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mercredi, 10 mars 2010

Nouveautés sur le site "Vouloir"

Nouveautés sur le site

http://vouloir.hautetfort.com/

 

Landsknecht16JH.jpgDossier “Géopolitique”:

 

Robert STEUCKERS:

Rudolf Kjellen (1864-1922)

 

Louis PALLENBORN:

Introduction à la géopolitique (entretien)

 

René-Eric DAGORN:

La géopolitique en mutation

 

Hervé COUTAU-BEGARIE:

Critique de la géopolitique

 

Dossier “Guerillas”:

 

Christian NEKVEDAVICIUS:

Guerilla dans les forêts de Lituanie

 

Arnaud LUTIN:

La longue nuit d’un “Frère de la Forêt”

 

Dag KRIENEN:

Nouvelles études sur la guerre des partisans en Biélorussie (1941-1944)

 

Dossier “Participation”:

 

Robert STEUCKERS:

Participation gaullienne et “ergonisme”: deux corpus d’idées pour la société de demain

 

Ange SAMPIERU:

La participation: une idée neuve?

 

Pascal SIGODA:

Charles De Gaulle, la “révolution conservatrice” et le personnalisme du mouvement l’Ordre Nouveau

 

Jean-Jacques MOURREAU:

De Gaulle, visionnaire de l’Europe

 

Dossier “Synergies Européennes”:

 

Robert STEUCKERS:

Discours pour l’Europe

(Paris, 9 novembre 1988)

 

Robert STEUCKERS:

Réflexions sur le destin et l’actualité de l’Europe

(Paris, mai 1985, colloque “Troisième Voie”)

 

Robert STEUCKERS:

Pour préciser les positions de SYNERGIES EUROPEENNES

(Questions de Pieter Vandamme)

 

Hors dossiers:

 

Thierry MUDRY:

L’itinéraire d’Ernst Niekisch

 

Alois PRESSLER:

Réflexions sur le voyage de Guillaume II en Palestine

 

Robert STEUCKERS:

Herman Wirth (1885-1981)

 

lundi, 15 février 2010

Guillaume Faye et la "convergence des catastrophes"

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2006

Guillaume Faye et la “Convergence des catastrophes”

par Robert STEUCKERS

Introduction à la présentation par Guillaume Faye du livre “La convergence des catastrophes”, signé Guillaume Corvus, Bruxelles, Ravensteinhof, 21 janvier 2006

Dans l’introduction à l’une des versions italiennes du premier livre de Guillaume Faye, “Le système à tuer les peuples”, j’avais tenté de brosser succinctement son itinéraire politique, depuis ses années d’étudiant à l’IEP et à la Sorbonne. J’avais rappelé l’influence d’un Julien Freund, des thèses de Pareto, de Bertrand de Jouvenel sur ce jeune étudiant dont la vocation allait être de mener un combat métapolitique, via le “Cercle Spengler” d’abord, via le GRECE (Groupe de Recherche et d’Etudes sur la Civilisation Européenne) ensuite. J’avais insisté aussi sur son interprétation de Nietzsche, où, comme Alexis Philonenko, il pariait sur un rire sonore et somme toute rabelaisien, un rire déconstructeur et reconstructeur tout à la fois, sur la moquerie qui dissout les certitudes des médiocres et des conformistes. Je ne vais pas répéter aujourd’hui tout cet exposé, qu’on peut lire sur internet, mais je me concentrerai surtout sur une notion omniprésente dans les travaux de Faye, la notion cardinale de “politique”, oui, sur cette “notion du politique”, si chère au Professeur Julien Freund. L’espace du politique, et non pas de la politique (politicienne), est l’espace des enjeux réels, ceux qui décident de la vie ou de la survie d’une entité politique. Cette vie et cette survie postulent en permanence une bonne gestion, un bon “nomos de l’oikos” —pour reprendre la terminologie grecque de Carl Schmitt— une pensée permanente du long terme et non pas une focalisation sur le seul court terme, l’immédiat sans profondeur temporelle et le présentisme répétitif dépourvu de toute prospective.

Le bon “nomos” est celui qui assure donc la survie d’une communauté politique, d’un Etat ou d’un empire, qui, par la clairvoyance et la prévoyance quotidiennes qu’il implique, génère une large plus-value, en tous domaines, qui conduit à la puissance, au bon sens du terme. La puissance n’est rien d’autre qu’un solide capital de ressources matérielles et immatérielles, accumulées en prévision de coups durs, de ressacs ou de catastrophes. C’est le projet essentiel de Clausewitz, dont on fait un peu trop rapidement un belliciste à tous crins. Clausewitz insiste surtout sur l’accumulation de ressources qui rendront la guerre inutile, parce que l’ennemi n’osera pas affronter une politie bien charpentée, ou qui, si elle se déclenche quand même, fera de mon entité politique un morceau dur ou impossible à avaler, à mettre hors jeu. Ce n’est rien d’autre qu’une application du vieil adage romain: “Si vis pacem, para bellum”.

L’oeuvre immortelle de Carl Schmitt et de Julien Freund

D’où nous vient cette notion du “politique”?

Elle nous vient d’abord de Carl Schmitt. Pour qui elle s’articule autour de deux vérités observés au fil de l’histoire :

1) Le politique est porté par une personne de chair et de sang, qui décide en toute responsabilité (Weber). Le modèle de Schmitt, catholique rhénan, est l’institution papale, qui décide souverainement et en ultime instance, sans avoir de comptes à rendre à des organismes partiels et partisans, séditieux et centrifuges, mus par des affects et des intérêts particuliers et non généraux.

2) La sphère du politique est solide si le principe énoncé au 17ième siècle par Thomas Hobbes est honoré : “Auctoritas non veritas facit legem” (C’est l’autorité et non la vérité qui fait la loi/la norme). Nous pourrions, au seuil de ce 21ième siècle, qui s’annonce comme un siècle de catastrophes, tout comme le 20ième, étendre cette réflexion de Hobbes et dire : “Auctoritas non lex facit imperium”, soit “C’est l’autorité et non la loi/la norme qui fait l’empire”. Schmitt voulait dénoncer, en rappelant la science politique de Hobbes, le danger qu’il y a à gouverner les états selon des normes abstraites, des principes irréels et paralysants, parfois vecteurs de dissensions calamiteuses pouvant conduire à la guerre civile. Quelques décennies d’une telle gouvernance et les “noeuds gordiens” s’accumulent et figent dangereusement les polities qui s’en sont délectée. Il faut donc des autorités (personnelles ou collégiales) qui parviennent à dénouer ou à trancher ces “noeuds gordiens”.

Cette notion du politique nous vient ensuite du professeur strasbourgeois Julien Freund, qui était, il est vrai, l’un des meilleurs disciples de Carl Schmitt. Il a repris à son compte cette notion, l’a appliquée dans un contexte fort différent de celui de l’Allemagne de Weimar ou du nazisme, soit celui de la France gaullienne et post-gaullienne, également produit de la pensée de Carl Schmitt. En effet, il convient de rappeler ici que René Capitant, auteur de la constitution présidentialiste de la 5ième République, est le premier et fidèle disciple français de Schmitt. Le Président de la 5ième République est effectivement une “auctoritas”, au sens de Hobbes et de Schmitt, qui tire sa légitimité du suffrage direct de l’ensemble de la population. Il doit être un homme charismatique de chair et de sang, que tous estiment apte à prendre les bonnes décisions au bon moment. Julien Freund, disciple de Schmitt et de Capitant, a coulé ses réflexions sur cette notion cardinale du politique dans un petit ouvrage qu’on nous faisait encore lire aux Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles il y a une trentaine d’années: “Qu’est-ce que le politique?” (Ed. du Seuil). Cet ouvrage n’a pas pris une ride. Il reste une lecture obligatoire pour qui veut encore, dans l’espace politique, penser clair et droit en notre période de turbulences, de déliquescences et de déclin.

René Thom et la théorie des catastrophes

Comment cette notion du politique s’articule-t-elle autour de la thématique qui nous préoccupe aujourd’hui, soit la “convergences des catstrophes”? Faye est le benjamin d’une chaine qui relie Clausewitz à Schmitt, Schmitt à Capitant, Capitant à Freund et Freund à lui-même et ses amis. Ses aînés nous ont quittés : ils ne vivent donc pas l’ère que nous vivons aujourd’hui. D’autres questions cruciales se posent, notamment celle-ci, à laquelle répond l’ouvrage de Guillaume Corvus: “Le système (à tuer les peuples) est-il capable de faire face à une catastrophe de grande ampleur, à plusieurs catastrophes simultanées ou consécutives dans un laps de temps bref, ou, pire à une convergences de plusieurs catastrophes simultanées?”. Au corpus doctrinal de Schmitt et Freund, Corvus ajoute celui du mathématicien et philosophe français René Thom, qui constate que tout système complexe est par essence fragile et même d’autant plus fragile que sa complexité est grande. Corvus exploite l’oeuvre de Thom, dans la mesure où il rappelle qu’un événement anodin peut créer, le cas échéant, des réactions en chaîne qui conduisent à la catastrophe par implosion ou par explosion. On connait ce modèle posé maintes fois par certains climatologues, observateurs de catastrophes naturelles: le battement d’aile d’un papillon à Hawai peut provoquer un tsunami au Japon ou aux Philippines. Les théories de Thom trouvent surtout une application pratique pour observer et prévenir les effondrements boursiers : en effet, de petites variations peuvent déboucher sur une crise ou un krach de grande ampleur.

Corvus soulève donc la question sur le plan de la gestion des Etats voire du village-monde à l’heure de la globalisation: l’exemple de l’ouragan qui a provoqué fin août les inondations de la Nouvelle-Orléans prouve d’ores et déjà que le système américain ne peut gérer, de manière optimale, deux situations d’urgence à la fois : la guerre en Irak, qui mobilise fonds et énergies, et les inondations à l’embouchure du Mississippi (dont la domestication du bassin a été le projet premier de Franklin Delano Roosevelt, pour lequel il a mobilisé toutes les énergies de l’Amérique à l’ “ère des directeurs” —ces termes sont de James Burnham— et pour lequel il a déclenché les deux guerres mondiales afin de glaner les fonds suffisants, après élimination de ses concurrents commerciaux allemands et japonais, et de réaliser son objectif: celui d’organiser d’Est en Ouest le territoire encore hétéroclite des Etats-Unis). La catastrophe naturelle qui a frappé la Nouvelle-Orléans est, en ce sens, l’indice d’un ressac américain en Amérique du Nord même et, plus encore, la preuve d’une fragilité extrême des systèmes hyper-complexes quand ils sont soumis à des sollicitations multiples et simultanées. Nous allons voir que ce débat est bien présent aujourd’hui aux Etats-Unis.

Qu’adviendrait-il d’une France frappée au même moment par quatre ou cinq catastrophes ?

En France, en novembre 2005, les émeutes des banlieues ont démontré que le système-France pouvait gérer dans des délais convenables des émeutes dans une seule ville, mais non dans plusieurs villes à la fois. La France est donc fragile sur ce plan. Il suffit, pour lui faire une guerre indirecte, selon les nouvelles stratégies élaborées dans les états-majors américains, de provoquer des troubles dans quelques villes simultanément. L’objectif d’une telle opération pourrait être de paralyser le pays pendant un certain temps, de lui faire perdre quelques milliards d’euros dans la gestion de ces émeutes, milliards qui ne pourront plus être utilisés pour les projets spatiaux concurrents et européens, pour la modernisation de son armée et de son industrie militaire (la construction d’un porte-avions par exemple). Imaginons alors une France frappée simultanément par une épidémie de grippe (aviaire ou non) qui mobiliserait outrancièrement ses infrastructures hospitalières, par quelques explosions de banlieues comme en novembre 2005 qui mobiliserait toutes ses forces de police, par des tornades sur sa côte atlantique comme il y a quelques années et par une crise politique soudaine due au décès inopiné d’un grand personnage politique. Inutile d’épiloguer davantage : la France, dans sa configuration actuelle, est incapable de faire face, de manière cohérente et efficace, à une telle convergence de catastrophes.

L’histoire prouve également que l’Europe du 14ième siècle a subi justement une convergence de catastrophes semblable. La peste l’a ravagée et fait perdre un tiers de ses habitants de l’époque. Cette épidémie a été suivie d’une crise socio-religieuse endémique, avec révoltes et jacqueries successives en plusieurs points du continent. A cet effondrement démographique et social, s’est ajoutée l’invasion ottomane, partie du petit territoire contrôlé par le chef turc Othman, en face de Byzance, sur la rive orientale de la Mer de Marmara. Il a fallu un siècle —et peut-être davantage— pour que l’Europe s’en remette (et mal). Plus d’un siècle après la grande peste de 1348, l’Europe perd encore Constantinople en 1453, après avoir perdu la bataille de Varna en 1444. En 1477, les hordes ottomanes ravagent l’arrière-pays de Venise. Il faudra encore deux siècles pour arrêter la progression ottomane, après le siège raté de Vienne en 1683, et presque deux siècles supplémentaires pour voir le dernier soldat turc quitter l’Europe. L’Europe risque bel et bien de connaître une “période de troubles”, comme la Russie après Ivan le Terrible, de longueur imprévisible, aux effets dévastateurs tout aussi imprévisibles, avant l’arrivée d’un nouvel “empereur”, avant le retour du politique.

“Guerre longue” et “longue catastrophe”: le débat anglo-saxon

Replaçons maintenant la parution de “La convergence des catastrophes” de Guillaume Corvus dans le contexte général de la pensée stratégique actuelle, surtout celle qui anime les débats dans le monde anglo-saxon. Premier ouvrage intéressant à mentionner dans cette introduction est celui de Philip Bobbitt, “The Shield of Achilles. War, Peace and the Course of History” (Penguin, Harmondsworth, 2002-2003) où l’auteur explicite surtout la notion de “guerre longue”. Pour lui, elle s’étend de 1914 à la première offensive américaine contre l’Irak en 1990-91. L’actualité nous montre qu’il a trop limité son champ d’observation et d’investigation : la seconde attaque américaine contre l’Irak en 2003 montre que la première offensive n’était qu’une étape; ensuite, l’invasion de l’Afghanistan avait démontré, deux ans auparavant, que la “guerre longue” n’était pas limitée aux deux guerres mondiales et à la guerre froide, mais englobait aussi des conflits antérieurs comme les guerres anglo-russes par tribus afghanes interposées de 1839-1842, la guerre de Crimée, etc. Finalement, la notion de “guerre longue” finit par nous faire découvrir qu’aucune guerre ne se termine définitivement et que tous les conflits actuels sont in fine tributaires de guerres anciennes, remontant même à la protohistoire (Jared Diamonds, aux Etats-Unis, l’évoque dans ses travaux, citant notamment que la colonisation indonésienne des la Papouasie occidentale et la continuation d’une invasion austronésienne proto-historique; ce type de continuité ne s’observa pas seulement dans l’espace austral-asiatique).

Si l’on limite le champ d’observation aux guerres pour le pétrole, qui font rage plus que jamais aujourd’hui, la période étudiée par Bobbitt ne l’englobe pas tout à fait: en effet, les premières troupes britanniques débarquent à Koweit dès 1910; il conviendrait donc d’explorer plus attentivement le contexte international, immédiatement avant la première guerre mondiale. Comme l’actualité de ce mois de janvier 2006 le prouve : ce conflit pour le pétrole du Croissant Fertile n’est pas terminé. Anton Zischka, qui vivra centenaire, sera actif jusqu’au bout et fut l’une des sources d’inspiration majeures de Jean Thiriart, avait commencé sa très longue carrière d’écrivain journaliste en 1925, quand il avait 25 ans, en publiant un ouvrage, traduit en français chez Payot, sur “La guerre du pétrole”, une guerre qui se déroule sur plusieurs continents, car Zischka n’oubliait pas la Guerre du Chaco en Amérique du Sud (les tintinophiles se rappelleront de “L’oreille cassée”, où la guerre entre le San Theodoros fictif et son voisin, tout aussi fictif, est provoquée par le désir de pétroliers américains de s’emparer des nappes pétrolifières).

Aujourd’hui, à la suite du constat d’une “longue guerre”, posé par Bobbitt et, avant lui, par Zischka, l’auteur américain James Howard Kunstler, dans “La fin du pétrole. Le vrai défi du XXI° siècle” (Plon, 2005) reprend et réactualise une autre thématique, qui avait été chère à Zischka, celle du défi scientifique et énergétique que lancera immanquablement la raréfaction du pétrole dans les toutes prochaines décennies. Pour Zischka, les appareils scientifiques privés et étatiques auraient dû depuis longtemps se mobiliser pour répondre aux monopoles de tous ordres. Les savants, pour Zischka, devaient se mobiliser pour donner à leurs patries, à leurs aires civilisationnelles (Zischka est un européiste et non un nationaliste étroit), les outils nécessaires à assurer leurs autonomies technologique, alimentaire, énergétique, etc. C’est là une autre réponse à la question de Clausewitz et à la nécessité d’une bonne gestion du patrimoine naturel et culturel des peuples. Faye n’a jamais hésité à plaider pour la diversification énergétique ou pour une réhabilitation du nucléaire. Pour lui comme pour d’autres, bon nombre d’écologistes sont des agents des pétroliers US, qui entendent garder les états inclus dans l’américanosphère sous leur coupe exclusive. L’argument ne manque nullement de pertinence, d’autant plus que le pétrole est souvent plus polluant que le nucléaire. Pour Corvus, l’une des catastrophes majeures qui risque bel et bien de nous frapper bientôt, est une crise pétrolière d’une envergure inédite.

La fin du modèle urbanistique américain

Les arguments de Corvus, nous les retrouvons chez Kunstler, preuve une nouvelle fois que ce livre sur la convergence des catstrophes n’a rien de marginal comme tentent de le faire accroire certains “aggiornamentés” du canal historique de la vieille “nouvelle droite” (un petit coup de patte en passant, pour tenter de remettre les pendules à l’heure, même chez certains cas désespérés… ou pour réveiller les naïfs qui croient encore —ou seraient tentés de croire— à ces stratégies louvoyantes et infructueuses…). Kunstler prévoit après la “longue guerre”, théorisée par Bobbitt, ou après la longue guerre du pétrole, décrite dans ses premiers balbutiements par Zischka, une “longue catastrophe”. Notamment, il décrit, de manière fort imagée, en prévoyant des situations concrètes possibles, l’effondrement de l’urbanisme à l’américaine. Ces villes trop étendues ne survivraient pas en cas de disparition des approvisionnements de pétrole et, partant, de l’automobile individuelle. 80% des bâtiments modernes, explique Kunstler, ne peuvent survivre plus de vingt ans en bon état de fonctionnement. Les toitures planes sont recouvertes de revêtements éphémères à base de pétrole, qu’il faut sans cesse renouveler. Il est en outre impossible de chauffer et d’entretenir des super-marchés sans une abondance de pétrole. La disparition rapide ou graduelle du pétrole postule un réaménagement complet des villes, pour lequel rien n’a jamais été prévu, vu le mythe dominant du progrès éternel qui interdit de penser un ressac, un recul ou un effondrement. Les villes ne pourront plus être horizontales comme le veut l’urbanisme américain actuel. Elle devront à nouveau se verticaliser, mais avec des immeubles qui ne dépasseront jamais sept étages. Il faudra revenir à la maçonnerie traditionnelle et au bois de charpente. On imagine quels bouleversements cruels ce réaménagement apportera à des millions d’individus, qui risquent même de ne pas survivre à cette rude épreuve, comme le craint Corvus. Kunstler, comme Corvus, prévoit également l’effondrement de l’école obligatoire pour tous : l’école ne sera plus “pléthorique” comme elle l’est aujourd’hui, mais s’adressera à un nombre limité de jeunes, ce qui conduira à une amélioration de sa qualité, seul point positif dans la catastrophe imminente qui va nous frapper.

La “quatrième guerre mondiale” de Thierry Wolton

Pour ce qui concerne le défi islamique, que Faye a commenté dans le sens que vous savez, ce qui lui a valu quelques ennuis, un autre auteur, Thierry Wolton, bcbg, considéré comme “politiquement correct”, tire à son tour la sonnette d’alarme, mais en prenant des options pro-américaines à nos yeux inutiles et, pire, dépourvues de pertinence. Dans l’ouvrage de Wolton, intitulé “La quatrième guerre mondiale” (Grasset, 2005), l’auteur évoque l’atout premier du monde islamique, son “youth bulge”, sa “réserve démographique”. Ce trop-plein d’hommes jeunes et désoeuvrés, mal formés, prompts à adopter les pires poncifs religieux, est une réserve de soldats ou de kamikazes. Mais qui profiteront à qui? Aucune puissance islamique autonome n’existe vraiment. Les inimitiés traversent le monde musulman. Aucun Etat musulman ne peut à terme servir de fédérateur à une umma offensive, malgré les rodomontades et les vociférations. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de se servir de cette masse démographique disponible pour avancer leurs pions dans cet espace qui va de l’Egypte à l’Inde et de l’Océan Indien à la limite de la taïga sibérienne. Certes, l’opération de fédérer cette masse territoriale et démographique sera ardue, connaîtra des ressacs, mais les Etats-Unis auront toujours, quelque part, dans ce vaste “Grand Moyen Orient”, les dizaines de milliers de soldats disponibles à armer pour des opérations dans le sens de leurs intérêts, au détriment de la Russie, de l’Europe, de la Chine ou de l’Inde. Avec la Turquie, jadis fournisseur principal de piétaille potentielle pour l’OTAN ou l’éphémère Pacte de Bagdad du temps de la Guerre froide dans les années 50, branle dans le manche actuellement. Les romans d’un jeune écrivain, Burak Turna, fascinent le public turc. Ils évoquent une guerre turque contre les Etats-Unis et contre l’UE (la pauvre….), suivie d’une alliance russo-turque qui écrasera les armées de l’UE et plantera le drapeau de cette alliance sur les grands édifices de Vienne, Berlin et Bruxelles. Ce remaniement est intéressant à observer : le puissant mouvement des loups gris, hostiles à l’adhésion turque à l’UE et en ce sens intéressant à suivre, semble opter pour les visions de Turna.

Dans ce contexte, mais sans mentionner Turna, Wolton montre que la présence factuelle du “youth bulge” conduit à la possibilité d’une “guerre perpétuelle”, donc “longue”, conforme à la notion de “jihad”. Nouvelle indice, après Bobbitt et Kunstler, que le pessimisme est tendance aujourd’hui, chez qui veut encore penser. La “guerre perpétuelle” n’est pas un problème en soi, nous l’affrontons depuis que les successeurs du Prophète Mohamet sont sortis de la péninsule arabique pour affronter les armées moribondes des empires byzantins et perses. Mais pour y faire face, il faut une autre idéologie, un autre mode de pensée, celui que l’essayiste et historien américain Robert Kaplan suggère à Washington de nos jours : une éthique païenne de la guerre, qu’il ne tire pas d’une sorte de new age à la sauce Tolkien, mais notamment d’une lecture attentive de l’historien grec antique Thucydide, premier observateur d’une “guerre longue” dans l’archipel hellénique et ses alentours. Kaplan nous exhorte également à relire Machiavel et Churchill. Pour Schmitt hier, comme pour Kaplan aujourd’hui, les discours normatifs et moralisants, figés et soustraits aux effervescences du réel, camouflent des intérêts bornés ou des affaiblissements qu’il faut soigner, guérir, de toute urgence.

L’infanticide différé

Revenons à la notion de “youth bulge”, condition démographique pour mener des guerres longues. Utiliser le sang des jeunes hommes apparait abominable, les sacrifier sur l’autel du dieu Mars semble une horreur sans nom à nos contemporains bercés par les illusions irénistes qu’on leur a serinées depuis deux ou trois décennies. En Europe, le sacrifice des jeunes générations masculines a été une pratique courante jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Ne nous voilons pas la face. Nous n’avons pas été plus “moraux” que les excités islamiques d’aujourd’hui et que ceux qui veulent profiter de leur fougue. La bataille de Waterloo, à quinze kilomètres d’ici, est une bataille d’adolescents fort jeunes, où l’on avait notamment fourré dans les uniformes d’une “Landwehr du Lünebourg” tous les pensionnaires des orphelinats du Hanovre, à partir de douze ans. La lecture des ouvrages remarquables du démographe français Gaston Bouthoul, autre maître à penser de Faye, nous renseigne sur la pratique romaine de l’”infanticide différé”. Rome, en armant ces légions, supprimait son excédent de garçons, non pas en les exposant sur les marges d’un temple ou en les abandonnant sur une colline, mais en différant dans le temps cette pratique courante dans les sociétés proto-historiques et antiques. Le jeune homme avait le droit à une enfance, à être nourri avant l’âge adulte, à condition de devenir plus tard soldat de dix-sept à trente-sept ans. Les survivants se mariaient et s’installaient sur les terres conquises par leurs camarades morts. L’empire ottoman reprendra cette pratique en armant le trop-plein démographique des peuples turcs d’Asie centrale et les garçons des territoires conquis dans les Balkans (les janissaires). La raison économique de cette pratique est la conquête de terres, l’élargissement de l’ager romanus et l’élimination des bouches inutiles. Le ressac démographique de l’Europe, où l’avortement remboursé a remplacé l’infanticide différé de Bouthoul, rend cette pratique impossible, mais au détriment de l’expansion territoriale. Le “youth bulge” islamique servira un nouveau janissariat turc, si les voeux de Turna s’exaucent, la jihad saoudienne ou un janissariat inversé au service de l’Amérique.

Que faire ?

L’énoncé de tous ces faits effrayants qui sont ante portas ne doit nullement conduire au pessimisme de l’action. Les réponses que peut encore apporter l’Europe dans un sursaut in extremis (dont elle a souvent été capable : les quelques escouades de paysans visigothiques des Cantabriques qui battent les Maures vainqueurs et arrêtent définitivement leur progression, amorçant par là la reconquista; les Spartiates des Thermopyles; les défenseurs de Vienne autour du Comte Starhemberg; les cent trente-cinq soldats anglais et gallois de Rorke’s Drift; etc.) sont les suivantes :

- Face au “youth bulge”, se doter une supériorité technologique comme aux temps de la proto-histoire avec la domestication du cheval et l’invention du char tracté; mais pour renouer avec cette tradition des “maîtres des chevaux”, il faut réhabiliter la discipline scolaire, surtout aux niveaux scientifiques et techniques.

- Se remémorer l’audace stratégique des Européens, mise en exergue par l’historien militaire américain Hanson dans “Why the West has always won”. Cela implique la connaissance des modèles anciens et modernes de cette audace impavide et la création d’une mythologie guerrière, “quiritaire”, basée sur des faits réels comme l’Illiade en était une.

- Rejeter l’idéologie dominante actuelle, créer un “soft power” européen voire euro-sibérien (Nye), brocarder l’ “émotionalisme” médiatique, combattre l’amnésie historique, mettre un terme à ce qu’a dénoncé Philippe Muray dans “Festivus festivus” (Fayard, 2005), et, antérieurement, dans “Désaccord parfait” (coll. “Tel”, Gallimard), soit l’idéologie festive, sous toutes ses formes, dans toute sa nocivité, cette idéologie festive qui domine nos médias, se campe comme l’idéal définitif de l’humanité, se crispe sur ses positions et déchaîne une nouvelle inquisition (dont Faye et Brigitte Bardot ont été les victimes).

C’est un travail énorme. C’est le travail métapolitique. C’est le travail que nous avons choisi de faire. C’est le travail pour lequel Guillaume Faye, qui va maintenant prendre la parole, a consacré toute sa vie. A vous de reprendre le flambeau. Nous ne serons écrasés par les catastrophes et par nos ennemis que si nous laissons tomber les bras, si nous laissons s’assoupir nos cerveaux.

jeudi, 11 février 2010

R. Steuckers: Referate und Seminare / Jahr 2009

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Wien - Oktober 2007 - Foto: AnaR

Robert Steuckers: Referate und Seminare / Jahr 2009

 

-         24. Januar 2009 : Vortrag des Prof. Dr. Koen Elst im Kulturzentrum der Stadt Izegem (West-Flandern). Das Ereignis wurde von der Redaktion der Zeitschrift „Identiteit“ veranstaltet. Prof. Dr. Koen Elst ist Indien- und China-Spezialist der Universität Löwen (Flandern). In seinem Vortrag hat er über seine regelmäßigen  Aufenthalte in Indien referiert und bewiesen das die Verteidigung der indisch-vedischen Identität, wie auch der Nobelpreisträger Naipaul es empfiehlt, eine Notwendigkeit ist und ein Beispiel für Europa dem Islamfundamentalismus gegenüber.

 

-         07. Februar 2009 : Pariser Kolloquium des Vereins „Mémorial des Rois“ unter Leitung des iranischen Ingenieurs Chahpour Sadler. Unter den Referenten, Prof. Dr. Jean Haudry, der über den Begriff des Königstums bei den Indogermanen gesprochen hat; Prof. Charles-Henry de Fouchecour, der über das „Buch der Könige“ („Schahnameh“) des persischen Dichters Firdaussi referiert hat; Firdaussi hatte diesen Epos von mehr als 55.000 Versen geschrieben, damit das vorislamische Gedächtnis des Irans nicht durch den aus dem arabischen Halbinsel importierten Glauben definitiv zerstört wurde;  und Robert Steuckers, der über die Ereignisse der iranischen Geschichte im Laufe der letzten dreißig Jahre; Steuckers hat auch erklärt warum er sich so sehr für die iranische Geschichte interessiert: weil er dem Gedächtnis des surrealistischen Malers, flämischen Dichters und Kunsthistorikers Marc Eemans treu bleiben wollte. Vor dem zweiten Weltkrieg, hatte Eemans die künstlerischen Werten, die der persische Dichter Sohrawardi in seinem Werk entstehen liess, in seiner philosophisch-religionsgeschichtlichen Zeitschrift „Hermès“ (Brüssel, 1933-1940) wieder entdeckt. Sohrawardi führte im damaligen Iran einen erneuten indogermanischen Lichtkultus ein, den der französische Iranolog Henri Corbin, ehemaliger Mitarbeiter von „Hermès“, nach 1945 wissenschaftlich erforschen wird.

 

-         05. März 2009 : Für die deutsch-flämische Burschenschaft der Universitätsstadt  Löwen, referierte Robert Steuckers über Geopolitik. In dieser Einleitung in das Fach Geopolitik, ging es hauptsächlich über die angelsächsischen Lehren McKinders und Leas, die heutzutage noch die Grundlage des US-Imperialismus darstellen.

 

-         26. März 2009 : Für die Abteilung der „Terre & Peuple“-Bewegung in der Region Lille, referiert Robert Steuckers über die verschiedenen Strömungen innerhalb des Islamfundamentalismus. Sein Vortrag war eine Aktualisierung seiner Äußerungen zur Gelegenheit des Kolloquiums der „Gesellschaft für Freie Publizistik“ in Bayreuth (April 2006).

 

-         16. April 2009: Für das Kulturinstitut der welschschweizerischen Stadt Genf, referiert Robert Steuckers über den russischen Dichter Alexander Solschenitsyn und legt dabei den Akzent über seine Erinnerung aus der Zeit unmittelbar nach dem zweiten Weltkrieg, wenn er zusammen mit Lew Kopelew in einer Moskauer Gefängnis eingesperrt war. In diesen Gesprächen zwischen Gefangenen findet man die ursprüngliche Quelle seiner scharfen Kritik am Kommunismus sowjetischer Prägung und auch seiner Kritik am westlichen System, die er besonders während seines langen Aufenthaltes in den Vereinigten Staaten entwickelt hat. Steuckers analysierte auch gründlich die Themen aller kritischen Bücher Solschenitsyn, u. a. diejenigen, die uns heute erlauben, eine scharfe Kritik der Mediendiktatur ermöglichen.

 

-         17. April 2009: Für den Proudhon-Kreis unter Leitung des Genfer Anwaltes Pascal Junod, wiederholte Steuckers seinen in Lille gehalten Vortrag (26. März 2009) über den zahlreichen Schattierungen des Islamfundamentalismus.

 

-         25. April 2009: Für den Hermès-Kreis der lothringischen Stadt Metz, referierte Robert Steuckers über die eurasische Idee. Der Text, der dieses Referat als Quelle diente, war ein Vorwort für Dr. Jure Vujics Buch über „Geopolitik und Eurasische Idee“, das in Kroatien erschienen sollte. Steuckers entwickelte in diesem Vorwort die Idee eines indogermanischen Eurasismus, indem man sich davon bewusst sein muss, das Mittelasien ursprünglich indogermanisch war. Turkisch-mongolische Stämme sind nur ab ungefähr 200 vor unserer Zeitrechnung ein Machtfaktor im Norden der heutigen Mandschurei geworden und haben nur sehr langsam ihre Macht im asiatischen Raum ausgedehnt.

 

-         27. Mai 2009: Für den „Brüsseler Kreis“ („Cercle de Bruxelles“), wiederholte Robert Steuckers seinen in Genf gehaltenen Vortrag über Solschenitsyn.

 

-         30. September 2009: Für den „Brüsseler Kreis“ („Cercle de Bruxelles“), wiederholte Robert Steuckers einen Vortrag, den er in Genf in Februar 2008 gehalten hatte. Thema war diesmal die belgische Galionsfigur überhaupt, d. h. diejenige des Zeichners Hergé (alias Georges Rémy), der „Tim und Struppi“ („Tintin et Milou“) ausgefunden hat. Zur Gelegenheit seiner 100. Geburtstag wurde Hergé scharf von einem französischen Polemisten angegriffen, der ihn als „Faschist“ verunglimpfte. Um Hergé zu verteidigen, war es notwendig, zwei Figuren aus seiner Umgebung wieder zu entdecken: der Abt Norbert Wallez, der sich einsetzte für eine flämisch-wallonisch-elsässiche-rheinländische Symbiose, und der „Personnaliste“, Dritter-Weg-Sucher und Journalist Raymond de Becker.  

 

-         05 Dezember 2009: Robert Steuckers wiederholt sein Referat über die Grundlage der angelsächsischen Geopolitik, das er in Löwen Anfang März gehalten hatte, diesmal in der ostflämischen Stadt Gent, für eine Gruppe interessierter  Studenten, Neo-Solidaristen und Anderen.

lundi, 08 février 2010

Nouveautés sur le site "Vouloir"

Nouveautés sur le site

http://vouloir.hautetfort.com/

 

vou-7310.jpgPierre-Jean BERNARD :

Les néo-socialistes au-delà de la gauche et de la droite

 

Carl PEPIN :

Sur Georges Valois

 

Paul SERANT :

Sur Georges Valois

 

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Robert STEUCKERS :

Préface à « Religiosité indo-européenne » de H. F. K. Günther

 

Robert STEUCKERS :

La lecture évolienne des thèses de H. F. K . Günther

 

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Ralf VAN DEN HAUTE :

1984, 1984,5, 1985 ou... d’Orwell à Burgess

 

R. DUMAS :

« 1984 » : roman du pouvoir, pouvoir du roman

 

Takeo DOI :

« 1984 » d’Orwell et la schizophrénie

 

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Bruno FAVRIT :

Hypathie, vierge martyre des païens

 

John THORP :

A la recherche d’Hypathie

 

Jean-Yves DANIEL :

L’astronomie des Grecs ou comment « sauver les phénomènes » ?

 

◊ ◊ ◊

 

Frank GOOVAERTS :

Sur l’itinéraire d’Erich Wichman (1890-1929)

 

Robert STEUCKERS :

Adieu à Frank Goovaerts

vendredi, 29 janvier 2010

Nation et nationalisme, Empire et impérialisme, dévolution et grand espace

 

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Communication de Robert Steuckers

 

au XXIVième Colloque du GRECE, Paris, le 24 mars 1991

 

Nation et nationalisme, Empire et impérialisme, dévolution et grand espace

 

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis et camarades,

 

Le thème de notre colloque d'aujourd'hui est à la fois intemporel et actuel.

 

Actuel parce que le monde est toujours, envers et contre les espoirs des utopistes cosmopolites, un pluriversum  de nations, et parce que nous replongerons tout à l'heure à pieds joints dans l'actualité internationale, marquée par le conflit, donc par la pluralité antagonistes des valeurs et des faits nationaux.

Intemporel parce que nous abordons des questions que toutes les générations, les unes après les autres, remettent inlassablement sur le tapis. En traitant de la nation et du nationalisme, de l'Empire et de l'impérialisme, nous touchons aux questions essentielles du politique, donc aux questions essentielles de l'être-homme, puisqu'Aristote déjà définissait l'homme comme un zoon politikon, comme un être ancré dans une polis, dans une cité, dans une nation. Ancrage nécessaire, ancrage incontournable mais ancrage risqué car précisément il accorde tout à la fois profondeur, sens de la durée et équilibre mais provoque aussi l'enfermement, l'auto-satisfaction, l'installation, la stérilité.

 

Devant le retour en Europe de l'Est et de l'Ouest d'un discours se proclamant nationaliste, il est impératif de comprendre ce double visage que peut prendre le nationalisme, de voir en lui cet avantage et ce risque, cette assurance que procure l'enracinement et ce dérapage qui le fait chavirer dans l'enfermement. Quant à la notion d'empire, elle a désigné au Moyen Age le Reich centre-européen, sorte d'agence qui apaisait les conflits entre les diverses ethnies et les multiples corps qui le composait; puis elle a désigné, sous Bonaparte, le militarisme qui tentait d'imposer partout en Europe des modèles constitutionnels marqués par l'individualisme bourgeois, qui méconnaissaient les logiques agrégatrices et communautaires des corps de métier, des «républiques villageoises» et des pays charnels; ensuite, elle a désigné l'impérialisme marchand et thalassocratique de l'Angleterre, qui visait l'exploitation de colonies par des groupes d'actionnaires, refusant le travail parce que, lecteurs de la Bible, ils voyaient en lui une malédiction divine; leur aisance, leur oisivité, ils la tiraient des spéculations boursières.

 

Cette confusion sémantique, qui vaut pour le terme «nation» comme pour le terme «empire», il importe que nous la dissipions. Que nous clarifions le débat. C'est notre tâche car, volontairement, nous parions pour le long terme et nous refusons de descendre directement dans l'arène politicienne qui nous force toujours aux pires compromis. Si nous ne redéfinissons pas nous-mêmes les concepts, si nous ne diffusons pas nos redéfinitions par le biais de nos stratégies éditoriales, personne ne le fera à notre place. Et la confusion qui règne aujourd'hui persistera. Elle persistera dans le chaos et de ce chaos rien de cohérent ne sortira.

Commençons par définir la nation, en nous rappelant ce qu'Aristote nous enseignait à propos du zoon politikon  ancré dans sa cité. Le politique, qui est l'activité théorique surplombant toutes les autres activités de l'homme en leur conférant un sens, prend toujours et partout son envol au départ d'un lieu qui est destin. A partir de ce lieu se crée une socialité particulière, étayée par des institutions bien adaptées à ce paysage précis, forcément différentes des institutions en vigueur dans d'autres lieux. Nous avons donc affaire à une socialité institutionnalisée qui procure à sa communauté porteuse autonomie et équilibre, lui assure un fonctionnement optimal et un rayonnement maximal dans son environnement. Le rayonnement élargit l'assise de la socialité, crée le peuple, puis la nation. Mais cette nation, produit d'une évolution partie de l'ethnos  originel, se diversifie à outrance au cours de l'évolution historique. En bout de course, nous avons toujours affaire à des nations à dimensions multiples, qui se déploient sur un fond historique soumis à tous les aléas du temps. Toute conception valide de la nation passe par une prise en compte de cette multidimensionalité et de ce devenir. Le peuple est donc une diversité sociologique qu'il faut organiser, notamment par le truchement de l'Etat.

 

L'Etat organise un peuple et le hisse au rang de nation. L'Etat est projet, plan:  il est, vis-à-vis de la concrétude nation, comme l'ébauche de l'architecte par rapport au bâtiment construit, comme la forme par rapport à la matière travaillée. Ce qui implique que l'Etat n'a pas d'objet s'il n'y a pas, au préalable, la concrétude nation. Toutes les idéologies statolâtriques qui prétendent exclure, amoindrir, juguler, réduire la concrétude, la matière qu'est la nation, sont des sottises théoriques. Le peuple précède l'Etat mais sans la forme Etat, il ne devient pas nation, il n'est pas organisé et sombre rapidement dans l'inexistence historique, avant de disparaître de la scène de l'histoire. L'Etat au service de la concrétude peuple, de la populité génératrice d'institutions spécifiques, n'est pas un concept abstrait mais un concept nécessaire, un concept qui est projet et plan, un projet grâce auquel les élites du peuple affrontent les nécessités vitales. L'Etat  —avec majuscule—   organise la totalité du peuple comme l'état  —sans majuscule—  organise telle ou telle strate de la société et lui confère du sens.

 

Mais il est des Etats qui ne sont pas a priori au service du peuple: Dans son célèbre ouvrage sur la définition du peuple (Das eigentliche Volk,  1932), Max Hildebert Boehm nous a parlé des approches monistes du concept Etat, des approches monistes qui refusent de tenir compte de l'autonomie nécessaires des sphères sociales. Ces Etats capotent rapidement dans l'abstraction et la coercition stérile parce qu'ils refusent de se ressourcer en permanence dans la socialité populaire, dans la «populité» (= Volkheit),  de se moduler sur les nécessités rencontrées par les corps sociaux. Cette forme d'Etat coupée du peuple apparaît vers la fin du Moyen Age. Elle provoque une rupture catastrophique. L'Etat se renforce et la socialité se recroqueville. L'Etat veut se hisser au-dessus du temps et de l'espace. Le projet d'Etat absolu s'accompagne d'une contestation qui ébauche des utopies, situées généralement sur des îles, elles aussi en dehors du temps et de l'espace. Dès que l'Etat s'isole de la socialité, il ne l'organise plus, il ne la met plus en forme. Il réprime des autonomies et s'appauvrit du même coup. Quand éclate la révolution, comme en France en 1789, nous n'assistons pas à un retour aux autonomies sociales dynamisantes mais à un simple changement de personnel à la direction de la machine Etat. Les parvenus remplacent les faisandés au gouvernail du bateau.  

C'est à ce moment historique-là, quand la nation concrète a périclité, que nous voyons émerger le nationalisme pervers que nous dénonçons. Le discours des parvenus est nationaliste mais leur but n'est pas la sauvegarde ou la restauration de la nation et de ses autonomies nécessaires, de ses autonomies qui lui permettent de rayonner et de briller de mille feux, de ses autonomies qui ont une dynamique propre qu'aucun décret ne peut régenter sans la meurtrir dangereusement. L'objectif du pouvoir est désormais de faire triompher une idéologie qui refuse de reconnaître les limites spatio-temporelles inhérentes à tout fait de monde, donc à toute nation. Une nation est par définition limitée à un cadre précis. Vouloir agir en dehors de ce cadre est une prétention vouée à l'échec ou génératrice de chaos et d'horreurs, de guerres interminables, de guerre civile universelle. Les révolutionnaires français se sont servis de la nation française pour faire triompher les préceptes de l'idéologie des Lumières. Ce fut l'échec. Les nationaux-socialistes allemands se sont servis de la nation allemande pour faire triompher l'idéal racial nordiciste, alors que les individus de race nordique sont éparpillés sur l'ensemble de la planète et ne constituent donc pas une concrétude pratique car toute concrétude pratique, organisable, est concentrée sur un espace restreint. Les ultramontains espagnols se sont servis des peuples ibériques pour faire triompher les actions du Vatican sur la planète. Les banquiers britanniques se sont servis des énergies des peuples anglais, écossais, gallois et irlandais pour faire triompher le libre-échangisme et permettre aux boursicotiers de vivre sans travailler et sans agir concrètement en s'abstrayant de toutes les limites propres aux choses de ce monde. Les jésuites polonais ont utilisé les énergies de leur peuple pour faire triompher un messianisme qui servait les desseins de l'Eglise.

 

Ce dérapage de l'étatisme, puis du nationalisme qui est un étatisme au service d'une abstraction philosophique, d'une philosophade désincarnée, a conduit aux affrontements et aux horreurs de la guerre de Crimée, de la guerre de 1870, de la guerre des Boers, des guerres balkaniques et de la guerre de 1914. Résultat qui condamne les nationalismes qui n'ont pas organisé leur peuple au plein sens du terme et n'ont fait que les mobiliser pour des chimères idéologiques ou des aventures colonialistes. Inversément, cet échec des nationalismes du discours et non de l'action concrète réhabilite les idéaux nationaux qui ont choisi l'auto-centrage, qui ont choisi de peaufiner une socialité adaptée à son cadre spatio-temporel, qui ont privilégié la rentabilisation de ce cadre en refusant le recours facile au lointain qu'était le colonialisme.

Pour sortir de l'impasse où nous ont conduit les folies nationalistes bellogènes, il faut opérer à la fois un retour aux socialités spatio-temporellement déterminées et il faut penser un englobant plus vaste, un conteneur plus spacieux de socialités diverses.

 

Le Saint-Empire du Moyen Age a été un conteneur de ce type. En langage moderne, on peut dire qu'il a été, avant son déclin, fédératif et agrégateur, qu'il a empêché que des corps étatiques fermés ne s'installent au cœur de notre continent. La disparition de cette instance politique et sacrée à la suite de la fatale calamité des guerres de religion a provoqué le chaos en Europe, a éclaté l'œkoumène européen médiéval. Sa restauration est donc un postulat de la raison pratique. A la suite des discours nationalistes fallacieux, il faut réorganiser le système des Etats européens en évitant justement que les peuples soient mobilisés pour des projets utopiques irréalisables, qu'ils soient isolés du contexte continental pour être mieux préparés par leurs fausses élites aux affrontements avec leurs voisins. Il faut donc réorganiser le continent en ramenant les peuples à leurs justes mesures. Ce retour des limites incontournables doit s'accompagner d'une déconstruction des enfermements stato-nationaux, où les peuples ont été précisément enfermés pour y être éduqués selon les principes de telle ou telle chimère universaliste.

 

Le retour d'une instance comparable au Saint-Empire mais répondant aux impératifs de notre siècle est un vieux souhait. Constantin Frantz, le célèbre philosophe et politologue allemand du XIXième siècle, parlait d'une «communauté des peuples du couchant», organisée selon un fédéralisme agrégateur, reposant sur des principes diamétralement différent de ceux de la révolution française, destructrice des tissus sociaux concrets par excès de libéralisme économique et de militarisme bonapartiste.

 

Guillaume de Molinari, économiste français, réclamait à la fin du XIXième siècle la construction d'un «marché commun» incluant l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, la Hollande, la Belgique, le Danemark et la Suisse. Il a soumis ses projets aux autorités françaises et à Bismarck. Lujo Brentano envisage à la même époque une union économique entre l'Autriche-Hongrie et les nouveaux Etats balkaniques. L'industriel autrichien Alexander von Peez, par un projet d'unification organique de l'Europe, entend répondre aux projets américains de construire l'Union panaméricaine, qui évincera l'Europe d'Amérique latine et amorcera un processus d'«américanisation universelle». Gustav Schmoller affirme que toute politique économique européenne sainement comprise ne peut en aucun cas s'enliser dans les aventures coloniales, qui dispersent les énergies, mais doit se replier sur sa base continentale et procéder à grande échelle à une «colonisation intérieure». Jäckh et Rohrbach théorisent enfin un projet de grande envergure: l'organisation économique de l'Europe selon un axe diagonal Mer du Nord/Golfe Persique. L'objectif de la théorie et de la pratique économiques devait être, pour ces deux économistes des vingt premières années de notre siècle, d'organiser cette ligne, partant de l'embouchure du Rhin à Rotterdam pour s'élancer, via le Main et le Danube, vers la Mer Noire et le Bosphore, puis, par chemin de fer, à travers l'Anatolie et la Syrie, la Mésopotamie et le villayat de Bassorah, aboutir au Golfe Persique. Vous le constatez, on retombe à pieds joints dans l'actualité. Mais, ce projet de Jäckh et de Rohrbach, qu'a-t-il à voir avec le thème de notre colloque? Que nous enseigne-t-il quant au nationalisme ou à l'impérialisme?

Beaucoup de choses. En élaborant leurs projets d'organisation continentale en zones germanique, balkanique et turque, les puissances centrales de 1914 réévaluaient le rôle de l'Etat agrégateur et annonçaient, par la voix du philosophe Meinecke, que l'ère des spéculations politiques racisantes était terminée et qu'il convenait désormais de faire la synthèse entre le cosmopolitisme du XVIIIième siècle et le nationalisme du XIXième siècle dans une nouvelle forme d'Etat qui serait simultanément supranationale et attentive aux ethnies qu'elle englobe. L'Entente, porteuse des idéaux progressistes de l'ère des Lumières, veut, elle, refaire la carte de l'Europe sur base des nationalités, ce qui a fait surgir, après Versailles, une «zone critique» entre les frontières linguistiques allemande et russe. Nous découvrons là la clef du problème qui nous préoccupe aujourd'hui: les puissances porteuses des idéaux des Lumières sont précisément celles qui ont encouragé l'apparition de petits Etats nationaux fermés sur eux-mêmes, agressifs et jaloux de leurs prérogatives. Universalisme et petit-nationalisme marchent la main dans la main. Pourquoi? Parce que l'entité politique impérialiste par excellence, l'Angleterre, a intérêt à fragmenter la diagonale qui s'élance de Rotterdam aux plages du Koweit. En fragmentant cette diagonale, l'Angleterre et les Etats-Unis de Wilson brisent la synergie grande-continentale européenne et ottomane de Vienne au Bosphore et de la frontière turque aux rives du Golfe Persique.

 

Or depuis la chute de Ceaucescu en décembre 1989, tout le cours du Danube est libre, déverrouillé. En 1992, les autorités allemandes inaugureront enfin le canal Main-Danube, permettant aux pousseurs d'emmener leurs cargaisons lourdes de Constantza, port roumain de la Mer Noire, à Rotterdam. Un oléoduc suivant le même tracé va permettre d'acheminer du pétrole irakien jusqu'au cœur industriel de la vieille Europe. Voilà les raisons géopolitiques réelles de la guerre déclenchée par Bush en janvier dernier. Car voici ce que se sont très probablement dit les stratèges des hautes sphères de Washington: «Si l'Europe est reconstituée dans son axe central Rhin-Main-Danube, elle aura très bientôt la possibilité de reprendre pied en Turquie, où la présence américaine s'avèrera de moins en moins nécessaire vu la déliquescence du bloc soviétique et les troubles qui secouent le Caucase; si l'Europe reprend pied en Turquie, elle reprendra pied en Mésopotamie. Elle organisera l'Irak laïque et bénéficiera de son pétrole. Si l'Irak s'empare du Koweit et le garde, c'est l'Europe qui finira par en tirer profit. La diagonale sera reconstituée non plus seulement de Rotterdam à Constantza mais du Bosphore à Koweit-City. La Turquie, avec l'appui européen, redeviendra avec l'Irak, pôle arabe, la gardienne du bon ordre au Proche-Orient. Les Etats-Unis, en phase de récession, seront exclus de cette synergie, qui débordera rapidement en URSS, surtout en Ukraine, pays capable de redevenir, avec un petit coup de pouce, un grenier à blé européen auto-suffisant. Alors, adieu les achats massifs de blé et de céréales aux Etats-Unis! Cette synergie débordera jusqu'en Inde et en Indonésie, marchés de 800 millions et de 120 millions d'âmes, pour aboutir en Australie et en Nouvelle-Zélande. Un grand mouvement d'unification eurasienne verrait le jour, faisant du même coup déchoir les Etats-Unis, en mauvaise posture financière, au rang d'une puissance de second rang, condamnée au déclin. Les Etats-Unis ne seraient plus un pôle d'attraction pour les cerveaux du monde et on risquerait bien de voir s'effectuer une migration en sens inverse: les Asiatiques d'Amérique, qui sont les meilleurs étudiants d'Outre-Atlantique, retourneraient au Japon ou en Chine; les Euro-Américains s'en iraient faire carrière en Allemagne ou en Italie du Nord ou en Suède. Comment éviter cela? En reprenant à notre compte la vieille stratégie britannique de fragmentation de la diagonale! Et où faut-il la fragmenter à moindres frais? En Irak, pays affaibli par sa longue guerre contre l'Iran, pays détenteur de réserves pétrolières utiles à l'Europe».

 

La stratégie anglo-américaine de 1919, visant la fragmentation des Balkans et du Proche-Orient arabe et projetant la partition de la Turquie en plusieurs lambeaux, et la stratégie de Bush qui entend diviser l'Irak en trois républiques distinctes et antagonistes, sont rigoureusement de même essence. L'universalisme libéral-capitaliste, avatar des Lumières, instrumentalise le petit-nationalisme de fermeture pour arriver à asseoir son hégémonie.

 

Au seuil du XXième siècle comme au seuil du XXIième, la necessité d'élargir les horizons politiques aux dimensions continentales ont été et demeurent nécessaires. Au début de notre siècle, l'impératif d'élargissement était dicté par l'économie. Il était quantitatif. Aujourd'hui, il est encore dicté par l'économie et par les techniques de communications mais il est dicté aussi par l'écologie, par la nécessité d'un mieux-vivre. Il est donc aussi qualitatif. L'irruption au cours de la dernière décennie des coopérations interrégionales non seulement dans le cadre de la CEE mais entre des Etats appartenant à des regroupements différents ou régis par des systèmes socio-économiques antagonistes, ont signifié l'obsolescence des frontières stato-nationales actuelles. Les énergies irradiées à partir de diverses régions débordent le cadre désormais exigu des Etats-Nations. Les pays riverains de l'Adriatique et ceux qui forment, derrière la belle ville de Trieste, leur hinterland traditionnel, ont organisé de concert les synergies qu'ils suscitent. En effet, l'Italie, au nom de la structure stato-nationale née par la double action de Cavour et de Garibaldi, doit-elle renoncé aux possibles qu'avaient jadis concrétisé l'élan vénitien vers la Méditerranée orientale? La Sarre, la Lorraine et le Luxembourg coopèrent à l'échelon régional. Demain, l'axe Barcelone-Marseille-Turin-Milan fédèrera les énergies des Catalans, des Languedociens, des Provençaux, des Piémontais et des Lombards, en dépit des derniers nostalgiques qui veulent tout régenter au départ de Madrid, Paris ou Rome. Ces coopérations interrégionales sont inéluctables. Sur le plan de la politologie, Carl Schmitt nous a expliqué que le Grand Espace, la dimension continentale, allait devenir l'instance qui remplacera l'«ordre concret» établi par l'Etat depuis Philippe le Bel, Philippe II d'Espagne, François I, Richelieu ou Louis XIV. Ce remplacement est inévitable après les gigantesques mutations de l'ère techno-industrielle. Schmitt constate que l'économie a changé d'échelle et que dans le cadre de l'Etat, figure politique de la modernité, les explosions synergétiques vers la puissance ou la créativité ne sont plus possibles. Le maintien de l'Etat, de l'Etat-Nation replié sur lui-même, vidé de l'intérieur par tout un éventail de tiraillements de nature polycratique, ne permet plus une mobilisation holarchique du peuple qu'il n'administre plus que comme un appareil purement instrumental. Sa décadence et son exigüité appellent une autre dimension, non obsolète celle-là: celle du Grand Espace.

 

Si le Grand Espace est la seule figure viable de la post-modernité, c'est parce qu'on ne peut plus se contenter de l'horizon régional de la patrie charnelle ou de l'horizon supra-régional de l'Etat-Nation moderne. L'horizon de l'avenir est continental mais diversifié. Pour pouvoir survivre, le Grand Espace doit être innervé par plusieurs logiques de fonctionnement, pensées simultanément, et être animé par plusieurs stratégies vitales concomitantes. Cette pluralité, qui n'exclut nullement la conflictualité, l'agonalité, est précisément ce que veulent mettre en exergue les différentes écoles de la post-modernité.

 

Cette post-modernité du Grand Espace, animé par une pluralité de logiques de fonctionnement, condamne du même coup les monologiques du passé moderne, les monologiques de ce passatisme qu'est devenue la modernité. Mais elle condamne aussi la logique homogénéisante de l'impérialisme commercial et gangstériste des Etats-Unis et la monologique frileuse des gardiens du vieil ordre stato-national.

 

Pour organiser le Grand Espace, de Rotterdam à Constantza ou le long de toute la diagonale qui traverse l'Europe et le Proche-Orient de la Mer du Nord au Koweit, il faut au moins une double logique. D'abord une logique dont un volet réclame la dévolution, le recentrage des énergies populaires européennes sur des territoires plus réduits, parce que ces territoires ne seront alors plus contraints de ne dialoguer qu'avec une seule capitale mais auront la possibilité de multiplier leurs relations interrégionales. Ensuite une logique qui vise l'addition maximale d'énergies en Europe, sur le pourtour de la Méditerranée et au Proche-Orient.

L'adhésion à la nation, en tant qu'ethnie, demeure possible. Le dépassement de cet horizon restreint aussi, dans des limites élargies, celles du Grand Espace. L'ennemi est désigné: il a deux visages selon les circonstances; il est tantôt universaliste/mondialiste, tantôt petit-nationaliste. Il est toujours l'ennemi de l'instance que Carl Schmitt appelait de ses vœux.

 

Que faire? Eh bien, il faut 1) Encourager les logiques de dévolution au sein des Etats-Nations; 2) Accepter la pluralité des modes d'organisation sociale en Europe et refuser la mise au pas généralisée que veut nous imposer l'Europe de 1993; 3) Recomposer la diagonale brisée par les Américains; 4) Organiser nos sociétés de façons à ce que nos énergies et nos capitaux soient toujours auto-centrés, à quelqu'échelon du territoire que ce soit; 5) Poursuivre la lutte sur le terrain métapolitique en s'attaquant aux logiques de la désincarnation, avatars de l'idéologie des Lumières.

 

Pour conclure, je lance mon appel traditionnel aux cerveaux hardis et audacieux, à ceux qui se sentent capables de s'arracher aux torpeurs de la soft-idéologie, aux séductions des pensées abstraites qui méconnaissent limites et enracinements. A tous ceux-là, notre mouvement de pensée ne demande qu'une chose: travailler à la diffusion de toutes les idées qui transgressent les enfermements intellectuels, le prêt-à-penser.

Je vous remercie.

 

Robert Steuckers.

 

lundi, 11 janvier 2010

Nouveaux articles sur le site "Vouloir"

iliade.jpgNouveaux articles sur le site

http://vouloir.hautetfort.com/

 

Frank GOOVAERTS :

Sur l’itinéraire d’Erich Wichman (1890-1929)

 

Robert STEUCKERS :

Hommage à Frank Goovaerts

 

◊◊◊

 

DOSSIER « PAGANISME »

 

Alessandra COLLA :

Notes relatives à l’ESSAI SUR PAN de James Hillman – L’homme et son « alter ego » : nature et écologie

 

Anne MUNSBACH :

« Antaios », fer de lance de la reconquête païenne

 

Christopher GERARD :

La vraie religion de l’Europe

 

DOSSIER de PRESSE sur les romans et essais de Christopher GERARD,

avec textes et recensions d’Incitatus, Jacques Franck (« la Libre Belgique »), daniel Cologne, Robert Badinand, A. Bordes, P. L. Moudenc, Luc-Olivier d’Algange, Laurent Schang, Jacques De Decker, etc.

 

Jean VERTEMONT :

Qu’est-ce que le paganisme ?

 

◊◊◊

 

DOSSIER « ORTEGA Y GASSET »

 

Robert STEUCKERS :

José Ortega y Gasset, philosophe espagnol du politique

 

Textes : « Ortega, un grand hérétique » & « Ortega y Gasset contre Stendhal »

 

◊◊◊

 

Entretien-éclair avec Robert STEUCKERS :

Deux questions à la fin de la première décennie du XXI° siècle (décembre 2009)

 

Entretien de Robert STEUCKERS à « Volk in Bewegung »

Propos recueillis par Andreas THIERRY (novembre 2009)

 

Robert STEUCKERS :

Entretien sur la Russie accordé à « ID Magazine » (2006)

 

◊◊◊

 

DOSSIER « ERNST KANTOROWICZ »

 

Stefan PIETSCHMANN :

Ernst Kantorowicz, biographe de Frédéric II de Hohenstaufen

 

Xavier RIHOIT :

Ernst Kantorowicz, clerc-guerrier du XX° siècle

 

Patrick BOUCHERON :

« Les deux corps du Roi » d’Ernst Kantorowicz

 

◊◊◊

 

Robert STEUCKERS :

Silvio Gesell : le « Marx » des anarchistes

 

DOSSIER « Monnaie » à consulter sur internet

 

◊◊◊

 

DOSSIER « WILHELM STAPEL »

 

Dr. Karlheinz WEISSMANN :

Sur Wilhelm Stapel

Robert STEUCKERS :

La contribution de Wilhelm Stapel à « Il régime fascista »

◊◊◊

Ulli BAUMGARTEN :

Edwin Erich Dwinger : donner un sens à la souffrance

http://vouloir.hautetfort.com/

 

mercredi, 02 décembre 2009

Trois nouveaux dossiers sur le site de la revue "Vouloir"

 

Sur http://vouloir.hautetfort.com/

 

Trois nouveaux dossiers !

Dossier “Spengler”

Dossier “Révolution conservatrice”

Dossier “Décisionnisme”

 

Dossier “Spengler”

 

 

 

Robert STEUCKERS:

Les matrices préhistoriques des civilisations antiques dans l’oeuvre posthume de Spengler: Atlantis, Kash et Touran

 

Robert STEUCKERS:

Le rapport Evola/Spengler

 

Oswald SPENGLER:

Le regard historique

 

Patrice BOLLON:

Oswald Spengler: le “Copernic de l’histoire”

 

William DEBBINS:

Le déclin de l’Occident

 

Gennaro MALGIERI:

Les années décisives

 

Mireille MARC-LIPIANSKY:

Crise ou déclin de l’Occident

 

Julius EVOLA:

L’Europe ou la conjuration du déclin?

 

Dossier “Révolution conservatrice”

 

 

 

Robert STEUCKERS:

“La Révolution Conservatrice”, thèse d’Armin Mohler

 

Robert STEUCKERS:

Révolution conservatrice, forme catholique et “ordo aeternus” romain

 

Dossier “Décisionnisme”

 

 

 

Holger von DOBENECK:

Panajotis Kondylis: Pouvoir et décision

 

Hans B. von SOTHEN:

Hommage à Panajotis Kondylis (1943-1998)

 

En annexe:

P. CHRISTIAS:

Ennemi et décision – Hommage à Panajotis Kondylis

 

Julien FREUND:

Que veut dire prendre une décision?

