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mardi, 23 novembre 2010

Jean Parvulesco est mort...

Jean Parvulesco est mort...

JeanParvulesco_Paris2000-217x300.jpgJean Parvulesco est né en Roumanie (Valachie) en 1929 et vient de mourir à Paris le soir du dimanche 21 novembre 2010. De la Nouvelle Vague à la littérature, sa vie très singulière a représenté une trajectoire personnelle à la fois solitaire et engagée collectivement.

 

Avant l’âge de 20 ans, vers 1948, il décide de fuir le régime communiste et traverse le Danube à la nage. Il est emprisonné dans des camps politiques de travaux forcés en Yougoslavie et parvient à rejoindre finalement Paris, en 1950, qu’il ne quittera presque plus. Il suit les séminaires de Jean Wahl à la Sorbonne puis fréquente les milieux les plus divers, dans une pauvreté contre laquelle il se débattu toute son existence.

 

Débute alors ce destin étrange et riche, où se mêleront l’écriture et l’action, et de nombreuses rencontres avec des cinéastes, des écrivains, des activistes, et des personnalités de zones différentes de l’échiquier politique. Proche de certains milieux de la Nouvelle Droite, il fut également lié à certains gaullistes, mais aussi à l’OAS, chiraquien atypique, apologiste du traditionalisme de René Guénon, influença le politologue russe Alexandre Douguine… Personnalité indépendante, il fut ami avec Raymond Abellio, Aurora Cornu, avec Louis Pauwels, discuta avec Martin Heidegger, Ezra Pound, Julius Evola… et connut Ava Gardner, Carole Bouquet et bien d’autres. Journaliste, il commence à écrire dans les années 60 et jusqu’à sa mort en passant de Combat à Pariscope, de Nouvelle Ecole à l’Athenaeum, de Rébellionà la Place royale ou Matulu : La tendance politique, l’objet ou la diffusion d’un média ne le préoccupait jamais. Pour lui, seul comptait ce qu’il appelait la littérature, l’acte de dire par le texte, véritable « expérience de la clandestinité».

 

Il mena cette expérience jusqu’à des retranchements personnels toujours mystérieux, où l’écrivain ne se distinguait plus vraiment du personnage, et le personnage de l’homme lui-même. Ce caractère unique, cet esprit qui semblait au-delà de toutes les difficultés du quotidien, à la vitalité exceptionnelle, à la culture secrète et souvent magnifique, lui valut d’être remarqué et apprécié par Eric Rohmer, Jean-Luc Godard ou Barbet Schroeder. Dans A bout de souffle, Jean-Luc Godard fait interpréter par Jean-Pierre Melville le rôle de Parvulesco (voir notre vidéo ci-dessous), qui aura cette réplique restée célèbre à une question sur son « ambition dans la vie » : « Devenir immortel… et puis mourir ». Dans L’Arbre, le maire et la médiathèque d’Eric Rohmer, il joue le rôle de « Jean Walter », proche de celui qu’il était en vrai, au côté d’Arielle Dombasle et de François-Marie Banier.

 

Au-delà de cette présence au cinéma, l’œuvre qui restera est son œuvre littéraire. Il commence à écrire des livres vers 50 ans, avec notamment leTraité de la chasse au faucon (L’Herne, 1978), recueil de poèmes remarqué, et un premier roman, La servante portugaise (L’Age d’Homme, 1987), publié récemment en Russie. Une trentaine de romans et une dizaine d’essais composent son œuvre. Deux éditeurs jouèrent un rôle primordial dans la publication de celle-ci : Guy Trédaniel et Vladimir Dimitrijevic. Sa façon d’écrire, rejetée ou adulée, intéressa fortement des personnalités comme Guy Dupré, pour qui elle constitue « l’entrée du tantrisme en littérature », Dominique de Roux, Michel Mourlet, Michel Marmin, Jean-Pierre Deloux ou Olivier Germain-Thomas (qui lui consacra une émission « Océaniques » sur FR3 en 1988).

 

Le 8 juin 2010, il est invité sur le plateau de l’émission « Ce soir (ou jamais!) » par Frédéric Taddéï sur France 3. Auprès de Dominique de Villepin, de Marek Halter ou Philippe Corcuff, il restera étonnamment silencieux. Son dernier livre, Un retour en Colchide, vient de paraître chez Guy Trédaniel. Il y notait, à sa façon, que « ce n’est pas nous qui décidons de l’heure. Moi, par exemple, je fais tout ce que je peux faire, mais je ne sais pas s’il ne faudra pas que je sois obligé d’abdiquer. D’ailleurs, j’ai l’impression que le moment de la fin arrive ».

 

 

Source Mécanopolis

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mardi, 12 octobre 2010

Maurice Allais, prix Nobel d'économie, meurt à 99 ans

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Maurice Allais, prix Nobel d'économie français, meurt à 99 ans

Le seul Français à avoir reçu le prix Nobel d’économie est décédé samedi à son domicile à l’âge de 99 ans.

 

Né le 31 mai 1911 à Paris, polytechnicien et membre de l’Institut, Maurice Allais a en particulier enseigné à l’École des mines de Paris et dirigé le Centre d’analyse économique.

Il a reçu le prix Nobel en 1988 pour ses contributions à la théorie des marchés et de l’utilisation des ressources.

Maurice Allais n’a pas toujours été bien compris, loin s’en faut. «Beaucoup de lecteurs le considèrent comme un champion du protectionnisme», ce qui est un «jugement profondément inexact», soulignait, lors de la même cérémonie, l’enseignant et chercheur Thierry de Montbrial.

Mais il est vrai qu’à force de vouloir que l’union politique précède l’union économique, Maurice Allais s’était affirmé comme un farouche défenseur d’une Communauté européenne d’abord soucieuse d’assurer sa propre sécurité économique, ce qui l’avait fait passer pour celui qui voulait bâtir une forteresse autour de l’Europe.

Il rappelait ainsi l’an dernier , qu’«un protectionnisme raisonné entre des pays de niveaux de vie très différents est non seulement justifié, mais absolument nécessaire».

Il se définissait lui-même comme un «libéral socialiste». C’est, expliquait-il cette position qui lui faisait souhaiter par exemple, pour éviter une destruction de l’agriculture et de l’industrie françaises, le rétablissement de préférences régionales au sein du commerce international dès lors que les écarts de salaires devenaient trop importants.

Le Figaro

vendredi, 13 août 2010

Thomas Molnar (1921-2010)

Thomas Molnar (1921-2010)
 
Ex: Nieuwsbrief Deltastichting nr. 38 - Augustus 2010
 
De Hongaars-Amerikaanse politieke filosoof Thomas Molnar werd in 1921 geboren te Boedapest als Molnár Tamás. Hij liep school in de stad Nagyvárad, op de Hongaars-Roemeense grens, die werd ingenomen door Roemeense troepen in 1919. Het jaar nadien bepaalde het Verdrag van Trianon dat de stad, herdoopt als Oradea, zou toebehoren aan Roemenië. Begin jaren ‘40 verhuisde hij naar België om er in het Frans te studeren aan de Université Libre de Bruxelles (ULB). Tijdens de oorlog werd hij er als leider van de katholieke studentenbeweging door de Duitse bezetter geïnterneerd in het KZ Dachau. Na de oorlog keerde hij terug naar Boedapest en was er getuige van de geleidelijke machtsovername door de communisten. Daarop vertrok hij naar de Verenigde Staten, waar hij in 1950 aan de Universiteit van Columbia zijn doctoraat in filosofie en geschiedenis behaalde. Hij droeg vaak bij tot National Review, het in 1955 door William F. Buckley opgerichte conservatieve tijdschrift. Hij doceerde aan verscheidene universiteiten en na de val van het communistisch regime in Hongarije ook aan de Universiteit van Boedapest en de Katholieke Péter-Pázmány-Universiteit. Sinds 1995 was hij ook lid van Hongaarse Academie der Kunsten. Hij is de auteur van meer dan 40 boeken, zowel in het Engels als Frans, en publiceerde in tal van domeinen zoals politiek, religie en opvoeding.
 
Geïnspireerd door Russell Kirks ”The Conservative Mind” ontwikkelde Molnar zich tot een belangrijk denker van het paleoconservatisme, een stroming in het Amerikaanse conservatisme die het Europese erfgoed en traditie wil bewaren en zich afzet tegen het neoconservatisme. Paul Gottfried vermeldt terecht in zijn memoires (Encounters. My Life with Nixon, Marcuse, and Other Friends and Teachers. ISI Books, 2009) dat Molnar in verschillende van zijn geschriften zijn verachting voor de Amerikaanse maatschappij en politiek niet onder stoelen of banken steekt. Zo bespot hij de “boy scout” mentaliteit van Amerikaanse leiders , hun “Disney World”-opvattingen over de toekomst van de democratie en identificeert hij protestantse sektarische driften achter het Amerikaanse democratische geloof. Het Amerikaanse materialisme is volgens hem geëvolueerd van een ondeugd naar een wereldvisie. Het is dus niet toevallig dat Molnar vandaag wordt ‘vergeten’ door mainstream conservatieven aan beide zijden van de Atlantische Oceaan.
 
Molnar trad ook veelvuldig in debat met Europees nieuw rechts. Toen Armin Mohler zijn "Nominalistische Wende" uiteenzette, bediende Molnar hem van een universalistisch antwoord. Als katholiek intellectueel publiceerde Molnar in 1986 samen met Alain de Benoist “L’éclipse du sacré” waarin zij vanuit hun gemeenschappelijke bezorgdheid voor de Europese cultuur de secularisering van het Westen bespreken. “The Pagan Temptation”, dat het jaar nadien verscheen, was Molnars weerlegging van de Benoists “Comment peut-on etre païen?” Molnars eruditie en originaliteit blijken echter onverenigbaar met elk hokjesdenken en dat uitte zich onder meer  in het feit dat hij enderzijds lid was van het comité de patronage van Nouvelle Ecole, het tijdschrift van Alain de Benoist, en anderzijds ook voor de royalisten van de Action Française schreef.
 
Thomas Molnar stierf op 20 juli jongstleden, zes dagen voordat hij 90 zou worden, te Richmond, Virginia.
 
Meer informatie bij het Intercollegiate Studies Institute, waar men tal van artikels en lezingen van Thomas Molnar kan consulteren.
 

samedi, 28 novembre 2009

Hommage à Panajotis Kondylis

Panajotis_Kondylis2222.gifArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Hommage à Panajotis Kondylis

(1943-1998)

 

Toute fama passe. C’est un adage que Panjotis Kondylis, philosophe grec né en 1943, a médité calmement. Il savait que si son œuvre était publiée d’abord en langue grecque, elle n’aurait guère d’impact. Kondylis s’est demandé s’il devait publier en anglais, en allemand ou en français. Finalement, il s’est décidé pour l’allemand. Aussi, dès cette décision prise, il a passé chaque année de sa vie six mois dans les bibliothèques de Heidelberg, six mois dans sa patrie hellénique.

 

La vie de Kondylis était celle d’un savant isolé, espèce en voie de totale disparition aujourd’hui. Kondylis était indépendant sur le plan matériel car il était issu d’une famille fortunée. Cette indépendance matérielle garantissait son indépendance d’esprit.

 

Son premier ouvrage, publié en 1979 et épais de 700 pages était la continuation d’études entamées à Heidelberg (Die Entstehung der Dialektik  - Eine Analyse der geistigen Entwicklung von Hölderlin, Schelling und Hegel bis 1802;  = La naissance de la dialectique. Analyse d’une évolution intellectuelle de Hölderlin, Schelling et Hegel jusqu’en 1802). Ensuite, il a publié Die Aufklärung im Rahmen des neuzeitlichen Rationalismus  en 1981 (= L’idéologie des Lumières dans le cadre du rationalisme moderne). Kondylis n’interprétait pas les Lumières comme une idéologie découlant des principes de la rationalité (sapere aude)  mais comme une réhabilitation de la sensualité. Le livre témoigne d’une immense culture livresque, même s’il apparaît un peu sec dans sa volonté opiniâtre de démontrer une thèse unique. Kondylis n’aimait pas les gris. Son ouvrage le plus connu, édité en 1991, Der Niedergang der bürgerlichen Denk- und Lebensform  - Die liberale Moderne und die massendemokratische Postmoderne (Le déclin de la forme de pensée et de vie bourgeoise - La modernité libérale et la postmodernité démocratique de masse), était en fait une analyse du phénomène de la masse, de la société et de la démocratie des masses.

 

En 1992, parait Planetarische Politik nach dem Kalten Krieg  (= Politique planétaire après la Guerre Froide). En 1996, Montesquieu und der Geist der Gesetze (= Montesquieu et l’esprit des lois). Mais dans les rangs des divers conservatismes, deux livres ont surtout mobilisé les attentions: Macht und Entscheidung  (1984; = Pouvoir et Décision) et Konservativismus  - Geschichtlicher Gehalt und Untergang  (1986; = La conservatisme: contenu historique et déclin). Effectivement, sur le conservatisme, peu de livres ont donné une description aussi fouillée du phénomène. La conclusion de Kondylis, contenue déjà tout entière dans le sous-titre de l’ouvrage, a suscité pas mal de critiques. Kondylis affirmait effectivement: «Le conservatisme est mort. Il est historiquement lié à une époque, celle de la noblesse. Tout ce qui, ultérieurement, s’est donné le nom de “conservatisme”, devrait plus être qualifié de “vieux-libéralisme”, car une telle appelation serait plus exacte. Car ces conservatismes sont dorénavant soumis aux conditionnements de la modernité...». Mais c’est surtout sa thèse principale qui a été rejetée comme trop “mécanique”, malgré l’admiration de toute sa corporation pour une certaine pertinence de sa démonstration et pour son enquête à travers toutes les sphères culturelles de l’Europe: Kondylis affirmait qu’avec la dissolution des restes de la société civile médiévale, c’est-à-dire avec l’abandon de la féodalité et l’élimination des avantages juridiques et publiques de la noblesse, le conservatisme politique avait factuellement cessé d’exister.

 

Enfin, au moment de sa mort, Kondylis, le réaliste qui méprisait la “lourdeur moralisante”, travaillait à un ouvrage en trois volumes sur la “socio-ontologie”. Hélas, la Grande Faucheuse l’a emporté le 10 juillet, quelques heures avant qu’il ne quitte Athènes pour se rendre à Heidelberg.

 

Hans B. von SOTHEN.

(hommage paru dans Junge Freiheit, n°30/1998).      

 

 

lundi, 02 novembre 2009

Ernst Jünger est mort: entretien avec Heimo Schwilk

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

 

 

Ernst Jünger est mort

 

Entretien avec Heimo Schwilk

 

Heimo Schwilk, né en 1952 à Stuttgart, a étudié la philosophie, la philologie germanique et l'histoire à Tübingen. De 1986 à 1991, il a été rédacteur au Rheinischer Merkur. Depuis 1991, Schwilk dirige la rédaction de la rubrique “Berlin und neue Bundesländer” du Welt am Sonntag. Pour ses reportages sur la Guerre du Golfe, il a reçu le célèbre prix “Theodor Wolff” en 1991. En 1988, il a édité chez Klett-Cotta un remarquable album de photographies sur la vie d'Ernst Jünger.

