Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 25 juillet 2024

Romanité sacrée et religion d'État

bb967474a1bcd43cec077c6dca9a95e1.jpg

Romanité sacrée et religion d'État

Par Luca Leonello Rimbotti

Source: https://www.centroitalicum.com/romanita-sacra-e-religione-dello-stato/

Bonaiuti et Pettazzoni, deux bâtisseurs d'identité

Les civilisations se mesurent aussi et surtout à la manière dont elles abordent la question de l'identité. Les institutions vitales et grandissantes ont dans l'identification des caractères nationaux et populaires l'une de leurs fonctions les plus importantes. Au contraire, comme chacun le constate à notre époque, les sociétés en désintégration ne font que se prosterner devant l'autre, confondre ou même effacer les traces du long chemin commun, donnant naissance à ce sentiment de culpabilité ou Selbsthass (haine de soi), dans lequel Freud trouvait déjà des preuves de l'effondrement consciencieux des peuples et des individus. La recherche du sacré, l'excavation de dépôts mémoriels collectifs, l'effort de protection et de valorisation des symboles de l'histoire, sont autant de motifs de croissance, d'une culture qui se diffuse et se renforce, enrichissant la vie et la vie politique d'un savoir commun.

C'est sous le signe de la confrontation et, le cas échéant, du conflit bénéfique, que se déploie l'activité d'une Kultur créatrice. Le retour à la source de l'individuation s'accompagne de la volonté de s'opposer au lent déclin des valeurs, préférant vivre un coucher de soleil lumineux plutôt qu'une ruine sans honneur. La société contemporaine a aussi besoin du sacré. Surtout la société contemporaine, qui est quotidiennement marquée par les attaques d'une massification toujours plus plébéienne, à l'enseigne de ce cosmopolitisme matérialiste et ennemi du mythe qui a tout nivelé et privé de sens.

uebed.jpg

Lorsque, par exemple, Ernesto Bonaiuti (photo) - le prêtre moderniste, excommunié en 1926 et relevé de ses fonctions d'enseignant à partir de 1929, notamment pour avoir refusé de prêter serment au régime fasciste - professait la nécessité d'étudier la religion comme un fait en soi et non comme un acte de foi, il réalisait en réalité une opération culturelle de grande importance: la réintroduction de la prise en charge du sacré dans la société. Malgré les accusations de l'Eglise (et indirectement du régime, qui devient son allié seulement à partir de 1929), Bonaiuti n'a pas véhiculé la sécularisation, mais a lancé une conception du sacré qui devait être autre chose que le confessionnalisme.

Contre le temporalisme papal, devait passer l'idée de la religion comme fait social. Ce n'est pas rien. La « sécularisation des sciences religieuses », dans la perspective de Bonaiuti, devait conduire à la libération des énergies liées au sacré, tout en les inscrivant dans des catégories politiques et non cléricales. Sur ce point, non pas paradoxalement, mais tout naturellement, l'hérétique Bonaiuti croise la lecture historique faite par le fascisme.

latran.jpg

La rédaction des Accords du Latran, si elle contraignit l'Italie à certaines servitudes (instruction religieuse dans les écoles, lois sur le mariage, favoritisme au profit des instituts catholiques, subventions, privilèges : en un mot, l'« étatisation » du catholicisme), au point qu'il y eut des moments de grave rupture idéologique (comme par exemple dans le cas de Giovanni Gentile), en revanche, elle ne contraignit pas beaucoup le régime.

L'indépendantisme fasciste à l'égard de l'Eglise (dont témoignent les tensions avec l'Action catholique vers 1931), s'inspirait des déclarations de Mussolini lui-même qui, dans certains discours prononcés quelques mois après la Conciliation, avait affirmé la supériorité historique de Rome sur le christianisme, proclamant que la parole du Christ, sans l'union avec la Ville éternelle, qui en élargissait le message, serait restée une modeste affaire de sectarisme levantin: seule Rome, comme Paul de Tarse l'avait bien deviné, ferait d'une hérésie juive la religion de l'État romain universel. Cela mettait à mal le récit de la continuité entre la communauté chrétienne primitive et l'Église, qui apparaissait ainsi beaucoup plus romaine que catholique.

Certains historiens ont insisté sur le fait que Bonaiuti, officiellement « persécuté » par le régime fasciste, était en fait son soutien idéologique sur le point fondamental de la primauté politique de l'État sur la confession. Bonaiuti le « persécuté », qui écrivait pourtant dans des journaux fascistes (peut-être en signant de ses seules initiales, mais, de fait, il écrivait bel et bien dans ces journaux) comme le « Corriere Padano » du féal de Bottai Nello Quilici, ou dans « La Stampa » dirigée par des pontes comme Malaparte et Augusto Turati, ce Bonaiuti icône de l'antifascisme posthume, disait des choses étonnamment dans la ligne, et il ne tarissait pas d'éloges sur le régime. D'ailleurs :

Les Accords du Latran étaient aussi présentés, presque paradoxalement, comme un encouragement à la liberté de recherche, une persuasion que Bonaiuti nourrissait, au moins par moments, même en privé.

Selon lui, dans les mots du leader du fascisme prenait forme « l'action unificatrice de Rome » et le rêve d'une primauté italienne renouvelée dans les sciences religieuses [1].

Ce jugement, au lieu d'opposer le régime à l'histoire et à la morale, l'inclut pleinement parmi les facteurs de consolidation non seulement de l'identité religieuse, mais aussi de la fonction historique, élevée à la dimension universelle.

On connaît d'ailleurs les arguments de Mussolini à cette époque sur la possibilité pour le fascisme de profiter de la visibilité mondiale garantie par le catholicisme romain, dont l'« impérialisme » éthique aurait pu facilement être flanqué de ce que l'on appelait pour l'instant l'« impérialisme spirituel » de l'Italie fasciste.

Quoi qu'il en soit, le fait que « l'historien “hérétique” ait pris le parti de l'État fasciste contre les prétentions ecclésiastiques », réveillant également l'intérêt de Gentile, signifie que l'histoire enregistre souvent des cas de convergence de vues politiques et idéales, même de la part de sujets provenant de milieux différents, ou divisés par des jugements divergents sur de simples détails.

Bonaiuti, en effet, ne s'oppose même pas à la polémique sur le nouveau paganisme germanique, qu'il considère, à l'instar de la majorité de la culture fasciste, comme un fragment moderne de la Réforme luthérienne, qui a trouvé dans la polémique antiromaine le point d'appui de sa propre révolte. C'est précisément dans la proposition d'une centralité renouvelée de la romanitas, opposée à la paganitas nationale-socialiste, que Bonaiuti s'est trouvé aux côtés de ceux qui (pas nécessairement depuis les rivages clérico-fascistes) différenciaient l'Italie romaine du nouveau Reich naissant, dont le racisme remontait directement à Luther et à la constitution ethnique ancestrale du germanisme, jugée immuable, ce qui lui permettait d'affirmer

la permanence inaltérable des caractéristiques primitives de la spiritualité collective germanique à travers les siècles, et donc sa résurgence impétueuse et incontestée dans les idéaux et les programmes du nazisme [2].

Ce qui, à vrai dire, était plutôt un argument fort des néo-païens emmenés par Rosenberg : le national-socialisme comme vecteur d'une identité raciale inaltérable. Dans ce sillage, la même guerre d'Éthiopie de 1935-36, insérée par Bonaiuti dans la tradition de Dante sur l'empire comme « moyen providentiel » pour la rédemption de l'humanité, fut jugée positivement, au point de se joindre à la condamnation de la Société des Nations à Genève, accusée par le prêtre moderniste d'être un repaire calviniste qui s'efforçait de s'opposer à l'avancée légitime de la nouvelle Italie vers l'empire. A l'avènement de celui-ci, en mai 1936, Bonaiuti ne manqua pas de revendiquer les justes titres de la romanitas renouvelée de Mussolini, en se référant directement à saint Augustin et à son éloge de la Rome césarienne et de son « expansion providentielle ». Sur ce point, il faut le dire, Bonaiuti s'est trouvé aux côtés de l'Église qui, à l'instar de la puissante Curie milanaise, s'est distinguée en bénissant les Chemises noires en partance pour l'Abyssinie, où elles allaient non pas imposer un régime brutal, mais y apporter la lumière de Rome, chrétienne et fasciste, « par laquelle le Christ est romain », pourrait-on dire, à la suite d'Alighieri.

pettazzoni2.jpg

61MPO9VhBSL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Les études historico-religieuses comme moment essentiel de revigoration d'une idéologie identitaire radicale. C'est aussi le cas d'un autre grand interprète du sacré dans l'histoire moderne, Pettazzoni (photo, ci-dessus), académicien d'Italie depuis 1933.

Avec ce grand connaisseur des spiritualités anciennes (de la Sardaigne primitive à la Grèce, à l'Iran et au Japon), l'importance de la religion en tant que fait national est confirmée. Chaque peuple emprunte son propre chemin vers le sacré selon les coordonnées de sa spécificité. Une sorte de « religion d'État », qu'il  s'agisse du shintoïsme japonais, de la paganitas hellénique ou du zoroastrisme, des phénomènes qui portent à chaque fois les stigmates d'une culture, non reproductible dans son unicité. L'objectif scientifique de Pettazzoni était de conjuguer la religiosité d'État avec celle du salut individuel, afin de rendre compte de ces grandes religions politiques dont les civilisations du passé ont témoigné. À commencer, pour nous Occidentaux, par le culte impérial augustéen, auquel la fusion avec le christianisme opérée par Constantin allait générer dans la « religion de l'homme » la qualification d'un pouvoir supplémentaire, donné par une « religion officielle de l'État ». Comme pour le shintoïsme, Rome pourrait donc voir le culte privé élevé au rang de doctrine civile et de dogme d'État. De ces aspects, ignorant délibérément les apories historiques, Pettazzoni a relevé la caractéristique du communautarisme et de l'offrande héroïque de soi, cette énergie de l'esprit intérieur qui fait de l'homme un prêtre de la patrie et un témoin du sacrifice volontaire.

Même, en ces temps de projection faustienne vers l'illimité, Pettazzoni préfigure un régime fasciste capable d'assumer ces héritages romano-païens, de dépasser le confessionnalisme injecté par le Concordat, et d'espérer une Italie ramenée aux héroïsmes des pères, comme cela se passe au Japon en ces années de mysticisme surhumaniste. Le dépassement du christianisme et sa dilution espérée dans un système de religiosité nationale, à préférer au radicalisme d'un certain national-socialisme néo-païen, devaient, selon le savant, donner vie à quelque chose qui puisse orienter l'Italie vers le culte de la sacralité de la lignée divine: si le christianisme universel semblait refroidir les instincts nationaux-populaires, la « religion d'État », qui connaissait les voies de la collectivité, les libérait positivement [3].

GiuseppeTucci1.jpg

Comme Giuseppe Tucci (photo), l'autre grand orientaliste de l'époque et son jeune collègue enseignant à La Sapienza, Pettazzoni devait envisager de dépasser le christianisme par le chrisme d'un paganisme renouvelé, afin de générer cette religion de l'État populaire qui aurait en son centre la mystique héroïque « de la mort en armes ».

L'éthique héroïque du Japon impérial, incarnée dans le code guerrier traditionnel, était considérée comme un objectif que les Italiens de l'époque pouvaient atteindre: « Le Buscidô propose un idéal qui a des racines solides même dans cette mère des héros qu'est l'Italie et que tous les grands peuples connaissent » [4].

Cela aurait donné à la guerre de l'Axe, alors en cours, le visage d'un « acte liturgique » qui avait sa source originelle dans le « patrimoine civique-religieux archaïque ».

De cette manière, les connotations archaïques du millénarisme historique, consacré aux énergies énigmatiques de la création, qui, comme dans le zoroastrisme iranien, interprétait la vie comme une lutte inépuisable, auraient été ravivées : « la lutte humaine n'est qu'un épisode de la lutte cosmique entre le principe du bien et le principe du mal » [5].

Des formulations aussi grandioses paraissent incompréhensibles aujourd'hui, en raison de la domination débordante de la pensée séculière et mécaniste. Ces conceptions seraient les filles de mondes lointains et mythologiques, et pour la plupart, narcotisés par les fumées cosmopolites, elles peuvent sembler les divagations d'esprits enfiévrés. Le fait que des génies de premier plan, versés dans l'étude scientifique des faits anthropologiques, se soient consacrés à elles semble un paradoxe. En effet, il n'est pas rare que, lorsqu'une culture vaincue montre ses facettes faites d'une puissance imaginative rendue inerte par le temps, elle apparaisse totalement incompréhensible à une postérité inculte, qui se rassemble autour d'elle dans l'incrédulité.

Notes:

[1] Matteo Caponi, Il fascismo e gli studi storico-religiosi : appunti sul discorso pubblico di Ernesto Bonaiuti e Raffaele Pettazzoni, in Paola S. Salvatori (ed.), Il fascismo e la storia, Scuola Normale Superiore, Pisa 2020, pp. 169-170.

[2] Ernesto Bonaiuti, Paganesimo, germanesimo, nazismo, Bompiani, Milan 1946, p. 7. Mais la première version de ce texte remonte à l'avant-guerre. Cf. également la récente réédition du même titre, BookTime, Milan 2019.

[3] Cf. Caponi, cité, p. 181 : « Comme on pouvait le lire dans un volume de propagande de 1942, le fascisme était appelé à s'approcher de l'esprit japonais ».

[4] Giuseppe Tucci, Il Buscidô [1942], in Sul Giappone. Il Buscidô e altri scritti, Edizioni Settimo Sigillo, Rome 2006, p. 86.

[5] Raffaele Pettazzoni, La religione di Zarathustra [1920], Arnaldo Forni Editore, éd. anast. 1979, Bologne, p. 86.

lundi, 15 juillet 2024

Apprendre à mourir: le sens de la vie

757674_poster.jpg

Apprendre à mourir: le sens de la vie

L'homme, animal symbolique et mythologique, oublie son véritable or alchimique intérieur au profit du matériel. La liberté intérieure, la perception du sacré et la beauté authentique se trouvent dans la connaissance de soi et l'éveil spirituel, au-delà de la vie extérieure et matérielle.

Guillermo Más Arellano

Source: https://herculesdiario.es/cultura/aprender-a-morir-el-sentido-de-la-vida/

L'homme se distingue du reste du règne animal par sa capacité à utiliser un langage connotatif et surtout dénotatif; il s'ensuit qu'avant d'être un animal conscient, voire un être pour la mort, comme nous le sommes, l'homme est un animal symbolique et mythologique, un poète capable d'incarner le sacré qu'il porte en lui à travers des actes rituels et des paroles magiques, puisque tout acte est potentiellement sacré : la magie, c'est en prendre conscience pour modifier la Nature par la Volonté et l'Eros.

ob_8dc71e_29d38a-30ee3e357a1743e68231c59d49a8869.jpg

L'alchimie, parmi tant d'autres dons, était capable d'accorder à ses meilleurs praticiens le pouvoir de transformer le plomb en or ; l'homme moderne, en revanche, s'est tourné vers le matériel, vers l'obtention de l'or physique, oubliant au contraire le véritable or alchimique : celui que tout homme porte en lui. Les rêves sont pour le bourgeois, comme les mythes pour le paysan, les réminiscences de tout un monde subconscient qui lui parle de sa liberté intérieure. La maison de l'Être est toujours là, en nous, quel que soit l'activisme, axé uniquement sur l'expérience extérieure, qui voudrait nous persuader de l'inexistence de cette liberté spirituelle que nous portons en nous comme un feu inaltérable.

Nous appelons kairos le moment opportun où quelque chose d'important se produit. Nous appelons metanoia le changement profond qui s'opère en nous lorsque nous nous ouvrons à ce moment qui nous arrache à la vie mondaine. Enfin, nous appelons hiérophanie l'instant de perception du sacré qui ne nous est accordé que par l'initiation au processus précédent. En fin de compte, il s'agit de l'anagnorisis qui, en Occident, porte l'épithète pieuse de révélation ou de rédemption. La vision du Soi que nous sommes par essence.

bal_bf3c9930_3768217_230620133633_1280x1180.jpg

Platon, le père de la philosophie, auteur d'une œuvre qui a nourri l'Occident solaire et apollinien pendant des siècles, n'était qu'un commentateur des mythes. Il a largement falsifié l'héritage de ces mythes, trahissant leur composante lunaire et dionysiaque qui, dans la civilisation indo-européenne, a permis une pleine coexistence des sociétés. A travers les rites et les mythes, la liturgie et la poésie, la civilisation occidentale se rappelle depuis des siècles que l'inconscient existe et qu'il doit être libéré dans les moments de fête grâce auxquels la société est équilibrée : c'est le potlach tragicomique qui structure mythopoétiquement toute culture (civilisation).

La disparition du rite en Occident, dont ont parlé René Girard, Gaston Bouthoul ou Roberto Calasso, a remis entre les mains de la littérature la tâche de rappeler cette vérité ; mais comme la littérature a disparu, en réponse à un terrible critère d'utilité, de loisir qui va à l'encontre du néc-otium, nous laissant orphelins de cette même vérité, l'état de la question s'est aggravé à un point qui était impensable auparavant. Cependant, la littérature et son message, la maison de l'Être, reste en nous, endormie, attendant que nous dormions pour faire son apparition nocturne : dans les rêves, comme dirait David Lynch, citant Roy Orbison.

reves-abr.jpg

Chaque éclair de beauté que nous pouvons encore expérimenter, chaque égratignure laissée par le monde intermédiaire qui se manifeste surtout dans les rêves, est un nouveau souffle pour la liberté intérieure que, pendant des siècles, l'Occidental s'est efforcé d'anéantir. Tout homme de l'Amazonie sait ce que le scientifique le plus expérimenté ignore: il existe des forces cachées qui sous-tendent la vie ; nous appelons cela, compris comme un don que chaque homme s'offre à lui-même, la liberté. La mobilisation totale, l'oubli profond du Moi, a plongé notre civilisation dans la décadence ; et nos cœurs dans la disgrâce. Depuis la Renaissance et surtout les Lumières et l'Industrialisation, le processus de destruction s'est accéléré. Après l'effondrement de plus en plus imminent, le temps du mythe renaîtra.

Nietzsche a souligné à juste titre que, si le désir est à proprement parler projeté vers l'extérieur, notre malaise est avant tout une agitation intérieure. On a beau vouloir indiquer dans ces lignes des raisons extérieures à ce qui s'est passé, on a beau vouloir indiquer des réponses pratiques à l'ampleur du problème, il faut malgré tout comprendre que le problème de la liberté est un problème intérieur et que, par conséquent, l'éveil ou non à cette liberté personnelle dépend uniquement de chacun d'entre nous. Car la liberté est nécessaire et tout le reste, en particulier ce qui a trait au monde matériel, est purement facultatif et disparaîtra en temps voulu (vanitas). Une nuisance au calme et au silence que tout chemin ascétique requiert nécessairement.

Nous n'avons pas besoin de notre prochain et de son enfer lorsque le chemin de la connaissance de soi reste sans fin. Toute l'angoisse formée par l'effet des débris extérieurs sur nous peut être éliminée d'un seul coup si la volonté s'exerce. Le reste n'est que bagage, insignifiance, ruines qui seront effacées par le silence imperturbable de celui qui cherche le sacré parmi les casseroles. La faiblesse ne se manifeste alors que par la peur, par l'ego, par une peur intime de soi qui fuit la transparence du silence. La liberté, en revanche, doit être atteinte libre de tout bagage : telles sont les règles de l'ascension. Incipit authenticité : sans rien à perdre. Même dans la pire des prisons, la liberté est possible, si le sujet emprisonné se l'accorde.

20:28 Publié dans Philosophie, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, mort, vie, philosophie, mythes, rêves | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 14 juillet 2024

Symbologie de l'aigle

72b0948f387006056fb47fee2cb074f7.jpg

Symbologie de l'aigle

par Aldébaran

Source: https://huestantigua.wordpress.com/2024/07/04/simbologia-del-aguila/

"Un jour, j'étais seul. L'aigle royal était passé par là et m'avait non seulement offert un de ses vols de chasse percutants, mais avait décrit les acrobaties les plus fantastiques en compagnie de sa compagne. L'aigle ! Le mâle et la femelle sont restés suspendus dans le ciel pendant cinq ou dix minutes, qui sait !....

J'étais amoureux de ses ailes, je voulais devenir un oiseau".

- Félix Rodríguez de la Fuente

Introduction

Nous vous proposons ici une nouvelle interprétation symbolique, cette fois de l'aigle, impressionnant et merveilleux.

Nous ne reviendrons pas sur les critères et les motivations de l'analyse, et nous invitons les personnes intéressées à consulter les analyses précédentes de l'Ours (= http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/04/18/symbologie-de-l-ours.html ) et du Loup.

Nous tenons également à vous avertir que cette analyse est très restreinte et limitée. Nous sommes conscients que l'analyse des symboles, de par son ambivalence et son ampleur impressionnantes, est une tâche ingérable ou, si vous préférez, interminable pour tout esprit tourné vers la culture. C'est pourquoi nous proposons à tous ceux qui aiment le sujet de faire leur propre analyse et d'élargir ainsi les possibilités d'interprétation.

Les oiseaux

La première chose à signaler à propos de l'aigle est qu'il s'agit d'un oiseau et qu'à ce titre - même s'il est vrai que tous les oiseaux ne volent pas - il possède la "faculté de voler".

Il est vrai que l'on pourrait écrire plusieurs volumes sur l'interprétation des oiseaux au niveau symbolique, mais nous nous contenterons ici de signaler cette capacité et de l'interpréter comme la possibilité de "ne pas rester en surface mais en altitude". Bien sûr, nous résolvons cette "hauteur" comme une distance qui permet de "ne pas être impliqué dans l'observé" ou, si l'on veut, "de ne pas être à portée de son influence" et même "d'être invisible à celui qui ne peut observer que le superficiel". Cependant, dans le cas de l'Aigle, cette "non-implication", comme nous le verrons, ne signifie pas l'inattention ou l'oubli.

D'autre part, si nous déchiffrons la Terre comme "les choses matérielles", alors le séjour en vol pourrait également signaler la capacité de "considérer les choses matérielles loin de leur influence" ou, puisque les oiseaux sont au Ciel, d'"avoir l'opportunité de considérer les choses transcendantes" ou "les choses non terrestres".

665708107bd51f21e53ce76343393701.jpg

Caractéristiques importantes de l'aigle

Après avoir abordé le sujet du vol et des hauteurs, il convient de noter que l'aigle fait partie de la catégorie des oiseaux de "haute altitude". Pour quantifier l'animal lui-même, ses hauteurs maximales se situent entre 6000 et 7000 mètres. C'est cette altitude qui révèle une autre de ses caractéristiques essentielles: sa magnifique vue.

Toujours sur le plan matériel et à titre d'exemple, on estime que l'aigle peut voir les lièvres et les lapins à plusieurs kilomètres de distance. Cette caractéristique montre bien que l'aigle n'a pas seulement la capacité de voler haut, mais qu'il ne doit pas non plus perdre de vue le territoire qu'il survole. Et c'est là, comme nous l'avons souligné, que le vol de l'aigle n'implique pas nécessairement un mépris du terrain ou du "terrestre". En effet, il arrive souvent que l'aigle, comme tout autre oiseau de proie, vole précisément pour avoir un avantage insurmontable lors de la chasse.

Sur le plan symbolique, nous avons tendance à interpréter ce spectacle incroyable comme une plus grande puissance ou une plus grande portée dans la possibilité de voir et de comprendre ce qui est observé. Si nous nous plaçons dans un contexte culturel, la "distillation" de cette combinaison de "hauteur et de vision" nous chuchoterait que l'on peut penser et sonder "au-delà des possibilités culturelles", ce qui serait cette "surface" que les oiseaux transcendent - avec le vol - tout en étant "hors de portée des oiseaux".

3bd346b1d694b91e7adc1d9f3cdc4ab0.jpg

Une autre caractéristique importante de l'aigle, que l'on retrouve également chez d'autres oiseaux de proie, est sa façon de chasser et, plus précisément, le vol en piqué qui l'amène à sa proie. Cet attribut, sur le plan symbolique et sous certains aspects, associe l'aigle à l'éclair : une force terrible, mortelle et imparable qui tombe du ciel sur la terre. Ceux qui ont eu la chance de l'observer dans la nature comprendront ce que je veux dire.

Nous interprétons que le vol, ainsi que la vision en hauteur, sont relatifs au "Potentiel de Domination", puisque la volonté n'est applicable que là où elle a atteint l'attention; c'est-à-dire que nous ne pouvons appliquer la volonté que dans les domaines dont nous sommes conscients - la conscience indique la possibilité d'exercer la Volonté. C'est pourquoi, compte tenu de la hauteur de vol de l'aigle et de sa capacité de vision, nous constatons que le potentiel d'action de l'aigle est écrasant. Si nous ajoutons à cela le fait qu'il atteint le sol en quelques fractions de seconde et avec une force insurmontable, nous n'avons aucun doute sur le fait que l'Aigle domine effectivement le territoire depuis les hauteurs. De plus, cela nous incite à voir l'Aigle comme une manifestation absolument divine. Un échantillon, un petit reflet, de ce que sont les pouvoirs divins : distance, vision, domination et possibilités d'action inaccessibles à l'humain.

Une dernière caractéristique de l'Aigle, qui ne fera qu'ajouter à l'idée de le considérer comme quelque chose de Divin, est sa Présence. Nous le disons ainsi, en majuscules, même s'il s'agit d'un animal. Mais il est indéniable, lorsqu'on assiste à la vie de cet animal, de reconnaître une sorte de charisme qu'il possède clairement et qui - nous le soupçonnons - lui est donné parce que notre propre milieu le contemple comme tel: comme une manifestation divine.

603bbf5c9c2441ed2262864eeacf3a13.jpg

La proposition d'Aguileña

Si nous sommes d'accord avec l'idée que l'aigle est un reflet du divin dans la nature animale. Et si l'idée de ces écrits est de chercher en chacun de nous ces contenus de notre conscience que ces grands animaux nous murmurent... l'Aigle, comme le Loup, demande de faire de la place, de l'espace, pour des caractéristiques qui, dans leur développement, seront propres aux Héros, aux Hommes à l'Héritage Divin. Évidemment, nous nous référons à la hauteur du vol comme "distance" et à la capacité de vision comme des traits nécessaires pour exercer la domination, où l'on doit être le premier "banc d'essai".

Mais aussi - comme pour l'ours -il donnera un aperçu de la puissance contenue dans cet intérieur divin par sa façon d'agir: semblable à la foudre qui tombe des cieux. Un attribut, ce dernier, qui résonne également avec l'idée du "Moment opportun" ou "Kairos".

Trace de la proposition

Il ne sera pas difficile, pour ceux qui le souhaitent, de trouver des preuves que l'aigle a été et est, en général, un symbole du divin. Un oiseau que l'on retrouve généralement parmi les animaux qui identifient les grandes divinités des principaux panthéons et, surtout, parmi leurs chefs.

À titre anecdotique, nous voudrions souligner que l'aigle est un symbole tellement approprié du divin qu'il est curieux qu'en espagnol, bien qu'il s'agisse d'un mot de genre féminin, il soit utilisé avec l'article masculin, laissant ainsi un détail amusant de sa condition de syzygie intégrée.

D'autre part, il n'y aura pas beaucoup de doutes lorsqu'il s'agira de le relier à la capacité de dominer, puisqu'il a été le symbole de plusieurs empires.

En somme, bravo aux "Aigles" et souhaitons qu'ils soient nombreux à prendre leur envol !

Sur Telegram: https://t.me/+CaQJDa7XNIZhZDM0

Juin-juillet 2024

Aldébaran

12:45 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : aigle, symboles, traditions | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 02 juin 2024

Sport ou religion ?

8474fdefcae25b931ad19d6ddce0413e.jpg

Sport ou religion ?

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/sport-ili-religiya

Le sport a des origines préchrétiennes et appartient à la culture grecque antique. Avec le théâtre, la philosophie et les systèmes de gestion de la polis, le sport, et en particulier les Jeux olympiques, était l'un des traits caractéristiques de la civilisation grecque.  C'est dans cette civilisation qu'il a connu son plus grand développement et la forme sous laquelle il nous est connu aujourd'hui.

L'interprétation grecque du sport était basée sur l'idée de jeu. C'est pourquoi les compétitions elles-mêmes étaient appelées "jeux". Le terme de "jeu" était également attribué à la représentation théâtrale, dans laquelle, tout comme dans le sport, les poètes - créateurs de tragédies et de comédies - s'affrontaient. Le concept de jeu est étroitement lié aux fondements mêmes de la culture, comme le montre J. Huizinga dans son célèbre ouvrage Homo Ludens.

Homo-ludens.jpg

Il s'agit ici de tracer la ligne de démarcation entre l'implication sérieuse dans la contemplation d'un affrontement ou d'une compétition, ainsi que dans la création d'une œuvre dramatique (si l'on parle de théâtre) et le caractère conventionnel d'un tel affrontement. Le sport et le théâtre, et le jeu en tant que tel, présupposent la distance. C'est pourquoi, parmi les dieux grecs, patrons des Jeux olympiques, il n'y avait pas Arès, le dieu de la guerre. C'est le sens du jeu: il s'agit d'une bataille, mais pas d'une bataille réelle, conventionnelle, car elle ne franchit pas une certaine ligne critique. De même que le théâtre ne fait que représenter l'action, le sport, lui, ne fait que représenter la vraie bataille. La culture naît précisément de la prise de conscience de cette limite. Lorsque la société l'intériorise, elle acquiert la capacité de faire des distinctions subtiles dans le domaine des émotions, des sentiments et des expériences éthiques. Le sport et le théâtre procurent du plaisir précisément parce que, malgré le caractère dramatique de ce qui se passe, l'observateur (le spectateur) garde une distance par rapport aux événements qui se déroulent.

C'est cette distance qui forme un citoyen à part entière, capable de séparer strictement la gravité de la guerre de la conventionnalité d'autres types de rivalités. Ainsi, pendant la durée des Jeux olympiques, les cités-États grecques souvent ennemies concluent une trêve (έκεχειρία). C'est à l'occasion de ces jeux que les Grecs ont réalisé leur unité au-delà des contradictions politiques entre les différentes polis. Ainsi, les différents éléments du sport étaient unis par la reconnaissance de la légitimité de la distance.

À l'époque chrétienne, les manifestations sportives du monde hellénistique ont progressivement disparu parce que le christianisme offrait un tout autre modèle de culture et d'unité humaine. Tout y est sérieux et l'autorité ultime est l'Église universelle elle-même, dans laquelle les peuples et les nations sont unis. C'est elle qui porte la paix et la plus grande distance possible, celle qui sépare la terre du ciel, l'homme de Dieu. Face à la mission universelle du Sauveur, les différences entre les peuples (« Juifs et Hellènes ») passaient à l'arrière-plan. Le sport (tout comme le théâtre) a donc probablement perdu de son importance.

La renaissance du sport commence au 19ème siècle dans des conditions totalement nouvelles. Il est intéressant de noter qu'alors que le théâtre, en tant que partie intégrante de la culture antique, réapparaît au tout début de la Renaissance, il faut attendre quelques siècles de plus pour que les Jeux olympiques renaissent. Cela a probablement été entravé par certains aspects esthétiques du sport lui-même, qui contrastaient fortement avec les notions chrétiennes de ce qui constituait un comportement décent.

23-05-25_friedrich_ludwig_jahn_rast.jpg

34269_ca_object_representations_media_55751_medium.jpg

Il est révélateur qu'en Allemagne, le fondateur du mouvement sportif ait été un païen convaincu et un nationaliste radical, Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852) (gravure, ci-dessus), qui voyait dans le mouvement sportif et gymnique une base pour diffuser les idées d'unification allemande parmi les jeunes, ce qui est devenu le fondement de l'idéologie du sport. Jahn était un fervent défenseur de l'antiquité germanique et prônait la renaissance des runes. Au 20ème siècle, les idées de Jahn ont continué à se développer dans le cadre du pangermanisme et du mouvement de jeunesse Wandervogel, et ont notamment exercé une influence majeure sur le national-socialisme.

XVM2427e84a-2250-11ea-a35b-a2f2b4ba8963.jpg

Pierre de Coubertin (photo), qui a revitalisé le mouvement olympique, était également un nationaliste (et en un sens, un "raciste"). L'implication des Grecs, alors en lutte nationale avec l'Empire ottoman, s'inscrit également dans la stratégie globale des puissances européennes visant à transformer les rapports de force géopolitiques. Parallèlement, la franc-maçonnerie européenne, bien que fondamentalement athée, y était également très attentive, sans pour autant être étrangère à une certaine esthétique « païenne ».

De manière générale, il s'avère que le sport, phénomène culturel non chrétien à l'origine, a disparu au cours du Moyen Âge chrétien et est revenu en Europe dans un contexte post-chrétien et même en partie anti-chrétien.

Cela soulève avec une urgence nouvelle le problème suivant: le sport est-il compatible avec le christianisme ? Les passions, l'esthétique et les règles du jeu suscitées par le sport peuvent-elles être combinées avec une vision chrétienne du monde ? Bien entendu, cette question est un cas particulier d'un problème plus fondamental: le christianisme est-il compatible avec le monde moderne en général, construit en général - et pas seulement, bien sûr, le sport - sur les bases de la désacralisation, du matérialisme, de l'évolutionnisme, de la laïcité et de l'athéisme ? Il n'est évidemment pas possible de répondre à cette question de manière univoque, mais il convient de la poser, ne serait-ce que pour lancer un cycle de discussions significatives. De telles discussions pourraient nous aider à mieux comprendre, dans les nouvelles conditions, ce qu'est le sport et, plus important encore, ce qu'est le christianisme.

 

samedi, 01 juin 2024

Bruckberger et l’abdication de l’Eglise

CPF10005710.jpeg

Bruckberger et l’abdication de l’Eglise

par Nicolas Bonnal

J’ai déjà écrit sur son livre-brulot, sa Lettre à Jean-Paul II (pape dont il attendait beaucoup, et qui a masqué plus que ralenti l’effondrement terminal de la bâtisse), et je vais encore insister et compléter. Bruckberger tape lourd et il l’a fait en dépassant Guénon: il voit le mal se glisser dans l’Eglise depuis le treizième siècle. Remarquez, Guénon a parlé de l’affaire des Templiers (mais sans trop viser l’Eglise) dans son Autorité spirituelle, et Huysmans avait écrit que tout dégénérait depuis ce treizième siècle dit des cathédrales. Les plus lucides reliront Dante.

Bruckberger attaque d’abord le Concile de Vatican II – sans qu’on puisse le suspecter de traditionalisme ou autre.

«Commettez allégrement tous les crimes ou laissez allégrement commettre tous les crimes contre la foi, contre les sacrements, contre les commandements de Dieu, ne vous laissez surtout pas intimider ! Invoquez publiquement le concile, l'esprit conciliaire, les réformes soi-disant issues du concile, et vous voilà aussitôt, non seulement justifié, mais hors de toute atteinte, hors de cause, au-dessus de tout Soupçon; vous échappez automatiquement à toute juridiction, rien ne peut vous être reproché.»

images.jpgPuis notre courageux auteur (scénariste du Dialogue des carmélites qui résonne comme une Fin initiatique de la France médiévale – façon Adrienne-Sylvie de Nerval) s’est rendu compte que tout allait déjà mal depuis un certain temps tout de même :

« Je pense souvent à l’Angleterre au XVIème siècle, au moment où, sous la pression de la monarchie, l'Eglise d'Angleterre s'est séparée de Rome, sans que l'ensemble du peuple catholique anglais s'en aperçoive. Il y a eu le chancelier Thomas More qui a versé son sang. Mais il n'y a eu qu'un évêque, un seul, l'évêque Fischer de Rochester (tableau, ci-dessous), qui a osé dénoncer l'imposture du changement de religion. Lui aussi est mort martyr. Combien y avait-il d'évêques en Angleterre en ce temps-là ? »

kz55dl7585h2hfvgizyvuedm42l.jpg

Depuis combien de siècles en fait le roi est-il nu ?

On se rend compte que déjà il n’y avait pas trop de héros. Le christianisme était depuis Innocent III au moins affaire d’organisation, de surveillance et de répression, pas de grands élans.

