Envisager l’avenir avec une conscience historique fondée sur des faits – correctif nécessaire à la falsification de l’histoire par le Rapport Bergier
par Tobias Salander
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A quelles conditions les citoyens suisses de 2011 peuvent-ils envoyer au monde le message selon lequel ils veulent conserver leur liberté, leur démocratie et leur autonomie et en même temps rester le peuple le plus pacifique mais le plus apte à se défendre? C’est à cette question, posée à temps dans une période de grave crise économique et financière aux répercussions encore imprévisibles en Occident, en particulier dans les zones dollar et euro, que répond une nouvelle étude sur l’histoire de la Suisse entre 1933 et 1945 due à la plume d’un économiste et ex-commandant de bataillon d’infanterie qui a travaillé pour la Banque mondiale, l’ONU, l’OCDE, divers gouvernements et commanditaires privés dans plus de 100 pays.
S’appuyant sur une quantité de publications scientifiques concernant la Seconde Guerre mondiale, Gotthard Frick, dans son livre intitulé «Krieg und die Selbstbehauptung der Schweiz 1933–1945» propose une vision nouvelle et complète de la manière dont la Suisse a affirmé son autonomie et ses valeurs pendant la Seconde Guerre mondiale. Il indique les leçons à en tirer pour l’avenir et apporte un correctif aux travaux de la Commission Bergier. Cet ouvrage peut être chaudement recommandé à tous les citoyens et en particulier aux professeurs d’histoire et à leurs élèves. Il nous offre une vision de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale qui, loin de tout dénigrement idéologique, rétablit les faits, vision que tous ceux qui les ont vécus ne pourront que confirmer.
Après les attaques des années 1990 contre la Suisse commandées par certains milieux financiers de la côte Est des Etats-Unis et livrées par une cinquième colonne de pseudo-artistes, de personnes «fatiguées de défendre la patrie» (Heimatmüde), de girouettes et de carriéristes vendus et vulnérables au chantage qui auraient voulu, au moyen d’une vaste manipulation psychologique, pousser le pays à intégrer le nouvel ordre mondial, Frick réussit, en évaluant clairement les événements historiques connus, à ressusciter la volonté du pays à affirmer son autonomie et ses valeurs et à aiguiser sa perception de l’avenir. Il ne s’agit pas pour lui uniquement d’apporter une contribution au débat sur l’avenir de l’Armée suisse. Si, à l’époque, il valait la peine de consentir d’importants sacrifices pour éviter la guerre au pays, il faudrait aujourd’hui également «engager des réflexions exhaustives et à long terme si nous voulons préparer notre pays à un avenir qui sera sans doute beaucoup plus difficile et exigeant et peut-être aussi beaucoup plus menaçant que ne le pensent aujourd’hui de nombreuses personnes». (p. 2 sqq.) Ce sont là des réflexions qui ne devraient pas être abordées sérieusement qu’à l’occasion des cérémonies du 1er-Août.
Ceux qui empêchent leurs concitoyens d’envisager le passé les privent d’une vision personnelle de l’avenir. Les interprétations tordues dont les idéologues de la Commission Bergier ont inondé le peuple – ils n’ont pas apporté de faits nouveaux mais uniquement des interprétations erronées de l’histoire – doivent maintenant être démontées patiemment pièce après pièce. Gotthard Frick a le grand mérite d’avoir accompli ce précieux travail d’assainissement. Son évocation de la volonté des Confédérés d’affirmer leur autonomie dans une situation difficile, c’est-à-dire entre 1933 et 1945, est si claire, si respectueuse des faits et toujours envisagée dans la perspective de l’époque actuelle qu’elle peut constituer pour la jeunesse un repère, un point d’ancrage à partir duquel elle pourra s’attaquer aux problèmes de l’heure en étant pleinement conscients de ce qu’ont réalisé nos ancêtres et de la spécificité de notre histoire, celle d’un peuple qui ne voulait pas se laisser asservir, qui aimait la liberté par-dessus tout et voulait prendre en main ses affaires, mais toujours en tenant compte de la situation, sensibles au sort du prochain au-delà des frontières, solidaires et apportant son aide en cas de nécessité. Frick nous offre un contrepoint bienvenu aux machinations déjà mentionnées et aux nouvelles machinations dont l’objectif facile à déceler est de faire entrer la Suisse dans l’UE et l’OTAN, à en faire par conséquent une vassale et un soutien occulte des intérêts des grandes puissances.
