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vendredi, 26 juin 2015

Le socialisme populaire de Georges Orwell et de Simone Weil...

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Le socialisme populaire de Georges Orwell et de Simone Weil...

par Kevin Victoire

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Kévin Victoire cueilli sur le site du Comptoir et consacré au socialisme populaire de Georges Orwell et de Simone Weil...

Avec Simone Weil et George Orwell, pour un socialisme vraiment populaire

L’écrivain britannique George Orwell et la philosophe française Simone Weil connaissent tous deux depuis quelques années un regain d’intérêt. Alors que la gauche, notamment la gauche radicale — c’est-à-dire celle qui se donne pour objectif de trouver une alternative au capitalisme —, est en crise idéologique et perd peu à peu les classes populaires, on pense qu’elle aurait tout intérêt à se pencher sur ces deux penseurs révolutionnaires.

Comme le note la philosophe Alice Holt dans un article publié en France dans la revue Esprit[i], « les convergences qui rapprochent Orwell et Weil sont frappantes, pas seulement en ce qui concerne leurs biographies hors du commun, mais aussi en ce qui concerne leurs conceptions politiques dissidentes, fondées sur une expérience directe et caractérisées par la reprise et le remodelage de thèmes traditionnellement de droite, ou encore en ce qui concerne leur critique originale des régimes totalitaires ». Les similitudes en effet sont nombreuses entre les deux contemporains, qui ne se sont jamais croisés et probablement jamais lus, mais qui sont aujourd’hui enterrés à quelques kilomètres l’un de l’autre, dans le sud de l’Angleterre.

Sur le plan biographique d’abord, tous deux ont fréquenté des écoles très prestigieuses — Henri IV, puis l’École normale supérieure pour Weil, le Collège d’Eton pour Orwell — et en ont gardé de mauvais souvenirs ; sont issus de la classe moyenne éduquée — Orwell parle de « basse classe moyenne supérieure »— ; ont eu à cœur de partager les conditions de vie des prolétaires ; ont participé à la guerre d’Espagne — chez les anarcho-syndicalistes de la CNT pour la Française, chez les marxistes non-staliniens du POUM pour l’Anglais[ii] — ; ont contracté la tuberculose — bien que la privation intentionnelle de nourriture semble être la véritable cause de la mort de la philosophe. Mais la proximité est encore plus forte sur le terrain idéologique entre Orwell, socialiste difficilement classable — et parfois qualifié d’« anarchiste conservateur » qui n’hésite jamais à citer des écrivains libéraux ou conservateurs sans pour autant partager leurs conceptions politiques[iii] —, et Simone Weil, anarchiste chrétienne et mystique, capable d’exprimer sa « vive admiration » à l’écrivain monarchiste Georges Bernanos. Pour les libertaires des éditions de l’Échappée, les deux révolutionnaires préfigurent « à la fois la dénonciation de l’idéologie du progrès, l’attachement romantique à l’épaisseur historique, la critique totalisante du capitalisme sous tous ses aspects, la méfiance envers la technoscience »[iv]. Sans oublier que ces deux sont en premier lieu les défenseurs d’un socialisme original, qui accorde une importance particulière aux classes populaires et à leurs traditions.

Aimer, connaître, devenir l’oppressé

Selon le philosophe Bruce Bégout, « chaque ligne écrite par Orwell peut donc être lue comme une apologie des gens ordinaires ».[v] L’attachement politique d’Orwell aux « gens ordinaires » fait écho à leur définition en tant qu’ensemble majoritaire de personnes menant leur vie sans se préoccuper de leur position sociale ou du pouvoir — contrairement aux « gens totalitaires ». Le socialisme est la version ultime de l’abolition de « toute forme de domination de l’homme par l’homme ». Il doit donc être radicalement démocratique et se présenter comme « une ligue des opprimés contre les oppresseurs » qui rassemble « tous ceux qui courbent l’échine devant un patron ou frissonnent à l’idée du prochain loyer à payer » (Le Quai de Wigan, The Road to Wigan Pier). Une coalition des classes populaires qui irait des prolétaires aux classes moyennes — des petits boutiquiers aux fonctionnaires — en passant par les paysans. Pour aboutir, le socialisme doit s’appuyer sur des mots d’ordre simples et rassembleurs, conformes au bon sens des gens ordinaires — comme la nationalisation des terres, des mines, des chemins de fer, des banques et des grandes industries, de la limitation des revenus sur une échelle de un à dix, ou encore de la démocratisation de l’éducation.

Parallèlement, Simone Weil considère, dans Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale — seul ouvrage publié de son vivant, en 1934 — que l’objectif du socialisme doit être la réalisation de la « démocratie ouvrière » et « l’abolition de l’oppression sociale ». Celle qui était surnommée « la Vierge rouge » — comme Louise Michel avant elle — étend son analyse de l’aliénation des travailleurs par la société industrielle à la classe paysanne. Ces travailleurs ont aussi été réduits à la « même condition misérable » que celle des prolétaires : ils sont tout autant soumis à l’échange marchand, en tant qu’ »ils ne peuvent atteindre la plupart des choses qu’ils consomment que par l’intermédiaire de la société et contre de l’argent ». Ne pas saisir dans sa propre chair le poids de cette aliénation est, pour la philosophe, la raison de l’échec des marxistes et de leur « socialisme scientifique », qui a mené à l’appropriation du mouvement ouvrier par une caste d’intellectuels.

Pour Simone Weil, les disciples de Karl Marx — qui « rend admirablement compte des mécanismes de l’oppression capitaliste » —, et notamment les léninistes, n’ont pas compris l’oppression que supportent les ouvriers en usine car « tant qu’on ne s’est pas mis du côté des opprimés pour sentir avec eux, on ne peut pas se rendre compte ». Et la philosophe de regretter : « Quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu’aucun d’eux — Trotski sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus — n’avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n’avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté des ouvriers, la politique m’apparaît comme une sinistre rigolade. »

C’est pourquoi elle choisit d’abandonner provisoirement sa carrière d’enseignante en 1934 et 1935, pour devenir ouvrière chez Alsthom (actuel Alstom), avant de travailler à la chaîne aux établissements JJ Carnaud et Forges de Basse-Indre, puis chez Renault à Boulogne-Billancourt. Elle note ses impressions dans son Journal d’usine — publié aujourd’hui sous le titre La condition ouvrière — et conclut de ses expériences, à rebours de l’orthodoxie socialiste, que « la complète subordination de l’ouvrier à l’entreprise et à ceux qui la dirigent repose sur la structure de l’usine et non sur le régime de la propriété » (Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale).

Similairement, George Orwell déplore, dans Le Quai de Wigan, que « le petit-bourgeois inscrit au Parti travailliste indépendant et le barbu buveur de jus de fruits [soient] tous deux pour une société sans classe, tant qu’il leur est loisible d’observer le prolétariat par le petit bout de la lorgnette ». Il poursuit : « Offrez-leur l’occasion d’un contact réel avec le prolétariat […] et vous les verrez se retrancher dans le snobisme de classe moyenne le plus conventionnel. » Comme Weil, le Britannique se rapproche des opprimés, notamment en partageant plusieurs fois les conditions de vie des vagabonds. Dans Dans la dèche à Paris et à Londres (Down and Out in London and Paris), roman publié en 1933 qui s’inspire de ces expériences, il explique qu’il voulait « [s]’ immerger, descendre complètement parmi les opprimés, être l’un des leurs, dans leur camp contre les tyrans. » Par la suite, il se plonge dans l’univers des mineurs des régions industrielles, ce qui lui inspirera la première partie du Quai de Wigan et surtout le convertira définitivement au socialisme.

Ces expériences ont très fortement influencé les deux auteurs. Alice Holt note d’ailleurs à ce propos que « c’est parce qu’Orwell et Weil ont tous deux fait l’expérience de la souffrance psychologique et physique qu’occasionne la pauvreté, qu’ils mirent autant l’accent sur le potentiel destructeur de l’humiliation, et la nécessité de préserver la dignité des plus pauvres ».

Weil et Orwell : des socialistes conservateurs ?

Le contact de Weil et d’Orwell avec le monde ouvrier leur a permis de comprendre la souffrance des travailleurs et l’impératif subséquent à préserver « ce qu’il leur reste ». C’est ainsi qu’ils ont tous les deux évolué politiquement vers une forme de conservatisme (ou à du moins à ce qui lui est apparenté aujourd’hui), par respect pour la culture populaire et pour la défense de la dignité des opprimés. Tout en étant profondément révolutionnaires, ils considèrent que la défense des traditions et de la mémoire populaire est un devoir formel. Ainsi, Simone Weil explique, notamment dans L’Enracinement, que : « l’amour du passé n’a rien à voir avec une orientation politique réactionnaire. Comme toutes les activités humaines, la révolution puise toute sa sève dans une tradition. » La common decency (traduit par « décence commune » ou « décence ordinaire ») d’Orwell et l’enracinement de Weil forment le pivot de leur philosophie.

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Bruce Bégout, qui a consacré un ouvrage au sujet (De la décence ordinaire), définit la common decency comme « la faculté instinctive de percevoir le bien et le mal ». « Plus qu’une simple perception, car elle est réellement affectée par le bien et le mal », elle correspond « à un sentiment spontané de bonté qui est, à la fois, la capacité affective de ressentir dans sa chair le juste et l’injuste et une inclination naturelle à faire le bien ». D’après Orwell, ces vertus, qu’il certifie avoir rencontrées au contact des « gens ordinaires », proviennent de la pratique quotidienne de l’entraide, de la confiance mutuelle et des liens sociaux minimaux mais fondamentaux. À l’inverse, elles seraient moins présentes chez les élites, notamment chez les intellectuels, à cause de la pratique du pouvoir et de la domination.

Pour Simone Weil, l’enracinement — titre de son ouvrage testament, sorte de réponse aux Déracinés du nationaliste d’extrême droite Maurice Barrès – est « le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine ». Il est le processus grâce auquel les hommes s’intègrent à une communauté par le biais « [du] lieu, la naissance, la profession, l’entourage ». Pour la Française, « un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. » Cet enracinement est la base d’obligations mutuelles entre les hommes – L’Enracinement a d’ailleurs pour sous-titre « prélude d’une déclaration des devoirs envers l’être humain ».

Ainsi, Weil estime que « le déracinement est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines, car il se multiplie lui-même ». Ce mécanisme passe notamment par la destruction du passé, déplorant que « la destruction du passé [soit] peut-être le plus grand crime. Aujourd’hui, la conservation du peu qui reste devrait devenir presque une idée fixe ». C’est parce que le capitalisme déracine les classes populaires, comme le colonialisme déracine les indigènes, qu’il faut lutter contre ce système. Si le mot « enracinement » est absent de l’œuvre de George Orwell, il est probable qu’il y aurait largement adhéré. Le philosophe Jean-Claude Michéa relève ainsi que chez l’Anglais, « le désir d’être libre ne procède pas de l’insatisfaction ou du ressentiment, mais d’abord de la capacité d’affirmer et d’aimer, c’est-à-dire de s’attacher à des êtres, à des lieux, à des objets, à des manières de vivre. »[vi]

L’enracinement, la common decency et l’attachement aux lieux, traditions et à la communauté qui en émane, conduisent Weil et Orwell vers un patriotisme socialiste, qui s’exprimera dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale. La philosophe explique alors dans L’Enracinement qu’« il serait désastreux de [s]e déclarer contraire au patriotisme. Dans la détresse, le désarroi, la solitude, le déracinement où se trouvent les Français, toutes les fidélités, tous les attachements sont à conserver comme des trésors trop rares et infiniment précieux, à arroser comme des plantes malades. » Quant au Britannique, il lie patriotisme et socialisme dans Le Lion et la licorne : socialisme et génie anglais publié en 1940 – que l’un de ses principaux biographes, Simon Leys, considère comme « son manifeste politique le plus complet et le plus explicite »[vii] – afin de théoriser un « patriotisme révolutionnaire« [viii]. Orwell explique : « La théorie selon laquelle « les prolétaires n’ont pas de patrie » […] finit toujours par être absurde dans la pratique. » Dans l’article De droite ou de gauche, c’est mon pays, il ajoute : « Aucun révolutionnaire authentique n’a jamais été internationaliste. »

Pourtant, Orwell et Weil resteront tous deux fidèles à la tradition socialiste et à la solidarité internationale sans jamais tomber dans un nationalisme maurrassien. Orwell, que son service pour l’Empire britannique en Birmanie a converti à l’anti-colonialisme, considère dans ses Notes sur le nationalisme que le patriotisme est un « attachement à un mode de vie particulier que l’on n’a […] pas envie d’imposer à d’autres peuples », tandis que le nationalisme est « indissociable de la soif de pouvoir ». De son côté, Simone Weil écrit à Bernanos à propos du Traité de Versailles : « Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu’il peut subir. » Mais c’est surtout leur engagement en Espagne, motivé par l’envie de combattre le fascisme et de défendre le socialisme, qui prouve que la solidarité internationale n’est pas un simple concept pour eux, mais bien une réalité. À l’image de leur patriotisme, leur conservatisme populaire ne s’oppose jamais à leur socialisme, il en est au contraire un fondement.

Un socialisme populaire et antibureaucratique

Pour Orwell et Weil, le socialisme ne doit pas être l’émancipation forcée des prolétaires, mais leur affirmation, à travers leur enracinement.En ce sens, ils peuvent être tous deux rattachés à la famille du socialisme libertaire, qui s’oppose au socialisme autoritaire depuis l’exclusion de Bakounine et ses partisans de la Ire Internationale, en 1872. À rebours des révolutionnaires, notamment marxistes-léninistes, qui veulent créer un « homme nouveau », les deux auteurs prônent un socialisme qui prend racine dans les valeurs défendues par les classes populaires. Ainsi, Simone Weil exprime dans L’Enracinement son souhait d’une révolution qui « consiste à transformer la société de manière que les ouvriers puissent y avoir des racines » , et s’oppose à ceux qui entendent avec le même mot « étendre à toute la société la maladie du déracinement qui a été infligée aux ouvriers ».

À l’identique, le romancier anglais estime que « l’ouvrier ordinaire […] est plus purement socialiste qu’un marxiste orthodoxe, parce qu’il sait ce dont l’autre ne parvient pas à se souvenir, à savoir que socialisme est justice et simple bonté » (Le Quai de Wigan). Il déplore : « Les petites gens ont eu à subir depuis si longtemps les injustices qu’elles éprouvent une aversion quasi instinctive pour toute domination de l’homme sur l’homme. » À ce titre, le socialisme doit reposer sur la common decency, qui constitue chez lui d’après Bruce Bégout « une base anthropologique sur laquelle s’édifie la vie sociale ». Pour ce dernier, la « décence ordinaire est politiquement anarchiste : elle inclut en elle la critique de tout pouvoir constitué ». La confiance d’Orwell dans les gens ordinaires s’accompagne d’une défiance à l’égard des intellectuels qui souhaiteraient prendre la direction du mouvement socialiste. Car selon lui, « les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires ». Une critique du pouvoir constitué également très présente chez Simone Weil. Fidèle à la tradition anarchiste, l’ex-combattante de la CNT invite dans La pesanteur et la grâce à « considérer toujours les hommes au pouvoir comme des choses dangereuses ».

Cette méfiance à l’égard du pouvoir les conduit à critiquer la bureaucratie et la centralisation, incarnées par l’URSS. Pour George Orwell, « rien n’a plus contribué à corrompre l’idéal originel du socialisme que cette croyance que la Russie serait un pays socialiste ». L’écrivain arrive même à la conclusion que « la destruction du mythe soviétique est essentielle […] pour relancer le mouvement socialiste ». Outre la dissolution des liens communautaires induit par le totalitarisme, qui a pour caractéristique le contrôle de l’histoire – et donc du passé –, George Orwell déplore « les perversions auxquelles sont sujettes les économies centralisées » et la prise de pouvoir d’une « nouvelle aristocratie ». Dans son célèbre roman 1984, il décrit celle-ci comme « composée pour la plus grande part de bureaucrates, de scientifiques, de techniciens, [et] d’experts », issus pour la plupart « de la classe moyenne salariée et des rangs plus élevés de la classe ouvrière ». Pour Simone Weil, qui considère qu’un État centralisé a nécessairement pour but de concentrer toujours plus de pouvoir entre ses mains, l’URSS possède « une structure sociale définie par la dictature d’une caste bureaucratique ». Sur la critique de la centralisation, elle va même plus loin et se distingue radicalement du marxisme, auquel elle a appartenu dans sa jeunesse. Alors que pour Lénine et les bolcheviks, le parti communiste est le véritable créateur de la lutte des classes et l’instrument qui doit permettre au prolétariat de conquérir le pouvoir afin de libérer la société, Simone Weil propose de détruire toutes organisations partisanes (Notes sur la suppression générale des partis politiques). La Française voit dans le parti « une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres », qui a pour fin « sa propre croissance et cela sans aucune limite » et estime donc que « tout parti est totalitaire en germe et en aspiration ».

Les pensées de ces deux auteurs difficilement classables convergent ainsi sur des points essentiels – dont certains n’ont pu être approfondis ici, comme leur critique du Progrès ou de la technique –, parfois ignorés par les socialistes, et terriblement actuels. Selon Albert Camus, à qui nous devons la publication posthume de L’Enracinement, « il paraît impossible d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies ». Alors que la gauche n’a jamais semblé aussi éloignée du peuple qu’aujourd’hui, nous pourrions, pour commencer, dire qu’il paraît impossible d’imaginer une renaissance du mouvement socialiste qui se passerait des écrits de Simone Weil et de George Orwell. À travers leur œuvre, ces deux contemporains se sont efforcés de nous rappeler l’importance pour un révolutionnaire d’être en accord avec les aspirations des classes populaires, tout en nous mettant en garde contre certaines dérives, telles que l’autoritarisme.

Kévin Victoire (Le Comptoir, 22 juin 2015)

Notes :

[i] Holt Alice et Zoulim Clarisse, « À la recherche du socialisme démocratique » La pensée politique de George Orwell et de Simone Weil, Esprit, 2012/8 Août. En ligne ici (payant)

[ii] Il est intéressant de noter que George Orwell écrit dans Hommage à la Catalogne (Homage to Catalonia, 1938) : « Si je n’avais tenu compte que de mes préférences personnelles, j’eusse choisi de rejoindre les anarchistes. »

[iii] Pour George Orwell, « le péché mortel c’est de dire “X est un ennemi politique, donc c’est un mauvais écrivain” ».

[iv] Cédric Biagini, Guillaume Carnino et Patrick Marcolini, Radicalité : 20 penseurs vraiment critiques, L’Échappée, 2013

[v] Bruce Bégout, De la décence ordinaire. Court essai sur une idée fondamentale de la pensée fondamentale de George Orwell, Allia, 2008

[vi] Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste tory, Castelneau-Le-Lez, Éditions Climats, 1995

[vii] Simon Leys, Orwell ou l’horreur de la politique, Hermann, 1984 ; Plon, 2006

[viii] Il oppose cependant ce « patriotisme révolutionnaire » au conservatisme. Il écrit notamment dans Le lion et la licorne : « Le patriotisme n’a rien à voir avec le conservatisme. Bien au contraire, il s’y oppose, puisqu’il est essentiellement une fidélité à une réalité sans cesse changeante et que l’on sent pourtant mystiquement identique à elle-même. »

 

mercredi, 24 juin 2015

Faire revivre l’idée de la souveraineté

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Faire revivre l’idée de la souveraineté

Un monde multipolaire a besoin de règles pour une vie commune en paix

par Karl Müller

Ex: http://www.horizons-et-debats.ch

Le fait que l’âge d’une «puissance mondiale unique» est passé est indéniable. Il est bien évident que le monde est devenu «multipolaire», qu’il n’y a donc plus de puissance hégémonique dominant le monde entier. La Chine, la Russie, les nations de l’Amérique latine, l’Asie et aussi l’Afrique ne suivent plus les instructions de Washington. Même en Europe il y a de plus en plus de voix qui exigent davantage d’autonomie.


Le livre récemment paru de Wilfried Scharnagel, ancien rédacteur du journal de la CSU bavaroise et intime de l’ancien président du parti Franz Josef Strauss, montre bien cela. Le livre vaut la lecture. Déjà son livre paru en 2012 «Bayern kann es auch allein. Plädoyer für den eigenen Staat» a rencontré beaucoup d’attention. La nouvelle parution est intitulée «Am Abgrund. Streitschrift für einen anderen Umgang mit Russland». Ce livre ne se distingue pas seulement par une considération de la politique russe axée sur la compréhension mais aussi par une critique solide en particulier de la politique des Etats-Unis et de la politique européenne et allemande qui se soumet aveuglément aux directives de Washington.


Cependant la transition vers un monde multipolaire n’a pas encore rendue notre monde plus sûr et pacifique. La situation en Ukraine et maintenant aussi en Macédoine – pour nous Européens les foyers de tensions les plus proches – le montre clairement. Pour tous ces deux pays, l’issue du développement reste encore ouverte. Il n’y a pourtant aucun doute que les pertes humaines au cours de ces explications violentes seront irréparables. Les morts en Ukraine et en Macédoine ne pourront pas être ressuscités. Seuls des charlatans et des risque-tout y voient les dégâts collatéraux d’un changement historique mondial.


Le fait que le gouvernement macédonien accepte maintenant des élections anticipées et suspend l’accord de tracement du gazoduc russo-turc «Turkish Stream» en le conditionnant d’un contrat entre l’UE et la Russie, peut être qualifié de manière différente. Mais il est sûr que le développement est en constante évolution, et que l’issus pour la Macédoine reste également incertaine.


Il y a des activistes des «droits de l’homme» qui dessinent la situation en Macédoine sous les couleurs les plus sombres. Un exemple en est la contribution de Xhabir Deralla dans le magazine de l’Europe de l’Est Ostpol du 20 mai. De telles voix secondent une UE qui réclame la supervision de la Macédoine – bien que la Macédoine ne soit pas du tout membre de l’UE. Il est significatif que le commissaire de l’UE Johannes Hahn, qui entame les négociations avec le gouvernement et l’opposition, en Macédoine, déclare après le repli du gouvernement macédonien, qu’une «perspective euro-atlantique» persisterait pour le pays («Neue Zürcher Zeitung» du 3/6/15). On devine par le biais de quels clichés (nous = UE + USA) on pense encore à Bruxelles.


S’y ajoute l’influence directe et massive des Etats-Unis sur les événements en Macédoine comme sur l’ensemble des Balkans européens. La lecture de l’analyse très révélatrice publiée le 4 juin «Mazedonien im Visier» [«La Macédoine dans la ligne de mire»] (https://buergerstimme.com/Design2/2015/06/mazedonien-im-visier/) est recommandée. Citons-en seulement un passage significatif: «Une place énorme sur la colline qui domine la ville, est réservée à l’ambassade américaine. A part les bâtiments visibles d’une taille impressionnante, l’ambassade s’étend encore à huit étages souterrains qui ont été construits par les Américains. Les habitants de Skopje comparent le bâtiment modeste à deux étages de l’ambassade de la Fédération de Russie, situé entre une maison et un hôtel dans une rue latérale, à un kayak face au porte-avions de l’ambassade américaine.»


De l’autre côté on peut lire chez «Sputniknews», agence de presse russe, du 3 juin: «Turkish Stream: les Européens cherchent à s’attirer la connexion pipeline» Si c’est juste, ce qu’on rapporte, le gouvernement russe peut attendre en toute tranquillité l’évolution. Il y a différentes alternatives à un tracement à travers la Macédoine. Beaucoup d’Etats européens convoitent toujours le gaz russe.


Comment le conflit évoluera dans le monde multipolaire actuel reste ouvert. Ce n’est pas une perspective d’attendre jusqu’à ce que le plus fort s’impose ou que les problèmes disparaissent. Il faut par contre réfléchir d’urgence pour trouver, formuler et fixer des règles acceptées de tous les côtés et garantissant une coexistence pacifique.


Déjà pendant la Seconde Guerre mondiale et avant tout dans les semaines qui ont suivi la fin de la guerre en Europe, beaucoup de responsables du monde entier se sont investis – après l’échec de la Société des Nations – pour la deuxième fois dans la création d’une base d’un monde multipolaire qui soit pacifique, pour éviter une répétition des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Les responsables du monde ne sont pas partis de l’idée d’un gouvernement mondial tout-puissant, mais de nations souveraines qui se mettent d’accord sur les bases du futur ordre mondial tout en respectant différents systèmes politiques et organisations de sociétés. La Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 est l’expression de ce principe en dehors de toute prétention au pouvoir des puissances victorieuses de la guerre.


Qu’est-ce que le monde avait appris par les deux guerres mondiales? C’était la liberté de choix des peuples, c’était la souveraineté des citoyens et des Etats qui avaient été piétinées pendant les guerres. Ceci ne devrait plus jamais arriver. La reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de la souveraineté et intégrité de l’Etat est un trait de caractère essentiel d’un ordre mondial pacifique et juste. Cela devraient constituer les éléments de base du droit international moderne.


