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vendredi, 09 septembre 2022

Deux disparitions: Jack Marchal & François-Bernard Huyghe

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Deux disparitions

par Jean-Gilles Malliarakis

Source: https://www.insolent.fr/2022/09/deux-disparitions.html

jeudi, 08 septembre 2022

Pour le bien de la cause. Une exhortation à la lutte pour une civilisation multipolaire - In memoriam de Darya Dugina

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Pour le bien de la cause. Une exhortation à la lutte pour une civilisation multipolaire

In memoriam de Darya Dugina

René-Henri Manusardi

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/il-bene-della-causa-una-esortazione-alla-lotta-la-civilta-multipolare-memoriam-di-darya

"Cette guerre spirituelle contre le monde postmoderne me donne la force de vivre. Je sais que je lutte contre l'hégémonie du mal pour la vérité de la Tradition éternelle". Darya Dugina

Les racines d'une continuité idéale

L'adhésion à la pensée politique d'Alexandre Douguine est la conséquence cohérente et l'accomplissement actuel de la voie politique lancée jadis en Italie par l'Ordinovisme, qui depuis ses origines a fait de la Tradition, de la structure métapolitique impériale et de la pensée de Julius Evola ses fondements. Dans une vision du monde qui, déjà dans les années 1950, dépassait le mythe du sang du national-socialisme et la conception fasciste de l'État, pour donner un nouveau visage à l'idée impériale en tant que vaste réalité géopolitique naturelle et sacrée, portée par une confédération de peuples et d'ethnies.

C'est une réalité qui, au fond, est déjà née historiquement et militairement pendant la Seconde Guerre mondiale, avec l'adhésion de nombreux jeunes d'Europe et d'Asie aux forces armées allemandes (Wehrmacht et Waffen SS) en tant qu'identité guerrière supranationale et multiethnique avec une fonction principalement anticommuniste ou, comme dans le cas des unités combattantes sur la base du volontariat de la RSI, avec un rôle fortement anti-ploutocratique et anticapitaliste.

Par conséquent, accuser aujourd'hui cette partie historiquement pertinente de l'espace politique national-populaire en Europe - vulgairement et injustement appelée "droite" - de traîtresse aux valeurs européennes, parce qu'elle a ouvertement soutenu Poutine et l'opération militaire spéciale russe, considérée comme un affrontement entre le nouvel ordre mondial unipolaire et une nouvelle civilisation d'empires multipolaires, revient à ne connaître ni son histoire ni son parcours politique. C'est aussi être relégué à une ignorance de l'actualité géopolitique ancrée dans des schémas obsolètes ou être confiné à l'utopie d'un tiers-positionnisme anti-historique de type euclidien, toujours plus élucubrant, et toujours aussi incapable de résoudre la quadrature du cercle.

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Seule la tradition génère le rebelle

"Quelque chose d'autre apparaît dans la Modernité: un individu hybride. Pas un héros, un aristocrate, un prêtre-guerrier qui a une relation personnelle avec la mort. Ni un cultivateur de blé, ni un paysan, ni un groupe ethnique, avec un Ancêtre collectif et une identité communautaire. Le bourgeois est un mutant, un croisement entre un guerrier lâche, un chevalier avide et un paysan paresseux et effronté. C'est l'archétype du laquais. L'individu est un bâtard. Au début, ce bâtard a détruit l'Empire, l'Église et les communautés rurales et, sous la forme du Tiers-État, a créé une nation. Une nation est une agglomération d'individus, de bourgeois abâtardis, de vils marchands. Par conséquent, dans une telle optique, le nationalisme est toujours une abomination. Il repose sur les considérations suivantes: "j'ai peur de me battre et je ne travaillerai pas; je vais spéculer et faire du commerce". Une nation n'est pas un groupe ethnique, ce n'est pas un peuple, ce n'est pas une société archaïque, ce n'est pas une société traditionnelle, ce n'est pas une aristocratie. C'est la modernité" (Aleksandr Douguine).

Ce qu'Alexandre Douguine dit de l'élite russe actuelle qui souffre d" l'occidentalisme, nous pouvons également le comprendre pour notre propre zone nationale-populaire. Suivre la Tradition est en fait un choix douloureux car il implique de désembrigader nos habitudes consuméristes et de quitter nos pseudo-valeurs en tant que victimes du capitalisme occidental.

Nous sommes tous pour la Tradition, en paroles, en actes, mais beaucoup d'entre nous restent dans leur coquille bourgeoise et en viennent même à vous dire, avec conviction, "que la métapolitique ne nourrit pas les Italiens et ne permet pas de joindre les deux bouts". Sauf qu'ils vivent et continuent de vivre sous les diktats de la métapolitique consumériste et transhumaniste de ceux qui nous gouvernent depuis 1789. Mais cela leur convient, cachés dans les canaux multimédias des médias sociaux comme des lions du clavier, dans les méandres de la Mamma RAI, de Mediaset, de Sky, etc., ils deviennent ensuite des moutons dans l'isoloir, car le "recpours aux forêts" est une utopie pour eux, tandis qu'eux-mêmes continuent à vivre dans cette utopie mortifère du totalitarisme libéral qui détruit l'Europe de nos Pères.

Je pense que beaucoup parmi ceux qui ont préféré le carriérisme politique confortable à la rébellion systématique ont été corrompus par le désir de tranquillité humaine et d'épanouissement personnel - choses légitimes pour le commun des mortels -, mais la plus grande douleur pour moi est de me rendre compte que certains parmi ceux qui partagent les mêmes idées, naturellement structurés dans le canon de l'hymnatisme héroïque évolien, avec immolation sanglante ou non sur les barricades de l'Histoire et avec celle encore plus éprouvante par le sacrifice quotidien et l'anonymat militant qui fait l'humus d'une mouvance, ont préféré les feux de la rampe, l'argent facile, la trahison continue et constante de leurs propres idéaux.

À ceux-ci s'ajoutent - selon les mots de Maurizio Murelli - ceux qui sont soi-disant troublés parce qu'ils ne peuvent pas partagé le pouvoir politique et qui, déçus par ce manque d'épanouissement personnel, continuent à se revendiquer d'une belle pureté révolutionnaire et s'obstinent à vivre dans le passé, incapables de saisir les méandres et les nouveaux horizons de la Tradition purifiée par les idéologies folles du XXe siècle, filles de la première guerre civile européenne, de l'échec du parlementarisme démocratique du premier après-guerre et proposent cet "Homme Nouveau" qui sans Tradition n'est qu'un monstre totalitaire.

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Hommage à Daria Douguina à Nice.

Que pouvons-nous dire, finalement, de tous, des premiers et des seconds? ... si ce n'est qu'ils étaient avec nous mais ne sont pas des nôtres... seule la Tradition engendre le Rebelle et les rebelles ne se battent que pour le retour à l'Ordre divin comme le Roi Arthur et pour la Justice sociale comme Robin des Bois dans le recours aux forêts, tertium non datur...

Au cœur de la lutte

"En tant que traditionaliste (c'est-à-dire fondant ma compréhension du monde sur les œuvres de René Guénon et de Julius Evola), l'Empire, l'idée d'Empire, me semble la forme positive et sacrée de l'État traditionnel. Au contraire, je crois que le nationalisme n'est qu'une tendance idéologique de la modernité, subversive, séculière, dirigée contre l'unité qu'est l'ordre supranational de l'Empire dans sa forme œcuménique. En revanche, en tant que Russe, l'Empire me semble le mode de souveraineté le plus adapté à mon peuple et à ses frères européens, le plus naturel au fond. Peut-être que nous, les Russes, sommes le dernier peuple impérial du monde. C'est parce que l'idée d'un peuple est étroitement liée à l'idée d'un empire. Lorsque nous disons 'les Russes', nous voulons généralement dire 'notre peuple' et inclure la grande multitude de peuples qui habitent nos terres et partagent avec nous l'immense espace géopolitique qu'est la Russie" (Aleksandr Douguine).

Je crois que la Weltanschauung de Douguine est la plus appropriée pour jeter les bases non pas tant d'une lutte "anti-système", un nom désormais métapolitiquement obsolète, mais d'un nouveau monde multipolaire. A mon humble avis, jamais la critique du libéralisme n'a touché des profondeurs aussi abyssales de démasquage épistémologique, méthodologique et technologique qu'avec Douguine, qui est un puits d'intuitions continuelles à cet égard. La guerre de propagande que l'élite mondiale de Davos mène depuis des années contre Alexandre Douguine, contre le mouvement eurasiste et contre la vision multipolaire semble enfin avoir atteint une symétrie des forces inimaginable auparavant. Cette nouvelle phase de rééquilibrage de la guerre psychologique au sens symétrique a été mise en œuvre et accélérée de manière décisive par l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, ainsi que par l'opinion non conforme que, par le biais des médias sociaux, de nombreux citoyens se sont forgée à son sujet, contournant la pensée unique des médias et le ridicule d'une propagande souvent si fausse qu'elle a jeté le discrédit le plus total sur le courant dominant lui-même - avec ses agences d'information téléguidées par l'OTAN et les services de renseignement occidentaux.

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L'équation des médias consistant à établir, afin de la discréditer, une continuité entre les "no vax" et les pro-russes n'a servi à rien. Ce parallèle n'a fait que mettre davantage en évidence le fait que dans notre pays, il existe désormais une conscience populaire répandue - et un pourcentage très élevé de personnes opposées à la participation de l'Italie à l'incitation à la guerre en cours le prouve - qui perçoit clairement que le pouvoir politique ne suit plus qu'une direction non plus tant cachée qu'éhontée. Une direction dans laquelle l'influence du pouvoir financier et pragmatique des multinationales s'ajoute au pouvoir stratégique, réel et effectif des nouveaux maîtres du monde, adeptes de la fin de l'histoire, finis storiae, transhumanistes et gros bonnets de Davos.

Toutefois, cette guerre de propagande a connu deux phases précédentes, totalement asymétriques et au détriment de la vision multipolaire antagoniste à la pensée unique et au politiquement correct, propre de l'unipolarisme piloté par les États-Unis. Comme Rainaldo Graziani l'a récemment expliqué à quelques sympathisants de la Communauté organique du Destin présents à la "Cour du Brut" (en Lombardie), les deux asymétries précédentes concernaient, la première, le silence de la presse, aussi muette qu'une pierre tombale, sur le mouvement eurasiste multipolaire et son leader mondial, la seconde, la propagande mensongère des médias à son encontre, truffée d'erreurs, de calomnies, de déviations et de diabolisation de l'ennemi. De cette façon, la vaste profondeur humaine, culturelle et scientifique d'Alexandre Douguine a été réduite et exorcisée, pour en faire une caricature, celle d'un nouveau Raspoutine du Kremlin.

Dans l'équilibre actuel de la guerre psychologique symétrique, certes plus qualitative que quantitative entre unipolarisme et vision multipolaire, si, selon les mots de Douguine, l'idée de "Grand Réveil", opposée à celle de la Grande Réinitialisation imposée par Davos, est encore largement une  grandiose aspiration populaire plutôt qu'une réalisation politique concrète, le "Que faire ?" reste à comprendre concrètement. C'est-à-dire, quel est concrètement cet élément d'actualité, cet amadou, ce silex capable de déclencher l'étincelle du changement de Weltanschauung, de la tension métapolitique, de la réalisation pratique micro-sociale capable de propulser ensuite le changement macro-social ?

Si pour Evola la révolte contre le monde moderne passait par l'acte de "chevaucher le tigre", par l'individu absolu, si pour Douguine la révolte contre le monde postmoderne passe par l'avènement du sujet radical qui incarne en lui la Tradition sans la Tradition pour construire la réalité concrète et non idéologique de l'Idée impériale, il s'ensuit que - du moins pour notre chère Europe - l'agrégation dans la Tradition doit nécessairement se faire entre "semblables" et doit absolument passer par l'édification conséquente au niveau métapolitique et socio-économique de "Communautés organiques de destin". Le sens du "travail social missionnaire", partant à la recherche de personnes partageant les mêmes idées, afin de les convaincre du bien-fondé de la lutte multipolaire et de les inciter à créer ou à rejoindre les "Communautés Organiques du Destin", représente à notre humble avis le point de départ de la politique organisationnelle micro-sociale des prochaines années, une politique capable de réactiver le tissu de solidarité et de camaraderie à travers l'agrégation sociale et la lutte culturelle contre le nouvel ordre mondial imposé par l'impérialisme occidental et en faveur d'une vision réaliste impérialiste multipolaire.

La purification de cette phase totalitaire du libéralisme doit être radicale et sans compromis : par exemple, retour à la terre, à la nature, à la solidité des relations face à face et non strictement virtuelles, déconditionnement du tsunami multimédia et transhumaniste qui submerge et tue nos âmes, et bien plus encore. Par conséquent, nous ne devons pas seulement être des hommes se tenant au milieu d'un monde de ruines, mais nous devons commencer à devenir des bâtisseurs de cathédrales, en particulier la cathédrale intérieure et celle des "Communautés organiques du destin".

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Le Grand Réveil : une bataille pour la liberté des civilisations contre le Nouvel Ordre Mondial

"L'Occident croit que son parcours historique est un modèle pour toutes les autres civilisations destinées à suivre exactement la même direction. C'est son racisme de civilisation, sa culture raciste. Cette approche a conduit l'Occident dans une impasse, dans un labyrinthe de nihilisme et d'anti-humanisme. L'Occident, croyant être fermement engagé sur la voie du progrès, a détruit la famille, légalisé tous les vices possibles, et abandonné la religion, la tradition et l'art qui incarnaient sa volonté vers le sublime et l'idéal. Il est englué dans la matière, dans l'argent, dans la technologie, dans le mensonge. Et il appelle cyniquement cette dégénérescence,  "développement" et "progrès". En écartant la modernité occidentale, il nous reste une Tradition commune dans ses racines chez les Romains et les Grecs, chez les premiers chrétiens, dans le contexte du premier empire chrétien, dont nous avons conservé la loyauté plus longtemps que d'autres, luttant contre la "modernité"" (Aleksandr Douguine).

Aujourd'hui, par "camarades", on entend tous les adhérents des "Communautés organiques du destin", issus pour la plupart de l'Ordinovisme et d'autres franges de l'espace idéologico-culturel national-populaire, qui ont fait leur la vocation eurasiste de la Tradition multipolaire des civilisations et des peuples, telle que proposée par la philosophie métapolitique d'Alexandre Douguine. D'où une nouvelle camaraderie militante élargie à toutes les réalités désireuses de lutter contre le totalitarisme libéral, aux organisations de même sensibilité nées pour lutter contre l'unipolarisme piloté par les États-Unis, qui utilise tous les moyens légaux et illégaux pour mettre en œuvre dans le monde entier : la pensée unique, le politiquement correct, le fantasme de la fin de l'histoire (finis Storiae), le grand Reset, le transhumanisme, l'anéantissement de ce qui est social et sain dans l'être humain qui existe encore.

Cependant, tout l'espace idéologique nationale-populaire n'adhère pas ou n'est pas favorable à ce projet de Grand Réveil. Il y a ceux qui ont trop payé en termes judiciaires et qui ont dit "Stop!" à tout autre militantisme susceptible de recréer un climat de judiciarisme russophobe de la part de l'exécutif et du judiciaire ; ceux qui, par contre, tout en restant fortement anticommunistes, sont incapables de dissocier l'Histoire de la Russie de son passé bolchevique ; ceux qui vivent encore dans l'utopie du racisme blanc qui doit lutter contre l'invasion multiraciale de l'Est et promouvoir une Europe aryenne ; ceux qui finalement ne prennent pas position afin de ne pas détruire les relations sociales que la mouvance a construites laborieusement au fil des ans et qui craignent maintenant l'isolement social. Si tels sont les faits, le plus grave pour ces Amis est qu'ils ont été distancés par l'horloge de l'Histoire et qu'ils pensent lire les événements actuels avec les paramètres du 20ème siècle : ceux du Ventennio fasciste ou des "mille ans" de l'hitlérisme, ceux de la Guerre froide ou ceux de l'alliance USA/Russie visant à la destruction totale de l'Europe.

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Aujourd'hui, le front de la Lutte a changé et apparaît de plus en plus dans sa véritable forme comme une lutte spirituelle entre la Tradition et l'Anti-Tradition, entre la Civilisation résiduelle et l'Anti-Civilisation, entre le Katechon et l'Antéchrist, et l'attaque directe contre l'être humain dans sa dimension individuelle, familiale et sociale naturelle le démontre amplement, à un moment où nous verrons bientôt émerger une légalisation favorable à la pédophilie, après qu'elle ait déjà été innocentée d'un point de vue médico-psychiatrique où elle n'est plus qu'une légère perversion à tendance sexuelle.

Pour ces raisons, nous exhortons nos Amis à être forts, à avoir le courage d'embrasser cette Lutte, qui n'est même plus un choix métapolitique mais une guerre spirituelle urgente. Qu'ils sachent regarder en eux-mêmes - comme le postulait Julius Evola - pour voir s'il y a en eux cet innéisme aristocratique, cet ADN de l'Arya, cet élan des clans héroïques indo-européens, sur lequel greffer l'appel avec lequel aujourd'hui le divin, le Très Haut, nous enjoint à passer à l'acte dans ce crépuscule apocalyptique où tout n'est pas encore perdu, car c'est l'homme qui offre son épée, mais c'est Dieu qui accorde la victoire.

Consolider les relations entre les personnes libres et reconstruire les relations sociales en "communautés de destin organiques" inspirées par la camaraderie est le seul avenir possible pour la grandeur d'un nouvel Empire confédéré européen. Se tourner vers le passé pour trouver les racines spirituelles de la lignée, vivre dans le présent sa puissance atavique et la projeter dans le futur vers les générations à venir. C'est l'essence, c'est le pouvoir, c'est la vision du monde des castes des Indo-Européens : un monde de prêtres, de guerriers, d'artisans et de paysans. Trois en un et un en trois à la ressemblance de Dieu. Tous pour un et Un pour tous. "La vision du monde ne repose pas sur des livres, mais sur une forme et une sensibilité intérieures ayant un caractère non pas acquis mais inné" (J. Evola Intellectualisme et Weltanschauung).

La "Communauté organique de destin" peut rester une simple utopie de la "Quatrième théorie politique multipolaire" et l'Empire un mirage de celle-ci, si l'on ne devient pas à toutes fins utiles "Tous pour un, Un pour tous !", sans se lasser. Par exemple, la "Communauté organique du Destin", présente à la "Cour du Brut" (Lombardie), avec ses activités philosophiques, artistiques, culturelles et de sciences humaines, est aujourd'hui l'équivalent d'un petit monastère bénédictin du début du Moyen Âge. Elle représente cette bonne graine, cet humus, ce sol fertile, ce laboratoire spirituel qui a patiemment contribué au cours des siècles à la naissance du Saint Empire romain germanique des peuples d'Europe qui a déjà été et sera à nouveau établi, dans la perspective d'un nouveau monde multipolaire structuré en civilisations souveraines, indépendantes et enfin libres de l'agression du mondialisme unipolaire dans la traction des États-Unis et de l'OTAN.

Pour le bien de la Cause, dans l'attente de l'Eveil

"Aux yeux des mondialistes, les autres civilisations, cultures et sociétés traditionnelles doivent également être démantelées, reformatées et transformées en une masse cosmopolite mondiale indifférenciée et, dans un avenir proche, être remplacées par de nouvelles formes de vie, des organismes post-humains, des mécanismes ou des êtres hybrides. Par conséquent, le renouveau impérial de la Russie est appelé à être le signal d'une révolte universelle des peuples et des cultures contre les élites libérales mondialistes. En renaissant en tant qu'empire, en tant qu'empire orthodoxe, la Russie donnera l'exemple aux autres empires : chinois, turc, perse, arabe, indien, ainsi que latino-américain, africain... et européen. Au lieu de la domination d'un seul "empire" mondialiste, celui de la Grande Réinitialisation, le réveil russe devrait être le début d'une ère de nombreux empires, reflétant et incarnant la richesse des cultures, traditions, religions et systèmes de valeurs humains" (Alexandr Douguine).

Je pense sincèrement qu'en Italie - avec la montée au ciel de Darya Douguina - l'art, la culture, les initiatives éditoriales et les conférences sont désormais insuffisants pour affirmer la vérité de la nouvelle civilisation multipolaire promue par les "Communautés Organiques du Destin".

Ce qu'il faut, c'est un coup de reins pour ne pas disperser le mouvement eurasiste dans les méandres de la peur et de l'hésitation face à un ennemi apparemment invincible qui utilise tous les moyens licites et illicites du pouvoir pour écraser la dissidence. Une dissidence qui devra devenir une formation intégrale orientée vers une action organique et diversifiée, capable d'englober le corps, l'esprit, l'âme, les relations interpersonnelles et communautaires, mais surtout une action métapolitique fortement présente dans la sphère sociale et capable d'influencer la politique parlementaire et locale comme un grand think tank pour avoir un écho dans les médias, étant donné que nous sommes entrés dans une phase de lutte plus virulente et impitoyable.

Au-delà de la proximité consciencieuse et de l'affection sans bornes que l'on doit à Alexandre Douguine pour la perte de sa fille bien-aimée Darya, ce n'est cependant pas le moment de se lamenter, de se plaindre, de dire qu'ils ont tué arbitrairement idées et personnes pures, de dire aussi que tuer des philosophes, des artistes est la pire des choses. Ces perversions, tout pouvoir injuste les a toujours commises. À quoi servent donc les lamentations ? A quoi bon l'affliction alors ? Seulement pour dénaturer l'esprit de la lutte contre le pouvoir mondial illégitime et pervers, pervertissant.

La mort de Darya ne fait qu'ouvrir notre conscience et l'éclairer de la vérité et de la réalité, nous sortons de notre sommeil consumériste et social en découvrant l'amère vérité que seuls quelques-uns d'entre nous étaient déjà capables de saisir et de vivre au plus profond d'eux-mêmes : nous sommes en guerre ! Une guerre totale ! Alors réveillons-nous, déclenchons par nos vies et par nos efforts organisés le Grand Réveil de la Tradition contre la Grande Réinitialisation transhumaniste des seigneurs de l'or de Davos. Si l'adage selon lequel "celui qui sème le vent récolte la tempête" est vrai, semons sans crainte le vent de la vérité et nous récolterons sûrement la tempête que l'ennemi mondialiste soufflera contre nous. Mais n'ayons pas peur, car il vaut mieux vivre un jour comme un lion que cent ans comme une brebis, il vaut mieux mourir dans cette guerre, dans cette lutte, dans ces batailles quotidiennes que de mourir dans un lit de vieillards et à la fin de nos jours terrestres en regrettant et en pleurant d'avoir vécu une vie d'esclavage. Darya nous enseigne la Voie, Dieu nous accordera la Victoire. Avec l'aide de Dieu, que Darya nous bénisse d'en haut et donne l'intrépidité aux forts, le courage aux hésitants et la volonté aux agités.

dimanche, 04 septembre 2022

Quelques souvenirs de Jack Marchal et deux textes quasi inconnus de sa plume !

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Quelques souvenirs de Jack Marchal et deux textes quasi inconnus de sa plume !

Par Robert Steuckers

J’ai bien peu de souvenirs de Jack Marchal, mon aîné de dix ans. J’ai dû le voir une ou deux fois à Paris, en coup de vent, à l’occasion d’un colloque ou d’une causerie. Un jour, cependant, il est venu à Bruxelles, accompagné de l’une de ses filles, qui devait alors avoir neuf ou dix ans. Ils ont dormi sur un matelas de fortune, dans un coin de mon salon, avec, à côté d'eux, Pascal Junod qui campait aussi chez moi. Ce furent d’interminables conversations à bâtons rompus sur d’innombrables sujets, très peu politiques au demeurant. Jusqu’aux petites heures et aussi à une table du célèbre estaminet saint-gillois, le Moeder Lambiek qui servait, à l’époque, jusqu’à 1200 bières différentes, aux soiffards de tous horizons. J’ai cependant été stupéfait de constater qu’il était un parfait polyglotte, maîtrisant le néerlandais, féru d’ethnologie et de morphologie ethnique, connaisseur de la nomenclature de nos dialectes bas-franciques. Il devait être unique parmi ses compatriotes, universitaires néerlandistes exceptés mais, ceux-là, on peut les compter sur les doigts de la main. Plus tard, il a dû m'héberger à Paris et, à cette occasion, m'a offert ses deux disques (Science et violence). Même discussion interminable jusqu'à trois heures du matin.

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Plus tard, une polémique franco-wallonne éclate suite à la traduction d’un entretien que le philologue wallingant (mais non francophile) Roger Viroux avait accordé à la revue étudiante flamande Ons Leven (déc. 1999/Janv. 2000). Cet entretien revêt rétrospectivement un caractère historique vu le décès du Prof. Viroux et la promotion des deux étudiants devenus journalistes en vue (Michael Vandamme et Wouter van der Meersch). Viroux, selon sa bonne habitude, tenait des propos vigoureux, et son fils a pris le relais désormais, pour fustiger la disparition du vernaculaire wallon au profit du français de Paris et pour dénoncer la mainmise française sur certains secteurs économiques belges (flamands et wallons confondus). J’envoie cet entretien à mes correspondants de l’époque. Jack Marchal, qui le reçoit, adresse alors une réponse à Viroux, qui ne répondra pas, mais à laquelle, en revanche rétorque l’un de ses bouillants partisans, Lothaire Demambourg, habitué à tremper sa plume dans le vitriol ! Ce débat, qui montre l’intérêt de Marchal, notamment pour les langues vernaculaires, pour les parlers français hors Hexagone, peut se lire ici : http://www.archiveseroe.eu/wallonie-a48744616 . Que les amis de notre cher ami, qui vient de mourir, prennent donc connaissance de ce texte peu connu de Jack. Cette polémique a sans doute mis un peu de brouille dans nos relations et je n’ai plus entendu parler de Marchal depuis lors : les rapports entre Wallons impériaux comme Demambourg, d’une part, et le microcosme, dont Marchal est une figure historique comme l’a bien montré l’émission que lui a consacré Martial Bild sur TV Libertés, d’autre part, sont loin d’être cordiaux et ne sont certes pas prêts de s’arranger…

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Le numéro de "Nouvelles de Synergies Européennes" où figure le débat franco-wallon, auquel participa Jack Marchal.

Jack Marchal s’est, de manière très fugace, rappelé à mon bon souvenir le 10 juin 2017 en commentant mes photos de la ville d’Orléans, prise fin juillet 2014 (cf. http://robertsteuckers.blogspot.com/2017/06/orleans-juill... ). Le texte que Jack Marchal a rédigé à cette occasion est particulièrement beau et mérite amplement d’être soumis, en ces tristes jours qui suivent son décès, à ses amis et admirateurs, d'autant plus qu'il donne des détails sur la géopolitique fluviale de la France, plus particulièrement de la Loire. Le voici :

« Bien que la ville soit au cœur de la France et de son histoire, Orléans m'a toujours stupéfié par son caractère d'absolue étrangeté. La vieille ville me donne la sensation d'une sorte de poste-frontière hors du temps — comme confirme la cathédrale, cette invraisemblable anomalie, un sanctuaire gothique construit en pleines ères baroque et néo-classique, aux 17-18e siècles, en un temps où le gothique était totalement oublié, ignoré, dédaigné, c'est unique, incroyable...

L'environnement naturel d'Orléans, caractérisé par ses très faibles densités de population, rend compte un peu de cette perception : les immenses solitudes céréalières de Beauce au Nord-Ouest, l'opaque forêt d'Orléans au Nord-Est, et au Sud les landes et marais autrefois inhabités de Sologne. Orléans reste inscrit au milieu d'un no man's land.

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Certes, je n'ignore pas que la fortune d'Orléans a été basée autrefois sur le fait que la ville concentrait les échanges commerciaux entre la région parisienne et le Sud du pays, au temps où la batellerie se contentait (avant 1840) de faibles tirants d'eau compatibles avec le cours peu fiable de la Loire. Les mariniers remontaient depuis Nantes, portés par les vents dominants d'Ouest, où descendaient le courant depuis Roanne, pas loin de Lyon, et à Orléans avait lieu la rupture de charge, les rouliers prenaient le relais pour le charroi vers ou depuis Paris. D'où vient qu'à la fin du Moyen-Âge, Orléans était une des principales villes du pays, seulement dépassée par Paris, Rouen et Lyon.