Chaque pays a une armée: la sienne ou une armée étrangère
Mettons l’accent sur certains aspects de la présentation de Frick qui sont importants pour notre époque: l’évocation concise des conquêtes d’Hitler et des plans des Alliés – que l’auteur ne présente pas dans l’ordre chronologique mais selon les motifs qui les sous-tendent et cela d’une manière éclairante – montre une chose qui doit paraître évidente aux personnes à l’esprit social et pacifiste: Dans un monde où il n’y a finalement, entre les Etats, jamais d’amitiés mais seulement des intérêts, il n’y a pas de place pour la liberté et la dignité quand les pays démocratiques n’envisagent ni ne préparent les situations de crise. Frick explique qu’on peut développer l’Etat providence, se déclarer neutre avec fierté et ne pas investir dans l’armement. Mais alors on ne doit pas s’étonner si la situation politique se modifie du jour au lendemain et si un pays autrefois ami vient remplir le vide ainsi créé. C’est ce qui s’est passé en 1940 avec le Danemark et la Norvège et ce serait de nouveau possible aujourd’hui. On pourrait dire que nous ne nous défendrons pas en cas d’attaque parce qu’il serait absurde de le faire contre une puissance plus forte. Quelles seraient les conséquences? L’occupant déporterait les hommes et les forcerait à travailler dans l’industrie d’armement pour remplacer les travailleurs et les paysans qui combattent dans l’armée de l’agresseur. Peut-être qu’on les contraindrait à se battre au sein de la machine de conquête, à tuer, ne serait-ce que pour ne pas être tués. Ces conséquences effroyables qu’ont subies les pacifistes belges, danois, norvégiens, français, etc. mais aussi ceux qui se sont bien défendus mais ont été vaincus, comme les Serbes, Frick les décrit fort bien et il détruit de manière salutaire l’illusion consistant à croire qu’on pourrait rester passif aujourd’hui, et que ce ne serait pas si terrible d’être asservi. Pour Frick, l’histoire dément cette attitude de manière douloureuse.
Des voix étrangères louaient la Suisse
S’appuyant sur une quantité de documents de généraux, d’hommes d’Etat et de journalistes, l’auteur montre que les efforts de défense de la Suisse, en particulier la création du Réduit national, étaient pris très au sérieux, et pas seulement en Allemagne. Grâce à ces déclarations d’éminents étrangers, il donne une image authentique de la Suisse de l’époque (cf. les encadrés). La Suisse n’y apparaît pas comme antisémite. Au contraire, dans l’opuscule «Welt-Dienst» de l’Erfurter Verlag – qui était financé par l’Etat – elle est décrite rageusement comme «le seul paradis d’Europe pour les juifs» (p. 15). Il n’y est pas question d’un prétendu défaitisme des Suisses mais de leur esprit combatif et de leur capacité à se défendre qui pourrait donner du fil à retordre à la Wehrmacht. C’est ce qu’écrivait le général des troupes de montagnes de la Wehrmacht Franz Böhme, qui se suicida pendant sa détention par les Alliés à Nuremberg, dans son étude relative à une éventuelle attaque contre la Suisse. Le Times de Londres soulignait qu’aucune armée au monde ne pouvait mobiliser ses troupes aussi rapidement que l’armée suisse et l’étude Tannenbaum de la Wehrmacht de 1940 confirme cette appréciation, bien qu’avec d’autres arrière-pensées.
