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jeudi, 18 décembre 2008

Nationalisme, concert européen impérial, nouvelle droite et renouveau catholique

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1994

Nationalisme, concert européen impérial , nouvelle droite et renouveau catholique

Entretien avec Robeert STEUCKERS - Propos recueillis par Xavier Cheneseau

Animateur des revues «Vouloir» et «Orientations» (qui ont pris peu à peu la place d'«Eléments» dans le public de la «Nouvelle Droite», pouvez-vous nous dire comment vous percevez le retour des nationalismes en Europe?

Le terme «nationalisme» recouvre une quantité d’aspirations politiques, parfois divergentes. Alors, je commencerai par mettre les choses au point: pour moi, le «nationalisme», en tant qu’idéologie et pratique politiques, dérive tout naturellement du mot «nation»; au sens étymologique, c’est-à-dire au sens premier, le mot «nation» contient la même racine que «naître» (du latin «nascere»/«nasci», «natus»). La nation est donc la grande famille dans laquelle je nais, et aussi le sol où cette grande famille s’est épanouie. La nation est donc le peuple et le pays au sens charnel du terme. Toute autre définition de la nation est pour moi abusive, tronquée ou extrapolée. Donc fausse. Comme l’Europe est faite de multiples nations, voisines les unes des autres, le philosophe, l’historien ou le militant qui pensent en termes de nationalité déploient automatiquement une pensée qui accepte la variété, la diversité, la multiplicité, la pluralité et s’en réjouissent. Il veut un monde fait d’une infinité de coloris et non un monde de grisaille, comme nous en connaissons dans les banlieues de nos grandes villes. Cette définition de la nation postule que je dois admettre que l’autre veuille gérer son destin local à sa manière. Mais cette multiplicité est difficile à gérer à l’échelle de notre continent, surtout à l’heure où de vieux peuples réclament une structure étatique propre et une voix dans le concert européen. De cette revendication peut jaillir un nouveau désordre, si toutes ces entités politiques, les vieilles comme les nouvelles, se ferment sur elles-mêmes et se refont la guerre au nom de querelles anciennes. Mais si l’on se place directement au niveau européen, au niveau de notre civilisation, et que nous acceptons que cette civilisation s’exprime par une grande variété de modes et de façons, on s’efforcera automatiquement d’élaborer un droit des gens capable de gérer cette diversité sans heurts. Et ce droit des gens s’inspirera des techniques impériales (propres au Saint-Empire médiéval), des modalités fédéralistes de gestion de l’Etat (Suisse, RFA) et acceptera les clauses de la CSCE quant à la protection des minorités linguistiques. En effet, le retour des nationalismes n’est pas tant un retour à l’Etat fermé qu’une volonté de se débarrasser des centralismes trop contraignants et des modes de gestion propres au communisme marxiste-léniniste et au technocratisme libéral occidental. Aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies de communication, le centralisme rigide d’autrefois n’est plus de mise. L’homme du 21ième siècle devra faire face à cette triple nécessité: nécessité géopolitique de concevoir l’unité de l’Europe, nécessité éthique de respecter les diversités productrices de richesses et nécessité pratique de mettre les appareils politiques au diapason des nouvelles techniques de communications.

 

Ces nationalismes peuvent-ils déboucher sur l'émergence d'un Empire européen?

 

Il me semble qu’il est encore trop tôt pour parler d’«Empire européen». D’abord parce que la logique impériale, qui est fédérale, et fonctionne selon le principe de subsidiarité, n’est pas également répartie en Europe. Il subsiste des zones rétives à cette logique de pacification intérieure du continent. Je crois qu’il faut d’abord travailler au sein d’une structure qui existe et qui est la CSCE (qui regroupe tous les pays européens, Russie comprise, plus les Etats-Unis et le Canada). L’idéal, ce serait que la CSCE évolue vers un concert civilisationnel européen et euro-centré, que les Etats-Unis et le Canada s’en retirent pour concentrer leurs efforts sur l’ALENA (Association de Libre-Echange Nord-Américaine). Les Etats d’Amérique du Nord (USA, Canada et Mexique) auront une longueur d’avance: tous trois sont effectivement gérés par un système fédéral. Ce qui facilite les choses. La CEE, c’est-à-dire l’Europe de Maastricht est insuffisante. La fermer sur elle-même est une erreur géopolitique et une injustice sociale à l’égard des pays de l’Est. De plus, sur le plan stratégique et militaire, cette CEE n’est pas viable. La seule entité géostratégiquement viable à très long terme, c’est l’union stratégique des pays européens et asiatiques de la CSCE, reposant sur une interprétation du droit des gens qui accepte les différences culturelles, les gère et les cultive. L’erreur de la CEE a été de vouloir uniformiser l’économie avant d’arriver à un accord inter-européen sur les principes de droit (droit des gens et droit constitutionnel). Le travail de la CEE a été de déconstruire les barrières douanières en tous domaines. Il est évident que c’était peut-être nécessaire dans certaines grosses industries (le charbon et l’acier, d’où la CECA) mais nullement en agriculture. Résultat, nous avons partout en Europe des zones périphériques déshéritées, incapables de sortir de la mélasse puiqu’elles ne peuvent plus recourir à la technique des barrières douanières pour protéger l’emploi chez elles. De surcroît, globalement, l’Europe n’est pas indépendante sur le plan alimentaire, ce qui la met à la merci des puissances exportatrices de céréales (les Etats-Unis). La CSCE est intéressante parce qu’elle repose prioritairement sur le droit et non sur l’économie. Et ce droit règle notamment des problèmes de minorités, qui sont des entités collectives porteuses de culture. Si un «Empire européen» doit advenir —mais je préfère parler d’un concert européen intégré— il reposera sur la généralisation d’un droit constitutionnel de type fédéral, sur la défense de toutes les minorités linguistiques et culturelles et sur l’effort concret de parvenir à l’indépendance alimentaire.

 

Longtemps la «Nouvelle Droite» s'est présentée comme païenne, comment voyez-vous le renouveau du catholicisme en Europe et dans le monde?

 

Je tiens beaucoup à préciser que le paganisme, pour moi, dès le départ, n’a jamais été la volonté de forger un comportement religieux nouveau, mais essentiellement une défense des humanités gréco-latines et l’étude des racines culturelles de tous les autres grands goupes ethniques européens. Ces «humanités» nous dévoilaient une conception du droit et de l’Etat (des «res publicae», des choses publiques: notons le pluriel!) qui pourrait parfaitement nous inspirer encore aujourd’hui. Je rappelle aux zélotes d’une religion caricaturale et sulpicienne que les notions de droit, propres aux Romains, aux Grecs et aux Germains, sont plus anciennes que la religion chrétienne et que ce sont eux qui forment véritablement l’armature de la civilisation européenne. Bien sûr, j’ai toujours reproché aux cercles de la Nouvelle Droite de ne jamais avoir exploré cette veine-là et d’avoir voulu rétablir un culte païen, en ne tenant pas compte du fait que l’Europe pré-chrétienne était animée par une religion de la Cité, c’est-à-dire une religion éminemment politique et non prioritairement esthétique, morale ou éthique. En voulant théoriser une «éthique païenne» ou recréer ex nihilo une «esthétique païenne», avant de rétablir le droit romain ou germanique dans sa plénitude et dans son sens initial, les vedettes les plus bruyantes de la «Nouvelle Droite» ont fait du christianisme inversé, ont tout simplement joué, comme des adolescents irrévérencieux, à renverser les tabous de leur éducation catholique. C’était stupide et peu constructif. Quant au renouveau catholique, je suis sceptique. Evidemment, plusieurs revues italiennes, plus ou moins proche du Vatican (Il Sabato, 30 Giorni), publient des textes de grande valeur, qui renouent avec les grands principes généraux de la politique romaine et abandonnent les chimères de Vatican II ou de mai 68. Par ailleurs, la dépravation morale contemporaine, due aux excès de matérialisme socialiste ou capitaliste, rend attirantes la religion en général et l’idée de communauté fraternelle en particulier. Mais, je ne suis pas prêt à parier pour un catholicisme qui voudrait réduire à néant les acquis du protestantisme ou le caractère sublime de l’orthodoxie gréco-byzantine et russe ou reprendre une croisade contre l’Islam ou dénaturer le vieux fond gréco-celto-romano-germano-slave. Chez les catholiques, il faut retenir, à mon sens, mais en laïcisant ces intuitions et en les ramenant à leur matrice juridique romaine:

1) L’idée d’un œkumène européen, animé par une nouvelle synthèse spirituelle (ce qu’avait voulu réaliser le Tsar Alexandre Ier après la parenthèse napoléonienne).

2) La notion de forme politique basée sur la famille (mais non plus la famille nucléaire actuelle ou évangélique, mais la “gens” au sens romain ou la “Sippe” au sens germanique). Carl Schmitt est le penseur qui a théorisé la notion de «forme politique catholique (au sens d’universel)». Il faut le relire.

2) Reprendre, en les laïcisant, les linéaments du catholicisme social, tant dans sa variante corporatiste que dans sa variante sociologique (Othmar Spann).

3) En France, s’inspirer des études de Stéphane Rials et de Chantal Millon-Delsol, pour y généraliser un droit inspiré par la subsidiarité.

Le renouveau catholique ne saurait être, pour mes camarades et moi-même, le triste guignol intégriste avec ses monstrations esthétiques et ses vaines recherches d’une vérité éthique; ce qui fait urgence, c'est bien le retour à une forme romaine du politique, valable pour toute l’Europe. Un véritable renouveau catholique devrait abandonner la fibre religieuse évangélique, renoncer à toute forme de bigoterie, sphères où désormais les pires simagrées psycho-pathologiques sont possibles, où ont sévi les pires vecteurs de l’anti-politisme, pour redevenir purement et pleinement religiosité politique. Il ne faut retenir du message catholique que ce qui a amélioré et perfectionné le vieux fond politico-juridique romain (au sens pré-impérial, républicain, du terme). Méditons en ce sens Caton l’Ancien.

 

 

dimanche, 02 novembre 2008

Misère des intellectuels de "droite"

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ARCHIVES DE SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Misère des intellectuels de “droite”

 

L'option métapolitique de la “nouvelle droite” est, dans l'espace culturel germanique, une importation française. La ND, regroupée autour d'Alain de Benoist, a tenté d'adapter à la droite la théorie du communiste italien Antonio Gramsci, à un moment de l'évolution de cette droite, moment où elle se demandait quels étaient les véritables ressorts de la société. Point de départ de Gramsci: la société n'est mue que partiellement par les groupes politiques visibles, c'est-à-dire les partis. Plus essentielle est la superstructure idéelle de la société, où sont façonnées valeurs, morale et idées. La tâche des “intellectuels organiques” serait alors de mener un combat culturel au sein même de cette superstructure, combat dont le but ultime ne peut être que la révolution. D'après Gramsci, on ne peut donc révolutionner une société que si l'hégémonie culturelle qui la régente est brisée, c'est-à-dire quand les tenants de cette hégémonie ne croient plus en eux-mêmes. C'est alors que les valeurs révolutionnaires prennent le pas sur les valeurs dominantes fragilisées et deviennent graduellement hégémoniques. Le combat culturel mené par les intellectuels devient dans une telle optique la stratégie principale du “révolutionnement” politique de la société.

 

Dieter Stein, le directeur de l'hebdomadaire néo-conservateur berlinois Junge Freiheit, a analysé très justement cette vision gramscienne de la révolution, qui ne survient que par le biais de la culture; au bout de son analyse, il lance un avertissement: une telle vision de la révolution culturelle pourrait déboucher sur une “political correctness” de droite (cf. JF n°8/97). Si je trouve la critique de Stein pertinente, cela ne veut pas dire que je juge le point de vue de Gramsci incorrect. C'est aujourd'hui précisément que nous constatons que la “superstructure intellectuelle”, c'est-à-dire les médias, a acquis une puissance bien trop considérable, tant et si bien que les hommes politiques ne sont plus que des figurants pour les émissions d'actualité. La puissance qu'ont acquises les émissions de “talkshows” est emblématique et révèle un phénomène inhabituel, soit la “pluralisation totale” de la société mais avec pour corollaire paradoxal la réduction de tout aux idéaux du plus grand nombre, du “brave quidam”, du “Gutmensch” (ndt: ce terme est ironique; il a été forgé par les critiques allemands de la “PC”). C'est cette contradiction qui produit la “political correctness” (PC), qui, lorsqu'elle aura atteint son stade idéal, sera une censure bien installée dans l'intériorité même des citoyens. Cette nouvelle intériorité auto-contrôlée produit un discours mortifère, un discours assassin, qui frapperait abruptement toute personne qui, pour une raison ou une autre, serait déclarée non “politiquement correcte”. Tous ceux qui entendent ignorer les gestes symboliques et rituels de la PC, tous ceux qui ne se sentiraient pas “concernés” par ses gestes et ses agitations, tous ceux qui avanceraient un certain type d'arguments non conventionnels seraient purement et simplement “morts”, du moins au sens figuré.

 

Pourtant, à droite, beaucoup de militants souhaiteraient, eux aussi, l'avènement d'une telle “censure intérieure”. Mais qui serait tout simplement de signe opposé. Ceux qui ne détiennent aucune puissance politique développent souvent des fantasmes de toute-puissance, mais d'une toute-puissance basée sur d'autres critères que ceux maniés par la toute-puissance en place. Quoi d'étonnant, dès lors, que le concept narcotique d'“hégémomie culturelle” ait été importé de France en Allemagne par des groupuscules qui ont voulu, dans un premier temps, divulguer les aspects intéressants de la nouvelle droite française, mais se sont enlisés, finalement, dans la prédication d'une “stratégie rédemptrice” et, pire, ont fini par aller faire de la formation dans des groupuscules néo-nazis interdits.

 

La trajectoire du néo-droitisme gramscien est triste, mais cette tristesse provient de plusieurs causes:

1. Il n'existe pas de “nouvelle droite” unitaire.

2. Si, au départ, les intellectuels de droite se voulant gramsciens ont souhaité l'émergence d'un débat, ils se sont rapidement enlisés dans la recherche d'une “Weltanschauung” idéale.

3. La “Révolution conservatrice” n'est pas pour eux une mine de concepts intéressants pour affronter le monde actuel, mais, plus prosaïquement, l'occasion de répéter à satiété un discours invariable, fait d'invocations stériles.

4. Ces intellectuels de droite se sont créé un petit monde, hermétiquement protégé de l'effervescence du réel.

 

Il n'existe pas “UNE” nouvelle droite. C'est pourtant clair: il suffit de comptabiliser tout ce que l'on vend au public sous cette appelation. Dans ce bric-à-brac, il y a toujours quelque chose de “plus neuf”. Dans les années 60, on disait des nationaux-révolutionnaires allemands qu'ils étaient la “nouvelle droite”. Mais, il n'est pratiquement rien resté de cette école nationale-révolutionnaire. Son espace idéologique était à l'intersection de la gauche et de la droite. Les nationaux-révolutionnaires affirmaient qu'ils n'étaient ni de droite ni de gauche: ils n'ont pas survécu sur la scène politique. Hennig Eichberg, qui, à cette époque, était la tête pensante de cette “nouvelle droite”, se considère aujourd'hui comme un homme de gauche. Beaucoup de nationaux-révolutionnaires de ces années 60 se retrouvent aujourd'hui chez les Republikaner.

 

Quant à la “nouvelle droite” la plus récente, elle a fini par démontrer qu'elle était au fond “conservatrice”, mais elle s'adresse à de plus larges catégories sociales que ses ancêtres de la nouvelle droite de 1968 qui tentaient d'apporter une réponse aux intellectuels de gauche et à la sottise de la vieille droite. Plus typés étaient les néo-droitistes  —quelques personnes et quelques journaux—  qui voulaient et veulent faire de leur nouvelle droite un projet de modernisation de l'extrême-droite. Cette catégorie de “néo-droitistes” reste la plus problématique, car, au fond, elle se borne à sortir de la naphtaline la “pensée anti-démocratique” de l'époque de Weimar (telle que l'a définie Kurt Sontheimer). Par cet exercice, elle veut hisser la pensée de l'extrême-droite à l'excellent niveau et à la belle forme, acquis par la “révolution conservatrice” sous Weimar.

 

A côté de ces “requinqueurs” de vieux corpus, s'est regroupée une autre “nouvelle droite”, composée pour l'essentiel de conservateurs (en Allemagne) ou de nationaux-libéraux et de conservateurs (en Allemagne et en Autriche). Ils ont abordé sans complexe la pensée moderne, ils ont, en ce sens, été conséquents, ont modulé leur action sur ce choix et ont investi les territoires politiques assignés par convention sociale à ces idéologies bourgeoises, bien ancrées et établies. Ces entristes, qui ont pénétré dans les rouages de la CDU, de la CSU ou de l'ÖVP, voire de la FDP ou de la FPÖ, sont de braves citoyens, ils sont tout simplement un petit peu à droite que les autres.

 

Si l'on mélange ces deux courants sous l'appelation commune de “nouvelle droite”, on débouche évidemment dans un beau désordre, sinon dans une aporie intellectuelle. Les “nouvelles droites” ancrées dans les diverses formes d'extrémismes droitiers confondent la volonté de débattre intellectuellement avec la proclamation impavide d'une Weltanschaunng ancienne, dont elles ont la nostalgie. Pour sortir de cette impasse, on recourt généralement à deux stratagèmes, dont on use et on abuse:

- soit on recommence à se référer directement aux racines théologiques du politique, en tentant de formuler un nouveau projet de “théologie politique”, dans le sens où l'entendait Carl Schmitt,

- soit on s'efforce de séculariser ce besoin d'absolu.

Dans ce cas, on se tourne vers d'autres certitudes, des certitudes immanentes, comme le “peuple” (Volk), des certitudes idéalistes, comme cette “science des citoyens d'Empire” de facture hégélienne, plus exactement mi-hégélienne-de-gauche, mi-hégélienne-de-droite, à l'usage de citoyens qui ne vivent plus dans un Reich et ne souhaitent certainement pas y revivre, les plages de Torremolinos ou des Baléares ayant pour eux plus d'attraits... Les multiples expressions de ces exercices para-théologiques ou “hégélisants” varient considérablement: les plus “sortables” ne sont “que” autoritaires, mais, dans la plupart des cas, le mode totalitaire est bien vite accepté, illustré et défendu...

 

C'est dans ces recherches et ces tâtonnements qu'il faut replacer l'engouement pour la “révolution conservatrice” de l'entre-deux-guerres. Soyons clairs et honnêtes: cette “révolution conservatrice” est une mine d'or, elle ne cesse de susciter les intérêts des philosophes et des politologues, à juste titre; il est intéressant d'en étudier tous les aspects si l'on veut connaître l'archéologie de certaines pensées aujourd'hui classées à “droite”, si l'on veut se plonger dans des corpus entièrement différents de l'idéologie dominante actuelle, si l'on veut lire de “mauvais livres” au regard des catégories politiques contemporaines. En pratiquant ainsi une forme de transversalité, indubitablement, on se forme l'esprit, on acquiert un sens critique, on aiguise ses intuitions. La “révolution conservatrice” nous apprend que les hommes de droite n'ont pas toujours été bêtes. Mais, en réceptionnant la “révolution conservatrice” de cette sorte, on ne doit pas non plus oublier qu'elle fut un échec. Ni oublier qu'elle fut, en bon nombre de ses aspects, antidémocratique et partiellement extrémiste. Aujourd'hui, notre regard doit se porter sur elle avec le même sens critique que sur les corpus de gauche de la même époque. Malheureusement, pour beaucoup d'hommes de droite actuels, de militants, cette “révolution conservatrice”, dans ses innombrables variantes, n'est que prétexte à répétitions, à dévotions naïves et bigotes, répétitions et dévotions qui remplacent toute intellectualité autonome ou permettent des exercices pénibles comme réitérer une attitude antidémocratique classique en citant des extraits d'auteurs “révolutionnaires-conservateurs”, pour faire intelligent ou pour donner le change.

 

Le résultat de tout cela est lamentable, car une telle nouvelle droite paraît toujours bien vieille, elle parait truffée de science, elle se gargarise de sa belle Weltanschauung  prête-à-porter, mais elle n'est quasi pas branchée sur la réalité. Car la belle Weltanschauung néo-droitiste n'est qu'une construction intellectuelle consolatrice pour tous ceux qui sont laissés-pour-compte dans la société réellement existante. Les plus lucides d'entre eux savent certes que le “peuple” (Volk) de leur idéologie n'est pas le peuple réel qui circule dans les rues d'Allemagne. Mais ce sont les “autres” qui sont coupables de cette inadéquation. Le peuple devrait correspondre à leur image du peuple: nous n'avons plus affaire là à de la nostalgie, à la nostalgie d'une “hégémonie culturelle” de droite, conservatrice, mais la rage de voir partout l'inadéquation génère subtilement une sorte de totalitarisme, camouflé derrière un verbiage conservateur, qui se veut apaisant, moral et “traditionnel”.

 

Au bout du compte, nos intellectuels de la “nouvelle droite” sont soit des modernisateurs de l'extrémisme, soit des bourgeois à un âge où il n'y a plus de bourgeois classiques, cultivés et conventionnels. Cette alternative, dont les deux termes sont également figés, est le résultat de la ghettoïsation des droites. Elles marinent dans leur jus. Alors que reste-t-il de la “nouvelle droite”?

 

Il reste sans doute quelques intellectuels de droite, qui se posent en anarchistes pour ne pas sombrer dans le dogmatisme, pour ne pas se laisser aveugler par les illusions. La réalité prosaïque, c'est qu'il n'y a dans le monde ni consolation ni rédemption. Mais, justement, ce n'est pas la tâche des intellectuels de droite de proposer de la consolation et d'annoncer une rédemption: au contraire, ils devraient se donner pour seule mission de déconstruire systématiquement toute idéologie de la consolation et de la rédemption. Travail difficile: en effet, c'est la meilleure façon de se faire mal aimer de tous; les uns détestent le “déconstructiviste” parce qu'il ne partage par leur illusion et n'apporte donc pas de quoi l'alimenter, de quoi entretenir la consolation; les autres le détestent tout autant parce qu'ils sont de gauche ou libéraux, qu'ils appartiennent à des espaces politico-philosophiques dans lesquels, forcément, le déconstructiviste n'aimera pas aller mariner: au contraire, il aimera les détricoter avec une égale délectation. Le véritable intellectuel de la nouvelle droite devrait être celui qui d'emblée se définit comme l'homme sans aucune illusion.

 

Nos sociétés souffrent d'une absence de créneau critique. Pourtant, aujourd'hui plus qu'auparavant, le terme “critique” est le vocable le plus prisé des hommes de gauche, au point qu'ils identifient les mots “gauche” et “critique”. L'école de Francfort, réservoir idéologique de la gauche, s'est effectivement auto-dénommée “critique”. Mais la gauche ne critique plus, elle accepte le statu quo et gère la crise. Automatiquement, dans un tel contexte, la pratique de la critique incombe alors à la droite. Pire, si un homme de gauche pratique encore la critique, il sera désormais traité de “fasciste” ou de “crypto-fasciste” par ses coreligionnaires (Botho Strauss, même Peter Handke, le cinéaste Fassbinder, le dramaturge Heiner Müller, héritier du théâtre de Brecht).

 

Pour nous, la démarche “critique”, c'est d'affronter les aléas du réel sans s'embarresser de tabous. L'actuelle “political correctness” instaure de nouveaux tabous et aboie son hostilité à l'égard de tout discours, de tout débat, et justifie ces tabous et ces aboiements au nom d'idées de gauche. Forcément, l'homme de droite sera celui qui s'opposera avec énergie à ces tabous et à ces aboiements: il se dira de droite parce que ces tabous et ces aboiements se disent de gauche. Il rejettera la “political correctness” parce qu'elle refuse tout discours et tout débat. Il restaurera le débat par le simple fait de prendre la parole de force, en avançant des arguments de signes nouveaux ou de signes contraires. Cet acte de prise de parole constitue une pluralisation volontaire du discours et place l'homme de droite  —nouveau contestataire radical—  au centre même de la vie sociale en danger de rigidification définitive. Il reconnaît alors que la confrontation des idées n'est possible que dans une société marquée du sceau du pluriel. L'intellectuel de droite prend dès lors position pour un ordre social où règne la liberté et où s'épanouit la diversité. Il défend cette liberté précisément parce que ses idées sont bannies et ostracisées dans une société qui devient de moins en moins plurielle et différenciée. Sa tâche consiste à réfléchir et à chercher. Car celui qui connaît les réponses avant de formuler ses questions, tombe dans le piège du totalitarisme.

 

Que reste-t-il de la “nouvelle droite”? Sans doute un homme de droite qui n'est plus un homme de droite au sens conventionnel du terme. Un homme qui part à l'aventure dans la vie ou dans les épaisses forêts de la pensée, car il sait que rien n'est définitivement sûr, que ce savoir de l'incertitude universelle fait de lui le meilleur critique des conventions figées de la société, mais d'une société dont il connaît les ressorts (organiques), parce qu'il en est issu.

 

Jürgen HATZENBICHLER.

(Correspondant de “Synergies Européennes” en Carinthie, responsable de la chronique politique de Junge Freiheit/Autriche; article paru dans Junge Freiheit, n°16/97; traduction et adaptation françaises de Robert Steuckers).

dimanche, 21 septembre 2008

G. Faye: le choc des conceptions du monde

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Le choc des conceptions du monde

 

par Guillaume FAYE

 

La pensée métaphysique, issue du monothéisme et qui s'achève dans l'humanisme, a voulu définitivement nommer l'être, le «connaître», et, par là fixer les valeurs. La métaphysique, rompant avec la philosophie grecque pré-socratique, a pensé l'être-du-monde comme un acquis, comme une valeur suprême. Elle a envisagé l'être comme Sein  (Etre-en soi) et non comme Wesen (Etre-Devenir). Le mot français «être», ne rend pas ce double sens. Rechercher   —et prétendre trouver—  l'être comme Sein (einai en grec), c'est le dévaluer, c'est commencer une "-«longue marche vers le nihilisme». La philosophie de l'Esprit (Geist;  le noús  platonicien) prend le pas sur la philosophie de la vie et de l'action, sur la «création», la poiésis.  Toute une anthropologie en découle: pour la conception-du-monde de la tradition métaphysique et humaniste, l'humain est un être achevé puisqu'il participe de valeurs suprêmes (Dieu, notamment, ou des «lois», des «grands principes moraux») elles-mêmes achevées, connaissables, stables, universelles. «Il n'y a plus de mystère dans l'être» dit alors Heidegger. Enfermé dans les essences et les principes, l'humain perd son mystère: c'est l'humanisme précisément. Toute possibilité de dépassement de l'humain par l'homme doit être abandonnée. Les «valeurs» humaines, prononcées une fois pour toutes, courent alors le risque de la sclérose ou du tabou.

 

D'où la séparation, qui s'est toujours remarquée dans l'histoire, entre les valeurs proclamées avec emphase par les philosophies monothéistes et humanistes, et les comportements auxquels elles donnaient lieu. Sur le plan religieux, l'enfermement de l'action humaine dans des «lois», et le caractère infini mais fini à la fois du Dieu suprême, que l'on sait être définitivement omnipotent, tend a transformer le lien religieux en relation intellectuelle, en logos,  compromettant à la longue la force des mythes. Spinoza, Leibniz, Pascal et Descartes offrent des exemples de cette transformation de la métaphysique religieuse en logique; il faut se souvenir de l'amor intellectualis dei  de Spinoza, de la déduction des attributs de Dieu chez Leibniz, de l'intelligibilité de Dieu pour toute raison, affirmée par Descartes, ou, allant encore un peu plus avant dans le nihilisme religieux, du paradigme marchand du pari sur le divin de Pascal. Bernard-Henri Lévy avait parfaitement raison, en proclamant conjointement son biblisme et son athéisme, dans Le Testament de Dieu,  de se dire fidèle à la religion métaphysique hébraïque, creuset des autres monothéismes, la première à avoir formulé la préférence du logos  sur le muthos.

 

Perpétuel interrogateur

 

Au rebours, la tradition grecque qui commence avec Anaximandre de Samos et Héraclite, et qui serpentera, en tant que conception-du-monde implicite dans toute l'histoire européenne jusqu'à Nietzsche, se refuse à nommer l'être. Celui-ci est pensé comme Wesen  (être-en-devenir) comme gignesthai  (devenir transformant), mais n'est jamais défini. Le mot grec pour «vérité», nous explique Heidegger, est alèthéia,  ce qui signifie «dévoilement inachevé». La vérité n'y est point celle du Yahvé biblique, «Je suis l'Un, je suis la Vérité». Est vérité ce qui est éclairé par la volonté humaine, cette volonté qui soulève le voile du monde sans jamais faire advenir au jour la même réalité.

 

Dans la philosophie grecque, comme chez Heidegger, des mots innombrables sont utilisés pour «penser l'être». On ne pourra jamais répondre à la question de l'être, comme on ne pourra jamais connaître 1'«essence du fleuve», perpétuellement changeant, qui coule sous le pont. Le monde, dans son être-devenir, reste alors toujours l'«Obscur», et l'homme, un perpétuel interrogateur, un animal en quête constante de l'«éclairement». L'hominité, nous dit Heidegger, est caractérisée par le deinotaton, l'«inquiétance»: inquiéter le monde, c'est le questionner éternellement, le faire sortir et se faire sortir soi-même de la quiétude, cette illusion de savoir où l'on est et où l'on va.

 

Cette conception-du-monde se représente l'humain, perpétuel donneur de sens, en duel avec le monde, qui se dérobe à ses assauts, et qui demande, pour se laisser partiellement arraisonner, toujours de nouvelles formes d'action humaine, de nouveaux sens, de nouvelles valeurs, qui seront à leur tour transgressées.

 

Sacré et ouverture-au-monde

 

La mythologie grecque qui nous offre le spectacle de combats entre des dieux inconstants et des guerriers humains jamais découragés, toujours ardents dans leur passion de violer les lois divines pour préserver leur vie ou les lois de leur communauté, constitue l'aurore de cette conception européenne du monde. Une fin de l'histoire, par la réconciliation avec le divin métaphysique, enfin connu, lui est profondément étrangère. Cette conception-du-monde est la seule qui autorise à envisager la fondation d'un surhumanisme: l'humain, passant de cycles historiques de valeurs en cycles historiques de valeurs, transforme à chaque étape épochale la nature de sa Volonté-de-Puissance selon le processus de l'Eternel Retour de l'Identique. Le cosmos reste un mystère, il est 1'«obscur en perpétuel devoilement», comme, de manière singulièrement actuelle, l'envisage aussi la physique moderne. Le mythe reste présent au cœur du monde; cette impossibilité voulue et acceptée de connaître et de nommer l'être du monde, confère à celui-ci un caractère aventureux et risqué, et à l'action humaine la dimension tragique et solitaire d'un combat éternellement inachevé. Le sacré, au sens le plus fort, peut alors surgir dans le monde: il réside dans cette distance entre la volonté humaine et la «dérobade» du monde, bien visible d'ailleurs dans les entreprises scientifiques et techniques modernes. Le sacré n'est pas réservé à un principe (moral ou divin) ou à un attribut substantiel de l'être (un dieu), mais il habite par le fait de l'homme, le monde. Le sacré s'apparente à un sens donné par l'humain à son entour: le monde, nous dit Hölderlin, est vécu alors comme «nuit sacrée». Il n'y a plus lieu de se rassurer en recherchant 1'«essence de l'être», prélude à la fin de l'histoire, puisque l'homme de cette conception grecque du monde désire l'inquiétude. Il s'assume ainsi comme pleinement humain, c'est-à-dire toujours en marche vers le sur-humain, puisqu'il se conforme à son ouverture-au-monde ( la Weltoffenheit  dont parlait Gehlen) inscrite dans sa physiologie et éprouvée par la biologie moderne.

 

La recherche de l'être comme Sein, quête de l'absolu métaphysique et moral, peut s'envisager alors comme une entreprise in-humaine, et l'humanisme qui en découle philosophiquement comme une idéologie proprement non-humaine, plus exactement maladive. C'est dans l'historicité (Geschichtlichkeit)  et la mondanité (Weltlichkeit),  ce que les grecs appelaient le to on (l'étant) et les latins l'existentia, que réside le chemin que nous pouvons choisir de suivre ou de ne pas suivre.

 

Le suivre, s'enfoncer dans le Holzweg, la sente de bûcheron qui ne mène «nulle part» sinon «au cœur de la forêt sacrée», dont nous parle mystérieusement Heidegger, voilà ce qui est renouer avec l'aurore de la Grèce: reprendre le fil coupé par le christianisme et «la sortir de l'oubli». La sente ne mène pas vers un bourg, celui où les marchands se reposent, mais, inquiétante, elle s'enfonce vers l'aventure. L'«aventure», c'est-à-dire   l'advenir, ce qui, au détour du chemin «surgit du futur»: l'histoire.

 

Voici donc le sens fondamental de l'entreprise de Nietzsche, puis de Heidegger, et après lui sans doute de bien d'autres: réinstaller, en Europe, à l'époque technique, cette conception-du-monde incomplètement formulée, inachevée par certains grecs, mais le faire sous une forme différente, auto-consciente en quelque sorte, en sachant que même ce travail sera à recommencer. Nous, hommes du soir, de l'Hespérie (Abend-land), (par rapport à cette Grèce des pré-socratiques qui a voulu être l'Aurore d'une conception du monde) un travail nous attend, qui n'a rien de philosophique, au sens intellectuel du terme: rendre auto-consciente, au sein de l'Europe de la civilisation technique, une forme transfigurée de cette conception-du-monde, ou de cette religion-du-monde de l'aube grecque, tirée de l'oubli par Nietzsche et Heidegger.

 

Guillaume FAYE.

 

mercredi, 03 septembre 2008

R. Steuckers: entretien à "Militant" (1992)

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ARCHIVES: Un entretien de 1992, pour tous ceux qu'intéressent à l'histoire du mouvement identitaire et "néo-droitiste" (en dépit des variétés que cette appelation peut recouvrir). A noter, cet entretien a été accordé à Xavier Cheneseau quelques semaines avant la rupture définitive avec le "canal historique" (et hystérique) de la nouvelle droite centrée autour d'Alain de Benoist et au moment des accords de Maastricht. La donne internationale a considérablement changé depuis. Prière aux lecteurs de 2008 d'en tenir compte!

 

 

Entretien de Robert Steuckers à la revue «Militant»

 

I - Animateur de la «Nouvelle Droite», pensez-vous que votre mouvance a contribué à préparer le terrain pour le Front National, par exemple?

 

Je voudrais d'abord apporter une petite précision: je ne me sens ni ne me considère comme étant de «droi­te», même si j'ai souscrit à bon nombre d'ana­lyses posées par le mouvement d'Alain de Benoist, abusivement baptisé «Nouvelle Droite» par les milieux du journalisme parisien. Dans cette mouvan­ce, c'est essentiellement la «nouveauté» qui m'a sé­duit. Je ne crois pas que la «Nouvelle Droite» d'A­lain de Benoist et de Guillaume Faye ait préparé le terrain pour le Front National. Celui-ci a été porté par une dynamique qui lui est propre. Si le Front Na­tional s'était laissé inspirer par les thèses de la ND, il aurait choisi une orientation moins occiden­taliste et repris à son compte l'anti-américanisme gaul­lien; son programme économique n'aurait pas été directement calqué sur Reagan et Thatcher, mais aurait opté pour un dirigisme à la française (Déat, le néo-socialisme, le gaullisme) ou pour un auto-cen­tra­ge tel que l'a préconisé le grand économiste fran­çais François Perroux. Enfin, le poids de l'intégris­me catholique aurait été moins net dans la presse du FN, si le souffle du «paganisme néo-droitiste» l'a­vait touchée, paganisme qui, en dernière instance, est une religion de la Cité et un refus tranché de tou­te forme de cosmopolitisme.

 

2 - Ne pensez-vous pas que le succès relatif du lepénisme peut apparaître com­me un démenti cinglant à la stra­té­gie métapolitique?

 

Le succès électoral du FN, drôlement étrillé à cause des manipulations de la loi électorale, est une chose. La stratégie métapolitique en est une autre. Celle-ci n'a nullement perdu de sa validité, quand le FN a com­mencé son ascension. Par stratégie métapoli­ti­que, il faut entendre une volonté de réactiver des idées, des pratiques, des programmes, des faits d'his­toire, qui ont été refoulés par les idéologies do­minantes. Devant les effets du déclin, que nous cons­tatons tous, cette stratégie métapolitique possè­de des vertus réparatrices: elle permet, sur base d'u­ne documentation, d'une incessante combinaison de thèmes politiques et historiques, de critiquer les idéo­logies dominantes, d'en montrer les tares et les insuffisances qui conduisent à des faillites reten­tis­santes, ce que prouvent des faits comme la désin­dustrialisation de l'Europe, le chômage de masse, le déclin démographique, l'incapacité de construire une défense européenne cohérente et de fédérer les a­touts industriels de notre continent, et, enfin, le lais­ser-aller généralisé, que les sociologues contempo­rains ont appelé l'«ère du vide» de la «bof-gene­ra­tion». Le FN a obéi à une toute autre logique que celle de la «métapolitique» d'Alain de Benoist: il a réac­tivé les clivages de la IVème République, re­nonçant ainsi à prendre acte des potentialités de l'ère gaullienne: organisation de la société française selon les critères de la «participation», orientations diplo­matiques de Troisième Voie (dialogue euro-arabe, re­lations avec l'Amérique Latine, avec la Chine, l'URSS, l'Inde, etc.), indépendance militaire et nuc­léaire, centrage de l'économie (Elf-Aquitaine), grands projets technologiques (Concorde), etc. La ND, quant à elle, n'a peut-être pas assez insisté sur ces réalités, bien que les livres de Faye constituent un bon tremplin didactique pour les réinjecter dans le débat.

 

3 - Partisan d'une Europe indépen­dan­te, vous préconisez une économie au­to-centrée. Pouvez-vous dire pourquoi et comment vous comptez y arriver?

 

L'idée d'un auto-centrage de notre continent est as­sez ancienne et, dans la littérature économique, elle est récurrente. Je songe aux projets de Friedrich List (1789-1846), qui fut l'artisan du Zollverein alle­mand et des politiques protectionnistes américaines, à l'œuvre d'Anton Zischka, qui traverse le siècle, et aux théories de François Perroux, qui a démontré les atouts du centrage des économies et la nécessité, pour le bon fonctionnement de celles-ci, d'une ho­mo­généité culturelle. C'est dans cette tradition multi­céphale, refoulée, radicalement différente de celles des idéologies dominantes, que je m'inscrit. Ce qu'il faut faire, sur base de ces théories? D'abord mi­liter pour la diffusion de ces alternatives cohé­ren­tes, non utopiques et, abandonner l'a priori anti-éco­nomie des «droites», qui rend leurs programmes to­talement inopérants à long terme. Ensuite, quand ces idées pratiques auront acquis une certaine notoriété, travailler à infléchir la logique actuelle qui est mon­dialiste, qui disperse les capitaux tous azimuts et dé­laisse l'investissement dans nos pays. A l'échelon eu­ropéen, nous nous ferons les défenseurs des fu­sions industrielles internes à notre continent. En clair, nous applaudirons à des fusions comme Ma­tra-Ericsson (le cas du contrat de la CGCT), comme Volvo-Daf, comme Peugeot-Mercedes et nous lutte­rons contre les fusions qui impliquent des parte­nai­res non européens, japonais ou américains. Cette idée, nous la partageons avec beaucoup d'Euro­péens engagés dans d'autres circuits politiques et idéo­logiques que le nôtre. Nous espérons que se réa­lisera un jour la fusion de ces bonnes volontés, en dépit des étiquettes actuelles.

 

4 - La politique euro-arabe préconisée par Benoist-Méchin vous paraît-elle tou­jours applicable?

 

Le monde arabe est pluriel, malgré la force unifi­ca­trice de l'Islam ou les nostalgies nasseriennes. Le rô­le de l'Europe est de jouer la conciliation entre les parties, sans imposer quelque politique que ce soit. Les Arabes sont nos voisins et, si nous sommes réa­listes, nous devons bien admettre qu'il faut s'enten­dre avec eux pour éliminer, chez nous, les effets né­ga­tifs de Yalta. La logique des relations euro-arabes futures ne saurait plus être de type colonialiste, puis­que les Arabes disposent désormais de solides atouts dans leur jeu: pétrole, démographie en haus­se, identité politique, grands espaces. L'Europe, mal­gré son déclin démographique préoccupant, pos­sède encore et toujours les cerveaux techniciens et une infrastructure industrielle remarquable, qui a be­soin de débouchés. Les Arabes ont intérêt à s'en­ten­dre avec les Européens plutôt qu'avec les Amé­ri­cains qui financent une tête de pont dans leur es­pa­ce, Israël, qui bafoue leur dignité et ne serait pas via­ble sans cette aide. Des opérations comme l'orga­nisation de la téléphonie saoudienne par les Suédois d'Ericsson, la vente d'appareils militaires français, la reconquête des zones désertifiées en Algérie par une équipe du Baden-Wurtemberg, les pourparlers (tor­pillés) entre Belges et Libyens ou entre Français et Irakiens en matières nucléaires, les bonnes rela­tions commerciales que continue à entretenir la RFA avec l'Iran, sont autant d'opportunités qui s'offrent à nos pays de sortir de la logique binaire de Yalta, de s'affranchir des dépendances économiques impo­sées par les réseaux transnationaux téléguidés de­puis Washington et d'accroître leurs potentiels in­dus­triels. A la logique de Benoist-Méchin, qui, mal­gré son passé collaborationiste, a infléchi la politi­que de la Vème République dans un sens arabo­phi­le, doit s'ajouter la logique de Zischka, qui en 1952 avait ébauché un plan de reconquête et de renta­bi­lisation du Sahara, plan que les politiciens médio­cres de notre après-guerre n'ont pas retenu (cf. Anton Zischka, Afrique, complément de l'Europe, Laffont, 1952). L'industrialisation et la refertili­sa­tion des zones sahariennes exigeront beaucoup de main-d'œuvre et les immigrés maghrébins d'Europe pourraient y pourvoir. L'immigration, qui crée un an­ta­gonisme euro-arabe compréhensible, est un fruit du libéralisme économique: cette idéologie a tou­jours rejeté les planifications audacieuses, comme cel­les de Zischka, parce que, par idéalisme irréaliste, elle ne reconnaît pas le primat du politique. Le retour à un planisme grandiose permettrait de règler la ques­tion de l'immigration dans un sens positif. Le pé­trole des Libyens et des Saoudiens pourrait large­ment financer des projets agricoles et industriels de ce type. Les fermes libyennes, irriguées selon des pro­cédés modernes, sont d'ores et déjà des modèles du genre.

 

Autre écueil à éviter: prendre parti pour une et une seule idéologie arabe, au détriment de toutes les au­tres. Les Européens, dans leur politique arabe, ne doi­vent privilégier aucun interlocuteur: ni les nassé­riens, ni les intégristes, ni les baathistes, ni les frè­res musulmans, ni les Libyens, ni les Irakiens mais vi­ser la conciliation de tous sans s'immiscer dans les affaires intérieures des pays arabes.

 

5 - La Turquie, Israël, les pays d'Afrique du Nord ont demandé à rejoindre la CEE. Que vous inspirent ces deman­des?

 

On ne crée pas un espace économique auto-centré sans homogénéité culturelle. Les différences entre le Nord et le Sud de l'Europe, entre les pôles latin et germanique, entre les Britanniques et les Continen­taux, etc. rendent le fonctionnement de l'Europe des 12 déjà fort problématique. Si l'on y adjoint le Ma­ghreb et la Turquie, le chaos sera à son comble. Tout centrage économique sans homogénéité cultu­relle conduit à une logique implosive, à un dérè­gle­ment généralisé. Au nom des impératifs géopo­liti­ques, la Turquie et les pays du Maghreb doivent de­venir des alliés de l'Europe, dans des sphères voi­si­nes, intégrées selon les mêmes règles de l'auto-cen­trage. La Turquie, dont l'opposition politique à Tür­güt Özal ne veut pas de la CEE, a intérêt à rejouer un rôle «ottoman» au Proche-Orient et à renouer avec la Syrie, l'Irak et l'Iran, en dépit des conflits récents. Tout axe diplomatique optimal pour la Turquie s'o­riente vers le Golfe Persique, alors que l'axe occi­den­tal, choisi par Özal, conduirait Ankara à n'être qu'un appendice mineur de la CEE, mal industrialisé et incapable de tenir devant les concurrences ouest-eu­ropéennes. Les Nord-Africains, eux, doivent jouer la carte du Grand Maghreb et refuser que leurs ressortissants ne deviennent les nouveaux esclaves de l'Europe industrialisée. L'Europe doit, pour sa part, tolérer l'expansion des Etats nord-africains vers le sud et, en tant que non français, je déplore l'ac­tion retardatrice que joue sur ce plan l'armée fran­çaise au Tchad, faisant ainsi le jeu des Amé­ri­cains, ennemis de toute forme de rassemblements con­tinentaux ou sub-continentaux. Quant à Israël, un seul choix s'offre à lui, qui s'articule comme suit: renoncer à son rôle de tête de pont de l'im­pé­ria­lisme américain en Méditerranée orientale, s'en­ten­dre avec les Palestiniens comme le préconisent les di­plomates européens et l'Internationale Socialiste (cf. la récente visite d'Arafat à Strasbourg), dia­lo­guer avec les Turcs soucieux d'orienter leur diplo­matie dans un sens ottoman. L'option CEE n'est pas un remède pour Israël: en effet, comment pourrait-il y vendre ses fruits devant la concurrence espagnole? De plus, il serait excentré et détaché artificiellement de son voisinage. La faiblesse géographique de l'E­tat hébreux le rend inviable à long terme, a fortiori quand la démographie palestinienne minorise déjà le peuplement juif. Les élites israëliennes, comme les chrétiens du Liban, ont intérêt à réviser leur sio­nis­me ou leur particularisme dans la perspective d'un néo-ottomanisme: c'est pour eux une question de vie ou de mort politiques.

 

6 - L'Acte Unique européen vous paraît-il une bonne base de départ pour l'Em­pire européen à construire?

 

Votre question n'autorise pas de réponse tranchée. L'Ac­te Unique aura pour conséquence d'éliminer des secteurs viables sur le plan national mais aussi des tares locales anachroniques. L'Acte Unique fa­vo­risera les grandes entreprises capitalistes au dé­triment des PME mais créera simultanément des ins­titutions permettant une plus grande mobilité d'ac­tion pour tous. Nous restons conscients du fait que la CEE a été créée jadis pour faciliter la pénétration en Europe des capitaux du Plan Marshall mais que l'idée d'une unité continentale et d'une intégration éco­nomique est plus ancienne et ne provient pas des Etats-Unis. Le défi à affronter, complexe et à fa­cet­tes multiples, est donc le suivant: choisir une poli­ti­que d'auto-centrage mais ne pas confisquer à cer­tains Européens les relations privilégiées qu'ils en­tretiennent avec des Etats européens non membres de la CEE. Le «grand espace» de 1992 ne sera pas d'emblée un paradis, un bijou politique. Le risque d'un gigantisme stérilisant demeure, donc cette Eu­ro­pe en gestation ne doit pas se considérer comme achevée; elle doit être ouverte à toutes les candida­tu­res européennes, fermée aux candidatures non euro­péennes. Prenons quelques exemples: la Suède et la Norvège comptent des industries de pointe remar­quables, avec lesquelles les grands consortiums eu­ro­péens ont intérêt à s'entendre plutôt qu'avec des équi­valents japonais ou américains. La RDA est mem­bre du COMECON mais, par le biais des rela­tions inter-allemandes, elle constitue aussi, officieu­se­ment, le treizième Etat de la CEE; la RFA, à partir de 1992, ne devra pas renoncer à ses liens spéciaux avec la RDA ni avec les autres pays de l'Est euro­péen, car cette situation est l'amorce d'un élargisse­ment généralisé à toute l'Europe. La Grèce souhaite, pour sa part, une accentuation des relations inter-bal­kaniques. Toutes ces dynamiques et ces syner­gies, dont l'impact dépasse le cadre territorial de la CEE, ne seront possibles que quand disparaîtra l'OTAN et l'inféodation à Washington, car sinon ja­mais les Suédois, les Suises, les Autrichiens et les Yougoslaves, qui détiennent des zones cruciales en Europe, ne pourront participer à la construction de notre continent. Mes amis et moi-même, qui consti­tuons une forme de pôle germano-belge de la ND eu­ropéenne, avons souvent été accusés de pro-so­vié­tisme par des camarades français. Nous consta­tons, en revanche, que ces accusateurs sont frappés d'une étrange myopie historique et réduisent l'Eu­rope au territoire de la CEE ou à celui de l'OTAN. A l'heure où la perestroïka  de Gorbatchev est avant tou­te chose un aveu d'impuissance économique, le danger ne vient plus prioritairement de l'Est. Il vient des concurrences capitalistes extra-continentales. Le danger soviétique ne redeviendra primordial que si l'Eu­rope actuelle, celle des libéraux et des mar­chands, reste sur ses positions et refuse les dy­na­mi­ques que je viens d'évoquer. Les Russes n'auront plus qu'une solution: reconduire leur vieille alliance avec l'Amérique. Car il faut savoir que la Russie ne pactice qu'avec le plus fort: avec l'Amérique comme pendant la Guerre de Sécession  —ce qu'avait prévu Tocqueville en 1834—  ou sous Roosevelt (de 1941 à 1945) et Khroutchev (de 1959 à 1962); avec l'Allemagne (de 1939 à 1941) ou l'Europe unie quand celles-ci sont puissantes et fermes.

 

En conclusion, l'Acte Unique peut être le meilleur ou le pire: espérons au moins qu'il balaiera les ana­chronismes nationaux, portés par des politiciens sans envergure, sans mémoire historique et, surtout, sans vision d'avenir grandiose.

 

lundi, 02 juin 2008

G. FAye: Preparing for WW3

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Dear Friends, here a US-American analysis of Faye’s last book.
Beste vrienden, hier een Amerikaanse analyse van het laatste boek van Faye.
Liebe Freunde, Hier eine US-amerikanische Analyse von Fayes letztes Buch.
Chers amis, voici une analyse américaine du dernier livre de Faye.

Preparing for World War III

ex: http://theoccidentalquarterly.com/vol3no2/mo-worldwara.html

 

Avant-Guerre: Chronique d’un cataclysme annoncé

(Pre-War: Account of an Impending Cataclysm)

Guillaume Faye, Paris: L’ Æncre, 2002, 24 Euros, 382 pp.

Reviewed by Michael O’Meara

Readers of The Occidental Quarterly are probably unfamiliar with the work of Guillaume Faye, but his ideas are increasingly those of Europe’s nationalist vanguard.

An early associate of Alain de Benoist and one of the architects of the European New Right, the young Faye left politics in the late 1980s to pursue a career in media.  In 1998 he returned, instantly re-establishing himself as the intellectual force on the nationalist right.

He has since published five books, each of which has had a major impact on the struggle against multiculturalism, Third World immigration, and globalization.
1 Unlike Benoist and other New Right theoreticians, whose defense of the European ethnos is waged almost exclusively on the cultural terrain, and unlike Le Pen's National Front, which favors the assimilation rather than the forced repatriation of non-Europeans, Faye claims that race is not only primary to cultural identity, but that race and culture are, at root, inseparable.  For this reason he argues that the struggle to preserve Europe's cultural patrimony is no less a struggle to defend its genetic heritage and the ethnic integrity of its Lebensraum.(2)

His latest work—Avant-Guerre: Chronique d’un cataclysme annoncé (Pre-War: Account of an Impending Cataclysm)—is reminiscent of Spengler’s Hour of Decision.  Like Spengler, Faye looks at the storm clouds on the horizon and predicts that within ten years a coming era of world-altering tempests will descend on the white race, determining if it is to have a future or not.

In his view, these cataclysms will be neither ideological nor economic in character, but (à la Huntington) racial and civilizational, involving clashing continental blocs and warring ethno-racial groups. They are thus likely to engender unprecedented violence and destruction, forcibly shaking white people from the stupor that is leading them toward extinction.  Although presently unprepared to fight such wars and alienated from all that is distinct to their race and heritage, the struggles of the twenty-first century, he believes, will give Europeans on both sides of the Atlantic a final chance to throw off the forces that have denatured and debilitated then over the last half century.

Europe and America

Like most "nationalists" who fight in Europe’s name, Faye is extremely critical of the American government and the role it has played in repressing the worldwide forces of white solidarity. But unlike many on the anti-American right, Faye does not believe the U.S. is Europe’s principal enemy, even if its Judeo-liberal New Class has been responsible for eroding European autonomy and demonizing its culture. An enemy, he contends, does more than corrupt and intimidate, it threatens one’s biological existence. Taking his cue from Carl Schmidt, he thinks it is more accurate to characterize the U.S. as Europe’s "adversary"—an adversary that needs to be opposed if Europeans are ever to re-assert the Faustian project distinct to their ethos—but nevertheless one with whom a life-and-death struggle is not at all inevitable.

The real enemy threatening the white homelands comes, he claims, from the Third World.  Accordingly, the terror attack of "9/11" suggests one form his predicted cataclysm will take. But while Islam is Europe’s principal enemy, it is not, paradoxically, America’s. Based on the work of General Gallois, Alexandre Del Valle, and a new generation of European geopoliticists, Faye argues that Islam has long served the U.S. in furthering the hegemonic ambitions of its global village, specifically in dividing Europe and weakening Russia. That its recruitment and arming of Islamic fanatics to fight in Afghanistan and Chechnya and in Bosnia and Kosovo at last boomeranged ought not to detract from the fact that for a quarter century the U.S. systematically incited Islamic insurgencies for the sake of its strategic aims.

In Faye’s view, America’s principal Third World enemy, and thus the power it will face in World War III, comes not from the Middle East (even if militant Islam continues to target it), but from a rapidly developing and technologically armed China bent on contesting its dominance in the Pacific. In this potential Sino-American conflict, Faye believes the future lies entirely on the Chinese side. Unlike the Middle Kingdom, the U.S.’s disparate mix of race and cultures has left it without a coherent heritage and thus a destining project worth dying for. This makes it not a nation in the European sense, but simply une symbiose étatico-entrepreneuriale. Because such an entity is likely to fly apart if challenged by a determined enemy, in the great cataclysms to come it will be Europe (and Russia), not the U.S., that will stand at the center of the struggle to defend the white West from a hostile non-white world.

Islam

While America’s future holds out the prospect of an interstate war with China, Faye believes Europe faces an intrastate war with the forces of an insurgent Islam—a war, to repeat, that will resemble 9/11 more than the conventional military engagement the U.S. can expect in the Pacific.

In the four decades since 1962, when Africa broached Europe’s southern frontier, the continent, especially France and Belgium, has been inundated by successive waves of Third World immigrants. The amplitude of this immigration, involving masses not individuals, is such that not a few demographers contend that it is more accuratelydescribed as "colonization." Due to disproportional birthrates, the unrelenting influx of non-white, unassimilable, and largely Muslim immigrants has already begun to "de-Europeanize" Europe. For example, virtually everywhere they have settled in France they have succeeded in "ethnically cleansing" former neighborhoods, establishing not ghettos, but conquered territories, from which future conquests are being prepared. With their seven to eight million inhabitants, these territories have become, in effect, hostile African/Middle Eastern encampments within an increasingly besieged France.3

This immigration is creating an extremely volatile situation, for Europe lacks the massive police apparatus and vast geographical expanses that have kept ethnoracial tensions ‘manageable’ in the U.S. Typically, in urban areas where neighborhoods have been lost to Islamic civilization, Europeans have come to experience not only escalating levels of violence and insecurity, but the loss of their laws and institutions. There are now more than 1400 zones de non-droit in France (including eleven towns), and in nearly a hundred of these, republican jurisdiction has been supplanted by the shari`a (Islamic law).4

Within such zones, whose deteriorating conditions politically correct public officials persist in describing in socioeconomic rather than biocultural terms, it is nearly impossible for a Frenchman to reside in the public housing estates (HLM) built for the French working class, to find a café serving wine or ham, or for his wife to dress or behave in public as do European women. In contrast to the Little Italies and Germantowns arising in many American cities in the last century, these non-European enclaves have not the slightest intention of assimilating into the dar-al-Harb (the "impious" non-Islamic world, which Muslims view as the "world of war"), and have, in fact, begun to assert their autonomy vis-à-vis it. In recent years, hardly a week passes without a newspaper report of a riotor bloody incident provoked by clashes between police and Muslim gangs.

Since 1990, urban violence has grown five percent annually—since 2000, by ten percent—as the anomie, violence, and disintegration associated with America’s inner cities becomes an increasingly familiar European reality. In fact, in 2000, for the first time in history, French criminality, whose ethnoracial character is overwhelmingly non-European, surpassed that of the U.S. crime rate; and Paris, once the City of Lights, became the least safe of the major European cities.

