mardi, 31 octobre 2023
Toussaint, Samhain, Halloween
Toussaint, Samhain, Halloween
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/ognissanti-samahin-halloween/
C'est toujours la même vieille querelle... que célébrons-nous, si l'on peut vraiment parler de fête, dans la nuit du 31 octobre ?
La Toussaint, une fête catholique, autrefois importante. Fondamentale même, puisque, entre autres, Manzoni lui-même lui a consacré l'un de ses Hymnes sacrés. Ce qui aurait dû en faire douze, bien qu'il n'ait jamais achevé l'œuvre.
Douze. Les douze fêtes qui, dans le calendrier romain, représentent les axes de communication entre le temps de l'homme et le temps de Dieu. Les moments de l'année où le temps ordinaire est suspendu et où le temps cosmique est vécu. Conceptualisation propre à la philosophie grecque : Kronos armé d'une faux. Qui tout consomme, érode, tue. Kronos dont l'étymon rappelle le Corbeau. Qui se nourrit de cadavres.
Et Aiòn. Le plan de la durée. En fait de la perpétuité. Où il n'y a ni passé ni futur. Seulement un présent perpétuel. L'être. Qui ne devient pas parce qu'il est.
Parménide, pour simplifier.
C'est à cela que servait et devrait servir la liturgie, le temps liturgique. Faire entrer le temps cosmique dans le temps ordinaire. Le purifier. Comme les rivières qu'Héraclès détourne pour nettoyer les écuries d'Augias.
Samhain est une fête encore plus ancienne. D'origine celtique, certes. Mais elle trouve des correspondances dans la tradition romaine et dans celles d'autres peuples et cultures.
Elle était célébrée quarante jours après l'équinoxe. À ce moment-là, le déclin du soleil vers les royaumes souterrains est évident et clair. Les ombres s'allongent sur la terre.
Les portes entre les royaumes des vivants et des morts sont grandes ouvertes. Et les défunts venaient rendre visite à leurs descendants.
Un lien profond, signifiant la tradition d'une famille. D'un clan. D'un peuple entier.
Les rites évoqués et détournés. Car les esprits bienveillants étaient invités à la table. Et éviter les esprits hostiles. Les citrouilles d'Halloween - elles aussi issues d'une tradition vénitienne - conservent un élément de cette fonction. Apotropaïque.
Et nous en arrivons à Halloween. Elle n'est rien d'autre que la synthèse de deux fêtes. Celle, païenne, de Samhain, et celle, chrétienne, de la Toussaint.
Mais c'est une synthèse corrompue. Inévitablement, puisque le sens du Sacré, autrefois très vivant chez les uns et les autres, a été totalement perdu. Et consciemment.
Et il est vrai que Halloween n'est plus aujourd'hui qu'une sorte de carnaval macabre. Une mascarade américaine, disent beaucoup, et non sans raison. Où, au mieux, l'on peut faire plaisir aux enfants. Certainement pas la gaieté forcée des adultes, qui poursuivent des fantasmes transgressifs de bas étage.
Et il s'agit avant tout d'un festival commercial. Exploité pour des raisons économiques. Au fond, c'est assez triste.
Mais la faute, excusez-moi, n'est pas à Halloween, ni aux fêtards qui imitent leurs homologues américains.
La faute en revient à ceux qui auraient dû préserver le sens sacré de cette fête.
Et qui n'ont pas su le faire. Parce qu'ils n'étaient même plus capables de concevoir le sacré.
C'est ainsi que la fête a été affaiblie par des intérêts économiques, par des pulsions érotiques plus ou moins prudes et déformées. Par des ambitions et des fantasmes morbides.
Lorsque l'on touche (ne serait-ce que) à la sphère du Sacré, il faut garder à l'esprit une réalité précise. Et une règle.
Il n'y a pas de récipients vides que l'on peut abandonner dans le dépotoir des vieilles croyances et de la foi.
Si vous oubliez le sens de quelque chose, d'une fête, d'un rituel, il ne disparaît pas, car il ne vous appartient pas. Il existe en lui-même et continue d'exister. Seulement, il y a immédiatement quelque chose qui vient combler le vide que vous avez laissé.
Et ce quelque chose est, au mieux, de l'eau sale.
Pas d'anathème donc contre les célébrations d'Halloween. Parce que, même si c'est de manière puérile, voire sordide, elles servent à nous rappeler une chose.
Ce que nous avons perdu. Ou plutôt ce que nous avons, avec culpabilité, abdiqué.
Et maintenant, excusez-moi... je dois préparer le panier de bonbons pour les petits fantômes, sorcières, petits diables qui viendront frapper à ma porte.
Des bonbons ou l'on me jettera un sort...
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samedi, 21 octobre 2023
Sur les cycles cosmiques et les rythmes du temps en Inde: un nouvel essai de Nuccio D'Anna
Sur les cycles cosmiques et les rythmes du temps en Inde: un nouvel essai de Nuccio D'Anna
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/sui-cicli-cosmici-e-ritmi-del-tempo-in-india-un-nuovo-saggio-di-nuccio-danna-giovanni-sessa/
Nuccio D'Anna a récemment ajouté un ouvrage important à sa production de livres. Il sera particulièrement utile aux lecteurs intéressés par les études historico-religieuses et traditionnelles. Il s'agit du volume I cicli cosmici. Le dottrine indiane sui ritmi del tempo (= Les doctrines indiennes sur les rythmes du temps), que l'on trouve désormais dans les librairies grâce aux éditions Arỹa (pour commander : arya.victoriasrl@mail.com, pp. 240, euro 26.00). Dans ces pages, l'auteur fait preuve d'une maîtrise peu commune de la vaste littérature critique, il accompagne aussi avec sagacité le lecteur dans l'exégèse des textes sacrés complexes centrés sur la temporalité cyclique. Cette tâche est accomplie en se référant à la méthode comparative, qui permet de déduire la valeur universelle des mythes et des symboles. Les contenus abordés sont si vastes qu'il est difficile de les résumer dans l'espace d'une revue. Nous ne nous attarderons donc que sur quelques plexus théoriques.
Nuccio D'Anna commence par présenter le sens et la signification du "Centre" dans le monde traditionnel. Pour ce faire, il s'attarde sur la valeur du mont Meru: "considéré comme le reflet du pôle céleste qui tient, gouverne et oriente tout le mouvement du quadrant cosmique" (p. 3). La structure axiale de la montagne incite à la considérer comme: "le véhicule des bénédictions divines dispensées sans cesse [...] le Meru apparaît comme l'"arbre du cosmos"" (p. 4). Selon la tradition védique, de ses branches sont descendus les rayons de Sūrya qui ont transmis à l'humanité la "loi de Varuṇa, le Ṛta, l'Ordre qui est la Vérité". Le Ṛta : "a une relation directe avec la stabilité de la constellation des sept étoiles de l'Ourse" (p. 5). La montagne sacrée est étroitement liée, d'une part, à Agni, le dieu du feu prototypique qui brûle avec éclat au centre du monde, et, d'autre part, à Brahma, la divinité formatrice qui peut être comparée au "rocher indestructible", d'où rayonnent les "qualités" divines. Le Meru se dresse au centre d'une île circulaire subdivisée en sept "régions", autour desquelles se trouvent sept océans en correspondance "avec l'ordre planétaire habituellement structuré sur sept niveaux" (p. 10). La dernière étendue de mer est appelée "Océan de lait".
L'auteur précise : "Au cours du déroulement cyclique dans chacune de ces "îles", la Tradition [...] devra nécessairement trouver son propre développement intégral, ce qui aboutira inévitablement à l'épuisement de toutes les possibilités spirituelles véhiculées dans le monde" (p. 13). C'est ainsi que se révèle le lien d'un tel symbolisme avec le développement cyclique. Dans une telle cosmosophie, chaque point de pivot est gardé par une divinité : le cosmos lui-même prend des traits maṇḍaliques. L'éon actuel, dans la liste des 30 kalpas, occupe la 26ème place (Varaha-Kalpa) et est précédé par le Padama-kalpa. Selon l'enseignement traditionnel, la manifestation a régressé à cause du "poids des hommes", qui ont manipulé le Dharma. Durant le kalpa précédant le nôtre, Viṣṇu "l'Endormi" a effectué "sa propre intervention cosmogonique sous la forme d'une fleur de lotus qui émergea de son propre nombril" (p. 20), ce qui a permis une parfaite continuité doctrinale et rituelle entre les sixième et septième manvantaras de notre kalpa.
Brahma a donné naissance à la "terre primordiale" : "l'archétype ou le modèle préformel d'une réalité encore immaculée" (p. 21). Chaque fois que le Principe descend dans le devenir, selon la perspective traditionnelle indienne, il donne lieu à un véritable "sacrifice universel". C'est un acte capable d'agir contre les "puissances des ténèbres". Un rôle essentiel, en ce sens, est attribué par D'Anna à Prajapati, qui a rejoint la Terre immaculée qui a émergé des Eaux. Il "symbolise l'Unité ineffable dont tous les autres dieux sont issus et à laquelle ils retourneront" (p. 28). Cette potestas s'étend dans toutes les directions de l'espace. Les eaux primordiales ne sont rien d'autre que la transcription symbolique du "murmure" du temps qui passe, puisque le Principe, à la lumière des études de Marius Schneider, citées à plusieurs reprises par l'auteur, n'est que son-lumière. Les chanteurs sacrés : "Ils haïssent l'essence sonore et présensible [...] qui se déverse "naturellement" dans la vie cosmique" (p. 31). Le chant solaire des sept Ṛṣi formait la tête de Prajapati qui, en harmonisant le son et le rythme, "rendait possible la formulation des phonèmes et des syllabes" (p. 33).
L'auteur rappelle que le septième Manvatara a commencé après le Déluge. L'époque actuelle est divisée en quatre yugas, dont le développement est ordonné autour du symbole de la décennie, qui marque l'appauvrissement spirituel progressif, induit par les pouvoirs catagogiques de Koka et Vikoka (Gog et Magog). Le premier âge est l'"âge de la vérité" et de la plénitude spirituelle. La couleur qui le connote est le blanc, révélant son essence sapientielle et celle de la caste des Haṃsa : "Dans le jeu de dés indien [...] ce premier âge [...] correspond au "jet" réussi" (p. 112). Dans le deuxième âge, la "dynastie solaire" agit, visant à préserver la tradition "non-humaine", en accomplissant une action conservatrice, similaire à celle attribuée en Occident à Saturne. La valeur rituelle du jeu de dés, bien connue à Rome (il pouvait être pratiqué pendant les Saturnales, à l'occasion du solstice d'hiver), était liée à des conjonctures astronomiques particulières. Les "points" gravés sur les faces des dés étaient appelés "yeux", car ils renvoyaient aux "luminaires" qui brillaient "dans le ciel du primordial védique" (p. 115).
Lorsque le lancer de dés était désordonné, on l'attribuait à la lourdeur spirituelle du cycle, correspondant au tourbillon frénétique du monde. Le lancer de dés, où le trois apparaissait, indiquait le deuxième âge, dans lequel le monde reposait sur les "trois quarts" du dharma. Sa couleur était le rouge. Le deux du jeu de dés faisait référence au troisième âge, dans lequel le monde se développe sur la relation lumière/obscurité, qui tend de plus en plus à cristalliser ces deux puissances dans un sens oppositionnel. Dans cet âge, sattva se retire, rajas et tamas prédominent. Sa couleur est le vert.
Enfin, le kali-yuga, dont le début : "a été fixé pour coïncider avec la conjoncture aurorale qui a commencé à 6 heures du matin le 18 février 3102 avant J.-C.". (p. 118). Ce yuga est également divisé en quatre sous-âges : c'est l'âge de la résurgence des forces magmatiques et chaotiques qui submergent la perfection de l'Origine. Śiva se retire également des apparences phénoménales. Pour comprendre le déroulement cyclique, il faut se référer à la précession des équinoxes, dans laquelle l'obliquité de l'écliptique et de l'équateur dessine une " toupie " cosmique. Cette précession : "continue à se déployer autour d'un véritable "chef" qui en dirige le cours : c'est Dhruva" (p. 131), le pôle fixe, garant du retour à l'ordre à la fin du kali-yuga. D'Anna enrichit la présentation des cycles indiens par de nombreuses références érudites aux traditions grecques, mésopotamiennes et taoïstes, dont il trouve des échos jusque dans l'astronomie de Kepler. Il aborde également le symbolisme complexe qui sous-tend la vision cyclique et clarifie, entre autres, la faiblesse de l'exégèse "naturaliste" du temps cyclique, même celle formulée par Eliade, basée sur la référence aux cycles lunaires : "Seule cette (la) dimension cosmique-triomphale peut faire contempler la profondeur, la hauteur et l'ampleur du substrat spirituel qui nourrit la relation intime existant entre les phonèmes, les sons, les couleurs, les langages animaux [...] les scansions célestes [...] les moments saisonniers" (p. 209), la relation entre le macrocosme et le microcosme. L'essai de D'Anna est véritablement exhaustif.
Giovanni Sessa
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dimanche, 08 octobre 2023
René Guénon et les influences suspectes de Donald Trump
René Guénon et les influences suspectes de Donald Trump
Nicolas Bonnal
« Chose assez curieuse, le sceau officiel des États-Unis figure la Pyramide tronquée, au-dessus de laquelle est un triangle rayonnant qui, tout en en étant séparé, et même isolé par le cercle de nuages qui l’entoure, semble en quelque sorte en remplacer le sommet ; mais il y a encore dans ce sceau, dont certaines des organisations « pseudo-initiatiques » qui pullulent en Amérique cherchent à tirer un grand parti en l’expliquant conformément à leurs « doctrines », d’autres détails qui sont au moins étranges, et qui semblent bien indiquer une intervention d’influences suspectes : ainsi, le nombre des assises de la Pyramide, qui y est de treize (ce même nombre revient d’ailleurs avec quelque insistance dans d’autres particularités, et il est notamment celui des lettres qui composent la devise E pluribus unum)… »
… Nous ne quitterons pas la Grande Pyramide sans signaler encore incidemment une autre fantaisie moderne : certains attribuent une importance considérable au fait qu’elle n’aurait jamais été achevée ; le sommet manque en effet, mais tout ce qu’on peut dire de sûr à cet égard, c’est que les plus anciens auteurs dont on ait le témoignage, et qui sont encore relativement récents, l’ont toujours vue tronquée comme elle l’est aujourd’hui ; de là à prétendre, comme l’a écrit textuellement un occultiste, que « le symbolisme caché des Écritures hébraïques et chrétiennes se rapporte directement aux faits qui eurent lieu au cours de la construction de la Grande Pyramide », il y a vraiment bien loin, et c’est encore là une assertion qui nous paraît manquer un peu trop de vraisemblance sous tous les rapports ! – Chose assez curieuse, le sceau officiel des États-Unis figure la Pyramide tronquée, au-dessus de laquelle est un triangle rayonnant qui, tout en en étant séparé, et même isolé par le cercle de nuages qui l’entoure, semble en quelque sorte en remplacer le sommet ; mais il y a encore dans ce sceau, dont certaines des organisations « pseudo-initiatiques » qui pullulent en Amérique cherchent à tirer un grand parti en l’expliquant conformément à leurs « doctrines », d’autres détails qui sont au moins étranges, et qui semblent bien indiquer une intervention d’influences suspectes : ainsi, le nombre des assises de la Pyramide, qui y est de treize (ce même nombre revient d’ailleurs avec quelque insistance dans d’autres particularités, et il est notamment celui des lettres qui composent la devise E pluribus unum), est dit correspondre à celui des tribus d’Israël (en comptant séparément les deux demi-tribus des fils de Joseph), et cela n’est sans doute pas sans rapport avec les origines réelles des « prophéties de la Grande Pyramide », qui, comme nous venons de le voir, tendent aussi à faire de celle-ci, pour des fins plutôt obscures, une sorte de monument « judéo-chrétien ».
p.187
http://ekladata.com/ZvjZowigoi2MzLb65eOL92PGSD0/Rene-Guen...
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vendredi, 06 octobre 2023
Un siècle de confucianisme: rétrospective et perspectives d'avenir
Un siècle de confucianisme: rétrospective et perspectives d'avenir
Chen Lai
Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/um-seculo-de-confucionismo-olhando-para-tras-e-para-frente
Il est de notoriété publique que le confucianisme est la tradition la plus importante de l'histoire chinoise et qu'il reste vivant et influent jusqu'à aujourd'hui. Il est donc intéressant de se pencher un peu plus sur l'histoire et les courants du confucianisme au cours du 20ème siècle et jusqu'à aujourd'hui.
Dans cet essai, j'examinerai l'évolution du confucianisme au 20ème siècle. Le terme "développement" peut donner l'impression que le confucianisme a progressé sans effort tout au long de cette période, mais cet examen du siècle dernier révèle un parcours tortueux à travers diverses crises et défis.
Défis et réponses à l'ère moderne
Le confucianisme chinois a été confronté à quatre périodes de défis au cours du 20ème siècle. La première a été la réforme politique et éducative à la fin de l'ère Qing et au début de l'ère républicaine. Le gouvernement Qing a annoncé l'"Édit sur la création d'écoles" (兴学诏书) en 1901 pour lancer la création de nouvelles institutions dans tout le pays. Il s'agit d'une initiative extrêmement importante, qui a conduit au déclin progressif de l'ancienne forme de confucianisme, dominée par un type spécifique d'école qui formait des érudits pour entrer dans le système d'examen de la fonction publique impériale.
Les autorités ont ouvert ces nouvelles écoles en grand nombre dans toute la Chine. Cette mesure représentait un défi clair au système d'examen de la fonction publique avant que le gouvernement Qing ne décide de mettre fin aux examens en 1905. Le système d'examen était extrêmement important pour la pérennité de l'érudit confucéen. Au total, l'existence de la pensée et de la culture des érudits confucéens dans la société chinoise pré-moderne reposait sur trois bases importantes. La première était l'État, la cour impériale ayant déclaré que le confucianisme était l'idéologie officielle et que les classiques confucéens étaient les classiques de l'État. Le confucianisme a donc été promu par le gouvernement impérial. La deuxième base était le système éducatif, en particulier le système d'examen de la fonction publique, qui stipulait que les classiques confucéens étaient le sujet principal des examens. Enfin, la troisième base du confucianisme était constituée par les fondements sociaux de la famille et les systèmes de gouvernance rurale qui existaient en Chine depuis plusieurs milliers d'années.
Les réformes stratégiques de la fin de la période Qing ont joué un rôle important dans la détermination des moyens par lesquels le confucianisme continuerait d'exister. Malgré l'abolition des examens en 1905, l'une des premières réformes les plus radicales, le gouvernement Qing était toujours déterminé à préserver l'étude et le programme des classiques dans toutes les écoles, et exigeait également que les écoles continuent d'offrir des sacrifices à Confucius le jour de son anniversaire. Cette situation a toutefois changé avec l'avènement de la révolution de 1911. Lorsque le ministère de l'éducation est passé sous le contrôle de Cai Yuanpei 蔡元培 (photo) en 1912, l'État a décidé de mettre fin aux sacrifices à Confucius et d'abandonner l'étude des classiques. Par conséquent, dans les années qui ont suivi la révolution, le système consistant à "honorer Confucius et à lire les classiques" a subi un revers fondamental. Au cours de ce processus, les érudits confucéens ont connu leur première période significative de "défi et réponse", en d'autres termes, leur première difficulté fondamentale.
De la fin de la dynastie Qing au début de la République, bien que l'érudit confucéen ait déjà été retiré du centre de la politique et de l'éducation, le rôle de la pensée et de la culture confucéennes s'est maintenu dans le domaine de l'éthique [4] Peu de temps après, de 1915 à 1919, le mouvement de la nouvelle culture est apparu et le confucianisme a été confronté à son deuxième défi. Le mouvement de la nouvelle culture a brandi les bannières de la critique, de la réflexion et de la lumière. Il s'agissait d'un éclaircissement culturel, basé sur la culture occidentale moderne, présentant la culture chinoise traditionnelle comme son opposé binaire et, en particulier, présentant les rites et la culture confucéens comme son adversaire principal et critique. Cela semblait raisonnable pour beaucoup à l'époque, et ils ont brandi le slogan "A bas Confucius et ses enfants !". De la fin de la dynastie Qing jusqu'à la révolution de 1911, le confucianisme a maintenu son influence éthique même lorsqu'il quittait la scène politique, mais dans les années qui ont immédiatement suivi, il a subi son deuxième revers crucial. La révolution de 1911 a contraint le confucianisme à une forme d'exil qui s'est étendue au mouvement de la nouvelle culture. Le Mouvement de la nouvelle culture a alors hérité du mouvement d'exil du confucianisme de la fin de la période Qing et du début de la période républicaine et a élargi sa mission en bannissant le confucianisme du domaine de l'éthique. Le mouvement de la nouvelle culture a laissé le confucianisme fragmenté et à la dérive.
Le troisième grand dilemme s'est produit entre la révolution de 1949 et la "révolution culturelle". Je considère cette période comme un tout parce que le mouvement de collectivisation, l'organisation des communes populaires et la "Grande révolution culturelle prolétarienne" ont changé le système de gouvernance rurale et fait de la collectivité la base de la société. Le système des communes populaires, fondé sur la brigade et les trois niveaux de propriété [5], a complètement transformé l'ancien ordre villageois basé sur le lignage.
Les spécialistes de l'ère moderne ont affirmé qu'une fois le système social confucéen séparé de sa base, le confucianisme est devenu une "âme perdue 游魂" [6] Cette image d'une âme perdue suggère que les changements de la culture moderne ont séparé la pensée confucéenne de ses racines anciennes. La révolution elle-même avait une signification politique et, en outre, les transformations qu'elle a entraînées dans les campagnes étaient extrêmement importantes. En outre, un autre facteur important a été la révolution culturelle, en particulier le mouvement de critique de Lin Biao (photo) et de Confucius. Les campagnes successives de critiques politiques absurdes du confucianisme et de Confucius ont fait des ravages dans la pensée des gens. Il s'agissait d'une attaque encore plus importante contre la culture confucéenne.
La quatrième période de défi pour le confucianisme au 20ème siècle a été les vingt premières années de réforme et d'ouverture à partir de la fin des années 1970. La mobilisation de la période de réforme dans les années 1980 a apporté une forme de pensée éclairée qui a fait écho au mouvement de la nouvelle culture de la période du 4 mai, adoptant un thème majeur du 20e siècle dans sa critique de la tradition. Le confucianisme est donc apparu comme l'antithèse de la modernisation. Le développement vigoureux de l'économie de marché, qui a donné une place prépondérante à la pensée utilitaire dans les années 1990, a également constitué un défi de taille pour les traditions du confucianisme et la culture chinoise.
Si l'on divise les attaques contre la pensée et la culture confucéennes au XXe siècle en quatre grandes périodes, on constate que chacune d'entre elles a eu une influence profonde sur le destin de la culture confucéenne. Cependant, il serait faux de prétendre que le confucianisme n'a subi que des attaques et n'a jamais connu de progrès au 20ème siècle. Parfois, les défis peuvent offrir des opportunités de progrès. Dans ce contexte historique, il n'y a eu qu'une seule période significative de développement pour le confucianisme : la période allant de l'incident de Mukden en 1931 à la fin de la guerre de résistance contre le Japon (1937-1945), en particulier la période de guerre. Le peuple chinois dans son ensemble s'est uni pendant cette période, et la défense et la renaissance nationales sont devenues des questions d'une importance cruciale. Ce fut le thème central de la période et une occasion historique rare pour le confucianisme de progresser.
Réponses et développements philosophiques
J'ai divisé environ cent ans d'histoire confucéenne en quatre périodes de défis et une période d'opportunités, soit cinq périodes au total. Nous pouvons considérer l'histoire du confucianisme au 20ème siècle comme une réponse à ces défis, qui se déroule en cinq étapes.
La première étape, ou plutôt la première personne dont il est question, est Kang Youwei 康有为 (1858-1927). Bien que Kang ait réfléchi à la religion confucéenne bien avant la révolution de 1911, il l'a encore plus mise en avant par la suite. À plusieurs reprises, Kang lui-même ou ses élèves ont proposé que la religion confucéenne devienne la religion d'État. Ces propositions étaient positives. Les réformes politiques et éducatives - de l'"Édit sur la création d'écoles" en 1901 à l'abolition des examens de la fonction publique en 1905 et au début de la direction du ministère de l'Éducation par Cai Yuanpei en 1912 - avaient déjà privé le confucianisme des fondements institutionnels sur lesquels il reposait. Pour préserver et développer la pensée confucéenne, Kang Youwei s'est tourné vers la religion. Il s'est rendu compte que le christianisme avait sa place dans le tissu de la culture occidentale moderne. Il existe des exemples de son établissement en tant que religion d'État dans les pays occidentaux. Il a donc estimé qu'une nouvelle Chine avait besoin de nouvelles institutions et que le confucianisme pouvait jouer un rôle important. L'argument de Kang en faveur de l'établissement du confucianisme comme religion d'État représente la première réponse [7], une réponse religieuse aux difficultés rencontrées par le confucianisme et, bien sûr, elle a échoué. Tous les projets et propositions de Kang ont échoué, et l'histoire a clairement montré que ce n'était pas la voie à suivre. Malgré cet échec, nous pouvons considérer cet épisode comme la première réponse active du confucianisme à un siècle de défis.
La deuxième étape couvre le mouvement de la nouvelle culture. À la fin du mouvement pour la nouvelle culture, de nouveaux développements ont eu lieu. Ils résultent des réflexions culturelles des intellectuels occidentaux sur la Première Guerre mondiale et la montée du socialisme en Union soviétique. Ces événements ont conduit certains intellectuels éminents à reconsidérer la question de la culture chinoise. La figure représentative de cette période est Liang Shuming 梁漱溟 (1893-1988) (photo). Au début des années 1920, Liang a écrit 東西文化及其哲學 (Cultures orientale et occidentale et leurs philosophies). Ce livre est représentatif de la deuxième réponse à la situation difficile à laquelle le confucianisme a été confronté au 20ème siècle. Il s'agit d'une réponse non pas religieuse, mais culturelle. Liang pensait que même si la société chinoise devait subir une occidentalisation complète, la culture confucéenne et ses valeurs étaient toujours nécessaires : "Dans le futur très proche de notre monde, après la période culturelle occidentale au cours de laquelle les Européens et les Américains ont conquis et exploité la nature, il sera temps pour la renaissance de la culture chinoise" [8] Ce "futur très proche" se référait à la culture d'un socialisme confucéen car, selon Liang, le confucianisme incorporait déjà les valeurs du socialisme. Il pensait que la caractéristique de la culture occidentale était qu'elle résolvait la relation entre l'humanité et le monde naturel, la relation entre l'humanité et le domaine matériel. La culture confucéenne, quant à elle, résolvait la relation entre les êtres humains, la relation entre l'individu et la société, de la même manière que le socialisme pouvait résoudre les questions entre le travail et le capital. À l'époque moderne, les défis rencontrés par le confucianisme ont tous été présentés par la culture occidentale moderne à la société et à la culture chinoises. La réponse confucéenne ne pouvait être dirigée que vers ce défi culturel au niveau macro.
La réponse philosophique au cours de la troisième phase, de l'incident de Mukden en 1931 à la fin de la guerre de résistance en 1945, n'était pas seulement le produit du nationalisme croissant de l'époque, mais aussi une réponse à l'assaut de la culture occidentale moderne. Parmi les intellectuels impliqués, citons Xiong Shili 熊十力 (1885-1968) (photo), Ma Yifu 马一浮 (1883-1967),Feng Youlan 冯友兰 (1895-1990) et He Lin 贺麟 (1902-1992). Le système de confucianisme philosophique de Xiong Shili, 归本大易 ("Retour au Yijing"), peut être considéré comme une forme de "nouvelles études sur le livre du Yijing"[9] Ma Yifu s'est concentré sur les Six Classiques et les Six Arts. Son système de confucianisme peut être appelé "Nouvel apprentissage classique" 新经学. Feng Youlan a appelé son propre système philosophique la "nouvelle philosophie des principes" 新理学. Celui de He Lin était la "Nouvelle philosophie de l'esprit"[10].
Xiong Shili défend le concept philosophique de " l'esprit originel " établi par Mencius[11] En se basant sur les principes du Yijing, il établit l'esprit originel comme une entité absolue et établit une cosmologie relative au Xipi chengbian 翕辟成变. [Il a ensuite appelé sa cosmologie "l'inséparabilité de la substance et de la fonction" 体用不二. 13] Sa pensée philosophique était un système confucéen qui mettait l'accent sur les constructions cosmologiques.
Ma Yifu (photo) était un érudit qui défendait avec ténacité la totalité de la culture traditionnelle. Il a synthétisé ou unifié l'étude traditionnelle des classiques 经学 et le néo-confucianisme 理学. Selon lui, "toutes les techniques du dao sont régies par les six arts, et les six arts sont en fait régis par l'esprit unique 一心" [14] "Toutes les techniques du dao" renvoient aux différents domaines d'étude ou "disciplines", comme nous les appelons aujourd'hui. Quant aux "six arts", Ma Yifu fait en réalité référence aux six classiques. C'est la terminologie utilisée par un confucéen classique. Cette approche met l'accent sur les classiques pour la reconstruction du nouveau confucianisme.
La philosophie de Feng Youlan était ce qu'il appelait lui-même la "Nouvelle philosophie du principe" [15] Il espérait poursuivre le travail des néo-confucéens de Cheng-Zhu, en mettant l'accent sur le monde de li (principe) 理 [16] En assimilant le nouveau réalisme de l'Occident, il a établi un monde de principe au sein de la philosophie, établissant ainsi un segment important de la métaphysique de la philosophie confucéenne. La philosophie de Feng Youlan est une philosophie confucéenne moderne qui se concentre sur les constructions métaphysiques.
Lin s'est ouvertement déclaré adepte de l'école Lu-Wang [17] et a soutenu que "xin (心 cœur/esprit) est la substance 体 de la matière 物, tandis que la matière est la fonction 用 de xin". La plupart de ses écrits placent cette école de l'esprit à la base de la philosophie confucéenne. Mais surtout, nous découvrons que He Lin a joué un rôle important en élaborant un projet de renouveau confucéen. Son slogan était : "La pensée confucéenne comme substance ; la culture occidentale comme fonction", ce qui pourrait également être lu comme : "L'esprit national (民族精神) comme substance ; la culture occidentale comme fonction" [18] Il a élaboré un plan détaillé pour le renouveau confucéen.
Outre ses premières contributions aux idées d'identité culturelle, Liang Shuming a passé une grande partie des années 1940 à 1970 à rédiger son livre Psychologie et vie 人心与人生. Ce livre montre que le système philosophique de Liang Shuming mettait l'accent sur une construction de la philosophie confucéenne moderne basée sur la psychologie.
Les travaux de ces philosophes illustrent comment une forme nouvelle et constructive de confucianisme a émergé durant cette période. Leur réponse est avant tout philosophique. C'est l'époque que j'ai identifiée comme la seule période d'opportunité historique dans ce siècle de confucianisme, et elle est liée à l'émergence de l'identité culturelle nationale qui a accompagné la guerre contre le Japon. L'accent mis sur la culture nationale a permis de réaliser d'importants progrès.
La quatrième étape s'étend de 1949 à la fin de la révolution culturelle. On ne peut pas dire qu'il n'y ait pas eu de pensée confucéenne en Chine pendant cette période. Si nous examinons les changements présentés par Xiong Shili et d'autres intellectuels des années 1950, 1960 et 1970, nous verrons qu'il s'agit d'une période d'adaptation du confucianisme moderne, ainsi que d'intégration et d'absorption du socialisme. Dans On Confucianism 原儒, publié au début des années 1950, Xiong appelle à l'abolition de la propriété privée et à l'aplanissement des différences entre les classes, une approche empruntée au socialisme. Liang Shuming a écrit vers la fin de sa carrière un livre intitulé China : A Rational Country 中国:理性之国, dans lequel il se concentre sur la question du passage d'une société de classes à une société sans classes et du socialisme au communisme. Tous ces exemples montrent que ces philosophes ne se conformaient pas passivement à l'époque, mais qu'ils essayaient au contraire d'intégrer leur propre pensée dans les questions de l'époque. Ils n'ont jamais faibli dans leur foi en la pensée et la culture confucéennes.
Les nouveaux confucéens de Taïwan et de Hong Kong étaient sans racines et à la dérive, mais ils perpétuaient l'héritage de la troisième étape de la pensée confucéenne. En d'autres termes, face aux changements, aux ajustements et aux défis de la société du 20ème siècle, et confrontés à une anomie spirituelle générale, ils ont développé une nouvelle voie dans la pensée confucéenne qui correspondait aux conditions de l'époque, une nouvelle philosophie confucéenne qui absorbait la culture occidentale et développait l'esprit national, ainsi qu'une philosophie orientée vers les questions universelles auxquelles le monde et la condition humaine sont confrontés d'un point de vue confucéen. Tout cela a contribué à la revitalisation de la culture du continent à partir de la fin des années 1980.
Formes latentes et manifestes du confucianisme
L'existence du confucianisme ne peut être considérée comme simplement proportionnelle à l'existence du philosophe, pas plus qu'on ne peut dire que le confucianisme existe parce qu'il y a un philosophe confucéen. Ce serait un point de vue superficiel. Des années 1950 à nos jours, l'existence du confucianisme, comme l'explique Li Zehou 李泽厚 (1930-2021) (photo), ne s'est pas seulement limitée à un ensemble de commentaires sur les classiques confucéens, mais s'est également manifestée dans la construction psychoculturelle du peuple chinois [19]. Par conséquent, après que tout contact avec l'ancien système de confucianisme a été coupé, celui-ci est devenu une tradition qui vivait intrinsèquement dans la population. Les valeurs confucéennes continuent d'exister, surtout parmi les gens ordinaires, où elles sont peut-être même plus profondément enracinées que dans les couches intellectuelles, qui ont été davantage contaminées par la culture occidentale.
La tradition confucéenne chez les gens ordinaires existe sous une "forme subconsciente dans la vie de tous les jours". Même dans la République populaire de Chine, les concepts chinois de moralité ont été continuellement et inébranlablement influencés par la moralité confucéenne traditionnelle. Cependant, comme cette fonction réside dans le subconscient, elle est constamment influencée par l'environnement de différentes époques. Par conséquent, l'existence du confucianisme ne peut être élucidée avec certitude, pas plus que nous ne pouvons dire grand-chose sur son état actuel. Il est parfois très déformé.
Je dois ici souligner le fait qu'au cours de cette cinquième période - la période de réforme et d'ouverture - ou même depuis la quatrième période, le concept de confucianisme a certainement subi une transformation. Nous ne pouvons pas dire que le confucianisme n'existe qu'avec l'existence du philosophe confucéen.
J'aimerais maintenant aborder les formes existentielles du confucianisme qui ont perduré depuis les réformes entamées en 1978. Au cours des trente dernières années en Chine continentale, nous n'avons pas vu de philosophes confucéens comme ceux des années 1930 et 1940. Cependant, plusieurs aspects de cette période méritent d'être observés.
Le premier est le confucianisme académique. Les trente dernières années de recherche sur le confucianisme ont créé une culture du confucianisme académique. Cette culture trouve son origine dans les recherches approfondies menées sur le confucianisme traditionnel et comprend les contextes de son évolution historique, examine sa doctrine, explique les différentes écoles de pensée et inclut des recherches approfondies sur la pensée du nouveau confucianisme contemporain. Cet ensemble d'études est ce que j'appelle le confucianisme académique. Il a connu plus de trente ans de développement, offrant de nombreux nouveaux horizons. Dans le monde universitaire de la Chine contemporaine, il occupe une position importante et a exercé une influence considérable.
La deuxième forme de confucianisme à l'ère de la réforme est le confucianisme culturel. Au cours des trente dernières années, un grand nombre de tendances et de discussions culturelles ont eu un rapport direct avec le confucianisme, comme les discussions sur la relation entre le confucianisme et la démocratie, les droits de l'homme, la mondialisation, la modernisation, le choc des civilisations et, bien sûr, la pertinence du confucianisme pour la construction d'une société harmonieuse, dont nous discutons aujourd'hui. De nombreux chercheurs louent l'importance positive des valeurs confucéennes du point de vue du confucianisme culturel. Ils discutent de la manière dont le confucianisme peut avoir un effet sur la société contemporaine, en exposant des concepts et des idées culturels précieux et en interagissant avec les tendances contemporaines de diverses manières. Cela a eu un effet remarquable sur les strates socioculturelles de la Chine contemporaine. Je pense que ces discussions et activités ont également créé une forme existentielle distincte pour le confucianisme, que j'ai appelée le confucianisme culturel.
On ne peut donc pas dire qu'au cours de ces trente années, il n'y a pas eu de philosophes confucéens importants, ni que le confucianisme a disparu. Outre les formes latentes d'existence, nous devons reconnaître qu'il existe de nombreuses autres formes manifestes de la culture confucéenne. Nous devons définir ces formes manifestes de la culture confucéenne qui se sont adaptées pour survivre au cours des trente dernières années. C'est pourquoi j'utilise les expressions "confucianisme académique" et "confucianisme culturel" pour résumer les manifestations du confucianisme de cette période. En fait, bien que le philosophe soit toujours important, comparé aux systèmes de métaphysique abstraite qui ont émergé, c'est vraiment le confucianisme académique et culturel qui s'est avéré avoir une influence encore plus envahissante et étendue sur la société, la culture et la pensée. Ces formes ont jeté les bases des nouveaux développements de la pensée confucéenne.
La troisième forme de confucianisme qui existe aujourd'hui est le confucianisme populaire 民间. Il comprend des aspects latents, dans l'existence quotidienne et subconsciente des gens ordinaires - un confucianisme dans la psyché des masses - ainsi que des aspects manifestes dans des activités ouvertes, comme le confucianisme académique et culturel. Le nouveau siècle a vu un développement incessant du confucianisme populaire et du confucianisme vulgarisé. Cette forme culturelle est apparue vers la fin du siècle dernier et continue à se développer aujourd'hui, notamment à travers toutes sortes de cours sur les études nationales 国学, dans les écoles, les académies et les salles de classe ; divers magazines numériques, des lecteurs pour les gens ordinaires, des cours pour enfants sur les classiques et ainsi de suite. La plupart des événements au niveau du confucianisme académique et culturel sont des activités destinées à l'intelligentsia, mais ceux au niveau du confucianisme populaire reçoivent une participation beaucoup plus large et plus active de la part des Chinois à tous les niveaux de la société d'aujourd'hui. Il s'agit d'une manifestation culturelle au niveau de la pratique populaire, c'est pourquoi je l'appelle "confucianisme populaire". Au cours des dix dernières années, les études nationales ont été fortement encouragées par le confucianisme populaire.
Conclusion : opportunités de renaissance et visions d'avenir
Je pense que la deuxième période d'opportunité pour un renouveau du confucianisme moderne est arrivée avec l'avènement du 21ème siècle. La première période d'opportunité s'est déroulée pendant la guerre de résistance, une période marquée par une augmentation de la conscience nationale et une prise de conscience d'un renouveau national. À partir de la fin des années 1990, accompagnant la montée en puissance de la Chine et l'approfondissement et le développement de la modernisation du pays, la Chine est entrée dans une première phase de modernisation. C'est dans ce contexte, dans les conditions d'une énorme reprise de confiance du peuple dans sa culture nationale, avec l'avènement de la grande renaissance de la nation chinoise et de la culture chinoise, que s'est présentée la deuxième période d'opportunité pour la renaissance moderne du confucianisme. Comment le confucianisme peut-il tirer parti de cette opportunité ? Comment les érudits confucéens peuvent-ils participer à cette renaissance du confucianisme ? En plus des efforts continus du confucianisme académique et culturel, il y a au moins quelques choses à faire, comme reconstruire l'esprit national 民族精神, établir des valeurs morales, organiser un ordre éthique, former des principes éducatifs, former un système de valeurs communes, un État-nation cohésif et promouvoir davantage nos progrès culturels et éthiques [20]. Si seul le confucianisme participe consciemment à la grande renaissance de la nation chinoise, en s'intégrant à la mission de notre époque et à nos besoins sociaux et culturels, ses perspectives de développement seront largement ouvertes.
En outre, il existe une tâche centrale qui requiert notre attention : la reconstruction et le développement du système philosophique. Une nouvelle philosophie confucéenne doit émerger et émergera sans aucun doute avec le développement de la modernisation de la Chine, et cette philosophie doit être une corne d'abondance. Sur la base du confucianisme traditionnel et du nouveau confucianisme contemporain, ainsi que de la renaissance de la culture chinoise, cette philosophie marchera à travers le monde, proliférera et se manifestera. À l'instar des controverses culturelles à l'époque du mouvement du 4 mai, du travail de résolution des questions relatives à notre patrimoine national dans les années 1920 et du développement de la philosophie nationale dans les années 1930, la Chine continentale a connu une tendance à la fièvre culturelle dans les années 1980 et une tendance à la fièvre des études nationales qui a fait boule de neige depuis la fin des années 1990 jusqu'à aujourd'hui. Nous pouvons nous attendre à ce que les nouvelles théories de la pensée confucéenne et la nouvelle philosophie confucéenne soient prêtes à faire irruption sur la scène en même temps que la renaissance du peuple chinois et de la culture chinoise.
Notes
[1] 陈来, " 百年来儒学发展的回顾与前瞻 ", 深圳大学学报(人文社会科学版)[Journal de l'Université de Shenzhen (édition des sciences humaines et sociales)], Vol. 31 : 3 (mai 2014), pp. 42-46.
[2] Toutes les notes sont celles des traducteurs, sauf mention contraire. Il existe un grand nombre de termes chinois qui sont traduits par "confucianisme" en anglais. Ruxue 儒学 fait généralement référence au système d'apprentissage et d'étude des textes classiques. Rujia 儒家 désigne les érudits ou philosophes qui ont étudié le confucianisme en tant que système de pensée. Et Rujiao 儒教 fait référence au confucianisme en tant que religion, comprenant des rites, des cérémonies et des sacrifices à Confucius, un système promu par Kang Youwei à l'époque moderne. À quelques exceptions près, notamment lorsqu'il se réfère à la pensée académique ou aux idées de Kang Youwei, Chen Lai utilise le terme ruxue dans cet article.
[Le langage utilisé par Chen Lai est lié à la compréhension de l'histoire chinoise en tant que "réponses" aux "défis" de l'Occident. Ce mode de compréhension est associé aux travaux du sinologue John K. Fairbank et de ses étudiants au milieu du XXe siècle[4].
[Ici et ci-dessous, Chen Lai utilise le terme lunlide jingshen 伦理的精神 ou lunli jingshen 伦理精神, qui fait référence aux domaines éthiques et spirituels dans une compréhension intellectuelle et non religieuse du terme "spirituel". Voir son utilisation par les spécialistes du confucianisme et du nouveau confucianisme, comme Tu Wei-ming, "Hsiung Shih-li's Quest for Authentic Existence", in Charlotte Furth, (ed.) The Limits of Change (Cambridge, Mass. and London : Harvard University Press), 1976.
[5] Chen fait ici référence à ce que l'on appelle en chinois les "trois niveaux de propriété". Ces trois niveaux sont la commune, la brigade de production et l'équipe de production.
[6] John Makeham traduit youhun par "âme perdue" et analyse ce récit dans Lost Soul : "Confucianism" in Contemporary Chinese Academic Discourse (Cambridge : Harvard University Asia Center, 2008).