Le vieil Orléans est aujourd'hui au centre d'une grosse agglomération, avec d'immenses zones industrielles et résidentielles, centres commerciaux, campus universitaire etc., tous d'une fastidieuse banalité style années 60-70, quoique pas désagréables à habiter. Il reste que le noyau ancien est étrangement mal connecté avec cette périphérie. Le vieil Orléans central restera toujours pour moi une énigme insoluble. Et cette cathédrale...

J'aime bien les souvenirs photographiques de voyage dont Robert nous gratifie régulièrement ; que n'y ajoute-t-il des commentaires historiques, culturels, géopolitiques, il saurait très bien faire. Bah, que, concernant Orléans, ce qui précède en tienne lieu.

Jack M. ».

Et voici mes réponses :

« Merci, cher ami, pour ces belles précisions quant à l'histoire et la géographie d'Orléans. Ce qui m'a frappé, outre le cours lent de la Loire, ce sont 1) le modèle romain en damier de la ville; 2) la plaque commémorative, discrète, dans la rue qui descend de la cathédrale vers les berges de la Loire, en l'honneur des chevaliers écossais qui ont combattu aux côtés de Jeanne d'Arc, dont les ressortissants d'un clan "Kennedy". Le pont qui enjambe la Loire recèle un certain charme et l'île au milieu du fleuve abrite de jolis échassiers blancs.
Bien à vous,
L'Oncle Bob.

J'oublie: le contraste entre la Beauce et la Sologne est remarquable, très apaisant quand on vient d'une région à trop haute densité démographique et que l'on emprunte les petites routes (et non les autoroutes). La route qui va de la Ferté-Saint-Aubin à Vierzon est une ritournelle dont je ne me lasse jamais. J'y ai mon boulanger, mon marchand de journaux, mes étapes. Merci d'avoir ajouté cette comparaison. Elle mérite sa place, toute sa place dans un commentaire sur Orléans ».

Nos chemins se sont alors définitivement séparés il y a six ans. Je ne savais pas où joindre Marchal. Je n’avais plus aucune de ses coordonnées mais j’ai été ému de savoir qu’il parcourait si attentivement les blogs que j’abreuvais chaque jour. Une complicité tacite, bien que critique. De celles qui, j’espère, touchent un maximum de personnes qui utilisent les textes subrepticement pour émailler leurs conversations, épicer leurs articles, éduquer leurs enfants, informer leurs amis. C’est ainsi que se construit, à pas de colombe, le pôle de rétivité que Jack et moi-même, chacun à notre manière (et Dieu sait si elles sont différentes), ont toujours voulu édifier. A Martial Bild, il déclarait qu’en fin de compte nous aurions raison. Je n’en doute pas un instant. Vaarwel, beste vriend !

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Jack, comme Kerouac

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Jack, comme Kerouac

par Gabriele Adinolfi

Je l'avais renommé Peter Pan quand, il y a cinq ans, lors d'un concert à Rome dans lequel, peut-être pour la dernière fois, avait également joué Junio ​​​​Guariento, j'ai découvert que cet elfe éternellement jeune avait déjà soixante-dix ans. Il apprécia.

fogna01.jpgJack Marchal a été immortalisé en tant que dessinateur du Rat Noir, le "rat des égouts" qui a pris sa revanche joyeuse et moqueuse et qui a ensuite trouvé asile en Italie dans La voce della fogna.

Il fut même sinon avant tout un musicien de talent pendant un bon demi-siècle, toujours prêt à se renouveler et très attentif à l'actualité générationnelle, avec qui il interagissait toujours.

Il a été un militant convaincu depuis 1967, quand la marée montante du trotskysme et du maoïsme était sur le point d'inonder les écoles et les universités..

À l'époque, Jack était orienté à gauche, ne tolérant pas le conformisme et même certains thèmes patriotiques.

La dernière fois que je l'ai rencontré, c'est-à-dire l'été dernier, il souvenait d'avoir été hostile à l'Algérie française au nom de l'autodétermination des peuples. Ce n'est pas si absurde car à l'époque le sentiment était partagé même dans des cercles surprenants. Jean Mabire pensait pareil, mais il fit sa guerre d'Algérie parce que - disait-il - les copains d'abord.

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Jack était avant tout un libertaire et c'est pourquoi il était farouchement opposé au nouveau conformisme oppressif de la gauche. Et il se retrouva - en tant qu'anarchiste - à l'extrême droite : Occident, GUD et Parti des Forces Nouvelles.

Ceux qui n'ont pas vécu ces années ne sont probablement pas capables de comprendre, aussi parce qu'ils s'orientent par des modèles abstraits et des partis pris. Le fait est qu'alors les libertaires, les autonomes, les indépendants c'était nous.

Peut-être n'a-t-on jamais autant respiré la liberté dans tout son sens et dans toutes ses nuances que ceux qui se sont alors rangés du côté de l'Autre '68. J'avais 14 ans, il en avait 20.

Mon anarchisme était probablement plus hiérarchique que le sien, mais cela se résume à des nuances car je ne me souviens jamais d'un mauvais choix de la part de Jack. Ni au moment de la folle scission mégrétiste contre Jean-Marie Le Pen, ni ces derniers temps.

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L'inspiration première: les rats de Raymond Macherot.

Il vivait dans le nord de la France et ne venait pas souvent à Paris. La dernière fois que je l'ai vu, il s'est présenté à l'improviste à un dîner qu'on avait organisé dans un restaurant de la capitale fin juillet 2021. Comme c'était le sujet du moment, il s'est présenté en déclarant à tout le monde : « Je ne vais pas voter pour Zemmour ». Je l'aurais bien serré dans mes bras, mais ce n'était certainement pas la première fois que j'avais cette tentation. Je ne veux ennuyer personne avec des détails mais, qu'il s'agisse de Front National, de Campo Hobbit ou de choix politiques de mouvements de droite radicale, sans s'être concerté auparavant, nous pensions de la même manière. Impressionnant!

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Campo Hobbit.

Comme je l'ai déjà dit, avec une approche un peu différente, beaucoup plus individuelle et insouciante que la mienne celle de Peter Pan qui, peut-être plus que quiconque, a représenté l'air du temps de la plus belle aube de notre On the Road. Ceux qui n'ont pas vécu ne sauront jamais ce qu'ils ont raté !

Je parle très sérieusement.

Merci Jack, chante encore avec nous ! Ce fut un privilège de t'avoir connu et d'avoir été si bien en symbiose tous les deux.

 

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Jack Marchal le rebelle et l'épopée du "Rat Noir"

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Jack Marchal le rebelle et l'épopée du "Rat Noir"

"Je déteste par principe idéaliser le passé. Nous avons été créatifs à ce moment précis, c'est vrai, mais par nécessité et peut-être sans en être pleinement conscients. Nous voulions faire entendre de la musique à des gens qui ne la connaissaient pas, parler d'écologie à des gens qui n'en avaient rien à faire, implanter les concepts intellectuels de la 'nouvelle droite' dans des gens qui étaient restés à la "masse"".

par Roberto Alfatti Appetiti

Source: https://www.barbadillo.it/105908-jack-marchal-il-ribelle-e-lepica-del-rat-noir/

En mémoire de Jack Marchal, décédé le 1er septembre en France, nous republions le portrait du rebelle créatif français signé par Roberto Alfatti Appetiti pour il Secolo d'Italia.

Il était une fois une souris. Non, nous ne faisons pas référence à cet irritant petit je-sais-tout qu'est Mickey Mouse, ni à notre Topo Gigio, si "démocrate-chrétien" et pro-gouvernemental qu'il a mis fin à une carrière télévisuelle de cinquante ans en servant de témoin pour la campagne de prévention lancée par le gouvernement italien en 2009 contre la grippe A. Nous parlons d'un rat qui est tout sauf accommodant et se situe résolument dans l'opposition. Prêt à se déchaîner contre le système. Noir. Tout noir. Il a décidé de sortir à l'air libre, de prendre une guitare, d'avoir son mot à dire sur le monde. Il n'a pas l'intention de retourner dans les égouts, comme la plupart des gens l'ont poliment incité à le faire.

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C'est en janvier 1970 que ce rat, conçu par le Français Jack Marchal (né en 1946) et destiné à devenir une icône de la jeune droite, est apparu pour la première fois en France puis, dans les années suivantes, est arrivé en Italie. De tract en tract, de ronéo en ronéo, des premières caricatures dans le magazine satirique Alternative à un rôle de premier plan à la une de La voce della fogna, le périodique irrévérencieux par vocation - "différent", se définissait-il - fondé par le Florentin Marco Tarchi, alors fer de lance des jeunes Rautiens et aujourd'hui politologue et professeur d'université.

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Né de l'auto-ironie des jeunes nationalistes du GUD (Groupe Union Défense, formé d'étudiants issus d'Occident), le rat maudit a rapidement conquis les jeunes sympathisants et militants du MSI ainsi que les formations extra-parlementaires, aussi agités qu'intolérants face à leur environnement de référence, lequel était aigri par la nostalgie et réfractaire à toute contamination par la modernité.

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Ce n'est que bien des années plus tard que la souris (ou le rat) sera dédouanée et que des armées de souris plus ou moins gracieuses et résolument entreprenantes - devenues entre-temps détectives, journalistes (le mythique Geronimo Stilton), scientifiques et autres - peupleront livres et films au point de devenir de véritables stars du cinéma.

remyratatouille1_1.jpgL'exemple le plus frappant, à cet égard, est celui du rat Rémy, le protagoniste de Ratatouille, doté d'un odorat prodigieux qui, dans un Paris imaginaire, décide de "tenter quelque chose de nouveau", pour reprendre une expression chère à la nouvelle droite. Les "traditions" familiales le condamnent à un avenir de mangeur d'ordures et la société civile n'encourage pas ses ambitions, mais il veut absolument devenir cuisinier. Il n'est plus soutenu par une compagnie éparpillée de rêveurs militants mais par le cuirassé Pixar, grâce auquel il a remporté l'Oscar du meilleur film d'animation. Tout comme ces "rats d'égout" qui peuplaient les sections poussiéreuses des vieux partis sont maintenant maires, présidents de province, parlementaires et même ministres.

Une partie du mérite, cependant, pourrait être attribuée à Marchal lui-même, le premier à ouvrir leurs trous d'homme et, comme tout parent aimant le ferait, à les envoyer en Europe pour faire leurs armes et acquérir de l'expérience. Avec une tâche précise : montrer au monde que le militant de droite était bien différent du cliché caricatural du néo-fasciste. Des préjugés que, paradoxalement, Marchal avait également cultivés avant la "prise de conscience tardive" à la suite de laquelle il allait lui-même devenir un militant de droite.

"Bien que j'aie lu Nietzsche et Céline, j'avais été vaguement de gauche, facilement antiraciste, manifestant individualiste, avouait-il dans une interview, et je n'avais pas une grande opinion des militants politiques en général, je détestais ceux d'extrême-droite qui, selon moi, voulaient m'empêcher de faire ce que je voulais : la liberté, le rock, les femmes, les fêtes".

Il lui a suffi d'entrer en contact avec eux pour se rendre compte qu'à droite, la goliardise et la légèreté n'étaient certainement pas dédaignées, ce qui n'empêchait pas ces garçons et ces filles d'être à l'aise pour discuter avec passion et compétence d'immigration, d'économie, de sciences sociales, d'écologie, de cinéma et - pourquoi pas ? - même de musique rock.

L'intolérance résidait ailleurs. "J'ai vu les leaders de Mai 68 de trop près à la faculté de lettres de Nanterre, se souvient-il, pour avoir eu la moindre illusion à leur sujet". Les médias nous présentent cette période comme une explosion de liberté alors qu'au contraire, cette période a ouvert une phase de terrorisme idéologique dans les universités et les lycées. Les mêmes consciences arrogantes et sectaires que nous voyons s'agiter au sein des "groupes antifascistes". Il n'y avait rien d'autre à faire que de sauter à droite.

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Jacques Marchal et sa source première d'inspiration: la figure d'Anthracite, le méchant rat de Raymond Macherot.

La rencontre avec des camarades à l'université, explique-t-il, a fait le reste : les ennemis de ces salauds ne pouvaient être que mes amis. C'est ainsi que j'ai fait mienne la croix celtique au cours de l'hiver 1966-67'. Du Celte au rat. "Après 68, une myriade de groupes marxistes et d'ultra-gauche avaient colonisé les universités et les remplissaient d'affiches aux textes ennuyeux, interminables et répétitifs. Nous essayions de nous distinguer de cette bande de producteurs de logorrhées avec des slogans humoristiques et des graphiques alternatifs. Nous n'avions pas de symbole, alors j'ai eu un jour l'idée de dessiner un rat, puisque nos adversaires nous appelaient ainsi, qui commentait de manière caustique et piquante les événements politiques qui nous entouraient. Nous avions trouvé un symbole pour notre mouvement d'opposition au conformisme de la gauche marxiste verbeuse et oppressive. 30_ans_GUD-9c01b.jpgUn symbole libertaire qui, mieux que tout autre, représentait le désir de rébellion de ceux qui voulaient vivre la politique autrement, en se la réappropriant : non plus un simple travail manuel consacré aux attentats et aux conférences/passeurs à l'usage des notables du parti, mais un nouveau protagonisme juvénile à la recherche de nouveaux moyens d'expression.
Graphiste aussi novateur qu'original, Marchal a inspiré par son style plusieurs générations de militants du Front de la jeunesse : autocollants, affiches et tracts des années suivantes porteront l'incontournable "signe" de Marchal, inauguré par le tout jeune Sergio Caputo, alors militant de droite, pour créer le mastère du périodique Alternativa.

Artiste complet, convaincu que "tout ce qui touche à la culture est une arme politique", Marchal est aussi un musicien innovant. À ce titre, il développe à la fin des années 1970 l'un des premiers projets de rock identitaire dans le sillage des premiers albums de Ragnarock en Allemagne et de Janus en Italie.

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Et c'est précisément dans notre pays qu'il a présenté en 1980 - à l'occasion du troisième Hobbit Camp qui s'est tenu à Castel Camponeschi dans les Abruzzes - Science & Violence, un LP entièrement écrit par lui et enregistré en août 1979 à Rome, dans la salle de répétition mise à disposition par Mario Ladich, batteur de Janus. Il a été enregistré par trois personnes, avec Ladich et Olivier Carré, musicien, peintre de talent et compagnon de lycée puis de militantisme politique de Marchal, mort dans un accident de moto dans la nuit du 31 août 1994 à l'âge de 40 ans. Deux personnes étaient montées et descendues de cette moto, mais Marchal s'en est sorti indemne.

Une expérience qui a peut-être contribué à faire de lui un ennemi de toutes les célébrations, même les siennes. "Je déteste par principe idéaliser le passé. Nous avons été créatifs à ce moment précis, c'est vrai, mais par nécessité et peut-être sans en être pleinement conscients. Nous voulions faire entendre de la musique à des gens qui ne la connaissaient pas, parler d'écologie à des gens qui n'en avaient rien à faire, implanter les concepts intellectuels de la "nouvelle droite" chez des gens qui étaient restés à la "masse"".

Nationaliste impénitent, il n'a certainement pas baissé les bras et n'a surtout pas changé d'avis sur les soixante-huitards. "Ils ont échangé leur marxisme contre le libéralisme mercantile le plus nauséabond tout en conservant la mentalité totalitaire habituelle. Lorsqu'ils sont au pouvoir, les effets sont évidents : censure généralisée, suppression progressive de toute liberté d'expression".

C'est ce qu'a dit Jack Marchal, et il est effectivement difficile de lui prouver qu'il a tort.

Roberto Alfatti Appetiti

Roberto Alfatti Appetiti sur Barbadillo.it

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samedi, 03 septembre 2022

Hommage à Daria Douguine: “Dans sa vie, Daria a choisi la lumière. Elle l’a également choisi dans l’éternité”

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Hommage à Daria Douguine: “Dans sa vie, Daria a choisi la lumière. Elle l’a également choisi dans l’éternité”

Source: https://rebellion-sre.fr/hommage-a-daria-douguine-dans-sa-vie-daria-a-choisi-la-lumiere-elle-la-egalement-choisi-dans-leternite/?fbclid=IwAR2d59NpWudMtfdbKE1JDgqwKl16KLvhFk9cZjNzdoadAW-NxH3wQdZXi0Y

Suite à l’assassinat de Daria Douguina le 20 août dernier, une quinzaine de camarades et amis qui l’avaient bien connue durant ses études à Bordeaux, se sont réunis le samedi 27 août afin de dédier cette journée à son souvenir et être près de sa famille par la pensée et pour certains par la prière. A cette occasion, une messe en la mémoire de Daria a été célébrée en l’église Saint-Siméon de Bouliac. Nous voulons également vous faire partager le témoignage que Thomas, un des amis présents, nous a livré ce même jour à propos de Daria.

Le 20 août dernier, c’est un drame qui s’est abattu sur la Russie. A l’issue d’un festival musical portant sur la Tradition, notre amie Daria Douguine a été lâchement assassinée, victime d’un attentat à la voiture piégée. Cet attentat visait les Douguine, père et fille, et il a réussi : il a ôté à un père la vie de sa propre fille. 

Alors qu’ils venaient de passer ensemble une heureuse journée, c’est sous les yeux de son père qu’est décédée Daria Douguine, à l’âge de 29 ans. 

C’est un drame qui s’est abattu sur la Russie et c’est un drame qui s’est abattu sur nous, en France. Ici à Bordeaux, nous avons bien connu Daria Douguine. Elle était venue passer une année universitaire en 2012-2013 pour étudier la philosophie. 

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Nous nous souvenons du premier repas que nous avions organisé pour sa venue, dans notre petite colocation, notre « Casa Pound » bordelaise. C’était très simple : du vin, du bon pain, un plateau de fromage, un plateau de charcuterie. Daria était ravie de ce petit repas franchouillard, et bien souvent nous avons remis ça tant c’était une joie de se voir. 

Comment vous décrire Daria ? C’était à l’époque une belle fille de 20 ans, avec un visage parfaitement slave, un regard pétillant d’intelligence et de bonté. Belle, intelligente et pleine de bonté, elle l’est d’ailleurs restée jusqu’au bout. 

Nos camarades bordelais peuvent témoigner des nombreux échanges que nous avons eu avec elle, à tout propos : philosophie, son sujet de prédilection, mais aussi politique, littérature, cinéma… 

Elle était curieuse de tout et avait le don de poser un regard ferme et lucide sur toutes choses. 

Elle avait également beaucoup d’humour. L’auteur de ces lignes se souvient d’un jour où la conversation, entre deux verres de rouquin, s’était portée sur le mythe de l’androgyne chez Platon. Daria rappelait que Platon décrivait les premiers hommes comme des créatures sphériques et que leur cou était arrondi comme leurs flancs. Et Daria, s’adressant alors, pleine de gentillesse, à un camarade bien-portant, de lui dire : « Tu vois, tu es important pour moi car tu es un homme primordial ! » 

Mais, au-delà de sa bonté, de son sens de l’humour, de son intelligence, Daria nous a marqué pour une chose précise : elle incarnait des valeurs que nous chérissons. 

Elle aimait la Russie d’un amour, propre à faire rougir de honte le plus patriote d’entre nous. Elle aimait la tradition – dans son cas c’était bien sûr l’orthodoxie – avec une humilité et une simplicité que beaucoup pourraient lui envier, en particulier chez nous qui avons parfois un rapport compliqué et distant avec nos propres traditions. 

C’est peut-être ça qui nous a le plus marqué chez Daria : sa simplicité. Tous ceux qui ont un jour échangé quelques mots avec elle s’accordent à souligner sa gentillesse. Ce n’est pas qu’elle était gentille, c’est qu’elle avait le don de poser un regard pur sur les choses. Comme un enfant. Un regard à la fois ferme et extrêmement bon. 

C’est cette bonté d’âme, cette simplicité de cœur qui la rendait tout aussi combative. Dans son activité de journaliste en Russie, Daria défendait brillamment une idée avec laquelle nous avons du mal dans notre Europe nihiliste : celle de vérité. 

A nous, Occidentaux, qui avons tendance à penser que la vérité n’existe pas ou que chacun doit avoir sa propre vérité, elle n’avait pas peur de dire : il y a des choses vraies et il y a des choses fausses. Il y a la vérité et il y a les erreurs ou les mensonges. Elle ne craignait pas de dire qu’il y a des choses normales, et des choses qui ne le sont pas. 

C’était sa manière de lutter contre ce que Vladimir Poutine a récemment appelé l’Empire du mensonge. Et c’est d’ailleurs cet Empire du mensonge qui l’a lâchement assassinée. 

Daria n’a jamais travaillé dans l’ombre. Elle n’a jamais caché ses convictions. Ses vertus ? Le courage, l’honnêteté, la rigueur, la bonté. Et le monde qui l’a assassiné, c’est celui de la lâcheté, du mensonge, de la dissimulation, du vice. 

Je voudrais souligner un parallèle important : la femme qui a commis l’attentat à la voiture piégée contre les Douguine, outre que cela s’appelle purement et simplement du terrorisme, a également utilisé sa propre fille, une adolescente, pour espionner Daria et assister au festival auquel les Douguine participaient. Autrement dit, ce qu’a montré cette mère à sa propre fille, c’est la dissimulation, la duplicité et la violence. 

A l’inverse, Alexandre Douguine assistait en compagnie de sa fille à un festival dans lequel il était aussi accessible que n’importe lequel d’entre nous. Ils n’avaient rien à cacher. Ils étaient là, présents, très simplement. 

Les amis bordelais qui ont eu la joie de rencontrer Daria et de rencontrer son père Alexandre peuvent en témoigner : Daria était une aussi grande intellectuelle que son père, mais des intellectuels accessibles. Des braves gens. Des gens qui ont l’amour des choses simples. 

Lors de sa participation à la Manif pour tous à Bordeaux, Daria nous avait simplement dit : « C’est beau de voir tous ces gens qui veulent juste défendre la famille et la tradition ». Ces mots très simples résumaient tout. 

Manif pour tous, études de philosophie politique, activités de journaliste, analyses sur l’Euro Maïdan puis, plus récemment, sur le conflit ukrainien : Daria n’a jamais cessé d’être une combattante acharnée de la vérité. 

Elle le disait elle-même à son père quelques instants avant de quitter ce bas-monde : « Papa, je me sens comme un guerrier, je me sens comme un héros. Je veux être comme ça, je ne veux pas d’autre destin, je veux être avec mon peuple, avec mon pays. Je veux être du côté des forces de la lumière. ». 

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Voilà qui résume bien ce que Daria a été pour nous dans cette époque de ténèbres : une lumière. 

Cette lumière a été pour nous un véritable rafraîchissement, un véritable ressourcement. On se souvient tous avec une grande joie de l’année que nous avons passé auprès d’elle. Nous la pleurons aujourd’hui parce qu’elle était une militante, mais aussi une amie. 

Mais, il faut l’avouer, Daria a été aussi pour nous comme un miroir de nos insuffisances. Voilà une fille qui aimait la culture, qui aimait les siens, qui aimait son pays, qui aimait ses traditions, et qui nous par sa seule présence nous demandait : et vous, qu’aimez-vous ? 

Fréquenter Daria Douguine, c’était sans cesse se poser la question : qu’est-ce que j’aime ? Qu’est-ce que je veux défendre ? Pour quoi suis-je prêt à donner ma vie ? Pour qui suis-je prêt à  donner ma vie ? Quelles valeurs est-ce que je veux défendre ? Quelles vertus est-ce que je veux incarner ? Est-ce que je veux être du côté de la lumière ? Est-ce que je veux être avec les ténèbres ? 

Ce sont des questions radicales. Mais c’est là tout le sens de la vie de Daria et tout le sens de la vision néo-eurasiste qu’elle défendait. Ce sont des questions auxquelles son parcours et sa mort prématurée ont apporté une réponse. 

Daria a vécu pour les valeurs qu’elle défendait. Daria est morte pour les valeurs qu’elle défendait. Elle est morte pour ce père qu’elle aimait profondément, pourfendeur de l’Empire du mensonge et ardent défenseur de la chrétienté. Elle est morte pour la Russie. Elle est morte pour les siens. 

Elle est morte pour nous. 

Dans sa vie, Daria a choisi la lumière. Elle l’a également choisi dans l’éternité. 

La plus belle manière que nous avons de saluer notre amie Daria, c’est de continuer à porter en nous et autour de nous un peu de cette lumière qu’elle nous a apportée. 

(Ci-dessous: Hommage à Daria Douguina devant la cathédrale russe-orthodoxe de Nice).

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vendredi, 02 septembre 2022

En souvenir de Jack Marchal (1946-2022)

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En souvenir de Jack Marchal (1946-2022)

Par Pierre Robin

Source: Page Facebook de Pierre Robin

A vrai dire Jack Marchal n'était une vedette que dans un milieu assez restreint, dans lequel m'avaient introduit ma soif d'absolu et ma détestation des rebelles officiels et agréés (les différentes sortes de gauchisme universitaire des années 70). Je veux parler de la fac d'Assas, du GUD et toutes ces choses. Là J.M. jouissait du prestige d'avoir créé le personnage du rat noir (à partir d'un autre rat de la BD des années 60), rongeur emblématique de l'extrême droite estudiantine, et " adopté " en quelque sorte par défi, les ennemis de la Ligue communiste désignant collectivement les " fascistes " par cet animal pestilentiel (les sectateurs de Krivine ayant choisi eux comme animal totémique la taupe de Karl Marx).

Des rats de cave...

Ce rat noir casqué de noir était mis en scène par Marchal dans différentes activités: essentiellement le cassage de gueule de gauchistes, à grands moulinets de nunchaku (et aussi un peu de débauche gauloise). J. M., au mitan des années 70 allait étoffer ses BD dans le magazine Alternative, honnête tentative de fanzine branché nationaliste et anti-gauche. Tout ça n'était peut-être pas très politique au sens traditionnel du mot, mais au fond la politique nous était interdite, restait donc la baston et la provocation - et la camaraderie.

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Je n'ai pas beaucoup vu alors la silhouette dégingandée et la tête (et la coiffure) médiévale de Marchal. Je l'ai mieux connu à la toute fin des années 70. Par la contre-culture rock, essentiellement - et en ce sens il était bien, à sa façon particulière, de la génération Wight/Woodstock. Déjà vers 1975, il avait réalisé, avec le peintre futuriste Olivier Carré et un activiste italien, un 33 tours, Science & Violence, chanté en français extrémiste et ricaneur, sans doute musicalement influencé par les Rolling Stones ou le rock progressif encore la mode : ça ne m'emballait pas - à part peut-être le dystopique Tu sais Monsieur derrière ta porte - mais le disque avait l'incontestable mérite d'être unique en son genre...

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Et c'était ça l'autre grande passion de Jack Marchal : la musique pop/rock. Il s'était enthousiasmé pour la new wave britannique, avait acheté des synthétiseurs Korg et des boîtes à rythmes primitives. Je me souviens d'une de ses compositions assez réussies dans le genre vaguement kraftwerkien. Et c'est dans son mini-studio installé dans une pièce de son appartement de la rue de l'Assomption que mon cousin et moi-même fîmes les premières maquettes de notre groupe Jeunesse Dorée.

Marchal allait plus tard parrainer les groupes du "rock identitaire français", pas hyper excitants, du moins musicalement, mais c'est l'intention qui compte, on dira. Sinon, il s'était également enthousiasmé, à la fin des Seventies, pour les radios encore libres, et on l'entendait parfois aborder les sujets les plus variés et les plus clivants sur Radio Ici & Maintenant, tenue par des hippies vraiment très tolérants et peut-être épatés.

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Marchal avait un humour très acéré, balançait en pince-sans-rire des vannes assassines sur l'époque et ses " héros ". Il avait ce look d'éternel étudiant, un étudiant qui se foutait de l'élégance vestimentaire et plus encore de la mode (même new wave). Il était incommensurablement original dans ses réparties. Ou dans son comportement : je me souviens d'une soirée Jalons tenue à l'été 82 dans l'appartement de Cousin Arnaud, du côté du métro Villiers (75008). Une bonne partie de la nuit les gens - dont des people émergents comme Philippe Manoeuvre et Jean-Pierre Dionnet - dansaient, buvaient, faisaient bruyamment les malins. Marchal lui s'était éclipsé assez tôt dans une pièce du fond du grand appartement, où mon cousin entreposait ses machines musicales, et il avait passé toute la nuit - en tout cas toute la fête - à tester les possibilités infinies de l'énorme synthétiseur Yamaha, dernière et coûteuse acquisition d'Arnaud, en un superbe mépris de nos activités festives. On l'avait vu émerger vers 3 heures du matin, content de sa " soirée ", prenant un verre d'alcool réparateur et balançant quelques saillies aux derniers invités présents. C'était ça Marchal, un mélange attachant de radicalité politique et de planerie un peu " années 70 "...

