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vendredi, 30 décembre 2016

Petit hommage à Michel Déon

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Petit hommage à Michel Déon

par Michel Dejus

LE MAUVE ET LE VERT

 

D’Erin à Spetsai l’auguste filon des îles.

La pluie mouille un peu le soleil au balcon.

Un zeste de Madère en floraison pianote.

Le rhum bluffe Saint-Germain-des-Près.

Les gens de la nuit à la chasse aux regrets.

Le tourbillon d’une robe qui vient de l’Italie.

La tendre saignée des genoux dévoilée.

L’étoile d’un prince pour déjouer le néant.

Les promenades du voyageur qui voit.

Des amours ibériques à l’ombre d’un cigarillo.

Des jeunesses sous brisants balnéaires.

Des souvenirs ressuscités des cendres.

La catharsis ambrée d’un malt osseux.

L’arborescence de la plume du peintre.

Le beau bâton noueux pour la montée du soir.

La chouette pudique cligne des yeux.

La fleur de lys pleure au creux du shamrock.

Une élégance de perdue zéro de retrouvée.

dimanche, 11 décembre 2016

Céline: un si mauvais exemple?

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Céline: un si mauvais exemple?

par Pierre Lalanne

Ex: http://celinelfombre.blogspot.com

Ah! Céline, bien sûr! Mais, Céline! Il pue un peu, non? Il sent le soufre pour ne pas dire autrement. Il dérange. Damné… Qui a dit : s’il y avait une seule personne en enfer, ce serait lui? Céline, un spectre qui se tient dans un coin du miroir et, chaque matin, nous rappelle notre petitesse et notre extrême fragilité; nous rappelle, avec un grand rire, que tout est vanité.

Un mort qui ne veut pas mourir, c’est embêtant, surtout un écrivain qui se plait à nous montrer si finement notre altruisme, avec un talent si mal utilisé, perdu à tout jamais. Alors, depuis, on s’échine à l’enfouir profondément au fond de tombeau, cercueil de plomb au couvercle scellé et vissé de mensonges. Jusqu’à présent, les résultats sont douteux, beaucoup d’énergie et de temps perdu, il en ressort plus aérien, même la terre n'est pas assez lourde pour le retenir, pas suffisamment acide pour le réduire en poussière.

Céline n’en est pas à un paradoxe près, marqué du signe de la bête hideuse, son spectre s’obstine et conserve pourtant la fluidité de son style. Il s’infiltre partout et gêne par la seule évocation de son souvenir. Présence indésirable, influence néfaste à éloigner à tout prix du commun, surtout des jeunes, qui pourraient bien tomber sur ses livres, sans aucune mise en garde. D’ailleurs, c’est bien ce qui arriva en ce jour d’automne 1932, personne ne s’attendait à cela et pas un pour prévenir du danger, des conséquences. Les dégâts qu’il provoqua alors, nous en ressentons encore aujourd’hui les secousses.

Hélas, il est, depuis, incontournable d’où la nécessité de l’aborder avec une quantité impressionnante de mises en gade, que le danger croît avec l’usage. Tellement, qu’ils réussissent à nous convaincre que nous allons manipuler un produit excessivement dangereux et hautement toxique et cela risque d’amplifier notre jugement, affiner notre esprit critique et anéantir nos valeurs séculaires en moins de temps qu’il en faut pour lire trois lignes. Faut bien avouer qu’ils n’ont pas entièrement tort et, l’effet, est assez instantané.

Il n’y a qu’à constater les faussetés et les avertissements aux étudiants, lorsqu’un texte de Céline est à l’étude dans un cours de littérature (voir les Années Céline qui en font annuellement la nomenclature)… Nazi! Collabo! Haineux! Défaitiste! Pacifiste! Tout y passe. Cela montre bien que dès le départ, il est impératif de fixer l’image de Céline à l’intérieur d’un concept idéologique parfaitement au point qui bloquera toutes nouvelles perspectives originales d’interprétation du phénomène célinien, unique en soi. Céline est bel et bien un phénomène qui va bien au-delà de ce à quoi l'on voudrait le réduire.

Le mouvement réductionniste est général et bien implanté, même ceux, qui osent avouer leur admiration, les spécialistes, sont conscients d’avancer en terrain miné, de marcher sur des œufs lorsqu’ils prennent la parole. Ils sont conscients que chaque mot sera interprété, analysé et un jugement moral confirmé : tampon des officiels, approbation des censeurs, mais gaffe, on vous tient à l’œil. Il est fascinant de remarquer que la majorité de ses défenseurs, de ses admirateurs sont tenus par cette autocensure absolument rodée et admise, celle d’analyser, en s’excusant, et y mettant les bémols habituels, une autocritique justifiant les valeurs à la mode. Cet état d’esprit, qu’on le veuille ou non, pose des limites à la nature de l’œuvre, à son interprétation et à sa compréhension.

Le chercheur, l’admirateur, qu’importe son état, craint par-dessus tout d’être taxé des mêmes péchés que l’écrivain et aussitôt mis demeure de se rétracter au risque de tout perdre, jugement, réputation, emploi, notoriété et sans parler qu’on finira par s’interroger sur sa santé mentale. Les bonnes vieilles méthodes soviétiques ne sont pas perdues pour tout le monde… d’une pathologie l’autre.

Cinquante ans après la mort de Céline, il demeure malsain d’admettre, naïvement, une passion exagérée envers un personnage si encombrant. Malheureusement, cette attitude, compréhensible en soi devant la puissance de «l’opinion», ne peut que conforter ses détracteurs. Au nom de leurs certitudes qui s’insèrent parfaitement dans l’idéologie dominante et du type d’humanisme bêlant qu’ils défendent, les inquisiteurs des temps modernes seront encore plus nombreux à hurler au crime de lèse-majesté.

Louis Ferdinand Céline 2014 - auteur inconnu.jpg

Entendons-nous bien, chacun de ces prêtres de la rectitude est tout à fait conscient que cette idéologie n’est en fait qu’un leurre posé sur une réalité sociale et économique bien pire que celle qu’ils affirment vouloir défendre.

Le plus grand danger qui guette Céline, ne vient pas de ses écrits en tant quel tel, ils ne sont qu’un prétexte à des haines bien plus pernicieuses, mais de leur appropriation par des experts qui, tout en démontrant son génie littéraire, portent des jugements moraux sur une partie de ses œuvres et qui, fondamentalement, n’ont rien à voir avec la nature de leurs recherches.

En fait, le plus grand danger qui guette Céline, c’est de l’arracher à ses lecteurs et d’en limiter la lecture afin qu’il ne devienne qu’un simple objet d’études entre gens sérieux et non plus, tout d’abord, un écrivain du «peuple», qui sait comment l’atteindre, avec des éclats de rire à répétition et un plaisir sans cesse renouvelé. Céline n’a jamais écrit pour les intellectuels, il est probablement le seul écrivain «reconnu» qui n’appartient pas à une élite littéraire ou une école.

Céline est seul et appartient à ceux qui sont seuls et ne se reconnaissent pas dans un monde entièrement déshumaniser et qui subit lourdement le poids de l’injustice et du mensonge. À ceux-là, qui voient en Céline une bouffée d’air pur, sont accusés bêtement d’êtres de vils réactionnaires, uniquement parce que pas dupes du tout sur la nature et la longueur des couleuvres à avaler.

C’est ainsi, l’on voudrait bien, d’une manière ou d’une autre, régler définitivement le «cas Céline»; c’est-à-dire, de le classer, au mieux en tant qu’écrivain de la nostalgie et au pire comme le pire des antisémites, le figer définitivement dans des articles de dictionnaires et d’encyclopédies afin de bien insister sur la l’ambigüité et la dangerosité du personnage.

En effet, pour les générations qui se succèdent, il est important d’établir hors de toute contestation que le XXe siècle fut celui de la folie meurtrière où la hiérarchisation des massacres est plus importante que ces véritables causes; que Céline a bien marqué la littérature de son temps, mais, reste isolé parce que son temps marque un arrêt brusque dans l’avancé de la civilisation humaine. Céline représente le symbole de ce siècle de barbarie, comme si tout le mal contenu en l’homme passait nécessairement par sa plume.

Pourtant, un problème demeure pour ceux qui cherchent à l’enfermer dans une idéologie, c’est que Céline se situe bien au-dessus de toutes les idéologies de son siècle et bien peu se risquent à approfondir cette question pourtant fondamentale. On s’acharne à vouloir le définir avec des préjugés propres à nos propres valeurs et prénotions élaborées en fonctions d’évènements qui répondent essentiellement aux conditions politiques de l’après-guerre; fallait bien éduquer l’opinion et dénicher des boucs émissaires responsables de tout ce gâchis.

Un personnage tel que Céline ne s’explique pas seulement en fonction de la «banalité» des évènements politiques de son temps. Céline surplombe son époque et la transcendent et c’est ce qui est impossible à admettre, car, il s’agit de remettre en question l’ensemble des schèmes de références à son égard et une certaine relecture «objective» de l’histoire en relativisant l’ensemble des évènements et, surtout, ne pas les isoler de leur contexte.

Toujours, lorsque l’on évoque Céline, le premier concept à retenir devrait être l’importance absolue de l’imaginaire sur la réalité; la réalité étant seulement un support à cet imaginaire qu’il amplifie jusqu’à la faire exploser; ce qui peut donner des résultats, avouons-le, assez fascinants.

Pour Céline, la réalité est vulgaire et l’imaginaire raffiné, ce n’est pas autre chose qu’il tente d’expliquer dans ses «Entretiens avec le professeur Y» ou par les différentes entrevues qu’il accorde dans ses dernières années de vie. Dans «bagatelles pour un massacre», ce n’est pas pour rien qu’il oppose farouchement l’imaginaire et la beauté des ballets, à la vulgarité du matérialisme de la société dans lequel il vit, symboliquement représenté par le «l’esprit juif».

Fondamentalement, Céline n’est pas plus violent envers les juifs que les communistes ne le sont avec les bourgeois… Souvenons-nous : «l’humanité ne connaîtra le bonheur que lorsque le dernier curé aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste» Violence pour violence… appel au meurtre pour appel au meurtre tout cela, dans le fond, se vaut, mais inutile de revenir là-dessus, le jugement est définitif et pour des lustres.

Pour Céline, c’est la lutte de l’imaginaire contre la réalité des choses qui compte, le reste demeure conjoncturel et c’est pour cela qu’il échappe à toute tentative de banalisation et l’acharnement des uns et des autres à vouloir comprendre. La seule évocation de son nom, n’a pas fini de déchainer les passions, les affrontent qui s’emportent d’un extrême à l’autre, haine ou engouement ou raison contre l’instinct.

«La vraie haine, elle vient du fond, elle vient de la jeunesse, perdue au boulot sans défense. Alors celle-là qu’on en crève. Y en aura encore si profond qu’il en restera tout de même partout. Il en jutera assez sur la terre pour qu’elle empoisonne, qu’il pousse plus dessus que des vacheries, entre des morts, entre des hommes.» «Mort à Crédit» dans «Céline en verve» de Pierre Horay 1972. p.101

Alors, un si mauvais exemple, notre Ferdinand Bardamu, ballotté dune tempête à l’autre jusqu’à épuisement, jusqu’à la mort? Peut-être bien, peut-être pas. C’est selon! Après tout, les bons exemples courent les rues, nous n’avons qu’à nous édifier à voir s’épuiser nos élites dans un sens et dans un autre pour s’en convaincre.

Pierre Lalanne

dimanche, 04 décembre 2016

Chant de la Tatenokai ( Société du bouclier), fondée par Yukio Mishima

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Chant de la Tatenokai ( Société du bouclier), fondée par Yukio Mishima

起て!紅の若き獅子たち (高音質ハイレゾ)

起て!紅の若き獅子たち (楯の會の歌) 昭和45年5月

作  詞 三島 由紀夫
作編曲 越部 信義 
歌 唱 三島由紀夫と楯の會


夏は稲妻 冬は霜
富士山麓に 鍛え来し
若きつはもの これにあり
われらが武器は 大和魂
とぎすましたる刃こそ
晴朗の日の 空の色
雄々しく進め 楯の會
 
憂いは隠し 夢は秘め
品下りし世に 眉上げて
男とあれば 祖國を
蝕む敵を 座視せんや
やまとごころを 人問わば
青年の血の燃ゆる色
凛々しく進め 楯の會
  
兜のしるし 楯ぞ我
すめらみくにを守らんと
嵐の夜に逆らひて
よみがえりたる 若武者の
頬にひらめく曙は
正大の気の旗の色
堂々進め 楯の會

jeudi, 01 décembre 2016

Henry Williamson, George Orwell, & the Pigs

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Henry Williamson, George Orwell, & the Pigs

Henry_Williamson_by_Charles_Tunnicliffe (1).jpgToday is the birthday of Henry Williamson (Dec. 1, 1895 – Aug. 13, 1977)—ruralist author, war historian, journalist, farmer, and visionary of British fascism.

Two rather incongruous points of Williamson’s life stand out. One is that he achieved fame with what is usually regarded as a children’s book, Tarka the Otter (originally published 1927, with a movie version in 1979).

The other is that he was a friend of Lawrence of Arabia; and that it was on his way back from posting a letter to Williamson that T. E. Lawrence was mysteriously killed in a motorcycle accident. This was 1935. The matter under discussion in the correspondence was a request by Williamson that Lawrence join Sir Oswald Mosley in a campaign for European peace. Reportedly, Lawrence agreed.

Williamson was a prolific, compulsive writer (over 50 books, including posthumous volumes). Sometimes he is described as an author whose fame was consigned to “the memory hole” on account of his fascist associations and enthusiasm for National Socialism.

But this is very misleading. Even as an old man in the 1960s, Williamson was called upon by one of his old papers, the Evening Standard, to revisit and recount the 1914-18 battlefields of the Western Front [2], and ten years later he was engaged to draft a scenario for a long-delayed film version of Tarka. When he died in 1977 he merited a 1700-word obit in The Times [3] that described his great output and scarcely mentioned his “Fascist sympathies.”

Henry Williamson.jpgBlackshirt sympathies are really a side-note with Williamson, as they are with Yeats, Belloc, and Wyndham Lewis. If he is largely forgotten today, this is not because he went to Nuremberg rallies (nobody forgets the Mitfords, after all), but rather because of the peculiar nature of his output. Apart from his war memoirs, most of his writing consists of highly detailed close observation, with little direct commentary on the world at large. (The newspaper column at the end of this article is a good example of Williamson’s work. Taken in large doses, such detail tends to become tedious.)

A good contrast with Williamson is the case of George Orwell, whose pose as “a man of the Left” was purely for literary viability in the 1930s. From his social attitudes and military bearing, to his patriotic pronouncements (England, Your England) and anti-Stalinism—even his funny mustache—Orwell was a most unlikely “man of the Left.” Yet that is how he styled himself. Orwell even shared with Williamson a fondness for nature-writing, though their differences in approach are striking, as I will come back to.

First, though, I want to say a few words about Williamson’s ruralist books and journalism. He wrote in a time when nature-writing was a popular genre, and a mainstay of daily newspapers, particularly in England, much as wine columns seem to be today. I guess these “countryman” columns in London papers functioned as “breathers,” giving tram and Underground riders a break from the usual Fleet Street headlines and Oxo adverts. And maybe editors and press-lords believed thought that throwing in a bit of farming, foxes and foliage would raise the overall tone of their newspapers.

The most famous example of these “countryman” columns is the one Evelyn Waugh made up for his satirical novel, Scoop (1938). In Scoop, a newspaper tycoon wants to hire a fashionable young novelist named Boot to cover a civil war in Africa. By mistake he gets the wrong Boot. Not society star John Courtney Boot, but his impoverished hick cousin, William.

Shy, befuddled William Boot lives in deepest Devon where he writes a column called “Lush Places,” for the vulgar London newspaper The Daily Beast. (The title has since been repurposed for an even more vulgar webzine).

We get only one snippet of this impenetrably rhapsodic column, “Lush Places,” but that leaves us gasping for no more: “Feather-footed through the plashy fen passes the questing vole.”

Henry Williamson, you might say, was the real “Boot of The Beast” in Scoop. He was unworldly. He wrote “countryman” columns. He described, close-up, the behavior of the salmon and the otter, the “feather-footed vole” in the “plashy fen.” He lived out in Devon, later in north Norfolk, worked a countryman writer and farmer.

What a contrast with Orwell, who was not only a sort of war correspondent in the Spanish Civil War (for the Tribune, and in his memoir Homage to Catalonia) but made a special point of joining an eccentric faction, the POUM, that opposed Stalin but supported the Spanish Loyalists.

But Orwell’s mindset was not that far off from Williamson’s. They were near-contemporaries (Williamson: 1895-1977, Orwell: 1903-1950), and Orwell too often wrote about nature and farming.

One of Orwell’s best known essays, “Some Thoughts on the Common Toad,” is a mystical-whimsical contemplation on toad-spawning as an annual rite of spring:

Frequently one comes upon shapeless masses of ten or twenty toads rolling over and over in the water, one clinging to another without distinction of sex. By degrees, however, they sort themselves out into couples, with the male duly sitting on the female’s back. You can now distinguish males from females, because the male is smaller, darker and sits on top, with his arms tightly clasped round the female’s neck. After a day or two the spawn is laid in long strings which wind themselves in and out of the reeds and soon become invisible. A few more weeks, and the water is alive with masses of tiny tadpoles which rapidly grow larger, sprout hind-legs, then forelegs, then shed their tails: and finally, about the middle of the summer, the new generation of toads, smaller than one’s thumb-nail but perfect in every particular, crawl out of the water to begin the game anew.

I mention the spawning of the toads because it is one of the phenomena of spring which most deeply appeal to me, and because the toad, unlike the skylark and the primrose, has never had much of a boost from poets. [2]

Orwell constantly fantasized about living in the countryside, and even talked of becoming a farmer someday. Around 1936 he got as far as living in North Hertfordshire country store beside an estate called Manor Farm—a name he borrowed some years later when he penned a fantasy about a farm where all the animals, led by smart pigs, take control and rename the place Animal Farm.

roman-1984,M113634.jpgThe romance of the country permeates his other fiction. In one novel after another, Orwell’s human characters rouse themselves, suddenly and unaccountably, to go tramping through meadows and hedgerows. In A Clergyman’s Daughter the title character gets amnesia and finds herself hop-picking in Kent. The superficially different stories in Nineteen Eighty-Four and Keep the Aspidistra Flying both have romantic episodes in which a couple go for long hikes through idyllic woods and fields, where they marvel and fornicate amongst the wonders of Mother Nature. The middle-aged narrator of Coming for Air spends much of the novel dreaming of fishing in the country ponds of his youth, but when he finally takes his rod and seeks down his old haunts, he finds that exurbia has encroached and his fishing-place is now being used as a latrine and rubbish-tip by a local encampment of beatnik nature-lovers.

For Orwell, fauna and flora are never just interesting specimens by themselves. They are always somehow political and anthropomorphized, tied up with human associations. Toads having sex are like tiny people performing The Rite of Spring. The wild is a place where you can escape to make love safely, far away from the eyes and ears of your landlady or The Party (although Winston Smith does worry that there may be microphones hidden in the trees!). Despoiling your fishing hole is a Bad Thing not because of pollution or dead fish but because it insults your inner picture of the world.

In his abbreviated career, Orwell remained very much the urbanized literary man, never the countryman. He saw natural phenomena as things that had to be justified and rationalized in a utilitarian way, so they could fit into his world view. Or at least have some literary usefulness.

For Williamson, literary usefulness was pretty much beside the point. He received commissions and royalties from his columns and books, but basically he earned his living from the soil. For him, toads were toads and pigs were pigs. This was reality, and the important thing about his little piggies was that they were starving and needed to be fed, or else they would die.

Here, then, is a Henry Williamson column from the Evening Standard, early 1940. He is describing a scene on his north Norfolk farm. The column is followed by its then-worldly (but now extremely obscure) adjoining headline. Williamson’s agony over his hungry piglets describes a situation that could very well have occurred a millennium before.

Cold Comfort

Come with me into the open air this afternoon, and help me saw up logs for the hearths in the farmhouse below. It’s frosty, the pipes in the cow-house are frozen. 

Take this Norwegian saw, with its razor-thin serrated band, which will cut through a two-inch green bough in four strokes – or would, before someone used it for four-hundred-year-old oak posts. 

It’s pretty hard work, you say, using it now? Well, carry on, it will get you warm, anyway! 

Half an hour later, we are warm and glowing, although when we touch the blade of either saw with a finger, it sticks to the steel. That will tell how keen the frost is. 

It’s as cold as it was in the High Pyrenees, years ago with old Kit, when we climbed up all day stripped to the waist, and skied down at night, when the stars were flashing and the frosty snow-flakes glinted in the flashes of Sirius. 

Down there, before a typewriter, one shivers, although a rug is round the knees; out here, it’s grand, and the pile of logs grows higher. Forgotten for the moment are the problems of farming: the delay in delivery of the deep-digger plough; the pigs below which are being fed on sugar-beet tops and crushed oats, because there is no proper food available. 

Twenty-four little pigs – and for weeks I have not been able to buy any proper food for them. I can’t send them to market, either, for the market is closed to ‘stores’, owing to swine fever in the district. 

The food-merchants tell me they get supplies only with the greatest difficulty, and then in small quantities. 

Meanwhile my little pigs are half-starved, and I only hope that the R.S.P.C.A. won’t prosecute me for cruelty. 

However, let’s forget it for a while and saw some more wood. And when the arm is tired we’ll enjoy the view. Isn’t everything quiet? The gold of the sunshine seems frozen, immingled with the frosty air; hardly a sound. 

Even the sea is silent on the distant sands, where the geese wait until twilight to come in and feed on the clover in the fields. Let’s hope they leave some for hay next summer. Shoot them? You’ll be lucky to get within two hundred yards of them. They have sentinels out, watching with raised heads. 

Twilight comes suddenly, with purple-red afterglow of the sun hiding coldly behind the frosty fog creeping up the valley with still layers of cottage chimney smoke. The nip comes back to ear and finger-tips. The old car slithers over the rimed grass, drawing the trailer. And suddenly five airplanes roar overhead, low, from their vigil across the North Sea. One lags behind, the engines spluttering. It lurches through the air, so low that we can see one of the crew be- hind the crystal dome. 

Are they very cold in there? They fly on, and we go down to the farm to look at the little pigs. This is the age of endurance – for a better future, we hope.  

Wednesday, 17 January 1940  

Notes

1.  http://www.henrywilliamson.co.uk/hw-and-the-first-world-war [2]

2. Originally published in Tribune and The New Republic, 1946. Collected in In Front of Your Nose: The Collected Essays, Journalism and Letters of George Orwell, Vol. 4.New York, San Diego, London: Harcourt Brace Jovanovich,  1968.

 

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2015/01/HenryWilliamsonPainting.jpg

[2] recount the 1914-18 battlefields of the Western Front: http://www.henrywilliamson.co.uk/hw-and-the-first-world-war

[3] The Times: https://groups.google.com/forum/#!topic/alt.obituaries/fGODnHy747M

vendredi, 25 novembre 2016

Lennart Svensson’s Science Fiction Seen from the Right

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Lennart Svensson’s Science Fiction Seen from the Right

Lennart Svensson

Science Fiction Seen from the Right [2]
Manticore Books, 2016

“Ursula Le Guin wrote about socialist utopias. Heinlein fought against them. There you have Science Fiction Seen from the Right in a nutshell.”

LS-SF-.jpgReaders of Counter-Currents will be familiar — and likely agreeable to — the notion that despite what you heard in school, most all the truly great writers of the XXth century were “men of the Right.” This has been the theme of books like Kerry Bolton’s Artists of the Right: Resisting Decadence,[1] or Jonathan Bowden’s Western Civilization Bites Back.[2]

Bowden also gave us Pulp Fascism,[3] with its subtitle “Right-Wing Themes in Comics, Graphic Novels, and Popular Literature” and including coverage of Anthony Burgess’ A Clockwork Orange, George Orwell’s Nineteen Eighty-Four, Sarban’s The Sound of His Horn, and Brian Aldiss’ Moreau’s Other Island; why not then SF as a genre, tout court?

As if in response, comes now this book; with a title like Science Fiction from the Right, one can consider this an automatic purchase for anyone on the “Alt Right.” If you’re looking for a well-informed study of the SF genre that’s decidedly not from the hard or soft Left perspective that seems de rigueur for both academics and SF writers themselves, this book is for you. Svensson, however, has grander ambitions, and that’s where the book begins to be a bit of a disappointment.

Despite its title, Svensson is not really interested in “the Right” as such; he is interested in tradition, or, as he sometimes spells it, Tradition. And therein lies a perhaps unconscious indication of the problem: is it tradition, or Tradition?

LS-Portr.JPGSvensson is certainly straightforward from the start:

My definition of “right,” “a man of the right,” is “a man adhering to traditional, eternal values.”