[7] [Chen Lai] : Mentionné dans les articles suivants : Kang Youwei, "请尊孔圣为国教立教部教会以孔子纪年而废淫祀折" [Un mémorial] pour faire du respect du sage Confucius la religion d'État, établir des églises qui commémorent Confucius et écartent les religions non orthodoxes], "中华救国论" [Sur le salut de la Chine], "孔教会序-一" [Une préface à l'église confucéenne : 1], "孔教会序-二" [Préface de l'Église confucéenne : 2], "以孔教为国教配天议" [L'église confucéenne en tant que religion d'État est conforme à la volonté du ciel], "陕西孔教会讲演" [Un discours à l'église de Shanxi de la congrégation de Confucius], in 康有为政论集 [Les écrits politiques de Kang Youwei]。北京;中华书局,1998.
[8] [Chen Lai] : 梁漱溟,东西文化及其哲学。 北京:商务印书馆,1999, p. 244.
[9] Voir la traduction et l'explication par Tu Wei-ming des méditations de Xiong sur le Livre des changements dans Tu 1976, op. cit.
[10] Chen Lai évoque ces quatre penseurs à la page 44 du texte chinois, dans un langage extrêmement technique qui n'a pas été traduit ici.
[11] Pour Xiong, l'esprit originel détermine la compréhension de la réalité et se trouve dans le flux constant de la grande transformation. C'est l'humanité ren 仁 commune à l'humanité et à toutes choses[12].
[Le Xipi chengbian 翕闢成變 est utilisé pour expliquer comment, par la contraction (xi) et l'expansion (pi), une entité peut se transformer en différents phénomènes au sein de l'esprit. La "contraction" est le processus de focalisation, tandis que l'"expansion" élargit le phénomène pour créer une apparence d'ordre pour l'esprit. Wing-Tsit Chan, cependant, explique la thèse de Xiong comme suit : "La réalité est une transformation perpétuelle, consistant en une 'fermeture' et une 'ouverture', qui sont un processus de production et de reproduction incessant. La "substance originelle" est en perpétuelle transition à chaque instant, émergeant encore et encore, donnant lieu à de nombreuses manifestations. Mais la réalité et la manifestation, ou la substance et la fonction, ne font qu'un. Dans son aspect "fermeture", c'est la tendance à s'intégrer - dont le résultat peut être "temporairement" appelé matière - tandis que dans son aspect "ouverture", c'est la tendance à maintenir sa propre nature et à être son propre maître - dont le résultat peut être "temporairement" appelé esprit. Cet esprit est lui-même une partie de l'"esprit originel" qui, sous ses différents aspects, est esprit, volonté et conscience. Wing-Tsit Chan, A Source Book in Chinese Philosophy (Princeton : Princeton University Press, 1969), p. 763 ; voir sa traduction de Xiong, 765-767.
[13] Voir Jésus Solé-Farràs, New Confucianism in Twentieth-Century China : The Construction of a Discourse, (New York : Routledge 2014), 112. Traduit par Chan 1969, 769-772.
[14] 马一浮, 马一浮集(第一册) 杭州:浙江古籍出版社, 1996, p. 20. [Trans] : Un seul esprit (一心, sanskrit : ekacitta) fait référence à un esprit métaphysique unifié, un concept propre au bouddhisme mahayan.
[15] Wing-Tsit Chan traduit cela par "La nouvelle philosophie rationnelle" dans Chan 1969, 751.
16] L'école Cheng-Zhu ou Cheng-Zhu lixue 程朱理学 désigne la branche centrale du néoconfucianisme incarnée par Zhu Xi, Cheng Yi et Cheng Hao sous la dynastie Song, qui a été adoptée pour les examens d'État impériaux[17].
[L'école Lu-Wang ou Lu-Wang xuepai 陆王学派 désigne l'école de l'esprit Xinxue 心学, représentée par Lu Jiuyuan 陆九渊 et Wang Yangming 王阳明. L'école de l'esprit est devenue populaire sous la dynastie Ming et les universitaires et intellectuels chinois l'ont opposée à l'école du principe lixue 理学.
[18] He Lin 賀麟, 贺麟全集.文化与人生 [The Complete Works of He Lin : Culture and Life], 上海:上海人民出版社, 2011, p. 13.
[19] [Chen Lai] : 李泽厚. 李泽厚学术文化随笔 [Notes de Li Zehou sur l'érudition et la culture] 北京:中国青年出版社, 1998.
[20] Bien que le terme signifie également "civilisation spirituelle", le gouvernement chinois traduit officiellement 精神文明 par "progrès culturel et éthique", comme la Commission centrale pour l'orientation du progrès culturel et éthique l'appelait officiellement 中央精神文明建设指导委员会. Voir Delia Lin, Civilising Citizens in Post-Mao China : Understanding the Rhetoric of Suzhi (New York : Routledge, 2017), p. 132, n. 30.
Source : https://www.readingthechinadream.com/chen-lai-a-century-of-confucianism.html
Traduction : https://novaresistencia.org
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mercredi, 04 octobre 2023
Pierre Pascal, un intellectuel brillant entre l'Occident et le Japon
Pierre Pascal, un intellectuel brillant entre l'Occident et le Japon
Luca Valentini
Source: https://www.paginefilosofali.it/pierre-pascal-un-geniale-intellettuale-tra-occidente-e-giappone-luca-valentini/
"Rome du soleil et du silence, Rome sacrée et sainte, que le galop incessant des hommes motorisés, avec ses vibrations sans fin, détruit plus sûrement que la pluie, au point de saper les fondements de tout ce qui reste encore anachronique dans un monde, rendu fou par l'actualité, mais de plus en plus inconscient de la valeur du Temps, dont la finalité absolue n'est autre que l'Eternité" (1).
Pierre Pascal (Mons-en-Barœul, 16 avril 1909 - Rome, 13 janvier 1990), poète sublime, fin intellectuel et profond connaisseur de la culture traditionnelle, peut être considéré comme l'un des exemples lumineux du 20ème siècle, où la dimension spirituelle a pu se réaliser dans une pragmatique expérimentale courageuse, reliant des courants d'âme et des cultures apparemment différents. Ses études juridiques interrompues, en effet, ne l'empêchèrent pas, par son inscription à la Sorbonne, puis sa fréquentation de l'Institut des langues orientales de Paris, de s'éprendre du monde lointain et ancestral de l'Extrême-Orient comme de la maturation d'un archétype dont il s'était toujours inspiré, tout au long de son existence, celui de la Rome éternelle. Engagé sur le front nationaliste en France puis en Italie pendant la dernière guerre mondiale, il n'a pas manqué d'exprimer avec lyrisme sa subtile proximité avec la mantique extatique et guerrière, qu'il partageait avec deux grands représentants de l'âme profonde de toujours du 20ème siècle, Gabriele D'Annunzio et Yukio Mishima.
Une des rares photos de Pierre Pascal, lors de son long exil romain.
La première biographie que lui a consacrée l'écrivain Gabriella Chioma, originaire de La Spezia, qui a récemment publié Pierre Pascal, lettres à une dame - entre Occident et Japon chez Novantico Editrice, s'inscrit dans ces lignes de vie. Le texte que nous avons le plaisir de présenter aux lecteurs de Pagine Filosofali se concentre sur une épistolaire corpulente - plus de 400 missives - d'une dame anonyme, qui permet à l'auteur de reconstruire la double expérience spirituelle de Pascal, entre l'âme occidentale et l'âme japonaise, sous le signe de la dédicace initiale que Chioma elle-même adresse au génie français :
"A Pierre Pascal, Combattant de la plume et de l'épée sur le Front de l'Esprit...".
Un an avant sa démobilisation de l'armée française en 1934, il est le fondateur de la revue littéraire "I quaderni di Eurydice" (2), qui lui permet de s'affirmer dans le monde culturel et littéraire parisien, en ayant toujours comme pivot d'inspiration la rencontre fatale avec Charles Maurras et le domaine de l'épopée archaïque, dans une union mystérieuse entre le politique et le sacré, qui le conduira à écrire et à publier la fameuse "Ode à la troisième Rome" en 1935 aux Editions du Trident. Comme le souligne Chioma, son lyrisme a déterminé un plan d'action traditionnel et pédagogique, ne se limitant pas à l'abstraction ou à l'art comme moyen d'expression personnelle, dans une simple production sans fondement :
"L'exercice poétique est devenu - et est resté jusqu'à la fin - une arme idéale pour lutter contre toute forme de barbarie, de dégénérescence et de vulgarité, en stigmatisant en particulier la décadence et l'hypocrisie de notre époque" (3).
Cette disposition le conduit (4) d'abord à fréquenter l'appartement parisien de René Guénon (en 1928, sur présentation de Pierre-Noël de la Houssaye), par lequel il entre ensuite en contact avec Julius Evola. Alors que la relation avec le premier fut interrompue par la conversion à l'islam du traditionaliste français qui s'était installé au Caire, Pascal, fervent catholique, malgré la différence religieuse encore plus marquée, établit avec Evola une relation qui s'avérera de plus en plus solide au fil du temps, jusqu'à la mort d'Evola en 1974.
C'est à cette relation privilégiée que l'auteur a consacré un chapitre spécifique de l'ouvrage en référence, capturant, de notre point de vue, toute l'unicité d'une vision traditionnelle de la vie et du sacré, qui peut également surmonter d'amères différences religieuses. Critique, pour des raisons évidentes, du texte d'Evola sur l'Impérialisme païen, dans sa dénonciation des catabases de la civilisation moderne, l'intellectuel et philosophe français y a cependant trouvé une Weltanschauung de référence commune:
"C'est donc cette vision du monde qui unit les deux grandes personnalités, unies aussi en vivant leur propre exceptionnalisme et leurs propres choix idéologiques, de manière autochtone, hors du cadre d'un régime" (5).
Deux autres rencontres extraordinaires de Pierre Pascal doivent être mentionnées et racontées, et Gabriella Chioma les aborde dans son texte avec ponctualité et profondeur : il s'agit de ses rencontres spirituelles avec Edgar Allan Poe et avec Yukio Mishima.
Si la rencontre avec l'écrivain américain du 19ème siècle a été pour Pascal "un gigantesque labyrinthe de poésie, de clés ésotériques de l'histoire littéraire" (6), à travers lequel une âme inébranlable, religieusement inébranlable en elle-même, a cherché le fondement de sa propre existence dans la recherche documentaire tourbillonnante et incessante, inhérente à un artiste dont la personnalité inquiète a pénétré le poète français et lui a ouvert le monde, il n'en reste pas moins qu'elle a été une source d'inspiration pour l'auteur. Le monde de l'astrologie, entre autres, mais aussi la fréquentation d'auteurs comme René Quinton ou des rencontres manquées comme celle d'Alain de Benoist, défini sans grand espoir comme "darwinien, gramscien, brutalement antiromain" (7).
L'âme orientale, extrême-orientale, s'est réveillée chez Pascal à l'occasion de sa rencontre fatidique avec Yukio Mishima, avec lequel il était lié à la fois par une enfance problématique commune et par une répulsion commune des sociétés, occidentale et orientale, dans lesquelles leurs existences respectives s'inscrivaient. Comme le rapporte Gabriella Chioma, à partir d'un document de 1980, le poète français lui-même était conscient du fait qu'il n'y a pas de hasard et la vie est une rencontre" (8), dans le contexte d'une hypersensibilité qui réunissait l'âme la plus profonde et la plus héroïque du Japon avec un membre estimé de l'Académie impériale de la "Forêt des pinceaux". Une amitié durable et solide est née, qui n'a été interrompue que par le harakiri de Mishima, mais qui a perduré grâce à cette mystérieuse union dialectique qu'ils avaient tous deux avec la vie, entre l'Occident, expression de Rome, et le Japon du soleil radieux, expression du même archétype métaphysique. Ce point commun subtil a permis à Gabriella Chioma de dessiner magistralement la personnalité de deux grands samouraïs de l'Esprit. C'est là que réside l'essence d'un texte qui, grâce également à la préface et à la postface de Federico Prizzi, rapproche émotionnellement le lecteur de l'un des plus ingénieux investigateurs de la Tradition du XXe siècle, Pierre Pascal :
"Comme la fleur de cerisier est la fleur sublime, l'homme par excellence est le Samouraï" (9).
Notes :
1 - Pierre Pascal, le poète français chanteur de la Troisième Rome, in Carmine Starace, Panorama de la littérature française d'après-guerre, in Rassegna Nazionale, mai 1938 ;
2 - Gabriella Chioma, Pierre Pascal, lettere ad una Signora, Novantica Editrice, Cantalupa (TO) 2023, p. 35 ;
3 - Ibid, p. 45 ;
4 - Ibid, p. 46 ;
5 - Ibid, p. 70 ;
6 - Ibid, p. 90 ;
7 - Ibid, p. 97 ;
8 - Ibid, p. 127, note 135 ;
9 - Ibid, p. 136.
Luca Valentini
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jeudi, 28 septembre 2023
Trois méditations sur Charles de Foucauld
Trois méditations sur Charles de Foucauld
par André Murawski
Il est des hommes dont la vie édifie leurs contemporains et jusqu’aux générations suivantes. La vie et les gestes de ces hommes peuvent être légendaires. Ils peuvent être exemplaires. Ils sont toujours héroïques, suivant toutes les déclinaisons de l’héroïsme. On songe à Plutarque écrivant les Vies parallèles. On songe aux nombreux recueils intitulés DE VIRIS ILLUSTRIBUS, ces vies des hommes illustres où se sont essayés tant d’auteurs, de l’Antiquité au XIXe siècle, de Cornelius Nepos à Victor Espitallier, de Suétone à l’abbé Lhomond, de Jérôme de Stridon à Isidore de Séville. Il est des hommes dont la vie appelle la méditation.
Charles de Foucauld est un de ces hommes-là. Né le 15 septembre 1858, il mourut assassiné le 1er décembre 1916, à l’âge de 58 ans. 58 années pendant lesquelles on peut affirmer qu’il vécut plusieurs vies. Sur le plan professionnel d’abord où il fut tour à tour officier de cavalerie, explorateur, puis religieux catholique. Sur le plan intellectuel ensuite où il fit œuvre de géographe avant de devenir linguiste. Sur le plan spirituel enfin où, croyant fervent dans l’enfance, il s’éloigna de la religion et devint agnostique, avant de suivre son chemin de Damas, se convertir à la foi catholique, devenir prêtre, puis ermite et mourir en martyr en terre d’islam.
Cette vie extraordinaire suggère de nombreuses méditations. L’une d’elles pourrait porter sur la manifestation de la Grâce qui permit à cet homme égaré de revenir progressivement à Dieu. Une autre pourrait considérer les différences entre la doctrine sociale de l’Eglise et le volontarisme colonialiste en France sous la IIIe République. Une autre encore nous inviterait à réfléchir à la réalité du choc des civilisations, permanente et impitoyable.
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PREMIERE MEDITATION : Touché par la Grâce, Charles de Foucauld donna une nouvelle dimension à sa vie.
La famille de Foucauld était issue de vieille noblesse française, et pouvait s’enorgueillir de plusieurs ancêtres ayant participé aux Croisades, ainsi que d’un arrière-grand-oncle de Charles qui avait été parmi les victimes des massacres de septembre pendant la Révolution. A l’âge de 5 ans 1/2, l’enfant perdit sa mère, puis son père et, bientôt, sa grand-mère paternelle, et ce sont ses grands-parents maternels, ainsi que sa tante et des cousines qui prirent soin de sa sœur et de lui.
Cet orphelinat précoce pesa-t-il sur la santé physique et psychologique de Charles ? Bon élève, il commença à s’éloigner de la foi vers 15 ans, en 1873, et cette période dura près de 12 ans. Il s’en ouvrit à un ancien compagnon d’armes, Henry de Castries, dans une lettre du 14 août 1901 : « Je demeurais douze ans sans rien nier et sans rien croire, désespérant de la vérité et ne croyant même pas en Dieu. (…) Je vivais comme on peut vivre quand la dernière étincelle de foi est éteinte[1]. » Au cours de cette période, il mena une vie dissipée et, même, dissolue, bien qu’il réussît le concours de Saint-Cyr et devint officier de cavalerie. Cependant, Charles de Foucauld ayant multiplié les frasques, l’armée finit par le placer temporairement en position « hors cadre ».
En ce temps-là, l’Eglise catholique définissait la Grâce comme « un don surnaturel que Dieu nous accorde, à cause des mérites de Jésus Christ, pour nous aider à faire notre salut[2]. » On distinguait la Grâce actuelle, secours passager envoyé par Dieu à l’âme pour l’aider à éviter le mal et à faire le bien, et la Grâce habituelle qui « demeure en notre âme et la rend juste et sainte aux yeux de Dieu[3]. »
De multiples Grâces successives furent-elle envoyées à Charles de Foucauld ? Un premier changement intervint dans sa vie quand il apprit que son régiment avait été engagé pour réprimer une insurrection dans le Sud-Oranais. Réintégré à sa demande, il fit campagne pendant 6 mois au cours desquels il se révéla un bon officier, soucieux de ses hommes.
Ayant ressenti l’appel du désert, il démissionna de l’armée pour explorer le Maroc, pays alors fort mal connu des chrétiens qui ne pouvaient s’y rendre sous peine de mort. Se faisant passer pour juif, Charles de Foucauld commença le 10 juin 1883 un périple qui dura onze mois à l’issue desquels il reçut la médaille d’or de la société de géographie de Paris pour la qualité de ses travaux. Il explora ensuite le Sahara en Algérie entre septembre 1885 et février 1886. Oscar Mac Carthy, conservateur de la bibliothèque d’Alger, fit l’éloge de ce travail dans une lettre au secrétaire de la Société de Géographie de Paris : « Faites à M. de Foucauld les honneurs de la Société de Géographie de Paris ; il les mérite sous tous les rapports ; on a rarement, bien rarement, aussi longtemps et aussi bien travaillé[4] ».
Rentré en France, il subit l’influence de sa cousine, Marie de Bondy, et rencontra l’abbé Huvelin, célèbre confesseur qui allait œuvrer à sa conversion. Charles de Foucauld entama alors un long chemin fait de mortifications et de recherche de perfection chrétienne. Lisant les Pères du désert, méditant les Evangiles et l’exemple du Christ, visitant les Ordres religieux et la Terre Sainte, il confessa à Henry de Castries, dans une lettre du 14 août 1901 : « Je me suis dit… Que peut-être cette religion n’était pas absurde ; en même temps, une grâce intérieure extrêmement forte me poussait ; je me mis à aller à l’église, sans croire, ne me trouvant bien que là et y passant de longues heures à répéter cette étrange prière : Mon dieu, si Vous existez, faîtes que je Vous connaisse[5]. »
Ordonné prêtre le 9 juin 1901, il retourna en Algérie afin d’y mener finalement une vie érémitique à Tamanrasset à partir de 1905. Il s’en était expliqué auprès de son confesseur et directeur de conscience, l’abbé Huvelin, dans une lettre du 7 mai 1900 : « Je vous ai écrit d’Akbès ce que j’entrevoyais pour moi : mener avec quelques compagnons la vie de la Sainte Vierge dans les mystères de la Visitation : c’est-à-dire sanctifier les peuples infidèles des pays de mission en portant au milieu d’eux, en silence, sans prêcher, Jésus dans le Saint-Sacrement et la pratique des vertus évangéliques[6] ». Mais les conceptions du Père de Foucauld, qui étaient aussi celles de l’Eglise catholiques, allaient se heurter à la conception républicaine de la colonisation.
DEUXIEME MEDITATION : Le progressisme républicain triomphant face à l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique.
Les gouvernements de l'époque du mercantilisme jusqu’à la Révolution française avaient ajouté à l’apostolat les besoins du commerce pour justifier le colonialisme du point de vue moral. Mais dans la France de la IIIe République, de nouvelles doctrines de nature impérialiste étaient apparues. Certains adaptèrent les théories de Darwin à l’expansionnisme qui devint alors un fait « naturel » : « il en est des nations comme des espèces et des individus ; l’élimination des peuples arriérés par les peuples évolués et à leur profit est en dernière analyse bénéfique à l’ensemble de l’humanité[7] ».
Une philosophie de la colonisation fut associée à des théories économiques. Par exemple, l’économiste Paul Leroy-Beaulieu écrivait que « les capitalistes courent (…) de moindres risques dans les colonies qui sont des prolongements de la métropole[8] ». Sur le plan politique, la plupart des républicains français cultivaient à l’égard des populations indigènes des sentiments tranchés. On sait l’engagement très fort de Jules Ferry en faveur de la colonisation, là où les conservateurs français, mais aussi la gauche de Clémenceau, y étaient hostiles. La considération dans laquelle Jules Ferry tenait les peuples colonisés était peu fraternelle, si l’on en juge par le célèbre discours qu’il prononça le 28 juillet 1885 devant la Chambre des députés, dont le compte rendu des débats indique notamment : « Monsieur Jules Ferry : Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. » Et plus loin : « Monsieur Jules Ferry : Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… (Marques d’approbation sur les mêmes bancs à gauche – Nouvelles interruptions à l’extrême-gauche et à droite). »
Sur le plan religieux, l’évangélisation des indigènes qui s’est faite parallèlement à la colonisation a pu donner l’impression d’une collusion entre les missionnaires et les colonisateurs. C’est oublier qu’en France, la IIIe République a été fort peu favorable à l’Eglise catholique, et que les administrateurs coloniaux étaient le plus souvent francs-maçons[9]. Depuis l'avènement de la République en 1871, l’administration française était opposée à la conversion des musulmans, et Monseigneur Lavigerie, ardent partisan de la conquête des âmes, était regardé avec suspicion[10]. Dans une lettre du 22 novembre 1907 à l’abbé Hugelin, le Père de Foucauld déplorait la situation issue de cette politique : « Ce que voient les indigènes, de nous, chrétiens, professant une religion d’amour, ce qu’ils voient des Français incroyants criant sur les toits fraternité, c’est négligence, ou ambition, ou cupidité – et chez presque tous, hélas, indifférence, aversion et dureté[11] ».
Loin des considérations d’ordre économique, stratégique ou humanitaire, le Père de Foucauld défendait un point de vue catholique et fort différent : « Pour les musulmans, c’est affaire de longue haleine. Il faut faire d’eux intellectuellement et moralement nos égaux, ce qui est notre devoir[12]. » Il expliqua ses conceptions à sa cousine, Marie de Bondy, dans une lettre du 7 janvier 1902 : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres, à me regarder comme leur frère universel. Ils commencent à appeler la maison « la fraternité » (la Khaoua, en arabe) et cela m’est doux[13] ».
Ouverture chrétienne du cœur contre intérêts bien pensés. Toute la différence entre la doctrine sociale de l’Eglise et le colonialisme de la IIIe République apparaît quand on confronte les deux discours. Mais la doctrine sociale de l’Eglise pouvait-elle rencontrer un écho au sein de la civilisation de l’islam ? Peut-être le Père de Foucauld en doutait-il quand il exposa ses conceptions dans sa « Règle » de juin 1896 : « 1° Reproduire aussi fidèlement que possible la vie de Notre Seigneur Jésus Christ à Nazareth. 2° Mener cette vie en pays infidèles, musulmans ou autres, par amour pour Notre-Seigneur, dans l’espoir de donner notre sang pour son nom[14] ».
TROISIEME MEDITATION : Le choc des civilisations ne distingue pas entre les individus.
Le concept de choc des civilisations s’est imposé peu à peu après la parution, en 1996, de l’ouvrage éponyme de Samuel Huntington, professeur à l’université d’Harvard et expert auprès du Conseil national américain de sécurité sous l’administration Carter. Dans ce livre, Samuel Huntington considère que le monde bipolaire issu de la guerre froide et de l’affrontement Est-Ouest est devenu multipolaire, et que les oppositions idéologiques se sont effacées pour céder la place à des oppositions culturelles, c’est-à-dire principalement religieuses et, en partie, ethniques.
Selon Huntington, au XIXe siècle, « les Européens ont déployé beaucoup d’énergie intellectuelle, diplomatique et politique à concevoir des critères servant à évaluer si les sociétés non occidentales étaient assez « civilisées » pour être acceptées comme membres du système international dominé par l’Europe[15] ». Huntington précise que « civilisation et culture se réfèrent à la manière de vivre en général[16] », et que « une civilisation représente l’entité culturelle la plus large[17] ». Mais qu’en est-il des chocs ? Evoquant la bataille de Lépante, Fernand Braudel les a décrits d’une façon imagée en notant « ces chocs sourds, violents, répétés, que se portent les bêtes puissantes que sont les civilisations[18] ». Et ce sont en effet des « chocs » que se sont portés dans l'histoire l’islam et la chrétienté, de la première conquête arabe à la bataille de Poitiers, des Croisades à la chute de Constantinople, de la Reconquista à l’occupation turque de la Hongrie, de la libération de Vienne par Jean III Sobieski à la colonisation de l’Algérie.
Le choc des civilisations se manifesta en Algérie dès le début de l’administration française. Une politique d’assimilation impliquait que les indigènes soient soumis au code civil français. Or, l’islam donnait aux musulmans « un statut personnel relavant des lois coraniques : pour devenir des citoyens français, il aurait fallu qu’ils consentissent à y renoncer[19] ». Bien peu se souviennent que la France de Napoléon III avait offert la nationalité française aux Algériens, dans un sénatus-consulte de 1865 dont l’article 1er était ainsi rédigé : « L’indigène musulman est Français ; néanmoins, il continuera d’être régi par la loi musulmane. Il peut être appelé à des fonctions et emplois en Algérie. Il peut sur sa demande être admis à jouir des droits de citoyen Français, en étant régi par les lois civiles et politiques de la France[20] ».
« Mais les musulmans tinrent à rester eux-mêmes. En cinq ans il y eut seulement 250 demandes d’accession à la citoyenneté française ! Et, entre 1865 et 1899, il n’y eut que 1131 naturalisations, les demandes d’accession à la citoyenneté française émanant essentiellement de militaires de carrière[21] ». A titre de comparaison, quand, « en 1870, le décret Crémieux accorda la citoyenneté française aux Israélites, ceux-ci se conformant au code civil français, il y eut 37000 bénéficiaires[22] ». Et c’est parce que les musulmans choisirent de rester eux-mêmes que la généreuse initiative du Père de Foucault échoua finalement devant le choc des civilisations, entraînant la mort du bâtisseur de la Khaoua, de la Fraternité.
Le Père de Foucauld était lucide. Il connaissait la force de l’islam, comme il le narra à Henry de Castries le 8 juillet 1901 : « L’islam a produit en moi un profond bouleversement. La vue de cette foi, de ces hommes vivant dans la continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines… Je me suis mis à étudier l’Islam, puis la Bible[23] ». Il pria sans doute souvent, ainsi qu’il l’écrivit dans son « Diaire », le 17 mai 1904 : « Je vous recommande de toute mon âme la conversion des Touaregs ; je vous offre ma vie pour eux, la conversion du Maroc, des peuples du Sahara, de tous les infidèles[24] ». Pourtant, il était sans illusions et le fit savoir à Marie de Bondy, le 7 septembre 1915 : « Il y aura demain dix ans que je dis la messe à Tamanrasset, et pas un seul converti ![25] »
Peut-on rendre l’homme différent de ce que sa nature fait de lui ? Tout au long de son ermitage, le Père de Foucauld avait entretenu des relations de respect mutuel avec les populations locales, allant jusqu’à faire œuvre de linguiste notamment dans ses études sur la langue des Touaregs, et il jouissait de l’estime et de la considération des autochtones. Mais en juin 1916, une grande partie de la population du Sahara et du Sahel se souleva contre les Français. Le 1er décembre 1916, un Touareg connu du Père de Foucault trahit sa confiance et permit à des Senoussistes d’investir le fortin où il était réfugié. C’est pendant le pillage que le Père de Foucauld fut tué d’une balle dans la tête, sans que les circonstances de sa mort n’aient jamais été clairement établies. Le capitaine de la Roche laissa le récit de ce qu’il trouva à son arrivée à l’ermitage, le 21 décembre 1916 : « Les assassins avaient emporté tout ce qui avait pour eux quelque valeur. Par terre gisait dans un désordre indescriptible ce qu’ils avaient dédaigné – quelques livres, un chemin de croix fait de planchettes, le chapelet du Père et un petit ostensoir qui semblait encore contenir l’hostie[26]. »
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Quand le choc des civilisations se réalise, les ennemis ne témoignent d’aucun respect ni pour les hommes, ni pour leur culture, ni pour les symboles de leur foi. Après la mort du Père de Foucault, ses amis Touaregs entrèrent en dissidence contre l’armée française. On peut être édifié par la vie de Charles de Foucault. On doit aussi tirer une leçon de sa mort.
Notes:
[1] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966
[2] Auguste Boulenger, La doctrine catholique, Clovis, 2021
[3] Ibid
[4] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966
[5] Ibid
[6] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966
[7] Encyclopaedia universalis, Colonialisme et anticolonialisme, Editions Encyclopaedia Universalis, 1980
[8] Ibid
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Missions_catholiques_aux_XIXe_et_XXe_si%C3%A8cles#Le_fait_colonial
[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Missions_catholiques_aux_XIXe_et_XXe_si%C3%A8cles#Le_cardinal_Lavigerie_et_les_P%C3%A8res_blancs
[11] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966
[12] André Castelot, L’Almanach de l’histoire, Perrin, 1962.
[13] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966
[14] Ibid
15] Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 1997
[16] Ibid
[17] Ibid
[18] Renaissance catholique, Le choc des civilisations, Contretemps, 2009
[19] Claude Sicard, Le face-à-face islam-chrétienté, François-Xavier de Guibert, 2008
[20] Ibid
[21] Ibid
[22] Idid
[23] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966
[24] Ibid
[25] Ibid
[26] Ibid.
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samedi, 23 septembre 2023
Tyrannie humanitaire: René Guénon et la monstruosité occidentale
Tyrannie humanitaire: René Guénon et la monstruosité occidentale
Nicolas Bonnal
La civilisation occidentale devient totalement dégoûtante aux yeux du monde et des antisystèmes. Elle déraille sur le plan spirituel, économique, écologique, culturel, sexuel, elle est toujours plus folle et belliqueuse, humanitaire et missionnaire, arrogante et psychopathe. Problème : elle a souvent été comme ça pendant son histoire. Voyez le texte de mon ami Guyénot sur l’esprit de croisade et les réflexions de nos amis russes qui ont remplacé les nazis allemands dans l’esprit des toqués aux affaires euro-américaines.
J’avais déjà écrit un texte sur Guénon et notre civilisation hallucinatoire : dans leur histoire en effet les Occidentaux paraissent souvent sous hypnose. Ils sont hypnotisés par des mots (science, progrès, droits, etc.) par le fric, l’hérésie, la luxure, puis par la mission et par la guerre.
J’ai décidé depuis de rependre le même admirable livre de René Guénon, Orient et Occident (1924) pour tenter de voir avec ce grand traditionaliste ce qui ne va pas depuis si longtemps, et ce qu’il faudrait faire.
Guénon est plus optimiste que moi : il écrivait il y a un siècle. Depuis l’Occident et en particulier l’Amérique a conquis le monde par sa technique, son fric et sa technologie, ses images, ses virus et son informatique, ses marottes et sa porcherie. Mais comme on voit enfin se profiler une résistance sur fond d’effondrement voulu et provoqué par un consortium de milliardaires devenus fous et possédés (cf. les dibbouks du folklore juif que citait récemment Howard Kunstler dans un texte hélas incompris), et que cette résistance concerne des pays au profil traditionnel guénonien (Inde, Chine, monde arabe) je me suis dit qu’il serait bon de partager avec mes lecteurs les réflexions de Guénon sur l’anomalie occidentale qui éclate au grand jour au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Le texte va être assez long et il serait dommage de s’en lasser trop tôt.
Guénon donc (première partie d’Orient et Occident) :
« La civilisation occidentale moderne apparaît dans l’histoire comme une véritable anomalie : parmi toutes celles qui nous sont connues plus ou moins complètement, cette civilisation est la seule qui se soit développée dans un sens purement matériel, et ce développement monstrueux, dont le début coïncide avec ce qu’on est convenu d’appeler la Renaissance, a été accompagné, comme il devait l’être fatalement, d’une régression intellectuelle correspondante… »
Chez Guénon intellectuel désigne en fait le spirituel théologique, la capacité de parler sérieusement de Dieu et du monde spirituel. A l’époque cela décline déjà (mais en relisant Huizinga, on découvrirait que le quatorzième siècle n’était déjà pas très brillant). Guénon rajoute :
« Nous rappellerons seulement que Descartes a limité l’intelligence à la raison, qu’il a assigné pour unique rôle à ce qu’il croyait pouvoir appeler métaphysique de servir de fondement à la physique, et que cette physique elle-même était essentiellement destinée, dans sa pensée, à préparer la constitution des sciences appliquées, mécanique, médecine et morale, dernier terme du savoir humain tel qu’il le concevait… »
Tout cela se manifeste en Occident, ce côté de l’obscurité, et va se radicaliser avec l’utopie américaine réalisée bien décrite par Boorstyn, Baudrillard ou Watzlawick. Guénon écrit que « mentalement aussi bien que géographiquement, l’Amérique actuelle est vraiment l’« Extrême-Occident » ; et l’Europe suivra, sans aucun doute, si rien ne vient arrêter le déroulement des conséquences impliquées dans le présent état des choses. »
Ensuite le problème important que soulève Guénon est celui de civilisation élue. Cette civilisation occidentale hérétique, scientifique et technique se sent élue (ce qui explique sa violence et l’incroyable interventionnisme US) :
« Mais ce qu’il y a peut-être de plus extraordinaire, c’est la prétention de faire de cette civilisation anormale le type même de toute civilisation, de la regarder comme « la civilisation » par excellence, voire même comme la seule qui mérite ce nom. C’est aussi, comme complément de cette illusion, la croyance au « progrès »
Citant un excellent texte de l’historien Jacques Bainville, Guénon écrit :
« La civilisation, c’était donc le degré de développement et de perfectionnement auquel les nations européennes étaient parvenues au XIXe siècle. Ce terme, compris par tous, bien qu’il ne fût défini par personne, embrassait à la fois le progrès matériel et le progrès moral, l’un portant l’autre, l’un uni à l’autre, inséparables tous deux. »
Nous découvrons (c’est la fameuse théorie de la conspiration conspuée partout et menacée par le néo-totalitarisme ambiant) que l’on nous a menti sur nous (croisades, lune, guerres, épidémies, etc.) ; or Guénon le dit déjà très bien :
« Il faut convenir que l’histoire des idées permet de faire parfois des constatations assez surprenantes, et de réduire certaines imaginations à leur juste valeur ; elle le permettrait surtout si elle était faite et étudiée comme elle devrait l’être, si elle n’était, comme l’histoire ordinaire d’ailleurs, falsifiée par des interprétations tendancieuses, ou bornée à des travaux de simple érudition, à d’insignifiantes recherches sur des points de détail. L’histoire vraie peut être dangereuse pour certains intérêts politiques ; et on est en droit de se demander si ce n’est pas pour cette raison que certaines méthodes, en ce domaine, sont imposées officiellement à l’exclusion de toutes les autres : consciemment ou non, on écarte a priori tout ce qui permettrait de voir clair en bien des choses, et c’est ainsi que se forme l’« opinion publique ».
Cela ressemble bien à la guerre occulte décrite par Julius Evola dans les Hommes au milieu des ruines. Nietzsche a très bien écrit à ce sujet dans sa deuxième considération actuelle sur l’Histoire : l’historien est un journaliste qui adapte au goût trivial du jour les temps anciens que l’on ne comprend pas ou plus.
On reprend sur la capacité hallucinatoire occidentale :
« Certes, « le Progrès » et « la Civilisation », avec des majuscules, cela peut faire un excellent effet dans certaines phrases aussi creuses que déclamatoires, très propres à impressionner la foule pour qui la parole sert moins à exprimer la pensée qu’à suppléer à son absence ; à ce titre, cela joue un rôle des plus importants dans l’arsenal de formules dont les « dirigeants » contemporains se servent pour accomplir la singulière œuvre de suggestion collective sans laquelle la mentalité spécifiquement moderne ne saurait subsister bien longtemps. »
Guénon enfonce plus le clou :
« Sans doute, le pouvoir des mots s’est déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes. »
Puis il souligne le caractère moraliste aberrant (Nietzsche parle d’hystérie féminine chez l’Occidentale moderne dans Par-delà le bien et le mal : voyez la septième partie intitulée Nos vertus) qui progresse avec le culte du fric et du profit :
« Développement matériel et intellectualité pure sont vraiment en sens inverse ; qui s’enfonce dans l’un s’éloigne nécessairement de l’autre… »
On bascule dans le sentimentalisme guerrier (Todd en a bien parlé dans Après l’Empire quand il oppose la « femme castratrice américaine » à l’islam) puis dans le « zen emballé sous vide » (Debord) et le mysticisme de drugstore :
« En fait, matérialité et sentimentalité, bien loin de s’opposer, ne peuvent guère aller l’une sans l’autre, et toutes deux acquièrent ensemble leur développement le plus extrême ; nous en avons la preuve en Amérique, où, comme nous avons eu l’occasion de le faire remarquer dans nos études sur le théosophisme et le spiritisme, les pires extravagances « pseudo-mystiques » naissent et se répandent avec une incroyable facilité, en même temps que l’industrialisme et sa passion des « affaires » sont poussés à un degré qui confine à la folie ; quand les choses en sont là, ce n’est plus un équilibre qui s’établit entre les deux tendances, ce sont deux déséquilibres qui s’ajoutent l’un à l’autre et, au lieu de se compenser, s’aggravent mutuellement… »
Dans son livre sur l’impérialisme (livre annoté et cité par Lénine dans l’Impérialisme…), Hobson remarque « l’inconsistance » occidentale. Le caractère américain, brutal et pleurnichard, dans Apocalypse now sous la plume du savant John Milius cela donne : « on les bombardait puis on leur amenait des pansements » et même des missionnaires... Guénon sur la question :
« Ainsi, le « moralisme » de nos contemporains n’est bien que le complément nécessaire de leur matérialisme pratique : et il serait parfaitement illusoire de vouloir exalter l’un au détriment de l’autre, puisque, étant nécessairement solidaires, ils se développent tous deux simultanément et dans le même sens, qui est celui de ce qu’on est convenu d’appeler la « civilisation ».
Guénon qui ne déteste pas Voltaire (il a bien raison, la fin « turco-musulmane » de Candide est un chef-d’œuvre d’intelligence et de vraie tolérance) ajoute :
« D’ailleurs, ce qui est encore beaucoup plus simple, ils s’empressent ordinairement d’oublier la leçon de l’expérience ; tels sont ces rêveurs incorrigibles qui, à chaque nouvelle guerre, ne manquent pas de prophétiser qu’elle sera la dernière. Au fond, la croyance au progrès indéfini n’est que la plus naïve et la plus grossière de toutes les formes de l’« optimisme »
Tout cela nous rapproche d’Audiard et de celui qui ose tout (notion inspirée comme on sait tous par Saint-Thomas d’Aquin…). On sait que l’Occident a gagné sa guerre contre la Russie (vous ne le lui enlèverez pas de la tête) et déjà gagné contre la Chine. Guénon :
« Le monde moderne a proprement renversé les rapports naturels des divers ordres ; encore une fois, amoindrissement de l’ordre intellectuel (et même absence de l’intellectualité pure), exagération de l’ordre matériel et de l’ordre sentimental, tout cela se tient, et c’est tout cela qui fait de la civilisation occidentale actuelle une anomalie, pour ne pas dire une monstruosité. »
L’obsession du changement est subtilement dénoncée : on aurait pu crever en vieux blancs bien tranquilles et fainéants ; mais non, nos élites conduites par Strong ou Kissinger ont voulu nous exterminer et appellent cela un énième changement ; Philippe Muray avec qui j’en avais parlé l’avait bien compris.
« Ce que les Occidentaux appellent progrès, ce n’est pour les Orientaux que changement et instabilité ; et le besoin de changement, si caractéristique de l’époque moderne, est à leurs yeux une marque d’infériorité manifeste : celui qui est parvenu à un état d’équilibre n’éprouve plus ce besoin, de même que celui qui sait ne cherche plus. »
Puis Guénon devient presque trivial (Guénon, trivial ?!) : ce que l’Orient voudrait c’est qu’on lui foute la paix !
« Mais qu’on se rassure : rien n’est plus contraire à leur nature que la propagande, et ce sont là des soucis qui leur sont parfaitement étrangers ; sans prêcher la « liberté », ils laissent les autres penser ce qu’ils veulent, et même ce qu’on pense d’eux leur est fort indifférent. Tout ce qu’ils demandent, au fond, c’est qu’on les laisse tranquilles ; mais c’est ce que refusent d’admettre les Occidentaux, qui sont allés les trouver chez eux, il ne faut pas l’oublier, et qui s’y sont comportés de telle façon que les hommes les plus paisibles peuvent à bon droit en être exaspérés ».
A la même époque Bernanos comprend que l’homme égal c’est l’homme pareil (voyez mes textes sur la France – la pauvre ! – contre les robots). Guénon écrit… pareillement :
« L’« égalité » si chère aux Occidentaux se réduit d’ailleurs, dès qu’ils sortent de chez eux, à la seule uniformité ; le reste de ce qu’elle implique n’est pas article d’exportation et ne concerne que les rapports des Occidentaux entre eux, car ils se croient incomparablement supérieurs à tous les autres hommes, parmi lesquels ils ne font guère de distinctions… »
C’est vrai que pour l’Américain et ses mille milliards de dollars de déficit commercial tout devient article d’exportation, même la drogue qui rend zombi.
Chose amusante, l’Occidental exige qu’on l’admire :
« Les Européens ont une si haute opinion de leur science qu’ils en croient le prestige irrésistible, et ils s’imaginent que les autres peuples doivent tomber en admiration devant leurs découvertes les plus insignifiantes… »
A côté de cela notre crétin est repentant et exige d’être remplacé. Guénon explique pourquoi :
« L’orgueil, en réalité, est chose bien occidentale; l’humilité aussi, d’ailleurs, et, si paradoxal que cela puisse sembler, il y a une solidarité assez étroite entre ces deux contraires : c’est un exemple de la dualité qui domine tout l’ordre sentimental, et dont le caractère propre des conceptions morales fournit la preuve la plus éclatante, car les notions de bien et de mal ne sauraient exister que par leur opposition même. En réalité, l’orgueil et l’humilité sont pareillement étrangers et indifférents à la sagesse ».
