciuta. E, tra i più famosi, solo alcuni capirono che il destino non sempre può avere il volto da noi immaginato nel silenzio dei nostri studi, ma che alle volte appare all’improvviso, parlando il linguaggio semplice e brutale degli eventi.

I proscritti Scrivevano di una Germania da restaurare nella sua potenza, favoleggiavano di un tipo d’uomo eroico e coraggioso, metallico, che avrebbe dominato il nichilismo dell’epoca moderna; descrivevano la civilizzazione occidentale come il più grande dei mali, il progresso come un dèmone, il capitalismo come una lebbra di usurai, l’egualitarismo e il comunismo come incubi primitivi … e riandavano alle radici del germanesimo, alle fonti dell’identità. Armato di Nietzsche e di antichi miti dionisiaci, c’era persino chi riaccendeva i fuochi di quelle notti primordiali in cui era nato l’uomo europeo… Eppure, quando tutto questo prese vita sotto le loro finestre, quando i miti e le invocazioni assunsero la forma di uomini, di un partito, di una volontà politica, di una voce, quando “l’uomo d’acciaio” descritto nei libri bussava alla loro porta nelle forme stilizzate della politica, molti sguardi si distolsero, molte orecchie cominciarono a non sentirci più… La vecchia sindrome del sognatore, che non vuol essere disturbato neppure dal proprio sogno che si anima… La Rivoluzione Conservatrice tedesca espresse spesso la tragica cecità di molti suoi epigoni dinanzi al prender forma di non poche delle loro costruzioni teoriche.

Giuseppe A. Balistreri, Filosofia della Konservative Revolution: Arthur Moeller van den Bruck Non vollero riconoscere il suono di una campana, i cui rintocchi uscivano in gran parte dai loro stessi libri. Allora, improvvisamente, tutto diventò troppo “demagogico”, troppo “plebeo”. L’intellettuale volle lasciare la militanza, la lotta vera, a quanti accettarono di sporcarsi le mani con i fatti. Alcune derive del Nazionalsocialismo si possono anche storicamente ascrivere alla renitenza di intellettuali e ideologhi, che non parteciparono alla “lotta per i valori” e che, dopo aver lungamente predicato, nel momento dell’azione si appartarono in un piccolo mondo fatto di romanzi e divagazioni. Mentalità da club: “esilio interno” o piuttosto diserzione davanti ai propri stessi ideali? Eppure, un certo spazio critico dovette esistere, poi, anche tra le maglie del regime totalitario, se gli storici riportano di serrate lotte ideologiche intestine durante il Terzo Reich, di polemiche, di divergenze di vedute: Rosenberg non la pensava certo come Klages; Heidegger e Krieck erano avversari politici attestati su sponde lontane… Prendiamo Jünger. Ancora nel 1932, aveva parlato del Dominio, della Gerarchia delle Forme, della Sapienza degli Avi, del Guerriero, del Realismo Eroico, della Forza Primigenia, del Soldato Politico, della “Massa che vede riaffermata la propria esistenza dal Singolo dotato di Grandezza”… Ricordiamo di passata che Jünger negli anni venti collaborò, oltre che con le più note testate del nazionalismo radicale, anche col Völkischer Beobachter, il quotidiano nazionalsocialista e che nel 1923 inviò a Hitler una copia del suo libro Tempeste d’acciaio, con tanto di dedica… Alla luce dei fatti, è forse giunto il momento di considerare quelle proclamazioni solo come buoni esercizi letterari? Nell’infuriare della lotta vera per il Dominio che si ingaggiò di lì a poco, durante gli anni decisivi della Seconda guerra mondiale, noi troviamo Jünger non già nella trincea dove era stato da giovane, ma ai tavoli dei caffè parigini. Qui lo vediamo intento ad irridere Hitler nel segreto del proprio diario, sulle cui paginette si dilettava a chiamarlo col nomignolo di Knièbolo: un po’ poco. Tutto questo fu “fronda” esoterica o immiserimento del talento ideologico? Storico esempio di altèra dissidenza aristocratica o patetico esaurimento di un antico coraggio di militanza?

Oswald Spengler, Il tramonto dell'Occidente E uno Spengler? Anch’egli, dopo aver vaticinato il riarmo del germanesimo e della civiltà bianca, non appena questi postulati ebbero il contorno di un partito politico, che pareva proprio prenderli sul serio, oppose uno sdegnoso distacco. E Gottfried Benn? Dopo aver cantato i destini dell’”uomo superiore che tragicamente combatte”, dopo aver celebrato la “buona razza” dell’uomo tedesco che ha “il sentimento della terra nativa”, come vide che tutto questo diventava uno Stato, una legge, una politica, lasciò cadere la penna…

Ma la Rivoluzione Conservatrice, per la verità, non fu solo questo. Fu anche il socialismo di Moeller, l’antieconomicismo di Sombart, l’idea nazionale e popolare di Heidegger, il filosofo-contadino vicino alle SA. In effetti, la gran parte degli affiliati ai diversi schieramenti rivoluzionario-conservatori confluì nella NSDAP, contribuendo non poco a solidificarne il pensiero politico e, in alcuni casi, diventandone uomini di punta: da Baeumler a Krieck. Secondo Ernst Nolte - il maggiore storico tedesco - la Rivoluzione Conservatrice ebbe l’occasione di essere più una rivoluzione che non una conservazione, soltanto perché si incrociò con la via politica nazionalsocialista: un partito di massa, una moderna propaganda, un capo carismatico in grado di puntare al potere. Tutte cose che ai teorici mancavano. “Non fu il nazionalsocialismo - si è chiesto Nolte -, in quanto negazione della Rivoluzione francese e di quella bolscevico-comunista, una contro-Rivoluzione tanto rivoluzionaria, quanto la Rivoluzione conservatrice non potrà mai essere?”.

Dopo tutto, come ha affermato il più esperto studioso di questi argomenti, Armin Mohler, “il nazionalsocialismo resta pur sempre un tentativo di realizzazione politica delle premesse culturali presenti nella Rivoluzione conservatrice”. Il tentativo postumo di sganciare la RC dalla NSDAP è obiettivamente antistorico: provate a sommare i temi ideologici dei vari movimenti nazional-popolari dell’epoca weimariana, ed avrete l’ideologia nazionalsocialista.

* * *

Tratto da Linea del 25 luglio 2004.


Luca Leonello Rimbotti

La reconquête normande de la Sicile (1061-1091)

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La reconquête normande de la Sicile (1061-1091)

 

Histoire de la reconquête d’une île, préalablement envahie par les Musulmans, devenue italienne aujourd’hui, mais après avoir été pendant quelques siècles dans l’orbite espagnole.

 

Trouvé sur le site de la revue catholique espagnole “ARBIL”: http://www.iespana.es/revista-arbil/(59)sici.htm

 

Par Marco TANGHERONI & T. Angel EXPOSITO

 

La conquête musulmane

 

La conquête musulmane de la Sicile a été commencée en 827, par le débarquement à Mazara de troupes mixtes, composées d’Arabes, de Berbères et de musulmans hispaniques. Cette opération est la résultante d’une longue guerre contre l’Empire romain d’Orient, ou Empire byzantin. Les étapes décisives sont la conquête de Palerme, en 830, la capitulation des places fortes d’Enna, position éminement stratégique en 859, puis la conquête sanglante de Syracuse en 878, accompagnée de massacres et de déportations, après une résistance héroïque et désespérée. Par la suite, les autres centres de la partie orientale de la Sicile résisteront assez longtemps. Au fur et à mesure que la conquête se complétait, les musulmans appliquèrent aux vaincus les conditions que dicte le Coran à l’endroit des “gens du livre”, c’est-à-dire des chrétiens et des juifs, qui deviennent ipso facto des citoyens non musulmans au sein d’un Etat régi par la loi islamique. Ces citoyens sont des “dhimmi”, des  “protégés”: ils sont exemptés de payer la “zakat”, soit la dîme, mais  doivent payer la “khizya”, un impôt de protection qui leur permet de vivre en paix et de participer à la vie sociale et administrative de l’Etat, mais sans pouvoir occuper de position politique. Dans certaines circonstances particulières, ou sous la férule  de certains chefs, ces conditions n’ont pas été respectées. Le sort des “gens du livre” a alors été peu enviable. L’islamisation de l’île devint quasi complète dans sa  partie occidentale, tandis que la population demeurait chrétienne, de rite grec, dans de vastes régions de la Sicile orientale, où survivaient de nombreux monastères. Les conversions de toutes formes et conditions ont été nombreuses chez les vassaux et les serfs.

 

A la dynastie des Aghlabides, fondée par l’émir Ibrahim al-Aghlab et disparue en 812, succède, en 910, celle des Fatimides, d’observance chiite, qui fait remonter ses origines à Fatima, la fille du prophète Mohamet (570-632). Cette dynastie fut obligée de faire face aux rébellions internes, surtout en pays berbère. Entre 948 et 1053, la dynastie des Kalbides s’impose en Sicile, issue de la tribu des Kalb et jouissant d’une forte autonomie. Elle est à l’origine d’une civilisation brillante. Mais la fin de l’unité politique des musulmans en Sicile est marquée, vers 1053, par les luttes acharnées entre chefs militaires. A la suite de ces querelles, la Sicile est divisée entre quatre caïds, dont deux étaient berbères. Cette division politique contrastait avec un développement économique important, suite à l’introduction de nouvelles techniques agricoles et artisanales et par un bon usage commercial de la position centrale de la Sicile en Méditerranée.

 

L’héritage des Normands

 

Au 9ième siècle, les Sarazins, forts de leur supériorité maritime, réussirent à conquérir la Sicile et à ravager la Sardaigne, à fonder un émirat à Bari (de 840 à 870), à s’installer à l’embouchure du Garigliano et dans le bas Latium, position à partir de laquelle ils purent faire quelques incursions dans Rome même. Ils attaquèrent ainsi les basiliques de Saint-Pierre et de Saint-Paul extramuros en 846 et, enfin, à s’installer pendant assez longtemps en Provence. Malgré cette démonstration de forces et ces victoires musulmanes, la reconquête des pays chrétiens commencent immédiatement.

 

Tandis que le processus de reconquête de la péninsule ibérique, occupée par les Maures au 8ième siècle a été amorcé par les habitants eux-mêmes, en Sicile, il convient plutôt de parler de “conquête normande”. Les Normands, qui  envahiront la Sicile musulmane, étaient à l’origine des Scandinaves mais qui n’avaient pas conservé leurs traditions et leurs modes de vie, celles des terribles incursions vikings des 8ième et 9ième siècles. Les Normands de Sicile venaient du Duché de Normandie, où ils s’étaient établis, s’étaient christianisés et avaient adopté la langue française. Ils arrivent en Italie, au départ comme pèlerins, et deviennent mercenaires, dès la première moitié du 9ième siècle, car on connaît leur valeur militaire, qui combine astuce et violence. Ils s’immiscent dans la réalité du Sud de l’Italie, fort complexe à l’époque. En effet, cette partie de la péninsule italique est divisée en duchés tyrrhénéens (Naples, Gaeta et Amalfi. Ces duchés étaient à l’origine sous la suzeraineté de Byzance, mais étaient devenus autonomes de facto. Ensuite, il y avait des  principautés lombardes (Bénévent, Salerne et Capoue) et des territoires sous administration byzantine comme l’Apulie et la Calabre. Toutes ces entités politiques étaient continuellement agitées de rébellions, où les indigènes se révoltaient contre leurs maîtres étrangers et par les contre-offensives impériales.

 

Parmi les chefs normands, une figure se dégage, celle de Robert de Hauteville (1015-1085), alias le Guiscard. Il affirme de manière définitive son autorité sur les autres chefs militaires, dont chacun commandait des hommes fidèles et détenait des terres conquises. Il avait simplement besoin d’une légitimité, que seule une autorité universelle pouvait lui procurer: soit l’Empire d’Occident avec ses empereurs germaniques, mais qui ne s’intéressaient guère à toutes ses agitations d’Italie méridionale, soit la Papauté, avec qui Robert Guiscard entretiendra bien vite des relations privilégiées. De leur côté, les Papes qui régnèrent vers la moitié du 11ième siècle et dans les décennies suivantes, étaient fort préoccupés par la situation politique, surtout celle de Rome et de l’Italie du Sud. Ils entendaient mener à bien les réformes ecclésiastiques, qualifiées improprement de “grégoriennes” à cause de leur principal protagoniste le Pape Grégoire VII (1073-1085). Ces réformes voulaient affirmer le “liberta Ecclesiae”, la liberté de l’Eglise, contre toute ingérence laïque, y compris celle des empereurs qui, avec Henri III (1017-1056) avaient imposé des pontifes  réformateurs à l’aristocratie romaine, pourtant récalcitrante.

 

Le Pape Léon IX (1048-1054) organise, pour sa part, une armée anti-normande, qui fut mise en déroute totale à Civitate, en Apulie, en 1053. Cette bataille, pourtant, fut le prélude d’un dialogue entre les “hommes du Nord” et la curie romaine, qui prit une forme plus concrète, après l’élection du Pape Nicolas II (1059-1061), lors des accords de Melfi en août 1059. Selon ces accords, le Pape absout les Normands Richard de Capoue (mort en 1078) et Robert Guiscard et lève leur excommunication. Il reconnait ensuite les conquêtes qu’ils ont effectuées. Il octroie à Robert le titre de “Duc d’Apulie et de Sicile”, “par la grâce de Dieu et de Saint Pierre”, et, “avec l’aide des deux, celui de futur Duc de Sicile”. En contrepartie, les Normands doivent jurer fidélité au Pape et à l’Eglise et s’engager à défendre non seulement les territoires pontificaux mais aussi les nouvelles modalités d’élection pontificale par les cardinaux, fruits de la réforme ecclésiastique.

 

La reconquête commence

 

Ces accords constituent les prémisses du projet de reconquête de la Sicile. Il commence par la conquête des villes byzantines de Reggio et de Squillace en 1059 puis par un accord entre Roger de Hauteville (mort en 1101), rapidement connu sous le titre de “Grand Comte”, et un des  émirs de l’île, Ibn al-Thumma (mort en 1062). Les opérations  militaires commencent en 1061 par un assaut audacieux, par terre et par mer, lancé contre Messines, qui est enlevée sans  que les Normands ne rencontrent de résistance sérieuse. Mais les péripéties ultérieures de la reconquête ne seront pas aussi faciles: la forteresse de Centuripe, qui contrôle d’un point culminant toute la plaine autour de Catania, opposent une résistance opiniâtre. A Castrogiovanni, l’émir Ibn al-Hawas (mort en 1063 ou en 1064) dirige la défense de la vallée d’Enna. Enfin, Roger participe aux campagnes d’Apulie que mène son frère Robert.

 

Une armée venue d’Afrique intervient dans l’île, mais elle est annihilée par une victoire normande à Cerami pendant l’été de 1063, au cours de laquelle les représentants d’une nouvelle dynastie berbère, les Zirides, auparavant lieutenants des Fatimides, renoncent à appuyer la présence musulmane en Sicile. Après cette bataille, les  Normands ne contrôlent directement que Messines et Val Demone, tandis que les chefs musulmans, plus ou moins liés à eux, gouvernent Syracuse, Catania et la Vallée de Noto; Ibn al-Hawas, pour sa part, continue à dominer Caltanissetta, Girgenti et la Vallée  de Mazara, tandis que Palerme, où s’est affirmé un gouvernement autonome, devient, avec Trapani, le centre de la résistance anti-normande. Dans ce contexte, Palerme subit en 1064 une attaque des Pisans, sans qu’il n’y ait eu un accord entre ceux-ci et Roger. La ville sicilienne et son port sont pillés: les Pisans utiliseront le butin pour construire chez eux une grande cathédrale.

 

La reconquête de la Sicile ne peut se faire définitivement qu’après l’achèvement de la politique d’unification de l’Italie méridionale, réalisé par la conquête de Bari, le 16 avril 1071. En août de la même année, les Normands, qui disposent désormais d’une flotte propre, qui ont perfectionné les techniques de siège et utilisent des machines, des tours et des échelles de meilleures qualité, assiègent Palerme, qui capitule le 10 janvier 1072, suite à une attaque coordonnée des forces de Robert et de Roger. Robert fait son entrée solenelle dans la  ville, où la mosquée devient l’Eglise Sainte-Marie. On y dit la messe en grande pompe. L’archevêque récupère ses biens et son autorité, alors que les Sarrazins l’avaient relégué dans la petite église de San Ciriaco (Saint Cyriaque), où il avait maintenu le culte chrétien. C’était pourtant un homme “timide et grec de nationalité”, notait le bénédictin Geoffroy Malaterra, chroniqueur normand du 11ième siècle.

 

Mazara capitule également mais demande la garantie, comme pour Palerme, que les nouveaux sujets des Normands, que deviendront ipso facto les habitants de la ville, puissent conserver leur religion et la vivre en suivant ses préceptes. Robert retourne ensuite dans la péninsule d’où il essaie de s’étendre à l’Albanie actuelle; débarque dans l’île de Corfou avec son frère Roger et des forces réduites. Il poursuit la guerre en évitant des affrontements directs en rase campagne, déployant deux types de stratégies, tout en respectant les musulmans de l’île, les unes visant à semer la terreur par la destruction des récoltes, par la capture de troupeaux de bétail et de chevaux, par l’élimination physique de groupes de résistants; les autres stratégies visant à faire montre de tolérance, comme frapper des monnaies portant des citations du Coran.

 

Il visait ainsi à étendre son autorité à toute l’île, en tenant compte des réalités ethniques et religieuses, compliquées et entremêlées. Dans cette optique, il crée un diocèse de rite latin et d’obédience romaine, tout en favorisant aussi les institutions ecclésiales grecques, bien établies dans la région, notamment en Sicile orientale. Le Pape accepte cette politique, mais entend faire savoir qu’il veut donner des bases nouvelles aux institutions ecclésiastiques latines, en décidant lui-même des investitures, alors qu’en l’occurrence, c’était Roger qui les avait mises en place lors de ses conquêtes en nommant personnellement les autorités religieuses. Le Pape les ratifia généralement a posteriori, jugeant préférable de faire renaître sans trop de heurts un réseau ecclésial lié à Rome, qui diffuserait les principes de la réforme dite “grégorienne”. Les souverains pontifs successifs et la curie romaine savaient que la renaissance de l’Eglise de rite latin en Sicile revêtait un caractère particulier, que l’historien Paolo Delogu a défini correctement en disant qu’elle était “une église de frontière”.

 

A partir de 1077, les entreprises militaires normandes reprennent vigueur, avec une victoire retentissante devant Trapani, cité dans l’est de la Sicile. Or, dans cette région, à partir de Syracuse, un chef musulman, Ibn Abbad, dit “Benavert”, tente une ultime contre-offensive. Il reprend Catania et saccage le Sud de la Calabre. En mai 1086, il est toutefois battu définitivement par Roger, à la suite d’une expédition décisive. Benavert meurt au combat en tentant de prendre à l’abordage le navire du comte. Après cinq mois de siège, Syracuse capitule, puis vient le tour des autres cités comme Girgenti, Castrogiovanni et Noto. En 1091, les Normands prennent Malte.

 

Une reconquête chrétienne

 

Les historiens modernes et contemporains ont beaucoup discuté pour savoir quelles avaient été les motivations réelles qui avaient poussé les Normands à conquérir la Sicile. Et quel avait été le poids des motivations strictement religieuses. Selon Malaterra, les oppositions et contrastes ethniques et religieux ont été très importants et ne se sont pas réduits à un simple conflit binaire entre chrétiens et musulmans: pour ce moine chroniqueur, les musulmans sont certes “la lie de la terre”, mais les Grecs de Sicile et de Calabre sont d’une “engeance des plus perfides”; quant aux Lombards du Mezzogiorno, “ils sont toujours prompts à faire de mauvaises guerres”; les Pisans, eux, “ne s’intéressent qu’au lucre et n’ont aucune valeur humaine”; les Romains “sont vénaux et toujours prêts à verser dans la simonie”. Malaterra sait que les motivations qui animent Roger, au moment où il s’apprête à venir en Sicile, sont dictées par ses ambitions personnelles: “[...] il considérait deux choses utiles en soi, c’est-à-dire pour l’âme et pour le corps : ramener au culte de Dieu une terre qui avait basculé dans l’idolâtrie et prendre possession temporelle des usufruits et rentes qui avaient été usurpés par une engeance déplaisant à Dieu”. Malgré cette motivation bien temporelle, au fur et à mesure que la guerre sicilienne se simplifiera et perdra sa complexité du début, où des forces musulmanes étaient alliées aux Normands, l’opposition religieuse binaire entre chrétiens et musulmans sera nette et Roger subira en quelque sorte une conversion spirituelle, devenant un modèle de “roi chrétien”: “[...] pour ne pas perdre la grâce de Dieu, il se mit à vivre entièrement à l’écoute du souverain de l’univers, à aimer les jugements justes, à faire dire la justice, à embrasser la vérité, à fréquenter les églises avec dévotion, à écouter les chants sacrés, à payer à l’Eglise une dîme sur toutes ses rentes, à consoler les veuves et les orphelins”.

 

Marco Tangheroni & T. Angel Expósito (D.P.F.)

 

Pour approfondir la question : cf. Salvatore Tramontana, La monarchia normanna e sveva, en Mezzogiorno dai Bizantini a Federico II, vol. III de la Storia d´Italia dirigida por Giuseppe Galasso, Utet, Turín 1983, págs. 435-810.

 

En français:

-        Pierre Aubé, Les empires normands d’Orient, Perrin, Paris, 1991.

-         Eric Barré, Les Normands en Méditerranée, Les éditions du Veilleur de Proue, Rouen, 1998 (ISBN 2-912363-15-2).

 

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samedi, 13 septembre 2008

Comprendere il radicalismo nazionalista di Ernst Jünger

Comprendere il radicalismo nazionalista di Ernst Jünger

Autore: Luca Leonello Rimbotti

Ernst Jünger, Scritti politici e di guerra. 1919-1933. Vol. 3: 1929-1933 La pubblicazione del terzo e ultimo volume degli Scritti politici e di guerra di Ernst Jünger, relativi agli anni 1929-1933, da parte della Libreria Editrice Goriziana, ci permette di mettere a posto, una volta per tutte, la controversa questione del nazionalismo dello scrittore tedesco e dei suoi rapporti con il Nazionalsocialismo. Se, già nel 1923, Jünger aveva scritto parole di apprezzamento per Hitler, cui aveva anche inviato una copia con dedica autografa del suo celebre volume Im Stahlgewittern, e se in quel medesimo periodo aveva anche collaborato al quotidiano della NSDAP Völkischer Beobachter, diretto da Alfred Rosenberg, negli anni a seguire i suoi rapporti con il Partito nazionalsocialista diventeranno più complessi. Ma mai di rottura. Anzi, di cameratesca solidarietà. A volte di critica su questo o quel punto, ma condotta sempre all’interno della galassia nazionalista e con i toni amichevoli del consapevole alleato di lotta.

Uno dei motivi contingenti dell’incomprensione tra alcuni ambienti nazionalisti e NSDAP fu alla fine degli anni venti la situazione dei contadini. Specialmente nella regione settentrionale dello Schleswig-Holstein, a seguito delle misure punitive dei trattati di pace, fortemente penalizzanti l’economia tedesca nel suo complesso, ed anche a seguito della crisi economica, si era avuto il progressivo collasso del ceto rurale, sempre più gravemente scivolato nel gorgo del debito, nella crisi produttiva e nella perdita crescente della piccola proprietà. Da questa situazione era andata prendendo forza una forma di protesta, gestita dalla potente Landvolkbewegung, il movimento contadino a forti tinte nazionaliste ed antisemite che, dal 1928, si rese protagonista anche di alcuni attentati dinamitardi contro la sede del Reichstag. Era una protesta nei confronti dello Stato e del governo, incapaci di garantire agli agricoltori quei sussidi e quelle protezioni dalla concorrenza estera, senza i quali l’economia agricola andava incontro alla rovina. Il movimento contadino trovò immediata sponda negli ambienti nazionalisti. Jünger stesso ne giustificò il terrorismo, prendendo le distanze da Hitler che, invece, pur alleato della protesta, condannò apertamente il ricorso alla violenza. Cosa che non impedì, di lì a poco, che l’intero movimento contadino confluisse nel Partito nazionalsocialista, costituendone anzi uno dei punti di forza sia politici che ideologici: basta pensare al ruolo svolto da Walther Darré.

Condannando la stampa borghese, compattamente ostile ai contadini del Nord, Jünger scrisse frasi pesanti: “È in atto un terrore mediatico di gran lunga più considerevole del terrore generato da qualsiasi bomba”. E condannò ugualmente il moderatismo di Hitler che, come tutti sanno, dopo il Putsch del 1923 era molto attento a marciare lungo i binari della legalità, operando, per tutto il periodo del Kampfzeit, cioè della lotta per il potere, come l’inflessibile elemento moderato che doveva sedare le spinte radicali della sua ala sinistra.

