Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 14 juin 2020

Mon vieux maître et ami Jean Raspail est mort - par Nicolas Bonnal

jean-raspail.jpg

Mon vieux maître et ami Jean Raspail est mort

par Nicolas Bonnal

Ex: https://nicolasbonnal.wordpress.com

Mon vieux maître et ami Jean Raspail est mort. Il est au Walhalla. Il adorait ce texte que nous avions écrit pour Serge de Beketch en 2004 suite à une escapade en Patagonie et à Uyuni (Libre Journal de la France courtoise, février 2004). C’était mes chroniques de Horbiger, déjantées qu’il disait. En avons-nous parlé de nos échappées. Ci-contre une photo prise dans un fjord chilien qui m’inspira l’Amant de glace, le conte qui lui était dédié dans le recueil Contes latinos (Ed. Michel de Maule, 2007). A bientôt Jean !

51WoGEBu2BL._SX314_BO1,204,203,200_.jpgJ’avais laissé la Patagonie. Je devais me rendre au nord, remontant le long fil de cuivre chilien. La route longiligne s’ornait de merveilleux observatoires, de brumes côtières, de déserts mystérieux jonchés des songes de voyageur. Je me sentais plus fort. Il y a comme cela des voyages qui vous révèlent ce que vous cherchez. Nous voulions le Tibet, et ce furent les Andes. Andes chrétiennes et hispaniques ou je dansai comme l’Inca la danse en l’honneur du ciel et de la vierge. J’arrivai à San Pedro d’Atacama, Mecque andine du tourisme local. Village en adobe, argile cuite sous le soleil, entouré de salars(2) de la peur, de déserts et de geysers. Une vieille église en bois de cactus, une longue messe guerrière où le bon prêtre dénonce la main noire qui contrôle son pays et qui, voilà trois ans, brûla sept statues pieuses.

De jeunes voyageuses plus intrépides que les garçons, venues de Grèce, de France ou d’Amérique, avec qui l’on partage le cabernet chilien dans les restaurants troglodytiques.

Et ce valle de la luna, ce lieu inaltérable, le lieu où le ciel touche la terre, où le temps, dit Wagner, touche l’espace, le cosmos les sables et la pierre. Un lieu de méditation présocratique, une révélation inouïe, du glacier au désert. L’Amérique latine serait l’Eldorado du voyage, Atacama, l’esprit hurlant du voyageur mué en condor éternel. Tout ce qui est humain me serait étranger. D’Atacama, je ne pouvais gagner Salta. Je choisis donc le Nord et ses salars. Le salar d’Uyuni, le plus grand du monde, dans la pauvre Bolivie qui jouit de commentaires si divers. Bolivie, le Tibet de d’Amérique latine, ce toit du monde endimanché en ce 20 février par les flonflons du carnaval de nos frères indiens. Cette route d’Uyuni bradée au touriste de passage fait son effet : on navigue plus qu’on ne roule à cinq mille mètres, on crève de froid dans le premier campement, on voit la lagune verte et ses résistants flamants qui virent comme elle de couleur. La lagune devient tahitienne, elle est bordée de volcans enneigés, elle est irrésistible, reflétant toute la beauté de cet altiplano, qui joint la hauteur de l’esprit à l’équanimité de l’âme. Je dirai que la musique de Loreena Mc Kennitt que j’avais découverte à Santiago me fut profitable au-delà de mes espérances.

Je pris avec mes compagnons un bain dans les sources thermales, nous gagnâmes les geysers, cette boca (3) éructant de la terre mère, qui crachent leurs bulles colériques à la face du ciel.

moi-patagon_.jpg

Ce fut l’ivresse du réel. La nuit fut éprouvante. Le lendemain nous gagnâmes des déserts, des parois ivres, et une vallée de momies et son village magique Atolxa, avec son petit jardin entretenu par les chrétiens les plus pauvres de la terre. Ils font visiter leurs momies profanes, ils cultivent la quinea, céréale riche et méconnue. Les cactus se dressent comme des doigts pointés vers le ciel azur et glace, l’accusant de tant de misère. Mais il y a une vierge, la vierge miraculeuse du salar. Je vais prier. Je croyaisavoir tout ressenti dans les canaux étroits du Chili, dans les glaciers Moreno et Upsala, dans les détroits d’Ushuaïa. Comme Tintin je découvre que l’Amérique du Sud est la terre des mythes : Valparaiso, Iguassu, Machu Picchu, Rio, l’Amazonie, toutes les folies du voyageur gavé de lugares de locura, de lieux de folie. Et je ressens le puissant de cette parole : reconquista, la reconquête du soi, cette route du soi que jamais je ne trouvai en Asie. Et cette volonté de devenir un conquérant du monde, un penseur grec ivre du temps et de l’espace, des pierres et des matices(4) ocres et roses. J’ai conquis l’or de la mémoire. Le soir nous couchons dans un hôtel invraisemblable, l’hôtel du salar, une résidence pour dieu perdu. Nous goûtons la douceur paradoxale de ce lieu chasseur de bruit et des insectes.

sud-lipez.jpg

Nous sommes à 3 500 mètres et je dors mieux, en dépit de trois bouteilles partagées avec un frère d’échappe, le Japonais Take, avec qui je trinque (kampeï !) en l’honneur de la fin de l’histoire et de la géographie.  » Le Japon meurt de la défaite de 1945  » me dit Take. Je pense à ces femmes remarquables, rencontrées au cours de mon périple, qui n’auront pas d’enfant et je médite la fin du cycle. Le long hôtel de sel semble un monastère. Il en coûte sept dollars la nuit dans une chambre bien orientée où j’assiste au lever du dieu-soleil. Et nous partons traverser le salar. On croit avoir tout vu. Car j’avais vu le lac salé des mormons sous une brume blanche. Mais je n’avais rien vu. Juan Carlos, mon guide chauffeur et organisateur, quitte le chemin de terre et plonge dans l’eau du salar. Nous roulons sur l’eau si bleue de ce lagon immense, nous marchons pieds nus sur les eaux, nous goûtons l’ivresse purificatrice de ce sel si cruel. Le ciel est dur comme la justice divine. Une jeune Française évoque le paradis. Le bleu touche le blanc, le sel touche la terre qu’il convertit en figures hexagonales. Notre Père qui êtes au sel…

 

Le réel nous rattrape bientôt et le gros Toyota tombe en panne. Nous cuisons au soleil pendant que Juan Carlos s’affaire. Le soir nous gagnons Uynii, bled misérable et perdu au monde, où l’on mange pour trois francs. Je décide de monter dans le bus de Sucre, avec changement à Potosi au milieu de la nuit. Des grondements de tonnerre ébranlent la course du bus bien frêle. Je me rappelle à la cruauté et à l’insignifiance de la nature.

agedgwegegew-1009x721.jpg

Et je suis le seul Occidental à opter pour un transport si ingrat. Moi qui ai dénoncé tant de fois l’invasion touristique, je me retrouve bien seul à Potosi, ville à drôle de mine, vers trois heures du matin et quatre degrés centigrades en plein été. Pourquoi Sucre ?

C’est un vieux rêve, j’ai toujours aimé les anciennes capitales. Et je sais par la télévision de mon Espagne bien aimée que Sucre la présidente est la résurrection de ma Grenade bien aimée, un barrio de Santa Cruz perdu au milieu des mondes. Je sais aussi qu’après le sel qui m’a brûlé, c’est un mot que je guette, la face sucrée de Dieu, sa miséricorde après sa rigueur salée. La ville apparaît sous les brumes incas au petit matin, c’est la merveille annoncée. Je trouve un hôtel avec patio colonial et je gagne ma première église pour entendre la messe au petit matin avec le chant du coq. Le sucre m’envahit de sa douceur, et l’Espagne triomphante de Compostelle où Carmona revient chanter à mes oreilles (orilla, rivage, en castillan). J’ai trouvé le château du monde, je vais goûter à la débauche sonore du carnaval de ces frères tranquilles de l’ailleurs absolu.

Texte publié dans le recueil « Les voyageurs éveillés » (Amazon.fr).

http://france-courtoise.info/theme/bonnal.php

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2017/08/13/premier-co...

51y0R40YcjL._SY445_QL70_ML2_.jpg

Jean Raspail est mort : Salut à la majesté tombée

B9723721219Z.1_20200613152755_000+GSUG5K4SP.2-0.jpg

Jean Raspail est mort : Salut à la majesté tombée

par Arnaud Florac

Ex: https://www.bvoltaire.fr

Pour la première fois d’une longue carrière au service, le colonel comte Silve de Pikkendorff, commandant le détachement d’honneur, n’avait pas la moindre envie de donner cet ordre. Son commandement, clair et sec, redit par les échos, sonna pourtant, irréfutable :
Présentez…armes !

On n’entendit qu’un bruit, celui de trente fusils claquant à l’unisson. Silve de Pikkendorff, face à ses hussards, fit un demi-tour réglementaire et salua au sabre, sans hâte, d’un ample mouvement du bras.

Porté par six fidèles sujets dont le tambour scandait les pas, le cercueil du consul général faisait lentement son entrée dans la cour d’honneur des Invalides.

jr-patagons.jpg

Ainsi aurait peut-être commencé, quoiqu’avec bien plus de talent, le récit, par , de ses propres obsèques. Il y aurait mis la grandeur intemporelle, la majesté tonique et théâtrale, qui ont emmené tant de citoyens de notre république, à l’étroit dans ce monde si laid, vers la Patagonie d’élection qu’ils portaient au fond de leur cœur. Il y aurait fait vivre, une fois encore, ce panache gratuit qui donne le frisson et fait relever la tête – un art si français, et qu’il maîtrisait parfaitement.

Jean Raspail avait mis du temps à écrire des romans, déçu trop tôt par les critiques d’un académicien qu’il connaissait. Après plusieurs récits de voyage, il entra pourtant dans la littérature en prophète avec Le Camp des Saints (1973). Dans ce livre exceptionnel et désormais bien connu, il décrivait méticuleusement le monde du millénaire finissant : l’invasion migratoire, la nullité des élites, la complicité diabolique des médias et des bonnes âmes, la submersion du monde occidental, l’écrasement des résistants. Il avait même eu l’honneur, à la sortie de son livre, d’un débat télévisé contre Max Gallo, où chacun représentait caricaturalement son univers mental : Gallo, alors de gauche, était drapé dans la morale bourgeoise compassionnelle et sapé comme un prof… de gauche. Raspail, déjà de droite, portait la moustache, se tenait droit et disait la vérité.

117805587_o.jpg

Il avait trouvé sa voix : dès lors, comme tous les grands écrivains, il ne dirait plus que la même chose d’une manière différente. Il se fit l’historiographe de la grandeur morte, en inventant la superbe famille de Pikkendorff et en devenant le consul général d’un royaume de Patagonie qui, comme le disait Lyautey du Maroc, ne serait « rien d’autre que le royaume de [ses] rêves ». Il fit voyager ses lecteurs de la pointe de l’Argentine aux Caraïbes, puis dans la steppe infinie, sur les rails et dans les forêts d’une Scandinavie irréelle, et même, dans les trop méconnus Yeux d’Irène, sur les routes d’une France sublimée. Il défendit le droit des peuples à rester ce qu’ils étaient et pesta contre la messe conciliaire et ses musiquettes de fête foraine. Il enregistra sans haine, avec une minutie médico-légale, les symptômes du pourrissement des civilisations, qu’une poignée de braves doivent préserver, quoique cela ne suffise jamais.

JeanRaspail-ViveLeRoi-800x400.jpg

Raspail se vivait volontiers comme un simple artisan, presque comme le marionnettiste macabre de Septentrion ; il aurait très bien pu répondre à qui l’interrogeait, comme le narrateur des Yeux d’Irène : « Sortis de leurs livres, […] les écrivains n’ont rien à dire ! » Il parla pourtant et devint, pour deux générations au moins, une figure tutélaire, dont les mots frappaient juste et rendaient un son clair. Il partageait avec d’autres, comme Vladimir Volkoff, le paysage esthétique de la droite la plus « rance » et la plus « nauséabonde » : amour de la patrie au-delà des oripeaux du jour ; goût de la tenue comme politesse et comme résistance ; lumière éclatante de la rédemption malgré la terrible imperfection de la nature humaine. Raspail et Volkoff, qui s’appelaient par leurs noms de famille et se voussoyaient, comme deux amis d’autrefois, ont d’ailleurs fait les très riches heures de Radio Courtoisie à la fin des années 90, où ils étaient ce qu’on appellerait aujourd’hui de bons clients.

Ces dernières années, chaque apparition de Jean Raspail était une injection de panache et d’énergie, directement dans la carotide. A plus de quatre-vingt-dix ans, il chantait l’hymne patagon, buvait du whisky et encourageait la jeunesse. Il savait qu’il « représent[ait] une cause presque perdue », comme il l’a souvent écrit, alors il sonnait de la trompette et montait à l’assaut.

9782221045596-475x500-1.jpgIl n’y aura pas, à l’enterrement de Jean Raspail, écrivain de marine, consul général du Royaume d’Araucanie et de Patagonie, de retransmission en direct, de larmes photogéniques, ni même d’hommage lyrique, écrit à la truelle pour un Président qui salit tout, même la grandeur. Ce qu’il y aura, outre les sujets fidèles et les soldats perdus, c’est le monde d’un romancier, romancier dont le travail est, disait son ami Volkoff, de faire « quelque chose de moins réel, mais de plus vrai ».

Voici donc, derrière le catafalque, la famille Pikkendorff au grand complet, en uniforme de parade, venue tout exprès d’Altheim-Neufra et d’autres lieux ; voici ce petit homme couleur d’écorce avec son arc et ses flèches, tapi dans la neige, loin derrière les bouleaux nordiques qui bordent Ragen, et reculant bravement pour échapper au désenchantement du monde ; voici encore tous les « derniers carrés » de ses livres, noyés par le tsunami de fange de leur siècle : la dernière cabane du Camp des Saints, les derniers voyageurs de Septentrion, les derniers patagons de Qui se souvient des hommes.

Peut-être y aura-t-il aussi, dans les cœurs vaillants, la tentation de devenir quelques-uns des Sept Cavaliers qui feront un pas de côté –ceux qui quitteront la Ville au crépuscule, en passant par la porte de l’Ouest qui, décidément, n’est plus gardée.

Avec la mort de Jean Raspail, des milliers de lecteurs viennent de perdre un grand-père. Ira-t-il, dans les cieux, partager un bourbon avec les amis d’autrefois ? Préférera-t-il la compagnie d’Athos, comte de La Fère, dont il partageait l’ombrageuse noblesse et l’austère fidélité ? Ce serait, après tout, moins réel mais plus vrai…
Comme Athos devant Charles Ier, alors, découvrons-nous sans une larme au passage du cercueil du Consul, et murmurons simplement, comme une promesse faite à nous-mêmes : « Salut à la majesté tombée ! »

NDLR : né en 1925, Jean Raspail aurait eu 95 ans le 5 juillet prochain.

mercredi, 10 juin 2020

Jean-François Gautier, penseur du divers

AVT_Jean-Francois-Gautier-II_4009.jpg

Jean-François Gautier, penseur du divers

par Christopher Gérard

ex: http://archaion.hautetfort.com

519X0JHWD5L._SX244_BO1,204,203,200_.jpgJean-François Gautier collabora, il y a près d’un quart de siècle, à ma revue Antaios, au moment de la publication simultanée de deux essais remarqués L’Univers existe-t-il ?  et Claude Debussy. La musique et le mouvant, tous deux chez Actes Sud. D’emblée, le personnage suscita chez moi une sorte de fascination : docteur en philosophie, assistant à l’Université de Libreville, et donc promis à une carrière sans histoire de mandarin, ce disciple de Julien Freund et de Lucien Jerphagnon, deux grands maîtres de la pensée non conformiste, rompit les amarres pour se lancer dans des recherches personnelles, devenant même rebouteux après de brillantes études d’étiopathie sous la houlette de Christian Trédaniel – encore un personnage haut en couleurs !

Son essai, Le Sens de l’histoire (Ellipses), est un modèle de lucidité et de courage intellectuel.

Il signe un court et dense essai, vraiment bienvenu, A propos des Dieux, publié avec un goût parfait par l’Institut Iliade, où il défend avec intelligence la pensée polythéiste,  dont l’un des leitmotive pourrait bien être « Pourquoi pas ? » Pourquoi pas des correspondances entre Hermès et Hestia, entre Apollon et Dionysos ? Pourquoi ne pas faire le pari de la malléabilité, de l’assimilation et de l’identification ? Pourquoi ne pas comprendre le divin comme fluide, en perpétuel mouvement ?

Impensable posture pour le monothéiste qui, sans toujours y croire,  prétend détenir une vérité intangible, gravée sur des tablettes, aussi fermée aux apports extérieurs que muette sur ses sources. Plus faible sa croyance intime, plus tenace son obsession de convertir autrui – une monomanie.

410kjtYVbxL._SX257_BO1,204,203,200_.jpgPlurivoque en revanche, le langage polythéiste traduit et interprète sans cesse ; monotone, le monothéiste se bloque pour se déchirer en controverses absurdes – les hérésies. A la disponibilité païenne, à la capacité de penser le monde de manière plurielle répond la crispation abrahamique, source de divisions et de conflits : ariens contre trinitaires, papistes contre parpaillots, chiites contre sunnites – ad maximam nauseam.

Toutefois, on aurait tort, et Jean-François Gautier l’illustre bien, de minimiser l’un des fondements des polytéismes, à savoir le principe hiérarchique : les panthéons ne sont jamais des ensembles désordonnés ni des accumulations de divinités interchangeables, mais bien des hiérarchies célestes de puissances (Dieux, saints, anges, esprits,…) à la fois autonomes et complémentaires, regroupées en armatures souples et organiques, stratifiées. Tout polythéisme se fonde sur une hiérarchie des figures divines, souvent exprimées par le biais du schème de la parenté – les généalogies divines. Ces configurations hiérarchiques sont illustrées par le mythe, le rite et l’image, tous trois liés à une cité, qui traduit de la sorte son identité profonde. Rien de moins « dépassé », rien de moins « exotique » que ces principes éternels qui furent nôtres des siècles durant. Les paganismes d’Europe ont disparu en tant que religions organisées, mais les Dieux, immortels par définition, demeurent présents, en veille, prêts à servir. Tout cela, Jean-François Gautier le dit avec autant de talent que d’érudition dans cette défense du divers comme norme et comme identité.

3797414225.jpgTrès juste, cette articulation qu’il propose entre Dasein (être-là) et ce qu’il appelle Mitsein (être-avec) : les deux vont bien de pair. Très juste, l’idée que le paganisme en Europe ignore le Livre à prétentions universelles qui dicterait une vérité unique valable en tous temps et en tous lieux au détriment de vérités partielles, locales et plurielles. Nulle illusion de salut, nulle espérance au sens chrétien, mais l’énigme du monde, un monde éternel sans fin ni début, l’honnête reconnaissance de l’inconnaissable et le refus des rassurantes certitudes.

Gautier ne le cite pas, mais je pense qu’il doit beaucoup à Clément Rosset, lui aussi lecteur attentif des Tragiques. Il ne cite pas non plus Jean-François Mattéi, dont la (re)lecture le rendrait un tantinet moins sévère à l’égard de Platon – vaste débat.

Un essai dynamique au sens propre, une belle leçon de polythéisme dans la lignée d’Héraclite, entre équilibre et affrontement.

Christopher Gérard

Jean-François Gautier, A propos des Dieux, Nouvelle Librairie, 64 pages, 7 €

* Une broutille à corriger, page 44, aristos est bien le superlatif d’agathos, et non son comparatif ; il signifie donc « le meilleur ».

dimanche, 31 mai 2020

Guillaume Faye (1949-2019) par-delà censure et récupération

Guillaume-Faye.jpg

Guillaume Faye (1949-2019) par-delà censure et récupération

Philippe Baillet

006724613.jpg« Je n’ai pas connu Guillaume Faye assez longtemps pour oser me compter au nombre de ses amis, mais suffisamment pour avoir partagé avec lui d’excellents moments, que j’évoque ici. Je ne lui rends pas un hommage convenu, mais salue la mémoire d’un homme resté jusqu’au bout un soldat politique, un partisan européen de la Cause blanche.

Puisque G. Faye a fait l’objet d’une tentative de récupération de la part d’un Torquemada d’opérette, j’administre à celui-ci, avec les gants de la dérision, un soufflet mérité. Le fourbe jésuitique qui préside aux destinées de la Nouvelle Droite, qui a voulu pulvériser G. Faye en « non-personne » qui n’aurait jamais existé et qui veut faire croire que les traductions de Julius Evola se sont faites toutes seules, a droit, lui, à une nouvelle dérouillée.

Bien loin du chaudron de sorciers franco-gaulois où s’agitent les pitres et les escrocs de l’antijudaïsme rabique et du complotisme délirant mais alimentaires, je me penche aussi – à l’heure du terrorisme islamiste sauvage à l’arme blanche - sur le thème de la guerre civile raciale que G. Faye voyait venir et qu’il souhaitait même voir éclater. »

Philippe Baillet

Pour l'honneur d'un camarade - Guillaume Faye (1949-2019) par-delà censure et récupération, 72 p., 10 euro.

Pour commander l'ouvrage: https://www.akribeia.fr/nationalisme/2070-pour-l-honneur-d-un-camarade.html

pour-l-honneur-d-un-camarade.jpg

Conseil de lecture: Un homme d'abord et un ami, un engagement, un esprit fulminant en perpétuel mouvement, intransigeant sur le respect des valeurs, sans le moindre dogmatisme, ouvert aux arguments d'une critique constructive, désintéressé, une voix et le grand projet de la renaissance du monde blanc. Il n'a jamais triché, malgré quelques petites chutes provisoires, dont l'origine, nous le savons est une blessure profonde longtemps occultée. Oui, je suis fier d'avoir été son ami.
Merci à Philippe Baillet de lui avoir rendu hommage.

Et je précise que Guillaume avait de l'humour et qu'il ne se prenait pas au sérieux !

Jean-Jacques Vinamont.

samedi, 23 mai 2020

Mort d’un samouraï d’occident : un anniversaire que peu de gens honoreront

Le billet d’Eric de Verdelhan

Ex: https://liguedumidi.com

« Nous devons être intellectuels et violents »

(Charles Maurras).

 

Il y a des hommes qui vous marquent pour la vie. Dominique Venner était de ceux-là.

Il n’était pas de mes amis. Nous ne nous sommes vus qu’une fois, à Paris, à l’occasion d’une dédicace d’un de ses livres. Et nous n’avons eu que deux ou trois échanges épistolaires, pas plus.

Il s’est tiré une balle dans la tête, le 21 mai 2013, en la cathédrale Notre Dame de Paris.

Qui était Venner, finalement peu connu du grand public jusqu’à son suicide ?

Il est l’auteur de plusieurs livres d’histoire sur la période allant de 1914 à 1945, notamment sur la révolution russe, les corps-francs de la Baltique, la collaboration et la Résistance en France pendant la seconde guerre mondiale. Mais il était également un spécialiste, mondialement reconnu, des armes à feu sur lesquelles il a écrit des dizaines d’ouvrages qui font référence.

-31054.jpgJ’ai d’abord découvert Venner, l’expert en armement, avant de m’intéresser à son parcours politique et intellectuel. Pourtant « quel roman que (sa) vie ! » comme aurait dit Napoléon.

Il est le fils de Charles Venner, architecte, membre du Parti Populaire Français de Jacques Doriot. Dominique Venner étudie au collège Bossuet à Paris, à l’Oakland’s College, puis à l’Ecole Supérieure des Arts Modernes. C’est durant cette scolarité pseudo « artistique » qu’il abandonne la foi chrétienne et rejette définitivement le Catholicisme.

À 17 ans, épris d’aventure, « pour fuir l’ennui de la famille et du lycée », il s’engage à l’école militaire de Rouffach. Une école créée par « le Roy Jean » de Lattre de Tassigny, à la Libération.

Volontaire pour aller se battre en Algérie, il est sous-officier dans un bataillon de Chasseurs et combat le FLN dans les montagnes proches de la frontière tunisienne jusqu’en octobre 1956. Cette guerre, qui lui vaudra la Croix du Combattant, a énormément compté dans ses engagements futurs.

À son retour en Métropole, pour lutter contre le soutien du Parti Communiste au FLN, il s’engage en politique. Il entre au mouvement « Jeune Nation », et, à la suite de l’insurrection de Budapest, prend part à la mise à sac du siège du PCF, le 7 novembre 1956.

En 1958, il participe avec Pierre Sidos à la fondation de l’éphémère « Parti Nationaliste », et adhère également au « Mouvement populaire du 13 Mai » du général Chassin.

Après le putsch des généraux d’avril 1961, il bascule dans l’OAS-Métro ce qui lui vaudra 18 mois d’isolement à la prison de la Santé. Libéré à l’automne 1962, il écrit un manifeste intitulé « Pour une critique positive » — souvent comparé depuis au « Que faire ? » de Lénine et longtemps considéré comme un texte fondateur par toute une fraction de la droite nationaliste —, dans lequel, prenant acte de l’échec du putsch et du fossé existant entre « nationaux » et « nationalistes », il préconise la création d’une Organisation Nationaliste Révolutionnaire, « destinée au combat… une, monolithique et hiérarchisée, formée par le groupement de tous les militants acquis au nationalisme, dévoués et disciplinés ».

26258861._SX318_.jpgAyant étudié Marx et Lénine, il analyse le Communisme, qu’il combat depuis toujours, non seulement comme un programme politique, mais aussi comme une organisation que les militants nationalistes doivent imiter en se structurant intellectuellement.

Il s’inspire également des luttes anticolonialistes et développe l’idée que les mouvements nationalistes européens doivent adopter la rhétorique des mouvements d’indépendance nationale.

Très critique envers le Christianisme – c’est là, et uniquement là, que nos vues divergent – Venner prône une réhabilitation des traditions païennes et des identités, une défense des cultures face au melting-pot, et une valorisation élitiste de la force et de l’héroïsme.

En janvier 1963, il fonde, puis dirige, le journal et le mouvement « Europe-Action » — ainsi que les Éditions Saint-Just, au service du mouvement — qui rassemble, autour de convictions nationalistes et européistes, des membres de la « Fédération des étudiants nationalistes », des rescapés de l’OAS-Métro, et d’anciens intellectuels collaborationnistes.

En 1968, il contribue — sous le pseudonyme de Julien Lebel — à la fondation du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), avant de créer avec Thierry Maulnier, la même année, l’Institut d’études occidentales. Il lui adjoint, en 1970, la revue « Cité-Liberté » : « entreprise à la fois parallèle, concurrente et ouverte vis-à-vis du GRECE », rassemblant de nombreux intellectuels (Robert Aron, Pierre Debray-Ritzen, Thomas Molnar, Jules Monnerot, Jules Romains, Louis Rougier, Raymond Ruyer, Paul Sérant, etc.) autour de l’anticommunisme, la lutte contre « la subversion mentale » et pour « les valeurs occidentales ».

md30163773156.jpgAprès plusieurs colloques et sept numéros de « Cité-Liberté », l’institut se saborde en 1971.

La période de militantisme politique de Dominique Venner prend fin à cette époque, et c’est bien dommage car il incarnait un Nationalisme fort, moralement et intellectuellement.

Personnellement, j’ai découvert le militant en 1971, quand… il avait cessé de militer.

En 1971, il embrasse alors une carrière d’écrivain et d’historien. Son travail sur la résistance et la collaboration est remarquable car il a le mérite de remettre les pendules à l’heure.

Son « Histoire de l’armée rouge » a obtenu un prix de l’Académie française en 1981.

En 1995, c’est son ami François de Grossouvre (ancien résistant, spécialiste des services secrets, ami et conseiller de François Mitterrand), qui lui suggère d’écrire ce qui sera, à mon humble avis, son meilleur livre : « Histoire critique de la Résistance ». Ce livre insiste sur la forte présence d’éléments issus de la droite nationaliste au sein de la Résistance et dévoile l’importance du rôle de la « Résistance maréchaliste ». Après avoir fondé la revue « Enquête sur l’histoire », il crée en 2002, le bimestriel « La Nouvelle Revue d’Histoire » dans lequel écrivent des plumes remarquables comme Bernard Lugan, Jean Tulard, Aymeric Chauprade, Alain Decaux, ou Jacqueline de Romilly. Il anime également le « Libre journal des historiens » sur « Radio Courtoisie ».

Une mort de Samouraï: Dominique Venner a voulu théâtraliser sa fin de vie. Son ouvrage testamentaire s’intitule « Un samouraï d’Occident ». La couverture est illustrée par une estampe de Dürer: « Le Chevalier, la Mort et le Diable ».

Le 21 mai 2013, vers 16 heures, Dominique Venner se donne la mort par arme à feu — il a choisi un vieux pistolet belge à un coup — devant l’autel de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui devra être évacuée. Il aurait laissé une lettre à destination des enquêteurs.

Venner_Das-rebellische-Herz.pngCertains ont aussitôt parlé du « geste d’un déséquilibré ». Il n’en est rien : dans une lettre envoyée à ses amis de « Radio Courtoisie » et à Robert Ménard, qui la publiera dans « Boulevard Voltaire », il explique « croire nécessaire… devant des périls immenses pour sa patrie française et européenne…de se sacrifier pour rompre la léthargie qui nous accable ». Il déclare « offrir ce qui lui reste de vie dans une intention de protestation et de fondation ».

Concernant le lieu – bien mal choisi – de son suicide, il indique « choisir un lieu hautement symbolique, la cathédrale Notre-Dame de Paris qu’il respecte et admire, elle qui fut édifiée par le génie de ses aïeux… » Dans un texte publié quelques heures auparavant sur son blog, il avait appelé à des actions « spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences », expliquant que « nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes ». Il y écrit que les manifestants contre le mariage homosexuel ne peuvent ignorer « la réalité de l’immigration afro-maghrébine… » Le péril étant selon lui « le grand remplacement de la population de la France et de l’Europe ». Dès l’annonce de son suicide, plusieurs personnalités lui ont rendu hommage.

Marine Le Pen écrit sur Twitter : « Tout notre respect à Dominique Venner dont le dernier geste, éminemment politique, aura été de tenter de réveiller le peuple de France ». Bruno Gollnisch parle d’un « intellectuel extrêmement brillant » qui s’est donné la mort pour exprimer « une protestation contre la décadence de notre société ». En dehors de sa famille politique, quelques personnalités saluent son caractère. Benoît Rayski écrit : « Aucune des idées de Dominique Venner n’était mienne. Mais l’homme peut parfois échapper par son courage et sa noblesse à la gangue idéologique qui lui tient lieu d’armure ». Un hommage public lui est rendu le 31 mai 2013 à Paris.

Je n’y étais pas, hélas, car je partais pour un long voyage. Je me suis contenté d’envoyer sa dernière lettre, par mail, à mes amis. Dans ma mouvance idéologique – la droite catholique traditionaliste – on a fortement critiqué son geste.

L’Eglise condamne le suicide, et puis, un sacrilège à Notre Dame de Paris, c’était assurément impardonnable. Personnellement, sans doute parce que j’ai admiré l’homme, je ne condamne pas cette mort de Samouraï : Dominique Venner a choisi le jour de sa sortie après une vie de rectitude morale et de combat. Il ne voulait pas connaître le « grand remplacement » et considérait que le mariage de gens du même sexe était une abjection, un signe supplémentaire de la dégénérescence de notre civilisation. Il était droit, digne et il voyait juste. Alors, dispensons-nous de commentaires contre quelqu’un qui a si bien défendu, par les armes puis par les écrits, la France éternelle !

Monsieur Venner, j’espère que, malgré votre geste, vous êtes au paradis des justes.

Vous étiez athée (ou agnostique ?). Tant pis, depuis ce jour de mai 2013, il m’arrive souvent de penser à vous et même, parfois, de prier pour vous.

Dois-je ajouter, sans la moindre volonté de provocation, que je me sens plus proche de vous que du satrape, islamophile et pro-migrants, qui occupe le trône de Saint Pierre au Vatican.

Vous avez rejoint le Panthéon des gens qui me sont chers. Je vous devais bien un hommage !

09:04 Publié dans Hommages, Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dominique venner, hommage, nouvelle droite | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 10 mai 2020

Jordi Magraner, l'homme qui devint "Roi" !

jordi32.jpg

Jordi Magraner, l'homme qui devint "Roi" !

Via Facebook/Emmanuel Leroy

Jordi Magraner était un zoologiste français d'origine catalane que j'ai rencontré dans les années 80 dans la région lyonnaise où il travaillait alors. A la fin de cette décennie, il quitta la France pour un tour du monde avec quelques amis, mais quand ils furent arrivés au Pakistan, aux confins de l'Hindou Kouch, ils découvrirent une région très semblable au biotope alpin, et surtout un peuple relique, les Kalashs, et subjugués, ils s'installèrent sur place pour découvrir cette région sauvage et ses habitants, ces derniers ayant réussi à conserver leur paganisme ancestral malgré l'environnement islamique.

Les amis de Jordi rentrèrent en France au bout de quelques mois, mais lui est resté sur place, il a appris leur langue, s'est vêtu comme eux, a vécu comme eux, et quand je l'ai retrouvé en 2001, là-bas où il m'avait convié avec un groupe d'amis, nous avons assisté à la grande cérémonie regroupant les habitants des 3 vallées kalashes où il fut revêtu de la robe des Anciens qui le plaçait dans la position de "Grand homme du peuple kalash", car comme dans les sociétés indo-européennes archaïques, et notamment chez les Celtes, les Germains ou les Slaves, il n'y avait pas de roi, sauf dans les temps de guerre où l'assemblée des Anciens, élisait celui d'entre eux qui leur paraissait le plus apte à les conduire, mais pour la durée de la guerre seulement. Jordi avait fait un travail considérable pour la découverte et la préservation de cette société, véritable témoignage survivant de notre plus haute antiquité.