 

Q.: Quel vide laissera derrière lui l'écrivain Ernst Jünger qui vient de mourir ce mardi 17 février 1998?

 

HS: Tout d'abord, ils vont enfin pousser un soupir de soulagement, tous ceux qui ont voulu contester à Jünger la modeste place qu'il occupait encore dans cette société désarticulée qu'est la RFA. Lui, Jünger, l'homme que l'on ne pouvait pas utiliser, l'homme qui s'était volontairement soustrait au “discours” dominant, l'homme qui se désintéressait de la politique, est définitivement parti, se lançant dans sa dernière grande aventure, celle de la mort. Jünger nous a enseigné que la vie était mystère, que l'homme était un être merveilleux dans un monde merveilleux. Ce fondement romantique de la pensée de Jünger a en quelque sorte ouvert une faille dans le mur, faille qui le séparait, dès son vivant, de tous ceux qui travaillaient, opiniâtres, à la profanation et à la banalisation de notre existence. Jünger ne nous laisse aucun vide, mais un océan d'instants accomplis, qui sont devenus poésie dans un monde qui n'est plus que bavard-communicatif.

 

Q.: Bon nombre d'individus pressaient encore Ernst Jünger dans ses dernières années à prendre la parole en tant qu'“écrivain politique”. Il a toujours refusé. Mais entre les lignes, dans des remarques en marges, ne s'est-il pas mêlé subtilement au tumulte du monde, à sa manière?

 

HS: Ernst Jünger, immédiatement après l'accession au pouvoir des nationaux-socialistes a exprimé dans de nombreuses lettres jusqu'ici impubliées son sentiment: les discours sur la politique qui sont teintés d'opinions et de convictions équivalent à une auto-mutilation pour l'homme amoureux de la musique. Jünger avait derrière lui cinq années d'immixtion polémique dans des revues ou des ouvrages collectifs. Après 1945, il s'en est tenu à son verdict sur la politique. Les défenseurs de la littérature engagée se sont dressés contre lui et Benn disait de ses tristes sires, avec mépris: “ils rampent comme des chiens devant les concepts de la politique”. De fait, Jünger n'avait que bien peu de choses à apporter à ce discours qui se disait “démocratique”. En revanche, il avait énormément de choses à dire sur ce que Heidegger nommait les “existentiaux”: la temporalité, la déréliction (Geworfenheit), la mort. Il estimait que pontifier de la philosophie à côté des urnes électorales n'était pas une activité fort productive.

 

Q.: Pourquoi Ernst Jünger est-il tant apprécié de nos voisins, en particulier les Français, alors que chez nous, en Allemagne, il est demeuré un écrivain “contesté”?

 

HS: Etre contesté n'est en soi nullement répréhensible, pour autant que l'affrontement ait vraiment lieu et qu'on ne perpétue pas à l'infini, comme en Allemagne, une procédure de tribunal d'épuration. Les Français apprécient en premier lieu, chez Jünger, le fait qu'il a tant aimé leur pays  —et cela c'est sympathique—  qu'il le connaît parfaitement et qu'il le regarde dans ce qu'il a de spécifique. Ils paient tribut à sa moralité, celle avec laquelle il a mené à bien sa mission fort délicate d'officier des troupes d'occupation et d'écrivain en poste à Paris entre 1940 et 1944, sans jamais nuire à son intégrité. Ils aiment la clarté de sa langue, la force qu'elle met à nous éclairer. Ils considèrent que cette langue de Jünger exprime ce que vivent les sens, tout en restant typiquement allemande. François Mitterand remarquait, dans sa laudatio  pour le centième anniversaire de l'écrivain, que Jünger était resté un “homme libre”. Cela voulait dire qu'il cultivait une pensée détachée de tout poncif, une pensée pour laquelle les applaudissements des masses n'avaient aucune signification.

 

Q.: Ernst Jünger a-t-il suivi l'actualité politique jusqu'à son dernier jour?

 

HS: Ernst Jünger lisait régulièrement la presse, y compris Junge Freiheit, mais il passait rapidement sur les rubriques politiques, comme il me l'a dit plusieurs fois. Il était bien au courant de la marche du monde et plus d'une remarque moqueuse dans ses journaux atteste qu'il observait avec attention le déclin de la politique politicienne à Bonn, surtout celle des “ grands partis populaires” dont les différences ne sont qu'apparences. Mais il s'intéressait surtout aux processus généraux d'uniformisation, que toute observation fine de notre époque révèle et que son Travailleur  a exposé. Ensuite, il attendait du XXIième siècle l'avènement d'une nouvelle spiritualité, dont les prémisses sont justement les processus de déblaiement que décrivent ses essais et journaux.

 

Q.: Quelle est la signification de l'œuvre d'Ernst Jünger pour l'avenir?

 

HS: Elle réside dans sa foi en l'Etre, dans sa “nouvelle théologie”, qui refuse de laisser le dernier mot à la destructivité et à la petitesse de l'homme moderne.

 

Q.: L'une des figures les plus importantes dans la pensée de Jünger est l'anarque. Que devons-nous en penser aujourd'hui?

 

HS: L'anarque est, au contraire de l'anarchiste, ne cultive pas d'idées politiques, n'est pas une personnalité qui cherche le changement radical. Le politique est pour lui une chose extérieure, une dérivation, un phénomène secondaire. L'anarque  —comme l'homme qui recourt aux forêts—  demeure souverain et dispose librement de soi. Il joue son propre rôle dans la société. Service et liberté ne sont pas des contraires chez lui; le sacrifice, mais aussi le suicide, appartiennent à son capital. Dans Le recours aux forêts,  Jünger a décrit cette attitude: «Celui qui recourt aux forêts possède un rapport originel avec la liberté, qui, vu sur le plan temporel, s'exprime par une résistance à tous les automatismes, ce qui implique qu'il n'ait pas à tirer la conséquence que dicte généralement l'éthique, c'est-à-dire adopter le fatalisme». L'anarque n'est pas un missionnaire, armé de ses connaissances, il vit comme l'unique et sa spécificité (Der Einzige und sein Eigentum), c'est-à-dire avec l'ensemble de ses expériences, mais il brille devant tous les autres, à titre d'exemple. Peut-on dire quelque chose de plus pertinent sur la personne d'Ernst Jünger?

(entretien paru dans  Junge Freiheit,  n°9/1998; propos recueillis par Dieter Stein).

samedi, 31 octobre 2009

Hommage de Günter Rohrmoser à Ernst Jünger

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

 

 

Hommage de Günter Rohrmoser, philosophe et socio­logue conservateur

 

Mon rapport à Ernst Jünger a plutôt été celui de la distance. Je ne suis pas, me semble-t-il, la personne appropriée pour lui rendre hommage à l'occasion de son décès, ni pour prendre position à l'endroit de l'ensemble de son œuvre. Dieu merci, Ernst Jünger n'est pas resté toujours le même homme. L'Ernst Jünger de la première guerre mondiale, l'Ernst Jünger du temps de la République de Weimar, l'Ernst Jünger du temps du Troisième Reich et l'Ernst Jünger d'après la seconde guerre mondiale sont autant de fa­cettes très différentes d'une œuvre qui embrasse l'ensemble du siècle. C'est incontestable: il appartient à l'aréopage des plus grands écrivains de ce siècle. Et si le socialiste Mitterrand ne s'était pas affirmé comme un très bon connaisseur et un admirateur de l'œuvre de Jünger, la querelle stérile entre la gauche et la droite à propos de sa personne aurait continué bon train. Pour moi, aujourd'hui comme hier, l'œuvre principale de Jünger reste Der Arbeiter.  Ce livre a été interprété comme une contribution de l'auteur au national-socialisme, ce qui est complètement faux. Der Arbeiter  est l'une des plus grandes descriptions physiogno­miques de notre siècle; les paysages terrifiants du “cœur aventureux” en sont le complément. Certes, le Travailleur est un mythe: il n'a pas grand' chose à voir avec la réalité ouvrière du 20ième siècle. Mais, depuis, le monde s'est transformé et ressemble dé­sormais à un paysage d'ateliers et de fabriques; tout est devenu travail et, comme auparavant, nous luttons pour faire advenir ce que Jünger nommait une “construction organique”, c'est-à-dire une nouvelle fusion entre l'homme et la technique. Avec ces pa­roles, il a touché notre siècle en plein cœur. Ensuite, ce n'est nullement un hasard si, avec cet ouvrage, il a plus profondément in­fluencé Heidegger que celui-ci n'a bien voulu l'admettre. Personnellement, je ne trouve guère d'inspiration dans le Jünger d'après la seconde guerre mondiale. Je me souviens que Carl Schmitt annonçait, tout étonné, mais aussi à moitié amusé, qu'Ernst Jünger pensait que l'éon chrétien s'achevait. La spéculation qui calcule l'âge de la Terre et qui, dans une certaine mesure, dérive des tra­vaux d'Oswald Spengler, ne sont pas du goût de tout le monde. Jünger a certes été un homme pie(ux), mais il était très éloigné du christianisme, plus éloigné sans doute que d'un païen de l'antiquité.

 

Günter ROHRMOSER.

(texte paru dans Junge Freiheit,  n°9/98).

jeudi, 29 octobre 2009

Hommage de Günter Maschke à Ernst Jünger

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

EJnger.jpgL'hommage de Günter Maschke

 

«L'intelligence se soumet dès qu'elle accepte une question, indépendamment du fait qu'on y répondra oui ou non», notait Ernst Jünger après la première guerre mondiale. A cette époque, après 1918, il y avait encore assez d'intellectuels dans l'Allemagne vaincue qui avaient la force de rejeter l'impudence des puissances victorieuses et de leurs valets allemands qui voulaient impo­ser au pays leurs recettes libérales-démocratiques. Aujourd'hui, la situation est devenue beaucoup plus difficile, et c'est la raison pour laquelle il nous faut apprendre le désinvolture jüngerienne. Tel est notre devoir supérieur.

 

Günter MASCHKE.

(hommage publié par Junge Freiheit, n°9/98).

dimanche, 25 octobre 2009

L'instant brûlant

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L'instant brûlant

 

Quand meurt un homme, le chant de sa vie est joué dans l'éther. Il a le droit d'écouter jusqu'à ce qu'il passe au silence. Il prête alors une oreille si attentive au milieu des souffrances, de l'inquiétude. En tout cas, celui qui imagina le chant était un grand maître. Cependant, le chant ne peut être perçu dans la pureté du son que là où disparaît la volonté, là où elle cède à l'abnégation (1).

 

Ernst Jünger s'est avancé, ce 17 février 1998, vers des régions où les ciseaux de la Parque ne tranchent pas.

 

Les réactions lorsque fut annoncé ce deuil dans le monde des Lettres et de la pensée furent tristement coutumières. En ces temps où prévaut le “politiquement conforme”, certains critiques se sont distingués par des analyses sinon élogieuses (comme l'excellent article de Dominique Venner paru dans Enquête sur l'Histoire) du moins pertinentes (dans un magazine allemand inattendu, Focus). D'autres, zélés contempteurs inféodés à une idéologie qu'ils servent dans les organes de la presse française et allemande, se sont empressés de diffamer une œuvre qu'ils ne se sont jamais donnés la peine de lire et l'avouent parfois. Diable! Le personnage est agaçant: doté tout à la fois d'un esprit d'une rare fécondité et d'une vigueur phy­sique non moins surprenante qui lui a permis de traverser la presque totalité du XX° siècle, ce plus que centenaire n'a eu de cesse d'aimer son pays, de ne se rétracter en rien: écrits bellicistes à l'issue de la Première Guerre mondiale, vision éli­tiste, contemplation douloureuse lors de l'entre-deux guerres... Il n'a rien renié; seul parfois l'angle de la perspective devait changer, mais faut-il forcer un homme à n'être qu'un bloc monolithique? Toutefois, est-il décent, en cette période, de s'irriter des réactions coutumières quand on prononce le nom de Jünger, de dresser dès à présent le bilan de l'œuvre? Les lecteurs fidèles préféreront encore se tourner vers cet Eveilleur qui a su nous offrir une élégante méditation philosophique et poétique sur les maux qui rongent notre civilisation.

 

Les ciseaux de la Parque... Par respect pour ce “passage” qui intriguait tant Ernst Jünger, nous évoquerons dans ces co­lonnes sa métaphysique de la mort, qui apparaît dès 1928 dans la première version du Cœur aventureux. Car à force d'avoir voulu préciser les choix politiques souvent au sens large de Jünger, on a souvent oublié que cet auteur, s'il avait voulu agir sur l'histoire, ne s'intéressait pas moins aux questions d'ordre spirituel. Or, parler de la mort consiste justement à se plonger dans les eaux régénératrices de la spiritualité. Reportons-nous à un texte révélateur de 1928

 

La vie est un nœud qui se noue et se dénoue dans l'obscurité. Peut-être la mort sera-t-elle notre plus grande et plus dange­reuse aventure, car ce n'est pas sans raison que l'aventurier recherche ses bords enflammés (2).

 

Le symbole de l'entortillement

 

Procréation et mort marquent la fin du lacet, de ce noeud coulant qui, relié à son principe du domaine éternel, pénètre dans le règne terrestre. Pour Jünger, vie et mort sont intimement liées. Dans sa seconde version du Cœur aventureux qui paraît en 1938, Jünger recourt une nouvelle fois au symbole de l'entortillement. La théorie du lacet fait alors partie intégrante de l'initiation de Nigromontanus, maître mystérieux et charismatique. Le principe qu'il explique suppose une manière supé­rieure de se soustraire aux circonstances empiriques.

 

Il [Nigromontanus] nommait la mort le plus étrange voyage que l'homme puisse faire, un véritable tour de passe, la capuche de camouflage par excellence, aussi la plus ironique réplique dans l'éternelle controverse, l'ultime et l'imprenable citadelle de tous les êtres libres et vaillants (3).

 

Cet aspect nous ramène aux liens qu'entretiennent la mort et la liberté pour Jünger. Qui craint la mort doit renoncer à sa liberté. Le renforcement puissant de cette dernière n'est possible que si l'on part de la certitude que l'homme, en mourant, ne disparaît pas dans le néant, mais se voit élevé dans un être éternel. Aussi la pensée de Jünger tourne-t-elle sans cesse autour de la mort, parce qu'il veut infiniment fortifier la position de la liberté et assurer l'essence éternelle de l'homme. Ces idées acquises sur les champs de bataille, il les émet encore dans Heliopolis  en 1949 et dans l'essai Le Mur du Temps, paru en 1959.

 

Celui qui ne connaît pas la crainte de la mort est l'égal des dieux (4).

 

Une conception grecque et platonicienne de la mort

 

La conception jüngerienne de la mort, en rien chrétienne, est influencée par la pensée grecque, notamment platonicienne. Les lectures attentives des dialogues Phédon, Gorgias, La République (notamment le X° chapitre) ont laissé leur trace dans l'œuvre jüngerienne. L'anamnèse  platonicienne, nous la retrouvons formulée dans la deuxième version du Cœur aventu­reux et plus précisément dans “La mouche phosphorescente”. Jünger rapporte de la conversation de deux enfants qu'il sur­prit un jour cette phrase qui fusa, telle une illumination intellectuelle:

 

Et sais-tu ce que je crois? Que ce que nous vivons ici, nous le rêvons seulement; mais quand nous serons morts, nous vi­vrons la même chose en réalité (5).