Le «Kleines Orientierungsheft Schweiz» de l’état-major de l’armée de terre destiné aux troupes allemandes et datant du 1er septembre 1942 écrit à propos du système de milice suisse – que les idéologues de la Commission Bergier ont toujours dénigré: «Le système suisse de milice permet d’engager l’ensemble des soldats à un coût relativement modique. Il entretient l’esprit combatif très marqué depuis toujours dans le peuple suisse et permet la mise sur pied d’une armée qui, vu la petite taille du pays, est très forte, organisée de manière efficace et rapidement opérationnelle. Le soldat suisse se distingue par son amour de la patrie, sa résistance et son endurance.» (p. 55)
Le général Böhme est plein d’admiration pour le Réduit
Le général Böhme écrit à propos du Réduit – que les falsificateurs de l’histoire de la Commission Bergier considèrent comme un mythe: «La défense suisse du territoire dispose d’une armée de terre qui, notamment en raison de ses effectifs élevés représente un facteur extrêmement important. La prise du Réduit défendu par des troupes qui vont se battre avec acharnement représentera une tâche difficile.» (p. 57)
Cela semble étrange de voir vanter la valeur de nos ancêtres par un militaire de la Wehrmacht alors que grâce à des mensonges ordonnées par l’Etat, on voulait nous faire croire le contraire.
Frick montre parfaitement combien la préparation du retrait par le général Guisan du gros de l’Armée dans le Réduit était réfléchie et prévoyante. La faute capitale des généraux polonais, consistant à vouloir maintenir un front de 1500 kilomètres au lieu de s’appuyer sur les alliés naturels que sont les cours d’eau et de concentrer les forces armées, fut étudiée avec beaucoup d’attention par le général Guisan et son état-major. Ainsi, il fallut abandonner la ligne de défense de la Limmat établie à grands frais après la défaite française parce qu’elle était devenue inutile. Même si le flanc ouvert du Jura représenta pendant quelques semaines un danger considérable, il fut possible, grâce à un peu de chance, de mettre en place le Réduit sans que la Wehrmacht ne profite de la situation. La Suisse suivait aussi attentivement la lutte pour défendre les Alpes du Sud de la France où les troupes françaises résistèrent victorieusement aux forces de Mussolini et d’Hitler et elle pensait être sur la bonne voie avec son idée de forteresse alpine. Cela met dans un grand embarras les chefs de la guerre psychologique de la Commission Bergier avec leur dénigrement subjectif et fielleux de la conception du Réduit.
Les Alliés auraient pu raccourcir la guerre de plusieurs années
Frick réfute un autre argument incroyable, car sans aucun fondement, de notre cinquième colonne qui veut que la Suisse ait prolongé la guerre. Il constate en effet que les Alliés auraient pu réduire la durée de la guerre de plusieurs années en bombardant les installations allemandes de production de carburant. Les nazis savaient parfaitement que c’était leur talon d’Achille. Mais que s’est-il passé? Frick montre sans équivoque que les Alliés ont bombardé la population civile sans défense des villes protégée pourtant par le droit international. Ce fut un crime de guerre sans précédent au regard dudit droit et la plus grave erreur au point de vue stratégique. Ou ce «moral bombing», comme le qualifièrent Harris-la-Bombe et Churchill, n’était-il pas une erreur mais visait un autre objectif? Malheureusement, nous n’en saurons rien tant que les Alliés n’auront pas déclassifié les documents secrets de la Seconde Guerre mondiale. Il paraît qu’ils représentent plus de la moitié de la totalité des documents. Le fait que cela n’ait pas été fait après le délai habituel de quelques décennies est de mauvais augure.
La défense du pays aujourd’hui en 10 points
D’une part les mises au point de Frick nous permettent d’éclaircir nos idées et constituent un antidote à l’entreprise de démoralisation effectuée par la Commission Bergier et d’autre part son résumé en 10 points nous fournit des indications précieuses sur la manière dont nous pouvons tirer profit des leçons de l’histoire aujourd’hui dans une situation non moins explosive, si nous voulons garder la tête droite.
1. Fidélité aux valeurs spirituelles
La condition la plus importante qui permet à un peuple d’affirmer son autonomie est la fidélité à ses valeurs spirituelles. Elles donnent au peuple la force morale de subsister dans les situations extrêmes. Ce sont en Suisse les valeurs suivantes, telles qu’elles sont confirmées par les sources étrangères de l’époque de la guerre et que seuls les idéologues de la Commission Bergier tournent en dérision: l’amour de la patrie, l’indépendance, la démocratie directe, le fédéralisme, le pacifisme associé aux capacités de défense, «c’est-à-dire la volonté, en cas d’agression, de défendre ces valeurs et l’intégrité territoriale du pays jusqu’à épuisement de toutes les ressources humaines et matérielles, sans se poser de questions sur les chances de succès.» (p. 116)
Le respect d’autrui et des convenances ainsi que le maintien de relations normales avec tous les Etats ont toujours fait partie de ces valeurs.