Mais encore 45 ans plus tard, après la fin de la guerre froide, ces principes n’ont toujours pas pris vie, comme cela aurait été possible, par exemple grâce aux approches prometteuses de la Charte de Paris. Au lieu de cela, l’Ouest se considérant comme gagnant de la guerre froide, a parlé d’une «fin de l’histoire» ce qui réaffirmait son hégémonie durable en dépit de tout droit. Par la suite, le droit international fut rompu à plusieurs reprises par l’alliance occidentale (USA + OTAN + UE).


Mais malgré la transition au monde multipolaire au XXIe siècle, il n’y a jusqu’à présent pas de garant sûr et partout accepté du droit international, du droit à l’autodétermination et de la souveraineté.


 L’Ukraine et la Macédoine montrent en outre que des gouvernements corrompus sont particulièrement réceptifs à des «révolutions de couleur». Les stratèges à l’arrière-plan peuvent renouer avec la critique justifiée des citoyens pour donner de l’eau à leurs propres moulins. Mais cela ne justifie en aucun cas de montrer les autres du doigt. Tout au contraire: quel gouvernement actuel peut prétendre qu’il n’a pas de secrets honteux à cacher? D’autant plus il faut le citoyen souverain qui prenne soin de l’ordre dans son entourage et sa communauté, avant qu’on lui impose «un nouvel ordre» qui sert les intérêts d’autrui. Si le droit à l’autodétermination des peuples fait sans conteste partie intégrante de la souveraineté de l’Etat, il faut que le citoyen souverain se considère comme le point de départ et porteur de la souveraineté de sa communauté, de son Etat, de sa nation et se comporte conformément.
Mais aussi les gouvernements de la communauté des Etats ne doivent plus continuer à assister sans rien faire à la lutte des grandes-puissances avides de pouvoir et causant déjà maintenant d’immenses dégâts. Tous les gouvernements du monde doivent en appeler au droit international et s’engager pour que le nouveau monde multipolaire obtienne un ordre pacifique de liberté et la souveraineté.     •

 «En outre, il s’agit – mot-clé ‹ordre mondial› – d’un nouvel esprit et d’un nouveau cadre solide entre l’Est et l’Ouest. On aurait pu mettre un terme à la querelle au sujet des pactes militaires au moment du tournant historique il y a un quart de siècle. On l’a raté. Maintenant, on doit, malgré ce retard inutile, créer un nouvel ordre de paix dans un nouveau monde. L’abîme d’un danger de guerre, comme actuellement la querelle au sujet de l’Ukraine, ne doit plus jamais se rouvrir. L’Europe et l’Amérique d’un côté, et la Russie de l’autre, doivent trouver une base d’équilibre durable entre les intérêts et de collaboration basée sur la confiance.»

Wilfried Scharnagl

mardi, 23 juin 2015

Teoría del Heartland: la conquista del mundo

Teoría del Heartland: la conquista del mundo

 

En 1904, el político y geógrafo inglés Halford John Mackinder elaboró una teoría generalista sobre el pasado, presente y futuro del poder mundial. Esta teoría, llamada Teoría del Heartland venía a decir que, a nivel histórico, quien controlase la zona de Asia Central-Rusia Central-Siberia, tenía bastantes probabilidades de controlar tanto el resto de Asia como el resto de Europa, pudiendo así obtener una posición privilegiada de cara al dominio mundial. Esta especie de profecía geopolítica nunca ha llegado a darse realmente, aunque sí es cierto que en varios momentos de la historia ha estado cerca de cumplirse.

Mackinder

En los últimos tiempos se ha relacionado este poder del Heartland con el ascenso vertiginoso de China, que regionalmente es una potencia consolidada y a nivel global es una firme candidata a lograr el título de superpotencia en las próximas décadas. Por tanto, aunque esta teoría de principios del siglo XX sea simplista e inconcluyente en muchos aspectos, es interesante porque se ha tomado repetidamente como modelo de política exterior o económica, por lo que aquí intentaremos encajar la proyección del auge chino con las predicciones del geógrafo inglés.

La idea de Mackinder, apoyada en la Historia

Como decimos, en 1904 John Mackinder dio una conferencia titulada “El pivote geográfico de la historia”. En este discurso se incluía la idea de que, históricamente, el poder se había expandido por un medio geográfico determinado. Hasta la Edad Moderna (1453 o 1492), la expansión se había dado a través del medio terrestre, gracias al caballo y los ejércitos montados. Añadía también el hecho de que hasta esa época todas las grandes invasiones que habían sufrido Europa o Asia provenían de una región en concreto: Asia Central.

En la Edad Antigua, en los primeros siglos después de Cristo, los hunos comenzaron una expansión desde la zona de Mongolia y Asia Central hacia el resto de Eurasia. De hecho, esta expansión fue uno de los motivos de construcción de la Gran Muralla China. Por ese mismo continente llegaron a la India y a Persia, mientras que en su expansionismo por Europa durante el siglo V d.C estuvieron a punto de destruir el Imperio Romano de Occidente – que sólo aguantó veinte años más –. Casi mil años después, durante el siglo XIII, los mongoles llegaron desde Mongolia – en su etapa inicial liderados por Gengis Khan – hasta el sur de China, Irán, Turquía o países actuales tan distantes como Ucrania o Rumanía.

Imperio mongol 2Mapa: conquista del Heartland por parte del Imperio Mongol

ARTÍCULO RELACIONADO: La Ruta de la Seda (Juan Pérez Ventura, Febrero 2013)

A partir del siglo XV, con el desarrollo de la navegación ultramarina y la llegada a América de los europeos, el medio de expansión más rápido y eficaz deja de ser la tierra y pasa a ser el mar, por lo que la “ventaja” que tenía el Heartland respecto a la capacidad de expansión se pierde. Ahora son los países europeos con amplio acceso al mar quienes se expanden de manera extraordinaria. España, Inglaterra, Francia y Holanda llegan a conseguir extensos territorios fuera de Europa gracias al desarrollo de sus armadas y al comercio marítimo. Es más, con la movilidad naval ganan en penetración terrestre, por lo que el efecto del corazón continental se ve aún más reducido. También las estructuras políticas, económicas y militares han cambiado desde las grandes invasiones. En la zona de Asia Central siguen existiendo tribus o pueblos desunidos y que tecnológicamente no se han desarrollado, mientras que los pueblos europeos, que siglos atrás tenían una capacidad tecnológica similar a la de los invasores asiáticos, han desarrollado armas de fuego potentes, formas de gobierno eficientes, infraestructuras de calidad, poblaciones numerosas y medianamente densas, etc.

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En este punto parece que la teoría de Mckinder se diluía en el propio devenir de la historia, pero entonces llegó un avance que devolvió la vida al maltrecho Heartland: el ferrocarril. Gracias a este invento se empezaba a reequilibrar la carrera entre la tierra y el mar. No cabe duda de que el ferrocarril ha sido uno de los puntos de inflexión en la historia mundial; acortaba el tiempo de desplazamiento de ejércitos y productos, y aumentaba la capacidad de transporte entre un punto y otro, especialmente en sitios alejados del mar.

Así llegamos a 1904, donde nuestro autor explica de manera más amplia todo lo comentado anteriormente. El medio terrestre parece que de nuevo le está ganando la partida al mar, por lo que esta teoría del Corazón Continental resucitaba. De manera más amplia, debía haber ahora una potencia terrestre y una potencia marítima, que básicamente pugnarían por ese control del Heartland. Quien controlase el Corazón Continental, controlaría el “cinturón interior”, zona que comprendía el resto de la Europa y Asia continental, y quien controlase ese cinturón interior, probablemente acabase controlando el “cinturón exterior”, que venía a ser el resto del mundo.

MÁS INFORMACIÓN: Transcripción del discurso de Mackinder “El pivote geográfico de la historia”

La lucha por el Heartland

Para entender este modelo también debemos verlo desde la óptica de la época en el que Mackinder lo propuso. En 1904, Gran Bretaña era la potencia indiscutible. Su imperio colonial era el más extenso del mundo y su poder naval resultaba abrumador. En cambio, como potencia terrestre, había ciertas dudas. ¿Era el Imperio Ruso, ocupante efectivo del Heartland pero industrial y militarmente atrasadísimo? ¿Sería Alemania, potencia terrestre al alza y que miraba con cierto apetito al este de Europa?

A finales del siglo XIX casi estalla una guerra entre británicos y rusos en Afganistán e India por el control de Asia Central, una región geoestratégica clave según Mackinder. La cuestión de entonces era no quién iba a controlar el corazón continental, puesto que se sabía ya sobradamente que en su mayoría esta zona estaba bajo el dominio del Imperio Ruso, sino si éste iba a ser capaz de desarrollar el potencial suficiente para “cumplir la profecía geográfica”.

imperi6Mapa: conquista del Heartland por parte del Imperio Ruso

La Primera Guerra Mundial evidenció que Rusia no era y no iba a ser ese candidato a dominador mundial. Su ejército, pésimamente armado, apenas hizo nada en la guerra al no haber una capacidad industrial detrás que respaldase ese esfuerzo. Llegó la Revolución de Octubre, Rusia cambió su nombre por el de la Unión de Repúblicas Socialistas Soviéticas con una dura guerra civil acompañada por hambrunas, y el puesto de Potencia Terrestre se quedó otra vez sin candidato al estar también Alemania puesta contra la lona tras el Tratado de Versalles.

El siguiente momento en el que saltaron las alarmas fue durante la Segunda Guerra Mundial. Gran Bretaña todavía mantenía el estatus de potencia marítima aunque le quedaba un lustro para perderlo a manos de Estados Unidos, mientras que la alianza Alemania-URSS hacía temer que se consumase la gestación definitiva de una potencia terrestre. La ruptura de esa alianza con la guerra entre ambos hizo que el remedio fuese peor que la enfermedad. Si Alemania, que dominaba de manera efectiva casi toda Europa Occidental, dominaba también la enorme extensión que suponía la URSS con su Heartland incluido, el Mundo acabaría siendo alemán. El presidente norteamericano Franklin D. Roosevelt ya entreveía esta posibilidad en el célebre discurso “El arsenal de la democracia” del 29 de diciembre de 1940:

“Los líderes nazis de Alemania han dejado claro que pretenden no sólo dominar toda forma de vida y pensamiento dentro de su propio país, sino también esclavizar a toda Europa y entonces hacer uso de sus recursos para dominar el resto del mundo. (…) ¿Alguien cree realmente que necesitamos temer un ataque mientras permanezca en el Atlántico como nuestro más poderoso vecino naval una Gran Bretaña libre? ¿Alguien cree realmente, por otro lado, que podríamos descansar en paz si las potencias del Eje fueran nuestro vecino ahí? Si Gran Bretaña cae, las potencias del Eje controlarán los continentes de Europa, Asia, África, Australia y los océanos. Y entonces se encontrarán en situación de convocar enormes recursos militares y navales contra este hemisferio.”

Desde Estados Unidos sabían perfectamente que si la URSS y Gran Bretaña caían, ellos acabarían haciendo lo mismo en un tiempo. Finalmente, la máquina de guerra alemana acabó ahogándose en Rusia, teniendo que retroceder todo lo andado hasta Berlín.

Dos potencias enfrentadas por el control global

El medio siglo posterior estaría marcado por la Guerra Fría entre Estados Unidos y la URSS. Ahora sí había verdaderamente una potencia marítima con una capacidad de despliegue global (EEUU) y una potencia terrestre, de enorme extensión, con muchos recursos, una industria potente y un ejército numeroso y bien armado que además controlaba el Heartland (la URSS). El modelo de Mackinder de esa lucha de gigantes empezaba a cuadrar.

NATO_vs_Warsaw_(1949-1990)Mapa: dos potencias enfrentadas, OTAN vs. Pacto de Varsovia

El inconveniente que había ahora era la amenaza nuclear, que implicaba la destrucción mutua si la situación se les iba de las manos, así que todo acabó derivando en la llamada “doctrina de la contención”, que trataba de impedir cualquier expansión, tanto territorial como de influencia, por parte de las dos potencias. De hecho, para que veamos la importancia que esta contención soviética suponía para los Estados Unidos, el presidente Reagan llegó a decir en 1988, casi cincuenta años después de que Roosevelt se refiriese a la contención nazi, lo siguiente:

“La primera dimensión histórica de nuestra estrategia es relativamente simple, clara y enormemente sensata. Es la convicción de que los intereses de seguridad nacional fundamentales de los EEUU se pondrían en peligro si un estado o grupo de estados hostiles dominaran la masa de tierra euroasiática. Y desde 1945 hemos procurado evitar que la URSS sacara partido de su posición geoestratégica ventajosa para dominar a sus vecinos de la Europa Occidental, Asia y Oriente Medio, con lo que se alteraría el equilibrio global de poder en nuestro perjuicio.” (Geografía Política, Taylor, P y Flint, C. 2002)

La Guerra Fría acabó en 1991 con la desaparición de la URSS, y con ella, la idea de que una superpotencia surgiese del Heartland. Su heredera más directa, Rusia, estaba inmersa en una crisis tan profunda que la relegaba a la segunda división geopolítica. Por otro lado, las ex-repúblicas soviéticas de Asia Central (Kazajistán, Uzbekistán, Kirguizistán, Turkmenistán y Tayikistán) se convertían en dictaduras tremendamente corruptas, con rivalidades étnicas. Mongolia no había sido nunca relevante como estado y no tenía previsiones de serlo. Y finalmente, China, en 1991, acababa de despertar del funcionamiento comunista y apenas había echado a andar por la senda capitalista. Parece que de nuevo estaba vacante la plaza de potencia terrestre.

China, candidata a potencia terrestre

Cuando Mackinder elaboró su teoría en los primeros años del siglo XX, es poco probable que pensase en China como un candidato aceptable para dominar el Heartland. Mackinder sentía cierta fascinación por el Imperio Ruso, que en aquellos años llevó a cabo reformas políticas y económicas en su interior para impulsar la industria en un país fundamentalmente agrario. Y quizás no pensó en China porque el ahora gigante asiático era entonces un cortijo de las potencias europeas, y el emperador del lugar poco tenía que decir. Gobernaba – por decir algo – el centro y norte de lo que hoy es China. El resto: factorías europeas, influencia europea y todo dominado por europeos. Como es lógico, los chinos acabaron rebelándose y los europeos optaron por salir de allí, no sin antes provocar que China acabase en un mosaico de varios estados en un régimen casi feudal. Hasta la victoria de Mao Tse-Tung en 1949, no podemos decir que China fuera un país totalmente unificado y controlado efectivamente por un poder central.

Siguiendo fielmente la delimitación original del Heartland de Mackinder, las regiones del noreste de China entran dentro del Corazón Continental. Más concretamente, podemos incluir a la región de Xinjiang, poblada mayoritariamente por uigures musulmanes dentro de ese espacio conquistador. Así, China tiene medio pie metido en el Corazón. Tampoco es que eso sea lo importante, las líneas en los mapas, como las fronteras, es algo imaginario, así que podemos extender el área del Heartland a parte de China.

A finales de la década de 1990 y sobre todo en los primeros años del siglo XXI, China ha conocido un desarrollo económico sin precedentes. El tercer país más extenso del planeta y el más poblado; unas tasas de crecimiento vertiginosas que se creían imposibles de mantener a medio plazo en un país tan grande; un comercio exportador que poco a poco va copando el mercado; un presupuesto en defensa que no deja de aumentar; una política exterior ambiciosa; un poder económico apabullante al no tener apenas deuda pública ni una moneda que fluctúe (el yuan es la única moneda potente que no está en el sistema de cambio flexible)

En definitiva, la constatación de que en la última década no ha habido tal crecimiento de poder en ningún país o región del mundo. Se empieza a hablar de que China podría ocupar muy pronto, si no lo ha hecho ya, el trono de potencia terrestre. Como bien dijo Napoleón: “Cuando China despierte, el mundo temblará”.

ARTÍCULO RELACIONADO: China y África (Juan Pérez Ventura, Octubre 2012)

¿La potencia mundial del S.XXI? ¿Acertará Mackinder?

En el recién empezado siglo XX, todavía las armas hacían más daño que cualquier otra herramienta a disposición de gobiernos o élites. Durante la etapa colonial, unos cuantos cientos de hombres con armas de fuego podían someter extensísimos territorios, igual que los hunos arrasaron con media Europa por el simple hecho de tener caballos. La dicotomía tierra/mar duró hasta casi el fin de la URSS, quizás complementado por el aire, aunque sin duda no como medio independiente o comparable a la tierra o el mar.

Ahora, las cosas han cambiado. Y mucho. Las armas ligeras son relativamente baratas y fáciles de adquirir donde no hay un control estatal fuerte – véase África – ; el sistema internacional está organizado mínimamente gracias a la ONU y al Derecho Internacional, y las armas, afortunadamente, no son sacadas tan alegremente como hasta hace setenta años. Pero no por esto vivimos en un mundo más seguro o menos agresivo. El poder mundial es como la energía: ni se crea ni se destruye, simplemente se transforma. Cambia de manos o de manera de ejecutarse, pero siempre hay poder.

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Estados Unidos nunca ha parecido comprender el poder “blando” o económico – al menos su gobierno, porque su sector privado lo ha entendido a la perfección –. Siempre han optado por la fórmula clásica, la guerra. Ya sea a través de guerras con ejércitos profesionales, como en el caso de Irak o Afganistán, o mediante guerras encubiertas, como los golpes de estado en América Latina o la lucha de los talibanes contra los soviéticos en Afganistán en los años ochenta.

En cambio China, en su reconversión del comunismo al capitalismo, ha entendido a la perfección que este mundo ya no lo dominan las armas sino el dinero. Dar una orden económica puede ser infinitamente más efectivo que guerrear contra un país o usar las arma. El dinero es el arma del siglo XXI. ¿El medio? El ciberespacio. Tierra y mar se ven cada vez más eclipsados por lo que supone lo virtual.

Quien piense que Estados Unidos o China no pueden hacer quebrar un país y hundirlo en la miseria en unas horas, tecleando cuatro cosas y levantando un par de veces el teléfono, vive en un paraíso feliz. A punto ha estado Alemania de hacerlo con Grecia, no iba a ser capaz entonces de hacerlo Estados Unidos con cualquier otro…

China y Estados Unidos van a combatir. Van a acabar peleando la influencia hasta en el islote más perdido del Pacífico si hace falta. Estados Unidos languidece como potencia marítima mientras China crece como la terrestre. La influencia china en Asia es enorme y eso pone nerviosos a muchos, especialmente a los vecinos. Porque todas las potencias, antes o después, se sienten encerradas y apretadas en el territorio que tienen por grande que sea. No es el hecho de expandirse territorialmente, sino de aumentar su influencia. Y si los vecinos son reticentes a ello, mal asunto; empiezan los nervios.

Que desde Pekín hayan querido vallar para ellos los islotes del Mar de China ha hecho que más de uno tenga la mosca detrás de la oreja. De momento el marcador está ‘Potencia terrestre 0 – Potencia marítima 4′. Para el próximo partido queda poco.

ARTÍCULO RELACIONADO: Geopolítica en el Mar de China (Fernando Arancón y Adrián Albiac)

Las apuestas están a que una posible Tercera Guerra Mundial sería principalmente entre Estados Unidos y China, en un futuro inexacto. ¿Quién se proclamaría vencedor en la disputa por el control mundial? ¿Será China, una potencia del Heartland, del interior del gran continente Euroasiático, como profetizaba Mackinder? ¿O será por el contrario Estados Unidos, una potencia del exterior del Corazón Continental?

Hagan sus apuestas. Ha empezado la conquista del mundo.

chinavsusa.

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Fernando Arancón

Nacido en Madrid, en 1992. Graduado en Relaciones Internacionales en la UCM. Estudiando el Máster en Inteligencia Económica de la UAM. Interesado en temas de economía, política y seguridad.

samedi, 20 juin 2015

Ayn Rand & Ortega y Gasset

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Ayn Rand & Ortega y Gasset

Editor’s Note:

This essay was written in 2000 and published online at a long-defunct website. It is really a sketch of a more detailed research project that somebody else might wish to carry out. Even as such, I think it deserves a new lease on life. I do not regret a single hour spent reading Ortega. 

“The apparent egoism of great nations and of great men is the inevitable sternness with which anyone who has his life fixed on some undertaking must bear himself. When we are really going to do something and have dedicated ourselves to a purpose, we cannot be expected to be ready at hand to look after every passer-by and to lend ourselves to every chance display of altruism.”—Ortega y Gasset, The Revolt of the Masses 

Though today almost forgotten, José Ortega y Gasset (1883–1955) is Spain’s greatest philosopher and was one of the 20th century’s most prominent public intellectuals. Historians of philosophy usually place Ortega in the traditions of phenomenology, existentialism, and “Lebensphilosophie” (life-philosophy), and they are right. His greatest philosophical debts are to Nietzsche and Wilhelm Dilthey. His philosophical interests focused on the relationship of human life to history, culture, and the moral life. Ortega was an individualist and an advocate of liberal democracy. He was also an unabashed elitist who held an “aristocratic” theory of history and culture and thus deplored both capitalism and communism as forms of “mass” society, which are destructive of culture and individuality.

Although he was committed to a lofty view of philosophy as a way of life and held an academic position in Spain, Ortega was the antithesis of the ivory tower intellectual. He had journalism in his blood. He claimed that he was “born on a rotary press.” His father was a prominent novelist and journalist; his mother’s family owned a prominent liberal newspaper, El Imparciel. Writing for El Imparciel and other periodicals, Ortega developed the ability to make deep and rigorous thoughts accessible in a lucid, elegant, and colorful literary style. He also took part in founding three important institutions: La Escuela Superior del Magisterio in Madrid, which exercised great influence on Spanish higher education; Calpe publishers, one of Spain’s most important intellectual publishers; and the monthly journal Revista de Occidente, which became one of Europe’s most prestigious journals of ideas—all while turning out a steady stream of philosophical books and essays.

In the 1930s, translations of Ortega’s books The Dehumanization of Art and The Revolt of the Masses made him famous around the world. In 1931, after the fall of the monarchy and the Right-wing dictatorship of Primo de Rivera, the Second Spanish Republic was declared. Ortega was elected to the new congress. Tiring quickly of politics, he withdrew from public life the following year. In 1936, the Spanish Civil War erupted, and Ortega became an exile in France, Portugal, and Argentina. He visited Spain in 1945 and 1946, and returned in 1948, dying there of cancer in 1955. In his last decades, he traveled widely, lecturing in Germany, Argentina, and the United States.

Ortega had almost no impact on academic philosophy in the United States, but he enjoyed a wide lay readership—including the young Ayn Rand. In 1932, his The Revolt of the Masses was a best-seller. Other important titles include History as a System (the title essay of which is the clearest statement of Existentialism ever written), Man and People (on the nature of individuality and social life), The Mission of the University (on liberal education), The Modern Theme and Man and Crisis (on the nature of modernity), The Origin of Philosophy and What is Philosophy? (the titles are self-explanatory), Historical Reason and An Interpretation of Universal History (on the philosophy of history), and Meditations on Quixote and Phenomenology and Art (on art and literature). Ortega’s books were published primarily by Norton and other trade publishers, not by academic presses, and a number of titles remain in print to this day. In 1949, his inaugural address to the Goethe Festival in Aspen was covered by Time, Atlantic Monthly, and the New York Times. In 1952, he was declared one of the 100 most important people in the contemporary world.

I wish to briefly consider three aspects of the relationship of Rand and Ortega. First, I will examine Rand’s 1934 notes on The Revolt of the Masses. Second, I will suggest that Revolt may have planted some of the seeds of Atlas Shrugged. Third, I will follow up on suggestion of Louis Torres and Michelle Marder Kamhi that Ortega’s 1957 book On Love may have influenced Rand’s concept of “sense of life.”

My aim is to throw light on the development of Ayn Rand’s thought. This is not the forum or format for mounting a full-scale defense of my thesis, but I will be content simply to encourage more people to read Ortega’s work.

The Noble and the Base

Ortega upholds a “radically aristocratic interpretation of history.” He does not argue that society ought to be aristocratic, nor is he an apologist for actual aristocracies. Instead, he claims that “human society is always . . . aristocratic by its very essence, to the extreme that it is a society in the measure that it is aristocratic, and ceases to be such when it ceases to be aristocratic” (Revolt, 20). All societies are “aristocratic” insofar as their existence depends upon small elites of superior individuals. This superiority exists along a number of dimensions.

In modern technological society, the most apparent distinction between elite and masses is drawn in terms of technological expertise. As technology advances, the very existence of more and more people comes to depend upon technologies which can be understood by a smaller and smaller percentage of the population.

ortega2.jpgOrtega clearly appreciates the value of modern technology and admires the skills of those who develop and apply it. But he does not think that technocrats constitute a true elite. In fact, he tends to regard them merely as mass men with high IQs—clever barbarians, indispensable barbarians, but barbarians nonetheless. Ortega also thought that the progress of industrialism and technology would bring about the worst form of mass society: a global and homogeneous mass society.