These eternal values can be exemplified as: duty, honor, honesty, accountability, selflessness, modesty, fidelity, faith, courage, justice, mercy, clemency, compassion, magnanimity, equanimity — values that are in harmony with the eternal natural law, with Dharma and Tao, with Physis and Lex Nauralis.[4]

And to clarify: to merely advocate limited government, personal responsibility, moral values and productivity . . . is not to be a traditionalist. It’s a start, but it’s not enough. There has to be an esoteric element present, a connection with the causal realm in which all of existence can be anchored in the Platonic World of Ideas. Here, ultimately, the eternal values have their footing.

To vindicate these ideals is what I do as a man of the right. I honor Tradition. To systematically embrace eternal values within a spiritual framework of Christianity, Hinduism and the Ancient way of the West, of esoteric strains in Greek, Roman and Norse thought, is called traditionalism. . . . There you have my outline of traditional values and their sources.

And if that’s not clear enough, he adds that

For a textbook rendering of the Perennial Thought intimated above, see René Guénon, . . . the Crisis of the Modern World, Julius Evola, . . . Revolt Against the Modern World, or Shri Dharma Pravartaka Acharya, . . . The Dharma Manifesto. Another lion of traditionalism currently alive, is Seyyed Hossein Nasr.[5]

He is equally forthright about his intentions in what follows:

My focus in this book is on conservative, right-wing SF and fantasy, of fantastic stories having the character of being based in eternal values as the ones sketched above, fantastic literature having some discernable relationship to Tradition.

Putting all this together, we get, as an example:

Frank Herbert’s Dune, dealing with meditation, courage and honoring your fathers, in the framework of this study, is an SF story of “the right-wing” kind, a story rooted in Tradition.

Now, it’s interesting that Svensson chooses Dune as his exemplar. It’s not the first book/author he looks at; that’s Heinlein, who is, as he says, the “most iconic right-wing SF author ever.” But it is the first — and pretty much the only — book/author that fits the notion of “having some discernable relationship” to capital-T Traditionalism.[6]

See, Svensson is operating with two rather different notions of tradition, which we might call majuscule and miniscule. Miniscule tradition — what he derisively calls “the Conservapedia definition” — could indeed be “exemplified” by that list of virtues but it, and them, have nothing in particular to do with majuscule Tradition.

Now, I’m not saying Guénon, for example, would reject those virtues, not at all; but they would be merely “finite,” pertaining only to social organization in the Kali Yuga. They may be necessary for a society in which Tradition is preserved and handed down; they may also be a necessary first step in moral training for the path of Realization; but no more than that. The “Perennial Thought” is a matter of metaphysics, not morals.[7]

To illustrate my point, consider that both Mike Hammer and his creator, Mickey Spillane, are certainly “men of the Right” in Svensson’s small-t traditional sense; Hammer, as even Ayn Rand perceived,[8] is, however violent and brutal, a man with a solid ethical code that he deviates from not one whit, and uses any means, however violent or illegal, to make sure no one else does either. And his creator was, to a remarkable degree, essentially the same man.[9]

But — to make the contrast clear – the film version of Kiss Me Deadly is, however accidentally, and despite being conceived as an attack on everything Hammer and Spillane represented, a work embodying and bodying forth Traditional themes, while The Girl Hunters, though written and even starring Mickey Spillane himself, is just another thriller, though an excellent exemplar of Hammer’s sadistically chivalrous values.[10] By contrast, Svensson would have a hard time defending Kiss Me Deadly as even small-t traditionalist, since the filmmakers portray Hammer not as a White Knight[11] but as a moronic sadist.

Svensson needs his two kinds of tradition, because unless he can shift from one to the other, he doesn’t have much of a book left.[12] It would be extremely interesting to find Traditional themes in SF;[13] but that’s because it seems, on the face of it, unlikely.

starship_troopers_03.jpgSo mostly, Svensson falls back on miniscule tradition; Heinlein, for example, is hardly a Traditional thinker, even before his ’60s-hippie phase, but he certainly meets the “right-wing” criterion.

Svensson has also given himself another arrow for his quiver. Those who fail or refuse to acknowledge eternal values are defined here as “nihilists.” Those who stand against them, however, fall into two classes: those who passively observe their effect on society, and those who take up arms and by opposing (sometimes) end them.[14] The latter are praised, the former chided or condemned. Thus, authors as different as Heinlein and Lewis can be bracketed together for praise of their stand against nihilism.

The reader might think I’m condemning the book outright, but that’s not really the case. It has the virtue of its vice; with so broad a canvas, the value here rests in whatever Svensson can find to say about some book or author, and if the reader persists, he will find much value here.

Take this bracing insight on Ray Bradbury, which applies to many other areas of the Right:

We all know that Ray Bradbury (1920-2012) was a man longing for years gone by, for the American 1920s with T-Fords, striped cotton suits and icecream sundaes. But this kind of sentimentality can’t be tolerated in a study like this. Tradition isn’t about being sentimental, it’s about acknowledging Eternal Values, values that still can lift us, inspire us and guide us, offering an alternative to the current materialism and nihilism. For in essence, sentimentality is a form of nihilism.

Again, while J. G. Ballard is clearly an “active nihilist,” who, by “not putting up a credible counter-image to the forces of evil” has “superficially, nothing … to say to a radical conservative,” he is praised for at least being an honest skeptic, seeing through and rejecting the clichés of the liberal order. Svensson “gets” Ballard where so many don’t, seeing how Ballard goes on to find the creepy beauty of the new; Cambridge is just “a bicycle rack in front of Gothic backdrop”; the real action is at the US air base nearby, “with its concrete runways and landing lights.”

There’s beauty in the Ballardian urban landscapes and the Jüngerian Marble Cliffs.[15] This we sorely need, anything except the left-liberal chewing of General Buzzword No. 1: pity the weak.

Symbols abound, arresting hieroglyphs. Like the burnt-out shell of a B-29, its tailfin like a billboard advertising its own squadron. And the incomparable haze over the pale fields, antitank ditches and mounds, the same light seen after the dropping of the bomb, heralding the end of the war and the beginning of the next.[16]

So, another WWII story? No, not by far. This is the new kind of SF the 1960s sometimes gave us: “speculative fiction,” a free rendering of the modern world with all its symbols and attitudes, condensed into a more urgent narrative. . . . By 1964 his literary attitude had gained a sense of necessity and tragedy not reached by any other contemporary author, inside or outside the field.

One positive feature of this omnium-gatherum approach is that the reader finds himself introduced to new names and new books. For example, Karin Boye, and her novel Kallokain, apparently considered a Swedish modern classic for all to read, like our To Kill a Mockingbird, perhaps.[17] Svensson, in his brief chapter, makes me want to read this work of a Swedish poet/Valkyrie.

Another book/author unknown to me is Robert Holdstock’s Mythago Wood (1985), where the protagonist finds a primeval forest which is “a dimensional crossroads” where mental intentions interact with mythic energy, “co-creating” the intended results.

By contrast, the following chapter on the expected Orwell, Huxley, Zamyatin, and (perhaps less expectedly, the Metropolis of) von Harbou, really has nothing to say, although students will appreciate the suggestion that they need only read Chapter Three of Brave New World to get the gist of it. But by and large, the hits outnumber the misses.

One major misstep here is that Svensson seems to swerve from his basic theme and give in to the desire to present a kind of encyclopedia of SF matters. A chapter on SF illustration seems pointless without illustrations, and one on the origins and history of SF publishing delves into such thrilling matters as the evolution of pulp magazine binding techniques. The author would have been well advised to leave such matters aside and follow his own taste in the novella format,[18] concentrating on a few major figures and making his arguments tighter.

One has the impression that Svensson started with a list of authors — some essential, like Heinlein, some not that well known, like Boye, some ringers, like Marinetti or Castaneda — along with some topics, like war and nihilism; then he set to work writing something about each one, sometimes finding something to say on their literary or esoteric value, sometimes not.

In the end, one wonders why Svensson burdens his book, and himself, by bringing up the whole Traditionalist business. SF, as already intimated, doesn’t on the surface seem very “Traditionalist” at all.[19] I think the answer is hinted at here:

The ideal of SF, according to Holmberg, is this: man exploring nature with science and technology, thus conquering and understanding his universe, and in the process gaining insights leading to some kind of transcendence. As an esotericist I fully embrace this definition of SF. It’s about venturing out Beyond the Beyond and Within the Within.

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Nor are the Beyond and the Within merely two, distinct aspects; Svensson notes several times his agreement with SF master Norman Spinrad, that the key motif of SF in space travel, but adds that to really travel in space requires inner transformation; otherwise, one may travel to the moon but only bring back some rocks.[20]

The Apollo project went to the moon, a much sought-after event, only to bring home a sample of rocks. In his diary Jünger wrote about this: “the only found a desert because they had the desert inside.”

But while SF may think of space exploration as requiring inner transformation, the Traditionalists themselves refuse to see any such link. Indeed, they are infamous for their contempt for mere technology or even science itself; Traditional societies, says Guénon in the book Svensson directs us to, had better things to do than waste their time with such toys. “Exploring nature with science and technology” and “thus conquering and understanding his universe” is nothing but “dispersion into the horizontal realm” rather than vertical ascent to the Beyond.[21]

So the connection Svensson sees between SF and Traditionalism is at best one-way. If SF leans toward something like Traditionalism, what’s really going on?

We find a clue here in a kind of reflex that Svensson retains from the Traditionalists: the use of the term “titanic” or “titanism” as a derogative, as in fact a synonym for nihilism. Lewis is praised for battling it, while Heinlein is rebuked for yielding to it. That should tell you something’s off here; isn’t Heinlein the “iconic” SF writer? Isn’t SF essentially Promethean, from Frankenstein (“The Modern Prometheus”) on, and even further back, to the various utopias that take inspiration from Plato’s Myth of Atlantis (the realm of Atlas)?

I suppose the Titans are “nihilists” not because they deny any “connection with the causal realm” but because they boldly reach out and grasp it for themselves, “storming Heaven” and “winning the Grail by violence.” The process of self-transformation that Svensson refers to is not so much a matter of Traditionalism as it is of Hermeticism, as even Evola admits.[22]

This “Ancient way of the West, of esoteric strains in Greek, Roman and Norse thought,” finds its “framework” not with Traditionalism but with something along the lines of Jason Reza Jorjani’s Prometheus and Atlas, where both science and SF are confronted and assimilated in the Titanic mode of the West.[23]

Periodically, Svensson drops the ill-fitting Traditionalist garb and promotes a doctrine of Will-Power as something against which SF authors are evaluated (the shift from the one to the other is eased because remember, one must not only diagnose nihilism but fight it!). This emphasis on the training of the Will so as to develop the ability to bring about changes in accordance with will (as Crowley would say) justifies the publisher’s reference to Colin Wilson.[24]

NG-.jpgIndeed, interviewed elsewhere, Svensson sounds an awful lot like that modern exponent of the Hermetic Tradition Neville Goddard himself:

[Q] Man’s life is short. The border is always near. How can be a man educated in such a short period of time to understand the main things of life?

[A] Indeed, life is short. But any man can learn the two words, “I AM”. Christ said them seven times in the Gospel of Joh (“I am the light of the world, I am the door into the sheep, I am the good shepherd” etc.), as such a mirror of the” I Am That I Am”– saying of God in the burning bush of Exodus fame. And if the individual does the same, says “I am”, he acknowledges his eternal, divine nature, of being a spark of the eternal light. This I touch upon in Borderline[25] and this is the succinct summation of my creed: I AM. Modern man, if he so chooses, can reach spirituality this way. The I AM-saying is my formula for a more spiritual life, taught to “the man in the street.”[26]

To stay on the “man in the street” level of physical detail: the book has the quality we’ve come to expect from a Manticore publication; nicely proofread and typeset, with a sturdy binding and an atmospheric wrap-around cover illustration. The translation is serviceable, but another pass or two might have smoothed things out more and made it read a bit less like, well, a translation. Also, in a work of this sort, covering many names and topics, an index would have been appreciated.

In the end, one wishes Svensson would trust his Titanic instincts more, and liberate himself from his Olympian chains. Nevertheless, the reader will find much here that is provocative and truly thought-provoking; a book which not just looks at literature “from the Right” but raises questions about what, ultimately, is the Right itself.

Notes

1. Edited by Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2012.

2. Edited by Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2014.

3. Edited by Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2015.

4. To anticipate a bit, I must point out that “natural law” has little or nothing to do with Tradition; it originates in Stoicism, which Evola, in the book Svensson later cites, dismisses as an “oriental” current alien to Aryan culture, and in its Christian form results from a further misunderstanding of the Greek concept of law as equivalent to “YHVH’s command.” The Stoic advising “live according to nature’s law” is more like our life coaches counselling “You should eat more organic” than a Bible-thumper screaming about da fegz. For more on this, see my essay “A Review of James Neill’s The Origins and Role of Same-Sex Relations in Human Societies” (Amazon.com Kindle Single, 2013).

5. For more on Nasr as a “lion of traditionalism,” see my review of Al-Rawandi’s Islamic Mysticism, “The Bad Samaritan: A Glance at the Mohammed Mythos,” here [3].

6. Guénon would no doubt approve of its Sufi elements, but ultimately dismiss it as mere “syncretism;” Evola might have approved the emphasis on jihad. One must also point out that C. S. Lewis, whose works Svensson also considers exemplars of tradition, would surely have condemned Traditionalism as a blasted heresy and one of the worst tricks of the Devil.

7. Traditionalist would point to a similar mistake made by Jung and others who try to assimilate Tradition to psychoanalysis: the Path is not a method mental healing, but rather assumes an undivided and controlled mind as a starting point.

8. “Despite their apparent differences, Rand admired Spillane’s literary style, and Spillane became, as he described it, a “fan” of Rand’s work.” See McConnell, Scott, ed., “Mickey Spillane,” 100 Voices: An Oral History of Ayn Rand (New York: New American Library, 2010), pp. 232-39.

9. See my “A Hero Despite Himself: Bringing Mike Hammer to the Screen,” here [4].

10. See, of course, my essay “ ”Mike Hammer, Occult Dick: Kiss Me Deadly as Lovecraftian Tale,” here [5] and reprinted in The Eldritch Evola … & Others (San Francisco: Counter-Currents, 2014); for comparison of the films, see my “Essential Films . . . & Others,” here [6].

11. Svensson approves the use of plate armor in the Lord of the Rings films, since it recalls the image of “knights in shining armor.”

12. “But I also admit that there are SF authors in this study hard to categorize. For instance, J. G. Ballard isn’t an author you would think of as a traditionalist. Rather, he’s some kind of modernist. But he isn’t explicitly Marxist.” Later, Ballard’s “The Atrocity Exhibition hasn’t got much to say about Tradition, the theme of this study. But taken for itself this is a great read.” Again, “It’s true that the praising of Tradition and the virtues of old don’t occupy center stage in Michael Moorcock’s novels.” Again, “Karin Boye was a left-leaning intellectual. But she still fits into this survey. Why? Because she wasn’t expressly anti-tradition.”

13. As the reader will know, or have inferred by now, I myself have done a bit of such exploring, mostly in the realm of fantasy — see the essays collected in The Eldritch Evola. . . & Others: Traditionalist Meditations on Literature, Art, & Culture (Ed. Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2014) — but also in SF, such as the works of Olaf Stapledon — see “A Light Unto the Nations: Reflections on Olaf Stapledon’s The Flames” in The Eldritch Evola, and “‘The Wild Boys Smile’: Reflections on Olaf Stapledon’s Odd John” in Green Nazis in Space! New Essays on Literature, Art, & Culture (Edited by Greg Johnson; San Francisco: Counter-Currents, 2015). Oddly enough, Stapledon does not appear in Svensson’s book. Stapledon was of course a parlor pink, but — and admittedly it’s an ironic point — his novels are filled with traditional and even Traditionalist themes, illustrating my point about the return of the Traditional in popular culture.

14. “Nihilists! Fuck me. I mean, say what you like about the tenets of National Socialism, Dude, at least it’s an ethos.” Walther Sobchak, The Big Lebowski (Coen Bros, 1998).

15. Svensson has written a biography of Jünger: Ernst Jünger — A Portrait (Manticore, 2014). The chapter on Jünger here seems like a condensed version, but it does make me want to see the full text.

16. To anticipate a bit, cf. Jason Reza Jorjani, “Promethium Sky over Hiroshima,” Right On, Nov. 3, 2016, here [7].

17. Amazon tells me that the University of Wisconsin put out an edition in 1966, in its dourly titled “Nordic Translation Series,” and a paperback in 2002 in its flashier “Library of World Fiction.”

18. Constant Readers will recall many occasions when I have joined with Henry James in praising “the dear, the blessed nouvelle” format. Writing of Moorcock’s Elric novels, that originally appeared as slim volumes but now comprise 400 page collections, “Having the Eternal Champion books as separate, slim volumes make the saga into a random access myth, an epic where you can begin where you want, merely reading one book or two and then leave it with the sense of having seen an aspect of Multiverse, the whole mirrored in a facet, as it were…. Otherwise, the ideal of the fantasy novel is always ‘thick as a brick’ and this will not engender classics in itself.” He also praises Ballard’s “The Terminal Beach” as “an embryoic condensed novel” with a “condensed, urgent narrative.”

19. Svensson gives himself another free pass by including the clearly more traditional if not Traditionalist genre of fantasy in his definition of SF; like the SF authors, his coverage varies from interesting – Tolkien, Lewis – to just going through the motions in the urge to completeness – Clark Ashton Smith, Lord Dunsany. I tend to agree with Kingsley Amis in New Maps of Hell; the two are best studied apart. Amis’s classic study – arguably the first truly serious critical work on SF – is not in Svensson’s bibliography, though he tells us that he intends his book to be “mapping out new lands,” and the publisher explicitly compares his book to Amis’s, as well as Colin Wilson’s The Outsider; possibly the first time both have ever been invoked at the same time.

20. The key work here is 2001: A Space Odyssey, which Svensson calls “absolutely unique in the history of cinema” and scores as 60% Kubrick, but a necessary 40% Clarke. This point about “inner space” was often made by William Burroughs, who’ mentioned but whose works — Nova Express, for example — are curiously absent.

21. “[But to Traditionalists like Nasr] the events that produced the modern world are not signs of life in contrast to the cadaverous rigidity of Islam but signs of a Promethean betrayal that refuses the demands of heaven.” Al-Rawandi, op. cit.

22. See, of course, his The Hermetic Tradition: Symbols and Teachings of the Royal Art (Rochester, Vt.: Inner Traditions, 1995), especially Chapter One on the myth of Eden.

23. Prometheus and Atlas (London: Arktos, 2016). See also the same author’s “Against Perennial Philosophy,” Right On, Oct. 21, 2016, here [8]. On the other hand, Prof. Jorjani might appreciate Svensson’s discussion of Heinlein’s use of parapsychological themes to challenge both science and SF.

24. It also may explain the bizarre inclusion of Carlos Castaneda among the authors discussed; Carlos’ first wife was a disciple of Neville.

25. Borderline: A Traditionalist Outlook for Modern Man (Numen Books, 2015).

26. “Lennart Svensson: ‘The I AM-saying is my formula for a more spiritual life, taught to “the man in the street”’,” here [9]. Compare Neville, basically in any of his books or lectures; here [10], for example. On Neville and both Hermeticism and Traditionalism see “Magick for Housewives: The Not-so New (and Really Rather Traditional) Thought of Neville Goddard” in Aristokratia IV (Manticore Press, 2017) and my afterword to Neville’s Feeling is the Secret (Amazon Kindle, 2016).

 

 

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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[5] here: http://www.counter-currents.com/2014/02/mike-hammer-occult-dick-kiss-me-deadly-as-lovecraftian-tale/

[6] here: http://www.counter-currents.com/2015/02/essential-films-and-others/

[7] here: https://www.righton.net/2016/11/03/the-promethium-sky-over-hiroshima/

[8] here: https://www.righton.net/2016/10/21/against-perennial-philosophy/

[9] here: http://www.radikaliai.lt/radikaliai/3263-lennart-svensson-the-i-am-saying-is-my-formula-for-a-more-spiritual-life-taught-to-the-man-in-the-street

[10] here: http://realneville.com/txt/you_can_never_outgrow_i_am.htm

lundi, 21 novembre 2016

Wyndham Lewis, Ernst Jünger & Italian Futurism - Paul Bingham

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Wyndham Lewis, Ernst Jünger & Italian Futurism - Paul Bingham

Robert Stark and co-host Alex von Goldstein talk to Paul Bingham. This show is a continuation of our discussion about Aleister Crowley and Aristocratic Individualism



Topics include:

How Wyndham Lewis, Ernst Jünger, Aleister Crowley, and the Italian Futurist, were individuals who existed outside the liberal reactionary/traditionalist paradigm, and viewed the world in a realist way unbiased by ideology
The cult of Positivism
Italian Futurism, how it was marginalized due to it’s ties to Mussolini, but made a major impact on the arts
How Ayn Rand was influenced by Italian Futurism
Robert Stark’s talk with Rabbit about Italian Futurism
Wynham Lewis’s Vorticist movement, his magazine Blast, and his Rebel Art Centre
The philosophy of the Vortex, which views everything as energy constantly in motion
The rivalry between Italian Futurist Filippo Marinetti and Wyndham Lewis, and how Lewis critiqued Italian Futurism for putting to much emphasis on technology
Wynham Lewis’s The Art of Being Ruled, which made the case that the artist was the best to rule, and that capitalism and liberal democracy suppressed genuine cultural elites
How the book addresses Transsexualism, and anthropological findings on the Third Sex
Kerry Bolton’s essay on Wyndham Lewis
Lewis’s relationship with fascism, how he published the book Hitler (1931), which presented Adolf Hitler as a “man of peace,” but latter wrote an attack on antisemitism: The Jews, are they human?( 1939)
The influence of war and violence on Italian Futurism
The Manifesto of Futurism
The Futurist Cookbook
Futurism is about testing what works, and rejecting traditions that don’t work
The futurist believed that every generation should create their own city, and futurist Antonio Sant’Elia’s Plan for Città Nuova (“New City”)
Paul worked on a book that was never published, “The Motor City and the Zombie Apocalypse,” about how the motor city is incompatible with human nature
The effects of global technological materialism on culture, and how technology needs the right people and culture to work
Jean Baudrillard point that the Italians have the best symbiosis between culture and technological progress
The Transhumanist concept of Cybernetics, which is rewiring the brain, and how the futurist used poetry as a precursor to cybernetics
Paul’s point that futurist movements such as cyberpunk, and Neoreaction are more focused on Live action role-playing, but are not serious about pushing the limits
The intellectual and transcendental value of LSD and DMT, Ernst Jünger’s experimentation with acid, but they are only effective if the right people use them
Paul’s point that the only real futurist are underground, and experimenting in third world countries
Aristocratic individualism, and Paul’s opinion that Ernst Jünger is the best example, and Jünger’s concept of the Anarch
Ernst Jünger’s science fiction novel The Glass Bees
Ernst Jünger’s “The Worker”

dimanche, 20 novembre 2016

Petit monarque et catacombes de Olivier Maulin

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Petit monarque                        
et catacombes
de Olivier Maulin
 

Critique de Pascal Magne

Ex: http://www.larevuecritique.fr

Olivier Maulin, né en 1969, est écrivain. Il a été sacré "Prince des poètes" en novembre 2009. Il a publié récemment  En attendant le roi du monde (L’Esprit des Péninsules, 2006), Les évangiles du lac (L'Esprit des Péninsules, 2008), Derrière l'horizon (L'Esprit des Péninsules, 2009).

maulinmoncat7361.jpgOlivier Maulin, Petit monarque et catacombes,  Paris, Balland, L'Esprit des péninsules, octobre 2009, 286 pages.


Présentation de l'éditeur.

Palais de l'Elysée, 1992. Le président Mitterrand est malade, le régime usé. Rodolphe Stockmeyer, jeune dilettante, y effectue son service militaire, entouré d'une galerie de personnages hauts en couleur. Tandis qu'éminences grises et autres chargés de mission se débattent dans les affres de la basse politique, les couloirs du palais bruissent bientôt d'une surprenante nouvelle, celle du retour imminent du roi... Après En attendant le roi du monde et Les Evangiles du lac, Petit Monarque et Catacombes mêle avec brio humour féroce, satire politique et nostalgie d'un monde antérieur à la grande catastrophe, celle du désenchantement généralisé.

La critique de Pascal Magne. - Le choc du mois, n°35, novembre 2009. 

Maulin l'enchanteur. En attendant le roi du monde, son premier roman, avait réuni dans un même élan enthousiaste les critiques littéraires Jean-Claude Lebrun de L’Humanité et Christian Authier du Figaro Magazine, avant de remporter le prix Ouest France/Étonnants Voyageurs, en 2006. Autre exploit qui n’est pas près de se reproduire : Olivier Maulin avait réussi le prodige de réconcilier Points de vue et la revue Éléments ! Chapeau bas pour quelqu’un dont le manuscrit fut tout d’abord oublié dans un tiroir par Éric Naulleau, le patron des éditions L’Ésprit des Péninsules, l’alter ego d’Eric Zemmour dans l’émission « On n’est pas couché ». Il fallut une lettre d’insultes maulinesque en diable pour réveiller l’homme de lettres de sa torpeur, qui s’exécuta ensuite de bonnes grâces après avoir reconnu le talent du bonhomme. La publiera-t-on un jour cette lettre ? Il y a prescription.