Jack Marchal : les étudiants de droite en Mai 68

Musicien et dessinateur, Jack Marchal est une icône de la droite nationaliste. Il est, dans les années 70, le créateur d'un style et d'une graphie qui sera la marque de la droite radicale à travers un symbole : le rat. En mai 68, Marchal est étudiant à Nanterre et membre d'Occident avec Madelin et Longuet. Récit.

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samedi, 27 août 2022

Vers la grande mer : In Memoriam Darya Aleksandrovna Dugina

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Vers la grande mer : In Memoriam Darya Aleksandrovna Dugina

Prof. Dr. Alexander Wolfheze

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/great-sea

Depuis précisément six mois aujourd'hui, depuis le 24 février 2022, une mer de sang a coulé et coule encore, à travers les champs de la Petite Russie et, à mesure que la violence s'intensifie et s'étend vers l'extérieur, maintenant elle déborde aussi sur les autoroutes de la Grande Russie - et personne ne sait jusqu'où elle peut aller au-delà des Russies. Personne ne sera épargné, ni soldat ni civil, ni adulte ni enfant, ni homme ni femme, ni coupable ni innocent. Aucun mot ne suffit à exprimer le dégoût et l'indignation de millions de personnes contraintes d'assister à ce bain de sang, qui se poursuit au-delà de toutes les raisons et de toutes les frontières - alors que l'Empire du mensonge se nourrit du sang et de la douleur de ceux qu'il cherche à contraindre à la conformité, au silence et à l'oubli - ou à "annuler" l'existence. Aucun mot ne doit être gaspillé pour ceux qui dirigent maintenant cet Empire du Mal, assis avec arrogance sur les ruines de l'ancien Occident libre et maintenant déterminé à asservir le monde entier dans des réseaux d'usure, de tromperie et de terreur - ses dirigeants ne comprennent que les actes. Suffisamment de mots de sagesse ont été prononcés en Occident avant qu'il ne tombe dans le mal - ces quelques mots suffiront à exprimer la détermination de tous les hommes et femmes de bien à résister à ce mal :

Nous espérons ardemment - nous prions avec ferveur - que ce puissant fléau qu'est la guerre disparaisse rapidement. Cependant, si Dieu veut qu'elle continue jusqu'à ce que toutes les richesses amassées par les années de labeur sans contrepartie des esclaves soient englouties et jusqu'à ce que chaque goutte de sang versée par le fouet soit payée par une autre versée par l'épée, comme il a été dit il y a trois mille ans, il faut encore dire : "les jugements du Seigneur sont vrais et justes". - Abraham Lincoln, Deuxième discours inaugural, 4 mars 1865.

La mémoire de tous ceux qui se sont sacrifiés - quelques-uns, beaucoup, tous - dans la dernière guerre de l'île du monde en cours - leur nombre augmentant chaque jour - exige plus que de simples mots : elle exige de donner un sens à leur souffrance et à leur mort. La journaliste, écrivain et philosophe russe Darya Aleksandrovna Dugina, fille du chef de file du mouvement eurasien, l'a fait avec le cœur ardent d'une vraie patriote et l'esprit sans nuage d'une vraie croyante. Sa mort prématurée, le 20 août 2022, œuvre de mercenaires terroristes, oeuvre complotée par le mal envahissant qui gouverne désormais l'Occident, est pleurée par tous ceux qui partageaient avec elle cet espace de la Geopolitica. Sans le vouloir, cependant, les lâches assassins qui ont mis fin à sa vie sur Terre lui ont également donné l'immortalité. Sa mémoire survivra à la leur. Son nom, qui signifie "grand" et "mer", fait désormais partie de la plus grande mer de toutes. Sans le vouloir, ses assassins ont gravé son nom dans la pierre de l'histoire pour toujours. Par son sacrifice, elle est déjà entrée dans la Maison des Héros :

Fille intelligente, pour s'éclipser à temps

Des champs où la gloire ne reste pas

Et même si le laurier pousse tôt

Il se fane plus vite que la rose

Mais autour de cette tête de laurier précoce

Afflueront pour contempler les morts sans force

Et trouveront, non flétrie sur ses boucles

La guirlande qui est maintenant celle de cette fille.

- thème d'Alfred Edward Housman. À une athlète morte jeune

La jeune philosophe Darya Platonova prend maintenant sa place parmi ceux qu'elle a le plus admirés au cours de sa courte vie terrestre. Ceux qu'elle a laissés derrière elle devraient maintenant reprendre avec confiance sa cause là où elle est tombée, en faisant confiance à la justice de Celui vers qui elle est maintenant retournée : son Créateur, son Père céleste. Car très certainement, elle sera vengée :

A Moi appartiennent la vengeance et la rétribution

leur pied glissera en temps voulu

car le jour de leur calamité est proche

et les choses qui les atteindront se hâtent

- Deutéronome 32:35

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jeudi, 25 août 2022

Le meurtre de Daria Douguina ou l'Holocauste de l'Europe

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Le meurtre de Daria Douguina ou l'Holocauste de l'Europe

Aladdin Yáñez-Valdés 

Source: http://adaraga.com/el-asesinato-de-daria-duguina-o-el-holocausto-de-europa/

Les peuples d'Europe assistent au spectacle macabre de leur auto-anéantissement. Ils ont payé, et paient encore, un siège confortable pour assister au processus d'extermination de leur propre patrie en mâchonnant du pop-corn.

Ils changeront bientôt de rôle : de leur fonction passive et consumériste de spectateurs (et il s'agit bien de la "société du spectacle"), ils passeront rapidement et inaperçus à d'autres espaces fonctionnels plus douloureux : esclaves et victimes d'un horrible holocauste. L'holocauste de l'Europe.

Des choses sérieuses sont en train de se produire. Au milieu du bombardement de bobards, de nouvelles insipides et de manipulations, le monde change et nous avons en fait déjà franchi le seuil d'une autre ère. L'Européen moyen, l'Espagnol moyen, ne le sait pas. Il s'assied et observe et tente de s'adapter à l'anti-moralité orwellienne: la vérité est un mensonge, le mensonge est la vérité. La guerre, c'est la paix... et ainsi de suite.

L'anti-moralité des médias et le jeu pervers du langage ne sont que trop familiers dans notre coin de monde. Les victimes brutalement et froidement assassinées par l'ETA "sont mortes". Comme ceux qui meurent d'un cancer ou d'un accident de la route. C'était le gros titre des journaux basques "patriotiques", les séparatistes. Le crime de sang était la "lutte armée". L'autre jour, de la même manière, les principaux journaux et chaînes du système mondialiste ont parlé de la "mort", et non du meurtre, d'une jeune femme d'à peine 30 ans, Daria, fille du philosophe Alexandre Douguine.

Cette fille, philosophe comme son père, militante convaincue de la cause eurasienne et altermondialiste, est morte pour ses idées. Personne en Occident ne pourra, sans être marqué du signe de l'opprobre, condamner ce crime. La ligne officielle, otaniste et yankee, est la suivante : les idées de son père, Alexandre (les mêmes que celles de sa fille) étaient intrinsèquement jugées criminelles. Amen. La ligne officielle veut nous faire admettre que le philosophe russe, le supposé "Raspoutine de Poutine", l'a bien cherché. Il l'a demandé en allant à l'encontre du seul empire qui soit "bon", les États-Unis ou, plus précisément, l'empire néolibéral turbo-capitaliste. Il le voulait pour avoir donné une couverture idéologique à l'invasion de l'Ukraine. Il était marqué pour avoir éduqué une fille de cette manière. Il la recherchait pour donner un fondement métaphysique et géopolitique à son impérialisme pan-russe, et ainsi de suite.

En bref. Il y a le terrorisme condamnable et le terrorisme non condamnable, semble-t-il. L'histoire semble bien trop familière. En Espagne (et au Pays basque en particulier), nous devrions être guéris de cela à présent. Combien de progressistes ont détourné le regard chaque fois que les corps d'innocents ont été réduits en miettes grâce aux actions "patriotiques" de gudaris en quête d'autodétermination... et combien de philistins ont accepté de rencontrer et de pactiser avec des gens qui ont échangé le mot "meurtre" contre le mot aseptisé et cynique de "mort" ou même "d'exécution".

L'Occident est essentiellement anti-moralité. Sur la manipulation de sa propre histoire et de ses souffrances, il a construit son mythe de maître de l'humanité. Ce mythe est tombé en disgrâce dans les trois quarts du monde. L'Occident, c'est-à-dire l'empire turbo-capitaliste et néo-libéral, tente de le soumettre, mais il devient déjà évident que son impuissance et sa dégradation sont imparables. Avec les dernières campagnes de russophobie et de sinophobie dans les médias, et avec le néocolonialisme dans le monde entier, y compris en Europe occidentale elle-même, nous ne pouvons manquer de remarquer, si nous gardons la tête froide, une chose qui est claire : l'époque est différente. Leurs jours sont comptés. Un monde multipolaire, comme l'est déjà le nôtre, ne peut pas résister à l'anti-moralité des États-Unis et de l'OTAN. Ôter la vie d'une jeune fille par une bombe ou tenter d'assassiner son père pour ses "crimes idéologiques" (penser "incorrectement" ou combattre ses idées pour sa patrie, la Russie) ne peut constituer la base d'un empire civilisé. Les médias otanistes ont sombré dans le terrorisme pur et dur, le plus grossier et le plus insupportable.

Maintenant, ils vont réactiver le djihad tchétchène, le "néonazisme" interne, les "oligarques" mécontents, les loges et les Sanhedrins, les opposants dûment oints. Ils vont maintenant continuer à fabriquer de nouveaux Hitler, et à en juger par leur apparence, Poutine et Douguine sont déjà sur la liste. L'empire turbo-capitaliste raisonne déjà de la même manière que les "antifas" victimes de leur acné d'adolescents : "le fascisme ne doit pas être discuté, il doit être exterminé". Biden, ainsi que son empire génocidaire (rappelez-vous en Espagne notre 1898) n'ont plus rien d'adolescents. Leur truc de traverser la vie en se faisant passer pour des "antifas", sachant comme nous tout de leurs révolutions colorées, de leurs coups d'état militaires, de leurs centres de torture, de leurs expériences sociales, de leurs bombes nucléaires et biochimiques... Ils n'ont pas l'air de bons enfants idéalistes et "antifas". C'est un empire déjà trop vieux et un ennemi de l'humanité.

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Il y a de bons éditeurs espagnols qui traduisent et publient Douguine : Fides, Letras Inquietas, EAS, Hipérbola Janus... Désolé si j'en oublie. Achetez leurs livres et lisez-les. Et découvrir qui était Daria. Comparez sa biographie à celle de nombreuses jeunes femmes espagnoles conçues, comme des produits de série, par l'empire du dollar. Regardez autour de vous et comparez. Recherchez ce degré d'engagement et ce désir d'exceller chez les femmes espagnoles et d'Europe occidentale de son âge. Ce n'est pas facile... Alors que tout pourrit autour de vous, défendez-vous en lisant. Et sauvez-vous en condamnant toujours la mort d'innocents. Et épargnez-vous des idées condamnables. Vous n'êtes pas obligé d'aimer la philosophie de Douguine, mais ne condamnez pas cet homme à mort pour cela. Avec des maximes aussi simples, nous sauvons l'Europe et nous nous débarrassons de l'Occident.

 

mercredi, 24 août 2022

Adieu à Daria Dugina à Ostankino - l'allocution de son père

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Adieu à Daria Dugina à Ostankino - l'allocution de son père

Le père de la journaliste et philosophe Daria Platonova (Dugina) a prononcé un discours d'adieu lors du service funèbre civil de sa fille, qui a été tragiquement tuée dans une attaque méprisable des services de sécurité ukrainiens.

Le texte intégral du discours difficile d'Alexandre Douguine pour nous tous est devenu disponible pour être partagé lors de la diffusion en direct organisée par la chaîne Tsargrad TV :

"Je voulais élever ma fille de la manière dont je vois l'idéal d'un homme. C'est avant tout la foi, elle a passé toute son enfance dans des camps orthodoxes, elle allait à l'église. Et c'est important, mais je voulais aussi qu'elle soit une personne orthodoxe intelligente. Sa mère et moi lui avons donc conseillé de devenir philosophe. Et elle l'est devenue.

Je ne peux pas dire si elle est profonde comme un philosophe.

Mais elle a essayé d'aller dans cette direction. Maintenant, peut-être que cela révélera des choses que nous n'avons pas vues, que nous n'avons pas remarquées.

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Et depuis son enfance, ses premiers mots, que nous ne lui avons bien sûr pas appris, étaient "Russie", "notre puissance", "notre peuple", "notre empire". Et c'est ce qui la rendait si parfaite. En traversant des épreuves difficiles, elle n'a fait que devenir une personne bien meilleure que nous.

Dans notre famille, c'était toujours, dès le début, gravé dans le marbre : tu dois devenir meilleur, tu dois devenir supérieur, tu dois devenir plus courageux, tu dois devenir plus intelligent, tu dois devenir plus parfait. Nous ne l'avons pas félicitée et elle en a manqué. Nous disions : c'est un défaut, soyez meilleur, plus haut. Et on en a peut-être trop fait.

Elle n'avait pas peur, vraiment. Et la dernière fois qu'elle et moi avons parlé au Festival de la Tradition, elle m'a dit :

"Papa, je me sens comme un guerrier, comme un héros, je veux être comme ça, je ne veux pas d'autre destin, je veux être avec mon peuple, avec mon pays, je veux être du côté des forces de la lumière, c'est le plus important".

Lors de ma dernière conférence avec elle, je lui ai dit que l'histoire est une bataille de la lumière et des ténèbres, de Dieu et de son adversaire. Et même notre situation politique, notre guerre en Ukraine, mais pas avec l'Ukraine, fait également partie de cette guerre. De la lumière et de l'obscurité. Pas plus, pas moins. Et lorsque nous sommes partis, une minute avant sa mort, la mort qui s'est produite sous mes yeux, la chanson d'Akim Apachev "At Azovstal they bury demons" était diffusée. Elle voulait l'entendre, mais nous sommes partis plus tôt. Cela n'aurait rien changé.

Le sens de sa vie - c'est ce qui est frappant, elle était significative, elle était difficile, malgré le fait qu'elle soit encore une jeune fille, elle n'a même pas vécu trente ans, elle est partie, mais elle a avancé sur la ligne de cette logique, qui est devenue sa logique. Et donc je suis très reconnaissant et touché - je ne pensais pas qu'elle était connue et traitée de cette façon.

Elle était ce qu'elle était. Combien de duplicité il y a dans nos vies, combien de lâcheté, et elle n'était pas comme ça, elle était entière, elle a été élevée de cette façon, et sa façon d'être est un argument incroyable, l'argument le plus effrayant, peut-être monstrueux, déchirant pour nous dire qu'elle avait raison. Que c'est la voie à suivre. C'est ainsi qu'elle n'aurait pas voulu d'un autre destin, d'une autre vie.

Elle aimait la célébrité qui lui manquait, elle était peu encensée. Et maintenant, lorsque le président lui a remis l'Ordre du courage, je peux directement sentir sa joie, car elle dit : "Tu vois, papa, comme je suis bonne, et tu l'as dit". Vous savez, aimer la célébrité pour son bon côté - qu'y a-t-il de mal à cela si tout est question de lumière. Pas pour l'autre côté. Si vous vous portez sur l'autel de votre pays, de votre foi, de votre vérité, qu'y a-t-il de mal à cela, si on vous en donne le crédit, c'est très bien.

Je suis désolé, je ne peux pas parler, je suis juste très reconnaissant envers vous, je suis reconnaissant envers tout le monde, tous nos gens, je ne savais pas que cela pouvait être comme ça, et envers tous ceux qui sont venus, et tous ceux qui ont répondu, tous ceux qui ont écrit. Il s'avère que je ne savais pas qui était ma personne la plus proche et mon ami le plus proche des autres.

Désolé, je pense que la dernière chose que je veux dire est que pour elle, la vie avait un sens, le sens était la chose la plus importante pour elle, elle vivait selon ce sens. Et si cela touchait quelqu'un, sa mort tragique, sa personnalité, son intégrité, elle n'aurait qu'un seul souhait : ne vous souvenez pas de moi, ne me glorifiez pas, battez-vous pour notre grand pays, défendez notre foi, notre sainte orthodoxie, aimez notre peuple russe, car elle est morte pour le peuple, elle est morte pour la Russie au front, et le front est ici. Pas seulement là-bas - ici, en chacun de nous.

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Et le prix le plus élevé que nous devons payer ne peut être justifié que par l'accomplissement ultime, par la victoire. Elle a vécu au temps de la victoire, et elle est morte au temps de la victoire. Notre victoire russe, notre vérité, notre orthodoxie, notre pays, notre puissance."

Les proches de Daria Dugina, ses collègues ainsi que des militants sont venus lui faire leurs adieux.

Les leaders des factions de la Douma, Russie Unie (Sergei Neverov), LDPR (Leonid Slutsky) et Russie Juste - Pour la Vérité (Sergei Mironov), ont également pris la parole lors de l'adieu. Dans leurs discours, les parlementaires ont souligné que la jeune fille serait vengée et que des rues et des places en Russie porteraient son nom.

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lundi, 22 août 2022

Adieu à Günter Maschke, le Gomez Davila allemand

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Adieu à Günter Maschke, le Gomez Davila allemand

Dimitrios Kisoudis

Source: https://www.barbadillo.it/105745-addio-a-gunther-maschke-il-gomez-davila-tedesco/

Maschke a rassemblé la production du Carl Schmitt constitutionnaliste dans le volume Frieden oder Pazifismus? (= Paix ou Pacifisme ?), le deuxième grand volume qu'il a édité sur les œuvres du juriste allemand.

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Le conflit entre la Russie et l'Ukraine avait éclaté à peine deux jours plus tôt, lorsque l'annonce de la mort de Günter Maschke est parue dans le Frankfurter Allgemeine ; les signataires se sont engagés à "honorer sa mémoire et à chérir son œuvre".

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Tenons maintenant notre promesse !

J'ai rencontré Günter Maschke en 2005 à la Foire du livre de Francfort. Je venais de rentrer de ma période d'études à l'université de Séville et j'étais à la foire en tant que stagiaire pour une petite maison d'édition étrangère. Lorsque la discussion s'est tournée vers Juan Donoso Cortés, Maschke a cité les derniers mots du dictateur Narvaez, que Donoso Cortés avait défendu en 1848 dans son Discours sur la dictature. À l'article de la mort, lorsque le prêtre lui a demandé s'il pardonnerait à ses ennemis, le dictateur a répondu : "Je n'ai plus d'ennemis. Je les ai déjà tous éliminés."

Maschke aimait choquer ou tester son interlocuteur en prenant des positions fortement réactionnaires. En lui brillait la nature énergique du grand propriétaire terrien espagnol, l'arrogance du grand propriétaire foncier, en contraste total avec son humilité absolue d'auteur. Conscient qu'il ne pouvait rien ajouter de décisif à ce que les grands penseurs avaient produit, il s'est rapidement concentré sur son travail de critique et d'éditeur. Ses préfaces et postfaces aux "Classiques de la réaction" publiés auprès de la maison d'édition Karolinger sont devenues légendaires.

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Si nous voulons réduire à un résumé l'ensemble des notes accompagnant les textes parfois obscurément menaçants ou lucidement contrastés, nous pouvons utiliser ces mots: "la différence entre la droite et la gauche est toujours pertinente, mais plus la Révolution avance, plus elle devient difficile à saisir". Si les premiers grands réactionnaires, comme Joseph De Maistre et Louis de Bonald, ont pu trouver les racines de leur passion et parfois de leur pédantisme dans la croyance de leurs contemporains qui pensaient que la Tradition pouvait être sauvée, ceux qui ont continué dans leur ligne de pensée, comme Juan Donoso Cortés ou Auguste Romieu, ont été contraints de soutenir la Monarchie et d'affirmer la légitimité du Césarisme.

Déjà Otto von Bismarck disait, en s'opposant aux légitimistes prussiens, que tout ce qui existait était désormais enraciné dans la Révolution. Et pour lui aussi, la seule solution était le césarisme.

À l'ère de la révolution triomphante, la droite ne pouvait plus tirer sa position politique de la simple tradition, mais devait au contraire être créative et se donner de nouveaux outils pour surmonter le sentiment de défaite. Et Maschke a tenu à distance ce sentiment de défaite par un travail inlassable, qui est devenu pour lui un plaisir épuisant, mais sans jamais prendre de libertés créatives, car il était conscient d'avoir déjà trop vécu pour se permettre d'autres déceptions.

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Comme Gomez Davila avec ses Escolios a un texto implicito, Maschke a élaboré ses pensées en travaillant ses annotations à l'œuvre du constitutionnaliste Carl Schmitt, la différence étant que, dans son cas, le texte annoté existait réellement. Grâce à son savoir sans limite, il était heureux de faire des suggestions aux petites gens que nous étions, mais c'est précisément ce grand savoir qui le freinait dans son écriture. Oh, comme nous devons lui être reconnaissants ! Touchés par la chance d'être nés après lui, nous devons nous charger d'écrire ce que Maschke avait jugé indigne d'être publié.

Dans son numéro de juillet 2021, Sezession a publié un entretien avec Günter Maschke, dans lequel il tente de cadrer politiquement son mentor Carl Schmitt : "Il était de droite, je dirais. Mais ce serait aussi une intrusion dans sa pensée, il faut construire un barrage contre le chaos. Qui vaincra le chaos, qui mettra fin à la guerre civile ?". Son premier théorème fondamental nous dit que l'élément distinctif de la politique est la distinction entre Ami et Ennemi. Cette distinction est au centre du premier grand volume d'œuvres schmittiennes publié par Maschke, Staat, Grossraum, Nomos. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la guerre civile s'est étendue au monde entier. Seuls ceux qui perçoivent clairemen cette différenciation politique sont en mesure d'avoir une orientation dans la compréhension quotidienne des processus politiques.

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L'ancien président américain Donald Trump, aux instincts populistes, a défini la mondialisation comme l'Ennemi, mais cette position aussi, comme toutes les déterminations politiques, a été rendue taboue. En effet, on renonce à identifier l'ennemi, alors que le contexte de la politique se décompose en une succession d'événements (immigration, coronavirus, Ukraine), face auxquels on prend position en fonction du résultat des enquêtes démographiques. Mais la politique n'est pas le libre jeu de l'offre et de la demande.  Avant de suivre l'opinion publique, il faut décider si l'on est du côté de la Révolution, ou contre elle.

Maschke a rassemblé la production de Carl Schmitt en tant que constitutionnaliste dans le volume Frieden oder Pazifismus?, le deuxième grand volume qu'il a édité avec des œuvres du juriste allemand. Dans le droit constitutionnel européen, les nations souveraines peuvent se faire la guerre, et c'est dans ce "droit de faire la guerre" que réside la souveraineté des États. En revanche, le pacifisme revendiqué par le droit international anglo-saxon dès la fin de la Première Guerre mondiale a criminalisé la guerre offensive, dans un sens clairement anti-allemand. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la grande puissance mondiale pouvait au contraire, au nom des droits de l'homme, intervenir dans les conflits pour y mettre fin ou pour punir les ennemis de l'humanité.

Pour ces raisons, les interventions dans les conflits prennent désormais le visage de pacifisme, qui n'a rien à voir avec les demandes de paix, mais qui revêtent au contraire une spécificité absolument politique.

Nous passons de l'ennemi légitime à la guerre légitime. L'ennemi n'est plus reconnu comme légitime dans son rôle, mais au contraire une guerre juste est menée contre un ennemi injuste, détruisant ainsi toute chance de parvenir à la paix, comme Maschke l'a clairement expliqué dans une conversation avec Julien Freund.

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Après la guerre froide, un ordre mondial multipolaire, dans lequel les puissances régionales défendraient leur sphère d'influence contre toute intrusion extérieure, s'est dessiné de plus en plus clairement. Et donc la transformation de l'État-nation en un État caractérisé par un modèle de civilisation, et qui peut être appelé souverain lorsqu'il exerce son influence sur des territoires organisés en harmonie avec sa propre civilisation, avec la capacité, si nécessaire, de faire sentir sa force en dehors de sa sphère d'influence. La Russie, la Chine, l'Inde sont de tels États, et la Turquie elle-même peut également aspirer à en être un.

Que nous dit Günter Maschke sur l'Europe dans sa dernière interview, qui a été publiée par le périodique Cato ? L'Europe ne peut pas être considérée comme un "Grand Espace" (Grossraum), parce que dans l'Union européenne, il n'y a pas d'homogénéité entre les États fédérés, parce qu'il n'y a pas de sujet européen hégémonique qui puisse éclairer tout le continent avec ses idées politiques. L'Europe veut-elle continuer à être manipulée comme une tête de pont et une zone tampon de l'ordre mondial unipolaire ? Nous n'avons vraiment pas le droit d'avoir peur de laisser cette question sans réponse.

Lors du dernier congrès d'Alternative für Deutschland, une motion appelait à construire l'Europe comme un sujet autonome dans un monde multipolaire. La demande était certes dans l'air du temps, mais - également en raison de sa radicalité - elle a provoqué une discussion qui a dépassé les bornes préalablement assignées, sans autre conclusion que sa transmission au comité exécutif national. Des clarifications sont sûrement nécessaires pour mieux encadrer ce défi, car la multipolarité ne présuppose pas inévitablement un Dexit, une sortie de l'Allemagne hors de l'Union européenne, qui ne serait en aucun cas facile à réaliser. La Grande-Bretagne a pu le faire parce qu'elle s'apparente à un bateau pirate naviguant au large des côtes européennes. La tâche de l'Allemagne semble plutôt être de construire en son sein un pôle de changement. Et dans cette perspective, les relations de pouvoir sont plus pertinentes que les traités de l'UE.

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L'unipolarité n'a qu'une seule signification: les États-Unis d'Amérique dominent le monde, pour rendre chaque pays heureux par le truchement de leur idéologie des droits de l'homme, qui s'appellent aujourd'hui LGBTQ, BLM et similia. Au contraire, dans un monde multipolaire, ce sont les puissances régionales qui décident de ce qui est important et de la façon dont on vit dans leurs zones d'influence respectives. Bien sûr, le conflit unipolarité/multipolarité s'est également exprimé jusqu'à ses ultimes conséquences dans le récent conflit entre la Russie et l'Ukraine. Un nationalisme de façade, parfois camouflé par des attitudes fascistes, parfois présenté avec des accents libéraux, sert à dissimuler ce conflit tout en rendant l'unipolarité acceptable pour les milieux qui, autrement, rejetteraient dans son essence l'idéologie du bonheur fondée sur les droits de l'homme.

La résolution sur l'Europe signée par les membres de l'AfD contient la demande d'un système de défense européen commun, qui mérite d'être discuté et développé davantage. L'OTAN ne garantit pas en premier lieu la défense de ses États membres, mais la sécurité de la domination américaine sur l'Europe, tout comme la Ligue de Corinthe garantissait l'hégémonie macédonienne sur la Grèce, la différence étant toutefois que la Macédoine appartenait à la Grèce, alors que les États-Unis sont étrangers à l'Europe (ndt: sont une puissance étrangère à l'espace européen).

Évidemment, l'État hégémonique défend les États qu'il domine, quand il défend sa propre sphère d'influence. Mais cela provoque également le danger de voir la réaction des autres puissances à son expansion affecter directement les États vassaux. La question clé réside dans l'hégémonie américaine sur l'Europe, une phase préliminaire de l'unipolarisme, qui, par le biais de la protection militaire, opère de plus en plus la transformation des peuples, l'Europe étant certes protégée militairement, mais cela ne s'articule pas en harmonie avec ses intérêts et sa nature.

La tâche d'une alliance de défense militaire commune serait précisément de défendre l'Europe pour elle-même. Les partisans de l'OTAN répondraient : "Jusqu'à présent, cela n'a pas été possible, ce n'est pas la peine d'essayer !

Toutes les sorties de la misère allemande sont au-dessus de l'Europe.

Et en cela, Günter Maschke peut encore nous aider.