Sa formation de scientifique l'avait amené aussi à s'intéresser de manière rigoureuse aux histoires locales de "yétis" et il en avait tiré un travail de grande qualité (disponible ici : https://daruc.pagesperso-orange.fr/hominidesreliquesasiec...). Mais comme il touchait à tout, il était en contact régulier avec le commandant Massoud, qui habitait si je puis dire, de l'autre côté de la montagne, c'est-à-dire à une bonne semaine de voyage à cheval avec le franchissement de sommets à plus de 5000.

F.Becquelin,anthropologue,genevieve et les garconsIN MEMORIUM.jpg

Ce voyage devait être l'occasion pour mes amis et moi, de rencontrer le Lion du Panshir, mais ce dernier fut malheureusement assassiné par deux Tunisiens, 2 jours avant le 11 septembre 2001, probablement sous commandite américaine. L'invasion de l'Afghanistan était prévue pour bientôt, et il ne fallait pas que les Tadjiks soient en position de force. Mais le travail de Jordi gênait aussi beaucoup de monde. Les équipes scientifiques grecques, très présentes dans cette région de Chitral pour démontrer à toutes forces que ces peuples sont des descendants directs de guerriers d'Alexandre le Grand, ce qui n'était qu'une jolie légende, maintenant prouvée par les différentes études génétiques qui ont été faites au début des années 2000.

Jordi, en défendant la culture kalashe, dérangeait aussi les Talibans et les milieux musulmans très infiltrés par le wahhabisme depuis que les Américains avaient introduit cette doctrine dans la région par l'intermédiaire de leur agent Ben Laden pour lutter contre les Soviétiques dans les années 80. Mais il dérangeait aussi les services pakistanais de l'ISI, très en cheville à l'époque avec leurs homologues de la CIA.

Bien évidemment, je n'imagine pas une seconde les archéologues grecs, aussi remontés qu'ils aient pu être contre le travail de Jordi qui démontait le leur, vouloir s'attaquer physiquement à lui. Pourtant, il fut assassiné dans la nuit du 2 au 3 août 2002 en compagnie d'un de ses serviteurs. Le ou les coupables n'ont jamais été retrouvés, mais un autre de ses serviteurs, d'origine afghane, a disparu pendant la nuit. Ils furent probablement drogués puis égorgés durant leur sommeil. Sa mort fut une grande perte pour le peuple kalash en voie d'extinction lente par acculturation à son environnement musulman. On n'aime pas beaucoup les kafirs là-bas. Ishpata baya Jordi !

pakistan10.jpg

mercredi, 22 avril 2020

GUILLAUME FAYE: DAL TERZOMONDISMO DI DESTRA ALL'ARCHEOFUTURISMO

GFjeune.jpg

Un article récent sur Guillaume Faye en Italie:

GUILLAUME FAYE: DAL TERZOMONDISMO DI DESTRA ALL'ARCHEOFUTURISMO

Matteo Luca Andriola

Diplomato all'Institut d'études politiques di Parigi e titolare di un dottorato in scienze politiche, Guillaume Faye è stato, nel periodo che va dal 1970 al 1986, uno dei principali teorici del Groupement de Recherches et Etudes pour la Civilisation Européenne (GRECE) e dell'ambiente più tardi noto come "Nouvelle Droite", corrente di pensiero rivoluzionario-conservatrice che fa capo tutt'oggi alla figura di Alain de Benoist. In seguito, sarà ispiratore di diversi ambienti etno-identitari presenti in tutta Europa. Rompe definitivamente col GRECE nel 1987, avvicinandosi al belga Robert Steuckers, ex esponente del Secrétariat Études & Recherches del GRECE-Belgique e animatore di un circolo culturale nato sul solco della Nouvelle Droite, ma più radicale, il gruppo EROE (Études, Recherches et Orientations Européennes), ufficializzando il tutto con una lettera inviata al GRECE il 25 maggio 1987 e pubblicata quel'estate sul mensile italiano «Orion» di Maurizio Ulisse Murelli, per spiegare le ragioni della sua rottura e l'adesione ad un nuovo progetto in cui sarebbero stati coinvolti dissidenti dei vari circoli europei vicini alla Nouvelle Droite e personalità del nazionalismo-rivoluzionario, l'associazione EUROPA:

«L'obiettivo, dunque, è gettare le basi di un movimento: 1) che si estenda agli altri paesi europei; 2) che trascuri le vecchie sfaldature; 3) che metta a frutto il capitale costituito in seno al GRECE; 4) che miri alla costruzione concreta di élite attive e all'intervento positivo nella società civile. Questo lavoro sarà lungo e difficile. Ma è indispensabile cominciarlo fin da ora. È ugualmente indispensabile (e logico) che il massimo di aderenti e simpatizzanti del GRECE si unisca a ciò che è la sua continuazione storica. Beninteso, uomini nuovi, venuti da ogni parte dell'orizzonte, si uniranno a noi. Per affrontare il mondo reale e agirvi, noi ne avremmo bisogno. Sul piano giuridico, l'embrione di questo nuovo movimento (che non è evidentemente né un partito né un apparato!), destinato ad apportare energia nuova alla nostra comunità, è stato fondato sotto la forma di un'associazione: EUROPA. Il nuovo movimento è nella sua fase d preparazione e non comincerà realmente, a livello europeo, le sue attività che al rientro dalle vacanze 1987. Il suo atto di nascita concreto sarà l'UNIVERSITÉ D'ÉTÉ 1987, che avrà luogo a Nivernais […] alla fine di agosto, nel corso della quale verranno gettate le basi del nostro lavoro».

L'associazione EUROPA sarà l'embrione del network nazionalbolscevico Synergies Européennes, un'aggregazione di natura culturale nata nel 1993-1994 sulla falsariga del GRECE che ha visto la confluenza di esponenti del radicalismo di destra e quelli della Nuova Destra, fra i quali lo studioso fiammingo Robert Steukers, designato dallo stesso Guillaume Faye, dopo la rottura con Alain de Benoist, come continuazione storica di un GRECE oramai infiacchitosi e incapace di divenire un punto di riferimento metapolitico per tutta l'estrema destra. Collaborerà con l'italiano Stefano Vaj - ex membro del Secrétariat Études & Recherches del GRECE, collaboratore di riviste come l'Uomo libero, La Gazzetta Ticinese, Nouvelle École (rivista del GRECE), La Padania, Letteratura-Tradizione, Rinascita. Quotidiano di Sinistra Nazionale, Intervento, The Ring, Il Federalismo, Transumanar, Dissenso e Il Candido, e militante identitarista, membro dell'associazione identitaria vicina alla Lega Nord Terra Insubre - animando assieme a quest'ultimo il Collectif de Réflexion sur le Monde Contemporain. Faye, inoltre, collabora anche con l'associazione identitaria Terre et Peuple, gruppo animato dall'ex presidente del GRECE Pierre Vial, vicino agli identitari filoleghisti di Terra Insubre. Ha collaborato con giornali e riviste come Figaro-Magazine e Paris Match, nonché con l'emittente radio Skyrock.

Negli anni Ottanta Faye innoverà l'ambiente, introducendo un'analisi de-complottistizzata sui fenomeni della globalizzazione che diverranno parte del suo libro, del 1981, 'Le Système à tuer les peuples' (ed. it. 'Il Sistema per uccidere i popoli', 1983). In quest'epoca, durata fino a metà degli anni ottanta, Faye designa come nemico principale il mondo occidentale a guida USA, contro il quale tutti i popoli liberi e radicati nelle proprie tradizioni devono far fronte comune. Le sue riflessioni sul Sistema come entità acefala e autoregolantesi anticipano le dinamiche dell'attuale globalizzazione e richiamano alla mente alcune tesi di Michel Foucault sulla microfisica del potere e altre della Scuola di Francoforte. In questa fase Faye, da un punto di vista più politico, adotta vedute particolarmente anti-occidentaliste e apertamente terzomondiste, che diverranno il marchio di fabbrica della "Nouvelle Droite" e del GRECE fino a oggi, e che spiegheranno la scelta filoaraba di molti gruppi politici.

A partire dalla fine degli anni novanta, dopo una lunga pausa dalle attività metapolitiche, Giullaume Faye - che fa suo un pensiero volontarista faustiano, marcatamente nietzscheano e portatore di un neopaganesimo postmodernista - ha invece sviluppato un'autocritica che coinvolge soprattutto le sue vedute di un tempo a proposito dell'Islam, da lui ora indicato come nemico giurato dell'Europa. In quest'ultima fase della sua attività metapolitica, Faye denuncia l'immigrazione allogena come una forma di colonizzazione di popolamento. Nel libro L'Archéofuturisme (Paris, l'Æncre, 1998), Faye elabora l'archeofuturismo, proposto all'Università d'Estate di Sinergie Europee, la branca italiana che fa capo a Maurizio Murelli, una "sintesi" ispirata alla Rivoluzione conservatrice fra arcaismo (cioè 'fondamento', 'inizio', 'stimolo fondatore', cioè il continuo richiamo ai valori ancestrali di matrice indoeuropea presenti nella cultura dei popoli del continente, come la fedeltà e l'onore) e futurismo (inteso come 'dinamismo', 'volontà di potenza', 'proiezione nel futuro', o, più semplicemente, il desiderio di forgiare un popolo europeo nel futuro e per il futuro, senza mai perdere di vista l'ambizione, l'indipendenza, la creatività e la potenza). Questa "sintesi culturale" che si ispira alle riflessioni di Friedrich Nietzsche e di Giorgio Locchi, riprende e fonde sia concetti presi da questi due filosofi che le riflessioni di Evola, Marinetti e Heidegger:

«Bisogna riconciliare Evola e Marinetti, […] [riprendere] il pensiero organico, unificante e radicale di Friederich Nietzsche e Martin Heidegger; pensare insieme la tecno-scienza e la comunità immemorabile della comunità tradizionale. Mai l'una senza l'altra. Pensare […] l'uomo europeo a un tempo come il deinatatos («il più audace»), il futurista, e l'essere di lunga memoria. Globalmente il futuro richiede il ritorno dei valori ancestrali, e questo per tutta la Terra».[1]

L'archeofuturismo - sviluppatasi sul solco della Nouvelle Droite, del movimento völkisch, del nazionalismo europeo e del federalismo etnico con l'aggiunta dell'islamofobia, che non verrà affatto digerita da tutto il nazionalismo-rivoluzionario europeo, storicamente antisionista e filoarabo, e che col tempo porteranno Faye a rivalutare l'Occidentalismo e addirittura Israele - si contrappone all'egualitarismo "giudaico-cristiano" «Sorta dall'evangelismo laicizzato, dal mercantilismo anglosassone e dalla filosofia individualista dei Lumi, […] [che] è riuscita a realizzare il suo progetto planetario, basato sull'individualismo economico, l'allegoria del progresso, il culto dello sviluppo quantitativo, l'affermazione di astratti "diritti dell'uomo"»[2], viene elaborata da Faye per contrastare quella che lui definisce come una "convergenza delle catastrofi" che sta minacciando l'Occidente - concetto estraneo alle vecchie elaborazioni fatte ai tempi de Il sistema per uccidere i popoli - e cioè la "colonizzazione di popolamento" da parte dei popoli del Sud del mondo e da parte di quelli dei paesi islamici, seguita da una catastrofe causata da una "crisi economico-demografica europea" - cioè il rallentamento economico a causa dell'invecchiamento della popolazione continentale e della denatalità -, a cui farà seguito il "caos sociale" nel Sud del mondo causato da una serie di tensioni esplosive a seguito dell'occidentalizzazione forzata e dai relativi squilibri, con l'emersione di poche oligarchie ricche affiancate da masse di diseredati, una grave "crisi economico-finanziaria" che partirà dall'estremo Oriente che, come effetto della globalizzazione, si espanderà in tutto il globo terrestre e la rinascita dei fanatismi religiosi e dei fondamentalismi, come quello islamico. Secondo Faye l'Occidente secolarizzato farà fatica a resistere allo scontro etnico-religioso tra Nord e Sud del mondo e alla crisi ambientale, che piegheranno l'Europa.


Pensatore poliedrico, non si è esentato anche dall'analisi economica. Nel saggio breve Per l'Indipendenza Economica[3] si fa portatore di una visione di sviluppo che definisce autocentrato e autarchico, protezionista, in diretta contrapposizione alle direttrici della globalizzazione.

GFusa.jpg

Note

[1] G. Faye, Archeofuturismo, Società Editrice Barbarossa, Cusano Milanino 2000, p. 82.
[2] Ibidem, pp. 55, 56.
[3] G. Faye, Per l'indipendenza economica, in "L'Uomo libero" n. 13, gennaio 1993.

Opere originali
- Le système à tuer les peuples, Copernic, 1981.
- La NSC: Nouvelle société de consommation, Editions du Labyrinthe, 1984
- Les nouveaux enjeux idéologiques, Editions du Labyrinthe, 1985.
- L'Archéofuturisme, l'Æncre, 1998.
- La colonisation de l'Europe, Discours vrai sur l'immigration et l'Islam, L'Æncre, 2000.
- Pourquoi nous combattons. Manifeste de la résistance européenne, L'Æncre, 2001.
- Avant-guerre: Chronique d'un cataclysme annoncé, L'Æncre, 2003.
- Le coup d'état mondial, essai sur le nouvel imperialisme américain, l'Æncre, 2004.
- La nouvelle question juive, Les éditions du Lore, 2007.

Opere in lingua italiana
- La ragnatela mondiale del sistema, in "L'uomo libero", n. 10, aprile 1982
- Gli eroi sono stanchi, in "L'Uomo libero", n. 14, aprile 1983
- NSC. La Nuova Società dei Consumi, in "L'Uomo libero", n. 20, gennaio 1985
- Per l'indipendenza economica, in "L'Uomo libero" n. 13, gennaio 1993
- La colonizzazione dell'Europa: la soluzione di Prometeo e del Dottor Faust, in "L'Uomo libero", n. 58, novembre 2004
- Il Sistema per uccidere i popoli, SEB, Milano 1997
- Archeofuturismo, SEB, Milano 2000
- Per farla finita con il nichilismo. Heidegger e la questione della tecnica, SEB, Milano 2007
- Futurismo e modernità, in "Divenire. Rassegna di studi interdisciplinari sulla tecnica e il postumano. Vol. 3".

Bibliografia
- Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite. Jalons d'une analyse critique, Paris, Descartes & Cie, 1994 (ed. it. Sulla Nuova Destra. Itinerario di un intellettuale atipico, Firenze, Vallecchi 2003)
- Robert Steukers, L'Apport de Guillaume Faye à la Nouvelle droite, Clepsydre, 1996 (ed. it. come "Introduzione" a Guillaume Faye, Il Sistema per uccidere i popoli, Cusano Milanino, SEB, 1997, http://robertsteuckers.blogspot.com/…/lapport-de-guillaum...)
- Robert Steuckers, Au revoir Guillaume Faye, après 44 ans de combat commun!, in Pierre Krebs, Robert Steuckers e Pierre-Émile Blairon, Guillaume Faye, cet esprit-fusée !, Ed. du Lore, 2019, pp. 35-88, http://robertsteuckers.blogspot.com/…/au-revoir-guillaume....
- Matteo Luca Andriola, La Nuova destra in Europa. Il populismo e il pensiero di Alain de Benoist [2014], Milano, Edizioni Paginauno, 2019.
- Matteo Luca Andriola, Il Mouvement Identitaire francese: dal gramscismo di destra a Terre et peuple, Paginauno, a. VII, n. 35, dicembre 2013 - gennaio 2014.
- Matteo Luca Andriola, Il Mouvement Identitaire francese: da Unité radicale al Bloc identitaire, Paginauno, a. VIII, n. 37, aprile - maggio 2014.
- Jean Yves Camus, Le Bloc identitaire, nouveau venu dans la famille de l'extrême droite, Rue89, 19 ottobre 2009.
- Stéphane François, Guillaume Faye, entre postmodernité et identité, in Id., Identité, écologie et paganisme. Études sur la Nouvelle Droite et ses dissidences, Le Bord de l'eau, Billère 2020, pp. 73-80.
- Stéphane François, Réflexions sur le mouvement “Identitaire”, 2009, http://tempspresents.wordpress.com/…/reflexions-sur-le-mo... e http://tempspresents.wordpress.com/…/reflexions-sur-le-mo....
- Stéphane François, Au-delà des vents du Nord. L’extrême droite française, le Pôle nord et les Indo-Européens, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2014.

00:13 Publié dans Hommages, Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guillaume faye, nouvelle droite, hommage | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 19 avril 2020

Pierre Daye, un esthète dans la tourmente

602853_3.jpg

Pierre Daye, un esthète dans la tourmente

par Christophe Dolbeau

            Lorsque le 28 février 1960, le très discret Pierre Daye s’est éteint à Buenos-Aires, très peu de Belges se souvenaient probablement de lui. Et pourtant ce Porteño d’adoption avait été l’un des journalistes européens les plus brillants de la première moitié du XXe siècle, ainsi qu’un protagoniste majeur de la vie politique bruxelloise d’avant-guerre. Grand reporter à la façon d’un Albert Londres, d’un Paul Morand ou d’un Henri Béraud, brillant causeur et plaisant conférencier, il avait également été député et avait même occupé des fonctions gouvernementales sous l’Occupation. Effacé de la mémoire collective comme des annales littéraires belges, ce personnage aux multiples facettes mérite amplement, 60 ans après sa disparition, de sortir du purgatoire.

Un globe-trotter

            C’est dans une famille très bourgeoise de Schaerbeek, l’une des communes de Bruxelles, que Pierre Daye vient au monde le 24 juin 1892. Scolarisé chez les pères jésuites du Collège Saint-Michel, il se voit offrir, dès l’enfance, la possibilité de faire plusieurs beaux voyages. À une époque où l’on circule bien moins qu’aujourd’hui, le jeune Pierre découvre Venise (août 1901), la Bretagne et les pistes de ski de Kandersteg (1904). Il assiste même à une audience du Pape Saint Pie X. À 17 ans, il passe des vacances à Tanger (1909) puis intègre l’Institut Saint-Louis où il va suivre deux années de droit. Appelé ensuite sous les drapeaux, il se trouve donc fin prêt, en juillet 1914, pour répondre à la mobilisation générale. Le jeune homme prend part aux batailles de Namur, d’Anvers et de l’Yser, puis son goût pour l’exotisme le conduit à se porter volontaire pour rejoindre, en Afrique, les troupes du général Charles Tombeur (1867-1947). Ces unités (la Force publique congolaise) se battent contre le célèbre général allemand Paul Emil von Lettow-Vorbeck (1870-1964). Mitrailleur, Pierre Daye participe à la prise de Tabora (19 septembre 1916), le principal fait d’armes des bataillons belges. Il consacrera plus tard un livre à cette épopée tropicale (1). Promu officier mais sévèrement atteint par la malaria, il est alors rapatrié en Europe. Au terme de sa convalescence, le conflit n’est pas achevé, ce qui lui vaut d’effectuer encore une dernière mission, nettement moins périlleuse celle-là : assurer, à Washington, la promotion de la Belgique, en qualité d’attaché militaire adjoint. C’est à ce titre qu’il est reçu, en décembre 1918, par le président cubain García Menocal (1866-1941). De son séjour américain, il tirera matière à un livre, Sam ou le voyage dans l’optimiste Amérique, qui paraîtra en 1922.

Pierre_Daye_bij_Force_Publique.jpg

Pierre Daye, officier de la "Force publique" congolaise.

            Rendu à la vie civile en 1919, Pierre Daye s’intéresse dès lors aux joutes politiques. Membre de la Ligue de la Renaissance nationale, où il côtoie Pierre Nothomb (2), l’aviateur Edmond Thieffry (3) et le peintre Delville (4), il en est candidat suppléant lors des élections de novembre 1919. On le trouve ensuite au Comité de politique nationale, un groupe qui milite, sous la houlette de Pierre Nothomb, pour « la plus grande Belgique », et il collabore à l’hebdomadaire La Politique (1921). Très sédentaire, cette activité n’est toutefois pas à même de le retenir bien longtemps car, au fond, sa véritable passion, ce sont les voyages. Dès 1922, il embarque donc sur l’Élisabethville et repart pour l’Afrique : durant plusieurs mois, il sillonne le Congo, en voiture, en train, à pied ou en « typoï » (chaise à porteurs), et navigue sur le lac Tanganyika. Puis, avant de rentrer en métropole, il fait un crochet par l’Union sud-africaine où il s’entretient avec le Premier ministre Jan Smuts.

9200000102951244.jpgEmbauché comme reporter par le grand quotidien Le Soir, il va désormais multiplier les expéditions les plus lointaines et les entrevues exclusives. En une quinzaine d’années, ses pérégrinations vont l’emmener aux quatre coins de l’univers et lui permettre de rencontrer un nombre incroyable de personnalités de premier plan. Après le Congo (où il retournera plusieurs fois), Pierre Daye visite ainsi le Maroc, où il s’entretient avec le sultan Moulay Youssef (1881-1927), les Balkans, où il est reçu par le Premier ministre bulgare Alexandre Tsankov (1879-1959), et l’Argentine, où il se rend, en 1925, en faisant le subrécargue sur un modeste cargo. Après Buenos-Aires, où il se lie avec l’écrivain nationaliste Leopoldo Lugones (1874-1938), il traverse la Cordillière des Andes et découvre le Chili, puis se rend en Uruguay et au Brésil. En 1926, il est à Moscou, approche Léon Trotsky, Leonid Krassine (5) et Maxime Litvinov (6), puis passe par la Pologne et s’y entretient avec Sikorski (7), avant de regagner Bruxelles pour y faire rapport au roi Albert Ier. D’autres expéditions le conduisent en Angola, en Nubie mais aussi au Maroc espagnol, où il rencontre le général Primo de Rivera, et en Asie qu’il visite en qualité de chargé de mission. Après une escale à Ceylan, il passe par les Indes britanniques, la Malaisie, Sumatra, le Japon, la Chine et la Mandchourie. Dans l’Empire du Milieu, il va voir les tombes des Mings, rencontre Pou-yi (8) et obtient une entrevue avec le président Tchang Tso-lin (9). D’une curiosité insatiable, Pierre Daye effectue ensuite un tour du monde par les îles, périple original qui le conduit au Cap Vert, aux Antilles, à Panama, à Tahiti, aux îles Fidji, aux Nouvelles-Hébrides, en Nouvelle-Calédonie, en Australie et à Java. Il va sans dire que toutes ces étapes donnent naissance à autant d’articles ou de livres captivants (10). Notre impénitent voyageur connaît également bien Constantinople et le Moyen-Orient. Passé par la Syrie, la Palestine et Jérusalem, il séjourne assez longuement en Égypte (1931), ce qui lui permet de visiter Memphis (avec le peintre Herman Richir), Thèbes, Abou Simbel et le temple d’Edfou.

vie-et-mort-d-albert-ier-1.jpgAjoutons encore à la liste de ses voyages mémorables, la traversée de la Sibérie par 30° au-dessous de zéro, et un séjour en Perse qui lui offre l’occasion de converser avec Reza Chah Pahlavi. Son goût affirmé pour les contrées lointaines ne l’empêche pas d’apprécier aussi les découvertes européennes. Angleterre, Portugal, Italie, Autriche, Hongrie et pays scandinaves n’ont guère de secrets pour lui ; en août 1932, il est même en Lituanie, à Nida, où l’a invité Thomas Mann, tandis qu’en 1935, il visite les Pays-Bas et l’Allemagne en compagnie de Pierre Gaxotte. À Berlin, les deux hommes auront l’occasion d’échanger quelques propos avec Ribbentrop et Otto Abetz. Aventurier dans l’âme, Pierre Daye ne se contente pas de flâner nonchalamment mais il n’hésite pas, le cas échéant, à se rendre sur le théâtre de certains conflits : on le verra par exemple, en pleine guerre civile espagnole, faire la tournée des lignes de front avec Gaxotte et José Félix de Lequerica (11).

Un homme du monde

            Chroniqueur réputé et homme du monde, Pierre Daye est également un habitué des dîners en ville où ses commensaux sont généralement des personnes de qualité. On l’apercevra ainsi à la table du maréchal Joffre ou à celle de Raymond Poincaré. Ami de Pierre Gaxotte (qui le fera bientôt entrer à Je suis partout), il est également lié au poète Éric de Haulleville, à Pierre Drieu la Rochelle, Maurice Mæterlinck et Georges Remi (Hergé). Sa popularité de journaliste et ses talents de causeur en font par ailleurs l’un des hôtes les plus réguliers des salons à la mode de la capitale belge. Membre assidu du très chic Cercle Gaulois, que fréquentent André Tardieu, Paul Claudel ou Pierre Benoit, il est aussi l’un des convives attitrés des dîners que donne Isabelle Errera (Goldschmidt), des soirées de prestige qu’organise Madame Jules Destrée, ou encore des réunions qu’orchestre la belle Lucienne Didier (Bauwens). Très éclectiques, ces rendez-vous accueillent aussi bien des notables de gauche, comme Henri De Man (12) et Paul-Henri Spaak (13), que des intellectuels de droite, comme Louis Carette (le futur Félicien Marceau), Brasillach, Montherlant et Fabre-Luce, ou des penseurs indépendants, comme Emmanuel Mounier (14). Dans les années 1930, il n’est pas excessif de dire que Daye est un homme arrivé. Un peu sarcastique, Jean-Léo le présente ainsi : « Grand bourgeois catholique, un peu précieux, toujours habillé avec recherche (sauf quand il pratique le nudisme), il affectionne les cravates club et ne fume que des ‘Abdalla’ à bout doré » (15). « Gentleman globe-trotter », précise-t-il encore, « habitué des sleepings, des paquebots, des palaces et des restaurants quatre étoiles (…) il est un peu boudé par la bonne société qui lui reproche ‘des mœurs dissolues’ (L’expression, à une époque où l’on ne s’éclate pas encore dans les Gay pride, désigne son homosexualité que Marcel Antoine, dans ses caricatures, suggère en le représentant jouant du bilboquet » (16). Confirmant ce portrait, l’historien Jean-Michel Etienne ajoute que l’homme est sans conteste intelligent et bon connaisseur des milieux diplomatiques belges et étrangers (17).

Disons aussi que si Pierre Daye est effectivement familier de la haute société, il ne succombe jamais à ce miroir aux alouettes qu’il observe un peu comme une sorte d’entomologiste. Parlant des « gens du monde », voici d’ailleurs ce qu’il en dit : « … vains, souvent paresseux, certains ont pour excuse sinon leur fortune, tout au moins leur culture ou leur goût, qui sont parfois réels. Snobs, comme on dit, ils se nourrissent néanmoins d’idées toutes faites, à condition qu’elles soient à la mode (…) On trouve chez eux, souvent, de l’élégance extérieure, du brillant, du charme, ce que l’on a appelé la douceur de vivre, et parfois du comique involontaire. C’est pourquoi je les ai beaucoup fréquentés, et ils m’ont beaucoup amusé. À condition de les juger pour ce qu’ils sont et de ne rien leur demander, les gens du monde apparaissent d’un utile et agréable commerce pour un célibataire qui se pique d’être en même temps un observateur professionnel » (18)

           rubens-28.jpg Au demeurant, il serait injuste et inexact de ne voir en Pierre Daye qu’un voyageur nanti et un mondain frivole : il s’agit aussi et surtout d’un écrivain talentueux dont les nombreux livres se vendent très bien. Auteur de multiples récits de voyage (19), il a également consacré plusieurs ouvrages aux souverains belges (20), ainsi que plusieurs essais à l’Afrique (21). Dans la première partie de sa vie, il a, en revanche, peu abordé la politique dans ses livres, et lorsqu’il l’a fait, ce fut plutôt sous l’angle de la politique étrangère (22). Il s’est par ailleurs peu intéressé à la fiction, sinon sous la forme de quelques nouvelles et contes. L’un de ceux-ci, Daïnah, la métisse (1932), sera même adapté au cinéma par Jean Grémillon (avec Charles Vanel dans l’un des rôles principaux).

Député rexiste

            Dans les années 1930, la politique, qu’il avait autrefois délaissée au profit des voyages, l’attire de nouveau. Secrétaire du socialiste Jules Destrée, Daye se refuse toutefois à rallier le Parti Ouvrier Belge (POB). En fait, il se range parmi les conservateurs « éclairés » : membre (depuis 1926) de l’Union paneuropéenne, il se montre sensible aux questions sociales, mais à la façon des catholiques, et reste très fidèle au roi comme à l’unité nationale. Partisan de la colonisation et hostile à une émancipation rapide du Congo, il n’est cependant absolument pas raciste et ne témoigne d’aucune hostilité de principe à l’égard des Noirs. Dès 1921 et dans un article consacré au mouvement « pan-nègre » (23), il souligne qu’ « il serait vain de croire que la suprématie de la race blanche pourra se maintenir intacte », proclame que « les préjugés de race sont absurdes » et s’affirme partisan « des généreuses idées de collaboration des races ». À propos des Africains, il déclare : « Nous sommes les premiers à vouloir que le sort de la race noire soit amélioré ; que là où des abus existent, ils soient redressés ; que l’on s’occupe de l’éducation, de la formation intellectuelle et – par après – de la liberté des nègres. Mais il faut procéder avec ordre ». Car, ajoute-t-il, « il nous faut veiller à ce qu’au nom de principes sentimentaux, on n’aille pas saper notre autorité en Afrique ». Si nous insistons quelque peu sur ces opinions, disons paternalistes, de Pierre Daye, c’est afin de mieux souligner toute l’absurdité qu’il y a à le qualifier de « nazi » comme d’aucuns le feront un jour…

            image-original.jpgDésireux de descendre dans l’arène pour y défendre ses idées catholiques, sociales et nationales, Pierre Daye découvre en 1935 le nouveau phénomène politique qu’est Léon Degrelle. Le 24 janvier, il le voit, pour la première fois, à Louvain où le jeune orateur l’impressionne beaucoup. « J’attendais depuis plusieurs années », racontera-t-il, « que se manifestât dans mon pays un effet de ce grand mouvement européen dont j’avais découvert en tant de nations les signes tangibles » (24). Séduit, l’écrivain n’est pas long à rejoindre les rangs de Rex où il siège d’emblée au Conseil politique (mais pas au Bureau exécutif). Aux élections du 24 mai 1936, le mouvement, qui a le vent en poupe, obtient du premier coup 33 élus (21 députés et 12 sénateurs). « Nous étions partis, nous pouvons bien le dire », se souvient-il, « sans aucun moyen ; nous n’avions pas d’argent, aucune expérience, très peu d’hommes, pas de journaux. Mais nous avions la foi. Et la jeunesse aussi… » (25). Et le 27 mai, dans les colonnes du Pays réel, le nouveau député bruxellois se montre plus laudatif encore, affirmant entre autres que « Léon Degrelle est devenu l’interprète de tout ce qui, dans la nation, est jeune, vivant, audacieux, tourné vers l’avenir » (26). L’Assemblée que découvre Pierre Daye n’a rien de bien attrayant : selon lui, « les trucs, les combinaisons, l’intérêt personnel, la stérilité, la suffisance, la vulgarité, tels étaient quelques-uns des traits que révélait l’examen de l’institution parlementaire » (27). Il semble néanmoins tout à fait décidé à jouer le jeu et à faire sérieusement son travail de député. Placé à la tête du groupe parlementaire, il s’efforce donc, en premier lieu, de discipliner ses collègues rexistes qui font souvent preuve d’une nonchalance et d’un amateurisme consternants. Auteur d’un projet de loi réduisant la durée du service militaire, il s’exprime aussi au sein de la Commission des Colonies et de celle des Affaires Étrangères où il plaide fougueusement pour l’Espagne nationaliste. Assez proche du chef, il est souvent associé aux grandes manœuvres de ce dernier. En septembre 1936, par exemple, il est aux côtés de Degrelle lorsque celui-ci est reçu par Hitler (invité par Rudolf Hess, il profite du déplacement pour assister au 8e congrès de Nuremberg). C’est par ailleurs autour de la table de Pierre Daye que se nouent certains contacts discrets entre des gens comme Gustave Sap (28), Hendrik Borginon (29), Gérard Romsée (30), Joris van Severen (31), Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (32), et Léon Degrelle. Plus tard, et au grand dam du Quai d’Orsay, il demandera la dénonciation de l’accord militaire franco-belge, ainsi que des accords de Locarno (33).

            3021089-gf.jpgDévoué mais exigeant, Pierre Daye va vite se lasser des carences profondes du groupe parlementaire rexiste dont il abandonne d’ailleurs la présidence dès juin 1937. Cela ne l’empêche cependant pas de continuer son travail à la Chambre. Dans le même temps, il poursuit son activité de chroniqueur et d’essayiste. En octobre 1936, il joue un rôle clef dans la parution d’un numéro spécial de Je suis partout entièrement consacré à Rex, avec une « Lettre aux Français » de Léon Degrelle et des articles de Serge Doring, Carlos Leruitte et Lucien Rebatet [La même année, Robert Brasillach fait paraître Léon Degrelle et l’avenir de Rex (Plon) et l’année suivante (3 novembre 1937), il dédiera toute une page de Je suis partout au mouvement belge]. Régulièrement présent dans les colonnes de l’hebdomadaire parisien, Pierre Daye signe également, en 1937, un livre sur Léon Degrelle et le rexisme (Fayard), suivi en 1938 d’une Petite histoire parlementaire belge. Malgré cet engagement sans faille, les erreurs répétées de Rex et de son chef finissent toutefois par user sa patience. Ce désenchantement le conduit même, en 1939, à refuser de se représenter aux élections et à quitter le mouvement. Le 10 mars, il prend donc définitivement congé du groupe parlementaire et se tourne dès lors vers le parti catholique où il a conservé nombre d’amis. Il s’en va, certes, mais demeure en excellents termes avec Degrelle, ce que la suite des événements ne va pas tarder à démontrer.