À l’heure de clore (définitivement ?) sa trilogie avec la parution le mois dernier de Petit monarque et catacombes, toujours aux éditions L’esprit des Péninsules, et de partir vers d’autres horizons littéraires, notamment le roman policier, Olivier Maulin a eu la gentillesse de bien vouloir nous livrer quelques clés pour que les lecteurs du Choc du mois ne tombent pas tous de leur chaise en le lisant pour la première fois. Avis de tempête aux lecteurs distraits : la lecture de Maulin l’enchanteur est fortement déconseillée aux pisse-vinaigre et autres fesse-mathieu, qui se piquent de littérature. Scandales, cris d’orfraies et hululements moralisateurs assurés dès la troisième page… Faut reconnaître, c’est du brutal!

Maulin, c’est la puissance de feu d’une grosse farce poétique avec des personnages échappés de Voyage au bout de la nuit, et les flingues de concours d’un A.D.G. ou d’un Michel Audiard. Avec en prime, le goût des solstices païens, des bacchanales romaines et des banquets grecs à faire rougir les zombies de la gay-pride et tous les « mutins de Panurge » du Marais et de San Francisco réunis. La quarantaine venue, notre satiriste a fait sienne la remarque de l’écrivain colombien Nicolas Gomez Davila, auteur du trop peu connu Le Réactionnaire authentique : « Dans la société qui s’esquisse, même la collaboration enthousiaste du sodomite et de la lesbienne ne nous sauvera pas de l’ennui ». Comme dirait Suzy Fuchs : « Tu sais, il faut que tu comprennes une chose, c’est qu’on n’est pas des hippies pourris qui pensent que les esprits sont tous gentils. Nous, on sait qu’ils peuvent être terribles. Pigé ? » À l’instar de Lucien, le héros qui inspire ce triptyque anarchiste et royaliste, Maulin prône dans ses romans l’harmonie dans la débauche. C’est un symposiarque qui veut bien utiliser ses vices dans ses romans pour accéder à un état qui les transcende. « Il faut mettre du rite partout, sinon on est foutus », ne cesse d’affirmer ses personnages dans ses romans.

Comme ses illustres devanciers, Olivier Maulin n’a pas le cœur sec ni le cul serré quand il écrit. Il a la plume drôle, voire acide, et un talent de dialoguiste indéniable, que lui reconnaissent même ses détracteurs les plus acharnés. Ses héros ressemblent à s’y méprendre aux clochards célestes et aux perdants magnifiques, chers à l’ami Blondin. Ils ont d’ailleurs l’insulte abondante et le coup-de-poing facile devant la connerie contemporaine, surtout quand ils ont ingurgité quelques ballons de gentiane et pintes de bière. Mais pas que… Certains de ses personnages les plus exaltés ne répugnent pas aussi à passer à l’action directe contre les marchands du temple, aux coups d’État qui finissent mal et aux restaurations royales fantasmées. Il faut dire que Maulin est ouvert à tous les fanatismes pour la résurrection du Grand Pan. Chez cet Alsacien particulièrement attachant, l’ogre rabelaisien a décidé une fois pour toutes d’écraser le cartésien. Sa famille littéraire a des racines profondes qui plongent au cœur de l’Europe buissonnière : de l’anarcho-communiste tchèque Jaroslav Hasek, écrivant le burlesque Brave Soldat Chvéïk, à l’anarcho-païen finlandais Arto Paasilinna, inoubliable auteur du Lièvre de Vatanen. Comme eux, Maulin redoute par-dessus tout le désenchantement généralisé de la société occidentale. Son remède ? « Le retour du sacré et de l’oint royal ».

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Maulin n’a jamais caché son inclination pour l’imaginaire et la langue médiévale. Qui est-il au juste? « Un chrétien paillard médiéval à la Léon Bloy, aimant le guignol et le grand style », nous a-t-il avoué après avoir vidé une bouteille d’un honnête picrate. Sous le sceau de la confidence, il a même parlé de la décadence de l’Europe, qu’il date du xve siècle, « à peu près l’époque où le peuple a cessé de danser dans les cimetières », amorçant selon lui une longue descente « vers l’ennui mortel et la civilisation bourgeoise ». Pourquoi pas, après tout… La littérature contemporaine ne l’inspire guère. Dans un récent entretien accordé à la revue Éléments, il avait même lâché, comme soulagé, qu’il n’en lisait plus pour se consacrer à présent exclusivement à la lecture de vieux ouvrages de fabrication de cloches d’églises, de livres pratiques sur l’élevage de porc et de vieux traités d’équitation à l’usage de la cavalerie française. Dont acte. Que dire de ses romans ? Il ne voit que cette phrase, de Davila toujours : « Le pur réactionnaire n’est pas un nostalgique qui rêve de passés abolis, mais le traqueur des ombres sacrées sur les collines éternelles ».

« C’est elle qui avait eu cette idée foireuse. Elle était d’origine portugaise et comme les choses n’allaient pas brillamment à Paris, elle avait pensé “rentrer au pays”. Cette conne m’avait transformé en immigré ». Le ton est donné. Avec son premier roman, En attendant le roi du monde, Maulin explorait les dédales de la tradition lusitanienne. En toile de fond ? Dom Sébastien, le roi caché qui restaurera le destin du Portugal pour établir le cinquième empire. Mais avant de se mettre en quête d’un roi qu’ils n’avaient d’ailleurs jamais eu l’idée de chercher auparavant, Romain et Ana vont échouer dans une pension de famille miteuse de Lisbonne. Rencontrer Dulce, une pétulante nymphomane, et Cécile qui aboie quand on la baise. Faire la connaissance de Pépé, un ancien colon d’Angola cloué sur son fauteuil roulant qui tape des fados à faire pleurer des bars entiers. Puis tomber sur Lucien, un grutier qui se prend pour un chaman, et parle en direct et sans intermédiaire avec le baron Roman Fédorovitch von Ungern-Sternberg. Lui, il voyage dans le monde des esprits dès qu’il fait l’amour. Le lecteur ne s’étonnera donc pas de croiser des anges pourchassés par une meute de cavaliers bouriates ni George Bush manquer de s’étrangler en avalant un bretzel. En le lisant, les puceaux pourront toujours apprendre quelques positions originales dans la partouze finale.

Prévenons les prudes derechef de jeter un voile pudique sur les pages décrivant la rencontre avec les esprits de la forêt dans le deuxième opus, Les Évangiles du Lac. Paru en 2008, ce roman d’initiation burlesque suit les pérégrinations d’un publicitaire trentenaire parisien, lassé par la vie de bureau, qui fait l’apprentissage du recours aux forêts le temps d’un week-end à Kruth, une petite bourgade des Vosges alsaciennes. Il y a aussi l’abbé Nonno, un curé de choc, en rangers, qui pensent que « c’est cuit depuis ce laïcard de Philippe le Bel », Suzy la païenne qui jette des crapauds dans les bûchers de la Saint-Jean en criant : « Tournez, tournez, cabus. Devenez aussi gros que mon cul », Fifty-Fifty « sept générations sur les rails dont trois dans le contrôle », disciple de Fourrier et mystiques du rail, un Grec, un écureuil et un simple d’esprit. Troisième et dernier tome, Petit monarque et catacombes nous plonge dans la mitterrandie finissante. Nous sommes en 1992. Rodolphe Stockmeyer, appelé deuxième classe, fils de vigneron, effectue son service militaire comme loufiat au vestibule d’honneur, au Palais de l’Élysée. La planque est bonne: il observe le président Mitterrand traîner son cancer dans un château à la dérive, en éclusant quelques bouteilles de Romanée Conti. Reste le point d’orgue, une scène qu’on lit et relit, une fois, deux fois en riant, dix fois en rêvant qu’elle se produise un jour :

« – Agence France Presse, bonjour, a dit une voix.

– Bonjour Monsieur, a répondu Pierrot. Je vous appelle pour vous communiquer une information de la plus haute importance.

– Je vous écoute.

– Alors voilà. Ce matin très tôt, il y a eu un coup d’État à l’Élysée…

Quelques secondes de silence du côté de l’AFP…

– Un coup d’État à l’Élysée ?

– C’est ça.

– Ne quittez pas.

Au bout du fil, des bruits de combiné et des murmures étouffés pendant une minute…

– Un coup d’État, donc… Vous pouvez m’en dire plus.

– Bien sûr. Avec la complicité de la garde républicaine, un petit commando dont j’ai l’honneur de faire partie a rétabli le roi sur le trône de France, à l’aube, sans tirer un seul coup de feu ni verser une goutte de sang.

– Bonne nouvelle, a dit le type. C’est une super info, les gars. Et comment il s’appelle votre roi ? Louis XXVI ?

– Bois-Bois Ier.

– Bois-Bois… Ier ? »       

 

Erik L'Homme, Des pas dans la neige

Chronique de livre :

Erik L'Homme, Des pas dans la neige

(Gallimard)

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

erik-l-homme-des-pas-dans-la-neige.gifGallimard jeunesse vient de publier une nouvelle édition de l'ouvrage d'Erik l'Homme, Des pas dans la neige. L'occasion de se replonger dans ce roman d'aventure qui détonne dans la bibliographie de son auteur.

Erik L'Homme s'est spécialisé dans la littérature jeunesse et a publié en particulier Le livre des étoiles, un succès de librairie vendu à plus de 600000 exemplaires, primé au Festival de géographie de Saint-Dié-les-Vosges et traduit en plusieurs langues. Son récit au Pakistan n'est pas, à l'inverse de ses autres publications, à classer dans le fantastique, bien que le moteur de l'histoire mobilise une créature imaginaire : l'homme sauvage.

Erik, son frère Yannick, photographe, et leur ami Jordi Magraner (aujourd'hui décédé), s'envolent il y a une vingtaine d'années à la recherche de l'homme sauvage. Celui-ci serait un hominidé autre que Sapiens et qui n'aurait pas connu notre évolution. On le retrouve dans le mythe du Yéti ou en Amérique du nord de « Big foot » mais il ne faut pas confondre le Yéti de Tintin et l'homme sauvage dont il est question ici, appelé barmanou par les Chitrali, une population du Pakistan avec laquelle l'auteur et ses acolytes vont nouer de nombreux contacts.

Le livre se dévore tellement il est passionnant. Je ne sais pas pour autant si il est tellement adapté aux jeunes lecteurs étant donné qu'Erik L'Homme décrit des territoires inconnus et s'autorise des digressions un peu complexes autant sur la géopolitique, la décroissance ou notre regard occidental sur le monde. Il sera assez adapté à des lycéens ou à des collégiens déjà éveillés. Les adultes ne s'ennuieront pas bien que certains critiques semblent trouver le récit un peu trop descriptif.

L'ouvrage nous rappelle d'emblée que « […] tout est affaire de regard, du regard qu'on porte sur le monde. » et c'est de cela dont il est question ici. D'une aventure qui peut paraître assez folle mais qui va pourtant permettre à nos trois protagonistes de découvrir qui ils sont. Ces trois Occidentaux, isolés dans des territoires hostiles, souvent à une haute altitude, à l'écart du confort moderne et confrontés à des populations aux langues, aux traditions et donc aux représentations très différentes nous adressent une leçon d'humilité. Loin de vanter un monde gris et sans âme, Des pas dans la neige nous narre un monde fragile où la diversité des cultures enracinées fait la richesse de notre planète. Une diversité souvent fragile et conflictuelle, en particulier en raison de l'islam. La survie du peuple Kalash par exemple, auquel Jordi Magraner va ensuite dédier sa vie avant d'être tué le 2 août 2002 par les talibans, se pose clairement dans l'ouvrage.

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L'esprit qui anime les trois protagonistes nous rappellera Sylvain Tesson, c'est à dire ce type d'hommes qui vivent en marge de l'aventure. Comme l'écrit Erik L'Homme, « c'est aujourd'hui dans les marges, j'en suis persuadé, que se dissimulent les derniers hommes libres. ». Les chemins noirs de Tesson dans notre hexagone vont dans le même sens que les pas dans la neige d'Erik L'Homme.

Que sont ces pas ? Ceux d'un « homme sauvage » insaisissable, nous rappelant qu'au final, l'homme n'a pas simplement domestiqué la faune et la flore depuis le néolithique mais qu'il s'est domestiqué lui-même. Le barmanou, si il existe, mais les témoignages récoltés plaident en faveur de cette thèse un peu loufoque, incarne cette liberté sauvage des premiers hominidés. Nos plus lointaines origines, bien avant les impôts ou le recensement et plus encore avant les supermarchés et les bouchons sur les autoroutes. Cette quête est celle d'une liberté retrouvée, mais cette liberté a un prix : la fragilité de l'existence. Les conditions de vie difficile, l'absence de la médecine, se font ressentir et nos amis en sauront quelque chose.

ErikLHomme.jpgL'ouvrage d'Erik L'Homme nous prouve qu'il est encore possible de faire des choix, de vivre une autre existence, une existence qui n'est accessible qu'à quelques uns. Mais l'ouvrage ne saurait se résumer à cela et il s'agit d'une enquête menée avec sérieux, notamment par Jordi Magraner. Ce dernier va d'ailleurs publier un mémoire, Les hominidés reliques d'Asie centrale (http://daruc.pagesperso-orange.fr/hominidesreliquesasiece...). Certains de ses croquis représentant le barmanou sont dans l'ouvrage. Le livre peut sonner comme un hommage à ce grand défenseur du peuple Kalash. Un peuple qui n'intéresse pas grand monde dans notre Occident pourtant si plein de bonnes âmes, toujours promptes à verser une larme pour les malheureux du « tiers-monde »...

On n'a pas de mal à deviner qu'il n'a pas du être facile pour Erik L'Homme de recomposer le puzzle de sa mémoire et de faire remonter à la surface les souvenirs enfouis, les bons comme les mauvais. Le récit est en tous les cas d'une grande cohérence, sans longueurs inutiles, sans apitoiement, sans moraline et avec une vraie dose de lucidité. La vie, la vraie, se forge dans l'épreuve, et dans toutes les aventures que nous pouvons traverser. Celles-ci démarrent souvent par un pas de côté et sont une affaire de regard. Il n'est peut-être pas nécessaire de partir au Pakistan pour vivre des aventures et être libre, mais il n'est pas possible de vivre des aventures et d'être libre si on regarde le monde en captif.

Jean/ C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

vendredi, 18 novembre 2016

George Orwell: A Life in Pictures Full Documentary

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George Orwell: A Life in Pictures Full Documentary 

George Orwell: A Life in Pictures is a 2003 BBC Television docudrama telling the life story of the British author George Orwell. Chris Langham plays the part of Orwell. No surviving sound recordings or video of the real George Orwell have been found.



Awards:
International Emmy 2004 for Best Arts Programme
Grierson Award 2004 for Best Documentary on the Arts

mercredi, 09 novembre 2016

LE VRAI VISAGE DE TOLKIEN, CATHOLIQUE ET RÉACTIONNAIRE

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LE VRAI VISAGE DE TOLKIEN, CATHOLIQUE ET RÉACTIONNAIRE

A mille lieues de l’image d’un auteur d’heroic fantasy imprégné d’ésotérisme new age et adulé par les hippies, Tolkien était avant-tout un catholique traditionaliste, anti-moderne, réactionnaire et conservateur. Pétri de latin, il a fondé son oeuvre en s’inspirant de la mythologie nordique et de ce catholicisme médiéval plein de mystères et de légendes. Marqué par la Première guerre mondiale, il restera jusqu’à sa mort fidèle à ses idéaux, trouvant refuge dans son univers pour se couper de ce progrès qu’il haïssait tant. Dans ce nouvel épisode de La Petite Histoire, Christopher Lannes vous comte la véritable histoire de l’auteur du Seigneur des Anneaux. Un visage méconnu et fascinant.


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mardi, 08 novembre 2016

Victor SEGALEN – Un siècle d'écrivain (Documentaire, 1995)

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Victor SEGALEN – Un siècle d'écrivain (Documentaire, 1995)

 

Émission « Un siècle d'écrivains », numéro 47, diffusée sur France 3, le 22 novembre 1995, et réalisée par Olivier Horn.

seg9782253160571-T.jpgMise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant.

Site officiel : http://www.arthuryasmine.com/

Facebook : http://ow.ly/ZRq2X

Tout savoir sur Segalen : https://goo.gl/UOpbHT

D’autres poètes contemporains : http://ow.ly/ONcK302Mhzb

Le reste est dans les plis du voleur : http://ow.ly/Zqubf
Blog de l'Association Segalen : http://associationvictorsegalen6.blog...

 

lundi, 07 novembre 2016

Curzio Malaparte (1898-1957): Une vie, une oeuvre [2012]

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Curzio Malaparte (1898-1957): Une vie, une oeuvre [2012]

http://le-semaphore.blogspot.fr/2015/.... http://le-semaphore.blogspot.fr/2015/.... Le 09 juin 2012, l'émission “Une vie, une oeuvre”, dirigée par Matthieu Garrigou-Lagrange et diffusée tous les samedis sur les ondes de France Culture, évoquait la vie et l'oeuvre de l'écrivain italien, Curzio Malaparte (1898-1957). Photographie : Malaparte en mars 1934, pendant son confinement aux îles Lipari. Par François Caunac - Réalisation : Anne Franchini. De cette vie ouvertement romanesque, faite de bruit et de fureur, subsiste comme une odeur étrange, de soufre, de fer incendié et de putréfaction. Infatigable travailleur et prosateur épique par excellence, Malaparte aura été l’écrivain de la violence dans l’histoire. Sa grande affaire, la guerre, livrée sous la forme d’un triptyque fameux : « Technique du coup d’état », « Kaputt », « la Peau », où il décortique à la pointe sèche, la barbarie sous toutes les coutures.


Grand séducteur et grand solitaire, Malaparte fit de sa vie, une œuvre à part entière. Il conçut une maison à la mesure de sa démesure, minimaliste et sublime, la « Casa come me », sur les hauteurs de Capri ; séjour des dieux où Jean-Luc Godard décida un beau jour de donner rendez-vous à Brigitte Bardot !

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Si Malaparte reste aujourd’hui un incompris, voire un infréquentable, il le doit sans doute à quelques sauts périlleux incontrôlés, entre fascisme et communisme. Engagé très dégagé, Malaparte laisse une œuvre qui ne cesse de proliférer. Hydre inclassable remuant les inédits, les cahiers retrouvés et les nouvelles traductions. Un auteur à suivre !…

Avec:
Maurizio Serra, diplomate
Pierre Pachet, écrivain
Bruno Tessarech, écrivain
Jean Gili, historien du cinéma
Et Karl Lagerfeld (sous réserve).
Archives INA et RAI : voix de Curzio Malaparte (1951-52).

Thèmes : Arts & Spectacles| Littérature Etrangère| Curzio Malaparte

Source : France Culture

vendredi, 04 novembre 2016

Sylvain Tesson: Sur les chemins noirs

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Sylvain Tesson: Sur les chemins noirs

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Sylvain Tesson est géographe, aventurier et écrivain. Aucun de ces trois termes n'est usurpé pour le qualifier.

Géographe, Sylvain Tesson l'est par ses diplômes – un DEA de géographie – mais aussi, et peut-être surtout, par son regard sur le monde.

Aventurier, car il a fait un pas de côté pour se rendre dans les confins du monde : la Sibérie, les altitudes de l'Himalaya et bien d'autres territoires inaccessibles.

Ecrivain, avec une vingtaine d'ouvrages dont le dernier, Sur les chemins noirs, paru en 2016 chez Gallimard, que nous allons présenter.

Sylvain Tesson a perdu sa mère et aussi l'équilibre, se fracassant huit mètres plus bas du toit où il faisait le pitre. Les deux événements, tragiques, vont agir sur lui comme un révélateur. Perdre sa mère et une partie de ses facultés quand on est un cœur aventureux, voilà deux épreuves que l'on doit surmonter. Si le deuil est inévitable, les limites physiques, elles, peuvent être repoussées. C'est ainsi qu'à sa sortie de l'hôpital, Sylvain Tesson se décide à une aventure assez banale pour un aventurier du bout du monde : traverser la France du sud-est (aux alentours du Mercantour) vers le nord-ouest (la presqu'île du Cotentin, en Normandie).

tessoncouv.gifPendant deux mois et demi, du 24 août au 8 novembre, Sylvain Tesson va parcourir ce qu'il nomme les chemins noirs, d'après le titre du livre de René Frégni, Les chemins noirs. S'appuyant sur un très sérieux rapport traitant de « l'hyper-ruralité », il va bâtir sa route grâce aux précieuses cartes IGN au 1/25000e. Une façon au passage de nous rappeler que nos cartographes ont effectué de très notables progrès depuis la guerre de 1870... Il pourrait paraître étonnant que notre écrivain baroudeur ne se soit pas aventuré sur la route du sud-ouest au nord-est, la fameuse « diagonale du vide » aujourd'hui appelée « diagonale des faibles densités », mais il n'en est rien car son objectif est de rallier la Manche pour terminer son périple du haut des falaises surplombant l'horizon maritime.

Le regard de Sylvain Tesson sur la France est, fait rare chez lui, empli de nostalgie. Témoin impuissant d'une France rurale et enracinée qui disparaît sous les coups de boutoir de l'aménagement du territoire, de l'Union européenne et de la mondialisation, ce périple constitue un témoignage nécessaire autant que cynique. Agrémenté de nombreuses réflexions personnelles et de quelques développements que ne renieraient pas la géographie libertaire des éditions l'Echapée, puisant ses références dans un panel varié de philosophes et d'auteurs comme Xénophon, Jünger, Maurras, Braudel ou Vidal de la Blache, cheminer avec Sylvain Tesson est riche d'enseignement et ne peut laisser insensible le lecteur.

Bien qu'assez court, 142 pages, on ne sait pas dire en refermant le livre si on en voudrait plus ou pas. Peu de mots suffisent parfois à capturer une réalité complexe et Sylvain Tesson est passé maître dans l'art de faire fuser ses phrases comme des balles. Véritable géographe du sensible, il porte un regard acéré sur le monde, faisant sienne une philosophie qui puise dans la géographie. Celle de Tesson a une âme, elle n'est pas la discipline parfois rébarbative des bancs de l'école ou celle des Commissaires au plan, des gestionnaires ou des économistes.

A la lecture du livre, pour ceux qui en doutent on mesure que la France n'est pas juste un territoire qui doit être compétitif et que « l'hyper-ruralité » ce concept terrible, n'est pas une malédiction ? Les croyants en la religion du progrès peuvent-ils vraiment comprendre cela ? Comprennent-ils la France éternelle ? La lecture de Sylvain tesson sonnera sûrement comme une sentence : ceux qui refusent cette France des ZAC, des ZUP, des périph' et autres stigmates sont de la confrérie des chemins noirs.

« Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques-uns à préferer disparaître dans la géographie. »

Un livre à lire et à offrir, pour que les chemins noirs de la littérature ramènent nos contemporains dans le réel. Une ode à la redécouverte de notre pays et au dépassement de soi. Un signe des temps.

Jean / C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

 

mercredi, 02 novembre 2016

Richard Millet : « Province » ou le délitement de la France

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Richard Millet: Province ou le délitement de la France

par Louis Galibert
Ex: http://www.breizh-info.com

Richard Millet, cet amoureux fou de la langue française, est devenu un écrivain maudit après la publication en 2012 de Langue fantôme, suivi d’Éloge littéraire d’Anders Breivik. Figure des éditions Gallimard, il fût contraint de démissionner du comité de lecture, tout en restant salarié. Son récent licenciement vient de le priver de salaire et de parachever la volonté de le tuer socialement.

milletprovince.gifCela n’a pas réussi à tarir sa production littéraire, ni à le priver de son talent. D’autres éditeurs à l’esprit libre, Pierre-Guillaume de Roux, Fata Morgana, Léo Scheer, L’Orient des livres, Les Provinciales,  publient ses dernières oeuvres. Province, roman sur le délitement de la société française, est la dernière en date.

Ce roman s’inscrit, comme le dit son titre, dans la veine provinciale de Richard Millet, mais aussi dans son obsession des femmes et de leur mystère. Son personnage principal, l’écrivain parisien Saint-Roch de son vrai nom Mambre, revient dans sa ville natale d’Uxeilles. De l’aveu même de Richard Millet, il s’est inspiré d’Ussel pour créer cette ville imaginaire, métaphore de la société française contemporaine.

Uxeilles se divise en trois parties, la ville haute plus riche et bourgeoise, la ville moyenne intermédiaire et la ville basse plus populaire. C’est par cette dernière qu’arrivent les turcs, image de l’immigration de remplacement, avant de progresser dans les autres quartiers. Sa population se partage entre les  » Océaniques « , ouverts aux influences atlantiques, et, parce qu’ils font profession de s’opposer aux musulmans, les  » Lépantistes « . Uxeilles représenterait un conservatoire moribond des traditions françaises.

C’est dans ce cadre que va se dérouler la nouvelle vie de Saint-Roch – Mambre. Elle nous sera contée à travers les yeux et témoignages d’un petit milieu local, intrigué par son retour, qui l’a plus ou moins connu avant son exil parisien. Est-il là pour « baiser le plus de femmes possible » selon un mot qui fait le tour de la ville? A t-il l’ambition d’écrire le roman local toujours attendu à la manière de Jouhandeau et de damer le pion aux gloires littéraires locales?