Jünger rimproverava Hitler anche di non essere abbastanza deciso a prendere le distanze da Hugenberg – il capo del Partito Nazionaltedesco – e da tutti gli ambienti reazionari e borghesi. Il fatto sorprendente, che esce a chiare lettere dai suoi scritti di questo periodo, è dunque che Jünger criticava la NSDAP non da “destra”, come si era abituati a pensare e come farà in seguito, bensì da “sinistra”. Ma, in ogni caso, si trattava pur sempre di critiche che non mettevano mai in discussione la consapevolezza che nazionalisti e nazionalsocialisti appartenevano al medesimo schieramento, con i medesimi ideali e i medesimi obiettivi. Si trattava, però, di arrivare al potere non con intermediazioni moderate o conservatrici, ma radicali. Parola di Jünger: “Le risoluzioni prese nell’ambito del partito nazionalsocialista – scrisse su “Wiederstand” dell’ottobre 1929 - non hanno affatto un’importanza esclusiva per questo partito. Dal momento, infatti, che esso attualmente rappresenta l’arma più forte e temibile della volontà nazionale, ogni sua azione o rinuncia andrà necessariamente a colpire tutte le forze che vogliono contribuire all’affermazione di questa volontà in Germania […] ma come ci si può assumere la responsabilità di suscitare la parvenza di un fronte comune con forze la cui vicinanza è intollerabile per un partito intitolato ai lavoratori tedeschi?”.

Domande che, certo, saranno suonate musica alle orecchie delle SA o di un Goebbels, e che non rappresentavano affatto le posizioni del nazionalismo conservatore, ma di quel nazionalismo radicale cui Jünger si era avvicinato tramite Ernst Niekisch, cui lo scrittore era stato presentato dal filosofo Alfred Baeumler. Ma Jünger venne presto accontentato: se si pensa alla rottura, voluta da Hitler, del “fronte di Harzburg” del 1931 – cioè l’alleanza tattica del Nazionalsocialismo con il nazionalismo conservatore, del tipo dello Stahlhelm –, oppure alla liquidazione di tutti gli ambienti conservatori dopo la presa del potere, o alla “purga” del 1934 (che non colpì solo la “sinistra” di Roehm, ma anche la “destra” di Schleicher), se pensiamo poi a come Hitler stesso pose brutalmente fine nel 1944 al conservatorismo junker – e all’esistenza storica della loro casta -, dovremmo riportarne la sensazione che Jünger avesse di che compiacersi dell’operato di Hitler. La storia vuole, invece, che proprio nella lotta di vertice dei conservatori contro il Nazionalsocialismo, Jünger si trovasse – beninteso, in accorta retroguardia - non dalla parte della “sinistra”, bensì della “destra”. Enigmi dell’aristocraticismo…

Jünger era apertamente a-partitico: “rinunciamo a qualsiasi appartenenza partitica…”, aveva scritto, e concepiva romanticamente il nazionalismo come un insieme di centri di lotta, sperando di “veder crescere tutti questi legami in maniera possente, serrata e unitaria, così da raggiungere le dimensioni necessarie al grande confronto…”. La storia ha dimostrato che, in Germania, il nazionalismo di partito non aveva la capacità di crescere fino al punto di diventare egemone. Nei primi anni trenta era chiaro che né Hugenberg né Seldte né tantomeno Niekisch sarebbero andati lontano. Figurarsi semplici ambienti sparsi. Vi andò invece Hitler, ma per vie politiche e non romantiche, e unificando per l’appunto tutti quei movimenti – da quello dei giovani, la Jugendbewegung, a quello contadino sopra ricordato – che, pur essendo nazionalisti, non erano reazionari, ma anzi rivoluzionari.

Ernst Jünger, L'operaio. Dominio e forma Questo, Jünger non lo comprese mai. Non comprese l’identità di un movimento che trovò troppo conservatore nel ’29 e troppo rivoluzionario dal ’33 in poi… mentre la storiografia ha largamente dimostrato – da Nolte a Kershaw – che fu entrambe le cose contemporaneamente, dal 1923 al 1945. Gli amichevoli rimproveri di Jünger agli “amici del partito nazionalsocialista” miravano a scuoterne ciò che allo scrittore pareva eccessiva moderazione, ma che invece, semplicemente, era accortezza politica. Riferendosi ai movimenti nazionalisti intransigenti, Jünger formulò un’esortazione: “speriamo anche che il nazionalsocialismo, anziché combattere quelle forze, ne accetti e riconosca la parentela di fondo”. La parentela di fondo: questa esplicita definizione la dedichiamo a quanti, anche recentemente, non solo hanno negato ogni effusione jüngeriana nei confronti del Nazionalsocialismo, ma persino una sua ideologia nazionalista… E infine leggiamo l’auspicio rivoluzionario: “Al nazionalsocialismo – scrisse nel 1929 Jünger, in pagine che certo provocheranno terribile sconcerto nei suoi attuali ammiratori letterari – auguriamo di cuore la vittoria: conosciamo le sue forze migliori, dal cui entusiasmo trae sostegno e della cui volontà di sacrificio può al di là di ogni dubbio menare vanto. Sappiamo anche, però, che esso potrà combattere per vincere se le sue armi saranno forgiate nel più puro dei metalli, e se rinuncerà al supporto dei fragili resti di un’epoca passata”. Possiamo ribadire che, in questo, Jünger venne accontentato di brutto. I “fragili resti” non solo vennero ignorati, ma proprio distrutti. Il “realismo eroico” propugnato da Jünger altro non era che un radicalismo nazionalista privo di connotati politici. Il suo programma era semplicemente la Germania: “Vogliamo una Germania esattamente com’è”, scrisse nel marzo 1930. Egli conosceva solo un fine, “l’eterna realtà di un Reich che, in questo Paese, non mancò mai di entusiasmare la gioventù”. E un solo progetto: “Qui non c’è niente da augurarsi, allora, vi è piuttosto il rigoroso riconoscimento di un dovere, che trova ora espressione: allora come oggi, essere tedeschi significa essere in lotta”. La differenza tra il nazionalismo di Jünger e il Nazionalsocialismo è insomma la stessa differenza che corre tra il pensiero di un’associazione combattentistica e l’ideologia di un partito rivoluzionario, inteso a ribaltare i rapporti di forza tra le classi e tra le nazioni. Ma il milieu culturale, le aspettative ideali, i fini nazionali, appaiono fratelli: tali, comunque, da non giustificare i continui tentativi di sottrarre Jünger al suo mondo, volendolo ridurre ad agnostico e compassato letterato fine a se stesso.

* * *

Tratto da Linea del 29 maggio 2005.


Luca Leonello Rimbotti

Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du dandy

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Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du “dandy”

 

Intervention de Robert Steuckers au séminaire de “SYNERGON-Deutschland”, Basse-Saxe, 6 mai 2001

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais formuler trois remarques préliminaires:

◊ 1. J’ai hésité à accepter votre invitation à parler de la figure du dandy, car ce type de problématique n’est pas mon sujet de préoccupation privilégié.

 

◊ 2. J’ai finalement accepté parce que j’ai redécouvert un essai aussi magistral que clair d’Otto Mann, paru en Allemagne il y de nombreuses années (i. e. : Dandysmus als konservative Lebensform) (*). Cet essai mériterait d’être à nouveau réédité, avec de bons commentaires.

 

◊ 3. Ma troisième remarque est d’ordre méthodologique et définitionnel. Avant de parler du “dandy”, et de rappeler à ce sujet l’excellent travail d’Otto Mann, il faut énumérer les différentes définitions du “dandy”, qui ont cours, et qui sont contradictoires. Ces définitions sont pour la plupart erronées, ou superficielles et insuffisantes. D’aucuns définissent le dandy comme un “pur phénomène de mode”, comme un personnage élégant, sans plus, soucieux de se vêtir selon les dernières modes vestimentaires. D’autres le définissent comme un personnage superficiel, qui aime la belle vie et pérégrine, oisif, de cabaret en cabaret. Françoise Dolto avait brossé un tableau psychologique du dandy. D’autres encore soulignent, quasi exclusivement, la dimension homosexuelle de certains dandies, tel Oscar Wilde. Plus rarement on assimile le dandy à une sorte d’avatar de Don Juan, qui meuble son ennui en collectionnant les conquêtes féminines. Ces définitions ne sont pas celles d’Otto Mann, que nous faisons nôtres.

 

L’archétype: George Bryan Brummell

 

Notre perspective, à la suite de l’essai d’Otto Mann, est d’attribuer au dandy une dimension culturelle plus profonde que toutes ses superficialités “modieuses”, épicuriennes, hédonistes, homosexuelles ou donjuanesques. Pour Otto Mann, le modèle, l’archétype du dandy, reste George Bryan Brummell, figure du début du 19ième siècle qui demeurait équilibrée. Brummell, contrairement à certains pseudo-dandies ultérieurs, est un homme discret, qui ne cherche pas à se faire remarquer par des excentricités vestimentaires ou comportementales. Brummell évite les couleurs criardes, ne porte pas de bijoux, ne se livre pas à des jeux sociaux de pur artifice. Brummell est distant, sérieux, digne; il n’essaie pas de faire de l’effet, comme le feront, plus tard, des figures aussi différentes qu’Oscar Wilde, que Stefan George ou Henry de Montherlant. Chez lui, les tendances spirituelles dominent. Brummell entretient la société, raconte, narre, manie l’ironie et même la moquerie. Pour parler comme Nietzsche ou Heidegger, nous dirions qu’il se hisse au-dessus de l’«humain, trop humain» ou de la banalité quotidienne (Alltäglichkeit).

 

Brummell, dandy de la première génération, incarne une forme culturelle, une façon d’être, que notre société contemporaine devrait accepter comme valable, voire comme seule valable, mais qu’elle ne génère plus, ou plus suffisamment. Raison pour laquelle le dandy s’oppose à cette société. Les principaux motifs qui sous-tendent son opposition sont les suivants : 1) la société apparaît comme superficielle et marquée de lacunes et d’insuffisances; 2) le dandy, en tant que forme culturelle, qu’incarnation d’une façon d’être, se pose comme supérieur à cette société lacunaire et médiocre; 3) le dandy à la Brummell ne commet aucun acte exagéré, ne commet aucun scandale (par exemple de nature sexuelle), ne commet pas de crime, n’a pas d’engagement politique (contrairement aux dandies de la deuxième génération comme un Lord Byron). Brummell lui-même ne gardera pas cette attitude jusqu’à la fin de ses jours, car il sera criblé de dettes, mourra misérablement à Caen dans un hospice. Il avait, à un certain moment, tourné le dos au fragile équilibre que réclame la posture initiale du dandy, qu’il avait été le premier à incarner.

 

Un idéal de culture, d’équilibre et d’excellence

 

S’il n’y a dans son comportement et sa façon d’être aucune exagération, aucune originalité flamboyante, pourquoi la figure du dandy nous apparaît-elle quand même importante, du moins intéressante? Parce qu’elle incarne un idéal, qui est en quelque sorte, mutatis mutandis, celui de la paiedeia grecque ou de l’humanitas romaine. Chez Evola et chez Jünger, nous avons la nostalgie de la magnanimitas latine, de l’hochmüote des chevaliers germaniques des 12ième et 13ième siècles, avatars romains ou médiévaux d’un modèle proto-historique perse, mis en exergue par Gobineau d’abord, par Henry Corbin ensuite. Le dandy est l’incarnation de cet idéal de culture, d’équilibre et d’excellence dans une période plus triviale de l’histoire, où le bourgeois calculateur et inculte, et l’énergumène militant, de type hébertiste ou jacobin, a pris le pas sur l’aristocrate, le chevalier, le moine et le paysan.

 

A la fin du 18ième siècle, avec la révolution française, ces vertus, issues du plus vieux fond proto-historique de l’humanité européenne, sont complètement remises en question. D’abord par l’idéologie des Lumières et son corrolaire, l’égalitarisme militant, qui veut effacer toutes les traces visibles et invisibles de cet idéal d’excellence. Ensuite, par le Sturm und Drang et le romantisme, qui, par réaction, basculent parfois dans un sentimentalisme incapacitant, parce qu’expression, lui aussi, d’un déséquilibre. Les modèles immémoriaux, parfois estompés et diffus, les attitudes archétypales survivantes disparaissent. C’est en Angleterre qu’on en prend conscience très vite, dès la fin du 17ième, avant même les grands bouleversements de la fin du 18ième : Addison et Steele dans les colonnes du Spectator et du Tatler, constatent qu’il est nécessaire et urgent de conserver et de maintenir un système d’éducation, une culture générale, capables de garantir l’autonomie de l’homme. Une valeur que les médias actuels ne promeuvent pas, preuve discrète que nous avons bel et bien sombré dans un monde orwellien, qui se donne un visage de “bon apôtre démocratique”, inoffensif et “tolérant”, mais traque impitoyablement toutes les espaces et résidus d’autonomie de nos contemporains. Addison et Steele, dans leurs articles successifs, nous ont légué une vision implicite de l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe.

 

L’idéal de Goethe

 

Le plus haut idéal culturel que l’Europe ait connu est bien entendu celui de la paideia grecque antique. Elle a été réduite à néant par le christianisme primitif, mais, dès le 14ième siècle, on sent, dans toute l’Europe, une volonté de faire renaître les idéaux antiques. Le dandy, et, bien avant son émergence dans le paysage culturel européen, les deux journalistes anglais Steele et Addison, entendent incarner cette nostalgie de la paideia, où l’autonomie de chacun est respectée. Ils tentent en fait de réaliser concrètement dans la société l’objectif de Goethe: inciter leurs contemporains à se forger et se façonner une personnalité, qui sera modérée dans ses besoins, satisfaite de peu, mais surtout capable, par cette ascèse tranquille, d’accéder à l’universel, d’être un modèle pour tous, sans trahir son humus originel (Ausbildung seiner selbst zur universalen und selbstgenugsamen Persönlichkeit). Cet idéal goethéen, partagée  anticipativement par les deux publicistes anglais puis incarné par Brummell, n’est pas passé après les vicissitudes de la révolution française, de la révolution industrielle et des révolutions scientifiques de tous acabits. Sous les coups de cette modernité, irrespectueuse des Anciens, l’Europe se retrouve privée de toute culture substantielle, de toute épine dorsale éthique. On en mesure pleinement les conséquences aujourd’hui, avec la déliquescence de l’enseignement.

 

A partir de 1789, et tout au long du 19ième siècle, le niveau culturel ne cesse de s’effondrer. Le déclin culturel commence au sommet de la pyramide sociale, désormais occupé par la bourgeoisie triomphante qui, contrairement aux classes dominantes des époques antérieures, n’a pas d’assise morale (sittlich) valable pour maintenir un dégré élevé de civilisation; elle n’a pas de fondement religieux, ni de réelle éthique professionnelle, contrairement aux artisans et aux gens de métier, jadis encadrés dans leurs gildes ou corporations (Zünfte). La seule réalisation de cette bourgeoisie est l’accumulation méprisable de numéraire, ce qui nous permet de parler, comme René Guénon, d’un “règne de la quantité”, d’où est bannie toute qualité. Dans les classes défavorisées, au bas de l’échelle sociale, tout élément de culture est éradiqué, tout simplement parce que chez les pseudo-élites, il n’y a déjà plus de modèle culturel; le peuple, aliéné, précarisé, prolétarisé, n’est plus une matrice de valeurs précises, ethniquement déterminées, du moins une matrice capable de générer une contre-culture offensive, qui réduirait rapidement à néant ce que Thomas Carlyle appelait la “cash flow mentality”. En conclusion, nous assistons au déploiement d’une barbarie nantie, à haut niveau économique (eine ökonomisch gehobene Barbarei), mais à niveau culturel nul. On ne peut pas être riche à la mode du bourgeois et, simultanément, raffiné et intelligent. Cette une vérité patente : personne de cultivé n’a envie de se retrouver à table, ou dans un salon, avec des milliardaires de la trempe d’un Bill Gates ou d’un Albert Frère, ni avec un banquier ou un fabricant de moteurs d’automobile ou de frigidaires. Le véritable homme d’esprit, qui se serait égaré dans le voisinage de tels sinistres personnages, devrait sans cesse réprimer des baillements en subissant le vomissement continu de leurs bavardages ineptes, ou, pour ceux qui ont le tempérament plus volcanique, réprimer l’envie d’écraser une assiette bien grasse, ou une tarte à la façon du Gloupier, sur le faciès blet de ces nullités. Le monde serait plus pur —et sûrement plus beau— sans la présence de telles créatures.

 

La mission de l’artiste selon Baudelaire

 

Pour le dandy, il faut réinjecter de l’esthétique dans cette barbarie. En Angleterre, John Ruskin (1819-1899), les Pré-Réphaélites avec Dante Gabriel Rossetti et William Morris, vont s’y employer. Ruskin élaborera des projets architecturaux, destinés à embellir les villes enlaidies par l’industrialisation anarchique de l’époque manchesterienne, qui déboucheront notamment sur la construction de “cités-jardins” (Garden Cities). Les architectes belges et allemands de l’Art Nouveau ou Jugendstil, dont Henry Vandervelde et Victor Horta, prendront le relais. A côté de ces réalisations concrètes  —parce que l’architecture permet plus aisément de passer au concret—  le fossé ne cesse de se creuser entre l’artiste et la société. Le dandy se rapproche de l’artiste. En France, Baudelaire pose, dans ses écrits théoriques, l’artiste comme le nouvel “aristocrate”, dont l’attitude doit être empreinte de froideur distante, dont les sentiments ne doivent jamais s’exciter ni s’irriter outre mesure, dont l’ironie doit être la qualité principale, de même que la capacité à raconter des anecdotes plaisantes. Le dandy artiste prend ses distances par rapport à tous les dadas conventionnels et habituels de la société. Ces positions de Baudelaire se résument dans les paroles d’un personnage d’Ernst Jünger, dans le roman Héliopolis : «Je suis devenu le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important » («Ich wurde zum Dandy, der das Unwichtige wichtig nahm, das Wichtige belächelte»). Le dandy de Baudelaire, à l’instar de Brummell, n’est donc pas un personnage scandaleux et sulfureux à la Oscar Wilde, mais un observateur froid (ou, pour paraphraser Raymond Aron, un “spectateur désengagé”), qui voit le monde comme un simple théâtre, souvent insipide où des personnages sans réelle substance s’agitent et gesticulent. Le dandy baudelérien a quelque peu le goût de la provocation, mais celle-ci reste cantonnée, dans la plupart des cas, à l’ironie.

 

Les exagérations ultérieures, souvent considérées à tort comme expressions du dandysme, ne correspondent pas aux attitudes de Brummell, Baudelaire ou Jünger. Ainsi, un Stefan George, malgré le grand intérêt de son œuvre poétique, pousse l’esthétisme trop loin, à notre avis, pour verser dans ce qu’Otto Mann appelle l’«esthéticisme», caricature  de toute véritable esthétique.Pour Stefan George, c’est un peu la rançon à payer à une époque où la “perte de tout juste milieu” devient la règle (Hans Sedlmayr a explicité clairement dans un livre célèbre sur l’art contemporain, Verlust der Mitte, cette perte du “juste milieu”). Sedlmayr mettait clairement en exergue cette volonté de rechercher le “piquant”. Stefan George le trouvera dans ses mises en scène néo-antiques. Oscar Wilde ne mettra rien d’autre en scène que lui-même, en se proclamant “réformateur esthétique”. L’art, dans sa perspective, n’est plus un espace de contestation destiné à investir totalement, à terme, le réel social, mais devient le seule réalité vraie. La sphère économique, sociale et politique se retrouve dévalorisée; Wilde lui dénie toute substantialité, réalité, concrétude. Si Brummell conservait un goût tout de sobriété, s’il gardait la tête sur les épaules, Oscar Wilde se posait d’emblée comme un demi-dieu, portait des vêtements extravagants, aux couleurs criardes, un peu comme les Incroyables et les Merveilleuses au temps de la révolution française. Provocateur, il a aussi amorcé un processus de mauvaise “féminisation/dévirilisation”, en se promenant dans les rues avec des fleurs à la main. A l’heure des actuelles “gay prides”, on peut le considérer comme un précurseur. Ses poses constituent tout un théâtre, assez éloigné, finalement, de ce sentiment tranquille de supériorité, de dignité virile, de “nil admirari”, du premier Brummell.

 

Auto-satisfaction et sur-dimensionnement du “moi”

 

Pour Otto Mann, cette citation de Wilde est emblématique : « Les dieux m’ont presque tout donné. J’avais du génie, un nom illustre, une position sociale élevée, la gloire, l’éclat, l’audace intellectuelle ; j’ai fait de l’art une philosophie et de la philosophie un art; j’ai appris aux hommes à penser autrement et j’ai donné aux choses d’autres couleurs... Tout ce que j’ai touché s’est drapé dans de nouveaux effets de beauté; à la vérité, je me suis attribué, à juste titre, le faux comme domaine et j’ai démontré que le faux, tout comme le vrai, n’est qu’une simple forme d’existence postulée par l’intellect. J’ai traité l’art comme la vérité suprême, et la vie comme une branche de la poésie et de la littérature. J’ai éveillé la fantaisie en mon siècle, si bien qu’il a créé, autour de moi, des mythes et des légendes. J’ai résumé tous les systèmes philosophiques en un seul épigramme. Et à côté de tout cela, j’avais encore d’autres atouts». L’auto-satisfaction, le sur-dimensionnement du “moi” sont patents, vont jusqu’à la mystification.

 

Ces exagérations iront croissant, même dans l’orbite de cette virilité stoïque, chère à Montherlant. Celui-ci, à son tour, exagère dans les poses qu’il prend, en pratiquant une tauromachie fort ostentatoire ou en se faisant photographier, paré du masque d’un empereur romain. Le risque est de voir des adeptes minables verser dans un “lookisme” tapageur et de mauvais goût, de formaliser à l’extrême ces attitudes ou ces postures du poète ou de l’écrivain. En aucun cas, elles n’apportent une solution au phénomène de la décadence. En matière de dandysme, la seule issue est de revenir calmement à Brummell lui-même, avant qu’il ne sombre dans les déboires financiers. Car ce retour au premier Brummell équivaut, si l’on se souvient des exhortations antérieures d’Addison et Steele, à une forme plus moderne, plus civile et peut-être plus triviale de paideia ou d’humanitas. Mais, trivialité ou non, ces valeurs seraient ainsi maintenues, continueraient à exister et à façonner les esprits. Ce mixte de bon sens et d’esthétique dandy permettrait de dégager un objectif politique pratique : défendre l’école au sens classique du terme, augmenter sa capacité à transmettreles legs de l’antiquité hellénique et romaine, prévoir une pédagogie nouvelle et efficace, qui serait un mixte d’idéalisme à la Schiller, de méthodes traditionnelles et de méthodes inspirées par Pestalozzi.

 

Retour à la religion ou “conscience malheureuse”?

 

La figure du dandy doit donc être replacée dans le contexte du 18ième siècle, où les idéaux et les modèles classiques de l’Europe traditionnelle s’érodent et disparaissent sous les coups d’une modernité équarissante et arasante. Les substances religieuses, chrétiennes ou pré-chrétiennes sous vernis chrétien, se vident et s’épuisent. Les Modernes prennent le pas sur les Anciens. Ce processus conduit forcément à une crise existentielle au sein de l’écoumène civilisationnel européen. Deux pistes s’offrent à ceux qui tentent d’échapper à ce triste destin : 1) Le retour à la  religion, ou à la tradition, piste importante mais qui n’est pas notre propos aujourd’hui, tant elle représente un continent de la pensée, fort vaste, méritant un séminaire complet à elle seule. 2) Cultiver ce que les romantiques appelaient la Weltschmerz, la douleur que suscitait ce monde désenchanté, ce qui revient à camper sur une position critique permanente à l’endroit des manifestations de la modernité, à développer une conscience malheureuse, génératrice d’une culture volontairement en marge, mais où l’esprit politiquepeut puiser des thématiques offensives et contestatrices.

 

Pour le dandy et le romantique, qui oscille entre le retour à la religion et le sentiment de Weltschmerz, cette dernière est surtout ressentie de l’intérieur. C’est dans l’intériorité du poète ou de l’artiste que ce sentiment va mûrir, s’accroître, se développer. Jusqu’au point de devenir dur, de dompter le regard et d’éviter ainsi les langueurs ou les colères suscitées par la conscience malheureuse. En bout de course, le dandy doit devenir un observateur froid et impartial, qui a dominé ses sentiments et ses émotions. Si le sang a bouillonné face aux “horreurs économiques”, il doit rapidement se refroidir, conduire à l’impassibilité, pour pouvoir les affronter efficacement. Le dandy, qui a subi ce processus, atteint ainsi une double impassibilité : rien d’extérieur ne peut plus l’ébranler; mais aucune émotion intérieure non plus. Pierre Drieu La Rochelle ne parviendra jamais à un tel équilibre, ce qui donne une touche très particulière et très séduisante à son œuvre, tout simplement parce qu’elle nous dévoile ce processus, en train de se réaliser, vaille que vaille, avec des ressacs, des enlisements et des avancées. Drieu souffre du monde, s’essaie aux avant-gardes, est séduit par la discipline et les aspects “métalliques” du fascisme “immense et rouge”, en marche à son époque, accepte mentalement la même discipline chez les communistes et les staliniens, mais n’arrive pas vraiment à devenir un “observateur froid et impartial” (Benjamin Constant). L’œuvre de Drieu La Rochelle est justement immortelle parce qu’elle révèle cette tension permanente, cette crainte de retomber dans les ornières d’une émotion inféconde, cette joie de voir des sorties vigoureuses hors des torpeurs modernes, comme le fascisme, ou la gouaille d’un Doriot.