2. Cohésion politique vis-à-vis de l’extérieur
Une autre condition importante de l’affirmation de soi réside pour Frick dans la cohésion politique vis-à-vis de l’extérieur. L’auteur insiste sur le fait que contrairement à d’autres pays, les puissances étrangères n’ont pas réussi à instrumentaliser les partis gouvernementaux suisses pour qu’ils défendent leurs intérêts. Même pour le Parti socialiste, la défense du pays était devenue, certes tard, «l’alpha et l’oméga de la politique suisse» (Oprecht, président du Parti).
3. Solidarité sociale
Il fallait également à l’intérieur une solidarité sociale. «Elle suppose une certaine mesure de la part de ceux qui détiennent le pouvoir économique et la conscience du fait que la force économique implique une responsabilité à l’égard de la société.» (p. 117) alors que les plus faibles renoncent aux luttes sociales. L’accord de paix entre employés et employeurs de l’industrie mécanique, de même que les allocations pour perte de gain et le rationnement alimentaire garantissaient que personne ne tomberait dans la misère en raison de son engagement pour la défense du pays.
4. Une armée crédible capable de se défendre
Le 4e point de Frick est la capacité de défense et la mise sur pied d’une armée crédible. L’attaque de la Suisse doit apparaître trop chère à tout agresseur potentiel et s’il se risque quand même à attaquer, il doit s’attendre à des combats long et acharnés. Cependant cela présuppose de bons équipements, une instruction rigoureuse préparant à la guerre, de la discipline et une grande indépendance des chefs et des soldats. Si l’on néglige la capacité de se défendre, il devient difficile de la rétablir en peu de temps. (Précision importante face au concept de «montée en puissance» d’Armée XXI!)
L’histoire apporte un démenti à ceux qui croient que l’on est épargné si l’on renonce à se défendre. Les conséquences en sont les prises d’otages, le recrutement de travailleurs forcés ou l’incorporation des hommes dans l’armée de l’occupant pour servir de chair à canon. «Il n’y a qu’une solution, qui est d’ailleurs parfaitement morale: défendre la paix mais posséder une armée forte prête à se battre uniquement en cas d’attaque, mais alors avec une détermination inflexible.» (p. 119)
5. Les Etats n’ont que des intérêts
Pour Frick, citant un Premier ministre anglais de jadis, les Etats n’ont ni amis ni ennemis, mais uniquement des intérêts: «Les petits pays surtout devraient se souvenir de cette maxime. Toutes les parties aux conflits n’agissent finalement qu’en fonction de leurs intérêts. Les sentiments d’amitié, l’identité des valeurs, la démocratie, les droits de l’homme n’ont joué aucun rôle quand il s’agissait de prendre des décisions.» (p. 119) A titre d’exemple, l’auteur mentionne notamment le fait que la Grande-Bretagne, entre 1939 et 1940, a étranglé économiquement la Suisse de manière impitoyable. Le ministre britannique des Affaires étrangères assura à l’envoyé de la Suisse que «la Grande-Bretagne éprouvait certes une grande sympathie pour la Suisse démocratique mais qu’elle menait un combat vital et qu’elle devait sauvegarder ses intérêts. Après la capitulation de la France, ce même gouvernement déclara qu’il était dans l’intérêt des Alliés que la Suisse maintienne sa capacité de défense et son indépendance le plus longtemps possible et qu’elle demeure un centre d’informations au cœur de l’Europe dominée par l’Allemagne. C’est pourquoi on ne devait pas exercer sur elle de trop grandes pressions économiques.» (p. 120)
6. La neutralité implique nécessairement la capacité de se défendre
La neutralité ne protège ni des amis ni des ennemis et le pays a donc absolument besoin d’une armée crédible pour se protéger. «L’Allemagne a attaqué de nombreux pays neutres, même ceux qui, à son initiative, avaient conclu peu avant des pactes de non-agression. Mais les Alliés ont agi de même lorsque cela correspondait à leurs intérêts». (p. 121)
Pour que la neutralité soit crédible, il faut la défendre contre toutes les parties, sans égard pour les sympathies ou les antipathies. C’est dans ce contexte que Frick place la rencontre entre le général Guisan et le général SS Schellenberg. Le général a assuré le haut commandant allemand que la Suisse était déterminée à combattre tous ceux qui violeraient l’intégrité territoriale de la Suisse, également les Alliés: «Il s’agissait d’empêcher l’Allemagne d’attaquer la Suisse par précaution parce qu’elle pouvait douter de la volonté de la Suisse de résister de toutes ses forces à un passage des Alliés à travers son territoire.» (p. 122)
7. Pas d’adhésion à des alliances
Pour Frick, il n’est jamais dans l’intérêt d’un petit pays d’adhérer à une alliance car les pays plus puissants ne font que défendre leurs intérêts même dans les alliances et utilisent les alliés plus faibles comme de la chair à canon.»