 

En annexe:

S. de la TOUANNE:

Julien Freund, penseur “machiavélien” de la politique

lundi, 16 novembre 2009

Les archives de la revue VOULOIR sur le net!

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Synergies Européennes

 

http://euro-synergies.hautetfort.com/

Communiqué – 16 novembre 2009

 

Chers amis,

 

L’équipe de SYNERGIES EUROPEENNES/France a entrepris de classer nos archives sur un nouveau site : http://vouloir.hautetfort.com/ . Vous y trouverez quelques deux cents articles, remontant jusqu’à 1981 !

 

Parmi les derniers articles affichés :

 

Luis FRAGA :

Cioran : un hurlement lucide

 

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Sur le bon usage du mythème

 

Tiana BERGER :

Hugo Fischer : le maître-à-penser d’Ernst Jünger

 

Ernst NIEKISCH :

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Laurent SCHANG :

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Hugo DYSERINCK :

L’esprit européen chez Keyserling

 

Robert STEUCKERS :

Variations autour du thème « Russie »

 

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samedi, 07 novembre 2009

"Vitales Denken ist inkorrekt"

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Politische Theorie: Interview mit Robert Steuckers

"Vitales Denken ist inkorrekt"

von Jürgen Hatzenbichler

 

In diesem Jahr haben wir das 30jährige Jubiläum der 68er Revolte. Welchen Stellenwert hat die Neue Linke heute für einen rechten Diskurs?

 

STEUCKERS: Zunächst muß gesagt werden, daß die Neue Linke in Paris im Mai 1968 zwar demonstrierte, Krawall machte und die Fabriken mobilisierte, daß aber am 30. Mai eine Million Gegendemonstranten auf den Straßen waren, um dem ein Ende zu machen. Also im Mai hat die Rechte gewonnen; im Juni ist de Gaulle zurückgekommen. Man muß festhalten, daß die sogenannte antiautoritäre Bewegung erst 1988 nach der Machtübernahme durch Mitterand mit der Besetzung der Institutionen beginnen konnte. Zwischen 1968 und 1981 hatte in Frankreich die Neue Linke zwar sehr viel Gewicht, aber trotzdem ist die liberal-konservative Rechte an der Macht geblieben und hat ihre Weltanschauung entwickeln können. Man muß außerdem, um ’68 zu verstehen, wissen, daß de Gaulle nach dem Algerienkrieg seinen Kurs vollständig geändert hatte, daß er antiimperialistisch und antiamerikanisch war, daß er 1965 Rußland besucht hat und die Nato verlassen hatte. Er stellte in einer Rede in Kambodscha Frankreich als die führende antiimperialistische Macht dar, als Partner für die Länder, die weder amerikanisch noch kommunistisch waren. Er pflegte auch Kontakte nach Südamerika, so daß die französische Flugzeugindustrie die amerikanische dort verdrängen konnte. 1967 rief er in Québec das "freie Québec" aus, was eine direkte Provokation für die USA war. Die Amerikaner haben das nicht toleriert. Der Mai ’68 ist dann teilweise auch von den amerikanischen Geheimdiensten gemacht worden, damit Frankreich auf seine antiimperialistische Funktion verzichtet.

 

Im deutschen Sprachraum verbindet man 1968 in der Folge mit politischer Korrektheit. Wie hat sich die Revolte im frankophonen Bereich ausgewirkt?

 

STEUCKERS: Der Moralismus ist in Deutschland und bei der deutschen Linken viel stärker ausgeprägt als in Frankreich. In Frankreich gibt es zwei Begriffe. Es gibt den Mai ’68: die Studentenbewegung als eine auflehnende Bewegung. Aber es gibt auch noch das "Denken von 68", la pensée ’68. Wenn man davon spricht, meint man eine Reihe von dekonstruktivistischen Philosophen wie Foucault, Derrida, Deleuze, Guattari oder andere, die sich besonders von Nietzsche haben inspirieren lassen. Heutzutage aber kritisiert die political correctness diese Philosophen, weil sie lebensphilosophisch denken, weil sie "Vitalisten" sind.

 

Diese Methode der Dekonstruktion richtet sich vor allem gegen die Moderne...

 

STEUCKERS: …ja, gegen die Aufklärung. Ich würde hier etwa einen Akzent von Michel Foucault nennen. Foucault gilt selbstverständlich als linker Philosoph, aber er hat am Anfang seiner Karriere, die er mit einem 1961 erschienenen Artikel begonnen hat, eine These entwickelt, die besagt, daß die Aufklärung überhaupt nicht die Befreiung des Menschen ist, sondern der Anfang seiner totalen Überwachung und Bestrafung. Als dieser Artikel erschienen ist, wurde Foucault von gewissen Tugendwächtern als Reaktionär abgestempelt. Foucault war homosexuell; das ist bekannt. Er hat gesagt: "Ich muß mich für die Außenseiter engagieren, ich muß den Linken spielen, anders ist meine philosophische Karriere verloren." Nichtsdestoweniger gilt seine These, daß Aufklärung überwachen und bestrafen heißt. Foucault kritisierte weiter, daß die Aufklärung bis heute die Grundlage des französischen Jakobiner-Staates ist. Für Foucault verkörpert sich die aufklärerische Gesellschaft im neuen panoptischen Gefängnis, wo mitten im Gefängnis ein Turm steht, von dem aus der Wächter beobachten kann, was alle Gefangenen tun. Das Modell der Aufklärung verkörpert also eine gläserne Gesellschaft ohne Mysterien, ohne Privatsphäre oder persönliche Gefühle. Die political correctness hat sehr klar gesehen, daß dieses Denken äußerst gefährlich für die aufklärerischen Staaten ist. Foucault wird als "Vitalist" abgestempelt.

 

Welche Ideen der Neuen Linken sind noch aktuell?

 

STEUCKERS: Diese Frage muß ich über eine Umweg beantworten: Was will die heutige Neue Linke? Will die Neue Linke die Ideen von Foucault weiterverbreiten, also gegen Gesellschaften sein, die die totale Überwachung und Bestrafung wollen? Ich kann nicht für die Linke anworten. Aber was ich sehe, ist, daß die Neue Linke heutzutage gar nicht mehr denkt, sondern eben politische Korrektheit durchsetzen will.

 

Von manchen Rechten wird das Schema Rechts-Links mittlerweile in Frage gestellt. Ist die Aufhebung des Gegensatzes aktuell?

 

STEUCKERS: Ich meine, die Rechte wiederholt seit mehreren Jahrzehnten zu oft die gleichen Schlagwörter. Ich beobachte zwar, daß heutzutage in Deutschland gewisse philosophische Strömungen Foucault zusammen mit Carl Schmitt und Max Weber lesen. Das ist sehr wichtig. Das ist der Kern einer neuen Konservativen Revolution, weil es antiaufklärerisch ist. Wobei ich selber nicht die ganze Aufklärung ablehne – zum Beispiel nicht den aufklärerischen König Friedrich II. von Preußen. Ich leugne nicht alles von Voltaire, der ein aufklärerischer Philosoph war und eine sehr gute Definition von Identität gegeben hat, als er sagte: "Es gibt keine Identität ohne Gedächtnis." Ich lehne also nicht alles ab, ich lehne aber sehr wohl die political correctness ab, die von sich behauptet, daß sie die Erbin der Aufklärung sei und uns eine verballhornte Aufklärung verkauft. Man muß sagen, daß antiaufklärerische Ideen sowohl rechts wie auch links vorhanden sind. Andererseits hat eine gewisse Rechte, vor allem die technologie-konservativen Kräfte, die Frage der Werte nicht mehr gestellt. Diese Konservativen wollen sich aufklärerisch profiliert sehen wie die political-correctness-Linken.

 

Kann man sagen, daß in so einer Gesellschaft, die alles nur noch in ökonomischen und Konsumbegriffen sieht, die linken und rechten Intellektuellen die letzten Verteidiger von Sinn und Wert sind?

 

STEUCKERS: Das hat die amerikanische Debatte sehr gut beantwortet, wo der Philosoph John Rawls die Frage der Gerechtigkeit gestellt hat. Wenn die Aufklärung im Konsumismus endet, ist weder Gemeinschaft noch Gerechtigkeit möglich. Es gibt wahrscheinlich Wertkonservative und Wertprogressisten. Und hier ist eine Debatte möglich über die entscheidenden Fragen von Morgen. Aber die organisierten Kreise der political correctness werden alles tun, um das zu verhindern.

 

Wo sehen Sie auf der Rechten die mögliche Trennlinie zwischen wertkonservativer Haltung und reaktionärer Position?

 

STEUCKERS: Eine wertkonservative Haltung kann heutzutage überhaupt nicht strukturkonservativ bleiben. Eine wertkonservative Haltung verteidigt die Werte, die die Gemeinschaft zusammenhalten. Wenn Strukturkonservative, das heißt Wirtschaftsliberale, es unbedingt vermeiden, die Frage nach den Werten stellen, dann wird das die Auflösung der Gemeinschaften vorantreiben. Dann haben wir die Gefahr, daß die Staaten, aber auch eine eventuelle Weltgemeinschaft, absolut unregierbar werden.

 

Welchen Stellenwert hat die Nouvelle Droite, die Neue Rechte im heutigen intellektuellen Diskurs?

 

STEUCKERS: Sie hat heutzutage nicht mehr die Stellung von Einzelgängern. Sie sollte mehr auf die amerikanischen Kommunitaristen setzen und die Debatte gegen die Globalisierung und für identitätsstiftende Werte führen. Außerhalb Europas und Amerikas ist zu beobachten, daß nichtwestliche Zivilisationen wie China und die asiatischen Staaten die aufklärerische Idee der Menschenrechte zweimal abgelehnt haben, zuerst in Bangkok, dann in Wien. Sie haben sich dafür eingesetzt, daß die Menschenrechte den Traditionen der jeweiligen Zivilisationen angepaßt werden, weil, so sagten es etwa die Chinesen, die Menschen nie nur Individuen sind, sondern immer in eine Gemeinschaft und eine Kultur eingebettet sind.

dimanche, 01 novembre 2009

R. Steuckers: Propositions pour un renouveau politique (1997)

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Propositions pour un renouveau politique

Intervention de Robert Steuckers au Colloque

de “Synergon-Deutschland”, Sababurg, 22-23 novembre 1997

 

L'effondrement du communisme depuis la perestroïka lancée par Gorbatchev en 1985, l'insatisfaction générale et planétaire que provoque la domination sans partage du libéralisme sur le globe tout entier, donne raison à tous ceux qui ont cherché d'autres solutions, des tierces voies ou une forme organique d'humanisme. La majorité de nos concitoyens, dans tous les pays d'Europe, sont désorientés au­jour­d'hui. Nous allons tenter de leur donner des repères.

 

Dans son ouvrage Zurück zur Politik. Die archemedische Wende gegen den Zerfall der Demokratie  (1),  Hermann Scheer constate (et nous partageons son constat):

- Il existe un fondamentalisme occidental, mixte de rationalisme outrancier, de moralisme universaliste, de relativisme délétère, d'économicisme plat et d'hostilité générale et pathologique à l'égard des legs de l'histoire;

- Ce fondamentalisme occidental ne se remet pas en question, ne s'ouvre à aucune nouveauté, ne révise pas ses certitudes, ne tient nullement compte de facteurs culturels non occidentaux, ce qui nous permet de le désigner comme un fondamentalisme équivalent aux autres, exhibant une dose équivalente ou su­périeure de fanatisme;

- Ce fondamentalisme occidental est marqué d'hybris,  de folie des grandeurs;

- Ce fondamentalisme occidental est subjectiviste, écrit Scheer; nous dirions qu'il est “individualiste” ou “hy­per-individualiste”. Il réduit l'homme à sa pure individualité; le fondamentalisme occidental est dès lors un fondamentalisme qui exclut de son champ de prospection toutes les formes d'interrelations humaines. Le “sujet”, c'est-à-dire l'“individu”, n'a plus de devoirs à l'égard de la communauté au sein de laquelle il vit, car la notion même de “devoir” implique des relations réciproques, basées sur une éthique (Sittlichkeit) com­munément partagée.

 

Sans notion de “devoir”, le subjectivisme conduit au déclin moral, comme le constatent également les communautariens américains (2). De surcroît, les sociétés marquées par l'hyper-subjectivisme occiden­tal, par le fondamentalisme individualiste, souffrent également d'une “monomanie économique”. Effecti­ve­ment, le fondamentalisme occidental est obsédé par l'économie. Le double effet du subjecti­visme et de la “monomanie économique” conduit à la mort de l'Etat et à la dissolution du politique. Telles sont les con­clusions que tire Scheer. Elles sont étonnantes pour un homme qui s'inscrit dans le sillage des écolo­gistes allemands et qui a le label de “gauche”. Cependant, il faut préciser que Scheer est un écologiste pragmatique, bien formé sur le plan scientifique; depuis 1988, il est le président de l'“European Solar Energy As­so­ciation” (en abrégé: “Euro-Solar”).

 

Il a exprimé ses thèses dans deux ouvrages, avant de les reprendre dans Zurück zur Politik... (op. cit.):

- Parteien contra Bürger  (1979; = “Les partis contre les citoyens”);

- Sonnen-Strategie  (1993; = “Stratégie solaire”; cet ouvrage traite d'énergie solaire, clef pour acquérir une indépendance énergétique; à ce propos cf. Hans Rustemeyer, «Energie solaire et souveraineté», NdSE n°29, pp. 23-24).

 

sababurg_300x242.jpgLes autres constatations de Scheer sont également fort pertinentes et rejoignent nos préoccupations:

1. Dans la plupart des pays occidentaux, toute idéologie dominante ou acceptée, qu'elle soit au pouvoir ou provisoirement dans l'opposition, est influencée ou marquée par ce fondamentalisme occidental, par ce subjectivisme qui refuse de prendre acte des notions de “devoir” ou d'éthique communautaire, par cette monomanie économique qui dévalorise, marginalise et méprise toutes les autres activités humaines (les secteurs “non-marchands”, refoulés dans les sociétés occidentales).

 

2. La pratique des partis dominants ne sort pas de cette impasse. Au contraire, elle bétonne et pérennise les effets pervers de cette idéologie fondamentaliste.

 

3. Les intérêts vitaux des citoyens exigent pourtant que l'on dépasse et abandonne ces platitudes idéo­logiques. Dès 1979, Scheer constatait:

- que l'aversion des citoyens de base à l'encontre des partis ne cessait de reprendre vigueur;

- que les citoyens n'étaient plus liés à un seul parti dominant mais tentaient de se lier à diverses ins­tan­ces, soit à des instances de factures idéologiques différentes; le citoyen se dégage ainsi de l'étroi­tes­se des enfermements partisans et cherche à diversifier ses engagements sociaux; le citoyen n'abandonne pas nécessairement les valeurs de sa famille politique d'origine, mais reconnait implicitement que les fa­milles politiques d'“en face” cultivent, elles aussi, des valeurs valables et intéressantes, dans la me­su­re où elles peuvent contribuer à résoudre une partie de ses problèmes. Le citoyen, en bout de course, dé­ve­lop­pe une vision de la politique plus large que le député élu ou le militant aliéné dans la secte que de­vient son parti.

- que les mutations de valeur à l'œuvre dans nos sociétés postmodernes impliquent un relâchement des liens entre les citoyens et leurs familles politiques habituelles;

- que les partis n'étaient plus à même de réceptionner correctement, de travailler habilement et de neutra­liser efficacement les mécontentements qui se manifestaient ou pointaient à l'horizon (un chiffre: en France, aujourd'hui, plus de 25% des jeunes de moins de 25 ans sont sans travail et aucune solution à ce drame n'est en vue, dans aucun parti politique);

- qu'il est nécessaire que de “nouveaux mouvements sociaux” émergent, comme, par exemple: le mou­vement populaire anti-mafia en Sicile, les mouvements populaires hostiles à la corruption politique dans toute l'Italie (dont la “Lega Nord”), les mouvements liés à la “marche blanche” en Belgique (qui n'ont mené à rien à cause de la naïveté de la population).

Scheer écrit (p. 97): «Les partis font montre d'une attitude crispée. Ils ne savent pas s'ils doivent consi­dérer les idées nouvelles comme des menaces ou comme un enrichissement, s'ils doivent les bloquer, les intégrer ou coopérer avec elles». D'où l'indécision permanente qui conduit à la dissolution du politique et à l'évidement de l'Etat. Scheer constate, exactement comme le constatait Roberto Michels au début du siècle: «Il existe une loi d'airain de l'oligarchisation». Cette loi d'airain transforme l'Etat en instrument de castes fermées, jalouses de leurs intérêts privés et peu soucieuses du Bien commun. Quand ce pro­ces­sus atteint un certain degré, l'Etat cesse d'être le porteur du politique, le garant des libertés citoyennes et de la justice.

 

Plus loin, Scheer écrit (p. 111): «La démocratie partitocratique se trouve en plein processus d'érosion, car, comme jamais auparavant, elle connait une situation qu'Antonio Gramsci (...) aurait considéré comme la “plus aiguë et la plus dangereuse des crises”: “A un moment précis de l'évolution historique, les classes se détachent de leurs partis politiques traditionnels”. Il se constitue alors “une situation de di­vorce entre les représentés et les représentants”, qui doit immanquablement se refléter dans les struc­tures de l'Etat». C'est précisément ce qui ne se passe pas: la masse croissante des exclus et des préca­risés (même si leur statut est élevé, comme dans la médecine et dans l'enseignement) ne se reconnais­sent plus dans leurs représentants et se défient des programmes politiques qu'ils avaient eu l'habitude de suivre.

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Dans tous les pays, une situation analogue s'observe:

- en Allemagne, la contestation s'exprime dans les partis d'inspiration nationaliste, chez les Verts, dans les initiatives de citoyens (toutes tendances et inspirations confondues), chez les partisans du référen­dum (comme en Bavière);

- en Belgique, elle s'exprime dans les partis (VB, VU) inspirés par le nationalisme flamand (qui a toujours rassemblé en son sein les contestataires les plus radicaux de la machine étatique belge), en marge des partis li­béraux qui prétendent défendre et refléter la révolte des indépendants et des classes moyennes spoliés (dans les années 60: le PLP/PVV; dans les années 90, le VLD de Guy Verhofstadt); ce dernier a prétendu canaliser “la révolte des citoyens contre la pillarisation de la société par les partis”; en Wallonie, cette ré­volte s'est d'abord exprimée chez les “écolos”, mouvement en lisière duquel des intellectuels comme Lambert et le Prof. Van Parijs ont développé une critique radicale et fondamentale du néo-libéra­lisme. Les travaux de Van Parijs ont acquis une notoriété internationale. Ensuite, la contestation, à partir de 1989, s'est exprimée dans le FN, scindé en deux clans depuis l'automne 1991; avec les scandales successifs (assassinat de Cools, disparition d'enfants, affaire Dutroux, scandales Agusta et Dassault), le mécontentement a débouché sur les manifestations d'octobre 1996, dont le point culminant fut la fameuse “marche blanche”, rassemblant 350.000 citoyens.

- en France, la contestation et le ras-le-bol s'expriment dans le vote FN; et, dans une moindre mesure, chez les Verts. La mouvance écologique n'est malheureusement plus dominée par une figure équilibrée comme Antoine Waechter, mais par l'aile pro-socialiste de Mme Voynet, qui s'est empressée de glâner quelques portefeuilles dans le gouvernement Jospin, condamné à l'échec face à l'ampleur de la crise en France.

- en Italie, où les formes de contestation de la partitocratie sont de loin les plus intéressantes en Europe, et les mieux étayées sur le plan théorique, la Lega Nord a cristallisé le mécontentement (nous y revien­drons lors d'un prochain séminaire).

 

Conclusion:

- Un mouvement comme le nôtre doit être attentif en permanence, afin de capter, de comprendre et de tra­vailler les effervescences à l'œuvre dans la société. De percevoir et d'éliminer anticipativement les dysfonctionnements dès qu'ils se développent.

- Le fondamentalisme occidental repose sur une conception erronée de l'homme qui est:

a. non organique et donc non adaptée à l'être vivant qu'est l'homme;

b. hyper-individualiste (dans le sens où personne n'a plus de devoir à l'égard de l'autre, y compris à l'é­gard des membres de sa propre famille); le fondamentalisme occidental ruine la notion de “lignée”, donc de continuité anthropologique. Sur le plan pratique et quotidien, cela implique notamment la disparition de tou­te soli­darité inter-générationnelle, tant à l'égard des ascendants que des descendants.

- Le fondamentalisme occidental débouche sur une pratique de la politique:

a. où les permanents des partis (les “bonzes”) sont irrémédiablement isolés de la vie réelle et inventent mesures, lois et règlements en vase clos, non pas dans la perspective de renforcer le Bien commun mais de conserver à leur profit personnel sinécures, avantages et passe-droits;

b. où le pur et simple fonctionnement des appareils des partis devient but en soi;

c. où ces appareils devenus buts en soi mènent tout droit au “malgoverno” qu'ont dénoncé les adhérents de la Ligue lombarde et le Professeur Gianfranco Miglio (cf. Vouloir  n°109/113, 1993);

d. où les permanents des partis et les fonctionnaires d'Etat nommés par les partis se hissent sans ver­gogne au-dessus de la misère quotidienne des simples gens du peuple et, souvent aussi, au-dessus des lois (c'est le cas en Italie et en Belgique, où partis et magistrature sont manifestement liés à la pègre).

 

La notion de “malgoverno” désigne l'ensemble de toutes les conséquences négatives de la partitocratie. Les observateurs et les politologues italiens ont tiré des conclusions pertinentes de ce dysfonctionne­ment général. Mais, en France, des professeurs isolés, ignorés des médias aux ordres de la politique pé­grifiée, ont également émis des constats intéressants; parmi eux, Jean-Baptiste de Foucauld et Denis Piveteau, dans Une société en quête de sens (3). Si Scheer était très dur et très critique, de Foucauld et Piveteau sont plus modérés. Ils sont en faveur de l'Etat social, de l'Etat-Providence. Celui-ci, à leurs yeux, est efficace, il peut mobiliser davantage de moyens que la solidarité spontanée et communautaire dont rêvent les réactionnaires et les idéalistes “fleur bleue”. Hélas, constatent de Foucauld et Piveteau, l'E­tat-Providence ne suffit plus:

- Il ne peut plus intégrer tous les travailleurs de la communauté nationale;

- Il ne fonctionne plus que pour ceux qui disposent déjà d'un emploi, notamment les fonctionnaires et les sa­la­riés des grandes boîtes multinationales. En pratique, l'Etat-Providence n'est plus capable de résou­dre le problème dramatique du chômage des jeunes;

- Les événements récents viennent de prouver que l'Etat-Providence peut affronter efficacement une si­tuation donnée, à la condition que cette situation soit celle d'une “haute conjoncture”. En revanche, quand cette haute conjoncture se modifie sous la pression des événements internationaux ou d'innova­tions  —bonnes ou mauvaises—  l'Etat-Providence s'avère incapable de résoudre des problèmes nou­veaux, sou­dains ou inattendus.

 

L'Etat-Providence est alors incapable de garantir la solidarité, parce qu'il ne remet pas en question des mécanismes de solidarité anciens mais devenus progressivement surannés. Les données et les faits nouveaux sont perçus comme des menaces, ce qui, dans tous les cas de figure, est une attitude erronée. A ce niveau, notre réflexion, dans ses dimensions “conservatrices-révolutionnaires”, c'est-à-dire des di­mensions qui tiennent toujours compte des si­tuations exceptionnelles, peuvent se montrer pertinentes: les pro­cessus à l'œuvre dans le monde sont multiples et complexes; ils ne nous autorisent pas à penser qu'il y aura ad vitam eternam  répétition des “bonnes conjonc­tures”.

 

L'Etat-Providence repose sur une logique de l'intégration. Tout citoyen, tout travailleur immigré qui a été dûment accepté, devrait, dans un tel Etat-Providence, dans l'appareil social qu'il met en œuvre et orga­nise, être pleinement intégré. Ce serait évidemment possible si les paramètres restaient toujours les mêmes ou si le progrès, immuablement, avançait selon une précision arithmétique ou exponentielle. Mais ce n'est jamais le cas... L'exception guette à tout moment, le pire survient à tout bout de champ. Ceux qui pensent et agissent en termes de paramètres immuables sont des utopistes et sont condamnés à l'échec politique. Ceux qui envisagent le pire font preuve de responsabilité.

 

Dans les médias, aujourd'hui, on ne cesse de parler d'intégration, mais la seule chose que l'on observe, c'est l'exclusion à grande échelle. Jadis, l'exclusion ne touchait que des gens sans revenus ou sans al­lo­cations de re­traite. Aujourd'hui, de 10 à 20% de la population totale est exclue (derniers chiffres: 16% des personnes habitant la Région de Bruxelles-Capitale). Les exclus se recroquevillent dans leur cocon, se replient sur eux-mêmes, ce qui engendre un dangereux nihilisme, le sentiment de “no future”. Les liens communau­taires disparaissent. Un isolement total menace l'exclu. Les intégrés sont immergés dans une cage de luxe, de réalité-ersatz, qui les tient éloignés du fonctionnement réel de la Cité.

 

J. B. de Foucauld et D. Piveteau analysent la situation et ne donnent pas de solutions toutes faites (per­sonne ne croit plus d'ailleurs aux solutions toutes faites). Pour eux, la société est déterminée par une dy­namique conflictuelle entre quatre pôles:

1. Le pôle de l'initiative: ceux qui prennent des initiatives n'acceptent que peu d'obstacles d'ordre con­ven­tionnel, notamment les obstacles installés par les administrations reposant sur une ergonomie obso­lète ou sur des analyses vieilles de plusieurs décennies (exemple: il a fallu trente mois d'attente à une firme de pointe en Wallonie pour obtenir de la part des fonctionnaires  —souvent socialistes, corrompus, incompétents et dépassés—  le droit de lancer son initiative génératrice de 2500 emplois, alors que la ré­gion compte des zones où le chômage atteint 39% de la population active!). Le principe d'initiative peut aussi être pensé sur un mode exclusivement individualiste et relativiser ou transgresser le principe de “coopération”.

2. Le pôle de coopération.

3. Le conflit (inhérent à toute société), vecteur de changements.

4. La contrainte, qui peut avoir la fonction d'un régulateur.

 

Piveteau et de Foucauld dressent une typologie des sociétés bipolarisées (où seuls deux pôles entrent en jeu) et une typologie des sociétés tripolaires (où trois pôles sont en jeu). Pour ces deux auteurs, il s'a­git de montrer que l'exclusion d'un ou de deux pôles conduit à de problématiques déséquilibres sociaux. Les valeurs qui se profilent derrière chaque pôle sont toutes nécessaires au bon fonctionnement de la Cité. Il est dangereux d'évacuer des éventails de valeurs et de ne pas avoir une vision holiste (ganz­heit­lich)  et synergique des sociétés qu'on est appelé à gouverner.

 

Les sociétés bipolaires:

 

- Dans une société régie par le libéralisme pur, de facture hayekienne, où règne, dit-on, une “loi de la jun­gle” (bien qu'il me paraisse difficile de réduire l'œuvre complexe de Hayek à ce seul laisser-faire exagéré), les pôles de l'initiative et du conflit sont mis en exergue au détriment de la coopération (individualisme oblige) et de la contrainte (principe de liberté).

 

- Dans une société autoritaire, d'inspiration conservatrice (Salazar) ou communiste (la Pologne de Ja­ru­zelski), les pôles de coopération et de contrainte sont privilégiés au détriment des pôles d'initiative et de conflit.

 

- Dans les sociétés où domine l'esprit civique, comme dans les nouvelles sociétés industrielles asia­ti­ques, les pôles d'initiative et de coopération sont valorisés, tandis que les pôles de conflit et de con­trainte sont mis entre parenthèses.

 

- Dans les sociétés purement conflictuelles et instables, les pôles du conflit et de la contrainte sont à l'avant-plan, ceux de l'initiative et de la coopération à l'arrière-plan ou carrément inexistants. Plus per­sonne ne lance d'initiative, car c'est sans espoir, et personne ne coopère avec personne, car il n'y a ni confiance ni consensus. Aucune initiative et aucune coopération ne sont possibles. Exemples: les zones industrielles du début du XIXième siècle, décrites par Zola dans Germinal, ont généré des sociétés con­flic­tuelles et contraignantes de ce type. Aujourd'hui, on les rencontre dans les bidonvilles brésiliens; les banlieues marginalisées des grandes villes françaises risquent à très court terme de se brasilianiser.

 

- Dans certaines sociétés sans esprit civique, l'initiative n'est possible qu'avec la contrainte. Piveteau et de Foucauld craignent que la France, leur pays, n'évolue vers ce modèle, car le dialogue social à la belge ou à l'allemande n'existe pas et que le syndicalisme y est resté embryonnaire.

 

- Au sein même des grandes sociétés industrielles, les grandes familles intactes, certaines organisations professionnelles, les minorités ethniques (y compris dans les banlieues à problèmes), développent un modèle principalement coopératif, dans un environnement fortement conflictuel, mais où l'initiative inno­vante est trop souvent absente et où la contrainte étatique est radicalement contestée. Avec, au pire, l'é­mergence de structures mafieuses.

 

Les sociétés tripolaires:

 

- Si seuls les pôles de la coopération, de l'initiative et de la contrainte entrent en jeu, le risque est d'é­vacuer tous les conflits, donc toutes les innovations, née de l'agonalité entre classes ou entre secteurs professionnels concurrents.

 

- Si le pôle de contrainte est évacué, le risque est d'assister à la contestation systématique et stérile de toute autorité féconde et/ou régulative.

 

- Si le pôle de coopération est exclu, la solidarité cesse d'exister.

 

- Si le pôle d'initiative est absent, l'immobilisme guette la société.

 

L'idéal pour de Foucauld et Piveteau est un chassé-croisé permanent et sans obstacle entre les quatre pôles. L'exclusion d'un seul ou de deux de ces pôles provoque des déséquilibres et des dysfonctionne­ments. Pour nos deux auteurs, les difficultés sont les suivantes:

1. Les partis politiques en compétition dans une société ne mettent que trop souvent l'accent sur un seul pôle ou sur deux pôles seulement. Ils n'ont pas une vision globale et synergique de la réalité sociale.

2. Les partis prennent l'habitude, parce que leur objectif majeur se réduit à leur propre auto-conservation, à ne dé­fendre que certaines valeurs en excluant toutes les autres. Cette exclusion reste un vœu pieux, car les valeurs peuvent certes s'effacer, quitter l'avant-scène, mais ne disparaissent jamais: elles de­meu­rent un impératif éthique. La vision politique des grands partis dominants est dès lors mu­ti­lée et mutilante. Elle conduit à la répétition de schémas et de routines politiques, en marge de l'évolution réelle du monde.

3. Un mouvement civil ou populaire comme le nôtre doit se donner la tâche (ardue) de réconcilier les qua­tre pôles, de les penser toujours simultanément, afin de favoriser un maximum de synergies entre eux.

4. De cette manière seulement, émergent une perception et une pratique holistes de la dynamique socia­le.

5. Les schémas que nous proposent de Foucauld et Piveteau expliquent pourquoi diverses catégories de ci­toyens finissent par se lasser de la politique et des partis. Lorsqu'un pôle n'est pas pris en compte, de larges strates de la population sont frustrées, vexées, meurtries, marginalisées voire exclues. Ou ne peu­vent plus exprimer leurs desiderata légitimes.

6. En plaidant pour une prise en compte de ces quatre pôles, Piveteau et de Foucauld visent à (re)donner du sens à la vie politique, car, s'il y a absence de sens, il y a automatiquement dissolution du politique, liquéfaction des institutions, effondrement de la justice et éparpillement des énergies.

 

La critique de Nicolas Tenzer

 

Un autre observateur français de la situation actuelle est le Prof. Nicolas Tenzer, énarque, enseignant auprès de l'Institut d'Etudes politiques de Paris. Dans Le Tombeau de Machiavel  (4), Nicolas Tenzer part du constat que les “grands récits”, c'est-à-dire selon le philosophe Jean-François Lyotard, les visions vec­to­rielles de l'histoire véhiculées par les progressistes, ne sont plus dans le grand public des objets de croyance et de vénération. L'électeur n'attend plus des partis et des hommes politiques qu'ils se mobili­sent pour réaliser des projets téléologiques aussi “sublimes”. Mais ce désintérêt pour les grands mythes téléologiques re­cèle un risque: les sociétés ne formulent plus de perspectives d'avenir et les élites deviennent des “élites sans projet”. La pire conséquence de l'“effondrement des grands récits”, c'est que les partis et les hom­mes politiques se mettent à justifier sans discernement tous les faits de monde et de société présents, même ceux qui ne recèlent plus aucune potentialité constructive, ou ceux qui repré­sen­tent un flagrant déni de justice.

 

Tenzer ne cite jamais Carl Schmitt, mais le jugement négatif qu'il pose sur cette médiocre justification des faits, indépendamment de ce qu'ils sont sur le plan des valeurs ou de l'efficacité, nous rappelle directe­ment la critique négative que Carl Schmitt et Max Weber adressaient à la légalité, cage d'acier rigide em­prisonnant la légitimité, qui, elle, est toujours souple et dynamique.

 

Pour Tenzer, la “deuxième gauche” (c'est-à-dire la gauche qui se considère comme modérée et socialiste et prétend ne pas vouloir gouverner avec les communistes) est une école politique qui légitimise, justifie et accepte les faits simplement parce qu'ils existent, sans plus déployer aucune prospective ni perspec­ti­ve, n'envisage plus au­cun pro­grès et n'a plus la volonté de réaliser des plans, visant le Bien commun ou sa restauration. A ce niveau de la démon­stration de Tenzer, nous sommes contraints d'apporter une précision sémantique. Tenzer condamne l'at­titu­de de la “deuxième gauche” pour son acceptation pure et simple de tous les faits de monde et de so­ciété, sans es­prit critique, sans volonté réelle de réforme ou d'élimination des résidus figés ou dysfonc­tion­nants. Cette “deuxième gau­che” prendrait ainsi, dit Tenzer, une attitude “naturaliste”. Pour la pensée conser­vatrice (du moins les “conservateurs axiolo­giques”) et les écologistes, il y a primat du naturel sur toutes les con­struc­tions. En règle générale, les gauches libérales et marxistes, accordent le primat aux choses construites. Mais en développant sa cri­tique de la “deuxième gauche”, en la dénonçant comme “natu­raliste”, Tenzer met les conservateurs (axio­logiques) et les écologistes en garde contre une tendance politique actuelle, celle d'accepter tous les faits accomplis trop vite, de considérer toutes les dérives comme inéluctables, comme le résultat d'une “catallexie”, c'est-à-dire, selon Hayek, d'une évolution naturelle contre laquelle les hommes ne peuvent rien. Dans ce cas, la volonté capi­tu­le. Tenzer dénonce là la timi­dité à formuler des projets et la propension à faire une confiance aveugle à la “main invisible”, chère aux libéraux. Dans le fond, Tenzer ne critique pas le réa­lis­me vitaliste de la pensée conservatrice et/ou écologiste, mais s'oppose à la notion néo-libérale de “ca­tal­lexie”, réintroduite à l'époque de Thatcher, à la suite de la réhabilitation de la pensée de Hayek.

 

Dans la vie politique concrète, dans la situation actuelle, un “naturalisme” mal compris conduirait à accep­ter et à légitimer l'exclusion de millions de citoyens au nom du progrès, de la démocratie, de l'Etat de droit, de la morale, etc. Légitimer des faits aussi négatifs est évidemment absurde.

 

Tenzer nous avertit aussi du mauvais usage de la notion de “complexité”. Pour nous, dans notre perspec­tive organique, la complexité constitue un défi, nous oblige à éviter toutes les formes de réductionnisme. En ce sens, nous avons retenu les leçons d'Arthur Koestler (Le cheval dans la locomotive),  de Konrad Lorenz et, bien entendu, du biohumanisme qu'avait formulé Lothar Penz (5). Malheureusement, aux yeux d'un grand nombre de terribles simplificateurs, la complexité est devenu un terme à la mode pour esquiver les défis, pour capituler devant toutes les difficultés. Quand un problème se pose, on le déclare “com­plexe” pour ne pas avoir à l'affronter. Le réel est donc posé a priori comme trop “complexe” pour que l'hom­me ait la volonté de mener une action politique quelconque, d'élaborer des plans et de développer des pro­jets. On accepte tout, tel quel, même si c'est erroné, injuste ou aberrant.

 

Tenzer ne rejette pas seulement le “naturalisme” (auquel il donne une définition différente de la nôtre) mais aussi

a) l'enthousiasme artificiel pour la complexité que répandent les journalistes qui se piquent de postmodernité et proposent insidieusement une idéologie de la capitulation citoyenne;

b) l'hypermoralisation; en effet, aujourd'hui, dans les médias, nous assistons à une inflation démesu­rée de discours moralisants et, en tant que tels, anesthésiants. La philosophie ne cherche plus à com­prendre le réel tel qu'il est, mais produit des flots de textes moralisants et prescriptifs d'une confondante banalité, pour aveugler, dit Tenzer, le ci­toyen, le distraire du fonctionnement réel de sa communauté politique (Tenzer adresse cette critique à André Comte-Sponville notamment). Dans les médias, c'est sur base de telles banalités que l'on manipule les masses, pour les empêcher de passer à l'action. L'objectif principal de cet hyper-moralisme, c'est de “frei­ner toute action citoyenne”. Ceux qui veulent freiner cette action citoyenne entendent main­te­nir à tout prix le statu quo (dont ils sont souvent les bénéficiai­res), se posent comme “légalistes” plutôt que comme “légitimistes”. Mais l'option légaliste (ou “légalitaire”) est foncièrement anti-politique, car elle re­fuse de considérer le politique comme une force qui chevauche et maîtrise la dynamique hi­sto­rique et sociale. Le légaliste-légalitaire est aussi celui qui con­çoit le droit comme une idée abstraite, détachée de tout continuum historique. Dans le domaine du po­litique, ce qui est le produit direct d'un continuum historique est légitime. Une légalité rigide, en revanche, conduit à une rupture (souvent trau­ma­tisante) à l'endroit d'une continuité puis à la dissolution du politique et de l'Etat, car la dynamique qui émane du peuple, porteur du poli­ti­que et acteur de l'histoire, est freinée et étouffée.

 

Dans le processus de dissolution de l'Etat, dans ses phases successives d'affaiblissement, celui-ci ces­se d'être aimé, constate Tenzer, car, en effet, sa dissolution est toujours simultanément une dé-légitimi­sation, et, par­tant, une réduction à de la pure légalité.

 

Des élites sans projet

 

Revenons au débat allemand. Il y a quelques années, j'ai été étonné de découvrir que trois figures de proue de la politique allemande avaient écrit de concert un ouvrage très critique à l'encontre des partis. Ce livre s'intitulait Die planlosen Eliten (= “Les élites sans projet”) (6). Ses auteurs étaient Rita Süssmuth (aile gauche de la CDU démocrate-chrétienne), Peter Glotz (intellectuel en vue de la SPD socialiste) et Konrad Seitz (ministre de la FDP libérale). Dans ce livre, ils expriment:

- leur nostalgie d'une élite et d'une caste dirigeante cohérentes;

- leur souhait de voir cette élite résoudre les problèmes politiques, économiques et écologiques;

- leur inquiétude de voir la classe politique allemande décliner et tomber très bas dans l'estime des mas­ses; ce déclin s'explique parce qu'il y a eu des scandales dans le financement des partis; parce que les promesses électorales n'ont jamais été tenues (p. ex.: réunification sans augmentation des impôts).

 

Nos trois auteurs écrivent (p. 181): «La fabrication en série de mythes et de grands sentiments conduit au cynisme et à l'apathie dans la population». Ensuite, ils déplorent que le procédé de recrutement de la clas­se politique reste le “travail à la base”; or celui-ci effraie les individualités créatives, imaginatives et intelligentes et les détourne de la politique. Süssmuth, Glotz et Seitz constatent à ce propos (p. 182): «C'est sans doute un paradoxe, mais on est bien obligé de constater qu'il est réel: la dé­mo­cra­tisation des partis a conduit simultané­ment à leur fermeture. A l'époque de Weimar ou dans les premiers temps de la Bundesrepublik, les appa­reils dirigeants des partis pouvaient imposer des candidats à la “base”; de cette façon, des personnalités originales, des experts, des intellectuels, des conseillers de grandes en­tre­pri­ses et des représentants d'autres groupes s'infiltraient dans le monde politique. Mais aujourd'hui, celui qui refuse de se soumettre au contrôle des faciès opéré par les pairs des partis, n'a plus aucune chan­ce». Ce constat affolant est suivi de plaidoyers:

- pour un changement dans la psychologie des hommes et des femmes politiques, où nos trois auteurs réclament plus de modestie (p. 192);

- pour une plus forte participation de la population aux décisions politiques directes (via des techniques de consultation comme le plébiscite et le referendum);

- pour une ouverture des partis politiques à la vie réelle des citoyens.

Enfin, Süssmuth, Glotz et Seitz émettent ce jugement terrible pour le personnel politique en place: «Quand on est âpre de prébendes, vulgaire et envieux, on ne doit pas s'attendre à susciter le respect des autres».

 

Les pistes que nous suggérons

 

La classe politique a failli partout en Europe. Elle n'est pas capable d'affronter les nouvelles donnes, par­ce que son personnel n'a ni l'intelligence ni la culture nécessaires pour orienter et réorienter les ins­tances politiques sous la pression des faits. Telle est la situation. Mais quelles sont les réponses, ou les pistes, qu'un mouvement comme le nôtre peut apporter?

 

1. La première piste dérive d'une prise en compte des leçons du “communautarisme” américain.

- Le communautarisme américain constate que le modèle occidental est une impasse.

- Dans cette impasse, les citoyens ont perdu tous liens avec les valeurs qui fondent les sociétés et les main­tiennent en état de fonctionner dans la cohérence. C'est ainsi qu'a disparu le sens civique. Et sans sens civique, il n'y a pas de démocratie viable. Sans sens civique, sans valeurs fondatrices, sans rejet explicite d'un relativisme omniprésent, il n'y a pas de justice.

- Nous devons coupler la réhabilitation de la notion de “communauté” que nous trouvons dans le commu­nautarisme américain actuel à la notion schmittienne d'“ordre concret” (konkrete Ordnung).  Pour Carl Schmitt, un ordre concret est un ordre produit par un continuum historique, par exemple un Etat né de l'histoire. A l'intérieur de tels Etats, nous trouvons, généralement, une façon précise et originale de dire le droit et d'appliquer une jurisprudence. Dès lors, les règles ne sont des règles réelles et légitimes que si elles sont imbriquées dans un ordre né d'une continuité historique précise.

 

En insistant sur la concrétude des ordres en place dans les sociétés traditionnelles et/ou légitimes, Carl Schmitt conteste le pur normativisme des Etats libéraux. Le normativisme libéral repose sur la norme, qui serait une idée générale propre à l'humanité toute entière, hissée au-dessus de toutes les contingences spa­tio-temporelles. La normativisation du droit conduit à un gouvernement du droit et non plus à un gou­ver­nement d'hommes au service d'autres hommes. L'Etat de droit (où le droit est conçu comme le produit d'une histoire particulière) dégénère en Etat légal(iste), ce qui nous amène à l'actuelle “political correct­ness”. Par ailleurs, le pur décisionnisme, qu'avait défendu Carl Schmitt à ses débuts, en même temps que les fas­cistes, ne permet pas à l'homme d'Etat de saisir la dynamique historique, le noyau fondamental de la Cité qu'il est appelé à régir. Raison pour laquelle, l'homme d'Etat doit simultanément se préoccuper des institutions, de la con­ti­nuité institutionnelle (selon la définition que donne Hauriou de l'institution, soit un “ordre con­cret”), et des dé­cisions, à prendre aux moments cruciaux, pour trancher des “nœuds gordiens” et sortir la Cité d'une impasse mortelle. Au sein des ordres con­crets, qui ont produit un système juridique au fil de l'histoire, les communautés humaines concrètes fon­dent du sens. Ces communautés charnelles d'hommes et de femmes de diverses lignées et générations acquièrent ainsi prio­rité sur les normes ab­straites. Les com­munautariens amé­ricains s'efforcent de contribuer, comme nous, au rétablis­sement de l'Etat de droit, contre tou­tes les tentatives entreprises pour le remplacer par l'Etat normatif, “politique­ment correct”, excluant en même temps que toutes les valeurs léguées par l'histoire, tous les possibles qui pour­raient contredire ou atténuer la rigueur abstraite de la norme.

 

Ernst Rudolf Huber et le «Kulturstaat»

 

2. Ce débat de fond suscite d'autres questions. Par exemple: quelles facettes doit présenter un Etat porté par les ordres concrets qui vivent et se déploient en son sein? De notre point de vue, un tel Etat serait celui qu'Ernst Rudolf Huber a défini comme Kulturstaat (“Etat-culture”) (7). Pour Huber, “le Kultur­staat  est le gardien de la culture populaire face à la destruction dont la menace la société” (i. e.: les in­té­rêts privés, désolidarisés du Bien commun, ndlr). La “culture” dans ce sens est à la fois constitutive de la Staatlichkeit  (de la substance de l'Etat) et la légitimise. L'action de l'E­tat est soumise aux valeurs sub­stan­tielles que véhicule cette culture. En conséquence, l'Etat n'est pas un pur instrument, car la culture n'est pas une fabrication faite à l'aide d'instruments, mais un héritage et une matrice de valeurs qui, en der­nière instance, ne sont ni rationalisables ni normalisa­bles. En ce sens, cette matrice est elle-même une valeur qu'il convient de préserver contre les intérêts matériels et fac­tieux, contre les agents de déli­quescence, intérieurs ou extérieurs. En théorisant la notion de Kulturstaat,  Huber entend étoffer la notion hégélienne de Sittlichkeit  (éthique, mœurs) en l'imbriquant dans une culture et la solidarisant d'office avec toutes les autres manifestations de cette culture. L'éthique cesse automatiquement d'être un jeu propret de concepts purs, détachés de la vie réelle et trépidante des peuples.

 

Tout Kulturstaat est nécessairement organisé selon un modèle fédéral, il est un Bundesstaat  (qui res­pecte le principe de subsidiarité), car toute communauté au sein de cet Etat est un ordre concret, qui doit être res­pecté en tant que tel, auquel il faut assurer un avenir. Pour le juriste français Stéphane Pierré-Caps, dans son ouvrage intitulé La mul­tina­tion (8), le futur Etat mitteleuropéen ne pourra pas se bâtir sur le modèle unitaire, centraliste et jacobin de l'Etat-Nation, où la norme abstraite régente, oblitère et éma­scule tous les ordres concrets et toutes les institutions et les communautés concrètes, mais devra opter pour une forme d'Etat qui respecte et orga­nise institutionnellement toutes les différences vivantes d'un territoire donné.

 

Ce principe est universellement valable, tant pour le territoire d'un Etat national classique que pour des territoires éventuellement plus vastes, comme les sphères culturelles (ex.: la Mitteleuropa, l'Europe en voie d'unification, des regroupements régionaux comme l'espace Alpes-Adriatique). Certes ces espaces con­naîtront encore des frontières, mais celles-ci délimiteront les “civilisations” dont parle Samuel Hun­ting­ton dans Le choc des civilisations  (9). Ces civilisations diviseront demain l'humanité en vastes sphè­res différenciées voire antagonistes (dans le pire des cas), sans que l'on n'ait à appliquer globalement des normes gé­né­rales, abstraites et universalistes, lesquelles ne sont en aucun cas des valeurs. Ces normes sont clo­ses sur elles-mêmes, fermées et rigides, car elles sont des produits de l'esprit de fabri­ca­tion et purement prescriptives. Les valeurs sont vivantes, ouvertes aux innovations fusant de tou­tes parts, effervescentes et dynamiques. Les valeurs ne sont jamais univoques, contrairement aux normes, elles sont “plurivoques”. Les normes ne recèlent en elles qu'un seul possible. Les valeurs sont à même de générer une pluralité de possibles.

 

Conclusion: Pour rétablir les communautés des communautariens, les ordres concrets qui fondent le droit selon Carl Schmitt, les Kulturstaaten  selon Huber, les communautés de Kulturstaaten  à l'intérieur de sphères culturelles ou de grands espaces de civilisation, nous devons renvoyer les “élites sans projet”, dénoncées par Süssmuth, Glotz et Seitz, et faire advenir des élites conscientes de leur devoir de respecter les acquis et de façonner l'avenir. De telles élites cultivent une éthique de la responsabilité. Celle-ci a été définie avec brio par des philosophes com­me Max Weber, Hans Jonas et Karl-Otto Apel (10). Elle constituera le thème d'un prochain séminaire de “Synergies européennes”. Appelé à compléter celui d'aujourd'hui.

 

Robert STEUCKERS.

Forest, novembre 1997.

 

Notes:

 

(1) Hermann SCHEER, Zurück zur Politik. Die archimedische Wende gegen den Zerfall der Demokratie, Piper, München, 238 S., DM 29,80, ISBN 3-492-03782-8.

(2) Walter REESE-SCHÄFER, Was ist Kommunautarismus?, Campus, Frankfurt a. M., 1994, 191 S., DM 26,80, ISBN 3-593-35056-4. Voir également/Siehe auch: Transit. Europäische Revue, Nr. 5 («Gute Gesellschaft»), Winter 1992/93, Verlag Neue Kritik, Frankfurt a.M., ISSN 0938-2062.

(3) Jean-Baptiste de FOUCAULD & Denis PIVETEAU, Une société en quête de sens, Odile Jacob, Paris, 1995, 301 p., 140 FF, ISBN 2-7381-0352-9.

(4) Nicolas TENZER, Le tombeau de Machiavel, Flammarion, Paris, 1997, 546 p., 140 FF, ISBN 2-08-067343-2.

(5) Lothar PENZ, siehe Hefte von Junges Forum (genaue Angaben)

(6) Peter GLOTZ, Rita SÜSSMUTH, Konrad SEITZ, Die planlosen Eliten. Versäumen wir Deutschen die Zukunft?, edition ferenczy bei Bruckmann, München, 1992, 251 S., ISBN 3-7654-2701-2.

(7) Max-Emanuel GEIS, Kulturstaat und kulturelle Freiheit. Eine Untersuchung des Kulturstaatskonzepts von Ernst Rudolf Huber aus verfassungsrechtlicher Sicht, Nomos-Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1990, 298 S., ISBN 3-7890-2194-6.

(8) Stéphane PIERRÉ-CAPS, La multination. L'avenir des minorités en Europe centrale et orientale, Odile Jacob, Paris, 1995, 341 p., 160 FF, ISBN 2-7381-0280-8.

(9) Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 1997, 402 p., 150 FF, ISBN 2-7381.0499.1.

(10) Detlef HORSTER, Politik als Pflicht. Studien zur politischen Philosophie, Suhrkamp, stw 1109, Frankfurt, 1993, 281 S., DM 19,80, ISBN 3-518-28709-5.

 

jeudi, 08 octobre 2009

Avec SYNERGON pour quitter le provincialisme intellectuel "bundesrepublikanisch"

HAUPTFRAME_040826_Bundesrepublik%20mit%20Laenderwappen.jpgAvec «SYNERGON» POUR QUITTER LE PROVINCIALISME INTELLECTUEL “BUNDESREPUBLIKANISCH”

 

Pour un jeune Allemand comme moi, qui est appelé pour la toute première fois à disserter amplement sur les structures et les courants révolutionnaires-conservateurs ou “de droite” en Europe, le risque de subir un choc culturel est bien réel. Même si ce jeune Allemand est lui-même un partisan des idées et théories promues et défendues par ces courants de pensée, il finira par sombrer dans une sorte de mélancolie. Il s'apercevra bien vite que ses homologues dans beaucoup de pays d'Europe se meuvent avec une ai­sance insoupçonnée dans les espaces politiques ou pré-politiques et échangent idées, projets et points de vue avec d'autres courants intellectuels, souvent opposés.

 

Tel est ma position: c'est donc un jeune homme étonné, un peu troublé, qui écrit pour la première ses sen­timents en ce domaine et qui sort, par la plume, du cercle étroit de la culture politique de son pays. Je ne vais pas écrire un texte scientifique, car je ne suis pas un sociologue ou un diplômé en sciences poli­tiques. Je veux plus simplement mettre de l'ordre dans quelques idées pour aider les lecteurs non germa­nophones à comprendre, dans la mesure du possible, la situation intellectuelle qui règne en Allemagne aujourd'hui.

 

rééducation

 

Lorsque les puissances occupantes ont commencé à intégrer la nouvelle “Bundesrepublik” dans leurs calculs et dans leurs projets militaires, quasi immédiatement après la seconde guerre mondiale, elles avaient déjà largement confié à des Allemands le soin de parfaire la politique de “rééducation” du peuple allemand. Elles n'auraient pu faire mieux. Car les Allemands ont la manie de la perfection: ils ont travaillé à cette rééducation avec un tel zèle que tous en Allemagne ont perdu l'idée même de maintenir une tradition nationale ou une logique de souveraineté, ont perdu la conscience de soi, si bien qu'aujourd'hui, au len­demain de la réunification des deux plus grandes constructions étatiques allemandes d'après 1945, l'Allemand moyen croit, au fond de lui-même, que cette réunification est une honte et une catastrophe.

 

La vieille droite a été exclue du jeu politique dans une très large mesure. Au moment où l'“Etat social” pre­nait forme, au beau milieu du “miracle économique”, pendant et après la révolte étudiante de 68, les va­leurs et les idées de la vieille droite sont devenues de plus en plus suspectes, ont été houspillées et con­sidérées comme anachroniques. Dans les masses, l'omniprésence de la consommation tuait toute aspi­ration spirituelle, conduisait à l'affadissement généralisé. Dans les élites intellectuelles, on s'enthou­sias­mait totalement et volontairement pour les idées de la gauche, à un point tel qu'on peut dire aujourd'hui que les pays communistes n'auraient jamais pu obtenir un tel consensus par les moyens coercitifs qu'ils n'hésitaient pourtant pas à employer parfois. La parution de L'Archipel Goulag  de Soljénitsyne n'a pas entamé en Allemagne de l'Ouest la foi des intellectuels en ces idées communistes qu'ils jugeaient “bon­nes dans le fond”. Les centaines de morts le long du Rideau de Fer séparant les deux Allemagnes, les mil­liers de prisonniers politiques en RDA, étaient dépourvus de tout intérêt et ne trou­blaient pas la vision messianique de la gauche, croyant qu'au bout du progrès vectoriel annoncé par la vulgate marxiste un a­venir brillant et lumineux nous attendait. Cette Jérusalem terrestre valait bien quelques cadavres!

 

un fascisme extensible à l'infini!

 

Pour l'intellectuel de gauche ouest-allemand, le communiste persécuté au Chili, le membre de l'ANC sud-africaine emprisonné, étaient beaucoup plus proches que le malheureux candidat réfugié abattu comme un chien sous les barbelés du Rideau de Fer. Parler des millions de victimes du stalinisme dans l'en­sem­ble des territoires sous contrôle soviétique était une indélicatesse. Ce l'est d'ailleurs toujours. Les droites allemandes ne pouvaient pas faire référence à ces faits sans encourir foudres ou moqueries. Mais aujourd'hui les gauches allemandes n'hésitent toujours pas à se servir de la “Massue-Fascisme”. Par “fascisme”, il faut entendre la définition très extensive qu'en donnait Dimitrov et sur laquelle je ne revien­drai pas. En Allemagne, le concept de “fascisme” a perdu tous contours et limites: ce n'est plus qu'une injure politique, un moyen pour couvrir un adversaire d'opprobe. Le “fasciste”, c'est devenu le représen­tant du “mal absolu”, qui n'a donc plus aucun droit. Quand la majorité des médias qui se portent encore et toujours volontaires pour mettre les esprits au pas vous traitent de “fasciste”, vous n'avez déjà plus votre place dans la société. L'avant-garde de cette inquisition est portée par les journaux et les émetteurs qui croient dur comme fer que leur mission est de rééduquer le public, car telle a été la tâche que leur ont dé­volue jadis les puissances occupantes.

 

Le terme “fasciste” connait des synonymes: “nazi” et, dans sa variante libérale, “extrémiste de droite”. Celui qui récolte l'une de ces étiquettes obtient le même résultat: l'exclusion, forme à peine atténuée de la “mort civile”. Il y a quelques années, le parti d'Etat de la RDA (qui existe toujours et s'appelle le PDS, ou “Parti du Socialisme Démocratique”) finançait généreusement le “mouvement antifasciste” (l'Antifa-Szene)  qui entretenait des passerelles avec les groupes violents d'autonomes et de squatters, permet­tant une mobilisation rapide et des coups précis, perpétrables à tout moment. On a assisté en Allemagne à des attaques violentes contre des domiciles ou des appartements privés, contre des individus isolés, on a envoyé systématiquement des lettres de menaces ou de dénonciation, on a pratiqué la terreur télé­phonée (appels nocturnes, injures, menaces physiques y compris sur les enfants) et on a assassiné des gens. Ces instruments de terreur peuvent être appliqués à tout moment contre n'importe quelle personne qui professe des idées de droite, même modérées.

 

émergence de la «nouvelle droite»

 

Mais malgré ces procédés terroristes et normalement illégaux, une “nouvelle droite” s'est constituée en Allemagne, avec la volonté de recourir à l'intelligence: cette “nouvelle droite” est principalement représen­tée par l'équipe de l'hebdomadaire Junge Freiheit. Beaucoup de jeunes intellectuels qui s'étaient déclarés “conservateurs”  —et non pas “révolutionnaires-conservateurs” ou “de droite” au sens évolien du terme—  apprennent au fil des semaines qui passent, dans les colonnes de cet hebdomadaire, qu'ils ne sont pas isolés et que sur tout le territoire allemand, ils ont des compagnons ou des amis. Les Italiens et les Français savent déjà depuis deux générations qu'ils ne sont pas seuls dans leur pays, grâce à leurs jour­naux et leurs réseaux: il existe partout des jeunes non-conformistes qui refusent le discours dominant, le critiquent au départ de pensées classées à “droite”, sans risque de se faire traiter immédiatement de “nazi”, sans sombrer dans la xénophobie (car en Allemagne, la scène-antifa pose mécaniquement l'équation suivante: droite = xénophobie = antisémitisme = Auschwitz). Ces droites italiennes et fran­çaises alignent des intellectuels à l'esprit vif, capables de s'insinuer dans tous les discours et dans toutes les thématiques actuelles. Les ouvrages des nouvelles droites française et italienne étaient tota­lement inconnus il y a quelques années: ils commencent à être lus en Allemagne, chez les étudiants et les diplômés universitaires appartenant au camp “conservateur”.

 

Chaque jour, ceux qui se déclaraient “conservateurs” apprennent ainsi que leurs positions sont finale­ment beaucoup plus radicales qu'ils ne l'avaient pensé. Plus frileux, comme tous les conservateurs, ils s'en effraient souvent. Mais le phénomène de la “nouvelle droite” allemande fait lentement son chemin, même si la presse établie, monotone, n'en prend connaissance que du bout des lèvres, pour s'en plaindre et s'en lamenter. Dans tous les partis, des individus et des petits groupes, professant plus ou moins ou­vertement des idées “nouvelle droite” ou explorant l'une ou l'autre facette de ce corpus vaste et varié, se regroupent, deviennent suspects puis objets de haine. Les écoles de pensée, les laboratoires intellec­tuels de la droite allemande avaient sombré dans l'oubli depuis la mise hors jeu de la “révolution conserva­trice” par le pouvoir national-socialiste (entre 1933 et 1934). Aujourd'hui, un réseau de clubs refait sur­face, dans le sillage des “cercles de lecteurs de Junge Freiheit”  dont les travaux sont de qualité inégale: on ne peut effectivement pas atteindre d'emblée la qualité des travaux de la revue romaine Pagine Libere, des cycles de conférence orchestrés par Marco Battarra et de Sinergie/Italia ou des “unités régionales” du GRECE français au temps de Guillaume Faye. Les cercles “conservateurs-révolutionnaires” allemands n'en sont qu'à leurs premiers balbutiements.

 

européaniser nos démarches

 

La cristallisation de la “nouvelle droite” allemande est lente. Nous avons besoin de tirer les leçons des ex­périences françaises et italiennes. Nous devons tenir compte de leurs recherches et de leurs résultats. Nous devons hisser les principes de la “révolution conservatrice” au niveau européen. Car, pour nous Allemands, ce serait un moyen pratique et réalisable de contourner les interdits et les obstacles dressés par le cartel médiatique de la rééducation et de sortir de notre isolement et de notre quarantaine intellec­tuelle. Car si nous restons dans cet isolement et si nous nous y complaisons, nous nous épuiserons, nous sombrerons dans les fantasmes, le dogmatisme, l'actionnisme aveugle et la radicalisation insensée. Qu'on ne vienne pas me dire que cette “européanisation” de nos démarches constitue une “trahison à la patrie allemande”, car que vaudraient des patriotes purs dont les horizons seraient totalement bouchés? De plus, j'ajouterais que notre “européanisation” n'est pas l'européanisation préconisée par les partis dominants.

 

Partons du principe que le seul courant de droite valable, sérieux, accepté par l'opinion publique comme tel est celui de la “nouvelle droite”. Cette “nouvelle droite” est considérée comme un produit d'origine fran­çaise. Mais cette ND française a été fortement tributaire d'apports allemands. En acceptant un modèle français intéressant, nous pratiquons donc la réimportation de matériaux allemands transformés dans un pays où les laboratoires intellectuels n'étaient pas soumis à la férule des “rééducateurs”. [En dehors de la sphère politique, au niveau philosophique et académique, le même phénomène s'est produit avec le nietzschéisme: allemand à l'origine, le nietzschéisme a été ostracisé en Allemagne après 1945, sous pré­texte, dixit Lukacs, qu'il était un “irrationalisme” conduisant au nazisme. Le nietzschéisme a été travaillé en France par des hommes comme Deleuze, Guattari, Foucault, etc., tous classés à gauche. Ils ont été traduits en allemand, si bien que le nietzschéisme est subrepticement revenu en Allemagne dans ces “wagons” français. Au grand dam d'un Habermas, qui a fulminé tout son saoûl contre cette gauche nietz­schéiste française, cheval de Troie d'un “néo-nazisme” qui ne pouvait pas manquer d'éclore...].