 

ej1930cg.jpgLa vie semble se réduire à n'être que le reflet de cette vie véritable, impérissable, qui ne jaillit qu'au-delà de la mort. Voyons-y une fois encore le triomphe de l'être intemporel sur l'existence terrestre, qui est déterminée par le temps qui s'écoule perpétuellement!

 

Nous trouvons chez Jünger une inversion de la mort, comme si cette dernière signifiait en fait le réveil d'un rêve étrange, peut-être même mauvais. Cela n'est pas sans évoquer la métaphysique de la mort, telle que l'avait formulée le romantique Novalis dans les Hymnes à la Nuit et le roman Heinrich von Ofterdingen.

 

Le monde devient rêve, le rêve devient monde [...]

Mélancolie et volupté, mort et vie

Sont ici en intime sympathie (6)

 

Idéalisation de la nuit et goût de l'outre-tombe

 

L'idéalisation de la nuit qui apparaît au cours du XIX° siècle dans le culte lamartinien de l'automne, le goût de l'outre-tombe, l'attraction de la mort sur Goethe, sur Novalis et sur Nodier, la nécrophilie de Baudelaire, jette encore des feux de vie dans la pensée de Jünger. Le procès intenté à la raison comme nous l'avons perçu au XIX° siècle se poursuit au XX° siècle contre l'idéologie positiviste; cette véritable offensive vient des horizons les plus variés: citons R. von Hartmann et sa Métaphysique de l'Inconscient, Barrès et le Culte du Moi, Bergson et l'Evolution créatrice ou l'Essai sur les données im­médiates de la conscience. La redécouverte de l'inconscient des psychanalystes est aussi certainement liée à cette révolte.

 

La mort apparaît comme l'ultime libération de l'esprit du monde de la matière. A cet égard, la nouvelle “Liebe und Wiederkunft” —“amour et retour”—, très révélatrice, traduit une philosophie de l'histoire où des événements similaires se produisent sans cesse dans le même ordre, un retour de l'identique sous des formes différentes. L'histoire déjà parue dans la première version du Cœur aventureux  localise à Leisnig le passage à l'écriture et se voit dotée d'un titre une décennie plus tard. Jünger s'est alors contenté de préciser ici une image, d'affiner une idée ou de changer là l'emploi d'un temps ver­bal; il n'a en rien touché le contenu de l'histoire.

 

La trame est simple. Le narrateur, un officier, est tout d'abord naufragé sur une île de l'Océan Atlantique. Recueilli par une vertueuse femme qui prit le voile, il se rend peu à peu à l'évidence qu'une relation séculaire les lie l'un à l'autre. La fonction de cette femme consiste à soigner et à veiller les hommes qui, pour avoir goûté une belle plante narcotique, dorment le lourd sommeil du coma. Malgré les injonctions de la religieuse, le narrateur n'y résiste pas non plus et devient lui-même la proie du sommeil et du rêve. Pourtant, le voilà de nouveau sur l'île, menacée cette fois par l'inimitié d'une flotte espagnole! Hôte d'une généreuse famille pirate, amoureux de la fille de la maison, le narrateur se prépare, chevaleresque, à livrer combat. Or, n'aperçoit-il pas soudain une fleur merveilleuse, ne succombe-t-il pas encore à l'impérieux désir de la goûter?

 

Dans la dernière lueur du crépuscule, j'eus le temps encore de pressentir que je vivrais d'innombrables fois pour rencon­trer cette même jeune fille, pour manger cette même fleur, pour m'abîmer de cette même manière, tout comme d'innombrables fois déjà ces choses avaient été mon lot (7).

 

Une fleur aux couleurs du danger: le rouge, le jaune

 

Cette singulière histoire nous permet de mieux cerner la double nature de l'homme, ce qui fonde son originalité et son drame: son âme est immortelle et son corps périssable. Il est certain que la présence de cette fleur ne peut qu'évoquer le symbole le plus connu de toute l'œuvre de Novalis, la fleur bleue qui enchante le roman Heinrich von Ofterdingen et qui marque, de par ses racines et la couleur céleste de ses pétales, l'union de la terre et du ciel. La fleur jüngerienne n'est pas parée du bleu spirituel et bienfaisant. Ses pétales arborent les teintes de la vie et du danger, le jaune et le rouge (8); tout comme Goethe, rappelons-le, Jünger devait conférer une signification particulière aux couleurs. La fleur, belle et mena­çante, figure l'instabilité essentielle de l'être , qui est voué à une évolution perpétuelle. Ernst Jünger semble admettre que la mort n'est pas un fait définitif, mais une simple étape de la série des transformations auxquelles tout être est soumis. La réminiscence d'un état antérieur, telle qu'elle semble affecter l'imagination nocturne de Jünger et que nous venons d'évoquer, soulève le délicat problème de l'incarnation successive des âmes et dramatise ainsi la notion d'un éternel retour. Ne soyons donc pas surpris de trouver dans Le Cœur aventureux les très célèbres vers de Goethe:

 

Ah, tu étais ma sœur ou ma femme, en des temps révolus (9).

 

Ces vers impliquent la reconnaissance des choses entre elles, de leurs liens, une conscience de leur parenté qui peut dé­passer le cadre restreint de l'espèce humaine; d'ailleurs Jünger, dans le même passage, se fait écho de Byron:

 

Les monts, les vagues, le ciel ne font-ils partie de moi et de mon âme, et moi-même d'eux? (10).

 

La mort est le “souvenir le plus fort”

 

Finalement, la mort est pour Jünger un souvenir enfoui au plus profond de la mémoire, “le souvenir le plus fort” “der Tod ist unsere stärkste Erinnerung”  (aHl, 75). L'homme qui, pour Jünger, représente infiniment plus que le corps physique, est doté d'une mémoire qui semble survivre à la destruction de la matière. Le dualisme de la vision anthropologique que nous décelons ici évoque celui de Platon, qui stipula la primauté de l'âme sur le corps. Fidèle à ses influences pythagoriciennes, Platon reprit à son compte l'idée de l'immortalité de l'âme; dans sa préexistence ou postexistence, l'âme voit les idées, mais en s'incarnant dans sa prison de chair, elle les oublie. Rappelons-nous que celui qui, chez Hadès, conserve la mé­moire transcende la condition mortelle, échappe au cycle des générations. D'après Platon, les âmes assoiffées doivent éviter de boire l'eau du Léthé car l'oubli, qui constitue pour l'âme sa maladie propre, est tout simplement l'ignorance. Voilà peut-être la raison pour laquelle les Grecs prêtaient à Mnémosyne “mémoire”, la mère des Muses, de grandes vertus! L'histoire que chante la Titanide est déchiffrement de l'Invisible; la mémoire est fontaine d'immortalité. Nous pensons trouver ici un lointain écho de cette sagesse antique chez Jünger car, dans son œuvre, le contact avec l'autre monde est permis grâce à la mémoire. Celle-ci joue donc un rôle fondamental dans l'affirmation de l'identité personnelle et nous ne pouvons que souligner cette faveur qu'elle trouve auprès de Jünger, si l'on se réfère à ses journaux intimes, ces voyages entrepris dans les profondeurs du moi et d'où surgissent à la conscience des aspects nouveaux de l'être, mêlé parfois à toute une tonalité poétique.

 

L'aspect orphique de Jünger

 

Le roman philosophique Eumeswil  (1977), à cet égard très révélateur, montre l'aspect orphique de Jünger. La mémoire, par l'intermédiaire du Luminar, fait tomber la barrière qui sépare le présent du passé. Que ce soit par le biais du Luminar ou par l'évocation des morts dans le jardin de Vigo, un pont est jeté entre le monde des vivants, au-delà duquel retourne tout ce qui a quitté la lumière du soleil. Cette évocation des morts n'est pas sans éveiller à notre mémoire le rituel homérique, qui connaît deux temps forts: d'une part, l'appel chez les vivants et, d'autre part, la venue au jour, pour un bref moment, d'un défunt remonté du monde infernal. Le voyage d'un vivant au pays des morts semble également possible, ainsi le chamane Attila qui s'aventura dans les forêts.

 

La place centrale que les mythes de type eschatologique accordèrent à la mémoire indique l'attitude de refus à l'existence temporelle. Si Jünger exalte autant la mémoire, nous pouvons nous demander s'il n'est pas mû par la tentation d'en faire une puissance qui lui permette de réaliser la sortie du Temps et le retour du divin.

 

Qu'en est-il du vieil homme? Dans l'attente de l'ultime rendez-vous, habitué à la mort pour l'avoir côtoyée sur les fronts, dans les deuils et les déchirements qu'elle causa, il ne peut abandonner une inquiétude, qu'il exprime Deux fois Halley:

 

Au contraire, ce qui me préoccupe depuis longtemps, c'est la question du franchissement; une coupe en terre est trans­formée en or, puis en lumière. A cela une seule chose m'inquiète: c'est de savoir si l'on prend encore connaissance de cette élévation, si l'on s'en rend encore compte (11).

 

Parques, Moires, Nornes

 

Quelques années plus tard paraît le journal Les Ciseaux, que Jünger écrivit de 1987 à 1989. L'outil bien anodin dont il est ici question appartient aux sœurs filandières des Enfers qui filent et tranchent le fil de nos destinées. Etrangères au monde olympien, ces Parques ou Moires du monde hellénique sont les déesses de la Loi. Lachésis tourne le fuseau et enroule le fil de l'existence, Clotho, la fileuse, tient la quenouille et file la destinée au moment de la naissance. La fatale Atropos coupe le fil et détermine la mort. La représentation ternaire des fileuses, également présente dans le religieux germanique où les Nornes filent la destinée des dieux et celle des hommes, évoque la trinité passé, présent et futur et nous permet d'entrer dans la temporalité. Ce fil est le lien qui nous attache à notre destinée humaine, nous lie à notre mort. Ce qui importe ici, c'est que, d'une part, l'outil retenu par Jünger ne soit ni le fuseau ni la quenouille mais bien les ciseaux de la divinité morti­cole et que, d'autre part, Jünger valorise non le fil ou le tissage mais la coupure par les ciseaux.

 

Le titre de l'essai et les discrètes allusions aux Moires, à ces divinités du destin, intègrent l'écrit dans l'ensemble de la ré­flexion jüngerienne sur le temps et la temporalité. Quoi d'étonnant à ce qu'il établisse des correspondances secrètes avec ses écrits antérieurs et jongle avec des idées abondamment traitées dans le passé! Les allusions au Travailleur, au Mur du temps sont nombreuses; sans grande peine, nous retrouvons Le Traité du Sablier, Le Problème d'Aladin, Eumeswil et même la théorie du “lacet” propre au Cœur aventureux. Cette œuvre de continuité qui n'est certes pas l'écrit le plus origi­nal de Jünger, prend l'aspect d'une récapitulation. Dans cet écrit tout en nuances, à défaut d'avoir énoncé des théories véri­tablement nouvelles, Jünger a composé une série d'accords d'accompagnements, s'attaquant à des problèmes essentiels de notre temps. Les Ciseaux sont en cela une méditation sur les aventures de notre siècle qu'ils posent, sur un fond de dua­lisme entre races divines, le problème crucial de l'éthique dans un monde où la science et le progrès technique repoussent les frontières d'une science morale désormais dépassée. Nous reconnaissons cette volonté d'ordonner le monde à d'autres fins que matérialistes.

 

Jünger considère le Temps sous la loi de deux règnes, d'une part celle du temporel où les ciseaux d'Atropos ne coupent pas et annoncent cet infini comme nous pouvons déjà le percevoir dans les rêves et l'extase. L'essai parle donc de la cons­cience jüngerienne de la mort et de cette douloureuse et inquiétante question du passage, de l'ultime franchissement.

 

Du comportement psychologique des agonisants

 

Cette curiosité incite l'auteur à s'interroger sur l'état de mort temporelle et sur les souvenirs des rares patients qui, rappe­lés à la vie, reprochent à leur médecin de les avoir empêchés de passer le tunnel de la mort (Schere, 73 sq). Sensible peut-être à cette vague déferlante de littérature occultiste qui aborde depuis quelques années la vie postmortelle, (est-là un pré­sage de l'ère du Verseau?) ne va-t-il pas jusqu'à citer Elisabeth Kübler-Ross (12), cette femme d'origine suisse aléma­nique, installée aux Etats-Unis d'Amérique? En sa qualité de médecin, elle édita de nombreux ouvrages portant sur le com­portement psychologique des agonisants; elle examina les récits des patients qu'avaient ressuscités les nouvelles tech­niques médicales de la réanimation, c'est-à-dire des injections d'adrénaline dans le cœur ou des électrochocs. Certains “revenants” que la médecine avait considérés cliniquement morts après avoir préalablement constaté un arrêt cardiaque, une absence de respiration et d'activité cérébrale, confièrent les expériences étranges qui leur étaient alors advenues pen­dant ces instants.

 

Or, la similitude des descriptions, l'exactitude des récits excluaient tout rêve ou toute hallucination. C'est ce qui incita le médecin à voir là une preuve d'existence post-mortelle. Voilà un sujet épineux où l'on se heurte tant aux théologiens horri­fiés à l'idée d'un éventuel blasphème qu'aux doctes gardiens de la Science! Le raisonnement scientifique ne saurait rien admettre qui ne soit entièrement évident et ne forme un tout cohérent; la pensée qui en résulte, disciplinée par la rigoureuse volonté d'ordonner selon une méthode la plupart du temps linéaire et déductive, va par étapes successives de la simplicité à la complexité dans un ordre logique et chronologique. Or, dans le présent cas, la finalité du témoignage peut être sujette au même doute que son contenu. Il est donc bien évident que les thèses alléguées par E. Kübler-Ross ne peuvent, dans le meilleur des cas, remporter l'unanimité du monde scientifique et, dans le pire, ne peuvent qu'être rejetées car la science accueille avec méfiance des assertions qu'elle juge a priori insanes.

 

Toutefois, comme si Jünger voulait imposer le silence aux contempteurs de théories qu'il semble lui partager, comme s'il doutait aussi de cette méthode scientifique dont on aperçoit les limites, il cite des autorités médicales, aussi ambiguës soient-elles, ou nous livre les réflexions d'un ami, Hartmut Blersch, médecin lui aussi de son état. Ce dernier, traitant des personnes âgées, a écrit une étude non éditée: “Die Verwandlung des Sterbens durch den Descensus ad infernos” [La transformation de l'agonie par la Descente aux Enfers] (13) et a permis à Jünger d'en inclure quelques extraits dans Les Ciseaux. Jünger a tourné le dos à l'intelligence rationnelle du discours et à certaines acquisitions du savoir scientifique il y a longtemps déjà. De nos jours, une telle approche, qualifiée d'irrationnelle invite ses représentants à douter de la validité, du sérieux que l'on pourrait accorder à une telle pensée, à voir dans cette réaction antimatérialiste une régression vers un nou­vel obscurantisme. Il n'en est pas moins vrai que Jünger, s'inscrivant déjà dans toute une tradition, reflète les angoisses qui oppressent son temps. Car cette mythologie d'une vie post-mortelle exerce sur nos contemporains une fascination qui dé­passe le simple divertissement.