Les complexes de la personnalité occidentale étaient résumés finalement par la formule de Victor Hugo (génie qui pouvait écrire n’importe quelle ineptie à côté de n’importe quel trait juste) : « je suis une force qui va ! » Guénon :
« Ce changement où il est enfermé et dans lequel il se complaît, dont il n’exige point qu’il le mène à un but quelconque, parce qu’il en est arrivé à l’aimer pour lui-même, c’est là, au fond, ce qu’il appelle « progrès », comme s’il suffisait de marcher dans n’importe quelle direction pour avancer sûrement ; mais avancer vers quoi, il ne songe même pas à se le demander… »
L’Occidental c’est la « recherche » (défense de se moquer de Proust !) :
« Le goût maladif de la recherche, véritable « inquiétude mentale » sans terme et sans issue, se manifeste tout particulièrement dans la philosophie moderne, dont la plus grande partie ne représente qu’une série de problèmes tout artificiels, qui n’existent que parce qu’ils sont mal posés, qui ne naissent et ne subsistent que par des équivoques soigneusement entretenues ; problèmes insolubles à la vérité…
Le maître souligne le péril anglo-saxon (De Maistre et Bonald l’avaient fait déjà, voyez mes textes) :
« C’est chez les peuples anglo-saxons que le « moralisme » sévit avec le maximum d’intensité, et c’est là aussi que le goût de l’action s’affirme sous les formes les plus extrêmes et les plus brutales ; ces deux choses sont donc bien liées l’une à l’autre comme nous l’avons dit. Il y a une singulière ironie dans la conception courante qui représente les Anglais comme un peuple essentiellement attaché à la tradition, et ceux qui pensent ainsi confondent tout simplement tradition avec coutume. »
A l’époque déjà la domination est fragile. Mais en cessant d’être coloniale elle est souvent devenue plus dangereuse (voyez mon texte sur Titus Burckhardt et la tradition marocaine détruite par l’Etat moderne marocain) : l’Etat moderne dénoncé par Jouvenel s’est appliqué partout et il projette partout sa meurtrière matrice totalitaire. Davos et les smart cities sont là pour nous le rappeler comme leur développement durable globalisé aux relents si génocidaires…
« Les Occidentaux, malgré la haute opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur civilisation, sentent bien que leur domination sur le reste du monde est loin d’être assurée d’une manière définitive, qu’elle peut être à la merci d’événements qu’il leur est impossible de prévoir et à plus forte raison d’empêcher. »
Guénon sera moins optimiste sur l’Orient traditionnel dans le Règne de la quantité ; et Frithjof Schuon encore beaucoup moins (cf. Burckhardt cité supra).
La folie occidentale n’est pas près de s’interrompre ; sur ce point le maître ne se trompe pas :
« Quoi qu’il en soit de ces prévisions peut-être lointaines, les Occidentaux d’aujourd’hui en sont encore à se persuader que le progrès, ou ce qu’ils appellent ainsi, peut et doit être continu et indéfini ; s’illusionnant plus que jamais sur leur propre compte, ils se sont donné à eux-mêmes la mission de faire pénétrer ce progrès partout, en l’imposant au besoin par la force aux peuples qui ont le tort, impardonnable à leurs yeux, de ne pas l’accepter avec empressement. Cette fureur de propagande, à laquelle nous avons déjà fait allusion, est fort dangereuse pour tout le monde, mais surtout pour les Occidentaux eux-mêmes, qu’elle fait craindre et détester ; l’esprit de conquête n’avait jamais été poussé aussi loin, et surtout il ne s’était jamais déguisé sous ces dehors hypocrites qui sont le propre du « moralisme » moderne. »
Guénon fait une allusion à la faiblesse ontologique de la « race » occidentale :
« En effet, les peuples européens, sans doute parce qu’ils sont formés d’éléments hétérogènes et ne constituent pas une race à proprement parler, sont ceux dont les caractères ethniques sont les moins stables et disparaissent le plus rapidement en se mêlant à d’autres races ; partout où il se produit de tels mélanges, c’est toujours l’Occidental qui est absorbé, bien loin de pouvoir absorber les autres. »
Il est confirmé par le penseur raciste Madison Grant qui voit sa presque comique « grande race » péricliter partout à la même époque.
Guénon n’évite pas la question juive, ni la russe, ni l’allemande (qui se posait encore alors !) :
« Il est profondément ridicule de prétendre opposer à l’esprit occidental la mentalité allemande ou même russe, et nous ne savons quel sens les mots peuvent avoir pour ceux qui soutiennent une telle opinion, non plus que pour ceux qui qualifient le bolchevisme d’« asiatique » ; en fait, l’Allemagne est au contraire un des pays où l’esprit occidental est porté à son degré le plus extrême ; et, quant aux Russes, même s’ils ont quelques traits extérieurs des Orientaux, ils en sont aussi éloignés intellectuellement qu’il est possible. Il faut ajouter que, dans l’Occident, nous comprenons aussi le judaïsme, qui n’a jamais exercé d’influence que de ce côté, et dont l’action n’a même peut-être pas été tout à fait étrangère à la formation de la mentalité moderne en général ; et, précisément, le rôle prépondérant joué dans le bolchevisme par les éléments israélites est pour les Orientaux, et surtout pour les Musulmans, un grave motif de se méfier et de se tenir à l’écart ; nous ne parlons pas de quelques agitateurs du type « jeune-turc », qui sont foncièrement antimusulmans, souvent aussi israélites d’origine, et qui n’ont pas la moindre autorité. »
On arrête ici. Malgré toutes ses tares l’Occident a gagné, triomphé des sociétés traditionnelles et imposé son modèle de coursier nihiliste qui semble plus excitant aux foules. L’imposition mondiale de la tyrannie informatique nous montre qu’il sera quasiment impossible d’en sortir, comme je l’annonçais dans la première édition de livre sur Internet. Le contrôle de tout par le totalitarisme numérique mettra tout le monde d’accord. Sauf miracle.
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mercredi, 23 août 2023
La voie de la main droite et la voie de la main gauche
La voie de la main droite et la voie de la main gauche
Frank Tudisco
Source: https://www.paginefilosofali.it/via-della-mano-destra-e-via-della-mano-sinistra-frank-tudisco/
Il existe deux voies différentes, deux chemins qui trouvent leur origine dans cette définition en Orient au sein des traditions tantriques : le chemin de la main gauche, le "Vama Marga" et le chemin de la main droite, le "Dakṣiṇa Marga". Les appellations de Vama et Dakṣiṇa, en Inde, indiquent l'origine géographique des sampradāya, c'est-à-dire les systèmes doctrinaux, les lignées spirituelles, les académies ou écoles initiatiques d'origine, ainsi que les circuits de connaissance fondés sur l'ensemble des textes canoniques révélés d'inspiration divine. Il s'agit donc de deux voies fondées sur des perspectives et des techniques différentes de compréhension du chemin spirituel, de l'éveil de la conscience, de l'évolution de l'être humain dans son rapport à la vie et à l'Esprit, deux approches différentes, deux manières distinctes d'interpréter les Tantras (1), mais qui, dans leur essence, ont la même finalité. Pour atteindre Kaivalya (2) - un état de "détachement" ou d'"isolement" de la matière qui consiste en l'abandon définitif des limitations de la pensée - et ensuite Mokṣa - c'est-à-dire la libération du cycle des renaissances et la sortie définitive de la roue du saṃsāra - différentes orientations doctrinales peuvent être combinées, ce qui n'implique nullement que l'une soit meilleure que l'autre. Le pratiquant est censé emprunter une voie spécifique en fonction de son propre état d'avancement spirituel, indépendamment ou à la discrétion d'un guide, d'un maître, d'un Guru.
Les Tantras sont un ensemble d'enseignements qui, dans les mythes, sont attribués à Śiva. Cette divinité transmet ces enseignements à sa śakti, son épouse mystique, la déesse Pārvatī. Ces enseignements sont destinés à conduire chaque être humain à une pleine réalisation de soi, de sa créativité, de son évolution, tant matérielle que spirituelle. Pour ce faire, l'être humain doit réveiller en lui cette étincelle divine, ces facultés perdues et profondes qui le rapprochent de sa vraie nature, sa nature divine. En Inde, on a toujours imaginé que l'homme était tourné vers l'Est - le lieu du lever du soleil. C'est pourquoi, conformément à cette hypothèse, la main gauche pointe vers le nord et la main droite vers le sud.
Dans les traditions de la main gauche, c'est-à-dire celles de l'Inde du Nord, du Pakistan, du Tibet et surtout du Cachemire, les Tantras sont compris au sens littéral. Les traditions de la main droite, qui proviennent plutôt du Bengale et de l'Inde du Sud, visent plutôt une interprétation allégorique. Étant donné que ces enseignements contiennent des éléments qui concernent également la sexualité, que l'utilisation du symbolisme sexuel est récurrente et que l'union des couples divins illustre le principe de la conjonction universelle des opposés, les voies de la Main Gauche, qui interrogent ces enseignements dans un sens plus orthodoxe, pratiquent l'érotisme sacré, la sexualité sacrée, entendue précisément comme un rapport sexuel. Le Kamasutra étudie le corps comme un temple extraordinaire, un laboratoire alchimique dans lequel, à travers la sexualité vécue, a lieu la redécouverte de la kundalini, l'énergie vitale primordiale qui est de nature divine.
Les voies de la Main Droite, en revanche, qui donnent au mythe une lecture de nature symbolique, n'envisagent pas et condamnent même les pratiques sexuelles. Lorsque ces concepts venus d'Orient ont atteint l'Occident, ils ont inévitablement subi une réinterprétation qui les a souvent déformés jusqu'à la dégénérescence. Surtout si l'on pense aux principes inextricablement liés à la sexualité, qui sont passés de l'Orient à l'Occident par le biais de la colonisation britannique en Inde, filtrés par une Angleterre victorienne bigote et fortement moralisatrice.
Le sexe est, aujourd'hui encore, en Occident, le domaine le plus marqué par les dysfonctionnements, l'insatisfaction et l'excès. Plus de trois millénaires de dénomination chrétienne, de judaïsme, de paulinisme et de gnosticisme ont fini par instiller dans l'inconscient collectif et même de l'individu qui s'estime libéré des schémas religieux, l'idée de culpabilité dès lors que l'on tire du plaisir par le sexe. Toute pratique sexuelle, autoérotique ou partagée, devient un tabou, un sentiment interdit dont il n'est même pas permis de parler. Un sentiment qui, aux yeux de la foi, est considéré comme un péché, un mal, un sentiment sale et mauvais, qui doit être maintenu sans cesse en dessous du seuil de tolérance physiologique et, en fin de compte, considéré comme quelque chose à corriger, sous peine d'aller en enfer ou d'être puni par l'autorité divine. C'est Madame Helena Blavatsky (3) qui, la première, a attribué cette déclinaison à la sphère ésotérique, en assimilant les concepts de "bien" aux Tantras de la Main Droite et de "mal" aux Tantras de la Main Gauche. Cette assimilation du concept de la Main Gauche lié au mal n'a évidemment aucune connotation légitime sur le plan moral.
En réalité, la combinaison main gauche-mal et main droite-bien a des origines archétypales. Le soleil, par exemple, se lève à l'est, passe au sud et se couche à l'ouest. Ainsi, le seul et unique point cardinal restant dans l'obscurité perpétuelle est le nord qui, selon le principe que l'homme regarde toujours vers l'est, coïncide avec la main gauche. Il est également bien connu que dans les temps anciens, lorsqu'une infection banale pouvait tuer, il était très important de distinguer que la main droite et la main gauche remplissaient des fonctions distinctes. Or, comme la majorité des êtres humains sont droitiers, ils ont fini par sanctifier la main droite et par diaboliser par réflexe la main gauche. Cet héritage s'est répercuté sur le langage qui, à son tour, a fini par fixer des charnières dans l'inconscient collectif. Dans la langue italienne, "droite" est synonyme de dextérité, d'agilité, d'habileté, tandis que "gauche" est synonyme d'inquiétude, d'angoisse, de menace ou de mauvais présage. C'est également le cas dans d'autres langues. En anglais, "right", par exemple, signifie également droit, correct, rectiligne, tandis que "left", qui signifie aussi quelque chose de "laissé derrière soi" et, dans sa forme archaïque, "lyft", signifie également maladroit, gauche, stupide et insensé.
C'est un peu la description anthropologique des deux voies. En Occident, ces deux visions déboucheront plus tard sur une approche philosophique très différente. Celle de la Main Droite, dont on peut dire qu'elle a été réinterprétée dans une clé plus orthodoxe, se concentre sur une approche typiquement dévotionnelle, qui tend cependant à représenter l'homme comme une créature divine envers laquelle on peut exprimer son adoration, voire sa soumission, qui s'étendra également aux églises, aux institutions sacerdotales et à la culture brahmanique, jusqu'à concevoir un anéantissement complet du pratiquant envers une religion révélée ou une connaissance de l'Absolu - comme on l'entend souvent dans le bouddhisme lu vulgairement en Occident.
Avec la voie de la Main Gauche, qui a plutôt été interprétée dans une clé plus gnostique, il faut comprendre toutes les voies dans lesquelles le pratiquant tend à être plus indépendant d'une structure et donc à une connaissance directe de l'Absolu, en restant identifié à lui-même, à l'être humain et non pas à une créature divine, mais à son tour comme une divinité qui, en ce moment, n'est pas consciente d'elle-même, mais qui peut, à travers un chemin précis, redécouvrir sa propre étincelle divine, sa propre divinité intérieure, sans pour autant se soumettre, par une attitude fidéiste, à une divinité transcendantale extérieure.
Si l'on considère la théosophie comme un élément actif de la dégénérescence, l'interprétation erronée des préceptes thélémites, y compris la devise d'Aleister Crowley "Fais ce que tu veux, c'est toute la loi" (4), a également joué un rôle important ; des préceptes qui sont devenus l'épine dorsale de nombreux mouvements et courants New-Age d'aujourd'hui. Ainsi, la voie de la Main Gauche s'est transformée en "Faites ce que vous voulez, il n'y a pas de règles", ce qui est par principe amoral et ne nécessite pas de discipline. Manifeste de cette déviation, la sainte trinité de l'hédonisme, "Sexe, drogue et rock'nroll" ; tandis que la voie de la main droite est devenue la voie du bacchettoni.
En fait, le concept tend à être l'inverse, la voie de la main gauche soumet le pratiquant à une plus grande discipline. L'un des rituels les plus importants du culte de la śakti est, par exemple, le soi-disant Vira-Marga (5) ou "Chemin des Héros", où l'utilisation de l'énergie sexuelle ou de la kundalini et du souffle, l'équivalent alchimique de l'utilisation de ce que l'on appelle les Eaux Corrosives (6), peut sérieusement risquer de compromettre ou de ruiner l'Œuvre. Pour que cela se fasse sans danger, il faut que le praticien ait les conditions de centrage, d'équilibre et d'enracinement pour affronter l'expérience cathartique sans subir de dommages psychiques et physiques déstabilisants. En revanche, la voie de la Main Droite est beaucoup plus progressive, l'adepte étant progressivement guidé par la main d'un Satguru.
Par la suite, il faut noter une influence kabbalistique importante, par la littérature post-talmudique et plus particulièrement par la Kabbale lurianique (7), évoquée dans le texte de Gershom Scholem (8). Un cadre philosophique qui sous-tend l'origine du Mal selon de nombreux kabbalistes, qui a lieu en fait dans la Geburah, une sephirah particulière qui se trouve dans le pilier gauche de l'arbre séfirotique. L'essence de la lumière divine - Ein Soph (9)- est, par sa nature même, incompatible avec ce qui est limité, ce qui provoque, lors d'une première tentative de création, ce que l'on appelle la "rupture des vases" (10). Cette rupture a eu des implications profondes et a conditionné l'essence même de la création et de l'homme qui a été placé en son centre. Les kelippot, la contrepartie sombre des sephiroth et le résultat de cette rupture des vases, représentent dans le lurianisme les scories, les forces maléfiques présentes dans le monde et l'archétype de toutes les ruptures et déchirures ultérieures. Il en résulte un concept de Mal qui ne peut être déraciné du concept de Dieu lui-même, puisque dans le monothéisme il ne peut logiquement y avoir de dualisme.
Il n'est pas difficile de comprendre comment certaines ramifications déviantes de ces écoles deviennent ainsi l'occasion d'une instrumentalisation politique, d'autre part le délire de certains satanismes. Dans son "Magick" (11), par exemple, Crowley recommande au magicien de recourir à l'infanticide afin d'obtenir de la graisse humaine avec laquelle produire des bougies ou des lampes à utiliser dans le tracé du cercle rituel. Sauf que dans les notes, il précise qu'il ne s'agit pas d'enfants en chair et en os, mais de tuer ou d'étrangler les pensées dans l'œuf, c'est-à-dire de les annihiler avant qu'elles ne puissent s'élever au niveau de la conscience.
Toute personne s'engageant dans une voie initiatique devrait d'abord disposer d'un cadre rationnel solide ainsi que d'une dose adéquate de bon sens - telle qu'elle puisse au moins discerner un précepte symbolique d'un acte criminel. La voie de la main gauche et la voie de la main droite sont aujourd'hui deux locutions qui ont fini par perdre leur sens originel. Il est toujours appréciable, cependant, de distinguer la façon dont elles étaient comprises dans leur sens originel, tantrique, de la façon dont elles sont interprétées aujourd'hui.
NOTES :
(1) De la racine étymologique indo-européenne TAN, "tendre", plus le suffixe "-tra", utilisé pour instrumental. Il peut être traduit littéralement par "instrument d'étirement", c'est-à-dire le cadre ;
(2) La plus haute réalisation dans la pratique yogique - également connue sous le nom de Mahasamādhi ou Dharmamegha Samadhi, selon la façon dont elle est appelée par les traditions respectives - selon Sri Maharishi Patañjali (1er - 5ème siècle e.v.), philosophe indien, fondateur du Rāja Yoga, à qui l'on attribue la paternité des Yoga Sutras - essai mystique fondamental divisé en quatre sections décrivant les huit étapes du Yoga ;
(3) Eléna Petróvna Blaváckij (1831 - 1891) médium russe naturalisée américaine, fondatrice de la Société théosophique ;
(4) Edward Alexander Crowley (1875 - 1947), ésotériste britannique et père présumé de l'occultisme moderne ;
(5) L'un des rituels d'adoration de la śakti dans les traditions ascétiques śivaïstes des Kapalika et, plus tard, des Aghora ;
(6) La "Via Umida", le pendant de la "Via Secca", un terme couramment utilisé en alchimie pour indiquer une sorte de thérapie de choc, c'est-à-dire ce complexe de techniques et de méthodes extrêmes et extrêmement rapides - y compris la prise de substances psychotropes et tous les comportements conçus pour favoriser les altérations de la conscience rationnelle - afin d'atteindre, par le biais d'un "bain" de solvant transformateur, l'individuation du moi ;
(7) Isaac ben Solomon Luria (1534 - 1572), rabbin ottoman et mystique révolutionnaire, est l'un des penseurs les plus importants de l'histoire de la mystique juive ;
(8) Gershom Scholem, "La Kabbale", Edizioni Mediterranee, 1983 (p. 140). Gerhard "Gershom" Scholem (1897 - 1982) était un théologien, mathématicien et sémitiste israélien ;
(9) L'"illimité" ou le "non-limite", l'infini ;
(10) Shevirat ha-Kelim ;
(11) Aleister Crowley, "Magick : Liber ABA. Livre quatre. Parts I-III", Astrolabio Ubaldini, 2021, p. 120.
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE :
Abhinavagupta, "La lumière des Tantras : Tantrāloka", Adelphi, 2017 ;
Alberto Brandi, "The Dark Way : Introduction to the Left Hand Path", Atanòr, 2008 ;
Joseph Campbell, "Mythologie orientale : les masques de Dieu", Mondadori 2002 ;
Gavin Flood, "Hinduism : Themes, Traditions, Perspectives", Einaudi 2006 ;
Groupe Ur, "Introduction à la magie, vol. II", Rome, Edizioni Mediterranee, 1971 ;
Stephen Flowers, "Les seigneurs de la main gauche", Venexia, 2013 ;
René Guénon, "Études sur l'hindouisme", Éditions Fratelli Melita, 1989 ;
Thomas Karlsson, "The Kabbala and Goetic Magic", Atanòr, 2005 ;
Claudio Marucchi, "Le Tantra du ŚrīYantra : le corps humain rendu divin", Psyche 2, 2009 ;
Patañjali, "Yoga Sutra : Aphorismes sur le yoga", Demetra Srl, 1996 ;
Swami Satyananda Saraswati, "Kundalini Tantra", éd. SatyanandaAshram, 1984 ;
Gershom Scholem, "Les grands courants de la mystique juive".
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vendredi, 18 août 2023
Métapolitique, Silvano Panunzio et critique organique de la modernité
Métapolitique, Silvano Panunzio et critique organique de la modernité
par Giovanni Sessa
Source: https://www.barbadillo.it/110645-la-metapolitica-silvano-panunzio-e-una-critica-organica-della-modernita/
Nous publions un extrait de la préface de Giovanni Sessa, Metapolitica. Escatologia religiosa e civile in Silvano Panunzio, au volume de Silvano Panunzio, Che cos'è la Metapolitica, édité par Aldo la Fata, Solfanelli, Chieti 2023, pp. 208, euro 15.
Fondamentalement, la métapolitique est une discipline qui précède et dépasse la politique. Depuis l'Allemagne et l'Europe centrale, un écho de ces positions est parvenu à De Maistre, qui les a interprétées comme une "métaphysique de la politique". Selon Panunzio, le sens du terme a circulé dans les œuvres de nombreux auteurs au cours des siècles: d'Augustin à Gioberti, de Berdiaev à Sturzo. Ceux qui ont compris correctement le contenu de la métapolitique étaient toutefois conscients qu'elle n'avait pas, sic et simpliciter, un caractère religieux, mais aussi une valeur civile.
Fondamentalement, la métapolitique est une discipline qui précède et dépasse la politique. Depuis l'Allemagne et l'Europe centrale, un écho de ces positions est parvenu à De Maistre, qui les a interprétées comme la "métaphysique de la politique". Selon Panunzio, le sens du terme a circulé dans les œuvres de nombreux auteurs au cours des siècles : d'Augustin à Gioberti, de Berdiaev à Sturzo. Ceux qui comprenaient correctement le contenu de la métapolitique étaient toutefois conscients qu'elle n'avait pas, sic et simpliciter, un caractère religieux, mais aussi une valeur civile.
C'est ce qu'avait compris Platon, véritable initiateur de cette discipline. L'Athénien, animé d'une vision métaphysique, pensait la réalité humaine comme articulée de bas en haut. C'est pourquoi il considérait que la dimension politique elle-même était anagogiquement transcendée. Comme l'a reconnu Werner Jaeger, il manquait à Platon "le ferment prophétique du christianisme". La Cité platonicienne d'Augustin est donc devenue le miroir de la Cité de Dieu : "Métaphysique et métapolitique sont [...] des jumelles".
Silvano Panunzio
La métapolitique vise l'archétype de la transcendance reflétée dans l'histoire, c'est la métaphysique en action. Panunzio la définit de manière lapidaire: "c'est le projet architectural que, avec la conception et la collaboration du Ciel, les hommes s'efforcent d'accomplir sur Terre en surmontant les résistances inférieures". L'idéal augustinien a été ravivé par l'eschatologie chrétienne, qui a trouvé un écho chez Campanella et, plus tard, chez Bossuet et Soloviev.
Panunzio, dans Qu'est-ce que la métapolitique, aborde le thème du bìos theoretikòs, qui, dans le monde antique, a été remis en question par Dicéarque avec la revalorisation de la phrònesis. Dans le monde romain, entre autres, Cicéron était proche de cette position, qui comprenait le philosopher comme un service : "pour une organisation active de la vie", tentant de rapprocher Platon de Lycurgue, au nom de la primauté du bìos politikòs. Pour Panunzio, l'authentique Metapolitica, au contraire, ne peut être saisie que dans la dimension prophétique capable, selon lui, de réaliser le "bìos sìnthetos qui n'est pas [...] un maigre compromis, mais une fusion originale [...] de sophia et de phrònesis [...] dans le nouveau génie de l'Homme universel". Cette affirmation précise que la vision du monde de Panunzio est éminemment une théologie de l'histoire.
À ce stade, il convient de se demander quelle est la véritable fonction de la métapolitique selon Panunzio.
Il attribue deux tâches essentielles à la métapolitique. 1) Développer la critique de la modernité en termes organiques et analytiques ; 2) Reconstruire le plan divin sur la terre. Les hommes doivent d'abord reconnaître la nécessité de faire tabula rasa du présent, en vue d'une renaissance. En effet, Panunzio est fermement convaincu que ce sont les agents "de la main gauche de Dieu", les forces qui ont produit la lacération moderne, qui la feront imploser. (...) La vision de l'histoire de Panunzio vise une fin, elle est centrée sur un "optimisme final, mais transcendant".
Dans sa perspective, Dieu tolère les "démons", seulement en vue de leur action inconsciente, en vue de la catharsis finale. La structuration du parcours historique est centrée sur l'intersection de trois plans différents: terrestre, céleste et infernal. Les esprits qui agissent dans le monde sont à la fois catagogiques et anagogiques. Les premiers visent à dégrader la nature humaine jusqu'à la rendre sauvage (en cela, les "signes des temps" évidents semblent confirmer la thèse de Panunzio), tandis que les seconds poussent l'homme vers le haut, vers l'atteinte de la nature angélique. Ce duel entre les forces célestes et infernales est vieux de plusieurs milliers d'années. L'époque actuelle, cependant, est le dernier âge, nous sommes au moment "décisif et final" de la crise. Dans ce contexte, le seul but à atteindre est le salut des âmes, rien d'autre ne peut être fait. [...] La métapolitique est donc acquise à l'eschatologie, et cette dernière est une métapolitique inspirée par les prophètes qui l'ont révélée dans le symbole. [...] La métapolitique comprend la métaphysique, l'eschatologie et la politique en une seule: elle est quadridimensionnelle. [...) C'est pourquoi les thèmes centraux de la métapolitique sont les deux soleils, l'Empire et l'Église. La Romanitas, avec son héritage impérial, représente la perfection humaine, la christianitas vise à réaliser la perfection qui descend de Dieu. Le Christ, véritable homme et véritable Dieu, est authentiquement "romain".
(...) Pour bien comprendre la leçon panunzienne, il convient de garder à l'esprit la distinction entre métapolitique et cryptopolitique. En ce sens, la politique doit être interprétée comme une première ligne que l'on peut atteindre d'en bas ou d'en haut, au service du monde souterrain ou du monde célecte. Dans l'Antiquité, l'initiation royale permettait d'accéder au plan proprement métapolitique. La sécularisation des organisations qui présidaient à l'initiation a donné lieu à l'essor des partis et des syndicats. C'est sur cette voie qu'est née la cryptopolitique. La véritable cryptopolitique se heurte "aux manœuvres de la guerre occulte et aux complots mondiaux de la subversion". Il y a ensuite la cryptopolitique élémentaire (appendice de la politique militante), qui est dirigée par la cryptopolitique officielle. La seule réponse sérieuse à cette condition est la référence à la métapolitique, dont le délai est long, bien que l'intervention du ciel, compte tenu de la situation générale, ne tardera pas à se manifester. Ceux qui, en entrant en politique, se tournent vers les forces du Ciel et se laissent guider par elles, feront preuve d'une conscience inhabituelle et seront même prêts à faire le sacrifice ultime. Dans la phase actuelle, ces hommes doivent nécessairement agir dans la dimension intellectuelle et s'enraciner dans la "Tradition universelle" : "Une véritable résurgence initiatique ne peut procéder d'en bas, de l'humain, même rectifié et réintégré.
(...) Alors que les prophètes de l'Ancien Testament désignaient le Messie, le nouveau prophétisme panunzien a un caractère michaélique. Michel l'Archange est le prophète du "Christ qui vient" et du "Christ qui revient". Au début des temps, c'était Melchizédek, à la fin, Mikaël. [...] Pour "se renouveler" dans la Tradition, il faut devenir Mikaël, participer à sa nature angélique, se transfigurer.
(...) Dans un autre ouvrage, Panunzio a parlé de la nécessité de réformer le "traditionalisme intégral" guénonien. Nous partageons pleinement son intention. Cependant, son idée de réformer le "traditionalisme intégral" dans un sens eschatologique et chrétien n'est pas la nôtre. [...] L'auteur croit certainement que l'"esprit géométrique" et l'esprit systémique de Guénon doivent être vivifiés par l'"esprit de finesse". Cette qualité était vivante et présente dans la tradition mystique grecque, en particulier dans le dionysisme, qui n'a jamais, dans l'acte aristotélicien, pensé à normaliser et à faire taire la dynamis, la puissance-liberté du principe. Par conséquent, s'il devait y avoir un ésotérisme chrétien, centré sur l'idée d'un dieu qui meurt et renaît, "puissant" et "souffrant", il serait redevable et successeur des anciens Mystères, auxquels il est nécessaire de revenir et de regarder au-delà de la scolastique traditionaliste. De plus, penser le Principe en termes de non, de négation, nous éloigne des perspectives de la philosophie de l'histoire et de la théologie de l'histoire, comme celle de Panunzio. Pour les tenants d'une vision tragico-dionysienne, le monde est suspendu au Principe de liberté-puissance. Dans l'histoire et dans le temps, l'origine est toujours possible (le pouvoir est possibilité) à condition que l'action humaine s'y adapte. Si tel n'est pas le cas, l'origine peut, selon nous, rencontrer son oubli définitif, sans que l'histoire ne s'achève pour autant. Il n'y a pas, selon nous, de fin prédéterminée à l'histoire. Nous sommes proches de la conception ouverte et non-nécessaire du temps. Une conception sphérique et non cyclique : elle a été réaffirmée dans les années 80 par Giorgio Locchi, compte tenu des leçons de Nietzsche et de Heidegger sur le sujet.
La réforme du traditionalisme de Panunzio a une finalité eschatologique, sotériologique, théologico-historique. Notre proposition, au contraire, se tourne vers le premier Evola (et le dernier, celui de Chevaucher le Tigre), pour suggérer la sortie possible de la pensée de la Tradition du nécessitarisme historico-temporel.
Quoi qu'il en soit, nous recommandons vivement les pages de Panunzio, élégantes dans leur style et stimulantes dans leur contenu. On sort toujours enrichi d'une confrontation avec un tel érudit, quelle que soit sa vision du monde.
Giovanni Sessa
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mardi, 15 août 2023
L'homme politique en tant que menteur pathologique
L'homme politique en tant que menteur pathologique
Renzo Giorgetti
Source: https://www.heliodromos.it/il-politico-come-bugiardo-patologico/
La souveraineté, entendue comme l'exercice du pouvoir pour organiser et gouverner des communautés de personnes, a toujours eu, dans les civilisations traditionnelles, un profond enracinement dans le sacré, devenant, plus qu'un simple fait humain, la manifestation de forces transcendantes. Le monarque exerce un pouvoir qui est avant tout l'émanation directe du sacré, d'influences véritablement supérieures qui le légitiment bien plus que n'importe quel consentement obtenu ou offert par ses gouvernés. Idéalement, le monarque est avant tout un pontife, exerçant son ministère (ministerium = service) en veillant à l'harmonie de son royaume en accord avec l'ordre cosmique, lui-même reflet de cet ordre sacré qui forme et régit tout ce qui existe. Le détenteur de la royauté est le médiateur entre la terre et le ciel, il est le centre, le point de contact entre ces réalités, agissant pour assurer leur communication et leur interaction (1). Cette qualité, non seulement humaine mais surtout transcendante, était considérée comme pleinement réelle et, même lorsqu'elle était en voie de dissolution, comme une tendance idéale à laquelle on pouvait toujours se référer (comme on le voit dans les rituels égyptiens et chinois, ainsi que dans la conception pontificale de la principauté romaine et dans la notion médiévale de Sacrum Imperium) (2).
Le souverain en tant que pouvoir purement terrestre, qui s'impose en éliminant ses adversaires ou en obtenant leur consentement par des avantages, appartient déjà à une période ultérieure, où le pouvoir commence à devenir une sorte de fin en soi, une réalité autoréférentielle faisant de moins en moins référence à des objectifs extra-mondains. La figure du "politicien" commence à émerger, un individu qui n'obtient le pouvoir qu'en vertu de ses pouvoirs de force et de ruse, et qui opère comme un simple administrateur qui doit de temps en temps obtenir un consensus ou comme un tyran qui concentre tout le pouvoir en lui-même en luttant constamment contre ses adversaires. La politique se définit de plus en plus comme un "art" (un art profane, bien sûr, qui ne se fonde plus sur le rta, l'ordre sacré du monde, mais sur l'anrta, le mensonge, la violation et la subversion de cet ordre) (3), comme une activité qui s'épuise dans la simple gestion des relations humaines et qui trouve dans la conquête du pouvoir le but le plus important, sinon le seul.
Un développement (certainement pas chronologique, mais plutôt idéal) de cette évolution pourrait être esquissé de la manière suivante : du prêtre-roi qui reflète l'ordre céleste sur terre, on passe au roi-guerrier qui s'impose uniquement par la force, à ceux qui achètent le consentement par les richesses ou la promesse de leur obtention, et enfin à ceux qui gouvernent par le ressentiment et l'envie sociale, en exploitant la volonté du dernier à gravir les échelons de l'échelle hiérarchique (4).
Dans l'état de bouleversement actuel, les choses sont arrivées à un tel point (le monde politique est l'avant-garde de la dissolution) que ce n'est même plus le serviteur qui a le pouvoir, mais l'exclu, l'intouchable, l'individu qui se situe en dehors de tout ordre. Dans le "monde à l'envers", un tel type humain, au lieu d'être relégué au bas de l'échelle sociale, en occupe au contraire les plus hautes places, dans l'inversion étant "tombé" du bas pour ensuite "s'installer", comme sédiment, au sommet de la pyramide inversée du pouvoir (sur ce dernier sujet, nous renvoyons à notre discussion précédente) (5).
Un tel être, se plaçant en dehors de tout ordre, rejettera, combattra (même sans en être conscient) tout ce qui est harmonie, équilibre, justice.
Frithjof Schuon en fait une analyse extrêmement précise, fondamentale pour comprendre ses conceptions et son mode d'action (6). Le tchandala, le paria, l'intouchable "tend à réaliser les possibilités psychologiques exclues par les autres hommes", transgresse par nature, trouve sa satisfaction dans ce que les spécimens équilibrés et performants rejettent. Il représente le summum de l'impureté, de la dégradation, de la "dissonance psychologique". Capable de "tout et rien", il peut s'engager dans les activités "les plus bizarres et les plus sinistres" (l'acrobate, l'acteur, le bourreau), transgressant les règles établies, comme un saint à l'envers, se distinguant par son abnégation à adhérer à un style de vie déséquilibré et déséquilibrant. Son âme n'a pas de véritable centre de gravité individuel, sa vie se déroule "en périphérie et en inversion", dans une transgression qui lui donnera "en quelque sorte un centre qu'il n'a pas", le libérant illusoirement de sa nature équivoque. Il s'agit d'une subjectivité centrifuge et illimitée, qui le conduit à fuir la loi, parce qu'elle le ramènerait à ce centre qui est si totalement étranger à sa nature. Il est inférieur et se comportera toujours comme tel. Non seulement il n'a pas la mentalité du supérieur, mais il ne peut même pas la concevoir exactement : c'est pourquoi toute valeur est ignorée par lui, quand elle n'est pas ouvertement méprisée. L'honnêteté, la sincérité, l'honneur, à ses yeux n'existent tout simplement pas, ne représentant qu'une illusion, un obstacle limitant sa montée en puissance. Tout son être est basé sur le mensonge, qui le domine complètement, faisant de lui la première victime de ses mensonges, qu'il croit même souvent, le faisant vivre dans une réalité encore plus illusoire que celle à laquelle il condamne ceux qui lui sont soumis.
On comprend alors pourquoi le mensonge atteint un niveau que l'on peut qualifier de pathologique (7). Il ne s'agit même plus de "raison d'Etat" ou de machiavélisme, l'homme politique contemporain ment parce que le mensonge est son essence même. Il ment parce que c'est une nécessité, parce que tout son univers repose sur le mensonge, qui lui donne consistance et identité, qui le définit et lui donne un rôle dans le monde. Sinon, il serait contraint d'avoir un centre, d'adhérer à un ordre, chose inconcevable pour lui, voire impossible, car cela le condamnerait à l'extinction. Sa survie repose sur cela. Il n'est donc pas condamnable, car il ne s'agit au fond que d'un instinct de conservation. Après tout, de tels individus ont toujours existé ; le seul véritable problème réside dans leur position au sein du corps social, une position qui est actuellement la plus erronée, c'est-à-dire au sommet, à l'extrême opposé de celle qui leur conviendrait le mieux et qu'ils ont toujours occupée à toutes les époques, lorsque le monde était encore dans une phase de normalité, pas encore bouleversé et subverti dans ses valeurs fondamentales.
Renzo Giorgetti
Notes:
1) Nous avons déjà abordé ce sujet, exemples à l'appui, dans Com'è difficile cavalcare la tigre, Solfanelli, Chieti, 2020, pp.33-36.
2) Le détenteur de la royauté n'est évidemment pas naïf. Son devoir est de tout mettre en œuvre pour que la norme, l'ordre sacré, reste respecté (Manavadharmashastra 7.10). S'il doit toujours agir sans tromperie, il peut garder ses plans cachés, afin que ses ennemis ne puissent pas profiter de sa conduite morale juste et donc nécessairement plus limitée que celle de celui qui agit sans scrupules.
3) Inéluctablement lié à anrta est nrrti, la dissolution, la mort.
4) Sur ce point déjà René Guénon, dans le septième chapitre de Autorité spirituelle et Pouvoir temporel, Guy Trédaniel, Paris, 1984 (1ère éd. 1929). Dans ces différentes manières de vivre et d'interpréter la souveraineté, on aura reconnu le cloisonnement fonctionnel des sociétés indo-européennes (sacerdotale, guerrière, marchande, servile), critère interprétatif qui vaut aussi pour la formulation d'une métaphysique de l'histoire et pour une meilleure compréhension de l'époque actuelle. Cf. How difficult it is to ride the tiger, idem, pp.28-58.
5) Une discussion que nous avons approfondie dans Pourquoi les pires gouvernent toujours dans les démocraties, maintenant le deuxième chapitre de La società da liquidare, Solfanelli, Chieti, 2021, pp.32-37.
6) Ce thème est amplement développé dans Caste e razze, Edizioni all'insegna del Veltro, Parma, 1979, pp. 11-16, d'où sont extraits les passages cités.
7) Dans la réalité inversée d'aujourd'hui, cette situation va du pathologique au physiologique.
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Les origines romaines de la fête de l'Assomption
Les origines romaines de la fête de l'Assomption
Source: https://www.romanoimpero.com/2012/08/feriae-augusti-ferragosto.html
FERIAE AUGUSTI - ORIGINES DE FERRAGOSTO (ITALIE)
FERRAGUE AUGUSTE
Cette fête tombe le 15 août et est aujourd'hui dédiée à l'Assomption de la Vierge Marie, mais peu de gens savent que cette fête est païenne. En 18 avant J.-C., Octave fut en effet proclamé Auguste, donc vénérable et sacré, par le Sénat. À cette occasion, l'empereur déclara tout le mois d'août Feriae Augusti, les fêtes augustéennes, car ce mois comprenait de nombreuses fêtes religieuses, dont la plus importante était la fête de Diane, qui tombait le 13.
Le terme Auguste provient à l'origine du nom de la grande mère syrienne Atargatis, appelée "l'Augusta", c'est-à-dire la plus grande, la plus sacrée, la déesse à la couronne en forme de tourelle qui se dresse fièrement sur deux lions.
Il semble qu'en 21 avant J.-C., les Feriae Augusti aient changé de nom pour devenir les FERIAE AUGUSTALES, réunissant ainsi toutes les fêtes du mois en une seule célébration. Désormais, les récoltes seront dédiées à l'empereur en tant que garant du ravitaillement, non seulement des Romains en général, mais aussi des pauvres qui recevaient gratuitement du grain et de l'huile.
FERIAE AUGUSTI (Ferragosto) Du 1er au 31 août.
Les Consualia
AOÛT
Les fêtes du 15 au 21 août étaient célébrées à Rome en l'honneur du dieu archaïque Consus, dieu des moissons, protecteur des récoltes et donc des greniers et des approvisionnements. En tant que divinité de la terre, un temple souterrain du VIIIe siècle avant J.-C. lui était consacré, dans lequel la lumière ne pouvait pénétrer qu'à cette période et pendant les Consualia de décembre, où l'on célébrait à nouveau sa fête.
C'est à cette occasion qu'eut lieu le viol des Sabines et, depuis l'époque de Romulus, cet événement était également célébré, car Rome avait engagé des vierges, mais cela est moins crédible, car les Sabines avaient des coutumes beaucoup plus libres que celles des Romains, à tel point que, pour accepter la paix, elles rédigèrent des lois auxquelles les Romains devaient se soumettre s'ils voulaient qu'elles restent sur le territoire romain.
Cela impliquait un comportement respectueux et obséquieux à l'égard des Sabines : ne pas leur faire porter de fardeaux, leur céder la place, ne pas les insulter, etc.
La déesse Consiva
Mais la déesse Ops, également connue sous le nom d'Ops ou Openconsiva, était en fait l'ancienne déesse mère Consiva, déesse primitive et sabine, introduite à Rome par Titus Tatius. La déesse était liée à la nature et portait un fils sans avoir d'époux et restait vierge (comme toutes les déesses mères, d'où la virginité de la Madone), puis elle épousait le fils et régnait avec lui, et cette pratique se poursuivait avec la mort et la renaissance annuelles du fils (d'où le mythe de la figure du Christ) sous la forme d'une végétation qui descendait de la mère et lui revenait.
Plus tard, de divinité italique, elle devint romaine, bien qu'associée dans son culte à Saturne et à Consus, dont elle était l'épouse, mais le dieu usurpa sa place, devenant la principale divinité de la nature et des récoltes.
Néanmoins, le culte de la déesse s'est maintenu et c'est à sa protection que l'on confiait les grains récoltés et stockés dans les greniers. Deux sanctuaires lui étaient dédiés, l'un au Capitole et l'autre au Forum, et en son honneur étaient célébrées les traditionnelles fêtes d'Opiconsivia, le 25 août.
À Rome, Ops avait également un sanctuaire dans la Regia, près de la maison des Vestales et de la domus publica du Forum romain; seuls le pontifex maximus et les Vestales y avaient accès. Selon une tradition rapportée par Macrobe dans Ops Consiva, mais la question était controversée, il pouvait être reconnu comme la divinité tutélaire secrète de Rome. Elle devait rester secrète pour éviter que des ennemis ne l'invoquent et lui fassent quitter la ville qu'elle protégeait.
DIANA
Au mois d'août, il y avait à Rome de nombreuses fêtes et célébrations associées, dont la plus importante était celle de Diane sur l'Aventin. Diane était une déesse très importante et très suivie, mais pas tant dans l'Urbs que dans les campagnes de toute l'Italie.
Dans les campagnes, Diane régnait en tant que déesse des champs cultivés et des bois, ainsi que des herbes sauvages qui étaient non seulement comestibles mais aussi saines, de sorte qu'elle était également vénérée en tant que déesse de la santé, des herbes et des sources, y compris des eaux curatives, mais surtout en tant que déesse Maga. L'Église en savait quelque chose et a vu son culte perdurer pendant plus de 1000 ans après l'interdiction des cultes païens, raison pour laquelle elle a condamné les sorcières au bûcher, car les secrets de la guérison par les plantes et de la magie étaient dus à Diane et se transmettaient dans la lignée féminine, de mère en fille.
La preuve en est que Paracelse (portrait, ci-dessus), lorsqu'au 16ème siècle il voulut redécouvrir la médecine, désormais détruite par la religion chrétienne qui avait aboli les écoles et le savoir, alla dans les campagnes interroger les femmes, qui lui révélèrent, au moins en partie, les herbes et la magie. Paracelse reconnaît la sagesse de certaines figures féminines qui sont fondamentales pour son savoir médical et au-delà. Pour lui, la femme est la matrice (matrix), dans le monde visible et invisible, qui cache en elle le secret de la nature. Alors que selon la tradition, à commencer par Hippocrate, et aussi pour les Grecs, la femme n'est que le vase qui recueille la semence, pour Paracelse le sentiment de la femme enceinte est déterminant pour l'aspect de l'âme de l'enfant.