 

deux problèmes concrets, deux obstacles à surmonter

 

En Allemagne, on raconte partout  —et pas seulement dans les milieux “conservateurs”—  qu'il faut se hisser désormais au niveau européen mais en conservant intacts les ressorts de son identité, que l'Europe de demain ne sera pas une espèce de nirvana où l'on entrera après avoir fait le vide de ce que l'on porte en soi, après avoir abandonné le principe du “connais-toi toi-même”. Si l'on peut devenir Européen sans se vider de sa substance, alors le projet européen cesse d'être abstrait pour redevenir concret, cesse d'être cette pure union économique et administrative que l'établissement a vendue aux Allemands pendant plusieurs décennies. Les partis établis n'ont pas voulu tenir compte d'un fait pourtant bien patent: une Europe purement économique et administrative ne peut durer, si l'on n'a pas au préalable réfléchi aux fondements spirituels et culturels de l'Union. Les politiques à courte vue des partis établis ne veulent même pas se rendre compte des dangers que recèle ce bureaucratisme de termitière qui permet à beaucoup de politiciens de seconde zone de se faire une niche ou de coopter leurs féaux.

 

Par ailleurs, les droites et les révolutionnaires-conservateurs d'Europe sous-estiment toute une série de choses bien pratiques. Je ne vais rien révéler d'extraordinaire, je vais tout simplement mentionner deux problèmes très concrets: la diversité linguistique en Europe et l'esprit casanier de bon nombre d'entre nous. Deux problèmes, deux tares qu'il faut impérativement et rapidement surmonter. Ce serait un premier pas vers une véritable pratique de nos idées. Ceux d'entre nous qui possèdent des dons, même mo­destes, pour les langues, qu'ils se perfectionnent! Qu'ils lisent les travaux de nos voisins, qu'ils s'abonnent à leurs journaux et fassent l'effort d'en traduire les meilleurs morceaux! Etre Européen, c'est aussi et surtout être capable de comprendre les données politiques et culturelles d'un pays voisin, d'entretenir des contacts personnels (par courrier ou via internet) avec des homologues non allemands (aux niveaux personnel, professionnel ou politique).

 

face à nous: un européisme sans substance

 

La plupart des intellectuels établis n'ont que le mot “Europe” à la bouche mais ignorent totalement ce qui se passe au-delà des frontières de leur pays. Cette lacune, tous les Européens peuvent la constater. Surtout les donneurs de leçons qui pontifient dans les médias: généralement ils sont unilingues, baragui­nent quelques phrases mal torchées en basic English et ne savent rien, strictement rien, des littératures, des grands courants culturels, des institutions et des clivages politiques de leurs voisins. Bonjour l'“internationalisme”! Nous savons ce qu'il nous reste à faire, nous, pour qui l'Europe est un mythe et non pas une abstraction ou une sinécure: nous serons des Européens ouverts aux identités de tous les autres, nous combattrons les lubies libéralistes qui conduisent à l'impasse. Nous lirons les textes de nos amis italiens, russes, ibériques et français, que nos éditeurs politiquement corrects ne veulent ni traduire ni éditer. Nous traduirons, nous diffuserons, nous fructifierons. Prenons un exemple, typiquement alle­mand: l'ouvrage fondamental de Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche, n'est toujours pas traduit, alors que sa version française est disponible depuis plus de treize ans! Ce livre est pourtant fondamental pour dé­velopper une critique intelligente du fascisme: mais cette critique du fascisme n'est pas celle pour la­quelle nos censeurs ont opté il y a quelques décennies... Donc Sternhell, homme de gauche israëlien irré­prochable, est condamné au placard! Enfin, bon nombre de textes d'Evola subissent toujours la quaran­taine, etc... Nous avons donc du pain sur la planche!

 

Alain de Benoist n'aurait plus raison de dire aujourd'hui que les Allemands ne lisent que fort peu de textes venus d'ailleurs. Certes, ces textes ne sont pas disponibles en langue allemande. Les Allemands, en re­vanche, s'étonnent de voir leurs amis italiens et français exploiter tant de textes allemands. Ces exé­gèses permettent de renforcer nos propres interprétations, d'éclairer des aspects que nous ignorions, de découvrir des parallèles dont nous n'avions pas idée. Bon nombre d'idées ou de germes d'idées, oubliés ou refoulés, reviennent ainsi dans leur patrie allemande, par le biais d'exégètes italiens, français ou his­paniques.

 

Notre “nouvelle droite” veut elle aussi apporter sa pierre à l'édifice européen. En réactivant nos cercles d'études, en exprimant par le verbe et par la plume ce que nous ressentons ou ce que nous avons décou­vert, ce travail de construction est désormais possible. Dans les espaces de la haute voltige intellec­tuelle, tout peut être dit ou pensé, mais ce n'est que par les contacts et les échanges personnels qu'une révolution culturelle pourra démarrer, être mise à l'épreuve des faits. Ces échanges entre néo-droitistes de tous plumages, à l'échelle européenne, est l'impératif de notre génération, notre devoir face à l'histoire.

 

Thomas ROHLFF.

mercredi, 07 octobre 2009

SYNERGIES en Allemagne: pourquoi?

europa.gifArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

SYNERGIES en Allemagne: pourquoi?

 

Une mise au point du Président Mark Lüdders

 

Quand on lui posait la question de savoir si la “droite” allemande avait un avenir, le non-conformiste Günter Maschke répondait brièvement et sèchement: “Pas pour le moment”. Et il poursuivait en expli­quant pourquoi son pronostic était si négatif. Parce que le niveau intellectuel de ces droites était tout simplement misérable. Maschke a donné cette réponse à Junge Freiheit  et à Vouloir  en 1991. Son juge­ment n'a pas dû se modifier considérablement depuis lors. Tout porte à croire qu'il doit même être plus pessimiste encore à l'heure qu'il est.

 

En effet, on peut aisément constater que les droites allemandes se sont intellectuellement repliées sur des positions datant du siècle dernier, celui du bon vieil Etat-Nation. On s'encroûte dans ses manies, on quitte la ville pour s'installer dans une campagne soi-disant “vierge” de toutes compromissions avec la modernité, on sombre dans le solipsisme, on se plaint, on attend que cette situation si terrible infligée au pays par la défaite de 1945 prenne fin... Ces reclus et ces figés connaissent leurs ennemis: l'ordi­na­teur, émanation de l'âge du Mal, le paprika que consomment les citadins et qui ne pousse pas en terre germanique (et ne peut donc être consommé sous peine de sombrer dans un état de péché mor­tel), la science qui n'est jamais qu'un résultat des Lumières, gauchistes avant la lettre, et “maçonniques” de surcroît... De Frédéric Nietzsche, ils ne connaissent que le nom, ont oublié celui d'Arnold Gehlen, ne s'intéressent plus aux travaux de Lorenz et de son école d'épistémologie biologique, ignorent bien en­tendu les leçons de Zinoviev et de De Felice, d'Oakshott et d'Ortega y Gasset, de Huizinga et de Maf­fe­soli: tous des étrangers...

 

Ce petit monde replié sur lui-même est toutefois convaincu de deux choses: les Juifs (toujours eux!) con­trôlent tout dans le monde, et les Polonais occupent les provinces orientales de l'Allemagne qui doivent nous revenir. Quand les Juifs cesseront de tout contrôler et que Breslau, Stettin, Dantzig, etc. redevien­dront pleinement allemandes, tout ira bien entendu mieux dans le meilleur des mondes... Force est de constater qu'une bonne partie des droites allemandes a complètement perdu le sens des réalités poli­tiques et n'a plus qu'une culture politique fragmentaire et lacunaire, assortie de phobies inexplicables qui les empêchent de sortir de leur ghetto.

 

Face à ces droites repliées sur elles-mêmes, nous avons des droites qui se sont ancrées —ou cherchent à s'ancrer—  dans l'ordre fondamental de la démocratie libérale: elles tentent d'entrer en dialogue avec l'établissement, afin de changer graduellement la société et en espérant qu'elles obtiendront finalement le pouvoir politique à haut niveau ou une parcelle importante de celui-ci. Mais en visant cet objectif fort loin­tain, ces droites-là oublient leurs positions idéologiques et axiologiques de base et snobent leur clientèle au parler plus cru et aux aspirations plus directes. Elles ne comprennent pas que la “méchante” oligarchie dominante ne s'intéresse pas à elles, mais ne vise que le maintien de ses postes, fonctions, statuts et positions et qu'elle dosera toujours savamment ses compromis pour rester au pouvoir et ne concéder que d'infimes parcelles de “pouvoir” purement décoratif, en marge des décisions politiques réelles. Ces droites-là tentent à tout bout de champ de redéfinir les concepts, s'engluent dans des discussions inter­minables visant à ménager la chèvre et le chou, finissent par prétendre qu'elles seules respectent le principe de la liberté d'expression et sont en droit de détenir le label de “véritable libéralisme”. Ces droites-là pèchent également par naïveté: elles ne voient pas, ou refusent de voir, que l'idéologie libérale n'est plus ce qu'elle était au XIXième siècle, qu'elle n'est plus l'expression d'une bourgeoisie cultivée et entre­prenante, mais qu'elle est un instrument de domination subtil ou une illusion progressiste agressive que l'on appelle la “permissivité”. En spéculant sur un libéralisme (conservateur et tocqueviellien) qui n'existe plus, ces droites se retranchent elles aussi dans des anachronismes du XIXième siècle. Elles demeurent certes “morales” ou “irréprochables” aux yeux de l'idéologie dominante, mais sur le plan politique ou sur le plan intellectuel, elles sont tout à fait inoffensives. Surtout parce qu'elles ne tentent même pas de cons­truire une véritable alternative à l'idéologie dominante: elles demeurent obnubilées par leur souci d'être ju­gées “conformes à la constitution”.

 

Mais le paysage idéologico-politique allemand connaît tout de même quelques exceptions positives. Il faut mentionner ici les efforts des nationaux-révolutionnaires des années 70 qui ont eu l'intelligence et le courage de jeter les premiers ponts entre le savoir scientifique contemporain et une vision du monde al­ternative. Si, dans les droites, on a pu apercevoir deci-delà quelques modernisations dans le discours, c'est à cette petite phalange d'idéologues audacieux qu'on le doit. Mais ces hommes n'ont été qu'une poi­gnée: une partie d'entre eux se sont malheureusement fondus dans les droites recluses ou “entristes”, une autre partie s'est retirée de tout, écœurée; si bien que nous n'avons plus en Allemagne qu'un tout pe­tit groupe d'intellectuels combattifs et toujours non-conformistes...

 

Devant ce triste bilan des agitations des droites allemandes, disons que la “Révolution Conservatrice” de l'entre-deux-guerres avait appliqué à la perfection le mot-d'ordre de Schiller (“Vis avec ton siècle, mais n'en sois pas la créature”) mais qu'après cette formidable révolution intellectuelle, sur laquelle le monde entier se penche encore aujourd'hui, les droites allemandes sont entrées en une profonde léthargie, ont raté lamentablement leur connexion aux nouveaux impératifs scientifiques ou philosophiques.

 

Cet échec est un défi pour les jeunes qui refusent tant les schémas de la droite recluse que ceux de la droite alignée. Ces jeunes sont là, leur nombre croît, mais ils n'ont ni tribune ni organisation. Ils perçoivent l'étroitesse d'esprit des uns et l'opportunisme des autres. Ils veulent rester dans la société civile, dans la société réelle, bref dans le peuple, mais sans perdre leur ouverture d'esprit. Ils veulent influencer la so­ciété sans vénérer les vieilles lunes en place et sans sacrifier aux lubies du libéralisme permissif. Dans les circonstances actuelles du paysage politique allemand, ces jeunes révolutionnaires constructifs, dis­séminés dans toute la société civile, ne rassemblent pas leurs forces, ne mettent pas leurs énergies en commun pour atteindre un objectif bien défini: ils restent éparpillés dans de petites organisations sans envergure et demeurent isolés (ce que l'idéologie et le pouvoir dominants attendent d'eux). C'est à cette carence qu'entend répondre une organisation comme SYNERGON. En effet, SYNERGON veut construire une communauté de pensée, bâtir une plate-forme pour tous ceux qui luttent isolément, rassembler les jeunes qui réclament l'avènement d'une droite ouverte aux idées nouvelles et qui veulent collaborer acti­vement avec leurs homologues de tous les pays d'Europe. Car il faut mettre fin à cette diabolisation xé­nophobique des autres Européens: il faut aller au devant d'eux pour apprendre leurs recettes, pour élargir nos propres horizons.

 

Un tel échange à l'échelle continentale animera et fécondera tous les “révolutionnaires-conservateurs” d'Europe: les Allemands pourront ainsi tirer profit de la flexibilité intellectuelle de leurs amis italiens, étu­dier plus profondément les legs de la pensée philosophique française de ces dernières décennies (Deleuze, Guattari, Foucault, Rosset, Maffesoli, etc.), découvrir les filons conservateurs-révolution­naires des Russes, etc. Par ailleurs, Français, Italiens, Ibériques et Russes, épaulés par les Allemands, pourront plonger plus directement dans les méandres de la “Révolution conservatrice” qui alimente encore tous les discours innovateurs de notre temps. Une invention allemande comme le mouvement de jeu­nesse (des Wandervögel à la Freideutsche Jugend  et aux expériences plus audacieuses et plus éton­nantes des années 20) pourra apprendre aux autres Européens à vivre plus concrètement leurs idéaux et à les transmettre en dehors de la seule sphère intellectuelle. De plus, l'écologie politique organique, donc révolutionnaire-conservatrice, qui est une idée allemande, pourra être communiquée à tous les cercles in­téressés d'Europe.

 

Le grand défi qui nous attend, nous les synergétistes de tous les pays qui appellent à l'unité, c'est de for­ger de concert une Weltanschauung qui soit réellement en prise avec notre temps, qui soit aussi éloignée de tout dogmatisme, de tout esprit partisan, qui puisse inclure et exploiter les résultats des recherches scientifiques les plus neuves, afin d'offrir à la société civile une alternative réelle et praticable à l'idéologie dominante, instrumentalisée par le pouvoir.

 

Pour obtenir un résultat tangible, nous devons donc échanger des idées au-delà des frontières en Europe, débattre, comparer des positions en apparence différentes voire irréconciliables. SYNERGON est le seul mode d'action commune qui puisse à l'heure actuelle répondre à ce défi. SYNERGON ne se pose pas d'emblée comme le concurrent d'autres organisations: nous ne cherchons pas à absorber ou à détruire ou à phagocyter des partis, des cercles ou des clubs déjà existants, mais nous voulons tout simplement animer un centre de coordination et de coopération.

 

Notre espoir est de réussir bien entendu, d'abord en établissant SYNERGON en Allemagne, afin que Günter Maschke puisse envisager l'avenir avec davantage d'optimisme.

 

Mark LÜDDERS.

mardi, 22 septembre 2009

Université d'été 1995: la question du fédéralisme

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

Université d'été de la F.A.C.E. (juillet 1995)

Résumé des interventions

 

Samedi 29 juillet 1995 (après-midi)

 

Les équivoques du fédéralisme

(intervention de Christiane Pigacé)

 

Le fédéralisme peut être ce que nous souhaitons en ultime instance, mais pour souhaiter sans se fourvoyer, il faut être conscient, comme nous l'enseigne d'ailleurs Miglio, des équivoques du fédéralisme, même si le professeur italien opte finalement pour l'étiquette “fédéraliste” en abandonnant toutes les autres.

 

L'option fédéraliste de Miglio, comme toutes les autres options politiques qui animent les débats d'aujourd'hui, se profile sur fond d'une idéologie dominante pour laquelle les sciences politiques n'auraient plus de spécificité. Pour Lecat, par exemple, elles ne seraient plus que les expressions verbales d'énarques qu'étudieraient d'autres énarques. Les sciences politiques seraient ainsi reléguées en un vase clos. Or le politique, par définition, est partout, manifeste et bien visible ou occulté par les circonstances. En cas d'occultation prolongée, en cas d'amnésie du politique, son apparition ou sa ré-apparition se fait sentir, devient nécessité voire urgence. Parce qu'il y a crise, il faut des décisions, donc il faut une politique, il faut réactiver le politique qui était éventuellement en sommeil. Aujourd'hui, dans cette ambiance de “rectitude politique” où les sciences politiques ne sont plus que les discours des énarques revus et corrigés par d'autres énarques, les concepts-clés de ces sciences politiques ont été détournés de leur sens, parce que certains groupes financiers, dominant la sphère économique voire la fameuse “bulle spéculative”, poursuivent des objectifs bien particuliers: 1) asseoir un discours dominant d'où toute décision, tout esprit de décision, aurait disparu; 2) généraliser un champ de pures discussions. Sans décision et plongé dans d'interminables discussions [dans les parlements ou dans les médias], on finit par ne plus avoir besoin de légitimité historique, donc par évacuer les légitimités jusqu'à leurs dernières traces, tout en tentant un processus de légitimation de cette discussion perpétuelle. C'est donc dans cet espace équivoque que se meuvent aujourd'hui les sciences politiques. La classe dominante actuelle, le mandarinat contemporain, les politologues de cour se livrent donc à un travail constant de relecture, de reconstruction des concepts à fins d'évacuer la légitimité, de la refouler et de la neutraliser.

 

En 1789, au moment où les Français veulent évacuer une légitimité qui s'est enlisée, ils pensent utiliser la technique du suffrage universel pour en instaurer une nouvelle. Mais ce suffrage n'est que censitaire et ne capte pas tous les désirs et les vouloirs du peuple. Pour nous, le retour à 1789 ne doit pas être une volonté de restaurer l'ancien régime ou d'avaliser les projets et les pratiques d'une démocratie incomplète parce que censitaire ou purement représentative (avec risque de voir cette représentativité confisquée par des professionnels du jeu politicien), mais un retour à la pensée de Siéyes, qui a tenté un dernier effort pour reprendre un pouvoir qui échappait au peuple. Dans cette optique, l'homme d'Etat véritable est celui qui dit ce que le peuple veut dire et souhaiter son apparition au bon moment, quand le besoin de décision se fait sentir, constitue un idéal démocratique, contrairement à ce que veut nous faire croire l'actuelle “rectitude politique”.

 

Pour tous ceux qui s'opposent au fédéralisme, celui-ci est défini comme un abandon de “souveraineté”, sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur. Mais la souveraineté n'est pas un idéal: elle relève de l'efficacité. La souveraineté est parfois latente. Elle existe dans la mesure où elle se fonde sur les identités et les légitimités européennes. C'est au fur et à mesure que celles-ci s'estompent ou disparaissent que la souveraineté se perd elle aussi. Les empires meurent d'uniformisation. Car l'uniformisation tue la diversité légitime, c'est-à-dire les adaptations politiques, juridiques, économiques aux lieux qui, de fait, sont toujours différents les uns des autres. Raison aussi pour laquelle aucun “fédéralisme” ne saurait s'imposer par décret et que tout fédéralisme décrété de cette façon n'aurait effectivement aucune légitimité et serait incapable d'exercer une quelconque souveraineté. Actuellement, le fédéralisme est équivoque, est entaché d'“équivocité” dans la mesure où il est un mélange inefficace d'administratif et de politique. Le fédéralisme ne peut être ni abandon de souveraineté (et de légitimité) ni uniformisation sécurisante. Signalons aussi que toute opposition binaire du jacobinisme au fédéralisme ne tient pas la route; le jacobinisme, au départ, est un phénomène essentiellement politique et non administratif, dans le sens où il visait à soutenir l'effort de guerre. Au départ, le jacobinisme n'a nullement prévu une centralisation uniformisante sur le plan administratif; on constate même, à l'analyse, que certains jacobins étaient fédéralistes.

 

Le débat fédéraliste en Italie

(intervention du Dr. Giorgio Mussa)

 

Dans les médias italiens et internationaux, le Prof. Gianfranco Miglio fait figure de “sécessioniste”, en tant qu'éminence grise de la Ligue du Nord. C'est depuis plusieurs décennies que Gianfranco Miglio réfléchit aux questions du fédéralisme. Pour lui, le fédéralisme tel qu'il l'a défini, constitue une réponse constitutionnelle à la crise politique européenne et plus particulièrement à la crise de cette forme politique spécifique qu'est l'Etat moderne.

 

Pour Miglio, une constitution est fédérale si elle vise à remplacer une ancienne constitution qui ne l'était pas; si elle vise à articuler la vie politique sur deux plans, un plan fédéral et un plan “cantonal”; si elle accorde toute leur place aux phénomènes sociaux horizontaux (les citoyens et les entreprises qu'ils animent); si elle manifeste le souci de respecter les traditions locales; si elle prévoit une économie de marché.

 

Sur base de ses investigations en matières constitutionnelles, Miglio propose, dans le cadre de la politique italienne actuelle de: 1) Partager l'Italie en trois cantons, avec compétences universelles; 2) de faire représenter l'unité de la nation italienne par les représentants suprêmes de ces trois cantons; 3) de faire du “directoire fédéral” l'organe collégial du gouvernement; 4) de prévoir une assemblée fédérale de 346 députés; 5) de séparer davantage le législatif de l'exécutif; 6) d'accorder à un Sénat des compétences pour trancher sur les principes fondamentaux; 7) d'adjoindre au législatif élu sur base de partis concurrents une chambre des corporations, représentatrice des forces vives de la nation et des cantons; 8) d'adopter un fédéralisme fiscal.

 

mardi, 16 juin 2009

Interview pour "Sinergeias Europeias"

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1994

Robert STEUCKERS:

 

Interview pour Sinergeias Europeias (n°2)

 

1. Pendant l'été 1993, toute la presse européenne a parlé de la convergence entre intellectuels de droite et intellectuels de gauche. En Belgique avez-vous été la cible de cette nouvelle inquisition? A votre avis, qu'est-ce qui a fait éclater l'affaire?

 

L'affaire germait depuis la Guerre du Golfe, du moins en France. Un groupe d'intellectuels a eu le courage de signer un manifeste contre cette entreprise guerrière orchestrée par les Etats-Unis et l'ONU, avec la bénédiction de tous les intellectuels bien-pensants de la place de Paris, ceux qui, précisément, sont passés du «col Mao au Rotary». Alain de Benoist, le chef de file de la Nouvelle Droite était l'un des co-signataires, de même que Gisèle Halimi, Roger Garaudy, Max Gallo, Antoine Waechter (le leader des Verts), Claude Cheysson (un ancien ministre de Mitterrand), etc. Alain de Benoist apparaissait comme le seul homme de «droite» dans cet aréopage. A la suite de l'agitation pour ou contre la Guerre du Golfe, on a pu croire qu'un nouveau «Paysage Intellectuel Français» allait se dessiner, où la stricte dichotomie gauche/droite du temps de la guerre froide n'aurait plus eu sa place. La disparition de cette dichotomie a eu l'effet d'un traumatisme chez ceux qui s'étaient enfermés dans toutes les certitudes de l'Europe divisée, avaient vécu  —au sens vraiment alimentaire du terme—  des convictions, artificielles et bricolées, qu'ils affichaient sans nécessairement les ressentir, sans y croire toujours vraiment. La chute du Rideau de Fer a obligé les esprits à repenser l'Europe: chez les intellectuels bruyants du journalisme parisien, qui sont très prétentieux et peu cultivés, qui ignorent tout des langues, des littératures, de la vie politique des peuples voisins, le choc a été rude: ils apparaissaient d'un coup aux yeux de tous pour ce qu'ils sont vraiment, c'est-à-dire des provinciaux enfermés dans des préjugés d'un autre âge. Leur ressentiment, le complexe d'infériorité qu'ils cultivent avec une rancœur tenace (ce qui est pleinement justifié, parce qu'ils sont réellement inférieurs à leurs collègues européens, japonais ou américains), voilà ce qui a transparu dans la campagne de l'été 1993. Les connaissances encyclopédiques d'Alain de Benoist, sa volonté de «scientificiser» les discours politiques, les nouveaux clivages, plus subtils, moins manichéens, qui surgissaient à l'horizon, étaient sur le point de leur faire définitivement perdre la face. Ils ont voulu retarder leur déchéance et ils ont lancé cette campagne absurde. Ils ont donné libre cours à la haine qu'ils vouent depuis longtemps au «Pape» de la ND qui, malheureusement pour lui, ne cesse de commettre des maladresses psychologiques.

 

En Belgique, je n'ai pas été la cible d'une campagne similaire parce que la gauche et la droite ont été quasi unanimes pour condamner cette guerre, y compris dans les médias habituellement très conformistes. L'ambassadeur d'Irak, le Dr. Zaïd Haidar, a été interviewé par tous les journaux, par la radio et la télévision. J'ai eu l'occasion de prononcer une conférence à ses côtés. Le Dr. Haidar est un homme remarquable, un diplomate de la vieille école, un conciliateur né: il a fait l'admiration de tous et suscité le respect de l'ensemble de ses interlocuteurs. Ensuite, Jan Adriaenssens, un haut fonctionnaire des affaires étrangères à la retraite, a réussi de main de maître à faire renaître les sentiments anti-américains dans l'opinion publique belge, en accusant les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France de jeter de l'huile sur le feu et de nuire aux intérêts de la Belgique. Même si mon pays ne brille généralement pas par l'originalité de ses positions et si le débat intellectuel y est absent, la Guerre du Golfe a été une période d'exception, où nos points de vue ont été largement partagés par les protagonistes en place sur l'échiquier politique. Nous avons donc vécu une Guerre du Golfe très différente en Belgique (et en Allemagne): l'hystérie anti-irakienne des nullités journalistiques parisiennes n'a eu prise sur personne. Qui plus est, la Belgique est le pays qui a le mieux résisté aux Américains qui insistaient lourdement pour que l'on envoie des troupes ou des avions. L'Allemagne, après le refus belge, s'est d'ailleurs alignée sur les positions de Bruxelles.

 

Dans l'opposition aux menées bellicistes de l'Ouest, les nationalistes de gauche et de droite se retrouvent traditionnellement dans le même camp, surtout si la France joue les va-t-'en-guerre. Automatiquement, surtout dans la partie flamande du pays, on se hérisse contre toute forme de militarisme français et l'opinion se dresse vite contre Paris, par une sorte d'atavisme. Récemment, début 1994, le journaliste flamand Frans Crols a ordonné à l'un de ses jeunes collègues, Erick Arckens, d'aller interviewer Alain de Benoist à Paris, pour faire la nique à ses homologues parisiens et pour montrer qu'il respectait les traditions: les Français persécutés chez eux ont toujours, dans l'histoire, pu librement exprimer leurs idées à Bruxelles. Alain de Benoist, persécuté en 1993, n'a pas fait exception. Alors qu'on avait oublié son existence en Belgique depuis les heures de gloire de la Nouvelle Droite (1979-80), il est réapparu soudainement dans la Galaxie Gutenberg comme un diablotin qui sort d'une boîte, comme une vieille redingote qu'on retire de la naphtaline. Ses persécuteurs ont raté leur coup en Belgique et lui ont permis de s'exprimer en toute liberté dans l'un des hebdomadaires les plus lus de la partie néerlandophone du pays.

 

La hargne des journalistes parisiens, qui se piquent d'être à gauche, provient sans nulle doute de l'importance considérable qu'a eue le parti communiste en France. L'enrégimentement des esprits a été en permanence à l'ordre du jour: il fallait réciter son catéchisme, ne pas désespérer Billancourt. On ne faisait plus d'analyser, plus de philosophie, on faisait de l'agit-prop, de la propagande: maintenant que la donne a changé, tout cela ne vaut plus rien. En Belgique, le PC a toujours été insignifiant, les communistes, groupusculaires, étaient la risée du peuple, qui voyait s'agiter ces pauvrets sans humour, toujours de mauvaise humeur, dépourvus de joie de vivre. Les Français ont eu des communistes puristes, qui n'avaient rien compris à la dialectique de Hegel et de Marx, qui avaient adopté cette philosophie allemande sans en comprendre les ressorts profonds. Les communistes français ont érigé le marxisme sur un piédestal comme une idole figée, de la même façon que les Jacobins et les Sans-Culottes avaient dressé un autel à Bruxelles pour la «Déesse Raison», devant la population qui croulait de rire et se moquait copieusement de cette manie ridicule. Ces idolâtries puériles ont conservé leur pendant dans les débats, même aujourd'hui: les intellectuels parisiens, bizarrement, ne s'entendent jamais sur les faits, mais sur des abstractions totalement désincarnées: ils imaginent une gauche ou une droite toutes faites, y projettent leurs fantasmes. Et ces momies conceptuelles ne changent jamais, ne se moulent pas sur le réel, n'arraisonnent pas la vie, mais demeurent, impavides, comme une pièce de musée, qui prend les poussières et se couvre de toiles d'araignée. De telles attitudes conduisent à la folie, à la schizophrénie totale, à un aveuglement navrant. La campagne de 1993 est une crise supplémentaire dans ce landerneau parisien, peuplé de sinistres imbéciles dépourvus d'humour et incapables de prendre le moindre recul par rapport à leur superstitions laïques. Ils sont inadaptés au monde actuel en pleine effervescence.

 

2. Mais la convergence gauche/droite est-elle une situation nouvelle?

 

Non. Et paradoxalement, ce sont des convergences du même ordre qui attirent encore et toujours les historiens des idées. Ce ne sont pas les conventions de la droite ou de la gauche, la répétition à satiété des mêmes leitmotive qui intéresse l'observateur, l'historien ou le politiste. Mais les fulgurances originales, les greffes uniques, les coïncidentiae oppositorum. En France, la convergence entre Sorel, Maurras, Valois et les proudhoniens en 1911 ne cesse de susciter les interrogations. L'effervescence des années 30, avec le néo-socialisme lancé par Henri De Man, Marcel Déat, Georges Lefranc, les initiatives d'un Bertrand de Jouvenel, d'un Georges Soulès (alias Abellio), etc. sont mille fois plus captivantes que tout ce que disaient et faisaient les braves suiveurs sans originalité. A long terme, les moutons sont les perdants dans la bataille des idées. Les audacieux qui vont chercher des armes dans le camp ennemi, qui confrontent directement leurs convictions à celles de leurs adversaires, qui fusionnent ce qui est apparamment hétérogène, demeurent au panthéon de la pensée. Les autres sombrent inéluctablement dans l'oubli. En Italie, le débat est plus diversifié, l'atmosphère moins étriquée: depuis près de vingt ans, depuis la fin des «années de plomb», hommes de gauche et hommes de droite ne cessent plus de dialoguer, d'approfondir la radicalité de leurs assertions, sans se renier, sans renier leur combat et celui des leurs, mais en élevant sans cesse la pensée par leurs disputationes  fécondes.

 

3. En Russie, en octobre 93, on a vu sur les mêmes barricades des communistes et des nationalistes. Cette situation est-elle due à l'existence d'un ennemi commun, Eltsine, où cette alliance fortuite a-t-elle des bases solides, qui lui permettront de durer?

 

Bien sûr, le pari qu'Eltsine a fait sur le libéralisme échevelé, sur un libéralisme sauvage qui ne respecte aucun secteur non marchand, qui refuse les héritages culturels, a immanquablement contribué au rapprochement entre communistes et nationalistes, pour qui un ensemble de valeurs non-marchandes demeure cardinal; valeurs sociales pour les uns, valeurs historiques et politiques pour les autres, valeurs culturelles pour tous. A mon avis ce rapprochement n'est pas fortuit. Il faut savoir qu'il y a eu une dimension nationale dans le bolchévisme et que Staline s'est appuyé sur ces résidus de nationalisme pour asseoir puis étendre son pouvoir. Avant son avènement, certains spéculaient sur une «monarchie bolchévique», où un Tsar serait revenu aux affaires mais en utilisant à son profit l'appareil politique, économique et social mis en place par Lénine et ses camarades. Ensuite, quand l'opposition extra-parlementaire en Occident adoptaient les modes gauchistes, le style hippy et raisonnaient au départ des travaux de Marcuse (Eros et civilisation) ou de Reich (le freudo-marxisme), la contestation russe était populiste, nationaliste et écologiste. En témoignent les œuvres de Valentin Raspoutine et de Vassili Belov. Ces auteurs déployaient une mystique des archétypes, ruinaient les arguments des idéologies progressistes, prônaient un retour aux valeurs morales de la religion orthodoxe, chantaient les valeurs de la terre russe, sans aucunement encourir les foudres du régime. Au contraire, on leur décernait le Prix Lénine, même s'ils condamnaient clairement le technicisme matérialiste du léninisme! Les libéraux, en revanche, qui prônaient une occidentalisation des mœurs politiques soviétiques, ont été mis sur la touche. Le rapprochement entre nationalistes et communistes, l'émergence d'un corpus patriotique russe au sein même des structures du régime, datent d'il y a vingt ou trente ans. La perestroïka n'a fait que donner un relief plus visible à cette convergence. Les événements tragiques d'octobre 1993 ont scellé celle-ci dans le sang. La mystique du sang des martyrs russes, tombés lors de la défense du Parlement (de la “Maison Blanche”), sera-t-elle le ciment d'un futur régime anti-libéral?

 

4. Cette alliance se poursuivra-t-elle après la chute d'Eltsine et des libéraux?

 

Les élections de décembre 93 ont introduit un facteur nouveau: le nationalisme de Jirinovski, sur lequel les observateurs se posent encore beaucoup de questions. Est-ce une formule nouvelle ou une provocation destinée à fragmenter le camp nationaliste, à isoler les communistes, à tenir à l'écart les éléments patriotiques les plus turbulents? Je crois qu'il est encore trop tôt pour répondre. Les nationalistes radicaux en tout cas rejettent Jirinovski. Au-delà de toute polarisation gauche/droite, une chose est certaine: le libéralisme est inapplicable en Russie. L'essence de la Russie, c'est d'être «autocéphale», de refuser toute détermination venue d'ailleurs. La Russie ne peut prospérer qu'en appliquant des recettes russes, ne peut guérir que si l'on applique sur ses plaies des médications russes. L'alliance anti-libérale des communistes, qui vont au nationalisme pour se guérir de leurs schémas, et des nationalistes, qui refusent la déliquescence libérale, est une formule russe, non importée. Dans ce sens, elle peut survivre à haute ou à basse intensité.

 

5. Une telle alliance peut-elle se transposer dans les pays occidentaux?

 

Ce qui est certain, c'est que le discours de la gauche classique est désormais obsolète. La rigidité communiste n'est pas adaptée à la souplesse d'organisation que permettent les nouvelles technologies. Mais, en Occident, le nombre des exclus ne cesse de croître, les clochards apparaissent même sur les bancs publics des villes riches du Nord de l'Europe continentale (Thatcher les avait déjà fait réapparaître en Angleterre). Les secteurs non marchands tombent en quenouille: l'associatif n'est plus subsidié, l'enseignement va à vau-l'eau, on n'investit pas dans l'urbanisme ou l'écologie, on ne crée pas d'emplois dans ces secteurs, la stagnation économique empêche d'accroître la fiscalité. Bref, le libéralisme cesse de bien fonctionner en Europe. Mais les structures syndicales de la sociale-démocratie restent lourdes, dépourvues de souplesse. Face au déclin, nous assistons à toutes sortes de réflexes poujadistes incomplets, qui se traduisent par des succès électoraux, suivis de stagnation. Les mécontents n'ont pas encore trouvé la formule alternative adéquate qui devra immanquablement conjuguer la souplesse administrative, calquée sur la souplesse des nouvelles technologies, aux réflexes sociaux et nationaux. Ces réflexes visent au fond à rapprocher les gouvernants des gouvernés, à trouver des formules de représentation à géométrie variable, fonctionnant dans des territoires de petites dimensions à mesures humaines. Cette nouvelle forme inédite de démocratie locale chassera la démocratie conventionnelle qui a déchu en un mécanisme purement formel. Enfin, la formation d'un bloc européen, qui se dessine à l'horizon, surtout depuis que l'Autriche, les pays scandinaves et les pays du «Groupe de Visegrad» (Hongrie, Pologne, République tchèque) ont demandé leur adhésionà la CEE, nous obligera à trouver une formule politique et sociale différente de celle des Etats-Unis, puissance avec laquelle nous entrerons inévitablement en conflit. Or cette formule doit tenir compte, pour être séduisante, des impératifs urgents que le régime actuel est incapable de résoudre: ces impériatifs sont sociaux, identitaires et écologiques.

 

(propos recueillis par Julio Prata).

mercredi, 27 mai 2009

Présentation des options philosophiques et politiques de "Synergies Européennes"

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

 

Robert STEUCKERS:

Présentation des options philosophiques et politiques de “Synergies Européennes”

Lande de Lüneburg, 5 avril 1997

 

Pourquoi le terme “synergie”?

 

Pourquoi avons-nous choisi, pour désigner notre mouvement, d'adopter le terme de “synergie”, et non pas un autre terme, plus politique, plus ancré dans un champ idéologique clairement profilé? Pourquoi em­ployons-nous un vocable qui ne laisse devi­ner aucun ancrage politique précis? En effet, la notion de “synergie” ne se laisse ancrer ni à droite ni à gauche. Au départ, “synergie” est un concept issu de la théologie, tout comme, d'ailleurs, tous les autres concepts politiques, même après la phase de neutrali­sation des ef­fervescences religieuses qu'a connue la modernité à ses débuts, au XVIIième siècle. Pour Carl Schmitt, tous les concepts prégnants de la politique sont des concepts théologiques sécularisés. Dans le lan­gage des théolo­giens, une “synergie” s'observe quand des forces différentes, des forces d'origines différentes, de nature différente, entrent en concurrence ou joignent leurs efforts pour atteindre en toute indépendance un objectif commun. Nos objectifs principaux, dû­ment inscrits dans notre charte, visent, d'une part, la liberté et la pluralité dans la vie quotidienne, d'autre part, la capacité de décider en cas de situation exceptionnelle. L'erreur des idéologies dominantes de ce siècle, c'est justement d'avoir pensé sé­parément la liberté de la décision.

- Ou bien l'on croyait, avec Kelsen notamment, que l'effervescence et les turbulences du monde cesse­raient définitivement et qu'une ère de liberté éternelle s'ouvrirait sans que les hommes politiques n'aient plus jamais à prendre de décisions. Fukuyama a réactualisé ce vœu de “fin de l'histoire”, il y a six ou sept ans.

- Ou bien on ne croyait qu'à la seule décision virile, comme les fascismes quiritaires, et on voulait maximiser à outrance la quantité de décisions suivies d'effets “constructifs”; de cette façon, on a contraint certains peuples à vivre dans une tension permanente, obligé les strates paisibles de la société à vivre comme les élites conquérantes ou les soldats sur la brèche, on a négligé l'organisation du quotidien, qui ne postulait nullement cette perpétuelle effervescence de la mobilisation permanente et totale. Les fascismes quiritaires, le national-socialisme n'ont généré ni un droit propre (si ce n'est une opposition systématique aux “paragraphes abstraits”) ni une constitution ni restauré un droit jurisprudentiel à la façon anglaise (au grand dam d'un ju­riste comme Koellreutter, qui a oscillé entre le droit anglais et le national-socialisme!). Aucun cor­pus doctrinal de ce siècle, d'après 1919, n'a su ou voulu penser conjointement et harmonieusement ces deux impératifs, ces deux nécessités:

1) se tenir prêt pour faire face aux imprévus qui s'abattent sans cesse sur le monde et sur l'histoire des hommes (ce que voulaient les décisionnistes);

2) organiser le quotidien dans la cohérence, sur le long terme (ce que voulaient les constitutionnalistes).

Une bonne part du débat politique de fond a tourné autour de l'opposition binaire entre “décisionnistes” (assimilés aux fascistes ou aux conservateurs) et “quotidiennistes” (qui survalorisaient l'Alltäglichkeit, le “règne du on”, les jugeant plus “moraux“ parce que leur marque principale était la quiétude). La nécessité d'organiser le quotidien dans la cohérence et sur le long terme n'exclut pas la nécessité impérieuse de la décision, de faire face à l'imprévu ou à la soudaineté.

 

Un projet politique d'avenir doit donc nécessairement reposer sur une capacité d'appréhension à la fois de la décision et du quotidien. Comment décision et quotidien ont-ils été appréhendés dans les idéologies dominantes de la gauche et de la droite? Pourquoi les modes d'appréhension de ces droites et de ces gauches dominantes ont-ils été insuffisants?

 

A droite: un fusionisme sans souci des valeurs

Dans le camp des droites, du conservatisme ou du national-conser­vatisme, il n'y a pas d'homogénéité dans l'appréhension de la li­berté (entendue au sens d'absence de mobilisation politique permanente) ou de la décision. Quelques exemples: au temps de la guerre froide, terminée avec l'effondrement du Mur de Berlin en 1989, la liberté, disait-on, surtout aux Etats-Unis, s'opposait au commu­nisme, quintessence de la non-liberté et idéologie fortement mobilisatrice. Hannah Arendt écrivait que le stalinisme, au début des années 50, était l'incarnation de l'“autoritarisme”, qui avait pris, jadis, tour à tour, un visage clérical, milita­riste, fasciste, etc. A la fin des années 50, pour faire pièce aux gauches étatistes, communistes, socia­listes ou keyné­siennes, le monde poli­tique américain lance l'expérience du “fusionisme”, soit l'alliance des conservateurs anti-communistes et des libertaires anti-autoritaires, c'est-à-dire des partisans d'une société civile sans élites mobilisatrices et quiritaires, axée sur l'économie, le commerce et la technique, et les partisans d'une sorte de “leisure society”, propre des rentiers et des ar­tistes situés en dehors de tout circuit économique fonctionnant. Dans ce fusionisme, la question des valeurs reste sans solu­tion. Parce que les valeurs habituellement attribuées au conservatisme, comme le sens du devoir, se marient mal avec les options des liber­taires, on fait, par calcul politicien, l'impasse sur la valeur “devoir”, cardinale pour toute philosophie cohérente et stable de la Cité. On se rend forcément compte que la notion de devoir limite la liberté (du moins si on entend par liberté la licence ou la permissivité), ce que n'acceptent pas les alliés libertaires et anarchisants. Du fusionisme découle le conserva­tisme technocratique, qui se passe de toute réfé­rence à des valeurs mobilisantes et cimentantes et esquive de ce fait la ques­tion de la justice qui repose inévitablement sur une table de valeurs, située au-delà des intérêts matériels et économiques. Ainsi, les commu­nautés ou les résidus de communauté perdent leur cohésion, en dépit des politiques conservatrices.

 

Fusionisme et conservatisme technocratique prennent le pas sur les conservateurs axiologiques (Wertkonservativen)  ou les conserva­teurs décisionnistes, ruinant ainsi l'homogénéité de la droite et annonçant à plus ou moins long terme d'autres re­compositions (même si elles se font encore attendre). Autres exemples: au niveau de la politique économique, axiologistes et dé­cisionnistes chercheront générale­ment à inscrire des valeurs dans leur praxis économique. Ils s'opposeront dès lors for­cément au néo-libé­ralisme ou à toute forme de globalisation inscrite sous le signe de cette idéologie strictement économique. Fusionistes et technocrates accorderont la priorité à l'efficacité et tolèreront les pratiques néo-libérales du profit à très court terme, considérant que la globali­sation est inévitable et que la société qu'ils sont appe­lés à gérer n'aura pour seule originalité que d'être une niche parti­culière parmi d'autres niches particulières dans le processus général de globalisation, une niche qu'on nettoiera de ses particularités et où rè­gneront, finalement, les mêmes principes que ceux de la globalisa­tion.

 

Des idéologies qui donnent la priorité aux valeurs

En Europe, face à la problématique de l'unification européenne, si l'on donne la priorité aux valeurs, on sera:

- soit un nationaliste hostile à l'eurocratisme, dont le patriotisme nationalitaire sera fondé sur l'appartenance charnelle à une culture précise, héritée des générations précédentes et de l'histoire, cimentée par un jeu de valeurs de longue durée;

- soit un européiste qui considère l'ensemble des peuples européens comme un écoumène civilisationnel de facture chré­tienne ou non chrétienne,

- soit un ordo-socialiste ou un socialiste acceptant les règles de l'ordo-libéralisme allemand (le modèle du “capitalisme rhé­nan” se­lon Michel Albert).

Le souci des valeurs postule donc implicitement l'alliance prochaine

1) des nationalistes qui auront la force de transcender les limites des Etats-Nations modernes conventionnels,

2) des européistes qui voient d'abord dans l'Europe à la fois un espace stratégique indissociable et un espace de civilisation et de valeurs spécifiques et, enfin,

3) des socia­listes enracinés dans la cul­ture industrielle de type “rhénan”, qui donne la priorité à l'investissement industriel par rapport au capital spéculatif, où les impératifs industriels lo­caux et les structures patrimoniales sont pris en compte concrète­ment, où les investissements dans l'appareil éducatif ne sont jamais rognés, et où l'on ne bascule pas dans les mirages délo­calisés d'une culture écono­mique axée princi­palement sur la spéculation boursière. La fusion de ces corpus poli­tiques est l'impératif des premières décennies du XXIième siècle. A la fusion technocratisme conservateur/libertarianisme, née dans les années cinquante aux Etats-Unis puis importée en Europe, il faut opposer la fusion de ces trois forces politiques, au-delà de tous les faux clivages, désormais obsolètes.

 

Nationalistes patriotes, ordo-socialistes et européistes “axiologues” refusent pourtant l'eurocratisme ac­tuel, car celui-ci ne tient nulle­ment compte des valeurs et repose sur ce “relativisme des valeurs” et cet oubli des leçons de l'histoire qui provo­quent la déliquescence des sociétés. Si l'européisme peut être un retour à des valeurs fon­datrices, renforçant les ressorts de la Cité, l'eurocratisme ne peut que perpétuer le relativisme absolu et la déliquescence sociale.

 

Si l'on accorde la priorité à l'efficacité économique, on peut être en faveur de l'unification européenne, selon les critères criti­quables d'aujourd'hui, mais on ne devra pas oublier que le chômage alar­mant est un frein à l'efficacité économique et qu'il dé­coule directe­ment de l'application des principes néo-libéraux, is­sus du relati­visme des valeurs et du refus des héritages histo­riques. En re­vanche, une volonté d'efficacité économique pourra s'avérer hostile à l'unification européenne dans les conditions actuelles, car le gi­gantisme eurocratique réduit l'efficacité là où elle est réellement présente et où elle constitue un barrage contre le chômage pandé­mique: dans certains tissus agricoles locaux (ce que n'a pas manqué de souligner la FPÖ autri­chienne) ou dans certaines en­tre­prises industrielles locales, bien ancrées dans le marché euro­péen mais qui seraient inca­pables de faire face à une concurrence extra-européenne qui se nicherait dans notre continent, au nom d'un libre-échangisme planétaire ouvrant toutes les portes aux marchandises japonaises ou coréennes, dont le coût est plus bas car il n'inclut ni la sécurité sociale du personnel ni les taxes écologiques visant la protection du patrimoine “environnement” ni un certain réin­vestissement dans les réseaux éducatifs.

 

Sur le plan géopolitique, opter pour le primat des valeurs implique de raisonner en termes de civilisation, de percevoir le monde comme un réseau d'espaces civilisationnels juxtaposés, différents mais pas né­cessairement antagonistes. Ces es­paces sont animés par une logique intérieure, c'est-à-dire par un sys­tème de valeur cohé­rent et accepté, impliquant pour les hommes harmonie et consen­sus. Le primat des valeurs implique aussi ipso facto que l'on res­pecte les valeurs qui animent les espaces voisins du nôtre. Cependant, opter comme les droites néo-libérales (voire les droites “hayekiennes”) pour un primat de l'efficacité, sans tenir compte des valeurs structurantes, ou ne consi­dérer celles-ci que comme des reliquats en voie de disparition graduelle, c'est opter automatique­ment pour le système des pseudo-valeurs occidentales modernes et rela­tivistes. Une telle option implique le refus de toutes les valeurs structurantes des civilisations, quelles qu'elles soient, et impose le “relativisme des valeurs”, c'est-à-dire leur négation pure et simple (Benjamin Barber: McWorld contre Djihad!), et, partant, le refus de la valeur “justice” (Rawls).

 

La gauche tiraillée entre justice et relativisme

Dans le camp de la “gauche” (du moins pour les adeptes des sys­tèmes de classification binaires qui se déclarent tels), il n'y a pas davantage d'homogénéité que dans le camp des droites (pour les binaires d'un autre genre...). Dans cette nébuleuse de gauche, aux contours flous, on est en faveur de l'unification eu­ropéenne quand on imagine qu'elle est une étape vers l'“Internationale”, désormais mise en équation avec la parousie globaliste. Ou bien on est hostile à cette Europe de Bruxelles et de Strasbourg, parce qu'elle est une Europe capitaliste. Sur le plan géopolitique, face à l'émergence de “blocs civilisationnels”, une gauche sympathique mais en voie de disparition, approuve la consolidation des valeurs dans les aires civilisationnelles voisines des nôtres (islam, animisme africain, bouddhisme, indigénisme hispano-amé­rindien, etc.), tandis qu'une nouvelle gauche agressive et messianique fait sienne une vulgate militante basée sur les “droits de l'homme”, subtilement raciste car seule cette idéologie, née en Europe du Nord-Ouest, est jugée va­lable, le reste étant “tribalisme”, injure équivalant désormais de “para-nazisme”.

 

En conclusion, face à une droite tiraillée entre le sens des valeurs et le néo-libéralisme et face à une gauche ti­raillée entre le sens de la jus­tice et l'agressivité occidentaliste et relativiste, force est de constater que les vo­cables politisés de “gauche” et de “droite” ne recouvrent plus rien de précis, qu'ils ne parviennent plus à séparer réellement des op­tions politiques antago­nistes. La droite ou la gauche idéales, pour les uns comme pour les autres, n'existent pas: elles sont des “sites in­trouvables”, comme l'affirmait Marco Tarchi (in: «Destra e sinistra: due essenze introvabile», Democrazia e diritto, 1/1994, Ed. Scientifiche Italiane).

 

Sur le plan historique, effectivement, nous découvrons une flopée de figures et de théoriciens importants qui oscillent entre cette droite et cette gauche ou que l'on a fourré dans la boîte de gauche quand ils étaient vivants, pour les fourrer ensuite dans la boîte de droite, quand la mode a changé ou le vent a tourné. Ainsi, Georges Sorel, théoricien socialiste français du début du siècle, appartenait de son vivant à l'ultra-gauche syndicaliste et révolutionnaire. Mais ce syndicaliste-révolutionnaire inspire Mussolini, également classé dans la gauche socialiste et belliciste italienne. Mais, voilà, Mussolini, étatiste et volon­tariste, est contesté par la gauche parle­mentariste et déterministe: on le sort de sa boîte de gauche pour l'enfouir dans une boîte de droite, avec son Sorel, son fascisme et ses flonflons. Après 1919, les “révolutionnaires-conservateurs” al­lemands, Ernst Jünger et Carl Schmitt admirent chez Sorel son sens de la décision et sa théorie de la grève générale insurrectionnelle. Sorel reste donc, malgré son ouvrié­risme foncier, dans la boîte de droite: il devient même une figure de la droite radicale en Italie, en France et en Allemagne, après 1945. En France, l'un de ses disciples, Hubert Lagardelle, devient même ministre de Vichy pendant la seconde guerre mon­diale.

 

Il n'existe donc pas d'idées de droite qui n'aient pas été jadis à gauche. Le nationalisme est dans ce cas. Mais il n'existe pas davan­tage d'idées de gauche qui n'aient pas été ancrées un jour à droite. Cet état de choses doit nous conduire à formuler le jugement sui­vant: la gauche et la droite sont des concepts dé­passés, dans la me­sure où elles ne sont pertinentes que dans le cadre d'un régime précis mais unique­ment tant que ce régime est accepté par les grandes masses et fonctionne efficacement, tant qu'il peut affronter les vicissitudes du monde en perpétuelle effervescence.

 

Représentations figées et guerre des looks

 

Mais tout régime s'use. L'usure de l'histoire est le lot de toutes les constructions politiques. Quand cette usure a fait son œuvre, les gauches et les droites institutionnelles voire leurs dérives plus radi­cales se fi­gent, deviennent des phénomènes raidis dans un monde qui ne cesse de se mouvoir. A partir du moment où les gauches et les droites institutionnelles ne peu­vent plus résoudre les problèmes de société comme le chômage et l'emploi, l'augmentation démesurée des dettes publiques, l'incompétence de la magistra­ture, la crise de l'enseignement, l'effondrement du consensus, elles ne sont plus que des “représentations” (pour reprendre le vocabulaire de Gilles Deleuze). Des sortes d'images platoniciennes figées que l'on agite comme s'il s'agissait de vérités révélées et immuables ou, plus prosaïquement, que l'on agite avec véhémence comme des pancartes revendicatrices lors de manifestations. Toute l'histoire des “grands récits” (Lyotard) de l'idéologie occidentale du XVIIIième au XXième siècles consiste en une succession de “représentations”: aux représentations conservatrices-cléricales puis bourgeoises, on a opposé la re­présentation ouvrière-socialiste ou la représentation fasciste ou nationale-socialiste ou verte-écolo. Quand une représentation ne convenait plus à une catégorie de la popu­lation, on en fabriquait une nouvelle et on l'opposait aux plus anciennes. Toute la vie politique a consisté ainsi en une guerre des représentations, une guerre des looks. Jusqu'au paroxysme des re­présentations totalitaires... et surtout jusqu'à la satiété des citoyens.

 

Cette guerre des looks  ne résout rien: on s'en est aperçu et ce fut la fin des “grands récits” (théorisée par Lyotard). Ce type de conflit est insuffisant. Avec Deleuze et ses continuateurs, on s'aperçoit désor­mais que l'on ne peut pas sans cesse produire et reproduire des re­présentations, en n'y apportant que de lé­gères retouches. Le monde n'est pas fractionné en camps fermés sur eux-mêmes et détenteurs théo­riques de vérités définitives. Le monde, l'histoire, les arènes politiques, les héritages juri­diques, les jurisprudences, etc. sont bien plutôt autant de ré­seaux denses et inextricables, de croissances vitales, d'effervescences organiques ordonnées ou dé­sordonnées mais néanmoins bien présentes et bien réelles, con­crètes. Dans ces réseaux, l'homme actif (politiquement, socialement ou existentiellement) doit se tailler, se frayer un chemin à la ma­chette, sich eine Schneise durchhaken, disait Armin Mohler quand il tentait d'expliciter son existentialisme ou son réa­lisme héroïque (en l'appelant maladroitement “nominalisme”, vocable qu'a rapidement repris Alain de Benoist, son admirateur naïf, collec­tionneur -ânonneur de vocables non usuels, toujours vainement en quête d'une notoriété qu'il n'a jamais obtenue). La dé­marche vitale ne consiste donc plus à imposer au dense grouillement du réel des “représentations” figées et naïves, mais de repérer des forces et des opportunités, des passages et des trouées, pour cheminer le plus sû­rement, le plus sereinement possible, en dépit des défis fusant de toutes parts.

 

Complexité, pluralité et démarche archéologique

 

Cette vision deleuzienne du réel, implique, sur le plan politique con­cret, de ne plus chercher à répandre des programmes ri­gides, à se balader dans la société avec sa pancarte ou son affiche sur le ventre, mais à retourner résolument à l'épais sous-bois de l'histoire, où les traits trop simples d'un look  idéologico-poli­tique ne valent que ce qu'ils valent: une mauvaise carica­ture, une gesticulation maladroite. Prendre posi­tion politiquement, aujourd'hui, c'est donc plonger plus profondément dans les tréfonds de notre histoire, aller fouiller sous l'humus qui ne recouvre le sol que sur une faible profondeur. Prendre position po­litiquement aujourd'hui, c'est procéder à une démarche archéologique, c'est faire l'archéologie de notre site de vie. Je vis dans une Cité politique précise qui s'est construite pro­gressivement au fil du temps, qui a généré un appareil juridi­que/consti­tution­nel complexe, tenant compte des strates multiples qui composent cette société et récapitulant subtilement dans les méandres mêmes de ses textes et dans les arcanes de ses pratiques les oppositions, fusions et contradictions dont cette société est fina­lement le résultat mouvant et vivant. Cet entrelac com­pliqué est précisément le sous-bois auquel il faut re­tourner et sur lequel il ne faut pas plaquer d'idéologie toute faite. Toute véritable prise en compte de l'histoire du droit dans une Cité interdit les ju­gements binaires des gauches et des droites ainsi que les simplismes des faux sa­vants qui manient l'idéologie (schématisante) comme d'autres la trique.

 

La pensée politique doit donc retourner à des œuvres fondamen­tales, injustement méconnues, comme celles d'Althusius, de Justus Möser, de Wilhelm Heinrich von Riehl et d'Otto von Gierke. Leurs travaux prennent en compte l'ensemble des socié­tés, avec toutes leurs différences intérieures, toutes les symbioses qui s'y juxtaposent. Leur pensée juridique, sociale et poli­tique ne peut nullement se résumer à un schématisme binaire, mais exprime toujours de denses complexités, tout en nous apprenant à les explorer sans les mutiler. Le drame de la civilisation occidentale, c'est justement de ne pas s'être mis à l'écoute de ses œuvres depuis deux ou trois cents ans. Pour ces auteurs, ce qui compte, c'est le fonctionnement harmo­nieux/symbiotique ou le développe­ment graduel de la Cité, selon des rythmes éprouvés par le temps, et non pas sa correction forcée et son alignement contraignant sur les critères d'un pro­gramme abstrait. Le programme-représentation ne saurait en au­cun cas, avec cette pen­sée politique organique, oblitérer le fonc­tionnement rythmé et traditionnel d'une société. Tout retour à ces corpus organiques postule de raviver des modèles liés à un site géographique, de faire revivre, vivre et survivre des héri­tages et non pas d'imposer des “choses faites”, des choses relevant de la manie mo­derne de la “faisabilité” (que Joseph de Maistre nommait plus élégamment l'“esprit de fabrication”). Le sous-bois épais et touffu de Deleuze, véritable texture de son “plan d'immanence”, est un héritage, non pas une fabrication. Le sous-bois est un tout mais un tout composé de variétés et de nuances à l'infini: l'attitude qui est pertinente ici  n'est pas celle qui est pertinente là. L'homme qui chemine dans ce sous-bois (qui ne mène nulle part, si ce n'est sur la terre même, où il se trouve toujours déjà)  doit être capable d'adopter rapidement et tour à tour plusieurs attitudes, de s'adapter plastiquement aux circonstances diverses qu'il rencontre au gré des imprévus: cette vision du monde comme un immense entrelac immanent d'abord, cette nécessité bien perçue de l'adaptation perma­nente ensuite, sont les deux principales garanties de la pluralité. Quand on pense simultanément entrelac et adaptation, on pense pluriel et on est vacciné contre les interprétations et les représentations unilatérales.

 

Symbiotique et subsidiarité

 

Autre avantage pratique: la vision deleuzienne et le recours au filon qui part d'Althusius pour aboutir à Gierke permettent, une fois qu'ils sont combinés, de donner un contenu concret à ce que l'on nomme la subsidiarité. Dans l'article 3b du Traité de Maastricht, les législateurs européens ont prévu le passage à la subsidiarité sur l'ensemble du territoire de l'Union. Mais la définition qu'ils donnent de cette subsidiarité reste imprécise. Et elle est interprétée de diverses façons. En effet, que signifie la subsidiarité pour diffé­rents acteurs politiques européens?

- Pour Madame Thatcher et ses successeurs, la subsidiarité n'était qu'un prétexte pour défendre exclusi­vement les intérêts britanniques dans le concert de l'UE. Certains gaullistes lui ont emboîté le pas, de même que le groupe De Villiers/Goldsmith.

- D'autres espèrent, par antipolitisme, que la subsidiarité va conduire à une balkanisation de l'Europe, à un retour à la Kleinstaaterei  incapacitante, car, à leurs yeux, toute capacité politique est un mal en soi.

- Pour d'autres encore, elle n'est qu'un artifice de gouvernement dans un futur Etat européen hyper-cen­tralisé. La subsidiarité conduira à l'intérieur d'une telle Europe à une régionalisation à la française, où les parlements régionaux sont purement for­mels et n'ont pas de pouvoir de décision réel.

- Pour nous, un projet continental de subsidiarité est un projet de rapprochement des gouvernants et des gouvernés dans tout l'espace européen, visant à instaurer des rapports de citoyenneté féconds, à redonner à la société civile un espace public, où ses dynamismes peuvent réellement s'exprimer et se répercuter dans la vie quotidienne de la Cité, sans rencontrer d'obstacles ou d'obsolescences incapacitantes. Ce projet continental de subsidiarité est indissociable de la question écono­mique. Si l'ancrage poli­tique au niveau des pays est une nécessité pour rétablir les consensus écornés par la déliquescence des valeurs, il doit être concomitant à une “recontextualisation” de l'économie. Si la volonté de “recontextualiser” l'économie, de réancrer les forces économiques sur le lieu même de leur déploiement, si cette recon­textualisation redevient la caractéris­tique principale d'une économie saine, on ne pourra plus parler d'une césure gauche/droite mais d'un clivage opposant les or­thodoxies économiques, voire les orthoglossies économiques (consistant à répéter inlassablement les mêmes discours idéo­logisés sur l'économie), aux hétérodoxies. Pour les historiens français de l'histoire des théories économiques, les orthodoxies sont: 1) l'économie classique (le libéralisme dévié d'Adam Smith, le manchesterisme), 2) le marxisme et 3) la synthèse key­nésienne, du moins telle qu'elle est instrumentalisée par les sociaux-démocrates. Toutes ces pen­sées orthodoxes sont mé­canicistes. Face à elles, les hétérodoxies sont très variées: elles ne prétendent pas à l'universalité; elles se pensent comme produits de contextes précis. Elles ont pour sources les ré­flexions posées par l'école historique (allemande) au XIXième siècle, pour laquelle l'économie se dé­ployait toujours dans des espaces travaillés par l'histoire. Dans une telle perspective, aucune économie ne peut se développer dans un contexte dépourvu d'histoire. Outre l'école historique allemande, les hété­ro­doxies dérivent des socialistes de la chaire et des institutionalistes américains (dont Thorstein Veblen; les institutions déter­minent l'économie, or les institutions, elles aussi, comme le droit, sont produites par l'histoire). Pour François Perroux qui, en France, a fait la synthèse de ces corpus variés, l'économie se déploie au sein de dynamiques de structures, dans des turbu­lences où s'entrechoquent des forces va­riées: nous retrouvons là, dans un langage scientifique, avec un appareil mathéma­tique adéquat, ce que le philosophe-poète Deleuze avait appelé le “rhizome”, ce sous-bois, cette jungle du plan d'immanence, dans laquelle l'homme lucide doit repérer et capter des forces.