8. Capacité de défense et de souffrance d’un peuple
Ce point concerne la capacité de défense et de souffrance des peuples qui veulent garder leur indépendance. Frick rend hommage aux Britanniques après la capitulation de la France, aux juifs affamés du ghetto de Varsovie luttant contre les SS, à l’armée de la Résistance polonaise et également à l’Union soviétique qui a compté le plus grand nombre de victimes des Allemands. En ce qui concerne la Suisse, Frick soulève la question suivante: «Nous autres Suisses jouissons aujourd’hui d’une prospérité sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Peut-on attendre d’une telle société qu’elle comprenne quelle volonté de se battre et quels préparatifs matériels sont nécessaires pour persuader un agresseur potentiel que le rapport bénéfice-coût d’une attaque est négatif et qu’elle ne vaut pas la peine d’être tentée? Et pouvons-nous nous représenter la capacité de défense et de souffrance qu’il faudrait manifester si l’agresseur ne se laissait pas dissuader et que le peuple devait résister avec son armée dans une guerre?» (p. 124 sqq.)
Et il enfonce le clou: «Quelle proximité avec la terrible réalité d’une guerre, quels risques notre peuple protégé, gâté, démocratique et attaché aux droits de l’homme permet-il à son armée au cours de la formation des soldats? Quels moyens est-il disposé à lui accorder qui la rendent suffisamment forte pour tenir une guerre future, avec ses souffrances inimaginables, le plus éloignée possible du peuple ou, dans le pire des cas, pour combattre longtemps? Car notre victoire serait de résister longtemps et non pas d’aller défiler dans la capitale du pays agresseur.» (Frick, p. 125)
9. Réflexion à long terme
Frick invite à engager une réflexion à long terme malgré la tendance de la politique quotidienne à se limiter au court terme. On ne peut pas mettre sur pied une armée en peu de temps: «En tout cas, il faut beaucoup de temps pour créer une tradition de capacité à se défendre. Or toutes les puissances ont reconnu cette capacité à la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour Machiavel déjà, au XVe siècle, elle expliquait que les Suisses étaient le peuple le plus libre d’Europe.» (p. 125 sqq.)
10. Les décisions de politique intérieure sont toujours des signaux envoyés à l’extérieur
Pour Frick, nous devrions être conscients «que toutes les décisions que nous prenons ne sont pas uniquement de nature intérieure. Nous envoyons par là des signaux au monde qui les reçoit et les interprète.» (p. 126) Jusqu’en 1939, la plupart des démocraties européennes ont envoyé à Hitler le signal qu’elles étaient démoralisées et qu’elles n’étaient pas prêtes à se battre pour défendre leurs valeurs. La Grande-Bretagne et la France ont leur part de responsabilité dans la Seconde Guerre mondiale parce qu’à Munich, elles ne se sont pas opposées de manière catégorique à Hitler: «En capitulant, ces deux puissances ont également désavoué la population de Berlin qui, 3 jours avant Munich, avait manifesté avec détermination contre la guerre.» (p. 126) En revanche, la Suisse fit savoir sans ambiguïté qu’elle était décidée à se battre. Le chef d’état-major allemand Halder notait au printemps 1940 dans son journal de guerre qu’une attaque de la France à travers une Suisse sans défense aurait été une éventualité séduisante. Mais il dut exclure cette option car la Suisse n’était pas sans défense.