Lors de la fête de Diane Aventine, le monde était guéri de la malice et de l'injustice, de sorte que les serviteurs et les maîtres se rendaient ensemble au temple sur l'Aventin, puis dans les bois, pour un pique-nique sain ante litteram. C'était donc la divinité la plus redoutée par les chrétiens, car elle était la déesse du pagus, c'est-à-dire des villages, et le paganisme était beaucoup plus difficile à éradiquer que la religion romaine officielle des villes.
LES FÊTES D'AOÛT
1er août - TEMPLUM MARTIS ULTORIS in Foro Augusti. Dedicatio du temple de Mars Ultor dans le Forum Augusti, construit par Auguste après la bataille de Philippes.
1er août - TEMPLUM SPEI, en l'honneur de la déesse Spes, l'Espérance. Anniversaire de la dédicace du temple.
5 août - TEMPLUM SALUTIS, en l'honneur de Salus (statue, ci-dessus), déesse de la santé et de la prospérité privée et publique. En 311 av. C. Iunius Bubulcus avait promis à la déesse un temple sur la colline de Quirinalis.
9 août - TEMPLUM SOLIS INDIGETIS, première fête en l'honneur du dieu Sol Indiges. Dedicatio du temple du Soleil Indige.
12 août - LYCHNAPSIA, en l'honneur de la déesse égyptienne Isis.
12 août - TEMPLUM VENERIS VICTRICIS, en l'honneur de Vénus Victrix. La dédicace du temple a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HERCULIS INVICTI en l'honneur d'Hercule Invictus. La dedicatio a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HERMETIS INVICTI en l'honneur d'Hermès Invictus, Hermès le Victorieux. La dedicatio a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HONORIS, VIRTUTIS, FELICITATI en l'honneur des Dieux Honor, Virtus et Felicitas, (Honneur, Vertu et Bonheur). La dédicace du temple est commémorée.
13 août - Fête de DIANA AVENTINA. Les prérogatives de Diane sont ensuite transmises à la Vierge Marie, vierge comme Diane, mais alors que la déesse porte la corne de lune dans ses cheveux, la Vierge Marie la piétine ainsi que l'ancien serpent, symbole de la Grande Mère, qui est également diabolisé.
13 août - VERTUMNALIA, dédiée au dieu Vortumnus (Vertumnus ou Vortumnus), l'ancien dieu étrusque des saisons, celui qui faisait mûrir les fruits.
13 août - HERCULES VICTOR, pour l'anniversaire du temple dédié au dieu Hercule Victor.
13 août - FLORALIA, pour l'anniversaire du temple dédié à la déesse Flora.
13 août - CASTOR ET POLLUX, pour l'anniversaire du temple dédié à Castor et Pollux. Les "Dioscures" qui décidèrent du sort de la bataille du lac Regillus (496 av. J.-C.) en annonçant leur victoire sur les Latins dans le Forum.
17 août - les PORTUNALIA, célébrant Portunus (Portunus ou Portumnus), le dieu des ports, en même temps que Janus (Ianus), le dieu qui regarde vers le passé et l'avenir (photo: temple de Portunus).
19 et 20 août - VINALIA RUSTICA, fête du vin en l'honneur de Jupiter (Iuppiter), où l'on demandait la protection des raisins en cours de maturation.
19 août - VENUS, pour l'anniversaire du temple dédié à la déesse Vénus.
21 août - CONSUALIA, dédiée à Conso (Consus), dieu des récoltes.
23 août - VOLCANALIA, dédiée à Vulcain (Vulcanus), dieu du feu, fabricant d'armes et de foudre.
24 août - MUNDUS PATENS, première fête des dieux du monde souterrain. Dans le comitium, il y avait une ouverture qui communiquait avec le monde souterrain. L'ouverture était fermée par le "lapis manalis". Trois fois par an, le lapis était levé.
25 août - OPICONSIVIA, pour célébrer Opis Consiva, une ancienne déesse romaine protectrice de l'abondance et de l'agriculture, qui a reçu l'attribut Consiva signifiant "qui sème, qui plante", à sa protection était confié le grain récolté et stocké dans les greniers.
27 août - VOLTURNALIA, en l'honneur du dieu Volturnus (en latin Vulturnus), père de la nymphe Giuturna (Iuturna), patronne de la source qui alimentait le "lacus Iuturnae", dans le Forum.
28 août - TEMPLUM SOLIS ET LUNAE IN CIRCUS MAXIMO, pour la dedicatio du Temple du Soleil et de la Lune.
28 août - VICTORIAE, fête de la déesse Victoria, la Nike grecque.
30 août - MUNDUS PATENS, en l'honneur des morts.
En plus de ces temples ouverts pour les Feriae Auguste, le prêtre du dieu Quirinus offrait un sacrifice sur un autel dans le temple souterrain situé sous le Circus Maximus. Bien entendu, pendant tout le mois, on ne travaillait pas et on festoyait souvent devant les temples aux frais de l'État.
César Auguste accorda donc un mois de vacances au peuple romain, notamment parce qu'en août, les travaux des champs étaient terminés et que les paysans se sentaient bien. De plus, à Rome, il y avait presque toujours des jours de fête, 25 jours de fête, ce qui, avec le couronnement d'Octave, en faisait 26, alors autant déclarer une fête pour tout le mois, ce qu'Octave fit, sous les acclamations du peuple.
COSMOS
bulletin d'information n° 165
"Ferragosto et l'Assomption
Comment en est-on arrivé à célébrer l'Assomption le 15 août?
Marie, mère de Dieu, n'était pas très présente dans les Évangiles: elle disparaît avec la descente de l'Esprit Saint, mais dans les Évangiles apocryphes, elle est mentionnée avec le Transit de la Vierge Marie attribué à Joseph d'Arimathie et, au 6ème siècle, avec la Dormition de la Vierge Marie de saint Jean le Théologien.
Le culte de l'Assomption n'a commencé à se répandre qu'entre le 4ème et le 5ème siècle. À Jérusalem, il a commencé à être célébré au début du 6ème siècle dans l'église construite sur le site de Gethsémani, où Marie aurait été enterrée. L'empereur Maurice ordonna d'étendre la célébration à tout l'empire et, vers l'an 1000, elle devint un anniversaire où l'on se reposait. Appelé "Dormition", ce repos n'était pas clairement défini : tantôt il s'agissait d'un corps non corrompu, tantôt d'un corps enveloppé de lumière et porté au ciel par les anges.
Mort ou endormi ? Le débat s'est poursuivi pendant des siècles, jusqu'à ce que, en 1950, Pie XII confirme que l'Assomption est un fait divinement révélé, l'œuvre de l'Esprit Saint.
Mais Ferragosto, en Italie, est une fête très ancienne qui, comme beaucoup d'autres fêtes devenues chrétiennes, a des origines païennes.
OPS
En 18 avant J.-C., l'empereur romain Octave, proclamé Auguste (c'est-à-dire vénérable et sacré) par le sénat romain, déclara que tout le mois d'août serait férié et consacré aux Feriae Augusti, une série de célébrations solennelles, dont la plus importante tombait le 13 et était dédiée à Diane, la patronne du bois, des phases de la lune et de la maternité.
La fête était célébrée dans le temple dédié à la déesse et constituait l'une des rares occasions où les Romains, maîtres et esclaves, se mêlaient librement.
Diane était célébrée à Rome, en Grèce sous le nom d'Athéna, et au Proche-Orient, à la même époque, on fêtait une autre Grande Mère, la déesse syrienne Atargatis, connue sous le nom de déesse Syrie, qui était considérée comme la protectrice de la fertilité et des travaux des champs.
Outre Diane, les Feriae étaient une fête dédiée à Vertumnus, dieu des saisons et de la maturation des récoltes, à Consus, dieu des champs et à Ops, déesse de la fertilité. En bref, les Feriae étaient une célébration de la fertilité et de la maternité et, comme beaucoup d'autres fêtes, elles étaient d'origine orientale.
Avec le christianisme, ces mêmes prérogatives ont été attribuées à la Vierge Marie, dont la solennité a commencé à être célébrée à la place de celle de Diane. Quoi qu'il en soit, la tradition du mois d'août comme mois des Feriae s'est maintenue, ce qui explique que les usines et les magasins restent encore "fermés pour cause de vacances" jusqu'à la fin du mois d'août, même si personne ne se souvient de l'empereur qui les a instituées comme une autocélébration.
Les premières traces d'occupation humaine dans la vallée du lac Nemi remontent à l'âge du bronze. La forêt, lieu sacré dans toutes les civilisations indo-européennes, était le siège de cultes liés à la grande et toute-puissante déesse-mère - déesse de la vie sous toutes ses formes, humaine, animale et végétale - identifiée plus tard à Diane et assimilée à Artémis, dont le symbole était la lune : le lac Nemi, dans lequel se reflète la lune, était appelé "le miroir de Diane". Dans son temple, un rendez-vous fixe était fixé chaque année le 13 août, l'"Idus nemorenses", d'où les "feriae augustae".
Le terme Ferragosto désigne donc une fête populaire qui, à la mi-août, célébrait la fin des travaux agricoles. Cette fête, typiquement romaine, a été rendue obligatoire à la Renaissance par décret papal".
LA FÊTE DE L'ASSOMPTION
La Dormitio
Avec le christianisme, toutes les fêtes païennes ont été abolies, au grand dam du peuple, en particulier la fête du temple de Diane Aventine. Pour apaiser le mécontentement, mais aussi pour empêcher les gens de se rendre sur l'Aventin, le temple ayant été détruit, l'Église décréta au 6ème siècle la fête de la Dormition de la Vierge Marie, avec son Assomption au ciel, le 15 août. Cependant, ce n'était pas encore l'Assomption de Marie.
Depuis la Renaissance, les fêtes ont été rendues obligatoires par des décrets papaux. La Dormitio, ou sommeil de Marie, devait être comprise comme le passage à la vie éternelle par son assomption au ciel avec son corps. Ce n'est pas nouveau, c'est aussi arrivé à Sémélé, dans le mythe grec, déesse de la lune rétrogradée en femme, amante de Jupiter et mère de Dionysos, qui a été élevée au ciel avec son corps et son âme au moment de sa mort, c'est-à-dire un instant avant.
LE DOGME
Cette croyance en la Vierge Marie a été transformée en dogme par le pape Pacelli Pie XII en 1950 (alors que l'immaculée conception avait déjà été déclarée dogme par Pie IX en 1854).
Le 15 août est donc la plus haute fête mariale.
Voici les précédents du dogme :
Le Transitus de la Vierge Marie, attribué à Joseph d'Arimathie.
L'ASSOMPTION DE LA VIERGE
- La Vierge avait donc demandé à son Fils de l'avertir de la mort trois jours auparavant. La promesse se réalisa : la deuxième année après l'Ascension, Marie était en train de prier lorsque l'ange du Seigneur lui apparut avec une branche de palmier et lui dit : "Dans trois jours aura lieu ton Assomption".
- La Vierge a convoqué Joseph d'Arimathie et d'autres disciples du Seigneur à son chevet et leur a annoncé sa mort.
- Le dimanche, à la troisième heure, comme l'Esprit Saint descendait sur les apôtres dans une nuée, le Christ descendit lui aussi avec une multitude d'anges et reçut l'âme de sa mère bien-aimée.
- La splendeur de la lumière et le doux parfum qui se dégageait lorsque les anges chantaient le Cantique des Cantiques au moment où le Seigneur dit : "Comme un lis parmi les épines, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes filles" étaient si grands que tous ceux qui étaient là tombèrent sur leur visage, comme les apôtres lorsque le Christ s'était transfiguré en leur présence sur le mont Thabor, et pendant une heure et demie, personne ne put se relever.
- Puis la lumière s'est éteinte et, avec elle, l'âme de la Vierge Marie a été emportée au ciel dans un chœur de psaumes, d'hymnes et de cantiques. Et lorsque le nuage s'éleva, la terre entière trembla et, en un seul instant, tous les habitants de Jérusalem virent clairement la mort de la sainte Marie. "
- A ce moment-là, Satan incita les habitants de Jérusalem à prendre les armes et à s'en prendre aux apôtres pour les tuer et s'emparer du corps de la Vierge, qu'ils voulaient brûler. Mais un aveuglement soudain les empêcha d'exécuter leur plan et ils finirent par s'écraser contre les murs. Les apôtres s'enfuirent avec le corps de la Vierge, le portant jusqu'à la vallée de Josaphat où ils le déposèrent dans un tombeau : à cet instant, une lumière venue du ciel les enveloppa et, alors qu'ils tombaient à terre, le saint corps fut enlevé au ciel par des anges.
Voilà le dogme de la Vierge :
Le dogme catholique a été proclamé par le pape Pie XII le 1er novembre 1950, l'année sainte, par la "Constitution apostolique-Munificententissimus-Deus" (Dieu très généreux). Il s'agit du dernier dogme, après les deux proclamés par Pie IX au 19ème siècle.
"C'est pourquoi, après avoir de nouveau adressé à Dieu des supplications et invoqué la lumière de l'Esprit de Vérité, à la gloire du Dieu tout-puissant, qui a répandu sur la Vierge Marie sa bienveillance particulière pour l'honneur de son Fils, le Roi immortel des siècles et vainqueur du péché et de la mort pour la plus grande gloire de son auguste Mère et pour la joie et l'exultation de toute l'Église, par l'autorité de notre Seigneur Jésus-Christ, des saints apôtres Pierre et Paul, et la nôtre, nous prononçons, déclarons et définissons comme dogme révélé par Dieu que l'immaculée Mère de Dieu, toujours vierge Marie, ayant achevé le cours de sa vie terrestre, a été revêtue de la gloire céleste en corps et en âme.
Par conséquent, si quelqu'un, à Dieu ne plaise, osait nier ou mettre volontairement en doute ce qui a été défini par Nous, qu'il sache qu'il a manqué à sa foi divine et catholique. "
ANATHEME SIT !
Le dogme de l'infaillibilité papale ex cathedra, par lequel le pape:
"jouit de l'infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Église soit pourvue pour définir la doctrine concernant la foi et les mœurs : c'est pourquoi ces définitions du Pontife romain sont immuables par elles-mêmes, et non par le consentement de l'Église. Si donc quelqu'un a la prétention de s'opposer à cette Notre définition, à Dieu ne plaise : qu'il soit anathème. "
(Pastor Aeternus, 18 juillet 1870)
L'Église reconnaît donc qu'en cette occasion précise, le pape a proclamé un dogme en exerçant la fonction de Pasteur et de Docteur de tous les chrétiens, et donc avec le charisme de l'infaillibilité.
En 1854, Pie IX a proclamé ex cathedra (c'est-à-dire sans l'approbation du Conseil des évêques) le dogme de l'Immaculée Conception de Marie. Ce dogme établit que, dès sa conception, elle n'a pas été souillée par le "péché originel".
Qui avait établi l'existence du péché originel ? Le pape avec le Concile, bref Jésus n'y est pour rien.
Cette proclamation n'a pas du tout plu aux évêques, car dans l'Église primitive, la question de la foi était définie par les conciles et non par le pape. Comme au concile de Nicée, où la divinité du Christ a été définie en l'absence du pape et avec une faible participation de l'Occident. La controverse portait principalement sur la possibilité pour le pape de proclamer des dogmes de foi sans le conseil des évêques.
Les protestations sont nombreuses, notamment de la part de l'évêque de Pittsburgh, trois mois après le début du concile : "Un coup mortel. Nous allons devoir avaler ce que nous avons vomi" ; l'accusation, souvent portée contre les catholiques, de considérer le pape comme une divinité, le préoccupe. Dans le passé, ces accusations ont toujours été rejetées, mais une fois l'infaillibilité déclarée, comment pourrons-nous nous défendre ?
Le non-respect du dogme entraîne l'anathème, qui, dans l'Ancien Testament, est la destruction totale :
"Ce qui est entré en contact avec la divinité païenne est désormais maudit, ne peut être touché, doit être voué à une destruction complète ; c'est l'anathème. Comme les choses, un peuple peut être anathème. Dans le Deutéronome, on peut lire: "Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, et qu'il aura chassé devant toi plusieurs nations : les Héthiens, les Jergésiens, les Amorites, les Phéréziens, les Égyptiens, les Cananéens et les Jébusiens, sept nations plus grandes et plus puissantes que toi, lorsque le Seigneur ton Dieu les aura mises en ton pouvoir et que tu les auras vaincues, tu les voueras à l'extermination ; tu ne feras pas d'alliance avec elles et tu ne leur accorderas pas de faveur" (Deutéronome 7,1-2).
Dans l'Église catholique et orthodoxe, l'anathème est devenu une malédiction qui condamne au diable les hérétiques et les sorcières, ainsi que les dissidents, par exemple ceux qui ne croient pas au dogme.
Le résumé sur le dogme :
1) Qui a établi que le Pape est infaillible lorsqu'il parle du dogme ?
- Le Pape.
2) Qui a établi que le Pape, lorsqu'il parle en dogme, est inspiré par Dieu ?
- Le Pape.
3) Qui détermine si, à un moment donné, le Pape parle par le dogme ou sans le dogme ?
- Le Pape.
4) En bref, qui a inventé le dogme du Pape ?
- Toujours le Pape. Même les empereurs romains, pourtant pontefici maximi, n'avaient jamais été aussi loin.
La synthèse du dogme :
1) L'Assomption de Marie est une anticipation de la résurrection de la chair, qui pour tous les autres hommes n'aura lieu qu'à la fin des temps, lors du Jugement dernier.
- Une simple anticipation ? Tant de bruit pour si peu ?
2) L'Eglise anglicane a déclaré en 2005 par un document de la Commission Internationale Catholique Anglicane qu'elle acceptait l'Assomption de Marie, mais pas en tant que dogme.
- Ce qui signifie qu'il n'est pas obligatoire de l'accepter, d'accord, mais l'ont-ils acceptée ou non ?
3) Les chrétiens orthodoxes et arméniens célèbrent la Dormition de Marie : Marie serait assumée au ciel après sa mort.
- C'est-à-dire que son cadavre aurait été transporté dans le monde immatériel du Paradis ?
4) Ni la Dormition ni l'Assomption ne sont un dogme chez les orthodoxes ou les Arméniens. La principale différence entre la Dormition et l'Assomption est que cette dernière n'implique pas nécessairement la mort, mais ne l'exclut pas non plus.
- Encore une fois, que voulez-vous dire par "elle ne l'exclut pas", vous déclarez que c'est un dogme mais vous ne savez pas comment cela s'est produit ? Dieu le lui a-t-il à moitié expliqué ?
5) Les Eglises protestantes, par contre, ne croient pas à l'Assomption de Marie, car elle n'est pas racontée dans l'Evangile.
- S'ils ne reconnaissent pas le Pape, ils n'acceptent certainement pas ce qu'il dit comme dogme.
LA MORALE DE LA FABLE
Il n'était pas bon de célébrer une fête qui concernait les Romains anciens et païens, il fallait inclure une fête catholique importante, et voici l'Assomption, mais pas question, les Romains continuent à célébrer les Feriae Augusti, ou, en langue vernaculaire, la fête de l'Assomption.
BIBLIOGRAPHIE
- Giovanni Pugliese Carratelli - Imperator Caesar Augustus - Index rerum a se gestarum - avec introduction et notes - Naples - 1947 -
- Luciano Canfora - Auguste fils de Dieu - Bari - Laterza - 2015 -
- Arnaldo Marcone - Auguste - Salerne - 2015 -
- John F. Donahue - 'Towards a Typology of Roman Public Feasting' in Roman Dining - A Special Issue of American Journal of Philology - University Press - 2005 -
- Georges Dumézil - Fêtes romaines - Gênes - Il Melangolo - 1989 -
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lundi, 14 août 2023
Se mouvoir ou rester sur place
Se mouvoir ou rester sur place
Source: https://www.heliodromos.it/muoversi-o-stare/
La distinction opérée par Evola quant au concept de liberté ("liberté pour quoi" et "liberté de quoi") est bien connue et peut s'appliquer à la liberté de mouvement elle-même : l'un des paramètres fondamentaux pour mesurer les conditions d'autonomie et d'indépendance de l'être humain. Il s'agit en fait de l'une des libertés les plus restreintes et les plus menacées aujourd'hui. En effet, lors des récents "tests techniques" de la tyrannie, sous le prétexte de l'urgence pandémique, nous avons eu un petit avant-goût de ce qui peut et ne peut pas être fait à l'avenir. Un avant-goût significatif (mais pas définitif!) du point final du capitalisme de surveillance et de la cage dans laquelle l'existence humaine sera emprisonnée, très bientôt. Mais, en reprenant Evola, il est important et fondamental de s'interroger sur les motivations qui déterminent le mouvement: bouger pourquoi? pour aller où? pour faire quoi?
L'énorme richesse des possibilités spirituelles garanties par les sociétés traditionnelles s'oppose à la tendance moderne stérile à l'uniformisation des individus, qui se concrétise dans la classification et le classement capillaire (civil, sanitaire, financier, culturel et même religieux) de chaque sujet, contraint à des espaces d'existence de plus en plus étroits et limités. Et ce, malgré la supériorité intellectuelle et vitale revendiquée de l'homme moderne, réduit par ses administrateurs à un nombre anonyme et relégué à une multiplicité indistincte. Dans un tel contexte, la poursuite incessante du changement constant, du mouvement abrutissant et du déplacement irrépressible d'un lieu à un autre risque d'être réduite au seul aspect néfaste et dissolvant, propre à l'instabilité du caractère et au manque d'équilibre intérieur; ce qui a pour contrepartie l'énorme concentration de la fourmilière humaine dans des mégalopoles toujours plus grandes et plus peuplées, emprisonnées dans le pire et le plus grossier matérialisme; ce qui s'aventure dans des migrations de masse périodiques - de véritables troupeaux en transhumance! - pour retourner, inévitablement, à leur propre captivité quotidienne.
L'obsession toute démocratique des départs (plus ou moins intelligents !) de flots indistincts de vacanciers et d'usagers méticuleux du "pont-vacances", prétend faire passer pour une liberté de mouvement ce qui n'est qu'une tentative d'évasion de soi et une immersion répétée dans le conformisme ordinaire de la même monotonie quotidienne, par ceux qui n'ont rien à faire; pour qui l'on change simplement de décor, de panorama ou - comme le disent les colonisés mentaux - de lieu. Cette manie d'errer en masse sur les plages bondées ou dans les ruelles profanées et outragées des soi-disant villes d'art, n'est qu'un alibi et une occasion de faire ressortir le pire de soi-même, de sublimer ses défauts, de donner libre cours à ses pires instincts, de se sentir autorisé à s'adonner au bruit et à la vulgarité; dans une migration forcée, d'échapper et de se soustraire à la correction, à la politesse, à la sobriété, à la règle et à la mesure.
Il n'est donc pas surprenant que les migrations modernes n'aient rien à voir avec ce qui était autrefois des pèlerinages religieux ou des voyages initiatiques, prenant, dans leur volontarisme apparent, une signification pathologique, en raison de la vacuité intérieure absolue de leurs protagonistes. Et même lorsqu'ils devraient avoir une finalité fortement utilitaire et économique, comme, par exemple, dans la course folle vers les territoires de l'Ouest de l'épopée américaine, dont l'aventurier anarchique "on the road" de la beat generation a voulu représenter, avec son nomadisme et son errance, une sublimation littéraire et intellectuelle, l'absence totale se confirme toujours, non seulement d'un sens spirituel et religieux, mais d'une véritable raison d'être de tels phénomènes.
Et justement, en ce qui concerne le nomadisme, ce que Guénon a dit du théâtre et de son itinérance originelle avec une fonction religieuse reste valable, avec les risques relatifs liés à la désacralisation du phénomène lorsqu'il tombe en décadence, car on connaît la méfiance, voire l'aversion, que l'on ressentait au Moyen-Âge à l'égard des acteurs et des itinérants en général. Kantorowicz raconte que pour Frédéric II, les "chevaliers errants et même les troubadours, qui troublaient sa tranquillité par leurs chants, étaient sans aucun doute indésirables dans l'organisme solide de son État, et autant qu'il le pouvait, il essayait d'empêcher l'errance et les voyages, sauf au service du gouvernement". Et c'est peut-être précisément la substitution moderne du théâtre au cinéma qui a vu, chez les protagonistes de ce dernier, un véritable déchaînement de toutes les puissances négatives et dissolvantes d'une profession "dangereuse", autrefois privée de toute protection rituelle.
Guénon rappelle encore que les "petits mystères", relatifs aux lois du devenir, s'accomplissent en suivant la roue cosmique; tandis que les "grands mystères" se rapportent aux principes immuables et exigent "la contemplation immobile dans la "grande solitude", dans le point fixe qui est le centre de la roue, dans le pôle invariable autour duquel s'opèrent les révolutions de l'Univers manifesté, sans qu'il y participe" (A propos des Pèlerinages, Le Voiles d'Isis, juin 1930).
Le mouvement de rotation autour d'un centre représente, en principe, le seul mouvement raisonnable et motivé - avec sa valeur intrinsèque étymologiquement "révolutionnaire" - pour que la vie de chacun se déroule dans l'ordre, l'harmonie et selon la Norme supérieure. Plus l'influence attractive du Centre est forte, plus la possibilité de se déplacer en toute sécurité sur le pourtour est grande. Le caractère cyclique et répétitif des différents passages représente seulement - de temps en temps - une confirmation et un renforcement de chaque valence et caractéristique des points touchés et traversés le long du chemin. Il suffit de penser au mouvement des corps célestes (au Ciel), ou au passage par les différents points cardinaux (sur la Terre) ; sans oublier la succession annuelle des Saisons, avec la charge d'influences spirituelles et de manifestations matérielles et subtiles qu'elles conservent en elles-mêmes ; là où vraiment la dynamique vitale de la manifestation trouve son expression maximale, comme dans le cas de l'exubérante floraison printanière, par opposition à l'arrêt mortel de l'immobilité terminale de chaque cycle d'existence, jusqu'à l'accomplissement de toutes ses possibilités : où se reflète, sous une forme inversée, la stabilité immuable du Principe.
Et c'est précisément la raison pour laquelle, dans toutes les voies de réalisation et dans toutes les techniques d'ascèse, le corps du pratiquant assume (comme dans la position du lotus du yoga, dans la prière du dévot musulman, dans l'agenouillement du chrétien) une position de stabilité immuable et de ferme concentration, visant à la domination des sens et de la pensée, à la calme indifférence et à la complète fermeture et imperméabilité aux appels du monde extérieur, transformant ainsi son support physique en la parfaite représentation d'une Montagne ferme et inébranlable.
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samedi, 12 août 2023
Franz Cumont, un pionnier de l'esprit des cultes du Bas-Empire
Franz Cumont, un pionnier de l'esprit des cultes du Bas-Empire
par Giovanni Balducci
Source: https://www.centrostudilaruna.it/franz-cumont-un-pioniere-dello-spirito-fra-i-culti-del-tardo-impero.html
Né en 1868 à Alost, en Flandre orientale, Franz Cumont fut l'un des plus éminents archéologues et philologues de son temps, capable d'exercer une influence décisive sur l'école moderne de l'histoire des religions à travers des études fondamentales, en particulier celles consacrées à la diffusion des cultes orientaux dans l'Empire romain. Son travail consacré aux Mystères de Mithra, qui a également attiré l'attention de Julius Evola, a été fondamental.
De formation internationale, il a été fortement influencé par la "civilisation de la conversation", qui a connu son apogée dans la culture française, et par la grande tradition philologique allemande. Fervent et passionné par la Rome antique, Cumont a également entretenu des liens étroits avec notre pays, l'Italie: ami de Maria-José de Belgique, future reine d'Italie, il faisait avec elle de longues promenades dans les ruines de l'Urbs et fréquentait le salon culturel d'Ersilia Caetani Lovatelli, première femme à entrer à l'Accademia dei Lincei et amie de Gabriele d'Annunzio et de Theodor Mommsen.
Il a contribué à la rédaction de nombreuses études encyclopédiques et s'est livré à de nombreuses "recherches sur le terrain": ses voyages en Turquie, en Arménie, au Pont Euxin et celui qu'il a effectué pendant le difficile entre-deux-guerres politique et culturel sur les rives de l'Euphrate, à Doura-Europos, un site que son ami et collègue Rostovtzeff n'hésitera pas à qualifier de "Pompéi du désert" en raison de son excellent état de conservation, ont été importants.
Sa conception laïque de l'existence ne l'empêche pas de s'intéresser scientifiquement à l'astrologie, que la culture positiviste dominante de l'époque ne considère que comme une aberration puérile ne méritant pas d'être analysée.
Parmi les pratiques cultuelles auxquelles le philologue belge a été confronté, l'une des plus intéressantes est certainement celle du taurobolium, dont la première traduction italienne de l'étude qui lui est consacrée a été récemment publiée par les éditions Aragno. Originaire d'Asie Mineure, le rite du taurobolium s'est répandu à Rome à partir du 2ème siècle après J.-C., consistant en un rite sacrificiel sanglant impliquant la mise à mort d'un taureau, auquel on attribuait des vertus rédemptrices par le sang versé. Le chrétien Prudence rapporte que ceux qui le subissaient étaient salués par la foule des croyants comme "renaissant à l'éternité".
Le taurobolium était lié à Rome au culte de la déesse Bellone, divinité qui, dans la mythologie romaine, incarnait la guerre dans sa réalité la plus élémentaire et la plus fondamentale, et dont l'iconographie était assimilée, par le génie des poètes antiques, à celle des Furies.
Le mot grec composé de ταῦρος "taureau" et de βάλλω "frapper", d'où le mot latin tardif taurobolium, désignait dans le monde gréco-romain un culte dans lequel le fidèle était introduit dans une sorte de cellule souterraine (une fosse), recouverte d'un plancher en treillis de bois, tandis qu'un prêtre sacrifiait un taureau juste au-dessus du treillis, de telle sorte que le sang de la victime animale s'écoulait sur le fidèle, qui attendait en contrebas d'être aspergé par la pluie de sang à laquelle on attribuait des vertus purificatrices, rédemptrices et revitalisantes.
La découverte d'un certain nombre d'images sur des autels liés au taurobolium (rappelons celles trouvées sur des autels lyonnais ou les vestiges de la Frigiane vaticane qui se trouvait à l'emplacement de l'actuelle basilique Saint-Pierre), sans nous donner une représentation claire de l'acte de sacrifice et de "baptême", nous fournit quelques informations sur l'appareil cérémoniel utilisé. Nous apprenons, par exemple, que l'arme utilisée pour immoler la victime était une épée courte, pointue, à double tranchant et à la pointe torsadée en forme de crochet. Cette conformation particulière permettait qu'une fois l'épée enfoncée dans la poitrine de la victime, la manœuvre que le victimaire devait effectuer pour l'extraire, élargisse la plaie, provoquant ainsi un écoulement de sang plus rapide et plus violent.
Mais la cérémonie du taurobolium, qui connut un succès surprenant lors du déclin du paganisme, n'est pas seulement remarquable par la similitude des espoirs qu'elle a suscités avec certaines croyances chrétiennes. Elle est un produit très caractéristique de ces religions orientales où des traditions grossières, survivances d'un passé barbare, ont été mises au service d'une théologie très avancée: en l'occurrence celle des mages perses. Le rituel lui-même est un bain de sang qui rappelle une orgie cannibale ; sa prétendue efficacité répond aux plus hautes aspirations de l'homme à la purification spirituelle et à l'immortalité.
Franz Cumont, Il taurobolio e il culto di Bellona, édité par Giovanni Balducci, Aragno, Turin 2023, pp. 93, 13 euro.
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vendredi, 30 juin 2023
La Voie des Pères et la Voie des Dieux
La Voie des Pères et la Voie des Dieux
Pierre-Emile Blairon
« D’une manière générale, avec l’avènement de l’humanisme et du prométhéisme, il a fallu choisir entre la liberté du souverain et celle du rebelle, et l’on a choisi la seconde ».
En une phrase, Julius Evola avait dévoilé le sort de notre humanité[1] en indiquant les causes les plus visibles du déclin que nous vivons aujourd’hui.
Un admirateur de la pensée du « philosophe au marteau[2] », Friedrich Nietzsche, serait étonné, voire scandalisé, que Julius Evola établisse un rapport de cause à effet entre le premier de ces termes : l’humanisme, et le deuxième : le prométhéisme, autrement dit le surhumain[3]. Il se consolerait cependant en se rappelant que Nietzsche disait lui-même « On n’est fécond qu’à ce prix : être riche de contradictions[4]. »
Et nous ajouterons que le même lien existe entre le terme surhumanisme et un autre, encore plus moderne, qui fait florès aujourd’hui, et dont on aimerait bien qu’il ne reste qu’à l’état d’un mot: celui de transhumanisme.
On ne peut comprendre cette filiation régressive que si l’on a su se débarrasser de la mystification darwinienne de l’évolution[5] qui pèse sur la mentalité de l’homme moderne comme un dogme incontournable. Ce rejet libérateur suppose être déjà entré dans un processus fondamentalement et authentiquement révolutionnaire, ce qu’avait expliqué, prôné et initié Julius Evola[6], qui eut cette phrase sublime et définitive : « Le fait qu’à la conception aristocratique d’une origine d’“en haut”, d’un passé de lumière et d’esprit, se soit substituée de nos jours l’idée démocratique de l’évolutionnisme, qui fait dériver le supérieur de l’inférieur, l’homme de l’animal, la civilisation de la barbarie – correspond moins au résultat "objectif" d’une recherche scientifique consciente et libre, qu’à une des nombreuses influences que, par des voies souterraines, l’avènement dans le monde moderne des couches inférieures de l’homme sans tradition, a exercées sur le plan intellectuel, historique et biologique. »
En invoquant la réalité de l’involution, ce n’est évidemment pas Evola qui pratique l’inversion des valeurs mais bien l’écrasante majorité de nos contemporains qui ignorent que cette représentation est en accord avec l’une des caractéristiques qui définissent une fin de cycle, précisément le fait qu’aux tout derniers moments du Kali-Yuga, toutes les valeurs qui assuraient la forme d’une civilisation se trouvent complètement inversées.
Humanisme
Les dictionnaires s’accordent pour donner deux définitions du mot humanisme : la première désigne un mouvement philosophique, artistique et littéraire qui naquit en Italie à l’aube de la période dite de la Renaissance (XVe – XVIe siècle), qui se propagea à toute l’Europe et qui s’attacha à réveiller les valeurs transmises par l’Antiquité (concept qui resta ensuite dans le langage courant pour désigner les études consacrées à cette période : faire ses « humanités »). Il n’est pas inutile de rappeler que, pour les historiens profanes, la « Modernité » débute à la Renaissance, ce qui induit que la Renaissance, par un retournement sémantique inclus dans toute fin de cycle, était donc le début de la fin[7].
La seconde définition indique que l’humanisme est « de nos jours, toute théorie philosophique, sociale, politique, ayant pour but suprême le développement illimité de toutes les possibilités de l’homme» (Larousse)
En ce qui concerne la première définition du mot humanisme, Julius Evola disait ceci : « On voudrait voir dans la Renaissance, sous beaucoup de ses aspects, une reprise de la civilisation antique, découverte de nouveau et réaffirmée contre le monde morne du christianisme médiéval. Il s'agit là d'un grave malentendu. La Renaissance ne reprit du monde antique que des formes décadentes et non celles des origines, pénétrées d'éléments sacrés et supra-personnels, ou les reprit en négligeant complètement ces éléments et en utilisant l'héritage antique dans une direction tout à fait différente. Dans la Renaissance, en réalité, la « paganité » servit essentiellement à développer la simple affirmation de l'Homme, à fomenter une exaltation de l'individu qui s'enivre des productions d'un art, d'une érudition et d'une spéculation dénuées de tout élément transcendant et métaphysique[8]. »
Et nous ne serons pas surpris que Julius Evola ait préféré voir dans le Moyen-Âge cette « Renaissance » qui pouvait constituer, à notre humble avis, une résurgence miraculeuse, éphémère sûrement, de la Tradition primordiale, notamment avec le cycle du Graal.
« Si, depuis la fin du monde antique », dit-il, « il y eut une civilisation qui mérita le nom de Renaissance, ce fut bien celle du Moyen-Âge. Dans son objectivité, dans son « virilisme », dans sa structure hiérarchique, dans sa superbe élémentarité anti-humaniste, si souvent pénétrée de sacré, le Moyen-Âge fut comme une nouvelle flambée de l'esprit de la civilisation, universelle et une, des origines[9]. »
Nous dirons que Julius Evola pouvait, en revanche, être en accord avec la deuxième définition ; il semble que les rédacteurs des divers dictionnaires qui ont, à la quasi-unanimité, adopté son libellé, n’aient pas perçu les nombreuses conséquences qu’elle pouvait entraîner, spécialement à notre époque où, par un effet naturel, certains individus favorisés commençant à sentir les prémisses du nouveau cycle, comprennent que l’humain s’est attribué une place au sein de l’univers qui, loin de correspondre à celle que lui a assignée la divinité, n’est que l’expression arrogante de son orgueil.
La tâche principale du prochain cycle que nous devons préparer consistera à remettre l’Homme à sa place. Les Européens traînent avec eux le boulet fruste et brutal de leurs origines supposées dont la doxa évolutionniste a accrédité l’histoire. Julius Evola, qui disait que de l’inférieur ne peut naître le supérieur, ne s’y trompait pas. Nos ancêtres européens de l’Âge d’Or avaient parfaitement conscience d’être intégrés à l’univers cosmique, d’en être à la fois les conducteurs, les protecteurs et les producteurs, les trois fonctions qui régissaient leur monde. Les hommes étaient l’élément régulateur, équilibrant, de ce que les monothéistes ont ensuite dénommé la « création » ; ils n’étaient ni prédateurs ni déprédateurs des autres règnes, animal, végétal, minéral. À l’Homme, missionné par la divinité, incombait la responsabilité de la parfaite harmonie du monde.
Nous conclurons ce paragraphe consacré à l’interprétation de ce concept d’humanisme avec René Guénon qui, dans La Crise du monde moderne, rassemble ses deux volets évoqués plus haut : « Il y a un mot qui fut mis en honneur à la Renaissance, et qui résumait par avance tout le programme de la civilisation moderne : ce mot est celui d’˝humanisme˝. Il s’agissait en effet de tout réduire à des proportions purement humaines, de faire abstraction de tout principe d’ordre supérieur, et, pourrait-on dire symboliquement, de se détourner du ciel sous prétexte de conquérir la terre. »
Surhumanisme
Ce mot, surhumanisme, est souvent associé à deux autres: prométhéisme et titanisme, tous deux issus de la mythologie grecque. Nietzsche se contentait d’appeler de ses vœux le surhomme ou le surhumain, mais on retrouve, à l’origine, le terme de « surhumanisme » sous la plume d’un écrivain nommé Gabriel-Rey pour titrer son livre : Humanisme et surhumanisme paru en 1951; selon cet auteur, le surhumanisme était le contraire de l’humanisme. Le terme sera repris ensuite en France par Giorgio Locchi et Guillaume Faye pour prôner, chez ce dernier, un archéofuturisme largement influencé par la technoscience.
Evola écrivait dans L’Arc et la Massue : « Par « humanisme », nous entendons une vision globale tout entière centrée sur l’homme, sur la condition humaine, ce qui est humain devenant alors l’objet d’un culte, pour ne pas dire d’un véritable fétichisme. » et il faisait un peu plus loin le lien entre humanisme d’une part et prométhéisme ou titanisme d’autre part sans employer, lui non plus, le terme de surhumanisme : « Le prototype de l’esprit humain avec toute sa "noblesse", on le découvre chez le rebelle qui s’est révolté contre les forces supérieures, chez le Titan : Prométhée. »
Titanisme
Dans la mythologie grecque, les Titans constitue une race originelle, archaïque, apparue avant même les dieux olympiens (ainsi appelés en raison de leur demeure, le mont Olympe) ; les Titans sont étroitement liés à l’espèce humaine quelque soit l’origine de celle-ci ; dans un cas, les deux races sont créées par Gaïa, la Terre, (pour les hommes, issus de la Terre, c’est le mythe de l’autotochnie), dans l’autre, les humains sont créés par Prométhée, un Titan.
Prométhée est l’inventeur de l’humanisme (que certains confondent avec l’amour de son prochain, et même de son lointain, de l’humanité en général) et, à ce titre, le précurseur de la passion et de la mission du Christ, d’une part, mais aussi, d’autre part, considérant l’Homme comme maître des autres règnes cosmiques, la référence et l’alibi des folies matérialistes de notre monde actuel, ce que les philosophes appellent l’hubris, la démesure élevée en mode de fonctionnement de nos sociétés actuelles, la folie titanesque ; nous ne prendrons pour seul exemple, caricatural, de cette folie que celui de cette course à celui qui élèvera la plus haute tour au monde (on pense à la Tour de Babel), compétition engagée par les Bédouins milliardaires qui les distrait des courses de chameaux dont ils sont friands ; mais cette frénésie de construction verticale s’étend à l’ensemble de la planète, si bien que les villes de culture qui se distinguaient par une architecture enracinée perdent leur spécificité et sombrent dans l’anonymat et l’uniformité de ces terrifiantes mégapoles dont Oswald Spengler avait si bien prophétisé la sinistre emprise.
Mais nous n’oublions pas pour autant le naufrage du plus grand bateau de l’époque, le Titanic, si bien nommé, coulé par un blanc destroyer venu d’Hyperborée, un iceberg, avertissement très symbolique donné par les divinités au tout début du XXe siècle[10].
Julius Evola est le penseur européen qui a le mieux compris dans quel abîme allait nous entraîner l’initiative malheureuse de Prométhée car, en effet, et nous pouvons le vérifier de nos jours, toute l’histoire de la pensée religieuse en Occident depuis Prométhée nous a conduit à la pitoyable religion des « Droits de l’homme » (qui a succédé à un christianisme gauchisé et laïcisé), elle-même remplacée par la religion scientiste de l’évolution darwinienne, à travers un processus transformiste qui, partant du Titan orgueilleux qui veut se mesurer aux dieux et se retrouve supplicié, passe par le Christ qui choisit d’interpeller les hommes par son martyre, pour arriver au déni de ces deux sacrifices dans l’anarchie jouissive, artificielle, vulgaire et matérialiste de notre fin de cycle.
La fourberie et la vanité du Titan Prométhée qui défia les dieux provoquèrent leur réaction qui firent de l’Homme, qui jouissait d’un statut d’immortel, un être soumis aux contingences matérielles et aux aléas de la nature ; l’humain dégradé se vengera sur cette dernière, réduisant son séjour sur Terre à une lutte pour la survie contre les autres règnes ; il convient de remarquer avec quelque étonnement que les hommes continuent d’honorer celui qui provoqua leur chute. Paul Diel dira : « Les hommes, en tant que créatures de Prométhée, formés de boue et animés par le feu volé, réalisent la révolte du Titan et ne pourront que se pervertir. Guidés par la vanité de l’intellect révolté, fiers de leurs capacités d’invention et de leurs créations ingénieuses, les hommes s’imagineront être pareils aux dieux[11]. »
Prométhée, sa vie, son œuvre
Rappelons brièvement, si c’est possible - l’histoire est compliquée - qui était Prométhée dans la mythologie grecque : il est issu des divinités primordiales apparues avant les dieux de l’Olympe, une race de géants dont les descendants se répartiront en deux clans, celui de Zeus en sortira vainqueur, se débarrassera de ses adversaires mais conservera à ses côtés Prométhée et son frère Epiméthée qui l’avaient rallié à temps ; les nouveaux maîtres de l’univers au nombre de douze, dirigés par Zeus, habiteront un jardin secret situé sur le plus haut sommet de la Grèce, le Mont Olympe ; Prométhée ne fait pas partie des douze élus dans cette mythologie ; la création de l’Homme nous offre deux versions : soit c’est Prométhée qui aurait créé les hommes à partir d’argile, soit l’humain est apparu avant même que Zeus ne soit roi, créé par Gaïa, la Terre, en même temps que les Géants.