 

Parmi ces lucides qui repèrent et captent, il y a bien entendu des hétérodoxes que l'on classe à gauche et d'autres que l'on classe à droite. Mais ce qui importe, dans leurs théories et discours, ce n'est pas le la­bel, mais, plus justement, ce qui fait leur hétérodoxie, soit la volonté de se démarquer du mécanicisme des orthodoxies, de se dégager des impasses politiques dans lesquelles elles ont fourvoyé nos sociétés.

 

Révolution conservatrice et “événement-choc”

 

Mais si les questions brûlantes de la politique sont celles de la subsidiarité, de la réorientation de la pen­sée économique vers les théories hétérodoxes, que reste-t-il de notre engouement pour la “révolution conservatrice”? N'est-il pas le dernier indice d'un ancrage que l'on pourrait labéliser de “droite”? N'est-il pas ce petit “plus” qui permettrait de nous ranger définitivement dans la “boîte de droite”? Premier élément de réponse: ce qui consitue l'essence de la “révolution conservatrice”, ce n'est pas tant la dimension proprement conservatrice, c'est-à-dire le maintien de formes anciennes ou la volonté de garder “fixes” et immuables certaines institutions, mais l'attention constante pour l'Ernstfall (le cas d'exception), l'éveil à tout ce qui est soudain (Das Plötzliche), inattendu (Das Unerwartete), l'événement choc vécu en direct et qui appelle une réponse rapide, une déci­sion (Eine Entscheidung). Cette attention et cet éveil ont été considérés comme les marques les plus caractéristiques de la “révolution conservatrice”, rangée à droite dans l'univers des panoplies politiques. Mais l'éveil à ce qui est soudain n'est pas seulement ancré à “droite”. Tant les surréalistes, contestataires et hostiles à toute forme de conservation institutionnelle, que Walter Benjamin y ont été attentifs et lui ont accordé la priorité, le statut d'essentialité, par rapport à la simple et répétitive quo­tidienneté. On retrouve la même valorisation de l'instant crucial, marqué d'une forte charge d'intensité, chez Carl Schmitt, chez Ernst Jünger, chez Martin Heidegger. Chez Benjamin, le fait de vivre un choc et de gérer ainsi l'irruption de l'imprévu, de vivre sous l'emprise d'une logique du pire, évite le traumatisme incapacitant, permet de vivre et de naviguer dans un monde qui transite de catastrophe en catastrophe.

 

Focaliser l'attention du personnel politique d'élite sur la soudaineté et l'irréductibilité du particulier face aux prétentions de l'universel, permet justement de ne pas “perdre les pédales”, de ne pas “craquer” devant le constat que l'on est bien forcé de poser aujourd'hui: la fin de l'histoire (Fukuyama), l'advenance d'un temps hypothétique où les décisions seraient devenues su­perflues, n'arriveront pas. Jamais. Cette non-advenance bien constatable prouve l'inanité des thèses de Kelsen ainsi que des institutions et des pratiques politiques qui en découlent. Elle contraint à penser métaphoriquement le plan du politique comme un sous-bois touffu, comme une masse unique et toujours particulière de sédimentations multiples, inextricablement enchevê­trées, dont témoignent l'histoire du droit, l'histoire constitutionnelle et la jurisprudence. Dans l'enchevêtrement de pratiques ju­ridiques non répressives mais codifiant, décodifiant et recodifiant la convivialité publique (pratiques qui sont de ce fait non pu­nissantes et non surveillantes, pour rappeler ici le travail de Foucault), dans cet enchevêtrement donc, s'expriment des va­leurs, sous des oripeaux qui se modifient et s'adaptent au fil du temps, tout en conservant l'essentiel de leur message.

 

Conclusion

 

Par conséquent, le projet de “Synergies Européennes” étaye sa revendication de subsidiarité par un recours aux corpus sym­biotiques d'Althusius, Möser, Riehl, Gierke, etc. pour organiser et renforcer une quotidienneté organique, dégagée des sim­plismes politiciens et mécanicistes qu'ont véhiculés la plupart des idéologies du pouvoir en Europe. Cette quotidienneté doit pouvoir s'exprimer dans des assemblées élues par la population de régions historiques, expressions de substrats historiques, juridiques et économiques de longue durée. Ces substrats représentent des “contextes” économiques particuliers, dont la par­ticularité ne saurait être ni altérée ni oblitérée ni éradiquée. Toute volonté d'altérer, d'oblitérer ou d'éradiquer ces substrats participent d'une volonté mécanique de “surveiller” et de “punir”, qui se camoufle souvent derrière des discours iréniques et moralisants. Ces particularités substratiques doivent donc être prises en compte telles qu'elles sont, dans leur complexité que le philosophe-poète compare volontiers à un sous-bois touffu ou à une forêt vierge. Cette complexité est organique et forcé­ment rétive à toute logique mécanique, binaire ou simpliste. Sur le plan économique, elle ne peut être appréhendée que par une pensée de type historique, c'est-à-dire, selon la classification qu'ont opérée les historiens français contemporains de la pensée économique, une pensée “hétérodoxe”.

 

Mais ce réel pensé comme sous-bois peut le cas échéant subir l'assaut d'aléas mettant ses équilibres particuliers en danger. L'événement-choc, soudain, fortuit, terrible, peut bousculer des équilibres organiques pluriséculaires: ceux-ci doivent toujours être capables de faire face, de cultiver une logique du pire, pour que les chocs qu'ils affrontent ne les détruisent ni ne les trau­matisent. Telle est la disposition d'esprit qu'il faut retenir des décisionnistes historiques (Sorel et ses disciples de la “révolution conservatrice”) et de l'œuvre de Walter Benjamin.

 

Deux pistes pour sortir des enfermements de gauche et de droite et pour accepter la diversité du monde et le divers en nos propres sociétés.

Robert STEUCKERS.

 

 

lundi, 30 mars 2009

Intervencion de R. Steuckers - Primer Encuentro de la America Romanica de Politica y Cultura Alternativas (1996)

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

 

Intervención de Robert Steuckers

Primer Encuentro de la América Románica de Política y Cultura Alternativas

(Viña del Mar, Agosto -Septiembre de 1996).


Señoras, señoritas, señores, queridos amigos:

Voy a comenzar por agradecer a los organizadores de este coloquio iberoamericano el haberme permitido tomar la palabra hoy, por desgracia sin estar presente físicamente, lo que lamento mucho. Enseguida, os deseo sacar un gran provecho de este Encuentro; deseo también larga vida a todas vuestras iniciativas y sobre todo a vuestras revistas, por que ellas son las que nos permiten comunicarnos, traducirnos mutuamente, hacernos conocer a, nuestros respectivos públicos, pese a las decenas de miles de kilómetros que nos separan. Nosotros los animadores de la asociación Synergies Européennes, hemos tenido este verano (boreal, ndlR.) una semana de trabajos ideológicos particularmente fecunda, que nos ha permitido esclarecer nuevas facetas de nuestra Weltanschaung, rozarnos con nuevas disciplinas y salir de nuestros propios senderos trillados sin alejarnos de nuestros objetivos fundamentales. Todos los textos disponibles de esta universidad de verano os serán comunicados, por supuesto, a fin de acentuar y profundizar nuestra fraternidad de espíritu. Todos los participantes en la IV Universidad de Verano de Synergies Européennes os desean, por lo tanto, un franco éxito en vuestras empresas.

Señoras, señoritas, señores, queridos amigos: Yo desearía hoy introducir nuestra comunidad de combate cultural a nuevas temáticas globales. En efecto, verificamos que la ideología dominante, salida del discurso de las Luces, salida de todas la etapas del gran desencantamiento occidental comprobado por Max Weber, no está más en el caso de enfrentar los problemas que ha generado ni de resolver los disfuncionamientos calamitosos o catastróficos que ha provocado. Las ideologías dominantes o prácticas políticas que derivan de ellas , comprendidos los partidos que se dan la etiqueta "cristiana" o "conservadora", han prometido el"progreso", es decir una planetarización del desencantamiento moderno e ilustrado; pero, vista la resistencia ontológica de los hechos de vida, vistos los límites de los recursos vitales, vista la finitud humana, estas prácticas ideológicas dominantes no pueden realizar más ningún progreso sin poner en peligro el fundamento mismo de la Vida, sin inferir heridas siniestras al mundo real y orgánico: por esto, ya no se puede hablar razonablemente de "legitimidad progresista".

Esta verificación nos obliga a proponer una alternativa a esta ideología dominante, porque ésta pierde completamente su función de "puesta en forma" del dato humano y natural, lo que se percibe de inmediato en la desvalorización generalizada de las instituciones políticas derivadas de esa ideología dominante, en sus disfunciones, en los efectos perversos que se multiplican, en la podredumbre general que se observa en Europa occidental, y en los países del antiguo Pacto de Varsovia. En Bélgica, por ejemplo, este verano, luego del desmantelamiento muy parcial de una red de pedofilia que asesinaba a sus víctimas -nada más que la punta emergida del iceberg- la población ha podido comprobar el laxismo aterrador de los aparatos judicial y policial, los silencios cómplices, los velos púdicos lanzados sobre una realidad sórdida, y ha perdido totalmente la confianza en las instituciones llamadas "democráticas"; una lámina de fondo general atraviesa el psiquismo popular e instala en nuestros países una oposición hosca entre el pueblo y los aparatos institucionales, que el gobierno, la magistratura y los servicios de policía difícilmente podrán controlar en el futuro próximo. Por lo demás, la acumulación de los problemas ecológicos, el no-dominio por los gobiernos de los flujos comunicacionales, demográficos y económicos, constriñen incluso a los más apacibles de los ciudadanos a poner en duda los esquemas políticos convencionales, a fin de salir de la crisis moral que atraviesa hoy Europa occidental.

Esta crisis nos interpela en todos los dominios de la actividad humana y política. Para ser concisos, me referiré exclusivamente a las cuestiones que plantea un hombre de izquierda alemán, un ingeniero especializado en las energías alternativas. Hermann Scheer, en una obra significativamente titulada Zurück zur Politik (¡Retomo a la política!). Scheer, como los discípulos de Schmitt, verifica el "adormecimiento" de la función de lo político, la declinación de la res pública* la cesura problemática que existe ahora entre los proyectos y las promesas de los gobiernos. Próximo de los ecologistas, Scheer comprueba también, como los discípulos de Roberto Michels, que las actitudes rígidas de los partidos en plaza, hostiles a las ideas nuevas, a los métodos ergonómicos nuevos, que los obligarían a modificar de cabo a rabo sus estructuras internas, bloquean toda evolución. Scheer señala con el dedo el proceso de oligarquización, primer responsable de la declinación de la res pública. Las nuevas categorías de ciudadanos, los ciudadanos que para ejercer su profesión deben apelar a nuevos métodos ergonómicos, basados sobre relaciones diferentes de las previstas por las legislaciones y los reglamentos, chocan con los hábitos establecidos que protegen los partidos del poder occidental. Este poder se defiende decretando "poujadistas", "fascistas", "irracionales" o "neocomunistas" los desiderata de esas nuevas categorías de ciudadanos, bloquea el acceso de los innovadores a la función pública, corta los subsidios a ciertas investigaciones, defiende sus posiciones obsoletas, tanto que se obtiene a fin de cuentas una oposición muy tajante entre ciudadanos activos y partidos esclerotizados, mostrándose éstos incapaces -si no se ponen ellos mismos fundamentalmente en discusión- de integrarlos nuevos hechos del mundo y los nuevos ajustes sociales.

En Italia, en Alemania, en Bélgica, en los Países Bajos, se comprueba una aversión más y más generalizada de los votantes respecto de los partidos políticos establecidos: los no-votantes y los votos protestataríos se multiplican desde hace más de diez años, la no-renovación de las adhesiones militantes es crónica, por la simple y buena razón de que los programas, más y más vagos y flojos, no corresponden mas a los hechos de la vida. Y si no hay más concordancia entre los hechos de la vida (sean los que sean) y el discurso de legitimación política -que decae en puro discurso "legalitario"-, es justamente que el discurso no puede de ningún modo estar en concordancia con los flujos vitales, que no es más que frases y enchapado; mejor: que finalmente no ha sido jamás otra cosa. Aleksander Zinoviev destaca la existencia de "adiposidades" y de estructuras parasitarias en las instituciones generadas por el occidentalismo: el Estado anhelado por los liberales es efectivamente débil porque es gordo y pesado, sobrecargado de "adiposidades"; como lo había reclamado antaño Guillaume Faye en las filas de la "nueva derecha" -antes de ser expulsado de ella por toda clase de intrigas escandalosas-, nuestra visión del estado debe ser la de un Estado flexible, esbelto y fuerte.

La inadecuación fundamental entre flujos vitales y discursos solemnes es lo propio del más tenaz de los fundamentalismos : el fundamentalismo occidental, denunciado como tal por Scheer , o denunciado como "occidentalismo" por Zinoviev, con una extrema frialdad de análisis, sin sucumbir a la menor ilusión ideológica o política. El occidentalismo reprocha a los fundamentalismos religiosos o a los nacionalismos el negar la pluralidad de los valores -y el relativismo que de ella emana- y, sobre todo, no contemplar la eventualidad de su propio fracaso. Scheer, sin embargo, comprueba que las catástrofes ecológicas, la anomia y el individualismo, que destruyen los resortes de las comunidades y de la solidaridad, son a corto plazo otros tantos peligros mortales portados por la ideología occidental de las Luces, ¡que por consiguiente, no reconoce tampoco la eventualidad de su fracaso! Esta ideología, en sus aplicaciones prácticas, se estrella hoy contra límites o de obstáculos que hubieran podido frenar su ".progreso", su desarrollo y su despliegue planetarios. Justamente éste no se deja transponer al planeta entero, visto los límites de los recursos energéticos y, más simplemente aún, del espacio habitable. En el dominio de las ideologías irrealizables y por tanto peligrosas, el neoliberalismo de los años 80 toma el relevo de un "liberalismo" sesentayochista, tan falso como ilusorio, que se presenta como el cantor de una libertad ilimitada de comerciar, producir, vender o pensar, mas usa de los nuevos medios de telecomunicaciones informáticas para centralizar a ultranza la información y eliminar a los productores y a los vectores de información más pequeños, más originales y más independientes. A pesar de sus discursos, el neoliberalismo no es libertario, sino extremadamente monopolista: no es derregulacionista. como lo afirma en voz alta, sino que apunta al reemplazo planetario de las regulaciones estatales por regulaciones privadas, menos controlables, no sometidas a la aprobación de asambleas y que no persiguen sino objetivos económicos y financieros. En un contexto tal, el hombre no es más percibido y valorizado sino como productor y consumidor : si intenta escapar a esta lógica hipermovilizante e hipercinética (Sloterdijk), si busca conservar espacios de creatividad, si se interesa en valores o actividades no mercantiles se aisla automáticamente en estatutos sociales considerados como "inferiores"; tal es la suerte del pequeño productor, de los artesanos o de los industriales locales (en empresas de anclaje regional), tal es la suerte del docente, del personal médico, del artista, de las profesiones "liberales", de los investigadores, etc. No siendo su "rentabilidad" una rentabilidad maximalizante a corto término, su grado de integración en la sociedad neoliberal disminuye día a día el personal subalterno que les está ligado arriesga permanentemente la exclusión social. Las sociedades llegan a ser "duales", oponiendo categorías siempre más reducidas de "integrados" a masas más y más considerables de "excluidos".

Es forzoso comprobar que en todas las "periferias", en todas las zonas juzgadas no rentables o menos rentables, entre todos los productores modestos rechazados a la "periferia" de su sector profesional, la necesidad de "proteccionismo" crece, en primer lugar para evitar una extrema dualización de la sociedad, una ruina catastrófica de sus sectores no mercantiles y una marginalización definitiva de los países más débiles. La lucha planetaria contra la cesantía pasa por un recentramiento de las energías sobre territorios restringidos, Es la razón por la cual hemos reivindicado en nuestra última universidad de verano, conjuntamente con el equipo de la revista italiana Tellus (de Luisa Bonesio y Catarina Resta), el anclaje (o el re-anclaje) de todo pensamiento, incluyendo todo pensamiento político, en la "Tierra", sobre suelos particulares, restringuidos, limitados. Catarina Resta habla de la "autoctonía del pensamiento" y explora las obras de Fichte, Hegel, Hölderlin y Heidegger en buscar todas las formas de conceptualización de los arraigos y de los anclajes, siempre disipando preventivamente, al pasar, todos los trucos ideológicos que apuntan a poner la ecuación "arraigo = preludio al exterminismo nacional-socialista" -el rechazo del otro en el nazismo es simultáneamente rechazo de autoconstrucción dialógica; la identidad, sin confrontación con el Otro, se seca y termina por morir-. El retorno a la autoctonía de todo pensar, preconizado por Catarina Resta, es una respuesta al llamado que nos lanzaba Cari Schmitt a la lucha contra todas las formas de des-localización, de Ent- Ortung.

Entre los sociólogos del MAUSS se habla de una "necesaria recontextualización de las economías", porque, en el contexto de la intelligentsia parisina, siempre se es reticente en aceptar el contexto de "autotocnía de todo pensar" o a citar a Cari Schmitt, a causa de residuos tenaces de germanofobia. No obstante, las iniciativas del MAUSS - y más precisamente la del sociólogo Serge Latouche - merecen ser citadas al margen de dos más vastos movimientos norteamericanos: el comunitarismo y el biorregionalismo. Como todos sabéis, el comunitarismo es la respuesta de los intelectuales norteamericanos a la anomia que encuentran en su propia sociedad y que es el resultado de la desagregación de todos los anclajes sociales y de todos los lazos no económicos que unen a los hombres entre sí: la reflexión comunitaria parte del libro de John Rawls, A Theory of Justice, que discutía el monopolio del utilitarismo en las ciencias sociales y sugería una alternativa, una concepción comunitaria de la justicia, tendiente al bien común, implicando una generalización de esa virtud de fairness, que debería adquirir en todos el mismo estatuto de evidencia que la teoría de los derechos naturales en las tradiciones contractualistas dominantes en las diversas formas de liberalismo occidental, sobre todo en los países anglosajones.

El biorregionalismo es la forma norteamericana, parcialmente indigenista - en el sentido en que la herencia amerindia desempeña un papel primordial en la elaboración teórica de este biorregionalismo-, de la práctica del re-anclaje local, telúrico, de todo pensamiento político. El biorregionalismo busca la adecuación del hombre con el sitio en el que vive.

Los problemas ecológicos que se acumulan son el resultado de un pensamiento que no ha retenido el criterio de autoctonía. La respuesta, la sola respuesta posible hoy, es oponer un programa coherente uniendo los cuerpos separados de la geofilosofía, de la noción de "contextualización" de la economía (MAUSS), del biorregionalismo norteamericano, del comunitarismo norteamericano (con miras a crear un "bloque de ideas indiscutibles" que reemplace y complete a la vez la teoría de los
derechos naturales), y las tradiciones europeas de la "subsidariedad", heredadas de Althusius y de Otto von Gierke, dos autores que preconizan una tríada que resume muy bien nuestra opción en materias sociales: comunidad, solidaridad, subsidariedad.

Este trabajo de investigación en profundidad de todas esas herencias y tradiciones, este trabajo de defensa y de ilustración significa también que se deberá salir definitivamente de los encierros que nos ha impuesto la lógica binaria del maniqueísmo político convencional; es decir salir del encierro en una izquerda fija o esclerotizada o en una derecha también fija y esclerotizada, en las repeticiones hasta la saciedad de los mismos esquemas y las mismas formulas. La ideología del "occidentismo" (Zinoviev) es la resultante de innumerables arroyos ideológicos que han terminado por formar un poderoso torrente. La alternativa se formará también de muy numerosos arroyos que formarán a su vez un formidable torrente.

Las temáticas nuevas, todas críticas con respecto a la herencia de la Aufklürung, abren a nuestras comunidades de trabajo y de combate nuevos campos de investigación. Sería irresponsabilidad histórica no emprender muy pronto ese trabajo y confrontarlo sistemáticamente a nuestras adquisiciones. Yo habría querido ser mucho más preciso en mi exposición, pero creo haber señalado -brevedad obliga- las principales pistas en las que habrá que comprometerse desde mañana; ¡ Me resta expresaros mis sentimientos de camaradería y de solidaridad, desearos un feliz éxito y transmitos una vez más los saludos de vuestros amigos europeos !

Gracias

[Ciudad de los Cesares (Santiago de Chile), 1996]

mercredi, 21 mai 2008

Densité, Pertinence, Cohérence

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Entretien avec Philippe Banoy, animateur de l'Ecole des cadres de "Synergies Européennes" en Wallonie

Densité, Pertinence, Cohérence

 

Q.: Philippe Banoy, vous avez commencé cette école des cadres de "Synergies Européennes", il y a un peu plus d'un an. Pourquoi avez-vous lancé cette initiative? Dans quel but?

 

PhB: Dans nos sociétés triviales, dépolitisées, noyées dans le consumérisme, toutes les tentatives de forger quelque chose de durable, de léguer un corpus cohérent capable de braver l'usure du temps reposait finalement sur une école des cadres. Je ne dois pas vous rappeler, à vous qui avez connu personnellement Jean Thiriart, que le corpus théorique de son mouvement "Jeune Europe" reste toujours d'actualité; pour saisir le politique en soi, il faut encore et toujours potasser Vilfredo Pareto, Gaetano Mosca, Julien Freund, Raymond Aron, Carl Schmitt, Serge Tchakhotine, Max Weber, Nicolas Machiavel, José Ortega y Gasset, etc. et ingurgiter la littérature géopolitique au jour le jour. Sans cet exercice, sans cette ascèse permanente, on est condamné, comme la plupart de nos contemporains à errer comme des somnambules dans nos sociétés non citoyennes, dans nos sociétés de consommation qui ruinent et cherchent délibérément à ruiner tous les réflexes citoyens. Comme Jean Thiriart en son temps, comme vous et Guillaume Faye à vos manières respectives, comme certains critiques de gauche ou comme l'équipe de la revue Catholica, je reproche à la “nouvelle droite” (canal historique), dont j'ai lu quasi toutes les publications, de ne pas avoir généré un fil conducteur aussi clair, de ne pas avoir davantage potassé les classiques du politique (de la "politique politique", disait Julien Freund) et d'avoir négligé la géopolitique et l'analyse des grands mouvements planétaires (généralement impulsés depuis les Etats-Unis). La "nouvelle droite" (canal historique) n'a pas donné à ses membres, sympathisants et lecteurs une colonne vertébrale (Ortega y Gasset) intellectuelle, un noyau commun, accessible à tous les esprits, indépendamment de leur formation scolaire ou universitaire. En effet, s'il existe bel et bien une vision du monde intellectualiste et onirique propre à la "nouvelle droite" (canal historique), il n'y a pas une vision du monde pragmatique, pas d'utopie concrète et réalisable qui se dégage clairement des milliers de textes qu'elle a produits. Dans les revues de ce mouvement, que de Benoist lui-même qualifie de "revuïste", on a enfilé allègrement théories et idées de manière anarchique et compilatoire, sans synthèse réelle, sans un “Que faire?” de léniniste mémoire au bout de ces interminables spéculations. Le "canal historique" de la "nouvelle droite" a été une auberge espagnole: on y entrait avec son baluchon d'idées et surtout de fantasmes et l'on y prenait ce qu'on voulait; tout le monde était content mais ni les esprits ni les caractères n'y étaient formés. Le "flou artistique" de la ND/Canal historique ne permet pas une rupture visible et radicale avec le système dominant. C'est la raison pour laquelle nous tenons à méditer et solliciter Debord, n'en déplaise à son exégète "fixiste", Christophe Bourseiller, qui entend maintenir l'œuvre de Debord sous une sorte de "cloche à fromages", dans le cadre restreint et désuet d'un gauchisme pieux et bon teint. Quand mai 68 produit rétrospectivement ses chaisières et ses rombières, ses hommes de pouvoir sans imagination…

 

La grande leçon de Guy Debord…

 

Ainsi, dans ses Commentaires sur la société du spectacle, Guy Debord nous a donné l'objectif à atteindre: "Le premier mérite d'une théorie critique exacte est de faire instantanément paraître ridicules toutes les autres" (Commentaires, p. 130). Ensuite: "Mais il faut aussi qu'elle soit une théorie parfaitement inadmissible. Il faut qu'elle puisse déclarer mauvais, à la stupéfaction indignée de tous ceux qui le trouvent bon, le centre même du monde existant, en en ayant découvert la nature exacte" (Ibid., p. 129). C'est à cette tâche que nous devons nous atteler!

 

La seule façon de saisir le monde dans lequel on vit est de se doter d'une bonne grille d'analyse, non rigide et non réductionniste. En effet, des centaines voire des milliers d'informations sont susceptibles de nous atteindre chaque jour dans les sociétés occidentales avancées, comme l'avait bien vu Soljénitsyne; pour ne pas être noyé dans ce magma d'informations hétéroclites, il faut soit avoir conservé une rigueur mentale de type tra­di­tion­nel, soit s'être doté d'une solide grille d'analyse et de lecture. Finalement, la censure du système pourrait s'a­vé­rer moins efficace qu'on ne le pense de prime abord. Bien des informations passent, qui contredisent dia­mé­tralement les vulgates de l'idéologie dominante, mais elles sont perdues pour tous ceux qui sont incapables de les relier les unes aux autres et de dégager de cet exercice une vision alternative des mouvements à l'œuvre dans le monde. Une telle vision alternative permet de donner un sens aux événements et d'en conserver le sou­venir dans le long terme. Sans une telle grille d'analyse et une telle méthode de travail, on vit dans un présent éternel, le présentisme, dans un nuage d'encre de seiche.

 

Or, devant une situation devenue alarmante, et qu'il faut bien appeler l'échec des trois dernières générations, nous devons nous considérer comme la génération de la dernière chance. Nous ne pouvons plus nous payer le luxe de concevoir notre action comme un passe-temps sophistiqué pour bourgeois poseur. Le destin, le futur ou l'absence de futur de l'Europe, et même plus largement du monde, dépend de notre génération; personne ne pourra réparer nos erreurs et nos lâchetés. Aucune excuse ne nous sera accordée devant l'Histoire, car les peu­ples qui ont renoncé à se battre ou qui ont été vaincus disparaissent de celle-ci.

 

Q.: Maintenant que vous nous avez révélé vos intentions, pourriez-vous nous dire comment vous avez procédé au choix des thématiques de votre école des cadres?

 

PhB: Plusieurs critères sont entrés en ligne de compte. L'école des cadres se donnant pour objectif de former de jeunes étudiants et lycéens, il me paraissait essentiel d'utiliser, dans une large mesure, des ouvrages de référence, des classiques de la pensée politique, qui sont accessibles et disponibles en éditions de poche. Ces ouvrages doivent être en mesure de faire le point clairement et le plus complètement possible sur une question cruciale de notre époque. Si un classique de la pensée est édité en poche, il est non seulement bon marché et accessible à des petits budgets comme ceux des étudiants, mais cela signifie aussi que sa diffusion a été et reste importante. De ce fait, dans tous les cas de figure, ces ouvrages ont laissé des traces résiduelles dans le discours diffus qui continue à exister en dépit du discours médiatique dominant (des résidus au sens où l'entendait Pareto, l'auteur favori de Jean Thiriart). Pour ce qui concerne le premier cycle de cette école des cadres, qui va s'achever dans trois mois, le choix des titres visait à brosser un tableau du monde contemporain et de transmettre aux stagiaires un certain nombre d'outils permettant d'en analyser quelques caractéristiques majeures. Parmi ces titres, vous trouverez donc des ouvrages critiques à l'égard du discours dominant, mais aussi des ouvrages de référence où le système lui-même propose une vision d'avenir, par exemple le Dictionnaire du 21ième siècle de Jacques Attali ou Le grand échiquier de Zbigniew Brzezinski. Pour vaincre un ennemi, il faut bien le connaître, disait déjà Sun Tsu.

 

Rendre plus aisé le déchiffrage de l'énorme flux d'informations reçues

 

Globalement, les livres à lire pour le premier cycle ont tous un fil conducteur commun: ils s'éclairent les uns les autres, dénoncent la logique d'arasement du système au départ de points de vue différents: Guy Debord, Georges Orwell, Bertrand de Jouvenel, Pierre Bourdieu (du moins son petit livre Sur la télévision), Immanuel Wallerstein démontrent tous, chacun à leur manière, comment le système s'y prend pour éliminer les leçons du passé, pour générer une culture sans signification et sans profondeur, pour mettre les masses au pas, pour éradiquer la notion de peuple, pour déposséder toutes les classes soumises aux dominants, etc. Par ailleurs, la lecture successive de la petite introduction de Pascal Lorot aux grands thèmes de la géopolitique, du livre programmatique de Brzezinski et des nombreuses thèses explicitement géopolitiques énoncées dans le dictionnaire d'Attali permet de mettre clairement en exergue des liens, des jeux de causes et d'effets, rendant plus aisé le déchiffrage de l'énorme flux d'informations que nous recevons chaque jour.

 

J'ai choisi le traité de Sun Tsu, non seulement pour introduire la pensée stratégique dans nos cours, mais aussi et surtout pour montrer comment fonctionne la société libérale, expression du système, puisqu'elle vise à produire un maximum d'effets avec un minimum d'efforts, comme le préconisait Sun Tsu (ou un maximum de profit avec un minimum d'investissement, c'est la base du capitalisme). La société libérale ou le système du spectacle repose effectivement sur une stratégie indirecte. Cette société privilégie notamment aujourd'hui la méthode du "meilleur des mondes" de Huxley (spectacle diffus dirait Debord) à celle trop brutale et directe du 1984 d'Orwell (spectacle concentré selon Debord). La lecture de ces deux grands classiques de la littérature contre-utopique anglaise du 20ième siècle, couplée à celle des Commentaires sur la société du spectacle de Guy Debord, permet effectivement d'acquérir d'excellents réflexes critiques, d'acquérir les conditions de notre propre vigilance, tout en se référant à une littérature qu'il sera difficile de censurer ou de décréter "fasciste" ou "totalitaire". Le "meilleur des mondes " de Huxley modernise en quelque sorte le "panem et circences" des Romains, remplaçant de plus en plus le pain par la marijuana (équivalent du "soma" dans l'œuvre de Huxley).

 

Q.: Quels sont les rapports entre cette école des cadres et les autres activités de "Synergies Européennes", comme les publications et l'Université d'été?

 

PhB: Première précision avant de répondre plus directement à votre question: l'école des cadres se tient à un rythme mensuel. Chaque mois, les stagiaires doivent lire un ouvrage classique, comme je viens de vous l'expliquer. Mais parallèlement à cette réunion mensuelle, nous organisons une réunion hebdomadaire où les stagiaires doivent avoir lu un article de presse ou un article ancien mais fondateur. Nous nous sommes inspirés du système de formation que proposaient les partis communistes à leurs membres. Le but était d'opérer une sélection parmi les membres, d'introduire dans leurs esprits les ferments d'une pensée critique et de déboucher sur une analyse fouillée du monde réel. Nous n'avons pas d'autres objectifs. Mais, chez les communistes, la méthode, pourtant bonne dans sa conception, a fini par échouer car l'idéologie était trop dogmatique. Le dogmatisme idéologique impliquait une ligne claire et constante, mais les changements de position, exigés par la centrale moscovite, trouvaient toujours une justification sous la forme d'une citation de Marx ou de Lénine. Même les esprits les plus bornés ont fini par se douter qu'on les manipulait par bonnes citations interposées. Le système communiste ressemble à celui des témoins de Jéhovah, avec pour écueil principal le réductionnisme qui consistait à ne proposer que de la littérature issue d'un parti communiste. C'est un écueil que nous voulons évidemment éviter en proposant une littérature diversifiée, échappant à tous les cloisonnements stériles.

 

De la fausse critique de Mai '68

 

Le rapport de l'école des cadres et de l'université d'été est simple: le niveau de ces universités d'été est plus élevé que celui de nos réunions hebdomadaires et le choix des thématiques plus varié que celui de nos cycles de dix-huit mois. Donc pour tirer profit de ces universités d'été, il vaut mieux que les stagiaires aient reçu au préalable une formation permanente qui soit critique, contrairement à ce qu'enseignent nos établissements d'en­­seignement (Nietzsche). Le problème majeur de la politique d'enseignement, surtout en France et en Bel­gique francophone (mais l'Allemagne et la Flandre ne sont guère mieux loties), c'est que les matières ensei­gnées sont soit rigides, répétitives, atones, soit dogmatiques et hystériques quand elles prétendent "éveiller à la citoyenneté". En aucune façon, elles ne permettent de forger des esprits critiques, adultes, citoyens. Com­ment les poncifs fades des nouvelles "lumières" de l'idéologie communicationnelle à la Habermas pourraient-ils transmettre des continuités d'ordre historique, permettre la comparaison entre diverses époques de l'histoire, faire sortir graduellement les lycéens et les étudiants des universités hors des mômeries de l'idéologie domi­nante et en faire des citoyens adultes? Mai 68 n'a finalement introduit qu'une fausse critique. En répandant une idéologie et une pratique démissionnaire, en ne critiquant que les institutions anciennes et fondatrices de nos civilisations (Gehlen), en diffusant avec Marcuse l'idée d'un érotisme (?) libérateur des contraintes qu'exige tou­te civilisation, en provoquant un pandémonium sexuel écœurant, mai 68 n'a pas élevé le niveau.

 

Quand nous parlons de critique, nous entendons demeurer constructifs, nous voulons des argumentaires solides, propres d'une civilisation intacte où l'idée d'espace public veut encore dire quelque chose. Dominique Wolton a eu bien raison de dire que la notion d'espace public, qui se trouve au cœur du discours de Habermas sur l'agir communicationnel, n'existe plus à l'heure actuelle et n'existe surtout plus dans les médias (cf. Bourdieu). L'éros de Marcuse a fait disparaître les hommes dignes, ciselés par une rigueur ascétique à la façon de Marc Aurèle, seuls capables d'incarner cet espace public. D'où l'ambiguïté de mai 68, son hypocrisie fondamentale, que nous n'acceptons pas: parler d'espace public après avoir tout fait pour faire disparaître les hommes durs et pondérés qui pouvaient l'incarner! Pour nous, aujourd'hui, l'attitude critique ne consiste pas à faire la foire comme la chienlit dénoncée par De Gaulle. Mais à réintroduire une véritable discipline monastique dans les débats et dans les discussions sur la Cité, donc sur l'espace public. Cette discipline monastique, d'inspiration vieille-romaine, est la seule garante possible d'un agir communicationnel sur une véritable agora politique.

 

Spontanéisme inexcusable et ignorance crasse des enjeux réels

 

A notre époque, l'agir communicationnel, mal interprété par les vulgarisateurs maladroits de Habermas, nous impose d'avoir un avis stéréotypé sur tout et n'importe quoi, même si on ne dispose pas des connaissances requises. L'exemple patent de ce type d'aberration nous est donné par nos propres ministres en Belgique: Laurette Onkelinckx qui émet des jugements intempestifs et déplacés à propos des décisions pondérées et réfléchies du Conseil d'Etat; Louis Michel qui éructe des propos inadmissibles sur l'Autriche ou sur l'Italie, sans rien connaître des réalités politiques fort complexes de ces deux pays, parce que leurs citoyens n'ont pas voté pour des hommes politiques qui lui plaisent. Ces deux personnages sont bel et bien les produits de cette vulgate soixante-huitarde: un "spontanéisme" inexcusable mêlé à une ignorance crasse, qu'on prend pour une panacée, pour une audace féconde!

 

L'ascétisme que nous prônons est également une leçon de modestie: ne pas avoir d'opinion sur un sujet qu'on ne connaît pas. Le but de notre école des cadres est de lire des livres; par conséquent, les stagiaires ne reçoivent pas un enseignement ex cathedra. Il y a chez nous égalité des participants, quel que soit leur âge ou leur formation. C'est à mon avis capital: chacun sait d'avance de quoi l'on va parler. D'où le dialogue (la communication!) peut avoir lieu. Nous entendons ainsi casser la logique du magistère infaillible. En ce sens, tout en critiquant les dérives patentes de 68, et en réintroduisant la discipline des études, nous sommes les véritables héritiers de la contestation des deux décennies qui ont suivi 1945. Notre école des cadres brise tout naturellement la logique des gourous, est anti-autoritaire à sa manière, dans la mesure où elle ne donne pas la parole à des autorités posées comme infaillibles et indépassables, mais transforme les stagiaires, et les étudiants, en adultes responsables (Kant: faire sortir l'homme de la minorité où il s'est lui-même fourvoyé). Dans une perspective traditionnelle, je dirais, en tant que lecteur de Guénon, que cette école des cadres vise la qualité plutôt que la quantité.

 

Q.: Le choix des thématiques et des livres ne dénote pas d'emblée un ancrage à droite ou à gauche. Je suppose que c'est intentionnel, délibéré?

 

PhB: Effectivement. L'objectif fondamental est d'éviter le sectarisme, de lire des auteurs campés dans toutes les tendances, pour obtenir en bout de course une synthèse nouvelle. Personne n'a le monopole absolu d'une analyse définitive ou d'une critique infaillible de la société dans laquelle nous vivons. C'est la marque d'une bêtise profonde que de rejeter un savoir sans même l'avoir examiné parce que son auteur a telle ou telle étiquette jugée "incorrecte". Nous rejetons nettement l'obscurantisme anti-scientifique de l'idéologie dominante.

 

Q.: Votre démarche demande un travail constant d'archivage et de recherche? Comment procédez-vous?

 

PhB: En général, les ouvrages sélectionnés ont été lus par l'un ou l'autre membre du groupe. Leur analyse a quel­que chose à apporter à l'ensemble du mouvement, afin de lui donner un maximum de densité, de per­ti­nence et de cohérence. Nous engageons tous nos sympathisants à être des observateurs et des lecteurs cri­ti­ques et efficaces pour qu'à terme ils puissent remplacer les élites défaillantes que produisent nos éta­blis­se­ments d'enseignement, dont la faillite est aujourd'hui patente, comme vient de le prouver une étude com­man­ditée par les instances européennes. Je le répète: c'est un travail qui réclame une ascèse constante et une ri­gueur permanente. Mais l'enjeu en vaut la peine: retrouver l'autonomie du citoyen, du civis romanus, comme le voulaient nos maîtres du premier cycle, Orwell, Jouvenel et Debord.

 

(propos recueillis par Robert Steuckers, janvier 2002, à la fin du premier cycle de l'Ecole des Cadres).

 

mardi, 13 mai 2008

Pour préciser les positions de "Synergies Européennes" (2)

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Robert STEUCKERS: Pour préciser les positions de "Synergies Européennes" (2)

Propos recueillis par Pieter Van Damme

 

Pourquoi Synergies accorde-t-elle tant d'attention à la Russie, outre le fait que ce pays fasse partie de l'ensemble eurasien?

 

L'attention que nous portons à la Russie procède d'une analyse géopolitique de l'histoire européenne. La pre­miè­re intuition qui a mobilisé nos efforts depuis près d'un quart de siècle, c'est que l'Europe, dans laquelle nous étions nés, celle de la division sanctionnée par les conférences de Téhéran, Yalta et Postdam, était invivable, condamnait nos peuples à sortir de l'histoire, à vivre une stagnation historique, économique et politique, ce qui, à terme, signifie la mort. Bloquer l'Europe à hauteur de la frontière entre l'Autriche et la Hongrie, couper l'Elbe à hauteur de Wittenberge et priver Hambourg de son hinterland brandebourgeois, saxon et bohémien, sont autant de stratégies d'étranglement. Le Rideau de Fer coupait l'Europe industrielle de territoires complé­mentaires et de cette Russie, qui, à la fin du XIXième siècle, devenait le fournisseur de matières premières de l'Europe, la prolongation vers le Pacifique de son territoire, le glacis indispensable verrouillant le territoire de l'Europe contre les assauts des peuples de la steppe qu'elle avait subis jusqu'au XVIième siècle. La propagande anglaise décrivait le Tsar comme un monstre en 1905 lors de la guerre russo-japonaise, favorisait les menées sé­ditieuses en Russie, afin de freiner cette synergie euro-russe d'avant le communisme. Le communisme, finan­cé par des banquiers new-yorkais, tout comme la flotte japonaise en 1905, a servi à créer le chaos en Russie et à empêcher des relations économiques optimales entre l'Europe et l'espace russo-sibérien. Exactement comme la révolution française, appuyé par Londres (cf. Olivier Blanc, Les hommes de Londres, Albin Michel), a ruiné la France, a annihilé tous ses efforts pour se constituer une flotte atlantique et se tourner vers le large plutôt que vers nos propres territoires, a fait des masses de conscrits français (et nord-africains) une chaire à canon pour la City, pendant la guerre de Crimée, en 1914-1918 et en 1940-45. Une France tournée vers le large, comme le vou­lait d'ailleurs Louis XVI, aurait engrangé d'immenses bénéfices, aurait assuré une présence solide dans le Nouveau Monde et en Afrique dès le XVIIIième siècle, n'aurait probablement pas perdu ses comptoirs indiens. Une France tournée vers la ligne bleue des Vosges a provoqué sa propre implosion démographique, s'est sui­ci­dée biologiquement. Le ver était dans le fruit: après la perte du Canada en 1763, une maîtresse hissée au rang de marquise a dit: "Bah! Que nous importent ces quelques arpents de neige" et "après nous, le déluge". Grande clairvoyance politique! Qu'on peut comparer à celle d'un métapolitologue du 11ième arrondissement, qui prend de haut les quelques réflexions de Guillaume Faye sur l'“Eurosibérie”! En même temps, cette monarchie fran­çaise sur le déclin s'accrochait à notre Lorraine impé­ria­le, l'ar­ra­chait à sa famille impériale naturelle, scandale auquel le gouverneur des Pays-Bas autrichiens, Charles de Lor­rai­ne n'a pas eu le temps de remédier; Grand Maî­tre de l'Ordre Teutonique, il voulait financer sa re­con­quê­te en pa­yant de sa propre cassette une armée bien en­traînée et bien équipée de 70.000 hommes, triés sur le volet. Sa mort a mis un terme à ce projet. Cela a em­pê­ché les armées européennes de disposer du glacis lor­rain pour venir mettre un terme, quelques années plus tard, à la comédie révolutionnaire qui ensanglantait Pa­ris et allait commettre le génocide vendéen. Pour le grand bénéfice des services de Pitt!

 

Dans l'état actuel de nos recherches, nous constatons d'abord que le projet de reforger une alliance euro-russe in­défectible n'est pas une anomalie, une lubie ou une idée originale. C'est tout le contraire! C'est le souci im­pé­rial récurrent depuis Charlemagne et Othon I! Quarante ans de Guerre Froide, de division Est-Ouest et d'abru­tis­­sement médiatique téléguidé depuis les Etats-Unis ont fait oublier à deux ou trois générations d'Européens les ressorts de leur histoire.

 

Le limes romain sur le Danube

 

Ensuite, nos lectures nous ont amenés à constater que l'Europe, dès l'époque carolingienne, s'est voulue l'hé­ri­tiè­­re de l'Empire romain et a aspiré à restituer celui-ci tout le long de l'ancien limes danubien. Rome avait con­trô­­lé le Danube de sa source à son embouchure dans la Mer Noire, en déployant une flotte fluviale im­por­tante, rigoureusement organisée, en construisant des ouvrages d'art, dont des ponts de dimensions colossales pour l'époque (avec piliers de 45 m de hauteur dans le lit du fleuve), en améliorant la technique des ponts de bateaux pour les traversées offensives de ses légions, en concentrant dans la trouée de Pannonie plusieurs légions fort aguerries et disposant d'un matériel de pointe, de même que dans la province de Scythie, correspondant à la Dobroudja au sud du delta du Danube. L'objectif était de contenir les invasions venues des steppes surtout au niveau des deux points de passage sans relief important que sont justement la plaine hongroise (la "puszta") et cette Dobroudja, à la charnière de la Roumanie et de la Bulgarie actuelles. Un empire ne pouvait éclore en Europe, dans l'antiquité et au haut moyen âge, si ces points de passage n'étaient pas ver­rouil­lés pour les peuples non européens de la steppe. Ensuite, dans le cadre de la Sainte-Alliance du Prince Eu­gè­ne (cf. infra), il fallait les dégager de l'emprise turque ottomane, irruption étrangère à l'européité, venue du Sud-Est. Après les études de l'Américain Edward Luttwak sur la stratégie militaire de l'Empire romain, on con­sta­te que celui-ci n'é­tait pas seulement un empire circum-méditerranéen, centré autour de la Mare Nostrum, mais aussi un em­pi­re danubien, voire rhéno-danubien, avec un fleuve traversant toute l'Europe, où sillonnait non seulement une flot­te militaire, mais aussi une flotte civile et marchande, permettant les échanges avec les tri­bus germa­ni­ques, daces ou slaves du Nord de l'Europe. L'arrivée des Huns dans la trouée de Pannonie bou­le­ver­se cet ordre du monde antique. L'étrangeté des Huns ne permet pas de les transformer en Foederati comme les peuples germaniques ou daces.

 

Les Carolingiens voudront restaurer la libre circulation sur le Danube en avançant leurs pions en direction de la Pan­nonie occupée par les Avars, puis par les Magyars. Charlemagne commence à faire creuser le canal Rhin-Da­nu­be que l'on nommera la Fossa Carolina. On pense qu'elle a été utilisée, pendant un très bref laps de temps, pour acheminer troupes et matériels vers le Noricum et la Pannonie. Charlemagne, en dépit de ses liens privi­lé­giés avec la Papauté romaine, souhaitait ardemment la reconnaissance du Basileus byzantin et envisageait mê­me de lui donner la main d'une de ses filles. Aix-la-Chapelle, capitale de l'Empire germanique, est construite com­me un calque de Byzance, titulaire légitime de la dignité impériale. Le projet de mariage échoue, sans rai­son apparente autre que l'attachement personnel de Charlemagne à ses filles, qu'il désirait garder près de lui, en en faisant les maîtresses des grands abbés carolingiens, sans la moindre pudibonderie. Cet attachement pa­ternel n'a donc pas permis de sceller une alliance dynastique entre l'Empire germanique d'Occident et l'Empire ro­main d'Orient. L'ère carolingienne s'est finalement soldée par un échec, à cause d'une constellation de puis­san­ces qui lui a été néfaste: les rois francs, puis les Carolingiens (et avant eux, les Pippinides), se feront les al­liés, parfois inconditionnels, du Pape romain, ennemis du christianisme irlando-écossais, qui missionne l'Alle­ma­gne du Sud danubienne, et de Byzance, héritière légale de l'impérialité romaine. La papauté va vouloir uti­li­ser les énergies germaniques et franques contre Byzance, sans autre but que d'asseoir sa seule suprématie. Alors qu'il aurait fallu continuer l'œuvre de pénétration pacifique des Irlando-Ecossais vers l'Est danubien, à par­tir de Bregenz et de Salzbourg, favoriser la transition pacifique du paganisme au christianisme irlandais au lieu d'accorder un blanc seing à des zélotes à la solde de Rome comme Boniface, parce que la variante irlando-écossaise du christianisme ne s'opposait pas à l'orthodoxie byzantine et qu'un modus vivendi aurait pu s'établir ainsi de l'Irlande au Caucase. Cette synthèse aurait permis une organisation optimale du continent européen, qui aurait rendu impossible le retour des peuples mongols et les invasions turques des 10ième et 11ième siècles. Ensuite, la reconquista de l'Espagne aurait été avancée de six siècles!

 

[Pour en savoir plus: Robert STEUCKERS, «Mystères pontiques et panthéisme celtique à la source de la spi­ri­tualité européenne», in: Nouvelles de Synergies européennes, n°39, 1999]. 

 

Après Lechfeld en 955, l'organisation de la trouée pannonienne

 

Ces réflexions sur l'échec des Carolingiens, exemplifié par la bigoterie stérile et criminelle de son descendant Louis le Pieux, démontre qu'il n'y a pas de bloc civilisationnel européen cohérent sans une maîtrise et une or­ga­ni­sation du territoire de l'embouchure du Rhin à la Mer Noire. D'ailleurs, fait absolument significatif, Othon I re­çoit la dignité impériale après la bataille de Lechfeld en 955, qui permet de reprendre pied en Pannonie, après l'é­li­mination des partisans du khan magyar Horka Bulcsu, et l'avènement des Arpads, qui promettent de ver­rouil­ler la trouée pannonienne comme l'avaient fait les légions romaines au temps de la gloire de l'Urbs. Grâce à l'armée germanique de l'Empereur Othon I et la fidélité des Hongrois à la promesse des Arpads, le Danube re­de­vient soit germano-romain soit byzantin (à l'Est des "cataractes" de la Porte de Fer). Si la Pannonie n'est plus une voie de passage pour les nomades d'Asie qui peuvent disloquer toute organisation politique continentale en Eu­rope, ipso facto, l'impérialité est géographiquement restaurée.

 

Othon I, époux d'Adelaïde, héritière du royaume lombard d'Italie, entend réorganiser l'Empire en assurant sa main­mise sur la péninsule italique et en négociant avec les Byzantins, en dépit des réticences papales. En 967, dou­ze ans après Lechfeld, cinq ans après son couronnement, Othon reçoit une ambassade du Basileus byzantin Ni­céphore Phocas et propose une alliance conjointe contre les Sarrasins. Elle se réalisera tacitement avec le suc­cesseur de Nicéphore Phocas, plus souple et plus clairvoyant, Ioannes Tzimisces, qui autorise la Princesse by­zantine Théophane à épouser le fils d'Othon I, le futur Othon II en 972. Othon II ne sera pas à la hauteur, es­su­yant une défaite terrible en Calabre en 983 face aux Sarrasins. Othon III, fils de Théophane, qui devient ré­gente en attendant sa majorité, ne parviendra pas à consolider son double héritage, germanique et byzantin.

 

Le règne ultérieur d'un Konrad II sera exemplaire à ce titre. Cet empereur salien vit en bonne intelligence avec By­zance, dont les territoires à l'Est de l'Anatolie commencent à être dangereusement harcelés par les raids sel­djoukides et les rezzou arabes. L'héritage othonien en Pannonie et en Italie ainsi que la paix avec Byzance per­met­tent une véritable renaissance en Europe, confortée par un essor économique remarquable. Grâce à la vic­toi­re d'Othon I et à l'inclusion de la Pannonie des Arpad dans la dynamique impériale européenne, l'économie de notre continent entre dans une phase d'essor, la croissance démographique se poursuit (de l'an 1000 à 1150 la population augmente de 40%), le défrichage des forêts bat son plein, l'Europe s'affirme progressivement sur les rives septentrionales de la Méditerranée et les cités italiennes amorcent leur formidable processus d'é­pa­nouis­sement, les villes rhénanes deviennent des métropoles importantes (Cologne, Mayence, Worms avec sa su­per­be cathédrale romane).

 

Cet essor et le règne paisible mais fort de Konrad II démontrent que l'Europe ne peut connaître la prospérité éco­nomique et l'épanouissement culturel que si l'espace entre la Moravie et l'Adriatique est sécurisé. Dans tous les cas contraires, c'est le déclin et le marasme. Leçon historique cardinale qu'ont retenue les fossoyeurs de l'Eu­rope: à Versailles en 1919, ils veulent morceler le cours du Danube en autant d'Etats antagonistes que pos­si­ble; en 1945, ils veulent établir une césure sur le Danube à hauteur de l'antique frontière entre le Noricum et la Pannonie; entre 1989 et 2000, ils veulent installer une zone de troubles permanents dans le Sud-Est euro­péen afin d'éviter la soudure Est-Ouest et inventent l'idée d'un fossé civilisationnel insurmontable entre un Oc­ci­dent protestant-catholique et un Orient orthodoxe-byzantin (cf. les thèses de Samuel Huntington).

 

Au Moyen Age, c'est la Rome papale qui va torpiller cet essor en contestant le pouvoir temporel des Empereurs ger­maniques et en affaiblissant de la sorte l'édifice européen tout entier, privé d'un bras séculier puissant et bien articulé. Le souhait des empereurs était de coopérer dans l'harmonie et la réciprocité avec Byzance, pour re­staurer l'unité stratégique de l'Empire romain avant la césure Occident/Orient. Mais Rome est l'ennemie de By­zance, avant même d'être l'ennemie des Musulmans. A l'alliance tacite, mais très mal articulée, entre l'Em­pe­reur germanique et le Basileus byzantin, la Papauté opposera l'alliance entre le Saint-Siège, le royaume nor­mand de Sicile et les rois de France, alliance qui appuie aussi tous les mouvements séditieux et les intérêts sec­toriels et bassement matériels en Europe, pourvu qu'ils sabotent les projets impériaux.

 

Le rêve italien des Empereurs germaniques

 

Le rêve italien des Empereurs, d'Othon III à Frédéric II de Hohenstaufen, vise à unir sous une même autorité su­prê­me les deux grandes voies de communication aquatiques en Europe: le Danube au centre des terres et la Mé­diterranée, à la charnière des trois continents. A rebours des interprétations nationales-socialistes ou folci­stes ("völkisch") de Kurt Breysig et d'Adolf Hitler lui-même, qui n'ont eu de cesse de critiquer l'orientation ita­lien­ne des Empereurs germaniques du Haut Moyen Age, force est de constater que l'espace entre Budapest (l'an­tique Aquincum des Romains) et Trieste sur l'Adriatique, avec, pour prolongement, la péninsule italienne et la Sicile, permettent, si ces territoires sont unis par une même volonté politique, de maîtriser le continent et de faire face à toutes les invasions extérieures: celles des nomades de la steppe et du désert arabique. Les Pa­pes contesteront aux Empereurs le droit de gérer pour le bien commun du continent les affaires italiennes et si­ci­liennes, qu'ils considéraient comme des apanages personnels, soustraits à toute logique continentale, politi­que et stratégique: en agissant de la sorte, et avec le concours des Normands de Sicile, ils ont affaibli leur en­ne­mie, Byzance, mais, en même temps, l'Europe toute entière, qui n'a pas pu reprendre pied en Afrique du Nord, ni libérer la péninsule ibérique plus tôt, ni défendre l'Anatolie contre les Seldjoukides, ni aider la Russie qui faisait face aux invasions mongoles. La situation exigeait la fédération de toutes les forces dans un projet commun.

 

Par les menées séditieuses des Papes, des rois de France, des émeutiers lombards, des féodaux sans scrupules, no­tre continent n'a pas pu être "membré" de la Baltique à l'Adriatique, du Danemark à la Sicile (comme l'avait éga­lement voulu un autre esprit clairvoyant du XIIIième siècle, le Roi de Bohème Ottokar II Premysl). L'Europe était dès lors incapable de parfaire de grands desseins en Méditerranée (d'où la lenteur de la reconquista, lais­sée aux seuls peuples hispaniques, et l'échec des croisades). Elle était fragilisée sur son flanc oriental et a fail­li, après les désastres de Liegnitz et de Mohi en 1241, être complètement conquise par les Mongols. Cette fragi­li­té, qui aurait pu lui être fatale, est le résultat de l'affaiblissement de l'institution impériale à cause des mani­gan­ces papales.

 

De la nécessaire alliance des deux impérialités européennes

 

En 1389, les Serbes s'effondrent devant les Turcs lors de la fameuse bataille du Champ des Merles, prélude dra­ma­tique à la chute définitive de Constantinople en 1453. L'Europe est alors acculée, le dos à l'Atlantique et à l'Arctique. La seule réaction sur le continent vient de Russie, pays qui hérite ainsi ipso facto de l'impérialité byzantine à partir du moment où celle-ci cesse d'exister. Moscou devient donc la "Troisième Rome"; elle hérite de Byzance la titulature de l'impérialité orientale. Il y avait deux empires en Europe, l'Empire romain d'Occi­dent et l'Empire romain d'Orient; il y en a toujours deux malgré la chute de Constantinople: le Saint-Empire ro­main germanique et l'Empire russe. Ce dernier passe directement à l'offensive, grignote les terres conquises par les Mongols, détruit les royaumes tatars de la Volga, pousse vers la Caspienne. Par conséquent, tradition et géo­­politique obligent: l'alliance voulue par les empereurs germaniques depuis Charlemagne entre Aix-la-Cha­pel­le et Byzance, doit être poursuivie mais, dorénavant, par une alliance impériale germano-russe. L'Empereur d'Oc­­cident (germanique) et l'Empereur d'Orient (russe) doivent agir de concert pour repousser les ennemis de l'Eu­rope (espace stratégique à deux têtes comme le symbolise l'aigle bicéphale) et dégager nos terres de l'en­cer­clement ot­­toman et musulman, avec l'appui des rois locaux: rois d'Espagne, de Hongrie, etc. Telle est la rai­son his­to­ri­que, métaphysique et géopolitique de toute alliance germano-russe.

 

Cette alliance fonctionnera, en dépit de la trahison française. La France était hostile à Byzance pour le compte des Papes anti-impériaux de Rome. Elle participera à la destruction des glacis de l'Empire à l'Ouest et s'alliera aux Turcs contre le reste de l'Europe. D'où les contradictions insolubles des "nationalistes" français: simulta­né­ment, ils se réclament de Charles Martel (un Austrasien de nos pays d'entre Meuse et Rhin, appelé au secours d'une Neustrie et d'une Aquitaine mal organisées, décadentes et en proie à toutes sortes de dissensions,  qui n'a­vaient pas su faire face à l'invasion arabe) mais ces mêmes nationalistes français avalisent les crimes de trahison des rois, cardinaux et ministres félons: François I, Henri II, Richelieu, Louis XIV, Turenne, voire des séi­des de la Révolution, comme si, justement, Charles Martel l'Austrasien n'avait jamais existé!

 

L'Alliance austro-russe fonctionne avec la Sainte-Alliance mise sur pied par Eugène de Savoie à la fin du XVIIiè­me siècle, qui repousse les Ottomans sur toutes les frontières, de la Bosnie au Caucase. L'intention géopo­liti­que est de consolider la trouée pannonienne, de maître en service une flotte fluviale danubienne, d'organiser une défense en profondeur de la frontière par des unités de paysans-soldats croates, serbes, roumains, appuyés par des colons allemands et lorrains, de libérer les Balkans et, en Russie, de reprendre la Crimée et de con­trô­ler les côtes septentrionales de la Mer Noire, afin d'élargir l'espace européen à son territoire pontique au com­plet. Au XVIIIième siècle, Leibniz réitère cette nécessité d'inclure la Russie dans une grande alliance euro­péen­ne contre la poussée ottomane. Plus tard, la Sainte-Alliance de 1815 et la Pentarchie du début du XIXième sièc­le prolongeront cette même logique. L'alliance des trois empereurs de Bismarck et la politique de concertation avec Saint-Pétersbourg, qu'il n'a cessé de pratiquer, sont des applications modernes du vœu de Charlemagne (non réalisé) et d'Othon I, véritable fondateur de l'Europe. Dès que ces alliances n'ont plus fonctionné, l'Europe est entrée dans une nouvelle phase de déclin, au profit, notamment, des Etats-Unis. Le Traité de Versailles de 1919 vise la neutralisation de l'Allemagne et son pendant, le Traité du Trianon, sanctionne le morcellement de la Hongrie, privée de son extension dans les Tatras (la Slovaquie) et de son union avec la Croatie créée par le roi Tomislav, union instaurée plus tard par la Pacta Conventa en 1102, sous la direction du roi hongrois Ko­lo­man Könyves ("Celui qui aimait les livres jusqu'à la folie"). Versailles détruit ce que les Romains avaient uni, re­staure ce que les troubles des siècles sombres avaient imposé au continent, détruit l'œuvre de la Couronne de Saint-Etienne qui avait harmonieusement restauré l'ordre romain tout en respectant la spécificité croate et dal­mate. Versailles a surtout été un crime contre l'Europe parce que cette nécessaire harmonie hungaro-croate en cette zone géographique clef a été détruite et a précipité à nouveau l'Europe dans une période de troubles inu­tiles, à laquelle un nouvel empereur devra nécessairement, un jour, mettre un terme. Wilson, Clemenceau et Poincaré, la France et les Etats-Unis, portent la responsabilité de ce crime devant l'histoire, de même que les tenants écervelés de cette éthique de la conviction (et, partant, de l'irresponsabilité) portée par le laïcisme de mouture franco-révolutionnaire. Derrière l'hostilité de façade à la re­ligion catholique qu'elle professe, cette idéo­logie pernicieuse a agi exactement comme les papes simonia­ques du Moyen Age: elle a détruit les principes d'organisation optimaux de notre Europe, ses adeptes étant a­veu­glés par des principes fumeux et des intérêts sor­dides, sans profondeur historique et temporelle. Principes et intérêts totalement inaptes à fournir les assi­ses d'une organisation politique, pour ne même pas parler d'un em­pire. 

 

Face à ce désastre, Arthur Moeller van den Bruck, figure de proue de la révolution conservatrice, lance l'idée d'u­ne nouvelle alliance avec la Russie en dépit de l'installation au pouvoir du bolchevisme léniniste, car le prin­ci­­pe de l'alliance des deux Empires doit demeurer envers et contre la désacralisation, l'horizontalisation et la pro­­fanation de la politique. Le Comte von Brockdorff-Rantzau appliquera cette diplomatie, ce qui conduira à l'an­ti-Versailles germano-soviétique: les accords de Rapallo signés entre Rathenau et Tchitcherine en 1922. De là, nous revenons à la problématique du "national-bolchevisme" que j'ai évoquée par ailleurs dans cet entre­tien.

 

Dans les années 80, quand l'évolution des stratégies militaires, des armements et surtout des missiles balisti­ques inter-continentaux, amène au constat qu'aucune guerre nucléaire n'est possible en Europe sans la des­truc­tion totale des pays engagés, il apparaît nécessaire de sortir de l'impasse et de négocier pour ré-impliquer la Rus­sie dans le concert européen.  Après la perestroïka, amorcée en 1985 par Gorbatchev, le dégel s'annonce, l'es­­poir reprend: il sera vite déçu. La succession des conflits inter-yougoslaves va à nouveau bloquer l'Europe en­­tre la trouée pannonienne et l'Adriatique, tandis que les officines de propagande médiatique, CNN en tête, in­ven­tent mille et une raisons pour approfondir le fossé entre Européens et Russes.