Mais restons-en au Concile :

« De quoi s'agissait-il, sinon de changer la substance de la religion catholique, de rejeter l'autorité du pape, mais encore plus de transformer le sacrifice de la messe en un service de communion ? Je pense que beaucoup de ces évêques étaient de braves gens. Malheureusement en certaines circonstances, et quand on a des responsabilités de commandement, être un brave homme ne suffit pas. Quant au bon peuple, il a tendance à suivre ses chefs immédiats… »

Le vernis craquait déjà (Bayle, Fontenelle…) sous Louis XIV. C’est La Bruyère qui parlant du dévot écrit dans les Caractères que c’est un homme qui sous un roi athée serait athée. Et Feuerbach qui parle du masque de la religion qui a remplacé la religion. Macluhan explique cela avec son homme typographique. On reprogramme l’occidental typographique depuis Gutenberg, c’est tout.

Bruckberger compare l’Eglise à une entreprise qui a mal tourné et masque son bilan ou décide de faire autre chose. Entreprise qui écrirait pince-sans-rire :

« MESURES A LONG TERME

REMPLACER DISCRETEMENT LE PRODUIT ACTUEL PAR UN PRODUIT NOUVEAU, QUI ASSURERA LA RECONVERSION ET L'AVENIR DE L'ENTREPRISE. »

Ensuite Bruckberger parle de complot des technocrates à l’intérieur de l’Eglise (technocrate me semblerait presque un compliment, mais bon…) :

« La leçon de la parabole est claire. Quelle qu'ait été l'intention de Jean XXIII et de Paul VI - et cette intention n'a aucune espèce d'importance en regard de ce qui s'est passé dans la réalité il y a eu complot de technocrates à l'intérieur de l'Eglise pour, à l'occasion et sous le couvert du dernier concile, purement et simplement changer la religion catholique, en changer discrètement mais sûrement la substance. C'est ce complot que nous dénonçons sans relâche… »

Il cite même un journaliste plus conscient du problème que le bourgeois catho de base (le seul à « pratiquer » - mot atroce -, le reste ayant disparu, je veux dire le peuple, notamment paysan, de Farrebique) :

« Alain Woodrow est un autre chroniqueur religieux du Monde. Il a publié un livre intitulé : l’Eglise déchirée. Dès la première page, il écrit : « Le christianisme est en miettes, morcelé à la suite de schismes religieux et politiques qui ont jalonné son histoire; il est en train de se dissoudre sous l'action corrosive des sciences humaines, de se transformer en un folklore de la société actuelle. » Humainement, c'est très bien vu et c'est incontestable. »

Grande-Procession-2022-65-Chasse-de-saint-Eleuthere-02.jpg

toulecogabaldamaxf0009.jpg

Sauf que le folklore suppose des costumes, du savoir-faire, des danses, des efforts et des sacrifices physiques, tout ce qui a disparu...

Bien entendu, tout va bien. Tout va toujours très bien:

« Bien entendu, les évêques français, qui l'ont menée au point d'exténuation où elle se trouve, ne l'admettront jamais. Ils vous affirmeront dur comme fer que l'Eglise de France ne s'est jamais mieux portée. Ils vous joueront l'envers du Malade imaginaire. L'Eglise de France en est au dernier état d'un cancer généralisé, ils vous jureront la main sur le cœur qu'elle va très, très bien. »

C’est le raisonnement des Shadocks de notre jeunesse : il n’y a pas de solution car il n’y a pas de problème.

Bruckberger va citer « le grand savant laïc » (entièrement d’accord, voyez mes textes) Lévi-Strauss qui remarque timidement dans une interview:

« C. LÉVI-STRAUSS. C'est l'appauvrissement du rituel qui me frappe. Un ethnologue a toujours le plus grand respect pour le rituel. Et un respect d'autant plus grand que ce rituel plonge ses racines dans un lointain passé. Il y verra le moyen de rendre immédiatement perceptibles un certain nombre de valeurs qui toucheraient moins directement l’« âme » si l'on s'efforçait de les faire pénétrer par des moyens uniquement rationnels. Louis XIV a dit, dans son testament, en s'efforçant de justifier le cérémonial de la Cour, des choses assez profondes : qu'on ne peut pas demander à tout le monde d'aller au fond des choses. Il faut qu'il y ait des expressions sensibles. »

Lévi-Strauss ajoute plus loin (car le journaliste est bouché…) :

« J’entends bien que tout rituel doit évoluer. Une société religieusement vivante serait une société capable d'enrichir son rituel. Mais les tentatives de renouvellement - du moins ce que vois quand j'assiste à des messes d'enterrement ou de mariage ne paraissent pas très convaincantes. »

Ce pas très convaincant, le bourgeois en fait son ordinaire quand il célèbre des mariages à 100.000 ou 200.000 euros. Bruckberger ajoute :

« On ne peut dire plus clairement, ni avec plus de prudence et de gentillesse, qu'en France, la réforme liturgique issue du dernier concile est un fiasco. Un grand savant agnostique s'en dit troublé. Nos évêques, eux, n'en sont nullement troublés : même si elle devait entraîner la mort du patient, ils nous forceraient à tenir la bouche ouverte jusqu'à ce que toute la potion soit avalée. Un grand savant explique ce qu'Aristote nous avait depuis longtemps appris : qu'il n'est rien dans l'intelligence qui ne soit d'abord tombé sous le sens, et que tout ce qui touche la sensibilité, surtout si ça vient de loin, doit être modifié avec la plus grande prudence. Les évêques n’en ont cure… »

Les évêques n’ont cure de rien. Remarquez, c’est ce que dit Léon Bloy dans tout son journal, et nous sommes toujours là, alors pourquoi paniquer ?

Tillet99v.rd.jpg

Puis il y a plus grave. Bruckberger remonte dans le Temps pour constater comme je le fais souvent que les choses étaient pourries depuis longtemps ; les jésuites, les temps baroques ? Non, non, le siècle de Saint-Louis avec son Inquisition et ses croisades antichrétiennes dévastatrices :

« Bernanos avait coutume de remarquer qu'une civilisation tombe en décadence quand la fin y justifie les moyens. En ce sens il y a longtemps que la civilisation chrétienne est en décadence. La décadence a commencé au XIIIème siècle avec l'Inquisition, elle a atteint son zénith avec la casuistique jésuite aux XVIème et XVIIème siècles. Mais nous avons dépassé ce stade, nous l'avons dépassé de très loin. »

Et de parler de Himmler et de Lénine avec l’Inquisition :

«Aujourd'hui, on sait de manière certaine que Himmler, chef et organisateur de la Gestapo, Lénine lui-même, ont lu et étudié le Manuel des inquisiteurs. Le système était là tout entier : ils n'ont eu qu'à l'utiliser sur une immense échelle et à l'industrialiser. Mais le système était là, ce n'est pas eux qui l'ont inventé, il était là, complet, exprimé dans une langue juridique admirable: avec l'usage de la torture physique pour arracher des aveux, le conseil de dire le faux pour savoir le vrai ; l'instigation à la délation et la récompense du délateur. Ce n'est pas parce que les ennemis de l'Eglise ont maintenant utilisé ce système sur une très grande échelle, à l'échelle de la « mass production » et de la « mass distribution », ce n'est pas parce que, en notre siècle, ils ont industrialisé la torture et la délation, industrialisé dans les camps de concentration et dans l'archipel du Goulag le mensonge et la violence, que l'origine de ce système en est moins souillée. Et l'origine de ce système, c'est l’Inquisition officiellement patronnée par les papes… »

Michelet avait tout dit. Je me cite :

« Tout finit au douzième siècle ; le livre se ferme… », termine Michelet qui remarque qu’un système périclitant comme celui de l’Eglise – ou de la démocratie bourgeoise à notre époque -  a tendance à devenir totalitaire et dangereux :

« Les anciens conciles sont généralement d’institutions, de législation. Ceux qui suivent, à partir du grand concile de Latran, sont de menaces et de terreurs, de farouches pénalités. Ils organisent une police. Le terrorisme entre dans l’Église, et la fécondité en sort. »

La dure ou molle réalité c’est qu’on se fout de tout (à une époque où le vaccin Bourla devient un acte d’amour…) :

« Désormais tous les crimes sont possibles : on les trouvera aussi naturels que de voir l'eau couler sous les ponts. La civilisation chrétienne est morte. Les évêques français l'ont portée en terre collégialement. Ils ne savent plus ce qu'ils font. Car on ne voit pas ce qui peut remplacer la civilisation chrétienne. Quand elle est morte, c'est aussi l'humanité qui meurt en l’homme. »

Le terme (sic) qui résonne le mieux alors, c’est celui d’abdication :

« Vous apprendrez à connaître nos évêques de France, nos chefs spirituels. Vous ne serez pas long à voir qu'ils ont pratiquement abdiqué cette mission essentielle de l’Eglise, de donner aux hommes des raisons de vivre, et éventuellement de mourir. Bernanos disait d'un clergé devenu socialiste qu'il fait ainsi la preuve qu'il ne sait plus parler qu'aux ventres. Voilà pourquoi la voix de ce clergé est si confuse, elle n'a aucune raison d'être distinguée, dans le concert cacophonique de toutes ces voix qui ne s'adressent jamais en l'homme qu'à Son ventre : ses puissances digestives et sexuelles. Comme si l’homme n'était rien d'autre. »

Abdication c’est peut-être trop noble, cela fait penser à Charles X. Parlons de retraite alors.

s-retr0.jpg

Un autre bon chrétien, mort comme tant d’autres en quatorze, écrivait avant la Grande Guerre:

 « C’est toujours le système de la retraite. C’est toujours le même système de repos, de tranquillité, de consolidation finale et mortuaire. Ils ne pensent qu’à leur retraite, c’est-à-dire à cette pension qu’ils toucheront de l’État non plus pour faire, mais pour avoir fait. Leur idéal, s’il est permis de parler ainsi, est un idéal d’État, un idéal d’hôpital d’État, une immense maison finale et mortuaire, sans soucis, sans pensée, sans race. Un immense asile de
vieillards. Une maison de retraite. Toute leur vie n’est pour eux qu’un acheminement à cette retraite, une préparation de cette retraite, une justification devant cette retraite. Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à cette retraite. Mais c’est pour en jouir, comme ils disent. »

Sources principales :

Charles Péguy, « Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne » (1914, posthume), dans Œuvres complètes de Charles Péguy, éd. La Nouvelle Revue française, 1916-1955, t. 9, p. 250

https://www.amazon.fr/Lettre-Jean-Paul-pape-lan-2000/dp/B003X2AVM4/ref=sr_1_2?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=1INE88WNXY7IE&dib=eyJ2IjoiMSJ9.TcJyU0BxXtYQpIbwhm0OffVOyevI0Qc1cO9tSp2lxSJkIwLMzIzwV2_aHRK6XLQTqFaCrMnMBfrLeZbTlHA3YQ.OKBmkOV1CMaixKMiV1YropEZLNVnRtz2fUwZM30Q3P0&dib_tag=se&keywords=BRUCKBERGER+LETTRE&qid=1715760629&s=books&sprefix=bruckberger+lettre%2Cstripbooks%2C146&sr=1-2

https://www.amazon.fr/DANS-GUEULE-BETE-LAPOCALYPSE-MONDIA...

https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/11/30/le-reverend-...

 

 

18:21 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : religion, catholicisme, vatican ii, r. p. bruckberger | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 28 mai 2024

Le destin est entre vos mains: les quatre leçons du maître Yuan Liao-Fan

screen-shot-2016-10-23-at-1-32-53-pm.png

Le destin est entre vos mains: les quatre leçons du maître Yuan Liao-Fan

Giovanni Sessa

Source: https://www.paginefilosofali.it/il-destino-e-nelle-tue-mani-le-quattro-lezioni-del-maestro-yuan-liao-fan-giovanni-sessa/

En Chine, au début du 17ème siècle, la dynastie Ming est au pouvoir. Le territoire du Céleste Empire est immense. A l'intérieur de ses frontières, la situation politique est particulièrement difficile. La paix sociale et la justice sont remises en cause par des affrontements sanglants avec les Mongols, tandis que les Japonais se livrent à d'incessants actes de piraterie. Les Ming tentent de défendre l'idée d'un Empire « d'en haut », d'une domination divine sur le monde. C'est à ce moment de l'histoire que les Quatre leçons du maître Yuan Liao-Fan, un haut fonctionnaire impérial, ont été révélées. Ce texte, si connu en Chine qu'il a donné lieu ces dernières années à la production d'œuvres audiovisuelles qui s'en inspirent, est pratiquement inconnu en Italie. Le choix de "Mimesis edizioni" de le proposer à nos lecteurs sous le titre Le destin est entre vos mains. Cultivez-le avec bonté. Le livre est en librairie sous la direction d'Erica Gallesi, scénariste et auteur de télévision. Le texte est également agrémenté d'un commentaire signé par Alberto Lomuscio, cardiologue et vice-président de la Société italienne d'acupuncture (pour les commandes : mimesis@mimesisedizioni.it, 02/24861657, pp. 185, euro 16.00).

619eKJeI6tL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Liao-Fan, dans ces pages, présente sa propre vie. Il raconte le changement soudain et profond qu'il a subi lorsqu'il s'est rendu compte qu'il était le véritable architecte de son propre destin. C'est une œuvre qui se développe en accord avec les valeurs dominantes en Chine à cette époque historique : le néo-confucianisme et le bouddhisme. Les maîtres de référence de Liao-Fan sont Confucius et Mencius. Deux sont les guides avec lesquels il est entré en contact personnel : « Kong, un sage capable de prédire l'avenir, et Yun Gu, un maître zen capable de changer les destins » (p. 8). Grâce à eux, il a appris à se sentir libre et à améliorer son état existentiel. L'auteur, bouddhiste convaincu, adresse ces pages à son fils et aux jeunes, afin qu'ils apprennent à affronter le défi que représente la vie, en étant conscients que « ce n'est que si l'on est en harmonie avec le monde que l'on pourra s'en sortir » : « ce n'est que si l'on est en harmonie avec les Principes Célestes et le Mandat du Ciel » (p. 8) que l'on est capable de conjuguer moment et éternité, dans un « ici et maintenant » apaisant. C'est pourquoi les considérations éthiques jouent un rôle prépondérant dans le traité, qui, bien entendu, ne tombe jamais dans la moralisation. Les protagonistes du récit sont des fonctionnaires de l'empire et des érudits désireux de réussir les « épreuves » par lesquelles l'élite spirituelle était sélectionnée pour accompagner l'empereur dans l'exercice de ses fonctions.

L'auteur, fort de son expérience existentielle, souhaite transmettre à ses lecteurs quatre leçons : 1) Apprendre à créer son propre destin ; 2) Comment se révolutionner ; 3) Comment cultiver la bonté ; 4) Les bienfaits de la vertu d'humilité. De précieux préceptes visant à ennoblir l'homme et à le faire vivre en harmonie avec le cosmos, exprimés sous une forme ludique et engageante. Des quatre leçons, la plus importante, propédeutique aux autres, est la première. Alberto Lomuscio, avec une argumentation sagace, nous plonge dans les choses vivantes du rapport entre le Destin et la Destinée. L'idée d'un Destin immodifiable, selon lui, a imprégné la pensée occidentale, en partant de la tragédie attique pour arriver aux notes du Samarcande de Vecchioni. Son paradigme, la vie d'Œdipe, contraint au suicide à cause de son inceste avec Jocaste et du meurtre de son père. Différent du Destin, c'est le Destin qui : « contient [...] des éléments de coercition » (p. 132), une direction indiquée pour notre vie, modelable cependant par notre « savoir vivre ». Dans la pensée chinoise, il existe trois types de Destin différenciés : 1) le Destin du Ciel, c'est-à-dire le contexte dans lequel nous sommes placés (cosmique, historique, social, etc.) ; 2) le Destin de la Terre, représenté par le conditionnement génétique-physiologique ; 3) le Destin de l'Homme, comprenant le libre arbitre. Chacun de ces types de destin conditionnerait notre vie à hauteur de 30 %. Les dix pour cent restants sont attribués à l'éducation, au hasard et au conditionnement.

4e1ff788c800a911d77e76e1392fadc7.jpg

Le terme chinois pour désigner le destin est Ming Yun. Ming : « représente le commandement d'une autorité supérieure (le Ciel) auquel l'humanité assemblée doit se soumettre » (p. 111), tandis que Yun représente un chemin de vie en accord avec les lois du Ciel : « La vraie sagesse consiste à accepter et à embrasser sa nature la plus authentique, ce qui nous conduira à atteindre un état idéal, dans la liberté personnelle la plus complète et la plus gratifiante » (p. 112), comme dans les leçons de Liao-Fan. Comment y parvenir ? Lomuscio l'explique dans un parcours concis mais exhaustif des différentes écoles de la pensée chinoise. Parmi elles, le taoïsme joue le rôle principal. Le Wu-wei, le non-agir, est associé, dans cette Voie, au « Vide du Cœur », symbole du « Centre » spirituel, mental et psychologique de l'homme. Le Cœur donne un sens à la vie de l'individu, tout comme l'Empereur joue le même rôle au niveau de la communauté. Le « Vide du Cœur » indique l'attitude dynamique avec laquelle nous devons nous rapporter au principe (Tao) qui anime les choses et le monde et qui est toujours à l'œuvre : il s'ouvre à la Connaissance en tant que : « action-non-action spontanée et adhérente à la nature » (p. 148), capable de garantir le Salut, physique et spirituel. D'où l'importance des styles de vie, comme le suggère Liao-Fan dans le traité. Il est nécessaire d'éliminer toute impulsion égoïste, de pratiquer le calme et l'humilité, et d'agir avec bonté envers les vivants et les défunts.

3584a8f6ea70d5f64f524278eaa4bbf8.jpg

Dans ce cas, le Ming Shu, le « calcul du destin », nous rend aptes à façonner, à construire, dans les limites qui caractérisent la vie humaine, un chemin de raffinement continu. Ursa Major étant considérée comme le pont de lumière entre le Soleil et la Lune, le Yin et le Yang, les Chinois pensaient que l'homme qui marchait sur le Chemin devait s'abreuver de sa lumière rayonnante, afin d'en saisir l'énergie diffusante. Cette référence permet de comprendre la place centrale de l'astrologie en Chine, comme en témoignent les pages que lui consacre Lomuscio. Pour cette raison, Le destin est entre vos mains peut être considéré comme un texte important, non seulement comme un accès pertinent à la philosophie chinoise, mais aussi comme le porteur d'une vision anti-déterministe de la vie. À une époque où les conceptions sotériologiques réapparaissent ou où, selon d'autres, la fin de l'histoire se manifesterait, il s'agit là d'un héritage précieux, d'un bain réparateur d'« humilité », d'un exemple d'ignorance savante.

16:33 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, tradition chinoise, yuan liao-fan, livre, chine | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 05 mai 2024

Variations autour de l’idée d’Empire

Reichskleinodien_500h.jpg

Variations autour de l’idée d’Empire

par Georges FELTIN-TRACOL

L’idée d’Empire serait incompatible avec l’histoire de France. La nation française, héritière du Royaume des Lys, se serait construite contre elle, en particulier face aux différentes figures des Habsbourg, de Charles Quint à François-Joseph. Cette hostilité de principe s’inscrit dans la langue française. Verbe du premier groupe, empirer signifie « devenir pire, aggraver ». L’idée impériale n’appartiendrait pas à la tradition française. Affirmation péremptoire et erronée !

En Provence, vieille terre d’Empire – on l’oublie trop souvent -, dans les belles cités d’Aix et d’Orange, se développe l’association militante et culturelle Tenesoun. Son site annonce qu’elle promeut « une identité reposant sur le triptyque suivant : Provence, France, Europe ». Ce sympathique mouvement sort une revue de belle facture, Tenesoun Mag, qui publie des numéros hors série instructifs et didactiques. Intitulé « Empire(s) », le hors série de février 2024 (4 €, à commander sur le site éponyme) aborde le thème de l’Empire.

ttenesounail.jpg

Il est plaisant que de jeunes militants s’approprient cette idée qui parcourt en filigrane l’histoire de France. On se focalise trop sur l’aspect juridique de l’émancipation royale française par rapport à l’héritage mémoriel carolingien en oubliant la bigarrure institutionnelle, sociale et économique constitutive de l’ancienne France. Certes, les Capétiens ont réussi là où les Hohenstaufen ont échoué. Toutefois, cela n’empêche pas, bien au contraire, que « la France est un empire, écrit avec raison Aurélien Lignereux dans L’Empire de la paix. De la Révolution à Napoléon : quand la France réunissait l’Europe, (Passés composés, 2023) : tel est le constat d’évidence partagé en 1789 tant y était frappante la diversité des populations que les rois avaient réunies et soumises à une souveraineté qui n’admettait nul supérieur en matière temporelle (le roi étant “ empereur en son royaume “) mais qui pouvait s’accommoder de l’hétérogénéité des coutumes, et qui devait même respecter certains privilèges garantis par les actes de réunion ». Dans un précédent essai, L’Empire des Français 1799 – 1815 1 – La France contemporaine (Le Seuil, coll. « Points – Histoire », 2014), le même auteur, spécialiste de l’œuvre napoléonienne, prévenait qu’« il serait réducteur de ne voir dans les entreprises de Napoléon que la consécration d’une ambition personnelle, sans racines dans le pays. C’est faire peu de cas de l’aspiration aux XVIe et XVIIe siècles à une translatio imperii en faveur de la France, rêve que traduisaient un messianisme dynastique et un providentialisme chrétien ».

Aurélien Lignereux se réfère bien évidemment à l’étude capitale, novatrice et magistrale d’Alexandre Yali Haran, Le Lys et le Globe. Messianisme dynastique et rêve impérial en France aux XVIe et XVIIe siècles (Champ Vallon, 2000). L’idée impériale n’est pas étrangère aux monarques français. Elle persiste d’ailleurs dans l’inconscient politique collectif, d’où le tropisme européen présent autant chez les nationalistes que chez les socialistes sans parler de certains gaullistes, des démocrates-chrétiens, des écologistes et des régionalistes. Il est dommage que les auteurs de ce hors série n’évoquent pas cet ouvrage précieux.

le-testament-d-un-europeen-tome-1-2.jpg

À la suite du Testament d’un Européen de Jean de Brem, Julien Langella revient sur la conquête hispanique de l’Amérique. Il formule pour l’occasion un hispanisme de langue française nullement incongru (la Franche-Comté fut longtemps une possession des rois d’Espagne). Rédacteur de plusieurs articles dans ce numéro, Estève Claret rappelle qu’« au fondement de l’empire se trouve un principe supérieur, qu’il soit spirituel, sacré, transcendant, métaphysique ou messianique. L’empire ne se contente pas d’assurer le bien commun des communautés politiques sous son autorité; il agit au nom d’un principe qui lui est supérieur et qui inscrit ces dernières dans un destin ». L’Empire englobe dans une unité nécessaire et limitée les multiples variétés qui s’expriment en communautés incarnées.

Dans « Saint-Empire romain germanique : le pouvoir du centre impérial sur ses périphéries », Estève Claret s’intéresse à l’origine territoriale du Sacrum Imperium qui « correspond, souligne-t-il, à la “ réunion “ de trois couronnes : la Trias des royaumes de Germanie, d’Italie et d’Arles – Bourgogne. Eux-mêmes sont composés de duchés dits ethniques (Stammsherzogtümer) car ils sont le fruit de regroupements linguistico-culturellement cohérents (Bavière, Franconie, Saxe, Souabe, etc.) ».

csm_deutschland_heiliges_roemisches_reich_1000_600954f2ae.png

En lecteur avisé de Francis Parker Yockey, de Guillaume Faye et de Julius Evola, Tristan Rochelle explique que l’Empire, chanté par Dante, « est une institution surnaturelle à vocation universelle au même titre que l’Église, par exemple. Il se veut être le reflet de l’ordre cosmique, une image du royaume céleste. D’origine surnaturelle, il occupe la fonction de “ centre universel “, de centre de gravité d’un espace civilisationnel ». Dommage cependant que le poison dit universel s’insinue partout. À l’ère post-moderniste, ne serait-il pas cohérent d’envisager l’idée impériale dans une approche pluriverselle ? La notion de « Plurivers » convient en effet mieux à la perception révolutionnaire-conservatrice d’Empire, surtout aujourd’hui, période instable propice à « la résurgence des impérialismes ».

Les impérialismes ne se confondent pas avec les empires d’origine traditionnelle. Hubert R souligne que « le terme “ empire “ est lui-même à double tranchant. Il peut désigner tout à la fois un ensemble de peuples que relient des facteurs communs (culture, religion, ethnie…) et gouvernés par un pouvoir central. Ou bien il peut se rapporter à une volonté de domination servie par une prétention à l’universalité au nom d’une doctrine exclusivement spirituelle, idéologique ou économique ». Quant à Tristan Rochelle, il bouscule volontiers le lecteur par un volontarisme énergique et parfois provocateur. « Le seul droit qui vaille, c’est celui qu’offre la force. Une terre n’appartient à un peuple que tant qu’il est capable de la tenir en sa possession. Si un peuple étranger l’envahit et parvient à s’en rendre maître, alors celle-ci devient sienne. Et peu importe à cet égard depuis combien de temps son prédécesseur l’occupait. Les véritables frontières d’un peuple sont celles posées par sa volonté de conquête. Ces lois, qui sont celles de la vie, sont impitoyables mais sont les seules qui vaillent. Pleurnicher à ce propos ne les changera pas, l’Histoire est un cimetière de peuples vaincus. » Féroce et terrible constat. Ne serions-nous pas les ultimes veilleurs d’une civilisation désormais défunte qui rend l’esprit impérial totalement inaudible et incompréhensible ?

Quant à savoir si cet Empire européen plus qu’embryonnaire doit s’étendre selon la formule consacrée de Reykjavik jusqu’à Vladivostok, la réponse est finalement secondaire. Le plus important n’est-il pas en priorité de restaurer sa souveraineté intérieure ? En ces temps troublées d’hypertrophie individualiste, cette reconquête sur soi s’avère plus compliquée, mais aussi plus impérative que jamais. 

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 113, mise en ligne le 2 mai 2024 sur Radio Méridien Zéro.

18:35 Publié dans Revue, Traditions | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : saint-empire, empire, reich, revue, traditions | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 01 mai 2024

1er mai: rites et parfums

illustration-adobe-stock-1619682469.jpg

Le 1er mai. Rites et parfums

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/calendimaggio-riti-e-profumi/

Ce soir, j'aimerais danser sur un feu. Sur un feu de joie allumé dans les bois. Entre les arbres.

Et je voudrais tresser des couronnes de lierre, les orner de muguet et boire de la bière fraîche, épicée et poivrée.

Voilà, dira le réalisateur, c'est l'explication... la bière.

Mais ce n'est pas ça... Je n'ai pas bu. Pas trop.

Seulement, ce soir, c'est Beltaine. Ce qui, encore aujourd'hui, dans certaines régions de nos Apennins, ou dans les vallées alpines, est célébré comme la fête du Calendimaggio.

IMG-20220505-WA0112.jpg

F114E286-4421-43E8-B34F-2A6944206392-1024x684.jpeg

Et c'est une fête autrefois importante. Ancienne. D'origine celtique. La fête de la lumière. Exactement 40 jours après l'équinoxe de printemps. Lorsque la lumière s'est élargie. S'est répandue. Et que le jour a pris le pas sur la nuit.

Pour les peuples du Nord, les Celtes, les Allemands, avec cette nuit, et avec la première aube de mai, le printemps a commencé.

Quand le Soleil est devenu progressivement plus intense. Chaud. Jusqu'au feu de l'été qui approche. Beltaine en est l'annonce.

Bien sûr, en cette fin de mois d'avril, parler de Soleil, de Lumière, de chaleur... d'été, semble presque... ironique. Des journées plus froides qu'en novembre, de la brume, de la pluie battante... de la neige sur les montagnes environnantes.

Une résurrection inattendue de l'hiver. 

walpurgis-night-greifenstein.jpg

Mais ce soir, le soir de la Sainte Walpurga (Walpurgisnacht), le soleil est à nouveau chaud. Et le ciel est clair. D'un bleu profond. On dit que cela ne durera pas. Que demain, la pluie reviendra.

Mais je voudrais allumer un feu. Et, devant ces flammes dansantes, lire le Faust de Goethe. Le final. De la première partie. Le Sabbat sur le Mont Chauve. Et écouter Moussorgski.

Peut-être, parmi ces ombres, verrais-je les sorcières du rêve de Goethe. Et aussi la Marguerite de Boulgakov, qui est arrivée avec la chevauchée sauvage du professeur Voland.

Fantaisies littéraires. Et pas seulement.

En attendant, il me semble percevoir, intense, le parfum du muguet. qui sont les fleurs de ce jour. Les fleurs de Beltaine. Symbole de fertilité. Et d'éros. Parce que c'est une fête qui a à voir avec le printemps. Et donc à l'amour. Au sens le plus large du terme.

C'est pourquoi autrefois, dans de nombreux pays, il était de coutume d'apporter à l'être aimé un bouquet de muguet.

Blanc, presque éblouissant. Et avec un doux parfum. Séduisant.

Et pourtant... dangereux. Car ils sont toxiques.

Bonne fête de mai à tous!

 

20:53 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditions, beltaine, 1er mai | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 27 avril 2024

L'Ivresse et les dieux

41cbe802d499f94f2ae7a66a99867fbe.jpg

L'Ivresse et les dieux 

par Luc-Olivier d'Algange

Qu'en est-il des dieux antérieurs ? Peut-on, sans avoir à se dire « païen », recevoir d'eux quelque lumière ? Peut-on s'interroger, par leurs ambassades ouraniennes, maritimes ou forestières sur le monde tel qu'il s'offre à nos sens et à notre intelligence? Pouvons nous les entendre, ces dieux, dans l'acception ancienne du verbe, c'est-à-dire les comprendre, les ressaisir dans la trame de notre entendement où vogue la navette du tisserand, dieu lui-même, comme des réalités allant de soi, mues par elles-mêmes, pourvues de cet impondérable que l'on nomme l'âme ? Les dieux existent: c'est leur faiblesse car ce qui existe peut disparaître; ce qui existe n'est point l'être; et l'être lui-même n'est qu'à l'infinitif (or l'impératif seul est créateur !). Mais ce qui existe vaut tout de même que l'on s'y attarde... L'existence des dieux demeure difficile à situer car elle est ubique: à la fois intérieure et extérieure. Précisons encore. Les dieux sont ce qui se laisse dire comme une réalité qui est à la fois en dedans et au-dehors, subjective non moins qu'objective. Hélios éclaire à la fois la terre et notre intellect. Dionysos fait danser en même temps la terre et nos âmes. Apollon ordonne ensemble le Cosmos et nos pensées. Ces quelques notes, prises sur le vif, il y a déjà longtemps, s'interrogent sur cette « zone frontalière », avec les inconséquences désirables qui sont le propre du promeneur.

Longtemps, et il n'est pas vraiment certain que l'on se soit dépris de cette habitude, on associa l'intérêt pour le monde antique à un engagement « républicain » dont nos sociétés modernes (où la res publica, hélas, s'est évanouie dans le culte de l'économie) seraient les héritières. Le fidèle aux anciens dieux se retrouvait ainsi fort paradoxalement du côté de la modernité, des « réformes », voire d'une forme de « progressisme » opposée aux « ténèbres » du Moyen-Age et des souverainetés royales Or, on ne saurait imaginer forme de pensée plus étrangère aux Anciens que l'idéologie du Progrès. Toute leur pensée était au contraire orientée par le constat d'une dégradation, d'une déchéance, d'un éloignement graduel de l'Age d'Or. Comment cette pensée « pessimiste » fut à l'origine des créations les plus audacieuses en philosophie, de la plus grande plénitude artistique, c'est là une question décisive à laquelle il nous importe d'autant plus d'apporter une réponse que nous constatons que la croyance inverse, « optimiste », nous fait sombrer dans la veulerie et l'informe. Le Progrès, disait Baudelaire, est la doctrine des paresseux. N'est-ce point se dispenser d'avance de tout effort et briser tout élan créateur que d'assigner au seul écoulement du temps le pouvoir de nous améliorer ou de nous parfaire ? Au contraire, si, comme Hésiode, nous croyons au déclin, à l'assombrissement des âges, ne disposons nous point alors nos intelligences et nos âmes, notre ingéniosité et notre courage à faire contrepoids à ce déclin?

Pour une intelligence qui s'accorde aux présocratiques, le monde de la symbolique romane demeurera certes infiniment plus proche, plus amical, que la « société du spectacle » du monde des esclaves sans maîtres. Fidèles à la logique du tiers inclus, nous n'entrerons pas dans ces polémiques qui font du paganisme une sorte d'anti-christianisme à peine moins sommaire que l'anti-paganisme des premiers chrétiens, tel que le décrivent Celse et l'Empereur Julien. Si le combat du Poète contre le Clerc revêt à nos yeux quelque importance, comment n'engagerions-nous pas la puissante vision poétique et métaphysique de Maître Eckhart et de Jean Tauler contre les lugubres cléricatures de la «pensée unique»? De plus en plus vulgaire, utilitaire, éprise de médiocrité, l'idéologie dominante n'a jamais cessé de détruire la splendeur divine chère aux Archaiothrèskoi, les fidèles aux anciens dieux, alors même qu'elle paraît de temps à autres s'en revendiquer. Mais cet éloignement, n'est qu'un éloignement quantitatif. La qualité de l'être, sa vision, demeure, elle, subtilement présente.

59f607057eeb28beaa9a2826621d8290.jpg

Le monde des dieux anciens n'est pas mort car il n'est jamais né. Que cette pérennité lumineuse soit devenue provisoirement hors d'atteinte pour le plus grand nombre d'entre nous, n'en altère nullement le sens ni la possibilité sans cesse offerte. Pérennes, les forces et les vertus divines s'entrecroisent dans le tissu du monde et nous laissent le choix d'être de simples spectateurs enchaînés dans une représentation schématique du monde ou bien d'entrer dans la présence réelle des êtres et des choses par la reconnaissance de l'Ame du monde. Séparés de tout, enfermés dans une « psyché » qu'il croit être l' « autre » du monde, le Moderne s'asservit à la représentation narcissique qu'il se fait de lui-même.

Pour le Moderne, les dieux, les Idées, les Formes prennent source dans son esprit, mais il ne voit pas assez loin pour comprendre que cet esprit lui-même prend source ailleurs qu'en lui-même. Cette impuissance à imaginer au-delà du cercle étroit de sa propre contingence, n'est-ce point ce que les platoniciens nommaient « être prisonniers des ombres de la Caverne » ? Le Moderne idolâtre sa propre contingence, il en fait la mesure de toute chose, inversant le principe grec qui enseigne que l'homme doit retrouver la mesure de toute chose. Croire que les dieux sont purement « intérieurs », aboutit à une idolâtrie de l'intériorité. Les utopies meurtrières du vingtième siècle, le fanatisme uniformisateur et planificateur des fondamentalismes divers qui se donnèrent cours n'ont-ils pas pour origine ce subjectivisme effréné qui veut faire de l’intériorité de l'homme et de son incommensurable prétention d'être moral, la mesure du monde ? Pour l'homme ancien, les dieux sont en nous car ils miroitent en nous. Notre entendement capte les forces extérieures auxquelles il lui appartiendra, en vertu d'un principe de création poétique, de donner des Formes; et ces Formes, à leur tour, seront hommages aux dieux qu'elles nomment et enclosent pour d'autres temps.

Cette vue du monde est humble et généreuse, attentive et donatrice. Loin de penser l'homme comme l'Autre, ou face à l'Autre, elle reconnaît en soi le Même sous les atours de l'apparition divine. Le dieu est celui qui apparaît. Or l'homme, qui va à la rencontre du monde divin et ne connaît ni naissance, ni mort, apparaît à l'éternité et le dieu qui lui apparaît est selon l'admirable formule d'Angélus Silésius, « un éclair dans un éclair ». C'est dans l'éclat le plus bref et le plus intense que l'éternité nous est donnée. La fulguration d'Apollon demeure à jamais dans l'instant de l'apparition qui nous révèle à nous-mêmes, dans la pure présence de l'être.

f6b5b165511460abf4dcf0bf853f0393.jpg

Etres de lumière, les dieux; et non point êtres d'ombre, êtres de présence et non point êtres de représentation. L'apparition est l'acte du saisissement souverain où la vision se délivre de la représentation pour reconquérir la présence. Telle est la promesse, la seule, que nous font les dieux antérieurs. Ils ne nous promettent que d'être présents au monde, car aussitôt sommes-nous présents au monde que nous entendons leurs voix. Etre présent au monde, n'est-ce point déjà, dans une large mesure, être déjà désencombré de soi-même ? N'est-ce point devenir l'infini à soi-même ? Que suis-je qui ne soit à l'image des vastes configurations des forces du monde que nomment les dieux ?