Prométhée avait déjà trahi son clan en s’alliant avec celui de Zeus ; mais il n’est pas satisfait de sa condition ; il ne fait pas partie des élus ; il a dans l’idée de défier les Olympiens, et surtout Zeus, en les spoliant au profit de ses protégés, les humains (précisons qu’il n’y a alors que des hommes de sexe mâle), qu’il initiera à l’agriculture, la construction, l’astrologie, la médecine…
Son premier forfait sera de léser Zeus en partageant un bœuf entre les dieux et les hommes ; « comme Prométhée est un dieu à mètis, un roublard, un menteur qui veut essayer de posséder Zeus, de lui jouer un tour, il fraude les parts[12] », explique Jean-Pierre Vernant, le spécialiste de la Grèce antique ; en fait, Prométhée donne aux dieux des os qu’il recouvre de graisse pour les tromper et réserve la viande aux hommes ; Zeus punit les hommes (compères de Prométhée) lorsqu’il se rend compte de la supercherie ; les hommes changent de statut, ils étaient semblables aux dieux, et ils sont dès lors obligés de travailler pour se nourrir et sont privés du feu ; pour couronner le tout, Zeus offre la femme, Pandora, à Prométhée (comme punition supplémentaire ?), qui la refuse, mais le frère de Prométhée, Epiméthée, l’accepte ; voici que s’avance le « mythe » d’Adam et Eve ; car Pandora n’est pas une déesse, elle n’est pas non plus une humaine, c’est une création artificielle ; la boîte que Pandora va ouvrir, soit par curiosité, soit par programmation, est la pomme qu’Eve donnera à croquer à Adam. La boîte de Pandore contient tous les vices, tout ce qui fait que l’Homme ne sera plus parfait, qu’il devra attendre le retour à un nouvel Age d’or pour renouer avec la voie olympienne. Avec la femme, l’Homme en tant qu’espèce va se reproduire lui-même. C’est donc grâce à la femme qu’est créée la « Voie des Pères ». Désormais, l’immortalité des hommes se limitera à un ersatz : la lignée.
Dans ce que nous appelons la Voie des Pères, c’est-à-dire celle des hommes affranchie des dieux, celle des anges rebelles, Evola distingue une hiérarchie : « Tourmentée et dominée par l’élan de l’amour, la nature mortelle cherche à atteindre l’immortalité sous la forme de la continuation de l’espèce, en engendrant. » Ainsi, l’être humain vit son immortalité « tout comme un arbre dont les feuilles mortes sont remplacées par d’autres feuilles. On est ici à l’opposé de la conception de l’immortalité véritable, olympienne, qui implique au contraire la rupture du lien naturaliste et tellurico-maternel, la sortie du cercle pérenne de la génération, l’ascension vers la région de l’immutabilité et de l’être pur. » et Evola ajoute : « Il est évident que "l’immortalité tellurique " ou "temporelle" est une pure illusion […] parce qu’une lignée peut s’éteindre, parce qu’un cataclysme peut mettre un terme à l’existence, non seulement du sang auquel on appartient, mais de toute une race, de sorte que le mirage de cette immortalité est on ne peut plus fallacieux. […] L’enfant n’est pas engendré comme un être immortel qui arrête la série et qui "monte ", il est engendré en tant qu’être identique à eux. C’est l’éternel et inutile remplissage du tonneau des Danaïdes, le vain tissage de la corde d’Oknos, que l’âne du monde psychique inférieur n’en finit pas de ronger[13]. »
La « surhumanité » est une fin, terme pris dans les deux sens : un but et un achèvement ; l’Homme ne sort pas de sa condition, qu’à l’inverse, il va exalter, mais dans laquelle il va rester. La lignée, la Voie des Pères, constitue une sorte de galerie des glaces où l’Homme se mire à l’infini, sur le mode grotesque ou sublime selon les destinées, tournant en rond inlassablement, comme une mouche qui se heurte à la vitre (ouverte) pendant des heures sans pouvoir sortir, alors que la liberté est à sa portée.
Après ses premières frasques et ses premiers déboires, Prométhée ne s’avoue toujours pas vaincu; il va dérober le feu sacré pour le donner aux hommes. Cette fois, c’est Prométhée lui-même qui sera puni, attaché à un rocher au sommet du Caucase, il se verra dévorer le foie par un aigle ; tout est symbole dans la mythologie : l’aigle, attribut de Zeus, l’oiseau qui peut regarder le soleil en face, l’oiseau de la vérité, vient torturer le Titan perfide en lui rongeant le foie qui repousse en permanence ; le foie humain a, de même que la peau, cette particularité de repousser, de se régénérer ; tant que l’Homme, représenté par le Titan et complice, au moins par son silence, du Titan, ne se sera pas soumis aux forces divines, il subira le châtiment là-même où il aura conservé un embryon d’éternité ou, tout au moins, de renaissance. La porte vers l’immortalité ne lui est donc pas définitivement fermée.
De même, les anges déchus que seront devenus les Titans vont conserver dans le dos, avec les omoplates, une ébauche (ou un moignon selon qu’on se tourne vers le passé ou l’avenir), des ailes qui lui auront été rognées. C’est ce même mythe qu’on retrouvera dans le christianisme.
C’est Héraklès qui viendra délivrer Prométhée. On retrouve à nouveau, dans le personnage d’Héraklès, une préfiguration du Christ puisqu’il est lui aussi fils de Dieu (de Zeus) et d’une mortelle, Alcmène, qu’il voudra périr sur un bûcher, mort qu’il aura lui-même réclamée, mais son Père le rappellera à ses côtés dans l’Olympe.
Héraklès tuera l’aigle avec ses flèches, symboles de rectitude, en opposition avec le caractère perfide de Prométhée ; Héraklès, ce faisant, est ici « fils du carquois », exécutant les décisions des instances olympiennes.
Le mythe de Prométhée, c’est le mythe du malentendu… ou de l’ignorance.
Tout un pan de la pensée conservatrice actuelle, de ceux qui se pensent attachés à une « tradition », se trompent en prenant pour modèle un Prométhée qui serait l’archétype des grands chevaliers qui se sont illustrés tout au long de notre histoire pour se poser en défenseurs des valeurs éternelles qui ont façonné et préservé jusqu’ici l’âme européenne. Ils se trompent encore plus en érigeant la figure de Prométhée en démiurge d’une Europe à venir, une Europe de science-fiction à la façon Blade Runner, au ciel sillonné en tous sens de vaisseaux hypersoniques et bâtie sur une terre définitivement inculte sur laquelle ne poussent que d’immondes gratte-ciel d’acier et de béton dans une débauche de bruits de chaînes et de vapeurs méphitiques exhalées par l’antre de Sauron, une Europe qui a conquis le monde par sa technique et sa science en oubliant que son ingéniosité ne lui a servi qu’à fabriquer des prothèses artificielles pour remplacer les pouvoirs naturels que les hommes détenaient avant l’intervention de Prométhée, « quand ils vivaient avec les dieux[14] ». On ne construit rien et on ne peut envisager aucun avenir sur la base de la ruse, du vol et du mensonge. C’est pourtant le projet des transhumanistes qui sont les héritiers directs du surhumanisme, nous en reparlerons.
En réalité, Prométhée est la figure de l’inconséquence, de la ruse (celle qui est nécessaire quand on n’a pas de « forme », pas de stature, pas de dignité, de droiture), du « tordu », tel que le définit Evola : « L’esprit titanique aime ce qui est « tordu », car « tordu » est, de par sa nature, le mensonge, de même qu’est « tordu » aussi une œuvre intelligente, comme par exemple le lasso, le nœud coulant ; l’attribut naturel de l’esprit olympien, c’est la transparence de l’être ; l’attribut naturel de l’esprit titanique, c’est, en revanche, la misère spirituelle : stupidité, imprudence, maladresse[15]. »
Jean-Pierre Vernant, avec humour, traite Prométhée de « soixante-huitard de l’Olympe[16] », François Flahaut resitue judicieusement la « révolte » prométhéenne dans le contexte actuel : « A s’imposer comme figure de la grandeur, la révolte prométhéenne a fini par devenir un signe social de valeur, un stéréotype, une pâle imitation de ce qu’elle fut chez Goethe et Byron ; si bien qu’aujourd’hui, s’en réclamer, c’est généralement recycler un poncif et, au contraire de ce qu’on prétend être, se conformer à l’esprit du temps. A cet égard, la valorisation de la révolte prométhéenne présente le même caractère contradictoire que celle de l’originalité : plus on cherche à l’être, moins on l’est[17]. »
Nous ne serons donc pas étonnés, au terme de ce portrait peu élogieux, que le titanisme ou le prométhéisme ait donné naissance au transhumanisme, nous dirons même que c’en était la suite logique.
Le transhumanisme
Evola, s’il a eu l’intuition de cette future apocalypse, inhérente à toute fin de cycle, constituée par un conjonction de catastrophes naturelles ou/et créées par l’Homme, n’avait pas imaginé les effrayantes modalités de sa mise en place. Mais quel esprit normalement constitué aurait pu prévoir les dérapages monstrueux de la secte hors-sol qui a pris en mains les rênes du monde en ce début du XXIe siècle ?
Le but suprême des transhumanistes n’est plus de se mesurer à Dieu, de le défier comme l’avait fait Prométhée, c’est de le remplacer.
Pour aller de l’avant, revenons en arrière. Le philosophe Jean-Pierre Vernant nous disait que, avant l’intervention de Prométhée, les hommes ne mouraient pas.
Après le partage frauduleux du bœuf et le vol du feu, les deux principales infamies perpétrées par Prométhée, les hommes se sont vus confinés à la mortalité. Et Prométhée, le Titan orgueilleux qui affrontait les dieux, s’est investi d’une mission : apprendre à vivre aux hommes, marquant bien son choix, comme disait Evola, entre la Voie des Dieux, celle de l’Olympe, et la Voie des Pères, celle des hommes. Il a choisi cette dernière et a donc inventé l’humanisme et le surhumanisme, la volonté pour l’Homme de dépasser, non seulement l’ordre naturel (signifiant ainsi qu’il ne participerait pas du cosmos), mais aussi sa propre condition, pour continuer à braver les dieux.
Mais Prométhée n’avait pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin ; une dernière étape devait être franchie : il ferait des hommes des dieux en leur restituant l’immortalité que Zeus leur avait ôtée. Lui, le Titan, serait à l’origine de ce basculement du monde ; il attendrait la fin du cycle qu’il détournerait à son profit et à celui des hommes, se passant de toute autorité divine.
Nous en sommes bien arrivés à ce point. Cette nouvelle étape s’appelle le transhumanisme. A une différence près : les transhumanistes se soucient comme d’une guigne du sort des hommes ; chez eux, aucune bienveillance, aucune compassion ; ce qui les intéresse, c’est de soumettre les humains, comme les prométhéens l’ont fait de la nature, des plantes et des animaux, d’en faire des esclaves ou des robots mais, auparavant, de réduire leur nombre ; car les transhumanistes, en réalité, n’ont besoin que de très peu d’humains à leur service.
Les transhumanistes sont des progressistes ingénieux (et riches) qui vont au bout de leur logique scientiste et de leur hubris et qui en ont les moyens. Selon le concept évolutionniste, la vie fonctionne sur le mode linéaire : un début, une fin. Elle commence par un big-bang pour l’univers, ou par la création pour l’Homme ; plus on avance dans la vie, plus on progresse, mais plus on se dirige inévitablement vers… la mort. Les « avancées », les « lendemains qui chantent », butent sur ce phénomène naturel et qui paraissait incontournable. Les transhumanistes ont résolu la contradiction majeure du concept progressiste, ou linéariste : puisqu’il y a une barrière qui empêche le progrès sans fin, supprimons la fin, la barrière, supprimons la mort : ce sera « la mort de la mort », selon le titre bien choisi du livre de Laurent Alexandre, le représentant de la mouvance transhumaniste en France.
Pour ce faire, les transhumanistes utiliseront les moyens de la technoscience, certes, mais aussi toutes les tares dont ils ont héritées de Prométhée : la vanité, la ruse, le vol, le mensonge, la dissimulation, la fourberie... en en ajoutant bien d’autres : la manipulation (mentale et génétique), l’ambition effrénée, l’endoctrinement des foules, la perversion… déviances qu’ils vont même ériger en système de type mafieux.
Evola disait « L’esprit titanique est inquiet, inventif, toujours en quête de quelque chose, avec son astuce et son flair. L’objet de l’esprit olympien, c’est le réel, ce qui est tel qu’il ne peut pas être autrement, l’être. L’objet de l’esprit titanique, c’est l’invention, même s’il s’agit uniquement d’un mensonge bien construit[18]. »
Cette ingéniosité titanique qui a éclaté au XIXe siècle en Occident sous forme de découvertes techniques (la machine à vapeur : quel symbole d’inconsistance !) a fait croire aux Occidentaux qu’ils étaient devenus les maîtres de la planète ; leur nouvelle foi dans la science et le progrès matériel leur a fait mépriser les sociétés traditionnelles ; ils ont cru que leur nouveau pouvoir était illimité et qu’ils étaient capables, désormais, de remplacer Dieu. Le titanisme s’est transformé en satanisme après une longue station à la case « monothéismes » ; car le transhumanisme présente ce curieux aspect de s’être nourri des origines du monde, cette période archaïque où leurs ancêtres, hommes ou titans, vivaient avant même l’apparition des divinités, une époque où, enfantés par la Terre, les uns et les autres sortaient à peine de la matrice chtonienne, du chaos, des Enfers et, en même temps, de n’envisager leur propre futur que par la voie technique et scientifique, fruit de l’inventivité humaine, palliatif obligé de leurs capacités naturelles confisquées.
Tout au long de ce parcours qui va des origines à nos jours, quantité de sectes, d’événements et de personnages étranges se sont succédé, annonçant cette volonté de transgresser les lois divines, les lois de la nature et les lois des hommes jusqu’à cette totale inversion du bon sens et des valeurs à laquelle nous sommes aujourd’hui soumis par ces « élites » transhumanistes.
Selon Lucien Cerise, « Cette filiation illuministe et cabaliste du transhumanisme a façonné le visage d’une modernité largement placée sous le règne de la quantité et du nombre. Or, de l’imaginaire artistique aux sciences exactes, l’artificialisation du vivant et sa réduction au quantitatif ne visent pas franchement à son émancipation mais bien plutôt à sa simplification, de sorte à en faciliter la gestion rationnelle, numérique, industrielle et standardisée.
Pour fabriquer le consentement à cet appauvrissement de l’existence et de la biodiversité, ainsi qu’aux pathologies physiques et mentales qui en résultent, des sommes colossales sont investies dans tous les domaines de la société pour y impulser des tendances sociétales technophiles et humanophobes. Le transhumanisme n’est pas une émergence spontanée, naturelle. Il s’agit d’un projet politique arbitraire soutenu par des ˝minorités agissantes˝ et des réseaux de pouvoir dont il faut décrypter la logique pour comprendre non pas à quoi elle sert, mais à qui elle sert[19]. »
Dans son livre[20], Laurent Alexandre nous prédit une révolution technologique notamment dans le domaine médical, si radicale que la notion même de mort sera caduque dans les quelques dizaines d’années qui viennent. « Grâce aux révolutions concomitantes de la nanotechnologie et de la biologie, chaque élément de notre corps deviendra réparable, en partie ou en totalité, comme autant de pièces détachées. » Mais ces merveilleux progrès médicaux ne seront accessibles qu’à ceux qui auront les moyens de les payer. Alexandre le dit lui-même : « Rien ne dit qu’une humanité augmentée sera tolérante vis-à-vis des humains traditionnels. […] La possible tyrannie de la minorité transhumaniste doit être envisagée avec lucidité. »
Il faut comprendre que les mêmes techniques qui permettront de prolonger la vie des transhumanistes, voire de supprimer leur mort, seront utilisées pour transformer « les humains traditionnels » comme dit Alexandre, en populations soumises ou en androïdes, ou les deux.
« Le transhumanisme », observe le philosophe et polytechnicien Jean-Pierre Dupuy[21], « est typiquement l’idéologie d’un monde sans Dieu. […] En Europe, les philosophes classiques ont tendance à hausser les épaules quand on évoque ce courant transhumaniste. […] En réalité, le projet transhumaniste – il se qualifie ainsi – ne relève plus du futurisme ni du délire. […] Il inspire dorénavant des programmes de recherche, la création d’universités spécialisées et d’une multitude de groupes militants. Il influence une frange non négligeable de l’administration fédérale américaine et, donc, le processus de décision politique. Voilà près de dix ans que ledit projet, pour ce qui le concerne, n’est plus cantonné dans le ciel des idées. Il génère l’apparition de lobbies puissants. Les hypothèses qu’il propose ne cessent d’essaimer dans les différentes disciplines du savoir universitaire. »
La Voie olympienne
Tout ce qui est artificiel est superficiel, et tout ce qui est superficiel est éphémère. Pour cette raison, les transhumanistes n’arriveront jamais à leurs fins.
« Devant Zeus, le spectateur qui rit, l’éternelle race des hommes joue son éternelle comédie humaine[22] », dit Evola.
Le choix qui a été fait au début des temps, celui que relève Julius Evola dans l’exergue de cet article, est toujours d’actualité ; le début du cycle ressemble comme deux gouttes d’eau à sa fin ; entre les deux, quelques millénaires se seront écoulés, le vent aura soufflé sur les grands déserts et les vagues, toujours renouvelées et toujours les mêmes, n’auront jamais cessé d’agiter les mers et les océans. La Terre, elle aussi, se rit des hommes.
Nous sommes à la fin de notre grand cycle ; les hommes de la Tradition l’ont bien compris ; à nouveau se pose la question du choix, mais, cette fois, d’une manière plus accrue ; les hommes, qui ont voulu la mort de Dieu, n’auraient même plus la possibilité d’opter pour la Voie des Pères puisqu’ils seraient appelés à disparaître purement et simplement, une disparition programmée par les héritiers de Prométhée.
Les grands passeurs de la Tradition, Evola, Guénon, Eliade et d’autres nous ont tous dit que les hommes qui n’avaient pas su, ou pu, conservé l’héritage olympien seraient incapables de comprendre les événements qui ne sont même plus à venir mais qui se déroulent sous nos yeux, au grand effarement des plus lucides, ou dans l’indifférence et l’inconscience des plus nombreux : eyes wide shut. Ils nous ont aussi appris que les hommes différenciés, selon la formule de Julius Evola, sont ceux qui n’ont jamais été dupes du monde qui nous est imposé, qui sont restés fidèles aux divinités en ne faisant rien de plus que ce qui doit être fait pour préparer le nouveau cycle et en ayant su préserver les valeurs de rectitude qui nous ont été léguées par les Dieux ; ces hommes et ces femmes ont eu bien du mérite qui ont su traverser intacts toute cette période de manipulation des esprits que nous avons connu ces dernières années[23].
Nous laisserons le mot de la fin, optimiste, à Julius Evola, qui souligne que, quoiqu’il se passe, il est toujours laissé à l’Homme la possibilité de bien penser et, surtout, de bien agir : « L’orientation "olympienne" est possible, tout autant que l’orientation prométhéenne », dit Evola et il ajoute « Cette orientation [olympienne] joue un rôle essentiel dans tout ce qui est vraiment aristocratique, tandis que l’orientation prométhéenne possède un caractère fondamentalement plébéien et ne peut connaître au mieux que le plaisir de l’usurpation[24]. »
Pierre-Emile Blairon.
Notes:
[1]. L’Arc et la Massue, chapitre X, Le Rire des dieux, éditions Trédaniel-Pardès
[2]. C’est à l’aide de cet outil fort robuste que notre philosophe s’emploie à détruire les fausses idoles ; « La philosophie à coups de marteau », c’est le sous-titre de son ouvrage : Le Crépuscule des Idoles.
[3]. Nietzsche, dont Evola disait qu’il « était pourtant lui-même, à plus d’un titre, une victime du mirage titanique » (L’Arc et la Massue)
[4]. in Le Crépuscule des idoles.
[5]. Terme qui a pour synonyme le « progrès », « l’avancée », le « développement », autant de concepts creux dont se repaît l’homme moderne.
[6]. Voir notre contribution à l’ouvrage collectif Evola, philosopher of the sun, édité par Troy Southgate ; cette doxa darwiniste a cependant du plomb dans l’aile : des scientifiques éminents opèrent une révision totale de leurs préjugés darwiniens. Ainsi, le professeur Didier Raoult, le célèbre virologue violemment attaqué par Bigpharma (lequel ne se préoccupe que de ses seuls intérêts financiers), a écrit un livre, Dépasser Darwin, où il compare le darwinisme à une nouvelle religion : « Le darwinisme a cessé d'être une théorie scientifique quand on a fait de Darwin un dieu. En introduisant après Lamarck la notion d'évolution, Darwin est venu chambouler la conception figée des créationnistes, qui pensaient que le monde était stable depuis sa création. Mais, dès lors, il est devenu l'objet d'un double mythe. Le mythe du diabolique pour les créationnistes, ceux qui pensent que tout s'est créé en une semaine, et le mythe des scientistes, qui font de "l'origine des espèces" le nouvel Évangile. » (In Le Point du 12.12.2011)
[7]. De même que plus on est « moderne », donc d’apparition récente, et plus on est archaïque, déliquescent, parce que plus éloigné de l’origine, de la source, qui est un renouvellement – une fontaine de Jouvence - permanent, puisque l’eau qui en sourd n’est jamais la même. Ceci vaut pour les civilisations, (comme l’Amérique, appelée aussi le Nouveau Monde, qui est en fait le plus dégénéré, car le plus loin de la source), ou pour les religions (comme l’islam, qui est la dernière religion monothéiste d’importance apparue dans l’univers religieux et donc la plus éloignée de la pure spiritualité originelle.)
[8]. Révolte contre le monde moderne
[9]. Ibid.
[10]. A l’heure où nous écrivons, 22 juin 2023, nous apprenons qu’un sous-marin de poche affrété pour faire découvrir l’épave du Titanic à un groupe de richissimes amateurs de sensations fortes a coulé avec ses passagers à bord ; le sous-marin avait été malencontreusement dénommé : le Titan. Le concepteur du Titanic, Thomas Andrews, a coulé avec son bateau, de même que le concepteur du mini-sous-marin, Stockton Rush ; il s’est passé 111 ans entre les deux naufrages ; 111 : le nombre du pôle, de l’Hyperborée, de la Tradition primordiale, nombre symbolique qui a été étudié par René Guénon dans son ouvrage Symboles de la Science sacrée paru en 1962 aux éditions NRF Gallimard, chapitre XV, page… 111, comme il se doit.
[11]. Paul Diel, Le Symbolisme dans la mythologie grecque, Payot.
[12]. Jean-Pierre Vernant, entretien du 28 mars 2002 avec Catherine Unger, archives de la Télévision suisse romande
[13]. Julius Evola, Métaphysique du sexe, éditions L’âge d’homme.
[14]. Julius Evola, L’Arc et la massue
[15]. ibid.
[16]. Jean-Pierre Vernant, entretien du 28 mars 2002 avec Catherine Unger, archives de la Télévision suisse romande
[17]. François Flahaut, Le Crépuscule de Prométhée, éditions Mille et une nuits.
[18]. L’Arc et la Massue.
[19]. Lucien Cerise, Gouverner par le chaos, éditions Max Milo
[20]. La mort de la mort, éditions JCLattès
[21] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Quand l'impossible est certain, Essais, Editions du Seuil, Paris, 2002
[22]. L’Arc et la massue.
[23]. René Guénon a été très explicite à ce sujet dans Le Règne de la quantité ; les événements à venir « ne pourront pas être compris par la généralité, mais seulement par le petit nombre de ceux qui seront destinés à préparer, dans une mesure ou dans une autre, les germes du cycle futur. Il est à peine besoin de dire que, dans tout ce que nous exposons, c’est à ces derniers que nous avons toujours entendu nous adresser exclusivement, sans nous préoccuper de l’inévitable incompréhension des autres ».
[24]. L’Arc et la massue
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dimanche, 18 juin 2023
Le moine britannique Pélage et le druidisme
Le moine britannique Pélage et le druidisme
Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2023/06/la-doctrina-del-monje-y-teologo.html
Au début du 5ème siècle, le moine et théologien britannique Pélage a remis en question la doctrine promulguée par saint Augustin d'Hippone, selon laquelle les êtres humains étaient si incorrigiblement enlisés dans l'iniquité qu'ils étaient incapables de se racheter, sauf par la grâce divine.
Pélage soutenait qu'une telle dépendance ne faisait qu'exonérer les êtres humains de toute responsabilité pour leurs actions, puisque le fait d'être bon ou mauvais dépendait entièrement de l'octroi ou du refus d'une grâce sur laquelle ils n'avaient aucun contrôle.
Dans ces conditions, la conduite n'a aucune importance, et c'est pourquoi, selon lui, une morale relâchée s'est imposée même au sein de l'Église.
Si Pélage n'aurait guère admis une ligne de pensée proche de celle des druides, il se rapproche de leurs enseignements en ce qui concerne l'idée que l'être humain est responsable de ses actes. Cela nous rappelle la réponse de Cailte à saint Patrick lorsque celui-ci lui demande ce qui le fait vivre : "La vérité qui était dans nos cœurs, la force de nos bras et le contentement de nos langues".
La critique de la doctrine orthodoxe par Pélage témoigne qu'une certaine agitation intellectuelle secouait à l'époque la chrétienté britannique et qu'un désir l'animait pour faire en sorte que ses enseignements reflètent davantage le tempérament national.
Un commentateur français et catholique du 20ème siècle, Dom Louis Gougaud, a même qualifié le pélagianisme d'"hérésie nationale des Britanniques". C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles Pélage a trouvé tant de partisans dans son pays d'origine.
Son point de vue représentait un compromis acceptable entre l'ancien et le nouveau credo, et une leçon peut être tirée du succès de Pélage : les enseignements de l'Église ne seront pas acceptés tant qu'ils continueront à s'identifier à certains aspects de la domination romaine. C'est en Écosse et en Irlande que Pélage a connu ses plus grands succès. Dès la seconde moitié du 2ème siècle, Tertullien de Carthage écrivait que "des parties de la Grande-Bretagne inaccessibles aux Romains ont été conquises pour le Christ".
Les missionnaires sont arrivés dans une société où les druides pratiquaient encore. Bien que nous ne sachions pas exactement quels changements avaient eu lieu dans le druidisme à cette époque ni quels pouvoirs avaient été conservés par les responsables de cette caste sacerdotale celtique, il semble que les missionnaires aient fait preuve d'un grand respect à leur égard. Certains missionnaires, même si leur travail était de nature christianisante, ont adopté certaines pratiques druidiques.
Ils les ont probablement imitées en matière vestimentaire. Peut-être aussi dans leur façon de prier, car alors que les orthodoxes priaient à genoux, les mains croisées, les membres de l'Église gallicane ou celto-franque priaient debout, les mains levées, un geste dont Tacite nous dit qu'il était caractéristique des druides de Môn.
Peut-être les missionnaires ont-ils même imité la tonsure druidique. Au 6ème siècle, ce fut une pomme de discorde entre l'Église romaine et l'Église gallicane en Gaule devenue "France". Les moines de la première avaient adopté la tonsure dite "de Saint-Pierre", qui reproduisait la couronne chauve du saint. Les Gallicans, quant à eux, rasaient une bande de cheveux d'une oreille à l'autre, en commençant par le sommet de la tête et en laissant pousser les cheveux à partir de là.
Selon un ancien manuscrit irlandais, les druides se coiffaient de la même manière, en laissant une seule mèche de cheveux sur leur front. Il est intéressant de noter que l'Église catholique a condamné ce type de tonsure, l'appelant la "tonsure de Simon Magus (ou de Simon le Magicien)".
Simon le Magicien a été dénoncé dans les Actes des Apôtres pour avoir tenté de soudoyer Pierre et Jean afin qu'ils révèlent le secret de la transmission du Saint-Esprit par l'imposition des mains. Presque toutes les pratiques présentant des signes de magie ou de chamanisme - pratiques qui pourraient à juste titre être attribuées au druidisme - ont été reliées par l'Église à Simon le Magicien.
Il n'est pas rare que les missionnaires imitent les coutumes des peuples qu'ils souhaitent convertir à leur foi.
Ward Rutherford : LE MYSTÈRE DES DRUIDES
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mercredi, 05 avril 2023
Entretien avec Thorvald Ross, auteur d'un remarquable roman initiatique
Entretien avec Thorvald Ross, auteur d'un remarquable roman initiatique
A propos d'une quête religieuse et philosophique de plus de quarante ans
Propos recueillis par Robert Steuckers
1.
Je vous connaissais déjà lorsque vous publiez la revue Mjöllnir. Vous vouliez découvrir les racines nordiques (scandinaves) présentes de manière diffuse dans la culture néerlandaise (Nord et Sud confondus). Votre livre De laatsten heiden (= Les derniers païens) est-il le témoignage de cette quête ? Et qu'en est-il de cet héritage nordique aujourd'hui ?
Mon expérience "païenne" ne s'est pas faite du jour au lendemain. Il s'agit d'une quête sans fin qui a mis du temps à arriver à maturité. Avant la publication de Mjöllnir, j'avais pris contact avec des organisations "païennes" à l'étranger et j'avais lu avec avidité leurs revues, principalement des publications allemandes, anglaises, irlandaises, françaises et scandinaves. Ces publications étaient fortement teintées de romantisme, d'occultisme et de libre-pensée, mais elles cherchaient aussi parfois à revendiquer politiquement l'héritage "païen". On pourrait donc dire qu'il ne s'agissait pas vraiment d'études scientifiques, mais plutôt de visions nostalgiques qui cherchaient une certaine légitimité dans ce "paganisme". Néanmoins, cela m'a donné envie de creuser davantage. La revue Mjöllnir a suivi à la fin des années 1980. Il s'agissait d'un mélange d'occultisme, d'une certaine forme d'ésotérisme, des premiers balbutiements de la recherche de sources et d'une étude plus large de la symbolologie.
Cela correspondait parfaitement à la phase suivante de mon itinéraire, à savoir la fondation de la Société Herman Wirth. Le travail de pionnier effectué par cette société était basé sur les écrits de Herman Wirth Roeper Bosch (1885-1985): j'en possédais déjà un grand nombre à l'époque. Der Aufgang der Menschheit et Die Heilige Urschrift der Menschheit ont été pour moi des ouvrages révolutionnaires. Ils m'ont encouragé à partir à la recherche des vestiges de notre héritage préchrétien dans les Pays-Bas, c'est-à-dire à travailler sur le terrain. Muni de mon appareil photo, je suis parti de village en village, dans les cimetières, sur les maisons, dans l'art populaire, les coutumes, les chansons, etc. pour redécouvrir le symbolisme ancien, l'enregistrer pour la postérité et l'interpréter de manière adéquate.
Le résultat: la publication de mon premier livre: Tussen Hamer en Staf - Voorchristelijke symboliek in de Nederlanden en elders in Europa (= Entre le Marteau et la Crosse - Symbolisme pré-chrétiendans les Bas Pays et ailleurs en Europe). Entre-temps, j'étais entré en contact avec des personnes en Flandre qui cherchaient une interprétation spirituelle et une véritable expérience de nos propres traditions.
C'est ainsi qu'est né, dans les années 1990, le Werkgroep Traditie, toujours actif aujourd'hui. La différence avec toutes les initiatives "païennes" précédentes était que la nouvelle organisation ne se basait pas sur l'interprétation völkisch du mot tradition, mais sur le concept établi par Julius Evola dans Les Hommes au milieu des Ruines, à savoir : "Dans sa véritable essence, la Tradition ne représente pas un conformisme passif à l'égard de ce qui a existé, ni la continuation inerte du passé dans le présent. La Tradition est, par essence, une réalité à la fois métahistorique et dynamique : elle est une force générale d'ordonnancement, obéissant à des principes qui visent une légitimité supérieure. On pourrait également dire qu'elle s'aligne sur les principes d'en haut. C'est une force qui est une dans l'esprit et dans l'inspiration - une force qui exerce son influence à travers les générations en servant les institutions, les lois et les organisations dans la plus grande variété. Cependant, ce serait un malentendu d'identifier certaines de ces formes, appartenant à un passé plus ou moins lointain, avec la Tradition en tant que telle".
Mon souci était de commencer à voir notre Tradition non plus comme une simple transmission horizontale (dans le temps), mais de la voir, en plus, comme une force verticale (transcendante) ordonnatrice, métaphysique. Cela était nécessaire pour se libérer de l'amateurisme et s'élever à un niveau véritablement spirituel. Ce n'est qu'alors que notre tradition (avec un petit t) deviendrait viable et ferait véritablement partie de la Tradition (avec un grand T). Sinon, elle ne serait qu'un saupoudrage incohérent de vestiges d'un passé plus ou moins lointain, tout au plus bon à exposer dans un musée.
Cette vision traditionaliste était également notre approche en tant que cofondateurs du Congrès mondial des religions ethniques (fondé par Jonas Trinkunas, avec des réunions à Vilnius, Athènes, Delhi, Anvers et Rome). Nous avons ainsi pu établir des liens avec des formes encore vivantes de "paganisme" indo-européen.
J'ai quitté ce groupe de travail sur la tradition au début des années 2000, en partie parce que certains membres trouvaient difficile de s'engager dans cette vision métaphysique fondamentale. À cette époque, j'avais déjà publié un certain nombre d'ouvrages, dont De Graal - tussen heidense en christelijke erfenis (= Le Graal - Entre héritage païen et chrétien) sera probablement considéré comme l'un des plus importants. Des articles pour les revues Vers la Tradition, Ars Macionica, Tradition,... indiquent clairement où battait mon cœur. Je me suis plongé de plus en plus profondément dans les auteurs traditionalistes tels que René Guénon, Julius Evola, Ananda K. Coomaraswamy, Frithjof Shuon, Titus Burkhardt, Christophe Levalois, j'ai parcouru des ouvrages savants de Dumézil, De Vries, Guyonvarc'h, Widengren, Gimbutas... et je suis retourné aux sources pour vérifier les choses.
En outre, j'étais particulièrement actif dans la franc-maçonnerie traditionnelle depuis le début des années 1990. Par conséquent, ma connaissance des mystères n'était pas purement académique, mais reposait sur une expérience concrète. Dans l'Ordre, je m'étais consacré à l'enseignement des Frères : exposés sur les principes métaphysiques, recherche de symboles, techniques pratiques, instructions, aphorismes, poèmes et, enfin, pièces littéraires. J'ai pris conscience que la manière dont les choses sont mises en place contribue à déterminer l'impact du contenu. C'est pourquoi, des années plus tard, je me suis aventuré dans la littérature, d'abord la poésie, puis le roman. Le roman est un excellent outil pour faire connaître la pensée traditionnelle au grand public. C'est ainsi qu'est né De laatste heiden (= Les derniers païens). Bien que cette histoire soit basée sur la mythologie nordique, le drame a été complètement transposé à notre époque. Il a constitué la base de mon réalisme magique.
Certains se demandent si, avec De Zwerver, j'ai dit adieu à la pensée nordique. À cela, je réponds résolument : non ! Je place maintenant mon expérience dans un contexte indo-européen plus large, car je pense que les points de vue nordique et indien sont très similaires. Ce n'est que dans la forme qu'elles sont relativement différentes. En fait, l'imagerie nordique reste bien présente dans De Zwerver : par exemple, le pont à la fin du livre (cf. Bifröst), l'entrelacement des mondes (cf. Nevelland), les trois classes (cf. Scuola Sapientia),... Ces thèmes ne sont pas typiquement nordiques, ils sont indo-européens. Ce sont ces grandes lignes indo-européennes que je veux mettre en évidence dans le patrimoine matériel et immatériel de nos Pays-Bas. Soyez assurés que sous la surface, beaucoup de choses sont encore présentes dans nos régions: dans l'étymologie, dans diverses expressions, dans des chansons, dans les coutumes populaires, dans les symboles, dans les structures, dans la législation.
2.
On a dit que votre nouvelle œuvre était d'inspiration néoplatonicienne. Après la mort tragique de Darja Douguina qui, après des études en Russie et en France, défendait une vision traditionaliste marquée par le néo-platonisme, vous semblez vous aussi emprunter la voie du néo-platonisme dans un contexte plus apaisé ? Quel est donc le néo-platonisme de votre héros et comment le néo-platonisme s'inscrit-il dans le paysage intellectuel néerlandais d'hier et d'aujourd'hui ?
C'est effectivement ce que l'ondit. Il existe en effet d'autres systèmes qui présentent une certaine parenté avec le platonisme: l'hermétisme, la kabbale, le gnosticisme, l'advaitisme,... Cependant, cette perception n'est que partiellement vraie. Certes, j'accorde une grande importance à Platon, mais ma vision du monde n'est pas statique. Elle est dynamique, presque taoïste ou héraclitéenne. Tout s'enchaîne dans une sorte de dynamisme tourbillonnant. Cela n'est possible que s'il existe un pivot qui maintient cette confluence. C'est là que réside la tension entre Vishnu et Maya (Mahadêvi/Shakti), qui permet à la manifestation dynamique de prendre forme.
Il est clair que la contemplation est primordiale pour moi, mais cela n'exclut pas l'action (tragique). Je préconise une manière d'être quasi stoïcienne, en gardant toujours à l'esprit les principes métaphysiques et en essayant d'agir en accord avec l'être humain authentique. Concrètement, il s'agit d'abandonner toute forme de morale et de culpabilité. Il s'agit d'une attitude "Jenseits von Gute und Böse". Tout est ce qu'il est. Pour beaucoup, cela semble être une voie sans cœur (on m'en fait parfois le reproche). De l'extérieur, c'est le cas. Mais pour l'essentiel, cette voie est beaucoup plus humaine et élevée. C'est une vision sobre qui perçoit le monde avec détachement. C'est précisément par ce biais que se réalise l'être humain le plus proche (homogène), physiquement, psychiquement et métaphysiquement. Donc pas de rejet de la matière, pas de mépris du corps, pas de mépris du terrestre, mais une acceptation totale de celui-ci, quelles qu'en soient les conséquences. En ce sens, je ne suis guère platonicien - ou du moins pas de la manière dont certains modernistes pensent qu'il faut expliquer Platon. Ma vision est l'extension radicale de ce que Ruusbroec appelle la "sur-image". Il désigne par là une attitude de base qui se situe au-delà des images, mais qui est néanmoins ancrée dans l'ici et le maintenant. Une attitude qui ne se laisse pas emporter par le tourbillon du monde, mais qui s'enracine dans l'origine de toute chose.
La voie active de Daria Douguina et de son père Alexander Douguine, je peux la suivre et la défendre dans une certaine mesure. L'objectif ultime est d'élever le niveau local en un royaume global, c'est-à-dire non seulement dans le cadre d'un ordre administratif, mais aussi dans une structure dotée d'une cohérence spirituelle. Au sein du royaume spirituel, tout groupe organique - de toute culture, religion, ethnie - est assuré d'être lui-même et d'être inclus dans un récit supérieur. Ainsi, la composante populaire est transcendée et liée à un niveau d'être au niveau de l'État - un niveau greffé sur des valeurs spirituelles. Il me semble que c'est là la véritable signification de l'idée d'État, telle que nous l'avons vue s'établir autour de la chrétienté au Moyen-Âge, entre autres.
Là où je m'écarte de l'idée russe, c'est dans la méthode. L'empire n'est pas contraignant. Il doit agir comme un aimant organisationnel qui attire les peuples à lui en faisant rayonner l'autorité. L'autorité (auctoritas) n'est pas la même chose que la force. Cette dernière est l'exercice forcé du pouvoir par la force. Une telle chose ne peut jamais conduire à la stabilité. L'auctoritas représente la dignité, le prestige, l'influence, l'élévation. C'est ce qu'une personne "regarde vers le haut".
Le paysage intellectuel néerlandais actuel est celui du nihilisme, du relativisme, du je m'en foutisme. Peut-être un peu court sur le plan de la substance, il est vrai. Mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Tout est remis en question, il ne nous reste que la trivialité, la banalité de notre existence. Pourtant, il existe des écrivains qui parviennent à transcender cette situation et qui jouissent d'une certaine notoriété dans le paysage culturel néerlandais: il suffit de penser à Albert Verwey, Martinus Nijhoff, Pieter Cornelis Boutens, Hubert Lampo, Harry Mulish, Pol le Roy. Il convient toutefois de faire preuve de prudence dans ce domaine également. Dès qu'une interprétation spirituelle est repérée, les gens pensent qu'ils doivent immédiatement invoquer Platon.
Quoi qu'il en soit, j'ai l'intention d'initier une nouvelle profondeur et un nouveau dynamisme dans cette vie, en partant des valeurs traditionnelles qui forment la communauté (horizontalement), mais qui construisent également le pont vers une ouverture transcendante. Dans cette optique, le séculier est intégré dans une histoire plus vaste, une histoire de pouvoirs et de forces cosmiques à l'œuvre ici et maintenant.
3.
Le Zwerver est un personnage "qui part en quête". La quête n'est-elle pas l'essence même de l'homme ? Et en quoi la quête de l'Errant est-elle caractérisée par la Tradition au sens le plus élevé du terme ?
Il est logique que la queste, la quête, le pèlerinage, l'imramma,... soit le fondement de l'existence. C'est aussi vieux que le monde. Nous sommes ici en transit à la recherche de quelque chose que nous avons perdu: notre origine, notre être, notre essence, notre patrie, une petite perle, un mot, une félicité... La quête renvoie à l'aliénation, à un état dégénéré. Mais ne vous y trompez pas: la plupart des gens - malgré le parcours de leur vie - ne s'y attardent pas. Ils se contentent de flotter sur les eaux et, parfois, ils sont engloutis par les eaux, engloutis tout entiers. Ils sont habités par la dynamique de l'agitation. Ils ne contrôlent pas la vie, ou plutôt: ils ne la vivent pas ! C'est là que réside le problème. Mon personnage principal, en revanche, fait tout ce qu'il peut pour échapper à ce qui conditionne les humains. Il va même jusqu'à se sacrifier - encore et encore - pour échapper à la mort par la mort. Cela lui permet d'atteindre les limites du concevable. Même si tout s'y effondre, tout y repart à zéro. Finalement, le chemin devient le but.
4.
Le Zwerver se retrouve dans une ville idéale. N'est-ce pas une utopie ? Quelle est la différence entre cette petite ville idéale italienne et l'Utopie de Thomas More ou entre cette ville et les utopies modernes qui veulent effacer le passé ?
Sans aucun doute, Civitas Ludum est une utopie au sens propre du terme: un non-lieu (ou-topos). Elle constitue une sorte de société juste dans laquelle le jeu joue un rôle crucial. Le maire, et ce n'est pas une coïncidence, est Prospero, le magicien philosophe de La Tempête de Shakespeare. Et oui, il existe des similitudes (involontaires) entre l'Utopie de Thomas More et la Civitas Ludum dans mon roman De Zwerver. Les deux représentent une société inspirée par la philosophie. Pourtant, dans Civitas Ludum, aucun jugement n'est porté sur la propriété, ni sur l'esclavage, aucun État-providence n'est mis en place, aucune nouvelle forme de socialisme n'est introduite, aucune idée sur la fonction de la religion n'est proposée.