 

Blocage des dynamiques européennes entre Bratislava et Trieste

 

Ces explications d'ordre historique doivent nous amener à comprendre que les soi-disant défenseurs d'un Occi­dent sans la Russie (ou contre la Russie) sont en réalité les fossoyeurs papistes ou maçonniques de l'Europe et que leurs agissements condamnent notre continent à la stagnation, au déclin et à la mort, comme il avait sta­gné, décliné et dépéri entre les invasions hunniques et la restauratio imperii d'Othon I, à la suite de la bataille de Lechfeld en 955. Dès la ré-organisation de la plaine hongroise et son inclusion dans l'orbe européenne, l'es­sor écono­mi­que et démographique de l'Europe ne s'est pas fait attendre. C'est une renaissance analogue que l'on a voulu éviter après le dégel qui a suivi la perestroïka de Gorbatchev, car cette règle géopolitique ga­ran­tis­sant la prospérité est toujours valable (par exemple, l'économie autrichienne avait triplé son chiffre d'affaire en l'espace de quelques années après le démantèlement du Rideau de fer le long de la frontière austro-hon­groise en 1989). Nos adversaires connaissent bien les ressorts de l'histoire européenne. Mieux que notre propre per­sonnel politique pusillanime et décadent. Ils savent que c'est toujours là, entre Bratislava et Trieste, qu'il faut nous frapper, nous bloquer, nous étran­gler. Pour éviter une nouvelle union des deux Empires et une nou­vel­le période de paix et de prospérité, qui fe­rait rayonner l'Europe de mille feux et condamnerait ses con­cur­rents à des rôles de seconde zone, tout sim­ple­ment parce qu'ils ne possèdent pas le vaste éventail de nos po­tentialités, fruits de nos différences et de nos spé­cificités.   

 

Quelles sont les positions concrètes de Synergies Européennes sur des institutions comme le Parlement, la représentation populaire, etc.  

 

La vision de "Synergies Européennes" est démocratique mais hostile à toutes les formes de partitocratie, car celle-ci, qui se prétend “démocratique”, est en fait un parfait déni de démocratie. Sur le plan théorique, "Sy­ner­gies Européennes" se réclame d'un libéral russe du début du siècle, militant du Parti des Cadets: Moshe Os­tro­govski. L'analyse que ce libéral russe d'avant la révolution bolchevique nous a laissée repose sur un constat évi­dent: toute démocratie devrait être un système calqué sur la mouvance des choses dans la Cité. Les mé­ca­nismes électoraux visent logiquement à faire représenter les effervescences à l'œuvre dans la société, au jour le jour, sans pour autant bouleverser l'ordre immuable du politique. Par conséquent, les instruments de la re­pré­sentation, c'est-à-dire les partis politiques, doivent, eux aussi, être transitoires, représenter les ef­fer­ves­cences passagères et ne jamais viser à la pérennité. Les dysfonctionnements de la démocratie parlementaire dé­coulent du fait que les partis deviennent des permanences rigides au sein des sociétés, cooptant en leur sein des individus de plus en plus médiocres. Pour pallier à cet inconvénient, Ostrogovski suggère une démocratie re­posant sur des partis "ad hoc", réclamant ponctuellement des réformes urgentes ou des amendements précis, puis proclamant leur propre dissolution pour libérer leur personnel, qui peut alors forger de nouveaux mou­ve­ments pétitionnaires, ce qui permet de redistribuer les cartes et de répartir les militants dans de nouvelles for­ma­tions, qui seront tout aussi provisoires. Les parlements accueilleraient ainsi des citoyens qui ne s'en­croû­te­raient jamais dans le professionnalisme politicien. Les périodes de législature seraient plus courtes ou, comme au début de l'histoire de Belgique ou dans le Royaume-Uni des Pays-Bas de 1815 à 1830, le tiers de l'assemblée serait renouvelé à chaque tiers du temps de la législation, permettant une circulation plus accélérée du per­son­nel politique et une élimination par la sanction des urnes de tous ceux qui s'avèrent incompétents; cette cir­culation n'existe plus aujourd'hui, ce qui, au-delà du problème du vote censitaire, nous donne aujourd'hui une démocratie moins parfaite qu'à l'époque. Le problème est d'éviter des carrières politiciennes chez des in­dividus qui finiraient par ne plus rien connaître de la vie civile réelle.

 

Weber & Minghetti: pour le maintien de la séparation des trois pouvoirs

 

Max Weber aussi avait fait des observations pertinentes: il constatait que les partis socialistes et démocrates-chré­tiens (le "Zentrum" allemand) installaient des personnages sans compétence à des postes clef, qui pre­naient des décisions en dépit du bon sens, étaient animés par des éthiques de la conviction et non plus de la res­­ponsabilité et exigeaient la répartition des postes politiques ou des postes de fonctionnaires au pro rata des voix sans qu'il ne leur soit réclamé des compétences réelles pour l'exercice de leur fonction. Le ministre libéral ita­­lien du XIXième siècle, Minghetti, a perçu très tôt que ce système mettrait vite un terme à la séparation des trois pouvoirs, les partis et leurs militants, armés de leur éthique de la conviction, source de toutes les dé­ma­go­gies, voulant contrôler et manipuler la justice et faire sauter tous les cloisonnements entre législatif et exé­cu­tif. L'équilibre démocratique entre les trois pouvoirs, posés au départ comme étanches pour garantir la liber­té des citoyens, ainsi que l'envisageait Montesquieu, ne peut plus ni fonctionner ni exister, dans un tel contexte d'hy­stérie et de démagogie. Nous en sommes là aujourd'hui.

 

“Synergies Européennes“ ne critique donc pas l'institution parlementaire en soi, mais marque nettement son hostilité à tout dysfonctionnement, à toute intervention privée (les partis sont des associations privées, dans les faits et comme le rappelle Ostrogovski) dans le recrutement du personnel politique, de fonctionnaires, etc., à tout népotisme (cooptation de membres de la famille d'un politicien ou d'un fonctionnaire à un poste poli­tique ou administratif). Seuls les examens réussis devant un jury complètement neutre doivent permettre l'ac­ces­sion à une charge. Tout autre mode de recrutement devrait constituer un délit très grave.

 

Nous pensons également que les parlements ne devraient pas être uniquement des chambres de représentation où ne siègeraient que des élus issus de partis politiques (donc d'associations privées exigeant une discipline n'autorisant aucun droit de tendance ou aucune initiative personnelle du député). Tous les citoyens ne sont pas membres de partis et, de fait, la majorité d'entre eux ne possède pas de carte ou d'affiliation. Par conséquent, les partis ne représentent généralement que 8 à 10% de la population et 100% du parlement! Le poids exagéré des partis doit être corrigé par une représentation issue des associations professionnelles et des syndicats, comme l'envisageait De Gaulle et son équipe quand ils parlaient de “sénat des professions et des régions”. Pour le Professeur Bernard Willms (1931-1991), le modèle constitutionnel qu'il appelait de ses vœux repose sur une assemblée tricamérale (Parlement, Sénat, Chambre économique). Le Parlement se recruterait pour moitié parmi les candidats désignés par des partis et élus personnellement (pas de vote de liste); l'autre moitié étant constituée de représentants des conseils corporatifs et professionnels. Le Sénat serait essentiellement un orga­ne de représentation régionale (comme le Bundesrat allemand ou autrichien). La Chambre économique, égale­ment organisée sur base des régions, représenterait les corps sociaux, parmi lesquels les syndicats.

 

Le problème est de consolider une démocratie appuyée sur les "corps concrets" de la société et non pas seu­lement sur des associations privées de nature idéologique et arbitraire comme les partis. Cette idée rejoint la dé­finition donnée par Carl Schmitt des “corps concrets”. Par ailleurs, toute entité politique repose sur un pa­tri­moine culturel, dont il doit être tenu compte, selon l'analyse faite par un disciple de Carl Schmitt, Ernst Ru­dolf Huber. Pour Huber, l'Etat cohérent est toujours un Kulturstaat et l'appareil étatique a le devoir de main­tenir cette culture, expression d'une Sittlichkeit, dépassant les simples limites de l'éthique pour englober un va­ste de champs de productions artistiques, culturelles, structurelles, agricoles, industrielles, etc., dont il faut main­tenir la fécondité. Une représentation plus diversifiée, et étendue au-delà des 8 à 10% d'affiliés aux partis, per­met justement de mieux garantir cette fécondité, répartie dans l'ensemble du corps social de la nation. La dé­fense des "corps concrets", postule la trilogie “communauté, solidarité, subsidiarité”, réponse conservatrice, dès le 17ième siècle, au projet de Bodin, visant à détruire les “corps intermédiaires” de la société, donc les “corps concrets”, pour ne laisser que le citoyen-individu isolé face au Léviathan étatique. Les idées de Bodin ont été réalisées par la révolution française et son fantasme de géométrisation de la société, qui a justement com­mencé par l'éradication des associations professionnelles par la Loi Le Chapelier de 1791. Aujourd'hui, le re­cours actualisé à la trilogie “communauté, solidarité, subsidiarité” postule de donner un maximum de re­pré­sen­tativité aux associations professionnelles, aux masses non encartées, et de diminuer l'arbitraire des partis et des fonctionnaires. De même, le Professeur Erwin Scheuch (Cologne) propose aujourd'hui une série de mesures con­crètes pour dégager la démocratie parlementaire de tous les dysfonctionnements et corruptions qui l'étouf­fent.

 

[Pour en savoir plus: 1) Ange SAMPIERU, «Démocratie et représentation», in: Orientations, n°10, 1988; 2) Ro­­bert STEUCKERS, «Fondements de la démocratie organique», in: Orientations, n°10, 1988; 3) Robert STEUCKERS, Bernard Willms (1931-1991): Hobbes, la nation allemande, l'idéalisme, la critique politique des “Lumières”, Synergies, Forest, 1996; 4) Robert STEUCKERS, «Du déclin des µours politiques», in: Nou­vel­les de Synergies européennes, n°25, 1997 (sur les thèses du Prof. Erwin Scheuch); 5) Robert STEUCKERS, «Pro­po­sitions pour un renouveau politique», in: Nouvelles de Synergies européennes, n°33, 1998 (en fin d'article, sur les thèses d'Ernst Rudolf Huber); 6) Robert STEUCKERS, «Des effets pervers de la partitocratie», in: Nou­vel­les de Synergies européennes, n°41, 1999].  

 

Bibliographie:

◊ Jean-Pierre CUVILLIER, L'Allemagne médiévale, deux tomes, Payot, tome 1, 1979, tome 2, 1984.

◊ Karin FEUERSTEIN-PRASSER, Europas Urahnen. Vom Untergang des Weströmischen Reiches bis zu Karl dem Grossen, F. Pustet, Regensburg, 1993.

◊ Karl Richard GANZER, Het Rijk als Europeesche Ordeningsmacht, Die Poorten, Antwerpen, 1942.

◊ Wilhelm von GIESEBRECHT, Deutsches Kaisertum im Mittelalter, Verlag Reimar Hobbing, Berlin, s.d.

◊ Eberhard HORST, Friedrich II. Der Staufer. Kaiser - Feldherr - Dichter, W. Heyne, München, 1975-77.

◊ Ricarda HUCH, Römischer Reich Deutscher Nation, Siebenstern, München/Hamburg, 1964.

◊ Edward LUTTWAK, La grande stratégie de l'Empire romain, Economica, 1987.

◊ Michael W. WEITHMANN, Die Donau. Ein europäischer Fluss und seine 3000-jährige Geschichte, F. Pustet/Styria, Regensburg, 2000.

◊ Philippe WOLFF, The Awakening of Europe, Penguin, Harmondsworth, 1968.

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lundi, 12 mai 2008

Pour préciser les positions de "Synergies Européennes"

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Questions à Robert Steuckers: Pour préciser les positions de «Synergies Européennes»

 

Propos receuillis par Pieter Van Damme, dans le cadre d'un mémoire de fin d'études

 

 

Dans quelle mesure le "national-bolchevisme" s'insère-t-il dans la "troisième voie", entre libéralisme et marxisme?

Le national-bolchevisme ne fait pas référence à une théorie économique ou à un projet de société: on l'oublie trop souvent. Ce vocable composé a été utilisé pour désigner l'alliance, toute temporaire d'ailleurs, entre les cadres traditionnels de la diplomatie allemande, soucieux de dégager le Reich vaincu en 1918 de l'emprise oc­ci­dentale, et les éléments de pointe du communisme allemand, soucieux d'avoir un allié de poids à l'Ouest pour la nouvelle URSS. Avec Niekisch, ancien cadre de la République des Conseils de Munich, écrasée par les Corps Francs nationalistes mais mandatés par le pouvoir social-démocrate de Noske, le national-bolchevisme prend une coloration plus politique, mais s'auto-désigne, dans la plupart des cas par l'étiquette de "nationale-ré­vo­lutionnaire". Le concept de national-bolchevisme est devenu un concept polémique, utilisé par les journalistes pour désigner l'alliance de deux extrêmes dans l'échiquier politique. Niekisch, à l'époque où il était considéré com­me l'une des figures de proue du national-bolchevisme, n'avait plus d'activités politiques proprement dites; il éditait des journaux appelant à la fusion des extrêmes nationales et communistes (les extrêmes du "fer à che­val" politique disait Jean-Pierre Faye, auteur du livre Les langages totalitaires). La notion de "Troisième Voie" est apparue dans cette littérature. Elle a connu des avatars divers, mêlant effectivement le nationalisme au communisme, voire certains éléments libertaires du nationalisme des jeunes du Wandervogel à certaines op­tions communautaires élaborées à gauche, comme, par exemple, chez Gustav Landauer.

 

[Pour en savoir plus: cf. 1) Thierry MUDRY, «Le “socialisme allemand“: analyse du télescopage entre natio­nalisme et socialisme de 1900 à 1933 en Allemagne», in: Orientations, n°7, 1986; 2) Thierry MUDRY, «L'i­tinéraire d'Ernst Niekisch», in: Orientations, n°7, 1986].

 

Ces mixages idéologiques ont d'abord été élaborés dans le débat interne aux factions nationales-révolu­tion­nai­res de l'époque; ensuite, après 1945, où on espérait qu'une troisième voie deviendrait celle de l'Allemagne dé­chirée entre l'Est et l'Ouest, où cette Allemagne n'aurait plus été le lieu de la césure européenne, mais au con­traire le pont entre les deux mondes, géré par un modèle politique alliant les meilleurs atouts des deux systè­mes, garantissant tout à la fois la liberté et la justice sociale. A un autre niveau, on a parfois appelé "troisième voie", les méthodes de gestion économique allemandes qui, au sein même du libéralisme de marché, se dif­fé­ren­ciaient des méthodes anglo-saxonnes. Celles-ci sont considérées comme trop spéculatives dans leurs dé­mar­ches, trop peu soucieuses des continuités sociales structurées par les secteurs non marchands (médecine & sé­cu­rité sociale, enseignement & université). Le libéralisme de marché doit donc être consolidé, dans cette opti­que allemande des années 50 et 60, par un respect et un entretien des "ordres concrets" de la société, pour de­ve­nir un "ordo-libéralisme". Son fonctionnement sera optimal si les secteurs de la sécurité sociale et de l'en­sei­gnement ne battent pas de l'aile, ne génèrent pas dans la société des dysfonctionnements dus à une négligence de ces secteurs non marchands par un pouvoir politique qui serait trop inféodé aux circuits bancaires et finan­ciers.  

 

L'économiste français Michel Albert, dans un ouvrage célèbre, rapidement traduit dans toutes les langues, in­ti­tu­lé Capitalisme contre capitalisme, oppose en fait cet ordo-libéralisme au néo-libéralisme, en vogue depuis l'ac­cession au pouvoir de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan aux Etats-Unis. Albert appelle l'ordo-libé­ra­lisme le "modèle rhénan", qu'il définit comme un modèle rétif à la spéculation boursière en tant que mode de maximisation du profit sans investissements structurels, et comme un modèle soucieux de conserver des "struc­tu­res" éducatives et un appareil de sécurité sociale, soutenu par un réseau hospitalier solide. Albert, ordo-libé­ral à la mode allemande, revalorise les secteurs non marchands, battus en brèche depuis l'avènement du néo-li­bé­ralisme. La nouvelle droite française, qui travaille davantage dans l'onirique, camouflé derrière l'adjectif "cul­turel", n'a pas pris acte de cette distinction fondamentale opérée par Albert, dans un livre qui a pourtant con­nu une diffusion gigantesque dans tous les pays d'Europe. Si elle avait dû opter pour une stratégie éco­no­mi­que, elle aurait embrayé sur la défense des structures existantes (qui sont aussi des acquis culturels), de con­cert avec les gaullistes, les socialistes et les écologistes qui souhaitaient une défense de celles-ci, et critiqué les politiques qui laissaient la bride sur le cou aux tendances à la spéculation, à la façon néo-libérale (et anglo-sa­xonne). Le néo-libéralisme déstructure les acquis non marchands, acquis culturels pratiques, et toute nou­vel­le droite, préconisant le primat de la culture, devrait se poser en défenderesse de ces secteurs non marchands. Vu la médiocrité du personnel dirigeant de la ND parisienne, ce travail n'a pas été entrepris.

 

[Pour en savoir plus: 1) Robert STEUCKERS, «Repères pour une histoire alternative de l'économie», in: Orien­tations, n°5, 1984; 2) Thierry MUDRY, «Friedrich List: une alternative au libéralisme», in: Orientations, n°5, 1984; 3) Robert STEUCKERS, «Orientations générales pour une histoire alternative de la pensée éco­no­mi­que», in: Vouloir, n°83/86, 1991; 4) Guillaume d'EREBE, «L'Ecole de la Régulation: une hétérodoxie féconde?», in: Vouloir, n°83/86, 1991; 5) Robert STEUCKERS, L'ennemi américain, Synergies, Forest, 1996/2ième éd. (avec des réflexions sur les idées de Michel Albert); 6) Robert STEUCKERS, «Tony Blair et sa “Troisième Voie” ré­pres­sive et thérapeutique», in: Nouvelles de Synergies européennes, n°44, 2000; 7) Aldo DI LELLO, «La “Troi­siè­me Voie” de Tony Blair: une impase idéologique. Ou de l'impossibilité de repenser le “Welfare State” tout en re­venant au libéralisme», in: Nouvelles de Synergies eruopéennes, n°44, 2000]. 

 

Perroux, Veblen, Schumpeter et les hétérodoxes 

 

Par ailleurs, la science économique en France opère, avec Albertini, Silem et Perroux, une distinction entre "or­thodoxie" et "hétérodoxie". Par orthodoxies, au pluriel, elle entend les méthodes économiques appliquées par les pouvoirs en Europe: 1) l'économie planifiée marxiste de facture soviétique, 2) l'économie libre de mar­ché, sans freins, à la mode anglo-saxonne (libéralisme pur, ou libéralisme classique, dérivé d'Adam Smith et dont le néo-libéralisme actuel est un avatar), 3) l'économie visant un certain mixte entre les deux premiers mo­des, économie qui a été théorisée par Keynes au début du 20ième siècle et adoptée par la plupart des gou­vernements sociaux-démocrates (travaillistes britanniques, SPD allemande, SPÖ autrichienne, socialistes scan­dinaves). Par hétérodoxie, la science politique française entend toutes les théories économiques ne dérivant pas de principes purs, c'est-à-dire d'une rationalité désincarnée, mais, au contraire, dérivent d'histoires poli­ti­ques particulières, réelles et concrètes. Les hétérodoxies, dans cette optique, sont les héritières de la fameuse "école historique" allemande du 19ième siècle, de l'institutionnalisme de Thorstein Veblen et des doctrines de Schum­peter. Les hétérodoxies ne croient pas aux modèles universels, contrairement aux trois formes d'or­tho­do­xie dominantes. Elles pensent qu'il y a autant d'économies, de systèmes économiques, qu'il y a d'histoires na­tio­nales ou locales.  Avec Perroux, les hétérodoxes, au-delà de leurs diversités et divergences particulières, pen­sent que l'historicité des structures doit être respectée en tant que telle et que les problèmes économiques doi­vent être résolus en respectant la dynamique propre de ces structures.

 

Plus récemment, la notion de "Troisième Voie" est revenue à l'ordre du jour avec l'accession de Tony Blair au pou­voir en Grande-Bretagne, après une vingtaine d'années de néo-libéralisme thatchérien. En apparence, dans les principes, Blair se rapproche des troisièmes voies à l'allemande, mais, en réalité, tente de faire accepter les acquis du néo-libéralisme à la classe ouvrière britannique. Sa "troisième voie" est un placebo, un ensemble de mesures et d'expédients pour gommer les effets sociaux désagréables du néo-libéralisme, mais ne va pas au fond des choses: elle est simplement un glissement timide vers quelques positions keynésiennes, c'est-à-dire vers une autre orthodoxie, auparavant pratiquée par les travaillistes mais proposée à l'électorat avec un lan­ga­ge jadis plus ouvriériste et musclé. Blair aurait effectivement lancé une troisième voie s'il avait axé sa poli­ti­que vers une défense plus en profondeur des secteurs non marchands de la société britannique et vers des for­mes de protectionnisme (qu'un keynésianisme plus musclé avait favorisées jadis, un keynésianisme à tendances or­do-libérales voire ordo-socialistes ou ordo-travaillistes).

 

[Pour en savoir plus: Guillaume FAYE, «A la découverte de Thorstein Veblen», in: Orientations, n°6, 1985].

 

Quel est le poids du marxisme, ou du bolchevisme, dans cet ensemble?

 

Le marxisme de facture soviétique a fait faillite partout, son poids est désormais nul, même dans les pays qui ont connu l'économie planifiée. La seule nostalgie qui reste, et qui apparaît au grand jour dans chaque dis­cus­sion avec des ressortissants de ces pays, c'est celle de l'excellence du système d'enseignement, capable de com­mu­niquer un corpus classique, et les écoles de danse et de musique, expressions locales du Bolchoï, que l'on retrouvait jusque dans les plus modestes villages. L'idéal serait de coupler un tel réseau d'enseignement, im­­perméable à l'esprit de 68, à un système hétérodoxe d'économie, laissant libre cours à une variété cul­tu­rel­le, sans le contrôle d'une idéologie rigide, empêchant l'éclosion de la nouveauté, tant sur le plan culturel que sur le plan économique.

 

Synergon abandonne-t-elle dès lors le solidarisme organique ou non?

 

Non. Car justement les hétérodoxies, plurielles parce que répondant aux impératifs de contextes autonomes, re­pré­sentent ipso facto des réflexes organiques. Les théories et les pratiques hétérodoxes jaillissent d'un hu­mus organique au contraire des orthodoxies élaborées en vase clos, en chambre, hors de tout contexte. Par leur défense des structures dynamiques générées par les peuples et leurs institutions propres, et par leur dé­fen­se des sec­teurs non marchands et de la sécurité sociale, les hétérodoxies impliquent d'office la solidarité en­tre les mem­bres d'une communauté politique. La troisième voie portée par les doctrines hétérodoxes est for­cé­ment une troisième voie organique et solidariste. Le problème que vous semblez vouloir soulever ici, c'est que bon nom­bre de groupes ou de groupuscules de droite ont utilisé à tort et à travers les termes d'"organique" et de "so­li­dariste", voire de "communauté" sans jamais faire référence aux corpus complexes de la science éco­no­­mi­que hétérodoxe. Pour la critique marxiste, par exemple, il était aisé de traiter les militants de ces mouve­ments de farceurs ou d'escrocs, maniant des mots creux sans signification réelle et concrète.

 

Participation et intéressement au temps de De Gaulle

 

L'exemple concret et actuel auquel la nouvelle droite aurait pu se référer était l'ensemble des tentatives de ré­for­me dans la France de De Gaulle au cours des années 60, avec la "participation" ouvrière dans les entreprises et l'"intéressement" de ceux-ci aux bénéfices engrangés. Participation et intéressement sont les deux piliers de la réforme gaullienne de l'économie libérale de marché. Cette réforme ne va pas dans le sens d'une pla­ni­fi­ca­tion rigide de type soviétique, bien qu'elle ait prévu un Bureau du Plan, mais dans le sens d'un ancrage de l'éco­no­mie au sein d'une population donnée, en l'occurrence la nation française. Parallèlement, cette orientation de l'éco­nomie française vers la participation et l'intéressement se double d'une réforme du système de repré­sen­tation, où l'assemblée nationale  —i. e. le parlement français—  devait être flanquée à terme d'un Sénat où auraient siégé non seulement les représentants élus des partis politiques mais aussi les représentants élus des associations professionnelles et les représentants des régions, élus directement par la population sans le tru­chement de partis. De Gaulle parlait en ce sens de “Sénat des professions et des régions”.

 

Pour la petite histoire, cette réforme de De Gaulle n'a guère été prise en compte par les droites françaises et par la nouvelle droite qui en est partiellement issue, car ces droites s'étaient retrouvées dans le camp des par­ti­sans de l'Algérie française et ont rejeté ensuite, de manière irrationnelle, toutes les émanations du pouvoir gaul­lien. C'est sans nul doute ce qui explique l'absence totale de réflexion sur ces projets sociaux gaulliens dans la littérature néo-droitiste.

 

[Pour en savoir plus: Ange SAMPIERU, «La participation: une idée neuve?», in: Orientations, n°12, 1990-91].

 

Les visions économiques des révolutionnaires conservateurs me semblent assez imprécises et n'ont apparemment qu'un seul dénominateur commun, le rejet du libéralisme…

 

Les idées économiques en général, et les manuels d'introduction à l'histoire des doctrines économiques, laissent peu de place aux filons hétérodoxes. Ces manuels, que l'on impose aux étudiants dans leurs premières années et qui sont destinés à leur donner une sorte de fil d'Ariane pour s'y retrouver dans la succession des idées éco­nomiques, n'abordent quasiment plus les théories de l'école historique allemande et leurs nombreux avatars en Allemagne et ailleurs (en Belgique: Emile de Laveleye, à la fin du 19ième siècle, exposant et vulgarisateur gé­nial des thèses de l'école historique allemande). A la notable exception des manuels d'Albertini et Silem, déjà cités. Une prise en compte des chapitres consacrés aux hétérodoxies vous apporterait la précision que vous ré­clamez dans votre question. De Sismondi à List, et de Rodbertus à Schumpeter, une autre vision de l'économie se dégage, qui met l'accent sur le contexte et accepte la variété infinie des modes de pratiquer l'économie po­li­ti­que. Ces doctrines ne rejettent pas tant le libéralisme, puisque certains de ces exposants se qualifient eux-mêmes de "libéraux", que le refus de prendre acte des différences contextuelles et circonstancielles où l'économie politique est appelée à se concrétiser. Le "libéralisme" pur, rejeté par les révolutionnaires con­ser­va­teurs, est un universalisme. Il croit qu'il peut s'appliquer partout dans le monde sans tenir compte des facteurs variables du climat, de la population, de l'histoire de cette population, des types de culture qui y sont tra­dition­nellement pratiqués, etc. Cette illusion universaliste est partagée par les deux autres piliers (marxiste-soviétique et keynésien-social-démocrate) de l'orthodoxie économique. Les illusions universalistes de l'ortho­doxie ont notamment conduit à la négligence des cultures vivrières dans le tiers monde, à la multiplication des mo­nocultures (qui épuisent les sols et ne couvrent pas l'ensemble des besoins alimentaires et vitaux d'une po­pulation) et, ipso facto, aux famines, dont celles du Sahel et de l'Ethiopie restent ancrées dans les mémoires. Dans le corpus de la ND, l'intérêt pour le contexte en économie s'est traduit par une série d'études sur les travaux du MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales), dont les figures de proue, étique­tées de "gauche", ont exploré un éventail de problématiques intéressantes, approfondit la notion de "don" (c'est-à-dire des formes d'économie traditionnelle non basée sur l'axiomatique de l'intérêt et du profit). Les mo­teurs de cet institut sont notamment Serge Latouche et Alain Caillé. Dans le cadre de la ND, ce sera surtout Charles Champetier qui s'occupera de ces thématiques. Avec un incontestable brio. Cependant, à rebours de ces félicitations qu'on doit lui accorder pour son travail d'exploration, il faut dire qu'une transposition pure et simple du corpus du MAUSS dans celui de la ND était impossible dans la mesure, justement, où la ND n'avait rien préparé de bien précis sur les approches contextualistes en économie, tant celles des doctrines classées à droite que celles classées à gauche. Notamment aucune étude documentaire, visant à réinjecter dans le débat les démarches historiques (donc contextualistes), n'a été faite sur les écoles historiques allemandes et leurs ava­tars, véritable volet économique d'une révolution conservatrice, qui ne se limite pas, évidemment, à l'es­pa­ce-temps qui va de 1918 à 1932 (auquel Armin Mohler, pour ne pas sombrer dans une exhaustivité non maî­trisable, avait dû se limiter). Les racines de la révolution conservatrice remontent au romantisme allemand, dans la mesure où il fut une réaction contre le "géométrisme" universaliste des Lumières et de la révolution fran­çaise: elle englobe par ailleurs tous les travaux des philologues du 19ième siècle qui ont approfondi nos con­naissances sur l'antiquité et les mondes dits "barbares" (soit la périphérie persane, germanique, dace et maure de l'empire romain chez un Franz Altheim), l'école historique en économie et les sociologies qui y sont ap­pa­rentées, la révolution esthétique amorcée par les pré-raphaëlites anglais, par John Ruskin, par le mouvement Arts & Crafts en Angleterre, par les travaux de Pernstorfer en Autriche, par l'architecture de Horta et les mo­biliers de Van de Velde en Belgique, etc. L'erreur des journalistes parisiens qui ont parlé à tort et à travers de la "révolution conservatrice", sans avoir de culture germanique véritable, sans partager véritablement les ressorts de l'âme nord-européenne (ni d'ailleurs ceux de l'âme ibérique ou italienne), est d'avoir réduit cette ré­volution aux expressions qu'elle a prises uniquement en Allemagne dans les années tragiques, dures et éprou­vantes d'après 1918. En ce sens la ND a manqué de profondeur culturelle et temporelle, n'a pas eu l'épaisseur suf­fisante pour s'imposer magistralement à l'inculture dominante.

 

[Pour en savoir plus: Charles CHAMPETIER, «Alain Caillé et le MAUSS: critique de la raison utilitaire», in: Vouloir, n°65/67, 1990]. 

 

Pour revenir plus directement aux questions économiques, disons qu'une révolution conservatrice, est révolu­tion­naire dans la mesure où elle vise à abattre les modèles universalistes calqués sur le géométrisme révo­lu­tionnaire (selon l'expression de Gusdorf), et conservatrice dans la mesure où elle vise un retour aux contextes, à l'histoire qui les a fait émerger et les a dynamisés. De même dans le domaine de l'urbanisme, toute révolution conservatrice vise à gommer les laideurs de l'industrialisme (projet des pré-raphaëlites anglais et de leurs élè­ves autrichiens autour de Pernerstorfer) ou du modernisme géométrique, pour renouer avec des traditions du pas­sé (Arts & Crafts) ou pour faire éclore de nouvelles formes inédites (MacIntosh, Horta, Van de Velde).

 

Le contexte, où se déploie une économie, n'est pas un contexte exclusivement déterminé par l'économie, mais par une quantité d'autres facteurs. D'où la critique néo-droitiste de l'économisme, ou du "tout-économique". Cet­te critique n'a malheureusement pas souligné la parenté philosophique des démarches non économiques (ar­tistiques, culturelles, littéraires) avec la démarche économique de l'école historique.

 

Est-il exact de dire que Synergon, contrairement au GRECE, accorde moins d'attention au travail purement culturel et davantage aux événements politiques concrets?

 

Nous n'accordons pas moins d'attention au travail culturel. Nous en accordons tout autant. Mais nous accordons ef­fectivement, comme vous l'avez remarqué, une attention plus soutenue aux événements du monde. Deux se­maines avant de mourir, le leader spirituel des indépendantistes bretons, Olier Mordrel, qui suivait nos tra­vaux, m'a téléphoné, sachant que sa mort était proche, pour faire le point, pour entendre une dernière fois la voix de ceux dont il se sentait proche intellectuellement, mais sans souffler le moindre mot sur son état de san­té, car, pour lui, il n'était pas de mise de se plaindre ou de se faire plaindre. Il m'a dit: «Ce qui rend vos re­vues indispensables, c'est le recours constant au vécu». J'ai été très flatté de cet hommage d'un aîné, qui était pourtant bien avare de louanges et de flatteries. Votre question indique que vous avez sans doute perçu, à sei­ze ans de distance et par les lectures relatives au thème de votre mémoire, le même état de choses qu'Olier Mor­drel, à la veille de son trépas. Le jugement d'Olier Mordrel me paraît d'autant plus intéressant, rétrospec­ti­ve­ment, qu'il est un témoin privilégié: revenu de son long exil argentin et espagnol, il apprend à connaître as­sez tôt la nouvelle droite, juste avant qu'elle ne soit placée sous les feux de rampe des médias. Il vit ensuite son apogée et le début de son déclin. Et il attribuait ce déclin à une incapacité d'appréhender le réel, le vivant et les dynamiques à l'œuvre dans nos sociétés et dans l'histoire.

 

Le recours à Heidegger

 

Cette volonté de l'appréhender, ou, pour parler comme Heidegger, de l'arraisonner pour opérer le dévoilement de l'Etre et sortir ainsi du nihilisme (de l'oubli de l'Etre), implique toute à la fois de recenser inlassablement les faits de monde présents et passés (mais qui, potentiellement, en dépit de leur sommeil momentané, peuvent tou­jours revenir à l'avant-plan), mais aussi de les solliciter de mille et une manières nouvelles pour faire éclore de nouvelles constellations idéologiques et politiques, et de les mobiliser et de les instrumentaliser pour dé­trui­re et effacer les pesanteurs issues des géométrismes institutionnalisés. Notre démarche procède clairement d'une volonté de concrétiser les visions philosophiques de Heidegger, dont la langue, trop complexe, n'a pas en­co­re généré d'idéologie et de praxis révolutionnaires (et conservatrices!).

 

[Pour en savoir plus: Robert STEUCKERS, «La philosophie de l'argent et la philosophie de la Vie chez Georg Sim­mel (1858-1918)», in: Vouloir, n°11, 1999]. 

 

Est-il exact d'affirmer que Synergies Européennes constituent l'avatar actuel du corpus doctrinal natio­nal-révolutionnaire (dont le national-bolchevisme est une forme)?

 

Je perçois dans votre question une vision un peu trop mécanique de la trajectoire idéologique qui va de la ré­vo­­lution conservatrice et de ses filons nationaux-révolutionnaires (du temps de Weimar) à l'actuelle démarche de "Synergies Européennes". Vous semblez percevoir dans notre mouvance une transposition pure et simple du cor­pus national-révolutionnaire de Weimar dans notre époque. Une telle transposition serait un anachronisme, donc une sottise. Toutefois, dans ce corpus, les idées de Niekisch sont intéressantes à analyser, de même que son itinéraire personnel et ses mémoires. Cependant, le texte le plus intéressant de cette mouvance reste celui co-signé par les frères Jünger, Ernst et surtout Friedrich-Georg, et intitulé Aufstieg des Nationalismus. Pour les frères Jünger, dans cet ouvrage et dans d'autres articles ou courriers importants de l'époque, le "nationalisme" est synonyme de "particularité" ou d'"originalité", particularité et originalité qui doivent rester telles, ne pas se laisser oblitérer par un schéma universaliste ou par une phraséologie creuse que ses utilisateurs prétendent pro­gressiste ou supérieure, valable en tout temps et en tout lieu, discours destiné à remplacer toutes les lan­gues et toutes les poésies, toutes les épopées et toutes les histoires. Poète, Friedrich-Georg Jünger, dans ce tex­­te-manifeste des nationaux-révolutionnaires des années de Weimar, oppose les traits rectilignes, les géo­mé­tries rigides, propres de la phraséologie libérale-positiviste, aux sinuosités, aux méandres, aux labyrinthes et aux tracés serpentants du donné naturel, organique. En ce sens, il préfigure la pensée d'un Gilles Deleuze, avec son rhizome s'insinuant partout dans le plan territorial, dans l'espace, qu'est la Terre. De même, l'hostilité du "nationalisme", tel que le concevaient les frères Jünger, aux formes mortes et pétrifiées de la société libérale et industrielle ne peut se comprendre que parallèlement aux critiques analogues de Heidegger et de Simmel.

 

Dans la plupart des cas, les cercles actuels, dits nationaux-révolutionnaires, souvent dirigés par de faux savants (très prétentieux), de grandes gueules insipides ou des frustrés qui cherchent une manière inhabituelle de se faire valoir, se sont effectivement borné à reproduire, comme des chromos, les phraséologies de l'ère de Wei­mar. C'est à la fois une insuffisance et une pitrerie. Ce discours doit être instrumentalisé, utilisé comme maté­riau, mais de concert avec des matériaux philosophiques ou sociologiques plus scientifiques, plus communé­ment admis dans les institutions scientifiques, et confrontés évidemment avec la réalité mouvante, avec l'ac­tua­lité en marche. Les petites cliques de faux savants et de frustrés atteints de führerite aigüe ont évidem­ment été incapables de parfaire un tel travail.

 

Au-delà de “Aufstieg des Nationalismus”

 

Ensuite, il me semble impossible, aujourd'hui, de renouer de manière a-critique avec les idées contenues dans Auf­stieg des Nationalismus et dans les multiples revues du temps de la République de Weimar (Die Kom­men­den, Widerstand d'Ernst Niekisch, Der Aufbruch, Die Standarte, Arminius, Der Vormarsch, Der Anmarsch, Die deutsche Freiheit, Der deutsche Sozialist, Entscheidung de Niekisch, Der Firn, également de Niekisch, Junge Politik, Politische Post, Das Reich de Friedrich Hielscher, Die sozialistische Nation de Karl Otto Paetel, Der Vor­kämpfer, Der Wehrwolf, etc.). Quand je dis "a-critique", je ne veux pas dire qu'il faut soumettre ce corpus doctrinal à une critique dissolvante, qu'il faut le rejeter irrationnellement comme immoral ou anachronique, comme le font ceux qui tentent de virer leur cuti ou de se dédouaner. Je veux dire qu'il faut le relire attentive­ment mais en tenant bien compte des diverses évolutions ultérieures de leurs auteurs et des dynamiques qu'ils ont suscitées dans d'autres champs que celui, réduit, du nationalisme révolutionnaire. Exemple: Friedrich Georg Jünger édite en 1949 la version finale de son ouvrage Die Perfektion der Technik, qui jette les fon­de­ments de toute la pensée écologique allemande de notre après-guerre, du moins dans ses aspects non politi­ciens qui, en tant que tels, et par là-même, sont galvaudés et stupidement caricaturaux. Plus tard, Friedrich Georg lance une revue de réflexion écologique, Scheidewege, qui continue à paraître après sa mort, survenue en 1977. Il faut donc relire Aufstieg des Nationalismus à la lumière de ces publications ultérieures et coupler le message national-révolutionnaire et soldatique des années 20, où pointaient déjà des intuitions écologiques, aux corpus biologisants, écologiques, organiques commentés en long et en large dans les colonnes de Scheide­wege. En 1958, Ernst Jünger fonde avec Mircea Eliade et avec le concours de Julius Evola et du traditionaliste alle­mand Leopold Ziegler la revue Antaios, dont l'objectif est d'immerger ses lecteurs dans les grandes tra­ditions religieuses du monde. Ensuite, Martin Meyer a étudié l'œuvre d'Ernst Jünger dans tous ses aspects et montré clairement les liens qui unissent cette pensée, qui couvre un siècle tout entier, à quantité d'autres mon­des intellectuels, tels le surréalisme, toujours oublié par les nationaux-révolutionnaires de Nantes ou d'ail­leurs et par les néo-droitistes parisiens qui se prennent pour des oracles infaillibles, mais qui ne savent fina­le­ment pas grand chose, quand on prend la peine de gratter un peu… Par coquetterie parisienne, on tente de se don­ner un look allemand, un look "casque à boulons", qui sied à tous ces zigomars comme un chapeau melon lon­do­nien à un Orang-Outan… Meyer rappelle ainsi l'œuvre picturale de Kubin, le rapport étroit entre Jünger et Wal­ter Benjamin, la distance esthétique et la désinvolture qui lient Jünger aux dandies, aux esthètes et à bon nom­bre de romantiques, l'influence de Léon Bloy sur cet écrivain allemand mort à 102 ans, l'apport de Carl Schmitt dans ses démarches, le dialogue capital avec Heidegger amorcé dans le deuxième après-guerre, l'im­pact de la philosophie de la nature de Gustav Theodor Fechner, etc. En France, les nationaux-révolutionnaires et les néo-droitistes anachroniques et caricaturaux devraient tout de même se rappeler la proximité de Drieu La Rochelle avec les surréalistes de Breton, notamment quand Drieu participait au fameux "Procès Barrès" mis en scène à Paris pendant la première guerre mondiale. La transposition a-critique du discours national-révo­lu­tionnaire allemand des années 20 dans la réalité d'aujourd'hui est un expédiant maladroit, souvent ridicule, qui ignore délibérément l'ampleur incalculable de la trajectoire post-nationale-révolutionnaire des frères Jünger, des mondes qu'ils ont abordés, travaillés, intériorisés. La même remarque vaut notamment pour la mauvaise ré­­ception de Julius Evola, sollicité de manière tout aussi maladroite et ca­ri­caturale par ces nervis pseudo-acti­vistes, ces sectataires du satano-sodomisme saturnaliste basé à l'em­bou­chu­re de la Loire ou ces métapo­lito­lo­gues pataphysiques et porno-vidéomanes, qui ne débouchent généralement que dans le solipsisme, la pantalon­na­de ou la parodie.

 

[Pour en savoir plus: 1) Robert STEUCKERS, «L'itinéraire philosophique et poétique de Friedrich-Georg Jün­ger», in: Vouloir, n°45/46, 1988; 2) Robert STEUCKERS, Friedrich-Georg Jünger, Synergies, Forest, 1996].

 

(A SUIVRE)

lundi, 03 mars 2008

Vie du Mouvement (2)

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Vie du mouvement (2)

 

ETATS-UNIS : Le site non-conformiste américain http://attackthesystem.blogspot.com de l’American Revolutionary Vanguard a publié le 22 janvier 2008 un petit extrait d’un texte fort ancien (1987 !) de Robert Steuckers, consacré aux interprétations de la pensée de Nietzsche. Ce petit extrait concerne deux figures du début de la République de Weimar, Kurt Eisner et Gustav Landauer, figures qui intéressent bien entendu les révolutionnaires anti-conformistes américains de tradition populiste, qui n’ont pas désarmé face aux machines politiques mastodontiques (Républicains et Démocrates) et oeuvrent toujours actuellement. Le lendemain, ce site affichait un texte fort intéressant intitulé « The Next Radicalism : Rightism without Jingoism – Leftism without Political Correctness ». Ce titre est déjà tout un programme.

 

ALLEMAGNE : Le site allemand http://de.wasalive.com met en ligne plusieurs articles issus du site http://euro-synergies.hautetfort.com, dont « Du déclin de l’Europe : de Nietzsche à Rohrmoser » de Brigitte Sob (20/01), « Jean de Pange : fédéraliste européen » de Laurent Schang (24/01), « E. E. Dwinger : sens de la souffrance » d’Ulli Baumgarten (27/01), l’entretien que l’écrivain Michel Mohrt avait accordé à la revue et au site de « Réfléchir et Agir » (30/01), « Les jeunes filles porte-bannière dans les tribus guerrières germaniques » de Willy Fréson (31/01), et, le 1 février, « L’étoile Volkoff » de Fagnard Lecerf et une publicité pour le livre du Prof. Jean-François Mattéi, « Le regard vide ».

 

REYKJAVIK / Islande : Le site islandais http://www.hugi.is, consacré à la littérature mondiale conseillait, le 25 janvier 2008, à ses lecteurs de lire trois textes émanant de « Synergies Européennes » : 1) « Annulation magique de la crise et ‘méthode physiognomique’ chez Ernst Jünger – Compte-rendu du livre d’Armin Steil ‘Die imaginäre Revolte’ », de Robert Steuckers ; « L’aristocrate et le baron : parallèles entre Jünger et Evola », de Gianfranco de Turris ; 3) « Jünger et l’irruption de l’élémentaire dans l’espace bourgeois – Etude sur la philosophie de l’élémentaire dans l’œuvre d’Ernst Jünger », d’Evola lui-même. Ces textes figurent sur le site http://www.centrostudilaruna.it, basé à Milan et affichant bon nombre d’études sur les thématiques de la révolution conservatrice et sur l’héritage évolien en plusieurs langues européennes (français, italien, allemand, anglais, espagnol).

 

ESPAGNE : Nous venons de découvrir l’excellent site espagnol du « Centro de Estudios Euroasiaticos » (http://cee.122mb.com) qui a publié plusieurs articles émanant de « Synergies Européennes », dont « Qué es la métapolitica ? » d’Alberto Buela, « Rudolf Kjellén », « Halford John Mackinder », « Friedrich Georg Jünger », tous trois de Robert Steuckers (versions adaptées au grand public des entrées qu’il fit paraître dans l’ « Encyclopédie des Œuvres Philosophiques » des PUF sous la direction du Prof. Jean-François Mattéi), « La guerra como experiencia interior » de Laurent Schang (sur l’œuvre des frères Jünger pendant la première guerre mondiale), « Ernst Jünger, pensador politico radical » de Wolfgang Herrmann, « China, la nueva doctrina militar del ejercito de liberacion nacional » de Michael Wiesberg, avec, en prime, un classique des années 70, « Extracto de ‘Los principios de la accion fascista’ » de Michel Schneider, qui dirigea la revue « Nationalisme et république ». Cet ouvrage, en dépit de son titre qui pourrait paraître nostalgique voire polémique et provocateur, nous donne encore et toujours une leçon claire et succincte de sciences politiques, basée sur les travaux de Jules Monnerot, Hannah Arendt, Vilfredo Pareto, Raymond Aron, etc. Le site offre en lecture 200 articles, tous aussi intéressants les uns que les autres.

 

LISBONNE : L’excellent site « O fogo da vontade » (« Le feu de la volonté »), tenu de main de maître par notre excellent ami Rodrigo, traducteur hors pair, http://ofogodavontade.wordpress.com, publie le 27 janvier 2008 une traduction portugaise du texte de Robert Steuckers « Restauration poutinienne et nouvelles perspectives géopolitiques » (« Russia : A restauraçao com Putin e novas perspectivas geopoliticas »).

 

DENDERMONDE / TERMONDE : Le site http://eurorus.altermedia.info reprend pour la seconde fois le texte de Robert Steuckers « Restauration poutinienne et nouvelles perspectives géopolitiques » en date du 28 janvier 2008.

 

ETATS-UNIS : Le 29 janvier 2008, le site http://majorityrights.com publie une version anglaise d’un entretien avec Yves- Marie Laulan, accordé il y a quelques années à Xavier Cheneseau pour « Nouvelles de Synergies Européennes » et portant pour titre « Nations suicidaires et déclin démographique ».

 

ETATS-UNIS : Le 30 janvier 2008, le site http://www.amren.com, qui abrite les textes d’ « American Renaissance News », reprend la nouvelle version anglaise de l’entretien avec Yves-Marie Laulan, recueilli par Xavier Cheneseau.

 

PARIS : Le 31 janvier 2008, le site animé par nos amis parisiens, http://vouloir.hautetfort.com, a publié la rubrique « Vie du mouvement (1) » de décembre 2007 à janvier 2008.

PARIS : Le 31 janvier 2008, le site spécialisé en stratégie et en questions militaires http://theatrumbelli.hautetfort.com reprend le texte de Willy Fréson « Sous l’égide de Wotan : les jeunes filles porte-étendard dans les tribus germaniques », paru le même jour sur http://euro-synergies.hautetfort.com. « Theatrum Belli » illustre de manière particulièrement prestigieuse le texte de Fréson. L’iconographie de ce site est remarquable et mérite toujours le détour. Le 20 février 2008, le site affiche le communiqué de « Synergies Européennes », intitulé « Réflexions sur la proclamation unilatérale de l’indépendance di Kosovo ».  

ALLEMAGNE : Le site allemand http://www.eurasischesmagazin.de analyse le livre récent de Stefan Wiederkehr intitulé « Die eurasische Bewegung », où il explicite, entre bien d’autres choses, les liens entre Alexandre Douguine, théoricien du nouvel eurasisme, et les nouvelles droites ouest-européennes, notamment à la suite du voyage en mars-avril 1992 d’Alain de Benoist, Jean Laloux et Robert Steuckers à Moscou, où ils avaient rencontré les animateurs de la revue moscovite « Dyeïnn », dirigée par Alexandre Prokhanov, et le dirigeant du PC russe, Guennadi Ziouganov.

LOUVAIN : Après la section d’examen de janvier, nos amis étudiants inscrivent à leur programme métapolitique la lecture de « Mythe et métaphysique » de Georges Gusdorf, un auteur bien trop peu potassé dans nos milieux métapolitiques, et une analyse des dialogues, aussi bien trop négligés, de la « Montagne magique » de Thomas Mann, où l’écrivain met dans la bouche de ses personnages les discours de la révolution conservatrice, d’une part, de l’occidentalisme, d’autre part. Rappelons qu’Armin Mohler tenait Thomas Mann pour un « père fondateur » de la « Konservative Revolution », non seulement pour ses « Considérations d’un apolitique », mais aussi, justement, pour les dialogues de la « Montagne magique » (Naphta le Jésuite, Settembrini l’occidentaliste, etc.).

BRUXELLES : Parution du n°294 du « Bulletin célinien », animé par l’infatigable Marc Laudelout, avec « Ferdinand et les trois sœurs » d’Etienne Nivelleau (paru en janvier dans « Rivarol »), « Gracq devant Céline » de ‘Magister’, « Un ‘candidat’ nommé Jean Cau » de P. L. Moudenc, « Jean Cau, l’Académie et Céline » de Jean Cau lui-même (texte de 1985), « Antisémitisme et célinisme » de Marc Laudelout, une recension d’ « Etudes céliniennes » (n°3) d’André Derval, « Corps et âme – Les ballets dans ‘Bagatelles pour un massacre’ » d’Agnès Hafez-Ergaut et « Duel sur la Cinq » de Marc Laudelout. Adresse de courriel : celinebc@skynet.be ; site : http://louisferdinandceline.free.fr/ .

PRAGUE / BRATISLAVA : Le 5 février 2008 le site tchèque http://deliandiver.blogspot.com fait paraître la première partie d’une version en langue tchèque de l’entretien accordé par Robert Steuckers au penseur britannique Troy Southgate, animateur du « Cercle de la Rose Noire », il y a quelques années. Cette nouvelle version tchèque, qui succède à l’original anglais et aux versions française et espagnole, a aussitôt été reprise par un autre site tchèque, http://linkuj.cz, et par un site slovaque, http://vybrali.sme.sk. Le 21 février 2008, le site http://deliandiver.blogspot.com affiche la deuxième partie de cet entretien.

BRUXELLES : Réunion amicale, autour d’un bon repas, de plusieurs amis synergétistes de Bruxelles, Uccle et environs, avec pour thèmes de discussion : le « dossier H » sur Drieu la Rochelle, la situation politique en Belgique au départ du dernier livre de Pol Vandromme (« Belgique : la descente au tombeau », éd. du Rocher, Paris), l’affaire royale de 1950 et l’entourage d’Hergé (futur thème de la conférence de Steuckers à Genève, cf. infra), avec présentation 1) du livre récent de Goddin sur la vie d’Hergé, qui n’apporte rien de franchement neuf sauf une superbe iconographie, quasiment inédite jusqu’ici et 2) de l’anthologie des « meilleures méchancetés » de l’hebdomadaire satirique « Pan » (réf. : Baudouin Van Humbeeck, « Les meilleures méchancetés de Pan – 60 ans de satire politique et historique en Belgique », Jourdan Editeur/éd. De l’Arbre, Tournai, 2007).

NANTES : Le 6 février 2008, le site http://www.voxnr.com publie un texte ancien de Robert Steuckers, intitulé « L’impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite », paru dans « Vouloir » dans les années 90, à la suite d’un exposé tenu lors d’une université d’été de « Synergies Européennes » en Provence. A la mi-février, le site reprend deux autres textes émanant de « Synergies Européennes » : celui de Michelangelo Ingrassia (« Le fascisme entre Occident et Orient : les rapports entre le régime de Mussolini et les nationalistes orientaux – Une page d’histoire oubliée » et celui de Brigitte Sob (« Au-delà de la droite et de la gauche : les racines du mouvement écologique »). A signaler également, la recension de Nöel Rivière (ancien collaborateur d’ « Orientations », « Vouloir » et « Nouvelles de Synergies Européennes »), intitulée « La modernité au scanner, un livre de Pierre Le Vigan ». Ce dernier, en compagnie d’ailleurs de Noël Rivière, avait notamment collaboré à un dossier d’ « Orientations » sur la modernité au début des années 90 et, quelques années plus tard, au numéro spécial de « Vouloir » consacré à Martin Heidegger. Le site voxnr.com publie en outre un manifeste de Kai Murros, écrivain politique finlandais, « La révolution et comment la faire dans une société moderne ». A signaler enfin, l’article d’Ivan Martens : « USA contre Eurasie ». 

NANTES (2) : Toujours à l’affût de textes émanant de nos ateliers, le site http://www.voxnr.com publie vers les 16 et 17 février 2008 une étude de Robert Steuckers (« Introduction à l’œuvre de Ludwig Ferdinand Clauss ») et un article de Johann F. Balvany (« Etats-Unis : nouvel impérialisme en Afrique »).  

GENEVE : Le 7 février 2008, à l’invitation du « Club de la Grammaire », affilié à l’Institut National Genevois et présidé par Maître Pascal Junod, Robert Steuckers prononce une conférence sur l’entourage d’Hergé, dont l’objectif est de réfuter les thèses d’Assouline (dont le travail est néanmoins bien fait) et les délires d’un certain Maxime Benoît-Jeannin, qui font d’Hergé un « nazi antisémite déguisé ». De telles affirmations ne sont possibles que si l’on ignore délibérément les tenants et aboutissants du contexte belge et catholique dans lequel l’œuvre d’Hergé a émergé : il faut savoir qu’à la base du personnage de Tintin, se trouve –et peut-être à l’insu d’Hergé-  la notion de « devoir », théorisée à l’Institut Supérieur de Philosophie de Louvain par le Cardinal Mercier, primat de Belgique ; ensuite, les idées de l’Abbé Norbert Wallez, notamment sa vision géopolitique d’une fédération belgo-rhénane, sa méfiance à l’endroit de la Prusse, de la Hollande et de l’Angleterre, pays protestants, et, enfin, son hostilité sourde à l’idéologie républicaine française. Steuckers, à Genève, a procédé à une analyse de l’ouvrage de Wallez intitulé « Belgique et Rhénanie ». Il s’est ensuite attelé à analyser l’œuvre encore méconnue de Raymond De Becker, personnaliste chrétien, correspondant de la revue « Esprit » de Mounier à Bruxelles, ami des socialistes Spaak et De Man, qui permettra à Hergé de publier dans le quotidien « Le Soir » pendant la seconde guerre mondiale. L’itinéraire de De Becker est fascinant comme l’attestent ses mémoires (jusqu’en 1942) consignées dans « Le Livre des Vivants et des Morts ». Les orientations éthiques de De Becker se retrouvent dans le livre « La vie difficile » et méritent une étude bien plus attentive que celle qu’en firent Assouline et Benoit-Jeannin (qui grenouille, rappelons-le, dans le marais glauque du groupe « Golias », avec ses insupportables donneurs de leçons, hystériques et péremptoires). Une place a également été faite à ce cher Paul Jamain, alias « Jam » puis « Alidor », le caricaturiste le plus féroce de l’histoire du royaume.

GENEVE : Le 8 février 2008, Robert Steuckers prend la parole au dîner-débat du Cercle Proudhon, pour refaire sa conférence lilloise (cf. la rubrique « Vie du Mouvement 1 » sur http://euro-synergies.hautetfort.com , 31/01/2008) sur l’histoire et la géopolitique iraniennes.

FRANCE : Le site http://www.hautetfort.com/tag/PAGANISME, qui collationne tout ce que l’on trouve sur les blogs du serveur « hautetfort.com » et les classe par rubrique, mentionne le texte de Karlheinz Weissmann, « La symbolique politique du Loup », affiché par notre équipe d’Ile-de-France sur http://vouloir.hautetfort.com .

LISBONNE : Le texte récent de Robert Steuckers sur la restauration poutinienne (« Russia : A restauraçao com Putin e novas perspectivas geopoliticas ») paraît pour la seconde fois au Portugal, sur le site http://www.sompedia.com.

FRANCE : Le site d’informations générales http://fr.wasalive.com reprend plusieurs textes récents publiés sur notre site http://euro-synergies.hautetfort.com. Ainsi, le 21 janvier 2008, le texte de Karl Weinhold sur la première session du Parlement libre irlandais de 1919 ; le 28 janvier 2008, l’entretien accordé par le Prof. Bernd Rabehl au journaliste viennois Dimitrij Grieb (« Nous sommes devenus un peuple d’ilotes ») ; le 31 janvier 2008, le site reprenait la liste des activités de « Synergies Européennes », intitulé « Vie du Mouvement 1 » ; le 9 février 2008, la version portugaise du texte de Steuckers sur la Russie de Poutine (« Russia : A restauraçao com Putin e novas perspectivas geopoliticas »). A signaler également que nous n’avions pas vu que le texte « Quand les Philippines devinrent une colonie américaine » de Saverio Borgheresi avait été publié sur ce même site le 10 janvier 2008. Le 9 février 2008, ce même site reprend, mais cette fois de http://rodionraskolnikov.hautetfort.com, le texte de Pierre Maugué (« La Russie face à l’hégémonisme américain ») et, le 15 février, deux textes de Robert Steuckers (« Les visions d’Europe à l’époque napoléonienne – Aux sources de l’européisme contemporain » & « L’impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite »).

FRANCE : Le site http://rodionraskolnikov.hautetfort.com, spécialisé dans le domaine russe et publiant des textes y afférents en français et en russe, affiche le 9 février 2008, « La Russie face à l’hégémonisme américain » de Pierre Maugué et, le 15 février, «  ‘Uranus’ de notre aimable Aymé » (du « Cercle Prométhée »), « Les visions d’Europe à l’époque napoléonienne – Aux sources de l’européisme contemporain » (de Robert Steuckers) et « L’impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite » (de Robert Steuckers).

FRANCE : Le site http://technocrati.com a affiché et recommandé la lecture de plusieurs de nos textes, dont « Sur Bruno Kreisky » de Robert Steuckers (22/01/2008), « 1919 : premier Dàil Eireann » de Karl Weinhold (21/01). Il avait déjà publié « Du dextrisme » de Patrick Canavan (07/01), l’entretien accordé par Yves-Marie Laulan à Xavier Cheneseau « Nations suicidaires et déclin démographique » (28/12/2007) et « Idée nationale et liberté selon Dieter Langewiesche » de Robert Steuckers (26/12/2007). Plus tard en février, trois autres textes ont été affichés sur le site : « Vie du mouvement (1) », « Quand les Philippines devinrent colonie américaine » de Saverio Borgheresi et « Le fascisme entre Occident et Orient » de Michelangelo Ingrassia.

FRANCE : Le site http://www.cryosites.com, qui reprend des textes en langues française, espagnole et allemande, signale et affiche, courant février, « La symbolique politique du Loup » de Karlheinz Weissmann.

FRANCE : Le site http://www.xooit.com/fr affiche courant février notre rubrique « Vie du mouvement (1) ».

FRANCE : Le site http://www.wikio.fr/news/William+McKinley propose des articles sur le Président américain William McKinley, dont, en complément, l’article « Quand les Philippines devinrent colonie américaine » de Saverio Borgheresi, où figure, en guise d’introduction à l’article, une déclaration révélatrice de McKinley, où il affirmait que Dieu lui avait directement inspiré l’idée d’envahir les Philippines, pour les délivrer du « joug tyrannique » des Espagnols. L’affaire s’était soldée par environ un million de morts, côté philippin.

ARMENIE : Le site arménien en langue française (avec liens vers des sites similaires en d’autres langues), http://www.armenews.com, affiche le 12 février 2008, la version française de l’article d’Albrecht Rothacher, traduit par les services de « Synergies Européennes » et issu au départ de l’hebdomadaire « zur Zeit » de Vienne en Autriche, « Réflexions sur le destin des Arméniens », en en recommandant chaudement la lecture.

FRANCE : Le site http://www.geostrategie.com, spécialisé en questions géopolitiques et géostratégiques, surtout concernant le Moyen Orient et le monde arabo-musulman, affiche, le 16 février 2008, le texte de Johann F. Balvany (« Etats-Unis : nouvel impérialisme en Afrique »), paru initialement dans la revue autrichienne des corporations étudiantes, « Aula », paraissant mensuellement à Graz en Autriche.

LIEGE / VERVIERS / NAMUR : Le livre servant de support aux travaux de l’école des cadres de Wallonie, en ce mois de février, a été celui de Jean Zaganiaris, « Spectres contre-révolutionnaires - Interprétations et usages de la pensée de Joseph de Maistre – XIX°-XX° siècles », surtout sur l’impact de la pensée maistrienne sur Carl Schmitt, ce qui permet de relier les travaux des écoles de cadres wallonnes à celles du Brabant, qui potassent (cf. infra) sur Schmitt, via le livre de David Cumin. L’objectif de cette séance a aussi été de poser un continuum entre les travaux des mois passés sur l’œuvre de Marcel De Corte et sur la notion de « dissociété ». Le livre de Jean Zaganiaris a été édité par L’Harmattan (Paris, 2005, ISBN 2-7475-9665-6).

ALLEMAGNE : Le site http://de.wasalive.com publie le texte en langue néerlandaise de Robert Steuckers, « Vals socialisme en waarachtig socialisme », paru au préalable sur divers sites flamands et hollandais, de même que sur http://euro-synergies.hautetfort.com. Ce texte, en version originale allemande, avait été publié dans les années 90 dans un volume collectif sur le socialisme, paru aux éditions Leopold Stocker à Graz en Autriche. La version française était parue dans « Nouvelles de Synergies Européennes ». Il en existe également une version espagnole (parue sur divers site espagnols ou ibéro-américains) et une version italienne.

ITALIE : Le site http://www.territorioscuola.com publie une courte fiche biographique et bibliographique sur la personne d’Armin Mohler, où un renvoi est signalé vers l’entretien avec Robert Steuckers (sur la « révolution conservatrice ») accordé à Troy Southgate. Un jour plus tard, le même site publie une fiche de même nature sur la figure du géopolitologue allemand Karl Haushofer, avec, en bibliographie, la fiche traduite en italien de Robert Steuckers, qui a fait office de postface à l’édition récente d’un opuscule de Haushofer, intitulé « Lo sviluppo dell’idea imperiale nipponica » et paru aux éditions All’insegna del Veltro (Parme).