Croire aux dieux, c'est croire que le monde intérieur et le monde extérieur sont un. La force lumineuse apollinienne se manifeste à la fois dans le soleil physique, qui épanouit la nature et le soleil métaphysique, le Logos, qui épanouit l'Intelligence. Le génie de l'ancienne sagesse est d'avoir donné un même nom à ces forces intérieures et extérieures, visibles et invisibles. Comment vaincre l'usure des temps, la transformation progressive de la vie en objet, la réification propre à la société marchande, sans le recours aux exigences et aux beautés plus anciennes? La diversité, la liberté, la complexité des anciennes sagesses, la précellence accordée aux Poètes, Bardes, Chantres ou Aèdes (qui sont les créateurs de la vérité qu'ils énoncent, à la différence du clerc qui administre une vérité déjà définitivement formulée) nous demeurent une injonction permanente à ne point nous soumettre. Le monde moderne paraît triompher dans ses vastes planifications, mais il est bien connu qu'il existe des triomphes dont on périt.

Le « déterminisme » dont les Modernes se rengorgent n'est probablement qu'une vue de l'esprit, particulièrement inepte, qu'un peu de pragmatisme suffirait à corriger. Là où le Moderne voit un enchaînement nécessaire, ce qu'il nomme un « progrès » ou une « évolution », un esprit libre ne verra qu'une interprétation à posteriori. La suite d'événements qui conduisent à un désastre ou à une circonstance heureuse, selon l'interprétation qu'on lui donne, n'apparaît précisément comme « une suite » qu'après coup. Cette suite, que la science du dix neuvième siècle nomme déterminisme, apparaît à l'intelligence dégagée et pourvue de quelque imagination, comme un leurre. Dans la vaste polyphonie humaine et divine, les choses eussent pu se passer autrement, et de fait, elles ne cessent de se passer autrement. Les configurations auxquelles elles obéissent engagent non seulement la ligne et le plan, mais aussi les hauteurs et les profondeurs.

633px-Dionysos_youth_Louvre_G138.jpg

Apollon et Dionysos, par exemple, se manifestent par une logique différente de celle de la planification ou de la linéarité. Apollon fulgure des Hauteurs et s'épanouit dans l'ensoleillement intérieur des Formes parvenues à l'équilibre parfait. Dionysos, lui, selon la formule d'Euripide, fait danser la terre. « Quand Dionysos guidera, la terre dansera » chante le chœur des Bacchantes. La formule mérite que l'on s'y recueille. Ce recueillement est recueillement dans la légèreté. La terre dionysiaque n'est plus la terre lourde, immobile, des gens « terre à terre », c'est la terre vibrante, la terre mystérieuse, la terre gagnée par le Symbole aérien de l'excellence: la danse, victoire sur la pesanteur.

Dans le temps et le monde profane, la pesanteur est ce qui nous attache à la terre, nous ferme le royaume du ciel, le séjour des dieux. Dans l'espace et le temps sacré, sous le signe de Dionysos, les forces telluriques elles-mêmes nous délivrent de la pesanteur: la terre danse. Notre danse sur cette terre gagnée par les puissances phoriques du sacré, est la danse de la terre elle-même. L'ivresse nous accorde au monde.

Cet accord, certes, ne préjuge point d'ultérieurs désaccords. L'accord au monde que suscite l'ivresse n'est pas une béatitude définitive, il n'est pas davantage une approbation sans limite. La face sombre du mythe dionysien, comme du mythe orphique, témoigne que l'accord est la conquête d'un dépassement de la condition humaine ordinaire, avec toutes les audaces, les périls, mais aussi les enchantements qu'implique un tel dépassement. La part dangereuse de l'ivresse n'est pas seulement dangereuse pour l'individualisme, elle est aussi dangereuse pour l'ordre social lorsque celui-ci ne parvient pas à lui donner la place qui lui revient.

Le génie grec fut d'avoir donné au mystérieux et inquiétant Dionysos une place centrale dans la mythologie. Alors que les fondamentalismes modernes paraissent être avant tout des expressions humaines de la crainte devant les dionysies de l'âme et du corps, les mythologies anciennes surent réserver au sens de la dépense pure et à l'exubérance festive, la part royale. Dans la mythologie grecque, Dionysos est souvent nommé, à l'égal de Zeus, « le maître des dieux ». C'est que l'infinie prodigalité de l'ivresse est à l'image de l'inépuisable richesse du monde des dieux.

Aux valeurs d'utilité, de thésaurisation, l'ivresse oppose le Don rendu à son ingénuité native. Lorsque Dionysos guide, les identités sont bouleversées. Ce qui, dans la temporalité profane, nous circonscrit dans l'espace-temps dont nous tenons nos identités, est ici remis en jeu sous l'influx des forces du devenir. Dans les époques bourgeoises, les êtres humains qui ne savent conquérir de nouvelles vertus sont de plus en plus attachés à leur identité, mais cet attachement est mortel, car l'identité n'est qu'une écorce morte et seule importe la tradition qui irrigue, traverse et bouleverse les apparences comme une rivière violente. Lors des dionysies, les identités profanes sont mises à mal et une force de renouvellement saisit l'être, le désencombre de ses écorces mortes, l'expose à nouveau aux aventures. Pour les hommes épris de leur statut, pour les hommes imbus de leurs certitudes, les dionysies sont la pire des menaces. En revanche, pour le poète, voire pour l'homme qui désire faire de sa vie un hommage au Beau et Vrai, les dionysies sont une promesse. Les certitudes qu'elles détruisent dans leur emportement, les identités dont elles révèlent le mal fondé ne sont que des leurres qui font obstacle à l'expérience de la vérité de l'être.

imago63721011h-gott-jpg-100-1920x1080.jpg

Le resplendissement de l'être, dont les dieux sont en ce monde les messagers, ne cesse, dans les conditions profanes de l'existence, d'être voilé, recouvert de scories qui sont autant d'habitudes mentales. C'est en nous délivrant de ces habitudes mentales par l'apport de la vigueur donatrice de l'ivresse que nous recouvrons une vision de la réalité qui n'est plus une vision instrumentale mais ontologique. L'ivresse nous révèle le monde non plus tel que nous l'utilisons ou le planifions, mais tel qu'il est dans l'ouragan de l'être se révélant à lui-même. Quittant les évidences illusoires de l'identité, nous nous retrouvons au centre d'un jeu de forces dansantes qui nous portent témoignage de l'être que nous méconnaissions.

L'ivresse, lorsque Dionysos en personne guide la danse est connaissance. Le monde devant lequel nous passons habituellement, comme devant un spectacle qui ne nous concerne pas, s'impose à nous, retentit en nous, nous exalte et nous effraie tour à tour. L'homme en proie à l'ivresse, ou mieux vaudrait dire, à une ivresse (car il existe autant d'ivresses que de couleurs et même de nuances à l'arc-en-ciel) est enclin à voir dans les choses des Mystères. Les arbres deviennent des arcanes. Les ciels et les mers s'offrent à lui comme de lancinantes interrogations. Les forêts sont bruissantes de présences, et les villes elles-mêmes deviennent des Brocéliande. Mais par dessus tout, les mots acquièrent une puissance et une résonance nouvelles.

Le dithyrambe dionysiaque fête les retrouvailles de l'homme avec les sources de la parole. Car la source de la parole n'est pas dans l'utilisation du réel mais dans sa célébration. Ces mots qui, dans le langage profane sont des écorces mortes, de vaines identités, la puissance dionysiaque va leur rendre la magie invocatoire. Là où le monde est rendu à la présence de l'être, le mot résonne infiniment dans l'âme humaine. Le mot n'est pas étranger à la réalité qu'il nomme, il est le site magique de la rencontre de l'homme et du monde. L'ivresse dionysiaque désempierre la source de la parole. De tout temps, le génie verbal eut partie liée avec l'ivresse. La pauvreté de la parole, la ladrerie de l'expression (que certains critiques modernes vantent sous l'appellation « d'économie des moyens ») qu'est-elle d'autre sinon une crispation sur les évidences, un refus de se laisser gagner par les vastes exactitudes de l'ivresse. Les belles éloquences sont les œuvres du consentement à l'ivresse, de l'accord souverain de l'âme et du corps. La parole, lorsqu'elle se fait rythme et musique et entraîne avec elle la pensée en de nouvelles aventures, naît de l'accord de l'âme et du corps. Lorsque l'âme et le corps sont désaccordés, la parole se fige et s'étiole.

La culture du ressentiment, anti-dionysienne par excellence, répugne à ces preuves magnifiques de la concordance de la hauteur et de la profondeur. La parole, elle la veut « écriture » et « minimaliste », c'est-à-dire aussi peu enivrée que possible, comme si l'ivresse, qui bouleverse les identités, était le Mal par excellence. Les œuvres d'André Suarès, de Saint-John Perse ou de John Cowper Powys sont de magnifiques défis à cette culture du ressentiment dont les seules « valeurs » irréfutables sont la mesquinerie et le calcul. Le « rire des dieux » dont parle Nietzsche est fait précisément pour effaroucher le « bien-pensant », pour montrer le comique foncier des « valeurs », et leur inanité face aux Principes et la puissance dont se compose la polyphonie du monde.

03_apollon_et_daphne_-_mosaique_de_la_maison_de_dionysos_a_paphos.jpg

Le Moderne, soumis au principe d'identité, est foncièrement attaché aux « valeurs » alors que l'Archaiothrèskos est fidèle aux Principes qui seront dans la geste éperdue des extases, principes de métamorphoses. Protéenne, l'ivresse invente des formes là où l'identité se contente de reproduire des formes. L'ivresse change, l'ivresse transfigure, là où le principe d'identité profane se limite à la duplication quantitative. L'ivresse crée des qualités. Elle inaugure l'ère, sans cesse reportée mais sans cesse sur le point d'advenir, du qualitatif. Toute perception d'une qualité est prélude d'ivresse. La qualité appartient à l'ordre de l'indiscutable. Celui qui ne la perçoit point ne saurait en parler. Perçue, la qualité suscite une interprétation infinie. L'herméneutique de la qualité est sans limite, alors que la quantité, aussi considérable soit-elle, se définit d'emblée par sa limite. La quantité est limitée, la qualité est infinie. L'ivresse dionysiaque est principe de poésie car elle invite au registre des harmoniques qualitatives du monde. Le souffle s'accorde à l'idée et le poème naît de ce « rien » qui est la chose elle-même rendue à la souveraineté de l'être. Les Mystères orphiques ou dionysiaques n'ont d'autre sens. Le moment du mystère est celui où l'être apparaît sous les atours de la réalité. Mystère car le site d'où se déploie le chant est celui de l'être irréductible dont aucune explication logique, ou grammaticale, ne peut s'emparer. Ce Mystère n'est point le mystère des « arrière-mondes », il ne relève pas davantage de cette sorte d'occultisme qu'affectionnent les Modernes. C'est le Mystère de la chose rendue, enfin, après la traversée odysséenne du Chant, à son propre silence.

Or, nous ne pouvons dire les choses que si nous recevons en nous, comme une promesse, le silence dont elles émanent. Longtemps, les sciences humaines feignirent de croire que les dieux n'étaient que de maladroites explications, dont on pouvait désormais se passer, des phénomènes naturels. Le dieu, en réalité, est ailleurs. Il n'explique pas, il nomme, et il nomme avec une pertinence telle que nous n'avons pas jusqu'à présent trouvé mieux que les noms des dieux, et les récits de leurs aventures, pour décrire les aléas de l'âme et du monde. Dire que la croyance aux dieux est morte avec le christianisme, c'est se faire de cette croyance, et de la croyance en général, une bien pauvre idée. L'exubérance, la prodigalité, l'ivresse ne meurent pas sur un décret, fût-il « théologique ». Leconte de l'Isle, par son goût pour la plénitude prosodique, les espaces grands et profonds, les symboles augustes, retrouve naturellement une part du génie ancien. La fidélité aux dieux antérieurs loin d'être une construction artificielle renoue avec une tradition qui ne fut jamais vraiment interrompue. L'éloignement des sagesses anciennes, leur supposée incompréhensibilité pour nous « Modernes », apparaît de plus en plus comme un vœu pieux que la plupart des œuvres d'art, de littérature ou de poésie modernes démentent avec ardeur.

Les dieux virgiliens frémissent dans la Provence de Giono avec une évidence que la morale chrétienne, pour louable qu'elle soit à certains égards, ne saurait leur ôter. Celui qui veut connaître l'être comme une présence, et non comme un concept, voit paraître les dieux qui nomment et racontent les aspects et les forces du monde réel qui échappent à toute utilisation possible. Nous pouvons ainsi reconnaître la pertinence herméneutique du récit mythique, son aptitude à dire ce qui advient en ce monde dans l'obéissance à des lois que nous ne comprenons pas entièrement. Les dieux décrivent une connaissance et disent en même temps les limites de la connaissance. Les dieux, certes, régissent, mais l'homme consent à la limite de sa science en disant qu'il ne sait pas exactement de quelle façon les dieux régissent. On ne saurait attendre une plus heureuse pondération de la part d'un physicien actuel. Le dieu ne dit pas la cause d'un mécanisme, il nomme le mécanisme et tout ce qui dans son antériorité ou sa postérité ne révèle rien d'évaluable.

b0bccdc1d8fbd6a5166a1a6643cde973.jpg

Si nous acceptons de reconsidérer cette terminologie divine dans la perspective de nos propres préoccupations herméneutiques, nous allons au-devant d'heureuses surprises. Qui n'a constaté que la faiblesse de maints systèmes d'interprétation tenait d'abord à la scission entre l'intérieur et l'extérieur, l'objet et le sujet ? Dans l'épistémologie moderne, la science du monde intérieur et la science du monde extérieur paraissent séparées par des barrières infranchissables. Or, chacun sait que le monde intérieur conditionne la connaissance du monde extérieur, et inversement. Il n'en demeure pas moins que les sciences de l'Ame et les sciences de la « physis » se développent de façon séparées et marquent l'une à l'égard de l'autre une indifférence immense.

Le génie du paganisme et des récits mythologiques fut de formuler la connaissance du monde dans une terminologie qui concernait simultanément le monde physique et le monde l'Ame. Loin d'être au-delà de la science, cette recherche d'une coïncidence de l'intérieur et de l'extérieur semble désormais au diapason des recherches contemporaines. Pourquoi faudrait-il tenir en des catégories radicalement séparées ce qui ordonne le monde et ce qui ordonne l'esprit ? Cette obstination dualiste n'est-elle pas la cause du désemparement où nous sommes ? Le triomphe de la technique extérieure et l'absence totale de maîtrise de soi, de discipline intérieure, où nous voyons nos contemporains n'est-il point la preuve de l'inefficience de cette pensée dualiste ? Le dieu antique nous parle car il parle d'un site qui ignore la séparation de l'en-dehors et de l'en-dedans.

Dans les mythologies hindoues, grecques, celtiques, les principes intérieurs et les principes extérieurs ne sont pas jugés de nature différente. Ils sont des degrés différents, non des natures différentes. Nous avons traité ailleurs de l'erreur d'interprétation fort commune, qui voit dans l'œuvre de Platon une « séparation radicale » entre l'Idée et le monde sensible, là où Platon parle d'une « gradation infinie ». De même, les dieux ne sont pas radicalement séparés du monde. Ils sont eux-mêmes gradation infinie, messagers, principes de variations infinies, reliés à d'autres principes selon la loi de l'analogie qui gouverne le monde et nous enseigne que, dans la présence de l'être, rien ne se crée et rien n'est perdu. Les dieux témoignent de l'éternité de nos âmes, de nos pensées comme ils témoignent de l'éternité du monde.

6710221755_4d82ee9347_b.jpg

Maître des ivresses, Dionysos nous invite à une expérience du temps dégagé de toute servitude linéaire. L'ivresse dionysiaque est la première, et la plus immédiate, des approches du temps modifié. Par l'ivresse, la temporalité devient chatoyante, complexe, variable selon des données métaphoriques et poétiques dont l'imagination est alors la maîtresse souveraine. L'accélération et l'exacerbation des idées, la fougue des sentiments et de l'imaginaire, les puissances démultiplicatrices de l'ivresse subvertissent l'illusion du temps mécanique et du temps quantifiable. Lorsque Dionysos mène la danse, l'âme bondit de qualités en qualités, d'intensités en intensités, si bien que le temps devient semblable à un espace résonnant d'échos et miroitant d'apparitions, toutes moins prévisibles les unes que les autres. L'univers entier devient alors le théâtre de cette fête dithyrambique. Pleine d'intersignes, de manifestations brusques, d'illuminations, au sens rimbaldien, la temporalité dionysiaque est une temporalité illuminée.

La lumineuse construction apollinienne n'est pas moins dégagée du temps linéaire que la fougue dionysiaque. Dionysos lutte encore avec le temps linéaire comme avec un ennemi, alors qu'Apollon domine toutes les temporalités de son évidence sculpturale. L'erreur d'interprétation la plus commune croit tirer avantage de l'intemporalité des dieux pour conclure à leur inexistence, car, selon l'historiographie profane, seules existent les choses et les créatures soumises au temps. Certes, tout ce qui tombe sous nos yeux semble soumis au temps. N'est-ce point parce que nous sommes soumis au temps que nous croyons voir dans les choses la marque de cette soumission ? N'anticipons-nous point arbitrairement de la nature des dieux par la connaissance de nos propres infirmités ? Nous passons à travers les apparences vers une extinction plus ou moins certaine et nous en concluons à la fugacité de toute chose. N'est-ce point sauter directement de la prémisse à la conclusion et faillir aux exigences élémentaires de l'exactitude philosophique ? L'ivresse, en nous délivrant de nos affaires trop humaines, de nos préoccupations mesquines, et des conditions qui nous enchaînent, nous laisse enfin face au monde réel que nous ne nous croyons plus obligés, alors, d'assujettir aux circonstances qui voient nos limites et nos défaites. Les théurgies anciennes, néoplatoniciennes et orphiques, prescrivaient de sortir de soi-même par l'extase afin d'accéder à la vision. Ce n'est que délivré des conditions de la nature humaine que nous pouvons voir. L'extase visionnaire fut ainsi longtemps considérée comme un instrument de connaissance.

20fda934e777222d442ef73d3d002082.jpg

Connaître par l'extase, voir par l'extase, loin de ramener l'homme vers la subjectivité ou l'intériorité, était alors un moyen de voir le monde hors des limites ordinaires de l'entendement humain. La mesure de l'homme ne devient la mesure du monde, du Cosmos, que si nous acceptons de nous abandonner à l'Odyssée de la pensée et de l'Ame. L'exigence épique n'est pas radicalement différente de l'exigence philosophique. Empédocle rejoint Homère dans la célébration de l'areté, cette vertu fondamentale qui dégage l'homme de la soumission banale aux phénomènes. L'éthique héroïque est une éthique du dégagement qui peut aller jusqu'à paraître désinvolture. La vision sera d'autant plus juste, et d'autant plus riche d'enseignements, qu'elle sera plus inhabituelle, mieux dégagée des conditions ordinaires de l'existence. De même, par ses instruments, explorateurs de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, par ses audacieuses hypothèses mathématiques, le chimiste et le physicien usent de méthodes qui invitent le regard à voir la réalité sous un jour radicalement différent de celui auquel elle se propose dans la vie quotidienne. Ce que le physicien nous apprend de la nature du Temps, depuis Newton, contredit l'expérience que nous en faisons dans la succession de nos travaux et de nos jours. Le Théurge des Mystères dionysiens ou orphiques n'agissait pas autrement en faisant de l'expérience visionnaire, qui rompt les logiques de la perception profane, une source de connaissance. Seul le point de vue inhabituel peut nous renseigner sur la nature de l'habituel. La « sur-temporalité » du monde divin qui se révèle dans la vision du Théurge délivre de la prison de la subjectivité, qui ne voit en toute chose que sa propre image insignifiante et périssable.

Dans les civilisations de masse, soumises à la loi du plus grand nombre et au règne de la Quantité, il est de coutume d'expliquer le supérieur par l'inférieur. Ainsi le désintéressement et les comportements humains, qui participent de la vertu donatrice, sont-ils soumis à la suspicion de l'inférieur qui cherchera les motifs intéressés là où s'exerce librement un génie dispendieux. De même, l'inspiration divine, l'extase visionnaire, les hautes opérations de l'entendement auxquelles nous convie la Théurgie orphique seront-elles soumises, par la critique profane, à la « subjectivité » ou justiciables d'une psychologie plus ou moins naturaliste. Dans un ordre plus récent et plus restreint, l'œuvre littéraire et son auteur, lorsqu'ils ne bénéficient point, en espèces sonores et trébuchantes, des fruits de leur labeur sont invariablement taxés de vanité. L'inaptitude du Moderne à voir au-delà du cercle étroit de ses intérêts les plus immédiats lui ôte d'emblée toute compétence à juger de la poésie et de la métaphysique. Il s'agit là moins d’une question de culture que d'orientation intérieure. Le monde auquel l'ivresse porte atteinte laisse place à de plus subtiles constructions où la multiplicité des états de conscience dévoile la multiplicité des états de l'être.

0405d00603139206edebf68cc78f8f5d.jpg

Les cultes grecs tardifs, les philosophies hermétiques, loin d'être seulement les éléments décadents d'une civilisation destinée à laisser place au christianisme, paraissent ainsi à celui qui s'y attache avec une certaine déférence, d'une richesse exceptionnelle. Les Hymnes Orphiques, dont une traduction nouvelle et musicale a été donnée par Jacques Lacarrière, témoignent d'une ferveur ancienne et portent en eux le témoignage des plus lointaines méditations grecques. De même le Discours sur Hélios-Roi de l'Empereur Julien, Les Mystères égyptiens de Jamblique, les fragments pythagoriciens, loin de témoigner d'une corruption des sagesses anciennes en révèlent certains aspects probablement maintenus cachés jusqu'alors, la discipline de l'arcane se levant, par exception, en ces périodes pressenties comme ultimes.

Si ces témoignages ne sont que lubies ou médiocres compilations, alors, en effet, le christianisme le plus exclusif et le plus administratif prouve sa nécessité. En revanche, si les ultimes formes libres du paganisme sont diaprées de sens et de beauté, si nous pouvons entendre et laisser miroiter en nous ce sens et cette beauté, alors, rien n'est joué. La perspective traditionnelle, à laquelle certains des plus éminents auteurs catholiques se sont ralliés, incline à croire que la Sagesse n'est point datable, « qu'elle naît avec les jours » selon la formule de Joseph de Maistre, et que les formes religieuses les plus anciennes sont aussi les plus lumineuses ambassadrices de la lumière d'or des origines. Ces conceptions, ennemies de toute exclusive religieuse, étaient partagées par les fidèles aux dieux antérieurs. Si le centre du temps est l'origine du monde, alors toutes nos formulations sont des points sur la périphérie, horizon d'éternité que rien n'altère, qu'aucune obsolescence ne menace fondamentalement.

Le génie du paganisme tardif fut d'avoir transposé dans l'ordre du secret, en vue d'une transmission de maître à disciple, les vastes certitudes des dieux afin de garantir leur survie en « ces temps de détresse » qu'évoquait Hölderlin. L'orphisme, le pythagorisme, les poétiques dionysiennes, alexandrines, hermétiques, ne sont pas du paganisme « pré-chrétien », mais du paganisme rendu subtil, en vue d'une traversée historique pleine d'incertitudes. Si les polémiques contre le christianisme, surtout sous la forme vulgaire qu'affectionnent les Modernes, nous semblent vaines (un cloître roman demeurant plus proche, par la forme et le fond, du temple d'Epidaure que de n'importe quelle construction moderne, fût-elle « néo-classique », issue de l'hybris moderniste) nous garderons à cœur, en revanche, de ne rien céder des ferveurs anciennes à l'illusion d'un quelconque « progrès ». Si le génie grec persiste dans l'architecture romane, il persiste aussi ailleurs, avant et après. La similitude entre la fin de l'Empire et l'actuel déclin de l'Occident est trop évidente pour n'être pas de quelque façon fallacieuse.

Certes, l'Occident sombre, et l'arrogance occidentale est mise à mal, mais voici bien longtemps que cet Occident-là, voué au dogme bicéphale de la marchandise et de la technique n'est plus que la subversion des principes fondateurs des Cités et des Empires dont nos arts et nos philosophies furent les héritiers. Voici bien longtemps que le génie de l'Europe et les destinées historiques de l'Occident ne coïncident plus en aucune façon, et souvent paraissent, aux observateurs les plus avisés, antagonistes. Le génie de l'Europe n'a pas disparu avec le triomphe historique de l'Occident mais il est devenu secret, apanage des individus audacieux qui surent résister à la planification et à l'uniformisation.

Le vingtième siècle restera dans l'Histoire comme le siècle de la destruction programmée de toutes les cultures traditionnelles. L'Occident fut destructeur de la magnifique culture chevaleresque et visionnaire des Indiens d'Amérique parce qu'il avait déjà renié en lui-même le génie européen. Pourquoi serions-nous solidaires de ce qui nous tue ? Poètes, artistes, ou amoureux des grandes heures, des ivresses dionysiennes et des songes apolliniens, pourquoi notre destin se confondrait-il avec le titanisme d'un pouvoir qui se fonde, selon l'excellente formule de Heidegger, sur « l'oubli de l'être » ? Le génie de l'Europe est fidélité aux dieux, le destin de l'Occident est la soumission aux Titans. Lorsque, selon la formule de Drieu « les Titans à genoux raidissent leur buste », ce ne sont point les dieux qui rêvent leur défaite mais le règne d'une force mécanique, aussi insolite que destructrice et passagère. Certes, des milliers de destinées humaines peuvent encore s'y briser, mais le simple regard d'Athéna qui se pose sur nos tumultes, si nous en prenons conscience, éloigne déjà tout ce dont nous souffrons dans les limbes des erreurs passées. Quoiqu'il advienne, les dieux nous précèdent. Les dieux ne sont pas dans notre passé, c'est nous qui sommes dans le passé des dieux et qui nous efforçons de les rejoindre.

Luc-Olivier d'Algange

 

21:05 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dieux, dieux grecs, luc-olivier d'algange | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 18 avril 2024

Symbologie de l'ours

ea0e9a14437cb27f4a7259bee578d830.jpg

Symbologie de l'ours

Source: https://huestantigua.wordpress.com/2024/04/02/simbologia-del-oso/

"Car ce qui peut reposer éternellement n'est pas mort..."

- H.P. Lovecraft

Introduction

C'est parti pour une nouvelle analyse du symbolisme animal. Dans ce cas, nous nous intéresserons à l'ours, cet animal magnifique et inquiétant qui peuplait autrefois la majeure partie de l'Europe et que l'on trouve encore aujourd'hui dans certaines régions.

Critères et motivations

Rappelons une partie de ce qui a été commenté dans l'article consacré au loup.

En ce qui concerne le critère d'analyse :

"[...] observez l'animal en question et essayez de déterminer quelle est sa caractéristique particulière, quels sont les éléments de sa physionomie ou de son comportement qui sont suffisamment exclusifs pour en être un facteur d'identification. Cette particularité doit donc être quelque chose qui n'est pas présent chez les autres animaux ou pas avec l'intensité qu'il aurait chez l'animal particulier que l'on analyse.

La recherche portera donc sur les aspects de l'animal qui le différencient des autres animaux. [...]"

Et en ce qui concerne la motivation de l'analyse :

"[...] certains symboles ont la capacité, pour ainsi dire, de proposer ou de postuler des "changements de conscience". Plus concrètement : nous pouvons directement désigner la "fascination" que certains symboles suscitent comme une manifestation de ce "processus de changement" dans la conscience de l'homme. C'est cette fascination que nous pouvons interpréter comme une manifestation de ce changement, un "générateur de l'approche" de la conscience vers la coïncidence avec le symbole : être comme lui".

Ceci étant dit, nous allons maintenant, sans plus attendre, exposer les éléments que nous souhaitons identifier dans le cas de l'Ours.

f23196a4f0eb4290401809f5a29a648c.jpg

Caractéristiques importantes de l'ours

Comme le loup, l'ours est un autre protagoniste de son milieu, la forêt, du moins dans les conditions naturelles. Par exemple, dans des conditions normales, l'ours n'a pas de prédateur et partout où il va, il manifeste sa présence; c'est-à-dire que, sous ces aspects, l'ours n'est pas différent des autres grands prédateurs des forêts, des steppes, des montagnes ou des zones côtières septentrionales.

Nous pourrions souligner la férocité et la force de l'ours, ainsi que sa capacité d'intimidation, mais nous savons bien que ces caractéristiques sont présentes chez bon nombre d'animaux sauvages. C'est pourquoi, bien que nous devions les prendre en compte, nous les écarterons et ne les considérerons pas comme exclusives à l'ours. Nous soulignerons, dans ce sens, que, comme dans le cas du loup, la rencontre avec un ours peut être fatale. Cette qualité mortelle, tant chez le Loup que chez l'Ours, nous "chuchoterait" qu'il s'agit de symboles transcendants, car la rencontre avec eux nous rapproche dangereusement de la possibilité de la mort. En d'autres termes, elle nous expose à la limite humaine.

ee0gbj.jpg

Il est également important de souligner que l'ours, contrairement au loup, est un animal solitaire et, sauf dans le cas d'une mère et de ses petits, ne forme pas de groupes. Cet aspect nous amène à interpréter l'éventuelle proposition de l'Ours comme quelque chose à prendre en compte dans le domaine de la solitude, du propre, et non pas en se projetant dans le domaine social. C'est-à-dire que sa proposition serait orientée vers l'individu, vers l'homme avec lui-même.

Nous pourrions analyser d'autres particularités de l'ours, comme le fait qu'il est l'un des rares animaux qui, grâce à sa capacité d'endurance, peut prendre du miel sans que les abeilles s'en préoccupent. Nous pourrions également évaluer et commenter l'impressionnant rugissement d'avertissement que l'ours émet avant d'entrer en combat.

Mais, de toutes les caractéristiques que nous avons évaluées dans cet article, celle qui nous semble la plus significative et l'une de celles qui identifient le mieux l'ours est sa capacité à hiberner, sa capacité à rester endormi pendant les mois d'hiver. Cette facette de l'ours nous oblige à valoriser le sommeil comme "apparence de la mort", de sorte que même s'il semble mort, il reste vivant et attend le moment où il se réveillera à nouveau. Le moment où il "reviendra à la vie" dans "l'analogie du sommeil et de la mort".

Dans cette perspective, et en gardant à l'esprit que l'ours est lui-même une force impressionnante et puissante de la nature sous la forme d'un animal, nous ne pouvons que sourire en imaginant ce que la signification de l'ours pourrait être pour quiconque s'est immergé dans une Quête Intérieure.

bd1777775d2ecc17beca7e62507efc0a.jpg

Ce que représente l'ours

Enfin, il y a maintenant la partie concernant "certains symboles qui ont la capacité, pour ainsi dire, de proposer ou de postuler des "changements de conscience"", nous devons donc souligner ces changements. Contrairement au cas du loup, ces changements seront un peu plus complexes et pas si faciles à percevoir ou à comprendre. En principe, il ne s'agira pas de tendances vers des caractéristiques à prendre en compte, comme c'était le cas dans notre analyse précédente.

Nous comprenons que la proposition de l'Ours consiste à comprendre - si possible intuitivement et même expérimentalement - le potentiel qui se trouve dans notre profondeur et à "faire de la place" dans la conscience pour que ce pouvoir ait un passage ou une liberté de mouvement au sein de nos possibilités. En d'autres termes : l'exercice âme-mental que proposerait le Symbole de l'Ours serait de regarder dans la "Profondeur de Soi" afin de prendre conscience que, lorsque le moment est venu - le "Printemps" - l'immense potentiel qui réside dans certaines personnes peut - et doit - se manifester ; c'est-à-dire qu'il doit s'éveiller.

Une trace de la représentation

Le premier cas que nous évoquerons pour retracer cette "représentation par l'ours du potentiel intérieur" est celui du soi-disant "Berserk" des mythes et des anciennes cultures nordiques. Fondamentalement, le "Berserk", qui est apparemment un homme normal, est - au moment opportun - un "homme-ours" dont la caractéristique visible, et très redoutée, est de "réveiller en lui une fureur sans mesure" qui, dans un scénario de bataille, fait de lui un adversaire bien supérieur aux autres. On peut dire qu'au combat, le Berserk est, comme l'Ours, une puissante force de la nature. Cette fois-ci sous la forme d'un homme.

9170fc7294994fd9eac455518c9ee9ca.jpg

Cependant, bien que l'image du Berserk nous suggère de nombreuses idées - y compris le concept du "titanesque" chez Evola - et que nous la considérions toujours comme positive pour l'analyse, nous ne sommes pas enclins à interpréter la Proposition de l'Ours dans un cadre matériel, mais comme une proposition plus spirituelle et, comme nous l'avons noté, orientée vers l'intérieur. Dans la même veine que le Loup, il nous semble que nous pourrions interpréter le Berserk comme "cet homme qui est capable de dépasser son état de domestication - culturel - et de retrouver sa condition "sauvage" et indomptée".

Dans ce sens, nous trouvons beaucoup plus précieux et illustratif un autre argument que nous allons souligner. Bien qu'il n'ait pas fait directement partie de notre recherche sur l'ours, il est réapparu - peut-être comme une synchronicité magique - alors que nous étions en train de l'étudier. Cet argument a été déterminant dans notre approche de la même analyse. Nous nous référons au cas du roi Arthur dans les mythes du Graal. La clé n'est autre que le nom même d'"Arthur", dont l'étymologie le rattache au grec "ἄρκτος" ("arktos", ours) et qui, comme l'indique l'histoire : est le personnage qui rétablit l'ordre transcendant dans le royaume.

a274dc2c0a653385e6ab3c59a26c8a9c.jpg

En d'autres termes : Arthur - l'ours - est le représentant de cette puissance qui, au moment opportun, fait son apparition pour tout changer; cette fois-ci, non pas par la destruction, mais par l'imposition d'un Ordre transcendant. Telle est la mesure du pouvoir que représente l'Ours.

Nous pensons que les idées exposées ci-dessus sont suffisantes par rapport à notre motivation. Il appartiendra aux lecteurs/chercheurs d'approfondir les arguments et les innombrables détails qui les entourent (la grotte, la montagne, l'ours polaire, sa capacité à se tenir sur deux pattes, son odorat puissant, etc.

Quoi qu'il en soit, bon lecture !

Enfin, bravo aux "Ours" qui, depuis leur grotte, attendent la "Prima Vera" ("première vérité") appréciée qui les sortira de leur léthargie !

14:35 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditions, symboles, ours | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 12 avril 2024

L'éternel retour d'Evola 50 ans après sa mort

tradition,traditionalisme,julius evola

 

L'éternel retour d'Evola 50 ans après sa mort

Gennaro Malgieri

Source: https://electomagazine.it/leterno-ritorno-di-evola-a-50-anni-dalla-morte/

L'oeuvre de Julius Evola se confirme, avec le temps, un demi-siècle après sa mort (en date du 11 juin 1974), comme une aire incontournable au cœur de la modernité. Andrea Scarabelli lui a consacré un livre magnifique et volumineux, Vita avventurosa di Julius Evola, publié chez Bietti (pp.737,39,00 €), dont nous parlerons dans les prochaines semaines, un livre indispensable qui, par sa complexité et son exhaustivité, nous fait découvrir l'un des plus grands penseurs du vingtième siècle.

81mIbi4H1lL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgPour avoir lu et apprécié Evola, bien que sur plus d'un point avec des réserves compréhensibles, il y a cinquante ans, ou même plus tôt quand le débat autour de ses idées faisait rage, en essayant de le sauver d'une diabolisation préventive, c'est comme si on ne l'avait pas connu du tout quand on le relit aujourd'hui, surtout après la publication du livre de Scarabelli, dans le contexte de la révolution la plus subtile et la plus radicale qui ait eu lieu: l'affirmation d'une pensée unidimensionnelle et homologatrice, totalitaire dans son essence et libertaire dans sa forme, qui est à la fois fiction et enveloppe du déracinement des valeurs auquel nous participons, consciemment ou inconsciemment. Evola, paradoxalement, est beaucoup plus notre contemporain qu'il ne l'était à l'époque où son observation minutieuse et son diagnostic précis de la décadence se sont déployés, se projetant dans une dimension qui, seulement des décennies plus tard, comme il l'imaginait lui-même, s'ouvrirait même dans les sphères culturelles qui, de son vivant, tendaient à le marginaliser, voire à le "réduire au silence".