 

Placidité et sagesse où la mort devient conquête

 

Les conceptions irrationnelles de Jünger ont toujours damé le pion à la divine raison. Ainsi avait-il conclu son ouvrage Approches, drogues et ivresse:

 

L'approche est confirmée par ce qui survient, ce qui est présent est complété par ce qui est absent. Ils se rencontrent dans le miroir qui efface temps et malaise. Jamais le miroir ne fut aussi vide, dépourvu ainsi de poussière et d'image —deux siècles se sont chargé de cela. En plus, le cognement dans l'atelier  —le rideau devient transparent; la scène est libre (14).

 

C'est peut-être justement dans cette irrationalité que Jünger puise cette placidité et cette sagesse où la mort elle-même devient conquête. Esprit téméraire, Jünger s'est avancé, vigilant, vers ces régions où les ciseaux de la Parque ne tranchent pas.

 

Tout comme jadis où, jeune héros incontesté, il glorifiait l'instant dangereux, le vieil homme avait renoncé à l'histoire, à percevoir le temps de manière continue; il est demeuré fasciné par cette seconde brûlante où tout se joue, ce duel sans merci où la vie et la mort s'affrontent:

 

L'histoire n'a pas de but; elle est. La voie est plus importante que le but dans la mesure où elle peut, à tout instant, en parti­culier à celui de la mort devenir le but (15).

 

Isabelle FOURNIER.

 

Notes:

 

(1) Sgraffitti, [première parution, Antaios, 1960, Stuttgart] in Jüngers Werke, Bd. VII, Essays III, p. 354: «Wenn ein Mensch stirbt, wird sein Lebenslied im Äther gespielt. Er darf es mithören, bis er ins Schweigen übergeht. Er lauscht dann so aufmerksam in­mitten der Qualen, der Unruhe. In jedem Fall war es ein großer Meister, der das Lied ersann. Doch kann es in seinem reinen Klange nur vernommen werden, wo der Wille erlischt, wo er der Hingabe weicht».

(2) Das abenteurliche Herz 1, Berlin, 1928 [1929], p. 76: «Das Leben ist eine Schleife, die sich im Dunkeln schürzt und löst. Vielleicht wird der Tod unser größtes und gefährlichstes Abenteuer sein, denn nicht ohne Grund sucht der Abenteurer immer wieder seine flammenden Ränder auf».

(3) Das abenteurliche Herz 2, Berlin, 1938 [1942], p. 38: «Er nannte den Tod die wundersamste Reise, die der Mensch ver­möchte, ein wahres Zauberstück, die Tarnkappe aller Tarnkappen, auch die ironische Replik im ewigen Streit, die letzte und un­greifbare Burg aller Freien und Tapferen».

(4) An der Zeitmauer, [première parution Antaios, 1, 209-226], Stuttgart, 1959, p. 159: «Wer keine Todesfurcht kennt, steht mit Göttern auf vertrautem Fuß».

(5) Das abenteureliche Herz 2, ibid., p. 102: «[...] und weißt du, was ich glaube? Was wir hier leben, ist nur geträumt; wir erleben aber nach dem Tode dasselbe in Wirklichkeit».

(6) Novalis, Hymnen an die Nacht, Heinrich von Ofterdingen. Goldmann Verlag, Stuttgart, 1979, p. 161-162: «Die Welt wird Traum, der Traum wird Welt[...]/Wehmuth und Wollust, Tod und Leben/ Sind hier in innigster Sympathie».

(7) Das abenteureliche Herz 2, ibid. p. 83: «Im letzten Schimmer des Lichtes ahnte ich noch: Ich würde unzählige Male leben, demselben Mädchen begegnen, dieselbe Blume essen und daran zugrunde gehen, ebenso wie dies bereits unzählige Male geschehen war».

(8) voir à ce propos le symbolisme des couleurs dans le Cœur aventureux.

(9) Das abenteurliche Herz 1, ibid., p. 74: «Ach, du warst in abgebten Zeiten/ Meine Schwester oder meine Frau».

(10) Das abenteurliche Herz 1, ibid., p. 74: «Sind Berge, Wellen, Himmel nicht ein Teil von mir und meiner Seele, ich von ih­nen?».

(11) Zwei Mal Halley, Stuttgart, 1987, p. 33: «Mich beschäftigt vielmehr seit langem die Frage des Überganges; ein irdener Becher wird in Gold verwandelt und dann in Licht. Daran beunruhigt nur eines: ob diese Erhöhung noch zur Kenntnis genommen wird, noch ins Bewußtsein fällt».

(12) Die Schere, Stuttgart, 1989, p. 173 sq.

(13)Schere,  p. 173.

(14) Annäherungen, Drogen und Rausch, Stuttgart, 1970, [Ullstein, 1980], p. 348: «Annäherung wird durch Eintretendes bestätigt, Anwesendes durch Abwesendes ergänzt. Sie trefen sich im Spiegel, der Zeit und Unbehagen löscht. Nie war der Spiegel so leer, so ohne Staub und bildlos —dafür haben zwei Jahrhunderte gesorgt. Dazu das Klopfen in der Werkstatt— der Vorhang wird durchsichtig; die Bühne ist frei».

(15) Die Schere, ibid., p. 120: «Die Geschichte hat kein Ziel; sie existiert. Der Weg ist wichtiger als das Ziel, insofern, als er in jedem Augenblick vor allem in dem des Todes Ziel werden kann».

 

lundi, 28 septembre 2009

Entretien avec Eric Lefèvre

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Eric Lefèvre fut le documentaliste de Jean Mabire.

 

 

Il nous raconte leur association et l’amitié qui les lia.

 

 

« La grande force de Jean,

 

c’était sa puissance de travail. »

 

 

Comme Ernst Jünger avait élu domicile dans l’annexe du château des Stauffenberg, en Souabe, Eric Lefèvre vous accueille à l’entrée de la propriété familiale, dont il occupe les dépendances juste à droite du portail, quelque part en banlieue parisienne, au milieu des arbres et des fourrés. Suivez-le au salon, son bureau bibliothèque est bien à l’image de ses livres, surchargé d’histoires et de souvenirs. Partout ce sont des photographies couleur sépia, encadrées ou non, des plans, des cartes ; ici un sabre d’empire, là le drapeau d’un régiment dissout enroulé sur sa hampe ; là encore, posé sur une pile de livres anciens, un char miniature dont la peinture s’écaille et sur le parquet, les fauteuils, dépassant des tiroirs ouverts, un amoncellement de papiers, de journaux jaunis. On ne sait où donner de la tête. Eric Lefèvre est journaliste et historien militaire, avec une préférence marquée pour le XXe siècle. En témoignent les titres de ses livres : La Division Brandebourg, Les Panzer en Normandie, Dunkerque. La Bataille des dunes, Opération Epaulard, La LVF. * Il fut aussi pendant dix ans le documentaliste « attitré » de Jean Mabire et un de ses amis les plus fidèles. Eric Lefèvre a accepté de nous recevoir chez lui pour nous parler, non sans émotion, du Jean Mabire qu’il a connu.

 

Eric Lefèvre, vous avez été le collaborateur de Jean Mabire sur plusieurs livres, mais comment vous êtes-vous connus et qui a eu l’idée de cette coopération ?

 

Nous nous sommes connus en 1974 par l’intermédiaire d’un ami de mon père, Robert B., à l’époque où Jean travaillait au deuxième volet de sa trilogie sur les SS français, La Division Charlemagne. Je le connaissais de réputation et aussi pour ses articles dans Europe-Action et L’Esprit Public. Je m’étais spécialisé dans l’histoire militaire, en particulier les Français sur front de l’Est, et il m’a proposé de l’aider. J’avais vingt-cinq ans, et lui un passé déjà très diversifié. Jean avait publié son livre sur Drieu La Rochelle [ndlr : Drieu parmi nous, LTR], Les Hors-la-loi, sorti en mai 68 en librairie, ce qui fait qu’il n’a pas eu un destin digne de sa qualité, et puis La Brigade Frankreich, sorti en 1973. Je n’en avais encore lu aucun à ce moment-là. Le premier, Les Hors-la-loi, je l’ai lu en accomplissant mon temps légal à Commercy. On a tout de suite accroché lui et moi.

 

En quoi consistait votre participation ? Sur quels livres avez-vous travaillé avec lui ?

 

Jean avait besoin d’un documentaliste. Au départ je suis intervenu comme iconographe, pour illustrer ses cahiers photos. Jean n’étant pas un spécialiste des aspects matériels (armement, uniformes, etc.), je suis devenu plus ou moins son conseiller pour toutes ces questions.

 

Ma première contribution en tant que documentaliste fut sur L’Eté rouge de Pékin. [ndlr : paru chez Fayard en 1978] Nous étions alors à la recherche d’un sujet fort. Nous sommes allés au cinéma du quartier, lequel rediffusait Les 55 jours de Pékin, le film de Nicholas Ray que nous n’avions jamais vu ! Je me suis chargé de rassembler la documentation. Lors de notre dernière conversation téléphonique, nous parlions encore de sa prochaine réédition, au Rocher. Plus tard, nous avons travaillé sur l’histoire de La Division Wallonie chez Art et Histoire d’Europe. Lui a fait le texte, moi les légendes des photos et la maquette. Notre principale collaboration a débuté dans les années 80, une histoire de la LVF en plusieurs volumes, le premier étant paru en 1985 chez Fayard. Entre-temps j’ai composé les cahiers photos de certains de ses livres dans la collection « Troupes de choc ».

 

Je suis aussi intervenu pour illustrer à la gouache deux de ses trois livres sur les SS français et L’Eté rouge de Pékin. Pour le reste, je l’ai aidé, aiguillé sur les sources, mais je n’ai pas fourni la documentation.

 

De tous ses livres, près d’une centaine, quel fut son plus gros succès de vente ?

 

Son plus gros succès reste la trilogie sur la Brigade Frankreich. Les trois tomes [ndlr : La Brigade Frankreich, La Division Charlemagne, Mourir à Berlin, aux Editions Fayard et réédités chez Grancher] se sont vendus à des dizaines de milliers d’exemplaires, toutes éditions confondues.

 

Et son échec le plus cuisant ?

 

Les livres de ces dernières années, dans l’ensemble. Mais je ne suis pas sûr que ce soit tellement dû à une désaffection du public pour son talent ; plutôt à un désintérêt pour le livre en général je dirais et au trop grand nombre d’ouvrages publiés. Les gens passent plus de temps devant un écran de télévision que devant un livre de nos jours.

 

La revue Hommes de guerre, pourtant très bien faite, aussi a été un bide. Jean venait de faire une belle prestation avec l’hebdomadaire Troupes d’élite, et quand ça s’est arrêté, je l’ai mis en relation avec la maison d’éditions Histoire & Collections, de façon à poursuivre l’aventure. Mais Hommes de guerre n’a pas réussi à attirer à lui les fidèles de Troupes d’élite. Le public est attaché à un titre, pas à un contenu. Nous l’avons compris brutalement.

 

Sa plus grande déception, je crois, fut l’échec de ses Eveilleurs de peuples, chez Fayard, en 1982 : Jean croyait que ça marcherait tout seul, que le livre trouverait son public sans effort. Le livre ne s’est pas vendu, parce qu’il n’y avait tout simplement pas de public pour lui.

 

Vingt-cinq ans en 1974, donc dix-neuf ans en 1968 : comment en êtes-vous venu à vous spécialiser dans l’histoire militaire ?

 

Suivant le même processus que tous ceux dans le même cas, j’ai commencé avec les soldats en plastique et les véhicules miniatures Dinky Toys. De là les modèles réduits, de là la collection d’objets, et puisque je savais écrire… Je suis très sensibilisé à la photographie, à son commentaire. La photographie n’est pas, comme la plupart le pensent, juste destiné à illustrer un texte, mais une source en soi. Je suis resté un peu collectionneur, mon père m’ayant donné le goût de l’objet. Cela implique de tout connaître d’une armée : le recrutement des hommes, l’organisation tactique, etc. Aujourd’hui je continue, j’ai plusieurs ouvrages en préparation, outre un album de plusieurs centaines de photos des français de la LVF en attente d’un éditeur. Et des articles en préparation pour Militaria Magazine, Batailles. Je n’ai certes pas la puissance de travail de Jean, qui était une machine à écrire, et avec une facilité ! Je l’ai vu écrire des nuits entières et le lendemain livrer son manuscrit prêt à imprimer. La grande force de Jean, c’était sa puissance de travail.

 

Et en tant qu’historien de la chose militaire, quels sont selon vous ses meilleurs livres sur le sujet et pourquoi ?

 

Ses meilleurs livres, en tant qu’historien militaire, sont ceux qui ont vraiment apporté une contribution à l’histoire : en premier lieu La saga de Narvik, La Crète tombeau des paras allemands, et dans l’autre sens, La Bataille des Alpes. [ndlr : les trois ont paru aux Presses de la Cité]

 

Jean Mabire était-il plutôt un romancier ou un historien ?

 

Pour moi, avant d’être historien, Jean était d’abord un raconteur d’histoires : lisez Les Hors-la-loi, Les Paras perdus, La Maôve. [ndlr : Robert Laffont, Presses de la Cité] Il avait l’étoffe d’un grand romancier.

 

Parce que ces livres se sont le mieux vendus, beaucoup continuent de réduire l’œuvre de Jean Mabire à l’historique de l’armée allemande. D’aucuns l’ont même accusé de nourrir une germanophilie des plus suspectes. Qu’en était-il en réalité ? On a beaucoup glosé aussi sur son engagement en faveur de la cause normande.

 

Jean n’était pas du tout germanophile, malgré ce qu’on pourrait croire. Il voulait célébrer la grande aventure, les prouesses guerrières, sous n’importe quel drapeau. Toutefois, son livre sur la 6e Airborne britannique en Normandie, qui était le pendant de sa production sur les paras allemands, a été un échec. Jean n’était pas seulement l’homme de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS, il a aussi écrit sur les chasseurs alpins, Narvik, la bataille des Alpes. Mais il était d’une anglophilie extraordinaire, tellement l’histoire de l’Angleterre et de la Normandie étaient liées, au point de considérer, certes avec un peu d’humour, que le dernier duc de Normandie était la Reine d’Angleterre. Il s’estimait normand et européen mais pas français. Là-dessus, je le confesse, je n’ai jamais pu le suivre.

 

En même temps, Jean avait une admiration profonde, sincère et totale pour la langue française, qui était pour lui le plus bel instrument, le plus riche, le plus élégant jamais inventé pour s’exprimer. Il était hermétique aux langues étrangères, il baragouinait deux trois mots d’anglais, et du reste, il ne parlait ni ne comprenait le patois normand.

 

On connaît Jean Mabire écrivain, romancier, conférencier, mais comment était-il dans la vie ? Quel souvenir garderez-vous de lui ?

 

Sur le plan humain, Jean était je dois dire un type exceptionnel. Il avait gardé une âme d’enfant, un rien l’émerveillait, et je lui dois d’avoir découvert une Normandie que je ne connaissais pas. Je ne tarirais pas d’éloges à son sujet. Jean était de ces gens qui veulent refaire le monde. En cela il était un peu de gauche. J’étais un peu mal dans ma peau, il m’a psychologiquement remis sur les rails sans avoir l’air d’y toucher. En trente ans, nous avons eu deux engueulades, dont une était pleinement de ma faute.