 

Blinder le mental et le caractère

 

En résumé, le processus de deconstruction des idéaux de la paideia antique, et de déliquescence des substantialités religieuses immémoriales, qui s’amorce à la fin du 18ième siècle, équivaut à une crise existentielle généralisée à tous les pays occidentaux. La réponse de l’intelligence à cette crise est double : ou bien elle appelle un retour à la religion ou bien elle suscite, au fond des  âmes, une douleur profondément ancrée, la fameuse Weltschmerz des romantiques. La Weltschmerz se ressent dans l’intériorité profonde de l’homme qui fait face à cette crise, mais c’est aussi dans son intériorité qu’il travaille silencieusement à dépasser cette douleur, à en faire le matériel premier pour forger la réponse et l’alternative à cette épouvantable déperdition de substantialité, surplombée par un économicisme délétère. Il faut donc se blinder le mental et le caractère, face aux affres qu’implique la déperdition de substantialité, sans pour autant inventer de toutes pièces des Ersätze plus ou moins boîteux à la substantialité de jadis. Baudelaire et Wilde pensent, tous deux à leur manière, que l’art va offrir une alternative, plus souple et plus mouvante que les anciennes substantialités, ce qui est quasiment exact sur toute la ligne, mais, dans ce cas, l’art ne doit pas être entendu comme simple esthétisme. Le blindage du mental et du caractère doit servir, in fine, à combattre l’économicisme ambiant, à lutter contre ceux qui l’incarnent, l’acceptent et mettent leurs énergies à son service. Ce blindage doit servir de socle moral et psychologique dur aux idéaux de combat politique et métapolique. Ce blindage doit être la carapace de ce qu’Evola appelait l’«homme différencié», celui qui “chevauche le tigre”, qui erre, imperturbé et imperturbable, “au milieu des ruines”, ou que Jünger désignait sous le vocable d’«anarque». “L’homme différencié qui chevauche le tigre au milieu des ruines” ou “l’anarque” sont posés d’emblée comme des observateurs froids, impartiaux, impassibles. Ces hommes différenciés, blindés, se sont hissés au-dessus de deux catégories d’obstacles : les obstacles extérieurs et les obstacles générés par leur propre intériorité. C’est-à-dire les barrages dressés par les “hommes de moindre valeur”  et les alanguissements de l’âme en détresse.

 

Figures tchandaliennes de la décadence

 

La crise existentielle, qui débute vers le milieu du 18ième siècle, débouche donc sur un nihilisme, très judicieusement défini par Nietzsche comme un “épuisement de la vie”, comme “une dévalorisation des plus hautes valeurs”, qui s’exprime souvent par une agitation frénétique sans capacité de jouir royalement de l’otium, agitation qui accélère le processus d’épuisement. La mise en schémas de l’existence est l’indice patent que nos “sociétés”ne forment plus des “corps”, mais constituent, dit Nietzsche, des “conglomérats de Tchandalas”, chez qui s’accumulent les maladies nerveuses et psychiques, signe que la puissance défensive des fortes natures n’est plus qu’un souvenir. C’est justement cette “puissance défensive” que l’homme “différencié” doit, au bout de sa démarche, de sa quête dans les arcanes des traditions, reconstituer en lui. Nietzsche énumère très clairement les vices du Tchandala, figure emblématique de la décadence européenne, issue de la crise existentielle et du nihilisme: le Tchandala est affecté de pathologies diverses, sur fond d’une augmentation de la criminalité, de célibat  généralisée et de stérilité voulue, d’hystérie, d’affaiblissement constant de la volonté, d’alcoolisme (et de toxicomanies diverses ajouterions-nous), de doute systématique, d’une destruction méthodique et acharnée des résidus de force. Parmi les figures tchandaliennes de cette décadence et de ce nihilisme, Nietzsche compte ceux qu’il appelle les “nomades étatiques” (Staatsnomaden) que sont les fonctionnaires, sans patrie réelle, serviteurs du “monstre froid”, au mental mis en schémas et, subséquemment, générateurs de toujours davantage de schémas, dont l’existence parasitaire engendre, par leur effroyable pesanteur en progression constante, le déclin des familles, dans un environnement fait de diversités contradictoires et émiettées, où l’on trouve

 

-         le “disciplinage” (Züchtung) des caractères pour servir les abstractions du monstre froid,

-         la lubricité généralisée comme forme de nervosité et comme expression d’un besoin insatiable et compensatoire de stimuli et d’excitations,

-         les névroses en tous genres,

-         les fascinations morbides pour les mécanismes et pour les enchaînements, limités, de sèches causalités sans levain,

-         le présentisme politique (Augenblickdienerei) où ne dominent plus, souverainement, ni longue mémoire ni perspectives profondes ni sens naturel et instinctif du bon droit,

-         le sensibilisme pathologique,

-         les doutes inféconds procédant d’un effroi morbide face aux forces impassables qui ont fait et feront encore l’histoire-puissance,

-         une peur d’arraisonner le réel, de saisir les choses tangibles de ce monde.

 

Victor Segalen en Océanie, Ernst Jünger en Afrique

 

Dans ce complexe de froideur, d’immobilisme agité, de frénésies infécondes, de névroses, une première réponse au nihilisme est d’exalter et de concrétiser le principe de l’aventure, où le contestataire quittera le monde bourgeois tissé d’artifices, pour s’en aller vers des espaces vierges, intacts, authentiques, ouverts, mystérieux. Gauguin part pour les îles du Pacifique. Victor Segalen, à sa suite, chante l’Océanie primordiale et la Chine impériale qui se meurt sous les coups de l’occidentalisme. Segalen demeure breton, opère ce qu’il appelait le “retour à l’os ancestral”, dénonce l’envahissement de Tahiti par les “romances américaines”, ces “parasites immondes”, rédige un “Essai sur l’exotisme” et “Une esthétique du divers”. Le rejet des brics et brocs sans passé profond ont valu à Segalen un ostracisme injustifié dans sa patrie : il reste un auteur à redécouvrir, dans la perspective qui est nôtre.

 

Le jeune Jünger, encore adolescent, rêve de l’Afrique, du continent où vivent les éléphants et d’autres animaux fabuleux, où les espaces et les paysages ne sont pas meurtris par l’industrialisation, où la nature et les peuples indigènes ont conservé une formidable virginité, permettant encore tous les possibles. Le jeune Jünger s’engage dans la Légion Etrangère pour concrétiser ce rêve, pour pouvoir débarquer dans ce continent nouveau, perclus de mystères et de vitalité. 1914 lui donnera, à lui et à toute sa génération, l’occasion de sortir d’une existence alanguissante. Dans la même veine, Drieu La Rochelle parlera de l’élan de Charleroi. Et plus tard, Malraux, de “Voie Royale”. A “gauche” (pour autant que cette dichotomie politicienne ait un sens), on parlera plutôt d’ “engagement”, où ce même enthousiasme se retrouvera surtout lors de la Guerre d’Espagne, où Hemingway, Orwell, Koestler, Simone Weil s’engageront dans le camp des Républicains, et Campbell dans le camp des Nationalistes, qui fut aussi, comme on le sait, chanté par Robert Brasillach. L’aventure et l’engagement, dans l’uniforme du soldat ou des milices phalangistes, dans les rangs des brigades internationales ou des partisans, sont perçus comme antidotes à l’hyperformalisme d’une vie civile sans couleurs. “I was tired of civilian life, therefore I joined the IRA”), est-il dit dans un chant nationaliste irlandais, qui, dans son contexte particulier, proclame, avec une musique primesautière, cette grande envolée existentialiste du début du 20ième siècle avec toute la désinvolture, la verdeur, le rythme et la gouaille de la Verte Eirinn.

 

Ivresses? Drogues? Amoralisme?

 

Mais si l’engagement politique ou militaire procure, à ceux que le formalisme d’une vie civile, sans plus aucun relief ni équilibre traditionnel, ennuie, le supplément d’âme recherché, le rejet de tout formalisme peut conduire à d’autres attitudes, moins positives. Le dandy, qui quitte la pose équilibrée de Brummell ou la critique bien ciselée de Baudelaire, va vouloir expérimenter toujours davantage d’excitations, pour le seul plaisir stérile d’en éprouver. La drogue, la toxicomanie, la consommation exagérée d’alcools vont constituer des échappatoires possibles: la figure romanesque créée par Huysmans, Des Esseintes, fuira dans les liqueurs. Thomas De Quincey évoquera les “mangeurs d’opium” (“The Opiumeaters”). Baudelaire lui-même goûtera l’opium et le haschisch. Ce basculement dans les toxicomanies s’explique par la fermeture du monde, après la colonisation de l’Afrique et d’autres espaces jugés vierges; l’aventure réelle, dangereuse, n’y est plus possible. La guerre, expérimentée par Jünger, quasi en même temps que les “drogues et les ivresses”, cesse d’attirer car la figure du guerrier devient un anachronisme quand les guerres se professionnalisent, se mécanisent et se technicisent  à outrance.

 

Autre échappatoire sans aucune positivité : l’amoralisme et l’anti-moralisme. Oscar Wilde fréquentera des bars louches, exhibera de manière très ostentatoire son homosexualité. Son personnage Dorian Gray devient criminel, afin de transgresser toujours davantage ce qui a déjà été transgressé, avec une sorte d’hybris pitoyable. On se souviendra de la fin pénible de Montherlant et on gardera en mémoire l’héritage douteux que véhicule encore aujourd’hui son exécuteur testamentaire, Gabriel Matzneff, dont le style littéraire est certes fort brillant mais dans le sillage duquel de bien tristes scénarios se déroulent, montés en catimini, dans des cercles fermés et d’autant plus pervers et ridicules que la révolution sexuelle des années 60 permet tout de même de goûter sans moralisme étriqué à beaucoup de voluptés gaillardes et goliardes. Ces drogues, transgressions et sexomanies bouffonnes constituent autant d’apories, de culs-de-sac existentiels où aboutissent lamentablement quelques détraqués, en quête d’un “supplément d’âme”, qu’ils veulent “transgresseur”, mais qui, pour l’observateur ironique, n’est rien d’autre que le triste indice d’une vie ratée, d’une absence de grand élan véritable, de frustrations sexuelles dues à des défauts ou des infirmités physiques. Décidément, ne “chevauche pas le  Tirgre” qui veut et on ne voit pas très bien quel “Tigre” il y a à chevaucher dans les salons où le vieux beau Matzneff laisse quelques miettes de ses agapes sexuelles à ses admirateurs un peu torves...

 

Ascèse religieuse

 

L’alternative véritable, face au monde bourgeois, des “petits jobs” et des “petits calculs”, moqués par Hannah Arendt, dans un monde désormais fermé, où aventures et découvertes ne sont plus que répétitions, où la guerre est “high tech” et non plus chevaleresque, réside dans l’ascèse religieuse, dans un certain retour au monachisme de méditation, dans le recours aux traditions (Evola, Guénon, Schuon). Drieu la Rochelle évoque cette piste dans son “Journal”, après ses déceptions politiques, et rend compte de sa lecture de Guénon. Les frères Schuon sont exemplaires à ce titre : Frithjof part à la Légion Etrangère, arpente le Sahara, fait connaissance avec les soufis et les marabouts du désert ou de l’Atlas, adhère à une mystique soufie islamisée, part ensuite dans les réserves de Sioux aux Etats-Unis, laisse une œuvre picturale étonnante et époustouflante. Son frère, nommé le “Père Galle”, arpente les réserve améridiennes d’Amérique du Nord, traduit les évangiles en langue sioux, se retire dans une trappe wallonne, y dresse des jeunes chevaux à la mode indienne, y rencontre Hergé et se lie d’amitié avec lui. Des existences qui prouvent que l’aventure et l’évasion totale hors du monde frelaté de l’occidentisme (Zinoviev) demeure possible et féconde.

 

Car la rébellion est légitime, si elle ne bascule pas dans les apories ou ne débouche pas sur un satanisme de mauvais aloi, comme dans certaines sectes néo-païennes, plus ou moins inspirées par les faits et gestes d’un Alistair Crowley. Ce dérapage s’explique : la rébellion, faute de cause, devient hélas service à Satan, lorsque le mal en soi  —ou ce qui passe pour le “mal en soi”—  est devenu l’excitation existentielle considérée comme la plus osée. Dans un monde désenchanté, comme le nôtre, livré aux plaisirs stupides et passifs fournis par les médias, ce satanisme, avec son cortège sinistre de gesticulations absurdes et infécondes, séduit des esprits faibles, comme ceux qui traînent, par puritanisme mal digéré et mal surmonté, dans les salons où agit Matzneff et “passivent” ses voyeurs d’admirateurs. Ce n’est en tout cas pas l’attitude que souhaitait généraliser Brummell.

 

Robert STEUCKERS,

Forest/Flotzenberg, Vlotho im Weserbergland, mai 2001.

 

Note:

(*) : Otto MANN, “Dandysmus als konservative Lebensform” in: Gerd-Klaus KALTENBRUNNER (Hrsg.), Konservatismus International, Seewald Verlag, Stuttgart, 1973, ISBN 3-51200327-3, pp.156-170.

vendredi, 12 septembre 2008

Turquie: au coeur du maelström

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La lettre de léosthène, le 6 septembre 2008,

 

TURQUIE : au coeur du maelström

Par Hélène Nouaille

samedi 6 septembre 2008, par Comité Valmy

Nous publions cette analyse enrichissante d’Hélène Nouaille qui souligne notamment que dans le monde actuel, la question de la pertinence du maintien de l’OTAN et de son "élargissement continuel" objectivement bellicistes, est de plus en plus souvent posée.

(VOIR LES "PROPOSITIONS DU COMITE VALMY") :

Rétablir une politique étrangère et de défense indépendante, souveraine, anti-impérialiste et favorable à un monde multipolaire.

Refus de toute hégémonie.

Intégrer la France dans le combat anti-impérialiste des peuples du monde et des nations libres, favoriser et soutenir leur nécessaire front uni contre la mondialisation néo-libérale orchestrée par les USA et dont la construction d’une Europe supranationale est à la fois une conséquence et un instrument.

Face à la menace américaine et sa doctrine occidentaliste de guerres préventives tous azimuts, retirer la France de l’OTAN, instrument des USA et de ses satellites. Oeuvrer pour la dissolution de l’OTAN dont le maintien et le renforcement systématique conduisent à la guerre. ... Claude Beaulieu


Voir en ligne : Propositions du Comité Valmy

 

“ La guerre russo-géorgienne autour de l’Ossétie du Sud a eu un effet immédiat : elle a remis la mer Noire au cœur des préoccupations stratégiques occidentales et russes ” écrit notre confrère suisse le Temps. Oui, et celle qui en contrôle le seul accès, par les Dardanelles et le Bosphore, est la Turquie, depuis 1936 et la Convention de Montreux (1) L’empire Ottoman y veillait, avec des fortunes diverses, depuis 1453, chute de l’empire byzantin. Et c’est dans la Mer Noire qu’après les déclarations modérées de l’Union européenne pour une fois “réunie” au sommet de Bruxelles le 1er septembre dernier, déclarations bien accueillies par Moscou et qui tendent à l’apaisement avec la Russie, Washington a décidé de montrer ses muscles, via les navires placés sous commandement intégré de l’OTAN.

“ Les Etats-Unis poursuivent une politique délicate de livraison d’aide humanitaire par avions de transport et navires militaires, apparemment pour montrer aux Russes qu’ils ne contrôlent pas complètement l’espace aérien et les côtes géorgiennes” écrivait le New York Times, le 27 août (2). “ A Moscou, les manoeuvres navales ont clairement soulevé des inquiétudes. Les amiraux russes ont déclaré que l’afflux de navires de l’OTAN en Mer Noire violait le Traité de 1936, la Convention de Montreux, qui limite à trois semaines le séjour des pays non riverains sur cette mer ”.

La Turquie, qui appartient à l’OTAN depuis 1952, règne sur les détroits. Mais, nous dit encore le Temps (3), s’il faut que “ les navires de guerre ne dépassent pas 45000 tonnes ” pour obtenir l’autorisation de passage – ce qui exclut les porte avions - “ Ankara est sous forte pression de Washington pour assouplir le régime de Montreux. D’autant que la Turquie avait interdit le passage à des navires américains au moment de l’intervention en Irak en 2003. A plusieurs reprises, l’OTAN a tenté des passages en force avec des bâtiments dépassant le tonnage autorisé ”.

Voilà qui incite la Turquie, qui, nos lecteurs le savent, cherche depuis plusieurs années à jouer dans la région ses atouts de médiateur (4) à la fois vers l’ancien ennemi historique, la Russie, sa ceinture caucasienne et au-delà l’Asie centrale, à se poser des questions. “ La Turquie affronte un dilemme difficile devant le changement politique du paysage caucasien ” constate le quotidien turc Hürriyet (5) changement qui paraît “ renforcer sa position comme pays de transit pour les routes des hydrocarbures ”, mais qui voit “ monter les pressions pour équilibrer ses relations entre la Russie et les Etats-Unis ”.

Les problèmes de l’acheminement du pétrole et du gaz en provenance de la Caspienne et de l’Asie centrale sont bien, à court et plus long terme, un facteur important (6). Mais à très court terme, pour cet hiver, il s’agit de l’approvisionnement turc : 60 % du gaz naturel et 40 % du pétrole nécessaires aux Turcs sont fournis par la Russie. Et, remarque l’agence chinoise Xinhuanet, la demande est en expansion, “ ce qui a rapidement modifié la balance commerciale entre les deux pays, au désavantage de la Turquie ” (7). Or la Russie a réagi fermement à l’entrée des navires de l’OTAN en Mer Noire d’une part en compliquant les contrôles douaniers à ses frontières, d’autre part en faisant savoir aux Turcs qu’elle pourrait limiter ses livraisons d’hydrocarbures aux contrats signés, qui sont insuffisants.

Le message a été parfaitement clair pour le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, (“ La Russie pour nous est un pays avec lequel nous entretenons de très importantes relations commerciales (...). Quand vous regardez nos rapports commerciaux et économiques avec la Russie, vous ne pouvez ignorez la Russie. La Turquie imposera un équilibre dans le cadre de ses intérêts ”, déclarait-il le 2 septembre, d’après l’AFP, au quotidien turc Milliyet). Et le ballet diplomatique entre Moscou et Ankara n’a pas cessé. Mais c’est le président turc, Abdullah Gül qui a précisé les choses dans un entretien donné au Guardian britannique, dès le 16 août (8). Très clairement.

“ Le conflit en Géorgie, a affirmé Abdullah Gül, a montré que les Etats-Unis ne pouvaient plus définir la politique mondiale selon leur point de vue, et doivent commencer à partager le pouvoir avec d’autres pays ”. Et de déclarer : “ Je ne pense pas que vous puissiez contrôler le monde depuis un seul centre. Il existe de grandes nations. Il existe d’immenses populations. Il existe d’incroyables développements économiques dans certaines parties du monde. Donc ce que nous devons faire, en lieu et place d’actions unilatérales, est d’agir ensemble, prendre des décisions communes et nous consulter dans le monde. Un nouvel ordre mondial, si je puis dire, devrait émerger ”.

Abdullah Gül a également défini la position et le savoir faire de la Turquie – en insistant sur la capacité de changement et l’évolution continue de son pays : “ La Turquie a une grande capacité à influencer la région, indirectement, très pacifiquement, et à y être une source d’inspiration (...). La Turquie a déjà joué ce rôle précédemment. Et cela n’a pas été apprécié suffisamment ”. Son déplacement à Moscou est annoncé avant la fin de l’année. Y sont liées l’ensemble des initiatives turques, vers le Caucase (Plateforme de stabilité et de coopération du Caucase, proposée à la Russie, à la Géorgie, à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie), vers l’Iran (“ Il a rejeté l’idée ”, dit le Guardian déjà cité, “ promue par les Etats-Unis et Israël, que le meilleur moyen de traiter avec l’Iran était de l’isoler, de le sanctionner et de le punir ”). Sans oublier l’intermédiation turque entre la Syrie et Israël (accords sur le Golan).

Reste que son rôle de gardien des détroits en tant qu’alliée de l’OTAN lui pose un vrai problème. Pourquoi ? “ Peu d’analystes ont compris la signification militaire complète du geste que la Russie a fait en reconnaissant les républiques séparatistes de la Géorgie : la Russie a désormais gagné le contrôle de fait sur deux ports essentiels de la Mer Noire — Soukhoumi et Poti (...). La rapidité avec laquelle la Russie a pris le contrôle de Poti doit avoir rendu les Etats-Unis fous de rage. La fureur de Washington est arrivée avec la prise de conscience que son plan de jeu, afin d’éliminer au bout du compte le rôle de la Russie en tant que "puissance de la Mer Noire", s’est transformé en chimère. Evidemment, sans une flotte en Mer Noire, la Russie aurait cessé d’être une puissance navale dans la Méditerranée. En retour, le profil de la Russie en Asie Mineure en aurait souffert ” (9).

C’est pourquoi, nous dit l’ancien diplomate indien M. K. Bhadrakumar pour Asia Times (9), “ Tout indique que Moscou a l’intention d’affirmer la présence stratégique de sa flotte en Mer Noire. Des pourparlers ont déjà commencé avec la Syrie pour l’expansion de l’entretien d’une base navale russe dans le port syrien de Tartous ”. Et le vrai point chaud est là, en Mer Noire, quand les navires de l’OTAN (trois frégates polonaise, allemande et espagnole) frôlent la flotte russe – au moins pour les navires militaires américains qui livrent des aides humanitaires dans les ports géorgiens – pourquoi des navires militaires, disent les Russes ? Plus grave, le garde côte américain Dallas, puis l’USNS Pathfinder, ont fait escale à Sébastopol, sur invitation ukrainienne. A portée d’incident.

Lorsque le navire amiral de la 6ème flotte américaine passe le Bosphore, jeudi 4 septembre, le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Andreï Nesterenko, s’interroge : “ L’USS Mount Whitney est le vaisseau-amiral de la 6e flotte de la Marine américaine, doté d’équipements de contrôle, de télécommunications et de reconnaissance permettant d’assurer le commandement d’un groupe naval. Ces navires ont, bien sûr, des cales destinées à transporter des produits alimentaires et des objets nécessaires pour l’équipage. Comment peut-on acheminer des dizaines de tonnes de fret humanitaire sur un tel navire ? ”. Et sa présence est-elle conforme à la Convention de Montreux ?

Inévitablement, la question est posée, dans le quotidien turc Today’s Zaman (10), sous la plume d’Ibrahim Kalin. Turquie-OTAN : la non alliance est-elle une option ? Par sa position géographique et géopolitique, “ la Turquie reste un joueur clef dans la région (...). Quand l’Histoire se tourne vers l’Asie, cette énorme étendue terrestre dont l’Europe n’est que le front ouest, les pays de la région considèrent de nouvelles opportunités (...). Comme les événements de ces dernières années l’on montré, l’OTAN pense toujours et agit toujours avec les paramètres de la Guerre froide (...). S’il n’y a plus de menace communiste, une structure militaire comme celle de l’OTAN ne devrait plus être nécessaire ”.

Suit une réponse modérée (position de non alliance aussi longtemps que l’OTAN n’a pas redéfini ses priorités). D’autres, ailleurs, sont plus directs. Ainsi dans le Jakarta Post indonésien (11), le 3 septembre, Greg Warner écrit-il sous le titre “ l’OTAN est-elle encore pertinence ” ? “ Dans les 18 ans passés depuis que la Russie a renoncé à son passé communiste, l’OTAN s’est continuellement élargie et a progressé pas à pas vers l’Est. Maintenant, la Géorgie pousse à son intégration, comme l’Ukraine. C’est l’élargissement continuel de l’OTAN qui va créer des problèmes pour l’Europe et pour le monde. C’est l’OTAN qui est un anachronisme de la Guerre froide. Peut-être le temps est-t-il venu du démantèlement de l’OTAN. L’Indonésie devrait considérer de faire valoir ce point de vue au Conseil de Sécurité des Nations Unies comme une manière de trouver un ordre plus apaisé et harmonieux dans ce nouveau siècle ”.

Une phrase nous interpelle ici : “ C’est l’élargissement continuel de l’OTAN qui va créer des problèmes pour l’Europe et pour le monde ”.