71pqpgKqQ8L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

L'œuvre d'Evola, loin d'être embaumée et conservée dans les recoins d'une aire intellectuelle minoritaire, fréquentée uniquement par des "dévots" sans esprit critique, est surtout aujourd'hui, dans sa complexité, non seulement un formidable réquisitoire, extraordinairement efficace et approprié, contre l'idéologie du déclin sous les différentes formes qu'elle a prises, mais se révèle pour ce que tant de gens ont pu y voir en s'y plongeant au point d'en sortir transformés, comme ce fut le cas par exemple pour le grand poète allemand Gottfried Benn après la lecture de Révolte contre le monde moderne. Et si ce sont les traits stylistiques d'une certaine "révolution conservatrice" que Benn a reconnus dans le livre du penseur italien, qui devait conquérir avec lui une notoriété non éphémère dans les milieux culturels européens, il faut dire aussi que l'analyse profonde et complète de la Tradition par Evola laissait entrevoir un horizon culturel qui, au tournant de la crise continentale, pas encore libéré des affres de la première grande guerre civile européenne, s'apprêtait à se dissoudre dans la crise de l'Europe, se préparait à se dissoudre dans la seconde, comme le prédisait "prophétiquement" un fascinant diagnosticien représentant le "déclin de l'Occident", un peu comme Evola lui-même le fera des années plus tard en entraînant la "prophétie" spenglérienne au-delà des contingences qui l'avaient inspirée pour la fonder dans l'éclipse d'une religiosité, même non fidéiste; la "crise du monde moderne" dont René Guènon avait déjà donné une représentation convaincante au point qu'elle tient encore face aux convulsions qui nous habitent et auxquelles nous avons l'impression de ne pas pouvoir échapper.

R240129697.jpg

C'est à ce sentiment d'impuissance qu'Evola s'est souvent intéressé, nous invitant à une sorte de révolution spirituelle qui, en ce début du 21ème siècle, nous apparaît comme la seule carte à jouer face aux contradictions de l'égarement intellectuel. Les conséquences politiques sont connues et la crise substantielle de la démocratie, démembrée par les pouvoirs oligarchiques, maîtres absolus du marché, n'est que la dernière étape de la dissolution sociale qui a commencé avec les crimes commis par la Grande Révolution.

Le "totalitarisme mou", auquel Evola s'est implicitement référé tant de fois, ne s'arrête pas à la prétention d'uniformiser la vie selon l'uniformisation imposée par les potentats transpolitiques et la finance prédatrice à travers les médias, la publicité, l'allégorie fantasmagorique de la liberté exaltée - pour la nier - par les réseaux sociaux, l'apologie de l'homo consumans comme seul être réputé pertinent, la suppression de la souveraineté des peuples, des nations et des Etats en vue de la création d'un Marché Universel dont l'égalitarisme formel devrait être la ligne directrice. Avec pour objectif, de la part des oligarques intellectuels et politiques qui tiennent les ficelles, de transformer, jusqu'à les réduire à néant, les faits et phénomènes de diversité et de catapulter finalement la "théorie du genre" dans l'assimilation pratique de l'unisexe dans une société réduite à un désert de formes et privée de forces vives: bref, la révolution la plus bouleversante qui ait traversé l'humanité.

61W86DzaT8L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

La "pensée unique" a hâtivement consumé, dans l'horrible lande des idéologies mortes, ses gloires, renversant le principe d'"universalité" (qui n'est pas l'uniformité) propre aux soi-disant "civilisations traditionnelles" en celui de "collectif" propre à la soi-disant "civilisation moderne". Celle-ci s'oppose à l'"universel" comme la "matière" s'oppose à la "forme", affirme Evola. Et il explique, dans les dernières pages de Révolte contre le monde moderne, que "la différentiation de la substance dans la promiscuité de la collectivité et la constitution d'êtres personnels par l'adhésion à des principes et à des intérêts supérieurs constituent la première étape de ce qui, dans un sens éminent et traditionnel, a toujours été compris comme la "culture". Lorsque l'individu est parvenu à donner une loi et une forme à sa propre nature, de sorte qu'il s'appartienne à lui-même au lieu de dépendre de la partie purement physique de son être, la condition préalable à un ordre supérieur est déjà présente, dans lequel la personnalité n'est pas abolie, mais intégrée: tel est l'ordre même des "participations" traditionnelles, dans lesquelles chaque individu, chaque fonction et chaque caste acquièrent leur signification propre par la reconnaissance de ce qui leur est supérieur et de leur lien organique avec lui. Et, à la limite, l'universel est atteint dans le sens du couronnement d'un édifice dont les solides fondations sont précisément constituées à la fois par les diverses personnalités différenciées et formées, chacune fidèle à sa propre fonction, et par des organismes ou des unités partielles avec des droits et des lois correspondants, qui ne se contredisent pas mais se coordonnent solidement grâce à un élément commun de spiritualité et à une disposition active commune à un dévouement supra-individuel".

Il en va tout autrement dans la modernité, où s'impose une conception opposée, de type mécaniste pourrait-on dire, visant au collectivisme. Ainsi, comme l'explique si bien Evola, l'individu apparaît de plus en plus incapable de valoir autrement qu'en fonction de quelque chose: dans ce "quelque chose", indéfini, il cesse d'avoir un visage propre; son visage est celui que les autres lui donnent, fruit de l'homologation, du renoncement à être lui-même du moins formellement. Aujourd'hui, on range tout cela sous le titre de "pensée unique", dont le déploiement est une praxis existentielle visant à la construction d'un indifférentisme accepté, presque toujours inconsciemment, comme une valeur apportée par le déploiement de la démocratie la plus accomplie, alors que c'est exactement l'inverse qui est vrai. C'est-à-dire que la régression dans l'indistinct constitue la dissolution non seulement des différences ordinaires et donc des hiérarchies morales, culturelles et civiles, mais aussi d'une démocratie populaire dont l'essence devrait être l'exaltation des pièces individuelles d'une mosaïque communautaire cimentée par la reconnaissance de la dignité.

b51dc378ec90cf24daabbd133097b70b.jpg

À l'époque de la quantification et de l'absolutisme mercantile, il est inévitable que la force du nihilisme devienne un puissant facteur de stabilisation de l'instabilité, avec des conséquences facilement imaginables que nous pouvons déjà voir à l'œuvre autour de nous, massivement présentes dans notre imaginaire culturel et destinées à submerger même les îles isolées que l'on croyait jusqu'à récemment à l'abri des flots de la vulgarité massifiante qui véhicule les modes et les coutumes qui remontent à l'univers de l'unicité de la pensée et donc au triomphe de la modernité. Âge sombre" ou "âge de fer", reprenant l'antique image d'Hésiode: c'est ainsi qu'Evola a défini notre époque. Et lorsque les formulations ont pris des allures de polémiques politiques, il ne s'est pas trouvé un seul homme pour ne pas stigmatiser le "baron noir" par des épithètes irrévérencieuses et pour ne pas considérer ses disciples comme pathétiques. Le temps s'est fait gentilhomme et le néo-totalitarisme, préfiguré et analysé par Evola en des termes on ne peut plus alarmants, bien avant que ses miasmes n'envahissent nos existences, progresse dans l'indifférence de ceux qui ne perçoivent pas les restrictions des espaces de liberté désormais occupés par les cris des multitudes qui réclament l'attention d'on ne sait qui, étant donné que ceux qui tissent les fils de la modernité ont intérêt à faire semblant de donner l'apparence de l'autonomie et de la critique à ceux qui la réclament, à condition, bien entendu, de disposer d'un cadre et d'une structure impénétrables et blindés pour protéger la citadelle du pouvoir qui n'admet aucune contestation, celui de l'argent qui domine les consciences en les achetant avec des gadgets culturels et des croyances nouvellement créées.

Le spenglérien Evola écrit, toujours dans Révolte contre le monde moderne De même que les hommes, les civilisations ont leur cycle, un début, un développement, une fin, et plus elles sont immergées dans le contingent, plus cette loi est fatale. Cela, bien sûr, ne peut impressionner ceux qui sont enracinés dans ce qui, étant au-dessus du temps, ne serait altéré par rien et qui demeure comme une présence éternelle. Même si elle disparaissait définitivement, la civilisation moderne n'est certainement pas la première des civilisations à s'éteindre, ni celle au-delà de laquelle il n'y en aura pas d'autre. Les lumières s'éteignent ici et se rallument ailleurs dans les vicissitudes de ce qui est conditionné par le temps et l'espace. Les cycles se ferment et les cycles se rouvrent. Comme on l'a dit, la doctrine des cycles était familière à l'homme traditionnel, et seule l'insipidité des modernes leur a fait croire un instant que leur civilisation, plongée, plus qu'aucune autre ne le fut jamais, dans l'élément temporel et contingent, pouvait avoir un destin différent et privilégié.

Mais est-il possible que la fin d'un cycle puisse préluder à l'ouverture d'un autre dans une continuité, certes essentielle et marginale ? C'est un grand thème qui, projeté sur l'immense marécage contemporain, sollicite des considérations anthropologiques par rapport auxquelles tous les domaines de la pensée sont remis en question, à commencer par le religieux (même s'il n'est pas ancré dans une foi donnée) jusqu'à l'économico-social. C'est dans ce contexte que celui que l'on a appelé la "lux évolienne" s'est imposé de manière décisive, surpassant même des théoriciens de la crise et du déclin beaucoup plus acclamés. Evola, contrairement à ce que l'on pourrait penser - et surtout dans les dernières années, bien qu'il n'ait pas cultivé les illusions à court terme d'une possible renaissance (les nombreux articles qu'il a écrits pour Il Conciliatore, L'Italiano et Roma en sont la preuve) - a imaginé la possibilité d'inverser le cours des choses, sans s'attarder à les chercher dans certains renouveaux plus folkloriques qu'autre chose des "traditionalistes" autoproclamés de la dernière heure ou dans une religiosité de seconde main, telle qu'on l'observe dans Masques et visages du spiritualisme contemporain.

848627326_L.jpg

Symboles-et-mythes-et-Tradition-Occidentale-.jpeg

Il a imaginé qu'une minorité active et culturellement consciente de la tâche à laquelle elle doit se consacrer après avoir mesuré les étapes de la décadence et tiré les conséquences de la dissolution des formes même élémentaires inhérentes à une existence à peine ordonnée, pourrait émerger. Il définit les personnalités qui composent ce noyau comme des egregoroi, c'est-à-dire ceux qui regardent. Mais en plus grand nombre, dit-il, "il y a des individualités qui, sans savoir au nom de quoi, ressentent un besoin confus mais réel de libération. Orienter ces personnes, les mettre à l'abri des dangers spirituels du monde présent, les amener à reconnaître la vérité, et rendre absolue leur volonté que certains d'entre eux puissent atteindre la phalange des premiers, c'est encore ce que l'on peut faire de mieux". Et, toujours dans un rigoureux réalisme, il ajoutait: "Mais là encore il s'agit d'une minorité et il ne faut pas s'imaginer qu'il puisse en résulter une variation appréciable dans l'ensemble des destinées. Telle est donc la seule justification de l'action tangible que certains hommes de la Tradition peuvent encore exercer dans le monde moderne, dans un milieu avec lequel ils n'ont aucun lien. Pour l'action directrice précitée, il est bon que de tels "témoins" soient là, que les valeurs de la Tradition soient toujours indiquées, sous une forme d'ailleurs d'autant plus atténuée et dure que le courant adverse est plus fort. Même si ces valeurs ne peuvent pas être réalisées aujourd'hui, elles ne sont pas réduites à de simples "idées"". Et encore: "Rendre clairement visibles les valeurs de vérité, de réalité et de Tradition à ceux qui, aujourd'hui, ne veulent pas de "ceci" et cherchent confusément "autre chose", c'est apporter un soutien pour que la grande tentation ne l'emporte pas chez tous, où la matière semble désormais plus forte que l'esprit".

71Jz4TGYKYL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

La Tradition, prise non pas comme conatus réactif à la "pensée unique", mais comme véhicule d'affirmation d'une "pensée autre", est donc l'héritage d'Evola pour les "derniers temps". Une Tradition, bien sûr, vécue dans ses valeurs constitutives et non dans les déchets rhétoriques qui lui sont associés, auxquels les attitudes culturelles ont offert un espace pour le moins irrespectueux à l'égard de l'univers traditionnel lui-même. Et qui ne peut devenir "active" qu'en prenant les traits d'une "révolution conservatrice", comme le suggère Evola lui-même dans Gli uomini e le rovine (Les hommes au milieu des ruines), dans Cavalcare la tigre (Chevaucher le tigre) et dans de nombreux autres écrits organiques et occasionnels. La formule met en évidence l'élément dynamique représenté par la "révolution", qui n'a donc pas de valeur subversive ou violente d'un ordre légitime, et l'élément constitutif qui l'étaye, lequel est "conservateur". Mais conserver quoi? La tradition et ce qui en découle, en la faisant vivre - et c'est là la tentative la plus ardue - à travers les instruments de la modernité sans être conditionnée ou même subjuguée par eux. Préserver la Tradition et ce qu'elle signifie est le seul véritable acte révolutionnaire imaginable. Et il est loin d'être irréaliste de croire qu'une réaction loin d'être stérile au totalitarisme de la "pensée unique" puisse en découler.

Loin de cristalliser l'idée de Tradition, Evola la relance comme proposition culturelle à l'heure de la crise de toutes les croyances et à la veille de l'effondrement d'idéologies élevées au rang de pratiques quasi mystiques. Dans un article paru dans Il Conciliatore en juin 1971, Evola écrit: "L'introduction de l'idée de Tradition vaut pour libérer chaque tradition particulière de son isolement, précisément en ramenant son principe générateur et ses contenus essentiels dans un contexte plus large, en des termes qui soient d'une intégration effective. Seules les éventuelles revendications d'exclusivisme et de privilèges sectaires en pâtissent. Nous reconnaissons que cela peut être dérangeant et créer une certaine désorientation chez ceux qui se sentaient en sécurité dans une zone donnée et clôturée. Mais pour d'autres, la vision traditionnelle ouvrira des horizons plus larges et plus libres, elle ne fera qu'instiller une sécurité supérieure, à condition qu'ils ne trichent pas au jeu: comme dans le cas de ces "traditionalistes" qui n'ont mis la main sur la Tradition que comme une sorte de condiment à leur propre tradition particulière réaffirmée dans toutes ses limites et dans tout son exclusivisme".

La personnalité multiforme d'Evola se prête, on le sait, à des interprétations diverses, variées, voire contradictoires. Mais sur un aspect de sa pensée, il n'y a probablement pas de différence de jugement. Evola - au-delà de ses propres intentions - est le protagoniste incontesté d'une révolte culturelle contre le conformisme dont la dictature de la "pensée unique" est l'expression la plus macroscopique et la plus meurtrière.

Evola est en bonne compagnie, bien sûr. Mais la pertinence contemporaine de ses idées est telle qu'il est considéré comme la référence d'une vision du monde qui embrasse, contrairement à d'autres, bien que contigus, les domaines les plus importants de l'esprit et de l'action, du sexe (à la "Métaphysique" duquel, anticipant prodigieusement les résultats de la soi-disant "libération sexuelle", il a consacré des pages qui déboulonnent la théorie du genre et l'unisexisme dominant) à la religiosité dans ses multiples déclinaisons, en passant par la science, la démographie, la contestation de la jeunesse et ses mythes, et les formes de décadence.

Quelle est sa pertinence aujourd'hui ? Question inutile. La réponse se trouve dans ses livres.

17:22 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, traditionalisme, julius evola | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 10 avril 2024

Le traditionalisme et la Lituanie

romuva3.jpg

Le traditionalisme et la Lituanie

Mindaugas Kaktavičius

Source: http://www.radikaliai.lt/

La tradition est ce qui se transmet. C'est ce qui reste constant dans les métamorphoses constantes de l'histoire et de la vie lituaniennes. C'est une source authentique de valeurs fiables de la culture nationale, qui nourrit toutes les cellules de la culture et de la mentalité nationale (1). La présente publication étudie les origines philosophiques et la vision du monde des nouvelles doctrines des mouvements religieux traditionalistes en Lituanie. Elle se concentre sur les concepts traditionalistes les plus influents du passé et du 20ème siècle, qui ont eu l'impact le plus fort sur l'émergence des nouveaux mouvements religieux (NRM) contemporains les plus influents dans notre pays.

Sacrum versus profanum

Avant de procéder à un examen plus détaillé des origines philosophiques et de la vision du monde des doctrines traditionalistes des NRM en Lituanie, nous aborderons brièvement l'idéologie du traditionalisme et définirons les concepts de base que nous utiliserons, ainsi que les doctrines traditionalistes qui ont eu l'impact le plus fort sur l'émergence et la propagation des NRM. Nous commencerons notre analyse par son concept central. L'origine du terme NRM doit être retrouvée au Japon, où le phénomène a commencé à être étudié au début du 20ème siècle. Le terme "nouvelles religions" est une traduction du japonais shin shukyo. Emprunté aux sociologues japonais dans les années 1970, les chercheurs occidentaux en ont fait un terme universel à utiliser à la place des termes "secte", "culte" ou autres "dénominations". Les sectes sont limitées aux groupes religieux, psychothérapeutiques, politiques ou commerciaux hautement manipulateurs [2].

Chantepie789.jpg

En Occident, une approche différente des phénomènes religieux en général a commencé à émerger aux 19ème et 20ème siècles. Pierre Daniel Chantepie de la Saussaye (1848-1920) (photo, ci-dessus), le père néerlandais des études religieuses modernes, a inventé pour la première fois le terme "phénoménologie de la religion" dans son livre Lehrbuch der Religionsgeschichte (1887). Pour cet érudit, l'objectif de la phénoménologie de la religion était de collecter des données historiques afin d'analyser les concepts de la religion. Les idées de P. D. Chantepie de la Saussaye ont été suivies par un autre Néerlandais, William Brede Kristensen (1867-1953), qui a proposé de décomposer le phénomène de la religion en éléments spécifiques à des religions particulières.

Professoren,_WB_Kristensen._SFA022819336.jpg

La phénoménologie de Kristensen (photo, ci dessus) s'est beaucoup inspirée, mais elle s'est encore plus appuyée sur le concept très influent de sacré (das Heilige) développé par le théologien luthérien allemand Rudolf Otto (1869-1937) dans son livre éponyme publié en 1917.

Le sacré selon R. Otto se trouve "derrière" le sacré, [...] elle peut le déterminer, le conditionner, mais il ne peut pas être identifiée à la sainteté" [3]. Pour Otto, "l'espace et le temps sont divisés en deux sphères: le sacré et le profane" [4]. Cette division donne au sacré une nouvelle "place" - le "centre" du monde, l'axis mundi. Les Lituaniens, comme beaucoup de peuples, avaient leurs propres "centres" du monde - les alci.

unncesukiamed.jpg

Gerardus_van_der_Leeuw_(1945).jpg

789gvdl00.jpg

Un exemple de "centre" du monde moderne et du nouvel âge est la pyramide dite de Merkinė dans le village de Česuki dans le district de Varėna (photo, ci-dessus). Plus tard, le thème du sacré a été développé par le spécialiste roumain des religions Mircea Eliade [5] (1907-1986), par le Néerlandais Gerardus van der Leeuw (1890-1950) [6] et par de nombreux autres chercheurs, qui ont tenté de définir la différence entre les deux mondes - celui dans lequel vit la personne religieuse et le monde séculier. Il est vrai que la dichotomie entre le sacré et le séculier, l'ésotérique et l'exotérique, n'est pas forte dans toutes les religions. Dans le bouddhisme, par exemple, le dualisme entre le sacré et le profane n'est pas reconnu, alors que dans les mouvements du nouvel âge, il revêt une importance capitale, comme en témoigne la stricte hiérarchie des membres de ces mouvements : les nouveaux venus se voient enseigner les "secrets" du NRM jusqu'à ce qu'ils atteignent le seuil de l'initiation, et, une fois ce seuil franchi, ils sont introduits dans le royaume du sacrum.

La distinction entre le sacré et le profane a été définie par les traditionalistes, influents partisans de la méthodologie comparative, dont l'école est également connue sous le nom de traditionalisme intégral ou de pérennisme (de Sophia Perennis, qui signifie "sagesse éternelle" en latin). L'inspirateur du mouvement traditionaliste, René Guénon (1886-1951), célèbre spécialiste français des études culturelles comparatives, de l'esthétique et de l'histoire de l'art, converti à l'islam, "a souligné la relativité du "culte des valeurs matérielles" et de la "civilitsation" qui sont exaltés en Occident et qui sont considérés dans le système de valeurs des civilisations traditionnelles comme des manifestations de "barbarie"".

Outre cet érudit, plusieurs autres pionniers du mouvement traditionaliste ont exercé une grande influence: de Ceylan (aujourd'hui Sri Lanka), où le mouvement traditionaliste a été fondé.

Ananda Coomaraswamy (1877-1947), métaphysicien né en Suisse et l'un des plus grands spécialistes des études comparatives indiennes et occidentales de la culture, de l'esthétique et des arts;

Le poète et peintre Frithjof Schuon (1907-1998), érudit suisse de langue allemande;

Titus Burckhardt (1908-1984);

Le spécialiste iranien de la religion, de la philosophie, de l'esthétique et de l'art Seyyed Hossein Nasr (né en 1933).

Ces penseurs ont affirmé que le monde moderne devait être réformé sur la base des traditions culturelles chères à l'humanité depuis des millénaires, qu'ils ont identifiées dans leurs textes comme le concept fondateur de la Tradition, qu'ils ont capitalisé et associé à la Sophia Perennis. Le terme Sophia Perennis ou Philosophia Perennis remonte d'ailleurs à la Renaissance. L'érudit allemand Gottfried Leibniz (1646-1716) a écrit plus tard sur ce sujet, mais c'est en fait le bibliothécaire du Vatican et théologien Agostino Steuco (Steucho/Steuchus/Steuchius), moins connu, qui a décrit pour la première fois l'idée de sagesse éternelle et inventé le terme "Philosophia Perennis" dans son ouvrage De philosophia perenni sive veterum philosophorum cum theologia christiana consensu libri X, publié en 1540. Il est vrai que les termes "source éternelle de la volonté de Dieu" ou "sagesse éternelle de Dieu" ont été utilisés par les scolastiques dès les 12ème et 15ème siècles, mais la phrase "Dieu est l'entendement, le compris et l'entendement de l'entendement" de Steuchius est devenue légendaire pour les philosophes à venir.

agostino-steuco.jpg

79_image1_077_Steuco.jpg

Comme nous pouvons le constater, les idéologues traditionalistes susmentionnés et leurs inspirateurs ont souligné l'importance du symbolisme, de la métaphysique et de la spiritualité. Ils se sont inspirés des traditions orientales pour affirmer que le monde occidental vivait un âge des ténèbres (Kali Yuga). Il ne pouvait être aidé que par une élite intellectuelle revivifiée qui ressusciterait de l'oubli les connaissances longtemps oubliées qui avaient formé le cœur de la mentalité des sociétés traditionnelles il y a des centaines ou des milliers d'années. L'époque au cours de laquelle la tradition divine s'est épanouie est appelée l'âge d'or (Satya Yuga).

Par une coïncidence intéressante, de nombreux traditionalistes étaient des adeptes de l'islam, la religion qui a connu la plus forte croissance dans le monde au cours du siècle dernier. L'islam est aujourd'hui pratiqué par plus de 1,5 milliard de personnes dans le monde. En Lituanie, bien que de nombreux adeptes de cette religion aient servi fidèlement notre État multiculturel et polyconfessionnel (en particulier dans les structures militaires) au cours des siècles, depuis l'apogée du Grand-Duché de Lituanie (elle constituait certaines des unités militaires les plus fiables du Grand-Duché de Lituanie), une petite communauté de musulmans - environ 3200 personnes - a survécu jusqu'à aujourd'hui. Comme les Karaïtes, les Juifs (Hassidim et Mitnageds) et les confessions chrétiennes (catholiques latins, catholiques grecs, vieux croyants, orthodoxes, luthériens évangéliques, réformés évangéliques), ils sont reconnus par la loi lituanienne comme une communauté religieuse traditionnelle, qui regroupe sept communautés (8). Comme dans le reste du monde, l'islam est la religion la plus en expansion en Lituanie. En témoignent non seulement le nombre croissant de convertis à l'islam en Lituanie, mais aussi la littérature qu'ils publient et les sites web qu'ils gèrent [9].

Tartares_lituaniens_en_reconnaissance.jpg

L'islam a une longue et profonde tradition en Lituanie. Les premiers musulmans étaient des Tatars, un groupe ethnique unique qui vit actuellement en République de Lituanie, dans la partie occidentale de la République du Belarus et à la frontière orientale de la République de Pologne. Les Tatars sont apparus aux 14ème et 16ème siècles et se sont installés dans le Grand-Duché de Lituanie, à l'invitation de Vytautas le Grand. Ayant perdu leur langue en peu de temps, les Tatars de Lituanie ont préservé leur identité nationale pendant plus de 600 ans, grâce à leur fort attachement à leur religion ancestrale, l'islam. Selon certaines sources, les souverains de Lituanie et de Pologne ont toujours été tolérants à l'égard de la société tatare et de sa religion, construisant des mosquées sur leurs terres et permettant aux Tatars de pratiquer leur religion sans entrave. En 1988, la Société culturelle tatare lituanienne a été fondée et les activités sociales des communautés tatares ont été rétablies.

En 1998, le Muftiyat, le centre spirituel des musulmans sunnites en Lituanie, a été restauré. "Cependant, les Tatars ne sont pas les seuls musulmans à vivre en Lituanie. Au cours des dix dernières années, des visiteurs étrangers ont commencé à arriver en Lituanie et à s'y installer pour y vivre ou y étudier. Bien que la Lituanie soit un pays chrétien, ils ont suivi avec diligence les traditions de leur pays d'origine. En collaboration avec des muftis et des imams tatars, les étudiants étrangers ont relancé les prières du vendredi et ont commencé à organiser des conférences dominicales dans les mosquées et les écoles des petites villes peuplées de Tatars. Outre les nombreuses communautés tatares, Vilnius abrite le muftiyat, le centre spirituel des musulmans sunnites de Lituanie, ainsi que la communauté de la jeunesse musulmane lituanienne, dont le centre est la mosquée de Kaunas" [10].

imlingses.jpg

Martin Lings

Kurt_Almqvist.jpg

Kurt Almqvist

Tage_Lindbom,_1997_(cropped).jpg

Tage Lindbom

Ashk_Peter_Dahlén.jpg

Ashq Dahlén

Il n'est pas surprenant qu'outre Guénon, les musulmans comprennent le traditionaliste F. Schuon, ses disciples Martin Lings (1909-2005), un Britannique, et les Suédois Kurt Almqvist (1912-2001) et Tage Lindbom (1909-2001), ainsi que Burckhardt, S. H. Nasr, et le compatriote iranien Ashq Dahlén (né en 1972).

D'autres traditionalistes, il faut le souligner, ne pratiquaient que des religions traditionnelles: Coomaraswamy était hindou, Marco Pallis (1895-1989), un Britannique, était bouddhiste, avec un intérêt particulier pour les traditions religieuses et la culture du Tibet, et le Français Jean Borella (né en 1930) était chrétien et néoplatonicien.

Julius Evola (1898-1974), éminent spécialiste italien des études culturelles et religieuses comparatives, qui s'est intéressé toute sa vie à l'hermétisme, au bouddhisme et au taoïsme, et qui a publié un certain nombre d'études comparatives importantes, s'est également décrit comme un traditionaliste "en cette époque de ténèbres spirituelles". La liste pourrait s'allonger à l'infini. Mais le fait est que la victoire du traditionalisme, ou plutôt de la Tradition, qui est restaurée à travers lui, sur la postmodernité peut être considérée comme au moins partiellement acquise. Les traditionalistes soulignent que notre époque n'est pas seulement une période d'obscurité et de crise, mais aussi un "royaume de la quantité" (terme de Guénon), où l'homme et le cosmos sont de plus en plus remplis de matérialité. Depuis la Renaissance, affirment-ils, le monde occidental a presque complètement perdu tout lien avec la Sophia Perennis et le sacrum. Dans le sous-continent indien, ces termes ont un équivalent sanskrit, le sanātana dharma ("loi éternelle"). L'hindouisme est la plus ancienne religion du monde, qui fait partie d'une tradition extrêmement complexe, la troisième après le christianisme et l'islam en termes de nombre d'adeptes (environ 1 milliard).

Voici un bref aperçu des principales thèses des gardiens de la Tradition. Selon René Guénon, "[...] les civilisations traditionnelles sont fondées sur l'intuition intellectuelle. En d'autres termes, dans ces civilisations, la doctrine métaphysique est la chose la plus importante, et tout le reste en découle. [...] Le monde moderne tente de toutes ses forces, tout en se réclamant de la science, de tendre vers un seul but: le développement de la production et de la mécanisation. Ainsi, en voulant asservir la matière, les hommes deviennent eux-mêmes ses esclaves. Ils ne se contentent pas de limiter leurs prétentions intellectuelles - si elles existent encore aujourd'hui - à l'invention et à la construction de mécanismes. Les hommes sont devenus eux-mêmes des mécanismes. [...] La qualité ne signifie plus grand-chose, seule la quantité compte. C'est pourquoi la civilisation moderne peut être qualifiée de quantitative, c'est-à-dire de matérialiste" [11].

979_1_02_420644_8_HiRes.jpg

Guénon souligne l'existence d'une "science sacrée" et d'une "science profane". "Le monde moderne est un monde de négation de la Tradition et de la vérité surhumaine. Si les hommes le comprenaient, la transformation finale du monde ne serait pas une catastrophe, mais il est désormais impossible de l'éviter. [...] Mais rien ne pourra jamais vaincre la vérité. Rappelons donc la devise de certaines des anciennes organisations initiatiques d'Occident : "Vincit omnia Veritas" - "La vérité triomphe de tout" [12]. Les paroles de Guénon sont devenues prophétiques des décennies plus tard, le rapport de la Fédération de la Croix-Rouge indiquant que le nombre de catastrophes naturelles a atteint un niveau record cette année, avec pas moins de 500 désastres en 2007 (contre 427 l'année précédente).

67850452-47879759.jpg

Burckhardt (photo, ci-dessus) a enseigné à aimer la tradition. "Pour comprendre une culture, il faut l'aimer, et cela ne peut se faire que sur la base de ses valeurs universelles et intemporelles. Ces valeurs sont essentiellement les mêmes dans toutes les vraies cultures, et elles satisfont non seulement les besoins physiques mais aussi les besoins spirituels de l'homme, sans lesquels sa vie n'a pas de sens. Rien ne nous rapproche plus d'une autre culture que les œuvres d'art qui la représentent, comme si elles en étaient le "centre". Il peut s'agir de peintures sacrées, de temples, de cathédrales, de mosquées ou encore de tapis anciens. Nous pouvons donc beaucoup mieux comprendre, par exemple, les formes intellectuelles et éthiques de la culture bouddhiste si nous connaissons l'image typique du Bouddha" [13].

Schuon a ajouté à la profondeur de la pensée de ces penseurs la miniature mystique "Être avec Dieu": "Soyez avec Dieu dans la vie. Dieu sera avec vous dans la mort. Soyez avec Dieu dans le temps. Dieu sera avec vous dans l'éternité. Souvenez-vous de Moi. Je me souviendrai de vous" [14].

Coomaraswamy a dit: "Les nations sont créées par les poètes et les artistes, et non par les commerçants et les politiciens. Les principes les plus profonds de la vie sont dans l'art" [15]. Pour ce penseur, le mot "nationalisme" signifiait l'expression culturelle d'une nation. Lorsque l'Inde est devenue indépendante, il a déclaré publiquement : "Soyez vous-mêmes". Le traditionaliste déclarait ainsi l'authenticité esthétique plutôt que l'aspect politique de la liberté.

Il est regrettable que de nombreux nouveaux mouvements religieux en Lituanie n'aient rien à voir avec la Tradition, mais soient influencés par la "McDonaldisation", l'expansion de la "culture" occidentale que Guénon craignait tant, ainsi que par le syncrétisme. Il est également désagréable que les traditionalistes soient souvent accusés de promouvoir un nationalisme fasciste. Pourtant, Guénon, Burckhardt, Schuon, Coomaraswamy, Pallis et Lings sont des humanistes qui luttent pour les droits des opprimés, des humiliés et pour la préservation de leurs traditions, et de telles accusations sont à l'origine de l'émergence de figures ultra-nationalistes à travers le monde, comme par exemple celle du philosophe russe, néo-eurasiste, qui s'est fait un nom sur la scène internationale, le philosophe russe et néo-eurasiste Alexandre Douguine (né en 1962) [16], le fondateur français du mouvement "Nouvelle Droite" Alain de Benoist (né en 1943), ou encore des propagandistes néo-nazis comme Stephen McNallen (né en 1948) [17].

Cependant, à côté des figures fascistes, il existe aussi dans notre pays des gardiens holistiques du sacrum.

Metaphysique.jpgLe terme "holisme" est dérivé du mot grec "holos", qui signifie "entier". "Le principe de base du holisme remonte à la Métaphysique d'Aristote: "Le tout est plus que la somme des parties". En d'autres termes, pour nous comprendre nous-mêmes, comprendre le monde, l'univers, nous devons considérer l'ensemble (sphères biologique, chimique, sociale, économique, mentale, linguistique et autres). Ce n'est qu'en comprenant le tout que nous pouvons comprendre comment les différentes parties du tout fonctionnent. Le terme "holisme" a été utilisé pour la première fois par le Premier ministre sud-africain, officier militaire (maréchal), botaniste et philosophe Jan Christian Smuts (1870-1950) dans son livre de 1926 intitulé Holism and Evolution (Holisme et évolution). Il définit le holisme comme "la tendance de la nature à former des ensembles qui sont plus grands que la somme de leurs parties, en tenant compte de la créativité de l'évolution".

71h8ml2A9+L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

La vie de J. Ch. Smuts, érudit et polyglotte, n'est pas sans rappeler la philosophie du holisme : il a lutté contre l'apartheid naissant en Afrique du Sud et a fondé les Nations unies. Lorsqu'Albert Einstein a lu "Holisme et évolution", il a déclaré qu'au cours du prochain millénaire, les gens seraient influencés par deux choses : sa théorie de la relativité et le holisme de J. Ch. Smuts. Le célèbre physicien a également ajouté que J. Ch. Smuts est "l'une des onze personnes au monde" à avoir compris sa théorie de la relativité. Une statue en l'honneur du fondateur du holisme est érigée sur Parliament Square, à Londres. J. Ch. Smuts est également considéré par les Juifs comme l'une des personnes ayant le plus contribué à la fondation d'Israël. Plusieurs rues des villes israéliennes portent son nom, ainsi qu'un certain nombre de plantes qu'il a trouvées en Afrique du Sud.

Par ailleurs, le holisme rappelle non seulement la culture mélanésienne de Nouvelle-Calédonie, que le missionnaire protestant Maurice Leenhardt (1878-1954) appelait le cosmomorphisme (la symbiose parfaite entre l'homme et le monde naturel qui l'entoure), mais aussi la foi balte, où nos ancêtres recherchaient l'harmonie avec les plantes, les animaux et les phénomènes naturels.

Dans la seconde moitié du 20ème siècle, les théories physiques du chaos et de la complexité se sont développées à partir du holisme. Le holisme a influencé l'écologie, une nouvelle approche de la théorie économique, la philosophie du langage, l'anthropologie, l'architecture, le design, l'éducation, la médecine psychosomatique" [18]. Il est vrai que certains spéculent sur le holisme et le transforment en un autre mouvement new age. Par exemple, l'Institut de santé holistique de Kaunas a été fondé, où l'on enseigne la médecine extrasensorielle, la bioénergie, l'"astrologie médicale", la chiromancie, la parapsychologie, la "psychologie spirituelle", etc.

Le retour à la tradition est également recherché par la foi balte, souvent qualifiée sans raison de "païenne" (latin paganus - "villageois"), bien que les adeptes de cette foi n'aient pas peur du mot "païen".