Les discussions de ces divers protagonistes permettent à Richard Millet de décrire la vie d’aujourd’hui, tel que les ravages de la société de consommation et de l’individualisme : «  trois générations sacrifiées sur l’autel du bien-être européen et de la liberté personnelle, de l’égoïsme, du reniement de soi, de la consommation déculpabilisée des plaisirs. « . Par un groupe de jeunes, qui se baptisent les chevaliers, qui  « voulaient perfectionner un nihilisme non comme un accomplissement du narcissisme mais comme une critique, par l’absurde, de la société contemporaine« , il montre l’impasse qu’affrontent les générations montantes.

En contrepoint, nous assistons aux multiples conquêtes féminines du revenant, qui finissent par phagocyter le récit.

Au final, Richard Millet nous offre un roman au style éblouissant, comme à son habitude. Mais cette Province, qu’on peut croire le refuge de la France  profonde, n’incite pas à l’optimisme, pour l’avenir.

Louis Galibert

Province, Richard Millet, Éditions Léo Scheer, 336 pages, 19 euros (à commander en cliquant sur l’image ci-dessous) :

mardi, 01 novembre 2016

A propos de Tolkien Entretien avec Nicolas Bonnal

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A propos de Tolkien

Entretien avec Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

28 octobre 2016 – Certains auteurs mérite d’être visités et revisités, et ils méritent d’être appréciés d’une manière originale en fonction d’une époque qui n’est pas la leur, et pourtant directement en connexion avec cette époque. Les plus grands auteurs du temps passé, s’ils sont vraiment grands, méritent d’être réinterprétés à l’aune de l’époque infâme et catastrophique que nous vivons. C’est évidemment le cas de Tolkien, cet Anglais qui inventa un monde extraordinaire venu d’un passé mythique dont lui seul avait la clef ;  et qui (Tolkien), par conséquent, s’adresse aussi et encore plus directement à notre époque pour nous mieux faire comprendre ce  qu’elle a d’infâme et de catastrophique.

Donc, Tolkien... Il y a quelques temps, saluant l’arrivée de Nicolas Bonnal avec ses Carnets, je présentais la préface que j’avais écrite pour son livre Le salut par Tolkien (éditions Avatar), qui est une réédition, et en fait une réécriture de son livre de 1999. J’avouais d’ailleurs ma faible connaissance de Tolkien, ce qui est une faiblesse sans aucun doute. Alors, voici quelques questions à Bonnal pour qu’il nous parle de Tolkien, de Tolkien par rapport à notre époque surtout, pour compléter cette préface qui parlait trop peu de Tolkien alors qu’elle introduisait un livre sur le sujet. Cette fois, voici l’auteur qui nous parle de Tolkien, et cela n’est pas inutile, en aucune façon.

Propos sur Le salut par Tolkien

bonnal.jpgQuestion : Pourquoi ce nouveau livre sur Tolkien ?

Nicolas Bonnal : J'aime réécrire mes livres. Je réécris dix fois un article avant de l'envoyer. C'est pour cela qu'ils sont cités et repris, et en plusieurs langues. Je l'ai fait pour Mitterrand ou pour le Graal. Mais aussi pour d'autres raisons plus eschatologiques. Nous vivons des temps affreux sur le plan intellectuel et moral. Alors je réécris Tolkien pour défier l'époque et compléter l'autre, qui parut en 1998, et fut traduit en plusieurs langues, dont le russe et l'ukrainien. Tolkien a bien dénoncé son époque dans sa correspondance, y compris et surtout les Alliés. Pour lui l'homme moderne est facilement un orque.  Il dit à son fils que l'aviation est le vrai méchant de la Guerre. Il est aussi catastrophé par la dévastation de l'Allemagne et par la  prise soviétique de Berlin, avec les quinze millions de réfugiés. Tout cela je le cite bien. Je rappelle aussi qu'il adore son pays, mais qu'il déteste l'empire britannique, le Commonwealth et l'Amérique, avec son commerce, son féminisme, sa matrice universaliste et niveleuse. Tout cela je voulais le répéter. Tolkien défend l'Europe traditionnelle contre le monde moderne, d'où mes références à Guénon qui éclaire son symbolisme crypté.

Question : Vous le rapprochez de Bédier, de Chrétien de Troyes, de Virgile ?

Nicolas Bonnal : Oui, le plan nordique ne marche pas toujours pour éclairer Tolkien. Virgile ou Ovide très bien, Chrétien de Troyes très bien. Il faisait ses discours comme ça en grec et en latin. Il y a cette influence des sagas ou du très bon Beowulf, mais j'ai voulu moi la rattacher aussi à la tradition gréco-latine. Ma femme Tatiana a trouvé un passage des Deux Tours où les hobbits sont perdus en Ithilien. Cette Ithilien est l'Italie avec sa belle végétation. Le lieu magique, la chevalerie, les chansons, tout cela je le relie bien sûr à la chanson de geste. On pourra toujours contester le procédé, pas le résultat.

Question : Vous célébrez la femme et la guérison...

Nicolas Bonnal : Oui. La femme elfique guérit le monde par son chant, ses manières, sa nourriture, ses drogues. Tolkien a sublimé l'image féminine, et j'ai trouvé important d'insister sur ce point. En même temps elle est capable d'aller au combat. Mais Tolkien dénonce aussi la femme moderne dans l'histoire de Sylvebarbe (le mot Ente est chez Chrétien de Troyes), la casse-pieds de service. J'ai repris Guénon et ses symboles de la science sacrée pour éclairer le rapport magique à la végétation. Sa vision thaumaturge de la littérature et du conte initiatique d'origine germanique et romantique rejoint cette belle image de la femme thaumaturge. D'où mes rappels de Novalis.

Question : Et son catholicisme ?

Nicolas Bonnal : Il a été catastrophé par Vatican II. Il écrit que pour lui en tant que chrétien l’histoire ne peut être qu'une continuelle défaite avant la parousie. Ce catholicisme pessimiste est le mien, et rompt bien sûr avec l’optimisme bidon qui tourne aujourd'hui à l'opérette chez les cathos bourgeois. Il sert le propos lugubre des deux grands livres, qui rejoignent la tragédie ou le Fatum. Le retour du tragique païen avait aussi été souligné par le catholique Domenach après la guerre.

Question : Pourquoi le monde de Tolkien est-il tombé si bas ?

Nicolas Bonnal : A cause de Hollywood et des effets spéciaux, qui ont tué le cinéma, disait Joe Mankiewicz. A cause du consumérisme et de la bêtise ambiante, qui adore les monstres sur fond de satanisme de masse. A cause de la pesanteur de l'homme moderne contre laquelle il s'est élevé lui, le britannique d'origine germanique de tradition catholique traditionnelle. J'ai été surpris par l'article du Monde, qui en marge de la dérive désastreuse de ce journal (qui avait toujours recensé mes ouvrages), tape sur l'exploitation et la destruction de son œuvre par le commerce, ce chancre du monde, comme dit Ferdinand. C'était prévisible. Ses monstres venus de Beowulf (voyez mon analyse via le critique Botkine) et autres avaient tout pour séduire le commerce de cette époque immonde.

Question : Un mot optimiste pour terminer ?

Nicolas Bonnal : Le salut par Tolkien !

lundi, 31 octobre 2016

Entretien avec Juan Asensio

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Entretien avec Juan Asensio

Propos recueillis par Romain Bouvier, Président du Club Roger Nimier

Juan Asensio, pouvez-vous, s’il vous plaît, vous présenter à nos lecteurs en quelques mots?

Je suis né en 1971 à Lyon, où j’ai passé les 30 premières années de ma vie. J’y ai suivi une formation, très classique, de lettres modernes et de philosophie, d’abord à l’externat Sainte-Marie jusqu’en classe de khâgne que j’ai cubée, ensuite à l’université Jean Moulin Lyon 3, y poursuivant ma formation jusqu’en thèse que j’ai abandonnée très vite. Mon directeur de l’époque, Monique Gosselin-Noat, ponte des études bernanosiennes ayant participé à la nouvelle édition des romans de Bernanos dans la collection de la Pléiade, m’avait en effet donné à traiter un sujet dont je ne voulais absolument pas (la figuration du diable dans les romans de Julien Green, François Mauriac et Georges Bernanos) et qui… avait déjà fait l’objet d’une thèse vieille d’à peine deux ou trois ans au moment où j’entamais mes propres recherches ! C’était, au mot près, le sujet qu’elle m’avait d’office demandé de traiter qui avait été disséqué en quelque deux énormes volumes. J’ai piqué une sacrée colère contre tant d’incompétence crasse, et ai écrit puis téléphoné à notre mandarine. Lorsque je lui ai fait part de ma découverte, elle m’a tout stupidement répondu que je n’avais qu’à prendre le contrepied exact de ladite thèse ! J’ai donc gardé, comme vous vous en doutez, une très piètre opinion des universitaires, censément des universitaires bernanosiens qui d’ailleurs me le rendent bien, puisqu’ils ne citent pas mes travaux dans cette nouvelle édition des romans de Bernanos. Que voulez-vous, la petitesse se venge toujours petitement… J’ai aussi passé une année, fort oubliable, au Celsa, afin de voir de l’intérieur si je puis dire à quoi ressemblait l’enseignement délivré en matière de journalisme et, ma foi, je n’ai pas été déçu quant à la médiocrité abyssale, forcément partisane (de gauche bien sûr) de cet enseignement. J’ai créé en mars 2004 Stalker, alors que je travaillais dans une salle des marchés et que Maurice G. Dantec se faisait traîner dans la boue par les journaux à prétentions humanistes habituels. Il s’agissait de trouver une façon de répondre aux invectives à moraline lui reprochant d’avoir osé échanger quelques messages avec le Bloc identitaire d’une poignée de journalistes aussi prestigieux qu’un certain Philippe Nassif (de Technikart je crois), et un de mes collègues de bureau, informaticien, me suggéra ainsi de créer un blog. Très vite, Stalker a fait des émules dans ce qui ne s’appelait pas encore la blogosphère, mais aucun de ces blogs nés en deux minutes n’a survécu plus de quelques mois, voire années pour les meilleurs. Depuis cette époque presque préhistorique à l’échelle de la Toile, mon blog est devenu riche de quelque 1 500 notes, pas toutes écrites par moi d’ailleurs, et est très lu, puisqu’il engrange entre 30 et 40 000 visiteurs uniques par mois, pour 100 à 200 000 pages vues par mois. J’ai donné la possibilité à mes lecteurs de me verser des dons via Paypal, ce qui me permet d’acheter la plupart des ouvrages que j’évoque sur mon blog, même si j’en reçois quelques-uns en service de presse, à condition que je les demande toutefois. Il s’apparente désormais à un véritable labyrinthe et c’est ainsi très vite que je l’ai surnommé la Zone, référence évidente à l’un des chefs-d’œuvre de Tarkovski. J’ai aussi réussi à publier quelques ouvrages de critique littéraire et un bouquin étrange sur Judas Iscariote, en 2010, aux éditions du Cerf. J’emploie à dessein le terme « réussi », car désormais tout le monde se fiche de la critique littéraire, à commencer par les éditeurs, puis par les journalistes, les libraires et, en bout de chaîne, le public. Il m’arrive de collaborer à quelques revues, dont Études, alors que j’ai publié des articles dans La Revue des Deux Mondes ou bien encore L’Atelier du roman. Je ne supporte plus toutefois le principe, très lourd et donc si peu rapide et agile, de ces revues, qui ne vous paient que fort rarement, et des sommes ridicules, alors qu’il faut bien souvent essuyer un refus par quelque couillon illettré appartenant, Sésame, ouvre-toi !, au sacro-saint comité de lecture.


danteccig.pngA la création de votre blog, Stalker, vous avez donc pris la défense de Maurice G. Dantec ? Serait-il un des rares auteurs contemporains qui puisse trouver grâce à vos yeux de critique acerbe ?

J’ai pris sa défense, oui, car les imbéciles qui l’attaquaient, et qui n’avaient probablement pas lu une seule ligne d’un seul de ses romans, ont pour habitude de chasser en meute, comme tous les lâches. J’ai beaucoup lu Dantec, quoique tardivement, n’y étant venu qu’avec réticence car alors (nous étions en 2003), il était un auteur polémique qui faisait beaucoup parler de lui. C’est après avoir fait paraître dans La Revue des Deux Mondes un long article sur Villa Vortex, un roman monstrueux ridiculisé en deux lignes stupides (dans la rubrique Sifflets, je crois, du Nouvel Observateur) par Jean-Louis Ezine qui n’avait à l’évidence pas lu ce livre, que Dantec et moi avons commencé à échanger. L’avait en effet frappé, dans l’article en question pour lequel il me félicita très chaleureusement, le fait que j’y annonçais sa conversion au catholicisme, qui avait eu lieu quelques mois après la parution de ce texte. J’ai continué à lire Dantec, mais mon intérêt pour ses textes (les excès divers et variés du personnage m’ayant toujours laissé de marbre) a décru assez vite. Je l’ai même défendu contre la poignée de crétins mononeuronaux qui, alors, l’entouraient, et derrière le ridicule rempart de laquelle il vitupérait, assez grossièrement, contre le monde tel qu’il ne va pas. Maurice G. Dantec n’est pas un styliste de la langue française, c’est le moins que l’on puisse dire, mais il y avait toujours, même dans le plus mauvais de ses romans, des traits de fulgurance, des intuitions métaphysiques mélangées à des facilités indignes d’une rédaction d’écolier de 13 ans. M’avait alors surtout frappé son aptitude, dans les deux premiers tomes de son Journal, à évoquer des auteurs (Dominique De Roux, Ernest Hello, Léon Bloy, etc.) dont plus personne ou presque n’osait parler, et cela me frappa. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts comme on dit, et je n’ai plus de nouvelles, ni d’ailleurs ne cherche à en prendre, pour être tout à fait honnête, de Dantec, qui est du reste à ce que j’en sais assez mal en point, même si sa santé a toujours été vacillante. La dernière fois que je l’ai vu, à Paris, il était méconnaissable, et m’a serré la main en pleurant, peut-être parce qu’il avait fini par comprendre que je l’avais défendu contre vents et marée, y compris contre son propre comportement destructeur et paranoïaque. C’est du passé. Je ne suis même pas parvenu à lire plus de quelques pages de son dernier roman, Les Résidents, resté totalement inaperçu, alors que la moindre de ses déclarations, bien souvent infantiles, déclenchait des spasmes le plus souvent ridicules sur beaucoup de sites, de forums et sur les blogs au début des années 2000. En tout cas, nul ne pourra jamais me reprocher de ne pas avoir pris Maurice G. Dantec, en tant qu’écrivain, au sérieux.

Je réponds à la seconde de vos questions : beaucoup d’auteurs vivants trouvent grâce à mes yeux, qu’ils soient Français (Marien Defalvard, Pierre Mari, Christian Guillet, Guy Dupré, Jean Védrines, Serge Rivron) ou bien étrangers et là, force est de constater que la liste est tout de même plus conséquente : Roberto Calasso, Claudio Magris, Jaume Cabré ou Javier Cercas même si m’enquiquine leur côté « habiles techniciens du roman », Cormac McCarthy dont la lecture a été un choc, le très singulier László Krasznahorkai ou, disparu il y a quelques années, le génial Roberto Bolaño.


En tant que critique littéraire (et lyonnais d’origine de surcroît), que pensez-vous de cette formule que l’on prête à François Mitterrand à propos de l’œuvre romanesque de Rebatet : « Il y a deux sortes d’hommes : ceux qui ont lu Les Deux Étendards, et les autres » ?

scheveningen-35754.jpgAbsolument tous les reproches, et les plus durs, peuvent être faits à François Mitterrand, mais enfin, c’était un assez bon lettré, aimant comme vous le savez passionnément l’œuvre d’Ernst Jünger, qu’il connaissait personnellement. Je me souviens d’avoir lu qu’il reprocha un jour à un certain Alain Juppé qui joue aujourd’hui les revenants arrogants, de ne pas connaître Paul Gadenne. S’il n’y avait qu’Alain Juppé qui ignorât l’auteur de La plage de Scheveningen, l’un des plus beaux et grands romans du siècle passé ! Qui connaît encore, hélas, le profond et tourmenté Paul Gadenne ? Certainement pas le crétin hollandais, dont on se demande même s’il a jamais entendu parler d’un mot aussi bizarre et incongru que celui de « littérature » ! Quoi qu’il en soit, j’ai lu Rebatet jeune, trop jeune peut-être et, comme tant d’autres auteurs, il me faut à présent le relire, alors qu’il semble jouir d’une certaine actualité, du moins éditoriale, qui ne s’est pas encore vraiment étendue à des auteurs comme Brasillach (évoqué par Gadenne, qui fut son condisciple en khâgne, dans le roman que j’ai indiqué, sous les traits d’un personnage du nom d’Hersent), Brasillach dont il faut lire Notre avant-guerre, ou bien le pestiféré Abel Bonnard, dont Les Modérés sont une radiographie de la France politique encore pertinente. Je me souviens en tout cas d’avoir estimé, du haut de mes 14 ou 15 ans, que Les Deux Étendards, roman au titre génial, disséquait la France de l’entre-deux guerres avec une profondeur spirituelle absente des romans de Céline, et ce seul souvenir me donne envie de relire ce roman qui avait la réputation, il n’y a pas si longtemps que cela, d’être maudit. Par ailleurs, j’allais, quelques années plus tard, retrouver le nom de Rebatet sous la plume de George Steiner, qui n’a jamais cessé de clamer son admiration pour ce roman, tout en traitant son auteur de salopard. J’ai d’ailleurs commencé ma relecture des Décombres qui vient d’être réédité, après avoir aussi relu le Rebatet de Pol Vandromme et en faisant un crochet par Les Réprouvés d’Ernst von Salomon, décrivant la nécessité d’une refondation de l’Allemagne humiliée par les sanctions des alliés et rongée par la gangrène communiste que les corps francs tentent de contenir, voire d’éradiquer. Il n’est donc pas étonnant que Lucien Rebatet, de même que d’autres qui ont décrit la complexité d’une époque où la France cherchait une forme de renaissance politique tout autant que sociale, voire spirituelle, intéresse et même fascine de nouveau, y compris les jeunes si on leur apprend encore à lire, maintenant que notre pays traverse une crise qui sera mortelle si aucun sursaut, de réelle profondeur et pas cosmétique, ne le sauve. Et puis, à tout prendre, je préfère un jeune gars un peu borné nourri au petit lait de Charles Maurras, mais qui aura au moins lu, et avec passion, Bloy, Bernanos, Jünger, Von Salomon, Rebatet, Brasillach, Hansum ou Pasolini et quelques autres encore sur lesquels planent de vilains soupçons, plutôt qu’un crétin ripoliné fraîchement hypokhâgneux qui n’aura sucé que les mamelles desséchées de Gérard Genette et de Roland Barthes, l’esprit tout farci des fadaises naturalistes sans style de Maupassant et de Zola, et qui finira sous-pigiste à Télérama ou aux Inrockuptibles, à saluer le gras loukoum à orientalisme germanopratin goncourisé d’un Mathias Enard. La passion, l’excès, le courage, plutôt que ces sépulcres déjà blanchis rêvant carrière et petite épouse sage rencontrée à l’école et qui finira comme eux professeur dans le meilleur des cas, à l’âge où Jean-René Huguenin savait qu’il n’égalerait jamais Rimbaud et Carlo Michelstaedter se tirait une balle dans la tête après avoir écrit le dernier mot de sa Persuasion et la rhétorique !

Il n’en reste pas moins que François Mitterrand exagère quelque peu car enfin, il est tout autant possible d’affirmer qu’il y a deux sortes d’hommes : ceux qui ont lu La persuasion et la rhétorique justement, mais aussi ceux qui ont lu Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, Nostromo de Joseph Conrad, Absalon, Absalon ! de William Faulkner, ou encore Monsieur Ouine de Georges Bernanos ! Et je suis absolument certain que d’autres pourraient vous dire qu’ils ne sont plus les mêmes depuis qu’ils ont lu Shakespeare, Dostoïevski, Stevenson ou bien encore Melville, ce qui est par exemple mon cas ! Et, pour finir sur une méchanceté, je n’en suis pas moins sûr que de pauvres âmes seraient prêtes à jurer qu’elles ont été appelées à une nouvelle vie après avoir découvert les textes d’Amélie Nothomb, de Yannick Haenel ou de Virginie Despentes !


Quel regard portez-vous sur l’œuvre de Roger Nimier et plus généralement sur le courant dit des « Hussards », sur lesquels, pour reprendre vos mots, planent encore de vilains soupçons dans le petit monde germanopratin ? 

grandd'espa.jpgLes Hussards sont des auteurs que je connais finalement assez peu, n’ayant lu que quelques ouvrages de Chardonne, Laurent ou Nimier, bien sûr Les Épées mais aussi Le Grand d’Espagne, qui évoque Georges Bernanos. Comme bien d’autres (je songe ainsi à Péguy, transformé, par l’opération du Saint-Esprit sans doute, en auteur et même penseur de droite), ils ont été d’une certaine façon abâtardis, journalisés par tout un tas de leurs épigones plus ou moins inspirés, revendiqués ou pas. D’ici peu, Causeur leur consacrera un dossier, si ce n’est déjà fait, et c’est ainsi qu’ils seront happés et hachés menu, puis accrochés au plafond, au milieu d’autres andouilles d’appellation et d’origine contrôlées comme Philippe Muray, devenu le saint patron de la Réaction puérile à laquelle nous assistons. Très peu pour moi que cet eczéma purement journalistique, que quelques petits Mohicans attendant les Cosaques et une paire de jolies fesses, y compris celles du Saint-Esprit, gratteront en croyant découvrir des cavernes d’originalité. Il me semble, au cas où vous me poseriez cette question, que l’esprit des Hussards a survécu plus qu’il ne survit, car il semble désormais bien mort, le temps où une seule phrase, aiguisée comme le morfil d’une dague, pouvait d’un trait précis clouer une vieille chouette radoteuse. Le dernier rétiaire de ce genre, altier et redoutable, même s’il a parfois trop donné dans un hermétisme littéraire de pacotille, était Dominique de Roux, et un livre tel qu’Immédiatement, publié aujourd’hui, vaudrait à son auteur une bonne quinzaine de procès, et une chasse à l’homme en règle, qu’il eut d’ailleurs à subir de son vivant. Je songe aussi à l’exemple tragique et lumineux de Jean-René Huguenin, mort en 1962 comme Nimier, également dans un accident de voiture. Je songe encore à Guy Dupré, hélas si profondément méconnu voire ignoré par nos élites littéraires ou ce qui en tient lieu, lequel d’ailleurs a écrit un de ses textes si subtils et profondément littéraires sur Sunsiaré de Larcône (recueilli dans Les Manœuvres d’automne), une belle femme que tout Hussard a dû tour à tour envier et maudire au moins une fois !


Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la figuration du démoniaque dans la littérature ?
Sous le soleil de Satan a-t-il été l’ouvrage amorçant votre intérêt pour ce thème et plus spécifiquement, pour l’œuvre complète de Georges Bernanos ?

J’ai découvert Georges Bernanos, comme beaucoup de lecteurs je suppose, via l’adaptation que Maurice Pialat avait réalisée du premier de ses romans. C’est dans mon cas assez étonnant car je ne savais jusqu’alors rien de celui que Nimier surnomma le Grand d’Espagne, alors même que je me trouvais dans un établissement catholique depuis ma classe de septième. Le film de Pialat fut un choc même si par la suite, lisant le roman en question, le relisant et lisant tout ce qu’avait écrit Bernanos et tout ce qui avait été écrit sur lui, je me rendis vite compte que cette adaptation était assez infidèle, à la lettre du roman bien sûr, mais, plus grave, à l’esprit même de l’écriture bernanosienne. Peu importe du reste, car Pialat s’est montré, pour le coup, authentiquement bernanosien en levant le poing, tout le monde se souvient de ce geste crâne, face aux connards qui le sifflaient.

ouine.jpgMon intérêt pour la figuration littéraire du démoniaque n’a pu être que conforté par la découverte de l’œuvre romanesque de Georges Bernanos, qui devait culminer par la lecture de Monsieur Ouine, réputé, à juste titre, comme étant le roman le plus difficile de l’auteur et qui, du diable et du démoniaque, donne une peinture absolument fascinante. J’ai tenté d’éclairer de plusieurs façons ce roman, par exemple en le rapprochant de l’hermétisme démoniaque tel que le développe Kierkegaard ou bien en en proposant une lecture comparée avec Cœur des ténèbres de Joseph Conrad, par le biais de l’étude de la voix des personnages principaux, Kurtz et l’ancien professeur de langues, tous deux maîtres d’un langage dévoyé. Bien évidemment, aucune mention de ces travaux (et d’autres, comme l’influence plus ou moins souterraine d’Arthur Machen sur Sous le soleil de Satan, par le biais de la si belle traduction que Paul-Jean Toulet donna du Grand Dieu Pan) dans la nouvelle édition des œuvres romanesques de Bernanos en Pléiade mais, comme c’est Monique Gosselin-Noat qui a été chargée par Max Milner de l’édition de Monsieur Ouine, il ne fallait certes pas s’attendre à ce qu’elle mentionne autre chose que ses petites fadaises universitaires !