Mais l’Europe – pas plus que la Turquie – ne sont réductibles à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (26 membres (12)). La France n’appartient pas au commandement militaire intégré. La Finlande (comme l’Irlande, comme la Suède !) n’appartient pas à l’OTAN, pas plus que la Suisse, bien européenne mais hors de l’UE. La Turquie est dans l’OTAN, mais pas dans l’UE. Ambiguïté supplémentaire, le commandement militaire est américain. La question d’une nouvelle architecture de sécurité pour l’Europe est donc d’une incontestable actualité.

Pour l’heure, c’est la Turquie qui est en première ligne, tentant, comme le dit son Premier ministre, de garder un équilibre entre “ Américains et Russes ” et de gérer une zone à haut risque de confrontation armée quand l’Union européenne reprend, après avoir obtenu un cessez-le-feu – ce qui n’est pas rien – ses conciliabules indécis. Si elle laisse, comme par inadvertance, l’OTAN sous commandement américain décider de facto à sa place, le maelström sera pour elle, sans qu’elle ait pu réfléchir à ses engagements géopolitiques dans un monde qui change sous nos yeux.

Hélène Nouaille http://www.leosthene.com/

Notes :

(1) Texte de la Convention de Montreux (20 juillet 1936, PDF) : www.doc.diplomatie.gouv.fr/BASIS/pacte/webext/multidep/DDD/19360023 La convention a été depuis plusieurs fois amendée.

(2) New York Times, NATO Ships in Black Sea Raise Alarms in Russia, Andrew E. Kramer, le 27 août 2008, http://www.nytimes.com/2008/08/28/world/europe/28russia.html

(3) Le Temps, Drôle de guerre en Mer Noire, Stéphane Bussard, le 3 septembre 2008 http://www.letemps.ch/template/opinions.asp ?page=6&article=238872

(4) Voir léosthène n° 345/2007 Fils du chaos, un axe émergent possible, Russie Turquie Iran http://www.leosthene.com/spip.php ?article733

(5) Turkey faces tough task in energy as political map of Caucasus redrawn, Irem Koker, http://www.hurriyet.com.tr/english/finance/9669734.asp ?scr=1

(6) Sur la place des hydrocarbures et de leur acheminement dans le conflit en cours, voir Caucase : un conflit à l’arrière-goût de pétrole, par Aïdyn Gadjiev, docteur en histoire (Azerbaïdjan), pour RIA Novosti, 1er septembre 2008 “ Le conflit autour de l’Ossétie du Sud a de nouveau illustré nettement le fait que les positions des centres mondiaux qui manipulent dans leurs propres intérêts les principes d’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination sont fondées sur des considérations relatives au transport des ressources énergétiques ”. http://fr.rian.ru/analysis/20080901/116455247.html

(7) Xinhuatnet, Turquie : la dégradation des relations avec la Russie fait surgir la menace d’une crise du gaz naturel, le 3 septembre 2008 http://www.french.xinhuanet.com/french/2008-09/03/content_710897.htm “ La Turquie a signé deux accords avec la Russie concernant le gaz naturel. Le premier a été signé en 1986 pour une période de 25 ans. L’accord, qui expirera en 2011, laisse la Turquie acheter 6 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an. Le deuxième accord est le Blue Stream, également pour 25 ans. Avec cet accord, la Turquie achète 16 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an directement. L’année dernière la Turkish Pipeline Corporation (BOTAS) a acheté 36,4 milliards de mètres cubes de gaz naturel à la Russie. 23,1 milliards de mètres cubes résultaient des contrats. Outre le gaz naturel, les importations pétrolières en provenance de Russie sont en train d’augmenter rapidement. Pendant la période donnée, 9,3 des 23,4 millions de tonnes de pétrole importées par la Turquie ont été achetées à la Russie ”.

(8) Stephen Kinzer, Exclusive interview US must share power in new world order, says Turkey’s controversial president http://www.guardian.co.uk/world/2008/aug/16/turkey.usforeignpolicy

(9) Asia Times, Russia remains a Black Sea power, M. K. Bhadrakumar, 30 août 2008 http://www.atimes.com/atimes/Central_Asia/JH30Ag02.html Nous avons trouvé une traduction de l’article en français : http://questionscritiques.free.fr/edito/AsiaTimesOnline/M_K_Bhadrakumar/Russie_Mer_Noire_Otan_OTSC_290808.htm

(10) Today’s Zaman Ibrahim Hhalil, le 4 septembre 2008, Turkey and NATO : Is non-alliance an option ? http://www.worldbulletin.net/author_article_detail.php ?id=1818

(11) Jakarta Post, le 3 septembre 2008, Greg Warner, Is NATO still relevant ? http://www.thejakartapost.com/news/2008/09/03/letter-is-nato-still-relevant.html

(12) OTAN, pays membres : http://www.nato.int/structur/countries.htm

Hermann Hesse: Le jeu des perles de verre

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Laurent SCHANG :

 

HERMANN HESSE (1877-1962): «Le jeu des perles de verre»

Essai de biographie du Magister Ludi  Joseph Valet accompagné de ses écrits posthumes

 

Mis en chantier à l'avènement du IIIième Reich mais édité dans sa version finale en 1943, Le jeu des perles de verre  est de l'aveu même de Hermann Hesse le chef-d'œuvre de sa carrière d'écrivain.

 

Situé à une époque mal définie, estimée à 2500 ans après J.C., «2000 ans après la fondation de l'Ordre de Saint-Benoît et postérieurement à la mort de Pie XV», dans un monde utopique, la Castalie, province pédagogiaque réservée au seul talent et à l'expression élitiste du savoir, le “jeu des perles de verre”  est la pierre philosophale qui ouvre l'humanité à un nouveau champ de perception. Alignement de perles multicolores sur un boulier rustique, le Jeu consiste en un système élaboré de combinaisons savantes maniées par une caste d'élus, synthèse suprême des arts et des sciences dont les clefs sont autant d'ouvertures à la catharsis et l'intégration dans le “Grand Tout” chanté par Hermann Hesse. Du monde castalien il dira: «Je n'eus pas besoin de l'inventer ni de le construire: sans que je m'en rendisse compte, il était préfiguré en moi depuis longtemps. Et du même coup j'avais trouvé ce que je cherchais: un lieu où respirer librement» (correspondance-lettre à Rudolf Pannwitz, 1955).

 

A travers le personnage central du roman, Joseph Valet, Hermann Hesse invite le lecteur à le suivre dans son initiation de jeune promu aux plus hautes responsabilités de l'Ordre, jusque son accession à la dernière marche: Maître du Jeu des Perles de Verre. Doté des meilleures dispositions, brillant intellectuel, humaniste raisonné, désintéressé et charismatique, Valet, au terme de sa progression dans les échelons castaliens, se détournera pourtant du pouvoir suprême pour ne plus se consacrer qu'à la méditation solitaire en simple précepteur.

 

Le jeu des perles de verre  est l'occasion pour Hermann Hesse de rappeler les principes essentiels de sa conception de la place de l'Homme dans l'univers, qui le rapproche incontestablement des Ernst Jünger et autres Knut Hamsun, à savoir l'inopérance du pur intellect, le primat de l'âme et de l'irrationnel, la critique de toute collectivité et de l'étatisation des sociétés, l'éternel dilemme nature/culture. Sa quête de la réconciliation du piétisme mystique de son enfance et du rationalisme éclairé de l'Aufklärung s'effectuant sous les auspices des textes bouddhiques, de Lao Tse et de Nietzsche.

 

Un “Tolstoï” allemand?

 

Considéré par ses contemporains comme le Tolstoï allemand, précurseur de Kerouac et des écologistes, admiré de Mann, Gide et Rolland, Hermann Hesse, rebelle aristocrate et solitaire retiré dans le Tessin suisse dès avant 1914, a laissé à la postérité une œuvre dense, riche, à l'écriture musicale et au style ciselé où court de pages en pages la critique fondamentale de la société moderne qu'exprime avec le plus d'acuité le renforcement jusque dans les structures sociales les plus privées de la prégnance de l'Etat. De sa méfiance envers une démocratie, «cet Etat inconsistant, vide d'esprit et issu du vide et de l'épuisement qui ont suivi la guerre mondiale»,  dont il ne perçoit la déviance totalitaire  —à l'instar de son compatriote Ernst von Salomon— qu'en tant que son expression la plus aboutie, prendra progressivement forme la Castalie.

 

Mais l'exemplarité du Jeu ne provient pas tant de son alternative que de la profonde sincérité de Hesse, qui dans son scepticisme rigoureux, se défie de son propre idéalisme et conserve à l'égard de sa création une position distante, n'omettant pas, après exposition des qualités de l'institution de Celle-les-Bois, d'en mentionner les tares inhérentes à tout corps administrativement constitué, mécanique bureaucratique parfaitement huilée qui, fonctionnant en roue libre, court le risque fatal de s'enliser dans sa routine scientifique, poussiéreuse et déshumanisante.

 

Moins sombre que George Orwell et Aldous Huxley mais davantage perspicace que Thomas More, Hesse, en orientaliste distingué, ne sépare jamais le yin du yang. Son Jeu des perles de verre  vient ainsi parachever une vie de labeur littéraire où perce une image originale de la société occidentale, pour laquelle ses mots ne sont jamais assez durs: «La “société”, laquelle n'a plus qu'un semblant d'existence depuis que notre humanité s'est ou bien transformée en une masse uniforme et sans visage, ou bien fragmentée en des milliers d'individus isolés que rien ne rattache plus les uns aux autres, .sauf la peur de l'avenir et le regret du passé».

 

“Réfractaire au “tu dois”» selon la formule de Linda Lê, lecteur de Schopenhauer, Dostoïevski mais aussi Spengler, Klages ou encore Keyserling, le chemin vers les étoiles de Hermann Hesse est celui de la quête de toute une vie d'une spiritualité différente, éloignée de tous les dogmes incapacitants, ultime résonance d'un Age d'Or oublié. «...Je n'accorde qu'une place restreinte au temporel dans le compartiment supérieur de mes pensées», «il m'est impossible de vivre sans témoigner de la vénération à quelque chose, sans consacrer ma vie à un dieu», «Je n'ai jamais vécu sans religion et ne pourrais vivre un seul jour sans religion mais je m'en suis tiré pendant toute ma vie sans Eglise» (Mein Glaube).

 

Apoliteia

 

De nature rebelle, sa détestation de la bourgeoise Allemagne wilhelminienne le confirme dans sa soif de solitude et sa conscience d'artiste, si magistralement rendues dans sa nouvelle Le Choucas, extraite du recueil Souvenirs d'un Européen, où l'oiseau n'est autre que son double animalier: «Il vivait seul, n'appartenait à aucune communauté, n'obeissait à aucune coutume, à aucun ordre, à aucune loi (...) Bouffon pour les uns, obscur avertissement pour les autres (...)». Imprégné de l'idée du cycle naturel et cosmique, il se fait prophète, un demi-siecle avant Guénon et Evola, du Kali-Yuga, équivalent indien de l'Apocalypse dont il pressent tous les signes annonciateurs dans la décadence de l'Occident. En 1926, Hesse, répondant à une sollicitation de l'Ostwart-Jahrbuch, leur écrit: «J'estime que notre tâche est de consommer notre ruine et non pas de proposer pour modèles des œuvres et des discours dans lesquels nous tenterions de sauver quelque reste de la culture agonisante (...). Notre devoir est de disparaître dans les profondeurs, de nous en remettre à la nécessité et non pas d'en tirer des commentaires ingénieux. La façon dont Nietzsche, des dizaines d'années avant tous, a suivi le rude et solitaire chemin de l'abîme constitue un véritable exploit».

 

Apoliteia convaincu, opposant au titre d'“écrivain engagé” alors si abondamment représenté de par l'Europe (citons pour l'exemple Mann, Drieu, Malraux, Aragon, Shaw et Brecht) celui d'“auteur dégagé”, c'est dans le Moyen-Age, un Moyen-Age enchanteur et mythologique, et l'Orient, un Orient de lecture et de méditation, que Hesse puise l'essence de son art, et son attitude, toute de hauteur d'esprit et d'humilité, pourrait se résumer par ce livre de Romain Rolland: Au-dessus de la mêlée.

 

Ses ouvrages, du premier, Peter Camenzind,  écrit en 1903, évocation de la communion intime de l'homme et de la nature accueillante une fois libérée du poids de la civilisation, à Siddharta en 1922, où Hesse expose toute sa passion pour l'hindouisme, sont un pas supplémentaire franchi dans l'élaboration progressive de sa foi profonde et intime. Anticipant sur le personnalisme d'Emmanuel Mounier, Hesse, dans une lettre envoyée à un admirateur, précise: «Chacun de vous doit tirer au clair la nature de sa propre personnalité, de ses dons, de ses possibilités et de ses particularités, il doit consacrer sa vie à se perfectionner moralement et à devenir ce qu'il est. Si nous accomplissons cette tâche, nous servons en même temps la cause de l'humanité (...) l'“indiviclualisme”, si souvent décrié, devient le serviteur de la communauté et perd le caractère odieux de l'égoïsme».  Son roman le plus fameux, Le Loup des Steppes  (l927), tirera toute sa substance de cette profession de foi.

 

Sollicité de toutes parts, collaborant a moultes revues littéraires, partageant son temps entre l'écriture et la peinture, c'est dans l'art et la culture que Hesse discernera finalement la dernière, et peut-être la seule trace de Dieu sur Terre, expression la plus pure et parfaite de la part de génie qui réside en tout homme, dès lors que celui-ci est à même de se développer en harmonie avec l'Univers, Alpha et Omega de son maître-roman, Le Jeu des perles de verre.

 

Laurent SCHANG.

 

indices bibliographiques:

- Le Jeu des Perles de Verre, Calmann-Lévy, 1996.

- Lettres (1900-1962), Calmann-Lévy, 1981.

- Souvenirs d'un Européen, Livre de Poche, 1994.

 

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Samivel: "Nouvelles d'en haut"

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Samivel: «nouvelles d'en haut»

 

Les fervents de la montagne aimeront l'anthologie de textes de Samivel que les éditions Hoëbeke ont fait paraltre sous le titre Nouvelles d'en haut. Samivel était favorisé de nombreux dons. Il était dessinateur, peintre, cinéaste, photographe, con­férencier et un bon écrivain. Il parcourut de nombreux pays, du Groenland à l'Egypte mais il demeura attaché aux Alpes et lutta pour les préserver des atteintes mercantiles. Philippe Bernard, son préfacier, nous dit: «La notion de sacré induit, très humainement, celle d'iconoclaste et la nature étant, par essence, le paradigme de sacralité dans le panthéisme samivélien, toute atteinte à son integrité tient donc du diabolique. Pour Samivel, il est des hommes qui régressent jusqu'à ne plus se nommer que “bipèdes”. Le prétendu progrès, uniquement dirigé par l'instinct de profit de la néo-société de consommation, spécifiquement urbaine, se voit souvent, chez lui, connoté maléfiquement. L'écrivain s'en justifie amplement et le Samivel polémique n'est pas sans force politique comme nous le verrons plus particulièrement dans notre quatrième partie: “Protéger la montagne”. Car, s'il a commencé à se faire un nom en écrivant sur les joies des sports de montagne, ski et grimpe, il avait tout de suite défini les limites simples de ces joies simples: d'abord respecter la nature pour en recevoir une authentique jouissance (...). Il est l'instigateur de la création du parc national de la Vanoise, il en crée l'affiche et lui offre ses “commandements”, qui seront d'ailleurs repris à l'étranger. Ceci le met en position de pouvoir publiquement s'insurger contre les attaques, abus et viols divers dont sont victimes les espaces déclarés naturels. En homme libre de toute éti­quette, il refusera tout net celle d'écolo qu'il juge de toute façon marquée politiquement, en un mot, récupérée, donc ligotée, donc prisonnière d'un pouvoir, c'est-à-dire, par essence, non libre. Ses cris ne sont pas seulement des cris “contre”, ils sont toujours suivis de propositions, de remèdes aux maux dénoncés. Et, en cela, Samivel a, en toute conscience, fait acte politique». Samivel écrit à propos du mythe des cimes vierges: «L'important, c'est qu'il puisse persister au cœur de tout alpiniste. Plus généralement, il aide les hommes à vivre. On peut déclarer hardiment qu'un monde sans espaces vierges deviendrait mentalement inhabitable, aussi bien pour le poète que pour l'homme de la rue, conformément à des besoins psychologiques au sujet desquels il faut bien hélas constater que l'époque en général et une certaine technocratie en parti­culier marque la plus périlleuse ignorance. Nous répétons: les hommes et plus précisément les jeunes hommes ont besoin de terrains vierges d'expansion pour ne pas sombrer dans le désespoir. Ni la mode, ni les pâmoisons collectives, ni d'habiles mais creuses constructions intellectuelles ne les préserveront». Ce recueil contient aussi des textes très intéres­sants sur La légende dorée de la montagne et sur La Vallée des Merveilles.

 

Jean de BUSSAC.

 

SAMIVEL, Nouvelles d'en haut, Editions Hoëbeke (12, rue du Dragon, F-75.006 Paris), 1995, 247 p., 98 FF.

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jeudi, 11 septembre 2008

Liberté pour l'Ossétie !

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OSSETIA FREI !
Source
:
www.jeune-alsace.com

Depuis une semaine, de violents affrontements ont lieu en Ossétie du Sud, une région du Caucase, occupée par la Géorgie. La Russie est intervenue pour porter secours aux Ossètes, menacés de nettoyage ethnique par les troupes de Tbilissi, suscitant la désapprobation des dirigeants occidentaux, qui soutiennent le génocide des Ossètes.

Lorsque le Kosovo - Etat maffieux musulman dirigé par une milice communiste spécialiste du trafic d’organe (L’UCK) - se bat pour son indépendance, les Etats-Unis, qui ont une énorme base militaire au Kosovo, et les pays de l’Union européenne à leur solde, applaudissent. Mais lorsque les Ossètes se battent dans le Caucase, c’est en coeur que nos belles démocraties, qui s’indignent pourtant du sort du Tibet, dénoncent le sécessionnisme et en appellent à l’unité de la Géorgie.

Pourquoi donc un séparatisme ossète ?

Voyons d’abord les aspects culturels, qui sont intéressants à comparer par rapport au Kosovo, et l’attitude des grandes puissances qui en découle.
Pour comprendre, commençons par une présentation de ce peuple ossète, présentation qui n’est certainement pas superflue. Les Ossètes sont les derniers descendants d’un peuple européen fameux, les Alains du groupe scythique : une civilisation nomade grandiose d’avant l’ère chrétienne, située dans les steppes d’Eurasie (grossièrement autour de l’actuelle Ukraine). Les Ossètes ne sont guère plus aujourd’hui que 500 000, leur langue est encore parlée par environ 100 000 personnes. Ce sont aujourd’hui majoritairement des Chrétiens orthodoxes, comme les Russes ou les Serbes. Ils sont divisés entre deux provinces, l’Ossétie du Nord (8000 km²) ou « Alanie » comprise dans la Fédération de Russie et l’Ossétie du Sud (70 000 habitants pour 4000 km²), occupée par la Géorgie.

Premiers enseignements donc : les Ossètes sont véritablement un peuple en voie de disparition, ce qui n’est pas le cas des Kosovars musulmans, qui ne sont issus, en réalité, que d’une immigration de peuplement albanaise. Ce sont par ailleurs des Orthodoxes, donc des méchants, car pour être gentil (et forcément opprimé), aujourd’hui en Europe, il faut être Musulman. Les Etats-Unis adorent d’ailleurs les Musulmans lorsqu’il est question d’affaiblir l’Europe, d’où leur soutien à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Par contre, lorsque les intérêts des Etats-Unis sont menacés, les Musulmans se transforment en terroristes. Amusant.

Quels intérêts derrière l’indépendantisme ossète ?

Bon, et maintenant un peu de géopolitique, parce qu’entre nous, les grandes puissances se foutent un peu du sort des peuples. Ce qui compte, c’est de voir quels intérêts s’opposent dans cette minuscule région d’Ossétie du Sud. Si les Russes sont très mécontents, si les Russes sont intervenus, ne rêvons pas, ce n’est pas parce qu’ils sont de grands défenseurs des minorités en danger. Les Russes n’apprécient guère les Géorgiens, qui ont justement pris leur indépendance en 1990. Mais les Géorgiens, non contents de prendre leur indépendance à l’époque, ont refusé l’indépendance aux Ossètes et aux Abkhazes, autre minorité séparatiste de Géorgie. L’ancienne URSS voit toujours les Etats qui l’ont quittée comme une chasse gardée, notamment la Géorgie et l’Ukraine, où passent d’importants oléoducs, et qui songent fortement à intégrer l’OTAN. Alors forcément, la Russie, avec sa grande armée, ne va pas tolérer qu’à côté de chez elle on s’en prenne à un peuple frère, surtout s’il y a en plus des intérêts économiques dans le coin…

L’Union européenne et les Etats-Unis, quant à eux, n’apprécient guère ce néo-impérialisme russe. Officiellement, OTAN et Conseil de l’Europe en tête, ils veulent éviter des massacres dans la région. Ils veulent éviter des morts, l’Union Européenne et les Etats-Unis. Ce sont les gentils. Sarkozy, Bush, Condoleezza Rice, Lech Kacsynski, en appellent au maintien de l’unité de la Géorgie, eux qui avec l’OTAN ont bombardé la Yougoslavie et les civils…Quel foutage de gueule ! Ces gens n’en ont rien à faire qu’il y ait une guerre de plus ou du moins. Ils veulent juste éviter que la Russie ne regagne en influence dans la région. Ils veulent éviter que les Russes jouent la même partition qu’eux au Kosovo, et de se retrouver arroseurs arrosés ! Les Ossètes, ils n’en ont que faire, ils peuvent crever sous les bombes géorgiennes, c’est pas aussi cool qu’un Tibétain un Ossète. Quel intérêt médiatique d’aller soutenir une bande d’Européens orthodoxes paumés dans leurs montagnes alors qu’au loin en Asie on a des Tibétains exotiques qui passent tellement mieux à la télé et pour lesquels on sait qu’on n’obtiendra rien, car personne n’a les couilles d’aller vraiment ennuyer les Chinois.

Moralité : nous sommes face à des pourris (oui je sais vous n’apprenez pas grand chose là). Les dirigeants européens et les Etats-Unis sont dégoulinants d’hypocrisie avec leurs Droits de l’Homme, leur droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, alors que dans la pratique ces belles valeurs n’ont d’utilité que lorsqu’elles peuvent servir leurs intérêts. Un nettoyage ethnique se déroule en Géorgie et pourtant c’est le régime de Tbilissi que les Occidentaux défendent. Les civils serbes furent bombardés malgré une situation bien plus complexe…

Les Russes, eux, au moins, ont le mérite d’assumer leur autoritarisme et de défendre leurs compatriotes. Les Russes ont d’ailleurs affirmé qu’ils allaient soutenir tous les sécessionnismes en Europe, après l’indépendance du Kosovo. Mais les Russes sont les premiers à rêver d’un Empire où l’Ukraine et le Belarus seraient réintégrés…là aussi, hypocrisie, mais au moins la Russie a une tradition fédéraliste, contrairement à certains Etats européens donneurs de leçons comme la France.

Comme souvent lorsque l’on est une minorité, ce qui importe, c’est d’être du côté de celui qui pourra vous aider, même si celui-ci a d’autres intérêts derrière. En l’espèce, il faut soutenir totalement l’action de la Russie, en espérant qu’elle aboutisse à l’indépendance pure et simple de l’Ossétie (mais en espérant que ce ne soit pas un prétexte pour intégrer l’Ossétie dans la Fédération russe). Le Président Medvedev est décidé à agir et parle de « déni du droit à la vie pour toute une nation résultant de l’action barbare planifiée par les autorités géorgiennes ». Espérons que les Abkhazes, même s’ils ne sont plus que 200 000, en profiteront aussi pour se soulever contre le régime de Tbilissi.

Le président de l’Abkhazie a promis du soutien à son homologue ossète, dépêchant un millier de volontaires. Un geste imité par le président de la république russe d’Ossétie du Nord, Taïmouraz Mamsourov, qui a annoncé que des « centaines de volontaires » étaient en partance pour le territoire voisin. C’est la guerre.

Comment pourrait-on se refuser, comme le font nos obséquieux représentants, à soutenir le combat pour la liberté ?

Vive l’Europe des Peuples libres ! Ossetia Frei ! Abkhazia Frei !