181522957-af6e8f2a-735a-45a0-b41c-b4ae68136c3f.jpg

Il est vrai que Gintaras Beresnevičius admet qu'il est impossible de recréer une religion ancienne, "mais il est possible de recréer (créer ?) une certaine attitude, une humeur de l'âme - une ouverture religieuse à l'environnement - sur la base d'expériences spéciales sacrées" [20]. Beresnevičius qualifie les Romuviens - membres de la communauté confessionnelle balte Romuva - de "bouddhistes zen partiellement lituaniens", "et le bouddhisme zen, comme l'expérience sacrée de la nature, n'exclut pas un autre type de religiosité" [21]. Selon l'universitaire, l'idée du peuple romuva est le lien entre l'homme, ses ancêtres, la nature et l'univers. En d'autres termes, il s'agit d'un retour à la tradition. Surtout que dans le mouvement romuva, on peut sentir l'individualité de la personnalité, ils ne sont pas nivelés comme dans beaucoup de NRM : "... les Romuvas sont différents, individuels, leur religiosité ne les met pas dans un ghetto socialement, émotionnellement, elle n'endommage pas leur psyché", tandis que, mentionnant le cas de la Parole de Foi comme exemple, G. Beresnevičius souligne que "si vous parlez à l'un d'entre eux, vous parlez à tous" [22].

romuva1.jpg

981ab1f260789b3a998c1231c88d35a4.jpg

Les Romuvas eux-mêmes le disent: "Romuva est une foi et une religion baltes. Romuva, c'est la paix, l'harmonie et la beauté - les valeurs les plus importantes de notre esprit. Romuva est une religion de vie et d'harmonie. Le nom de Romuva a brillé à nouveau avec la renaissance d'un peuple et d'une ancienne foi naturelle. En la qualifiant de "baltique", nous soulignons son ancienneté et sa tradition ininterrompue" [23]. Par ailleurs, les Romuvas reconnaissent la réincarnation, bien que cette doctrine soit issue de la philosophie indienne.

96892_1.jpg

Le premier krivi lituanien Jonas Trinkūnas (photo) a été ordonné sur la tombe de Gediminas à Vilnius en 2002, après un hiatus de 600 ans. G. Beresnevičius a qualifié cet événement d'importance européenne. Il s'agit bien sûr d'une des pierres angulaires de la restauration de la Tradition. Malheureusement, les autorités de notre pays, la Lithuanie, favorisent les NRM destructeurs - par exemple, le mouvement très controversé des adeptes d'Osho est enregistré comme une communauté bouddhiste auprès du ministère de la Justice, alors qu'il n'a rien à voir avec le bouddhisme, et ceux qui professent la foi balte ne reçoivent toujours pas de reconnaissance de la part de l'État.

18218829.jpg

Dans son livre sur la foi balte, Trinkūnas explique: "Vydūnas a écrit à plusieurs reprises sur l'ancienne foi des Lituaniens et s'est émerveillé de sa sagesse. Une caractéristique importante de cette foi était son autosuffisance; elle a grandi et s'est développée comme un chêne sacré dans sa terre natale. Malheureusement, l'expérience spontanée du Grand Mystère a été entravée et interrompue, et la perte de conscience de soi a pu se poursuivre pendant des siècles. Notre ancienne foi n'a jamais consisté à lire des livres et à en discuter. L'essence de cette foi était la vie elle-même et sa sagesse. Aujourd'hui, cependant, nous avons besoin de livres sur la religion naturelle et la vision du monde, car la connaissance vivante de la foi ancestrale s'est évanouie. La civilisation agressive dilue encore davantage la mémoire naturelle des peuples. En pensant à l'avenir de la nation, nous aspirons à sa survie et à celle de ses valeurs spirituelles. La tradition balte est la vision du monde, les anciennes croyances, les coutumes, le folklore, etc. et Romuva symbolise l'unité et la continuité de cette tradition" [24].

velius-4.jpg

ce860373-0093-4a76-90ff-e0dc68212a53_1674642542261.jpg

81+6Uqg4fxL._AC_UF894,1000_QL80_.jpg

La nature traditionnelle de la foi balte a fait l'objet de nombreux écrits de la part de G. Beresnevičius (1961-2006), ainsi que Norbertas Vėlius (1938-1996) (photo, ci-dessus), qui a écrit The Ancient Baltic Worldview (1983), Sources of Baltic Religion and Mythology (4 volumes, 1996-2005) et d'autres ouvrages, Marija Gimbutienė/Marija Gimbutas (1921-1994), Pranė Dundulienė (1910-1991), Nijolė Laurinkienė, Elvyra Usačiovaitė, Libertas Klimka, Dainius Razauskas, Radvilė Racėnaitė, Vladimiras Toporovas et d'autres.

91IoNGAsAHL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

L'idée de Gimbutiene (Marija Gimbutas) selon laquelle la mythologie balte est une fusion des cultures matricentriques de la vieille Europe et de la nouvelle religiosité patricentrique apportée par les Indo-Européens est la plus proche du concept de Tradition. Il est vrai que le matricentrisme de la Vieille Europe n'est qu'une hypothèse qui existe depuis le 19ème siècle et qui a influencé les mouvements néopaïens qui ont émergé dans le monde dans la seconde moitié du 20ème siècle (dont le plus célèbre est peut-être la Wicca, un NRM, créé en 1954 par l'occultiste britannique Gerald Gardner (1884-1964).

220px-Pictorius.jpgIl faut cependant admettre que les origines du néopaganisme remontent à la Renaissance, avec la publication en 1532 de la Theologia mythologica du médecin allemand Georg Pictorius de Villigen (c.1500-1569) (gravure, ci-contre). Plus tard, en 1717, l'"Ordre des druides" a été fondé, suivi d'un intérêt pour l'héritage scandinave et, au début du 20ème siècle, pour les runes. Le plus grand spécialiste des runes est peut-être le poète, écrivain et occultiste autrichien Guido von List (1848-1919), qui a publié en 1908 une sorte de classique, Das Geheimnis der Runen (Le secret des runes).

Malheureusement, le néopaganisme a ensuite fusionné avec le mouvement new age. Selon Beresnevičius, cette fusion complète la société moderne avec la montée des tendances polythéistes, des doctrines orientales, des enseignements sur la réincarnation, du féminisme, de l'environnementalisme, de l'essor de l'astrologie et de l'exploration de la conscience et de l'inconscient dans la science et la parapsychologie. Tout cela a éloigné la société de la Tradition et l'a rendue laïque [25].

paveikslelis-446-bg.jpgLa tradition n'a pas complètement disparu. Des tentatives relativement mineures ont été faites pour étudier les runes lituaniennes (sic!). L'érudite lituanienne Pranciška Regina Liubertaitė (photo) affirme que non seulement les Scandinaves, les Anglo-Saxons (Anglais, Saxons, Jutes, Frisons), les Goths, les Turcs, les Hongrois, mais aussi... les Lituaniens possédaient des runes. Une plaque avec des signes runiques, qui a donné beaucoup à réfléchir [26], a été trouvée lors de la construction de l'ascenseur de la colline de Gediminas en 2003. Le mot rune est d'origine indo-européenne, et il signifie un secret, c'est-à-dire une tradition.

En résumé, tous les traditionalistes, qu'ils soient modérés ou radicaux, partagent le même désir de ramener la Tradition, seuls les moyens qu'ils proposent diffèrent.

À l'opposé des gardiens du sacrum (des phénoménologues aux traditionalistes et aux holistes) se trouvent les philosophes cyniques du postmodernisme et du transhumanisme.

Profanum contre sacrum

La philosophie postmoderne a été influencée par la phénoménologie, le structuralisme, l'existentialisme et la philosophie analytique. Mais voyons ce qui nous intéresse le plus dans ce cas, à savoir l'approche de la religion par la philosophie postmoderne.

Commençons par une hypothèse: le postmodernisme, contrairement aux gardiens du sacrum, nie le dualisme entre le monde spirituel et le monde physique, entre l'esprit et les objets qu'il valorise; en d'autres termes, la postmodernité est un monde qui peut être influencé par la seule pensée. Les postmodernistes nient la Tradition et influencent la mentalité de la société moderne sécularisée avec la vision que tout est hyperréalité, pseudo-événement, virtualité, simulacre. Les transhumanistes nient également la Tradition, mais ils rêvent d'une utopie du corps. Rappelez-vous les paroles prophétiques du penseur anglais Thomas More (1478-1535): "[...] les utopistes, par leurs facultés instruites par les sciences, sont admirablement habiles dans les inventions qui procurent toutes les commodités de la vie" [27].

Nous aimerions définir les principaux termes inventés et utilisés par les anti-traditionalistes (transhumanistes).

61P4sXO5-mL._AC_UF894,1000_QL80_.jpg

Daniel_Boorstin.jpg

Daniel Boorstin

51JYSDwTU-L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Hyperréalité. Dans la philosophie postmoderne, l'incapacité de la conscience à distinguer la réalité de la fantaisie. Les philosophes les plus célèbres qui ont étudié l'hyperréalité sont le Français Jean Baudrillard (1929-2007), l'Allemand Albert Borgmann (né en 1937), l'Américain Daniel Boorstin (1914-2004) et l'Italien Umberto Eco (né en 1932).

Baudrillard a déclaré: "La distorsion de l'espace qui suit la distorsion d'une planète équivaut au désensablement de la souche humaine, ou à sa réversion dans l'hyper-courant de la simulation. C'est la fin de la métaphysique, la fin du fantasme, la fin de la science-fiction, le début d'une ère d'hyperréalité" [28]. Borgmann a souligné l'aliénation de notre société par rapport à la Tradition, car elle est devenue hyperactive, pathologiquement accro au travail. Boorstin a dit un jour que le plus grand obstacle qui nous empêche de découvrir la forme de la terre, ses continents et ses océans, est l'illusion que nous savons. Eco a qualifié l'hyperréalité, paradoxalement, de "faux authentique".

Pseudo-événement. D. Boorstin a emprunté ce terme à Guy Debord (1931-1994), le célèbre situationniste auteur de l'ouvrage légendaire La Société du spectacle (1967). Un pseudo-événement est créé pour attirer l'attention des médias, mais il ne fonctionne pas dans la réalité. C'est la publicité qui s'est emparée de notre monde, les "nouvelles" biaisées, les "nouvelles" créées par les sociétés de relations publiques (PR). L'événement n'existe plus dans une société qui a oublié la Tradition, mais il a été remplacé par un pseudo-événement qui devient "plus réel que la réalité". Par exemple, la lettre "M" est censée créer le monde de McDonnald's, qui représente un certain aliment, mais en réalité la lettre "M" dans le monde profane ne signifie pas grand-chose. En revanche, la rune M (mannaz ou manwaz) a toujours signifié l'homme et, dans la Tradition, comme d'autres runes, elle a été chargée de sens.

artworks-000146502063-j4ypvw-t500x500.jpg

Virtualité. Le terme a été inventé par Ted Nelson (né en 1937) (photo), philosophe américain et expert en technologies de l'information qui a inventé le terme hypertexte en 1963. On lui attribue également la phrase suivante: "La plupart des gens sont stupides, le gouvernement est mauvais, Dieu n'existe pas, tout est mauvais". Le virtuel représente tout ce qui n'est pas réel. En d'autres termes, c'est un profanum.

Simulacre. Le "père" de ce terme est Baudrillard. Les simulacres sont l'imagination utopique, la science-fiction et la "réalité" hyperréelle.

Pour résumer les grandes lignes de la philosophie postmoderne, il est clair que, selon Baudrillard, ce monde est une copie (copyworld). La réalité n'est plus réelle, elle a disparu de sa propre carte. Ou, comme le dirait Jacques Derrida (1930-2004), un autre philosophe postmoderne français, il y a "religion et espace-temps virtuel" [29].

"Il est vrai qu'il existe aussi une alternative (ou plutôt une opposition) positiviste à la Tradition: le transhumanisme. Le concept d'Übermensch, présenté au public dans le livre de Friedrich Nietzsche (1844-1900) de 1883 Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), est au cœur de cette alternative. Elle trouve son origine dans l'expression "survie du plus apte" inventée par le philosophe anglais Herbert Spencer (1820-1903), telle qu'elle est décrite dans son ouvrage Principles of Biology de 1864, écrit en réponse à son admiration pour les idées de Charles Darwin (1809-1882). L'idée du surhomme a cependant dégénéré lorsque les nazis l'ont utilisée à leurs propres fins, déclarant que les Aryens étaient des surhommes, la "race supérieure" (en allemand: Herrenvolk). Dans la culture populaire et dans les nouveaux mouvements religieux, le surhomme est l'un des personnages les plus importants. Les hommes politiques utilisent également l'image du surhomme.

On peut qualifier tout cela de sophismes historiques ou de simples spéculations. Cependant, depuis un certain temps, il existe dans le monde une philosophie futuriste du transhumanisme (ou posthumanisme), qui est prise très au sérieux par beaucoup. 

e2wpHmCo_400x400.jpg

51O8gu8mxEL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

La pionnière du transhumanisme contemporain est l'artiste américaine Natasha Vita-More (née en 1950; de son vrai nom Nancie Clark) (photo), qui a écrit en 1982 le Manifeste pour l'art transhumaniste. On peut y lire: "L'art transhumaniste développe et prolifère de nouveaux modes d'expression artistique. Notre esthétique et nos expressions, liées à la science et à la technologie, stimulent l'expérience sensorielle. Les transhumanistes cherchent à améliorer et à activer la vie. Nous utilisons la technologie pour activer et améliorer la vie" [30].

FM2030.jpg

510YUzNzPOL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Mais il ne s'agit là que des premières étapes du transhumanisme moderne (ou posthumanisme). L'une des figures les plus importantes associées au transhumanisme moderne est le philosophe et futurologue d'origine iranienne Fereidoun M. Esfandiary (1930-2000) (photo), qui a déclaré avoir "une grande nostalgie de l'avenir". En 1989, il a écrit un ouvrage de référence sur la philosophie du transhumanisme, Are You a Transhumanist?

Fils d'un diplomate iranien, il avait déjà visité 17 pays à l'âge de 11 ans, puis a travaillé pour la Commission des Nations unies en Palestine entre 1952 et 1954. Il a écrit plusieurs livres de fiction sous son vrai nom, et des ouvrages philosophiques scientifiques, futurologiques et transhumanistes sous le pseudonyme FM-2030 (il pensait qu'en 2030, notre civilisation aurait déjà considérablement changé - "cette année-là, nous serons devenus éternels"). Malheureusement, en 2000, le philosophe est emporté par un cancer. À sa demande, le corps de FM-2030 a été cryogénisé à l'Alcor Life Extension Foundation en Arizona.

Le transhumanisme (également connu sous le nom de >H ou H+) est aujourd'hui un vaste mouvement intellectuel et culturel qui soutient les dernières découvertes technologiques et scientifiques. Les transhumanistes pensent que les humains deviendront progressivement beaucoup plus intelligents et capables, c'est-à-dire des post-humains qui seront immortels - mais dans leur corps plutôt que dans leur âme [32].

La transformation des humains en post-humains a été décrite par l'éminent philosophe américano-japonais Francis Fukuyama (né en 1952). Dans son célèbre ouvrage La fin de l'histoire et le dernier homme (1992), il affirme que l'époque actuelle est la fin de l'histoire, car elle représente le point final de l'évolution idéologique de l'humanité et l'universalisation de la démocratie libérale occidentale.

81b4himVNML._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Dix ans plus tard, dans son livre Our Posthuman Future: Consequences of the Biotechnology Revolution (2002), Fukuyama a développé cette thèse, affirmant que la fin de l'histoire ne peut survenir avant la fin des sciences naturelles et de la technologie. Pour lui, le fait que l'humanité soit sur le point de prendre le contrôle de ses processus évolutifs aura un effet profond et extrêmement destructeur sur la démocratie libérale. Les post-humains, selon Fukuyama, en manipulant le génome humain, seront capables de refaire l'humanité de la manière la plus neutre sur le plan idéologique et de la vision du monde. En d'autres termes, ce sera aussi la fin de la Tradition.

Incidemment, il convient de noter qu'en tant qu'ennemi idéologique du président américain George W. Bush (né en 1946), Fukuyama a souligné que les États-Unis ont grandement exagéré le danger de l'"islam radical", car la lutte contre le djihad n'est pas militaire, mais plutôt politique, une bataille avec les cœurs et les esprits de la population musulmane du monde, c'est-à-dire une bataille avec la Tradition. "Dans la période post-historique, il n'y aura ni art ni philosophie, seulement l'entretien perpétuel du musée de l'histoire" [33], conclut tristement Fukuyama.

Ainsi, après avoir brièvement discuté des origines philosophiques et de la vision du monde des doctrines des nouveaux mouvements religieux traditionalistes en Lituanie, nous pouvons dire qu'ils ont été principalement influencés par les diverses théories traditionalistes qui se sont répandues au cours du 20ème siècle. Leurs idéologues les plus influents ont encouragé les personnes de différents pays et religions à se tourner vers leurs racines et à prendre conscience de l'importance des valeurs traditionnelles dans un monde désacralisé dominé par de puissantes tendances à la commercialisation culturelle.

Parallèlement aux doctrines traditionalistes, des systèmes de vision du monde et des religions influentes telles que le taoïsme, le bouddhisme chan, le bouddhisme zen, le bouddhisme seon, l'hindouisme et le shintoïsme gagnent du terrain dans le monde d'aujourd'hui, tout comme la promotion du holisme et la déclaration de la relation indissoluble de l'homme avec la nature. Le nombre croissant de partisans de ces visions du monde, des holistes profondément enracinés dans l'élite universitaire et artistique occidentale, sont convaincus que, comme l'affirme le célèbre Livre des changements chinois (Yijing), tout est lié dans le monde et que, par conséquent, la nature ne peut être séparée de l'homme, et l'homme ne peut être séparé de la nature (ou de Dieu). Ces attitudes, qui ont suivi la puissante vague de l'orientalisme postmoderne, se sont largement répandues en Occident et sont devenues partie intégrante de la culture, de l'esthétique, de l'art et de la religion postmodernes. Selon les idéologues postmodernes influents, il n'y a plus de religion et de réalité clairement centrées dans le monde postmoderne de la culture méta-civilisationnelle, car nous vivons dans un contexte de lutte et de concurrence entre une multitude d'idées et de théories religieuses, et nous errons donc dans le monde comprimé de la mondialisation, à la recherche d'une vision du monde et d'une attitude religieuse plus acceptables pour tout le monde.

d5826af97c43f64d8d7c17375c640697.jpg

51SFKE3EYZL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Selon les transhumanistes, à l'avenir, "dans l'ère humaine, les machines seront des dieux", "les machines complexes seront une forme évolutive de la vie" et "la logique sera un produit de l'imagination humaine" (selon les mots de l'écrivain anglais Robert Pepperell, fondateur de la branche posthumaniste du mouvement transhumaniste, né en 1963). Contrairement à de nombreuses régions du monde, où l'on observe un retour croissant aux valeurs traditionnelles de la culture, de la religion, de l'éthique et de l'art, en Lituanie, nous devons dire que les nouveaux mouvements religieux ont tendance à ignorer la tradition.

La plupart du temps, par manque de compréhension de l'importance des traditions culturelles dans le monde actuel, ils courent après des modes post-mondaines qui séduisent les gens qui ne croient pas en la valeur de la Tradition. En effet, la tradition ne se promeut pas d'elle-même, elle doit être découverte pour elle-même. C'est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles la tradition unique de la culture et de la religion baltes, qui est si importante pour notre culture, notre mentalité et notre conscience nationale, a si peu de partisans. Cette situation est très surprenante pour de nombreux spécialistes religieux étrangers, en particulier les Japonais, qui sont parfaitement conscients de l'importance du maintien des traditions culturelles et religieuses nationales dans un monde post-moderne qui nivelle les distinctions.

Notes:

[1] A. Andrijauskas, Beresnevičius et les possibilités de la réception heuristique de l'histoire de la culture de la GDL // Kultūrologija 14. Est-Ouest: études comparatives V. - Vilnius, Institut de la culture, de la philosophie et de l'art, 2006, p. 29.

[2] M. D. Langone, Secular and Religious Critics of Cults : Complementary Visions, Not Irresolvable Conflicts, 22 novembre 2006, http://www.csj.org/infoserv_articles/langone_michael_secularandreligious....

[3] G. Beresnevičius, "Sanctification et laïcité": une brève introduction à un sujet inattaquable // Mircea Eliade, Sanctification et laïcité - Vilnius, Mintis, 1997, p. viii.

[4] Ibid, p. x

[5] M. Eliade, Sanctification et laïcité - Vilnius, Mintis, 1997.

[6] G. Van der Leeuw, Phänomenologie der Religion - Tübingen, J. C., 1933.

[7] A. Andrijauskas, Histoire comparée des idées de civilisation. - Vilnius Academy of Arts Publishing House, 2001, p. 335.

[8] http://www.state.gov/g/drl/rls/irf/2006/71392.htm.

[9] Cheikh Ali El-Tantawi, Introduction à l'islam. - Kaunas, Mosque, 2001 ; le journal de l'Union des communautés tatares de Lituanie "Lietuvos totoriai" - près de 140 numéros ont été publiés depuis 1995 [données du 26.02.2012], le journal peut être consulté sur Internet à l'adresse http://www.tbn.lt/lt/?id=8&item=43 ; et il y a également les sites web des musulmans vivant en Lituanie www.islamas.lt et www.musulmonai.lt.

[10] http://islamas.lt/il.htm.

[11] http://www.lib.ru/POLITOLOG/genon.txt.

[12] Ibid.

[13] http://www.worldwisdom.com/Public/Authors/Detail.asp?AuthorID=4#excerpt.

[14] http://www.frithjof-schuon.com/TEXT1142ENG.htm.

[15] http://www.tamilnation.org/hundredtamils/coomaraswamy.htm.

[16] http://www.evrazia.org.

91JS2gQ4LiL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

[17] McNallen a créé en 1985 une pseudo-science, la métagénétique, prônant un homme nouveau au-delà des découvertes de la génétique, rappelant le "vrai Aryen" créé par les ariosophes nazis.

[18] M. Peleckis, The Phenomenon of Industrial Subculture (5) : Holistic Art in Lithuania // Literatura ir menas, 23.11.2007, http://www.culture.lt/lmenas/?leid_id=3166&kas=straipsnis&st_id=11786.

[19] Publicité dans le magazine Būrėja, 2005, n° 12 (38).

[20] G. Beresnevičius, Ant laiko ašmenų (Sur les axes du temps) - Vilnius, Aidai, 2002, p. 95.

[21] Ibid, p. 94.

[22] Ibid, pp. 93-94.

[23] Sous le signe de Romuva. Notre foi aujourd'hui. - Vilnius, Floramedia Baltic, 2001, p. 2.

[24] J. Trinkūnas, Baltic Faith. Vilnius, Diemedžio leidykla, 2000, pp. 5, 6, 8.

[25] G. Beresnevičius, Ant laiko ašmenų - Vilnius, Aidai, 2002, p. 87.

[26] Il y avait peut-être la seule communauté en Lituanie, bien que virtuelle, intéressée par Tradicija ir ruų paslaptys (Tradition et mystères des runes), qui se trouvait sur le site http://lietuva.white-society.org et s'appelait " Baltosios tradicijos " (Traditions baltes), mais sa page a été fermée ; les runes intéressent également certains musiciens industriels, comme le groupe Sala, originaire d'Utena.

[27] T. More, Utopia. - Vilnius, Vaga, 1968, p. 109.

[28] J. Baudrillard, Simuliakrai ir simuliacija - Vilnius, Baltos lankos, 2002, p. 143.

[29] J. Derrida, G. Vattimo et al, Religija - Vilnius, Baltos lankos, 2000, p. 10.

[30] http://www.transhumanist.biz/transhumanistartsmanifesto.htm.

[31] FM-2030, Êtes-vous un transhumain ? Monitoring and Stimulating Your Personal Rate of Growth in a Rapidly Changing World - New York, Warner Books, 1989.

[32] M. Peleckis, Transhumanisme : espoirs et dangers // Literatura ir menas, 14.09.2007, http://www.culture.lt/lmenas/?leid_id=3156&kas=straipsnis&st_id=11370.

[33] F. Fukuyama, La fin de l'histoire // The Natural Interest, été 1989, p. 18.

mardi, 09 avril 2024

Magie arthurienne

f56c3cf31a97e4af1042b0d8d1bf3f7e.jpg

Magie arthurienne

Fernando Galván

Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2024/04/la-magia-arturica.html

Le monde arthurien est étroitement lié à la fantaisie et à la magie du Moyen Âge. Il suffit d'évoquer le nom d'Arthur et de ses célèbres chevaliers pour que surgissent immédiatement à l'esprit les figures mythiques du magicien Merlin, de la fée ou de la sorcière Morgane, ou des objets magiques - aux pouvoirs extraordinaires - comme le Graal, ou l'épée Excalibur, ou encore des lieux dotés d'un important halo mythique et magique, comme Camelot, Avalon, la Forêt Stérile, la Chapelle Dangereuse, etc.

On pourrait citer des dizaines de motifs bien connus qui apparaissent partout au Moyen Âge et qui survivent encore dans les réécritures et les adaptations des récits arthuriens.

410qT-xBSOL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgIl suffit de consulter un ouvrage aussi bien documenté que El Rey Arturo y su mundo. Diccionario de mitología artúrica (=Le Roi Arthur et son monde - Dictionnaire de la mythologie arthurienne (1)) de Carlos Alvar, pour constater la richesse magique et mythologique sous-jacente.

Dans le prologue de cet ouvrage, il est fait référence à l'Histoire de Lancelot du Lac comme noyau central des récits arthuriens, car elle contient la plupart des thèmes qui sont répétés et modifiés ailleurs.

Mais dans ce même récit sur Lancelot, étant donné sa longueur singulière, nous trouvons également ce que l'on peut observer dans d'autres récits en vers et en prose dans les différentes langues européennes médiévales.

C'est-à-dire que les personnages, les incidents, les objets et les lieux de ce monde fictif ne conservent pas une identité concrète et fixe, mais changent constamment, modifient leur nature et se transforment, comme par magie, en de multiples versions.

Le dictionnaire d'Alvar est irremplaçable, dans notre langue espagnole, pour trouver les clés de tant de transformations, des changements de physionomie et de noms adoptés par les centaines de personnages et d'incidents du monde arthurien.

Parfois, on croit percevoir dans tel ou tel élément narratif la trace de l'antiquité classique, d'autres fois celle du monde celtique primitif - d'où proviennent certainement beaucoup des légendes qui ont façonné le monde du roi Arthur - ; et à d'autres occasions, la présence du christianisme est indiscutable, qui - comme à d'autres époques - s'est efforcé au Moyen Âge d'adapter les fantaisies et les mythes païens à la doctrine de l'Église.

Il n'est donc pas facile de résumer la très longue liste d'événements magiques qui abondent dans tant de textes médiévaux.

Il existe des livres et des articles bien connus sur chacun des éléments importants liés à la magie et à la fantaisie. Citons, par exemple, les ouvrages prestigieux de R. S. Loomis, l'encyclopédie monumentale de N. J. Lacy et d'autres, les études de Geoffrey Ashe, William Albert Nitze et Nikolai Tolstoy.

95-AF5-E8-C-FA2-A-42-E7-B3-C7-047-C654-F967-C.jpg

Mentionnons également les livres de Carlos García Gual sur les légendes arthuriennes.

Pour ne pas me perdre dans le labyrinthe des détails magiques qui affectent le cycle arthurien, je préfère me concentrer sur une tentative d'explication de certaines des raisons de cette magie et de ses relations avec la science, la religion et l'histoire, et commenter brièvement les effets de cette magie au Moyen Âge et même à une époque ultérieure, car les résultats de la magie arthurienne dépassent largement les frontières du quinzième siècle.

Le monde de la fantaisie, du merveilleux, n'a pas eu la même importance dans d'autres périodes historiques.

Ann Swinfen, dans son livre Defence of Fantasy, qui étudie le roman fantastique contemporain, affirme ce qui suit :

L'un des aspects les plus difficiles de l'étude critique du roman fantastique résulte peut-être de l'attitude de la plupart des critiques contemporains, une attitude qui suggère que le mode d'écriture dit "réaliste" est en quelque sorte plus profond, plus engagé moralement, plus directement lié aux préoccupations humaines "réelles" qu'un mode d'écriture qui fait appel au merveilleux.

La raison pour laquelle je défends le fantastique est que c'est loin d'être le cas. Pour clarifier cette question, nous pouvons peut-être nous rappeler que ce que nous considérons aujourd'hui comme le monde "réel" - c'est-à-dire le monde de l'expérience empirique - a été considéré pendant de nombreux siècles comme le monde des "apparences". Pour nos ancêtres, plus enclins que nous par conviction et par apprentissage à chercher la réalité au-delà du monde matériel, ce qui était définitivement réel résidait dans les autres mondes spirituels. C'est sur la réalité de ces autres mondes que porte, dans une large mesure, la fantaisie".

En effet, au Moyen Âge, le surnaturel, la magie, n'était pas nécessairement une fantaisie irréelle, ni ne devait nécessairement s'opposer au concept de science, mais c'était souvent un moyen didactique de transmettre une connaissance profonde de la réalité, non accessible à un niveau empirique, et qui pouvait donc être présentée à travers des paradoxes et des contradictions avec les apparences du monde réel. 

Fernando Galván : MAGIE ARTHURIENNE

  • Carlos Alvar, El Rey Arturo y su mundo. Diccionario de mitología artúrica, Madrid, Alianza Editorial, 1991.

21:00 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fantastique, traditions, cycle arthurien, magie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 08 avril 2024

La fonction religieuse et astronomique des monuments mégalithiques

cfde6d92cde96a313a48c014f9b23530.jpg

La fonction religieuse et astronomique des monuments mégalithiques

Mario Alinei & Francesco Benozzo

Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2024/04/la-funcion-religiosa-y-astronomica-de.html

La fonction astronomique des mégalithes, en particulier en relation avec leur fonction religieuse, est peut-être leur aspect le plus fascinant.

Niée avec obstination par les spécialistes jusqu'à récemment, elle est aujourd'hui universellement acceptée, après qu'Atkinson [1979] l'a clairement démontrée pour Stonehenge. Par la suite, cette fonction a été vérifiée pour les autres monuments.

Comme le dit Cunliffe (2001), même si "une partie de ce qui a été écrit est complètement fallacieux et une autre partie n'est pas prouvée, il reste un fait indiscutable que plusieurs de nos tombes mégalithiques les plus impressionnantes ont été conçues avec une immense habileté pour se rapporter précisément à d'importants événements solaires ou lunaires".

knowth-aerial.jpg

Il suffit de rappeler, parmi les exemples les plus connus, que la tombe irlandaise de Knowth (ci-dessus) a une orientation équinoxiale, associée au début de la saison des semailles et des récoltes.

127024052_126391965923493_4951585475517964403_n.jpg

Newgrange (ci-dessus), situé à peu de distance de Knowth, est l'un des cas les plus illustratifs. Il s'agit d'un sanctuaire mégalithique, daté entre 2475 et 2465 avant J.-C., qui consiste en une tombe à couloir.

La tombe a été construite de telle sorte que la ligne du couloir ou du passage d'accès à la chambre centrale était orientée vers le point de l'horizon où le soleil se lève le 21 décembre, le jour du solstice d'hiver le plus court de l'année (en termes religieux modernes, le jour de Noël).

La fonction à la fois scientifique et religieuse du monument est ici évidente. Le solstice, que le monument "capture" avec une précision absolue, marque à la fois la fin du principal cycle annuel de la nature, le cycle agricole, et l'aube d'un nouveau cycle : la nuit de la Saint-Sylvestre.

De plus, la lumière du soleil solsticial tombant sur le tombeau au centre du monument, il est clair que la résurrection du soleil devait impliquer celle des morts et assurer la même renaissance à tous les vivants, héritiers ou sujets de l'enseveli.

L'importance de ces observations pour l'interprétation des mégalithes est énorme, car elle permet de comprendre le lien entre la résurrection du soleil et la résurrection des morts. Plus généralement, la fonction du monument était à la fois scientifique, funéraire et magico-religieuse.

6263c76156719e4bba214cbbd17574c5.jpg

Les fouilles récentes ont également montré que les alignements, c'est-à-dire les rangées simples ou multiples de pierres placées les unes à côté des autres (très répandus en Bretagne) ont probablement une fonction mixte, rituelle et astronomique (cette dernière étant liée aux collines environnantes).

Les études menées au cours des vingt dernières années ont fourni des preuves statistiques impressionnantes que les bâtisseurs de mégalithes et les communautés mégalithiques observaient constamment le cycle de la lune.

csm_sites-cover-locqmariaquer-megalithes_f31b6f9d32.jpg

Un exemple emblématique est Le Grand Menhir Brisé en Bretagne, aujourd'hui interprété comme le plus grand observatoire lunaire de l'Europe néolithique.

MARIO ALINEI - FRANCESCO BENOZZO : Origines des mégalithes européens

samedi, 30 mars 2024

Dadaïste, séducteur, dandy. L'aventure d'être Evola

s518kawm8fla1.png

Dadaïste, séducteur, dandy. L'aventure d'être Evola

par Stenio Solinas

Source : Il Giornale & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/dadaista-seduttore-dandy-l-avventura-di-essere-evola

3051158418.jpg"Tout ce que vous avez voulu savoir sur Evola sans jamais oser le demander" pourrait être, en paraphrasant Woody Allen, le sous-titre de la solide biographie de plus de 700 pages qu'Andrea Scarabelli, avec Vita avventurosa di Julius Evola (Bietti, 39 euros), consacre à ce personnage complexe et controversé. Fort d'une décennie de recherches, d'archives italiennes et étrangères, de correspondances, d'interviews et de témoignages, Scarabelli a réussi à contextualiser son œuvre tout en mettant l'accent sur le type humain qui l'a rendue possible et à dresser un portrait convaincant de l'époque, ou plutôt des époques, dans lesquelles Evola a vécu: la Rome artistique, politique et idéologique du début du 20ème siècle puis de l'entre-deux-guerres; Vienne, qui n'est plus habsbourgeoise mais pas encore nazie; Paris surréaliste et moderniste; l'"île païenne" de Capri, par excellence: mais aussi le fer et le feu de la Seconde Guerre mondiale, l'effondrement italien et la capitulation allemande, la difficile période de l'après-guerre marquée par la paralysie physique de ses jambes, par de longues hospitalisations, par des difficultés économiques et de soudaines poussées de notoriété publique, des arrestations et des procès, qui ne contribueront pas peu à sa réputation de "mauvais maître" ou de maître tout court du néo-fascisme italien dans les années 1950 et 1960.

Le premier élément qui saute aux yeux, contredisant et/ou corrigeant cette aura d'impassibilité et d'impersonnalité qu'il a lui-même contribué à construire et que ses exégètes ont transformé en une sorte de totem intemporel, est qu'Evola était un interventionniste, immergé dans son époque, désireux de se tailler un espace public et de jouer un rôle à l'ère de l'agonie culturelle. C'était un homme colérique et polémique, mais il était prêt à faire des compromis lorsque d'autres voies n'étaient pas viables, à être marqué et dénoncé, voire calomnié dans la presse, et à se faire battre la main... Dès ses débuts, il fut un peintre dadaïste et théoricien d'un art abstrait dans sa volonté de faire tabula rasa de tout ce qui était tradition, conservation, passé, ainsi qu'un adepte d'un dandysme à la Oscar Wilde, comme le lui reprochaient ses détracteurs: monocle, brillantine, ongles émaillés, élégance extrême, faux titre de noblesse, prédilection pour les femmes mûres qui voyaient sans doute dans la séduction de cet "élégant abatino" (définition du futuriste Bragaglia) quelque chose de pervers et en même temps d'excitant.

Il l'était encore plus sous sa forme ultérieure de philosophe et, comment dire, d'idéologue, dans cet archipel déchiqueté qu'était le mouvement fasciste avant qu'il ne se cristallise en régime, et qui pourtant, une fois qu'il l'était, maintenait en son sein une telle vivacité de positions et de contrastes qu'elle rendait caduque aussi bien l'idée d'un système monolithique que celle d'une absence de débat culturel, voire d'une absence totale de culture.

3657945660.jpgDe ce point de vue, le livre de Scarabelli est d'autant plus intéressant qu'il dresse une carte, aussi raisonnée que composite, des différentes âmes intellectuelles qui ont vu le jour à l'époque, chacune avec ses propres points de référence, qu'il s'agisse de journaux, de lieux de rencontre, de maisons d'édition, ainsi que des référents politiques et donc des centres de pouvoir alternatifs. Une chose que l'on n'a jamais assez soulignée, et que Scarabelli met au contraire en évidence, c'est que l'intellectualité fasciste qui s'est manifestée à l'époque était l'enfant de l'interventionnisme de guerre qui l'avait précédée. Tout le monde, plus ou moins, avait été au front, tout le monde était revenu du front à la vie civile en conservant une mentalité militaire. C'était la répétition de ce phénomène que furent les demi-soldes napoléoniens si bien décrits par Balzac, des inadaptés par rapport au monde qui aurait dû les accueillir comme si rien ne s'était passé entre-temps...