La catastrophe de 1940

            À nouveau libre de ses initiatives et très hostile à l’idée d’un nouveau conflit avec l’Allemagne, Pierre Daye s’associe, le 23 septembre 1939, au manifeste des intellectuels (34) « pour la neutralité belge, contre l’éternisation de la guerre européenne et pour la défense des valeurs de l’esprit ». Le texte paraît le 29 septembre dans la Revue catholique des idées et des faits, puis dans Cassandre, le Pays réel, les Cahiers franco-allemands, et ses treize signataires se voient aussitôt interdire l’accès au territoire français. En décembre, Daye rejoint Robert Poulet, Hergé, Gaston Derijcke (Claude Elsen) et Raymond De Becker, au nouvel hebdomadaire L’Ouest qui se veut le prolongement du manifeste. La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne étant entrées en guerre le 3 septembre, la situation devient dès lors chaotique en Belgique où partis politiques et ministres ne parviennent pas à faire des choix clairs et consensuels.

            Et puis survient soudain le cataclysme, avec l’attaque allemande du 10 mai 1940 et la débandade quasi immédiate du gouvernement belge. Avant de filer vers Paris, Poitiers, Limoges ou Vichy, les autorités ont tout de même fait appréhender tous ceux qu’elles soupçonnent – à tort le plus souvent – d’appartenir à la cinquième colonne. Averti de l’arrestation de nombre de ses amis mais épargné par la première rafle, Pierre Daye juge dès lors prudent de s’éloigner au plus vite de Bruxelles. Accompagné de son neveu, Jacques Lesigne, il part donc, le 12 mai, pour La Panne, dans le but de trouver asile en France. Refoulé car il ne possède pas les visas nécessaires, il parvient cependant, le 14 mai, à franchir la frontière à Poperinghe et à filer vers Eu. Après une étape de cinq jours à Lisieux, il reprend la route, le 20 mai, traverse Nantes et atteint La Rochelle où son ami Pierre Bonardi (35) lui offre le vivre et le couvert. Le 24 mai, il pousse encore jusqu’à la périphérie de Bordeaux, laisse son neveu à Libourne, puis rebrousse chemin et regagne La Rochelle où les Bonardi le dirigent vers l’île de Ré où ils possèdent un moulin.

8065721862.jpgDaye va donc séjourner plusieurs semaines à Saint-Clément-des-Baleines. Loin des combats, il fait de la bicyclette, se balade avec Henri Béraud et aperçoit de temps en temps Suzy Solidor ou le peintre Paul Colin. Cette paisible villégiature s’achève toutefois vers la fin juin car avec l’armistice, le journaliste souhaite désormais rentrer chez lui. Le 8 juillet 1940, il remonte donc sur Paris, s’y arrête le temps de voir Jean Chiappe, puis regagne Bruxelles. Informé du massacre d’Abbeville (36) et du décès de Léon Degrelle, le journaliste ne tarde pas à réapparaître à Paris où l’ambassadeur Abetz, une vieille connaissance, lui apprend incidemment que Degrelle n’est absolument pas mort, mais probablement interné dans un camp du sud de la France. En dépit des divergences politiques qui ont pu opposer les deux hommes, Daye estime alors de son devoir de se porter au secours du chef de Rex et part aussitôt à sa recherche. Accompagné de Jacques Crokaert et Carl Doutreligne, il file à Vichy, rencontre Adrien Marquet mais aussi plusieurs ministres belges en déréliction… L’administration française n’ayant pas mis longtemps à localiser Degrelle qui se trouve dans l’Ariège, au camp du Vernet, le trio de sauveteurs (« mes trois mousquetaires » dira Degrelle dans La cohue de 40) s’empresse de reprendre la route. Quelques heures plus tard, ils sont à Carcassonne où ils retrouvent enfin Léon Degrelle, « sale, amaigri, méconnaissable » (37), ainsi que l’ex-député rexiste Gustave Wyns.

Au cœur des intrigues

            La petite troupe ne s’attarde pas dans l’Aude et remonte aussitôt vers Paris où une brève escale permet à Degrelle de remercier Abetz et de s’entretenir avec Fernand de Brinon. De retour à Bruxelles le 30 août, Pierre Daye reçoit bientôt la visite du comte Robert Capelle auquel il relate la triste épopée de Degrelle. À cette occasion, le secrétaire du roi lui fait part de la position circonspecte et réservée du souverain, et lui conseille de collaborer à la presse. « Le patriotisme », énonce-t-il, « commande que les patriotes s’emparent des journaux, au lieu de les laisser à d’autres » (38). Là-dessus, Daye effectue un nouveau séjour à Paris, sa terre d’élection. Le 7 août 1940, il présente Degrelle à Pierre Laval, puis déjeune avec Bertrand de Jouvenel, et dîne un soir avec Abetz, Degrelle et Henri de Man. Le 12 août, enfin, il est chez le comte de Beaumont où il passe la soirée en compagnie de Pierre Drieu la Rochelle, avant de regagner Bruxelles.

R200016998.jpgLoin d’être le pestiféré qu’il deviendra bientôt, Pierre Daye conserve en cette époque troublée de nombreuses relations mondaines : il organise, chez lui, une rencontre entre le comte Capelle et le chef de Rex, dîne avec les frères Heymans (dont l’un, Corneille, est prix Nobel) et séjourne au Zoute, chez le banquier Wauters. Invité chez le vicomte Jacques Duvignon, ancien ambassadeur à Berlin, il revoit également Mme Destrée et Robert Poulet, tandis que lors d’un enième séjour à Paris, il croise Alphonse de Chateaubriant (qui l’accueille dans les locaux de La Gerbe), Bernard Grasset, l’historien Pierre Bessand-Massenet et Stanislas de la Rochefoucauld. Si, en dépit des circonstances, Pierre Daye est quelqu’un qui demeure attaché aux petits plaisirs de la vie et aux relations sociales, il serait erroné de ne voir en lui qu’un second couteau falot et superficiel. En fait, il sert de passerelle entre beaucoup d’acteurs importants du jeu politico-diplomatique et maintient notamment d’étroits contacts avec les proches du roi. En relation avec les secrétaires du souverain, il voit aussi, très régulièrement, les anciens ministres Maurice Lippens et Henri De Man, ainsi que le général Van Overstræten, aide-de-camp de Léopold III. Pour le palais royal, Daye est donc une précieuse source de renseignements : « Je servis bien souvent d’informateur au souverain », écrit-il, « et le bloc-notes en main, le comte Capelle prenait des indications ‘pour sa Majesté’ durant la plupart de nos entretiens » (39). Il facilite par ailleurs certains contacts improbables comme cette entrevue, chez lui, le 22 mai 1943, entre Capelle et l’abbé Louis Fierens, l’aumônier (non rexiste) de la Légion Wallonie… Aucun reproche, explicite ou implicite, ne lui ayant jamais été exprimé, le journaliste s’étonnera plus tard des accusations de félonie formulées à son encontre : « Pouvais-je n’être pas convaincu », demande-t-il dans ses mémoires, « après tous mes rapports plus ou moins directs avec lui (le roi), par l’intermédiaire de son entourage, que ma conduite était approuvée ? Ou que tout au moins, elle n’était pas blamée ? » (40). Et pour être encore plus clair, il ajoute : « Si des ‘collaborationnistes’ sincères se trompaient, Léopold III aurait dû les avertir, ou les faire avertir, même au risque de déplaire aux Allemands » (41).

Engagé mais avec raison

            Il faut dire que conformément aux conseils de Capelle, Pierre Daye s’engage assez nettement dans la « politique de présence » en rejoignant, à l’automne 1940, la rédaction du Nouveau Journal que lance Paul Colin, son ancien condisciple de l’Institut Saint-Louis. Déjà patron de l’hebdomadaire Cassandre, ce dernier est, selon Jean-Léo, un véritable « Frégoli polygraphe, merveilleusement à l’aise une plume à la main » (42). Rescapé du camp du Vernet, il a réuni autour de lui une équipe brillante où figurent entre autres Robert Poulet, le rédacteur en chef, Nicolas Barthélémy, Guido Eeckels, Paul Herten, Joseph Jumeau (alias Pierre Hubermont) et Paul Werrie (43). Son quotidien revendique « un esprit nouveau » et veut « montrer aux Belges que leur pays doit réclamer et prendre sa place dans l’économie continentale à l’érection de laquelle le Reich allemand – c’est un fait – consacre aujourd’hui une grande partie de son effort » (44). Partisan d’une collaboration digne et relativement modérée, il s’agit néanmoins, aux yeux des résistants et des Belges de Londres, d’un journal « emboché ».

Daye-Pierre.jpgChargé de la rubrique de politique étrangère, Pierre Daye en sera l’un des principaux chroniqueurs jusqu’en avril 1943. Le Nouveau Journal n’est pas le seul organe de presse à accueillir sa prose puisque l’on trouve également sa signature dans Junges Europa, Das Neue Europa, Europäische Revue, Signal, Actu, le Petit Parisien, Je suis partout, et qu’il s’exprime de temps à autres au micro de Radio-Bruxelles. Quoique très dense, cette activité journalistique ne l’empêche pas de publier aussi quelques nouveaux livres. En 1941, il fait ainsi paraître un essai politique, Guerre et révolution, lettre d’un Belge à un ami français, suivi d’un Rubens, puis de Par le monde qui change, un ouvrage où il évoque quelques-uns des pays qu’il a visités, décerne au passage quelques compliments au Reich pour avoir encouragé la jeunesse et amélioré la race, et décrit Adolf Hitler comme « un homme simple, très différend des hobereaux allemands d’autrefois » (45). Si l’homme de lettres ne fait pas mystère de ses sympathies, il s’abstient toutefois de franchir certaines limites : il garde notamment ses distances avec la Légion Wallonie et fait même publiquement savoir qu’il n’est jamais intervenu en sa faveur auprès du palais royal. Il admire, dit-il, le courage des volontaires mais ne comprend pas vraiment leur démarche. Très attaché à l’unité et à l’intégrité de la Belgique comme à la personne du roi, il prend grand soin de ne jamais cautionner une autre ligne que celle-là. Hostile à la persécution des Juifs comme à tout démembrement du royaume, Pierre Daye considère globalement les affaires politiques d’un œil sévère : « Trop de gens aux dents longues, trop de bonshommes intéressés. Trop de tripotages. Trop de fortunes aussi gigantesques que rapides » (46). Désireux de voir la Belgique se réorganiser sur un schéma centralisateur, monarchique et corporatif, il regroupe autour de lui un « Bureau politique », auquel prennent part  ses amis Gustave Wyns et Jacques Crokaert, puis s’associe, en mai 1941, à la tentative de créer un Parti des Provinces Romanes. Ce dernier doit soutenir l’Ordre Nouveau européen, protéger la race et favoriser la fondation d’un État autoritaire, corporatif et chrétien (47). Le projet fera long feu car le 5 août 1941, les autorités allemandes y opposent leur veto. Autre geste politique de Pierre Daye : le 1er février 1943, il adhère à la Société Européenne des Écrivains (48) et plus précisément à l’une de ses deux sections belges, la Communauté Culturelle Wallonne (49). Cet engagement sans détour ne fait cependant pas de lui un fanatique ou un ultra, et c’est assez souvent, il faut le dire, qu’il intervient en faveur de certains Israélites ou de résistants (dont le communiste  Albert Marteaux et le socialiste Victor Larock).

            DSC08139.JPGLa guerre n’a pas émoussé le goût pour les voyages de Pierre Daye qui continue, dans la mesure où les événements le permettent, à se déplacer en Europe. Début 1942, il est par exemple au Portugal, puis en août en Hongrie, et séjourne, en fin d’année, à Rome. Dans la ville éternelle, il renoue avec de vieux amis, comme la duchesse de Villarosa ou le sénateur Aldobrandini Rangoni, tous très anglophiles, et s’entretient, le 10 janvier 1943, avec le prince Umberto. Quatre jours auparavant, il a pu être reçu par le Souverain Pontife, ce qui revêt pour lui une importance toute particulière. Grâce à un proche du Pape, le père jésuite Tacchi-Venturi, il a en effet obtenu de voir brièvement Sa Sainteté Pie XII qui l’a interrogé sur la situation belge et lui a donné sa bénédiction. « Ce qui m’avait le plus ému durant cette entrevue », rapporte-t-il, « c’est la grande allure du Saint-Père, son air de seigneur, la beauté de son visage ascétique et blême, avec ses yeux d’un noir brillant, sa longue bouche volontaire, son nez en bec d’aigle, la noblesse de ses gestes » (50). Peu de temps après cette promenade italienne, en février-mars 1943, Pierre Daye se rend à Madrid. N’étant inféodé à aucune faction politique, il profite de ce passage dans un pays non-belligérant pour adresser, de son propre chef, un courrier à Paul van Zeeland : « Il faut souhaiter », lui écrit-il, « que des éléments provenant des deux clans entre lesquels se divise aujourd’hui la Belgique, celui des “gens de Londres“ et celui de ceux que vous appelez, je crois, les “collaborationnistes“ (je suis pour ma part convaincu que tous deux comptent des patriotes sincères) puissent bientôt, à l’issue des hostilités, se comprendre et collaborer, autour du Roi, dans l’intérêt même de notre pays » (51). Par le biais de l’armateur Pierre Grisar, il envoie une missive du même genre à Hubert Pierlot, le chef du gouvernement belge en exil. Faut-il préciser qu’il n’obtiendra aucune réponse…

Face à l’orage

            La destination préférée de Pierre Daye reste la France où le Belge a ses habitudes depuis des lustres et où il compte de nombreux amis. À Paris, il rencontre bien sûr les gens de Je suis partout : Lucien Rebatet (« bouillant, grinçant, belliqueux, rageur »), Brasillach, Lesca (« serein, définitif et magnifique »), Georges Blond, Pierre-Antoine Cousteau, Claude Jeantet et Alain Laubreaux (« féroce, débordant d’esprit, d’érudition théâtrale »). À La Gerbe, il rend visite à Alphonse de Chateaubriant qu’il invitera bientôt à Bruxelles. Toujours friand de distractions, il retrouve aussi son complice Carl Doutreligne et dîne parfois avec lui chez Maxim’s où les deux compères coudoient Cécile Sorel et Maurice Chevalier, mais aussi Fernand de Brinon, Alice Cocéa, Serge Lifar et l’ambassadeur Scapini. Sans parler de quelques Belges comme les barons Jean Empain et de Becker-Remy… Doué pour les croquis, Pierre Daye en parsème les articles qu’il donne alors au Nouveau Journal et au Petit Parisien. On y voit défiler Fernand de Brinon, « la taille moyenne, le profil aquilin, la voix un peu haute », Pierre Laval, « l’œil plein d’ironie » et presque « asiatique », Jean Chiappe, avec « ses souliers vernis à tiges de drap mastic et ses hauts talons, son melon un peu penché sur l’oreille, sa canne à bague d’or », ou encore Robert Brasillach, « le regard toujours ingénu derrière ses grosses lunettes à monture d’écaille ». De cette galerie, le chroniqueur n’omet pas le maréchal, « figure ferme, au teint mat et sain », ni Jacques Doriot, « grand, de visage plus martelé que sur les photos, agile, quoique puissant (…), l’œil très noir derrière les verres ronds, le geste sobre » (52).

MLA 11826.jpgPrésent dans les gazettes, Pierre Daye l’est tout autant aux devantures des librairies : en 1942, il fait paraître deux essais politiques (L ‘Europe aux Européens et Trente-deux mois chez les députés), puis en 1943, un texte sur l’Afrique (Problèmes congolais), et en 1944, un recueil de contes (D’ombre et de lumière). À compter de 1943, son engagement se concrétise aussi par son accession à un poste officiel dans l’administration belge. Sur recommandation du Flamand Gérard Romsée, il est en effet nommé, le 25 juin 1943, au poste un peu inattendu de … commissaire général à l’Éducation Physique et aux Sports. En soi, il s’agit d’une fonction peu compromettante et qui fournit à son titulaire d’excellentes justifications pour voyager. Reste qu’elle fait de Pierre Daye un fonctionnaire officiel de la collaboration, ce qui peut se révéler extrêmement dangereux. De fait, loin d’aller vers l’apaisement qu’il souhaitait, la situation se dégrade et les rivalités belges se muent désormais en sanglants règlements de compte. « Les hitlériens de nationalité belge [sont] plus abjects encore que leurs maîtres allemands », proclame un journal clandestin communiste. « Cette vermine immonde doit être écrasée (…) Les Partisans belges se sont juré de liquider ces bêtes puantes » (53) L’année 1942 est ponctuée d’au moins 67 attentats et l’année 1943 connaît une recrudescence vertigineuse des actes violents, au point que le chef de l’administration allemande, Eggert Reeder, parle carrément d’une vague de meurtres ou Mordwelle. « Dans la rue et les campagnes, surtout à partir de 1943 », écrit une historienne belge, « règne une atmosphère de guerre civile : rexistes et nationalistes flamands, ainsi que les membres de leurs familles, sont abattus, sans autre forme de procès, sans distinction d’âge ou de sexe » (54).

            Le 14 avril 1943, Paul Colin, le patron et l’ami de Pierre Daye, est abattu dans sa librairie. L’un de ses employés, Gaston Bekeman, tombe sous les balles du même assassin. Le meurtrier, Arnaud Fraiteur, un étudiant de 22 ans (55), et ses deux complices, André Bertulot et Maurice Raskin, seront condamnés à mort et pendus. « Paul Colin », écrit Pierre Daye, « n’était pas seulement le premier critique d’art de Belgique (…) l’auteur de tant d’essais littéraires, artistiques, politiques, l’historien profond des ducs de Bourgogne, l’éditeur, le directeur du Nouveau Journal et de Cassandre, le chroniqueur et le pamphlétaire, le fondateur et le président de l’Association des journalistes belges, mais un amateur éclairé, un homme de goût et surtout un être terriblement intelligent, un des plus intelligents que j’ai rencontrés dans cette partie agitée de ma carrière » (56) « Il était détesté, naturellement », ajoute-t-il, « car il haïssait la médiocrité et ne se privait pas de le montrer, avec une verve, un éclat terribles. Il avait la dent dure et adorait se faire des ennemis » (57).

Pierre Daye Feuillets bleus 1931.jpgProfondément choqué par le déferlement de violence auquel il assiste, Pierre Daye en juge sévèrement les inspirateurs : « Il fallait », constate-t-il amèrement, « par la provocation, empoisonner une atmosphère trop paisible, donc trop favorable à l’occupant. Il fallait susciter des vengeances, allumer l’esprit de représailles » (58). Et confronté à cet engrenage fatal (59), il en décrit tristement le mécanisme : « De braves gens, mûs uniquement par le sentiment patriotique, ne se doutaient point du vrai rôle qu’on leur faisait ainsi jouer. Et des canailles trouvaient, en se glissant parmi eux, le moyen de commettre les plus bas crimes (…) Se sentant sans protection, d’autres braves gens, de l’autre idéologie, se dirent alors qu’il fallait se défendre soi-même ; non pas se venger, mais si l’on voulait vivre, répondre à la terreur par la terreur » (60).

            Sa charge administrative facilitant les déplacements, Pierre Daye ne se prive pas de revenir en France autant qu’il le souhaite. Le 29 novembre 1943, il est à Vichy où il déjeune avec Pierre Laval, « la mèche napoléonienne sur la lippe fatiguée (…) Ironique, sans illusion, finaud » (61). Le soir, il dîne au Chantecler avec Stanislas de la Rochefoucauld, l’ambassadeur Gaston Bergery (« toujours l’air d’un jeune père jésuite, sec, précis et désabusé, strictement vêtu de drap sombre ») et son épouse, Bettina Jones, ancienne égérie de Schiaparelli. Au retour, le Belge s’arrête bien sûr à Paris où il rend visite à Drieu, avenue de Breteuil. « Il m’effraye », note-t-il, « par sa lucidité triste : la guerre, la décadence des possédants, la lourdeur des Allemands, l’incompréhension des femmes, le préoccupent. Son scepticisme me désespère et me séduit à la fois » (62). De retour chez lui, avenue de Tervueren, à Etterbeek, Pierre Daye n’est pas rasséréné par l’atmosphère ambiante. Les attentats se multiplient et les positions des uns et des autres se crispent jusqu’à l’absurde. Même les nuits ne laissent désormais plus aucun répit : « Qui n’a pas connu », raconte-t-il, « l’angoisse causée par des centaines d’avions passant sur les têtes, tandis que roulait à travers les nuages un bruit sourd, dominant tous les autres, et la sensation de la mort qui pouvait vous atteindre à chaque seconde, alors que l’on se sentait accablé d’impuissance, hors de toute possibilité de fuite ou de recours quelconque, ne sait pas ce que furent pour les nerfs ces heures démoralisantes » (63).

Loin des épurateurs

            Dans ces conditions, et compte tenu de l’avenir immédiat de la Belgique tel qu’il l’anticipe, Daye songe de plus en plus à mettre quelque distance entre les futurs libérateurs du royaume et lui-même. En mai 1944, l’occasion s’offre à lui d’effectuer une tournée officielle en Espagne en qualité de commissaire aux sports, déplacement qui possède l’immense avantage de le mettre à l’abri des pistoleros du Front de l’Indépendance, comme des bombes de la RAF et de l’US Air Force. Le 19 mai, le quotidien madrilène ABC rapporte que le Belge a donné une conférence de presse dans la capitale ibérique, et quant à l’intéressé lui-même, il signale qu’il passe ensuite quelques jours à Barcelone afin de s’entretenir avec le général Moscardo (1878-1956), délégué national aux sports. Peu pressé de rentrer en Belgique, Pierre Daye se trouve encore à Madrid le 6 juin lorsque tombe la nouvelle du débarquement allié en Normandie. Ses supérieurs le pressent de rentrer au pays, mais l’écrivain n’en a cure : « J’étais venu librement comme les autres fois », commente-t-il. « Nul ne m’avait donné d’ordres, et je ne me sentais pas d’humeur à commencer à en recevoir » (64). D’ailleurs, un retour impliquerait de traverser une France en pleine insurrection et comme il le souligne : « Je possédais les meilleures raisons du monde pour ne pas tomber entre les mains d’excités pris de folie sanguinaire » (65). À cette époque commence donc pour Pierre Daye une seconde existence, celle d’un émigré politique. Elle va durer un peu plus de quinze ans.

            yvhth_gkgw.jpgLes premiers temps d’exil ne sont pas trop durs car l’expatrié possède encore quelques relations : il est reçu chez le phalangiste Eugenio d’Ors (66) ou chez le général Eugenio Espinosa de los Monteros, ancien ambassadeur à Berlin, et dîne même parfois avec Walter Starkie (67), le directeur de l’Institut Britannique de Madrid. Plus tard, il verra de temps en temps François Piétri et l’académicien Abel Bonnard. Quelles que soient les difficultés qu’il rencontre et la peine qu’il éprouve, cet exil lui épargne à tout le moins un sort funeste. L’épuration belge se veut en effet particulièrement vindicative puisque, si l’on en croit Paul Sérant, un certain Marcel Houtman exige par exemple que soient exécutés tous les Belges ayant combattu sur le front de l’Est, tous les écrivains et journalistes de la collaboration et tous les fonctionnaires ayant servi les desseins de l’occupant ! (68) Les intellectuels ne peuvent donc guère espérer de mansuétude. Le poète René Baert a été sommairement abattu au coin d’un bois, quelque part en Allemagne, plusieurs journalistes sont condamnés à la peine capitale et fusillés (Paul Herten, José Sreel, Jules Lhoste, Victor Meulenyser, Charles Nisolles, Paul Lespagnard), d’autres échappent de très peu au poteau (Robert Poulet, Paul Jamin), et quelques-uns, comme Pierre Hubermont et Gabriel Figeys, écopent de lourdes peines de détention. Le peintre Marc Eemans est frappé d’une peine de huit ans de prison, tandis que le dramaturge Michel de Ghelderode se fait copieusement insulter et chasser de son emploi. Beaucoup ne retrouveront un peu de tranquillité qu’à l’étranger : Simenon, Hergé et Henri de Man en Suisse, Paul Werrie en Espagne puis en France, Raymond de Becker (condamné à mort puis à la détention perpétuelle), Claude Elsen (condamné à mort par contumace) et Louis Carette (condamné par contumace à 15 ans de travaux forcés) en France. Certains feront malgré tout, hors de Belgique, de brillantes carrières : émigré à Paris, Oscar Van Godtsenhoven, alias Jan Van Dorp, y remportera un prix (1948) pour son Flamand des vagues ; Louis Carette, alias Félicien Marceau, sera élu à l’Académie française (1975), tandis que Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse vendront des milliers de livres sous les noms d’emprunt de Paul Kenny et Jean-Gaston Vandel. « La répression contre les intellectuels », note Elsa Van Brusseghem-Loorne, « surtout en Wallonie (69), prendra (…) une tournure dramatique et particulièrement cruelle, comme si le pouvoir, détenu par des classes en déclin, voulait éliminer par tous les moyens ceux qui, par leurs efforts, étaient la preuve vivante de son infériorité culturelle » (70)…

Au pays de Martin Fierro

            Faute d’avoir pu épingler Pierre Daye à leur tableau de chasse, les nouvelles autorités belges se penchent néanmoins sur son cas, et la 4e Chambre du Conseil de Guerre n’éprouve aucun scrupule à le condamner par contumace, le 18 décembre 1946, à la peine de mort. Des pressions sont exercées sur l’Espagne qui ne peut décemment, sous le nez des Alliés, offrir l’hospitalité à tous les proscrits d’Europe et se voit donc contrainte d’effectuer des choix. Si le Caudillo a accordé l’asile politique à Léon Degrelle, Jean Bichelone ou Abel Bonnard, il n’a pas gardé Pierre Laval qui a fini devant un peloton d’exécution… Malgré le soutien de quelques dignitaires franquistes, comme José Félix de Lequerica, Manuel Aznar et José María de Areilza, Pierre Daye fait lui aussi partie des gens que l’on incite vivement à quitter l’Espagne. Muni d’un passeport espagnol libellé au nom de Pedro Adán, l’ancien commissaire aux sports s’envole donc pour Buenos Aires où il arrive le 21 mai 1947. En Argentine, le nouveau venu n’est pas livré à lui-même car plusieurs amis et connaissances l’ont précédé et sont là pour l’accueillir. Au nombre de ces fidèles, citons Charles Lesca (71), alias Carlos Levray ou Pedro Vignau, ancien directeur de Je suis partout, Georges Guilbaud (72), alias Jorge Degay, et Robert Pincemin (73), alias Rives ; dans le comité d’accueil figure également Mario Octavio Amadeo (74), l’un des proches conseillers du Président Perón. À peu près à la même époque, Buenos Aires voit aussi arriver Jean-Jules Lecomte, alias Jean Degraaf Verhegen, ancien bourgmestre rexiste de Chimay ; plus tard, en 1949, débarquera encore Henri Collard-Bovy, un avocat bruxellois d’un certain renom. Avisée de l’arrivée de Pierre Daye, Bruxelles se manifeste aussitôt auprès du gouvernement argentin et réclame son extradition (17 juin 1947). Cette demande ayant été rejetée, l’écrivain est alors tout simplement déchu de sa nationalité. À compter du 24 décembre 1947, l’ancien combattant de 1914-18, vétéran de Tabora et ex-député, n’est donc plus citoyen belge, il est apatride.

          daye_p_le_congo_belge_1931.jpg  Âgé de 55 ans et plutôt combatif, l’homme est cependant loin d’avoir dit son dernier mot. Le 29 juin 1948, il prend part, avec quelques autres expatriés (75), à la création de la Société Argentine pour l’Accueil des Européens ou Sociedad Argentina para la Recepción de Europeos (SARE). Jouissant de la discrète protection de l’anthropologue Santiago Peralta, patron des services d’immigration, et bénéficiant des encouragements du cardinal Santiago Luis Copello (1880-1967), cette société s’efforce d’aider les « maudits » qui continuent d’affluer sur les rives du Rio de la Plata. Pierre Daye reprend aussi son métier de journaliste et participe au lancement de plusieurs publications dont Hebdo (1947), Europe-Argentine (1948), Argentina 49, Paroles françaises et Nouvelles d’Argentine. Naturalisé argentin en 1949, il collabore également aux revues Criterio et Itinerarium, à El Economista, le journal que fonde l’ancien Premier ministre yougoslave Milan Stojadinović (1888-1961), ainsi qu’à Dinámica Social, le mensuel que lance, en 1952, l’ancien hiérarque fasciste Carló Scorza (alias Camillo Sirtori)-(76). Organe officiel du Centre d’Études Économiques et Sociales, cette revue regroupe de nombreuses plumes de talent dont celles du philosophe roumain Georges Uscatescu, d’Ante Pavelić (alias A. S. Mrzlodolski), du père Juan Ramon Sepich, de Julio Irazusta, ou encore de Jean Pleyber, André Thérive, Jacques de Mahieu et Jacques Ploncard (alias Jacques de Sainte-Marie). Pierre Daye ne délaisse pas non plus le terrain politique où il parvient, avec son entregent habituel, à rester en bons termes à la fois avec les traditionalistes catholiques et les péronistes. Durant l’été 1949, il a quelques contacts avec le Centre des Forces Nationalistes, mais s’intéresse aussi à la Troisième Position de Juan Perón. Avec Radu Ghenea, Georges Guilbaud, René Lagrou (77) et Victor de la Serna, il signe d’ailleurs à ce sujet une note qui sera remise au chef de l’État. En septembre 1950, l’écrivain a le plaisir de renouer avec le ministre belge Marcel Henri Jaspar (1901-1982) qui est de passage dans le cône sud. Autre contact important, Sir Oswald Mosley, qu’il rencontre en novembre 1950, lors de la visite que l’ancien chef de la British Union of Fascists fait en Argentine (78). Venu s’entretenir avec Hans Ulrich Rudel, l’Anglais sera reçu par Juan Perón. Installé à Buenos Aires, dans le quartier de Palermo, et nommé professeur à l’Université de La Plata (sur recommandation de son ami le ministre des Affaires Étrangères Hipólito Jesús Paz), Pierre Daye entretient d’autre part une abondante correspondance.

On sait notamment qu’il a de fréquents échanges épistolaires avec des gens comme Jean Azéma, Maurice Bardèche, Henri de Man, Georges Remi (Hergé), Christian du Jonchay (alias Della Torre), le père Omer Englebert, Simon Arbellot, Henri Poulain ou l’éditeur genevois Constant Bourquin. Au plan des relations sociales, il est probable qu’il rencontre assez souvent quelques collègues d’autrefois comme Henri Lèbre (alias Enrique Winter), un ancien du Cri du Peuple, Henri Janières, vétéran de Paris-Soir (et futur correspondant local du Monde) et Pierre Villette-Dorsay, ancien chroniqueur parlementaire à Je suis partout et rescapé de Radio-Patrie (79), qui tous résident dans la capitale fédérale. Il possède également d’excellents amis argentins, comme Juan Carlos Goyeneche (1913-1982), l’attaché de presse de la présidence de la République. En août 1951, il assiste sans doute, à la cathédrale de Buenos Aires, à la messe qui est célébrée, devant des milliers de fidèles, pour le repos de l’âme du maréchal Pétain, et fin 1952 à celle qui est dite pour Charles Maurras.  Séparé de son lectorat habituel et résidant dans un pays hispanophone, Pierre Daye ne publie quasiment plus de livres : seul paraîtra, en 1952, un essai politique, El suicidio de la burguesía (Le suicide de la bourgeoisie). Cela ne l’empêche bien évidemment pas d’écrire et il laissera à la postérité de nombreux inédits. Parmi ceux-ci et outre divers essais (Le voyageur de la guerre, 1940-1945 ; Panorama espagnol ; En Argentine ; Pris aux autres), son long exil lui permet de rédiger d’imposants mémoires. Intitulés D’un monde à l’autre et ne comptant pas moins de 63 chapitres ou 1600 pages dactylographiées, ces mémoires sont, hélas, encore inédits et dorment toujours dans les bibliothèques bruxelloises…

           108740.jpg La chute de Juan Perón, en septembre 1955, n’entraîne pas d’inconvénients majeurs pour Pierre Daye qui n’est pas vraiment un acteur de la vie politique locale. Tenu pour proche du péronisme, il se retrouve néanmoins marginalisé et éloigné des nouveaux cercles dirigeants. Plus que le changement de régime, c’est plutôt l’isolement et l’oubli qui le menacent désormais. Le temps fait lentement son œuvre et la plupart des Belges l’ont d’ores et déjà oublié. Pas mal d’émigrés ont regagné l’Europe, on lui demande de moins en moins d’articles et la solitude le guette. C’est dans ce contexte un peu maussade que le 20 février 1960, à un peu moins de 68 ans, une hémorragie cérébrale vient brutalement mettre un terme à son existence. Cultivé, discret et fort modéré, on se demande encore ce que cet homme avait bien pu faire pour que la Belgique d’après-guerre lui témoigne d’une vindicte aussi tenace. Se pourrait-il tout simplement que l’on ait jugé, en haut lieu, qu’il en savait beaucoup trop long sur les arcanes (et les drôles de combines) de l’Occupation et qu’il fallait le discréditer à jamais ?

Christophe Dolbeau

———————————————

(1) Avec les vainqueurs de Tabora, Paris, Perrin et Cie, 1918.

(2) Le baron Pierre Nothomb (1887-1966) fut avocat mais surtout écrivain et homme politique. Leader des nationalistes belges, il sera plus tard sénateur du Parti catholique puis du Parti social-chrétien. Voy. Lionel Baland, Pierre Nothomb, Qui suis-je, Grez-sur-Loing, Pardès, 2019.

(3) Edmond Thieffry (1892-1929) était un as de l’aviation belge. En 1925, il accomplit l’exploit de rallier Léopoldville (Kinshasa) depuis Bruxelles, à bord d’un avion Handley Page W8.

(4) Jean Delville (1867-1953) était un poète et un peintre symboliste. Il enseigna son art à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles entre 1907 et 1937.

(5) L’ingénieur Leonid Krassine (1870-1926) était un dirigeant bolchevik qui fut commissaire du peuple au commerce extérieur, puis ambassadeur soviétique à Paris et Londres.