In the face of these threats to the continent’s demographic, cultural, and institutional foundations, the media, the academy, and the established "anti-racist" organizations (mostly controlled by Zionists) attempt to silence whoever criticizes such changes, all the while making the term "multiculturalism" emblematic of the mobile postmodern society of optional values and fashionable identities that comes with globalization. Instead, then, of mobilizing the Christian West against such threats, these New Class forces preach cowardice, resignation, escapism, and a self-destructive humanitarianism.

An ethno-masochistic response of this kind has naturally emboldened the more militant members of France’s Muslim community, who now call for jihad against the "white cheese." Public authorities, though, persist in distinguishing between violent fundamentalists (who number perhaps 40,000) and the "peace-loving" Muslim community, unable or unwilling to acknowledge Islam’s inherent hostility to Europe’s secular society.  Between orthodox and fundamentalist Islam, Faye, though, claims there is solely a difference in temperament. And even this is increasingly compromised by fundamentalist aggressions. Years before the 9-11 attack on the symbols of U.S. hegemony, this "monstrous offshoot of Judaism" had already begun its third great offensive against the dar-al-Harb, targeting Europe as a future Muslim homeland.5

Buoyed up by U.S.-protected strongholds in Southeast Europe (Albania, Bosnia, Kosovo), U.S. pressure to admit Muslim Turkey to the EU, and large stockpiles of sophisticated arms, Islamists have already begun organizing for a new conquest.

It is not surprising, then, that Faye interprets the growth of European Islam as the opening salvo in a larger struggle for the continent’s future.
6 Faye’s militant opposition to Islam does not, however, bear a resemblance to that of President Bush’s handlers. The struggle against Islam, he insists, is a struggle to free Europe from a dire threat to existence—not a justification for further Zionist aggression.

What War Will Bring

In the coming cataclysms—likely to involve street battles between rival racial communities, guerrilla skirmishes, mega-terrorism, perhaps even small-scale nuclear exchanges with "dirty bombs," along with conventional-style invasions from neighboring Islamic armies—Faye believes Europe will either perish or experience a rebirth. In any case, the confrontations ahead will create a situation in which the present politically correct delusions are impossible to sustain.

For like every great struggle affecting human’s natural selection, war privileges the elemental and the vital. With it, the subtleties and distractions that sophists and simulators have used to misdirect Europeans cannot but cease to count, as will those minor differences that have historically divided them. Then, as "money and pleasure" cede to the imperatives of "blood and soil," only the traditions, the way of life, and the genetic principles defining them as a people will matter.

The situation the white race finds itself in today may therefore be unconditionally bleak, but in that hour when everything risks being lost, Faye believes a final opportunity for renaissance will present itself.

In this vein, he predicts that the dominant musical theme of the twenty-first century will be neither an orchestral ode to joy nor the doggerel of an urban savage, but rather a solemn military march based on ancient hymns. Europeans on both sides of the Atlantic, he advises, would do well to keep step with its strong, marked rhythm.
 

Michael O’Meara is a scholar who resides and teaches on the West Coast of the United States. He is the author of numerous articles and book reviews.

End Notes


1. L’archéofuturisme (1998); Nouveau discours à la nation européenne, 2nd ed. (1999);  La colonisation de l’Europe (2000); Pourquoi nous combattons (2001). All these works have been published by L’Æncre and can be purchased at the Librairie Nationale, 12 rue de la Sourdière, 75001 Paris, or on the Internet at www.librairienationale.com/.

2. See Michael Torigian, New Right, New Culture: Anti-Liberalism in Postmodern Europe (Lanham, MD: University Press of America, 2003).

3. The number of non-Europeans in France is not officially known. The cited figure is the estimate of one of the country’s leading demographers. See “L’avenir démographique: Entretien avec Jacques Dupâquier,” in Krisis 20-21 (November 1997). Another academic (J. P. Gourevich) claims it is closer to 9 million. Some put the figure as high as 14 million, while the media usually refer to 4, 5, or 6 million. But more alarming than these figures is the fact that one-third of the population under 30 is now of non-European origins and has a birth rate four or five times higher than the European one.

4. Jeremy Rennher, “L’Occident ligoté par l’imposture antiraciste,” in Écrit de Paris 640 (February 2002). Even the politically correct editor of Violences en France (Paris: Seuil, 1999), Michael Wieviorka, acknowledges that the explosion of violence and criminality since 1990 is an outgrowth of Islamic power. Because the French government keeps most data on immigrant crime and racial terror securely under wraps, the little that is known has been surreptiously leaked by frustrated officials. The publication with the best access to these leaks is the monthly J’ai tout compris! Lettre de désintoxification, edited, not coincidentally, by Guillaume Faye.

5. The first, Arab wave of the seventh century brought the Muslims to Poitiers, and the second, Turkish wave of the twelth through the seventeenth centuries led to the destruction of Christian Byzantium and the seige of Vienna. The third wave, in the form of the present colonization, is stealthy in character, but potentially even more catastrophic.

6. Accordingly, the more militant Europeanists now invoke the need for a new reconquista. This is especially evident in Philippe Randa’s novel Poitiers demain (Paris: Denoël, 2000) and the album Reconquista by the group Fraction (Heretik Records).
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vendredi, 16 mai 2008

G. Faye: La dictature du bien-être

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Guillaume FAYE,

La dictature du bien-être,  mars 1979.

Aldous Huxley pensait avoir fait œuvre de fiction en situant son Brave new world au 3e millénaire. Il est mort en constatant que la société sans souffrances et sans besoins insatisfaits était en passe de devenir la triste réalité de notre temps et que, comme dans son Brave new world, tout individu libre ou faisant preuve de quelque pensée originale était déjà considéré comme malfaisant par des masses conditionnées par ce que le socio-anthropologue Arnold Gehlen a appelé la dictature du bien-être. Car la religion du bien-être est bel et bien devenue dictature.

Cette volonté, partout affirmée, de satisfaire les désirs matériels et la soif de consommation des hommes de notre temps n’est du reste pas choquante en soi : elle est intrinsèquement liée à l’existence même de la fonction de production telle que la connaissent les sociétés d’origine indo-européenne. Mais dans le système de tripartition du monde indo-européen, tel que l’a dégagé Georges Dumézil, la fonction de production demeure impérativement subordonnée à la fonction guerrière et, surtout, à la fonction de souveraineté. Or le drame est que nous assistons à une inversion de ce rapport de subordination, que la société entière se trouve dominée par ces exigences consuméristes, et que l’économie s’est investie du pouvoir de résoudre tous les problèmes humains.

En réduisant tous les facteurs sociaux à l’économie, la société marchande fait de celle-ci l’instrument d’un développement global, motivé par une fausse conception du bonheur, mélange illusoire d’abondance matérielle et de loisirs plus ou moins organisés. Ce qui laisse croire qu’il n’existe que des besoins et des désirs matériels, que ceux-ci ne sont qu’individuels, toujours quantitatifs et toujours susceptibles d’être comblés. Certains patrons n’hésitent d’ailleurs pas affirmer que "l’entreprise fait le monde". Pour Entreprise et progrès, qui se veut le "poil à gratter" du CNPF [NB : ancêtre du MEDEF], les mutations de l’entreprise déterminent les mutations sociales, l’entreprise est le phénomène directeur de la société, phénomène auquel les Français auraient toutefois quelque peine à s’adapter en raison de leurs "tares culturelles" (sic).

Le pire est sans doute que la plupart des gens se laissent prendre à l’apparente générosité de ce totalitarisme économique. Les arguments de bon sens ne manquent pas. Valéry Giscard d’Estaing écrit : "Seules les économies de marché sont réellement au service du consommateur. Si on laisse de côté les idéologies pour ne considérer que les faits, force est de constater celui-ci : les systèmes économiques dont la régulation est assurée par une planification centrale offrent aux consommateurs des satisfactions incomparablement moins grandes en quantité et en qualité que ceux qui reposent sur le libre jeu du marché". Mais au nom de la liberté individuelle d’accéder à la consommation de masse, ce totalitarisme diffuse un individualisme forcené - l’hypersubjectivisme dont parle Arnold Gehlen - qui décompose les groupes humains en détruisant les liens sociaux et organiques de leurs membres, en interdisant tout projet collectif, historique ou national.

Pourtant, à force de promettre le bonheur pour tous et tout de suite, le libéralisme marchand finit par engendrer des espoirs déçus et une ambiance d’insatisfaction collective. Le mythe égalitaire du bonheur obligatoire s’est ici couplé avec celui de la progression indéfinie du niveau de vie individuel, quelle que soit la prospérité des circuits économiques. Paradoxalement, chaque accroissement quantitatif de ce niveau de vie renforce l’insatisfaction psychologique qu’il était censé éliminer, provoquant dans le corps social une dépendance quasi physiologique à l’égard des désirs économiques, avec les multiples conséquences pathologiques qui en découlent. "La fausse libération du bien-être, écrit Pasolini, a créé une situation tout aussi folle et peut-être davantage que celle du temps de la pauvreté" (Écrits corsaires).

L’attente d’un progrès automatique et mécaniquement acquis rend les hommes esclaves du système et les dispense de faire preuve d’imagination et de volonté. La dictature du bien-être use les sensations et finit par user l’homme. Konrad Lorenz écrit : "Dans un passé lointain, les sages de l’humanité avaient déjà reconnu fort justement qu’il n’était pas bon pour l’homme de parvenir trop bien à son aspiration instinctive à atteindre au plaisir et à se soustraire à la peine". Émoussé par l’habitude, le plaisir exige alors une surenchère permanente et entraîne à la perversion. Les consommateurs modernes veulent impatiemment avoir tout et tout de suite, mais cette hypersensibilité à la privation les rend en réalité incapables de goûter les joies de l’acquisition. Konrad Lorenz précise encore : "Le plaisir n’est que l’acte du consommateur. La joie est le plaisir de l’acte créateur".

Arnold Gehlen a nommé pléonexie cette aliénation psychologique par laquelle la satisfaction d’une revendication égalitaire provoque un surcroît de désir égalitaire. Et il a nommé néophilie cette incapacité profonde des mentalités soumises à l’esprit marchand à se satisfaire d’une situation acquise. Ce qui conduit le système à entretenir un état de rebellion permanent, d’autant plus vif que cette insatisfaction paraît toujours plus insupportable. C’est une spirale sans fin. La hausse indéfinie du niveau de vie, promise et revendiquée dans n’importe quelle conjoncture, est un facteur de crise, tant et si bien qu’à la limite, cette dictature du bien-être menace le système même qui l’a engendrée tout en aliénant toujours plus profondément ses sujets.

Asservis au mythe égalitaire du bien-être, les consommateurs sont en effet en voie de domestication rapide. L’éthologie nous a enseigné l’histoire du Sacculina carcini, ce crabe d’apparence normale qui, dès qu’il se fixe en parasite sur un autre crabe, perd ses yeux, ses pattes et ses articulations pour devenir une créature en forme de sac - ou de champignon - dont les tentacules souples plongent dans le corps de l’animal parasité. "Horrible dégénérescence", s’écrit Konrad Lorenz qui ne peut s’empêcher d’observer déjà des "phénomènes de domestication corporelle chez l’homme". Ainsi l’humanité s’est-elle engagée dans une voie qui la laisse survivre mais qui la prive de sensibilité, vers une sorte de Brave new world peuplé de parasites "vulgarisés"...

Cet asservissement mental aux bienfaits illusoires du progrès continu fabrique, selon Raymond Ruyer, des peuples courts-vivants. Repliés dans leur cocon douillet et préservés du monde extérieur, ces peuples s’accrochent à des valeurs à court terme et se contentent d’actes aux conséquences immédiatement et directement mesurables ou quantifiables, exprimées en valeurs économiques convenues. Ce qui conduit nos hommes d’État à se définir comme "de bons gestionnaires de l’affaire France", assimilant ainsi le pays à une sorte de "société anonyme par actions-bulletins de vote".

L’individu court-vivant n’envisage plus son héritage et son après-mort : sa descendance et sa lignée deviennent pour lui des concepts incompréhensibles. Il gère au jour le jour son destin étroit et limité, se contentant de rendre des comptes sur ses activités aux gestionnaires placés plus haut que lui. Il navigue à vue, calculant même - grâce aux nouveaux économistes à qui rien n’est impossible - le prix de son enfant jusqu’à sa majorité. L’affection, non mesurable, est ainsi remplacée par des liens contractuels.

Dans le Manifeste du Parti Communiste (1848), Karl Marx écrit : "La bourgeoisie a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange et, à la place des libertés si chèrement acquises, elle a substitué l’unique et impitoyable liberté du commerce (...) Elle force toutes les nations à adopter le style de production de la bourgeoisie, même si elles ne veulent pas y venir. Elle les force à introduire chez elles la prétendue civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle forme le monde à son image".

Comment mieux décrire les effets destructeurs, pour les cultures, de l’esprit marchand propagé par la bourgeoisie ? Ces cultures se trouvent ainsi réduites à de simples comportements de consommation et le seul langage admis est celui du pouvoir d’achat, potentiellement égal chez tous les peuples et sur toute la Terre. Cette volonté de diffusion d’un seul mode de vie menace à terme la richesse culturelle de l’humanité. De même que pour les marchands classiques, les frontières et les mœurs variées constituaient des obstacles intolérables, pour la société marchande, les différences ethniques, culturelles, nationales, sociales et même personnelles, doivent être inexorablement résolues. Le rêve universaliste d’un vaste et homogène marché mondial de la consommation annonce l’avènement de l'homo œconomicus.

Dépassant ainsi largement sa fonction de satisfaction des besoins matériels essentiels, l’économie est devenue le fondement même de la nouvelle "culture" universelle. Cette mutation a réduit l’homme à n’être plus que ce qu’il achète : pour employer un mot à la mode, il s’est réifié. Et Valéry Giscard d’Estaing de définir en ces termes son projet politique : "Promouvoir une immense classe moyenne de consommateurs". Dictature du bien-être ? Dès 1927, Drieu La Rochelle nous mettait en garde : "L’étouffement des désirs par la satisfaction des besoins, telle est l’économie sordide, découlant des facilités dont nous accablent les machines, qui viendra à bout de nos races. L’abondance de l’épicerie tue les passions. Bourrée de conserves, il se fait dans la bouche de l’homme une mauvaise chimie qui corrompt les vocables. Plus de religions, plus d’arts, plus de langages. Assommé, l’homme n’exprime plus rien" (Le Jeune Européen).

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mardi, 29 janvier 2008

De ondraaglijke lichtheid van het zgn. antifascistisch discours

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DE ONDRAAGLIJKE LICHTHEID VAN HET ZGN. ANTIFASCISTISCH DISCOURS
door Peter LOGGHE

Voor De Standaard der Letteren van 7 augustus 2003 vat G. Van den Berghe het boek van Peter Godman over de katholieke inquisitie samen, en heeft het daarin in volgende bewoordingen over de heren inquisitoren : “Daaruit blijkt dat in zijn ogen de wereld werd beheerst door de strijd tussen goed en kwaad, en dat de Kerk en haar vertegenwoordigers die twee polen feilloos van elkaar konden onderscheiden. De kerkelijke elite voelde zich hoog verheven boven de “eenvoudigen en ongeletterden” (simplices et idiotae), die ze moesten leiden, onderrichten en behoeden voor foute interpretaties van de bijbel”. En verder : “(Ze) zagen het katholicisme als een belegerde vesting die ze uit alle macht moesten verdedigen. De waarheid was één en ondeelbaar, en werd vastgelegd door de Kerk. Alles wat daarvan afweek was ketterij, verraad aan God, majesteitsschennis”. En tenslotte : “De congregatie werkte ongecoördineerd en chaotisch. Het ene lid verbood wat het andere gedoogde. Enkelen bezaten de geestelijke souplesse en intellectuele scherpte om subtiele overwegingen te maken maar de meesten konden alleen de hakbijl hanteren”.

Godman, die Van den Berghe bespreekt, heeft het, zoals gezegd, over de inquisitie. Nu is het allang bon ton om in de katholieke pers de katholieke inquisitie te veroordelen, enige moed is hiertoe niet meer vereist, onze kranten lopen daarmee geen enkel risico, integendeel, vanuit bepaalde vrijzinnige hoek kunnen ze zelfs handgeklap en schouderklopjes ontvangen. Maar het vergt véél meer moed om dezelfde toon aan te slaan tegen de zgn. antifascistische inquisitie. Want, geachte lezers, vervangt u de woorden “God” door “Marx”, “Kerk” door “het stalinistisch communisme”, “ketters” door “fascisten”, en “(ze)” en “kerkelijke elite” door de “antifascisten” en u leest deze tekst als een treffende beschrijving van het zgn. antifascistisch kamp. In België, in Nederland, Duitsland, Frankrijk, in gans Europa.

De tactiek van het zgn. antifascistisch kamp is heel duidelijk : alles wat afwijkt van het dogmatisch marxisme wordt – in een geleidelijk proces weliswaar – gelijkgeschakeld met het verfoeilijke “fascisme”, te beginnen met wat men gespierd rechts zou kunnen noemen en eindigend bij allerlei rechtsliberale en conservatief-christelijke groepjes en clubjes. Althans, voor zover men hen hun gangen laat gaan. . De methoden zijn gekend : criminalisering, stigmatisering van andersdenkenden. Niet alleen de politieke en culturele uitingen van “andersdenken” moeten worden verboden, maar zelfs de gedachten, zelfs het politiek denken moet worden gestroomlijnd, zodat afwijkingen van de zuivere leer zelfs niet meer kunnen worden gedacht. Hier is al een tijdje aan de gang, wat ook in Duitsland – en dan vooral in het Bundesland Nordrhein-Westpfalen – met het begrip “nieuw rechts” aan de gang is. “Fascisme, zoals nieuw rechts, schrijft Dieter Stein in de uitgave 30 (van 3 tot 18 juli) van 2003 van het conservatieve weekblad Junge Freiheit, is een kauwgom, waar letterlijk alles kan worden ondergebracht, wat ook maar enigszins bedreigend voor de ingenomen machtspositie kan zijn”. Hij denkt dan aan “de inzichten van Amerikaanse communautaristen over sociale verbanden, de ideeën van de Britse adel over de Franse revolutie, Franse Gaullisten die nadenken over soevereiniteit en Deense rechtse liberalen over het migratieprobleem”. Wij kunnen hieraan toevoegen : De inzichten van Vlaams-nationalisten over Vlaamse onafhankelijkheid en hoe die te behalen op korte of middellange termijn. Dit alles vatten de heren zgn. antifascisten allemaal onder de hoed “rechts-extreem”, dus fascistisch en moet bestreden of verboden worden. De bedoeling is voor hoofdredacteur Stein duidelijk : rechtsintellectuele en conservatieve stromingen het etiket “rechts-extreem” opkleven, zodat men de gedachten kan verbieden, zonder de feitelijke discussie te moeten aangaan. Een zeer comfortabele positie : zo kunnen ze elk debat weigeren, want het gaat toch maar om “fascisten”.

Mark Grammens schrijft in Journaal nr. 341 van 17 mei 2001 kort, bondig maar daarom niet minder correct : “Men kan in een democratie geen mensen diskwalificeren omdat ze andere ideeën aanhangen”. Het gedachtemisdrijf is in wezen een kenmerk van totalitaire regimes, en hoort dus niet thuis in een echte democratie. Maar wat is er aan democratie overgebleven als bepaalde prominente leden van de zgn. progressieve pers – let wel : zonder dat ze hierop door andere weldenkenden worden aangesproken – kunnen schrijven : “De kiezer heeft altijd gelijk, luidt een mooi democratisch axioma, ik ben het daar niet langer mee eens” (Yves Desmet in De Morgen van 14 oktober 2000) ? Dit lijkt toch wel op een eerste aardige paradox in het zgn. antifascistisch discours : het aanwenden van fascistische methoden om een zgn. antifascistisch, maar in wezen totalitair regime te vestigen. De kaste van hogepriesters is al gewijd, nu alleen nog het volk vinden om de kerk te vullen. En dan is de vergelijking tussen zgn. antifascisten en de inquisitie toch al zo moeilijk niet meer, of vergis ik mij ?

Waar komt dit antifascisme vandaan ? Als je onderzoekt wie allemaal met dit scheldwoord wordt belaagd, Britse conservatieven, Vlaamse separatisten, Deense antifiscalisten, dan kan je niet om deze tweede paradox van het zgn. antifascistisch discours heen : het is een inhoudsloos woord geworden. En de geschiedenis van het zgn. antifascisme schetst dezelfde, gewaardeerde Mark Grammens in zijn Journaal als volgt in (pag. 2779) :
“Ervan uitgaande dat het fascisme van alle Europese diktaturen uit de eerste helft van de 20e eeuw waarschijnlijk de zachtaardigste was – en zelfs, samen met de diktatuur van Franco in Spanje, niet eens racistisch – vanwaar komt dan de omzetting van het begrip “fascisme” in een scheldwoord ? Dit is het gevolg van weer zo’n taboe in onze geschiedschrijving, namelijk het door Stalin via de Komintern aan zijn volgelingen in de wereld in de dertiger jaren gegeven bevel om hun pijlen niet te richten op het nationaal-socialisme, maar wel het “fascisme” tot enige en absolute vijand te maken. Was de reden hiervoor dat Stalin reeds met de gedachte van een bondgenootschap met het nationaal-socialisme speelde (het Ribbentrop-Molotov pakt van 1939) ? Neen, volgens de beschikbare gegevens was het alleen maar zijn vermoedelijk wel terechte vrees dat “nationaal-socialisme” door de opinie beschouwd kon worden als “socialisme” en dat aanvallen op dat regime dus onrechtstreeks en wellicht ten dele onbewust zijn socialisme konden benadelen. “Fascisme”, hoewel eveneens voortgekomen uit het socialisme, bevatte voor het dom gehouden volk die samenhang niet. Wie dus vandaag zijn tegenstander “fascist” noemt, terwijl die tegenstander geen Italiaan is, geen voorstander van een “corporatistische” staat, en geen andere specifieke denkbeelden van het fascisme aanhangt, - misschien zelfs, in tegenstelling tot de echte fascisten, racistisch is – is in wezen een stalinist : hij voert postuum de bevelen van Stalin uit.”

Natuurlijk moet men ook de slotformulering van Mark Grammens die het gebruik van het scheldwoord “fascisme” in de Vlaams-Belgische politiek een absurditeit noemt, volledig onderschrijven. Vermeende racisten als “fascisten” uitspuwen is stupied, lachwekkend wordt het als men Vlaamse separatisten eveneens met het scheldwoord “fascisten” bedenkt. Vlaamse separatisten streven naar het uiteenvallen van België, en Italiaanse fascisten streefden juist het tegenovergestelde na. In dit verband kan men het scheldwoord “fascisme” het best toepassen op de Groenen van Agalev en Ecolo en op de gehele Belgische intelligentsia die de lof en grootheid van het Belgische vaderland bezingt.

U heeft het al begrepen, lezer, fascisme is een scheldwoord geworden. In België dient dit scheldwoord als cement, als bindmiddel in een toch wel zeer vreemde coalitie van zeer tegenstrijdige krachten, maar die één zaak gemeen hebben : het heropleven en het voortbestaan van het Nederlands volksdeel, dat men Vlaanderen heet, bestrijden. Dit andere Vlaanderen bezit een oud vrijbuitersmentaliteit, is koppig en wil niet weten van allerlei opgelegde dogma’s. Des te erger voor dit Vlaanderen !

Maar we moeten onze blik niet eens verengen tot Vlaanderen om dezelfde strategie, dezelfde tactiek waar te nemen om elke conservatief, elke identitaire stroming te criminaliseren en te stigmatiseren. Dit is een Europese strategie. En dan is het verdraaid nuttig naar Europese figuren te kunnen verwijzen, die het voorgekauwde dogmatisch-marxistisch schema door elkaar hebben gehaald. Ik roep graag enkele getuigen à décharge op, figuren van Europees niveau. Zij hebben het zgn. antifascistisch spelletje grondig dooreen gehaald, en het past daarom even bij hen stil te staan.

EERSTE GETUIGE à décharge : Armin Mohler, de puzzellegger, de regenfluiter

Armin Mohler, ver buiten de Duitse staatsgrenzen bekend als auteur van het standaardwerk over de conservatieve revolutie (Die konservative Revolution in Deutschland 1918-1932 – Ein Handbuch) stierf op 4 juli 2003. Geboren in Basel (Zwitserland) in 1920 was hij in zijn jeugd duidelijk links georiënteerd. Hij onderging ook invloeden van Spengler, Nietzsche, Jünger. Even papte hij aan met het nationaal-socialisme en ging zelfs clandestien de grens over om in de Waffen-SS dienst te nemen, plan dat echter niet doorging. Ook werd hem heel snel de tegenstelling duidelijk tussen het nationaal-socialistisch apparaat en zijn conservatief-revolutionaire idealistische voorstellingen. Dan maar van het ongemak een deugd gemaakt : hij studeerde uiteindelijk af bij de professoren Karl Jaspers en Herman Schumacher over de conservatieve revolutie.

Eigenlijk moeten wij Armin Mohler enorm erkentelijk zijn : het begrip conservatieve revolutie werd door hem succesvol gelanceerd en blijft als begrip tot op vandaag overeind. Volgens Stephan Breuer is Mohler op die manier verantwoordelijk voor dit succesvolle begrip dat het ook in wetenschappelijke kringen heeft gemaakt. Het is ironisch dat deze term, die nu vaak door de hogepriesters van het zgn. antifascistisch geloof wordt verbonden aan het fascisme, juist door Armin Mohler werd geponeerd om duidelijk te maken dat er duidelijke verschillen bestonden tussen de conservatief-rechtse en/of jong-nationalistische krachten in het tussenoorlogse Duitsland en het aanstormende nationaal-socialisme en dat, als er van overlappingen tussen beide “kampen” kan worden gesproken, deze verbindingen zeker en misschien uitgebreider bestonden tussen andere politieke krachten (sociaal-democraten, liberalen, etc.) en het nationaal-socialisme.
Mohler omschreef het heterogene gezelschap van jongconservatieven, Völkischen, nationaal-revolutionairen, Bündischen en Landvolkbewegung als Konservative Revolution en zag hun eenheid in de strijd tegen de liberale decadentie en de universalistische tendensen van het moderne. Karl Heinz Weissmann herhaalt Armin Mohler in Junge Freiheit als hij schrijft : “Voor de Achsenzeit was het conservatief streven gericht op het verleden, daarna op de toekomst. Voordien is het erop geconcentreerd het overgeleverde te bewaren, of zelfs de verloren gegane toestand te herstellen. De Achsenzeit is voor de conservatief een tijd van ontnuchtering. Hij ziet dat bepaalde groepen een status quo hebben geschapen, die voor hen niet acceptabel is, en dat vroegere toestanden niet meer herstelbaar zijn. Zijn blik wendt zich voorwaarts”.
Onder invloed van de historicus Zeev Sternhell zou Armin Mohler iets later tot het besluit komen dat niet de Eerste Wereldoorlog of de bolsjewistische revolutie het echte lontmoment geweest waren voor de conservatieve revolutie, maar wel het feit dat het wegvallen van de toepasbaarheid van de termen “links” en “rechts” bij veel mensen voor reacties had gezorgd, en zij hierna stellingen begonnen te nemen die nu eens “links” en dan weer “rechts” waren. Men kan het ook anders omschrijven : ontgoochelden van links en rechts vonden zich in nieuwe positioneringen, die Zeev Sternhell als “fascisme” omschreef en Mohler juister als “konservatieve revolutie” bepaalt. Mohler doorstak het ballonnetje van rechts = conservatief = fascisme.

Laten wij Mohler echter niet de geschiedenis ingaan als alleen maar de auteur van een razend interessant handboek. Hij was secretaris van Ernst Jünger tot 1953 en als journalist voor enkele Zwitserse en Duitse dagbladen actief in Parijs. In 1961 leidde hij de Carl Friedrich von Siemensstiftung (tot 1981), een culturele kring met enorme uitstraling. Uit zijn Franse tijd hield hij een oprechte bewondering over voor het Gaullisme en hij probeerde vruchteloos de waarde van dit buitenlandse voorbeeld in de Duitse pers te brengen. Hij ging zwaar te keer tegen de Vergangenheitsbewältigung in Duitsland en stelde de onbehoorlijke vraag waartoe ze moest dienen. (Was die Deutschen fürchten en Der Nasenring behandelen dit thema uitvoerig). Mohler wees met scherpe pen op het soevereiniteitsdeficit en schaamde zich er niet voor uit te halen naar de VSA, zijn voornaamste vijand. Hij was niet in de eerste plaats anticommunist, wat hem onderscheidde van zovele (bange) Duitse conservatieven. Vijandschappen legde hij slechts na lang wikken en wegen vast, als we Karl Heinz Weissmann mogen geloven. Links viel hij aan niet omwille van haar neomarxisme, maar “wel omwille van haar steriliteit, haar neiging om de heropvoeding (van de Duitsers, red.) verder te zetten en haar hedonisme die elke cultuurscheppende ascese kapot maakt”.

Armin Mohler hield niet erg van het woord conservatief, omdat iedereen wel iets wil behouden of bewaren. Hij vond meer inhoud in rechts : rechts wil niet conserveren, het gaat er in werkelijkheid om toestanden te creëren, nieuw te creëren, waarvan het loont ze te bewaren.

Zijn laatste grote omslag kwam er met de Franse Nouvelle Droite (en hier kan misschien ook even opgemerkt dat Armin Mohler de Deltastichting en TekoS heeft gekend – ik verwijs naar het afscheidsartikel van Luc Pauwels in het ledenblad van de Delta-Stichting). Eén van de zaken die hem op filosofisch vlak verbond met de (toen) jonge Fransman Alain de Benoist was het nominalisme, waarover in TEKOS nummer 109 in vertaling een bijdrage werd afgedrukt. Nominalisme, een begrip en een inhoud die zoveel conservatieven irriteerden – zoals Mohler ook op andere manieren op conservatieven kon inhakken en hen irriteren : het onburgerlijke, ja zelfs het antiburgerlijke bij Mohler, zijn vitaliteit, zijn capaciteit om te begeesteren, zijn scherp oordeel en soms té scherp woord. Links of rechts : het kon Mohler eigenlijk niet veel schelen, als ze hun ding maar goed verdedigden.

Mohler heeft zijn droom, een professoraat politieke wetenschappen opnemen, nooit kunnen waarmaken. Veel uitgeverijen sloten voor hem hun deuren. In 1967 werd hem de Adenauerprijs toegekend en ontketende een bepaalde pers een heksenjacht tegen hem
Is hij mislukt in zijn leven ? Mohler, zo besluit Weissmann zijn artikel in Junge Freiheit, wees graag op auteurs die onduidelijke maar aanwijsbare invloeden op het leven hebben. “Regenfluiters” worden ze genoemd, maar het zijn eigenlijk vogels die met hun gefluit een storm aankondigen. Armin Mohler behoort tot het gild van de regenfluiters. Zo zei Mohler zelf : “Ze waarschuwen voor de komende vernietiging, maar ze wensen op geen enkele manier een terugkeer naar de goede oude tijd. Hun doel is niet het bewaren van hetgeen reeds land over zijn tijd heen is, maar het vasthouden aan het wezenlijke”. Mohler wees op het wezenlijke, wees op Europa, op onze cultuur, en dat had niets met “fascisme” te doen. De getuigenis van Armin Mohler zal van wezenlijk belang blijven in onze strijd .

TWEEDE GETUIGE à décharge : Ernst Niekisch, de taboebreker

Het complexe en niet alledaagse leven van Ernst Niekisch, zijn ideeën en de evolutie van zijn ideeën vormen één groot démenti van de ondraaglijke lichtheid van het zgn. antifascistisch discours : conservatief = rechtse zak = antisociaal = fascisme. Het blijft daarom boeiend enkele facetten en feiten aan het papier toe te vertrouwen en wij baseren ons hiervoor op de inleiding van Alain de Benoist van de Franse vertaling van Ernst Niekisch, Adolf Hitler – une fatalité allemande, Pardès, Puiseaux, 1991, ISBN 2 – 86714-093-5.

Niekisch gaat door voor één van de heftigste tegenstanders van het nationaal-socialisme en is een epigoon van wat men het nationaalbolsjewisme heeft genoemd. Hij werd geboren in Silezië in 1889 en zal in Berlijn sterven in 1967. Tijdens de Eerste Wereldoorlog is hij instructeur van jonge rekruten en Feldwebel in een gevangenenkamp in München. Hij leest er Marx en sluit zich aan bij de sociaal-democraten. Op 18 november 1918 verneemt hij dat de republiek in München door Kurt Eisner is uitgeroepen, dat soldaten in Augsburg hun raden zouden willen aanduiden. De sociaal-democraten aarzelen en besluiten dan Niekisch naar de kazerne te sturen. Uren later is hij de voorzitter van de soldaten- en arbeidersraad, zit in het centraal comité van Beieren en zal zelfs afgevaardigde worden in het nationaal congres in Berlijn. Na de moord op Eisner, op 21 februari 1919, zal hij de beweging even leiden, en heeft hij oa. gesprekken met Rathenau, in de hoop de beweging nog te kunnen redden. Hij zal zich verzetten tegen de pogingen van de anarchisten Landauer en Mühsam om een tweede, communistische revolutie uit te lokken, want hij vindt het sovjetsysteem voor Beieren niet geschikt – een ruraal gebied. De witte terreur zal ook Niekisch niet sparen en hij wordt tot 2 jaar opsluiting veroordeeld Hij ontdekt er Spengler en leert er het primaat van de buitenlandse politiek erkennen, hij deduceert er dat een sociale revolutie eerst een nationale revolutie onderstelt. En bij Pruisische auteurs snuift hij de Pruisische geest op.

In 1922 ontmoeten wij Niekisch in Berlijn, de stad waar hij steeds naartoe wilde. Hij is er secretaris van de jeugdafdeling van de Duitse Textielvakvereniging (met 70 000 leden) en gaat er vrij snel de strijd aan met de reformistische vleugel van de partij. Hij wil een nieuwe intellectuele lijn voor de partij en pleit voor een verregaande identificatie van de arbeidersklasse met de staat en tegen de capitulatie t.o.v. Frankrijk en het Dawesplan, dat zal leiden tot een grote inmenging van het Amerikaanse bankwezen in Duitsland. De Duitse sociaal-democratische partij moet “de weerstand van het Duitse volk groeperen tegen het Westers imperialisme”. Hij poneert de quasi-identiteit van volks en staat. Staat en volk zijn één, een eenheid die boven de veranderingen van tijden staat, ook omdat zij niet één generatie vertegenwoordigt, maar alle. Dit is iets wat het uitsluitend politieke karakter van het liberalisme niet kan begrijpen, noteert Niekisch.

In Grundfragen deutscher Aussenpolitik (1925) verdedigt Ernst Niekisch de idee van klassentegenstellingen, maar onderstreept hij terzelfdertijd het primaat van de buitenlandse politiek, waar de klassentegenstellingen slechts secundair zijn. Als men de Russische revolutie slechts ziet als een sociaal revolutionaire gebeurtenis, dan merkt men het essentiële niet op. Men kan haar slechts begrijpen vanuit het licht van de buitenlandse politiek. En Niekisch hamert hier reeds op een nagel, die hij later nog herhaaldelijk zal beslaan : hij roept Duitsland op om weerstand te bieden tegen de “gerichtheid op het Westen”, gerichtheid die tegengesteld is aan de echte Duitse belangen. En door haar oriëntatie op het Westen versterkt de SPD (sociaal-democraten) het kapitalisme. Met deze stellingen heeft hij succes bij de Hofgeismarkreis, een kring van SPD’ers die proberen de nationale idee en het socialisme te verzoenen, en het is met deze kring dat hij het tijdschrift zal starten, Widerstand (vanaf 1926) dat hem befaamd zal maken. Met de medewerking van August Winnig krijgt het blad een nationaal-revolutionair karakter, Winnig riep de arbeiders op om deel te nemen aan de nationale opstand en stelde dat de vijand niet de patroon of de werkgever was, maar het internationaal financieel kapitaal. Jongconservatieven, neo-nationalisten, paramilitaire groepen met als voornaamste Oberland, Bündische groepen zullen de ideeën van Niekisch nu leren kennen, en uit bvb. de Bündische groepen, met hun ideeën over “Bündisch socialisme” zullen heel wat latere nationaal-bolsjewisten komen.

Belangrijk voor Niekisch is ook zijn ontmoeting met Ernst Jünger, die voor Widerstand enkele belangrijke bijdragen zal schrijven, maar die zich toch nooit nationaal-bolsjewist zal noemen. Hij heeft wel invloed op het blad en zal het in de richting duwen van een “nieuw aristocratisme”, geïnspireerd door een “heroïsch realisme”.

1928-1930 : De Widerstandskringen nemen uitbreiding, zowel op het vlak van medewerkers als op het vlak van invloed onderaan. A. Paul Weber, van wie we hier enkele tekeningen afdrukken, verleent zijn medewerking en de filosoof Hugo Fischer zet zijn schouders mee onder de onderneming. In 1928 wordt een uitgeverij opgericht, de Widerstandsverlag.

Het valt niet te ontkennen dat dit nationaalbolsjewisme tevens een hernieuwing betekent van de aloude “Ostorientierung”, maar nu tevens verbonden met een nieuwe ideologie in het Oosten, het bolsjewisme. Nationaalbolsjewisten wilden een gerichtheid op het Oosten, eerder dan op de Rijnlandse gebieden. En : voor hen is het Verdrag van Versailles een instrument van de liberaalkapitalistische bourgeois om de oorlog tegen Duitsland verder te zetten en haar op een blijvende manier te knechten. Het kapitalisme is het systeem van de onderdrukker en toevallig ook het economisch stelsel van het Westen. Duitsland moet dus een Schicksalsgemeinschaft vormen met Rusland.
Binnen de totaliteit van de Konservative Revolution zorgde dit wel voor moeilijkheden : hoe een natuurlijke “Ostorientierung” verzoenen met een noodzakelijke kritiek op het marxisme ? Twee sleutelideeën zullen hierbij helpen :
1. De overtuiging dat er heel wat gemeenschappelijke punten bestaan tussen bolsjewisme en Pruisische stijl – een sterke staat, gehiërarchiseerd, de wil om het burgerlijke parasietendom te vernietigen.
2. En de idee dat het bolsjewisme vooral een Russische beweging is, waarvan het internationaal marxisme maar een façade is.

Maar er bleef toch steeds een ambiguïteit bestaan binnen de conservatieve beweging : voor de enen was de bolsjewistische revolutie niets anders dan de radicale vorm van kosmopolitisme, anderen zagen 1917 dan weer als een elektrische schok, noodzakelijk om de Russen opnieuw een gevoel van eigenwaarde te geven. “Elk volk heeft zijn eigen socialisme” zou Moeller van den Bruck schrijven, met als onderliggende idee dat elk volk zijn eigen revolutie heeft, en dat elke revolutie ook door het volk wordt gekleurd. Nog anderen zien in het marxisme een soort nageboorte van het kapitalisme en achtten het dus niet in staat om dit kapitalisme afdoende te bestrijden. Vele nationaalrevolutionairen echter blijven de affiniteiten onderstrepen : het bolsjewisme is een idealistische beweging, gericht op een ethiek, een ethiek van de arbeid, het offer, het primaat van de collectiviteit op de enkeling. Vanaf 1927 wordt in deze kringen de Russische revolutie dan ook als een mogelijk voorbeeld van nationale en sociale herstructurering beschouwd. Widerstand zal in 1928 Stalin zelfs gelukwensen met de dood van Trotsky en zijn pogingen om de nationale orde en eenheid in Rusland te versterken. Niet alle nationaalrevolutionairen gaan even ver, en sommigen gaan nog verder. Karl O. Paetel, die in 1941 asiel zoekt in New York, en in 1963 een anthologie over de Beat generation zal schrijven, staat volledig achter de klassenstrijd.

In 1929 schrijft Niekisch met Jünger een artikel waarin zij pleiten voor een samenwerking met de communisten, op voorwaarde dat het marxisme zich zou keren tegen de gevestigde Weimarorde. Het wordt een dovemansgesprek, want voor de nationalisten zijn de marxisten nog maar halverwege, en voor de marxisten is het al even duidelijk : als de nationalisten werkelijk zo begaan zijn met het lot van de arbeiders, moeten ze maar gewoon marxisten worden.

In 1930 werkt Niekisch opnieuw hard in de richting van een nieuwe “Ostorientierung” : hij maakt duidelijk dat de Duitser geen slaaf of Rus moet worden, maar dat het gaat om een noodzakelijke coalitie. Rusland, voegt hij er aan toe, is niet liberaal, is niet parlementair en is niet democratisch. Zijn ideeën slaan vooral aan in Bündische kringen en bij het Oberlandkorps (vrijkorps). Niekisch mag regelmatig op bijeenkomsten het woord voeren, maar zijn minder gemakkelijk karakter veroorzaakt scheuren, en hij besluit zijn eigen kringen op te richten – wat daadwerkelijk gebeurt vanaf 1930-31, de zgn. Widerstandskringen. Het totaal aan effectieven schat Uwe Sauermann (een na-oorlogs publicist) op 5000, maar de invloed is vele malen groter. Louis Dupeux schat het totaal aan nationaalbolsjewisten op ongeveer 25 000. De invloed van Niekisch is vooral aantoonbaar bij jongeren, die worden aangesproken door zijn radicalisme, zijn scherpe formuleringen. Anderen verwijten hem dan weer zijn gebrek aan soepelheid, zijn moeilijk karakter. Hij was m.a.w. geen practisch politicus. Hij trok begeesterde leerlingen aan, maar kon nooit massa’s volgelingen verzamelen.

Nog een woord over de verhouding van Ernst Niekisch en het nationaal-socialisme. Hij was ongetwijfeld een van de eersten om te waarschuwen voor het nationaal-socialisme, reeds in 1927. Niet alleen omwille van haar jodenpolitiek, maar ook omdat het nationaal-socialisme vastzit in een fanatiek anticommunisme en haar “Ostorientierung” niets anders is dan expansionisme en imperialisme. Een politieke leer, die het ras als het beslissende element van haar politiek beleid maakt, beschouwt Niekisch niet als Duits, maar als Beiers, zuiders en katholiek. Begin 1932 brengt hij zijn brochure Hitler – ein deutsches Verhängnis op de markt, waarin hij zijn waarschuwingen nog eens herhaalt. Het boekje haalt een oplage van 40 000 exemplaren. Sebastian Haffner ziet Niekisch en Hitler als twee volmaakte antipoden, die maar één gemeenschappelijk punt hadden : hun haat voor de Weimarrepubliek.
In de lente van 1932 neemt Niekisch nog deel aan een studiereis naar de Sovjet-Unie op uitnodiging van een arbeidsgroep voor de studie van planeconomie (Arplan), hij heeft er contact met Karl Radek, en schrijft bij thuiskomst nog een lovend artikel over de Sovjet-Unie, waarin hij pleit voor de collectivisatie als een mogelijke sociale organisatievorm die “de moordende effecten van de techniek het best kan beheersen”.

Niekisch wordt – zoals iedereen – in snelheid gepakt door de machtsgreep van Hitler, “een persoonlijk succes voor de man, een mislukking voor het nationaal-socialisme” vindt hij. Hij noemt hem ook “der Talentlose”. Op 20 december 1934 wordt Widerstand verboden, en Niekisch wordt de verklaarde vijand van de NSDAP. Ondanks politiecontrole slaagt hij er nog in enkele binnen- en buitenlandse reizen te maken. Hij blaast de rijksgedachte nieuw leven in als laatste poging om het racisme van het nationaal-socialisme een alternatief te bieden. Zijn laatste brochure Die dritte Imperiale Figur en Im Dickicht der Pakte worden door de Gestapo opgespoord. Op 22 maart 1937 wordt hij, samen met een zeventigtal van zijn medestanders, aangehouden en op 10 januari 1939 volgt het oordeel : hij wordt veroordeeld wegens hoogverraad, zijn bezittingen worden aangeslagen en hij verliest zijn burgerrechten. In 1945 wordt hij door de Amerikanen bevrijd, hij wordt lid van de (West-Duitse) KPD en hij wordt professor aan de Humboldt-universiteit in het oostelijke deel van Berlijn. Hij noemt zich voortaan democraat en progressief, hij valt opnieuw de westelijke orientering aan van de BRD en staat op een strikt neutralisme, maar hij blijft streven naar een herenigd Duitsland.

Niekisch een fascist ? Voor Sebastian Haffner is hij een revolutionair socialist, Armin Mohler beschrijft hem als de meest radicale nationalist. Alain de Benoist sluit zijn inleiding als volgt af : Niekisch werd gevangengezet onder Weimar, onder Hitler, uitgespuwd door de overheden van de BRD en veracht door de DDR. Zijn fundamentele idee blijft dat nationale bevrijding en socialistische revolutie samengaan. De paradox is dat Niekisch de URSS bewonderde door juist die redenen, waarvoor ze werd verafschuwd door haar tegenstanders, en voor de omgekeerde redenen, waarvoor ze werd bejubeld door haar bewonderaars. Natuurlijk heeft Niekisch zich veel illusies gemaakt over de Sovjet-Unie, maar hij heeft het toch op enkele punten bij het rechte eind : is het vanop afstand bekeken niet zo dat het Stalinistische Rusland eerder moet worden gekwalificeerd als een nationaal-bolsjewistische staat ? En opent een nieuwe Duits-Russische samenwerking geen perspectieven voor morgen ?

CONCLUSIE

Er is geen fascistische dreiging in Vlaanderen, in Nederland, in Europa. Een logische vraag blijft dus gesteld : waarom is er dan een zgn. antifascisme ? De twee getuigen à décharge moeten de druk op dit zgn. antifascistisch kamp verhogen om eindelijk eens hierover de discussie aan te gaan.

samedi, 19 janvier 2008

Pour une volonté impériale !

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Marcello DE ANGELIS :

Pour une volonté impériale !

Etre ou ne pas être : le dilemme d’Hamlet se pose à la jeunesse d’Europe

Quand Samuel Huntington, professeur à Harvard, a publié son célè­bre livre, The Clash of Civilizations, aujourd’hui cité jusqu’à la nau­sée, il augurait l’avènement d’une nouvelle dimension conflictuelle dans le monde, suscitée cette fois par les origines culturelles, ras­sem­blées dans des espaces organiques autocentrés de dimensions continentales, espaces opposés les uns aux autres ; dans cet affron­te­ment planétaire à acteurs multiples, il réservait à l’Europe un rôle pour le moins ambigu. Il désignait notre continent comme la matrice de la « civilisation occidentale », admettait qu’il allait devenir une su­per­puissance économique et militaire. Mais au fil de son exposé, il fi­nissait par répéter l’hypothèse que, dans le futur, l’Europe conti­nue­rait son petit bonhomme de chemin comme dans les années 50, au sein de ce que l’on appelle depuis lors le « monde occidental ». Il n’y au­ra pas, selon Huntington, deux agrégats indépendants et auto­no­mes respectivement sur le continent nord-américain et en Europe. Cette thèse n’a guère préoccupé les esprits, elle est passée quasi inaperçue, la plupart des observateurs ont considéré que ce vice d’analyse dérive d’un effet d’inertie, propre de la culture américaine, qui s’est répercuté sur le cerveau de l’honorable professeur, par ail­leurs excellent pour tous les brillants raisonnements qu’il produit.

Huntington mérite aussi nos éloges pour avoir eu tant d’intuitions, pour avoir prospecté l’histoire européenne , en feignant un à-peu-près qui découvre par « accident » les rythmes réels du monde, qui lui permettait de prédire que le destin de notre Europe n’était pas prévisible comme l’était celui des autres parties du monde. Certes, l’Europe pourra soit se muer en un bloc autocentré soit garder le corps de ce côté de l’Atlantique et le cerveau de l’autre. La question reste sans solution. Et si le livre de Huntington  —comme le sou­li­gnent quelques esprits plus fins—  n’était pas un simple essai aca­démique mais plutôt un scénario à l’usage de l’établissement amé­ricain… Quoi qu’il en soit, l’établissement a très bien retenu la leçon de Huntington et a vite mis tout en œuvre pour agencer le monde selon ses intérêts économiques et géopolitiques.

Les deux concurrents les plus sérieux des Etats-Unis à l’échelle de la planète, selon la logique d’affrontement décrite par Huntington, devraient être l’Empire européen et un Califat islamique rené de ses cendres. L’Empire européen (potentiel), fort d’une culture spécifique et pluri-millénaire, humus indestructible d’une formidable mentalité, ca­pable de disposer d’une technologie militaire de pointe, bénéficiant d’un marché intérieur supérieur à celui des Etats-Unis, aurait fa­cile­ment marginalisé le colosse américain grâce à un partenariat quasi­ment obligatoire avec les pays limitrophes de l’Europe de l’Est et à un développement harmonieux des pays de la rive sud de la Méditer­ranée. De son côté, le monde islamique, qui peut plus difficilement en­gager un dialogue avec la civilisation américaine, décrite par quel­ques scolastiques musulmans comme le pire mal qui ait jamais frap­pé la planète et le contraire absolu de tout ce qui est « halal » (pur) ou « muslim » (obéissant à la loi de Dieu). Ce monde musulman con­naît une formidable expansion démographique et détient la majorité des gisements de pétrole. Si l’Empire européen voit le jour, se con­so­lide et s’affirme, il est fort probable que ce mon­de musulman chan­ge de partenaires commerciaux et abandonne les sociétés américai­nes. Le monde orthodoxe-slave-byzantin, handica­pé par la totale dé­pendance de la Russie vis-à-vis de la Banque mon­diale, connaît ac­tuellement une terrible phase de recul.

Actuellement, les mages de la stratégie globale américaine semblent avoir trouvé une solution à tous les maux. D’un côté, ils favorisent la constitution d’un front islamique hétérogène, avec la Turquie pour fer de lance et l’Arabie Saoudite pour banque. Ce front en forme de « croissant » ( !) aura l’une de ses pointes au Kosovo, c’est-à-dire au cœur de l’Europe byzantine, et l’autre dans la république la plus orientale de l’Asie Centrale ex-soviétique : ainsi, toute éventuelle re­nais­­sance du pôle orthodoxe ou panslave sera prise dans un étau et le monde islamique sera coupé en deux. Pire, en ayant impliqué l’U­nion Européenne dans l’attaque contre la Serbie, les stratèges amé­ricains ont empoisonné tout dialogue futur en vue de créer une zone d’é­change préférentiel entre cette Union Européenne et le grand marché oriental slave et orthodoxe. Or, ce marché est l’unique espoir de voir advenir un développement européen et de sortir l’Eu­rope ex-soviétique du marasme actuel ; le passage de l’aide amé­ricaine à l’aide européenne aurait permis un saut qualitatif ex­ceptionnel.

L’Europe se trouve donc dans l’impasse. Comment faire pour en sor­tir ? Mystère ! Une Europe forte économiquement, même bien ar­mée, s’avère inutile si elle n’est pas libre et indépendante ; tout au plus peut-elle être le complément subsidiaire préféré d’une autre puis­sance. Toute Europe autonome et puissante est obligatoirement le principal concurrent des Etats-Unis tant sur le plan économique et com­mercial que sur le plan politique et diplomatique. Notre continent de­vra donc opérer ce choix crucial et historique : ou bien il restera ce volet oriental du Gros-Occident, niant de ce fait sa propre spécificité, diluant progressivement sa propre identité dans une sur-modernité qui la condamnera à demeurer terre de conflits et zone frontalière, li­mes face à l’Est et face à l’Islam pour protéger les intérêts et la sur­vie d’une puissance impériale d’au-delà de l’océan ; ou, alors, l’Eu­ro­pe se réveillera et retrouvera une nouvelle dimension, qui est tout à la fois sa dimension la plus ancienne ; elle ramènera son cerveau en son centre et en son cœur, elle rompra les liens de subordination qui l’en­travent et partira de l’avant, redevenant ainsi maîtresse de son destin.

Ce réveil est le juste choix. Mais est-il possible ? On ne peut malheu­reu­sement rien prédire aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, il reste en Eu­ro­pe une certaine volonté d’agir dans la liberté et l’indépendance.

Marcello de ANGELIS.

(article paru dans Area, juin 1999).         

vendredi, 11 janvier 2008

P. Maugué: questions à la ND

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Un texte du regretté Pierre Maugué, décédé prématurément, sur la ND, rédigé dans le feu de la polémique qui avait opposé ses différentes fractions en l'an 2000. Texte toujours instructif, à lire avec le recul qu'impose le temps écoulé...

Pierre MAUGUE :

Questions à la "Nouvelle Droite"

La ND française à la croisée des chemins

La Nouvelle droite française se trouve à la croisée des che­mins. Elle n’embraye plus, comme jadis, sur les réalités politi­ques, économiques, sociales et sociétales de notre épo­que. Si elle parvient encore à identifier la plupart des problè­mes majeurs auxquels nous sommes confrontés[1],elle les ana­lyse de plus en plus du point de vue de Sirius, sans indi­quer, sinon des solutions, du moins des voies qui pourraient être sérieusement explorées pour sortir de l’impasse. Elle em­ploie de plus en plus le langage descriptif et explicatif de l’historien ou du sociologue pour dessiner le monde qui est en train de se construire (ou de se détruire), renonçant à essayer de le changer, et tournant résolument le dos à toute possibilité d’action.

Déconnectant la théorie de la praxis (alors que d’autres déconnectent la praxis de la théorie), elle paraît plus avide d’être reconnue par l’intelligentsia en place que de peser sur le cours de l’histoire, avec tous les risques que cela compor­te. Elle oublie que si Marx a eu une influence majeure sur l’histoire politique du dernier siècle, et non pas seulement sur l’histoire des idées, ce n’est pas en raison de son œuvre majeure, Das Kapital, destinée à un cénacle de spécialistes et que pratiquement personne (même parmi les grands leaders et intellectuels marxistes) n’est parvenu à lire en en­tier, mais par  Le Manifeste communiste, fresque grandiose propre à enflammer les imaginations, et traduite dans pra­tiquement toutes les langues. C’est enfin par la création et l’ani­mation de sections nationales de l’Internationale soci­a­liste que les idées de Marx ont commencé à influer sur l’histoire du monde qui était en train de se faire.

La Nouvelle droite française et ses dirigeants paraissent, quant à eux, affligés du même défaut que la vieille droite d’Ac­tion française. En effet, si Charles Maurras fut un pen­seur qui ne manqua pas de lucidité, il eut une absence quasi totale de stratégie politique, et n’influa jamais réellement sur le cours des évènements.

Cette déconnexion entre théorie et praxis (Nouvelle droite) et entre praxis et théorie (droite populiste), est un écueil ma­jeur, qui se retrouve, à des degré divers, dans toute l’Euro­pe, mais qui semble atteindre son paroxysme en France.

Une série de questions mériteraient d’être débattues. Sans avoir la prétention d’être exhaustif, nous soumettons la liste suivante :

SUR LA FORME

1 - Peut-on prétendre défendre les traditions indo-européen­nes de l’Europe dans le cadre d’un mouvement dirigé d’une manière autocratique, contraire au principe de gouverne­ment des communauté d’hommes libres que l’on retrouve de la Grèce ancienne à la Scandinavie?

2 - Dans une société qui est rien moins que respectable, un souci constant de respectabilité ( qui n’est le plus souvent qu’un alignement sur la politique du politiquement correct) est-il justifié pour la Nouvelle droite ? Reflet d’une mentalité  petite-bourgeoise chez ceux-là mêmes qui prêchent une mo­rale aristocratique, est-il compatible avec la conquête de nou­veaux territoires idéologiques  ?

3 - La polémique ( forme ritualisée du duel) est-elle une ar­me qui peut être utilisée contre nos adversaires, sans com­pro­mettre le sérieux de notre discours ?[3] Faut-il réintroduire l’ironie et  l’insolence dans le combat des idées et reprendre, à cet égard,  la tradition d’Erasme et de Fischart ?

4 - Peut-on, par crainte d’être accusé de populisme, décon­necter la théorie de la praxis, et prétendre avoir une action sur l’évolution du monde uniquement par l’écrit et la parole ? L’action métapolitique ne comporte-t-elle pas le risque de de­venir une justification de l’impuissance ?

SUR LE FOND

5 - Peut-on prétendre défendre la culture millénaire de l’Eu­rope sans défendre prioritairement, avec la plus grande vi­gueur, toute atteinte portée au socle ethnique de cette cultu­re ?

6 - La question de l’immigration peut-elle être considérée comme  transcendant le traditionnel clivage gauche/droite ? Si tel est le cas, doit-on défendre l’idée que le peuple puisse s’exprimer par voie référendaire[4] sur la politique d’immi­gra­tion et que, si nécessaire, la constitution de l’Etat soit mo­difiée à cet effet ?

7 - Indépendamment des positions idéologiques de chacun, peut-on, dans une Europe en plein déclin démographique, être en faveur d’une libéralisation excessive de l’avortement, voire même, promouvoir l’avortement ?