Civitas Ludum fait référence au stade de l'enfance dans la vie humaine. Elle est utilisée pour réfléchir à l'importance du jeu, à l'enthousiasme avec lequel on s'absorbe dans le jeu, en se perdant dans le rôle que l'on joue. En ce sens, le jeu est une métaphore de la vie elle-même : "All the world's a stage, And all the men and women merely players" (As You Like It, Shakespeare, II, scène 7). Mais il y a plus: dans Civitas Ludum, chacun a des cartes à jouer différentes, et ces cartes déterminent le caractère, les forces et les faiblesses, les sensibilités... C'est avec cela que l'on joue la vie. Non pas une perfection idéale, mais une perfection dans les limites imparties. De plus, dans cette vision, l'individualité n'est pas détruite, mais embrassée. Il ne s'agit pas d'un effacement de ce que l'on a été, ni d'une incompréhension de toute la culture, mais d'une acceptation totale de ce qui est imparfait et de ce qui est prometteur. En jouant, l'homme authentique prend vie, sans affectation, sans mentalité factice, mais tel qu'il est vraiment. Et par le jeu, l'homme s'élève dans cette authenticité. Il apprend à découvrir les qualités qui lui permettent de se réaliser. Le jeu est donc à la base de la civilisation, du rituel, de la danse, du développement. Sa discussion critique ébranle la vision moderne du travail. Si le travail était vécu comme un enthousiasme intact, comme l'est le jeu, alors la vie, le jeu et le travail coïncideraient et engendreraient une expérience totalement différente : une expérience de bonheur.
5.
Existe-t-il une analogie entre cette petite ville magnifique et le labyrinthe du monde de Jan Amos Comenius ? Pouvez-vous l'expliquer ?
Bien sûr, on ne peut pas l'éviter. Chez Comenius, il s'agit d'un lieu en forme de labyrinthe où le personnage - le pèlerin - part à la recherche de la profession qui lui convient le mieux. Chez moi, il s'agit d'une ville à triple enceinte où, dans chacun des quatre quartiers (qui relèvent d'une sorte de jeu de cartes), tel ou tel personnage coïncide avec un état spécifique. Le bord extérieur est dominé par la danse itinérante. La foule y est presque magiquement forcée de danser la roue de Fortuna. Elle subit simplement la vie. Entre les deux se trouve le champ de travail, le lieu où l'homme lutte avec lui-même pour s'affiner et coïncider avec l'homme authentique. L'homme authentique devient rempli d'un Amour supérieur. Tout ce qu'il fait sert un but plus élevé. Tout ce que l'homme fait sien remonte à la surface dans la ville. Ainsi, mon personnage principal est particulièrement enclin à la vanité, qui est induite par l'ego et renforcée par l'orgueil.
6.
Le Zwerver, dans les faubourgs de cette ville où se trouve une école de pensée, avoue ses erreurs. S'agit-il de vos propres erreurs de jeunesse que vous confessez là, à l'âge où vous entrez dans le "troisième âge" ?
Oh, vous savez, un roman est toujours en partie autobiographique. J'ai certainement commis des erreurs dans ma vie. Il est important de le reconnaître. Mais - et les gens l'oublient trop souvent - ce n'est pas une raison pour commencer à se plaindre et à s'en vouloir. Ce genre de culpabilité et de moralisation du comportement m'est étranger. J'accepte tout, mais vraiment tout, ce que j'ai fait ou n'ai pas fait dans le passé. C'est précisément ce qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Je n'ai plus 20 ans. Chaque âge a ses charmes et ses défis. Mais l'enthousiasme de la jeunesse m'a conféré une maturité somptueuse que je chéris aujourd'hui. La folie téméraire (et je le dis expressément ici en faisant référence à der reine Tor de Parzifal) avec laquelle j'ai longtemps lutté s'est finalement avérée être l'atout qui m'a permis de gagner la bataille. Sans cette folie, sans ce coin perdu, sans cette naïveté, le processus d'apprentissage aurait été complètement différent. Peut-être n'aurais-je pas écrit de livres, peut-être serais-je devenu un grand industriel ne pensant qu'au profit. Mais je me suis engagé dans cette voie sans plan sophistiqué. J'ai suivi cette voie avec honnêteté et constance, et voilà que des miracles apparaissent parfois sur votre chemin.
7.
La promotion de votre livre parle d'une influence secrète d'Apulée et de Dante. Que devrait retenir le traditionaliste anticonformiste contemporain de ces auteurs anciens et médiévaux ?
Ceux qui me connaissent savent à quel point l'Antiquité et le Moyen Âge sont importants pour moi. Dans mon œuvre, Pythagore, Platon, Origène, Apulée, Dante, Shakespeare, Rabelais, ... sont imbriqués dans des noms, des formes de pensée, des symboles, .... En ce sens, mon livre peut également être lu comme un voyage à travers les penseurs qui ont contribué à façonner mes pensées et que j'ai englobés dans la toile du roman. Apulée fait partie de ces grands qui ont su faire passer le message des mystères de manière magistrale - avec l'humour nécessaire - sans en trahir aucun aspect. Logique que j'exploite son âne. Il y a tant à dire sur Dante qu'il est presque impossible d'exposer son influence en toute finesse. En tant que Gibelin, il a conservé la finesse du discours spirituel en s'engageant avec les Fidele d'Amore. La façon dont il joue si subtilement des aspects de l'imagerie secrète entourant la Dame dans La Vita Nuova est tout simplement grandiose. En outre, il est l'un des écrivains médiévaux qui ont joué un rôle politique important en transmettant l'héritage spirituel des chevaliers du Temple. Mais ce que j'admire par-dessus tout, c'est l'image globale qu'il donne des affaires du monde en relation avec le plus haut niveau. C'est tout simplement grandiose. Je suis envieux quand je vois à quels géants nous avions affaire. Ce que nous, écrivains contemporains, pouvons encore faire, c'est bricoler dans les marges. Nous ne pouvons plus créer une image globale, une image plus grande, une vision cosmique. C'est donc là que commence le travail du traditionaliste, c'est là qu'il doit restaurer, c'est là qu'est sa tâche.
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vendredi, 17 mars 2023
La Voie de la Main Vide, l'ascèse guerrière du sujet radical
La Voie de la Main Vide, l'ascèse guerrière du sujet radical
René-Henri Manusardi
Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/la-della-mano-vuota-ascesi-guerriera-del-soggetto-radicale
Division et opposition dans la modernité
L'un des aspects les moins considérés du nouveau paradigme de la Modernité - qui, à partir de la Renaissance, a progressivement subverti l'Ordre divin fondé sur le théocentrisme et promulgué l'anthropocentrisme, c'est-à-dire le culte de l'Homme comme centre et axe de la gravitation universelle à la place de Dieu, niant ainsi le paradigme sacré de la Tradition - est donné par sa capacité à être essentiellement diviseur et opposant, confirmant ainsi sa matrice angélologique d'origine diabolique (du gr. διάβολος = trompeur, accusateur, séparateur, diviseur) et l'introduction de la subversion satanique dans l'Histoire.
Une telle division, une telle opposition violente, avec la Modernité émerge, nous la trouvons, elle est affirmée partout et se justifie juridiquement parce que l'unité atemporelle du bonum Traditionis garantie par la lex Dei est tronquée, qui déterminait non seulement le péché individuel par fragilité ou malice, mais surtout le péché social d'égoïsme et d'obstination, admonestant le pécheur à la conversion, de l'écuyer de service au roi, les obligeant à racheter le mal commis, sous peine de non-absolution et/ou d'excommunication. La division et l'opposition, avec la pensée et le langage de la Modernité, se manifestent dans tout le savoir humain et dans toute organisation sociopolitique : immanence contre transcendance en philosophie ; Écriture contre Tradition en théologie ; défense de l'ordre civil contre justice sociale en politique ; tolérance religieuse des minorités contre guerres de religion en géopolitique, avec l'adage accommodant et sans solution de Cuius regio, eius religio.
Après la division et l'opposition cartésiennes dévastatrices entre res cogitans et res extensa, le correctif idéaliste hégélien apparaît, qui tentera une synthèse philosophique entre les thèses et antithèses de la modernité qui se divisent et s'opposent. Mais ce faisant, Hegel ne fera que susciter, justifier et favoriser la montée et la violence politique du troisième pouvoir, inspirant les idéologies philosophiques culturelles nées au 19ème siècle, ainsi que les totalitarismes sociopolitiques des 20ème et 21ème siècles avec Karl Marx et Vladimir Lénine (renversement de l'idéalisme en matérialisme communiste), Giovanni Gentile et Benito Mussolini (l'idée de l'État fasciste), Arthur De Gobineau et Adolf Hitler (l'idée de la race aryenne), Sigmund Freud et Carl Jung (le panpsychisme sexuel et l'inconscient collectif), Charles Darwin et Teilhard de Chardin (l'évolutionnisme biologique et spirituel), pour finir avec Karl Popper et George Soros (le totalitarisme libéral de la société ouverte) avec les corrélats postmodernes liquides de la pensée unique, du transhumanisme, du politiquement correct, de l'idéologie du genre, de la finis Storiae promulgués par les seigneurs de l'or, pervers et sataniques, de Davos.
Même l'art de l'alchimie avec ses corollaires gnostiques, ésotériques et cabalistiques, qui de l'Antiquité au Moyen Âge pré-moderne semble avoir eu sa propre unité dans l'espace du Sacré avec Avicenne, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Roger Bacon, Dante Alighieri et bien d'autres, ainsi que sa propre homogénéité interne, trouve avec la modernité de la Renaissance sa propre radicalisation divisante et antagoniste dans la figure du magicien blanc et du magicien noir, qui, au fil des siècles et par des voies souterraines, arrivent jusqu'à la proclamation par Helena Blavatsky de la Voie Théosophique de la Main Droite et de la Voie de la Main Gauche, une définition qui, avec René Guenon et Julius Evola - avec des corrections et des répudiations de leur part de l'espace théosophique -, implique également une théorie philosophique et une praxis métapolitique traditionaliste, dans un continuum délibéré avec l'hindouisme tantrique, qui chez Evola donne naissance à la figure de l'homme indifférencié.
Aller au-delà
Il faut cette prémisse pour comprendre que la Postmodernité que nous vivons actuellement, qui supplante inexorablement le paradigme de la Modernité en passant de l'anthropocentrisme au technocentrisme transhumain, et qui d'oppositionnelle et clivante devient liquide (Baumann), une fiction, un simulacre de sacralité, un simulacre d'absolu (Douguine).
"Il ne s'agit pas d'un retour à la Tradition. Au contraire, le postmoderne surpasse le moderne, en détruisant ses fondements, mais à condition que le prémoderne ne revienne en aucune façon. Il est la conclusion logique du moderne, son aboutissement nihiliste, et non un dépassement de ses limites. Le postmodernisme est, en dernière instance, le triomphe du nihilisme : caché dans le moderne, il est maintenant complètement clair, transparent et n'est plus obligé de se cacher" (Alexandre Douguine, Théorie et phénoménologie du sujet radical, AGA Editrice, Milan 2019, p. 33).
Par conséquent, un dépassement est nécessaire, un dépassement des perspectives de division et d'opposition qui ont caractérisé la modernité et un dépassement des faux simulacres liquides et simulants opérant dans la postmodernité. En particulier, il est nécessaire de dépasser les concepts métaphysiques et métapolitiques formulés dans la Voie de la Main Gauche comme une accélération du processus de destruction de la postmodernité afin de favoriser un nouveau réveil de la Tradition, précisément parce que la postmodernité a changé les conditions de cette lutte. Comme l'enseigne magistralement Alexandre Douguine :
"Aujourd'hui, dans le processus de transition vers la postmodernité, il est nécessaire de faire le pas suivant : développer une stratégie de révolte contre le monde postmoderne, en adaptant le traditionalisme aux nouvelles conditions historiques et culturelles ; non pas tant pour résister aux changements en cours, mais pour en être profondément conscient, pour intervenir dans le processus en lui assignant une direction radicalement différente. L'objectif n'est pas tant la victoire que la bataille elle-même. Si elle est correctement préparée et menée contre l'ennemi réel, cette guerre sera déjà une victoire" (Op. cit., p. 36).
À cet égard, dans notre précédent article pour Idee & Azione, intitulé Metaphysics of Chaos and the Radical Subject ( https://www.ideeazione. com/metaphysics-of-chaos-and-radical-subject/ ), nous posions la question suivante : Si la Volonté post-sacrée du Sujet radical dont parle Douguine - que nous définissons comme la volonté d'appartenance totale au Divin (comme expression du désir angélique de Dieu) - est le dépassement ontologique de la volonté de puissance nietzschéenne, est-il également possible d'envisager une nouvelle voie philosophique et métapolitique au sein de la métaphysique du Chaos qui aille au-delà, qui dépasse et qui soit capable de dépasser la Voie de la Main Gauche ? Notre réponse à cette question a été positive et s'est développée à la fois dans l'ordre de la praxis et de la theoria.
En ce qui concerne la praxis, sur la base des intuitions douguiniennes, nous avons soutenu que la vertigineuse décadence du postmodernisme est tellement accélérée et centrifuge que son entropie auto-implosive n'exige plus que l'on chevauche le tigre de manière évolutive mais d'attendre sa dissolution en se préparant, d'un point de vue métapolitique, à mettre en œuvre les communautés organiques de destin, avec leur lutte proactive contre la présence de l'OTAN en Europe et contre les diktats des seigneurs de l'or, pervers et diaboliques, de Davos.
Dans le domaine de la Théorie proprement dite, en revanche, après avoir appris de Douguine que :
- la métaphysique du Chaos ou Nouvelle Métaphysique se manifeste sous les espèces de l'ordre inclusif comme un nouveau logos chaotique (incluant ainsi de manière synchrone les dimensions atemporelle et temporelle), qui, étant né du Chaos est inclus dans le Chaos initiateur du Cosmos (Ordre Divin) ;
- l'acteur de la métaphysique du Chaos : "Le Sujet radical est incompatible avec toute structure temporelle. Il réclame avec force un antitemps, fondé sur le feu puissant de l'éternité, transfiguré dans la lumière de la radicalité. (...) seul le geste drastique du Sujet radical, (...) cherche à se libérer du temps par la construction d'une (impossible) réalité non temporelle" (Alexandre Douguine, La quatrième théorie politique, NovaEuropa, Milan 2017, pp. 239-240) ;
- nous en avons déduit qu'un tel geste drastique de libération du temps, propre au Sujet radical, ne devrait plus avoir lieu - étant donné l'accélération auto-implosive du postmodernisme - en chevauchant le tigre par la Voie de la Main Gauche, mais par une nouvelle ascèse métaphysique et spirituelle profonde, que nous entendons appeler explicitement la Voie de la Main Vide, en nous référant en cela à la fois à la tradition méditative du Zen, et à la tradition apophatique philosophique et théologique propre à la tradition occidentale classique et chrétienne pré-moderne. La Voie de la Main Vide représente un dépassement philosophique, anthropologique, théologique, angélologique, ascétique et mystique de la Voie de la Main Droite et de la Voie de la Main Gauche, conservant de la première la constance spirituelle et la rigueur éthique, tandis que de la seconde elle veut faire sienne la tendance extrême et totale à ne pas s'épargner et à toujours viser le sommet à n'importe quel prix.
De la métaphysique du Chaos, de ses profondeurs peut être générée la Voie de la Main Vide, un nouveau Dasein possible du Sujet Radical et son itinéraire existentiel effectif. Un chemin métaphysique et spirituel fondé sur l'expérience vivante de la manifestation de la conscience de soi. C'est-à-dire sur la reconnaissance expérimentale de la réalité ontologique de l'âme individuelle, qui se réalise à travers la pratique consciente du hic et nunc, de l'ici et du maintenant, non pas dans la pratique occidentale étroite et réductivement psychologisée de la pleine conscience, mais pour vivre dans l'Immanence, qui est "conscience" de la présence vivante de la Transcendance, du Totalement Autre, qui est l'origine et le Père de notre être, c'est-à-dire de notre Dasein, et qui nous pousse à la lutte pour un nouveau commencement de la Tradition. Nous allons maintenant illustrer quelques fondements anthropologiques d'un ordre ascétique-mystique, concernant la théorisation de la Voie de la Main Vide, précédés d'un très bref excursus historique sur la pratique de la conscience en Occident.
Immanence et transcendance
La Voie de la Main Vide est structurée autour des pierres angulaires de l'expérimentation pratique méditative et existentielle de l'Immanence et de la Transcendance. Précisément, vivre l'Immanence à la recherche et en présence de la Transcendance et vivre la Transcendance dans l'Immanence. Tout cela, par la pratique de l'ici et du maintenant, du hic et nunc ou de la conscience. Une pratique de la conscience qui n'est pas basée sur la réflexion et le raisonnement, mais sur la pratique du silence et du vide mental. Une conscience qui ne se lit donc pas comme une faculté de l'esprit, mais comme une structure de l'âme consciente. Une âme consciente individuelle, l'essence qui génère et maintient en existence le corps et les pouvoirs de l'âme, c'est-à-dire l'esprit (mémoire, intellect, volonté), grâce à son énergie vitale.
Pendant longtemps, au moins jusqu'au début de l'an 2000 et au-delà, la pratique méditative d'une sorte de "conscience" évanescente, poétique et plus ou moins érotiquement dissimulée a été l'un des domaines et des leitmotivs du mouvement New Age. De ce chaos sans queue ni tête, uniquement préoccupé par la définition d'une réalité vaguement divine, de nature panthéiste et impersonnelle, délibérément dépourvu de références éthiques dans le domaine sexuel, qui a fait un massacre de nanas par de pseudo-gourous du néant, de la mort et du business, capables de ne distribuer que le bonheur de la copulation initiatique en la faisant passer pour une cessation de la souffrance et une ascension vers des degrés supérieurs de conscience, de connaissance et d'éveil, a fini par émerger une nouvelle façon de concevoir et de mettre en œuvre le thème méditatif de la conscience, celui de la mindfulness (pleine conscience).
Portée par des psychothérapeutes - majoritairement mais pas uniquement - issus de l'aire cognitiviste, corroborée par une expérience méditative réelle mais souvent discrète, la pleine conscience est née, s'est développée et s'est consolidée parallèlement à son activité et à sa pénétration dans les milieux sanitaires et socio-sanitaires américains et anglo-saxons. Considérée comme une discipline aux contours scientifiques, ses enseignants n'osent pas s'exprimer sur les thèmes du Divin et de la Transcendance par pudeur ou par révérence aux reliquats de la science positiviste matérialiste qui conditionne encore aujourd'hui le monde scientifique. Ces psychothérapeutes, autoproclamés "maîtres" de la pleine conscience, en raison de spécialisations ou de maîtrises qui n'ont pas grand-chose à voir avec l'expérience méditative qui, pour être efficace et apprise, doit être la conséquence d'une longue pratique, occidentalisent des pratiques ad hoc de tradition essentiellement bouddhiste comme celles de la conscience non jugeante, ils utilisent des critères d'analyse hyper-relativistes dans le domaine de la gnoséologie et de la méthodologie psychologique, ils ne se dégagent pas totalement du paradigme freudien qui entache toutes leurs interprétations du réel psychologique de l'ombre de l'utopie pansexualiste concrète ou sublimée. Tout cela se produit, dans l'exercice de leur profession, à cause d'une Weltanschauung épistémologique réductrice autour de la nature humaine lue dans le binaire psychologique et anthropologique corps-esprit et non dans le binaire holistique et neuroscientifique corps-esprit-âme/conscience.
Au Japon, la Voie de la Main Vide est une dénomination liée au Bushido et en particulier à certains de ses arts martiaux, comme le Karaté. Nous avons choisi cette dénomination parce qu'elle exprime le mieux le sens du vide de l'âme consciente qui, dans l'immanence de sa propre condition existentielle, de son propre être (Dasein), s'ouvre à la transcendance comme une fleur qui s'ouvre aux rayons du soleil, réalisant ainsi la conscience de l'ici et du maintenant.
La Voie de la Main Vide est un chemin existentiel de mise en œuvre de la katharsis (purification) et de la kénosis (faire le vide) qui permettent l'éveil du Sujet Radical. C'est une condition quotidienne dans laquelle, dans l'événement méditatif et en dehors de celui-ci, on vit dans une pure Immanence ouverte à la Transcendance. La pratique de la pleine conscience n'est qu'une étape qui précède et suit d'autres étapes de dévoilement et d'éveil de l'âme consciente et de sa volonté d'appartenir totalement au Divin, comme décrit dans certains de nos trois articles précédents intitulés Les armes spirituelles du sujet radical, où les premiers degrés d'ouverture de la conscience, de l'âme consciente en fait, sont décrits en progression, ce qui sera suivi dans de futurs articles.
D'un point de vue phénoménologique, le thème de l'Immanence vécue comme une expérience extrême dans laquelle l'âme consciente, l'Atman, est purifiée et vidée de son égocentrisme inné qui lui coupe les ailes et la ferme à l'ouverture vers la Transcendance, est étroitement lié à l'horror vacui et à l'aridité spirituelle. Il s'agit de deux questions qui doivent être abordées avec une grande énergie et avec des corrélations psychologiques, sociologiques et, surtout, anthropologiques et ascético-mystiques. Pour l'instant, il suffit de rappeler que l'horreur du vide, horror vacui, est une perception intense et addictive d'un ordre existentiel lié au sens de la mort et de l'isolement existentiel, alors que l'Atman, l'âme consciente, est créée pour vivre éternellement et pour s'intégrer dans la société humaine et, à l'avenir, dans la communion des saints. La stérilité spirituelle, causée par la purification de l'ego et son évidement, effraie l'âme consciente, qui a été créée dans le desiderium Dei, pour vivre heureuse dans l'éternité et non dans la souffrance de la douleur et de l'absence du Divin.
Avec ces hypothèses de renoncement total à l'ego, on peut comprendre que, face à de telles difficultés, l'âme consciente, amoureuse de la Tradition, soit tentée de s'arrêter, de faire marche arrière et de renoncer à sa transformation, qui provoquerait l'éveil du Sujet radical, pour se contenter d'une dérive intellectuelle et d'un intimisme anesthésiant qui la protégerait à jamais de la violence de ce combat visant à l'émergence de l'ego et à l'émergence du Soi pour vivre face au Divin et être guidée par Lui.
Le thème de la Transcendance, vécu dans la perception phénoménologique du Totalement Autre, du Divin qui apparaît, qui se révèle à l'âme consciente et la remplit de joie et de consolation pour continuer sa lutte pour la Tradition, est lié à l'égoïsme de l'absence et à la manipulation du Divin. Ici encore, nous soulignons l'importance d'aborder et d'approfondir ces questions vitales pour une relation correcte avec la Transcendance. Dans ce contexte, nous affirmons simplement que l'âme consciente, l'Atman, doit travailler généreusement à l'expulsion de sa tension égoïste d'adhésion permanente au Divin, par la vertu contraire de la générosité, afin d'éviter que, lorsque le Divin n'est pas perçu comme étant présent, elle ne s'enlise dans l'égoïsme de l'absence, une condition qui conduit à la non-opération, mais seulement à l'attente passive de son retour.
La question de la manipulation du Divin est un sujet brûlant que nous aborderons dans un avenir proche, lié entre autres aux thèmes douguiniens concernant le Double, ou le Sujet radical et l'Antéchrist. Pour l'instant, nous dirons simplement que, comme nous l'enseignent les Pères du désert, plus l'âme consciente se rapproche du Divin, plus le type de tentations auxquelles elle est soumise devient subtil. À la base de ces tentations, il y a la preuve de se considérer comme un démiurge, un magicien, un manipulateur, en fait, du Divin.
Bien qu'il s'agisse en théorie d'une épreuve absurde pour l'intelligence, qui réalise que tout ce qu'elle reçoit est un don qui lui arrive quand, combien et comment le Divin le veut pour sa transformation, le don des charismes, qui ne sont en aucun cas un signe de perfection spirituelle de l'âme consciente (c'est-à-dire qu'ils ne sont pas des gratia gratum faciens) mais simplement un don gratuit (c'est-à-dire qu'ils sont des gratia gratis data) pour aider son prochain sur le chemin du Sentier spirituel, est mal compris par l'âme consciente qui le prend pour un pouvoir personnel. Si l'Atman succombe à cette épreuve, il devient ipso facto le domaine des seigneurs angéliques des ténèbres, auxquels il demandera tôt ou tard à être possédé dans l'illusion qu'il peut les gérer en sa faveur et à sa guise.
Cette illusion a accompagné, tout au long de l'histoire de notre espace métapolitique, certains groupes qui ont pratiqué la Voie de la Main Gauche dans le contexte occultiste spécifique exprimé ici. Il n'est pas dans notre intention de les juger, ni de les interroger ou de les mépriser ; au contraire, dans une certaine mesure, nous pouvons les admirer pour la noblesse de leurs intentions. Cependant, rappelons à tous que pour parvenir à la contemplation de la gloire du Divin et en jouir individuellement, il ne suffit pas d'être ouvert à Lui, mais il faut être humble en reconnaissant sa propre condition humaine de fragilité et être plein de foi dans l'action de Son Esprit qui seul peut nous guider vers la plénitude de la vérité : "vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres" (Évangile de Jean 8:32).
La Voie de la Main Vide, c'est un chemin d'ascèse guerrière, c'est l'itinéraire de l'Eveil du Sujet Radical, c'est la Grande Guerre Sainte pour la conquête du Royaume Intérieur et la condition sine qua non pour construire l'Empire Européen au sein de la Civilisation Multipolaire. De la Voie de la Main Droite, il hérite de la constance et de l'éthique. De la Voie de la Main Gauche, il hérite de la radicalité et de la totalité. Mais la Voie de la Main Vide les surpasse comme le Sujet radical avec la Volonté Post-Sacrée, la volonté d'appartenance totale au Divin, a surpassé la volonté de puissance du Zarathoustra Nietzschéen. Car dans la Voie de la Main Vide, la main de l'âme consciente se déploie et s'ouvre pour recevoir en elle la totalité du Divin et être guidée par Lui dans la bataille finale contre les ténèbres de l'anti-civilisation post-moderne avec l'énergie, la ténacité et l'extrémisme combatif des anciens guerriers, que seul le Sujet Radical peut pleinement manifester à la fin de l'Histoire :
Eléazar, appelé Auaran (qui signifie "celui qui transperce", Ndlr), voyant l'un des éléphants, protégé par l'armure royale, dominer toutes les autres bêtes et pensant que le roi était dessus, voulut se sacrifier pour le salut de son peuple et assurer son nom éternel. Il s'élança donc hardiment à travers la phalange et frappa à mort à droite et à gauche, tandis que les ennemis se divisaient devant lui et reculaient de part et d'autre. Il passa sous l'éléphant, le transperça de son épée et le tua ; il tomba sur lui et Eléazar mourut". (Extrait du premier livre des Maccabées 6, 43-46).
René-Henri Manusardi
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jeudi, 09 mars 2023
Cartographie cosmique de l'Eurasie
Cartographie cosmique de l'Eurasie
Markku Siira
Source: https://markkusiira.com/2023/03/02/euraasian-kosmista-kartanpiirtoa/
Le traité ésotérico-philosophico-politique complexe de l'Italien Xantio Ansprandi, Eurasian Universism : Sinitic Orientations for Rethinking the Western Logos (PRAV Publishing), est certainement l'un des ouvrages les plus uniques et les plus stimulants de cette année; selon son sous-titre, il dessine des "orientations sinitiques" sur la carte cosmique eurasienne qui émerge de l'ombre de la tradition philosophique occidentale.
Ansprandi, qui étudie la philosophie pérenne, estime que le monde moderne, ayant abandonné sa tradition, se trouve dans un état de déséquilibre et de désordre. L'Europe traverse une crise philosophique, spirituelle et politique profonde : le logos (intellect, principe central ou mode de pensée) qui l'animait autrefois disparaît dans un maelström de chaos, tandis que l'ensemble de l'ordre mondial occidental moderne se désintègre.
À l'autre bout du continent, la Chine connaît une ascension historique qui confère au potentiel de la "civilisation sinisée" une pertinence toute nouvelle dans les limbes instables actuels entre l'ancien et le nouvel ordre.
Les logos occidentaux peuvent-ils se remettre de leur décadence et quel rôle les traditions confucéennes et les innovations de la Chine communiste joueront-elles dans la nouvelle situation ? Le "néo-eurasisme" parviendra-t-il à inspirer la philosophie politique de la Fédération de Russie ?
Ansprandi crée une synthèse extraordinaire qui place la métaphysique occidentale et orientale dans un dialogue difficile mais novateur. En s'appuyant sur la mythologie comparée, la linguistique, les courants philosophiques et politiques et la sinologie moderne, le penseur italien dessine une carte cosmique où la civilisation eurasienne rencontre une civilisation occidentale affaiblie.
Il agit comme un anthropologue culturel doté de pouvoirs magiques qui, au milieu de la décadence de la société contemporaine, combine des éléments sains hérités du passé avec un nouveau symbolisme pour un avenir post-libéral. Ce renouveau apportera-t-il des résultats tangibles ou restera-t-il un exercice excentrique pour scribes marginaux ?
Quoi qu'il en soit, l'auteur aborde avec une assurance fascinante les parallèles entre la vision cosmologique germanique et la philosophie chinoise du taoïsme et du kung-fu. On atteint bientôt l'ancien "berceau de la civilisation", la Mésopotamie de la pointe de la flèche, dont les constellations ont permis d'extraire le graphème eurasien, le centre de toutes choses, pour donner une direction et un ordre au présent chaotique.
Les concepts préchrétiens des dieux sont présentés au lecteur dans cette vertigineuse exploration étymologique et ésotérique, qui identifie le "dieu suprême du ciel" eurasien comme le pôle Nord céleste, la source créatrice de toute énergie et le patriarche du cosmos tout entier, qui ne peut être contenu dans les dogmes étroits du christianisme, et encore moins dans les constructions doctrinales du dualisme cartésien.
Si des philologues, linguistes et religieux célèbres, de Georges Dumézil à Mircea Eliade, sont déjà connus du lecteur, Ansprandi mentionne également le travail de pionnier du philosophe et sinologue français François Jullien, ainsi que le confucianisme politique du philosophe chinois Jiang Qing, dont les points de vue sont combinés et transcendés dans cette symphonie multiverselle des forces primordiales.
Il admet avoir reçu d'autres directives de René Guénon, de l'école traditionaliste, et du philosophe et historien des religions italien Ernesto de Martino, qui ont tous deux envisagé une réincarnation de la pensée occidentale à travers des influences orientales. Une autre source d'inspiration importante est le philosophe russe controversé Alexandre Douguine, dont les écrits sont cités à plusieurs reprises dans différents chapitres du livre.
Le néo-eurasisme de Douguine est fortement présent dans l'œuvre d'Ansprandi qui, comme le politologue russe, voit l'Occident libéral décadent et sa métaphysique sclérosée étouffer dans son propre nihilisme. Dans cette atmosphère de fin d'une époque, le "sujet radical" doit rester debout, ne serait-ce qu'au milieu des ruines.
Les dissidents qui vivent dans le présent, à la fin du cycle historique de la civilisation occidentale, ne devraient pas seulement travailler à la manière de Nietzsche pour accélérer cette chute, mais aussi aider à la résurrection du logos et de la véritable culture européenne, et par extension eurasienne, des cendres de la merveille hivernale spenglérienne qui est tombée sur terre.
"L'universalisme eurasien est un manifeste anti-moderniste et post-libéral et en même temps une étude académique qui rejette les dogmes religieux, philosophiques et politiques du modernisme. L'ouvrage d'Ansprandi n'est pas facile à lire, car pour progresser dans ce voyage métaphysique, il faut déjà être familier avec (ou au moins disposé à apprendre) de nombreux concepts obscurs afin de comprendre le raisonnement ésotérique de l'auteur.
L'"Orientation siniste" se déroule étonnamment bien, cependant, car l'auteur a disséminé suffisamment d'indices dans son vaste essai pour révéler un "tout sous le ciel" teinté de chinois. Dans ce tableau, l'Occident, qui a abandonné sa propre civilisation, reste en fin de compte un simple système territorial, qui cède la place à un ordre mondial plus diversifié sur le plan culturel. Cependant, Ansprandi espère que l'Europe s'éveillera à son tour.
Si le logos grec, le dieu germanique Odin, la cosmologie chinoise, le Dasein de Martin Heidegger, Jacques Lacan, la Quatrième théorie politique d'Alexandre Douguine, la philosophie du traditionalisme et une vision critique du libéralisme occidental vous intéressent, cet ouvrage original mérite d'être lu - mais sachez qu'il peut entraîner l'esprit curieux sur des chemins nouveaux et peu familiers.
20:19 Publié dans Eurasisme, Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditionalisme, eurasisme, sinisme, chine, occident, xantio ansprandi, tradition | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 18 février 2023
Le carnaval, une fête ancienne et en même temps futuriste
Le carnaval, une fête ancienne et en même temps futuriste
Le sens de cette tradition peut encore nous aider, à plusieurs niveaux, à reconsidérer les "raisons" profondes du temps de la fête, de la valeur du Sacré, de son caractère extraordinaire, de la "recomposition" d'une vision organique de la Vie.
par Mario Bozzi Sentieri
Source: https://www.barbadillo.it/108084-il-carnevale-come-festa-antica-e-insieme-futurista/?utm_campaign=shareaholic&utm_medium=twitter&utm_source=socialnetwork
Un manifeste futuriste
Le Carnaval de Viareggio a cent cinquante ans. Une occasion de se souvenir de l'un des événements les plus spectaculaires et grandioses de l'imaginaire italien, mais pas seulement de cela.
L'histoire plus que centenaire de ce carnaval a commencé le mardi gras de 1873. Selon la tradition, autour des tables du café du Casino, l'idée d'un défilé de carrosses pour célébrer le Carnaval, en plein air, parmi les gens, un peu comme on le faisait dans les villes italiennes et en Toscane en particulier, a germé parmi les jeunes gens aisés qui se réunissaient alors dans ce lieu de rencontre à Viareggio.
Le succès et la participation à ce premier défilé le long de la rue principale de Viareggio (la "Via Regia") ont été remarquables. Vers la fin du siècle, des chars triomphaux apparaissent, en bois, en scagliola et en jute, modelés par des sculpteurs et assemblés par des charpentiers et des forgerons qui savaient créer des bateaux extraordinaires dans la Darsena, sur les quais des chantiers navals. Même la Première Guerre mondiale n'a pas réussi à le détruire, tout comme le déclin de la belle époque européenne, car il revient à une nouvelle vie en 1921.
Jusqu'à la "réinvention" de 1930, lorsque Uberto Bonetti, un peintre futuriste de Viareggio, conçoit Burlamacco : le masqué symbolique de Viareggio qui, sur l'affiche de 1931, apparaît en compagnie d'Ondina, la baigneuse symbole de la saison estivale, un masque "tout nouveau" qui dérive néanmoins de l'identité littéraire toscane (le Buffalmacco de Boccace) et du nom du canal de Viareggio, la Burlamacca.
Celui de Viareggio n'est pas un exemple isolé. Le carnaval nous a toujours donné valeur à notre histoire qui, en Italie, est ponctuée par les masques de la tradition: de Gianduia (Piémont) à Arlequin (Bergame), de Pantalone et Colombina (Venise) à Meneghino (Milan), de Stenterello (Toscane) à Sor Tartaglia (Rome) et à Pulcinella (Naples). Et en même temps le sens d'une culture populaire répandue qui, aujourd'hui plus que jamais, en ces temps d'homologation facile, doit être remise au centre de l'imaginaire collectif, grâce à la valeur redécouverte de la "fête" et du "sacré".
Le carnaval représente en effet - s'il est interprété correctement - un moment essentiel de ce "voyage", certes pas le seul, mais l'un des plus significatifs, traditionnellement destiné à renouveler le cycle de la vie, le sens de la "transgression" et de la "renaissance", avec des racines solidement ancrées dans la patrie des religions : en Chaldée, dans l'ancienne théocratie mésopotamienne, vers trois mille avant J.-C., on trouve les traces d'une fête au cours de laquelle les rôles sociaux étaient inversés, la servante prenait la place de la dame et l'esclave celle du puissant ; et de là le diffusion générales et symptomatique dans tout le monde antique, en Grèce, avec une longue période de "liberté de l'esprit" ; à Rome, avec les "Saturnales", décrites par Macrobe, et, avec la fête de la religion des étoiles, le carnaval devient la "fête du nouvel an", l'interrègne entre une abdication et une montée sur le trône. Le cortège triomphal du drame de l'extraordinaire fait irruption dans l'histoire, par le "trou du désordre calendaire". La subjectivité explose, dans l'ivresse de la passion. Et c'est le pathos, la passion dionysiaque, qui submerge et enivre. C'est le temps de la Wille zum Raush, de la volonté d'ivresse, dont le sens - aujourd'hui - nous échappe, "envahis" que nous sommes par une "ivresse" permanente, par une ivresse de masse, où le Sacré a peu de place et où le rire a pris les traits de la banalité.
Conscient de cela, le sens du Carnaval peut encore nous aider, à plusieurs niveaux, à reconsidérer les "raisons" profondes du temps de la fête, de la valeur du Sacré, de son extraordinaire, de la "recomposition" d'une vision organique de la Vie. De Viareggio à toute l'Italie. Pour nous redécouvrir nous-mêmes, le sens de nos communautés, la fierté de l'appartenance.
Mario Bozzi Sentieri sur Barbadillo.it
17:40 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditions, carnaval, italie, viareggio | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 13 février 2023
Le socialisme orthodoxe et les "images de l'avenir"
Le socialisme orthodoxe et les "images de l'avenir"
Andrei Kosterin
Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/socialismo-ortodosso-e-immagini-del-futuro?fbclid=IwAR0GkdOUmZH2qAyNF5wHjplNlFafretXSCp5Sl2bjqHtWGmj8gxN4pKavlc
I.
Les critiques modernes du socialisme ressemblent parfois à des névrosés qui ont subi dans leur enfance un "traumatisme" dont ils ne se souviennent même pas (mais dont ils ont été informés par des "bienfaiteurs" comme Soljenitsyne) et auquel ils attribuent tous leurs échecs, ceux qui se sont effectivement produits et ceux qui, pour la plupart, ne se sont jamais produits (le phénomène du "profit perdu"). Mais s'il n'y avait pas eu de révolution - nous serions 500 millions, comme l'a dit Mendeleïev, mais s'il n'y avait pas eu de révolution - la Russie serait une idylle bénigne comme dans L'été du Seigneur d'Ivan Chmelev, et s'il n'y avait pas eu de révolution - la Russie aurait obtenu Constantinople, les détroits et serait devenue une puissance mondiale égale à la Grande-Bretagne. La liste de ce qui aurait pu arrivé "s'il n'y avait pas eu de révolution" est vraiment inépuisable.....
C'est une position très confortable, une position de déterminisme historique (sinon de fatalisme) pour expliquer le présent par le passé. Mais cette position a un défaut évident: elle ne laisse aucune place à l'avenir. L'avenir est strictement déterminé par le passé: la Volga se jette dans la mer Caspienne. Point final.
Le Projet Blanc, arrivé au pouvoir dans les années 1990, a eu une occasion historique de construire son avenir. Cependant, les idéologues et les maîtres d'œuvre du nouveau Projet Blanc étaient moins préoccupés par l'avenir que par le passé. Non seulement ils ont souillé le passé, prenant un plaisir presque masochiste à le dénigrer, mais ils ont agressivement implanté ce point de vue dans la conscience publique. Et l'avenir ? Il n'y avait pas d'avenir dans cette production idéologique blanche-libérale. Tandis que les "conservateurs" et les directeurs dans les coulisses de la vengeance avaient une vision d'avenir, avec une idéologie suicidaire de consommation frivole, radicalement égoïste et pas trop moralement chargée qui nous a été imposée: "Vivez ici et maintenant", "Prenez tout de la vie", "Ne vous laissez pas dépérir", "Laissez le monde entier attendre"...
On pourrait dire que le Projet Blanc n'avait pas de plan, ou qu'il n'était pas destiné à tout le monde, mais seulement à quelques privilégiés. Les masses se voyaient offrir au mieux une "porkopolis", un état de sobriété sur le modèle du "socialisme" scandinave. Le peuple russe frissonnera bientôt devant une image aussi terne et vulgaire de l'avenir (comme il a frissonné à la fin des années 1980 devant le "goulash-communisme" de Khrouchtchev-Brejnev, qu'il a jeté impitoyablement du bateau de l'histoire).
Après la crise de 2008, cependant, il est rapidement apparu que l'économie capitaliste mondiale ne dispose pas des ressources nécessaires pour rendre toute l'humanité heureuse, même avec une maigre ration de ragoût et de lentilles. Selon une récente confession diplomatique du diplomate en chef de l'UE, Josep Borrell: "L'Europe est un jardin, nous avons créé ce jardin... Tout [ici] fonctionne, c'est la meilleure combinaison de liberté politique, de perspective économique et de cohésion sociale... Le reste du monde n'est pas vraiment un jardin". La plupart du reste du monde est une jungle. Et la jungle peut envahir le jardin". Bolivar ne peut pas supporter deux personnes et, comme les événements ultérieurs l'ont montré, le premier candidat à l'expulsion du jardin des fleurs était la Russie.
Un deuxième projet, le "capitalisme inclusif" de Klaus Schwab, dépeint un avenir encore plus décourageant. 'Le camp de concentration électronique", "l'esclavage numérique": cette liste est loin d'être exhaustive avec ses épithètes dont les "capitalistes inclusifs" ont réussi à se faire gratifier par les esprits avisés de la tendance conservatrice.
II
Nous pouvons anticiper l'objection selon laquelle la version libérale du projet blanc, tel que décrit ici, est loin d'être exhaustive. Il existe également une aile droite-conservatrice, monarchiste et parfois nationaliste (le "Projet russe") qui s'oppose implicitement à l'aile libérale décrite ci-dessus (le "Projet occidental"). C'est vrai, mais, au grand regret de tous, le Projet russe est largement engagé dans la même chose que le Projet occidental : un ressentiment sans fin et une confusion tout aussi infinie avec le Projet rouge. Le Projet russe n'est pas tant préoccupé par la lutte contre l'hégémonie du Projet occidental que par les phobies du Projet rouge, mort depuis longtemps.
Alors pourquoi le Projet russe est-il plus disposé à s'aligner sur le Projet occidental que sur le Projet rouge ? En partie parce que le Projet rouge est également hétérogène et peut être décomposé en deux composantes: la composante marxiste (Komintern) et la composante relevant de la gauche conservatrice, nationale-bolchevique - également des projets occidentaux et russes, mais en tant que parties non pas du Projet blanc, mais du Projet rouge. Il est révélateur qu'en s'opposant au Projet rouge, la droite conservatrice russe pointe toutes ses flèches principalement sur le projet du Komintern, plaçant le projet national-bolchevique en dehors de sa critique.
La raison principale est que le Projet Blanc ne dispose pas d'une "image de l'avenir". N'en ayant pas devant elle comme étoile directrice (ou du moins dans la mémoire du Navigateur), elle s'immerge dans le passé, idéalisant certains moments et en diabolisant d'autres. Bien sûr, le projet de la droite conservatrice russe (que l'on peut qualifier sans trop d'erreurs de "projet orthodoxe") a une image du futur : l'idéal de la Sainte Russie. Cet idéal est beau et élevé, et confère à ses partisans, les orthodoxes, la grâce de Dieu et la foi dans le triomphe de la vérité du Christ sur terre.