Se préparer au pire
Dans sa conclusion, Frick écrit qu’une attaque contre la Suisse ou une guerre en Europe semble aujourd’hui inimaginable à beaucoup de personnes, de même qu’après la Première Guerre mondiale, personne ne s’attendait à une nouvelle guerre mondiale. Il est dans la nature de l’homme «de considérer une longue période de paix et, de manière générale, une situation en général bonne et agréable quasiment comme un don de Dieu qui va durer indéfiniment et de refouler les éventualités effrayantes.» (p. 127) Malheureusement, bien que l’on aimerait donner raison aux optimistes, l’histoire montre que «les comportements et les décisions irrationnels, souvent associés aux instincts humains les plus vils, déterminent toujours et partout la politique et l’action militaire.» (p. 127) Comme l’homo sapiens sapiens n’a pas changé récemment, on ne peut exclure ni une guerre en Europe ni une attaque contre la Suisse, même pas au cours des prochaines années. Que ceux qui trouvent cette idée trop bizarre méditent les dernières phrases de Frick: «Qu’arriverait-il si, par exemple, le monde ou seulement l’Europe sombrait, à cause des dettes accumulées, dans une grave crise monétaire et économique, et même s’effondrait, et si les nombreuses et anciennes tensions ethniques et territoriales se déchaînaient?» (p. 128) Sommes-nous aujourd’hui, à l’été 2011, éloignés de ce scénario? La «malice des temps» invoquée par nos pères fondateurs n’est-elle pas éternelle, à notre grand regret?
Combien d’années se sont écoulées entre la prise du pouvoir par Hitler et la remilitarisation de la Rhénanie, l’écrasement de la Tchécoslovaquie et l’invasion de l’Autriche et le début de la Seconde Guerre mondiale? Trois, cinq et six ans ! C’est pourquoi Frick conclut qu’il est indispensable «que la Suisse se prépare au pire tout en espérant qu’il n’arrivera pas». (p. 128) Il y a là un espoir mais aussi un appel auquel tout contemporain vigilant et amoureux de la liberté ne peut qu’acquiescer. •
Bibliographie
Gotthard Frick. Hitlers Krieg und die Selbstbehauptung der Schweiz 1933–1945. Eine neue, umfassende Sicht auf die Selbstbehauptung der Schweiz im Zweiten Weltkrieg und die daraus für die Zukunft zu ziehenden Lehren. Eigenverlag Gotthard Frick, CH-4103 Bottmingen, Februar 2011,
ISBN 978-3-033-02948-4.
«La défense suisse du territoire dispose d’une armée de terre qui, notamment en raison de ses effectifs élevés, représente un facteur extrêmement important. La prise du Réduit défendu par des troupes qui vont se battre avec acharnement représentera une tâche difficile.»
Franz Böhme, général des troupes allemandes de montagne, dans un plan d’attaque de la Suisse élaboré à l’intention de la SS à l’été 1943 (in: Gotthard Frick, Hitlers Krieg und die Selbstbehauptung der Schweiz 1933–1945, p. 57)
La Suisse représente un problème ardu
«Un dixième de la population suisse est sous les drapeaux, c’est plus que dans tous les autres pays du monde. Elle est prête à se battre pour défendre son style de vie. […] Les Hollandais seront une proie facile pour les Allemands car leur armée est misérable. La Suisse représentera un problème ardu et je doute que les Allemands vont se risquer à le résoudre.»
(William L. Shirer, journaliste américain, peu après le début de la guerre
(in: Gotthard Frick, Hitlers Krieg und die Selbstbehauptung der Schweiz
1933–1945, p. 54)
L’amour de la patrie des Suisses est extrêmement profond
«Le désir de se battre des soldats suisses est élevé et doit être placé sur le même plan que celui des Finlandais. Un peuple qui a de bons gymnastes a toujours en de bons soldats. L’amour de la patrie des Suisses est extrêmement profond.»