8 - La géopolitique est-elle un élément essentiel de toute ré­flexion politique, et peut-elle être crédible si elle ne s’appuie pas sur les données démographiques propres à l’époque en­visagée ?

9 - Même si le fédéralisme ethnique peut apparaître comme le meilleur moyen de protéger la diversité ethno-culturelle de l’Europe, n’y a-t-il pas cependant un risque d’émiettement de  souveraineté propre à affaiblir l’Europe, si ce principe est ap­pliqué inconsidérément? Le danger existe-t-il que les Etats-U­nis, ou d’autres ennemis de l’Europe, attisent les diffé­ren­ces ethniques entre peuples européens pour en faire des fac­teurs de déstabilisation et les utiliser à leur profit (Diviser pour régner) ?

10- Toutes les religions monothéistes doivent-elles être con­si­dérées comme présentant un danger d’égale nature et de même ampleur dans l’optique d’une défense de la compo­sante païenne de l’identité européenne ?

SUR LA STRATÉGIE

11 - Les idées de la Nouvelle droite peuvent-elles être effica­cement défendues en Europe par des mouvements qui con­tinuent (même s’ils restent en contact) à marcher en ordre dispersé, alors que l’orientation politique de l’Europe socialo-libérale  est de plus en plus déterminée par des institutions com­munes, à Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg. ? Se­rait-il opportun de créer une structure de type fédératif pour harmoniser  la doctrine et l’action des divers mouvements nationaux ?

12 - Des actions communes, à l’échelle européenne, pour­raient-elles être envisagées sur des questions précises ? Par exemple, orchestration d’une campagne demandant que la procédure du référendum d’initiative populaire soit introduite dans tous les pays européens, afin que le peuple lui-même puisse se prononcer sur la politique d’immigration ?

Pierre MAUGUÉ.

 
Il est à regretter ainsi qu’une place ne soit pas faite, non seulement à la géopolitique, mais à la démographie.
[2] « Où est votre chef » demandait un chevalier français à des guerriers vikings. Ce à quoi, un de ceux-ci répondit  « Nous n’avons pas de chef », signifiant par là qu’ils étaient avant tout des hommes libres, et que toute délégation de pouvoir n’était pas abdication de pouvoir. La même fière remarque est faite par les Grecs aux Perses dans la tragédie d’ Eschyle. Dans l’ancienne Normandie, comme le rappelle La Varende, chacun était « sire de soi »
[4] Référendum d’initiative populaire, comme dans la Confédération suisse

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lundi, 07 janvier 2008

Du dextrisme

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Un texte de la polémique interne aux "Nouvelles Droites", qui fit rage en 2000. Elle mérite une lecture attentive, mais avec le recul voulu...

 

Patrick CANAVAN :

Du Dextrisme

 

Dans le cadre du débat qui agite la nouvelle droite française, Patrick Canavan, collaborateur de Vouloir et de Nouvelles de Synergies Européennes, présente sa propre définition du "dextrisme", néologisme qui doit désigner, selon lui, le microcosme néo-droitier. Il est clair que Canavan prend parti pour l'orientation Faye/Vial, tout en restant critique.

 

"Soyons des donneurs de sens" (Pierre Vial).

 

" Notre terre, c’est l’Eurosibérie, l’Empire du Soleil, le domaine d’Apollon et de Dionysos, de l’Atlantique au Pacifique, immense espace sur le quel le soleil ne se couche jamais " (Guillaume Faye).

 

Parallèlement au numéro 11 de Vouloir, dossier important con­sacré aux nouvelles droites, il a paru bon d’évoquer les ré­centes publications issues de cette mouvance dextriste pour apprécier comment sont analysés les principaux enjeux idéologiques de l’an 2000. Par Nouvelle Droite, on entend généralement le GRECE groupé autour du seul Alain de Be­noist. Parler de nouvelles droites, au pluriel et sans majus­cule paraît plus fidèle à la réalité. Le terme "dextrisme" pourrait définir un état d’esprit, une vision de l’homme et du monde dont nul n’a le monopole et ignorant l’orthodoxie.

Pierre Vial, professeur d’histoire médiévale à Lyon III, fon­dateur du GRECE (en mai 68!) et animateur de Terre et Peu­ple s’est plié au jeu de l’entretien avec O. Chalmel qui dirige la revue de cette association pour une culture en­racinée (1). Le résultat est excellent: l’entretien est vivant, libre et nous apprend énormément sur le personnage, nettement plus complexe que l’image du militant national-populiste habituellement colportée. Guillaume Faye paie sa dette intellectuelle et spirituelle à son vieil ami dans une belle préface: Vial fut, avec G. Locchi, J. Mabire, D. Venner, l’un des maîtres du jeune Faye, qui s’imposa vite comme l’un des principaux esprits, sans doute le plus novateur, du GRECE, dès 1973. Faye définit bien Vial comme une sorte de moine-soldat, perdu dans ce stupide XXème siècle... Pour le XXIème, je n’en dirais pas autant puisqu’il verra se réincarner - comme Faye l’a bien montré dans son Archéofu­turisme - des figures plus qu’anciennes. Vial est de celles-ci. On pense aussi au sanglier, qui "n’attaque que pour se dé­fendre", mais alors quelle charge! Et c’est vrai que la prose de Vial dégage un fumet de gibier, de fortes odeurs fo­restières qui peuvent heurter les narines de certains, plus habitués à la nouvelle cuisine.

 

Faye définit aussi l’association Terre et Peuple - allusion clai­re au sang et au sol, ce qui se transmet de générations en générations - comme " la principale force de combat et d’action métapolitique et culturelle pour l’idée européenne ". Il rappelle aussi que la métapolitique bien comprise n’est jamais entièrement coupée du politique, sous peine de neu­tralisation. On ne demande certes pas aux théoriciens de coller des affiches ni d’abdiquer leur esprit critique, mais de ne pas démobiliser ceux qui se sentent faits pour le combat au quotidien, les militants.

 

La lourde hérédité de Pierre Vial

 

Celui qui s’est imposé comme l’un des spécialistes de l’Or­dre du Temple, est manifestement fier de ses ascendances lyonnaises et mal-pensantes: un ancêtre blanquiste, un autre poilu de la Grande Guerre, on voit que l’hérédité du Pro­fes­seur est lourde. A lire ses évocations du Lyon de sa jeu­nesse, de son père bonapartiste, on comprend mieux l’or­ganicisme quasi obsessionnel de P. Vial, cette conception très charnelle de l’héritage. D’avoir vu son père pleurer le jour de la chute de Diên Biên Phu a marqué cet adolescent à jamais, l’entraînant sur des chemins périlleux dont il n’a pas dévié d’un pouce. Itinéraire impeccable, via recta qui forcent le respect, même si l’on nuancera tel ou tel point. Mais l’essentiel est là, dans l’attitude. Or comme disait Drieu: " on est plus fidèle à une attitude qu’à des idées ". Sur ce plan-là, Vial se qualifie benoîtement de " nationaliste révolutionnaire ", de " gibelin " et même, horresco referens, de paganus, ce qui, pour un élève des Pères n’est pas gentil. Mais voilà, Vial est l’un de ces Gentils (en grec: ethnikoi) qui regrettent l’absence toute provisoire des Druides. Ceci ne fait pas de lui un rêveur inoffensif.

 

Après ses premières armes au sein de groupes subversifs (notamment Jeune Nation avec D. Venner), il est l’un des fondateurs du GRECE, et l’une de ses chevilles ouvrières jusqu’en 1987, date de son passage au FN. Son témoignage sur ces vingt ans de combat culturel est du plus haut intérêt puisqu’il couvre la grande époque de la nouvelle droite originelle aujourd’hui éclatée. Elle innove et suscite alors de grands débats: les Indo-Européens, l’inné et l’acquis, les races, l’égalitarisme, l’eschatologie judéo-chrétienne, le pa­ga­nisme, l’éthologie, Schmitt et Gehlen, etc. Un feu d’artifice. Mais comme le montre bien Vial, qui connaît ce mouvement de l’intérieur (et y a gardé quelques amis), le GRECE subit l’usure, ignore pour des raisons obscures de grands problè­mes, tel que l’immigration non européenne. Surtout, son chef prend systématiquement ses distances avec ce qui pourrait ressembler à une application concrète des grands principes. Le réel semble lui soulever le coeur. Vial est sévère, comme tous les amis déçus: le GRECE, à la fin des années 80, " se mord la queue ", perd toute prise sur une réalité de plus en plus dramatique.

 

Naguère A. Imatz, dans son excellente synthèse Par delà droite et gauche (Ed. G. de Bouillon, Paris 1996, recensé à l’époque dans Vouloir) avait déjà fait le même diagnostic en parlant de stagnation. Et si cette association avait été la principale victime du succès de Le Pen? La hantise d’être amalgamé au clan populiste (aux insuffisances bien réelles !) n’a-t-elle pas poussé certains à se distancier au point de perdre le contact, ou à renoncer à dire le fond de leur pen­sée?

 

Refuser l'académisme pour prôner le rêve et l'action

 

Le médiéviste nous livre des réflexions profondes sur l’es­sence du pouvoir. Servi par une culture historique sans rien de sec, Vial a médité, malgré son activisme débordant, sur le Politique; il est manifestement un disciple de Julien Freund. Le pédagogue a aussi planché sur l’indispensable formation des militants, auxquels il voue un amour sincère (toujours ce côté charnel, boy-scout diront les malicieux): Vial sait que l’idée doit toujours s’incarner et que sans soldats prêts à les défendre, elles ne sont que prétexte à notes en bas de page. Plaisant paradoxe que cet universitaire qui, n’ayant rien à prouver dans le domaine de l’érudition alimentaire, refuse l’a­cadémisme démobilisateur pour prôner et le rêve et l’action!

 

Nuançons tout de suite le propos et ne soyons pas ha­gio­graphes: du reste ce drôle de moine ne doit pas apprécier les Vies de saints, ou alors pour y retrouver les traces de l’an­cienne religion! Terre et peuple, sang et sol, en bref l’héritage. Fort bien. Et l’Esprit? N’y a-t-il pas risque de matérialisme grossier, voire de malentendu. Blut und Boden et exaltation de la horde: tout ceci est connu, diabolisable à l’infini, et, surtout, a montré ses limites. Le piège serait le mi­métisme, le jeu de rôle (tribalisme virtuel et saine barbarie), l’ambiguïté, postures toutes les trois impolitiques et irréa­listes. Or Aristote le disait fort bien: la Politique est l’art du possible. Hors de ce constat, point de salut.

 

A propos de l’inévitable accusation de racisme , Vial rappelle que l’identité compte trois composantes: la race (" qui con­ditionne beaucoup de caractères " remarquons qu’il ne dit pas " tous les caractères "), la culture (et l’éducation comme dressage) et la volonté (facteur aujourd’hui déterminant car indispensable pour refuser le métissage). Voilà des idées à développer, ainsi que celle de différence et de (légitime) préférence. Tout un travail d’encyclopédiste à effectuer sur le vocabulaire. Naguère, Faye et Steuckers avaient publié un exemplaire lexique du partisan européen, qu’il conviendrait de refondre avec l’aide d’une équipe dextriste mêlant les sensibilités et les générations: de Mabire à Racouchot par exemple.

 

Une géopolitique aux intuitions justes

 

Comme son ami Faye, comme Steuckers, autre gibelin, Vial se révèle géopoliticien aux intuitions justes: " Il faut penser à l’Eurosibérie, à l’espace eurosibérien, au grand empire que peut être un jour l’Europe et son prolongement en direction de l’Asie. Là il y a des éléments de motivation, de mobi­lisa­tion psychique et d’enthousiasme capables de parler à l’ima­ginaire des gens qui ont vingt ans ". Un livre sur la néces­saire confédération impériale est d’ailleurs en chantier dans les scriptoria de Terre et Peuple. Lors du colloque de mai 2000, qui fut un franc succès (350 personnes enthousiastes, dont une majorité de jeunes) un appel appuyé à l’Eurosibérie ethnocentrée (et même au Sacrum Imperium) a été lancé par les divers orateurs, comme en témoigne le compte-rendu assez objectif publié par Le Monde (30 mai 2000).

 

On trouvera dans ce livre qui fera date des textes plus an­ciens de Vial publiés dans Eléments, Identité, Questions de, etc. et traitant des marottes du Professeur: la guerre et le sacré, la forêt, Merlin, Vincenot. Ce florilège se termine par une belle exhortation au mouvement identitaire grand-continental, nécessairement multipolaire, ce Mouvement So­cial d’Empire dont l’Eurosibérie a besoin.

 

Une condamnation de l'ethno-masochisme

 

Après le Nouveau discours à la nation européenne et l’Ar­chéofuturisme, G. Faye revient avec un livre explosif tout simplement intitulé La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam. Pour en parler, la prudence s’im­pose, vu que la République, dans son infinie bonté, s’est dotée de lois liberticides restreignant le débat sur cette ques­tion essentielle: le devenir anthropologique de l’Europe. L’es­sai (350 pages) est torrentiel, comporte parfois des redites, des approximations (des chiffres cités seraient inexacts), mais quelle rupture avec l ’idéologie dominante! (2) Quelle con­damnation de l’ethnomasochisme occidental dans ce cri d’alarme face à la submersion de notre continent par des mas­ses souvent musulmanes parties à la recherche de l’El­do­rado, tels les miséreux du roman déjà ancien de J. Ras­pail: Le camp des saints. Refusant à la fois la naïveté prométhéenne et le caritarisme chrétien, Faye nous met en garde contre les utopies assimilationnistes et communau­ta­riennes. Il rappelle que le conflit, le rapport de force, même codifiés, demeurent les fondements de la vie sociale. Or aujourd’hui, le risque de fracture ethnique, de partition du territoire européen existe bel et bien. Pour lui, le socle bio-anthropologique de notre civilisation est en passe d’être profondément modifié. De façon très lucide, Faye met en lumière des phénomènes soigneusement cachés par les élites au pouvoir: la dévirilisation des Européens et la bestialisation des Africains (dans la publicité par exemple), l’ethnomasochisme des Blancs (haine de soi et mixomanie), la montée d’une guérilla raciale, la constitution comme aux Etats-Unis de tribus hostiles pratiquant la razzia et l’éco­nomie parallèle, etc.

 

Le GRECE hors du réel 

 

Suivant les thèses développées par le politologue Alexandre del Valle dans ses deux livres déjà classiques sur l’instrumentalisation de l’Islam combattant par Washington pour diviser le continent (Golfe-Balkans-Tchétchénie), de l’immigration incontrôlée pour le saper de l’intérieur, Faye évoque la thèse d’une alliance (temporaire) entre thalas­socrates et islamistes. Il critique aussi le risque de dé­mobilisation de la mouvance identitaire par certains théo­riciens de l’actuel GRECE qui tiennent des propos fran­che­ment irréalistes sur l’immigration, aux lisières du politique­ment correct, et surtout en rupture complète avec la simple observation du réel. Des rumeurs d’éventuel procès contre G. Faye ayant filtré en mai 2000, nous conseillons à nos lec­teurs de se procurer sans tarder ce livre authentiquement subversif et idéologiquement délinquant qui place son auteur parmi la cohorte des déviants, pourchassés par les in­qui­siteurs et respectés par les hérétiques du moment. Une critique, justement signalée par divers lecteurs (R. Steuckers dans ses passionnantes lettres électroniques – robert.steuckers@skynet.be ainsi qu’un mystérieux Cercle Gibelin cerclegibelin@hotmail.com) : l’allusion récurrente à la guerre ethnique peut être dangereuse auprès de jeunes esprits non encadrés car comprise de travers comme un appel à la guerre civile, distorsion que les adversaires ne manqueront pas d’exploiter.

 

Après ces deux livres remplis de sève, volcaniques et ra­di­caux, abordons maintenant deux titres qui illustrent la dé­marche de l’actuel GRECE.

 

A l’occasion du colloque de janvier 2000 sur la désin­for­ma­tion, l’association publie un Manifeste pour une re­naissance européenne, rédigé par Alain de Benoist et Charles Cham­petier, les idéologues de cette mouvance (3). Malgré des as­pects intéressants (le monde comme pluriver­sum, le cosmos comme continuum), le texte en est déce­vant: ton compassé, langue de bois, ambiguïtés et insuffi­sances sur des sujets graves. En voici un exemple, à propos de l’immigration: "ni apartheid ni melting pot: acceptation de l’autre en tant qu’au­tre dans une perspective dialogique d’en­richissement mu­tuel". Que signifie ce charabia "dialo­gique" qui fait penser aux brochures en faveur de "l’ou­verture à l’Autre" (la ma­jus­cu­le aurait été préférable). Tout ceci serait comique si le su­jet n’interdisait la légèreté: c’est de l’avenir de notre com­munauté dont nous parlons. Plus loin, les mêmes prônent une véritable reconnaissance dans la sphère publique des  "différentes communautés qui vivent en France" (admirez l’euphémisme), bref, en clair, l’accepta­tion d’un droit islami­que, et à terme, de la partition du terri­toire car on ne voit pas ce qui ferait reculer les élus mu­sul­mans et leurs institutions (nous parlons bien de "recon­nais­sance dans la sphère publi­que ") de réclamer leur territoire. Cela s’est vu  et traduit par des millions de personnes tuées ou expulsées de force au Pa­kistan, au Bengladesh, au Ko­sovo. Est-ce cela le modèle proposé par le GRECE ? Qui mobilisera-t-il ?

 

Toujours au sujet de cette mouvance, signalons le recueil de textes Aux sources de la droite,  publié par A. Guyot-Jean­nin, journaliste du GRECE, qui avait déjà édité un décevant dossier Evola (4). Il récidive aujourd’hui avec ce livre où di­vers acteurs de la scène dextriste interviennent sur des su­jets tels que l’Europe (J. Mabire), la résistance (P. Conrad), la Tradition (JP Lippi), les Lettres (d’Algange), les régions (JJ Mourreau), etc. Les textes cités ici, malgré leur taille réduite, sont parmi les plus intéressants de ce recueil assez inégal, où manquent les signatures d’un Venner, d’un Vial, et de G. Faye bien sûr. Ils semblent avoir été jugés indignes de fi­gu­rer au sommaire du recueil, qui n’aborde pas les questions telles que la droite et l’ordre, la géopolitique, l’art, le temps, le paganisme (pour la religion, seul le catho­lique C. Rous­seau a droit à la parole), etc. De même, appel n’a pas été fait à des écrivains : Raspail, Déon, Mour­let, de jeunes au­teurs auraient pu ajouter leur grain de sel. On est surpris de ne lire aucun acteur politique : un Mégret, un Le Gallou, une I. Pivetti, voire un Bossi auraient pu être in­terrogés. Et Haider : n’était-ce pas le moment de voir ce qu’il pense ?

 

Guyot-Jeannin: travail incomplet et bâclé

 

Autre reproche : n’avoir interrogé que des Français alors que c’est en Italie, en Grande-Bretagne et pourquoi pas aux E­tats-Unis que le courant néo-conservateur effectue un travail novateur. Rien sur la droite en Europe centrale et orientale, rien sur la Russie. Travail incomplet et bâclé dont l’objectif visible est davantage d’occuper le terrain que de tracer des pistes. Parisianisme et copinage, bref rien de fondateur. L’in­troduction de Guyot-Jeannin est du charabia d’inspiration pseudo-légitimiste (Pierre Boutang doit hurler là-haut !), la bibliographie fort pauvre quand on la compare à l’essai ex­cel­lent d’Imatz cité plus haut. Plus grave, les so­phismes a­bondent tel que celui-ci, dû à A. Guyot-Jeannin, qui fait ici preuve de sa clairvoyance habituelle: "Ce n’est pas parce que certains immigrés posent problème (sic) que les Fran­çais vivent dans la décadence, mais bien parce que les Fran­çais vivent dans la décadence que certains immigrés posent problème".  Bel exemple d’ethnomasochisme et de mépris pour son peuple, le type même du discours aussi dé­connecté que prétentieux. Pourquoi tenter de (maladroite­ment) culpabiliser ses compatriotes? Qu’y peuvent ces mil­lions de Français sans fortune (qui n’ont pas le privilège de vivre à Neuilly-sur-Seine comme l’éditeur du recueil) forcés de cohabiter avec des allogènes de plus en plus nombreux, souvent hostiles? Se moquer des petites gens, les insulter n’a rien d’aristocratique mais relève du bour­geoisisme le plus puant.  Comme si, en plus, l’immigration ne concernait que la France, la seule France ! Comme si la question était le " problème " posé par " certains " immigrés ! Accepte-t-il donc le principe même de l’immigration massive ? On reste confondu devant pareil aveuglement, exprimé avec tant de prétention. Si c’est cela la " droite essentielle ...

 

«La gauche réactionnaire» de Marc Crapez

 

Cette synthèse sur la droite souffre d’une autre lacune gra­ve: les travaux novateurs de M. Crapez sur la naissance de la gauche réactionnaire  et de la droite égalitaire (La gau­che réactionnaire. Mythes de la plèbe et de la race, Berg 1997, préface de P.A.Taguieff et Naissance de la gauche, Micha­lon, 1999) ne sont pas utilisés. Or Crapez renouvelle l’analy­se de la droite en affinant la vieille distinction, clas­sique, due à R. Rémond, entre droites contre-révolution­nai­re, bonapar­tiste et orléaniste. Son livre sur la gauche réac­tionnaire est du plus haut intérêt pour qui s’interroge sur les racines des nou­velles droites (voir " Vieilles gauches et nouvelles droi­tes", pages 275-318). Crapez n’a pas été uti­lisé par les nou­velles droites comme il le mérite. Il distingue ainsi trois gau­ches (égalitaire, fraternitaire et libérale) et trois droites : la libérale (modérée ou libertarienne), conservatrice (libérale ou impériale), réactionnaire (traditionaliste ou po­pu­liste). Crapez souligne les contacts: le bonapartisme résult­e­rait des noces d’une droite conservatrice impériale et d’une gauche égalitai­re autoritaire. L’utilisation de ces concepts au­rait permis une analyse autrement plus novatrice... et utile pour critiquer la gauche idéologique, que Crapez définit com­me une extrême droite retournée (Le Figaro du 3 avril 1999): elle pratique un terrorisme intellectuel fort efficace, justifiant la fusion des peuples européens dans le grand métissage, préalable à leur neutralisation définitive en tant que porteurs de civilisa­tion. La gauche idéologique est devenue le chien de garde de la Nouvelle Classe, bourgeoisie humaniste, universaliste et multiraciale.  Au lieu de cela, Guyot-Jeannin inflige à ses lecteurs un ennuyeux prêt-à-penser.

 

Pour terminer, je citerai le livre de l’Allemand P. Krebs, Doc­teur ès Lettres, qui anime le Thule-Seminar. Lui aussi a fré­quenté le GRECE : sa synthèse, Europe contre Occident (5), est un parfait manuel de résistance aux idéologies mor­ti­fè­res, dénuée quant à elle de toute concession à l’im­posture, dans la veine de Faye et du jeune Alain de Benoist. Lisez Krebs avec les livres de Vial et de Faye : vous y re­trou­verez le même souffle, la même voix, celle des dissi­dents. La voix des Impériaux.

 

Patrick CANAVAN.

 

(1) P. Vial, Une terre, un peuple, Ed. Terre et Peuple, Paris 2000, 130FF. BP 1095, F-69612 Villeurbanne cedex,

www.geocities.com/Athens/Agora/3973/

(2) G. Faye, La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immi­gration et l’Islam, Aencre, Paris 2000, 145FF. 12 rue de la Sourdière, F-75001 Paris.

(3) A. de Benoist & C. Champetier, Manifeste pour une renaissance européenne, GRECE, Paris 2000, 50FF. 99-103 rue de Sèvres, F-75006 Paris, http://grece.hypermart.net Signalons aussi d’A; de Be­noist, L’écume et les galets, Labyrinthe 2000, 280F. Recueil des chroniques anonymes publiées dans La Lettre de Magazine-Hebdo, revue de la droite radicale publiée par J.C. Valla et aujourd’hui dispa­rue. A. de B. s’y révèle bon chroniqueur de l’actualité, et l’anonymat lui donne un punch souvent réjouissant.

(4) A. Guyot-Jeannin (éd.), Aux sources de la droite, Age d’Homme, Lausanne 2000, 130FF.

(5) P. Krebs, Europe contre Occident, Ed. Héritage européen, Overijse 1997 (voir à la Librairie nationale).    

samedi, 15 décembre 2007

Impact de Nietzsche sur la gauche et la droite

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L'impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite

par Robert Steuckers

intervention lors de la 3ième Université d'été de la FACE, Provence, juillet 1995

Analyse:

-Steven E. ASCHHEIM, The Nietzsche Legacy in Germany. 1890-1990, University of California Press, Berkeley/Los Angeles/Oxford, 1992, 337 p., ill., ISBN 0-520-07805-5.
- Giorgio PENZO, Il superamento di Zarathustra. Nietzsche e il nazionalsocialismo, Armando Editore, Roma, 1987, 359 p., 25.000 Lire.

L'objet de mon exposé n'est pas de faire de la philosophie, d'entrer dans un débat philosophique, de chercher quelle critique adresse Nietzsche, par le biais d'un aphorisme cinglant ou subtil, à Aristote, à Descartes ou à Kant, mais de faire beaucoup plus simplement de l'histoire des idées, de constater qu'il n'existe pas seulement une droite ou un pré-fascisme ou un fascisme tout court qui dérivent de Nietzsche, mais que celui-ci a fécondé tout le discours de la sociale-démocratie allemande, puis des radicaux issus de cette gauche et, enfin, des animateurs de l'Ecole de Francfort. De nos jours, c'est la ³political correctness² qui opère par dichotomies simplètes, cherche à cisailler à l'intérieur même des discours pour trier ce qu'il est licite de penser pour le séparer pudiquement, bigotement, de ce qui serait illicite pour nos cerveaux. C'est à notre sens peine perdue: Nietzsche est présent partout, dans tous les corpus, chez les socialistes, les communistes, les fascistes et les nationaux-socialistes, et, même, certains arguments nietzschéens se retrouvent simultanément sous une forme dans les théories communistes et sous une autre dans les théories fascistes.

La ³political correctness², dans sa mesquinerie, cherche justement à morceler le nietzschéisme, à opposer ses morceaux les uns aux autres, alors que la fusion de toutes les contestations à assises nietzschéennes est un impératif pour le XXIième siècle. La fusion de tous les nietzschéismes est déjà là, dans quelques cerveaux non encore politisés: elle attend son heure pour balayer les résidus d'un monde vétuste et sans foi. Mais pour balayer aussi ceux qui sont incapables de penser, à gauche comme à droite, sans ces vilaines béquilles conventionnelles que sont les manichéismes et les dualismes, opposant binairement, répétitivement, une droite figée à une gauche toute aussi figée.

La caractéristique majeure de cet impact ubiquitaire du nietzschéisme est justement d'être extrêmement diversifiée, très plurielle. L'¦uvre de Nietzsche a tout compénétré. Méthodologiquement, l'impact de la pensée de Nietzsche n'est donc pas simple à étudier, car il faut connaître à fond l'histoire culturelle de l'Allemagne en ce XXième siècle; il faut cesser de parler d'un impact au singulier mais plutôt d'une immense variété d'impulsions nietzschéennes. D'abord Nietzsche lui-même est un personnage qui a évolué, changé, de multiples strates se superposent dans son ¦uvre et en sa personne même. Le Dr. Christian Lannoy, philosophe néerlandais d'avant-guerre, a énuméré les différents stades de la pensée nietzschéenne:
1er stade: Le pessimisme esthétique, comprenant quatre phases qui sont autant de passages: a) du piétisme (familial) au modernisme d'Emerson; b) du modernisme à Schopenhauer; c) de Schopenhauer au pessimisme esthétique proprement dit; d) du pessimisme esthétique à l'humanisme athée (tragédies grecques + Wagner).
2ième stade: Le positivisme intellectuel, comprenant deux phases: a) le rejet du pessimisme esthétique et de Wagner; b) l'adhésion au positivisme intellectuel (phase d'égocentrisme).
3ième stade: Le positivisme anti-intellectuel, comprenant trois phases: a) la phase poétique (Zarathoustra); b) la phase consistant à démasquer l'égocentrisme; c) la phase de la Volonté de Puissance (consistant à se soustraire aux limites des constructions et des constats intellectuels).
4ième stade: Le stade de l'Antéchrist qui est purement existentiel, selon la terminologie catholique de Lannoy; cette phase terminale consiste à se jeter dans le fleuve de la Vie, en abandonnant toute référence à des arrière-mondes, en abandonnant tous les discours consolateurs, en délaissant tout Code (moral, intellectuel, etc.).

Plus récemment, le philosophe allemand Kaulbach, exégète de Nietzsche, voit six types de langage différents se succéder dans l'¦uvre de Nietzsche: 1. Le langage de la puissance plastique; 2. Le langage de la critique démasquante; 3. Le style du langage expérimental; 4. L'autarcie de la raison perspectiviste; 5. La conjugaison de ces quatre premiers langages nietzschéens (1+2+3+4), contribuant à forger l'instrument pour dépasser le nihilisme (soit le fixisme ou le psittacisme) pour affronter les multiples facettes, surprises, imprévus et impondérables du devenir; 6. L'insistance sur le rôle du Maître et sur le langage dionysiaque.

Ces classifications valent ce qu'elles valent. D'autres philosophes pourront déceler d'autres étapes ou d'autres strates mais les classifications de Lannoy et Kaulbach ont le mérite de la clarté, d'orienter l'étudiant qui fait face à la complexité de l'¦uvre de Nietzsche. L'intérêt didactique de telles classifications est de montrer que chacune de ces strates a pu influencer une école, un philosophe particulier, etc. De par la multiplicité des approches nietzschéennes, de multiples catégories d'individus vont recevoir l'influence de Nietzsche ou d'une partie seulement de Nietzsche (au détriment de tous les autres possibles). Aujourd'hui, on constate en effet que la philosophie, la philologie, les sciences sociales, les idéologies politiques ont receptionné des bribes ou des pans entiers de l'¦uvre nietzschéenne, ce qui oblige les chercheurs contemporains à dresser une taxinomie des influences et à écrire une histoire des réceptions, comme l'affirme, à juste titre, Steven E. Aschheim, un historien américain des idées européennes.

Nietzsche: mauvais génie ou héraut impavide?

Aschheim énumère les erreurs de l'historiographie des idées jusqu'à présent:
- Ou bien cette historiographie est moraliste et considère Nietzsche comme le ³mauvais génie² de l'Allemagne et de l'Europe, ³mauvais génie² qui est tour à tour ³athée² pour les catholiques ou les chrétiens, ³pré-fasciste ou pré-nazi² pour les marxistes, etc.
- Ou bien cette historiographie est statique, dans ses variantes apologétiques (où Nietzsche apparaît comme le ³héraut² du national-socialisme ou du fascisme ou du germanisme) comme dans ses variantes démonisantes (où Nietzsche reste constamment le mauvais génie, sans qu'il ne soit tenu compte des variations dans son ¦uvre ou de la diversité de ses réceptions).
Or pour juger la dissémination de Nietzsche dans la culture allemande et européenne, il faut: 1. Saisir des processus donc 2. avoir une approche dynamique de son ¦uvre.

Le bilan de cette historiographie figée, dit Aschheim, se résume parfaitement dans les travaux de Walter Kaufmann et d'Arno J. Mayer. Walter Kaufmann démontre que Nietzsche a été mésinterprété à droite par sa s¦ur, Elisabeth Förster-Nietzsche, par Stefan George, par Ernst Bertram et Karl Jaspers. Mais aussi dans le camp marxiste après 1945, notamment par Georg Lukacs, communiste hongrois, qui a dressé un tableau général de ce qu'il faut abroger dans la pensée européenne, ce qui revient à rédiger un manuel d'inquisition, dont s'inspirent certains tenants actuels de la ³political correctness². Lukacs accuse Nietzsche d'irrationalité et affirme que toute forme d'irrationalité conduit inéluctablement au nazisme, d'où tout retour à Nietzsche équivaut à recommencer un processus ³dangereux². L'erreur de cette interprétation c'est de dire que Nietzsche ne suscite qu'une seule trajectoire et qu'elle est dangereuse. Cette vision est strictement linéaire et refuse de dresser une cartographie des innombrables influences de Nietzsche.

Arno J. Mayer rappelle que Nietzsche a été considéré par certains exégètes marxisants comme le héraut des classes aristocratiques dominantes en Allemagne à la fin du XIXième siècle. L'insolence de Nietzsche aurait séduit les plus turbulents représentants de cette classe sociale. Aschheim estime que cette thèse est une erreur d'ordre historique. En effet, l'aristocratie dominante, à cette époque-là en Allemagne, est un milieu plutôt hostile à Nietzsche. Pourquoi? Parce que l'anti-christianisme de Nietzsche sape les assises de la société qu'elle domine. L'³éthique aristocratique² de Nietzsche est fondamentalement différente de celle des classes dominantes de la noblesse allemande du temps de Bismarck. Par conséquent, Nietzsche est jugé ³subversif, pathologique et dangereux². La ³droite² (en l'occurrence la ³révolution conservatrice²) ne l'utilisera surtout qu'après 1918.

Les ³transvaluateurs²

Hinton Thomas, historien anglais des idées européennes, constate effectivement que Nietzsche est réceptionné essentiellement par des dissidents, des radicaux, des partisans de toutes les formes d'émancipation, des socialistes (actifs dans la social-démocratie), des anarchistes et des libertaires, par certaines féministes. Thomas nomme ces dissidents des ³transvaluateurs². La droite révolutionnaire allemande, post-conservatrice, se posera elle aussi comme ³transvaluatrice² des idéaux bourgeois, présents dans l'Allemagne wilhelmienne et dans la République de Weimar. Hinton Thomas concentre l'essentiel de son étude aux gauches nietzschéennes, en n'oubliant toutefois pas complètement les droites. Son interprétation n'est pas unilatérale, dans le sens où il explore deux filons de droite où Nietzsche n'a peut-être joué qu'un rôle mineur ou, au moins, un rôle de repoussoir: l'Alldeutscher Verband (la Ligue Pangermaniste) et l'univers social-darwiniste, plus particulièrement le groupe des ³eugénistes².

En somme, on peut dire que Nietzsche rejette les systèmes, son anti-socialisme est un anti-grégarisme mais qui est ignoré, n'est pas pris au tragique, par les militants les plus originaux du socialisme allemand de l'époque. Les intellectuels sociaux-démocrates s'enthousiasment au départ pour Nietzsche mais dès qu'ils établissent dans la société allemande leurs structures de pouvoir, ils se détachent de l'anarchisme, du criticisme et de la veine libertaire qu'introduit Nietzsche dans la pensée européenne. La social-démocratie cesse d'être pleinement contestatrice pour participer au pouvoir. Roberto Michels appelera ce glissement dans les conventions la Verbonzung, la ³bonzification², où les chefs socialistes perdent leur charisme révolutionnaire pour devenir les fonctionnaires d'une mécanique partitocratique, d'une structure sociale participant en marge au pouvoir. Seuls les libertaires comme Landauer et Mühsam demeurent fidèles au message nietzschéen. Enfin, au-delà des clivages politiques usuels, Nietzsche introduit dans la pensée européenne un ³style² (qui peut toujours s'exprimer de plusieurs façons possibles) et une notion d'³ouverture², impliquant, pour ceux qui savent reconnaître cette ouverture-au-monde et en tirer profit, une dynamique permanente d'auto-réalisation. L'homme devient ce qu'il est au fond de lui-même dans cette tension constante qui le porte à aller au-devant des défis et des mutations, sans frilosité rédhibitoire, sans nostalgies incapacitantes, sans rêves irréels.

Enfin, Nietzsche a été lu majoritairement par les socialistes avant 1914, par les ³révolutionnaires-conservateurs² (et éventuellement par les fascistes et les nationaux-socialistes) après 1918. Aujourd'hui, il revient à un niveau non politique, notamment dans le ³nietzschéisme français² d'après 1945.

L'impact de Nietzsche sur le discours socialiste avant 1914 en Allemagne

En Allemagne, mais aussi ailleurs, notamment en Italie avec Mussolini, alors fougueux militant socialiste, ou en France, avec Charles Andler, Daniel Halévy et Georges Sorel, la philosophie de Nietzsche séduit principalement les militants de gauche. Mais non ceux qui sont strictement orthodoxes, comme Franz Mehring, que les nietzschéens socialistes considèrent comme le théoricien d'un socialisme craintif et procédurier, fort éloigné de ses tumultueuses origines révolutionnaires. Franz Mehring, gardien à l'époque de l'orthodoxie figée, évoque une stricte filiation philosophie  ‹en dehors de laquelle il n'y a point de salut!‹   partant de Hegel pour aboutir à Marx et à la pratique routinière, sociale et parlementariste, de la sociale-démocratie wilhelminienne. Face à ce marxisme conventionnel et frileux, les gauches dissidentes opposent Nietzsche ou l'un ou l'autre linéament de sa philosophie. Ces gauches dissidentes conduisent à un anarchisme (plus ou moins dionysiaque), à l'anarcho-syndicalisme (un des filons du futur fascisme) ou au communisme. Ainsi, Isadora Duncan, une journaliste anglaise qui couvre, avec sympathie, les événements de la Révolution Russe pour L'Humanité, écrit en 1921: "Les prophéties de Beethoven, de Nietzsche, de Walt Whitman sont en train de se réaliser. Tous les hommes seront frères, emportés par la grande vague de libération qui vient de naître en Russie". On remarquera que la journaliste anglaise ne cite aucun grand nom du socialisme ou du marxisme! La gauche radicale voit dans la Révolution Russe la réalisation des idées de Beethoven, de Nietzsche ou de Whitman et non celles de Marx, Engels, Liebknecht (père), Plekhanov, Lénine, etc.

Pourquoi cet engouement? Selon Steven Aschheim, les radicaux maximalistes dans le camp des socialistes se réfèrent plus volontiers à la critique dévastatrice du bourgeoisisme (plus exactement: du philistinisme) de Nietzsche, car cette critique permet de déployer un ³contre-langage², dissolvant pour toutes les conventions sociales et intellectuelles établies, qui permettent aux bourgeoisies de se maintenir à la barre. Ensuite, l'idée de ³devenir² séduit les révolutionnaires permanents, pour qui aucune ³superstructure² ne peut demeurer longtemps en place, pour dominer durablement les forces vives qui jaillissent sans cesse du ³fond-du-peuple².

En fait, dès la fin de la première décennie du XXième siècle, la sociale-démocratie allemande et européenne subit une mutation en profondeur: les radicaux abandonnent les conventions qui se sont incrustées dans la pratique quotidienne du socialisme: en Allemagne, pendant la première guerre mondiale, les militants les plus décidés quittent la SPD pour former d'abord l'USPD puis la KPD (avec Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht); en Italie, une aile anarcho-syndicaliste se détache des socialistes pour fusionner ultérieurement avec les futuristes de Marinetti et les arditi  revenus des tranchées, ce qui donne, sous l'impulsion de la personnalité de Mussolini, le syncrétisme fasciste; etc.

le socialisme: une révolte permanente contre les superstructures

Par ailleurs, dès 1926, l'Ecole de Francfort commence à déployer son influence: elle ne rejette pas l'apport de Nietzsche; après les vicissitudes de l'histoire allemande, du nazisme et de l'exil américain de ses principaux protagonistes, cette Ecole de Francfort est à l'origine de l'effervescence de mai 68. Dans toutes ces optiques, le socialisme est avant toutes choses une révolte contre les superstructures, jugées dépassées et archaïques, mais une révolte chaque fois différente dans ses démarches et dans son langage selon le pays où elle explose. A cette révolte socialiste contre les superstructures (y compris les nouvelles superstructures rationnelles et trop figées installées par la sociale-démocratie), s'ajoute toute une série de thématiques, comme celles de l'³énergie² (selon Schiller et surtout Bergson; ce dernier influençant considérablement Mussolini), de la volonté (que l'on oppose chez les dissidents radicaux du socialisme à la doctrine sociale-démocrate et marxiste du déterminisme) et la vitalité (thématique issue de la ³philosophie de la Vie², tant dans ses interprétations laïques que catholiques).

Une question nous semble dès lors légitime: cette évolution est-elle 1) marginale, réduite à des théoriciens ou à des cénacles intellectuels, ou bien 2) est-elle vraiment bien capillarisée dans le parti? Steven Aschheim, en concluant son enquête minutieuse, répond: oui. Il étaye son affirmation sur les résultats d'une enquête ancienne, qu'il a analysée méticuleusement, celle d'Adolf Levenstein en 1914. Levenstein avait procédé en son temps à une étude statistique des livres empruntés aux bibliothèques ouvrières de Leipzig entre 1897 et 1914. Levenstein avait constaté que les livres de Nietzsche étaient beaucoup plus lus que ceux de Marx, Lassalle ou Bebel, figures de proue de la sociale-démocratie officielle. Cette étude prouve que le nietzschéisme socialiste était une réalité dans le c¦ur des ouvriers allemands.

"Die Jungen" de Bruno Wille, "Der Sozialist" de Gustav Landauer

En Allemagne, la première organisation socialiste/nietzschéenne était Die Jungen (Les Jeunes) de Bruno Wille. Celui-ci entendait combattre l'³accomodationnisme² de la sociale-démocratie, son embourgeoisement (rejoignant par là Roberto Michels, analyste de l'oligarchisation des partis), le culte du parlementarisme (rejoignant Sorel et anticipant les deux plus célèbres soréliens allemands d'après 1918: Ernst Jünger et Carl Schmitt), l'ossification du parti et sa bureaucratisation (Michels). Plus précisément, Wille déplore la disparition de tous les réflexes créatifs dans le parti; l'imagination n'est plus au pouvoir dans la sociale-démocratie allemande du début de notre siècle, tout comme aujourd'hui, avec l'accession au pouvoir des anciens soixante-huitards, l'imagination, pourtant bruyamment promise, n'a plus du tout droit au chapitre, ³political correctness² oblige. Ensuite, autre contestataire fondamental dans les rangs socialistes allemands, Gustav Landauer (1870-1919), qui tombera les armes à la main dans Munich investie par les Corps Francs de von Epp, fonde une revue libertaire, socialiste et nietzschéenne, qu'il baptise Der Sozialist. Chose remarquable, son interprétation de Nietzsche ignore le culte nietzschéen de l'égoïté, l'absence de toute forme de solidarité ou de communauté chez le philosophe de Sils-Maria, pour privilégier très fortement sa fantaisie créatrice et sa critique de toutes les pétrifications à l'¦uvre dans les sociétés et les civilisations modernes et bourgeoises.

Max Maurenbrecher et Lily Braun

Max Maurenbrecher (1874-1930), est un pasteur protestant socialiste qui a foi dans le mouvement ouvrier tout en se référant constamment à Nietzsche et à sa critique du christianisme. La première intention de Maurenbrecher a été justement de fusionner socialisme, nietzschéisme et anti-christianisme. Son premier engagement a lieu dans le Nationalsozialer Verein de Naumann en 1903. Son deuxième engagement le conduit dans les rangs de la sociale-démocratie en 1907, au moment où il quitte aussi l'église protestante et s'engage dans le ³mouvement religieux libre². Son troisième engagement est un retour vers son église, un abandon de toute référence à Marx et à la sociale-démocratie, assortis d'une adhésion au message des Deutschnationalen. Maurenbrecher incarne donc un parcours qui va du socialisme au nationalisme.

Lily Braun, dans l'univers des intellectuels socialistes du début du siècle, est une militante féministe, socialiste et nietzschéenne. Elle s'engage dans les rangs sociaux-démocrates, où elle plaide la cause des femmes, réclame leur émancipation et leur droit au suffrage universel. Ce féminisme est complété par une critique systématique de tous les dogmes et par une esthétique nouvelle. Son apport philosophique est d'avoir défendu l'³esprit de négation² (Geist der Verneinung), dans le sens où elle entendait par ³négation², la négation de toute superstructure, des ossifications repérables dans les superstructures sociales. En ce sens, elle annonce certaines démarches de l'Ecole de Francfort. Lily Braun plaidait en faveur d'une juvénilisation permanente de la société et du socialisme. Elle s'opposait aux formes démobilisantes du moralisme kantien. Pendant la première guerre mondiale, elle développe un ³socialisme patriotique² en arguant que l'Allemagne est la patrie de la sociale-démocratie, et qu'en tant que telle, elle lutte contre la France bourgeoise, l'Angleterre capitaliste et marchande et la Russie obscurantiste. Son néo-nationalisme est une sociale-démocratie nietzschéanisée perçue comme nouvelle idéologie allemande. La constante du message de Lily Braun est un anti-christianisme conséquent, dans le sens où l'idéologie chrétienne est le fondement métaphysique des superstructures en Europe et que toute forme de fidélité figée aux idéologèmes chrétiens sert les classes dirigeantes fossilisées à maintenir des superstructures obsolètes.

Contre le socialisme nietzschéen, la riposte des ³bonzes²

Avec Max Maurenbrecher et Lily Braun, nous avons donc deux figures maximalistes du socialisme allemand qui évoluent vers le nationalisme, par nietzschéanisation. Cette évolution, les ³bonzes² du parti l'observent avec grande méfiance. Ils perçoivent le danger d'une mutation du socialisme en un nationalisme populaire et ouvrier, qui rejette les avocats, les intellectuels et les nouveaux prêtres du positivisme sociologique. Les ³bonzes² organisent donc leur riposte intellectuelle, qui sera une réaction anti-nietzschéenne. Le parallèle est facile à tracer avec la France actuelle, où Luc Ferry et Alain Renaut critiquent l'héritage de mai 68 et du nietzschéisme français des Deleuze, Guattari, Foucault, etc. Le mitterrandisme tardif, très ³occidentaliste² dans ses orientations (géo)politiques, s'alignent sur la contre-révolution moraliste américaine et sur ses avatars de droite (Buchanan, Nozick) ou de gauche, en s'attaquant à des linéaments philosophiques capables de ruiner en profondeur  ‹et définitivement‹  les assises d'une civilisation moribonde, qui crève de sa superstition idéologique et de son adhésion inconditionnelle aux idéaux fluets et chétifs de l'Aufklärung. L'intention de Ferry et Renaut est sans doute de bloquer le nietzschéisme français, afin qu'il ne se mette pas au service du lepénisme ou d'un nationalisme post-lepéniste. Démarche bizarre. Curieux exercice. Plus politicien-policier que philosophique...

Kurt Eisner: nietzschéen repenti

L'exemple historique le plus significatif de ce type de réaction, nous le trouvons chez Kurt Eisner, Président de cette République des Soviets de Bavière (Räterepublik), qui sera balayée par les Corps Francs en 1919. Avant de connaître cette aventure politique tragique et d'y laisser la vie, Eisner avait écrit un ouvrage orthodoxe et anti-nietzschéen, intitulé Psychopathia Spiritualis,  qui a comme plus remarquable caractéristique d'être l'¦uvre d'un ancien nietzschéen repenti! Quels ont été les arguments d'Eisner? Le socialisme est rationnel et pratique, disait-il, tandis que Nietzsche est rêveur, onirique. Il est donc impossible de construire une idéologie socialiste cohérente sur l'égocentrisme de Nietzsche et sur son absence de compassion (ce type d'argument sera plus tard repris par certains nationaux-socialistes!). Ensuite, Eisner constate que l'³impératif nietzschéen² conduit à la dégénérescence des m¦urs et de la politique (même argument que le ³conservateur² Steding). A l'injonction ³devenir dur!² de Nietzsche, Eisner oppose un ³devenir tendre!², pratiquant de la sorte un exorcisme sur lui-même. Eisner dans son texte avoue avoir succombé au ³langage intoxicateur² et au ³style narcotique² de Nietzsche. Contrairement à Lily Braun et polémiquant sans doute avec elle, Eisner s'affirme kantien et explique que son kantisme est paradoxalement ce qui l'a conduit à admirer Nietzsche, car, pour Eisner, Kant, tout comme Nietzsche, met l'accent sur le développement libre et maximal de l'individu, mais, ajoute-t-il, l'impératif nietzschéen doit être collectivisé, de façon à susciter dans la société et la classe ouvrière un pan-aristocratisme (Heinrich Härtle, ancien secrétaire d'Alfred Rosenberg, développera un argumentaire similaire, en décrivant l'idéologie nationale-socialiste comme un mixte d'impératif éthique kantien et d'éthique du surpassement nietzschéenne, le tout dans une perspective non individualiste!).

Si Eisner est le premier nietzschéen à faire machine arrière, à amorcer dans le camp socialiste une critique finalement ³réactionnaire² et ³figeante² de Nietzsche et du socialisme nietzschéen, si Ferry et Renaut sont ses héritiers dans la triste France du mitterrandisme tardif, Georg Lukacs, avec une trilogie inquisitoriale fulminant contre les mutliples formes d'³irrationalisme² conduisant au ³fascisme², demeure la référence la plus classique de cette manie obsessionnelle et récurrente de biffer les innombrables strates de nietzschéisme. Pourtant, Lukacs était vitaliste dans sa jeunesse et cultivait une vision tragique de l'homme, de la vie et de l'histoire inspirée de Nietzsche; après 1945, il rédige cette trilogie contre les irrationalismes qui deviendra la bible de la ³political correctness² de Staline à Andropov et Tchernenko dans les pays du COMECON, chez les marxistes qui se voulaient orthodoxes. Pourtant, les traces du nietzschéisme sont patentes dans la gauche nietzschéenne, chez Bloch et dans l'Ecole de Francfort.

Les gauchistes nietzschéens

Par gauchisme nietzschéen, Aschheim entend l'héritage d'Ernst Bloch et d'une partie de l'Ecole de Francfort. Ernst Bloch a eu une grande influence sur le mouvement étudiant allemand qui a précédé l'effervescence de mai 68. Une amitié fidèle et sincère le liait au leader de ces étudiants contestataires, Rudy Dutschke, apôtre protestant d'un socialisme gauchiste et national. Bloch opère une distinction fondamentale entre ³marxisme froid² et ³marxisme chaud². Ce dernier postule un retour à la religion, ou, plus exactement, à l'utopisme religieux des anabaptistes, mus par le ³principe espérance². Lukacs ne ménagera pas ses critiques, et s'opposera à Bloch, jugeant son ¦uvre comme ³un mélange d'éthique de gauche avec une épistémologie de droite². Bloch est toutefois très critique à l'égard de la vision de Nietzsche qu'avait répandue Ludwig Klages. Bloch la qualifiera de ³dionysisme passéiste², en ajoutant que Nietzsche devait être utilisé dans une perspective ³futuriste², afin de ³modeler l'avenir². Bloch rejette toutefois la notion d'éternel retour car toute idée de ³retour² est profondément statique: Bloch parle d'³archaïsme castrateur². Le dionysisme que Bloch oppose à celui de Klages est un dionysisme de la ³nature inachevée², c'est-à-dire un dionysisme qui doit travailler à l'achèvement de la nature.

Bloch n'appartient pas à l'Ecole de Francfort; il en est proche; il l'a influencée mais ses idées religieuses et son ³principe espérance² l'éloignent des deux chefs de file principaux de cette école, Horkheimer et Adorno. Les puristes de l'Ecole de Francfort ne croient pas à la rédemption par le principe espérance, car, disent-il, ce sont là des affirmations para-religieuses et a-critiques. Dans leurs critiques des idéologies (y compris des idéologies post-marxistes), les principaux protagonistes de l'Ecole de Francfort se réfèrent surtout au ³Nietzsche démasquant², dont ils utilisent les ressources pour démasquer les formes d'oppression dans la modernité tardive. Leur but est de sauver la théorie critique, et même toute critique, pour exercer une action dissolvante sur toutes les superstructures léguées par le passé et jugées obsolètes. Dans ce sens, Nietzsche est celui qui défie au mieux toutes les orthodoxies, celui dont le ³langage démasquant² est le plus caustique; Adorno justifiait ses références à Nietzsche en disant: "Il n'est jamais complice avec le monde". A méditer si l'on ne veut pas être le complice du ³Nouvel Ordre Mondial²...

Marcuse: un nietzschéisme de libération

Quant à Marcuse, souvent associé à l'Ecole de Francfort, que retient-il de Nietzsche? L'historiographie des idées retient souvent deux Marcuse: un Marcuse pessimiste, celui de L'homme unidimensionnel, et un Marcuse optimiste, celui d'Eros et civilisation. Pour Steven Aschheim, c'est ce Marcuse optimiste  ‹il met beaucoup d'espoir dans son discours‹  qui est peut-être le plus ³nietzschéen². Son nietzschéisme est dès lors un nietzschéisme de libération, teinté de freudisme, dans le sens où Marcuse développe, au départ de sa double lecture de Nietzsche et de Freud, l'idée d'un ³pouvoir libérateur du souvenir². Jadis, la mémoire servait à se souvenir de devoirs,   d'autant de ³tu dois², suscitant tout à la fois l'esprit de péché, la mauvaise conscience, le sens de la culpabilité, sur lesquels le christianisme s'est arcbouté et a imprégné notre civilisation. Cette mémoire-là ³transforme des faits en essences², fige des bribes d'histoire peut-être encore féconds pour en faire des absolus métaphysiques pétrifiés et fermés, qu'on ne peut plus remettre en question; pour Nietzsche, comme pour le Marcuse optimiste d'Eros et civilisation, il faut évacuer les brimades et les idoles qu'a imposées cette mémoire-là, car les instincts de vie (pour Freud: l'aspiration au bonheur total, entravée par la répression et les refoulements), doivent toujours, finalement, avoir le dessus, en rejettant sans hésiter toutes les formes d'³escapismes² et de négation. Pour Marcuse, en cela élève de Nietzsche, la civilisation occidentale et son pendant socialiste soviétique (Nietzsche aurait plutôt parlé du christianisme) sont fondamentalement fallacieux (parce que sur-répressifs) (*) car ils conservent trop d'essences, d'interdits, et étouffent les créativités, l'Eros. On retrouve là les mêmes mécanismes de pensée que chez un Landauer.

La ³science mélancolique² d'Adorno

Adorno, dans Minima Moralia, se réfère à la dialectique négative de Nietzsche et se félicite du fait que cette négation nietzschéenne permanente ne conduit à l'affirmation d'aucune positivité qui, le cas échéant, pourrait se transformer en une nouvelle grande idole figée. Mais, Adorno, contrairement à Nietzsche, ne prône pas l'avènement d'un ³gai savoir² ou d'une ³gaie science², mais espère l'avènement d'une ³science mélancolique², sorte de scepticisme méfiant à l'endroit de toute forme d'affirmation joyeuse. Adorno se démarque ainsi du ³panisme² de Bloch, des idées claires et tranchées d'un Wille ou d'une Lily Braun, du communautarisme socialiste d'un Landauer ou, anticipativement, du ³gai savoir² d'un philosophe nietzschéen français comme Gilles Deleuze. Pour Adorno, la joie ne doit pas tout surplomber.

Pour Aschheim, l'Ecole de Francfort adopte alternativement deux attitudes face à ce que Lukacs, dans sa célèbre polémique pro-rationaliste, a qualifié d'³irrationalisme². Selon les circonstances, l'Ecole de Francfort distingue entre, d'une part, les irrationalismes féconds, qui permettent la critique des superstructures (dans ce qu'elles ont de figé) et/ou des institutions (dans ce qu'elles ont de rigide) et, d'autre part, les irrationalismes réactionnaires qui affirment brutalement des valeurs en dépit de leur obsolescence et de leur fonction au service du maintien de hiérarchies désuètes.

A quoi sert la ³political correctness²?

Aschheim constate que l'idéologie des Lumières introduit et généralise dans la pensée européenne le relativisme, le subjectivisme, etc. qui développent, dans un premier temps, une dynamique critique, puis retournent cette dynamique contre le sujet érigé comme absolu dans la civilisation occidentale par les tenants de l'Aufklärung eux-mêmes. Ce que Ferry a appelé la ³pensée-68² est justement cette idéologie des Lumières qui devient justement sans cesse plus intéressante, en ses stades ultimes, parce qu'elle retourne sa dynamique relativiste et perspectiviste contre l'idole-sujet. Ferry estime que ce retournement est allé trop loin, dans les ¦uvres de philosophes français tels Deleuze, Guattari, Foucault,... La ³pensée-68² sort donc de l'Aufklärung stricto sensu et travaille à dissoudre le sacro-saint sujet, pierre angulaire des régimes libéraux, pseudo-démocratiques, nomocratiques et/ou ploutocratiques, axés sur l'individualisme juridique, sur la méthodologie individualiste en économie et en sociologie. Par conséquent, contre l'avancée de l'Aufklärung jusqu'à ses conséquences ultimes, avancée qui risque de faire voler en éclat des cadres institutionnels vermoulus qui ne peuvent plus se justifier philosophiquement, un personnel composite de journalistes, de censeurs médiatiques, de fonctionnaires, de juristes et de philosophes-mercenaires doit imposer une ³correction politique², afin de restituer le sujet dans sa plénitude et sa ³magnificence² d'idole, afin de promouvoir et de consolider une restauration néo-libérale.