Cependant, cet idéal est trop élevé, trop détaché du monde des mortels, trop étranger. Le croyant, à moins qu'il ne se soit entièrement consacré au service de Dieu et retiré dans un monastère, n'ayant aucun moyen de combiner le Haut avec le Bas, est condamné à mener une double vie. L'idéal reste un idéal inaccompli et la vie quotidienne oblige à devenir, au mieux, un "prisonnier de la conscience" et, au pire, à rechercher le compromis et à se résigner au péché de cupidité, presque universellement répandu.
Les partisans du projet orthodoxe se rangent le plus souvent du côté de l'"uranopolitisme" (rejet de toute méthode sociale d'organisation du monde), invoquant le salut individuel et s'appuyant sur la célèbre maxime de saint Séraphin de Sarov: "Tiens fermement l'esprit de paix et des milliers seront sauvés autour de toi". Cette maxime est excellente, mais comment s'applique-t-elle à l'environnement spirituel et social d'aujourd'hui ? Peut-on sauver des gens qui non seulement ne veulent pas être sauvés, mais qui deviennent furieux à la simple mention de l'orthodoxie ? Et sommes-nous très différents des Corinthiens, que l'apôtre Paul a essayé d'admonester en disant: "Ne vous y trompez pas : les mauvaises fréquentations corrompent les bonnes mœurs"?
Ce serait la moitié du problème de cette illusion: on veut être sauvé en une seule personne, que Dieu lui vienne en aide. Cependant, réalisant l'impossibilité de réaliser l'idéal de la Sainte Russie en tant qu'idéal social à partir de la position de l'uranopolitisme, les partisans de ce dernier commencent à lutter contre ceux qui ont un idéal social et cherchent à le réaliser. Et ce sont précisément les partisans du Projet rouge qui sont les premiers à être attaqués. Nous constatons ici une surprenante unanimité des projets occidentaux et orthodoxes, qui leur permet de s'unir (bien que tactiquement) dans le cadre du projet blanc.
III.
Une alternative à la vision moderniste, consistant à dire "l'avenir se construit à partir du passé", est la vision traditionaliste, très vraie et très chrétienne, qui nous dit "le temps s'écoule de l'avenir vers le passé": "La raison principale n'est pas la "cause causale", mais la "cause-but", c'est-à-dire "pour quoi faire ?". Nous avons cessé de comprendre ce pour quoi nous vivons : nous survivons, nous luttons ou nous essayons de résister. En effet, cette disparition d'une raison d'être, la disparition d'un futur significatif - ceci est devenu fatal <...> en effet, le temps découle du futur, le temps a un but. C'est comme si nous avions oublié ce but, nous avons oublié la dimension future. C'est juste que le passé prédétermine notre présent à tel point que notre présent est déjà devenu le passé pour le futur. Et puis il n'y a pas d'avenir, il s'échappe, il recule... En fin de compte, peu importe ce qui était, ce qui est - seul compte ce qui sera. L'objectif est bien plus important que la source ; le rendement est bien plus important que le résultat. Réfléchissons au but, au sens, permettons à l'avenir de venir en nous, permettons à l'avenir de se produire, sinon sous le tas du passé nous ne pourrons même pas le regarder.
Comme s'ils écoutaient Douguine, les idéologues du "Projet rouge" placent l'avenir au centre, s'efforçant de toutes leurs forces de l'atteindre, quel qu'en soit le coût. Le Projet rouge est tombé sur un terrain fertile: le peuple russe, qui ne peut vivre sans avenir, qui est prêt à endurer n'importe quelle adversité pour le bien de l'avenir, la victoire et seulement la victoire est importante. Et pour le prix, ils ne résisteront pas à l'attrait de cet avenir. Dans ce contexte, nous devons considérer tous les innombrables sacrifices, crimes et souffrances du peuple russe - tout était justifié par un grand objectif : non seulement survivre et rester dans l'Histoire, mais aussi restaurer la grande mission, presque oubliée: l'établissement de la Vérité de Dieu sur terre, la Vérité russe. Dans le sens orthodoxe, ce sacrifice expiatoire du peuple russe sur la croix était justifié et avait une profonde signification historique et symbolique. Le peuple est allé à la Croix pour le triomphe de la vérité du Christ. Et c'est la victoire de la Grande Victoire Patriotique qui a prouvé la validité du Projet Rouge dans sa réincarnation stalinienne (nationale-bolchévique).
Avec toute notre profonde sympathie pour la période stalinienne de l'histoire russe, nous sommes forcés d'admettre son incohérence spirituelle à bien des égards. L'"image de l'avenir" dessinée par les bolcheviks était marxiste, moderniste. Ce n'était pas la Sainte Russie, mais une carte dessinée à la hâte, au crayon rouge, sans autres couleurs ni nuances. C'était un régime d'héroïsme diurne, où il n'y avait pas de demi-mesures et où seules et exclusivement des réponses radicales se manifestaient. Dans un changement de paradigme, le sujet radical a assumé l'autorité. Dans les années 1920, les "commissaires aux casques poussiéreux" sont devenus tels - ils ont pris l'entière responsabilité d'eux-mêmes, car ils étaient les opérateurs de l'image du futur dont ils rêvaient et que nous lisons dans les films soviétiques de l'ère stalinienne.
Les bolcheviks construisaient le paradis sur terre et ne s'en cachaient pas. Staline croyait-il à cette hérésie chiliastique? Il est peu probable que nous le sachions - et Staline est tombé dans une telle "force majeure" qu'il n'a pas eu le temps de réfléchir à ce sujet. La collectivisation, l'industrialisation, la Grande Guerre patriotique, la restauration de l'économie, la création d'un bouclier nucléaire: toutes ces tâches ont exigé un effort énorme, une super-concentration des ressources et du pouvoir entre les mains de l'État. C'était du socialisme, mais d'un genre particulier: un socialisme de mobilisation, autoritaire et forcé.
Et lorsque, après la mort de Staline, il a été possible de respirer tranquillement et de désactiver le mode de mobilisation d'urgence, le socialisme a également été éteint de manière quelque peu imperceptible, mais pas immédiatement. L'idéal a commencé à s'estomper, le "bien-être des travailleurs" est devenu une fin en soi. L'idéal du socialisme tardif était vulgaire et ingrat, c'est pourquoi il a été rejeté sans regret par le peuple russe. Cependant, les idéologues de la perestroïka, profitant de la crise spirituelle soviétique tardive, ont tout chamboulé: ils ont diabolisé le socialisme en général tout en réhabilitant la bourgeoisie.
Était-il possible de sauver le socialisme soviétique ? Il s'agit d'une question difficile. Comme nous le savons, la genèse du système détermine son fonctionnement. Le capitalisme, né de l'expansion coloniale, du vol et de l'exploitation, était devenu par essence une forme de vol et de violence légalisée d'une partie de la société contre une autre. de certains pays contre d'autres. Le socialisme soviétique, qui a commencé comme un socialisme marxiste, n'est jamais sorti du lit de Procuste de la théorie européenne. Elle n'a jamais laissé Dieu, le souffle bienveillant et animateur du Saint-Esprit, entrer dans son centre.....
IV.
Alors que le capitalisme est critiqué sur la base des valeurs, le socialisme l'est rarement et est critiqué presque exclusivement sur les aspects historiques de sa réalisation. Bien sûr, on peut et on doit critiquer le socialisme marxiste pour sa position athée et profondément matérialiste.
Mais si nous essayons, dans l'esprit de la synthèse Rouge-Blanc, de prendre tout le meilleur du projet Rouge-Blanc et de proposer le socialisme orthodoxe comme image de l'avenir de la Russie, qui, à part les dogmatiques les plus obstinés, aura de sérieuses objections à cette tentative grandiose ?
Les idées du socialisme orthodoxe circulent depuis longtemps dans la pensée publique, rencontrant l'incompréhension, le rejet ou la critique pour les défauts du "vieux" socialisme. Alors, peut-être le temps est-il venu de prendre plus au sérieux les idées du socialisme orthodoxe, qui non seulement dresse un tableau imaginaire de l'avenir, mais trace également la route pour y parvenir?
Le socialisme orthodoxe est né dans la communauté de Jérusalem, dans cet exemple béni de communauté chrétienne primitive que saint Jean Chrysostome ne se lassait pas d'admirer : "Voyez comme elle a immédiatement réussi : (en se référant à Actes 2:44) non seulement dans les prières, non seulement dans l'enseignement, mais aussi dans la vie ! C'était une compagnie angélique, car ils n'appelaient rien à eux... Avez-vous vu le succès de la piété ? Ils renoncèrent à leurs biens et se réjouirent, et grande fut leur joie, car les biens qu'ils avaient gagnés étaient plus grands. Personne ne s'est rebellé, personne n'a envié, personne ne s'est disputé, il n'y avait pas d'orgueil, il n'y avait pas de mépris, tout le monde acceptait l'instruction comme un enfant, tout le monde était accueilli comme un nourrisson... Il n'y avait pas de parole froide: à moi et à toi; c'est pourquoi il y avait de la joie pendant le repas. Personne ne pensait qu'il mangeait le sien; personne ne (pensait) qu'il mangeait celui d'un autre, bien que cela semble être un mystère. Ils n'ont pas considéré ce qui était étranger, car c'était au Seigneur; ils n'ont pas non plus considéré ce qui était à eux, mais ce qui appartenait aux frères.
N'est-ce pas le signe le plus vrai que la cause du socialisme orthodoxe est entre les mains du Seigneur ?
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vendredi, 10 février 2023
Au sommet avec Julius Evola - Entretien avec Renato Del Ponte
Au sommet avec Julius Evola
Entretien avec Renato Del Ponte
Source: https://www.rigenerazionevola.it/in-vetta-con-julius-evol...
(Tiré de iltalebano.com du lundi 22 décembre 2014)
Cher professeur, comment avez-vous abordé la pensée d'Evola ?
"J'ai approché la pensée évolienne par hasard alors que j'étais encore lycéen. On m'avait conseillé de lire le livre sur l'histoire du Saint Graal, qui montre comment l'objet de culte si cher aux Templiers avait des origines beaucoup plus européennes que ce que l'on voulait bien faire croire à l'époque. J'ai ensuite mis la main sur les autres textes, que j'ai dévorés. C'est ainsi qu'avec quelques amis, qui avaient terminé leurs études, nous avons décidé de nous rendre à Rome pour le voir en personne. J'ai donc eu l'honneur de le rencontrer en personne. Le premier à l'aborder sérieusement, avant nous, fut Adriano Romualdi, qui publia son premier ouvrage précisément sur Evola. Nous avons également publié récemment un de ses livres dans lequel sont rassemblées les lettres que Romualdi a échangées avec Evola".
Comment s'est passée votre rencontre avec le philosophe ?
"C'était très surprenant. Pendant des années, nous n'avons cessé de repousser le grand moment parce que nous, jeunes érudits de l'ésotérisme de droite, soi-disant enfants du soleil, nous nous sentions indignes d'affronter son immense autorité. La description qu'en fait Romualdi dans son texte ne correspond pas à la réalité. Il a décrit un Evola austère, aristocratique, distant, difficile à approcher. Peut-être lui aurais-je rendu visite encore plus tôt si j'avais su qu'il n'était pas comme ça. Il nous a intimidés pour rien. Au lieu de cela, étonnamment, nous avons découvert à quel point il était accessible, prêt à traiter avec la nouvelle génération. Mais il n'était pas comme ça avec tout le monde : Mario Merlino, qui aujourd'hui ressemble à Gandalf, est allé voir Evola avec d'autres sodalistes. Peut-être l'ont-ils pris de façon trop goliarde. Il fut déçu, car Evola répondit à leurs questions de manière apathique et avant de partir... il leur légua une bande dessinée de Tex Willer.
Était-il lunatique ?
'Absolument pas. Il s'est simplement adapté au moment et aux personnes en face de lui. Gaspare Cannizzo, par exemple, avait une relation encore différente avec Evola. C'était un gros bonnet. Il était fonctionnaire au ministère des Finances. Il était également responsable d'un magazine, Vie della Tradizione, et l'admirait beaucoup. Il lui a rendu visite plusieurs fois à Rome. Dans un texte intitulé "Le maître silencieux", il parle de sa rencontre avec Evola. Il était entré dans la maison et après quelques brefs mots de civilités, il s'est assis à la table. Étant sicilien, il avait une approche très fermée. Et il passait le temps en silence devant le maître silencieux qui le scrutait. Evola était un peu comme le Roi Pêcheur décrit dans la Saga de Parsifal, il attendait que la bonne question soit posée avant de répondre.
Et Evola, avec les femmes, comment était-il ?
"Quand je suis allé chez lui, il n'y avait qu'une seule femme, qui était sa femme de ménage. Lui, qui était maintenant âgé et alité (en raison de la paralysie dont il avait souffert après avoir été projeté contre une clôture lors d'un bombardement à Vienne, ndlr), avait deux petites joies secrètes qui lui procuraient du plaisir : l'une était le livre de méditation indien, la Bhagavadgītā, et l'autre était une bouteille de whisky White Horse. Que la femme de ménage lui a cependant enlevé car elle n'aimait pas son penchant pour la boisson. Evola, cependant, était un chauviniste masculin. Dans un article paru en 1957, il se dit favorable à l'émancipation des femmes, comprise comme une réalisation de soi. Le premier Evola était très misogyne. En tant que jeune homme, il avait eu beaucoup de femmes, mais il ne les a pas beaucoup aimées. Il a même eu, dit-on, un flirt avec Sibilla Aleramo. Elle a séduit tous les intellectuels de Rome. J'aime donc je suis", avait-il l'habitude de dire. Puis Evola a mûri et a changé. Dans La Metaphysique du Sexe, que j'ai recensée en 1969, il a une approche totalement différente et plus spirituelle. Cependant, il n'a jamais eu de véritable compagne, il était "autosuffisant".
Et la montagne, le grand amour d'Evola ?
"Faites toujours ce qui doit être fait, sans attachement, car l'homme qui agit dans un désintéressement actif atteint le Suprême" - Bhagavad-gita, III, 19.
"La Bhagavadgītā est un texte de la mystique hindoue. Il s'agit d'une conversation entre le dieu Krishna et un guerrier qui ne veut pas aller à la guerre pour se battre. À la fin du dialogue, le soldat découvre la joie de l'honneur et se rend compte que l'acte héroïque réside précisément dans l'effort de combattre. Ainsi, en passant par les douleurs de la guerre, il parvient à se libérer du cycle des réincarnations. Evola emportait ce livre avec lui lors d'ascensions ardues vers les sommets les plus inaccessibles. La fatigue de l'ascension des sommets était, en fait, une métaphore de la guerre et atteindre le sommet est la victoire. Je me suis senti en phase avec Evola car j'aime aussi beaucoup la montagne. De plus, outre la beauté de la nature elle-même, Evola aimait aussi le caractère symbolique des montagnes, mis en évidence par René Guénon. De plus, en raison de son caractère étroit et tortueux, la haute montagne est extrêmement "élitiste".
Vous avez dispersé vos cendres dans les montagnes, correct ?
Oui, même si c'était illégal de le faire. La crémation d'Evola s'est déroulée de manière très théâtrale. Le fossoyeur, qui était un nain borgne et grotesque, a placé le cadavre sur une armature métallique au sommet d'un bûcher de bois. Ce cimetière n'avait pas de fours crématoires, ils brîlaient donc les morts sur des bûchers, comme cela se fait également au Tibet. Je l'ai regardé brûler, et j'ai vu le corps se relever soudainement comme s'il était vivant alors qu'il était dévoré par les flammes. C'était incroyable (...) Evola ne voulait pas faire disperser ses cendres sur n'importe quelle montagne. Il nous a demandé de les semer dans le vent à un endroit bien précis: sur le glacier de Lyskamm. Eugenio David, qui était un ami d'Evola, était un célèbre alpiniste et il nous a accompagnés dans notre mission sacrée à cet endroit précis".
Qu'est-ce que le glacier Lyskamm a de particulier?
"En 1778, des alpinistes sont partis dans les Alpes d'Europe centrale à la recherche de Felik dans une belle vallée. C'est un lieu paradisiaque, décrit dans les contes arpitans des Suisses et des Valdôtains qui s'en souviennent encore. Les alpinistes ont erré pendant des jours à la recherche de cette vallée enchantée au pied du Mont Rose, mais ils ne l'ont jamais trouvée. Et pourtant, l'existence de cette vallée et de ce merveilleux village a été constatée par des voyageurs qui ont eu la chance de traverser les Alpes et qui, par hasard, sont arrivés là. De 1778 à aujourd'hui, le village de Felik n'a toujours pas été retrouvé, on suppose donc qu'il a été submergé par un glacier, ainsi que toute la vallée perdue. C'est un lieu légendaire, symbole d'un paradis sur terre. C'est le Shamballa aux tours de cristal de nos latitudes. Evola l'a atteint en mêlant ses cendres au vent".
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À la mémoire de Renato del Ponte
À la mémoire de Renato del Ponte
par Alberto Lombardo
Source: https://www.centrostudilaruna.it/in-memoria-di-renato-del...
Avec la mort du professeur Renato del Ponte (21.12.1944 - 06.02.2023), la haute culture de droite perd un homme d'une importance extraordinaire.
Le professeur était né à Lodi pendant un bombardement anglo-américain, comme il l'a souvent rappelé. Fils d'Augusto Del Ponte (excellent navigateur, médaillé du Cap Horn), il avait entrepris ses études classiques à Gênes, la ville où il a grandi, au prestigieux lycée D'Oria (à l'époque également fréquenté par son condisciple, le futur premier ministre Massimo D'Alema).
Il s'est approché du milieu de la droite politique très jeune, comme par un appel ; de très nombreuses années après, il montrait encore, avec une certaine fierté, une carte de membre de la FUAN des années 1960 qui portait une illustration de Salvador Dalì, et aimait à remarquer : nous avions Dalì, les communistes Guttuso, comme pour dire : nous avions la beauté sublime et excentrique, ils avaient l'horrible vulgarité. Même pendant les années turbulentes de l'université (qui ont coïncidé avec 68), son engagement politique n'a jamais faibli. Il a rappelé en souriant, entre autres, les affrontements avec les forces de gauche lors d'une conférence de l'ingénieur Volpe et l'occupation par la droite d'une faculté universitaire. Il a obtenu son diplôme avec une thèse sur la littérature médiévale.
Une autre de ses passions depuis sa jeunesse était la montagne, qu'il vivait avant tout comme une expérience spirituelle (surtout du point de vue d'une sorte de "randonnée ascétique", beaucoup moins du point de vue de l'alpinisme technique) ; il était fier de son aigle doré, reçu pour ses cinquante ans d'adhésion à la CAI (Club Alpin d'Italie). Ce sont ces deux passions, la politique et la montagne, qui l'ont mis en contact avec Julius Evola, d'abord pendant ses années de service militaire (il a servi comme officier stagiaire dans les troupes blindées), puis au début des années 1970. C'est au tournant de ces années qu'il commença également son activité d'érudit et d'auteur d'essais et d'articles, tant en tant que collaborateur de revues (L'Italiano de Pino Romualdi, Il Conciliatore) qu'à travers la fondation du Centro Studi Evoliani et la naissance de la revue Arthos - le "Foglio di espressioni varie e di Tradizione Una (feuille d'expressions variées et de tradition une), qui manifestait déjà l'approche d'Evola dans son titre et son sous-titre ; et Evola lui-même a collaboré à la revue. Il a également accepté la demande de del Ponte de rassembler tous les écrits sur la spiritualité montagnarde qu'il avait publiés, notamment dans les années 1930: c'est ainsi qu'est né Méditations du haut des cîmes, l'un des recueils les plus réussis et les plus organiques des écrits d'Evola.
Evola était le seul grand maître spirituel de Renato del Ponte. Comme on le sait, c'est del Ponte qui a pris en charge et organisé la crémation et les funérailles alpines sur le Mont Rose, réalisant ainsi les dernières volontés du philosophe.
Pendant les nombreuses années qu'il a vécues à Pontremoli, où il a enseigné l'italien et le latin, il a poursuivi sans interruption son travail d'érudit et d'écrivain, se concentrant surtout sur l'antiquité romaine et italique, le symbolisme occidental et oriental, la sagesse ésotérique transmise au Moyen Âge et à la Renaissance, les faits et les personnalités peu connus du 20ème siècle, ainsi que la pensée de Julius Evola, également à travers la recherche laborieuse d'articles et d'écrits qui étaient rapidement devenus indisponibles parce qu'ils n'étaient parus que dans des journaux ou des revues à diffusion limitée ; ou, encore, en effectuant des recherches laborieuses sur le groupe Ur. Il a rassemblé autour de lui un nombre important de collaborateurs qualifiés, tant en Italie qu'à l'étranger (je me souviens, parmi de nombreux noms, de Philippe Baillet en France, Marc Eemans en Belgique, Marcos Ghio en Argentine, Hans Thomas Hakl en Autriche), faisant d'Arthos un point de référence indispensable pour quiconque s'intéresse à la culture traditionnelle de droite. Grâce à lui, des associations, des petites maisons d'édition, des initiatives d'édition de toutes sortes sont nées.
À partir des années 1990, ses livres les plus significatifs sont sortis, résultat d'un travail extraordinairement méticuleux. Nous devons nous souvenir au moins de La religione dei Romani (la première édition a été publiée par Rusconi et a remporté le prix de l'Isola d'Elba, qui avait été décerné l'année précédente à Mircea Eliade) ; Dèi e miti italici ; I Liguri. Etnogenesi di un popolo; La Città degli Dei. La tradizione di Roma e la sua continuità, ainsi que de nombreux autres qui constituent des recueils de ses écrits sur des thèmes particuliers. Parmi ces nombreuses publications, je me souviens au moins de Nella terra del Drago (Au pays du dragon), un magnifique récit d'un voyage au royaume du Bhoutan, un voyage planifié et rêvé pendant des décennies, et finalement accompli par Renato del Ponte en 2004. Il a donné d'innombrables conférences, également à l'étranger, pour d'importantes institutions culturelles et des universités.
Je suis sûr que ceux qui l'ont entendu parler, ne serait-ce qu'une fois,et ont gardé son souvenir vivant: le professeur avait une extraordinaire capacité à raconter, à rendre intéressant le sujet qu'il abordait, à choisir le mot exact pour exprimer un concept ou représenter un environnement, une personne, une époque. Il avait également une mémoire prodigieuse, qui ne manquait jamais de m'étonner: il se souvenait de passages entiers par cœur, de noms d'auteurs d'articles qu'il avait lus des décennies auparavant, et même des dates exactes de petits événements apparemment insignifiants. Bien que son caractère ait parfois été un peu nerveux (quoique né à Lodi, il était cent pour cent ligure de tempérament), il a toujours su voir le bon côté des gens. Et malgré sa nature d'authentique "païen", peut-être même précisément parce qu'il était profondément "païen", il n'avait rien d'antichrétien: il s'intéressait beaucoup à certaines questions, comme le culte des saints, les processions ou le symbolisme de l'architecture sacrée médiévale, parce qu'il y voyait la résurgence d'une spiritualité archaïque exprimée à travers un langage différent.
J'avais eu la chance de le rencontrer il y a une trentaine d'années, alors que j'étais très jeune. Depuis lors, nous avions fait de nombreuses randonnées en montagne, organisé des conférences, des exposés, des présentations de livres; et toujours à ces occasions, nous reprenions le dialogue qui semblait avoir été interrompu un instant auparavant. Sa sympathie "paternelle" m'a toujours été chère. Je sais que son héritage est l'exemple qu'il a donné, notamment en termes de sérieux et de rigueur. À son épouse, ses filles et ses petits-enfants va la sympathie de tout le Centre d'études La Runa.
Qui est Alberto Lombardo?
Alberto Lombardo est l'un des fondateurs du Centro Studi La Runa et a édité Algiza et les livres publiés par l'association ces dernières années. Il met actuellement à jour le blog Huginn et Muninn, sur lequel une présentation plus étendue de lui est publiée.
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jeudi, 09 février 2023
Le cycle se ferme. La Chine comme synthèse du pire du 20ème siècle
Le cycle se ferme. La Chine comme synthèse du pire du 20ème siècle
Ernesto Milà
Bron: http://info-krisis.blogspot.com/2023/01/el-ciclo-se-cierr...
Nous reproduisons la préface de l'édition espagnole de la brochure de la Fondation Julius Evola, El ciclo se cierra - Americanismo y Bolchevismo 1929-1969 (= "Le cycle se referme - américanisme et bolchevisme 1929-1969"). L'ouvrage rassemble trois essais publiés respectivement en 1929 dans La Nuova Antologia, en 1934 dans la première édition de Rivolta contro il Mondo Moderno et en 1969 dans l'édition révisée du même livre. L'ouvrage a été préfacé en 1991 par Gianfranco De Turris. Compte tenu du temps écoulé, nous nous sommes sentis obligés de préparer une préface à l'édition espagnole dans laquelle nous mettons à jour la théorie évolienne sur l'américanisme et le bolchevisme, les deux extrémités de la même tenaille qui menace l'Europe, à la lumière des derniers développements post-pandémiques et jusqu'à la réunion du Forum de Davos du week-end dernier. Un siècle plus tard, et avec la mise à jour ultérieure, la théorie est toujours valable. Le livre sera disponible pour le public le 1er février 2023.
Julius Evola
Le cycle se termine
Américanisme et bolchevisme 1929-1969
Je connaissais deux des trois versions du même essai rassemblées dans ce volume : celle publiée dans La Nuova Antologia, incorporée dans un volume de compilation d'articles de Julius Evola, publié dans la même revue (Edizioni di Ar, Padoue, 1970), et celle incluse comme chapitre final de l'édition de 1969 pour Rivolta contro il mondo moderno (Edizioni Mediterranee, Rome, 1969) que, initialement, j'avais lue en français dans la version publiée en 1973 par les Éditions de l'Homme (Québec) et qui contient quelques différences avec l'édition italienne. J'ignorais cependant les différences entre le texte du volume de la première édition de Rivolta (1934) qui est également inclus dans le volume. La comparaison des trois essais est brillamment réalisée par Gianfranco de Turris, il n'est donc pas nécessaire de faire de commentaire. Quoi qu'il en soit, étant donné le temps qui s'est écoulé entre la date de cette introduction de De Turris et la dernière version du texte (1973), il est presque obligatoire d'ajouter quelques paragraphes pour confirmer que les intuitions d'Evola, formulées pour la première fois il y a près d'un siècle, se réalisent avec une étonnante précision.
L'idée véhiculée par les trois textes est qu'il y avait une identité de fond, mais pas de forme, entre les modèles soviétique et américain. La dépersonnalisation, la matérialisation, la réification de l'être humain, le machinisme et le culte de la technologie semblent être les destins des deux régimes. La principale objection à ce texte est que, bien qu'Evola ait prévu que l'URSS tenterait d'étendre ses tentacules dans le monde entier, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, ce processus semble s'être arrêté et seul le "visage amical", celui présenté par les États-Unis, subsiste. Par conséquent, les différences entre le contenu des trois éditions et la réalité seraient telles que le texte serait supplanté et complètement réfuté. Ce n'est pas le cas.
Il est frappant de constater que ni Evola en 1929, 1934 ou 1973 ne mentionne la République populaire de Chine, ni De Turris n'y fait la moindre allusion près de vingt ans plus tard. Nous allons tenter d'expliquer cette omission.
En 1929, le communisme chinois était pratiquement sans intérêt. Il avait été fondé en 1921 et pendant six ans, il est resté dans l'ombre du Kuomintang, jusqu'à ce que le chef militaire de ce parti, Chiang Kai-shek, retourne ses armes contre les communistes. Les communistes ont répondu en renforçant leur appareil militaire et en déclenchant une guerre civile qui a sévi en deux phases, de 1927 à 1937 puis, après l'arrivée des Japonais et leur défaite ultérieure, de 1945 à 1948. En 1973, le parti communiste chinois était au pouvoir depuis près d'un quart de siècle et avait même ses antennes à l'Ouest, dans les partis communistes dissidents opposés à la ligne de Moscou. Le "modèle maoïste" était devenu relativement populaire depuis mai 1968 et, dans ses secteurs les plus folkloriques, le "costume Mao" était le costume de tous les jours.
À partir de 1965, avec l'éclatement du conflit sino-soviétique et même des affrontements armés dans la région d'Oussouri, on avait le sentiment que les communistes russes et chinois finiraient par s'entre-déchirer. Mais après le désaccord initial entre les successeurs de Staline et le gouvernement de Pékin, les hauts et les bas du développement du communisme chinois, l'échec de certaines de ses campagnes et une certaine instabilité interne due à la lutte entre les factions, Mao a fini par promouvoir la "grande révolution culturelle" pour se maintenir au pouvoir et laisser des groupes de "gardes rouges" fous et fanatiques détruire ses opposants au sein du parti (et ce qui restait de la tradition millénaire chinoise dans le processus).
En Italie, des groupes néo-fascistes apparaissent qui s'identifient à la cause maoïste (voir le numéro LXXV de la Revue d'histoire du fascisme, consacrée à ce sujet). Evola les a critiqués assez durement, niant que le maoïsme était substantiellement différent du communisme russe. Mais tout porte à croire qu'il n'a pas accordé une importance particulière au phénomène chinois, ni prévu quels pourraient être ses développements futurs. Lorsqu'il a réécrit l'édition 1973 de Rivolta, les Etats-Unis pratiquaient une "politique de ping-pong". Henry Kissinger d'abord, puis Nixon, se rendent en Chine et scellent un pacte antisoviétique. Mais même à cette époque, la Chine était considérée en Europe comme un vaste foyer de plus d'un milliard d'habitants, dont la plupart vivaient sous le seuil du sous-développement et étaient gouvernés par une bureaucratie qui, à l'instar de la bureaucratie soviétique, ne pourrait jamais atteindre le niveau de vie des pays développés.
Trois ans plus tard, Mao meurt et les événements semblent donner raison à ceux qui prédisaient la stagnation du modèle chinois. En 1976, d'ailleurs, les partis maoïstes avaient presque partout dans le monde disparu, étaient entrés dans un processus de scission interne et d'usure, s'étaient reconvertis dans des formes très éloignées du modèle chinois, débattaient pour savoir si l'orthodoxie marxiste était présente en Chine ou en Albanie, et même le Parti communiste d'Espagne (marxiste-léniniste) et sa triste extension, le Front révolutionnaire antifasciste et patriote, diffusaient sur les ondes de Radio Albanie des invectives contre le "révisionnisme chinois".
Mais, à la fin de cette décennie, un nouveau phénomène s'est produit dans le monde capitaliste. Si jusqu'alors et depuis le début de l'après-guerre, la conception officielle du capitalisme était celle exposée par John Maynard Keynes, l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, avec des idées très différentes, inspirées par l'école autrichienne d'économie, qui avaient été considérées jusqu'alors comme de véritables folies et comme des manifestations excentriques, a imposé un nouveau cap. Cela avait d'ailleurs déjà été expérimenté dans le Chili du général Augusto Pinochet, mais avait échoué lamentablement. À Santiago, en 1980, on se souvenait encore avec amertume de la fermeture de l'entreprise nationale d'allumettes parce que les "Chicago Boy's" avaient réussi à obtenir du gouvernement qu'il autorise l'entrée d'allumettes fabriquées au Canada à des prix beaucoup plus bas. Cependant, ces théories, bien que leur efficacité n'ait pas du tout été prouvée dans la pratique, ont incité Thatcher à initier une politique "néo-libérale" basée sur la privatisation, l'ouverture et la dérégulation des marchés, l'abandon de toute mesure "protectionniste" et le strict respect du principe libéral de la primauté des marchés avec une abstention totale de l'Etat de participer à la vie économique.
Thatcher n'aurait pas survécu aux protestations sociales générées par cette mutation du modèle économique si deux phénomènes ne s'étaient produits en peu de temps: premièrement, une clique ultra-conservatrice armée des mêmes idéaux économiques est arrivée au pouvoir aux États-Unis; deuxièmement, la guerre des Malouines a non seulement frappé de plein fouet la junte militaire qui dirigeait l'Argentine, mais a également élevé Margaret Thatcher au rang de "leader triomphant". Bien que le Royaume-Uni ait cessé depuis longtemps d'être un "empire", que sa puissance ait été fortement diminuée et qu'il n'ait plus eu que peu de poids sur la scène internationale, il a été aidé par le revirement de la politique américaine après les échecs des gouvernements qui ont suivi la démission de Richard Nixon (Gerald Ford, 1974-77 et Jimmy Carter, 1977-1981), tous deux fortement usés par les victoires du communisme en Asie du Sud-Est, et par la montée de la révolution islamique en Iran, ainsi que par l'action délétère - dans le cas de Carter - de la Commission trilatérale, ont conduit le "tournant conservateur" sur le plan politique... et néolibéral sur le plan économique...
Sous l'administration Reagan, les relations avec la Chine ont été maintenues telles qu'elles l'avaient été sous l'ère Nixon et ont continué à l'être pendant la phase d'effondrement de l'URSS, ouverte par la confluence de différentes circonstances (l'usure que la guerre en Afghanistan entraînait pour l'URSS, l'impossibilité pour le budget soviétique de payer la guerre en Afghanistan), ensuite l'incapacité du budget soviétique à répondre à l'initiative en matière d'armement connue sous le nom de "Guerre des étoiles", l'arrivée d'un pape polonais au Vatican qui a directement déclenché les vagues de grèves à Dantzig et a ainsi tendu à briser le système d'alliance soviétique du Pacte de Varsovie, entre autres). Après la guerre du Koweït, les Etats-Unis n'ont pas hésité à se définir comme "la seule puissance mondiale". Et, en fait, c'est le cas. L'année-clé était 1991. Les "démocraties" semblaient avoir gagné. La Chine est restée dans sa prostration, sortant à peine du sous-développement. Elle ne faisait pas le poids face à la puissance américaine. Les "théoriciens" néo-libéraux ont alors lancé leur appel: ils ont interprété, à travers Huntington et Fukuyama, que la supériorité morale des Etats-Unis était à l'origine de leur victoire dans la guerre froide et que, désormais, leur pédagogie devait être orientée vers la conquête du reste du monde à leur cause : le modèle du néolibéralisme, les valeurs du "plus riche, plus vite", le culte du travail et de la réussite et la subordination au principe du collectif imposé par la loi de la quantité dans les consultations électorales : le poids des chiffres transformé en légitimation politique. Aucun stratège américain ne doutait que la République populaire de Chine serait également touchée par ce changement de valeurs dès que les relations commerciales avec elle s'intensifieraient.
À ces idées s'en ajoutait une autre de nature purement économique. Comme le souligne l'analyse d'Evola dans les trois essais qui suivent, l'optimisation du rendement, du profit, de la rentabilité et de l'usure, considérés comme la base de la "pensée américaine" (libérale ou conservatrice, en cela ils ne sont pas différents), impliquerait la création d'une "économie globale" qui finirait par unifier le monde sous les "lois vertueuses du marché". Ce postulat, qui a ouvert le processus de "mondialisation" économique, était parallèle au "mondialisme" (c'est-à-dire la mise en œuvre d'une "culture mondiale", d'une "religion mondiale", d'un "gouvernement mondial" et de l'"unification de l'humanité" prêchée par les cercles théosophiques, utopiques et occultistes depuis le milieu du 19ème siècle).
La Chine, qui avait alors déjà dépassé les 1,2 milliard d'habitants, ne semblait pas compter pour les plans du "Nouvel ordre mondial": on pensait que faciliter le développement de la République populaire de Chine entraînerait automatiquement un revirement politique et que le pays rejoindrait les "démocraties", le système universellement accepté comme sain et miraculeux. Et puis les théoriciens de la mondialisation ont déclenché un nouveau phénomène, une autoroute à double sens: la "délocalisation des entreprises" tendait à augmenter les bénéfices des entreprises en produisant là où le coût de la main-d'œuvre était le moins cher et les matières premières les plus proches. Ce processus a suivi une direction Sud-Nord et Ouest-Est. D'autre part, il s'agissait également de maintenir l'industrie qui pouvait être compétitive dans les pays occidentaux, pour laquelle les portes ont été ouvertes à l'immigration afin de tenter de "gagner en compétitivité" grâce à l'afflux massif de main-d'œuvre bon marché. La direction de ce deuxième processus était du sud au nord et de l'est à l'ouest.
Bien que les conséquences de cette autoroute à double sens soient claires et que personne ne puisse se faire d'illusions sur son résultat, elle a été mise en œuvre de manière suicidaire, uniquement parce que les grands trusts, les multinationales, les consortiums de grandes entreprises, ont vu leurs bénéfices augmenter. D'autre part, c'était une façon de tirer parti des ressources apparues avec "l'ère de l'information" et des phénomènes techniques qui ont accompagné la "troisième révolution industrielle". Sans la micropuce, rien de tout cela n'aurait été possible.
Le résultat ne s'est pas fait attendre. La Chine a vu ses parcs industriels se développer en quelques années au point de devenir "l'usine planétaire" par excellence. Si Evola met en évidence le fait que le bolchevisme soviétique s'est appuyé sur des couches primitives de la population slave, généralement soumises au pouvoir, c'est à plus forte raison que la population chinoise, marquée par des millénaires de mandarinat, a pu apporter les meilleures énergies de sa vie, non pas à la famille, non pas à la culture de ses propres qualités, non pas à l'approfondissement de sa propre tradition, non pas au travail de perfectionnement intérieur, qui, après tout, devrait être le grand objectif humain, mais à la production de biens et de services. Le résultat est qu'en à peine un quart de siècle, entre 1992 et 2015, ce pays, qui comptait déjà 1,4 milliard d'habitants, est devenu une superpuissance industrielle et financière avec ses propres techniciens formés dans les meilleures universités du monde qui, inévitablement, sont retournés en Chine à la fin de leur formation, contribuant ainsi à augmenter sa capacité de production, mais aussi son propre niveau de vie.
C'est ainsi qu'est né le grand paradoxe: c'est le néolibéralisme, et non la puissance des armes doctrinales du marxisme-léninisme ou de la "pensée Mao Tsé Toung", qui a fait de la Chine une puissance mondiale. La grande habileté du régime chinois a consisté à rester une dictature communiste classique, avec son appareil de propagande et sa censure, ses systèmes de répression, la diffusion de son idéologie diffsée dans des cours obligatoires et parmi la population par l'utilisation massive des médias de masse et de procédures invasives, c'est-à-dire toutes ces ressources typiques de tout système dictatorial, combinées aux caractéristiques les plus attrayantes pour les masses: loisirs, niveau de vie élevé, consommation comme seul objectif, divertissement, etc.
La Chine a combiné le pire du communisme (maintien d'une ligne de masse dictatoriale, volonté délibérée d'annuler la personnalité et pouvoir techno-bureaucratique centralisé et inflexible) avec le pire du capitalisme (exploitation, aliénation, infantilisation des masses). Un pouvoir fort et des masses reconnaissantes de leur assujettissement.
Il n'y a eu ni vainqueurs ni vaincus, à l'exception de l'avancée imparable de "La Bête sans nom". Ni le capitalisme n'a été vaincu par le communisme, ni l'inverse. Il y a eu une synthèse de l'un et de l'autre dans le "modèle chinois": comme le dit la propre propagande du régime, "un pays, deux systèmes". Tous deux sont sortis renforcés de cette entente cordiale. Massification, collectivisme, machinisme, technologies invasives, êtres sans visage qui, à la fin de leur journée de travail, deviennent des consommateurs compulsifs, entre le shopping effréné et la passivité conformiste du divertissement, avec un conformisme qui trouve ses racines dans les racines ethniques ancestrales exercées par les mandarinats, les hauts fonctionnaires tout-puissants qui dirigent la Chine depuis 3000 ans. Fini les "gardes rouges" brandissant le petit livre de Mao Tse Tung, comme dans les années 1960 ; ils ont été remplacés par le triste spectacle de masses de gens se déplaçant compulsivement à l'intérieur de gigantesques centres commerciaux, déferlant dans des rues pleines d'anonymes ou à l'intérieur de gratte-ciel récemment achevés. Toujours dos à leurs racines, toujours amputés de leurs traditions, toujours sans identité, avec la ruche ou la fourmilière comme modèles de vie collective. Après cela, nous voyons la concrétisation exacte de la phase finale du cycle telle que Julius Evola l'avait intuitionnée il y a près d'un siècle.
La Chine d'aujourd'hui est la synthèse de ce que la Russie et les Etats-Unis qu'Evola a connus de son vivant étaient hier. C'est l'élément qui doit être ajouté comme corollaire à l'analyse d'Evola dans les trois essais qui composent ce volume. Ce n'est pas qu'Evola se soit trompé dans son analyse: celle-ci était non seulement précise, mais aussi extrêmement lucide et anticipatrice. Il ne restait plus qu'à ajouter l'évolution du processus au cours des dernières décennies. Il y a des variations dans la forme, mais pas du tout dans le fond. Ce sont les chemins que l'on parcourt aujourd'hui d'un pas ferme, voire accéléré par rapport aux périodes récentes, vers "La Bête sans nom", le royaume des masses omniprésentes. Le Mandarinat chinois répand urbi et orbi, sur les ruines de l'effondrement de l'URSS et de la crise actuelle de l'"américanisme".
Les gigantesques centres commerciaux chinois, les 1.400 millions d'êtres humains pris dans un délire consumériste, tandis que des haut-parleurs retentissent les slogans du parti, les grands milliardaires inévitablement affiliés au Parti fondé par Mao, la soumission d'une société qui n'est libre que de consommer et de travailler, mais constamment surveillée par des centaines de millions de caméras réparties dans toutes les rues, qui a volontairement placé dans la main de chacun de ses membres un téléphone portable avec lequel il alimentera en permanence le "big-data" (ce n'est pas en vain que la 5G qui rend cette technologie possible a son origine en Chine d'où elle rayonne dans le monde entier), permettant, grâce à l'Intelligence Artificielle, au "système" de connaître jusque dans ses moindres mouvements, gestes et intentions, mieux qu'il ne pourra jamais se connaître lui-même? C'est la Chine d'aujourd'hui. Et c'est vers ce modèle, étendu à l'Est et à l'Ouest, que nous nous dirigeons.
Le lecteur observera et comparera les trois textes d'Evola, écrits dans des circonstances historiques différentes (pendant la première forme de bolchevisme et le grand élan de l'américanisation du monde après la Première Guerre mondiale; le second pendant le stalinisme et après le krach de 1929, à l'époque des fascismes; et le dernier dans les années des fascismes; et le dernier, dans les années de la guerre froide, avec la confrontation géopolitique USA-URSS) avec la situation actuelle et percevront clairement que le Baron non seulement n'avait pas tort, mais qu'il a anticipé exactement les caractéristiques présentes aujourd'hui dans la post-modernité et dont la République populaire de Chine est la synthèse, l'exemple et la direction vers laquelle le monde se dirige main dans la main avec les technologies modernes.
En fait, même dans le transhumanisme occidental, le spectre même de la "Bête sans nom" est présent, qui n'aspire même plus à avoir une dimension biologique, mais prétend être un simple automatisme généré par des réseaux neuronaux électroniques grâce auxquels la conscience humaine individuelle se fondra dans une "conscience cosmique universelle" qui devrait se rassembler dans "le nuage", le bagage mental individuel de tous les êtres, converti en impulsions électroniques, but ultime de l'évolution darwinienne, accélérée par les nouvelles technologies génétiques, la nanotechnologie et l'intelligence artificielle. Telle est la perspective décrite par Ray Kurzweill, l'un des partisans les plus extrêmes du transhumanisme, pour notre avenir.
Il resterait à faire le point sur la situation au début de l'année 2023, en tenant compte de trois contradictions principales qui sont apparues au lendemain de la pandémie.