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G. Galli: la politique et les mages

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Robert STEUCKERS:

 

 

Giorgio Galli: la politique et les mages

 

Giorgio Galli est un politologue réputé en Italie: on lui doit une Storia del partito armato (1986), une Storia dei partiti politici europei (1990) et un ouvrage sur les partis politiques italiens (I partiti politici italiani, 1991). Depuis deux ou trois ans, le Prof. Galli s'est intéressé à un aspect de la politique que la corporation des politologues universitaires a ignoré délibérément: l'influence des doctrines ésotériques et des “mages” sur l'action des grands hommes politiques. En effet, depuis la nuit des temps, ésotérismes et mages influencent considérablement les grands décideurs et les mobiles de leur action. Depuis que le monde est monde, le simple observateur désengagé constate des phénomènes politiques inquiétants qu'il cherche sans cesse à refouler, à oublier, à nier, ou à exhiber par tous les moyens pour dénoncer ce qu'il rejette ou pour alarmer ses semblables: ces phénomènes sont les rapports (toujours ambigus) entre la politique et la “magie”. Dans l'antiquité on considérait effectivement que ceux qui détenaient le pouvoir étaient des hommes doués de facultés extraordinaires, s'appuyant sur les conseils d'un mage, qu'ils possédaient à leur service et dont ils exploitaient les pouvoirs. Les historiens grecs et romains racontent comment les chefs de guerre célèbres du monde antique s'adonnaient avant la bataille aux “sciences” de la divination.

 

Avec l'avènement du christianisme, les mages semblent disparaître de la scène politique: on les accuse de sorcellerie et de commerce avec le diable. L'Age des Lumières prend ensuite le relais du christianisme et décrète unilatéralement que les “sciences” des mages sont de pures superstitions primitives. Pourtant en dépit de ces discours pieux ou rationalistes, les siècles de logique n'ont pas réussi à évacuer totale­ment les rapports effectifs entre la politique et la magie. Ceux qui détiennent le pouvoir y font encore ap­pel pour se maintenir en selle, pour augmenter leur puissance, pour vaincre leurs ennemis ou pour se donner plus simplement l'illusion de le faire. En dépit des discours rationnels, scientifiques ou logiques, les dirigeants de ce monde font encore appel à des pratiques remontant à la plus haute antiquité, trahis­sant l'immortalité de l'âme primitive qui reste tapie au fond de tout homme. Il y a tout lieu de croire que l'avenir ne sera pas différent.

 

Donnons un exemple: Adolf Hitler, dans les derniers jours de sa vie, au fond du bunker de Berlin, était certes obsédé par l'arrivée imminente des chars soviétiques, mais il l'était encore plus par une légende ancienne et obscure: celle de l'“amandier en fleurs”, qui annonçait la mort en 1945 du “lion gammé”. Dans son nouveau livre, Giorgio Galli rassemble les données étonnantes qu'il a collationnées au cours de nom­breuses années de travail. Galli est désormais un politologue attentif au thème de l'ésotérisme: il repère ses traces dans toute l'histoire politique européenne, depuis Richelieu jusqu'à Reagan. Même les person­nages qui nous apparaissent comme les plus rationnels dans l'histoire et dans la pensée politiques euro­péennes sont au nombre de ceux qui ont eu recours à des pratiques irrationnelles, magiques. Hobbes (avec les “corps invisibles”), Blanqui, Antonin Artaud, Staline, Reagan, Ceaucescu, Dante, Mussolini, Gorbatchev, Peron (avec Lopez Rega), Max Weber, Churchill (avec l'influence de Mackenzie King), Dracula: les dimensions ésotériques de leur pensée ou de leur action sont passées au crible d'une ana­lyse rigoureuse et méticuleuse. La politique européenne semble avoir évolué entre le paranormal et l'occultisme, entre l'alchimie et la magie.

 

Dans son introduction, Galli rappelle que Galilée et Kepler s'intéressaient à l'astrologie et Newton à l'alchimie et que ces intérêts sont à l'origine de leur astronomie ou de leur physique rationnelle et scienti­fique. Officiellement, il semble que l'astrologue de la Cour de Charles 1 Stuart, William Lilly, soit le dernier de sa corporation et ait clos l'ère des astrologues de cour, donc des rapports officiels et acceptés entre politique et ésotérisme. Ce ne fut pourtant pas le cas car l'ésotérisme est revenu, sporadiquement, en coulisses, officieusement, mais sans discontinuité: pendant la Révolution française, dans l'Angleterre victorienne, dans la Roumanie de Codreanu, au Portugal de Pessoa (l'“occultisme ethno-lusitanien”), aux Etats-Unis comme en Argentine, dans l'Italie fasciste, dans la Russie bolchevique.

 

Satanisme marxien et cosmisme russo-soviétique

 

La présence de la Russie bolchevique étonne, car, officiellement, elle représente la récapitulation com­plète et totale d'une modernité sans plus aucun arrière-monde ni au-delà, la manifestation d'un pouvoir politique éminemment matérialiste et rationaliste. Pour Galli, il est possible de parler de “bolchevisme ma­gique”: Karl Marx lui-même, d'après un témoignage maladroit de sa domestique, aurait pratiqué des rituels magiques avant de mourir à Londres. D'autres évoquent le possible “satanisme” de Marx. Parmi eux, Jacques Derrida, qui a procédé à une lecture décryptante des textes et manifeste de l'auteur du Capital. Quoi qu'il en soit, Galli pense qu'une veine d'ésotérisme, difficilement discernable, traverse l'œuvre de Marx. Après lui, Lénine forge une vulgate marxiste, en apparence exempte d'ésotérisme, mais que d'autres communistes russes grefferont sur les filons autochtones de l'ésotérisme russe. Staline aurait-il été fidèle au “satanisme” de Marx, en signant ses premiers écrits des pseudonymes de “Demonochvili” (= émule du Diable) et de “Besochvili” (= Le démoniaque)?

 

Galli pense que les traditions ésotériques russes n'ont pas été interrompues ni éliminées avec la victoire des Bolcheviques. Pour Alexandre Douguine, que cite Galli à la suite de la publication par la revue Orion de son étude sur le “cosmisme” russe, un véritable complot idéologique, sur base ésotérique, a traversé toute l'histoire de l'Union Soviétique: «Par complot idéologique, j'entends l'accord entre certains person­nages et certains groupes portant en avant une idéologie différente et particulière par rapport au mode de pensée généralisé d'une société donnée. Cet accord propose d'imposer un changement radical visant à transformer les rapports idéologiques stabilisés pour instaurer de nouvelles valeurs brusquement et traumatiquement». Douguine, traditionaliste et traducteur de Guénon et d'Evola, estime que le cosmisme, qui a été l'idéologie réelle de l'URSS  —et non pas le communisme comme avatar du rationalisme et du ma­térialisme ouest-européen—,  présentait des aspects positifs (quand il agissait en tant que national-communisme) et des aspects négatifs (quand il agissait pour le compte de l'idéologie mondia­liste/cosmopolite). Le premier doctrinaire du cosmisme russe est Fiedorov, qui prétendait avoir reçu une “illumination” en 1851, lui ayant permis d'écrire son ouvrage majeur et prophétique: La philosophie de la Cause Commune. Fiedorov y présente son projet: favoriser l'avènement de l'«Homme Nouveau Théurgique», à travers des processus scientifiques et psychiques. Au bout du compte, nous aurions eu comme telos  des efforts révolutionnaires: la «Nouvelle Humanité Unifiée Théurgique».

 

Bogdanov et «L'Etoile rouge»

 

Parmi les doctrinaires communistes officiels qui ont répété quasi exactement ce discours de Fiedorov, il y avait Bogdanov, explique Douguine, dont le communisme était effectivement utopique, théurgique et ma­gique. Satan y était présenté comme le “dieu du prolétariat”. Bogdanov écrivait aussi des romans fantasti­ques et futuristes. L'un de ces romans s'intitulait L'Etoile rouge et parlait de la réalisation d'un communis­me pur sur la planète Mars, ce qui, en termes gnostiques et cabbalistiques, signifie Sémélé, figure asso­ciée à Satan. Mieux: Bogdanov a fondé l'Institut de Transfusion du Sang, espérant par des transfusions ré­pétées régé­nérer l'humanité. Cette pratique causera sa propre mort, mais elle est symptomatique des cultes habituel­lement désignés comme “satanistes”.

 

Pour le journaliste contemporain russe lié au FSN, Alexandre Prokhanov, la symbolique égyptienne du mausolée de Lénine, avec sa pyramide tronquée, indique la présence d'un ésotérisme derrière l'édifice rationnel du communisme. Douguine, puis Galli, citent l'interprétation de Prokhanov: «Cet édifice a une signification très particulière, de type mystique. Le bolchevisme des origines était profondément impré­gné de l'idée de la résurrection des morts, de la disparition du processus de putréfaction, de la transfor­mation des chairs mortes en une vie nouvelle». Autre pratique abondant dans ce sens: la conservation du cerveau de Lénine et l'étude de son tissu cellulaire.

 

Quant à Andréï Platonov, autre personnage du communisme officiel que Douguine classe parmi les “cosmistes”, il voulait faire sauter les montagnes du Pamir, de façon à ce que les vents du Sud puissent souffler sur les plaines d'Asie centrale jusqu'aux toundras des bords de l'Arctique afin de les fertiliser. Platonov a passé des années à calculer la quantité de dynamite nécessaire. Mais, à part cela, son œuvre littéraire est très belle, messianique et fantastique, passionante pour les amateurs de science-fiction. Plus tard, toute l'épopée spatiale soviétique porte la trace du cosmisme issu de la pensée “illuminée” de Fiedorov. Les années 60 ont renoué peu ou prou avec l'eschatologie cosmisto-bolchevique des origines: on voit réapparaître les recherches de parapsychologie, de radiesthésie, d'hypnotisme. Gorbatchev, se­lon Douguine, aurait voulu continuer ce néo-cosmisme, dans le sens où le terme de perestroïka se re­trouve dans l'œuvre de Fiedorov et de Vernadsky (père de la bombe atomique soviétique et cosmiste). Eltsine est celui qui aurait fait machine arrière.

 

Galli ne prend pas toutes les affirmations de Douguine pour argent comptant, mais constate que dans tous les camps du monde politique russe actuel, on constate des traces d'ésotérisme ou de pratiques magiques ou pseudo-scientifiques, des prophéties et des horoscopes étonnants. A la lecture de ce cha­pitre consacré à la Russie bolchevique, on est bien forcé d'admettre que le rationalisme et le matérialisme officiels du communisme n'ont été finalement que des façades, derrière lesquels s'activait une idéologie théurgique, plutôt dérivée de Fiedorov et de Rerich (redécouvert et réhabilité par Gorbatchev) que de Marx et des matérialistes occidentaux. A moins que Marx ait été vraiment  —et à fond—  un “sataniste”.

 

Robert STEUCKERS.

 

- Giorgio GALLI, La politica e i maghi. Da Richelieu a Clinton, Rizzoli, Milan, 1995, 322 p., 30.000 Lire, ISBN 88-17-84402-0.

mercredi, 10 septembre 2008

Sur Rudolf Pannwitz

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Robert STEUCKERS:

 

Rudolf Pannwitz: «mort de la terre»,

Imperium Europæum et conservation créatrice

 

L'idéalisme du philosophe et poète allemand Rudolf Pannwitz constitue pour l'essentiel une rupture avec les idéaux positivistes de la «Belle Epoque»: il rejette l'Etat, le mercantilisme, la révolution, l'argent, le capitalisme et le lucre. Pourquoi? Parce que le concours de toutes ces forces négatives conduit à la “mort de la Terre”. Devant ce pandemonium, l'homme du XXième siècle, écrit Pannwitz, doit poser l'“acte salvateur”, qui consiste à ne plus penser à son seul profit, à prendre conscience du danger que court son âme, à  se rendre compte que l'histoire, en tant que jeu funeste, est toute relative, à vouer un culte mystique au Tout, au Cosmos.

 

Comment ce faisceau d'idéaux essentiellement poétiques a-t-il pu générer une idée d'Europe, surtout s'il rejette explicitement l'histoire? Et sur quels principes repose donc cette idée an-historique d'Europe? Elle repose sur une mystique et une pratique “telluriques”, où la Terre est le réceptacle du sacré, voire le Tabernacle du sacré. Ensuite, sur une critique de l'argent qui, par sa nature intrinsèquement vagabonde, arrache hommes et choses à la Terre, à leur lieu, m'arrache en tant que personne à mon lieu, au lieu où des forces qui me dépassent m'ont placé pour y jouer un rôle, y accomplir une mission.

 

Cette critique de l'argent vagabond s'accompagne d'un plaidoyer pour l'autarcie à tous les niveaux: domestique, communal, régional, impérial. Cette mystique tellurique et ce rejet radical du pan-vagabondage que généralise l'argent conduit à une vision pacifique de la politique et de l'Europe, qui est tout à la fois anti-nationaliste et napoléonienne, parce que l'aventure militaire napoléonienne a, par une sorte de ruse de l'histoire, éliminé de vieux antagonismes inter-européens, donc créer les conditions d'un imperium pacifique en Europe. Aux nationalismes qu'il juge bellogènes, Pannwitz oppose une vision continentale européenne pacifique et mystico-tellurique, opposée aux pratiques anglaises du libre-échangisme et du “divide ut impera” et au nationalisme allemand, auquel il reproche d'être né au moment où la Prusse se met au service de l'Angleterre pour combattre le projet continental napoléonien. Pannwitz, pourtant très allemand dans son tellurisme, reproche à la pensée allemande en général, de facture kantienne ou hégélienne, d'absoluiser les concepts, tout comme la Prusse a hissé au rang d'absolus les démarches de ses fonctionnaires et de ses administrateurs.

 

Selon Pannwitz, la renaissance culturelle de l'Europe passe nécessairement par une revalorisation des plus beaux legs du passé: l'Imperium Europæum sera cette Europe tournée vers la Beauté; il adviendra, pense Pannwitz, après la Grande Guerre civile européenne de 1914-18, où s'est perpétré le plus grand forfait de l'histoire des hommes: «le viol du corps sacré de la Terre».

 

L'Imperium Europæum ne pourra pas être un empire monolithique où habiterait l'union monstrueuse du vagabondage de l'argent (héritage anglais) et de la rigidité conceptuelle (héritage prussien). Cet Imperium Europæum sera pluri-perspectiviste: c'est là une voie que Pannwitz sait difficile, mais que l'Europe pourra suivre parce qu'elle est chargée d'histoire, parce qu'elle a accumulé un patrimoine culturel inégalé et incomparable. Cet Imperium Europæum sera écologique car il sera «le lieu d'accomplissement parfait du culte de la Terre, le champ où s'épanouit le pouvoir créateur de l'Homme et où se totalisent les plus hautes réalisations, dans la mesure et l'équilibre, au service de l'Homme. Cette Europe-là n'est pas essentiellement une puissance temporelle; elle est, la “balance de l'Olympe”».

 

La notion-clef de l'œuvre de Pannwitz est celle de “Terre” (Die Erde). Si la “Terre” est signe d'anti-transcendance chez Nietzsche, d'idylle dans la nature virginale, elle est aussi —et sur ce point Pannwitz insiste très fort—  géopolitique substantielle. Quand on décrypte la vision critique de Pannwitz sur l'histoire européenne de son temps, on constate qu'il admet: 1) que l'Allemagne se soit dotée d'une flotte, sous la double action de l'Amiral Tirpitz et de l'Empereur Guillaume II, car cette flotte était destinée à protéger l'Europe du “mobilisme” économique et monétaire anglais (et américain) et n'était pas a priori un instrument de domination; 2) l'Europe est une “Terre de culture” qui en aucun cas ne peut être dominée par la Mer (ou par une puissance qui tire sa force d'une domination de l'espace maritime) ou par ses anciennes colonies qui procéderaient ainsi à une Gegenkolonisation. On comprend tout de suite que les Etats-Unis sont directement visés quand Pannwitz dénonce cette “contre-colonisation”; 3) les thalassocraties sont un danger sinon le  danger car a) elles développent des pratiques politiques et économiques qui vident le sol de ses substances; b) elles imposent une fluidité qui dissoud les valeurs; c) elles sont des puissances du “non-être”, qui justement dissolvent l'Etre dans des relations et des relativités (remarques qui ont profondément influencé le Carl Schmitt de l'après-guerre qui écrivait dans son journal  —édité sous le titre de Glossarium—  que tout nos livres deviennent désormais des Logbücher, car le monde n'est plus terre mais océan, sans point d'ancrage possible, où tout quiconque arrête de se mouvoir coule); d) sous la domination des thalassocraties, tout devient “fonction” et même “fonctions de fonctionnement”; dans un tel contexte, les hommes sont constamment invités à fuir hors des concrétudes tangibles de la Terre.

 

Chez Pannwitz, comme chez le Schmitt d'après-guerre, la Terre est substance, gravité, intensité et cristallisation. L'Eau (et la mer) sont mobilités dissolvantes. “Continent”, dans cette géopolitique substantielle, signifie “substance” et l'Europe espérée par Pannwitz est la forme politique du culte de la Terre, elle est la dépositaire des cultures, issues de la glèbe, comme par définition et par force des choses toute culture est issue d'une glèbe.

 

L'état de l'Europe, à la suite de deux guerres mondiales ayant sanctionné la victoire de la Mer et de la mobilité incessante, postule une thérapie. Qui, bien entendu, est simultanément une démarche politique. Cette thérapie suggérée par Pannwitz demande: 1) de rétablir à tous niveaux le primat de la culture sur l'économie; 2) de promouvoir l'édification intérieure des hommes concrets (par une démarche qui s'appelle l'Einkehr, le retour à soi, à sa propre intériorité); 3) de lancer un appel à la “Guerre Sainte des Vivants” pour empêcher l'avènement de “Postumus”, figure emblématique de celui qui fuit l'histoire (réhabilitée par Pannwitz après 1945), qui capitule devant l'Autre (l'Américain), qui se résigne; 4) de donner enfin une forme à l'Homme qui, sans forme, se perd dans l'expansion conquérante et dans l'hyper-cinétisme de cette mobilité introduite puis imposée par les thalassocraties; sans forme, rappelle Pannwitz, l'homme se perd aussi dans les dédales d'une vie intérieure devenue incohérente (en ce sens notre poète-philosophe annonçait l'avènement d'un certain “New Age”).

 

Humanité et nationalisme

 

Pannwitz ne place aucun espoir dans l'«Humanité», c'est-à-dire dans une humanité qui serait homogénéisée à la suite d'un long processus d'unification mêlant coercition et eudémonisme. Il ne place pas davantage d'espoir dans un nationalisme qui signifierait repli sur soi, enfermement et répétition du même pour les mêmes. Le seul “nationalisme” qui trouve quelque grâce à ses yeux est celui de De Gaulle. Pour guérir l'Europe (et le monde) de ses maux, il faut créer des espaces de civilisation impériaux; la version européenne de cet espace de civilisation est l'«Imperium Europæum». Pour y parvenir, les élites vivant sur cet espace doivent pratiquer l'Einkehr, c'est-à-dire procéder à une «conservation créatrice»; de quoi s'agit-il? D'un plongeon dans le soi le plus profond, d'un retour aux racines. Les nations, les ethnies doivent aller au tréfond d'elles-mêmes. Car elles vont y découvrir des formes particulières, incomparables, intransmissibles, du sacré. Elles cultiveront ce sacré, offriront les créations de cette culture du sacré à leurs voisins, recevront celles que ceux-ci auront ciselées; les uns et les autres accepteront ces facettes diverses d'un même sacré fondamental, opèreront des “greffes goethéennes” pour obtenir en bout de parcours une Oberkultur der Kulturen.

 

Pannwitz était hostile au national-socialisme, héritier de ces formes de nationalisme allemand qu'il n'aimait pas. Mais il est resté discret sous le IIIième Reich. Il reprochait surtout au national-socialisme de ne pas être clair, d'être un fourre-tout idéologico-politique destiné surtout à acquérir des voix et à se maintenir au pouvoir. En 1933, Pannwitz quitte l'Académie Prussienne comme Ernst Jünger. Il choisit l'exil dans une splendide île dalmate, où il restera pendant toute la seconde guerre mondiale, sans subir aucune pression, ni des autorités occupantes italiennes, ni du nouveau pouvoir croate ni de l'administration militaire allemande; en 1948, il s'installe en Suisse. Pendant cet exil adriatique, il n'a pas formulé de critique charpentée du national-socialisme car, écrivait-il à l'un de ses nombreux correspondants, ce serait “perdre son temps”. En fait, en dépit de l'extrême cohérence de sa dialectique terre-mer, Pannwitz a été totalement incohérent quand il a jugé la politique européenne depuis son île dalmate. Il accumulait les contradictions quand il parlait de l'Angleterre puis des Etats-Unis dont il espérait la victoire contre les armes allemandes: par exemple, en pleine crise tchécoslovaque, il écrit que les Tchèques doivent s'appuyer sur les Anglais, mais à partir de septembre 1939, il répète que les Français sont “fous” de faire la politique des Anglais. Pourquoi les Tchèques auraient-ils été raisonnables de faire ce que les Français auraient eu la “folie” de faire quelques mois plus tard?

 

Il n'empêche: la dialectique terre-mer, que l'on retrouve solidement étayée dans l'œuvre de Carl Schmitt, demeure une matière de réflexion importante pour tous les européistes. De même, la nécessité de recourir aux tréfonds de soi-même, de pratiquer l'Einkehr.

 

Robert STEUCKERS.

(extrait d'une conférence prononcée lors de la 3ième université d'été de la FACE, juillet 1995).

 

Bibliographie:

- Rudolf PANNWITZ, Die Krisis der europäischen Kultur, Verlag Hans Carl, Nürnberg, 1947.

- Alfred GUTH, Rudolf Pannwitz. Un Européen, penseur et poète allemand en quête de totalité (1881-1969), Klincksieck, Paris, 1973.

mardi, 09 septembre 2008

Europa der Völker statt US-Globalisierung

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Europa der Völker statt US-Globalisierung

Gesellschaft für Freie Publizistik (GFP) e. V.

 

Deutscher Kongreß vom 23. bis 25. April 2004

 

DIE NEUE ACHSE – EUROPAS CHANCEN GEGEN AMERIKA

 

Vortrag von Robert STEUCKERS

 

Mein Vortrag hat selbstverständlich eine geopolitische Dimension, aber auch eine geoökonomische, in dem Sinn, daß die grossen Kommunikationswege und –netzwerke auf dem Land oder auf dem Meer oder die Tragweite der modernsten Waffensystemen im heutigen Wettbewerb zwischen Europa und den Vereinigten Staaten eine erhebliche Rolle spielen. Die Weite und der Umfang solcher Wege, Netzwerke, usw., bestimmen ob man in Völker- oder Reichskategorien denken sollte.

 

Wenn von Völkern die Rede ist, muß man wissen worum es geht. Die Völker, in der Zeit der Völkererhebungen im 19. Jahrhundert, haben gegen multiethnische Reiche, die sie als Zwangsjacken empfunden, rebelliert. Ab 1848, rebellierten oder entwickelten eine eigene Identitätsbewegung Polen und Finnen in Rußland, Tschechen und Italiener innerhalb des Hoheitsgebietes der k.u.k-Monarchie, Südslawen und Griechen im Ottomanischen Reich, Iren im Vereinigten Königreich; in Frankreich entwickelten sich die bretonischen oder die provenzalischen (die genannten “Félibriges”) Kulturbewegungen im Sinne einen ausgesprochenen Anti-Zentralismus und Anti-Jakobinismus.

 

Woher kommt diese allgemeine Kulturrevolte? Sie stammt, grob gesagt, aus der Geschichtsphilosophie Johann Gottfried Herders, der feststellte, daß bei jedem Volk, die Sprache, die Literatur, das geschichtliche Gedächtnis, jeweils ein Bündel von Kräften bildeten, die man als Identität anschauen kann. Die Identität ist also volksspezifisch, was impliziert, daß jedes Volk das Recht hat, seine eigene politische Gestalt zu haben, d. h. einen Staat nach seiner Fasson zu bilden. Vorteil davon ist es, daß jedes Volk seine Kräfte und seine Eigenheiten frei entfalten kann. Risiko aber ist es, daß innerhalb einer Völkergemeinschaft bzw eines Kulturkreises, Balkanisierung droht. Herder war bestimmt davon bewußt, da er auch eine Synthese zu entwerfen versuchte, indem er zur Zeit der russichen Kaiserin Catharina II. eine neue politisch-ideologisch-philosophische Gestaltung für den Zwischenraum zwischen Rußland und Deutschland theorisierte. Herder träumte, vom Baltikum bis zur Krim ein neues Griechenland homerischer Prägung entstehen zu lassen. Das Germanische, das Baltische und das Slawische hätten zusammen eine Rückkehr zum ältesten und heroischsten Griechenland versucht,  die auch eine Rückkehr zu den ältesten und erhabenensten Quellen Europas wäre. Heute klingt das selbstverständlich ätherisch und utopisch : davon, und auch vom gesamten Werk Herders, muß man heute ein Grundelement enthalten. Eine Synthese in Europa ist nur möglich, indem man eine Rückkehr zu den urältesten Quellen macht, d. h. eine Rückkehr zu den ersten Grundlagen der europäischen Menschheit, zum Kern unseres eigenen Menschseins, den man ständig aktivieren muß. Archetypen sind Motoren, bewegende Kräfte, die kein Progressivismus auslöschen darf, da anders die Kultur in eine öde Trockenheit erstarrt.