Dimitrios Kisoudis (traduction par Antonio Chimisso)

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dimanche, 21 août 2022

Hommage à Darya Douguine par Maurizio Murelli, éditeur italien d'Alexandre Douguine

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Hommage à Darya Douguine par Maurizio Murelli, éditeur italien d'Alexandre Douguine

Une grande partie de notre vie est marquée par la rencontre. Sur le chemin que nous parcourons depuis la matrice où nous étions en gestation jusqu'à l'instant de notre dernier souffle, le Destin, au fil des rencontres, façonne notre âme. Des rencontres tragiques, des rencontres porteuses de chagrins, des rencontres terrifiantes qui mettent nos démons en duel, mais aussi des rencontres avec des personnes solaires qui vous enrichissent, vous élèvent et éclairent votre chemin même lorsque tout devient sombre, tellement leur lumière nous illumine. Sur mon chemin, j'ai rencontré Daria, qui est la fille de celui que je considère comme l'un des plus grands penseurs de ce siècle, la réincarnation d'un philosophe antique, mais Daria était une femme qui ne vivait pas d'une lumière réfléchie. Philosophe elle-même, intellectuelle raffinée, journaliste et militante qui, pour cette seule raison, a été sanctionnée par les Anglo-Saxons, elle était dotée d'une grâce incomparable, d'un sourire désarmant. Une beauté intégrale, physique et spirituelle. Je suis donc reconnaissant à ma Destinée de me l'avoir fait connaître.

Sa mort m'a rappelé un beau poème cher à une autre personne que j'ai rencontrée il y a des années, une personne qui était ma compagne et qui, depuis plus de vingt ans, habite dans l'autre monde où j'aime à penser qu'elle attend constamment de recevoir, de "poétiser" et de "philosopher" des âmes comme celle de Daria. 

Voici cette poésie.

Vous aurez la transparence
de la lumière, votre voix aura de la place 
dans l'univers, votre visage sera clair.

Vous allez voler 
serein du paradis parmi les mortes 
choses, dans la mort 
qui nous a séparés.

Nous reviendrons parmi les rêves 
de nous rejoindre, parmi les lacs 
au coucher du soleil, parmi les lumières 
sépulcrales.

Nous allons percer
les nuages, nous violerons les horizons. 
Nous écouterons les mots,
les palpitations brisées; nous nous connaîtrons 
vivant dans la vie qui meurt.

La mort nous a séparés. 
Mais des mots silencieux nous ont unis. 

* * *

Quant à l'attentat lui-même, je pense que personne parmi les êtres humains n'est plus abject, plus répugnant et ne mérite aucune pitié que ceux qui attaquent la vie des poètes et des philosophes. Et je dis que si le démon de l'abandon prenait le dessus en moi, me poussant à m'isoler, à me retirer, à me mettre au repos, ce soir ce démon a été transpercé par l'arme la plus tranchante en ma possession. Mon sac à dos est rempli d'instruments recueillis en cours de route. Il y a tant de croix sur le bord de mon chemin que j'ai dû affronter, mais celle qui se dresse aujourd'hui sur le corps de Daria est la plus ardente. Ils ont attaqué la Grâce, la Beauté, et j'ai le devoir de l'honorer en assumant une part de son héritage. Je suis vieux, mais je suis toujours en armes... et le serai d'autant plus pour Daria que le destin m'a fait connaître.

******

 

Nécrologie pour Darya Douguina

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Nécrologie pour Darya Douguina

Par Alexander Markovics

Source: https://alexandermarkovics.at/2022/08/21/nachruf-auf-darya-dugina/

Le soir du 20 août 2022, Darya Douguina est morte à l'âge de 29 ans dans un lâche attentat terroriste près de Moscou. Mais qui était-elle ? Darya était tout d'abord une philosophe qui s'engageait en paroles et en actes pour sa patrie, la Russie, et pour un monde meilleur. Adepte de la Quatrième Théorie Politique, elle s'est battue pour un monde plus juste et multipolaire et pour mettre fin à la domination infligée par l'Occident mondialiste.

Pour y parvenir, Darya a milité sans relâche pour le Mouvement eurasien, fondé par son père Alexandre Douguine - à travers de nombreuses conférences, interviews et événements qu'elle a largement contribué à organiser, elle s'est engagée non seulement pour la libération de la Russie et de l'Eurasie du joug mondialiste, mais aussi pour la liberté de l'Europe, dont elle a toujours su séparer les peuples et la culture traditionnelle de ses élites décadentes actuelles - qu'elle connaissait bien en tant que spécialiste de la France et de la culture française - elle parlait couramment le français et a interviewé, entre autres, des personnalités du monde entier. Alain de Benoist à Paris - lui tenait à cœur.

En tant qu'universitaire - Darya avait obtenu un doctorat sur le néoplatonisme dans l'Empire romain - elle s'est intéressée aux racines de la tradition indo-européenne et a donné d'excellentes conférences non seulement sur des sujets géopolitiques, mais aussi sur des représentants de la Révolution conservatrice comme Julius Evola, Ernst Jünger et Martin Heidegger. Son activité de journaliste a non seulement culminé avec de nombreuses apparitions à la télévision russe, où elle a notamment défié avec succès les mondialistes russes, mais elle est également toujours allée là où cela s'embrasait, que ce soit en Syrie ou dans le Donbass, où elle a récemment effectué un reportage à Marioupol, libérée des fascistes ukrainiens. Il était impressionnant de voir comment cette jeune femme, qui avait vu l'enfer déclenché par l'OTAN en Syrie, pouvait à la fois parler avec empathie de la souffrance de la population locale et avec confiance de la victoire dans la lutte contre le mondialisme.

Au cours des dernières années, j'ai eu l'occasion de rencontrer Darya personnellement, à plusieurs reprises, et j'ai toujours trouvé à Vienne, Moscou et Sotchi, ainsi qu'à Kichinev, une femme jeune et sage, mais aussi très humoristique et courageuse, dont l'attitude correspondait à l'idéal de la guerrière indo-européenne-touranienne, comme on en rencontre malheureusement trop peu aujourd'hui. Pour un observateur extérieur superficiel, elle a peut-être été éclipsée par son père, mais pour ceux qui l'ont connue, il est clair qu'elle fut également une femme exceptionnelle à elle seule. Le temps de Darya dans ce monde est peut-être terminé, que Dieu ait pitié de son âme, mais sa mémoire continue de vivre en nous tous !

Ses assassins ont voulu nous intimider, nous tous qui défendons une Europe et une Russie libres dans un monde multipolaire, par leur acte lâche. Mais les bombes ne peuvent tuer que des hommes, pas des idées ! Le mal ne peut que s'opposer à nous, mais jamais vaincre ! Par les actes de ses détracteurs, elle est devenue une martyre du monde multipolaire, de la quatrième théorie politique et de la lutte de tous ceux qui s'opposent aux forces des ténèbres. En restant fidèles aux idéaux de Darya et en poursuivant son combat, nous perpétuerons la mémoire de cette héroïne de l'Eurasie ! Son sacrifice est notre mission !

Mémoire éternelle !

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Une courte biographie de Darya

Darya Platonova Dugina, la fille du philosophe russe d'Eurasie Alexandre Douguine, tuée dans l'explosion de sa voiture près de Moscou, avait un engagement intellectuel intense dans le sillage de son père. Dans une récente interview accordée au journal en ligne geopolitika.ru en mai, elle s'était exprimée sur l'agression russe contre l'Ukraine. Sans surprise, elle a épousé les positions de son père et la ligne du Kremlin.

"La situation en Ukraine est vraiment un exemple de choc des civilisations ; elle peut être vue comme un choc entre les civilisations mondialiste et eurasienne", avait-il déclaré. "Après 'la grande catastrophe géopolitique' (comme le président russe a appelé l'effondrement de l'URSS), les territoires de l'ancien pays uni sont devenus des 'frontières' (des zones intermédiaires) - ces espaces sur lesquels l'attention des voisins s'est rapidement focalisée, l'OTAN et surtout les États-Unis étant intéressés à déstabiliser la situation aux frontières de la Russie."

Et Darya Dugina d'ajouter : "Si les élites libérales occidentales insistent autant pour soutenir Kiev et diaboliser Moscou, c'est qu'il y a une logique de profit derrière tout cela. Tout doit être remis en question. Il s'agit d'un principe important qui nous permet de garder l'œil ouvert. Dans la société du spectacle, de la propagande, et de la nature totalitaire des systèmes occidentaux, le doute est une étape essentielle pour sortir de la caverne...'.

La femme avait la trentaine, était diplômée en philosophie de l'université d'État de Moscou et avait étudié en profondeur le néo-platonisme, mais revendiquait également Antonio Gramsci, Martin Heidegger et le sociologue français Jean Baudrillard comme références culturelles. Le 4 juin, elle avait été incluse dans la liste des personnes sanctionnées par le gouvernement britannique (parmi lesquelles le magnat Roman Abramovic) pour avoir exprimé son soutien ou promu des politiques favorables à l'agression russe en Ukraine.

Elle figure au numéro 244 de la liste des 1331 personnes physiques sanctionnées, en tant qu'"fautrice très connue de désinformation à propos de l'Ukraine et l'invasion russe de l'Ukraine sur diverses plateformes en ligne", ainsi que responsable du soutien et de la promotion de politiques ou d'initiatives visant à déstabiliser l'Ukraine afin de porter atteinte ou de menacer son "intégrité territoriale, sa souveraineté et son indépendance".

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dimanche, 10 juillet 2022

Une rencontre avec Maurice Bardèche

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Une rencontre avec Maurice Bardèche

par Yannick Sauveur

C’est l’histoire d’un séminaire sur l’image culturelle de la Guerre Froide qui s’est déroulé sur une année (1977-1978). Dans une grande ouverture d’esprit et avec une tolérance qui existait encore à l’Université en ce temps là, nos interlocuteurs reflétaient une grande diversité de pensée. Imagine-t-on aujourd’hui un séminaire où seraient invitées des personnalités aussi différentes que Dominique Desanti, Annie Kriegel, Madeleine Rebérioux d’une part et Michel Déon, Philippe Ariès ou Jacques Laurent, d’autre part, l’objectif étant de porter un regard objectif sur cette période très clivante de la Guerre Froide. Les uns étaient communistes ou proches, les autres étaient anticommunistes et proaméricains à l’instar de Raymond Aron, Jules Monnerot, Georges Albertini. Ayant quelques affinités avec Maurice Bardèche, il me parut naturel de proposer aux participants du séminaire de recueillir le témoignage autorisé d’un intellectuel qui fut très impliqué au plus fort de la Guerre Froide. C’est dans ces conditions que j’ai rencontré Maurice Bardèche à son domicile en mars 1978. Je précise que bien qu’étant anticommuniste, Bardèche n’épouse pas, loin s’en faut, l’unanimisme proaméricain de l’ensemble de la droite voire de l’extrême-droite.

Le thème de la Guerre Froide est au cœur de l’entretien à l’exclusion de tous autres sujets (historiques ou littéraires). En gros, la discussion concerne les événements qui ponctuent les années 1950-51 et 52 :

-1950 : Réunion à Rome,

-1951 : Congrès de Malmö et création du M.S.E., publication de L’œuf de Christophe Colomb.

-1952 : Création de la revue Défense de l’Occident.

 

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Au lendemain de la 2ème Guerre Mondiale, il existe en Europe une broutille de petits partis qui émergent difficilement. La carte des groupes politiques de droite, et d’extrême droite est plus ou moins la même que maintenant (1978).

Le M.S.I. (Movimento Sociale Italiano) fondé le 26 décembre 1946 est le seul qui ait une certaine consistance. Dans le cadre de ses relations avec l’étranger, le MSI souhaite recenser les partis, qui, en Europe, sont susceptibles de prendre des positions comparables à celles du MSI. Très vite, le MSI aura tendance à avoir principalement des contacts avec l’extrême-droite française. Et seuls  les jeunes du M.S.I. s’intéressent véritablement à l’Europe.

En France, en Allemagne et en Grande-Bretagne, il n’existait rien, rien d’analogue au M.S.I. C’est dans ce cadre que Maurice Bardèche, pour la France, participe à une première consultation à Rome (mars 1950) en compagnie notamment de Per Engdahl, chef du Nysvenska Rorelsen (Mouvement de la Suède Nouvelle), Oswald Mosley pour le Royaume Uni, Karl Heinz Priester, chef du Deutsche Soziale Bewegung (Mouvement social allemand). A l’époque, nous dit Bardèche, la croyance en l’unité européenne est beaucoup plus forte qu’aujourd’hui (1978).

Cette réunion (mars 1950) et la suivante (octobre), à laquelle ne participe pas Bardèche, ont pour objet de préparer « une conférence européenne des mouvements néo-fascistes au mois de mai 1951 dans la ville de Malmö, en Suède. » C’est ce qu’on appela ensuite le Congrès de Malmö où chaque nation serait représentée par une personnalité choisie par les groupes locaux. Quid de la France ? Malgré son aversion pour la politique, les pressions de ses séducteurs furent telles que par « devoir » Maurice Bardèche accepta la délégation pour la France et se rendit à Malmö. Il fut fait beaucoup de bruit autour de ce congrès présenté comme un congrès néo-nazi. En réalité, c’était tout le contraire. Per Engdahl (photo), qui préside ce congrès, polyglotte, presque aveugle était avant tout un théoricien. Les travaux de ce congrès durent trois jours avec en conclusion la rédaction de statuts de ce qui deviendra le Mouvement social européen (M.S.E.) par référence au M.S.I. italien.

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Les participants se donnaient pour objectif la constitution d’une Europe indépendante des deux blocs, sur les plans économique, politique et militaire [1] avec pour slogan NI WASHINGTON, NI MOSCOU mais sans qu’il y ait d’hostilité de principe envers les URSS et les USA. Certes, il fallait tenir compte de l’atmosphère de Guerre froide, ce qui ne signifiait pas l’accepter pour autant. Les participants proposent une Europe anti-communiste et non antisoviétique. Les délibérations des discussions de Rome et de Malmö ont été approuvées par l’ensemble des participants.

Quid du M.S.E. en France ? Les différents groupes qui avaient délégué Maurice Bardèche pour les représenter étaient très faibles : des jeunes le plus souvent, pauvres. Au nombre de ces militants, René Binet, passé du trotskysme au national-socialisme, était le plus extrême dans son attitude anti-américaine ainsi que face à la question du racisme alors que cet aspect n’avait été évoqué à aucun moment pendant le Congrès.  Le M.S.E. a duré très peu de temps, soit de 1950 à 1954.

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Toujours dans le cadre du MSE, quoiqu’un peu en marge, Maurice Bardèche rédige un ouvrage qui présente l’Europe qu’il appelle de ses vœux. Il s’agit de L’œuf de Christophe Colomb (1951) et sous-titré Lettre à un sénateur d’Amérique. Il s’agit du sénateur Robert Taft (ci-dessus, couverture du Time), candidat républicain malheureux aux primaires présidentielles de 1948 et 1952. Celui-ci est battu par Dwight Eisenhower en 1952, dès lors L’œuf de Christophe Colomb, tiré à 5000 exemplaires, perd de son intérêt voire devient inutile : aucune réaction américaine, influence du livre nulle en Europe. Personne n’en a parlé. Le quotidien Le Monde, peu enclin à faire de la publicité pour des idées allant à l’encontre de la doxa dominante, observe un silence de bon aloi. Le livre de Bardèche est traduit en italien, en allemand, en espagnol. Il a eu quelque succès en Allemagne et en Argentine, dont une publication allemande en Argentine. En France, il servira de manuel de base pour les militants du mouvement JEUNE NATION.

Dans ses Souvenirs, Bardèche témoigne que c’est un de ses ouvrages politiques auxquels je tiens le plus.  Dans le contexte de l’époque, les idées mises en avant sont avant-gardistes : « la communauté européenne doit être nécessairement une unité politique absolument indépendante. Et ces mots ʺabsolument indépendanteˮ s’appliquent également aux deux voisins de l’Europe, la Russie et les Etats-Unis (…) L’Europe ne doit pas être non plus l’instrument ni l’allié inconditionnel des Etats-Unis. L’indépendance politique de l’Europe, cela veut dire avant tout que l’Europe a le droit de choisir seule si elle fera ou ne fera pas la guerre». Et concernant l’Union soviétique, « je pense que l’Europe ne doit pas montrer une hostilité systématique à l’égard de la Russie soviétique, sous prétexte que son régime et ses conceptions de vie sont différents des nôtres. Nous avons à nous défendre, nous n’avons pas à faire de Croisade. » Cette communauté européenne telle que l’envisage Bardèche « devra donc être à la fois étrangère à l’hystérie démocratique et à la Croisade soviétique. Son indépendance politique ne sera complète, elle ne sera manifeste que si elle aboutit à une totale indépendance idéologique. C’est là surtout où est l’erreur américaine. Vouloir une Europe ʺdémocratiqueˮ, c’est vouloir que l’Europe appartienne à l’un des deux camps.

J’insiste sur cette idée, car je la regarde comme capitale pour notre avenir en commun. Une Europe démocratique est la prisonnière du camp démocratique, elle ne peut être qu’un état satellite des Etats-Unis, et par conséquent elle est un facteur de guerre et sa structure rend impossible la solution des problèmes internationaux. Il est évident et il est légitime que la Russie ne puisse accepter, en aucun cas, de voir les aérodromes militaires américains installés en Prusse. La constitution de bases militaires américaines permanentes en Allemagne est une menace pour la Russie et la Russie a raison de la considérer ainsi. Si la Russie cherchait à s’établir à Cuba, les Etats-Unis considéreraient cette installation comme un casus belli. » On comprend que de tels propos aient eu peu de résonnance dans l’atmosphère de Guerre Froide de l’époque, Maurice Bardèche étant lui-même très seul, très isolé.

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En politique intérieure, le camp américain (ou démocratique) allait de la gauche non communiste à l’extrême-droite (à de rares exceptions). Témoin de son isolement, Bardèche, à rebours de la droite et de l’extrême droite, manifeste une position originale au sujet du nationalisme arabe : « Nous sommes convaincus aussi que la conception du monde qui sera celle de l’Europe nous permettra de trouver un terrain d’entente avec les nationalistes arabes. En leur présentant des conceptions absolument neuves sur la présence simultanée des Européens et des Arabes dans les territoires communs, nous pensons que nous pourrons résoudre la plupart des difficultés devant lesquelles échouent l’hypocrisie démocratique et les survivances colonialistes. Au moins, aborderons-nous ces discussions, nous Européens, avec une mentalité généreuse et loyale à l’égard du peuple arabe dont nous reconnaissons la valeur et l’antiquité comme race et comme culture. »

Isolé, Bardèche reconnait avoir subi peu d’influences : « Ce qui se passe à l’extérieur n’a pas de prise sur moi. Je suis en marge. » Et d’ajouter : « Je suis inaccessible à l’expérience politique qui se déroule en dehors de moi (…) Tout ce que j’ai écrit découle de Nuremberg ou la Terre Promise[2]. Je n’ai pas voulu être sensible à l’actualité politique. Je reste à l’intérieur de mon rêve théorique, utopique, inapplicable. »

Cette rapide histoire serait incomplète si nous passions sous silence la genèse de la revue Défense de l’Occident dont le premier numéro parut en décembre 1952. L’idée de Bardèche était de pallier les insuffisances et « la collaboration impossible avec des groupes factices par une présence culturelle ». C’est la raison de la création de Défense de l’Occident qui s’inscrit donc dans le droit fil du congrès de Malmö.

Et voilà comment cette revue liée au MSE a perduré. Par « devoir » même si, depuis 1952, je n’ai qu’une idée : faire disparaître Défense de l’Occident. Ayant des abonnés dès le début, par honnêteté, j’ai continué. De plus, il y avait des gens à qui il fallait dire cela et aussi relever le moral des gens qu’on avait épurés. Après 1958, le désir de dire du mal de de Gaulle. Aujourd’hui (1978) mes raisons de faire disparaitre Défense de l’Occident sont de plus en plus grandes. L’aventure aura duré trente ans. Maurice Bardèche publie le dernier numéro (n° 194) de Défense de l’Occident daté novembre 1982. Dans ses Adieux de Défense de l’Occident, il termine ainsi : J’ai entrepris cette revue par devoir, j’en ai poursuivi la publication par honnêteté, je la cesse sans amertume. Je ne crois pas que les idées que j’ai exprimées aient cessé d’être vraies ou d’être utiles. Je les crois aussi nécessaires qu’autrefois : mais elles ne sont utiles, elles n’ont d’avenir aujourd’hui que si ce sont des hommes jeunes qui les professent et les répandent. C’est à cette condition seulement que la moisson lèvera.

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Maurice Bardèche, L’œuf de Christophe Colomb. Lettre à un sénateur d’Amérique, Les Sept Couleurs, 1951.

Maurice Bardèche, Souvenirs, Editions Buchet/Chastel, 1993.

Francis Bergeron, Qui suis-je ? Maurice Bardèche, Éditions Pardès, 2012.

Notes:

[1] Dans ses Souvenirs (publiés en 1992), Bardèche nuance quelque peu : « Nous étions manifestement indifférents à l’unité économique de l’Europe qui était la préoccupation principale des gouvernants de cette époque quand ils parlaient de la construction de l’Europe. Il était visible, sans que ce soit clairement exprimé nulle part, que, pour nous, l’Europe était une union politique et militaire et rien d’autre (…) ». En fait, la critique constante de Bardèche concerne la société marchande américaine et il précise : le principe sur lequel reposait ma conception de l’Europe était la subordination du mercantile au politique.

[2] Editions Les Sept Couleurs, 1948.

vendredi, 20 mai 2022

Dominique et Pierre-Guillaume de Roux

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Dominique et Pierre-Guillaume de Roux

Par Davide Bellomo

Source: https://domus-europa.eu/2022/05/09/12150/

Dominique et Pierre Guillaume de Roux, père et fils morts jeunes, privés de ce que le destin aurait souhaité et que le destin a refusé, de sorte qu'il reste d'eux un homme inachevé, pris dans l'embuscade de la mort.

Éditeurs par urgence impraticables, gaullistes à la droite du Général, Dominique païen posthume de tout serment et Pierre Guillaume chrétien par la foi : il a choisi l'Église orthodoxe comme un Byzantin après l'implosion des Croisades, prostitué à un souk d'indulgences, d'honneurs, de manœuvres avec l'Islam.

Des éditeurs prosaïques avec peu à faire mais beaucoup à créer, une prairie d'idées et de courage, pour ne pas épater les bourgeois mais pour ne pas prêter cœur et cervelle à l'amas d'enclaves à la puanteur sartrienne dans le nez des livrets rouges agités du Grand ( ?!) Timonier.

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Robert Levrac-Tournières en aurait fait le meilleur portrait, avant la salle de bal et les délires de Voltaire, car la grandeur doit être recherchée dans l'histoire et dans l'ici et maintenant. Quand la fierté d'être conservateur est une valeur auto- et hétéro-perceptive non négociable, voici les de Roux, qui ont regardé un monde à secouer la tête mais ont tiré droit devant.

N'étaient les termes ad quem, dans l'ordre chronologique, 1977, à 41 ans, et 2021, à 58 ans, ils auraient pu être interchangeables dans leurs rôles. Dominique clôt le spiel à dix-sept ans: il n'y a pas un seul séducteur sur la chaise, tout au plus des commis avec un registre et un crayon rouge et bleu. La vieille et aisée famille languedocienne - son grand-père Marie De Roux avait été l'avocat de Charles Maurras et de l'Action française - sait que le garçon est au crédit de la vie: il paie les droits de banquier de son père à Londres, travaille brièvement dans la City - vu son âge, comme employé de bureau -, puis en Allemagne dans une fabrique de feutre, et à vingt ans, il est déjà cycliste pour l'Herne, qu'il transformera, aidé de sa femme Jacqueline Brusset, en la série des Cahiers de l'Herne, des monographies sur les figures les plus significatives de la littérature du siècle. A vingt-sept ans, il publie son premier roman, Mademoiselle Anicet, et des dizaines d'essais ; il est l'âme des éditions Christian Bourgois, d'Exil, de la collection 10/18 ; ses amis sont ses auteurs : la convenance ne sait pas ce que c'est. Consultant aux Presses de la Cité, défenseur de Céline, de Pound, d'Abellio et de tous les incommodes, les pestiférés et les enlevés, il s'attaque au futur locataire de l'Elysée, Georges Pompidou, qui succédera à De Gaulle, le traitant de véto... et à deux des plus intouchables, Maurice Genevoix et Roland Barthes. Le pouvoir réagit, Elysée ou Académie, toujours, avec l'embargo : collaborations tronquées, silence de la presse sur le Gavroche des pages écrites. Carbonaro sans en être un, posthume volontaire de lui-même, pendu à son propre compte, chaque jour à Nuremberg, mestatore qui ne cache jamais son bras, il a rassemblé, avec les Cahiers, les points de rhumb-line des routes de la culture de front, en dehors du pouvoir qui contrôle la presse, la télévision, l'édition, le cinéma, l'école. Qui a eu une relation aussi profonde avec Witold Gombrowitz, l'écrivain le plus baroque du siècle, avec Emilio Gadda, peut-être, sinon Dominique de Roux ? Qui s'est jamais rendu compte de ce que la littérature lui doit aux dehors des académies, au massacre des prix littéraires, à l'assoupissement de la médiocrité élue comme démiurge? Ce serait un projet de loi inconfortable pour les parvenus de ce "truc" prêt et enclin à la délégitimation. Le départ : les dernières courtes années, 1973-1976, sont toutes dans le roman Le cinquième empire, publié deux semaines après sa mort. Le Portugal et l'Afrique australe, les événements politiques et la fidélité narrative qui vient à être elle-même, l'événement. Comme les aphorismes d'Immédiatement, moins quelques bavures bienvenues. Beaucoup de ceux qui auraient dû les lire ont tourné leur visage vers le mur.

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Pierre-Guillaume, le front haut d'un mathématicien pur et les mains pour un Nocturne de Chopin, a été à la hauteur de son père, pas un segment de vie mais cette vie, sans faille. Le labyrinthe de la rue Richelieu était une tranchée entre les livres rassemblés, lus, publiés et les manuscrits attendus avec confiance, dans un temps suspendu partagé avec Balzac et Nerval et les nombreux inconnus qui avaient réuni deux cents dossiers dans le corps douze. Il n'a pas été facile de passer sous silence la lâcheté de la mémoire de son père ni la critique du catalogue de sa maison d'édition - les logos sont ses initiales - car il fallait le faire, un sacrifice qualitatif pour financer les publications "nécessaires", les sorties, magnifiques !, difficilement compatibles avec une balance excédentaire. Le style est l'homme même, a écrit George-Louis Leclerc de Bouffon. A dix-neuf ans, il travaille pour l'éditeur Christian Bourgois, nervure de la Presse de la Cité et indépendant depuis 1992 ; à vingt et un ans, il est directeur éditorial de Table Ronde, puis de Juillard, Bartillat, Rocher, Criterion, Les Syrtes et enfin PGDR, acronyme de ses initiales. Le présent pour l'avenir, le livre comme un défi, comme un guerrier sinon un vainqueur qui connaît les conventions et s'en moque. Voici, parmi beaucoup d'autres, François Billot de Lochner et son analyse de la double dérive du banlieu au croissant de lune, n'incluant que le désastre social, Tarr de l'incatable peintre-romancier Windham Lewis - une splendide biographie, celle de Stenio Solinas ! et Roger Nimier, le génial scénariste d'Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle et romancier de premier ordre, Ezra Pound, et, pour ne pas être en reste, le déflagrant Éloge littéraire d'Anders Breivik de Richard Millet, sur le meurtrier de soixante-dix-sept personnes, résultat, selon l'auteur, du multiculturalisme, de l'abandon des racines chrétiennes et de l'islamisation. Quatre ans avant le Bataclan, nous ajoutons pour mémoire. Les rares apparitions à la télévision ont démantelé le paradigme d'une intelligence cultivée confinée au rôle de curiosité dangereuse, mais l'ensemble sentait l'excusatio non petita, le bon droit. Le fossé culturel entre l'intervieweur et l'interviewé a été décliné en un verbe défectif et donc honny soit qui mal y pense.

Davide Bellomo.

samedi, 26 mars 2022

Le centenaire d’un réaliste européen

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Le centenaire d’un réaliste européen

par Georges FELTIN-TRACOL

Il y a cent ans, le 22 mars 1922 naissait à Bruxelles Jean Thiriart. Disparu, il y aura bientôt trente ans, le 23 novembre 1992, cet Européen d’origine belge a réfléchi sur l’organisation politique de notre continent une grande partie de sa vie. Dans les années 1960, son mouvement transnational Jeune Europe affrontait les militants de la Fédération des étudiants nationalistes et d’Europe-Action pour de profondes divergences théoriques. Au risque de choquer, Thiriart était l’anti-Dominique Venner. Si l’auteur d’Histoire et tradition des Européens versait dans le romantisme politique, Thiriart agissait, lui, en réaliste pragmatique, porteur d’un projet géopolitique total très ambitieux.