L'idée que ceux qui avaient été dans les tranchées ou à l'attaque devaient maintenant s'asseoir derrière un bureau et recevoir des ordres de ceux qui étaient restés à la maison semblait surréaliste, tout comme l'appel au vieux décorum bourgeois, à l'échange poli d'opinions, à la polémique polie... Bien que moins virulent que les champions de l'insulte gratuite tels que Mario Carli et Emilio Settimelli dans les colonnes de L'Impero, Evola a également joué son rôle, un bellicisme des mots qui a paradoxalement débordé du fascisme vers le néo-fascisme d'après-guerre, où ce n'est pas une coïncidence qu'Evola se retrouve souvent décrit sur les mêmes tons et avec les mêmes épithètes dénigrantes qui l'avaient accompagné pendant les vingt années de fascisme...

Il faut cependant préciser, et Scarabelli le fait très bien, qu'Evola n'était en aucun cas un personnage marginal dans la culture fasciste. S'il s'est trouvé en marge, c'est en raison des batailles idéologiques très précises qui ont été menées et débattues, les batailles anticatholiques et racialistes, pour ne citer que les deux plus importantes, et qui, même si elles l'ont enveloppé d'un cône d'ombre, n'ont jamais réussi à le mettre complètement hors-jeu. Il est significatif qu'en décembre 1942, le jeune Italo Calvino demande à Eugenio Scalfari, collaborateur de la Rome fasciste, des éclaircissements sur Evola et "ses balivernes sur la pensée aryenne" qui, pour balourdes qu'elles soient, "exercent une certaine fascination, au point qu'en lisant certains de ses articles, j'ai puisé plus d'une inspiration dramatique". D'ailleurs, de Moravia à de Pisis, de Croce à Gentile, à Marinetti et Papini, de la maison d'édition Laterza à la maison d'édition Bocca, Evola a eu, dès sa première apparition, des fréquentations et des publications qui ont contribué à faire de lui un personnage complet, pas du tout folklorique, et encore moins insignifiant.

tableau-julius-evola.jpgIl a également des connaissances chez les politiques, en premier lieu Farinacci, qui le prend sous son aile protectrice, mais aussi Bottai, bien que de manière discontinue et fluctuante. Surtout, et malgré ses dénégations à cet égard, il avait en Mussolini, sinon un protecteur, un référent pragmatique et non a priori hostile. Ce que l'historiographie sur le fascisme tend à oublier, c'est qu'avant le Mussolini politique, il y avait eu le Mussolini intellectuel, le fondateur d'Utopia et le collaborateur de La Voce, l'ami de Prezzolini, mais aussi de Lombardo Radice et de Salvemini, l'agitateur socialiste et interventionniste, le préfet du Porto sepolto d'Ungaretti, l'ami et le compagnon d'armes de Marinetti...

Mussolini connaissait la culture de son temps parce qu'il l'avait pratiquée, elle ne lui était pas étrangère, il la comprenait. Cela explique l'attention, même paroxystique, avec laquelle il en suivait les événements, punissant ou récompensant tel ou tel écrivain, tel ou tel mouvement. C'était en quelque sorte son terrain de chasse et les intellectuels son gibier, avec autant d'espèces protégées et d'espèces à tuer ou à sacrifier. Evola, après tout, se rangeait dans la première catégorie.

Le livre contient également un examen approfondi de sa pensée, passionnant et difficile, mais, comme le titre l'indique, l'intérêt de l'auteur se porte ailleurs, sur cette vie "aventureuse", en fait, qui, au moins jusqu'à la tragique crise de 1945 au cours de laquelle il a perdu l'usage de ses jambes, correspondait tout à fait à cet adjectif. Depuis son expérience dadaïste, Evola avait également une vision non provinciale de lui-même : il était polyglotte, avait une bonne connaissance des langues classiques, une passion pour l'Europe de l'Est et une irritation pour le climat culturel romain qui s'est souvent avéré asphyxiant pour lui.

Par rapport à la mythologie que l'après-guerre a construite autour de lui, le portrait que dessine Scarabelli est aussi celui d'un bon vivant, brillant et jamais ennuyeux, à l'humour discret, conscient de sa valeur, mais soucieux de ne pas tomber dans la caricature. Très jaloux aussi de sa liberté: du travail, des charges familiales, des contingences matérielles, et prêt à en payer le prix. Courageux aussi, amoureux du danger compris comme une sorte de blind date, un test spirituel en quelque sorte, un test et en même temps une offrande, et finalement un signe. À Vienne, marcher sous les bombes signifiait précisément cela. "Nous ne pouvons comprendre qu'à travers toutes les conséquences". Toutes, sans exception, comme il l'a expérimenté lui-même, mais sans jamais s'insurger contre le destin cynique et barbare.

mardi, 26 mars 2024

Massimo Scaligero: "L'homme renaît du sacré"

fdb5b7e08095126decd02a7e980f056a.jpg

Massimo Scaligero: "L'homme renaît du sacré"

par Luca Leonello Rimbotti

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-uomo-rinasce-dal-sacro

En réalité, le lien entre l'archaïque et le postmoderne serait toujours possible, à condition qu'il y ait une décision politique adéquate. Selon Scaligero, l'actualité n'est que le dernier exutoire du primordial. Et nul ne peut invoquer l'incompatibilité du primordial et du futuriste.

La vertu de la pensée serait de créer l'action. La question est de savoir s'il n'est pas possible d'établir un lien entre la sphère intérieure, d'où naît la volonté, et la décision, d'où naît l'action. Habituellement, dans l'histoire, c'est dans les moments d'effondrement civil, de décadence politique et culturelle, que l'homme se tourne vers son âme, l'interrogeant sur le sens de l'existence, exigeant des réponses absolues et recherchant la possibilité d'activer des solidarités protectrices. Lorsqu'une société est triomphante, noyée dans le bien-être, les mystiques et les prophètes ne se manifestent guère. La science du quotidien, qui répond à toutes les questions, suffit. La contrefaçon de l'esprit, la superficialité, comme l'a fait le New Age dans le monde occidental, suffisent. L'esprit d'un peuple, mais aussi celui de l'individu, plane lorsque les inquiétudes sont éveillées et que les questions sont posées. La véritable antithèse créative au matérialisme séculaire est le soin de l'âme, la construction d'un esprit artistique.

Édouard_Schuré.jpg

9782755694215-625x1024.jpg

GUSTAV_MEYRINK_-_(Viena,_19_de_janeiro_de_1868_–_Stanberg,_4_de_dezembro_de_1932)_escritor_austro-húngaro.jpg

910ZM8KGIPL._AC_UF894,1000_QL80_.jpg

Les sciences de l'esprit, en ce sens, ont toujours constitué une contre-culture visant à reconstruire l'histoire comme une apparition du sacré. Surtout dans la modernité, cette convergence a souvent pris des significations de résistance caractérielle et culturelle, capable de tailler des lignes de roc sur lesquelles construire l'appareil d'une volonté antagoniste. L'Europe du vingtième siècle a connu des personnages qui, de Schuré à Guénon, de Meyrink à Steiner et au-delà, ont contribué, du côté ésotérique, pour ainsi dire, à ériger une barrière - quelle que soit la manière dont on la juge - sur laquelle certaines dérives de la modernité se sont parfois brisées, laissant non seulement des témoignages, mais des arguments, des gestes mentaux, des attitudes et des exemples qui, à chaque époque, constituent le précieux héritage de la "race indomptable".

massimo-scaligero.jpg

36710782.jpg

9781584209232.jpg

Un personnage comme Massimo Scaligero, aujourd'hui réduit à n'être plus qu'une divinité secondaire et relevant presque du sectaire, lui comme tant d'autres présents sur la dangereuse crête des "nouvelles spiritualités" rongées par le vice américain, dans ce compartiment ambigu qu'est la pensée ésotérique, nous le prenons comme exemple de ce que pourrait représenter la condition dans laquelle se trouve l'homme qui entend s'opposer à l'expansion de la Cosmopolis matérialiste. On pourrait dire qu'il s'agit d'individualités, d'individus, d'avant-gardes, mais potentiellement l'événement de la révolte intérieure investit les masses, implique toute la société chancelante. En effet, la révolution de l'esprit créateur, nécessaire à la fois pour supporter le poids de la dégradation quotidienne et pour penser à l'abattre, est le premier tour d'une roue confucéenne capable de faire bouger l'histoire et même de la renverser.

La recherche d'une vérité absolue se tourne vers l'Orient. C'est un classique de la modernité européenne. Depuis Schopenhauer, cet "ex Oriente lux" a régné pendant plus d'une saison. Et c'est précisément l'"homme de lumière", sur la piste persane de la gnose éclairante, c'est précisément cette entité transfigurée qui est le mirage qui maintient la volonté créatrice en éveil. Scaligero en a ravivé le sens à une époque de grands bouleversements, celle de l'immédiat après-guerre. C'est alors que se rejoignent la demande de salut, l'évasion du monde de l'envie, l'entrée dans une dimension d'altérité et de libération du besoin. La vertu "consolatrice" de la philosophie, appliquée à la catastrophe historique, engendre la mystique, on le sait. Et la mystique de la lumière, c'est la pensée de Scaligero.

Il s'agit d'une tentative - l'une des nombreuses, au 20ème siècle, mais l'une des rares, en Italie - d'endiguer la vague moderniste et de greffer sur le progrès matériel quelques-unes des branches les plus touffues de la tradition. Mais la pensée est-elle capable d'enrayer l'effondrement de la civilisation dans l'inculture ? Le repli sur les plis de l'esprit peut-il construire une vérité encore nouvelle ?

61Lg0I7twwL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

9788827222065-us-300.jpg

Tout tourne autour du concept d'édification. La pensée puisée dans les profondeurs de la transcendance peut construire, éduquer, former. Sur ce point, la procédure de concentration intérieure quitte la phase solipsiste individuelle et devient - peut devenir - une affaire communautaire, de repousse de nouvelles techniques d'apprentissage formatif. La solitude du sage, à partir de Zarathoustra, devient le cadre de valeurs d'un peuple. Toute pensée qui creuse l'énergie en elle-même, toute religion ou religiosité, à condition d'être mise en contact avec le feu de l'action, peut devenir et devient une révolution.  Cela signifie donc que le retour aux soins de l'âme n'est pas une fuite dans l'irréalité, dans l'intimité ou dans le secret des arcanes, s'il est effectué avec la compréhension de la véritable metànoia, la soif de changement qui grandit chaque fois qu'un homme lit dans les yeux d'un de ses semblables ses propres rêves.

L'Orient repensé par Maximus Scaligerus devait être un remède pour l'Occident perturbé par la démocratie libérale et jeté à corps perdu dans les mâchoires d'un matérialisme séculaire brutal. L'obsession progressiste a besoin d'un apaisement, et c'est ce pouvoir que l'essai met en évidence dans les processus de renaissance de l'ego. Comment échapper à l'emprise du temps progressif, qui enferme les individus et les masses dans l'angoisse de l'égarement, au contact de la violence nihiliste ? Comment ne pas ressentir dans son cerveau et dans sa chair la violence du monde à notre égard ? Cette civilisation de l'anéantissement n'a qu'un seul adversaire : nous-mêmes et notre force. Scaligero s'est formé à travers Nietzsche, Stirner et Steiner : cela nous dit déjà tout. L'homme brise sa chaîne schizophrénique en brisant le sortilège progressiste qui l'a forgée. L'homme est puissance, force, lutte. Il a en lui les outils de la libération. Ici, donc, la pensée peut devenir et devient un exercice, c'est-à-dire une ascèse, d'opposition. Chacun peut boire à la fontaine qui lui plaît. Scaligero, comme beaucoup d'autres avant lui, dans le long après-guerre, a désigné l'Orient traditionnel comme un réservoir de conscience et d'édification intérieure encore suffisamment limpide, puis l'a fusionné avec des apports christiques, avec des intuitions néo-païennes, avec des foudres hermétiques. Même si cet Orient s'est entre-temps contracté davantage, du fait de la désastreuse occidentalisation planétaire, avec sa cour du profit, son règne de l'argent, son oubli du savoir, sa domination techno-scientiste, malgré l'ensemble grandiose qui massacre les héritages et s'appelle puissance mondiale, malgré cela et le recul d'époque de la pensée mythique et transcendante, tout cela ne suffit pas encore à déclarer l'inanité de la persévérance.

9781584201793-de-300.jpg

La civilisation issue de la dialectique socratique et du scientisme cartésien a été elle-même détruite et engloutie par la tempête ruineuse qu'est l'irruption mondiale du pouvoir économique sur les substrats cognitifs de l'homme et ses paramètres existentiels habituels. Face à cet assaut, l'homme conscient a besoin d'armes pour faire face. La "vitalité transcendante" et la "chaleur des instincts" étaient, selon Scaligero, des moments de cette "puissance d'amour" qui, comme une nouvelle gnose, devait enlever la lourdeur du présent. Et voici le devenir de la lumière, l'avènement d'une puissance solaire qui se concrétise dans le détachement de la ruine et dans la gymnastique/ascèse de la contemplation du symbole : quelque chose qui bouge et qui dérive, comme toute notre vie, de la "mémoire sensible", cette sorte d'atavisme communautaire inné que chaque individu peut déterrer de lui-même, comme avec une hachette [1].

Dans ces propositions, nous ne trouvons pas d'impuissance passéiste. Nous y trouvons au contraire la détermination sereine de déterrer les trésors de la conscience de soi. Le retour à la source aujourd'hui n'est pas une lubie d'intellectuel désorganisé, ni une complainte impuissante de mélancolique : celui qui voit, touche et savoure la source accomplit un miracle communautaire, il irradie autour de lui la puissance du sacré. "Une montée des temps, à contre-courant", si je ne me trompe, disait Evola. Savoir unir les choses du monde à celles de l'idée hyperboréenne déclenche la puissance de cette révolution expansive: le ciel et la terre. Se pencher sur les dangers de la transcendance, décider d'activer l'ascétisme, ce sont des voies du monde, pas des échappatoires au monde. La formation d'une espèce humaine ancienne et rénovatrice est mise en gestation, l'avènement d'un type est invoqué, auquel est réservée la tâche de détruire la société de l'usure pour donner naissance à la société de la valeur. Penser la transcendance et vivre la vie. Deux symboles en mouvement. Ce que Scaligero, à un certain moment, encore jeune, de sa maturation intellectuelle, avait aussi esquissé en termes de pouvoir politique organique, qui, historiquement, unit les sphères privées et cosmiques :

md31542434270.jpg

611ZL6mdU4L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

La race qui vénère les forces du ciel conçoit un rapport symbolique entre le feu du foyer, l'atmosphère et le feu solaire, de sorte que, par la flamme, les offrandes sont brûlées et absorbées par l'éther, la grande divinité céleste ; la race qui vénère les forces terrestres communique avec ses divinités en apportant des offrandes dans les cavernes et en les plongeant dans l'abîme. Dans l'unité olympienne-terrestre, d'origine hyperboréenne, renouvelée par Rome, un motif symbolique dominant est le "feu qui réchauffe la terre", la flamme qui brûle à l'intérieur du temple de Vesta : ici se manifeste la rencontre des deux symboles et des deux spiritualités qui sont les fondements métaphysiques de l'Empire [2].

L'union du tellurique et de l'uranique est la garantie qu'il n'y a pas de dissociation entre le sacré et le profane.

S'agit-il d'une conception de l'existence trop éloignée du quotidien banal de la société de l'anarcho-libéralisme mondialiste ? En apparence seulement, et seulement pour ceux qui ont perdu toute capacité à croire en la possibilité de renverser le néant massifié.

En réalité, le lien entre archaïque et postmoderne serait toujours possible, dès lors qu'il y a une décision politique adéquate. Il n'existe rien d'inéluctable, sauf la résignation. Les cultes anciens, par exemple, pourraient encore aujourd'hui, et même demain, réapparaître comme des moments crédibles de réciprocité sociale, à nouveau viables. La tradition sacerdotale et la tradition héroïque, en ce sens, selon le langage des sciences de l'esprit, peuvent très bien coexister avec la technoscience de masse et la "mégamachine" productiviste.

9788886222167_0_424_0_75.jpg

Zenmscogos.jpg

Selon Scaligero, comme selon les grandes voies de l'Orient et de l'Occident métaphysique, l'actualité n'est que le dernier débouché du primordial. Et nul ne peut invoquer l'incompatibilité du primordial et du futuriste. L'argument nous mènerait loin, mais l'histoire a montré à maintes reprises que le primordial revit dans l'actualité, pour peu qu'il y ait une volonté - non seulement culturelle, mais précisément politique - qui l'évoque. Le monde du Logos et du Mythos se voit barrer la route si la transcendance se réfugie dans les plis de l'intimité individuelle ; il voit l'horizon s'ouvrir si, au contraire, le sacré se répand dans le monde comme obéissance à la vie. "La mémoire du Logos est le principe de la régénération de l'homme", écrit Scaligero. "Chaque fois que l'Esprit rencontre l'âme pour l'expression de la pensée, le Logos resplendit, mais imperceptiblement". Pour inverser la tendance et pour que l'ouverture à la transcendance soit perçue même au milieu du vacarme moderniste, il faut que surgisse une pensée qui unisse l'idée et l'expérience, le monde et le surmonde :

Dans les temps nouveaux, le chemin vers le don de la Vie passe par la pensée : elle seule peut réveiller la vie perdue du sentiment. Aujourd'hui, la possibilité directe de l'Esprit est la pensée. [...] Cette pensée veut se relever de sa mort, veut revenir à la vie, à la Lumière de la Vie : elle veut se relever en tant que mélodie, parce que la mélodie cosmique est la force à partir de laquelle elle se meut réellement [3].

Il ne s'agit pas de promenades gratuites dans les prairies de l'illusion ou de digression ésotérique rêveuse, mais du produit d'un effort empirique, physique, sans lequel il n'est pas possible d'attaquer le monde dans lequel nous vivons, si imposant, si monolithique, pas même du côté de l'utopie. Il s'agit en effet de donner la parole à cette race particulière d'hommes qui, dans l'histoire du monde de toutes les époques, a toujours constitué le moteur immobile du changement et de l'événement : ceux qui, par l'éducation, l'édification personnelle, la sanctification providentielle ou autre, gardent toujours en eux, à chaque moment, même le plus désespéré en apparence, le "courage de l'impossible" [4].

Notes:

[1] Cf. Scaligero, L'immaginazione creatrice [1964], introd. par Pio Filippani Ronconi, F.lli Melita Editori, Rome 1989, p. 27, où, se référant à la substance de lumière de l'être éthérique, Scaligero affirme que dans l'homme sont produites des images qui "se traduisent en lui immédiatement en sensations et en pensées conformes à la mémoire sensible : qui est la mémoire de la race et du sang".

[2] Scaligero, La razza di Roma, éd. Mantero, Tivoli 1938, p. 49.

[3] Scaligero, Isis-Sophia, la dea ignota, Edizioni Mediterranee, Rome 1980, pp. 62-63.

[4] Cf. Aa. Vv, Massimo Scaligero, Il coraggio dell'impossibile, Tilopa, Teramo 1982.

vendredi, 23 février 2024

La vie aventureuse du philosophe Julius Evola

julius_evola_by_paul_ingvarsson_df8ipo3-fullview.jpg

La vie aventureuse du philosophe Julius Evola

La biographie monumentale du penseur traditionaliste éditée par Andrea Scarabelli arrive dans les librairies d'Italie

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/113097-la-iita-avventurosa-del-filosofo-julius-evola/?fbclid=IwAR2lRtsNMLf6gASscEhKwbfiSxW943v2iyLXDc-IZYCqZ0J3sujOn38OFj4

wwasvajeoristore.jpgJulius Evola est mort il y a cinquante ans. Son nom continue d'être accablé de préjugés aprioristiques récemment ravivés par le battage journalistique mainstream visant à promouvoir un volume mal informé dans lequel le penseur traditionaliste est présenté, rien de moins, comme l'"instigateur moral" du "viol de Circeo". Le philosophe Piero di Vona, l'un des plus fins exégètes de la vision du monde d'Evola, avait en effet raison de souligner l'urgence, pour sauver Evola d'un dénigrement préconçu ou d'une exaltation hagiographique tout aussi stérile, d'écrire une biographie objective et équilibrée de cet intellectuel qui a traversé le "petit siècle" en tant que l'un de ses protagonistes. Andrea Scarabelli a répondu à ce besoin de clarification historique avec sa Vita avventurosa di Julius Evola (Vie aventureuse de Julius Evola), désormais en librairie grâce aux éditions Bietti (pour les commandes : 02/29528929, pp. 830, 39,00 euros).

Il s'agit d'une reconstruction méticuleuse de la vie du traditionaliste, développée en dix chapitres à caractère organique, révisée avant publication par de nombreux spécialistes d'Evola et d'autres. Le travail de Scarabelli a surtout une qualité littéraire évidente. La vie d'Evola, certainement peu commune et "au-dessus des lignes", est également étudiée dans le récit par le biais de références appropriées à son cheminement de pensée. Ces pages ne se limitent pas à la présentation de données biographiques et de contingences historico-existentielles, mais constituent un portrait: la "pensée incarnée" d'Evola. Le lecteur doit être conscient qu'il lit "la biographie de quelqu'un qui n'a pas voulu être biographié, la périodisation d'une pensée qui a tout fait pour se situer au-delà de l'Histoire, sauf alors à parier sur l'Histoire elle-même" et sur l'engagement en elle pour en "rectifier" le cours. On sort de la lecture avec une certitude: la linéarité de l'iter d'Evola est plus problématique que ce que le philosophe veut bien nous faire croire, car elle est constituée de points d'arrivée et de redémarrages conséquents qui, dans certains cas, représentent une rupture par rapport à la phase précédente.

1516802448569.jpgScarabelli (photo) a utilisé une vaste documentation d'archives, a parcouru (pour la première fois) tout le matériel conservé par la Fondation, a consulté des lettres épistolaires (parfois inédites), a recueilli de nouveaux témoignages, a suivi les traces laissées par Evola en Italie et en Europe. Grâce à la vaste documentation produite, on peut parler, et pas seulement pour le volume que constitue l'ouvrage, d'un livre monumental, d'une œuvre charnière dans la bibliographie critique concernant le penseur traditionaliste. Le personnage d'Evola fait ici l'objet d'une étude approfondie, ses points positifs et sa grandeur sont notés, mais aussi ses limites et ses traits "humains, trop humains". Il en ressort un portrait équilibré: un Evola face au miroir. Dans l'incipit, l'environnement familial est reconstitué dans son intégralité (dans la mesure où les documents le permettent), révélant la nature tout sauf aristocratique de la famille (le surnom de "baron", par lequel Evola est souvent désigné, est en fait un surnom qui lui a été donné à l'époque du dadaïsme).

Rivista_di_Ur.png

N-0.jpg

Naglowska.jpg

Reghini-lapide.jpg

Il s'agit d'une reconstitution évocatrice du mileu ésotérico-occultiste dont Evola était l'animateur à Rome dans les premières décennies du siècle dernier, à l'époque du "Groupe UR", avec ses divisions et les personnages extraordinaires qui l'animaient, de Reghini (photo) à Maria de Naglowska (photos). L'auteur présente également une reconstruction précise de l'environnement des cercles futuristes que l'artiste-philosophe, d'abord proche de Balla et ensuite le plus grand interprète italien du dadaïsme poétique, fréquentait en animant des soirées mémorables aux "Caves d'Augusteo".

Evola était également un voyageur passionné. Il aimait la Capri pré-touristique, le cœur de la Méditerranée panique-dionysienne, un refuge, à cette époque, pour les "hérétiques" de toutes sortes et où Evola a acheté une maison avec deux amis en 1943 (Villa Vuotto, dans la Via Campo di Teste). C'est là qu'il travaille à l'une des nombreuses revues prévues mais jamais réalisées, Sangue e Spirito (Sang et Esprit), aidé par une jeune et belle secrétaire allemande, Monika K., fille d'un photographe berlinois, qui, Evola absent de l'île, se suicidera en ingérant une grande quantité de tranquillisants. Cela incite Evola à revenir brusquement à Capri et à écrire une lettre sincère à la sœur de la jeune amie (l'épisode, jusqu'à présent, n'a pas été connu).

Toujours à Vienne, le penseur participe à la fondation, avec les principaux éléments de la révolution conservatrice locale, du Kronidenbund : "il passait en revue [...] la dimension nocturne de la ville. Il fréquente un club appelé, non sans raison, "Le Rien", dont les murs arborent des symboles hermétiques et astrologiques et où : "Au lieu de tables, il y a des cercueils et les boissons sont servies dans des crânes". En Allemagne, il est bien accueilli dans les milieux aristocratiques et entretient des relations positives avec Edgar Julius Jung, secrétaire de von Papen, qui sera plus tard éliminé par les nazis.

montagne_innevate_dietro_castello_tures_campo_tures_shutterstock-tablet.jpg

Les épisodes de la vie d'Evola liés au paranormal ne manquent pas : il est invité, par exemple, au château de Taufers (photo), à Campo Tures, où se produisent des phénomènes médiumniques. À son entrée, ces phénomènes, au lieu de s'atténuer, se sont accentués. Evola les a qualifiés d'"influences errantes", d'"énergies" : "influences errantes, énergies à l'état libre".

m.hain.jpg

Il se rendit également à la chartreuse de Maria Hain (photo), près de Düsseldorf, où il fut témoin d'un rituel: Au milieu de la nuit, il évoque quelque chose de radical. Deux aspects, à notre avis, sont les plus pertinents qui ressortent de la biographie:

1) un rapport médical anonyme de l'hôpital où Evola a été hospitalisé après l'explosion de la bombe du 21 janvier 1945 (un bombardement sans doute américain !) dans lequel apparaît l'histoire médicale de l'état de santé du penseur et des thérapies qu'il a suivies. Jusqu'à présent, on avait toujours supposé qu'Evola était paralysé des membres inférieurs immédiatement après le bombardement. L'exégèse des dossiers médicaux montre au contraire que ce sont les thérapies appliquées, inadaptées à la pathologie d'Evola, qui ont aggravé et dégénéré la situation: il s'agit d'une faute professionnelle, qui s'explique par les conditions des hôpitaux autrichiens de l'époque ;

Agostino_Gemelli.jpg2) l'analyse du racisme d'Evola. Le "racisme spirituel" proposé par le philosophe n'était pas seulement impraticable à la lumière des contingences historiques et donc politiquement inutile, mais il était aussi combattu, comme "anti-allemand", non seulement par les nazis, mais aussi par des cercles appartenant à la Compagnie de Jésus, le père Agostino Gemelli (photo) et Pietro Tacchi-Venturi. Même Giorgio Almirante (qui décrira plus tard Evola comme "notre Marcuse") et Giulio Cogni ont contribué à l'isolement d'Evola.

Scarabelli note que, dans certains écrits et certaines circonstances, même le philosophe a succombé à la culture de l'époque, au racisme "populaire", et a développé des considérations qui ne pouvaient pas être partagées. Il n'en reste pas moins que le "raciste" Evola était moins "raciste" et "antisémite" que beaucoup d'autres qui se sont convertis par la suite aux idéaux des nouveaux maîtres. L'histoire terrestre d'Evola s'est achevée par le dépôt de ses cendres parmi les glaciers du Lyskamm, après bien des vicissitudes : "C'est la conclusion d'une vie aventureuse et peu commune, qui a traversé le XXe siècle, en portant ses masques et en interrogeant ses énigmes".

Giovanni Sessa

Traditionalistes contre globalistes: le grand chambardement planétaire

f47621203959233affc603731d9801fa.jpg

 

Traditionalistes contre globalistes: le grand chambardement planétaire

par Pierre-Emile Blairon

1.

Etat des lieux

En 2020 a eu lieu un événement sans précédent dans l’histoire du monde : un groupe d’oligarques psychopathes a fomenté un coup d’État planétaire, qu’il a dénommé le Great Reset, la « grande réinitialisation » en français, une expression à l’évidence inspirée par la main-mise de la technologie informatique sur le monde que nous vivons. Ce coup d’État est toujours en cours ; il trouve ses origines funestes et son but pernicieux dans un lointain passé de l’humanité, transmis de siècle en siècle, de sociétés secrètes en officines « satanistes » (terme revendiqué par ces mêmes officines et, actuellement, par ces mêmes psychopathes), de cooptation en cooptation d’individus malfaisants jusqu’à la secte maléfique qui s’est emparée de quasiment toutes les structures civilisationnelles du monde d’aujourd’hui[1]. Pourquoi cette engeance a-t-elle décidé d’intervenir à ce moment ? Parce que la fin de notre cycle, qui s’accompagne, comme tous les précédents, de nombreux troubles, d’origine humaine ou naturelle, présente une vulnérabilité que les globalistes attendent depuis bien longtemps et qu’il s’agit d’empêcher la naissance de celui qui va suivre.

0158d575bb5f16a5347a94512cd646bf.jpg

C’est amusant, ces personnages nuisibles qui semblent issus en droite ligne d’Epiméthée, le frère idiot de Prométhée, plus que de Prométhée lui-même, ont ouvert la boîte de Pandore (qui, dans la mythologie, était une jarre) répandant tous les malheurs qui vont inévitablement leur tomber sur la tête. Oui, l’existence des racailles en col blanc qui dirigent le monde procède de cette filiation mythologique dont ils se réclament.

En effet, par cette soudaine entrée en scène et la répression qui l’a suivie, les globalistes se sont révélés au monde et, de ce fait, ont déclenché une prise de conscience de tous ceux qui ne se sentaient pas concernés jusque là par les agissements de leurs gouvernants, valets, complices ou adeptes de la secte.

Les mondialistes avaient méticuleusement préparé leur coup depuis de longues années ; leur première tâche avait consisté à prendre le contrôle de tous les médias afin de conditionner les populations ; il faut reconnaître que cette étape décisive a parfaitement fonctionné ; les techniques d’ingénierie sociale sont très au point ; et les quelques rares esprits lucides qui n’ont pas été atteints par cette épidémie de crétinisation ont regardé avec effarement les masses se plier sans broncher à toutes les absurdes injonctions qui leur étaient lancées afin de tester leur degré de soumission.

En quelques mois, toutes les valeurs qui constituaient le socle même des sociétés civilisées depuis des siècles ont disparu ; en moins de quatre ans, ce qu’on a appelé l’Occident s’est effondré sur tous les plans: spirituel, économique, diplomatique, technologique, culturel, intellectuel, sapientiel, mémoriel...

L’infime minorité qui a su conserver son esprit critique a pu se relever, se regrouper et entamer une résistance courageuse avec ses faibles moyens. Des personnes venues de tous horizons, qui ne se côtoyaient pas auparavant, se sont reconnues comme faisant partie d’une même communauté, sentiment accru du fait qu’elles sont passées par les mêmes épreuves, surtout lors de la troisième offensive lancée contre les peuples, celle d’une pseudo-vaccination mortifère, après l’entreprise de conditionnement planétaire des populations - de leur lobotomisation - et après la fabrication du coronatralalavirus en Chine et sa diffusion.

Les clivages artificiels économiques (de classe) ou politiques (gauche-droite) laissent place désormais à une reconfiguration des archétypes sociaux avec d’un côté, les individus conformistes qui ont été conditionnés par l’ingénierie sociale (les plus nombreux) adhérant par défaut - de cerveau - au camp mondialiste ou, pour les autres, plus éveillés mais en minorité, rejoignant le camp traditionaliste.

Mais nous verrons que ces nouveaux résistants n’ont pas le profil attendu de gens passéistes qui s’accrochent à leurs privilèges, à leur confort ou à une idéologie conservatrice ; ceux-ci rejoignant le camp mondialiste sans se poser de questions. Les cartes ont été rebattues avec l’accélération et la multiplication d’événements significatifs qui ont divisé le monde selon des critères inattendus.

En voici quelques exemples.

- La guerre déclenchée par les Occidentistes [2] en Ukraine a, contrairement aux espérances des Américains, de l’OTAN et de leur entité vassale, l’Union Européenne, renforcé ces dissidents occidentaux qui se sont rapprochés de la Russie, laquelle brandit sans complexe et avec fermeté le flambeau des valeurs pérennes indo-européennes de nos origines communes.

 - La création de l’alliance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ouvre une alternative à l’hégémonie planétaire américaine ; la Russie, bien loin de succomber économiquement face aux sanctions occidentales, s’est, au contraire, consolidée sur le plan économique, déclenchant même un marasme sans précédent dans beaucoup d’Etats européens (dont la France).

e99afcd_2024-02-08t231124z-669881766-rc2ny5a7r375-rtrmadp-3-russia-putin-carlson.JPG

- La récente entrevue du journaliste-vedette américain Tucker Carlson avec Vladimir Poutine, qui a pu enfin exposer le point de vue de la Russie sur la guerre en Ukraine, a déclenché un tsunami médiatique et une vague de sympathie pour le dirigeant russe à laquelle ne s’attendaient pas les globalistes.

 - Les Etats-Unis - « dirigés » par un vieillard sénile compromis, en compagnie de son fils, dans d’innombrables affaires douteuses - sont en complète déliquescence, à tel point que de nombreux Etats songent à faire sécession.

 - Autre théâtre de troubles internationaux, le massacre en cours perpétrée par Israël sur la  population palestinienne ne peut, à terme, que fragiliser l’état sioniste et ses alliés, Israël constituant l’un des trois principaux composants du bloc occidental avec les Etats-Unis et l’Union européenne.

 - Les Africains commencent à se réveiller et chassent les Français (dont c’était la « chasse gardée », la Françafrique), à cause de l’ignorance, de la bêtise, de la vanité et de la maladresse d’Emmanuel Macron ; la France est brusquement remplacée par la Chine et la Russie.

1705084784084.jpg

- Enfin, la fronde des paysans européens contre le projet sournois de l’Union européenne visant à les éradiquer (fronde toujours en cours à l’heure où nous publions) a radicalisé les franges les plus traditionnelles de la population qui semblent décidées à ne plus se laisser manipuler.

C’est ainsi que se dessine lentement un monde bipolaire (à défaut, pour l’instant, d’être multipolaire) à la fois sur le plan économique mais aussi sociétal, les BRICS, composés essentiellement de très anciennes civilisations traditionnelles, solidement structurées par des valeurs ancestrales, refusant unanimement les errances d’un Occident déboussolé et suicidaire.

Quelles sont les caractéristiques de chacun des deux blocs ainsi constitués ?

 2.

Le camp traditionaliste

Le terme de « tradition » vient du latin  traditio, action de transmettre et du verbe tradere  : transmettre ; on confond souvent les traditionalistes avec les conservateurs ; le latin précise bien qu’il y a une action qui est requise ; la tradition n’est donc pas un simple « retour au passé », un concept figé, contrairement au mot « conservation » qui suppose une préservation, certes, mais aussi le « maintien d’un statu quo », selon le Larousse. C’est exactement la différence que décrit l’adage russe : « Le passé n’est pas un port, c’est un phare ». c’est-à-dire ce qui éclaire notre présent pour envisager notre avenir.

Il faut toujours remonter à la source pour comprendre le présent et tenter de deviner le futur. Remonter à la source, c’est prendre de la hauteur, l’eau coule toujours du haut vers le bas ; l’eau qui sourd de la source est un renouvellement constant, comme une fontaine de Jouvence.

Nos ancêtres avaient observé la nature et les astres et en avaient conclu que le temps était cyclique et que le processus pérenne « naissance-vie-mort » n’avait ni début ni fin. Les anciennes civilisations indo-européennes indiennes, grecques et iraniennes avaient partagé les grandes périodes de ce temps cyclique en quatre âges représentés par des métaux qui allaient du plus précieux au plus vil (or, argent, bronze et fer), l’or étant incorruptible et le fer se décomposant en rouille jusqu’à disparaître avec la fin du cycle avant qu’en renaisse un nouveau. L’Âge d’or représentant le plus haut sommet d’une civilisation, chacun des citoyens vivait selon les préceptes d’une spiritualité raffinée, productrice de valeurs admirables, aristocratiques et chevaleresques qui structuraient une société policée et enracinée au sol qui lui avait été dédié, ces vertus s’émoussant au fil du temps et des âges jusqu’au déclin de l’Âge de fer qui voit la totale décomposition de cette société par l’inversion de ses valeurs, l’abêtissement et l’ensauvagement de l’humanité et le règne du matérialisme le plus abject.

Nous sommes à la fin de ce dernier âge et l’on peut constater les méfaits qui l’accompagnent inévitablement et inexorablement dans la vie de tous les jours.

Une certaine catégorie d’hommes et de femmes (que Julius Evola appelle « les êtres différenciés ») se consacre, au fil des siècles et des générations, à la transmission et à la maintenance des valeurs de l’Âge d’or qui devraient être les valeurs naturelles et spirituelles de l’humanité si elles n’avaient pas été détournées. La réactivation de ces valeurs étant la condition indispensable à la résurgence du nouveau cycle lorsque le temps sera venu.