Franz Böhme, général des troupes allemandes de montagne, dans un plan d’attaque de la Suisse élaboré à l’intention de la SS à l’été 1943 (in: Gotthard Frick, Hitlers Krieg und die Selbstbehauptung der Schweiz 1933–1945, p. 57)
Ce qui serait arrivé à une Suisse occupée
L’exemple de la Grèce
«La Grèce resta occupée pendant trois ans par les troupes de l’Axe. Elle fut systématiquement pillée et dut livrer au vainqueur non seulement une grande partie de son équipement industriel et de ses véhicules et machines agricoles mais également, pendant tout le temps de l’occupation, une grande partie de ses vivres. Dès le premier hiver, cela provoqua une famine catastrophique à laquelle succombèrent quelque 100 000 Grecs et 80% des nouveau-nés. […] Les Grecs menant bientôt une guerre de partisans féroce, les troupes allemandes se vengèrent souvent, comme ailleurs, en fusillant la totalité de la population – hommes, femmes, enfants – de villages situés à proximité des attaques de la guérilla ou en exécutant des otages civils.»
(Gotthard Frick, Hitlers Krieg und die Selbstbehauptung der Schweiz 1933–1945, p. 92 sqq.)
L’exemple de la Yougoslavie
«Ici aussi, les Allemands prirent la population civile en otage. Pour chaque Allemand tué par les partisans, on fusillait 100 otages, pour chaque blessé, 50 otages. L’auteur de l’étude de 1943 sur l’attaque éventuelle de la Suisse, le général des troupes de montagne Franz Böhme, fut, en 1941, pendant deux mois et demi, général en chef doté des pleins pouvoirs en Serbie. Pendant cette seule période, 30 000 otages furent exécutés. Jugé au Tribunal militaire international de Nuremberg, il échappa à la condamnation, le 27 mai 1947, en se suicidant.»
(Gotthard Frick, Hitlers Krieg und die Selbstbehauptung der Schweiz 1933–1945, p. 91)
Il n’y a pas de paix sans capacité de défense
«Notre capacité de défense vieille de plusieurs siècles a toujours été la sœur jumelle de notre amour de la paix et devrait le rester à l’avenir, quoi qu’il nous réserve.» (Frick, p. 3)
Quand on ne s’attend pas à une grande guerre, on néglige l’Armée
La Suisse est un des rares pays à s’être rendu compte assez tôt du danger représenté par l’Allemagne. Elle commença à se préparer au pire. En 1934, elle commença par la protection aérienne (aujourd’hui protection civile). Le 24 février 1935, le peuple approuva le projet de défense qui ouvrait la voie à un programme d’armement extraordinaire […] Le 21 septembre 1936, la Confédération émit un emprunt de défense nationale qui rencontra un vif succès. La durée de l’école de recrues fut allongée et l’instruction améliorée. On acheta du matériel de guerre, dont des avions de combat, et l’on développa les fortifications. Mais les lacunes importantes ne purent pas être comblées jusqu’au début de la guerre. On avait pendant trop longtemps négligé l’Armée en raison de l’idée, répandue dans le peuple, qu’une autre grande guerre était impossible.» (Frick, p. 12)
Cohésion entre la gauche et la droite
Ce n’est qu’en 1938, peu avant le début de la guerre, que le président du Parti socialiste Oprecht déclara: «La défense du pays est l’alpha et l’oméga de la politique suisse. Ce changement d’attitude se produisit certes beaucoup trop tard pour préparer l’Armée à la future guerre, mais il créa, à propos de cette question décisive de politique intérieure, une cohésion entre la gauche et la droite.» (Frick, p. 13)
Renforcer les valeurs suisses
«Le Schaffhousois Oscar Frey, le conseiller national Gottlieb Duttweiler (fondateur de Migros) et le professeur Karl Meyer, firent, depuis l’été 1940, des conférences dans tout le pays au cours desquelles ils insistaient sur la nécessité et la possibilité de la résistance. Inspiré par cela, le général Guisan institua, en mai 1941, la section Armée et Foyer dont l’objectif était de renforcer les valeurs suisses dans l’Armée et la population civile et de lutter contre le défaitisme et le découragement. C’était nécessaire car au vu de l’occupation rapide de la Yougoslavie puis de la Grèce par l’Allemagne, la Suisse doutait de nouveau de ses capacités de résistance. Ces deux opérations de la Suisse, qu’Hitler n’avait pas prévues d’emblée, apportèrent un répit supplémentaire.» (Frick, p. 14)