Le public francophone redécouvre peu à peu cette figure quelque peu effacée dont les idées ont marqué Guillaume Faye, Jean Parvulesco et Alexandre Douguine. D’ailleurs, trois mois avant de mourir, Jean Thiriart s’était rendu en Russie du 16 au 24 août 1992. Il y rencontra les principales figures de l’opposition nationale-patriotique : Sergueï Babourine, le journaliste Alexandre Prokhanov, le responsable communiste Guennadi Ziouganov ou le fameux « Colonel noir » de nationalité lettonne Viktor Alsknis, partisan du soviétisme.

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Longtemps seul disponible, son ouvrage, assez daté, Un Empire de quatre cents millions d’homme, l’Europe. La naissance d’une nation, au départ d’un parti historique, est réédité en 2007 chez Avatar dans la collection « Heartland ». D’autres livres de et sur Thiriart sont maintenant parus. Signalons d’abord l’excellent Thiriart de Yannick Sauveur dans la collection « Qui suis-je ? » chez Pardès en 2016. Mentionnons aussi la sortie en 2018 aux éditions Ars Magna de deux recueils d’articles, de témoignages et d’études, Le prophète de la grande Europe, Jean Thiriart, et L’empire qui viendra. Enfin parurent cette même année chez deux éditeurs différents, Ars Magna et les Éditions de la plus grande Europe, un essai inédit rédigé en 1983 – 1984 à l’heure de la Guerre froide, L’empire euro-soviétique de Vladivostok à Dublin, à l’initiative respective et concurrente de Christian Bouchet et de Yannick Sauveur.

En dépit de cette relative abondance éditoriale, la pensée de Jean Thiriart reste méconnue. Il faut avouer qu’elle ne se range pas facilement dans une case politicienne quelconque. Contempteur constant de l’horreur étatsunienne, Jean Thiriart, en lecteur assidu de Machiavel et de Vilfredo Pareto, comprend dès la perte du Congo belge pour lequel il s’était investi au sein du Comité d’action et de défense des Belges d’Afrique, puis du Mouvement d’action civique l’inanité du nationalisme belge. Il se prononce très tôt en faveur de l’unité intégrale du continent européen. Au fil de l’actualité internationale entre 1962 et 1992, celle-ci s’étend de Dublin à Bucarest, puis de l’Islande au Kamtchatka, voire plus vaste encore. Dans les dernières années de sa vie, quand Jean Thiriart collabore à la revue Nationalisme et République de Michel Schneider qui appelle à voter « oui » au référendum sur le traité de Maastricht, il envisage un ensemble géopolitique unifié englobant l’Europe, toute l’URSS, la Turquie, la « Grande Syrie » (Liban, Syrie, Israël, Palestine, Jordanie) ainsi que l’Égypte et le Maghreb. Ce vaste territoire aurait pour capitale paneuropéenne la ville bicontinentale d’Istanbul.

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Le numéro de "Forces Nouvelles" où Thiriart donna l'un de ses derniers entretiens en Belgique.

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Jean Thiriart accorda également un entretien à Vouloir (n°87-88) à l'occasion des référenda sur l'Union Européenne (celle de Maastricht). Après son décès inopiné, deux entretiens paraissent en langue française dans le n°97-100 de Vouloir: l'un accordé aux Américains de "PlainTruth", l'autre au journaliste et avocat madrilène Gil Mugarza.La plupart des articles de Thiriart paraissaient à l'époque dans la revue Conscience Européenne de Luc Michel, qui dirigeait un petit parti paneuropéen, le PCN.

Détestant autant les nationalismes « historiques » (français, allemand, italien, etc.) que les micro-nationalismes (basque, catalan, corse, écossais…) et toutes les revendications religieuses sur la place publique, Jean Thiriart conçoit un État central unitaire européen dont les piliers seraient la laïcité et l’omnicitoyenneté. Il y a du Mustapha Kemal Atatürk en lui. L’appartenance à la Très Grande Europe ne reposerait pas sur l’identité ethnique, la spiritualité, l’histoire ou la langue, mais sur la valeur politique et territoriale d’un nouveau civisme. Ainsi, quelque soit son lieu de naissance dans cet État tricontinental, le citoyen paneuropéen s’estimerait partout chez lui dans cette aire particulière qui prend la forme d’un État-nation continental et républicain. Inspiré du précédent impérial romain et de son prolongement byzantin au Moyen Âge, « mon concept est celui du transnationalisme, qui dit : un citoyen circule librement dans la République impériale et où qu’il se trouve à travers les anciennes nations dont toutes les barrières ont été abolies, il exerce ses prérogatives de citoyen ». Cette vision sur-européenne cherche par ailleurs à expliquer, à l’instar du modèle assimilateur de la IIIe République française, une politique volontariste d’agrégation des peuples, quitte à éradiquer au préalable les cultures vernaculaires et nationales autochtones.

Jean Thiriart envisage l’unité européenne selon les critères géopolitiques du « grand espace » et de « puissance ». Il récuse par conséquent le principe traditionnel de l’Empire et sa déclinaison en trois patries (régionales, nationales et continentale) enchâssées. Ses détracteurs l’ont accusé de « jacobinisme » paneuropéen. Il assume volontiers cette appréciation.

L’empire euro-soviétique de Vladivostok à Dublin prend en 2022 une étonnante actualité. « L’URSS est aujourd’hui la dernière nation indépendante en Europe, écrit-il. À qui donc s’adresser d’autre ? » Ne peut-elle pas devenir le facteur « prussien » de l’unification plus qu’européenne ? Jean Thiriart considère en effet que « l’URSS est condamnée à la fuite en avant. Elle est condamnée à s’agrandir, à se consolider. Elle est condamnée à faire – intelligemment – la Très Grande Europe. À en finir avec la fiction des États polonais, roumain, hongrois, tchèque… […] L’URSS doit proposer à l’Europe de l’Ouest – que sa fuite en avant va probablement l’amener à conquérir militairement – l’intégration totale dans la nation soviétique. L’Europe russe, c’est nous avilir au rang d’objet de la politique, c’est recommencer l’erreur de l’Europe allemande. À l’inverse, l’Europe soviétique, c’est nous donner l’occasion à nous, Européens de l’Ouest, de redevenir des sujets de la politique, des sujets de l’histoire ». Or, l’Union soviétique n’existe plus… Ne serait-ce pas une utopie certaine de vouloir fondre l’Europe romane, gothique et baroque avec l’Europe slave et la Russie ?

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Quelques semaines avant son décès inopiné, Jean Thiriart se trouvait à Moscou, en août 1992, à l'invitation d'Alexandre Douguine.

Malgré le caractère centralisateur et uniformisateur de sa ligne-directrice intransigeante, Jean Thiriart n’appartient pas moins aux « bons Européens », à ces personnalités d’exception prêtes à se dévouer pour leur idéal. Son œuvre continue à se voir écartée des cénacles universitaires vérolés. Entre les souverainismes national et régional, l’euro-mondialisme cosmopolite, l’euro-ethnisme ou même l’Europe impériale, son exigence de l’Europe mérite cependant une véritable attention. Que des chercheurs sérieux et objectifs s’y penchent enfin serait finalement une belle démarche pour ce centième anniversaire ! 

GF-T 

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 25, mise en ligne le 23 mars 2022 sur Radio Méridien Zéro.

mercredi, 23 mars 2022

Jean Thiriart : un professeur pour la Patria Grande ibéro-américaine

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Raphael Machado:

Jean Thiriart : un professeur pour la Patria Grande ibéro-américaine

Ex: https://novaresistencia.org/2022/03/22/jean-thiriart-um-professor-para-os-defensores-da-patria-grande-ibero-americana/?fbclid=IwAR1RS7wPU_ymrdgQKbOhC_dl-RMliHRtvKAzntzAmxBcYkLL5vFHRPky2ag

La journée d'hier marquait le 100ème anniversaire de la naissance de Jean Thiriart, théoricien national-révolutionnaire et continentaliste européen, grand critique de l'OTAN et défenseur d'une alliance entre l'Europe et le Tiers-Monde contre les USA. Inconnu dans notre pays, mais ayant influencé les défenseurs de l'idée de la Patria Grande, Thiriart doit encore être étudié attentivement pour les leçons qu'il a à donner à tous les dissidents ibéro-américains.

    "Les Grecs de l'Antiquité n'ont pas compris la progression nécessaire de la Cité-État à l'État-Territoire. La grande majorité des Européens ne comprend pas la progression nécessaire des États territoriaux vers les États continentaux. Il en va de même pour l'Amérique latine." - Jean Thiriart

Le 22 mars 2022 marquera les 100 ans de la naissance de Jean Thiriart. Ce nom n'évoque des souvenirs que chez quelques rares Européens que l'on pourrait appeler, aujourd'hui, des dissidents, des opposants à la pensée hégémonique. Pour les Ibéro-Américains, même parmi les dissidents, Thiriart reste un grand inconnu.

Bien qu'il ne soit pas de notre ressort de tenter de présenter la totalité de la vie, de l'œuvre et de la pensée de Thiriart, notre intention est de signaler quelques idées et réflexions intéressantes qui peuvent instruire les dissidents ibéro-américains qui se positionnent comme défenseurs de l'idée d'une Patria Grande.

Contours biographiques

Thiriart est né le 22 mars 1922 à Bruxelles, en Belgique, dans une famille libérale à tendance socialiste. Adolescent, il est actif dans des organisations telles que la Jeune Garde socialiste unie et l'Union socialiste antifasciste, mais au début de la Seconde Guerre mondiale, il rejoint la Ligue Fichte, une organisation nationale-populaire (ou völkisch) qui suit une ligne que l'on pourrait considérer comme nationale-bolchévique. À la même époque, il rejoint l'association des Amis du Grand Reich allemand, une organisation qui rassemble tous les éléments de l'extrême gauche socialiste belge qui prônent le collaborationnisme avec l'Allemagne.

Il ne s'agit pas ici d'un virage nationaliste dans un sens bourgeois ou d'extrême droite, mais d'une évolution logique et directe d'un socialisme hétérodoxe vers un paneuropéanisme "national-bolchevique" (ou, plus précisément, communautaire). Le collaborationnisme de Thiriart suivait une logique simple : l'Europe doit être unifiée et doit le faire selon des lignes anti-libérales, anti-capitalistes, anti-atlantiques, quelle que soit la puissance qui soit le moteur de ce processus. Pour lui, même en tant que jeune homme, c'était une question de survie.

Il revient à la politique en 1960, au sein du Comité d'action et de défense des Belges d'Afrique, qui deviendra le Mouvement d'action civique. Dans cette période délicate, où le monde assistait aux processus de décolonisation, Thiriart a compris que, d'un point de vue géopolitique, l'Europe avait besoin d'une connexion méridionale, d'une sortie vers le sud - vers l'Afrique - afin de se protéger des armes de la tenaille représentée par les États de dimension continentales qu'étaient alors les États-Unis et l'URSS. Le soutien apporté par la Jeune Europe (l'organisation paneuropéenne qu'il avait fondée en 1960) à l'"Organisation de l'Armée Secrète" (OAS), une conspiration militaire française qui s'opposait à la décolonisation de l'Algérie, s'inscrit dans une logique similaire. L'idée était d'utiliser l'Algérie comme un pont, comme un "poumon extérieur" pour gonfler un processus révolutionnaire dans toute l'Europe. Date également de la même période, l'effort (infructueux) pour construire un soi-disant "Parti national européen", rassemblant des nationaux-révolutionnaires de tout le continent.

Même après la dissolution de l'OAS, le militantisme de Thiriart reste fébrile et la Jeune Europe s'étend à pratiquement tous les pays d'Europe occidentale. Cette période des années 1960, fertile en non-conformisme politique, voit de nombreux périodiques animés par le mouvement, tels que "L'Europe communautaire",  "Jeune Europe" et "La Nation européenne". Au cours de la même période, il a tenté de créer un syndicat continental et une association universitaire continentale.

Du point de vue de la politique étrangère, Thiriart passe de la défense de l'Euro-Afrique à la défense d'une alliance égale Europe-Tiers Monde. La théorie a été assortie de la pratique. Déjà proche de Ceausescu et par son intermédiaire, Thiriart parvient en 1966 à rencontrer Zhou Enlai, ministre des Affaires étrangères de la Chine maoïste. En 1967, il cherche une connexion algérienne. En 1968, il rencontre Nasser en Egypte et se rend en Irak à l'invitation du Ba'ath. Thiriart et son organisation vont également tisser des liens plus étroits avec la Résistance palestinienne (Roger Coudroy, le premier Européen à mourir pour la cause palestinienne, était un militant de Jeune Europe). Plusieurs personnalités de ces gouvernements et d'autres gouvernements du tiers-monde et non-alignés collaboreraient aux publications de Jeune Europe. L'objectif principal de tous ces contacts était d'obtenir un soutien matériel pour la formation des soi-disant Brigades européennes, qui auraient leur baptême du sang dans la lutte pour la libération palestinienne et débarqueraient en Europe en tant qu'armée de libération.

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Le lien entre Jean Thiriart et Juan Domingo Peron, chef d'orchestre de l'Argentine de 1946 à 1955, mérite un commentaire séparé, en raison de son importance pour les Ibéro-Américains. Pendant son exil à Madrid, Perón a personnellement rencontré Thiriart et les deux hommes sont devenus amis. Le chef d'Etat argentin était un lecteur assidu de La Nation européenne et a été interviewé par Thiriart lui-même pour la publication. Il serait impossible de mettre en évidence une influence à sens unique entre les deux, car l'immense synchronisation entre eux, notamment entre les idées qu'ils ont tous deux exprimées à partir de la fin des années 1960, indique une forte influence mutuelle entre tous les niveaux de leur pensée.

La synchronicité théorique entre Perón et Thiriart est particulièrement pertinente pour nous, mais avant d'en venir, enfin, aux leçons que les Ibéro-Américains devraient tirer de Thiriart, nous clôturerons le cycle biographique du penseur.

Après avoir été déçu par le manque de soutien à ses projets, Thiriart s'est à nouveau retiré de la politique pendant plus de 12 ans, n'y revenant qu'au début des années 1980 pour republier ses œuvres et soutenir le parti de la Communauté nationale européenne. Pendant 10 ans encore, jusqu'à sa mort en 1992, Thiriart a étendu son influence sur une nouvelle génération de dissidents, dont le philosophe russe Alexandre Douguine, prônant non plus la construction d'un empire européen entre les États-Unis et la Russie, mais une Europe de Dublin à Vladivostok.

De l'État-nation à l'État-continent

    "Seules les nations de dimension continentale ont un avenir". - Jean Thiriart

Une première évaluation par Thiriart de la condition européenne est basée sur la perception que les États-nations européens (France, Allemagne, Italie, etc.), tels qu'ils se sont constitués, sont trop faibles pour s'opposer aux États-continents dans leur processus de consolidation du pouvoir. Par conséquent, aucun des pays européens n'était porteur de la souveraineté. En pratique, cela a conduit les nations européennes à graviter autour des États-continents, l'Europe occidentale étant devenue une simple péninsule de la thalassocratie américaine.

Si l'Europe est une péninsule, l'Amérique ibérique est une arrière-cour. Le terme "arrière-cour" est déjà un classique pour désigner la condition de subalternité de la myriade de pays artificiels qui peuplent notre continent. La fragmentation de l'Ibéro-Amérique n'était pas accidentelle, mais le résultat d'une stratégie thalassocratique propre à l'Empire britannique. Le Brésil, colonisé par le Portugal, a failli suivre le même sort, mais a réussi à préserver son unité grâce à l'autorité impériale qui, par le charisme qui lui était propre et par la force des armes, a garanti la stabilité territoriale.

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Ne nous y trompons pas : malgré ses dimensions, même le Brésil ne peut se libérer. Dans une perspective réaliste, malgré sa taille, le Brésil devra tout de même prendre soin de ses frontières. De plus, c'est un pays sans armes nucléaires. Afin de garantir une souveraineté authentique, il est nécessaire qu'un processus de libération se déroule de manière concomitante dans toute l'Amérique ibérique, comme l'a commenté Perón dans l'interview, déjà mentionnée, accordée à Thiriart.

Dans la géopolitique des "Grands Espaces", il n'est pas encore défini si l'Ibéro-Amérique constituerait concrètement un ou deux Empires, mais même si nous prenons la version la plus petite, celle d'un Empire ibéro-américain du Sud, nous nous projetterions comme un État-continent avec plus de 400 millions d'habitants, les plus grandes réserves d'eau douce du monde et un rôle fondamental dans la géopolitique alimentaire, en plus d'immenses réserves de lithium, d'uranium, d'or, de cuivre et du très important pétrole.

Peron lui-même serait évidemment tout à fait d'accord sur ce point, et tous ses efforts sont allés dans ce sens, comme le commente L'Heure du peuple. Le géopolitologue Marcelo Gullo aborde également le sujet, de manière très actuelle, à travers le concept de "seuil de pouvoir", c'est-à-dire d'un niveau de pouvoir nécessaire pour qu'une structure politique soit considérée comme véritablement souveraine. Dans cette perspective, à partir du moment où les Américains sont arrivés dans le Pacifique, seuls les États de dimension continentale peuvent être considérés comme souverains.

Le libéralisme est pire que le communisme

    "Nous devons nous débarrasser de l'approche simpliste, en noir et blanc, qui voit le communisme et le national-socialisme comme des pôles opposés l'un à l'autre. Ils étaient bien plus des concurrents que des ennemis". - Jean Thiriart

Jean Thiriart était proche de l'extrême droite nationaliste française au début des années 1960, à l'époque du Mouvement d'Action Civique et des liens avec l'OAS. Ce bref contact avec ce secteur politique a fixé en Thiriart un rejet de l'anticommunisme, du racisme, du capitalisme et des déviations libérales de la mouvance nationaliste bourgeoise.

Dans une optique qui renverse axiologiquement la logique des réflexions poppériennes, Thiriart (comme d'autres grands de son temps, tels que Drieu la Rochelle) a perçu que le fascisme et le communisme étaient beaucoup plus proches l'un de l'autre que la plupart de leurs propres adhérents ne l'avaient compris et que l'anticommunisme viscéral des secteurs patriotiques (comme l'antifascisme virulent des secteurs socialistes) les rendait tous plus facilement cooptés et instrumentalisés par la thalassocratie libérale.

Si ce point de vue était perspicace dans les années 1960, il est aujourd'hui encore plus valable, plus évident, mais on continue à l'ignorer. Aujourd'hui, des personnalités comme Diego Fusaro et Alain Soral défendent une politique transversale, dans le style d'une "gauche du travail, droite des valeurs" et critiquent l'antifascisme et l'anticommunisme comme des outils du libéralisme hégémonique. Le péronisme lui-même était l'exemple d'un type de construction politique qui réunissait des figures issues des deuxième et troisième théories politiques, pour construire une nouvelle métapolitique et une nouvelle praxis politique.

Avec Moscou, contre Washington

    "[...] l'objectif doit être d'expulser à tout prix les Américains d'Europe. La puissance tutélaire, les USA, a créé en Europe des habitudes de sécurité, de facilité et, de fil en aiguille, de renoncement à l'initiative personnelle et, finalement, de soumission. L'atlantisme est l'opium de l'Europe politique [...]". - Jean Thiriart

Comme Thiriart comprenait le jeu géopolitique de son époque, l'Europe occupée depuis la Seconde Guerre mondiale par les États-Unis, n'était qu'une tumeur apposée surle flanc ouest de l'URSS. Fragmentée en États-nations et sous occupation militaire, elle n'avait pas d'existence propre, pas de destin.

Le cours de la guerre froide a conduit Thiriart, déjà dans les années 1980, à réaliser qu'entre les États-Unis et l'URSS, les États-Unis représentaient un mal infiniment plus grand. En fait, si dans les années 1960, il avait adopté une position typique "Ni Washington ni Moscou", à partir des années 1980, il a adopté une position "Avec Moscou, contre Washington", prônant la conquête de l'Europe occidentale par l'Armée rouge et l'unification d'un État continental englobant l'Europe et la Russie dans une structure unique.

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L'effondrement soviétique et la guerre froide n'ont pas affaibli l'évaluation de Thiriart ; au contraire, ils ont rendu encore plus évidente la nature néfaste de l'action atlantiste américaine et internationale. L'effondrement soviétique a garanti l'hégémonie mondiale aux États-Unis. La bipolarité a été remplacée par l'unipolarité.

Si dans les derniers moments de la guerre froide, même en période de bipolarité, il était possible de voir la nécessité de soutenir Moscou contre Washington, dans les conditions de l'unipolarité, il ne peut y avoir aucun doute : Moscou ne représente pas seulement elle-même, mais les aspirations à la libération de tout le tiers-monde. Il ne s'agit pas ici de soumission à la Russie, surtout en ce qui concerne l'Amérique ibérique, mais d'une alliance fondée sur le respect mutuel contre l'ennemi de la Cause des Peuples.

Dans ce conflit, aucune neutralité n'est possible. La Russie, étant l'avant-garde de la multipolarité, doit être soutenue dans tout ce qui affaiblit l'unipolarité, l'OTAN et les États-Unis. Si la Russie échoue dans la phase actuelle, ce n'est pas seulement la Russie qui sera vaincue, mais toute la lutte des peuples et le moment unipolaire se stabilisera peut-être dans un ordre unipolaire, capable de durer encore des décennies, voire des siècles.

Le fait que Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, ait récemment déclaré que la question de l'Amazonie était plus importante que la crise ukrainienne elle-même présente un intérêt particulier pour nous, Ibéro-Américains. L'OTAN, qui a même des partenaires en Amérique ibérique, prépare un siège de l'Amazonie, le Heartland de l'Amérique du Sud, et l'un des espaces les plus stratégiques de la planète.

Alors que les Etats-Unis se retirent de nombreux "avant-postes" dans le Vieux Monde, la tendance est qu'ils cherchent à garantir leur propre "arrière-cour", renforçant la tendance à renouveler la "Doctrine Monroe", visant spécifiquement à fragmenter et à affaiblir encore plus les pays ibéro-américains.

Étant donné que les Ibéro-Américains, en tant que communauté continentale, ne possèdent pas d'armes nucléaires, seule une alliance tactique avec la Russie et la Chine peut empêcher une tragédie. Une alliance, bien sûr, insoumise, basée sur des relations gagnant-gagnant, mutuellement avantageuses.

Après l'effondrement irréversible de l'unipolarité et la "provincialisation" des USA, ramenés au statut de simple centre d'un pôle nord-américain, nous pourrons enfin tracer notre propre voie et même nous engager dans des relations positives et harmonieuses avec les USA. Mais c'est un long chemin à parcourir.

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Communautarisme : vaincre le capitalisme et le marxisme

    "Par exemple, une centrale hydroélectrique nécessite (...) une nationalisation. En sens inverse, la production et la distribution de produits agricoles et avicoles nécessitent l'économie libre (...). Le marxisme dogmatique veut tout nationaliser, le libéralisme veut tout privatiser, le communautarisme veut conserver un contrôle politique absolu tout en permettant la plus grande liberté économique possible." - Jean Thiriart

Enfin, comme note fondamentale, il faut rappeler l'insistance de Thiriart sur la nécessité d'abandonner tant le modèle économique capitaliste, fondé sur l'exploitation égoïste et usuraire, que le modèle économique communiste, fondé sur un utopisme qui réduit l'homme à une fourmi.

Dans cette sphère, les sources et inspirations de Thiriart sont multiples et passent par le corporatisme typique des projets de la troisième théorie politique des années 30 et la pensée de figures classiques de la philosophis ou de l'économie politiques comme Friedrich List ou Johann Gottlieb Fichte. Sur la base de ces sources et d'autres, Thiriart défend un modèle économique autarcique dont le but serait la maximisation du pouvoir.

Réunissant les aspects de la planification et de la libre entreprise, Thiriart envisage une économie dans laquelle l'État dirige tous les secteurs stratégiques de manière planifiée et centralisée, tandis que la distribution de biens et la fourniture de services, ainsi que d'autres secteurs non stratégiques, sont organisés selon des modèles de petite propriété ou par des coopératives fonctionnant selon la logique de l'autogestion.

Les parallèles avec des modèles proches du monde ibéro-américain sont intéressants. Les modèles managérialistes d'économie mixte sont présents dans les idéaux du travaillisme et du péronisme, sans compter que le communautarisme de Thiriart (qui comporte également des éléments de représentation des entreprises en politique) est proche de la "Communauté organisée" de la ligne péroniste.

En somme, en ces 100 ans de Jean Thiriart, auguste inconnu, appelé par beaucoup "le Lénine de la révolution européenne", une révolution toujours en cours, nous devons nous souvenir du rôle fondamental du penseur authentiquement paneuropéen dans la construction de ce que nous appelons la "dissidence".

Bien qu'il ait écrit principalement pour un public européen, il n'a pas manqué de penser à l'importance du tiers monde et au fait que l'Europe ne pouvait se libérer qu'avec le soutien du tiers monde et vice versa. Voilà donc un auteur qui devrait alimenter la réflexion de tous les universitaires et militants qui rêvent de la Patria Grande ibéro-américaine.

 

mercredi, 02 mars 2022

Pino Rauti et la méthode de la politique

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Pino Rauti et la méthode de la politique

Source:  https://vendemmietardive.blogspot.com/search?updated-max=2022-02-07T23:16:00-08:00&max-results=7

Sur la crise russo-ukraino-américaine, il y a quelques jours, constatant l'habituel réflexe atlantiste de notre droite italienne, fruit d'un conditionnement perpétuellement matraqué, et constatant ensuite avec un profond découragement que, par rapport à il y a trente ans, il n'y a pas eu le moindre pas en avant, j'ai évoqué et presque invoqué le nom de Pino Rauti. Les réactions ont été de trois types : ceux qui ont exprimé les mêmes sentiments que moi, ceux qui ont critiqué ma position, en insistant sur les erreurs politiques du secrétaire du MSI, et enfin ceux qui, s'appuyant sur des sources fallacieuses, ont reproduit les accusations qu'une certaine gauche conspirationniste avait faites autrefois, en alléguant des compromis avec des pouvoirs forts et des complots plus ou moins obscurs.

La troisième perspective est de loin la plus imparfaite. Elle serait vraiment répréhensible si elle n'était que le fait de quelqu'un y croit réellement. Mais il y a là une erreur de méthode : on ne peut accepter des thèses sans examiner leur contenu polémique et les déformations dont elles font l'objet par rapport à l'inimitié politique radicale et à la haine fanatique que cette inimitié peut parfois susciter. Une fois cela fait, on peut évaluer leur incohérence réelle et les reléguer au chapitre de la psychopathologie politique, en invitant ceux qui les ont acceptés de bonne foi à ne plus tomber dans de tels pièges.

La deuxième thèse, concernant les erreurs politiques de Pino Rauti, est certainement plus grave. La longue carrière politique de l'homme politique calabrais peut faire l'objet de critiques. Il y a eu quelques mauvais choix dans les années 1960 et 1970, mais surtout, la grande occasion gâchée de prendre le secrétariat du MSI en 1990-91 a représenté un point de non-retour pour tout un milieu de militants, de dirigeants, de politiciens et d'intellectuels. Pris dans un tourbillon de tactiques pour leur propre intérêt, dans un contexte de faiblesse électorale du parti, avec des alliés prêts à prendre sa place, il a fini par commettre la plus grosse erreur de toutes, qui n'a pas été de perdre sa position de leader du parti, mais de ne laisser aucun témoignage auquel ses partisans pourraient se raccrocher dans l'avenir. D'où, par exemple, la position profondément erronée sur la guerre dans le Golfe. L'erreur était de taille, précisément parce que Rauti n'a pas réussi, à ce moment-là, à suivre le style politique qu'il avait lui-même cultivé auparavant et communiqué à son cercle de référence, préférant un coup d'échecs inutile à une action ayant un fort attrait symbolique et une profonde valeur historique et culturelle.