Technicians are not the highest type of man, because there is something higher than technical knowledge: the wisdom needed to use technique rightly. “We live at a time when man believes himself fabulously capable of creation, but he does not know what to create. Lord of all things, he is not lord of himself.” Modern technical man is in the same situation as the young Louis XV: “He had all the talents except the talent to make use of them” (Revolt, 44).

But how does one acquire wisdom? Here Ortega reveals his debts to the ancient Greeks. His answer has three aspects. First is liberal education, which is comprehensive rather than specialized and focuses upon moral rather than technical issues. Second is apprenticeship in living traditions of practical reason and moral judgment, such as jurisprudence, statecraft, and all-round good judgment. Third is a spiritual attitude: the openness of the soul toward ideals that transcend it and a restless, erotic drive to pursue them.

Ortega calls this spiritual orientation “nobility.” It is primarily discussed in chapter seven, “Noble Life and Common Life, or Effort and Inertia”:

The select man, the excellent man is urged, by interior necessity, to appeal from himself to some standard beyond himself, superior to himself, whose service he freely accepts. . . . we distinguished the excellent man from the common man by saying that the former is the one who makes great demands upon himself, and the latter the one who makes no demands upon himself, but contents himself with what he is, and is delighted with himself. . . . it is the man of excellence who lives in essential servitude. Life has no savour for him unless he makes it consist in service to something transcendental. Hence he does not look upon the necessity of serving as an oppression. When, by chance, such necessity is lacking, he grows restless and invents some new standard, more difficult, more exigent, with which to coerce himself. This is life lived as a discipline—the noble life. Nobility is defined by the demands it makes on us—by obligations, not by rights. Noblesse oblige. “To live as one likes is plebeian; the noble man aspires to order and law” (Goethe). (Revolt, 63)

For me . . . nobility is synonymous with a life of effort, ever set on excelling itself, in passing beyond what one is to what one sets up as a duty and an obligation. In this way the noble life stands opposed to the common or inert life, which reclines statically upon itself, condemned to perpetual immobility, unless an external force compels it to come outside itself. Hence we apply the terms mass to this kind of man—not so much because of his multitude as because of his inertia. (Revolt, 65)

Ortega is essentially restating Nietzsche’s contrast between the “overman”—the man oriented to constant self-surpassing—and the “last man,” who is characterized by complacency, contentment, and inertia. The noble soul—a soul open to and oriented toward ideals—is the essential characteristic of the true aristocrat. By contrast, mass man is characterized by a soul that is “closed” to anything lofty and ideal. He does not guide his actions by looking up (to the ideal), but by looking down (to appetite or expediency) and to the side (to the opinions of his fellow mass men). Because the noble man orients himself by ideals, he is perpetually dissatisfied with himself and strives unceasingly for perfection. Because mass man orients himself by appetite, expediency, and opinion, he is characterized by smugness and contentment. Noble man’s orientation toward ideals that transcend the present gives him an external perspective on the present. This grants him a measure of intellectual liberty: relative freedom from prejudice, opinion, and convention. He has the courage to think for himself. Mass man, by contrast, has no critical distance from the present. Hence he tends toward relativism, jingoism, conventionality, and conformity. Following Nietzsche, Ortega holds that human vitality requires striving for transcendent goals. Noble man, therefore, is truly alive, while mass man is decadent and devitalized.

Rand’s Reaction to Ortega

In an entry in her first philosophical journal dated May 15, 1934, Ayn Rand discusses the first of the passages on nobility quoted above:

In regard to The Revolt of the Masses: Isn’t it a terrible generalization—that can be interpreted in too many different ways—to say that a “noble” man strives to serve and obey, and the “mass” man to do as he pleases?

If what is meant is the noble man’s servitude to his own standards and ideas—is that to be called servitude? If the standards are his, isn’t he doing precisely what he pleases? No truly noble man is going to obey standards set for him by someone else. That is the action of the mass man. It is the mass man who cannot do as he wishes, because he has no wishes; he has to have his standards—or the nearest to that word that he can come—dictated to him. (Journals of Ayn Rand, 70)

This looks like a critique, but in fairness to Ortega, it should be noted that Rand agrees with the substance of his thought and is quarreling only with his expression of it. When Ortega speaks of the noble man’s service and obedience, he is talking about serving and obeying the ideals and values he has chosen for himself. So at bottom he is merely obeying himself. When Ortega characterizes the mass man as doing what he pleases, he means following appetite, expediency, and public opinion. Rand’s “critique” consists merely in pointing out that, in a different sense of the term, the noble man “does what he pleases” and the mass man does not. In a different sense of the term, the mass man is “servile” and the noble man is not. In fairness to Rand, however, this kind of wordplay is very common in journals, where one “thinks out loud” and turns ideas over in one’s mind to assimilate them.

Evidence that Rand did assimilate some of Ortega’s ideas can be found in Rand’s journal entry for the very next day.

Ortega, Rand, and the Crisis of Liberal Democracy

In The Revolt of the Masses, Ortega claims that the rise of mass man is a product of three factors which came together in the 19th century: “liberal democracy, scientific experiment, and industrialism. The two latter may be summed up in one word: technicism” (Revolt, 56). Like Rand, Ortega was a great admirer of the 19th century. Yet, like Rand, he thought that it contained the means of its own destruction:

. . . by submitting the seed of humanity to the treatment of two principles, liberal democracy and technical knowledge, in a single century the species in Europe has been triplicated [from 180 to 460 million].

Such an overwhelming fact forces us, unless we prefer not to use our reason, to draw these conclusions: first, that liberal democracy based on technical knowledge is the highest type of public life hitherto known; secondly, that that type may not be the best imaginable, but the one we imagine as superior to it must preserve the essence of those two principles, and thirdly, that to return to any forms of existence inferior to that of the XIXth Century is suicidal.

Once we recognise this . . . we must then rise up against the XIXth Century. If it is evident that there was in it something extraordinary and incomparable, it is not less so that it must have suffered from certain radical vices, certain constitutional defects, when it brought into being a caste of men—the mass man in revolt—who are placing in imminent danger those very principles to which they owe their existence. (Revolt, 52)

One principle to which the masses owe their existence is limited government. Ortega claims that limited government arises from the pagan aristocratic virtues of magnanimity, generosity, and honorableness in dealing with one’s political opponents:

The political doctrine which has represented the loftiest endeavour towards common life is liberal democracy. . . . Liberalism is that principle of political rights, according to which the public authority, in spite of being all powerful, limits itself. . . . Liberalism—it is well to recall this today—is the supreme form of generosity; it is the right which the majority concedes to minorities and hence it is the noblest cry that has ever resounded on this planet. (Revolt, 76)

Unfortunately for liberalism, these virtues are in short supply among the masses.

Like all classical liberals, Ortega regarded government as merely a means for coordinating independent human activities. Mass man, however, resents the activity, independence, self-restraint, personal responsibility, and risk-taking required by liberalism. Thus he demands that the state be more active so that he can be more passive. This sets in motion a tragic process of inversion, which Ortega discusses in Revolt chapter 13, “The Greatest Danger, the State”:

Is the paradoxical, tragic process of Statism now revealed? Society, that it may live better, creates the State as an instrument. Then the state gets the upper hand and society has to live for the State. . . . This is what State intervention leads to: the people are converted into fuel to feed the mere machine which is the State. The skeleton eats up the flesh around it. The scaffolding becomes the owner and tenant of the house. (Revolt, 122)

Ortega believed that the magnificent machinery of 19th century liberalism and capitalism was ultimately undermined by its moral code, and when this code itself collapsed, European civilization succumbed to nihilism. In the last chapter of Revolt, Ortega writes:

This is the question: Europe has been left without a moral code. It is not that the mass-man has thrown over an antiquated one in exchange for a new one, but that at the centre of his scheme of life there is precisely the aspiration to live without conforming to any moral code. (Revolt, 187)

Europe is now reaping the painful results of her spiritual conduct. She has adopted blindly a culture which is magnificent, but which has no roots. (Revolt, 189)

Although Ortega is cagey about naming the source of this nihilism, here too he is a follower of Nietzsche. The problem is Christianity, the very first revolt of the masses—the metaphysical and moral revolt which made possible the social and political revolt, including the nihilistic negation of Christianity itself. The solution, then, is a new moral code, which somehow weds pagan Greece’s aristocratic and vital ethic of self-actualization to 19th-century liberalism.

The Fountainhead of The Fountainhead?

José Ortega y Gasset - La Rebelión de las Masas.jpgAyn Rand’s philosophical journal for May 16, 1934, begins with a passage by the American journalist Alexander Wolcott contrasting the cultural atmosphere of the Soviet Union with the West. It closes with a passage copied out from the last chapter of The Revolt of the Masses. Between them, Rand wrote two remarkable paragraphs:

The new conception of the State that I want to defend is the State as a means, not an end; a means for the convenience of the higher type of man. The State as the only organization. Within it-all have to remain individuals. The State, not as a slave of the great numbers, but precisely the contrary, as the individual’s defense against great numbers. To free man from the tyranny of numbers. (Journals, 73–74)

This passage reflects Ortega’s ideas and even his language. Rand takes up Ortega’s contrast between the state as means and the state as end. Rand even follows his penchant for capitalizing the word “State.” (This distinction was not, of course, invented by Ortega. But the fact that Rand uses it alongside a passage from Revolt is good evidence that Ortega was her point of departure.) Rand then develops this initial distinction in terms of Ortega’s distinction between the masses and the elite—“the great numbers” and “the higher type of man.” Ortega would, furthermore, agree that the proper aim of the state is to free men from one another, allowing extraordinary individuals to pursue excellence.

Rand’s second paragraph develops this theme:

The fault of liberal democracies: giving full rights to quantity (majorities), they forget the rights of quality, which are much higher rights. Prove that differences of quality not only do exist inexorably, but also should exist. The next step—democracy of superiors only. This is not possible without a very high and very powerful sense of honor. This, in turn, is not possible without a set of values from which this honor is to be derived. The new set of values: supreme egoism. (Journals, 74)

This paragraph also reflects Ortega’s ideas and language. Like Ortega, Rand is concerned with the crisis of “liberal democracy.” Like Ortega, Rand sees this crisis as the rise of the masses. Like Ortega, Rand describes this as a conflict between the rights of “quality” and “quantity” (cf. Revolt, 13–14). Like Ortega, Rand thinks that the survival of liberal democracy depends upon rule by the best. Rule by the best is liable, however, to degenerate into illiberalism unless the rulers have a “very high and very powerful sense of honor.” Like Ortega, Rand thinks that this sense of honor requires a new moral code radically different from Christianity and its secular offshoots.

It is interesting that the journal entries where Rand discusses Ortega contain her first known discussions of the necessity of creating a new, egoistic moral code for liberal democracy—a system she would later call capitalism. On December 4, 1935, Rand began writing notes for The Fountainhead. In these notes, she makes it clear that her aim is precisely to create such a moral code. Consider, for example, this passage from the notes of December 22, 1935:

If all of life has been brought down to flattering the mob, if those who can please the mob are the only ones to succeed—why should anyone feel any high aspirations and cherish any ideals? The capitalistic world is low, unprincipled, and corrupt. But how can it have any incentive toward principles if its ideology has killed the only source of principles—man’s “I”? Christianity has succeeded in eliminating “self” from the world of ethics, by declaring “ethics” and “self” as incompatible. But that self cannot be killed. It has only degenerated into the ugly modern struggle for material success at the cost of all higher values, since these values have been outlawed by the church. . . . Until man’s “self” regains its proper position, life will be what it is now: flat, gray, empty, lacking in all beauty, all fire, all enthusiasm, all meaning, all creative urge. That is the ultimate theme of the book—Howard Roark as the remedy for all modern ills. (Journals, 84)

While it would be a mistake to reduce Ayn Rand to a Frankenstein monster, patched together from the disjecta membra of the philosophical tradition, it would be equally erroneous to reject the possibility that she was influenced by other thinkers. Even the most original and singular philosopher develops in dialogue with the world and other philosophers. It is seldom possible to make an airtight case for intellectual influence, but if Rand first conceived the moral project of The Fountainhead—and all of her subsequent works—while writing her journal entries for May 15 and 16, 1934, she did so in dialogue with Ortega.

The Atlas Behind Atlas Shrugged?

Clear proof that Ortega’s impression on Rand was powerful enough to last more than a decade is found in her notes for Atlas Shrugged dated April 10th, 1946. In a list of “Characters needed,” Rand first sketches Hugh Akston, the philosophical mentor of John Galt:

The philosopher. A kind of Ortega y Gasset—vaguely. A kind of Aristotle if he came back to life today. Or even Thomas Aquinas. (Journals, 405)

The use of the word “vaguely” in this passage probably indicates some hesitation on Rand’s part. At this point in her development, Rand was moving away from such Continental influences as Nietzsche and Ortega toward Aristotle and Aquinas. This is borne out by the fully-developed character of Hugh Akston, who teaches such Aristotelian principles as “Everything is something” and “By the essence and nature of existence, contradictions cannot exist.” It may, however, be the case that Ortega’s distinguished and aristocratic persona influenced Rand’s characterization of Akston the man. But Ortega was far too suave to be imagined running a diner.

There is another connection between Ortega and Atlas Shrugged, this one far more important to the book’s central theme. Throughout The Revolt of the Masses, Ortega stresses the tendency of mass man to ignorantly undermine the conditions of his very existence:

. . . the common man, finding himself in a world so excellent, technically and socially, believes that it has been produced by nature, and never thinks of the personal efforts of highly-endowed individuals which the creation of this new world presupposed. Still less will he admit the notion that all these facilities still require the support of certain difficult human virtues, the least failure of which would cause the rapid disappearance of the whole magnificent edifice. (Revolt, 58)

My thesis, therefore, is this: the very perfection with which the XIXth Century gave an organisation to certain orders of existence has caused the masses benefited thereby to consider it, not as an organised, but as a natural system. Thus is explained and defined the absurd state of mind revealed by these masses; they are only concerned with their own well-being, and at the same time they remain alien to the cause of that well-being. As they do not see, behind the benefits of civilisation, marvels of invention and construction which can only be maintained by great effort and foresight, they imagine that their role is limited to demanding these benefits peremptorily, as if they were natural rights. In the disturbances cause by scarcity of food, the mob goes in search of bread, and the means it employs is generally to wreck the bakeries. This may serve as a symbol of the attitude adopted, on a greater and more complicated scale, by the masses of to-day towards the civilisation by which they are supported. (Revolt, 59–60)

If one wished to offer concrete illustrations of these principles—the dependence of modern civilization upon the moral virtues and technical expertise of small elites, the failure of the masses and their political leaders to appreciate this fact, the grotesque injustice of the masses oppressing the elites who make their lives possible, and the destruction that would result if the elites simply . . . disappeared—could one do any better than Atlas Shrugged?

Rand, Ortega, and “Sense of Life”

There is conclusive evidence that Ayn Rand read The Revolt of the Masses because she quotes it in her philosophical journals for May 15 and 16, 1934, and there is good reason to think that Ortega influenced key ideas expressed in The Fountainhead and Atlas Shrugged. The publicly available materials do not, however, offer conclusive evidence that Rand read any other works by Ortega.

Nevertheless, a circumstantial case can be made, based on doctrinal comparisons, for the thesis that Ayn Rand’s concept of “sense of life” was influenced by Ortega, specifically his book The Modern Theme, published in America 1933 and his essay “The Role of Choice in Love,” published in English in 1957 in the volume On Love: Aspects of a Single Theme.

I am not the first person to suggest that Rand’s concept of sense of life is indebted to Ortega. In 1991 and 1992, Louis Torres and Michelle Marder Kamhi published a series of essays in Aristos entitled “Ayn Rand’s Philosophy of Art: A Critical Introduction.” In a note, Torres and Kamhi call attention to Ortega’s On Love. (They credit Peter Saint-Andre for calling the passage to their attention.)

The phrase “sense of life” (sentimiento de la vida) is not uncommon in Spanish literature and philosophy. Indeed, the most famous work of Spanish philosophy after Revolt is Miguel de Unamuno’s The Tragic Sense of Life (Del Sentimiento Tragico de la Vida), which has been in print in English since its first translation in 1921. (Rand appends the following P.S. to a letter to Frank Lloyd Wright dated October 10, 1946: “No, I have not read The Tragic Sense of Life by Unamuno, but I shall get it and read it” [The Letters of Ayn Rand, 118]. Unamuno and Rand is a topic for another essay.) 

Rand on Sense of Life

In her essay “Philosophy and Sense of Life” (reprinted in The Romantic Manifesto), Ayn Rand places both philosophy and sense of life in the genus of world views, comprehensive accounts of reality. A sense of life is a largely subconscious, implicit, and unarticulated world view, whereas a philosophy is a conscious, explicit, and articulated world view. Rand’s fullest definition of sense of life characterizes it as “a pre-conceptual equivalent of metaphysics, an emotional, subconsciously integrated appraisal of man and of existence. It sets the nature of a man’s emotional responses and the essence of his character” (Romantic Manifesto, 25).

There is an evaluative dimension to a sense of life: “The key concept, in the formation of a sense of life, is the term ‘important.’ It is a concept that belongs to the realm of values, since it implies an answer to the question: Important—to whom?” Rand claims that the concept of importance does not pertain to specifically moral values, but to something more fundamental: “It pertains to that aspect of metaphysics which serves as a bridge between metaphysics and ethics: to a fundamental view of man’s nature” which serves as “the base of ethics.”

Rand describes a sense of life as an “emotional” world view, whereas a philosophy is a “conceptual” world view. She claims that “a sense of life is formed by a process of emotional generalization which may be described as a subconscious counterpart of a process of abstraction. . . . But it is a process of emotional abstraction: it consists of classifying things according to the emotions they invoke.” By contrast, a philosophy is formed by a conscious process of abstraction. (It is not exactly clear how a sense of life can be formed by means of emotions, for Rand’s theory that emotions are based upon implicit value judgments means that whenever there are emotions there is already an implicit world view, a sense of life.)

Whereas many people can share one and the same philosophy, a sense of life is as unique as each individual. Like people, senses of life can be similar, but never the same:

A sense of life always retains a profoundly personal quality; it reflects a man’s deepest values; it is experienced by him as a sense of his own identity. A given person’s sense of life is hard to identify conceptually, because it is hard to isolate: it is involved in everything about that person, in his every thought, emotion, action, in his every response, in his every choice and value, in his every spontaneous gesture, in his manner of moving, talking, smiling, in the total of his personality. It is that which makes him a “personality.”

Rand also holds that the process of maturation requires that we transform our unique and individual senses of life into a conscious, articulate, rational philosophy—preferably the one true philosophy. Rand should, however, have explained how this process need not entail a progressive loss of individuality as one’s ideas (and hence one’s personality) move toward those of the one true philosopher.

Rand goes on to claim that there are:

. . . two aspects of man’s existence which are the special province and expression of his sense of life: love and art. . . . Love is a response to values. It is with a person’s sense of life that one falls in love—with that essential sum, that fundamental stand or way of facing existence, which is the essence of personality. One falls in love with the embodiment of the values that formed a person’s character, which are reflected in his widest goals or smallest gestures, which create the style of his soul. . . . It is one’s own sense of life that acts as the selector, and responds to what it recognizes as one’s own basic values in the person of another.

Art is a sensuous concretization of the artist’s sense of life, “a selective re-creation of reality according to an artist’s metaphysical value-judgments.” When one encounters a work of art, “It is the viewer’s or reader’s sense of life that responds . . . by a complex, yet automatic reaction of acceptance and approval, or rejection and condemnation” (“Art and Sense of Life,” Romantic Manifesto, 35). 

Art and “Sense of Life” in Ortega’s Modern Theme

Just as Rand says that there are “two aspects of man’s existence which are the special province and expression of his sense of life: love and art,” Ortega chiefly employs the concept of sense of life and the related concept of “vital sensibility” (“sensibilidad vital”) in his writings on love and art.

For instance, in Ortega’s third book The Modern Theme, first published in 1923, he sketches the foundations of his life-centered, vitalist philosophy of man and culture. Here the formative influence of Nietzsche is most evident. Both in language and substance, the book brings Ayn Rand to mind. Since it was published in America only a year before Rand read Revolt, it is certainly possible that Rand read it too. Ortega speaks of “individualism” and “collectivism,” of “moral codes” and “hierarchies of values.” He likens abstract thought to “algebra.” He seeks to ground his conceptions of reason, value, and culture in man’s nature as a living being. He defines his conception of “vital reason” in contradistinction to the false dichotomy of rationalism and relativism. He describes rationalism in terms that strongly resemble Rand’s critique of what David Kelley calls “diaphanous” reason, i.e., “pure” consciousness without identity. Instead, he treats reason as a biological activity, likening it to the digestive system. Yet he excoriates relativistic forms of naturalism for denying the objectivity and transcendence of values. And he speaks of “sense of life.”

In his first chapter, “The Concept of the Generation,” Ortega sets out the fundamental concept of his philosophy of history: “vital sensibility”:

Changes of an industrial or political nature are superficial: they depend upon ideas, upon contemporary fashions in morals and aesthetics. But ideology, taste and morality in their turn are no more than consequences or demonstrations of the root feeling that arises in the presence of life, the sensations of existence in its undifferentiated totality. What we are going to call vital sensibility is the primary phenomenon of history and the first we should have to define in order to understand a particular age” (The Modern Theme, 13).

Here Ortega uses “vital sensibility” to refer to a tacit, unarticulated world view, though unlike Rand he refers to a collective world view, a Zeitgeist, not an individual world view.

The actual phrase “sense of life” appears in the ninth chapter, “Signs of the Times,” in the midst of a discussion of modern art: “This revolutionary attitude to art reveals one of the most widespread features in the new reaction to existence: it is what I long ago called the sense of life as a sport and as a festivity” (The Modern Theme, 82).

But is it plausible that the mere usage of “sense of life” in a discussion of art could have made an impression on Rand? I believe so, because Ortega was quite well-known for his views on aesthetics. Two years after The Modern Theme, in 1925, Ortega published The Dehumanization of Art, an entire book on modern art. This book was published in English in 1930 and was one of Ortega’s best-known works. If Rand heard of Revolt, then she likely heard of Dehumanization as well. Thus, if Rand did read The Modern Theme, Ortega’s remarks on modern art would probably have drawn her attention. (Although Dehumanization was sought out and read as simply an attack on modernism, Ortega’s attitude was more complex and subtle. He disapproved of the content of modern art, but thought that it represented a vital insurrection against a devitalized, decadent, and reified cultural establishment.) 

Love and “Sense of Life” in Ortega’s On Love

The Modern Theme contains the term “sense of life” and the concept of “vital sensibility,” which is an implicit collective world view. Ortega’s essay “The Role of Choice in Love” from On Love does not use the phrase “sense of life,” but it does speak of a completely individualized implicit world view which he terms “metaphysical sense” (sentimiento, the same term in “sense of life,” but translated here as “sentiment”). This sense lies at the core of one’s personality and is most clearly manifested in love.

Ortega begins by discussing the role of value judgments in general in the constitution of the personality:

The essential core of our individuality is not fashioned from our opinions and experiences; it is not founded upon our temperament, but rather upon something more subtle, more ethereal and independent of these. We are, more than anything else, an innate system of preferences and distastes. Each of us bears within himself his own system, which to a greater or lesser degree is like that of the next fellow, and is always rigged and ready, like a battery of likes and dislikes, to set us in motion pro or contra something. The heart, an acceptance and rejection machine, is the foundation of our personality. (On Love, 79)

The only difference between Ortega and Rand is Ortega’s reference to “innate” preferences—a notion which Rand at first embraced and later rejected.

Because of the human penchant for deceiving both self and others, our deepest preferences are revealed more reliably by our deeds than by our words, and the most revealing deed of all is falling in love:

There are situations, moments in life, in which, unawares, the human being confesses great portions of his ultimate personality, of his true nature. One of these situations is love. In their choice of lovers both the male and the female reveal their essential nature. The type of human being which we prefer reveals the contours of our heart. Love is an impulse which springs from the most profound depths of our beings, and upon reaching the visible surface of life carries with it an alluvium of shells and seaweed from the inner abyss. (On Love, 82)

Ortega then connects love to our deepest values, which he calls our “metaphysical sense”:

The need for love is one of the most inward [psychological themes]. Probably, there is only one other theme more inward that love: that which may be called “metaphysical sentiment,” or the essential, ultimate, and basic impression which we have of the universe. This acts as the foundation and support for our other activities, whatever they may be. No one lives without it, although its degree of clarity varies from person to person. It encompasses our primary, decisive attitude toward all of reality, the pleasure which the world and life hold for us. Our other feelings, thoughts, and desires are activated by this primary attitude and are sustained and colored by it. Of necessity, the complexion of our love affairs is one of the most telling symptoms of this primogenital sensation. By observing our neighbor in love, we are able to deduce his vision or goal in life. (On Love, 86–87)

The substantive and terminological parallels between Rand’s and Ortega’s discussions of art, love, and sense of life are striking. Both use the phrase “sense of life.” Both define it as a tacit, pre-conceptual world view, a “metaphysics.” Both give it special prominence in their analyses of art and love. Of course intellectual parallels are not necessarily products of influence. After all, parallel lines do not meet. In this case, however, we know that Rand did “meet” Ortega once, when she read The Revolt of the Masses, and this encounter helped her formulate crucial ideas in The Fountainhead and Atlas Shrugged. This greatly increases the likelihood that Ortega was a formative influence on Rand’s conception of sense of life as well.