Revenons toutefois à Aschheim, qui cherche à remettre clairement en évidence les linéaments de nietzschéisme dans l'Ecole de Francfort, tout en montrant par quelles portes entrouvertes la correction politique, sur le modèle des Mehring, Eisner, Lukacs, Ferry, etc., peut simultanément s'insinuer dans ce discours. Horkheimer, chef de file de cette Ecole de Francfort et philosophe quasi officiel de la première décennie de la RFA, juge Nietzsche comme suit: le philosophe de Sils-Maria est incapable de reconnaître l'importance de la ³société concrète²   (**) dans ses analyses, mais, en dépit de cette lacune, inacceptable pour ceux qui ont été séduits, d'une façon ou d'une autre, par le matérialisme historique de la tradition marxiste, Nietzsche demeure toujours libre de toute illusion et voit et sent parfaitement quand un fait de vie se fige en ³essence² (pour reprendre le vocabulaire de Marcuse). Horkheimer ajoute que Nietzsche ³ne voit pas les origines sociales des déclins². Position évidemment ambivalente, où admiration et crainte se mêlent indissolublement.

Nietzsche, le maître en ³misologie²

En 1969, J. G. Merquior, dans Western Marxism,  ouvrage qui analyse les ressorts du ³marxisme occidental², rappelle le rôle joué par les diverses lectures de Nietzsche dans l'émergence de ce phénomène un peu paradoxal de l'histoire des idées; Nietzsche, disait Merquior, est un ³maître en misologie² (néologisme désignant l'opposition radicale des irrationalistes à l'endroit de la raison voire de la logique). Cette misologie transparaît le plus clairement dans la Généalogie de la morale  (1887), où Nietzsche dit que ³n'est définissable que ce qui n'a pas d'histoire²; en effet, on ne peut enfermer dans des concepts durables que ce qui n'a plus de potentialités en jachère, car des potentialités insoupçonnées peuvent à tout moment surgir et faire éclater le cadre définitionnel comme une écorce devenue trop étroite.

Notre point de vue dans ce débat sur l'Ecole de Francfort: cette école critique à juste titre l'étroitesse des vieilles institutions, lois, superstructures, qui se maintiennent envers et contre les mouvements de la vie, mais, dans la foulée de sa critique, elle heurte et tente d'effacer des legs de l'histoire qui gardent en jachère des potentialités réelles, en les jugeant a priori obsolètes. Elle n'utilise qu'une panoplie d'armes, celles de la seule critique, en omettant systématiquement de retourner les forces vives et potentielles des héritages historiques contre les fixations superstructurelles, les manifestations institutionnelles reflètant dans toutes leurs rigidités les épuisements vitaux, et les processus de dévitalisation (ou de désenchantement). Bloch, en dépit de ses références aux théologies de libération et aux messianismes révolutionnaires, abandonne au fond lui aussi l'histoire politique, militaire et non religieuse  ‹c'est du moins le risque qu'il court délibérément en déployant sa critique contre Klages‹   pour construire dans ses anticipations quasi oniriques un futur somme toute bien artificiel voire fragile. Son recours aux luttes est à l'évidence pleinement acceptable, mais ce recours ne doit pas se limiter aux seules révoltes motivées par des messianismes religieux, il doit s'insinuer dans des combats pluriséculaires à motivations multiples. Adorno et Horkheimer abandonnent eux aussi l'histoire, la notion d'une continuité vitale et historique, au profit du magma informe et purement ³présent², sans profondeur temporelle, de la ³société² (erreur que l'on a vu se répéter récemment au sein de la fameuse ³nouvelle droite² parisienne, où l'histoire est étrangement absente et le pilpoul sociologisant, nettement omniprésent). Le risque de ce saltus pericolosus, d'Adorno et Horkheimer, dit Siegfried Kracauer (in: History: The Last Things Before the Last, New York, OUP, 1969), est de perdre tout point d'appui solide pour capter les plus fortes concrétions en devenir qui seront marquées de durée; pour Kracauer la ³dialectique négative² des deux principaux parrains de l'Ecole de Francfort ³manque de direction et de contenu². Tout comme les ratiocinations jargonnantes et sociologisantes d'Alain de Benoist et de sa bande de jeunes perroquets.

L'entreprise de ³dé-nietzschéanisation² de Habermas

Si Nietzsche a été bel et bien présent, et solidement, dans le corpus de l'Ecole de Francfort, il en a été expulsé par une deuxième vague de ³dialecticiens négatifs² et d'apôtres, sur le tard, de l'idéologie des Lumières. Le chef de file de cette deuxième vague, celle des émules, a été sans conteste Jürgen Habermas. Aschheim résume les objectifs de Habermas dans son travail de ³dé-nietzschéanisation²: a) ¦uvrer pour expurger les legs de l'Ecole de Francfort de tout nietzschéisme; b) rétablir une cohérence rationnelle; c) re-coder (!) (Deleuze et Foucault avaient dissous les codes); d) reconstruire une ³correction politique²; e) réexaminer l'héritage de mai 68, où, pour notre regard, il y a quelques éléments très positifs et féconds, surtout au niveau de ce que Ferry et Renaut appelerons la ³pensée-68²; dans ce réexamen, Habermas part du principe que la critique de la critique de l'Aufklärung, risque fortement de déboucher sur un ³néo-conservatisme²; de ce fait, il entend militer pour le rétablissement de la ³dialectique de l'Aufklärung²  dans sa ³pureté² (ou dans ce qu'il veut bien désigner sous ce terme). Pour Habermas, le nietzschéisme français, le néo-heideggerisme, le post-structuralisme de Foucault, le déconstructivisme de Derrida, sont autant de filons de 68 qui ont chaviré dans ³l'irrationalisme bourgeois tardif². Or ces démarches philosophiques non-politiques, ou très peu politisables, ne se posent nullement comme des options militantes en faveur d'un conservatisme ou d'une restauration ³bourgeoise², bien au contraire, on peut conclure que Habermas déclenche une guerre civile à l'intérieur même de la gauche et cherche à émasculer celle-ci, à la repeindre en gris. Dans son combat, Habermas s'attaque explicitement aux notions d'hétérogénité (de pluralité), de jeu (de tragique, de kaïros tel que l'imaginait un Henri Lefebvre), de rire, de contradiction (implicite et incontournable), de désir, de différence. Selon Habermas, toutes ces notions conduisent soit au ³gauchisme radical² soit à l'³anarchisme nihiliste² soit au ³quiétisme conservateur². De telles attitudes, prétend Habermas, sont incapables d'envisager un changement chargé de sens (i. e. un sens progressiste et modéré, évolutionnaire et calculant). D'où Habermas, et à sa suite Ferry et Renaut, estiment être les seuls habilités à énoncer le sens, lequel est alors posé a priori, imposé d'autorité. Le libéralisme ou le démocratisme que habermas, Ferry et Renaut entendent représenter sont dès lors les produits d'une autorité, en l'occurence la leur et celle de ceux qui les relaient dans les médias.

Le libéralisme et le démocratisme autoritaires (sur le plan intellectuel), mais en apparence tolérants sur le plan pratique, constituent en fait le fondement de notre actuelle ³political correctness² qui se marie très bien avec le pouvoir des ³socialistes établis², héritiers du social-démocratisme à la Mehring, et flanqués des orthodoxes marxistes dévitalisés à la Lukacs. Cette alliance vise à remplacer un autoritarisme par un autre, une superstructure par une autre, qui serait le réseau des notables, des mafieux et des fonctionnaires socialistes. Une telle constellation idéologique renonce à émanciper continuellement les masses, les citoyens, les esprits mais entend installer un appareil inamovible (au besoin en noyautant les services de police, comme c'est le cas des socialistes en Belgique qui transforment la gendarmerie, déjà Etat dans l'Etat, en une armée au service du ministère de l'intérieur socialiste, tenu par un ancien gauchiste adepte de la marijuana). Cette constellation idéologique et politique refuse de réceptionner l'innovation, de quelqu'ordre qu'elle soit, et les rénégats de 68, les repentis à la façon d'Eisner, trahissent les intellectuels féconds de leur propre camp de départ, pour déboucher sur un discours sans relief, sans sel.

Donc l'aventure commencée par Die Jungen  autour de Wille est un échec au sein de la sociale-démocratie. Ses forces dynamiques vont-elles aller vers un nouveau fascisme? Il semble que la sociale-démocratie n'écoute pas les leçons de l'histoire et qu'en alignant à l'université des Habermas, des Ferry et des Renaut, ou en manipulant des groupes de choc violents, ou en animant des cercles conspirationnistes parallèles comme le CRIDA de ³René Monzat², elle prépare un nouvel autoritarisme, qu'en d'autres temps elle n'aurait pas hésiter à qualifier de ³fascisme². Dans toute tradition politico-intellectuelle, il faut laisser la porte ouverte au dynamisme juvénile, immédiatement réceptif aux innovations. Une telle ouverture est une nécessité voire un impératif de survie. Dans le cas de la sociale-démocratie, si ce dynamisme juvénile ne peut s'exprimer dans des revues, des cercles, des associations, des mouvements de jeunesse liés au parti, il passera forcément ³à droite² (ce qui n'est jamais qu'une convention de langage), parce que la gauche-appareil ne cesse de demeurer sourde à ses revendications légitimes. Aujourd'hui, ce passage ³à droite² est possible dans la mesure où la ³droite² est démonisée au même titre que l'anarchisme au début du siècle. Et les démonisations fascinent les incompris.

Nietzsche et la ³droite²

Avant 1914, la droite allemande la plus bruyante est celle des pangermanistes, qui ne se réfèrent pas à Nietzsche, parce que celui-ci n'évoque ni la race ni la germanité. Lehmann pensait que Nietzsche restait en dehors de la politique et qu'il était dès lors inutile de se préoccuper de sa philosophie. Paul de Lagarde ne marque pas davantage d'intérêt. Quant à Lange, il est férocement anti-nietzschéen, dans la mesure où il affirme que la philosophie de Nietzsche est juste bonne ³pour les névrosés et les littérateurs², ³les artistes et les femmes hystériques². A Nietzsche, il convient d'opposer Gobineau et de parier ainsi pour le sang, valeur sûre et stable, contre l'imagination, valeur déstabilisante et volatile. Otto Bonhard, pour sa part, réfute l'³anarchisme nietzschéen².

C'est sous l'impulsion d'Arthur Moeller van den Bruck que Nietzsche fera son entrée dans les idéologies de la droite allemande. Moeller van den Bruck part d'un premier constat: le défaut majeur du marxisme (i. e. l'appareil social-démocrate) est de ne se référer qu'à un rationalisme abstrait, comme le libéralisme. De ce fait, il est incapable de capter les véritables ³sources de la vie². En 1919, la superstructure officielle de l'empire allemand s'effondre, non pas tant par la révolution, comme en Russie, mais par la défaite et par les réparations imposées par les Alliés occidentaux. L'Armée est hors jeu. Inutile donc de défendre des structures politiques qui n'existent plus. La droite doit entrer dans l'ère des ³re-définitions², estime Moeller van den Bruck, et à sa suite on parlera de ³néo-nationalisme².

Si tout doit être redéfini, le socialisme doit l'être aussi, aux yeux de Moeller. Celui-ci ne saurait plus être une ³analyse objective des rapports entre la superstructure et la base², comme le voulait l'idéologie positiviste de la sociale-démocratie d'après le programme du Gotha, mais une ³volonté d'affirmer la vie². En disant cela, Moeller ne se contente pas d'une déclamation grandiloquente sur la ³vie², de proclamer un slogan vitaliste, mais dévoile les aspects très concrets de cette volonté de vie: une juste redistribution permet un essor démographique. La vie triomphe alors de la récession. Dès lors, ajoute Moeller, les clivages sociaux ne devraient plus passer entre des riches qui dominent et des masses de pauvres. Au contraire, le peuple doit être dirigé par une élite frugale, apte à diriger des masses dont les besoins élémentaires et vitaux sont bien satisfaits. Ce processus doit se dérouler dans des cadres nationaux visibles, assurant une transparence, et, bien entendu, clairement circonscrits dans le temps et l'espace pour que le principe ³nul n'est censé ignorer la loi² soit en vigueur sans contestation ni coercition.

Même raisonnement chez Werner Sombart: le nouveau socialisme s'oppose avec véhémence à l'hédonisme occidental, au progressisme, à l'utilitarisme. Le nouveau socialisme accepte le tragique, il est non-téléologique, il ne s'inscrit pas dans une histoire linéaire, mais fonde un nouvel ³organon², où fusionnent une vox dei et une vox populi, comme au moyen-âge, mais sans féodalisme ni hiérarchie rigide.

Spengler et Shaw

Pour Spengler, on doit évaluer positiviement le socialisme dans la mesure où il est avant toute chose une ³énergie² et, accessoirement, le ³stade ultime du faustisme déclinant². Spengler estime que Nietzsche n'a pas été jusqu'au bout de ses idées sur le plan politique. Ce sera Georges Bernard Shaw, notamment dans Man and Superman et Major Barbara, qui énoncera les méthodes pratiques pour asseoir le socialisme nietzschéen dans les sociétés européennes: mélange d'éducation sans moralisme hypocrite, de darwinisme tourné vers la solidarité (où les communautés les plus solidaires gagnent la compétition), d'ironie et de distance par rapport aux engouements et aux propagandes. Shaw, en annexe de son drame Man and Superman, publie ses Maxims for Revolutionists, rappelle que la ³démocratie remplace la désignation d'une minorité corrompue par l'élection d'un grand nombre d'incompétents², que la ³liberté ne signifie [pas autre chose] que la responsabilité et que, pour cette raison, la plupart des hommes la craignent²; enfin: ³l'homme raisonnable est celui qui s'adapte au monde; l'hommer irraisonnable est celui qui persiste à essayer d'adapter le monde à lui-même. C'est pourquoi le progrès dépend tout entier de l'homme raisonnable. L'homme qui écoute la Raison est perdu: le Raison transforme en esclaves tous ceux dont l'esprit n'est pas assez fort pour la maîtriser². ³Le droit de vivre est une escroquerie chaque fois qu'il n'y a pas de défis constants². ³La civilisation est une maladie provoquée par la pratique de construire des sociétés avec du matériel pourri². ³La décadence ne trouvera ses agents que si elle porte le masque du progrès².

Le socialisme doit donc être forgé par des esprits clairs, dépourvus de tous réflexes hypocrites, de tout ballast moralisant, de toutes ces craintes ³humaines trop humaines². Dans ce cas, conclut Spengler à la suite de sa lecture de Shaw, le ³socialisme ne saurait être un système de compassion, d'humanité, de paix, de petits soins, mais un système de volonté-de-puissance². Toute autre lecture du socialisme serait illusion. Il faut donner à l'homme énergique (celui qui fait passer ses volontés de la puissance à l'acte), la liberté qui lui permettra d'agir, au-delà de tous les obstacles que pourraient constituer la richesse, la naissance ou la tradition. Dans cette optique, liberté et volonté de puissance sont synonymes: en français, le terme ³puissance² ne signifie pas seulement la volonté d'exercer un pouvoir, mais aussi la volonté de faire passer mes potentialités dans le réel, de faire passer à l'acte, ce qui est en puissance en moi. Définition de la puissance qu'il convient de méditer,  ‹et pourquoi pas à l'aide des textes ironiques de Shaw?‹   à l'heure où la ³correction politique² constitue un retour des hypocrisies et des moralismes et un verrouillage des énergies innovantes.

Aschheim montre dans son livre le lien direct qui a existé entre la tradition socialiste anglaise, en l'occurence la Fabian Society animée par Shaw, et la redéfinition du socialisme par les premiers tenants de la ³révolution conservatrice² allemande. Dénominateur commun: le refus de conventions stérilisantes qui bloquent l'avancée des hommes ³énergiques².

Nietzsche et le national-socialisme

Au départ, Nietzsche n'avait pas bonne presse dans les milieux proches de la NSDAP, qui reprend à son compte les critiques anti-nietzschéennes des pangermanistes, des eugénistes et des idéologues racialistes. Les intellectuels de la NSDAP poursuivent de préférence les spéculations raciales de Lehmann et se désintéressent de Nietzsche, plus en vogue dans les gauches, chez les littéraires, les féministes et dans les mouvements de jeunesse non politisés. Ainsi, au tout début de l'aventure hitlérienne, Dietrich Eckart, le philosophe folciste (= völkisch) de Schwabing, rejette explicitement et systématiquement Nietzsche, qui est ³un malade par hérédité², qui a médit sans arrêt du peuple allemand; pour Eckart, la légende d'un Nietzsche qui vitupère contre l'Allemagne parce qu'il l'aime au fond passionément est une escroquerie intellectuelle. Enfin, constate-t-il, l'individualisme égoïste de Nietzsche est totalement incompatible avec l'idéal communautaire des nationaux-socialistes. Après avoir édité des exégèses de Nietzsche pourtant bien plus fines, Arthur Drews, théologien folciste inféodé à la NSDAP, s'insurge en 1934 dans Nordische Stimme  (n°4/34), contre la thèse d'un Nietzsche qui aime son pays malgré ses vitupérations anti-germaniques et affirme  ‹ce qui peut paraître paradoxal‹   que le jeune poète juif Heinrich Heine, lui, critiquait l'Allemagne parce qu'il l'aimait réellement. Nietzsche est ensuite accusé de ³philo-sémitisme²: pour Aschheim et, avant lui, pour Kaufmann, le texte le plus significatif de l'ère nazie en ce sens est celui de Curt von Westernhagen, Nietzsche, Juden, Antijuden (Weimar, Duncker, 1936). Alfred von Martin, critique protestant, revalorise l'humaniste Burckhardt et rejette le négativisme nietzschéen, plus pour son manque d'engagement nationaliste que pour son anti-christianisme (Nietzsche und Burckhardt, Munich, 1941)! Finalement, les deux auteurs pro-nietzschéens sous le Troisième Reich, outre Bäumler que nous analyserons plus en détail, sont Edgar Salin (Jacob Burckhardt und Nietzsche, Bâle, 1938), qui prend le contre-pied des thèses de von Martin, et le nationaliste allemand, liguiste (= bündisch) et juif, Hans-Joachim Schoeps (Gestalten an der Zeitwende: Burckhardt, Nietzsche, Kafka, Berlin, Vortrupp Verlag, 1936). Quant au critique littéraire Kurt Hildebrandt, favorable au national-socialisme, il critique l'interprétation de Nietzsche par Karl Jaspers, comme le feront bon nombre d'exilés politiques et Walter Kaufmann. Jaspers aurait développé un existentialisme sur base des aspects les moins existentialistes de Nietzsche. Tandis que Nietzsche s'opposait à toute transcendance, Jaspers tentait de revenir à une ³transcendance douce², en négligant le Zarathoustra et la Généalogie de la morale. Enfin, plus important, l'apologie de la créativité chez Nietzsche et sa volonté de transvaluer les valeurs en place, de faire éclore une nouvelle table des valeurs, font de lui un philosophe de combat qui vise à normer une nouvelle époque émergeante. Dans ce sens, Nietzsche n'est pas un intellectuel virevoltant (freischwebend) au gré de ses humeurs ou de ses caprices, mais celui qui jette les bases d'un système normatif et d'une communauté positive, dont les assises ne sont plus un ensemble fixe de dogmes ou de commandements (de ³tu dois²), mais un dynamisme bouillonant et effervescent qu'il faut chevaucher et guider en permanence (Kurt Hildebrandt, "Über Deutung und Einordnung von Nietzsches System", Kant-Studien, vol. 41, Nr. 3/4, 1936, pp. 221-293). Ce chevauchement et ce guidage nécessitent une éducation nouvelle, plus attentive aux forces en puissance, prêtes à faire irruption dans la trame du monde.

Plus explicite sur les variations innombrables et contradictoires des interprétations de Nietzsche sous le Troisième Reich, est le livre du philosophe italien Giorgio Penzo (cf. supra), pour qui l'époque nationale-socialiste procède plus généralement à une dé-mythisation de Nietzsche. On ne sollicite plus tant son ¦uvre pour bouleverser des conventions, pour ébranler les assises d'une morale sociale étriquée, mais pour la réinsérer dans l'histoire du droit, ou, plus partiellement, pour faire du surhomme nietzschéen un simple équivalent de l'homme faustien ou, chez Kriek, l'horizon de l'éducation. On assiste également à des démythisations plus totales, où l'on souligne l'infécondité fondamentale de l'anarchisme nietzschéen, dans lequel on décèle une ³pathologie de la culture qui conduit à la dépolitisation². Ce reproche de ³dépolitisation² trouve son apothéose chez Steding. D'autres font du surhomme l'expression d'une simple nostalgie du divin. L'époque connaît bien sûr ses ³lectures fanatiques², dit Penzo, où l'incarnation du surhomme est tout bonnement Hitler (Scheuffler, Oehler, Spethmann, Müller-Rathenow). Seule notable exception, dans ce magma somme toute asses confus, le philosophe Alfred Bäumler.

Bäumler: héroïsme réaliste et héraclitéen

La seule approche féconde de Nietzsche à l'ère nationale-socialiste est donc celle de Bäumler. Pour Bäumler, par ailleurs pétri des thèses de Bachofen, Nietzsche est un ³penseur existentiel², soit un philosophe qui nous invite à nous plonger dans la concrétude sociale, politique et historique. Bäumler ne retient donc pas le reproche de ³dépolitiseur², que d'aucuns, dont Steding, avaient adressé à Nietzsche. Bäumler définit l'³existentialité² comme un ³réalisme héroïque² ou un ³réalisme héraclitéen²; l'homme et le monde, dans cette perspective, l'homme dans le monde et le monde dans l'homme, sont en devenir perpétuel, soumis à un mouvement continu, qui ne connaît ni repos ni quiétude. Le surhomme est dès lors une métaphore pour désigner tout ce qui est héroïque, c'est-à-dire tout ce qui lutte dans la trame en devenir de l'existence terrestre.

On constate que Bäumler donne la priorité au ³Nietzsche agonal² plutôt qu'au ³Nietzsche dionysiaque², qui hérissait Steding, parce qu'il était le principal responsable du refus des formes et des structures politiques. Bäumler estime que Nietzsche inaugure l'ère de la ³Grande Raison des Corps², où la Gebildetheit, ne s'adressant qu'au pur intellect en négligeant les corps, est inauthentique, tandis que la Bildung, reposant sur l'intuition, l'intelligence intuitive, et une valorisation des corps, est la clef de toute véritable authenticité. Notons au passage que Heidegger, ennemi de Bäumler, parlait aussi d'³authenticité² à cette époque. La logique du Corps, qui est une logique esthétique, sauve la pensée, pense Bäumler, car toute la culture occidentale s'est refermée sur un système conceptuel froid qui ne mène plusà rien, système dont la trajectoire a été jalonnée par le christianisme, l'humanisme (basé sur une fausee interprétation, édulcorée et falsifiée, de la civilisation gréco-romaine), le rationalisme scientiste. La notion de Corps (Leib), plus le recours à ce que Bäumler appelle la ³grécité véritable², soit une grécité pré-socratique, de même qu'à une germanité véritable, soit une germanité pré-chrétienne, conduisent à un retour à l'authentique, comme le prouvent, à l'époque, les innovations de la philologie classique. Cette mise en équation entre grécité pré-socratique, germanité pré-chrétienne et authenticité, constitue le saltus periculosus de Bäumler: dénier toute authenticité à ce qui sortait du champs de cette grécité et de cette germanité, a valu à Bäumler d'être ostracisé pendant longtemps, avant d'être timidement réhabilité.

Les impasses philosophiques de la bourgeoisie allemande

Dans un second temps, Bäumler politise cette définition de l'authenticité, en affirmant que le national-socialisme, en tant que Weltanschauung, représente ³une conception de l'Etat gréco-germanique². Bäumler ne se livre pas trop à des rapprochements hasardeux, ni à des sollicitations outrancières. Pourquoi affirme-t-il que l'Etat national-socialiste est grèco-germanique au sens où Nietzsche a défini la corporéité grecque et accepté la valorisation grecque des corps? Pour pouvoir affirmer cela, Bäumler procède à une inteprétation de l'histoire culturelle de la ³bourgeoisie allemande², dont tous les modèles ont été en faillite sous la République de Weimar. L'Aufklärung, première grande idéologie bourgeoise allemande, est une idéologie négative car elle est individualiste, abstraite et ne permet pas de forger des politiques cohérentes. Le romantisme, deuxième grande idéologie de la bourgeoisie allemande, est une tradition positive. Le piétisme, troisième grande idéologie bourgeoise en Allemagne, est rejeté pour les mêmes motifs que l'Aufklärung. Le romantisme est positif parce qu'il permet une ouverture au Volk, au mythe et au passé, donc de dépasser l'individualisme, le positivisme étriqué et la fascination inféconde pour le progrès. Cependant, en gros, la bourgeoisie n'a pas tiré les leçons pratiques qu'il aurait fallu tirer au départ du romantisme. Bäumler reproche à la bourgeoisie allemande d'avoir été ³paresseuse² et d'avoir choisi un expédiant; elle a imité et importé des modèles étrangers (anglais ou français), qu'elle a plaqué sur la réalité allemande.

Parmi les bricolages idéologiques bourgeois, le plus important a été le ³classicisme allemand², sorte de mixte artificiel d'Aufklärung et de romantisme, incapable, selon Bäumler, de générer des institutions, un droit et une constitution authentiquement allemands. En rejetant l'Aufklärung   et le piétisme, en renouant avec le filon romantique en jachère, explique et espère Bäumler, le national-socialisme pourra ³travailler à élaborer des institutions et un droit allemands². Mais le nouveau régime n'aura jamais le temps de parfaire cette tâche.

Action, destin et décision

Dans l'interprétation bäumlerienne de Nietzsche, la mort de Dieu est synonyme de mort du Dieu médiéval. Dieu en soi ne peut mourir car il n'est rien d'autre qu'une personnification du Destin (Schicksal). Celui-ci suscite, par le biais de fortes personnalités, des formes politiques plus ou moins éphémères. Ces personnalités ne théorisent pas, elles agissent, le destin parle par elles. L'Action détruit ce qui existe et s'est encroûté. La Décision, c'est l'existence même, parce que décider, c'est être, c'est se muer en une porte qu'enfonce le Destin pour se ruer dans la réalité. Ernst Jünger aurait parlé de l'³irruption de l'élémentaire². Pour Bäumler, le ³sujet² a peu de valeur en soi, il n'en acquiert que par son Action et par ses Décisions historiques. Ce déni de la ³valeur-en-soi² du sujet fonde l'anti-humanisme de Bäumler, que l'on retrouve, finalement, sous une autre forme et dans un langage marxisé, chez Althusser, par exemple, où la ³fonction pratique-sociale² de l'idéologie prend le pas sur la connaissance pure (comme, dans la conception de Bäumler, le plongeon dans la vie réelle se voyait octroyer une bien plus grande importance que la culture livresque de l'idéologie des Lumières ou du classicisme allemand). Pour Althusser, dont la pensée est arrivée à maturité dans un camp de prisonniers en Allemagne pendant la 2ième Guerre mondiale, l'idéologie (la Weltanschauung?), était une instance mouvante, portée par des penseurs en prise sur les concrétudes, qui permettait de mettre en exergue les rapports de l'homme avec les conditions de son existence, de l'aider dans un combat contre les ³autorités figées², qui l'obligeaient à répéter sans cesse,  ‹³sisyphiquement² serait-on tenter de dire‹, les mêmes gestes en dépit des mutations s'opérant dans le réel. Pour Althusser, l'idéologie ne peut donc jamais se muer en une science rigide et fermée, ne peut devenir pur discours de représentation, et, en tant que conceptualisation permanente et dynamique des faits concrets, elle conteste toujours le primat de l'autorité politique ou politico-économique installée et établie, tout comme l'³anarchisme² gauchiste et nietzschéen de Landauer refusait les rigidifications conventionnelles, car elles étaient autant de barrages à l'irruption des potentialités en germe dans les communautés concrètes. Enfin, il ne nous paraît pas illégitime de comparer les notions d'³authenticité² chez Bäumler (et Heidegger) et de ³concrétude² chez Althusser, et de procéder à une ³fertilisation croisée² entre elles.

L'anti-humanisme de Bäumler repose, quant à lui, sur trois piliers, sur trois ¦uvres: celles de Winckelmann, de Hölderlin et de Nietzsche. Winckelmann a brisé l'image toute faite que les ³humanités² avaient donné de l'antiquité grecque à des générations et des générations d'Européens. Winckelmann a revalorisé Homère et Eschyle plutôt que Virgile et Sénèque. Hölderlin a souligné le rapport entre la grécité fondamentale et la germanité. Mais l'anti-humanisme de Bäumler est une ³révolution tranquille², plutôt ³métapolitique², elle avance silencieusem

lundi, 03 décembre 2007

J.J. Esparza: Curso General de Disidencia

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José Javier Esparza:

Curso General de Disidencia

Apuntes para una visión del mundo alternativa

http://es.geocities.com/sucellus24/CGD_index.htm...

vendredi, 09 novembre 2007

Polémique sur G. Faye

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Yann-Ber TILLENON:

À PROPOS DE LA POLÉMIQUE SUR GUILLAUME FAYE

Il me semble, finalement, que le réel problème posé par Guillaume Faye, est bien au-delà des états d’âme subjectifs et des interprétations concernant quelques diffamations, trahisons, calomnies, fantaisies, canulars, délires humoristiques etc… Une analyse constructive s’impose.

Le problème est très intéressant pour comprendre ce que nous devons faire. Il est, je pense, très objectif. Face à l’impérialisme islamo arabe en Europe qui le révolte, Guillaume Faye, depuis quelque temps, s’est orienté vers une tentation pour l’impérialisme cosmopolite américain anti arabe.

C’est une grave erreur qui se répète souvent dans l’histoire. Elle surgit quand des combattants très actifs, comme lui, sont déçus par leur propre peuple passif et inconscient qui ne les suit pas. Effectivement, le peuple préfère aujourd’hui rester un grand tube digestif de la société de consommation.

Le peuple se vautre dans la soumission et la collaboration. Les « résistants » conscients rejoignent alors, comme cela arrive souvent, un impérialisme qui pourrait les aider à se débarrasser de leurs envahisseurs.

Cette erreur fut, par exemple, celle d’une fraction du mouvement nationaliste breton et d’autres mouvements de libération pendant la seconde guerre mondiale. Les Bretons cherchèrent à profiter de la victoire passagère du pouvoir impérialiste allemand pour se libérer du pouvoir impérialiste français puisque le peuple breton ne les suivait pas. On connaît la suite…

Seules les petites nations européennes, nommées péjorativement « régions » ou « provinces » par les États nations constituent l’Europe authentique. C’est cette Europe que nous devons projeter dans une future postmodernité. Les « Régions » forment le grand peuple européen, contre les États nations impérialistes qui ont toujours cherché à les soumettre, les neutraliser. Ils les ont même poussées à s’exterminer entre elles dans des guerres qu’ils ont organisées pour cela, comme en 14/18.

La libération européenne se fera grâce à un mouvement dialectique de l’histoire en opposition aux deux grands envahisseurs de l’Europe et de ses États nations collaborateurs. Ces deux impérialismes se complètent. Le premier, « arabo musulman » a besoin du soutien du cosmopolitisme américain, de son idéologie du métissage, pour justifier sa conquête. Le deuxième a besoin de l’invasion des premiers pour faire perdre toute conscience d’enracinement national aux peuples d’Europe et ainsi pouvoir les dominer et les gouverner.

Seules les petites nations, les peuples de culture, constituent la seule vraie Europe réelle à mettre en forme politique. À plus forte raison, l’addition de leurs mouvements de libération constitue le mouvement de libération de l’Europe, c’est-à-dire le « mouvement européiste » de la grande fédération.

Ce mouvement ne peut pas se permettre de demander, sans se discréditer, une aide au camp des oppresseurs. C’est malhonnête et stupide. C’est un dérivatif, un mensonge dialectique. C’est un pis-aller opportuniste de combattants désemparés quand ils sont perdus, en totale contradiction avec eux-mêmes. Déboussolés, ils avouent leur impuissance comme les naufragés sur un radeau font appel au paquebot qui a fait couler leur bateau...

Le fondement même de tout mouvement de libération d’un peuple, aujourd’hui comme hier, c’est une réaction contre l’aliénation, quand ce peuple devient « autre » que lui-même. Chez nous, cela fait suite à l'occupation, à la colonisation des peuples d’Europe par des populations et des systèmes politico-religieux qui leur sont étrangers.

Ceci est la suite logique des systèmes politiques internes de l’Europe physique. C’est le résultat des nationalismes des Etats nations. Ils ont organisé la fragmentation, le génocide des peuples européens depuis le 19e siècle pour les neutraliser. Ils ont ainsi rendu possible l’actuelle invasion par la chute démographique en Europe divisée.

Le mouvement européiste de libération est donc forcément constitué des mouvements de libération des petites nations aliénées. Il doit créer un nouvel ordre international. Ce nouvel ordre ne peut naître que sur les ruines des impérialismes qui détruisent les petits peuples d’Europe et du monde. Ils détruisent même aujourd’hui l’équilibre naturel de la planète, comme l’impérialisme marchand du mondialisme cosmopolite américain.

Les combattants du mouvement européiste de libération sont des artistes historiens, des créateurs. Ils ont pour mission de faire exister ce qui n’existe pas encore. Ils ne peuvent donc que refuser toute espèce de compromission avec quelque impérialisme que ce soit, avec ce qui existe déja. Demander secours à une puissance impérialiste particulière, ou flirter avec elle, contre un autre impérialisme équivaut à renforcer l’impérialisme en général. C’est donc combattre le fondement même du mouvement de libération européiste.

Guillaume Faye a eu, maladroitement, la bonne idée de poser un problème philosophique fondamental. La solution, c’est de structurer, coordonner tous les mouvements de libération en Europe. Ainsi ils pourront créer un vrai mouvement puissant de libération.

Il pourra alors devenir, historiquement, le germe d’un État fédéral européen de Brest à Vladivostok. Une nouvelle civilisation peut naître de cette nouvelle grande communauté humaine. Elle peut prendre une nouvelle forme historique, être un nouvel archétype dans l’histoire pour sauver l’humanité aujourd’hui alarmée par sa possible disparition.

Elle peut devenir exemplaire pour cette humanité menacée, en cette fin de modernité, en appliquant une philosophie pratique quotidienne, un nouveau savoir-vivre. Elle pourra acquérir son indépendance politique économique et culturelle. Ses adeptes n’auront plus besoin de recourir à une puissance étrangère ennemie car ils auront eux-mêmes la puissance d’un nouvel ordre chez eux.

Yann-Ber TILLENON. (07 11 07)

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jeudi, 08 novembre 2007

R. Steuckers: discours à Vienne

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Discours de Robert Steuckers à Vienne à l’occasion du 10ième anniversaire de l’hebdomadaire « zur Zeit »

 

Mesdames, Messieurs, chers amis,

 

D’abord, je vous apporte un salut amical des anciens Pays-Bas autrichiens, dont le sujet le plus célèbre fut sans conteste le Feld-maréchal et Prince de Ligne, mort en vos murs et dont j’ai visité le magnifique château de Beloeil cet été. Ceci pour dire que nous avons tout de même, en dépit d’une séparation de plus de deux siècles, de très belles pages d’histoire commune.

 

Ensuite, je voudrais rappeler, en cette occasion unique, qu’il y a déjà plus de vingt ans que les premiers étudiants viennois du groupe, qui allait plus tard participer au lancement de « zur Zeit », sont venus nous voir en Flandre à l’occasion de séminaires européens, visites qui ont forgé, au fil des années, une amitié indéfectible. Dès la fin des années 80, nous voyions arriver, chaque printemps, un minibus autrichien plein d’étudiants, avec leur guitariste attitré, et, quelques jours plus tard, nous revoyions ce véhicule rouge bordeaux partir, chargé de bières d’abbaye et de Kriek du Payottenland !

 

Ces séminaires furent suivis d’universités d’été en Provence, en Ombrie, en Lombardie, dans le Trentin et en Basse-Saxe (de 1993 à 2000), d’un colloque international à Vienne sur le centenaire du philosophe traditionaliste italien Julius Evola en 1998, d’une visite mémorable en Carinthie en 2002 et d’un débat près du Belvédère assorti d’un voyage privé et familial en 2004.

 

En l’an 2000, le ministre belge des affaires étrangères, Louis Michel, encore l’une de ces figures qui nous déshonorent et qui sont l’indice de la dégénérescence politique du royaume, avait, dans un discours profondément imbécile, fustigé le peuple autrichien parce qu’il n’avait pas voté selon ses désirs, et interdit par la même occasion aux Flamands et aux Wallons d’aller skier en Autriche ; peu après ce discours de malotru, foulant aux pieds les règles les plus élémentaires de la courtoisie diplomatique, j’ai reçu, en avril, un coup de téléphone des amis de Vienne, perplexes et meurtris, et, pour leur mettre un peu de baume au cœur, nous avons décidé d’organiser un petit tour de Flandre pour démontrer que la vox populi était bien différente de celle du minable ministre des affaires étrangères. Une quinzaine d’étudiants ont ainsi débarqué à Bruxelles, où ils ont aussi rencontré des amis de Liège, de Mons et de Charleroi, avant de pérégriner vers Gand, Bruges et Anvers, où ils furent chaleureusement reçus, une chaleur humaine qui infirmait clairement les propos haineux de Louis Michel.

 

Plus tard, des lecteurs plus âgés de « zur Zeit » ont fait le voyage en car vers Bruxelles et les autres villes flamandes dans une optique à la fois culturelle et politique, alternant les visites sur les sites touristiques habituels et les visites politiques aux différents parlements que compte la capitale belge. Au-delà des barrières générationnelles, l’amitié n’a donc cessé de se renforcer.

 

Le thème du mot que j’ai adressé, il y a quelques jours, à la rédaction de « zur Zeit » était avant tout celui du droit à la satire. J’entends prononcer un plaidoyer pour la satire et l’impertinence dans tout langage politique offensif, pour la création de caricatures mordantes  -et, à ce propos, je suis heureux de constater que, dans le numéro actuel de « zur Zeit », un vibrant hommage a été rendu au caricaturiste du journal-  et pour un retour à l’esprit d’un grand titre allemand, le « Simplicissimus », avec son logo représentant un bouledogue rouge.

 

Mais j’avais écrit ces quelques lignes sur la nécessité de donner une dimension satirique à la presse d’opposition, en notre époque de censure et de « political correctness », sans savoir que l’éditeur belge de la feuille satirique bruxelloise « Père Ubu », dernier flambeau de résistance dans les kiosques en Belgique francophone, mourrait dans une clinique de notre capitale. Je veux parler de Rodolphe, alias Rudy, Bogaert. Certes, Bogaert ne partageait pas notre vision du monde : sur l’Amérique, sur le Moyen Orient et, dans une certaine mesure, sur le monde islamique, nous n’étions en rien d’accord, puisque nous sommes, nous, pour le découplage total entre l’Europe et l’Amérique, pour le retrait des troupes américaines d’Irak, contre les menaces de guerre en Iran et pour une réhabilitation des régimes laïcs arabes.

 

Il n’empêche que dans notre période de confusion totale, Bogaert apportait chaque semaine une bouffée d’air frais : tous les politicards véreux du royaume étaient fustigés dans les colonnes de « Père Ubu ». Bogaert était le seul à dénoncer leurs turpitudes, à les moquer, à les stigmatiser. Ses cibles étaient surtout socialistes (Arena, Onkelinks, Flahaut, Moureaux, etc.), mais le « bizarre Monsieur Michel » (« der seltsame Monsieur Michel »), comme vous l’appeliez ici à Vienne, n’était jamais épargné et « Père Ubu » dressait à longueur de semaines la liste de ses manquements, gaffes, maladresses et corruptions. Voilà pourquoi, parce qu’il y a recul de la liberté de protester par un coup malencontreux de la « Grande Faucheuse », je me permets d’essuyer quelques larmes pour ce pauvre Bogaert, en votre présence et parce que nous devons, quelque part, reprendre le flambeau.

 

L’impertinence de ton, le mordant des critiques, surtout si elles sont émises par un caricaturiste, par un humoriste, sont des armes métapolitiques qui font toujours cruellement mouche. Dans un monde où règne l’uniformisation générale, la mise au pas des esprits libres, dans un monde qui commence à correspondre aux pires cauchemars de George Orwell et d’Aldous Huxley, la moquerie, le rire, l’esprit de Villon, de Rabelais, de Voltaire ou d’Oscar Panizza sont plus que jamais nécessaires. Notre monde, effectivement, mêle, dans son idéologie dominante, la police de la pensée, l’immixtion de cette police en tout, le refus obstiné de l’histoire passée que l’on retrouve dans le « 1984 » d’Orwell, et les paradis artificiels du sexe et de la drogue, la permissivité totale manipulatrice et privatrice de libertés concrètes et réelles, qui sont esquissés dans « Brave New World » d’Huxley. Le mixte des deux modes de contrôle, le « hard » et le « soft », à dosages divers selon les cultures politiques, forme la trame profonde de la « political correctness » d’aujourd’hui. En bout de course, il ne nous reste plus que les seules opinions fabriquées par les grandes agences de presse, dont les QG se trouvent la plupart du temps outre-Atlantique.

 

Avec chacun des conflits récents, des faux charniers de Timisoara/Temeschburg aux faux massacres du Kosovo, des armes inexistantes de destruction massive de Bagdad aux événements du Myanmar, nous avons vu à l’oeuvre les machines à formater les têtes, à désigner le croquemitaine à abattre ou à pendre, machines qui ne poursuivent évidemment pas l’objectif d’humaniser la politique, mais, plus concrètement, à réaliser des objectifs géopolitiques depuis longtemps inscrits à l’agenda (au Myanmar : empêcher la construction d’oléoducs vers la Chine pour éviter de passer par le Détroit de Malacca, point d’étranglement permettant de barrer, le cas échéant, la route des pétroliers vers une puissance montante des rives pacifiques de l’Extrême Orient).

 

Toutes ces raisons doivent nous amener à retourner, et bien vite, à l’esprit du bouledogue rouge du « Simplicissimus », qui aboiera, haut et clair, le rictus rigolard, les vérités que veulent cacher les machines propagandistes de l’idéologie dominante.

 

Le spécialiste russe de Rabelais, Mikhail Bakhtine, philologue et romaniste hors pair, disait, quand il entendait réhabiliter la vigueur langagière du 16ième siècle français, qu’il fallait ressusciter la « langue du peuple sur la place du marché », langue crue, langue vraie, langue cruelle pour les pouvoirs arbitraires, pour les menteurs en place. Chez lui, cette volonté de retrouver pareil langage constituait, bien entendu, une critique subtile et camouflée du pouvoir soviétique de son temps ; elle était subtile car elle se plaçait du côté du peuple en se posant ainsi comme marxiste, le marxisme officiel réhabilitant le peuple du 16ième siècle car cette époque était jalonnée de jacqueries paysannes contre les pouvoirs qui devenaient petit à petit absolus. Le marxisme soviétique cherchait à s’identifier aux luttes populaires de la fin du moyen âge et du début de l’ère moderne. Aujourd’hui, les établissements traitent de « populistes » tous ceux qui les critiquent, parce qu’ils se font les avocats et les porte paroles de la population grugée et muselée, qui risque, un jour, de se révolter comme les paysans des 15ième et 16ième siècles.

 

Pour les vingt prochaines années de vie de « zur Zeit », suivons le conseil de Bakhtine et écoutons la véritable voix du peuple, au-delà de toutes les platitudes de la « political correctness », qui ne nous permet plus d’être hommes, car le propre de l’homme, comme vient de nous le rappeler tout à l’heure le Dr. Otto Scrinzi, est d’être une créature ouverte au monde, en état de perpétuelle ouverture et de réceptivité, permettant d’apporter toujours des réponses adaptées aux défis mortels du monde physique et politique. Cette plasticité de l’âme humaine est meurtrie aujourd’hui par les tenants de la « correction politique », qui ne cessent de la grever de ballasts pesants et inutiles, car toute expression de cette plasticité pourrait jeter bas leurs pouvoirs. La satire, la langue du peuple sur la place du marché, l’impertinence et l’effronterie de l’humoriste sont les dissolvants nécessaires qui réduiront à néant ces ballasts. Sans le droit à la satire, la réalité politique se rigidifie, moisit et meurt.

 

Notre objectif est d’enrayer cette œuvre mortifère, en Autriche, en Allemagne, dans les Pays-Bas du Nord comme du Sud. En Hollande, le peuple retrouve ses traditions satiristes, celles des actualistes des années 20, celle des Pissuyt, Wichman et Blokzijl, celle des provos de gauche dans les années 60 et 70 ; il les retrouve avec le trio Pim Fortuyn, assassiné, Van Gogh, assassiné, et Wilders, dont nous ne partageons évidemment pas toutes les valeurs ou obsessions, loin s’en faut, mais qui ont le mérite de créer une effervescence salutaire et de secouer hardiment le cocotier. En Italie, un certain Beppe Grillo mobilise les foules avec son « Vaffanculo Day », au grand dam des politiciens de l’établissement, à la notable exception de Berlusconi qui ricane et dit que cela lui rappelle ses premières années de succès au début de la décennie 90 du siècle qui vient de s’écouler. Grillo provoquera-t-il un raz-de-marée comme le firent jadis le mouvement « Forza Italia » de Berlusconi et les propos forts et tonifiants d’Umberto Bossi et de sa « Lega Nord » ? Quoi qu’il en soit, nous voyons qu’aux Pays-Bas comme en Italie, le style satiriste fonctionne et provoque des failles dans le béton du bunker de la « correction politique ».

 

Nous voulons aussi enrayer cette œuvre mortifère au Parlement Européen, au sein de la fraction ITS ou en dehors d’elle. Mais, dans le reste de la société, à la base, cette tâche est notamment dévolue, me semble-t-il, aux corporations étudiantes, aux Burschenschaften.

 

Je vous remercie.

 

Robert Steuckers,

Vienne, 30 octobre 2007.

 

mercredi, 07 novembre 2007

Pour un langage impertinent !

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Un combat pour un langage impertinent et mordant en politique !

 

Message amical de Robert Steuckers à la rédaction du journal hebdomadaire « Zur Zeit » (Vienne), à l’occasion de son dixième anniversaire

 

« Political Correctness » ? Non merci ! Est-ce là encore une platitude de notre monde moderne, qui voudrait subitement ne plus être « moderne », comme nous ? Peut-être. Ou peut-être pas. Car créer un hebdomadaire conservateur (des valeurs et non des structures) qui soit simultanément libre d’esprit, freisinnig, cela signifie vouloir immuniser le citoyen contre l’emprise des « généralités » rigides, qui tiennent le haut du pavé en Europe aujourd’hui. Un tel combat n’est ni d’hier ni d’avant-hier. La galerie des ancêtres, qui nous ont précédé dans cette lutte, est impressionnante.

 

Notre maître à tous, Armin Mohler, avait posé le combat contre toutes les « généralités » dominantes, terriblement simplificatrices, et pour le maintien de l’infinie diversité du monde comme l’ « agonalité » en soi. Aux sources des « généralités » qui sévissent aujourd’hui, nous trouvons une interprétation boiteuse de la philosophie des Lumières, interprétation boiteuse qui est couplée à une apologie du bavardage que l’on veut nous servir sous la forme de la « raison communicationnelle » de Jürgen Habermas. Cette interprétation pauvre et limitée des Lumières, propre au jacobinisme, fait en sorte que a) toute continuité particulière de nature historique est biffée, car, dans cette optique, tout ce qui a été jadis est d’office considéré comme irrémédiablement révolu ; ensuite, b) cette interprétation boiteuse géométrise ou rend abstraite toute pensée politique (cf. Georges Gusdorf), ce qui entraîne que toute communauté politique/historique se voit vidée de ses forces originales par des zélotes frénétiques, si bien, qu’en bout de course, il n’y a plus qu’un et un seul possible qui soit toléré : la répétition ad infinitum du même discours monotone et dévitalisé, ce qui revient à répéter les « vérités » abstraites posées une fois pour toutes par ces zélotes autoritaires.

 

Les peuples doivent dès lors écouter l’appel : « Prolétaires de tous les pays, devenez des perroquets bavards ! ». Chaque mot qui n’est pas la répétition du déjà répété se verra labelliser « scandaleux », contraire à l’esprit perroquet, voire « fasciste » pour reprendre, ironiquement et pour une fois, les tics langagiers de notre misère contemporaine. Orwell nous salue, de là où il se trouve aujourd’hui ! Nous exigeons dès lors le droit de ne plus avoir à répéter les slogans pétrifiés de la « correction politique », nous réclamons le droit d’innover, le droit de pérégriner à nouveau vers les sources vives, vers les fleuves, qui sont certes toujours les mêmes fleuves mais dont les eaux ne sont jamais identiques, ne coulent jamais de la même façon (Héraclite !). Raison pour laquelle, il s’avère impératif de créer un autre langage politique, un langage qui rend à nouveau les concepts fluides, qui corrode et dissout les rigidités de l’établissement par son insolence et son acidité, qui s’exprime par le rire et la moquerie ! Notre arme principale doit être ou redevenir l’ironie ; notre tâche principale est de ramener à la vie la fraîcheur d’esprit de ce bon vieux Diogène !

 

Les revues sont les laboratoires de l’avenir, qui ont pour tâche de saisir le devenir et l’effervescence du monde, et, de ce fait, il n’y a pas d’avenir possible si l’on n’obtient ou ne conquiert pas le droit d’affirmer de nouvelles valeurs ou de raviver des valeurs anciennes et fondamentales, sans avoir à craindre de censure.

 

Voilà pourquoi je souhaite encore de longues années d’agonalité à « zur Zeit » et à ses animateurs, et surtout, en particulier, à ceux d’entre eux que je connais depuis de si longues années et qui sont venus de Vienne, tout jeunes, pour participer aux séminaires de Munkzwalm en Flandre orientale avec des amis accourus de toute l’Europe, ce qui a forgé des liens d’amitié indéfectibles. Je leur souhaite donc de longues années d’agonalité, ce qui mettra indubitablement du sel dans notre soupe quotidienne. Je nous souhaite à tous une longue route pleine de découvertes et d’enrichissements intellectuels, avec des hauts et des bas, et toujours bien loin des fades opinions de nos contemporains repus, opinions que nous allons, bien évidemment, moquer avec polissonnerie, sans trêve et dans la joie ! Glück Auf !

 

Robert Steuckers.

mardi, 30 octobre 2007

Ein Kampf für eine frech-bissige Sprache in der Politik

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BOTSCHAFT ROBERT STEUCKERS ZUR GELEGENHEIT DES JUBILAEUMSFEIER DER WIENER WOCHENZEITSCHRIFT "ZUR ZEIT"

Ein Kampf für eine frech-bissige Sprache in der Politik !

„Political Correctness“? Nein Danke ! Noch eine Schablone der Moderne bzw. Postmoderne, die aber nicht als „modern“ gelten will? Vielleicht. Aber vielleicht auch nicht. Eine wertkonservative und freisinnige Wochenzeitschrift zu gründen heisst selbstverständlich den Bürger gegen die Zugriffe steifer „Verallgemeinheiten“ immunisieren zu wollen. Ein solcher Kampf ist nicht von gestern noch von vorgestern. Die Ahnenreihe der Kämpfer in diesem Ringen ist lang.

Unser aller Lehrmeister Armin Mohler hat der Kampf gegen alle „Verallgemeinheiten“ und für die zu erhaltende Buntheit der weiten Welt als das „Agonale“ schlechthin gestellt. An der Quelle der heutigen „Verallgemeinheiten“ steht eine verballhornte Interpretation der Aufklärung, die an eine Apologie des Schwätzens in der Form der Habermaschen Kommunikationsvernunft gekoppelt ist. Diese verarmte Aufklärungsdeutung jakobinischer Prägung a) schliesst jede partikularen Kontinuität geschichtlicher Art aus, da alles was einmal da war, als mangelhaft weil unvermeidlich veraltet betrachtet wird, und 2) geometrisiert bzw. abstrahiert jedes politische Denken (George Gusdorf), was dazu leitet, dass jedes gewachsene organisch-politische Gemeinwesen seiner ursprünglichen Kräften willkürlich durch besessene Eiferer entledigt wird, sodass nur noch eine einzige Möglichkeit toleriert wird: die endlose Wiederholung des gleichen eintönigen und blutlosen Diskurses, d. h. das Repetieren der schon einmal für immer autoritär gesetzten abstrakten „Wahrheiten“.

Völker hört das Signal: Proletarier aller Länder, werdet endlich schwatzhaftige Papageien! Jedes Wort, das nicht Wiederholung des Wiederholten ist, wird als skandalös  nicht-papageiisch betrachtet, also als „faschistisch“, um das fade Sprachgebrauch unserer zeitgenössischen Misere einmal ironisch zu benutzen. Orwell lässt grüssen! Wir fordern das Recht, nicht mehr starre Schlagworte wiederholen zu dürfen, das Recht zu erneuern, das Recht, wieder zur Quellen zu pilgern, zu Flüssen, die zwar immer die gleichen Flüsse sind, aber wo die Gewässer nie wiederholend-identisch sind (Herakleitos!). Deshalb ist die Schaffung einer anderen Politsprache notwendig, eine Sprache, die die Begriffe wieder flüssig macht, die die Rigiditäten des Etablierten durch ihre Frechheit und Bissigkeit lachend und spottend ätzt und auflöst! Unsere Hauptwaffe sollte wieder die Ironie sein und bleiben; unsere Hauptaufgabe ist die Seele des guten alten Diogenes wieder frisch lebendig zu machen!

Zeitschriften sind Laboratorien der Zukunft, die das Werden und die Gärung der Welt ergreifen, und es gibt aber keine mögliche Zukunft, wenn nicht erneuernd und furchtlos neue Werte oder neu wieder belebte Werte behauptet werden dürfen.

Deshalb wünsche ich „ZZ“ und seinen Mitarbeitern und unter ihnen insbesondere diejenigen, die ich schon so lange Jahre kenne und die noch damals in ihren sehr jungen Jahren im ostflämischen Munkzwalm mit Freunde aus ganz Europa mit mir getagt haben, was eine sehr dauerhafte Freundschaft geschmiedet hat, noch viele lange Jahre „Agonalität“, was unzweifelhaft Salz in unserer täglichen Lebenssuppe streuen wird. Ich wünsche uns alle, einen langen Weg voller Entdeckungen und Bereicherungen, mit Auf und Ab, stets weit von den blassen Gesinnungen unserer satten Zeitgenossen, Gesinnungen, die wir frech, pausenlos und lustig bespotten werden! Glück Auf!

Robert Steuckers, Brüssel.

mercredi, 17 octobre 2007

Les 8 questions auxquelles A. de Benoist n'a jamais voulu répondre

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Les huit questions auxquelles Alain de Benoist n’a jamais voulu répondre…

Fin 1990, début 1991, Alain Benoist me convoque et me soumet un projet. Il voulait que je l’interviewe pour Vouloir ou Orientations, afin de mettre en exergue, par le biais d’un tel en­tretien, les nouvelles pistes que la Nou­velle Droite était sur le point d’em­prunter. Alain de Benoist m’explique que la situation politique et intellec­tuelle de la France et les mentalités en général ont considérablement changé depuis la naissance de la Nouvelle Droi­te, plus exactement du GRECE et de la revue Nouvelle école en 1968-69. Dès lors, ajoutait-il, le GRECE ne peut plus véhiculer certains idéolo­gè­mes, devenus obsolètes au fil du temps. En revanche, il s’avère impé­ra­tif d’explorer de nouvelles pistes. Mais cette nouveauté risque de provoquer le désarroi chez d’anciens militants, en­core trop prisonniers de schémas dé­passés, m’a-t-il précisé. Vouloir ou Orientations sont des revues extérieu­res au mouvement, elles sont publiées hors de France : elles sont donc le trem­­plin idéal pour lancer ces nou­vel­les pistes.

Les arguments d’Alain de Benoist me semblaient judicieux et correspon­daient effectivement à mon analyse de­puis 1989, où, en juin de cette an­née, par ma première conférence of­fi­cielle au GRECE depuis mon retour (1), j’avais réclamé (en vain !) une ou­ver­ture aux nouvelles recherches pros­pec­tives et fondamentales de la phi­losophie française. En réclamant cette ouverture, je suivais un conseil d’Ar­min Mohler, engageant les lec­teurs de Criticón à lire les post-mo­der­nes français à travers l’analyse de leurs œuvres que proposait, avec un re­­marquable esprit de synthèse, le pro­­fesseur allemand Wolfgang Welsch, spécialiste incontesté de ces problématiques. Alain de Benoist a souvent écouté Armin Mohler, recopié ce qu’il disait, béatement paraphrasé ce qu’il énonçait dans le contexte alle­mand, sauf en ce qui concerne les post-modernes et les synthèses de Welsch, où il n’a pas été le bon petit é­lève obéissant, mais plutôt le cancre, sourd à tout bon conseil.