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Sur cette question, cependant, la possibilité même de détecter son erreur la plus évidente, il faut le reconnaître, est à mettre sur le compte de sa grandeur. Et ici, nous devons comprendre ce qu'était l'enseignement de Pino Rauti. Pour résumer, nous pouvons utiliser le titre de l'un de ses textes, Le idee che mossero il mondo (Les idées qui ont fait bouger le monde). Il a inoculé à un milieu de militants politiques le merveilleux sérum d'un idéalisme particulier. Le moteur de l'histoire réside dans l'élaboration d'une vision du monde et de la vérité capable de s'imprimer dans la réalité, entraînant d'abord les hommes puis, avec eux, les choses. Il n'y a rien de plus radicalement antithétique à la modernité et à son matérialisme général. Il y a ce qu'il a appelé une "utopie lucide" à promouvoir et à ancrer dans le temps et l'expérience de notre peuple. Nous allons ici au-delà du volontarisme idéologique qui a connu un certain succès au XXe siècle, se montrant même compatible avec les élaborations matérialistes. Ici, au contraire, nous pouvons parler de la politique comme d'une science de l'esprit. Seule une révolution intérieure, commençant par la culture d'une idéosphère historico-philosophico-scientifique, peut produire non pas tant l'accès au pouvoir d'une élite à la place d'une autre, mais un changement radical dans la direction du chemin historique de notre civilisation. Se préparer à ce grand projet, se mouvoir à l'aise dans les grandes questions du temps et du monde, et en même temps apprendre le dur métier de l'homme politique (je me réfère, bien sûr, à Weber) au service de son propre peuple dans le petit et le quotidien : c'est le style que Rauti a communiqué à son peuple, et c'est précisément cela qui l'a rendu, comme nous tous, critiquable.

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Et c'est précisément parce que nous pouvons être critiqués que nous n'avons pas peur de critiquer, surtout ceux qui sont au pouvoir. Il n'y a pas de plus grand plaisir que d'affirmer les raisons de la pensée contre ceux qui pensent avoir raison uniquement en vertu de la position de pouvoir qu'ils occupent... et de là, on avancera peut-être l'argument risible d'une éthique de la responsabilité omniprésente (bien au-delà de ce que Weber lui-même lui avait accordé). Il n'y a rien que nous ayons stigmatisé avec plus de conviction : rester au pouvoir et demander lâchement de la compréhension pour ses mécanismes "irrésistibles", raconter aux gouvernés le conte de fées de l'impuissance "irrésistible" des gouvernants et, pendant ce temps, profiter des avantages personnels de cette usurpation impuissante. Voici donc le "feu au quartier général" de l'appel d'en bas pour que les élites se lèvent, qui n'est pas une faction mais un soutien, qui n'est pas une conspiration mais un activisme révolutionnaire qui appelle les élites à leur devoir, même difficile, ne renonçant pas à offrir leur aide. On dira qu'il s'agit en soi d'une formulation idéalisée. Certes, mais c'est sans doute le style que nous avons essayé d'incarner sous la direction de Pino Rauti et dans le sillage de son expérience. Et ce style est désespérément nécessaire à la droite d'aujourd'hui, à une époque de croissance et, si vous voulez, de succès social et médiatique. Parce que la scène politique italienne et européenne est pleine de météores, de droites et de droites de gouvernement et de gouvernement aussi, mais si Giorgia Meloni veut être quelque chose de différent, elle doit puiser dans cet héritage éthique et politique, en écoutant attentivement sa sacro-sainte critique et en en tirant le meilleur parti, peut-être en partant des questions internationales les plus urgentes.

Publié par Massimo Maraviglia

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lundi, 28 février 2022

Souvenir de Giorgio Locchi, qui a pressenti le "mal américain" avant les autres

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Souvenir de Giorgio Locchi, qui a pressenti le "mal américain" avant les autres

par Antonio Pannullo

Ex : http://www.secoloditalia.it

Giorgio Locchi est décédé à Paris, où il vivait depuis les années 50, le 25 octobre 1992. Aujourd'hui, Giorgio Locchi, journaliste, essayiste et écrivain, n'est plus très connu en Italie, surtout des jeunes, mais il est l'un des penseurs qui ont eu le plus d'impact sur la communauté anticommuniste européenne (il n'aimait pas le terme "droite") à partir des années 1970. On sait peu de choses de sa vie privée, et ce que l'on sait, on le doit à la fréquentation systématique de ses "disciples" italiens, des jeunes hommes issus du mouvement missiniste (MSI) des années 1970. Ces jeunes hommes, enflammés par le feu sacré de la politique et le désir de changer ce monde, se rendent à Paris, à Saint-Cloud, où Locchi vit et gagne sa vie comme correspondant du quotidien romain Il Tempo. Parmi ces jeunes hommes, nous nous souvenons certainement de Gennaro Malgieri, Giuseppe Del Ninno, Mario Trubiano, Marco Tarchi et d'autres. Quoi qu'il en soit, bien que méconnu en Italie, Giorgio Locchi a été en quelque sorte le "père noble" des grands bouleversements culturels européens dans la mouvance de la droite (nous n'écrivons le mot "droite" que par convention), lorsque de ce néofascisme missiniste pur est née la dimension culturelle, incarnée par une Nouvelle Droite, comme on l'a appelée en fait plus tard. Cette Nouvelle Droite regardait au-delà du régime fasciste mais pensait plutôt au potentiel, partiellement mis en pratique, de cette philosophie et doctrine européiste et anti-égalitaire, bien que modernisatrice, qui aurait encore beaucoup à dire et à donner à notre civilisation quelque peu décadente (pour être généreux). Ensuite, la figure de Giorgio Locchi a été révélée en France, mais grâce aux Italiens, comme le rappelle Del Ninno. Locchi était l'un des fondateurs du G.R.E.C.E., le Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne, créé en 1968 notamment avec Alain de Benoist, un intellectuel et journaliste français bien connu, qui était avec Locchi dès le début, même si de Benoist était plus jeune.

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Giorgio Locchi a vécu à Paris pendant de nombreuses années. Il est toutefois né à Rome en 1923, sa famille avait des liens avec le monde du cinéma et du doublage, il était lui-même un ami de la famille de Sergio Leone ; il a fait ses études à l'école classique nazaréenne où, bien que totalement non-catholique, il a gardé son estime et sa gratitude pour les pères piaristes, qui ont toujours respecté sa liberté de pensée et qui lui ont toujours garanti une autonomie maximale de jugement et de critique. Il a poursuivi ses études, notamment en germanistique, musique, sciences politiques, mais surtout en civilisation indo-européenne, sujet sur lequel il nous a laissé un livre et de nombreux écrits.

Les jeunes du Fronte della Gioventù et du MSI des années 1970 et 1980 ont été littéralement foudroyés par son livre Il male americano (Lede editrice), dans lequel Locchi prédisait tout ce qui ne devait pas arriver mais qui nous arrive encore. Pour Locchi, le fait d'avoir été vaincu par une guerre dévastatrice n'annihile pas les idées qui ont conduit à cette guerre. Ils survivent sous les formes et les nuances les plus disparates. Après la création du G.R.E.C.E., que nous appellerions aujourd'hui un think tank, la Nouvelle Droite a commencé à se faire un nom non seulement en France et en Italie, mais dans toute l'Europe occidentale. Et en parlant d'Europe, Locchi voulait se rendre à Berlin à l'époque de la réunification allemande. À partir de ce moment, la signature de Locchi, qui utilisait également le pseudonyme Hans-Jürgen Nigra, a commencé à apparaître dans des magazines proches de la Nouvelle Droite, tels que Nouvelle Ecole, Eléments, Intervento, la Destra, l'Uomo libero et bien sûr notre quotidien Secolo d'Italia. Entre-temps, il a fourni de précieuses informations aux lecteurs italiens avec une superbe correspondance sur les événements en Algérie, sur les Français de 68, et aussi sur la naissance de l'existentialisme.

Comme l'a clairement écrit Gennaro Malgieri dans son admirable hommage à Giorgio Locchi (1923-1992) dans Synergies européennes en février 1993 (ndt: dans la revue Vouloir, pour être exact), les idées de Locchi étaient en fait les idées d'une Europe qui n'existe plus, mais ce n'était pas une raison pour ne pas en défendre ou en illustrer les principes. Ces idées portent sur cette Europe éternelle à laquelle l'Europe économique de notre période d'après-guerre ne ressemble en rien. Par exemple, note encore Malgieri, l'attitude de Locchi à l'égard du fascisme n'est pas une simple nostalgie ou une protestation, mais il a recueilli dans le ferment culturel de cette époque et de cette expérience toutes les idées et initiatives qui n'étaient pas et ne sont pas obsolètes. "Il nous a fait part de ses réflexions à ce sujet dans son ouvrage intitulé L'essence du fascisme (Il Tridente, 1981). Il fait référence à la vision du monde qui a inspiré le fascisme historique, mais qui n'a pas disparu avec la défaite de ce dernier. Ce livre est encore un prodigieux "discours de vérité" au sens grec du terme, qui cherche à écarter du fascisme toutes les explications fragmentaires qui sont faites actuellement et toutes les formes de diabolisation visant à générer des préjugés". Giorgio Locchi a également écrit un livre sur le "mythe surhumaniste".

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Dans son enquête, Locchi affirme qu'il n'est pas possible de comprendre le fascisme si l'on ne réalise pas qu'il est la première manifestation politique d'un phénomène spirituel plus large, dont il fait remonter les origines à la seconde moitié du XIXe siècle et qu'il appelle "surhumanisme". Les pôles de ce phénomène, qui ressemble à un énorme champ magnétique, sont Richard Wagner et Friedrich Nietzsche qui, à travers leurs œuvres, ont mélangé le nouveau principe et l'ont introduit dans la culture européenne à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Sur ce, Locchi a écrit le livre Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste (éditions Akropolis), difficile mais extrêmement lucide, qui a eu les éloges du critique musical Paolo Isotta dans les colonnes du Corriere della Sera.

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Locchi nous a laissé des livres peu nombreux mais importants. Sa vie témoigne d'un engagement cohérent, profond et crucial, qu'il serait bon d'explorer davantage aujourd'hui. Il y a quelques années, Francesco Germinario lui a consacré un livre, Tradizione, Mito e Storia (éditions Carocci), dans lequel l'auteur définit les caractéristiques de la droite radicale, en s'attardant sur ses exposants les plus significatifs. Il y a deux ans, au siège romain de Casapound, s'est tenue une conférence sur Giorgio Locchi en présence de son fils Pierluigi et d'Enzo Cipriano, également ami et disciple de Locchi depuis des années.

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Dimitri nous a quittés. Retour sur le parcours de Guy Mouminoux

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Dimitri nous a quittés. Retour sur le parcours de Guy Mouminoux

par Kristol Séhec

Source: https://www.breizh-info.com/2022/02/28/180572/dimitri-nous-a-quittes/

Décédé le 11 janvier 2022, Guy Mouminoux reste connu pour son seul roman, le récit de guerre autobiographique Le Soldat oublié (sous le pseudonyme de Guy Sajer) ainsi que pour ses bandes dessinées humoristiques ou historiques (sous le pseudonyme de Dimitri).

Guy Mouminoux est né à Paris le 13 janvier 1927. En 1916, son père, un poilu fait prisonnier à Verdun, avait rencontré sa mère pendant sa détention en Allemagne. Guy vit sa jeunesse en Alsace et est passionné par la lecture des revues de bandes dessinées humoristiques pour enfants. Il a le don du dessin et rêve d’en faire son métier. Mais en 1940, lorsque cette région est annexée par l’Allemagne, il rejoint les camps de jeunesse allemands. En 1943, comme d’autres « malgré-nous », enrôlé dans la division Grossdeutschland de la Wehrmacht, il participe, à seulement seize ans, aux combats sur le front de l’Est.

* Les bandes dessinées pour enfants.

Dans la première partie de sa carrière, sans avoir fait d’études aux Beaux-Arts, Guy Mouminoux se consacre à la bande dessinée pour enfants, l’une de ses passions de jeunesse. Fin 1946, il publie Les Aventures de Mr Minus, sa première bande dessinée humoristique. C’est le début d’une longue participation aux illustrés pour la jeunesse, d’obédience catholique (Cœurs vaillants…) ou communiste (Vaillant). Il faut se souvenir qu’en octobre 1945, alors que Cœurs vaillants est provisoirement interdit de publication le temps de contrôler s’il a « collaboré », les communistes lancent leur propre journal pour la jeunesse, Vaillant, en jouant sur la confusion des titres. A partir de 1959, il reprend dans Cœurs vaillants la série Blason d’argent, contant les aventures d’Amaury, preux chevalier combattant l’injustice. Il se fait alors un nom dans le monde de la bande dessinée.

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Guy Mouminoux participe également dans le journal Spirou aux Belles histoires de l’oncle Paul, courts récits historiques pour enfants. Au journal Spirou, il rencontre Jijé, auteur majeur de la bande dessinée chrétienne, qui devient l’un de ses meilleurs amis. Ils réaliseront ensemble, au milieu des années 1960, quelques tomes de la série Les Aventures de Jean Valhardi. En 1964, pour le magazine Pilote, il crée une série humoristique, Goutatou et Dorauchaux, imaginant que deux chats constituent l’équipage d’un remorqueur. On découvre alors son style caractéristique qu’il reproduira pour la série Le Goulag. De 1970 à 1980, il crée pour Tintin, la série humoristique Rififi, jeune moineau turbulent, chassé du nid par ses frères à cause des punitions qu’il leur attire.

* Le soldat oublié.

En 1967, Mouminoux publie Le Soldat oublié chez Robert Laffont, qui obtient en 1968 le Prix des Deux Magots. Traduit en près de 40 langues, vendu à près de trois millions d’exemplaires, ce récit autobiographique décrit sa participation aux combats au sein de l’armée allemande. On découvre que Guy est mis au service du Reich allemand, dans le cadre de l’Arbeitsdienst. Il participe au ravitaillement des troupes sur le front de l’Est. Durant l’hiver 1942, le froid est intense. Son unité n’arrive pas à rejoindre à Stalingrad la 6e armée allemande de Paulus. Elle recule de Kharkov à Kiev. Début 1943, après une permission à Berlin où il rencontre Paula, il se porte volontaire pour être incorporé dans la division Grossdeutschland. Il participe alors à la bataille de Koursk, avant de reculer jusqu’au Dniepr. Tentant de repousser l’avancée soviétique, il combat aux côtés des enfants et des vieillards du Volkssturm.  En avril 1945, il se rend aux Anglo-américains. Prisonnier de guerre, il est rapidement libéré du fait de son origine française.

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Dans ce récit, il révèle la forte camaraderie au sein de l’armée allemande. Il décrit dans le détail les conditions de vie du soldat allemand. On découvre le terrible hiver russe (−40 °C), provoquant gelures et amputations. Mais bien que Mouminoux ait pris soin de signer ce roman sous pseudonyme, Guy Sajer (d’après le nom de jeune fille de sa mère), le monde de la bande dessinée découvre la véritable identité de l’auteur, qui reste fasciné par le courage de ces soldats prêts à donner leur vie pour une cause. Dès lors, Guy Mouminoux est parfois rejeté par certaines maisons d’édition.

* Le goulag.

En 1975, Guy Mouminoux prend le pseudonyme de Dimitri. Il réalise alors sa principale série, Le goulag, qui paraît dans les magazines Hop !, fanzine, Charlie mensuel, L’Hebdo de la BD, L’Écho des savanes, L’Événement du jeudi et Magazine hebdo. Il y rencontre Wolinski, Cavanna, Cabu, Gébé, Choron… et Reiser, qui devient l’un de ses meilleurs amis. Le personnage principal du Goulag, Eugène Krampon, flegmatique ouvrier parisien émigré en Union soviétique, est interné au goulag 333 en Sibérie à la suite d’un malentendu. Il vit alors de surprenantes aventures, devenant pilote d’essai, soldat à la frontière sino-russe, champion de football… Il découvre qu’à la chute de l’empire soviétique, la Russie s’ouvre au capitalisme. Les hamburgers remplacent la bonne cuisine russe ! Mais il ne pense qu’à retrouver sa belle Loubianka. En s’adressant à un public plus adulte, Dimitri accède alors à la reconnaissance. Il expliquait que « Le Goulag, pour moi c’est la vie. Il nous entoure, nous sommes en plein dedans. On peut en pleurer mais aussi en rire. C’est un peu comme à la guerre » (Le Choc du Mois, nov. 1990, p. 54). Si Dimitri dénonce avec humour le régime communiste, il reste très attaché au peuple russe.

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Après la disparition de René Goscinny, en 1977, Mouminoux est même pressenti par Georges Dargaud, alors en conflit avec Albert Uderzo, pour poursuivre la série Astérix le Gaulois.

Durant cette période, la gauche le soupçonne d’être d’extrême-droite et la droite l’accuse de fréquenter la gauche.

* La période d’humour grinçant.

Dimitri réalise au début des années 1980 de nombreuses bandes dessinées satiriques.

Deo Gratias (1983), composée d’histoires courtes à l’humour noir grinçant, révèle le constat désespéré de Dimitri sur la civilisation moderne. Sa critique du féminisme, une femme exigeant de livrer un combat de boxe à un homme, est particulièrement féroce. Le noir et blanc lui convient très bien.

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Dans Le Meneur de chiens (1984), un homme détestant la civilisation moderne s’apprête à se suicider. Mais il découvre alors qu’il a le pouvoir de parler aux chiens. Il va mener une meute de chiens féroces à l’assaut d’humains sans défense. Il leur ordonne de les tuer et de les manger. Dans cet album impitoyable, les attaques sont si sanglantes qu’il s’agit presque d’une bande dessinée d’horreur.

Les Mange-merde (1985) décrit une société gangrenée par l’insécurité et le chômage. La révolte gronde. Un jeune chef d’entreprise est ruiné. Il croise la route d’un jeune inventeur. Ensemble, ils rentrent dans un bistrot, qualifié de « dernier refuge gaulois ». Ils vont fuir une bande de racketteurs. De nouveau, Dimitri use de son humour noir féroce pour révéler l’état de la société.

pognonsstorydimitric_35059.jpgPognon’s story (1986) est une étonnante satire socio-politique teintée d’humour grinçant. Qu’on en juge. Un homme, en vacances au bord de la mer, va tenter de gagner de l’argent en déformant son corps pour prendre l’aspect d’animaux. Puis il intègre l’équipage d’un bateau en partance pour l’Amérique centrale. Il y rencontre une aventurière nymphomane qui cherche à acheter frauduleusement des véhicules militaires au Honduras. Puis un ermite lui révèle le secret d’une pierre magique qui rend leur lucidité à ceux qui se l’accrochent aux testicules ! Mais ce pouvoir inquiète le gouvernement…

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, la bande dessinée Les Consommateurs (1987), à l’humour caustique, n’est pas une critique de la société de consommation. Un faux médecin se retrouve sans cabinet. Il accepte de se rendre au chevet d’un escroc international protégé par les services secrets. Après s’être fait piquer les fesses par une arête de barracuda ensorcelée, celui-ci se transforme en salamandre et ne peut vivre que dans une baignoire.

Dans La Grand’messe (1988), un éboueur veut changer de métier. Après un accident de voiture, il devient le sosie d’un ministre et le remplace pour déclamer des discours politiques vides de sens. Dimitri critique ici les politiciens qui méprisent leurs électeurs, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre.

L’abattoir (1989) lui vaut son éviction de chez Dargaud. Dimitri imagine qu’un homme au bout du rouleau s’enrôle dans la police. C’est l’occasion pour lui de dénoncer le lynchage d’une police désarmée et son abandon par le pouvoir judiciaire. Il affirme qu’ « on voudrait instaurer le désordre et le chaos qu’on ne s’y prendrait pas autrement » (Le Choc du Mois, nov. 1990, p. 54).

* Les récits historiques.

A partir des années 1980, Dimitri participe au grand succès de la bande dessinée historique, avec des récits particulièrement poignants. Ce sont les conditions extrêmes qui l’inspirent. Pour chacun de ces albums, Dimitri se documente très sérieusement. Il achète des maquettes pour dessiner les modèles sous tous les angles.

La Seconde Guerre mondiale reste son thème de prédilection. Son chef d’œuvre reste sans doute Kaleunt (1988). Il raconte le parcours de Heinrich Schonder, commandant de l’Unterseeboot 200, qui ne montre guère d’intérêt pour le régime national-socialiste. On prend conscience de la terrifiante vie des sous-mariniers, jusqu’à ce que ce sous-marin soit coulé le 24 juin 1943. Le dessin expressif et la colorisation sont superbes.

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L’année suivante, dans Raspoutitsa (1989), Dimitri retrace, après la bataille de Stalingrad, la captivité d’un soldat allemand. Il illustre parfaitement son désespoir, marchant dans la neige au sein de colonnes de prisonniers rejoignant les camps de Sibérie.

D’autres bandes dessinées ont pour cadre la seconde guerre mondiale. Dans D-LZ129 Hindenburg (1999), Dimitri envisage l’hypothèse qu’un complot est à l’origine de l’embrasement du dirigeable Hindenburg, lors de son atterrissage le 6 mai 1937.

Dans Kursk tourmente d’acier (2000), Dimitri décrit, avec une multitude de commentaires, le parcours d’un soldat de l’armée allemande engagé dans la bataille de Kursk, lequel va être témoin de l’atrocité de la guerre. Kamikazes (1997) décrit la psychologie d’un jeune aviateur nippon sacrifiant sa vie pour sa patrie. Dimitri montre que son sens de l’honneur est le même que celui des samouraïs.

Dans le tome 2 de Sous le feu ! (2011), Dimitri prône le sens de l’honneur d’un jeune officier nippon descendant d’une famille de samouraïs. Au cours de la bataille de Malaisie (décembre 1941), il se bat avec bravoure et respecte ses prisonniers. Mais, sanctionné par un officier supérieur, il doit maintenant surveiller des prisonniers anglais chargés de construire un pont. Malgré le sabotage du pont, il continue de défendre les prisonniers de guerre anglais. Cet esprit chevaleresque envers l’ennemi lui évitera la prison en 1945. Dans tous ces récits de guerre, Dimitri explore la conscience tourmentée du guerrier. Mais Dimitri endosse également le point de vue des alliés. Le Convoi (2001) révèle ainsi l’angoisse des marins américains, livrant des armes à l’armée russe, toujours sous la menace des bombardiers et sous-marins allemands.

A titre exceptionnel, Dimitri réalise en 2008 le scénario du tome 1 de la série Les oubliés de l’Empire. Il raconte le parcours d’Üdo Sajer, un jeune wurtembergeois de 16 ans. En 1805, fasciné par l’armée napoléonienne, celui-ci parvient à s’engager, quitte le Saint-Empire romain germanique, et suit une formation militaire. Mais dès sa première bataille, le jeune Sajer découvre l’horreur de la guerre… Dimitri semble ainsi s’amuser à imaginer son parcours s’il était né deux siècles plus tôt, remplaçant ainsi la Wehrmacht par l’armée Napoléonienne.

* La fascination pour la forêt et la mer.

Dès qu’il avait un moment de libre, Dimitri partait se promener en forêt. Il s’y réfugiait lorsqu’il était contrarié, déprimé. Il a célébré son amour pour la forêt dans la bande dessinée Hymne à la forêt (1994). A la fin du premier millénaire, un chevalier errant fuit au coeur de la forêt profonde de la Saxe. Il détient une pierre noire qui va lui donner d’étranges pouvoirs. Après bien des péripéties, il se métamorphose en un beau guerrier solaire à l’armure magique… Sorti en 2007, La Malvoisine s’inspire du Roman de Renard. Dimitri imagine les mésaventures d’un vieux sage, qui tente de faire régner l’ordre et la justice entre les humains et les animaux, et de sa voisine guerrière qui considère que l’homme doit dominer le monde animal. Pour cette histoire, il reprend le dessin animalier de sa jeunesse. Mais ces deux légendes médiévales sont cependant décevantes.

Également fasciné par la mer, Dimitri était un fidèle des fêtes maritimes internationales de Brest. Dans nombre de ses récits, il montre la dureté de la vie en pleine mer.

Meurtrier (1998) évoque la dramatique vie d’un pauvre orphelin, qui après avoir perdu ses parents à l’âge de cinq ans, est pris en charge par une sinistre institution, condamné à une peine de prison pour meurtre, puis devient fantassin pendant la première guerre mondiale. Cet album permet à Dimitri de dessiner de terrifiantes tempêtes maritimes.

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Dans Haute Mer (1993), Dimitri décrit, à l’aube de la première guerre mondiale, le parcours d’un baleinier qui va s’aventurer dans les eaux de l’arctique. Prêt à affronter tous les dangers, le commandant recherche en mer une créature mythique. Le dessin réaliste de Dimitri est si soigné qu’on a l’impression d’être immergé en haute mer.

Dans Sous le pavillon du Tsar (1995), Dimitri nous dévoile la bataille navale de Tsushima, opposant les 27 et 28 mai 1905 les forces russes du Tsar Nicolas II aux japonais. On découvre le quotidien des marins de la flotte russe ainsi que l’horreur d’une bataille navale moderne.

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Le récit de Dimitri le plus surprenant reste sans doute Le Voyage (2003) publié chez Albin Michel en 2003. Aux alentours de 330 avant J.C, le savant Pytheas, originaire de la colonie grecque de Massalia (Marseille), prend la mer pour explorer l’Europe nordique. Il passe les Colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar) et découvre le phénomène des marées, alors inconnu des Grecs. Parvenant à éviter des pirates maures, il pousse plus au nord et atteint l’Armorique et ses mégalithes. Après le pays des Pictes, il parvient à l’île de Thulé, située sur le cercle arctique. Cédant la place à l’imaginaire, Dimitri n’hésite à conter une rencontre entre Pytheas et les dieux antiques puis le peuple atlante. Relire cette bande dessinée après la mort de Dimitri reste un moment émouvant…

Dimitri se définissait comme un européen, ne se sentant en Europe nulle part dépaysé (Le Choc du Mois, fév. 1989, p. 68). Il paraissait très calme, aux manières policées. Mais sa vie restait marquée par son expérience de combattant pendant la seconde guerre mondiale. Il s’exprimait ainsi : « Il m’arrive encore de sauter du lit la nuit. Les trente mois que j’ai passé dans l’armée représentent pour moi 75 % de mon expérience vitale. Le reste de mon existence me semble, en comparaison, si aimable, si facile… Et c’est peut-être monstrueux à dire, mais cette période atroce de ma vie constitue, en même temps, toute ma richesse. Quoi que je fasse, quoi que je cherche comme source d’inspiration, je tombe invariablement là-dessus » (Vécu, juin 2000, p. 85).

Sur le plan artistique, Dimitri avait appris son métier sur le tas. Auteur complet, il réalisait le scénario et le dessin. C’est peut-être la raison pour laquelle son dessin rond, au trait de pinceau nourri, racé et viril, était si caractéristique. Il dessinait avec ses tripes. On retrouvait toujours dans ses bandes dessinées l’idée dramatique qu’on n’échappe pas à son destin. Mais cette idée était souvent portée avec humour.

Conseils de lecture (parmi les œuvres encore éditées) :

Le soldat oublié, 784 pages, 12 euros, Tempus Perrin.

Récits de guerre t. 1 (Sous le pavillon du Tsar, Kamikazes, Meurtrier), 144 pages, 16 euros, Glénat.

Le Voyage, 56 pages, 12,75 euros. Albin Michel BD.

Kristol Séhec


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mercredi, 23 février 2022

Harald Neubauer

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À la mémoire de l'académicien Igor Rostislavovich Shafarevich

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À la mémoire de l'académicien Igor Rostislavovich Shafarevich (Chafarevitch)


par Arkady Minakov

Source: https://www.geopolitica.ru/article/pamyati-akademika-igorya-rostislavovicha-shafarevicha

Le 19 février 2022, cela fera cinq ans qu'Igor Rostislavovitch Shafarevich est décédé. Il était sans aucun doute l'une des figures clés de la société russe du dernier tiers du XXe siècle et du début du XXIe siècle.

 On ne peut pas dire que son nom soit peu connu de nos jours, mais peu de choses sont dites et écrites à son sujet dans l'espace public. Il y a de très bonnes raisons politiques à cela, pour lesquelles la figure de Shafarevich dans les années 1980 a été négativement mythifiée et tabouisée dans les médias libéraux.

Shafarevich est né le 3 juin 1923 à Zhytomyr. Son père, Rostislav Stepanovich, est diplômé du département de physique et de mathématiques de l'université d'État de Moscou et a travaillé comme professeur de mécanique théorique. Shafarevich se souvient : "L'origine de mon père n'est pas très claire. C'est-à-dire qu'il est lui-même originaire de Zhytomyr, mais d'où viennent ses parents - pas très clair pour moi. La racine "Shafar" elle-même figure dans le dictionnaire des racines slaves du Sud ou slaves de l'Ouest. J'ai rencontré un tel nom de famille dans des références à un auteur polonais, et on le trouve également en Serbie. Selon les rumeurs familiales, mon grand-père venait de Serbie. Cette conclusion est tirée d'abord du fait qu'il était orthodoxe (il était sacristain dans une église), et ensuite qu'il venait de l'Ouest : il parlait russe avec un accent. Et quel autre Occident orthodoxe y a-il? ...".