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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vendredi, 19 juin 2015

Die Idee der Souveränität wieder mit Leben füllen

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Die Idee der Souveränität wieder mit Leben füllen

Eine multipolare Welt braucht Regeln für ein friedliches Zusammenleben

von Karl Müller

Ex: http://www.zeit-fragen.ch

Die Tatsache, dass das Zeitalter der «einzigen Weltmacht» vorüber ist, ist nicht mehr von der Hand zu weisen. Es ist nicht mehr zu übersehen, dass die Welt «multipolar» geworden ist, es also keine Hegemonialmacht mehr mit Zugriff auf die ganze Welt gibt. China, Russland, die Staatenwelt Lateinamerikas, Asiens und auch Afrikas folgen nicht mehr den Vorgaben aus Washington. Selbst in Europa mehren sich Stimmen, die mehr Eigenständigkeit fordern.


Augenfällig zeigt dies ein vor kurzem erschienenes und sehr lesenswertes Buch des langjährigen Chefredakteurs der Parteizeitung der bayrischen CSU und engen Vertrauten des ehemaligen Parteivorsitzenden Franz Josef Strauss, Wilfried Scharnagl. Scharnagl hatte schon mit seinem 2012 erschienenen Buch «Bayern kann es auch allein. Plädoyer für den eigenen Staat» viel Aufmerksamkeit gefunden. Sein neues Buch hat den Titel «Am Abgrund. Streitschrift für einen anderen Umgang mit Russland». Dieses Buch zeichnet sich nicht nur durch eine nachdenkenswerte und um Verstehen bemühte Betrachtung der Politik Russlands, sondern auch durch eine solide Kritik insbesondere an der Politik der USA und an einem blinden Gehorsam der EU- und der deutschen Politik gegenüber den Direktiven aus Washington aus.


Indes hat der Übergang zu einer multipolaren Welt unsere Welt noch nicht sicherer und friedlicher gemacht. Dies zeigt – für uns Europäer räumlich am nächsten gelegen – die Situation in der Ukraine und nun auch in Mazedonien. Für beide Länder ist der Ausgang der Entwicklung derzeit offen. Nicht offen ist hingegen, dass die Auseinandersetzungen eine Heftigkeit haben, die nie wieder gutzumachende menschliche Opfer fordert. Die Toten in der Ukraine und in Mazedonien können nicht wieder zum Leben erweckt werden. Nur Scharlatane und Hasardeure sehen darin Kollateralschäden eines weltgeschichtlichen Wandels.


Dass die mazedonische Regierung nun doch vorgezogenen Neuwahlen zugestimmt und das Einverständnis mit einer Trassenführung für die russisch-türkische Gaspipeline «Turkish Stream» doch auf Eis gelegt und von einem Vertrag zwischen der EU und Russland abhängig gemacht hat, kann man verschieden bewerten. Sicher aber ist, dass die Entwicklungen im Fluss sind und auch für Mazedonien keiner mit Gewissheit sagen kann, was morgen sein wird.


Es gibt «Menschenrechts»-Aktivisten, die die Situation in Mazedonien in den dunkelsten Farben malen. Ein Beispiel ist ein Beitrag von Xhabir Deralla im Osteuropamagazin Ostpol vom 20. Mai. Solche Stimmen sekundieren eine EU, welche die Oberaufsicht über Mazedonien beansprucht – obwohl Mazedonien noch gar kein EU-Mitglied ist. Bezeichnend ist, dass der die Verhandlungen mit Regierung und Opposition in Mazedonien führende EU-Kommissar Johannes Hahn nun, nach dem Einknicken der mazedonischen Regierung, von einer weiter bestehenden «euroatlantischen Perspektive» («Neue Zürcher Zeitung» vom 3. Juni) für das Land sprach. So deutet sich an, in welchen Denkschablonen (Wir = EU + USA) in Brüssel noch gedacht wird.


Hinzu kommt der wohl massive direkte Einfluss der USA auf die Geschehnisse in Mazedonien wie auf dem gesamten europäischen Balkan. Man lese dazu die am 4. Juni veröffentlichte und sehr aufschlussreiche Analyse «Mazedonien im Visier» (https://buergerstimme.com/Design2/2015/06/mazedonien-im-visier/). Hier sei nur ein Zitat wiedergegeben, das bezeichnend ist: «Einen riesigen Platz auf dem Hügel, der die Stadt beherrscht, hat die US-Botschaft für sich genommen. Neben den sichtbaren Objekten von beeindruckender Grösse erstreckt sich die Botschaft noch acht Stockwerke unter der Erde, die von den Amerikanern gebaut wurden. Die Bewohner von Skopje lästern, dass das bescheidene zweistöckige Gebäude der Botschaft der Russischen Föderation, das zwischen einem Wohnhaus und einem Hotel in einer Seitenstrasse liegt, eher an ein Paddelboot gegenüber dem amerikanischen Flugzeugträger von Botschaft erinnert.»


Andererseits ist bei «Sputniknews», der russischen Nachrichtenagentur, am 3. Juni zu lesen: «Turkish Stream: Europäer buhlen um Pipeline-Anschluss.» Wenn es stimmt, was hier berichtet wird, kann die russische Regierung in aller Ruhe die Entwicklung abwarten. Es gibt verschiedene Alternativen zu einer Trassenführung durch Mazedonien. Nach wie vor begehren viele europäische Staaten das russische Gas.
Wie der anhaltende Konflikt in der gegenwärtigen multipolaren Welt weitergehen wird, ist offen. Darauf zu warten, dass sich der Stärkere durchsetzt oder die Probleme schon von alleine lösen, kann keine Perspektive sein. Im Gegenteil, ganz dringend braucht es Überlegungen, wie von allen Seiten akzeptierte Regeln gefunden, formuliert und festgeschrieben werden, die auch in dieser Welt ein friedliches Zusammenleben ermöglichen und garantieren.


Schon während des Zweiten Weltkriegs und dann vor allem in den Wochen nach dem Ende des Krieges in Europa waren viele Verantwortliche in der Welt – nach dem gescheiterten Völkerbund – zum zweiten Mal darum bemüht, eine Grundlage dafür zu schaffen, dass die Welt auch unter den Bedingungen der Multipolarität eine friedliche bleibt beziehungsweise wird und dass ein Schrecken wie der des Weltkriegs künftig vermieden wird. Die führenden Köpfe der Welt gingen damals nicht von einer diktatorisch herrschenden Weltregierung mit Allmacht aus, sondern von souveränen Nationen, die sich über die Grundlagen der kommenden Weltordnung – bei allem Respekt vor unterschiedlichen ­politischen Systemen und Gesellschaftsordnungen – einig sind. Dieses Prinzip bringt – bei allem Tribut an die Herrschaftswünsche der Siegermächte des Krieges – die Charta der Vereinten Nationen vom 26. Juni 1945 zum Ausdruck.


Was hatte die Welt aus beiden Weltkriegen gelernt? Es war das Selbstbestimmungsrecht der Völker, es war die Souveränität der Bürger und der Staaten, die während der Kriege mit Füssen getreten worden waren. Dies sollte nie mehr geschehen. Als unverzichtbarer Wesenszug einer friedlichen und gerechten Weltordnung galt deshalb die Anerkennung des Selbstbestimmungsrechts der Völker und der staatlichen Souveränität und Integrität. Das sollten die Wesensbestandteile des modernen Völkerrechts sein.
Aber auch 45 Jahre später, nach dem Ende des Ost-West-Konfliktes wurden diese Prinzipien nicht mit vollem Leben gefüllt, so wie es möglich gewesen wäre und wofür es, zum Beispiel mit der Charta von Paris, auch vielversprechende Ansätze gab. Statt dessen sah sich der Westen als Sieger des Kalten Krieges, sprach von einem «Ende der Geschichte» und meinte damit seine dauerhafte und alles Recht ignorierende Alleinherrschaft. In der Folge wurde vom westlichen Bündnis (USA + Nato + EU) das Völkerrecht immer wieder gebrochen.


Aber auch mit dem Übergang zur multipolaren Welt im 21. Jahrhundert gibt es bislang keinen sicheren und allseits akzeptierten Garanten des Völkerrechts, des Selbstbestimmungsrechts und der Souveränität.


Die Ukraine und Mazedonien zeigen zudem, dass korrupte Regierungen besonders anfällig für «farbige Revolutionen» sind. Die Strategen im Hintergrund können an berechtigte Kritik der Bürger anknüpfen und diese in ihre Bahnen lenken. Dies ist kein Grund, auf andere mit dem Finger zu zeigen. Im Gegenteil: Welche derzeitige Regierung kann von sich behaupten, keine «Leichen im Keller» zu haben? Um so mehr braucht es den souveränen Bürger, der in seinem Umfeld und seinem Gemeinwesen für Ordnung sorgt, bevor ihm eine «neue Ordnung» aufgezwungen wird, die den Interessen anderer dient. Wenn das Selbstbestimmungsrecht der Völker unverzichtbar zur staatlichen Souveränität gehört, dann braucht es vor allem den souveränen Bürger, der sich als Ausgangspunkt und Träger der Souveränität seines Gemeinwesens, seines Staates, seiner Nation sieht und verhält.


Aber auch die Regierungen der Staatengemeinschaft dürfen nicht länger dabei zuschauen, wie Grossmächte um Macht und Einfluss ringen und dabei Schäden hervorrufen, die jetzt schon immens sind. Alle Regierungen der Welt müssen dazu aufrufen und sich dafür einsetzen, dass wir zum Völkerrecht zurückkehren und die neue multipolare Welt eine Friedensordnung der Freiheit und der Souveränität erhält.    •

«Darüber hinaus geht es – Stichwort Weltordnung – um einen neuen Geist und einen neuen tragenden Rahmen zwischen Ost und West. Der Streit um Militärbündnisse hätte bei der historischen Wende vor einem Vierteljahrhundert beendet werden können. Das wurde versäumt. Jetzt muss, wenn auch mit überflüssiger Verspätung, endlich eine neue Friedensordnung in einer neuen Welt geschaffen werden. Der Abgrund einer Kriegsgefahr darf sich, wie jetzt im Streit um die Ukraine, nie wieder auftun. Eu­ropa und Amerika auf der einen und Russland auf der anderen Seite müssen ein Fundament für einen dauerhaften Interessenausgleich und ein vertrauensvolles Miteinander finden.»

Wilfried Scharnagl

mardi, 16 juin 2015

Un juste éloge du populisme

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Un juste éloge du populisme

Pierre Le Vigan
lEx: http://metamag.fr

popu2.jpgTrois ans après la parution de L’éloge du populisme par Vincent Coussedière, ce que les médias appellent le « danger » du populisme, ou la « marée noire » du populisme n’a cessé de prendre de l’ampleur. Occasion de revenir sur ce thème. Le populisme est souvent défini comme la démagogie dans la démocratie. C’est à peu de choses près la définition de Pierre-André Taguieff. Et s’il était autre chose ? Et si c’était l’irruption du peuple dans la politique, quand le peuple juge que ses dirigeants ne sont pas à la hauteur ? C’est l’hypothèse défendue par le philosophe Vincent Coussedière. Comme auparavant Chantal Delsol (Populisme. Les demeurés de l’histoire),mais en apportant un éclairage neuf, Vincent Coussedière réhabilite le populisme. Le réduire à de la démagogie est ne pas voir son essence. Le populisme est une protestation qui apparaît quand les hommes politiques ne font plus de politique. C’est pourquoi on ne peut donner au populisme un contenu précis : le populisme n’est pas inévitablement xénophobe, il n’est ni ultra-libéral, même s’il comprend les difficultés du petit patronat, ni socialiste, même si ses électeurs sont souvent ouvriers ou modestes salariés. Le populisme vote aujourd’hui souvent Front national, ou ne vote pas, mais il pourrait voter autre chose si tel parti qui a ses préférences s’avérait aussi politicien et surtout aussi impuissant que les autres à résoudre les problèmes du pays. 


Le populisme est avant tout une protestation contre le mépris du peuple par les élites, une réaction de défense contre ce qui est vécu comme une agression. Le gauchisme sociétal et l’européisme ont en effet convergé et fusionné. Le Monde et Libération représentent le fruit intellectuel de leur unification. Il est désormais de bon ton de se méfier du peuple. Les modes de scrutin sont modifiés en fonction de nécessités tactiques à court terme (modifications qui peuvent s’avérer à double tranchant). Méprisé par les élites, dont le bilan n’est pourtant pas fameux depuis plus de trente ans, le peuple se sent dépossédé de sa liberté de choisir son avenir. 


Le populisme « correspond à ce moment de la vie des démocraties, où le peuple se met à contrecoeur à faire de la politique, parce qu’il désespère de l’attitude des gouvernants qui n’en font plus ». C’est pourquoi l’idée que le populisme est une protestation contre les « dérives monarchiques » du pouvoir ou contre des gouvernants pas assez « proches des gens » est un contresens complet. Le peuple aimerait bien que nos gouvernants soient vraiment « monarques », au sens de souverains de la nation France. Il constate qu’ils ne maîtrisent rien, et c’est cela qu’il ne supporte plus : l’impuissance des prétendus puissants. Alors, le peuple réagit. Le populisme du peuple est un bricolage habile et vernaculaire. Il n’est pas une aspiration identitaire, car le peuple connait sa propre diversité. Il ne peut être réduit à une aspiration à plus de démocratie directe. En effet, le peuple ne conteste pas la nécessité qu’existent des gens qui le représentent. Le peuple ne veut pas tout faire par lui-même. Il admet la délégation. Il veut, par contre, que ceux dont le métier est de diriger les affaires le fassent, et le fassent bien. Il ne veut pas des gens qui se défaussent de leur responsabilité. Il ne veut pas non plus d’une démocratie réduite à une « concertation », et de surcroît la plupart du temps sur des sujets volontairement mineurs. Il aurait sans doute aimé, par contre, qu’on lui demande son avis sur la politique d’immigration et de regroupement familial. Il veut des gens qui assument leurs choix politiques et qui n’attendent pas pour se prononcer sur tel sujet d’être « en situation » (sic). L’essence du politique peut se trouver à la fois dans le peuple et dans un grand homme. Depuis le retrait du général de Gaulle cette essence ne se trouve plus, en France, que dans le peuple. Tout le climat intellectuel actuel, et tout le travail des communicants, consiste à rendre impossible toute émergence d’un véritable homme d’Etat. La déception causée par Sarkozy de 2007 à 2012 est toute l’histoire de cet échec du retour au politique. 


Dès lors, le populisme – celui du peuple lui-même –est à la fois inévitable et sain. « Le populisme est l’entrée en résistance d’un peuple contre ses élites, parce qu’il a compris que celles-ci le mènent à l’abîme ». 

Vincent Coussedière, Éloge du populisme, Voies nouvelles, Elya éditions, 162 pages, 16 €.

Laurent Davezies, Le nouvel égoïsme territorial,

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Chronique de livre :

Laurent Davezies, Le nouvel égoïsme territorial, Seuil, 2015

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

livD059559779.jpgLaurent Davezies est économiste. Il est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers. D'après le site internet du CNAM, il est le responsable pédagogique pour les enseignements sur le Territoire. Son équipe « a pour vocation de former des professionnels "généralistes" de la ville, de l'urbanisme et de l'environnement ». Il est également expert auprès de différentes institutions, organisations et collectivités (DATAR, INSEE, OCDE, …). Il publie en mars 2015 un essai d'une centaine de pages intitulé Le nouvel égoïsme territorial et sous titré Le grand malaise des nations. Ce livre est à la croisé des chemins entre la géographie, la science politique et l'économie, en particulier en ce qui concerne la fiscalité.

La thèse centrale de l'ouvrage colle avec l'actualité à l'heure où les élus indépendantistes écossais se sont arrogés la majorité des sièges aux dernières élections. En effet Laurent Davezies constate que le régionalisme est un courant d'idée qui prend de l'importance au XXIeme siècle et combine revendications identitaires et revendications économiques, souvent fiscales, mettant en péril la solidarité interne des nations et donc leur cohésion et le développement global du pays. Le « nouvel égoïsme » est cette attitude des régions riches qui consiste à refuser de « payer pour les autres », c'est à dire les régions plus pauvres. Ainsi l'Ecosse grâce au pétrole, la Flandre qui s'ouvre sur la mer du Nord, ou la Catalogne autour de la métropole de Barcelone sont des exemples de régions historiques qui cherchent à faire sécession au moins autant pour des raisons « identitaires » que pour des raisons économiques. Mais d'autres facteurs peuvent également entrer en ligne de compte et Laurent Davezies brosse un tableau des différentes revendications régionalistes à travers le monde. Il y cite entre autre le cas épineux du Kosovo qu'il voit comme un précédent négatif. Quoi qu'il en soit, pour l'auteur, les conséquences de « cet égoïsme » peuvent être désastreuses car les mécaniques de solidarité entre les territoires, garanties au sein des Etats-nations, disparaissent au profit de logiques concurrentielles qui ne vont profiter qu'à une minorité de petits Etats. Dans le même temps, les territoires sinistrés réclament « plus d'Etat », ce qui signifie que les logiques qui conduisent au vote populiste et celles qui conduisent au vote régionaliste sont liées mais totalement opposées. Grossièrement on pourrait dire qu'un Français du Nord-Pas-de-Calais va voter FN car il se sent abandonné et déclassé alors qu'un Flamand de l'autre côté de la frontière va voter N-VA pour conserver ses richesses.

En effet, l'un des paradoxes de la mondialisation, c'est que bien loin de « diluer » l'espace géographique comme on a tendance à le penser trop souvent, elle a au contraire tendance à renforcer la territorialité et la polarité de certains territoires. Ainsi il y a les territoires « gagnants » qui veulent conserver leurs richesses pour eux et les territoires perdants qui se paupérisent. Ce paradoxe en rejoint un autre, le régionalisme porté dans la deuxième moitié du XXeme siècle en grande partie par des mouvements de sensibilité « sociale-démocrate » ou même communiste pourraient voir leur rêve se réaliser grâce à la mondialisation libérale. Ainsi en Ecosse, il y a quelques semaines (et après la sortie de l'ouvrage), les travaillistes ont été balayés par les indépendantistes. Tout un symbole. Le parti porteur du projet keynésien bâti autour de logiques redistributives a cédé face aux indépendantistes prônant par exemple l'autonomie fiscale. A travers le monde, ce sont de « petits Etats » qui sont également gagnants à côté des puissances continentales, comme la cité-Etat de Singapour ou un grand nombre de paradis fiscaux. Ainsi l'auteur est extrêmement méfiant sur tous les discours prônant le « petit », le local et parle de « nouvelle idéologie du local ». Il constate à la suite d'Emile Durkheim que les solidarités mécaniques locales des sociétés traditionnelles ont laissé place avec la modernité à des « solidarités organiques » en raison de la prolifération des rôles ou encore de la division du travail. Cette « nouvelle idéologie du local » serait un retour à des solidarités mécaniques, non pas sur le plan économique, du fait de la mondialisation, mais sur le plan du peuplement. Page 24 l'auteur écrit que « Cette nouvelle idéologie du local [...] inclut aussi ceux qui détestent la mondialisation dans un contexte de peur pour l'avenir écologique de la planète, et qui portent les idées de « décroissance », de « circuits courts » et de repli territorial. » Un exemple m'est venu à l'esprit à la lecture de l'ouvrage et illustre que le local ne peut pas être la seule planche de salut. L'attribution des permis de construire par de nombreuses municipalités s'est parfois fait au détriment du bon sens et pour ne servir que des intérêts particuliers et locaux (augmentation du nombre de contributeurs aux impôts locaux, activité pour les PME locales, ...). Laurent Davezies poursuit en citant les travaux d'Elinor Ostrom, prix nobel d'économie, sur la notion de « bien commun », c'est à dire des biens « qui ne peuvent être gérés ni par les politiques publiques, ni par le marché, mais par les « gens » eux-mêmes, organisés collectivement. » Il conclue son développement page 25 par ces quelques phrases à méditer : « Pourtant, cette approche, par une troisième voie, entre politique publique et marché, fournit un secours intellectuel et une caution prestigieuse aux idéologies anti-Etats et anti-mondialisation (des libertariens de l'extrême droite aux marxistes en quête de réactualisation idéologique, en passant par les écologistes). Le marxisme étant largement remisé, l'idée des « biens communs » offre un nouveau véhicule aux penseurs radicaux. »

D'autres éléments de l'ouvrage sont intéressants comme le fonctionnement de l'Union Européenne dont les mécanismes de solidarité paraissent, au-delà des discours, totalement absents. Ainsi c'est à l'échelle d'une nation que s'exerce la solidarité inter-territoriale et non à l'échelle européenne. Les régions riches d'un pays prennent en charge les régions pauvres du dit pays ce qui crée déséquilibres et mécontentements. Chiffres à l'appui, l'auteur montre qu'en Allemagne, la région « pauvre » de Chemnitz est plus riche que la région « riche » de Lisbonne au Portugal. De fait le coût qui pèse sur la région de Lisbonne est très important, car sa richesse – relative – doit permettre dans le même temps un « rééquilibrage » avec d'autres régions portugaises, alors que Chemnitz bénéficie de la richesse de nombreuses régions Allemande, comme celle d'Hambourg, qui n'intervient de son côté dans aucune redistribution à l'égard d'autres régions européennes. Cela démontre l'absence d'harmonisation fiscale et de politique fiscale européenne et c'est en partie cette différence qui permet aux-uns et aux autres de se faire concurrence, sur le même continent et avec la même monnaie. Pour l'auteur, à la suite d'une démonstration de plusieurs pages dans la dernière partie de l'essai, si on est attaché à la solidarité, il y a plus d'avantages à plébisciter le « grand » par rapport au « petit » ce qui entre en contradiction par exemple avec la pensée proudhonienne. En effet pour lui les grands défis du siècle ne peuvent se réaliser qu'à l'échelle nationale, continentale ou mondiale. Une mosaïque de petits états aurait par exemple selon lui des effets désastreux dans la signature des différents traités que ce soit pour la question de l'armement ou du réchauffement climatique. La réussite et les progrès de quelques-uns se ferait au détriments de tous les autres.

Un point très important de l'ouvrage, qui est développé à la fin de celui-ci, concerne la décentralisation. Laurent Davezies pointe du doigt le fait qu'il n'existe pas vraiment de « théorie de la décentralisation ». L'idée qui sous tend la décentralisation est le fait de pouvoir traiter un domaine à l'échelle qui lui correspond le mieux. La décentralisation est consubstantielle de la subsidiarité mais elle a comme particularité, d'une certaine façon et comme l'avait noté Jacques Ellul, d'être une diffusion de l'administration à toutes les échelles du territoire national. Après une présentation du thème, une sous-partie intitulée « Allocation, stabilisation, redistribution » page 93 permet de clarifier la fonction des budgets publics à la suite de Richard et Peggy Musgrave : « La première vise à utiliser, de la façon la plus efficace, un argent public rare. La deuxième vise à utiliser le budget comme instrument de politique macroéconomique conjoncturelle. La troisième s'efforce d'opérer les redistributions entre personnes, ménages ou territoires pour servir l'objectif de justice de la société considérée ». Ces diverses fonctions sont pertinentes à des échelles différentes. Le principe allocatif au local et le principe stabilisateur et redistributif à l'échelle la plus élevée. Sur ce dernier point cela a pour effet de limiter l'évitement de l'impôt et de rendre plus efficace et plus équitable la redistribution. L'auteur poursuit en expliquant « que toute fiscalité territoriale (locale et, dans une moindre mesure, régionale) assise sur le revenu ou le patrimoine contribue mécaniquement à la spécialisation sociale des territoires […]. Comme le dise beaucoup d'économistes qui prennent le risque de défendre la poll tax mort-née de Mme Thatcher, il n'y a pas de bons impôts locaux. » Sans rentrer dans les détails et la suite de l'argumentation, il est vrai que la question de la fiscalité des territoires est un enjeu majeur à l'heure où les communes doivent par exemple faire face à de lourdes dépenses et où mécaniquement les impôts locaux ne cessent d'augmenter. Il est un fait indéniable que la décentralisation a conduit à une augmentation de la fiscalité et de la bureaucratie et n'a absolument pas atténué les inégalités territoriales qui ne font que s’accroître depuis le tournant des années 80 car elle coïncide également avec l'abandon progressif des politiques keynésiennes, le renforcement de l'intégration européenne, la mondialisation « néo-libérale », etc... . L'auteur conclue son ouvrage en proposant une « décentralisation démocratique ». Il s'agit entre autre d'un plaidoyer, pragmatique, pour la nation, considérée comme la seule échelle actuellement opérationnelle d'organisation territoriale et sociale. Il note que la logiques de « découpage » et « redécoupage » du territoire s'opposent à la nécessité de « renforcer les liens » et que la gestion des aides sociales par les départements est source d'inégalités.

Au final, malgré des désaccords de fond avec l'auteur sur le local ou la décroissance, il s'agit d'une lecture vivifiante qui amène à remettre en question ou à redéfinir certaines de nos conceptions. L'analyse conduite avec une rigueur certaine s'appuie également sur des graphiques et aura le mérite d'approfondir notre approche de la question territoriale qui est au cœur des enjeux actuel.

Jean / C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

Le néo-colonialisme intellectuel de la gauche européenne

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Le néo-colonialisme intellectuel de la gauche européenne

Emir SADER
Ex: http://www.legrandsoir.info

La gauche européenne a toujours eu de grandes difficultés à comprendre le nationalisme et le libéralisme dans des régions comme l’Amérique Latine. Elle développe des attitudes encore mues par le paternalisme de l’eurocentrisme et se tourne vers l’Amérique Latine non pour apprendre mais avec une posture de professeurs, comme s’ils étaient porteurs de l’ensemble de la connaissance et des expériences victorieuses, à partir desquelles ils donneraient un cours magistral sur nos processus.

La gauche européenne a été essentiellement socialiste – ou social-démocrate – et communiste. Elle avait comme composantes essentielles les syndicats et les partis politiques – avec une représentation parlementaire, participant aux des élections, alliés entre eux. Et des groupes plus radicaux, en général trotskistes qui faisaient partie du même scénario politique et idéologique. Une de ses composantes – qui allait devenir problématique – à savoir le nationalisme, fut classé comme une idéologie de droite à cause de son caractère chauviniste en Europe. La responsabilité attribuée aux nationalismes dans les deux guerres mondiales a renforcé cette classification.

Sur d’autres continents, particulièrement en Amérique Latine, cette classification apparaissait comme schématique, mécanique. L’inadéquation est devenue de plus en plus claire alors que surgissaient des forces et des leaderships nationalistes.

En Europe, l’idéologie de la bourgeoisie montante fut le libéralisme, par opposition aux blocages féodaux à la libre circulation du capital et de la main-d’œuvre. Le nationalisme s’est situé à droite du spectre politique et idéologique, exaltant les valeurs nationales de chaque pays en opposition à celles des autres pays et, plus récemment, en s’opposant à l’unification européenne, parce qu’elle affaiblit les États nationaux.

A la périphérie du capitalisme, le nationalisme et le libéralisme ont des traits distincts, et même opposés à ceux qu’ils ont en Europe. Le libéralisme a été l’idéologie des secteurs primaires exportateurs, qui vivaient du libre-échange, exprimant les intérêts de l’oligarchie traditionnelle, de l’ensemble de la droite. Par contre et à la différence de l’Europe, le nationalisme a toujours eu une composante anti-impérialiste.

La gauche européenne a toujours eu de grandes difficultés à comprendre le nationalisme et le libéralisme dans des régions comme l’Amérique Latine. Exemple d’une des erreurs provenant de la vision eurocentrique : des leaders comme Perón et Vargas ont parfois été comparés par les partis communistes d’Amérique Latine avec des dirigeants fascistes européens – comme Hitler et Mussolini – de par leurs composantes nationaliste et antilibérale. En même temps, des forces libérales latinoaméricaines ont été acceptées par l’Internationale socialiste parce qu’elles défendraient les systèmes politiques « démocratiques » (en réalité, libéraux) contre « les dictatures » dans lesquelles des leaders nationalistes joueraient le rôle principal avec leur charisme et leur idéologie supposée « populiste » et autoritaire.

Des processus comme les révolutions mexicaines, cubaine, sandiniste, et des leaderships nationalistes comme ceux mentionnés, ont été difficiles à digérer par la gauche traditionnelle compte tenu de son héritage colonial, eurocentrique. La même chose se passe, d’une certaine façon, avec la gauche latinoaméricaine du XXIème siècle, dont la gauche traditionnelle européenne éprouve des difficultés à comprendre le caractère et les luttes. Ces mêmes limites affectent les intellectuels d’une gauche européenne qui reste eurocentrique dans sa vision de l’Amérique Latine.

D’une part, il y a les intellectuels de la social-démocratie qui, en évoluant vers le social-libéralisme puis le néo-libéralisme, ont perdu toute possibilité de comprendre l’Amérique Latine et la gauche post-néolibérale de notre région.

Mais il y a aussi les intellectuels francs-tireurs ou liés à des courants de l’ultra gauche européenne qui lancent leurs analyses critiques sur les gouvernements progressistes latinoaméricains avec une grande désinvolture, expliquant ce que ces gouvernements ont fait de faux, ce qu’ils devraient faire, ce qu’ils ne devraient pas faire, etc. Ils parlent comme si leurs thèses avaient été confirmées, sans pouvoir présenter aucun exemple concret de ce que leurs idées ont produit et démontré, qui s’adapterait mieux à la réalité que les chemins que ces gouvernements suivent.

Ils se préoccupent des tendances « caudillistes », « populistes », des leaders latinoaméricains, jugent ces processus à partir de ce qu’ils estiment que devraient être les intérêts de tel ou tel mouvement social, ou de l’une ou l’autre thématique. Ils ont des problèmes pour comprendre le caractère nationaliste, anti-impérialiste, populaire, des gouvernements post néolibéraux, leurs processus concrets de construction d’une hégémonie alternative dans un monde encore très conservateur. Ils survolent les réalités comme des oiseaux, saluant quelque chose pour ensuite le critiquer, sans s’identifier profondément à l’ensemble de ces mouvements qui forment la gauche du XXIème siècle. Le temps passe et ces visions eurocentriques ne débouchent sur aucune construction concrète, parce qu’ils sont impuissants à capter les trames contradictoires de la réalité et à partir de cela, proposer les alternatives qui peuvent être portées par les peuples.

Ils se comportent comme s’ils étaient les « consciences critiques de la gauche latinoaméricaine » et comme si nous avions besoin d’elles, comme si nous n’avions pas conscience des raisons de nos avancées, des obstacles que nous avons devant nous et des difficultés pour les dépasser. Non seulement ils ne peuvent présenter les résultats de leurs analyses dans leurs propres pays – qui peuvent être la France, le Portugal, l’Angleterre ou d’autres pays –, là où l’on suppose que leurs idées devraient avoir des résultats, mais ils ne réussissent pas non plus à expliquer – ni même à aborder – les raisons pour lesquelles, dans leur propres pays, la situation de la gauche est incomparablement pire que dans les pays latinoaméricains qu’ils critiquent.

Ce sont des attitudes encore mues par le paternalisme de l’eurocentrisme et qui se tournent vers l’Amérique Latine non pour apprendre mais avec une posture de professeurs, comme s’ils étaient porteurs de l’ensemble de la connaissance et des expériences victorieuses, à partir desquelles ils donneraient un cours magistral sur nos processus. Ils représentent, en fait, malgré les apparences, les formes de la vieille gauche, qui n’a pas fait l’autocritique de ses erreurs, échecs et reculs. Qui ne sont pas disposées à apprendre des nouvelles expériences latinoaméricaines.

L’aura universitaire ne réussit pas à cacher les difficultés qu’ils ont pour s’engager dans des processus concrets et, à partir de ceux-ci, pour partager la construction des alternatives.

Les analyses qui ne débouchent pas sur des propositions concrètes de transformation de la réalité, présentent de moins en moins d’intérêt. Les postures critiques restent sur le plan de théories qui ne se projettent pas dans le champ du réel, sans aucune capacité à s’approprier la réalité concrète, moins encore de la transformer. Pour reprendre le vieil adage marxiste toujours actuel : leurs idées ne se transforment jamais en force matérielle parce qu’elles ne pénètrent jamais dans les masses.

Emir Sader

Emir Sader est philosophe, professeur de sociologie à l’Université de São Paulo (Usp) et de l’Université de l’Etat de Rio de Janeiro (Uerj) où il dirige le Laboratoire des Politiques Publiques.

EN COMPLEMENT:

« Que ce soit bien clair : nous avons commis des erreurs, évidemment. Et nous en commettrons d’autres. Mais je peux te dire une chose : jamais nous n’abandonnerons le combat pour un monde meilleur, jamais nous ne baisserons la garde devant l’Empire, jamais nous ne sacrifierons le peuple au profit d’une minorité. Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait non seulement pour nous, mais aussi pour l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie, les générations futures. Nous avons fait tout ce que nous avons pu, et parfois plus, sans rien demander en échange. Rien. Jamais. Alors tu peux dire à tes amis "de gauche" en Europe que leurs critiques ne nous concernent pas, ne nous touchent pas, ne nous impressionnent pas. Nous, nous avons fait une révolution. C’est quoi leur légitimité à ces gens-là, tu peux me le dire ? Qu’ils fassent une révolution chez eux pour commencer. Oh, pas forcément une grande, tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Disons une petite, juste assez pour pouvoir prétendre qu’ils savent de quoi ils parlent. Et là, lorsque l’ennemi se déchaînera, lorsque le toit leur tombera sur la tête, ils viendront me voir. Je les attendrai avec une bouteille de rhum. »

Ibrahim
Cuba, un soir lors d’une conversation inoubliable.

»» http://www.pambazuka.net/fr/category.php/comment/94393
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vendredi, 12 juin 2015

Eurasia y Europa: diálogo de “Grandes Espacios”

por Natella Speranskaja

Ex: http://paginatransversal.wordpress.com

natella-speranskaya.jpgCarl Schmitt consideraba la tierra como un todo único y buscaba su misión global. Este “todo” fue recogido por Schmitt en el concepto de Nomos. Schmitt usó la palabra griega derivada del verbo «nemein», que es idéntico al alemán “nehmen”, “tomar”. El Nomos comprende tres actos del drama: la “toma”, “la división y distribución de lo tomado”, “la explotación y el uso de lo tomado y distribuido”. Según Schmitt, el Nomos de la Tierra existió siempre. El Primer Nomos es descrito como la “tierra prometida” de los pueblos antiguos. Es el Nomos de la antigüedad y la Edad Media. Dejó de existir después de la exploración de los grandes océanos y el continente americano. Así comenzó el Segundo Nomos, el Nomos de los estados nacionales soberanos que tenían estructura eurocéntrica. Los acontecimientos de la Segunda Guerra Mundial condujeron a su destrucción, por lo que la tierra fue dividida en este y oeste, ambos en un estado de “guerra fría”. No se trata de meros opuestos geográficos, sino de contraposiciones más originales y profundas. Carl Schmitt escribió: “Toda la historia de la confrontación planetaria de Oriente y Occidente en su totalidad es reducible al dualismo fundamental de los elementos: la tierra y el agua, la tierra y el mar. Lo que ahora llamamos el Oriente, es una sola masa de sólida tierra: Rusia, China y la India – un enorme pedazo de tierra, la “Tierra Media” [“Middle Earth”], como es llamada por el gran geógrafo inglés Sir Halford Mackinder. Lo que hoy llamamos Occidente, es uno de los océanos mundiales, un hemisferio donde se sitúan los océanos Atlántico y Pacífico. La confrontación de las potencias, de los mundos marítimo y terrestre, es la verdad global que está en el corazón de la explicación del dualismo de civilizaciones que genera constantemente una tensión planetaria y estimula todo el proceso de la historia”. Por lo tanto, el nacimiento de un tercer Nomos fue causado por la división del mundo entre el Oeste y el Este. Sin embargo, fue destruido con la caída del muro de Berlín y el colapso de la Unión Soviética.

La interpretación de Schmitt de “tres Nomos de la Tierra” nos lleva a la pregunta: ¿cuál será el cuarto Nomos de la Tierra? Alexander Dugin, el fundador de la teoría de un mundo multipolar, el fundador de la escuela rusa de geopolítica, cree que el nuevo Nomos de la Tierra será un Nomos de lógica gran continental del continente euroasiático. Sin duda, la peor opción posible sería un Nomos unipolar, globalista. Cuál Nomos será el establecido depende de la decisión estratégica del Heartland, Rusia, la civilización de la tierra.

El politólogo italiano Tiberio Graziani piensa que Rusia “tiene todo lo necesario para cumplir con el papel histórico de piedra angular de todo el sistema mundial”, y se refiere a su ubicación en el corazón de Eurasia como uno de sus elementos más importantes. Es por eso que todas las decisiones estratégicas de los atlantistas implican la fragmentación del Heartland, considerando que este proceso proporcionará el acceso a un orden unipolar. Alexander Dugin dice: “Por eso, de si Rusia puede ser suficientemente debilitada, dividida y desestabilizada, y sus fragmentos sometidos a poderes externos, depende en gran medida el destino de la globalización”. Y más aún: “Para cualquier persona que se tome en serio la contra hegemonía estadounidense, la globalización y la dominación planetaria del Occidente (atlantismo), el axioma debe ser la siguiente declaración: el destino del orden mundial se decide por el momento solamente en Rusia, por Rusia y a través de Rusia”. Para describir el momento en el que vivimos ahora, el prominente sociólogo Zygmunt Bauman aplica el concepto de interregno – así se llamaba en la antigua Roma el período entre la muerte del César y la llegada del siquiente. Es un estado de inestabilidad, de incertidumbre, de imprevisibilidad, cuando la demolición del viejo orden es tan obvia como el surgimiento del nuevo. Pero lo que vaya a ser este nuevo orden (y, en consecuencia, el nuevo Nomos) no se sabe. En el contexto de los cambios del nuevo orden mundial, podemos hablar de un desplazamiento paradigmático desde el “momento unipolar” hacia la formación de un orden mundial multipolar. En otras palabras, el foco debería ponerse en el final de la era de la unipolaridad, porque existen todas las condiciones esenciales para la realización del proyecto alternativo. Según Huntington, el estado unipolar es capaz de “hacer frente eficazmente a todos los grandes problemas internacionales por sí solo, y ninguna de las uniones de otros estados puede, incluso hipotéticamente, ser capaz de detenerlo”. Es difícil negar que la potencia hegemónica representada por los Estados Unidos no tiene ahora un rival serio, ya sea una coalición de estados o, aunque parezca increíble, un solo estado que muestre un potencial tan fuerte que implique inevitablemente la rápida restauración del orden bipolar.

Según Zygmunt Bauman, hace unos 60-70 años ocurrió un hecho que contribuyó a un cambio fundamental en la política mundial: la brecha entre Macht [Fuerza] y Staat [Estado] – en otras palabras, entre la Fuerza y la Política, la Fuerza y el Estado (que son aspectos integrales del Poder) – condujo a la situación en la que Macht (la Fuerza) se trasladó al espacio supranacional. Por lo tanto, el Estado-nación ya no podía controlarla. En el paradigma unipolar concretamente los estados nacionales son los actores de las relaciones internacionales. Dicha brecha significa ni más ni menos un deslizamiento gradual hacia la no-polaridad. Es decir, según Richard Haass, director de Estudios de Política Exterior en el Instituto Brookings y jefe del CFR, esto será lo que determine las relaciones internacionales en el siglo XXI. Los estados-nación son casi privados de la posibilidad de la eficiencia “de hacer cosas” (como Bauman entiende Macht), surgiendo un estado de parálisis política. Antonio Gramsci trata el interregno como un período en el que lo viejo ya no funciona, y lo nuevo aún no ha aparecido.

Estamos “atrapados” entre la unipolaridad y la multipolaridad, y no tenemos ni idea de cuál debería ser la solución a esta situación. Por supuesto, surge la pregunta: ¿qué hacer? Y, sobre todo, a los propios estados-nación, que de iure retuvieron la capacidad de tomar decisiones. Pero Zygmunt Bauman sostiene con razón que, en las actuales circunstancias, la pregunta debería ser formulada de una manera diferente: ¿quién va a hacer lo que es necesario en lugar de lo que hay que hacer? ¿Qué actor asumirá la responsabilidad de las acciones que resuelvan los problemas fundamentales? Claro es que nosotros no lo consideramos como los estados-nación. En su lugar, nos dirigimos a la teoría desarrollada por Alexander Dugin, la Teoría del Mundo Multipolar.

En su libro con el mismo título, Dugin ofrece una imagen clara de lo que está sucediendo hoy en el campo de las relaciones internacionales: cuando el modelo bipolar del orden mundial cambió a uno unipolar, esto vino a significar el triunfo de la ideología liberal-democrática. Occidente ha modelado los valores y directrices de un sistema que se impone sobre el mundo como universal. Por lo tanto, Occidente llegó a la aplicación constante del control (la dictadura) de las esferas cognitivas y estratégicas. El campo de las relaciones internacionales se convirtió en la “Ciencia Norteamericana”, el contenido de las discusiones se redujo a la confrontación polémica entre realistas y liberales. El propio cuerpo diplomático se formó en el mundo unipolar y en el discurso occidental, en la mentalidad occidental, donde los actores políticos son los estados nacionales. Otro modelo de orden mundial, a saber, el modelo multipolar, implica una forma de organización de los espacios en base a varios actores, “civilizaciones”, como ha señalado acertadamente Samuel Huntington. Esto nos conduce a la formación de un nuevo cuerpo diplomático y un nuevo lenguaje diplomático basados en un orden mundial multipolar. Y los pensadores políticos más progresistas ya han llegado a alguna conclusión sobre la necesidad de cambiar el paradigma de las relaciones internacionales. Uno de ellos acaba de plantear la cuestión de qué será lo próximo, otros han encontrado la respuesta y aplican libremente los conceptos básicos del nuevo sistema. Es imposible no reconocer el hecho de que la gran mayoría de las figuras políticamente comprometidas permanecen bajo el viejo paradigma, sin percibir el cambio en curso que dará comienzo al nuevo período histórico, cambiando por completo el panorama de la política mundial. El mundo unipolar ya es el ayer. Aquí y ahora estamos discutiendo el cambio del paradigma unipolar a uno multipolar, poli-civilizacional.

La teoría del mundo multipolar sugiere establecer nuevos actores en las relaciones internacionales, que son las civilizaciones, y cada una de ellas, por definición, tiene un centro estratégico que sirve como sujeto de diálogo en las relaciones internacionales y, por lo tanto, como sujeto de poder. La transición de los estados nacionales a las civilizaciones es una consecuencia inevitable de la ruptura descrita por Zygmunt Bauman.

El profesor Adam Roberts, especialista en Relaciones Internacionales, señala la pérdida del papel de liderazgo de los Estados Unidos en el orden mundial actual. A la pregunta sobre quién ejercerá como sustituto, da una respuesta completamente obvia: nadie. Más precisamente, todavía no hemos entrado en el período de interregno, solamente nos hemos acercado, y todo lo que está sucediendo en la política global es la agonía del César moribundo (los EEUU).

La genuina aparición del interregno sucederá con la pérdida definitiva del papel de Estados Unidos como potencia hegemónica en el mundo y la cancelación del “momento unipolar”. Es aquí cuando aparece el peligro: en el período de interregno, y en la aplicación coherente de las etapas de formación de un orden mundial multipolar llegará “la geometría variable” de la no polaridad, y todo estará en el crisol de la globalización; estamos inmersos en la modernidad líquida (Z. Bauman), cuya característica principal es la “no-direccionalidad de los cambios”, es decir, la ausencia de una dirección estricta, de una directriz, lo que en última instancia nos deja sin preparación para responder a los desafíos repentinos, difíciles de determinar desde cualquier tipo de cálculo o proyección. El colapso de la Unión Soviética ocurrió repentinamente, como el relámpago, cambiando por completo el panorama de la historia. La no-polaridad que parece venir puede llegar a ser un respiro necesario, un período de posibilidad de formación del pleno valor del nuevo modelo de orden mundial, pues es imposible negar el hecho de que el cambio de paradigma, seguido por la demolición de numerosas estructuras, no será capaz de crear rápidamente, en todos los ámbitos de la vida política, todas las condiciones necesarias para la entrada en el orden multipolar. La no polaridad, el interregno en el siglo XXI, es el funeral del César retirado y la preparación para la entronización de los nuevos gobernantes (en plural), es decir, el ascenso de los polos, de los centros de poder.

La no-polaridad supone la “decapitación” de los EEUU, pero al mismo tiempo puede ser definida como un intento de la potencia hegemónica por mantener su influencia a través de la auto-dispersión, de la disolución. Bajo estas circunstancias, es estrictamente necesario evitar retrasos, quedarse atrapado en el entorno post-liberal, así como humildad en una “no-polaridad coherente”. Los nuevos actores deben desafiar ahora la posmoderna “no direccionalidad de los cambios” y tomar conscientemente la responsabilidad absoluta de las decisiones y de las acciones estratégicas en el campo de la práctica política. El principal investigador asociado de la Fundación New America, Parag Khanna, analizando la situación actual y la precaria situación de los EEUU, aborda la función crítica de la diplomacia, hacia la cual debería ser desplazado el enfoque. Para la mejora de la estructura diplomática mundial se contempla la responsabilidad de la consolidación de la hegemonía estadounidense. Sin embargo, esto no tiene en cuenta el hecho de que el lenguaje diplomático está experimentando un reformateo significativo en el contexto del cambio paradigmático al modelo multipolar, y este proceso es irreversible. En la actualidad tenemos que hablar del diálogo de civilizaciones. El diálogo se construye en un nivel completamente diferente, que está más allá de las reglas del diálogo entre los estados nacionales (es decir, fuera del discurso occidental impuesto), con los EEUU teniendo el poder de la toma de decisiones final. A menos que entendamos que la batalla por la dominación del mundo no es entre civilizaciones, sino entre una sola civilización (la occidental) contra todos los “otros” – y en la que se ofrecen sólo dos opciones: 1) estar del lado de esa civilización, 2) o estar contra ella defendiendo el derecho a la propia independencia y singularidad – no seremos capaces de formular un nuevo lenguaje diplomático para el diálogo de civilizaciones. Y esto debería ser entendido, sobre todo, por la élite de la civilización responsable, según Alexander Dugin, de conducir el diálogo. Si todos los “otros” están de acuerdo con el proyecto unipolar, nuestra batalla está perdida, pero si escogen una opción radicalmente diferente, estaremos a la espera del “ascenso del resto” (Fareed Zakaria). Deberíamos tener en cuenta que el mundialmente famoso politólogo británico Paul Kennedy, ha expresado su preocupación por la aparición de diferencias ideológicas entre los EEUU y Europa, debido a la oposición a uno de los proyectos del orden mundial – unipolar o multipolar. En el entorno actual deberíamos confiar, no sólo en el aumento de los conflictos entre Europa y América, sino preparar la situación de ruptura y de división de la primera respecto a la influencia hegemónica de la segunda. Aquí Rusia tiene un papel especial.

CS-4499VTL.jpgSin embargo, debemos admitir que durante las últimas décadas, Rusia se alejó cada vez más de su propósito original de ser un puente entre Oriente y Occidente. El interregno puede ser nuestra oportunidad de recuperarse, una oportunidad para Rusia para convertirse y ser. La teoría de un mundo multipolar puede ser considerada como el punto de partida del fin de la era unipolar y el de entrada en el período “post-norteamericano”, una característica del cual será la presencia de varios polos (los sujetos del diálogo inter-civilizacional), y la segura eliminación de la crisis de identidad, porque en un mundo multipolar la identidad adquiere un carácter civilizatorio. Hoy nuestro diálogo con Europa es un diálogo de “grandes espacios”; en el nuevo sistema de relaciones internacionales el Großraum [el “Gran espacio” de Carl Schmitt] se convierte en un concepto operativo de la multipolaridad. Alexander Dugin ofrece el modelo “CUATRO polar” o “cuadri-polar” del mundo, que consta de cuatro zonas.

En la primera zona, bajo el control total de los Estados Unidos, hay dos o tres “grandes espacios.” Tenemos dos “grandes espacios” mediante la combinación de los EEUU y Canadá por un lado, e Iberoamérica por otro. Según Alexander Dugin, pueden surgir tres “grandes espacios” cuando “dividimos aquellos países de Iberoamérica suficientemente bien integrados con los EEUU y que están completamente bajo su control, y aquellos que tienden a crear su propia zona geopolítica, desafiando a los EEUU”.

La segunda zona es la zona Euro-Africana, con la Unión Europea como su polo indudable. Aquí aparecen tres “grandes espacios”: la Unión Europea, el África negra y el Großraum árabe.

La tercera zona es Eurasia, con Rusia (el Heartland) como su polo. El profesor Dugin indica que hay también una serie de centros regionales de poder, como son Turquía (si elige el camino de Eurasia), Irán, Pakistán y la India. Por lo tanto, la zona de Eurasia se compone de varios “grandes espacios”: Rusia y los países de la CEI son el Großraum ruso-euroasiático; tres “grandes espacios” son también Turquía, Irán, e India y Pakistán.

La cuarta zona es la región del Pacífico. Su polo puede ser ya sea China (que es un “gran espacio”), o Japón (un potencial Großraum que tiene todos los factores esenciales -económicos, geopolíticos, tecnológicos, etc.- para su recuperación).

Al justificar las directrices básicas para la acción práctica de construir un mundo multipolar, el profesor Dugin se centra en las siguientes direcciones:

1. Reorganización estratégica del Heartland.

Esto implica la actividad geopolítica de la “tierra media” y la puesta en práctica de proyectos de integración dirigidos a fortalecer el modelo multipolar.

2. Cambios en la mentalidad de la élite política de Rusia.

Principalmente se centra en la adquisición de pensamiento geopolítico, así como un alto nivel de competencia en el campo de las ciencias sociales, la sociología y la historia. “La élite de Rusia debe entenderse a sí misma como la élite del Heartland, debe pensar en categorías euroasiáticas, no sólo a escala nacional, siendo al tiempo claramente consciente de la no aplicabilidad del escenario atlantista y globalista para Rusia” – escribe A. Dugin. No podemos hablar de ningún despertar de la élite hasta que se haga una elección consciente hacia el eurasianismo, rechazando las ciegas tentativas de jugar a los escenarios anti-rusos de las estrategias atlantistas.

3. El modelo de la construcción de las relaciones entre Rusia y Estados Unidos.

Comprendiendo las destructivas políticas estadounidenses encaminadas a desmantelar Rusia por el control absoluto de toda Eurasia, dichas relaciones se convierten en irreversiblemente hostiles. Tenemos que emprender acciones drásticas para evitar la presencia de la OTAN en el “gran espacio” de Eurasia y el debilitamiento del Heartland.

4. El modelo de la construcción de relaciones con Europa.

Este modelo implica una asociación estratégica con los países, adheriéndose a la política de la tradición continental – Francia, Alemania, Italia y España. Aquí es apropiado hablar sobre el proyecto del eje “París-Berlín-Moscú”. Otra situación distinta se presenta con los países de la “nueva Europa”, así como Inglaterra, que están orientados contra Rusia y tienen una tendencia a adaptarse a las exigencias de Washington.

5. El proyecto “Gran Europa del Este.”

Este proyecto incluye a los eslavos (eslovacos, checos, polacos, búlgaros, serbios, croatas, eslovenos, bosnios, macedonios, serbios musulmanes), y a los ortodoxos (macedonios, serbios, búlgaros, griegos y rumanos). El Prof. Dugin dice que los húngaros son el único pueblo que no entra en la categoría “ortodoxos”, y al mismo tiempo no puede ser llamado “eslavo”. Los húngaros tienen un origen eurasiático-turanio.

6. Los países del Heartland y del CEI occidentales.

Se trata de la integración multipolar de Rusia, Ucrania y Bielorrusia, que pertenecen a la zona del Heartland, en una sola estructura estratégica. Esta acción política evitará el riesgo de entrada de Bielorrusia y Ucrania en la OTAN. Se presta especial atención a Moldavia, cuya integración con Rumania, que es una parte de la OTAN, parece imposible hasta la ejecución del proyecto de la “Gran Europa del Este.”

7. Oriente Medio euroasiático y el papel de Turquía.

El Prof. Dugin menciona el «Proyecto del Gran Medio Oriente» estadounidense en relación con Oriente Medio. El mismo implica la democratización y la modernización de las sociedades de Oriente Medio, y el fortalecimiento de la presencia militar de los EEUU y la OTAN. Guiados por intereses antagónicos, la estrategia del Heartland en esta dirección debe incluir acciones políticas dirigidas a la salida de Turquía de la OTAN y la creación del eje “Moscú-Ankara.” Por otra parte, el proyecto del eje “Moscú-Teherán” se debe tomar con la máxima atención. Según Alexander Dugin, Irán es un “espacio estratégico que resuelve automáticamente el problema de la conversión del Heartland en una fuerza en el mundo global”. Ni Rusia ni Irán deben permitir la ejecución del escenario establecido en el proyecto de la “Gran Asia Central” (Greater Central Asia Partnership). Su puesta en marcha conduciría inevitablemente a la aparición del “cordón sanitario” que separaría Rusia de Irán. Adicionalmente, al incluir países como Georgia, Afganistán, Armenia, Azerbaiyán, Kirguistán, Kazajstán, Uzbekistán, este cordón dejaría a estos países controlados por la influencia norteamericana. La unión de Rusia e Irán, por supuesto, resolverá otro problema fundamental, es decir, se abrirá el “anillo de la anaconda”, privando a los estrategas estadounidenses de cualquier posibilidad de impedir las operaciones marítimas de Rusia.

La estrategia del Heartland debe incluir proyectos de integración de Rusia, Kazajstán y Tayikistán en un único espacio económico y aduanero. A su vez, la relación con Pakistán debe ser construida en estricta conformidad con la estrategia de desalojo de las fuerzas estadounidenses de esta zona. Alexander Dugin apunta a la necesidad de un nuevo modelo de relaciones con la mayoría pastún de Afganistán.

8. El eje “Moscú-Nueva Delhi”.

Las relaciones con el “gran espacio” políticamente neutral de la India deberían estar dirigidas a lograr la asociación. El principal objetivo de este eje es impedir los intentos de Washington de desplegar su dominio en la región del sur de Asia.

9. Relaciones ruso-chinas.

El prof. Dugin se centra en dos cuestiones difíciles, como son:

– La propagación demográfica de los chinos en zonas poco pobladas de Siberia;

– La influencia de China en Asia Central.

Es necesario construir una relación equilibrada con China, centrándose en el punto fundamental de contacto estratégico, de apoyo de la idea de un mundo multipolar.

10. Relaciones ruso – japonesas.

El prof. Dugin indica la necesidad de Japón de liberarse de la influencia estadounidense y el apoyo de Japón como potencia regional soberana. Aquí es apropiado hablar del proyecto del eje “Moscú – Tokio” como parte integrante de la política asiática de Eurasia. “La alianza con Japón es vital – dice Alexander Dugin en su obra “Las bases de la geopolítica“- el eje Moscú-Tokio, contrariamente al eje Moscú-Beijing, es importante y proporciona tales perspectivas para la construcción del imperio continental que finalmente compondrá una Eurasia geopolíticamente completa, debilitando sumamente al mismo tiempo el imperio atlantista de Occidente, si no destruyéndolo finalmente”.

11. La geopolítica de la zona ártica.

Los siguientes países tienden a controlar esta zona: EEUU, Canadá, Noruega, Dinamarca y Rusia. Todos estos países (excepto Rusia) son miembros de la OTAN. Conquistando territorios en la región polar, y uniéndose a la carrera para explotar grandes depósitos de minerales, Rusia incluyó en sus planes futuros la creación de un sistema de comunicación y seguimiento en el Ártico a gran escala. Rusia reclama una zona polar con un tamaño de 1,2 millones de kilómetros cuadrados, con el entrante Polo Norte. En 2011, un valiente movimiento de los investigadores rusos que plantaron una bandera rusa en el fondo marino del Océano Ártico, fue muy publicitado por los medios de comunicación estadounidenses.

No hay duda de que entramos en una batalla por cambios fundamentales en las reglas del discurso político, realizando la tarea de socavar los principios básicos de la hegemonía occidental. La ejecución del proyecto multipolar, en contra de las consideraciones de los politólogos occidentales escépticos, depende del curso político al cual Rusia se adhiera. La elección hacia el eurasianismo muestra un acercamiento a la disposición de dar el siguiente paso en la construcción de un nuevo orden mundial.

(Traducción Página Transversal)

Fuente: Fourth Way Platform

 Extraído de: La Cuarta Teoría Política en español.

mardi, 09 juin 2015

Démocratie et démagogie chez Gustave Le Bon

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Démocratie et démagogie chez Gustave Le Bon

LE_BON_a.jpgDans Psychologie des foules, la masse est un tout unitaire, cohérent, une entité douée d’une psychologie propre, simpliste et déraisonnée. Paru en 1895, l’ouvrage qui analyse l’ère des foules, pose déjà l’enjeu de la démocratie libérale contemporaine.

C’est une erreur de considérer que Gustave Le Bon méprise purement et simplement le peuple, ou toute forme de groupement humain se trouvant lié par un certain nombre de dénominateurs communs, ou par une relative proximité. Ce n’est pas même l’humain « moyen » que Le Bon voit d’un mauvais œil, mais bien la dégénérescence propre aux mouvements grégaires. La stupidité des foules et les conséquences de leurs agissements. À l’heure des médias de masse, de la culture de masse, de l’industrie de masse, la lecture de Psychologie des foules nous interroge sur l’opportunité de décrire la réalité contemporaine comme une nouvelle ère des foules, sinon l’ère de la foule, unique et unitaire.

De l’ère des foules à la fin du pluriel

Si l’ouvrage entreprend de dresser le portrait psychologique de la foule-type, c’est bien pour comprendre le phénomène dans sa multiplicité à une période où les foules font l’histoire à force de barricades, pendant les Trois Glorieuses ou pendant la Commune. Aujourd’hui, il ne semble plus y avoir qu’une seule foule capable de décider du destin d’un pays dans les démocraties occidentales. Cette foule est toute entière tournée vers le spectacle de la politique réelle, celle qui trouve un écho dans le concret et non pas seulement dans les idées, et se nomme électorat. Les foules électorales sont certes analysées dans l’ouvrage, mais comme un type de foule parmi d’autres à une époque où le jeu politique et médiatique n’est pas une distraction permanente pour l’essentiel de la population, qui nourrit d’ailleurs encore pour partie, d’autres aspirations qu’un vague changement illusoire mais continu laissant naître à chaque fois un espoir nouveau.

Or aujourd’hui les manifestations-monstres existent certes, mais sont impuissantes puisqu’elles se refusent à user de la seule légitimité qui lui serait accessible : celle du plus fort. Les mouvements dissidents s’effondrent les uns après les autres, volontairement incapables de se nourrir au banquet démocratique et, complicité médiatique aidant, quelques anarchistes virulents ou quelques nationalistes décidés seraient bien vite réprimés et marginalisés. Si bien qu’au final, la mécanique parfaitement huilée, l’articulation de la politique, de la justice et de la culture médiatique actuelles façonne une seule et unique foule qui compte et que l’on considère, celle du gigantesque corps électoral, centre de gravité vers lequel converge toute la société. Les listes électorales sont les uniques registres des personnes dignes d’intérêt pour le pouvoir.

La médiocrité pour valeur sûre 

À mesure que cette foule s’étale et s’uniformise dans un mouvement tentaculaire, s’arrogeant les uns après les autres les individus mus par une sociabilité naturellement conformiste, la foule moderne que nous décrivons ici, intolérante au même titre que toutes les foules selon Le Bon, devient le groupe cible le plus exploitable et le plus important jamais formé. Également le plus bête et le plus méchant, puisque les foules sont supposées ne pouvoir ni raisonner ni connaître des positions nuancées.

La médiocratie qu’impose nécessairement l’horizontalité du régime démocratique devient alors une obligation écrasant les individualités en même temps qu’un outil de manipulation extraordinaire. Le pari politicien étant celui que tout le monde peut tendre à la médiocrité, on flatte les médiocres et ne s’adresse qu’à eux. Les autres seront au moins capables de comprendre. C’est ce que revendique Georges Frêche lorsqu’il avoue : « Je fais campagne auprès des cons et là je ramasse des voix en masse. ». Alors le contrôle de la foule est parfait : la grossièreté qu’implique la médiocrité, l’absence absolue de nuances, correspondent parfaitement au comportement des foules qui ne savent raisonner de façon complexe, mais qui sont particulièrement promptes à l’émotion vive. Agiter des chiffons, agiter des images excite la foule démocratique, et la renforce dans un même mouvement. Plus elle tendra vers l’ébullition, plus elle sera intolérante, et plus elle sera grande et victorieuse de la marginalité. La question de la responsabilité individuelle et de la réflexion personnelle comme facteur de compétence en démocratie, traditionnellement posée par l’anarchisme dit « de droite » (représenté notamment par le baroque Michel-Georges Micberth), prend alors tout son sens quant au magma que nous décrivons. Une coulée de lave fonçant irrémédiablement dans une seule et même direction. Le Bon conçoit d’ailleurs la foule comme une femme ou un enfant. Et si il existe plus de types de foules que de types de femmes, on peut néanmoins prolonger et accorder du crédit à cette comparaison : la foule et la femme sont comme des taureaux qui ne se laissent prendre que par les cornes.

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Et la foule démocratique s’auto-alimente et se manipule avec d’autant plus de facilité que les réseaux prétendument sociaux, les rues, les lieux publics sont autant de cellules d’une prison panoptique : l’État et ses alliés voient sans être vus, parlent sans être identifiés. Tout juste voit-on encore quelques marginaux utiles à faire apparaître le contraste entre le bien et le mal. La structure hégémonique à laquelle sécurité sociale, sécurité relative et liberté apparente nous retiennent tous, nous met à contribution, nous incitant à nous calmer dès que la foule que nous formons serait susceptible de lui échapper pour se choisir d’autres chefs. Il est interdit de faire de l’ombre à ce qui n’est pas un grand complot de la manipulation des masses à des fins secrètes, conservées dans les esprits de quelques géants aux mains crochues, mais tout simplement le régime le plus stable parce que le plus bête, qui donne à chacun l’illusion de la belle et grande liberté dans un espace aussi net que le ciel pur des « Idées Républicaines » faisant de l’histoire un long fleuve tranquille.

dimanche, 07 juin 2015

Ibn Jaldún y la democracia desde abajo

por Antoni Aguiló

Ex: http://paginatransversal.wordpress.com

¿Por qué Bin Laden resulta un nombre tan popular en Occidente mientras que los nombres y contribuciones de figuras clave del mundo árabe apenas se conocen? ¿Por qué los cánones académicos dominantes marginan a sociólogos como Ibn Jaldún, de cuya muerte se cumplen estos días 609 años? ¿Qué aportaciones hizo para construir democracias desde abajo más allá de los lenguajes y narrativas políticas occidentales?

A pesar de la distancia histórica y cultural que nos separa de Ibn Jaldún, su pensamiento merece ser rescatado y resignificado no sólo con el propósito de reivindicar su papel en el desarrollo inicial de la sociología, la historia y la economía en Occidente, sino para ponerlo al servicio de las luchas por la diversidad democrática en un contexto que a escala global busca homogenizar la democracia y neutralizar aquellas manifestaciones que no se ajustan a las pautas de la ortodoxia política liberal. En este sentido, las ideas políticas de Ibn Jaldún siguen siendo una herramienta útil para desarrollar perspectivas inscritas en el horizonte de una nueva cultura política regida por la “demodiversidad” de la que hablan Boaventura de Sousa y Leonardo Avritzer: “La coexistencia pacífica o conflictiva de diferentes modelos y prácticas democráticas”.

Reconstruir la democracia sobre la base de la demodiversidad es uno de los desafíos éticos y políticos más urgentes de nuestro tiempo. En las últimas décadas el proyecto neoliberal ha generado un empobrecimiento democrático basado en la hegemonía mundial de una democracia representativa, partidocrática, mercantilizada, patriarcal, vacía de contenido y saturada de corrupción, fuera de la cual, sostienen los interesados en su predominio, sólo existen el populismo y la ingobernabilidad. Frente a este reduccionismo, el fortalecimiento social e institucional de la demodiversidad implicaría varios aspectos, como la ampliación de nuestros marcos conceptuales para incorporar diversas formas, lenguajes y experiencias democráticas; la apertura de nuestros criterios normativos a múltiples historias y tradiciones de pensamiento democrático marginadas e invisibilizadas; y el combate del eurocentrismo en las ciencias sociales y humanas, expresado en discursos de inspiración colonial (a lo Fukuyama sobre el “fin de la historia”), que presentan la democracia como un valor exclusivo y originario de Occidente.

La asabiya documentada en el siglo XIV por Ibn Jaldún en referencia a las poblaciones nómadas del Magreb constituye el núcleo de su aportación al enriquecimiento de las formas democráticas de participación. Aunque no hay una traducción literal del término, designa una práctica sociocultural de acción colectiva y solidaria ejercida en el marco de las actividades de la comunidad, por lo que desde categorías occidentales se ha interpretado como solidaridad grupal, espíritu comunitario o cohesión social basada en la consanguinidad y el parentesco. Para Ibn Jaldún, los pueblos organizados política y socialmente en estructuras tribales demuestran una práctica más auténtica de la asabiya. Aunque no todos la desarrollan necesariamente ni en la misma medida, como escribe en la Muqaddimah: “Mediante la solidaridad de la asabiya los seres humanos logran su defensa, su resistencia, sus reclamaciones y la realización de todo proyecto en pro del cual encauza sus fuerzas unidas”. Así, en cuanto fuerza que impulsa y cohesiona una comunidad política, se establece un lazo indisoluble entre la asabiya y el ejercicio de la soberanía popular como construcción colectiva de la autonomía.

Aunque la asabiya alude al espíritu comunitario que Ibn Jaldún detecta en las poblaciones beduinas del desierto, se trata de un concepto que va más allá de sus expresiones locales de política y comunidad capaz de contribuir a la ampliación del reducido canon democrático construido en torno a la democracia liberal. El propio Ibn Jaldún advierte que no constituye una particularidad exclusivamente nómada ni basada sólo en lazos de sangre: “El verdadero parentesco consiste en esa unión de los corazones que hace valer los lazos sanguíneos y que impele a los seres humanos a la solidaridad; exceptuada esa virtud, el parentesco no es más que una cosa prescindible, un valor imaginario, carente de realidad”. Así, una causa social o política que suma esfuerzos y voluntades puede activar el potencial de la asabiya para construir alianzas independientemente de las relaciones de consanguinidad.

url17.jpegResignificar la democracia desde la asabiya permite visibilizar racionalidades y prácticas políticas que apuestan por el significado radical de la democracia como poder popular. En efecto, la teoría democrática convencional concibe la democracia como un sistema de gobierno en el que la mayoría elige a sus representantes, a quienes les es conferido el poder del pueblo. Aunque reconoce que el pueblo es el titular legítimo del poder, este se ejerce de manera elitista y sin el pueblo. Por el contrario, la asabiya permite profundizar y extender el ejercicio de la democracia radical dando cuenta de la infinita diversidad y complejidad de formas de articulación del poder comunitario: el movimiento de mujeres kurdas en Kobane, organizadas solidariamente contra el Estado Islámico; los vecinos de Gamonal, unidos frente al despilfarro del gobierno municipal; las luchas de las travestis de São Paulo (y, en general, de Brasil), que se juegan la vida todos los días combatiendo en la calle el machismo y la violencia policial; el movimiento de víctimas y afectados por la tragedia química de Bhopal, que ha logrado unir a musulmanes e hindúes en lucha contra el Estado indio y la transnacional Dow Chemical, etc.

Ahora que la crisis ha hecho más evidente la farsa que supone la democracia liberal tal y como la conocemos, es tiempo de forjar nuevas asabiyas entre los pueblos y movimientos del Sur global como base de luchas por otras democracias: populares, radicales, comunitarias, directas, etc. El resquebrajamiento de la hegemonía neoliberal y de su partidocracia de mercado posibilita un proceso de apertura democrática con potencial emancipador. No se trata sólo de cuestionar una versión restringida de la democracia que desacredita las alternativas existentes, sino de aprovechar la ventana de oportunidad abierta para crear nuevas posibilidades políticas, nuevas gramáticas que incorporen formas de complementariedad entre las distintas formas de democracia, formas inéditas de relación entre el Estado y la sociedad, experiencias plurales de autogobierno, innovaciones institucionales y hábitos participativos más allá (y a pesar) de la cultura política liberal.

En este contexto, desde los parámetros eurocéntricos de la democracia liberal, la asabiya aparece como un fenómeno local o un residuo folklórico que nada aporta al discurso de la representación, la legitimidad de las urnas y el ejercicio del poder en pocas manos. Sin embargo, para los movimientos y tradiciones de pensamiento político que buscan ejercer el poder desde abajo, es una contribución esencial a los procesos de democratización basados en la radicalidad y la diversidad de la democracia. Hoy más que nunca ha llegado el momento de abrir el candado institucional de la democracia liberal. Por eso, lo más revolucionario que se puede hacer es sumarse al siempre largo y difícil proceso de lucha por otra democracia.

Fuente: Jaque al Neoliberalismo

L’autre Europe d’Adinolfi

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L’autre Europe d’Adinolfi

par Georges FELTIN-TRACOL

Après Nos belles années de plomb (2004), Pensées corsaires (2008), Orchestre rouge (2013) et Années de plomb et semelles de vent (2014), Gabriele Adinolfi commence à être bien connu du public français. Ce court essai consacré à la question européenne contribue au grand combat des idées. Outre un prix modique, l’impression d’opuscules facilite la diffusion de pensées concises et ramassées. Déjà, à la fin des années 1970, la rédaction évolienne francophone de la revue Totalité et, précédemment, le Cercle Culture et Liberté. Pour une Europe libre et unie sortaient des brochures, véritables munitions pour la réflexion, signées du Belge Daniel Cologne (Éléments pour un nouveau nationalisme en 1977) et d’autres auteurs activistes italiens tels le « Groupe des Dioscures » (L’assaut de la vraie culture, 1979), Giorgio Freda (La désintégration du système, 1980) ou Adriano Romualdi (La Droite et la crise du nationalisme, 1982). Le texte d’Adinolfi est d’ailleurs dédié à Romualdi, à Pierre Drieu La Rochelle et à Jean Thiriart.

 

Penser une autre monnaie européenne

 

l-europe.jpgRomain et Italien, Gabriele Adinolfi est aussi un ardent Européen et souhaite ouvrir un débat non convenu sur notre destin commun. Certes, il est le premier à pester contre cette « Europe que nous n’aimons pas (p. 41) ». Son propos déstabilise parfois le lecteur eurosceptique ou souverainiste national béat. Ainsi est-il « favorable au maintien de l’euro mais avec d’autres paramètres (p. 62) ». Dans le cadre des activités du Centre d’études Polaris qu’il a fondé, Adinolfi a en effet demandé à des économistes et à des juristes de travailler sur une Banque centrale européenne dépendante des banques nationales re-étatisés. Il envisage par exemple un « système de monnaie complémentaire (M.C.) […qui] se base sur un certificat nommé R.A.S. (reçu autoliquidant de souscription) (pp. 66 – 67) » dont l’inspirateur serait le théoricien des monnaies fondantes, Silvio Gesell.

 

Liant idée européenne et ambition économique continentale, l’auteur se réclame d’une économie solidaire et enracinée, relocalisée, dans laquelle prospéraient de petites et moyennes entreprises, propriétés de leurs employés. Partisan d’une logique corporative rénovée, Adinolfi entend surtout « rassembler et représenter toutes les classes au lieu de favoriser les consortiums au dépend des producteurs locaux et des salariés (p. 61) ».

 

Contrairement donc aux souverainistes nationaux et aux nationalistes qui se déclinent en « stato-nationaux », en séparatistes régionaux et en communautaristes superficiels, Gabriele Adinolfi insiste sur « l’Europe comme nécessité (p. 17) ». Aux temps de la Guerre froide et du condominium planétaire États-Unis – U.R.S.S., l’unité européenne indépendante vis-à-vis de ces deux blocs gémellaires était une obligation. « Aujourd’hui, encore plus qu’hier, l’Europe – c’est-à-dire nous tous – est menacée d’extinction et son unité de puissance est à la fois nécessité et identité (p. 34). » Toutefois, le recours à l’Europe exige au préalable l’ouverture sur une dimension psychologique cruciale qui prépare des cadres spirituels qui ne peuvent être en Europe de l’Ouest que des références antiques et médiévales. l’urgence impose de retrouver l’être européen alors que des hordes surgies d’Asie et d’Afrique franchissent chaque jour la Méditerranée et ses détroits. La communauté européenne se sait maintenant encerclée par de multiples menaces toutes mortelles les unes des autres (invasion migratoire, atlantisme, théocratie obscène des droits de l’homme, gendérisme, sociétalisme, islamisme, primat de l’économie devenue folle…). Néanmoins, les Européens qui commencent peu à peu à réagir ne doivent pas à leur tour s’engluer dans les miasmes mortifères de l’économisme. Adinolfi constate qu’en « se limitant aux revendications socio-économiques, ceux qui devraient être les héritiers d’une ligne nationale-révolutionnaire ont perdu le sens de l’Ennemi (p. 33) ».

 

Misère du militantisme pantouflard

 

Il y a du boulot ! Militant exemplaire, Gabriele Adinolfi admoneste les nouveaux militants qui forment « un milieu de fachos consommateurs, de fachos plaintifs, de fachos présomptueux, et de fachos de bar aux concepts enfoncés dans le crâne sans avoir jamais pensé à les peser ou les radiographier (p. 12) ». Naguère, « le militant n’était pas un consommateur d’idées reçues ou un télévotant, il n’obéissait pas au langage binaire et ne s’imaginait pas la révolution comme un flash sur la vitrine d’un “ social network ” ou comme une rafale de “ tweet ” ou de “ textos ” (p. 10) ». Eux aussi pâtissent du grand changement anthropologique en cours qui valorise l’hyper-individualisme si bien qu’au final « on ronronne, on grogne, on se réfugie dans des dogmes, on hululule aigri parce qu’insatisfait de soi et de la vie, mais on ne se remet presque jamais en cause (p. 13) ». Une Europe consciente d’elle-même serait au contraire capable de réhabiliter, voire d’inventer de nouvelles manières d’être.

 

Sachant que l’Europe est devenue auprès des opinions publiques continentales un sujet négatif, déprécié et stérile, Adinolfi examine différentes idées reçues contre elle. Il observe qu’une Europe unie et forte entraverait l’hégémonie étatsunienne, que ce n’est pas qu’un projet franc-maçon (le Vatican le souhaitait aussi) et que les actuelles institutions de l’Union pseudo-européenne ne servent pas exclusivement le mondialisme et les intérêts bancaires. Il serait quand même préférable de redonner aux Européens le sens de « l’idéal universel des Révolutions nationales et de l’Imperium (p. 46) ».

 

Gabriele Adinolfi apprécierait-il de rectifier « des populismes, qui n’iront nulle part s’ils ne sont pas dotés d’une conception stratégique, active, positive, révolutionnaire et s’ils ne sont pas guidés par d’authentiques classes dirigeantes militantes (p. 46) » ? Les amorces existent pourtant ! Malgré des persécutions de plus en plus vives,  CasaPound et le Blocco Studentesco en Italie, et Aube dorée en Grèce réussissent un fantastique maillage territorial complété par des initiatives culturelles et sociales qu’on doit encourager, reproduire ici et maintenant et étendre aux questions environnementales, scolaires, de loyers, de cadre de vie, etc. Notre Europe libérée retrouvée – car identitaire et tiercériste – ne se réalisera qu’au contact de la seule réalité et auprès de populations autochtones pour l’instant déboussolées. Leur rendre une orientation véritable digne de leur histoire représente un enjeu majeur. Oui, « l’Europe est une nécessité absolue, mais elle ne se fera jamais si elle n’est pas d’abord une identité consciente et combattante, à la hauteur du Mythe qu’elle représente (p. 79) ». La mobilisation totale pour notre cher continent, l’Alter-Europe, commence par la lecture de L’Europe d’Adinolfi.

 

Georges Feltin-Tracol

 

• Gabriele Adinolfi, L’Europe, Les Bouquins de Synthèse nationale (116, rue de Charenton, 75012 Paris), 80 p., 2015, 10 €.

 


 

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samedi, 06 juin 2015

Pero ¿son necesarios los partidos políticos?

por Ernesto Milá

Info|krisis

Ex: http://paginatransversal.wordpress.com

Tras la muerte de Franco parecía como si no hubiera forma de asentar una democracia sin partidos políticos. Se aceptaba entonces de manera casi unánime que la estructura de un partido político era la forma más directa y auténtica que tenía el ciudadano para participar directamente en la política. Desde entonces han pasado casi cuarenta años, tiempo suficiente como para haber comprobado hasta la saciedad que la representatividad de los partidos políticos es casi nula: sus dirigentes se representan a sí mismos, a nadie más. Los partidos ya no son opciones ideológicas o programáticas, sino grupos de intereses particulares; nada más. En estas circunstancias hace falta plantearse si los partidos son el canal más adecuado de participación democracia. Y, sobre todo, plantearse alternativas. El anti-partido es una de ellas.

Los partidos han decepcionado. Están decepcionando. Decepcionan cada día más. Incluso los nuevos partidos decepcionan rápidamente (lo hemos visto con Podemos y Ciudadanos, con ERC y con Sortu) en la medida en que ya no son opciones ideológicas concretas, ni propuestas para realizar reformas, sino estructuras que se mecen al viento, según los gustos de la población (de una población cada vez más apática, incapaz de interpretar y comprender la realidad en la que vive y pasiva). Tales “gustos” oscilan en función de los criterios implantados por las empresas de comunicación que, a su vez, responden a los intereses de los grandes grupos mediáticos.

Si a la falta de criterios doctrinales y programáticos que justifiquen la existencia de los partidos políticos, se añade el que sus diputados en el parlamento tienen una invariable tendencia a votar según los deseos de su jefe de grupo parlamentario y carecen, no sólo de rostros, sino de personalidad y voluntad propia, se entenderá que el régimen político español sea una “democracia formal”, que tiene muy poco que ver con la “democracia real”. O por expresarlo con palabras del Premio Nobel Alexandr Solzhenitsin, nos encontramos inmersos en un sistema “en el que puede decirse todo, pero no sirve para nada”.

Partidos políticos: la crónica de una crisis anunciada

La crisis de los partidos políticos empezó cuando renunciaron a tener esquemas doctrinales propios y perfectamente definidos, a partir de los cuales el programa político emanaba casi de manera automática. En lugar de eso, convirtieron a sus programa en una especie de inventario oportunista de buenas intenciones que derivaban de las encuestes formuladas a los electores y no de una particular visión del mundo y de la política que compartieran todos los miembros de esa formación política.

Puesto que no había una definición ideológica común, lo único que unía a los miembros de un partido político eran los intereses comunes, intereses, siempre, espurios, sino facciosos.  Fue así como los partidos se convirtieron en grupos de intereses particulares y dejaron de ser plataformas de doctrinas políticas. No se trataba de conquistar el poder para introducir cambios y reformas en la marcha de la sociedad, sino más bien de controlar los resortes del poder para satisfacer ambiciones personales o de grupo. El programa quedaba, a partir de entonces, como una especie de documento que estaba ahí por puro azar y que nadie tenía la más mínima intención en llevar a la práctica.

Parlamento: una selección a la inversa

En tal contexto, en las cúpulas de los partidos políticos era evidente que se iba a realizar una selección a la inversa: los más honestos, aquellos en los que creían en una determinada doctrina y en gestionar a la sociedad con unos principios concretos, se fueron retirando de la actividad política, dejando el puesto a los ambiciosos y oportunistas sin escrúpulos, a los egomaníacos y psicópatas, a los simples mangantes o a los pobres espabilados…

Hoy, en el parlamento español quedan pocas personas eficientes y capaces, muchas menos aún con experiencia en gestión más allá del cargo político y una aglomeración de diputados compuesta por todo tipo de corruptos, imputados o imputables con interés por corromperse en el plazo más breve posible si ello implica una promoción personal y beneficios que, de otra manera, no se conseguirían trabajando con constancia y honestidad.

En su inmensa mayoría, los profesionales brillantes, los gestores eficientes, los individuos con experiencia, han desertado de la política y se dedican a los negocios privados y, desde luego, no quieran saber nada con unas instituciones en las que deberían tragar sapos, renunciar a su personalidad, no poder mirar a los electores a los ojos sin que se les caiga la cara de vergüenza por las mentiras electorales y las promesas sistemáticamente incumplidas o, simplemente, vivir digna y honestamente. Dignidad y honestidad no son, en la España de hoy, términos compatibles con el parlamentarismo ni con las instituciones.

Una democracia tan “formal” como viciada

Si los partidos solamente representan a sus equipos dirigentes y si estos, a su vez, comen de la mano de los grandes consorcios financieros, entonces es que la democracia está viciada de partida y depositar un voto una vez cada cuatro años es una mera formalidad que no cambiará nada: salgan elegidos unos u otros, la plutocracia (el poder del dinero) impondrá sus normas sin distinción de siglas.

Los partidos han fracasado porque la modernidad ha impuesto el pensamiento único y el culto a lo políticamente correcto. Difundidas a través de los grandes medios de comunicación de masas, estas formas de ver el mundo, repercuten directamente en la opinión pública que se configura como un gran conglomerado carente por completo de espíritu crítico, dócil, y llevado de una opción a otra con la mansedumbre con que las ovejas van al matadero. El elector ideal para un partido político es aquel que cree en las promesas electorales y se desentiende del día a día de la política.

Ahora bien ¿existe alguna forma de reformar un sistema así concebido?

De la “democracia formal”  a la “democracia real”

En primer lugar, digamos, que existen otros modelos y que estos son todavía más necesarios en la medida en que el nombre que corresponde a esta “democracia formal” es partidocracia y la partidocracia ha fracasado. Si la “democracia formal” es hoy sinónimo de partidocracia, la democracia “real”, deberá tener, indudablemente, otra formulación.

Se suele llamar a la “democracia formal” y al sistema parlamentario como “inorgánico” en la medida en que la representación se realiza a través de estructuras artificiales (los partidos políticos). Frente a este concepto de democracia limitada al mero ejercicio de las libertades públicas, pero en el que el ciudadano tiene vedado el control y la supervisión del ejercicio del poder que realizan los partidos, existe una “democracia orgánica” que, manteniendo el sistema de libertades y derechos públicos, concibe la representatividad a través de “estructuras naturales”: el municipio y la profesión especialmente.

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Así como el parlamento actual está compuesto únicamente por representantes de los partidos políticos, en un parlamento “orgánico”, se sentarían en los escaños los representantes de la sociedad. ¿Quién puede entender mejor los problemas de la educación que los representantes de los sindicatos de profesores y maestros? ¿Quién puede entender mejor los problemas de la investigación científica sino los científicos mismos? ¿Quién podrá expresar más directamente las necesidades de la industria, del comercio o de la hostelería, sino los representantes de las patronales de estos sectores? ¿Y los intereses de los jóvenes o de las Fuerzas Armadas o de la Iglesia? ¿Los defenderán mejor representantes de los partidos políticos o de esas mismas instituciones y grupos sociales?

En la “segunda descentralización” que algunos defendemos (y que debería sustituir a la “primera descentralización” fracasada y frustrada que ha dado lugar al Estado de las Autonomías, a su faraonismo y a sus tensiones, corruptelas y mezquindades) los municipios también deberían de estar representados en el parlamento de la nación (o en el senado).

Así pues, la alternativa a la partidocracia es un modelo de organización en el que se pongan límites al poder de los partidos y que, sobre todo, no se les tenga por el único canal a través del cual se expresa la “voluntad nacional”. Ésta será la suma de las voluntades de los distintos organismos y estructuras que componen el cuerpo de la Nación. Podrían desaparecer los partidos políticos y nada esencial se perdería. No podría, en cambio, desaparecer la universidad, las fuerzas armadas, los ayuntamientos, el comercio, etc, sin que se produjera una catástrofe nacional. Por tanto es a partir de estos cuerpos intermedios de la sociedad como hay que remodelar la participación política y la representatividad.

De los partidos al anti-partido

La lógica implica que el tránsito de la “democracia inorgánica” a la “democracia orgánica” debe pasar por una serie de etapas, la primera de las cuales es ir restando poder a los partidos políticos e introduciendo la representación “orgánica” en determinadas instituciones (el Senado, por ejemplo, debería de ser una cámara de representación de la sociedad a través de sus estructuras profesionales y municipales, con capacidad de veto sobre las decisiones del parlamento. Una especie de “Cámara Alta” de la que dependa, en última instancia, las políticas a adoptar por el ejecutivo, mientras que el Parlamento es solamente una cámara de preparación de leyes y una primera instancia de control del gobierno).

Es fundamental, por ejemplo, que los partidos políticos desaparezcan de las instituciones: del Consejo de Radio Televisión y de los consejos regionales equivalentes, de las Cajas de Ahorros y de cualquier organismo económico. Hay que redimensionar los partidos políticos a su papel real en la sociedad. El número de afiliados a los partidos políticos es minúsculo y eso indica, a las claras, el desinterés que la población experimenta hacia ellos. No pueden, por tanto, arrogarse el 100% de representatividad de una sociedad que está de espaldas a todos ellos.

La gran contradicción del momento actual estriba en que para reformar el sistema político hace falta un partido político que asuma y defienda es propuesta ante la sociedad. Hasta ahora, todos los partidos políticos que han irrumpido en el ruedo español con propuestas de reforma, cuando han adquirido una masa crítica han terminado renunciando a tales reformas, “centrándose”, esto es, desnaturalizándose y asumiendo lo “políticamente correcto” y el “pensamiento único”. Por tanto, no es un partido lo que se necesita para cambiar la configuración de la representación, sino un anti-partido que empiece negando el poder omnívoro de los partidos.

Un anti-partido, en definitiva, para poner en cintura a los partidos políticos. Un anti-partido para reformar a la sociedad. Un anti-partido para realizar el tránsito de la “democracia formal” a la “democracia real”, de la “democracia inorgánica” a la “democracia orgánica”. Objetivo lejano, casi remoto, pero no por ello objetivo menos necesario.

Fuente: Info|krisisernestomila@yahoo.es

vendredi, 05 juin 2015

Spengler, Yockey, & The Hour of Decision

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Spengler, Yockey, & The Hour of Decision

“That is what the craving for the peace of fellahdom, for protection against everything that disturbs the daily routine, against destiny in every form, would seem to intimate: a sort of protective mimicry vis-a-vis world history, human insects feigning death in the face of danger, the “happy ending” of an empty existence, the boredom of which has brought in jazz music and negro dancing to perform the Dead March for a great Culture.”
—Oswald Spengler, The Hour of Decision 

Francis Parker Yockey is routinely described as a Spenglerian philosopher. Yet the Oswald Spengler whom Yockey evokes in Imperium and The Enemy of Europe is not the patient, ponderous explainer from The Decline of the West. Rather, Yockey’s writings are modeled stylistically on Spengler’s polemical manifesto from 1933, The Hour of Decision.

I offer the epigraph above as an example. In English translation, at least, Spengler’s rhetorical flights are very similar to Yockey’s of fifteen or more years later. Many of Yockey’s themes are virtual retreads of Spengler in The Hour of Decision. Here is something from The Enemy of Europe (circa 1948). Yockey is talking about how Great Britain abandoned her sovereignty after the Great War:

During the third decade of the 20th century, England gradually handed over its sovereignty to America in order to continue pursuing its distorted policy, a policy devoted to the world-wide preservation of the status quo. Naturally, such an unpleasant fact was not admitted by the representatives of a certain mentality, and naturally again—those who bore the responsibility for the transfer of power shied away from defining the new relationship precisely; for had they done so, the whole policy would have been spoilt. Nevertheless, when Baldwin announced in 1936 that he would not deploy the English fleet without consulting America beforehand, he informed the entire political world in unmistakable terms that the end of English independence had come, that English sovereignty had passed over to America. (The Enemy of Europe [1], p. 9)

Now here is Spengler making a similar point, fifteen years earlier:

In 1931 England granted by statute complete equality of status to the white Dominions in the Commonwealth of Nations, thereby relinquishing her priority and allying herself with these states on the ground of common interests, particularly that of protection by the British navy. But there is nothing to prevent Canada and Australia from throwing sentiment to the winds and turning to the United States if they see a chance of better protection there – for instance, from Japan, as white nations. England’s former position on the farther side of Singapore is already abandoned, and if India is lost, there will be no real sense in retaining it in Egypt and the Mediterranean either. In vain does English diplomacy of the old style try in the old way to mobilize the Continent for English ends: against America as the debtor front and against Russia as the front against Bolshevism. (The Hour of Decision [2], p. 40)

Imperium/The Enemy of Europe (the second work was conceived as a pendant to the first) is thus like a reiteration, a New Revised Edition of The Hour of Decision. The parallels are striking, but they are not simply a result of Yockey slavishly imitating Spengler. I doubt Yockey consciously did. I suggest rather that the echoes are there because both Spengler and Yockey are both speaking in a conceptual shorthand that leans on the ideas and terms of art first adumbrated in The Decline of the West. In The Hour of Decision, Spengler can talk about the spirit of Prussianism or the culturelessness of “Fellaheen” peoples, for example, without laboriously explaining the terms. This is because he presupposes a familiarity with the Morphology of History described in Decline. And so it is with Imperium/Enemy. The main difference is that Yockey alludes to Spengler, whereas Spengler is referencing himself.

Now, this derivation from Decline means that readers who don’t know Spengler’s basic schema may well be bewildered or annoyed when reading The Hour of Decision. This is what happened when some American book critics reviewed Hour in 1934, when the English translation was published. Writing in The Saturday Review of Literature, one scribe indulges in non-stop head-scratching, saying in effect, What does Spengler mean when he talks about Prussianism? He doesn’t actually mean Prussians. He’s got some personal, idiosyncratic definition; perhaps Prussianism is meant to designate

some fundamental trait of character . . . essential to the greatness, or even the preservation, or any nation worth thinking about. What that trait is cannot easily be stated in a definition; it involves, however, above all, a subordination of every softer impulse of mankind to the stern duty of rigorous discipline . . .[1]

The reviewer, of course, is winging it. He hasn’t read The Decline of the West, but he has a mental image of a Prussian (in a Pickelhaube helmet, no doubt) and figures that Prussianism is a cult of martinets, hard men. Anyway, it fits in well with the review’s title: “Spengler’s Fascist Manifesto.”

Contrariwise, Allen Tate reviewed The Hour of Decision around the same time for The American Review, and showed an extensive understanding of The Decline of the West. Tate has one quibble with the new manifesto: it seems to be a clarion call for heroic, individual effort, and that would appear to be inconsistent with the historic inevitability that runs through Spenglerian theory:

How can Spengler’s organic determinism be reconciled with the call to arms that he now shouts to the white races, particularly the Teutonic peoples, to repel the twin revolutionary menace of the dark races and of the proletariat? I think this part of the new Spengler book may be dismissed as so much jingoism. In the violent attack on communism and other phases of the international revolutionary movement, Spengler forgets the schematicism of The Decline of the West, and falls into a kind of “rugged individualism” when he praises here and there the responsible man who by zeal and foresight builds a factory or a fortune.[2]

yockey.pngWell, not quite. Tate, whose attitude toward Spengler is generally approving, seems to be straining at a gnat here. The answer to his question is that individual action and “organic determinism” can and do coexist. They do not contradict each other. Denizens of a high culture do not turn into a herd of mindless cattle simply because some force majeure is in operation.

But Tate is making a useful point in a roundabout way. He is noting the difference in rhetorical styles between The Decline of the West and The Hour of Decision. The first is an impassive, intricate, delicate trusswork of philosophical theory; the second is something akin to journalism. If Spengler in Hour seems to be sloganeering more than usual, and indulging in such untoward, piquant topics as the threat of the colored races, it’s because he’s writing political commentary, not philosophy.

This immediacy, I submit, accounts for a lot of the rhetorical similarity between the Yockey of Imperium/Enemy and the Spengler of The Hour of Decision. The writers are giving us a snapshot of the world situation as it appears now—”now” being in 1948 and 1933. Coming to The Hour of Decision for the first time, after knowing Yockey’s work for forty years, I was struck by both the similarities in style and by Spengler’s breathtaking insights. Just a sample:

Is the United States a power with a future? Before 1914 superficial observers talked of unlimited possibilities after they had looked about them for a week of two, and post-war “society” from Western Europe, compounded of snobs and mobs, for full of enthusiasm for “husky” young America as being far superior to ourselves – nay, positively a model for us to follow. But for purposes of durable form records and dollars must not be taken to represent the spiritual strength and depth of the people to whom they belong; neither must sport be confused with race-soundness nor business intelligence with spirit and mind. What is “hundred per cent Americanism”? A mass existence standardized to a low average level, a primitive pose, or a promise for the future? . . . All we know is that so far there is neither a real nation nor a real State. Can both of these develop out of the knocks of fate, or is this possibility excluded by the very fact of the Colonial type, whose spiritual past belongs elsewhere and is now dead? (The Hour of Decision, p. 36)

As Yockey will reiterate years later, there are great parallels between America and Russia; but Spengler specifically sees a kind of Bolshevism in the 1920s-’30s USA:

The resemblance to Bolshevik Russia is far greater than one imagines. There is the same breadth of landscape, which firstly, by excluding any possibility of successful attack by an invader, consequently excludes the experience of real national danger, and, secondly, by making the State not indispensable, prevents the development of any true political outlook. Life is organized exclusively from the economic side and consequently lacks depth, all the more because it contains nothing of that element of historic tragedy, of great destiny, that has widened and chastened the soul of Western peoples through the centuries. . . . And there is the same dictatorship there as in Russia (it does not matter that it is imposed by society instead of a party), affecting everything – flirtation and church-going, shoes and lipstick, dances and novels à la mode, thought, food, and recreation – that in the Western world is left to the option of individuals. There is one standardized type of American, and, above all, American woman, in body, clothes, and mind; any departure from or open criticism of the type arouses public condemnation in New York as in Moscow. . . .

Granted, there is no Communist party. But neither did this exist as an organization for election purposes in the Tsarist regime. And in the one country as in the other, there is a mighty underworld of an almost Dostoievsky sort, with its own urge to power, its own methods of destruction and of business, which, in consequence of the corruption prevailing in the organs of public administration and security, extends upwards into very prosperous strata of society – especially as regards that alcohol-smuggling which has intensified political and social demoralization to the extreme. It embraces both the professional criminal class and secret societies of the Ku Klux Klan order, Negroes and Chinese as well as the uprooted elements of all European stocks and races, and it possesses some very effective organizations, certain of which are of long standing, such as the Italian Camorra, the Spanish Guerrilla, the Russian Nihilists before 1917, and the agents of the Cheka later. Lynching, kidnapping, and attempts to assassinate, murder, robbery, and arson are all well-tested methods of political-economic propaganda. (The Hour of Decision, pp. 36-38)

Notes

1. Fabian Franklin, “Spengler’s Fascist Manifesto,” The Saturday Review of Literature, 17 February 1934. http://www.unz.org/Pub/SaturdayRev-1934feb17-00490a02 [3]

2. Allen Tate, “Spengler’s Tract Against Liberalism,” The American Review, April 1934, p.41. http://www.unz.org/Pub/AmericanRev-1934apr-00041 [4]

 

 

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

 

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URLs in this post:

[1] The Enemy of Europe: http://www.jrbooksonline.com/pdf_books/enemyofeurope.pdf

[2] The Hour of Decision: https://archive.org/stream/TheHourOfDecision/HOD#page/n40

[3] http://www.unz.org/Pub/SaturdayRev-1934feb17-00490a02: http://www.unz.org/Pub/SaturdayRev-1934feb17-00490a02

[4] http://www.unz.org/Pub/AmericanRev-1934apr-00041: http://www.unz.org/Pub/AmericanRev-1934apr-00041

mardi, 02 juin 2015

La concretezza geopolitica del diritto in Carl Schmitt

 
Ugo Gaudino
Ex: http://www.geopolitica-rivista.org
La concretezza geopolitica del diritto in Carl Schmitt

La produzione teorica di Carl Schmitt è caratterizzata dalla tendenza dell’autore a spaziare in diversi settori di ricerca e dal rifiuto di assolutizzare un solo fattore o ambito vitale. Nonostante gli siano state rivolte frequenti accuse di ambiguità e asistematicità metodologica – in particolar modo da chi sostiene la “purezza” della scienza del diritto -, in una delle sue ultime interviste, rilasciata nella natia Plettenberg, Schmitt ribadì senza mezzi termini la sua radicale scelta esistenziale: «Mi sento al cento per cento giurista e niente altro. E non voglio essere altro. Io sono giurista e lo rimango e muoio come giurista e tutta la sfortuna del giurista vi è coinvolta» (Lanchester, 1983, pp. 5-34).

Un metodo definito sui generis, distante dalle asettiche teorizzazioni dei fautori del diritto positivo ma non per questo meno orientato alla scienza giuridica, sviscerata fin nelle sue pieghe più riposte per ritrovarne la genesi violenta e i caratteri concreti ed immediati, capaci di imporsi su una realtà che, da “fondamento sfondato”, è minacciata dal baratro del nulla.

In quest’analisi si cercherà di far luce sul rapporto “impuro” tra diritto ed altre discipline, in primis quella politica attraverso cui il diritto stesso si realizza concretamente, e sui volti che questo ha assunto nel corso della sua produzione.

1.

Il pensiero di Schmitt può essere compreso solo se pienamente contestualizzato nell’epoca in cui matura: è dunque doveroso affrontarne gli sviluppi collocandoli in prospettiva diacronica, cercando di individuare delle tappe fondamentali ma evitando rigide schematizzazioni.
Si può comunque affermare con una certa sicurezza che attorno alla fine degli anni ’20 le tesi schmittiane subiscano un’evoluzione da una prima fase incentrata sulla “decisione” a una seconda che volge invece agli “ordini concreti”, per una concezione del diritto più ancorata alla realtà e svincolata non solo dall’eterea astrattezza del normativismo, ma pure dallo “stato d’eccezione”, assenza originaria da cui il diritto stesso nasce restando però co-implicato in essa.