Le camp globaliste veut coûte que coûte empêcher cette réactivation qui, si elle est menée à bien, signifierait la fin de son hégémonie matérielle. C’est tout le combat des « êtres différenciés » dont nous parlerons en fin d’article. Toutes les actions qui visent à retarder la chute de cette modernité matérialiste constituent une production d’énergie en pure perte ; le seul combat utile consiste à préparer le grand retournement en rassemblant les bagages (les valeurs) pour franchir le gué qui mène au nouveau cycle, au nouvel Âge d’or, et en empêchant les satanistes d’interrompre le processus d’avènement du nouveau cycle.

Ce processus est expliqué dans la plupart de mes ouvrages et articles ; je ne pourrai pas ici l’expliciter plus avant. Je donne juste quelques indications qui, dans le cadre de cette intervention, permettent de comprendre les événements qui nous préoccupent actuellement, c’est-à-dire les raisons de l’offensive inattendue et brutale des forces négatives qui ont pris le pouvoir sur l’ensemble de la planète.

 3.

Le camp globaliste

Je parlerai indifféremment de mondialistes, globalistes, satanistes ou transhumanistes puisque ce sont autant de sectes nuisibles qui interfèrent, se complètent et se substituent l’une à l’autre selon les situations ou les besoins du moment, mais qui visent le même but sous des apparences quelquefois patelines et anodines : la réduction puis la mise en esclavage et/ou en robotisation de ce qui restera de la population planétaire, « l’élite » (que ces groupes s’arrogent le droit exclusif de représenter) ne se préoccupant que d’accroître sa durée de vie et son bien-être matériel au prix de bien de turpitudes et de misères infligées aux peuples sans le moindre état d’âme, ce qu’a amplement prouvé l’épisode sanitaire et ses suites tragiques.

imttg-7.jpg

Nos globalistes se veulent les héritiers de la race des Titans qui, dans la mythologie grecque, ont voulu se mesurer aux dieux par la révolte de leur figure la plus emblématique qui s’appelle Prométhée, lequel est réputé avoir créé les humains ; le prométhéisme, ou le titanisme, a donné naissance au surhumanisme, qui est lui-même l’antichambre de l’actuel transhumanisme qui milite pour un « homme augmenté », équivalent du surhomme. Humanisme (domination de l’Homme sur les autres règnes), surhumanisme, transhumanisme et, but ultime : posthumanisme qui voit l’Homme transformé en robot dans un épouvantable cliquetis de ferraille...

Cette vanité, cet orgueil qui a poussé les Titans à défier les dieux s’appelle l’hubris, la démesure élevée en mode de fonctionnement de nos sociétés actuelles, la folie titanesque qui voit, par exemple, s’élever des tours toujours plus hautes au sein de mégapoles toujours plus gigantesques.

uadnnamed.jpg

Et ce n’est pas un hasard si l’équivalent des Titans chez les monothéistes sont les anges rebelles, et de ce fait déchus, dont le chef s’appelle évidemment Satan, dont la racine serait la même que celle de Titan, selon le chercheur Daniel E. Gershenson. La cause de la déchéance de ces « anges » est identique à celle qui a poussé Prométhée à défier les dieux : l’hubris, l’orgueil, la vanité, la volonté de se mesurer à Dieu, voire de le remplacer.

Les ancêtres de nos modernes transhumanistes sont les auteurs d’une grande manipulation, bien avant celles de la pseudo-pandémie et des pseudo-vaccins, une totale inversion des valeurs et de la logique.

Cette manipulation s’est révélée à la faveur, d’une part, des multiples inventions scientifiques qui ont jalonné la fin du 19e siècle (inventions qui ne pourront que tourner la tête des foules et les persuader qu’une ère nouvelle était en train de bouleverser leur vie, celle du progrès sans fin) et, d’autre part, à la même époque, de la parution du livre de Charles Darwin, L’Origine des espèces, qui professe que l’ancêtre de l’homme est un singe. Ces nouveaux « progressistes » en ont profité pour diriger l’humanité vers une croyance entièrement tournée vers le matérialisme et le monde artificiel qui ne pouvait qu’avantager leur ambition démesurée de contrôler la planète par ce biais, ces individus d’alors, tout comme leurs successeurs d’aujourd’hui, étant incapables de toute démarche spirituelle.

La théorie du progrès (lequel ne peut être que technique, et encore sous certaines réserves) et celle de l’évolution qui procèdent toutes deux d’un même illogisme sont des aberrations dans un monde qui, quand on observe la nature, ne peut que nous conduire à constater que tout ce qui vit sur Terre vit sous le principe traditionnel de l’involution, expliqué par Julius Evola [3], c’est-à-dire, dans un sens qui va du meilleur au pire, de la naissance à la mort et non pas le contraire [4]. Ces aberrations ont également infesté le raisonnement de l’archéologie naissante qui voit dans les ossements humains qu’elle découvre encore aujourd’hui des ancêtres de l’homme actuel alors que ce sont, dans un flux naturel qui coule en sens contraire, des restes de branches humaines dégénérées qui appartiennent vraisemblablement à des fins de cycles antérieurs au nôtre, tout comme les peuplades primitives qui sont nos contemporaines [5].

Toujours selon Evola, seule une petite minorité de personnes a conscience de cette manipulation parce que ces personnes ont conservé ce qu’il appelle « cette hérédité des origines, cet héritage qui nous vient du fond des âges qui est un héritage de lumière. […] Seul peut adhérer au mythe de l’évolutionnisme et du darwinisme l’homme chez qui parle l’autre hérédité (celle introduite à la suite d’une hybridation) car elle a réussi à se rendre suffisamment forte pour s’imposer et étouffer toute sensation de la première [6]».

Le constat d’involution est la plus grande idée révolutionnaire que l’on puisse émettre car, à partir de ce constat, tous les fondements illusoires de notre société matérialiste basés sur les notions de progrès et d’évolution s’écroulent.

4.

Qui est Laurent Alexandre ?

Le chantre du transhumanisme en France, bien connu depuis la parution de son livre en 2011, La Mort de la mort, se nomme Laurent Alexandre.

1537457-laurent-alexandre-etait-l-invite-de-rtl-soir.png

61+vY4t9wXL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Chirurgien-urologue, diplômé de Sciences-Po, d’HEC, de l’ENA, il vit actuellement en Belgique (histoire de ne pas payer d’impôts ?) avec sa famille, après avoir vendu son site internet Doctissimo pour 139 millions d’euros au groupe Lagardère.

Dans son livre, il nous prédit une révolution technologique notamment dans le domaine médical, si radicale que la notion même de mort sera caduque dans les quelques dizaines d’années qui viennent. Ces progrès spectaculaires tiennent, dit-il, en quatre lettres : NBIC, pour : Nanotechnologies, Biologie, Informatique, et sciences Cognitives. « Grâce à ces révolutions concomitantes de la nano-technologie et de la biologie, chaque élément de notre corps deviendra ainsi réparable, en partie ou en totalité, comme autant de pièces détachées. »

Alexandre tente, avec beaucoup de maladresse et de désinvolture – on sent bien que c’est le moindre de ses soucis – de se doter d’une morale, ou plutôt d’une philosophie, ou tout au moins d’une posture pour contrebalancer l’excessivité de ses positions matérialistes et le cynisme qui va avec. Le résultat est un naufrage, l’auteur se contredisant d’une page sur l’autre et émettant tous les poncifs en vogue. On se demande ce que vient faire ici, dans ce livre où il est question d’une révolution majeure, l’épuisant et mesquin conflit gauche-droite : « Le mouvement transhumaniste deviendra l’allié de l’Etat-providence, et défendra l’accès pour tous aux technologies bionanomédicales. Répétons-le, le transhumanisme est une idéologie de gauche très égalitariste. Ce n’est pas la défense d’une race supérieure contre les autres… » (page 247) mais, page 301 : «  L’alliance des transhumanistes et des humanistes égalitaristes de gauche pourrait conduire à la généralisation de normes administratives réductrices de libertés. » Seulement administratives ?

Page 303 : « Dans les siècles qui viennent, les souvenirs pourront être manipulés directement dans les cerveaux humains. De quoi donner un nouvel élan aux sinistres mouvements ˝conspirationnistes˝ qui contestent les vérités les plus établies, de la Shoah à la conquête de la lune, en passant par les attentats du 11 septembre. » Un nouvel élan dans plusieurs siècles ? Il faut être patient. Mais, page 309 : «  Le problème, c’est que le lobby transhumaniste est très organisé et puissant alors que l’on attend toujours qu’une contestation aux technologies NBIC s’organise. »

Page 248 : « Les transhumanistes sont fondamentalement des sociaux-démocrates et pas du tout une nouvelle extrême-droite. » (retenez bien ceci qui va nous servir dans un moment) mais, page 317 : «  Rien ne garantit qu’une humanité augmentée sera tolérante vis-à-vis des humains traditionnels. [] La possible tyrannie de la minorité transhumaniste doit être envisagée avec lucidité. ».

05cdb2b889fec4a6fe7beb9217464e0f.jpg

Et voici une perle : en 2011, Laurent Alexandre avait « prédit » ce qui allait se passer en 2020, mais ce ne sont pas des terroristes qui sont à l’origine de cette attaque, ce sont ses amis, et il avait même prévu le pseudo-vaccin qui allait suivre  : « Une attaque terroriste virale, avec par exemple une version génétiquement modifiée du SRAS, de la variole ou autre, pourrait provoquer des millions de victimes avant qu’un vaccin ne soit disponible. » Mais Alexandre nous met la puce… à l’oreille ; les transhumanistes sont prêts à tout pour arriver à leur fin : « La hantise de la mort chez beaucoup des transhumanistes pourrait bien les conduire à accélérer l’histoire technologique, quitte à utiliser la force ».

C’est ce qu’ils ont déjà commencé à faire ; la tactique des globalistes consiste à conditionner les populations aux abominations qu’ils ont préparées pour elles, tout en laissant croire qu’il ne s’agit que d’une fatalité contre laquelle personne ne peut rien, et sûrement pas eux.

Le grand chambardement dont il est question dans le titre de cet article ne fait pas seulement référence à la création des BRICS, il est aussi européen, mais surtout français parce qu’il concerne notre classe politique qui ne réagit pas du tout comme nous étions en droit de l’attendre.

5.

La trahison des droites populaires

Georgia Meloni n’est pas le seul dirigeant européen à avoir trahi ses électeurs, mais elle a été la première à l’avoir fait avec une telle rapidité et un tel dédain de ses électeurs et elle est encore actuellement le modèle des deux courants principaux de la droite populaire française : RN et Reconquête qui, désormais, ne se distinguent pratiquement plus : Marion Maréchal a annoncé récemment son intention de rejoindre le groupe de Meloni au Parlement européen si elle est élue et nous allons voir que les deux partis cochent toutes les cases du politiquement correct sous la houlette de l’Union européenne.

fe5f945_1698148112360-000-33yz3tw.jpg

En décembre 2023, Georgia Meloni, en reniant ses promesses électorales et surtout celle concernant l’arrêt de l’immigration pour laquelle elle a été élue, a décidé d’accueillir légalement 452.000 travailleurs étrangers en Italie (en plus des clandestins qui débarquent à flots à Lampedusa) pour combler les prétendus déficits en main-d’œuvre de l’agriculture, de la pêche et de la restauration ; situation similaire à celle de la France : si les ouvriers et employés étaient bien payés et si les indépendants ne succombaient pas sous les charges, les mondialistes n’auraient pas besoin d’appeler au secours des migrants pour les traiter en esclaves ; les secteurs concernés apprécieront, surtout les paysans [7].

Tout comme les Fratelli d’Italia (le parti de Meloni), RN et Reconquête ont coché et cochent encore  toutes les cases du politiquement correct de l’Union européenne :

 - Pendant la crise sanitaire, les deux partis français étaient favorables à la « masquarade », au confinement et à l’injection des pseudo-vaccins.

- Les deux partis ont pris position pour l’Otan lors de la guerre que cette organisation a initiée en Ukraine contre la Russie.

- les deux partis se sont rangés derrière Israël pour dénoncer l’agression du Hamas contre Israël et, du même coup, soutenir le massacre en cours des Palestiniens par les sionistes.

 - L’immigration devrait encore être le cheval de bataille des deux partis puisqu’ils sont mandatés par le peuple pour l’arrêter même si, à l’arrivée aux affaires de l’un des deux, il n’aurait strictement aucun pouvoir, - la reculade de Meloni l’a prouvé - puisque tous les organismes satellites de l’Union européenne ayant force de loi sur ce sujet sont pleinement favorables à une invasion migratoire sans limite. Rappelons cependant que Marine Le Pen n’a pas attendu les élections pour donner des gages de soumission à l’Europe (alors qu’on ne lui demandait rien) puisque, au début de ce mois de février, elle a « mis en garde » le parti dit « d’extrême-droite » allemand, l’AFD, sur son projet d’organiser la remigration des étrangers non-européens contre lequel elle est vent debout ( par souci électoral?)

Nous en serions là de ces « droites populaires » acquises à presque toutes les dérives mondialistes si le RN, jamais en retard d’un asservissement, n’avait pas poussé le bouchon beaucoup plus loin !

6.

Laurent Alexandre : coucou, le revoilou ! Il joue au gourou ! chez Bardella !

Oui, ce personnage, d’apparence qui ne peut pas être qualifiée de guillerette, se trouve désormais être l’un des principaux conseillers du RN, propulsé à cette fonction par Marine Le Pen et Jordan Bardella ; rappelons ce qu’écrivait Laurent Alexandre dans son ouvrage La mort de la mort, p. 248 : « Les transhumanistes sont fondamentalement des sociaux-démocrates et pas du tout une nouvelle extrême-droite. »

malajaresdefault.jpg

Son ralliement à « l’extrême-droite » nous fait penser à la position de l’éminence grise qui se tenait derrière l’élection de chacun de nos présidents depuis des décennies, je veux parler de Jacques Attali (celui qui rêve de voir disparaître les personnes âgées de plus de 65 ans parce qu’elles sont « improductives »), personnage pour lequel Alexandre a la plus grande sympathie [8] et qu’il rêve peut-être de remplacer. Et quoi de plus facile à faire avec le RN quand on sait avec quel empressement les dirigeants de ce parti saisissent n’importe quelle occasion de s’immiscer dans la cour fermée des lanceurs de fatwa du politiquement correct pour tenter d’être épargnés de leurs traits redoutables.

Le philosophe Gaspard Koenig [9] a publié dans le journal Les Echos du 11 octobre 2023 un article au sujet de cette marotte inattendue de Marine Le Pen et Jordan Bardella sous le titre : Pourquoi l’extrême-droite est devenue technophile ?

« Le transhumanisme a trouvé un écho très favorable dans les milieux d'extrême droite, satisfait de voir se dessiner une humanité homogénéisée, faite de clones hyperconnectés dressés dans le culte de la performance, regrette Gaspard Koenig. Les masques tombent : le transhumanisme est un antihumanisme. Qui, parmi la classe politique, parle aujourd'hui de colonisation du cosmos, de sélection embryonnaire, d'Homo deus ou d'IA forte (« l'autre grand remplacement ») ? Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui se fait remarquer depuis un an par sa technophilie galopante et qui vante avec candeur les progrès des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) en déplorant les ardeurs régulatrices de l'Europe. Il se fait ainsi l'écho fidèle de Laurent Alexandre , l'importateur zélé des rêves de la Silicon Valley, qui parle aux politiques de tous bords et semble avoir trouvé oreille attentive. »

Cet engouement du RN pour le transhumanisme ne date pas d’hier, déjà, en 2020, le journal L’Opinion s’en faisait l’écho sous le titre : Laurent Alexandre, le docteur qui phosphore avec la droite radicale[10] : « Son allure sage, chemise à rayures et lunettes invisibles, est trompeuse : Laurent Alexandre est le showman qui parle de repousser les limites de la mort. Marine Le Pen l’écoute. Elle a invité l’ancien chirurgien-urologue à sa rentrée politique à Fréjus, en septembre , quitte à dérouter un public militant peu porté sur le transhumanisme. Qu’importe, la patronne du RN sort ravie de l’amphithéâtre : la preuve que son parti « réfléchit » ! Quoi de mieux qu’un futurologue médiatique pour dépoussiérer un meeting ronronnant ? « Je les perturbe », rigole l’intéressé auprès de l’Opinion. »

Yuval-Harari-Homo-deus.jpgUn article du Monde du 10 février 2023 relate que Jordan Bardella a été fortement impressionné par le livre Homo deus, une brève histoire du futur de Yuval Harari, le principal théoricien des sectes mondialistes et transhumanistes.

Enfin, pour couronner le tout, Laurent Alexandre a été invité à participer à un débat avec le philosophe Olivier Rey le 28 juin 2023 sur le thème de « L’irruption de l’IA (intelligence artificielle) : un bouleversement sous-estimé pour nos sociétés » lors du colloque de la Fondation ID intitulé « Relever le défi de l’IA en Europe » présenté par le jeune député RN de l’Hérault Aurélien Lopez-Liguori, président du groupe d’études de l’Assemblée nationale consacré à la souveraineté numérique [11].

Eliezer Yudkowsky, l'un des experts de cette nouvelle science met en garde le monde, dans le Guardian du 17 février 2024 contre les dangers de l'intelligence artificielle [12]. Et le magazine Geo rapporte ainsi l’entretien: « Selon lui, l’IA pourrait nous mener à notre perte. Pour détruire l’humanité toute entière... Elle n’aurait besoin que de quelques années. "Si vous me mettez au pied du mur, si vous m’obligez à faire des probabilités, [je peux vous dire que] j’ai le sentiment que notre calendrier actuel ressemble plus à cinq ans qu’à cinquante ans, a-t-il confié au quotidien. Cela pourrait mettre deux ans, cela pourrait en mettre dix."

En bref, Yudkowsky prévient le monde qu’il serait très dangereux de laisser n’importe quel apprenti-sorcier farfelu s’occuper d’I.A car les conséquences pourraient être très graves.

Disons-le clairement: cette dérive des droites populaires est consternante et gravissime, dérive qui s’effectue dans l’indifférence ou l’ignorance des militants et électeurs de ces mêmes droites, dont les espérances légitimes pour un retour aux valeurs saines qui ont fondé nos sociétés traditionnelles européennes sont entièrement bafouées.

Nous aurions pu espérer au moins que les théoriciens des milieux identitaires et traditionalistes auraient promptement et vivement réagi à ces dévoiements. Il semble bien que ce soit tout le contraire; ces structures quelquefois vieilles de plus de 50 ans sont restés cantonnées dans leur microcosme intellectuel parisien, dans leur attachement désuet au concept surhumaniste qu’elles n’ont pas vu bifurquer vers le transhumanisme; ces mêmes « élites » qui, tout au long de ces cinquante années, n’ont jamais pu prendre le moindre pouvoir effectif sur le plan spirituel, culturel, idéologique, politique, métapolitique, économique, etc., tous détenus par la gauche, l’extrême-gauche et les mondialistes d’une manière générale, auraient, paradoxalement (?), retrouvé un nouveau souffle en se ralliant aux structures mondialistes et ainsi favorisé le dérapage globaliste de ces droites renégates si l’on en croit l’étude de Périne Schir, rapportée par Marine Turchi dans Médiapart du 18 déc 2023  sous le titre : « Sous la présidence Bardella, la Nouvelle Droite retrouve un rôle de premier plan au RN » :

1652089042567.jpg« Chercheuse à l’université George-Washington, Périne Schir (photo) démontre l’influence que retrouvent au Rassemblement national deux cercles radicaux : la Nouvelle Droite sur l’idéologie, la « GUD Connection » sur les finances. Tout en partageant les mêmes connexions avec l’extrême droite italienne.

Sous la présidence de Jordan Bardella, deux réseaux radicaux ont retrouvé une place de premier plan au Rassemblement national (RN) : la Nouvelle Droite et la « GUD Connection ». Et ces cercles, qui bénéficient de connexions étroites avec l’extrême droite italienne, pourraient aider le nouveau président du RN à se rapprocher de la première ministre italienne, Giorgia Meloni. »

La boucle est bouclée.

7.

Les êtres différenciés

On comprend mieux l’expression du visionnaire Julius Evola, « les êtres différenciés », ceux qui sont chargés de faire repartir la roue du nouveau cycle depuis l’offensive, en 2020, des sectes globalistes.

En effet, on pouvait prévoir que ces êtres différenciés surgissent des habituels cercles d’une vieille droite nationale qui ne semblait pas très éloignée du concept traditionnel.

Il s’est avéré que ces êtres différenciés étaient des êtres différents de ceux que l’on attendait.

Ce ne sont pas ces militants qui se disent « nationalistes » (par opposition au mondialisme) qui se sont érigés en résistants lors de ces agressions mondialistes ; ceux-ci sont restés, pour la plupart, confinés en leur demeure, comme l’ordre leur en avait été donné. Ce sont d’autres personnes, souvent issues du milieu médical qui, par leur courage et leur charisme, ont pu rassembler autour d’eux, l’embryon d’une communauté destinée à préparer l’après-fin de notre cycle.

fouche1.jpg

41vgxKyg1kL._AC_SY780_.jpg

C’est ainsi que l’on a pu voir une librairie nationaliste être saccagée par des gauchistes qui ont rallié le grand capital (notamment celui de Big Pharma) tout comme l’ont fait les droites dites « populaires » ; c’est sans doute ce que Guillaume Faye appelait la « convergence des catastrophes » ! Et, oh surprise ! Les vitrines de cette librairie dénonçaient comme « facho » un Louis Fouché, médecin de son état, qui fut l’un des grands lanceurs d’alerte se dressant courageusement et avec talent contre la dictature sanitaire [13], un homme que ces mêmes gauchistes appellent un « covidonégationniste » ! Il se fait que Louis Fouché a, ou avait, plutôt des sympathies de gauche si l’on s’en tient encore à ce manichéisme suranné droite-gauche ; les terroristes gauchistes expliquent ainsi leur « action » dans un style qui nous a quand même fait pouffer de rire :

Malgré ses positionnements politiques, il est traité avec complaisance par une partie de celleux (sic !) qui devraient être ses ennemis, parce qu’il mobilise des références prisées à l’extrême-gauche telles qu’Alain Damasio ou Murray Bookchin dans le cadre d’une stratégie confusionniste, et parce que le mouvement antifasciste n’a pas entièrement pris la mesure de la menace continue que constitue le covidonégationnisme. Louis Fouché, comme tous ceux qui nient la gravité du Covivid-19, l’efficacité du vaccin et des masques, est un eugéniste, prêt à sacrifier les personnes les plus vulnérables à la maladie. Il est également clair que lui et ses amis sont des fascistes, et doivent désormais être traités comme tel par tou-tes les révolutionnaires. »

On peut classer aussi comme « covidonégationnistes » toutes les grandes personnalités du monde médical comme le professeur Raoult, le professeur Perronne, la généticienne Alexandra Henrion-Caude, le regretté prix Nobel Luc Montagnier, etc. qui se sont élevés contre Big pharma et la secte mondialiste.

sdphgdefault.jpg

Le-grand-virage-de-l-humanite.jpg

Dans d’autres domaines ont surgi aussi sur le devant de la scène des êtres différenciés tel l’ingénieur-physicien Philippe Guillemant (photo), lui aussi spécialiste de l’intelligence artificielle, mais qui n’en tire pas, loin de là, les mêmes conclusions que Laurent Alexandre ou que Jordan Bardella. Philippe Guillemant inclut dans ses recherches la dimension spirituelle qui fait cruellement défaut aux transhumanistes et autres chercheurs scientistes. On le voit ici en photo en compagnie de Georges Gourdin (ci-dessous), le créateur et rédacteur en chef du site Nice-Provence Info.

thggmbnail.jpg

Les préoccupations de son livre paru en 2021 chez Trédaniel, Le grand virage de l’humanité, rejoignent celles que nous avons exprimées en tout début de cet article et dans les paragraphes traitant du transhumanisme, avec le grand plus de son expertise en matière scientifique et notamment de science physique, et son talent de prospectiviste, tel que nous l’indique la dernière de couverture de ce même ouvrage : « Si la crise du coronavirus représente un grand tournant dans l’histoire de l’humanité, vers quel futur nous dirige-t-elle dorénavant ? D’après Philippe Guillemant, la physique peut répondre à cette question. L’avenir serait en effet déjà tracé, mais pourrait radicalement changer, comme le parcours d’un GPS, en produisant des coïncidences étranges suivies de défaillances irrationnelles. L’auteur en déduit que les événements sidérants que nous avons vécus de 2019 à 2021 sont des signes que, dans le futur, l’humanité s’est débarrassée du transhumanisme pour s’orienter vers une nouvelle destinée, construite par par un éveil de conscience à la véritable nature de l’humain. »

Je conclurai cet article comme je le fais désormais pour tous les autres, à savoir rappeler que ces forces négatives qui veulent arrêter le cours de la vie sur Terre en défiant Dieu ou les dieux ne réussiront JAMAIS à venir à bout de leur projet qui ne peut se situer que sur un plan matériel, la spiritualité qui gouverne tous les autres plans, y compris le plan matériel, leur étant inaccessible du fait même de leur origine satanique ou du pacte qu’ils auraient éventuellement conclu avec un supposé diable, dont ils se revendiquent en permanence [14].

Pierre-Emile Blairon

Notes:

[1]. Voir sur ce même site mon article : Mais quelles est cette secte qui dirige le monde ?

[2]. Comme nomment les Occidentaux les anciens dissidents russes Zinoviev et Boukowski, bien placés, de par leur expérience en Union soviétique, pour prédire que l’Europe dite de Bruxelles allait devenir une dictature. Voir mon livre La Roue et le sablier, p. 202.

[3]. « Alors que l'homme moderne, jusqu'à une époque toute récente, a conçu le sens de l'histoire comme une évolution et l'a exalté comme tel, l'homme de la Tradition eut conscience d'une vérité diamétralement opposée à cette conception. Dans tous les anciens témoignages de l'humanité traditionnelle, on retrouve toujours, sous une forme ou sous une autre, l'idée d'une régression, d'une "chute" : d'états originels supérieurs, les êtres seraient descendus dans des états toujours plus conditionnés par l'élément humain, mortel et contingent. Ce processus involutif aurait pris naissance à une époque très lointaine. ». Julius Evola, Révolte contre le monde moderne.

[4]. Consulter à ce sujet sur ce même site les articles que j’ai signés : La France, laboratoire de la secte mondialiste et aussi : Evola et la Tradition primordiale : une autre vision de l’Histoire.

[5]. « Il est très significatif, d'autre part, que les populations où prédomine encore ce que l'on présume être l'état originel, primitif et barbare de l'humanité ne confirment guère l'hypothèse évolutionniste. Il s'agit de souches qui, au lieu d'évoluer, tendent à s'éteindre, ce qui prouve qu'elles sont précisément des résidus dégénérescents de cycles dont les possibilités vitales étaient épuisées, ou bien des éléments hétérogènes, des souches demeurées en arrière du courant central de l'humanité ». Julius Evola, Révolte contre le monde moderne.

[6]. Julius Evola, Révolte contre le monde moderne

[7]. https://www.youtube.com/watch?v=hKcOARkVHZs

[8]. https://www.tiktok.com/@ingridcourregesofficiel/video/7283487210056207648

[9]. Lequel n’a pas compris que le transhumanisme n’est pas un « antihumanisme » mais la suite logique de l’humanisme et du surhumanisme.

[10]. https://www.lopinion.fr/politique/laurent-alexandre-le-docteur-qui-phosphore-avec-la-droite-radicale

[11]. https://www.youtube.com/watch?v=Lf088Pj7XVA

[12]. https://www.geo.fr/sciences/ia-pourrait-terrasser-humanite-en-deux-ans-seulement-alerte-un-expert-guardian-eliezer-yudkowsky-218905

[13]. https://paris-luttes.info/attaque-de-la-librairie-vincent-17863

[14]. Voir à ce sujet sur ce même site mes articles :  La France, laboratoire de la secte mondialiste et, auparavant :  Mais quelle est cette secte qui dirige le monde ?

mardi, 13 février 2024

Digression sur... Arlequin

harlequin-3-1024x1024.png

Digression sur... Arlequin

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/divagazione-su-arlecchino/

Mi so' Arlechin batòcio, orbo de na recia, e sordo de n'ocio...

Nous sommes en plein carnaval. Et les masques, anciens, classiques, nouveaux, sont nombreux. Seuls quelques-uns sont vraiment emblématiques... Punchinello, Pantalone...

Mais aucun n'est aussi emblématique que lui. Arlequin. Le vrai visage (masqué) de ces fêtes.

Goldoni en a fait un personnage théâtral (et littéraire) extraordinaire, d'abord dans "Arlequin, serviteur de deux maîtres", paradigme du serviteur idiot et preuve de bravoure, même athlétique, pour les différents Arlequins de cette longue tradition qui remonte au grand Ferruccio Soleri. Pour s'arrêter là. Malheureusement.

a899acd46f89ba645c072fe78208a9e4.jpg

Puis, en le transformant en un masque beaucoup plus complexe, cet "Arménien de Bergame", à qui il a taillé sur mesure l'extraordinaire épisode de "La famille de l'antiquaire".

Mais lui, Arlequin, venait de bien plus loin que Goldoni. Et aussi de la Commedia dell'Arte. Où il était entré furtivement, en se superposant à Zuannj, le serviteur idiot qui dérivait directement du Maccus de l'Atellana romaine. Et qui, en fait, était originaire de Bergame. Car c'est de ces vallées que venaient les serviteurs de bas étage, les hommes de peine, des grandes maisons vénitiennes. Et le nom de Giovanni était commun. Zuàn, en dialecte. Zanni ou Zuanni.

Et sot, en vérité, il ne l'était pas. Un personnage inquiétant, plutôt. Avec son masque qui, à bien y regarder, conserve des traits... démoniaques.

harlequin-2.png

118300908.jpg

C'était, ou plutôt c'est toujours, un démon, notre Arlequin. Attention: un démon, pas un diable. Ce qui est, si vous voulez, une catégorie tout à fait différente. Lorsqu'il était encore appelé Hallequin en France, il menait la Chevauchée sauvage les nuits d'orage. Un cortège de morts et autres créatures infernales, selon la tradition médiévale. La suite d'Odhin (ou Wotan, ou Wodden) dans le mythe germanique. Un chevalier et un seigneur des ténèbres. Dont la sagesse lui permet de passer du royaume des morts à celui des vivants....

Et, selon la légende, pendant la période du carnaval, en particulier lors des "jours gras", sa cavalcade s'arrête, même si c'est pour une courte durée. Arlequin se promène alors parmi nous. Avec sa cape irisée, sa petite épée au côté, bientôt transformée en bâton, louche ou matraque de bois.

Marks_J.L._-_theatrical_portrait_-_Mr_Ellar_as_Harlequin_-_Google_Art_Project-scaled.jpg

Borgne et sourd. D'une oreille et d'un œil. Inversé entre les deux. Mais ces déficiences étaient typiques des personnages de l'Antiquité. Du mythe. Voyants, magiciens... Odin lui-même est borgne. Car il a sacrifié un œil en échange de connaissances occultes.

Il parcourt les maisons, les rues, les fêtes. Et tisse des illusions. Des canulars. Qui, uniquement à cause de notre habitude de tout rabaisser à notre (bas) niveau, deviennent les fameuses farces... avec le corollaire : au Carnaval, toutes les blagues comptent...

Mais dans ce très vieux dicton, il y a quelque chose de troublant. Pensez-y : toutes les blagues. Même les plus féroces. Les plus cruelles. Comme peuvent l'être les farces démoniaques d'Arlequin.

Bon carnaval, donc. En espérant ne pas tomber sur... Harlequin.

21:07 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnaval, arlequin, traditions | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 03 février 2024

Japon: la fête d'Hanami

481a8ffed93dd11e51a312ae633c4e23.jpg

Japon: la fête d'Hanami

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/hanami/

Au Japon, plus ou moins en cette dernière partie du mois de janvier, des prévisions sont publiées par l'Institut météorologique national sur la... floraison des cerisiers. Celle-ci commencera fin mars dans l'île méridionale de Honshū et se terminera à la mi-mai dans l'île septentrionale d'Hokkaido, qui, généralement, reste longtemps enneigée.

Il s'agit bien sûr de permettre à ceux qui le souhaitent de se rendre sur les lieux de floraison. De se consacrer à la contemplation du Sakura. Des cerisiers en fleurs.

901bc145d29e7f9dc281829fceca07d0.jpg

Une coutume, voire une fête ancienne, plus que millénaire. Et qui porte le nom de Hanami.

Saisissant... et étrange pour nous. Car notre façon de concevoir les fêtes calendaires est de plus en plus détachée des cycles de la nature. Elle est devenue quelque chose d'abstrait.

Même les fêtes traditionnelles, comme Noël ou Pâques, sont, au moins dans le sentiment commun, des fêtes de l'esprit.

Pour les religieux, ce sont des fêtes de la foi. Ou, plus précisément, de l'Église. Mais d'une Église qui, de plus en plus, les célèbre comme une mémoire. Une sorte de mémoire qui fonde son existence. Sa raison d'être.

Ici aussi, on a perdu le sens des anniversaires dans lesquels le Mystère, la Naissance, la Mort et la Résurrection, est inhérent. Il est présent, il se reproduit à chaque fois. Comme si c'était la première fois. C'était une conscience très claire dans le christianisme des premiers siècles. Et nous en trouvons encore un écho dans les Hymnes sacrés de Manzoni.

Mais aujourd'hui, tout cela est perdu. Incapables de vivre le Mystère, les hommes se limitent à s'en souvenir abstraitement. Comme n'importe quel fait historique.

9463b7707b24888ebf7857115080cd42.jpg

Et les nouveaux festivals sont encore pires. Pensez au modèle américain, que nous sommes en train d'importer. Thanksgiving... Black Friday, la fête de la consommation et du consumérisme.

Dans la culture japonaise, en revanche, la perception, ou le sentiment, d'un lien avec la nature a été maintenu.

Ce sentiment se concrétise par des festivals liés à des phénomènes saisonniers spécifiques. Comme, précisément, la floraison du Sakura. Des cerisiers.

Ce qui rappelle une certaine tradition sur la floraison des amandiers, à la fin de l'hiver, qui était autrefois vivante dans nos contrées. Comme dans la Vallée des Temples, à Agrigente. Un héritage extrême de la civilisation hellénique.

Il n'est cependant pas nécessaire d'établir des parallèles complexes entre des traditions et des cultures différentes. Au contraire, ce ne serait qu'une abstraction de plus. Une dialectique traditionaliste.

Hanami, en revanche, est quelque chose d'essentiel. Simple. Et, pour cette même raison, difficile à réaliser pour nous, Occidentaux modernes.

Contempler en silence la floraison des cerisiers. Apprécier leur beauté à l'aube. Et leur parfum le plus intense au coucher du soleil.

C'est tout.

Bien sûr, on pourrait ensuite parler du symbolisme complexe du Sakura.

Mais un symbole, s'il est authentique, ne doit pas être expliqué.

Il doit être contemplé... et ressenti dans sa force vitale.

19:09 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : traditions, japon, hanami, sakura, cerisiers, asie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 02 février 2024

Traditionalisme: le projet radical de restauration de l'ordre sacré

3e09423e6a8fb214214852b6560dd8eb.jpg

Traditionalisme: le projet radical de restauration de l'ordre sacré

Un compte-rendu

Source: https://reactionair.nl/artikelen/traditionalism-the-radical-project-for-restoring-sacred-order/

Mark Sedgwick, professeur d'études arabes et islamiques à l'université d'Aarhus, a publié son premier livre sur le traditionalisme en 2004 et vient d'écrire une nouvelle introduction à ce mouvement philosophique et religieux avec Traditionalism : The Radical Project for Restoring Sacred Order (= Le traditionalisme : le projet radical de restauration de l'ordre sacré). Cette publication comble une lacune importante dans l'étude du traditionalisme. Elle offre un aperçu approfondi mais accessible du mouvement traditionaliste et constitue donc une bonne introduction pour quiconque souhaite se familiariser avec ce monde de pensée intéressant. Malheureusement, l'auteur n'exploite pas tout le potentiel du sujet en raison de certains choix étranges et d'omissions flagrantes. Néanmoins, la conclusion finale est que le livre contient beaucoup d'informations précieuses sur le traditionalisme et constitue donc une bonne introduction à cette philosophie.

81sN5Ox1nCL._SL1500_.jpg

6414c3d8fc688f05082713b4_Mark-Sedgwick.jpeg

Dans son ouvrage, Sedgwick affirme que l'essence du traditionalisme se compose de trois éléments. Premièrement, les traditionalistes sont pérennialistes. En d'autres termes, ils croient que sous toutes les religions se cache "une tradition sacrée unique, intemporelle et ésotérique" (p. 43). Deuxièmement, les traditionalistes ont une vision cyclique de l'histoire, selon laquelle l'histoire peut être divisée en plusieurs périodes successives. Le fondateur du traditionalisme, René Guénon, s'appuie pour cela sur les quatre jugas hindous. Ce qui est caractéristique, c'est que l'histoire n'est pas perçue comme une progression, mais comme une dégénérescence. Troisièmement, le traditionalisme propose une critique fondamentale de la modernité. Dans la modernité, l'individualisme, le sentiment, le chaos social et, surtout, la matérialité deviennent centraux selon les traditionalistes (p. 102-103). Tous ces éléments s'opposent à la Tradition dans laquelle il y avait un ordre social et une orientation vers la transcendance.

71cPk7aKpRL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Selon Sedgwick, ce noyau de la pensée traditionaliste est suivi d'un certain nombre de projets centraux et secondaires. Les projets centraux comprennent la réalisation de soi, la religion et la politique. Les projets plus latéraux comprennent l'art, le genre, la nature et le dialogue interconfessionnel. Toutes ces composantes sont largement abordées dans l'ouvrage et, dans l'ensemble, on obtient donc une vue d'ensemble assez large et, pour une introduction relativement courte, assez profonde de l'essence du traditionalisme et de la manière dont il s'exprime dans les différents projets.

Le réactionnaire

Néanmoins, il convient de noter que le contenu du livre présente des choix étranges et des lacunes. Tout d'abord, il y a le choix particulier des représentants centraux de la pensée traditionaliste. Sedgwick choisit de considérer René Guénon, Fritjhof Schuon et Julius Evola comme les représentants centraux et les plus originaux de la pensée traditionaliste. Or, les deux premiers penseurs sont universellement reconnus comme des figures centrales qui se sont trouvées à la base du filon traditionaliste. Evola, en revanche, est une figure controversée du mouvement et n'est donc pas considéré par beaucoup comme faisant partie du traditionalisme. Par exemple, Evola semble s'opposer directement à Guénon et à Schuon sur des points importants. Pour citer quelques exemples: Evola a une compréhension fondamentalement différente de ce que signifie la tradition primordiale. Alors que Guénon et Schuon se concentrent sur les grandes religions mondiales telles que l'hindouisme, le bouddhisme, le christianisme et l'islam, Evola s'intéresse davantage à la mythologie européenne et aux divers mouvements ésotériques et hermétiques. Il convient également de mentionner qu'alors que Guénon et Schuon mettent l'accent sur la vita contemplativa, Evola semble mettre l'accent sur la vita activa. Dans le même ordre d'idées, on peut dire que si pour Guénon et Schuon la politique n'avait que peu d'importance, pour Evola la politique a joué un rôle plus ou moins important au cours de sa vie - par exemple, Evola a été un partisan de l'apolitisme pendant la dernière phase de sa vie. Le choix de considérer Evola comme le penseur central du traditionalisme est tout à fait étrange, étant donné qu'Ananda Coomaraswamy ne se voit attribuer qu'un rôle latéral, alors que ce grand écrivain et penseur a joué un rôle fondamental dans le traditionalisme. En fait, il est tout à fait défendable d'affirmer que ses œuvres et ses écrits sur l'art, le symbolisme et la métaphysique sont d'une qualité au moins égale, sinon supérieure, à celle de Guénon. Il ne s'agit pas de minimiser les brillants travaux de Guénon, mais d'indiquer le haut niveau de réflexion et d'écriture des travaux que Coomaraswamy partage avec nous. Malheureusement, Coomaraswamy n'est abordé en profondeur que dans le chapitre sur l'art.

9780190877590.jpg

Une autre critique, que nous entendons formuler, est que Sedgwick choisit de discuter de certains "compagnons de route" traditionalistes dans presque tous les chapitres. Les points de vue de ces penseurs ne correspondent pas suffisamment aux hypothèses fondamentales du traditionalisme pour qu'on puisse les classer dans cette catégorie, mais ils s'en rapprochent par certains aspects importants. Par exemple, Jordan Peterson est cité plusieurs fois et discuté en détail. Le lecteur peut avoir des doutes sur le fait de citer Peterson comme compagnon de route, car ses archétypes ont une origine principalement jungienne et qu'il soutient la plupart des hypothèses de la modernité. Il ne semble donc pas y avoir de raison valable de lui accorder une place prépondérante dans le livre.

En outre, la discussion sur le sujet du symbolisme est une absence thématique importante dans le livre. Sedgwick déclare lui-même qu'il a choisi cette option parce que l'attention et l'interprétation du symbolisme par les traditionalistes n'ont eu que peu d'impact. Que cela soit vrai ou non - on pourrait certainement affirmer que Coomaraswamy et Nasr ont eu un certain impact académique dans ce domaine - la question est de savoir si l'on doit considérer le sujet uniquement d'un point de vue externe pour évaluer l'intérêt d'un sujet. En effet, pour les traditionalistes eux-mêmes, le symbolisme est d'une importance capitale. Guénon a écrit des dizaines d'articles et de livres sur les symboles, et ces réflexions nourrissent en quelque sorte l'ensemble de la pensée traditionaliste. Aujourd'hui encore, les traditionalistes publient des ouvrages importants sur le symbolisme. En 2020, par exemple, le Dr Charles William Dailey a publié un ouvrage important intitulé The Serpent Symbol in Tradition (1). L'absence de chapitre sur le symbolisme signifie que cet ouvrage ne peut donc pas être considéré comme une introduction complète et exhaustive au traditionalisme.

61-OZEKlt9L._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

En conclusion, il convient toutefois de dire que Mark Sedgwick a fourni une bonne introduction au traditionalisme. Sur la base de ce livre, le profane peut avoir un bon aperçu des pensées fondamentales du mouvement et de certains de ses principaux penseurs. Toutefois, le lecteur doit garder à l'esprit que certains choix de l'auteur concernant les penseurs et les sujets abordés ne sont pas entièrement défendables. Toutefois, compte tenu de ces points, l'ouvrage est vivement recommandé à toute personne désireuse d'en savoir plus sur ce sujet.

Note:

(1) En vente dans la librairie https://reactionair.nl/winkel/

19:06 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, mark sedgwick, traditionalisme, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 30 janvier 2024

Mi-hiver

oleomac-perceneige.jpg

Mi-hiver

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/mezzo-inverno/

Nous sommes à mi-chemin dans le temps d'hiver. Quarante jours nous séparent de Noël, du Solstice. Et donc aussi de l'Equinoxe.

L'air est encore gelé, mais au milieu de la journée, il scintille de lumière. Le ciel est clair, d'un bleu profond. Le vent froid apporte un soupçon de neige et de brume provenant des montagnes.

Imbolc-1200x834.jpg

Les Celtes célébraient Imbolc. Leur coutume a toujours été de placer les fêtes du calendrier à quarante jours des solstices et des équinoxes. C'est-à-dire, chaque fois, au tournant de la saison. Imbolc, Beltane, Lughaid, Samahin...

C'était le jour de la fête d'Imbolc. Fête des pluies, désormais imminentes, qui allaient revitaliser la terre, préparant le printemps. La renaissance.

Two-Brigids.jpg

Et la nuit, du 31 janvier au 2 février, de grands feux étaient allumés. Pour envoyer de la lumière et de la chaleur. La déesse invoquée était Brighid. La Dame du feu, en effet.

La tradition des feux survit encore. Résiduelle. Dans certains endroits de la campagne et des vallées montagneuses de notre Nord-Est. Qui était autrefois la terre des peuples celtes, les Boi, les Insubri...

giubiana.jpg

La_Vera_Giubiana.jpg

Dans le Piémont, on parle de la Giobbianna ou Giubiana (photo). La Zòbia dans la région de Piacenza...

Brighid, ou Brugit, avait plusieurs visages. Jeune fille, femme, vieille femme. Déesse représentant le temps et son écoulement. D'où le destin et la vie. Comme les Parques ou Moires classiques. Comme les Nornes germaniques.

DCIa9AKzDV12EW0eRSMVvFFYiEo.jpg

Les jours précédant la mi-hiver, du 29 au 31 janvier, sont connus sous le nom de jours du Merle. Les plus froids de l'année, selon la tradition, bien que ce ne soit pas toujours le cas. Mais c'est un symbole. Le gel doit précéder la fête du feu. Et représenter ainsi la lutte de la lumière contre les ténèbres. Dont, à la fin, le vainqueur est... la vie.

20_9780141013893_1_75.jpg

Il y a une pièce de Shakespeare, Le Conte d'hiver, qui fait probablement écho à la mémoire d'Imbolc.

Une pièce étrange. Parce que les deux premiers actes sont sombres. Ils dévoilent une progression, un rythme tragique. Puis, c'est le tournant. Et les deux derniers actes deviennent progressivement une comédie. Avec, inévitablement, survient le happy end. Et tout se remet en place... toutes les situations complexes sont résolues. Et la fin est joyeuse.

Loin de moi l'idée de faire l'exégèse du texte shakespearien. De discuter des genres théâtraux, tragédie, comédie, tragi-comédie...

Ce n'est pas mon affaire... cependant, pensez-y....

Le sens tragique de la mort. Puis, le tournant. Et la fin lumineuse.

Pensez-y... et regardez autour de vous ces jours-ci.

Des jours lugubres et glaciaux, des jours de merle. Si froids qu'ils ne donnent aucun espoir. Je me promène dans les rues du village... et elles sont désertes. Juste quelques passants, bien emmitouflés, qui promènent leur chien. On a envie de rester à l'intérieur. De se terrer au chaud. On a l'impression que l'hiver, avec son visage le plus sombre et le plus morose, n'en finira jamais....

unnamebgd.jpg

Mais en réalité, la saison froide touche à sa fin. Ou plutôt, elle est au tournant. Bientôt, la nature va renaître. Les haies, les branches sèches des arbres se couvrent de bourgeons. La saison hivernale décline en printemps. Et les vents apportent déjà d'autres senteurs. Une vibration... différente, comme une légère fièvre qui mettra bientôt les gens dans un état d'esprit différent pour sortir, faire... pour vivre.

Imbolc... le mi-hiver. Quel est ce dicton que j'entendais souvent ?

Il fait toujours plus sombre avant que le soleil ne se lève....

 

13:59 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, imbolc, hiver, janvier, février, brighid | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 15 décembre 2023

Mircea Eliade - Le chamanisme indo-européen

98b1318916bcbd3c29a72fa90ea4e5f9.jpg

Mircea Eliade - Le chamanisme indo-européen

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2011/03/23/mircea-eliade-indo-e...

Mircea Eliade (1907-1986) est l'un des plus grands spécialistes des religions de l'époque moderne. Dans sa jeunesse, il avait des liens avec la Garde de fer roumaine et était influencé par des traditionalistes tels que Julius Evola et René Guénon, ainsi que par le spécialiste des religions indo-européennes Georges Dumézil. Malgré cela, ou à cause de cela, il est l'un des plus grands noms de cette science que l'on appelle la religion comparée et il a pu décrire la vision mythique du monde dans des ouvrages tels que L'éternel retour.

L'un des ouvrages les plus fascinants d'Eliade est Le Chamanisme, dans lequel il étudie le chamanisme dans différentes parties du monde. Toutefois, pour éviter de confondre toutes les formes possibles de religion et de magie, il utilise systématiquement une définition stricte du phénomène, se référant non pas à toutes les formes de magie, mais à une technique extatique spécifique basée sur une vision spécifique de la structure du monde (voir plus loin). Le chaman a également des fonctions spécifiques, notamment celle de guider les âmes des morts en tant que psychopompe et de protéger les gens contre les maladies. Contrairement aux individus qui, dans certaines cultures, deviennent "possédés" et peuvent transmettre des messages d'autres royaumes, le chaman est normalement maître de la situation.

81SrdYjBZRL._AC_UF894,1000_QL80_.jpg

Le chamanisme

Eliade raconte les traditions chamaniques de différentes parties du monde. Il donne un aperçu de la spiritualité traditionnelle des Esquimaux et des traditions des Négritos asiatiques. Pour les traditionalistes et les spécialistes des religions, ce livre n'est rien de moins qu'une véritable mine d'or. Nous avons également un bon aperçu des religions des peuples sibériens.

La profession de chaman est souvent héritée au sein d'une certaine famille, mais le futur chaman peut aussi l'acquérir par disposition, par rêve ou à la suite d'un traumatisme (par exemple, une personne qui semble "mourir" puis revenir). Il, ou plus rarement elle, reçoit sa formation auprès de chamans plus âgés, mais subit également son initiation à d'autres niveaux, à travers des rêves et des contacts avec divers esprits. Le futur chaman peut être capturé par les esprits et découpé en morceaux ou bouilli pendant une période qui est perçue comme durant plusieurs années.

Les étrangers ont souvent considéré les chamans et les "hommes-médecine" comme des psychopathes ou des escrocs, mais Eliade les décrit généralement avec respect. Souvent, ils ont souffert d'épilepsie et d'autres troubles similaires dans leur enfance, mais leur initiation leur permet de les contrôler eux-mêmes. Eliade mentionne des chamans esquimaux et des tantriques tibétains qui se déplacent nus dans un froid intense, réchauffés uniquement par leur feu intérieur. D'autres chamans peuvent avaler des charbons ardents, etc.

Il décrit également leurs costumes, leurs langues secrètes, le symbolisme du tambour, la façon dont ils protègent leur peuple des maladies et aident les morts à retrouver leur chemin. Ils conservent souvent les traditions et l'histoire de leur peuple, et c'est grâce à leurs descriptions de la "géographie" du royaume des morts que les religions ultérieures ont acquis une grande partie de leur contenu. Eliade décrit également la manière dont ils recueillent les esprits auxiliaires, comment ils peuvent les épouser, etc. La description est généralement fascinante, qu'il s'agisse des Esquimaux ou des Yakoutes, qu'Eliade décrive les taltos hongrois ou les nåjden samis.

81YqGxQaDSL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

La tradition hyperboréenne

Les fortes similitudes entre la spiritualité indo-européenne et les traditions sibériennes, finno-ougriennes, proto-turques et centre-asiatiques décrites par Eliade sont particulièrement intéressantes. Ces similitudes intéressent tout particulièrement les traditionalistes qui suivent Julius Evola. Evola décrit une tradition hyperboréenne, caractérisée par la position du dieu du ciel et l'absence relative de déesses. On trouve des dieux du ciel dominants similaires chez les peuples sibériens et turco-tatars, qui ont probablement été les premiers voisins des Indo-Européens. Chez les Samoyèdes, le dieu du ciel est connu sous le nom de Num, chez les Toungouses sous celui de Buga et chez les Mongols sous celui de Tengri. Les traditionalistes reconnaissent les attributs et les descriptions donnés au dieu du ciel par ces peuples ; il est décrit comme "haut/élevé" et "brillant". Les Yakoutes le connaissent sous le nom de "Seigneur Père Chef du Monde" et les Turko-Tatars sous celui de "Père".

bg,f8f8f8-flat,750x,075,f-pad,750x1000,f8f8f8.jpg

Souvent, cependant, le grand dieu s'est retiré des affaires directes des hommes, devenant un deus otiosus. Ses fils, qui ont davantage de contacts avec les humains, sont plus importants. Un autre point commun entre la foi proto-indo-européenne et ces traditions nordiques est que les divinités féminines sont moins présentes. Lorsqu'il y a des femmes chamanes, il est également normal qu'elles n'effectuent que le voyage "chthonique", la descente vers les sphères souterraines, alors que les chamanes masculins se rendent à la fois dans les sphères supérieures et dans les sphères inférieures.

Les similitudes ne s'arrêtent pas là. L'arbre du monde, Yggdrasil, par exemple, a plusieurs équivalents chez les peuples chamaniques. La croyance en l'existence de trois mondes, le ciel, la terre et le monde souterrain, est au cœur de la vision chamanique du monde. Ils sont unis par un "axe", un axis mundi, qui les traverse tous. Autrefois, les gens pouvaient voyager librement le long de cet axe, mais après une catastrophe quelconque, seuls les chamans peuvent le faire. Dans certaines traditions, cet axe du monde est décrit comme un arbre, chez les Indo-Européens nous avons Yggdrasil et Irminsul. On trouve des arbres similaires chez les peuples chamaniques, où le chaman grimpe souvent à un arbre lorsqu'il s'élève vers la sphère céleste.

oQJuWo4.jpg

Dans l'asatron, un aigle se trouve au sommet de l'arbre du monde, ce qui peut être comparé aux croyances des chamanes. D'une part, on considère souvent que le premier chaman était un aigle, ou le fils d'un aigle, et d'autre part, dans l'arbre du monde, il y a d'innombrables oiseaux qui sont en fait des âmes attendant de renaître. Le symbolisme de l'oiseau est également très présent dans le chamanisme nordique, où le chaman prend souvent la forme d'un oiseau dans son costume.

Il est intéressant de noter que d'autres thèmes, tels que l'importance du cheval, le rôle central du feu dans le culte, la montagne et le loup, unissent également les traditions indo-européennes et chamaniques d'origine tatare, finno-ougrienne et sibérienne. Dans une certaine mesure, d'autres affinités peuvent également être observées, certains groupes finno-ougriens ayant, par exemple, un degré de cécité plus élevé que de nombreux Indo-Européens.

Tatar de Chine

Un thème intéressant pour les traditionalistes plus évolutionnistes est celui du chaman en tant que figure. Le chaman est considéré comme le défenseur du groupe contre les forces démoniaques et comme membre d'une élite (alors que les morts voyagent normalement dans une direction, un chaman mort voyage dans la direction opposée, et il est considéré comme acquis qu'il atteindra les royaumes supérieurs après la mort). Ce que les autres croyants n'entendent que raconter, le chaman en fait l'expérience directe, au prix de grands risques. Cela signifie qu'à bien des égards, le chamanisme est un stade supérieur aux monothéismes et polythéismes institutionnalisés ultérieurs, avec leurs éléments de dévotion, de superstition et de foi aveugle.

En même temps, Eliade décrit comment le chamanisme a également subi une dégénérescence. Les différents peuples nous disent qu'il y a quelques générations, les chamans étaient beaucoup plus puissants qu'aujourd'hui, et qu'ils sont également mis à l'écart à mesure que les peuples sibériens se modernisent et sont touchés par des religions plus modernes. Si les archétypes chamaniques peuvent survivre pendant un certain temps même dans un environnement nominalement chrétien ou musulman, Eliade raconte que certains mystiques musulmans d'Asie centrale, comme les chamans, étaient logés sur les toits et dans les arbres. Suite à la dégénérescence décrite, l'utilisation de drogues (le chanvre chez certains peuples indo-européens, les champignons et la nicotine sont également décrits) pour atteindre l'état chamanique qui était auparavant atteint sans "aides".

mengenal-jembatan-shiratal-mustaqim-dan-gambaran-dalam-al-quran--thumbnail-546.jpg

Éléments iraniens

Parallèlement, Eliade retrouve des éléments iraniens (et chinois) dans les différents chamanismes d'Asie du Nord. C'est notamment le cas de la croyance en un pont étroit que seuls les justes peuvent franchir sur le chemin du paradis. Le pont de Cinvat (illustration) rappelle fortement le pont que le chaman altaïque doit traverser pour atteindre Erlik Khan et le royaume des morts. De même, Eliade affirme que la forte signification symbolique du chiffre 9 suggère une origine iranienne (neuf cieux, neuf sphères infernales, voire neuf mondes). L'apparition d'animaux comme les serpents dans le chamanisme de peuples qui vivent trop au nord pour les avoir vus suggère également une influence plus méridionale. Nous avons tendance à penser que les "peuples primitifs" sont complètement isolés de leur environnement, mais Eliade montre comment la civilisation iranienne, avancée et complexe, a influencé les peuples situés loin au nord, ainsi que les systèmes occultes complexes de l'Inde qui ont influencé les peuples de l'actuelle Malaisie et de l'Indonésie.

Le livre est particulièrement passionnant lorsqu'il explique comment les différentes traditions du Bhoutan et de la région himalayenne ont donné naissance au tantrisme et à la religion Bon-Po.

Le chamanisme indo-européen

Wodan, id est furor

- Adam de Brême

Eliade consacre un chapitre spécifique au chamanisme indo-européen. Il affirme que le chamanisme de ces peuples est devenu subalterne, probablement en raison de la division de leur société en trois fonctions. Le chamanisme s'est ensuite intégré à la première fonction et n'a pas été aussi dominant que chez les peuples orientaux.

b82fa736165e641d2d32d81b248f9bf7.jpg

fb8e3f3c6c76be979d6ce3fe0e568f35.jpg

Il identifie des traces de chamanisme, notamment chez Odin, qui est lié à la fois à l'extase et à la mort. Les chevaux à huit pattes ne sont pas rares dans les contextes chamaniques d'Asie du Nord, et les corbeaux Hugin et Munin ont également une certaine ressemblance avec les esprits auxiliaires des chamans. L'autosacrifice d'Odin rappelle également l'initiation brutale que subissent les chamans, qui sont souvent considérés comme étant littéralement en train de mourir. Eliade compare la tête du sage Mimir à la pratique de certains peuples consistant à conserver les crânes des chamans et à les utiliser pour prédire l'avenir. Il existe également des similitudes entre la "furor teutonicus" et l'extase chamanique.

Les parallèles sont plus clairs avec les voyages d'Odin et d'autres dans le monde souterrain et l'utilisation du seiðr. Les voyages dans le royaume des morts rappellent fortement les voyages du chaman dans la sphère inférieure. Il existe également des parallèles dans le seiðr, comme l'élément de transe, les esprits, les costumes rituels, et le fait qu'il ne soit pas considéré comme masculin nous rappelle les peuples sibériens où les chamans étaient souvent des femmes ou des travestis. Comme les chamans sibériens, les magiciens nordiques pouvaient aussi s'affronter dans le port des animaux, et la vision pluraliste des trois âmes de l'homme unit également les deux groupes.

On a prétendu que ces traces d'une idéologie chamanique étaient dues à l'influence sami, mais Eliade montre qu'il pourrait tout aussi bien s'agir d'une tradition plus ancienne et partagée. Car les Samis et les Finlandais ont été considérés comme des magiciens supérieurs tant au Moyen Âge qu'à la Renaissance. Eliade donne également plusieurs exemples de traces de chamanisme chez des peuples indo-européens qui n'ont probablement jamais eu de contacts avec les Samis, comme les Grecs et les Iraniens.

Dans l'ensemble, il s'agit d'une étude très intéressante, vivement recommandée aux traditionalistes et à tous ceux qui s'intéressent à la religion.

 

20:02 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tradition, chamanisme, mircea eliade | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 14 décembre 2023

Le Kali Yuga a toujours existé...

8c2f9a346ea2751ea4d5b3c1443fc673.jpg

Le Kali Yuga a toujours existé...

par Michele (Blocco Studentesco)

Source: https://www.bloccostudentesco.org/2023/11/29/bs-il-kali-yuga-e-sempre-stato-qui/

Il n'y a pas de doute sur le poids qu'a eu un certain ésotérisme et une pensée traditionnelle dans le monde bigarré du fascisme et surtout du néo-fascisme. L'une des thèses centrales consiste à associer le concept de kali yuga au sentiment européen de décadence - résultat de la révolution industrielle et de la sécularisation engendrée par la modernité (la fameuse "perte de l'auréole" de Baudelaire) - et à son pendant philosophique, à savoir le nihilisme. Le cas le plus illustratif à cet égard est peut-être celui de Chevaucher le Tigre d'Evola. Dans les toutes premières pages du livre, il en explique la signification :

"dans le monde classique, il était présenté comme une descente de l'humanité depuis l'âge d'or jusqu'à ce qu'Hésiode appelait l'âge de fer. Dans l'enseignement hindou correspondant, l'âge terminal est appelé kali-yuga (= l'âge des ténèbres), et l'idée essentielle est ici clarifiée en soulignant que le kali-yuga est précisément un climat de dissolution, le passage à un état libre et chaotique des forces individuelles et collectives, matérielles, psychiques et spirituelles, qui étaient auparavant contraintes de diverses manières par une loi venue d'en haut et par des influences d'un ordre supérieur".

En d'autres termes, la phase terminale que nous vivons actuellement ne peut s'expliquer uniquement dans une perspective historico-politique, mais s'inscrit dans un cycle cosmique. Elle touche non seulement les cordes intimesde l'humain, mais aussi celles du divin. Une image - même si ce n'est pas précisément le cas d'Evola (Chevaucher le Tigre lui-même est une tentative, certes plus existentielle que politique, de trouver une voie et une direction au sein du kali yuga) - qui pourrait conduire à un certain défaitisme et à un certain fatalisme. En tout cas, ce n'est pas très encourageant pour ceux qui doivent faire face à la réalité qui les entoure. Au contraire, penser que tout est en proie à la décrépitude et donc intimement lacunaire peut conduire à un étrange snobisme, où l'erreur de l'époque dans laquelle nous vivons devient l'alibi de nos propres erreurs et de nos propres manques.

9374238a54e5a8557143d3591231ea28.jpg

Cette tentation est encore plus forte lorsque nous idéalisons et exagérons comme les heures les plus sombres les derniers siècles de notre histoire où tout est perdu, ou lorsque nous ignorons tout simplement l'étendue du kali yuga. En dehors de la tradition hésiodique, qui reconnaît une renaissance de l'âge d'or juste avant l'âge de fer, l'âge des héros se terminant à peu près avec la guerre de Troie, dont nous avons quelques documents historiques en plus des poèmes homériques, l'ensemble de l'histoire humaine que nous connaissons se situe dans l'âge sombre du kali yuga. Dans la plupart des mythes, ce dernier commence avec le déluge universel.

Savoir cela peut être encore plus désespérant pour certains, mais il est utile d'éviter de se créer de fausses illusions sur le passé. Les traditions ne sont que l'écho d'une sagesse primordiale, elles ne sont pas ce savoir exact. De Sparte à Rome, même les références politiques les plus anciennes que nous pouvons prendre comme exemple idéal sont encore plongées dans l'imperfection et l'obscurité, même si elles brillent de leur propre lumière. Il s'agit précisément de modèles qui naissent de et avec leur époque. En approfondissant la doctrine des cycles cosmiques, les humanités qui peuplent les différents âges sont métaphysiquement différentes les unes des autres. La nostalgie d'un âge d'or a donc quelque chose de paradoxal ; elle est d'ailleurs le plus souvent utilisée comme mythe politique par les forces progressistes qui s'imaginent pouvoir racheter le monde et trouver un nouvel âge d'or dans l'utopie, qui ressemble d'ailleurs le plus souvent à une sorte de tranquillité animale.

La doctrine des cycles cosmiques est-elle donc à jeter aux oubliettes ? Pas du tout, à condition de savoir la comprendre. On pourrait la comparer à cette forme d'étrange pessimisme existentiel qu'est l'esprit tragique des Grecs. La contemplation lucide de la souffrance, de l'imperfection et de l'absence de sens de l'existence ne conduit pas à une acceptation passive, ni à l'idée qu'il s'agit d'une sorte de péché à éradiquer ou d'erreur à corriger. Il en résulte au contraire une volonté de s'affirmer, une exaltation de la vie et du destin comme amor fati, car "s'il y a quelque chose de plus puissant que le destin, / c'est le courage qui le porte inébranlablement". Penser à cela dans une époque sombre, sinon dans les temps les plus sombres, doit donc être pris comme une invitation au courage et à l'affirmation de soi malgré tout.

21:13 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditions, cycles cosmiques, kali yuga, traditionalisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 29 novembre 2023

Le "Zalmoxis" de Mircea Eliade

Zamolxe.jpg

Le "Zalmoxis" de Mircea Eliade

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2023/10/30/mircea-eliade-zalmoxis/

Le spécialiste roumain des religions Mircea Eliade (1907-1986) est une source d'enrichissement pour les universitaires et les critiques de la civilisation, notamment parce que ses critiques s'inscrivent dans une perspective de droite. Dans sa jeunesse, il a été proche de la Garde de fer nationaliste et, en exil, il a fréquenté Evola, Dumézil, Bataille et le cercle Eranos de Carl Jung. Sa critique de la civilisation s'appuie sur une connaissance approfondie des sociétés et des cultures historiques, qui démontre avec force à quel point l'Occident moderne est devenu déviant. En outre, il manque quelque chose que les comparaisons avec d'autres cultures montrent comme la dimension mythique est universellement humaine; son absence est remplie de pseudo-mythes, de manies et de problèmes de santé.

Mircea_Eliade_young.jpg

737357468.jpg

Eliade a écrit de manière initiée et passionnante sur tous les sujets, de l'initiation et des forgerons aux chamans et à l'éternel retour. Un ouvrage intéressant est Zalmoxis - The Vanishing God. Il s'agit d'un recueil d'articles intitulé "Comparative Studies in the Religions and Folklore of Dacia and Eastern Europe" (Études comparatives des religions et du folklore de la Dacie et de l'Europe de l'Est). En termes d'histoire religieuse, ils sont unis par un intérêt pour les créations religieuses qui manquent d'expression écrite et, souvent, de critères chronologiques. Eliade a écrit qu'en étudiant le folklore roumain, il a souvent rencontré des problèmes méthodologiques similaires à ceux rencontrés dans l'étude des peuples "primitifs". En même temps, il était conscient que la rencontre avec les valeurs religieuses archaïques pouvait être fructueuse pour l'homme moderne, "ces univers de valeurs spirituelles archaïques enrichiront le monde occidental autrement qu'en ajoutant des mots à son vocabulaire (mana, tabu, totem, etc.) ou à l'histoire des structures sociales". On reconnaît ici Eliade comme un critique de la civilisation, soucieux de rappeler à l'homme moderne ce qu'il a perdu. Un fil conducteur intéressant de Zalmoxis, étant donné que les articles se concentrent sur la patrie d'Eliade, est la tentative d'identifier les aspects de l'âme populaire. Eliade était bien conscient que le monde religieux des Géto-daces ne correspond pas nécessairement à celui que nous trouvons dans le folklore roumain, mais l'approche est fructueuse et peut être utilement appliquée au folklore suédois également.

EHESS_DANA_2013_01.jpg

hzalloult.jpg

Dans l'introduction de "Les Daces et les loups", Eliade constate que les Roumains sont un peuple de loups. De nombreuses tribus indo-européennes s'identifient au loup, notamment par le biais de noms ethniques tels que daoi/daker, hyrkanoi, orkoi et hirpi sorani. Il existe un lien évident avec les associations cultuelles masculines dans lesquelles le loup jouait souvent un rôle central. Parfois, des tribus entières semblent avoir adopté le nom de loup à partir de ces associations, parfois des Männerbünde ont conquis d'autres groupes et leur ont donné leur nom. C'est une lecture fascinante, mais qui n'est probablement pas nouvelle pour les lecteurs de notre site suédois Motpol. Eliade résume tout cela en disant que "l'essentiel de l'initiation militaire consistait à transformer rituellement le jeune guerrier en une espèce d'animal sauvage prédateur. Il ne s'agissait pas seulement de courage, de force physique ou d'endurance, mais "d'une expérience magico-religieuse qui changeait radicalement le mode d'être du jeune guerrier. Il devait transmuter son humanité en accédant à une fureur agressive et terrifiante qui le transformait en un carnivore enragé".

LangThraco-Illyri.png

77720672-alba-iulia-roumanie-30-avril-2017-des-soldats-daces-en-costume-de-bataille-présents-à-l-apulum.jpg

554px-Roman_Dacia_de.svg.png

Eliade a constaté que les Roumains étaient un peuple de loups à trois égards. Ils descendaient des Daces, conquis par les Romains, qui à leur tour descendaient de Rémus et Romulus ("les fils du dieu-loup Mars, allaités et élevés par la louve du Capitole"). Seul un tel peuple pouvait assimiler les Daces. La Roumanie moderne est ensuite née de l'invasion des terres daco-romaines par Gengis Khan et ses descendants, où l'on retrouve le mythe du loup ("le mythe généalogique des Gengis-Khanides proclame que leur ancêtre était un loup gris descendu du ciel et accouplé à une biche").

Eliade's_Chamanisme.jpgLa section sur Zalmoxis est également intéressante, Eliade comparant son culte à la fois aux mystères initiatiques comme ceux d'Éleusis et au chamanisme. Il évoque l'immortalité de l'âme, le symbolisme des grottes, les katabasis, l'immortalité, Pythagore, les dieux-ours, les Jordanes, la confusion entre les chèvres et les Goths, et les traces de chamanisme dans la Grèce antique. Il est fascinant de constater que le chaman apparaît en partie dans les récits de philosophes tels que Parménide et Pythagore. Cependant, la conclusion d'Eliade est que Zalmoxis était un représentant des mystères plutôt que des chamanes. Il mentionne également que Zalmoxis a été rapidement assimilé par le Christ, ce qui est logique étant donné les grandes similitudes entre les deux personnages. D'autres figures ont survécu jusqu'à l'époque moderne dans le folklore roumain, mais Zalmoxis a presque complètement disparu. Du moins jusqu'à ce qu'une renaissance nationale, à l'époque moderne, fasse revivre l'archétype indigène, "toujours et partout Zalmoxis est revivifié parce qu'il incarne le génie religieux des Daco-Gètes, parce que, en dernière analyse, il représente la spiritualité des "autochtones", des ancêtres presque mythiques conquis et assimilés par les Romains". L'union du pouvoir religieux et du pouvoir séculier apparaît ici comme un fil rouge, une caractéristique nationale, de l'époque dacienne à la Garde de fer et à Ceausescu.

Un chapitre passionnant sur l'histoire des religions traite d'un mythe de la création qui revient chez les Roumains, les Bulgares, les Russes, les Polonais et les Roms de Transylvanie, mais aussi chez plusieurs peuples d'Asie et d'Amérique du Nord. Le monde est recouvert d'eau, Dieu et le Diable se rencontrent et le Diable prend de la boue au fond de la mer. Dans certaines versions du mythe, il tente ensuite de noyer un Dieu endormi en le faisant rouler dans l'eau, mais au lieu de cela, la masse terrestre se développe. Dans d'autres versions, moins dualistes, un oiseau aide Dieu pendant le processus de création. Dans plusieurs variantes, Dieu est alors inopinément passif et a besoin d'aide pour achever la création. Eliade retrace ici une relation avec le dieu du ciel plutôt lointain, un deus otiosus, chez plusieurs peuples d'Eurasie. Dans une société chrétienne, elle peut également séparer le Créateur des éléments de la création tels que le mal et le péché, "la distance de Dieu est directement justifiée par la dépravation de l'humanité. Dieu se retire au ciel parce que les hommes ont choisi le mal et le péché". Eliade a également constaté qu'il semble s'agir d'un mythe ancien qui a atteint l'Amérique du Nord et l'Europe, souvent influencé par le dualisme iranien, où le Diable a remplacé l'aide de Dieu dans le port des animaux.

Moldavia's_coat_of_Arms_of_1481.jpgUn passage intéressant de Zalmoxis raconte comment le prince Dragos a fondé la Moldavie à la suite d'une chasse à l'aurochs, une version des mythes sur la chasse rituelle et les guides animaux. C'est notamment un animal sauvage qui a montré aux Vandales le chemin de Gibraltar ; de même, les Huns ont trouvé leur chemin vers des terrains de chasse plus civilisés au-delà des marécages. Eliade a également abordé le symbolisme du cerf et du taureau. Dans d'autres chapitres, il aborde la mandragore, le monachisme, le chamanisme roumain et l'importante ballade Miorita. Cette dernière est très populaire parmi les Roumains, Eliade affirmant qu'elle exprime l'âme populaire ("nous sommes en présence d'une création populaire encore vivante, qui touche l'âme populaire comme aucune autre ; en d'autres termes, il y a une "adhésion" totale et spontanée du peuple roumain aux beautés poétiques et au symbolisme de la ballade"). Dans le chapitre consacré à Miorita, il aborde également ce qu'il appelle le christianisme cosmique, une version sud-est européenne de la foi.

Dans l'ensemble, comme d'habitude, l'ouvrage est très facile à lire. Certaines sections peuvent être plus pertinentes que d'autres, les chapitres sur le peuple des loups et le mythe de la création m'ayant personnellement davantage intéressé, mais Eliade est intéressant quel que soit le sujet qu'il aborde. L'approche consistant à explorer l'âme populaire roumaine à travers l'étude des coutumes et du folklore est inspirante et peut fournir des pistes à ceux qui souhaitent faire quelque chose de similaire avec les Suédois.