La découverte de l’œuvre de Bernanos puis, dans le foulée, de celles de Barbey, Bloy et Hello, mais aussi Huysmans et quelques autres décadents de moindre importance comme Jean Lorrain ou Remy de Gourmont, n’a pu que creuser mon questionnement sur le démoniaque en littérature, mais pas en être la source, qui doit plutôt remonter à ma découverte, assez jeune (en cinquième ou quatrième je pense) des romans de Dostoïevski, de Stevenson ou de Faulkner et, avant eux encore, de telle pièce indiciblement noire de Shakespeare, Macbeth, dont la dernière adaptation cinématographique m’a fait l’effet d’un joli clip aux lumières bien léchées. J’ajoute à ces quelques noms ceux de Rimbaud et de Baudelaire, que je n’ai jamais cessé de relire depuis que je les ai découverts.

C’est peu dire, en tout cas, que cette thématique m’a fasciné et me fascine encore, l’un des jalons de son approfondissement ayant été la lecture intensive et, je crois, intense, de Sören Kierkegaard en classe de terminale qui, vous le savez, a beaucoup médité et écrit, et puissamment comme il en va toujours avec cet horrible génie, sur le thème du démoniaque. Ensuite, puisqu’il me fallait remonter aux sources, j’ai lu tout ce que je pouvais lire concernant le démon, non seulement bien sûr les textes sacrés de la tradition judéo-chrétienne, écrits intertestamentaires et apocryphes inclus, mais tous les traités (du moins, ceux qui bénéficient d’une traduction française) de démonologie, comme le Malleus Maleficarum ou Marteau des sorcières d’Institoris et Sprenger ou encore le beau Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons de Pierre De Lancre. Je devais aussi rencontrer le Père Chossonnery, exorciste du diocèse de Lyon, avec lequel j’eus un long entretien.

C’est je crois cette plongée en eaux troubles qui m’a donné pour habitude d’établir des liens, que je crois la plupart du temps originaux, entre des romans qu’a priori rien ne rapproche et, en tout cas, qui me permet de lire des textes en comprenant, assez vite tout de même, leur profondeur, ou bien, a contrario, leur absence de profondeur. Un grand écrivain est d’abord un grand lecteur, certains cas, comme celui de Michel Houellebecq étant plus difficiles que d’autres à caractériser, car voici un grand lecteur qui n’est pas un grand écrivain, tout comme Dantec d’ailleurs, même si leurs styles respectifs sont fondamentalement différents. Quoi qu’il en soit, appelons cela mon péché mignon, je continue à lire tout ce qui paraît, à condition que les textes soient sérieux, sur le diable ou le démoniaque, et à relire les grandes œuvres romanesques d’un Dostoïevski ou d’un Melville, dont la grandeur même provient essentiellement du fait qu’elles proposent une vision du Mal.


Le grand lecteur que vous êtes a-t-il pour projet de devenir un jour écrivain, j’entends par là, en publiant un roman ?

Je n’ai aucun projet littéraire d’aucune sorte, surtout pas celui de devenir, comme tant d’ambitieux dont le talent est inversement proportionnel à la surface de léchage de leur langue, ceci ou cela. Publier un roman me dites-vous… Mais à quoi bon puisqu’il s’en publie plusieurs centaines lors de chaque rentrée dite littéraire et que, dans le meilleur des cas (c’est bien évidemment une hypothèse aussi loufoque qu’impossible !), je devrais accepter que mon roman soit lu, jugé même par une Virginie Despentes admise récemment au jury du Goncourt ? Je doute fort de jamais publier un roman en bonne et due forme, car je sais rester à ma place, et celle-ci est celle d’un critique littéraire. Or, la critique littéraire, naguère florissante, est un art aujourd’hui mourant, si ce n’est mort, du moins en France. Je ne parle certes pas de la critique universitaire, bien souvent totalement stérile et confidentielle, ou de la critique journalistique, résolument eunuque, consanguine et inculte, mais d’une critique d’auteur, passionnée, forcément partiale et qui, sans jamais copier les journalistes et les chercheurs, emprunte certaines de leurs techniques. Et, surtout, qui n’hésite jamais à appeler un chat un chat et une rinçure, selon le terme de Rimbaud, une rinçure, car, contrairement à nos amis journalistes, je ne dois rien à personne, je suis libre de chacun de mes propos, et je me moque des coteries qui font et défont les réputations, et même les carrières, du moins en matière d’édition et de journalisme.

patrice-trigano-l-oreille-de-lacan.jpgTenez, j’ai récemment pointé, dans un long article fouillé, les très étranges coïncidences, selon le terme pudique employé par ces temps de judiciarisation de la vie française, entre Soumission de Michel Houellebecq et le roman d’un auteur bien moins connu que ce dernier, L’Oreille de Lacan de Patrice Trigano. Pas un seul, je répète, pas un seul de nos si valeureux journalistes, pourtant si friands de polémiques parfois inventées de toutes pièces, n’a repris l’information, ne serait-ce que pour refaire à son compte ma petite enquête, l’infirmer ou la confirmer. Or, n’ai-je pas été, en l’occurrence, une espèce de lanceur d’alerte, expression à la mode écologiste, dans cette affaire ? Rien, silence total, typiquement journalistique. Puis j’ai bien trop de respect pour les romanciers, du moins les vrais romanciers, pour que je tente de les parodier, à une époque où n’importe qui, même ma boulangère et Raoul sur sa tire, Virginie Despentes et Yann Moix, peuvent être et même sont, paraît-il, des romanciers, célébrés comme tels, accueillis par tous les journalistes qui, même s’ils osent critiquer du bout de leur clavier tel ou tel aspect de leurs nullités, ne s’en tiennent pas moins à carreau. Virginie Despentes, comme je l’ai dit, vient même de rentrer dans le jury du Prix Goncourt qui, il est vrai, a récompensé sans le moindre sentiment de honte et même avec fierté je le suppose, cette année et l’année passée, deux nullités, Pas pleurer de Lydie Salvayre et Boussole de Mathias Enard. Il est vrai qu’il ne faut s’attendre à strictement rien, avec Bernard Pivot et Pierre Assouline, mais enfin, nous aurions pu estimer qu’il leur restait, à tout le moins, le sentiment du ridicule ! Moi, à mon niveau, modestement mas pas moins résolument, je remplis le rôle d’office de vigie dont parlait Sainte-Beuve, mais c’est aux romanciers, s’il en reste vraiment en France plus qu’une toute minuscule poignée, d’écrire de bons romans, pas à moi !


Parmi les auteurs vivants qui trouvent grâce à vos yeux, vous n’avez pas cité Marc-Édouard Nabe… Était-ce une omission volontaire de votre part ?

Bien sûr. Hormis Alain Zannini, aucun des textes de Nabe n’a trouvé grâce comme vous dites à mes yeux, et certainement pas celui par lequel les béjaunes ont parfois découvert Léon Bloy, Au Régal des vermines. Je ne lis plus Nabe, comme je ne lis plus Dantec, comme je ne lis plus Soral et comme je ne vais pas tarder à ne plus lire Houellebecq. J’ai en tout cas relu ce texte de gamin fort en thème ou plutôt, point trop mauvais en thème, il y a quelques années, et il m’a frappé par la remarquable platitude de ses harangues, de ses trouvailles, de ses envolées, de ses « analyses », de son commentaire de Léon Bloy. Tout pue la copie appliquée, écrite en tirant la langue, en plaçant au bon endroit les petites références incontournables de tout infréquentable qui se respecte. Nabe n’est pas grand-chose, sauf peut-être pour sa grouillante cohorte de lecteurs hystériques, qui veillent au ridicule de leur idole naine comme une vestale à la flamme d’allumette dont elle a reçu la garde mais, en tout cas, il n’est certainement pas comme il le prétend le plus fier sinon le seul continuateur de Léon Bloy, dont l’imprécation n’avait de sens que parce qu’elle indiquait une trame invisible sur laquelle elle se détachait comme un éclair de chaleur, vers laquelle elle faisait signe. Qui a poursuivi l’œuvre du Mendiant ingrat, en France ? Nabe clament en chœur les imbéciles, et même l’excellent Pierre Glaudes avec lequel je suis en désaccord total sur ce point. Le dernier continuateur de Bloy, qui a du moins compris les implications théologiques de son long cri de misère et de méchanceté, mais aussi de son formidable commentaire des textes sacrés et de leur application à l’histoire, c’est Louis Massignon bien sûr ! De sorte que Nabe n’est pas seulement un Léon Bloy pour crétin antisémite ou imbécile soralien, mais un surgeon nanométrique et excité comme une femelle en période de chaleur du Mendiant ingrat, débarrassé qui plus est de tout arrière-monde, comme disait Bonnefoy, transcendant. Enlevez à Léon Bloy sa constante ferveur religieuse, sa prodigieuse intuition exégétique, vous aurez Marc-Édouard Nabe, dont l’œuvre se situe quelque part entre les latrines et le boudoir.


Critiquer, c’est juger. D’où tenez-vous votre magistère ?

Belle question, la plus difficile sans doute. Je vous remercie pour commencer de poser une égalité entre la critique littéraire et le jugement, à une époque où plus personne n’ose juger un livre, et d’abord celles et ceux qui sont payés pour le faire, les journalistes. Cette question, il y a un siècle, aurait sans doute été évacuée d’un haussement de sourcil mais, aujourd’hui, à présent que l’autorité, comme l’aura selon Walter Benjamin, a fondu comme neige au soleil, le Christ lui-même, s’il revenait sur terre, aurait quelque mal à nous assurer qu’il détient la clé, c’est-à-dire la légitimité, de tout pouvoir. C’est du reste de son propre vivant que le Christ a été raillé, soupçonné, invectivé et pour fini crucifié, de la même façon que, quelques siècles plus tard, seront moqués, soupçonnés, invectivés et parfois, pour Louis XVI, guillotiné, les rois de France qui tenaient de Dieu leur pouvoir, leur légitimité. L’époque contemporaine est exactement concomitante avec une perte de la notion de légitimité, partant de magistère et d’autorité, comme nous l’enseignent les problématiques propres à la théologie politique, singulièrement les réflexions d’un Carl Schmitt, que nos penseurs et intellectuels contemporains feraient bien, et de toute urgence, de relire.

Revenons à mon très modeste cas : je ne suis pas plus que n’importe qui légitime pour dire de Mathias Enard que c’est un auteur sans intérêt, pour prétendre que les essais de Richard Millet ne valent rien, ou que Yannick Haenel n’a même pas le talent suffisant, c’est dire, pour tourner une seule page d’un livre inutile de Philippe Sollers. Je ne suis pas davantage légitime pour affirmer que ce qui est encensé par la presse, neuf fois sur dix, ne vaut strictement rien et que nos gloires journalistiques, par exemple un Pierre Assouline, se déshonorent en faisant d’une Virginie Despentes l’un des jurés du Prix Goncourt lequel, c’est vrai, ne sait plus rien du tout de l’honneur comme nous pouvons le constater par ses dernières récompenses. Tout autant, je ne suis pas moins légitime qu’un autre pour trier le bon grain de l’ivraie et assurer mon rôle, plutôt ingrat. Cette réversibilité est au moins le bon côté d’une époque comme la nôtre, qui nous autorise à être jésuite à si bon compte, et de renvoyer dos à dos les contempteurs et les thuriféraires de la légitimité, à vrai dire les thuriféraires et les contempteurs de n’importe quelle notion, puisque tout se vaut, une rinçure post-moderne traduite par l’ignoble traducteur et écrivain qu’est Christophe Claro et Absalon, Absalon ! de William Faulkner.

Je pourrais certes, après quelques minutes de recherche, multiplier les exemples historiques et montrer que tout critique littéraire digne de ce nom a au moins une fois été confronté à la problématique crucifiante de sa légitimité : qui es-tu donc, toi, pour oser critiquer un livre, mon livre ? Lisant votre question, cela a même été ma première tentation, mais je crois qu’il faut ici répondre franchement, comme je l’ai fait : rien ne m’autorise à prétendre que Faulkner, Conrad, Melville, Bloy, Bernanos, Gadenne, Sebald ou Broch sont de grands, parfois même de très grands écrivains et que tel ou tel est un nain dont les livres, pourtant salués par la presse consanguine, ne valent rien. Mais regardez un peu, maintenant que mon blog est vieux de 10 années, si je me suis beaucoup trompé sur la valeur des livres que j’ai évoqués ! Car c’est après tout la meilleure réponse que je puis vous donner : mon autorité, en matière de critique littéraire, s’appuie sur elle-même. Tautologie ? Non, car cette autorité, je l’ai cent fois, mille fois remise en jeu, dans chacune de mes notes, en prenant le risque de me tromper, en prenant le risque qu’un autre lecteur affirme, et prouve par-dessus le marché, que Richard Millet, lorsqu’il joue à l’essayiste martial ayant tutoyé le phalangiste chrétien durant la Guerre du Liban, n’est absolument pas ridicule et même convaincant sinon légitime, en affirmant par exemple, contre ce que j’en dis, qu’une virgule de Nabe vaut après tout une virgule de Bloy, ou que l’exotisme en carton-pâte de Mathias Enard n’est vraiment pas une plaisanterie pour attachée de presse germanopratine pensant que Moravagine est le nom d’un groupe de musique punk italien avant que d’être un magnifique roman de Blaise Cendrars.

Poursuivons. Tout bon lecteur se sera demandé pour quelle raison j’ai eu besoin d’invoquer le Christ en vous répondant. Orgueil démesuré ? Application des thèses, milles fois éventées désormais, de René Girard à ma petite personne sacrificielle ? J’ai évoqué l’exemple du Christ pour deux raisons. D’abord pour rattacher cette question extraordinairement complexe de la légitimité à son socle véritable qui implique, du moins pour un Occidental, un fondement surnaturel, un geste créateur qui commence la longue chaîne des causes entraînant les conséquences. Il faut bien, à un moment donné, que la concaténation soit brisée, sauf à devenir fou dans une vaine tentative de saisir la cause initiale, celle que rien n’explique et de laquelle tout provient. Cette cause est le Verbe, le Christ donc pour un chrétien. Le Christ s’est prétendu Dieu et Fils de Dieu, et c’est cette prétention inouïe, en fondant son magistère, qui lui a conféré une autorité à nulle autre pareille, dont le phénomène du leader charismatique analysé par le regretté Jean-Luc Evard n’est que le plus récent des surgeons, certes dévoyés.

Tout autant, ce même bon lecteur aura compris qu’il y a en somme, dans tout exercice honnête de critique littéraire, et à condition bien sûr qu’elle se sépare (sans du moins les ignorer) des petits jeux universitaires, de tout ce que Merleau-Ponty appelait les langages seconds, une dimension de risque, une « corne de taureau » à laquelle il faut s’exposer selon Michel Leiris. Pour le dire autrement, si le critique littéraire est un juge auquel il est impossible de demander d’être impartial, il est aussi celui qui assume sa responsabilité, qui prend sur lui, comme le dit cette merveilleuse expression, son propre jugement, le fonde par son autorité et son exemplarité et, d’une certaine façon point si imagée que cela, se sacrifie en fin de compte, un peu comme le héros de La Chute de Camus : juge, bourreau si l’on veut et sacrifié. Pourquoi diable se sacrifierait-il, ce critique que l’on jugera un peu trop pressé de faire partie de tous les raouts, du plus grand nombre de jurys possibles et qui, comble de l’entreléchage, écrira même des romans tout juste oubliables que ses confrères s’empresseront de saluer ? Parce que, avant de penser à lui-même, il pense à l’œuvre qu’il doit s’efforcer de servir. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le critique littéraire d’un peu de poids est celui qui jamais ne se sert en premier, mais qui sert les autres, en servant l’œuvre qu’il commente. Il s’oublie, alors que le moindre écrivaillon, aujourd’hui, oubliera sans problème ni remords la littérature depuis l’épopée de Gilgamesh, mais sera parfaitement incapable de jamais oublier ses petites souillures, sa petite personne. Le cri du monde contemporain est un immense MOI qui résonne sans fin dans le vide !

Critiquer, c’est juger bien sûr, et ce jugement s’appuie tout de même sur la lecture fine et attentive d’autant d’œuvres que possible, de toutes les œuvres qui comptent, ajouterait quelque fanatique de Borges qui aurait raison, au rebours de ce que les ânes contemporains imaginent être un véritable exercice de lecture, réduit dans leur esprit à la simple diffusion, de préférence conviviale et châtrée, d’une opinion qui, comme les goûts et les couleurs n’est-ce pas… Mais critiquer, c’est surtout s’exposer, sacrifier son petit confort intellectuel au risque d’être traité de tous les noms, et d’abord de celui d’envieux ou de raté. J’ai eu ma dose d’insultes, croyez-moi, des tombereaux de merde déversés par les thuriféraires de la clique sollersienne, de la clique nabienne, de la clique soralienne, de la clique camusienne et milletienne (c’est à peu de chose près une seule et même clique), de toutes les cliques dont j’ai ridiculisé quelque peu les prétentions littéraires et intellectuelles. J’en recevrais encore, des insultes, c’est une évidence. Cela n’est rien finalement, un peu d’abnégation contrainte et d’humilité bienvenue, versés comme un acide sur la plaie du nombrilisme et de la vanité qu’entretient si scrupuleusement notre époque, auxquels je n’échappe moi-même qu’en partie bien sûr. Ce qui compte, au travers même du mépris et des moqueries auxquels un critique pourra cependant être las de faire face (et que dire du silence auquel il s’expose, seule arme des lâches, mais ô combien redoutable !), c’est de faire découvrir à une poignée de lecteurs un Vincent La Soudière, un Robert Penn Warren, un Paul Gadenne, et de leur permettre de lire ou même relire de grands romans comme Au-dessous du volcan ou bien La Mort de Virgile. Cela seul compte. Et comptera.

 

Stalker : le blog de Juan Asensio

A LIRE : Le Questionnaire, d’Ernst von Salomon

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A LIRE : Le Questionnaire, d’Ernst von Salomon

Ex: http://www.theatrum-belli.com

Le célèbre auteur des Réprouvés, cadet prussien qui racontera sa perception presque romantique de l’histoire des corps-francs d’après-guerre et du terrorisme des groupuscules nationalistes, a également publié en 1951 un livre fameux, Le Questionnaire, que Gallimard a la bonne idée de rééditer.

Questionnaire.jpgL’architecture générale du livre s’appuie sur les quelques 130 questions auxquelles les Américains demandèrent aux Allemands de répondre en 1945 afin d’organiser la dénazification du pays, mais en les détournant souvent et prenant à de nombreuses reprises le contre-pied des attentes des vainqueurs. A bien des égards, le livre est ainsi non seulement à contre-courant de la doxa habituelle, mais camoufle également bien des aspects d’une réalité que l’Allemagne de la fin des années 1940 refusait de reconnaître : « Ma conscience devenue très sensible me fait craindre de participer à un acte capable, dans ces circonstances incontrôlables, de nuire sur l’ordre de puissances étrangères à un pays et à un peuple dont je suis irrévocablement ». Certaines questions font l’objet de longs développements, mais presque systématiquement un humour grinçant y est présent, comme lorsqu’il s’agit simplement d’indiquer son lieu de naissance : « Je découvre avec étonnement que, grâce à mon lieu de naissance (Kiel), je peux me considérer comme un homme nordique, et l’idée qu’en comparaison avec ma situation les New-Yorkais doivent passer pour des Méridionaux pleins de tempérament m’amuse beaucoup ». Et à la même question, à propos des manifestations des SA dans la ville avant la prise du pouvoir par les nazis : « Certes, la couleur de leurs uniformes était affreuse, mais on ne regarde pas l’habit d’un homme, on regarde son coeur. On ne savait pas au juste ce que ces gens-là voulaient. Du moins semblaient-ils le vouloir avec fermeté … Ils avaient de l’élan, on était bien obligé de le reconnaître, et ils étaient merveilleusement organisés. Voilà ce qu’il nous fallait : élan et organisation ». Au fil des pages, il revient à plusieurs reprises sur son attachement à la Prusse traditionnelle, retrace l’histoire de sa famille, développe ses relations compliquées avec les religions et les Eglises, évoque des liens avec de nombreuses personnes juives (dont sa femme), donne de longues précisions sur ses motivations à l’époque de l’assassinat de Rathenau, sur son procès ultérieur et sur son séjour en prison. Suivant le fil des questions posées, il détaille son éducation, son cursus scolaire, son engagement dans les mouvements subversifs « secrets », retrace ses activités professionnelles successives avec un détachement qui parfois peu surprendre mais correspond à l’humour un peu grinçant qui irrigue le texte, comme lorsqu’il parle de son éditeur et ami Rowohlt. Il revient bien sûr longuement sur les corps francs entre 1919 et 1923, sur l’impossibilité à laquelle il se heurte au début de la Seconde guerre mondiale pour faire accepter son engagement volontaire, tout en racontant qu’il avait obtenu en 1919 la plus haute de ses neuf décorations en ayant rapporté à son commandant… « un pot de crème fraîche. Il avait tellement envie de manger un poulet à la crème ! ». Toujours ce côté décalé, ce deuxième degré que les Américains n’ont probablement pas compris. La première rencontre avec Hitler, le putsch de 1923, la place des élites bavaroises et leurs rapports avec l’armée de von Seeckt, la propagande électorale à la fin des années 1920, et après l’arrivée au pouvoir du NSDAP les actions (et les doutes) des associations d’anciens combattants et de la SA, sont autant de thèmes abordés au fil des pages, toujours en se présentant et en montrant la situation de l’époque avec détachement, presque éloignement, tout en étant semble-t-il hostile sur le fond et désabusé dans la forme. Les propos qu’il tient au sujet de la nuit des longs couteaux sont parfois étonnants, mais finalement « dans ces circonstances, chaque acte est un crime, la seule chose qui nous reste est l’inaction. C’est en tout cas la seule attitude décente ». Ce n’est finalement qu’en 1944 qu’il lui est demandé de prêter serment au Führer dans le cadre de la montée en puissance du Volkssturm, mais « l’homme qui me demandait le serment exigeait de moi que je défende la patrie. Mais je savais que ce même homme jugeait le peuple allemand indigne de survivre à sa défaite ». Conclusion : défendre la patrie « ne pouvait signifier autre chose que de la préserver de la destruction ». Toujours les paradoxes. Dans la dernière partie, le comportement des Américains vainqueurs est souvent présenté de manière négative, évoque les difficultés quotidiennes dans son petit village de haute Bavière : une façon de presque renvoyer dos-à-dos imbécilité nazie et bêtise alliée… et donc de s’exonérer soi-même.

Au final, un livre qui doit être lu, car au-delà même de ce qu’il raconte de von Salomon et de l’entre-deux-guerres, il est également très éclairant sur la façon dont une partie non négligeable de la population allemande s’est en quelque sorte « auto-protégée » en 1945.

Gallimard, Paris, 2016, 920 pages. 18,50 euros.

Source : Guerres & Conflits

dimanche, 30 octobre 2016

Jean Raspail et les peuples disparus. Mythe du fixisme historique ou récit désolé de la marche du monde vers sa fin?

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Jean Raspail et les peuples disparus. Mythe du fixisme historique ou récit désolé de la marche du monde vers sa fin?

par Gabriel Privat

Ex: http://www.aucoeurdunationalisme.blogspot.com

 
Avant de s'essayer au roman, Jean Raspail consacra la première partie de sa vie active à poursuivre les peuples en voie d'extinction, notamment en Amérique.
 
Raspail aux Antilles
 
secouons_le_cocotier-jean_raspail.jpgDe ces périples naquirent plusieurs recueils, notamment Secouons le cocotier, récit paradoxal de son séjour dans les îles des Caraïbes, Antilles françaises, îles néerlandaises et britanniques, îles indépendantes. Raspail s'y fit observateur et conteur d'une réalité souvent éteinte ou subsistant dans une forme dégénérée, comme chez les peuples blancs de ces îlots de la Guadeloupe, descendants des plus vieilles familles de France, vivant entre eux, reclus, pauvres parmi les pauvres depuis deux siècles. Cette évocation douloureuse prend aussi une coloration toute spéciale sous sa plume, celle de la fixité d'un temps arrêté au milieu de la course du monde. Tout en décrivant à plaisir l'irruption de la modernité aux Antilles, avec les premiers postes de télévision ou les retombées de « l'argent braguette » sur les modes de vie, il s'arrête sur ces survivances, ces témoignages de temps éteints, d'Antilles blanches révolues. C'est avec la même affection pleine d'amertume qu'il conclut son essai avec Haïti, seul pays des Caraïbes resté à peu près pur face à l'américanisation (rappelons que ce témoignage date du début des années 1960), pur face à l'occidentalisation, pur dans son africanité libérée depuis cent-soixante-dix ans alors. Mais comme cette pureté conduit l'île dans le mur, on ne peut s'empêcher de soupirer. Le temps mental des hommes de l'île s'est arrêté, pas le temps biologique, et la démographie galopante autant que la dégradation de l'habitat laissent songeur. En lisant le Raspail d'il y a cinquante ans, on se rend compte que Haïti n'a pas changé. Ici, la confrontation entre l'immobilité de l'esprit national haïtien et la marche du monde matériel haïtien rendent un résultat explosif.