Sa mère, Yulia Yakovlevna, philologue de formation, ne travaillait pas la plupart du temps. Son père était le directeur de la succursale de la ville d'une banque d'État. Shafarevich se souvient : "C'était une occupation très dangereuse, car les premières troupes qui arrivaient prenaient tout l'or, et les suivantes exigeaient qu'il le donne. Plusieurs fois, il a été emmené au peloton d'exécution".

Certaines des terribles réalités des années post-révolutionnaires se sont fermement ancrées dans l'esprit du garçon : "... j'ai assisté à la tragédie de la paysannerie russe. Mes parents louaient la moitié d'une cabane de paysans en été au lieu d'une datcha (et les paysans déménageaient dans l'autre moitié). Elle se trouvait non loin de la ville actuelle de Pushkino. Le village s'appelait Kuronovo. Il n'existe plus - le terrain sur lequel il se trouvait a été inondé par le réservoir. Je me souviens que des choses étranges se sont produites lors de la construction du réservoir. Pendant la journée, mes amis et moi jouions aux raiders cosaques sur la rive, en nous cachant dans les buissons, et le soir, des personnes qui me semblaient énormes, à moi, un enfant, en raison de la différence de taille, ont été conduites dans les buissons. Des chiens aboyeurs les gardaient. Je n'ai pas communiqué avec eux, j'ai juste vu cette image d'une masse sombre s'étendant devant notre maison".

Les parents de Shafarevich lui ont donné une excellente éducation, il connaissait plusieurs langues et était extrêmement cultivé pour son âge.  Déjà dans sa maturité, il a dressé une liste de vingt livres, qui lui ont fait "la plus grande impression". Parmi eux figuraient les byliny russes, les contes d'Afanasiev, des frères Grimm, Le Prométhée enchaîné et les Euménides d'Eschyle, l'Histoire d'Hérodote, le Faust de Goethe, Pouchkine et Dostoïevski. Ces livres lui ont très probablement été lus lorsqu'il était enfant.

Le cercle de lecture de Shafarevich s'est considérablement enrichi d'ouvrages de fiction moderne, d'ouvrages historiques, philologiques et philosophiques : des livres de Soljenitsyne (Un jour dans la vie d'Ivan Denisovitch, Le Pavillon des cancéreux, L'Archipel GULAG), des "rednecks" de V.I. Belov ("Kanun") et autres. I. Belov ("Eve"), V. G. Raspoutine ("Adieu à la mère"), études de la mythologie, de la littérature et de la culture russes anciennes, ouvrages sur l'histoire de la société occidentale et russe. Une place spéciale dans cette liste a occupé les livres des penseurs conservateurs russes I.A. Ilyin "Sur la monarchie et la république" et "Nos tâches" ; I.L. Solonevich "Narodnaya Monarchiya", L.A. Tikhomirov "L'État monarchique".

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À l'école, Shafarevich a développé un intérêt très profond pour l'histoire (il avait même l'intention de devenir historien, mais a ensuite considéré à juste titre que dans l'URSS extrêmement idéologisée, l'étude professionnelle de l'histoire entraînerait un coût moral et intellectuel trop important). Finalement, il a opté pour les mathématiques.

Dès l'âge de treize ans, il suit le programme scolaire en mathématiques, puis le programme de la faculté de mécanique et de mathématiques de l'université d'État de Moscou, où il passe ses examens externes. En huitième année, le jeune homme phénoménalement doué a suscité l'intérêt des professeurs du MGU (B. K. Delaunay), et en neuvième année, Igor Shafarevich a commencé des travaux de recherche en algèbre et en théorie des nombres. Après avoir quitté l'école, il est accepté en dernière année de la faculté de mécanique et de mathématiques et obtient son diplôme en 1940, à l'âge de 17 ans. Shafarevich a soutenu sa thèse de doctorat à l'âge de 19 ans et sa thèse de doctorat à l'âge de 23 ans. Il a rejoint la faculté du département de mécanique et de mathématiques de l'Université d'État de Moscou en 1944, et à partir de 1946, il a intégré le personnel de l'Institut mathématique Steklov (MIAN). Il a supervisé la soutenance de plus de trois douzaines de thèses de doctorat. En 1958, Shafarevich a été élu membre correspondant de l'Académie des sciences de l'URSS et en 1991, il a été élu membre de l'Académie des sciences de Russie. Il a reçu le prix Lénine en 1959 pour la découverte de la loi générale de réciprocité et pour avoir résolu le problème inverse de la théorie de Galois. Les principaux travaux de Shafarevich portaient sur l'algèbre, la théorie des nombres et la géométrie algébrique. Il était l'un des mathématiciens les plus connus de notre époque, et membre des principales académies et centres scientifiques étrangers.

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Shafarevich percevait les mathématiques comme "une belle symphonie se poursuivant sans fin", et l'opportunité de s'y évader du monde des dictats idéologiques, son "sens et sa beauté l'ont amené à réaliser le but religieux de la connaissance du monde". Lors d'une conférence prononcée à l'occasion de la remise du prix Heinemann en 1973 à l'Académie de Göttingen, Shafarevich a particulièrement insisté sur la relation entre la religion et les mathématiques, accordant une nette priorité à la religion : "Ce n'est pas la sphère la plus basse en comparaison, mais la plus haute de l'activité humaine - la religion - qui peut donner un but aux mathématiques. <...> Les mathématiques ont été formées en tant que science au 6e siècle avant J.-C. dans l'union religieuse des Pythagoriciens et faisaient partie de leur religion. Les mathématiques avaient un objectif clair : c'était un moyen de fusionner avec le divin en comprenant l'harmonie du monde exprimée dans l'harmonie des nombres. <...> Je voudrais exprimer l'espoir que, pour la même raison, il peut maintenant servir de modèle pour la solution du principal problème de notre époque : trouver un but religieux plus élevé et le sens de l'activité culturelle de l'humanité.

En l'absence d'un objectif religieux supérieur, toute l'activité scientifique de l'humanité ne mène qu'à la destruction globale.

Cependant, ce ne sont pas seulement ses succès en mathématiques qui ont rendu Shafarevich célèbre dans le pays et dans le monde. En tant que mathématicien, il reste connu d'un cercle relativement restreint de professionnels. Son activité sociale et politique dans le cadre du mouvement dissident, qui a vu le jour en URSS à cette époque, lui a apporté une notoriété incommensurable. Dès 1955, il a signé la "Lettre des trois cents" adressée au Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique en solidarité avec la protestation des biologistes contre Lyssenko. En 1968, il a signé une lettre collective pour défendre le militant dissident des droits de l'homme A.S. Yesenin-Volpin, qui était emprisonné dans un hôpital psychiatrique. Et dès la fin des années 1960, Shafarevich devient l'un des leaders du mouvement dissident, rejoignant le "Comité des droits de l'homme en URSS" organisé par A.D. Sakharov, créé fin 1970, où il fait de la protection des droits des croyants l'un des thèmes principaux. Shafarevich occupait une position particulière au sein du Comité : "J'étais membre du Comité, mais j'étais irrité par le manque de direction dans ses activités. Il me semblait inutile d'étudier la situation des droits de l'homme en URSS, et non de se battre pour eux. J'ai rédigé un rapport sur l'état des religions en URSS. En préparant le rapport, j'ai souligné que la persécution anti-religieuse se produit dans tous les pays socialistes, sans exception. Partout où le socialisme s'est manifesté, que ce soit en Albanie, en Chine, partout les mêmes événements ont eu lieu : persécution de toute confession existante, persécution des croyants, quelle que soit leur croyance. Cela m'a fait réfléchir à la nature du socialisme lui-même.

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Shafarevich a exposé sa vision du socialisme, remarquable par la profondeur et la clarté de sa compréhension, dans un court article intitulé "Socialisme", publié dans la collection "De sous les rochers", conçue par lui et A.I. Solzhenitsyne comme une sorte de continuation des célèbres collections "Jalons" et "De profondeur".  Shafarevich a présenté le socialisme comme une conséquence des grandes crises vécues à plusieurs reprises par l'humanité. Le socialisme en tant que théorie et pratique est une manifestation du désir d'autodestruction de l'humanité, du Néant ; il est hostile à l'individualité, relègue l'homme au niveau des détails d'un organisme étatique et cherche à détruire les forces qui soutiennent et renforcent la personne humaine : la religion, la culture, la famille, la propriété individuelle.

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Immédiatement après l'arrestation et la déportation hors d'URSS de son co-auteur Soljenitsyne en février 1974, Shafarevich a écrit des lettres ouvertes pour défendre l'écrivain. Il a été renvoyé de l'université d'État de Moscou en 1975 et n'y a plus enseigné depuis. Cependant, il n'a pas été touché par de graves représailles à cette époque. La situation s'est aggravée lorsqu'en 1982, il a laissé le manuscrit de son essai "Russophobie", écrit en 1980, partir en "samizadat" : "Les vrais problèmes ont commencé lorsque j'ai écrit 'Russophobie'. ...  J'ai écrit de nombreux ouvrages, mais c'est celui-là qui est vraiment célèbre. L'homme de la rue, si vous lui demandez qui est Shafarevich, serait capable d'associer mon nom exclusivement à cette œuvre.

Shafarevich lui-même pense que la principale chose qu'il a faite dans cet essai a été de généraliser le concept de "petites gens", qui a été introduit pour la première fois par l'historien français Augustin Cochin, qui a analysé la situation des cercles intellectuels en France avant la révolution de 1789 : "Cochin a décrit comment les "salons" français ont préparé la révolution. Elle a été réalisée par des personnes unies par un sentiment commun, à savoir le mépris et la haine de leur propre pays et de leur culture. Ils niaient toutes ses réalisations, considéraient la France et les Français comme quelque chose de peu de valeur par rapport à d'autres nations qui, selon eux, avaient remporté de grands succès, et insistaient sur le fait que seul un renversement radical dans tous les domaines de la vie ferait de la France "une partie de l'humanité éclairée". Les conséquences de leurs activités étaient terribles."

Shafarevich a suggéré qu'un tel phénomène - une "petite nation" - apparaît en période de crise majeure dans n'importe quel pays, qu'il s'agit d'une sorte de phénomène mondial. En tant que "petit peuple", Shafarevich voyait les sectes calvinistes protestantes en Angleterre pendant la Révolution anglaise du XVIIe siècle, les "illuminati" et les "encyclopédistes" en France à la veille de 1789, les "Hégéliens de gauche" en Allemagne, qui ont ouvert la voie à l'émergence du marxisme et de l'anarchisme, les nihilistes russes des années 1860 et 70... Ce sont ces minorités religieuses et idéologiques qui ont formé le noyau de la "contre-élite" et ont été la cause et le moteur de tous les grands cataclysmes sociaux qui se sont abattus sur les pays susmentionnés.

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Le "petit peuple", dans l'interprétation de Shafarevich, n'est pas un courant national à proprement parler, car il pourrait inclure des représentants de différentes ethnies et nationalités. Cependant, à la veille des révolutions de 1905-1907 et de 1917 en Russie, ainsi que plus tard en URSS dans les années 1970 et 1980, "un certain courant de nationalisme juif" a joué un rôle majeur dans le "petit peuple".

C'est cette disposition qui a provoqué un grave conflit dans le mouvement social de l'époque, car dans la perception du camp dissident-libéral, elle permettait d'interpréter la "russophobie" comme un vulgaire pamphlet antisémite.

Au même moment, le KGB, alors dirigé par Yuri Andropov, a commencé à répandre des rumeurs sur l'arrestation possible du scientifique.  Le début des années 1980 a été marqué par les arrestations et la persécution d'un certain nombre de membres du "Parti russe" de l'époque. Shafarevich se souvient de cette époque comme suit :

"Un document sur ce sujet est maintenant connu - la lettre d'Andropov au Politburo...  Andropov y parle de certains "Russes" dangereux, qui sont apparus à la place de défenseurs des droits de l'homme vaincus. C'est à ce moment-là que la chasse aux personnes d'"obédience russe" a commencé. Ainsi, en 1982, L.I. Borodin a été arrêté. D'ailleurs, alors que l'enquête était déjà terminée, on lui a dit : "Votre sort est scellé. Voulez-vous savoir qui sera le prochain ? Shafarevich." Il a raconté cela à l'avocat, ce dernier à sa femme, sa femme à moi".

Néanmoins, Shafarevich n'a pas été arrêté, bien que la réaction à ce livre La russophobie soit encore tangible : sa femme a été suspendue de son enseignement à l'Institut d'ingénierie et de physique, et son fils n'a pas été admis au département de physique de l'Université d'État de Moscou.

Le conflit s'est particulièrement intensifié après la publication de l'essai en 1989 dans le journal "pseudo-romantique" Nash sovremennik.  Des lettres collectives de protestation signées par Y. N. Afanas'ev, A. D. Sakharov, D. S. Likhachev, des mathématiciens américains, etc. se sont coalisés contre Shafarevich. En 1992, l'Académie nationale des sciences des États-Unis a appelé Shafarevich à refuser volontairement de devenir membre de l'Académie, car il n'existe aucune procédure d'expulsion de l'Académie (en 2003, Shafarevich l'a lui-même quittée en signe de protestation contre l'agression américaine contre l'Irak).

À partir de la fin des années 1980, Shafarevich a participé sporadiquement aux initiatives politiques et culturelles du mouvement national-patriotique alors naissant : on connaît sa participation symbolique à des organisations telles que l'Union nationale russe, l'Assemblée du peuple russe, le Front du salut national, le Parti démocratique constitutionnel-Parti de la liberté du peuple et le Centre panrusse de la droite nationale. Il a également contribué pendant un certain temps à des publications telles que le journal Den et le magazine Nash sovremennik.

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Cependant, dans les années 1990 et au cours de la première décennie des années 2000, Shafarevich a joué son principal rôle public non pas en tant qu'homme politique, ce qu'il n'a jamais été, mais en tant qu'auteur d'interviews, d'articles et de livres, sans lesquels l'autodéfinition idéologique d'une partie du mouvement national conservateur moderne n'aurait pas été possible. Parmi eux, l'article "Deux routes vers un même précipice" mérite une mention spéciale, dans lequel le socialisme et le capitalisme sont considérés comme les hypostases d'une seule et même civilisation, dans laquelle tout ce qui est organique et naturel est étranger, tout est remplacé par un mécanisme complètement artificiel, où le rythme de travail et le style de vie sont subordonnés à la technologie, où tout est standardisé et unifié : la langue, les vêtements, les bâtiments.

Une telle civilisation est exceptionnellement productive à certains égards, comme sa capacité à nourrir sa population, à générer de l'énergie, à produire des armes de destruction massive, à contrôler et à manipuler la conscience de masse, etc. Mais cette civilisation, qui détruit activement la nature et supprime tous les aspects organiques et traditionnels de la vie, porte les germes de sa propre disparition, réduisant l'homme au plus bas niveau, celui de son essence animale. Cela doit inévitablement conduire à une crise spirituelle, démographique et écologique mondiale. La différence entre le mode de "progrès" occidental et le socialisme est que le premier est plus "doux" et repose davantage sur la manipulation de la conscience de masse, tandis que le second s'appuie incomparablement plus sur la violence directe et la coercition.  Shafarevich a essentiellement appelé à la recherche d'une "troisième voie" qui mobiliserait l'expérience de toutes les formes de vie plus organiques pour surmonter la crise menant à la disparition de l'humanité.

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La dernière œuvre majeure de Shafarevich est le traité "L'énigme des trois mille ans", consacré à la question juive, qu'il a écrit pendant vingt-cinq ans (c'est-à-dire depuis 1977).  

L'idéologie de la "troisième voie", partagée par presque tous les courants conservateurs en Russie, a été développée en son cœur dans les écrits de Shafarevich, à commencer par son article programme "Deux routes vers un précipice" (1989). Le terme "russophobie", l'un des premiers utilisés par F.I. Tyutchev, a pris racine grâce à Shafarevich, d'abord dans le discours national-patriotique, et depuis environ 2014, il est fermement ancré dans la rhétorique officielle.

Shafarevich est décédé le 19 février 2017 et a été enterré au cimetière de Troekurovsky. En dépit de sa renommée nationale et internationale et de son prestige extrêmement élevé dans le milieu patriotique, dont certains avaient à cette époque réussi à s'engager de manière constructive avec l'establishment, il n'y a pas eu de condoléances de la part des autorités suprêmes, ni de reportages sur sa mort sur les chaînes de télévision centrales.

Principaux travaux de I.R. Shafarevich :

Shafarevich I. R. Socialism / I. R. Shafarevich // From under the boulders : a collection of articles. - M. : Paris : YMCA-PRESS, 1974. - С. 29-72.

Shafarevich I. R. Russophobia / I. R. Shafarevich. Œuvres complètes : en 6 vol. - Moscou : Institut de la civilisation russe, 2014. - VOL. 2 - P. 273-395.

Shafarevich I. R. Two roads to one precipice / I. R. Shafarevich. Collection complète des œuvres : en 6 volumes. - Moscou : Institut de la civilisation russe, 2014. - VOL. 2. - P. 3-54.

samedi, 12 février 2022

Günter Maschke est mort - Nécrologie pour mon ami !

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2003: Günter Maschke à Francfort lors d'un colloque sur le philosohe Adorno.

Günter Maschke est mort - Nécrologie pour mon ami !

par Werner Olles

Source: https://wir-selbst.com/2022/02/12/gunter-maschke-ist-tot-nachruf-auf-einen-freund/

Il y a quelques personnes dont l'existence même donne réconfort. C'est le cas de mon cher ami Günter Maschke, qui est décédé de manière inattendue le 7 février, trois semaines seulement après son 79e anniversaire. Une semaine plus tôt, nous nous étions encore parlés au téléphone, il était de bonne humeur, travaillait à son petit livre d'anecdotes sur Carl Schmitt et se réjouissait de l'arrivée du printemps, car nous pourrions alors à nouveau manger ensemble au restaurant italien. Et puis mercredi, j'ai vu sa photo sur le blog "acta diurna" de Michael Klonovsky et j'ai lu la nouvelle de sa mort, je n'ai d'abord pas voulu y croire et je n'arrive toujours pas à y croire aujourd'hui.

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Nous nous sommes rencontrés au milieu des années 1980, alors qu'Alain de Benoist devait parler de la "Nouvelle Droite" dans une maison privée quelque part dans le Taunus. Lorsque nous sommes arrivés, il y avait là quatre ou cinq personnages que j'ai reconnus comme étant des membres du Kommunistischer Bund (KB) - avec lequel j'avais encore sympathisé dix ans auparavant -, ce qui a conduit l'organisateur, un avocat de Francfort, à annuler la rencontre. Maschke a écumé de rage et a écrit à ce monsieur une lettre amère dont la teneur était la suivante : "Si nous nous dégonflons déjà devant une telle bande d'hirsutes du KB, comment allons-nous arriver un jour au pouvoir ?". En tant qu'ancien radical de gauche, cela m'a touché au cœur, et lorsque nous nous sommes découverts de nombreux points communs, il avait par exemple appris le métier d'assureur comme moi, avait été membre du SDS, puis du SPD, mais avait renoncé au communisme après son asile sur l'île de Cuba, tandis que chez moi, quelques années plus tard, la triste réalité de la gauche, dans le propre cadre des mes fréquentations, a suffi à détruire mes utopies socialistes.

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Deux productions du plus haut intérêt de la maison "Edition Maschke".

Nous nous sommes ensuite rencontrés plus souvent, nous sommes allés manger ensemble ou allés siroter quelques breuvages au café, et il était toujours présent lors des réunions mensuelles à la "Nibelungenschänke", auxquelles participaient également Martin Mosebach, Lorenz Jäger, l'artiste de cabaret Matthias Beltz, Gerd Koenen, Claus Wolfschlag, "notre" député de l'époque au Römer (le parlement de la ville de Francfort, ndt) Wolfgang Hübner, Eckhard Henscheid, Götz Kubitschek et Ellen Kositza. Cela s'est encore intensifié après le décès de sa chère Sigrid il y a six ans, dont il s'est occupé avec dévouement jusqu'à la fin. C'est alors que s'est révélée une facette que beaucoup ne soupçonnaient pas chez un homme qui, en tant que professeur invité à l'Académie de la marine de guerre de La Punta au Pérou, enseignait à ses élèves officiers la théorie de la lutte contre les partisans de son propre maître Carl Schmitt et qui avait lui-même participé à deux campagnes contre les terroristes du Sentier lumineux ("Sendero Luminoso"). De ces campagnes, il nous est parvenu une anecdote savoureuse qui mérite d'être retenue : Lors d'une fusillade à Ayacucho, l'armée fut bombardée de grenades de mortier par le Sendero, et alors que la place du marché de la petite ville était jonchée de débris et de cadavres, Maschke découvrit dans la vitrine d'une librairie, curieusement restée à peu près intacte - le libraire s'était sagement éclipsé - un livre de son ennemi préféré Jürgen Habermas "Théorie de la communication sans domination". Ses camarades ne furent pas étonnés de le voir ensuite éclater de rire malgré le carnage qui l'entourait. Dans son magnifique livre "La parole armée", il décrit d'ailleurs dans un essai du même nom l'ascension du "Sendero", une lecture qui coupe le souffle.

Günter Maschke est né le 15 janvier 1943 à Erfurt. Son père biologique étant mort pendant les dernières années de la guerre, il a été adopté par un monsieur Maschke, un fabricant de tricots de la classe moyenne. Son père adoptif, un Stresemannien politique qu'il aimait beaucoup, déménagea avec sa famille et son entreprise à Trèves à la fin de la guerre. C'est là que le jeune Günter grandit dans une Allemagne d'après-guerre marquée par la France, obtint son certificat d'études secondaires (Mittlere Reife), puis son baccalauréat (Begabtenabit) des années plus tard dans le Bade-Wurtemberg, et adhéra aussitôt à l'Union allemande pour la paix (Deutsche Friedensunion, DFU), une organisation de façade du KPD interdit, financée par la RDA, ce qui fit sensation dans la ville catholique de Trèves et provoqua des tumultes et lui valu des insultes, ce qui lui plut beaucoup. Il était logique qu'il rejoigne également le KPD illégal peu de temps après.

Avec Rudi Dutschke, Frank Böckelmann, Herbert Nagel et Dieter Kunzelmann, il était actif dans la "Subversive Aktion", puis plus tard dans le SDS. Il a déserté l'armée allemande, mais pas pour des raisons pacifistes, s'est réfugié en Autriche où il fut connu sous le nom de "Dutschke de Vienne". Lorsque la police a voulu l'expulser vers l'Allemagne, l'ambassadeur cubain lui a offert l'asile. Pendant les deux années qu'il passa sur l'île à sucre, Maschke découvrit le côté obscur du communisme, une économie moribonde, la faim et une répression excessive, le système des mouchards, la mentalité habituelle de l'Amérique latine qui consiste à ne rien faire, et le "petit protégé" de Castro devint avec le temps un opposant grâce à son amitié avec le dissident et poète Heberto Padilla. Lorsque le régime l'accusa de "conspiration", même le Lider Maximo - qu'il vénérait malgré tout parce que Castro avait tenu tête au principal ennemi de l'Amérique latine, les États-Unis - ne put plus le protéger : la police militaire cubaine est venue le chercher, a glissé un bon cigare dans la poche de sa chemise à l'aéroport et l'a mis dans l'avion. En Allemagne, un an de prison l'attendait à Landsberg. Pendant cette période, qu'il ne regretta jamais, il mit sur pied la bibliothèque de la prison et fit ce qu'il aimait le plus : lire.

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En haut, Maschke à son retour de Cuba. En bas, Maschke attend son procès qui le conduira à purger treize mois de prison à Landsberg en Bavière.

Il serait trop long d'énumérer toutes les étapes de sa vie aventureuse. Jusqu'à la mort de Carl Schmitt en 1985, il a travaillé comme pigiste permanent pour la FAZ. Sa nécrologie de Schmitt, qui venait de mourir, incita Dolf Sternberger à écrire un contre-article et Maschke à démissionner de son poste à la FAZ. Maschke fonda sa propre maison d'édition, "Edition Maschke", donna des conférences, surtout à l'étranger, en Espagne, en France, en Colombie, écrivit de magnifiques essais, commenta et traduisit les œuvres de Juan Donoso Cortés - il suffit de lire son essai "La dictature légale du général Narváez et Donoso Cortés (1847/51)" - et devint à Francfort-sur-le-Main le point focal où convergeaient de jeunes intellectuels de droite, surtout des admirateurs étrangers de Schmitt, auxquels il offrait en quelque sorte des cours privés. Il donna d'innombrables interviews sur Carl Schmitt, le droit international, la constitution de la République fédérale d'Allemagne qui n'existe toujours pas - sa première interview dans le JF "Die Verfassung ist unser Gefängnis" (la constitution est notre prison) est légendaire - et cultiva son existence d'érudit privé, traité avec un soin relatif, même par la très controversée plateforme Wikipedia.

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En principe, tout ce qu'il a couché sur le papier mérite d'être lu, mais surtout Das bewaffnete Wort (La parole armée) avec les essais "Sterbender Konservativismus und Wiedergeburt der Nation" (Conservatisme mourant et renaissance de la nation), dans lequel il recommandait aux conservateurs de s'abolir en tant que tels pour renaître en tant que nationaux-révolutionnaires, "Die Verschwörung der Flakhelfer" (La conspiration des aides de camp), qu'il faut avoir lu pour comprendre un tant soit peu le rôle étrange et l'image de soi de la République fédérale et "Die schöne Geste des Untergangs" sur l'écrivain fasciste et décadent Pierre Drieu la Rochelle, un essai que - on a peine à le croire - la FAZ osait encore publier en 1980. Si vous souhaitez également connaître des informations personnelles sur lui ou ce qu'il pense de la soi-disant "nouvelle droite", vous pouvez vous reporter au livre d'entretiens de 200 pages intitulé Verräter schlafen nicht (Les traîtres ne dorment pas). Celui qui veut savoir pourquoi il a mis fin à sa carrière à la FAZ cinq ans plus tard, malgré l'intercession de Joachim Fest, lira Der Tod des Carl Schmitt et la partie qu'il contient "Sankt Jürgen und der triumphierende Drache - Anläßlich Habermas' neueste Angriff auf Carl Schmitt". Il comprendra alors pourquoi - comme aimait à le dire Maschkino - cela ne vaut pas la peine de se pencher sur les théories de Habermas qui, selon les mots de Maschke, "sont réfutées tous les soirs aux informations". Et ce, bien que ce dernier l'ait tout de même qualifié de "seul véritable renégat du mouvement soixante-huitard". C'est pourquoi Maschke réitère : "Que sont cent pages de Habermas face à une page de Hobbes ou de Gehlen ?"

"Pour Werner Olles -in hoffnungsschwacher, doch heiterer Verbundenheit", c'est en ces termes qu'il m'a dédicacé le dernier livre cité, "Das bewaffnete Wort", avec la dédicace "Die Garde stirbt, aber sie ergibt sich nicht! " Maintenant, il est parti, notre esprit le plus brillant, le plus intelligent et en même temps le plus attachant, mais nous ne nous rendrons pas tant que nous serons en vie. Mais en même temps, sa mort marque la fin d'une époque, non seulement pour moi et tous ses amis personnels, mais aussi pour toute la Nouvelle Droite intellectuelle, dont il a toujours accompagné l'action avec un intérêt vigilant et une solidarité critique.

Maschkino, mon cher et fidèle ami, tu me manques, tu nous manques à tous, et tu me manques déjà, ton humour si merveilleusement particulier, ton rire tonitruant, ta noblesse et ta jovialité, l'absence totale de prétention - même pour le mendiant assis avec son gobelet en carton devant Rewe, tu avais quelques mots aimables et surtout toujours quelques euros sous la main - ah, je ne sais pas par où commencer ni par où m'arrêter. Si tu ne te sentais pas très bien, ce qui était dû au "Général Zucker" (= le diabète, ndt), il t'arrivait d'être un peu rude et de me crier que mes articles n'étaient pas non plus "si géniaux" et que je devais "modérer" mes "accès de colère" et de "haine" dans mon "discernement", pour me serrer dans tes bras quelques minutes plus tard. Il reste les souvenirs de nos repas communs chez Pino et chez Apulia, de nos discussions et de nos promenades à Rödelheim, où tu rencontrais une connaissance tous les dix mètres, de l'admiration dont tu jouissais en tant que "le Professore" chez nos deux Italiens préférés, alors que j'étais "le Teemann" (Monsieur-le-thé), car je ne buvais jamais que du thé vert.