 

Jean avait un humour fantastique, ce qui arrange bien des choses. Il savait mettre en confiance. Quand il vous parlait, vous aviez l’impression d’être seuls au monde, alors qu’il entretenait des relations avec des centaines de personnes. Lui me tutoyait, moi je le vouvoyais. J’aurais pu le tutoyer mais il avait l’âge d’être mon père. Au demeurant il ne me l’a jamais demandé. Tout ce que j’ai lu sur lui est vrai sauf un détail : Jean n’aimait pas la bière glacée mais la bière chaude. Jean adorait la vie. Incapable de méchancetés, c’est un truisme mais c’est vrai. Un rêveur, comme tous les artistes. Et quel orateur ! Il avait cette qualité rare, souvent incompatible, à savoir qu’il dominait aussi bien la plume et le verbe. Il aurait pu être tribun. Il n’était pas susceptible surtout. Quand il est mort, on a vraiment eu le cœur arraché.

 

Propos recueillis par Laurent Schang

 

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lundi, 14 septembre 2009

Une figure de l'écologie naturaliste et indépendante disparaît

Une figure de l’écologie naturaliste et indépendante disparaît

Nous n’avons pas relayé le décès d’une des personnalités les plus marquantes de l’écologie à la fin du mois d’août. Nous nous devions d’en parler car les hommes libres se font rares et il convient de leur rendre hommage.

Edward (dit Teddy) Goldsmith est décédé le 21 août à l’âge de 80 ans dans l’indifférence quasi générale.

Edward_Goldsmith

Ce personnage haut en couleurs, bon vivant, militant, fortuné et mécène a consacré l’essentiel de sa vie à la cause de l’écologie. Depuis le lancement en 1969 de la célèbre revue The Ecologist, dont la revue française L’Écologiste s’inspire largement, il a publié nombre d’articles et ouvrages de fond dont Changer ou disparaître (Fayard, 1973). Il s’agissait déjà de porter une critique radicale sur le processus de mondialisation, le désir de croissance sans fin et le productivisme.

Mais Edward Goldsmith fut surtout un militant peu avare de son temps et de ses moyens pour lutter contre les ravages de la globalisation, de l’organisation mondiale du commerce, des institutions financières internationales.

Très attaché à la diversité des peuples et des cultures, prônant l’autosuffisance et l’autonomie des peuples et des continents, il nous laissera le souvenir d’un homme libre.

Tant l’ensemble de son œuvre que son caractère militant et festif peuvent le faire qualifier assez précisément d’écologiste identitaire.

En dépit (ou à cause) de quelques divergences, Teddy Goldsmith restera un guide et un modèle pour un combat identitaire indissociable de sa composante profondément écologique.

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samedi, 24 janvier 2009

Hommage à Arno Breker

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991

Hommage à Arno Breker

 

par Andreas MOLAU

 

«Ce par quoi notre âme brille et brûle, est divin; est rayonnement, étincelle, est contact avec Dieu; et cet amour brûlant pour le vrai, le beau et le bon est de fait action de la déité; c'est, comme nous le disait Platon, Dieu en nous» (C.M. Wieland, 1775).

 

Arno Breker est mort. Dans la 91ième année de sa vie difficile, l'artiste génial, que beaucoup d'esprits étroits ont injurié et vilipendé a pris congé de nous. Après la guerre, on l'a traité de «fasciste» parce qu'il a œuvré avec succès entre 1938 et 1945. Les médias allemands, interprètes zélés de cette haine tenace, n'ont pas cessé de répandre des contre-vérités, même après la mort du sculpteur.

 

Un certain Eduard Beaucamp, qui avait consigné ses tirades haineuses dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung au moment du 90ième anni­ver­saire de l'artiste, a allègrement réédité son triste exploit quand celui-ci a quitté le monde des vivants. Outre une évocation critique du passé de Breker, Beaucamp ose écrire, dans la conclusion de son ar­ticle nécrologique: «il a produit jusqu'à la fin beaucoup de kitsch commercial et éro­tique». Peter Dittmer, dans les colonnes de Die Welt,  n'est pas plus pertinent: «S'il n'y avait pas eu les nazis, l'œuvre de Breker n'aurait pas fait problème». Cqfd. Alexandra Glanz, elle, s'est cru obligée, dans son épitaphe, de parler de la «mi­sogynie» de Breker: «Breker, écrit cette dame, était l'artiste qui façonnait des hommes sur commande d'autres hom­mes» (?).

 

Ces trois échantillons montrent à quel genre de commentaires Breker a été con­fronté en permanence depuis 1945. L'ar­tiste, dans son livre de 1972, Im Strah­lungsfeld der Ereignisse,  comparait cette mé­thode à celle des nazis. Il y écrivait: «Les nazis avaient refoulé comme "art dé­généré" tout ce qui leur déplaisait. Au­jourd'hui, par une inversion commode et une simplification des concepts, l'art figu­ratif de cette époque est décrété "fasciste" et l'art abstrait, expression d'un senti­ment démocratique». Le sculpteur, dans son autobiographie, s'insurge contre cette façon de procéder: «De quel droit freine-t-on mes activités d'artiste, en m'empêchant de présenter mes œuvres au public?». Le grand sculpteur français Aristide Maillol nommait Breker le «Michel-Ange alle­mand». Salvador Dalí a un jour dit à Bre­ker: «il n'y a qu'un sculpteur au monde qui sache sculpter des portraits et c'est vous». La corporation des artistes allemands a boycotté Breker, a sali sa réputation, alors que les grandes personnalités du monde des arts l'ont honoré et apprécié. De grands hommes de la politique et de l'é­co­nomie —songeons à Konrad Adenauer—  ont posé pour lui. Mais, têtue, la cor­po­ration des petits artistes actuels et des cri­tiques n'ont pas voulu reconnaître ces hommages. Alexandra Glanz, dans la Hannover Allgemeine, écrit: «son art soit-disant classique s'est toujours égaré dans le fascisme». Mais le grand écrivain silé­sien Gerhard Hauptmann émettait un tout autre jugement. Une amitié profonde le liait à Breker. Hauptmann, qui, dans sa jeunesse aurait aimé devenir sculpteur, appréciait les dons extraordinaires de Breker et son sens aigu de la loyauté. A propos de la force qui se dégageait de la sereine beauté des sculptures de Breker, Hauptmann, dans une lettre au sculpteur datée du 20 août 1944, écrit: «Comment vous remercier pour cette force et cette beauté que vous nous offrez? Où le vieil homme que je suis peut se rajeunir pendant un instant, pendant quelques minutes, parfois pendant une heure (...) Les seuls instants de bonheur que nous puissions de tant à autre glâner, rechercher, sont des rayons; que ce soient ceux du soleil ou, au sens le plus large, ceux de l'art. Pégase est un cheval de feu. Mohammed en possédait un (...) Bref votre coursier à vous, qui est votre œuvre, rayonne de beauté et de vie et quand je la contemple, je puise à une source de jou­vence».

 

Mais qui fut-il ce Breker, cette figure res­plendissante de l'art et de l'esprit alle­mands? Il est né le 19 juillet 1900 à Eller­feld, près de Wuppertal, dans le foyer d'un tailleur de pierre et sculpteur qui fut son premier maître. Après une formation d'ar­ti­san, il fréquente, jusqu'en 1920, l'école des arts de sa ville natale, puis étudie jusqu'en 1925 à l'Académie des Arts de Düsseldorf auprès des professeurs Hubert Netzer (arts plastiques) et Wilhelm Kreis (architecture).

 

En 1924, il se rend à Paris où il rencontre Jean Cocteau, Jean Remoi et Alfred Flecht­heim. Trois ans plus tard, il s'ins­talle dans la capitale française. Il y reçoit l'inspiration de l'école de Rodin, notam­ment celle de Charles Despiau (1874-1946) et d'Aristide Maillol (1861-1944). A la demande expresse de Max Liebermann, dont il fera le masque funéraire en 1935, Breker revient à Berlin en 1934. A l'oc­casion des jeux olympiques de 1936 (Ber­lin), Breker connaît enfin la gloire, grâce à ses bronzes, le Zehnkämpfer (le décath­lonien) et la Siegerin (la victorieuse). En 1937, il est nommé professeur à l'Ecole d'Etat des arts plastiques de Berlin et mem­bre de l'Académie Prussienne des Arts. Pour Breker, la fascination du Beau, dans l'œuvre d'art, ne doit pas seulement captiver grâce aux lignes et aux formes, ne doit pas seulement ravir les yeux. La formule de Rodin demeure chez lui la règle cardinale: l'œuvre d'art doit être créée par l'âme et pour l'âme; elle doit lui conférer expression et susciter de nou­velles richesses.

 

Dans cette règle de Rodin, nous trouvons la synthèse entre l'esprit et la forme, ma­xime de l'art brekerien. Dans l'intro­duc­tion à un album rassemblant ces plus beaux portraits (Bildnisse unserer Zeit), Breker exprime cette démarche que lui a léguée Rodin: «Le portrait, en tant que genre, exige de l'artiste un haut degré d'ap­préhension précise du phénomène naturel qu'il sculpte; mais le portrait doit être plus que la représentation fidèle du sujet sculpté. L'essentiel réside dans l'art de communiquer les éléments spirituels et psychiques du sujet au spectateur».

 

Breker a su, par ses talents, par son gé­nie, concrétiser à merveille cette règle énoncée par son maître Rodin. Ses visa­ges, ses corps expriment tous, sans ex­ception et avec une perfection sublime, cet­te synthèse entre esprit et forme. On peut observer pendant des heures et des heures ses œuvres, sans cesser d'y découvrir de nouvelles profondeurs spirituelles. Que ce soit dans le visage d'un guerrier torturé de douleurs ou dans la silhouette d'une femme toute de grâce et de charme. Bre­ker, que le réaliste Ernst Fuchs nommait le «grand prophète du Beau», a su con­ci­lier beauté et homme idéal, beauté et hom­me divinisé. Cet idéal brekerien est sus­pect aujourd'hui, vu la conception que se font nos contemporains de l'art. Désor­mais le critère cardinal, écrit Syberberg, c'est «de privilégier ce qui est petit, bas, vulgaire, ce qui est estropié, malade, ce qui est sale et de négliger, de refouler, ce qui est glorieux, resplendissant; la mise en exergue de ce qui est vil exprime une stratégie venue des bas-fonds de l'âme, qui a inscrit à son programme la volonté d'exalter la lâcheté, la trahison, le cri­me...».

 

La vie difficile de Breker après la guerre montre de façon exemplaire quelle est la misère de l'art à notre époque. Jusqu'à sa mort, Breker a vécu en lisière de l'aé­ro­port de Düsseldorf. Une simple haie le sé­parait des pistes d'atterrissage. En 1962, il a pu racheter (!) bon nombre de ses scul­ptures, confisquées par les forces d'oc­cu­pation américaine. Seul un petit musée rhénan, dans le village de Nörvenich (a-dresse: Kunstmuseum "Sammlung Eu­ro­päi­scher Kunst", Schloss, D-5164 Nör­ve­nich),  s'est donné pour tâche d'accueillir son œuvre.

 

Pour qu'une nouvelle vie artistique puisse prendre élan en Allemagne, il faudra ré­habiliter complètement le grand sculpteur de Düsseldorf qui vient de nous quitter et qui disait de lui-même qu'il était un «vieux Parisien».

 

Andreas MOLAU.

(article extrait de Junge Freiheit, 4/91; adresse de la revue: JF, Postfach 147, D-7801 Stegen/Freiburg; trad. franç. : Robert Steuckers).   

 

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jeudi, 01 janvier 2009

Une figure du 20ème siècle : James Connolly

Une figure du 20ème siècle, James Connolly

Image Hosted by ImageShack.usMarxiste, révolutionnaire, syndicaliste et Irlandais. C’est ainsi que l’on peut définir James Connolly (1868-1916). S’il fut un infatigable rédacteur d’articles et auteur d’essais, il fut aussi un militant proche des ouvriers dont il défendait la cause que ce soit en Écosse, aux États-Unis ou en Irlande. Il est l’un des dirigeants de l’insurrection de Pâques 1916, les « Pâques sanglantes ».

La jeunesse

James Connolly (Séamas O Conghaile en gaélique) est né le 5 juin 1868 à Édimbourg, dans une famille d’origine irlandaise, émigrée suite aux famines des années 1840. Des conditions de vie misérables le font très tôt entrer en contact avec le monde du travail, puisqu’il est successivement apprenti imprimeur, apprenti boulanger et apprenti dans une tuilerie à Edimbourg, à partir des années 1878-1879. En 1882 (il a 14 ans) il s’engage au 1er bataillon du King’s Liverpool Regiment qui est affecté en Irlande, ce premier contact avec le pays de ses ancêtres s’avérera décisif ; il y rencontre Lillie Reynolds qui deviendra sa femme en 1889.

Les années écossaises

En 1889, son batailon revient en Angleterre et geste incompréhensible, à quatre mois de la fin de son engagement, il déserte l’armée anglaise, et s’exile en Écosse. Le 13 avril, il épouse Lillie Reynolds à Perth. À Édimbourg, il fait la connaissance du Français Léo Melliet, un communard qui fut maire du quartier des Gobelins en 1870. Ces années écossaises sont celles de l’apprentissage politique, au contact des militants socialistes (il rencontre à plusieurs reprises la fille de Karl Marx, Eleonor Aveling) et autres révolutionnaires, mais aussi de l’étude du Marxisme. Trois ans plus tard, il est nommé secrétaire de la Scottish Socialist Federation ; ses premiers articles sont publiés dans Justice, le journal de la Social Democratic Federation (SDF). En 1894 et 1895 il se présente par deux fois aux élections municipales de St Giles Ward à Edimbourg, ce sont deux échecs. Connolly, sans emploi, sa famille connaît la misère. John Leslie loue dans Justice les qualités rédactionnelles et organisationnelles de son ami ; la réponse vient d’Irlande, Le Dublin Socialist Club lui propose un poste de permanent.

L’activiste en Irlande

L’année suivante, il revient donc en Irlande pour s’y installer et travaille désormais au Dublin Socialist Club dont il veut faire une organisation marxiste. Le 29 mai, il crée, avec sept autres socialistes, le l’Irish Socialist Republican Party dont il est secrétaire. Au mois d’octobre, publication de son essai « L’Irlande aux Irlandais » dans Labour Leader et parallèlement « The Rights of Ireland and the Faith of a Felon » de James Fintan Lalor.

Au mois de mars 1897, nouvelle publication : « Erin’s Hope : The End and the Means ». Il est arrêté au mois de juin, alors qu’il participe à des manifestations contre le jubilé de la reine Victoria. À la fin de l’année il fonde le Club 98 pour commémorer la révolution de 1798. Il entreprend avec Maud Gonne la rédaction d’un manifeste sur le problème de la famine : « Les Droits de la vie et les Droits de la propriété ». Au mois de juin de cette année 1898, il se rend en Écosse et rencontre Keir Hardie du Independent Labour Party. Le 13 août il lance son journal Worker’s Republic dont la parution irrégulière (85 numéros) se poursuivra jusqu’en mai 1903 (une deuxième série hebdomadaire du Worker’s Republic paraîtra du 29 mai 1915 au 22 avril 1916 à Dublin. Le congrès de la IIe Internationale se déroule à Paris en 1900, E. W. Stewart et John Lying sont les représentants de l’Irish Socialist Republican Party.