FRANCE : Le site intitulé « La pensée de Martin Heidegger » (http://heidegger.hautetfort.com) publie, afin de faire connaître « l’autre Jünger », le texte de Robert Steuckers (en version française) sur Friedrich Georg Jünger. Ce site heideggerien mérite le détour tant il explore de manière systématique une œuvre aussi magistrale que celle du « penseur de la Forêt Noire ».

GAND : Le site/forum de la NSA (Nieuwe Solidaristische Alternatief), http://nsalternatief.wordpress.com publie un article polémique intitulé « Belgische reactionairen in de bres voor ‘Kosova’ » (Les réactionnaires belges sur la brèche en faveur du ‘Kosova’) suivi d’un débat intense sur la question. Les internautes flamands branchés sur le forum NSA débattent sur la question suivante : faut-il demeurer intransigeant sur le principe de l’autodétermination des peuples ou des ethnies et accepter la proclamation d’indépendance des Albanais du Kosovo, ce qui créerait un précédant juridique permettant, le cas échéant, à la Flandre de se proclamer à son tour indépendante ? Ou faut-il refuser cette autodétermination au Kosovo musulman, parce que musulman et donc en porte-à-faux avec les linéaments idéologiques dominants dans l’espace européen ou parce que l’indépendantisme kosovar a été « boosté » par les services américains, du temps du binôme Clinton/Albright ? Dans ce débat, les protagonistes recourent au texte (en langue française) de Steuckers « Pourquoi nous opposons-nous à l’OTAN ? », script d’un débat contradictoire, organisé à Eindhoven en janvier 2003 par un groupe d’amis néerlandais, entre l’ex-secrétaire général de « Synergies Européennes », se situant dans la tradition critique à l’endroit de l’OTAN (De Gaulle, Harmel, neutralistes allemands, etc.), et Rob Vereycken, avocat et député flamand (VB), favorable à l’Alliance atlantique. Le script de la communication de Steuckers à Eindhoven en janvier 2003 est toujours affiché sur http://be.altermedia.info.

FRANCE : Le site http://www.blogdimension.com affiche, le 18 février 2008, le texte de Pierre Maugué : « La Russie face à l’hégémonie américaine ».

BUDAPEST : Le 18 février 2008, le site de la ville de Budapest, http://www.inbudapest.info, affiche la liste de nos activités, intitulée « Vie du Mouvement » (activités de décembre 2007/janvier 2008).

PARIS : Le 19 février 2008, le site http://vertusetcombat.unblog.fr a repris le texte de Robert Steuckers intitulé « Sur l’identité européenne ». Il s’agit d’une conférence donnée à Santes près de Lille en juin 2003, lors d’un colloque général regroupant des personnalités très diverses.

LILLE : Le 20 février 2008, le site http://flandre.novopress.info a reproduit le communiqué de « Synergies Européennes » sur la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo.

FRANCE : Le site http://www.yoolink.fr a repris, vers la mi-février, dans un dossier d’articles en ligne sur l’ex-Union Soviétique, une éphéméride de notre blog http://euro-synergies.hautetfort.com, intitulée « 1970 : coopération russo-iranienne ».

LISBONNE : Le site http://penaespada.blogspot.com , animé par notre excellent ami Duarte Branquino, signale le communiqué de « Terre & Peuple », signé Pierre Vial, et le communiqué de « Synergies Européennes » sur la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo et permet d’accéder aux sites des deux associations, afin de prendre connaissance des deux textes en entier.

FRANCE : Le site http://www.exolead.com/wikipedia, qui recense, par thème, les articles de l’encyclopédie en ligne « Wikipedia », affiche l’article consacré à Jean Eugène van der Taelen, dans un dossier essentiellement consacré au « Club de l’Horloge » et aux personnalités d’Yvan Blot et de Jean Yves Le Gallou. On se rappellera que J. E. van der Taelen, disparu voici douze ans, était lié d’amitié avec Yvan Blot et avait voulu créer un pendant belge du « Club de l’Horloge », qu’il avait appelé « Club du Beffroi », car le Beffroi, dans nos villes libres médiévales, était le symbole, majestueux, des libertés populaires. Quelques jours plus tard, le site signale la fiche de Wikipedia sur « Synergies Européennes ».

LONDRES : Fin février, Troy Southgate fait afficher sur le site http://groups.yahoo.com/group/Rose-Noire/message/2030... le message de « Synergies Européennes » avec la liste des textes publiés sur http://euro-synergies.hautetfort.com en janvier 2008.

PARIS / MONDE ARABE : Le site http://elkhadra.over-blog.com affiche fin février le texte de Johann F. Balvany, intitulé « Etats-Unis : nouvel impérialisme en Afrique », traduit et diffusé par « Synergies Européennes ».

BRUXELLES / BELGRADE : Le site http://europe-serbia.skynetblogs.be, qui exprime les opinions circulant dans la communauté serbe de Belgique, affiche le 23 février 2008 le communiqué de presse de « Synergies Européennes » (« Réflexions sur la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo »).

ETATS-UNIS : Le site http://www.thecivicplatform.com/2008/02/23, de la « Civic Platform » publie le 23 février 2008, à la suite de Troy Southgate, la liste des articles parus sur le site de « Synergies Européennes » en janvier 2008.

TOULOUSE : Le numéro d’hiver du magazine français « Réfléchir & Agir » (n°28) est consacré à « La Géopolitique du Nouvel Ordre Mondial ». Nous y avons trouvé, hors dossier, les articles suivants : « Le Vittoriale, la demeure d’un poète guerrier » de Léopold Kessler ; « Mythes et réalité de la Golden Dawn » de Christian Bouchet ; « Science et race » d’Edouard Rix ; « Maurice Bardèche, un flambeau dans la nuit » de Patrick Canet ; une analyse des « Empires et la puissance »  de Jordis von Lohausen par Yvain Lacuson ; « L’affaire des poisons » par Pierre Gillieth ; « Audiard, maître gouailleur et poète méconnu ». Dans le dossier central, sur la géopolitique du Nouvel Ordre Mondial », nous avons découvert « Qu’est-ce que le néoconservatisme ? » par Alain de Benoist ( !!) ; « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine » par Léon Camus ; « Le retour programmé de la France dans le commandement intégré de l’OTAN » par Jean-Michel Vernochet ; « Géopolitique de l’Islam » par Jean-Michel Vernochet (sous forme d’entretien) ; « Les tyrans sont parmi nous : l’exemple par Dominique Strauss-Kahn » par Thierry Meyssan ; « Comment sortir de la faillite économique et monétaire internationale ? » par Pierre Leconte ; « L’Inde et la Chine, prochaines cibles des Etats-Unis ? » par Robert Rodesches ; « Russie : restauration poutinienne et perspectives géopolitiques », par Robert Steuckers (texte dont la version portugaise a été largement diffusée). Site de la revue : http://www.reflechiretagir.com . Adresse : Réfléchir & Agir Magazine, BP 80.432, F-31.004 Toulouse Cedex 8.

FRANCE : Le blog http://www.blogdimension.com/fr affiche l’article «  ‘Uranus’ de notre aimable Aymé », du « Cercle Prométhée », édité jadis dans les colonnes de « Nouvelles de Synergies Européennes » et récemment sur le site http://euro-synergies.hautetfort.com.

VIENNE / Autriche : Le site http://eisernekrone.blogspot.com publie le 24 février 2008 une note intitulée « Robert Steuckers gegen Islamophobie und Deislamisierung », où il reprend quelques extraits d’un article ancien (1992) consacré à l’œuvre de Seyyed Hossein Nasr, islamologue iranien qui avait repris la chaire de Mircea Eliade au Centre d’Etudes des Religions de Chicago. Le site « eisernekrone » (la « Couronne de fer ») est animé par Martin Schwarz, qui allie, dans sa pensée et ses démarches, l’œuvre d’Evola, de Guénon, le souvenir de la Garde de Fer roumaine, etc. à un euro-islamisme féroce, dont l’objectif est une islamisation de l’Europe par des Européens convertis et frottés aux textes de la Tradition. Inutile de préciser que telle n’est pas notre position, ce qui nous amène à poser une question fondamentale à ce groupe : comment explique-t-il son option traditionnelle si celle-ci se réfère à une caricature de l’islam, la plus jeune des traditions, alors que celle-ci, comme l’indique Naipaul dans son œuvre, entend balayer les traditions qui ont une plus grande profondeur temporelle ? Etre « traditionaliste », surtout au sens où l’entendent Evola et Eliade, n’est-ce pas la volonté de raviver, ou de vivre intérieurement, ce qui possède la plus grande profondeur temporelle ? Quand les wahhabites canonnent et dynamitent les Bouddhas de Bamiyan ou s’insurgent quand les Indiens entendent remettre à l’honneur le temple de Rama surplombé par la Mosquée de Babar, n’arrachent-ils pas les communautés humaines aux traces sublimes laissées par de longues chaînes générationnelles, traces stabilisantes, comme le font les plus vulgaires de nos progressistes ?

BRUXELLES & BRABANT WALLON : Deux thèmes ont été travaillés dans les ateliers de travail de « Synergies Européennes » et à l’école des cadres. 1) Une étude du livre important (disponible également en traduction néerlandaise) de Karen Armstrong, « The Great Transformation – The World in the Time of Buddha, Socrates, Confucius and Jeremiah » (Atlantic Books, London, ISBN 978-1-84354-056-4). Karen Armstrong remet sur le métier l’idée de Karl Jaspers sur la période axiale de l’histoire, période où les grandes valeurs émergent du néant, en Grèce, en Inde, en Perse, en Chine et en Palestine. Chez Karl Jaspers l’idée était restée vague et mal étayée, sans référence aux recherches archéologiques, anthropologiques et historiques, à une époque où la philosophie ne cherchait pas vraiment à élargir son champ. Armin Mohler avait repris l’idée de Jaspers en tentant de la transposer dans le contexte de la République de Weimar, où s’était cristallisée une opposition aux idéaux des Lumières et de 1789, capable de bouleverser les idées et les pratiques politiques de la bourgeoisie. Dans son premier chapitre significativement intitulé, « The Axial People (c. 1600 to 900 BCE) », Karen Armstrong étudie à fond les legs de l’archéologie et de l’anthropologie historique pour consolider l’intuition première de Jaspers. Elle nous permet de cerner clairement les valeurs émergeantes (et toujours structurantes) de nos sociétés, sans lesquelles valeurs rien ne peut tenir et tout se disloque. La lecture du livre de Karen Armstrong doit évidemment se faire en parallèle avec celle des travaux de Jean Haudry, tout comme, par ailleurs, la démarche de Mohler doit se faire en parallèle avec celles de Sternhell et surtout de Gusdorf. Un travail de grande ampleur. 2) La lecture parallèle des livres de Giorgio Agamben, « Stato di eccezione » (Bollati Boringhieri, Torino, 2003) et de David Cumin, “Carl Schmitt – Biographie politique et intellectuelle” (Cerf, Paris, 2005), lecture dont se dégage surtout le fait que les démocraties occidentales, en gouvernant souvent par décrets-lois, surtout à partir de la première guerre mondiale, faisaient autant fi des parlements que les régimes totalitaires, nés après 1919. De la lecture d’Agamben, on peut conclure que les régimes dits totalitaires ne sont pas aussi originaux qu’une certaine historiographie a bien voulu le dire. De la lecture de Cumin, bon nombre de leçons peuvent être tirées, notamment sur la crise politique qui a frappé la Belgique en 2007, avec le refus d’une certaine frange de l’établissement de voir Yves Leterme accéder au poste de premier ministre, du moins flanqué de l’appui de la NVA de l’historien louvaniste Bart De Wever. La volonté de créer des « cordons sanitaires », non seulement pour contrer les avancées réelles ou imaginaires du Vlaams Belang, mais aussi pour mettre des bâtons dans les roues d’autres formations jugées inacceptables, a été théorisée par Schmitt avant l’avènement de Hitler !

PARIS : Dans son numéro 566 du 23 au 29 février 2008, l’hebdomadaire « Marianne » de Jean-François Kahn, donne la parole à Natalia Narotchniskaya (qui avait été interviewé par Gerhoch Reisegger pour « zur Zeit », trad. française dans un ancien numéro d’ « Au fil de l’épée ») et à Alexandre Douguine dans le cadre d’un article d’Anne Dastakian, intitulé « Pourquoi ils aiment tant Poutine ? ». Les idées générales et les perspectives géopolitiques qui sont les nôtres sont incontournables en Russie et aucun article sérieux dans la presse occidentale ne peut faire l’impasse sur elles. A noter (et à lire attentivement !) dans ce même numéro l’article « Le populisme, une idée à réhabiliter » par Patrice Bollon et « Connaissez-vous Jean-Marie Guyau ? » par Christian Godin (Guyau est un précurseur très important de Nietzsche). Dans tous les kiosques.

JAPON : Fin février, le site japonais http://www.jousuiki.net reprend le communiqué sur le Kosovo de « Synergies Européennes », dans un dossier sur les presidios de Ceuta et Melilla, tout simplement parce que ces deux villes y sont citées. L’Espagne refuse de reconnaître l’indépendance du Kosovo, non seulement pour éviter de donner un précédent aux Basques, mais aussi (et surtout) pour éviter qu’une nouvelle collusion islamo-yankee   -alliant une fois de plus narco-trafic, terrorisme et moralisme droits-de-l’hommiste-  ne manœuvre pour détacher ces deux postes avancés de l’Europe en Afrique du Nord (les derniers qui lui restent !) de l’orbite espagnole.

RUSSIE : Fin février, le site russe http://dolgo-noseg.livejournal.com/61305.html... publie une étude intitulée « Europe, ‘Tradition’, Metapolitics », où sont évoqués les travaux de Synergies Européennes. Ce texte émane des groupes britanniques rassemblés autour de Troy Southgate et Jonathan Boulton, entre autres personnalités.

FRANCE : Le 29 février 2008, le site http://blogdimension.com/fr affiche un texte portugais sur la grippe espagnole de 1918, repris de http://euro-synergies.hautetfort.com , où il avait été publié l’an passé, et issu au départ de http://www.grifo.com.pt .    

 

 

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dimanche, 02 mars 2008

Sur l'identité européenne

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Communication de Robert Steuckers à la « Fête de l'Identité », Santes/Lille, le 28 juin 2003

Organisateurs : FLANDRE IDENTITÉ, BP 106 - F-59.482 Haubourdin Cédex ( flandreidentite@hotmail.com )

 

Sur l'identité européenne

 

Mesdames, Messieurs, Chers amis et camarades,

 

Définir l'identité de l'Europe dans un exposé d'une demi-heure tient de la gageure ! Mais, c'est vrai, il faut être ca­pable de synthétiser ses idées, de transmettre l'essentiel en peu de mots. Mieux : en peu de cartes [projection de cinq cartes].

L'Europe, c'est avant toute chose une histoire. C'est cette histoire qui est son identité. C'est la somme des gestes qui ont été accomplies. Rien d'autre. Et certainement pas un code ou une abstraction qui se profilerait derrière cette histoire et qui serait plus “sublime” que le réel. L'histoire qui fonde notre identité est une histoire très longue, dont les origines ne sont pas connues du grand public, auquel on cache l'épopée initiale de nos peuples. Les choses sont en train de changer dans le bon sens; au cours des dix dernières années, les revues de bonne vulgarisation scientifique nous parlent de plus en plus souvent de la grande chevauchée des Proto-Iraniens, puis des Scythes, en direction de l'Asie centrale. Les archéologues Mallory et Mair viennent de retracer l'émouvante aventure du peuple qui nous a laissé les “momies du Tarim” dans le Sin Kiang chinois, des corps quasi intacts qui nous ressemblent comme des frères. Partis d'Europe centrale, en effet, des vagues de cavaliers européens ont poussé au moins jusqu'aux plaines du Sin Kiang, sinon jusqu'au Pacifique. Pendant des siècles, des royaumes européens ont subsisté dans ces régions, alors très hospitalières et fertiles. Une civilisation tout à la fois européenne, indienne et bouddhiste, a laissé des traces sublimes au cœur du continent asiatique.

 

Associer l'idée de divin à la lumière solaire et sidérale

 

Les racines de l'Europe se retrouvent, dans leurs traces les plus anciennes, essentiellement dans la tradition iranienne, ou avestique, dont Paul Du Breuil et Henry Corbin ont exploré l'univers mental. Paul Du Breuil retrace méticuleusement la religion très ancienne, guerrière, de cette branche aventurière du peuple européen, qui avait domestiqué le cheval, inventé les attelages et le char de combat. Cette religion est une religion de la Lumière et du Soleil, avec le dieu Aruna (l'Aurore) comme conducteur du char solaire. Garuda, le frère d'Aruna, est, dans cette mythologie, le “seigneur du Ciel” et le “chef des oiseaux”. Il personnifie la puissance masculine et on le représente souvent sous la forme d'un oiseau à tête d'aigle, blanc ou doré, parfois avec des ailes rouges. On constate très tôt, dit Paul Du Breuil, “que le symbolisme religieux eurasien, a associé l'idée du divin avec la lumière, solaire ou sidérale, et avec un oiseau fabuleux, fort et de haut vol”. Cette triple symbolique du Soleil, du Ciel et de l'Aigle, se retrouve chez le chef et père des dieux dans le panthéon romain, Jupiter. Et l'idée d'empire, dans les traditions européennes, conserve le symbole de l'aigle. De l'Iran avestique à nos jours, cette symbolique immortelle nous est restée. Sa pérennité atteste bel et bien que sa présence inamovible en fait un fondement de notre identité.

 

Le monde avestique, aboutissement d'une grande migration européenne aux temps proto-historiques, nous a légué les notions cardinales de notre identité la plus profonde, qui ne cesse de transparaître malgré les mutations, malgré les conversions au christianisme ou à l'islam, malgré les invasions calamiteuses des Huns, des Mongols ou des Turcs, malgré les despotismes de toutes natures, qui ont dévoyé et fourvoyé les Européens au cours d'une histoire qui ne cesse d'être tumultueuse. Arthur de Gobineau a démontré la précellence du monde iranien, sa supériorité pratique par rapport à un hellénisme trop discursif et dialectique. A sa suite, Henry Corbin, en explorant les textes que nous a laissés le poète médiéval persan Sohrawardi, nous a restitué une bonne part de notre identité spirituelle profonde, de notre manière primordiale de voir et de sentir le monde : pour Sohrawardi, légataire médiéval de l'immémorial passé avestique, l'Esprit Saint est Donateur de formes, la Lumière immatérielle est la première manifestation de l'Etre primordial, qui, lui aussi, est Lumière, pleine Lumière resplendissante, synthèse du panthéon ouranien des dieux diurnes (cf. Dumézil, Haudry); dans cette spiritualité euro-avestique de la proto-histoire, de cette époque où vraiment tout s'est révélé, il y a précellence du Soleil; les âmes nobles et les chefs charismatiques ont une aura que les Perses appelaient la Xvarnah ou la Lumière de Gloire et que l'on représente sous forme d'une auréole à rayons solaires. Ce culte lumineux s'est répercuté dans la tradition médiévale européenne dans la figure omniprésente de l'archange Saint-Michel, dont le culte est d'origine iranienne et zoroastrienne. Et surprise : le culte de Saint Michel va ressusciter à Bruxelles dans quelques jours, lors de la fête de l'Ommegang, en l'honneur de l'étendard impérial de Charles-Quint. Le géant Saint-Michel ressortira dans les rues, après une très longue éclipse, ajoutant l'indispensable spiritualité archangélique à cette fête impériale unique en Europe. Signe des temps? Osons l'espérer!

 

La force archangélique et michaëlienne

 

Pour Hans Werner Schroeder, les archanges, legs de la tradition iranienne dans l'Europe médiévale, insufflent les forces cosmiques originelles dans les actions des hommes justes et droits et protègent les peuples contre le déclin de leurs forces vives. L'archange aux vastes ailes déployées et protectrices, que l'on retrouve dans les mythologies avestiques et médiévales-chrétiennes, indique la voie, fait signe, invite à le suivre dans sa marche ou son vol toujours ascendant vers la lumière des lumières : la force archangélique et michaëlienne, écrit Emil Bock, induit une dynamique permanente, une tension perpétuelle vers la lumière, le sublime, le dépassement. Elle ne se contente jamais de ce qui est déjà là, de ce qui est acquis, devenu, de ce qui est achevé et clos, elle incite à se plonger dans le devenir, à innover, à avancer en tous domaines, à forger des formes nouvelles, à combattre sans relâche pour des causes qui doivent encore être gagnées. Dans le culte de Saint-Michel, l'archange n'offre rien aux hommes qui le suivent, ni avantages matériels ni récompenses morales. L'archange n'est pas consolateur. Il n'est pas là pour nous éviter ennuis et difficultés. Il n'aime pas le confort des hommes, car il sait qu'avec des êtres plongés dans l'opulence, on ne peut rien faire de grand ni de lumineux.

 

La religion la plus ancienne des peuples européens est donc cette religion de Lumière, de gloire, de dynamique et d'effort sur soi. Elle est née parmi les clans européens qui s'étaient enfoncés le plus profondément dans le cœur du continent asiatique, qui avaient atteint les rives de l'Océan Indien et s'étaient installés en Inde. L'identité la plus profonde de l'Europe est donc cette trajectoire qui part de l'embouchure du Danube en Mer Noire vers le Caucase et au-delà du Caucase vers les hauts plateaux iraniens et vers la vallée de l'Indus, ou, au Nord, à travers l'Asie centrale, la Bactriane, vers le Pamir et les dépressions du Takla Makan dans le Sin Kiang, aujourd'hui chinois.

 

Une chaîne ininterrompue de trois empires solides

 

L'idéal impérial européen s'est ancré dans notre antiquité sur cette ligne de projection : entre 2000 et 1500 av. J. C., l'expansion européenne correspond à celle des civilisations semi-sédentaires dites d'Androvno et de Qarasouk. A cette époque-là, les langues européennes se répandent en Iran, jusqu'aux rives de l'Océan Indien. Cimmériens, Saces, Scythes, Tokhariens, Wou-Souen et Yuezhi se succèdent sur le théâtre mouvant de la grande plaine centre-asiatique.  Entre 300 et 400 de notre ère, trois empires se juxtaposent entre l'Atlantique et l'Inde du Nord : Rome, les Sassanides parthes et l'Empire gupta en Inde. L'Empire gupta avait été fondé par les Yuezhi européens, qui nommaient leur territoire le Kusana et étaient au départ vassaux des Sassanides. Les Gupta fédèrent les clans du Kusana et les Tokhariens du Tarim. A ce moment historique-là, une chaîne ininterrompue de trois empires solides, dotés d'armées bien entraînées, auraient pu faire barrage contre les pressions hunno-mongoles, voire se fédérer en un bloc partant d'Ecosse pour aboutir au delta du Gange.

 

Mais le destin a voulu un sort différent, pour le grand malheur de tous nos peuples : Rome a été minée par le christianisme et les dissensions internes; l'empire s'est scindé en deux, puis en quatre (la tétrarchie), puis s'est effondré. Les Sassanides connaissent une période de répit, traitent avec l'Empereur romain d'Orient, Justinien, et partent à la conquête de la péninsule arabique, avant de succomber sous les coups de l'Islam conquérant. L'Empire des Gupta s'effondre sous les coups des Huns du Sud.

 

La fin de l'antiquité signifie la fin des empires déterminés directement et exclusivement par des valeurs d'inspiration européenne, c'est-à-dire des valeurs ouraniennes, archangéliques et michaëliennes, voire mazdéennes ou mithraïques. Les peuples hunniques, mongols ou turcs se ressemblent en Asie centrale et en chassent les Européens, les massacrent ou les dominent, les transformant en petites peuplades résiduaires, oublieuses de leurs racines et de leurs valeurs. Au Sud, les tribus arabes, armées par l'idéologie religieuse islamique, bousculent Byzance et la Perse et pénètrent à leur tour en Asie centrale.

 

L'invasion des Huns provoque un chaos indescriptible

 

L'identité européenne ne peut s'affirmer que si elle demeure maîtresse des grandes voies de communication qui unissent la Méditerranée ou la Baltique à la Chine et à l'Inde. Dynamique, l'identité européenne s'affirme ou disparaît sur un espace donné; elle entre en déclin, se rabougrit si cet espace n'est plus maîtrisé ou s'il n'est plus accessible. Cet espace, c'est l'Asie centrale. A la fin de la période antique, les Ruan Ruan mongols bousculent les Xianbei, qui bousculent les chefferies turques des marges du monde chinois, qui bousculent à leur tour les Huns du Kazakhstan, qui passent sur le corps des Alains européens à l'Ouest de la Caspienne, dont les débris se heurtent aux Goths, qui franchissent la frontière de l'Empire romain agonisant, précipitant le sous-continent européen, berceau de nos peuples, dans un chaos indescriptible. Finalement, les Huns sont arrêtés en Champagne par l'alliance entre Romains et Germains. Le destin de l'Europe s'est donc joué en Asie centrale. La perte de contrôle de cette vaste zone géographique entraîne la chute de l'Europe : hier comme aujourd'hui. Les ennemis de l'Europe le savent : ce n'est donc pas un hasard si Zbigniew Brzezinski entend jouer la carte turque/turcophone contre la Russie, l'Inde, l'Iran et l'Europe dans ce qu'il appelle les “Balkans eurasiens”. Ce que je viens de vous dire sur la proto-histoire à l'Est de la Volga et de la Caspienne n'est pas la tentative d'un cuistre d'étaler son érudition, mais de rappeler que la dynamique amorcée par nos plus lointains ancêtres dans ces régions du monde et que la dynamique amorcée lentement d'abord, brutalement ensuite, par les peuples hunniques et turco-mongols à la fin de l'antiquité sont des dynamiques qui restent actuelles et dont les aléas sont observés et étudiés avec la plus grande attention dans les états-majors diplomatique et militaire américains aujourd'hui.

 

En effet, une partie non négligeable du succès américain en Afghanistan, en Mésopotamie, en Asie centrale dans les républiques musulmanes et turcophones de l'ex-URSS est due à une bonne connaissance des dynamiques à l'œuvre dans cette région centrale de la grande masse continentale eurasiatique. Encyclopédies, atlas historiques, thèses en histoire et ouvrages de vulgarisation, émissions de télévision s'accumulent pour les expliciter dans tous leurs détails. L'Europe continentale, les espaces linguistiques français, allemand et autres, sont en retard : personne, même dans les hauts postes de commandement, ne connaît ces dynamiques. Dans la guerre de l'information qui s'annonce et dont nous avons perdu la première manche, la connaissance généralisée de ces dynamiques sera un impératif crucial : mais les choses avancent, lentement mais sûrement, car des revues grand public comme Archeologia, Grands Reportages, Géo, National Geographic (version française) commencent systématiquement à nous informer sur ces sujets. L'or des Scythes, les villes florissantes de la Sérinde et de l'antique Bactriane, la Route de la Soie, les voyages de Marco Polo, la Croisière Jaune de Citroën sont autant de thèmes proposés à nos contemporains. François-René Huyghe, spécialiste de la guerre cognitive à l'ère numérique, figure cardinale de la pensée stratégique française aujourd'hui, nous a laissé un ouvrage de base sur l'Asie centrale. En Suisse, le Professeur Jacques Bertin nous a fourni en 1997 un “Atlas historique universel”, où tout ce que je vous dis est explicité par des cartes limpides et didactiques.

 

Une organisation optimale du territoire

 

L'objectif stratégique de cette vulgarisation, destinée à éveiller le grand public aux thèmes majeurs de la géostratégie planétaire, est de damer le pion à la stratégie préconisée par Zbigniew Brzezinski dont le but final est de soustraire l'espace noyau de l'Asie centrale au contrôle de toutes les puissances périphériques, surtout la Russie et l'Europe, mais aussi l'Inde et l'Iran. Brzezinski n'a pas hésité à dire que les Américains avaient pour but d'imiter les Mongols : de consolider une hégémonie économique et militaire sans gérer ni administrer le territoire, sans le mailler correctement à la façon des Romains et des Parthes. L'Amérique a inventé l'hégé­mo­nie irresponsable, alors que les trois grands Empires juxtaposés des Romains, des Parthes et des Gupta visaient une organisation optimale du territoire, une consolidation définitive, dont les traces sont encore perceptibles aujourd'hui, même dans les provinces les plus reculées de l'Empire romain : le Mur d'Hadrien, les thermes de Bath, le tracé des villes de Timgad et de Lambèze en Afrique du Nord sont autant de témoignages archéo­lo­giques de la volonté de marquer durablement le territoire, de hisser peuples et tribus à un niveau de civi­li­sation élevé, de type urbain ou agricole mais toujours sédentaire. Car cela aussi, c'est l'identité essentielle de l'Europe. La volonté d'organiser, d'assurer une pax féconde et durable, demeure le modèle impérial de l'Europe, un modèle qui est le contraire diamétral de ce que proposent les Américains aujourd'hui, par la voix de Brzezinski.  

 

Rien de tel du côté des Mongols, modèles des Américains aujourd'hui. Nulle trace sur les territoires qu'ils ont soumis de merveilles architecturales comme le Pont du Gard. Nulle trace d'un urbanisme paradigmatique. Nulle trace de routes. La dynamique nomade des tribus hunniques, mongoles et turques n'aboutit à aucun ordre territorial cohérent, même si elle vise une domination universelle. Elle ne propose aucun “nomos” de la Terre. Et face à cette absence d'organisation romaine ou parthe, Brzezinski se montre admiratif et écrit : «Seul l'extraordinaire empire mongol approche notre définition de la puissance mondiale». Une puissance sans résultat sur le plan de l'organisation. Brzezinski et les stratèges américains veulent réactiver une dynamique anti-impériale, donc contraire aux principes qui sous-tendent l'identité européenne, et asseoir de la sorte un foyer permanent de dissolution pour les formes plus ou moins impériales ou étatiques qui survivent dans son voisinage. Brzezinski écrit, admiratif : «L'empire gengiskhanide a pu soumettre le Royaume de Pologne, la Hongrie, le Saint-Empire (?), plusieurs principautés russes, la califat de Bagdad et l'Empire chinois des Song». Réflexion historique en apparence ingénue. Mais elle démontre, pour qui sait lire entre les lignes, que la réactivation d'un pôle turc, à références hunniques ou gengiskhanides, doit servir

 

-          à annihiler les môles d'impérialité en Europe,

-          à mettre hors jeu l'Allemagne, héritière du Saint-Empire et de l'œuvre du Prince Eugène de Savoie-Carignan,

-          à tenir en échec définitivement l'Empire russe,

-          à détruire toute concentration de puissance en Mésopotamie et

-          à surveiller la Chine.

 

Connaître l'histoire des mouvements de peuples en Asie centrale permet de contrer la stratégie américaine, mise au point par Brzezinski, de lui apporter une réponse russe, indienne, européenne. Pour les Américains, il s'agit d'activer des forces de désordre, des forces dont l'esprit est diamétralement différent de celui de Rome et de la Perse sassanide. Si ces forces sont actives en une zone aussi cruciale de la masse continentale eu­ra­sienne, c'est-à-dire sur le territoire que la géopolitique britannique et américaine, théorisée par Mackinder et Spyk­man, nomme le “Heartland”, le Cœur du Grand Continent, elles ébranlent les concentrations périphé­ri­ques de puissance politique, leur impose des “frontières démembrées”, selon une terminologie que Henry Kis­sin­ger avait reprise à Richelieu et à Vauban. Tel est bien l'objectif de Kissinger et de Brzezinski : “démembrer” les franges territoriales extérieures de la Russie, de l'Iran, de l'Europe, priver celle-ci d'un accès à la Mé­di­ter­ranée orientale. C'est pour cette raison que les Etats-Unis ont voulu créer le chaos dans les Balkans, en diabo­li­sant la Serbie, dont le territoire se situe sur l'axe Belgrade-Salonique, c'est-à-dire sur la voie la plus courte en­tre le Danube navigable, à l'Ouest des anciennes “cataractes”, et la Mer Egée, dans le bassin oriental de la Mé­di­ter­ranée. Diaboliser la Serbie sert à bloquer le Danube en sa portion la plus importante stratégiquement parlant, sert aussi à créer artificiellement en vide en plein milieu d'une péninsule qui a servi de tremplin à toutes les opérations européennes en Asie Mineure et au Proche-Orient. Celui-ci doit demeurer une chasse gardée des Etats-Unis.

 

Quelles ont été dans l'histoire les ripostes européennes à cette menace permanente et récurrente de dissolution venue de la zone matricielle des peuples hunniques, turcs et mongols, située entre le Lac Baïkal en Sibérie et les côtes du Pacifique?

 

Luttwak : d'une étude du limes romain à l'occupation de la Hongrie par les troupes américaines

 

L'Empire romain, probablement mieux informé des mouvements de populations en Asie que ne le laissent supposer les sources qui sont restées à notre disposition, avait compris que l'Empire devait se défendre, se colmater et se verrouiller à deux endroits précis : en Pannonie, l'actuelle Hongrie, et dans la Dobroudja au Sud du Delta du Danube. Le Danube est l'artère centrale de l'Europe. C'est le fleuve qui la symbolise, qui la traverse tout entière de la Forêt Noire à la Mer Noire, qui constitue une voie d'eau centrale, une voie de communication incontournable. La maîtrise de cette voie assure à l'Europe sa cohésion, protège ipso facto son identité, est la garante de sa puissance, donc de sa survie, est finalement son identité géo-spatiale, la base tellurique du développement de son esprit de conquête et d'organisation, une base sans laquelle cet esprit ne peut se concrétiser, sans laquelle cet esprit n'a pas de conteneur. Ce n'est donc pas un hasard si les Etats-Unis dé­ploient dorénavant leurs troupes en Hongrie le long du cours du Danube, qui, là-bas, coule du Nord au Sud, en direction de Belgrade. Le théoricien militaire américain, originaire de Roumanie, Edward Luttwak, avait rédigé un ouvrage magistral sur les limes romains en Europe centrale. Les militaires du Pentagone appliquent aujourd'hui dans le concret les conclusions théoriques de l'historien. De même, un général britannique à la re­traite, après une longue carrière à l'OTAN et au SHAPE à Mons-Casteaux en Hainaut, publie une histoire des guerres de Rome contre Carthage, où, curieusement, les opérations dans les Balkans, les jeux d'alliance entre puissances tribales de l'époque, laissent entrevoir la pérennité des enjeux spatiaux, la difficulté d'unifier cette péninsule faite de bassins fluviaux, de vallées et de plateaux isolés les uns des autres. Rome a excité les tribus illyriennes des Balkans les unes contre les autres pour en arriver à maîtriser l'ensemble de la péninsule. On est frappé, dans le récit du Général Nigel Bagnall, de voir comme il convient d'éloigner de l'Adriatique et de l'Egée la puissance tribale centrale, dont le territoire correspondait peu ou prou à celui de la Serbie actuelle! L'historien mili­taire a parlé, les blindés et les F-16 de l'OTAN ont agi, quelques années après! Moralité : l'étude de l'his­toire antique, médiévale ou contemporaine est une activité hautement stratégique, ce n'est pas de la simple éru­dition. Les puissances dominantes anglo-saxonnes nous le démontrent chaque jour, tandis que l'ignorance des dynamiques de l'histoire sanctionne la faiblesse de l'Europe. 

 

Revenons à l'histoire antique. Dès que les Huns franchissent le Danube, dans la Dobroudja en poursuivant les Goths ou en Pannonie, l'empire romain s'effondre. Quand les Avares, issus de la confédération des Ruan Ruan, s'installent en Europe au 7ième siècle, les royaumes germaniques, dont ceux des rois fainéants mérovingiens, ne parviennent pas à imposer à notre sous-continent un ordre durable. Charlemagne arrête provisoirement le danger, mais le Saint-Empire ne s'impose qu'après la victoire de Lechfeld en 955, où Othon Ier vainc les Hongrois et fait promettre à leurs chefs de défendre la plaine de Pannonie contre toute invasion future venue des steppes. En 1945, les Hongrois de Budapest défendent le Danube héroïquement : les filles et les garçons de la ville, âgés de douze à dix-huit ans, sortent de leurs écoles pour se battre contre l'Armée Rouge, maison par maison, pan de mur par pan de mur. Je me souviendrais toujours des paroles d'une dame hongroise, qui me racontait la mort de son frère aîné, tué, fusil au poing, à 13 ans, dans les ruines de Budapest. Ces jeunes Magyars voulaient honorer la promesse faite jadis par leur Roi, mille ans auparavant. Un héroïsme admirable, qui mérite notre plus grand respect. Mais un héroïsme qui prouve surtout une chose : pour les peuples forts, le temps ne passe pas, le passé est toujours présent, la continuité n'est jamais brisée, les devoirs que l'histoire a imposés jadis doivent être honorés, même un millénaire après la promesse.

 

Après l'appel d'Urbain II à Clermont-Ferrand en 1096, les Croisés peuvent traverser la Hongrie du Roi Coloman et se porter vers l'Anatolie byzantine et la Palestine pour contrer l'invasion turque seldjoukide; les Seldjoukides interdisent aux Européens l'accès aux routes terrestres vers l'Inde et la Chine, ce que les Arabes, précédemment, n'avaient jamais fait. Urbain II était très conscient de cet enjeu géopolitique. Mais les efforts des Croisés ne suffiront pas pour barrer la route aux Ottomans, héritiers des Seldjoukides et des Ilkhans, dominateurs turco-mongols de la Perse vaincue. L'objectif des Ottomans, conscients de l'histoire des peuplades hunno-turques, animés par la volonté de perpétuer la geste pluri-millénaire de leurs peuples contre les Européens, est de prendre le Danube, son embouchure et son delta, son cours oriental à l'Est de ses cataractes entre l'actuelle frontière serbo-roumaine; ils entendent ensuite prendre Budapest, clef de la plaine pannonienne puis Vienne, capitale du Saint-Empire qu'ils appelaient la “Pomme d'Or”. Ils passent sur le corps des Serbes, des Bosniaques, des Croates, des Hongrois, des Frioulans et des Carinthiens, mais le bloc germanique, retranché derrière les premiers contreforts des Alpes, leur résistent. Il faudra une longue contre-attaque, une guerre d'usure de trois siècles pour envoyer enfin au tapis le danger ottoman. Cette lutte de reconquista, comparable à la reconquista espagnole, fonde, elle aussi l'identité politique et militaire de l'Europe. Ce n'est pas un hasard si la disparition du danger ottoman a ouvert l'ère des guerres civiles entre Européens, depuis les guerres révolutionnaires et napoléoniennes aux deux guerres mondiales, dont on ne mesure pas encore pleinement la tragédie démographique qu'elles ont représentée pour l'Europe.

 

L'arme redoutable du janissariat

 

Au départ, dans cette longue lutte de l'Europe danubienne contre les offensives continuelles des Ottomans, la balance démographique semblait en faveur de l'Europe. Le rapport était de 67 millions d'Européens contre une douzaine de millions de musulmans turcs. Mais la Turquie avait hérité et faite sienne une tradition persane-européenne de première importance: la notion de service armé de la jeunesse, la fotowwat, dont l'expression turque est l'Ordre des Janissaires. Pour Paul Du Breuil, l'origine des chevaleries et des ordres militaires remonte à la conquête de l'Asie centrale et des hauts plateaux iraniens par les peuples européens de la proto-histoire. Elle s'est transmise aux Perses (et aux Parthes), aux Alains, aux Sarmates, aux Goths et aux Arméniens de l'époque médiévale. De cette matrice iranienne et pontique, elle est passée, au temps des croisades, à l'Occident. Le nom même de l'Ordre de la Toison d'Or, fondé par les Ducs de Bourgogne, indique une “orientation” géographique vers l'aire pontique (la Mer Noire), l'Arménie caucasienne et l'Iran, berceau de la première organisation militaire rigoureuse des peuples européens, à l'aurore de l'histoire. C'est parce qu'ils ont traversé les territoires des Iraniens et des Arméniens que les Turcs seldjoukides comprennent l'importance d'un ordre militaire similaire à la fotowwat persane. C'est ainsi que naît l'ordre des janissaires, très discipliné, capable de vaincre des armées européennes plus nombreuses, mais moins disciplinées, ainsi que s'en plaint Ogier Ghiselin de Bousbeque, dans un texte qui figure aujourd'hui encore dans l'anthologie de la pensée stratégique de Gérard Chaliand, manuel de base des officiers français.

 

La discipline du janissariat ottoman culbute donc les armées serbes, croates et hongroises. La riposte euro­péen­ne sera double : d'une part, les cosaques d'Ivan le Terrible prennent Kazan, la capitale des Tatars en 1552, puis descendent le cours de la Volga et coupent la route d'invasion traditionnelle des peuples hunniques et turcs au nord de la Caspienne, sur le cours de la Volga et dans son delta, à hauteur d'Astrakhan, qui tombe en 1556. Sur mer, les Portugais contournent l'Afrique et tombent dans le dos des puissances musulmanes dans l'O­céan indien. Le cosaque sur terre, le marin sur l'océan ont représenté l'identité active et dynamique, aven­tu­riè­re et risquée de l'Europe au moment où elle était encerclée, de Tanger à Alexandrie, dans les Balkans, sur le Da­nube, sur la Volga et en Ukraine. La double opération maritime et terrestre des Russes et des Portugais des­serre l'étau qui étranglait l'Europe et amorce une lente reconquista, qui ne sera jamais complètement achevée, car Constantinople n'est pas redevenue grecque; la dissolution bâclée de l'ex-URSS rend cette hypothétique re­conquista plus aléatoire que jamais, en créant un espace de chaos non maîtrisable dans les “Balkans eura­siens”.

 

Eugène de Savoie : une excellente connaissance de la littérature militaire classique

 

L'esprit européen s'est incarné au 17ième siècle dans un personnage hors du commun : le Prince Eugène de Savoie-Carignan. Garçonnet chétif et disgrâcieux, auquel on impose la tonsure à huit ans pour en faire un moine, il voue son enfance et son adolescence à l'étude des classiques, mais rêve d'une carrière militaire, que Louis XIV lui refuse mais que l'Empereur d'Autriche accepte avec enthousiasme. Son excellente connaissance des classiques militaires en fait un capitaine méthodique, qui prépare la reconquête des Balkans, en organisant une flotte sur le Danube à l'imitation de celle que les Romains avaient construites à Passau (Batavia) en Bavière. Les plans d'Eugène de Savoie, le “noble chevalier”, permettent, avec la Sainte-Alliance qui allie Polonais, Bavarois, Autrichiens, Hongrois, Prussiens et Russes, de reconquérir 400.000 km2 sur les Ottomans. Avec les victoires successives d'Eugène de Savoie, le ressac des Ottomans est amorcé : ils n'avanceront plus d'un pouce. Quelques décennies plus tard, Catherine II et Potemkine reprennent la Crimée et font de la rive septentrionale de la Mer Noire une rive européenne à part entière, pour la première fois depuis l'irruption des Huns dans l'écoumène de nos peuples.

 

L'identité géopolitique européenne est donc ce combat pluri-millénaire pour des frontières stables et “membrées”, pour le libre passage vers le cœur de l'Eurasie, qu'avait réclamé Urbain II à Clermont-Ferrand en prêchant la première croisade.

L'identité culturelle européenne est cette culture militaire, cet art de la chevalerie, héritée des héros de l'ère avestique.

L'identité culturelle européenne est cette volonté d'organiser l'espace, l'ager des Romains, de lui imprégner une marque définitive.

 

Mais aujourd'hui, où en est-on ? Quelle est notre situation objective?

 

Au cours des quinze à vingt dernières années, nous avons accumulé défaite sur défaite. Nos maigres atouts géostratégiques sont tombés les uns après les autres comme s'ils n'étaient qu'un alignement de dominos. La stratégie “mongolomorphe” de Brzezinski semble porter ses fruits. L'Europe et la Russie ne sont plus que des territoires loques, pantelants, sans ressort et sans plus aucune énergie propre.

En effet :

 

-          L'Europe a perdu sur le Danube : la Serbie, territoire qui relie l'Europe centrale danubienne à l'Egée, ancienne route des Doriens et des ancêtres macédoniens d'Alexandre le Grand, est soustraite à toute dynamique positive, vu l'embargo qu'on lui impose depuis Washington. L'Autriche a failli se faire diaboliser de la même manière, à l'époque très récente où Jacques Chirac et Louis Michel faisaient le jeu des Américains. Les armées américaines s'installent en Hongrie, aux mêmes endroits où campaient les légions de Rome pour "membrer" la frontière la plus fragile de l'Europe, la plaine hongroise, la Puszta, qui relie directement notre continent, via les plaines ukrainiennes et les immensités sibériennes, au territoire originel des peuples hunniques.

 

-          L'Europe et la Russie perdent tous leurs atouts dans le Caucase, où la Géorgie de Chevarnadze joue à fond la carte américano-turque, où l'Azerbaïdjan est complètement inféodé à l'OTAN et à la Turquie, où les Tchétchènes, armés par les Turcs, les Saoudiens et les Américains, tiennent l'armée russe en échec et organisent des attentats sanglants à Moscou, comme en octobre dernier au théâtre Doubrovna. Dans ce contexte caucasien, la malheureuse Arménie est encerclée, menacée de toutes parts, n'a que des ennemis à ses frontières, sauf l'Iran, sur une longueur de 42 km à peine, zone que l'OTAN veut tout simplement “acheter” pour surveiller et menacer l'Iran.

 

-          L'Europe, la Russie et l'Inde perdent dans le Cachemire, où la présence pakistanaise, solidement ancrée, empêchent la création d'un corridor de communication entre l'Inde et le Tadjikistan et entre celui-ci et la Russie. La présence pakistanaise empêche d'établir le lien qui aurait pu exister entre nos territoires à l'époque des trois empires juxtaposés, juste avant la catastrophe des invasions hunniques.

 

-          L'Europe perd dans les mers intérieures : l'Albanie, inféodée au binôme américano-turc, surveille le Détroit d'Otrante. Des navires de guerre américains, basés en Albanie, pourraient complètement verrouiller l'Adriatique et étouffer l'économie de l'Italie du Nord, dont l'axe fluvial, le Pô, débouche dans cette Mer Adriatique, au sud de Venise. L'objectif est justement d'empêcher l'éclosion d'une nouvelle Venise, d'une nouvelle “Sérénissime”, dont l'hinterland serait la Mitteleuropa tout entière. L'objectif est aussi d'empêcher l'Europe de rééditer l'exploit de Don Juan d'Autriche, vainqueur de la flotte ottomane à Lépante en 1571. Qui plus est, l'Europe perd tous ses atouts et son allié potentiel dans le Golfe, zone stratégique de première importance pour contrôler notre sous-continent. En effet, à partir de 1941, quand les Britanniques s'emparent tour à tour de l'Irak, de la Syrie et du Liban, puis, avec l'aide des Soviétiques, de l'Iran, ils se dotent d'une base arrière permettant d'alimenter en matières premières, en matériels de tous ordres et en pétrole, les armées concentrées en Egypte, qui s'empareront de la Libye, de la Tunisie et de l'Italie; et aussi d'alimenter les armées soviétiques, via les chemins de fer iraniens, la liaison maritime sur la Caspienne et, de là, via la liaison fluviale de la Volga. Seule la bataille de Stalingrad a failli couper cette artère. Comme l'a souvent souligné Jean Parvulesco, l'Europe est à la merci de toute grande puissance qui tiendrait fermement en son pouvoir la Mésopotamie et les régions avoisinantes. Plus bref, Parvulesco a dit : «L'Europe se tient par le Sud-Est ». La victoire anglo-saxonne et soviétique de 1945 en est la plus belle démonstration. Et c'est parce que cette région est vitale, sur le plan géostratégique, que les Américains tiennent à s'en emparer définitivement aujourd'hui, ne veulent plus la lâcher. Le scénario de base est et reste le même. Nous pourrions citer d'innombrables exemples historiques.

 

Nous sommes ramenés des siècles en arrière

 

Dès lors, cette situation désastreuse nous ramène plusieurs siècles en arrière, au temps où les Ottomans assiégeaient Vienne, où les Tatars étaient solidement installés sur le cours des deux grands fleuves russes que sont la Kama et la Volga, où les sultans du Maroc envisageaient de reprendre pied dans la péninsule ibérique. Oui, nous sommes revenus plusieurs siècles en arrière depuis les événements du Golfe en 1991, depuis les événements de Yougoslavie dans la décennie 90, depuis l'éclatement de la mosaïque caucasienne et la rébellion tchétchène, depuis l'occupation de l'Afghanistan et depuis celle, toute récente, de l'Irak.

 

Cette situation implique :

 

-          Que les Européens doivent montrer une unité de vue inflexible dans les Balkans et contester là-bas toute présence turque, saoudienne ou américaine.

 

-          Que les Européens ôtent toute marge de manœuvre à la Turquie dans les Balkans et dans le Caucase.

 

-          Que les Européens doivent rendre à nouveau toute circulation libre sur le Danube, en englobant la Serbie dans ce projet.

 

-          Que les Européens doivent réaliser une triple liaison par canaux, routes et voies de chemin de fer entre Belgrade et Salonique, soit entre l'Europe centrale danubienne et l'Egée.

 

-          Que les Européens doivent s'assurer la maîtrise stratégique de Chypre, faire pression sur la Turquie pour qu'elle évacue l'île sans condition.

 

-          Que les Européens appuient l'Arménie encerclée contre l'alliance entre Turcs, Américains, Azéris, Géorgiens, Saoudiens et Tchétchènes.

 

-          Que les Européens doivent jouer la carte kurde contre la Turquie.

 

-          Que les Européens appuient l'Inde dans la lutte qui l'oppose au Pakistan, allié des Etats-Unis, dans la question irrésolue du Cachemire.

 

-          Que les Européens mènent une politique arabe intelligente, se basant sur les idéologies nationales-étatiques de type baathiste ou nassériennes, à l'exclusion des intégrismes islamistes, généralement manipulés par les services américains, comme ce fut le cas des talibans, ou des frères musulmans contre Nasser, ou des Chiites contre Saddam Hussein.

 

Les deux anacondas

 

Pratiquer cette géopolitique, à multiples volets, nous conduit :

-          à repenser la théorie de l'anaconda; pour Karl Haushofer, le célèbre géopolitologue allemand, que l'on redécouvre après une longue éclipse, l'anaconda, ce sont les flottes des puissances maritimes anglo-saxonnes qui enserrent le grand continent asiatique et le condamnent à l'asphyxie. Cet anaconda est toujours là. Mais, il est doublé d'un nouvel anaconda, le réseau dense des satellites qui entourent la Terre, nous espionnent, nous surveillent et nous condamnent à la stagnation. Cet anaconda est, par exemple, le réseau ECHELON. L'identité combattante de l'Europe consiste aujourd'hui à apporter une réponse à ce défi. Or le défi spatial ne peut être résolu que par un partenariat avec la Russie en ce domaine, comme le préconise Henri de Grossouvre dans son excellent ouvrage sur l'Axe Paris-Berlin-Moscou.

 

-          A avoir une politique maritime audacieuse, comme celle qu'avait eue Louis XVI en France. L'Europe doit être présente sur mer, militairement, certes, mais doit aussi revendiquer ses droits aux richesses halieutiques. Ensuite, un système de défense des côtes s'avère impératif.

 

-          A affirmer son indépendance militaire, à partir de l'Eurocorps, qui pourrait devenir une "Force de Réaction Rapide” européenne, celle-là même à laquelle la Turquie a opposé son veto naguère.

 

-          A déconstruire les archaïsmes institutionnels qui subsistent encore au sein de l'UE.

 

L'identité politique européenne, seule identité vraiment concrète puisque nous savons depuis Aristote que l'homme est un animal politique, un zoon politikon, réside donc, aujourd'hui, en cette époque de calamités, à prendre conscience de nos déboires géopolitiques, que je viens d'énoncer, et à agir pour promouvoir une politique spatiale, maritime et militaire claire. Il est évident que cette prise de conscience et que ce plan d'action n'aboutiront au succès que s'ils sont impulsés et portés par des hommes qui ont le profil volontaire, actif et lumineux, archangélique et michaëlien, que nous ont légué, il y a plusieurs millénaires, les Européens arrivés sur les hauts plateaux iraniens, pour y donner naissance à la tradition avestique, la seule, la vraie, la Grande Tradition, celle de notre “Orient” pré-persan, noyau de toutes les chevaleries opératives.

 

Je vous remercie pour votre attention.

 

Robert STEUCKERS.

 

Bibliographie :

 

-          Nigel BAGNALL, Rom und Karthago - Der Kampf ums Mittelmeer, Siedler Verlag, Berlin, 1995 [l'édition anglaise date de 1990, juste avant la succession des événements sanglants dans l'ex-Yougoslavie].

-          Jacques BERTIN, Jean DEVISSE, Danièle LAVALLÉE, Jacques NÉPOTE & Olivier BUCHSENSCHUTZ, Atlas historique universel - Panorama de l'histoire du monde, France Loisirs, Paris, 1997.

-          Emil BOCK, Der Kreis der Jahresfeste - Advent - Weihnacht - Epiphanias - Passion - Ostern - Himmelfahrt - Pfingsten - Johanni - Michaeli, Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt a. M., 1982.

-          Jean BOISSEL, Gobineau (1816-1882), un Don Quichotte tragique, Hachette, 1981.

-          Jacqueline BUENZOD, La formation de la pensée de Gobineau et l'Essai sur l'inégalité des races humaines, Librairie A. G. Nizet, Paris, 1967.

-          René CAGNAT, La rumeur des steppes, Payot, PBP n°408, 2001.

-          Franco CARDINI, Europe et islam - Histoire d'un malentendu, Seuil, coll. «Points»/Histoire, H302, 2002.

-          Claude COLLIN-DELAVAUD, «Le Xinjiang», in : Hérodote, n°84, 1997.

-          Jean-Pierre CLERC, L'Afghanistan, otage de l'histoire, Essentiels Milan, n°212, Toulouse, 2002.  

-          Henry CORBIN, L'homme de Lumière dans le soufisme iranien, Ed. Présence, Sisteron, 1971.

-          Franck DE LA RIVIÈRE, L'Europe de Gibraltar à Vladivostok, L'Age d'Homme, Lausanne, 2001.

-          Paul DU BREUIL, Des dieux de l'ancien Iran aux saints du bouddhisme, du christianisme et de l'islam, Dervy-Livres, 1989.  

-          Paul DU BREUIL, La chevalerie et l'Orient, Guy Trédaniel éd., Paris, 1990.

-          Jean GAGÉ, La montée des Sassanides et l'heure de Palmyre, Albin Michel, 1964.

-          Henri de GROSSOUVRE, Paris Berlin Moscou - La voie de l'indépendance et de la paix, L'Age d'Homme, Lausanne, 2002.

-          René GROUSSET & George DENIKER, La face de l'Asie, Payot, 1955.

-          Nicky HAGER, «ECHELON - Sottoposti al sistema di sorveglianza globale»,  in: Orion, n°179, août 1999 (source : www.ainfos.ca & www.tmcrew.org ).

-          François-Bernard & Edith HUYGHE, Les empires du mirage - Hommes, dieux et mythes sur la Route de la Soie, Robert Laffont, 1993.

-          Pierre LERICHE, Chakir PIDAEV, Mathilde GELIN, Kazim ABDOULLAEV & Vincent FOURNIAU, La Bactriane au carrefour des routes et des civilisations de l'Asie centrale - Termez et les villes de Bactriane-Tokharestan, Maisonneuve & Larose / IFÉAC, 2001.

-          Edward LUTTWAK, La grande stratégie de l'Empire romain, Economica, 1987.

-          Colin McEVEDY, The Penguin Atlas of Ancient History, Penguin Books, Harmondsworth, 1967-1981.

-          J. P. MALLORY & Victor H. MAIR, The Tarim Mummies. Ancient China and the Mystery of the Earliest Peoples from the West, Thames & Hudson, London, 2000.

-          S. A. NIGOSIAN, The Zoroastrian Faith - Tradition & Modern Research, McGill-Queen's University Press, Montreal/Kingston/London, 1993.

-          Jean-Paul ROUX, Histoire des Turcs - Deux mille ans du Pacifique à la Méditerranée, Fayard, 1984.

-          Hans-Werner SCHROEDER, Mensch und Engel - Die Wirklichkeit der Hierarchien, Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt a. M., 1982-89.

-          SOHRAVARDI, L'archange empourpré - Quinze traités et récits mystiques (traduits du persan e de l'arabe par Henry CORBIN), Fayard, Paris, 1976.

-          Max STEENS, «L'Irak contre les Mongols ou Saddam Hussein géopolitologue!», in : Au fil de l'épée, Recueil n°41, janvier 2003.

-          François THUAL, Le Caucase, Flammarion, coll. «Dominos», n°227, 2001.

-          Herwig WOLFRAM, Histoire des Goths, Albin Michel, 1990.

 

Revues :

 

-          Muséart Hors Série n°4, 1995 - La Sérinde, Terre du Bouddha.

-          Dossiers d'Archéologie, n°271/mars 2002 - Les Parthes.

-          Dossiers d'Archéologie, n°270/février 2002 - Russie : carrefour de l'homo sapiens - Les révélations de l'archéologie russe.

-          Dossiers d'Archéologie, n°266/septembre 2001 - L'Or des rois scythes - La civilisation originale des Scythes - Les Grecs en Mer Noire - Les témoignages d'Hérodote.

 

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jeudi, 31 janvier 2008

Synergies Européennes: vie du mouvement (déc.07 - janv. 08)

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Synergies Européennes – Décembre 2007/Janvier 2008

http://euro-synergies.hautetfort.com

http://vouloir.hautetfort.com 

Vie du mouvement

SINT-PIETERS-LEEUW / PAYOTTENLAND : Le 1 décembre 2007 s’est tenu le congrès annuel des associations identitaires, où a eu lieu un débat entre Alain Soral (ex-communiste devenu frontiste) et Eddy Hermy (ancien maoïste et ex-blokker en Flandre, qui appelle aujourd’hui à la restauration d’un nouveau solidarisme populaire) ; le débat entre ces deux personnalités fut animé par Robert Steuckers. Un rapport sur ce débat a été rédigé d’abord en langue néerlandaise (cf. 4 déc. 2007 sur http://euro-synergies.hautetfort.com ) puis a été traduit en français par Georges Hupin, président de la Bannière Terre & Peuple de Wallonie (cf. infra). L’intérêt du débat est de montrer l’inanité des oppositions entre anciennes gauches et anciennes droites face à un ennemi commun qui est le néo-libéralisme et la globalisation, perspective déjà mise en exergue par Roger Garaudy et Jean-Marie Domenach (revue « Esprit »), juste avant le scandale dit des « rouges/bruns », qui fut déclenché par « Le Monde » à Paris en 1993. L’établissement, avec ses « chiens de garde » étiquetés de « gauche » mais dépourvus de toute audace politique, pour reprendre la terminologie polémique de Serge Halimi, ne voulait pas de la convergence rêvée par Garaudy, déjà bien avant son exclusion du PCF, comme l’atteste d’ailleurs clairement son œuvre philosophique. Notons aussi que ce débat entre identitaires et anciens militants communistes et maoïstes, dans le beau Payottenland brabançon, suivait de quelques jours un débat analogue tenu à Vienne, sous les auspices de l’hebdomadaire « zur Zeit », où le journaliste Dimitrij Grieb publiait simultanément un article d’introduction générale à la problématique du passage des anciens soixante-huitards dans le camp identitaire en Allemagne et en Autriche, suivi de deux entretiens : 1) avec l’ancien socialiste autrichien et secrétaire du Chancelier Kreisky, Günther Rehak (qui avait pris la parole avec Scrinzi et Steuckers à Vienne le 28 octobre 2007) ; et 2) avec le Prof. Bernd Rabehl, ancien bras droit de Rudi Dutschke.

LIMA / PEROU : Parution, le 2 décembre 2007, sur le blog du Professeur péruvien Eduardo Hernando Nieto d’un texte déjà ancien de Robert Steuckers consacré à la figure du frère d’Ernst Jünger, Friedrich-Georg. Intitulé en espagnol « La Perfeccion de la Tecnica : F. G. Jünger », ce texte est accessible sur : http://eduardohernandonieto.blogspot.com . Précisons que ce blog, d’un intérêt cardinal pour nous tous, recèle une véritable mine d’or d’articles sur Léo Strauss, Carl Schmitt, Erich Voegelin, Julius Evola, etc. Pour en savoir plus, se référer à la fiche que consacre l’encyclopédie « Wikipedia », version française, à la personnalité et l’œuvre d’E. H. Nieto. Le texte de Steuckers sur F. G. Jünger est une nouvelle mouture en langue castillane de son étude parue en 1992 dans l’ « Encyclopédie des Œuvres Philosophiques » des Presses Universitaires de France. Il avait aussi servi de base à un exposé lors de l’Université d’été du GRECE, près d’Aix-en-Provence, en 1991.

BRUXELLES : Pierre Emile Blairon, directeur de la revue « Hyperborée », publiée en Provence, est venu animer un dîner-débat à Bruxelles, le 21 décembre 2007. Il a présenté les derniers numéros de sa publication, notamment le n°5, où Paul-Georges Sansonetti analyse les symboles et figures du Chaudron de Gundestrup ; Paul Catsaras évoque les sept degrés de l’ordre mithriaque. Le Professeur Jean Haudry, dans une contribution très fouillée, comme d’habitude, et intitulée « Du ciel de pierre au ciel dans la pierre », retrace les fondements même de la cosmogonie indo-européenne, à partir des recherches antérieures de Roth, Schmidt, Reichelt, Hopkins, Biezais, Maher, Arena, Huld, Lazzeroni, Crevatin, Gamkrelidze et Ivanov. Cette étude magistrale sera poursuivie dans les numéros prochains d’ « Hyperborée ». Alain Cagnat, dans la rubrique « Notre Europe », évoque de manière assez exhaustive et poignante « Chypre d’Aphrodite à Attila », déplorant le vandalisme effroyable qui a suivi l’invasion turque de l’île en 1974. Pierre Emile Blairon signe un article sur Jean Giono, avant de republier un article de cet écrivain provençal, titré « Le bourdonnement des abeilles ». Ludovic Dorant signe « De la signification véritable de la ‘tête de Maure’ du drapeau corse ». Lors de cette soirée bruxelloise du 21 décembre, Blairon a également présenté au public la thèse originale qui sous-tend son avant-dernier ouvrage : « La Dame en signe blanc – Marie-Madeleine, la déesse des origines », où l’on trouve surtout une hypothèse nouvelle sur la bataille ayant opposé les légions romaines, réorganisées par Marius, aux Cimbres, Teutons et Ambrons dans la région d’Aix-en-Provence (Aquae Sextiae) en 102 av. notre ère. Cette soirée a servi à faire connaître également l’ouvrage de Paul-Georges Sansonetti, « Chevalerie du Graal et Lumière de Gloire », paru à Menton en 2002 aux éditions Exèdre. La notion de « Lumière de Gloire », issue tant des traditions perses (« Kvarnah ») que du cycle arthurien, partiellement introduit par les cavaliers sarmates de Rome dans les Iles Britanniques, intéresse tous ceux qui, par tâtonnements successifs, entendent, à terme, relancer l’idéal des « Perséides » qui avait animé Marc. Eemans et René Baert, fondateurs, avant-guerre, de la revue « Hermès ». Référence d’ « Hyperborée » : www.hyperboreemagazine.fr (service librairie à partir du site).

LILLE : Le 22 décembre 2007, à l’invitation de la Bannière Terre & Peuple de Flandre-Hainaut-Artois, présidée par Pierre Loubry, Robert Steuckers a présenté, en la résumant, son étude parue sur les sites « be.altermedia.info » et « fravahr.com » consacrée à l’histoire, l’actualité et la géopolitique du fait iranien. Cette conférence solsticiale avait pour but de cerner l’enjeu de six faisceaux de faits relatifs à l’histoire iranienne : 1) les prémisses proto-historiques de l’histoire iranienne » ; 2) La constance territoriale de l’Empire perse (de -1600 à nos jours), avec la notion de périphérie septentrionale (la Bactrie) où se massaient, avant l’arrivée des Huns et des Turco-Mongols les peuples nomades indo-européens qui régénéraient l’Empire à intervalles réguliers ; 3) La longue lutte entre Rome et les Parthes, puis entre la Perse et Byzance, jusqu’à l’épuisement de ces deux puissances et l’avènement de l’islam ; 4) La conquête islamique de la Perse, de sa périphérie septentrionale jusqu’à la bataille de Talas en 751 ; le maintien d’une spécificité perse après cette conquête, avec les Samanides, les Bouyyides et Mahmoud de Ghazni ; la renaissance culturelle persane avec Ferdowsi, Omar Khayyam et la mystique de Sohrawardi ; 5) Le 16ième siècle des Séfévides ; 6) le déclin définitif de l’ancienne puissance persane après Nader Shah Afschar (1729-1747). La seconde partie de l’exposé concernait l’Iran moderne sous les Shahs de la dynastie Qadjar, les interventions britanniques et la volonté de Londres de n’autoriser aucune expansion persane en direction de l’Afghanistan dès 1837 ; le rôle subversif des Babis constitutionalistes soutenus par les Britanniques. Steuckers a ensuite évoqué la renaissance iranienne sous l’impulsion de Reza Khan Pahlavi, les événements très importants de la seconde guerre mondiale en Iran, le règne chahuté de son fils Mohammed Reza Shah Pahlavi avec l’affaire Mossadegh, la crise de l’OPEP, les projets de « révolution blanche », la révolution islamiste soutenue au départ par les Etats-Unis (ce que l’on a tendance à oublier aujourd’hui !!). Dans cette dernière partie de son exposé, Steuckers a surtout utilisé deux documents fort négligés par les historiens, observateurs et journalistes actuels : les mémoires du dernier Shah et celles de son ancien ministre de l’éducation Houchang Nahavandi, mort en exil à Bruxelles récemment.

BRUXELLES : Sous la direction de Robert Steuckers, lecture critique, le 27 décembre 2007, pour quelques stagiaires bruxellois, liégeois et lillois, du petit livre de Régis Debray, « L’obscénité démocratique », où l’ancien compagnon du Che et ministre de Mitterrand, en dépit d’un charabia républicaniste français qui échauffe nos oreilles de bons Impériaux, plaide en faveur d’une majesté et de pompes étatiques, ce qui le rapproche de Carl Schmitt, grand avocat de la représentation et de la visibilité du pouvoir direct (et de l’Eglise dans sa « forme catholique »). Sans cette nécessaire visibilité, le pouvoir est occulté, devient « potestas indirecta », ce que Schmitt désapprouve, car derrière toute « potestas indirecta » il subodore complots et intrigues anti-démocratiques. Pour Debray, le pouvoir doit découler de l’assemblée, du parlement, du peuple et non pas de médias qui décident de ce qui est bon ou mauvais pour le bien public, en dehors de toute visibilité publique.

PARIS : Le 23 décembre 2007, le site consacré en France à l’œuvre politique du Président russe actuel, Vladimir Poutine, a repris in extenso le texte sur l’Iran de Robert Steuckers, affiché antérieurement sur « be.altermedia.info » et « fravahr.com » (rédigé par des Iraniens en exil). Référence : http://vladimir-poutine.activblog.com/article-205018.html...

LIEGE / VERVIERS : Les stagiaires principautaires de l’école des cadres, animé cette fois par Luc Moulinat, ont eu pour lecture en novembre-décembre le travail de Matthieu Baumier, « La démocratie totalitaire – Penser la modernité post-démocratique », paru aux Presses de la Renaissance en 2007. La teneur de cet ouvrage se situe bien dans le sillage de Bernanos, ce qui relie le travail de nos amis liégeois et verviétois à celui de nos amis du Brabant wallon (cf. infra). Pour Baumier, la post-démocratie, qui est notre régime monstrueux et irréaliste actuel, inverse le réel du monde et le réel de la Personne humaine, précipitant nos sociétés dans le vide et la vacuité totale.

BRUXELLES : Le 30 décembre 2007, Ivan de Duve lance sur le net une excellente recension du dernier livre de Jean Parvulesco, intitulé « Dans la forêt de Fontainebleau », que nous afficherons dès que possible sur notre propre site http://euro-synergies.hautetfort.com dans la rubrique consacrée à Jean Parvulesco. Le livre est paru aux éditions « Alexipharmaque ».

GAND : Dans les cercles « synergétistes » de Gand, fonctionnant en langue néerlandaise, les stagiaires ont étudié l’œuvre de Mircea Eliade, en particulier « Le sacré et le profane ». Selon les principes de fonctionnement, jadis mis au point par Philippe Banoy, les stagiaires doivent lire les classiques directement dans le texte, afin d’avoir des bases solides pour poursuivre ultérieurement leur quête intellectuelle. On apprend que le résultat du travail de nos amis gantois, soit une conférence sur Eliade clé sur porte, sera bientôt « exporté » à Leuven ! Viralité synergétiste oblige !

BUDAPEST : Le site hongrois www.antidogma.hu a publié le 29 décembre 2007 quelques extraits d’un entretien de Robert Steuckers sur les événements et la géopolitique du Moyen et du Proche-Orient sous le titre de «  Irany Mezopotàmia – Iszlam terfoglalàs az amerikai strategiai jà tszma tükrében ».

NANTES : Le site « voxnr.com », animé par l’infatigable Christian Bouchet, publie fin décembre trois textes issus des travaux de « Synergies Européennes » : 1) La traduction française de l’entretien avec Bernd Rabehl, ancien bras droit de Rudi Dutschke à Berlin, qu’avait réalisé Dimitrij Grieb pour l’hebdomadaire viennois « zur Zeit » ; 2) L’excellent texte de l’orientaliste flamand, qui signe la rubrique « Ex Oriente Lux » dans l’hebdomadaire anversois « ‘t Pallieterke », sur les Sikhs et la Khalsa ; 3) l’article historique de Saverio Borgheresi sur la conquête américaine des Philippines, paru préalablement dans le quotidien romain « Rinascita » (dont Bouchet est le correspondant en France). Référence : http://www.voxnr.com .

BRABANT WALLON : Dans ce « Roman Païs » de l’ancien duché impérial du Brabant, sous la dynamique impulsion de Max Steens, qui aime sortir des sentiers battus, même ceux qui ne sont battus que par les « nôtres », trois thématiques ont été mises en exergue depuis novembre 2007 : 1) Une relecture innovante de Georges Bernanos, dans le sillage que nous avait indiqué Laurent Schang, il y a quelques années ; Steens a proposé aux stagiaires et sympathisants de relire les textes d’après la seconde guerre mondiale, notamment certaines conférences de 1946, où notre écrivain français, pourtant hostile au fascisme et au nazisme pendant la deuxième « grande conflagration », ne salue pas la victoire de l’américanisme et du bolchevisme (pour reprendre la terminologie de Heidegger) et constate avec effroi l’abomination dans laquelle sera très vite jeté notre monde : celui-ci sera concentrationnaire car la démocratie moderne participe, selon Bernanos, de la même perversité concentrationnaire que le nazisme qu’elle a si vigoureusement combattu. L’administration bureaucratique, hypertrophiée et obèse (Baudrillard) qu’elle génère, tel un cancer, est le reflet le plus patent de cette perversité concentrationnaire. 2) Vu la forte concentration de romanistes et de philosophes issus de Louvain-la-Neuve dans le cercle des amis de Steens, la deuxième thématique est l’œuvre de René Girard, « Mensonge romantique et vérité romanesque ». Pourquoi mobiliser Girard ? Lubie de Steens ? Non, répond-il, avec la véhémence enthousiaste qu’on lui connaît : Girard a entamé une recherche sur la mimésis et le désir triangulaire (que l’on retrouve chez Freud et Hegel), présents dans les œuvres, classiques autant que cardinales, de Cervantès, Stendhal, Proust, Dostoïevski. L’objectif est de former, bien évidemment, des professeurs de français, de morale laïque ou de religion, capables de dire autre chose à leurs étudiants (en dépit de l’effondrement culturel actuel) que les banalités imposées par le nouvel univers concentrationnaire à drapeau démocratique, que dénonçait Bernanos. 3) La troisième thématique repose sur un ouvrage moins vaste mais très pertinent, celui de Richard Millet, « Désenchantement de la littérature », où l’auteur dénonce et fustige l’effondrement de l’école et de la langue, avec force références à Nietzsche et Heidegger. Pour Millet, cette chute cataclysmique entraîne une mutation ontologique de l’être humain.

DUISBURG / RUHRGEBIET : Le 5 janvier 2008, forum de discussion islamique (sunnite) www.ahlu-sunnah.de publie en enregistrement vocal deux conférences tenues lors du congrès de la « Gesellschaft für freie Publizistik » de 2006, celle, remarquable de Safet Babic (« Historische Angriffe der Türken gegen Europa am Beispiel Bosniens ») et celle de Robert Steuckers, intitulée « Kampf der Kulturen ». Ce titre peut faire penser qu’il s’agit de digressions sur le travail de Samuel Huntington, dans une perspective néo-conservatrice. Il n’en est rien. Cette conférence visait à dénoncer l’ennemi principal, c’est-à-dire les Etats-Unis, dans la perspective schmittienne de « raumfremde Macht », de « puissance étrangère à notre espace européen/eurasien », mais, simultanément, de dresser la liste des alliés musulmans des Etats-Unis, en l’occurrence certains filons dérivés de matrices hanbalites et wahhabites qui n’ont eu de cesse de ruiner les puissances musulmanes intelligemment syncrétistes ou de détruire les ressorts du nationalisme arabe issus de la pensée politique et pratique de Michel Aflaq, de Gamal Abdel Nasser et de Saddam Hussein, un nationalisme qui pouvait, lui, être un allié de l’Europe, contrairement aux avatars du hanbalisme et du wahhabisme qui ont plus d’un trait commun avec le fondamentalisme puritain, formant le socle de l’américanisme le plus agressif, ce qui explique l’alliance entre ces extrémismes religieux, monothéistes et messianiques, contre toute autre façon de concevoir la politique. Dans le contexte allemand, les arguments de Steuckers rejoignent en gros ceux de Peter Scholl-Latour. Dans le contexte français, ils rejoignent ceux de toute une série de géopolitologues qui ont analysé l’histoire de la Turquie (dont Jean-Paul Roux), de l’Iran (Roux également, ainsi que Bernard Hourcade) ou de l’Arabie Saoudite. Le texte de la conférence (du moins la version écrite à paraître) contient une analyse assez fouillée de l’histoire de ce pays et du wahhabisme, qui puise notamment dans l’œuvre de Benoist-Méchin. On trouve les deux conférence de Babic et Steuckers directement sur http://www.file-upload.net

MADRID : La version espagnole de l’encyclopédie en ligne « Wikipedia » consacre une entrée asses brève au général et géopolitologue autrichien Heinrich Jordis von Lohausen, avec comme document le texte de Robert Steuckers, ayant servi d’éditorial au numéro de « Vouloir » sur la géopolitique et dédié au Général. Ce texte est intitulé « Hommage au Général-Baron Heinrich Jordis von Lohausen à l’occasion de son 90ième anniversaire ». Source : http://es.wikipedia.org/

BRUXELLES : Parution du 293ième numéro du « Bulletin célinien », œuvre de l’infatigable Marc Laudelout, avec, notamment, les contributions suivantes : P. L. MOUDENC, « Albert Paraz, 50 ans après » ; Marc LAUDELOUT, « Jacques Brenner et Dominique de Roux » ; Marc LAUDELOUT, « P. A. Cousteau, Céline et la Quatrième République » ; Marc LAUDELOUT, « La mort de Montandon » ; Frédéric SAENEN, « Les revues littéraires sous l’Occupation » ; Jean-Paul LOUIS, « L’Année Céline 2006 » ; etc. Adresses : Bulletin Célinien, BP 70, B-1000 Bruxelles 22 – Belgique ; celinebc@skynet.be ; site : http://louisferdinandceline.free.fr/

LOZANNE : Parution du n°34 de la revue « Terre & Peuple », dirigée par Pierre Vial. Les thématiques centrales de ce numéro seront discutées lors des soirées organisées par le mouvement « T&P » à Bruxelles, Liège ou Charleroi. Nous retiendrons pour notre part les articles suivants : Jean HAUDRY, « La cruche de Brno » ; Dr. Pierre COSTAZ, « La Déesse-Mère de Notre Dame de la Vie » ; H. P. FALAVIGNA, « La prise d’otages de Beslan et les perspectives d’avenir de la politique russe » ; Tomislav SUNIC, « L’histoire victimaire comme identité négative » (cf. http://doctorsunic.netfirms.com ). Le dossier central de ce numéro étant consacré aux Balkans et au Kosovo, les débats qui tourneront autour de cette publication nous permettrons de réactiver toute la documentation que « Synergies Européennes » a rassemblée sur la géopolitique et l’histoire de cette région d’Europe.

BRUXELLES : Le numéro 74 de « Renaissance Européenne », organe de « T&P-Wallonie », reproduit un texte de « Synergies Européennes » : celui de Günther Deschner, intitulé « La CIA en Allemagne », dénonçant les manipulations et les coups tordus des services secrets américains en Allemagne de l’Ouest, pendant et après la Guerre Froide. L’original allemand était paru en janvier 2007 dans l’hebdomadaire berlinois « Junge Freiheit ». Signalons aussi que « Renaissance Européenne » n°74 nous livre un compte-rendu détaillé sur le colloque identitaire de Sint-Pieters-Leeuw (cf. supra) du 1 décembre 2007. Il reproduit en traduction française un compte-rendu rédigé par un de nos amis gantois ; le texte de Pierre Vial, qui a été lu en son absence ; l’allocution de Kris Roman, dirigeant de l’association « Eurorus ». Signalons encore d’amples recensions des revues « Terre & Peuple » (n°33) et « Hyperborée » (cf. supra) (n°5). Adresse : Renaissance Européenne, Secrétariat, Avenue G. Mullie 55/13, 1200 Bruxelles.

PARIS : Le 7 janvier 2007, le site http://vertusetcombat.unblog.fr fait paraître à son tour le texte de « Moestasjrik », pseudo (*) bien plaisant de l’orientaliste flamand qui œuvre dans la rédaction du « ‘t Pallieterke », sur les Sikhs et la Khalsa. Rappelons que le site « Vertus et Combat » a déjà publié plus d’un texte émanant des anciennes publications de « Synergies Européennes », ainsi que de nouveaux textes, diffusés sur le net.

(*) en français la traduction de ce pseudonyme équivaudrait à « Riri la Moustache ».

RIJKS-VLAANDEREN / FLANDRE IMPERIALE : Basé en Flandre Impériale, dans le triangle Alost/Termonde/Erembodegem, patrie de Marc. Eemans, le site multilingue « European Friends of Russia » fait paraître le 8 janvier 2008 un texte de Robert Steuckers intitulé « Restauration poutinienne et nouvelles perspectives géopolitiques ». Référence : http://efr.skynetblogs.be

DENDERMONDE (TERMONDE) : Le site « Eurorus », animé par Kris Roman, publie en date du 8 janvier 2008, le texte de Robert Steuckers, « Restauration poutinienne et nouvelles perspectives géopolitiques ». Ce texte est ensuite repris en date du 28 janvier 2008. Référence : http://eurorus-altermedia.info

PARIS : Le 9 janvier 2008, le site http://vertusetcombat.unblog.fr publie un texte de Robert Steuckers, datant de 1991 : « Individu ou Communauté ? A propos de la querelle qui oppose le GRECE au Club de l’Horloge ». Ce texte prévient contre toutes les dérives libérales fondées sur la méthodologie individualiste chère à Hayek. Il rappelle également les stratégies sociales gaulliennes de l’intéressement et de la participation.

PARIS : Le site de la revue « Vouloir », qui collationne également les archives de l’EROE des années 80, publie le 10 janvier 2008, le texte de Saverio Borgheresi, « Quand les Philippines devinrent colonie américaine », paru naguère dans le quotidien romain « Rinascita ». Ensuite, même jour, « Le fascisme entre Orient et Occident » de Michelangelo Ingrassia, paru en 2000 dans le mensuel romain « Area ». Le 9 janvier, le site avait affiché « La symbolique politique du Loup » de Karlheinz Weissmann, paru auparavant dans l’hebdo berlinois « Junge Freiheit ». Le site de « Vouloir » prend le relais de « Synergies/France » à Paris. Références : http://vouloir.hautetfort.com . Signalons également que ces textes sont repris sur un autre site : http://technocrati.com/blogs/vouloir.hautetfort.com...

PARIS : Le 10 janvier 2008, le site « Catalaxia » (http://constitutiolibertatis.hautetfort.com...) fait paraître sur la grande toile un texte diffusé en traduction française par « Synergies Européennes » : « Ernst Kantorowicz, biographe de Frédéric II de Hohenstaufen », dû à la plume de Stefan Pietschmann et paru en 2000 dans les colonnes de l’hebdomadaire berlinois « Junge Freiheit ». Ce texte doit servir d’introduction à la longue étude qu’avait préparée Max Steens pour l’Université d’été 2000 de « Synergies Européennes », tenue à Groppello di Gavirate en Lombardie. Cette étude est régulièrement présentée aux stagiaires de « Synergies Européennes ».

STRASBOURG : Le site alsacien de l’agence de presse « novopress » (http://alsace.novopress.info ) a repris, le 13 janvier 2008, l’entretien accordé à Dimitrij Grieb, de l’hebdo viennois « zur Zeit », par le Professeur Bernd Rabehl, ancien bras droit de Rudi Dutschke. Cet entretien avait été traduit par Robert Steuckers et déjà diffusé par « voxnr.com » (cf. supra).

GAND : Le 13 janvier 2008, le site officiel des étudiants nationalistes flamands (NSV), http://www.nationalisme.info/archieven/2008/01.html... publie dans sa rubrique « Archives » un entretien que Robert Steuckers avait accordé il y a quelques années à la revue flamande « Branding » sur la question turque. Intitulé « Turkije behoort niet tot de EU ». Cet entretien, au fond, n’est plus fort actuel car, à la suite des derniers événements en Irak, notamment dans le Kurdistan irakien, la position de la Turquie a changé. Nous étions contraints de la fustiger avec fougue au moment de l’invasion otanesque des Balkans, où le tandem Clinton / Albright envisageait, avec l’aide d’Ankara, de forger la fameuse « dorsale verte » ou « dorsale islamique » entre la Mer de Marmara et l’Adriatique, ce qui était fondamentalement contraire aux intérêts géopolitiques et géostratégiques de l’Europe. C’était un retour du facteur ottoman dans le sud-est de notre sous-continent. La présence américaine en Irak, et surtout dans la région de Mossoul qui revient de droit à la Turquie, a changé la donne : l’opinion publique turque n’est plus guère américanophile et l’anti-américanisme turc constitue un système conceptuel intéressant à suivre. L’entretien de Steuckers à « Branding » évoque toutefois l’accord qui pourrait émerger entre une Europe redevenue « impériale » et la Turquie sur Mossoul mais sans développer cet argument et sans parler du nouvel anti-américanisme turc.

PARIS : Le 15 janvier 2008, le site http://vertusetcombat.unblog.fr affiche un texte diffusé par « Synergies Européennes » : « Globalisation, néo-libéralisme et ‘homme flexible’ » de Brigitte Sob. L’original était paru dans l’hebdomadaire viennois « zur Zeit », fin 2007.

LISBONNE : Le 15 janvier 2008, le site http://pt.novopress.info publie sous le titre de « Cronica belga : Um português na « 4ième fête de l’identité » un reportage du journaliste Duarte Branquinho sur le colloque tenu le 1 décembre 2007 à Sint-Pieters-Leeuw, avec la présence d’Alain Soral et d’Eddy Hermy (cf. supra). Il est aussitôt repris, le même jour, par un autre site portugais, http://penaeespada.blogspot.com .

PARIS : Le 16 janvier 2008, le site http://www.insolent.fr/2008/01/maurras-pre-put.html... publie une étude intéressante de Jean-Gilles Malliarakis, intitulée « Maurras, père putatif des souverainistes. Mais l’ont-ils seulement lu ? ». Cette étude critique du souverainisme français contemporain a le mérite de venir de France et d’être issu d’une plume (et d’une voix…) qui ne ménage jamais ses efforts pour défendre et sa patrie française et sa grande patrie européenne. Elle doit être lue et relue, surtout aux « écoles de cadres ».

AMSTERDAM : Le 17 janvier 2008, le site http://nl.novopress.info republie un entretien déjà fort ancien que Robert Steuckers avait accordé à la revue étudiante flamande « Branding », sur le question, turque (« Turkije behoort niet tot de EU » / « La Turquie n’a rien à faire dans l’UE ») (cf. supra).

PARIS : Le 17 janvier 2008, le site français http://vertusetcombat.unblog.fr affiche la liste de tous les nouveaux articles disponibles sur le site http://euro-synergies.hautetfort.com entre le 1 et le 31 décembre 2007.

PARIS : Le très beau site de stratégie et de questions militaires, « Theatrum Belli » (http://theatrumbelli.hautetfort.com) reprend un texte diffusé récemment par « Synergies Européennes », dû à la plume de Karl Weinhold, célébrant l’appel, en janvier 1919, à former un parlement indépendantiste irlandais en dépit du refus des autorités britanniques.

LIEGE / VERVIERS : Pour janvier-février, regroupés autour de Xavier Hottepont et Philippe Banoy, les stagiaires liégeois et verviétois de l’école des cadres auront pour tâche de lire un texte court et classique de Marcel De Corte, intitulé « De la dissociété », paru aux éditions Remi Perrin, et de comparer la teneur et les arguments de l’opuscule dense de De Corte, qui fut, rappelons-le, professeur de philosophie à l’Université d’Etat de Liège, à ceux avancés par un livre actuel, au ton bien moins traditionaliste et où l’on trouve assez souvent des accents propres à la « gauche plurielle », celui de Jacques Généreux, « La Dissociété », paru au Seuil en octobre 2006. Généreux pose comme thèse principale que les sociétés authentiques, c’est-à-dire celles qui ne sont pas disloquées par le phénomène de la ‘dissociété’, sont soudées par la solidarité et le primat du bien commun. Solidarité et bien commun qu’il entend faire revivre sinon restaurer. Dans la perspective d’un nouvel engouement pour l’idéal de solidarisme en Flandre aujourd’hui, la lecture de ces deux ouvrages nous paraît intéressante voire impérative. A noter également que les équipes de Bruxelles et de Flandre Impériale préparent, sur la même thématique, une journée de lecture sur le livre de Marie-Claude Blais, « La solidarité – Histoire d’une idée », Gallimard, 2007. Livre qui sera lu conjointement aux pages sur cette même thématique de la solidarité, parues dans l’œuvre encyclopédique de Sirinelli sur les droites en France.

 

 

 

 

 

 

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lundi, 07 janvier 2008

Du dextrisme

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Un texte de la polémique interne aux "Nouvelles Droites", qui fit rage en 2000. Elle mérite une lecture attentive, mais avec le recul voulu...

 

Patrick CANAVAN :

Du Dextrisme

 

Dans le cadre du débat qui agite la nouvelle droite française, Patrick Canavan, collaborateur de Vouloir et de Nouvelles de Synergies Européennes, présente sa propre définition du "dextrisme", néologisme qui doit désigner, selon lui, le microcosme néo-droitier. Il est clair que Canavan prend parti pour l'orientation Faye/Vial, tout en restant critique.

 

"Soyons des donneurs de sens" (Pierre Vial).

 

" Notre terre, c’est l’Eurosibérie, l’Empire du Soleil, le domaine d’Apollon et de Dionysos, de l’Atlantique au Pacifique, immense espace sur le quel le soleil ne se couche jamais " (Guillaume Faye).

 

Parallèlement au numéro 11 de Vouloir, dossier important con­sacré aux nouvelles droites, il a paru bon d’évoquer les ré­centes publications issues de cette mouvance dextriste pour apprécier comment sont analysés les principaux enjeux idéologiques de l’an 2000. Par Nouvelle Droite, on entend généralement le GRECE groupé autour du seul Alain de Be­noist. Parler de nouvelles droites, au pluriel et sans majus­cule paraît plus fidèle à la réalité. Le terme "dextrisme" pourrait définir un état d’esprit, une vision de l’homme et du monde dont nul n’a le monopole et ignorant l’orthodoxie.

Pierre Vial, professeur d’histoire médiévale à Lyon III, fon­dateur du GRECE (en mai 68!) et animateur de Terre et Peu­ple s’est plié au jeu de l’entretien avec O. Chalmel qui dirige la revue de cette association pour une culture en­racinée (1). Le résultat est excellent: l’entretien est vivant, libre et nous apprend énormément sur le personnage, nettement plus complexe que l’image du militant national-populiste habituellement colportée. Guillaume Faye paie sa dette intellectuelle et spirituelle à son vieil ami dans une belle préface: Vial fut, avec G. Locchi, J. Mabire, D. Venner, l’un des maîtres du jeune Faye, qui s’imposa vite comme l’un des principaux esprits, sans doute le plus novateur, du GRECE, dès 1973. Faye définit bien Vial comme une sorte de moine-soldat, perdu dans ce stupide XXème siècle... Pour le XXIème, je n’en dirais pas autant puisqu’il verra se réincarner - comme Faye l’a bien montré dans son Archéofu­turisme - des figures plus qu’anciennes. Vial est de celles-ci. On pense aussi au sanglier, qui "n’attaque que pour se dé­fendre", mais alors quelle charge! Et c’est vrai que la prose de Vial dégage un fumet de gibier, de fortes odeurs fo­restières qui peuvent heurter les narines de certains, plus habitués à la nouvelle cuisine.

 

Faye définit aussi l’association Terre et Peuple - allusion clai­re au sang et au sol, ce qui se transmet de générations en générations - comme " la principale force de combat et d’action métapolitique et culturelle pour l’idée européenne ". Il rappelle aussi que la métapolitique bien comprise n’est jamais entièrement coupée du politique, sous peine de neu­tralisation. On ne demande certes pas aux théoriciens de coller des affiches ni d’abdiquer leur esprit critique, mais de ne pas démobiliser ceux qui se sentent faits pour le combat au quotidien, les militants.

 

La lourde hérédité de Pierre Vial

 

Celui qui s’est imposé comme l’un des spécialistes de l’Or­dre du Temple, est manifestement fier de ses ascendances lyonnaises et mal-pensantes: un ancêtre blanquiste, un autre poilu de la Grande Guerre, on voit que l’hérédité du Pro­fes­seur est lourde. A lire ses évocations du Lyon de sa jeu­nesse, de son père bonapartiste, on comprend mieux l’or­ganicisme quasi obsessionnel de P. Vial, cette conception très charnelle de l’héritage. D’avoir vu son père pleurer le jour de la chute de Diên Biên Phu a marqué cet adolescent à jamais, l’entraînant sur des chemins périlleux dont il n’a pas dévié d’un pouce. Itinéraire impeccable, via recta qui forcent le respect, même si l’on nuancera tel ou tel point. Mais l’essentiel est là, dans l’attitude. Or comme disait Drieu: " on est plus fidèle à une attitude qu’à des idées ". Sur ce plan-là, Vial se qualifie benoîtement de " nationaliste révolutionnaire ", de " gibelin " et même, horresco referens, de paganus, ce qui, pour un élève des Pères n’est pas gentil. Mais voilà, Vial est l’un de ces Gentils (en grec: ethnikoi) qui regrettent l’absence toute provisoire des Druides. Ceci ne fait pas de lui un rêveur inoffensif.

 

Après ses premières armes au sein de groupes subversifs (notamment Jeune Nation avec D. Venner), il est l’un des fondateurs du GRECE, et l’une de ses chevilles ouvrières jusqu’en 1987, date de son passage au FN. Son témoignage sur ces vingt ans de combat culturel est du plus haut intérêt puisqu’il couvre la grande époque de la nouvelle droite originelle aujourd’hui éclatée. Elle innove et suscite alors de grands débats: les Indo-Européens, l’inné et l’acquis, les races, l’égalitarisme, l’eschatologie judéo-chrétienne, le pa­ga­nisme, l’éthologie, Schmitt et Gehlen, etc. Un feu d’artifice. Mais comme le montre bien Vial, qui connaît ce mouvement de l’intérieur (et y a gardé quelques amis), le GRECE subit l’usure, ignore pour des raisons obscures de grands problè­mes, tel que l’immigration non européenne. Surtout, son chef prend systématiquement ses distances avec ce qui pourrait ressembler à une application concrète des grands principes. Le réel semble lui soulever le coeur. Vial est sévère, comme tous les amis déçus: le GRECE, à la fin des années 80, " se mord la queue ", perd toute prise sur une réalité de plus en plus dramatique.

 

Naguère A. Imatz, dans son excellente synthèse Par delà droite et gauche (Ed. G. de Bouillon, Paris 1996, recensé à l’époque dans Vouloir) avait déjà fait le même diagnostic en parlant de stagnation. Et si cette association avait été la principale victime du succès de Le Pen? La hantise d’être amalgamé au clan populiste (aux insuffisances bien réelles !) n’a-t-elle pas poussé certains à se distancier au point de perdre le contact, ou à renoncer à dire le fond de leur pen­sée?

 

Refuser l'académisme pour prôner le rêve et l'action

 

Le médiéviste nous livre des réflexions profondes sur l’es­sence du pouvoir. Servi par une culture historique sans rien de sec, Vial a médité, malgré son activisme débordant, sur le Politique; il est manifestement un disciple de Julien Freund. Le pédagogue a aussi planché sur l’indispensable formation des militants, auxquels il voue un amour sincère (toujours ce côté charnel, boy-scout diront les malicieux): Vial sait que l’idée doit toujours s’incarner et que sans soldats prêts à les défendre, elles ne sont que prétexte à notes en bas de page. Plaisant paradoxe que cet universitaire qui, n’ayant rien à prouver dans le domaine de l’érudition alimentaire, refuse l’a­cadémisme démobilisateur pour prôner et le rêve et l’action!

 

Nuançons tout de suite le propos et ne soyons pas ha­gio­graphes: du reste ce drôle de moine ne doit pas apprécier les Vies de saints, ou alors pour y retrouver les traces de l’an­cienne religion! Terre et peuple, sang et sol, en bref l’héritage. Fort bien. Et l’Esprit? N’y a-t-il pas risque de matérialisme grossier, voire de malentendu. Blut und Boden et exaltation de la horde: tout ceci est connu, diabolisable à l’infini, et, surtout, a montré ses limites. Le piège serait le mi­métisme, le jeu de rôle (tribalisme virtuel et saine barbarie), l’ambiguïté, postures toutes les trois impolitiques et irréa­listes. Or Aristote le disait fort bien: la Politique est l’art du possible. Hors de ce constat, point de salut.

 

A propos de l’inévitable accusation de racisme , Vial rappelle que l’identité compte trois composantes: la race (" qui con­ditionne beaucoup de caractères " remarquons qu’il ne dit pas " tous les caractères "), la culture (et l’éducation comme dressage) et la volonté (facteur aujourd’hui déterminant car indispensable pour refuser le métissage). Voilà des idées à développer, ainsi que celle de différence et de (légitime) préférence. Tout un travail d’encyclopédiste à effectuer sur le vocabulaire. Naguère, Faye et Steuckers avaient publié un exemplaire lexique du partisan européen, qu’il conviendrait de refondre avec l’aide d’une équipe dextriste mêlant les sensibilités et les générations: de Mabire à Racouchot par exemple.

 

Une géopolitique aux intuitions justes

 

Comme son ami Faye, comme Steuckers, autre gibelin, Vial se révèle géopoliticien aux intuitions justes: " Il faut penser à l’Eurosibérie, à l’espace eurosibérien, au grand empire que peut être un jour l’Europe et son prolongement en direction de l’Asie. Là il y a des éléments de motivation, de mobi­lisa­tion psychique et d’enthousiasme capables de parler à l’ima­ginaire des gens qui ont vingt ans ". Un livre sur la néces­saire confédération impériale est d’ailleurs en chantier dans les scriptoria de Terre et Peuple. Lors du colloque de mai 2000, qui fut un franc succès (350 personnes enthousiastes, dont une majorité de jeunes) un appel appuyé à l’Eurosibérie ethnocentrée (et même au Sacrum Imperium) a été lancé par les divers orateurs, comme en témoigne le compte-rendu assez objectif publié par Le Monde (30 mai 2000).

 

On trouvera dans ce livre qui fera date des textes plus an­ciens de Vial publiés dans Eléments, Identité, Questions de, etc. et traitant des marottes du Professeur: la guerre et le sacré, la forêt, Merlin, Vincenot. Ce florilège se termine par une belle exhortation au mouvement identitaire grand-continental, nécessairement multipolaire, ce Mouvement So­cial d’Empire dont l’Eurosibérie a besoin.

 

Une condamnation de l'ethno-masochisme

 

Après le Nouveau discours à la nation européenne et l’Ar­chéofuturisme, G. Faye revient avec un livre explosif tout simplement intitulé La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam. Pour en parler, la prudence s’im­pose, vu que la République, dans son infinie bonté, s’est dotée de lois liberticides restreignant le débat sur cette ques­tion essentielle: le devenir anthropologique de l’Europe. L’es­sai (350 pages) est torrentiel, comporte parfois des redites, des approximations (des chiffres cités seraient inexacts), mais quelle rupture avec l ’idéologie dominante! (2) Quelle con­damnation de l’ethnomasochisme occidental dans ce cri d’alarme face à la submersion de notre continent par des mas­ses souvent musulmanes parties à la recherche de l’El­do­rado, tels les miséreux du roman déjà ancien de J. Ras­pail: Le camp des saints. Refusant à la fois la naïveté prométhéenne et le caritarisme chrétien, Faye nous met en garde contre les utopies assimilationnistes et communau­ta­riennes. Il rappelle que le conflit, le rapport de force, même codifiés, demeurent les fondements de la vie sociale. Or aujourd’hui, le risque de fracture ethnique, de partition du territoire européen existe bel et bien. Pour lui, le socle bio-anthropologique de notre civilisation est en passe d’être profondément modifié. De façon très lucide, Faye met en lumière des phénomènes soigneusement cachés par les élites au pouvoir: la dévirilisation des Européens et la bestialisation des Africains (dans la publicité par exemple), l’ethnomasochisme des Blancs (haine de soi et mixomanie), la montée d’une guérilla raciale, la constitution comme aux Etats-Unis de tribus hostiles pratiquant la razzia et l’éco­nomie parallèle, etc.

 

Le GRECE hors du réel 

 

Suivant les thèses développées par le politologue Alexandre del Valle dans ses deux livres déjà classiques sur l’instrumentalisation de l’Islam combattant par Washington pour diviser le continent (Golfe-Balkans-Tchétchénie), de l’immigration incontrôlée pour le saper de l’intérieur, Faye évoque la thèse d’une alliance (temporaire) entre thalas­socrates et islamistes. Il critique aussi le risque de dé­mobilisation de la mouvance identitaire par certains théo­riciens de l’actuel GRECE qui tiennent des propos fran­che­ment irréalistes sur l’immigration, aux lisières du politique­ment correct, et surtout en rupture complète avec la simple observation du réel. Des rumeurs d’éventuel procès contre G. Faye ayant filtré en mai 2000, nous conseillons à nos lec­teurs de se procurer sans tarder ce livre authentiquement subversif et idéologiquement délinquant qui place son auteur parmi la cohorte des déviants, pourchassés par les in­qui­siteurs et respectés par les hérétiques du moment. Une critique, justement signalée par divers lecteurs (R. Steuckers dans ses passionnantes lettres électroniques – robert.steuckers@skynet.be ainsi qu’un mystérieux Cercle Gibelin cerclegibelin@hotmail.com) : l’allusion récurrente à la guerre ethnique peut être dangereuse auprès de jeunes esprits non encadrés car comprise de travers comme un appel à la guerre civile, distorsion que les adversaires ne manqueront pas d’exploiter.

 

Après ces deux livres remplis de sève, volcaniques et ra­di­caux, abordons maintenant deux titres qui illustrent la dé­marche de l’actuel GRECE.

 

A l’occasion du colloque de janvier 2000 sur la désin­for­ma­tion, l’association publie un Manifeste pour une re­naissance européenne, rédigé par Alain de Benoist et Charles Cham­petier, les idéologues de cette mouvance (3). Malgré des as­pects intéressants (le monde comme pluriver­sum, le cosmos comme continuum), le texte en est déce­vant: ton compassé, langue de bois, ambiguïtés et insuffi­sances sur des sujets graves. En voici un exemple, à propos de l’immigration: "ni apartheid ni melting pot: acceptation de l’autre en tant qu’au­tre dans une perspective dialogique d’en­richissement mu­tuel". Que signifie ce charabia "dialo­gique" qui fait penser aux brochures en faveur de "l’ou­verture à l’Autre" (la ma­jus­cu­le aurait été préférable). Tout ceci serait comique si le su­jet n’interdisait la légèreté: c’est de l’avenir de notre com­munauté dont nous parlons. Plus loin, les mêmes prônent une véritable reconnaissance dans la sphère publique des  "différentes communautés qui vivent en France" (admirez l’euphémisme), bref, en clair, l’accepta­tion d’un droit islami­que, et à terme, de la partition du terri­toire car on ne voit pas ce qui ferait reculer les élus mu­sul­mans et leurs institutions (nous parlons bien de "recon­nais­sance dans la sphère publi­que ") de réclamer leur territoire. Cela s’est vu  et traduit par des millions de personnes tuées ou expulsées de force au Pa­kistan, au Bengladesh, au Ko­sovo. Est-ce cela le modèle proposé par le GRECE ? Qui mobilisera-t-il ?

 

Toujours au sujet de cette mouvance, signalons le recueil de textes Aux sources de la droite,  publié par A. Guyot-Jean­nin, journaliste du GRECE, qui avait déjà édité un décevant dossier Evola (4). Il récidive aujourd’hui avec ce livre où di­vers acteurs de la scène dextriste interviennent sur des su­jets tels que l’Europe (J. Mabire), la résistance (P. Conrad), la Tradition (JP Lippi), les Lettres (d’Algange), les régions (JJ Mourreau), etc. Les textes cités ici, malgré leur taille réduite, sont parmi les plus intéressants de ce recueil assez inégal, où manquent les signatures d’un Venner, d’un Vial, et de G. Faye bien sûr. Ils semblent avoir été jugés indignes de fi­gu­rer au sommaire du recueil, qui n’aborde pas les questions telles que la droite et l’ordre, la géopolitique, l’art, le temps, le paganisme (pour la religion, seul le catho­lique C. Rous­seau a droit à la parole), etc. De même, appel n’a pas été fait à des écrivains : Raspail, Déon, Mour­let, de jeunes au­teurs auraient pu ajouter leur grain de sel. On est surpris de ne lire aucun acteur politique : un Mégret, un Le Gallou, une I. Pivetti, voire un Bossi auraient pu être in­terrogés. Et Haider : n’était-ce pas le moment de voir ce qu’il pense ?

 

Guyot-Jeannin: travail incomplet et bâclé

 

Autre reproche : n’avoir interrogé que des Français alors que c’est en Italie, en Grande-Bretagne et pourquoi pas aux E­tats-Unis que le courant néo-conservateur effectue un travail novateur. Rien sur la droite en Europe centrale et orientale, rien sur la Russie. Travail incomplet et bâclé dont l’objectif visible est davantage d’occuper le terrain que de tracer des pistes. Parisianisme et copinage, bref rien de fondateur. L’in­troduction de Guyot-Jeannin est du charabia d’inspiration pseudo-légitimiste (Pierre Boutang doit hurler là-haut !), la bibliographie fort pauvre quand on la compare à l’essai ex­cel­lent d’Imatz cité plus haut. Plus grave, les so­phismes a­bondent tel que celui-ci, dû à A. Guyot-Jeannin, qui fait ici preuve de sa clairvoyance habituelle: "Ce n’est pas parce que certains immigrés posent problème (sic) que les Fran­çais vivent dans la décadence, mais bien parce que les Fran­çais vivent dans la décadence que certains immigrés posent problème".  Bel exemple d’ethnomasochisme et de mépris pour son peuple, le type même du discours aussi dé­connecté que prétentieux. Pourquoi tenter de (maladroite­ment) culpabiliser ses compatriotes? Qu’y peuvent ces mil­lions de Français sans fortune (qui n’ont pas le privilège de vivre à Neuilly-sur-Seine comme l’éditeur du recueil) forcés de cohabiter avec des allogènes de plus en plus nombreux, souvent hostiles? Se moquer des petites gens, les insulter n’a rien d’aristocratique mais relève du bour­geoisisme le plus puant.  Comme si, en plus, l’immigration ne concernait que la France, la seule France ! Comme si la question était le " problème " posé par " certains " immigrés ! Accepte-t-il donc le principe même de l’immigration massive ? On reste confondu devant pareil aveuglement, exprimé avec tant de prétention. Si c’est cela la " droite essentielle ...

 

«La gauche réactionnaire» de Marc Crapez

 

Cette synthèse sur la droite souffre d’une autre lacune gra­ve: les travaux novateurs de M. Crapez sur la naissance de la gauche réactionnaire  et de la droite égalitaire (La gau­che réactionnaire. Mythes de la plèbe et de la race, Berg 1997, préface de P.A.Taguieff et Naissance de la gauche, Micha­lon, 1999) ne sont pas utilisés. Or Crapez renouvelle l’analy­se de la droite en affinant la vieille distinction, clas­sique, due à R. Rémond, entre droites contre-révolution­nai­re, bonapar­tiste et orléaniste. Son livre sur la gauche réac­tionnaire est du plus haut intérêt pour qui s’interroge sur les racines des nou­velles droites (voir " Vieilles gauches et nouvelles droi­tes", pages 275-318). Crapez n’a pas été uti­lisé par les nou­velles droites comme il le mérite. Il distingue ainsi trois gau­ches (égalitaire, fraternitaire et libérale) et trois droites : la libérale (modérée ou libertarienne), conservatrice (libérale ou impériale), réactionnaire (traditionaliste ou po­pu­liste). Crapez souligne les contacts: le bonapartisme résult­e­rait des noces d’une droite conservatrice impériale et d’une gauche égalitai­re autoritaire. L’utilisation de ces concepts au­rait permis une analyse autrement plus novatrice... et utile pour critiquer la gauche idéologique, que Crapez définit com­me une extrême droite retournée (Le Figaro du 3 avril 1999): elle pratique un terrorisme intellectuel fort efficace, justifiant la fusion des peuples européens dans le grand métissage, préalable à leur neutralisation définitive en tant que porteurs de civilisa­tion. La gauche idéologique est devenue le chien de garde de la Nouvelle Classe, bourgeoisie humaniste, universaliste et multiraciale.  Au lieu de cela, Guyot-Jeannin inflige à ses lecteurs un ennuyeux prêt-à-penser.

 

Pour terminer, je citerai le livre de l’Allemand P. Krebs, Doc­teur ès Lettres, qui anime le Thule-Seminar. Lui aussi a fré­quenté le GRECE : sa synthèse, Europe contre Occident (5), est un parfait manuel de résistance aux idéologies mor­ti­fè­res, dénuée quant à elle de toute concession à l’im­posture, dans la veine de Faye et du jeune Alain de Benoist. Lisez Krebs avec les livres de Vial et de Faye : vous y re­trou­verez le même souffle, la même voix, celle des dissi­dents. La voix des Impériaux.

 

Patrick CANAVAN.

 

(1) P. Vial, Une terre, un peuple, Ed. Terre et Peuple, Paris 2000, 130FF. BP 1095, F-69612 Villeurbanne cedex,

www.geocities.com/Athens/Agora/3973/

(2) G. Faye, La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immi­gration et l’Islam, Aencre, Paris 2000, 145FF. 12 rue de la Sourdière, F-75001 Paris.

(3) A. de Benoist & C. Champetier, Manifeste pour une renaissance européenne, GRECE, Paris 2000, 50FF. 99-103 rue de Sèvres, F-75006 Paris, http://grece.hypermart.net Signalons aussi d’A; de Be­noist, L’écume et les galets, Labyrinthe 2000, 280F. Recueil des chroniques anonymes publiées dans La Lettre de Magazine-Hebdo, revue de la droite radicale publiée par J.C. Valla et aujourd’hui dispa­rue. A. de B. s’y révèle bon chroniqueur de l’actualité, et l’anonymat lui donne un punch souvent réjouissant.

(4) A. Guyot-Jeannin (éd.), Aux sources de la droite, Age d’Homme, Lausanne 2000, 130FF.

(5) P. Krebs, Europe contre Occident, Ed. Héritage européen, Overijse 1997 (voir à la Librairie nationale).    

mardi, 11 septembre 2007

R. Steuckers: Entretien accordé à G. Luyt

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Réponses aux questions de Guillaume Luyt

Entretien avec Robert Steuckers

Robert Steuckers, qu'est-ce que Synergies Européennes ?

«Synergies Européennes» est une amicale paneuropéenne, qui regroupe, de manière somme toute assez infor­mel­le, des non conformistes de toutes nationalités qui travaillent sur un ensemble de thèmes communs: criti­que du mondialisme et des idéologies dominantes, révolution conservatrice et thématiques assimilables à ce complexe politico-idéologique riche de différences, projets alternatifs en économie et en droit, littérature cri­tique des travers de notre monde contemporain, philosophie nietzschéenne et postmoderne, etc. Cette ami­cale "fonctionne" naturellement et spontanément sans structures autres qu'un bureau européen, dont j'assure le secrétariat et qui a pour simple tâche de coordonner des activités communes, comme les séminaires ré­guliers ou ponctuels, les universités d'été ou les rencontres amicales. Comme vous l'aurez sans doute appris par la rumeur, j'avais découvert la ND en 1973 quand j'avais 17 ans et j'y ai travaillé longtemps en gardant toutefois un certain scepticisme au fond du cœur. Toujours, j'ai voulu œuvrer à la charnière de cette ND, que je percevais comme un cercle d'études (j'étais avec Guillaume Faye au “Secrétariat Etudes & Recherches"/ SER), et les diverses expressions du nationalisme révolutionnaire, que je percevais comme des tentatives d'an­crage de nos études dans la réalité sociale; comme des espaces effervescents capables de conquérir une niche et de la consolider sur les échiquiers politiques nationaux dans les Etats européens.

Pour moi, l'aire NR devait être aux forces identitaires ce que le tissu associatif gauchiste était aux forces mar­xistes et surtout à la sociale-démocratie européenne. On mesure pleinement aujourd'hui le succès de ce travail gau­chiste en marge de la sociale-démocratie ou des forces écologistes quand on aperçoit des Fischer ou des Jo­s­pin, des Blair ou des Schröder au pouvoir. Je me suis malheureusement trompé jusqu'ici, mais, en dépit de cet­te erreur d'analyse factuelle, je demeure convaincu qu'une consolidation de cette aire politique, si elle se réa­­lise, sera la base de départ d'un renouveau. Que les extrêmes droites classiques, véhiculant un vétéro-natio­na­lisme anti-social, a-critique à l'égard des structures dominantes, ou des résidus de pensée théologique ou des bricolages complotistes ou des nostalgies des fascismes ou des para-fascismes, sont incapables de mener à bien. La ND, centrée autour d'Alain de Be­noist, avait toujours refusé, avant 1985 et après 1987, de frayer avec des groupes plus militants, portés par des jeunes gens dynamiques (entre 1985 et 1987, les principaux ex­po­sants de la ND accordent toutefois des entretiens aux revues du MNR de J. G. Mal­liarakis, sans que cette coo­pé­ra­tion ponctuelle et passagère ne donne de véritables résultats). Pour nous, qui œuvrions à Bruxelles depuis 1976, ce refus néo-droitiste était une insuffisance. Nous préférions les synthèses allemandes et italiennes, notamment le mélange allemand de nationalisme révolutionnaire et de nouvelle droite, dont les observateurs scientifiques ou critiques ne parviennent pas à séparer les ingrédients (voir les travaux de Bartsch, Pröhuber, etc.). En Italie, Pino Rauti, entre 1978 et 1982, dirigeait le bimensuel Linea, où les options nationales ré­vo­lu­tion­nai­res se mêlaient très habilement à certaines thèses de la ND, rendant particulièrement instructive la lecture de cette publication très vivante, très en prise sur les réalités quotidiennes de la péninsule. La syn­thèse réussie de Linea a toujours été pour moi un modèle.

Dans le cadre de mes activités en marge du GRECE d'abord, du Groupe EROE ("Etudes, Recherches et Orien­ta­tions Européenne") puis de Synergies Européennes ensuite, j'ai toujours tenté de rétablir un contact entre ces deux pôles, l'un théoricien, l'autre activiste. Je n'ai jamais renié mon compatriote Jean Thiriart, avec qui j'ai échangé un courrier aussi abondant que truculent (nous nous échangions des épithètes dignes du Capitaine Haddock), qui fut un maître incontournable sur deux plans: sa volonté de parfaire toujours une analyse géopo­li­ti­que de la scène internationale et, ensuite, sa volonté d'analyser les situations politiques intérieures à l'aune des instruments que nous ont laissés des hommes comme Vilfredo Pareto, Gaetano Mosca, Serge Tchakhotine, Da­vid Riesman, Raymond Aron (surtout "Les grands courants de la sociologie contemporaine"), etc. Thiriart était un analyste lucide des tares des régimes dominants; il méprisait profondément les politiciens à la petite semaine, qui n'agissent que par fringale d'intérêts personnels et par appétit de petits pouvoirs sans impact sur le fonctionnement réel de la politique. J'ai aussi participé régulièrement aux activités du MNR de Jean-Gilles Malliarakis à Paris, dont les interventions publiques étaient si chaleureuses à la mode latine et méditerra­néen­ne. Le MNR de Malliarakis était comme une grande famille et je regrette vivement qu'une structure de ce type n'existe plus aujourd'hui dans la capitale française, permettant des échanges féconds.

J'ai également participé à la revue Nationalisme et République de Michel Schneider, ce qui m'a valu les foudres d'A­lain de Benoist et de Charles Champetier. Heureusement que ces deux personnages ne sont que des Jupiters de petit voltage, juchés sur des taupinières, et que leurs foudres ne m'ont pas terrassé: elles n'ont eu que l'ef­fet d'un micro-postillon crachoté par une musaraigne. L'expérience de Nationalisme et République a été fort in­­téressante dans la mesure où des esprits très différents ont fait confluer leurs réflexions non conformistes dans ce journal, lui conférant une pertinence rarement égalée depuis. Ensuite, dernière remarque sur Natio­na­lisme et République: cette trop courte expérience éditoriale a permis notamment de suggérer les bases d'une recomposition géopolitique de l'Europe.

Incompatibilité entre politique et satano-saturnalisme

En revanche ma collaboration avec Christian Bouchet ("Nouvelle Résistance", le FEL) a tourné court. Bien que j'ai toujours amèrement déploré sa rupture, incompréhensible, avec le mouvement "Troisième Voie" de Jean-Gilles Malliarakis, qui, lui, a trop vite jeté l'éponge, j'ai toujours regardé le mouvement lancé ou repris par Bouchet avec sympathie et nous échangions publications et informations; nous nous sommes retrouvés à Paris dans une salle du 18ième arrondissement à côté d'Alexandre Douguine, nous semblions coopérer sans arrière-pen­sées, jusqu'au jour où Bouchet a eu une idée somme toute assez saugrenue. A la veille des élections euro­péennes de 1994, il a rendu visite au président français de "Synergies Européennes", Gilbert Sincyr, un ancien du GRECE, pour lui demander de placer les membres de SE sur une liste de candidats, dirigée par Bouchet lui-même, qui devait s'opposer à celle du FN de Le Pen. A juste titre, Sincyr a jugé que cette opé­ra­tion n'avait pas raison d'être et que SE, tout comme le FEL, risquait de se couvrir de ridicule, vu les scores for­cé­ment dérisoires que cette liste aurait obtenus. Bouchet a très mal pris ce refus et s'est mis en campagne contre Synergies Européennes, avec, en coulisse, l'appui d'Alain de Benoist et du "Chancelier" (!) du GRECE, Maurice Rollet, qu'il rencontrera à Marseille pour jeter les bases d'un "front commun" contre nous (et contre moi en particulier!).

Ce comportement irrationnel et puéril a fait perdre beaucoup de temps au mouvement. Par ailleurs, bon nom­bre de "synergétistes" voyaient d'un fort mauvais œil les activités non politiques de Bou­chet, où se mê­laient un culte du Britannique Aleister Crowley (sujet/objet de sa thèse universitaire), des pra­ti­ques sa­ta­nistes et sa­turnalistes, des rites sexuels du plus haut comique, où les participants s'affublent d'ori­peaux sacerdotaux d'où dépassent, obscènes, leurs attributs, sacrifices de poulets (pauvres bêtes!) par dé­ca­pitation en psalmodiant des in­cantations hystériques en faux tibétain, etc. Bouchet fait évidemment ce qu'il veut dans ses pénates, s'in­vente les jeux érotiques qui lui plaisent (à chacun selon ses voluptés!), mais un mixte de ces bouffonneries et de la politique —chose sérieuse quand elle refuse d'être purement politicienne— ne peut rien rapporter de bon, si ce n'est les quolibets de nos adversaires, qui peuvent ainsi largement alimenter leurs fantasmes. Le grou­pe “anti-fasciste” Golias étant particulièrement friand de ce genre de mixtum com­po­situm. Tout en gar­dant certaines réserves et en conservant mon esprit critique, je reconnais pleinement par ail­leurs l'excellence des deux derniers ouvrages de Bouchet: le volume collectif intitulé Les nouveaux natio­nalistes et l'ouvrage didactique qu'il vient de publier chez Pardès: Le B.A.BA du néo-paganisme. Bouchet a fait là œuvre utile, mais pour ses dérapages "saturnalistes", je conseille à tous de lire les deux pages bien claires de Victor Vallière, intitulées “De Satan à Loki: l'erreur de parcours de certains néo-païens” (in: Réfléchir & Agir, n°9, été 2001). Vallière nous donne là le vade-mecum de tout responsable local pour faire face à des velléités de saturnalisme ou de satanisme: il faut leur opposer un non possumus catégorique.

Ma collaboration avec Lookmy Shell (PCN) n'a débouché sur rien non plus, mis à part quelques articles dans ses publications. Ultérieurement, la querelle Bouchet/Shell, quels qu'en soient les motifs, a enrayé, à mon avis, la progression du mouvement nationaliste révolutionnaire, y compris des revues de Shell lui-même, qui au­raient pourtant mérité une plus ample diffusion, surtout qu'elles contenaient les articles de Frédéric Kisters, dont le niveau est excellent. Je reconnais notamment le bien fondé des tentatives de Lookmy Shell d'éradiquer tou­­tes les formes de “nazisteries” qui entachent le mouvement national-révolutionnaire et le couvrent de ridi­cule. Mais de là à imiter les insuffisances des mouvements qui s'auto-proclament “anti-fascistes” ou “anti-ra­cis­tes” et de faire du “nazisme” (défunt depuis mai 1945!!!) un concept extensible à l'infini, il y a une marge… Lookmy Shell a malheureusement franchi cette marge et renforcé la confusion qui règne depuis longtemps déjà dans la mouvance NR. J'aurais voulu poursuivre avec lui une quête sur le stalinisme, l'histoire de la diplomatie so­vié­ti­que, la mise en œuvre de la Sibérie dans les premières décennies du pouvoir soviétique, sur l'eurasisme, sur la di­plomatie soviétique pendant la guerre froide, sur la géopolitique des Balkans. A cause de l'attitude incom­pré­hensible de Lookmy Shell, toute cette documentation est restée en jachère mais, soyez-en sûrs, elle ser­vi­ra à d'autres. Par ailleurs, le comportement de Shell à mon égard demeure inexplicable. Il me reproche no­tam­ment d'a­voir dialogué avec le FNB de Marguerite Bastien, dont le journal, Le Bastion, a repris certains de mes pro­pos, sous la forme de deux ou trois interviews, axés principalement sur le problème de la Turquie dans l'OTAN et dans l'an­tichambre de l'UE. Lookmy Shell accusait l'équipe du Bastion d'être inspirée par une idéologie bru­ne-bleue (c'est-à-dire naziste-libérale) et d'être pro-occidentale, alors que dans le conflit du Kosovo, par ex­em­ple, elle a sévèrement critiqué la politique de l'OTAN et ne s'est jamais réclamée du national-socialisme. Je me de­man­de en quoi mes rapports avec les uns ou les autres regardent Lookmy Shell, et pourquoi s'arroge-t-il le droit de se poser en juge (fouquier-tinvillesque) de toute une presse, nationale ou autre? Quelles sont ses com­pé­­ten­ces intellectuelles, quelle élection l'a donc érigé à ce poste qu'il se donne arbitrairement? Shell n'a jamais été mon professeur et je n'ai jamais été membre de son mouvement. Dont acte. Et s'il n'en prend pas acte, je pense que son jugement est vicié et s'assimile aux rodomontades d'un interné qui se prendrait pour l'Empereur Napoléon (ou pour un autre personnage historique). Il y aurait là un vice dans l'appréhension du réel. Que je dé­­plore. Quand je visiterai une nouvelle fois un Asklepion hellénique, je demanderai à ce bon Esculape d'in­ter­céder en sa faveur, de trouver remède à ce mal qui afflige mon bon compatriote Lookmy Shell. Et quand un voi­sin catholique se rendra à Lourdes, je lui demanderai de dire une belle prière pour le Chef suprême du PCN, dont le retour à l'équilibre vaut bien quelques cierges consumés devant cette belle grotte pyrénéenne. Afin que nous puissions tous bénéficier de son rétablissement. Et relancer la machine interrompue à cause de ses co­lères aussi bruyantes qu'inexplicables.

Ces diverses péripéties montrent que l'espace ND/NR pose problème. Qu'il est tiraillé entre un empyrée théo­rique parfaitement éthéré —la planète Sirius disait un jour Pierre Vial en faisant allusion au GRECE— et un dis­cours qui s'englue dans des répétitions stériles, c'est-à-dire dans un piège mortel, où l'on n'appréhende plus le réel correctement. Si, à cet irréalisme et à ses répétitions, s'ajoutent l'arbitraire de personnalités en proie à des défaillances de jugement ou des illusions de grandeur, tout l'édifice, déjà fragile, bascule dans le néant. C'est pourquoi je salue avec joie, aujourd'hui, l'émergence de personnalités nouvelles, qui ont le sens de la camaraderie, de la solidarité, des nuances, de la nécessité de fédérer toutes les forces, de proposer une al­ter­native crédible et acceptable, à condition que ces personnalités adoptent systématiquement des démarches prospectives en direction des besoins réels de nos sociétés, quittent les marécages dangereux du nostalgisme et du sectarisme. Je pense aux efforts d'Eddy Marsan en France, qui juge la situation politique avec le regard acéré du philosophe réaliste, et de l'équipe du journal De­venir en Belgique, qui bénéficie depuis quelques nu­méros de la plume de Frédéric Kisters, qui a quitté, ef­fra­yé, le PCN de Lookmy Shell, à la suite de déboires dont je ne connais pas les détails. La tâche de ces person­na­lités nouvelles et dynamiques sera ardue, mais si elles persévèrent, elles réussiront au moins à établir soli­de­ment un édifice critique (à l'encontre de l'éta­blis­se­ment) et affirmateur (de valeurs et de perspectives poli­ti­ques nouvelles) dans le double champ de la ND et du NR. Et devenir, par conséquent, l'espace de renou­velle­ment des forces identitaires en Europe, que j'avais tou­jours espéré voir advenir. Laissons les personnalités à pro­blèmes se réfugier dans leur tour d'ivoire, prendre une retraite parfois méritée, dans de belles demeures ru­ra­les, en zone verte, pour se calmer les nerfs en siro­tant de réconfortantes tisanes.

Travailler à l'avènement d'une collégialité conviviale

Ce dont nous avons besoin, et que nous appelons de nos vœux depuis l'émergence de "Synergies Européennes", c'est l'avènement d'une col­lé­gialité conviviale et courtoise (ce sont les termes mêmes de notre charte), où cha­cun garde bien sûr qui sa re­vue, qui son cercle, qui son site internet, dans une pluralité féconde qui sera fédé­rée en ultime instance par un état d'esprit non sectaire, où l'intérêt collectif prime les humeurs et les af­fects per­sonnels. Ceux qui souf­frent de tels affects, ou se prennent pour des oracles infaillibles tout en menant des "stra­tégies personnelles" et en semant la zizanie, n'ont pas leur place au sein d'une telle collégialité. Il ne s'agit pas d'oblitérer les élans personnels et les initiatives de qualité; au contraire, il faut les laisser intacts et les fé­dérer ponctuellement, sans faire régner un mauvais esprit de soupçon, ni un caporalisme stérilisant, car de tels es­prits sapent le fonc­tion­nement optimal de tout groupe organisé.