 

Die Nation als Begriff war für Herder eine mehr oder weniger homogene und unveräusserliche Einheit von Ethnizität, Sprache, Literatur, Geschichte und Sitten. Für die französische Revolutionäre war die Nation nicht eine solche Bündelung von objecktiven Tatsachen, sondern bloß die bewaffnete Bevölkerung, egal welche Sprache die Massen sprachen, oder das bewaffnete Demos oder der “Dritte Stand”, den mobilgemacht wurde um die universalistische Republik endlos zu erweitern. Tilo Meyer, in seiner ausgezeichneten Definition der Nation, sagte daß das Ethnos (das Volk in der Herderschen Definition) nicht zur bloßen Verfügung des Demos geraten dürfte, was zur Folge hat, daß man als volksdemokratisch nur die politischen Systeme, die auf Herders Definition der Nation füßen, definieren kann, derweil die anderen Systeme, die vom revolutionären Frankreich stammen und nur das Demos verherrlichen zu ungunsten des Ethnos, gleichschaltend und totalitär sind. Das heutige Multikulti-Projekt ist in diesem Sinn ebenso gleichschaltend und totalitär.

 

Die Mobilisierung der Massen zur Zeit der französischen Revolution hatte selbstverständlich ein unmittelbares militärisches Zweck : den Revolutionsarmeen eine entscheidende Schlagkraft zu geben, um die gut ausgebildeten aber zahlenmäßig geringeren Berufsarmeen Preußens und Österreichs zu zerschlagen. Das ist in Jemmappes und teilweise in Valmy passiert. Die Revolution führte eine neue Kriegsführung ein, die ihr entscheidende Siege versichern konnte. Clausewitz, indem er die Gründe der preußischen Niederlagen erforschte, stellte fest, daß die totale Mobilmachung aller männlichen Kräfte innerhalb eines Staates die einzige mögliche Antwort der Revolution gegenüber war, um die Massen der bewaffneten Soldaten Frankreichs zu überschwemmen statt überschwommen zu werden. Das Beispiel der Bauern Spaniens, wo das ganze Volk sich für die Tradition gegen die Revolution einsetzte, bewies damals, daß auch traditionsorientierte Massen revolutionsinspirierte Massenarmeen zerschlagen oder zermürben könnten. Turnvater Jahn ist also die deutsche Synthese zwischen der Theorie Clausewitz’ und der Praxis der rebellierten Bauern Spaniens. Die Mobilisierung des Volkes erst in Spanien und später in Deutschland machte den Sieg über Napoleon, d. h. über das mechanische Revolutionsprinzip, möglich.

 

Nach dem Wiener Kongreß von 1815 wollten die reaktionären Kräfte die Völker wieder entwaffnen. Die versprochene politische Freiheit wollte das Metternich-Europa rückgängig machen. Aber wenn der Bauer oder der Handwerker Soldat sein sollte, und so den Blutszoll eventuell zahlen, erwirbt er ungezweifelt ein Recht auf Mitbestimmung. Wenn jeder das Recht und die Möglichkeit zu studieren erhält, erhält er auch gleichzeitig ein Recht zumindest geistlich mitzubestimmen, wie die deutschen nationaldemokratischen Burschenschaftler es wollten. Die Studenten rebellierten damals gegen eine Restauration, die die Militärdienstspflicht zwar erhalten wollte aber ohne die politische Freiheit zu gewähren. Ihre Rebellion füßte geistlich auf eine kuriose Mischung zwischen dem Herderschen Begriff der Nation und den mechanischen pseudo-nationalen Idealen der französischen Revolution. In dieser Zeit zwischen Revolution und Restauration, zwischen einem rebellischen Denken in Völkern und einem traditionsorientierten Denken in Reichen, waren die ideologischen Grenzen eher diffus. Eine Synthese, die organisch zu sein brauchte, war notwendig. Da eine solche Synthese noch nicht stattgefunden hat, ist es immer heute noch notwendig, über die Begriffe, die damals entstanden sind, nachzudenken.

 

Um zurück zur Dialektik Volk/Reich bzw Völker/Kulturkreise zu kommen, hatte man also am Ende des 18. und am Anfang des 19. Jahrhunderts einerseits grössere Einheiten, die für die Meisten unüberschaubar waren, andererseits brauchten man doch diese grösseren Einheiten, um Wettbewerb leisten zu können, gegen die transatlantische Macht, die sich schon damals entfaltete. Die spanischen Kolonien machten sich angeblich “frei”, gerieten aber in der Abhängigkeit der aufkommenden Vereinigten Staaten. Der österreichische Minister Hülsemann, angesichts der Proklamation der Monroe-Doktrin, und der französische Philosoph Alexis de Tocqueville, nach einer langen Reise nach Amerika, warnten die Europäer, daß dort über die Atlantik eine Macht auftauchte, die ganz anders war, als was man in Europa stets gekannt hatte. Die Weltpolitik erhielt kontinentale Dimensionen. Die Zukunft wird von jetzt ab denjenigen Mächten gehören, die eine genügende Ausdehnung haben werden, die genug Rohstoffe auf einem geballten, gut abgerundeten, Hoheitsgebiet und nicht wie die Kolonialreiche, über alle Windrichtungen zerstreut.

 

Hülsemann, und später Constantin Franz, plädierten für ein Zusammenschließen der kolonienlosen Kontinentalmächte, was letztendlich dazu führte, daß Verträge wie der Drei-Kaiser-Bund oder daß Prinzipien wie die preussisch-russische Rücksprache praktiziert wurden. Anfang des 20. Jahrhunderts, wollte der Bund zwischen dem Deutschen Reich und Österreich-Ungarn das marode Ottomanische Reich als Ergänzungsraum wieder erquicken. Das implizierte die Konstruktion eines Kommunikationsnetzwerkes, m a w eine Eisenbahnstrecke zwischen Hamburg und Bagdad (und eventuell weiter, bis zur Küste des Persischen Golfes). Da liegen die Hauptgründe des Ersten Weltkrieges. England konnte keine nichtenglische Anwesenheit in diesem Gebiet dulden. Russland konnte es nicht annehmen, daß Deutsche und Österreich in Konstantinopel, bzw. Tsarigrad, die Politik mitentschieden.

 

Innerhalb Europas sind also reichische Strukturen notwendig, um den bodenständigen europäischen Kulturkreis zusammenzuhalten, damit alle Völker, die innerhalb dieses reichisch organisierten Kulturkreises, eine Zukunft haben können. Heute plädiert der US-amerikanische Professor Samuel Huntington dafür, politisch in Kulturkreiskategorien zu denken. Er spricht english von “civilizations”, wobei die deutsche Sprache etwa mit Oswald Spengler den Unterschied zwischen dem Begriff “Kultur”, den man als etwas organisches anschauen sollte, und dem Begriff “Zivilisation”, der als die rein mechanischen Errungenschaften eines Kulturkreises anzuschauen ist; diese Errungenschaften erreichen ihren Hohenpunkt, wenn die organischen Wurzelkräfte fast erschöpft sind. Samuel Huntington, als einer aktuelle Spengler-Schüler, meint, daß solche Wurzelkräfte wieder zu beleben sind, wenn man sich wieder darauf besinnen will, wie etwa die Muslimfundamentalisten oder die Erneuerer des Hinduismus es heute tun. Samuel Huntington spricht von einem allgemeinen westlichen Kulturkreis, der Europa und Amerika in einer atlantischen Einheit zusammenschmelzen würde. Für uns wie für Hülsemann und Tocqueville sind Europa, als schlafend-schlummernden Quelle des ureuropäischen Menschentums, und Amerika, als eine weltgeschichtliche und vergangenheitslose Neuheit revolutionärer und mechanischer Prägung, zwei grundverschiedene Pole, eben wenn an der Oberfläche Bruchstücke einer fabrizierten sogenannten “klassischen” Kultur als Ornamente übrigbleiben. Diese “klassischen” Ornamente werden heute in Amerika gründig zur Diskussion gestellt : sollte man sie bewahren als Überbleibsel einer mehr oder weniger vergessenen europäischen gemeinsamen Vergangenheit, sollte man sie im Denken definitiv erledigen, über Bord schmeißen, oder sollte man sie als geistliche Elemente für Tauschmanöver in der Medienwelt weiter benutzen?

 

Das heutige Europa, in der Gestalt von Euro-Brüssel, ist selbstverständlich kein Reich, aber nur ein Superstaat im Werden. “Staat” gleicht nicht “Reich”, da der Staat “steht”, und bewegt sich nicht, und da ein Reich per definitionem alles Organisches in sich aufnimmt, geistig-politisch bearbeitet und anpasst, und also stets in Gärung und Bewegung ist. Das heutige Euro-Brüssel wird, wenn es so weitergeht, zur totalen Erstarrung führen. Das heutige Euro-Brüssel hat kein Gedächtnis, hat jeden historischen Hintergrund verloren, ist wurzellos geworden : die Ideologie dieser machinenhaften Konstruktion ist eine pure Gedankenmachenschaft, die keine einzige Lektion aus der Vergangenheit lernen will. Dazu ist die wirtschaftliche Praxis Euro-Brüssels weltoffen und neoliberal, also eine Negation der geschichtlichen Dimension der realen Wirtschaftssysteme, die tatsächlich auf dem europäischen Boden sich entwickelt haben.  Neoliberalismus erlaubt noch dazu keine positive Entwicklung in Richtung einer kontinentalen Autarkie. Euro-Brüssel ist deshalb nicht mehr europäisch in realgeschichtlichem Sinn des Wortes sondern westlich, da ein doktrinärer Neoliberalismus, als Modernisierung des alten angelsächsischen Manchester-Liberalismus, eben das ideologische Kennzeichen par excellence des Westens ist, wie so unterschiedliche Autoren wie Ernst Niekisch, Guillaume Faye oder Claudio Finzi es gründlich ausgelegt haben.

 

Aber die Projekte, Europas Kräfte zusammenzuballen, waren Anfangs bestimmt nicht “weltoffen”, sondern “autarkisch”, obwohl freiwirtschaftlich im Sinne eines Ordo-Liberalismus, d h eines Liberalismus, der mit nicht-ökonomischen Faktoren Rechnung hält. Eine Wirtschaft kann nicht ohne Gefahr alle anderen Gebieten der menschlichen Aktivitäten ausschalten. Kulturerbe, Organisation der Medizin und des Unterrichtswesens sollten immer einen gewissen Vorrang vor rein ökonomischen Faktoren bekommen, weil sie Ordnungs- und Stabilitätsfaktoren innerhalb einer Gesellschaft bzw eines Kulturkreises sind, sie garantieren deshalb die Zukunft der Völker die innerhalb dieses Kulturkreises leben. Ohne eine solche Stabilisierung, gehen die Völker am Liberalismus zugrunde, wie schon Arthur Moeller van den Bruck es Anfang der 20er Jahre festgestellt hatte.

 

Was Europa unmittelbar betrifft, hatten österreichische Industriellen und Wirtschaftsleute eine Europapolitik schon Ende des 19. Jahrhunderts vorgeschlagen. Zum Beispiel: Alexander von Peez spürte schon sehr früh, daß die VSA die Ausschaltung Europas nicht nur aus der Neuen Welt sondern auch überall und in Europa selbst planten. Die Überlebensfrage für alle europäische Völker war gestellt : entweder eine gesamteuropäische Einigung in einem autarkischen Wirtschaftssystem wie der Deutsche Zollverein oder die Kolonisierung durch die neue panamerikanische Macht, die damals in Werdung war. Alexander von Peez warnte schon vor der Gefahr einer “universellen Amerikanisierung”. Der Wirtschaftstheoretiker Gustav Schmoller, Galionsfigur der sogenannten “deutschen historischen Schule”, predigte für einen “Europäischen Wirtschaftsblock”, der fähig sein würde, den US-amerikanischen Dynamismus eine Antwort zu bieten.  Für Schmoller sollte ein solcher Block “autarkisch” sein und sich durch Zollhürden schützen. Genau das Gegenteil was Europa heute tut. Julius Wolf, ein anderer deutscher Wirtschaftstheoretiker sah die Schließung des immensen panamerikanischen Marktes den europäischen Waren und Produkten gegenüber voraus, sowie auch eine schärfere Konkurrenz zwischen europäischen und amerikanischen Produkten weltweit. Arthur Dix und Walther Rathenau werden auch diese Perpektive annehmen. Jäckh und Rohrbach plaidierten für einen Wirtschaftsblock, der sich vom Nordsee bis zum Persischen Golf ausdehnen sollte. So entstand die sogenannte “Orientsfrage”, der Achse Hamburg-Kuweit entlang. Kaiser Wilhelm II. wollte den Balkanraum, Anatolien und das Zwei-Ströme-Land als Ergänzungsraum für die deutsche Industrie organisieren, aber er schlug die Mitbeteiligung anderer europäischen Mächten, inklusiv Frankreich, ritterlich vor. Gabriel Hanoteaux war der einzige wichtige französische Staatsmann, der positive Folge diesen rationellen Vorschlag geben wollte. In Rußland war das Projekt vom Staatsmann Sergeij Witte positiv akzeptiert. Leider wurden diese hellsehenden Staatsmänner beiseitegeschoben zugunsten Dunkelmänner aller möglichen ideologischen Schattierungen.

 

Der Zankapfel, der zum Ersten Weltkrieg geführt hat, war eigentlich die Stadt Konstantinopel. Objekt dieses extrem mörderischen Krieges war die Beherrschung der Meerstraßen und des östlichen Beckens des Mittelmeeres. Die Engländer hatten es immer gewünscht, diese Meerstraßen in den Händen der schwach gewordenen Türken zu lassen. Aber eine Türkei, die als Ergänzungsraum eines wirtschaftlich einheitlich organisierten Mitteleuropas unter deutscher Führung,war ihnen einen Dorn ins Auge. Der Rest des ottomanischen Reiches sollte nochmals zerstückelt werden, damit keine territoriale Kontinuität übrigbleibt besonders im Raum zwischen Mittelmeer und Perzischem Golf. Die Türkei, Rußland und Deutschland sollten in diesem hoch strategischen Gebiet der Welt verdrängt worden, eine “Containment-Policy” ante litteram. Die Russen träumten immer Konstantinopel wieder zu erobern und von dieser wunderschönen Stadt ein “Tsarigrad” zu machen. Die Russen, als Hauptvertreter des “Dritten Roms”, wollten, daß  das ehemalige Bysanz der Mittelpunkt des christlich-orthodoxen Kutlurkreises wieder wurde. Die Franzosen hatten Interesse im Vorderasien, in Syrien und Libanon, wo sie die Interesse der dortigen christlichen Gemeinschaften offiziell verteidigten. Keine dieser Macht verstand, daß die neuen Zeiten eine neue Politik forderte. Das Zusammenprallen dieser verschiedenen und unterschiedlichen Interessen führte zur Katastrophe von 1914.

 

In 1918 waren Frankreich und England fast ruiniert. Sie hatten Riesenschulden in den VSA gemacht. Die beiden westlichen Mächte hatten allerlei Material in Amerika gekauft, um die Front halten zu können. Die VSA, die vor 1914 überall in der Welt Schulden hatten, wurden sehr rasch Schuldeiser statt Schuldner. Frankreich hatte nicht nur anderhalb Million Männer, d h ihre biologische Substanz, verloren, es mußte fast ewige Schulden zahlen, sodaß Versailles die Deutschen zwung, ein erhebliche Anteil der Schulden zu zahlen. Dieses Spiel von Schulden und Zahlungen hat Europa ruiniert, und es in einer Horrorspirale von Inflationen und Wirtschaftskatastrophen gestürzt. Während derr 20er Jahren wollten die VSA Deutschland als bevorzugter Kunde haben, um die zollgeschützten europäischen Märkte zu “penetrieren”, wie man damals sagte. Die Wirtschaft der Weimarer Republik, etwa mit den Young- oder Dawes-Plänen, galt in den höchsten Wirtschaftskreisen Amerikas als eine “penetrierte” Wirtschaft. Was damals für Deutschland galt, wird nach dem 2. Weltkrieg für ganz Westeuropa gelten und nach dem Kalten Krieg für Gesamteuropa. So hat sich stufenweise die “universelle” Amerikaniesierung, bzw die Eine-Welt-Ideologie Rooseveltscher Prägung bzw die heutige Globalisierung à la Sörös entwickelt. Die Namen sind zwar anders, die Strategie bleibt aber einheitlich. 

 

Der 2. Weltkrieg hatte als Hauptkriegsziel Washingtons und Churchills, die Einheit Europas  durch die Achsen-Mächte zu verhindern, damit so eine “unpenetrierte” und “unpenetrable” Wirtschaft nicht entstehen und sich behaupten könnte. Der 2. Weltkrieg hatte überhaupt nicht als Ziel, Europa zu “befreien”, sondern seine Wirtschaft in einem ständigen Zustand der Abhängigkeit zu halten, was keine “moralische” aber wohl eine sachlich materialistische und ökonomische Beurteilung der Kriegsverantwortlichkeiten ist. Einige deutlich behaupteten Kriegsziele werden kaum noch in unseren Medien erwähnt, was ihre gründliche Bedeutung nicht ausschließt, im Gegenteil! Die quasi offizielle Zeitschrift “Géopolitique”, die heute in Paris herausgegeben wird, erinnerte uns kürzlich an den britischen Willen, die Flußverkehr auf der Donau und die Verwirklichung der Rhein-Main-Donau-Verbindung zu verhindern. “Géopolitique” publizierte dabei eine Karte, die damals 1942 in der Londoner Presse gedruckt wurde. Deutschland sei gefährlich, nicht weil seine politische Regime “undemokratisch” wäre, aber weil diese Regime in der Lage geworden war, das Plan Karel des Großen und das Testament des preußischen Königs Friedrich des Zweiten zu realisieren, d h eine inländische kontinentale Flußverbindung zu verwirklichen, die die kontinentalen Mächte unabhängig ohne umfangreiche Flotte kontrolieren konnten, was automatisch die britische Kontrolle über das Mittelmeer strategisch stark relativierte. Um von der Atlantikküste nach den Kornfelder der Krim und der Dniestr- Dniepr- und Donbecken oder nach Ägypten zu fahren, braucht man nicht mehr notwendigerweise die Frachter der aus England finanzierten Reedereien. Das Schwarze Meer wird auch so direkt mit Mitteleuropa und  dem Rheingebiet verbunden. Eine solche geopolitische, geostrategische und geoökonomische Symphonie wollten die Seemächte eben vermeiden, da sie so ihre Bedeutung  verloren hätten. Die geopolitischen Visionen des von den englischen Diensten fergeleiteten französischen Geopolitiker André Chéradame, der die Zerstückelung Mitteleuropas und des Donau-Beckens für das Versailler Diktat vorbereitete, haben auch als Hauptziel, soviele künstliche, kaum lebbare und miteinander verfeindete Staaten im Donau-Gebiet zu schaffen, sodaß von Wien bis zum Schwarzen Meer keinen wirtschaftlich dynamischen Ergänzungsraum oder keinen reichisch strukturierten Raum mehr entstehen konnten.

 

Das Ziel, die Flußverkehr zu verhindern, wurde von den späteren Ereignissen des Kalten Krieges befestigt. Die Elbe (Achse Prag-Hamburg) und die Donau als Flußadern wurden durch den Eisernen Vorhang verriegelt. Der Kalte Krieg hatte als Ziel, diese Spaltung zu verewigen, sowie die Bombardierung der Donau-Brücken um Belgrad 1999 das gleiche Ziel verfolgten. Weiter hatte der Kalte Krieg als Ziel, Russland weit vom Mittelmeer zu halten, es keine Zugänge zur warmen Seen zu verschaffen, Deutschland gespaltet zu halten, Frankreich eine relative Autonomie zu lassen. Frankreich zählte offiziell zu den Siegermächten und wurde relativ von diesen Zerstückelungs- und Balkanisierungsmaßnahmen bespart. Die Amerikaner tolerierten diese Autonomie einfach weil die grossen französischen Flüße, wie die Seine, die Loire und die Garonne atlantische Flüße sind und keine nennenswerte Verbindungen mit dem Donau-Raum ermöglichen und weil damals die Konsumindustrie Frankreichs zu schwach war. Nur in den 50er und 60er Jahren, entwickelte sich in Frankreich eine solche Industrie mit billigeren Autos (Die 2CV-“häßliche Enten” von Citroën, die “Dauphine” oder R8-Modelle von Renault, usw), Moulinex-Küchenapparaten, usw aber ohne den deutschen Standard zu erreichen. Die Stärke Frankreichs war immer seine Goldreserven. Die Stärke Deutschlands die Herstellung von ausgezeichneten Prezisionsprodukten, die man gegen Gold oder Devisen verkaufen konnte. Anton Zischka schrieb einmal daß die Rückkehr aus Amerika der französischen Goldreserven zur Zeit der De Gaulleschen Rebellion in den 60er Jahren unter dem Impuls des Wirtschaftstheoretiker Rueff eine unzulängliche Maßnahme war, da gewisse Branchen der Konsumindustrie in Frankreich damals nicht bestanden : Photoapparate, Schreibmaschinen, Optikprodukte, solide Autos für den Ausfuhr wurden im Land nicht produziert. Sowie Zischka in seinem wichtigen Buch “Sieg der Arbeit” theorisierte, ist Gold eine statische Quelle des nationalen Reichtums derweil die Arbeit, als ständig produzierender Faktor, der Dynamik der neuzeitlichen Welt entspricht. Das hatten die US-amerikanischen Strategen sehr gut verstanden. Sie haben den Wirtschaftswunder geschehen lassen, da die quantitative Entwicklung eigentlich eine Täuschung war, da sie doch irgendwann ein Ende kennen wurde, nämlich weil die einzigen Weiterentwicklung der deutschen Industrie nur in Richtung des Balkanraumes, des Schwarzen-Meer-Beckens und Vorderasiens möglich ist.

 

In diesem konfliktreichen Gesamtkontext, dessen Wurzeln schon Ende des 19. Jahrhunderts liegen, sind seit einigen Jahrzehnten die Instrumente der Kolonisierung und Ausschaltung Deutschlands und Europas, die folgenden :

 

◊ DROGEN UND MAFIAS :

 

Um die Kontrolle über Europa zu üben, haben die US-amerikanischen Geheimdienste immer verschiedene Mafiaorganisationen ferngesteuert. Sowie der heutige französische Fachmann für das Mafiawesen Xavier Raufer es feststellt, hat der mafiagelenkte “Tropismus” (“tropisme mafieux”) Geschichte : Alles hat 1943 angefangen, wenn die US-Behörde der aus Sizilien stammende Mafiaboss Lucky Luciano aus dem Gefängnis holen, um die Landung der allierten Truppen in Sizilien und die Eroberung Süditaliens vorzubereiten. Seitdem kann man tatsächlich eine enge Verknüpfung zwischen Mafia und US-Spezialdiensten feststellen. Ab 1949, wenn Mao China in einer Volksrepublik umwandelt zieht sich eine nationalchinesische Kuo-Min-Tang-Armee im Goldenen Dreieck zwischen Burma und Laos zurück. Die Amerikaner wünschen, diese Armee in Reserve zu halten, um eventuell Operationen im kommunistischen China zu leiten. Der Kongreß hätte aber geweigert, eine solche Armee durch Steuergelder finanzieren zu lassen und solche Operationen zu billigen. Deshalb war eine Selbstfinanzierung durch Drogenproduktion und -Schmuggeln nötig. Während des Vietnam-Krieges, wurden Bergstämme, wie die Mois, mit militärischem Material bewaffnet, das durch Drogengelder bezahlt wurde. Vor der Machtübernahme Maos in China und vor dem Vietnamkrieg waren die Zahl der Drogensüchtigen sehr gering : nur Avant-Garde-Künstler, Schauspieler oder Schickeriamitglieder verbrauchten Heroin oder Cocain. Höchstens waren das 5000 Leute im Gesamtnordamerika. Drogenkonsum wurde durch die ferngesteuerten Medien angestachelt und am Ende des Vietnam-Krieges zählte Amerika 560.000 Drogensüchtigen. Die chinesische und italienische Mafia nahm die Logistik über und spielte so eine erhebliche Rolle in der Finanzierung von ungeliebten Kriegen. Die Allianz zwischen der Türkei und den Vereinigten Staaten erlaubt ein drittes Mafianetzwerk, an dieser gesamten Strategie teilzunehmen, nämlich die türkischen Organisationen, die eng mit parareligiösen Sekten und mit der Armee zusammenarbeiten. Die haben Beziehung zu ähnlichen kriminellen Organisation in Uzbekistan, in anderen türkischsprechenden Ländern Zentralasiens und insbesondere in Albanien. Die albanischen Mafiaorganisationen haben sich in ganz Europa ausgedehnt zur Gelegenheit des Kosovo-Konfliktes, um die UCK-Verbände zu finanzieren, die so die selbe Rolle wie die vietnamesischen Mois-Stämme in den 60er Jahren zu spielen, d h das Land vorzubereiten, bevor die NATO-Truppen tatsächlich intervenieren könnten.