1901 voit la publication de « The New Evangel » ; Connolly est élu au Trades Council de Dublin. En janvier de l’année suivante, il est candidat malheureux aux élections municipales de Dublin. Au mois d’août il participe à des meetings aux États-Unis à l’invitation du Socialist Labor Party de Daniel De Leon. Il collabore avec la rédaction de The People à New York 1903, après une nouvelle défaite électorale aux municipales, il part en tournée en Écosse où il préside en juin à Edimbourg le meeting inaugural du Socialist Labor Party (SLP), une dissidence de la Social Democratic Federation (SDF). De retour à Dublin, l’Irish Socialist Republican Party se transforme en section Irlandaise du SLP.

Le séjour américain

En septembre, Connoly part s’installer aux États-Unis, il prend un emploi d’agent d’assurance et adhère au SLP de De Leon. Il prend connaissance de la situation des Irlandais qui ont émigré antérieurement. Sa famille le rejoindra au mois d’août de l’année suivante. En 1906, il adhère à l’Industrial Workers of the World (IWW) syndicat, créé en 1905 par Eugene Debs ; il milite notamment auprès des travailleurs des usines Singer. Au mois de janvier 1907, il est élu à la direction du SLP, puis en mars il crée l’Irish Socialist Federation (ISF). En octobre, il démissionne du SLP suite à une violente polémique avec De Leon et achève la rédaction de « Mouvement ouvrier dans l’histoire irlandaise ». En janvier suivant, il crée The Harp, le journal de l’ISF à New York, tout en poursuivant son action au sein de l’IWW ; en décembre, il publie « Le Socialisme pour tous ». Au mois de juin 1909, Connolly est élu organisateur national du Socialist Party of America, dont le leader n’est autre qu’Eugene Debs. Connolly considérera son émigration comme une erreur et, témoin de l’évolution de la situation en Irlande, décide de rentrer.

Les dernières années

Le 16 juillet 1910, il est de retour en Irlande et en août il adhère au Socialist Party of Ireland (SPI), et s’en va créer les sections de Belfast et de Cork. Il poursuit son activité littéraire en publiant successivement Mouvement ouvrier, Nationalité et Religion, puis Mouvement ouvrier dans l’histoire irlandaise. 1911 voit son installation à Belfast (mars) et son adhésion au syndicat Irish Transport and General Workers’ Union (ITGWU). En octobre, il coordonne la grève des ouvrières dans les minoteries de Belfast et participe à la création d’une section textile de l’ITGWU. L’année suivante, il est l’un des co-fondateurs de l’Irish Labour Party (ILP) dont il rédige le programme. En janvier 1913, création de l’Ulster Volunteer Force (UVF - unioniste). Le 26 août marque le début de la grève générale à Dublin et le 31 de violents affrontements entre policiers et grévistes font une victime, une jeune ouvrière et des dizaines de blessés. Connolly est arrêté, il entame une grève de la faim et est relâché le mois suivant. Le 23 novembre, c’est la création de l’Irish Citizen Army (ICA - nationaliste) par James Connolly et James Larkin ; le but est de protéger les ouvriers et les grévistes. L’ICA sera une des composantes de l’IRA (Irish Republican Army). Dés 1914, Connolly se prononce contre la partition de l’Irlande et au mois d’août prend position contre la guerre dans un article de l Irish Worker. Parallèlement, il est nommé président de l’Irish Neutrality League (INL). Le 24 octobre, Larkin émigre aux États-Unis, Connolly occupe le poste de secrétaire général de l’ITGWU. Il prend la direction de l’Irish Worker (bientôt interdit par les autorités) et le commandement de l’ICA. 1915 est une année de préparation, annonciatrice de celle qui va suivre : outre l’organisation de meetings contre la conscription, il publie des articles sur la lutte armée. Il s’occupe de la formation militaire de l’Irish Citizen Army et négocie avec les Irish Volunteers les conditions d’un soulèvement. En décembre, il publie La Reconquête de l’Irlande au titre prémonitoire.

1916, en janvier il est décidé que le soulèvement aura lieu à Pâques. Le lundi 24 avril 1916, des membres de l’ICA et des Volunteers prennent le contrôle de divers bâtiments dans Dublin (Hotel des Postes, Mendicity Institute, Four Courts, biscuiterie Jacobs, moulins à farine Boland, etc). Proclamation du gouvernement provisoire de la République Irlandaise dont Connolly est vice-président (président : Patrick Pearse), il est aussi commandant général de la division de Dublin de l’Irish Republican Army (IRA - fusion de l’ICA et des Irish Volunteers). Les combats vont durer 6 jours et faire 450 morts et plus de 2600 blessés. Le 27, il est grièvement blessé. Le samedi 29, Pearse propose aux membres du Gouvernement provisoire d’arrêter les combats, dans le but d’épargner la population civile de Dublin ; son avis prévaut en dépit de l’acharnement des jusqu’au-boutistes ; Pearse signe la reddition inconditionnelle de l’armée républicaine irlandaise. La loi martiale décrète 16 exécutions capitales, 3226 arrestations, 1862 internements en Angleterre. Le 9 mai, James Connolly est condamné à mort par la cour martiale, et fusillé le 12 à la prison de Kilmainham à Dublin.

Source : Jeune Bretagne

 


 

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dimanche, 07 septembre 2008

Hommage à Peter Schmitz

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Archives/Jeunes d'Europe: Texte de 1996

 

Hommage à Peter Schmitz

 

Peter Schmitz était un garçon formidable, calme et doux, déterminé et sûr de son engagement. Quiétude et détermination, voilà les deux qualités que Schmitz reflétait d'emblée. Il nous avait rendu visite deux fois lors de séminaires du comité de rédac­tion de Vouloir et Orientations, qui se tenaient chaque année en Flandre, avant que nous ne joignions nos efforts à ceux de la FACE, pour organiser nos universités d'été estivales. Thierry Mudry, Christiane Pigacé, nos camarades marseillais de Libération païenne et plus tard de l'équipe de Muninn, Ralf Van den Haute du maga­zine Europe-Nouvelles, Eric Van den Broele, Rein Staveaux, les jeunes du mouve­ment “De Vrijbuiter”, les Burschenschafter viennois, Alessandra Colla, Marco Battarra et moi-même conservons un souvenir ému de celui qui avait rendu justice au mouvement des Artamanen en leur consacrant une thèse de doctorat. C'est en son souvenir, notamment, que nous voudrions activer l'initiative “Jeune d'Europe”. La responsable allemande de ce projet, Beate-Sophie Grunske, rend ici à Peter Schmitz l'hommage qu'il mérite et nous reproduisons la recension qu'avait consacré à son livre l'historien Jan Creve, créateur du mouvement de jeunesse libertaire, régiona­liste et écologiste flamand “De Vrijbuiter” (Robert Steuckers).

 

Il y a un an environ, notre ami Peter Schmitz est mort inopinément dans un accident d'auto. Beaucoup d'entre nous l'avaient connu sous son nom de randonneur, “Wieland”. Dans tout le mouvement de jeu­nesse allemand, Peter Schmitz avait acquis une popularité bien partagée grâce à son livre Die Artamanen, Landarbeit und Siedlung bündischer Jugend in Deutschland 1924-1935.

 

C'est en 1985 que sa thèse sur le mouvement des Artamanen est publiée sous forme de livre. Quand Schmitz a abordé cette thématique, une véritable mutation s'est emparée de sa personne, a modifié la trajectoire de sa vie. Mais, indépendemment de cette sorte de transfiguration personnelle, sa thèse est très importante car elle constitue une contribution à l'histoire du mouvement de jeunesse allemand à équidistance entre la rigueur scientifique, la distance que cellle-ci implique et l'intérêt et l'enthousiasme que cette thématique peut susciter chez le chercheur.

 

Les Artamanen constituaient en effet un courant particulier au sein du mouvement de jeunesse allemand de l'époque de Weimar, dont la pensée et les idées motrices étaient pour une bonne part dérivées de la matrice dite “völkisch” (folciste). “Folciste”, cela signifiait pour une ligue comme celle des Artamanen, fo­calisée comme l'indique le titre du livre de Schmitz sur le travail rural et sur la colonisation de terres en friche, un péhnomène typiquement urbain, dans des villes où l'on cultive justement la nostalgie de la vie à la campagne et des rythmes immuables de l'existence paysanne. Les jeunes citadins, en cette époque de crise, constataient qu'ils ne devaient plus espérer une embauche dans l'industrie ou dans le secteur ter­tiaire, en dépit des aptitudes professionnelles qu'ils avaient acquises; une fraction d'entre eux a donc décidé de se consacrer entièrement à l'agriculture, non pas dans l'espoir de faire fortune, mais justement pour vivre en conformité avec leurs idéaux folcistes.

 

L'intention des Artamanen était aussi nationaliste et anti-capitaliste: les associations de propriétaires terriens faisaient venir des travailleurs agricoles et saisonniers polonais dans les provinces orientales de l'Allemagne (Poméranie, Brandebourg, Silésie), ce qui donnait à ses Polonais le droit de revendiquer le sol qu'ils cultivaient. Dans leur logique folciste, les Polonais et les Artamanen disaient: le sol appartient à celui qui le cultive. Ensuite, à l'instar de tout le mouvement de jeunesse de l'époque, les Artamanen sou­haitaient lancer un pont entre, d'une part, les citadins aliénés, ignorant l'essentiel que sont le travail et la production agricoles pour la vie d'une nation, et, d'autre part, les populations rurales qui conservaient tout naturellement les linéaments d'une culture paysanne germanique pluri-séculaire, des coutumes fonda­mentales dans le patrimoine de la nation et surtout les réflexes communautaires de la vie villageoise.

 

Dans leur majeure partie, les travaux agricoles entrepris par les Artamanen étaient ponctuels et tempo­raires: ils exécutaient des tâches saisonnières de mars à décembre. A une époque où le chômage était omniprésent et où l'Etat n'assurait pas le minimum vital parce qu'il ne le pouvait plus, l'Artambund deve­nait automatiquement le lieu où la jeunesse idéaliste se retrouvait, où ces jeunes condamnés au chômage recevaient une aide en échange d'une activité productive: ils bénéficiaient d'un logement et de la nourri­ture et/ou d'un salaire modeste correspondant à celui des travailleurs saisonniers polonais. L'égalité de traitement entre les Artamanen, aux mobiles idéalistes, et les travailleurs polonais a conduit à des conflits avec les propriétaires terriens car ceux-ci refusaient les revendications des Artamanen qui exigeaient un minimum de partenariat social. Résultat de ce conflit: les Artamanen établissent leurs propres communau­tés agricoles, où ils pouvaient pleinement vivre l'idéal du “Nous” communautaire, le fameux Wir-Gefühl, typique du mouvement de jeunesse.

 

Comme toutes les autres ligues de jeunesse, l'Artambund a été dissous après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes. Ses idées sont récupérées et reprises dans le cadre du “Service Rural” de la Hitlerjugend. Après 1945, les Artamanen ne ressuscitent pas, car la jeunesse prend malheureusement une toute autre attitude face à des valeurs telles l'altruisme, le sens du service et de la camaraderie; en­suite, les conditions de la vie agricole sont complètement bouleversées. Les régions où se trouvaient avant-guerre les latifundia allemandes sont sous administration polonaise.

 

Au début des années 80, Peter Schmitz, fils d'un médecin de Duisburg dans la Ruhr, commence à s'intéresser à ce mouvement et en fait l'objet de son travail de fin d'études. C'est donc en rédigeant une thèse sur les Artamanen qu'il termine son cycle d'ingénieur agricole à la Haute Ecole de Kassel. La rédac­tion de cette thèse a été pour lui un tournant important dans son existence: il a eu l'occasion, au cours de son enquête, de rencontrer d'anciens Artamanen ainsi que tous ceux qui les avaient côtoyés. Peter Schmitz a pu ressentir tout l'enthousiasme qui les avait animés lors de leur engagement dans les années 20. Il reste quelque chose de cet enthousiasme dans les ligues de jeunesse actuelles, ce qui a décidé Schmitz à s'engager à son tour et à participer à cette longue aventure.

 

Via un ami de son père, Peter Schmitz prend connaissance du «Wandervogel Deutscher Bund» et, dès la fin de ses études, au milieu des années 80, il s'engage dans le mouvement de jeunesse, à un âge où la plupart des Wandervögel mettent un terme à leur vie de randonneurs, fondent une famille et amorcent une carrière professionnelle. Avec Holger Hölting, «Chancelier» de la Ligue, il co-dirige le mouvement «DeutschWandervogel». Très vite, les deux hommes font une excellente équipe. Schmitz préférait rester à l'arrière-plan, s'occuper des questions logistiques et des tâches de rédaction, tandis que Hölting prenait en charge la direction concrète du mouvement. Cela ne signifie pas que Schmitz restait confiné dans son bureau et que la vie du mouvement se déroulait sans lui. Schmitz, pourtant un garçon très calme, aimait les imprévus et les fantaisies qui émaillent la vie de tout mouvement de jeunesse. C'est ainsi qu'une ex­pédition prévue pour le Sud-Tyrol n'est jamais arrivée à son lieu de destination mais... dans un camp du mouvement français «Europe Jeunesse» près de Lyon!

 

Très souvent, Schmitz aiguillait les expéditions vers les camps des groupes amis à l'étranger, notamment ceux du mouvement “Vrijbuiter” en Flandre ou d'Europe Jeunesse en France. C'est au cours d'un de ces camps que Schmitz a rencontré l'amour, en la charmante personne d'une jeune Flamande, Anne. Au prin­temps 1990, le couple se marie et s'installe à proximité de Kassel, où Schmitz travaille dans le domaine de la protection du patrimoine hydrographique, pour le Land de Hesse. La vie professionnelle commençait, mais Schmitz n'abandonnait pas ses idéaux: on pense qu'il continuait à conceptualiser une forme nou­velle de colonisation communautaire, parfaitement réalisable dans les conditions actuelles. Il en avait déjà parlé dans son livre, mais trop vaguement. Schmitz, à la veille de sa mort, était devenu un ingénieur agronome expérimenté, fort d'un double savoir: il connaissait l'arrière-plan idéologique du rêve néo-pay­san des ligues de jeunesse et il connaissait les paramètres scientifiques et écologiques de l'agriculture. Cependant, les projets écologiques du Land de Hesse ne lui convenaient pas. Il décida, avec la compli­cité d'un entrepreneur privé, de travailler dans un projet de recyclage que quelques communes voulaient lancer en guise d'alternative au système dit du “point vert”.

 

Avant que Peter Schmitz n'ait pu se donner entièrement à ce projet nouveau, un accident d'auto met fin à ses jours, au printemps 1995. Anne lui donne une fille quelques mois plus tard.

 

Son livre sur les Artamanen est devenu un véritable manuel pour comprendre toutes les questions rela­tives à cette colonisation agricole intérieure, telle que l'a pratiquée le mouvement de jeunesse allemand. Voilà pourquoi Peter Schmitz restera vivant dans le souvenir de ses amis et camarades, de tous ceux qui ont le bonheur et l'honneur de le connaître.

 

Beate-Sophie GRUNSKE.