Raspail et la Patagonie
 
JR-qui-vignette.php.gifCe souci de rendre témoignage de peuples lointains a trouvé, bien sûr, sa pleine expression en Patagonie. Dans Qui se souvient des Hommes ? Nous suivons pas à pas la destinée du peuple des Alakalufs, qui eux-mêmes s'appelaient les Kaweskars, les Hommes, car ils n'en connurent longtemps pas d'autres qu'eux-mêmes, dans cet univers liquide et glacé du détroit de Magellan.  Les Kaweskars, Raspail en rencontra lui-même une famille dans un canot, alors qu'il naviguait sur un bateau de guerre chilien. Il est peut-être le dernier blanc à en avoir vu. Ce peuple, authentiquement disparu, non par extermination, mais par digestion au sein des autres peuples, n'a pas laissé de traces, que quelques photos, de rares vestiges archéologiques, une poussière. Digéré va bien pour qualifier la disparition de ce peuple, plus que l'assimilation, car il s'agit de tout un processus de dégradation et de déliquescence qui a frappé ces familles au fur et à mesure qu'elles rejoignirent les civilisés en Argentine et au Chili. Certains tombèrent en telle décadence physique et morale qu'ils en moururent de langueur au milieu des prévenances empressées de toutes les charités des missionnaires, généreux en médicaments, en nourriture, en bons lits et en cabanes chauffées mais qui n'avaient plus la saveur du pays. Les Alakalufs vivaient encore à l'âge de pierre lorsqu'ils furent brutalement projetés dans la modernité occidentale qui les maltraita d'abord avant de les protéger.
 
Tout cela, Raspail en rendit compte, dans ce roman historique patagon, mais en l'élargissant à l'histoire même de la création, Dieu étant acteur passif de l'aventure. Ainsi, l'arrivée de ces Indiens sur le continent américain correspondait-elle au matin du monde, tandis que la mort du dernier Alakaluf sonnait le temps de l'apocalypse et l'entrée dans la gloire du dernier des Hommes.
 
Le fixisme historique et la nécessaire frontière entre les peuples
 
JR-Borée.jpgL'histoire des Kaweskars est éloquente ; ils sont en équilibre avec leur univers et paisibles tant que le monde les ignore et que leur société demeure statique. Mais que vienne le progrès et tout s'effondre. Raspail ne fait que constater. Mais ce constat amer de la confrontation malheureuse entre des civilisations par trop dissemblables il le transposa dans des œuvres, elles, de pure fiction ; Les Royaumes de Borée et Le Camp des saints. Dans le premier cas il s'agit de l'homme du petit peuple à la peau couleur d'écorce, vivant toujours comme au paléolithique, fuyant tout contact avec les hommes blancs, dont il connaît fort bien pourtant les agissements et dont il protège certains êtres choisis, les maîtres du bâton loup, des Pikkendorff. La raison de la protection se comprend bien d'ailleurs ; Pikkendorff respecte le petit homme et ne cherche pas à forcer ses retraites ou son territoire. Lorsqu'un des membres de la famille le tenta, il en mourut, mais d'épuisement, car cet univers n'était pas fait pour lui, et le petit homme lui donna sépulture. C'est la confrontation avec la modernité, le déboisement dans la principauté de Ragusa, puis la débandade des peuples baltiques devant les armées soviétiques en 1945 qui provoquèrent la disparition par annihilation silencieuse du petit peuple. Le dernier membre, à la recherche de ses origines, devait mourir incompris, laissant une descendance métisse ignorante des traditions que lui-même avait oubliées. Cette disparition des peuples fragiles confrontés à la modernité occidentale est un point effleuré également dans Septentrion et Le Son des tambours sur la neige.
 
Mais ce que Raspail a vu et lu sur les peuples animistes primitifs de l'Asie et de l'Amérique, il le craint également pour l'Europe. Ainsi le montre-t-il dans Le Camp des saints, où l'Europe disparaît littéralement, s'écroule sur elle-même au contact de la masse des migrants pauvres, malheureux et dont la simple présence si contraire au mode de vie européen, entraîne la disparition de la civilisation de ces derniers.
 
Les dernières cartouches des hussards de Bercheny sur les plages ou dans le réduit du mas provençal du narrateur sont aussi dérisoires, devant l'invasion, que les flèches de bois taillé des petits hommes, les javelots des Oumiates ou les harpons des Kaweskars. Le thème de la disparition de l'Occident confronté à sa propre décadence et à l'invasion extérieure est aussi évoqué dans Sept cavaliers qui n'est autre qu'un conte de la fin du monde européen. Les compagnons d'infortune, par leurs patronymes, leurs attitudes, leurs familles, leurs grades et leurs rangs militaires sont un condensé de l'Europe aristocratique. Leur monde s'écroule de l'intérieur, touché par un venin de mort, mais aussi de l'extérieur avec les invasions tchétchènes. Comme chez les Alakaloufs, ce qui a disparu ne laisse plus aucune trace derrière lui, sinon la sauvagerie inhumaine ; c'est la digestion d'une civilisation.
 
Un monde idéal ?
 
zaraJR.jpgEn parallèle, le monde européen idéal évoqué par Raspail est un univers de hiérarchies sociales strictes, d'honneurs chevaleresques, de discipline militaire, d'uniformes rutilants, de princes servis et obéis sans discuter, de vaillance conquérante, de traditions gaillardes, de cultes ancestraux païens perpétués par le truchement d'un catholicisme impeccable dans ses ornements liturgiques et son grégorien. C'est le monde de la principauté de Septentrion avant que ne commence la révolution, c'est l'univers idéal de l'enfance de Frédéric et Salvator dans Les Yeux d'Irène, c'est le panache du combat de Benoît dans L'Anneau du Pêcheur, c'est la dynastie des Pikkendorff dans Hurrah Zara !
 
Mais à y regarder de plus près ce monde est figé ; figé dans des séparations civilisationnelles strictes qu'il est bon de maintenir pour la survie des peuples auxquels la rencontre serait insupportable ; figé aussi dans des époques. Si les Kaweskars sont bien dans leur paléolithique, les Européens des romans de Raspail ne semblent jamais aussi bien que dans une belle époque fin XIXe siècle, ultime avatar d'un grand et bel occident avant le chambardement suicidaire de la première guerre mondiale. Regardez le détail des uniformes des cavaliers, celui de la décoration des trains, des salles d'apparat, de la vaisselle, des voitures, tout cela est à mi-chemin entre les derniers feux du XIXe siècle et l'extrême limite du début des années 1950. Là, nous sommes dans un idéal, figé, et pour lequel la modernité est une catastrophe engendrant la disparition sous forme de mort lente.
 
Sous la forme du roman et pour les peuples indiens d'Amérique ou de Sibérie, Raspail a un peu tenu le même rôle que Georges Dumézil dans le domaine de l'essai historique pour les peuples indo-européens, celui d'un passeur de mémoires, de chroniqueur ultime de races éteintes ou de civilisations amnésiques.
 
Mais ces récits doivent être pris pour ce qu'ils sont, des contes, des méditations littéraires et non des manifestes ou des pamphlets comme le font parfois hardiment certains lecteurs de Raspail. Prendre ces histoires pour des manifestes et non des témoignages littéraires nous amènerait à rêver d'un monde mensonger, qui n'a jamais existé, celui de divisions fixes entre des peuples bloqués dans leur évolution. Au temps de la cité grecque, où chaque peuple avait son propre culte et par cette barrière sacrée était radicalement différent de son voisin, les passerelles et les unions existaient déjà, la confrontation ou l'alliance se fit souvent et l'évolution ne cessa jamais. Il n'en est pas différent aujourd'hui.
 
Jean Raspail, romancier de génie, s'il se désole de ces disparitions, les sait inéluctables et n'en est que le témoin navré. Avec lui pleurons sur les peuples éteints comme on pleurerait sur les premiers morts d'une innombrable fratrie. Mais sachons-le, c'est un phénomène inévitable de la vie du monde.
 
Gabriel Privat
 
Du même auteur : 
 
 

mercredi, 26 octobre 2016

Lucien Rebatet et Les Deux Étendards: une déconversion en Dieu

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Lucien Rebatet et Les Deux Étendards: une déconversion en Dieu

Au sommet de sa montagne, Zarathoustra lance son appel dionysiaque dans le crin du ciel: « Tout homme porte en lui cette double nostalgie de la hauteur intellectuelle et de la pureté morale. En tout esprit deux ailes tendent à s’éployer : le génie et la sainteté. » D’une même manière, Lucien Rebatet propose dans Les Deux Étendards une nouvelle tension spirituelle. À rebours du catholicisme tout en conservant une conception hautement hétérodoxe du christianisme, l’écrivain inguérissable de Dieu entend s’inscrire dans une véritable expédition spirituelle porteuse de son salut esthétique.

LR-2et.jpgIl a le sourire chafouin, les yeux cendrés au fond desquels un feu puissant s’accroche, une blancheur crue qui enchâsse la passion dans le corps. Lucien Rebatet publie Les Deux Étendards en 1952. Du même geste, il met la littérature de son temps à la remorque. Pavillon de mots troué par l’envie et la jeunesse, la musique et la littérature, l’œuvre s’empare dès son titre de la question religieuse comme un bloc épais et total liant l’amour charnel au renoncement chrétien, clouant la nervosité d’une foi véritable à un nietzschéisme libérateur. Car c’est bien un double tableau ignacien entre la Jérusalem promise et la plaine de Babylone qui charpente ce grand roman d’amour dans une tension vitale, « de deux étendards, l’un de Jésus-Christ, notre Chef suprême et Seigneur, l’autre de Lucifer, mortel ennemi de notre nature humaine ».

Un christianisme incapable d’aimer

Ironie du sort ou cohérence d’un destin, c’est sous les barreaux de Fresnes que Rebatet décrit le « cachot chrétien » qu’il déteste tant. Profondément marqué par Nietzsche, Rebatet présente dans son œuvre une critique du catholicisme par ses origines juives, pétries dans la haine, le ressentiment et les abstractions théologiques. « Les chrétiens ont besoin, pour se maintenir dans leurs croyances, d’une série d’opération insensées, d’acrobaties intellectuelles, de tricheries, d’un grimage spécieux de toutes les évidences », dit nerveusement Michel qui entend démasquer le retournement opéré par saint Paul, « ce Juif génial et terrible, rabbinique et hellénisé, propagandiste autant que prophète, halluciné et réaliste ». Ce qui rend la société décadente et pourrissante, c’est précisément ce judaïsme transmuté dans le christianisme, cette haine rabbinique de l’amour qui se retrouve sous un autre lexique dans le Verbe des chrétiens. « Le christianisme, en dépit de sa morale couchée, s’est toujours ressenti de cette origine-là ». Si le catholicisme prétend aimer, il le fait sur la base du désamour. Il aime dans le sillon d’un rejet qui le canalise encore.

Le roman est avant tout une histoire d’amour qui s’élève comme les anges montent et descendent l’échelle de Jacob. Régis, ami de Michel et épris d’Anne-Marie tout en préparant longuement son entrée dans la Compagnie de Jésus, ne sait pas aimer en dehors du renoncement. Refusant de faire le procès nécessaire de sa religion, il sera incapable de servir l’amour d’Anne-Marie autre que dans une lecture vulgaire du platonisme. Elle le rejettera, en conservant son lumineux souvenir. Si Rebatet a voulu décrire « l’histoire d’une déconversion », il lie irrémédiablement les intermittences de la foi de ses personnages, en particulier Anne-Marie, à un amour scindé entre des instincts charnels et érotiques et un idéal chrétien incapable d’assumer l’Eros. La grande histoire d’amour du roman renvoie donc chaque chrétien à ce constat marqué au fer qui interroge le potentiel des croyants plutôt que la foi elle-même : l’amour sanctifie, et le chrétien est incapable d’aimer en dehors du discours.

Dieu au-delà de Dieu

C’est sur ce refus de « la foi en petite tenue, la foi d’usage courant » que Rebatet entend faire entrer l’amour dans une dimension vitale et corporelle. Mais ce que l’auteur des Décombres reproche au catholicisme est moins porté par une lassitude du divin que par une haute conception de Dieu, un Dieu rabaissé par le Credo et les dogmes, un Dieu que Michel dira nécessairement négatif : « Determinatio est negatio. C’est pourquoi j’ai refusé de me déterminer. Dans déterminer, il y a terme, borne. Les catholiques, en se déterminant pour leur dogme, nient la vie universelle. Moi, l’insurgé, le mécréant, le brûleur de dieux, je suis beaucoup moins qu’eux un négateur. »

Ce constat sur fond de spinozisme est un appel à sa manière, une exigence de dépassement qui cherche un Dieu-autre, un Dieu au-delà de Dieu, un absolu qui a rendu sa dernière peau : « Le véritable dépassement n’a-t-il même pas pour condition d’écarter ce Dieu-là, puisque l’abaissement est le premier des actes que ce Dieu prescrit ? », répète le jeune Michel inlassablement. Rebatet ne cache pas son amour pour un catholicisme ancien et médiéval, assumant un certain respect pour Pascal et Bloy. « Est-il interdit d’imaginer qu’il existe parmi nous au moins un catholique du temps des cathédrales, que sa foi pourrait encore lancer dans une étonnante expédition spirituelle ? », demande encore Michel qui considère la loi de Dieu comme un repos, une sécurité, une soumission encore trop facile. Le frêle étudiant-philosophe est hanté par un Dieu dont il cherche la véritable hauteur. « Ce que j’exige de moi sans Dieu est plus difficile que ce que Dieu exigerait de moi… », affiche finalement le jeune homme face à l’échec de sa conversion.

Entendre la nostalgie : une phénoménologie du religieux

Mais pourquoi vouloir attaquer un Dieu qui, selon la trame nietzschéenne du roman, serait mort ? Voilà la question que pose Mendel Péladeau-Houle dans son étude sur le caractère post-théologique (au sens littéral du terme, au-delà du discours sur Dieu) des personnages du roman. Car l’ombre de Dieu est peut-être plus pesante encore que son ancien règne. Selon Péladeau-Houle, « Rebatet présente au contraire une phénoménologie religieuse où nostalgie et nietzschéisme, plutôt que de ressortir à des états de faits figés, sont, par-delà le clivage croyance/incroyance, des forces en mouvance et instables ». La question est donc moins celle de la construction de Michel comme sujet religieux que la modalité d’apparition du phénomène religieux dans la vie du jeune homme, permettant de statuer sur la nature de son cheminement spirituel. Cette modalité, c’est précisément la nostalgie, celle de la mort de Dieu, de Brouilly, d’une Anne-Marie qui tente de suivre Michel dans son dépassement même du nietzschéisme et retombe inévitablement dans un bain de regrets chrétiens. Il ne s’agit plus de choisir entre les deux étendards, mais de questionner le passage de l’un à l’autre. La mort de Dieu a eu lieu, et elle doit se répéter sans cesse comme un défi, à l’image d’une conversion à l’envers.

LB-Ifri0140014.jpgRebatet propose donc une refondation du christianisme sur son nerf premier que seul Nietzsche semble avoir détecté dans l’histoire de la philosophie. L’antichristianisme, inopérant car agissant en dehors du champ de la nostalgie, n’est aucunement un moyen de retrouver la vie réelle. Comme souligne Christophe Chesnot dans Les Deux Étendards de Lucien Rebatet ou l’impossible exigence du sacré (1990), ce mode d’appréhension du phénomène religieux permet à l’auteur de proposer un être en déréliction, séparé, perdu et à l’écoute de la présence divine du monde. La nostalgie religieuse n’est pas une construction négative ou positive du sujet, mais un processus de co-présence envers un sacré qui dérive autant vers Nietzsche que vers le christianisme clérical. La nostalgie guette, oriente, influe. Michel dira à propos des grands mystiques comme Jean de la Croix : « Au moment où ils se disaient définitivement ravis en Dieu, ils étaient réavalés par leur religion. »

La création artistique comme salut et comme dépassement

La thèse de Christophe Chesnot permet de penser le christianisme médiéval et le surhomme nietzschéen comme deux absolus sur lesquels s’élever, deux voies orientées à leur manière vers un Christ à questionner. C’est le constat de tout le livre : l’homme est inguérissable de Dieu et ne peut l’éviter. Pour remplir sa tâche, il doit spiritualiser ses instincts naturels tournés vers Dieu. La troisième voie qui s’installe au milieu des deux étendards et qui clôt l’épisode des chauves-souris, « Ni Dieu, ni Diable, voilà ma foi », est alors celle de l’art. Le jeune Michel conclut sur sa nature d’artiste : « Je ne puis m’accomplir moi-même qu’en créant. » Mais un artiste est toujours seul.

La création artistique permet ainsi un triple mouvement : contourner la nostalgie chrétienne laissée par la mort de Dieu, épancher la soif de spiritualité dont l’homme ne peut se défaire, renvoyer les chrétiens ramollis et les athées systématiques face à la question nucléaire de l’amour. Sans Dieu, pas d’art. Sans art, pas de Dieu. Mais encore faut-il que cet art ne soit pas clérical ou idolâtre. Définitivement et à la manière des Exercices spirituels de saint Ignace, le roman de Lucien Rebatet n’est pas à lire. Il est à pratiquer.

« Je ne retournerai jamais à l’Église, l’Église avec un grand E. Je n’en ai peut-être jamais été… Mais n’est-il pas possible de rester “du Christ” ? »

samedi, 22 octobre 2016

Milosz ou la Profondeur du Temps

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Milosz ou la Profondeur du Temps

A propos des Arcanes d’O. V. de L. Milosz, éditions Arma Artis, 2016

par Luc-Olivier d'Algange

olm-1.jpgSi le propre des grands poètes est de demeurer longtemps méconnus avant de nous advenir en gloires et ensoleillements sans doute est-ce qu'ils entretiennent avec la profondeur du temps une relation privilégiée. Leurs œuvres venues de profond et de loin tardent à nous parvenir. Elles sont ce « Printemps revenu de ses lointains voyages », - revenu vers nous avec sa provende d'essences, d'ombres bleues, de pressentiments.

Toute œuvre est recommencement, ou, plus exactement, procession vers un recommencement qui est le sens théologique du pardon. Tout revient pour recommencer, pour effacer, dans une lumière de printemps, les offenses et les noirceurs de l'hiver de l'âme. « Une étoile existe plus haut que tout le reste, écrit Paracelse, celle-ci est l'étoile de l'Apocalypse... Il y a encore une étoile, l'imagination, qui donne naissance à une nouvelle étoile et à un nouveau ciel ».

Etre poète, pour Milosz, ce n'est pas user des mots à des fins de conviction, d'information, ni même d'expression, - au sens où l'expression serait seulement le témoin d'une subjectivité humaine, c'est entrer autrement dans le Temps, c'est laisser entrer en soi le Temps autrement, c'est d'être d'un autre temps qui n'est pas du passé mais d'une autre qualité ou possibilité du Temps, - un Grand Temps, un temps sacré, un temps profond.

olm-2.jpgCe temps n'est pas un temps linéaire, le temps de la succession, le temps historique mais le temps métahistorique, s'inscrivant dans une hiéro-histoire: c'est là tout le propos des Arcanes de Milosz. Ce savoir ne sera pas conquête arrogante, mais retour en nous de l'humilité, non pas savoir qui planifie, qui arraisonne le monde par outrecuidance, par outrance, mais retour à la simple dignité des êtres et des choses, des pierres, des feuillages, des océans, des oiseaux.

Pour atteindre « le lieu seul situé », le poète doit vaincre, écrit Milosz, « cet immense cerveau délirant de Lucifer où l'opération de la pensée est unique et sans fin, partant du doute pour aboutir à rien». Cette victoire suppose un combat, mais un combat qui a pour sens, pour orient, pour aurore, la contemplation même. « Tant de mains pour transformer le monde, écrit Julien Gracq, et si peu de regards pour le contempler ».

Le combat commencera donc dans le regard, par l'éveil de l'œil du cœur qui est le véritable œil de l'esprit. Contre « l'immense cerveau délirant », ce technocosme qu'est devenu le monde moderne, contre ce nihilisme masqué d'utilitarisme qui part du doute pour aboutir à rien, un recours demeure possible dont le secret, la raison d'être, repose, pour Milosz, dans le secret même de la langue française, dans ses arcanes étymologiques, dans le cours souterrain de sa rhétorique profonde.

« Le cerveau, écrit Milosz, est le satellite du cœur ». Ce cœur, « lieu seul situé », n'est pas seulement le siège des sentiments humains mais le cœur du monde, le cœur du Temps. C'est dire en même temps, par la verticale de l'inspiration poétique et métaphysique, sa profondeur la plus abyssale et sa hauteur la plus limpide. Pour Milosz, l'intelligence n'est pas cette faculté que l'on pourrait quantifier ou utiliser mais l'instrument de perception de l'invisible, plus exactement, la balance intérieure du visible et de l'invisible, le médiateur qui donne le la entre le monde sensible et le monde intelligible.

olm-3.jpgCertains hommes, plus que d'autres, par l'appartenance à une caste intérieure, sont prédisposés à entrer en relation avec le monde intermédiaire, là où apparaissent les Anges, les visions, les dieux. Ce mundus imaginalis, ce monde imaginal, fut la véritable patrie de Milosz comme elle fut celle de Gérard de Nerval ou de Ruzbéhân de Shîraz. Ce monde visionnaire n'a rien d'abstrus, de subjectif ni d'irréel. Il est, pour reprendre le paradoxe lumineux d'Henry Corbin « un suprasensible concret », - non pas la réalité, qui n'est jamais qu'une représentation, mais le réel, ensoleillé ou ténébreux, le réel en tant que mystère, source d'effroi, d'étonnement ou de ravissements sans fins.

« Des îles de la Séparation, écrit Milosz, de l'empire des profondeurs, entends monter la voix des harpes de soleil. Sur nos têtes coule paix. Le lieu où nous sommes, Malchut, est le milieu de la hauteur ». A chaque instant, ainsi, dans l'œuvre de Milos, la saisissante beauté, la sapience, non pas abstraite mais éprouvée dans une âme et un corps, dans le balancier de la lancinante nostalgie et du pressentiment ardent: « L'espace, essaim d'abeilles sacrées, vole vers l'Adramand, d'extatiques odeurs. Le lieu où nous sommes, Malchut, est le milieu de la hauteur. »

Long est le chemin vers ce que Milosz nommera « la vie délivrée ». Dans ce monde sublunaire, la première condition est de servitude, la première réalité carcérale. Dans un monde d'esclaves sans maîtres, toute servitude devient sa propre fin, repliée sur elle-même et sans révolte possible. L'homme hylique s'effraie de l'œuvre-au-noir qu'il lui faudrait traverser pour atteindre à la transparence légère de l'œuvre-au-blanc, puis à l'ensoleillement salvateur de l'œuvre-au-rouge. Le chemin philosophal requiert une vertu héroïque. On songe à la célèbre gravure de Dürer, ce chevalier qui, entre la mort qui le menace et le diable qui le nargue, chemine calme et droit vers la Jérusalem céleste.

olm-4.jpg« Je regarde, écrit Milosz, et que vois-je ? La pureté surnage, le blanc et le bleu surnagent. L'esprit de jalousie, le maître de pollution, l'huile de rongement aveugle, lacrymale, plombée, dans la région basse est tombé. Lumière d'or chantée, tu te délivres. Viens épouse, venez enfants, nous allons vivre ! » A ce beau pressentiment répond, dans le même poème la voix de Béatrice: « Montjoie Saint-Denis, maître ! Les nôtres, rapides, rapides, ensoleillés ! Au maître des obscurs on fera rendre gorge. Vous George, Michel, claires têtes, saintes tempêtes d'ailes éployées, et toi si blanc d'amour sous l'argent et le lin... »

La sagesse ne vient pas aux tièdes ni aux craintifs, non plus qu'aux forts qui s'enorgueillissent de leur force mais aux fragiles audacieux, aux ingénus demeurés fidèles au printemps revenu.

L'œuvre de Milosz est une œuvre immense, - de poète, de romancier, de dramaturge, de métaphysicien, de visionnaire. Qu'elle soit encore si peu connue et reconnue est un sinistre signe des temps. Cependant, peut-être est-il un signe dans le désastre où nous sommes qui sera de nous contraindre à retourner à l'essentiel. Tout ce dont il n'est plus question dans ce monde quantifié, livré aux barbares, vit en secret dans l'œuvre de Milosz, dans ses rimes heureuses et ses raisons offertes au mystère, dans une suavité, parfois, qui n'est pas douceâtre mais une force qui nous exile du monde en revenant en nous, en réminiscences, comme le triple mouvement de la vague.

Etre véritablement au monde, c'est comprendre que nous n'y sommes pas entièrement ni exclusivement. Un retrait demeure, une distance, un exil, qui est le donné fondamental de l'expérience humaine, - le mot expérience étant à prendre ici au sens étymologique, ex-perii, traversée d'un danger.