J’ai donc, à la demande explicite de de Benoist, composé les questions ci-des­sous que je lui ai faxées cinq jours plus tard. Mon objectif en posant ces questions : pouvoir expliciter les muta­tions idéologiques qui avaient jalonné l’itinéraire intellectuel du GRECE et de son animateur principal. Quand de Be­noist a reçu ces questions, il les a tout de suite contestées en montrant une ner­vosité incompréhensible, il a criti­qué des détails sans importance (le fait d’utiliser le terme « dada » pour dé­signer des engouements philoso­phi­ques), il n’a abordé aucune des thé­matiques de fond, soulevées par mes questions. Lors d’une entrevue quel­ques semaines plus tard, il a ré­i­té­ré ces critiques sans me donner d’ex­plications satisfaisantes. De Be­noist é­tait dans un état de nervosité bizarre, ses paroles étaient ponctuées de drô­les de rictus, ses doigts se cram­pon­naient à ses longues cigaret­tes, dont il as­pirait la fumée à grosses bouffées. Inutile de préciser qu’il n’a JA­MAIS ré­pondu à cette proposition d’en­tretien, qu’il avait lui-même récla­mé ! Pour­tant, une brochure avec des réponses clai­res aurait permis de cla­ri­fier les po­sitions de la Nouvelle Droi­te, d’orienter les militants et les sym­pa­thisants de ce courant de pensée. Je soumets au­jour­d’hui ces questions aux lecteurs de Vouloir. A eux de ju­ger comme il se doit le silence du gou­rou de la Nou­velle Droite. Un silence plus révélateur que tous ses discours et écrits…

HUIT QUESTIONS A ALAIN DE BENOIST

La Nouvelle Droite: histoire, destin, évolution, ruptures

1. Quand vous avez fondé avec quel­ques-uns de vos amis les structures qui allaient donner naissance à Nou­velle Ecole puis au GRECE et à la mou­vance «Nouvelle Droite», vous é­tiez animé par un désir de rupture. Une rupture qui tournait le dos à l'agitation politique groupusculaire pour approfondir les fondements, non seulement des sciences politiques, mais de toutes les disciplines humai­nes. Près de 25 ans après, comment jugez-vous cette rupture qui a décidé de votre destin de «journaliste méta­politique», de «maître-à-penser» d'u­ne génération hostile à bien des com­promissions?

2. Il serait peut-être utile aussi que vous nous rappeliez le contexte global de cette époque où vous avez amorcé votre rupture, tant sur le plan philo­so­phique, avec la vogue existentialiste, que sur le plan politique, avec les guer­res de décolonisation et du Viet­nam. En effet, les jeunes gens des années 70 et 80, a fortiori ceux qui seront la génération des années 90, ont baigné dans des atmosphères in­tellectuelles et politiques très diffé­ren­tes et certains d'entre eux m'ont déjà exprimé le souhait de connaître les mo­tivations et les sentiments qui ac­com­pagnaient les premiers balbutie­ments de ce qui allait devenir la «Nou­velle Droite»?

3. Votre «démarche rupturale initiale» est contemporaine de mai '68. Dans l'u­niversité d'alors, sur le terrain po­litique, dans les débats intellectuels, quels ont été les facteurs qui ont dé­terminé vos options, quels sont les cli­vages qui vous semblaient incon­tour­nables et empêchaient tout dialogue avec les «contestataires d'en face». Je pose cette question en sachant très bien qu'il existe aujourd'hui chez beau­coup d'ex-soixante-huitards une volonté très nette de brûler ce qu'ils ont adoré et de dénoncer l'«anti-humanisme» de leur jeunesse. Dans certains de vos écrits récents, vous soulignez, à rebours des « renégats de 68», le grand intérêt intellectuel de certains linéaments philosophiques de cette époque contestataire. Quel ju­ge­ment pose l'Alain de Benoist d'au­jour­d'hui?

4. Vous avez posé un pari faustien et prométhéen au début de votre aven­ture intellectuelle, assorti d'une criti­que de la sinistrose et du mythe du bon sauvage (notamment dans la forme que celui-ci prenait chez Claude Lévi-Strauss) et d'une apologie du «gé­nie européen». De ce fait, vous a­vez été accusé de «racisme» par quel­ques adversaires manichéens, dont les héritiers sévissent encore au­jourd'hui. Vous étiez sur la même lon­gueur d'onde qu'un André Reszler lorsqu'il écrivait L'intellectuel contre l'Europe (PUF, 1976). Par la suite, vo­tre pensée semble avoir connu une sor­te de retournement: la linéarité quantitativiste du matérialisme occi­den­tal, vous avez commencé à la con­sidérer comme un avatar matérialiste de la linéarité judéo-chrétienne. Ipso facto, cette linéarité est devenue en quelque sorte votre «ennemi prin­ci­pal», auquel vous opposez les essen­ces identitaires qu'elles soient euro­péen­nes ou extra-européennes. Mais dans ce cheminement philosophique, qui est le vôtre, on assiste à une mu­ta­tion dans votre définition de l'identité européenne: celle-ci ne serait plus ex­clusivement de nature faustienne/pro­méthéenne mais autre, c'est-à-dire moins vectorielle, moins progressiste, moins marquée par les linéarités du judéo-christianisme et de ces avatars laïcisés. Pouvez-vous nous préciser cette nouvelle définition de l'identité eu­ropéenne?

5. Des auteurs comme Robert Mu­chem­bled (avec sa distinction entre la «culture des élites» et la «culture du peuple») ou Carlo Ginzburg (avec son analyse des propos d'un meunier friou­lan promis au bûcher de l'In­qui­si­tion) ont-ils joué un rôle dans l'é­volution de votre pensée, partie d'un prométhéisme assez techniciste et quantitativiste?

6. Toujours dans la même optique, vous êtes passé d'un dada philo­so­phique à un autre: en l'occurrence de l'empirisme logique anglo-saxon, intro­duit en France par l'un de vos maîtres-à-penser, Louis Rougier, pour aboutir à un discours anti-techniciste très mar­qué par Heidegger. Beaucoup de vos lecteurs n'ont pas compris cette évolution. Généralement, quand ils m'en parlent, je réponds que le «chaî­non manquant» dans cette évolution, est peut-être une réflexion sur la pen­sée de Wittgenstein, qui, au-delà de sa logique rigoureuse, de sa critique des ambiguïtés du langage, n'est pas dépourvue de mysticisme. Réflexion qui, de surcroît, n'a pas été consignée dans un texte majeur de vous-même ou de l'un de vos collaborateurs. Quelle est votre explication? Y a-t-il un lien entre le mysticisme de Witt­gen­stein et votre engouement pour Hei­degger?

7. La «nouvelle droite» est souvent ca­taloguée dans la mouvance d'un néo-paganisme. Votre critique de la li­néarité judéo-chrétienne vous a induit à ouvrir une réflexion sur le temps et l'histoire. En opérant cette réflexion, vous deviez nécessairement aborder les façons non linéaires de saisir temps et histoire notamment les théo­ries cycliques de l'histoire, propres aux cultures traditionnelles. Par ail­leurs, à la suite d'Armin Mohler, vous avez parlé de la sphéricité du temps: en clair, dans cette optique, le temps est une sphère et n'est pas vectoriel mais, en revanche, le cycle qu'il par­court n'est pas répétitif; à tout mo­ment, une direction nouvelle peut être impulsée par la volonté d'un peuple, d'un chef, d'une personnalité charis­ma­tique, d'un génie de la pensée, etc. Aujourd'hui, dans vos écrits les plus ré­cents, on aperçoit une influence crois­sante des auteurs traditionalistes comme Guénon, Evola, Schuon ou Coo­maraswamy. Avez-vous renoncé à la théorie sphérique de l'histoire, abandonné l’amor fati de Nietzsche, pour retrouver le silence immobile de la tradition? Votre approche païenne, approche basée sur une option pour le devenir et non pas pour l'être, s'es­tom­pe-t-elle, passe-t-elle au second plan?

8. Sigrid Hunke, dans son célèbre ou­vrage Europas andere Religion, dont vous avez patronné la traduction fran­çaise aux éditions Le Labyrinthe, a dé­montré que l'essence de la religiosité européenne était l'unité du monde, l'u­nité fondamentale de toutes les cho­ses qui s'exprime la plupart du temps par la mystique. Dans Comment peut-on être païen?, vous embrayé dans ce sens, en critiquant systématiquement les théologies et les pensées de la «cé­sure», des dualismes qui opèrent précisément une césure, en valorisant certaines catégories de choses et de faits et en en rejetant d'autres dans une géhenne d'opprobre, instaurant de la sorte la désacralisation d'une bon­ne partie du monde, notamment de la vie, de la sexualité, des énergies sourdes qui irriguent les cultures de l'hu­manité. A la critique hunkienne du dualisme métaphysique, vous avez quel­ques fois ajouté des éléments très féconds puisés dans la physique non dualiste, dans la logique du tiers-in­clus de Sté­phane Lupasco et de son disciple Basarab Nicolescu. Aujour­d'hui, Jean-Jacques Wunenburger, qui vient de collaborer à votre nouvelle re­vue Kri­sis, a élaboré une « raison contra­­dic­toire». Comment Alain de Be­noist re­lie-t-il aujourd'hui son option païenne anti-dualiste à la logique lu­pascienne du tiers-inclus voire à la «rai­son con­tra­dictoire» de Wunenbur­ger?

◊ ◊ ◊

Huit ans plus tard, nous attendons tou­jours les réponses d’Alain de Be­noist…

Notes :

(1) Je ne compte pas mon intervention fortuite lors du Colloque annuel de l’as­so­ciation en novembre 1986, où j’ai été con­voqué à mon grand étonnement, vraisem­blablement parce qu’on craignait la dé­fec­tion de Faye, qui contestait durement la di­rec­tion du GRECE, à ce moment ; après cet­te intervention au colloque de 86, je n’ai plus eu de contacts avec le GRECE jus­qu’en mai-juin 1989, période où Charles Cham­petier m’a demandé de prononcer cet exposé sur la post-modernité de juin 89, à la tribune du « Cercle Héraclite ». J’avais tou­tefois reçu une lettre de Charles Cham­pe­tier en juin 1988, me demandant une col­lection complète de mes publications pour ses archives personnelles. Champetier n’a­vait pas encore pris contact avec le GRE­CE. Je l’ai rencontré pour la première fois le 31 juillet 1988 en Suisse, lors d’une assem­blée de la Lugnasad, organisée à l’occasion de la fête nationale helvétique. Champetier est ensuite venu à Bruxelles en septembre 88 me demander des conseils sur la voie à suivre. Il a investi la ND, où il n’y avait quasi plus personne, donnant au mouvement d’A­lain de Benoist un souffle nouveau. C’est dans le cadre de ses nouvelles fonctions au GRECE que Champetier m’a invité en juin 1989, ainsi qu’en mars 1990, pour un collo­que sur le futurisme, avec Jean-Marc Viven­za et Omar Vecchio. Alessandra Colla ac­com­pagnait ces exégètes du futurisme. Je n’ai en aucune façon influencé Champetier dans le choix des orateurs. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec la future Prési­dente du Bureau Européen de Synergies Eu­ropéennes et avec J. M. Vivenza, grâce, je tiens encore à le préciser, à l’entremise de Charles Champetier et dans le cadre du GRECE. Mais aussitôt a­près cette ma­nifestation consacrée au futu­risme, derrière le dos de Champetier, une campagne de dé­nigrement systématique a été habilement or­chestrée contre Vivenza (un « fou ») et Ales­sandra Colla (une « dan­gereuse extré­miste ») et, partiellement, con­tre moi-même. Champetier a fini par pren­dre ces ragots pour argent comptant et par perdre son in­dé­pendance d’esprit ; il a ac­quis les réfle­xes sectaires de l’apparatchik et perdu toute originalité intellectuelle. Pire : il a abandon­né ses propres initiatives, le groupe de ré­fle­xion IDEE et, un peu plus tard, sa revue, modeste mais pertinente, Métapo. Char­les Cham­petier ne s’est jamais posé de ques­tions sur les rai­sons pratiques ou psy­chia­tri­ques qui pous­saient son « chef » à colpor­ter des ra­gots infondés contre cer­taines per­sonnes (sur­tout quand elles sont dotées d’un vérita­ble diplôme universitaire ou, mê­me, d’une pe­tite peau d’âne de ba­chelier !). Un tel com­portement empêchait à l’éviden­ce le mou­vement de se développer : un tel sa­bo­tage systématique est-il le résul­tat d’une dé­faillance comportementale ou psy­chique ou bien, plus subtilement, est-ce une tactique dû­ment réfléchie et inspirée par cert­ains ser­vi­ces ? Trop jeune et finale­ment fort naïf, Charles Champetier ne s’est appa­remment ja­mais rendu compte de la si­tua­tion… De mê­me, en ne répondant pas aux questions que je posais (à sa propre de­man­de ! ! !), l’a­ni­mateur principal du GRE­CE maintenait son mouvement dans un « flou artistique », per­mettant toutes les ma­ni­pulations. De plus, alors qu’il annonçait vou­loir rompre avec certains éléments pas­séistes de son grou­pe, on constate, dix ans après, que les mê­mes olibrius encombrants et ridicules (un ridicule qui tue !) continuent leurs pitreries drui­dico-avinées, cucu-nazies et pagano-bur­les­ques en marge des dis­cours doctes de de Benoist et Champetier, qui affirment, avec les trémolos de la vierge effarouchée, qu’ils n’ont rien à voir avec le IIIième Reich (ni avec David Mortimerson).

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vendredi, 28 septembre 2007

ND: débat Champetier/Tingaud/Steuckers

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Débat ND (13)

 

Lettre de Charles Champetier

Réponses de Grégoire Tingaud (MNR)

Réponses de Robert Steuckers

 

Cher Grégoire

Quelques remarques très rapides :

 

1.

Je n'ai jamais critiqué le FN parce qu'il était "populiste" (j'ai mêmerédigé il n'y a pas si longtemps une présentation élogieuse du principal théoricien américain du populisme, Christopher Lasch ; cf. "Les peuples  contre la Nouvelle Classe" in Eléments). Au contraire, le "gaucho-lepénisme" m'apparaissait comme un des aspects les plus intéressants du phénomène, à l'encontre de ses réflexes plus conservateurs (moins de fiscalité, critique facile du "gauchisme", ordre moral, valeurs chrétiennes, etc.), souvent dominants dans les discours.

 

GT - Je n'avais pas relevé cette subtilité dans tes propos, et je trouve ton explication contradictoire avec ton argumentation contre Guillaume Faye (qui selon toi "bunkeriserait" nos idées par un goût affirmé de la provocation et la flatterie à l'égard des pulsions supposées "racistes" du peuple).

Mais ce n'est pas la première fois que je découvre ton étonnante sympathie pour Le Pen et le lepénisme : serais-tu à ton corps défendant touché par ce "romantisme de la défaite" propre à cette extrême-droite que tu méprises tant ?..

 

RS - Je peux témoigner avoir entendu très souvent (trop souvent) Monsieur Champetier se moquer méchamment des réactions populaires et populistes, que celles-ci émanent du FN français ou d'autres formations politiques ou associations. Je prends note de son recours à des thèses américaines actuelles, au demeurant excellentes, qui posent le peuple (voire la "majorité silencieuse", dénomination que Champetier n'aime pas) aux nouvelles élites intellectuelles, tenaillées par des utopies idéologiques impossibles à incarner dans la réalité politique, et aux détenteurs du pouvoir marqués par cette bouillie idéologique. Utopisme et idéologie sont ici considérés comme les armes d'un pouvoir qui se proclame "démocratique" mais qui n'est rien d'autre que coercitif. Souvent les révoltes populistes américaines étaient fort anti-intellectualistes, plus anti-intellectualistes que les mouvements identitaires européens d'aujourd'hui. Champetier se contredit en quelque sorte...

 

Ensuite, je trouve curieuse la démarche de Champetier aujourd'hui, qui est si fier d'avoir recensé un ouvrage de Lash. Faye avait analysé cet auteur en profondeur dès 1980-81 (Bulletin intérieur du GRECE, Nouvelle école, Orientations, que CC compulse sa documentation ou celle de son patron). Lash a exercé une influence profonde sur Faye. D'où, nous sommes en présence d'un paradoxe supplémentaire: CC s'attaque aux nouvelles thèses de Faye, qui dérivent partiellement d'une lecture ancienne et attentive de Lash, tout en se réclamant du populisme de Lash. Pourquoi cette attitude pour le moins biscornue? Tout simplement parce que CC tente de flatter les directeurs de la revue américaine Telos, pour qu'il puisse encore y écrire un article. Or, Paul Piccone, directeur en exercice de cette revue intéressante, ne cache pas son enthousiasme pour la Lega Nord de Bossi, dont le discours sur l'immigration est tout de même fort musclé. Ce flou dans l'attitude de CC (et d'AdB qui se dissimule toujours derrière lui et tient souvent sa plume...) semble donner raison à Faye: leur attitude hostile à son égard est dictée par des motivations bassement commerciales. Ils veulent éliminer un concurrent, qui publie dans une autre maison d'édition que le Labyrinthe.

 

2.

Je pense que la "majorité morale" n'existe plus en tant que force politique ; elle perdure en revanche en tant que masse sociologique réactive sur des points précis de l'évolution de nos sociétés. Il me semble que les partis politiques ne sont plus les formes les mieux appropriées pour faire bouger les choses sur ces points précis (cf. le paradoxe connu depuis 16 ans: les deux-tiers des Français partagent certains points du programme FN-MNR

mais les deux-tiers des Français considèrent en même temps ces partis comme dangereux).

 

GT - Il y a eu de tout temps des personnes pour enterrer l'action politique en la qualifiant d'impasse.

Il n'empêche qu'elle est toujours là, et qu'elle peut, en complément d'autres initiatives, se révéler la plus efficace, ne serait-ce que par sa capacité à toucher le maximum de personnes.

 

RS - Que Champetier le veuille ou non, il existe une "majorité morale" dans tous les pays du monde, même si celle-ci n'a plus nécessairement des références chrétiennes. C'est là effectivement que réside la difficulté majeure pour ceux qui veulent l'action politique. Ils doivent prendre appui sur une minorité activiste, ou sur un ensemble (limité) de minorités activistes, dont le discours est profilé d'une certaine manière bien précise et non partagé, en apparence, par la majorité de la population. L'objectif est de conquérir cette majorité, en diversifiant les langages et les argumentaires, en leur donnant un ton naturel (c'est le succès de Haider), sans heurter les activistes du départ (qui tiennent à conserver leurs prérogatives au sein des partis, associations, etc.). Les partis politiques ne sont plus tout à fait des formes adéquates effectivement: il me semble qu'ils doivent être flanqués de lobbies, à la manière américaine. Il faut travailler sur les contradictions de nos sociétés, dont les oligarques et leur prêtraille d'idéologues sont responsables. Néanmoins, le travail en lobbies doit déboucher sur une traduction politique, via des formations participant aux élections. Il faut au moins faire perdre un maximum de voix aux partis établis, freiner leur progression. Si 2/3 des Français sont d'accord avec les idées des partis populistes mais les considèrent comme dangereux, c'est la un hiatus dû à la dictature médiatique, que doivent combattre les associations métapolitiques. Que CC se mette donc au travail.

 

3.

La loi Gayssot n'empêche nullement de créer un Observatoire de l'immigration ou même un Observatoire des minorités. Et sauf erreur de ma part, la discrimation religieuse est autant punie par la loi que la discrimination raciale. La focalisation sur l'Islam plaît surtout à une minorité catholique. Elle est contradictoire avec la focalisation sur l'ethnie.

 

GT - Je suis d'accord sur le premier aspect (si ce n'est que parler d'islam évite de parler ouvertement de "race", alors que le message sous-jacent est bien le même).

Quant à l'opportunité du combat contre l'islam - et a fortiori contre l'islamisme et l'islamisation - nous sommes évidemment en total désaccord, ce qui ne te surprendra pas. PS : Ce combat est d'autant moins réductible à une "minorité catholique" qu'il s'inscrit parfaitement dans une vision du monde polythéiste...

 

RS - Champetier semble accepter que les discriminations religieuses soient punies par la loi. Soit. Mais toute religion est discriminante par rapport aux autres. Donc on risque de ne jamais en sortir et d'en arriver, tôt ou tard, à la saturation des tribunaux (ce qui est logique quand on veut arbitrer les goûts et les couleurs, ce qui n'est pas la fonction du droit)... Ensuite, il n'y a pas si longtemps  —mais sans doute Champetier a-t-il la mémoire courte—  sa revue éléments revendiquait haut et clair le "droit au blasphème", donc le droit à s'opposer à toutes les formes d'intolérance religieuse, voire le droit de se moquer des dévots. Pourquoi Faye n'aurait-il dès lors pas le droit de s'insurger contre certaines dérives du fondamentalisme islamiste?

 

Quant à la "focalisation sur l'Islam" dont parle Champetier, elle n'est pas la spécialité d'une minorité catholique, mais se retrouve également dans bon nombre de milieux laïcs voire laïcards qui s'inquiètent justement du recul de l'esprit voltairien. De plus, les options "païennes" de la secte où officie Champetier, à la droite du gourou, ne sont pas davantage compatibles avec un islamisme fondamentaliste, même si quelques psychopathes qui s'y produisent se proclament tout à la fois catholiques, islamistes et païens. Mais ce n'est pas là un fait sociologique, mais une psychopathologie individuelle. 

 

4.

Nous n'avons pas le même "adversaire principal", et c'est bien là le problème. L'entreprise de destruction systématique de la ND depuis la campagne de 1979 aussi bien que les 15 ans de harcèlement du FN ont démontré que les véritables maîtres de l'opinion en démocratie occidentale sont désormais les médias au sens large, qui conforment les mentalités et discriminent les attitudes ou opinions recevables/irrecevables. Jusqu'à plus ample information, ces médias ne sont pas tenus par des islamistes ou des afro-asiatiques. La dénonciation de l'islamisme est précisément un lieu commun de ces médias depuis longtemps : sur ce point, je ne vois pas de  différences majeures entre les violents éditos "anti-intégristes" de Jean Daniel et la prose d'Alexandre Del Valle.

 

GT - Je ne vois pas en quoi l'adversaire principal est différent.

Mais attaquer frontalement les "médias" s'est jusqu'à présent révélé infructueux, voire contre-productif (cf. les expériences dans ce domaine, effectivement, du FN et de la ND...).

Je crois que c'est dû principalement au fait que ce danger n'est pas ressenti par l'opinion, contrairement à l'excès d'immigration, lequel n'est possible que par la complicité du système dans son entier (politique, médiatique, etc.).

Une fois encore, il ne faut pas confondre combat politique (nécessairement simplificateur car mobilisateur à partir d'un fait / d'une menace tangible) et engagement métapolitique (qui doit en effet analyser en profondeur les rapports de force afin de dégager des axes de rupture possible).

Quant à moi, je me refuse à mettre sur un pied d'égalité envahisseurs et envahis, par principe et par solidarité "naturelle" avec les seconds, qui constituent malgré tout mon peuple ...

 

RS - L'adversaire principal est effectivement l'établissement, qui use et abuse des armes médiatiques. Or le phénomène migratoire (dont la majorité des ressortissants sont de confession islamique) a servi à cet établissement pour disloquer systématiquement et graduellement les bases juridiques de nos Cités politiques, pour ruiner l'idée de citoyenneté (liée à l'appartenance), pour détruire l'enseignement (qui donnait une égalité des chances à tous), pour démolir les ressorts des communautés et des familles, etc. De manière à avoir des masses atones de consommateurs dociles.

Ensuite, que Champetier ne fasse pas le bête: l'anti-intégrisme de Jean Daniel dérive de son idiosyncrasie per­sonnelle: il est né à Alger, il connaît l'Algérie charnellement, etc. Son anti-intégrisme repose essentielle­ment sur une appréciation personnelle du drame algérien depuis Sétif en 1945. Le propos de Del Valle est complè­te­ment différent: il argumente de manière plus globale et tire des leçons d'ordre géopolitique. Del Valle a le mé­rite de dénoncer l'alliance des Etats-Unis, de la Turquie et de l'Arabie Saoudite (et du Pakistan) contre l'Europe, la Russie et l'Inde. Je ne crois pas que Jean Daniel ait le souci de défendre l'Europe (centrée autour de l'Alle­magne et de l'Autriche), la Russie et l'Inde... 

 

5.

Le positionnement "droitier-conservateur" est une tactique. Peut-être. Mais en politique, les tactiques devien­nent vite des stratégies, et les stratégies des réalités. RV donc dans quelques mois ou années pour voir à quoi tout cela vous mène. Et si cela menait au pouvoir —ce qu'après tout je vous souhaite—, voyons pour quoi faire.

 

GT - La conquête du pouvoir ne se confond pas avec son exercice, à moins de s'enivrer d'un idéalisme par trop adolescent.

Quand au positionnement "conservateur", je maintiens qu'il est tout à fait compatible (voire consubstantiel) avec un état d'esprit révolutionnaire. Une preuve ? L'une des valeurs les plus conservatrices a priori (l'enra­cine­ment, et par voie de conséquence le régionalisme et le combat identitaire) est une arme de combat contre le Système dans son entier (mondialiste et donc niveleur) et est d'ailleurs considéré comme tel (cf. l'opération de "repentance" exigée du Mouvement breton, de l'attentat de Quevert au lycée Diwan "Roparz Hémon"...).

 

RS - La défense de l'enracinement a eu des visages conservateurs et des visages révolutionnaires. Tout comme la défense du peuple contre les oligarchies aux Etats-Unis, pour revenir au début de cette discussion et aux débats qu'organise la revue Telos. L'objectif de toute métapolitique bien comprise doit être de fusionner ces motivations diverses en un tout cohérent. Ce à quoi je me suis employé, très tôt, dès le début des années 80, dans le sillage du neutralisme allemand. J'ai été épaulé dans ce combat par Thierry Mudry, Jean-Pierre Patin, Ange Sampieru et plusieurs autres. A l'époque, de Benoist nous traitait de "trotskistes" et s'amusait à répandre des ragots ineptes contre la personne de Thierry Mudry. Aujourd'hui, cette politique, qui fut la nôtre, et qui fut critiquée par les pontes de la ND, est devenue subitement la panacée, chez ceux qui la rejetaient hier. Comprenne qui pourra...

 

CC - Cordialement

GT - Idem.

RS - Meilleures salutations.

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mardi, 11 septembre 2007

R. Steuckers: Entretien accordé à G. Luyt

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Réponses aux questions de Guillaume Luyt

Entretien avec Robert Steuckers

Robert Steuckers, qu'est-ce que Synergies Européennes ?

«Synergies Européennes» est une amicale paneuropéenne, qui regroupe, de manière somme toute assez infor­mel­le, des non conformistes de toutes nationalités qui travaillent sur un ensemble de thèmes communs: criti­que du mondialisme et des idéologies dominantes, révolution conservatrice et thématiques assimilables à ce complexe politico-idéologique riche de différences, projets alternatifs en économie et en droit, littérature cri­tique des travers de notre monde contemporain, philosophie nietzschéenne et postmoderne, etc. Cette ami­cale "fonctionne" naturellement et spontanément sans structures autres qu'un bureau européen, dont j'assure le secrétariat et qui a pour simple tâche de coordonner des activités communes, comme les séminaires ré­guliers ou ponctuels, les universités d'été ou les rencontres amicales. Comme vous l'aurez sans doute appris par la rumeur, j'avais découvert la ND en 1973 quand j'avais 17 ans et j'y ai travaillé longtemps en gardant toutefois un certain scepticisme au fond du cœur. Toujours, j'ai voulu œuvrer à la charnière de cette ND, que je percevais comme un cercle d'études (j'étais avec Guillaume Faye au “Secrétariat Etudes & Recherches"/ SER), et les diverses expressions du nationalisme révolutionnaire, que je percevais comme des tentatives d'an­crage de nos études dans la réalité sociale; comme des espaces effervescents capables de conquérir une niche et de la consolider sur les échiquiers politiques nationaux dans les Etats européens.

Pour moi, l'aire NR devait être aux forces identitaires ce que le tissu associatif gauchiste était aux forces mar­xistes et surtout à la sociale-démocratie européenne. On mesure pleinement aujourd'hui le succès de ce travail gau­chiste en marge de la sociale-démocratie ou des forces écologistes quand on aperçoit des Fischer ou des Jo­s­pin, des Blair ou des Schröder au pouvoir. Je me suis malheureusement trompé jusqu'ici, mais, en dépit de cet­te erreur d'analyse factuelle, je demeure convaincu qu'une consolidation de cette aire politique, si elle se réa­­lise, sera la base de départ d'un renouveau. Que les extrêmes droites classiques, véhiculant un vétéro-natio­na­lisme anti-social, a-critique à l'égard des structures dominantes, ou des résidus de pensée théologique ou des bricolages complotistes ou des nostalgies des fascismes ou des para-fascismes, sont incapables de mener à bien. La ND, centrée autour d'Alain de Be­noist, avait toujours refusé, avant 1985 et après 1987, de frayer avec des groupes plus militants, portés par des jeunes gens dynamiques (entre 1985 et 1987, les principaux ex­po­sants de la ND accordent toutefois des entretiens aux revues du MNR de J. G. Mal­liarakis, sans que cette coo­pé­ra­tion ponctuelle et passagère ne donne de véritables résultats). Pour nous, qui œuvrions à Bruxelles depuis 1976, ce refus néo-droitiste était une insuffisance. Nous préférions les synthèses allemandes et italiennes, notamment le mélange allemand de nationalisme révolutionnaire et de nouvelle droite, dont les observateurs scientifiques ou critiques ne parviennent pas à séparer les ingrédients (voir les travaux de Bartsch, Pröhuber, etc.). En Italie, Pino Rauti, entre 1978 et 1982, dirigeait le bimensuel Linea, où les options nationales ré­vo­lu­tion­nai­res se mêlaient très habilement à certaines thèses de la ND, rendant particulièrement instructive la lecture de cette publication très vivante, très en prise sur les réalités quotidiennes de la péninsule. La syn­thèse réussie de Linea a toujours été pour moi un modèle.

Dans le cadre de mes activités en marge du GRECE d'abord, du Groupe EROE ("Etudes, Recherches et Orien­ta­tions Européenne") puis de Synergies Européennes ensuite, j'ai toujours tenté de rétablir un contact entre ces deux pôles, l'un théoricien, l'autre activiste. Je n'ai jamais renié mon compatriote Jean Thiriart, avec qui j'ai échangé un courrier aussi abondant que truculent (nous nous échangions des épithètes dignes du Capitaine Haddock), qui fut un maître incontournable sur deux plans: sa volonté de parfaire toujours une analyse géopo­li­ti­que de la scène internationale et, ensuite, sa volonté d'analyser les situations politiques intérieures à l'aune des instruments que nous ont laissés des hommes comme Vilfredo Pareto, Gaetano Mosca, Serge Tchakhotine, Da­vid Riesman, Raymond Aron (surtout "Les grands courants de la sociologie contemporaine"), etc. Thiriart était un analyste lucide des tares des régimes dominants; il méprisait profondément les politiciens à la petite semaine, qui n'agissent que par fringale d'intérêts personnels et par appétit de petits pouvoirs sans impact sur le fonctionnement réel de la politique. J'ai aussi participé régulièrement aux activités du MNR de Jean-Gilles Malliarakis à Paris, dont les interventions publiques étaient si chaleureuses à la mode latine et méditerra­néen­ne. Le MNR de Malliarakis était comme une grande famille et je regrette vivement qu'une structure de ce type n'existe plus aujourd'hui dans la capitale française, permettant des échanges féconds.

J'ai également participé à la revue Nationalisme et République de Michel Schneider, ce qui m'a valu les foudres d'A­lain de Benoist et de Charles Champetier. Heureusement que ces deux personnages ne sont que des Jupiters de petit voltage, juchés sur des taupinières, et que leurs foudres ne m'ont pas terrassé: elles n'ont eu que l'ef­fet d'un micro-postillon crachoté par une musaraigne. L'expérience de Nationalisme et République a été fort in­­téressante dans la mesure où des esprits très différents ont fait confluer leurs réflexions non conformistes dans ce journal, lui conférant une pertinence rarement égalée depuis. Ensuite, dernière remarque sur Natio­na­lisme et République: cette trop courte expérience éditoriale a permis notamment de suggérer les bases d'une recomposition géopolitique de l'Europe.

Incompatibilité entre politique et satano-saturnalisme

En revanche ma collaboration avec Christian Bouchet ("Nouvelle Résistance", le FEL) a tourné court. Bien que j'ai toujours amèrement déploré sa rupture, incompréhensible, avec le mouvement "Troisième Voie" de Jean-Gilles Malliarakis, qui, lui, a trop vite jeté l'éponge, j'ai toujours regardé le mouvement lancé ou repris par Bouchet avec sympathie et nous échangions publications et informations; nous nous sommes retrouvés à Paris dans une salle du 18ième arrondissement à côté d'Alexandre Douguine, nous semblions coopérer sans arrière-pen­sées, jusqu'au jour où Bouchet a eu une idée somme toute assez saugrenue. A la veille des élections euro­péennes de 1994, il a rendu visite au président français de "Synergies Européennes", Gilbert Sincyr, un ancien du GRECE, pour lui demander de placer les membres de SE sur une liste de candidats, dirigée par Bouchet lui-même, qui devait s'opposer à celle du FN de Le Pen. A juste titre, Sincyr a jugé que cette opé­ra­tion n'avait pas raison d'être et que SE, tout comme le FEL, risquait de se couvrir de ridicule, vu les scores for­cé­ment dérisoires que cette liste aurait obtenus. Bouchet a très mal pris ce refus et s'est mis en campagne contre Synergies Européennes, avec, en coulisse, l'appui d'Alain de Benoist et du "Chancelier" (!) du GRECE, Maurice Rollet, qu'il rencontrera à Marseille pour jeter les bases d'un "front commun" contre nous (et contre moi en particulier!).

Ce comportement irrationnel et puéril a fait perdre beaucoup de temps au mouvement. Par ailleurs, bon nom­bre de "synergétistes" voyaient d'un fort mauvais œil les activités non politiques de Bou­chet, où se mê­laient un culte du Britannique Aleister Crowley (sujet/objet de sa thèse universitaire), des pra­ti­ques sa­ta­nistes et sa­turnalistes, des rites sexuels du plus haut comique, où les participants s'affublent d'ori­peaux sacerdotaux d'où dépassent, obscènes, leurs attributs, sacrifices de poulets (pauvres bêtes!) par dé­ca­pitation en psalmodiant des in­cantations hystériques en faux tibétain, etc. Bouchet fait évidemment ce qu'il veut dans ses pénates, s'in­vente les jeux érotiques qui lui plaisent (à chacun selon ses voluptés!), mais un mixte de ces bouffonneries et de la politique —chose sérieuse quand elle refuse d'être purement politicienne— ne peut rien rapporter de bon, si ce n'est les quolibets de nos adversaires, qui peuvent ainsi largement alimenter leurs fantasmes. Le grou­pe “anti-fasciste” Golias étant particulièrement friand de ce genre de mixtum com­po­situm. Tout en gar­dant certaines réserves et en conservant mon esprit critique, je reconnais pleinement par ail­leurs l'excellence des deux derniers ouvrages de Bouchet: le volume collectif intitulé Les nouveaux natio­nalistes et l'ouvrage didactique qu'il vient de publier chez Pardès: Le B.A.BA du néo-paganisme. Bouchet a fait là œuvre utile, mais pour ses dérapages "saturnalistes", je conseille à tous de lire les deux pages bien claires de Victor Vallière, intitulées “De Satan à Loki: l'erreur de parcours de certains néo-païens” (in: Réfléchir & Agir, n°9, été 2001). Vallière nous donne là le vade-mecum de tout responsable local pour faire face à des velléités de saturnalisme ou de satanisme: il faut leur opposer un non possumus catégorique.

Ma collaboration avec Lookmy Shell (PCN) n'a débouché sur rien non plus, mis à part quelques articles dans ses publications. Ultérieurement, la querelle Bouchet/Shell, quels qu'en soient les motifs, a enrayé, à mon avis, la progression du mouvement nationaliste révolutionnaire, y compris des revues de Shell lui-même, qui au­raient pourtant mérité une plus ample diffusion, surtout qu'elles contenaient les articles de Frédéric Kisters, dont le niveau est excellent. Je reconnais notamment le bien fondé des tentatives de Lookmy Shell d'éradiquer tou­­tes les formes de “nazisteries” qui entachent le mouvement national-révolutionnaire et le couvrent de ridi­cule. Mais de là à imiter les insuffisances des mouvements qui s'auto-proclament “anti-fascistes” ou “anti-ra­cis­tes” et de faire du “nazisme” (défunt depuis mai 1945!!!) un concept extensible à l'infini, il y a une marge… Lookmy Shell a malheureusement franchi cette marge et renforcé la confusion qui règne depuis longtemps déjà dans la mouvance NR. J'aurais voulu poursuivre avec lui une quête sur le stalinisme, l'histoire de la diplomatie so­vié­ti­que, la mise en œuvre de la Sibérie dans les premières décennies du pouvoir soviétique, sur l'eurasisme, sur la di­plomatie soviétique pendant la guerre froide, sur la géopolitique des Balkans. A cause de l'attitude incom­pré­hensible de Lookmy Shell, toute cette documentation est restée en jachère mais, soyez-en sûrs, elle ser­vi­ra à d'autres. Par ailleurs, le comportement de Shell à mon égard demeure inexplicable. Il me reproche no­tam­ment d'a­voir dialogué avec le FNB de Marguerite Bastien, dont le journal, Le Bastion, a repris certains de mes pro­pos, sous la forme de deux ou trois interviews, axés principalement sur le problème de la Turquie dans l'OTAN et dans l'an­tichambre de l'UE. Lookmy Shell accusait l'équipe du Bastion d'être inspirée par une idéologie bru­ne-bleue (c'est-à-dire naziste-libérale) et d'être pro-occidentale, alors que dans le conflit du Kosovo, par ex­em­ple, elle a sévèrement critiqué la politique de l'OTAN et ne s'est jamais réclamée du national-socialisme. Je me de­man­de en quoi mes rapports avec les uns ou les autres regardent Lookmy Shell, et pourquoi s'arroge-t-il le droit de se poser en juge (fouquier-tinvillesque) de toute une presse, nationale ou autre? Quelles sont ses com­pé­­ten­ces intellectuelles, quelle élection l'a donc érigé à ce poste qu'il se donne arbitrairement? Shell n'a jamais été mon professeur et je n'ai jamais été membre de son mouvement. Dont acte. Et s'il n'en prend pas acte, je pense que son jugement est vicié et s'assimile aux rodomontades d'un interné qui se prendrait pour l'Empereur Napoléon (ou pour un autre personnage historique). Il y aurait là un vice dans l'appréhension du réel. Que je dé­­plore. Quand je visiterai une nouvelle fois un Asklepion hellénique, je demanderai à ce bon Esculape d'in­ter­céder en sa faveur, de trouver remède à ce mal qui afflige mon bon compatriote Lookmy Shell. Et quand un voi­sin catholique se rendra à Lourdes, je lui demanderai de dire une belle prière pour le Chef suprême du PCN, dont le retour à l'équilibre vaut bien quelques cierges consumés devant cette belle grotte pyrénéenne. Afin que nous puissions tous bénéficier de son rétablissement. Et relancer la machine interrompue à cause de ses co­lères aussi bruyantes qu'inexplicables.

Ces diverses péripéties montrent que l'espace ND/NR pose problème. Qu'il est tiraillé entre un empyrée théo­rique parfaitement éthéré —la planète Sirius disait un jour Pierre Vial en faisant allusion au GRECE— et un dis­cours qui s'englue dans des répétitions stériles, c'est-à-dire dans un piège mortel, où l'on n'appréhende plus le réel correctement. Si, à cet irréalisme et à ses répétitions, s'ajoutent l'arbitraire de personnalités en proie à des défaillances de jugement ou des illusions de grandeur, tout l'édifice, déjà fragile, bascule dans le néant. C'est pourquoi je salue avec joie, aujourd'hui, l'émergence de personnalités nouvelles, qui ont le sens de la camaraderie, de la solidarité, des nuances, de la nécessité de fédérer toutes les forces, de proposer une al­ter­native crédible et acceptable, à condition que ces personnalités adoptent systématiquement des démarches prospectives en direction des besoins réels de nos sociétés, quittent les marécages dangereux du nostalgisme et du sectarisme. Je pense aux efforts d'Eddy Marsan en France, qui juge la situation politique avec le regard acéré du philosophe réaliste, et de l'équipe du journal De­venir en Belgique, qui bénéficie depuis quelques nu­méros de la plume de Frédéric Kisters, qui a quitté, ef­fra­yé, le PCN de Lookmy Shell, à la suite de déboires dont je ne connais pas les détails. La tâche de ces person­na­lités nouvelles et dynamiques sera ardue, mais si elles persévèrent, elles réussiront au moins à établir soli­de­ment un édifice critique (à l'encontre de l'éta­blis­se­ment) et affirmateur (de valeurs et de perspectives poli­ti­ques nouvelles) dans le double champ de la ND et du NR. Et devenir, par conséquent, l'espace de renou­velle­ment des forces identitaires en Europe, que j'avais tou­jours espéré voir advenir. Laissons les personnalités à pro­blèmes se réfugier dans leur tour d'ivoire, prendre une retraite parfois méritée, dans de belles demeures ru­ra­les, en zone verte, pour se calmer les nerfs en siro­tant de réconfortantes tisanes.

Travailler à l'avènement d'une collégialité conviviale

Ce dont nous avons besoin, et que nous appelons de nos vœux depuis l'émergence de "Synergies Européennes", c'est l'avènement d'une col­lé­gialité conviviale et courtoise (ce sont les termes mêmes de notre charte), où cha­cun garde bien sûr qui sa re­vue, qui son cercle, qui son site internet, dans une pluralité féconde qui sera fédé­rée en ultime instance par un état d'esprit non sectaire, où l'intérêt collectif prime les humeurs et les af­fects per­sonnels. Ceux qui souf­frent de tels affects, ou se prennent pour des oracles infaillibles tout en menant des "stra­tégies personnelles" et en semant la zizanie, n'ont pas leur place au sein d'une telle collégialité. Il ne s'agit pas d'oblitérer les élans personnels et les initiatives de qualité; au contraire, il faut les laisser intacts et les fé­dérer ponctuellement, sans faire régner un mauvais esprit de soupçon, ni un caporalisme stérilisant, car de tels es­prits sapent le fonc­tion­nement optimal de tout groupe organisé.

Dans le cadre de la ND, il faut aussi déplorer une ambiguïté importante dans la définition qu'elle donne de la "cul­­ture", en tentant de la dégager et de l'autonomiser par rapport à toute démarche ou réflexion politiques, aus­si modestes soient-elles. Pour moi, une culture politique implique d'aborder les questions

- de la géopolitique (la dynamique croisée de l'histoire et de la géographie, des volontés humaines et de la don­née spatiale),

- du droit (le droit comme expression de l'identité politique d'un peuple, d'un Etat ou d'un Empire),

- de l'économie (les institutions économiques nationales ou locales sont autant l'expression de la culture d'un peu­ple que ses productions artistiques; la revalorisation des institutions économiques spécifiques est un an­­tidote contre les tentatives d'arasement globaliste)

- de l'histoire ancienne et immédiate, car nos méthodes sont généalogiques et archéologiques au contraire de celles des idéologies dominantes, qui plaquent sur le réel des idées toute faites; chaque entité poli­ti­que doit être ramenée à son histoire, à sa trajectoire propre dans le temps, et ramasser son passé pour le pro­jeter vers l'avenir, son avenir, distinct de celui des autres entités.

Cette approche nous différencie de la ND au sens habituel du terme, qui n'a pas abordé ces questions de ma­niè­re systématique, mais a mis davantage l'accent sur la volonté de créer une religion-ersatz (avec des rituels as­­sez parodiques et puérils: incantations biscornues devant une vieille pierre de meule rebaptisée "soleil de pierre", d'où l'expression d'un humoriste, qui avait assisté, à son corps défendant, à ce médiocre spectacle: le "pa­­ganisme du soleil pétrifié"), de forger une nouvelle morale en posant des interrogations sans fin (comme l'at­­­testent, par exemple, les deux numéros de Krisis sur la morale qu'Alain de Benoist a fait paraître naguère). Je ne nie pas l'importance des questions religieuses, morales ou éthiques mais je critique la propension à pren­dre prétexte de ces questions pour générer un questionnement sans fin qui n'aboutit à rien (les philosophes di­ront: le "trilemme de Münchhausen"). Les grandes valeurs religieuses ou éthiques ont déjà été énoncées et vé­cues dans le passé: il suffit de le reconnaître et de s'y soumettre. Le Bushido du shintoïsme japonais ou le Tao Te King chinois, par exemple, tous deux sources d'inspiration d'Evola, sont là, depuis toujours à notre dispo­si­tion. Nous pouvons les méditer, nous forger le caractère à leur lecture comme des millions d'hommes avant nous, intérioriser les admirables leçons de force et de modestie que ces deux textes nous offrent. C'est cela la pé­rennité de la Tradition. Un questionnement inquiet et torturé ne peut rien apporter de bon, si ce n'est l'in­dé­cision et le solipsisme, tares impolitiques par excellence.

Quelle est la dimension de votre combat ?

La dimension de notre combat est tout à la fois culturelle et politique. Elle vise la création d'une école politi­que européenne, puisant ses arguments dans les corpus culturels de notre continent. Géographiquement, ce com­bat est d'emblée européen, car, en notre point de départ, la Belgique, le cadre offert par le territoire na­tional est insuffisant (voire ridicule dans ses limites et indéfendable militairement). Les grands élans politiques ont toujours été impériaux ou européens chez nous, tant dans leurs dimensions laïques (comme chez "Jeune Eu­­rope" de Jean Thiriart), que bien souvent aussi dans leurs dimensions catholiques, où l'iconographe et pé­da­go­gue de l'histoire, le Chanoine Schoonjans des Facultés Saint-Louis, défendait toujours un point de vue im­pé­rial et catholique, même s'il devait parfois faire des concessions au "nationalisme petit-belge". En ultime in­stan­­ce, la patrie est le Saint-Empire, héritier de Rome. Les intellectuels de la fonction souveraine de ce Saint-Em­­pire, à ses débuts, étaient les clercs "lotharingiens", dont la plupart venaient du triangle Liège/Maas­tricht/ Aix-la-Chapelle, patrie originelle des Pippinides. Malgré cet affreux oubli du passé, qui nous pousse au­jourd'hui vers un univers orwellien, vers cette société du spectacle absolu sans profondeur temporelle que nous annon­çait Guy Debord, l'idée de cet aréopage de "lotharingiens" qui travaillent silencieusement au maintien de la struc­ture impériale, est une des idées motrices qui nous animent dans nos cercles de Brabant et de Liège. Cet­te Chancellerie "lotharingienne" trouve un écho dans la volonté de Carl Schmitt de recréer une telle in­stance, ap­pelée à énoncer un droit constitutionnel continental, de facture historiciste, flanquée d'une é­co­no­mie auto-cen­trée d'échelle continentale, reposant tous deux sur un recours à la Tradition, c'est-à-dire aux for­ces spi­ri­tuelles éternelles de l'Europe. Des "Lotharingiens" à Carl Schmitt, nous avons trouvé la conti­nui­té de gran­de pro­fondeur temporelle dans laquelle, humblement, nous nous inscrivons, en tâchant d'être de mo­destes con­ti­nua­teurs ou, du moins, les vestales de feux qui ne doivent pas s'éteindre.

De la guerre préventive des Américains contre l'Europe dans les Balkans, en Méditerranée orientale et en Asie centrale

Quant à la dimension plus pragmatique, que les impératifs de l'heure nous imposent, nous tentons de travailler de concert avec des amis allemands, italiens, espagnols, britanniques, français, helvétiques, russes, croates ou ser­bes sur des thématiques communes à toute l'Europe. Nous tentons de déconstruire à l'avance les antago­nis­mes artificiels que les services de diversion américains cherchent à bétonner en Europe. Par exemple, quand Hun­tington laisse sous-entendre qu'un clivage insurmontable existe de facto entre l'Europe occidentale (catho­lique et protestante) et l'Europe orientale (slavo-orthodoxe et son prolongement sibérien), il avance en fait un ar­gument de propagande pour rendre possible la guerre préventive que mènent les Etats-Unis contre toute con­centration de forces sur la masse territoriale eurasienne. En incluant la Grèce dans la sphère slavo-orthodoxe, les Etats-Unis, héritiers des stratégies de "containment" de l'Empire britannique, veulent à l'avance bloquer toute avancée des puissances danubiennes d'Europe centrale (allemande et serbe) en direction du bassin orien­tal de la Méditerranée, où Chypre déjà, est occupée par les Turcs depuis 1974. En fabriquant un axe musulman et néo-ottoman de la Thrace turque à l'Albanie, les Américains tirent un verrou infranchissable dans la portion sud du territoire balkanique, isolant la Grèce, qui, membre de l'UE et de l'OTAN, et réticente face aux pro­vocations turques, ne peut plus servir de tête de pont dans le bassin oriental. La géopolitique, vous le con­sta­tez, dans cet exemple très actuel, est une discipline faite de méthodologies diverses, qui vise à donner autant d'ouvertures possibles à nos forces continentales et apprend à prévoir l'organisation par nos adversaires de verrous ou le déploiement de stratégies bloquantes, qui visent à nous asphyxier politiquement, économique­ment, culturellement. Les travaux de nos amis croates et serbes (Antun Martinovic et Dragos Kalajic) ont été très éclairants dans cette problématique.

Enfin, il n'y a pas d'impérialité possible en Europe sans une économie propre qui suit ses règles spécifiques et non pas des recettes, néo-libérales et globalistes, énoncées en d'autres lieux, notamment dans les écoles et in­stituts de l'adversaire principal, les Etats-Unis. L'application de ces recettes conduit à notre impuissance. Nous travaillons donc sur les alternatives viables en économie, que des économistes français, tels Perroux, Albertini et Silem, avaient nommé les "hétérodoxies", qu'ils opposaient aux "orthodoxies", c'est-à-dire le libéralisme clas­sique (radicalisée aujourd'hui en "néo-libéralisme"), le communisme soviétique, désormais défunt, et les recet­tes de Keynes telles qu'elles sont appliquées par les sociales démocraties européennes (alors que l'œuvre de Key­­nes, nous le verrons parce que nous la travaillons actuellement, permet d'autres politiques). Pas d'im­pé­ria­lité non plus sans un droit clair et unifié, permettant d'harmoniser l'unité et la diversité. Un disciple de Carl Schmitt, Ernst Rudolf Huber, nous suggère un fédéralisme unificateur, respectueux des forces enracinées, seu­les garantes d'une "Sittlichkeit", c'est-à-dire d'une identité éthique et historique offrant la stabilité évoluante d'une continuité. C'est-à-dire une éthique vivante, politique et historique, qui permet de se projeter dans l'a­venir sans rester engluée dans des formes de gouvernance figées et sans jeter par-dessus bord les acquis du pas­sé. Guillaume Faye parlerait, lui, d'"archéofuturisme". En bref: l'antidote radicale à l'obsession de la "table rase" qui nous conduit tout droit à l'ambiance sinistre du 1984 d'Orwell et à la société moutonnière du spec­tacle, critiquée par Debord.

Vous venez de tenir votre université d'été, quelle place tient ce rendez-vous dans l'action de SE ?

L'Université d'été tient effectivement une place centrale dans nos activités. Elle est simultanément la Diète du mouvement, qui permet à nos sympathisants, venus de toute l'Europe, de se rencontrer et de constater que bon nombre de leurs préoccupations sont les mêmes en dépit des barrières nationales ou linguistiques.

Quelles en ont été les interventions principales ?

Il n'y a pas eu d'interventions principales et d'interventions secondaires, lors de cette 9ième Université d'été (qui est simultanément notre 16ième rencontre internationale). Nous avons toujours voulu présenter un panel d'orateurs chevronnés et d'orateurs néophytes. Cette méthode permet un enrichissement réciproque et évite le piège de la répétition, qui, comme je viens de vous le dire, est mortel à terme. Souvent les orateurs néophytes se défendent d'ailleurs fort bien. Ce fut le cas cette année plus que jamais. Parmi les orateurs chevronnés, nous avons eu Guillaume Faye, Frédéric Valentin, le Général Reinhard Uhle-Wettler et moi-même.

Faye nous a parlé de la "convergence des catastrophes" qui risque fort bien de s'abattre sur l'Europe dans les deux prochaines décennies. C'est un thème qu'il a déjà eu l'occasion d'évoquer dans ces trois derniers ouvrages, mais qu'il va approfondir en étudiant les théories de la physique des catastrophes. Le résultat final de cette quête va paraître dans une dizaine de mois et nous offrir une solide batterie d'argumentaires pour notre "philosophie de l'urgence", que nous avons tous deux héritée de nos lectures de Carl Schmitt (l'Ernstfall sur lequel nous travaillions déjà ensemble au début des années 80, notamment avec le concours de notre ami milanais Stefano Sutti Vaj et de la revue portugaise Futuro Presente), d'Ernst Jünger et de Martin Heidegger. Cette "philosophie de l'urgence" est dénoncée avec rage aujourd'hui par notre ancien "patron", Alain de Benoist, qui renie ainsi une bonne partie de ses propres positions, exprimées dans les colonnes des diverses revues néo-droitistes: on reste pantois à voir ainsi le chef de file de la ND/Canal historique renier purement et simplement les auteurs clefs de la RC et de la ND, qui se veut son héritière. Pire: il s'était posé comme le disciple fidèle d'Armin Mohler, auteur du manuel de référence principal des ND allemandes et italiennes (paru en version fran­çaise chez Pardès). Mohler développait une pensée de l'urgence, tirée des auteurs de la RC dont Jünger, de Carl Schmitt (“die Entscheidung”, “der Ausnahmezustand”), des disciples de celui-ci qui parlaient d'«Ernstfall», de la théorie de Walter Hof sur le “réalisme héroïque” et de la philosophie du Français Clément Rosset, auteur d'un ouvrage capital: La logique du pire. Pour Rosset, il fallait en permanence penser le pire, donc l'urgence, pour pouvoir affronter les dangers de l'existence et ne pas sombrer dans le désespoir devant la moindre contra­rié­té ou face à un échec cuisant mais passager. Mohler et Rosset sont mes professeurs: je n'accepte pas qu'on les trahisse aussi misérablement, que l'on opère une volte-face aussi pitoyable, surtout que rien, mais alors rien, n'est jamais venu infirmer la justesse de leurs démonstrations. La critique d'Alain de Benoist contre la pen­sée de l'urgence, telle que Faye l'articule, est résumée en une seule page de son journal, celle du 1 août 1999 (cf. La dernière année, L'Age d'Homme, 2000). Elle est à mon avis très bête, et toute à la fois suffisante et insuffisante. “Suffisante” par la prétention et la cuistrerie qui se dégagent de cette leçon sans substance, dia­métralement opposée à celles de Mohler et Rosset, et “insuffisante” par sa nullité et sa non pertinence.

Economie régulée et modèles sociaux traditionnels

Frédéric Valentin a abordé deux thèmes importants: la théorie de la régulation, avancée par les gauches au­jourd'hui, mais qui puise dans les corpus "hétérodoxes" (selon la définition de Perroux, Albertini et Silem). Pour les régulationistes français, la bonne marche de l'économie dépend de l'excellence des institutions politiques et économiques de l'entité où elle se déploie. Ces institutions découlent d'une histoire propre, d'un long terme his­torique, d'une continuité, qu'il serait tout à fait déraisonnable d'effacer ou de détruire, sous peine de dis­lo­quer la société et d'appeler une cascade de problèmes insolubles. Par conséquent, une économie qui se vou­drait "mondiale" ou "globale" est une impossibilité pratique et une dangereuse illusion. Dans sa deuxième in­ter­vention, il a montré comment les civilisations indiennes et chinoises avaient mis au point des garde-fous pour em­pêcher les classes sociales s'adonnant au négoce (du latin "neg-otium", fébrilité ou frénésie sans élégance) de contrôler l'ensemble du corps social.

Le Général Uhle-Wettler, ancien commandant des unités parachutistes allemandes et ancien chef de la 1ière Division aéroportée de la Bundeswehr, nous a exhorté à lire attentivement

- les ouvrages de Paul Kennedy sur la dynamique des empires et sur le concept d'hypertension impériale (im­perial overstretch),

- de Zbigniew Brzezinski pour connaître les intentions réelles de Washington en Eurasie et

- de Noam Chomsky pour connaître les effets pervers du globalisme actuel.