 

 

lundi, 09 juin 2008

Hommage et entretien avec Gustave Thibon

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Hommage à Gustave Thibon

Le philosophe catholique Gustave Thibon est décédé. Dans un éditorial de la presse italienne, nous avons lu ce vibrant hommage (notre correspondant ne nous a malheureusement pas transmis les coordonnées du journal): «L'écrivain et phi­losophe français Gustave Thibon, un des penseurs chré­tiens les plus controversés de la seconde moitié du 20ième siè­cle, est décédé récemment, âgé de 97 ans, à Saint-Mar­cel, dans son pays natal de l'Ardèche. Catholique de droite, sympathisant monarchiste mais aussi ami et premier édi­teur de la philosophe d'origine juive Simone Weil, Thibon doit sa célébrité à ses aphorismes sur la foi. Certaines de ses brèves maximes font désormais partie du patrimoine ca­tholique: de «Celui qui refuse d'être l'image de Dieu sera son singe pour l'éternité» à «Pour unir les hommes, il ne suf­­fit pas de jeter des ponts, il faut construire des échel­les. Celui qui ne monte pas vers Dieu ne pourra rencontrer son frère», en passant par «La vérité est aussi une blessure, quasiment jamais un baume» et «Aime ceux qui te rendent heureux, mais n'aime pas ton bonheur». Thibon était animé par une veine mystique particulière, mais, en même temps, restait attaché à la campagne (il aimait se présenter com­me un "écrivain-paysan"). Il a affronté dans une vingtaine de livres les grandes questions de l'existence d'un point de vue chrétien: la présence de Dieu, l'amour, la foi et la grâ­ce, la domination de la technique sur l'homme. Parmi ses ou­vrages les plus connus, citons: Le destin de l'homme (1941), L'échelle de Jacob (1942) et Retour au réel (1943). En juillet 1941, Thibon rencontre Simone Weil dans son usine, alors qu'elle avait été chassée de l'université en tant qu'intellectuelle d'origine juive. Elle lui confie le manuscrit d'un de ses livres les plus célèbres, L'ombre et la grâce, que Thibon publiera en 1947, faisant ainsi connaître au monde la jeune philosophe morte de tuberculose en Angleterre en août 1943. Thibon avait été influencé par Pascal et par Pé­guy, mais aussi par Nietzsche et par Maurras. Dans tous ses livres, il a dénoncé la marginalisation des "exigences de l'es­prit" dans la société contemporaine. De concert avec Jean Guitton, il est aujourd'hui considéré comme l'un des pha­res de la pensée catholique française du 20ième siècle, mais il avait choisi de vivre en retrait, refusant toute char­ge académique».

C'est bien entendu la dimension paysanne de Thibon, l'in­fluen­ce du vitalisme (qu'il reliait à la doctrine catholique de l'incarnation), de Nietzsche et de Péguy sur sa pensée, qui nous inté­res­se dans son œuvre. De même que cette pro­­xi­mité entre le paysan monarchiste et Simone Weil, théo­­ri­cienne de l'en­racinement, à la suite de sa lecture at­tentive de Péguy, chantre des "petites et honnêtes gens", qui font la solidité des peuples. Mieux: l'œuvre de Thibon dé­marre avec une réflexion approfondie sur l'œuvre de Lud­­wig Klages, figure cardinale de la "révolution conser­va­trice" et des premières années du Cercle de Stefan George (les Cosmiques de Munich), un Klages pourtant fort peu sus­pect de complaisance avec le christianisme. Marc. Eemans, lecteur attentif de Thibon, parce que celui-ci était juste­ment le premier exégète français de Klages, reliait la pen­sée de ce catholique de l'Ardèche à celle de toutes les for­mes de catholicisme organique, liées en ultime instance à la mystique médiévale, résurgence d'un paganisme fonda­men­tal. Thibon, exégète de Klages, donne le coup d'envoi post­hume à Simone Weil, théoricienne audacieuse de l'en­ra­cinement. Lier le paganisme de Klages, le catholicisme pay­san de Thibon et le plaidoyer pour l'enracinement de Si­mone Weil permettrait de ruiner définitivement les mani­chéis­mes incapacitants et les simplismes binaires qui domi­nent l'univers médiatique et qui commencent dangereu­se­ment à déborder dans le champs scientifique (Robert Steuckers).

Gustave Thibon a accordé à notre colla­bora­teur occasionnel Xavier Cheneseau, sans nul doute l'un de ses tous derniers entretiens. Son décès le rend d'autant plus émouvant.

Entretien avec Gustave Thibon

Vous avez écrit un jour: "Le vrai traditionaliste n'est pas conservateur". Pouvez-vous expliquer ces propos. Est-ce à dire qu'un traditionaliste est révolutionnaire ?

GTh: Le vrai traditionaliste n'est pas conservateur dans ce sens qu'il sait dans la tradition distinguer les éléments ca­ducs des éléments essentiels, qu'il veille sans cesse à ne pas sacrifier l'esprit à la lettre et qu'il s'adapte à son épo­que, non pour s'y soumettre servilement mais pour en adop­ter les bienfaits en luttant contre ses déviations et ses a­bus. Telle fut l'œuvre de la monarchie française au long des siècles. Tout tient dans cette formule de Simone Weil: " La vraie révolution consiste dans le retour à un ordre éter­nel momentanément perturbé".

Ne pensez-vous pas que la tradition exclut la liberté créatrice ?

GTh: La réponse est la même que la précédente. La tra­di­tion favorise la liberté créatrice et ne s'oppose qu'à la li­ber­té destructrice. Traditionalisme ne signifie pas fixisme mais orientation du changement. Ainsi, un corps vivant renou­vel­le indéfiniment ses cellules, mais reste identique à lui-mê­me à travers ces mutations. Le cancer, au contraire, se ca­rac­té­rise par la libération anarchique des cellules.

Pour vous, la démocratie, le socialisme, le libéralisme sont-ils des systèmes anti-traditionnels ?

GTh: Il faudrait préciser le sens qu'on donne à ces mots. La démocratie s'oppose à la tradition dans la mesure où elle s'appuie uniquement sur la loi abstraite du nombre et des fluctuations de l'opinion. De même, au socialisme en tant que mainmise du pouvoir central sur la liberté des indi­vi­dus, de même, au libéralisme "sauvage", dans la mesure où il ne souffre aucun correctif à la loi de l'offre et de la de­man­de.

Est-il possible d'affirmer aujourd'hui la primauté de l'esprit sur le monde matérialiste ?

GTh: Il faudrait d'abord s'entendre sur le sens qu'on donne aux mots esprit et matière. De toute façon, il y a primauté de l'esprit sur la matière même chez les matérialistes, dans ce sens que c'est l'esprit "lumière" qui modifie la matière et l'aménage en fonction de sa puissance et de ses désirs. Mais, si l'on entend par matérialisme cet usage de l'esprit qui privilégie les conquêtes et les jouissances matérielles au détriment des choses proprement spirituelles (art, philo­so­phie, religion, etc...), il est bien certain que notre épo­que se fige dans un matérialisme destructeur.

Que signifie pour vous la notion de "culture populaire" ? N'y a-t-il pas une opposition entre ces deux termes ?

GTh: Il n'y a aucune opposition entre ces deux termes. La vraie culture n'est pas l'apanage des "intellectuels". Dans tou­te civilisation digne de ce nom, elle imprègne toutes les couches de la population par les traditions, les arts, les cou­tumes, la religion. Et c'est un signe grave de décadence que la disjonction entre l'instruction livresque et la culture populaire.

La notion d'ordre ne s'oppose-t-elle pas à une grande idée de l'homme ?

GTh: Là aussi, tout dépend de ce qu'on appelle l'ordre. Il y a l'ordre social, l'ordre moral, l'ordre divin etc... Et il arrive souvent que ces ordres entrent en conflit dans les faits. Exem­ple: Antigone représente le désordre par rapport à Créon, ignorant de la loi des Dieux, le Christ devant les Pha­risiens attachés à la lettre de la loi. Et la toute pre­mière idée de l'homme, sans rien négliger des formes infé­rieures de l'ordre, s'attache avant tout à l'ordre suprême où comme dit l'Apôtre: "On obéit à Dieu plutôt qu'aux hom­mes."

(Propos recueillis par © Xavier Cheneseau).

vendredi, 06 juin 2008

En souvenir d'un soldat politique de la Bundeswehr

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En souvenir d'un soldat politique de la Bundeswehr: le Général-Major Hans-Joachim Löser

 

La Bundeswehr n'a jamais connu de généraux politisés à la fa­çon latino-américaine. Elle a eu la chance, cependant, d'a­voir eu, dans ses rangs, quelques généraux capables de combiner leurs compétences militaires à un instinct politi­que sûr et à une intelligence aiguë des conséquences di­rectes de la politique de sécurité pour leur peuple. Ces officiers reconnaissaient le primat du politique, c'est-à-dire la responsabilité des hommes politiques démocratiquement élus, mais se réservaient toutefois la liberté d'exposer aux responsables politiques leurs convictions politiques solide­ment étayées par un savoir factuel et technique éprouvé, surtout lorsque ces convictions ne concordaient pas avec les idées des politiques, ce que ceux-ci n'aiment guère en­ten­dre. Parmi ces officiers allemands, capables de penser politiquement au meilleur sens du terme, il y avait le Gé­néral-Major e.r. Hans-Joachim (Jochen) Löser, qui vient de nous quitter, ce 13 février 2001, dans sa 83ième année.

 

Jochen Löser était issu d'une famille de Thuringe et de Sa­xe, bien ancrée dans les traditions. Après avoir passé son Abitur  en 1936 dans une école NAPOLA de Berlin-Spandau, il rejoint comme aspirant (Fahnenjunker) le 68ième Régi­ment d'Infanterie du Brandebourg. Au début de la guerre, il est Adjudant de Bataillon, plus tard, lors de la campagne des Balkans et de la campagne de Russie, il est promu Ad­judant régimentaire auprès du 230ième Régiment d'In­fan­terie. Quand commence la terrible bataille de Stalingrad, il la vit et l'endure avec le grade de commandant de ba­tail­lon. Il est grièvement blessé et reçoit la Croix de Chevalier. A­près avoir reçu une formation d'officier d'état-major et avoir servi à ce titre dans les Carpathes et sur le Front de l'Arctique, il évite en avril 1945, face aux troupes amé­ricaines, la bataille de défense de sa ville natale, Weimar, mission impossible et désormais dépourvue de sens. Après la guerre, il gère pendant dix ans une entreprise qui occupe des invalides de guerre. En 1956, il entre au service de la Bundeswehr. Il y exerce les fonctions de maître de confé­ren­ce à l'école militaire de Hardthöhe, de chef d'état-major d'une Division puis d'un Corps d'armée, finalement il accède au grade de commandeur d'une Brigade et d'une Division. En 1974, de son propre chef, il décide de quitter le service des armes et reçoit la Grande Croix du Mérite de la RFA.

 

Quand la FDP proposait une vraie alternative

 

J'ai connu Jochen Löser en 1967, quand je dirigeais le "Cer­cle de travail I" de la fraction FDP du Bundestag, qui s'oc­cupait également des questions de défense. A l'époque, le noyau de la politique de défense de la FDP était le suivant: il nous paraissait inutile d'équiper les troupes allemandes pla­cées sous le commandement de l'OTAN d'armes atomi­ques coûteuses, alors que les munitions ad hoc ne seraient jamais placées entre des mains allemandes. Nous nous po­sions la question: ne serait-il pas plus intelligent de con­centrer nos moyens pour améliorer la défense convention­nelle de l'Allemagne et de laisser la dissuasion nucléaire aux puissances qui pourrait l'utiliser en cas d'urgence? C'est donc surtout grâce aux conseils de Jochen Löser que la FDP, guidée par son expert en questions de défense, Fritz-Rudolf Schultz, a pu présenter une alternative en politique de sécurité, face à la Grande Coalition de l'époque; c'était une alternative inattaquable sur le plan des faits, qui te­nait nettement mieux compte des intérêts du peuple alle­mand divisé en cas de guerre que les plans habituels de l'OTAN.

 

Après 1969, la FDP, malheureusement, a abandonné ses pré­occupations en matières de défense et n'a plus ma­ni­festé d'intérêt pour ces réflexions. En tant que comman­deur, Jochen Löser ne voyait plus aucune possibilité de diffuser ses compétences techniques. Cela a sans doute mo­tivé son départ de la Bundeswehr. Il a alors commencé une fructueuse carrière d'écrivain politique, où il a couché sur le papier ses réflexions en matières de défense, qui, chaque fois, tenaient compte des intérêts de l'adversaire po­tentiel. Des ouvrages comme Gegen den Dritten Welt­krieg (Contre la Troisième Guerre mondiale), Weder rot noch tot (Ni rouges ni morts), Neutralität für Mitteleuropa (Neutralité pour l'Europe centrale), Kämpfen können, um nicht kämpfen zu müssen (Savoir combattre pour ne pas a­voir à combattre), puis, finalement, cette magnifique his­toire de la 76ième Division d'Infanterie de Berlin-Brande­bourg, intitulée Bittere Pflicht (Notre amer devoir), où Jo­chen Löser, le soldat qui défendait les intérêts de son peu­ple, rassemblait tous ses souvenirs, sans perdre de vue les in­térêts des autres peuples.

 

Detlef KÜHN.

(Hommage rendu dans l'hebdomadaire Junge Freiheit, http://www.jungefreiheit.de ).

lundi, 21 avril 2008

Daniel Varoujan, poète arménien

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Archimede BONTEMPI:

Daniel Varoujan, poète arménien assassiné par les Turcs

 

Professeur en Italie, Antonia Arslan vient de publier les poè­mes de Daniel Varoujan, un des plus grands poètes ar­méniens, qui a composé une œuvre compacte, fortement symbolique: il nous parle de la terre, de la terre arménien­ne, cultivée par l'homme mais frappée par la “lance de la Lu­mière”, riche en couleurs, en odeurs, en humeurs, une ter­re-mère, une terre-sœur.

 

Sur ce grand poète arménien, l'essai le plus complet reste ce­lui de Boghos L. Zekiyan, patriarche des études sur l'his­toire et la littérature arméniennes: Daniel Varujan: Dall'e­pos al sogno, publié à Venise.  Daniel Varoujan fut l'une des premières victimes du génocide. Il fut assassiné par les Turcs, probablement par l'un de ses hamidjé de sinistre ré­putation; c'était des escadrons de la mort composés d'irré­guliers kurdes. Varoujan est mort aux côtés de son homolo­gue et ami Rupen Sevak, le 26 août 1915, journée qui fut le coup d'envoi de tous les massacres organisés ultérieure­ment par le gouvernement nationaliste turc.

 

Parmi les derniers vers qu'il a écrits, il y avait celui-ci:

 

«Que pleuve sur nos têtes

une poignée de blé,

ma douce vieille, mon amie.

Veuille le soleil automnal

Ne pas geler dans les neiges de nos cheveux…

Ne s'éteigne notre bougie

Parmi les colonnes de marbre…

Quand nous serons au cimetière,

O mon amour, que sous nos corps

La terre ne soit pas trop dure…» (*).