Toute l'œuvre de Milosz s’oriente ainsi, à travers les épreuves, les dangers et les gloires, vers un idéal chevaleresque qui, par-delà les formes diverses où il s'aventure, demeure la trame de ses pensées et de ses œuvres. « L'homme n'est rien, l'œuvre est tout » écrivait son ami Carlos Larronde. L'Ordre chevaleresque auquel aspirait Milosz, et dont il ne trouve sans doute pas, dans une époque déjà presque aussi confuse que la nôtre, la forme parfaitement accomplie, fut d'abord la reconnaissance qu'il y a quelque chose de plus grand que nous qui nous fait tel que nous sommes, et qu'un combat est nécessaire pour retrouver , à travers cette évidence, « la simple dignité des êtres et des choses » qu'évoquait Maurras.

olm-5.jpgContraires à l'œuvre et à la prière, de titanesques forces sont au travail pour nous distraire et nous soumettre. L'idéal guerroyant, chevaleresque, opposera au coup de force permanent du monde moderne, non pas une force contraire, qui serait son image inversée et sa caricature, mais une persistante douceur et d'infinies nuances.

La vaste méditation de Henry Corbin sur la chevalerie héroïque et la chevalerie spirituelle éclaire le cheminement de Milosz. Pour aller, vers, je cite, « l'enseignement de l'heure ensoleillée des nuits du divin », il faut partir et accomplir sa destinée jusqu'à cette frontière incertaine, cette orée tremblante où l'homme que nous étions, blessé de désillusions, devient Noble Voyageur.

L'idéal chevaleresque du Noble Voyageur témoigne de cette double requête: partir, s'éloigner du mensonge des représentations et des signes réduits à eux-mêmes pour revenir « au langage pur des temps de fidélité et de connaissance ». Etre Noble Voyageur, selon Milosz, c'est savoir que la connaissance n'est pas une construction abstraite mais le retour en nous de la Parole Perdue, - celle qui, ainsi que le savaient les platoniciens de d'Athènes, de Florence, d'Ispahan ou de Cambridge, nous advient sur les ailes de l'anamnésis. « Le langage retrouvé de la vérité, écrit Milosz, n'a rien de nouveau à offrir; Il réveille seulement le souvenir dans la mémoire de l'homme qui prie. Sens-tu se réveiller en toi, le plus ancien de tes souvenirs ? »

olm-6.jpgLe Noble Voyageur s'éloigne pour revenir. Il quitte la lettre pour cheminer vers l'aurore du sens, - qui viendra, en rosées alchimiques, se reposer sur la lettre pour l'enluminer. « Le monde, disaient les théologiens du Moyen-Age, est l'enluminure de l'écriture de Dieu ». Le voyage initiatique, la quête du Graal, qui n'est autre que la coupe du ciel retournée sur nos têtes, débute par l'expérience du trouble, de l'inquiétude, du vertige: « J'ai porté sur ma poitrine, écrit Milosz, le poids de la nuit, mon front a distillé une sueur de mur. J'ai tourné la roue d'épouvante de ceux qui partent et de ceux qui reviennent. Il ne reste de moi en maint endroit qu'un cercle d'or tombé dans une poignée de poussière. »

Que les yeux se ferment sur un monde et s'ouvrent sur un autre, qui est mystérieusement le même, tel sera le secret inconnu de lui-même, jusqu'à l'advenue, jusqu'à la révélation, du Noble Voyageur. La sapience perdue est la « vérité silencieuse » de la plus « humble chose», le réel est la Merveille au regard de celui qui le laisse advenir en lui. Le voyage, c'est de fermer et d'ouvrir les yeux. « J'ai fermé ma vue et mon cœur, écrit Milosz, les voici réconfortés. Que je les ouvre maintenant. A toute cette chose dans la lumière. A ce blé de soleils. Avec quel bruissement de visions, il coule dans le tamis de la pensée ».

Milosz fut poète, poète absolu serait-on tenté de dire, voulant restaurer dans un monde profané ces épiphanies que désigne « le lieu seul situé », l'Ici qui est l'acte d'être et non plus seulement l'être à l'infinitif de l'ontologie classique. Fermant les yeux, il entre dans ce que Philon d'Alexandrie, nomme Le Logos intérieur. « C'est ainsi, écrit Milosz, que je pénétrai dans la grotte du secret langage; et ayant été saisi par la pierre et aspiré par le métal, je dus refaire les mille chemins de la captivité à la délivrance. Et me trouvant aux confins de la lumière, debout sur toutes les îles de la nuit, je répétais, de naufrage et naufrage, ce mot le plus terrible de tous: Ici. »

Comment être là, comment saisir dans une présence qui ne serait plus une représentation « l'or fluide et joyeux » de la réminiscence. Afin d'y atteindre, il faut être protégé, et c'est là précisément le sens de l’idéal chevaleresque de Milosz par lequel il incombe au poète d'être le protecteur de la beauté et de la vérité la plus fragile.

Cette vérité, pour Milosz, n'est pas un dogme ou un système mais la chose la plus impondérable. C'est l'ondée par exemple: « Elle vient, elle est tombée, et tout le royaume de l'amour sent la fleur d'eau. Le jeune abeille, fille du soleil, vole à la découverte dans le mystère des vergers. » Sur les ailes de la réminiscence arcadienne, la vérité légère, est, selon la formule de Joë Bousquet, « traduite du silence ».

olm-7.jpgLe propre de la poésie est d'honorer le silence, - ce silence qui est en amont, antérieur, ce silence d'or qui tisse de ses fils toute musique, ce silence que les Muses savent écouter et qu'elles transmettent à leurs interprètes afin de faire entendre la vox cordis, la voix du cœur, qui vient de la profondeur du Temps.

Luc-Olivier d'Algange

In de boekenkast van schrijver Chris Ceustermans

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In de boekenkast van schrijver Chris Ceustermans

Ex: http://www.doorbraak.be

Chris Ceustermans is auteur van De boekhandelaar en Koude oorlogsdromen en Doorbraak-columnist. Momenteel bereidt hij de biografie voor van schrijver Jean-Marie Berckmans. In een vorig leven werkte Ceustermans onder meer bij De Morgen en was lesgever en organisator voor diverse NGO’s. Hij blikt er even op terug. ‘Ik heb de journalistiek voor mijn ogen zien veranderen. Minder onderzoeksjournalistiek, meer oog voor spectaculaire dingen … Ik moest triviale artikels schrijven, ik voelde me er een beetje een “media worker”, om de term van Noam Chomsky te gebruiken.’ Ook de redactionele lijn van De Morgen en het politiek correcte denken zit hem soms dwars. Dit is iets waarover hij zich ook in de (Vlaamse) boekenwereld stoort en in dit gesprek verder zal aanhalen. Beginnen doen we met een door hem gekozen volgorde van auteurs en boeken die hem blijven fascineren.

ErasmusLaus.JPGLof der zotheid van Erasmus

‘Erasmus is een tragische figuur. Hij leefde in een tijd – begin zestiende eeuw – waarin alle zekerheden verdwenen. Hij zat geprangd tussen verwachtingen van groepen zoals de Kerk en zijn individuele kern. Dat gegeven is ook de rode draad door de door mij geselecteerde boeken. In zijn tijd was Erasmus het symbool van de verzoening tussen de lutheranen en de kerk van Rome. Hij trachtte ook binnen het denkkader van die christelijke godsdienst het schisma te overwinnen, iets wat uiteindelijk een misvatting bleek te zijn. Een aantal decennia later begon namelijk de Tachtigjarige Oorlog; iets wat hijzelf gelukkig niet meer heeft meegemaakt.’

‘Lof der zotheid is een beetje een buitenbeentje in zijn oeuvre. Voor zijn doen is het vrij literair. Heel veel belangrijke dingen, zoals de voortplanting, zouden zonder zotheid volgens Erasmus onmogelijk zijn. Het boek is bovendien nog actueel omdat het de illusies van de maakbaarheid van de wereld en de mens – een van mijn stokpaardjes – ondermijnt.’ 

Twee opvattingen van vrijheid van Isaiah Berlin

‘Voor mij is Berlin een van de grootste en meest inspirerende denkers van de twintigste eeuw. Meer dan ooit is hij actueel. Wat me het meest aanspreekt, is dat hij zowel binnen de Angelsaksische liberale traditie gepokt en gemazeld is, alsook een Russische afkomst en Joodse roots heeft en hoe al die factoren samen zijn rijke denken bepalen. Zoals Erasmus in zijn tijd probeerde te verzoenen, wilde Berlin bemiddelen tussen liberale en collectieve ideeën. Hij verdedigde zelfs de natiestaat als betekeniskader. “Het naakte, theoretische liberalisme is een illusie”, zegt Berlin. Het fascinerende aan Berlin is dat hij gelooft in een liberalisme dat ingebed is in een gemeenschap, met een eigen culturele identiteit. Er bestaat voor hem ook niet één goede manier van leven, maar vele. De samenleving is complex. Een monistisch wereldbeeld leidt voor hem alleen maar naar wreedheid en intolerantie. Hij is dus een genuanceerde denker.’

‘Berlin is eigenlijk een van de founding fathers van het communautarisme, een filosofisch-politieke school waarvan Charles Taylor en Michael Sandel enkele belangrijke denkers zijn. Deze stroming heeft invloed in Duitsland en Engeland. Ze tracht te kijken naar de mens zoals hij is en niet vanuit zuivere concepten. In Vlaanderen is ze jammer genoeg minder bekend. De cultuursector zet zich hier overigens ook categoriek af tegen zogezegd nationalistische partijen, wat ietwat vreemd is aangezien zulke partijen zich net zouden moeten bezighouden met cultuur. Ergens verwacht je dan een interessante dialoog, want cultuurmakers zijn toch ook bezig met betekenissen te creëren. Maar hier in Vlaanderen blijven die werelden nogal gescheiden.’

Baltische-zielen.jpgBaltische zielen van Jan Brokken

Brokken, een van de grootste Nederlandse schrijvers, balanceert tussen fictie en non-fictie. Dit boek, Baltische zielen, is een meesterwerk. Het geeft heel prachtig een niet in een aantal slogans te vatten werkelijkheid weer. Het is opgebouwd uit een aantal verhalen van bekende mensen die veel hebben bijgedragen aan de Europese cultuur. Brokken schetst portretten die tegelijk de ziel van een individu en van de geschiedenis tekenen: Hanna Arendt, Romain Gary, Mark Rothko, Avo Pärt … De Baltische staten hebben ook zoveel, onderdrukkende monistische invloeden ondergaan – het tsarisme, het communisme, het fascisme –  wat maakt dat Jan Brokken in Vilnius – de hoofdstad van Litouwen die begin twintigste eeuw nog een van de grootste Joodse hoofdsteden ter wereld was en meer dan 100.000 joden had – nu nog maar een klein groepje joden kan vinden. Het is een pijnlijke illustratie van hoe een samenleving kan verarmen door eenzijdige mensbeelden. De Baltische staten hebben zich van al die overheersingen – van de Duitsers, de nazi’s en de communistische Russen –  pas in de jaren negentig kunnen losrukken. Die overheersers hebben ook geprobeerd om die plaatselijke culturen er weg te vegen door immigratie van Russen. In sommige van die landen is inmiddels bijna de helft van de bevolking vandaag daardoor Russischtalig. Tegelijk mogen ze er hun taal officieel niet overal gebruiken. De Letten, Esten en Litouwers proberen na alles wat ze hebben meegemaakt hun eigen identiteit te beschermen en daardoor discrimineren ze weer andere groepen. Het is een pijnlijke illustratie van het cynisme van de geschiedenis. Baltische zielen is aangrijpend omdat het al die tegenstrijdigheden en gruwelijkheden van de geschiedenis blootlegt. Tegelijk toont Brokken de kracht van mensen en culturen om ondanks alles door te gaan. Bijvoorbeeld door het verhaal te brengen van een Joodse boekenwinkel die al die regimes heeft overleefd. De problemen zetten zich intussen verder, maar een zuivere oplossing bestaat niet. Het is dus altijd een beetje bricoleren.’

romain-gary-vert-jenny-tuin-een-heel-leven-voor-je-c.jpgEen heel leven voor zich van Romain Gary

‘Gary – geboren als Roman Capew – is eveneens getekend door die Baltische wereld die eigenlijk nooit normaliteit heeft gekend. Het is Vlaanderen in het kwadraat. Wij zijn ook vaak bezet geweest, maar het kan dus nog altijd erger. Gary zelf is gevlucht is voor de communisten. Op een bepaald moment begon Stalin Joden te wantrouwen. Hij werd paranoïde en dacht dat ze met zijn tegenstanders heulden. De communisten begonnen toen met het deporteren van joden uit de Baltische satellietstaten. Gary zelf en zijn Joodse moeder zijn dan gedeporteerd naar Rusland. Bijna niemand is teruggekeerd. Dankzij zijn moeder is hij toch kunnen ontsnappen; ze zijn dan naar Polen gevlucht. Daar kregen ze een vergunning om naar Nice te gaan. Toch kwam die verschrikkelijke terreur waarvoor ze waren gevlucht ook naar Frankrijk, door het nazisme tijdens de Tweede Wereldoorlog. Als jongeman besloot Gary hiertegen te strijden en sloot hij zich aan bij een Frans bataljon van de Britse Royal Airforce. Als navigator van een ‘vliegend fort’ werd hij toen uit de lucht geschoten. Op een miraculeuze wijze wist hij dan toch te overleven en tijdens zijn herstel begon hij te schrijven aan zijn levensverhaal: Education Européenne – let op de sarcastische titel ... Vrij snel kreeg hij weerklank als auteur en won hij de Prix Goncourt. Hij werd een societyfiguur. Zeker nadat hij trouwde met de Amerikaanse actrice Jean Seberg, zowat het sekssymbool van die tijd. Toch geraakte zijn carrière in het slop. Met de beweging van mei 1968 had Gary weinig op. Met zijn achtergrond gruwelde hij van linkse sympathieën. Ook literair geraakte hij op een zijspoor. Uit wanhoop, om zichzelf een nieuw leven te geven, heeft hij dan zijn mooiste boek geschreven: Een heel leven voor je. Het is in 1975 verschenen. Omdat hij zo passé was, bracht hij het uit onder de naam Emile Ajar. Zijn comeback was een enorm succes. Voor de tweede keer, zonder dat de buitenwereld wist dat Ajar dezelfde persoon als Romain Gary was, won hij opnieuw de Prix Goncourt – die je volgens het reglement eigenlijk maar eenmaal mag winnen. De ware identiteit van Emile Ajar werd pas bekend na de zelfmoord van Romain Gary.’

‘De roman gaat over de hechte vriendschap tussen een Arabisch jongetje en een Joodse prostituee op leeftijd. Het is een ode aan de verwarrende wereld waarin mensen niet in hokjes te steken zijn. Het is des te meer ontroerend omdat Madame Rosa, de prostituee, gebaseerd is op Gary’s eigen moeder. Wat ook heel mooi is: in de jaren zeventig is hij een consul van Frankrijk geworden in de VS. En zo is de droom van zijn moeder toch nog werkelijkheid geworden: die hield hem al vanaf hun vlucht uit Vilnius naar Polen voor dat hij ooit ambassadeur van Frankrijk zou worden.’

De wereld van gisteren van Stefan Zweig

‘Het is een magistraal boek waarin de ondergang van het negentiende-eeuwse Oostenrijkse keizerrijk en het cultuurleven van die tijd doorleefd beschreven wordt. Zweig, uit Wenen, was zoals Erasmus een kosmopoliet van de wereldvrede, verzoening en de kunst. Hij was ook bezig met het verspreiden van de poëzie van Emile Verhaeren in het Duitse taalgebied. In die zin voelde hij zich goed in de cultuurwereld van die tijd. Maar er waren toen al tekenen aan de wand door de opkomst van gewelddadige fracties van Duits-nationale herrieschoppers, eigenlijk voorlopers van de naziknokploegen. Zweig schreef dit boek vlak voor zijn zelfmoord in Brazilië, waar hij belandde tijdens zijn vlucht voor de nazi’s. Alles wat hij in zijn leven had opgebouwd had hij moeten achterlaten – ook zijn dromen. Dit boek beschrijft hoe je in een tijd heel wijs kan leven, kosmopoliet kan zijn en tegelijk ook blind kan zijn voor fanatisme dat de kop opsteekt. Het is dus ook een doorleefde waarschuwing. Na het lezen van dit boek voel je dat de democratie in een samenleving in elke tijd ontzettend fragiel is.’ 

utz.jpgUtz van Bruce Chatwin

‘Opnieuw zo’n schrijver die balanceert op de grens van fictie en non-fictie. Een absoluut pareltje. Utz is de naam van het hoofdpersonage, een onaangepast figuur tijdens het communistisch regime in het Praag na de Tweede Wereldoorlog. Hij is een Duitse afstammeling van een adellijke familie en dat was niet zo handig in die tijden. (lacht) Hij was ook een fanatieke verzamelaar van Meissen-porselein, Commedia dell’arte-figuurtjes, zijn enige grote passie. In een antimaterialistisch regime was zo’n privéverzameling natuurlijk niet vanzelfsprekend. Dit is dus opnieuw zo’n boek waarin een individu against all odds de eigen kern verdedigt. Dat is ook waar proza over gaat: hoe je het alledaagse leven probeert te overleven, terwijl men aan alle kanten zit te trekken om wat volgens jou belangrijk is toch te relativeren.’

Al te luide eenzaamheid van Bohumil Hrabal

‘Opnieuw een meesterwerk dat zich in Praag afspeelt. Het gaat ook over een outsider. De novelle is eigenlijk een lange, lyrische tirade. In een kelder van een papierverwerkend bedrijf maakt het vereenzaamde en vaak dronken hoofdpersonage met een papierpers conceptueel kunstige papierbalen van boeken die door het communisme zijn afgevoerd. Met een zekere elegantie geeft hij zo verboden boeken een laatste rustplaats en haalt hij er trots uit. Hij smokkelt boeken naar zijn appartement en stapelt die op het baldakijn boven zijn bed waardoor die hem vroeg of laat zullen verpletteren. Het leest als een delirium van iemand die hoorde te zwijgen en die toch zijn eigen stem laat horen, al is het maar via een kunstige en kleurrijke papierbaal.’

houell.jpgOnderworpen van Michel Houellebecq

‘Houellebecq duidt aan dat de fundamenten van dit soort Europa heel snel kunnen instorten. In die zin is hij de chroniqueur van de scheuren in de mentale Europese constructie. De scheur die Stefan Zweig eigenlijk op het einde van zijn leven pas wist vast te leggen. Onderworpen is zijn recentste boek, al vind ik het niet zijn beste. Elementaire deeltjes vind ik sterker. Onderworpen heeft soms iets uitleggerigs. Desondanks vind ik Houellebecq toch een van de weinige echt relevante West-Europese auteurs van deze tijd. Dit omdat hij wars van alle wenselijkheid zijn botten veegt aan hoe de wereld er zou moeten uitzien. Op zijn manier geeft hij weer wie volgens hem de mens is. Dat is volgens mij ook de enige bestaansreden van literatuur; anders kan je beter non-fictie schrijven. Als je fictie schrijft, vind ik niet dat je je te veel moet bezighouden met wat x of y ervan zal denken. Een goede roman zaait onrust, maar op een bevruchtende en inspirerende manier. Dat is een van de dingen die ik in proza zoek en ook mis in Vlaamse literatuur. Wat mij opvalt in het huidige Vlaamse literaire landschap is dat men heel veel gevoelige thema’s zoals – je kan het moeilijk anders noemen – de opkomst van een religieus fascisme bijna niet durft aan te raken. Er bestaat blijkbaar een grote angst om die hele onrustwekkende, pijnlijke wereld van vandaag te tekenen. Volgens mij hangt het ook samen met het politiek correcte denken waarvan de cultuurwereld een motor is in de plaats van een tegenstem. Veel Vlaamse auteurs schrijven met de handrem op om toch maar aanvaard te kunnen blijven.’

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jeudi, 20 octobre 2016

Comment Pierre Drieu la Rochelle est entré dans la Pléiade

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Comment Pierre Drieu la Rochelle est entré dans la Pléiade

A son tour, Drieu connaît les honneurs de la bibliothèque de la Pléiade. L'écrivain talentueux au parcours honteux s'interrogeait sur sa postérité. Il repose désormais, mais pas en paix, sur papier bible.

Quelle postérité pour un écrivain collabo? Mauriac voyait en lui un des «ratés immortels». Pour Sartre, il était «sincère, il l’a prouvé» (1). Si Pierre Drieu la Rochelle, fasciste, antisémite, sent durablement le soufre, son suicide «nous épargne un embarras: il a assumé sa conduite», note Jean-François Louette, professeur de littérature à la Sorbonne, responsable de l’édition des Romans, récits, nouvelles dans la Pléiade, qui paraît le 20 avril 2012. De fait, l’écrivain n’eut de cesse de se scruter à travers ses personnages. Gilles, son chef d’œuvre, dessine un portrait miroir de son parcours. Etrange roman qui se termine abruptement, comme un suicide sacrificiel, évoquant celui de l’auteur.

Le droit de se contredire

drieu-pleiade.jpgJamais Drieu ne brigua de mandat électif – son antiparlementarisme l’en empêchait - mais son engagement politique est manifeste. Membre du PPF de Jacques Doriot (de 1936 à 1939), il prône une Europe unie, sous hégémonie allemande, seule capable de mettre fin à la décadence. Sous l’Occupation, il collabora activement. Drieu pourtant n’est pas réductible au seul fascisme. Mieux que tout autre peut-être, il incarne la confusion d’une époque brisée. Au point que l’on serait tenter de paraphraser, qu’il nous pardonne!, Montaigne: «je ne peins pas le fasciste, je peins le passage».

Il connut Borgès, une amitié durable l’unit à Malraux. Il fut proche de communistes - dont Aragon à qui il dédia L’Homme couvert de femmes. Il n’est pas exempt de tentations pacifistes: en 1923 il appelle à une réconciliation généreuse avec les allemands (c’est alors l’occupation de la Ruhr!)... Résolument antisémite, après avoir été philosémite, il «contribua à sauver des mains des nazis sa première femme, Colette Jéramec, et ses deux jeunes enfants, internés à Drancy», observe Jean-François Louette. En 1938, il est furieusement hostile aux accords de Munich. Enthousiaste à l’égard d’Hitler puis déçu, il reporte son admiration sur… Staline, en 1944. 

«Il est plus contradictoire qu’aucun de ses contemporains. Il a constamment revendiqué le droit de se contredire, comme le dit Baudelaire (2). Il s’est trompé mais il y a une conviction, une sincérité dans chacun de ses mouvements. Chez lui, j’aime bien l’incertitude. Changer d’avis est une forme d’intelligence car la politique n’est pas une science mais une contingence. Son ralliement ultime à Staline a quelque chose de prophétique, comme s’il avait voulu reprendre la main face à l’Histoire…»

Il assume ses contradictions comme ses erreurs. Hostile à la République, il refuse la Légion d’Honneur. Fin 1943, il rentre de Suisse, alors même qu’il est déjà persuadé de la défaite allemande. Plus tard,  Paul Morand, sagement, optera pour l’exil doré en Suisse et évitera l’épuration (il finira à l’Académie française). Ce destin-là, Drieu n’en voulut pas. Il choisit la mort, l’opprobre. D’où, malgré un cercle de lecteurs passionnés, de rares adaptations cinématographiques (3), une forme de mise au ban. Jean-François Louette s'interroge:

«Est-il un écrivain maudit? Le terme me paraît un peu fort. Mais il reste sulfureux et les passions sont toujours prêtes à se déchaîner – en sa faveur, comme dans la détestation. L’édition de son Journal en 1992, très antisémite, y a aidé, bien que celui-ci n’ait pas été destiné à la publication et soit aussi le reflet d’une grande crise personnelle.»

De boue, les damnés de la terre

Comme toute une génération, la vie de Drieu commence (ou se termine?) avec 14-18. Plus longuement d’ailleurs, puisqu’il est incorporé au 5ème régiment d’infanterie en novembre 1913 et ne sera libéré que fin mars 1919. Durant ces presque six ans (aujourd’hui où «les trois jours» sont quelques heures, imagine-t-on ce qu’ont représenté tant d’années?), il collectionne les blessures (à la tête, au bras gauche - deux fois, tympan crevé), sans oublier les maladies (dysenterie, paratyphoïde), alternant les séjours au front et à l’hôpital.

Contrairement à beaucoup, il n’en ressortira pas durablement pacifiste. «Pour lui, les choses ne peuvent se résoudre que dans le sang, explique Jean-François Louette. Quelque chose doit exploser pour que l’Histoire puisse avancer». Refuser Munich, c’est espérer un sursaut – ce que la molle démocratie ne fera pas. 

Le tournant de février 1934

C’est en février 1934 que Drieu devient résolument fasciste. Plus encore que la manifestation du 6 février, c’est celle organisée par le PCF quelques jours après, qui l’en persuade. Il est désormais «convaincu que la Troisième République est incapable de se réformer en respectant un processus démocratique». L’été qui suit, il écrit Socialisme fasciste. En 1935, le voici en Allemagne, admiratif du Congrès de Nuremberg, «aveuglé par la propagande hitlérienne”. Il n’en démordra plus, malgré les déceptions: le bellicisme fanatique d’Hitler comme le pacifisme de Doriot (qui est munichois). Tandis que Gide publie Retour de l’URSS, témoignage lucide sur le communisme réel (1937), Drieu préfère s’ancrer dans une erreur suicidaire: «mourir en démocrates ou survivre en fascistes», écrit-il.