Cet exposé a été d'une clarté limpide, tant par la voix d'un homme habitué à haranguer ses troupes que par la concision du chef qui donne des ordres clairs. En tous points, les énoncés et les conclusions du Général cor­res­pondaient aux projets de notre "Ecole des Cadres", dirigée par Philippe Banoy, ce qui a évidemment en­thou­siasmé les stagiaires de cette école, présents à l'Université d'été! Mieux: debout à côté du Général pour tradui­re ses propos en français, j'ai été frappé d'entendre son appel aux jeunes Allemands à rejoindre un cercle com­me le nôtre pour élaborer l'alternative au monde actuel.

Pour ma part, j'ai présenté 54 cartes historiques de l'Europe, montrant le conflit cinq fois millénaire de nos peuples avec les peuples de la steppe eurasiatique. Nos cartographies scolaires sont généralement insuffisantes en France, en Allemagne et en Belgique. Les Britanniques en revanche, avec les atlas scolaires de Colin McEvedy, que je ne cesse de potasser depuis plus de vingt ans, disposent d'une cartographie historique beaucoup plus précise. En gros, quand les peuples européens dominent la steppe eurasienne jusqu'aux confins du Pamir (et peut-être au-delà, vers la Chine, à partir de la Dzoungarie et du désert du Taklamakan), ils sont maîtres de leur destin. Mais dès qu'un peuple non européen (Huns, Turcs) dépasse le Pamir pour s'élancer sur la ligne Lac Balkhach, Mer d'Aral, Mer Caspienne, il peut rapidement débouler en Ukraine puis dans la plaine hongroise et disloquer la cohésion territoriale des peuples européens en Europe. Cette vision, bien mise en exergue par la cartographie de Colin McEvedy, depuis la dispersion des peuples iraniens en Eurasie (vers 1600 av. J. C.), permet de bien mesurer les dangers actuels, où, avec Brzezinski, les Américains considèrent que l'Asie centrale fait partie de la zone d'influence des Etats-Unis, qui s'appuient sur les peuples turcophones.

Pour jeter les bases d'une "révolution conservatrice" civile

Dans une deuxième intervention, plus littéraire celle-là, j'ai montré comment les ferments de la fameuse "ré­volution conservatrice" allemande étaient né dans un cercle lycéen de Vienne en 1867, pour se développer en­suite à l'Université puis dans la sphère politique, tant chez les socialistes que chez les nationalistes. L'objectif de ce cercle, animé par la personnalité d'Engelbert Pernerstorfer, était de raviver les racines, de promouvoir un système d'enseignement populaire, de combattre les effets de la société marchande et de la spéculation boursière, de diffuser des formes d'art nouvelles selon les impulsions lancées par Schopenhauer, Wagner et Nietzsche (la "métaphysique de l'artiste", créateur de formes immortelles par leur beauté). La "révolution con­ser­vatrice" de Pernerstorfer est intéressante dans la mesure où elle se déploie avant la césure gauche/droite, socialistes/nationalistes, dévoilant une synthèse commune qui nous permet aujourd'hui de surmonter le clivage gauche/droite, qui bloque toute évolution idéologique, sociale et politique dans nos sociétés. Ensuite, le cor­pus idéologique qui a germé à Vienne de 1867 à 1914, permet de déployer une "révolution conservatrice" civile, c'est-à-dire une RC qui est en phase avec toutes les problématiques d'une société civile et non pas de la réduire à un "univers soldatique" comme dans la période de guerre civile qui a régné en Allemagne de 1918 à 1923. L'"u­ni­vers soldatique" est certes fascinant mais demeure insuffisant pour une pratique politique en temps normal (ceci dit pour répondre aux critiques insuffisantes et insultantes de de Benoist à l'encontre de toute pensée de l'urgence).

Deux autres orateurs de 40 ans se sont succédé à notre tribune: Andreas Ferch qui nous a brossé une esquisse biographique de Georg Werner Haverbeck, ancien animateur de la jeunesse "bündisch", inféodé par décret aux jeunesses hitlériennes, en rupture de banc avec le parti dès 1936 (parce que Haverbeck voulait une jeunesse fonctionnant selon les principes de la "démocratie de base" et non pas une jeunesse sous la tutelle d'un Etat), pasteur à Marbourg dans les années 40 et 50, animateur de cercles pacifiques au temps de la guerre froide (ce qui lui a valu le reproche d'être un "agent rouge"), fondateur de l'écologie non politicienne dans les années 80, refusant l'inféodation au gauchisme des Grünen (ce qui lui a valu le reproche de "néo-nationaliste" sinon pi­re…). Un destin étonnant qui résume toutes les problématiques de notre siècle. Werner Haverbeck est décédé à la fin de l'année 1999, à l'âge de 90 ans.

Heidegger et les effets pervers de la manie "faisabiliste"

Oliver Ritter, pour sa part, nous a parlé avec une extraordinaire concision et une remarquable clarté de Martin Heidegger. Il a parfaitement démontré que la transposition de critères et de grilles d'analyse de type technique ou de nature purement quantitative/comptable dans l'appréhension du réel conduit à des catastrophes (à cause du "voilement" ou de l'"oubli" de l'Etre). Face à l'option "archéofuturiste" de Faye, qui a des aspects techniciens, voire assurément "technophiles", en dépit de références heideggeriennes, les positions de Ritter sont bien sûr différentes, mais non "technophobes", dans la mesure où Heidegger s'émerveille aussi devant la beauté d'un pont qui enjambe une vallée, d'un barrage qui dompte une rivière ou un fleuve. Heidegger, et Ritter à sa suite, dénonce le désenchantement, y compris celui des productions de la technique, par l'effet pervers de ce culte technicien et quantitativiste de la faisabilité (Machbarkeit, feasability). Cette faisabilité (que critique aussi Ema­nuele Severino en Italie) réduit à rien la force intérieure des choses, qu'elles soient organiques ou produites de la main de l'homme. Cette réduction/éradication conduit à des catastrophes, et assurément à celles, convergentes, qu'annonce Faye. Ce dernier est plus proche du premier Heidegger, qui voit l'homme ar­raisonner le réel, le commettre, le requérir; Ritter, du second, qui contemple, émerveillé, les choses, souvent simples, comme la cruche qui contient le vin, au sein desquelles l'Etre n'a pas encore été voilé ou oublié, de ce second Heidegger qui dialogue avec ses disciples zen japonais dans son chalet de la Forêt Noire.

Sven Henkler, secrétaire de Synergon-Deutschland, vient de sortir un ouvrage sur le rapport homme-animal, totalement vicié aujourd'hui. Henkler nous a présenté son ouvrage le plus récent, Mythos Tier, qui déplore la déperdition définitive du rapport sacré qui existait entre l'homme et l'animal, de l'effroi respectueux que ressentait parfois l'homme face à la force de l'animal (notamment l'ours). L'animal est devenu pure mar­chan­di­se, que l'on détruit sans pitié quand les réquisits de l'économie l'exigent. Thierry de Damprichard a présenté un panorama des auteurs américains de la Beat Generation et explicité quelles influences ils avaient reçues d'Ezra Pound. Cette présentation a suscité un long débat qu'il a magistralement co-animé avec Guillaume Faye, très bon connaisseur de cette littérature, très en vogue dans les années 60. Ce débat a permis de rappeler que no­tre contestation du système (et de l'«américanosphère») est également tributaire de cette littérature protesta­taire. Guillaume Faye a notamment dit qu'elle avait marqué une figure non-conformiste française qui a démar­ré sa carrière dans ces années-là, qui est toujours à nos côtés: Jack Marchal.

Le rôle géopolitique futur de l'Inde et de sa marine

Jorge Roberto Diaz nous a parlé de la géopolitique de l'Inde, dans le cadre de diverses interventions sur les questions stratégiques et géostratégiques. Nous abordons chaque année un ensemble de questions de ce domai­ne, afin de consolider nos positions géopolitiques. L'ouvrage auquel Diaz s'est référé pour prononcer son exposé est celui d'Olivier Guillard, La stratégie de l'Inde pour le 21ième siècle (Economica, Paris, 2000). Jouer la carte in­dienne est un impératif géostratégique pour l'Europe et la Russie d'aujourd'hui, qui permettrait de contourner la masse territoriale turcophone, afghane/talibanique et pakistanaise, mobilisée contre l'UE et la Fédération de Rus­sie par les Etats-Unis. Une alliance entre l'UE, la Russie et l'Inde aurait pour corollaire de contenir l'effer­ves­cence islamiste et surtout, comme l'a très bien exposé Diaz, de contrôler l'Océan Indien et le Golfe Persique, donc les côtes des puissances islamiques alliées des Etats-Unis. Le développement de la marine indienne est donc un espoir pour l'Europe et la Russie qui permettra, à terme, de desserrer l'étau islamique dans le Caucase et les Balkans et de parfaire, le cas échéant, un blocus de l'épicentre du séisme islamiste, c'est-à-dire l'Arabie Saoudite. La menace qui pèse sur l'Inde vient de l'occupation américaine de l'île de Diego Garcia, où sont con­cen­trées des forces impressionnantes, permettant aux Etats-Unis de contrôler les flots et le ciel de l'Océan In­dien ainsi que le transit maritime du pétrole en direction de l'Europe, de l'Afrique du Sud, du Japon et des nou­veaux pays industriels d'Asie orientale.

Max Steens nous a plongés dans la pensée politique chinoise, en évoquant la figure de Han Fei, sage du 3ième siècle avant l'ère chrétienne. Han Fei nous suggère une physique politique limpide, sans jargon, avec, en plus, 47 principes pour prévenir toute pente vers la décadence. Phrase ou aphorismes courts, à méditer en perma­nen­ce! Le renouveau de notre espace politico-idéologique passe à notre sens par une lecture des sagesses po­litiques extrême-orientale, dont

- le Tao-Te-King, traduit en italien par Julius Evola pendant l'entre-deux-guerres et texte cardinal pour com­prendre son idéal de “personnalité différenciée” et son principe de “chevaucher le Tigre” (c'est-à-dire de vivre la décadence, de vivre au sein même de la décadence et de ses manifestations les plus viles, sans perdre sa force intérieure et la maîtrise de soi),

- le traité militaire de Sun Tsu comme le préconise Philippe Banoy, chef de notre école des cadres de Wal­lonie,

- le "Tao du Prince" de Han Fei, comme le préconise Steens de l'école des cadres de Bruxelles et

- le code du Shinto japonais, comme le veut Markus Fernbach, animateur de cercles amis en Rhénanie-West­phalie. Fernbach est venu nous présenter le code du Shinto avec brio, avec une clarté aussi limpide que son homologue français ès-shintoïsme, que je n'ai pas l'honneur de connaître, Bernard Marillier, auteur d'une étude superbe sur ce sujet primordial, parue récemment chez Pardès.

Tremper le caractère, combattre les affects inutiles qui nous distraient de l'essentiel

Ces voies asiatiques conduisent à tremper le caractère, à combattre en nos fors intérieurs tous les affects inu­tiles qui nous distraient de l'essentiel. Un collège de militants bien formés par ces textes, accessibles à tous, per­mettrait justement de sortir des impasses de notre mouvance. Ces textes nous enseignent tout à la fois la du­reté et la sérénité, la force et la tempérance. Après la conférence de Fernbach, le débat s'est prolongé, en abordant notamment les similitudes et les dissemblances entre ce code de chevalerie nippon et ses homologues persans ou européens. On a également évoqué les "duméziliens" japonais, étudiés dans le journal "Etudes indo-européennes" du Prof. Jean-Paul Allard de Lyon III, bassement insulté par la presse du système, qui tombe ainsi le masque et exhibe sa veulerie. Enfin, il y a eu un aspect du débat qui me paraît fort intéressant et promet­teur: notre assemblée comptait des agnostiques, des païens, des catholiques et des luthériens. Ethique non chré­tienne, le Shinto peut être assimilé sans problème par des agnostiques ou des païens, mais aussi par des ca­tho­liques car le Vatican a admis en 1936 la compatibilité du shintoïsme et du catholicisme romain. On peut donc être tout à la fois catholique et shintoïste selon la hiérarchie vaticane elle-même. Dès lors pourquoi ne pas étendre cette tolérance vaticane aux autres codes, ceux de la Perse avestique ou des kshatriyas indiens, le culte romain des Pénates, etc., bref à tout l'héritage indo-européen? Voilà qui apporterait une solution à un problème qui empoisonne depuis longtemps notre mouvance. Mais cette reconnaissance du shintoïsme, qui da­te de 1936, sous le Pontificat de Pie XII, est-elle encore compatible avec les manifestations actuelles du catho­li­cisme: les mièvreries déliquescentes de Vatican II ou l'impraticable rigidité des intégrismes obtus?

Manfred Thieme nous a ramenés à l'actualité en montrant avec précision les effets de la privatisation de l'éco­nomie dans les PECO (pays d'Europe centrale et orientale), en prenant pour exemple l'évolution de la Répu­blique Tchèque.

Les autres conférences, prévues à Bruxelles pendant le week-end précédant l'Université d'été proprement dite, seront prononcées plus tard, majoritairement en langue néerlandaise. Successivement, Jürgen Branckaert, Pré­sident des Jeunes du Vlaams Blok, l'historien brugeois Kurt Ravyts, Philippe Banoy, Guillaume Faye et moi-même y prendront la parole. Branckaert évoquera une figure cardinale de notre histoire: le Prince Eugène de Savoie, vainqueur des Turcs à la fin du 17ième siècle. Un cercle "Prince Eugène" verra le jour à Bruxelles, ras­sem­blant des Flamands et des Wallons fidèles à l'idée impériale, fédérant les cercles épars qui véhiculent la même inébranlable fidélité, tels “Empire et puissance” de Lothaire Demambourg ou la “Sodalité Guinegatte”. Des sections seront créées ensuite en Autriche, en Hongrie et en Croatie, de façon à nous remémorer notre seule légitimité politique possible, détruite par la révolution française, mais dans une perspective plus claire et plus européenne que celle de l'iconographie que nous avait présentée, dans notre enfance, le Chanoine Schoonjans, avec les images de la collection “Historia”. Ravyts analysera les influences de Gabriele d'Annunzio et de Léon Bloy, notamment sur la figure du national-solidariste flamand Joris Van Severen. Il rendra de la sorte cette figure de notre histoire plus compréhensible pour nos amis français et italiens. Cet exposé per­mettra également de raviver le souvenir de Léon Bloy dans notre mouvance, qui l'a trop négligé jusqu'ici. Banoy analysera l'œuvre de Vladimir Volkoff et en tirera tous les enseignements nécessaires: lutte contre la sub­version et la désinformation. Guillaume Faye présentera une nouvelle fois sa théorie de la “convergence des catastrophes".

La diversité de vos intervenants se retrouve dans la liste de diffusion multilingue que vous animez sur le net. Qu'il s'agisse de culture, de politique ou de géostratégie, vous offrez à vos destinataires des contri­butions qui tranchent bien entendu avec la pensée unique mais aussi bien souvent avec la routine intel­lectuelle des milieux nationalistes, français en tous cas. Précisément, quel regard portez-vous sur les na­tionalismes européens en général et français en particulier ?

Le rôle d'un cercle "métapolitique" est aussi de diffuser de l'information en vrac pour aider les jugements à se forger, pour concurrencer, dans la mesure du possible, l'idéologie que véhiculent les médias. Nous diffusons en six langues, le français, l'anglais, l'allemand, le néerlandais, l'espagnol et l'italien. Ce sont les six langues de travail de Synergies Européennes en Europe occidentale. Bon nombre de nos destinataires sont multilingues et la combinaison de langues maîtrisées varie d'individu à individu. Ce service de documentation électronique vise essentiellement, comme vous le devinez, à contredire et à critiquer l'idéologie dominante, celle de la "pensée unique" et de la "political correctness", mais aussi à enrichir le discours de nos lecteurs, quel que soit le secteur où ils sont actifs, politiquement ou professionnellement. En confrontant les idées de leurs milieux national, politique ou professionnel à celles de milieux similaires dans d'autres pays ou espaces linguistiques, ils consolident leurs idées, apprennent à les illustrer avec davantage d'arguments donc à transcender tout ce qui pourrait être répétition stérile. Nous tranchons de la sorte avec les routines du nationalisme français comme avec toutes les autres routines qui sévissent ailleurs. Pour moi, le nationalisme n'a de sens que s'il est une pratique qui consiste à capter les forces agissantes dans la société civile, dans le "pays réel" aurait dit Maurras, mais qui sont contrecarrées dans leur déploiement par l'établissement, ou le "pays légal".

Le "pays réel" des petites et honnêtes gens

Quant au regard que nous portons sur le nationalisme français, vous devinez qu'il est critique, justement parce qu'il vient d'ailleurs, d'un lieu hors Hexagone. En général, les observateurs scientifiques des phénomènes nationalistes dans le monde opèrent une distinction entre les "nationalismes étatiques" et les "nationalismes populaires" ou "ethniques". Les nationalismes étatiques, dans cette optique, seraient ceux qui privilégieraient les appareils d'Etat sans tenir compte des facteurs ethniques ou en s'opposant à ceux-ci. Les nationalismes populaires ou ethniques serait ceux qui instrumentaliseraient les forces populaires contre les appareils, jugés étrangers et coercitifs. Généralement, les nationalismes populaires ou ethniques se réclament du philosophe allemand Johann Gottfried Herder, père spirituel des nationalismes allemand, flamand, scandinaves, finnois, hongrois, russe, serbe, croate, tchèque, grec, slovaque, irlandais, breton, etc. On a opposé ce nationalisme du substrat ethnique aux idées de la révolution française, qui utilisent les forces organiques du peuple pour faire triompher des abstractions qui, une fois établies, travailleront à éradiquer les peuples réels. En dehors de France, le nationalisme français est souvent confondu avec les idées révolutionnaires jacobines, qui sont considérées comme anti-nationales. Ernest Renan a tenté de formuler un "nationalisme d'élection", un nationalisme fait d'adhésion volontaire à une "idée" nationale. Cette formule est également considérée comme un leurre par les nationalismes d'inspiration herdérienne, cette volonté et cette "idée" apparaissant trop éthérées par rapport à la substantialité que représentent l'héritage ancestral, la littérature véhiculée de génération en génération, les lignées de chair et de sang, la langue comme réceptacle de tous les souvenirs ataviques. La formule de Maurras éveille la même suspicion, à l'exception de sa distinction entre "pays réel" et "pays légal". Où le pays réel des "petites et honnêtes gens" (Péguy!) est exploité et écrasé par un pays légal mais foncièrement illégitime. En ce sens, Maurras est ambigu: dans sa jeunesse félibrige, il était un adepte de Herder qui s'ignorait. Il pariait directement sur le charnel local, cherchait à le dégager de l'emprise d'un légalisme abstrait. Cette trajectoire va continuer : la nostalgie d'un populisme organique ne cesse de hanter de grands esprits en France. Les fédéralistes autour d'Alexandre Marc et de Guy Héraud, qui commencent leurs travaux dans les années 30, les éléments critiques à l'égard d'un étatisme trop rigide que l'on repère dans l'œuvre de Bertrand de Jouvenel, le "folcisme" provençal, rural et paysan d'un Giono, les mouvements paysans de l'entre-deux-guerres, le slogan la "Terre ne ment pas" du temps de Vichy, les éléments épars de toute cette quête diffuse qui se retrouve dans le populisme gaulliste pendant la guerre et dans l'après-guerre, etc. La synthèse de toutes ces merveilles de la pensée du 20ième siècle n'a pas encore été faite. Malheureusement ! Cependant, les orientations nouvelles du gaullisme dans les années 60, après les tumultes de la guerre d'Algérie, avec la volonté de créer un Sénat des régions et des professions et de lancer l'idée mobilisatrice de "participation" mériteraient, à notre sens, une attention plus soutenue de la part des cercles néo-nationalistes en France, qu'ils soient inféodés à des partis ou non.

Un programme nouveau pour le nationalisme français

Enfin, il est évidemment qu'en dehors de France, et même dans les régions francophones à la périphérie de l'Hexagone, l'Histoire n'est pas jugée de la même manière. Par rapport au reste de l'Europe, l'Histoire de Fran­ce, depuis Louis XI (que nos instituteurs appelait l'«Universelle aragne», en reprenant l'expression qu'utilisait à son propos Charles le Hardi, Duc de Bourgogne, que l'historiographie française nomme le «Téméraire») et sur­tout depuis François I est regardée avec une évidente animosité. L'alliance que François I noue avec les Ot­tomans est considérée comme une trahison à l'égard du "bloc civilisationnel" européen. Cette animosité est difficilement surmontable, car lorsque nous avons affaire à des amis allemands (surtout du Sud), espagnols, autrichiens, hongrois, croates, lombards ou vénitiens, nous sommes amenés tout naturellement à partager la même vision de l'histoire: celle qui voit l'Europe unie contre les adversaires communs en Afrique du Nord et dans les Balkans. La France, comme du reste l'Angleterre, et dans une moindre mesure le Portugal et la Suède, fait bande à part, est perçue comme étant en marge de notre bloc civilisationnel. Par conséquent, notre souhait est de voir se développer une nouvelle historiographie française qui aurait les caractéristiques suivantes:

◊ Elle se réapproprierait une bonne part de la tradition bourguignonne, dans la mesure où celle-ci est fidèle à l'Empire, forge un "Ordre de la Toison d'Or" visant à reprendre pied dans l'espace pontique (Mer Noire);

◊ Elle revaloriserait des figures comme Catherine Ségurane, héroïque niçoise en lutte contre les Ottomans et François I (cf. «Une jeune Niçoise résiste au Turc Barberousse», in : Historia, n°593, mai 1996);

◊ Elle se réfèrerait davantage à la Sainte-Ligue, au-delà d'un catholicisme trop intransigeant, car la Sainte-Ligue était alliée à une Espagne combattante, notamment en Méditerranée et en Afrique du Nord;

◊ Elle se réfèrerait aux mouvements populaires de résistance, ainsi qu'à la Fronde, contre les tentatives de centralisation, qui n'avait qu'un but, spolier la population pour financer des guerres contre le reste de l'Europe et au profit de l'allié ottoman;

◊ Elle réactualiserait la politique maritime de Louis XVI, qui fut capable de damer le pion à la Royal Navy, et qui aurait, s'il avait réussi, dégagé définitivement l'Europe de l'«anaconda» thalassocratique (Haushofer);

◊ Elle mettrait en exergue la conquête de l'Algérie, imposée par la Restauration européenne à la France, pour expier les fautes de François I, qui avait, par ses manœuvres pro-ottomanes, fait échouer les conquêtes de Charles-Quint, amorcées en Tunisie, et des troupes espagnoles en Oranie;

◊ Elle renouerait avec le gaullisme anti-impérialiste et participationniste, en dépit des clivages catastrophiques de la guerre d'Algérie, ce qui permettrait de retomber à pieds joints dans le concret, en avançant une politique d'indépendance agricole et d'indépendance énergétique, pariant sur la diversité des sources, en proposant un modèle social original, dépassant les insuffisances du libéralisme et du capitalisme de type anglo-saxon, de lancer une politique spatiale (de concert avec le reste de l'Europe), de consolider un armement nucléaire, de relancer une flotte crédible (cf. les thèses de l'Amiral Castex et les travaux de Hervé Coutau-Bégarie) et de maintenir l'atout majeur qu'est une industrie aéronautique autonome, prête à coopérer avec ses consœurs européennes (notamment Saab en Suède).

Vous le constatez: nous ne sommes pas seulement critiques, par rapport aux errements du passé, nous sommes surtout positifs car nous proposons aux Français de mettre leurs atouts au service d'un bloc civilisationnel, capable de résister aujourd'hui aux Etats-Unis et à son appendice, le monde islamique, travaillé par les intégrismes de tous acabits.

 

dimanche, 05 août 2007

R. Steuckers : Entretien (3)

Troisième et dernière partie des “réponses de Robert Steuckers au questionnaire d’un étudiant…”

9. Dans vos revues, au cours des années 80, vous avez défendu des positions neutralistes; est-ce la même logique qui vous fait défendre un monde multipolaire ou constitués de grands blocs qui ne pratiqueraient pas entre eux la politique d’ingérence et d’immixtion, qui semble dominante aujourd’hui ?

Entendons-nous d’abord sur le terme « neutralisme ». Le neutralisme n’est pas une idéologie démissionnaire, un pacifisme bêlant comme celui des gauches qui manifestaient contre l’installation des missiles américains, au début des années 80. Le neutralisme, pour moi, est armé et même surarmé. L’exemple est helvétique et suédois, autrichien et yougoslave. Il s’agissait d’organiser une armée de citoyens, capable de mailler totalement le territoire. Il impliquait la fusion armée/nation. Sur le plan diplomatique, il s’interdisait de participer à des alliances, comme l’OTAN, par exemple, et mettait l’accent sur l’indépendance et la souveraineté nationales. Parallèlement à ce neutralisme classique, de type suisse, il y avait aussi le gaullisme, ou la sanctuarisation nucléaire du territoire national. Cette option neutraliste ou gaullienne impliquait aussi de conserver des usines d’armement nationales et de créer les conditions d’une autarcie militaire. La Suède y parvenait. L’Europe, à plus grande échelle, aurait parfaitement pu réussir sa déconnexion, par rapport aux blocs atlantique et soviétique. C’est aussi ce que réclamait les Tchèques lors du printemps de Prague: rappelez-vous le Paris-Match de l’époque, avec cette jeune fille pragoise, blonde et fort maigre, qui, devant les chars soviétiques qui entraient dans la ville, portait sur la poitrine un écriteau, avec ce seul mot: « Neutralitu ». Elle exprimait le désir de la population tchèque et slovaque de se dégager du bloc soviétique sans pour autant vouloir se noyer dans le bloc capitaliste. Un mouvement neutraliste, de part et d’autre du Rideau de Fer, suite logique d’une application graduelle de la « Doctrine Harmel », aurait rendu à l’Europe son indépendance et sa puissance.

En 1984, quand j’ai rencontré le Général Löser, lors de la Foire du Livre de Francfort, il venait de sortir un livre programmatique, appelant ses compatriotes, les ressortissants des trois Etats du Bénélux, les Hongrois, les Tchèques, les Slovaques et les Polonais à se dégager des blocs. Ce livre s’intitulait justement Neutralität für Mitteleuropa. Löser, ancien Commandeur de la 24ième Panzerdivision de la Bundeswehr et rescapé de Stalingrad, était aussi un théoricien militaire qui s’alignait sur les stratèges Spannocchi (Autriche), Brossolet (France gaullienne), sur leurs homologues yougoslaves, suisses et suédois. Sa neutralité n’était pas une neutralité désarmée, mais, au contraire, une neutralité vigilante et citoyenne, centrée sur elle-même et non aliénée par l’appartenance à un bloc, dominé par une superpuissance, qui oblitérait les spécificités nationales et tenait sa part d’Europe sous tutelle.

Le monde est effectivement multipolaire. On ne peut réduire l’inépuisable diversité humaine à deux blocs ou à un monde global unifié,comme le voudrait le « nouvel ordre mondial » de Bush-le-Père et de son théoricien Francis Fukuyama (qui a révisé ses positions depuis ses euphories du début des années 90). Les Etats-Unis veulent imposer leur modèle et utilisent, pour y parvenir, l’idéologie des « droits de l’homme », indéfinie, mise à toutes les sauces, manipulable à l’envi (on l’a vu au Kosovo, où elle a servi à mettre en place un régime de mafieux et de maquereaux). L’idée d’un « nouvel ordre mondial », outre ses aspects missionnaires, part du principe d’un genre humain indifférencié ou de l’idée d’un genre humain amnésique, épuré de tous les legs de l’histoire, dévalorisés a priori comme s’ils n’étaient que de vulgaires scories. Or les hommes ont été appelés à créer des formes, variées et différentes, sur la Terre. Ce sont ces formes qui font l’humanité, qui permettent de dépasser le stade purement animal et générique de l’espèce. Par conséquent, l’espace politique de la Terre n’est pas un « uni-versum », mais un « pluri-versum ». Le respect du passé, des formes, des continuités, comme nous l’enseigne Naipaul, postule de respecter ces acquis, de ne pas vouloir revenir à un stade purement générique et de ne pas vouloir éradiquer purement et simplement, avec une rage frénétique, ce qui a été, est et demeurera. L’acceptation de la nature « pluri-verselle » de l’échiquier mondial implique de reconnaître la multiplicité des pôles politiques dans le monde. C’est donc bien une option « multipolaire ».

Face à la volonté américaine d’établir un « nouvel ordre mondial », la Chine, notamment, a suggéré des « amendements ».D’abord, elle a souhaité une adaptation de la notion de « droits de l’homme » à chaque aire civilisationnelle de la planète. Chaque aire de civilisation adapterait ainsi la déclaration universelle des droits de l’homme à ses propres spécificités culturelles, et la Chine, par exemple, lui donnerait une connotation « confucéenne ». La Chine a demandé à l’Occident de « respecter l’étonnante pluralité des valeurs et des systèmes sociaux, économiques et politiques », de « renoncer à toutes manoeuvres coercitives d’unification ou d’uniformisation ». Les Chinois estiment, à juste titre, que: « ces dix mille choses peuvrent croître de concert, sans se géner mutuellement, et les taos peuvent se déployer parallèlement sans se heurter ». C’est l’esprit de la « Déclaration des Droits de l’Homme de Bangkok », proclamée le 2 avril 1993. La Chine a tenté de faire front, de s’opposer à la volonté américaine d’homogénéisation de la planète. Elle s’est expressément référée à la notion de « pluralité ». Sa volonté était aussi d’imposer un modèle des relations internationales, reposant sur les « cinq principes de la coexistence pacifique »: 1) le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats; 2) le principe de non-agression; 3) le refus de toute immixtion dans les affaires intérieures d’Etats tiers; 4) l’égalité des partenaires sur l’échiquier international; 5) le respect des besoins vitaux de chacun (auxquels il est illicite de porter atteinte). Ces cinq principes, me semble-t-il, résument parfaitement nos propres positions « multipolaristes ». Ils sont l’expression d’une antique sagesse, qu’il serait sot de ne pas écouter.

10. Votre vision d’une Europe impériale est donc tout-à-fait antinomique de tout impérialisme à l’intérieur ou à l’extérieur de celle-ci. Qu’en est-il ?

Le débat qui porte sur l’Europe impériale, sur les impérialismes intérieur et extérieur est sans fin. La notion d’Empire en Europe remonte aux Romains. La personnalité collective, porteuse de cet Empire, est le « Senatus Populusque Romanus », soit le Sénat et le Peuple romains. Par la « Translatio Imperii », elle passe aux Francs de Charlemagne (« Translatio Imperii ad Francos »), puis, avec Othon Ier, à l’ensemble des peuples germaniques (« Translation Imperii ad Germanos »). Ou plus exactement, aux ressortissants des territoires relevant du « Saint Empire Romain de la Nation Germanique ». Cela a été tout théorique, surtout après l’élimination de la descendance de Frédéric II de Hohenstaufen. Outre les vicissitudes dynastiques du Saint Empire, le noyau territorial concret de cet ensemble, forgé depuis César (Caesar / Kaiser), implique d’unir le continent européen autour de trois bassins fluviaux, le Rhône (conquis depuis Marius), le Rhin et le Danube, plus le Pô en Italie du Nord. C’est à partir de ces trois bassins, et des territoires qui se situent entre eux, et à partir de la plaine nord-européenne aux fleuves parallèles, de l’Yser au Niémen, que l’Europe doit se former. C’est, disait le géopolitologue autrichien, le Général-Baron Jordis von Lohausen, la paume de la main « Europe », dont les doigts sont les espaces périphériques: scandinave, ibérique, italique, balkanique, britannique. Sans une cohésion solide de cette paume, pas d’unification européenne possible. Et sans cette unification, c’est l’anarchie et la dissolution. Or c’est ce désordre et cette dispersion qui ont été le lot de l’Europe au cours de l’histoire post-romaine. Napoléon a voulu l’unifier à partir de la frange occidentale de la paume, l’espace gaulois, dont les bassins fluviaux portent vers l’Atlantique et non pas vers le c ?ur du continent, dont l’artère majeure est le Danube, symbole fluvial de l’Europe comme forme de vie. La tentative napoléonienne est donc grevée d’une impossibilité physique et géographique. L’ « hegemon » ne pouvait être français, à cause des faits géographiques et hydrographiques, qui sont évidemment incontournables. Hitler est prisonnier de la vision « ethniste », qui domine en Allemagne à son époque. Il se vaut libérateur et émancipateur, fondateur d’un nouvel ordre social, plus juste et plus efficace pour les ouvriers et les paysans. Il séduit. Incontestablement. Mais quand ses troupes entrent en Bohème tchèque, à Prague, elles réduisent ipso facto à néant le principe cardinal de la politique allemande, depuis la « prussianisation » protestante du « Reich ». En entrant dans l’espace linguistique tchèque, les armées de Hitler remettaient en question le fondement même du Reich protestantisé, et donc particulariste, et la propre propagande ethniste du national-socialisme. Une contradiction qui n’a jamais pu être surmontée, avant la fin du deuxième conflit mondial. De Gaulle, après 1945, et surtout dans les années 60, veut assumer une sorte de leadership, mais sa France, bien que souveraine et membre du Conseil de sécurité de l’ONU, n’est plus prise au sérieux: la défaite de 1940 est toujours dans les têtes, le pays paraît pauvre et archaïque (cf. les études d’Eugen Weber sur la France rurale), ne séduit pas les Nord-Européens qui le regardent avec commisération, les défaites coloniales d’Indochine et d’Algérie écornent son prestige. La France gaullienne, en dépit de ses efforts, ne sera pas le « Piémont » d’une Europe dégagée des blocs. Le retour à une Europe impériale ne sera possible que s’il y a unanimité des Européens, sans autre « hegemon » que la volonté organisée et structurée des européistes de toutes nationalités.

Il est évident que le colonialisme de papa, essentiellement capitaliste dans son essence, est inacceptable dans la situation actuelle. En Indochine, par exemple, l’imbroglio de 1940 à 1946, entre Japonais, Français de Vichy et de Londres, Britanniques, Américains, Indochinois de droite et Vietminh, semblait insoluble. Les Japonais avaient appuyé les mouvements d’émancipation anticolonialistes; les Américains avaient pris le relais. Il était évident que la seule solution raisonnable, pour la France de Londres, qui appartenait au camp des vainqueurs, aurait été de négocier directement avec le Vietminh, plus nationaliste que communiste au lendemain de l’occupation japonaise. Un accès graduel mais rapide à l’indépendance des territoires indochinois aurait permis de sauver une certaine présence française, donc européenne, de se faire le champiuon de l’émancipation coordonnée des peuples extra-européens, dans ce territoire hautement stratégique, où se situent les embouchures des grands fleuves asiatiques, qui prennent leurs sources sur les flancs de l’Himalaya (Fleuve Rouge, Mékong, …). Les hésitations, l’illusion de vouloir perpétuer un empire colonial du 19ième siècle dans les conditions très différentes d’après 1945 a empêché les uns et les autres de trouver une solution rapide et harmonieuse.

La défaite de Dien Bien Phu encourage ensuite la rébellion algérienne, qui couvait depuis les événements sanglants de Sétif en 1945. Mais, l’Algérie se trouvant aux portes de l’Europe, l’histoire de sa conquête et de sa colonisation est fort différente de celle de l’Indochine. Si la présence française en Extrême-Orient est due à la course effrénée de toutes les puissances européennes pour se tailler une fenêtre sur le Pacifique, la conquête de l’Algérie, après 1830, provient d’une volonté européenne d’imposer à la France une tâche « réparatrice », après les guerres révolutionnaires et napoléoniennes. La France avait été l’alliée des Ottomans et des Barbaresques contre la légitimité impériale; elle s’était mise ainsi au ban des nations européennes. Comme la piraterie barbaresque ne cessait de sévir au début du 19ième siècle, l’Europe de la Sainte-Alliance a décidé d’y mettre un terme et de charger la France de cette mission. La présence d’une puissance européenne en Afrique du Nord se justifiait par la nécessité de sécuriser la Méditerranée, de garantir la libre circulation des navires européens et d’éviter les rafles d’esclaves sur les côtes chrétiennes de la Méditerranée. Si la France n’avait pas imposé son système jacobin aberrant en Algérie, la révolte n’aurait pas été aussi sauvage et la décolonisation aurait sans doute pu s’opérer dans l’harmonie. En dépit de cela, l’Europe aurait dû se montrer solidaire des Européens d’Algérie, appuyer la France et les colons espagnols et italiens d’Algérie. L’Espagne avait un droit d’intervenir en Oranie, où la population européenne de souche espagnole était majoritaire. L’Europe, et surtout l’Espagne (avant même la France), a le droit d’entretenir des troupes en Afrique du Nord en représailles des agressions sarazines et barbaresques, qui ont duré plus d’un millénaire. On ne peut transposer l’idée d’une libération nationale et anticoloniale, comme elle s’est exprimée en Indochine, en Afrique du Nord, puisque l’intervention française est la réponse européenne à des agressions répétées et particulièrement horribles. Au nom du Testament de Charles-Quint, qui doit constituer le bréviaire de tout homme politique qui se respecte en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Croatie, en Italie et en Espagne, les zones d’Afrique du Nord doivent être tenues constamment sous surveillance. La présence espagnole à Ceuta et Melilla est ainsi entièrement justifiée, ne peut être soumise à révision, même si nos concitoyens de souche marocaine ne le comprennent pas.

Toute démarche impériale offensive, en dehors de la zone initiale d’un Empire, est justifiable si elle est dictée par des motifs stratégiques et géopolitiques. En revanche, elle est injustifiable si elle est dictée par des motifs économiques. De même, autre facteur dont il faut tenir compte: la proximité spatiale. En Indochine, la France est une « raumfremde Macht » (une puissance étrangère à l’espace), exactement comme l’Allemagne avait été une « raumfremde Macht » en Micronésie avant 1918, ce que reconnaissait pleinement le géopolitologue Haushofer. En Afrique du Nord, aucune puissance européenne riveraine de l’Atlantique et de la Méditerranée n’est une « raumfremde Macht », puisque toutes ont subi les agressions sarazines ou barbaresques pendant près d’un millénaire. L’Europe a le droit inaliénable de protéger ses abords, même en constituant des glacis hors de son espace propre. En Europe même, aucun colonialisme intérieur n’est acceptable.

Les Etats-Unis sont en train de créer un OTAN-Sud comprenant tous les pays arabes d’Afrique du Nord, du Maroc jusqu’à l’Egypte, Libye comprise, afin de pénétrer l’Afrique subsaharienne et d’y puiser les richesses du sous-sol, non encore pleinement exploitées. L’OTAN-Sud arabophone a donc deux fonctions:

1) parachever l’encerclement de l’Europe;
2) contrôler l’Afrique subsaharienne et servir de verrou entre l’Europe et celle-ci. Ce projet n’est possible que sans présence européenne en Afrique du Nord, d’où la bienveillance américaine à l’égard des terroristes algériens en lutte contre la France jadis, à l’égard du Maroc contre l’Espagne à la fin des années 50, enfin, à l’égard de l’agression marocaine contre Perejil et l’Espagne en juillet 2002. Les Etats-Unis misent sur le trop-plein démographique nord-africain, sur le « Youth Bulge » comme disent leurs stratèges, afin d’y recruter des mercenaires pour bloquer l’Europe par le Sud et engager des troupes le long des nouveaux oléoducs qui achemineront le brut africain vers les côtes de l’Atlantique, si des troubles ou des rébellions enflamment la région. L’émergence imminente d’un OTAN-Sud aurait dû inciter les autorités européennes à la vigilance. L’Europe perd toutes ses cartes en Afrique.

La question de l’impérialisme extérieur est donc bien trop complexe pour la réduire à ces schémas binaires dont se gargarisent les belles âmes de gauche.

11. Actuellement, il semble que l’anti-américanisme soit à la mode. Quelles sont vos critiques à l’égard de celui-ci et de l’anti-Bushisme médiatique ?

Si l’anti-américanisme a le vent en poupe actuellement, c’est dû essentiellement à une décennie et demie d’interventions américaines dans le monde. La disparition de la « Soviétie », et donc la fin de la Guerre Froide, avait fait espérer, surtout en Europe, l’avènement d’une longue ère de paix, de reconstruction, de fraternité, où les deux parties de l’Europe se seraient lentement mais sûrement resoudées. Les Etats-Unis ont déçu cet espoir. C’est la raison majeure de l’anti-américanisme réel et sincère qui déferle sur la planète et surtout sur l’Europe. Mais il existe aussi un « anti-américanisme » fabriqué, notamment dans les milieux « altermondialistes ». Christian Harbulot, officier et stratége français, spécialiste de la « guerre cognitive », constate que l’ouvrage théorique majeur, censé exprimer la sensibilité altermondialiste, Empire de Hardt et Negri, évoque lourdement la nécessité d’organiser une « résistance » en « réseaux », dont la caractéristique majeure serait d’être non territorialisée. Cette idée est devenu le « joujou » de la nouvelle gauche actuelle. Or, on ne peut résister sans avoir de base territoriale, sans restructurer des souverainetés territorialisées, de préférence à l’échelle continentale. Par conséquence, une « résistance » déterritorialisée ne débouche sur rien, comme le constate très justement Harbulot. La gauche est aussi très excitée parce que Bush est républicain. Or les démocrates, que cette gauche juge plus pacifiques, sont tout aussi bellicistes, comme l’a prouvé l’Administration Clinton, en déclenchant la guerre dans les Balkans. Kerry, nouvelle figure de proue démocrate, accepte le fait de la guerre en Irak et appartient vraisemblablement au même groupe étudiant de Yale, la fameuse société « Skull & Bones », dont les Bush ont fait partie et qui semble être le noyau dur, dont sont issus les dirigeants américains actuels. La gauche ne tient pas un raisonnement géopolitique mais « moraliste ». Or on ne riposte pas à une agression militaire, permanente et planétaire, par des déclarations moralisantes. Elles ont toujours eu, ont et auront un effet nul.

L’anti-bushisme se borne à ridiculiser le Président américain, à dire qu’il est un « idiot », alors que la démarche impériale qu’il poursuit a été jusqu’ici couronnée de succès. Certes, c’est au détriment de l’Europe, de la Russie et du nationalisme arabe laïc, mais, objectivement, cette stratégie, assortie de culot et d’audace, foulant aux pieds le droit international, paie. Les lamentations ne servent donc à rien et l’anti-bushisme à la Michael Moore n’est finalement qu’une dérivation, qui sert à dire : « Voyez, nous sommes réellement démocrates, nous tolérons la critique, nous admettons que l’on soit outrancièrement irrévérencieux à l’égard du Président ». Pendant ce temps, les chars tirent sur Bagdad, les grandes entreprises logistiques comme Halliburton entrent en action, les satellites espions ne cessent pas de fonctionner.

12. Les mouvements d’extrême-gauche sont aussi souvent très anti-américains. Que pensez-vous de leurs thèses ?

Les mouvements d’extrême-gauche devraient se livrer à un petit travail d’anamnèse. La gauche extrême, qui existe aujourd’hui, est l’héritière de ceux qui scandaient, en Allemagne et à Paris entre 1967 et 1969: « Ho Ho Ho Chi Minh !». Or cet homme politique vietnamien, qui a dégagé son pays des tutelles japonaise, française et américaine, a d’abord négocié avec Washington dans le dos des Français, immédiatement après la seconde guerre mondiale. Ho Chi Minh a d’abord été un agent américain, avant de devenir un ennemi de Washington dans le Sud-Est asiatique. Après le départ des troupes américaines en 1975, les relations américano-vietnamiennes se sont rapidement « normalisées », prouvant que, malgré l’horreur de la guerre du Vietnam (bombardements sur Hanoï, défoliation des forêts tropicales indochinoises par l’agent orange, etc.), des passerelles entre les deux pays existaient, tout comme d’ailleurs, entre la Chine de Mao et les Etats-Unis, notamment par l’intermédiaire de brillants journalistes sinologues.

Ce qui caractérise les diverses extrêmes gauches, c’est l’absence de rétrospective historique, c’est l’amnésie, c’est une propension agaçante à raisonner en termes figés, à ériger des mythologies propagandistes au rang de vérités historiques. J’ai toujours trouvé de bonnes analyses factuelles dans les publications et chez les auteurs dits d’« extrême gauche », mais les conclusions étaient trop souvent erronées, car elles partaient de raisonnements détachés du flux de l’histoire, lequel ne s’arrête pas. On a assisté plus d’une fois à des débats stériles pour tenter d’interpréter les nouvelles donnes qui surgissaient sur l’échiquier international. Je me rappelle surtout des discussions sans fin (et sans objet) au moment du rapprochement sino-soviétique en 1972, puis, dans la foulée, entre partisans du Vietnam devenu entièrement communiste et partisans du Cambodge de Pol Pot. Tout cela a fini par lasser le public. L’extrême gauche relève donc, le plus souvent, d’un rituel sans impact politique réel. Tout comme l’extrême droite d’ailleurs, qui cultive d’autres fantasmes.

Aujourd’hui, les thèses les plus intéressantes débattues dans le petit espace de l’extrême gauche internationale sont indubitablement celles de Noam Chomsky. L’analyse géopolitique n’y est pas clairement énoncée. L’option moraliste et internationaliste de ce corpus ne permet pas d’incarnation politique réelle, puisqu’elle entend se situer au-delà des Etats nationaux, tout en admettant que les nations du tiers-monde, mais elles seules, ont un droit à l’auto-détermination. L’Europe est généralement assimilée, ni plus ni moins, au camp « impérialiste », alors qu’elle est sous tutelle et ne dispose d’aucune marge de manoeuvre réelle ! Tous les faits énoncés par Chomsky, Chossudovsky, etc. doivent être inclus et assimilés dans les analyses géopolitiques classiques, qui se hissent bien évidemment au-dessus des étiquettes et clivages idéologiques. La fusion des deux corpus pourrait donner à terme un outil politique efficace. Quant à l’altermondialisme, je le répète, il ne peut se laisser piéger par le leurre qu’on lui agite sous le nez, à savoir cette idée de « réseaux » sans ancrage territorial.

13. Quelle est votre opinion sur la Guerre Froide ? A-t-elle été une mascarade et, si oui, pourquoi les Etats-Unis ont-ils poussé à la chute de l’URSS ?

La Guerre Froide est un répit. Il s’agissait d’assiéger, de « contenir » l’URSS, soit, dans le langage du géopolitologue britannique Mackinder, de coincer la puissance maîtresse du « Heartland » continental, de l’enserrer dans un jeu d’alliances, dont les maillons se situent sur l’ « anneau extérieur littoral », afin qu’elle ne puisse conquérir cette frange périphérique et maritime du vaste continent eurasien. Auparavant, il s’était agi d’utiliser les forces du « Heartland » pour harceler les puissances organisatrices de la « Forteresse Europe », dont l’Allemagne, pièce géographique centrale de la « Zwischeneuropa », et du Japon, organisateur de la « sphère de coprospérité est-asiatique ». Les Etats-Unis, ont bien assimilé la dialectique théorisée par Mackinder pour affaiblir toutes les puissances d’Eurasie. Après les ennemis principaux, Allemands et Japonais, il fallait mettre hors jeu l’allié principal, le « spadassin continental » soviétique (« kontinentaler Haudegen », dixit Ernst von Reventlow). Pour y parvenir, il fallait organiser le « containment », l’encerclement de l’ancien allié, maître de la « Terre du Milieu », en organisant sur les « franges continentales » (ou « rimlands »), des systèmes d’alliance, tels l’OTAN, l’OTASE, le CENTO, etc. L’objectif était évidemment d’éviter tout rapprochement germano-soviétique, ou euro-soviétique, après 1945. Le terme « mascarade » ne me paraît dès lors pas adéquat. La Guerre Froide est la suite logique des deux premières guerres mondiales. L’intention des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes a toujours été, depuis les préludes de la Guerre de Crimée au 19ième siècle, de détruire la puissance russe, de la faire imploser. En 1941, après la défaite de la France, l’Allemagne est le danger primordial. Il faut dès lors la détruire en utilisant le potentiel militaire et démographique de la seconde puissance du continent: en l’occurrence, l’URSS de Staline. Une fois le danger allemand écarté, on passe à l’étape suivante: détruire la Russie. Le même scénario s’observe au Moyen-Orient, où les Etats-Unis ont armé Saddam Hussein contre l’Iran, puis désigné l’Irak comme ennemi du genre humain, pour qu’il ne puisse exercer aucun contrôle de type hégémonique dans la région. Après 1945, la France, alliée, est évincée de ses positions extra-européennes en Indochine, avec la complicité des Etats-Unis, qui se retournent ensuite contre leurs alliés communistes vietnamiens du départ. La dernière phase consiste à organiser des « abcès de fixation » sur les franges extérieures de la Fédération de Russie, aux frontières déjà complètement démembrées depuis la chute de l’Union Soviétique. L’imbroglio tchétchène, qui s’étend à l’Ingouchie, à l’Ossétie et au Daghestan, en est un exemple d’école. Ces processus n’étonnent que ceux qui prennent les vérités de propagande anti-hitlériennes, anti-staliniennes, anti-nasseriennes, anti-irakiennes pour des faits objectifs et imaginent que les services américains croient à leur propre propagande: en fait, ils ne font que manipuler un discours, qu’ils savent parfaitement construit et amplifié par les grands médias internationaux, undiscours qui sert à réaliser des buts géopolitiques, définis depuis des décennies sinon des siècles.

14. Comment voyez-vous l’évolution des Etats-Unis au cours de ces prochaines années ?

Je ne possède pas de boule de cristal, me permettant de voir l’avenir. La seule chose que l’on puisse dire avec suffisamment de certitude, au vu de l’évolution actuelle de la situation internationale, c’est que les Etats-Unis cherchent, au Moyen-Orient et en Afrique Noire, à s’emparer du maximum de ressources pétrolières, de gagner la bataille des énergies pour conserver les rentes que leur offre le pétrole, afin de les investir dans les recherches de haute technologie. Ainsi, les Etats-Unis pourront forger les armes et les technologies satellitaires qui leur permettront de conserver leur leadership pendant un siècle ou deux. Ils s’assureront une domination très confortable sur les autres et pérenniseront leur puissance. Je me méfie des discours récurrents, qui apparaissent dans les médias et qui prévoient le déclin imminent des Etats-Unis.

15. Pourquoi les atlantistes en Europe, mais aussi aux Etats-Unis ne militent-ils pas pour la création des Etats-Unis d’Occident, comme le suggère « Xavier de C* » dans son livre « L’Edit de Caracalla ou plaidoyer pour des Etats-Unis d’Occident », paru chez Fayard en 2002 ?

Les atlantistes européens sont des internationalistes qui croient à la propagande de Washington. Mais les vrais détenteurs du pouvoir américain, qui orchestrent cette propagande « mondialiste » ne le sont que d’une certaine façon. Ils croient à l’ancrage américain. Imaginez la situation qui émergerait, si l’Europe votait toujours pour des pacifistes ou si son poids démographique contribuait à faire élire exclusivement des présidents européens, qui feraient une géopolitique européenne et non plus américaine. Les programmes géopolitiques américains, définis depuis si longtemps, ne pourraient plus être mis en oeuvre. L’écoumène atlantiste ne serait plus américanocentré. Le protestantisme puritain deviendrait minoritaire, sous le poids du catholicisme européen et latino-américain. Ce « Xavier de C*» ignore que le moteur religieux de l’américanisme est ce protestantisme dissident, puritain et fanatique des « Founding Fathers ». Son projet « caracallien » minorise ipso facto ce puritanisme, donc fait perdre à l’Amérique sa spécificité fondatrice. C’est un projet d’atlantiste européen naïf et non pas un projet puritain-américain réaliste, car un tel projet n’imaginerait pas une fusion globale où il ne serait plus qu’un facteur périphérique et marginalisé.

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samedi, 04 août 2007

R. STEUCKERS : ENTRETIEN (2)

Deuxième partie des “réponses de Robert Steuckers au questionnaire d’un étudiant…”

5. Dans vos revues, il y a beaucoup de traductions d’articles provenant du monde germanophone, mais aussi latin (hispanique et italien) et, plus original encore, de l’Europe slave, en particulier de la Russie. D’une certaine façon, ne peut-on pas considérer votre revue comme une sorte de « Courrier International » de la pensée européiste ?

En effet, le poids prépondérant de thématiques germanisantes au début de l’histoire de Vouloir, faisait dire, à quelques néo-droitistes parisiens jaloux, qui n’ont pas digéré entièrement l’anti-germanisme maurrassien en dépit de leurs dénégations et de leur germanomanie de pacotille, que mes publications étaient des « revues allemandes en langue française ». J’ai donc suivi des cours accélérés en langues espagnole, italienne et portugaise, de façon à acquérir une connaissance passive de ces langues et de traduire, avec l’aide d’amis et de mon ex-épouse, les articles de nos innombrables amis hispaniques et italiens. D’autres, que je remercie, m’ont aidé à traduire des articles du polonais et du russe. L’objectif a donc toujours été de dire « non » aux enfermements; « non » à un enfermement dans le carcan très étroit du belgicanisme institutionnel (ce qui n’est évidemment pas le cas de notre culture, qui a un message serein à offrir à tous), « non » à un enfermement dans le carcan de la francophonie officielle, « non » au carcan de l’eurocratisme, « non » au carcan de l’atlantisme. Par ailleurs, « non » aux carcans idéologiques et politiques, « non » aux deux carcans du « démocratisme chrétien » et du « laïcisme libre(!!!)-penseur » à la belge. La masse de textes, de thématiques diverses et variées, qu’offraient les éditeurs et les revues allemandes permettait de rebondir dans tous les domaines et dans tous les espaces culturels européens et d’éviter toute forme d’enclavement idéologique.

Au fond, je vais confesser ici pour la première fois que cette idée est très ancienne chez moi: elle vient de la victoire électorale du FDF aux élections communales de 1970. Flamand de Bruxelles, littéralement assis sur deux cultures, cette victoire électorale a fait pâlir mon père, l’angoisse se lisait sur le visage de cet homme de 57 ans, qui craignait la minorisation des Flamands de Bruxelles, un homme simple qui n’avait pas envie de subir l’arrogance d’une bourgeoisie et d’une petite bourgeoisie qui se piquait d’une culture française (qu’elle ne connaissait évidemment pas en ses réels tréfonds), un pauvre petit homme qui devinait aussi, instinctivement, que ce francophonisme de brics et de brocs, plus braillard que créateur de valeurs culturelles véritables, barrait la route de beaucoup aux cultures néerlandaise, allemande et anglaise, auxquelles les Flamands ont un accès plus aisé. Ensuite, ce qui le rendait malade, c’était les rodomontades des « traitres » : les Flamands de souche, installés à Bruxelles, qui croyaient s’émanciper, échapper à la culture, souvent rurale, qu’avaient abandonnée leurs parents en venant travailler dans la grande ville. Tout cela était confus dans la tête de mon père, qui aimait les Wallons, quand ils étaient authentiques. Il avait travaillé à Liège, comme beaucoup de Limbourgeois. Il aimait les Ardennais et surtout les Hesbignons, dont les Limbourgeois du Sud sont si proches et auxquels ils sont si souvent liés par des liens matrimoniaux. Et les Wallons du quartier, où nous vivions, n’avaient cure du bête « francophonisme » des nouveaux francophonissimes originaires de Flandre ou de Campine, qui n’avaient rien de wallon, qui agaçaient les vrais Wallons. Et les Ardennais de Bruxelles, comme mon père du Limbourg, ne reniaient pas leur culture catholique et rurale, qu’ils ne retrouvaient évidemment pas dans les rodomontades émancipatrices des zélotes du nouveau parti de Lagasse et de « Spaakerette ». Dans ma tête d’adolescent, tous ces affects paternels s’entrechoquaient, provoquaient des réflexions, sans doute fort confuses, mais qui allait être à la base de toutes mes entreprises ultérieures et surtout de ma décision d’étudier les langues germaniques. Car que proposaient les braillards du FDF, dont l’insupportable Olivier Maingain perpétue la triste tradition ? Rien d’autre qu’un réductionnisme intellectuel, inacceptable en notre pays, carrefour entre quatre grandes langues européennes. Le multilinguisme est une nécessité et un devoir: à quatorze ans, j’en étais bien conscient. Mon père aussi. J’allais donc devoir, adulte, me battre contre l’ineptie qui venait de triompher, par la grâce des dernières élections. Il fallait commencer la bataille tout de suite. A cette heure, je n’ai pas encore déposé les armes.