À la question "Croyez-vous en Dieu ?", tu as répondu un jour dans une interview : "Pas toujours, mais souvent !" Pour un agnostique confirmé, qui était protestant dans sa jeunesse, qui a qualifié le Vatican II de l'Église catholique de "suicide", c'est beaucoup. Lors d'une conversation sur Dieu que nous avons eue un jour après un bon repas méditerranéen, tu as insisté sur le fait que tu irais plutôt en enfer. Je n'étais pas d'accord et finalement, je n'ai rien trouvé d'autre à dire que "d'accord, mais alors je viendrai te voir de temps en temps". Tu as eu une crise de rire et tu as immédiatement parlé de mon projet à tous les invités avec enthousiasme. Ce genre d'expérience reste à jamais gravé dans ma mémoire.

Mon bon Mashkino, je te remercie pour ta fidèle amitié et pour les moments uniques que nous avons passés ensemble et que je n'oublierai jamais. Un jour viendra où nous nous reverrons, peu importe où, mais je pense que ce sera plutôt là-haut. D'ici là, je suis avec toi en pensée !

Ton ami Werner Olles.

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vendredi, 11 février 2022

Günter Maschke (1943 - 2022): hommages de ses amis !

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Sur cette photo, voir note.

Günter Maschke (1943 - 2022): hommages de ses amis !

Témoignages de Peter Weiss, Michael Klonovsky, Martin Mosebach, Thor von Waldstein, Frank Böckelmann

Günter Maschke, né en 1943 à Erfurt, a grandi à Trèves. Il a été l'un des protagonistes de la révolte étudiante allemande des années 1960, principalement à Vienne, où il a organisé l'opposition extraparlementaire à partir de 1967. En 1967-69, il a obtenu l'asile politique à Cuba, puis a été arrêté et expulsé pour activité contre-révolutionnaire en raison de son parti pris pour Heberto Padilla.

Depuis, cet érudit sans chaire a travaillé pendant de longues années pour la rubrique "Feuilleton" du Frankfurter Allgemeine Zeitung, en tant qu'écrivain indépendant, essayiste et traducteur. Maschke, qui a "détourné sa libido de Fidel Castro vers Carl Schmitt", le "seul renégat de la génération 68" (Jürgen Habermas), est un écrivain brillant et est toujours resté attaché à la relation entre le mot et l'acte révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. Outre Carl Schmitt, il s'intéressait particulièrement à Leo Kofler, Ernst Bloch, Donoso Cortés et Joseph de Maistre et a largement contribué au programme de la maison d'édition Karolinger.

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Peter Weiss, à droite, avec le spécialiste suisse des questions militaires, Jean-Jacques Langendorf.

Peter Weiß, KAROLINGER Verlag

Nous nous étions rencontrés en 1982. Le contact avec Jean-Jacques et Cornelia Langendorf à la Foire du livre de Francfort a été rapidement suivi d'une visite à Vienne, en compagnie de son épouse Sigrid, où nous avons jeté les bases d'une longue amitié en discutant et en buvant abondamment. Il fut bientôt très impliqué dans la maison d'édition, dont il devint un associé au sens immatériel du terme. Avec Langendorf, il fonda la "Bibliothèque de la réaction", où il édita entre autres de Maistre, Donoso Cortés, Romieu, Constantin Frantz, Lasaulx, traduisit avec le soutien de Martin Mosebach les Escolios Sucesivos de Gómez Dávila et publia ses propres livres Der Tod des Carl Schmitt et Das bewaffnete Wort. Il nous convenait et convenait à la maison d'édition, dans laquelle l'intérêt personnel a toujours prévalu sur les perspectives du marché, ce qui se reflète également dans notre développement économique.

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La fierté de Maschke venait aussi de sa sensibilité, qui lui faisait parfois monter les larmes aux yeux : "On utilise volontiers mes travaux, mais on ne les cite jamais". Il a sacrifié deux fois sa carrière économique à Carl Schmitt : lorsqu'il a publié l'essai de Schmitt sur le Léviathan dans sa propre maison, Edition Maschke, et lorsqu'il rédigea sa nécrologie de Schmitt dans le F.A.Z., où il était un collaborateur libre mais permanent. Quelque temps plus tard, sur notre stand à la foire du livre, l'éditeur Joachim Fest lui avait demandé de collaborer à nouveau au journal. Maschke lui a répondu sèchement : "Je n'y pense pas". Il pouvait aussi être assez drôle. Il avait parfois des relations un peu tendues avec Marcel Reich-Ranicky. Lorsque celui-ci lui reprocha un jour de dire du mal de lui, Maschke répliqua : "Oui, mais seulement dans votre dos !"

Un éminent savant, un caractère difficile et noble, mon bon ami. Fiducit !

Si, moi !

Michael Klonovsky

Günter Maschke a dit un jour de son père adoptif et nourricier, qu'il vénérait beaucoup, qu'il faisait preuve d'un désintérêt quasi monstrueux pour les opinions des autres. Quelle merveilleuse et rare qualité. Elle s'est transmise à son fils, qui était un solitaire, un esprit libre, génial, brillant, d'une méchanceté parfois divine - "Pourquoi ne pas livrer des armes dans des régions en crise ? C'est là qu'on en a besoin !" - et toujours divertissant. A l'époque de la soi-disant décision à prendre popur savoir quelle allait être la capitale (de la RFA réunifiée, ndt), Maschke s'est retrouvé dans un sondage de rue organisé par quelque chaîne de télévision, et les reporters lui ont demandé s'il souhaitait Berlin ou Bonn comme capitale allemande.
"Je suis pour Vienne !", déclara Maschke.
Personne ne parle de Vienne, lui répondit-on.
"Si, moi !"

Ce "Si, moi !" est devenu pour moi une tournure répétée en permanence, un runnig gag, une confession en deux mots.

Je me la rappellerai toute ma vie.

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MASCHKINO

Martin Mosebach

Cet ennemi juré de la démocratie était l'homme le plus démocratique que j'aie jamais vu - cela impliquait de considérer tous ceux qu'il rencontrait comme des égaux dont la conscience devait absolument être guidée vers la vérité - la vestibulaire serbe de la bibliothèque universitaire , avec laquelle il réorganisait les Balkans, ou le chauffeur de taxi afghan qu'il informait sur le "Great game" des années 1900, la femme de ménage indienne à qui il baisait la main. Lorsque l'on se promenait avec lui dans la ville ou que l'on s'asseyait dans un café, on pouvait imaginer l'action de Socrate : comme le philosophe, il abordait simplement toutes sortes de personnes et les engageait dans une conversation. Lui qui avait appris très précisément, en théorie et en pratique, ce qu'est la "tolérance répressive", croyait profondément à la liberté de la discussion générale et ne comprenait jamais qu'il en soit exclu. En même temps, son tempérament impétueux pouvait aussi conquérir des ennemis - ennemi était d'ailleurs un titre honorifique à ses yeux - mon beau-frère danois, social-démocrate fidèle à la ligne, a déclaré après une soirée avec Maschke : "Je n'ai jamais vu un homme avec des opinions aussi terribles qui m'ait été aussi exceptionnellement sympathique".

Il a été un stimulateur et un rassembleur ; je lui dois le lien avec la maison d'édition Karolinger qui m'a conduit à découvrir Gómez Dávila et a encouragé la publication de mes essais liturgiques - les deux impulsions maschkiennes ont eu la plus grande influence sur ma vie. J'ai vu le bohémien effréné se transformer, après son mariage, en un travailleur universitaire acharné, creusant des dizaines de milliers de pages - ses éditions de Donoso Cortès et de Carl Schmitt, abondamment annotées, lui auraient ouvert la voie de l'université, lui l'érudit sans chaire se tenant à une large distance de sécurité du monde académique, ce qui n'était évidemment pas envisageable : "J'aurais dû prêter serment à la Constitution !". Face à la figure paternelle de Carl Schmitt, il préservait une totale liberté : "Il n'était pas à la hauteur de son génie" et "Après avoir lu chaque ligne de Schmitt, je ne pourrais plus dire, avec la meilleure volonté du monde, ce que cet homme pensait", tel était son résumé dans les dernières années. Vers la fin de sa vie, il est devenu d'une douceur et d'une souplesse suspectes et s'est réconcilié avec de nombreux ennemis - c'était façon d'exprimer de la piété. Je ne reverrai plus jamais quelqu'un comme lui.

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GÜNTER MASCHKE

Thor von Waldstein

Günter Maschke était un esprit libre. Il se distinguait par tout ce qui manque le plus à l'intellectualisme réellement existant et au climat "spirituel" que cet intellectualisme a préparé durant la deuxième République allemande : l'indépendance intérieure, la sagesse, le sens de la réalité, le courage et la capacité de penser jusqu'au bout des choses, même lorsque le juste milieu dominant se sent obligé s'affaisser les zygomatiques ou même lorsque des "applaudissements du mauvais côté (du spectre politique, ndt)" menacent. Il n'a pas seulement méprisé les beati possidentes du status quo, qui aiment prendre un bain tiède d'atlantisme et qui adorent les rapports de force déterminés par l'étranger dans la Grande Allemagne de l'Ouest, il les a sincèrement détestés. Oui, il pouvait haïr comme seul est capable de le faire celui qui n'a pas encore éteint dans son cœur l'amour d'une autre Allemagne, une Allemagne de Hölderlin couronnée de fleurs, avec des enfants qui rient et sans les ravages de la rééducation. Derrière la façade de son grandiose esprit de publiciste, le connaisseur de la nature humaine pouvait découvrir le visage d'un homme qui souffrait comme un chien des tristes conditions de sa patrie, mais aussi, plus globalement, de la "machine à broyer et à émietter le monde moderne" (Maschke dixit).

Si les poètes sont, comme l'a dit Gottfried Benn, admiré par Maschke, dans son éloge funèbre de Klabund, "les larmes de la nation", alors Günter Maschke était un écrivain qui a su, comme peu d'autres, mettre le doigt sur la confusion politique déplorable qui règne chez les Allemands. Si les Allemands devaient tout de même trouver la force de mettre fin à leurs vacances hors de l'histoire pour réapparaître en tant que pion indépendant sur l'échiquier de la politique, ils ne pourront pas se passer du bagage intellectuel marqué par la personnalité de Maschke.

Pour ma part, je perds avec Günter Maschke un ami attachant, au charme duquel il était difficile de résister lors de ses conversations au long cours à travers l'histoire intellectuelle européenne. Pas un seul nuage n'est venu assombrir notre amitié de plus de 36 ans, marquée par une confiance mutuelle. Marcel Proust dit que tous les paradis sont des paradis perdus, et pourtant la mort de Günter Maschke ne m'ôtera pas le souvenir des rayons de soleil de son amitié. Je n'oublierai pas la finesse de son caractère et la noblesse de son attitude. Continuer à travailler dans son esprit pour l'avenir de notre patrie européenne meurtrie reste pour moi un devoir.

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À LA MORT DE GÜNTER MASCHKE

Frank Böckelmann, TUMULT

Lorsque j'ai appris il y a quelques heures que l'ami Maschke était décédé, j'en ai été abasourdi - au sens littéral du terme. Car Maschkino - c'est le nom qu'il signait dans ses lettres - avait l'habitude d'annoncer depuis longtemps son effondrement prochain et souvent aussi la fin de sa vie, régulièrement dans des conversations et des messages après la mort de sa femme Sigrid en 2014. J'étais donc habitué à ce qu'il ne meure pas finalement. Ces derniers temps, il y avait même de plus en plus d'appels à l'aide ("Sinon, je vais TRÈS mal - sur plusieurs fronts, et tu devrais être un peu plus gentil avec moi"), ainsi que des expressions de confiance lors de la rédaction de son livre sur Carl Schmitt. Et maintenant, il serait vraiment mort ?

Il n'y a aucun doute à ce sujet, même si cela me semble irréel. Günter Maschke a passé sa vie dans l'enthousiasme et le désespoir créatifs et intellectuels. Il n'avait aucune distance par rapport à ceux qui croisaient son chemin et aux objets de sa passion - Carl Schmitt, le droit international, le droit de la guerre comme droit de l'homme, la "Constitution que nous n'avons pas", la misère allemande universelle, le monde hispano-américain. C'est pourquoi il était aimé, même par ses adversaires, du moins, je le suppose. Il partageait avec enthousiasme mon point de vue selon lequel le terme "conservateur" était devenu sans objet, donc insignifiant. Pour caractériser la situation, il ne reculait devant aucune condamnation, pour mettre en avant ses propres mérites dans la querelle des thèses, devant aucune auto-humiliation et auto-glorification. C'est pourquoi c'était une torture - pardon, Maschkino! - d'être exposé à tes monologues. Et pourtant, tu les évoquais sans cesse. Malheur à celui qui, en ta présence, laissait briller une lueur d'espoir stratégique dans l'évaluation des rapports de force politiques ! Il était impitoyablement taxé d'inconscience et de soumission.

C'est ainsi que le cercle de Maschke à Francfort accueillait de préférence les oiseaux de mauvais augure. Dans son appartement de Rödelheim, on assistait régulièrement - par exemple les jours où se déroulait la foire du livre - à un concours de surenchère de la part de ceux qui étaient, avec ardeur, des désespérés. Ce penchant pour la rigueur a toujours eu une note existentielle chez Maschke. J'ai fait sa connaissance en 1964 lors d'un méfait de notre action subversive à l'occasion du congrès catholique allemand à Stuttgart (et par son intermédiaire, j'ai connu la famille Ensslin). La nuit, en marchant à côté de moi sur le lieu du délit, il ne discutait pas du tout de méthodes, mais me demandait des titres de livres - si je connaissais tel ou tel auteur et ce que je pensais de ses théories. La suite est connue et sera désormais racontée à nouveau chez les amis et les ennemis : Tübingen, Ernst Bloch, sa désertion de l'armée, Vienne, Cuba, Heberto Padilla, la prison, l'abandon de la gauche, Carl Schmitt, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, "Die Verschwörung der Flakhelfer" et autres farces grandioses où il expulsait les esprits du temps (toutes ont été publiées chez KAROLINGER), les retraites éditoriales, les histoires de femmes tragiques, l'activité de professeur à l'école navale péruvienne (avec le pistolet à la ceinture), alliance avec d'autres grands dans l'Olympe de Carl Schmitt et combat final contre les caprices du diabète ("Général Zucker").

Ce que je voulais dire : Machkino, tu es toujours resté un enfant qui a fait preuve d'intrépidité intellectuelle et politique pour conquérir l'affection qui te revenait. Tu ne connaissais que deux sujets : la grande situation et toi-même. Tu étais insupportable dans tout ce que tu faisais. Pour résister au désespoir, il n'y avait pour toi que la voie de la connaissance sans compromis. Je t'aime.     

MASCHKE

Lorenz Jäger, FAZ

Que n'a-t-il pas été : déserteur et théoricien de la guerre, d'abord à gauche puis à droite, le tout avec des élans assez violents ; athlétique (il avait joué au football) et en même temps intellectuel d'une subtilité extrême. Pour un homme de droite, ses diatribes contre les "chers Allemands" étaient difficilement supportables, pour un homme de gauche, son sarcasme envers toutes les utopies.  Peut-être que ce qui frappait d'abord chez lui, même les étrangers, c'était sa stature. Dans les deux sens du terme : de grande taille ; quand il le voulait, sa voix pouvait être tonitruante. Impressionnante aussi sa stature intellectuelle et, finalement, personnelle : celle d'un homme de lettres qui, dans les années 1970, a lancé des réimpressions de classiques oubliés de la gauche non communiste, qui, à l'époque, a développé dans ce journal (= FAZ) l'histoire des idées politiques au plus haut niveau et à qui l'on doit plus tard d'excellentes éditions de penseurs réactionnaires : Carl Schmitt et Donoso Cortés. Sa nécrologie de Carl Schmitt, à laquelle Dolf Sternberger s'était violemment opposé, a brisé sa carrière dans notre journal.

Günter Maschke est né le 15 janvier 1943, le mois de Stalingrad. Adopté, il grandit à Trèves, dans la zone d'occupation française. Toute sa vie, la littérature française et la pensée politique française sont pour lui la référence. Les extrêmes le touchent. Il devient membre de l'"Union allemande pour la paix", une organisation pacifiste (en réalité infiltrée par les communistes), puis se tourne avec un instinct sûr vers l'original et adhère au KPD illégal. Il écrit des poèmes, le recueil Sorgen um Kaspar est annoncé aux éditions de Gudrun Ensslin (dont il épouse la sœur) et de Bernward Vesper.  Il est ironique que Maschke, qui commentera plus tard le classique de Clausewitz Vom Kriege, se soustraie au service militaire. Après son activité au sein du groupe Subversive Aktion, auquel appartenait également son ami de toujours Frank Böckelmann, il a déserté, mais pas par pacifisme de principe. Son sens des rapports de force était déjà si prononcé à l'époque que Rudi Dutschke l'avait surnommé "Maschkiavelli". Sa fuite l'a conduit à Vienne, où il avait un cercle de soutien intellectuel de gauche, dont faisait partie le philosophe Günther Anders. Lorsque le gouvernement autrichien a voulu l'extrader, les Cubains lui ont accordé l'asile. Il vécut un certain temps sur l'île socialiste et se maria une seconde fois, avec une Afro-Cubaine dont la vision pragmatique des choses l'aida à se désillusionner face aux absurdités du stalinisme tropical. Il fit la connaissance du poète et dissident Heberto Padilla, dont il traduisit plus tard l'œuvre en allemand.  Cette amitié ne passa pas inaperçue aux yeux du régime castriste, qui le fit rapidement arrêter et expulser. De retour en Allemagne, il dut purger une peine de prison prononcée pour désertion.

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Ce sont des écrits sur la guerre qu'il a publiés et commentés : On lui doit une excellente édition, malheureusement épuisée, de L'art de la guerre de Sun Tsu. En tant que professeur invité, il a enseigné à l'école de la marine péruvienne à La Punta dans le cadre de ce que l'on appelle la "contre-insurrection", la stratégie antipartisane. L'un de ses meilleurs essais remonte à cette époque.  Maschke a magistralement analysé la guérilla maoïste du "Sentier lumineux", le groupe terroriste le plus cruel et le plus efficace en dehors de l'espace islamique. Son histoire se révèle être celle d'une expansion du système éducatif (péruvien) qui fut ratée car imposée de manière technocratique et centralisée dans l'une des régions les plus sous-développées du pays, qui a dérapé et a débouché sur la superstition du pouvoir presque magique qu'aurait une doctrine (cf. Das bewaffnete Wort).

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Parmi les réalisations scientifiques de Maschke figurent les éditions de deux éminents penseurs de la droite: Juan Donoso Cortés, dont il a publié les "Essais sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme", et Carl Schmitt, dont il a dirigé les essais sur le droit international - "Paix ou pacifisme" (Berlin 2005). Mais Maschke, devenu ultra-réactionnaire, a lui aussi mis en mouvement des écrits qui semblaient figés. Non pas qu'il s'agisse principalement de problèmes de différentes versions et de réécritures. Dans le cas de Maschke, le mouvement s'est plutôt produit dans le commentaire. Le processus par lequel les pensées de Donoso et de Schmitt se sont formées et ont été reprises ou contestées par les contemporains est alors devenu clair. L'éditeur Mashke ne laissait aucune thèse de ses dieux domestiques passer la barrière sans être vérifiée. Et soudain, ce n'était pas seulement tel ou tel texte qui devenait plausible (parfois, à la fin, il perdait aussi de sa plausibilité dans le processus de commentaire), mais un massif de pensées collectives apparaissait, avec tous les sommets, les fissures et les abîmes imaginables ; d'une simple surface de texte, quelque chose de tridimensionnel et de plastique apparaissait.

Aujourd'hui encore, on lit un travail de Maschke qui s'était attaqué au récit central et identitaire de l'intelligentsia de la République fédérale. L'essai "Verschwörung der Flakhelfer" (= Conspiration des auxiliaires de la défense anti-aérienne) commençait en 1985 par un coup de tonnerre : "La République fédérale, mi-cour industrielle ordonnée, mi-zone de loisirs avec corbeille à papier régulièrement vidée, cette terre résiduelle large comme une serviette de toilette, dont les habitants sont avides d'inoffensivité, est en même temps le pays dans lequel chacun peut devenir l'ennemi constitutionnel de l'autre". Là où Jürgen Habermas ou encore Heinz Bude veulent reconnaître dans la génération née vers 1928 la première cohorte stable de démocrates, Maschke parle désormais d'un "homoncule antifasciste": le prétendu "citoyen responsable" vit dans un "entrelacement de recherche de plaisir et de contrition". La distanciation fondamentale avec le système politique de sa patrie, qui le motivait lorsqu'il était jeune (et gauchiste musclé, ndt), est donc demeurée quasi intacte.

On s'incline devant un intellectuel authentique. Certes : de la droite. Mais pas un droitier. Même la cause à laquelle il s'est consacré (il y en a eu plusieurs au cours de sa vie), il pouvait parfois la considérer avec distance et avec un esprit abyssal. Il renonça avec résignation à l'achèvement d'un grand traité de droit international lorsqu'il sentit ses forces décliner. Son dernier projet devrait consister en une petite collection de malentendus qui se sont formés autour de Carl Schmitt, que ce dernier les ait provoqués lui-même ou que d'autres les lui aient attribués par manque de discernement. Il faudrait espérer qu'une partie du matériel soit publiable. Günter Maschke est décédé au début de cette semaine à Francfort.

Note:

Cette extraordinaire photo, que nous devons à Michael Klonovsky, a été prise dans le bureau de Maschke. Elle m'interpelle tout particulièrement car, lorsque je me rendais chez lui, à l'occasion des foires du livre de Francfort, c'est exactement là, à l'emplacement où nous voyons une vieille et archaïque machine à écrire, que Sigrid, son épouse, me dressait un lit de camp. J'ai donc dormi moults nuits dans le saint des saints de l'univers maschkien ! (Robert Steuckers). 

jeudi, 10 février 2022

Günter Maschke (1943-2022), un souvenir

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Portrait de Günter Maschke, qui ornait son salon à Francfort, choisi pour une couverture de l'excellente revue espagnole Empresas politicas.

Günter Maschke (1943-2022), un souvenir

Prof. Carlo Gambescia

Source: http://carlogambesciametapolitics2puntozero.blogspot.com/... & https://cargambesciametapolitics.altervista.org/gunter.../

Le souvenir le plus vif, que j'ai de Günter Maschke, décédé lundi dernier, le 7 février, remonte probablement à un Julien Freund, bien vieilli, comme tout bon vin, d'il y a de nombreuses années. Lisez comment il le dépeint dans L'aventure du politique, livre paru en l'an de grâce 1991:

"Il y a quelques années, en 1986, une conférence internationale sur Carl Schmitt s'est tenue à Speyer (Spire). Là aussi, la principale obsession des universitaires présents était de savoir si Carl Schmitt avait été un homme de droite, de gauche ou du centre. Cela n'avait aucun intérêt. Mais soudain, un homme s'est levé et a pris la parole de manière spontanée, en parlant d'autorité. Ses paroles m'ont frappé et m'ont consolé intellectuellement. Je voulais dîner avec lui au restaurant Feuerbach. L'itinéraire de cet homme, Günter Maschke, est fascinant. Maschke faisait partie du groupe d'étudiants qui a provoqué des émeutes à Berlin entre 1967 et 1968. Il était un compagnon de Rudi Dutschke, Baader Meinhof et quelques autres. Arrêté et libéré à deux reprises, il s'installe dans la patrie de ses rêves, Cuba. Mais à Cuba, il a été arrêté et libéré grâce à l'intervention d'un ambassadeur étranger. C'est alors qu'il a fait connaissance avec l'œuvre de Carl Schmitt et qu'il en est devenu un spécialiste. Il a déclaré : "Je me suis parfaitement rendu compte qu'il y avait un ennemi au centre de notre action, mais nous ne savions pas lequel, et nous n'avions pas le concept d'ennemi. Et quand j'ai lu Schmitt, tout est devenu clair pour moi. On sort transformé d'une expérience comme celle de Maschke et, surtout, capable de donner le juste poids aux mots'' (*).

Homme indocile et curieux, désabusé de la politique, polyglotte érudit, il est venu au réalisme schmittien. Attentif, comme le prouve sa façon d'être, aux aspects concrets d'une œuvre, celle de Carl Schmitt, elle l'escorté comme au-delà de la droite et de la gauche. Mais pas dans un sens crypto-fasciste, comme le comprennent encore certains interprètes italiens superficiels, pour le meilleur et pour le pire. Mais plutôt comme un levier - je parle du travail schmittien - pour étudier la politique à travers les régularités du politique.

C'est-à-dire se concentrer sur l'analyse de ce qui reste réellement, au-delà de la rhétorique trop facile sur les valeurs et les intérêts. L'étude, en somme, de ce qui précède et dépasse la politique. Et qui ne se complaît donc pas dans l'esthétique impuissante de la noblesse de la défaite, ni ne caresse des paradis totalitaires inexistants, tout comme elle dédaigne le trafic apparemment inoffensif des petits intérêts.

"C'est ainsi que sont les politiciens" est une de ses expressions récurrentes. Ce n'était pas de la résignation, mais une autodiscipline imposée par le réalisme. Une approche de la réalité telle qu'elle est, et non telle qu'elle devrait être selon tel ou tel code moral ou religieux. La politique, comme une acceptation, je le répète, des régularités de la politique. Tout d'abord, comme on le lit dans le portrait de Freund, celui de l'ami-ennemi.

La figure de l'érudit schmittien était flanquée du "personnage" Maschke. De grande taille, il portait des chapeaux à larges bords qui le rendaient encore plus imposant. D'apparence grincheuse, mais avec les yeux vifs d'un enfant, peut-être impénitent, avec un regard qui parfois, dans les moments de calme, entre un élan intellectuel et un autre, se perdait à la poursuite d'on ne sait quelles aventures et exploits mystérieux du Puer Aeternus.

Cependant, il était implacable avec les opportunistes, auxquels, comme un vrai Maschkiavelli, qui avait tant vu, il réservait des plaisanteries acerbes. Oubliez alors le Puer Aeternus...

Des blagues, souvent si subtiles qu'elles n'étaient pas remarquées par le malheureux concerné, qui en souriait même. Mais pas par certaines des personnes présentes, les plus rusées, presque complices, intellectuellement complices. Un scénario que Maschke pouvait moralement se permettre, car, comme le souligne son ami Jerónimo Molina, très proche de Maschke, dans le sillage d'Álvaro D'Ors, il "détient l'auctoritas" (**).

Le professeur Molina est l'auteur d'un important "Liber Amicorum ofrecido a Günter Maschke" (***), qui contient tous les éléments critiques, biographiques et bibliographiques nécessaires à une étude plus approfondie de Maschke, auquel nous renvoyons les lecteurs.

Je l'ai rencontré en personne. Comment oublier un déjeuner animé à Rome ? Mais aussi son feu de plaisanterie en d'autres occasions, "récité" de manière olympienne et imperturbable ? Cependant, je ne pense pas qu'il soit juste d'évoquer une sorte d'amitié profonde, comme cela arrive à de nombreux autopromoteurs qui savent profiter de toutes les circonstances. Disons qu'il y avait une estime mutuelle.

J'ai soumis à Maschke, que j'avais rencontré au milieu des années 90, un certain nombre de projets d'édition, qui n'ont malheureusement pas été réalisés, sans que ce soit de sa faute ou de la mienne.

Qu'il repose en paix, à la droite de Carl Schmitt.

Attention, droite non pas dans un sens idéologique, mais dans un sens méta-politique. Qu'il soit assis, pour employer un terme noble, comme un juge politique, au-dessus de la misère et de la noblesse des affaires humaines.

Sans perdants, sans gagnants. "Voilà à quoi ressemble le politique".

Carlo Gambescia.

(*) Julien Freund, L'aventure du politique. Conversations avec Charles Blanchet, édition italienne sous la direction de Carlo Gambescia et Jerónimo Molina, Edizioni Il Foglio, 2021, p. 49 (https://www.ibs.it/avventura-del-politico-conversazioni-con-libro-julien-freund/e/9788876068928 )

(**) Jerónimo Molina, Gaston Bouthoul, inventeur de la polémologie, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, 2019, p. 23.

(***) Numéro spécial édité par Jerónimo Molina de la revue Empresas Políticas, VII, n° 10-11, 1er et 2ème semestre 2008.