Son antisémitisme devient virulent, l’Occupation le voit bientôt collaborer à la résurrection de la NRF - en décembre 1940 (y figurent aussi les signatures de Paul Valéry, Henry de Montherlant, Paul Eluard, André Gide, Francis Poulenc). Gide se désolidarise en avril 1941, Malraux critique sa position mais lui garde son amitié (faisant de Drieu le parrain de son deuxième fils fin 1943). 

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Le droit de s’en aller

Sa Collaboration ne se limite pas à la NRF. Il fait le voyage propagandiste de Weimar en 1941 (première édition des Dichtertreffen), écrit dans La Gerbe ou Je suis partout. Son protecteur, l’ambassadeur Otto Abetz, tombe en disgrâce, la censure allemande bloque certains de ses écrits, la défaite approche: Drieu ne cherche pas à fuir, ni à retourner sa veste. Le suicide lui est un salut: «Que la France soit balayée par la destruction. C’est vivre que de hâter la décision de la mort» (Gilles).

Sa marche vers le suicide est résolue: Le 11 août 1944, «il prend une dose mortelle de Luminal» mais est sauvé par miracle. Quatre jours après, à l’hôpital, il s’ouvre les veines. Sauvé encore. En mars 1945, sur le point d’être arrêté, il «avale du Gardénal et arrache le tuyau de gaz (...). Cette fois, il ne sera pas ranimé». 

«Le suicide est un compagnon constant qui l’a toujours hanté, constate Jean-François Louette. C’est l’assomption de la décadence. En mettant fin à ses jours, il indique la fin de la civilisation. Mais ça reste un geste de force, une protestation, qui exige du courage…»

Par-delà ce parcours si singulier, que reste-t-il de Drieu aujourd’hui, qui lui vaille les honneurs de la Pléiade ? 

Un charme désinvolte

Jean-François Louette parle d’un «charme malgré tout». Classique, le style de Drieu l’éloigne des innovations d’un Céline et il a pris ses distances avec les Surréalistes. Mais l’élégance est là, qui séduit souvent. S’y ajoute, s’y conjugue plutôt, une désinvolture assumée, qui le pousse parfois à bâcler, comme l’épilogue de Gilles, si frustrant. Mais il la revendique, écrivant en préface: «pour montrer l’insuffisance, l’artiste doit se réduire à être insuffisant». Ce dandysme nonchalant évoque un «aristocratisme de la désinvolture», avec une pointe de provocation.

Y figure aussi une part d’amertume, de déception. L’œuvre de Drieu oppose un démenti à l’assertion de Cioran pour qui, «depuis Benjamin Constant, personne n’a retrouvé le ton de la déception». Ses textes narrent des déceptions, des échecs, concourant à son propre dénigrement: «la haine de lui-même le recouvrait comme de la sueur», ose-t-il superbement. 

Un précurseur de l’autofiction ?

Benjamin Constant encore. D’Adolphe, ne disait-il pas qu’il s’agissait d’une «fiction confessionnelle»? Les textes de Drieu répondent sans doute à cette appellation, parce qu’écrire «c’est visiter les différentes parties de soi», avec leurs contradictions et leurs alternances. La confession est distanciée, avec lucidité et, sans doute, un brin d’apitoiement affectueux. «Gilles est à la fois Drieu et la caricature de Drieu», note Jean-François Louette avant de s’amuser de ce Gilles, prénom récurrent dans l’œuvre, construit en je-il.

Est-il, avec son roman-confession, un précurseur de l’autofiction? «En un sens oui», répond Jean-François Louette.

«Drieu a besoin de se projeter dans ses personnages et de s’inventer d’autres destins à travers ces personnages. Pas au sens où l’entend Serge Doubrovski, c’est-à-dire une aventure du langage, avec des calembours ou jeux de mots – Drieu est éloigné de cela. Mais plutôt pour parler de son vécu en évitant la catégorie autobiographique ou celle du portrait. A cette différence notable que l’exhibition de soi lui est étrangère: il ne se livre qu’en se masquant. Gilles est une autobiographie du possible, de ce que Drieu aurait dû ou voulu être. C’est un romancier qui a besoin du double.»

Un classicisme de lambeaux

DrieuChevalPoche.jpgStendhal, Balzac, Zola...: Drieu n’ignore pas le 19ème siècle mais de ces références il ne garde que des «lambeaux, et à la limite de la parodie». Pourtant, ce qui fait d’abord la force, l’attrait de ses textes, c’est qu’il s’agit de grands romans d’amour.

«L’élan et la déception amoureuse y tiennent une grande place, tout comme la désillusion, celle de L’Education sentimentale. Ensuite, son œuvre est une réflexion sur le cynisme, un des phénomènes essentiels de notre époque, avec la décroyance, l’incrédulité généralisée, l’amertume… Et le nivellement de toutes les valeurs dans cet équivalent universel qu'est l’argent. Drieu a fait une profonde analyse de la société moderne, celle d’après la Révolution.»

Ainsi, il serait contre Révolutionnaire…

«Oui. Mais il n’adhère pas à l’Action française parce qu’il est déçu à titre personnel par Maurras, qui est plus un homme de mots que d’action. Le personnage principal de Blèche est un journaliste très proche de l’Action française, mais vu de manière satirique.»

La modernité, symbole de la décadence

Dans ses textes, il s’en prend à la bourgeoisie bien sûr, mais aussi aux Surréalistes, et aux institutions: l’Armée, la République... La censure partielle de Gilles est en quelque sorte un hommage rendu par la République à celui qui la vomit. Son antiparlementarisme et son refus de la modernité culminent dans sa haine des juifs. «L’homme moderne est un affreux décadent», écrit-il, et c’est le juif qui l’incarne le mieux.

Contradiction encore. Car comment expliquer ce refus de la modernité avec son fascisme, mouvement fortement imprégné (comme le communisme) d’une culture et d’une esthétique du progrès?

«La relation de Drieu au fascisme est extrêmement compliquée. Le côté technicien du fascisme ne lui plaît guère. Son refus des machines et de la mécanique est explicite dans La Comédie de Charleroi. Dans le fascisme, il espère retrouver une communauté unie par la maximisation de la force. L'esthétisation de la politique (l’expression est de Walter Benjamin) le séduit. Il salue le beau geste, de la prouesse du Congrès de Nuremberg. A l’inverse, le communisme ne donne pas la possibilité d’exalter l’individu. L’égalitarisme soviétique, fût-il de façade, ne le convainc pas.»

Il est mort dans le mauvais camp. Rien n'a été pardonné à Drieu, qui entre néanmoins dans la Pléiade, avec cette édition qui devrait faire émerger des livres peu connus, comme Blèche, et aider à apprécier une œuvre qui peut susciter fascination ou répulsion, plus souvent les deux, mais s’avère parfois touchante dans sa désarmante lucidité.

Dans les semaines qui viennent, on s’amusera de l’indignation qui, à l’instar de celle d’Aude Lancelin, dans Marianne, ne manquera pas de se faire entendre. Drieu au Panthéon de la littérature? Un crime, pire: le reflet de notre époque. Une indignation sélective et absurde: la Pléiade n’est pas une bibliothèque rose façon bisounours.

A Drieu vat.

Jean-Marc Proust

Drieu la Rochelle: Romans, récits, nouvelles, la Pléiade (1936 pages) - 72,50 € (prix de lancement : 65,50 € jusqu'au 31 août 2012).

1 Les citations sont extraites de la préface (Jean-François Louette) et de la chronologie (Julien Hervier), de l’édition de la Pléiade, ainsi que d’un entretien avec Jean-François Louette. Retourner à l'article.

2 « Parmi l’énumération nombreuse des droits de l’homme que la sagesse du xixe siècle recommence si souvent et si complaisamment, deux assez importants ont été oubliés, qui sont le droit de se contredire et le droit de s’en aller. » (Edgar Poe, sa vie et ses œuvres).Retourner à l'article.

3 Le Feu follet, film de Louis Malle (1963), Une femme à sa fenêtre, film de Pierre Granier-Deferre (1976), Oslo 31 août, film de Joachim Trier (2012), d’après Le Feu follet. Retourner à l'article

 

mercredi, 19 octobre 2016

Stendhal et la médiocrité américaine

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Stendhal et la médiocrité américaine

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Stendhal aimait une société qu'il cherchait à détruire. D'un côté il était bonapartiste, athée, républicain, de l'autre il aimait les marquises (comparez la Sanseverina à Bovary pour voir !), les cours italiennes, les papotages élégants et les bonnes manières en voie de disparition. Car derrière la république il voyait le bourgeois.

Il suffit d'aller à la source pour lire, sur cette belle question du temps immobile et américanisé, les sentences suivantes, toutes extraites de Lucien Leuwen ou de ses préfaces (sur ebooksgratuits.com).

Epicerie mondialisée :

« L’auteur ne voudrait pour rien au monde vivre sous une démocratie semblable à celle d’Amérique, pour la raison qu’il aime mieux faire la cour à M. le ministre de l’Intérieur qu’à l’épicier du coin de la rue (deuxième préface). »

Intolérance démocratique :

« Le journaliste qui élèvera des doutes sur le bulletin de la dernière bataille sera traité comme un traître, comme l’allié de l’ennemi, massacré comme font les républicains d’Amérique (ibid.). »

Déclin du goût et de la joie :

« Je m’ennuierais en Amérique, au milieu d’hommes parfaitement justes et raisonnables, si l’on veut, mais grossiers, mais ne songeant qu’aux dollars. Ils me parleraient de leurs dix vaches, qui doivent leur donner au printemps prochain dix veaux, et moi j’aime à parler de l’éloquence de M. Lamennais, ou du talent de madame Malibran comparé à celui de madame Pasta ; je ne puis vivre avec des hommes incapables d’idées fines, si vertueux qu’ils soient ; je préférerais cent fois les mœurs élégantes d’une cour corrompue (p.116). »

leuwen53082347-T.jpgTalleyrand et Washington :

« Washington m’eût ennuyé à la mort, et j’aime mieux me trouver dans le même salon que M. de Talleyrand. Donc la sensation de l’estime n’est pas tout pour moi ; j’ai besoin des plaisirs donnés par une ancienne civilisation (P.117)… »

Dégoût du bon sens :

« J’ai horreur du bon sens fastidieux d’un Américain. Les récits de la vie du jeune général Bonaparte me transportent ; c’est pour moi Homère, le Tasse, et cent fois mieux encore. La moralité américaine me semble d’une abominable vulgarité, et en lisant les ouvrages de leurs hommes distingués, je n’éprouve qu’un désir, c’est de ne jamais les rencontrer dans le monde. Ce pays modèle me semble le triomphe de la médiocrité sotte et égoïste, et, sous peine de périr, il faut lui faire la cour (p.117). »

L'argent, bien sûr, encore et toujours :

« Mais je ne puis préférer l’Amérique à la France ; l’argent n’est pas tout pour moi, et la démocratie est trop âpre pour ma façon de sentir (p.120). »

Aussi fort que Tocqueville ici, Stendhal et la tyrannie démocratique :

« Puis-je, après cela, me dire républicain ? Ceci me montre que je ne suis pas fait pour vivre sous une république ; ce serait pour moi la tyrannie de toutes les médiocrités, et je ne puis supporter de sang-froid même les plus estimables. Il me faut un premier ministre coquin et amusant, comme Walpole ou M. de Talleyrand (p.158). »

L'horreur électorale :

« Ah ! l’Amérique !… À New York, la charrette gouvernative est tombée dans l’ornière opposée à la nôtre. Le suffrage universel règne en tyran, et en tyran aux mains sales. Si je ne plais pas à mon cordonnier, il répand sur mon compte une calomnie... Les hommes ne sont pas pesés, mais comptés, et le vote du plus grossier des artisans compte autant que celui de Jefferson, et souvent rencontre plus de sympathie. Le clergé les hébète encore plus que nous ; ils font descendre un dimanche matin un voyageur qui court dans la malle-poste parce que, en voyageant le dimanche, il fait oeuvre servile et commet un gros péché… Cette grossièreté universelle et sombre m’étoufferait (p.858)…»

Mais Stendhal se fait peu d'illusions sur le futur fatigué du gaulois :

« Prenez un petit marchand de Rouen ou de Lyon, avare et sans imagination, et vous aurez un Américain. » C'est Taine qui expliquera que le bourgeois créé par notre monarchie serait ce tsunami qui finirait par tout emporter.

mercredi, 12 octobre 2016

Pierric Guittaut: D’Ombres et de Flammes. Crépuscule rural

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Pierric Guittaut: D’Ombres et de Flammes. Crépuscule rural

Ex: http://monromannoiretbienserre.blog.tdg.ch

Sous le feu de l’actualité depuis plusieurs mois, on pourrait penser que certains auteurs s’engouffrent dans le roman noir rural par pur opportunisme en vue de récolter quelques miettes du succès d’estime qu’il suscite. Il s’agit pourtant parfois que d’une simple question de timing liée à une absence de mise en lumière comme c’est le cas pour Pierric Guittaut, auteur, essayiste et chroniqueur de polars qui explore déjà depuis plusieurs années les origines rurales du roman noir français et qui publia en 2013, un roman noir, La Fille de la Pluie, se déroulant dans un coin de campagne isolée. Dans ses articles, Pierric Guittaut cite notamment Marcel Aymé et Pierre Pélot parmi les auteurs ayant initié la veine des polars ruraux. Mais en introduisant une dimension fantastique dans son dernier ouvrage intitulé D’Ombres et de Flammes, on pense également à Claude Seignolle, ceci d’autant plus que l’intrigue a pour cadre la région forestière de la Sologne.

Retour au pays, pour le major de gendarmerie Remangeon. Après une bavure violente, ce policier irascible, se voit muter au cœur de la Sologne, territoire de son enfance. La région marquée par la superstition a bien changée depuis son départ. Désormais, les domaines de chasse luxueux pullulent tout comme les braconniers qui sévissent dès la nuit tombée pour abattre bon nombre de cervidés qu’ils mutilent sauvagement. Mais le major est à mille lieues de ces préoccupations, car l’endroit attise surtout les souvenirs d’Elise, sa femme disparue mystérieusement depuis dix ans et dont il croit apercevoir la silhouette au détour d’une rue du village. Entre le pragmatisme militaire et les traditions occultes, dont il est l’héritier, le major Remangeon va mener une enquête peu commune pour mettre à jour les contentieux entre les différentes communautés de la région et découvrir les origines du mal mystérieux qui frappe l’élevage de son amie d’enfance Delphine. Dans l’ombre dansante des flammes, il y a comme une odeur de soufre étrange qui lamine les cœurs et les esprits. Bienvenue en Sologne.

On ne va pas se mentir, Pierric Guittaut invective régulièrement la lignée gauchistes des auteurs de la génération Manchette en publiant ses chroniques dans la revue Elément qui penche pour l’extrême … pardon la « nouvelle » droite. Le bougre n’a d’ailleurs pas la plume dans sa poche lorsqu’il descend les romanciers se réclamant du néo polar français. Mérite-t-il pour autant cette indifférence médiatique dont il fait l’objet ? La réponse est assurément non, parce que, plus que tout, Pierric Guittaut est une superbe conteur qui parvient à associer le style avec l’intrigue pour nous livrer un des meilleur roman noir rural. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien s’il est en lice pour le Grand Prix de Littérature Policière 2016, même si l’on se doute bien (sauf grosse surprise) que ce sera Plateau de Frank Bouysse qui sera célébré.

portrait_guittaut.jpgMais revenons à D’Ombres et de Flammes pour se pencher sur un texte brillamment écrit avec un style enflammé sans pour autant verser dans l’outrance ou l’excès de descriptions surfaites. Pierric Guittaut dépeint simplement l’environnement qui l’entoure avec une précision permettant au lecteur de s’immerger dans un contexte réaliste dépourvu d’effets outranciers. La nature n’est donc pas célébrée ou magnifiée dans de longs descriptifs superflus, souvent propres aux auteurs citadins, mais devient un décor envoutant distillant une atmosphère étrange et inquiétante. On ressent ainsi l’émotion et la passion de l’auteur pour cette région de la Sologne en dégageant une espéce de force tranquille qui transparaît tout au long du récit.

D’Ombres et de Flammes se décline sur trois niveaux d’intrigues. Il y a tout d’abord l’absence de Claire, épouse de Remangeon, dont il est sans nouvelle depuis plus de dix ans. Hanté par cette disparition qui n’est sans doute pas étrangère à son comportement, le policier semble désormais perdu en menant une vie dépourvue de repère. On le perçoit notamment par l’entremise de son lieu de vie se situant à la lisière semi urbaine délimitant la ville et le monde rural. Puis lors de son retour sur ses terres d’origine, le major Remangeon doit faire face à des affaires de braconnages et autres trafics liés au monde de la chasse. Peu concerné par ces événements, il prend néanmoins les affaires en main lorsque celles-ci dégénèrent lors de confrontations violentes et meurtrières. Et pour finir, il y a ce joute occulte entre le major Remangeon et le braconnier Lerouge voyant d’un très mauvais œil le retour de ce gendarme, fils de sorcier.

Même s’il est teinté d’un aspect fantastique, l’auteur parvient à ancrer son récit dans un contexte social d’un réalisme époustouflant, notamment en ce qui concerne la chasse et les éléments occultes émaillant le roman, mais également pour tout ce qui est en lien avec l’univers clos d’une brigade de gendarmerie. Que ce soit au niveau des procédures, des activités ou des relations entre les différents membres de la brigade, Pierric Guittaut conduit le lecteur dans le quotidien de ces policiers uniformés en mettant en scène des personnages dotés de caractères forts, teintés d’une certaine sensibilité parfois émouvante à l’instar du brigadier-chef Toussaint, jeune femme antillaise, un peu perdue au beau milieu de cette campagne de la Sologne.

D’Ombres et de Flammes est donc le roman noir qu’il faut impérativement découvrir afin de d’appréhender ce monde rural, parfois étrange, toujours très mystérieux, si proche et si lointain tout à la fois. Pierric Guittaut signe un roman noir original aux multiples intrigues aussi brillantes qu’insolites.

Sega

Pierric Guittaut : D’Ombres et de Flammes. Editions Gallimard/Série Noire 2016.

 

Les Verticaux, de Romaric Sangars

Les Verticaux, de Romaric Sangars

Par Gersende Bessède

Ex: https://www.contrepoints.org

verticaux_01.jpgLa rentrée littéraire a ceci de commun avec les foires au vin de la grande distribution, qu’en dehors de faire survivre une presse subventionnée, à bout de souffle, incapable de servir autre chose que des cépages surexploités, elle permet d’écouler à bon compte et sournoisement des infâmes piquettes, des vins bouchonnés, quelques vieux domaines madérisés, des jeunesses déjà séchées de platitudes et de noyer le chaland en recherche de grands crus sous le tsunami des références (pas moins de 590 livres en librairie pour cette rentrée 2016.)

Difficile donc, de s’y retrouver sans y perdre son latin de chai, si l’on veut trouver un beau vin subtil, corsé et revigorant pour chasser le spleen de ce début d’automne.

Les Verticaux de Romaric Sangars (éditions Léo Scheer) est de ceux-là. Goûtons donc ce Château-Sangars.

Respirons d’abord son bouquet. Oui, respirons, c’est le mot qui convient. Dès les premiers mots, ses effluves hypnotiques gonflent notre cage thoracique asphyxiée du souffle « d’or de mille grandeurs détruites. »

Examinons la robe ensuite. Rubis intense, profond, soyeux, déployant l’amplitude de sa rythmique pneumatique, étirant ses gradations rutilantes, la phrase s’étire avec splendeur. Nous savons déjà à ce stade que nous n’avons pas affaire à une cuvée fatiguée de la phrase, dont nos contemporains sont pourtant si friands. Impossible de résister à l’avidité de plonger enfin les lèvres dans le vers.

Alors, plongeons. Dans le corps de la verticalité.

« Comme je le lui exposais, c’était par le truchement d’une oeuvre que j’avais, quant à moi, voulu m’éprouver. Me forger en forgeant un style, me purger des scories en limant des phrases, me tatouer l’âme de myriades de mots. Mais ce transfert avait globalement échoué et je crachais ma limaille amère. Emmanuel me donnait cependant l’exemple d’une exigence presque frénétique. Lui n’était revenu de rien, il ignorait tout compromis, sa jeunesse était intacte. Mieux : elle était armée. À juste trente ans, nous étions encore des jeunes gens pour cette époque rapide en surface mais lente en profondeur, et nous étions donc toujours en âge de soulever des questions comme celle-ci : comment dresser une vie au sein d’un tel limon ? Comment conférer à l’existence ne serait-ce qu’une forme acceptable ? L’aube nous surprit en révélant dans une lumière hésitante l’épais nuage de fumée où nous parlions toujours. Notre colloque improvisé s’acheva sur un tour paradoxal. « En fin de compte, affirmai-je à Emmanuel en le quittant, nous vivons une ère formidable puisque le simple fait de se tenir droit relève de l’héroïsme. »

Vincent Revel, pigiste réfractaire au néant ricaneur du monde qui l’entoure et à la vocation d’écrivain, anesthésiée par la torpeur amniotique du néant contemporain, va voir les laves refroidies de ses volcans intérieurs en sommeil, ranimés par la rencontre de deux êtres impitoyablement verticaux.

Lia Silowsky. La Femme, celle qui va permettre au narrateur de sortir par le haut de « l’interchangeabilité mécanique où pourrit l’univers », et de la routine tiède des amours « sans enjeu ». Rencontre nerveuse, charpentée, dont Vincent va tirer pendant un temps un épanouissement analgésique de l’âme. « Au fond, ils se retrouvaient tous deux sur l’axe vertical : lui tout entier dans l’élan de se hisser ; elle douchée d’éclats d’en haut. Et c’était sans doute sur cette dimension que se jouait la rupture décisive, signifiante, qui, à mes yeux, les liguait ensemble à rebours du monde tel qu’il s’était vautré dans la plus vertigineuse platitude. » En présence de Lia, le vin se fait suave, moelleux, capiteux, l’intimité sexuelle virilement poétique.

Le breuvage se charpente avec le moine-soldat, le chevalier incarnat et incarné, Emmanuel Starck. Apparition stratosphérique, cyclone magnifique tranchant le train-train superficiellement routinier des creuses soirées parisiennes. Dans son sillage, reviennent les guerriers, Guynemer, les chevaliers croisés, les samouraïs. Avec lui, Vincent, lamentablement échoué sur le champ de bataille de la modernité va apprendre à se redresser. Un objectif : « armer ma bouche » pour l’un, « mourir en souriant » pour l’autre.

Et saboter sans pitié la Laideur : la marchandisation des âmes et des paysages, la vulgarité publicitaire, l’art factice, le festivisme multiculturel et l’absolue bêtise déracinée de leurs contemporains.

Les fantômes de Tzara et des surréalistes les accompagnent dans leurs premières actions : choquer les démagogues sinistres des happenings d’art contemporain, trônant au milieu de leurs détritus déconstruits, en égorgeant un lapin, par exemple.

Mais, vite, l’attentat surréaliste connait ses limites. Il se dissout dans la gélatine absorbante du subversivement correct, cher à l’époque.

Il faut frapper plus fort. Plus durement. Boire plus (on boit beaucoup dans Les Verticaux…heureuse coïncidence) et radicaliser l’ivresse des hauteurs : « au fond, l’héroïsme est une ivresse, une ivresse plus profonde que celle qu’allouent les stupéfiants et les alcools, non pas une ivresse d’aliénés, mais une ivresse souveraine, non plus un gaspillage, mais un don soudain de soi. »

Le vin s’intensifie en bouche. L’action s’accélère. D’onirique, le terrorisme devient pyromane, explosif. Des bâches publicitaires drapant d’un linceul boutiquier les monuments de Paris, aux cérémonies niaiseuses célébrant le vivre-ensemble, il ne restera rien.

Mais l’explosion calorifère consumera aussi Notre-Dame des Hauteurs, Lia, perdue irrémédiablement dans une folie pythonisse. Consumera les amis complices, ralliés à la cause lors d’un sabbat churchillien, et les larmes du vin se répandront sur la terrasse des buveurs, quand se fera exploser, le faux-prophète sobre du néant aride, chevalier-toc du désert métaphysique, parodie obscène des anciens ordres européens.  Consumé aussi,  le Templier vengeur, croisé implacable du châtiment nécessaire et définitif pour les vendus à l’ennemi.

Mais.

Régénéré, Vincent. Relevé. Debout. Entrant enfin en littérature. Enfin en guerre véritable.

Le lecteur, lui, ivre de joie intérieure, terminera sa bouteille de Chateau-Sangars, « dos au soleil » tel Guynemer avant l’attaque. Redressé. Enfin vertical.

En murmurant :

« Nous sommes cachés dans les ruines du futur. »

  • Romaric Sangars, Les Verticaux, éditions Leo Scheer, septembre 2016.