(6) Fils de banquier, Maxime Litvinov ou Meir Henoch Wallach-Finkelstein (1876-1951) fut commissaire du peuple aux Affaires Étrangères et ambassadeur soviétique à Londres, puis auprès de la SDN.

(7) Le général Wladyslaw Sikorski (1881-1943) avait été, en 1920, l’un des artisans de la défaite des bolcheviks devant Varsovie. Il sera successivement chef d’état-major, Président du Conseil et ministre des affaires militaires.

(8) Pou-yi (1906-1967) fut le dernier empereur de Chine. Destitué en 1912 puis réfugié à Tianjin, il sera placé par les Japonais à la tête du « Grand État mandchou de Chine » ou Mandchoukouo (1932).

(9) Seigneur de guerre et généralissime, Tchang Tso-lin (1875-1928) sera brièvement président de la République de Chine (juin 1927-juin 1928) après avoir été longtemps le maître de la Mandchourie.

(10) Par exemple Le Maroc s’éveille (1924), Moscou dans le souffle de l’Asie (1926), La Chine est un pays charmant (1927), Le Japon et son destin (1928), La clef anglaise (1929), Beaux jours du Pacifique (1931) et Aspects du monde (1934).

(11) José Félix de Lequerica (1891-1963) fut maire de Bilbao (1938-39), puis ambassadeur d’Espagne en France, ministre des Affaires Étrangères (1944-45) et ambassadeur aux Etats-Unis (1951-54).

(12) Président du Parti Ouvrier Belge, Henri de Man (1885-1953) sera ministre des Travaux publics (1934-35) et ministre des Finances (1936-38). Condamné en 1946 à 20 ans de détention et dix millions d’amende pour avoir « servi les desseins de l’ennemi », il finira ses jours en Suisse (écrasé par un train sur une voie de chemin de fer où sa voiture s’était immobilisée).

(13) Militant socialiste, Paul-Henri Spaak (1899-1972) sera ministre des Transports et des PTT, ministre des Affaires Étrangères et Premier ministre. Il est considéré comme l’un des « pères de l’Europe ».

(14) Voy. Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945 », Cahiers d’Histoire de la IIe Guerre mondiale, Bruxelles, Centre de Recherches et d’Études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10, octobre 1986, p. 165-168.

(15) Voy. Jean-Léo, La Collaboration au quotidien – Paul Colin et le Nouveau Journal 1940-1944, Bruxelles, Racine, 2002, p. 107.

(16) Ibid, p. 109.

(17) Voy. Jean-Michel Etienne, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940, Paris, Armand Colin, 1968, p. 73.

(18) Voy. Le Dossier du Mois, n° 12 (décembre 1963), Bruxelles, Editions du Ponant, p. 35 – extrait du chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(19) Voy. supra, note 10.

(20) À savoir La politique coloniale de Léopold II (1918), Léopold II (1934), Vie et mort d’Albert Ier (1934), La jeunesse et l’avènement de Léopold III (1934).

(21) Par exemple Les conquêtes africaines des Belges (1918), L’Empire colonial belge (1923), Le Congo belge (1927), Congo et Angola (1929),  Stanley (1936), Livingstone retrouvé par Stanley (1936),

(22) Voy. En Espagne, sous la Dictature (1925), La Belgique et la mer (1926), La Belgique maritime (1930) et L’Europe en morceaux (1932).

(23) « Le mouvement pan-nègre », Le Flambeau, 4e année, n° 7, juillet 1921, pp. 360-375 (consultable en ligne).

(24) Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Paris, Fayard, 1937, p. 10.

(25) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 2 – chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(26) Voy. Jean-Michel Etienne, op.cit., p. 36.

(27) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 4 – chapitre XXXV des mémoires de Pierre Daye.

(28) Le Flamand Gustave Sap (1886-1940) était le propriétaire du journal catholique De Standaard. Député du Parti catholique, il sera ministre des Travaux publics, de l’Agriculture et du Commerce (1932-34), ministre des Finances (1934), puis de l’Économie et du Commerce (1939-40). Ses sympathies pour la droite et le rexisme entraîneront son exclusion du Parti catholique…

(29) L’avocat Hendrik Borginon (1890-1985) était l’un des dirigeants du parti nationaliste flamand VNV.

(30) Député du Parti catholique populaire flamand, Gérard Romsée (1901-1975) fut ensuite l’une des figures de proue du parti nationaliste flamand VNV. En avril 1941, il sera nommé secrétaire général à l’Intérieur et la Santé, ce qui lui vaudra d’être condamné à mort puis à la réclusion perpétuelle en 1945.

(31) Nationaliste flamand, Joris van Severen (1894-1940) fut le fondateur du mouvement solidariste thiois Verdinaso. Arrêté en 1940 sur soupçon (totalement infondé) d’appartenance à la 5e colonne, il sera sommairement abattu par des militaires français, le 20 mai, à Abbeville.

(32) Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (1888-1967) était un sénateur du Parti catholique. Il sera ministre de l’Agriculture en 1939-40 et ministre sans portefeuille dans le gouvernement belge en exil à Londres (1940-44).

(33) « On ne comprit pas », écrit Pierre Daye, « ou plutôt on ne voulut pas comprendre, qu’en politique, les sentiments et le réalisme sont deux choses et que si mon affection pour la culture et pour le peuple de France n’a jamais varié, je ne pouvais pas rester aveugle devant la folie de sa politique guerrière… » – Le Dossier du Mois, n° 12, p. 8 –  chapitre XXXV des mémoires de Pierre Daye.

(34) Voy. Bernard Delcord, op. cit., pp. 177-179.

(35) Autonomiste corse, Pierre Bonardi (1887-1964) était un journaliste et un écrivain. Longtemps proche du Parti radical-socialiste et de la Ligue contre l’antisémitisme (LICA), il adhèra ensuite au PPF et soutint Pierre Laval durant l’Occupation.

(36) Le 20 mai 1940, 21 personnes arrêtées en Belgique et soupçonnées d’appartenir à la 5e colonne sont assassinées sans jugement, à Abbeville, par une compagnie de l’armée française aux ordres du capitaine Marcel Dingeon et du lieutenant René Caron. Disparaissent (entre autres) dans ce massacre le leader flamand Joris Van Severen et son adjoint Jan Ryckoort, le rexiste René Wery, le hockeyeur canadien Robert Bell, deux communistes et deux Juifs. Léon Degrelle échappe de justesse à la mort. Voy. Léon Degrelle, La guerre en prison, in Relectures Léon Degrelle, Lyon, Irminsul Éditions, s.d. ; Carlos Vlaeminck, Dossier Abbeville, Louvain, Davidsfonds, 1977.

(37) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 15 –  chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(38) Ibid, p. 16 – chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(39) Ibid, p. 22 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(40) Ibid, p. 24 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(41) Ibid, p. 24 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(42) Voy. Jean-Léo, op.cit., p. 28.

(43) Ibid, pp. 41-48.

(44) Voy. Jean-Léo, op. cit., p. 56.

(45) cité par Roland Roudil, Jean-François Durand et Guillaume Bridet, in Le reportage colonial,  Pondicherry, Kailash, 2016, p. 462.

(46) Le Choc du Mois, n° 12, p. 36 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(47) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 183.

(48) Voy. C. Dolbeau, « Weimar 1941-1942 : la Société Européenne des Écrivains », Tabou, vol. 25, Saint-Genis-Laval, Akribeia, 2019, 160-183.

(49) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 182.

(50) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 27 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(51) Ibid, p. 27-28 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(52) Ibid, pp. 31-32 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(53) Voy. Jacques Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Éditions universitaires, 1986, p. 279.

(54) Voy. Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La libération et l’épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (juillet-août 1994), p. 62.

(55) petit-cousin de Robert Poulet (1893-1989), le rédacteur en chef du Nouveau Journal.

(56) Le Dossier du Mois, n° 12, pp. 28-29 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(57) Ibid, p. 29 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(58) Ibid, p. 35 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(59) Les Partisans communistes se vantent d’avoir « exécuté » 962 soldats ennemis et 1137 collaborateurs (voy. J. Willequet, op. cit., p. 300) et l’on parle de 700 rexistes assassinés. En face, des commandos ripostent, en abattant le banquier Alexandre Galopin et l’ancien gouverneur François Bovesse ou en massacrant 27 otages à Courcelles-Charleroi.

(60) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 35 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(61) Ibid, p. 34 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(62) Ibid, p. 34 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(63) Ibid, p. 36 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(64) Ibid, p. 36 – chapitre XLIX des mémoires de Pierre Daye.

(65) Ibid, p. 36 – chapitre XLIX des mémoires de Pierre Daye.

(66) Célèbre écrivain et critique d’art catalan, Eugenio d’Ors i Rovira (1881-1954) fut ministre des Beaux-Arts du gouvernement nationaliste durant la Guerre Civile. Membre de l’Association des amis de l’Allemagne, il siégeait aussi à l’Académie royale espagnole.

(67) Universitaire et musicien, Walter Starkie (1894-1976) était un grand spécialiste de la culture rom. Il avait appartenu, dans les années 1920, au Centre International d’Études sur le Fascisme (CINEF) avec Giovanni Gentile, James S. Barnes et Herman de Vries de Heekelingen.

(68) Voy. Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964, p. 136.

(69) Il ne faut toutefois pas sous-estimer les effets de la répression du côté flamand, avec notamment l’exécution d’Auguste Borms et Karel de Feyter, la condamnation à mort puis à la détention perpétuelle de Ward Hermans, Johannes Timmermans, Gérard Romsée et Josephus Van De Wiele, la condamnation à mort de Jozef François, la condamnation à mort par contumace du père Cyriel Verschaeve, de Wies Moens, Hendrik Elias, Frans Daels et Edgar Delvo, la peine de 20 ans de détention infligée à Hendrik Borginon (avec une amende de 10 millions), celle de 12 ans de prison infligée à Jules Callewaert  ou celle de 10 ans infligée à Filip de Pillecijn – Voy. Franz W. Seidler, Die Kollaboration 1939-1945, Munich-Berlin, Herbig, 1999.

(70) Elsa Van Brusseghem-Loorne, op. cit., p. 62.

(71) Charles Lesca (1887-1948) était né en Argentine et s’appelait en fait Carlos Hipólito Saralegui Lesca. Ami personnel de Charles Maurras, il succéda à Robert Brasillach à la direction de Je suis partout, ce qui lui valut, en mai 1947, d’être condamné à mort par contumace. Voy. Dominique Venner, Histoire de la Collaboration, Paris, Pygmalion, 2000, p. 620-621 ; Philippe Randa, Dictionnaire commenté de la Collaboration française, Paris, Jean Picollec, 1987, pp. 560-562.

(72) Ancien fort des Halles mais aussi docteur en droit, Georges Guilbaud (1914) était un ex-communiste qui avait rejoint le PPF de Jacques Doriot. Directeur du journal L’Écho de la France, il fut également plénipotentiaire français auprès de la République Sociale Italienne. Voy. Dominique Venner, op. cit., p. 600.

(73) Ancien ingénieur de l’École Centrale, Robert Pincemin avait dirigé la Milice française dans les départements de l’Ariège et de la Haute-Garonne. Il fondera en Argentine une branche locale de la Cité catholique et publiera plusieurs ouvrages de politique et d’économie.

(74) Philosophe et diplomate, Mario Octavio Amadeo (1911-1983) était l’un des fondateurs de l’Action catholique en Argentine. Proche un temps de Juan Perón, il s’en écartera par la suite et sera brièvement ministre des Affaires Étrangères en 1955. Chef de la délégation argentine aux Nations Unies, il en présidera même le Conseil de Sécurité en 1959.

(75) En l’occurrence le Roumain Radu Ghenea (1907-1973), ex-ambassadeur de Roumanie à Madrid et ancien avocat de Corneliu Zelea Codreanu, Ferdinand Durčansky (1906-1974), ancien ministre slovaque de l’Intérieur et des Affaires Étrangères, Mgr Ferenc Luttor (1886-1953), protonotaire apostolique hongrois, Eugenio Morreale, ex-ambassadeur d’Italie à Madrid, et Robert Pincemin (voy. note 73).

(76) Plusieurs fois élu député, Carló Scorza (1897-1988) fut, en 1943, le dernier secrétaire du Parti national fasciste.

(77) L’avocat flamand René Lagrou (1904-1969) fut le premier chef de l’Algemeene-SS Vlaanderen puis il rejoignit la Waffen-SS en qualité de correspondant de guerre et obtint le grade de Sturmbannführer dans la division Langemarck.

(78) Il voyage alors sous l’amusant pseudonyme de Harry Morley.

(79) Voy. C. Dolbeau, « Des Français chez Perón », Écrits de Paris, n° 727, janvier 2010, 47-53.

——————————————————

Bibliographie

Le Dossier du Mois, n° 12 (décembre 1963), Bruxelles, Éditions du Ponant (« Les Mémoires de Pierre Daye »).

– Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La libération et l’épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (juillet-août 1994), 61-63.

– Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Paris, Fayard, 1937.

– Pierre Daye, « Le mouvement pan-nègre », Le Flambeau, 4e année, n° 7, juillet 1921, 360-375.

– Léon Degrelle, La cohue de 40, Lausanne, Robert Crauzaz, 1949.

– Léon Degrelle, La guerre en prison, in Relectures Léon Degrelle, Lyon, Irminsul Éditions, s.d.

– Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964.

– Jean-Michel Etienne, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940, Paris, Armand Colin, 1968.

– Jacques Willequet, La Belgique sous la botte. Résistances et collaborations 1940-1945, Paris, Éditions universitaires, 1986.

– Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945) », Cahiers d’Histoire de la IIe Guerre mondiale, Bruxelles, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10, octobre 1986, 153-205.

– Bernard Delcord et José Gotovitch, Papiers Pierre Daye, Inventaires 22, Bruxelles, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, 1989.

– Jean-Léo, La collaboration au quotidien – Paul Colin et le Nouveau Journal 1940-1944, Bruxelles, Racine, 2002.

– Louis Fierens, 39-45 Carnets de Guerre – Prêtre chez les SS, Waterloo, Éditions Jourdan, 2012.

             

mercredi, 15 avril 2020

Hommage au penseur profond de l’écologie radicale: Pentti Linkola

LinkolaKansi__005uusi_00011-1200x800.jpg

Hommage au penseur profond de l’écologie radicale: Pentti Linkola

par Georges FELTIN-TRACOL

Pentti Linkola est mort le 5 avril 2020 à l’âge de 87 ans dans la ville de Valkeakoski au Sud-Ouest de la Finlande. Né le 7 décembre 1932 à Helsinki, ce Finlandais de langue finnoise (le suédois étant l’autre langue véhiculaire du pays) est un ornithologue renommé, un naturaliste réputé, un essayiste salué, un polémiste redouté et un contempteur farouche de la modernité.

Fils du recteur de l’Université d’Helsinki, le botaniste et phytogéographe Kaarlo Linkola, Kaarlo Pentti Linkola n’a que neuf ans à sa mort. Sa mère et lui doivent quitter le logement de fonction. Il connaît alors une vie pauvre interrompue par des séjours fréquents dans la ferme de son grand-père. Il y apprend la vie en plein air.

Bon élève, Pentti Linkola suit une première année universitaire en botanique et en zoologie avant d’y renoncer. Il préfère étudier la nature en autodidacte, d’où sa réticence notoire à l’égard de la scolarité obligatoire et de tout enseignement formel. Il devient pêcheur professionnel. Assez dépité par les règlements européens, il prend sa retraite en 1995. Marié de 1961 à 1975, il a deux filles. En 2014, les lecteurs du Helsingin Sanomat, un grand quotidien finlandais, en font par leur vote le quatrième trésor national. En 1995, il lança la Fondation finlandaise du patrimoine local dans le dessein de préserver les dernières forêts primitives du pays. Aujourd’hui, cette association qui a changé de nom sauvegarde 2 600 hectares de forêts.

Une personnalité reconnue et récompensée

Homme scrupuleux qui tient chaque jour le registre de ses dépenses et de ses recettes, Pentti Linkola vit d’une manière austère sans l’électricité qu’il vomit. Ce n’est cependant pas un ermite. Ravi de raconter de nombreuses anecdotes à ses visiteurs, il sait se monter sociable et plein d’humour. En 1973, le ministre de l’Éducation et de la Culture lui décerne le Prix de l’Information publique. En 1983, il reçoit le prix littéraire Eino-Leine pour son Journal d’un dissident dans lequel il rend pourtant hommage à deux membres de la Fraction Armée rouge (RAF) ouest-allemande, Andreas Baader et Ulrike Meinhof. En 1990, on lui attribue le prix Lauri-Jäntti pour son Introduction à la philosophie des années 1990.

Grand admirateur de l’éco-terroriste étatsunien Unabomber alias Theodore Kaczynski, Pentti Linkola estime qu’« une minorité ne peut jamais avoir un autre moyen d’influencer le cours des événements à part l’usage de la violence ». Il assène cette vérité dérangeante à l’occasion d’une réunion des Verts à Turku en 1985. Têtes ahuries des Cécile Duflot et autres Yannick Jadot locaux. Il écrira plus tard que « la différence entre un terroriste et un combattant de la liberté est une question de perspective : cela dépend entièrement de l’observateur et du verdict de l’histoire ». Un point de vue entériné par les faits. D’abord terroristes, les responsables du FLN algérien ou de l’ANC sud-africaine ont ensuite occupé les ministères.

linkola-2.jpg

Pentti Linkola intervient chez les Verts en tant qu’écologiste résolu. Il l’est, mais sa conviction écologique achoppe vite avec celle des Verts qu’il critique durement. « La composition des Verts, dit-il ce jour-là, semble être la même que celle de la population en général – principalement des morceaux de bois à la dérive, des gens qui ne pensent jamais. » Quelques heures après sa disparition, l’actuel ministre Vert des Affaires étrangères, Pekka Haavisto, déclare qu’« il a influencé la pensée de nombreuses générations et peut-être que son absolu pour la nature restera son héritage ». Au cours de ce discours mémorable, il dénonce l’importation de nourriture, critique l’usage de l’électricité et soutient la production thermique par la combustion de bois. Biologique, sa vision conçoit l’homme comme une espèce animale parmi les autres espèces. C’est un des tout premiers animalistes !

Favorable à une écologie profonde et survivaliste, il assume des positions radicales anti-humanistes. « Dans l’histoire de l’humanité, nous assistons au combat désespéré de la Nature contre une erreur de sa propre évolution », à savoir l’être humain. Dès 1992, il affirme que « le pire ennemi de la vie est l’excès de vie, l’excès de vie humaine ». Ses détracteurs le qualifient de théoricien de l’« éco-fascisme ». En 1960, ce sous-officier de l’armée finlandaise s’affirmait pourtant pacifiste et objecteur de conscience dans un ouvrage auto-édité, Pour la patrie et l’homme mais pas contre personne. L’écologiste franco-britannique Édouard Goldsmith, fondateur de la revue The Ecologist (L’Écologie est sa version française), se présentait toujours comme un « conservateur paléolithique ». Favorable à la renaissance de sociétés agricoles et rurales, Pentti Linkola appartiendrait plutôt selon les critères de la médiasphère politiquement correcte aux réactionnaires du Paléolithique supérieur.

Contre le Progrès, l’égalité et le surpeuplement

Très hostile au christianisme en général et au catholicisme en particulier, il dénonce plus largement la croyance rationaliste dans le Progrès. « La foi la plus centrale et la plus irrationnelle parmi les gens est la foi en la technologie et en la croissance économique. Ses prêtres croiront jusqu’à leur mort que la prospérité matérielle apporte la joie et le bonheur – même si toutes les preuves dans l’histoire ont montré que seule la frustration rend une vie digne d’être vécue, que la prospérité matérielle n’apporte rien d’autre à part le désespoir. Ces prêtres croiront encore à la technologie lorsqu’ils s’étoufferont dans leurs masques à gaz. » Il se prononce pour un néo-malthusianisme radical, décroissant et eugéniste. On pourrait penser qu’il verse dans une forme de nihilisme, surtout quand il assure devant un auditoire Vert médusé que « tout ce que nous avons développé durant les cent dernières années devrait être détruit ».

Son approche de l’humain encastré dans le monde du Vivant contribue à une certaine osmose de soi avec son environnement naturel immédiat. « Ne voyez-vous pas que l’homme n’est pas une fourmi ou une abeille – autant que des liens avec d’autres gens, il a besoin de solitude et de paix, d’obscurité et de silence pour pouvoir vivre une vie équilibrée ? » Svelte et énergique, lui qui prend soin de sa forme physique s’inquiète de l’obésité généralisée : « Avoir des milliards de gens d’un poids supérieur à 60 kilos sur cette planète est de la témérité. »

61xI0aQIsvL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgPentti Linkola réclame la désindustrialisation globale ainsi que la sortie du capitalisme et de la société de consommation. Il exige par ailleurs l’arrêt de toute immigration, l’euthanasie pour les déficients et la fin des aides financières à un Tiers Monde en croissance démographique exponentielle. Il récuse enfin cette idée folle et meurtrière qu’est l’égalité. « Comment peut-on penser si stupidement que la vie humaine a la même valeur et la même humanité, la même moralité, indépendamment du nombre ? Il me semble clair que chaque fois qu’un nouvel enfant naît, la valeur de chaque humain dans le monde diminue légèrement. Il me semble évident que la moralité de l’explosion de population est complètement différente de celle de l’époque où l’homme était une espèce clairsemée et noble à ses débuts. » Son point de vue se rapproche de la vision de Julius Evola, lui aussi fort critique envers la politique nataliste du Ventennio fasciste. Dans son dernier entretien du 4 février 2020 avec Erkki Kiviemi pour le site Kulttuuritoimitus, il estime que « le coronavirus peut ralentir légèrement la destruction de la terre, mais une fois vaincu, le même mode de vie continuera. Tant que le progrès économique et le développement sont des objectifs humains clés, sauver la planète est perdue ».

Il ne cesse de rechercher une sérénité intérieure ravagée par « l’homme, homo destructivus, [qui] a toujours détruit les conditions de vie au maximum, dans la mesure où le permet la technologie de l’époque ». Dans Les rêves d’un monde meilleur (1972), il s’attaque au mode de vie occidentale et à l’exploitation accélérée des ressources naturelles. Il ne cesse jamais de dénoncer les États-Unis d’Amérique qui « symbolisent les pires idéologies dans le monde : croissance et liberté ». Il perçoit l’entité yankee d’une extrême justesse comme « l’État le plus misérablement infâme de tous les temps. Quiconque est conscient des questions mondiales peut facilement imaginer combien la haine envers les États-Unis – une entité politique corrompue, bouffie d’orgueil, paralysante et suffocante – doit être immense dans tout le Tiers Monde, et parmi la minorité pensante de l’Occident aussi ».

Un engagement politique radical

Considérant la démocratie moderne comme un despotisme ploutocratique et une « religion de la mort », cet anti-populiste assumé avance en 1999 que « notre seul espoir réside dans un gouvernement central fort et un contrôle inflexible du citoyen individuel ». Ses propositions politiques s’apparentent à la trilogie uchronique, L’Altermonde, du romancier français Jean-Claude Albert-Weil. Pentti Linkola juge que « n’importe quelle dictature serait meilleure que la démocratie moderne. Il ne peut y avoir de dictateur assez incompétent pour montrer plus de stupidité qu’une majorité populaire. La meilleure dictature serait celle où les têtes rouleraient en grand nombre et où le gouvernement empêcherait toute croissance économique ». Ce gouvernement dictatorial de salut éco-national fermerait de manière unilatérale ses frontières et ordonnerait aux gardes-frontières de tirer sur tous ceux qui tenteraient de les franchir dans un sens ou dans un autre. « Que faire, lorsqu’un navire transportant une centaine de passagers chavire soudain et qu’il n’y a qu’un seul canot de sauvetage ? Quand le canot de sauvetage est plein, ceux qui haïssent la vie tenteront de le charger avec plus de gens et le feront couler. Ceux qui aiment et respectent la vie prendront la hache du canot et couperont les mains en trop qui s’accrochent aux flancs du canot. » Cette réflexion de bon sens est plus que valable à l’heure du néo-matriarcat féministe. Au discriminatoire « Les femmes et les enfants d’abord » s’applique désormais le « Chacun pour soi ».

Pour mettre en pratique ce programme, a-t-il eu l’intention de s’emparer du mouvement Vert finlandais ? Dans son discours de Turku, il lance que « nous devrons […] apprendre de l’histoire des mouvements révolutionnaires – les nationaux-socialistes, les staliniens finlandais, les nombreuses étapes de la révolution russe, les méthodes des Brigades Rouges – et oublier nos égos narcissiques » avant de prévenir que « nous devrons former une organisation très stricte et disciplinée avec une politique clairement définie et astreignante, et de préférence avec des signes extérieurs uniformes. [Le membre] doit apprendre à endurcir son cœur si nécessaire. Nous devrons apprendre à ignorer les intérêts mineurs au profit des intérêts supérieurs. Nous devrons apprendre à être craints et haïs. […] Le mot “ doux ” doit être effacé du vocabulaire des Verts une fois pour toutes. […] [Nous avons besoin] d’une élite stricte avec une forte figure de leader ». Sa franchise incite ses « camarades » environnementalistes à s’écarter de lui. Quelle bande de crétins « escrologistes » !

76f49ad36ca54804a0d0b3f33a90e981.jpg

Pentti Linkola a écrit une dizaine d’ouvrages dont un traduit en anglais, La Vie peut-elle prévaloir ? Une approche radicale de la crise environnementale, publié par Arktos Media. C’est grâce à Rodolphe Crevelle et aux anarcho-royalistes du Lys noir que le public de langue française découvre au début des années 2010 ce maître de l’écologie réelle. Hyper-réaliste et favorable au déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale, si possible nucléaire, qui « serait une heureuse occasion pour la planète », il avertit ses congénères que « nous avons encore une chance d’être cruels. Mais si nous ne sommes pas cruels aujourd’hui, tout est perdu ». Par cette assertion de bon sens, Pentti Linkola représente vraiment le contraire de l’égérie médiatique bien-pensante, la Suédoise Greta Thunberg. Raison supplémentaire pour saluer le retour à la terre d’une figure altière de l’écologie concrète.

Georges Feltin-Tracol.

lundi, 13 avril 2020

Sonnet en souvenir de Guillaume Faye - L’IGNÉ ET L’ACQUIS

93219313_10158223553812959_6797588264854224896_n.jpg

Sonnet en souvenir de Guillaume Faye
 
par Michel Dejus
 
L’IGNÉ ET L’ACQUIS
 
Le visage grimé et une faim de loup
De l’avaleur de feu qui se moque du pire.
Un envol vertical pour débonder la lyre.
La fièvre de l’aède qui enfonce le clou.
--------------------
Éructer au micro d’une radio gageure
Sur un chemin à part sans souci du retour.
Mais la muse se tient dans ses plus beaux atours.
L’orichalque flamboie sous la robe de bure.
--------------------
Les poisons circonspects apitoient le destin
Qui griffe vivement les pages d’un festin.
Synapses cuirassées d’une mémoire sauve.
--------------------
Nos jeunes ricochets en mer occidentale
Musique de l’espoir, trémulations de fauve.
Para bien/para mal tu es la marque mâle.

vendredi, 10 avril 2020

Remembering Pentti Linkola

200210104-800x_.jpg

Remembering Pentti Linkola
December 7, 1932 — April 5, 2020

Like other Nordic countries, Finland has a strong conformist mentality. The Law of Jante [1] is in force to keep too headstrong or conflict-seeking individuals in leash. In this respect, it is strange that one of the modern Finnish cultural icons is a character as extreme as Pentti Linkola. Throughout his career as a public intellectual, Linkola, who died on April 5th, aged 87, said things that would have made anyone else a social outcast or even a criminal. He described German National Socialism as ”a magnificent philosophy,” openly rejoiced the 9/11 attacks, praised the Baader-Meinhof Group, and said that the global human population should be reduced by means of bacteriological warfare.

Still, many of even those who thought Linkola was a madman or a brutal fascist esteemed his ascetic way of life and masterful literary style, considering him a remarkable personality. Every year, some major newspaper or periodical published an extensive interview of him. In 2017, Riitta Kylänpää’s biography of Linkola won the Finlandia literary prize for non-fiction. Appreciation of Linkola often crossed traditional political frontlines.

I became a huge fan of Linkola in my twenties, and I would perhaps never have become interested in environmentalism without reading his essays. His writing style was deeply personal, fuelled by aggression and sorrow, and his favoring of long sentences resembled rather classical Finnish authors like Aleksis Kivi and Joel Lehtonen rather than mainstream literary modernism.

Later I met Linkola several times in person, although I cannot say I knew him well. The first time was in autumn of 2002, when I went to his fisherman’s cabin in Valkeakoski to interview him for a literary magazine. Linkola told me about his aesthetic preferences. He said that in Finnish literature he liked the classics most, but he also read widely contemporary prose. He wondered why ”two masterpieces of world art,” Aleksis Kivi’s Seven Brothers and the symphonies of Sibelius, were created in Finland, even though Finland is ”a remarkably stupid nation.” Of his stylistic ideals he said something very agreeable:

I think that good prose style should at least be lucid. And it is a difficult goal, depending on the subject, of course. If a cleaning lady finds ripped sheets in the wastepaper basket, she should at least understand what the writer has meant, no matter what she thinks of it. And style should not be dryish, one should avoid professional jargon, and if there are Finnish equivalents for words, one should use them, not expressions derived from Latin and other foreign languages. I have tried to make my style clear and colorful on the one hand, but also avoid clichés and too original expressions. There should be some kind of balance; one should use rich language but not subvert the constructions of language. It is terribly demanding indeed, and one can never fully succeed.”

71vdPEM6OHL.jpg

The Linkola I knew was a cultivated, polite, and self-ironic man. He had a dry sense of humor. When I met him at the Helsinki Book Fair a few years ago, I asked: ”Pentti, how are you?” and he answered: ”Well, worse than yesterday, better than tomorrow.” Sometimes he telephoned me to discuss some newspaper article or book. During one of his calls, Linkola, 84 years old at that time, complained that his feet, which had always been the strongest part of his body, had started to fail him. ”Nowadays I can walk only a couple of kilometers nonstop, and then I already must rest at the side of the road.”

It is not very difficult to understand why the Dissident Right appreciated Linkola. He criticized modernization, humanism, and globalism in a way that was charming even in its most extreme and provocative forms. Like many luminous figures of all eras, Linkola was a son of an impoverished upper-class family, and his hatred towards the vulgarity of the modern age stemmed from his family background. He was no politician and had no mass movement behind him, so he was immune to all forms of political correctness. Unlike most other thinkers of the Green Movement, he always recognized the ecologically and culturally disastrous effects of mass immigration. He said to the author Eero Alén: ”Helsinki has become a Negro city. Everywhere you go, you see Negroes. That kind of Helsinki is no true Helsinki for me.”

Linkola did not consider the nation a value as such, but his thinking did have some nationalist elements. In his book Unelmat paremmasta maailmasta (Dreams of a Better World, 1971) he wrote:

I think that a true brotherhood of men requires same kind of environment and conditions, and also some concord in view of life. A Swedish or Russian environmentalist is surely closer to me than a Finnish economist or engineer, but a Brazilian environmentalist would probably not be. A man who has never fought against snow and frost could hardly be truly close to me.

Linkola’s pessimistic and heroic attitude is also something that men of the Right understand instinctively. The Dissident Right is constantly looking for those who are pure in spirit and fight for their cause till the end even if it is hopelessly lost. Linkola thought that stopping the ecocatastrophe was extremely unlikely and that his own impact on the course of events was virtually nonexistent. Still, he never stopped fighting, because effort, even a futile one, makes life meaningful. Throwing in the towel is the deed of an honorless man.

i23884878w2000h2000.jpg

It is harder to grasp why the appreciation for Linkola was so wide in Finnish society. One often hears the sentence ”I appreciate Linkola because he practices what he preaches,” but I think that is a cliché. No one fully practices what he preaches, because life itself is a kind of compromise. Of course, one should avoid gross contradictions between words and deeds, but especially in the case of livelihood and survival, everyone makes exceptions.

Linkola, who rejected most comforts of modern society, was probably more consistent than most of us. Certainly, he was more consistent than a typical Green Party parliamentarian who never leaves Helsinki except when he flies to an international climate congress. But like his friend and associate Eero Paloheimo [3] said, Linkola was not admired because of his consistency, but because he suffered. For Linkola, environmental disasters were not abstract administrative problems but personal catastrophes. He was a passionate biophile, for whom the frail bond between man and Earth was a deeply intimate and tragic thing. Unlike so many others, he refused to abandon his most genuine source of joy. This refusal led him to the fringes of society and made his life a one-man demonstration. It also made Linkola a more interesting figure than most of his admirers and enemies.

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

URL to article: https://www.counter-currents.com/2020/04/remembering-pentti-linkola/

URLs in this post:

[1] The Law of Jante: https://en.wikipedia.org/wiki/Law_of_Jante

[2] here: https://www.counter-currents.com/the-white-nationalist-manifesto-order/

[3] Eero Paloheimo: https://en.wikipedia.org/wiki/Eero_Paloheimo

00:03 Publié dans Ecologie, Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pentti linkola, écologie, hommage | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 01 avril 2020

Gaston Bouthoul, polémologue. Fin de l’omertà ?

AVT_Gaston-Bouthoul_1568.jpeg

Gaston Bouthoul, polémologue. Fin de l’omertà ?

par Arnaud Imatz

Le réalisme politique ne jouit pas en France d’une bonne réputation, ni dans les milieux académiques, ni dans les médias mainstream. Si dans les pays Anglo-saxons, en Amérique hispanique et dans le reste de l’Europe (en Italie tout particulièrement), l’intérêt ne se dément pas pour « l’école de pensée réaliste », dans l’Hexagone, elle est le plus souvent balayée d’un revers de main, taxée d’idéologie antidémocratique, manichéenne, opportuniste et désespérante, perçue comme une idéologie de dominants qui refusent de penser le changement et l’avenir. Le silence de la grande presse parisienne sur la remarquable synthèse du professeur Dalmacio Negro Pavón, La loi de fer de l’oligarchie. Pourquoi le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, publiée en novembre dernier (Toucan / L’Artilleur, 2019), n’est qu’un révélateur de plus de cette censure « soft » mais efficace.