1) Le conflit ukrainien, généré par la volonté de l'OTAN de faire avancer ses frontières vers Moscou, a eu un effet inattendu : la "mondialisation" s'est arrêtée. À une époque où la mondialisation semblait être un projet raté, mais sur lequel les élites économiques continuaient à insister, la politique de sanctions contre la Russie imposée par les États-Unis et suivie avec une loyauté opiniâtre par les pays membres de l'OTAN a entraîné une rupture inattendue entre les pays alliés des États-Unis et le reste du monde (et, d'un point de vue quantitatif, on peut dire que "le reste du monde" a plus de poids numérique que le "bloc occidental", ce qui est important à noter à une époque où le "règne de la quantité" impose ses règles: plus d'habitants, plus de consommateurs, égale plus de production). La Chine a choisi de se ranger du côté de la Russie, compte tenu de l'opposition qu'elle suscite dans les milieux américains, car elle est sur le point de dépasser les États-Unis dans tous les domaines, y compris la technologie.
2) Le conflit entre les concentrations de pouvoir héritées des trois précédentes révolutions industrielles, ce que nous pouvons appeler "le vieil argent", et les grandes accumulations de pouvoir technologique et de capital générées par la quatrième révolution industrielle. Cela explique les récentes critiques d'Elon Musk à l'égard de la réunion du Forum de Davos et des tentatives d'ouverture du fondateur de cette organisation, Klaus Schwab, en direction du "transhumanisme", que certains considèrent comme le moteur idéologique de cette dernière révolution industrielle. Il est facile de prévoir les implications de ce conflit: le "nouvel argent" finira par s'imposer, comme cela s'est produit dans toutes les autres révolutions industrielles: les propriétaires des "nouvelles technologies" sont toujours ceux qui imposent leurs propres règles du jeu.
3) L'idée de "polycrise" évoquée lors de la dernière réunion du Forum de Davos, idée que Guillaume Faye avait déjà présentée il y a près d'un quart de siècle sous la dénomination de "convergence des catasdtrophes", est, dans l'acceptation qu'en donne les élites économiques mondiales, fait référence aux crises économiques ininterrompues générées par les dysfonctionnements du processus de globalisation, par les crises géopolitiques (un euphémisme pour ces crises qui sont provoquées par la volonté aveugle et suicidaire des Etats-Unis qui entendent demeurer la "seule puissance mondiale"), par les crises sociales à la chaîne dues à la mondialisation, sans oublier les crises sociales imbriquées (dues aux effets des migrations massives d'aujourd'hui et demain à la désertification des emplois par la robotisation), aux conflits interreligieux (qui ont pour axe le fondamentalisme islamique et qui se sont même étendus à l'Europe), auxquels ils ajoutent, bien sûr, le thème omniprésent du "changement climatique", présenté comme le plus dramatique de tous.
4) Lors de la même réunion du Forum de Davos, le rapport présenté par son fondateur, Klaus Schwab, reprenait pour la première fois sans complexe les idées transhumanistes et les transmettait à un public d'élites économiques, de dirigeants politiques et de propriétaires de consortiums d'information. Cela revient à suggérer la formation d'une société "post-biologique", automatisée, dominée par les nouvelles technologies, où l'humain est de plus en plus résiduel et où, pendant cette transition, les destinées des nations devraient être guidées par une alliance entre gouvernements et trusts, c'est-à-dire un scénario absolument identique à celui présenté par la structure politico-économique de la République populaire de Chine.
Telle est la situation en janvier 2023. La perspective n'est plus, comme à l'époque où Evola écrivait en 1929, la possibilité d'une reconstruction de l'Europe sur la base des idéaux du vieux romantisme. Le sentiment qui domine est que les processus de dissolution de l'humain, initiés en République populaire de Chine et adaptés à l'Occident par le Forum de Davos, ajoutés à la "religion transhumaniste" (que ses membres vivent avec une foi proche du fanatisme, surtout lorsque ses prophètes établissent les caractéristiques du futur), nous placent dans un modèle qui est, précisément, l'inversion totale du modèle d'une société traditionnelle. Une indication que la promesse apocalyptique de la venue de l'Antéchrist, qui précédera la fin des temps, est proche.
Il faut comprendre que "l'Antéchrist" n'est pas tant une figure humaine qu'une conception de l'être humain, hypostasiée et gravée au feu dans les hommes et les femmes d'aujourd'hui, présents dans le monde entier, dans tous les pays, dans tous les peuples, dans chacun des habitants de la planète, et à laquelle il est impossible pour la majorité d'échapper. On comprend d'ailleurs que dans les textes prophétiques-apocalyptiques, cette "venue de l'Antéchrist" précède la "fin des temps".
Le caractère éphémère et non viable d'une société ainsi conçue, son instabilité congénitale, est précisément ce dont beaucoup ont eu l'intuition à notre époque (du "paradoxe de Fermi" sur la non-viabilité des sociétés technologiquement avancées, au dernier rapport du Forum de Davos, avec son idée de "polycrise"). Un vêtement taché peut être lavé par un simple geste. Mais lorsque ce même vêtement est couvert de taches, de déchirures, est élimé par l'usage, il n'y a plus aucune possibilité, quels que soient nos efforts, de continuer à le porter. Il est nécessaire de le jeter et d'en tisser un nouveau. Nous avons atteint cette période. Il vaut la peine que nous nous y fassions.
Or, dans toutes ces dérivations, il n'y a rien de nouveau par rapport à ce que Julius Evola a prévu dans son article historique de La Nuova Antologia publié en 1929. Nous ne sommes pas confrontés à deux positions irréconciliables, comme ne l'étaient ni le bolchevisme ni le libéralisme, ni les camps opposés de la guerre froide, ni l'époque révolue de l'unilatéralisme américain globalisant, ni la période qui a suivi le 11 septembre et la crise économique de 2007-2011, premier symptôme de l'effondrement du système économique mondial globalisé, ni tout ce qui a suivi la pandémie, ni ce qui nous attend lorsque la quatrième révolution industrielle montrera ses effets les plus dramatiques sur la société et finira par réorganiser le monde. Ce qui émerge de cette réorganisation tendra inévitablement vers une forme pyramidale, avec un tout petit dôme et une gigantesque base homogène.
Mais dans tous les cas, le dôme et tout ce qui se trouve en dessous obéiront aux mêmes traits: une humanité qui a rompu tout lien avec le supérieur (qui n'est même pas capable de deviner ce que signifie le "surmonde", pas même à travers le prisme de la religion), qui n'est capable de considérer comme "religieux" qu'un ensemble de doctrines inorganiques et souvent incohérentes dans lesquelles on place sa "foi" (le transhumanisme, déjà aujourd'hui "première religion" de la Silicon Valley et, plus largement, de la technologie), avec ceux "d'en haut" qui se consacrent à la multiplication de leurs profits et ceux "d'en bas" à la survie, avec une dévaluation croissante de toutes les valeurs et un processus général de perte des identités, surtout culturelles, et une destruction systématique de toute institution traditionnelle restante (travail que les "Agendas" mondialistes émanant des institutions internationales et envoyés aux gouvernements nationaux comme obligatoires) tentent d'accélérer.
Dans ces circonstances, le réalisme suggère que la "fin des temps" est proche (ou, plus précisément, la fin de cette civilisation) et, en tout état de cause, il n'est pas possible d'être optimiste quant aux possibilités d'inverser le phénomène. La disproportion des forces est telle que ceux qui proclament leur adhésion aux principes traditionnels n'ont aucune base sociale, aucune institution et des ressources insuffisantes sur lesquelles fonder leur action. Bien que le processus de destruction de toutes les valeurs et de leur remplacement par celles contenues dans les "agendas" mondialistes rencontre une résistance croissante, il ne faut pas se faire d'illusions: le destin final d'une avalanche, une fois déclenchée, n'est pas de s'arrêter à mi-chemin, mais de tout balayer. Plutôt que de s'opposer au glissement de terrain à venir, le bon sens conseille de se préparer au lendemain de l'avènement de "La Bête sans nom".
Je crois que ces annotations étaient nécessaires, dans la mesure où les trois essais d'Evola et la propre introduction de De Turris devaient être complétés par des notes sur l'ici et maintenant.
Ernesto Milà
Sant Pol de Mar, janvier 2023.
19:08 Publié dans Actualité, Actualité, Traditions, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernesto milà, julius evola, tradition, traditionalisme, actualité, chine, transhumanisme, mondialisation, ernesto milà, julius evola, tradition, traditionalisme, actualité, chine, transhumanisme, mondialisation | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le cycle se ferme. La Chine comme synthèse du pire du 20ème siècle
Le cycle se ferme. La Chine comme synthèse du pire du 20ème siècle
Ernesto Milà
Bron: http://info-krisis.blogspot.com/2023/01/el-ciclo-se-cierr...
Nous reproduisons la préface de l'édition espagnole de la brochure de la Fondation Julius Evola, El ciclo se cierra - Americanismo y Bolchevismo 1929-1969 (= "Le cycle se referme - américanisme et bolchevisme 1929-1969"). L'ouvrage rassemble trois essais publiés respectivement en 1929 dans La Nuova Antologia, en 1934 dans la première édition de Rivolta contro il Mondo Moderno et en 1969 dans l'édition révisée du même livre. L'ouvrage a été préfacé en 1991 par Gianfranco De Turris. Compte tenu du temps écoulé, nous nous sommes sentis obligés de préparer une préface à l'édition espagnole dans laquelle nous mettons à jour la théorie évolienne sur l'américanisme et le bolchevisme, les deux extrémités de la même tenaille qui menace l'Europe, à la lumière des derniers développements post-pandémiques et jusqu'à la réunion du Forum de Davos du week-end dernier. Un siècle plus tard, et avec la mise à jour ultérieure, la théorie est toujours valable. Le livre sera disponible pour le public le 1er février 2023.
Julius Evola
Le cycle se termine
Américanisme et bolchevisme 1929-1969
Je connaissais deux des trois versions du même essai rassemblées dans ce volume : celle publiée dans La Nuova Antologia, incorporée dans un volume de compilation d'articles de Julius Evola, publié dans la même revue (Edizioni di Ar, Padoue, 1970), et celle incluse comme chapitre final de l'édition de 1969 pour Rivolta contro il mondo moderno (Edizioni Mediterranee, Rome, 1969) que, initialement, j'avais lue en français dans la version publiée en 1973 par les Éditions de l'Homme (Québec) et qui contient quelques différences avec l'édition italienne. J'ignorais cependant les différences entre le texte du volume de la première édition de Rivolta (1934) qui est également inclus dans le volume. La comparaison des trois essais est brillamment réalisée par Gianfranco de Turris, il n'est donc pas nécessaire de faire de commentaire. Quoi qu'il en soit, étant donné le temps qui s'est écoulé entre la date de cette introduction de De Turris et la dernière version du texte (1973), il est presque obligatoire d'ajouter quelques paragraphes pour confirmer que les intuitions d'Evola, formulées pour la première fois il y a près d'un siècle, se réalisent avec une étonnante précision.
L'idée véhiculée par les trois textes est qu'il y avait une identité de fond, mais pas de forme, entre les modèles soviétique et américain. La dépersonnalisation, la matérialisation, la réification de l'être humain, le machinisme et le culte de la technologie semblent être les destins des deux régimes. La principale objection à ce texte est que, bien qu'Evola ait prévu que l'URSS tenterait d'étendre ses tentacules dans le monde entier, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, ce processus semble s'être arrêté et seul le "visage amical", celui présenté par les États-Unis, subsiste. Par conséquent, les différences entre le contenu des trois éditions et la réalité seraient telles que le texte serait supplanté et complètement réfuté. Ce n'est pas le cas.
Il est frappant de constater que ni Evola en 1929, 1934 ou 1973 ne mentionne la République populaire de Chine, ni De Turris n'y fait la moindre allusion près de vingt ans plus tard. Nous allons tenter d'expliquer cette omission.
En 1929, le communisme chinois était pratiquement sans intérêt. Il avait été fondé en 1921 et pendant six ans, il est resté dans l'ombre du Kuomintang, jusqu'à ce que le chef militaire de ce parti, Chiang Kai-shek, retourne ses armes contre les communistes. Les communistes ont répondu en renforçant leur appareil militaire et en déclenchant une guerre civile qui a sévi en deux phases, de 1927 à 1937 puis, après l'arrivée des Japonais et leur défaite ultérieure, de 1945 à 1948. En 1973, le parti communiste chinois était au pouvoir depuis près d'un quart de siècle et avait même ses antennes à l'Ouest, dans les partis communistes dissidents opposés à la ligne de Moscou. Le "modèle maoïste" était devenu relativement populaire depuis mai 1968 et, dans ses secteurs les plus folkloriques, le "costume Mao" était le costume de tous les jours.
À partir de 1965, avec l'éclatement du conflit sino-soviétique et même des affrontements armés dans la région d'Oussouri, on avait le sentiment que les communistes russes et chinois finiraient par s'entre-déchirer. Mais après le désaccord initial entre les successeurs de Staline et le gouvernement de Pékin, les hauts et les bas du développement du communisme chinois, l'échec de certaines de ses campagnes et une certaine instabilité interne due à la lutte entre les factions, Mao a fini par promouvoir la "grande révolution culturelle" pour se maintenir au pouvoir et laisser des groupes de "gardes rouges" fous et fanatiques détruire ses opposants au sein du parti (et ce qui restait de la tradition millénaire chinoise dans le processus).
En Italie, des groupes néo-fascistes apparaissent qui s'identifient à la cause maoïste (voir le numéro LXXV de la Revue d'histoire du fascisme, consacrée à ce sujet). Evola les a critiqués assez durement, niant que le maoïsme était substantiellement différent du communisme russe. Mais tout porte à croire qu'il n'a pas accordé une importance particulière au phénomène chinois, ni prévu quels pourraient être ses développements futurs. Lorsqu'il a réécrit l'édition 1973 de Rivolta, les Etats-Unis pratiquaient une "politique de ping-pong". Henry Kissinger d'abord, puis Nixon, se rendent en Chine et scellent un pacte antisoviétique. Mais même à cette époque, la Chine était considérée en Europe comme un vaste foyer de plus d'un milliard d'habitants, dont la plupart vivaient sous le seuil du sous-développement et étaient gouvernés par une bureaucratie qui, à l'instar de la bureaucratie soviétique, ne pourrait jamais atteindre le niveau de vie des pays développés.
Trois ans plus tard, Mao meurt et les événements semblent donner raison à ceux qui prédisaient la stagnation du modèle chinois. En 1976, d'ailleurs, les partis maoïstes avaient presque partout dans le monde disparu, étaient entrés dans un processus de scission interne et d'usure, s'étaient reconvertis dans des formes très éloignées du modèle chinois, débattaient pour savoir si l'orthodoxie marxiste était présente en Chine ou en Albanie, et même le Parti communiste d'Espagne (marxiste-léniniste) et sa triste extension, le Front révolutionnaire antifasciste et patriote, diffusaient sur les ondes de Radio Albanie des invectives contre le "révisionnisme chinois".
Mais, à la fin de cette décennie, un nouveau phénomène s'est produit dans le monde capitaliste. Si jusqu'alors et depuis le début de l'après-guerre, la conception officielle du capitalisme était celle exposée par John Maynard Keynes, l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, avec des idées très différentes, inspirées par l'école autrichienne d'économie, qui avaient été considérées jusqu'alors comme de véritables folies et comme des manifestations excentriques, a imposé un nouveau cap. Cela avait d'ailleurs déjà été expérimenté dans le Chili du général Augusto Pinochet, mais avait échoué lamentablement. À Santiago, en 1980, on se souvenait encore avec amertume de la fermeture de l'entreprise nationale d'allumettes parce que les "Chicago Boy's" avaient réussi à obtenir du gouvernement qu'il autorise l'entrée d'allumettes fabriquées au Canada à des prix beaucoup plus bas. Cependant, ces théories, bien que leur efficacité n'ait pas du tout été prouvée dans la pratique, ont incité Thatcher à initier une politique "néo-libérale" basée sur la privatisation, l'ouverture et la dérégulation des marchés, l'abandon de toute mesure "protectionniste" et le strict respect du principe libéral de la primauté des marchés avec une abstention totale de l'Etat de participer à la vie économique.
Thatcher n'aurait pas survécu aux protestations sociales générées par cette mutation du modèle économique si deux phénomènes ne s'étaient produits en peu de temps: premièrement, une clique ultra-conservatrice armée des mêmes idéaux économiques est arrivée au pouvoir aux États-Unis; deuxièmement, la guerre des Malouines a non seulement frappé de plein fouet la junte militaire qui dirigeait l'Argentine, mais a également élevé Margaret Thatcher au rang de "leader triomphant". Bien que le Royaume-Uni ait cessé depuis longtemps d'être un "empire", que sa puissance ait été fortement diminuée et qu'il n'ait plus eu que peu de poids sur la scène internationale, il a été aidé par le revirement de la politique américaine après les échecs des gouvernements qui ont suivi la démission de Richard Nixon (Gerald Ford, 1974-77 et Jimmy Carter, 1977-1981), tous deux fortement usés par les victoires du communisme en Asie du Sud-Est, et par la montée de la révolution islamique en Iran, ainsi que par l'action délétère - dans le cas de Carter - de la Commission trilatérale, ont conduit le "tournant conservateur" sur le plan politique... et néolibéral sur le plan économique...
Sous l'administration Reagan, les relations avec la Chine ont été maintenues telles qu'elles l'avaient été sous l'ère Nixon et ont continué à l'être pendant la phase d'effondrement de l'URSS, ouverte par la confluence de différentes circonstances (l'usure que la guerre en Afghanistan entraînait pour l'URSS, l'impossibilité pour le budget soviétique de payer la guerre en Afghanistan), ensuite l'incapacité du budget soviétique à répondre à l'initiative en matière d'armement connue sous le nom de "Guerre des étoiles", l'arrivée d'un pape polonais au Vatican qui a directement déclenché les vagues de grèves à Dantzig et a ainsi tendu à briser le système d'alliance soviétique du Pacte de Varsovie, entre autres). Après la guerre du Koweït, les Etats-Unis n'ont pas hésité à se définir comme "la seule puissance mondiale". Et, en fait, c'est le cas. L'année-clé était 1991. Les "démocraties" semblaient avoir gagné. La Chine est restée dans sa prostration, sortant à peine du sous-développement. Elle ne faisait pas le poids face à la puissance américaine. Les "théoriciens" néo-libéraux ont alors lancé leur appel: ils ont interprété, à travers Huntington et Fukuyama, que la supériorité morale des Etats-Unis était à l'origine de leur victoire dans la guerre froide et que, désormais, leur pédagogie devait être orientée vers la conquête du reste du monde à leur cause : le modèle du néolibéralisme, les valeurs du "plus riche, plus vite", le culte du travail et de la réussite et la subordination au principe du collectif imposé par la loi de la quantité dans les consultations électorales : le poids des chiffres transformé en légitimation politique. Aucun stratège américain ne doutait que la République populaire de Chine serait également touchée par ce changement de valeurs dès que les relations commerciales avec elle s'intensifieraient.
À ces idées s'en ajoutait une autre de nature purement économique. Comme le souligne l'analyse d'Evola dans les trois essais qui suivent, l'optimisation du rendement, du profit, de la rentabilité et de l'usure, considérés comme la base de la "pensée américaine" (libérale ou conservatrice, en cela ils ne sont pas différents), impliquerait la création d'une "économie globale" qui finirait par unifier le monde sous les "lois vertueuses du marché". Ce postulat, qui a ouvert le processus de "mondialisation" économique, était parallèle au "mondialisme" (c'est-à-dire la mise en œuvre d'une "culture mondiale", d'une "religion mondiale", d'un "gouvernement mondial" et de l'"unification de l'humanité" prêchée par les cercles théosophiques, utopiques et occultistes depuis le milieu du 19ème siècle).
La Chine, qui avait alors déjà dépassé les 1,2 milliard d'habitants, ne semblait pas compter pour les plans du "Nouvel ordre mondial": on pensait que faciliter le développement de la République populaire de Chine entraînerait automatiquement un revirement politique et que le pays rejoindrait les "démocraties", le système universellement accepté comme sain et miraculeux. Et puis les théoriciens de la mondialisation ont déclenché un nouveau phénomène, une autoroute à double sens: la "délocalisation des entreprises" tendait à augmenter les bénéfices des entreprises en produisant là où le coût de la main-d'œuvre était le moins cher et les matières premières les plus proches. Ce processus a suivi une direction Sud-Nord et Ouest-Est. D'autre part, il s'agissait également de maintenir l'industrie qui pouvait être compétitive dans les pays occidentaux, pour laquelle les portes ont été ouvertes à l'immigration afin de tenter de "gagner en compétitivité" grâce à l'afflux massif de main-d'œuvre bon marché. La direction de ce deuxième processus était du sud au nord et de l'est à l'ouest.
Bien que les conséquences de cette autoroute à double sens soient claires et que personne ne puisse se faire d'illusions sur son résultat, elle a été mise en œuvre de manière suicidaire, uniquement parce que les grands trusts, les multinationales, les consortiums de grandes entreprises, ont vu leurs bénéfices augmenter. D'autre part, c'était une façon de tirer parti des ressources apparues avec "l'ère de l'information" et des phénomènes techniques qui ont accompagné la "troisième révolution industrielle". Sans la micropuce, rien de tout cela n'aurait été possible.
Le résultat ne s'est pas fait attendre. La Chine a vu ses parcs industriels se développer en quelques années au point de devenir "l'usine planétaire" par excellence. Si Evola met en évidence le fait que le bolchevisme soviétique s'est appuyé sur des couches primitives de la population slave, généralement soumises au pouvoir, c'est à plus forte raison que la population chinoise, marquée par des millénaires de mandarinat, a pu apporter les meilleures énergies de sa vie, non pas à la famille, non pas à la culture de ses propres qualités, non pas à l'approfondissement de sa propre tradition, non pas au travail de perfectionnement intérieur, qui, après tout, devrait être le grand objectif humain, mais à la production de biens et de services. Le résultat est qu'en à peine un quart de siècle, entre 1992 et 2015, ce pays, qui comptait déjà 1,4 milliard d'habitants, est devenu une superpuissance industrielle et financière avec ses propres techniciens formés dans les meilleures universités du monde qui, inévitablement, sont retournés en Chine à la fin de leur formation, contribuant ainsi à augmenter sa capacité de production, mais aussi son propre niveau de vie.
C'est ainsi qu'est né le grand paradoxe: c'est le néolibéralisme, et non la puissance des armes doctrinales du marxisme-léninisme ou de la "pensée Mao Tsé Toung", qui a fait de la Chine une puissance mondiale. La grande habileté du régime chinois a consisté à rester une dictature communiste classique, avec son appareil de propagande et sa censure, ses systèmes de répression, la diffusion de son idéologie diffsée dans des cours obligatoires et parmi la population par l'utilisation massive des médias de masse et de procédures invasives, c'est-à-dire toutes ces ressources typiques de tout système dictatorial, combinées aux caractéristiques les plus attrayantes pour les masses: loisirs, niveau de vie élevé, consommation comme seul objectif, divertissement, etc.
La Chine a combiné le pire du communisme (maintien d'une ligne de masse dictatoriale, volonté délibérée d'annuler la personnalité et pouvoir techno-bureaucratique centralisé et inflexible) avec le pire du capitalisme (exploitation, aliénation, infantilisation des masses). Un pouvoir fort et des masses reconnaissantes de leur assujettissement.
Il n'y a eu ni vainqueurs ni vaincus, à l'exception de l'avancée imparable de "La Bête sans nom". Ni le capitalisme n'a été vaincu par le communisme, ni l'inverse. Il y a eu une synthèse de l'un et de l'autre dans le "modèle chinois": comme le dit la propre propagande du régime, "un pays, deux systèmes". Tous deux sont sortis renforcés de cette entente cordiale. Massification, collectivisme, machinisme, technologies invasives, êtres sans visage qui, à la fin de leur journée de travail, deviennent des consommateurs compulsifs, entre le shopping effréné et la passivité conformiste du divertissement, avec un conformisme qui trouve ses racines dans les racines ethniques ancestrales exercées par les mandarinats, les hauts fonctionnaires tout-puissants qui dirigent la Chine depuis 3000 ans. Fini les "gardes rouges" brandissant le petit livre de Mao Tse Tung, comme dans les années 1960 ; ils ont été remplacés par le triste spectacle de masses de gens se déplaçant compulsivement à l'intérieur de gigantesques centres commerciaux, déferlant dans des rues pleines d'anonymes ou à l'intérieur de gratte-ciel récemment achevés. Toujours dos à leurs racines, toujours amputés de leurs traditions, toujours sans identité, avec la ruche ou la fourmilière comme modèles de vie collective. Après cela, nous voyons la concrétisation exacte de la phase finale du cycle telle que Julius Evola l'avait intuitionnée il y a près d'un siècle.
La Chine d'aujourd'hui est la synthèse de ce que la Russie et les Etats-Unis qu'Evola a connus de son vivant étaient hier. C'est l'élément qui doit être ajouté comme corollaire à l'analyse d'Evola dans les trois essais qui composent ce volume. Ce n'est pas qu'Evola se soit trompé dans son analyse: celle-ci était non seulement précise, mais aussi extrêmement lucide et anticipatrice. Il ne restait plus qu'à ajouter l'évolution du processus au cours des dernières décennies. Il y a des variations dans la forme, mais pas du tout dans le fond. Ce sont les chemins que l'on parcourt aujourd'hui d'un pas ferme, voire accéléré par rapport aux périodes récentes, vers "La Bête sans nom", le royaume des masses omniprésentes. Le Mandarinat chinois répand urbi et orbi, sur les ruines de l'effondrement de l'URSS et de la crise actuelle de l'"américanisme".
Les gigantesques centres commerciaux chinois, les 1.400 millions d'êtres humains pris dans un délire consumériste, tandis que des haut-parleurs retentissent les slogans du parti, les grands milliardaires inévitablement affiliés au Parti fondé par Mao, la soumission d'une société qui n'est libre que de consommer et de travailler, mais constamment surveillée par des centaines de millions de caméras réparties dans toutes les rues, qui a volontairement placé dans la main de chacun de ses membres un téléphone portable avec lequel il alimentera en permanence le "big-data" (ce n'est pas en vain que la 5G qui rend cette technologie possible a son origine en Chine d'où elle rayonne dans le monde entier), permettant, grâce à l'Intelligence Artificielle, au "système" de connaître jusque dans ses moindres mouvements, gestes et intentions, mieux qu'il ne pourra jamais se connaître lui-même? C'est la Chine d'aujourd'hui. Et c'est vers ce modèle, étendu à l'Est et à l'Ouest, que nous nous dirigeons.
Le lecteur observera et comparera les trois textes d'Evola, écrits dans des circonstances historiques différentes (pendant la première forme de bolchevisme et le grand élan de l'américanisation du monde après la Première Guerre mondiale; le second pendant le stalinisme et après le krach de 1929, à l'époque des fascismes; et le dernier dans les années des fascismes; et le dernier, dans les années de la guerre froide, avec la confrontation géopolitique USA-URSS) avec la situation actuelle et percevront clairement que le Baron non seulement n'avait pas tort, mais qu'il a anticipé exactement les caractéristiques présentes aujourd'hui dans la post-modernité et dont la République populaire de Chine est la synthèse, l'exemple et la direction vers laquelle le monde se dirige main dans la main avec les technologies modernes.
En fait, même dans le transhumanisme occidental, le spectre même de la "Bête sans nom" est présent, qui n'aspire même plus à avoir une dimension biologique, mais prétend être un simple automatisme généré par des réseaux neuronaux électroniques grâce auxquels la conscience humaine individuelle se fondra dans une "conscience cosmique universelle" qui devrait se rassembler dans "le nuage", le bagage mental individuel de tous les êtres, converti en impulsions électroniques, but ultime de l'évolution darwinienne, accélérée par les nouvelles technologies génétiques, la nanotechnologie et l'intelligence artificielle. Telle est la perspective décrite par Ray Kurzweill, l'un des partisans les plus extrêmes du transhumanisme, pour notre avenir.
Il resterait à faire le point sur la situation au début de l'année 2023, en tenant compte de trois contradictions principales qui sont apparues au lendemain de la pandémie.
1) Le conflit ukrainien, généré par la volonté de l'OTAN de faire avancer ses frontières vers Moscou, a eu un effet inattendu : la "mondialisation" s'est arrêtée. À une époque où la mondialisation semblait être un projet raté, mais sur lequel les élites économiques continuaient à insister, la politique de sanctions contre la Russie imposée par les États-Unis et suivie avec une loyauté opiniâtre par les pays membres de l'OTAN a entraîné une rupture inattendue entre les pays alliés des États-Unis et le reste du monde (et, d'un point de vue quantitatif, on peut dire que "le reste du monde" a plus de poids numérique que le "bloc occidental", ce qui est important à noter à une époque où le "règne de la quantité" impose ses règles: plus d'habitants, plus de consommateurs, égale plus de production). La Chine a choisi de se ranger du côté de la Russie, compte tenu de l'opposition qu'elle suscite dans les milieux américains, car elle est sur le point de dépasser les États-Unis dans tous les domaines, y compris la technologie.
2) Le conflit entre les concentrations de pouvoir héritées des trois précédentes révolutions industrielles, ce que nous pouvons appeler "le vieil argent", et les grandes accumulations de pouvoir technologique et de capital générées par la quatrième révolution industrielle. Cela explique les récentes critiques d'Elon Musk à l'égard de la réunion du Forum de Davos et des tentatives d'ouverture du fondateur de cette organisation, Klaus Schwab, en direction du "transhumanisme", que certains considèrent comme le moteur idéologique de cette dernière révolution industrielle. Il est facile de prévoir les implications de ce conflit: le "nouvel argent" finira par s'imposer, comme cela s'est produit dans toutes les autres révolutions industrielles: les propriétaires des "nouvelles technologies" sont toujours ceux qui imposent leurs propres règles du jeu.
3) L'idée de "polycrise" évoquée lors de la dernière réunion du Forum de Davos, idée que Guillaume Faye avait déjà présentée il y a près d'un quart de siècle sous la dénomination de "convergence des catasdtrophes", est, dans l'acceptation qu'en donne les élites économiques mondiales, fait référence aux crises économiques ininterrompues générées par les dysfonctionnements du processus de globalisation, par les crises géopolitiques (un euphémisme pour ces crises qui sont provoquées par la volonté aveugle et suicidaire des Etats-Unis qui entendent demeurer la "seule puissance mondiale"), par les crises sociales à la chaîne dues à la mondialisation, sans oublier les crises sociales imbriquées (dues aux effets des migrations massives d'aujourd'hui et demain à la désertification des emplois par la robotisation), aux conflits interreligieux (qui ont pour axe le fondamentalisme islamique et qui se sont même étendus à l'Europe), auxquels ils ajoutent, bien sûr, le thème omniprésent du "changement climatique", présenté comme le plus dramatique de tous.
4) Lors de la même réunion du Forum de Davos, le rapport présenté par son fondateur, Klaus Schwab, reprenait pour la première fois sans complexe les idées transhumanistes et les transmettait à un public d'élites économiques, de dirigeants politiques et de propriétaires de consortiums d'information. Cela revient à suggérer la formation d'une société "post-biologique", automatisée, dominée par les nouvelles technologies, où l'humain est de plus en plus résiduel et où, pendant cette transition, les destinées des nations devraient être guidées par une alliance entre gouvernements et trusts, c'est-à-dire un scénario absolument identique à celui présenté par la structure politico-économique de la République populaire de Chine.
Telle est la situation en janvier 2023. La perspective n'est plus, comme à l'époque où Evola écrivait en 1929, la possibilité d'une reconstruction de l'Europe sur la base des idéaux du vieux romantisme. Le sentiment qui domine est que les processus de dissolution de l'humain, initiés en République populaire de Chine et adaptés à l'Occident par le Forum de Davos, ajoutés à la "religion transhumaniste" (que ses membres vivent avec une foi proche du fanatisme, surtout lorsque ses prophètes établissent les caractéristiques du futur), nous placent dans un modèle qui est, précisément, l'inversion totale du modèle d'une société traditionnelle. Une indication que la promesse apocalyptique de la venue de l'Antéchrist, qui précédera la fin des temps, est proche.
Il faut comprendre que "l'Antéchrist" n'est pas tant une figure humaine qu'une conception de l'être humain, hypostasiée et gravée au feu dans les hommes et les femmes d'aujourd'hui, présents dans le monde entier, dans tous les pays, dans tous les peuples, dans chacun des habitants de la planète, et à laquelle il est impossible pour la majorité d'échapper. On comprend d'ailleurs que dans les textes prophétiques-apocalyptiques, cette "venue de l'Antéchrist" précède la "fin des temps".
Le caractère éphémère et non viable d'une société ainsi conçue, son instabilité congénitale, est précisément ce dont beaucoup ont eu l'intuition à notre époque (du "paradoxe de Fermi" sur la non-viabilité des sociétés technologiquement avancées, au dernier rapport du Forum de Davos, avec son idée de "polycrise"). Un vêtement taché peut être lavé par un simple geste. Mais lorsque ce même vêtement est couvert de taches, de déchirures, est élimé par l'usage, il n'y a plus aucune possibilité, quels que soient nos efforts, de continuer à le porter. Il est nécessaire de le jeter et d'en tisser un nouveau. Nous avons atteint cette période. Il vaut la peine que nous nous y fassions.
Or, dans toutes ces dérivations, il n'y a rien de nouveau par rapport à ce que Julius Evola a prévu dans son article historique de La Nuova Antologia publié en 1929. Nous ne sommes pas confrontés à deux positions irréconciliables, comme ne l'étaient ni le bolchevisme ni le libéralisme, ni les camps opposés de la guerre froide, ni l'époque révolue de l'unilatéralisme américain globalisant, ni la période qui a suivi le 11 septembre et la crise économique de 2007-2011, premier symptôme de l'effondrement du système économique mondial globalisé, ni tout ce qui a suivi la pandémie, ni ce qui nous attend lorsque la quatrième révolution industrielle montrera ses effets les plus dramatiques sur la société et finira par réorganiser le monde. Ce qui émerge de cette réorganisation tendra inévitablement vers une forme pyramidale, avec un tout petit dôme et une gigantesque base homogène.
Mais dans tous les cas, le dôme et tout ce qui se trouve en dessous obéiront aux mêmes traits: une humanité qui a rompu tout lien avec le supérieur (qui n'est même pas capable de deviner ce que signifie le "surmonde", pas même à travers le prisme de la religion), qui n'est capable de considérer comme "religieux" qu'un ensemble de doctrines inorganiques et souvent incohérentes dans lesquelles on place sa "foi" (le transhumanisme, déjà aujourd'hui "première religion" de la Silicon Valley et, plus largement, de la technologie), avec ceux "d'en haut" qui se consacrent à la multiplication de leurs profits et ceux "d'en bas" à la survie, avec une dévaluation croissante de toutes les valeurs et un processus général de perte des identités, surtout culturelles, et une destruction systématique de toute institution traditionnelle restante (travail que les "Agendas" mondialistes émanant des institutions internationales et envoyés aux gouvernements nationaux comme obligatoires) tentent d'accélérer.
Dans ces circonstances, le réalisme suggère que la "fin des temps" est proche (ou, plus précisément, la fin de cette civilisation) et, en tout état de cause, il n'est pas possible d'être optimiste quant aux possibilités d'inverser le phénomène. La disproportion des forces est telle que ceux qui proclament leur adhésion aux principes traditionnels n'ont aucune base sociale, aucune institution et des ressources insuffisantes sur lesquelles fonder leur action. Bien que le processus de destruction de toutes les valeurs et de leur remplacement par celles contenues dans les "agendas" mondialistes rencontre une résistance croissante, il ne faut pas se faire d'illusions: le destin final d'une avalanche, une fois déclenchée, n'est pas de s'arrêter à mi-chemin, mais de tout balayer. Plutôt que de s'opposer au glissement de terrain à venir, le bon sens conseille de se préparer au lendemain de l'avènement de "La Bête sans nom".
Je crois que ces annotations étaient nécessaires, dans la mesure où les trois essais d'Evola et la propre introduction de De Turris devaient être complétés par des notes sur l'ici et maintenant.
Ernesto Milà
Sant Pol de Mar, janvier 2023.
19:08 Publié dans Actualité, Actualité, Traditions, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernesto milà, julius evola, tradition, traditionalisme, actualité, chine, transhumanisme, mondialisation, ernesto milà, julius evola, tradition, traditionalisme, actualité, chine, transhumanisme, mondialisation | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Guénon et la révision du traditionalisme selon Silvano Panunzio
Guénon et la révision du traditionalisme selon Silvano Panunzio
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/guenon-e-la-revisione-del...
Les éditions Iduna proposent aux lecteurs un important recueil d'écrits de Silvano Panunzio, introduit par Aldo la Fata, qui est le plus grand exégète de ce penseur chrétien. Il s'agit du volume René Guénon e la crisi del mondo moderno ("René Guénon et la crise du monde moderne"), dans lequel sont rassemblés des essais consacrés par l'auteur à l'exégèse de la pensée de l'ésotériste français et de son école, parus dans des livres ou dans la revue Metapolitica, qu'il a lui-même fondée. Les textes sont accompagnés d'une série de lettres adressées à des chercheurs de différents horizons, intéressés par le 'traditionalisme intégral' (pour toute commande : associazione.iduna@gmail.com, pp. 188, euro 20.00). La Fata note la différence de ton que l'on peut déduire en comparant les écrits publics et privés : les premiers caractérisés par un plus grand calme, les seconds plus "libres" et caractérisés par des tons plus polémiques ou apologétiques.
D'un point de vue général, Panunzio reconnaît le rôle important de Guénon dans la culture métaphysique et religieuse du vingtième siècle, mais considère que son enseignement n'est pas sans limites ni contradictions. Panunzio vise à démontrer "aux 'traditionalistes ésotériques' que le christianisme est une tradition complète à tous égards" (p. 9). Parmi les essais, certains révèlent explicitement l'intention qui anime et traverse l'exégèse du "traditionalisme intégral" de Panunzio: parvenir à une révision du guénonisme. Prenant comme point de départ une critique de l'écrivain Vintilă Horia de 1982, consacrée à La crise du monde moderne, l'universitaire italien montre qu'il partage la thèse critique du Roumain. Horia a relevé des ambiguïtés dans le livre en question. Si, d'une part, Guénon "revendique [...] au christianisme latin et à l'Église le privilège d'être la seule organisation authentiquement "traditionnelle"" (p. 65), d'autre part, il accorde à la franc-maçonnerie le même rôle. En outre, les "ouvertures" à l'Orient hindou et à l'islamisme, une religion à laquelle le Français s'est ensuite converti en s'installant en Égypte, ont en fait contribué au "démantèlement" de l'Europe de sa patrie spirituelle. De telles attitudes théoriques pourraient trouver une justification dans l'idée guénonienne de la Tradition unique, dont toutes les "traditions" descendent.
Silvano Panunzio jeune.
À cette thèse, Panunzio répond que les Révélations ne se valent pas et ne sont pas interchangeables: "Le christianisme est, en ce sens, la "dernière" religion, celle qui offre uniquement à l'homme la possibilité du salut [...] par l'intercession du Fils de Dieu lui-même" (p. 67). Compte tenu de l'accélération des processus de décadence qui se sont manifestés après la seconde moitié du siècle dernier, pour Panunzio il aurait été diriment de mettre en œuvre une révision du "traditionalisme intégral". Une révision aussi radicale que celle qui avait ébranlé les certitudes dogmatiques du marxisme à la fin du 19ème siècle. La limite du guénonisme est identifiée, comme on peut le voir dans Les multiples états de l'être, d'où descend tout le système de l'ésotériste, d'être une proposition centrée sur le monisme de Plotin et de ramener, par conséquent, le débat : "à la rencontre et au choc, jamais complètement résolu, entre le néoplatonisme extrême et le christianisme" (p. 70). Cette attitude intellectuelle a, en outre, conduit Guénon à vivre l'Inde à la lumière de la seule perspective shankarienne, sous-estimant le "mystère vivant", saisi par Pannikar, relatif à l'existence d'une "Inde intérieure" qui reconnaît la fonction salvatrice du Christ.
En conclusion, pour Panunzio, le guénonisme est une forme moderne de l'averroïsme "qui se présente aux chrétiens du vingtième siècle avec les mêmes problèmes choquants qu'au treizième siècle ! Il faut dire, précise notre auteur, que Guénon lui-même attendait beaucoup, en termes d'amendement de son propre système, de la nouvelle vague d'études traditionnelles qui s'affirmait en Italie et qui était menée par le spécialiste de l'économie Giuseppe Palomba et par Panunzio lui-même. Il était censé favoriser, non pas simplement la réunion horizontale de l'Est et de l'Ouest, mais "l'échange vertical entre le Ciel et la Terre" (p. 73). Des remarques critiques similaires émergent à la lecture de l'essai consacré à Guido De Giorgio, dont le plus grand mérite est de "ne pas avoir risqué (sic !) de mettre la Tradition à la place de Dieu" (p. 43). C'est précisément par l'analyse de l'apport de cet Adepte que l'on peut comprendre l'échec du traditionalisme des 19ème et 20ème siècles, oublieux des enseignements de De Maistre, qui était conscient que la Tradition avait été préservée non seulement par le catholicisme mais aussi par l'orthodoxie, dont seul Sédir avait une idée. Sur la voie tracée par le guénonisme: "L'Europe intérieure a été abandonnée, laissée à la merci des forces chthoniennes [...] Un glissement de terrain : que la métaphysique pure, sans l'aide de la métapolitique, s'est révélée impuissante à arrêter" (p. 45). Guénon, rappelle Panunzio, a rencontré le Père Tacchi Venturi (photo) : l'échange entre les deux n'a pas été fructueux pour rectifier les positions du Français, et il a continué à poursuivre la voie de l'"externalisation" du patrimoine ésotérique.
Le penseur transalpin n'a pas pleinement compris l'héritage "traditionnel" présent chez Leibniz. Ce dernier, non seulement était un véritable initié, mais avait une connaissance profonde de la scolastique mystique: "cette dernière est, par contre, inconnue de Guénon" (pg. 34). Leibniz, pour cela, n'a pas reculé devant la conception audacieuse de la "pars totale", qui a tant fasciné Goethe, philosophe de la nature. Ceux qui sont présentés ne sont que quelques-uns des thèmes abordés dans le volume. Ils reviennent également dans l'intéressante correspondance privée qui clôt cette précieuse collection. Nous sommes d'accord sur la nécessité de réviser le traditionalisme. Panunzio aurait voulu y parvenir en faisant référence à un "christianisme ésotérique", "johannique". Dans certains passages du volume, un jugement excessivement peu généreux envers l'"hérésie évolienne", considérée comme "luciférienne", est évident.
L'écrivain pense certainement que "l'esprit géométrique" et l'esprit systémique de Guénon doivent être vitalisés par "l'esprit de finesse". Cette qualité était vivante et présente dans la tradition mystique grecque, en particulier dans le dionysisme, qui n'a jamais, dans l'acte aristotélicien, pensé à normaliser et à faire taire la dynamis, la puissance-liberté du principe. L'un, pour moi, n'est donné que dans le multiple, il est infranaturel. Physis est le temple de dynamis. Par conséquent, s'il devait y avoir un ésotérisme chrétien, centré sur l'idée d'un dieu qui meurt et renaît, "puissant" et "souffrant", il serait redevable et successeur des anciens Mystères, auxquels il faut revenir pour dépasser la scolastique traditionaliste.
Giovanni Sessa
18:00 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, tradition, silvano panunzio, rené guénon, traditionalisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook