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vendredi, 19 février 2021

La pensée de Julius Evola au Brésil

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La pensée de Julius Evola au Brésil

par César Ranquetat Jr

Ex : http://legio-victrix.blogspot.com/

Nous allons essayer de démontrer, dans cet article, la présence de la pensée de Julius Evola en terre brésilienne. À cette fin, nous mentionnerons des articles, des livres, des magazines et des sites où l'on fait référence au penseur italien. Dans un deuxième temps, nous exposerons brièvement la vision que certains groupes "alternatifs" ont de la figure et de l'œuvre de Julius Evola.

Un rapide panorama de la vie intellectuelle au Brésil aujourd'hui

Pas très différent de ce qui se passe dans d'autres pays d'Amérique latine ! On peut observer une hégémonie intellectuelle de la gauche progressiste au Brésil. Une grande partie des universités (dans les domaines des sciences sociales, de l'histoire, de la philosophie, de la littérature), des centres de recherche, des magazines, des journaux, des chaînes de télévision et de radio et des maisons d'édition sont sous le contrôle direct d'"intellectuels" liés à divers courants de pensée classés à gauche. Il y a peu de voix qui s'élèvent, dans ce pays, contre le monopole culturel progressiste. Pour aggraver les choses, le pays a été gouverné par un parti de gauche, le PT (Parti des travailleurs). Il n'y a pas de parti politique "de droite" d'expression nationale dans le pays et pas un seul magazine culturel qui défende des principes intellectuels qui s'opposent au discours de gauche inspiré par Gramsci. Dans ce contexte, les courants de pensée et les intellectuels anti-progressistes n'ont pas leur place et sont pratiquement inconnus. Les étudiants universitaires (qui semblent plutôt être un univers de ‘’pigeons’’) dans le domaine des ‘’sciences humaines’’, connaissent Bourdieu, Foucault, Derrida, Gramsci, Marx, Habermas etc, mais interrogez-les, ainsi que leurs maîtres, pour savoir qui étaient Eric Voegelin, Carl Schmitt, Joseph de Maistre, Marcel de Corte, Oswald Spengler, Ernst Jünger, René Guénon, Frithjof Schuon et d'autres…, et vous n’aurez aucune réponse. Si ces penseurs "conservateurs" sont pratiquement inconnus dans les universités brésiliennes, que dire de Julius Evola, qui fut le critique le plus radical de la modernité, du progressisme et du rationalisme des Lumières.

La présence de Julius Evola dans les livres, les magazines, les journaux et sur Internet

Jusqu'à présent, un seul livre d'Evola a été publié au Brésil : Le Mystère du Graal, publié par la maison d'édition Pensamento en 1986. Cette même maison d'édition a publié deux livres de René Guénon, La Grande Triade et Les symboles de la science sacrée, et de Frithjof Schuon L'ésotérisme comme principe et comme voie. Il convient de mentionner que Le Mystère du Graal avait déjà été publié en langue portugaise par la maison d'édition Vega au Portugal en 1978. Ce même éditeur portugais a publié A Metafísica do Sexo en 1993. Deux autres livres d'Evola ont été publiés au Portugal Revolta contra o mundo moderno en 1989, par la maison d'édition Dom Quixote, dans une collection intitulée Tradition-Bibliothèque d'ésotérisme et d'études traditionnelles et A Tradição hermética chez l’éditeur 70, en 1979. L'édition portugaise de Revolta contra o mundo moderno est suivie d'une brève note sur la vie de Julius Evola et sur l'œuvre de cet auteur au Portugal, par Rafael Gomes Filipe qui déclare : "Un ouvrage d'Antônio Marques Bessa, Ensaio sobre o fim da nossa idade (Edições do Templo, 1978) met en exergue une certaine assimilation de la pensée d'Evola, même si cet auteur est cité en épigraphe. Antônio Quadros, pour sapart, a fréquemment fait référence à des œuvres de Julius Evola, notamment au Portugal dans Razão e Mistério et dans Poesia e Filosofia do Mito Sebastianista  volume 2º [...]".

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En 2000, l'éditeur portugais Hugin a publié une courte biographie d'Evola, écrite par le Français Jean - Paul Lippi qui est l'auteur d'une étude intitulée Julius Evola, métaphysicien et penseur politique. Je fais cette rapide exposition sur les livres d'Evola au Portugal, car de nombreux Brésiliens ont été en contact avec cet auteur par le biais de traductions portugaises.

Il est très probable que la première référence à Julius Evola dans un livre au Brésil ait été faite par Fernando Guedes Galvão, qui était le traducteur et l'introducteur de René Guénon dans notre pays et qui a entretenu une longue correspondance avec Guénon. Guedes Galvão a traduit en 1948 pour la maison d'édition Martins Fontes A crise do mundo moderno. L'édition traduite par Guedes Galvão comporte un intéressant appendice avec une exposition synthétique des principales œuvres de René Guénon. À un certain moment, le traducteur du métaphysicien français traite de la campagne de silence autour de l'œuvre de Guénon et déclare, en citant Evola : "Julius Evola s'exprime ainsi : "Guénon est combattu en France par tous les moyens et de toutes les manières ; on essaie même de faire disparaître ses livres de la circulation".

Il ne fait aucun doute que René Guénon est plus connu que Julius Evola en terre brésilienne. La raison est liée au fait que le métaphysicien français fait montre d’une considération apparemment plus positive envers le catholicisme.

unnamedRGCMM.jpgL'IRGET (Institut René Guénon d'études traditionnelles), fondé en 1984 dans la ville de São Paulo par le journaliste Luiz Pontual, se consacre à l'étude et à l'enseignement de l'œuvre de René Guénon, comme l'indique la page d'accueil de cet institut. Il est intéressant de noter que Luiz Pontual est également un admirateur de l'œuvre d’Evola, reconnaissant son opposition tout aussi radicale au monde moderne. Cependant, sur le site de l'IRGET, Pontual déclare : "D'autre part, les partisans d'Evola nous reprochent de ne pas le mettre à niveau ou de le placer au-dessus de Guénon. À ces derniers, nous faisons référence à Evola lui-même, qui a écrit dans ses livres, plus d'une fois, la fierté d'être un Kshatrya (porteur du pouvoir temporel) et reconnaissait en Guénon le figure d’un Brahmane (détenteur de l’autorité spirituelle). Cela nous dispense de toute autre explication". Le journaliste Luiz Pontual montre qu'il ne connaît pas l'œuvre d'Evola en profondeur, car le penseur italien affirme que, dans les temps primordiaux, à l'âge d'or, il n'y avait pas de séparation entre l'autorité spirituelle et le pouvoir temporel. La figure de la royauté sacrée, du roi-prêtre, du pontifex, du divin empereur dans les civilisations traditionnelles, atteste la présence d'une autorité supérieure à la caste des prêtres et à celle des guerriers.

Le journaliste et philosophe Olavo de Carvalho, dans sa page d'accueil, mentionne le livre d'Evola La tradition hermétique comme l'un des grands livres qui formeront sa vision du monde. Olavo de Carvalho est un intellectuel qui a écrit plusieurs articles dans des journaux et des magazines, où il exprime sa révolte contre l'hégémonie intellectuelle de la gauche. Sa pensée a une certaine influence dans certains groupes conservateurs brésiliens. Le livre Jardim das Aflições écrit par Olavo de Carvalho en 2000, fait une référence intéressante à Evola, que nous présentons ici : "Il est intéressant que le conflit de priorité spirituelle entre les castes sacerdotale et royale soit reproduit, à l'échelle discrète qui convient en ce cas précis, entre les deux plus grands écrivains ésotériques du XXe siècle : René Guénon et Julius Evola". Olavo de Carvalho est un érudit spécialiste de Guénon et d'autres auteurs traditionalistes". Dans ce livre, il traite, entre autres, de la relation entre l'autorité spirituelle et le pouvoir temporel.

L'Editora Revisão, qui se consacre à la publication de livres révisionnistes sympathiques à l’endroit nazisme, a publié en 1996 un curieux ouvrage intitulé Le lien secret d'Hélio Oliveira. Le livre en question cherche à démontrer quelles sont les forces cachées qui conduisent l'Histoire. La thèse centrale de l'auteur est que, derrière tout, il y a l'action du judaïsme et de la franc-maçonnerie. Vision réductionniste bien sûr, incapable de réaliser que le judaïsme lui-même et la maçonnerie moderne sont les instruments de forces qui leur sont supérieures. Mais ce qui nous intéresse, c'est la citation qu'Hélio Oliveira fait d'Evola, lorsqu'il traite des Protocoles des Sages de Sion ; il déclare : "Certains écrivains juifs se sont exprimés sur la fiabilité du livre. Pour Julius Evola, "Aucun livre au monde n'a fait l'objet d'un boycott aussi important que les Protocoles des Sages de Sion. On peut dire sans effort, que même si elles sont fausses et que leurs auteurs sont des agents provocateurs, elles reflètent en elles des idées typiques de la loi et de l'esprit d'Israël". La citation d'Evola est authentique, mais Helio Oliveira prétend que l'auteur italien est juif... ce qui n'est évidemment pas vrai.

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Olavo de Carvalho.

Il faut souligner ici le livre de l'historien américain Nicolas Clarke, auteur de The Black Sun publié par l’éditeur Madras en 2004 ; ce livre traite des relations entre le nazisme et l'occultisme, ainsi que de l'influence de certains penseurs "damnés" dans la formation de certains groupes néo-nazis et néofascistes. L'auteur consacre un chapitre entier à Julius Evola. Dans ce chapitre, Clarke cherche à synthétiser les principaux aspects de la pensée évolienne. Outre Evola, d'autres chapitres sont consacrés à Savitri Devi, Miguel Serrano et Francis Parker Yockey. La synthèse faite par Clarke est raisonnable, cependant l'auteur insiste sur le caractère païen et anti-chrétien de Julius Evola. Le livre a eu un certain succès auprès de certains groupes néo-païens brésiliens.

L'anthropologue Denise Maldi, aujourd'hui décédée, a écrit un article pour la Revista de Antropologia en 1997. L'article est intitulé – ‘’Des confédérés aux barbares : la représentation de la territorialité et de la frontière indigène aux XVIIIe et XIXe siècles’’. En abordant le concept de nationalité, elle se réfère à Evola, citant un passage de La révolte contre le monde moderne que nous transcrivons ici directement de son article : "Le Moyen-Âge connaissait les nationalités, pas les nationalismes. La nationalité est une donnée naturelle, qui circonscrit un certain nombre de qualités élémentaires communes, de qualités qu'elle maintient à la fois dans la différenciation et dans la participation hiérarchique, auxquelles elles ne sont nullement opposées". À la fin de l'article, l'anthropologue se réfère à nouveau à Evola : "En ce sens, le projet de construction de l'État (l'auteur traite de l'État-nation moderne) impliquait également une antinomie par rapport à la diversité, dans des moules complètement différents du projet colonisateur, dans lequel le naturel a cédé la place à la nationalité et l'ethnie a cédé la place au demos, comme l'a souligné Julius Evola (1989). Cela signifie le dépassement de la diversité au sein de l'idéologie de l'État et l'homogénéisation des différences ethniques en faveur de l'unité juridique et de la citoyenneté". L'anthropologue veut montrer que l'État national moderne est une construction artificielle, anti-naturelle, et que le nationalisme est un produit de la modernité en s'appuyant sur la distinction qu'Evola établit dans Révolte contre le monde moderne entre le principe des nationalités, d'origine médiévale, et le nationalisme moderne.

412o++q43CL._SX195_.jpgLe 14 mai 1995, le journal Folha de São Paulo, l'un des plus grands journaux du pays, a publié un article de l'écrivain italien Umberto Eco. L'article était intitulé "La nébuleuse fasciste". Le célèbre écrivain italien a tenté d'élaborer un ensemble de traits, de caractéristiques, de ce qu'il a appelé "protofascisme ou fascisme éternel". Parmi les traits énumérés par Eco figure le culte de la tradition, le traditionalisme. À ce propos, il déclare : "Il suffit de jeter un coup d'œil aux parrains de n'importe quel mouvement fasciste pour trouver les grands penseurs traditionalistes. La gnose nazie se nourrissait d'éléments traditionalistes, syncrétiques et occultes. La source théorique la plus importante de la nouvelle droite italienne, Julius Evola, a fusionné le Saint Graal et les Protocoles des Sages de Sion, l'alchimie et le Saint Empire romain-germanique". L'opposition d'Eco à la pensée d'Evola est évidente. L'écrivain italien n'a pas connaissance des critiques de Julius Evola sur le fascisme [2] dans des ouvrages tels que Le fascisme vu de droite et Notes sur le Troisième Reich. Dans ces deux livres, Julius Evola démontre les aspects anti-traditionnels du fascisme italien et du national-socialisme allemand, tels que le culte du chef, le populisme, le nationalisme, le racisme biologique, etc. Quant à la Nouvelle Droite italienne, elle ne se nourrit que de quelques aspects de l'œuvre d'Evola. En tout cas, l'article d'Eco, largement lu par l'intelligentsia brésilienne, ne sert qu'à dénigrer l'image d'Evola et à déformer sa pensée.

Plus récemment, le 26 décembre 2003, l'historien de l'UFRJ (Université fédérale de Rio de Janeiro), Francisco Carlos Teixeira da Silva, bien connu dans le milieu universitaire, a publié un petit article dans le Jornal do Brasil, l'un des journaux les plus importants du pays, sous le nom de -Statesman ou ‘’berger des âmes’’. L'article en question a pour but de ternir la figure du pape Pie XII. L'historien soutient que Pie XII était silencieux face à l'Holocauste et était essentiellement un philo-nazi. À la fin de l'article, il déclare : "D'un point de vue purement théologique et philosophique, les fascismes (allemand ou italien, peu importe) sont absolument incompatibles avec le christianisme. La base raciale et le culte de la violence se heurtent inévitablement à la solidarité chrétienne, un fait constamment rappelé par les idéologues du fascisme, tels que Julius Evola ou Alfred Rosenberg, qui considéraient le christianisme comme une religion mise en place par des mendiants, des prostituées et des esclaves". Julius Evola, n'a jamais été un idéologue du fascisme, à aucun moment il n'a fait partie du parti fasciste et de plus, il a écrit plusieurs textes où il s'est clairement opposé à certains aspects du fascisme. En 1930, Evola crée le magazine La Torre, d'orientation clairement traditionaliste. Le magazine n'a eu que cinq mois d'existence et a été interdit sur ordre de certains éléments du gouvernement fasciste qui n'étaient pas d'accord avec les critiques du fascisme formulées dans les pages de La Torre. Deuxièmement, Evola n'a jamais fait référence au christianisme de la manière dont l'historien Francisco Teixeira veut le voir. S'il est vrai qu'Alfred Rosenberg, dans son Mythe du XXe siècle, a radicalement opposé la tradition catholique-chrétienne, l'associant à l'universalisme et au judaïsme, et défendant une nouvelle religion du sang et de la race, Evola ne pensait pas de cette façon. Le baron Evola établit une distinction entre le simple christianisme des origines, qui confortait une spiritualité lunaire et sacerdotale, et le catholicisme. En cela, il a reconnu certains aspects positifs et supérieurs au catholicisme européen. Selon Evola, la tradition catholique romaine aurait subi l'influence des traditions celtique, nordique, germanique, romaine et grecque.

Le point de vue des traditionalistes catholiques brésiliens, des "pérennistes" et l'influence d'Evola dans les milieux occultistes et néo-païens

Evola est peu connu dans les milieux traditionalistes catholiques brésiliens, qui se regroupent dans des organisations telles que l'association culturelle Monfort, dirigée par le professeur Orlando Fidelli, la TFP (Tradition, Famille et Propriété), créée par Plinio Correa de Oliveira, la fraternité Saint Pie X et le groupe ‘’Permanence’’ à Rio de Janeiro qui est dirigé par Dom Lourenço Fleichman. Dans une conversation personnelle que j'ai eue avec le prince Dom Bertrand de Orléans e Bragança, héritier de la famille impériale brésilienne, lié à la TFP, et chef du groupe pro-monarchique qui défend le retour du système monarchique au Brésil, il a déclaré : "Le problème d'Evola est qu'il est occultiste, ésotériste". C'est également l'avis d'Orlando Fedelli, de l'association Monfort, qui va même plus loin en affirmant que le penseur italien est un gnostique. La réalité est que les membres de ces organisations ne connaissent pas la pensée d'Evola, ils n'ont jamais lu un livre ou un article d'Evola. À son tour, tout penseur qui souligne la pertinence d'autres traditions métaphysiques est immédiatement étiqueté par ces groupes comme gnostique, ce qui révèle le sectarisme et l'exclusivisme de ces organisations, incapables de comprendre "l'unité transcendantale des religions".

En ce qui concerne les "pérennistes" brésiliens, ce sont des érudits et des adeptes de la "philosophia perennis", qu'Evola a appelé le Traditionalisme intégral. Formé par des penseurs tels que Guénon, Schuon, Ananda Coomaraswamy, Martin Lings, Titus Burckhardt, ce courant exprime une plus grande sympathie pour Evola. Pour le professeur de philosophie Murilo Cardoso de Castro, qui est chercheur et diffuse les idées de l'école "pérennialiste" au Brésil par le biais d'un excellent site web [3], Julius Evola peut être défini comme un auteur "pérennialiste". Murilo Castro considère le penseur italien, comme un érudit de la "Tradition primordiale", comme un "chercheur de vérité". Sur son site, il met à disposition plusieurs textes sur Evola en italien, espagnol, français et anglais, en indiquant également d'autres sites qui traitent de Julius Evola. Cependant, le principal chercheur sur les auteurs pérennialistes au Brésil et diffuseur de leurs idées, est le journaliste et maître en histoire des religions, Mateus Soares de Azevedo. Il travaille sur base de sa thèse sur Frithjof Schuon et est l’auteur de quelques livres sur le sujet et traducteur de quelques ouvrages de Schuon, ainsi que d'un livre de Martins Lings et d'un autre de Rama Coomaraswamy. Il ne fait aucune référence à Evola. Le journaliste en question n'a jamais mentionné Evola dans ses écrits, ce qui est assez étrange. Il considère Guénon comme le "père" de l'école "pérénnaliste", mais révèle sa plus grande sympathie pour Schuon, considérant ce dernier supérieur au métaphysicien français.

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Prof. Murilo Cardoso de Castro. Ses nombreux articles sont accessibles en pdf via Google.

C'est dans certains groupes occultes, néo-païens et adeptes de l'hitlérisme magique du Chilien Miguel Serrano, que la figure et l'œuvre d'Evola ont suscité un plus grand intérêt. La traduction de l'œuvre de Nicolas Clarke The Black Sun a eu un grand impact auprès de ces groupes, qui sont ainsi entrés en contact avec la pensée d'Evola. D'autre part, certains disciples de Miguel Serrano dans le sud du Brésil ont montré un certain intérêt pour Evola, en raison des nombreuses références que l’écrivain chilien fait au penseur italien. Grâce à l'œuvre de Serrano évoquée par Clarke, ces groupes identifient Julius Evola comme un occultiste, un défenseur du paganisme et un ennemi du christianisme. Cette vision déformée de la pensée évolienne n'a pas contribué à une plus large diffusion d'Evola au Brésil. Les articles d'Evola tels L'equivoco del "nuovo paganesimo" (1936), Hitler e le società secrete (1971) - ainsi que le livre - Masque et visage du spiritualisme contemporain, publié en 2003 par les éditions Heracles, démontrent l'aspect contre-traditionnel des groupes occultistes, néo-païens et spiritualistes qui foisonnent dans la société moderne. Si ces textes étaient lus et étudiés par de tels groupes, l'image d'un Evola occultiste et néo-païen serait brisée. La vérité est que peu de "néo-païens" connaissent les principales œuvres d'Evola.

En conclusion, on peut dire que la pensée d'Evola est très peu connue au Brésil. Le seul ouvrage publié au Brésil par ce penseur Le Mystère du Graal est désormais hors de circulation. L'intelligentsia brésilienne ignore le travail d'Evola. Le contact avec la pensée d'Evola se fait par l'effort individuel de quelques-uns qui perçoivent dans le maître italien et dans son œuvre monumentale un ensemble d'orientations fondamentales pour qu'un type humain différencié – celui de l'homme traditionnel - puisse continuer à se tenir debout devant les ruines de cette civilisation décadente.

Notes :

(1) http://www.reneguenon.net/oinstitutoindex.html

(2) Voir -Más allá del fascismo, ediciones heracles-, 2e édition, 2006, avec introduction du professeur Marcos Ghio du Centro de Estudios Evolianos de Argentina

(3) www.sophia.bem-vindo.net

mardi, 16 février 2021

Philosophie chinoise ancienne et intelligence artificielle

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Philosophie chinoise ancienne et intelligence artificielle

Par Bing Song

Ex : http://novaresistencia.org (Brésil)

Dans ce texte, Bing Song élucide certains aspects du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme qui contribuent à expliquer pourquoi certains philosophes chinois ne sont pas aussi alarmés par l'IA que leurs homologues occidentaux.

Sur la scène internationale, on a beaucoup discuté de l'ambition de la Chine de devenir le leader de l'innovation en matière d'intelligence artificielle et de robotique dans les prochaines décennies. Mais quasi rien des débats entre philosophes chinois sur les menaces de l'IA et sur les approches éthiques de l'IA n'ont réussi à pénétrer les médias de langues occidentales.

Comme de nombreux commentateurs occidentaux, de nombreux philosophes chinois (principalement formés au confucianisme, au taoïsme et au bouddhisme) ont exprimé leur profonde inquiétude quant à la diminution de l'autonomie et du libre arbitre de l'homme à l'ère de la manipulation et de l'automatisation des données, ainsi qu'à la perte potentielle de tout sens à donner à la vie humaine sur le long terme. D'autres penseurs s'inquiètent de l'empressement de l'humanité à bricoler le génome humain et à intervenir sur le processus d'évolution naturelle pour atteindre la longévité et le bien-être physique tant désirés. Les spécialistes confucéens semblent être plus alarmés, car certains développements de l'IA et de la robotique, notamment ceux liés aux relations familiales et aux soins aux personnes âgées, menacent directement le fondement du confucianisme, qui met l'accent sur l'importance des lignées et des normes familiales.

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Plus intéressants, cependant, sont les trois axes de réflexion suivants, radicalement différents, qui contribuent à expliquer pourquoi il y a eu beaucoup moins de panique en Chine qu'en Occident face aux risques existentiels perçus qu’apportent les technologies de pointe telles que l'intelligence artificielle.

Anthropocentrisme vs. non-anthropocentrisme

L'anthropocentrisme veut que les humains soient considérés comme des êtres séparés et au-dessus de la nature. L'Homo sapiens, avec sa rationalité, sa conscience de soi et sa subjectivité uniques, est placé au-dessus des autres animaux, plantes et autres formes du vivant. L'anthropocentrisme a atteint son apogée à l'époque de l'industrialisation et de la mondialisation. Bien que cette mentalité centrée sur l'homme se soit quelque peu atténuée dans les pays développés au cours des dernières décennies, elle est encore répandue dans la Chine, qui s'industrialise rapidement, et ailleurs.

Cependant, le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme sont tous d'accord sur la notion de non-anthropocentrisme. Dans la pensée chinoise classique, la construction typique pour comprendre la relation entre l'homme, la nature et la société est ce qu’on y appelle la « trinité du ciel, de la terre et de l'homme ». Cette notion est issue d'un des plus anciens classiques chinois - le "I Ching" ou "Livre des changements" - qui est la source intellectuelle des écoles de pensée les plus influentes en Chine, dont le confucianisme et le taoïsme.

Le ciel, la terre et l'homme, ainsi que les forces yin et yang qui y sont associées, étaient considérés comme les constituants les plus fondamentaux de l'univers, au sein duquel la nature évolue, les êtres humains prospèrent et les sociétés se développent. Dans cette construction, les êtres humains font intrinsèquement partie de la nature et sont liés à elle. Les êtres humains ne peuvent s'épanouir et être soutenus que s'ils suivent les lois de la nature et réalisent l'unité de la nature et de l'homme.

L'humanité, entre ciel et terre, est dotée d'une capacité unique à apprendre de la nature, à agir pour promouvoir les causes de l'épanouissement et de la durabilité du ciel et de la terre, et à propager le "Dao" ou "voie". Dans le contexte confucéen, le Dao implique des enseignements éthiques de bienveillance et de droiture. Bien que la tradition confucéenne ait beaucoup insisté sur la proactivité des êtres humains, elle est toujours fondée sur le respect et la révérence des lois de la nature et sur les ajustements à apporter à ces lois plutôt que sur l'expropriation inconsidérée de la nature. Les êtres humains doivent comprendre les changements saisonniers et vivre en conséquence.

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La mentalité consistant à être en phase avec l'évolution des temps et des circonstances est ancrée profondément dans l'enseignement de Confucius. En fait, Confucius a été salué comme le "sage ancien" par Mencius, un autre maître chinois du confucianisme. Ce que Confucius prêchait et pratiquait n'était pas un dogme, mais la connaissance et la sagesse les plus appropriées pour le temps et le contexte concernés.

La notion d'unité entre la nature et l'homme est encore plus importante dans le taoïsme. Selon Laozi, le philosophe fondateur du taoïsme chinois, "l'homme est orienté par la terre, la terre est orientée par le ciel, le ciel est orienté par Dao, Dao est orienté par sa propre Nature’’. "Dao est immanent au ciel, à la terre et à l'homme, qui sont mutuellement incarnés et constitutifs et doivent se mouvoir en harmonie. Zhuangzi, un philosophe qui a vécu au quatrième siècle avant Jésus-Christ, a encore renforcé la notion d'unité de la nature et de l'homme. Il soutenait que le ciel, la terre et l'homme étaient nés ensemble et que l'univers et l'homme ne faisaient qu'un.

Aucune des trois écoles dominantes de la pensée philosophique chinoise ne place l'être humain dans une position suprême au sein de l'univers.

Le bouddhisme, qui a été introduit en Chine depuis l'Inde au milieu de la période de la dynastie des Han, accorde encore moins d'importance à la primauté de l'être humain sur les autres formes d'existence. Un enseignement bouddhiste fondamental évoque l'égalité de tous les êtres sensibles, dont les humains ne sont qu'un, et que tous les êtres sensibles ont la nature de Bouddha. Le bouddhisme exhorte les gens à pratiquer l'attention et la compassion pour les autres formes d'êtres vivants et sensibles.

En résumé, aucune des trois écoles dominantes de la pensée philosophique chinoise ne place les êtres humains dans une position suprême au sein de l'univers, ni ne considère les êtres humains et la nature comme étant dans une relation mutuellement indépendante ou compétitive. Située dans le contexte du développement des technologies de pointe, l'intelligence artificielle n'est pas un développement "naturel", donc du point de vue de l'unité entre l'homme et la nature, l'IA doit être guidée et parfois supprimée au nom du respect des modes de vie naturels. En effet, c'est exactement ce que de nombreux philosophes en Chine ont préconisé.

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Cependant, il est également vrai que, probablement en raison de la forte influence du non-anthropocentrisme dans les systèmes de croyances traditionnels chinois, la panique a été beaucoup moins forte en Orient qu'en Occident à propos du risque existentiel posé par l'IA. D'une part, de nombreux philosophes chinois ne sont tout simplement pas convaincus par la perspective d'une intelligence mécanique dépassant celle des humains. De plus, les humains ont toujours vécu avec d'autres formes d'existence qui peuvent être plus capables que nous à certains égards. Dans l'enseignement taoïste, où les immortels abondent, l'IA ou les êtres numériques ne sont peut-être qu'une autre forme de ‘’super-être’’. Certains universitaires confucéens et taoïstes ont commencé à réfléchir à l'intégration de l'IA dans l'ordre éthique de l'écosystème, considérant potentiellement les IA comme des compagnons ou des amis.

Ouverture relative à l'incertitude et au changement

Une autre raison probable de la panique relativement moins importante que suscitent les technologies de pointe en Chine est le niveau élevé d'acceptation de l'incertitude et du changement dans cette culture. On peut à nouveau remonter jusqu'au "I Ching". Selon son enseignement central, l'existence ultime de l'univers est celle d'un changement constant, plutôt que la notion d'"être" (stable,statique), qui postule, parfois inconsciemment, une existence statique largement repérable dans la pensée européenne du XXe siècle.

L'influence du "Yi Jing" se fait sentir dans de nombreux aspects du confucianisme, comme la doctrine concernant la proactivité de l'homme dans l'anticipation et la gestion du changement, que j'appelle le dynamisme humaniste. Selon Richard Wilhelm, un missionnaire allemand qui a vécu en Chine à la fin du XIXe et au début du XXe siècle et à qui l'on attribue la première traduction européenne du "Yi Jing" : "Il n'y a pas de situation sans issue. Toutes les situations sont des étapes de changement. Ainsi, même lorsque les choses sont les plus difficiles, nous pouvons semer les graines d'une nouvelle situation”.

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Depuis la dynastie Han, le taoïsme est caractérisé comme un mode de pensée qui met l'accent sur le progrès des temps et l'évolution en fonction des circonstances. Les enseignements du philosophe taoïste Zhuangzi sur l'adaptation à l'avenir et le refus de la rigidité sont devenus aujourd'hui essentiels dans la culture chinoise. L'idée est que le changement et l'incertitude ne sont pas des problèmes qui doivent être réglés (ndt : c’est-à-dire « éliminés »), mais font partie intégrante de la réalité et de la normalité.

Dans le bouddhisme, le concept de l'impermanence de notre réalité perçue est un principe fondamental. De plus, la nature illusoire de notre réalité perçue réduit encore l'importance des changements de vie dans la pensée bouddhiste.

Peut-être ces modes de pensée sont-ils une autre raison pour laquelle les Chinois ne sont pas aussi inquiets que leurs homologues occidentaux quant à l'avenir possible de l'ère des machines.

Réflexion sur soi, culture de soi et illumination de soi

Le philosophe chinois Thomé Fang a souligné qu'une des similitudes entre les trois traditions philosophiques dominantes en Chine est l'accent qu'elles mettent sur l'importance de la maîtrise de soi, de l'introspection constante et de la poursuite incessante de la sagesse. Ces trois traditions reposent sur l'idée que le bien social commence par l'auto-culture individuelle et est lié à celle-ci.

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Thomé Fang.

Ainsi, de nombreux philosophes chinois soulignent qu'à ce stade de la réflexion sur les risques existentiels pour l'homme et sur l'orientation future du progrès technologique, il est très important que nous regardions en nous-mêmes et que nous réfléchissions sur nous-mêmes, en tirant les leçons de l'évolution et du développement de l'homme. En d'autres termes, les humains doivent réfléchir à leur propre passé et réaliser que nous sommes peut-être au cœur du problème - que nous ne serons pas capables de créer une IA moralement saine si nous ne devenons pas rapidement des êtres réfléchis et responsables sur le plan éthique.

Face à des défis plus globaux, nous devrions peut-être ouvrir de nouvelles voies de réflexion et nous inspirer des anciennes traditions philosophiques. Il est temps d'affronter et de remplacer notre mentalité de concurrence à somme nulle, notre propension à maximiser la création de richesse et notre individualisme débridé. La meilleure chance de développer une IA respectueuse de l'homme et d'autres formes de technologies de pointe est que les humains eux-mêmes deviennent plus compatissants (au sens bouddhiste) et s'engagent à construire un écosystème mondial harmonieux et inclusif.

Source : https://www.noemamag.com/applying-ancient-chinese-philoso...

 

lundi, 15 février 2021

Hagakure, ou comment supporter des temps misérables

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Hagakure, ou comment supporter des temps misérables

par Nicolas Bonnal

Jocho Yamamoto a « écrit » le traité Hagakure au début du siècle des Lumières, quand la crise européenne bat son plein. On passe en trente ans de Bossuet à Voltaire, comme a dit Paul Hazard, et cette descente cyclique est universelle, frappant France, Indes, catholicisme, Japon. J’ai beaucoup expliqué cette époque : retrouvez mes textes sur Voltaire ou sur Swift et la fin du christianisme (déjà…). Le monde moderne va se mettre en place. Mais c’est ce japonais qui alors a le mieux, à ma connaissance, décrit cette chute qui allait nous mener où nous en sommes. On pourra lire mes pages sur les 47 rônins (que bafoue Yamamoto !) dans un de mes livres sur le cinéma. Le Japon, comme dit notre génial Kojève, vit en effet une première Fin de l’Histoire avec cette introduction du shogunat et ce déclin des samouraïs, qui n’incarnèrent pas toujours une époque marrante comme on sait non plus. Voyez les films de Kobayashi, Kurosawa, Mizoguchi et surtout de mon préféré et oublié Iroshi Inagaki.

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Comment supporter notre temps alors ? Voyons Yamamoto.

Les hommes deviennent (ou sont invités à devenir) des femmes ? Eh bien pour Yamamoto aussi, déjà :

« Lorsque j’essaie d’appliquer à mes patients mâles les soins prévus à leur intention, je n’obtiens aucun résultat. Le monde est, en effet, en train d’aborder une période de dégénérescence ; les hommes perdent leur virilité et ressemblent de plus en plus aux femmes. C’est une conviction inébranlable que j’ai acquise au cours de mon expérience personnelle et que j’ai décidé de ne pas ébruiter. Depuis, n’oubliant jamais cette réflexion, quand je regarde les hommes d’aujourd’hui, je me dis : « Tiens, Tiens, voilà un pouls féminin ». Je ne rencontre pratiquement jamais ce que je nomme un homme véritable. »

On est déjà dans la dévirilisation moderne. Pensez aux courtisans poudrés et étriqués de nos rois-sommeil. Hagakure :

« C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est possible, de nos jours, d’exceller et d’accéder à une position importante avec un moindre effort. Les hommes deviennent lâches et faibles, la preuve en est que rares sont ceux qui ont, aujourd’hui, l’expérience d’avoir tranché la tête d’un criminel aux mains liées derrière le dos. Quand il leur est demandé d’être l’assistant de celui qui va se suicider rituellement, la plupart considèrent qu’il est plus habile de se défiler et invoquent des excuses plus ou moins valables. Il y a seulement quarante ou cinquante ans, on considérait la blessure dans un combat comme une marque de virilité. Une cuisse sans cicatrice était un signe tellement rédhibitoire de manque d’expérience que personne n’aurait osé la montrer telle quelle, préférant plutôt s’infliger une blessure volontaire. « 

000559334.jpgLe maître ajoute :

« On attendait des hommes qu’ils aient le sang bouillant et soient impétueux. Aujourd’hui, l’impétuosité est considérée comme une ineptie. Les hommes de nos jours utilisent l’impétuosité de leur langue pour fuir leurs responsabilités et ne faire aucun effort.  J’aimerais que les jeunes gens réfléchissent sérieusement à cet état de choses. »

Il ajoute avec pessimisme :

« J’ai l’impression que les jeunes Samouraïs d’aujourd’hui se sont fixés des objectifs pitoyablement bas. Ils ont le coup d’œil furtif des détrousseurs. La plupart ne cherchent que leur intérêt personnel ou à faire étalage de leur intelligence.Même ceux qui semblent avoir l’âme sereine ne montrent qu’une façade. Cette attitude ne saurait convenir. Un Samouraï ne l’est véritablement que dans la mesure où il n’a d’autre désir que de mourir rapidement – et de devenir un pur esprit – en offrant sa vie à son maître, dans la mesure où sa préoccupation constante est le bien-être de son Daimyo à qui il rend compte, sans cesse, de la façon dont il résout les problèmes pour consolider les structures du domaine. »

(…)

« On ne peut changer son époque. Dès lors que les conditions de vie se dégradent régulièrement, la preuve est faite que l’on a pénétré dans la phase ultime du destin.On ne peut, en effet, être constamment au printemps ou en été, il ne peut pas non plus faire jour en permanence ; c’est pourquoi il est vain de s’entêter à changer la nature du temps présent pour retrouver les bons vieux jours du siècle dernier. L’important est d’œuvrer pour que chaque moment soit aussi agréable que possible. L’erreur de ceux qui cultivent la nostalgie du passé vient de ce qu’ils ne saisissent pas cette idée. Mais ceux qui n’ont de considération que pour l’instant présent et affectent de détester le passé font figure de gens bien superficiels. »

Voir aussi :

http://www.dedefensa.org/article/les-47-ronins-a-la-lumie...

 

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vendredi, 12 février 2021

Entretien de RigenerAzione Evola avec Eduard Alcantara

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Entretien de RigenerAzione Evola avec Eduard Alcantara

Interview récente réalisée par "RigenerAzione Evola" à propos de l'édition anglaise de The Man of Tradition.

Entretien avec Eduard Alcantara

avec une brève présentation d'Eduard Alcantara

Ex: https://septentrionis.wordpress.com/

D : Eduard Alcantara, parlez-nous un peu de votre livre. De quoi parle-t-il ?

indexEAenglish.jpgR : Le livre vise à montrer la caractérisation archétypale de ce que serait un Homme de Tradition, y compris - donc - les objectifs qu'il devrait s'efforcer d'atteindre, afin de servir de modèle à tous ceux de nos semblables qui aspirent à s'élever au-dessus de la médiocrité de l'homme moderne (et, plus encore, post-moderne), médiocrité qui est  hégémonique en nos temps de dissolution. En gardant toujours à l'esprit quels sont les traits essentiels qui définissent l'Homme de Tradition, il sera possible d'aspirer, petit à petit, à se forger intérieurement ; avoir ce modèle comme miroir dans lequel se regarder (et qui sait s'il ne sera pas possible d'aspirer à ne pas écarter la possibilité d'opérer un renouvellement ontologique intérieur). La difficulté ou l'impossibilité de trouver, de nos jours, quelque maillon des chaînes initiatiques qui nous relient à la Sagesse de la Tradition Primordiale nous amène à donner une valeur particulière à ce qu'Evola appelle la "voie autonome de réalisation". Le contenu de ce livre peut peut-être aider dans une certaine mesure à faire en sorte que ce chemin ne soit pas une chimère.

Les chapitres de notre travail sont ordonnés en crescendo, en commençant par les premiers relatifs à ce que le maître romain appelait la "race du corps", en continuant avec d'autres chapitres liés à la "race de l'âme" et en terminant par ceux qui seraient en relation étroite avec la "race de l'esprit" ; donc, liés aux trois composantes de l'être humain.

L'ensemble du livre est truffé et complété par une multitude de citations destinées à illustrer ce qui est démontré.

D : D'où venez-vous et quel est l'accueil de Julius Evola dans votre pays ?

R : Je vis à Hospitalet de Llobregat, une ville située à côté de Barcelone, en Espagne.

En Espagne, il y a pas mal de personnalités qui, travaillant dans le domaine de la dissidence à l'ordre établi, reconnaissent qu'elles sont fortement influencées par l'héritage évolien.

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Pour commander l'ouvrage:

https://editorialeas.com/producto/el-hombre-de-la-tradicion/

En 1975, la maison d'édition "Martínez Roca" a publié La tradition hermétique. En 1977, le magazine Graal a publié Orientations. Toujours en 1977, la maison d'édition Plaza & Janés publie Le mystère du Graal. En 1981, les Ediciones Heliodoro ont publié Metafísica del sexo. Dans les années 80, les Ediciones Alternativa, avec une nette tendance à faire évoluer la réception des idées traditionnelles, ont publié plusieurs opuscules de la pensée traditionnelle et quelques ouvrages tels que Masque et visage du spiritualisme contemporain et Les Hommes au milieu des ruines. En 1987, les Ediciones de Nuevo Arte Thor publient Cabalgar el tigre. Cette même maison d'édition a également publié Meditaciones de las cumbres (= Méditations du haut des cîmes). En 1991, la maison d'édition Edaf a publié Tantric Yoga ("Lo yoga della potenza").

Il existe de nombreux autres ouvrages d'Evola publiés en espagnol, mais qui appartiennent déjà à des éditeurs de pays d'Amérique latine, comme l'éditeur mexicain Grijalbo, qui a publié La doctrine de l'éveil ou les Ediciones Heracles, en Argentine, qui ont publié bon nombre de livres d'Evola.

De même, plusieurs maisons d'édition espagnoles ont publié des ouvrages sur l'œuvre léguée par le maître. Cela a été fait par Ediciones Nueva República, Editorial Fides, Hipérbola Janus, Eminves, Editorial Retorno, Ediciones Titania ou, entre autres, Editorial Excalibur.

Les Ediciones Camzo et Editorial Eas se sont également intéressées à l'œuvre de Julius Evola, au point d'être les maisons d'édition qui ont publié mes livres.

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Pour commander l'ouvrage:

https://editorialeas.com/producto/evola-frente-al-fatalismo/

L'association culturelle Tierra y Pueblo, en 2004, a organisé à Madrid un colloque d’hommage à Evola à l'occasion du 30e anniversaire de sa mort. Le contenu des conférences qui y ont été données, ainsi que les autres conférences d'un autre grand séminaire tenu à Rome par l'Associazione Culturale Raido, ont été publiées par Tierra y Pueblo sous le titre "Julius Evola. Un penseur politiquement incorrect".

De même, il existe des associations culturelles telles que l'association Genos dans laquelle l'influence de l'héritage d'Evola est évidente dans beaucoup de ses œuvres, insérées dans le magazine Europae.

D : Connaissiez-vous RigenerAzione Evola et que pensez-vous de ce projet ?

R : Je ne connaissais pas le site web de RigenerAzione Evola. Je l'ai regardé et j'ai vraiment aimé ce que j'ai vu. Excellente diffusion de l'œuvre d'Evola ! Il y a de nombreux articles dont je ne connaissais pas l'existence et des études intéressantes de différents auteurs sur l'œuvre d'Evola. Je vais essayer de le garder toujours à portée de main. J'ai été frappé par l'interview qui a été réalisée à son domicile en 1973, un an avant sa mort et dont le son peut être entendu dans la vidéo que le web nous procure.

***

A propos d’Eduard Alcàntara

J'enseigne depuis trois décennies et demie, en tant qu’instituteur dans l'enseignement primaire.

Deux de mes principaux passe-temps sont les questions liées à la métaphysique et à l'histoire. Si l'on ajoute à cela le fait que j'ai toujours admiré l'essence de l'armée, il n'est pas surprenant que j'aie fini par être attiré par la Tradition telle que Julius Evola nous l'a si magistralement transmise.

J'ai eu mon premier contact avec le maître romain dans la première moitié des années 80 du siècle dernier, à partir des travaux réalisés par Ernesto Milà dans des magazines, des livres et une maison d'édition qu’il avait lui-même fondée ("Ediciones Alternativa").

Je gère un blog traditionaliste dont le contenu s'inspire de l'héritage de "la dernière gibeline" : "Julius Evola". Septentrionis Lux" - https://septentrionis.wordpress.com/

Pendant plusieurs années, j'ai également administré un forum, également d'inspiration essentiellement évolienne, appelé "Traditio et Revolutio", dont les membres venaient d'Espagne et du Portugal ainsi que de plusieurs pays d'Amérique latine. En décembre 2020, les groupes de yahoo ont disparu et avec eux le forum.

J'ai collaboré à plusieurs magazines papier et numériques, ainsi qu'à plusieurs sites web et blogs en Espagne, au Portugal et en Amérique latine. Ediciones Titania a publié "Evola y la cuestión racial". Ediciones Camzo a publié "Reflexiones contra la modernidad". Editorial Eas a publié "L'homme de tradition" (1ère et 2ème éditions). L'Editorial FasciNaçâo a publié "O Homem da Tradiçao" (édition portugaise du livre mentionné ci-dessus).

Troy Southgate vient de publier "The Man of Tradition : Actualising the Evolian Character" (édition anglaise du livre ci-dessus). L'éditorial Eas a publié mon "Evola contre le fatalisme". J'ai également écrit un certain nombre d'avant-propos pour différents auteurs.

mercredi, 03 février 2021

Imbolc et la fête de l'Ours

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Imbolc et la fête de l'Ours

Llorenç Perrié Albanell

Ex: https://www.terreetpeuple.com

Catalogne du Nord : La fête de l’ours, une survivance païenne restée intacte

Nombreuses sont les fêtes païennes qui ont été récupérées, faute de mieux, par la religion chrétienne lors de son implantation. Cette dernière s’est heurtée à l’univers mental et spirituel des européens de jadis dont le style de vie était rythmé par le cycle des saisons. Des fragments des anciennes pratiques nous sont parvenus par le biais de ces syncrétismes et rares sont les fêtes qui sont restées intactes. C’est le cas de la fête de l’ours en Catalogne du Nord qui se déroule en février.

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La fête de l’ours, quelles correspondances ?

Imbolc, le 1er février, est chez les Celtes une fête d’ouverture vers la lumière. Un mois après la période sacrée du solstice d’hiver on constate déjà l’allongement des jours. Le nom d’Imbolc est lié à l’allaitement des agneaux nouveaux-nés, en correspondance avec la montée du lait des brebis et le réveil des végétaux. Le soleil annonce son retour, c’est donc l’arrivée prochaine du printemps qui est célébrée, aussi bien chez les Celtes que chez les Germains. Le 1er février est également le jour de Brigit, déesse mère, bienfaitrice et protectrice, notamment des troupeaux. Un texte irlandais du Xe siècle décrit Brigit comme la fille du grand dieu Dagda. Citons également pour la même période la fête romaine des Lupercales célébrée le 15 février, en l’honneur de Lupercus, dieu protecteur des troupeaux, assimilé à Pan1.

Dimension symbolique de la fête de l’ours

Les fêtes en Catalogne du Nord sont nombreuses, goigs dels ous (cantiques des œufs, fête qui se déroule à Pâques, à mettre en relation avec Ostara), les focs de la Sant Joan (les feux de la Saint Jean, à mettre en relation avec le solstice d’été), etc... son folklore est aussi riche que varié, le choix ici, comme le titre de l’article l’indique, va se porter sur une des plus anciennes des fêtes, la fête de l’ours. Les fêtes traditionnelles, généralement religieuses, pagano-chrétiennes,  agraires ou historiques, ont la particularité et l’avantage d’être cycliques. L’action s’inscrit dans le temps à date fixe, demande une préparation et par conséquent une immersion dans le monde de la tradition. Ce qui permet le maintien d’un lien intergénérationnel et une catalanisation constante des esprits, le sentiment d’appartenance à la communauté villageoise, provinciale ou nationale est permanent. La fête de l’ours puise ses origines dans les rites païens de fécondité, la lutte de la vie ( renaissance printanière) contre la mort hivernale. Elle est présente à Céret, Prats de Mollo et Saint Laurent de Cerdans. Généralement elle a lieu entre janvier et février, à noter un rapprochement avec la fête du carnaval. La fête du carnaval s’inscrit dans la logique de l’antique fête païenne d’Imbolc (ancien nom celte, ère pré-chrétienne) où il fallait célébrer la défaite de l’hiver face au printemps par des réjouissances quelque peu débridées d’où la forme ancienne qui consistait à simuler une chasse, le gibier, personnifiant l’hiver mis à mort. Les villageois représentant le camp de l’hiver devaient être affublés de peaux de bêtes et de caparaçons de paille2. En Vallespir l’image de l’hiver est personnifiée par l’ours. De nos jours cette fête est toujours d’actualité et bénéficie d’un large succès. Le déroulement de la fête peut sembler, pour les visiteurs tranquilles, un peu brutal. Les hommes du village, des chasseurs, partent réveiller ce fameux ours, endormi dans sa grotte.  Il est incarné généralement par un ou plusieurs participants, de préférence robustes, vêtus comme dans les temps anciens d’une peau de bête, la figure et les mains enduites de suie, détail important lors des attaques.  Une fois réveillé notre faux plantigrade se rue sur tout le monde, sans distinction, ou presque, puis les enduit de cette fameuse suie, les femmes généralement par ce geste sont considérées comme fécondées. La fête est généralement accompagnée par des musiques  traditionnelles, une chanson revient souvent, c’est évidemment celle de l’ours. Musique, cris, poursuites dans les rues, bruits de bâtons qui s’entrechoquent, pétards et autres instruments dédiés au chaos sonore mettent le village dans une ambiance d’émeute ! La légende est contée en catalan, heureusement car le rituel conserve donc tout son sens. Bien évidemment les villageois sont les grands vainqueurs de ce combat. L’ours est tondu avec une hache en place publique, et comme par magie il redevient un homme, le printemps, la vie en définitif a eu raison de la noirceur de l’hiver3.

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Pour conclure : Outre le fait de chasser l’hiver qui affame, le rituel de la fête de l’ours selon Robert Bosch évoque une seconde hypothèse complémentaire4 : « Il symbolise le printemps, la renaissance de la nature et des êtres. De plus, l’ours permet aux villageois d’enrayer le problème de la consanguinité qui menace la conservation de l’ethnie. Les dimensions symboliques de l’ours suffisent au maintien des communautés villageoises vallespiriennes qui n’ont besoin de personne d’autre pour subsister ! »

Llorenç Perrié Albanell

A suivre sur Ronde Païenne des Quatre saisons :

https://www.youtube.com/channel/UClUqxeW0YiW87JnHZkGbVnQ

https://www.facebook.com/Ronde-païenne-des-quatre-saisons-105804574440226/?comment_id=Y29tbWVudDoxODE1NjgyNTY4NjM4NTdfMTgxNjIwMDcwMTkyMDA5

Notes:

1 Vial, Pierre, Fêtes païennes des quatre saisons, Les Éditions de la forêt, Saint-Jean-des-Vignes, 2008.

2Ibib.

3Perrié Albanell, Llorenç, Nationalismes irlandais et catalans, convergences, similitudes et différences, Les Éditions de la forêt, Forcalquier, 2014,

4Pagès, Magalie, Culture populaire et résistance culturelle régionale, Paris, L’Harmattan, 2010.

mardi, 02 février 2021

L'histoire d'Imbolc (et de la marmotte!)

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L'histoire d'Imbolc (et de la marmotte!)

par Catherine Bentley

https://www.truehighlands.com

Traditions saisonnières et culture dans les Highlands écossais

En tant que (vrais) Highlanders, nous sommes façonnés par de nombreuses choses. Notre histoire, nos traditions et notre culture communes ont, pour le meilleur ou pour le pire, largement contribué à définir qui nous sommes vraiment. À la veille d'Imbolc, lorsque nous regardons derrière nous et que nous considérons les rituels du passé, il est tout à fait naturel de se demander si ces anciennes traditions ont une place dans le monde moderne. Les étudiants en histoire font souvent remarquer qu'ils étudient le passé afin de mieux comprendre le présent. Ainsi, si nous regardons Imbolc, que nous dit-il sur notre situation actuelle ?

Le 1er février, c'est Imbolc

Imbolc, qui tombe le 1er février, est l'une des pierres angulaires du calendrier celtique. Pour les habitants des Highlands, le succès de la nouvelle saison agricole était d'une grande importance. Comme les réserves d'hiver devenaient insuffisantes, les rituels d'Imbolc étaient effectués pour assurer un approvisionnement régulier en nourriture jusqu'à la récolte six mois plus tard. Au fil du temps, l'église a assimilé de nombreuses facettes de cette fête, principalement en raison de la réticence des Highlanders à perdre une partie aussi importante de leur culture et du pragmatisme des églises à adapter des idéologies apparemment contradictoires quand cela leur convenait.

Ainsi, Imbolc devint la Chandeleur et la déesse païenne Bridhe qui lui était associée devint Sainte-Bride, soit la Sainte Epouse (de Bride = la mariée, l’épousée, ndt). Dans les Hébrides extérieures, cependant, les populations locales se sont raccrochées un peu plus à leurs traditions et les coutumes ont évolué pour devenir un hybride spirituel unique, à mi-chemin entre la fête chrétienne moderne qui se tient le premier février et le paganisme traditionnel de nos ancêtres.

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Sainte-Bride et la Chandeleur

La Chandeleur elle-même a des origines très alambiquées. Dans ses efforts pour christianiser la divinité païenne populaire de la terre, Bridhe, l'église l'a rebaptisée Sainte Épouse et lui a donné une histoire colorée, où elle a été miraculeusement transportée à Bethléem pour assister à la naissance du Christ. L'église a également emprunté à la Rome antique, où un rite similaire, à cette époque de l'année, honorait la déesse Juno Februata (à l'origine du nom de ce mois) dont les adorateurs, ce jour-là, portaient des bougies allumées pour l'honorer. Dans les régions de langue gaélique d'Écosse en particulier, la déesse Brighid était toujours tenue en haute estime et c'est là que les coutumes et les rituels associés ont mis le plus de temps à disparaître.

Le 31 janvier Óiche Fheil Bhrighide, qui signifie la veille de la fête de Brighid en gaélique, la dernière gerbe de blé de la récolte précédente était habillée en Brighid et emmenée de maison en maison par des jeunes filles. Elles habillaient et décoraient cette effigie avec des coquillages et des cristaux étincelants ainsi qu'avec toutes les petites fleurs et la verdure qui poussaient à cette époque de l'année. Un coquillage ou un cristal très brillant était placé sur son cœur. On l'appelait reul iuil Brighde, l'étoile directrice de Bride. Les jeunes filles, vêtues de blanc avec les cheveux tombés, portaient la mariée en procession, lui chantaient une chanson et visitaient chaque maison. Tout le monde devait la vénérer et lui faire une offrande. Les mères lui donnaient un bannock, du fromage ou un petit pain au beurre. Enfin, elles se rendaient dans une maison pour faire un festin, les hommes étant autorisés à entrer après un certain temps. Une grande partie de la nourriture était conservée et distribuée plus tard aux pauvres.

Le lit de berceau de la mariée

Dans une autre tradition, les femmes âgées de chaque foyer fabriquaient un berceau appelé le lit de la mariée. Elles en faisaient une figure à partir d'une gerbe d'avoine décorée de rubans, de coquillages et de cristaux. La femme se dirigeait vers la porte et appelait doucement en gaélique "le lit de la mariée est prêt" ou "Brighde, entre, ton accueil est vraiment fait". Ce faisant, ils invoquaient l'esprit de Brighde et elle était vraiment présente dans la figure qu'elles avaient faite. Elles ont ensuite placé Brighde dans le lit avec un bâton droit à côté d'elle (le slachdan Brighde).  Puis elles l'ont lissée sur les cendres de l'âtre, la protégeant des courants d'air. Le matin, elles les examinaient avec empressement. Elles étaient très heureuses si elles trouvaient la marque de la baguette de Brighde, mais elles étaient ravies si elles trouvaient sa véritable empreinte de pas, car cela prouvait qu'elle était vraiment avec eux cette nuit-là et qu'elles auraient de la chance tout au long de l'année à venir.

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Les croix de St Bride

Une coutume plus courante, qui a survécu dans de nombreuses zones rurales, est le tissage de croix de St Bride à partir de joncs. Ces croix étaient construites la veille au soir et accrochées autour de la maison pour porter chance.

Contrairement à la fête du Samhain, et peut-être en raison d'un festival initialement consacré à une déesse, la plupart des activités rituelles étaient centrées sur les femmes et les filles du village. Il s'agissait également d'une célébration plus personnelle et localisée plutôt que d'une affaire de communauté. Cet aspect a également été repris à l'époque chrétienne, lorsque la fête avait tendance à être célébrée en famille à la maison, par opposition à un acte de culte communautaire à l'église.

Il existe également un lien étroit avec l'huîtrier dont le nom gaélique est gille bridhe, ou serviteur de Bridhe. Dans la tradition ancienne, Bridhe les appelait de sa main et les envoyait guider les marins vers le rivage par mer agitée. Entendre leur appel distinctif pour beaucoup est le signe que le printemps est en route.

Holy Wells (puits sacrés) en Écosse

Les puits sacrés étaient aussi traditionnellement visités ce jour-là, les visiteurs priaient pour la santé en marchant au soleil autour d'eux et laissaient des bouts de tissu trempés dans l'eau sur les arbres voisins. Depuis l'arrivée de l'Église réformée aux Hébrides, il y a peu de puits avec des dédicaces saintes ; cependant, pour les curieux, il en existe encore un à côté d'une chapelle en ruine sur une ferme de Melbost. Noté par l'Ordnance Survey comme Teampull Bhrighid, c'est un lien concret avec les histoires passées. Qui sait avec certitude quel genre de rituels auraient eu lieu en ce jour, ici, il y a des centaines d'années.

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À Barra, le jour de la mariée, on tirait au sort les meilleurs iolachan iasgaich ou bancs de pêche. Après l'église et un sermon sur les vertus et les bénédictions de la mariée, le prêtre exhortait la congrégation à éviter les disputes et les querelles concernant la pêche. Après être sortis de l'église, les hommes tiraient au sort les bancs de pêche des années suivantes, juste à la porte de l'église.

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Aucune mention d'Imbolc ne serait complète sans une mention de la tradition contemporaine. Les rituels évoluent avec le temps et souvent, lorsque les gens partent à la découverte du monde, ils s’adaptent à de nouveaux foyers et à de nouvelles circonstances. Comme nous l'avons vu avec les colons américains sculptant des citrouilles plutôt que des navets lors de cette autre fête païenne importante qu’est le Samhain ; nous pouvons également faire remonter les origines du « Jour de la marmotte » (Groundhog Day) en Europe. Ce jour-là, chaque année, les yeux de l'Amérique se tournent vers une petite ville de Pennsylvanie popularisée par un film de 1993 intitulé Groundhog Day. Lorsque Punxsutawney Phil sort de son terrier, si le ciel est nuageux, le printemps arrivera tôt mais s'il est ensoleillé, la marmotte verra soi-disant son ombre et se retirera dans sa tanière, et le temps hivernal persistera pendant six semaines encore.

Rituels de purification païens romains

Les origines de cette coutume spécifique sont enregistrées sous le nom de Lupercalia, un rituel romain païen de purification qui avait lieu le 15 février sur l'ancien calendrier romain, lorsqu'un hérisson était chargé de la divination du temps. Ces croyances ont survécu à la christianisation de l'Europe et se sont plutôt rattachées à la Chandeleur en tant que folklore. Les colons européens en Amérique du Nord ont maintenu la tradition païenne, mais avec la marmotte indigène. La tradition, bien qu'elle ne soit plus observée en Écosse, fait l'objet d'un proverbe gaélique :

Thig an nathair as an toll
Là donn Brìde,
Ged robh trì troighean dhen t-sneachd
Air leac an làir.

The serpent will come from the hole
On the brown Day of Bríde,
Though there should be three feet of snow
On the flat surface of the ground

Le serpent sortira du trou

Le jour brun de Bríde,

Bien qu'il devrait y avoir trois pieds de neige

Sur la surface plane du sol

C'est une sorte de victoire des anciennes coutumes sur les nouvelles, alors que des millions de personnes savent ce qu'est le « Jour de la marmotte » mais ne connaissent pas la Chandeleur. Mais plus que cela, cela montre l'attrait durable de la tradition et du paganisme. En ces temps incertains où quelques personnes luttent pour donner un sens au monde qui les entoure, le rituel peut donner un sens à la vie. Que vous regardiez le Phil de Punxsutawney en direct sur Internet, que vous allumiez une bougie ou que vous tissiez une croix de St Bride ce soir, vous faites partie de quelque chose de plus grand, de général, c’est plus pertinent que jamais.

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dimanche, 31 janvier 2021

La "Roue" des civilisations Le Zodiaque a-t-il une influence sur la succession des civilisations humaines ? Une introduction à l’« astro-histoire »

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La "Roue" des civilisations

Le Zodiaque a-t-il une influence sur la succession des civilisations humaines ?

Une introduction à l’« astro-histoire »

« L’histoire du monde voyage d’est en ouest, l’Europe étant ainsi fondamentalement la fin de l’histoire, et l’Asie le début. »

(Hegel)

« L’Egypte renaîtra, mais elle ne sera plus comme dans le passé le grand foyer de l’intelligence, car ce foyer se déplace à travers le temps et va de l’orient au couchant, comme le soleil dans le ciel. »

(Louis Ménard, Rêveries d’un païen mystique, 1876)

31uIdmuu2gL._SX378_BO1,204,203,200_.jpg« On peut se demander si les migrations successives des foyers de civilisation ne sont pas réglées, elles aussi, par des lois mathématiques. Les foyers de civilisation se sont déplacés de l’Est vers l’Ouest, par exemple d’Our en Chaldée et Athènes à Paris. Ces trois villes se trouvent sur le même arc de cercle et les distances Our-Athènes et Athènes-Paris sont sensiblement égales de même que leurs apogées successives sont séparées par le même laps de temps de vingt et un siècles et demi environ [= la précession des équinoxes]. Ceci nous conduit à supposer que le déplacement du point vernal, parcourant les signes du Zodiaque en vingt et un siècle et demi, régit en même temps que les rythmes de civilisation, leurs déplacements successifs à la surface du globe. »

(Gaston Georgel, Les Rythmes dans l’Histoire, 1937)

« …si l’on ajoute foi aux influences astrales sur les misérables événements terrestres, la civilisation avance d’Est en Ouest. Du moins, nous en fait juger ainsi l’expérience humaine accessible, d’environ huit mille ans (…). Ce fut en effet la Chine avec Nankin. Puis l’Inde avec Lahore. L’Assyrie et la Chaldée avec Ninive et Babylone. L’Egypte avec Memphis. La Grèce avec Athènes. La latinité avec Rome. L’empire de Charlemagne avec Aix-la-Chapelle. La France et l’Angleterre avec Paris et Londres, analogues, dans le temps et l’espace à Babylone et Ninive. Une seule exception : l’empire d’Orient avec Byzance, mais qui confirme la règle, à la manière du satellite de Neptune, celle de la rotation des mondes. Si une telle loi possède quelque fondement, les Etats-Unis d’Amérique sont désignés pour reprendre le flambeau… »

(Robert Bouchez, Hitler que j’ai vu naître, 1945)

« …nous pouvons voir sur la carte, depuis 4.000 ans environ, les capitales des nations directrices se succéder le long d’un cercle parfait ayant pour centre un point dans la Nouvelle-Zemble (…). La civilisation s’est déplacée d’Est en Ouest (…).

Ce bref résumé d’un très beau travail [de G. Georgel] montre que les hommes ne sont pas entièrement maîtres de leur destin et que les sociétés humaines, émanées de la Terre-Mère, sont soumises, comme elle, aux lois du Cosmos. »

(René-Maurice Gattefossé, Les sages écritures, 1945)

« Ainsi le Cercle d’Evolution de l’Eurasie, véritable reflet terrestre de la ‘Roue Cosmique’ pour l’actuelle Grande Année, semble bien régir (…) le déplacement cyclique des civilisations, à l’intervalle de 2160 ans… »

(Gaston Georgel, Les Quatre Ages de l’Humanité, 1949)

[Une image fascinante : la « roue des civilisations », la succession temporelle et spatiale des grandes civilisations humaines, serait réglée d’après la rotation de la « Roue Cosmique » (le Zodiaque), chaque grande civilisation étant gouvernée par un signe zodiacal ; la durée du cycle correspond à la « précession des équinoxes ».]

couv-occident-faye.jpg« La vieille tradition se trompe : l’Occident n’est plus européen, et l’Europe n’est plus l’Occident. Dans sa marche vers l’ouest, le soleil de notre civilisation s’est terni. Parti d’Hellade, investissant l’Italie, puis l’Europe occidentale, puis l’Angleterre, et enfin, ayant traversé les mers, s’étant installé en Amérique, le centre de l’‘Occident’ s’est lentement défiguré. Aujourd’hui, comme le comprit Raymond Abellio, c’est la Californie qui s’est instaurée comme épicentre et comme essence de l’Occident. (…) L’Occident alors, dans un mouvement planétaire qui est d’ailleurs déjà commencé, continuera sa marche vers l’Ouest en installant son centre là où il se prépare déjà, dans l’extrême-est, dans les archipels de l’Océan Pacifique, du coté du Japon et des Indes orientales… C’est la réversion absolue du mouvement de traversée des mers parti d’Europe au XVIe siècle… »

(Guillaume Faye, L’Occident comme déclin, 1985)

[Le temps a avancé vite, car la pointe avancée de l’Occident est entrée en Chine (en commençant par la « zone spéciale » de Shenzen) depuis déjà pas mal d’années et s’enfonce de plus en plus profondément dans les profondeurs de cette nation. Quelle sera la suite de ce mouvement ? – Autre question, relevant de la métaphysique de l’histoire : cette « roue des civilisations » est-t-elle un cercle, une ellipse, ou une spirale ?]

« Le basculement du monde est visible. Une nouvelle mer intérieure, le Pacifique, devient la mare nostrum du capitalisme nouveau, après la Méditerranée dans l’Antiquité et l’Atlantique à l’âge moderne. »

(Daniel Cohen, Homo Economicus, 2012)

 

lundi, 25 janvier 2021

Philippe Baillet : « Avec Sparta nous entendons précisément renouer avec des formes de vraie critique sociale »

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Philippe Baillet : « Avec Sparta nous entendons précisément renouer avec des formes de vraie critique sociale »

Ex: https://www.breizh-info.com

Nous vous proposons ci-dessous de découvrir la publication Sparta, nouvelle revue de réflexion culturelle, politique, métapolitique et philosophique, qui est parue il y a quelques mois sous la direction de Philippe Baillet, et présentée ainsi par son éditeur :

Sparta, nom de l’épouse d’un fils de Zeus qui renvoie bien sûr à la célèbre cité grecque, est le titre d’une publication sans périodicité fixe des éditions Aidôs. Sparta n’a aucun équivalent dans l’espace francophone et n’a eu que très peu de devancières dans la culture européenne depuis 1945 : la revue romaine Ordine Nuovo, essentiellement évolienne ; Nouvelle École (dans une certaine mesure) ; et Mars Ultor, dirigée en Allemagne par Pierre Krebs. Sparta est une publication ouvertement païenne, racialiste et identitaire, qui naît sous le triple parrainage augural du Rig-Veda, de Nietzsche et de Savitri Devi. 

Sparta, dès son premier volume, fait le pari de la qualité, tant sur le plan graphique, sobre et soigné, que sur celui du contenu. Grâce à Sparta, vos idées sont enfin défendues et affirmées avec rigueur et érudition ; vous y trouverez une écriture élégante, des références dûment vérifiées et complètes, des traductions (de l’allemand, de l’anglais, de l’italien) vraiment fiables. Sparta reflète le professionnalisme et la compétence de collaborateurs qualifiés, qui ont fait leurs preuves depuis longtemps : Jean Haudry, Philippe Baillet, Pierre Krebs, Jean Plantin, David Rouiller, auxquels viendront bientôt s’ajouter d’autres noms.

Sparta-Volume-I-Philippe-Baillet-Jean-Haudry-Neuf.jpgAu sommaire du volume 1 : un article de J. Haudry sur la notion d’aidôs, « respect, révérence », qualités indispensables aux membres d’une même sodalité. Deux longues études de Ph. Baillet : l’une sur la « généalogie » et l’origine des valeurs dans la philosophie de Nietzsche ; l’autre sur « le mythologue du romantisme », le Suisse Johann J. Bachofen, sa réception considérable dans la culture germanique, l’opposition-complémentarité Apollon-Dionysos, avec des aperçus relatifs à Alfred Rosenberg et à des penseurs völkisch comme Alfred Baeumler et Ludwig Klages. Des textes d’Evola sur Bachofen, par qui il fut fortement influencé. Un inédit du théoricien italien : « Soldats, société, État ». Trois textes d’un sociologue des arts visuels, Raimondo Strassoldo, sur l’entrée dans l’art moderne et contemporain non moins que sur la subversion organisée des canons esthétiques européens. Un article de P. Krebs sur le mouvement Der Dritte Weg, véritable « communauté militante identitaire ». Et un index pour vous repérer facilement dans cette matière.

Pour en parler, nous avons interrogé Philippe Baillet :

Breizh-info.com : Pouvez-vous tout d’abord vous présenter à nos lecteurs ?

Philippe Baillet : Né le 21 janvier 1951, je viens d’avoir 70 ans. Je suis issu d’une famille du Pas-de-Calais, non pas de l’ancien bassin houiller, mais du littoral, de Boulogne-sur-Mer à Berck en passant par Le Touquet. Socialement parlant, je viens d’un milieu de la classe moyenne, mais qui connut un grand déclassement à partir du milieu des années 50. J’insiste sur ce point car il me singularise : tout au long de mon itinéraire politico-culturel — soit depuis 1966, année de mon adhésion, à l’âge de quinze ans seulement, à la section de Saint-Cloud (alors dirigée par un certain Bernard Lugan) de la Restauration Nationale d’inspiration maurrassienne, jusqu’à la fondation toute récente de Sparta —, je n’ai pratiquement côtoyé, au sein de la droite radicale française, que des fils de la moyenne et grande bourgeoisie, chez lesquels j’ai pu constater trop souvent un grand écart entre la nature des idées défendues et la façon de les incarner. C’est aussi à cause de ce déclassement que je dus renoncer à poursuivre des études universitaires, à cause de cela encore, dans une certaine mesure, que je n’ai pu publier mon premier livre proprement dit qu’en 2010, soit un an avant de prendre ma retraite.

md30657416862.jpgJe renvoie les lecteurs à mes fiches Wikipédia et Metapedia. Pour résumer très vite : après des débuts dans les rangs maurrassiens, je suis passé par ce qu’il restait du REL (fondé par Dominique Venner), puis par le groupuscule Pour une Jeune Europe, fondé par Patrick Mahé et Nicolas Tandler après la dissolution du mouvement Occident en octobre 1968. À la fin des années 60 et au début de la décennie suivante, j’eus aussi l’occasion de bien connaître le Suisse romand Gaston-Armand Amaudruz (animateur du Nouvel Ordre Européen), qui me reçut à plusieurs reprises. Ma découverte de l’œuvre d’Evola date de cette période. Cette découverte me conduisit à apprendre l’italien, jusqu’à devenir ensuite traducteur professionnel, travaillant notamment pour deux éditeurs catholiques importants (Le Cerf et Desclée De Brouwer), pour les éditions du Rocher et, ponctuellement, pour Robert Laffont. En 1977, je fus l’un des trois fondateurs de la revue Totalité, d’inspiration évolienne, avant de devenir, au milieu des années 80, secrétaire de rédaction de toutes les publications de la ND, auxquelles je collaborais moi-même. À date plus récente, entre 2010 et aujourd’hui, j’ai publié cinq ouvrages aux éditions Akribeia et plusieurs articles dans les cahiers annuels Tabou.

Breizh-info.com : Quelle est la genèse de la revue Sparta ? Quels sont ses objectifs ?

Philippe Baillet : Sparta n’est pas à proprement parler une revue, puisqu’elle n’a pas de périodicité fixe. Elle se présente comme un copieux volume de « mélanges », que nous espérons pouvoir faire paraître une fois par an. Sparta est le fruit d’une longue réflexion personnelle, partagée au fil des ans avec quelques amis et avec mon éditeur, Jean Plantin, sur les échecs répétés, depuis 1945, de la droite radicale française, que ce soit sur le plan politique (exemple le plus retentissant : l’OAS) ou culturel (exemple le plus marquant : le GRECE des quinze premières années et ce qu’il en reste aujourd’hui), et sur les causes profondes de ces échecs.

31ky4-ih6yL._SX314_BO1,204,203,200_.jpgEn 2018, j’ai publié un ouvrage qui est à la fois un pamphlet (par le ton) et un essai (par ses analyses et son appareil de notes abondant). Son titre résume bien les critiques que mes amis et moi adressons à la DR française : De la confrérie des Bons Aryens à la nef des fous. Par « Bons Aryens », je vise bien sûr les bons à rien franco-gaulois et leurs tares apparemment inguérissables : le « réalisme » à courte vue de ceux qui, pourtant cocufiés tous les dix ou vingt ans à ce petit jeu, s’imaginent encore que le commencement du salut viendra de la politique ; la frivolité et la futilité typiquement françaises, héritées des salons de la noblesse décadente d’Ancien Régime et sur lesquelles Abel Bonnard et Céline ont écrit des lignes féroces, mais justes ; le manque de soubassement historique (la France n’a pas connu de vrai mouvement fasciste, mais seulement des intellectuels fascistes, le seul mouvement sérieux dans le paysage ayant été le PPF, d’ascendance communiste comme par hasard) ; l’anti-intellectualisme (le pseudo-fascisme français est avant tout littéraire) et l’indifférence méprisante à la formation doctrinale ; l’esthétisme à corps perdu, stéréotypé et envahissant, façon typiquement bourgeoise de se donner une posture — mais seulement une posture — de révolutionnaire, et qui est une pathologie du « connaître par sensation immédiate », antérieurement à tout discours (c’est le sens même du terme « esthétique »), comme l’idéologie est une projection pathologique et passionnelle de la subjectivité.

Quant à la formule « nef des fous », elle vise un phénomène plus récent et dévastateur, qui n’est pas propre à la DR française, mais qui a trouvé chez une grande partie de celle-ci un terrain fertile pour une progression cancérigène : le complotisme et ce qui l’accompagne souvent, à savoir un antijudaïsme obsessionnel, rabique et, fréquemment, pour ceux qui en sont les fauteurs, « alimentaire ». Propre à satisfaire les petites têtes qui jouent aux matamores du clavier en s’imaginant qu’ils font peur au Système, le complotisme est aussi du pain bénit pour expliquer et justifier les lamentables échecs de toute une mouvance depuis 1945, en faisant ainsi l’économie de toute « autocritique positive ». Il est aussi un attrape-dingues particulièrement pernicieux.

51SFkzQ77FL._SX298_BO1,204,203,200_.jpgOr, avec Sparta nous entendons précisément renouer avec des formes de vraie critique sociale, au lieu du « on nous cache tout, on nous dit rien » d’aujourd’hui, beaucoup moins drôle que la chanson de Jacques Dutronc qui avait égayé la fin de mon adolescence. Alors que la DR franco-gauloise s’est ruée goulûment sur l’Internet et ses innombrables poubelles psychiques — soit pour y fouiller, soit encore pour les remplir à son tour —, nous entendons développer une critique argumentée de la pénétration invasive du « tout-numérique » dans la vie quotidienne et de ses conséquences sur le plan anthropologique. Cela nous permettra de bien mettre en relief la tare majeure, en plus de celles déjà énumérées, de la DR franco-gauloise : un énorme « déficit d’incarnation » entre les idées supposément défendues et la vie casanière et bourgeoise de tant de soi-disant « antimodernes » qui n’ont pas compris que, fondamentalement, le monde moderne est une gigantesque entreprise d’avilissement de l’humain, autrement dit, en termes nietzschéens, une usine à fabriquer le « Dernier Homme », lequel, en dépit (ou à cause ?) des prothèses technologiques qui l’entourent, relève d’une forme de sous-humanité. À ce sujet, la vertu de probité chère à Nietzsche oblige à reconnaître que l’on observe bien plus de cohérence chez certains libertaires et certains héritiers de l’Internationale situationniste – je pense en particulier au groupe réuni autour des éditions L’Échappée, déjà en pointe il y a quelques années dans la défense de l’objet-livre face à la barbarie internétique. Les vrais « réactionnaires », au meilleur sens du terme, ne sont en effet pas toujours là où l’on s’attend à les trouver…

Toujours avec la même volonté d’explorer des pistes nouvelles, Sparta — publication ouvertement racialiste, identitaire et païenne — entend revisiter le patrimoine doctrinal en lien avec ces trois adjectifs : donc, avant tout, mais non exclusivement, le patrimoine national-socialiste. Nous avons commencé à le faire et le ferons sans aucune concession au folklore, à la complaisance, aux stéréotypes, mais avec la rigueur et la compétence qui n’auraient jamais dû faire défaut. Des auteurs comme Mabire et Venner, par exemple, qui ont beaucoup écrit sur l’histoire du national-socialisme, se sont surtout penchés sur son volet militaire, guerrier et politique, mais, en définitive, très peu sur ce prolifique laboratoire d’idées que fut le mouvement völkisch, avant 1933 et de 1933 à 1945, sans doute parce que l’un et l’autre ne lisaient pas assez bien l’allemand.

Ce sont ces lacunes que nous voulons pallier, à travers des études sur des historiens de l’art représentatifs de l’esthétique nordique, sur des théoriciens comme Baeumler, Rosenberg ou le grand penseur païen Ludwig Klages, sur le mouvement de la Foi allemande (qui entendait fédérer tous les groupes religieux non chrétiens favorables au régime national-socialiste), sur l’ordre SS et l’Ahnenerbe, etc. Quant au fascisme italien, nous ferons connaître une institution tardive du régime mussolinien, l’École de Mystique fasciste, fondée à Milan en 1940 et qui était censée jouer le rôle d’une espèce d’Ordre au sein du parti unique. Enfin, dans un registre plus classique, mais essentiel, nous poursuivrons l’étude des valeurs de l’« indo-européanité », grâce avant tout à la collaboration de Jean Haudry, qui, avec la disponibilité généreuse d’un esprit totalement libre, a d’emblée accepté d’intégrer notre comité de rédaction et de nous donner un premier article.

En résumé, nous nous proposons donc, d’abord, de remplir une fonction d’approfondissement doctrinal. Seul l’avenir dira s’il est possible d’aller plus loin que ce travail de nature théorique pour déboucher sur la constitution d’un réseau informel d’amis de Sparta et sur la formation d’une véritable sodalité nourrie par les contenus les plus élevés de l’héritage ancestral des peuples indo-européens.

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Breizh-info.com : À l’heure de l’effondrement de la lecture, n’est-il pas un peu « fou » de publier une revue intellectuelle, du type de Nouvelle École, qui sera forcément une revue « de niche » encore plus petite du fait de cet effondrement ? Comment, selon vous, redonner le goût de la lecture et de la culture, notamment à la jeunesse ?

Philippe Baillet : Nous faisons le pari de l’existence d’un public exigeant, lassé des bateleurs du complotisme qui commencent à se dégonfler comme des baudruches, d’un public qui attend aussi, de la part de ceux capables d’un certain niveau de réflexion, autre chose que de l’eau tiède. Nous défendons des idées très dures par rapport aux idéologies dominantes, mais sous une forme de type universitaire, plus difficile à attaquer par le Système, avec des références précises et vérifiées, une écriture élégante et des traductions fiables. Quelques centaines de lecteurs fidèles, heureux de pouvoir lire une publication dont ils seront fiers, suffiraient à faire vivre Sparta. Nous avons bon espoir de les trouver. N’ayant pas réponse à tout, je suis incapable de répondre à votre seconde question. Parce que je ne suis pas matérialiste, je crois à la réalité des affinités électives plutôt qu’aux démarches volontaristes : Sparta arrivera entre les mains de ceux, mêmes jeunes, à qui elle était destinée avant même de voir le jour.

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous présenter le contenu du premier numéro pour donner envie à nos lecteurs ? Il est beaucoup question d’Allemagne et d’Italie dans le contenu…

Philippe Baillet : Le grand détour par l’Allemagne est logique puisque cette livraison contient une étude sur Nietzsche, l’origine des valeurs et le fait que les idées ne sont jamais des données immédiates de la conscience, mais des produits dont il faut mettre au jour l’origine et qui reflètent toujours des conditions d’existence proprement vitales. Je fais ressortir l’intérêt de cette grille interprétative de toutes les religions, croyances et idéologies, avant de traiter des thèmes comme le rapport entre art, vie et vérité, ou encore la « grande raison » du corps chez Nietzsche. Dans une partie finale consacrée à l’antijudaïsme culturel de Nietzsche, j’évoque en passant le cas du grand indo-européaniste et celtisant Julius Pokorny, éditeur avant et après la guerre de la Zeitschrift für celtische Philologie. D’origine partiellement juive, il avait prêté serment à Hitler en 1934 et défendu des idées völkisch. Par l’intermédiaire de Friedrich Hielscher — tout à la fois ami d’Ernst Jünger, figure du courant national-révolutionnaire et de la « résistance intérieure », et néo-païen — sa revue était lue, à l’époque de Stur, par des esprits aussi radicaux qu’Olier Mordrel et Célestin Lainé.

Quand on sait cela, on commence à comprendre toute l’importance du sens des nuances : c’est aussi l’une des raisons d’être de Sparta.

Johann_Jacob_Bachofen.jpgJ’ai également rédigé pour cette première livraison une très longue étude sur « le mythologue du romantisme », à savoir le Suisse Johann J. Bachofen (1815-1887), qui croisa Nietzsche à l’université de Bâle. Encore trop peu connu en France, Bachofen bénéficia pourtant d’une « réception » considérable : il est établi qu’il fut lu par des esprits aussi différents que Friedrich Engels, Walter Benjamin, Thomas Mann, Robert Musil, Hermann Hesse, Baeumler, Rosenberg et Klages, sans oublier le grand helléniste Walter F. Otto et, bien sûr, Julius Evola. Notre dossier sur Bachofen comprend d’ailleurs des textes d’Evola sur l’auteur suisse. L’Italie est encore à l’honneur avec plusieurs textes d’un sociologue de l’art italien consacrés à l’histoire de la subversion organisée des arts visuels en Occident par des « avant-gardes » nihilistes. Cette première livraison contient également un article de J. Haudry sur la notion grecque d’aidôs, terme souvent rendu par « retenue, pudeur », mais qui connote aussi le sens de « respect, révérence » envers sa propre conscience et ceux à qui l’on est uni par des devoirs réciproques ; un témoignage de Pierre Krebs sur le mouvement national-révolutionnaire allemand Der Dritte Weg, dont les méthodes ne sont pas sans rappeler celles du mouvement romain Casa Pound ; un article inédit d’Evola sur la véritable signification de l’« antimilitarisme » des nations victorieuses à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ; et un index pour se repérer dans toute cette matière.

Breizh-info.com : Travaillez-vous déjà à un deuxième volume ? Quels retours avez-vous du premier ?

Philippe Baillet : La deuxième livraison est déjà en chantier, afin qu’elle puisse paraître en novembre prochain. Les thèmes philosophiques, religieux et liés au domaine indo-européen prédominent dans le premier numéro. Le deuxième numéro contiendra, lui, plus d’articles « métapolitiques ».

Nous devrions pouvoir présenter un comité de rédaction élargi, avec des collaborateurs étrangers. La naissance de Sparta a été relayée et favorablement accueillie sur le blog de Robert Steuckers, sur les sites de Terre & Peuple et de Synthèse nationale, sur la page Païens et Fiers de Jean-Jacques Vinamont, et même sur la page Facebook de quelqu’un qui ne nous aime pas, Christian Bouchet, mais qui a affirmé que Sparta, en tant que revue païenne, est très supérieure à la défunte revue Antaios du Belge Christopher Gérard. Quant aux commandes, elles arrivent en nombre tout à fait satisfaisant. Nous sommes donc raisonnablement optimistes sur l’avenir de Sparta.

Sparta — volume I — 262 pages, 26 € (à commander ici)

Propos recueillis par YV

[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

jeudi, 21 janvier 2021

De l’Ame

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De l’Ame

par Luc-Olivier d'Algange

Il n'est rien de moins abstrait que l'âme. Lorsque presque tout en ce monde, selon le mot de Guy Debord, tend à «  s'éloigner dans une représentation  », à s'abstraire de sa propre immédiateté; lorsque notre entendement, dans son usage commun, se borne à n'être qu'une machine à abstraire (ce qu'il est peut-être par nature, sauf à se subvertir lui-même dans une conversion gnostique); lorsque notre corps, tel que nous nous le représentons dans le regard d'autrui est tout autant abstrait de lui-même, - l'âme seule, qui est intérieure à toutes les choses, s'y déploie, pour qu'elles soient là, qu'elle existent, et dans leur mouvement même.

Qu'importe de savoir si nous croyons ou non en l'existence de l'âme, comme en une chose ou une notion, puisque ce qui existe, en s'éprouvant, est le mouvement de l'âme elle-même.

Pas davantage qu'une abstraction, l'âme n'est une «  subjectivité  »; elle n'est point la somme ou la synthèse de nos représentations et il serait presque trop de dire qu'elle est en nous, - cet «  en nous  » invitant à l'erreur de croire que notre âme serait emprisonnée dans notre corps, comme un moteur l'est dans une machine.

Or la nature de l'âme est d'être impondérable et de franchir, légère, les limites et les frontières. Elle n'est pas seulement un bien intériorisé mais la circulation entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité même.

Notre peau n'est pas notre limite, ainsi que l’écrivais René Daumal, mais l'un des plus subtils organes de perception. Ce qui perçoit avant nous en fissions une représentation, c'est l'âme. «  Peau d'âme  » disait Catherine Pozzi. La formule est admirable de justesse. L'âme ne s'oppose pas au sensible comme le voudraient les morales puritaines; elle est ce qui le rend possible. Là où l'âme agit, le monde intérieur et le monde extérieur échangent leurs puissances et s'entre-pénètrent amoureusement.

Que serait un monde sans âme ? Celui où nous avons la disgrâce ou la chance terrible de vivre. La disgrâce; parce que le monde moderne, le monde des hommes uniformisés et des objets de série, est cette machine à fabriquer de l'interchangeable et que la Grâce, comme le savait Al-Hallaj, ne vient qu'aux uniques. Mais chance terrible aussi, car la mise-en-péril de l'essentiel en révèle la splendeur cachée, l'inaltérable beauté sise au cœur  des êtres et des choses.

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L'âme humaine et l'Ame du monde sont une seule âme. L'âme des paysages est âme car elle est notre âme. Celui qui perçoit l'âme d'un paysage a la sensation de s'y perdre, à cet instant où, l'air, le ciel, les arbres et le vent affluant en lui,  il vacille au bord de l'extase. Il fait plus, et mieux, que le voir. Ce qu'il voit n'est que le signe de l'âme qui regarde en lui.

Telle prairie dans son apothéose fleurie éveille en nous le printemps de l'âme. Tel océan nous rappelle à l'exigence de nos abîmes. Tel vol d'hirondelles est notre pensée même et ne se distingue en rien de ce qui la perçoit en nous. L'âme est la vive, l'avivante intersection entre ce qui perçoit et ce qui est perçu.

Le sentiment qui en surgit est bien, comme vous le dites justement, celui du Pays perdu, la sehnsucht des Romantiques Allemands, - l'orée tremblante de l'âme.

A certaines heures, particulièrement à l'aube et au crépuscule, le visible semble s'éloigner en lui-même, dans la profondeur du regard, jusqu'à l'orée d'où reviennent, en ressacs, les ressouvenirs du Pays perdu. Ce pays n'est perdu, en vérité, que parce qu'il est trouvé. Son absence est l'espace de son advenue.

Quiconque oublie le sens de l'exil vit dans l'exil de l'exil, - dans cette absence carcérale qu'est la représentation. La présence réelle, au contraire, est l'hôte de l'absence, son invitation, et selon la formule fameuse de Dante, sa «  salutation angélique  ». A l'orée du visible, l'absence du visible, l'invisible nous fait signe afin que nous cheminions vers lui. Toute vie qui n'est pas une quête du Graal est un avilissement sans fin.

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Dans le fondamentalisme, tout se réduit à l'idolâtrie du signe extérieur, d'une apparence qui ne laisse rien apparaître. Apparence sans apparition, mur aveugle, sur lequel, tout au plus, on peut apposer des affiches de propagande haineuse. Le fondamentaliste veut bannir le doute, mais bannissant le doute, il détruit la Foi. A sa façon, c'est un «  réaliste  », il veut «  du concret  », c'est-à-dire de la servitude et de la mort concrètement réalisés.  Il est aux antipodes, non du matérialiste ou du «  mécréant  », comme il se plait à le dire, et peut-être à le croire, mais du mystique et de l'herméneute, et de tout homme en qui s'élève un chant de louange en l'honneur de la Création.

Vindicatif, mesquin, obtus, il vient comme une menace, mais dans un monde qui lui ressemble. On le dit «  archaïque  » ou «  barbare  » mais il n'est ni l'un ni l'autre, - plutôt idéologue et publiciste, inscrit, et parmi les premiers rôles, au cœur de la société du spectacle. Il n'est pas ce qui s'oppose au monde moderne mais sa vérité de moins en moins dissimulée. Comment lui opposerait-on la société dite moderne dominée par la finance et la technique alors que ce sont les moteurs de sa guerre, que bien abusivement, il qualifie de «  sainte  »  ?

La guerre de ces deux forces, antagonistes seulement par les apparences, car elles sont l'une et l'autre idolâtres des apparences, ne contient aucun espoir. Elle est la force même du péché contre l'espérance. Ce qu'il y eut de beau, de noble et libre dans la culture européenne est pris en tenaille entre ces frères ennemis qui obéissent au même Maître, - celui de la restriction de l'expérience sensible et spirituelle, celui du contrôle total.

En ces circonstances où le monde s'uniformise et s'attriste, l'âme est atteinte, blessée. Les poètes en seront les guérisseurs, au sens chamanique, et les héros, au sens d'une sauvegarde de certaines possibilités d'être. La question est cruciale et vitale car enfin, sans âme, tout simplement, on ne vit point, ou bien seulement d'une vie réduite à un processus biologique, - auquel s'intéresse précisément le «  trans-humanisme  », qui est sans doute la phase ultime de cet «  interventionnisme  » moderne qui veut ôter aux hommes la joie et le tragique,  et la beauté même de l'instant éternel, pour en faire des mécaniques perpétuelles.

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Le Moderne hait le donné. Rien n'est assez bon pour lui; et c'est ainsi qu'il détruit le monde et s'appareille. Les causes et les conséquences de ce processus, qui est avant tout une vengeance contre tout ce que l'on ne sait pas aimer, ont, au demeurant, été admirablement analysés par Heidegger et René Guénon. Le Moderne est un homme mécontent du monde et de lui-même et ce mécontentement, au contraire de l'inquiétude spirituelle, n'est pas une invitation au voyage, un consentement à l'impondérable, mais un grief qui se traduit par un activisme planificateur. Tout est bétonné, aseptisé, stérilisé, climatisé, - et finalement empoisonné. Plus rien n'est laissé au temps pour y éclore. Les incessantes exactions commises contre la nature, les paysages donnés par la création ou par le labeur intelligent de nos ancêtres, ne sont que la conséquence des atteintes continûment portées à l'âme des individus et des peuples qui pouvaient encore les comprendre, les honorer et les aimer.

L'âme est ce qui relie. Toute atteinte à l'âme nous sépare du monde, de nos semblables et de nos dissemblables, pour nous jeter dans l'abstraction, dans cette subjectivité morbide qui s'exacerbe devant les écrans. Les écrans, par définition font écran; ils sont des instances séparatrices et l'on reste, pour le moins, dubitatif devant ces injonctions gouvernementales qui prescrivent de les imposer dans tous les collèges et toutes les écoles, pour le plus grand bénéfice de ceux qui en font l'industrie.

L'homme irrelié, séparé des influx de toutes les forces sensibles et intelligibles, est le parfait esclave-consommateur. Irrelié, il ne peut plus recevoir, ni donner, - et symétriquement, une étrange outrecuidance s'accroît en lui, et il croit d'un clic pouvoir dominer le monde entier en le faisant apparaître et disparaître. Ses sens et la présence de l'Esprit s'altèrent en lui par cet usage. Vide d'Esprit, son cerveau s'encombre de fatras et de décombres, sa syntaxe et sa grammaire s'effondrent, ses affects s'hystérisent et sa peau devient imperméable à l'air et à la lumière, à ces forces immenses, sensibles et suprasensibles, qui embrassent, apaisent et sauvegardent.

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Le propre de cette machine de guerre uniformisatrice est qu'elle s'exerce désormais non par une collectivité contre une autre, mais contre chacun, contre chaque âme éprise de l'Ame du monde. Dans ce combat, chacune de nos défaites a une conséquence immédiate pour chacun d'entre nous et par chacun d'entre nous.

A l'ensoleillement de l'âme qui naît dans la nuit dont elle révèle et fait resplendit le mystère, le Moderne a substitué l'éclairage scialytique, le néon commercial, la blafarde clarté de l'écran d'ordinateur. Il a remplacé la pensée méditante, qui délivre, par la pensée calculante qui emprisonne et infléchit les caractères vers la cupidité, l'envie et l'ennui. La fréquentation des humains en devient difficile. Les conversations, dans la plupart des cas, se ramènent à un «  zapping  » fastidieux; toute promenade devient une prédation touristique; toute relation humaine, une tractation pesante, voire menaçante.

Lorsque le monde disparaît, lorsque les femmes et les hommes n'ont plus conscience de faire partie de cette Quaternité, avec le ciel, la terre et les dieux, que Heidegger évoque en suivant Hölderlin, une affreuse incarcération commence, une peine illimitée dans ce «  sous-sol  » dont parle Dostoïevski, et d'où ne s'élèvent que des plaintes haineuses.

L'Enfer et le Paradis sont l'un et l'autre à notre portée  ;  cette belle énigme théologique, nommée le «  libre-arbitre  » trouve ici son mode d'application. Tel est l’alpha et l’oméga de la sapience  : il est en nous, et donc ici-bas, un enfer et un paradis pris dans les rets du temps qui sont les reflets de l’Enfer et du Paradis éternel, et, non point en général, mais à chaque instant précis, il nous appartient de choisir l’un ou l’autre, de prendre le parti de l’un ou de l’autre. Même lorsque nous ne faisons rien en apparence, ou que nous ne faisons que songer et penser, il nous appartient que ces songes et ces pensées soient de la source vive ou de la citerne croupissante  ; il nous appartient qu’elles chantent et se remémorent les heures heureuses, ou qu’elles s’aigrissent. Il nous appartient de boire à la source de Mnémosyne ou à celle du Léthé. Quiconque demeure encore quelque peu attaché à la spiritualité européenne peut se redire, dans le fond du cœur, en toute circonstance, ce qui est écrit sur la Feuille d’Or orphique trouvée à Pharsale  :

«   A l’entrée de la demeure des morts

Tu trouveras sur la droite une source.

Près d’elle se dresse un cyprès blanc

Cette source ne t’en approche pas.

Plus loin tu trouveras l’eau fraîche

Qui jaillit du lac de Mémoire, veillée par des gardiens.

Ils te demanderont pourquoi tu viens vers eux.

Dis-leur  : je suis fils de la Terre et du Ciel étoilé.

Mon vrai nom est l’Astré. La soif me consume.

O laissez-moi boire à la source  ».

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Les Symboles ne sont pas seulement des allégories, des représentations, ils sont des actes d’être. Ce qu’ils donnent à voir est l’invisible dont ils sont l’empreinte visible. Le sensible et l’intelligible ne sont pas seulement des catégories de l’entendement, mais des pôles entre lesquels se déploie une gradation infinie, que nos sens et notre entendement seuls ne peuvent parcourir. Entre le corps et l’esprit, l’âme est cet instrument de perception du «  monde imaginal  » qu’on ne saurait réduire à la fantaisie ou à ce que l’on nomme ordinairement l’imaginaire, lequel appartient à la pure subjectivité. Les œuvres de Sohravardî, de Ruzbéhân de Shîraz, ou d’Ibn’Arabi, admirablement commentées par Henry Corbin, donnent à comprendre en quoi le mundus imaginalis est bien ce «  suprasensible concret  », cette Ile Verte ou ce Château Tournoyant qui s’offrent à tous les hommes, par l’expérience visionnaire, aussi objectivement qu’un paysage réel.

L’Archange Empourpré qu’évoque Sohravardî, qui apparaît au crépuscule, est le messager ce qui dans la pensée fut et n’est pas encore, l’aube en attente dont le crépuscule révèle la splendeur et le sens caché. Ainsi, oui, l’âme est l’Ange, elle est ce qui en dispose en nous la présence entre les mondes, le miroitement, l’orée, l’attente, l’attention.

Il y eut dans les grandes œuvres persanes du Moyen-Age une attention extrême et précise à ces gradations, à ces variations chromatiques de l’âme allant à la rencontre de son ange, à cette multiplicité des états d’être et de conscience, sans laquelle nous demeurons emprisonnés dans des représentations sommaires et réduits à un exercice de la vie purement utilitaire et avilissant, mais cette attention se retrouve tout aussi bien chez Hildegarde de Bingen ou Maître Eckhart, et plus en amont, dans les Ennéades de Plotin.

Une catena aurea néoplatonicienne, quelque peu secrète, traverse la culture européenne fort différente du «  platonisme  » selon sa commune définition scolaire de «  séparation entre le monde sensible et le monde idéal  ». L’Idée n’est pas séparée de la forme sensible, elle est la forme formatrice de cette forme. Le monde sensible n’est pas «  séparé  », et encore moins «  opposé  », au monde des Idées, mais empreinte héraldique des Idées. Ce n’est que dans l’oubli de l’âme que s’opposent le corps et l’esprit, qui deviennent ainsi l’un à l’autre leur propre enfer. Or voici Marsile Ficin, qui parle du «  rire de la lumière  », voici Shelley, qui nous invite au voyage de «  l’âme de l’Ame  », Epispsychidion, voici Saint-Pol-Roux et ses ensoleillements, «  symboliste comme Dante  », voici Oscar Wenceslas de Lubicz-Milosz, dont l’Ars Magna et les Arcanes décrivent le surgissement, par le Verbe, d’un «  autre espace-temps  » non point irréel mais à partir duquel toute réalité s’ordonne, s’éclaire ou s’obscurcît, selon l’attention déférente que nous savons, ou non, lui porter.

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Tout ce qui importe se joue dans notre perception du temps. Est-il un autre temps que le temps de l’usure et de la destruction  ?  Sous quelles conditions s’offre-t-il à notre attention, dans quelles incandescences  ? La plus haute intensité, celle qui délivre, ne vient pas dans la hâte, l’agitation et le tumulte, mais dans le calme et le silence  : «  regard de diamant  » comme disent les taoïstes.

L’âme est ce qui éveille, derrière les yeux de chair, les «  yeux de feu  ». «   C’est au yeux de feu seuls qu’apparaît ce qui unit Proclus à Botticelli et l’Empereur Julien à Franz Liszt  » disait Jean-Louis Vieillard-Baron, dans l’une de ses belles conférences de l’Université Saint-Jean de Jérusalem. Par l’exercice herméneutique, un arrière-plan apparaît, une conscience dans la conscience, antérieure à toute analyse et à toute explication historique, qui, si elle ne peut se prouver, selon les lois de la science reproductive, s’éprouve et se dit. En amont, dans une immensité antérieure, dans un ressac de réminiscences se tient une Sapience, qui est le bonheur même, une région paradisiaque, cet «  invincible été  » que l’on porte en soi au cœur de l’hiver, comme disait Camus, une gnose soleilleuse, si merveilleusement figurée dans le fameux traité d’Alchimie, intitulé précisément Splendor Solis, et qui nous revient, non de façon planifiable mais à la venvole, et pour laquelle il convient donc de se tenir prêts à chaque instant.

Tel est exactement le sens de la chevalerie spirituelle, de ce cheminement vers le Graal ou la Jérusalem Céleste, entre la Mort et le Diable, comme sur la gravure de Dürer. Le combat pour l’Ame du monde oppose un sacrifice à un gâchis. Le moderne ne voulant rien sacrifier gâche tout. A tant vouloir opposer le corps et l’esprit, il perd le bon usage de l’un et de l’autre. Nous conquerrons, ou nous perdrons, en même temps et du même geste, la beauté de l’instant et la splendeur de l’éternité, le frémissement sensible et les lumières secrètes de l’Intellect, la présence immédiate, l’éclosion de l’acte d’être et la fidélité à la Tradition qui nous en donne les clefs. A la fine pointe de la seconde advenante, à l’aube de la fragile et fraîche éclosion, le beau récitatif nous vient en vagues depuis la nuit des temps par l’intercession d’Orphée et de Virgile.

Contre les armes dont le monde moderne use contre nous afin de nous épuiser et de nous distraire, reprenons sans ambages le Bouclier de Vulcain tel qu’il apparaît, en figuration de l’Ame du monde, dans l’Enéide  : feu primordial et cœur du monde. «  Par lui, écrit Yves Dauge, s’enracinent dans l’histoire les Idées pensées par Jupiter, formée par Apollon, transmise par Mercure et vivifiées par Vénus  ». Telle est exactement l’âme avivée, l’âme sauvegardée  : une voie vers la pensée intérieure des êtres et des choses, au point où elles se forment en se délivrant de l’informe, et voyagent vers nous par des ambassades ailées, celle des poètes et des herméneutes, pour finalement être touchées et vivifiées par l’amour.

Luc-Olivier d’Algange

mardi, 19 janvier 2021

Quelques réflexions sur les castes et la tripartition

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Quelques réflexions sur les castes et la tripartition

CASTES

« Par la distribution différente

 Des qualités et des actions,

J’ai créé les quatre castes.

Sache que c’est Moi leur auteur. »

(Bhagavad-Gîta, IV. 13)

[C’est le Dieu suprême qui parle.]

 

« Quand le devoir tombe dans l’oubli,

Les femmes se corrompent, ô Krishna !

Et quand les femmes se corrompent, ô Varshneya,

Alors naît la confusion des castes. »

(Bhagavad-Gita, I. 41; traduction d’Anna Kamensky)

[La confusion des castes : le règne des Tchandalas.]

 

418ilPdZE+L._SX327_BO1,204,203,200_.jpg« [En Inde, juste avant l’apparition du bouddhisme] La civilisation la plus élevée qu’un peuple puisse atteindre dans un état ordonnancé était atteinte. La loi et le droit réglaient la vie des membres de l’Etat. La division du peuple en castes indiquait à chacun la voie de sa vie. Le trône des princes était environné de pompe et de luxe ; la caste des prêtres et celle des guerriers étaient près du trône et menaient une vie confortable, aux dépens du peuple, il est vrai ; cependant les castes des artisans, des commerçants et des agriculteurs avaient leurs cercles juridiques qui leur étaient garantis par la loi et dans l’intérieur desquels elles pouvaient se mouvoir librement. Il y avait bien de nombreuses castes inférieures, castes de serviteurs dont la vie se passait à travailler pour d’autres, mais on consolait ces castes par des promesses religieuses, de sorte que ça et là un rayon d’espoir, une divine étincelle de joie, tombait sur la misère de leur vie. »

(Ludwig Gumplowicz, La lutte des races, 1883)

« L’ordonnance des castes apparaît chez Manu d’une grande intransigeance. Cependant, cette sévérité qui peut encore nous sembler injuste dans l’Inde actuelle est atténuée, pour l’Hindou croyant, par la métempsychose, concept qui vient peut-être de la population pré-indo-européenne mais qui fut édifié intellectuellement par les Aryens ; un Shudra vertueux peut se réincarner en un Vaishya, un Vaishya vertueux en Kshatriya, un Kshatriya vertueux en un Brahmane. »

(Hans F.K. Günther, La race nordique chez les Indo-Européens d’Asie, 1934)

md30725253875.jpg« Il y a là plus que des classes, qui sont une dégradation économique et matérialiste ; les castes reflètent un ordre métaphysique où chaque individu accomplit sa fonction selon sa vraie volonté – ou devoir, dharma – en tant que manifestation de l’ordre cosmique.  Pour les fidèles de la Tradition Pérenne, la caste est une manifestation de l’ordre divin et pas seulement une division économique du travail en vue d’une grossière exploitation. »

(Julius Evola, La tradition hermétique)

« Toute société est nécessairement divisée en quatre groupes correspondant à quatre fonctions essentielles sans lesquelles aucune civilisation ne saurait subsister. Chaque fois que, au cours de l’histoire, on a essayé d’altérer ou de supprimer cette division fondamentale, on la voit reparaître sous quelque autre forme car elle est inhérente à la nature de l’homme. »

(Alain Daniélou, Les Quatre Sens de la Vie)

« L’humanité ne trouve l’équilibre et le bonheur que lorsque les quatre groupes humains qui sont à la base des quatre castes sont en harmonie. Cela seul permet d’éviter les quatre tyrannies dont parle Manu, le grand législateur, et qui sont la tyrannie des prêtres, celle des guerriers, celle des marchands et celle de la classe ouvrière qui sont également néfastes et se succèdent indéfiniment jusqu’à ce qu’un équilibre social soit rétabli.

Il n’est pas nécessaire d’aller en Inde pour observer ce cycle inéluctable, l’Europe, dans le passé récent, a connu la prise du pouvoir par l’Église, puis par l’aristocratie suivie de la bourgeoisie capitaliste, et enfin la dictature du prolétariat. Aucune de ces formules n’est stable ni efficace. Elles aboutissent inévitablement à la tyrannie et à l’injustice. Seule une reconnaissance des quatre groupes essentiels à toute société et leur attribution de droits et de privilèges distincts peut permettre une organisation sociale stable et juste. C’est une organisation de ce genre, le système des castes, qui a permis à l’Inde, malgré les invasions et les guerres, de maintenir une civilisation ininterrompue depuis l’Antiquité. Le Moyen Âge européen avait tenté d’établir une organisation de ce genre. Ce fut l’Église, avec l’Inquisition qui rompit l’équilibre. »

(Alain Daniélou, Shiva et Dionysos, 1979)

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TRIPARTITION

« …il est très remarquable que l’organisation sociale du Moyen Age occidental ait été calquée exactement sur la division des castes, le clergé correspondant aux Brahmanes, la noblesse aux Kshatriyas, le tiers-état aux Vaishyas, et les serfs aux Shudras. »

(René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel, 1929)

[La même remarque figure, en termes quasi-identiques, dans Le roi du monde (1927).]

« La prééminence du soldat sur l’agriculteur et de l’agriculteur sur le marchand, que l’hitlérisme postule, était admise par toutes les sociétés antiques. »

(Alfred Fabre-Luce, Journal de la France, 1940)

« Le type économique est en lui-même inférieur non seulement au type spirituel au sens le plus élevé du terme, mais en outre au guerrier, à l’homme d’Etat, au penseur et à l’artiste. (…) Aussi le gouvernement exclusif par la classe économique serait-il l’expression extrême de la suprématie d’une classe unique, et, cette classe étant en elle-même inférieure d’après tous les critères spirituels, sa suprématie aboutirait nécessairement à un état général inférieur. »

(Hermann von Keyserling, Diagnostic de l’Amérique et de l’américanisme, 1941)

9788898672219_0_306_0_75.jpg« Le premier devoir est de combattre pour la restauration de l’Ordre. Pas tel ou tel Ordre particulier, telle ou telle formule politique contingente, mais l’Ordre sans adjectifs, la hiérarchie immuable des pouvoirs spirituels à l’intérieur de l’individu et de l’Etat qui place au sommet ceux qui sont ascétiques, héroïques et politiques et au-dessous ceux qui sont simplement économiques et administratifs. »

(Adriano Romualdi)

« Le principe européen par excellence postulait la prééminence du souverain et du prêtre sur le guerrier, et celle du guerrier sur le producteur-consommateur. Ou, si l’on préfère, de l’âme et de l’esprit sur le cœur, et du cœur sur le ventre, du spirituel sur le corporel et du corporel sur l’économique. »

(Alain de Benoist)

« …quelques-unes des grandes réussites ou des grands efforts de puissance, jusque dans la plus moderne histoire de notre Europe, reposent sur des reviviscences claires et simples du vieil archétype trifonctionnel. (…) [par ex.] les trois rouages essentiels de l’Etat soviétique (le parti avec la police, l’armée rouge, les ouvriers et les paysans), ceux de l’Etat nazi (le Partei avec la police, la Wehrmacht, l’Arbeitsfront) [qui] constituent des machines dont l’efficacité n’est pas contestable. »

(Georges Dumézil, L’oubli de l’homme et l’honneur des dieux, Gallimard 1985)

« Je pense que quand les Indo-Européens sont nomades et que leur économie et leur structure sociale sont les plus simples, il y a trois fonctions, mais que quand les Indo-Européens s’établissent à un endroit et commencent à pratiquer l’agriculture et le commerce, il y a alors une différenciation entre employés et travailleurs, et un système quadripartite surgit. »

(Greg Johnson, article sur TOQ, 2011)

« …l’anthropologie de l’apôtre Paul apparaît trichotomique, distinguant en l’homme, l’esprit, le corps et l’âme. Cette trichotomie serait pleinement applicable à la structure de l’Empire idéal. (…)

5115V0M6JKL._SX289_BO1,204,203,200_.jpgL’espace, la terre, le territoire, la zone de contrôle et d’influence constituent le contenu corporel de l’Empire et correspondent au corps de l’homme. (…) Le peuple correspond à l’âme ; il vit et se déplace, aime et déteste, tombe et se relève, s’envole et souffre. (…) La religion correspond à l’esprit. Elle montre des perspectives montagneuses, elle assure le contact avec l’éternité, elle dirige le regard vers le ciel.

De même que l’homme possède obligatoirement un corps, une âme et un esprit, selon le christianisme, de même l’Empire possède un espace, un peuple et une religion. »

(Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique, 2012)

« Dans Homère, le mythe de la guerre de Troie débute par la faute de Pâris, noble troyen. Il voit arriver devant lui trois déesses, une par fonction : Héra représente la fonction souveraine, Athéna la fonction guerrière et Aphrodite, la déesse de l’amour, la troisième fonction. Pâris doit remettre une pomme d’or à la plus belle et il choisit Aphrodite. Il entraîne alors Troie dans la ruine car les déesses de la souveraineté et de la guerre vont se venger et prendront le parti des Grecs contre les Troyens.

Il ne faut pas inverser la hiérarchie des fonctions, telle est la leçon du mythe. Il faut aussi un équilibre à l’intérieur des fonctions.

Les Etats fascistes sont morts d’avoir mis la fonction guerrière au-dessus de tout. Les Etats occidentaux ont tendance aujourd’hui, sous l’impulsion des Etats-Unis, à faire dominer la troisième fonction. (…) Au sein de la troisième fonction, la sous-fonction marchande l’emporte sur la sous-fonction familiale. (…) L’économie détermine seule le sens de la vie. »

(Ivan Blot, La Russie de Poutine, 2016)

« [Lors de la chute du communisme en 1991] Les fonctions souveraines et guerrières, accaparées par le Parti communiste, se sont effondrées. La troisième fonction économique, non régulée, donc chaotique, a pris le dessus comme nous l’avons vu plus haut. La natalité s’est effondrée, la criminalité est partie en hausse, la mortalité a augmenté, fait unique dans un pays développé. L’économie elle-même a chuté, car elle a besoin d’un cadre stable.

La chance de la Russie, qui ne fut pas celle de l’Ukraine, est qu’elle avait de longue date une forte tradition militaire. C’est le milieu des officiers qui est arrivé à contrôler les oligarques, et le président Poutine en est l’émanation. La Russie actuelle a rétabli la hiérarchie des trois fonctions. La sous-fonction religieuse est réapparue et collabore avec l’Etat. Le président et le patriarche de Moscou, Cyrille, incarnent cette double fonction souveraine. La fonction militaire a été revalorisée. La troisième fonction (production et reproduction) a été rééquilibrée pour que la famille ne se désagrège pas au profit de la seule sous-fonction économique.

En même temps, les valeurs des deux premières fonctions ont été réaffirmées : patriotisme, moralité chrétienne, sens de l’honneur. »

(Ivan Blot, La Russie de Poutine, 2016)

81hkXcUpd9L.jpg« …la Russie nouvelle est une démocratie de type ‘gaullien’ avec des libertés, des élections, l’ouverture sur l’étranger mais la hiérarchie des trois fonctions a été rétablie. C’est une démocratie ‘tripartitionnelle’, différente du totalitarisme communiste qui avait détruit la troisième fonction, et différente de l’Occident dominé par le Gestell qui entraîne la dégénérescence des deux premières fonctions de souveraineté et militaire. En Russie, on est en économie libre de marché mais la primauté de la fonction de souveraineté est rétablie, et la fonction de défense est réévaluée dans la vie sociale. »

(Ivan Blot, La Russie de Poutine, 2016)

« Les intérêts économiques doivent être subordonnés aux intérêts stratégiques. Ce n’est pas à Mercure de régner sur l’Olympe. Ce n’est pas à l’intendance de donner des ordres. »

(Thomas Ferrier, tweet du 26 décembre 2020)

[Il y en a certains qui doivent se sentir visés… D’ailleurs, de Gaulle avait déjà dit : « La politique de la France ne se fait pas à la Corbeille ». Et on connaît aussi : « L’intendance suivra ». Aujourd’hui, il y a beaucoup de représentant de « l’intendance » parmi les dirigeants occidentaux… (mais pas en Russie et en Chine…)]

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jeudi, 14 janvier 2021

L'âge du fer qui fond : réflexions sur la modernité et le Kali Yuga

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L'âge du fer qui fond : réflexions sur la modernité et le Kali Yuga

par Angel Millar

Il y a un certain débat sur le moment exact où les âges commencent et se terminent, mais selon les traditionalistes, qui s'inspirent de l'hindouisme, nous descendons de l'âge d'or (Satya Yuga), lorsque l'humanité était intimement liée au Divin et vivait en harmonie avec la nature, et nous sommes maintenant dans l'âge de fer matérialiste (Kali Yuga).

Dans le Kali Yuga, la quantité prime sur la qualité ; la richesse (et non l'intelligence ou la sagesse) est considérée comme la preuve de la valeur d'un homme ; les gens ne se soucient plus de leurs parents ou de leurs aînés, et les hommes et les femmes s'unissent exclusivement par attirance physique.

Peut-être parce que nous associons l'âge de fer à la "quantité" et, plus précisément, au "royaume de la quantité", nous devrions considérer le Kali Yuga comme pesant, comme une époque de fer et de ruine. Pourtant, ce n'est pas le cas aujourd'hui.

550x820.jpgDans Liquid Modernity, le sociologue polonais Zygmunt Bauman décrit comment la politique des Lumières a voulu éroder ce qui était devenu statique et oppressif. L'idée était qu'une fois l'ancien régime ruiné, de nouveaux systèmes, plus équitables et plus gratifiants, seraient mis en place. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. L'acide corrosif a continué à désintégrer tout ce qu'il touche, de sorte que nous avons maintenant une "modernité liquide", une modernité où tout est léger, fugace, fluide, mutant, autodestructeur, et peut-être surtout, dénué de sens.

La vision orwellienne de notre monde après la Seconde Guerre mondiale était grise, rigide, oppressante et industrielle. Certaines caractéristiques "orwelliennes" font partie de notre époque, il est vrai ; en particulier l'abus politique de mots creux, qui en fait leur contraire ("dommage collatéral", terme militaire désignant les morts violentes dues aux opérations, étant l'un des plus connus), et la "double pensée" que le "politiquement correct" impose à ses adeptes, qui doivent croire des choses différentes selon la personne qui parle, et à quelle catégorie politique leur "identité" correspond.

L'expressivité apparaît également dans la foule qui crie, dénonçant l'individu pour ses mauvaises pensées. Mais ces foules sont composées de volontaires, plutôt que d'acteurs étatiques, et bien qu'elles se considèrent comme les gardiens d'une haute moralité, et dénoncent la superficialité des Occidentaux qui ne s'intéressent qu'au cinéma, à la musique populaire et à la télévision, c'est leur comportement criard qui vise à créer un tel monde de désintérêt pour les questions sérieuses, un monde où il n’y a qu’absence de réflexion. En d'autres termes, contrairement à ce que fait Orwell dans 1984, l'oppression agit elle aussi ‘’pour se liquéfier et faire lumière’’. Mais regardons quelques exemples de la réalité liquide de notre âge de fer.

Nous avons tous entendu parler du besoin de "liquidité" sur les marchés financiers, longtemps libérés de l'étalon-or, solide et lourd, et de la nécessité pour les entreprises individuelles de disposer de liquidités. Depuis que Bauman a écrit Liquid Modernity, le "genre fluide" est devenu partie intégrante du langage et de l'idéologie du monde moderne. Le genre, par exemple, est devenu changeant, et donc "l'hétéro-normativité", ou le schéma traditionnel du genre, pourrait-on dire, est désormais considéré comme oppressif. La fluidité entre les sexes est aussi souhaitable que la fluidité financière, il n’est donc pas idéal pas qu'ils soient entièrement séparées.

La "quantité" n'est pas une question de poids et d'immobilité, mais est dorénavant ce qui est léger, plus menu, vide et fluide. Prenons l'exemple de la nourriture. Il y a de la nourriture bon marché partout. Et pourtant, cette nourriture habituellement produite en vrac ne nous donne guère plus que des "calories vides" qui nous rendent parfois malades. Des légumes vaporisés de pesticides aux innombrables rangées de boîtes colorées avec des personnages dessinés sur leur côté pile, qui plaisent aux jeunes enfants, le domaine de la quantité est soit caché, soit évident, mais toujours d'apparence amicale.

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Et puis il y a la guerre. Il ne s'agit plus de défendre sa nation, et certainement pas sa culture traditionnelle. La guerre, dit Bauman, "ressemble de plus en plus à une ‘’promotion du libre-échange mondial’’ par d'autres moyens". (p. 12). Mais elle se justifie aussi par les choses les plus glissantes : apporter la "liberté", la "démocratie", ou peut-être les droits des femmes. La guerre, c'est aussi le nomadisme. Les cultures traditionnelles sont arrachées de leur sol pour la première fois depuis plus de mille ans.

En plus d'être plus léger et plus fluide, il y a une autre caractéristique de la modernité : moins cher. Il y a un siècle, ou moins, nous avons compris qu'il valait la peine d'acheter quelque chose qui durerait toute une vie. Il pourrait être transmis à la génération suivante. Aujourd'hui, le consommateur moyen veut acheter le produit le moins cher, même s'il s'effondre après une utilisation de courte durée, car il est probable que, quoi qu'il arrive, il sera démodé avant même cette date.

Les "travailleurs illégaux" contribuent évidemment à maintenir les prix bas. Lorsque l'on parle du "rêve américain" en matière d'immigration, l'idée confortable et consciente que les immigrants s'en sortent bien aux États-Unis est sous-tendue par le "rêve" inconscient mais réel : que la classe moyenne, de plus en plus appauvrie, puisse maintenir un mode de vie de classe moyenne grâce à une main-d'œuvre de plus en plus bon marché.

En Europe aussi, les immigrants et les réfugiés ne seront pas intégrés au rêve britannique, français ou allemand, quel qu'il soit. Ils sont utiles pour le travail bon marché, et utiles pour les élites qui ont besoin de montrer à quel point elles sont morales et consciencieuses, mais qui ne veulent pas le faire à leurs dépens.

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Malgré tous les discours sur l'intégration, les gens ne peuvent pas s'intégrer dans l'existence vide, liquide et en mutation de la modernité. Au contraire, ironiquement, les immigrants de Syrie, de Libye, du Pakistan et d'ailleurs apportent ce qui est défini et enraciné dans la tradition et la religion, et ils ne le quitteront pas facilement, notamment parce qu'ils sont des immigrants. Les États-Unis, qui jusqu'à récemment n'étaient guère plus que l'Europe portés vers la religion, se sont accrochés à la religion et aux traditions européennes d'une manière que les États européens modernes n'ont pas, parce qu'ils sont eux aussi une "nation d'immigrants".

Dans le film Duna, "l'épice doit couler". L'épice est similaire à ce que nous connaissons sous le nom de Soma ou de Hoama zoroastrien, une sorte de narcotique ou de substance qui semble apporter une sorte de lumière. Peut-être parce que le film, et le livre sur lequel il est basé, se déroule dans le désert, l'"épice" a naturellement été comparée au pétrole : "le pétrole doit couler", de préférence vers l'ouest. Mais le pétrole était hier instable sur le plan économique. Aujourd'hui, pour entretenir l'illusion de richesse et de modernité, c'est l'immigration qui doit circuler.

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"Nous assistons à la revanche du nomadisme sur le principe de territorialité et de colonisation", déclare Bauman. "Dans la phase fluide de la modernité, la majorité stable est gouvernée par l'élite nomade et extraterritoriale. Garder les routes libres pour le trafic nomade et faire disparaître les derniers points de contrôle est devenu le méta-objectif de la politique, et aussi des guerres..." (p. 13).

Mais même la main-d'œuvre bon marché ne peut pas être rendue assez bon marché. Si nous avons des problèmes pour remplacer le pétrole par l'énergie solaire, nous avons moins de problèmes pour remplacer les gens par des machines, ce qui a commencé avec la révolution industrielle. Récemment, les fonds Oppenheimer ont lancé leur propagande "le non-humain est beau". Dans la publicité, on voit un robot qui aide une femme à mettre son manteau et un autre petit robot qui sert des boissons lors d'une fête au bord de la piscine. Nous avons peut-être peur des robots, tout comme les gens craignent une immigration incontrôlée, mais la société d'investissement mondiale nous assure qu'il y aura des robots dans chaque foyer d'ici 2025. Les robots sont "beaux", et nous devrions investir dans un "bel avenir", ou pour le dire autrement, un avenir plus liquide.

L'âge du fer, oui, mais d’un fer qui a été fondu. La tradition, nous dit Gustav Mahler, n'est pas de conserver les cendres, mais de transmettre la flamme. Nous devons également dire qu'il s'agit de transmettre l'essentiel. Mais ce doit être aussi pour transmettre les formes des choses, pour transmettre un royaume mort et devenu psychique, avec des guerriers, des prêtres, des mystiques, des amoureux, de grandes œuvres d'art, de grandes constructions, des compétences, des idées, etc. qui existent maintenant sous forme de légende, d'histoires, de philosophies, de dictons, de peintures, de sculptures, etc.

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Le fer est une chose particulière. Considéré par les alchimistes comme l'un des métaux de base, et par les hommes modernes comme archaïque et moins utile que l'acier, les anciens le voyaient différemment. Les Zoroastriens pensaient que les cieux étaient faits de "pierre dure", ils semblaient donc faire référence au fer météorique, quelque chose que beaucoup de peuples anciens utilisaient, surtout de manière rituelle. Le fer, sombre et dense, est, comme nous l'avons découvert, symbolique du ciel, des dieux, du Divin. Que ce soit intentionnel ou non, nous pouvons prendre cela comme un signe de la façon de vivre dans l'âge de fer actuel : renforcer notre corps et aiguiser notre esprit, notre pensée et nos capacités.

Intentionnel ou non, nous pouvons prendre cela comme un signe de la façon de vivre à notre époque. Comme les métallurgistes, nous pouvons appliquer de la chaleur à notre propre vie, en nous purifiant, mais en devenant plus solides, en façonnant notre vie en quelque chose qui reflète l'éternel. Nous pouvons penser à des exercices, où notre corps est trempé dans notre propre sueur "liquide", mais est moulé et durci à cause de cela. L'âge du fer fondu veut nous emporter avec lui, mais en appliquant la flamme et en ré-imaginant les formes des valeurs et des pratiques anciennes, des domaines de la force physique et de la santé à l'élévation mentale et spirituelle, et en nous remodelant en conséquence, nous pouvons résister aux coulées fondues de la modernité.

 

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mardi, 12 janvier 2021

Ami - Ennemi, le fondement du politique (Carl Schmitt)

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Ami - Ennemi, le fondement du politique (Carl Schmitt)

Dans cette vidéo, nous verrons un des concepts majeurs du philosophe et juriste Carl Schmitt, à savoir la célèbre antinomie de l'ami et de l'ennemi qui serait le fondement du politique. L'enjeu est ici de clarifier et de distinguer des notions importantes comme politique, Etat, morale, etc. pour mieux penser certains débats contemporains. Livre présenté : La notion de politique (1932).
 
 
Musique du générique : Toccata et fugue en ré mineur BWV 565 de J.S. Bach

lundi, 11 janvier 2021

L'œil  du cyclone - Julius Evola, Ernst Jünger

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Luc-Olivier d'Algange:

L'œil  du cyclone

Julius Evola, Ernst Jünger

                                   « Comme Jack London, et divers autres, y compris Ernst Jünger à

                                   ses débuts, des individualités isolées se vouèrent à l'aventure, à

                                   la recherche de nouveaux horizons, sur des terres et des mers

                                   lointaines, alors que, pour le reste des hommes, tout semblait

                                   être en ordre, sûr et solide et que sous le règne de la science

                                   on célébrait la marche triomphale du progrès, à peine troublée

                                   par le fracas des bombes anarchistes. »

                                                                                                                       Julius Evola

                                    « Ta répugnance envers les querelles de nos pères avec nos grands

                                   pères, et envers toutes les manières possibles de leur trouver une

                                   solution, trahit déjà que tu n'as pas besoin de réponses mais d'un

                                   questionnement plus aigu, non de drapeaux, mais de guerriers, non

                                   d'ordre mais de révolte, non de systèmes, mais d'hommes. »

                                                                                                                         Ernst Jünger

On peut gloser à l'infini sur ce qui distingue ou oppose Ernst Jünger et Julius Evola. Lorsque celui-là avance par intuitions, visions, formes brèves inspirées des moralistes français non moins que de Novalis et de Nietzsche, celui-ci s'efforce à un exposé de plus en plus systématique, voire doctrinal. Alors que Jünger abandonne très tôt l'activité politique, même indirecte, la jugeant « inconvenante » à la fois du point de vue du style et de celui de l'éthique, Evola ne cessera point tout au long de son œuvre de revenir sur une définition possible de ce que pourrait être une « droite intégrale » selon son intelligence et son cœur. Lorsque Jünger interroge avec persistance et audace le monde des songes et de la nuit, Evola témoigne d'une préférence invariable pour les hauteurs ouraniennes et le resplendissement solaire du Logos-Roi. Ernst Jünger demeure dans une large mesure un disciple de Novalis et de sa spiritualité romane, alors que Julius Evola se veut un continuateur de l'Empereur Julien, un fidèle aux dieux antérieurs, de lignée platonicienne et visionnaire.

l-operaio-nel-pensiero-di-ernst-j-nger.jpgCes différences favorisent des lectures non point opposées, ni exclusives l'une de l'autre, mais complémentaires. A l'exception du Travailleur, livre qui définit de façon presque didactique l'émergence d'un Type, Jünger demeure fidèle à ce cheminement que l'on peut définir, avec une grande prudence, comme « romantique » et dont la caractéristique dominante n'est certes point l'effusion sentimentale mais la nature déambulatoire, le goût des sentes forestières, ces « chemins qui ne mènent nulle part » qu'affectionnait Heidegger, à la suite d'Heinrich von Ofterdingen et du « voyageur » de Gènes, de Venise et d'Engadine, toujours accompagné d'une « ombre » qui n'est point celle du désespoir, ni du doute, mais sans doute l'ombre de la Mesure qui suit la marche de ces hommes qui vont vers le soleil sans craindre la démesure.

         L'interrogation fondamentale, ou pour mieux dire originelle, des oeuvres de Jünger et d'Evola concerne essentiellement le dépassement du nihilisme. Le nihilisme tel que le monde moderne en précise les pouvoirs au moment où Jünger et Evola se lancent héroïquement dans l'existence, avec l'espoir d'échapper à la médiocrité, est à la fois ce qui doit être éprouvé et ce qui doit être vaincu et dépassé. Pour le Jünger du Cœur aventureux comme pour le Julius Evola des premières tentatives dadaïstes, rien n'est pire que de feindre de croire encore en un monde immobile, impartial, sûr. Ce qui menace de disparaître, la tentation est grande pour nos auteurs, adeptes d'un « réalisme héroïque », d'en précipiter la chute. Le nihilisme est, pour Jünger, comme pour Evola, une expérience à laquelle ni l'un ni l'autre ne se dérobent. Cependant, dans les « orages d'acier »,  ils ne croient point que l'immanence est le seul horizon de l'expérience humaine. L'épreuve, pour ténébreuse et confuse qu'elle paraisse, ne se suffit point à elle-même. Ernst Jünger et Julius Evola pressentent que le tumulte n'est que l'arcane d'une sérénité conquise. De ce cyclone qui emporte leurs vies et la haute culture européenne, ils cherchent le cœur intangible.  Il s'agit là, écrit Julius Evola de la recherche « d'une vie portée à une intensité particulière qui débouche, se renverse et se libère en un "plus que vie", grâce à une rupture ontologique de niveau. » Dans l'œuvre de Jünger, comme dans celle d'Evola, l'influence de Nietzsche, on le voit, est décisive. Nietzsche, pour le dire au plus vite, peut être considéré comme l'inventeur du « nihilisme actif », c'est-à-dire d'un nihilisme qui périt dans son triomphe, en toute conscience, ou devrait-on dire selon la terminologie abellienne, dans un « paroxysme de conscience ». Nietzsche se définissait comme « le premier nihiliste complet Europe, qui a cependant déjà dépassé le nihilisme pour l'avoir vécu dans son âme, pour l'avoir derrière soi, sous soi, hors de soi. »

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Cette épreuve terrible, nul esprit loyal n'y échappe. Le bourgeois, celui qui croit ou feint de croire aux « valeurs » n'est qu'un nihiliste passif: il est l'esprit de pesanteur qui entraîne le monde vers le règne de la quantité. « Mieux vaut être un criminel qu'un bourgeois », écrivit Jünger, non sans une certaine provocation juvénile, en ignorant peut-être aussi la nature profondément criminelle que peut revêtir, le cas échéant, la pensée calculante propre à la bourgeoisie. Peu importe : la bourgeoisie d'alors paraissait inerte, elle ne s'était pas encore emparée de la puissance du contrôle génétique et cybernétique pour soumettre le monde à sa mesquinerie. Dans la perspective nietzschéenne qui s'ouvre alors devant eux, Jünger et Evola se confrontent à la doctrine du Kirillov de Dostoïevski: « L'homme n'a inventé Dieu qu'afin de pouvoir vivre sans se tuer ». Or, ce nihilisme est encore partiel, susceptible d'être dépassé, car, pour les âmes généreuses, il n'existe des raisons de se tuer que parce qu'il existe des raisons de vivre.  Ce qui importe, c'est de réinventer une métaphysique contre le monde utilitaire et de dépasser l'opposition de la vie et de la mort.

Jünger et Evola sont aussi, mais d’une manière différente, à la recherche de ce qu'André Breton nomme dans son Manifeste « Le point suprême ». Julius Evola écrit: « L'homme qui, sûr de soi parce que c'est l'être, et non la vie, qui est le centre essentiel de sa personne peut tout approcher, s'abandonner à tout et s'ouvrir à tout sans se perdre: accepter, de ce fait, n'importe quelle expérience, non plus, maintenant pour s'éprouver et se connaître mais pour développer toutes ses possibilités en vue des transformations qui peuvent se produire en lui, en vue des nouveaux contenus qui peuvent, par cette voie, s'offrir et se révéler. » Quant à Jünger, dans Le Cœur Aventureux, version 1928, il exhorte ainsi son lecteur: « Considère  la vie comme un rêve entre mille rêves, et chaque rêve comme une ouverture particulière de la réalité. » Cet ordre établi, cet univers de fausse sécurité, où règne l'individu massifié, Jünger et Evola n'en veulent pas. Le réalisme héroïque dont ils se réclament n'est point froideur mais embrasement de l'être, éveil des puissances recouvertes par les écorces de cendre des habitudes, des exotérismes dominateurs, des dogmes, des sciences, des idéologies. Un mouvement identique les porte de la périphérie vers le centre, vers le secret de la souveraineté.  Jünger: « La science n'est féconde que grâce à l'exigence qui en constitue le fondement. En cela réside la haute, l'exceptionnelle valeur des natures de la trempe de Saint-Augustin et de Pascal: l'union très rare d'une âme de feu et d'une intelligence pénétrante, l'accès à ce soleil invisible de Swedenborg qui est aussi lumineux qu'ardent. »

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Tel est exactement le dépassement du nihilisme: révéler dans le feu qui détruit la lumière qui éclaire, pour ensuite pouvoir se recueillir dans la « clairière de l'être ». Pour celui qui a véritablement dépassé le nihilisme, il n'y a plus de partis, de classes, de tribus, il n'y a plus que l'être et le néant. A cette étape, le cyclone offre son cœur  à « une sorte de contemplation qui superpose la région du rêve à celle de la réalité comme deux lentilles transparentes braquées sur le foyer spirituel. » Dans l'un de ses ultimes entretiens, Jünger interrogé sur la notion de résistance spirituelle précise: « la résistance spirituelle ne suffit pas. Il faut contre-attaquer. »

Il serait trop simple d'opposer comme le font certains l'activiste Evola avec le contemplatif Jünger, comme si Jünger avait trahi sa jeunesse fougueuse pour adopter la pose goethéenne du sage revenu de tout. A celui qui veut à tout prix discerner des périodes dans les œuvres  de Jünger et d'Evola, ce sont les circonstances historiques qui donnent raison bien davantage que le sens des œuvres. Les œuvres se déploient;  les premiers livres d'Evola et de Jünger contiennent déjà les teintes et les vertus de ceux, nombreux, qui suivront. Tout se tient à l'orée d'une forte résolution, d'une exigence de surpassement, quand bien-même il s'avère que le Haut, n'est une métaphore du Centre et que l'apogée de l'aristocratie rêvée n'est autre que l'égalité d'âme du Tao, « l'agir sans agir ». Evola cite cette phrase de Nietzsche qui dut également frapper Jünger: « L'esprit, c'est la vie qui incise elle-même la vie ». A ces grandes âmes, la vie ne suffit point. C'est en ce sens que Jünger et Evola refusent avec la même rigueur le naturalisme et le règne de la technique, qui ne sont que l'avers et l'envers d'un même renoncement de l'homme à se dépasser lui-même. Le caractère odieux des totalitarismes réside précisément dans ce renoncement.

La quête de Jünger et d'Evola fond dans un même métal l'éthique et l'esthétique au feu d'une métaphysique qui refuse de se soumettre au règne de la nature. Toute l'œuvre de Jünger affirme, par sa théorie du sceau et de l'empreinte, que la nature est à l'image de la Surnature, que le visible n'est qu'un miroir de l'Invisible. De même, pour Evola, en cela fort platonicien, c'est à la Forme d'ordonner la matière. Telle est l'essence de la virilité spirituelle. Si Jünger, comme Evola, et comme bien d'autres, fut dédaigné, voire incriminé, sous le terme d'esthète par les puritains et les moralisateurs, c'est aussi par sa tentative de dépasser ce que l'on nomme la « morale autonome », c'est-à-dire laïque et rationnelle, sans pour autant retomber dans un « vitalisme » primaire. C'est qu'il existe, pour Jünger, comme pour Evola qui se réfère explicitement à une vision du monde hiérarchique, un au-delà et un en deçà de la morale, comme il existe un au-delà et un en deçà de l'individu.

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Lorsque la morale échappe au jugement du plus grand nombre, à l'utilitarisme de la classe dominante, elle paraît s'abolir dans une esthétique. Or, le Beau, pour Jünger, ce que la terminologie évolienne, et platonicienne, nomme la Forme (idéa) contient et réalise les plus hautes possibilités du Bien moral. Le Beau contient dans son exactitude, la justesse du Bien. L'esthétique ne contredit point la morale, elle en précise le contour, mieux, elle fait de la résistance au Mal qui est le propre de toute morale, une contre-attaque. Le Beau est un Bien en action, un Bien qui arrache la vie aux griffes du Léviathan et au règne des Titans. Jünger sur ce point ne varie pas . Dans son entretien séculaire, il dit à Franco Volpi: « Je dirai qu'éthique et esthétique se rencontrent et se touchent au moins sur un point: ce qui est vraiment beau est obligatoirement éthique, et ce qui est réellement éthique est obligatoirement beau. »

A ceux qui veulent opposer Jünger et Evola, il demeure d'autres arguments. Ainsi, il paraît fondé de voir en l'œuvre de Jünger, après Le Travailleur, une méditation constante sur la rébellion et la possibilité offerte à l'homme de se rendre hors d'atteinte de ce « plus froid des monstres froids », ainsi que Nietzsche nomme l'Etat. Au contraire, l'œuvre d'Evola poursuit avec non moins de constance l'approfondissement d'une philosophie politique destinée à fonder les normes et les possibilités de réalisation de « l'Etat vrai ». Cependant, ce serait là encore faire preuve d'un schématisme fallacieux que de se contenter de classer simplement Jünger parmi les « libertaires » fussent-ils « de droite » et Evola auprès des « étatistes ».

Si quelque vertu agissante, et au sens vrai, poétique, subsiste dans les oeuvres de Jünger et d'Evola les plus étroitement liées à des circonstances disparues ou en voie de disparition, c'est précisément car elles suivent des voies qui ne cessent de contredire les classifications, de poser d'autres questions au terme de réponses en apparence souveraines et sans appel. Un véritable auteur se reconnaît à la force avec laquelle il noue ensemble ses contradictions. C'est alors seulement que son œuvre échappe à la subjectivité et devient, dans le monde, une œuvre à la ressemblance du monde. L'œuvre  poursuit son destin envers et contre les Abstracteurs qui, en nous posant de fausses alternatives visent en réalité à nous priver de la moitié de nous-mêmes. Les véritables choix ne sont pas entre la droite et la gauche, entre l'individu et l'Etat, entre la raison et l'irrationnel, c'est à dire d'ordre horizontal ou « latéral ». Les choix auxquels nous convient Jünger et Evola, qui sont bien des écrivains engagés, sont d'ordre vertical. Leurs œuvres nous font comprendre que, dans une large mesure, les choix horizontaux sont des leurres destinés à nous faire oublier les choix verticaux.

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La question si controversée de l'individualisme peut servir ici d'exemple. Pour Jünger comme pour Evola, le triomphe du nihilisme, contre lequel il importe d'armer l'intelligence de la nouvelle chevalerie intellectuelle, est sans conteste l'individualisme libéral. Sous cette appellation se retrouvent à la fois l'utilitarisme bourgeois, honni par tous les grandes figures de la littérature du dix-neuvième siècle (Stendhal, Flaubert, Balzac, Villiers de L'Isle-Adam, Léon Bloy, Barbey d'Aurevilly, Théophile Gautier, Baudelaire, d'Annunzio, Carlyle etc...) mais aussi le pressentiment d'un totalitarisme dont les despotismes de naguère ne furent que de pâles préfigurations. L'individualisme du monde moderne est un « individualisme de masse », pour reprendre la formule de Jünger, un individualisme qui réduit l'individu à l'état d'unité interchangeable avec une rigueur à laquelle les totalitarismes disciplinaires, spartiates ou soviétiques, ne parvinrent jamais.

Loin d'opposer l'individualisme et le collectivisme,  loin de croire que le collectivisme puisse redimer de quelque façon le néant de l'individualisme libéral, selon une analyse purement horizontale qui demeure hélas le seul horizon de nos sociologues, Jünger tente d'introduire dans la réflexion politique un en-decà et un au-delà de l'individu. Si l'individu « libéral » est voué, par la pesanteur même de son matérialisme à s'anéantir dans un en-deçà de l'individu, c'est-à-dire dans un collectivisme marchand et cybernétique aux dimensions de la planète, l'individu qui échappe au matérialisme, c'est-à-dire l'individu qui garde en lui la nostalgie d'une Forme possède, lui, la chance magnifique de se hausser à cet au-delà de l'individu, que Julius Evola nomme la Personne. Au delà de l'individu est la Forme ou, en terminologie jüngérienne, la Figure, qui permet à l'individu de devenir une Personne.       

9782844453501_1_75.jpgQu'est-ce que la Figure ? La Figure, nous dit Jünger, est le tout qui englobe plus que la somme des parties. C'est en ce sens que la Figure échappe au déterminisme, qu'il soit économique ou biologique. L'individu du matérialisme libéral demeure soumis au déterminisme, et de ce fait, il appartient encore au monde animal, au « biologique ». Tout ce qui s'explique en terme de logique linéaire, déterministe, appartient encore à la nature, à l'en-deçà des possibilités surhumaines qui sont le propre de l'humanitas. « L'ordre hiérarchique dans le domaine de la Figure ne résulte pas de la loi de cause et d'effet, écrit Jünger mais d'une loi tout autre, celle du sceau et de l'empreinte. » Par ce renversement herméneutique décisif, la pensée de Jünger s'avère beaucoup plus proche de celle d'Evola que l'on ne pourrait le croire de prime abord. Dans le monde hiérarchique, que décrit Jünger où le monde obéit à la loi du sceau et de l'empreinte, les logiques évolutionnistes ou progressistes, qui s'obstinent (comme le nazisme ou le libéralisme darwinien) dans une vision zoologique du genre humain, perdent toute signification. Telle est exactement la Tradition, à laquelle se réfère toute l'œuvre de Julius Evola: « Pour comprendre aussi bien l'esprit traditionnel que la civilisation moderne, en tant que négation de cet esprit, écrit Julius Evola, il faut partir de cette base fondamentale qu'est l'enseignement relatif aux deux natures. Il y a un ordre physique et il y a un ordre métaphysique. Il y a une nature mortelle et il y a la nature des immortels. Il y a la région supérieure de l'être et il y a la région inférieure du devenir. D'une manière plus générale, il y a un visible et un tangible, et avant et au delà de celui-ci, il y a un invisible et un intangible, qui constituent le supra-monde, le principe et la véritable vie. Partout, dans le monde de la Tradition, en Orient et en Occident, sous une forme ou sous une autre, cette connaissance a toujours été présente comme un axe inébranlable autour duquel tout le reste était hiérarchiquement organisé. »

Affirmer, comme le fait Jünger, la caducité de la logique de cause et d'effet, c'est, dans l'ordre d'une philosophie politique rénovée, suspendre la logique déterministe et tout ce qui en elle plaide en faveur de l'asservissement de l'individu. « On donnera le titre de Figure, écrit Jünger, au genre de grandeur qui s'offrent à un regard capable de concevoir que le monde peut être appréhendé dans son ensemble selon une loi plus décisive que celle de la cause et de l'effet. » Du rapport entre le sceau invisible et l'empreinte visible dépend tout ce qui dans la réalité relève de la qualité. Ce qui n'a point d'empreinte, c'est la quantité pure, la matière livrée à elle-même. Le sceau est ce qui confère à l'individu, à la fois la dignité et la qualité. En ce sens, Jünger, comme Evola, pense qu'une certaine forme d'égalitarisme revient à nier la dignité de l'individu, à lui ôter par avance toute chance d'atteindre à la dignité et à la qualité d'une Forme. « On ne contestera pas, écrit Julius Evola, que les êtres humains, sous certains aspects, soient à peu près égaux; mais ces aspects, dans toute conception normale et traditionnelle, ne représentent pas le "plus" mais le "moins", correspondent au niveau le plus pauvre de la réalité, à ce qu'il y a de moins intéressant en nous. Il s'agit d'un ordre qui n'est pas encore celui de la forme, de la personnalité au sens propre. Accorder de la valeur à ces aspects, les mettre en relief comme si on devait leur donner la priorité, équivaudrait à tenir pour essentiel que ces statues soient en bronze et non que chacune soit l'expression d'une idée distincte dont le bronze ( ici la qualité générique humaine) n'est que le support matériel. »

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Ce platonisme que l'on pourrait dire héroïque apparaît comme un défi à la doxa moderne. Lorsque le moderne ne vante la « liberté » que pour en anéantir toute possibilité effective dans la soumission de l'homme à l'évolution, au déterminisme, à l'histoire, au progrès, l'homme de la Tradition, selon Evola, demeure fidèle à une vision supra-historique. De même, contrairement à ce que feignent de croire des exégètes peu informés, le « réalisme héroïque » des premières œuvres de Jünger loin de se complaire dans un immanentisme de la force et de la volonté, est un hommage direct à l'ontologie de la Forme, à l'idée de la préexistence. « La Figure, écrit Jünger, dans Le Travailleur, est, et aucune  évolution ne l'accroît ni ne la diminue. De même que la Figure de l'homme précédait sa naissance et survivra à sa mort, une Figure historique est, au plus profond d'elle-même, indépendante du temps et des circonstances dont elle semble naître. Les moyens dont elle dispose sont supérieurs, sa fécondité est immédiate. L'histoire n'engendre pas de figures, elle se transforme au contraire avec la Figure. »

Sans doute le jugement d'Evola, qui tout en reconnaissant la pertinence métapolitique de la Figure du Travailleur n'en critique pas moins l'ouvrage de Jünger comme dépourvu d'une véritable perspective métaphysique, peut ainsi être nuancée. Jünger pose bien, selon une hiérarchie métaphysique, la distinction entre l'individu susceptible d'être massifié (qu'il nomme dans Le Travailleur « individuum ») et l'individu susceptible de recevoir l'empreinte d'une Forme supérieure (et qu'il nomme « Einzelne »). Cette différenciation terminologique verticale est incontestablement l'ébauche d'une métaphysique, quand bien même, mais tel n'est pas non plus le propos du Travailleur, il n'y est pas question de cet au-delà de la personne auquel invitent les métaphysiques traditionnelles, à travers les œuvres de Maître Eckhart ou du Védantâ. De même qu'il existe un au-delà et un en-deçà de l'individu, il existe dans un ordre plus proche de l'intangible un au-delà et un en-deçà de la personne. Le « dépassement » de l'individu, selon qu'il s'agit d'un dépassement par le bas ou par le haut peut aboutir aussi bien, selon son orientation, à la masse indistincte qu'à la formation de la Personne. Le dépassement de la personne, c'est-à-dire l'impersonnalité, peut, selon Evola, se concevoir de deux façons opposées: « l'une se situe au-dessous, l'autre au niveau de la personne; l'une aboutit à l'individu, sous l'aspect informe d'une unité numérique et indifférente qui, en se multipliant, produit la masse anonyme; l'autre est l'apogée typique d'un être souverain, c'est la personne absolue. »

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Loin d'abonder dans le sens d'une critique sommaire et purement matérialiste de l'individualisme auquel n'importe quelle forme d'étatisme ou de communautarisme devrait être préféré aveuglément, le gibelin Julius Evola, comme l'Anarque jüngérien se rejoignent dans la méditation d'un ordre qui favoriserait « l'apogée typique d'un être souverain ».  Il est exact de dire, précise Evola, « que l'état et le droit représentent quelque chose de secondaire par rapport à la qualité des hommes qui en sont les créateurs, et que cet Etat, ce droit ne sont bons que dans le mesure où ils restent des formes fidèles aux exigences originelles et des instruments capables  de consolider et de confirmer les forces mêmes qui leur ont donné naissance. » La critique évolienne de l'individualisme, loin d'abonder dans le sens d'une mystique de l'élan commun en détruit les fondements mêmes. Rien, et Julius Evola y revient à maintes reprises, ne lui est aussi odieux que l'esprit grégaire: « Assez du besoin qui lie ensemble les hommes mendiant au lien commun et à la dépendance réciproque la consistance qui fait défaut à chacun d'eux ! »

Pour qu'il y eût un Etat digne de ce nom, pour que l'individu puisse être dépassé, mais par le haut, c'est-à-dire par une fidélité métaphysique, il faut commencer par s'être délivré de ce besoin funeste de dépendance. Ajoutées les unes aux autres les dépendances engendrent l'odieux  Léviathan, que Simone Weil nommait « le gros animal », ce despotisme du Médiocre dont le vingtième siècle n'a offert que trop d'exemples. Point d'Etat légitime, et point d'individu se dépassant lui-même dans une généreuse impersonnalité active, sans une véritable Sapience, au sens médiéval, c'est-à-dire une métaphysique de l'éternelle souveraineté. « La part inaliénable de l'individu (Einzelne)  écrit Jünger, c'est qu'il relève de l'éternité, et dans ses moments suprêmes et sans ambiguïté, il en est pleinement conscient. Sa tâche est d'exprimer cela dans le temps. En ce sens, sa vie devient une parabole de la Figure. » Evola reconnaît ainsi « en certains cas la priorité de la personne même en face de l'Etat », lorsque la personne porte en elle, mieux que l'ensemble, le sens et les possibilités créatrices de la Sapience.

Quelles que soient nos orientations, nos présupposés philosophiques ou littéraires, aussitôt sommes-nous requis par quelque appel du Grand Large qui nous incline à laisser derrière nous, comme des écorces mortes, le « trop humain » et les réalités confinées de la subjectivité, c'est à la Sapience que se dédient nos pensées. Du précepte delphique « Connais-toi toi-même et tu connaîtras le monde et les dieux », les œuvres de Jünger et d'Evola éveillent les pouvoirs en redonnant au mot de « réalité » un sens que lui avaient ôté ces dernières générations de sinistres et soi-disant « réalistes »:  « ll est tellement évident que le caractère de "réalité" a été abusivement monopolisé par ce qui, même dans la vie actuelle, n'est qu'une partie de la réalité totale, que cela ne vaut pas la peine d'y insister davantage» écrit Julius Evola. La connaissance de soi-même ne vaut qu'en tant que connaissance réelle du monde. Se connaître soi-même, c'est connaître le monde et les dieux car dans cette forme supérieure de réalisme que préconisent Jünger et Evola: « le réel est perçu dans un état où il n'y a pas de sujet de l'expérience ni d'objet expérimenté, un état caractérisé par une sorte de présence absolue où l'immanent se fait transcendant et le transcendant immanent. » Et sans doute est-ce bien en préfiguration de cette expérience-limite que Jünger écrit: « Et si nous voulons percevoir le tremblement du cœur jusque dans ses plus subtiles fibrilles, nous exigeons en même temps qu'il soit trois fois cuirassé. »

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Foi et chevalerie sont les conditions préalables et nécessaires de la Sapience, et c'est précisément en quoi la Sapience se distingue de ce savoir banal et parfois funeste dont les outrecuidants accablent les simples. La Sapience advient, elle ne s'accumule, ni ne se décrète. Elle couronne naturellement des types humains dont les actes et les pensées sont orientés vers le Vrai, le Beau et le Bien, c'est-à-dire qu'elle vibre et claque au vent de l'Esprit. La Sapience n'est pas cette petite satisfaction du clerc qui croit se suffire à lui-même. La Sapience ne vaut qu'en tant que défi au monde, et il vaut mieux périr de ce défi que de tirer son existence à la ligne comme un mauvais feuilletoniste. Les stances du Dhammapada, attribué au Bouddha lui-même ne disent pas autre chose: "« Plutôt vivre un jour en considérant l'apparition et la disparition que cent ans sans les voir."

Le silence et la contemplation de la Sapience sont vertige et éblouissement et non point cette ignoble recherche de confort et de méthodes thérapeutiques dont les adeptes du « new-age » parachèvent  leur arrogance technocratique. « L'Occident ne connaît plus la Sapience, écrit Evola: il ne connaît plus le silence majestueux des dominateurs d'eux-mêmes, le calme illuminé des Voyants, la superbe réalité de ceux chez qui l'idée s'est faite sang, vie, puissance... A la Sapience ont succédé la contamination sentimentale, religieuse, humanitaire, et la race de ceux qui s'agitent en caquetant et courent, ivres, exaltant le devenir et la pratique, parce que le silence et la contemplation leur font peur. »

Le moderne, qui réclame sans cesse de nouveaux droits, mais se dérobe à tous les devoirs, hait la Sapience car, analogique et ascendante, elle élargit le champ de sa responsabilité. L'irresponsable moderne qui déteste la liberté avec plus de hargne que son pire ennemi ( si tant est qu'il eût encore assez de cœur pour avoir un ennemi) ne peut voir en la théorie des correspondances qu'une menace à peine voilée adressée à sa paresse et à son abandon au courant d'un « progrès » qui entraîne, selon la formule de Léon Bloy, « comme un chien mort au fil de l'eau ». Rien n'est plus facile que ce nihilisme qui permet de se plaindre de tout, de revendiquer contre tout sans jamais se rebeller contre rien. L'insignifiance est l'horizon que se donne le moderne, où il enferme son cœur et son âme jusqu'à l'a asphyxie et l'étiolement. « L'homme qui attribue de la valeur à ses expériences, écrit Jünger, quelles qu'elles soient, et qui, en tant que parties de lui-même ne veut pas les abandonner au royaume de l'obscurité, élargit le cercle de sa responsabilité. » C'est en ce sens précis que le moderne, tout en nous accablant d'un titanisme affreux, ne vénère dans l'ordre de l'esprit que la petitesse, et que toute recherche de grandeur spirituelle lui apparaît vaine ou coupable.

417cSOhYCdL._SX346_BO1,204,203,200_.jpgNous retrouvons dans les grands paysages intérieurs que décrit Jünger dans Héliopolis, ce goût du vaste, de l'ampleur musicale et chromatique où l'invisible et le visible correspondent. Pour ce type d'homme précise Evola: « il n'y aura pas de paysages plus beaux, mais des paysages plus lointains, plus immenses, plus calmes, plus froids, plus durs, plus primordiaux que d'autres: Le langage des choses du monde ne nous parvient pas parmi les arbres, les ruisseaux, les beaux jardins, devant les couchers de soleil chromos ou de romantiques clairs de lune mais plutôt dans les déserts, les rocs, les steppes, les glaces, les noirs fjords nordiques, sous les soleils implacables des tropiques- précisément dans tout ce qui est primordial et inaccessible. » La Sapience alors est l'éclat fulgurant qui transfigure le cœur qui s'est ouvert à la Foi et à la Chevalerie quand bien même, écrit Evola: «  le cercle se resserre de plus en plus chaque jour autour des rares êtres qui sont encore capables du grand dégoût et de la grande révolte. » Sapience de poètes et de guerriers et non de docteurs, Sapience qui lève devant elle les hautes images de feu et de gloire qui annoncent les nouveaux règnes !

« Nos images, écrit Jünger, résident dans ces lointains plus écartés et plus lumineux où les sceaux étrangers ont perdu leur validité, et le chemin qui mène à nos fraternités les plus secrètes passe par d'autres souffrances. Et notre croix a une solide poignée, et une âme forgée dans un acier à double tranchant. » La Sapience surgit sur les chemins non de la liberté octroyée, mais de la liberté conquise.  « C'est plutôt le héros lui-même, écrit Jünger, qui par l'acte de dominer et de se dominer, aide tous les autres en permettant à l'idée de liberté de triompher... »

gondenholm.jpgDans l'œil du cyclone, dans la sérénité retrouvée, telle qu'elle déploie son imagerie solaire à la fin de La Visite à Godenholm, une fois que sont vaincus, dans le corps et dans l'âme, les cris des oiseaux de mauvais augure du nihilisme, L'Anarque jüngérien, à l'instar de l'homme de la Tradition évolien, peut juger l'humanisme libéral et le monde moderne, non pour ce qu'ils se donnent, dans une propagande titanesque, mais pour ce qu'ils sont: des idéologies de la haine de toute forme de liberté accomplie. Que faut-il comprendre par liberté accomplie ? Disons une liberté qui non seulement se réalise dans les actes et dans les œuvres mais qui trouve sa raison d'être dans l'ordre du monde. « Libre ? Pour quoi faire ? » s'interrogeait Nietzsche. A l'évidence, une liberté qui ne culmine point en un acte poétique, une liberté sans « faire » n'est qu'une façon complaisante d'accepter l'esclavage. L'Anarque et l'homme de la Tradition récusent l'individualisme libéral car celui-ci leur paraît être, en réalité, la négation à la fois de l'Individu et de la liberté. Lorsque Julius Evola rejoint, non sans y apporter ses nuances gibelines et impériales, la doctrine traditionnelle formulée magistralement par René Guénon, il ne renonce pas à l'exigence qui préside à sa Théorie de l'Individu absolu, il en trouve au contraire, à travers les ascèses bouddhistes, alchimiques ou tantriques, les modes de réalisation et cette sorte de pragmatique métaphysique qui tant fait défaut au discours philosophique occidental depuis Kant. « C'est que la liberté n'admet pas de compromis: ou bien on l'affirme, ou bien on ne l'affirme pas. Mais si on l'affirme, il faut l'affirmer sans peur, jusqu'au bout, - il faut l'affirmer, par conséquent, comme liberté inconditionnée. » Seul importe au regard métaphysique ce qui est sans condition. Mais un malentendu doit être aussitôt dissipé. Ce qui est inconditionné n'est pas à proprement parler détaché ou distinct du monde. Le « sans condition » est au cœur. Mais lorsque selon les terminologies platoniciennes ou théologiques on le dit « au ciel » ou « du ciel », il faut bien comprendre que ce ciel est au coeur.

L'inconditionné n'est pas hors de la périphérie, mais au centre. C'est au plus près de soi et du monde qu'il se révèle. D'où l'importance de ce que Jünger nomme les « approches ». Plus nous sommes près du monde dans son frémissement sensible, moins nous sommes soumis aux généralités et aux abstractions idéologiques, et plus nous sommes près des Symboles. Car le symbole se tient entre deux mondes. Ce monde de la nature qui flambe d'une splendeur surnaturelle que Jünger aperçoit dans la fleur ou dans l'insecte, n'est pas le monde d'un panthéiste, mais le monde exactement révélé par l'auguste science des symboles. « La science des symboles, rappelle Luc Benoist, est fondée sur la correspondance qui existe entre les divers ordres de réalité, naturelle et surnaturelle, la naturelle n'étant alors considérée que comme l'extériorisation du surnaturel. » La nature telle que la perçoivent Jünger et Evola (celui-ci suivant une voie beaucoup plus « sèche ») est bien la baudelairienne et swedenborgienne « forêt de symboles ». Elle nous écarte de l'abstraction en même temps qu'elle nous rapproche de la métaphysique.  « La perspective métaphysique, qui vise à dépasser l'abstraction conceptuelle, trouve dans le caractère intuitif et synthétique du symbole en général et du Mythe en particulier un instrument d'expression particulièrement apte à véhiculer l'intuition intellectuelle. »écrit George Vallin. Les grandes imageries des Falaises de Marbre, d'Héliopolis, les récits de rêves, des journaux et du Cœur aventureux prennent tout leur sens si on les confronte à l'aiguisement de l'intuition intellectuelle. Jünger entre en contemplation pour atteindre cette liberté absolue qui est au cœur des mondes, ce moyeu immobile de la roue, qui ne cessera jamais de tourner vertigineusement.  Dans ce que George Vallin nomme l'intuition intellectuelle, l'extrême vitesse et l'extrême immobilité se confondent. Le secret de la Sapience, selon Evola: « cette virtu qui ne parle pas, qui naît dans le silence hermétique et pythagoricien, qui fleurit sur la maîtrise des sens et de l'âme » est au cœur des mondes comme le signe de la « toute-possibilité » . Tout ceci, bien sûr, ne s'adressant qu'au lecteur aimé de Jünger: « ce lecteur dont je suppose toujours qu'il est de la trempe de Don Quichotte et que, pour ainsi dire, il tranche les airs en lisant à grands coups d'épée. »

Luc-Olivier d'Algange.

vendredi, 08 janvier 2021

Du nécessaire révisionnisme de la tradition

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Du nécessaire révisionnisme de la tradition

Par Carlos Salazar, président de la CPECI - Chili

Ex: https://therevolutionaryconservative.com

Traduit par Zero Schizo

Il y a deux façons de comprendre ce qu'est la tradition. Il y a ceux qui considèrent la tradition comme une sorte de conservation muséologique des rites, usages, pratiques, coutumes, morales, principes anciens, etc. Autrement dit, ceux qui cherchent à préserver l'ordre des choses de telle sorte que tout reste pour ainsi dire inchangé ou pétrifié. Ce genre de conservateurs rétrogrades est, dès à présent, à la fois un handicap et un obstacle pour le mouvement nationaliste. Certains adoptent même une position rétrograde, hallucinant avec le retour du Moyen-Âge, de la féodalité, ou dans leur vision créole, du système Encomienda et des chastes races. Selon Malher, ces "traditionalistes" ont préféré garder les cendres et ont cessé d'alimenter le feu vivant de la vraie tradition.

Cette véritable tradition, en revanche, est présente dans la vie quotidienne des secteurs populaires de la nation. Benjamin Vicuña Mackenna dirait : "Cette obscure tradition, qui se projette dans la vie de tous les pays et de toutes les races comme si elle était sa propre ombre, c'est l'histoire du peuple ; du peuple-soldat, du peuple-paysan, du peuple-guérilla, du peuple en somme, grossier et ignorant, mais grand dans ses croyances, et que, s'il n'est pas philosophe, il est un héros, et s'il n'est pas apôtre, il est un martyr".

La vraie tradition ne se trouve pas dans les fétiches pseudo-médiévaux de la "messe tridentine" (on sait aussi que le soi-disant "traditionalisme catholique" ou "gauchisme" est un phénomène très moderne), mais plutôt qu'elle est présente dans la petite vie communautaire qui existe dans les rues de Santiago, ou dans la vie quotidienne des citadins des régions intérieures du pays. Il y a beaucoup plus de tradition dans la Vega centrale que dans tous les musées d'histoire du pays.

Nous voyons donc déjà que le révolutionnaire n'est pas l'ennemi de la tradition, mais qu'au lieu de ces contrariétés séniles qui se qualifient de "traditionalistes", ceux-ci ne sont rien d'autre que des fétichistes et sont en pratique des conservateurs pour l'ordre libéral dominant. Quand aujourd'hui quelqu'un me dit qu'il est "conservateur", je lui demande : alors, que voulez-vous conserver ? Il n'y aura jamais de réponse honnête car dans le Chili d'aujourd'hui, il n'y a presque rien à conserver. Le libéralisme a réussi à dissoudre une grande partie de ce qui avait de la valeur pour notre communauté nationale, et les traditions qui sont encore vivantes, réussissent à le faire malgré la gestion de l'oligarchie chilienne "bien-pensante" et cosmopolite, celle qui, de temps en temps, dans des occasions très spécifiques et de façon paradoxale, aime faire la guerre aux résidus et aux ornements "traditionalistes". Citant l'universitaire américain Charles Taylor : "les conservateurs de droite se posent en défenseurs des communautés traditionnelles lorsqu'ils s'attaquent à l'avortement et à la pornographie, mais dans leur façon de faire économique, ils défendent une manière sauvage d'incision capitaliste, qui a surtout contribué à dissoudre les communautés historiques, à promouvoir l'atomisme, qui ne connaît pas de frontières ni de loyautés et qui est prêt à fermer une ville minière ou à abattre une forêt sur la base d'un équilibre économique".

Le révolutionnaire, au contraire, prend le meilleur de la tradition vivante et le projette dans l'avenir, ne cherchant jamais à revenir au passé, mais au contraire il avance en progressant vers une dépassement des vieilles erreurs et un avenir de bien-être. Pendant la Révolution française, il y a eu une référence et une invocation au passé républicain de la Rome antique, de même que cela a été repris dans la Révolution bolchevique en Russie. Ainsi, le révisionnisme de la tradition est un exemple clair de ce que nous appelons l'archéofuturisme, c'est-à-dire la combinaison d'éléments à la fois archaïques et futuristes. Il est aujourd'hui présent en RPDC, en Chine, comme il l'a été pendant un certain temps en URSS, en Roumanie et en Albanie, pour ne citer que quelques exemples.

Plus clairs encore sont les exemples des stars de la tradition populaire chilienne, Violeta Parra et Victor Jara, compilateurs et créateurs d'un véritable art traditionnel et révolutionnaire, tous deux dotés d'un sens patriotique profond et ancré dans le sol, tous deux militant sincèrement pour la justice et la rébellion contre les oligarques. Et tous deux, forgeurs de leur propre tradition qui reste vivante jusqu'à nos jours.

"Celui qui ne peut pas imaginer l'avenir, ne peut pas non plus imaginer le passé", dirait Mariategui. Ensuite, l'Amauta a écrit sur ce même sujet il y a environ plus d'un siècle : "Il n'y a donc pas de conflit réel entre le révolutionnaire et la tradition, mais plutôt une hostilité contre ceux qui conçoivent la tradition comme une momie ou un musée. La lutte n'est efficace qu'avec l’appui du traditionalisme. Les révolutionnaires incarnent la volonté de la société de ne pas se pétrifier dans un statut, de ne pas s'immobiliser dans une attitude. Parfois, la société perd cette volonté créative, paralysée par une sensation d'achèvement ou de désenchantement. Mais alors son vieillissement et son déclin se confirmeront inexorablement.

« La tradition de cette époque est faite par ceux qui semblent parfois nier, iconoclastes, toute tradition. De leur part, elle est, pour le moins, la partie active. Sans eux, la société accuserait l'abandon ou l'abdication de la volonté de vivre en se renouvelant et en se surpassant constamment ». (Mariategui, Hétérodoxie de la tradition)

Source

SALAZAR, Carlos. "Columna de Opinión Internacional (Chile) del 24.06.2020". Diario La Verdad. Lima, Pérou.

Disponible sur le site : https://comitecentralameri.wixsite.com/ccla/post/revisionismo-de-la-tradici%C3%B3n

lundi, 04 janvier 2021

La correspondance entre Julius Evola et Gottfried Benn

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La correspondance entre Julius Evola et Gottfried Benn

Par Gianfranco de Turris

Ex : http://www.centrostudilaruna.it

L'accusation la plus cinglante que l'intelligentsia officielle lance contre Julius Evola est d'être un "nazi", plutôt que d'avoir été (comme d'innombrables autres hommes de culture italienne) un "fasciste". Une accusation évidente et prévisible, mais superficielle, qui se fonde sur certaines apparences : son bagage culturel qui s'inspire d'une certaine philosophie allemande (à commencer par Nietzsche) ; son caractère plus "allemand" qu'"italien" ; son intérêt entre les deux guerres pour faire connaître une certaine culture germanophone dans notre pays (de Bachofen à Spengler et Meyrink) ; ses contacts avec l'Allemagne du IIIe Reich ; le souvenir de sa rencontre avec Himmler, de sa visite aux châteaux de l'Ordre, des conférences dans des milieux aussi divers que le Herrenklub d'une part et les SS d'autre part ; le fait d'avoir écrit des articles sur la politique étrangère, intérieure, culturelle et économique de l'Allemagne nationale-socialiste et sur les SS eux-mêmes (articles dont on se souvient de l'appréciation éventuelle mais pas de ses innombrables réserves critiques) ; etc. De tout ce contexte, les auditeurs tirent l'étiquette de "nazi" : ils vont rarement aux sources et ne les lisent jamais dans leur ensemble, à partir au moins de 1930, avec des articles et des essais dans "Vita Nova" et "Nuova Antologia", jusqu'aux interventions dans "Il Regime Fascista", "Lo Stato" et "La Vita Italiana" en mai-juillet 1943.

Une vision aristocratique

41rXlKPaWmL._SY344_BO1,204,203,200_.jpgJulius Evola n'était ni "fasciste" ni "antifasciste" (comme il l'écrivait de façon polémique dans sa revue bimensuelle "La Torre" au début de 1930), et par conséquent il n'était ni "nazi" ni "anti-nazi" : était-il alors un incertain, un attentiste, un hypocrite, un - comme on le dit en Italie - "un poisson dans un tonneau" ? Non: il a accepté les idées, les thèses, les positions, les attitudes et les choix pratiques du fascisme, et donc du nazisme, qui étaient en accord avec ceux d'une droite traditionnelle et, plus tard, de ce que l'on a appelé la révolution conservatrice allemande. Une vision qui était à l'époque gibeline, impériale, aristocratique, qui - même si elle est "utopique" - l'éloignait certes de la Weltanschauung populiste "démocratique" et "plébéienne" du fascisme mais surtout du nazisme, dont le matérialisme biologique lui était totalement insupportable. Il ne s'agit pas de justifications a posteriori, comme quelqu'un l'a malicieusement pensé en lisant les pages de Il cammino del cinabro (1963), car Evola n'est pas ce qu'on appelle aujourd'hui un "repenti" : il n'a jamais rien répudié ni rejeté de son passé ; même s'il a rectifié et pris ses distances par rapport à certaines de ses positions de jeunesse (tout le monde oublie ce qu'il a écrit sur l'impérialisme païen en 1928 : "Dans le livre, dans la mesure où il suivait - je dois le reconnaître - l'impulsion d'une pensée radicaliste faisant usage d'un style violent, il était typique d’une absence juvénile de mesure et de sens politique et à une utopique inconscience de l'état des choses" : non pas "le repentir" mais la maturation logique d'un homme de pensée). Le fait que ce ne sont pas des justifications est démontré par les documents qui, au fil des ans, après sa mort en 1974, sont lentement apparus dans les archives publiques et privées italiennes et allemandes. D'eux émerge un Julius Evola qui était tout sauf "organique au régime" comme on l'a écrit, mais même pas aussi marginal qu'on le croyait : un essayiste, journaliste, polémiste, conférencier, qui a connu des hauts et des bas et qui, après la crise de 1930 avec l’interdiction de "La Torre" et sa marginalisation, a accepté de se rapprocher de personnalités comme Giovanni Preziosi, Roberto Farinacci, Italo Balbo, c'est-à-dire, on pourrait dire, les fascistes les plus "révolutionnaires" et les plus "intransigeants", afin d'exprimer ses idées critiques à l'abri de ces niches, agissant comme une sorte de "cinquième colonne" traditionaliste pour tenter l'entreprise utopique de "rectifier" le Régime dans ce sens : Il commence donc à écrire à partir de mars 1931 dans "La Vita Italiana", à partir de janvier 1933 dans "Il Corriere Padano" et "Il Regine Fascista", puis - sortant du "ghetto" des disgraciés - à partir d'avril 1933 dans "La Rassegna Italiana", à partir de février 1934 dans la revue d’inspiration autoritaire "Lo Stato" et dans "Roma", à partir de mars 1934 dans "Bibliografia Fascista".

Surveillance spéciale

Malgré cela, Evola était constamment surveillé par la police politique, tant en Italie qu'à l'étranger : sa correspondance était lue, ses amis identifiés (même ses petites amies), ses déclarations étaient confidentielles, son passeport lui a été retiré à plusieurs reprises en raison des propos très peu orthodoxes qu'il a tenus sur le fascisme et le nazisme lors de ses conférences en Allemagne et en Autriche. Comme il ressort clairement des documents désormais publiés des ministères des affaires étrangères et de l'intérieur du Reich et de ceux provenant de l'Ahnenerbe, il était à peine toléré : il n'était pas un véritable ennemi, mais ses idées n'étaient pas appréciées par la direction nationale-socialiste, étant donné qu'il était considéré comme un "Romain réactionnaire" qui aspirait à "élever l'aristocratie" et n'acceptait pas beaucoup la référence allemande au "sang et au sol".

220px-Julius-Evola_Heidnischer-Imperialismus.jpgUne adhésion très critique, donc, celle de Julius Evola, de manière à ne pas pouvoir le définir de manière simpliste ni comme un "fasciste", ni comme un "nazi" de droit. Son point de référence était plutôt la Révolution conservatrice et ses représentants de l'époque. Écoutons ses propres mots extraits de Le Chemin du Cinabre : "Déjà l'édition allemande de mon Impérialisme païen, où les idées de base avaient été détachées des références italiennes, avait fait connaître mon nom en Allemagne dans les cercles maintenant connus. En 1934, j'ai fait mon premier voyage dans le nord, pour donner une conférence dans une université de Berlin, une deuxième conférence à Brême dans le cadre d'une conférence internationale sur les études nordiques (le deuxième Nordisches Thing, parrainée par Roselius), et, surtout, un discours pour un petit groupe du Herrenklub de Berlin, le cercle de la noblesse allemande conservatrice dont on connaît la part importante dans la politique allemande plus récente. C'est ici que j'ai trouvé mon environnement naturel. Dès lors, une amitié cordiale et fructueuse s'est établie entre moi et le président du cercle, le baron Heinrich von Gleichen. Les idées que j'ai défendues ont trouvé un terrain propice à la compréhension et à l'évaluation des problèmes de l’époque. Et c'est également sur cette base qu'une de mes activités a été menée en Allemagne, suite à une convergence d'intérêts et d'objectifs".

D'autres contacts et connexions dans ce domaine conservateur ont été établis avec le philosophe autrichien Othmar Spann et le prince Karl Anton Rohan, dans la Europäische Revue où Evola avait fait ses débuts en 1932 et où il avait continué à publier jusqu'en 1943. Considérez l'année. L'année 1934 est importante : à partir du 2 février sort le quotidien de Crémone "Il Regime fascista" avec une page bimensuelle intitulée dans le style typiquement évolien Diorama filosofico. Les problèmes de l'esprit dans l'éthique fasciste", publié avec une périodicité et des interruptions variables jusqu'au 18 juillet 1943.

rivolta-contro-mondo-moderno-nuova-edizione-riveduta-dad4e4b8-0e08-49da-ac8e-f3bc12ce3e3b.jpgIl manque encore des études complètes sur une initiative qui était unique dans la période fasciste en termes d'intentions et de complexité : un véritable projet culturel avec lequel Julius Evola entendait exposer de manière constructive et critique le point de vue de la droite traditionnelle et conservatrice par rapport au fascisme. De nombreux représentants officiels de la culture européenne de cette tendance ont écrit sur cette page : des Italiens, mais aussi des Allemands, des Autrichiens, des Français et des Anglais. Parmi les Allemands, il y avait aussi le médecin et poète Gottfried Benn, avec lequel Evola correspondait depuis 1930.

Dans la première moitié de 1934, le principal ouvrage que Julius Evola avait écrit - incroyablement, pour son âge et pour l'activité qu'il exerçait à ce moment-là - entre 1930 et 1932 : Rivolta contro il mondo moderno (Révolte contre le monde moderne) a été publié par Hoepli ; et il fitce voyage en Allemagne, mentionné dans son autobiographie. Lors de l'étape berlinoise, il y a eu la première rencontre directe avec Benn : il y avait beaucoup de points communs entre le médecin-écrivain, qui avait dix ans de plus qu'Evola (il est né en 1886 et est mort en 1956), et ce dernier. On a déjà tendance à souligner l'aspect nihiliste, athée et abstrait des aspects les plus horribles de la réalité humaine de Benn, et on a tendance à oublier sa contribution à la révolution conservatrice allemande. Il est un fait que le contact entre Evola et Benn, sur base d’une certaine communauté d'idées, a conduit à un célèbre essai-recension de la traduction allemande de Revolte qui a paru dans le numéro de mars 1935 de la revue Die Literatur de Stuttgart. C'est une sorte de "chant du cygne" dans lequel Benn expose ses idées et s'accorde avec la "vision du monde" d'Evola : en fait, c'est "son dernier texte en prose publié sous le Troisième Reich", car Rosenberg et Goebbels lui ont ensuite interdit d'écrire quoi que ce soit. Une revue d'analyse profonde dont Evola lui-même a reconnu l'importance et qu'il a voulu placer en annexe à sa collection d'essais L'arco e la clava (Scheiwiller, 1968), alors qu'elle sera désormais placée en annexe à la nouvelle édition de Rivolta qui sera publiée plus tard, en 1998. Il aimait lui-même se souvenir d'une phrase en particulier : "Une œuvre dont l'importance exceptionnelle se manifestera dans les années à venir. Celui qui le lira se sentira transformé et portera un regard nouveau sur l'Europe".

"Révolte" en Allemagne

Maintenant, pour confirmer et préciser la relation Evola-Benn, il y a trois lettres du premier au second, qui ont été trouvées par Francesco Tedeschi, un érudit qui s’occupe surtout d'Evola en tant qu'artiste, dans le Schiller-Nationalmuseum Deutsches Literaturarchiv (Handschriften Abteilung) à Marbach, et qui sont publiées ici en Italie grâce à sa collaboration active et à son consentement : deux lettres manuscrites qui sont datées du 30 juillet et du 9 août 1934, une lettre dactylographiée du 13 septembre 1955 dont la traduction complète est due à Quirino Principe. Des deux premiers écrits ressortent des faits connus mais aussi un autre fait absolument nouveau : les faits connus sont que Benn et Evola se connaissaient déjà au moins par lettre ("Ella ha ripetutamente mostrato un cordiale interesse per le mie fatiche" : 20 juillet), qu'ils se sont effectivement rencontrés lors du voyage d'Evola en Allemagne ("Le sarebbe molto obbligato se ella mi offre le possibilità di punti di vista e di una più lunga conversazione tra noi due" : 9 août), qu'il y avait une appréciation mutuelle de la même Weltanschauung "conservatrice" ou "traditionnelle" ("la compétence absolue que vous possédez à mon avis sur ces sujets et votre très grande connaissance et intelligence des traditions auxquelles je me rapporte" : 20 juillet), que tous deux ne se reconnaissaient pas dans le nazisme qui venait d'arriver au pouvoir ("Je suis de plus en plus convaincu qu'à ceux qui veulent défendre et réaliser, sans compromis avec le destin, une tradition spirituelle et aristocratique, il reste malheureusement, aujourd'hui et dans le monde moderne, aucune marge de manœuvre ; à moins de ne penser qu'au travail élitiste" : 9 août).

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Le fait nouveau et extrêmement intéressant est la demande faite par Evola le 20 juillet, et acceptée par Benn dans sa réponse (que nous ne possédons pas) du 27 juillet, de "soumettre à révision le manuscrit de la traduction allemande" de Révolte faite par Friedrich Bauer. Le détail était totalement inconnu et Evola n'en a jamais parlé même si ce fait - la révision linguistique par un poète aussi connu et apprécié que Gottfried Benn - aurait pu donner encore davantage d'éclat à son livre majeur. Il ne semble pas y avoir de doute qu'une telle révision aurait bien été faite, non pas tant en raison des remerciements adressés pour la "plus aimable des intentions" (9 août), qu'en raison du fait que des références précises sont données au manuscrit de la traduction elle-même chez l'éditeur allemand et, on peut le déduire, en raison du grand intérêt manifesté par Benn dans sa critique de Die Literatur (le livre avait ainsi vu le jour en mars 1935) : non seulement, donc, nous avons l'adhésion à la "vision du monde" exposée dans l'ouvrage, mais aussi la haute considération de Benn-pour un texte dont - pour en avoir revu la traduction – il se sentait particulièrement proche. Une nouvelle pièce est ajoutée au tableau (encore incomplet) des relations entre Julius Evola et la culture conservatrice allemande entre les deux guerres. On peut donc imaginer que la correspondance avec le médecin-poète s'est poursuivie, mais, pour l'instant, nous n’en avons pas d'autres traces.

Avançons maintenant de vingt ans dans le temps, jusqu'en l’année 1955. La lettre du 13 septembre s'inscrit dans la tentative du philosophe de reprendre contact avec les représentants d’un non-conformisme profond qu'il avait connus dans les années trente et quarante : on sait qu'en 1947, il avait écrit à Guénon, en 1951 à Eliade et à Schmitt, en 1953 à Jünger, pour renouer avec un discours intellectuel interrompu par la guerre, mais aussi pour proposer des traductions de leurs livres en italien, étant donné qu'ils pourraient être utiles pour un nouveau Kulturkampf. Souvent, ses attentes n'ont pas été satisfaites : tout le monde n'était pas demeuré ferme sur certaines idées, ou plutôt ne considérait pas le moment opportun pour s'en souvenir, en raison de l'ombre négative qui pesait encore sur eux après 1945. Et c'est précisément en raison de ses "récents succès littéraires" que Benn n'a peut-être pas eu l'intention de répondre à celui qui n'était qu'une connaissance italienne, puisqu'il n'y a pas d'autres lettres d'Evola au Musée national : il faut donc penser que les "anciennes relations" n'ont pas été reprises. Il est certain qu'Evola n'a pas caché qu'il était resté le même ("je suis toujours resté sur mes anciennes positions, en ce qui concerne mon orientation intellectuelle et mes intérêts dominants") et il n'est pas certain que ces précisions n'aient pas été contre-productives...

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Ce qui est au contraire un peu singulier, c'est l'incapacité à se rappeler correctement le type de relations qui avaient eu lieu vingt ans plus tôt : non seulement la rencontre de Berlin, mais la connaissance mutuelle des travaux et les questions soulevées par Rivolta. L'absence de toute mention quant à la révision de la traduction, mais aussi de l'essai de Benn paru dans Die Literatur (publié treize ans plus tard en annexe de L'Arc et la Massue, comme déjà mentionné) est due à un échec mnémonique, ou peut-être à un sentiment d'opportunisme, pour ne pas embarrasser le médecin-poète ? Il est également vrai que Benn est mort seulement dix mois plus tard, le 7 juillet 1956, à l'âge de soixante-dix ans, et donc toute déduction peut être valable. Toutes les hypothèses restent également ouvertes quant aux raisons pour lesquelles Julius Evola, tant dans ses lettres privées que dans son autobiographie publique, a oublié de nombreux épisodes et personnages très importants dans les événements de sa vie : et certainement pas dans un sens positif, tel qu'accroître l'importance de son œuvre globale. Peut-être des trous de mémoire normaux comme cela peut arriver à n'importe qui, mais peut-être aussi cette tendance "impersonnelle" à minimiser un certain travail, en donnant si peu d'importance - au point de ne pas penser que certains détails méritent d'être mentionnés - à certains moments de sa vie. Il n'en reste pas moins que ces lettres à Gottfried Benn comblent de manière significative l'une des nombreuses lacunes qui subsistent afin de reconstruire pleinement la vie intense de Julius Evola.

Notes :

(1) Il cammino del cinabro, Scheiwiller, Milano, 1972, p.79.

(2) Heidnischer Imperialismus, Armanen Verlag, Lipsia, 1933.


(3) C’est-à-dire, d’une part, les exposants de la « tradition prussienne » et, d’autre part, le courant représenté par certains écrivains comme Moeller van den Bruck, Blüher, Jünger, von Salomon, etc., que l’on a classés dans le concept de « révolution conservatrice ».


(4) Il cammino del cinabro cit., p.137.


(5) Alain de Benoist, Presenza di Gottfried Benn, in Trasgressioni n.19, 1990, p.84.


(6) A propos de Rivolta, Evola écrivit à Giuseppe Laterza une lettre depuis Karthaus dans le Haut-Adige, en date du 16septembre 1931 : « Je suis sur le point de le terminer mais je ne sais encore rien de sa longueur ». (cfr. La Biblioteca ermetica, a cura di Alessandro Barbera, Fondazione J. Evola, Roma, 1997, pp.57-58).


(7) Lionel Richard, Nazismo e cultura, Garzanti, Milano, 1982, p.280.


(8) Cité in Il cammino del cinabro cit., p.138.

* * *

Texte tiré de  Percorsi di politica, cultura, economia (6/1998).

 

dimanche, 03 janvier 2021

Essai sur l'importance du mythe

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Essai sur l'importance du mythe

Askr Svarte

http://www.polemos.ru/index/2017/09/30/as-myth/

Tout ce qu'on appelle aujourd'hui magie, mysticisme et ésotérisme, dans un sens large, sont des souvenirs et des dérivés, avec différents degrés de déformation, de la pensée mythologique et du mythe comme réalité de perception et comme forme descriptive. Malgré des siècles d’éradication systématique du mythe hors de la conscience sociale - un "désenchantement du monde", selon les termes de Max Weber - les structures de la pensée mythologique et de la perception de la réalité, qui lui est propre, continuent à vivre jusqu'à aujourd'hui, parfois même en subjuguant les méthodes scientifiques.

gia500.jpgEn grec ancien, le mot μῦθος signifie "tradition", "mythe". Un mythe est une chose qui se raconte oralement et se transmet de génération en génération. Si le mythe se raconte de lui-même, alors la mythologie (μῦθος + λόγος) est déjà une narration et une réflexion sur le mythe lui-même et son contenu ; la mythologie est une image rationalisée et généralisée, dont les intrigues dans le mythe lui-même sont données séparément et poétiquement.

Dans la société traditionnelle, le mythe occupait une place centrale ; il déterminait tous les aspects de la vie et de la vision du monde d'une personne. La fonction du mythe est d'expliquer l'origine du monde, l'origine de l'homme et de la société, pourquoi il est ainsi disposé, quelles sont les lois divines qui règnent dans le monde et le gouvernent, d'où viennent ces choses et ces fonctions, comment se comporter correctement avec les autres personnes, avec les animaux et la nature en général, et plus encore. De là découle la propriété de toute mythologie : le holisme, la "totalité" en langue grecque ; le mythe est un tout et englobe intégralement tous les niveaux de l'être : les mythes, y compris les contes de fées, les croyances, les traditions et les légendes, expliquent tout en général.

La pensée ordinaire actuelle se réfère au mythe et à la mythologie comme on se réfèrerait à un endroit, qui existait il y a longtemps, dans un passé lointain, que l'humanité a surmonté comme une étape de l'enfance, comme on abandonne une croyance naïve en quelque chose de mythique. Mais si nous considérons le temps, selon le généralement accepté dans nos sociétés modernes, et le percevons comme une flèche lancée vers l'avenir, nous constatons que l'ère de la vision traditionnelle du monde remonte à la préhistoire, puis passe par les civilisations que nous connaissons sous le qualificatif de « pré-chrétiennes » : Égypte, Mésopotamie, Grèce, Rome et autres; des millénaires de traditions païennes sont remplacés par le christianisme du Moyen-Orient, qui affirme son mythe historique et dogmatique spécifique, et est finalement interrompu à la fin du 16ème siècle, lors du passage de la Renaissance à l'aube des Lumières. La Renaissance commence l'ère moderne : la période de destruction de l'antiquité religieuse,[1]... La modernité se termine au début du 20ème siècle après les révolutions et la chute des derniers empires continentaux pendant la Première Guerre mondiale. Nous vivons maintenant dans l'histoire postmoderne depuis un siècle. Si l'on compare les périodes historiques au cours desquelles la société et l'homme ont vécu dans la conscience mythique et religieuse, il s'avère que le mythe couvre une bonne partie des millénaires de l'histoire humaine, alors que la modernité ne dure qu’un peu plus de cinq cents ans. Ainsi, nous voyons que l'humanité - et maintenant nous parlons principalement des peuples européens et voisins - a abandonné la conscience mythologique et la pensée "d'hier", mais s'en est détachée très rapidement et radicalement. Dans d'autres régions du monde, dans d'autres civilisations, le pouvoir du mythe et de la vision traditionnelle du monde est encore plus ou moins préservé, il n'a pas encore été expulsé et il a survécu. Et si nous examinons de plus près encore les données de l'ethnographie et du folklorisme, nous verrons que les sociétés les plus modernes et les plus a-mythologiques se trouvent dans les villes, tandis que dans les villages, avec un mode de vie paysan et rural, on trouve encore d'immenses strates de pensée relevant des mythologies et des superstitions qui persistent. Donc, d'un point de vue historique, le mythe était la partie la plus importante, c'était le langage utilisé pour décrire le monde jusqu'à "hier".

61lEsRc9HML.jpgL'un des plus éminents penseurs allemands du 20ème siècle, Friedrich Georg Jünger, frère d'Ernst Jünger, analysant le contenu de la mythologie grecque au milieu du 20ème siècle, [2] conclut que les trames mythologiques sont intemporelles. Le mythe est une méta-histoire, ce qui se situe au-dessus des réalités historiques comme toile de fond du cours des événements ; en d'autres termes, malgré les changements de la société humaine, de la religion, de l'idéologie, des valeurs et des points de vue, l'humanité au plus haut niveau, sous une forme ou une autre, incarne, joue avec les trames des mythes paradigmatiques. Voici une question ouverte : les gens, dans leur destin, incarnent-ils cycliquement différents mythes, ou toute l'histoire humaine n'incarne-t-elle qu'un seul mythe de base ? Pour l'Europe, les mythologies grecque et romaine sont devenues une source inépuisable d'images, de métaphores, de modèles et de personnages, qui sont encore sans cesse reproduits dans la culture, l'art verbal et visuel. Ils sont présents dans le discours quotidien sous forme de phrases établies ou de noms communs, servent de sources à la terminologie scientifique et de modèles pour l'interprétation de la culture, c'est-à-dire pour la réflexion. Comme l'a dit Losev, le passé grec est devenu un passé commun pour toute l'Europe et pour les jeunes qui commencent tout juste à entrer dans la période de maturité.

Souvenons-nous de Sigmund Freud et Carl G. Jung, les fondateurs de deux écoles de psychanalyse, qui ont chacune eu recours aux thèmes des mythes grecs. Freud s'intéressait particulièrement au mythe tragique d'Œdipe, qu'il considérait comme un événement archaïque possible et un mythe fondamental pour la culture et la psyché européennes (avec des variations sur l'esprit du mythe d'Electre). Encore plus axé sur la mythologie et la religion, son étudiant et rival Carl G. Jung a consacré beaucoup de ses travaux à expliquer la psyché humaine en relation avec le symbolisme religieux et sa propre doctrine des archétypes, qui sous-tendent également la mythologie des peuples du monde.

À partir du milieu du 20ème siècle, un changement d'approche dans l'étude des religions et des visions mythologiques des peuples anciens et modernes est advenu. La science refuse de considérer le mythe et la religion comme des reliquats de superstition, comme la simple "enfance" de l'humanité. Une approche phénoménologique et structuraliste de l'étude et de l'interprétation des différentes traditions s’établit en milieux scientifiques. La première approche est associée au classique roumano-américain des études religieuses, Mircea Eliade, qui a partagé la thèse sur l'éternité du mythe et défendu la méthode d'étude des mythes, laissant derrière lui toute une école d'études religieuses [3]... Il est à noter que Mircea Eliade et Carl G. Jung, outre qu'ils étaient d'éminents chercheurs en mythologie, culture, sociologie et philosophie du 20ème siècle, faisaient partie du cercle intellectuel d'Eranos (1933-2006), qui s'est donné pour tâche de comprendre et de développer une nouvelle approche de l'étude des cultures et des sociétés.

pagan-traditionalism-and-identity.jpgLa deuxième approche est associée à l'école française du structuralisme et à la figure de l'éminent linguiste et mythologue Georges Dumézil. Dans ses écrits [4], il a montré et démontré que la grande majorité des mythes indo-européens sont basés sur une même structure, qu'il a appelée tripartite ou trifonctionnelle. En se basant sur l'analyse d'une grande variété de légendes et de mythologies européennes, indiennes, caucasiennes (surtout ossètes) et orientales, il montre que la structure de la société indo-européenne, héritée par des peuples et des traditions ultérieurs distincts, est composée de trois fonctions principales, au sein desquelles presque tous les individus sont répartis. Prêtres, guerriers et agriculteurs ou artisans. Cette division de l'ensemble de la société en une pyramide à trois parties (les exclus, les esclaves, les criminels, etc. en sortent) peut être retracée à travers l'histoire ancienne avec des changements mineurs. Par exemple, en matière de pouvoir séculier et politique, le sommet de la pyramide est généralement occupé par des soldats, et en matière de pouvoir et de culte sacré, il est dominé par les prêtres. Cette division de la société a été clairement préservée jusqu'à la fin du Moyen Âge et n'a pas complètement disparu jusqu'à présent, surtout dans les régions les plus conservatrices. Le lien de cette structure avec les mythologies réside dans le fait que la structure de la société est un dérivé de la mythologie du peuple, dans laquelle J. Dumézil montre la présence des trois fonctions issues des figures divines : les dieux suprêmes donnent naissance à la classe des prêtres et à leur place et rôle social ; les dieux de la guerre et de la justice donnent naissance au pouvoir militaire des rois et au pouvoir politique ; les dieux de la fertilité, des récoltes et de la terre donnent naissance au mode de vie et aux valeurs incarnées dans le tiers état : agriculteurs, artisans, pêcheurs, etc. En d'autres termes, le mythe sacré est le prototype (l’icône) de l'ordre social qui s'incarne dans le monde réel. Là où dans la mythologie il y a des dieux de la fertilité, dans la société il y a une caste d'agriculteurs et leurs propres cultes et traditions. Il en va de même pour les guerriers, les dirigeants, les chamans et les prêtres. Dans une société mythologique, le pouvoir vient des dieux, de haut en bas, du mythe au social. Ainsi, Dumézil aborde l'étude du mythe par un autre côté, mais confirme indirectement la thèse sur "l'éternité du mythe" et le rôle de ses formes (structures) dans la vie des peuples, structures qui ne sont pas effacées de l'histoire.

9785888754207.jpgLa question du pouvoir, du mythe politique et culturel est au centre de l'attention des spécialistes de la culture, des anthropologues, des sociologues et des philosophes du 20ème siècle, surtout dans la période de l'après-guerre. Selon la sémiotique de Roland Barthes, la société moderne, comme dans l'Antiquité, se développe dans un environnement et croit en divers mythes. Ce n'est qu'aujourd'hui que l’on ne cherche plus des exemples d'excellence chez les Grecs ou chez les Allemands, mais dans la mythologie de la culture pop, des médias et de la propagande politique, ce qui apparaît clairement dans l'histoire des régimes totalitaires. Dans la pensée quotidienne, nous rencontrons ces mythes sous forme de stéréotypes, de préjugés, de fascination pour des idoles pop ou des personnalités politiques que nous ne connaissons pas, mais nous voyons constamment leur image artificielle sur les émissions de télévision ou sur YouTube. Ainsi, il a été démontré que, malgré le passage de la pensée traditionnelle à la pensée scientifique, la grande majorité de la société continuait à vivre dans un environnement d'images irrationnelles et fantomatiques, ne changeant que le langage : on ne se réfère plus à la mythologie grecque classique, par exemple, mais à un journal, un parti politique ou une chaîne de télévision. En même temps, la croyance mythique dans l'importance d'une pop star ou d'un chef de parti lui redonne une certaine autorité, fait de lui un modèle moral et un berger de ses fans. Mais maintenant que cette mythologie se construit de bas en haut, le pouvoir de l'idole dépend du caractère de masse de son fan club. Les mécanismes par lesquels la mythologie de la société capitaliste moderne et  celle des médias façonnent le pouvoir et influencent la société et la personne en particulier sont examinés en détail et de façon critique dans les travaux de M. Foucault, R. Barthes, J. Baudrillard et d'autres. Les opposants à la société mythologique - par exemple, R. Bultmann et P. Riker - ont insisté sur la nécessité d'une purification et d'une rationalisation strictes de la culture et même de la religion, afin de séparer les significations de la nébuleuse de l'irrationnel. Il convient de rappeler ici la critique de la méthodologie scientifique, qui est traditionnellement opposée à toute forme de mythologie, en tant que système strict, logique et rationnel de preuves objectives. Dans ses écrits, le philosophe Paul Fayerabend a clairement montré que la science et les scientifiques violent constamment, et même n'ont jamais observé, les méthodes d'investigation scientifique ou les propres résultats expérimentaux établis par eux. Outre la critique de la société de masse moderne du côté de la philosophie française, il a également pris en compte la critique de la modernité du point de vue de Julius. Evola et Ernst Jünger - partisans du mythe, il est possible de lire toute la perception scientifique moderne du monde comme une forme spéciale et originellement arrangée de la même mythologie, où les docteurs en sciences prennent la place des prêtres, et les ingénieurs et les mécaniciens celle des agriculteurs. Aujourd'hui, un nouveau monde "magique" est également présent, celui de la réalité virtuelle et de sa mythologie (ce que nous appelons New-Age, Wicca, néo-paganisme, parapsychologie, etc.)

Vidéo: Moot with Askr Svarte and Stead Steadman - Pagan Traditionalism and "Polemos" book

Par ailleurs, les tendances croissantes de la virtualisation et de la mondialisation poussent de plus en plus les sociétés et les peuples à chercher leurs racines et leur identité dans les religions et les traditions anciennes. La recherche de la stabilité dans un monde en constante évolution conduit une fois de plus les gens vers une source d'ordre, de structure et de sens, ontologiquement supérieure aux conventions ou décisions momentanées. De nombreux événements religieux, conflits, phénomènes et problèmes culturels ont leurs racines ici. La "personne" n'est plus ce qu'elle était et la mythologie est en déclin. Mais en cette ère de changement, une nouvelle fenêtre d'opportunité s'ouvre pour que le mythe illumine le monde et mette de l'ordre dans les sociétés. Cela peut ou non se produire. Aujourd'hui, beaucoup dépend des gens eux-mêmes. Sur leur dévotion (fidelis) à leur Chemin, au Sacré, aux Dieux et aux idéaux les plus élevés qui s'élèvent dans le monde des ruines (Julius Evola).

Notes :

[1] A. F. Losev «Estética del Renacimiento», «Pensamiento», 1982.
[2] F.G. Junger «Mitos griegos».
[3] M. Eliade «Lo sagrado y lo mundano»
[4] J. Dumezil «Los dioses supremos de los indoeuropeos».

Traducido por Alejandro Linconao
Tomado de: http://www.polemos.ru/index/2017/09/30/as-myth/

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vendredi, 01 janvier 2021

Feux dans la nuit d'hiver : perspectives eschatologiques dans les rites traditionnels du Nouvel An

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2021

Feux dans la nuit d'hiver : perspectives eschatologiques dans les rites traditionnels du Nouvel An

Pour le Nouvel An, nous publions un article sur ces feux, tiré du site italien https://www.azionetradizionale.com

par Lorenzo Maria Colombo

Dans de nombreux pays du nord de l'Italie, les célébrations de la fin de l'année et des premiers mois de la nouvelle année sont accompagnées de rituels collectifs particuliers qui, à y regarder de plus près, ont l'aspect apparemment assez macabre d'un sacrifice humain : des mannequins aux traits anthropomorphiques ou même des êtres humains en chair et en os sont brûlés, noyés, enterrés ou, en général, tués rituellement.

A Ameglia (SP), par exemple, il existe la tradition de l'Omo ar bozo, dans laquelle une personne du village se déguise en étranger qui est jugé et jeté dans une mare d'eau (le bozo, en fait).

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Dans de nombreux autres endroits, cependant, le symbolisme de l'enjeu purificateur semble prévaloir : À Varallo Sesia (VC), le 6 janvier, pour célébrer le début du carnaval, les habitants se réunissent sur les rives du ruisseau Mastallone, qui divise la localité en deux, pour brûler le mannequin diy du Veggia Pasquetta (le « vieux lundi de Pâques ») ; le feu continue à jouer un rôle central pendant toute la durée de ce carnaval alpin, l'un des plus importants et des plus populaires du nord du Piémont, avec des épisodes tels que le rond-point autour du feu de joie sur la place le soir du Carnevalàa n'tla stràa (Carnaval sur la route) et l'incendie final du roi du Carnaval (évidemment toujours un mannequin) sur le Ponte Antonini.

Des rites similaires ont lieu dans le village de Roccapietra et dans les villes voisines de Civiasco et Borgosesia, parfois accompagnés de feux d'artifice. D'autres caractéristiques de cette période, qui sont très importantes comme nous le verrons pour comprendre son profond symbolisme, sont les distributions gratuites de nourriture (soupe, haricots, tripes, focaccia, sucreries, etc.) dans différents villages. Parmi les quelques autres particularités de cette période, répandues dans divers pays, il faut compter certaines manifestations typiques où prédominent des performances de force et d'habileté physiques, voire un caractère explicitement agonistique ou guerrier : par exemple, le défi entre le "laid" et le "beau" qui se déroule dans Suvero (SP), les sapeurs (littéralement: les huissiers) armés qui accompagnent les défilés de carnaval de Sampeyre (CN) et Schignano (CO), la Danse des épées lors des processions religieuses de Venaus et Giaglione (TO), les coups de poing dans les rues contre les krampus (les "putréfiés" ou, selon une autre étymologie, "celui qui a les griffes") dans le Trentin-Haut-Adige ou encore les célèbres manieurs de drapeaux du Paliotto d'Asti qui sont appelés à se produire sur les places de différentes communes piémontaises.

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Les ethnologues et anthropologues interprètent généralement ces traditions comme des résidus païens d'anciens rites propitiatoires pour la fertilité des champs, antérieurs à l'arrivée du christianisme ; le faux "sacrifice humain" (ou même dans certains cas le sacrifice authentique et sanglant d'un animal, comme une dinde ou une oie) est alors considéré comme une représentation typique du "bouc émissaire". Selon l'ethnologue Piercarlo Grimaldi, la "chèvre" est tuée par la "communauté paysanne qui, pour faire face à la nouvelle saison agricole, doit se régénérer rituellement"[1].

Il va sans dire que de telles explications, même si elles ne sont pas complètement fausses, sont, d'un point de vue authentiquement traditionnel, loin d'être satisfaisantes. L'incapacité des universitaires occidentaux à analyser les significations cachées de ces rites est probablement due, au moins en partie, à la rupture, survenue pour des raisons historiques et sociales, entre la culture paysanne et celle de la "haute société" (ndt : la « culture des élites » selon Robert Muchembled), représentée autrefois par le clergé et aujourd'hui par les universitaires, qui ne sont plus capables de dialoguer et de comprendre la culture populaire. Il faut évidemment ajouter à cela des considérations sur le "cycle vital" normal des traditions, qui, dans sa phase terminale, voit une perte progressive de sens jusqu'à ne laisser qu'une forme vide et « survivante » (d'où le terme « superstition »).

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Si nous voulons trouver la véritable clé de l'interprétation de ce que nous venons de dire, nous devons donc nous tourner vers les cultures où une telle césure n'a pas eu lieu ou a été rétablie à temps : c'est le cas du Tibet où (au moins avant l'invasion communiste chinoise) les rites du Nouvel An étaient pratiqués, avec la combustion d’un mannequin, extraordinairement similaires à ceux du nord de l'Italie. Ici, cependant, la tradition bouddhiste a réussi à réinterpréter l'ancien rituel populaire dans la perspective sotériologique de la nouvelle religion, ou plutôt à revenir à leur signification originelle. Traditionnelles, les anciennes formes ont dégénéré en superstition, explique en fait le célèbre tibétologue Giuseppe Tucci : "La superposition de la fête du sMon lam sur l'ancienne fête du Nouvel An s'explique par le fait que le premier en était venu à s'identifier à l'idée de la victoire sur le mal et l'hérésie dans le miracle de Śrāvastī (...)[2]. La communauté est dans une période de déclin progressif, dans laquelle le mal augmente et la doctrine prêchée par Śākyamuni devient obscure. Il est donc nécessaire d'éliminer ou au moins d'atténuer les signes évidents de cette époque - épidémies, guerres, famines - mais surtout d'aider à préparer l'action rédemptrice du prochain Bouddha, Byams pa, Maitreya. Le symbolisme à la base de cette pensée a également des répercussions sur le plan liturgique et pratique : le gouvernement distribue des plantes médicinales (sman) aux moines pour lutter contre les maladies ; des tissus de soie pour les défendre du danger des armes ; de la nourriture, de la viande, de la soupe, de l'argent, etc... contre la famine imminente. La liturgie est conditionnée de façon dramatique à chacun de ses différents moments. Par exemple, la procession rituelle autour du temple de Byams pa est censée signifier que la nouvelle ère de la doctrine, la descente de la parole divine, est déjà un fait accompli (...) la non-science (ma rig), l'origine de la contamination morale (ňon mons) et donc aussi du karma, est innée en chacun de nous, en moi et dans les autres, et [pour cela] il est nécessaire de la brûler dans le feu de la connaissance sublimée (ye šes kyi me). L'image qui est au centre de cette cérémonie est destinée à recevoir en elle-même la non-science et est brûlée dans le feu de la sagesse, qui est représentée de cette façon (...). A l'attente de la nouvelle année prévaut celle de l'annus magnus : ainsi le cycle bref des douze mois devient le maillon d'une chaîne qui s'étend à l'infini, de bon augure, de renouvellement de la doctrine, de l'avènement du royaume de Maitreya, dont l'épiphanie aura lieu après la fin du processus progressif de décadence de l'ère cosmique actuelle"[3].

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Pour résumer : au moment où l'obscurité semble la plus profonde, à la limite entre une année et l'autre, les adeptes de la Tradition sont appelés à monter sur le terrain de lutte, à entrer en guerre contre les forces du mal afin de favoriser le retour de la Lumière dans une nouvelle ère prospère du monde, où il n'y aura plus ni faim ni misère et où les hommes se "nourriront" directement de l'enseignement spirituel ; et les flammes qui brûlent le mannequin sacrifié ne sont autres que celles qui consommeront les potentialités inférieures de ce cycle pour permettre au nouveau de commencer.

Au Tibet, comme en Italie, le rite du début de la nouvelle année entend représenter une attente, non pas passive et sentimentale mais active et "militante", une tension eschatologique vers la réalisation, même seulement temporaire et virtuelle, de cette Terre pure, cette Jérusalem céleste où l'être humain sera réintégré dans son état originel[4].

Enfin, nous nous permettons de faire quelques réflexions sur la situation que nous vivons dans cette période particulière de l'Histoire.

On se souvient qu'au début de l'année 2020, alors que, comme on vient de le démontrer, la pandémie de covid-19 était déjà en cours depuis plusieurs mois, le premier confinement est tombé au moment même où les festivités du carnaval atteignaient leur point culminant, empêchant la conclusion naturelle du Carême, avec les fermetures forcées qui se sont ensuite étendues bien au-delà de la Semaine Sainte. Et aujourd'hui, avec l'urgence sanitaire qui semble loin d'être résolue, il est très probable que nous soyons obligés d'abandonner nombre de ces rites traditionnels mentionnés au début de notre article, dont certains, il faut le souligner, ont des origines très anciennes et n'ont jamais été interrompus jusqu'à présent, sauf pendant les périodes les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale.

Il est probablement trop tôt pour affirmer que cette situation est intentionnelle, qu'elle découle d'une intention consciente d'anéantir nos traditions ancestrales ; et pourtant la symbolique lugubre qui sous-tend ces faits nous semble claire : les forces de l'anti-tradition, les légions de l'adversaire n'acceptent plus d'être domptées et exorcisées, mais se déchaînent de toutes leurs forces dans le monde dévasté.

Et dans ce contexte, il n'est pas surprenant que certains "champions" de la subversion internationale n'aient pas pu cacher un certain sentiment de vengeance mesquine contre ceux qui, légitimement, se plaignaient de la suppression ou de la réduction à un minimum des événements traditionnels : juste avant ce Noël 2020, parmi les plus dramatiques dont l'histoire récente se souvienne, un youtubeur, au nom plutôt risible d'"Ateotube", a déclaré sur sa page Facebook : "Je ne comprends vraiment pas le fétichisme des Italiens pour les traditions. Mieux vaut innover, progresser, avancer".

Progresser et avancer vers où, on peut se le demander, si ce n'est vers une civilisation vidée de tout sens, vers une culture qui ne peut plus être définie comme telle car rien n'est plus "cultivé", vers l'immense abîme d'où tant de jeunes tentent en vain de s'échapper avec la drogue ou en s'ôtant la vie...

Mais en fin de compte, comme nous le savons déjà, ce sont des choses qui doivent arriver. Les armées des ténèbres seront autorisées à avancer jusqu'à ce que la moindre lueur de la Lumière des anciens jours semble être étouffée à jamais ; alors, et seulement alors, Rudra Chackrin, Seigneur de la Roue Cosmique, descendra dans le monde pour la sacrifier (la rendre sacrée) dans les flammes purificatrices et sanctionner le début d'un nouveau Jour.

Il nous appartient de nous préparer à ce moment par une pratique intérieure, car les formes extérieures - en elles-mêmes seulement instrumentales et temporaires - nous sont aujourd'hui refusées.

À tous ceux d'entre vous qui ont eu la patience de lire cet article jusqu'au bout, j’apporte un souhait sincère de bonne année sous le signe de la lutte et de la victoire.

Notes :

[1] P. Grimaldi, Tempi grassi tempi magri, Omega edizioni 1996 Torino, p. 50.

[2] L’épisode où Bouddha manifeste sa propre supériorité face aux adeptes des sectes rivales, est celui où, de son corps, s’échappent simultanément des langues de feu et une pluie d’eau. Remarquons que ce double symbolisme de l’eau et du feu se repère également dans les rites italiens que nous avons cités.  

[3] G. Tucci, Le religioni del Tibet, ed. Mediterranee 1995 Roma, pp. 192-193. Ed. originale Die Religionen Tibets, W. Kholhammer GmhH, Stuttgart 1970.

[4] G. Marletta, L’Eden, la Resurrezione e la Terra dei Viventi, Irfan edizioni San Demetrio Corone (CS) 2017, pp. 79-91.

 

Les grandes âmes sont odysséennes...

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Les grandes âmes sont odysséennes...

par Luc-Olivier d'Algange

Les grandes âmes sont odysséennes. Qu'est-ce que la grandeur ? Par quelle aspiration prouvons-nous le sens de la grandeur ? Le poème épique, celui d'Homère en particulier, répond à cette question: par le voyage, lorsque ce voyage est au sens exact initiatique. Le héros «   ondoyant et divers   » navigue, car naviguer est nécessaire et qu'il n'est point nécessaire de vivre. Toute la différence entre la vie magnifique et la survie est dite en ces quelques mots: Naviguer est nécessaire... Il ne s'agit point tant d'atteindre à la grandeur que d'être digne de la grandeur qui nous environne. L'homme moderne aspire à des réalisations colossales, comme le sont également sa bêtise et son outrecuidance. Les temples de Delphes et d'Epidaure, l'architecture romane, leur fille conquérante de l'Invisible, témoignent d'un autre sens de la grandeur. C'est une grandeur méditée et contemplée, une grandeur intérieurement reconstruite par une exacte Sapience des rapports et des proportions. Nous devons à Walter Otto et à Ernst Jünger, ces philosophes lumineux, la distinction entre le monde dominé par les titans et le monde dominé par les dieux. Avant d'être «   moderne   » et quoique l'on puisse entendre sous ce terme, notre monde est bien un monde titanesque, un monde de fausse grandeur et de colossales erreurs. Le monde des dieux, lui, s'est réfugié dans nos cœurs et il devenu une vérité intérieure, c'est-à-dire qu'il se confond avec la lumière émanée du Logos. Si rien ne peut être ajouté, ni ôté, rien n'est perdu. La véritable grandeur n'est pas absente, elle est oubliée dans l'accablement et l'ennui des travaux titaniques. S'en souvenir, par bonheur, n'exige pas que nous nous rendions immédiatement victorieux de ces artificieuses grandeurs; il nous suffit d'accueillir les battements d’ailes légers de l’anamnésis.

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Le subtil essor du ressouvenir triomphe de tout. La recouvrance de la grandeur est offerte à quiconque ne se résigne point, mais persiste, à la pointe extrême de son entendement, comme une étrave, à l'affrontement de l'inconnu maritime. Les grandes âmes sont odysséennes. Elles viennent comme des vagues vers nous dans les heures sombres et dans les heures claires. Elles laissent aux heures claires une chance d'être et une raison d'être dans le ressac tumultueux des heures sombres.

Il existe une habitude du malheur à laquelle les grandes âmes odysséennes seront toujours rétives. Elles engagent le combat, ne craignent point les issues incertaines et osent le voyage. Elles vont jusqu'à défier les lois de l'identité et de la contradiction pour choisir de périlleuses métamorphoses. Lorsque les ciels sont à l'orage, que la mer violette accroît l'émerveillement et l'effroi du pressentiment, l'âme odysséenne se retrouve être, soudain apaisée, dans l'heure la plus claire, dans le scintillement de la vague ascendante qui triomphe des nuits et des abysses qui la portent.

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Le sens épique des grandes âmes, nous le savons, ne refuse point le malheur. Il existe chez les âmes aventureuses un consentement à la fortune bonne ou mauvaise qui ne laisse pas de surprendre les générations étiolées. Mais cette acceptation du malheur n'est jamais que l'assombrissement momentané du regard après l'éblouissement, «   soleil noir de la mélancolie   » que dit Gérard de Nerval. A celui qui consent à se laisser peupler par les images odysséennes, à se laisser entraîner par elles, c'est une grande Idée du bonheur qui le subjugue. Un vaste songe heureux entoure de ses espaces limpides et sonores le vaisseau qui file à l'allure que lui prédestinent les voiles et le vent: c'est le sens de notre destinée.

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Certes, la destinée est écrite et souvent des forces néfastes se conjuguent à nous soumettre à des rhétoriques malfaisantes ourdies par des forces jalouses, comment le nier ? Certes, les heures sombres avancent vers nous en cohortes plus serrées que les heures claires, mais le regard de l'Aède transperce les nuées et voit, là où le commun ne voit que du vide, les escadres claires des heures promises, des prières exaucées !

Le paradoxe admirable de l'épopée est de nous enseigner en même temps l'abandon et le courage, alors que le monde moderne nous enseigne la récrimination et la faiblesse. Toute grande âme est odysséenne, elle s'abandonne à la beauté et la grandeur du monde et, dans cet abandon aux puissances augustes, trouve le courage d'être et de combattre. La vie magnifique est possible car il n'est pas nécessaire de vivre, s'il est nécessaire de naviguer. Croire en une toute-possibilité, vouloir s'en rapprocher comme d'un Graal ou d'une Toison d'Or, telle est la foi du héros qui trouve dans la divination des claires escadres la justification de ses actes et de son chant. Le malheur gronde, l'eau et le ciel sont noirs, mais elles viendront bien à sa rescousse. Escadres claires et logiques, ordonnées et ordonnatrices, accordées à la divine Mesure.

imagesul.jpgSans doute sommes-nous fort mal placés en nos temps rationalistes et déraisonnables pour comprendre la méfiance grecque à l'égard de l'hybris, de la démesure. Nous sommes si aveuglément dévoués à la démesure que nous n'en concevons plus même le contraire. Notre démesure est devenue si banale que toute mesure nous paraît extravagante ou coupable. Comment, alors servir la Mesure, par quels noms l'évoquer et l'invoquer sans la trahir ? Par le seul nom de Légèreté ! Les claires escadres de la raison d'être de nos actes et de nos chants sont légères; c'est à peine si elles touchent les vagues amies. Entre l'horizon et le plus fort de notre combat, elles franchissent la distance en se jouant. Non seulement la Mesure est légère, elle ne se pose ni ne s'impose, sinon prosodique; elle est fondatrice de la légèreté en ce monde. Les Anciens croyaient en la terre dansante et en la terre céleste. La Mesure nous sauve de la lourdeur et de l'inertie. Bien qu'elle soit plus que la vie, ayant partie liée aux Immortels, elle nous sauve de la mort. Lorsque la Mesure est ignorée les titans outrecuident, et les hommes se livrent sans vergogne à l'infantilisme et à la bestialité.

Les héros, les chevaliers, les navigateurs nous entraînent dans la vérité de la métaphore. Ils nous apprennent à interroger les signes et les intersignes, à trouver la juste orientation dans la confusion des apparences, ou, plus précisément, dans cette apparence de confusion à laquelle nous inclinent la faiblesse et le fanatisme. La puissance métaphorique et réelle qui porte le navigateur sur la «   mer toujours recommencée   » dont parle Valéry n'est pas l'hybris mais la Tradition. Elle est cette puissance heureuse qui nous porte au-delà de la mensongère évidence des êtres et des choses, par-delà les identités statiques, les individualités possessives, les subjectivités idolâtrées dans la mauvaise conscience de leur déroute.

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La métaphore est maritime; elle ne s'ajoute point à la réalité, elle est la réalité délivrée de nos représentations schématiques, de ces facilités de langage, de ces jargons qui feignent la raison, sans raison d'être. Croire détenir la raison, cette hybris du rationaliste, n'est-ce point être possédé par la déraison ? Favoriser dans le déroulement prosodique la levée des grandes images odysséennes, ce n'est pas fourbir des armes contre la raison mais restituer la raison au Logos, œuvrer exactement à la recouvrance de la raison. Lorsque les métaphores ne dansent plus à la crête des vagues, les mots deviennent des mots d'ordre; et les mots et l'ordre sont perdus pour les desseins divins. La pensée, alors, s'emprisonne en terminologies. La suspicion et la mesquinerie se substituent à cet usage magnanime et chanceux du langage qui est le propre des poètes.

Les grandes âmes sont odysséennes, et le signe de leur grandeur est d'unir la poésie et la raison, non certes pour nous réduire au compromis détestable d'une poésie raisonnable mais par un heurt étincelant où l'apparence de la poésie comme l'apparence de la raison volent en éclats. De l'autre côté de ces apparences se trouvent non les certitudes d'usage, mais la mystérieuse et ardente gnosis rimbaldienne de l'éternité qui est «   la mer allée avec le soleil   », l'épiphanie éminente de la splendeur. Sous l'invaincu soleil, la métaphore maritime est la messagère des grandes âmes.

Luc-Olivier d'Algange.

Le symbolisme du sanglier

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Le symbolisme du sanglier

par Gérard Thiemmonge

A propos de l'auteur : J'ai rencontré Gérard Thiemmonge, l'auteur de cet article publié à titre posthume, lors d'une université d'été de la Nouvelle Droite au début des années 80. Jusqu'à sa mort il y a quelques années, nous avons entretenu une amitié étroite, accompagnée d'un échange régulier de documentation sur l'histoire de certaines régions d'Europe et de leurs traditions. Au fil des ans, Gérard Thiemmonge est devenu un encyclopédiste infatigable qui a compilé un impressionnant catalogue d'illustrations, de cartes postales et de documentation sur des sujets aussi divers que la tradition musicale entourant la cornemuse en Europe, les runes et les animaux sacrés dans la tradition indo-européenne. Cependant, Gérard Thiemmonge, enraciné et passionné d'histoire et des traditions d'Europe, était aussi un véritable reître, un aventurier chevronné et un expert en techniques de survie et de la guerilla. À la fin des années 1970, il a combiné ses connaissances de baroudeur dans deux ouvrages, publiés chez Copernic : "Objectif Raid" et "Guide pratique pour l'expédition et l'aventure".

Ralf Van den Haute.

Le symbolisme du sanglier trouve ses origines dans la Tradition primordiale et hyperboréenne, elle-même fondatrice des divers mythes indo-européens.

A côté du cerf, le sanglier faisait partie du monde marginal et divin de la forêt. Il participait de l’animation visible, (lat. anima = âme) comme témoin du panthéon des dieux que l’esprit des hommes avait forgé, pour hiérarchiser le sacré et appréhender le monde.

Ste Osmanne.jpgAnimal solaire, le sanglier participait des trois fonctions de l’idéologie tripartite des indo-européens, et c’est à ce titre que la compréhension de sa symbolique est particulièrement difficile. Perçu distinctement par les castes, sa valeur magico-religieuse était conflictuelle. Cette situation se maintiendra jusqu’au moyen-âge, illustrée en Seine-et-Marne par la légende de Ste Osmanne.

La caste sacerdotale, (les druides) participait de la fonction souveraine. Détentrice du savoir et du sacré, elle dominait la société dans ses orientations.

Selon J. Chevalier et A. Geerbrant, (1) le sanglier est en conflit avec la caste guerrière. Comme le druide, il est en rapport étroit avec la forêt, se nourrit du gland du chêne, et la laie, symboliquement entourée de ses neuf marcassins, fouit la terre au pied du pommier, arbre d’immortalité. Aussi bien dans la société druidique que brahmanique, le sanglier y figure l’autorité spirituelle. Il est l’avatâra sous lequel Vishnu ramène la terre à la surface des eaux pour l’organiser.

Dans le monde indou, notre cycle est désigné comme étant celui du sanglier blanc.

Pour la caste guerrière, le sanglier participait du rituel de la chasse, c’est-à-dire du combat loyal contre la force vénérée et distincte, combat par qui la victoire élève vers les dieux. Le mythe de « La Chasse Sauvage » et le légendaire Hubertien (2) ne sont que des avatars populaires et parfois christianisés de ses rituels initiaux.

Pour la caste paysanne, (fonction productrice) l’animal était naturellement celui qui assure la subsistance du groupe. L’animisme aidant, on s’évertuait à acquérir sa force et son courage. Il remplissait les ventres et les âmes.

Comme on le voit, cette perception distincte ne pouvait qu’entrainer des conflits, des interdits comme la chasse, le sacrifice ou la consommation hors certaines périodes.

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Le nom du sanglier vient du latin populaire singularis, de singulus = seul. Le mot « singulier », combat d’un seul contre un seul, à la même origine. Le nom de la laie vient du francique lêka (moyen haut allemand liehe). Le même mot, remarque L.R. Nougier, désigne également un chemin forestier. (3)

Au moyen-âge, on évoquait le sengler, ou porcq saingler. Le terme servait aussi à désigner un homme solitaire. (4)

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La plus ancienne représentation connue d’un sanglier concerne une peinture pariétale dans la grotte d’Altamira, en Espagne. Elle est d’époque magdalénienne. (Paléolithique supérieur, 12000 ans).

De Perse, de l’Inde, de la Grèce à l’Irlande, il est partout présent dans le monde indo-européen. Il est également présent au Japon et en Chine, au Moyen-Orient, mais sa symbolique se réfère à des mythèmes distincts. (5)

En Grèce, Hercule parvient à rapporter un gigantesque sanglier qui semait la terreur en Arcadie, sur les collines d’Erymanthe. L’animal est transporté vivant sur les épaules. Cet exploit constitue le troisième des douze travaux d’Hercule.

Ailleurs, c’est un autre monstre dévastant l’Etolie, le sanglier de Calydon, que combattent les héros de la Toison d’Or.

Dans la mythologie nordique, le nain Brokk forge un anneau d’or pour Odhin-Wotan, un marteau pour Thor et un sanglier pour Frey.

unnamedwildshw.jpgFrey est le dieu de la fertilité, le dieu de la troisième fonction chez les Scandinaves. « Voici un animal qui peut courir nuit et jour, aussi bien sur terre que dans le ciel et sur l’eau. Il va plus vite que n’importe quel cheval. Et ses soies d’or resplendissent tant qu’elles peuvent éclairer les ténèbres les plus profondes. » (6) Du martellement des forges de Brokk, naissent la fidélité, la puissance et la maîtrise. La maitrise du temps et de l’espace.

C’est en Ardennes (Arduenna sylva), au carrefour des mythes celtes et germaniques, que l’archéologie nous cèdera une petite statuette, hélas décapitée, représentant le seul témoignage connu d’une déesse chevauchant un sanglier. On a évoqué le nom de Diane. Mais celui de Freya, sœur de Frey et déesse de l’amour pourrait s’imposer tout autant.

Chez les Celtes, le sanglier revêt donc une importance fondamentale. Il apparaît sur nombre de monnaies gauloises, et figure comme enseigne ethnique ou guerrière sur les vexillum.

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La stèle calcaire d’Euffignix (Haute-Marne), fait état d’un personnage orné d’un torque au cou, avec un sanglier vertical gravé sur sa poitrine. On peut soupçonner le caractère sacertodal de cette stèle, s’il était confirmé que le motif symbolique de la patte droite est bien une crosse. Cette crosse (francique krukkja = béquille) serait de même nature que l’actuel attribut de l’épiscopat chrétien. Il était déjà l’emblème de dignité religieuse sous le paganisme romain, où du nom lituus, il équipait, les augures et les pontifes.

lituus.jpgL’archéologie irlandaise de son côté, nous confirme la présence de diverses crosses sur les sites cultuels, de même curieusement, que certains monuments mégalithiques. (7) Sur le côté de la stèle, on peut également distinguer la présence d’un œil. La valeur magico-relieuse de l’ensemble, nous permet d’imaginer le troisième œil, celui qui voit, celui de qui vient la religion. (lat. religio = qui relie)

Est-ce un hasard, si un autre dieu du panthéon celtique a été trouvé sous le chœur de N.D. de Paris, en 1970 ? Il s’agit de Cernunnos, « le dieu aux cornes de cerf ». On l’a également localisé à Reims, à Vandoeuvres, à Saintes, et il apparaît sur le célèbre chaudron de Gundestrup, accompagné d’un sanglier.

Comme pour relier les fonctions souveraine et productrice, le sanglier constituait la nourriture sacrificielle de la fête de Samain. (ou Samuhain, Samonios dans le calendrier de Coligny, le 1 novembre. La Toussaint en est la survivance christianisée). (8) On le consacre à Lug, qu’on associe à Mercure. (L’un des surnom de Mercure, Moccus = porc, est attesté par une inscription gallo-romaine à Langres).

La légende de Twrch Trwyth (irlandais triath = roi) s’opposant à Arthur, représente le sacerdoce en lutte contre la royauté, à une époque de décadence spirituelle. (9) Le père de Lug, Cian, se transforme en porc druidique, pour échapper à ses poursuivants, avant néanmoins de mourir sous forme humaine.

Paradoxe d’importance, l’ensemble des textes irlandais, même d’inspiration chrétienne, n’accorde pas de mauvaise part au symbolisme du sanglier. Il s’agit là d’une contradiction flagrante avec les tendances de la tradition judéo-chrétienne.

Dans la Bible, le sanglier est associé à l’impureté, aux déchainement des passions, aux forces démoniaques.

Parmi les légendes recueillies par Roger Lecotté, (10) il en est une qui se rapporte au thème du sanglier, et qui concerne le village de Percy, en Seine-et-Marne.

Ste Osmanne, princesse d’Irlande, après de longues pérégrinations, vint s’établir dans la retraite de Féricy. « Avec sa servante, elle bâtit un abri de feuillage et mena une existence austère. Un jour, un jeune seigneur des environs, chassant un sanglier, vit la bête se réfugier auprès de la sainte, alors en prière près d’une fontaine. Malgré les cris des veneurs, les chiens ne pouvaient bouger, et le seigneur, voulant tuer le sanglier demeura figé. Il injuria Osmanne, qu’il prit pour une enchanteresse et se retira. Passant à Sens, il raconta les faits à St Savinien qui se rendit auprès de la solitaire et la reconnut comme une croyante ; aussi il la baptisa avec l’eau de la fontaine, et lui donna, le nom d’Osmanne. »

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Le bruit de sa sainteté se répandit partout, et de nombreux fidèles vinrent lui demander soulagement de leurs maux.

Anne d’Autriche délégua deux pèlerins pour obtenir la naissance de Louis XIV, puis envoya un courrier à Féricy pour annoncer l’heureuse nouvelle, et fit don du tabernacle actuel.

Un registre de confrèrie du XVII° siècle porte de nombreuses demandes et procès-verbaux de guérisons ou miracles.

Selon la légende locale, les anciennes cloches de l’église, enfouies en 1789 dans la mare de l’abime, et qui, envasées, n’ont jamais pu être récupérées, se font entendre à ceux qui se penchent au-dessus de l’onde, car elles sonnent encore pour la fête de Ste Osmanne.

Ce texte démontre à lui seul, s’il en était besoin, combien l’animisme est vivace au VII°siècle, (10) et comment il est réintégré par l’Eglise sans autre forme de procès.

A partir de quels critères l’évêque de Sens reconnait-il Osmanne comme une croyante ? Elle dispose de pouvoirs légués par la tradition celto-païenne, c’est-à-dire spécifiques aux coutumes de l’animisme européen. On songe aux oracles de Delphes et à la Pythie officiant en extase, près de la source Castalie. (11)

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On songe aux légendes médiévales et aux « sorcières » des forêts profondes. On songe surtout au sanglier comme symbole druidique. On rappellera encore que le nom de « fontaine » désignait initialement une source, et l’on aura posé le décor dans lequel évoluent les acteurs de l’époque.

Sachant que les édifices de la chrétienté médiévale ont été élevés aux lieux même des sites sacrés du paganisme, il resterait à démontrer, au-delà des phénomènes de syncrétisme connus, la part de glissement sacro-religieux réalisée au titre de la Tradition entre la société druidique et la Chrétienté.

Gérard Thiemmonge.

Bibliographie :

  • 1) Dictionnaire des symboles, R. Laffont, Paris 1969
  • 2) J. Rousseau, La Chasse Sauvage, mythe exemplaire, in Nouvelle Ecole n° 16, Paris 1972
  • 3) Au temps des Gaulois, Hachette, Paris 1981
  • 4) Dictionnaire de l’ancien français jusqu’au milieu du XIV° siècle, A.J. Greimas, Larousse, Paris 1980
  • 5) Chevalier et A. Geerbrant, Op.cit.
  • 6) Mabire, les dieux maudits, récits de mythologie nordique, Corpenic, Paris 1978
  • 7) Sharkey, Celtic mysteries, the ancient religion, Thames & Hudson, Londres 1975
  • 8) J. Rousseau, Op.cit.
  • 9) Thème du conflit intrafonctionnel, entre le pouvoir et le sacré.
  • 10) Recherches sur les cultes populaires dans l’actuel diocèse de Meaux, CNRS/FF d’Ile-de-France n° IV, Paris 1953
  • 11) Basile Pétrakos, Delphes, Editions Clio, Athènes 1977

 

jeudi, 31 décembre 2020

Mishima, la mort comme antidote & Mishima et la recherche de l'empereur caché

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Mishima, la mort comme antidote

Alejandro Linconao

Ex: https://grupominerva.com.ar

La mort comme antidote. L'acier

Mishima interprète l'existence à partir des coordonnées d'un de ses livres de chevet, le Hagakure. Dans L'éthique des samouraïs dans le Japon moderne (Publishing Alliance, 2013), notre auteur fait une analyse de ce classique de l'art martial japonais, visant à donner des réponses à son époque, qui est largement la nôtre. Selon son interprétation du texte classique, nos sociétés sont déséquilibrées. La vie a régné sur l'existence humaine, mais c’est une vie, apathique, superficielle. Une vie de frimeur, une vie opposée à la vertu cachée. Une vie qui a perdu de son intensité parce qu'elle a banni la limite de la mort. Sans cette limite, l'existence est incontrôlable, sans horizons ni objectifs qui méritent d'être nommés ainsi.

le_japon_moderne_et_l_ethique_samourai_165.jpgMishima, dans la lignée de la tradition japonaise, a conçu l'existence comme un équilibre entre des hypothèses opposées, la liberté et la répression, la vie et la mort. La vie est mieux contemplée dans l'ombre de la mort ; sous la teinte mortelle, le vital est lumineux, rayonnant. Embrasser l'existence implique d'embrasser à la fois la vie et la mort, et de cette fusion découlera la vitalité. La vie doit nécessairement être équilibrée avec la mort, sinon la vie sera informe, grotesque, désordonnée.

Là encore, la pensée japonaise partage des coordonnées avec la pensée occidentale classique. Chez les Grecs, les pères de la philosophie occidentale, l'indésirable est la disproportion, l'illimité, ce qu'ils appelaient l'hybris. Les excès dans tous les domaines, tant dans l'humilité que dans le faste, dans le plaisir et dans la guerre, étaient des déséquilibres répréhensibles. Des déséquilibres qui attirent la colère des dieux et pour lesquels les divinités elles-mêmes peuvent être punies.

L'Occident, déjà perdu dans la pensée de ses origines, détourne son regard de cette condamnation de l'excès et sombre dans l'absurdité de la modernité. La modernité libérale avec sa culture de surproduction, d'hédonisme illimité et de consommation vorace ne donne pas lieu à l'équilibre, à la modération. Tout doit être tiré dans les profondeurs. Pour cette vision d'une jouissance sans douleur, la mort volontaire de Mishima devient un acte de folie. Aveugles au symbole, ils confondent le sacrifice avec le mépris de la vie. Ils ne discernent pas l'acte sacré, le rite qui cherche à rétablir un ordre, à rétablir un équilibre perdu.

Extrait de Mishima et la mort comme antidote dans Mishima Inmortal, Grupo Minerva Ediciones, 2020.

Mishima et la recherche de l'empereur caché

Andrea Scarabelli           

Il est évident que la dimension politique est présente dans l’oeuvre de Mishima. Cette oeuvre n'est jamais une chronique, elle ne s'aplatit pas dans la simple réalité, elle s'efforce toujours d'aller au-delà, en passant par des sites métapolitiques inattendus. La Ligue des vents divins fonctionne certes sur le plan politique mais essentiellement sur la base de points de référence spirituels. Il suffit de considérer la division en trois chapitres : le premier consacré à la consultation des dieux, le second à l'action et le troisième à l'épilogue sanglant, au seppuku comme ouverture à la transcendance, à l'anticipation du geste de Mishima et au portrait d'un petit groupe d'hommes jetés au-delà du présent, au-delà de et contre l'histoire, décidés à lutter au nom de toute une civilisation, opprimée par la barbarie. "Ces flammes qui dansaient, partout, à travers l'air dirigé vers le ciel, témoignaient de la fureur avec laquelle les camarades attaquaient. Avec imagination, chacun a vu les courageux personnages de leurs frères d'armes, fidèles jusqu’à la mort, traverser le feu vertigineux, alors qu'ils attaquaient l'ennemi avec des épées brillantes. L'heure tant attendue était arrivée et pour l'atteindre, ils durent retenir longtemps leur colère féroce, tout en aiguisant leurs lames en silence. La poitrine d'Otaguro était enflammée par un vent de joie incontrôlable. "Tous les hommes se battent", murmura-t-il. "Chaque homme".

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Ennemi des valeurs modernes et amoureux du Japon traditionnel, Mishima a décidé de faire de sa propre vie le témoignage d'une autre façon d'être au présent : "Je ne fais que répéter les vieux idéaux comme un perroquet, idéaux qui sont maintenant perdus. C'est, si l'on veut, le manifeste de ceux qui se retrouvent nés dans le monde moderne malgré leur appartenance interne à une réalité très différente, thèmes qui relient ce "type humain" à "l'homme différencié" décrit par Julius Evola dans Cavalccare la tigre, 1961. Dans le cas de Mishima, cette "double citoyenneté" est similaire à la "doctrine des deux États" de Sénèque : chacun de nous est simultanément membre de deux communautés, l'une céleste et l'autre terrestre. Bien que nous connaissions tous le monde terrestre, l'autre monde est défini par Evola : « C'est une patrie qui ne peut jamais être envahie, à laquelle on appartient par une naissance différente de la naissance physique, par une dignité différente de toutes celles du monde mondain et qui unit en une chaîne incassable les hommes qui peuvent paraître dispersés dans le monde, dans l'espace et le temps, dans les nations ».

Lorsque la seconde patrie, la patrie céleste, nous oblige à nier les (faux) principes de la première, la mondaine, la désobéissance ne se traduit pas par un anarchisme confus, mais constitue la seule façon de rester fidèle à son propre être. Mais chaque communauté a un empereur, la terrestre a un empereur terrestre, la céleste un empereur céleste. Lorsque l'empereur terrestre laisse tomber son sceptre, ou le donne aux envahisseurs, c'est à l'empereur céleste qu'il faut être fidèle. Une révolution traditionnelle à tous égards, en somme, qui lui fera écrire, en parlant des membres de la Ligue du Vent Divin : "Plus les dieux adoraient, plus ils étaient inquiets de la situation politique du pays. Et au fil du temps, leur ressentiment contre les autorités s'est accru, car ils avaient la preuve qu'ils s'éloignaient de l'idéal de Maître Oen, si bien qu'il fallait vénérer les dieux comme dans les temps anciens. Il est possible que toute la vie de Mishima ait été une recherche ininterrompue de cet empereur occulte.

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Japon: monument à Maître Oen.

 

Sleipnir, le cheval à huit jambes de la mythologie nordique

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Sleipnir, le cheval à huit jambes de la mythologie nordique
 
Via Facebook: Léa Maes
 
Sleipnir est dans la mythologie nordique un cheval fabuleux à huit jambes capable de se déplacer sur le mer et dans les airs, il a des runes gravées sur les dents, connu pour être connu pour être la monture du dieu Odin.
 
Sleipnir est tout d'abord une créature chamanique qui permet à l'Ase suprême de voyager entre les différents mondes.
 
C'est aussi un cheval psychopompe qui emmène les guerriers morts au combat jusqu'à la Valhöll. En sa compagnie, Odin franchit Bifröst, le pont arc-en-ciel qui relie Ásgard et Midgardr et dont la garde est confiée au dieu Heimdallr, lui qui entend l'herbe pousser et chaque feuille tomber, qui voit jusqu'aux confins du monde et n'a nul besoin de sommeil. Ils chevauchent jusqu'aux champs de bataille des hommes et Sleipnir escorte les guerriers valeureux, morts au combat, les Einherjars jusqu'à la prestigieuse halle de son maître, la Vallhöll. Là, les Walkyries, les filles d’Odin, les accueillent et leur offrent l'hydromel de la chèvre Heidrún qui, perchée sur le toit du palais, broute les pousses tendres du frêne Yggdrasil.
 
Cette fonction psychopompe se retrouve dans les coutumes funéraires aristocratiques païennes où un ou plusieurs chevaux sont inhumés ou incinérés à proximité du mort.
 
Il est aussi l’un des seuls chevaux avec Helfest, la monture de Hel à trois jambes à pouvoir se rendre dans le royaume de Hel, la déesse gardienne des morts. Ainsi, lorsque Baldr meurt, Hermódr, un autre fils d'Odin, emprunte Sleipnir à son père afin de se rendre dans le royaume de Hel, supplier la déesse de laisser revenir le dieu.
 
Sleipnir est également fortement lié à l'arbre du monde Yggdrasill, support des neuf mondes de la cosmogonie viking, et il se confond avec lui. Comme l'arbre, Sleipnir peut voyager et relier les mondes entre eux. Chaque jour, Odin le chevauche afin de se rendre au conseil des dieux qui se déroule au pied du frêne Yggdrasil, près de la source d'Urdr. Lorsqu'Odin se pend neuf jours et neuf nuits à l'arbre, afin de connaître le secret des runes, Sleipnir est d'abord attaché au frêne.
 

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Lorsque survient le solstice d'hiver, Sleipnir mène la chasse sauvage du dieu à travers le ciel et les bois, galopant devant les Walkyries et les Einherjars. Au jour du crépuscule des Dieux, en ce jour funeste du Ragnarök, Sleipnir mène au combat son maître Odin coiffé d'un casque d'or.
 
Il est le fils de Loki, le seul de ses monstrueux enfants que les dieux gardent près d’eux, père de Grani qui est la monture de Sigurdr.
 
Mon groupe Facebook sur la mythologie nordique/celte :
https://www.facebook.com/groups/718251369069227/

dimanche, 27 décembre 2020

Eliade et Cioran : l’échange épistolaire sur la fin de l'Europe

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Eliade et Cioran : l’échange épistolaire sur la fin de l'Europe

Par Andrea Scarabelli

Ex : https://blog.ilgiornale.it/scarabelli

Le 22 avril 1986, Mircea Eliade meurt à Chicago. Il avait perdu connaissance deux jours auparavant, abandonné dans sa chaise de lecture : il tenait dans ses mains un livre fraîchement imprimé, contenant un portrait de lui-même, aussi net que sacrément génial. Il s'agissait du livre Exercices d'admiration ; son auteur, Emil Cioran, il l’avait rencontré pour la première fois, de nombreuses années auparavant, autant dires plusieurs vies antérieures, en 1932 de l'autre côté de l'océan. L'"ontologue" Constantin Noica le lui avait présenté. De retour d'une conférence sur Tagore, Eliade était alors l'enfant prodige de la "jeune génération" qui s'était surtout rassemblée autour du "Socrate roumain" Nae Ionescu, chef spirituel d'un groupe d'intellectuels nés à l'aube du XXe siècle, dont beaucoup se sont ensuite répandus à travers l'Europe et le monde dans ce qui fut l'une des dernières diasporas modernes. L'une des plus fécondes, comme l'a souligné Adolfo Morganti il y a quelques années dans le numéro d'Antarès consacré à ce sujet. Elle a dispersé dans le monde entier des génies absolus tels que Cioran et Eliade mais aussi, notamment, Ioan Petru Culianu et Paul Celan, sans oublier Eugène Ionesco, Camilian Demetrescu et Vintilă Horia (selon qui, comme l'indique le titre de l'une de ses œuvres les plus célèbres, même Dieu est né en exil).

41V8pVT+FQL._SX308_BO1,204,203,200_.jpgEntre les deux hommes, presque des contemporains, séparés par seulement quatre ans de vie, est née une amitié qui - entre les hauts et les bas de l’existence, comme cela arrive souvent aux hommes dotés de caractère et de profondeur spirituelle - a duré jusqu'à la fin des jours d'Eliade (Cioran le suivra en 1995). Un monument littéraire à cette relation de longue durée entre deux géants de l’esprit est Una segreta complicità  (Adelphi), la première édition mondiale de la correspondance entre les deux exilés roumains, d'où émerge une incroyable complémentarité, mêlée d'antagonisme, souvent non exempte de virulente controverse, comme le rappellent les deux éditeurs, Massimo Carloni et Horia Corneliu Cicortaş, mais toujours sous la bannière d’une entente secrète que Cioran a témoigné à Eliade le jour de Noël 1935 :

"Bien que j'éprouve une sympathie infinie pour vous, je ressens parfois le désir de vous attaquer, sans argument, sans preuve, et sans idées. Chaque fois que j'ai eu l'occasion d'écrire quelque chose contre vous, mon affection s'est accrue. Envers tous les gens que j'aime, j'ai un sentiment si complexe, chaotique et ambigu, que le simple fait d'y penser me donne le vertige. Je suis peut-être le seul, parmi les amis que vous avez, à comprendre vos accès de colère, votre désir de supprimer la continuité de la vie".

C'est, après tout, l'expression vivante d'un personnage titanesque, qui survit non seulement dans la lutte, mais peut-être précisément grâce à la lutte, l'incarnation d'une vision tragique du cosmos, mais en même temps une force vitaliste et foudroyante (ceux qui croient que le sentiment tragique implique une conception sombre et pessimiste de l'existence devraient lire quelque passagers de l’oeuvre de Nietzsche).

Mais l'intérêt de cette correspondance n'est pas seulement biographique. En plus d'enregistrer les étapes et les bifurcations de deux vies exemplaires et paradigmatiques, la succession des lettres - surtout les toutes premières, plus intéressantes de ce point de vue - rend compte directement d'une civilisation à l'agonie, étouffée par la pression des événements, un kaléidoscope des tragédies du XXe siècle, un sinistre prélude à la catastrophe finale, qui retirera à jamais l'Ancien Monde de la liste des acteurs de l'Histoire du Monde. Eliade écrivit à Cioran ce qui suit en novembre 1935, depuis Bucarest:

"Ces dernières semaines, je n'ai fait que penser à la fin apocalyptique de notre époque. J'ai la conviction que tout va s'arrêter très bientôt, peut-être même dans trente, quarante ans ; l'art, la culture, la philosophie - tout ira en enfer. Tout ce qui concerne notre époque (Kali-yuga) va s'effondrer de manière apocalyptique. L'Europe est en train de craquer - de stupidité, d'orgueil, de luciférisme, de confusion. J'espère que la Roumanie n'appartient plus à ce continent qui a découvert les sciences profanes, la philosophie et l'égalité sociale".

Ceux qui naguère auraient défini ces mots comme des "prophéties noires" n'ont qu'à considérer l'état "culturel" actuel de notre civilisation. En comparaison, ces perspectives ne sont peut-être que trop édifiantes.

17928284.jpgDe même, la différence entre deux visions du monde opposées concernant l'Est et l'Ouest apparaît chez les deux hommes, Cioran cherchant pour ainsi dire à trouver un Est dans l'Ouest, et Eliade étant poussé à aller dans la direction opposée, sans toutefois se laisser aller à l'exotisme facile, tant à la mode à l’époque que maintenant. Il écrit à Cioran le 23 avril 1941 depuis Lisbonne, où il séjourne en tant qu'attaché de presse à la légation roumaine (le magnifique Journal portugais, publié en italien par Jaca Book, témoigne de son séjour en terres lusitaniennes) : "Vivant face à l'Atlantique, je me sens de plus en plus attiré par des géographies qui m'étaient autrefois insignifiantes. J'essaie de trouver mon salut en dehors de l'Europe. Vasco de Gama est toujours arrivé en Inde".

D'ailleurs, avant que son imagination ne revienne des rives ensoleillées de la Lusitanie, l'historien des religions avait été physiquement en Inde une décennie plus tôt. De 1928 à 1931, pour être précis, avant d'être diplômé en 1933 de l'université de Bucarest. Il avait retravaillé et élargi sa thèse de doctorat (dont la version originale a été récemment publiée par les Edizioni Mediterranee, éditée par Cicortaş) pour en faire le volume Yoga. Essai sur les origines du mysticisme indien, publié en 1936 et rapidement envoyé à Cioran, qui le commente comme suit : "En lisant votre Yoga, j'ai réalisé à quel point je suis européen. À chaque étape, j'ai comparé Nietzsche avec lui. Je me sens plus proche des derniers bolcheviks ou derniers hitlériens que de la technique de la méditation. Vos raisons de revenir d'Inde me lient à une vision politique de l'univers".

9782070328444_1_75.jpgLeur relation épistolaire et humaine survivra à cette Europe dont ils avaient tous deux rédigé le rapport d’autopsie, vivant en ses derniers moments comme l’on vit la fin d'une saison, avec cette amère conscience qui transparaît d'une note du Journal portugais d'Eliade datant de novembre 1942 (un an après la lettre précitée) et écrite dans la ville espagnole d'Aranjuez avec ses mille palais et jardins caressés par le Tage : "Le palais rose. Les magnolias. A côté du palais, des groupes de statues en marbre. Vous pouvez entendre le bruit des eaux du Tage qui se déversent dans la cascade. Une promenade dans le parc du palais : de nombreuses feuilles sur le sol. L'automne est arrivé. Les rossignols. Le minuscule labyrinthe d'arbustes. Des bancs, des ronds-points. Nous sommes les derniers". J'aime à penser que dans cette lointaine année 1942, dans l'œil de la tempête, Eliade parlait implicitement de lui et de son vieil ami, à des centaines de kilomètres de là, mais partageant avec lui un destin bien plus élevé, que même la tragédie européenne qui a suivi n'a pas pu écraser.

A partir de 1945, pendant onze ans, ils vivent tous deux à Paris, puis Eliade s'installe aux Etats-Unis, où il reste jusqu'à la fin de ses jours, rencontrant Cioran en France pendant les vacances d'été. Ces "deux Roumains de la ‘jeune génération’, jetés par le destin en Occident" ne cesseront jamais de s'écrire, avec leur patrie tourmentée désormais loin derrière eux, dans une relation destinée à dépasser ce Minuit de l'Histoire qu'était le XXe siècle ("Tout est religieux, puisque l'histoire ne l'est pas" écrivait Cioran à Eliade en 1935, faisant inconsciemment écho au concept de terreur de l'histoire qu'Eliade développerait dans ses écrits, l'idée qu'en dehors de la sphère du sacré, l'histoire s'épuise dans un ensemble d'abattoirs).

Leur relation n'a cessé de se poursuivre, au-delà de l'histoire, au-delà de la douleur: en découvrant le portrait dessiné par son ami, il semble qu'Eliade, juste avant de fermer les yeux et de ne plus jamais les ouvrir, ait souri.

Le culte celtique du gui

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Le culte celtique du gui
 
 
En chamanisme celtique le gui, plante sacrée par excellence, est utilisé dans les rituels de guérison.
 
Le gui symbolise l'immortalité parce qu'il reste toujours vert et vivant alors que l'arbre qui le porte en hiver parait mort.
 
Le culte de gui éternellement vert et prospère, remonte à la nuit des temps. Parce que rare sur le châtaignier et le chêne, le gui de ces arbres était vénéré chez les Celtes, les Germains, les Grecs et les Romains. Dans toutes ces civilisations, il était associé à une multitude de légendes et de traditions populaires.
 
Dans la culture celte, la cueillette du gui était l'objet de grandes solennités. Elle se pratiquait pendant le solstice d'hiver, lorsque la lune était dans son sixième jour de croissance. Le druide coupait alors, les rameaux de gui avec une faucille d'or, dont le plat de la lame était en forme de lune. Il en faisait des brassées, qui ne devaient pas toucher le sol. C'est pourquoi, des aides tenaient de grands linges tendus autour du chêne hôte. Cette récolte, uniquement pratiquée par le druide, donnait lieu à une grande fête, appelée: fête du solstice d'hiver. Dans toute l'Europe, cette pratique à survécu longtemps à la civilisation celte.

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L'expression " au gui l'an neuf " rappelle cette cérémonie de récolte.
 
Le gui est le symbole de l'union dans son sens le plus élevé et le plus spirituel. Le gui symbolise l'unité, la communion. Le gui forme un tout, une unité ronde. Il croît en touffe arrondie autour d'un centre dont tout procède et où tout doit retourner.
 
Harmonieuse union de vie " semi-parasitaire " où chacun apporte les éléments dont l'autre à besoin. Suspendu au plafond de la salle commune ou à la tête du lit des époux, un rameau de gui, apporte l'unité de la famille ou du couple en même temps que sa protection. Au Nouvel An, les vœux sont offerts sous une touffe de gui. Dans beaucoup de nos campagnes encore aujourd'hui, cette tradition persiste.
 
Chez les Celtes, le gui est le symbole de tout "ce qui est". C'est pourquoi, il est présent lors de toutes les manifestations. Il est l'emblème de l'universalité de l'Existence dans l'Humanité entière. Pour l'Individu, le gui représente l'existence certaine, l'éternelle vérité. Il est l'image vivante de la force qui anime et gouverne le monde tout en permettant la communication avec Dieu. Le gui efface les impuretés de l'âme et la met en rapport avec l'esprit. Il incarne le chemin de la purification qui aboutit à la communion de l'âme et de l'esprit. Quand un Gaulois mourait, on plaçait à la porte de sa maison une vasque remplie d'eau lustrale*. Ceux qui venaient saluer le mort et la famille en deuil, y trempaient une branche de gui pour asperger le défunt et sa famille avant de quitter la demeure mortuaire.

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Le gui est aussi le symbole de la protection. Il assure la protection contre les malices des Esprits de la nature. Autrefois, des branches de gui étaient placées dans ou au-dessus des berceaux pour assurer la protection de l'enfant contre les fées, afin qu'elles ne le transforment pas en petit lutin.
 
Il semblerait que les arbres porteurs de gui résistent mieux que les autres aux maladies ; de plus il favoriserait la croissance des fruits et plus spécialement des pommes. Au contraire, dans certaines régions on ne consommerait pas les fruits d'un arbre "guités" de peur d'être empoisonné. Le gui est alors appelé " balais de sorcières" ou "rameaux des spectres".
 
Le gui est une plante émancipée autant des forces solaires que des forces terrestres. Il absorbe le trop plein de force éthériques de l'arbre sur lequel il pousse. Cet excès est provoqué naturellement (onde nocive, tellurisme, perturbations magnétiques) ou artificiellement (centrale nucléaire, pollution diverse).
 
Si, de tout temps, le gui a bénéficié d'une "aura" mythique, c'est en raison de sa croissance et de son mode de vie particulier. En effet le gui n'est pas vraiment une plante adaptée à la vie sur terre, il ne peut s'implanter sur le sol. A la différence des autres végétaux, il ne suit ni le phototropisme, ni le géotropisme. Au contraire il forme des touffes arrondies et se crée presque un espace intérieur, qu'il pénètre de vie, ce qui est le propre de l'animal. Par ailleurs, les branches, même âgées de 20 ans, sont toujours vertes, ce qui les différencie des autres plantes. Sa graine est, aussi, particulière à tel point qu'on la nomme embryon, comme pour le règne animal. L'embryon reste toujours vivant dans son enveloppe de mucosité, il traverse l'intestin de l'oiseau, au lieu, comme les autres graines de végétaux, de reposer un certain temps dans la terre. A aucun moment de son cycle végétatif, le gui n'a de contact avec la terre.
 
Son utilisation médicinale est assez ancienne. Il est réputé assurer une protection contre la maladie dont il amène la guérison. Accroché au-dessus du lit, il évite les cauchemars. Pour les Gaulois, le gui est "celui qui guérit tout". C'est un antidote des poisons, donne la fécondité et guérit de l'épilepsie ou " haut-mal ", car il ne touche jamais terre. Les feuilles de gui, mâchées et appliquées en cataplasme cicatrisaient les ulcères. En Gallois, le gui est nommé oll-iach, c'est à dire "panacée".

00:45 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gui, celtisme, druidisme, traditions | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 25 décembre 2020

Face au mondialisme, la Table Ronde de la Mémoire

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Face au mondialisme, la Table Ronde de la Mémoire

par Paul-Georges Sansonetti

Chers amis, 

Voici le texte de la conférence que Paul-Georges devait donner cet été le dimanche matin dans le cadre de la réunion annuelle d'Hyperborée à Roquefavour qui n'a pu se tenir ; texte évidemment capital, mais il y manquera le talent oratoire et les saillies pertinentes et pleines d'humour de notre ami. Ce texte a été envoyé aux habituels participants des journées Hyperborée et à quelques autres amis  ; il n'est pas destiné au grand public. Bonne lecture.

Joyeuses fêtes (quand même) à tous.

PEB

Chers Amis,

Cette année sous l’emprise du virus nous plaça dans la pénible obligation de renoncer à notre dimanche matin annuel. Les difficultés se sont multipliées pour nombre d’habitués fidèles à nos partages. L’équipe organisatrice ne pouvait que le déplorer tant ces retrouvailles ne manquent pas d’offrir, avec l’apport amical de chacun, des échanges passionnants à partir de concepts essentiels. Nous ressentons tous que rien ne remplace les rencontres roboratives entre personnes fortement motivées en ce lieu hautement signifiant que constitue la Domus. Peut-être à cause de ce manque et résolument déterminés à s’offrir une revanche, Pierre-Émile Blairon, plusieurs de nos Camarades et votre serviteur se sont décidés à se manifester. À leur demande, J’ai mis par écrit des données - parfois évoquées les autres années - et dont les prolongements et surtout les fondements les plus radicaux devaient être explicités et ramenés à des notions irréductibles car garantes de l’existence d’une société et même d’une civilisation. 

En cette période de Solstice d’hiver, l’équipe de Hyperborée Magazine vous adresse des vœux de réussite, de pleine santé et de cette joie que confère la certitude du destin supérieur de l’Europe.

L’ÉCHEC D’UNE FRANCE OPEN FIELD

            Ce que nous vivons actuellement apparaît véritablement effarant dès lors que l’on est encore conscient et non partiellement, sinon totalement, décérébré par la «bien-pensance » mondialiste. Des individus de souche étrangère à l’Europe, la plupart incultes, s’érigent en censeur de notre Histoire multimillénaire. Je m’en voudrais de porter un jugement péjoratif sur les communautés bédouine, érythréenne, tamoul ou turkmène. Mais, en inverse, il m’insupporte d’entendre vilipender le génie européen auquel une bonne partie des peuples dit « de couleur » doit l’amélioration des conditions existentielles et, conséquemment, sa survie dont résulte une fécondité des plus proliférative ; nous en subissons – hélas ! – les « débordements ».

actualité, table ronde, tradition, traditionalisme, paul-georges sansonetti, Plusieurs évènements me semblent éminemment symptomatiques de l’effondrement frappant la France et de proches nations européennes. D’abord la fresque peinte à Stains en mémoire de deux figures de la cause « black ». Montrant les visages  surdimensionnés de ces personnages, on découvre que le grapheur s’est efforcé  d’accentuer ce qui relève de l’appartenance ethnique en épaississant fortement – et même en alourdissant - les morphologies faciales de façon, dirait-on, à les distinguer sans discussion possible d’avec la typologie européenne. Point n’est besoin de les comparer à un visage grec antique ou tiré d’une cathédrale gothique ou encore d’une peinture de la Renaissance pour comprendre que ces deux facies – qu’accompagnait, lors de sa création, une imprécation contre la Police – contribuent à ce qu’une Afrique sub-saharienne impose massivement sa prépondérance en regard d’un autre génotype qualifié, dans le vocabulaire « jeune de banlieue », de « face de craie », de « Gaulois », de « fromage » (sous-entendu « fromage blanc »). « Gaulois » ne m’offusque pas et le rapport à la couleur blanche non plus. Car, à travers ces désignations qui se veulent péjoratives, tout comme par l’apologie de deux représentants du continent noir et quelle que soit la nationalité – américaine et française – qui était la leur, ce qui importe impérativement c’est de proclamer de façon tonitruante que l’on appartient à l’un des quatre (voire cinq) grands groupes raciaux répartis sur notre globe. Victime d’une  « sensibilité » inhérente à  l’air du temps, le mot « race » ne devrait plus être prononcé. Du reste, on ne cesse de nous assurer d’une façon obsessionnellement réitérée que les races n’existent pas. Il n’y a que l’Humanité avec, admet-on cependant, des apparences différentes. Or, ce sont précisément ces différences qui offrent le plus grand intérêt au niveau civilisationnel. Mais toujours est-il que, selon le message de cette fresque et le slogan Black live matter, renforcé en France par l’affaire Traoré[1], c’est surtout le fait de se reconnaître dans une communauté en fonction de sa couleur de peau qui a favorisé l’émergence d’un mouvement désormais international. Première conséquence, l’idéal d’une société du « vivre ensemble », l’une des facettes de la « mondialisation heureuse » (chère à un célèbre ancien élu bordelais), se voit brutalement remise en cause.

Les tenants forcenés de cette mondialisation péroraient que l’avenir du genre humain serait forcément métissé. J’ai le souvenir d’un certain Nicolas Sarkozy qui, dans un discours en 2008, souhaitait ardemment que la France  réussisse « le défi du métissage ». Et, a-t-il ajouté, si cela n’était pas adopté de plein gré par les citoyens, il serait question d’un recours à, je cite, « des méthodes plus contraignantes encore » (grands dieux, lesquelles ?). Toute une intelligentsia n’avait que le mot « métissage » à la bouche et, d’une façon sournoise, durant ces deux dernières années, un nombre conséquent de spots publicitaires, mirent en scène des couples mixtes ou alors une charmante personne issue d’un melting pot afro-caraïbe. La nécessité de prendre en compte l’actuelle modification de population ? Plus que probable, mais aussi, n’en doutons pas, une façon d’habituer le « français de souche » (formule insupportable à des oreilles dûment formatées, de même que le mot « frontière », on va voir pourquoi) à considérer que sa patrie, convertie en un open field, prenait place dans le grand projet planétaire élaboré par le sinistre ploutocrate Georges Soros. Je vais revenir sur open. Auparavant, il nous faut parler d’une série de tragédies à la fois consternantes et significatives.

Le 5 juillet, à Bayonne, un chauffeur de bus se voyait agressé par quatre individus : deux Mohamed, un Moussa et un Selim, tous déjà fort connus, parait-il, des services de Police. Ils se sont acharnés sur leur victime laissée en état de mort cérébrale. La veille, le 4, dans le Lot-et-Garonne, c’est la jeune Mélanie, gendarme de profession, qui était tuée sur le coup par un chauffard, délinquant multirécidiviste, prénommé Yacine quelque chose. Les parents de cette malheureuse jeune femme devaient déclarer, je cite : « Nous portons des valeurs de vivre ensemble et la haine et les messages de haine n’ont pas leur place dans le vivre ensemble ». Tragique ! Et l’on est tenté d’en conclure : laissons-nous assassiner, l’important consiste à ne pas perturber ce fameux et sacro-saint « vivrensemble », instrument prioritaire de l’éradication progressive de notre peuple. Cependant, malgré les prêches lénifiants de la « bien-pensance », ces deux horribles « faits divers » suscitèrent une immense émotion. On pourrait citer des dizaines d’agressions, viols (ou tentatives) mais aussi coups de couteaux dont pâtissent quotidiennement de braves gens qui ont l’infortune de croiser des « chances pour la France ». Le summum de l’horreur fut atteint avec la jeune lyonnaise percutée par une voiture et trainée sur huit-cent mètres. Ajoutons, hélas, une autre jeune femme, assassinée à Nantes dans des conditions effroyables (elle aurait été défigurée). Et puis, au sortir des « vacances » - surtout mentales tant aucune idée force n’habite plus les citoyens - deux nouvelles monstruosités firent l’actualité : décapitation d’un enseignant à Conflans-Ste Honorine. Tragédie suivie d’une seconde décapitation dans la basilique de Nice et un attentat au fusil d’assaut dans la capitale de l’Autriche. Rêvée par de belles consciences allergiques au mot « frontière », l’idéale Humanité, brassant des dizaines d’ethnies non-européennes, sombre chaque jour plus vite dans la violence et le sang. Des mots commencent à sortir des lèvres de politiciens jusque-là idéologiquement frileux : « barbarie », « ensauvagement de la France », « la République en péril ». D’abord simples propos de circonstance destinés à garroter l’hémorragie de leur électorat lorgnant vers les partisans d’un sursaut national, ces mots semblent faibles en regard du terrifiant défi lancé à nos nations européenne : sa soumission par la terreur à un courant religieux, excluant toute concession, qui lui est foncièrement étranger. À l’évidence, nos dirigeants gouvernementaux et les faiseurs d’opinions médiatiques prennent peur. Et pourtant, ils se refusent encore à réagir avec vigueur devant tous ces drames car, pour eux, le seul avenir admissible ne s’inscrit que dans un mélange universel des peuples et des cultures. Alors, posons la question à laquelle ils ne répondront jamais. Pourquoi?

LA NOTION DE FORME ET LA FASCINATION DE L’INFORME.

Depuis des temps fort anciens et sans doute guère possible à dater faute de matériaux narratifs et archéologiques, deux tendances dominantes agissent en sens contraires dans le domaine civilisationnel. La première polarise tout ce qu’exprime l’ordre fait de rigueur et d’harmonie présent dans l’univers. Cet ordre confère à chaque chose une « forme » (une apparence résultant d’une constitution) qui lui correspond ; depuis le plus modeste végétal, sinon minéral, jusqu’à un astre prenant sa place parmi des milliards d’étoiles au sein de la galaxie. Ici, la notion d’ordre est inhérente à celle de « forme » et s’impose comme le contraire de ce que l’on entend en utilisant le terme anglo-saxon open. Il faut redire que la « forme » révèle une identité, autrement dit la capacité d’appartenance à une espèce bien définie. Cette notion est exprimée dans l’Inde arya par le mot Dharma désignant l’ « ordre universel », synonyme de « loi éternelle », et auquel on associe les mots « devoir », « droiture », « vertu ». Le Dharma est emblématisé par une roue comportant généralement huit rayons. Nous sommes là en présence de l’un des symboles fondamentaux. Symbole d’une priorité si l’on veut sortir de l’odieuse parodie de société que nous subissons de nos jours.

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La roue du Dharma, sculpture du temple de Hindu Surya à Konârak, XIIIème siècle. Notez les huit rayons qui manifestent les huit directions cardinales (les quatre principales et les quatre intermédiaires). Plus minces et parfaitement droits, huit autres rayons s’ajoutent à l’ensemble.

Aux personnes qui n’auraient pas dans leur bibliothèque l’indispensable étude intitulée La Roue et le Sablier, de notre ami Pierre-Émile Blairon, nous en conseillons vivement la lecture. Cette roue est une image de référence qui permet de mémoriser le fait qu’entre la périphérie figurant le perpétuel changement – qui marque notre monde – et l’immuabilité du moyeu positionné au centre, il y a les « rayons » énonçant le fait qu’ « éclairement » (de la conscience) et « rectitude » (comportementale) sont indissociables. Le « moyeu » figure ce qui rassemble en un même concept l’origine et l’ultime. Certains parleraient de l’Alpha et de l’Oméga. C’est l’ « invariable milieu » sans lequel tout ce qui existe n’est qu’insignifiance. Expliquons-nous.

Puisqu’il faut aller à l’essentiel, disons que l’une des choses les plus caractéristiques du vécu contemporain c’est l’invraissemblable marécage dans lequel s’enfonce la société. Là, nous abordons la polarité inverse de celle que nous venons d’énoncer. Le mot « marécage » s’impose puisque le socle sur lequel devrait reposer l’état et ses citoyens est devenue meuble, instable, quasiment liquide. De fait, tout ce qui semblait solide se ramollit, se disloque et se décompose. Ainsi en est-il des institutions et des cerveaux qui s’embourbent. Des phrases prononcées par un personnages gouvernemental (remplacé depuis) le prouvent amplement : « manifestation interdite mais autorisée », « l’émotion prime le droit » et surtout « soupçons avérés », impérissable formule car oxymoronique à souhait. Tout cela révèle une dissolution de l’autorité et, par conséquent, le renoncement à maintenir ce qui, depuis longtemps, apparaît comme une République invertébrée au bord de l’écroulement. Face à ce festival de paroles et de réactions, tout à la fois pathétique et burlesque, la symbolisation du Dharma présente un message direct. Et, revenant à la roue, cette figure est de beaucoup plus efficace que la langue de bois (fortement vermoulu) des politiciens et diverses logorrhées ministérielles sinon présidentielles. Dirigeants dépassés et populations désemparées sont emportés par le mouvement de la roue qui, à la fin de notre cycle, s’accélère et semble s’emballer. L’existence du centre – le moyeu - où demeure immuablement ce qui a pouvoir de péréniser un ensemble sociétal est ignoré d’un monde dans lequel les valeurs éthiques ont été remplacées par des concepts aberrants légitimant les faiblesses, les carances, voire les dépravations d’individus désormais sans repères. Et ce, précisément, parce que tout ce qui pouvait reconduire au centre a été effacé ou brisé : les rayons évocateurs de « clarté », de « rectitude », de « droiture » et, en conséquence, de « rigueur » se sont évanouis ; leur existence même est devenue illégitime. Une attitude inflexible, tant sur le plan individuel que collectif, une fermeté au niveau étatique, une exigence face à des propos ou des comportements ineptes sont maintenant impensables dès lors que jugés contraires à je ne sais quel supposé « humanisme » fabriqué afin de dissimuler une veulerie généralisée et, n’hésitons pas à le dire, institutionalisée… Ou peut-être pire encore, témoignant de l’intention non avouée d’altérer les capacités réactives d’un peuple afin, progressivement, de le débiliser. Conditionné au point de n’avoir plus d’instinct de survie, ce peuple est mûr pour son remplacement par une grande armée d’envahisseurs venue d’autres continents.

LA TABLE RONDE COMME EXEMPLE

Repassé récemment sur Arte, un film des années cinquante, signé Richard Thorpe[2],  Les Chevaliers de la Table Ronde, montrait une image qui, chez certaines personnes de ma génération, s’imprima emblématiquement : on voyait la fameuse assemblée circulaire des preux arthuriens et leurs épées toutes posées sur la grande table de pierre, pointes vers le centre. Visuellement un soleil de fer ! Moralement une puissance décisionnaire prête à intervenir à tout instant. Les rayons de la « roue  dharmique » se sont mués en lames redoutables. Ce rassemblement des épées induit immédiatement l’idée d’unité d’une nation. Unité s’affirmant par le pouvoir de ces aciers lorsque c’est nécessaire. Nos responsables politiques devraient afficher dans leur bureau la photo d’une pareille circularité évacuant toutes les dérisoires « tables rondes » supposées conciliatrices à force de parlottes. Avec le thème d’une élite chevaleresque disposée ainsi, c’est une société  « prenant forme » à partir d’un « centre » que manifeste Arthur, personnage dont le nom, de par son origine celtique (art signifiant « ours »), reconduit aux deux constellations marquant le Nord (la Grande Ourse) et le Pôle (la Petite Ourse), autrement dit le double rappel d’un foyer civilisationnel à l’origine de l’Europe.

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Une image du film de Richard Thorpe. Sur la photo, chaque chevalier s’apprête à poser son épée sur la célèbre Table, pointe vers le centre. En blanc, Merlin lève sa dextre pour consacrer l’assemblée. Image reprise des décennies plus tard dans un second film intitulé Lancelot, premier chevalier, dans lequel Richard Gere incarnait Lancelot et Sean Connery campait un impressionnant roi Arthur. Opus de Jerry Zucker, 1994. Ci-dessous une image de cette production : la Table Ronde rassemblant les épées. Au centre du cercle un feu rituel est allumé. Comme on le voit, une épée manque. C’est celle du chevalier félon, Méléagant.

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On notera que le centre de la Table reproduit le hiéroglyphe du Soi  (un cercle avec un point au milieu) symbolisant le « soleil intérieur »,  , la partie immortelle d’un être. Ce signe se retrouve sur les gravures rupestres de la Vallée des Merveilles ainsi qu’à Bohuslan en Scandinavie.

Le malheur, aujourd’hui, c’est qu’une telle image n’a plus le pouvoir d’interpeller la mémoire de nos dirigeants et autres postulants aux responsabilités étatiques. Et ne nous leurrons pas, comment parlerait-elle à une partie (conséquente, hélas !) de notre jeunesse française que l’on sait étourdie par un climat sociétal exaltant un hédonisme débridé à base de « shit », d’alcool et d’un vacarmisme musical. Reste, comme toujours, une minorité qui, à rebours d’une indifférence mortifère, se veut farouchement déterminée à ne pas sombrer. Bien que restreint, ce nombre saura voir dans le cercle des épées, évocateur du rougeoiment des forges et d’une brillance héroïque, l’équivalent européen de la roue du Dharma.

 En allant à l’essentiel, au point le plus radical du présent imbroglio politico-idéologique, nous dirons que toute l’Histoire de l’Humanité se ramène à l’irréductible antagonisme entre ce qui valorise la (notion de) « forme » et ce qui s’y oppose. Pour la première fois peut-être depuis des temps oubliés, on dirait qu’un courant doctrinaire, disposant de prosélytes dans nombre de nations, a décidé d’éradiquer ce qui, chez divers peuples, se reliait encore, même de façon ténue, à un ordre « principiel ». D’où l’enragement actuel consistant à s’attaquer à l’identité – impliquant, au premier chef, l’épiderme – de ce qu’il est désormais convenu de nommer, dans notre mouvance, « Albo-Européens ». Cette dernière formule, bien que n’étant nullement agressive, voire provocatrice, envers d’autres éthnies sera, n’en doutons pas, considérée de façon malveillante par tout les individus endémiquement déterminés à dénoncer les actes de dissidence d’avec le brassage perçu comme obligatoire des peuples et des cultures.

LE GRAAL AU RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE

Plusieurs enluminures médiévales montrent la table ronde sous l’aspect d’un disque dont la partie centrale, découpée, présente un vide. Et c’est sur ce circulaire espace que se tient le Graal porté par deux silhouettes immatérielles ailées.

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Nimbé d’arc-en-ciel, l’objet surnaturel a l’apparence d’un ciboire d’or et non d’un calice. L’artiste privilégie un réceptacle entièrement clos, sans doute pour occulter ce qu’il contient. Mais, si cette sorte de ciboire émet un rayonnement c’est que, d’une façon évidente, son contenu n’appartient pas au monde humain. On sait qu’il s’agit du sang christique recueilli, dit-on, au moment où le centurion Longinus porta le coup de lance au flanc droit du Galiléen. Or, ce dernier avait, sur le mont Thabor, révélé sa surnature - à Pierre, Jacques et Jean - par la luminosité de ce qu’il est convenu de nommer le « corps glorieux ». Sur l’enluminure, le « sang-lumière » irradie à travers le métal du ciboire. Dans divers articles, il m’a été donné de montrer que ce thème du corps glorieux, fondamental dans l’ésotérisme chrétien, est en fait la transcription de ce qu’incarne Apollon dans le paganisme grec et BaldR dans celui des Germano-Scandinaves ; état que le professeur Régis Dutheil dénomme l’Homme superlumineux. Il s’agit de la cime de l’accomplissement de l’être. Un tel corps de lumière est synonyme d’immortalité et prend place dans l’éternité. Mais le plus important c’est que le sang se révèle porteur de cette lumière. Le sommet de notre identité spirituelle dépend donc d’un sang méritant d’être qualifié de supérieur. Compte tenu que le thème apollinien est indissociable du royaume hyperboréen, allusif à l’origine du génotype « albo-européen », et qu’à leur façon les rédacteurs des récits du Graal exprimèrent une idée semblable, on pourrait dire que l’image du sang-lumière est la transcription d’un apanage  suprahumain. Ajoutons à cela que, comportant les fameux quatre Âges, la doctrine du cycle étant commune à tous les peuples indo-européens on comprendra aisément que le retour annoncé de l’ « état » (à la fois sociétal et individuel) premier et, donc, de la toute-puissance que cela suppose, ne peut qu’apparaître intolérable à tous les individus viscéralement (disons psycho-somatiquement) aux antipodes de ce qu’un tel « état » signifie. J’ai montré dans un autre ouvrage en quoi, dans le Perceval  de Chrétien de Troyes,  la symbolique du Graal et plus particulièrement de son cortège, dans le Perceval, renvoyait à une spécificité génotypique inhérente à l’Europe[3].

Il est possible d’affirmer que le thème du Graal a été conçu, par le biais d’une interrogation sur ce que représente cet objet surnaturel, de façon à raviver la conscience des origines fondatrices de notre nature d’ « Albo-Européens ». C’est comme si le (en fait, je serais tenté d’écrire les) créateur(s) de ce légendaire si prégnant avai(en)t compris que la fin du cycle annonçait un risque majeur de disparition de nos peuples causée par une substitution de population. À l’encontre d’un tel effarant programme, combien révélateur de l’achèvement de ce cycle, les intelligences veillant au devenir de l’Europe (et, principalement, de notre nation, la France) conçurent le thème du Graal. Le lumineux calice d’or fut imaginé afin de remettre en mémoire l’origine civilisationnelle (à l’intention de qui saurait en décrypter la signification véritable) et de livrer une fascinante image porteuse du message suivant : le sang est consubstantiel à l’excellence. En l’occurrence un sang tellement pur qu’il se change en lumière ; et ce, afin, sans doute, d’illuminer l’avenir espéré. Ne dirait-on pas qu’à travers le péril principal qui menace nos peuples, à savoir, redisons-le, un remplacement de population, c’est bien d’un sursaut voué à sauvegarder l’homogénéité ethnique auquel on assiste actuellement dans l’irruption partout de mouvements identitaires confluant avec le bouillonnement des populismes ?

LES U. S. A. AU BORD D’UNE TEMPÊTE POLITIQUE

Quelques mots concernant les U. S. A. Au moment où nous terminions ce texte, les élections présidentielles américaines, aux dires d’informations multiples ne venant pas seulement du camp « trumpiste », ont été accompagnées par un festival de fraudes sans précédent. Si cela devait s’avérer vrai et que les partisans de Trump (je précise bien Trump et non républicain tant un certain nombre d’élus sous cette étiquette se révèlent aussi acquis à l’idéologie mondialiste que leurs adversaires démocrates) parviennent à révéler la forfaiture dans toute son ampleur, alors, indéniablement, nous aurions la preuve qu’un Deep State dirige l’Amérique. Et surtout qu’une énorme entreprise de subversion a été mise en œuvre, selon les vœux des Soros,  Clinton et Obama pour mondialiser cette nation en ouvrant les vannes d’une immigration massive. La n° 2 du parti Démocrate, Kamala Harris, incarnant, par ses origines (jamaïcaine et indienne), ce melting pot tant espéré par les sans-frontiéristes enragés, est emblématique d’une société à laquelle travaillent depuis des décennies les concepteurs d’un monde à l’opposé de ce que représente la notion de « forme » évoquée plus haut.

La façon dont, de part et d’autre de l’Atlantique, les médias main stream se sont empressés d’annoncer la victoire de Biden marque de leur part l’irrépressible nécessité de se rassurer : ouf ! Le monde de l’intelligentsia peut respirer, Trump – qui n’a jamais été considéré comme un humaniste à leur sauce – est éliminé du jeu politique. Sauf que d’innombrables fraudes ont été commises par les démocrates et que le camp républicain accumule chaque jour une pléthore de preuves. Si Trump gagne juridiquement, ce sera bien plus qu’un coup de tonnerre dans le ciel de la « bien-pensance ». Ses partisans parlent d’une « tempête » qui se lève sur l’Amérique. Ne nous y trompons pas, nous sommes peut-être à la veille d’un évènement sans précédent qui marquerait la première grande défaite des mondialistes et de leur chef de file, Georges Soros.

Nous ne tarderons pas à savoir ce qu’il en est. En attendant de nous retrouver, excellente continuation à toutes et  tous.

Publications de l’équipe d’Hyperborée Magazine :

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Pierre-Émile Blairon : Chroniques d’une Fin de Cycle. Les enfers parodisiaques. Éditions Les Diffusions du Lore.

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Paul-Georges Sansonetti : Les Runes et la Tradition primordiale, réédition d’un ouvrage épuisé. Éditions Les Amis de la Culture européenne.

Présence de la Tradition primordiale (E. A. Poe, G. Meyrink, H. P. Lovecraft, J. R. R. Tolkien, Stanley Kubrick et d’autres…). Éditions de L’œil du Sphinx.

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Arcanes Polaires, Éditions Arqa.

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Le Graal d’Apollon, Éditions Terre et Peuple.

Notes:

[1] Comme on vient de l’apprendre, sa sœur, Assa, est consacrée personnalité de l’année par le magazine Time. Après cela, de beaux esprits oseront encore prétendre qu’il n’existe pas un « centre de commandement » transmettant des directives destinées à influencer les esprits.

[2] Robert Taylor tenait le rôle de Lancelot, Ava Gardner celui de Guenièvre et Mel Ferrer du  roi Arthur.

[3] Dans Le Graal d’Apollon, Éditions Terre et Peuple, Forcalquier, 2020, chapitre V.

mercredi, 23 décembre 2020

Evola et l'espace germanophone

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Evola et l'espace germanophone

Alberto Lombardo

Ex : http://www.centrostudilaruna.it/

L'Allemagne et, en général, le monde de la culture allemande ont eu une importance centrale pour Evola. Dès son plus jeune âge, il apprend l'allemand afin d'aborder les œuvres de la philosophie idéaliste ; sa doctrine philosophique doit beaucoup à l'idéalisme, mais plus encore à Nietzsche, Weininger et Spengler. En 1933, il fait son premier voyage en Autriche ; tout au long des années 1930 et 1940, il continue à se tenir au courant des productions littéraires et philosophiques allemandes en lisant des essais scientifiques sur les différents sujets qu'il traite lui-même : de la Rome antique (Altheim) à la préhistoire (Wirth, Günther), de l'alchimie (Böhme) à la raciologie (Clauß, Günther encore), de la théorie politique (Spann, Heinrich) à l'économie (Sombart), etc. En général, compte tenu de l'appareil de notes, des références culturelles, et dans un équilibre qui tient compte de toutes les contributions, je ne pense pas du tout exagérer en affirmant que le poids des études publiées en allemand est au moins égal à celui des études italiennes dans l'ensemble de l'œuvre d'Evola.

41Dk9HPOYoL._SY445_QL70_ML2_.jpgTout cela est très révélateur de l'influence de la culture allemande sur l'œuvre d'Evola. Mais il faut ajouter d'autres données : en rappelant ici ce qui a été mentionné dans la biographie d’Evola, au premier chapitre, je me souviens de l’évocation des longs séjours d'Evola en Autriche et en Allemagne, des nombreuses conférences qui s'y sont tenues, de ses relations avec les représentants de la tradition aristocratique et conservatrice d'Europe centrale et de la révolution conservatrice, etc. En outre, dans les pays germanophones, Evola jouissait, au moins jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d'une notoriété différente de celle qu'il avait en Italie, car il y fut reçu comme l'exposant d'un courant particulier de la pensée italienne, et cela depuis 1933, année de la publication de Heidnischer Imperialismus. Voici l'opinion d'Adriano Romualdi sur le sujet : "L'action d'Evola en Allemagne n'était pas politique, même si elle a contribué à dissiper de nombreux malentendus et à préparer une entente entre le fascisme et le national-socialisme. Elle a investi le sens de ces traditions qui, en Italie et en Allemagne, ont été évoquées par les régimes, comme le symbole romain et le mythe nordique, le sens du classicisme et du romantisme, ou des oppositions artificielles, comme celle entre la romanité et le germanisme".

À partir de 1934, Evola tient des conférences en Allemagne : dans une université de Berlin, à la deuxième Nordisches Thing de Brême, et au Herrenklub de Heinrich von Gleichen, représentant de l'aristocratie allemande (il était baron) avec lequel il noue une "amitié cordiale et fructueuse". Evola a rappelé cette expérience importante en 1970 : « Chaque semaine, une personnalité allemande ou internationale était invitée à ce club de Junkers. Je dois dire, cependant, que si nous nous étions attendus à voir des géants blonds aux yeux bleus, la déception aurait été grande, car pour la plupart, ils étaient petits et ventrus. Après le dîner et le rituel des toasts, l'invité devait donner une conférence. Pendant que ces messieurs fumaient leurs cigares et sirotaient leurs verres de bière, j'ai parlé. C'est alors qu'Himmler a entendu parler de moi ».

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Il est en effet très probable que l'attention des milieux officiels pour Evola soit née après ses premières conférences en Allemagne. Ses relations avec le national-socialisme étaient ceux d’une collaboration externe, et surtout avec divers secteurs de la SS, dont l'Ahnenerbe ; Evola a exprimé des paroles très positives à l'égard de "l'ordre" dirigé par Himmler, même dans l'après-guerre, ce qui lui a valu, d'une part, la critique prévisible de ses détracteurs et, d'autre part a conduit à une réinterprétation - dans l'historiographie et le même "sentiment mondial" de la droite radicale d'après-guerre - du national-socialisme en tant que mouvement populaire dirigé par une élite guerrière-ascétique. Des nombreuses données d'archives publiées aujourd'hui, il ressort une image d'Evola qui a été prise en considération mais toujours soigneusement observée par les milieux officiels allemands.

Après la guerre mondiale, la renommée d'Evola dans les pays germanophones a diminué; son immobilité physique semble l'avoir empêché, entre autres, de poursuivre ses voyages à l'étranger. Ce n'est qu’au cours de ces dernières décennies qu'Evola a fait l'objet d'une sorte de redécouverte, grâce surtout à Hans Thomas Hansen, qui a traduit (et retraduit) une bonne partie de ses œuvres, avec le consentement d'Evola lorsqu'il était encore en vie, et qui est considéré à juste titre comme l'un des plus grands connaisseurs de la pensée et de la vie d'Evola. Outre la revue fondée et animée par Evola, Gnostika (qui, comme son titre l'indique, a des intérêts essentiellement ésotériques), ces dernières années, diverses activités sont nées qui s'inspirent de diverses manières de l'œuvre d'Evola, parmi lesquelles méritent d'être mentionnées les revues allemandes Elemente et Renovatio Imperii et surtout la revue autrichienne Kshatriya, dirigée par Martin Schwarz (auteur de la bibliographie la plus complète d'Evola à ce jour), avec une empreinte "d’orthodoxie évolienne" plus marquée. En outre, des conférences sur le penseur et des traductions de ses autres œuvres commencent s’organiser.

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En outre, le centenaire de la naissance d'Evola, en 1998, a été l'occasion pour diverses publications allemandes de se souvenir de lui avec de nombreux articles, parmi lesquels ceux qui ont été publiés dans la revue Nation & Europa (qui a été publié pendant un demi-siècle, et auquel Evola lui-même a collaboré au début des années 50), Criticon et la prestigieuse Zeitschrift für Ganzheitforschung, autre revue à laquelle Evola a contribué (au début des années 60) et qui a été fondée et dirigée pendant longtemps par Walter Heinrich (jusqu'à sa mort en 1984), qui était un grand ami d'Evola. Par curiosité, nous tenons à signaler que pour l'occasion, de nombreux groupes et ensembles musicaux allemands et autrichiens ont consacré un disque à l'écrivain traditionaliste, intitulé Riding the Tiger.

* * *

Bien que certains éléments politiques de l'histoire de l'Italie et de l'Allemagne semblent similaires (le processus d'unification nationale dans la seconde moitié du XIXe siècle, la participation commune à la Triple Alliance, l'Axe Rome-Berlin), Evola identifie dans la "tradition germanique" des traits qui différencient clairement - dans un sens positif - les pays germanophones de l'Italie. Ainsi, tout d'abord, "on peut dire qu'en Allemagne, le nationalisme démocratique de masse de type moderne n'a fait qu'une apparition fugace. […]. Le nationalisme en ce sens, sur fond démocratique, n'a pas dépassé le phénomène éphémère du parlement de Francfort de 1848, en liaison avec les soulèvements révolutionnaires qui, à cette époque, faisaient rage dans toute l'Europe (il est significatif que le roi de Prusse Frédéric Guillaume IV ait refusé l'offre, qui lui avait été faite par ce parlement, de devenir le chef de toute l'Allemagne car en l'acceptant, il aurait également accepté le principe démocratique - le pouvoir conféré par une représentation populaire – l’obligeant à renoncer à son droit légitime, même s'il était limité à la seule Prusse). Et Bismarck, en créant le second Reich, ne lui a pas du tout donné une base "nationale", voyant dans l'idéologie correspondante le principe de désordres dangereux pour l'ordre européen, tandis que les conservateurs du Kreuzzeitung accusaient le nationalisme d'être un phénomène "naturaliste" et régressif, étranger à une tradition et à une conception supérieures de l'État". En marge de cette forme "naturaliste" de nationalisme, les pays germanophones ont cultivé un esprit différent, celui du Volk, qui a animé l'esprit pangermanique. Le courant Völkisch, qui a également joué un rôle considérable dans la genèse du national-socialisme, trouve ses racines dans les discours de Fichte à la nation allemande, dans Arndt, Jahn et Lange et surtout dans le Deutschbund et la Deutsche Bewegung . C'est dans cette diversité d'origines que nous avons le premier écart entre l'Italie et l'Allemagne.

unnamedjessd.jpgMais les différences, du point de vue de l’environnement, sont beaucoup plus marquées. Dans son essai sur le Troisième Reich, qui décrit les courants culturels complexes et souvent irréductibles qui ont coopéré à sa genèse, Evola écrit : "Après la Première Guerre mondiale, la situation en Allemagne était nettement différente de celle de l'Italie. [...] Mussolini a dû créer presque tout à partir de rien, en ce sens qu'au moment de combattre la subversion rouge et de remettre l'État sur pied, il ne pouvait pas se référer à une tradition au sens le plus élevé du terme. Tout bien considéré, ce qui était menacé n'était que l'extension de l'Italie démocratique du XIXe siècle, avec un héritage du Risorgimento influencé par les idéologies de la Révolution française, avec une monarchie qui régnait mais ne gouvernait pas et n’avait pas d’articulations sociales solides. En Allemagne, les choses étaient différentes. Même après l'effondrement militaire et la révolution de 1918, et malgré le marasme social, il y avait encore des vestiges profondément enracinés dans ce monde hiérarchique, parfois encore féodal, centré sur les valeurs de l'État et de son autorité, faisant partie de la tradition précédente, en particulier du prussianisme. […]. En fait, en Europe centrale, les idées de la Révolution française n'ont jamais pris autant d'ampleur que dans les autres pays européens" .

A une occasion bien précise, Evola mentionne la théorie juridique du droit international de Carl Schmitt. Le philosophe politique allemand avait exprimé l'idée de l'effondrement du droit international coutumier européen (ius publicum europaeum), qui s'est produit, approximativement, après 1890, et l'affirmation conséquente d'un droit international plus ou moins formalisé. Ici, cependant, nous ne sommes pas entièrement de l'avis de Schmitt", écrit Evola, expliquant que "contrairement à l'opinion de beaucoup, en ce qui concerne l'action menée par Bismarck, tant en Allemagne qu'en Europe, tout n'est pas "en ordre". […]. Plus que Bismarck, il nous semble que Metternich a été le dernier "Européen", c'est-à-dire le dernier homme politique qui ait su ressentir le besoin d'une solidarité entre toutes les nations européennes qui ne soit pas abstraite, ou dictée uniquement par des raisons de politique "réaliste" et d'intérêts matériels, mais qui fasse également référence aux idées et à la volonté de maintenir le meilleur héritage traditionnel de l'Europe". Contrairement à Baillet, Evola était donc plutôt critique à l'égard de Bismarck, qui n'avait pas, selon la vision traditionnelle des évoliens, le courage de s'opposer de manière systématique et rigoureuse au monde moderne et à la subversion (sous sa forme économico-capitaliste), mais devait dans certains cas s'y résoudre.

411o7TsazkL.jpgLa même Allemagne de Frédéric II puis de Guillaume II, tout en conservant les structures et l'ordre d'un État traditionnel (Obrigkeitsstaat), dans lequel la même bureaucratie et le même appareil d'État apparaissaient presque comme les organes d'un ordre, contenait les germes de la dissolution, due aux idées des Lumières qui avaient commencé à filtrer - de façon plus subtile qu'ailleurs - dans les différentes instances. Si le jugement d'Evola sur le code de Frédéric, préservant l'ordre divisé en Stände est positif, c'est parce que, pour l'époque où il a été créé, ce code a mieux préservé que tout autre les structures féodales et hiérarchiques précédentes. Celles-ci, à travers la tradition prussienne, s'enracinent dans l'Ordre des Chevaliers Teutoniques et leur reconquête des terres baltes : un ordre ascético-chevaleresque formé par la discipline et une organisation hiérarchique stricte. Ainsi, dès son plus jeune âge, Evola pressent l'absurdité de la "guerre civile européenne" qu'il va devoir néanmoins mener, en tant que très jeune officier, à la frontière austro-italienne, celle du Karst : l'Italie prend parti contre ce qui reste de la meilleure tradition européenne. "En 1914, les Empires centraux représentaient encore un vestige de l'Europe féodale et aristocratique dans le monde occidental, malgré des aspects indéniables d'hégémonie militariste et quelques alliances suspectes avec le capitalisme présent surtout dans l'Allemagne wilhelminienne. La coalition contre eux était ouvertement une coalition du Troisième pouvoir contre les forces résiduelles du Deuxième pouvoir [...]. Comme peu d'autres dans l'histoire, la guerre de 1914-1918 présente toutes les caractéristiques d'un conflit non pas entre États et nations, mais entre les idéologies de différentes castes. Les résultats directs et attendus ont été la destruction de l'Allemagne monarchique et de l'Autriche catholique, les résultats indirects l'effondrement de l'empire du tsar, la révolution communiste et la création, en Europe, d'une situation politico-sociale si chaotique et contradictoire qu'elle contenait toutes les prémisses d'un nouvel embrasement. Et ce fut la Seconde Guerre mondiale" .

Comme mentionné ci-dessus, Evola a exprimé une opinion nettement positive sur la tradition autrichienne. La ligne dynastique continue des Habsbourg a joué un rôle important dans cette évaluation (Evola s'était exprimé en termes très positifs envers Maximilien Ier) ; dans la période où il vivait à Vienne, Evola a respiré ce qui restait de l'ancienne atmosphère de la Felix Austria (de « l’Autriche heureuse », et il est entré en contact avec ce climat culturel et spirituel et surtout avec des hommes chez qui, pour reprendre les mots d'Ernst Jünger, "la catastrophe avait certes quitté ses ombres [...], mais elle s'était limitée à en effacer la sérénité innée sans la détruire. On pouvait parfois voir [...] une patine de cette souffrance que l'on pourrait appeler autrichienne et qui est commune à tant de vieux sujets de la dernière vraie monarchie. Avec elle, on a détruit une forme de plaisir de vivre qui était inimaginable dans d'autres pays européens depuis des générations, et les traces de cette destruction se font encore sentir chez les individus. […]. Ici, dans le Reich, si l'on ne tient pas compte de l'épuisement général des forces, on commence tout au plus à constater la disparité des couches sociales ; ici, en revanche, les différences entre les différentes ethnies s'ouvrent comme des gouffres".

fotografia(6)95.jpgDans cet humus historique des années de l'entre-deux-guerres, dans lequel les liens sentimentaux et éthiques de beaucoup avec la tradition impériale précédente étaient encore forts - la monarchie des Habsbourg d'Autriche avait au moins formellement conservé, jusqu'au Congrès de Vienne, la propriété du Saint Empire romain - Evola a également eu l'occasion de percevoir directement l'attachement populaire généralisé à la monarchie, et de l'expliquer en ces termes : "Sans exhumer des formes anachroniques, au lieu d'une propagande qui "humanise" le souverain pour captiver les masses, presque sur le modèle de la propagande américaine pour les élections présidentielles, il faut voir dans quelle mesure les traits d'une figure caractérisée par une certaine supériorité et dignité innées peuvent avoir une action profonde, dans un cadre approprié. Une sorte d'ascétisme et de liturgie du pouvoir pourrait jouer un rôle ici. Précisément ces traits, s'ils renforceront le prestige de celui qui incarne un symbole, devraient pouvoir exercer sur l'homme grossier une force d'attraction, voire une fierté à l'égard du sujet. En outre, même à une époque assez récente, nous avons eu l'exemple de l'empereur François-Joseph qui, tout en plaçant entre lui et ses sujets le vieux cérémonial sévère, sans pour autant imiter du tout les rois "démocratiques" des petits États du Nord, jouissait d'une popularité particulière, non vulgaire". Dans la même veine, en 1935, écrivant sur la possibilité d'une restauration impériale en Autriche, Evola rapporte ce que les représentants de la pensée conservatrice et monarchique dans ce pays préconisaient : "Le postulat, quant à lui, est celui auquel tout esprit non encombré de préjugés peut également adhérer, à savoir que le régime monarchique, en général, est celui qui peut le mieux garantir un ordre, un équilibre et une pacification intérieure, sans avoir à recourir au remède extrême de la dictature et de l'État centralisé, à condition qu'il subsiste chez les individus la sensibilité spirituelle requise par tout loyalisme. Cette condition, selon ces personnalités, serait présente dans la majeure partie de la population autrichienne, ne serait-ce que pour la force d'une tradition et d'un mode de vie pluriséculaire".

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Le problème de l'Anschluss, de l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne nationale-socialiste, a été, dans les années qui l'ont précédé, au centre d'un vaste débat international. Les juristes et les hommes politiques l'ont abordée sous des angles différents ; Evola n'était pas d'accord sur ce point avec son ami Othmar Spann, qui, écrit Evola, n'était apprécié ni en Autriche ni en Allemagne pour la courageuse cohérence de ses idées. En parlant du sociologue viennois, Evola a déclaré : "Les Autrichiens ne lui pardonnent pas ses sympathies pour l'Allemagne, tandis que les Allemands ne lui pardonnent pas les critiques qu'il a formulées à l'encontre du matérialisme raciste". Elargissant son regard à l'école organiciste viennoise et au monde culturel autrichien, Evola a exposé ses vues en ces termes : "On ne peut pas se résigner à abaisser une nation, qui a la tradition que l'Autriche a eue, au niveau d'un petit Etat balkanique. Ce n'est pas une simple question d'autonomie politique, c'est essentiellement une question de culture et de tradition. Historiquement, la civilisation autrichienne est inséparable de la civilisation germanique. Il n'est pas possible aujourd'hui pour l'Autriche de s'émanciper à cet égard et de commencer à suivre sa propre voie. C'est précisément parce qu'elle est paralysée, réduite à l'ombre de son ancien moi, qu'elle est obligée de se lier le plus étroitement possible à l'Allemagne, de s'appuyer sur elle, d'en tirer les éléments qui peuvent garantir l'intégrité de son patrimoine allemand". Evola a poursuivi en affirmant que, du côté positif, l'Autriche aurait à son tour beaucoup à transmettre à l'Allemagne en termes de tradition culturelle. Mais au-delà du niveau purement intellectuel, "Dans le domaine des traditions politiques, l'antithèse est encore plus visible. Il faut demander à ces intellectuels germanophiles ce qu'ils entendent par tradition germano-autrichienne. La tradition autrichienne était une tradition impériale. Héritier du Saint-Empire romain, le Reich autrichien, du moins formellement, ne pouvait pas se dire allemand. En droit, elle était supranationale, et en fait elle négligeait un groupe de peuples dont la race, les coutumes et les traditions étaient très différentes, un groupe dont l'élément allemand ne constituait qu'une partie. Il n'est pas non plus nécessaire de dire que la direction de l'Empire autrichien avait néanmoins un caractère allemand et était dirigée par une dynastie germanique. Du point de vue des principes, cela compte aussi peu que le fait que les représentants du principe supranational de l'Église romaine étaient en grande partie italiens. Si l'on doit parler d'une tradition autrichienne, conclut Evola, c'est à une tradition impériale qu'il faut se référer. Maintenant, qu'est-ce qu'une telle tradition peut avoir à faire avec l'Allemagne, si l'Allemagne signifie aujourd'hui le national-socialisme" . Francesco Germinario a écrit à ce propos que pour Evola "une Autriche liée à ses racines catholiques, et dans laquelle, surtout, la mémoire des Habsbourg est restée vivante, était beaucoup plus proche des valeurs de la Tradition qu'une Allemagne submergée par la nouvelle vague de modernisation promue par le nazisme".

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Les positions critiques d'Evola à l'égard du nazisme s'exprimaient déjà en ces termes en 1935, dont le philosophe traditionaliste accusait les excès populistes, sociaux et gauchistes. Le ton est particulièrement critique dans ce cas, car la comparaison est avec l'Autriche, en laquelle Evola a vu précisément l'héritière spirituelle de la plus haute tradition européenne. D'autre part, c'est une ligne d'interprétation et d'historiographie appréciable, et qu'Evola a maintenue même dans l'après-guerre, tendant à séparer les différents éléments et les divers courants qui opéraient dans le national-socialisme pour les juger séparément. Il a conclu sa lecture politique de la situation internationale en déclarant : "Si l'on ne veut pas se résigner à la perte de l'ancienne tradition supranationale d'Europe centrale, l'Autriche devrait tourner son regard non pas tant vers l'Allemagne que vers les États qui lui succéderont, en ce sens qu'elle devrait voir dans quelle mesure il est possible de reconstruire une conscience commune d'Europe centrale comme base non seulement pour la solution de problèmes économiques et commerciaux très importants mais éventuellement [...] aussi pour la formulation d'un nouveau principe politique unitaire de type traditionnel".

En ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale, dont l'issue est sans doute considérée par Evola comme la dernière phase de l'effondrement de la civilisation européenne, l'écrivain traditionaliste dénonce les fautes morales des puissances occidentales : "Himmler a été responsable d'une tentative de sauvetage in extremis (considérée par Hitler comme une trahison). Par l'intermédiaire du comte Bernadotte, il a transmis une proposition de paix séparée aux Alliés occidentaux afin de pouvoir poursuivre la guerre uniquement contre l'Union soviétique et le communisme. On sait que cette proposition, qui, si elle avait été acceptée, aurait peut-être pu assurer un destin différent à l'Europe, en évitant la "guerre froide" qui a suivi et la communisation de l'Europe au-delà du "rideau de fer", a été clairement rejetée sur la base d'un radicalisme idéologique aveugle, tout comme l'offre de paix faite par Hitler, de sa propre initiative, à l'Angleterre en des termes raisonnables dans un célèbre discours de l'été 1940, lorsque les Allemands étaient le camp vainqueur.

71g63lXeJ6L.__BG0,0,0,0_FMpng_AC_UL320_SR218,320_.pngMême après la Seconde Guerre mondiale, Evola a gardé un œil sur les pays germanophones. Sa vision était celle d'une admiration pour la nouvelle résurrection économique opérée par les Allemands après être sortie du champs de ruines qu’elle était dans la seconde période de l'après-guerre ("cette nation a pu se relever complètement d'une destruction sans nom. Même sous l'occupation, elle a surpassé les nations victorieuses elles-mêmes sur le plan industriel et économique et a repris sa place de grande puissance productrice"). et pour le courage avec lequel la République fédérale avait banni le danger communiste de sa politique ("Les Allemands font toujours les choses avec cohérence. Donc aussi dans le jeu de la conformité démocratique. Ils ont mis en place une démocratie modèle comme un système "neutre" - nous dirions presque administratif, plutôt que politique - à la fois équilibré et énergique. Contrairement à l'Italie, l'Allemagne, précisément du point de vue d'une démocratie cohérente, a proscrit le communisme. La Cour constitutionnelle allemande a statué ce qui correspond à l'évidence même des choses, à savoir qu'un parti qui, comme le parti communiste, ne suit les règles démocratiques que dans une fonction purement tactique et de couverture, ayant pour objectif final déclaré la suppression de tout courant politique opposé et l’avènement de la dictature absolue du prolétariat, ne peut être toléré par un État démocratique qui ne veut pas creuser sa propre tombe") . Mais, malgré cela, la guerre avait alors produit un vide, un vide spirituel qui n'était plus comblé : "Contre tout cela, il est surprenant, en République fédérale, l'absence de toute idée, de tout "mythe", de toute vision supérieure du monde, de toute continuité avec l'Allemagne précédente". Toujours dans le domaine de la culture, Evola constate un glissement général, une sorte d'"échec" général aux positions courageuses et avant-gardistes des intellectuels allemands dans les années - selon Evola, très prospères et rentables sous le profil culturel - du Reich national-socialiste. Dans son jugement négatif, Evola prend comme exemple de cet effondrement Gottfried Benn et Ernst Jünger (tombant avec cela dans des erreurs de vue assez grossières).

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Extrait de Via della Tradizione 125 (2002), pp. 37-50.

Cet article a été republié sans les notes de bas de page.