 

Weiter hat das Drogenkonsum bei Jugendlichen eine andere strategische Rolle : das Unterrichtswesen zu untermauern, damit Deutschland und Europa eine weitere Trumpfkarte verlieren, d h die besten Erziehungsanstalten der Welt, die immer unser Kontinent die Möglichkeit gab, sich aus den schwierigsten Situationen zu retten.

 

Europaweit sollten die politischen Kräfte die Mafiaorganisationen bekämpfen, nicht nur weil sie kriminelle Organisationen sind, sondern auch weil sie Instrumente eines mit den europäischen Mächten tief befeindeten raumfremden Staatswesens. Die Mafiaorganisationen zu bekämpfen impliziert u a eine strenge Regulierung der Migrationsströme aus mafiakontrollierten Ländern (Türkei, Albanien, Uzbekistan, usw.)

 

◊ Die MULTIS (MULTINATIONALE FIRMEN)

 

Schon seit den 60er Jahren, sind die Multinationalen ein Instrument des US-Kapitalismus, um die anderen Staaten zur Öffnung der Grenzen zu zwingen. Ökonomisch führt das Prinzip der Multinationalen zur Entortungsstrategien, die man im neoliberalen Jargon “Delocalizations” (Delokalisierungen) nennt. Diese Entortungsstrategien sind für die hohen Arbeitlosigkeitsquoten verantwortlich. Eben für anscheinend unbedeutende Produkte wie Spielwaren oder Bonbons haben die Multinationalen hunderttausende Arbeitsplätze vernichtet. Beispiele : Miniaturautos wurden früher in meinen Kindersjahren in England hergestellt (wie etwa Dinky Toys, Matchbox, Corgi Toys, usw.). Jetzt kommen diese kleine Spielautos aus Thailand, Macau oder China. Zur Zeit seines nationalrevolutionären Trips schrieb Henning Eichberg mit Recht in den Seiten der Berliner Zeitschrift “Neue Zeit” über die “totale Subvertierung durch Bonbons”. Süßigkeiten für Kinder werden nicht mehr lokal produziert oder von der Oma mit Liebe hausgemacht sondern als “Mars”, “Milky way” oder “Snickers” von Multis massenhaft hergestellt und weltweit verkauft. Wieviele arbeitslose kleine Menschen?

 

Europaweit sollte die politische Kräfte Europas, zumindest wenn sie wirklich die Arbeitslosigkeit bekämpfen wollen, den Entortungsstrategien entscheidend “nein” sagen und alle möglichen Lokalproduktionen revalidieren.

 

◊ Der NEOLIBERALISMUS ALS IDEOLOGIE

 

Der Neoliberalismus ist die wirtschaftliche Ideologie der Globalisierung. Der berühmte französische Autor Michel Albert stellte Anfang der 90er Jahren, daß der Neoliberalismus, als Erbe der Thatcher- und Reaganregierungen, als Praxis eine allgemeine Ablehnung jeder Investierung am Ort war. Gegen diese neue Rage, Thatcher und die “Reaganomics” nachzuahmen, schlug Michel Albert vor, den Ordo-Liberalismus wieder in Ehre zu stellen. Er bezeichnete den Ordo-Liberalismus als “Rheinisches Modell”, das nicht nur “rheinische” bzw. Deutsch ist, sondern auch japanisch, schwedisch, teilweise belgisch (die patrimoniale Wirtschaft der alten Industrie-zonen Flanderns oder Walloniens) oder französisch (die Familiengroßbetriebe der Regionen um Lyon oder Lille oder aus Lothringen). Das “Rheinisches Modell” privilegiert Investierung statt Börsenspekulation. Die Investierung gilt nicht nur für industrielles Maschinenkapital sondern auch für Universitäten, Hochschulen oder Unterrichtswesen. Der Neoliberalismus neben dem Begleitungsphenomen des Mai-68-Gedankengutes ist eben die Ideologie die die Unterrichtssysteme in ganz Europa untermauert hat. In Deutschland ist die Lage schlimm, in Frankreich noch viel schlimmer, fast die totale Katastrophe. In England verlangt heute eine Bürgerinitiative (“Campaign for Real Education”), daß Lehrer und Elternverbände die Disziplin verschärfen und das Niveau der Unterrichte und die Sprachfähigkeiten der Schüler verbessern. Der Geopolitiker Robert Strauß-Hupé, der im Denkfabrik Roosevelts aktiv war, plante in seinem Programm für Deutschland und Europa, das er neben Morgenthaus Pastoralisierungspläne verfasste, die naturgegebenen Kräfte Europas zu zerstören, nämlich seine ethnische Homogeneität und die Qualität seiner Erziehungssysteme, die gebrochen werden sollten. Dazu haben die antiautoritären Spekulationen von weltfremden Pädagogen, das Drogenkonsum und die Mai-68-Ideologie gedient. Man flüstert manchmal, daß der 68-Philosoph Herbert Marcuse für das “Office for Strategic Studies” (OSS) gearbeitet hätte.

 

Europaweit sollten die gesunden politischen Kräfte für ein ordo-liberales Wirtschaftssystem rheinischen Modells sich einsetzen, das investiert statt spekuliert und das Schulwesen und die Universität unterstützt, ohne die anderen “non profit” Sektoren zu vernachlässigen (Krankenhäuser, Gesundheitswesen, Kulturwesen). Die profitlosen Pfeiler einer jeden Gesellschaft sollten nicht zur bloßen Disposition gestellt werden. Sie schmieden die Volksgemeinschaften zusammen und erwecken Treue in allen sozialen Schichten. Der Neoliberalismus wird eher vom Dschungelgesetz bestimmt.

 

◊ Die MEDIEN :

 

Europa wird auch durch Medien beherrscht, die von bestimmten Diensten ferngesteuert werden, um die “richtigen” Emotionen am richtigen Zeitpunkt entstehen zu lassen. Diese Medien prägen die zeitgenössische Mentalität und schliessen jeden kritischen Geist aus, insofern daß kritische Geister nur Geister sind, die in durch die Geschichte geprägte Traditionen und Bilder denken. Ort- und zeitlose Geister gehören der schwebenden Intelligenz, d h eben diese Art Intelligenz, daß die Amerikanisierung und die neoliberale Globalisierung brauchen. Die Beherrschung Europas durch Medieninstrumente fing schon unmittelbar nach dem 2. Weltkrieg an, wenn die Zeitschrift “Reader’s Digest” überall in Europa und in allen Sprachen verbreitet wurde und wenn Frankreich 1948 gezwungen wurde US-Filme überall spielen zu lassen, weil es anders kein Geld im Rahmen des Marshall-Planes bekommen wurde. Die Regierung Léon Blums akzeptierte dieses Diktat. Der ehemalige linke Regisseur Claude Autant-Lara, wenn er 1989 im Europäischen Parlament auf der Liste vom französischen Nationalisten Le Pen gewählt wurde, nahm die Gelegenheit, als älterster Abgeordneter, die US-amerikanische Politik zu denunzieren, Hollywood-Filme systematisch durchsetzen zu wollen und so die jeweils nationale Produktion der europäischen Länder zu torpedieren. Lieder, Mode, Drogen, Fernsehen (mit CNN), Internet sind alle Kanäle, die die US-amerikanische Propaganda benutzt, um das historische Gedächtnis der Europäer auszuwischen und so die öffentliche Meinung zu beeinflussen, damit keine andere Weltanschauung mehr entstehen kann.

 

Europaweit sollten die gesunden politischen Kräfte, unabhängige und ortsgebundene Medien finanzieren und promovieren, die ideologisch und philosophisch verschieden sind, damit unsere Völker es vermeiden, durch hyperzentralisierte und durch eine raumfremde Supermacht ferngesteuerte Medienkomplexe verblödet und beeinflußt zu werden. Medienkontrolle ist eine vitale Notwendigkeit für die künftige “kognitive Kriege”, die als Ziel haben, die Geister zu beeinflussen und die “feindliche / ausländische Hörerschaften” (“enemy / alien audiences” im CIA- oder NSA-Jargon) rezeptiv zu machen, damit keine andere Lösung noch als moralisch oder akzeptabel angeschaut wird.

 

◊ Die militärische MITTEL

 

Man behauptet üblich, daß die US-amerikanische Macht eine Seemacht ist. Starke See- und Weltmächte sind traditionell “bi-ozeanisch”, haben also Fenster auf zwei Weltmeeren bzw Ozeanen. Der Krieg gegen Mexiko 1848 hatte als Ziel, sich ein breites Fenster in Richtung des Pazifischen Ozeans zu erobern und sich so mittel- oder langfristig den chinesischen bzw fernöstlichen Markt als exklusiver Absatzmarkt zu reservieren. Wenn Ende des 19. Jahrhunderts der US-Admiral Alfred Thayer Mahan seine Spannungen nicht sparte, um die “Navy League” als Instrument zur Promotion des US-Imperialismus zu gründen und zu etablieren, sind seine Intentionen auch von der US-Flotte in Werdung ein Waffenmonopol zu machen. Sein politisches und strategisches Ziel war es, den angelsächsischen Mächten eine weltweite, überall auftauchende und interventionsgerichtete Waffe zu geben, die Amerika und England eine grössere Schnelligkeit für weltweite Interventionszwecke gab und die die anderen Mächte nicht haben dürften. Weiteres Ziel war es, den anderen Mächten eine solche Waffe und alle künftigen gleichartigen Waffen zu entziehen. Die Eroberung des Pazifischen Raumes nach der Eroberung der Pazifischen Küste Kaliforniens 1848 fand fünfzig Jahre später statt, wenn der Krieg gegen Spanien mit der Ausschaltung dieser europäischen Macht aus dem Karibischen Raum und aus den Philippinen endete. Deutschland übernahm die Hoheit auf Mikronesien und verteidigte mit seiner Kriegsmarine die Samoa-Insel gegen  die US-amerikanischen Ansprüche. Zwischen 1900 und 1917 unternahmen die VSA keine entscheidende Schritte, aber der Erste Weltkriege gab ihnen  die Gelegenheit, zu intervenieren und den westlichen Allierten Material zu verkaufen, in so einem Umfang, daß sie nicht mehr Schulder sondern Schuldeiser werden.

 

1922 zwangen US-Amerikaner und Britten Deutschland und ihren eigenen ehemaligen Allierten den Vertrag von Washington auf. Zu wenig wurde uns bis jetzt über diesen schicksalhaften Vertrag erzählt. Er bestimmte die erlaubte Anzahl Tonnen für jede Seemacht der Erde : 550.000 Tonnen jemals für Britten und US-Amerikaner, 375.000 Tonnen für Japaner, 175.000 Tonnen jemals für Franzosen und Italiener. Versailles hatte schon das Schicksal der deutschen Marine besiegelt. Frankreich galt zwar als Sieger, konnte sich aber nicht mehr die Mittel geben, eine starke Seemacht zu werden. Die Reduzierung der deutschen Flotte war eine Rache für Samoa und ein Präventivmittel, das Reich aus dem Pazifischen Raum auszuschalten. Warum sollte man den Inhalt der Washingtoner Vertrag heute erinnern? Weil dieser Vertrag ein Schulbeispiel für einen amerikanischen “Modum operandi” ist. 1) Dieses Verfahren wurde später ständig systematisiert; 2) Die Völker versuchten vergebens Antworten zu erfinden, wie die Entwicklung der französischen Luftfahrt, mit heroischen Figuren wie Jean Mermoz und Antoine de Saint-Exupéry oder wie die Entwicklung der deutschen Zeppelin-Luftschiffe, die ein tragisches Ende mit der Katastrophe des Hindenburg-Luftschiffes 1937 in Neu York. Beide Mächte konnten nicht richtig Luftflotte entwickeln, um die verlorene Marinen zu ersetzen. Allgemeines Ziel war es, keine Autonomie der hochtechnologischen Waffenindustrie eben bei ehemaligen Verbündeten zu tolerieren. Nach dem 2. Weltkrieg, wurden Frankreich und die kleineren westlichen Mächten gezwungen, altes Kriegsmaterial für ihren Armeen zu kaufen. Die französische Armee wurde damals nur mit amerikanischem Material ausgerüstet. Aber mit der Hilfe von kriegsgefangener deutschen Ingenieuren wurde Frankreich fähig, sehr moderne Flugzeuge zu entwickeln, wie der Mistral-Düsenjäger. Nach 1945 besaß Deutschland keine nennenswerte Flugzeugindustrie mehr. Fokker in den Niederlanden überlebte kaum noch und blieb quasi unbedeutend. Unter De Gaulle entwickelten die französische Ingenieure, mit deutschen Kollegen, die Mirage-Flugzeuge, die eine sehr ernst zu nehmende Konkurrenz für die amerikanische Kriegsindustrie darstellten. Der Mirage-III-Jäger war eine weitere Entwicklung des sogenannten Volksjägers Heinkel 162. 1975 zwangen die Amerikaner, nachdem sie korrupte europäische Politiker überzeugt hatten, die Regierungen der NATO-Staaten aus dem Benelux und Skandinavien F-16-Düsenjäger zu kaufen, sodaß Franzosen und Schweden (SAAB) sich technologisch und finanziell nicht weiter entwickeln könnten. Den selben Trick wurden kürzlich mit den polnischen und ungarischen F-16s geübt. Seitdem hinken Franzosen und Schweden technologisch hinterher. Waffentechnologisch konnten die Deutsche Leopard-Panzer zwar entwickeln, weil Amerika als Seemacht eigentlich nicht so sehr an Landheerwaffen interessiert sind. Der Akzent liegt bei ihnen auf Flotte, U-Booten, Raketen, Satelliten und Luftwaffe.

 

Heute, so wie ein Dossier, das in dem Wochenblatt “Junge Freiheit” erschienen ist, es uns lernt, kaufen amerikanische Konzerne spitzentechnologische Industrien in Europa, sowie Fiat-Avio in Italien, also der Zweig des gigantischen Fiat-Konzernes, der sich mit Luftfahrt beschäftigt, die norddeutsche U-Boot-Firma und das spanische Konzern “Santa Barbara Blindados”, das die deutsche Leopard-Panzer für die Armee Spaniens produziert. So haben Leute aus der amerikanischen Kriegsindustrie Zugang zu alle Fachgeheime der deutschen Panzerindustrie. Diese finanziellen Manöver haben als Ziel, Europa zur Abhängigkeit zu zwingen, bevor es sich die Möglichkeiten gibt, sich militärisch zu behaupten.

 

Die US-geleiteten militärischen Organisationen wie die NATO, die CENTO oder die OTASE dienen bloß als Markt für alte amerikanische Waffen, besonders Flugzeuge, damit keine unabhängige und konkurrenzfähige Waffenindustrien in allierten Staaten entstehen, die technologische Fortschritte machen könnten, die dazu leiten würden, mächtigere Waffensysteme in “alien armies” einzusetzen und so die leitende Supermacht im Schach zu halten oder sie zu einer Macht zweiten oder drittens Ranges zu degradieren. Die Angst, daß potentielle feindliche Mächte Waffentechnologien entwickeln könnten, ist sehr tief im Geist des US-amerikanischen Politpersonals eingewurzelt. Deshalb ist das Spionieren des Allierten notwendig. Das Satellitensystem ECHELON, wie Michael Wiesberg es sehr genau in einem Heft des Wocheblattes “Junge Freiheit” ausgelegt hat, wurde während des Kalten Krieges entwickelt als ein militärisches Beobachtungssystem, das die schon existierenden Kommunikationsmitteln komplettierte, wie etwa die unterseeischen Kabeln und die anderen Satelliten, die für militärische Zwecke eingesetzt wurden. Unter Clinton, wurde das ECHELON-System offiziell auch für zivile Zwecke umgeschaltet. Wenn zivile Zwecke Objekte von spitzentechnologischen Spionierungssysteme werden, heißt es, daß die Allierten der stark ausgerüsteten Supermacht auch abgehorcht werden können. In einem solchen Kontext sind diese Allierten keine Verbündete im üblichen Sinn mehr. Die rein politische Perspektive, so  wie Carl Schmitt sie theorisiert hatte, ändert völlig. Es gibt keinen Feind im Schmittschen Sinn mehr, aber auch keine Verbündete, die zumindest theoretisch-juridisch als formell gleichberechtigt gelten. Die Sprache, die heute in den hohen Kreisen der US-amerikanischen Geheimdienste benutzt wird spricht eben nicht mehr von “Feinden” und von “Verbündeten” sondern bloß und schlicht von “alien audiences”, d h buchstäblich von “ausländischen Hörerschaften”, die die US-Propagandadienste prägen müssen.  Was bedeutet konkret diese angeblich unbedeutende semantische Änderung? Es bedeutet, daß nach dem Verschwinden der UdSSR die Verbündeten eigentlich nicht mehr nötig und allein noch Überbleibsel eines vergangenen Zeitalters sind, daß Information bei ihnen abgezapft und abgehorcht werden kann, besonders im Gebiet der Hochtechnologie in Europa, wobei schon festgestellt wurde daß deutsche und französische Firmen, die Wasserreinigungssysteme entwickelt hatten, elektronisch und durch die ECHELON-Satelliten auspioniert wurden, wobei US-Firmen die Produkte billiger produzieren könnten, weil sie für Forschung keinen Pfennig investiert hatten. Das US-amerikanische Staatsapparat begünstigt also seine eigenen nationalen Firmen und plündert die Firmen seiner Verbündeten. Diese Art der industriellen Spionierung vertritt eine sehr hohe Zivilgefahr, da sie Arbeitslosigkeit bei hochqualifizierten Fachleuten verursacht. Der mutige britische Journalist Duncan Campbell, der das ECHELON-Skandal entlarvt hat, gibt uns Dutzende von Beispielen solcher Plünderungen, in allen möglichen Zweigen der Spitzentechnologie. Da nicht nur die VSA an dem ECHELON-System teilnehmen, sondern auch Großbritannien, Kanada, Australien und Neuseeland, ist es für uns von großer Bedeutung, eine wichtige Nebenfrage zu stellen : Ist das Vereinigte Königreich  noch eine loyale europäische Macht? Hatte De Gaulle nicht recht, wenn er sagte, daß die “special relationship” mit den VSA Großbritannien immer feindlich dem Kontinenten gegenüber stelle würden?

 

Wenn man von einem Europa der Völker redet, muß man gut davon bewußt bleiben, daß zwei Ebenen konkret eine Rolle spielen. 1) Die Erste dieser beiden Ebenen ist die kulturelle Ebene, die man im Wirbel der modernen Lebensmuster so weit wie möglich intakt halten muß. Wir sind selbstverständlich davon klar bewußt. Aber dieses Bewußtsein enthält trotzdem ein großes Risiko, das in jedem Kulturkampf anwesend ist : Nämlich jede Kulturerbe ins Musäische zu verwandeln oder Kultur als bloßer Zeitsvertrieb anzusehen. Die Verteidigung unserer Kulturerbschaften darf in keinem Fall so statisch und undynamisch bleiben. Eine Kultur hat immer strategische, politische, wirtschaftliche und geopolitische Dimensionen. 2) Jedes Volk, als kulturtragendes und kulturstiftendes ethnisches Substrat, das von der herrschenden politischen Klasse nie zur Disposition gestellt werden darf, läßt selbstverständlich eine unveraußerliche und spezifische Kultur, bzw Literatur, entstehen, und hat eine bestimmte Geschichte erfahren, aber generiert auch ein eigenes Wirtschaftssystem, und dieses Wirtschaftssystem hat eine bestimmte Geschichte, die so ist und nicht anders. Jede Wirtschaftsform ist in einem Raum und einer bestimmten Zeit eingebettet. Also, gibt es keine lebensfähige Wirtschaft möglich, die weltweit und “universell” wäre. Die französischen Wirtschaftstheoretiker Perroux, Albertini und Silem, die den Akzent auf die Geschichte der Wirtschaftssysteme gelegt haben und dabei die große Theoretiker der autarkischen Systeme nicht vergessen haben, haben auch für didaktische Zwecke, diese gesamten Systeme in zwei Kategorien klassifiziert : Einerseits die Orthodoxen, andererseits die Heterodoxen. Die Orthodoxen sind die Liberalen der Adam Smithschen Schule (Manchester-Liberalen) und die Marxisten, die universalistisch denken, die die gleichen Muster überall unter allen Klimaten und Bodenarten aufpropfen wollen. Die sind eigentlich die philosophischen Vorväter der Gleichschalter der heutigen Globalisierung. Die Heterodoxen legen den Akzent über das Besondere an jedem Wirtschaftssystem. Sie sind die Erben der deutschen “Historischen Schule” mit Namen wie Rodbertus, Schmoller, de Laveleye. Der Tat-Kreis zur Zeit der Weimarer Republik, mit Ferdinand Fried und Ernst Wagemann, haben dieses wertvolle Gedankengut weiter entwickelt. Genauso wie hier schon gesagt wurde, hat für diese Heterodoxen und Anhänger der Historischen Schule jeder ortsgebundenen Wirtschaftsraum eine spezifische Geschichte, die man nich so willkürlich ausschalten kann. Geschichte und Wirtschaft prägen volks- und orts- und zeitsgebundene Institutionen und diese durch die Geschichte geerbten Institutionen bestimmen das Funktionieren einer Wirtschaft. Man spürt ganz genau hier, warum die EU bis jetzt gescheitert ist, weiter scheitern wird, weil sie eben diesem heterodoxen Weg nicht gefolgt ist. Wir sind, so wie sie es natürlich gut verstanden haben, Heterodoxen in Sinn Peroux, Silems und Albertinis. Die Wirtschaft ist der “Nomos” des “Oikos”,  d h die Gestaltung des Lebensortes, wo ich, als potentieller politischer Gestalter, und die Meinen leben. Es gibt, nach der Etymologie selbst des Wortes “Wirtschaft”,  keine mögliche Wirtschaft ohne Ort. Eine universelle Wirtschaft gibt es per definitionem nicht. 

 

So kommen wir zurück zur Geopolitik. Nach der Definition des Begriffes “Geopolitik”, handelt dieses Fach um den Einfluß der erdkundigen und räumlichen Faktoren über die ewige Politik innerhalb eines bestimmten Gebietes. Die räumlichen Faktoren beeinflußen selbstverständlich den Modus der am Ort praktizierten Wirtschaft. Wenn dieser Modus bewahrt sein sollte und nicht durch “pseudo-universelle” Regeln ersetzt wird, dann kann man von “Autarkie” reden, wobei die Wirtschaft darauf zielt, selbstgenügend zu bleiben. “Autarkie” meint nicht notwendigerweise, daß man ein geschloßener Handelsstaat aufbauen will. Ein zeitgenößische Autarkie impliziert ein Gleichgewicht zwischen einer vernünftigen Öffnung der kommerziellen Grenzen und einer ebensogut gedachten Schließung, um die innere Produktion von Waren zu schützen. Ein aktualisierter Autarkie-Begriff zielt auf eine gut balancierte “Auto-Zentrierung” der nationalen bzw reichischen Wirtschaft, so wie der Perroux-Schüler André Grjebine es gründlich ausgelegt hat. 

 

Friedrich List im 19. Jahrhundert plädierte für selbstständige Wirtschaftsysteme. Er gestaltete nach seinen Ideen die modernen Wirtschaften Deutschlands, Amerikas, Frankreichs, Belgiens und teilweise auch Rußlands zur Zeit des Czar-Ministers Sergeij Witte, der Rußland am Vorabend des Ersten Weltkrieges modernisiert hatte. Die Hauptidee Friedrich Lists war, die Industrie in jedem Land anzukurbeln, durch gut funktionierende Kommunikationsnetzwerke zu entwickeln. In Lists Zeit waren solche Kommunikationsnetzwerke Kanäle und Eisenbahnstrecken. In seiner Perspektive, die immer noch die Unsere sein sollte, hat jedes Volk, jeder Kulturkreis bzw Föderation von Völker das recht, sein eigenes Kommunikationsnetzwerk  zu bauen, um desto ökonomisch stärker zu werden. In diesem Sinn, wolllte List die konkrete Wünsche von Friedrichs II. Testament realisieren, indem der preußische König 1756 schrieb, daß die Hauptaufgabe des preußischen Staates in der norddeutschen Tiefebene es war, die Flußbecken durch Kanäle miteinander zu verbinden, sodaß zwischen Weichsel und Nordsee einfache Kommunikationen möglich werden. Dieses Projekt wollte die Uneinheitlichkeit des norddeutschen Raumes erledigen, die schicksalhaft für die deutsche Geschichte war. Das geplante System von Kanälen reduzierte auch die Abhängigkeit der Tiefebene dem See gegenüber. List entwickelte auch das Projekt, die großen Seeen in der Mitte des nordamerikanischen Raumes und dem Atlantik zu verbinden. Er ermutigte die Franzosen, ein Kanal zwischen Atlantik und Mittelemeer zu bauen, um die Position von Gibraltar zu relativieren. Er gab dem belgischen König Leopold I von Sachsen-Coburg  den Rat, Schelde und Maas mit dem Rheinbecken zu verbinden : so enstanden das “Canal du Centre”, das Antwerpen-Charleroi-Kanal und erst später das Albert-Kanal (1928). List ließ auch Eisenbahnen überall bauen, um die Kommunikationen zu beschleunigen. Deutschland aber auch die Vereinigten Staaten verdanken diesem großen Ingenieur und Ökonom, starke industrielle Mächte geworden zu sein. 