Crise de la lutte pour la survie économique
«Avec le début de la guerre commença pour la Suisse la crise de la lutte pour la survie. Il s’agissait d’assurer l’approvisionnement en denrées alimentaires, en carburants, en combustibles, en matières premières et en produits semi-finis, de poursuivre le réarmement, de continuer à faire du commerce avec le monde et de sauvegarder les emplois. Un chômage important aurait fait le jeu de l’extrême-droite. La Suisse introduisit le rationnement et l’économie de guerre, mit en place un programme d’extension des cultures et s’assura, en créant la «protection des militaires» (aujourd’hui «régime des allocations pour perte de gain»), pour que les familles des soldats mobilisés ne tombent pas dans la misère.» (Frick, p. 19)
Brutalité extrême des Alliés
«Bien que le droit international de la neutralité autorise expressément aux pays neutres le commerce avec les parties au conflit, chacun voulait que la Suisse mette fin à son commerce avec l’ennemi et ne livre à ce dernier ni biens stratégiques ni armes. L’extrême brutalité et le manque de compréhension des Alliés, en particulier des Etats-Unis, pour la situation exceptionnelle et difficile de la Suisse ne se différenciait en rien de celle des Allemands. Le conseiller fédéral Stampfli déclarait en 1944: Nous n’avons jamais été plus mal traités par les Allemands que nous le sommes maintenant par les Alliés. Ils étaient insensibles à la sympathie, à la démocratie, à l’Etat de droit et à des valeurs similaires.» (Frick, p. 19 sqq.)
C’est l’Armée suisse qui a mobilisé le plus rapidement
«Aucune armée au monde ne peut mobiliser ses troupes aussi rapidement que l’Armée suisse. C’est ce qu’écrivait le 11 novembre 1938 le Lord-maire de Londres dans le Times après une visite en Suisse. Il recommandait au Royaume-Uni d’adopter le système suisse. L’étude stratégique Tannenbaum de l’état-major allemand datant de 1940 estimait qu’une partie des troupes de frontières serait prêtes au combat au bout de 5 heures, les brigades de frontières et de montagne et les brigades légères dans les 24 heures, les divisions et les grands états-majors, c’est-à-dire la totalité de l’Armée en 48 heures. (A titre de comparaison, le chef d’état-major allemand Halder estimait, le 27 mars 1940, que la mobilisation de 20 divisions italiennes en vue d’opérations aux côtés de l’Allemagne prendrait deux semaines. A cela il fallait ajouter le temps de déplacement vers les lieux de combat.» (Frick, p. 53 sqq.)
Le mythe tenace d’une supériorité de la Wehrmacht
«Le mythe d’une supériorité militaire prétendument écrasante en 1939/1940 de l’Allemagne nazie est tenace. Il sert aujourd’hui encore de justification aux pays d’Europe de l’Ouest – y compris à la France – qui, démoralisés, ont pour la plupart capitulé sans véritable résistance.» (Frick, p. 74)
On n’épargne pas ceux qui se soumettent
«Il existe aussi des gens prêts à se soumettre dans le but d’avoir au moins la vie sauve. Comme le montrent la Seconde Guerre mondiale et tous les conflits ultérieurs, ces individus succombent eux-mêmes à la folie guerrière, non seulement en tant que victimes civiles de bombardements ou d’attaques de missiles ou d’artillerie, mais parce que des forces d’occupation sans scrupules les anéantissent pour des raisons politiques, racistes ou autres. Ou encore on les exécute en tant qu’otages pour venger des soldats ou des citoyens tués par des résistants. En effet, il y a dans chaque peuple des hommes qui préfèrent combattre plutôt que d’être asservis. En d’autres termes, renoncer à se défendre ne permet pas d’épargner la population d’un pays. Il n’y a qu’une solution, qui est d’ailleurs parsfaitement morale: défendre la paix mais posséder une armée forte prête à se battre uniquement en cas d’attaque, mais alors avec une détermination inflexible.» (Frick, p. 119)