71ukXAUZq2L.jpgRéputé l’un des meilleurs politologues du monde hispanique, l’académicien Negro Pavón a beau montrer que le réalisme politique n’est pas une famille politique homogène mais un point de vue de recherche et d’étude qui vise à éclairer les règles de la politique, qu’il n’est pas la défense du statu quo, qu’il part de l’évidence des faits mais ne se rend pas devant eux, qu’il ne se désintéresse pas des fins dernières mais reconnaît au contraire la nécessité vitale des finalités non politiques (le bonheur et la justice), rien ne peut ébranler la foi de ses adversaires, ennemis autoproclamés de toute pensée « machiavélienne », ou plutôt, selon leurs dires, « machiavélique ». Dans le fond, on le sait, le postmodernisme (mélange de néo-marxisme et de néo-libéralisme), n’est qu’une rébellion contre la réalité. Et le péché capital que redoutent ses thuriféraires est moins la « démagogie populiste », comme on l’entend ad nauseam, que le « sain scepticisme politique ». Une manière de penser qui, précisément, fait dire à Pavón,  au grand dam de nos pseudo-progressistes, qu’il y a une condition essentielle pour que la démocratie politique soit possible et sa corruption beaucoup plus difficile: « il faut que l’attitude à l’égard du gouvernement soit toujours méfiante ». Et encore, citant Bertrand de Jouvenel : « le gouvernement des amis est la manière barbare de gouverner ».

Simone Weil, Bertrand de Jouvenel, Raymond Aron, Jules Monnerot ou Julien Freund, pour ne citer qu’eux, ont tous, à un moment ou à un autre de leurs vies et à des degrés divers, fait l’amère expérience de cette méfiance et de cette hostilité que suscitent le « sain scepticisme politique ». Mais en la matière, la victime, l’exclus ou le réprouvé par excellence est assurément le polémologue Gaston Bouthoul, tombé injustement dans l’oubli depuis des décennies. À l’occasion du 40e anniversaire de sa mort (1980-2020), le politologue de l’Université de Murcie, Jerónimo Molina Caro, déjà connu pour ses travaux sur Raymond Aron et Julien Freund, nous offre une véritable somme sur la vie et l’œuvre de « Gaston Bouthoul, Inventor de la Polemología » (Centre d’études politiques et constitutionnelles de Madrid, Prix Luis Díez del Corral).

mini_magick20190404-31551-1ulxni0.pngGaston Bouthoul (Boutboul selon son certificat de naissance), est né dans la petite ville côtière de Monastir en Tunisie, le 8 mai 1896. Élevé au sein d’une famille bourgeoise de la communauté juive d’Afrique du Nord, le jeune Gaston parle le français, le dialecte arabe de la région et l’italien. Une fois ses études secondaires terminées, il quitte Tunis pour Paris, mais il restera toujours très attaché à son pays de naissance. En mai 1916, il s’inscrit à la faculté de droit et de lettres de la Sorbonne, puis, en juillet 1918, à l’Université de Lyon. De retour à Paris, en novembre 1918, dès la fin de la Première guerre mondiale, il acquiert la nationalité française.

Bouthoul obtient successivement deux doctorats en 1924 et en 1931: un premier doctorat en sciences juridiques et sciences politiques et économiques à la Sorbonne, avec une thèse « principale » sur La durée du travail et l’utilisation des loisirs et une thèse « secondaire » Étude sociologique des variations de la natalité dans les faits et la doctrine ; puis,un deuxième doctorat en lettres, section philosophie, à l’Université de Bordeaux avec une thèse « principale » sur L’invention (dans laquelle il défend la psychologie sociale et s’oppose au sociologisme de Durkheim) et une thèse « secondaire » sur Ibn-Khaldoun, sa philosophie sociale.Le génial aventurier politique et érudit, Ibn Khaldoun (1332-1406), né à Tunis et mort au Caire, sorte de machiavélien avant la lettre, théoricien de la décadence et de ses causes historiques, conduit très tôt Bouthoul à adhérer au réalisme politique.

En 1923, Bouthoul se marie avec Vera Betty Helfenbein, une jeune femme brillante, née à Odessa. Avocate, écrivaine et peintre, Betty côtoie le milieu intellectuel de la capitale où elle introduit son mari, qui se lie d’amitié avec une pléiade d’intellectuels dont Jacques Prévert et le francophile et francophone Ernst Jünger. L’amitié avec l’auteur de Sur les falaises de marbre ne se démentira pas. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à deux reprises, en 1950 et 1951, le couple recevra Jünger dans sa résidence d’été d’Antibes.

La carrière universitaire semble s’ouvrir à Bouthoul, mais ses affinités intellectuelles, fort éloignées de la sociologie durkheimienne, qui est alors hégémonique en France, rendent difficiles son intégration dans les milieux académiques. Intellectuel libre, chercheur indépendant, il est rétif à se plier aux conventionnalismes, aux formalités et servitudes de la vie académique. Sa vertu et son caractère l’éloignent des chapelles et des coteries mais le revers de la médaille est son exclusion des postes universitaires importants. Personnalité non-conformiste, membre du Club des « Savanturiers » fondé par Boris Vian et Raymond Queneau, Bouthoul étonne, choque même les bien-pensants.

Gaston et Betty Bouthoul ont néanmoins un avantage appréciable : l’indépendance financière que leur assure la profession d’avocats bien établis laquelle les met à l’abri des revers et chausse-trapes académiques. Les deux défendront les intérêts de clients et d’amis célèbres dont, dans le cas de Gaston Bouthoul, Jacques Prévert, Henri Langlois, fondateur de la cinémathèque française, ou les enfants naturels de Picasso.

51lwf6+xpnL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgC’est en 1922 que le nom de Gaston Bouthoul est mentionné pour la première fois dans la Revue internationale de sociologie, organe de l’Institut international de sociologie fondé par le sociologue René Worms (1893). À partir de 1926, cette revue réputée est dirigée par un ami de Bouthoul, Gaston Richard, un disciple de Durkheim devenu anti-durkheimien. Collaborateur régulier de la Revue internationale de sociologie mais aussi du Mercure de France, le futur polémologue recense et commente les néo-machiavéliens italiens Roberto Michels, Gaetano Mosca et Vilfredo Pareto. Pacifiste, se situant politiquement au centre-gauche, Bouthoul adhère à la franc-maçonnerie et collabore, semble-t-il, avec Paul Reynaud. Mais ses prises de position partisanes sont accidentelles au regard de son scepticisme politique foncier. Personne n’a plus souligné que lui « l’extrême pauvreté intellectuelle de la vie politique », la persistance dans le temps de quelques idées politiques basiques qui permettent de parler d’une infrastructure psychologique ou mentale dont les effets opèrent constamment sur la pensée et l’action politique. La politique est, selon lui, le degré le plus bas de l’activité intellectuelle. N’importe qui peut aspirer à une brillante carrière s’il est capable de réciter quelques slogans.

Bouthoul contribue aux travaux du Congrès international et intercolonial de la Société indigène, publiés en 1931, sous la tutelle de Lyautey. Sa communication porte sur l’amélioration des conditions sociales en Tunisie. Durant les années 1920 et 1930, il fréquente assidument l’École coloniale et dirige la Revue d’Afrique (de 1928 à 1939). C’est l’époque ou le radical-socialiste, Albert Sarraut, ministre et président du gouvernement, justifie la colonisation comme une « œuvre de solidarité humaine », une obligation civilisatrice, le droit du fort à aider le faible, une entreprise d’association et de prolongation de l’Europe. Les colonies ne sont pas seulement des marchés mais la création d’une nouvelle humanité. Leur finalité n’est pas purement matérielle ou économique mais leur objectif est de développer un nouvel idéal moral, de créer une nouvelle tradition intellectuelle commune, un nouveau type humain imprégné de deux cultures. Optimiste, Bouthoul croit en la possibilité d’un islam français. Il se déclare partisan d’un fédéralisme européen (« l’autonomie ou l’indépendance dans l’interdépendance » diront pour leur part Edgar Faure ou Albert Camus dans les années 1950) qui repose sur l’autonomie des différentes régions de l’empire français. Plus tard, des considérations démographiques le convertiront en un partisan de l’abandon de l’empire.

A la fin des années trente, Bouthoul commence à s’intéresser à l’étude du « phénomène-guerre » et écrit dans la Revue de Défense nationale. En 1940, grâce à ses bonnes relations avec l’imam de la mosquée de Paris, il obtient un certificat d’appartenance à la religion musulmane qui le protège lui et sa femme sous l’Occupation. En janvier 1941, le couple se replie sur Antibes. Amis de l’écrivain-résistant René Laporte, les Bouthoul retrouvent chez lui Aragon, Georges Auric, Cocteau, Eluard, Claude Roy, Pierre Seghers, André Verdet et bien d’autres.

718T0q1iQgL.jpgLa profonde impression que produit la Deuxième guerre mondiale sur Bouthoul – l’hécatombe européenne et les effets de l’arme atomique -, réoriente sa vie intellectuelle. De retour à Paris en 1945, il fonde l’Institut Français de Polémologie pour l’étude scientifique des causes des guerres (IFP). La polémologie, c’est l’étude de la guerre considérée comme un phénomène d’ordre social et psychologique. Bouthoul cherche à remplacer le pacifisme idéologique par un pacifisme scientifique, c’est-à-dire une conception de la paix fondée sur l’étude multifactorielle du « phénomène guerre ».

Dès les années 1950-1960, les grandes lignes de sa pensée sont déjà nettement tracées. Bouthoul, dénonce la saturation ou l’inflation démographique, l’amoncellement humain, qui met en péril le respect de la dignité de la personne et son progrès moral. Il rejette la prétendue relation de causalité purement quantitative entre l’augmentation de la population et le progrès établie par les démographes populationnistes. Néomalthusien optimiste (alors que Malthus est un pessimiste), il combat le populationnisme par crainte et haine de la guerre. Il réfute le populationnisme d’Alfred Sauvy, fondateur et directeur de l’Institut National d’Études Démographiques. Il s’oppose au populationnisme du républicain de centre gauche Zola, comme à celui du socialisme militant (utopique, marxiste et social-démocrate lequel sera partisan de la lutte des classes… jusqu’au triomphe du Welfare State). La dépopulation est pour les populationnistes un symptôme non équivoque de décadence car elle impose à la nation une « atmosphère déprimante ». À l’inverse, pour Bouthoul le propre des civilisations qui optent résolument pour la quantité est la tendance à devenir chaque fois plus inhumaine.

La solution du problème de la guerre et de la paix n’est pas, selon lui, dans les doctrines politiques, ni juridiques, ni morales, ni économiques, mais dans la science et le savoir. Ou la polémologie ou la guerre ! A l’adage traditionnel, romain et clausewitzien, Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre), et à celui du pacifisme rhétorique, Si vis pacem, para pacem (Si tu veux la paix, organise la paix), Bouthoul préfère la devise, Si vis pacem, gnosce bellum (Si tu veux la paix, comprend la guerre). Les incriminations et les discours contre la guerre ne servent à rien ; l’important, c’est la connaissance de l’agressivité collective et des conditions qui la suscitent.

md1207020186.jpgBouthoul étudie la périodicité des guerres, leurs causes présumées et leurs fonctions sociales. Il remet en question toute forme de déterminisme économiciste qu’il soit d’inspiration libérale ou marxiste. Ce n’est pas l’économie, mais la démographie qui est « le facteur numéro 1 »  de la guerre. Ni le dirigisme économique ni le libre-échange influent décisivement sur l’agressivité des nations. Il ne faut pas nier l’influence des facteurs psychologiques, culturels ou économiques, mais les circonstances de nature démographique sont celles qui comptent le plus.

La guerre n’est pas une maladie sociale, ni une pathologie collective, mais l’expression constante et régulière du dynamisme biologique et démographique, une fonction stable de la biologie sociale qui s’exerce sous les prétextes les plus variés. La guerre est innée et acquise, un fait de nature et un fait d’histoire, ses racines sont dans l’animalité de l’homme, mais aussi dans son humanité et dans sa sociabilité projetées dans le devenir historique. La guerre est un phénomène sociologique ou psychologique plus que politique. Elle n’est pas intentionnelle, mais plus nécessaire et fatale que volontaire et optionnelle. Elle est indépendante, au moins en partie sinon totalement, de la volonté humaine. Elle ne dépend ni de la souveraineté, ni de la forme de gouvernement, mais du déséquilibre démo-économique et de l’agressivité collective.

Alors que pour Clausewitz la guerre a pour finalité la destruction de l’ennemi afin de lui imposer notre volonté. Pour Bouthoul, la guerre a comme finalité la « relaxation » démographique. Pour l’un, la guerre est un phénomène historique et contingent (la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens), pour l’autre, elle est un phénomène périodomorphique. La guerre a une fonction double : générique et spécifique. La première, est destructive (mortalité supplémentaire) et réductrice (effondrement de la natalité). La seconde, quintessence de la polémologie, consiste en l’élimination de jeunes garçons, une constante dans l’histoire des idées politiques et sociales. La causalité du phénomène guerre est majoritairement démographique. Ainsi, l’indépendance de l’Algérie sous De Gaulle s’explique par une conscience aigue du problème démographique qui plane sur la métropole : que deviendrait le haut niveau de vie de la France si quelques millions d’Africains arrivaient sur son territoire ?

La traversée du désert de Bouthoul se prolonge pendant plus de vingt ans. C’est seulement à partir de 1966 que son Institut prend vraiment son essor. Tout commence à changer lorsqu’il se lie d’amitié avec Lucien Poirier. C’est la première rencontre providentielle pour lui. Théoricien de la dissuasion nucléaire, principal représentant de la stratégie française de l’après-guerre, le général Lucien Poirier est un proche du gaulliste, ministre des armées, futur premier ministre, Pierre Messmer. Poirier fait appel à la collaboration de Bouthoul pour la Revue militaire d’information. Les finances de l’IFP s’améliorent et sa revue  Guerres et Paix est publiée aux PUF, de 1966 à 1970.

La seconde rencontre heureuse et inespérée de Bouthoul est celle de la journaliste pacifiste, femme de lettres et femme politique, Louise Weiss, qui assume le secrétariat général de l’IFP, de 1964 à 1971. En 1967, un Centre de sociologie de la guerre, dépendant de l’institut de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, est crée et dirigé par  le général Victor Werner enthousiaste divulgateur des thèses de Bouthoul. Un autre ami proche, le professeur de philosophie politique, Julien Freund, fonde l’Institut de polémologie de l’Université de Strasbourg (1970). La dédicace du livre de Freund Utopie et violence (1978) à Gaston Bouthoul et à la mémoire de sa femme Betty témoigne de leur proximité.

En 1971, paraît le premier numéro des Études polémologiques ; les membres du comité d’honneur de cette nouvelle revue de l’IFP sont pour la plupart des intellectuels du Collège de France et de l’Institut de France (Braudel, Fourastié, Guitton, Rueff etc.). Deux collaborateurs de Bouthoul sont parmi les plus actifs, Hervé Savon, chercheur au Collège de France et le général René Carrère.

la-surpopulation-dans-le-monde.jpgDurant toute sa vie, Bouthoul publie des centaines d’articles et une bonne vingtaine de livres dont les titres sont éloquents. Parmi eux citons : Cent millions de morts (1946), Huit mille traités de paix (1948) [pas moins de 8000 traités de paix « qui devaient durer éternellement » ont été conclus entre l’année 1500 av. J.-C. et 1860], Les guerres, éléments de polémologie (1951), Le phénomène-guerre (1962), Sauver la guerre : lettre aux futurs survivants (1962), La surpopulation dans le monde (1964), L’art de la politique (1969), L’infanticide différé (1970), Essais de polémologie ( 1976) ou encore, en collaboration avec René Carrère et Jean-Louis Annequin, Le Défi de la guerre de 1740 à 1974 (1976) et Guerres et civilisations (1979).

Bouthoul a été critiqué pour son « monocausalisme » démographique, sa corrélation trop simpliste entre démographie et guerre (Alfred Sauvy, Paul Vincent, Raymond Aron) ou sa « délocalisation » des conflits (Yves Lacoste). Il lui a été aussi fait le reproche moral de justifier la guerre en lui attribuant une fonction sociale. Mais en réalité, il présente la polémologie comme un chapitre de la sociologie dynamique, générale, en raison du grand nombre de facteurs interdépendants qu’elle implique (depuis l’anthropologie et l’ethnologie démographique, jusqu’à l’économie, en passant par le droit et la psychologie). S’il croit en la primauté des facteurs démographiques, il n’a jamais affirmé que la surpopulation ou les perturbations démographiques sont l’unique cause de la guerre. Selon lui, « La surpopulation ne conduit pas nécessairement à la guerre, mais elle est une situation dans laquelle s’activent les institutions destructives. La prépondérance de l’une ou de l’autre sera déterminée par la mentalité, la conjoncture politique et idéologique, la technique, la tradition et bien sûr le hasard ».De sorte que « bien qu’on ne peut pas affirmer scientifiquement une relation certaine de causalité entre la perturbation démographique et la naissance des conflits… celle-ci peut favoriser les conditions qui créent le lien polémogène ».

Avec un pourcentage majoritaire de sa population entre 20 et 35 ans, nous dit Bouthoul, un peuple est plus belligène et agressif. C’est au fond la doctrine du Youth Bulge des sociologues anglo-saxons d’aujourd’hui pour qui, lorsque dans un peuple la population des jeunes (entre 15 et 24 ans) dépasse les 20%, les possibilité de conflit intérieur ou de guerre extérieure se multiplient. Une société majoritairement gérontocratique et féminine est en revanche moins agressive.

Victime d’une grave maladie, Bouthoul décède en décembre 1980. Quelques mois plus tôt, il a accepté que l’IFP soit dissous et absorbé par la Fondation pour les Études de Défense nationale (1980). Respectant sa volonté, René Carrère en devient le directeur et Christian Schmidt, de l’université Paris IX Dauphine, le directeur adjoint. La FEDN sera à son tour dissoute, en 1992, sur proposition du ministre socialiste Pierre Joxe.

Sans projection universitaire, sans postérité véritable, surtout après la perte irréparable d’Hervé Coutau-Bégarie (2012), fondateur de l’Institut de stratégie comparée, et malgré les efforts méritoires de Myriam Klinger, maître de conférences à l’Université de Strasbourg, Gaston Bouthoul a semblé pendant des années condamné à être ignoré, méconnu et oublié. Mais grâce au livre passionnant et remarquablement documenté de Jerónimo Molina Cano, Gaston Bouthoul, inventeur de la polémologie. Guerre, démographie et complexes belligène, il n’en est rien. C’est avec impatience qu’on attend sa traduction et sa publication en France.

Arnaud Imatz est historien des idées, membre correspondant de l’Académie royale d’histoire d’Espagne.

Hirô Onoda: Patriotisme total

hirô_onoda-Copier.jpg

Hirô Onoda: Patriotisme total

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Le 16 janvier 2014 s’éteignait à Tokyo à l’âge respectable de 91 ans Hirô Onoda. Il fut certainement l’ultime porteur des principes fondateurs de l’esprit samouraï, le dernier Japonais à avoir sacrifié sa vie pour la grande idée impériale.

Le Lys noir de feu Rodolphe Crevelle en date du 21 juin 2012 présentait cet incontestable héros contemporain. Le titre du texte claquait tel un défi lancé à la moraline ambiante : « Comment gagner une guerre mondiale quand on est seul… » Hirô Onoda appartient à ces conscrits nippons qui, faute de moyens de transmission appropriés, ignorèrent la défaite de leur pays en 1945 et continuèrent à combattre sur des îles, plus ou moins isolées, de l’aire Asie – Pacifique.

ddec8b10a614ec28fd1a4c696aa7df5d.jpgJeune lieutenant à la fin du conflit, Hirô Onoda rejoint l’île occidentale de Lubang aux Philippines. Instruit auparavant dans une école de guérilla à Futamata, il reçoit des ordres explicites : 1) ne jamais se donner la mort, 2) désorganiser au mieux l’arrière des lignes ennemies une fois que l’armée impériale se sera retirée, 3) tout observer dans l’attente d’un prochain débarquement japonais.

Ce pratiquant de kendô de 22 ans prend très à cœur sa mission. Il s’exaspère en revanche du piètre état physique et moral de ses compatriotes sur place. « Je me retrouvais là sans aucun pouvoir, avec des troupes désordonnées dont aucun soldat ne comprenait rien aux bases de la guérilla que nous aurions à mener sous peu (p. 90). » Son enthousiasme martial contraste avec le défaitisme latent des plus anciens.

Hirô Onoda et trois autres militaires commencent leurs raids dès que les Yankees investissent Lubang. Si l’un d’eux finit par faire défection et se rend, ses trois compagnons de guerre persistent à lutter. Ils restent fidèles au « serment de continuer le combat. C’était le début du mois d’avril 1946 et nous constituions la seule force japonaise de résistance présente à Lubang (p. 120) ». Pendant vingt-neuf ans, Hirô Onoda mène ainsi une vie de camouflage, une existence furtive, sur le qui-vive, une survie permanente. La prouesse est remarquable. À son arrivée, sa « première impression de Lubang fut que c’était un terrain difficile pour y mettre en œuvre la guérilla (p. 74) ».

Hirô Onoda voit successivement ses deux derniers frères d’armes tombés au combat face aux Étatsuniens, à la police locale ou à des habitants de plus en plus téméraires. Les autorités de Manille et de Tokyo emploient divers moyens pour leur faire comprendre la fin des hostilités. Sans succès. « Nous ne pouvions pas nous résoudre à croire que la guerre était finie. Nous pensions que l’ennemi forçait des prisonniers à participer à leur supercherie (p. 117). » Malgré les tracts parachutés dans la jungle, les journaux nippons laissés volontairement bien en évidence près des sentiers et même des émissions radio écoutées grâce à un transistor volé, aucun ne consent à déposer les armes. « Nous avions juré que nous résisterions aux démons américains et anglais jusqu’à la mort du dernier d’entre nous (p. 177). » Pourquoi ? Parce qu’« il était de notre devoir de tenir le coup jusqu’à ce que la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale soit solidement établie (pp. 168 – 169) ».

ab0cf960a730e775cb2fd4c97eecfe99.jpgModèle d’abnégation patriotique totale, bel exemple d’impersonnalité active, Hirô Onoda est alors certain qu’en cas d’invasion du Japon, « les femmes et les enfants se battraient avec des bâtons en bambou, tuant un maximum de soldats avant de mourir. En temps de guerre, les journaux martelaient cette résolution avec les mots les plus forts possibles : “ Combattez jusqu’au dernier souffle ! ”, “ Il faut protéger l’Empire à tout prix ! ”, “ Cent millions de morts pour le Japon ! ” (pp. 177 – 178) ». Ce n’est que le 9 mars 1974 que le lieutenant Onoda arrête sa guerre dans des circonstances qu’il reviendra au lecteur de découvrir.

Devenu éleveur de bétail au Brésil où vit depuis le XIXe siècle une forte communauté japonaise, Hirô Onoda retourne ensuite au Japon pour enseigner aux jeunes déformés par le monde moderne les techniques morales et pratiques de survie. Il ne se renia jamais. Préfacier et traducteur d’Au nom du Japon (La manufacture de livres, 2020, 317 p., 20,90 €), le Tokyoïte Sébastien Raizer qualifie ce livre de « récit hors du commun [… qui] se lit comme la plus haletante des aventures humaines (p. 7) ».

Un « bo-bo » du XIVe arrondissement de Paris ou du Lubéron y verra sûrement le témoignage d’un fanatisme ardent. Il ne comprendra pas qu’Au nom du Japon est avant tout une formidable leçon de volonté, de courage, de fidélité et d’honneur. Un très grand ouvrage !

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 166.

onoda.jpg

714sKLIjmaL.jpg

mardi, 31 mars 2020

Gueïdar Djemal

dzhemal-gejdar-biografiya-i-mirovozrenie.jpg

Gueïdar Djemal

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Cette nouvelle chronique évoque une personnalité publique dite en novlangue « controversée » parce qu’elle représente une déclinaison politique quasi-inconnue en France de l’idée grande-européenne ou, plus exactement, du néo-eurasisme dans le monde post-soviétique.

Gueïdar Djemal naît le 10 juin 1947 à Moscou et meurt à l’âge de 69 ans le 5 décembre 2016 à Almaty au Kazakhstan. Azéri (c’est-à-dire turcophone chiite d’Azerbaïdjan) par son père, il est russe par sa mère. Après d’excellentes études au cours desquelles il apprend avec brio l’allemand, l’anglais et le français, il rejoint à la fin des années 1960 un cercle intellectuel informel moscovite conduit par Evgeny Golovine. Il y découvre l’œuvre de René Guénon et de Julius Evola. Ce cénacle non conformiste surveillé par le KGB qui y voit une association de farfelus asociaux accueille dans les années 1980 un jeune étudiant prometteur et sous peu polyglotte : Alexandre Douguine.

Dans le tumulte de la Pérestroïka, Gueïdar Djemal se distingue par ses positions tranchées. Bien qu’en délicatesse avec le régime communiste, il souhaite le maintien de l’Union Soviétique. Il participe en 1990 à la fondation à Astrakhan du Parti de la Renaissance islamique (PRI) qui s’affiche pan-soviétique. Il en devient le principal conseiller politique. À partir de 1991 – 1992, le PRI – bientôt qualifié de « mouvement terroriste » – participe à la guerre civile au Tadjikistan.

Flag_of_the_Islamic_Renaissance_Party_of_Tajikistan.svg.png

De retour de la capitale russe, le directeur – fondateur de la revue Nationalisme et République, Michel Schneider, décrit dans le n° 9 de septembre 1992 sa rencontre avec Gueïdar Djemal, un « homme [qui] a la très forte personnalité des génies, ou des fous… […] D’une intelligence hors du commun, cette personnalité douée d’une réelle présence physique est un magnifique comédien, sachant jouer de tous les registres ». Il le perçoit finalement comme « un homme redoutable ».

En effet, membre vite viré du mouvement archéo-nationaliste Pamiat, Gueïdar Djemal qui dirige la revue russophone Tawhid (« Monothéisme ») et Wahdad (« Unité »), l’organe du PRI, veut prolonger les réflexions de Constantin Léontieff. Ce penseur du XIXe siècle prônait face à l’Occident romain-germanique une alliance entre l’islam et l’Orthodoxie, soit les retrouvailles des deux héritiers de Byzance, les Empires russe et ottoman. Gueïdar Djemal est l’un des théoriciens de l’eurislamisme, c’est-à-dire l’activisme en faveur d’un empire paneuropéen de Vladivostok à Dublin islamiste.

Président du Comité islamique de Russie, il entend aussi écarter le soufisme et l’islam saoudien pour mieux rapprocher les dimensions ésotérique du chiisme et géopolitique du sunnisme. En 1992, Gueïdar Djemal se rend ainsi à Khartoum au Soudan à l’invitation du penseur panislamiste Hassan al-Tourabi dans le cadre de la Conférence arabe et islamique populaire. Il influence durablement les oulémas russophones. Il n’est pas anodin que deux cents sages musulmans venus de Russie et des marches de l’ancienne URSS se rassemblent en août 2016 à Grozny à l’invitation du président tchétchène Ramzan Kadyrov. Malgré la pression, les menaces, puis la vive colère de Riyad, cette réunion s’achève par une fatwa qui exclut le wahhabisme de l’islam sunnite.

Gueïdar Djemal prévient en 2013 dans le quotidien Vzgliad : « Ceux qui croient que l’islamisme est un instrument maîtrisé par l’Occident se trompent. L’islam politique mène au contraire une lutte ouverte contre le système politique occidental. La Russie doit comprendre qu’elle n’a pas intérêt à suivre l’Occident sur ce front. » Dans Pour le Front de la Tradition (Ars Magna, 2017), Alexandre Douguine explique dès 1991 que « Tawhid est la revue de l’avant-garde métaphysique islamique fondamentaliste fondée et animée par le grand penseur et métaphysicien de notre époque, Gueïdar Djemal. On y considère l’islam sous la lumière initiatique et géopolitique, eschatologique, raciale, ethnique, économique, scientifique, artistique. C’est un curieux et génial mélange d’avant-garde intellectuelle et de traditionalisme radical (p. 143) ». Il n’hésite cependant pas à intégrer dans sa vision du monde la « lumière du Nord hyperboréenne ». Il est significatif que son premier essai paru en 1981 s’intitule L’Orientation du Nord.

Ce proche de l’ancien philosophe communiste français converti à l’islam Roger Garaudy lance en février 2009 à Iekaterinbourg dans une perspective ouvertement révolutionnaire et contre les nationalistes ethniques « petits »-russes une Union internationale de soutien aux travailleurs migrants. « Ce mouvement va œuvrer pour la défense des couches les plus déshéritées de la société russe, annonce-t-il. Il intègre également la société civile favorable à la renaissance des idées internationalistes. C’est pourquoi aucun critère ethnique, confessionnel ou de citoyenneté n’est requis pour y participer. »

Ces dernières années, il se félicitait que de plus en plus de Russes d’origine slave se convertissent à l’islam. Dans le journal national-patriotique Zavtra du 12 mars 2002, cet ennemi juré de l’OTAN affirmait que « l’union avec près d’un milliard d’hommes, formant aujourd’hui un front d’opposition à l’hégémonisme américain se révèle nécessaire, sinon la Russie n’est tout simplement pas capable de survivre en tant que sujet de la grande Histoire ». Pour lui, la conversion de la Russie – déjà membre observateur à l’Organisation de la coopération islamique – à la foi mahométane lui permettra « d’enrayer son processus de décadence nationale provoqué par l’Occident ». Un temps conseiller politique du général Alexandre Lebed (14,73 % à la présidentielle de 1996), il sert d’intermédiaire entre les autorités russes et les indépendantistes tchétchènes, et permet la fin de la première guerre de Tchétchénie.

dervi.jpg

Auteur de sept ouvrages dont un recueil de poèmes, Une fenêtre sur la nuit, et en 2003, La révolution des prophètes, Gueïdar Djemal confirmait encore à Michel Schneider que « la lutte en cours n’oppose pas tant l’ethnoparticularisme à l’universalisme musulman que deux types antinomiques de mondialisme : le mondialisme américain horizontal et le mondialisme islamique, sacral et vertical. En réalité, le mondialisme américain domine avec succès les ethnoparticularismes qui, en fin de compte, se mettent à le servir et se transforment en éléments fonctionnels de ses stratagèmes ». Il classera plus tard les forces politiques du monde moderne en trois groupes antagonistes : les libéraux, les traditionalistes et les radicaux.

Gueïdar Djemal demeura toujours fidèle à sa conception d’une puissance islamo-orthodoxe russo-soviétique alliée au tiers monde musulman. Il désapprouva par exemple l’intervention militaire française au Sahel et invita son gouvernement à s’implanter durablement en « Françafrique ». Son fils, Orkhan Djemal, fait d’ailleurs partie des trois journalistes russes assassinés en République centrafricaine en juillet 2018.

Gueïdar Djemal restera un personnage paradoxal. Ce traditionaliste convaincu combattait le « monothéisme de marché » au nom d’un autre monothéisme tout aussi dangereux. Preuve supplémentaire que le cosmopolitisme se manifeste sous bien des aspects.

Georges Feltin-Tracol

• Chronique n° 33, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 25 février 2020 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.

lundi, 23 mars 2020

Salut à l’ultime sorélien de Russie !

TASS27086548.jpg

Salut à l’ultime sorélien de Russie !

par Georges FELTIN-TRACOL

Soudaine et abrupte, la nouvelle s’est vite répandue : le décès d’Édouard Limonov à Moscou le 17 mars dernier à l’âge de 77 ans, victime du crabe. La provocation politique, militante et littéraire perd l’un de ses maîtres incontestés.

De son vrai nom Édouard Veniaminovitch Savenko, Édouard Limonov naquit le 22 février 1943 dans une ville russe qui lui était quelque peu prédestinée, Dzerjinsk, en l’honneur de Félix Dzerjinski, le chef de la Tchéka, l’ancêtre de la Guépéou et du KGB. Savenko père appartenait d’ailleurs au NKVD en tant qu’officier commissaire politique.

limonov.jpgSuite à une affectation paternelle, le garçon grandit dans la ville industrielle de Kharkov aujourd’hui en Ukraine. Ce surdoué fut d’abord « un lecteur assidu, dévorant tout ce qui [lui] tombait sous la main (1) ». Au collège, il joue au garnement insupportable avec des résultats scolaires décevants. À la fin de l’adolescence, il commet des larcins mineurs. Mortifié d’être exempté du service militaire, ce myope ne supporte plus la pesante ambiance sous Khrouchtchev et Brejnev. Incontrôlable et provocateur, il quitte l’Union soviétique en 1974. Quelques plumitifs y ont vu l’indice que derrière une apparente attitude dissidente culturelle et artistique, Limonov aurait été un agent clandestin du KGB au même titre d’ailleurs que l’« arctiviste onanophobe » Piotr Pavlenski…

Il proclamera plus tard sa fierté d’être le « fils d’un samouraï (2) ». En effet, son père « était un puritain : il ne buvait pas, ne fumait pas (3) ». Ce dernier était-il un homo sovieticus exemplaire ? Limonov relate une anecdote troublante. Le jour de la mort de Staline, tandis que sa mère pleure le défunt et qu’ils tentent de le réveiller, il leur lance : « Taisez-vous, vous n’avez aucune idée de qui vous pleurez… (4) » Et il se rendort !