 

Prinzip ist es aber, daß Seemächte solche innenländische Entwicklungen nicht dulden können. Die Engländer insbesondere fürchteten, daß das Element ihrer Macht d h ihre Flotte an Bedeutung verlieren wurden. Gegen den Bau des Atlantik-Mittelmeer-Kanals meckerte die englische Presse. 1942 wurde in der Londoner Presse eine Karte publiziert, die die Gefahren einer Rhein-Main-Donau-Verbindung erwähnte. Max Klüver, in seinem äußerst interessanten Buch “Präventivschlag”, erinnerte uns daran, daß schon Sabotage gegen Brücken in Ungarn und Rumänien durch Intelligence-Service-Agenten vorgeplant wurden. Der Kalte Krieg hatte auch als Ziel, die Elbe und die Donau zu sperren, um jede wirtschaftliche Dynamik zwichen Böhmen und Norddeutschland und zwischen Bayern-Österreich und dem Balkan-Raum zu strangulieren. Der Krieg gegen Serbien 1999 diente u a auch dazu, die Donau-Verkehr zu stoppen und jede Kommunikationsachse zwischen dem Raum um Belgrad und dem Ägäischen Meer unmöglich zu machen. Die Ideen Lists sind noch ebenso wichtig heute wie damals und sollten ausgedehnt werden, damit sie auch Satellitensysteme miteinbeziehen. Jede Völkergruppe hat also heute das Recht, eigene elektronische Mittel und Systeme zu entwickeln, um seine industrielle und wirtschaftliche Kräfte zu stärken.

 

Um aktualisierte Interpretationen von Lists Theorien, die in Europa mehr oder weniger verpönt wie alle “heterodoxen” Lehren sind, muß man den Umweg nach Lateinamerika machen. Dort dozieren und arbeiten noch gute Schüler von List und Perroux. Wenn sie über einer Emanzipation den VSA gegenüber reden, benutzen sie den Terminus “Kontinentalismus”. Die meinen dabei eine gesamtkontinentalische politische Bewegung, die die Kräfte bündeln, um aus der Abhängigkeit Washingtons zu geraten. In Argentinien zum Beispiel werden autarkische Ideen schon zur Zeit Perons gründlich entwickelt. Argentinien, bevor übernationale Kräfte aus dem Bankwesen das Land mit allerlei Tricks ruinierten, genieß von einer regelrechten Nährungsfreiheit mit eine Überproduktion von Korn und Fleisch, die auch exportiert werden konnte, was Washington einen Dorn im Auge war. Argentinien hatte auch, teilweise mit der Hilfe von deutschen Ingenieuren, eine unabhängige, autonome und weitverzweigte Kriegsindustrie entwickelt. 1982 benutzten noch argentinische Piloten hausproduzierte PUCARA-Kampflugzeuge, um englische Schiffe während des Falkland-Krieges zu zerstören. Deshalb ist die peronistische Ideologie seit mehr als 60 Jahre Feind nummer eins der VSA im südlichen Teil Ibero-Amerikas. Die zahlreichen inszenierten Krisen, die das Land General Perons heimsuchten, haben die ganze Praxis der Autarkie zunichte gemacht. Ein positives Experiment hat so ein jähes Ende gefunden. 

 

Um eine klare Antwort dem US-Globalisierung zu geben, braucht man, auf Grundlage des hier erwähnten Wissens folgende sechs Punkte für eine unabhängige und nonkonforme Europa-Politik durchzukämpfen :

 

Punkt 1 : Wieder von Neoliberalismus zum Ordo-Liberalismus

 

Die Wirtschaft sollte wieder “patrimonial” werden nach dem Rheinischen Modell, sowie Michel Albert es in einem weltweit verbreiteten Buch dargestellt hat. Hauptrichtung einer erneuten ordo-liberalistische Wirtschaftspolitik heißt es, investieren statt spekulieren. Investierung gilt auch in Erzihungsanstalten, Universitäten und Forschung. Eine solche Politik impliziert auch eine Kontrolle der strategisch wichtigen Sektore, genau so wie Japan, die VSA und heute auch das Rußland Putins es tun. Putin fragte eben Chodorkovski sein Vermögen patriotisch in der russischen Föderation selbst zu investieren, statt im Ausland zu belegen und so risikolos zu spekulieren. Euro-Brüssel hat immer eine solche Politik abgelehnt. Kürzlich fragte der FN-Europaabgeordneter Bruno Gollnisch, Europas Politik auf drei Achsen zu konzentrieren : 1) Airbus, um eine von Amerika unabhängige Luftfahrtindustrie zu entwickeln; 2) Aerospace, um Europa ein Satellitensystem zu geben; 3) Energieforschung, um Europa von dem Zwang der US-geleiteten Ölkonzerne zu befreien. Ein so klares Programm ist ungezweifelt ein Schritt in der guten Richtung.

 

Punkt 2 : Die Unabhängigkeit von den großen amerikanischen Medienagenturen zu erkämpfen

 

Um uns von den Medienagenturen, die die Wirklichkeit gegen unsere eigenen Interessen interpretieren, muß Europa eine eigene Raumfahrt entwickeln und deshalb ist eine enge Kooperation mit Rußland nötig. Ohne Rußland, sind wir viele Schritte hinterher. Rußland hat das nötige Wissen in Raumfahrt-Fragen während langen Jahrzehnten versammelt. Indien und China scheinen mitarbeiten zu wollen. Aber um den mediatischen Totalitarismus amerikanischer Macherei zu bekämpfen, braucht man eine geistige Revolution, eine neue Metapolitik, um die reale Fazsination zu brechen, die die amerikanische Film- und Freizeitindustrie übt. Die Qualität und die Attraktivität einer eigenen europäischen Kulturproduktion, die zur gleichen Zeit die Buntheit und Verschiedenheit der europäischen Kulturen im Sinn der Herderschen Philosophie bewahrt, wird uns erlauben den “kognitiven Krieg” zu gewinnen [Die heutigen französischen Strategen sprechen von “guerre cognitive”]. Eine geistige Revolution braucht Fantasie, Kreativität, Futurismus und über alles eine bestimmte Frechheit, die ein  satirisches Blatt aus der deutschen Geschichte wie “Simplicissimus” sehr gut vertrat. Der freche Geist kann, wenn gut gezielt wird, den “kognitiven Krieg” gewinnen.

 

Punkt 3 : Die Prinzipien der Außenpolitik sollten nicht diejenigen sein, die Amerika pausenlos predigt

 

Europa muß seine eigenen Prinzipien in der Außenpolitik entwickeln, d h den Universalismus Washingtons ablehnen, sei er “multilateralist”, wie Kerry es will, oder “unilateralist”, wie Bush es z. B in Irak praktiziert. Für ein Europa, das nicht mehr Euro-Brüssel sein würde, sollte kein Modell weltweit gelten oder als solches verkündet werden. Zwei Lehren sollten hier erinnert und erwähnt werden : 1) Armin Mohler, im Juli 2003 verstorben, sprach von der Notwendigkeit, den Gaullismus deutsch zu interpretieren und zu praktizieren, in dem Sinn, schrieb er in “Von Rechts gesehen”, daß ein wirkliches Europa sich ständig für eben diese Länder, die die Amerikaner als “Rogue States” oder “Schurkenstaaten” betrachten, interessieren. Zur Zeit, wo Armin Mohler diese texte über den Gaullismus schrieb, war der Hauptschurkenstaat China. In “national-europäischen” Lager sagten Jean Thiriart und die Anhänger seiner Bewegung “Junges Europa” in Brüssel genau dasselbe. In Deutschland versuchte Dr. Haverbeck in Vlotho eine objektivere Information über China zu verbreiten. Die belgische Königin-Mutter Elisabeth von Wittelsbach reiste nach China. Alle wurden als “Maoisten” oder “Krypto-kommunisten” beschimpft. Die Orientierung der Außenpolitik auf chinesischen Modellen ist aber keine Dummheit. 2) Diese letzte Idee bringt uns zu einem Modell, das Europa nachahmen sollte, statt dem amerikanischen Universalismus  zu imitieren. China will weltweit die Außenpolitik innerhalb des heutigen Staatensystems auf fünf Hauptprinzipien reduzieren : 1. Keine Einmischung dritter Staaten in den inneren Angelegenheiten eines bestimmten Staates, was bedeutet, daß die Menschenrechtenideologie nicht benutzt werden sollte, um Streitereien in dritten Staaten aufzustacheln. General Löser, der hier in Deutschland für die Neutralität Mitteleuropas unmittelbar vor dem Fall der Mauer predigte, vertrat ähnliche Argumente. 2. Respekt für die Souveränität der existierenden Staaten. 3. Nie die Existenzgrundlagen eines Staates anzutasten. 4. Die friedliche Koexistenz weiter unterstützen. 5. Jedes Volk die Freiheit gewähren, sein eigenes Wirtschaftssystem zu gestalten.

 

Die politische Philosophie Chinas füßt auf klassische Autoren wie Sun Tzu, Han Fei und der Tao-Te-King : alle enthalten glasklare Argumente, die mit dem verderbeden Moralismus nichts zu tun haben.

 

Punkt 4 : Nach der militärischen Unabhängigkeit streben...

 

Hauptaufgabe einer gesamteuropäischen Freiheitsbewegung sollte sein, die Waffenindustrie zu schützen und es vermeiden, daß die existierenden Firmen in den Händen von US-amerikanischen Konzerne wie Carlyle Incorporation fallen. Fiat Avio in Italien, die deutsche U-Boot-Industrie, das spanische “Santa Barbara Blindados”-Konzern sind kürzlich durch Börsenspekulationen amerikanisch geworden. Als andere Aufgabe gilt es, systematisch das Eurocorps statt die NATO zu schützen und weiter das Eurocorps auf Grundlagen der Prinzipien einer Volksarmee schweizerischen Modells oder einer Miliz wie Löser in Deutschland, Spannocchi in Österreich, Brossolet in Frankreich es theorisiert haben. Die NATO ist tatsächlich überholt seitdem Deutschland und Europa 1989 wiedervereint wurden. Damals haben die Europäer die Chance verpasst, eine neue Weltordnung in ihrem Interesse zu gestalten. Deshalb kommt wahrscheinlich die Idee einer Paris-Berlin-Moskau-Achse zu spät. Dritte Aufgabe : eine Flotte mit Flugzeugträger zu entwickeln. Vierte Aufgabe : ein Satellitensystem zu starten, damit Europa endlich Militär- und Kulturkriege zusammenschmelzen kann. Das führt uns zu Punkt 5.

 

Punkt 5 : Gegen das ECHELON-System kämpfen

 

Als Beobachtungs- und Spionierungssystem Großbritanniens, Australiens, Kanadas, Neuseelands und der Vereinigten Staaten, ist ECHELON eine Waffen gegen Europa, Rußland, Indien, China und Japan. Es verkörpert die gefährliche Idee der totalen Überwachung, wie schon Orwell und Foucault sie vorausgesehen hatten. Eine solche Überwachung sollte entgegengewirkt werden nur mit der Entwicklung anderer Systeme, die durch eine enge Zusammenarbeit zwischen Rußland, Europa, Indien und China entstehen können. Wenn ECHELON nicht mehr das einzige System solcher Art ist, können die Mächte der eurasischen Landmasse eine kulturelle, militärische und wirtschaftliche Antwort geben. In ECHELON, verschmelzen sich tatsächlich die kulturellen, wirtschaftlichen und militärischen Operationen, die heute geführt werden. Die Antwort ist wirklich Euro-Space. 

 

Punkt 6 : Für eine unabhängige Energie-Politik

 

Was die Energie-Politik betrifft, sollte der Modus die Diversifikation sein, wie De Gaulle es für Frankreich in den 60er Jahren plante, wenn er sich von Amerika und NATO distanzieren wollte. Das französische Planbüro wollte damals, alle mögliche Energiequellen ausbeuten, so die Wind-, Sonnen-, Ebbe-und-Flut- und Wasserenergie, ohne Öl oder Kernenergie auszuschließen. Die Diversifikation hilft, die Abhängigkeit von einzigen oder ausschließenden Energiequellen abzubauen. Heute, würde eine solche Politik noch gültig sein, aber dazu sollte eine Entwicklungspolitik der eurasischen Ölleitungen zusammen mit Rußland, China, Korea und Japan weiterentwickelt werden. Hauptsache ist es, die Abhängigkeit von saudischen d h amerikanisch-kontrollierten Ölquellen abzubauen.

 

Diese sechs Punkte können nicht von unserem üblichen Politpersonal realisiert werden. Die Lageanalyse desbetreffend ist schon da, als Fundgrube neuer politischen Ideen und Programme. Prof. Erwin Scheuch, Hans-Herbert von Arnim, Konrad Adam, die italienische anti-partitokratische Tradition und das Werk Roberto Michels, Kritiker der Oligarchen, das Werk des ehemaligen Franco-Minister Gonzalo Fernandez de la Mora, haben Kampfbegriffe bestimmt, um die Cliquen und die allgemeine Parteiherrschaft offensiv zu kritisieren, damit die planlosen Eliten den Weg endlich frei halten für neue Eliten, die die richtigen Antworten für die zeitgenößischen Probleme haben. Deshalb scheint es mir noch wichtig ein Zitat von Arthur Moeller van den Bruck zu meditieren, der sagte, daß “Parteipolitik schlimm sei, da die Parteien sich zwischen dem Staatsapparat, das theoretisch allen gehören sollte, stellen, und so einen Filter einscheiben, der jede UNMITTELBARKEIT zwischen Volk und Politik unmöglich macht”. Nur diese von Moeller van den Bruck erwähnte UNMITTELBARKEIT gründet die wahre Demokratie, die auch nur organisch und populistisch sein kann, da anders der Staat rein formal, unorganisch und leblos, wird.

 

Die große Idee der UNMITTELBARKEIT im reinen Politischen macht es möglich reale Projekte zu realisieren und die falsche ideologische Botschaften zu entlarven. Daran sollen wir alle arbeiten.

 

Ich danke Ihnen für Ihre Aufmerksamkeit,

 

Robert Steuckers.

lundi, 08 septembre 2008

Une critique visionnaire du dérèglement économique mondial

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Une critique visionnaire du

dérèglement économique mondial

George FELTRIN-TRACOL

sur: http://www.europemaxima.com/

Au début de la décennie 1930, quand la crise de 1929 commençait à toucher la France, deux jeunes penseurs courageux et originaux, Robert Aron et Arnaud Dandieu, rédigèrent Le cancer américain.

Ces deux noms ne sont pas inconnus pour qui s’intéressent à cet extraordinaire foisonnement intellectuel de la France de l’Entre-Deux-Guerres que Jean-Louis Loubet del Bayle désigna dans un livre magistral et fondateur sous le terme générique de « non-conformistes des années 1930 ». Avec Denis de Rougemont et Alexandre Marc, Robert Aron et Arnaud Dandieu animèrent la revue L’Ordre Nouveau et le groupe éponyme. Situé entre la revue personnaliste Esprit d’Emmanuel Mounier, de sensibilité « progressiste » (ou au moins « humaniste intégral »), et la Jeune Droite d’extraction maurrassienne, L’Ordre Nouveau ne cessa de dialoguer avec elles, occupant ainsi un espace central de la pensée française d’alors sans pour autant renoncer à sa radicalité intrinsèque.

Cette radicalité se manifeste pleinement dans Le cancer américain que L’Âge d’Homme vient enfin de rééditer. À la différence des écrits des autres non-conformistes qui traitent de philosophie, de politique, de moral, Robert Aron et Arnaud Dandieu nous livrent une réflexion économique sur la transformation profonde, capitale, du monde à laquelle ils assistent horrifiés. « Nous voici au changement des temps où il nous faudra choisir entre les routines oppressives d’une tradition faussée et le travail révolutionnaire qui mène à un ordre nouveau. Ce livre sans portée constructive et sans valeur doctrinale, n’a été écrit que pour inviter à ce choix. »

Le cancer américain critique en des termes fort rudes les politiques déflationnistes de l’Étatsunien Hoover et du Français Tardieu. Mais, par delà cette critique conjoncturelle implacable, l’ouvrage dénonce impitoyablement la diffusion de nouveaux modes de production standardisés, la rationalisation des méthodes de travail qui ne se limite pas au seul secteur industriel, le taylorisme et le fordisme qui envahissent les esprits. Il s’en prend aussi au principe de l’assurance et à l’idéal philanthropique des sociétés occidentales qui minent et sapent les communautés humaines. Il en résulte que « pour tous ceux, Français ou étrangers, Américains ou Asiatiques, qui sentent, au sens le plus médiocre comme au plus élevé du mot, leur “ avenir ” menacé et leur existence compromise par des crises qu’ils subissent sans parvenir à les comprendre, pour les peuples qui voient disparaître leurs traditions essentielles, — pour les individus opprimés dans leur bien-être et dans leurs joies — ce livre est un cri d’alarme ». Les auteurs se révoltent donc contre le monde moderne puisqu’ils estiment « le mal dans lequel se débat le monde moderne est bien, comme un cancer, lié à la nature même de ce monde ». En observateurs lucides et soucieux, ils constatent que « le cancer du monde moderne a pris naissance bien loin des charniers de la guerre, en un terrain bien abrité, mieux même qu’on ne le croit souvent. C’est le cancer américain ».

Ce livre, on s’en saurait douté, vitupère contre le système yankee d’autant que « les États-Unis doivent apparaître comme un organisme artificiel et morbide » ! Cependant, les auteurs se nuancent et précisent que « les U.S.A. que nous mettons en cause, c’est une méthode, ce n’est pas un peuple, encore moins une terre. Méthode qui a bien pu se greffer sur tout un groupe humain, comme une maladie ; mais qui n’en garde pas moins sa liberté de propagation et son existence indépendante… ».

Considérant néanmoins que « l’impérialisme américain à base économique et mystique, est l’héritier direct de la tradition coloniale européenne », que « l’esprit américain [est] cancer et détournement de l’esprit véritable » et qu’il « se ramène à une double crise : crise de conscience d’abord, et crise de virilité », Robert Aron et Arnaud Dandieu, doués de prescience, s’indignent de la mise en tutelle des banques européenne par la Federal Reserve Banks via la Banque des Règlements Internationaux, et s’élèvent contre la mise en place d’un système monétaire international qui préfigure et annonce les accords calamiteux de Bretton Woods en 1944.

Comme leurs « homologues » révolutionnaires-conservateurs allemands, Robert Aron et Arnaud Dandieu déplorent le plan Dawes et rejettent le scandaleux plan de remboursement Young qui fragilise les économies européennes. On a tendance à l’oublier aujourd’hui : si les États-Unis ne ratifièrent pas en 1920 le traité de Versailles et choisirent l’isolationnisme, Washington n’en continua pas moins d’exiger de ses débiteurs le paiement complet des prêts de guerre et de leurs intérêts… L’isolationnisme politique yankee s’accorda sans problème avec une solide attention financière intéressée au Vieux Monde. C’est par ce biais que les États-Unis parviennent à s’imposer. « Cette colonisation américaine de l’Europe est évidemment que plus elle devient dangereuse, moins elle est apparente. Et ici se confirme une fois de plus le caractère profondément abstrait de cette colonisation. C’est sur le terrain financier et particulièrement celui du crédit que cette constatation se montre la plus éclatante. À ce titre, et bien qu’il soit bousculé par les événements, le plan Young demeure un objet d’études particulièrement révélateur : son importance subsiste entière et 1929 apparaît comme une étape particulièrement grave dans la colonisation de l’Europe par l’Amérique. Pour la première fois, au moyen d’un organisme bancaire, un protectorat secret sur l’ancien monde était établi de façon assez discrète, pour que nul ne s’en aperçût. Machine admirablement montée, mais encore mieux camouflée, et sur laquelle il faut nous arrêter quelque peu. Véritable charte du colonialisme américain ! » Cette invasion subtile et insidieuse prend des formes surprenantes, que « de la colonisation concrète ayant un but matériel, voire territorial, elle est passée progressivement à ce que l’on pourrait appeler la colonisation abstraite, c’est-à-dire à la colonisation par le commerce, puis par le crédit, puis enfin par le prestige ».

Les auteurs du Cancer américain considèrent par conséquent que la prospérité étatsunienne des « Années folles » s’est bâtie sur les ruines et la reconstruction de l’Europe meurtrie. Or la crise de Wall Street et ses conséquences ne font qu’accentuer ce parasitisme d’une manière dangereuse, car, « que l’Amérique le veuille ou non, c’est à la guerre que mènent inévitablement sa prospérité et ses crises, à la guerre… en Europe », avertissent-ils prophétiquement.

Ils récusent toutefois la solution belliciste. « Ce livre n’est pas un appel à l’on ne sait quelle guerre sainte. La guerre ne peut rien contre les maux de l’esprit, et le cancer américain est avant tout un cancer du spirituel. Ce n’est pas à la guerre contre l’Amérique qu’au-dessus des nationalités il faut appeler l’Europe ; non seulement les canons ne peuvent rien contre le cancer, mais la guerre est un contact plus dangereux que n’importe quel autre, et l’on s’américanise contre l’Amérique plus vite encore que pour elle. Nous n’appelons donc à la guerre, mais à la conjuration. » Ce complot, cette insurrection des cultures populaires enracinées doit aller à l’encontre de l’air du temps et de ses engouements superficiels. Déjà « le rôle que nous nous assignons, dépassant les questions de frontière ou le problème même de race, est d’écrire le Discours contre les excès de la Méthode (1), c’est-à-dire contre les abus d’une méthode jadis bienfaisante, le Discours contre la technique qu’attend notre génération ». Comment ? « Contre l’esprit américain, ce cancer du monde moderne, il n’est aujourd’hui qu’un remède. Pour échapper à l’engloutissement dont nous menacent les déterminismes matérialiste et bancaire, c’est avant tout le mythe de la production qu’il faut attaquer et détruire : c’est avant tout une révolution spirituelle qu’il est de notre devoir de susciter. » MM. Aron et Dandieu suggèrent donc de décoloniser les imaginaires…

Cette « révolution spirituelle » nécessaire, indispensable, vitale même, ne peut que se fonder sur l’idée européenne. Et on comprend mieux tout ce qui sépare la Jeune Droite, restée nationaliste, de L’Ordre Nouveau, véritablement européiste, qui perçoit l’Europe en rempart salutaire au déferlement destructeur de la modernité. « Dans sa Révolution nécessaire, elle rejettera avec indignation tous les colonialismes étrangers ou internes, qui partout, dans les métropoles comme dans les terres d’outre-mer, ne cherchent qu’à brimer les modes d’existence et de pensée indigènes au profit d’autres cancers conçus à l’instar de l’Amérique. » Mieux, l’Europe, pour les auteurs, ne dément pas la juste affirmation des peuples à préserver leurs identités, bien au contraire ! « Diversité et unité peuvent en elles s’appuyer l’une sur l’autre, parce que c’est la diversité des patries et des cultures qui y a lentement, contre la volonté des États et des diplomates, promu au rang de valeur suprême la puissance d’un esprit créateur, spécifiquement humain. Puisque aujourd’hui on s’en prend à ta diversité comme à ton unité, à ta peau comme à ton âme, Europe, réveille-toi ! » Le propos résonne d’une tonalité singulièrement actuelle.

Sorti après Décadence de la nation française (qu’il serait bien que l’éditeur le republie) et avant La Révolution nécessaire (2), Le cancer américain étudie en temps réel la mainmise du système bankstère sur les vieilles nations européennes. Trois quarts de siècle avant la « mondialisation », cet essai signale que loin d’apporter le bonheur et la plénitude individuels entiers, le dérèglement volontaire du capitalisme libéral et sa généralisation virale plongeraient le monde dans un chaos dont l’homme du début du XXIe siècle pâtit encore des affres. Saluons donc L’Âge d’Homme pour cette réédition et méditons les avertissements visionnaires de Robert Aron et d’Arnaud Dandieu afin d’édifier au final cet ordre nouveau souverain, libérateur et européen.

Notes

1 : En 1974, Robert Aron publia chez Plon Discours contre la Méthode, préfacé par Arnaud Dandieu.

2 : La Révolution nécessaire, Grasset, 1933, réédition, Jean-Michel Place, 1993, préface de Nicolas Tenzer.

• Robert Aron et Arnaud Dandieu, Le cancer américain, L’Âge d’Homme, préface de Pierre Arnaud, coll. « Classiques de la pensée politique », 2008, 141 p., 24 €.