 

Le Chant du Pain, hymne païen à la Terre, a été magnifi­que­ment traduit en italien par Antonia Arslan et Chiara Haï­ganush Megighian (ndlr: et en français par Vahé Godel, cf. infra). La langue de ces poèmes est chère à nos oreilles. Ce splendide lyrisme de la Terre et de la liberté de l'hom­me, une liberté concrète, celle de cultiver, d'aimer les fem­mes de son clan, et, finalement, de se retrouver tou­jours dans des bras maternels.

 

Constantinople, Venise et Gand

 

La culture de Varoujan s'est épanouie dans trois villes eu­ro­péennes: Constantinople, Venise et Gand, trois capitales cul­turelles de notre Vieille Terre d'Europe, que Varoujan a unit mystérieusement, par le suc de sa propre existence. Gand a été le berceau de Charles-Quint; Venise était la por­te de l'Orient et la matrice de la liberté, valeur car­di­nale de la culture européenne. Constantinople a été l'a­vant-poste de l'Europe, de l'Empire romain d'Orient (chri­stianisé), face aux hordes turques qui déferlaient depuis les steppes asiatiques, mais auxquelles cette ville fantastique finissait par communiquer des bribes de culture européen­ne. Mais ces éléments de culture ont été pervertis, hélas, par un nationalisme "statolitaire" et raciste qui a trouvé en Turquie des esprits réceptifs aux cœurs impénétrables à tou­te pitié et toute compassion.

 

Car ce fut effectivement pour voler cette belle terre d'Ar­ménie, chantée par Varoujan, cette terre fertile et géné­reuse, travaillée par les paysans arméniens, que les Turcs ont déchaîné le génocide, en la présentant comme une “ter­re promise” aux Kurdes, qui, aujourd'hui, à leur tour, en sont chassés par l'effet d'une de ces curieuses ven­geances de la marâtre "Histoire", chère aux philosophes al­le­mands. Varoujan est resté le fils privilégié de cette cul­ture vénitienne, imprégnée de symbolisme païen. Il écrivit à son ami Theodik: «Deux atmosphères ont exercé une in­fluence sur moi: la Venise du Titien et la Flandre de Van Dyck. Les couleurs du premier et le réalisme barbare du se­cond ont formé mon pinceau». Ensuite comme Antonia Ars­lan le révèle dans son introduction: «Je sens que Venise a exercé son influence sur moi, avec ses trésors chatoyants de couleurs, d'ombres et de lumières. C'est une ville où il est impossible de penser sans recourir à des images» (lettre à Vartges Aharonian).

 

Venise, patrie idéale des poètes

 

Venise, patrie idéale des poètes, a accueilli Varoujan, com­me elle avait accueilli ses brillants éducateurs, les Pères mé­khitaristes, en leur donnant l'Ile de Saint-Lazare pour y fonder un collège. Avec la générosité d'une mère, la Sé­ré­nis­sime a donné cette île où ces religieux, exilés, as­piraient à retrouver les racines de leur mère patrie. “Justement au mo­ment où, historiquement, les Arméniens, en tant que peu­ple, voyaient leur patrie niée définiti­vement et l'unité psychologique de leur nation, brisée”, comme l'écrit Anto­nia Arslan. Le premier recueil de poèmes de Varoujan, Fré­missements, a été publié à Venise en 1906, un recueil où l'on entend les échos des Tempêtes d'Ada Negri.

 

Mais dès 1907, c'est le sang qui constitue le leitmotiv ma­jeur de sa poésie, notamment dans un poème très bref, Le massacre, écrit à la mémoire des Arméniens persécutés sous Abdul Hamid, le “Sultan rouge” qui avait amorcé le pro­cessus génocidaire, anticipant l'effrayante violence des Jeunes Turcs. Symboliste est sa poésie (et en cela inspirée par son séjour à Gand), mais non décadente, souligne An­tonia Arslan; Varoujan n'était pas un poète qui s'aban­donnait aux vagues rêves que cultivait le jeunesse euro­péen­ne décadente des années précédant la Grande Guerre. Va­roujan demeurait solidement ancré dans la culture de sa Terre, dans chaque geste posé par le paysan arménien dans ses champs, dans les moissons d'Anatolie, dans les rites sim­ples d'une société archaïque mais au civisme intact. En ce­la, Varoujan est proche de l'âme padanienne (ndlr: et aussi, ruralisme et symbolisme obligent, de l'âme gantoise et de la peinture de Laethem-Saint-Martin), de la culture lom­bar­de et frioulane de la terre et des récoltes, enracinement uni à une nos­tal­gie de la liberté dans une patrie propre, non autre, que l'on aime et que l'on défend.

 

Daniel Varoujan, qui nous a donné ses Poèmes païens (pui­sés dans la mythologie arméno-iranienne) et son Chant du Pain, nous a pleinement été restituée par Antonia Arslan (Il Canto del Pane, a cura di Antonia Arslan, Guerini e Asso­cia­ti, Milano, 146 pagg., 21.000 Lire).

 

Archimede BONTEMPI.

(article publié dans La Padania, 13 septembre 2000;

http://www.lapadania.com/2000/settembre/13 ).

 

(*) En français, on lira: Daniel VAROUJAN, Chants païens et autres poèmes, traduits et présentés par Vahé Godel, Or­phée/La Différence, 1994.

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vendredi, 18 avril 2008

Thor Heyerdahl

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Aymeric GAUL:

Thor Heyerdahl, un héros pour le XXIème siècle

Il ne figurait même pas dans l'Encyclopédie Larousse en quinze volumes de 1982. Bien que son nom soit furtivement cité dans une note concernant le radeau Kon Tiki. Dans le Quid 2002, il apparaît dans l'articulet consacré aux expéditions de ses radeaux, le Kon Tiki, le Râ I, le Râ II et le Tigris.Lors de sa mort à 87 ans, le 17 avril 2002, une légère agitation médiatique, gênée et contrainte, retomba aussi vite qu'elle était apparue.

Et pourtant, Thor Heyerdahl demeure, pour le petit cercle réfractaire au crétinisme généralisé, un des hommes les plus géniaux du XXème siècle. Une âme étonnament trempée à l'acier le plus pur de la contestation l'a fait paria quand le plagieur et imposteur Einstein partageait avec Lyssenko la chaire d'excellence dont la moindre réfutation est assurance de bûcher. Il est, néanmoins, le héros national de la Norvège, pays où la compétition est rude en cette matière. Son livre le plus connu, Kon-Tiki, traduit dans 67 langues, s'est vendu à des millions d'exemplaires et le film éponyme qu'il en a tiré aurait dû faire de lui, et à bien meilleur titre, le héros populaire qu'est devenu Jacques-Yves Cousteau. Mais, pour être adoubé dans ce monde là, il ne faut pas aller contre les idéologies de cour. Heyerdahl n'était pas homme à troquer sa vérité contre la faveur du temps. A la lumière des spotlights il a préféré les rudes combats anonymes et la misère hautaine du chercheur demeuré aventurier dans l'âme. S'il reste un inconnu pour l'immense troupeau, son message commence à séduire de jeunes mavericks anglo-saxons agaçés que l'on prenne si facilement des vessies pour des lanternes et que soit falsifiée avec autant d'arrogance une Histoire devenue un tissu d'âneries.

Ainsi récemment Robson Bonnichsen, directeur du Centre pour l'Etude des Amériques Premières, à l'Université d'Etat de l'Orégon, reconnaissait en lui un « visionnaire en avance sur son temps ». Dennis Stanford, anthropologue au Smithsonian institute de Washington – celui qui se bat pour la reconnaissance de l'Homme de Kennewick – ou Walter Neves, de l'université de Palo Alto, reprenaient ses thèses sur les migrations post-néolithiques. Erika Hagelberg, généticienne à l'université d'Oslo, le disait plus brutalement : « Il va falloir que toutes les disciplines se décident à étudier les théories de Thor Heyerdahl. »

Crétinisme égalitariste

Et ce n'est pas rien de venir ainsi se ranger aux côtés de celui qui, au soir de sa vie osait fracasser sur l'établissement pseudo-scientifique mondial quelques projectiles vitriolés qu'on aimerait voir plantés au fronton de toutes les universités d'Occident : « Plus je fais et plus je vois, plus je réalise l'immensité stupéfiante de l'ignorance existant dans les cercles académiques qui prétendent être des autorités et affirment détenir le monopole du savoir. »

Combler cette ignorance crasse des académies de toutes espèces ne se fera pas du jour au lendemain. Comme il paraît insurmontable de refouler des consciences ahuries les croyances les plus farfelues des dogmes d'airain. L'Amérique découverte par Colomb. Colonisée, il y a dix mille ans, et exclusivement, par des Mongoloïdes descendus du Détroit de Béring. Les gigantesques constructions pyramidales des jungles meso-américaines attribuées aux ancêtres supposés – Aztèques, Mayas, Incas – des pauvres hères qui, aujourd'hui, grattent la terre alentour. La diffusion à travers le Pacifique d'étonnantes civilisations dont les schémas incohérents n'intriguent personne. Et les mythes, les légendes, les parentés universelles que la science académique, impavide, explique par des déterminismes génétiques selon lesquels tous les hommes étant semblables on ne saurait s'étonner qu'indépendamment de toute influence exogène ils en viennent fatalement à découvrir un jour les mêmes secrets et les mêmes techniques. De l'agriculture à la ziggurat monumentale, la duplication des mêmes gestes conduit tôt ou tard, à les en croire, aux mêmes expériences.

C'est à ce type de crétinisme que la « science » marxiste de l'égalitarisme et de l'unicité du monde et des hommes a fini par conduire. Thor Heyerdahl aura lutté toute sa vie contre une telle régression intellectuelle.

Une formidable logique aura guidé chacune de ses expéditions. La première, la plus célèbre, celle du Kon-Tiki, montra que des hommes embarqués au Chili sur des radeaux de balsa pouvaient atteindre la Polynésie. La chose n'était pas innocente et l'académie lyssenkiste réagit aussitôt en dénonçant l'infaisabilité du projet. Lorsqu'il fut réalisé en 1947 et que les navigateurs nordiques, après 107 jours de traversée, se furent échoués sur l'atoll de Raroia aux Tuamotous, il fallut des années aux protagonistes de l'opération pour parvenir à entrouvrir certaines portes, et quatre ans pour que le film le Kon Tiki commence enfin son éblouissante carrière cinématographique planétaire.

Pour la science encadrée, les Polynésiens étaient des Asiatiques arrivés par sauts de puce depuis la Malaisie. Certains osaient imaginer une descente de tribus « indiennes » depuis la future Californie. Mais qui se fut risqué à imaginer un peuplement de la Polynésie à partir de l'Amérique du Sud ? L'île de Pâques intriguait mais pas plus que les extraordinaires cités monumentales dites « pré-colombiennes ». Heyerdahl avait de la pré-Histoire une conception qui ne pouvait plaire aux Académies.

Qu'y avait-il avant ?

Ses autres expéditions mirent le feu aux poudres. Râ I et Râ II, en plus montrant qu'on pouvait rallier l'Egypte aux Caraïbes dans des radeaux de papyrus, apportèrent une explication rationnelle aux étranges ressemblances existant entre constructions monumentales d'Egypte et d'Amérique précolombienne. Le périple du Tigris, en 1977 – 4200 miles en 144 jours à travers l'Océan Indien – prouva que l'expansion de Sumer ne se fit pas seulement par la terre, comme on l'a cru longtemps. Ce fut d'ailleurs la grande contribution de Heyerdahl à la connaissance des mystères du passé : le rôle fondamental joué par les océans, à partir du Néolithique, dans la diffusion des civilisations antiques. Les statues de Fatu Hiva aux Marquises ressemblent trop à celles qu'on trouve en Amérique du Sud pour que ce ne soit qu'un hasard. Les pyramides à escaliers des Canaries, l'archipel des mythiques Guanches, ces Berbères dont l'Histoire prétend avoir perdu la trace, se trouve à mi-chemin entre l'Egypte et l'Amérique du Sud. Non seulement Thor Eyerdahl conteste que Christophe Colomb ait découvert quoi que ce soit, non seulement il reconnaît que 500 ans avant lui ses ancêtres Vikings s'étaient bien installés dans le Vinland et au-delà mais, affirme-t-il dans une sorte de provocation, « je dis qu'aucun Européen n'a jamais découvert autre chose que l'Europe... ». C'est dire que tout avait déjà été « découvert » bien avant qu'on ne le croit. Et que ne le prétend une mystification historique terrifiée que des peuples de géants aient dominé la planète en des temps que le progressisme bêtifiant assure avoir été celui de brutes vêtues de peaux de bêtes.

On tombe alors sur des vérités qui font trembler. Sur la présence par exemple dans le sud du continent américain de squelettes d'hommes non-mongoloïdes - australoïdes - bien antérieurs à la présence des ancêtres des « Indiens » sur ce continent. On rejoint les formidables travaux du Professeur de Mahieu sur la civilisation inca créée par les clans vikings qui accompagnaient le yarl Ullmann à la fin du Ier millénaire. Les communautés polynésiennes « blondes » découvertes par les premiers navigateurs européens en différents archipels du Pacifique. On rejoint aussi l'Homme de Kennewick, la « civilisation Clovis » du Sud Texas et ses pointes de flèches superbement solutréennes, la présence aux Etats-Unis de milliers de sites mégalithiques, la forte imprégnation de certaines langues indiennes par des termes, des formules et des signes gravés phéniciens et tamazight. L'obligation de reconnaître la présence na-dene, cette nouvelle classification linguistique, partie de l'ouest du Maghreb, remontée pour le Pays Basque, traversant toute l'Eurasie, pour aller se perdre chez certaines tribus du nord-ouest des Etats-Unis. On s'interroge sur les Aïnous, sur les dolmens des Nouvelles Galles du Sud, sur certaines légendes des Aborigènes australiens évocatrices de géants blancs qui habitaient le sud du continent du temps qu'il était verdoyant. Et qui un jour s'embarquèrent vers l'Est.

Derrière la remise en cause des dogmes imposés par le lyssenkisme idéologique, Thor Heyerdahl a jeté les bases d'une nouvelle lecture de l'Histoire et de la Préhistoire. C'est, à terme, un séisme de grande magnitude qui a été initié. Une reconsidération complète de la vision du monde falsifiée qui prévaut aujourd'hui. Elle ne se fera, on s'en doute bien, que dans les pays qui possèdent encore un minimum de liberté d'expression. Les Etats-Unis en premier. Dans ceux qui, comme en France, sont assujettis à des lois soviétoïdes du type loi Gayssot, il est peu probable que l'on voie se développer des études en ce sens. Il reste néanmoins que le vent qui se lève soufflera même sur les lieux les mieux gardés.

« Il y a quelque 5000 ans, pour une raison inconnue, une civilisation disparut de son site originel et s'établit le long du Nil, sur les berges des rivières mésopotamiennes, au bord de l'Indus... portée par des hommes barbus qui construisaient des bateaux de lianes, par des astronomes qui adoraient le soleil et lui élevaient des pyramides à escaliers telles qu'on en trouve en Egypte, en Mésopotamie, au Mexique, en Bolovie, à Ténérife. Il est impossible que de telles civilisations se soient developpées brusquement en une seule génération ou même en un siècle : il y avait quelque chose avant... » (Thor Heyerdahl).

par Aymeric GAUL, publié dans Réfléchir & Agir n° 12 – Eté 2002

Réfléchir & Agir

Revue autonome de désintoxication idéologique 
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