Édouard Limonov commente cette réaction déroutante de la part d’un membre du PCUS, serviteur incontestable du régime. « Dans les années 1950 – 1960, l’Union soviétique était comparable à ce que George Orwell décrit dans 1984. Les millions de prolos y étaient en réalité plus libres que n’importe qui. Bien sûr, à Moscou et dans les grandes villes, les intellectuels étaient surveillés par le KGB. Mais l’appareil répressif ne se souciait pas des pauvres ouvriers, perdus dans l’immensité des ghettos pour prolos (5). »

Il a toujours recherché une synthèse entre son père militaire et sa mère ouvrière au caractère bien trempé dont il se doutait que la jeunesse fût agitée… Leur fils, lui, eut le privilège, parfois chèrement payée par des détentions plus ou moins longues, de mener une vie punk. Emmanuel Carrère rapporte dans son Limonov (POL, 2010) qu’il le découvre quand sa mère, Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française, reçoit l’un de ses premiers ouvrage avec une dédicace dans laquelle il se qualifiait de « Johnny Rotten de la littérature russe », Johnny Rotten étant le meneur du groupe britannique de musique punk Sex Pistols.

À l’instar d’Alexandre Soljenitsyne qu’Édouard Limonov n’a guère apprécié, les « nouveaux philosophes » anti-totalitaires et germanopratins ne sont jamais parvenus à le domestiquer. À Esprit, au Nouvel Observateur, à Études ou à Commentaires, il a préféré écrire pour le quotidien communiste L’Humanité et le mensuel nationaliste Le Choc du Mois. Il révèle tout son talent dans L’Idiot International de Jean-Edern Hallier. L’auteur du Bréviaire pour une jeunesse déracinée (Albin Michel, 1982) accueille avec joie un écrivain qui a bien roulé sa bosse et qui œuvre à la convergence de l’idée nationale et de la justice sociale.

Au début du XXe siècle, Édouard Limonov aurait sans doute suivi Georges Sorel. L’a-t-il au moins lu ? L’homme de lettres n’hésite pas à recourir à la violence. Il la juge nécessaire, indispensable, voire salutaire. Il tire en Transnistrie contre les Moldaves roumanophones, en Abkhazie contre les Géorgiens et en Bosnie aux côtés des Serbes du président Radovan Karadzic. Ces péripéties guerrières dévaluent son crédit sur la place vérolée de Paris où les éditocrates de l’Hexagone le condamnent au nom de la morale des droits de l’homme. Son rejet de l’atlantisme et du libéralisme en fait en 1993 l’une des principales cibles d’une virulente campagne de presse fomentée par un palmipède imprimé, dénonciateur psychotique d’une fantasmatique alliance « rouge – brune ».

Édouard Limonov assume cette désignation. revenu en Russie, il fonde, le 1er mai 1993, en compagnie d’Egor Letov et d’Alexandre Douguine le Parti national-bolchevik (PNB). Par de nombreux coups d’éclat médiatiques, le PNB combat la politique néo-libérale et pro-occidentale de l’ivrogne Eltsine, puis de Vladimir Poutine. Concevant la politique comme une forme d’art achevée, ce mouvement inclassable exige des mesures hyper-natalistes telles l’autorisation de la polygamie et l’obligation imposée aux femmes russes d’avoir au moins quatre enfants avant l’âge de 35 ans.

61pLw11cDgL.jpg

Édouard Limonov avoue volontiers avoir « pris le parti de choquer, de provoquer dans le but d’attirer vers nous des militants. La Russie était une page blanche : la vie politique était inexistante. Il fallait être créatif et oser des expériences nouvelles. Nous avons privilégié le radicalisme, avec un mélange d’idées d’extrême gauche et d’extrême droite. Pour moi, “ extrémisme ” n’est pas péjoratif (6) ». Sarcastiques, les slogans nationaux-bolcheviks (ou « natsbol ») concurrencent les meilleurs adages situationnistes : « Le Mur est mort, vive le Mur ! », « Le capitalisme, c’est de la merde ! » ou bien l’indigeste « Mangez les riches ! »

Les actions coup-de-poing des « natsbols » agacent progressivement Alexandre Douguine qui envisage un néo-eurasisme révolutionnaire – conservateur moins tonitruant. Il rompt avec le PNB en avril 1998. Dès lors, « le parti est devenu de plus en plus rouge et socialiste (7) ». Puis la formation « natsbol » se scinde. Le gouvernement russe l’interdit finalement le 7 août 2007. Entre-temps, Édouard Limonov a purgé deux ans de prison pour une tentative esquissée (et peut-être provoquée ?) de coup d’État au Kazakhstan en 2001 afin de réintégrer les régions russophones du Nord kazakh à la Russie parce qu’« après la proclamation d’Indépendance, des millions de Russes se sont retrouvés sous la coupe d’un régime qui lui était hostile (8) ».

9782742778119.jpgLibéré, Limonov se rapproche de l’opposition libérale anti-Poutine. Il purge alors diverses peines de détention administrative en tant que principal animateur de la contestation en 2010 – 2011. Il se ravise en 2014 et se sépare des libéraux quand le président russe soutient indirectement la révolte de Donetsk et de Lougansk, et annexe la Crimée. Ses livres, Le Vieux (Bartillat, 2015) et Kiev Kaputt, justifient ce surprenant revirement, car « Poutine ne s’est pas réconcilié avec Limonov (9) ». S’il salue la diplomatie du Kremlin, il continue néanmoins à s’opposer au poutinisme intérieur, économique et sociale. Il affirme « être plus radical et plus à droite que le pouvoir dans le domaine de la politique extérieure (10) ». En revanche, « je suis beaucoup plus à gauche que le pouvoir en politique intérieure, poursuit Limonov. J’exige la nationalisation de l’industrie gazière et pétrolière. J’exige la confiscation des biens des grosses fortunes, la privation pour celles-ci de la citoyenneté russe et leur expulsion de Russie (11). »

On peut croire que dans Kiev Kaputt comme l’imagine un journaliste de droite qui confond encore le Dixiland avec son bourreau historique, les États-Unis d’Amérique, Édouard Limonov souhaite restaurer l’URSS d’autant qu’on constate une évidente resoviétisation de son discours. Il insiste régulièrement sur l’héritage de la Grande Guerre patriotique (1941 – 1945) et développe une incessante rhétorique « antifasciste » contre les nationalistes ukrainiens. En réalité, Limonov ne « regrette [pas] le passé. La nostalgie, c’est une faiblesse. Mais en tant que personne née dans les dernières années de la “ Grande Guerre patriotique ”, j’éprouvais un sentiment de […] loyauté vis-à-vis de ce grand empire. De la nostalgie, non (12) ».

Ses nombreuses expériences vécues au plus bas de l’échelle sociale lui procurent une vraie expertise sociologique comparative entre d’une part les sociétés soviétique et russe, et, d’autre part, leurs homologues occidentales italienne, française et étatsunienne. Comme son compatriote trop tôt décédé Alexandre Zinoviev et notre ami croate Tomislav Sunic, il comprend que les unes ne valent pas mieux que les autres. Lorsqu’il quitte Paris, il laisse un beau cadeau d’adieu, un formidable essai d’entomologie psychopolitique qui est aussi un remarquable pamphlet, Le grand Hospice occidental récemment réédité chez Bartillat en 2016.

En observateur minutieux, Édouard Limonov note que « la vie quotidienne dans toute société de civilisation blanche, que ce soit le Bloc occidental – l’Europe et ses essaimages (États-Unis d’Amérique, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Israël…) – ou le Bloc de l’Est, rappelle un Hospice bien géré. L’immense majorité des “ malades ”, placés sous sédatifs, se conduisent raisonnablement et docilement. Leurs visages sont gras et luisants. Ils sont satisfaits de leur sort. Le calme règne dans l’Hospice… (13) » Quel percutant diagnostic !

51WB729T0FL._SX289_BO1,204,203,200_.jpgIl confirme à Axel Glydén qu’« en Occident, vous êtes vieux, archaïques et vous allez tous mourir, au sens intellectuel du mot. À force de ressasser le passé, vos cerveaux sont encombrés d’interdits. Et vous allez faire du surplace pendant des siècles. Les intellectuels français sont manichéens. Hantés par le passé, ils sont enfermés dans des dogmes (14) ». Ayant connu la « stagnation » brejnévienne du début des années 1970, Édouard Limonov perçoit une stagnation mortifère qui imprègne à son tour l’Occident.

Édouard Limonov éprouve enfin un vif intérêt pour les petites gens. Son dernier passage en France remonte aux temps paroxystiques des Gilets jaunes. Il se réjouit de ce réveil populaire violent. Il y voit un lointain cousinage avec ses manifestations anti-Poutine en 2010 – 2011. Lui-même ancien militant « natsbol » devenu écrivain russe réputé, Zakhar Prilepine peut-il être considéré comme son successeur au moins sur le plan littéraire ? Les prochaines années trancheront.

Les cieux ont perdu leur quiétude habituelle. Le duo foutraque Jean-Edern Hallier et Édouard Limonov s’est reconstitué. Pas sûr que Saint Pierre apprécie cette connivence fantasque…

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : Limonov par Limonov. Conversations avec Axel Gyldén, L’Express Roularta Éditions, 2012, p. 22.

2 : Idem, p. 38.

3 : Id., p. 36.

4 : Id., p. 39.

5 : Id., p. 31.

6 : Id., p. 114.

7 : Id., pp. 115 – 116.

8 : Id., p. 92.

9 : Édouard Limonov, Kiev Kaputt, La manufacture de livres, coll. « Zapoï », 2017, p. 137.

10 : Idem, p. 32.

11 : Id.

12 : Limonov par Limonov, op. cit., p. 93.

13 : Édouard Limonov, Le Grand Hospice occidental, Les Belles Lettres, coll. « L’Idiot International » n° 5, 1993, p. 27.

14 : Limonov par Limonov, op. cit., p. 120.

mercredi, 18 mars 2020

Hommage à "l'ami" Edouard Limonov, le punk russe des lettres

5e71388887f3ec544b0ad8a2.jpg

Hommage à "l'ami" Edouard Limonov, le punk russe des lettres

Par Axel Gyldén
Ex: https://www.lexpress.fr

Grand reporter à L'Express, Axel Gyldén a connu l'écrivain russe, disparu le 17 mars, qui se considérait comme "un génie". Rencontre avec un mégalomane sympathique.

Edouard Limonov n'avait pas d'ami. "Ce qu'il faut dans la vie, c'est mener des projets avec des gens et les fréquenter le temps que dure ce projet, qu'il soit politique, littéraire ou autre. Mais avoir des amis, quel intérêt?", m'avait asséné le provocateur professionnel Edouard Limonov en 2011 pendant l'interview fleuve (5 jours, 40 heures) qu'il m'avait accordée dans le cadre d'un projet éditorial sous la forme d'un livre entretien édité par L'Express (1) et qui, avouons-le, espérait surfer sur le succès phénoménal du remarquable Limonov (P.O.L.) d'Emmanuel Carrère. 

Cet automne-là, Edouard Limonov m'avait reçu au cinquième étage d'un immeuble de l'avenue Lénine, à la périphérie de Moscou. Chez l'écrivain russe, c'est un garde du corps du corps qui vous ouvrait la porte. Juste derrière, en veste et coule roulé noirs, droit comme un i et sec comme une trique, se trouvait le sulfureux écrivain international, politicien russe et agitateur d'idées. 

VIDÉO: Edouard Limonov: "Je me considère comme un génie" 

41oMmodk19L._SX317_BO1,204,203,200_.jpgD'une poignée de main ferme, il accueillait les visiteurs sans manières dans son appartement de 100 mètres carrés à la déco minimaliste: quelques chaises, un bureau en formica, un fauteuil en skaï et, sur les murs gris, trois ou quatre photos où l'on reconnaissait le maître des lieux, pour la plupart des clichés pris à Paris, dans le Marais, où il avait vécu au début des années 1980, et devant Notre-Dame.

Il n'a pas voulu me dire - c'était ma première d'une longue série de questions - ce qu'il pensait du succès fulgurant du livre que venait de lui consacrer Emmanuel Carrère et qui l'avait, en quelque sorte, ressuscité. Cependant, il était clair que l'écrivain russe, tricard à Paris depuis les années 1990 en raison de son engagement pro serbe en Yougoslavie vingt ans auparavant, se délectait de cette réhabilitation inattendue offerte sur un plateau par le romancier français.  

Enfant surdoué, rebelle, voyou, poète, agitateur et écrivain...

C'est le génie d'Emmanuel Carrère d'avoir consacré un livre à Limonov, dont la trajectoire se confond avec celle de la Russie, depuis Khrouchtchev jusqu'à Poutine, et les soubresauts de notre époque, des années Mitterrand à celle de Slobodan Milosevic. 

La biographie de l'écrivain décédé est fascinante. Enfant surdoué puis adolescent rebelle, voyou, ouvrier en Ukraine, "Eddy" devient poète underground à Moscou sous Leonid Brejnev, majordome au service d'un milliardaire à New York, écrivain déjanté (puis pestiféré) à Paris, puis soldat pro slave dans les Balkans aux côtés des Serbes, et enfin, de retour à Moscou, chef du parti "nasbol" (national-bolchevik) - interdit en 2007-, et enfin prisonnier politique, puis héros d'un best-seller en France, récompensé par le Renaudot.

LIRE AUSSI: Interview d'Edouard Limonov: "Poutine règne par le mensonge total" 

Personnage hors du commun, Edouard n'était pas antipathique, ni particulièrement chaleureux. C'était d'ailleurs l'essentiel de son charme pour peu que l'on goûte à l'humour glacial. Comme il est plaisant, à l'heure de la "com" et de la séduction à tout prix, de rencontrer quelqu'un qui ne cherche pas à plaire... 

Anti-politiquement correct avant que cette posture ne devienne à la mode, Limonov balançait ses réponses comme des cocktails Molotov, parfois accompagnées d'un rire sardonique à la manière de Joker le personnage borderline et nihiliste de Batman. "L'industrie du tourisme me dégoûte, expliquait-il tranquillement lorsqu'on l'interrogeait sur la notion de vacances. J'ai été enchanté lorsque j'ai appris que des touristes allemands avaient été dévorés par des requins en Egypte.

"Salvador Dali? Un minable!"

Limonov-d-Emmanuel-Carrere-Pol.jpgCette manière de parler peut être déstabilisante. Elle est aussi rafraîchissante. Car, au moins les propos de Limonov procédaient-ils d'une pensée réellement personnelle, hors sol et hors cadre, qui a le mérite d'interroger les certitudes. Tout en l'écoutant énoncer ses vérités dégoupillées, il fallait toujours se demander si elles étaient à prendre au second ou au troisième degré. Tout bien réfléchi, c'était au premier. 

Tour à tour mégalo, fanfaron, lumineux, agressif, excessif, foutraque et de mauvaise foi, Limonov, 69 ans à l'époque, n'avait pas renoncé à combattre l'esprit bourgeois et tous ceux qu'il considérait comme ses porte-parole, pêle-mêle: Mikhaïl Gorbatchev ("un plouc"), BHL ("le troubadour de la rive gauche"), Bernard Pivot ("regarde-moi ce visage sans volonté..."), Salvador Dali ("un minable")! 

Il y avait du Sid Vicious, chanteur et bassiste des Sex Pistols, chez cet écrivain qui se présentait comme "le punk de la littérature russe" et, aussi, un peu de Louis-Ferdinand Céline, avec qui il partageait le glorieux statut de "pestiféré" des lettres. "Les prix littéraires, c'est de la merde", asséna-t-il, parmi mille saillies, lors de nos entretiens. 

"Les Russes sont lourdingues, surtout s'ils sont alcoolisés"

A propos de ses compatriotes russes, Limonov disait : "Ils sont lourdingues, surtout s'ils sont alcoolisés. Des gens capables d'emmerder le monde toute la soirée si l'on aborde un sujet qui leur tient à coeur." 

Et puis, aussitôt après: "L'âme russe, c'est moi! Un mec capable de prendre des risques sans réfléchir aux conséquences. Il faut se jeter dans des situations sans réfléchir. Faute de quoi, on reste le cul sur sa chaise, incapable de construire son histoire. Il faut vivre tant que l'on est vivant." 

Mégalomane, Limonov? Sûrement. Il suffisait qu'il ait séjourné dans la même ville, Rome, qu'un terroriste des Brigades Rouges dans les années 1970, sans avoir jamais fréquenté ni croisé ce dernier, pour qu'il trouve une signification historique à cette banale coïncidence et, mieux, fasse du terrorisme italien d'extrême gauche un élément de sa propre biographie. 

A coup sûr, dans l'au-delà, sa créativité débordante lui permettra de raconter partout qu'avant de partir, il fut l'un des grands témoins, sinon le protagoniste majeur, de la crise du coronavirus! Sacré Edouard... 

Note:

(1) Limonov par Edouard Limonov, conversations avec Axel Gyldén (Ed. L'Express), 2011, 142p., 12,90€. 

dimanche, 08 mars 2020

El futuro postapoliptico de hierro y fuego - Sobre el arqueofuturismo de Guillaume Faye

Faye-2.jpg

El futuro postapoliptico de hierro y fuego

Sobre el arqueofuturismo de Guillaume Faye

Martin Lopez Corredoira

Ex: https://disidentia.com

Se cumple hoy, día 7 de marzo, un año desde el fallecimiento de Guillaume Faye, pensador político de marcado carácter revolucionario difícil de clasificar. Faye rescata el espíritu de los grandes reformadores sociales y abandona ese plácido acomodamiento burgués de la política democrática actual. Usualmente se lo clasifica como perteneciente a la derecha radical, por sus orígenes y por sus agresivas propuestas de corte antiprogresista políticamente incorrectas, pero hay elementos en él que van bastante más allá de los postulados de la política neoconservadora, y cabe más bien clasificarlo como un revolucionario en el mundo de las ideas utópicas antes que un pragmático político que vive en la realidad actual y busca cómo atraer algunos millones de votos con propuestas que gusten a ciertos sectores del electorado.

Una de sus obras más emblemáticas entre la amplia producción que posee es el libro que se ha traducido al español con el título El arqueofuturismo; hay varias ediciones disponibles en el mercado; aquí tomo como fuente de citas la traducción publicada por Ediciones Titania. El original francés, L’Archéofuturisme, fue publicado en 1998 por la editorial l’Æncre en París. Hay alguna reseña publicada en español sobre el libro, por ejemplo la de Juan José Coca en Posmodernia o la de la página de Fuerza Nacional Identitaria en Chile. El impacto de la obra no obstante ha alcanzado muchas más lenguas y regiones del planeta, siendo reconocida como una amenaza entre los que disfrutan de la apoltronada y burguesa existencia de las democracias liberales.

517h25d94ZL.jpg

Viendo venir el final de nuestra forma de civilización que sucumbirá al cataclismo planetario (crisis financieras, contaminación incontrolada, hundimiento de sistemas educativos, estupidez general creciente,…) el autor se prepara para el mundo postapocalíptico, la nueva era de hierro y fuego: el arqueofuturismo, síntesis dialéctica de valores arcaicos (familia, espiritualidad, separación sexual de los roles, jerarquía,…) y la tecnología futurista, de principios apolíneos y dionisíacos. Aboga por una sociedad futura en que se divida la sociedad en dos grupos: uno mayoritario dedicado a una economía rural y artesanal pretécnica de subsistencia, ligado a religión primitiva y supersticiones; y una élite minoritaria que conserva el poder económico tecnocientífico, dentro de un agnosticismo pagano. Su método es el pensamiento radical: “Solamente es fecundo el pensamiento radical. Porque, solo, puede él crear conceptos audaces que rompan el orden ideológico hegemónico y permitan salir del círculo vicioso de un sistema de civilización que está fracasando”.

El post-hundimiento puede resultar en una guerra identitaria, pero puede ser también un gran período de paz en el que renacerán otras culturas, las cuales en la distancia verán a Europa entre sus ruinas con admiración y fascinación tal cual hoy vemos los restos del Imperio Romano o la época faraónica egipcia

En mi opinión, hay muchos elementos valientes que dejan ver la inteligencia del observador. Algunas perlas notables: “Greenpeace y sus correspondientes ideólogos (…) políticamente ultracorrectos y totalmente cómplices del sistema”; “el igualitarismo (…) utópico y obstinado, está conduciendo a la humanidad hasta la barbarie y el horror económico, a través de sus contracciones internas”; “El paradigma del igualitarismo materialista dominante—una sociedad de consumo democrático para diez mil millones de hombres en el siglo XXI sin saqueo generalizado del medio ambiente—es una pura utopía”; “la democracia parlamentaria moderna (…) dictadura de las burocracias y de los tiburones mercantilistas” (parafraseando al político británico Peter Mandelson); “la introducción de las hipertecnologías, no nos dirigen hacia un mayor igualitarismo (como así lo creen los tontos apologistas de la pancomunicación, gracias a Internet), sino hacia el retorno de los modelos sociales arcaicos jerarquizados”; “La palanca de esta manipulación, de la cual es víctima la ingenua burguesía intelectual y artística, es una hipertrofia monstruosa e irresponsable del ‘ama a tu prójimo como a ti mismo’, una apología de la debilidad, una desvirilización y una autoculpabilización patológicas. Es una subcultura de la emoción fácil, un culto del declive destinado a descerebrar las mentes europeas”; “deporte (…) parte del mundo del show-business y nuevo opio del pueblo”; “fiestas (…) financiadas por el Estado, artificialmente, como explosiones de hibris desestructuradas que hacen el papel de droga colectiva”; “La civilización occidental se ha fragilizado considerablemente cuando concedió un valor absoluto a un sentimiento neurótico: el amor. (…) Hoy, la mitad de los matrimonios se rompen, ya que están fundados sobre un sentimiento de adolescentes enamorados, efímero, que desaparece rápidamente. Los matrimonios duraderos son aquellos que están calculados”.

faye-at-podium.jpgTiene un tufillo a “nueva derecha” francesa, claro, porque el autor ha pertenecido a tal grupo, aunque termine renegando de tal movimiento. Más reniega aún de la izquierda, a la que considera impotente para hacer frente al capitalismo y acusa de convertirse en una clase aburguesada que no defiende a los más necesitados, sino a una clase media trabajadora asalariada y una serie de valores igualitarios (feminismo, inmigrantes, homosexuales,…) que nos llevan al desastre. Aunque con aires políticos más que filosóficos, veo en Faye un digno heredero del martillo nietzscheano. Se dan los mismos elementos que ya supieron ver Nietzsche o Spengler o los pensadores clásicos que no caminaron con una venda en los ojos. Políticos y filósofos tratan sobre ideas sociales, pero los primeros poco saben de pensar y sí mucho de demagogia; los políticos hablan para su tiempo, los filósofos se preocupan de temas perennes. En ese sentido, bueno es que algunos pensadores políticos se acerquen al pensamiento intempestivo de la filosofía, aunque sea en su estilo, antes que preocuparse por ocupar unos sillones en un congreso.

Faye va más allá de otros políticos que defienden la identidad europea frente a la inmigración desenfrenada al pronosticar el imparable declive sin solución. Su rechazo a la inmigración y, más en particular la de religión musulmana, me parece que tiene ciertos elementos razonables: se atisba en ciernes cuál va a ser el destino de nuestro continente, que es ser receptáculo migratorio de grandes hordas de bárbaros de otras regiones del globo que no han sabido contenerse reproductivamente y huyen de la miseria. Si bien, hay otros elementos que muestran cierta inquina sin fundamento contra el mundo musulmán. Veo una falta de objetividad a la hora de evaluar el valor de las distintas civilizaciones. Da por sentado que la Historia dará la razón al hombre blanco europeo, y que éste ha de seguir preservando su hegemonía como ha hecho en los últimos siglos, lo que me parece de una miopía parcial.

Sobre su propuesta futurista, tiene parte de utopía y parte de predicción fatalista, no es el futuro que todos desearíamos, sino uno de los posibles. La especulación sobre una futura civilización blanca eurorrusa a dos velocidades económicas e impermeable a las inmigraciones de otros pueblos es un posible proyecto político, aunque no exento de conflictos antes de poder hacerse realidad.

Utopías aparte, quizá lo que me llama más la atención es la profecía distópica del futuro postapocalíptico de hierro y fuego. Según el autor, los tiempos duros que se avecinan no serán mucho mejores cuando arrecie la tempestad del caos. Más allá de lo que dice el libro de Faye, puedo uno intuir detrás de sus palabras un mundo a lo Mad Max, un mundo en el que el buenismo de nuestra presente época se extingue una vez extinguidos por inadaptación los bobalicones que lo defendían y deja paso a la supervivencia de los más fuertes. No se trata de que se vaya a volver a poner de moda el darwinismo social como filosofía, sino de que la vida está por encima de cualquier ideología y continuamente a lo largo de la historia vuelve a circular libre tal cual rio entre las montañas que se niega a moverse entre canales artificiales de ingenieros sociales. Hay algo poético, hay un estilo épico, un espíritu prometeico, fáustico, en el declamar de una vida futura lejana de las miserias burgueso-borreguiles del europeo medio actual.

Concuerdo con Faye en que la competencia de los distintos grupos étnicos será dura en una carrera de los más fuertes por la supervivencia. Creo sin embargo que se equivoca Faye en su apuesta por el caballo ganador. Por más que le duela a su orgullo de blanco europeo, esos nuevos tiempos de hierro y fuego no son ya para el hombre de miel y mantequilla que habita ahora en nuestro continente. El futuro es de otros pueblos. No merece la pena luchar por mantener a esa Europa alelada de vegetarianos y ciclistas (parafraseando al ministro polaco Witold Waszczykowski), de feministas chillonas, de calzonazos y de afeminados, de buenistas y de hermanitas de la caridad. No merece vivir una cultura que ha perdido la fuerza para la lucha vital. El post-hundimiento puede resultar en una guerra identitaria, pero puede ser también un gran período de paz en el que renacerán otras culturas, las cuales en la distancia verán a Europa entre sus ruinas con admiración y fascinación tal cual hoy vemos los restos del Imperio Romano o la época faraónica egipcia.

mercredi, 04 mars 2020

In Memoriam Colin S. Gray

AVT2_Colin-S-Gray_5079.jpeg

In Memoriam

Colin S. Gray

Some days ago, on 27 February, Colin S. Gray (born in December 29, 1943) died. He was a British-American writer on geopolitics and professor of International Relations and Strategic Studies. He was not only a very well known academic, but he was also a government defence adviser both to the British and U.S. governments. Gray served from 1982 until 1987 in the Reagan Administration’s General Advisory Committee on Arms Control and Disarmament. He was a very prolific writer due to his 30 books on military history and strategic studies, as well as numerous articles.

preview.jpg

He was one of the most important, serious, influential and clear thinker on strategy and he was able to write on Cold War strategy as well as on the more fluid and problematic strategic environment of the 21st century (here some example 1 2 3). In contrast to other modern strategic thinkers, he did not neglect the importance of history. According to Gray, defining future threats is an impossible task, yet it is one that must be done. As the only sources of empirical evidence accessible are the past and the present, he studied the classics such as Thucydides and Clausewitz. In every books he wrote, there are several references to Clausewitz and his ideas. Probably the most important example of this approach is his book Strategy and Politics in which he delves into the question of the relationship between strategy, war and politics and he takes into account several of his main research questions: strategy and geography, strategy and history, culture.

While he wrote everything by hand he also developed ideas on cyber domain.

41cq54pN5rL._SX343_BO1,204,203,200_.jpg

It is impossible to take into account every books he wrote, however I would like to share with you some suggestions. Colin Gray co-edited with John Baylis and James J. Wirtz, Strategy in the Contemporary World. It is probably the finest comprehensive primer on strategic studies series out there and the most complete Strategic Studies handbook. Strategy and Defence Planning: Meeting the Challenge of Uncertainty explores and examines why and how security communities prepare for their future defence. According to Gray, defence planning is the product of interplay among political process, historical experience, and the logic of strategy. Political “ends”, strategic “ways”, and military “means” (a clear influence of Clausewitz) all fed by reigning assumptions, organize the subject well with a template that can serve any time, place, and circumstance. Modern Strategy deals with the argument that strategy, operations, and tactics aren’t really hierarchical and “not wholly distinctive”. It also takes into account both the explanation of why culture and the human dimension of strategy are often overlooked and the role of technology in warfare.

51OQjtlbUgL._SX313_BO1,204,203,200_.jpg

samedi, 22 février 2020

Un auteur et son oeuvre : Julius Evola (1898-1974)

julius-evola-rytger-staahlberg.jpg

Un auteur et son oeuvre : Julius Evola (1898-1974)

par Michel Malle

Ex: https:lemondeduyoga.org

De l’orient tantrique au club des seigneurs, en passant par l’hermétisme et le spiritualisme masqué, nombreux sont les sujets de réflexion de Julius Evola. Mais il est des caractéristiques que l’on retrouve dans chacun de ses écrits, donnant à l’ensemble de son œuvre une certaine unité : une compréhension particulière de la magie, l’aspiration à des altitudes inconnues …

« L’homme dont nous allons tracer le portrait tenta de suivre la voie d’un karma yogi, c’est-à–dire qu’il choisit l’action comme voie de réintégration spirituelle : l’action conforme au Dharma (la Norme Universelle). Il a toujours dit: « René Guenon fut mon maître », c’est pourquoi nous envisagerons son oeuvre en rapport avec celle de Guénon, et cela d’autant que, dans son testament, fondant l’association qu’il a laissé, Evola précise ainsi le but visé: « Défendre les valeurs traditionnelles au sens où l’entendait René Guénon, Julius Evola et d’autres auteurs de même doctrine ». Même si nous devrons nous opposer à lui, ce sera donc dans cette sienne optique. « Je ne me suis pas borné à exposer les doctrines traditionnelles, j’ai cherché quels pouvaient être leurs aboutissements dans la réalité » dit-il, en entendant par là « dans l’action « . « J’ai donc cherché les conséquences à tirer des doctrines traditionnelles dans le sens d’une organisation sociale et politique de l’État », et aussi, avec plus de succès selon nous, dans le sens d’une éthique et d’une pratique pour l’homme traditionnel contemporain. Cette volonté d’engagement a conduit Evola à travailler de concert avec les divers mouvements fascistes de ce siècle. Cet aspect de sa vie, indissociable de son oeuvre, est problématique et, pour cette raison, nombre de « spiritualistes » n’osent pas l’aborder ou la déforment. Cette couardise ne sera pas nôtre : l’oeuvre mérite d’être connue, les questions qu’elle pose doivent l’être, et si les réponses ne nous satisfont pas toujours, il nous faudra en trouver de meilleures.
[…]

[…] Il semble qu’il ait dirige lui-même sa formation humaine très tôt et très indépendamment: on ne sait d’ailleurs pratiquement rien de son enfance. Il fit des études techniques et mathématiques qui le menèrent au titre d’ingénieur mais, s’il en garda une tournure d’esprit « scientifique  » (à ne pas confondre avec « matérialiste »), il ne pratiqua jamais, pour des raisons éthiques délibérées. L’attitude anti–bourgeoise, qui est l’un des traits marquants de sa personnalité, semble avoir été précoce. Il en est de même de son caractère guerrier, puisqu’il « s’engage peine âgé de 20 ans et qu’il prend part à la première guerre mondiale en tant que sous-lieutenant d’artillerie sur le plateau d’Asiago » […] Chez lui, la pensée et l’action se développèrent toujours conjointement, ainsi, deux ans avant son engagement, il commença à écrire des poèmes en italien et en français (outre le grec et le latin, il maîtrisait parfaitement les principales langues européennes, ce trait dénote aussi la précocité de son européanisme, qui devait se développer dans le cadre d’une vision impériale). Parallèlement à la poésie, il pratiqua la peinture abstraite. Ce fut sa période « Dada »: il fut en effet, à l’époque, l’un des représentants italiens du mouvement : « J’ai adhéré à ce mouvement comme mouvement limite, et non pas comme mouvement artistique. Si l’on était sérieux, on ne pouvait en rester là. A partir de 1922, je me suis séparé des dadas » […]

Alors commença ce qui fut appelé sa « période philosophique » (1923-1927). II publia deux ouvrages sur « l’individu absolu », dont « la Théorie et la Phénoménologie de l’individu absolu », qui reflètent certaines idées de Nietzsche, Weininger et Michelstädter. II en dira finalement: « Je ne conseillerai à personne de les lire tant ils sont écrits en jargon universitaire ». […]

PREMIER APERCU SUR L’ORIENT TANTRIQUE

JE-yoga.jpgEn 1926 parut: « L’homme en tant que puissance ». C’est un premier essai qui, bien des fois repris, donnera en 1949 « Le yoga tantrique, sa métaphysique, ses pratiques ». Evola s’ouvre à l’Orient, en l’occurrence à la tradition hindoue, et cela est d’autant plus intéressant que l’orient d’Evola n’est pas le même que celui de Guénon, il s’agit essentiellement de doctrines émanant de la caste des ksatriyas, la caste guerrière, et par cet aspect on trouve quelque chose qui consonne remarquablement avec l’ancienne tradition occidentale: il s’agit aussi de science « magique ». Prévenons tout de suite une équivoque possible : ce qu’Evola nomme magie n’a pas grand-chose à voir avec ce que désigne le mot dans le langage courant actuel. […]

LE SPIRITUALISME DEMASQUE ET LA QUESTION DU CHRISTIANNISME

Prolongeant les oeuvres équivalentes de Guénon, il fait paraître en 1932 « Masques et visages du spiritualisme contemporain ». Le grand intérêt de cet ouvrage vient de ce qu’il aborde certains aspects du spiritualisme contemporain que Guenon n’avait pas analysés. […]

REVOLTE ET REVOLUTION TRADITIONNELLE

En 1934, Évola publia « Révolte contre le monde moderne ». Ce livre est considéré par ses disciples comme le plus important. Lorsque, du point de vue des idées, on se questionne sur la valeur de l’apport d’Evola, cette oeuvre, finalement, se dégonfle un peu. Elle présente l’intérêt d’une fantastique érudition retraçant l’histoire du point de vue d’une vision traditionnelle cyclique. De nombreux aspects du monde moderne y sont envisagés, que Guénon n’avait pas soulignés: aspects qui, sans être fondamentaux, méritaient d’être si remarquablement analysés. Le style est fort et, pourrait-on dire, vengeur. Mais, à notre point de vue, ce livre est entaché de cette idée, qui s’affirmera plus encore dans le suivant, que la caste noble est supérieure à la caste sacerdotale. La seule question qui nous intéresse est celle-ci: la connaissance est-elle supérieure à l’action, oui ou non? Si non, l’action ne peut plus se distinguer de l’agitation. Si oui, le spirituel est supérieur au guerrier, il convient alors qu’une civilisation traditionnelle reflète cette hiérarchie et peu importe que le spirituel et le temporel soient aux mains d’un même homme ou aux mains d’hommes différents, reliés hiérarchiquement. Ceci étant établi, l’importance qu’Evola a pu attacher à cette question reste problématique et la façon dont elle est abordée aussi. Dans « la Crise du Monde Moderne », c’est le monde moderne qui est en crise, non celui qui s’y oppose: si une révolution, au sens strictement étymologique, peut être traditionnelle, ce ne saurait être le cas d’une révolte.