Mais, il fallait que je me batte en français car le vin avait été tiré, j’étudiais dans cette langue, depuis ma première primaire, sans renier mes racines; il me fallait donc utiliser la langue de Voltaire pour commencer le travail de reconquista qu’il s’agissait d’entreprendre, non pas tant contre le FDF, manifestation éphémère, politicienne et périphérique d’un « francophonisme » bizarre, mixte monstrueux d’ « illuminisme » révolutionnaire et de « postmaurrasisme panlatiniste » (qui ne voulait pas s’avouer tel), mais contre tous les simplismes et réductionnismes que le (petit) esprit, se profilant derrière sa victoire, amenait dans son sillage. Toute cette bimbeloterie francophonisante finissait par m’apparaître comme des « plaquages » artificiels, des agitations superficielles sans fondements. La culture rurale matricielle me paraissait seule authentique (quelques mois plus tard, Mobutu évoquait l’authenticité zaïroise, banalisait le terme d’ « authenticité » et je ne pouvais m’empêcher de lui donner raison…). Cette notion d’authenticité était valable pour la Flandre et le Brabant thiois, pour la Wallonie et les Ardennes. Elle était valable aussi pour la seule région d’Europe que je connaissais à l’époque: le haut plateau franc-comtois dans le département du Doubs, les Franches Montagnes, fidèles à la tradition burgonde, fidèles à l’Espagne et à l’Autriche contre le Roi-Soleil, comme l’écrivait, dans un opuscule anti-jacobin, un certain Abbé Mariotte, auteur d’une petite histoire de la Franche-Comté, que je lisais avidement, avec amour, chaque été, quand nous étions là-bas, à l’ombre du clocher de Maîche. Une authenticité que m’avait fait découvrir un cadeau du concierge permanent du formidable manoir qui nous hébergeait à Maîche: Le loup blanc de Paul Féval, roman chouan et bretonnant, qui accentuait encore plus cette volonté d’aller aux racines les plus profondes, ici les racines celtiques d’Armorique, comme là le « saxonnisme » de Walter Scott, avec Ivanhoe et Robin des Bois. L’homme était donc tributaire de (et non déterminé par) l’appartenance au terroir de ses ancêtres et le nier ou l’oublier équivalait à basculer dans une sorte de folie, de démence maniaque, qui s’acharnait à éradiquer passé, souvenirs, liens, traces… jusqu’à rendre l’homme totalement anémié, vidé de tout ce qui fait son épaisseur, son charme, sa personnalité. Un tel homme est incapable de créer de nouvelles formes culturelles, de puiser dans son fonds archétypal: les portes sont ouvertes alors pour faire advenir une « barbarie technomorphe ».

1970, l’année de mes quatorze ans et l’année du triomphe du FDF, a déterminé mon itinéraire de façon radicale: au-delà des agitations politiciennes, jacobines, modernistes, toujours aller à l’authentique, avoir une démarche « archéologique » et « généalogique », sortir du « francophonisme » d’enfermement, s’ouvrir au monde et d’abord au monde proche, tout proche, qui commence à Aix-la-Chapelle, qui nous ouvre à l’Est, comme la langue française, non reniée et cultivée, ouvre au Midi. Quelques semaines après la victoire électorale du FDF, je m’en vais d’ailleurs, muni d’un catalogue du « Livre de Poche », quémander au Frère Marcel, une liste de bons livres à lire: il m’a fait découvrir Greene et surtout Koestler, sources de mon engouement pour la littérature anglaise. Mais aussi tous les classiques de la littérature française à l’époque: Cesbron, Mauriac, Bazin, Troyat…

Le « germanisme » était présent, comme la matrice culturelle du Flamand de Bruxelles, du fils d’immigré limbourgeois. Mais le germanisme était ouvert, tant au français (qui n’est pas le « francophonisme ») qu’à la latinité, que nous faisait aimer notre professeur de latin, l’inoubliable Abbé Simon Hauwaert. Balzac, Stendhal, Baudelaire et Flaubert sont d’ailleurs des exposants ante litteram de la « révolution conservatrice », en sont la matrice à bien des égards, dans leur critique incisive du « bourgeoisisme »: donc, une fois de plus, pas de frontière entre un espace français, qui serait hermétique, et un espace germanique, qui serait tout aussi hermétique. Par ailleurs, ce sont le baron Caspar von Schrenck-Notzing, directeur de Criticón (Munich), qui me fait découvrir l’Espagne de Balthazar Gracian, puis Günther Maschke (et Arnaud Imatz), qui me font découvrir Donoso Cortès. C’est par des études allemandes, ou traduites en allemand, que je découvre d’Annunzio et Pessoã. Plus tard, j’allais constater que la culture italienne est très ouverte à l’Allemagne et à l’Autriche, qu’elle traduit bien plus que l’édition parisienne, sans perdre la moindre once de sa latinité. Un exemple à suivre…

La lecture conjointe de Herder et de Heidegger allait donner des assises philosophiques à ce magma informel de l’adolescent.

6. Justement, une spécificité importante de votre démarche réside dans votre philo-slavisme et votre anti-soviétisme modéré qui s’est manifesté dès le début de votre itinéraire (à l’époque, où, sous l’impulsion de Ronald Reagan, on renoue avec la Guerre Froide la plus glaciale) et que vous partagez, quoique dans une autre optique, avec le PCN. Qu’en dites-vous aujourd’hui ?

Entre 1970, que je viens de vous évoquer, et le début de l’aventure de Vouloir, treize années se sont écoulées. La Guerre Froide s’enlise. Le duopole n’a rien d’autre à proposer qu’une partition définitive du monde entre deux camps, animés chacun par une idéologie hostile aux matrices culturelles et aux authenticités fécondes, décrétées « archaïsmes » ou « fascismes » (à la suite notamment des hypersimplifications d’un Georges Lukacs). Derrière cette partition du monde, se profile une histoire européenne pluri-millénaire, où les horizons sont toujours vastes, où l’on ne bute pas sur un « Rideau de fer », à 350 km à vol d’oiseau de Bruxelles. Où l’on pouvait aller à Prague, à Varsovie et à Budapest, sans passer à travers un champ de mines, surveillé par des miradors. Le dégel avait fait espérer un assouplissement et voilà, soudain, que le reaganisme réactive la Guerre Froide, éloignant la possibilité d’une réconciliation européenne. La déception est immense, surtout, j’imagine, pour ceux qui avaient espéré que la « Doctrine Harmel », voire l’Ostpolitik de Brandt, allaient porter des fruits. La division européenne apparaît dès lors comme l’oeuvre d’un « talon d’acier », une anomalie scandaleuse, qu’il fallait combattre, à la suite de Thiriart et de son mouvement « Jeune Europe », afin de retrouver le dynamisme européen en direction du Sud-Est et des profondeurs du continent asiatique, conquis vers 1600 avant JC par les cavaliers iraniens, puis, à partir du 16ième siècle, par les Cosaques des Tsars. C’était un idéal d’ « Europe Totale », mixte de Harmel et de Thiriart. Et, derrière eux, se profilaient tout à la fois 1) un projet « démocrate-chrétien » (en réalité « conservateur » au sens metternichien du terme) de rééditer, cette fois sous le signe d’une pensée inspirée de « Rerum Novarum », la « Sainte-Alliance » conservatrice de 1814, Europe de l’Est voire Russie comprises, ou 2) une vision plus pragmatique, géopolitique et technique, comme celle d’Anton Zischka, inspirateur majeur du jeune Thiriart. Elle impliquait d’étudier les dynamiques à l’oeuvre dans ces espaces immenses. Une telle étude postule non seulement de connaître les atouts économiques de l’espace euro-sibérien, dans le sillage de Youri Semionov, mais aussi, à la suite de l’historien italien des religions, Giuseppe Tucci, l’héritage spirituel de ces peuples à la charnière de l’Europe et de l’Asie. Parmi les multiples aspects de cet héritage spirituel, la slavophilie et l’oeuvre de Leontiev, partisan d’une alliance avec les forces asiatiques contre un Occident « libéral-manchesterien » qui a trahi la Russie lors de la Guerre de Crimée. Raison pour laquelle mes amis et moi, nous n’avons cessé de nous intéresser à ces thématiques.

Le PCN, dans ses démarches, ne semble pas fort s’intéresser à la pensée organique russe. Or peu avant que la Guerre Froide ne reprenne sous Reagan, le dissident Yanov, établi en Californie, sort un ouvrage universitaire intitulé The Russian New Right, où il démontre que la pensée slavophile et néo-orthodoxe, fondamentalement anti-occidentale, et l’oeuvre de Soljénitsyne, impulsent, tant chez les établis que chez les dissidents de l’ex-URSS, une nouvelle révolution conservatrice, ou « nouvelle droite », avec des écrivains comme Valentin Raspoutine ou Youri Belov. Quant aux tenants de l’idéologie occidentaliste, on les retrouvait aussi, d’après Yanov, dans les deux camps. A Moscou, Alexandre Prokhanov, que j’allais rencontrer en 1992, était à l’époque directeur de la revue Lettres soviétiques. Il avait publié, pour la première fois dans une publication soviétique officielle, un numéro consacré à Dostoïevski, qui avait été mis à l’écart à l’ère soviétique la plus sourcilleuse. Prokhanov innovait. Je me suis procuré un exemplaire de cette revue à la « Librairie de Rome » à Bruxelles. Au même moment, Etudes sociales, autre publication émanant de l’Académie soviétique des sciences, réhabilitait le passé païen russe, dans un optique très semblable à celle de la « nouvelle droite ». Ces textes attestaient d’un changement et d’un abandon graduel des vieilles lunes progressistes du marxisme institutionnalisé, abandon qu’aucune officine « marxiste » belge ou française ne jugeait bon de faire. Les archaïsmes étaient toujours de mise chez nos communistes locaux. Leur déphasage par rapport aux legs de l’histoire et au réel ne faisait que s’accentuer. Rien n’a changé sur ce chapitre.

Ce chassé-croisé d’occidentalisme et de slavophilie chez les dissidents comme chez les établis, et le succès des néo-slavophiles, notamment dans l’orbite cinématographique, laissaient espérer une transformation lente de l’URSS en une nouvelle Russie conservatrice, capable de damer le pion à la superpuissance libérale, vectrice de toutes les déliquescences morales et spirituelles, fautrice du déclin intellectuel généralisé de l’Occident et matrice de la vulgarité marchande. Ce que nous haïssions dans le communisme s’estompait et ce que nous n’avons cessé de haïr, du plus profond de nos tripes, dans le libéralisme ne cessait de s’amplifier, jusqu’à atteindre l’effroyable monstruosité qu’il a acquise aujourd’hui, un monde où le banquier, être infect et infécond, inculte et vulgaire, accumulateur et comptable, vaut plus que le joueur d’accordéon du coin de la rue, être touchant de sincérité et de spontanéité. Chez nous, les acteurs de théâtre sont sûrs de crever de misère quand ils ne pourront plus monter sur les planches. En Italie, les professeurs d’université s’étaient mobilisés à l’époque contre les MacDo, qui finançaient Reagan et recevaient en échange le droit de s’établir dans tous les coins et recoins de l’américanosphère. Ces professeurs voulaient organiser un boycott général de la chaîne de « fast food »; chez nous, quand les étudiants de Gand ont voulu faire de même, par solidarité avec le corps académique italien, la minable crapule assurant la gérance d’une de ces auges de la mal-bouffe a eu le culot d’appeler les flics, qui ont verbalisé, et le corps académique, veule et lâche, n’a rien dit. On mesure aujourd’hui l’étendue du désastre. L’empoisonneur avait la « liberté » de commercer… et on ne pouvait y porter atteinte. La chaîne de ces fast-foods avait acquis le droit, grâce à Reagan, qu’elle avait financé, d’abaisser l’âge requis pour travailler dans le secteur de la restauration: depuis lors, les lycéens travaillent pour gagner l’argent de leurs cartes de GSM et le niveau d’instruction et d’éducation ne cesse de baisser; le monde sans relief des « petits jobs et boulots », stigmatisé par Hannah Arendt, est devenu la référence suprême.

Face à cette involution, perceptible dès le début des années 80, la société soviétique, malgré son caporalisme, sa froide rigueur idéologique, sa langue de bois, laissait entrevoir une renaissance, un dépassement de l’horreur économique par un retour aux valeurs qui avaient enthousiasmé les premiers slavophiles du 19ième siècle, ces disciples russes de Herder. Ensuite, sous les coups du néo-libéralisme triomphant, l’Europe perdait et le sens de l’Etat et le respect de ses héritages culturels. Face au « Dieu Argent », désormais honoré sans plus aucune retenue morale ou éthique en Occident, dans l’ « américanosphère » (Faye), Moscou semblait conserver un sens de l’Etat, avec une armée qui respectait des traditions russes (donc européennes), et un appareil culturel et académique, dont le Bolchoï, par exemple, était un fleuron. Les titres académiques semblaient mieux respectés qu’en Europe ou en Amérique. Le « fast food » est la manifestation sociale la plus tangible de cet avènement du « tout-économique », qui nous a tant scandalisé à l’époque, jusqu’à en devenir, je le concède, une véritable obsession récurrente, qu’atteste la littérature néo-droitiste et nationale-révolutionnaire.

Ensuite, Reagan et ses conseillers étaient bien conscients du fait qu’un discours exclusivement néo-libéral ne pouvait consolider leur pouvoir ni constituer une propagande efficace. Ils ont alors puisé dans le registre de l’idéologie religieuse puritaine, l’héritage américain des « Founding Fathers » et des « Pèlerins du Mayflower », où l’accent est souvent mis sur l’Apocalypse, jugée imminente, portée par le « Mal absolu », qu’il s’agit de combattre et d’éradiquer. Ce langage réactive les affects qui préfigurent les guerres de religion, alors que la pensée d’un Hobbes et toute l’évolution de la pensée politique européenne après les horreurs de la guerre de Trente Ans visaient justement à éviter de tels débordements. Le reaganisme met un terme définitif aux « formes » de la guerre et de la diplomatie traditionnelles. Cet infléchissement était inacceptable, même dans une optique conservatrice traditionnelle. Il ne faut pas se leurrer: si Reagan a été décrit par les gauches comme un « néo-conservateur », cette manière de percevoir les choses est fondamentalement erronée. Le puritanisme apocalyptique des « Pères Fondateurs » et des Puritains du 17ième siècle est le contraire diamétral des options « tacitistes » et « machiavéliennes », de la tradition régalienne européenne en général. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le retour, après Cromwell, du Roi en Angleterre ait contraint ces zélotes, à l’idéologie bibliste, à franchir l’Atlantique, où, espérait-on en Europe, ils allaient pouvoir vivre leurs utopies irréalistes et anti-historiques en vase clos.

Les Etats-Unis sont spécialisés dans le bricolage idéologico-théologique quand il s’agit de créer des vulgates médiatisables pour faire passer leur volonté dans les faits. Avec Reagan, nous avions, outre le néo-libéralisme, qui dissout toutes les formes politiques et culturelles, l’idéologie de l’Apocalypse, qui entend faire table rase des legs de l’histoire, et, surtout, une interprétation messianique des « droits de l’homme », impliquant un interventionnisme tous azimuts, qui flanquait tous les principes de la diplomatie traditionnelle par terre ! Le Général Jochen Löser s’est dressé, à l’époque, et avec vigueur, contre ce mixte idéologico-théologico-économique, qui revient aujourd’hui à l’avant-plan avec Bush junior; avec l’armement moderne, cette nouvelle idéologie agressive risquait de déclencher une guerre d’annihilation totale en Europe centrale. Si les Etats-Unis maniaient une telle idéologie, la fidélité à l’alliance atlantique pouvait être remise en question. Harmel s’était proposé d’assouplir la « Doctrine Hallstein », rigide et pérennisant par son intransigeance la césure européenne, afin de mettre lentement fin à la chape pesante qu’était le duopole né à Yalta. La « Doctrine Harmel » était aussi un retour à la diplomatie traditionnelle, laquelle devait recevoir à nouveau la préséance. Löser et Kiessling entendaient y revenir au début des années 80, juste avant la perestroïka de Gorbatchev. Ce débat n’est pas clos: au printemps 2003, quand les troupes anglo-américaines entrent pour la deuxième fois en Irak, et que les Européens s’insurgent en arguant que toutes les voies diplomatiques n’avaient pas été exploitées, Robert Kagan, idéologue au service de la politique de Bush junior, annonce clairement, sans circonlocutions inutiles, que la diplomatie, « c’est du passé » et que l’avenir appartient à ceux qui ne s’en soucient nullement. La « Vieille Europe » est donc celle de la diplomatie, à l’idéologie « machiavello-tocquevillienne » et « tacitiste ». La « Nouvelle Europe » est celle qui va renier cet héritage pour suivre aveuglément le nouvel « Empire » qui agit arbitrairement selon ses intérêts immédiats.

Je ne crois pas que le PCN ait vraiment mis tous ces éléments dans la balance: il m’a donné la triste impression de se muer en un calque maladroit du stalinisme (revu par la propagande américaine du temps de la Guerre Froide), attitude typique des mouvements politiques marginaux qui cherchent à attirer l’attention sur eux par des prises de position qui font bêtement scandale.

7. Autre point commun avec le PCN et, par-delà cette formation, avec Jean Thiriart, vous avez fait, vous aussi, votre pèlerinage à Moscou. Quelles sont les perspectives avec les Russes et notamment avec Alexandre Douguine et l’actuel président russe Vladimir Poutine, de créer cet empire européen que vous appelez de vos voeux ?

Je n’ai pas souvenir que le PCN, ou l’un de ces dirigeants, ait fait le « voyage à Moscou ». Fin mars, début avril 1992, je m’y suis effectivement rendu avec Alain de Benoist et Jean Laloux (secrétaire de rédaction de la revue Krisis). Les activités principales de ce voyage ont été 1) une conférence de presse où nous avons présenté les grandes lignes de la « nouvelle droite »; 2) un débat, dans les locaux de la revue moscovite Dyeïnn (« Le Jour ») avec Ziouganov et Volodine, exposants du parti communiste russe. Le dialogue a tourné autour de la notion de « Troisième Voie » en économie, c’est-à-dire, pour moi, ce que Perroux, Albertini et Silem ont nommé les « voies hétérodoxes », héritières de l’école historique allemande de Schmoller, Rodbertus, etc. Douguine et Prokhanov étaient les deux organisateurs de ces rencontres. Douguine a fait du chemin depuis lors. Il appuie aujourd’hui Vladimir Poutine, qui, à ses yeux, tente de redresser une Russie ruinée par le clan Eltsine et les oligarques.

Quelques mois plus tard, Thiriart, Schneider, Battarra et Terracciano se retrouvaient à leur tour à Moscou. En 1996, une équipe de « Synergies européennes », composée de Sincyr, Sorel et de Bussac, visite à son tour Moscou et rencontre d’autres personnalités, dont l’ex-dissident, le sorélien Ivanov, l’anthropologue Avdeev, et d’autres. Ces hommes oeuvrent dans d’autres perspectives. L’hispaniste Toulaev s’est joint à eux. Notre ami autrichien Gerhoch Reisegger s’est également rendu à plusieurs reprises à Moscou, ramenant de ses voyages des informations d’ordres économique et factuel très intéressantes. Wolfgang Strauss continue à publier une chronique permanente sur cet espace idéologique russe, dans les colonnes de la revue Staatsbriefe, qui paraît à Munich sous la direction du Dr. Sander. Tous les aspects de la pensée non conformiste —hétérodoxe— russe nous intéressent.

Quant à savoir si Poutine emportera le morceau, il me semble que la réponse se situe dans les extraits du dernier ouvrage de Reisegger que nous avons traduits. La consolidation du poutinisme dépend de l’organisation des transports (routes et chemins de fer), des gazoducs et oléoducs de l’Asie centrale, de la Sibérie, de concert avec l’Inde, le Japon et la Chine. Si une synergie parvient à s’établir, l’Eurasie demeurera eurasiatique. Sinon, les Américains préparent d’ores et déjà la riposte: le stratège Thomas Barnett propose aujourd’hui à l’établissement américain d’abandonner l’alliance européenne, de laisser l’Europe périr dans ses contradictions et de miser sur l’Inde et la Chine, voire sur une Russie détachée de l’Europe, afin de conserver les atouts américains en Asie centrale, acquis par la conquête de l’Afghanistan et la satellisation de l’Ouzbékistan. Barnett apporte la réponse américaine au projet de Henri de Grossouvre, soit le projet de créer un Axe Paris-Berlin-Moscou.

8. Après plus de vingt ans d’activités politiques et intellectuelles, quel est le bilan que vous tirez ? Notamment sur les Etats-Unis et l’Europe ?

Premier bilan, évidemment, comme Thiriart et de Benoist, et même comme Faye, c’est d’avoir constaté l’immense, l’incommensurable bêtise du « milieu identitaire ». En hissant la préoccupation au niveau européen, Thiriart avait voulu dépasser l’étroitesse des « petits nationalismes ». Avec son option « métapolitique », de Benoist avait voulu briser le cercle infernal des répétitions et des rengaines. Ils se sont tous deux heurtés à une incompréhension générale, hormis quelques notables exceptions qui ont tenté de poursuivre le combat. Thiriart n’a pas trop bien su emballer sa marchandise.Ses textes, denses, toujours au moins partiellement actuels, figuraient certes au milieu de dessins satiriques de toute première qualité, mais les écrits des autres « journalistes », dans la feuille du mouvement, laissaient vraiment à désirer et étalaient les fantasmes habituels du « petit nationalisme » ou de l’« extrême droite » au mauvais sens du terme. Thiriart a vraiment tout essayé pour gommer définitivement ces dérives: il avouait, dans un entretien accordé à l’avocat espagnol Gil Mugarza, n’avoir pas pu enrayer les multiples expressions de cette « psychopathologie » politique. Les hommes de notre temps ne raisonnent plus en termes de temps et d’espace, mais se laissent aveugler par les idéologies, les « blueprints » de Burke, déviance encore accentuée par la propagande médiatique, qui atteint désormais des proportions incroyables. Ignorant tout de la géographie, nos contemporains ne comprennent pas les enjeux spatiaux, seuls enjeux réels des conflits qui ensanglantent la planète. Leurs horizons sont vraiment limités, alors que l’on n’a jamais autant parlé de « mondialisme » ou d’« universalisme ».

Alain de Benoist, pour sa part, a tenté d’élargir et d’européaniser l’horizon culturel du milieu nationaliste français, dans lequel, dès l’adolescence, il avait fait ses premiers pas. Il lui a présenté des thématiques inhabituelles, fort intéressantes au départ, mais, en bout de course, force est de constater qu’il en a trop fait, qu’il a jonglé avec une quantité de choses diverses que ce public ne pouvait pas assimiler à la vitesse voulue. Alain de Benoist changeait trop souvent de sujet et son propre public, au sein du GRECE, ne suivait pas la cadence. Il s’en désolait, tempètait, rouspétait; on l’écoutait poliment, mais, au fond, on semblait lui dire, par le regard: « Cause toujours, tu m’intéresses ! ». D’où, ce que j’appelle le « mouvement brownien » des brics et brocs culturels et cultureux agités par de Benoist. Henry de Lesquen parlait, à son propos, de prurit « noviste ». Deux handicaps marquaient la démarche du « Pape de la nouvelle droite »: une incapacité —en fin de course, et non pas, curieusement, au début de sa trajectoire— à opérer une synthèse et à se concentrer sur l’essentiel; bref, la dispersion et la confusion; ensuite, un désintérêt pour l’histoire et ses dynamiques, au profit d’une sorte d’idolâtrie pour les idées toutes faites, pour les corpus moraux plus ou moins bien échafaudés, pour le clinquant de concepts immédiatement médiatisables (dans l’espoir d’être enfin accepté, comme figurant ou comme acteur, dans le « PIF » ou « paysage intellectuel français »). Enfin, l’homme est tenaillé par l’inquiétude, par d’inexplicables angoisses, par un doute incapacitant, aux dimensions qui laissent pantois. Si Thiriart a été une cohérence au milieu des incohérences de l’extrême droite belge et italienne de son époque, de Benoist, lui, a démarré dans la cohérence pour se disperser dans un fatras de thématiques différentes et divergentes, dans un capharnaüm conceptuel qu’il est désormais incapable de maîtriser. Il m’apparaît aujourd’hui comme une sorte d’âne de Buridan, qui n’a pas à choisir entre deux picotins d’avoine, mais est perdu au milieu d’une foultitude de picotins, tous aussi alléchants, et ne sait plus où donner de la tête.

Ne cédons pas à cette aigreur, que l’on retrouve aussi chez un Guillaume Faye, qui la tourne en cynisme avec son sens du canular qui est inégalable, ou chez un Christian Bouchet, qui ne mâche pas ses mots pour fustiger l’inculture du « milieu identitaire ». Cette inculture n’est pourtant pas le propre de ce milieu mais bien le lot général de notre temps. La gauche n’est plus aussi « intellectuelle » qu’elle ne l’a été. Sachons que l’OSS visait, dès l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1941-42, à faire perdre à l’Europe son leadership intellectuel. L’effervescence de mai 68 et les pédagogies démissionnaires qui en découlent, en dépit de l’excellence de ce que Luc Ferry appelle la « pensée 68 » (avec Deleuze, Guattari, Foucault, Lévi-Strauss, etc.), a donné le coup de grâce aux établissements d’enseignement en Europe. La vague néo-libérale a simplement parachevé l’horreur. La méditation, la lecture, l’étude, la recherche sont des activités qui prennent du temps, qui empêchent de gagner vite beaucoup d’argent, pour pouvoir consommer tout aussi rapidement. Et empêcher l’adolescent ou l’étudiant de gagner de l’argent, même au détriment de ses études, relève, au regard du mental contemporain, d’un « archaïsme », méchant et pernicieux, d’un « fascisme » rétrograde. Au bout d’une décennie à peine, on a des instituteurs, des régents et des licenciés mal formés, qui ont moins lu, qui n’ont pas de passions littéraires bien étayées, qui ont butiné bêtement autour de toutes les loupiotes médiatiques faites de variétés de plus en plus vulgaires (Loft, Star Academy, etc.), qui ont gagné des sous pour se payer de la bimbeloterie high tech ou des fringues ridicules et, partant, ne se sont pas constitué de bibliothèques personnelles. L’influence des sous-cultures et des modes est de plus en plus désastreuse. A cela s’ajoute que le milieu identitaire est tout aussi indiscipliné que le reste de la société, que les « egos » y sont encore plus surdimensionnés, générant à la pelle des personnalités caractérielles. Très difficile dès lors de faire éclore dans un tel milieu une conscience historique prospective et volontariste, comme le voulait Thiriart, ou d’entamer une longue bataille métapolitique, comme le voulait de Benoist.

Pourtant, de nouvelles initiatives voient le jour. Elles sont au moins portées par des hommes au caractère plus trempé. De vrais travailleurs. Qui multiplient les initiatives et sont très présents sur internet. Cette nouvelle génération semble ouverte sur le monde. Elle est européiste, même en France, car la France contemporaine, qui se veut championne des abstractions universalistes les plus délirantes, l’a déçue. L’avenir nous dira ce que ce travail parviendra à réaliser. Deux éceuils à éviter: se méfier des modes, ne pas y succomber (comme Ulysse face au chant des sirènes); ne pas tomber dans la dispersion.

Ensuite, force est de constater que les Etats-Unis ont gagné la guerre: en Europe en 1945 (mais ça, tout le monde le sait déjà), dans les Balkans en 1999, ce qui leur permet de contrôler l’espace-tremplin de l’Europe vers le Moyen-Orient, utilisé par Alexandre le Grand puis par les Ottomans, en Afghanistan en 2001, ce qui leur permet de contrôler l’Asie centrale, en Irak en 2003, où ils se sont emparé des principales réserves énergétiques du monde, en Afrique centrale et occidentale, ce qui leur permettra de contrôler les ressources pétrolières inexploitées du continent noir. Cette série de victoires est due à leur avance technologique, notamment sur le plan satellitaire. Pire: la riposte européenne ne sera guère possible car en s’emparant d’Avio en Italie, de Santa Barbara Blindados en Espagne, de l’usine de sous-marins allemand, bientôt de Rheinmetall, les consortiums américains, dont le fameux Groupe Carlyle, ont mis la main, par des coups en bourse, sur les entreprises qui forgent les armes européennes. Le Général allemand Franz Ferdinand Lanz a déclaré à ce propos: « Toute armée dépendant d’une industrie militaire étrangère est une armée de deuxième classe ». « Dans tous les cas de figure, l’armée est l’expression et la garante de la souverainté d’un Etat ». « Seules les puissances qui disposent d’un potentiel stratégique produit par une industrie militaire indépendante, sont en mesure de s’affirmer, même modestement, sur la scène internationale ». Cette fois, il n’y a pas lieu de parler de la simple souveraineté d’un Etat, mais de celle de tout un continent, de toute une matrice de civilisation. L’Europe est donc aujourd’hui une « impuissance » édentée.

 

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vendredi, 03 août 2007

R. Steuckers: ENTRETIEN (1)

Réponses de Robert Steuckers au questionnaire d’un étudiant, dont le mémoire de fin d’études porte sur l’anti-américanisme dans les milieux néo-droitistes, nationaux-révolutionnaires et extrême-droitistes en Belgique [Fait à Forest/Flotzenberg, août 2004].

1. Comment vous définissez-vous au niveau idéologique ?

Première remarque : la notion d’idéologie n’est pas adéquate en ce qui me concerne. L’idéologie fonctionne selon un mode constructiviste, elle procède de ce que Joseph de Maistre nommait l’“esprit de fabrication”, elle tente de plaquer des concepts flous, soi-disant universellement valables, relevant du « wishful thinking », sur un réalité effervescente, qui procède, elle, qu’on le veuille ou non, d’une histoire, d’une réalité vivante, d’un flux vivant, souvent violent, rude, âpre. D’emblée, nous avons voulu une immersion dans ce flux, certes cruel, où le moralisme des systèmes idéologiques dominants n’a pas sa place, et non pas le repli frileux dans les espaces idéologisés, strictement contrôlés, qui ronronnent des ritournelles et qui ânonnent des poncifs dans le triste espace politico-intellectuel belge (français, allemand, etc.). Cette option implique un ascétisme rigoureux : celui qui refuse sinécures et prébendes, celui qui s’astreint à lire et à archiver sans état d’âme, sans désir vénal de voir ses efforts rémunérés d’une façon ou d’une autre. Un ascétisme aussi qui n’est jamais qu’une transposition particulière, et peut-être plus rigoureuse, de l’option de Raymond Aron qui se déclarait « spectateur désengagé ». Après plus de trente ans de combat métapolitique assidu, je ne regrette pas mon option première, celle de l’adolescent, celle de l’étudiant. Je n’ai tué ni l’enfant, ni l’adolescent, ni l’étudiant qui est en moi. Je garde les mêmes sentiments, la même moquerie, le même mépris pour le monde politique et intellectuel de ce pays qui crève sous la sottise des politicards véreux, qui se prétendent « démocrates ». « L’enfant qui joue aux dés », disait Nietzsche, grand poète. Et je ris. Tout à la fois de bon coeur et méchamment. Mélange des deux. Comme les enfants.

Pour revenir au terme « idéologie », je vous rappelle que l’objet de mon mémoire à l’institut de traducteurs-interprètes portait justement sur l’ « idéologie », comme articulation de la domination des préjugés. Ce petit ouvrage d’Ernst Topitsch et de Kurt Salamun (« Ideologie als Herrschaft des Vorurteils ») —dont j’ai fait une traduction raisonnée et commentée— démontrait comment tout discours idéologique masquait le réel, travestissait les réalités historiques, camouflait derrière des discours ronflants ou moralisants des réalités bien plus prosaïques et vénales. Topitsch, Salamun et Hans Albert, leur maître à penser, s’inscrivaient dans une tradition philosophique mettant l’accent sur le pragmatisme et la raison. Par conséquent, j’ai toujours estimé qu’il ne fallait jamais raisonner et analyser les faits de monde au travers du prisme d’une doctrine idéologique, quelle qu’elle soit. Au contraire l’attitude politique et intellectuelle qu’il convient de recommander est celle de Tite-Live, de Tacite et des « tacitistes » espagnols, dont faisait partie notre compatriote Juste-Lipse : recenser les faits, comparer, retenir des points récurrents, écrire des « annales d’empire », afin de pouvoir trancher vite en cas d’urgence, de décider sur base de faits d’histoire et de géographie, qui sont toujours récurrents. En effet, l’homme politique ne peut raisonner qu’en termes de temps et d’espace, puisqu’il est jeté, comme tous ses semblables, dans ce monde troublé, en perpétuelle effervescence, hic et nunc. L’idéologue est celui qui croit trouver des recettes soustraites aux affres du temps et de l’espace. Impossible. Il est donc un escroc intellectuel. Et un piètre politique. Il inaugure des ères de ressac, de déclin, de décadence, de déchéance.

A cette option « tacitiste », j’ajouterai la marque de Johann Gottfried Herder, théoricien au 18ième siècle d’une vision « culturaliste » de l’histoire, opposée aux schématismes de l’idéologie des « Lumières ». La vision herdérienne de l’histoire a eu un impact politique considérable en Flandre, en Allemagne, dans tous les pays slaves et scandinaves, en Irlande. Elle estime que le patrimoine culturel d’un peuple est un éventail de valeurs impassables, que l’homme politique ne peut négliger, ni mettre « à disposition », comme le dit Tilman Meyer, pour satisfaire une lubie passagère, une mode, un schéma idéologique boiteux, qui n’aura aucun lendemain ou, pire, inaugurera une ère de sang et d’horreur, comme à partir de Robespierre.

Ma position, face à la question qui interpelle tout publiciste quant à ses options idéologiques, est donc la suivante : je ne m’inscris nullement dans le cadre étroit, artificiel et fabriqué d’une « idéologie », mais dans le cadre d’une histoire européenne, qu’il faut connaître et qu’il faut aimer.

2. Quels sont les penseurs les plus importants pour vous ?

J’estime que tous les penseurs politiques sont importants et que l’homme engagé, sur le plan métapolitique comme sur le plan politique, doit avoir une solide culture générale. On mesure pleinement le désastre aujourd’hui, quand on voit des huitièmes de savant se pavaner grossièrement sur la scène de la politique belge et européenne. Des huitièmes de savant passés maîtres évidemment dans l’art de hurler des slogans idéologisés, qui valent ce qu’ils valent, c’est-à-dire rien du tout. S’il est un penseur important à approfondir ou à redécouvrir aujourd’hui, c’est sans nul doute Carl Schmitt. Que des dizaines de politologues, dans le monde entier, et surtout près de chez nous aux Pays-Bas, sont en train de faire revivre. Mais Carl Schmitt a commencé à écrire à seize ans, a produit son dernier article à l’âge de 91 ans. Sa culture classique et sa connaissance des avant-gardes du 20ième siècle étaient immenses. Au-delà de son oeuvre qui insiste, comme vous le savez, sur l’esprit de décision, sur les constitutions, sur la notion de « grand espace », etc., nous découvrons au fil des pages, et surtout de son journal, Glossarium, —paru seulement après sa mort, à sa demande—, une connaissance très vaste de la culture européenne, non seulement politique, mais aussi littéraire et artistique. Ce constat, après lecture du Glossarium de Schmitt ou des Journaux de Jünger, m’induit à refuser cette facilité, très courante chez bon nombre de publicistes, qui consiste à sélectionner quelques figures, à les isoler du vaste contexte dans lequel elles ont émergé, à les simplifier, à en faire de vulgaires sources de slogans à bon marché, à les couper de leurs sources, souvent innombrables. Ce vain exercice de sélection et de simplification conduit trop souvent à des discours creux, tout comme l’exaltation des schémas idéologiques.

Je plaide par conséquent pour une connaissance réelle de toute la trajectoire de la pensée européenne, pour une connaissance des trajectoires arabo-musulmanes ou asiatiques, comme l’ont fait des auteurs comme Henry Corbin pour le monde iranien ou la mystique islamique, Thierry Zarcone pour cet étonnant mélange de soufisme et de chamanisme qui structure le monde turc, comme Giuseppe Tucci pour les mondes chamaniques et bouddhistes d’Asie centrale, etc. Aucune personnalité du monde intellectuel, aussi pertinente soit-elle, aucune époque, aussi riche soit-elle, ne sauraient être isolées des autres. L’Europe et le reste du monde ont besoin de retrouver le sens de la chronologie, le sens du passé: c’est la réponse nécessaire aux épouvantables ravages qu’a fait le progressisme en jugeant, de cette manière si impavide qui est la sienne, tout le passé comme un ensemble hétéroclite de méprisables reliquats, juste bons à être oubliés. La leçon du Prix Nobel de littérature V. S. Naipaul est à ce titre fort intéressante : on ne peut gommer le passé d’un peuple; toute conversion, aussi complète puisse-t-elle paraître, ne saurait oblitérer définitivement ce qu’il y avait « avant ». Naipaul nous enseigne à respecter le passé, à nous méfier des « convertis » aux discours tapageurs, tissés de haine. Pour moi, cette haine est certes le propre des talibans, que l’on a vu à l’oeuvre à Bamiyan en Afghanistan, est le propre des tueurs musulmans d’Indonésie, bien évidemment, mais aussi, chez nous, le propre du mental des tristes avataras de l’idéologie des Lumières: les ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville et le trou béant de la Place Saint Lambert à Liège l’attestent, pour ne pas mentionner les autres sites en ruines depuis la révolution française, dont l’historien René Sédillot a dressé le bilan affligeant. La rage d’éradiquer, la frénésie de détruire sont bel et bien le propre de certaines conversions, de certaines idéologies, notamment de celles qui tiennent, ici chez nous, aujourd’hui, le haut du pavé.

Il nous faut donc retrouver le sens des humanités, comme on disait à la Renaissance, c’est-à-dire renouer avec nos antiquités et dire, avec Goethe, que « rien d’humain ne doit nous demeurer étranger ». Les faux « humanistes » professionnels, qui écervèlent les jeunes générations depuis mai 1968, et tiennent le pouvoir aujourd’hui, trahissent cet humanisme en usurpant justement le terme « humanisme », pour en faire, avec la complicité des médias, le synonyme de leurs forfaitures. Nos faux « humanistes », parlementaires ou « chiens de garde » du système dans les médias, vont à contre-sens de ceux qui ont donné à V. S. Naipaul un Prix Nobel que cet écrivain indo-britannique a très largement mérité. Quand, comme ces politiciens et ces médiacrates incultes, on pense que le discours, que l’on développe, est une panacée universelle indépassable, qu’elle incarne le « multiculturalisme », l’imposture éclate au grand jour: pour ces gens « tout ce qui est humain, c’est-à-dire tous les héritages situés » leur est étranger; leur « multiculturalisme » n’est ni multiple, puisqu’il vise l’homologation universelle, ni culturel, car toute culture est située, animée d’une logique propre, que le respect des choses humaines nous induit à préserver, à maintenir et à cultiver, comme nous l’enseigne Naipaul.

Donc il faut tout lire, tout découvrir et re-découvrir. Chacun selon ses choix (Goethe: « Ein jeder sieht, was er im Herzen trägt »), chacun selon ses rythmes.

3. Ce qui est frappant dans votre anti-américanisme de « droite », c’est qu’il est le pendant négatif de votre européanisme radical et qu’il est aussi multiforme : puisqu’il critique les aspects sociaux, culturels, économiques, géopolitiques et législatifs (questions de droit international) des Etats-Unis ?

D’abord, je perçois dans votre question une anomalie fondamentale due sans doute aux mauvaises habitudes lexicales et sémantiques nées de la Guerre Froide. L’anti-américanisme n’est pas le propre des gauches. Historiquement parlant, c’est faux. L’anti-américanisme est une très vieille idée « conservatrice ». Petit rappel: l’inquiétude face à la proclamation de la doctrine de Monroe dans l’Europe de la Restauration était réelle. Ainsi, Johann Georg Hülsemann, le ministre autrichien des affaires étrangères en 1823, au moment où le Président américain Monroe proclame sa célèbre doctrine, avertit l’Europe du danger que représentent les principes dissolvants de l’américanisme. Tocqueville voit émerger une « démocratie », atténuée, jugulée ou contrôlée par des lobbies, forte de sa pure brutalité et de ses discours simplistes, dépourvus de toutes nuances et subtilités. L’aventure mexicaine de Maximilien a l’appui d’une Europe conservatrice qui veut remplacer outre Atlantique une Espagne qui n’est plus capable, seule, d’assurer là-bas sa mission. En 1898, les forces conservatrices européennes sont du côté de l’Espagne agressée et scandaleusement calomniée par les médias imprimés (déjà les mêmes tactiques de diabolisation outrancière !). Quand Sandino et ses partisans se dressent au Nicaragua contre l’emprise économique américaine, les forces conservatrices catholiques sont à ses côtés. La littérature française d’inspiration conservatrice fourmille de thématiques anti-américaines et dénonce le quantitativisme, la frénésie et l’économisme de l’American Way of Life.

Hülsemann décrit l’opposition de principe entre l’Amérique et l’Autriche-Hongrie comme un choc imminent, opposant des « antipodes ». Il avait vu clair. En effet, les politiques menées au nom d’une continuité millénaire, comme celle qu’incarnait l’Empire austro-hongrois, héritier de l’impérialité romaine-germanique, et celles menées au nom de la nouveauté intégrale, qui entend rompre avec tous les passés, comme l’incarnent les Etats-Unis, sont irréconciliables dans leurs principes, surtout si l’on veut transposer la nouveauté américaine dans le contexte européen et danubien. Dans cette lutte duale, et métaphysique, je suis évidemment du côté des continuités, quelles qu’elles soient et où qu’elles s’incarnent sur la planète.

Pour ce qui concerne la Russie, elle a été, dès la fin de l’ère napoléonienne, le bouclier de la Tradition dans le concert des puissances européennes, avec le dessein de ne plus laisser se déchaîner l’hydre révolutionnaire, qui, à cause de ses obsessions idéologiques et de sa volonté de transformer le réel de fond en comble, met fin aux guerres de « forme », idéologise les conflits et entraîne la disparition de la distinction entre civils et militaires, comme le montre les horreurs commises en Vendée. Dostoïevski, pourtant révolutionnaire décembriste au début de sa carrière, s’est, avec la maturité, parfaitement rendu compte de la mission « katéchonique » de son pays. Son Journal d’un écrivain explicite les grandes lignes de sa vision politique et géopolitique. Le traducteur allemand de ce Journal d’un écrivain n’est autre que la figure de proue de la « révolution conservatrice », Arthur Moeller van den Bruck. Ce dernier, sur base d’une connaissance très profonde de l’oeuvre de Dostoïevski, énonce la théorie russophile de la « révolution conservatrice » : la Russie est éternelle dans son refus des mécanismes révolutionnaires et du rationalisme étriqué qui en découle. Même si, en surface, elle devient « révolutionnaire », elle ne le sera jamais dans ses tréfonds. Donc l’Allemagne conservatrice doit s’allier à la nouvelle Russie soviétique pour se dégager de la cangue politique et économique que lui impose l’Occident libéral. Pour Moeller van den Bruck, le soviétisme n’est qu’un « habit », qui revêt, momentanément, une Russie « illibérale » qui ne peut se trahir. Cette idée revient à l’avant-plan dans le sillage de mai 68: en Occident, les derniers restes de bienséance traditionnelle, les institutions qui reflètent le fond ontologique de l’homme, sont battus en brèche par la nouvelle idéologie, alors qu’au même moment, en Union Soviétique, on assiste à un retour à de nouvelles formes de slavophilie traditionnelle.

Dans l’espace néo-droitiste allemand, cette renaissance slavophile faisait germer l’espoir d’une nouvelle alliance russe, pour secouer le joug américain, faire quitter le territoire allemand par les Britanniques et voir les Français retraverser le Rhin.

Dans l’espace néo-droitiste français, surtout sous l’impulsion indirecte du créateur de bandes dessinées Dimitri, l’image d’une humanité russe fruste mais honnête, intacte en son fond ontologique, agitait aussi les esprits. Pour certains, qui allaient évoluer vers un néo-national-bolchevisme, et redécouvrir, à la suite de la thèse de doctorat du Prof. Louis Dupeux, l’oeuvre d’Ernst Niekisch —le national-bolchevique du temps de la révolution spartakiste et de la République de Weimar—, la société soviétique était un modèle de décense face à un Occident perverti par l’idéologie soixante-huitarde, la permissivité générale et la déliquescence des moeurs.

Pour d’autres, mieux ancrés dans les rouages étatiques en Occident, l’affaire des missiles, le retour à l’idéologie d’un occidentalisme missionnaire des droits de l’homme, d’une idéologie de l’Apocalypse (l’Armaggedon, disait-on), l’évolution de la praxis politique internationale des Etats-Unis était inadmissible. Elle signifiait une immixtion totale. Elle assimilait l’ennemi au Mal absolu, ravivait en quelque sorte les guerres de religion, toujours horribles dans leur déroulement. Elle n’admettait plus la neutralité librement choisie d’Etats, pourtant en théorie libres et souverains, et assimilait la modération à de la tiédeur, de la lâcheté ou de la trahison. On a revu le même scénario pendant la guerre d’Irak: la diplomatie appartenait au passé, annonçaient les nouveaux bellicistes anti-européens à la Kagan; le monde devait suivre l’ « Empire » et punir tous les récalcitrants, posés d’office comme « immoraux ». Finalement, Staline et sa diplomatie des rapports bilatéraux entre Etats apparaissait comme un modéré, qui avait arrondi les angles d’une praxis internationale révolutionnaire et bolchevique, également apocalyptique, binaire et manichéenne.

Cette pratique des rapports bilatéraux permettait aux petites puissances des deux blocs en Europe d’amorcer, du moins en théorie et au nom de la liberté des peuples et des Etats de disposer d’eux-mêmes, des relations bilatérales sans l’intervention des deux superpuissances. Ce créneau théorique, notre ministre des affaires étrangères de l’époque, Pierre Harmel, a tenté de l’occuper. Il a voulu dégager les pays européens, au nom d’une idée d’ « Europe Totale », de l’étreinte mortelle du duopole américano-soviétique. Cette oeuvre de paix lui a valu d’être traité de « crypto-communiste ». Les atlantistes, comme le remarque Rik Coolsaet, qui entend s’inscrire dans la tradition harmélienne de notre diplomatie, ont torpillé cette initiative belge et ramené notre pays dans l’ordre atlantique. Cette immixtion intolérable dans notre liberté d’action postule, bien évidemment, pour tous les patriotes, de considérer l’atlantisme comme l’ennemi numéro un et les atlantistes comme des traitres, non seulement à la patrie belge, mais aussi aux patries flamande et wallonne et à la Grande Patrie européenne. La caballe contre Harmel, menée avec des complicités intérieures, surtout socialistes, constitue une intolérable ingérence dans les affaires européennes.

L’affaire Harmel a rebondi vers 1984, quand éclate à l’OTAN le scandale Kiessling. Le général allemand Kiessling voulait raviver la « Doctrine Harmel », qu’il défendait avec brio dans les colonnes de la presse ouest-allemande. Il souhaitait un partage des tâches plus équitable au sein de l’OTAN et l’accès d’officiers européens aux commandements réels. Les services américains ont considéré que cette exigence de justice et d’équité constituait une révolte inacceptable de la part d’un minable « foederatus » du nouvel empire thalassocratique. De toutes pièces, on a monté une caballe contre le Général Kiessling, en poste au SHAPE à Mons, arguant qu’il avait des rapports homosexuels avec son chauffeur. Au même moment, avec beaucoup de courage, Rik Coolsaet, haut fonctionnaire au ministère des affaires étrangères, ose, à son tour, réhabiliter la Doctrine Harmel, dans un livre qui comptera plusieurs rééditions. La tradition européiste reste donc malgré tout bien présente dans notre pays. Dans le cadre de votre travail, ou dans tout développement ultérieur de celui-ci, il serait bon que vous procédiez à une étude parallèle de l’européisme officiel de Harmel et de l’européisme « marginal » de Thiriart.

Le cadre de l’anti-américanisme de mes publications s’inscrit donc dans cette critique conservatrice de l’américanisme, bien étayée depuis les écrits de Hülsemann. Pour Hülsemann, qui écrit juste après la proclamation de la Doctrine de Monroe, l’américanisme peut tranquillement se développer derrière la barrière océanique que constitue l’Atlantique. Mon objectif n’est donc pas de critiquer tel ou tel aspect de la vie politique, sociale ou économique des Etats-Unis, car ils sont libres de développer les formes sociales qu’ils souhaitent voir advenir dans leur réalité quotidienne. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je dirais que si nous avons quelques fois critiqué certains aspects de la société américaine, c’est dans la mesure où ces aspects peuvent s’exporter en d’autres espaces de la planète, comme le craignait Hülsemann. Dans L’ennemi américain, j’ai surtout choisi de développer et de solliciter les arguments de Michel Albert dans son célèbre ouvrage Capitalisme contre capitalisme. Michel Albert, dont l’inspiration est essentiellement « saint-simonienne », défend le capitalisme ancré dans un espace donné, patrimonial et investisseur, soucieux de la survie des secteurs non marchands et démontre la nocivité des doctrines importées depuis le monde anglo-saxon, qui privilégient la spéculation boursière et ne se soucient nullement des dimensions non marchandes, nécessaires à la survie de toute société. Par conséquent, toute critique de tel ou tel aspect de la société américaine doit porter uniquement sur leurs aspects exportables et dissolvants. S’ils sont dissolvants, ils ne faut pas qu’ils soient importés chez nous. S’ils ne le sont pas et permettent au contraire de fortifier notre société, il faut les adopter et les adapter. Au cas par cas.

La géopolitique américaine a entièrement pour vocation de contrôler les rives européenne et africaine de l’Atlantique et les rives asiatiques du Pacifique, afin qu’aucune concentration de puissance économique ou impériale ne puisse s’y consolider. En réponse à ce défi, nous devons, malgré les innombrables difficultés, oeuvrer pour qu’un jour l’émergence de blocs soudés par l’histoire, en Europe et en Asie, redevienne possible. Autre nécessité, pour y parvenir: manifester une solidarité pour les continentalistes latino-américains, qui entendent se dégager de l’emprise nord-américaine. Le panaméricanisme n’est jamais que le camouflage du colonialisme de Washington, dans une vaste région du monde aux réflexes catholiques et traditionnels, qui respectent le passé européen. Dans le cadre de l’église catholique, il y a eu assez de voix pour plaider pour l’indépendance ibéro-américaine, des voix qui ont pris tantôt une coloration idéologique de droite, tantôt une coloration idéologique de gauche, notamment au temps de la « théologie de la libération ». Ces colorations n’ont pas d’importance de fond: ce qui importe, c’est l’indépendance continentale ibéro-américaine. Car si cette indépendance advient, ou si les Etats-Unis éprouvent de manière constante des difficultés à maintenir leur leadership, la cohésion du « nouveau monde » face à l’Europe et à l’Asie recule, à notre bénéfice commun.

Quand vous évoquez les aspects « législatifs » de notre critique de l’américanisme, vous voulez sûrement mentionner notre critique des principes non traditionnels de droit international que les Etats-Unis ont imposés à la planète depuis Wilson. Depuis le Président Wilson, sous l’impulsion des Etats-Unis, le droit international devient un mixte biscornu de théologie à bon marché, de principes moraux artificieux et d’éléments réellement juridiques qui ne servent que de decorum. Théologie, principes moraux et éléments de droit que l’on va modifier sans cesse au gré des circonstances et des intérêts momentanés de Washington. Les bricolages juridico-idéologiques des Kellogg et Stimson, manipulés contre les intérêts vitaux du Japon dans les années 20 et 30, les manigances de l’Administration Clinton dans l’affaire yougoslave en 1998-1999, les appels à détruire définitivement les principes de la diplomatie traditionnelle avant l’invasion de l’Irak au printemps 2003, attestent d’une volonté d’ensauvager définitivement les moeurs politiques internationales. Position évidemment inacceptable. L’oeuvre de Carl Schmitt nous apprend à critiquer cette pratique barbare de Washington, véritable négation des principes policés de la civilisation européenne, établis au cours du 18ième siècle, après les horreurs des guerres de religion. Dans l’idéologie américaine, les théologies violentes et intolérantes du puritanisme religieux s’allient aux folies hystériques de l’idéologie révolutionnaire française. Cette combinaison calamiteuse a contribué à ruiner la culture européenne et son avatar moderne, la civilisation occidentale. Sur base de leur excellente connaissance de l’oeuvre de Carl Schmitt, Günter Maschke, en Allemagne, et Nikolaï von Kreitor, en Russie, travaillent actuellement à élaborer une critique systématique de la pratique bellogène qui découle de ce « mixtum compositum » théologico-juridique.

4. Il y a chez vous, et c’est lié à vos études je suppose, un grand intérêt pour le monde germanique, à la fois au niveau historique et géopolitique, mais aussi au niveau de l’histoire des idées politiques et notamment au travers de la révolution conservatrice. Qu’en est-il ?

Certes, mais, quantitativement, le « monde germanique », comme vous dites, est celui qui, au cours de l’histoire européenne, a produit le plus de textes politiques, philosophiques et idéologiques, tout simplement parce que la langue allemande est la langue européenne la plus parlée entre l’Atlantique et la frontière russe. Peut-on comprendre réellement les grands courants idéologiques contemporains en Europe et dans le monde, tels le marxisme, le freudisme, l’existentialisme, etc., sans se référer aux textes originaux allemands et sans connaître le contexte, forcément germanique, dans lequel ils ont d’abord émergé. J’ai toujours été frappé de constater combien étaient lacunaires les productions soi-disant marxistes ou freudiennes d’individus ne maîtrisant pas l’allemand. La même remarque vaut pour les conservateurs ou néo-droitistes ou nationaux-révolutionnaires qui se piquent de connaître les protagonistes allemands de « leur » idéologie, tout en ne sachant pas un traître mot de la langue tudesque. Le premier résultat de cette ignorance, c’est qu’ils transforment cet univers mental en une panoplie hétéroclite de slogans décousus, d’imageries naïves, de transpositions plus ou moins malsaines, panoplie évidemment détachée de son contexte historique, essentiellement celui qui s’étend de 1815 à 1914. La « révolution conservatrice », que vous évoquez dans votre question, est certes importante, dans le sens où elle exprime cette sorte de « néo-nationalisme » des années 20, sous la République de Weimar, soit un ensemble de courants idéologiques non universalistes, opposés au marxisme de la social-démocratie ou au libéralisme économique, ensemble assez diversifié qu’ont défini des auteurs comme Armin Mohler ou Louis Dupeux (Zeev Sternhell préférant parler, pour la France, de « droite révolutionnaire »). Cependant, si Mohler, par exemple, a dû opérer une coupure temporelle et limiter sa recherche aux années qui vont de la défaite allemande de 1918 à l’avènement de Hitler au pouvoir en janvier 1933, cet ensemble de courants idéologiques n’est évidemment pas hermétiquement fermé aux époques qui l’ont précédé et à celles qui l’ont suivi. Cette « révolution conservatrice » de 1918-1932 a des racines qui plongent profondément dans le 19ième siécle : notamment via la lente réception de Nietzsche dans les milieux parapolitiques, via les mouvements sociaux non politiques de « réforme de la vie », dont les plus connus restent le mouvement de jeunesse « Wandervogel » et le mouvement de l’architecture nouvelle, Art Nouveau ou Jugendstil, notamment l’école de Darmstadt et, chez nous, celles de Horta et de Henry Vandevelde (tous deux également très actifs en Allemagne). Ces mouvements sociaux étaient plutôt socialistes, voyaient l’avènement du socialisme d’un oeil bienveillant, mais, simultanément, offraient à ce socialisme naissant, une culture que l’on pourrait parfaitement qualifier d’ « archétypale », offraient des référents germanisants, celtisants ou néo-médiévaux, mettaient l’accent sur l’organique plutôt que sur le mécanique. La social-démocratie autrichienne de la fin du 19ième siècle présente ainsi des références qui sont davantage schopenhaueriennes, wagnériennes et nietzschéennes que marxistes. Sous le national-socialisme, certaines trajectoires intellectuelles se poursuivent sans être censurées. Et ces mêmes trajectoires se prolongent dans les années fondatrices de la République Fédérale, jusque très loin dans les années 60 et sous des étiquettes non nationalistes et non politiques.