Dans le cadre de la ND, il faut aussi déplorer une ambiguïté importante dans la définition qu'elle donne de la "cul­­ture", en tentant de la dégager et de l'autonomiser par rapport à toute démarche ou réflexion politiques, aus­si modestes soient-elles. Pour moi, une culture politique implique d'aborder les questions

- de la géopolitique (la dynamique croisée de l'histoire et de la géographie, des volontés humaines et de la don­née spatiale),

- du droit (le droit comme expression de l'identité politique d'un peuple, d'un Etat ou d'un Empire),

- de l'économie (les institutions économiques nationales ou locales sont autant l'expression de la culture d'un peu­ple que ses productions artistiques; la revalorisation des institutions économiques spécifiques est un an­­tidote contre les tentatives d'arasement globaliste)

- de l'histoire ancienne et immédiate, car nos méthodes sont généalogiques et archéologiques au contraire de celles des idéologies dominantes, qui plaquent sur le réel des idées toute faites; chaque entité poli­ti­que doit être ramenée à son histoire, à sa trajectoire propre dans le temps, et ramasser son passé pour le pro­jeter vers l'avenir, son avenir, distinct de celui des autres entités.

Cette approche nous différencie de la ND au sens habituel du terme, qui n'a pas abordé ces questions de ma­niè­re systématique, mais a mis davantage l'accent sur la volonté de créer une religion-ersatz (avec des rituels as­­sez parodiques et puérils: incantations biscornues devant une vieille pierre de meule rebaptisée "soleil de pierre", d'où l'expression d'un humoriste, qui avait assisté, à son corps défendant, à ce médiocre spectacle: le "pa­­ganisme du soleil pétrifié"), de forger une nouvelle morale en posant des interrogations sans fin (comme l'at­­­testent, par exemple, les deux numéros de Krisis sur la morale qu'Alain de Benoist a fait paraître naguère). Je ne nie pas l'importance des questions religieuses, morales ou éthiques mais je critique la propension à pren­dre prétexte de ces questions pour générer un questionnement sans fin qui n'aboutit à rien (les philosophes di­ront: le "trilemme de Münchhausen"). Les grandes valeurs religieuses ou éthiques ont déjà été énoncées et vé­cues dans le passé: il suffit de le reconnaître et de s'y soumettre. Le Bushido du shintoïsme japonais ou le Tao Te King chinois, par exemple, tous deux sources d'inspiration d'Evola, sont là, depuis toujours à notre dispo­si­tion. Nous pouvons les méditer, nous forger le caractère à leur lecture comme des millions d'hommes avant nous, intérioriser les admirables leçons de force et de modestie que ces deux textes nous offrent. C'est cela la pé­rennité de la Tradition. Un questionnement inquiet et torturé ne peut rien apporter de bon, si ce n'est l'in­dé­cision et le solipsisme, tares impolitiques par excellence.

Quelle est la dimension de votre combat ?

La dimension de notre combat est tout à la fois culturelle et politique. Elle vise la création d'une école politi­que européenne, puisant ses arguments dans les corpus culturels de notre continent. Géographiquement, ce com­bat est d'emblée européen, car, en notre point de départ, la Belgique, le cadre offert par le territoire na­tional est insuffisant (voire ridicule dans ses limites et indéfendable militairement). Les grands élans politiques ont toujours été impériaux ou européens chez nous, tant dans leurs dimensions laïques (comme chez "Jeune Eu­­rope" de Jean Thiriart), que bien souvent aussi dans leurs dimensions catholiques, où l'iconographe et pé­da­go­gue de l'histoire, le Chanoine Schoonjans des Facultés Saint-Louis, défendait toujours un point de vue im­pé­rial et catholique, même s'il devait parfois faire des concessions au "nationalisme petit-belge". En ultime in­stan­­ce, la patrie est le Saint-Empire, héritier de Rome. Les intellectuels de la fonction souveraine de ce Saint-Em­­pire, à ses débuts, étaient les clercs "lotharingiens", dont la plupart venaient du triangle Liège/Maas­tricht/ Aix-la-Chapelle, patrie originelle des Pippinides. Malgré cet affreux oubli du passé, qui nous pousse au­jourd'hui vers un univers orwellien, vers cette société du spectacle absolu sans profondeur temporelle que nous annon­çait Guy Debord, l'idée de cet aréopage de "lotharingiens" qui travaillent silencieusement au maintien de la struc­ture impériale, est une des idées motrices qui nous animent dans nos cercles de Brabant et de Liège. Cet­te Chancellerie "lotharingienne" trouve un écho dans la volonté de Carl Schmitt de recréer une telle in­stance, ap­pelée à énoncer un droit constitutionnel continental, de facture historiciste, flanquée d'une é­co­no­mie auto-cen­trée d'échelle continentale, reposant tous deux sur un recours à la Tradition, c'est-à-dire aux for­ces spi­ri­tuelles éternelles de l'Europe. Des "Lotharingiens" à Carl Schmitt, nous avons trouvé la conti­nui­té de gran­de pro­fondeur temporelle dans laquelle, humblement, nous nous inscrivons, en tâchant d'être de mo­destes con­ti­nua­teurs ou, du moins, les vestales de feux qui ne doivent pas s'éteindre.

De la guerre préventive des Américains contre l'Europe dans les Balkans, en Méditerranée orientale et en Asie centrale

Quant à la dimension plus pragmatique, que les impératifs de l'heure nous imposent, nous tentons de travailler de concert avec des amis allemands, italiens, espagnols, britanniques, français, helvétiques, russes, croates ou ser­bes sur des thématiques communes à toute l'Europe. Nous tentons de déconstruire à l'avance les antago­nis­mes artificiels que les services de diversion américains cherchent à bétonner en Europe. Par exemple, quand Hun­tington laisse sous-entendre qu'un clivage insurmontable existe de facto entre l'Europe occidentale (catho­lique et protestante) et l'Europe orientale (slavo-orthodoxe et son prolongement sibérien), il avance en fait un ar­gument de propagande pour rendre possible la guerre préventive que mènent les Etats-Unis contre toute con­centration de forces sur la masse territoriale eurasienne. En incluant la Grèce dans la sphère slavo-orthodoxe, les Etats-Unis, héritiers des stratégies de "containment" de l'Empire britannique, veulent à l'avance bloquer toute avancée des puissances danubiennes d'Europe centrale (allemande et serbe) en direction du bassin orien­tal de la Méditerranée, où Chypre déjà, est occupée par les Turcs depuis 1974. En fabriquant un axe musulman et néo-ottoman de la Thrace turque à l'Albanie, les Américains tirent un verrou infranchissable dans la portion sud du territoire balkanique, isolant la Grèce, qui, membre de l'UE et de l'OTAN, et réticente face aux pro­vocations turques, ne peut plus servir de tête de pont dans le bassin oriental. La géopolitique, vous le con­sta­tez, dans cet exemple très actuel, est une discipline faite de méthodologies diverses, qui vise à donner autant d'ouvertures possibles à nos forces continentales et apprend à prévoir l'organisation par nos adversaires de verrous ou le déploiement de stratégies bloquantes, qui visent à nous asphyxier politiquement, économique­ment, culturellement. Les travaux de nos amis croates et serbes (Antun Martinovic et Dragos Kalajic) ont été très éclairants dans cette problématique.

Enfin, il n'y a pas d'impérialité possible en Europe sans une économie propre qui suit ses règles spécifiques et non pas des recettes, néo-libérales et globalistes, énoncées en d'autres lieux, notamment dans les écoles et in­stituts de l'adversaire principal, les Etats-Unis. L'application de ces recettes conduit à notre impuissance. Nous travaillons donc sur les alternatives viables en économie, que des économistes français, tels Perroux, Albertini et Silem, avaient nommé les "hétérodoxies", qu'ils opposaient aux "orthodoxies", c'est-à-dire le libéralisme clas­sique (radicalisée aujourd'hui en "néo-libéralisme"), le communisme soviétique, désormais défunt, et les recet­tes de Keynes telles qu'elles sont appliquées par les sociales démocraties européennes (alors que l'œuvre de Key­­nes, nous le verrons parce que nous la travaillons actuellement, permet d'autres politiques). Pas d'im­pé­ria­lité non plus sans un droit clair et unifié, permettant d'harmoniser l'unité et la diversité. Un disciple de Carl Schmitt, Ernst Rudolf Huber, nous suggère un fédéralisme unificateur, respectueux des forces enracinées, seu­les garantes d'une "Sittlichkeit", c'est-à-dire d'une identité éthique et historique offrant la stabilité évoluante d'une continuité. C'est-à-dire une éthique vivante, politique et historique, qui permet de se projeter dans l'a­venir sans rester engluée dans des formes de gouvernance figées et sans jeter par-dessus bord les acquis du pas­sé. Guillaume Faye parlerait, lui, d'"archéofuturisme". En bref: l'antidote radicale à l'obsession de la "table rase" qui nous conduit tout droit à l'ambiance sinistre du 1984 d'Orwell et à la société moutonnière du spec­tacle, critiquée par Debord.

Vous venez de tenir votre université d'été, quelle place tient ce rendez-vous dans l'action de SE ?

L'Université d'été tient effectivement une place centrale dans nos activités. Elle est simultanément la Diète du mouvement, qui permet à nos sympathisants, venus de toute l'Europe, de se rencontrer et de constater que bon nombre de leurs préoccupations sont les mêmes en dépit des barrières nationales ou linguistiques.

Quelles en ont été les interventions principales ?

Il n'y a pas eu d'interventions principales et d'interventions secondaires, lors de cette 9ième Université d'été (qui est simultanément notre 16ième rencontre internationale). Nous avons toujours voulu présenter un panel d'orateurs chevronnés et d'orateurs néophytes. Cette méthode permet un enrichissement réciproque et évite le piège de la répétition, qui, comme je viens de vous le dire, est mortel à terme. Souvent les orateurs néophytes se défendent d'ailleurs fort bien. Ce fut le cas cette année plus que jamais. Parmi les orateurs chevronnés, nous avons eu Guillaume Faye, Frédéric Valentin, le Général Reinhard Uhle-Wettler et moi-même.

Faye nous a parlé de la "convergence des catastrophes" qui risque fort bien de s'abattre sur l'Europe dans les deux prochaines décennies. C'est un thème qu'il a déjà eu l'occasion d'évoquer dans ces trois derniers ouvrages, mais qu'il va approfondir en étudiant les théories de la physique des catastrophes. Le résultat final de cette quête va paraître dans une dizaine de mois et nous offrir une solide batterie d'argumentaires pour notre "philosophie de l'urgence", que nous avons tous deux héritée de nos lectures de Carl Schmitt (l'Ernstfall sur lequel nous travaillions déjà ensemble au début des années 80, notamment avec le concours de notre ami milanais Stefano Sutti Vaj et de la revue portugaise Futuro Presente), d'Ernst Jünger et de Martin Heidegger. Cette "philosophie de l'urgence" est dénoncée avec rage aujourd'hui par notre ancien "patron", Alain de Benoist, qui renie ainsi une bonne partie de ses propres positions, exprimées dans les colonnes des diverses revues néo-droitistes: on reste pantois à voir ainsi le chef de file de la ND/Canal historique renier purement et simplement les auteurs clefs de la RC et de la ND, qui se veut son héritière. Pire: il s'était posé comme le disciple fidèle d'Armin Mohler, auteur du manuel de référence principal des ND allemandes et italiennes (paru en version fran­çaise chez Pardès). Mohler développait une pensée de l'urgence, tirée des auteurs de la RC dont Jünger, de Carl Schmitt (“die Entscheidung”, “der Ausnahmezustand”), des disciples de celui-ci qui parlaient d'«Ernstfall», de la théorie de Walter Hof sur le “réalisme héroïque” et de la philosophie du Français Clément Rosset, auteur d'un ouvrage capital: La logique du pire. Pour Rosset, il fallait en permanence penser le pire, donc l'urgence, pour pouvoir affronter les dangers de l'existence et ne pas sombrer dans le désespoir devant la moindre contra­rié­té ou face à un échec cuisant mais passager. Mohler et Rosset sont mes professeurs: je n'accepte pas qu'on les trahisse aussi misérablement, que l'on opère une volte-face aussi pitoyable, surtout que rien, mais alors rien, n'est jamais venu infirmer la justesse de leurs démonstrations. La critique d'Alain de Benoist contre la pen­sée de l'urgence, telle que Faye l'articule, est résumée en une seule page de son journal, celle du 1 août 1999 (cf. La dernière année, L'Age d'Homme, 2000). Elle est à mon avis très bête, et toute à la fois suffisante et insuffisante. “Suffisante” par la prétention et la cuistrerie qui se dégagent de cette leçon sans substance, dia­métralement opposée à celles de Mohler et Rosset, et “insuffisante” par sa nullité et sa non pertinence.

Economie régulée et modèles sociaux traditionnels

Frédéric Valentin a abordé deux thèmes importants: la théorie de la régulation, avancée par les gauches au­jourd'hui, mais qui puise dans les corpus "hétérodoxes" (selon la définition de Perroux, Albertini et Silem). Pour les régulationistes français, la bonne marche de l'économie dépend de l'excellence des institutions politiques et économiques de l'entité où elle se déploie. Ces institutions découlent d'une histoire propre, d'un long terme his­torique, d'une continuité, qu'il serait tout à fait déraisonnable d'effacer ou de détruire, sous peine de dis­lo­quer la société et d'appeler une cascade de problèmes insolubles. Par conséquent, une économie qui se vou­drait "mondiale" ou "globale" est une impossibilité pratique et une dangereuse illusion. Dans sa deuxième in­ter­vention, il a montré comment les civilisations indiennes et chinoises avaient mis au point des garde-fous pour em­pêcher les classes sociales s'adonnant au négoce (du latin "neg-otium", fébrilité ou frénésie sans élégance) de contrôler l'ensemble du corps social.

Le Général Uhle-Wettler, ancien commandant des unités parachutistes allemandes et ancien chef de la 1ière Division aéroportée de la Bundeswehr, nous a exhorté à lire attentivement

- les ouvrages de Paul Kennedy sur la dynamique des empires et sur le concept d'hypertension impériale (im­perial overstretch),

- de Zbigniew Brzezinski pour connaître les intentions réelles de Washington en Eurasie et

- de Noam Chomsky pour connaître les effets pervers du globalisme actuel.

Cet exposé a été d'une clarté limpide, tant par la voix d'un homme habitué à haranguer ses troupes que par la concision du chef qui donne des ordres clairs. En tous points, les énoncés et les conclusions du Général cor­res­pondaient aux projets de notre "Ecole des Cadres", dirigée par Philippe Banoy, ce qui a évidemment en­thou­siasmé les stagiaires de cette école, présents à l'Université d'été! Mieux: debout à côté du Général pour tradui­re ses propos en français, j'ai été frappé d'entendre son appel aux jeunes Allemands à rejoindre un cercle com­me le nôtre pour élaborer l'alternative au monde actuel.

Pour ma part, j'ai présenté 54 cartes historiques de l'Europe, montrant le conflit cinq fois millénaire de nos peuples avec les peuples de la steppe eurasiatique. Nos cartographies scolaires sont généralement insuffisantes en France, en Allemagne et en Belgique. Les Britanniques en revanche, avec les atlas scolaires de Colin McEvedy, que je ne cesse de potasser depuis plus de vingt ans, disposent d'une cartographie historique beaucoup plus précise. En gros, quand les peuples européens dominent la steppe eurasienne jusqu'aux confins du Pamir (et peut-être au-delà, vers la Chine, à partir de la Dzoungarie et du désert du Taklamakan), ils sont maîtres de leur destin. Mais dès qu'un peuple non européen (Huns, Turcs) dépasse le Pamir pour s'élancer sur la ligne Lac Balkhach, Mer d'Aral, Mer Caspienne, il peut rapidement débouler en Ukraine puis dans la plaine hongroise et disloquer la cohésion territoriale des peuples européens en Europe. Cette vision, bien mise en exergue par la cartographie de Colin McEvedy, depuis la dispersion des peuples iraniens en Eurasie (vers 1600 av. J. C.), permet de bien mesurer les dangers actuels, où, avec Brzezinski, les Américains considèrent que l'Asie centrale fait partie de la zone d'influence des Etats-Unis, qui s'appuient sur les peuples turcophones.

Pour jeter les bases d'une "révolution conservatrice" civile

Dans une deuxième intervention, plus littéraire celle-là, j'ai montré comment les ferments de la fameuse "ré­volution conservatrice" allemande étaient né dans un cercle lycéen de Vienne en 1867, pour se développer en­suite à l'Université puis dans la sphère politique, tant chez les socialistes que chez les nationalistes. L'objectif de ce cercle, animé par la personnalité d'Engelbert Pernerstorfer, était de raviver les racines, de promouvoir un système d'enseignement populaire, de combattre les effets de la société marchande et de la spéculation boursière, de diffuser des formes d'art nouvelles selon les impulsions lancées par Schopenhauer, Wagner et Nietzsche (la "métaphysique de l'artiste", créateur de formes immortelles par leur beauté). La "révolution con­ser­vatrice" de Pernerstorfer est intéressante dans la mesure où elle se déploie avant la césure gauche/droite, socialistes/nationalistes, dévoilant une synthèse commune qui nous permet aujourd'hui de surmonter le clivage gauche/droite, qui bloque toute évolution idéologique, sociale et politique dans nos sociétés. Ensuite, le cor­pus idéologique qui a germé à Vienne de 1867 à 1914, permet de déployer une "révolution conservatrice" civile, c'est-à-dire une RC qui est en phase avec toutes les problématiques d'une société civile et non pas de la réduire à un "univers soldatique" comme dans la période de guerre civile qui a régné en Allemagne de 1918 à 1923. L'"u­ni­vers soldatique" est certes fascinant mais demeure insuffisant pour une pratique politique en temps normal (ceci dit pour répondre aux critiques insuffisantes et insultantes de de Benoist à l'encontre de toute pensée de l'urgence).

Deux autres orateurs de 40 ans se sont succédé à notre tribune: Andreas Ferch qui nous a brossé une esquisse biographique de Georg Werner Haverbeck, ancien animateur de la jeunesse "bündisch", inféodé par décret aux jeunesses hitlériennes, en rupture de banc avec le parti dès 1936 (parce que Haverbeck voulait une jeunesse fonctionnant selon les principes de la "démocratie de base" et non pas une jeunesse sous la tutelle d'un Etat), pasteur à Marbourg dans les années 40 et 50, animateur de cercles pacifiques au temps de la guerre froide (ce qui lui a valu le reproche d'être un "agent rouge"), fondateur de l'écologie non politicienne dans les années 80, refusant l'inféodation au gauchisme des Grünen (ce qui lui a valu le reproche de "néo-nationaliste" sinon pi­re…). Un destin étonnant qui résume toutes les problématiques de notre siècle. Werner Haverbeck est décédé à la fin de l'année 1999, à l'âge de 90 ans.

Heidegger et les effets pervers de la manie "faisabiliste"

Oliver Ritter, pour sa part, nous a parlé avec une extraordinaire concision et une remarquable clarté de Martin Heidegger. Il a parfaitement démontré que la transposition de critères et de grilles d'analyse de type technique ou de nature purement quantitative/comptable dans l'appréhension du réel conduit à des catastrophes (à cause du "voilement" ou de l'"oubli" de l'Etre). Face à l'option "archéofuturiste" de Faye, qui a des aspects techniciens, voire assurément "technophiles", en dépit de références heideggeriennes, les positions de Ritter sont bien sûr différentes, mais non "technophobes", dans la mesure où Heidegger s'émerveille aussi devant la beauté d'un pont qui enjambe une vallée, d'un barrage qui dompte une rivière ou un fleuve. Heidegger, et Ritter à sa suite, dénonce le désenchantement, y compris celui des productions de la technique, par l'effet pervers de ce culte technicien et quantitativiste de la faisabilité (Machbarkeit, feasability). Cette faisabilité (que critique aussi Ema­nuele Severino en Italie) réduit à rien la force intérieure des choses, qu'elles soient organiques ou produites de la main de l'homme. Cette réduction/éradication conduit à des catastrophes, et assurément à celles, convergentes, qu'annonce Faye. Ce dernier est plus proche du premier Heidegger, qui voit l'homme ar­raisonner le réel, le commettre, le requérir; Ritter, du second, qui contemple, émerveillé, les choses, souvent simples, comme la cruche qui contient le vin, au sein desquelles l'Etre n'a pas encore été voilé ou oublié, de ce second Heidegger qui dialogue avec ses disciples zen japonais dans son chalet de la Forêt Noire.

Sven Henkler, secrétaire de Synergon-Deutschland, vient de sortir un ouvrage sur le rapport homme-animal, totalement vicié aujourd'hui. Henkler nous a présenté son ouvrage le plus récent, Mythos Tier, qui déplore la déperdition définitive du rapport sacré qui existait entre l'homme et l'animal, de l'effroi respectueux que ressentait parfois l'homme face à la force de l'animal (notamment l'ours). L'animal est devenu pure mar­chan­di­se, que l'on détruit sans pitié quand les réquisits de l'économie l'exigent. Thierry de Damprichard a présenté un panorama des auteurs américains de la Beat Generation et explicité quelles influences ils avaient reçues d'Ezra Pound. Cette présentation a suscité un long débat qu'il a magistralement co-animé avec Guillaume Faye, très bon connaisseur de cette littérature, très en vogue dans les années 60. Ce débat a permis de rappeler que no­tre contestation du système (et de l'«américanosphère») est également tributaire de cette littérature protesta­taire. Guillaume Faye a notamment dit qu'elle avait marqué une figure non-conformiste française qui a démar­ré sa carrière dans ces années-là, qui est toujours à nos côtés: Jack Marchal.

Le rôle géopolitique futur de l'Inde et de sa marine

Jorge Roberto Diaz nous a parlé de la géopolitique de l'Inde, dans le cadre de diverses interventions sur les questions stratégiques et géostratégiques. Nous abordons chaque année un ensemble de questions de ce domai­ne, afin de consolider nos positions géopolitiques. L'ouvrage auquel Diaz s'est référé pour prononcer son exposé est celui d'Olivier Guillard, La stratégie de l'Inde pour le 21ième siècle (Economica, Paris, 2000). Jouer la carte in­dienne est un impératif géostratégique pour l'Europe et la Russie d'aujourd'hui, qui permettrait de contourner la masse territoriale turcophone, afghane/talibanique et pakistanaise, mobilisée contre l'UE et la Fédération de Rus­sie par les Etats-Unis. Une alliance entre l'UE, la Russie et l'Inde aurait pour corollaire de contenir l'effer­ves­cence islamiste et surtout, comme l'a très bien exposé Diaz, de contrôler l'Océan Indien et le Golfe Persique, donc les côtes des puissances islamiques alliées des Etats-Unis. Le développement de la marine indienne est donc un espoir pour l'Europe et la Russie qui permettra, à terme, de desserrer l'étau islamique dans le Caucase et les Balkans et de parfaire, le cas échéant, un blocus de l'épicentre du séisme islamiste, c'est-à-dire l'Arabie Saoudite. La menace qui pèse sur l'Inde vient de l'occupation américaine de l'île de Diego Garcia, où sont con­cen­trées des forces impressionnantes, permettant aux Etats-Unis de contrôler les flots et le ciel de l'Océan In­dien ainsi que le transit maritime du pétrole en direction de l'Europe, de l'Afrique du Sud, du Japon et des nou­veaux pays industriels d'Asie orientale.

Max Steens nous a plongés dans la pensée politique chinoise, en évoquant la figure de Han Fei, sage du 3ième siècle avant l'ère chrétienne. Han Fei nous suggère une physique politique limpide, sans jargon, avec, en plus, 47 principes pour prévenir toute pente vers la décadence. Phrase ou aphorismes courts, à méditer en perma­nen­ce! Le renouveau de notre espace politico-idéologique passe à notre sens par une lecture des sagesses po­litiques extrême-orientale, dont

- le Tao-Te-King, traduit en italien par Julius Evola pendant l'entre-deux-guerres et texte cardinal pour com­prendre son idéal de “personnalité différenciée” et son principe de “chevaucher le Tigre” (c'est-à-dire de vivre la décadence, de vivre au sein même de la décadence et de ses manifestations les plus viles, sans perdre sa force intérieure et la maîtrise de soi),

- le traité militaire de Sun Tsu comme le préconise Philippe Banoy, chef de notre école des cadres de Wal­lonie,

- le "Tao du Prince" de Han Fei, comme le préconise Steens de l'école des cadres de Bruxelles et

- le code du Shinto japonais, comme le veut Markus Fernbach, animateur de cercles amis en Rhénanie-West­phalie. Fernbach est venu nous présenter le code du Shinto avec brio, avec une clarté aussi limpide que son homologue français ès-shintoïsme, que je n'ai pas l'honneur de connaître, Bernard Marillier, auteur d'une étude superbe sur ce sujet primordial, parue récemment chez Pardès.

Tremper le caractère, combattre les affects inutiles qui nous distraient de l'essentiel

Ces voies asiatiques conduisent à tremper le caractère, à combattre en nos fors intérieurs tous les affects inu­tiles qui nous distraient de l'essentiel. Un collège de militants bien formés par ces textes, accessibles à tous, per­mettrait justement de sortir des impasses de notre mouvance. Ces textes nous enseignent tout à la fois la du­reté et la sérénité, la force et la tempérance. Après la conférence de Fernbach, le débat s'est prolongé, en abordant notamment les similitudes et les dissemblances entre ce code de chevalerie nippon et ses homologues persans ou européens. On a également évoqué les "duméziliens" japonais, étudiés dans le journal "Etudes indo-européennes" du Prof. Jean-Paul Allard de Lyon III, bassement insulté par la presse du système, qui tombe ainsi le masque et exhibe sa veulerie. Enfin, il y a eu un aspect du débat qui me paraît fort intéressant et promet­teur: notre assemblée comptait des agnostiques, des païens, des catholiques et des luthériens. Ethique non chré­tienne, le Shinto peut être assimilé sans problème par des agnostiques ou des païens, mais aussi par des ca­tho­liques car le Vatican a admis en 1936 la compatibilité du shintoïsme et du catholicisme romain. On peut donc être tout à la fois catholique et shintoïste selon la hiérarchie vaticane elle-même. Dès lors pourquoi ne pas étendre cette tolérance vaticane aux autres codes, ceux de la Perse avestique ou des kshatriyas indiens, le culte romain des Pénates, etc., bref à tout l'héritage indo-européen? Voilà qui apporterait une solution à un problème qui empoisonne depuis longtemps notre mouvance. Mais cette reconnaissance du shintoïsme, qui da­te de 1936, sous le Pontificat de Pie XII, est-elle encore compatible avec les manifestations actuelles du catho­li­cisme: les mièvreries déliquescentes de Vatican II ou l'impraticable rigidité des intégrismes obtus?

Manfred Thieme nous a ramenés à l'actualité en montrant avec précision les effets de la privatisation de l'éco­nomie dans les PECO (pays d'Europe centrale et orientale), en prenant pour exemple l'évolution de la Répu­blique Tchèque.

Les autres conférences, prévues à Bruxelles pendant le week-end précédant l'Université d'été proprement dite, seront prononcées plus tard, majoritairement en langue néerlandaise. Successivement, Jürgen Branckaert, Pré­sident des Jeunes du Vlaams Blok, l'historien brugeois Kurt Ravyts, Philippe Banoy, Guillaume Faye et moi-même y prendront la parole. Branckaert évoquera une figure cardinale de notre histoire: le Prince Eugène de Savoie, vainqueur des Turcs à la fin du 17ième siècle. Un cercle "Prince Eugène" verra le jour à Bruxelles, ras­sem­blant des Flamands et des Wallons fidèles à l'idée impériale, fédérant les cercles épars qui véhiculent la même inébranlable fidélité, tels “Empire et puissance” de Lothaire Demambourg ou la “Sodalité Guinegatte”. Des sections seront créées ensuite en Autriche, en Hongrie et en Croatie, de façon à nous remémorer notre seule légitimité politique possible, détruite par la révolution française, mais dans une perspective plus claire et plus européenne que celle de l'iconographie que nous avait présentée, dans notre enfance, le Chanoine Schoonjans, avec les images de la collection “Historia”. Ravyts analysera les influences de Gabriele d'Annunzio et de Léon Bloy, notamment sur la figure du national-solidariste flamand Joris Van Severen. Il rendra de la sorte cette figure de notre histoire plus compréhensible pour nos amis français et italiens. Cet exposé per­mettra également de raviver le souvenir de Léon Bloy dans notre mouvance, qui l'a trop négligé jusqu'ici. Banoy analysera l'œuvre de Vladimir Volkoff et en tirera tous les enseignements nécessaires: lutte contre la sub­version et la désinformation. Guillaume Faye présentera une nouvelle fois sa théorie de la “convergence des catastrophes".

La diversité de vos intervenants se retrouve dans la liste de diffusion multilingue que vous animez sur le net. Qu'il s'agisse de culture, de politique ou de géostratégie, vous offrez à vos destinataires des contri­butions qui tranchent bien entendu avec la pensée unique mais aussi bien souvent avec la routine intel­lectuelle des milieux nationalistes, français en tous cas. Précisément, quel regard portez-vous sur les na­tionalismes européens en général et français en particulier ?

Le rôle d'un cercle "métapolitique" est aussi de diffuser de l'information en vrac pour aider les jugements à se forger, pour concurrencer, dans la mesure du possible, l'idéologie que véhiculent les médias. Nous diffusons en six langues, le français, l'anglais, l'allemand, le néerlandais, l'espagnol et l'italien. Ce sont les six langues de travail de Synergies Européennes en Europe occidentale. Bon nombre de nos destinataires sont multilingues et la combinaison de langues maîtrisées varie d'individu à individu. Ce service de documentation électronique vise essentiellement, comme vous le devinez, à contredire et à critiquer l'idéologie dominante, celle de la "pensée unique" et de la "political correctness", mais aussi à enrichir le discours de nos lecteurs, quel que soit le secteur où ils sont actifs, politiquement ou professionnellement. En confrontant les idées de leurs milieux national, politique ou professionnel à celles de milieux similaires dans d'autres pays ou espaces linguistiques, ils consolident leurs idées, apprennent à les illustrer avec davantage d'arguments donc à transcender tout ce qui pourrait être répétition stérile. Nous tranchons de la sorte avec les routines du nationalisme français comme avec toutes les autres routines qui sévissent ailleurs. Pour moi, le nationalisme n'a de sens que s'il est une pratique qui consiste à capter les forces agissantes dans la société civile, dans le "pays réel" aurait dit Maurras, mais qui sont contrecarrées dans leur déploiement par l'établissement, ou le "pays légal".

Le "pays réel" des petites et honnêtes gens

Quant au regard que nous portons sur le nationalisme français, vous devinez qu'il est critique, justement parce qu'il vient d'ailleurs, d'un lieu hors Hexagone. En général, les observateurs scientifiques des phénomènes nationalistes dans le monde opèrent une distinction entre les "nationalismes étatiques" et les "nationalismes populaires" ou "ethniques". Les nationalismes étatiques, dans cette optique, seraient ceux qui privilégieraient les appareils d'Etat sans tenir compte des facteurs ethniques ou en s'opposant à ceux-ci. Les nationalismes populaires ou ethniques serait ceux qui instrumentaliseraient les forces populaires contre les appareils, jugés étrangers et coercitifs. Généralement, les nationalismes populaires ou ethniques se réclament du philosophe allemand Johann Gottfried Herder, père spirituel des nationalismes allemand, flamand, scandinaves, finnois, hongrois, russe, serbe, croate, tchèque, grec, slovaque, irlandais, breton, etc. On a opposé ce nationalisme du substrat ethnique aux idées de la révolution française, qui utilisent les forces organiques du peuple pour faire triompher des abstractions qui, une fois établies, travailleront à éradiquer les peuples réels. En dehors de France, le nationalisme français est souvent confondu avec les idées révolutionnaires jacobines, qui sont considérées comme anti-nationales. Ernest Renan a tenté de formuler un "nationalisme d'élection", un nationalisme fait d'adhésion volontaire à une "idée" nationale. Cette formule est également considérée comme un leurre par les nationalismes d'inspiration herdérienne, cette volonté et cette "idée" apparaissant trop éthérées par rapport à la substantialité que représentent l'héritage ancestral, la littérature véhiculée de génération en génération, les lignées de chair et de sang, la langue comme réceptacle de tous les souvenirs ataviques. La formule de Maurras éveille la même suspicion, à l'exception de sa distinction entre "pays réel" et "pays légal". Où le pays réel des "petites et honnêtes gens" (Péguy!) est exploité et écrasé par un pays légal mais foncièrement illégitime. En ce sens, Maurras est ambigu: dans sa jeunesse félibrige, il était un adepte de Herder qui s'ignorait. Il pariait directement sur le charnel local, cherchait à le dégager de l'emprise d'un légalisme abstrait. Cette trajectoire va continuer : la nostalgie d'un populisme organique ne cesse de hanter de grands esprits en France. Les fédéralistes autour d'Alexandre Marc et de Guy Héraud, qui commencent leurs travaux dans les années 30, les éléments critiques à l'égard d'un étatisme trop rigide que l'on repère dans l'œuvre de Bertrand de Jouvenel, le "folcisme" provençal, rural et paysan d'un Giono, les mouvements paysans de l'entre-deux-guerres, le slogan la "Terre ne ment pas" du temps de Vichy, les éléments épars de toute cette quête diffuse qui se retrouve dans le populisme gaulliste pendant la guerre et dans l'après-guerre, etc. La synthèse de toutes ces merveilles de la pensée du 20ième siècle n'a pas encore été faite. Malheureusement ! Cependant, les orientations nouvelles du gaullisme dans les années 60, après les tumultes de la guerre d'Algérie, avec la volonté de créer un Sénat des régions et des professions et de lancer l'idée mobilisatrice de "participation" mériteraient, à notre sens, une attention plus soutenue de la part des cercles néo-nationalistes en France, qu'ils soient inféodés à des partis ou non.

Un programme nouveau pour le nationalisme français

Enfin, il est évidemment qu'en dehors de France, et même dans les régions francophones à la périphérie de l'Hexagone, l'Histoire n'est pas jugée de la même manière. Par rapport au reste de l'Europe, l'Histoire de Fran­ce, depuis Louis XI (que nos instituteurs appelait l'«Universelle aragne», en reprenant l'expression qu'utilisait à son propos Charles le Hardi, Duc de Bourgogne, que l'historiographie française nomme le «Téméraire») et sur­tout depuis François I est regardée avec une évidente animosité. L'alliance que François I noue avec les Ot­tomans est considérée comme une trahison à l'égard du "bloc civilisationnel" européen. Cette animosité est difficilement surmontable, car lorsque nous avons affaire à des amis allemands (surtout du Sud), espagnols, autrichiens, hongrois, croates, lombards ou vénitiens, nous sommes amenés tout naturellement à partager la même vision de l'histoire: celle qui voit l'Europe unie contre les adversaires communs en Afrique du Nord et dans les Balkans. La France, comme du reste l'Angleterre, et dans une moindre mesure le Portugal et la Suède, fait bande à part, est perçue comme étant en marge de notre bloc civilisationnel. Par conséquent, notre souhait est de voir se développer une nouvelle historiographie française qui aurait les caractéristiques suivantes:

◊ Elle se réapproprierait une bonne part de la tradition bourguignonne, dans la mesure où celle-ci est fidèle à l'Empire, forge un "Ordre de la Toison d'Or" visant à reprendre pied dans l'espace pontique (Mer Noire);

◊ Elle revaloriserait des figures comme Catherine Ségurane, héroïque niçoise en lutte contre les Ottomans et François I (cf. «Une jeune Niçoise résiste au Turc Barberousse», in : Historia, n°593, mai 1996);

◊ Elle se réfèrerait davantage à la Sainte-Ligue, au-delà d'un catholicisme trop intransigeant, car la Sainte-Ligue était alliée à une Espagne combattante, notamment en Méditerranée et en Afrique du Nord;

◊ Elle se réfèrerait aux mouvements populaires de résistance, ainsi qu'à la Fronde, contre les tentatives de centralisation, qui n'avait qu'un but, spolier la population pour financer des guerres contre le reste de l'Europe et au profit de l'allié ottoman;

◊ Elle réactualiserait la politique maritime de Louis XVI, qui fut capable de damer le pion à la Royal Navy, et qui aurait, s'il avait réussi, dégagé définitivement l'Europe de l'«anaconda» thalassocratique (Haushofer);

◊ Elle mettrait en exergue la conquête de l'Algérie, imposée par la Restauration européenne à la France, pour expier les fautes de François I, qui avait, par ses manœuvres pro-ottomanes, fait échouer les conquêtes de Charles-Quint, amorcées en Tunisie, et des troupes espagnoles en Oranie;

◊ Elle renouerait avec le gaullisme anti-impérialiste et participationniste, en dépit des clivages catastrophiques de la guerre d'Algérie, ce qui permettrait de retomber à pieds joints dans le concret, en avançant une politique d'indépendance agricole et d'indépendance énergétique, pariant sur la diversité des sources, en proposant un modèle social original, dépassant les insuffisances du libéralisme et du capitalisme de type anglo-saxon, de lancer une politique spatiale (de concert avec le reste de l'Europe), de consolider un armement nucléaire, de relancer une flotte crédible (cf. les thèses de l'Amiral Castex et les travaux de Hervé Coutau-Bégarie) et de maintenir l'atout majeur qu'est une industrie aéronautique autonome, prête à coopérer avec ses consœurs européennes (notamment Saab en Suède).

Vous le constatez: nous ne sommes pas seulement critiques, par rapport aux errements du passé, nous sommes surtout positifs car nous proposons aux Français de mettre leurs atouts au service d'un bloc civilisationnel, capable de résister aujourd'hui aux Etats-Unis et à son appendice, le monde islamique, travaillé par les intégrismes de tous acabits.

 

jeudi, 10 mai 2007

9ième Université d'été de "Synergies Européennes"

9ième UNIVERSITÉ D'ÉTÉ (2001) DE «SYNERGIES EUROPÉENNES»

L'Université d'été tient une place centrale dans les activités de l'association «SYNERGIES EUROPÉEN­NES». Elle est simul­tanément la Diète du mouve­ment, qui permet à ses sympa­thi­sants, venus de tou­te l'Europe, de se rencontrer et de constater que bon nombre de leurs préoccupations sont les mêmes en dépit des barrières nationales ou linguistiques. Cette année, cette réunion annuelle a eu lieu en Basse-Sa­xe, à proximité du site archéologique pré­historique des "Ex­ternsteine", qui fut probablement un observatoire astro­no­mique, comme Stonehenge en Angleterre. Les stagiaires ont visité ce site et sui­vi les explications d'un guide pro­fes­sionnel, qui s'est spécialisé dans la question, et qui maîtrise par­fai­tement l'histoire très controversée  —à l'instar de Glo­zel en France—  des recherches qui ont eu lieu là-bas de­puis la fin du 19ième siècle.

Les interventions principales de la session de 2001

Lors de cette 9ième Université d'été (qui est simulta­nément la 16ième rencontre internationale de ce type patronnée di­rectement par «SYNERGIES EUROPÉEN­NES») a vu se succé­der des orateurs très différents. Les organisateurs ont tou­jours voulu présenter un panel d'orateurs chevronnés et d'o­rateurs néophy­tes. Cette méthode permet un enrichis­se­ment ré­ci­proque et évite le piège de la répétition, qui est mor­tel à terme. Souvent les orateurs néophytes se dé­fen­dent d'ailleurs fort bien. Ce fut le cas cette an­née plus que ja­mais. Parmi les orateurs chevron­nés, nous avons eu Guil­laume Faye, Frédéric Valen­tin, le Général Reinhard Uhle-Wettler et Robert Steuckers.

Guillaume Faye et la «convergence des catastrophes»

Faye nous a parlé de la "convergence des catastro­phes" qui risque fort bien de s'abattre sur l'Europe dans les deux pro­chaines décennies. C'est un thème qu'il a déjà eu l'occasion d'évoquer dans ces trois der­niers ouvrages, mais qu'il va approfondir en étu­diant les théories de la physique des ca­ta­strophes. Le résultat final de cette quête va paraître dans une di­zaine de mois et nous offrir une solide batterie d'ar­gumentaires pour notre "philosophie de l'urgen­ce", héri­tée de sa lecture de Carl Schmitt (l'Ernst­fall sur lequel il a déjà travaillé au début des an­nées 80, notamment avec le con­cours de Robert Steuc­kers, de son ami et traducteur mi­lanais Ste­fa­no Sutti Vaj et de Jaime Nogueira Pinto, éditeur de la revue portugaise Futuro Presente). L'influence d'au­teurs comme Ernst Jünger et Martin Heidegger a également été capitale dans l'élaboration de cette pensée de l'ur­gen­ce. Faye est ainsi le disciple fidèle d'Armin Mohler, auteur du manuel de référence prin­cipal des ND allemandes et italiennes (paru en ver­sion française chez Pardès). Mohler développait, lui aussi, une pensée de l'urgence, tirée des au­teurs de la Révolution Conservatrice dont Jünger, de Carl Schmitt (“die Entscheidung”, “der Ausnahme­zu­stand”), des disciples de celui-ci qui parlaient d'«Ernst­fall», de la théo­rie de Walter Hof sur le “réa­lisme héroïque” et de la philo­so­phie du Français Clé­ment Rosset, auteur d'un ouvrage ca­pi­tal: La lo­gi­que du pire. Pour Rosset, il fallait en perma­nen­ce penser le pire, donc l'urgence, pour pouvoir affron­ter les dangers de l'existence et ne pas sombrer dans le dé­sespoir devant la moindre contrariété ou face à un échec cui­sant mais passager. Mohler et Ros­set sont les véritables professeurs de Faye, tout comme son ami Giorgio Locchi, dis­paru trop tôt en 1992. Guillaume Faye poursuit et ap­profondit ce fi­lon très fécond de la pensée. En cela, il reste iné­branlablement fidèle à l'option la plus essentielle de la "Nou­velle Droite", à laquelle il a voué son exis­ten­ce.

De nous tous, qui avons participé aux initiatives de la ND, incontestablement, Faye est ce­lui qui a le plus don­né, sans autre retours que l'ignoble trahison de ses pre­miers com­man­ditaires, qui ont délibérément tenté de ré­dui­re sa voix à un silence définitif, d'abord en lui coupant les vivres, en­suite, dans une deuxième phase, en montant au printemps 2000 une machination, une cabale, destinée à le faire con­damner à une amende astronomique par la 17ième chambre de Paris. Qu'il accepte ici notre plus sincère gratitude. Et que les comploteurs soient assurés de notre plus parfait mépris.[NDLR/RS : à propos de la critique de toute "pen­sée de l'ur­gence" chez Alain de Benoist: Locchi, Mohler et Rosset sont é­galement mes professeurs, des maîtres que je ne sau­rais re­nier: je n'accepte pas qu'on les trahisse aussi mi­sé­rable­ment, que l'on opère une volte-face aussi pito­ya­ble, surtout que rien, mais alors rien, n'est jamais venu in­fir­mer la jus­tesse de leurs démonstrations. La critique d'A­lain de Be­noist contre la pensée de l'urgence, telle que Fa­ye l'articu­le, est résumée en une seule page de son journal, celle du 1 août 1999 (cf. La dernière année, L'Age d'Hom­me, 2000). Elle est à mon avis très bête, et tout à la fois suf­fisante et insuffisante. “Suffisante” par la prétention et la cuistrerie qui se dégagent de cette leçon sans substance, diamé­tra­le­ment opposée à celles de Mohler et Rosset, et “in­suffisan­te” par sa nullité et sa non pertinence. De Be­noist critique Faye, parce que sa vision "catastrophiste" dé­ri­ve d'une analyse des effets pervers des politiques irréflé­chies d'immigration, pratiquées en France et dans d'autres pays d'Europe occidentale. Faye a prévu également le ter­ro­risme, qui a frappé en 2001, à New York et peut-être aus­si à Toulouse. L'islamisme, en tant qu'extrémisme (qu'on ne con­fondra pas avec l'Islam), est évidemment un danger, pour les peuples de souche européenne comme pour les peu­ples musulmans, mais de Benoist, pour des raisons vé­na­les et alimentaires, ou de vaine gloriole, ne peut dé­velopper une critique de ces dérives: il est un des corres­pon­dants ou des collaborateurs occasionnels à Paris du jour­nal iranien Teheran Times. Cette modeste position, qui pourrait certes être intéressante, autorise-t-elle l'aveugle­ment intellectuel ou le reniement de ses propres positions? Là est toute la question…]. 

Frédéric Valentin: régulationistes et modèles indien et chinois

Frédéric Valentin a abordé deux thèmes importants: la théo­rie de la régulation, avancée par les gauches au­jour­d'hui, mais qui puise dans les corpus "hété­ro­doxes" (selon la définition de Perroux, Albertini et Si­lem). Pour les régula­tionistes français, la bonne mar­che de l'économie dépend de l'excellence des in­stitutions politiques et économiques de l'entité où elle se déploie. Ces institutions découlent d'une his­toire propre, d'un long terme historique, d'une con­­ti­nuité, qu'il serait tout à fait déraisonnable d'ef­fa­cer ou de détruire, sous peine de disloquer la socié­té et d'ap­pe­ler une cascade de problèmes insolu­bles. Par consé­quent, une économie qui se voudrait "mondiale" ou "glo­bale" est une impossibilité prati­que et une dangereuse illu­sion. Dans sa deuxième in­tervention, il a montré comment les civilisations in­diennes et chinoises avaient mis au point des gar­de-fous pour empêcher les classes sociales s'adon­nant au négoce (du latin "neg-otium", fébrilité ou fré­nésie sans élégance) de contrôler l'ensemble du corps social.

Reinhard Uhle-Wettler: Brzezinski, Kennedy, Chomsky

Le Général Uhle-Wettler, ancien commandant des uni­tés pa­ra­chutistes allemandes et ancien chef de la 1ière Division aéroportée de la Bundeswehr, nous a ex­horté à lire atten­ti­ve­ment

- les ouvrages de Paul Kennedy sur la dynamique des em­pires et sur le concept d'hypertension impériale (imperial overstretch),

- de Zbigniew Brzezinski pour connaître les inten­tions réel­les de Washington en Eurasie et

- de Noam Chomsky pour connaître les effets pervers du glo­balisme actuel.

Cet exposé a été d'une clarté limpide, tant par la voix d'un homme habitué à haranguer ses troupes que par la conci­sion du chef qui donne des ordres clairs. En tous points, les énoncés et les conclusions du Général correspondaient aux projets de l'"Ecole des Cadres" de "SYNERGIES EUROPÉEN­NES", dirigée en Wallonie par Philippe Banoy, ce qui a évi­dem­ment enthousiasmé les stagiaires de cette école, pré­sents à l'Université d'été! Mieux: en entendant les paroles du Général, nous avons été frappé d'en­ten­dre son appel aux jeunes Allemands à rejoindre un cercle comme "Synergies Européennes" pour éla­bo­rer l'alternative au monde actuel.

Steuckers: cartographie géopolitique

Pour sa part, Robert Steuckers a présenté 54 cartes histori­ques de l'Europe, montrant le conflit cinq fois mil­lénaire de nos peuples avec les peuples de la step­­pe eurasiatique. Nos cartographies scolaires sont généralement insuffisantes en France, en Al­le­magne et en Belgique. Les Britanniques en re­van­che, avec les atlas scolaires de Colin McEvedy, que Steuckers n'a cessé de potasser depuis plus de vingt ans, dis­posent d'une cartographie historique beau­coup plus pré­ci­se. En gros, quand les peuples euro­péens dominent la step­pe eurasienne jusqu'aux con­fins du Pamir (et peut-être au-delà, vers la Chine, à partir de la Dzoungarie et du dé­sert du Takla­ma­kan), ils sont maîtres de leur destin. Mais dès qu'un peuple non européen (Huns, Turcs) dépasse le Pa­mir pour s'élancer sur la ligne Lac Balkhach, Mer d'Aral, Mer Caspienne, il peut rapidement débouler en U­kraine puis dans la plaine hongroise et disloquer la co­hésion territo­ria­le des peuples européens en Euro­pe. Cette vision, bien mi­se en exergue par la carto­gra­phie de Colin McEvedy, depuis la dispersion des peuples iraniens en Eurasie (vers 1600 av. J. C.), per­met de bien mesurer les dangers actuels, où, a­vec Brzezinski, les Américains considèrent que l'A­sie cen­tra­le fait partie de la zone d'influence des Etats-Unis, qui s'ap­puient sur les peuples turco­pho­nes.

Engelbert Pernerstorfer

Dans une deuxième intervention, plus littéraire cel­le-là, Steuc­kers a montré comment les ferments de la fameuse "ré­volution conservatrice" allemande é­taient né dans un cer­cle lycéen de Vienne en 1867, pour se développer en­suite à l'Université puis dans la sphère politique, tant chez les socialistes que chez les nationalistes. L'objectif de ce cercle, ani­mé par la personnalité d'Engelbert Pernerstorfer, é­tait de raviver les racines, de promouvoir un systè­me d'en­seignement populaire, de combattre les ef­fets de la société marchande et de la spéculation bour­sière, de diffuser des formes d'art nouvelles se­lon les impulsions lancées par Scho­penhauer, Wag­ner et Nietzsche (la "métaphysique de l'artiste", créa­teur de formes immortelles par leur beauté). La "révolution conservatrice" de Pernerstorfer est in­té­res­sante dans la mesure où elle se déploie avant la césure gau­che/droite, socialistes/nationalistes, dé­voi­lant une syn­thèse commune qui nous permet au­jour­d'hui de surmonter le clivage gauche/droite, qui bloque toute évolution idéolo­gique, sociale et poli­ti­que dans nos sociétés. Ensuite, le cor­pus idéolo­gi­que qui a germé à Vienne de 1867 à 1914, per­met de déployer une "révolution conservatrice" civile, c'est-à-dire une Révolution Conservatrice qui est en phase avec toutes les problématiques d'une société civile et non pas de la réduire à un "univers soldatique" com­me dans la pé­riode de guerre civile qui a régné en Allemagne de 1918 à 1923. L'"univers soldatique" est certes fascinant mais de­meu­re insuffisant pour une pratique politique en temps nor­mal (ceci dit pour répondre aux critiques d'Alain de Be­noist à l'en­contre de toute pensée de l'urgence, critiques qu'il adresse surtout à Faye).

L'itinéraire de Georg Werner Haverbeck

Deux autres orateurs de 40 ans se sont succédé à no­tre tri­bune: Andreas Ferch qui nous a brossé une esquisse bio­gra­phique de Georg Werner Haverbeck, ancien animateur de la jeunesse "bündisch", inféodé par décret aux jeunesses hit­lé­riennes, en rupture de banc avec le parti dès 1936 (parce que Haverbeck vou­lait une jeunesse fonctionnant selon les prin­ci­pes de la "démocratie de base" et non pas une jeu­nesse sous la tutelle d'un Etat), pasteur à Marbourg dans les années 40 et 50, animateur de cercles pa­cifiques au temps de la guerre froide (ce qui lui a va­lu le reproche d'être un "a­gent rouge"), fondateur de l'écologie non politicienne dans les années 80, refusant l'inféodation au gauchisme des Grünen (ce qui lui a valu le reproche de "néo-nationaliste" sinon pire…). Un destin étonnant qui résume toutes les pro­blé­matiques de notre siècle. Werner Haverbeck est décédé à la fin de l'année 1999, à l'âge de 90 ans.

Oliver Ritter: Heidegger et la technique

Oliver Ritter, pour sa part, nous a parlé avec une ex­traor­di­naire concision et une remarquable clarté de Martin Hei­deg­ger. Il a parfaitement démontré que la transposition de cri­tères et de grilles d'ana­ly­se de type technique ou de na­tu­re purement quan­ti­tative/comptable dans l'appréhension du réel con­duit à des catastrophes (à cause du "voilement" ou de l'"oubli" de l'Etre). Face à l'option "archéofu­tu­ris­te" de Fa­ye, qui a des aspects techniciens, voire as­su­rément "tech­no­philes", en dépit de références hei­deggeriennes, les positions de Ritter sont bien sûr différentes, mais non "tech­no­phobes", dans la me­sure où Heidegger s'émerveille aussi devant la beauté d'un pont qui enjambe une vallée, d'un bar­rage qui dompte une rivière ou un fleuve. Hei­deg­ger, et Ritter à sa suite, dénonce le désenchante­ment, y compris celui des productions de la te­ch­nique, par l'effet per­vers de ce culte technicien et quantitativiste de la fai­sa­­bilité (Machbarkeit, fea­sa­bility). Cette faisabilité (que cri­tique aussi Ema­nue­le Severino en Italie) réduit à rien la for­ce inté­rieu­re des choses, qu'elles soient organiques ou pro­dui­tes de la main de l'homme. Cette réduction/éra­di­ca­tion conduit à des catastrophes, et assurément à cel­les, con­­vergentes, qu'annonce Faye. Ce dernier est plus proche du premier Heidegger, qui voit l'hom­me arraisonner le réel, le commettre, le re­qué­rir; Ritter, du second, qui con­tem­ple, émer­veillé, les choses, souvent simples, comme la cru­che qui contient le vin, au sein desquelles l'Etre n'a pas en­co­re été voilé ou oublié, de ce second Heidegger qui dia­lo­gue avec ses disciples zen japonais dans son chalet de la Fo­rêt Noire.

Sven Henkler: le rapport homme/animal  

Sven Henkler, secrétaire de Synergon-Deutschland, vient de sortir un ouvrage sur le rapport homme-ani­mal, totalement vicié aujourd'hui. Henkler nous a pré­senté son ouvrage le plus récent, Mythos Tier, qui déplore la déperdition défi­ni­ti­ve du rapport sa­cré qui existait entre l'homme et l'animal, de l'effroi respectueux que ressentait parfois l'homme face à la force de l'animal (notamment l'ours). L'animal est de­ve­nu pure marchandise, que l'on détruit sans pitié quand les réquisits de l'économie l'exigent.

Ezra Pound et la «Beat Generation»

Thierry de Damprichard a présenté un panorama des au­teurs américains de la Beat Generation et expli­ci­té quelles in­fluences ils avaient reçues d'Ezra Pound. Cette présen­ta­tion a suscité un long débat qu'il a magistralement co-ani­mé avec Guillaume Fa­ye, très bon connaisseur de cette lit­térature, très en vogue dans les années 60. Ce débat a per­mis de rap­peler que notre contestation du système (et de l'«a­­méricanosphère») est également tributaire de cette lit­térature protestataire. Guillaume Faye a no­­tamment dit qu'elle avait marqué une figure non-conformiste française qui a démarré sa carrière dans ces années-là, qui est tou­jours à nos côtés: Jack Mar­chal.

J. R. Diaz: l'alliance indienne

Jorge Roberto Diaz nous a parlé de la géopolitique de l'In­de, dans le cadre de diverses interventions sur les questions stratégiques et géostratégiques. Le groupe "SYNERGIES EU­RO­PÉENNES" aborde chaque an­née un ensemble de ques­tions de ce domaine, afin de consolider ses positions géopo­litiques. L'ouvrage auquel Diaz s'est référé pour prononcer son exposé est celui d'Olivier Guillard, La stratégie de l'Inde pour le 21ième siècle (Economica, Paris, 2000). Jouer la car­te indienne est un impératif géostratégique pour l'Europe et la Russie d'aujourd'hui, qui per­met­trait de contourner la masse territoriale turco­pho­ne, afghane/talibanique et paki­sta­naise, mobilisée contre l'UE et la Fédération de Russie par les Etats-Unis. Une alliance entre l'UE, la Russie et l'In­de au­rait pour corollaire de contenir l'effervescence isla­miste et surtout, comme l'a très bien exposé Diaz, de con­trôler l'Océan Indien et le Golfe Persique, donc les côtes des puissances islamiques alliées des Etats-Unis. Le déve­lop­pement de la marine indienne est donc un espoir pour l'Europe et la Russie qui per­mettra, à terme, de desserrer l'é­tau islamique dans le Caucase et les Balkans et de par­faire, le cas échéant, un blocus de l'épicentre du séisme is­la­­miste, c'est-à-dire l'Arabie Saoudite. La menace qui pè­se sur l'Inde vient de l'occupation américaine de l'île de Diego Gar­cia, où sont concentrées des forces impressionnantes, per­mettant aux Etats-Unis de con­trôler les flots et le ciel de l'Océan Indien ainsi que le transit maritime du pétrole en direction de l'Europe, de l'Afrique du Sud, du Japon et des nou­veaux pays industriels d'Asie orientale.

Max Steens: le Tao du Prince de Han Fei

Max Steens nous a plongés dans la pensée politique chinoi­se, en évoquant la figure de Han Fei, sage du 3ième siècle avant l'ère chrétienne. Han Fei nous sug­gère une physique po­litique limpide, sans jargon, avec, en plus, 47 principes pour prévenir toute pen­te vers la décadence. Phrases ou a­phorismes courts, à méditer en permanence! Le renouveau de notre es­pace politico-idéologique passe à notre sens par une lecture des sagesses politiques extrême-orien­tales, dont

◊ le Tao-Te-King, traduit en italien par Julius Evola pendant l'entre-deux-guerres et texte cardinal pour comprendre son idéal de “personnalité différenciée” et son principe de “che­vaucher le Tigre” (c'est-à-di­re de vivre la décadence, de vivre au sein même de la décadence et de ses mani­fes­tations les plus viles, sans perdre sa force intérieure et la maî­trise de soi),

◊ le traité militaire de Sun Tsu comme le préconise Philippe Banoy, chef de l'école des cadres de "SY­NERGIES EURO­PÉEN­NES" en Wallonie,

◊ le "Tao du Prince" de Han Fei, comme le préconise Steens de l'école des cadres de Bruxelles et

◊ le code du Shinto japonais, comme le veut Markus Fern­bach, animateur de cercles amis en Rhénanie-Westphalie. Fernbach est venu nous présenter le co­de du Shinto avec brio, avec une clarté aussi lim­pi­de que son homologue fran­çais ès-shintoïsme, que les lecteurs de la revue "Terre et Peu­ple" con­naissent bien, Bernard Marillier, auteur d'une étu­de superbe sur ce sujet primordial, parue récemment chez Pardès.

Markus Fernbach: les leçons du shintoïsme

Ces voies asiatiques conduisent à tremper le carac­tè­re, à combattre en nos fors intérieurs tous les af­fects inutiles qui nous distraient de l'essentiel. Un collège de militants bien formés par ces textes, ac­cessibles à tous, permettrait jus­te­ment de sortir des impasses de notre mouvance. Ces tex­tes nous en­sei­gnent tout à la fois la dureté et la sérénité, la force et la tempérance. Après la conférence de Fern­bach, le débat s'est prolongé, en abordant notamment les si­militudes et les dissemblances entre ce code de che­va­le­rie nippon et ses homologues persans ou eu­ropéens. On a éga­lement évoqué les "duméziliens" ja­ponais, étudiés dans le journal "Etudes indo-eu­ropéennes" du Prof. Jean-Paul Al­lard de Lyon III, bas­sement insulté par la presse du systè­me, qui tom­be ainsi le masque et exhibe sa veulerie. Enfin, il y a eu un aspect du débat qui nous paraît fort in­té­ressant et prometteur: notre assemblée comptait des agnostiques, des païens, des catholiques et des lu­thériens. Ethique non chré­tienne, le Shinto peut être assimilé sans problème par des agnostiques ou des païens, mais aussi par des catholi­ques car le Va­tican a admis en 1936 la compatibilité du shin­toïsme et du catholicisme romain. On peut donc être tout à la fois catholique et shintoïste selon la hiérarchie va­ti­cane elle-même. Dès lors pourquoi ne pas éten­dre cette to­lérance vaticane aux autres codes, ceux de la Perse aves­ti­que ou des kshatriyas indiens, le cul­te romain des Péna­tes, etc., bref à tout l'hérita­ge indo-européen? Voilà qui ap­porterait une solution à un problème qui empoisonne de­puis longtemps no­tre mouvance. Mais cette reconnaissance du shin­toïs­me, qui date de 1936, sous le Pontificat de Pie XII, est-elle encore compatible avec les manifesta­tions ac­tuelles du catholicisme: les mièvreries déli­quescentes de Va­tican II ou l'impraticable rigidité des intégrismes obtus?

Manfred Thieme nous a ramenés à l'actualité en mon­trant avec précision les effets de la privati­sa­tion de l'économie dans les PECO (pays d'Europe cen­trale et orientale), en pre­nant pour exemple l'é­volution de la République Tchèque.

La suite à Bruxelles…

Les autres conférences, prévues à Bruxelles pendant le week-end précédant l'Université d'été proprement dite, se­ront prononcées plus tard, majoritairement en langue néer­landaise. Successivement, Jürgen Branc­kaert, germaniste et angliciste, l'historien brugeois Kurt Ravyts, Philippe Ban­noy, Guillaume Faye et Robert Steuckers y prendront la pa­role. Branckaert évoquera une figure cardinale de notre his­toire: le Prince Eugène de Savoie, vain­queur des Turcs à la fin du 17ième siècle. Un cercle "Prin­ce Eugène" verra le jour à Bruxelles, rassem­blant des Flamands et des Wallons fidèles à l'idée impériale, fédérant les cercles épars qui véhiculent la même inébranlable fidélité, tels “Empire et puis­sance” de Lothaire Demambourg ou la “Sodalité Gui­ne­gatte”. Des sections seront créées ensuite en Au­triche, en Hongrie et en Croatie, de façon à nous re­mé­morer notre seu­le légitimité politique possible, dé­truite par la révo­lu­tion française, mais dans une perspective plus claire et plus européenne que celle de l'iconographie que nous avait pré­sen­tée, dans no­tre enfance, le Chanoine Schoonjans, avec les ima­ges de la collection “Historia”. Ravyts analysera les influences de Gabriele d'Annunzio et de Léon Bloy, notam­ment sur la figure du national-solidariste fla­mand Joris Van Severen. Il rendra de la sorte cette figure de notre histoire plus compréhensible pour nos amis français et italiens. Cet exposé permettra également de raviver le souvenir de Léon Bloy dans notre mouvance, qui l'a trop négligé jusqu'ici. Ban­­noy analysera l'œuvre de Vladimir Volkoff et en ti­re­ra tous les enseignements nécessaires: lutte contre la subver­sion et la désinformation. Guillaume Faye présentera une nou­velle fois sa théorie de la “con­ver­gence des catastro­phes", cette fois à l'occasion de la parution de son ouvrage Avant-guerre, promis pour février 2002.  

Jérémie CATTEAUX.

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