Quoi qu’il en soit de ces critiques,  » Révolte contre le Monde Moderne » est un livre à lire, c’est probablement le plus important livre de « métaphysique de l’histoire » qui soit. […]

chev.jpgL’EPEE DE LUMIERE ET LE CHEVALIER D’OCCIDENT

En 1937, dans « Le mystère du Graal et l’idée impériale gibeline », Évola apporte une nouvelle contribution importante à la restauration doctrinale de la tradition occidentale. Malheureusement, et encore une fois, il fausse en partie l’idée civilisatrice traditionnelle. Toute l’argumentation d’Evola consiste à dire que l’Église, en développant les valeurs d’une religiosité féminine, mystique, passive face au monde spirituel se révèle être inférieure à la tradition du Graal, qui représente l’idéal chevaleresque. Mais l’argument est spécieux car, si cette démonstration va de soi, elle ne permet pas d’en conclure que la contemplation puisse être au-dessous de l’action. La Chevalerie est supérieure parce qu’elle est plus profondément spirituelle, et non parce qu’elle manie les armes: quant à l’Église, tant qu’elle ne consiste qu’en un exotérisme religieux, elle ne représente pas la pure autorité spirituelle, elle n’est qu’un pouvoir religieux. Si bien que, si l’Église et la Chevalerie étaient vraiment ce qu’en dit Evola il faudrait dire que la Chevalerie est supérieure à l’Église parce qu’elle est plus spirituelle et non dire que le guerrier est supérieur au contemplatif. Tout ce qu’apporte Evola dans l’affaire c’est une fâcheuse équivoque, car, une fois posé que le guerrier est au-dessus du prêtre, il se laisse aller à considérer toute éthique guerrière comme potentiellement porteuse d’une plus haute spiritualité que le Christianisme ; de là découle l’erreur de son « action politique ».

Quoi qu’il en soit, ce livre se pose comme « une étude sérieuse et engagée sur le Graal et le gibelinisme « , ce qu’il est, incontestablement. […]

LA CHUTE DU CLUB DES SEIGNEURS

Cette même année 1937, il publia « Le mythe du sang » en rapport très étroit avec les doctrines racistes allemandes. Certes, dans cet ouvrage, et dans celui qui suivra en 1941 «Synthèse des doctrines de la race », Evola s’oppose aux idées racistes matérialistes d’un Rosenberg et leur substitue l’idée d’une race de l’esprit » dans laquelle la race physique n’est qu’un élément d’une vaste équation: « L’idée d’une race allemande – dit-il – est une absurdité ». « Mais -dit Guénon de ce livre – le mot même de race nous parait être employé d’une façon assez impropre et détournée car au fond, c’est bien plutôt de caste qu’il s’agit en réalité… alors pourquoi parler encore de « race », si ce n’est par une concession plutôt fâcheuse à certaines idées courantes, qui sont assurément fort éloignées de toute spiritualité? ». En 1941, et toujours dans le même genre d’équivoque, Evola publia « La doctrine aryenne de lutte et de victoire « . […]

Pour situer historiquement son action, précisons qu’il fut très proche des milieux germaniques conservateurs et aristocratiques qui se réclamaient du « prussianisme et cultivaient la nostalgie des chevaliers teutoniques ». « Himmler – continue Evola -me portait un intérêt particulier » ainsi que « le baron von Gleichen, dont j’étais un ami intime » et qui était lui-même le chef du « club des seigneurs ». « Je connaissais en outre intimement le chancelier von Pappen et, en Autriche, Karl Anton von Rohan, dans ce milieu opposé au « populisme dictatorial » du national socialisme ». Voici ce qu’il en fut en Italie du côté fasciste: « Au tout début de la guerre, Mussolini lut ma « Synthèse d’une doctrine de la race » et me fit chercher pour me féliciter et me demander de collaborer avec lui -Mais Duce, je ne suis pas fasciste- car je n’ai jamais été d’aucun parti…  » En fait, il travailla, comme écrivain et comme conférencier en Italie, en Allemagne et en Autriche, à la formation doctrinale de certains milieux proches du pouvoir. […]

Standing_Bodhisattva_Gandhara_Musee_Guimet.jpgLA GRANDE LIBERATION DU PRINCE SIDDHARTA

Très étonnamment, au milieu de tout cela, Evola publia en 1943 « la Doctrine de l’Éveil, essai sur l’ascèse bouddhique ». Le fait que ce livre essentiel et vraiment spirituel ait été publié au coeur de cette période truffée d’erreurs logiques et de drames montre que la personnalité et l’oeuvre d’Evola sont très difficiles à aborder. II existe le double risque d’adhérer à certaines voies d’action sous prétexte qu’elles ont été formulées par un homme dont la doctrine est souvent transcendante et de repousser une doctrine dont l’action qui prétend en découler s’est par trop évidemment fourvoyée.
[…]

L’ASCENSION SOLITAIRE OU LE SOUFFLE LIBRE DE L’ESPRIT

Dans un appendice sur « les limites de la régularité initiatique », Évola reconsidère les notions guénoniennes sur l’initiation dans une optique qui nous parait aussi indispensable qu’intéressante. « Contre le schéma guénonien en lui-même il n’y aurait pas grand-chose à objecter », dit-il, tout en soulignant malicieusement le « caractère presque bureaucratique de cette régularité ». Néanmoins sa critique porte sur plusieurs points. D’abord sur les « débouchés »: « Le Compagnonnage est une organisation initiatique résiduelle d’origine corporative, de portée fort restreinte et d’ailleurs limitée à la France »; « La Franc–Maçonnerie moderne est l’un des cas d’organisation dont l’élément vraiment spirituel s’est « retiré » et chez lesquels le « psychisme » restant a servi d’instrument à des forces ténébreuses, pour qui s’en tient au principe de juger de l’arbre à ses fruits »; quant au « christianisme, c’est une tradition mutilée en sa partie supérieure », toutes choses nous semble-t-il indéniables; ce qui permet à Evola d’ironiser, peut-être un peu facilement,sur les « rares allusions des premiers siècles chrétiens de notre ère ou de certains rites de l’Église grecque orthodoxe à la chasse desquels sont partis certains guénoniens ». Outre ces problèmes pratiques, Évola affirme: « La continuité – « des influences spirituelles » – est illusoire lorsque n’existent plus de représentants dignes et conscients d’une chaîne initiatique donnée ».Il se propose d’éviter deux écueils: d’une part, les fantasmes auto-initiatiques à la Steiner qui ne font qu’appliquer au « domaine de l’esprit l’idéal américain du self made man » et, d’autre part, « une conception proche de celle du – « péché originel » -selon laquelle l’homme, irrémédiablement taré, ne pourrait rien par lui-même ». […]

LE VISIONNAIRE FOUDROYE

« Il fut blessé à Vienne d’un éclat d’obus dans la colonne vertébrale vers les derniers jours d’avril 1945 au cours d’un bombardement aérien soviétique. A partir de cette date il resta paralysé des deux jambes sans aucun espoir de guérison » […]

UN EXPOSE DE LA VRAIE DOCTRINE TRANTRIQUE

C’est en 1949 qu’Évola reprit ses publications avec « Le yoga tantrique, sa métaphysique et ses pratiques », livre qui développait le premier essai de 1926.  » S’il advenait un jour -écrit Jean Varenne à propos d’Evola et de Guénon que fussent éditées les oeuvres complètes de ces deux seigneurs de la pensée, on verrait à quel point elles représentent les deux visages d’un seul et même mouvement ». « L’Homme et son devenir selon le Védanta » et « le Yoga Tantrique » illustrent parfaitement ce propos. […]

je-rcmm.jpgLES HOMMES AU MILIEU DES RUINES

En 1951 il publie un livre au titre évocateur de son sentiment « Les hommes au milieu des ruines ». Il s’agit, comme pour faire le point d’une action passée, de poser les principes d’une reconstitution européenne traditionnelle. Sont envisagées les notions de révolution traditionnelle, d’autorité, de hiérarchie et d’état organique. Evola y développe aussi d’intéressantes considérations sur l’économie moderne et les corporations, sur la stratégie de la guerre occulte et sur le problème de l’explosion démographique. La doctrine y est solide, mais lorsqu’il s’agit de désigner le milieu humain propre à servir de moteur à un tel mouvement, la solution apparaît presque débile: en étant à peine méchant, on pourrait penser qu’un recyclage métaphysique de quelques divisions de parachutistes nourrirait l’espoir d’Evola.

METAPHYSIQUE DU SEXE

Fruit d’une fabuleuse érudition, cet ouvrage parut en 1958. Évola commence par l’indispensable nettoyage d’un terrain qui est loin d’être « vierge ». « Ce n’est pas l’homme qui descend du singe par évolution, mais le singe qui descend de l’homme par involution ». […]

Ceci posé, la doctrine traditionnelle s’épanouit: « de la fréquentation, même sans contact, d’individus des deux sexes, naît, dans l’être le plus profond de l’un et de l’autre, une énergie spéciale ou « fluide » immatériel, appelé « tsing ». Celui-ci dérive uniquement de la polarité du ying et du yang ». Cet enseignement de la tradition chinoise se trouve confirmé par Swamy Shivananda Sarasvati: « La semence est une énergie dynamique qu’il faut convertir en énergie spirituelle (ojas) ». Cette opération, qui va à contresens de l’écoulement nature! des forces, « est appelée viparîta-karanî (opération de l’inversion) ». « Un homme n’aime pas une femme parce qu’elle est belle »; Evola, reprenant une idée connue dit: « Il aime parce qu’il aime, au–delà de toute logique, et précisément ce mystère révèle le magnétisme de l’amour ». « Le substratum du sexe est super-physique, il a son siège dans ce que, avec les Anciens, nous appelons l’âme du corps — »le corps subtil  » – « . « Le sexe qui existe dans le corps, existe aussi et d’abord dans l’âme et, dans une certaine mesure, dans l’esprit même ».
[…]

CHEVAUCHER LE TIGRE

Avec « Chevaucher le tigre », en 1961, Evola fait oeuvre vraiment originale. I! pousse jusqu’à !’extrême ses audaces de pensée et formule un guide de conduite pour l’homme qui doit vivre dans un monde où tout hurle à la face du ciel et qui, refusant de « hurler avec les loups  » veut faire de leurs cris une musique pour son âme. […]”

Les carnets du yoga, n°43, novembre 1982, pp. 2-26.

00:07 Publié dans Hommages, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julius evola, tradition, traditionalisme, hommage | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 03 février 2020

Pour lire et relire Julien Freund

Freund-Julien-©-droit-famille.jpg

Pour lire et relire Julien Freund

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Né le 9 janvier 1921 dans une famille nombreuse d’origine ouvrière et paysanne présente dans la commune lorraine de Henridorff en Moselle et décédé le 10 septembre 1993 à Colmar, Julien Freund appartient aux grands penseurs du politique, ce politique qu’il étudia dans une thèse dirigée par Raymond Aron, soutenue en 1965 et parue sous le titre de L’Essence du politique.

freund-politique.jpgD’abord instituteur pour pallier la disparition brutale de son père, le germanophone Julien Freund se retrouve otage des Allemands en juillet 1940 avant de poursuivre ses études à l’Université de Strasbourg repliée à Clermond-Ferrand. Il entre dès janvier 1941 en résistance dans le réseau Libération, puis dans les Groupes francs de combat de Jacques Renouvin. Arrêté en juin 1942, il est détenu dans la forteresse de Sisteron d’où il s’évade deux ans plus tard. Il rejoint alors un maquis FTP (Francs-tireurs et partisans) de la Drôme. Il y découvre l’endoctrinement communiste et la bassesse humaine.

Après-guerre, il milite un temps à l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance), une petite formation charnière de centre-gauche de la IVe République, et au SNES (Syndicat national de l’enseignement secondaire). Il s’intéresse à la philosophie et en particulier à Aristote. C’est au début des années 1950 qu’il découvre le décisionnisme de Carl Schmitt. Las de l’instabilité gouvernementale, il se félicite du retour au pouvoir du Général De Gaulle en 1958 et approuve la Ve République dont il estime les institutions adaptées au caractère polémologique du politique français.

Philosophe, Julien Freund est aussi sociologue, politologue et, avec Gaston Bouthoul, polémologue, c’est-à-dire analyste du conflit. Dans La Décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine (Sirey, 1984), il considère en effet qu’il faut « savoir envisager le pire pour empêcher que celui-ci ne se produise (p. 386) ». Son tempérament bien trempé, son goût pour la provocation et son refus de déménager à Paris sans oublier une vive hostilité au gauchisme culturel le marginalisent au sein de l’univers feutré et guindé de l’enseignement supérieur. Il prend d’ailleurs sa retraite anticipée dès 1979 à l’âge de 58 ans. Il profite du village alsacien de Villé.

Il collabore à Éléments et à Nouvelle École, et participe à plusieurs colloques du GRECE et du Club de l’Horloge dont il est l’un des douze maîtres à penser. En préface de L’impératif du renouveau. Les enjeux de demain (Albatros, 1983) de Bruno Mégret et des Comités d’Action républicaine, il avoue que « par profession et par goût je suis amoureux des idées, mais je déteste les flatteries de l’intellectualisme, égaré dans les abstractions et les fictions superficielles (p. 7) ». Cette attitude le distingue de ses mornes collègues. Il écrit avec une ironie certaine en préface de son essai de 1970, Le Nouvel Âge. Éléments pour une théorie de la démocratie et de la paix (Marcel Rivière et Cie, coll. « Études sur le devenir social ») : « Je suis un réactionnaire de gauche (p. 9). » Il ajoute plus loin qu’« en réalité, les notions de droite et de gauche me sont devenues indifférentes; ce sont des catégories dans lesquelles je ne pense pas politiquement (idem) ».

Dans L’Aventure du politique. Entretiens avec Charles Blanchet (Critérion, 1991), ce catholique au chef toujours couvert d’un béret, se proclame « Français, gaulliste, européen et régionaliste ». Favorable à la réconciliation franco-allemande, il s’oppose néanmoins à la CED entre 1952 et 1954 avant de le regretter bien plus tard parce que, sans communauté militaire européenne effective, le projet continental perd toute consistance réelle. D’ailleurs, s’interroge-t-il dans La fin de la Renaissance (PUF, coll. « La politique éclatée », 1980), « les Européens seraient-ils même encore capables de mener une guerre ? (p. 7) » Il ne le pense pas, car « nous ne sommes pas simplement plongés dans une crise prolongée, prévient-il encore dans ce même ouvrage, mais en présence d’un terme, du dénouement d’un règne qui s’achève; un âge historique, celui de la Renaissance, est en train de se désagréger. L’Europe est désormais impuissante à assumer le destin qui fut le sien durant des siècles. Nous assistons à la fin de la première civilisation de caractère universel que le monde ait connue (p. 8) ». Un an auparavant, sa préface de L’impératif du renouveau exprimait son inquiétude lucide : « L’Europe est recroquevillée sur ses frontières géographiques, n’ayant guère plus d’autre puissance que sur elle-même, encore qu’il subsiste des vestiges de son ancienne grandeur. Elle a juste eu le temps de mettre en route la technologie moderne, mais l’exploitation lui échappe. Par rapport à ce qu’elle fut il y a à peine une cinquantaine d’années, elle est en déclin. Elle n’échappe pas aux vicissitudes historiques qui ont frappé toutes les civilisations, en dépit des progrès accomplis par chacune. C’est dans ce contexte de décadence que la France et l’Europe sont appelées à opérer leur renouveau. Elles ne pourront conjurer cette menace et réaliser leur redressement qu’à la condition d’assumer pleinement la situation actuelle, sans se perdre dans les rêveries prophétiques, utopiques ou nostalgiques.

1533951443_9782130377764_v100.jpgLa politique se fait sur le terrain, et non dans les divagations spéculatives (p. 13). » Il relève dans son étude remarquable sur la notion de décadence que « si les civilisations ne se valent pas, c’est que chacune repose sur une hiérarchie des valeurs qui lui est propre et qui est la résultante d’options plus ou moins conscientes concernant les investissements capables de stimuler leur énergie. Cette hiérarchie conditionne donc l’originalité de chaque civilisation. Reniant leur passé, les Européens se sont laissés imposer, par leurs intellectuels, l’idée que leur civilisation n’était sous aucun rapport supérieure aux autres et même qu’ils devraient battre leur coulpe pour avoir inventé le capitalisme, l’impérialisme, la bombe thermonucléaire, etc. Une fausse interprétation de la notion de tolérance a largement contribué à cette culpabilisation. En effet, ni les idées, ni les valeurs ne sont tolérantes. Refusant de reconnaître leur originalité, les Européens n’adhèrent plus aux valeurs dont ils sont porteurs, de sorte qu’ils sont en train de perdre l’esprit de leur culture et le dynamisme qui en découle. Si encore ils ne faisaient que récuser leurs philosophies du passé, mais ils sont en train d’étouffer le sens de la philosophie qu’ils ont développée durant des siècles. La confusion des valeurs et la crise spirituelle qui en est la conséquence en sont le pitoyable témoignage. L’égalitarisme ambiant les conduit jusqu’à oublier que la hiérarchie est consubstantielle à l’idée même de valeur (p. 364) ».

Ce conservateur libéral mécontent attaché au primat du régalien avance encore dans La fin de la Renaissance qu’« une civilisation décadente n’a plus d’autre projet que celui de se conserver (p. 22) ». Cette sentence réaliste explique le relatif effacement de son œuvre. Non réédités, ses ouvrages sont maintenant très difficiles à trouver chez les bouquinistes tandis que plusieurs manuscrits inédits attendent toujours quelques hardis éditeurs. Cette éclipse éditoriale contraste avec l’audience croissante de ses textes dans le monde hispanophone, dans le domaine germanophone, en Russie et chez les Anglo-Saxons. La découverte de Julien Freund à l’étranger coïncide avec la traduction soutenue des écrits de Carl Schmitt, y compris en Chine, en Corée et au Japon !

Par une franche liberté de ton, Julien Freund demeure un homme non seulement « mal-pensant », mais surtout intempestif, car « la vie est fondamentalement différenciation concrète et non universalisation abstraite (préface à L’impératif du renouveau, p. 7). Il avait deviné que le « festivisme » dépeint par Philippe Muray aboutirait à une nouvelle tyrannie postmoderniste. « Quand la transgression n’est plus occasionnelle mais devient un usage courant, ce qui s’accompagne en général d’une augmentation constante des effectifs de la police, on risque de péricliter insensiblement dans un État policier (La Décadence, p. 4). » Lire Julien Freund, c’est pouvoir aiguiser son intellect afin de mieux lutter contre le conformisme ambiant.

Georges Feltin-Tracol

• Chronique n° 32, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 28 janvier 2020 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.

vendredi, 31 janvier 2020

In Defense of Mishima

d2decle-f07d3c0a-fcd2-4216-9aa3-c9d6cfbdad95.jpg

In Defense of Mishima

I have read Andrew Joyce’s article “Against Mishima [2]” at The Occidental Observer with great interest and mixed feelings. I admire Dr. Joyce’s writings on the Jewish question, but to be candid, his critique of Mishima is on the whole tendentious and shallow. It is also overly emphatic on some topics while neglecting or downplaying other equally, if not more, important ones.

Dr. Joyce seems fixated on Mishima’s sexuality, which Joyce attributes to his unhealthy family environment and peculiar upbringing. Mishima’s sexuality is understandably regarded as unsavory by most traditional-minded people. But Dr. Joyce had gone a bit too far with his meticulous attention to this particular issue. Furthermore, I’m afraid that many of his claims about Mishima’s private life are based on taking his novel Confessions of a Mask as a straightforward autobiography, which is not supported by Mishima scholarship.

Mishima is certainly not a paragon of traditional sexual morality. That said, is he still worthy of the respect he receives from white nationalists? I believe the answer is yes, if we focus on the uplifting aspects of his life and work, including many of his writings and speeches that were given short shrift in Dr. Joyce’s article and perhaps are also generally less known to people who do not read Japanese.

The kernel of Dr. Joyce’s argument is that “if key aspects of his biography, including the death, are linked significantly more to his sexuality than his politics, then this is grounds to reconsider the worth of promoting such a figure,” which was later reinforced by his other claim that “a theory thus presents itself that Mishima’s carefully orchestrated death was a piece of homosexual sadomasochist theatre rather than anything political, let alone fascistic or in the tradition of the Samurai.”

To be frank, I found this assertion utterly preposterous. When a man delivers a speech about the importance of the Samurai tradition, then kills himself Samurai-style by cutting open his stomach—literally “spilling his guts”—it seems perverse to wonder if he is being insincere, if he is engaging in “homosexual sadomasochist theatre.” Irony, camp, and theatrics are all fake. There is nothing ironic or campy or fake about actually killing oneself.

Joyce simply ignores the text of Mishima’s final speech, in which he decried the ugly post-war era of Japan, deploring its materialistic and spiritually vacuous society. He lambasted venal and cowardly mainstream politicians. He called for Constitutional reform. He highlighted the authenticity of the Japanese military tradition, contrasting it to the miserable reality of the Japanese Self-defense Force, pointing out the dishonor of the Japanese military forever being a mercenary force of America and capitalists. He rejected the hypocrisy and nihilism of the post-war democracy and its mantra of “respect for human lives.” He reasserted the paramount status of the Tennō (Emperor) and Dentō (tradition), and urged the audience to die as real men and warriors combating the nation-wrecking post-war political regime and value system.

Then he demonstrated that he meant it.

The speech remains every bit as pertinent, powerful, and inspiring when read today as it was back then. The speech alone is enough to guarantee the immortality of Mishima as a nationalist figure of global significance, to say nothing of his numerous politically and culturally themed writings, fiction and non-fiction alike, and his other relevant speeches, which Dr. Joyce was either unaware of or chose to ignore.

A central argument of Dr. Joyce against Mishima is that “he seems hardly political at all. His fiction, denounced by early critics of all political hues as full of ‘evil narcissism’ possessing ‘no reality,’ is almost entirely devoid of ideology.” This could not be further from the truth and seems based on sheer ignorance. I wonder how many works of Mishima Dr. Joyce has actually read or even read about? Did he ever read Mishima’s final speech in full, or his Anti-Revolutionary Manifesto?

Admittedly, Mishima was not a political theorist or a philosopher; he was primarily a novelist and playwright. But being a nationalist writer and activist, his literary world was rich in themes drawn from Japanese history, traditional culture, politics, and current affairs. And, when it comes to political and ideological relevance, it is accurate to understand Mishima more as a Right-wing artist and inspirational activist than a theorist, which certainly has value for the Dissident Right in the West.

4806040005_b70748afe4_b.jpgDr. Joyce maintained that “Mishima, of course, never explored the Emperor’s role in World War II in any depth, and his chief fixation appears solely to have been the decision of the Emperor to accede to Allied demands and ‘become human.’” This is a baffling statement which again simply betrays Dr. Joyce’s lack of knowledge. Besides rightfully decrying the Showa Emperor’s self-demotion to “become human” from his traditional status of “Arahitogami” (god in human form or demigod), Mishima also critically examined the Emperor’s role in politics before, during, and after the war, which revealed that what Mishima essentially venerated was not the individual Tennō but the tō (the unique and time-honored Japanese monarchical system).

For example, Mishima criticized the Showa Emperor, expressing strong sympathy with the rebel soldiers of the “2.26 Incident” of 1936, who were genuine patriots with lofty ideals who were mercilessly crushed by the explicit order of the Emperor. His Patriotism and Voice of the Martyrs were written with great feeling in commemoration of them. [1] [3]

Mishima also extolled the spirit and actions, and lamented the defeat of, the Samurai bands (prototypes of the movie The Last Samurai) who held fast to traditional values in defiance of Japan’s westernization in the wake of the Meiji Restoration. This is justifiably perceived as his criticism of the Meiji regime. Interested readers are recommended to take a look at my old review of the book Persona: A Biography of Yukio Mishima here [4].

Mishima believed that the Emperor could unify Japanese society as a cultural figure, standing above the political realm. He believed that if the monarchy stood as a national and cultural principle of unity, this would create a free space for political debate and cultural innovation, without endangering the cohesion of society. This view is rooted in Japanese tradition, but seeks to make space for important elements of modernity, including political pluralism and cultural freedom. One may agree or disagree with such views, but contra Joyce, they do exist, and they are not vague or vacuous.

A comprehensive search will discover that Mishima’s many books, essays, dramas, and speeches contain explicit or implicit messages defending Japan’s political, cultural, and military traditions, including but not limited to Bushido, expressed with the beauty and exuberance that are Mishima’s literary hallmarks and showing his profound cultivation in ancient Japanese and Chinese classics. His non-fiction books on cultural and political topics include For the Young Samurais, Introduction to Hagakure, Sun and Steel, and Theory of Cultural Defense. The same themes are discussed in his novel Runaway Horses and numerous essays. The five books cited above are especially popular and widely read in France and Italy.

In Sun and Steel (1968), Mishima writes, “Sword/martial art means to fight and fall like scattering blossoms, and pen/literary art means to cultivate imperishable blossoms.” Mishima has certainly lived up to this ideal himself, fulfilling it with his own sword and pen. According to literary critic Koichiro Tomioka, Sun and Steel is almost Mishima’s “literary suicide note” in which his cultural and philosophic thoughts were condensed. In it, Mishima argues that it is exactly the post-war era, in which all values have been inverted, that necessitates the revival of the ancient ethic code of “Bun-Bu-Ryodo” (cultivating a mastery of both pen and sword), as when “Bu” (sword) is gone, “Bun” (pen) slackens and decays. It is in the healthy tension created by the contrasting “Bun” and “Bu” that Mishima was seeking to reclaim traditional Japanese sensibilities.

Mishima also made some famous political statements in a long and heated debate with Leftist students at Tokyo University in 1969, the peak of a cultural and political maelstrom that had swept across Japan’s campuses at large. Their discussion went beyond different political stances into philosophical realms. While the students advocated transcending time and realizing a conceptual revolution in a new space, Mishima upheld the continuum of time. The topics included the Emperor, arts and aesthetics, ego and flesh, morality of violence, politics and literature, time and space, beauty as concept and reality, etc. While being an avowed and ardent Right-wing nationalist in politics and culture, Mishima actually showed sympathy with the Left-wing students’ opposition to capitalism and big business, telling the students: “If you guys are willing to recognize the sanctity and solemnity of the Emperor [as the head of the Japanese national community], I am willing join your ranks.”

Dr. Joyce also made a few jaundiced remarks that detract from his credibility. For example, he claims “[Mishima] was so poor at articulating his ideas to troops during his coup attempt that he was simply laughed at by gathered soldiers.” This is a surprisingly uninformed and erroneous assertion. It was true that Mishima was jeered and taunted by the gathered troops, who interrupted his speech multiple times by shouting. But their behavior had nothing to do with Mishima’s alleged inability to articulate his ideas. Mishima, after all, made a career of articulating ideas, a talent that did not fail him in his final speech.

The problem, rather, lies with the soldiers themselves, who understandably resented the fact that they were convened to listen to Mishima’s speech under duress because Mishima had taken their commander hostage. Moreover, most post-war Japanese servicemen were mere salarymen in a prosperous and materialistic society. They had little connection with the Japanese warrior tradition and were hardly capable of appreciating the problems of the spiritually vacuous society that had produced them. Mishima was perhaps aware of the possibility that he was “casting pearls before swine,” but he knew that his actions would give his words a far larger audience than the hecklers before him. Interestingly enough, according to a 2015 Mishima memorial in the Japanese nationalist publication Sankei Shimbun, some of the soldiers who mocked Mishima’s words later came around to his way of thinking.

220a2f3ecc43279fc46b234d8af41b27.jpg

Dr. Joyce states that “[Mishima] lied during his own army medical exam during the war in an effort to avoid military service.” This was simply not true. According to a number of Japanese books and essays on Mishima written by his supporters and critics alike, a large amount of evidence on this particular issue pointed to Mishima’s father Azusa Hiraoka using his government connections to help his son evade military conscription, about which Mishima was unaware. Another version of the story is that, although Mishima passed the initial exam, he was diagnosed with pulmonary infiltrates and was judged physically unqualified and excluded from military service, which was unsurprising due to his chronically weak physical conditions from early childhood.

Rather than chasing after such pointless shadows, it is far more worthwhile to take notice of the fact that Mishima had long felt pangs of conscience and an acute sense of survivor’s guilt for his inability to fight as a result of his physical condition in his youth, which partly explained why he took up body building after the war, striving to become a better man in both physical and spiritual senses, and entered the cultural and spiritual world of Bushido and the Samurai.

Another baseless and snide remark from Dr. Joyce is “One could add speculations that Mishima’s military fantasies were an extension of his sexual fixations, including a possible attempt to simply gain power over a large number of athletic young men. But this would be laboring an all-too-obvious point.” There is simply no evidence that Mishima harbored such baleful intent toward the young men who joined his Tatenokai (Shield Society). There has not been a single allegation of sexual impropriety, either before or after Mishima’s death, either from the young men themselves or from the media at large, including many hostile tabloid papers eager to pounce on the first possible chance to sling mud at Mishima. Surely one could expect that Mishima’s young followers, however juvenile and starry-eyed they might have been back then, would have said something in the last half-century if they had really become targets of Mishima’s “sexual fixations.”

Dr. Joyce moves from disparaging Mishima to demeaning Japanese culture in general in his misguided dismissal of Seppuku. Joyce’s major source, namely Toyomasa Fuse, is a Leftist who hates his ancestral cultural roots, like many Japanese and other East Asians who have either grown up in post-war American society or have been educated in toxic American institutions of higher learning. A simple search online reveals that Fuse was one of a select few Japanese groomed by the American occupation regime as a new intellectual elite. Fuse went to the US in 1950, sponsored by the US government, and later received both his Master’s and Ph.D. degrees from UC Berkeley, where he became a full-fledged Leftist and anti-traditionalist scholar. He was an active member of the anti-Vietnam War movement and moved from the US to Canada in 1968 with some other anti-war college professors. As the founder of the hilariously named Canada Suicide Studies Society, he specialized in and taught “Suicide Studies” at York University from 1972 until his retirement in 1997. Consulting Fuse on Japanese militarism is like consulting the Frankfurt School about Prussian militarism. Joyce, of all people, should know better.

The last sweeping and sloppy charge against Japanese culture by Dr. Joyce that I would like to counter is this: “Again, we must question, at a time when we are trying to break free from high levels of social concern and shaming in Europe, whether it is healthy or helpful to praise practices originating in pathologically shame-centered cultures.”

Surely Dr. Joyce realizes that social shaming in today’s Western countries is fundamentally different from social shaming in traditional Japanese society.

The shaming of whites in Western societies was imposed by an alien hostile elite on the native white populace for the purpose of undermining their traditional culture and values. But the shame culture of Japan is imposed by the Japanese community on its own members to encourage them to live up to communal standards and serve the common good. To put it simply, shaming in the West is an alien contrivance to undermine white society by pinning whites down with false guilt, while shaming in Japan is an indigenous and organic way that the Japanese maintain social norms and enhance social cohesion. The gradual decline of Japanese shaming culture in recent years due to Western influence is another trend that has alarmed traditionalists and nationalists in Japan.

If white societies had greater social cohesion and responsibility, reinforced by shaming, they probably would have resisted the takeover of hostile alien elites. Perhaps, then, white nationalists should study and adopt Japanese shaming mechanisms instead of bashing and trashing them. By calling traditional Japanese shame-centered culture embodied by Mishima “pathological,” Dr. Joyce might as well be quoting from the Frankfurt School, which sought to pathologize healthy white family and social norms, which are not so different from healthy Japanese norms.

Note

[1] [5] Two of the leaders of the uprising, senior captain Asaichi Isobe and senior captain Hisashi Kōno, evoked the greatest empathetic feelings from Mishima, and their patriotism, sincerity, and Samurai mettle became sources of his literary creations. Mishima wrote Patriotism and Voice of the Martyrs based on the Prison Note of Isobe, which featured the revengeful ghosts of the 2.26 uprising soldiers and Kamikaze pilots.

In a conversation with Tsukasa Kōno, elder brother of senior captain Hisashi Kōno, who was a key member of the uprising and committed suicide after the coup failed, Mishima remarks on the Showa Emperor’s dismissive words on the officers who decided to commit suicide: “Go ahead and kill themselves if they want. I’m not going to honor those despicable men with any official envoy.” Mishima commented: “It was not the rightful conduct for a Japanese Emperor. This is so sad.” Tsukasa asked Mishima: “Had those young officers known what the Emperor had said, would they have still shouted ‘Tennō Heika Banzai!’ (Long Live His Majesty the Emperor) before the firing squad?”

Mishima answered: “Even when the Emperor didn’t behave like an emperor, subjects ought to behave like subjects. They knew they must fulfill their part as subjects and chanted ‘Long Live the Emperor,’ believing in the judgment of the heaven. But what a tragedy for Japan!” When uttering his, he looked teary and his voice choked. After publishing Voice of the Martyrs, Mishima wrote in a letter to Tsukasa: “I wrote it with an intention to present it before the memorial tablets of your younger brother and other deceased officers of the 2.26 Uprising.”