Par ailleurs, la « révolution conservatrice » n’est pas un monde exclusivement allemand. Les passerelles sont très nombreuses : l’influence de Maeterlinck, par exemple, est prépondérante dans la genèse d’une nouvelle pensée organique en Allemagne avant 1914. J’ai déjà évoqué brièvement l’influence de l’école belge de Horta en Allemagne, et vice-versa, l’influence des écoles de Vienne et de Darmstadt, voire de Munich, sur l’Art Nouveau en Belgique, à Nancy et à Paris. La philosophie de Henri Bergson joue également un rôle capital dans la genèse de la révolution conservatrice. Un homme comme Henri De Man se situe lui aussi dans cette zone-charnière entre le socialisme vitaliste et populaire de la sociale-démocratie d’avant 1914 et les théories économiques non libérales du « Tat-Kreis » révolutionnaire-conservateur. Les influences des Pré-Raphaëlites anglais, de l’architecture théorisée par Ruskin, du mouvement « Arts & Crafts » en Grande-Bretagne ont influencé considérablement les théoriciens allemands du Jugendstil, d’une part, et l’architecture organique d’un Paul Schulze-Naumburg avant, pendant et après le national-socialisme, d’autre part. L’expressionnisme, mouvement complexe, diversifié, influence l’époque toute entière, une influence qui retombe forcément aussi sur l’espace intellectuel « révolutionnaire conservateur ». On ne saurait négliger l’influence des grands courants ou des grandes personnalités scandinaves telles Kierkegaard, Hamsun, Strindberg, Ibsen, Munch, Sibelius, Nielsen, etc. L’Espagne est présente aussi, par l’intermédiaire d’Ortega y Gasset, très apprécié en Allemagne, surtout chez les protagonistes catholiques de la « révolution conservatrice », dont Reinhold Schneider, qui a atteint le sommet de sa célébrité dans les années 50. Entre l’oeuvre de l’Anglais D. H. Lawrence et cet ensemble « révolutionnaire conservateur », d’une part, et le monde artistique contestataire et organique de l’époque, d’autre part, est-il possible d’établir une césure hermétique ? Non, évidemment. La Russie, avec ses penseurs slavophiles, avec Leontiev et Dostoïevski, ensuite via l’émigration blanche à Berlin, pèse, à son tour, d’un poids prépondérant sur l’évolution des penseurs « révolutionnaires conservateurs ». La France, outre Bergson, influence les jeunes néo-nationalistes, dont Ernst Jünger, qui sont de grands lecteurs de Léon Bloy, de Maurice Barrès, de Charles Péguy, de Charles Maurras (en dépit de l’anti-germanisme outrancier de celui-ci).

La « révolution conservatrice » n’est donc pas vraiment une spécialité germanique, mais l’expression allemande, localisée dans le temps de la République de Weimar, d’un vaste mouvement européen. Il convient donc d’étudier les passerelles, de mettre en exergue les influences réciproques des uns sur les autres, de ne pas isoler cette « révolution conservatrice » de ses multiples contextes, y compris celui de la social démocratie d’avant 1914.

Connaissant la langue allemande, j’ai pris cet ensemble « révolutionnaire conservateur » comme tremplin, pour entamer une quête dans toute la culture européenne des 19ième et 20ième siècles. J’ai également utilisé les travaux de Zeev Sternhell (La droite révolutionnaire et Ni gauche ni droite) ainsi que les classifications du Professeur français René-Marill Albérès, spécialiste de l’histoire littéraire européenne. Albérès est justement l’homme qui m’a aidé à bien percevoir les innombrables passerelles entre courants littéraires provenant de toutes les nations européennes. Partant, la maîtrise des classifications d’Albérès, ajoutées à celle de Mohler, de Sternhell et de Dupeux (et du national-révolutionnaire historique Paetel), me permettait d’opérer une transposition vers la sphère des idéologies politiques.

Pour terminer ma réponse, je dirais que cet ensemble de courants idéologiques ne relève nullement du passé: le retour « postmoderne » à une architecture moins fonctionnelle, la nécessité ressentie de voir triompher un urbanisme de qualité à l’échelle humaine (comme le voulaient Horta et l’école de Darmstadt), la sensibilité écologique qui doit davantage à Bergson, Klages, Friedrich-Georg Jünger, D. H. Lawrence, Jean Giono et tant d’autres qu’aux soixante-huitards et marxistes recyclés dans la défense d’une nature à laquelle ils ne comprennent généralement rien, le mouvement altermondialiste qui cherche à jeter les bases d’une économie nouvelle, la guerre en Irak qui a fait prendre conscience de l’inanité de l’interventionnisme systématique des Etats-Unis (à l’instar de Carl Schmitt), l’engouement généralisé pour les grands courants religieux et mystiques, le goût du public pour l’aventure et les épopées, notamment sur les écrans de cinéma, montrent tous que les filons philosophiques, qui ont donné naissance à la « révolution conservatrice », qui l’ont irriguée et ont suscité de nouvelles veines, qui sont ses héritières, demeurent vivants.

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dimanche, 22 juillet 2007

The Wellspring of Being

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New Culture, New Right : The Wellspring of Being

Michael O'MEARA

Utdrag från New Culture, New Right: Anti-Liberalism in Postmodern Europe, s. 117-126.

The first major thinker to inform the GRECE's philosophy of history -- and theoretically validate Europe's longest memory -- was Friedrich Nietzsche, for his rejection of modernist metaphysics and his embrace of the old Greek myths to counter the rationalism of the "dialecticians" (Christian or modernist) anticipated the New Right's identitarian project. Moreover, in appealing to "we good Europeans," his philosophical project addressed "historiological" issues pertinent to the problems of historical fatigue and cultural renewal. From these, there has emerged the most radical of his ideas -- the thought of Eternal Return -- which forms the core of the New Right's anti-liberal philosophy of history. [34]

As Giorgio Locchi first interpreted it, the Nietzschean notion of Eternal Return does not imply a literal repetition of the past. It is an axiological rather than a cosmological principle. As such, it represents a will for metamorphosis in a world that is itself in endless metamorphosis, serving as a principle of becoming that knows neither end nor beginning, but only the process of life perpetually returning to itself. It thus affirms man's "worldopen" nature, subject as he is to on-going transformations and transvaluations. [35] Against the determinism implicit in modernity's progressive narrative, Nietzsche's Eternal Return exalts the old noble virtues that forged life's ascending instincts into a heroically subjective culture. Homer's Greeks might thus be dead and gone, yet, whenever "the eternal hourglass of existence is turned upside down," "opening" the future to the past, Nietzsche thought the epic spirit, as that which bears returning, might again be roused and lead to something analogous. [36] Life, he argued, is not a timeless essence inscribed with a predetermined telos. As being, it is becoming, and becoming is will to power. In this sense, Eternal Return represents the affirmation of man's original being, the assertion of his difference from others, and, in its infinite repertoire of exemplary past actions, the anticipation of whatever his future might hold. Its recurring past functions thus as a "selective thought," putting memory's endless assortment of experience in service to life. As Vattimo characterizes it, the past is "an always available reserve of future positions." [37] Man has only to envisage a future similar to some select facet of what has gone before to initiate its return. [38] The past exists, then, not as a momentary point on a line, a duration measurable in mechanical clock time, understandable as an onward succession of consecutive "nows." Rather, it recurs as a "genealogical" differential whose origin inheres in its wilful assertion. This makes it recoverable for futural re-enactments that endeavor to continue life's adventure. [39] Just as the pagan gods live forever and the end of one cycle commences another, the past of Nietzsche's Eternal Return recurs in every successive affirmation of will, in every conscious exertion of memory, in every instant when will and memory become interchangeable. It is consequently reversible, repeatable, and recoverable.

This past is also of a whole with other temporalities. I can never be younger, but as time advances, the future recedes. In the present, these temporalities meet. The human sense of time comes in this way to encompass an infinity of temporalities, as past, present, and future converge in each passing moment. Since this infinity is all of a piece, containing all the dimensions of time, as well as all the acts of man, affirmed in their entirety "whenever we affirm a single moment of it," the present functions as an intersection, not a division, between past and future. [40] Situated in this polychronous totality, man's will is free to access the infinite expanse of time, in which there is no prescribed end, only unlimited possibilities. As to historical teleology or finality, they are for Nietzsche mere derivatives of the Christian/modernist indifference to life's temporal play. In response to the prompting of his will, it is man's participation in the eternal recurrence of his original affirmation that imposes order on the world's underlying chaos and hence man alone who shapes the future -- not a supra-human force that goes by the name of God, Progress, or the laws of Historical Materialism. [41] In the spirit of the ancient Hellenes, who treated life's transience as the conjuncture of the actual and the eternal, of men and gods, Nietzsche's Eternal Return testifies to both the absence of a preordained historical meaning and the completeness of the present moment. [42]

Besides affirming willful action, Nietzsche's break with linear temporality infuses man with the idea that he always has the option of living the thought of Eternal Return. Just as every past was once a prefiguration of a sought-after future, every future arises from a past anticipation -- that can be anticipated again. "The impossible," as teleologically decreed, "is not possible." [43] Indeed, only in seeking to overcome that which resists is life's will to power manifested. His Übermensch, the antithesis of modern man, is consequently steeped in the longest memory not because he bears the accumulated wisdom of the past, but because he rejects the weariness of those governed by an imagined necessity and imposes his will, as an assertion of original being, upon the vagaries of time. [44] Memory here becomes synonymous with will. In this context, Mircea Eliade reminds us that in ancient Aryan myth, the gods fall from the heavens whenever their memories fail them. Those, however, who remember are immutable. [45] Likewise, in Greek legend, the goddess Mnemosyne, the personification of memory and the mother of the muses, is omniscient because she recalls everything. The poets the muses inspire draw on Mnemosyne's knowledge, returning to the font of being, to discover the primordial reality from which the cosmos issued. [46] Unlike the Christian/modernist approach to history, which sees the past as working out a divine or immanent logos, the Greek historians searched for the laws of becoming, the exemplary models, that would open man to primordial time -- where culture, cosmos, and myth arise. [47] As such, Eternal Return has nothing to do with repeating the same thing endlessly. Rather, its tireless conquest of the temporal enables man to create himself again and again, in a world where time -- and possibility -- are eternally open. In this way, it replicates the mythic process, reinvigorating the images that have the potential to save Western man from the nihilistic predicament into which he has fallen. [48]

Nietzsche's identification of being with becoming should not, however, be taken to mean that the genealogical spirit of mythic origins -- the spirit of an eternally open and purposeless world subject solely to the active force of will -- gives man the liberty to do whatever he pleases. The limits he faces remain those posed by the conditions of his epoch and nature. In the language of social science, Nietzsche fully acknowledges the inescapable constraints of structures, systemic forces, or what Auguste Comte called "social statics." Yet, within these limits, all that is possible is possible, for man's activities are always prospectively open to the possibilities inherent in the moment, whenever these are appropriated according to his own determinations: that is, whenever man engages the ceaseless struggle which is his life. "Necessity," he argues, "is not a fact, but an interpretation." [49] History does not reflect the divine will or the market's logic, but the struggle between men over the historical images they choose for themselves. What ultimately conditions existence, then, is less what acts on man from the outside ("objectivity") than on what emanates from the inside (will), as he "evaluates" the forces affecting him. Nature, history, and the world may therefore affect the way man lives, but they do so not as "mechanical necessities."

Given this rejection of both immanent and transcendental determinisms, Nietzsche's concept of history is far from being a literal recapitulation of the primitive cyclical concept of time. According to Eliade, the Eternal Return of archaic societies implied an endless repetition of time, that is, another sort of "line" (a circle) seeking to escape history's inherent vicissitudes. [50] By contrast, Nietzsche eschews time's automatic repetition, seeing Eternal Return in non-cyclical, as well as non-linear terms. The eternity of the past and the eternity of the future, he posits, necessitate the eternity of the present and the eternity of the present cannot but mean that whatever has happened or will happen is always at hand in thought, ready to be potentialized. [51] Just as being is becoming, chance the verso of necessity, and will the force countering as well as partaking in the forces of chaos, the eternity of the Nietzschean past reverberates in the eternity of the future, doing so in a manner that opens the present to all its possibilities. [52] The past of Eternal Return is thus nostalgic not for the past, as it is with primitive man, but for the future. History, Locchi notes, only has meaning when one tries to surpass it. [53]

Neither linear nor cyclical, Nietzsche's concept of time is spherical. In the "eternally recurring noon-tide," the different temporal dimensions of man's mind form a "sphere" in which thoughts of past, present, and future revolve around one another, taking on new significance as each of their moments becomes a center in relation to the others. Within this polychronous swirl, the past does not occur but once and then freeze behind us, nor does the future follow according to determinants situated along a sequential succession of developments. Rather, past, present, and future inhere in every moment, never definitively superseded, never left entirely behind. [54] "O my soul," his Zarathustra exclaims, "I taught you to say 'today' as well as 'one day' and 'formerly' and to dance your dance over every Here and There and Over-There." [55] Existentially, the simultaneity of these tenses enables man to overcome all duration or succession. There is no finality, no obstacle to freedom. Whenever the Janus-headed present alters its view of the different temporalities situating it, its vision of past and future similarly changes. The way one stands in the present consequently determines how everything recurs. [56] And since every exemplary past was once the prefiguration of a sought-after future, these different temporalities have the potential of coming into new alignment, as they phenomenologically flow into one another.

Recollected from memory and anticipated in will, the past, like the future, is always at hand, ready to be actualized. [57] As this happens and a particular past is "redeemed" from the Heraclitean flux to forge a particular future, the "it was" becomes a "thus I willed it." [58] In this fashion, time functions like a sphere that rolls forward, toward a future anticipated in one's willful image of the past. [59] Existence, it follows, "begins in every instant; the ball There rolls around every Here. The middle [that is, the present] is everywhere. The path of eternity is crooked" [non-linear]. [60] This recurrence, moreover, goes beyond mere repetition, for the re-enactment of an archaic configuration is invariably transfigured by its altered context. The conventional opposition between past and future likewise gives way before it, as the past, conceived as a dimension of the polycentric present, becomes a harbinger of the future and the future a recurrence of the past. The present consequently ceases to be a point on a line and becomes a crossroad, where the totality of the past and the infinite potential of the future intersect. This means history has no direction, except that which man gives it. He alone is the master of his destiny. And this destiny, like history, bears a multitude of possible significations. As in pagan cosmology, the world is a polemos, a field of perpetual struggle, a chaos of unequal forces, where movement, submission, and domination rule. As such, it knows only particular finalities, but no universal goal. Becoming is eternal -- and the eternal contains all possibility. [61]

Whenever the man of Eternal Return rejects the resentment and bad conscience of the teleologists and steps fully into his moment, Nietzsche counsels: Werde das, was Du bist! [sv. Bli den, som du är!] [62] He does not advocate the Marxist-Hegelian Aufhebung, liberal progress, or Christian salvation, but a heroic assertion that imbues man with the archaic confidence to forge a future true to his higher, life-affirming self. Becoming what you are thus implies both a return and an overcoming. Through Eternal Return, man -- "whose horizon encompasses thousands of years past and future" -- returns to and hence transvalues the spirit of those foundational acts that marked his ancestors' triumph over the world's chaos. This first historical act, which myth attributes to the gods, involved choosing one's culture, one's second nature. All else follows on its basis -- not through reproduction, though, but through the making of new choices posed by the original act. There is, indeed, no authentic identity other than this perpetual process of self-realization. In shaping man's sense of history, Eternal Return cannot, then, but overcome the resentment that dissipates his will, the bad conscience that leaves him adrift in the random stream of becoming, the conformist pressures that subject him to the determinations of the modern narrative. Moreover, as will to power, it compels him to confront what he believes are the essential and eternal in life, and they, in turn, impart something of the essential and eternal to the "marvelous uncertainty" of his own finite existence, as he goes beyond himself in being himself. The wilful becoming of Eternal Return serves, thus, as a means of defining man's higher self, as the return of the essential and eternal reaffirms both his origins and the values -- the mode of existence -- he proposes for his future. And since such a disposition is framed in the genealogical context of a primordial origin, Eternal Return (pace Foucault and the postmodernists) fosters not an atomized, discontinuous duration in which becoming is out of joint with being, but a self-justifying coherence that unites individual fate and collective destiny in a higher creativity -- even if this "coherence" is premised on the belief that the world lacks an inherent significance or purpose. [63] Every individual act becomes in this way inseparable from its historical world, just as the historical world, product of multiple individual valuations, pervades each individual act. "Every great human being," Nietzsche writes, "exerts a retroactive force: for his sake all of history is placed in the balance again." [64] Whenever, then, the thought of Eternal Return puts the past and future in the balance, as the present casts its altering light on them, it re-establishes "the innocence of becoming," enabling the active man to decide his fate -- in contrast to the life-denigrating man of mechanical or teleological necessity, whose past is fixed and whose future is foreordained. [65]

The final, and today most important, component of the GRECE's historical philosophy comes from Martin Heidegger, whose anti-modernist thought began to influence its metapolitical project, and supplant that of Nietzsche, in the early 1980s. [66] Like the author of Zarathustra, Heidegger rejects Christian/modernist metaphysics, viewing man and history, being and becoming, as inseparable and incomplete. The past, he argues, may have passed, but its significance is neither left behind nor ever permanently fixed. When experienced as authentic historicity, it "is anything but what is past. It is something to which I can return again and again." [67] Thus, while the past belongs "irretrievably to an earlier time," Heidegger believes it continues to exist in the form of a heritage or an identity that is able to "determine 'a future' 'in the present'." [68] In this spirit, he claims "the original essence of being is time." [69]

Unlike other species of sentient life, Heideggerian man (like Nietzschean and Gehlenian man) has no pre-determined ontological foundation: he alone is responsible for his being. Indeed, he is that being whose "being is itself an issue," for his existence is never fixed or complete, but open and transient. [70] It is he who leads his life and is, ipso facto, what he becomes. Man is thus compelled to "make something of himself" and this entails that he "care" about his Dasein (existence) [sv. tillvaro, bokstavligt "där-varo"]. As being-in-the-world -- that is, as something specific to and inseparable from its historical-cultural context -- Dasein is experienced as an on-going possibility (inner rather than contingent) that projects itself towards a future that is "not yet actual." Relatedly, the possibility man seeks in the world into which he is "thrown" is conditioned by temporality, for time is not only the horizon against which he is thrown, it is the ground on which he realizes himself. Given, then, that time "draws everything into its motion," the possibility man seeks in the future (his project) is conditioned by the present situating him and the past affecting his sense of possibility. Possibility is thus not any imagined possibility (as postmodernists are wont to believe), but a historically specific option that is both inherited and chosen. Dasein's projection cannot, as a consequence, but come "towards itself in such a way that it comes back," anticipating its possibility as something that "has been" and is still present at hand. [71] The three temporal dimensions (or ecstases) of man's consciousness are for this reason elicited whenever some latent potential is pursued. [72] Birth and death, along with everything in between, inhere in all his moments, for Dasein equally possesses and equally temporalizes past, present, and future, conceived not as fleeting, sequentially-ordered now-points, but as simultaneous dimensions of mindful existence. [73] Therefore, even though it occurs "in time," Dasein's experience of time -- temporality -- is incomparable with ordinary clock or calendar time, which moves progressively from past to present to future, as the flow of "nows" arrive and disappear. Instead, its temporality proceeds from the anticipated future (whose ultimate possibility is death), through the inheritance of the past, to the lived present. Dasein's time is hence not durational, in the quantitative, uniform way it is for natural science or "common sense," but existential, ecstatically experienced as the present thought of an anticipated future is "recollected" and made meaningful in terms of past references.

In this sense, history never ends. It has multiple subjective dimensions that cannot be objectified in the way science objectifies nature. It is constantly in play. As Benoist writes, the historical "past" is a dimension, a perspective, implicit in every given moment. [74] Each present contains it. The Battle of Tours is long over, but its meaning never dies and always changes -- as long as there are Europeans who remember it. The past, thus, remains latent in existence and can always be revived. Because the "what has been, what is about to be, and the presence" (the "ecstatical unity of temporality") reach out to one another in every conscious moment and influence the way man lives his life, Dasein exists in all time's different dimensions. Its history, though, has little to do with the sum of momentary actualities which historians fabricate into their flattened narratives. Rather, it is "an acting and being acted upon which pass through the present, which are determined from out of the future, and which take over the past." [75] When man chooses a possibility, he makes present, then, what he will be through a resolute appropriation of what he has been. [76] There is, moreover, nothing arbitrary in this appropriation, for it arises from the very process that allows him to open himself to and "belong to the truth of being," as that truth is revealed in its ecstatical unity. For the same reason, the present and future are not "dominated" by the past, for its appropriation is made to free thought -- and life -- from the inertia of what has already been thought and lived. This makes history both subversive and creative, as it ceaselessly metamorphizes the sense of things. [77]

Man's project consequently has little to do with causal factors acting on his existence from the "outside" (what in conventional history writing is the purely factual or "scientific" account of past events) and everything to do with the complex ecstatical consciousness shaping his view of possibility (that is, with the ontological basis of human temporality, which "stretches" Dasein through the past, present, and future, as Dasein is "constituted in advance"). [78] Because this ecstatical consciousness allows man to anticipate his future, Dasein is constantly in play, never frozen in an world of archetypes or bound to the linearity of subject-object relations. As such, the events historically situating it do not happen "just once for all nor are they something universal," but represent past possibilities which are potentially recuperable for futural endeavors. To Heidegger, the notion of an irretrievable past makes no sense, for it is always at hand. Its thought and reality are therefore linked, for its meaning is inseparable from man, part of his world, and invariably changes as his project and hence his perspective changes. The past, then, cannot be seen in the way a scientist observes his data. It is not something independent of belief or perspective that can be grasped wie es eigentlich gewesen [sv. som det egentligen varit]. Its significance (even its "factual" depiction) is mediated and undergoes ceaseless revision as man lives and reflects on his lived condition. [79] This frames historical understanding in existential terms, with the "facts" of past events becoming meaningful to the degree they belong to his "story" -- that is to say, to the degree that what "has been" is still "is" and "can be." In Heidegger's language, "projection" is premised on "thrownness." And while such an anti-substantialist understanding of history -- which sees the past achieving meaning only in relationship to the present -- is likely to appear fictitious to those viewing it from the outside, "objectively," without participating in the subjective possibilities undergirding it, Heidegger argues that all history is experienced in this way, for what "has been" can be meaningful only when it is recuperable for the future. As long, therefore, as the promise of the past remains something still living, still to come, it is not a disinterested aspect of something no longer present. Neither is it mere prologue, a path leading the way to a more rational future. It is, rather, something with which we have to identify if we are to resolve the challenges posed by our project -- for only knowledge of who we have been enables us to realize the possibility of who we are. [80] Indeed, it is precisely modern man's refusal to realize his inner possibility and use those freedoms that "could ensure him a supra-natural value" that accounts for his "revolutionary, individualistic, and humanistic destruction of Tradition." [81]

Like Nietzsche, Heidegger believes that whenever Dasein "runs ahead towards the past," the "not yet actual" opens to the inexhaustible possibilities of what "has been" and what "can be." Based on this notion of temporality, both Heidegger and Nietzsche reject the abstract universalism of teleological becoming (suitable for measuring matter in motion or the Spirit's progression towards the Absolute), just as they dismiss all decontextualized concepts of being (whether they take the form of the Christian soul, the Cartesian cogito, or liberalism's disembodied individual). Heidegger, however, differs from Nietzsche in making being, not will, the key to temporality. Nietzsche, he claims, neither fully rejected the metaphysical tradition he opposed nor saw beyond beings to being. [82] Thus, while Nietzsche rejected modernity's faith in progress and perpetual overcoming (the Aufhebung which implies not only transcendence but a leaving behind), his "will to power" allegedly perpetuated modernity's transcendental impulse by positing a subjectivity that is not "enowned" by being. As a possible corrective to this assumed failing, Heidegger privileges notions of Andenken (the recollection which recovers and renews tradition) and Verwindung (which is a going beyond that, unlike Aufhebung, is also an acceptance and a deepening) -- notions implying not simply the inseparability of being and becoming, but becoming's role in the unfolding, rather than the transcendence, of being. [83]

Despite these not insignificant differences, the anti-modernist aims Nietzsche and Heidegger share allies each of them to the GRECE's philosophical project. This is especially evident in the importance they both attribute to becoming and to origins. Heidegger, for example, argues that whenever being is separated from becoming and deprived of temporality, as it is in the Christian/modern logos, then being -- in this case, abstract being rather than being-in-the-world -- is identified with the present, a now-point, subject to the determinisms governing Descartes' world of material substances. [84] This causes the prevailing philosophical tradition to "forget" that being exists in time, as well as space. [85] By rethinking being temporally and restoring it to becoming, Heidegger, like Nietzsche, makes time the horizon of all existence -- freeing it from the quantitative causal properties of space and matter.

Because it is inseparable from becoming and because becoming occurs in a world-with-others, being is always embedded in a "context of significance" saturated with history and tradition. For as man pursues his project in terms of the worldly concerns affecting him, both his project and his world are informed by interpretations stemming from a longer history of interpretation. His future-directed project, in fact, is conceivable solely in terms of the world into which he is thrown. Thus, while he alone makes his history, he does so as a "bearer of meaning," whose convictions, beliefs, and representations have been bestowed by a collective past. [86] Being, as such, is never a matter of mere facticity, but specific to the heritage (context) situating it. (Hence, the inescapable link between ontology and hermeneutics). It is, moreover, this meaning-laden context that constitutes the "t/here" [da] in Dasein, without which being (qua being-in-the-world) is inconceivable. [87] And because there can be no Sein without a da, no existence without a specific framework of meaning and purpose, man, in his ownmost nature as being, is inseparable from the context that "makes possible what has been projected." [88] Being, in a word, is possible only in "the enowning of the grounding of the t/here." [89]

Unlike Cartesian reason, with its unfiltered perception of objective reality, Heidegger sees all thought as self-referential, informed by historical antecedents that are inescapable because they inhere in the only world Dasein knows. This leads him to deny rationalism's natural, timeless, ahistorical truths. Like being, truth is necessarily historical. Heidegger consequently rejects modernity's Cartesian metaphysics, which posits the existence of a rational order outside history. By reconnecting subject and object in their inherent temporality, he seeks to deconstruct modernity's allegedly objective cognitive order. "Every age," as R. G. Collingwood contends, "must write its own history afresh," just as every man is compelled to engage his existence in light of what has been handed down to him. [90]

In contrast to inauthentic Dasein -- that "temporalizes itself in the mode of a making-present which does not await but forgets," accepting what is as an existentialist imperative (but which, situated as it is in "now time," is usually a corrupted or sclerotic transmission confusing the present's self-absorption with the primordial sources of life) -- authentic Dasein "dredges" its heritage in order to "remember" or retrieve the truth of its possibility and "make it productively its own." [91] The more authentically the potential of this "inexhaustible wellspring" is brought to light, the more profoundly man becomes "what he is." [92] In this sense, authentic historicity "understands history as the 'recurrence' of the possible." [93] And here the "possible" is "what does not pass," what remains, what lasts, what is deeply rooted in oneself, one's people, one's world -- in sum, it is the heritage of historical meaning that preserves what has been posited in the beginning and what will be true in the future. [94]

"I know," Heidegger said in 1966, "that everything essential and everything great originated from the fact that man . . . was rooted in a tradition." [95] In disclosing what has been handed down as a historically determined project, tradition discloses what is possible and what is innermost to man's being. The beginning of a heritage is thus never "behind us as something long past, but stands before us . . . as the distant decree that orders us to recapture its greatness." [96] The archaic force of origins, where being exists in its unconcealed fullness, is present, though, only when Dasein resolutely chooses the historically-specific possibility inherent in the heritage it inherits. In Benoist's formulation, "in matters of historical becoming, there are no established metaphysical truths. That which is true is that which is disposed to exist and endure." [97] This notion of historicity highlights not merely the openness of past and future, but the inevitable circularity of their representations.

The Christian/modernist concept of linear history, in deriving the sense of things from the future, inevitably deprives the detemporalized man of liberal thought of the means of rising above his necessarily impoverished because isolated self, cutting him off from the creative force of his original being and whatever "greatness" -- truth -- it portends. By contrast, whenever Heideggerian man is "great" and rises to the possibilities latent in his existence, he invariably returns to his autochthonous source, resuming there a heritage that is not to be confused with the causal properties of his thrown condition, but with a being whose authenticity is manifested in becoming what it is. "Being," in other words, "proclaims destiny, and hence control of tradition." [98] Again concurring with Nietzsche, Heidegger links man's existence with the "essential swaying of meaning" that occurred ab origine, when his forefathers created the possibilities that remain open for him to realize. From this original being, in which "quality, spirituality, living tradition, and race prevail" (Evola), man is existentially sustained and authenticated -- just as a tree thrives when rooted in its native soil. [99] As Raymond Ruyer writes, "one defends the future only by defending the past," for it is in the past that we discover new possibilities in ourselves. [100]

Although a self-conscious appropriation of origins does not resolve the problems posed by the human condition, it does free man from present-minded fixations with the inauthentic. [101] His "first beginning" also brings other beginnings into play -- for it is the ground of all subsequent groundings. [102] Without a "reconquest" of Dasein's original commencement (impossible in the linear conception, with its irreversible and deracinating progressions), Heidegger argues that there can never be another commencement. [103] Only in reappropriating the monumental impetus of a heritage, whose beginning is already a completion, does man come back to himself, achieve authenticity, and inscribe himself in the world of his own time. Indeed, only from the store of possibility intrinsic to his originary genesis, never from the empty abstractions postulated by a universal reason transcending historicity, does he learn the finite, historically-situated tasks "demanded" of him and open himself to the possibility of his world. Commencement, accordingly, lies in front of, not behind, him, for the initial revelation of being is necessarily anticipated in each new beginning, as each new beginning draws on its source, accessing there what has been preserved for posterity. Because the "truth of being" found in origins informs Dasein's project and causes it to "come back to itself," what is prior invariably prefigures what is posterior. The past in this sense is future, for it functions as a return backwards, to foundations, where the possibility for future being is ripest.

This makes origins -- "the breakout of being" -- all important. They are never mere antecedent or causa prima, as modernity's inorganic logic holds, but "that from which and by which something is what it is and as it is. . . . [They are] the source of its essence" [that is, its ownmost particularity] and the way truth "comes into being . . . [and] becomes historical." [104] As Benoist puts it, the "original" (unlike modernity's novum) is not that which comes once and for all, but that which comes and is repeated every time being unfolds in its authenticity. [105] In this sense, Heideggerian origins represent the primordial unity of existence and essence that myth affirms, for its memorialization of the primordial act suggests the gestures that can be repeated. Therefore, whenever this occurs -- whenever myth's "horizon of expectation" is brought into view -- concrete time is transformed into a sacred time, in which the determinants of the mundane world are suspended and man is free to imitate his gods. [106] Given, moreover, that origins, as "enowned" being, denote possibility, not the purely "factual" or "momentary" environment affecting its framework, human Dasein achieves self-constancy (authenticity) only when projected on the basis of its original inheritance -- for Dasein is able to "come towards itself" only in anticipating its end as an extension of its beginning. [107] Origins, thus, designate identity and destiny, not causation (the "wherein," not the "wherefrom"). Likewise, they are not "out there," but part of us and who we are, preserving what "has been" and providing the basis for what "continues to be." This makes them the ground of all existence, "gathering into the present what is always essential." [108]

The original repose of being that rescues authentic man from the "bustle of mere events and machinations" is not, however, easily accessed. To return Dasein to its ground and "recapture the beginning of historical-spiritual existence in order to transform it into a new beginning" is possible only through "an anticipatory resoluteness" that turns against the present's mindless routines. [109] Such an engagement -- and here Heidegger's "revolutionary conservative" opposition to the established philosophical tradition is categorical -- entails a fundamental questioning of the "rootless and self-seeking freedoms" concealing the truth of being: a questioning that draws "its necessity from the deepest history of man." [110] For this reason, Heidegger (like New Rightists) sees history as a "choice for heros," demanding the firmest resolve and the greatest risk, as man, in anxious confrontation with the heritage given him because of his origins, seeks to realize an indwelling possibility in face of an amnesic or obscurant conventionality. [111] This heroic choice (constituting the only authentic choice possible for man) ought not, however, to be confused with the subjectivist propensities of liberal individualism. A heroic conception of history demands action based on what is "original" and renewing in tradition, not on what is arbitrary or wilful. Similarly, this conception is anything but reactionary, for its appropriation of origins "does not abandon itself to that which is past," but privileges the most radical opening of being. [112]

This existential reaching forward that, at the same time, reaches back affirms the significance of what Heidegger calls "fate." [113] Like Nietzsche's amor fati, fate in his definition is not submission to the inevitable, but the "enowning" embrace of the heritage of culture and history into which man is thrown at birth. In embracing this heritage -- in taking over the unchosen circumstances of his community and generation -- man identifies with the collective destiny of his people, as he grounds his Dasein in the truth of his "ownmost particular historical facticity." [114] Truth, in this sense, reflects not an objective reflection of reality, but a forthright response to destiny -- to "the unfolding of a knowledge in which existence is already thrown" (Vattimo). The "I" of Dasein becomes thus the "we" of a destining project. Against the detemporalized, deracinated individual of liberal thought, "liberated" from organic ties and conceived as a phenomenological "inside" separated from an illusive "outside," Heideggerian man achieves authenticity through a resolute appropriation of the multi-temporal, interdependent ties he shares with his people. In affirming these ties, Heidegger simultaneously affirms man's mindful involvement in the time and space of his own destined existence. Indeed, Heideggerian man cannot but cherish, for himself and his people, the opportunity to do battle with the forces of fortuna, for in doing so he realizes the only possibility available to him, becoming in the process the master of his "thrownness" -- of his historical specificity. The community of one's people, "being-with-others" (Mitsein), serves, then, as "the in which, out of which, and for which history happens." [115] Dasein's pursuit of possibility is hence necessarily a "cohistorizing" with a community, a co-historizing that converts the communal legacy of the far-distant past into the basis of a meaningful future. [116] Indeed, history for Heidegger is possible only because Dasein's individual fate -- its inner "necessity" -- connects with a larger sociocultural "necessity," as a people struggles against the perennial forces of decay and dissolution in order "to take history back unto itself." [117]


34.Friedrich Nietzsche, Beyond Good and Evil, tr. by W. Kaufmann (New York: Vintage, 1966), §56; Friedrich Nietzsche, The Gay Science, tr. by W. Kaufmann (New York: Vintage, 1974), §285 and §341; Nietzsche, Thus Spoke Zarathustra, op. cit., "The Vision and the Riddle" and "The Convalescent." Also Philippe Granarolo, L'individu éternal: L'expérience nietzschéenne de l'éternité (Paris: Vrin, 1993), p. 37. Cf. M. C. Sterling, "Recent Discussions of Eternal Recurrence: Some Critical Comments," in Nietzsche Studien 6 (1977).

35. Eugene Fink, Nietzsches Philosophie (Stuttgard: Kohlhammer, 1960), p. 91.

36. Nietzsche, Human, All Too Human, op. cit., §24; Benoist, Les idées à l'endroit, op. cit., p. 74; Armin Mohler, "Devant l'histoire," in Nouvelle Ecole 27-28 (Winter 1974-1975).

37. Gianni Vattimo, The End of Modernity: Nihilism and Hermeneutics in Postmodern Culture, tr. by J.R. Snyder (Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1985), p. 82.

38. Paul Chassard, Nietzsche: Finalisme et histoire (Paris: Copernic, 1977), p. 174; Clément Rosset, La force majeure (Paris: Minuit, 1983), pp. 87-89; Jean-Pierre Martin, "Myth et cosmologie," in Krisis 6 (October 1990).

39. Granarolo, L'individu éternal, op. cit., pp. 34-52.

40. Friedrich Nietzsche, The Will to Power, tr. by W. Kaufmann and R. J. Hollingdale (New York: Vintage, 1967), §1032.

41. Nietzsche, The Will to Power, op. cit., §706; Chassard, La philosophie de l'histoire dans la philosophie de Nietzsche, op. cit., pp. 114-18.

42. Fink, Nietzsche's Philosophie, op. cit., pp. 75-92.

43. Nietzsche, The Will to Power, op. cit., §639.

44. Nietzsche, Thus Spoke Zarathustra, op. cit., "Of the Vision and the Riddle." "Origins" for Nietzsche do not bear the timeless essence of things, but rather the unencumbered expression of their original being, the Herkunft that serves as Erbschaft. See Nietzsche, Genealogy of Morals, Essay II, §12; The Gay Science, op. cit., §83. Cf. Michel Foucault, "Nietzsche, Genealogy, History," in Language, Counter-memory, Practice: Selected Essays and Interviews, tr. by D. F. Boucard and S. Simon (Ithaca: Cornell University Press, 1977).

45. Eliade, Myth and Reality, op. cit., pp. 115-20.

46. J. P. Vernant, "Aspects mythiques de la mémoire en Gréce," in Journal de Psychologie (1959).

47. Eliade, Myth and Reality, op. cit., pp. 134-38.

48. Granarolo, L'individu éternal, op. cit., pp. 47-52.

49. Nietzsche, Will to Power, op. cit., §552, also §70; Giorgio Locchi, "Ethologie et sciences sociales," in Nouvelle Ecole 33 (Summer 1979).

50. Mircea Eliade, The Myth of the Eternal Return or, Cosmos and History, tr. by W. Trask (Princeton: Princeton University Press, 1965), pp. 36, 85-86, 117; also Mircea Eliade, The Sacred and the Profane: The Nature of Religion, tr. by W. Trask (San Diego: Harcourt Brace Jovanovich, 1959), pp. 108-10.

51. Chassard, La philosophie de l'histoire dans la philosophie de Nietzsche, op. cit., pp. 121-22.

52.

jeudi, 19 juillet 2007

Carences juridiques de la ND

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Les carences juridiques de la « Nouvelle Droite »

Ange SAMPIERU

Le mouvement intellectuel des idées en France a été incontestable­ment mar­qué, à partir des années 80, par l'apparition du courant dit de la “nou­velle droite” (ND).

La capacité de ce courant intellectuel à traiter les multiples aspects de la réflexion contemporaine est une réa­lité incontournable, en dé­pit de sa pro­gressive marginalisation dans le débat des idées de la fin de ce siècle.

Héritière en cela des écoles idéologiques modernes, la ND a préten­du participer à la vague de contestation qui a toujours agité les in­tellectuels européens. En particulier, dans le champ du politique, la ND a posé les fondements d'une critique globale du courant bour­geois dominant, qu'il soit d'inspiration marxiste ou libéral.

Puisant dans le courant gramsciste une partie de son corpus idéolo­gique, la ND a tourné son regard vers de multiples domaines, no­tam­ment dans la doctrine relative à l'organisation de la Cité. A ce titre, et sans prétendre à une position définitive, la pensée juridique constitue un des domaines de réflexion majeurs.

L'influence, bien que marginale, des grands philosophes du droit  —en particulier du droit public—  allemands et français (Carl Schmitt en Allemagne, René Capitant en France) a fait l'objet d'une opéra­tion d'instrumentalisation chez les penseurs de la ND. La mise en œuvre d'une réflexion (critique) sur la notion de droit dans la ge­stion politique de la Cité moderne n'a pas été, de ce fait, négligée. La ND a reconnu, dans le cadre d'une conception globale, la place éminente du jus,  traductrice d'une certaine vision du monde. Ap­pré­ciation contemporaine qui s'appuie, en outre, sur une synthèse historique, expression des courants idéologiques fondamentaux.

Il apparait néanmoins que cette attention portée à la signification fondamentale du droit par la ND n'a jamais débouché sur une con­ception du droit propre à ce courant.

La découverte des notions essentielles, de caractère historique, con­sub­stan­tielles à la réflexion juridique, ne la conduit pas, pour au­tant, à une élaboration originale d'une nouvelle pensée juridique.

Dans un contexte historique marqué par une déliquescence des liens communautaires forts, la ND n'a pas été en mesure de construire une doctrine juridique nouvelle. Prudents, voire timides, devant une tâche essentielle, les penseurs de la ND n'ont, à aucun moment, pris le risque d'une action créatrice. Cette relative stérilité dans le do­mai­ne de la réflexion juridique est-elle alors lié à une incapacité intellectuelle réelle  - ou tout simplement à une difficulté de traduc­tion de la pensée dans le champ du droit, expression concrète d'un mode de vie collectif?

Il reste que l'on ne trouve qu'exceptionnellement abordée une ana­lyse des doctrines juridiques modernes, la ND préférant se réfugier dans une réflexion binaire, de nature idéologique, entre le droit ro­main et le droit germanique. Timidité ou stérilité? Dans les deux cas, cette absence traduit les limites d'une pensée qui se prétend, par ailleurs, globale.

Sous l'angle idéologique, on peut aussi questionner l'absence de la ND dans le domaine de la réflexion juridique comme une mani­festation chronique de la réduction intuitu personnae. Le poids impérial de son penseur n°1, Alain de Benoist, dans la délimitation de la pensée de la ND, pourrait aussi expliquer la faiblesse de sa réflexion juridique. Phénomène classique, que l'on retrouve dans de multiples courants de pensée, d'un “gourou” fort brillant mais loin de l'image de l'homme de la Renaissance, loin aussi de la réalité vivante et charnelle.

Le droit est-il un outil trop complexe, trop fuyant quand on se place dans la perspecti­ve de construire une doctrine multiforme? Seul l'intéressé pourrait sérieusement nous apporter une réponse à la question.

Il est aussi vrai que la ND, plutôt marquée par une vision “histo­riciste” du débat doctrinal, n'aborde jamais la nature immédiate et concrète de la pensée juridique moderne.

La ND, en choisissant de ne pas rentrer dans le débat actuel du champ juridique, n'apparait pas plus impliquée dans les choix concrets d'une organisation civile et publique de la Cité.

Ce double refus n'est pas constitutif d'un quelconque délit. Il exige tout de même une certaine explication, dans la mesure où, au travers de son discours idéologique, la ND prétend participer au mouvement de réflexion contemporaine sur le devenir de la Cité européenne.

A quand une vraie réponse?

Ange SAMPIERU.

 

 

mardi, 17 juillet 2007

G. Faye: Europa: arbol en la tempestad

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Siglo XXI
Europa, un árbol en la tempestad

Guillaume Faye


Permítanme una “metáfora arqueofuturista” en torno al símbolo eterno del árbol, al que yo personalmente compararía con el del cohete. Pero antes, evoquemos la dura imagen del siglo que se nos viene encima.


MARTE Y HEFAISTOS: EL RETORNO DE LA HISTORIA

El siglo XXI será un siglo de hierro y de tempestades. No se parecerá en absoluto a esas predicciones armoniosas proferidas hasta los años setenta. No tendrá lugar la aldea global profetizada por Marshall MacLuhan en 1966, ni el planeta en red (network planet) de Bill Gates, ni la civilización mundial liberal y sin historia, dirigida por un único Estado “onusino” descrita por Francis Fukuyama. Será el siglo de los pueblos en competición y de las identidades étnicas. Y paradójicamente, los pueblos vencedores serán aquellos que permanezcan fieles o que retornarán a los valores y realidades ancestrales, ya sean éstos biológicos, culturales, éticos, sociales o espirituales, y que, al mismo tiempo, serán también quienes dominen con maestría la tecnociencia. El siglo XXI será aquél en el que la civilización europea, prometeica y trágica mas eminentemente frágil, operará una metamorfosis o llegará a conocer su propio e irremediable crepúsculo. En definitiva, será un siglo decisivo. 
En Occidente, los siglos XIX y XX han sido los de la creencia en la emancipación de las leyes de la vida, en los que se ha creído que era posible alcanzar la mente después de haber alcanzado la Luna. El siglo XXI muy probablemente reubicará las cosas en el sitio que les corresponde y operará el “retorno a lo real”, también muy probablemente a través del camino del dolor. 
Los siglos XIX y XX han visto el apogeo del espíritu burgués, esa pequeña sífilis mental, monstruosa y deformada fotocopia de la noción de elite. El siglo XXI, tiempo de tormentas, verá cómo se renuevan conjuntamente los conceptos de pueblo y aristocracia. El sueño burgués se hunde en la podredumbre de sus propios principios y de sus promesas pusilánimes: No son, necesariamente, tiempos de bonanza y felicidad para el materialismo y el consumismo, el capitalismo transnacional triunfante y el individualismo. Y no mucho más para la seguridad, la paz o la justicia social. 
Cultivemos el optimismo pesimista de F.-W. Nietzsche. «Ya no hay ningún orden al que salvar, es necesario rehacer uno nuevo», escribía Pierre Drieu La Rochelle. Y surgen las preguntas: ¿Acaso va a ir todo mal durante los primeros pasos del siglo XXI? ¿Acaso están todos los indicadores al rojo vivo? Pues tanto mejor. ¿Acaso no nos predecían el fin de la historia tras el hundimiento de la U.R.S.S.? Estamos asistiendo justamente a su retorno atronador, belicoso y arcaico. El Islam reemprende sus guerras de conquista. El imperialismo americano se desencadena. La China y la India ambicionan llegar a ser superpotencias, etc. El Siglo XXI estará emplazado bajo el doble signo de Marte, el Dios de la Guerra, y de Hefaistos, el Dios forjador de espadas, maestro-patrón de las técnicas, de los fuegos telúricos.

HACIA LA CUARTA EDAD DE LA CIVILIZACIÓN EUROPEA

A la civilización europea, civilización superior, no hay que dudar lo más mínimo en afirmarla como tal frente a los cantores lánguidos del etnomasoquismo xenófilo, y deberá, para poder sobrevivir en el Siglo XXI, operar una revisión desgarradora de ciertos de sus principios. Y sólo será capaz de ello si permanece anclada en su eterna personalidad metamórfica: Deberá transformarse toda ella permaneciendo como ella misma al mismo tiempo, cultivar el enraizamiento y la desinstalación, la fidelidad identitaria y la ambición histórica.
La Primera Edad de la civilización europea reagrupa a la Antigüedad y la Edad Media: Momento de gestación y de crecimiento. La Segunda Edad va desde los Grandes Descubrimientos hasta la Primera Guerra Mundial: Es la asunción. La civilización europea conquista al mundo. Pero del mismo modo que Roma o el Imperio de Alejandro el Magno, ella misma se hace devorar por sus propios hijos pródigos: Occidente y América, y por aquellos pueblos que ella misma ha (superficialmente) colonizado. Se abre entonces, en un trágico movimiento de aceleración de la historia, la Tercera Edad de la civilización europea tras el Tratado de Versailles y el fin de la guerra civil de 1914-18: El funesto siglo XX ¡Tan sólo cuatro generaciones fueron suficientes para precipitar en la decadencia el trabajo ascendente, la labor solis de más de cuarenta generaciones! La historia se parece a las asíntotas trigonométricas de la “teoría de las catástrofes”: Es en el pináculo de su esplendor cuando la rosa marchita, es tras un tiempo asoleado y calmado cuando el ciclón estalla. ¡La roca Tarpeya está ya cerca del Capitolio! 
Europa fue víctima de su propio prometeismo trágico, de su propia apertura al mundo. Víctima de ese exceso de toda expansión imperial: El universalismo, olvidadizo de toda solidaridad étnica interna global, víctima en consecuencia también de los micro-nacionalismos. 
La Cuarta Edad de la civilización europea se abre hoy. Y será la del renacimiento o la perdición. El siglo XXI será para esta civilización heredera de los pueblos-hermanos indoeuropeos, el siglo fatídico, el del fatum, del destino que distribuye o la vida o la muerte. Pero el destino no es el azar absoluto. Contrariamente a las religiones del desierto –el cual simbólicamente no representa más que a la nada absoluta– los pueblos europeos saben en el fondo de sí mismos que el destino y que las divinidades no son siempre todopoderosos frente a la voluntad del hombre (1). Como Aquiles, como Ulises, el hombre europeo de los orígenes se mantiene en pie y nunca acostado, posternado o arrodillado frente a sus dioses. No hay sentido de la historia.
Incluso herido, el Árbol puede continuar creciendo. Con la condición de que reencuentre la fidelidad a sus propias raíces, a su propia fundación ancestral, al suelo que nutre su savia.

LA METÁFORA DEL ÁRBOL

El Árbol, son las raíces, el tronco y el follaje. Es decir, el germen, el soma y la psique.
1) Las raíces representan al “germen”, el zócalo biológico de un pueblo y su territorio, su tierra materna. Ellas no nos pertenecen, las transmitimos. Ellas pertenecen al pueblo, al alma ancestral y por venir del pueblo, denominada por los griegos Ethnos y por los germanos Volk. Vienen desde los ancestros y están destinadas a las nuevas generaciones. (Es por ello que todo mestizaje es una apropiación indebida de un bien a transmitir y, de nuevo, una traición). Si el germen desaparece, ya no es posible nada más. Podemos talar el tronco del árbol, mas podrá eventualmente rebrotar. Pero si arrancamos las raíces o contaminamos la tierra, todo ha terminado. Es por ello que las colonizaciones territoriales y las desfiguraciones étnicas son infinitamente más graves y mortales que las lacayas servidumbres culturales o políticas, de las que un pueblo puede, llegado el caso, reponerse perfectamente.
Las raíces, principio dionisíaco, crecen y se hunden en el suelo, a través de nuevas ramificaciones: Vitalidad demográfica y protección territorial del Árbol contra las malas hierbas. Las raíces, el “germen”, jamás llegan a estar yertas. Profundizan en su esencia, tal y como lo entendía Martin Heidegger. Las raíces son a la vez “tradición” (lo que se transmite) y “materia ígnea” (fuente viva, eterno reinicio). Las raíces son pues en conjunto la manifestación de la memoria y lo ancestral más profundos y del eterno carácter juvenil dionisíaco. Y tal manifestación nos remite al concepto capital de profundización.
2) El tronco, es el “soma”, el cuerpo, la expresión cultural y física de un pueblo, siempre en constante innovación mas alimentada por la savia venida desde las raíces. No está cuajado o petrificado, gelificado. Engorda en capas concéntricas elevándose todo él hacia el cielo. Hoy en día, aquellos que quieren neutralizar y abolir la cultura europea intentan “conservarla” como si fuera un monumento del pasado, como si estuviera dentro de un frasco de formol, destinada a los eruditos “neutros”, o bien abolir la memoria histórica para las jóvenes generaciones. El tronco, sobre la tierra que lo mantiene, es, edad tras edad, crecimiento y metamorfosis. El Árbol de la larga cultura europea está a un mismo tiempo enraizado y desinstalado (socavado). Un roble de diez años no se parece a un roble de mil años. Mas es siempre el mismo roble. El tronco, aquél que recibe y afronta al rayo, obedece al principio jupiterino.
3) El follaje. Es el más frágil y el más bello. Muere, se marchita y renace como el Sol. Se expande en todos los sentidos. El follaje representa a la “psique”, es decir a la civilización, a la producción y la profusión de nuevas formas de creaciones diversas. Es la razón de ser del Árbol, su asunción. Por otro lado, ¿a qué ley obedece el crecimiento de las hojas? A la fotosíntesis. Es decir a “la utilización de la fuerza de la luz”. El Sol nutre a la hoja que, en cambio, produce el oxígeno vital. El eflorescente follaje sigue pues al principio apolíneo. Pero atención: Si crece desmesurada y anárquicamente (como es el caso de la civilización europea que ha querido al convertirse en el Occidente mundial extenderse al planeta entero), será sorprendido por la tempestad, como si de una vela mal cardada se tratase, y hará abatir y desenraizar al Árbol que le mantiene. El follaje debe ser podado, disciplinado. Si la civilización europea quiere subsistir, no debe abrirse a toda la Tierra ni practicar la estrategia de brazos abiertos..., al igual que un follaje en exceso curioso que se extiende por todas partes o se deja asfixiar por las hiedras. Deberá concentrarse sobre su propio espacio vital, es decir la Eurosiberia. De ahí la importancia del imperativo de etnocentrismo, término políticamente incorrecto pero que ha de ser preferido al modelo “etnopluralista” y de hecho multiétnico que algunos equivocados o calculadores intentan teorizar desorientando al espíritu de resistencia de la elite rebelde de la juventud.
Podemos comparar la metáfora tripartita del Árbol con la del Cohete, extraordinaria invención europea. Correspondiendo los reactores ardiendo y los propulsores a las raíces, al fuego telúrico. El cuerpo cilíndrico del ingenio se parece al tronco del árbol. Y la cofia del proyectil, desde la que se desplegarán los satélites o las naves alimentadas por la energía de los paneles solares, hacen pensar en el follaje.
¿Es acaso verdaderamente un azar si los grandes programas de cohetes espaciales construidos por europeos -incluso expatriados en EE.UU., adivinándose, obviamente, de quién hablamos- se han denominado respectivamente Appolo, Atlas, Mercury, Thor y Ariane? El Árbol, es el pueblo. Al igual que el cohete, sube hacia el cielo, pero parte de una tierra, de un suelo fecundo en el que ninguna otra raíz parásita puede ser admitida. En una base espacial, se asegura una protección perfecta, una limpieza total de la área de lanzamiento. Del mismo modo, el buen jardinero sabe que para que el árbol crezca en altura y en fortaleza, es necesario que al mismo tiempo se libere la base sobre la que se asienta de las inoportunas malas hierbas que secan sus raíces; liberar su tronco de la opresión de las plantas parásitas; pero también desramar los ramajes demasiado prolijos que carecen de verticalidad. 

DEL CREPÚSCULO AL ALBA

Este siglo será el del renacimiento metamórfico de Europa, como el Fénix, o de su desaparición en tanto que civilización histórica y su transformación en Luna Park cosmopolita y estéril, mientras que los otros pueblos, por lo que a ellos respecta, conservarán sus identidades y desarrollarán su poder. Europa está amenazada por dos virus emparentados: El del olvido de sí mismo, de la desecación interior, y el de la “apertura al Otro”, excesiva. En el siglo XXI, Europa, para sobrevivir, deberá al mismo tiempo reagruparse, volver de nuevo a su memoria y perseguir su propia ambición, fáustica y prometeica. Tal es el imperativo de la coincidentia oppositorum, la convergencia de los contrarios, o la doble necesidad de la memoria y de la voluntad de poder, del recogimiento y de la creación innovadora, del enraizamiento y de la desinstalación. Heidegger y Nietzsche...
El inicio del Siglo XXI será como esa medianoche del mundo, desesperante, de la que hablaba Friedrich Hölderlin. Pero en lo más obscuro de la noche, sabido es que por la mañana, el Sol regresará, Sol Invictus. Tras el crepúsculo de los dioses: El alba de los dioses. Nuestros enemigos han creído siempre en la Gran Noche, y sus banderas están ornadas con símbolos de estrellas nocturnas. Por el contrario, sobre nuestras banderas está acuñada la Estrella de la Gran Mañana, con rayos arborescentes: La rueda, la flor del Sol de Mediodía. 
Las grandes civilizaciones saben pasar de las tinieblas de la decadencia al renacimiento: El Islam y la China lo han demostrado. Los Estados Unidos de América no son una civilización, en absoluto, si no una sociedad, la materialización mundial de la sociedad burguesa, al igual que un cometa, con un poder tan insolente como efímero. No tienen raíces. No son nuestros verdaderos competidores en lo que corresponde a la escala de la historia, en absoluto, simplemente son parásitos. 
El tiempo de la conquista ha terminado. Ahora viene el de la reapropiación interior y exterior, la reconquista de nuestra memoria y de nuestro espacio: ¡Y qué espacio! Catorce husos horarios sobre los cuales el Sol no se pone nunca. Desde Brest hasta el Estrecho de Béring, qué duda cabe, éste es verdaderamente el Imperio del Sol, y es de hecho el espacio vital y de expansión propio de los pueblos indoeuropeos. Sobre el flanco sureste, tenemos a nuestros primos hindúes y sobre nuestro flanco este, a la gran civilización china, que podrá ser según ella determine aliada o enemiga. Sobre el flanco oeste, venida desde más allá del Océano: La América cuyo objetivo será siempre impedir la unión continental (del espacio eurosiberiano). Mas, ¿Lo podrá eternamente? 
Y además, sobre el flanco sur: La principal amenaza, resurgida desde el fondo de las épocas del pasado, aquélla con la que no podemos transigir (absolutamente para nada). 
Ciertos leñadores intentan abatir el Árbol. Entre ellos se hallan muchos traidores, muchos colaboradores. Defendamos a nuestra tierra, preservemos a nuestro pueblo. La cuenta hacia atrás ha comenzado. Todavía tenemos tiempo, si bien esta vez no por mucho tiempo. 
Es más, aun cuando logren cortar el tronco o si la tempestad lo abate, quedarán todavía las raíces, siempre fecundas. Una sola brasa es suficiente para reavivar el incendio. 
Puede darse, evidentemente, que abatan al Árbol y troceen su cadáver, en un canto crepuscular, y en tanto que anestesiados, los europeos no sientan el dolor. Pero la tierra es fecunda y una sola semilla es suficiente para relanzar al retoño. En el siglo XXI, preparemos a nuestros hijos para la guerra. Eduquemos en la juventud una nueva aristocracia, incluso aunque sea minoritaria. 
Mucho más que la moral, es necesario practicar a partir de ahora mismo la hipermoral, es decir la ética nietzscheana de los tiempos difíciles: Cuando uno defiende a su pueblo, es decir a sus propios hijos, cuando uno defiende lo esencial, sigue la regla de Agamenón y de Leónidas mas también de Carlos Martel (2): Es la ley de la espada la que prevalece, aquélla en la que el bronce o el acero refleja al brillo del Sol. El árbol, el cohete, la espada: Tres símbolos verticales que parten del suelo hacia la luz, erguidos desde la Tierra hacia el Sol, animados por la savia, el fuego y la sangre.


Guillaume Faye


(1) El europeo se afirma a sí mismo propiamente como hombre, como ser también portador de la divinidad, capaz, mediante su voluntad, de dominar y señalar el destino a seguir (N del T).
(2) Y nuestro Jaime I (N del T).
[Traducción y notas por Enrique Bisbal-Rossell. El texto precedente apareció originalmente en el número 2, del solsticio de invierno de 1999, de la revista hermana gala Terre et Peuple. La Revue]

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