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

URL to article: https://www.counter-currents.com/2020/01/in-defense-of-mishima/

URLs in this post:

[1] Image: https://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2014/08/Grave_of_Yukio_Mishima.jpg

[2] Against Mishima: https://www.theoccidentalobserver.net/2020/01/08/against-mishima-sex-death-and-optics-in-the-dissident-right/

[3] [1]: #_ftn1

[4] here: https://www.counter-currents.com/2014/09/naoko-inoses-persona-a-biography-of-yukio-mishima/

[5] [1]: #_ftnref1

mercredi, 22 janvier 2020

Remembering Christopher Tolkien, 1924–2020

41931498.jpg

Remembering Christopher Tolkien, 1924–2020

J. R. R. Tolkien’s youngest son, Christopher, died on January 15 at the age of 95. Even in old age, Christopher cut a striking scholarly figure, sitting as he did in a green cardigan before a log fire. His reedy voice, occasionally crackling like the dry wood in the stone hearth at his feet, carrying with it subtle wisps of academic gravitas, as smoky shadows curled like grey-blue snakes around a towering bookcase filled with leather-bound tomes looming like Orthanc over his shoulder. Shelves stacked with studies of ancient texts like the Ancrene Wisse and the Ormulum. The whole scene — a sequence from a documentary entitled J.R.R.T: A Film Portrait of J.R.R. Tolkien (1996) — is somewhat reminiscent of the ominous expository chapter “The Shadow of The Past” from Tolkien’s magnum opus. A prescient image, given Christopher’s filial crusade to preserve the integrity of his father’s work and bring unpublished manuscripts like The Silmarillion (1977) and Unfinished Tales (1980) to light.

Christopher, born in Leeds while his father tutored at University there and later educated at Oxford’s famous Dragon School, joined the Royal Air Force and served in South Africa before lecturing at New College Oxford from 1964 to 1975 and publishing his own translation of The Saga of King Heidrek the Wise (1960). Described by his father as his “chief critic and collaborator,” he was warmly welcomed by such intellectual giants as C. S. Lewis, Charles Williams, Owen Barfield, Warren Lewis, and Nevill Coghill, as a junior member of the famed Inklings group that met at the Eagle and Child Inn on St Giles, Oxford.

Christopher only left his role at the thirteenth-century cloistered college to work on his recently deceased father’s papers in the mid-1970s. It was a decades-long and painstakingly laborious task that he maintained, with great stamina and energy right up until the end of his life. Christopher diligently edited the 12 volume History of Middle Earth, The Children of Hurin (2007), The Legend of Sigurd and Gudrun (2009), The Fall of Arthur (2013), Beowulf: A Translation and Commentary (2014), Beren and Luthien (2017), and The Fall of Gondolin (2018).

Sadly, Christopher’s was unable to ensure the fidelity of Peter Jackson film versions of both The Lord of the Rings and The Hobbit. Speaking to Le Monde from his villa in the South of France in 2012, Christopher accused Jackson of having “eviscerated the book by making it an action movie for young people aged 15 to 25.” He continued:

Tolkien has become a monster, devoured by his own popularity and absorbed by the absurdity of our time . . . the chasm between the beauty and seriousness of the work, and what it has become, has gone too far for me. Such commercialization has reduced the aesthetic and philosophical impact of this creation to nothing. There is only one solution for me: turning my head away.

And indeed, that is exactly what he did by also refuting the recent and rather underwhelming Tolkien biopic starring Nicholas Hoult and Lilly Collins — a lead I shall follow when the Amazon serialization of the prequel to The Lord of the Rings hits the screens, a televisual spectacular allegedly focusing on the Second Age of Middle Earth and starring the Iranian Nazanin Boniadi and Puerto Rican Ismael Cruz Cordova, a somewhat incongruous piece of casting which will no doubt be supplemented by various south-east Asians and Africans over the course of the plot. Perhaps it is best that Christopher did not live to see his efforts sullied by such Hollywood virtue signaling.

So as per Bilbo’s Last Song, I say adieu to a great man who fulfilled the wishes of all Tolkien purists and hope that he may rest in the knowledge that his endeavors were not in vain.

Day is ended, dim my eyes,
but journey long before me lies.
Farewell, friends! I hear the call.
The ship’s beside the stony wall.
Foam is white and waves are grey;
beyond the sunset leads my way.
Foam is salt, the wind is free;
I hear the rising of the Sea.

Farewell, friends! The sails are set,
the wind is east, the moorings fret.
Shadows long before me lie,
beneath the ever-bending sky,
but islands lie behind the Sun
that I shall raise ere all is done;
lands there are to west of West,
where night is quiet and sleep is rest.

Guided by the Lonely Star,
beyond the utmost harbour-bar,
I’ll find the heavens fair and free,
and beaches of the Starlit Sea.
Ship, my ship! I seek the West,
and fields and mountains ever blest.
Farewell to Middle-earth at last.
I see the Star above my mast!

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

URL to article: https://www.counter-currents.com/2020/01/remembering-christopher-tolkien-1924-2020/

URLs in this post:

[1] Image: https://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2020/01/Christopher-Tolkien.jpg

lundi, 20 janvier 2020

Le testament de Guillaume Faye

guerre-civile-raciale-guillaume-faye.jpg

Le testament de Guillaume Faye

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Frappé par un cancer fulgurant, Guillaume Faye est décédé dans la nuit du 6 au 7 mars 2019, quelques jours avant la parution de son « testament politique » au ton martial, Guerre civile raciale. Sa disparition lui évite au moins d’être accusé d’inspirer Brenton Tarrant, le responsable de la fusillade de Christchurch en Nouvelle-Zélande, le 15 mars 2019, dont le manifeste s’inscrit dans le « nationalisme blanc », pur produit anglo-saxon.

gf-ed.jpg

Se sachant condamné, Guillaume Faye développe, approfondit et durcit des arguments déjà présents dans ses derniers ouvrages, le très médiocre Comprendre l’islam, La nouvelle question juive et La colonisation de l’Europe qui lui avait valu les foudres d’une justice hexagonale liberticide. Estimant que « l’éducation et le combat culturel sont nécessaires mais insuffisants, car ils agissent à trop long terme, alors que nous sommes dos au mur, dans un contexte d’urgence (p. 271) », il sonne une ultime fois le tocsin. Il pense que les prochaines années verront la France et l’Europe en proie à une féroce guerre civile inter-ethnique parce que « des peuples de races différentes et opposées cohabitent dans un même pays, et se haïssent (p. 19) ». Loin de le déplorer, il affirme qu’« un affrontement est devenu indispensable pour régler le problème, assainir la situation et nous libérer (p. 35) ». Cette affirmation n’est-elle pas surtout péremptoire ? Désarmés, hyper-individualisés, incapables de se concentrer et de se concerter, les Européens de ce début de XXIe siècle risquent probablement de perdre cette éventuelle confrontation que souhaitent quelques cénacles globalistes, cosmopolites et mondialistes.

gf-ybt.jpg

Guillaume Faye et son vieux complice, Yann-Ber Tillenon

Bien que cruel, ce constat est juste. En outre, à l’instar du très surfait Guérilla (2016) de Laurent Obertone, Guillaume Faye croit au caractère implacable d’une guerre civile en France, oubliant que l’Hexagone ne sera jamais la Syrie, le Libéria ou le Mexique. Puissance nucléaire détentrice de plusieurs centrales atomiques, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, très vieil État structurellement fort malgré les faiblesses récurrentes du pouvoir, territoire où se trouvent plus de 70 résidences secondaires de chefs d’État et de gouvernement étrangers, la France ne sombrera pas dans la guerre civile genre Liban ou Libye. Tout au plus connaîtrait-elle des foyers locaux de vives tensions de basse intensité (néanmoins ultra-violents pour les habitants). Et quand bien même l’Hexagone verserait dans la guerre entre différentes communautés, l’OTAN et l’UE interviendraient aussitôt militairement pour, d’une part, rétablir l’ordre, et, d’autre part, imposer une nouvelle AMGOT (gouvernement militaire d’occupation occidentale) qui retirerait enfin à une France amoindrie sa force de frappe nucléaire et son droit de veto onusien.

Si Guillaume Faye a raison d’énoncer une nouvelle fois l’évidence, à savoir que « l’épouvantable société multiraciale avec son idéologie et sa répression antiraciste (bien que la loi constitutionnelle, empreinte de schizophrénie, nie officiellement l’existence des races humaines) est devenue une société multiraciste (p. 223) », il ne prend pas assez en compte les actions déstabilisatrices des États-Unis, des sectes telles la Scientologie et des spiritualités de marché néo-protestantes venues d’outre-Atlantique dans les banlieues françaises. L’islam n’est pas le seul agrégateur de la haine anti-européenne qu’expriment les masses allogènes. L’auteur se focalise trop sur la seule religion mahométane au risque de ne pas voir l’ensemble des acteurs hostiles à notre civilisation albo-boréenne.

Ethnic_Apocalypse.jpg

La version américaine de son dernier ouvrage, préfacée par Jared Taylor

Il dénonce certes le laxisme des gouvernants, le rôle délétère de certains néo-collabos et l’angélisme des catholiques. Il rappelle avec raison que les valeurs chrétiennes contribuent largement à notre désarmement moral. Il insiste sur notre âme faustienne favorable aux avancées bio-éthiques. Il réclame en conclusion la démigration (le départ, forcé ou volontaire, des non-Européens du Vieux Continent) et l’achèvement de la christianisation (inciter les Européens d’origine boréenne à retrouver leurs instincts prédateurs de l’ère paléolithique).

L’avenir dira si Guillaume Faye fut un imprécateur conscient de sa propre finitude, un refondateur de civilisation impériale ou bien un visionnaire génial…

Georges Feltin-Tracol

• Guillaume Faye, Guerre civile raciale, préface de Jared Taylor, postface de Daniel Conversano, Éditions Conversano, 2019, 300 p., 20 €.

Et n'oubliez pas de commander aux éditions du Lore l'ouvrage qui lui rend un juste hommage, tout en fustigeant ceux qui l'ont persécuté !

Guillaume-Faye-cet-esprit-fusée-1080x675.png

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/765-guillaume-faye-cet-esprit-fusee-hommages-verites.html

 

lundi, 13 janvier 2020

R.I.P Sir Roger Scruton

scruton.jpg

R.I.P Sir Roger Scruton

Ex: https://pvewood.blogspot.com

I am so sorry Sir Roger Scruton has died. He has been one of my great heroes since I read Conservative Essays while a sixth former.

The Liberal Heart, a collection of quotations and extracts from liberals that I read in 1984, was studded by attacks on him and his then outspokenly conservative views on homosexuality. They seemed bracingly High Tory then, but are thought crimes now.

Let's not forget or forgive James Brokenshire’s sacking of Roger Scruton from his unpaid job as a government adviser on beauty in architecture last year, after the latter was stitched up by the New Statesman and falsely accused of antisemitism. Perhaps it is why Boris did not give the wretched Brokenshire a job, even though he was the first cabinet minister to come out in support of Boris. I do hope so.

I would have spent a week with Roger Scruton in Bratislava in 1991 but fate decided otherwise. But I have been reading him and about him since I was sixteen and feel I have lost a friend. Many people do. He was one of England's very few conservative intellectuals and one of the few of them who was a true Tory, albeit one who thought discretion was the better part of valour.

I was disappointed by England: an Elegy, the only book of his I read entire. I had expected to love it or at least to agree with it, but it was too negative, like reading a hundred Daily Mail editorials, too 'Why oh why?'. He could be philistine - as when he dismissed Freud as a fraud.

Sir Roger Scruton, as he then wasn't (David Cameron gave him a knighthood a fortnight before the referendum in which he supported Leave), in 2006 spoke to the Dutch party Vlaams Belang, asking whether Enoch Powell was right about speaking out about immigration and being very shy of answering his own question, for fear as he says of the same fate as befell Powell.


I quote from it.

I do not doubt that there is such a thing as xenophobia, though it is a very different thing from racism. Etymologically the term means fear of (and therefore aversion towards) the foreigner. Its very use implies a distinction between the one who belongs and the one who doesn’t, and in inviting us to jettison our xenophobia politicians are inviting us to extend a welcome to people other than ourselves – a welcome predicated on a recognition of their otherness. Now it is easy for an educated member of the liberal élite to discard his xenophobia: for the most part his contacts with foreigners help him to amplify his power, extend his knowledge and polish his social expertise. But it is not so easy for an uneducated worker to share this attitude, when the incoming foreigner takes away his job, brings strange customs and an army of dependents into the neighbourhood, and finally surrounds him with the excluding sights and sounds of a ghetto.
 
Again, however, there is a double standard that affects the description. Members of our liberal élite may be immune to xenophobia, but there is an equal fault which they exhibit in abundance, which is the repudiation of, and aversion to, home. Each country exhibits this vice in its own domestic version. Nobody brought up in post-war England can fail to be aware of the educated derision that has been directed at our national loyalty by those whose freedom to criticize would have been extinguished years ago, had the English not been prepared to die for their country. The loyalty that people need in their daily lives, and which they affirm in their unconsidered and spontaneous social actions, is now habitually ridiculed or even demonized by the dominant media and the education system. National history is taught as a tale of shame and degradation. The art, literature and religion of our nation have been more or less excised from the curriculum, and folkways, local traditions and national ceremonies are routinely rubbished.

This repudiation of the national idea is the result of a peculiar frame of mind that has arisen throughout the Western world since the Second World War, and which is particularly prevalent among the intellectual and political elites. No adequate word exists for this attitude, though its symptoms are instantly recognized: namely, the disposition, in any conflict, to side with ‘them’ against ‘us’, and the felt need to denigrate the customs, culture and institutions that are identifiably ‘ours’. I call the attitude oikophobia – the aversion to home – by way of emphasizing its deep relation to xenophobia, of which it is the mirror image. Oikophobia is a stage through which the adolescent mind normally passes. But it is a stage in which intellectuals tend to become arrested. As George Orwell pointed out, intellectuals on the Left are especially prone to it, and this has often made them willing agents of foreign powers. The Cambridge spies – educated people who penetrated our foreign service during the war and betrayed our Eastern European allies to Stalin – offer a telling illustration of what oikophobia has meant for my country and for the Western alliance. And it is interesting to note that a recent BBC ‘docudrama’ constructed around the Cambridge spies neither examined the realities of their treason nor addressed the suffering of the millions of their East European victims, but merely endorsed the oikophobia that had caused them to act as they did.

In the Christmas edition of the Spectator three weeks ago Sir Roger wrote:
 
During this year much was taken from me — my reputation, my standing as a public intellectual, my position in the Conservative movement, my peace of mind, my health. But much more was given back: by Douglas Murray’s generous defence, by the friends who rallied behind him, by the rheumatologist who saved my life and by the doctor to whose care I am now entrusted. Falling to the bottom in my own country, I have been raised to the top elsewhere, and looking back over the sequence of events I can only be glad that I have lived long enough to see this happen. Coming close to death you begin to know what life means, and what it means is gratitude.

mercredi, 25 décembre 2019

In Memoriam. Guillaume Faye y Stefano Delle Chiae

memoriasoldat.jpg

In Memoriam. Guillaume Faye y Stefano Delle Chiae

Telmo Alvar de Navas
Ex: http://www.posmodernia.com

Los finales de año se prestan a la memoria.

San Agustín indicaba a la memoria, junto el entendimiento y la voluntad, como una de las potencias del alma que configuran al hombre como tal. La memoria entendida como una dimensión fundamental de quién es el ser humano, de cómo es el ser humano, de lo que construye su humanidad.

Hacer memoria en un mundo que se empeña en el presentismo, que le quiere arrancar raíces, que desea al hombre ausente de sí mismo y centrado exclusivamente en el fuera de si –en el consumo, en el mercado, en la unidimensionalidad de la comodidad-, hacer memoria en este tiempo de ruinas de humanidad, es un acto profundamente resistente y subversivo.

Hacer memoria construye, desarrolla, confronta, humaniza, diviniza. Hacer memoria como herramienta que nos acompaña a crecer, que nos ayuda a pensar quién somos, que nos recuerda dónde estamos, dónde queremos estar. Hacer memoria también como homenaje, como reconocimiento de quienes han caminado antes que nosotros.

Nos construye como hombres la doble dimensión de la acción. Las potencias que ponemos en marcha en la acción diaria y cotidiana, poniendo en ejercicio las dimensiones propias constitutivas del ser humano, y lo recibido de otros. La tradición –lo recibido- como fuego de la acción. La renovación y adaptación de lo recibido, sin romper con lo esencial, como claves que construyen lo humano.

He ahí la dificultad de la Revolución. La que rompe con todo lo heredado, la que se construye diabólicamente contra lo humano dado. La revolución como contraria a la humanidad incapaz de entender cómo es el ser humano, incapaz de entender la paradoja humana de ser creatura. Lo dado y lo recibido, junto a lo construido y renovado. Construir y renovar desde las potencias que nos son dadas.

No es el hombre jamás algo que pueda reinventarse desde cero. No es la sociedad algo que se pueda rediseñar al margen de lo recibido. Esa es la terrible revolución de la modernidad que en la posmodernidad toca revertir en lo posible o quizás recomprender qué significa la Revolución en la Posmodernidad desde lo mejor de la Tradición.

Reflexiones como esas nacen en estos días del año, cuando por puro azar he conocido que en este 2019, se han producido dos fallecimientos que me habían pasado inadvertidos.

El 7 de marzo fallecía Guilleaume Faye, y el 10 de septiembre, Stefano Delle Chiae, ambos tras larga y penosa enfermedad.

GF-da-nov19.jpg

Guilleaume Faye

Junto a Pierre Vial, Dominique Venner y a Alain de Benoist, Guilleaume Faye (Angulema 1949-Paris 2019) era el cuarto componente de estos jinetes franceses que mejor han encarnado la Nueva Derecha Francesa. Grupo del que solo quedan Vial y Benoist tras el suicidio de Venner en 2016 en Notre Dame de Paris con una carga profundamente profética que intentaba sacudir las conciencias europeas ante la debacle que nuestra cultura y sociedades de occidente sufren bajo las amenazas a Europa.

Si Venner era el historiador, Benoist el filósofo y Vial el político, Faye podemos decir que era el agitador.

                  Formado en el prestigioso Instituto de Estudios Políticos de París en Geografía, Historia y Ciencias Políticas, durante sus años de estudiante fue uno de los creadores del Círculo Pareto, agrupación estudiantil independiente que sería seducida por el GRECE para colaborar con ellos, al que se incorpora oficialmente en 1973.

                  Sus años de formación coinciden pues con el burgués y marxistizado Mayo del 68, pero es evidente que sus planteamientos van en otras claves que las masas izquierdistas. Contemplando la amenaza soviética a la par que la amenaza del liberalismo, tocando a su fin esas dos décadas de gobierno de De Gaulle, aquellos hombres que conocen a Gramsci apuestan por la batalla cultural como imprescindible para la batalla política, un gramscismo de derechas que prepare el terreno que habría de venir.

                  gf-stp.jpgDentro del GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne – Grupo de Investigación y Estudios para la civilización europea), se dedicó a estudiar con detenimiento la filosofía política -Machiavelo, Hobbes, Hegel, Pareto, Carl Schmitt, Oswald Spengler, Ernst Jünger, Moeller van den Bruck, Heidegger, Arnold Gehlen, Konrad Lorenz, etc.-. También desarrollaría un gran interés por las teorías geopolíticas europeistas de Jean Thiriart. Dueño de un estilo original y de una inteligencia muy lúcida, Faye ocupó un puesto importante en el GRECE y se convirtió en un referente de la Nouvelle Droite. Desde las páginas de Nouvelle École y Eléments puso su pluma al servicio del polo antimodernista del movimiento: por ello sus textos del período se destacan por su duro repudio a las ideas centrales de la Ilustración (y a sus herederos que buscan promoverlas), por su feroz crítica al materialismo y al consumismo burgués, y por sus despiadados ataques contra la tecnocracia. Alain de Benoist, entusiasmado con su ímpetu militante e impresionado con su rigor intelectual, le encomendó en 1974 la dirección de la revista Études et Recherches, la más académica de las publicaciones de la organización.

                  Hacia finales de la década de los 70 se agudiza su crítica al capitalismo liberal, denunciando el sionismo y el imperalismo norteamericano que identifica como motores de ese capitalismo deshumanizador y antieuropeo. También por aquella época se adhiere a un cierto racialismo con las tesis del etno-diferencialismo, teorizando sobre la necesidad de crear una alianza estratégica entre Europa y los países del Tercer Mundo –especialmente los del Mundo Árabe–, para así frenar la decadencia de Occidente.

                  Durante la década de 1980, Faye empezó a abandonar sus posiciones cercanas a Thiriart, para acercarse al pensamiento de Giorgio Locchi, quien también era un ferviente antinorteamericano, pero cuyo discurso se inscribía desde otra posición ideológica. Ello le permitió reformular sus ideas europeístas, revalorizando su concepción acerca de la importancia de la herencia indoeuropea en la formación de la identidad continental. A raíz de ello, tutorado por Jean Haudry y Jean Mabire, comenzó a estudiar el paganismo, y, junto a Pierre Vial y Maurice Rollet, se dedicó a organizar eventos orientados a difundir los rituales paganos en Francia. En compañía de Robert Steuckers y Pierre Freson redactó en 1985 el Petit Lexique du Partisan Européen, un breviario que resume de modo elegante su nuevo ideario político. Una interesantísima clave de su pensamiento en ese momento es la tesis señala en su obra que el igualitarismo de la centroizquierda se combina con el utilitarismo de la centroderecha para atomizar a los individuos, con el propósito ulterior de reconstruir los vínculos sociales siguiendo el ideal de una matriz identitaria cosmopolita y multiculturalista, que ubique al consumo como propósito único de la vida cotidiana.  Pareciera que el tiempo le ha dado la razón.

skyman.png

A principios de 1987 finalmente dejaría de participar en el GRECE, debido a que el movimiento, por iniciativa de Alain de Benoist, había virado hacia las posiciones nacional-comunitaristas de Thiriart que él había sostenido en la década anterior y con las que ahora ya no se identificaba. Los tres siguientes años lo conectan con los movimientos próximos a la asociación EUROPA, asociación que terminaría -ya sin Faye entre sus filas- evolucionando hacia lo que más tarde sería Synergies Européennes. En 1990 se aleja del mundo de la política directa, pero sin abandonar nunca una determinada concepción del mundo.

                  Gracias a su amistad con Pierre Bellanger, Faye se convirtió en locutor de Skyrock, una radio parisina orientada al público joven. Usando el seudónimo de «Skyman», y acompañado primero por Jacques Essebag y después por Bruno Roblès, Faye animó el programa matinal Les Zigotos, ganándose a la audiencia con su fino humor y su vasta cultura puesta al servicio de bromas telefónicas y críticas a la farándula. Fue tan importante su figura para la estación, que las autoridades de la misma le permitieron hacer junto a Olivier Carré el programa Avant-Guerre, en el que filtraba ideas identitarias y difundía a artistas de la órbita del Rock Identitaire Français.

                  gf-colooriginal.jpgEn 1997 Faye reingresa al campo político, reincorporándose al GRECE y uniéndose a Terre et Peuple. Al año siguiente publicará L’Archéofuturisme a través de la editorial L’Ancre, propiedad de Gilles Soulas. El texto denuncia el penoso estado presente de la sociedad europea, y propone aliar el espíritu del futurismo con la tradición ancestral indoeuropea, empleando a la tecnociencia para ultrapasar a la Modernidad en lugar de para consumarla. La obra, además, ataca a la estrategia metapolítica de la Nouvelle Droite, reprochándole el no haberse involucrado más activamente en la lucha electoral, lo que sólo habría perjudicado al pueblo francés. Alain de Benoist recibió con poca simpatía al libro. El discurso racialista y evidentemente en contra de la islamización de Europa de Faye quedó más prístinamente plasmado en La colonisation de l’Europe, publicado en 2000 también por la editorial L’Ancre. El libro señala que el choque de civilizaciones no puede ser resuelto con la integración o la asimilación, sino que la única salida que garantice la persistencia de la raza blanca es la Reconquista, que no sería más que una nueva guerra étnica. La publicación del libro le costó a Faye y a Soulas una onerosa multa, acusados de actuar con la intención de producir literatura que incite a la discriminación y al odio racial. Además, debido a ello, Alain de Benoist expulsó a Faye del GRECE, y acusó al escritor de haber producido una obra delirante y peligrosa.

                  Fuera del GRECE, Faye continuó con sus actividades a través de Terre et Peuple (a la cual terminaría abandonando en 2008), y asesorando en cuestiones programáticas a los movimientos belgas Nation y Vlaams Blok, así como en un activismo que pretendía dotar al movimiento identitario europeo de unas sólidas bases doctrinales y de directivas generales para la acción, fruto de lo cual fueron sus obras Pourquoi nous combattons: manifeste de la résistance européenne (2001) y Avant-Guerre: chronique d’un cataclysme annoncé (2002). En ambos textos denuncia que Europa está atrapada en una espiral descendente hacia su desaparición, y que una guerra étnica es inminente. Si bien el enemigo que Faye señala es la alianza entre el neoconservadurismo norteamericano y la oligarquía petrolera de los países árabes (que entre ambos han producido al terrorismo islámico para beneficiarse de sus acciones), allí también subraya que la entidad sionista de Oriente Medio, que es socia de los enemigos de Europa, va camino a su extinción por no contribuir con la resistencia. En esos textos Faye destaca además la necesidad de acabar con el etnomasoquismo y suplantar al tibio etnopluralismo por un orgulloso etnocentrismo, creando así una entidad geopolítica que una a las Azores con Kamchatka, la cual debería denominarse «Eurosiberia» según su opinión. Europa es clave y central y casi que superior a las propias concepciones nacionales en ese planteamiento.

                gf-convergence.jpg  En 2004 se editan los libros La convergence des catastrophes y Le coup d’état mondial. El primero, que circuló firmado con el seudónimo «Guillaume Corvus», no es más que un resumen del pensamiento de Faye en el que –adaptando las teorías del matemático René Thom a la sociología– alerta que el sistema europeo está en peligro de colapsar debido a que las catástrofes sociales, económicas, demográficas, ecológicas e institucionales pueden confluir en un mismo momento y destruir lo que queda en pie del orden civilizatorio occidental. El otro libro, en cambio, es un análisis sobre el imperialismo estadounidense, al cual repudia, pero destacando que en Norteamérica existe el potencial para contribuir al freno del genocidio blanco (por ello amplía su idea de la Eurosiberia para incluir a los países americanos en una entidad que denominará «Septentrión»). Gracias a estas ideas su pensamiento fue bien acogido por el paleoconservadurismo norteamericano, lo que le permitiría después ser citado como uno de los inspiradores del movimiento Alt Right, gracias a Jared Taylor de American Renaissance.

                  De esa época es también una polémica en torno al sionismo y a la cuestión judía, que le valió el ser considerado por un sector del identitarismo europeo como un agente provocador de Israel en Francia, pues Faye aseguraba que la influencia de los judíos en Occidente ha entrado en declive, citando algunos ejemplos de hebreos que se oponen a la invasión inmigratoria en Europa, y proponiendo una alianza estratégica entre Israel y los identitarios para asegurar la supervivencia de ambos.

                  En el año 2015 publicó el libro Comprendre l’Islam. Allí sostiene que los islamistas avanzan sobre Europa debido a que ellos han adoptado una estrategia arqueofuturista, combinando su herencia ancestral con las nuevas tecnologías de la comunicación y la información para imponerse ante una Europa anestesiada por su defensa suicida de la doctrina de los derechos humanos.

Su última obra, publicada postmorten este mismo 2019, Guerra Civil Racial, puede considerarse casi que un testamento político, pues Faye conocía su estado de salud.

stefano_delle_chiaie_large.jpg

Stefano Delle Chiaie

                  Si la lucha de Faye fue eminentemente intelectual en el ámbito de la metapolítica y la reflexión, el otro óbito que en este In Memoriam queremos recordar, el de Stefano Delle Chiaie (Caserta, 1936-Roma 2019) nos lleva ante un activista político del extra parlamentarismo, de los duros italianos años de Plomo, con la violencia y la lucha política de las calles en primera línea de la lucha contra el comunismo, clave que le llevó también a América Latina.

                  Un simple paseo por internet nos da algunas claves con las que orientarnos ante Delle Chiaie: Fantasma negro, terrorista neofascista, agente internacional, Borguese, Franco, Pinochet, Banzer, la CIA, la Red GLADIO…

                 stefanodellechiaieaquila.jpg Lo cierto es que Delle Chiaie es un personaje central en la acción política patriótica de la Italia de los años 60 y 70, y de las relaciones internacionales de los movimientos nacionalistas de occidente de los 80 y los 90 hasta su regreso a Italia a finales de la centuria para reincorporarse a la política italiana, exonerado de los supuestos crímenes en los que se le incriminaba, como las matanzas de Piazza Fontana de 1969 en Milán, donde murieron 17 personas, o la masacre de Bolonia de 1980, con 85 fallecidos.

                  Comenzó su andadura política en el Movimiento Social Italiano (MSI) de la posguerra mundial, del que se separó para incorporarse al Ordine Nuovo de Pino Rauti al comenzar el MSI su política de entendimiento con la Democracia Cristiana a impulsó del secretario general Arturo Michelini. Tiempo después Delle Chiaie dejaría también Ordine Nuovo para promover el movimiento político Avanguardia Nazionale, con un marcado componente revolucionario y de acción directa que superase posiciones conservadoras y reaccionarias. Avanguardia Nazionale se convirtió así en el capitalizador de todo el movimiento extraparlamentario patriótico italiano hasta su disolución oficial a mediados de la década de 1960, aunque de hecho continuó operando de modo semi-clandestino.

                  Son los años de plomo, de conflictos callejeros con los movimientos terroristas comunistas que buscan un proceso de transformación comunista en Italia. Años de violencia y guerrilla urbana donde AN es protagonista y partidaria de la acción directa y de la respuesta de la tensión: buscar que la fractura social sea de tal magnitud, que obligue a un pronunciamiento o una respuesta de corte nacional patriótico. Sin duda alguna el momento más conocido de aquellos años es el de marzo de 1968, en el marco de las protestas estudiantiles que se desarrollaban en Italia, cuando Delle Chiaie dirigió a las fuerzas populares que actuaron en la Batalla de Valle Giulia en contra de la policía. El episodio concluyó con la ocupación de la Facultad de Jurisprudencia de la Universidad de Roma La Sapienza por parte de los activistas nacionalistas y de la Facultad de Letras por parte de los activistas comunistas. Unas semanas después hombres leales a Giorgio Almirante invadieron el campus universitario con la intención de expulsar a los comunistas. Delle Chiaie -que confiaba que la protesta estudiantil creciese hasta desestabilizar al gobierno- optó por no acompañar el desalojo por considerarlo reaccionario y no revolucionario. De todos modos la presencia del MSI en la universidad provocó que la policía interviniese, arrestando a muchos de los participantes de las ocupaciones, incluido Delle Chiaie.

                  stefanodellechiaieaquilaespa.jpgSu salida de Italia es fruto de su participación en el golpe de estado de Junio Valerio Borguese, en el año 1970, un pseudo golpe de estado que fracasa y que obliga a Delle Chiaie a dejar Italia.

                  Años después y en el marco de los juicios sobre aquellos sucesos, se destapó todo un oscuro y complejo entramado de política internacional con la CIA, la masonería, la mafia y multitud de tentáculos en el campo de la política y la violencia callejera de plomo de la Italia de entonces, como un obstuso ajedrez que frenara la injerencia soviética en Europa con nombres como la Red Gladio, la logia P2 y demás.

                  La marcha de Italia de Delle Chiaie tras el fallido golpe Borghese le encamina a la creación de una “internacional neofascista” (medios dixit) de colaboración con estados y movimientos en el ámbito occidental y concretamente hispanoamericano desde su profundo activismo y convicción política. Se conoce su intervención en la España de la transición, con su presencia en los sucesos de Montejurra de 1976, en la lucha contra ETA y su nunca demostrada participación en la matanza de los abogados laboralistas de Atocha de 1977. Se le localiza en el Chile de Pinochet y en la Bolivia de Banzer, y se le relaciona con las actividades anticomunistas de los Estados Unidos en Hispanoamérica junto al agente norteamericano Michael Townley, el cubano Virgilio Paz Romero, o el francés ex oficial de la OAS Jean Pierre Cherid.

                 Stefano-Delle-Chiaie-standing.jpg En 1987 es detenido en Venezuela y trasladado a Italia para ser enjuiciado, siendo absuelto de toda responsabilidad penal por los distintos atentados en los que se le incriminaba en nueve distintos juicios. Años más tarde, ante la Comisión contra el terrorismo que en Italia trató de dilucidar aquellos años de violencia, durante una audiencia de 1997, encabezada por el senador Giovanni Pellegrino, Stefano Delle Chiaie siguió hablando de una «internacional fascista negra» y su esperanza de crear las condiciones de una «revolución internacional». Habló de la Liga Anticomunista Mundial, pero dijo que después de asistir a una reunión en el Paraguay, la había abandonado afirmando que era una fachada de la CIA. ​ Lo único que admitió haber tomado parte en la organización del Nuevo Orden Europeo (NOE).

                  En 1991 organizó en la ciudad de Pomezia un encuentro de dirigentes patriotas, al que asistieron muchos referentes de la derecha extraparlamentaria, pero también hombres desencantados con el MSI y militantes de izquierda que temían que ante el colapso de la URSS el país fuese absorbido por los elementos más rancios del capitalismo. De esa iniciativa nació la Lega Nazionale Popolare, un movimiento de tercera posición que se alió a la Lega Meridoniale y, al cabo de unos años, terminó desapareciendo.

                  Víctima del cáncer, Delle Chiaie falleció en el Hospital Vannini de Roma en septiembre de 2019.

D.E.P.