L’obiettivo di Schmitt è riportare il diritto alla sfera storica del Sein – rivelando il medesimo attaccamento all’essere del suo amico e collega Heidegger -, che si oppone non solo al Sollen del suo idolo polemico, Hans Kelsen, ma pure al Nicht-Sein, allo spettro del “Niente” che sopravviveva nell’eccezione, volutamente non esorcizzato ma troppo minaccioso per realizzare una solida costruzione giuridica. La “decisione”, come sottolineò Löwith – che accusò Schmitt di “occasionalismo romantico” – non può pertanto essere un solido pilastro su cui fondare il suo impianto teoretico, essendo essa stessa infondata e slegata «dall’energia di un integro sapere sulle origini del diritto e della giustizia» (Löwith, 1994, p.134). Il decisionismo appariva in precedenza come il tentativo più realistico per creare ordine dal disordine, nell’epoca della secolarizzazione e dell’eclissi delle forme di mediazione: colui che s’impone sullo “stato d’eccezione” è il sovrano, che compie un salto dall’Idea alla Realtà. Quest’atto immediato e violento ha sul piano giuridico la stessa valenza di quella di Dio nell’ambito teologico, tanto da far affermare a Schmitt che «tutti i concetti più pregnanti della moderna dottrina dello Stato sono concetti teologici secolarizzati» (Teologia politica, 1972, p.61). Solo nell’eccezione il problema della sovranità si pone come reale e ineludibile, nelle vesti di chi decide sull’eventuale sospensione dell’ordinamento, ponendosi così sia fuori che dentro di esso. Questa situazione liminale non è però metagiuridica: la regola, infatti, vive «solo nell’eccezione» (Ivi, p.41) e il caso estremo rende superfluo il normativo.

La debolezza di tale tesi sta nel fissarsi su una singola istanza, la “decisione”, che ontologicamente è priva di fondamento, in quanto il soggetto che decide – se si può definire tale – è assolutamente indicibile ed infondabile se non sul solo fatto di essere riuscito a decidere e manifestarsi con la decisione. Contrariamente a quanto si potrebbe pensare, decisionismo non è dunque sinonimo di soggettivismo: a partire dalla consapevolezza della sua ambiguità concettuale, Schmitt rivolge la sua attenzione verso la concretezza della realtà storica, che diviene il perno della sua produzione giuridica.


Un cambio di rotta dovuto pure all’erosione della forma-Stato, evidente nella crisi della “sua” Repubblica di Weimar. Il decisionismo rappresentava un sostrato teorico inadeguato per l’ordinamento giuridico internazionale post-wesfaliano, in cui il tracollo dello Stato[1] spinge Schmitt a individuare nel popolo e nei suoi “ordinamenti concreti” la nuova sede del “politico”.

Arroccato su posizioni anti-universaliste, l’autore elabora tesi che vanno rilette in sostanziale continuità con quelle precedenti ma rielaborate in modo tale da non applicare la prospettiva decisionista a tale paradigma cosmopolitico.

2.

Il modello di teoria giuridica che Schmitt approfondì in questa tappa cruciale del suo itinerario intellettuale è l’istituzionalismo di Maurice Hauriou e Santi Romano, che condividono la definizione del diritto in termini di “organizzazione”. La forte coincidenza tra organizzazione sociale e ordinamento giuridico, accompagnata alla serrata critica del normativismo, esercitò una notevole influenza su Schmitt, che ne vedeva il “filo di Arianna” per fuoriuscire dal caos in cui era precipitato il diritto dopo la scomparsa degli Stati sovrani.

Convinto fin dalle opere giovanili che fosse il diritto a creare lo Stato, la crisi irreversibile di quest’ ultimo indusse l’autore a ricercarne gli elementi essenziali all’interno degli “ordinamenti concreti”. Tralasciando la dottrina di Hauriou, che Schmitt studiò con interesse ma che esula da un’analisi prettamente giuridica in quanto fin troppo incentrata sul piano sociologico, è opportuno soffermarsi sull’insegnamento romaniano e sulle affinità tra questi e il tardo pensiero del Nostro. Il giurista italiano riconduceva infatti il concetto di diritto a quello di società – corrispondono al vero sia l’assunto ubi societas ibi ius che ubi ius ibi societas – dove essa costituisca un’«unità concreta, distinta dagli individui che in essa si comprendono» (Romano, 1946, p.15) e miri alla realizzazione dell’«ordine sociale», escludendo quindi ogni elemento riconducibile all’arbitrio o alla forza. Ciò implica che il diritto prima di essere norma è «organizzazione, struttura, posizione della stessa società in cui si svolge e che esso costituisce come unità» (Ivi, p.27).

La coincidenza tra diritto e istituzione seduce Schmitt, al punto da fargli considerare questa particolare teoria come un’alternativa al binomio normativismo/decisionismo, “terza via” di fronte al crollo delle vecchie certezze del giusnaturalismo e alla vulnerabilità del positivismo. Già a partire da Teologia politica il pensiero di matrice kelseniana era stato demolito dall’impianto epistemologico che ruotava intorno ai concetti di sovranità e decisione, che schiacciano il diritto nella sfera del Sein riducendo il Sollen a «modus di rango secondario della normalità» (Portinaro, 1982, p. 58). Il potere della volontà esistenzialmente presente riposa sul suo essere e la norma non vale più in quanto giusta, tramontato il paradigma giusnaturalistico, ma perché è stabilita positivamente, di modo che la coppia voluntas/auctoritas prevalga su quella ratio/veritas.


L’eclissi della decisione osservabile dai primi scritti degli anni ’30 culmina col saggio I tre tipi di pensiero giuridico, in cui al “nemico” scientifico rappresentato dall’astratto normativista Schmitt non oppone più l’eroico decisionista del caso d’eccezione quanto piuttosto il fautore dell’ “ordinamento concreto”, anch’esso ubicato nella sfera dell’essere di cui la normalità finisce per rappresentare un mero attributo, deprivato di quei connotati di doverosità che finirebbero per contrapporsi a ciò che è esistenzialmente dato. Di qui la coloritura organicistico-comunitaria delle istituzioni che Schmitt analizza, sottolineando che «esse hanno in sé i concetti relativi a ciò che è normale» (I tre tipi di pensiero giuridico, 1972, pp.257-258) e citando a mo’ di esempi modelli di ordinamenti concreti come il matrimonio, la famiglia, la chiesa, il ceto e l’esercito.

Il normativismo viene attaccato per la tendenza a isolare e assolutizzare la norma, ad astrarsi dal contingente e concepire l’ordine solo come «semplice funzione di regole prestabilite, prevedibili, generali» (Ibidem). Ma la novità più rilevante da cogliere nel suddetto saggio è il sotteso allontanamento dall’elemento decisionistico, che rischia di non avere più un ruolo nell’ambito di una normalità dotata di una tale carica fondante.

3.

L’idea di diritto che l’autore oppone sia alla norma che alla decisione è legata alla concretezza del contesto storico, in cui si situa per diventare ordinamento e da cui è possibile ricavare un nuovo nomos della Terra dopo il declino dello Stato-nazione.
Lo Schmitt che scrive negli anni del secondo conflitto mondiale ha ben presente la necessità di trovare un paradigma ermeneutico della politica in grado di contrastare gli esiti della modernità e individuare una concretezza che funga da katechon contro la deriva nichilistica dell’età della tecnica e della meccanizzazione – rappresentata sul piano dei rapporti internazionali dall’universalismo di stampo angloamericano.

Sulla scia delle suggestioni ricavate dall’istituzionalismo, il giurista è consapevole che solo la forza di elementi primordiali ed elementari può costituire la base di un nuovo ordine.
La teoria del nomos sarà l’ultimo nome dato da Schmitt alla genesi della politica, che ormai lontana dagli abissi dello “stato d’eccezione” trova concreta localizzazione nello spazio e in particolare nella sua dimensione tellurica: i lineamenti generali delle nuove tesi si trovano già in Terra e mare del 1942 ma verranno portati a compimento solo con Il nomos della terra del 1950.

Nel primo saggio, pubblicato in forma di racconto dedicato alla figlia Anima, il Nostro si sofferma sull’arcana e mitica opposizione tra terra e mare, caratteristica di quell’ordine affermatosi nell’età moderna a partire dalla scoperta del continente americano. La spazializzazione della politica, chiave di volta del pensiero del tardo Schmitt, si fonda sulla dicotomia tra questi due elementi, ciascuno portatore di una weltanschauung e sviscerati nelle loro profondità ancestrali e mitologiche più che trattati alla stregua di semplici elementi naturali. Il contrasto tra il pensiero terrestre, portatore di senso del confine, del limite e dell’ordine, e pensiero marino, che reputa il mondo una tabula rasa da percorrere e sfruttare in nome del principio della libertà, ha dato forma al nomos della modernità, tanto da poter affermare che «la storia del mondo è la storia della lotta delle potenze terrestri contro le potenze marine» (Terra e mare, 2011, p.18) . Un’interpretazione debitrice delle suggestioni di Ernst Kapp e di Hegel e che si traduceva nel campo geopolitico nel conflitto coevo tra Germania e paesi anglosassoni.

Lo spazio, cardine di quest’impianto teorico, viene analizzato nella sua evoluzione storico-filosofica e con riferimenti alle rivoluzioni che hanno cambiato radicalmente la prospettiva dell’uomo. La modernità si apre infatti con la scoperta del Nuovo Mondo e dello spazio vuoto d’oltreoceano, che disorienta gli europei e li sollecita ad appropriarsi del continente, dividendosi terre sterminate mediante linee di organizzazione e spartizione. Queste rispondono al bisogno di concretezza e si manifestano in un sistema di limiti e misure da inserire in uno spazio considerato ancora come dimensione vuota. È con la nuova rivoluzione spaziale realizzata dal progresso tecnico – nato in Inghilterra con la rivoluzione industriale – che l’idea di spazio esce profondamente modificata, ridotta a dimensione “liscia” e uniforme alla mercé delle invenzioni prodotte dall’uomo quali «elettricità, aviazione e radiotelegrafia», che «produssero un tale sovvertimento di tutte le idee di spazio da portare chiaramente (…) a una seconda rivoluzione spaziale» (Ivi, p.106). Schmitt si oppone a questo cambio di rotta in senso post-classico e, citando la critica heideggeriana alla res extensa, riprende l’idea che è lo spazio ad essere nel mondo e non viceversa. L’originarietà dello spazio, tuttavia, assume in lui connotazioni meno teoretiche, allontanandosi dalla dimensione di “datità” naturale per prendere le forme di determinazione e funzione del “politico”. In questo contesto il rapporto tra idea ed eccezione, ancora minacciato dalla “potenza del Niente” nella produzione precedente, si arricchisce di determinazioni spaziali concrete, facendosi nomos e cogliendo il nesso ontologico che collega giustizia e diritto alla Terra, concetto cardine de Il nomos della terra, che rappresenta per certi versi una nostalgica apologia dello ius publicum europaeum e delle sue storiche conquiste. In quest’opera infatti Schmitt si sofferma nuovamente sulla contrapposizione terra/mare, analizzata stavolta non nei termini polemici ed oppositivi di Terra e mare[2] quanto piuttosto sottolineando il rapporto di equilibrio che ne aveva fatto il cardine del diritto europeo della modernità. Ma è la iustissima tellus, «madre del diritto» (Il nomos della terra, 1991, p.19), la vera protagonista del saggio, summa del pensiero dell’autore e punto d’arrivo dei suoi sforzi per opporre un solido baluardo al nichilismo.

Nel nomos si afferma l’idea di diritto che prende la forma di una forza giuridica non mediata da leggi che s’impone con violenza sul caos. La giustizia della Terra che si manifesta nel nomos è la concretezza di un arbitrio originario che è principio giuridico d’ordine, derivando paradossalmente la territorialità dalla sottrazione, l’ordine dal dis-ordine. Eppure, nonostante s’avverta ancora l’eco “tragica” degli scritti giovanili, il konkrete Ordnung in cui si esprime quest’idea sembra salvarlo dall’infondatezza e dall’occasionalismo di cui erano state accusate le sue teorie precedenti.


Da un punto di vista prettamente giuridico, Schmitt ribadisce la sentita esigenza di concretezza evitando di tradurre il termine nomos con “legge, regola, norma”, triste condanna impartita dal «linguaggio positivistico del tardo secolo XIX» (Ivi, p.60). Bisogna invece risalire al significato primordiale per evidenziarne i connotati concreti e l’origine abissale, la presa di possesso e di legittimità e al contempo l’assenza e l’eccedenza. La catastrofe da cui lo ius publicum europaeum è nato, ossia la fine degli ordinamenti pre-globali, è stata la grandezza del moderno razionalismo politico, capace di avere la propria concretezza nell’impavida constatazione della sua frattura genetica e di perderla con la riduzione del diritto ad astratta norma. Ed è contro il nichilismo del Gesetz che Schmitt si arma, opponendo alla sua “mediatezza”, residuo di una razionalità perduta, l’“immediatezza” del nomos, foriero di una legittimità che «sola conferisce senso alla legalità della mera legge» (Ivi, p.63).

BIBLIOGRAFIA ESSENZIALE

AMENDOLA A., Carl Schmitt tra decisione e ordinamento concreto, Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli, 1999

CARRINO A., Carl Schmitt e la scienza giuridica europea, introduzione a C. SCHMITT, La condizione della scienza giuridica europea, Pellicani Editore, Roma, 1996

CASTRUCCI E., Introduzione alla filosofia del diritto pubblico di Carl Schmitt, Giappichelli, Torino, 1991

ID., Nomos e guerra. Glosse al «Nomos della terra» di Carl Schmitt, La scuola di Pitagora, Napoli, 2011

CATANIA A., Carl Schmitt e Santi Romano, in Il diritto tra forza e consenso, Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli, 1990, pp.137-177

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PIETROPAOLI S., Ordinamento giuridico e «konkrete Ordnung». Per un confronto tra le teorie istituzionalistiche di Santi Romano e Carl Schmitt, in «Jura Gentium», 2, 2012

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PORTINARO P. P., La crisi dello jus publicum europaeum. Saggio su Carl Schmitt, Edizioni di Comunità, Milano, 1982

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SCHMITT C., Die Diktatur, Duncker & Humblot, Monaco-Lipsia, 1921, trad. it. La dittatura, Laterza, Roma-Bari, 1975

ID., Politische Theologie. Vier Kapitel zur Lehre der Souveränität, Duncker & Humblot, Monaco-Lipsia 1922, trad it. Teologia politica. Quattro capitoli sulla dottrina della sovranità, in Le categorie del ‘politico’ (a cura di P. SCHIERA e G. MIGLIO), Il Mulino, Bologna, 1972

ID., Verfassungslehre, Duncker & Humblot, Monaco-Lipsia 1928, trad. it. Dottrina della costituzione, Giuffrè, Milano, 1984

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ID., Land und Meer. Eine weltgeschichtliche Betrachtung, Reclam, Lipsia 1942, trad. it. Terra e mare. Una considerazione sulla storia del mondo raccontata a mia figlia Anima, Adelphi, 2011

ID., Der Nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum europaeum, Greven, Colonia 1950, trad. it. Il Nomos della terra nel diritto internazionale dello “ius publicum europaeum”, Adelphi, Milano, 1991

ID., Die Lage der europäischen Rechtswissenschaft, Internationaler Universitätsverlag, Tubinga, 1950, trad. it. La condizione della scienza giuridica europea, Pellicani Editore, Roma, 1996

 
NOTE:

[1] «Un termine apparentato ad un periodo storico: vale solo da Hobbes ad Hegel», come scrisse in una lettera a Norberto Bobbio, cfr. P. TOMMISSEN, introduzione a C. SCHMITT, Il concetto d’Impero nel diritto internazionale, Settimo Sigillo, Roma, 1996, p.6
[2] Ricchi altresì di significati simbolici espressi mediante le figure veterotestamentali del Leviathan e del Behemoth. Rovesciando l’impostazione hobbesiana, Schmitt sembra prediligere il secondo, mostro terrestre che in battaglia penetra nel territorio nemico anziché annientarlo come fa il soffocante Leviatano (Terra e mare, 2011, pp.18-19). L’analogia con lo scontro in atto tra Germania e paesi angloamericani è lampante (Chiantera-Stutte, 2014, pp.120-121).

P. de Meuse: réinventer les biens communs

Pierre de Meuse:

Réinventer les biens communs

L'intervention de Pierre de Meuse au colloque de l'Action Française du 9 mai 2015.

lundi, 01 juin 2015

Political Syncretism: Where Radical Left Meets Traditional Right

Joaquin Flores

(Hour 1)

Political Syncretism: Where Radical Left Meets Traditional Right

Joaquin Flores is an American expat living in Belgrade. He is a full-time analyst at the Center for Syncretic Studies, a public geostrategic think-tank, where his work centers on Eastern European, Eurasian, and Middle East affairs. Flores is particularly adept at analyzing the psychology of the propaganda wars and cutting through the noise of 'information overload.' He also serves as the Europe-wide coordinator for New Resistance, a US based revolutionary movement. In the first hour, Joaquin explains the impetus for the founding of the Center for Syncretic Studies, formed in 2013 as platform from which to view the various social and ideological movements that exist today with a broad lens. We discuss the commonality between the radical and progressive left and the radical and paleo-conservative right, which hold the same values and also see the same things wrong with society. Then, Joaquin breaks down the divide and conquer tactics of our leaders, the dictatorship that exists within the US, and the importance of waking up to the delusion that there will be a government reform. In the second hour we consider what it is that can be done by the people in the USA to overcome the dilemmas of Government. Joaquin gives some insight into commonly held criticisms of the Powers That Be, the US’s misinterpretation of revolutions around the globe, and the importance of getting past the idea that the mainstream view is the majority. Then, we examine the propaganda surrounding multiculturalism and the deracination that is occurring within European cultures. Later, Joaquin talks about the media war that is occurring within the Ukraine and Russia, Operation: Gladio, and the New Inter Nationalists. Further, we deliberate the Ukrainian Civil War, US involvement with Pravy Sektor Coup, the push for a Ukrainian failed state, and the role of Islam in this artificially created social movement. In conclusion, Joaquin describes how The New Media is the primary weapon in 4th generation warfare.

Listen to HOUR 2:

http://www.redicecreations.com/radio/2014/12/RIR-141219.php

vendredi, 29 mai 2015

Jean-Pierre Le Goff : "Comment être à la fois conservateur, moderne et social" ...

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Jean-Pierre Le Goff : "Comment être à la fois conservateur, moderne et social" ...

Propos recueillis par Laetitia Strauch-Bonart

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jean-Pierre Le Goff, cueilli sur son site Politique autrement et consacré à la question du conservatisme. Sociologue, Jean-Pierre Le Goff a publié de nombreux essais, comme La gauche à l'épreuve 1968-2011 (Perrin, 2011) ou La fin du village (Gallimard, 2012).

Q : Que signifie pour vous le terme de conservatisme ou de conservateur ?

Jean-Pierre Le Goff : Aujourd’hui, les mots se dissolvent dans le flux continuel de la communication et jouent de plus en plus le rôle de marqueurs symboliques. Le « conservatisme » n’y échappe pas. Il fait partie de ces mots-valises qui jouent le rôle de repoussoir permettant de se situer a contrario dans le bon camp. La gauche l’assimile facilement à la « réaction », à l’« extrême droite ». Pour une partie de la droite, le mot est synonyme d’immobilisme, de repli frileux, d’opposition à toute réforme. Contre cette confusion, il faut revenir sur ses origines, son évolution et la signification nouvelle qu’il peut prendre aujourd’hui.
À l’origine, le conservatisme correspond à un courant de pensée qui s’est constitué en réaction à la Révolution française et à la modernité. Cela ne m’empêche pas pour autant de le prendre en compte librement, en faisant la part des choses entre les aspects réactionnaires au sens propre du terme – à savoir la condamnation globale, voire la diabolisation de la Révolution française et de la modernité, avec l’illusion d’un possible retour en arrière –, et l’éclairage critique qu’il apporte sur la condition de l’homme moderne et la vie en société. À sa façon, ce courant de pensée rappelle que l’histoire ne commence pas à la Révolution française ; il souligne les limites et les ambiguïtés du projet moderne d’émancipation dans sa prétention à ériger la raison et l’individu en références ultimes, faisant fi des héritages culturels passés ; il remet en question la croyance en un progrès nécessairement positif de l’humanité et une conception de l’homme « naturellement bon », le mal n’étant que l’effet du conditionnement d’une mauvaise société et d’un pouvoir oppresseur.


Dans le courant du XIXe et du XXe siècle, le courant conservateur s’est développé et renouvelé en menant une critique de la révolution industrielle, de l’urbanisation et de la massification qui, là aussi, met en lumière des aspects bien réels de la modernité, sans qu’on soit obligé pour autant d’épouser les problématiques globales dans lesquelles cette critique s’insère et les engagements politiques qui ont pu l’accompagner. Le conservatisme n’en a pas moins mis en question l’idée même de « révolution » en tant qu’elle implique une rupture radicale et la construction d’un monde et d’un homme nouveau en faisant table rase du passé. Les totalitarismes ont poussé jusqu’au bout ces idées avec les ravages que l’on connaît.


Que nous le voulions ou non, ce courant de pensée conservateur fait partie de notre héritage et nous pouvons en tirer profit, pour autant que nous opérions un discernement entre ce qui peut apparaître comme ses « branches mortes » et son apport de vérité dans son interprétation des évolutions de la société et du monde. Telle est du moins ma façon d’envisager mon rapport au conservatisme. Elle s’inscrit dans la problématique de la modernité et des Lumières en considérant que la rupture avec la tradition, loin d’être une tare, est au contraire être une condition favorable à l’enrichissement de la réflexion. Comme Hannah Arendt l’a souligné, c’est précisément parce que nous vivons dans un monde qui n’est plus structuré par une autorité et une tradition qui s’imposeraient d’elles-mêmes, qu’il nous est possible d’entretenir un rapport plus libre, plus lucide à cette tradition. Dans les conditions de la modernité et face aux évolutions problématiques de la démocratie, le conservatisme peut être considéré comme une des manifestations de l’esprit de liberté pour qui l’autonomie de jugement demeure une exigence et qui trouve dans le passé des ressources qui nous aident à mieux comprendre et affronter les défis du présent.

Q : Le conservatisme développe une vision pessimiste, il est associé à un discours de déploration qui n’offre guère d’alternative… N’est-ce pas là l’une des principales raisons pour laquelle l’appellation de « conservateur » est si peu revendiquée en France ?

Jean-Pierre Le Goff : Le pessimisme est un des traits du conservatisme qui s’oppose à un optimisme naïf qui considère que l’histoire marche toujours dans le sens du progrès, en amalgamant en un tout progrès des sciences, des techniques et progrès culturel et moral. Le totalitarisme et les barbaries du siècle passé et présent ont, pour le moins, mis à mal un tel optimisme. L’histoire nous apprend que les civilisations naissent, se développent, passent par des périodes de crise et sont mortelles. On est ainsi en droit de s’interroger sur l’état de la dynamique de la modernité au sein même de l’Europe et considérer que nous vivons une période particulièrement critique de notre histoire. La démocratie a ses propres ambivalences et son développement n’a rien d’une marche inéluctable, quand bien même ce développement passerait par des crises conçues comme inhérentes à l’idée même de démocratie, ou comme des phases transitoires d’une expansion historique continue. Nous ne sommes pas maîtres de l’histoire et nous n’en détenons pas les clés d’interprétation. S’il y a bien de l’irréversible et des tendances lourdes, tout n’est pas joué d’avance ; l’histoire est ambivalente et tragique, elle demeure ouverte sur des possibles dans des conditions données, et il importe de savoir dans quel monde nous voulons vivre. Ce pessimisme n’est donc pas synonyme de retrait et d’inaction, il est au contraire « actif », un stimulant de la réflexion et de l’action pour qui se soucie des désordres du monde.


Ce pessimisme concerne également une conception de l’être humain qui reconnaît en lui une part sauvage, irréductible, d’agressivité et de destruction. Pour reprendre, les propos de Freud dans Malaise dans la civilisation qui retrouve, à sa façon, une conception qui est bien antérieure à la psychanalyse : « L’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité. […] Cette tendance à l’agression que nous pouvons déceler en nous-mêmes et dont nous supposons à bon droit l’existence chez autrui, constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports avec notre prochain ; c’est elle qui impose à la civilisation tant d’efforts [1]. » Cette tendance n’a pas disparu, malgré les efforts d’un nouveau moralisme pour la dénier ou l’éradiquer. Le conservatisme me paraît faire preuve de lucidité salutaire face au règne des bons sentiments et à une vision angélique de l’être humain et des droits de l’homme.


Mais, il faut aussi le reconnaître, le conservatisme a ses penchants négatifs lorsqu’il méconnaît l’ambivalence de la démocratie et ses acquis, lorsqu’il flirte avec l’idée d’un âge d’or et d’un retour en arrière. Replié sur lui-même, il tend à idéaliser le passé et verse dans l’amertume et la déploration sans fin. Il peut devenir une posture morale et esthétique qui juge d’en haut le monde moderne, souvent du reste avec talent et des constats critiques judicieux. Plus sommairement, il peut se nourrir des traits négatifs de la modernité qu’il dénonce, s’enfermer dans un face à face délétère avec le progressisme bien pensant où les postures comptent plus que l’échange des arguments. Le conservatisme devient alors incohérent et flirte avec le nouvel air du temps. On peut dénoncer la société du spectacle et les médias tout en rêvant d’en être, en faisant jouer sa posture comme élément de distinction. Il devient alors le vis-à-vis obligé de ses adversaires qui s’en servent comme un repoussoir caricatural pour mieux éviter toute confrontation sur le fond. En fait, les conservateurs d’aujourd’hui sont proches des « antimodernes » qu’a bien caractérisés Antoine Compagnon, lorsqu’il parle de « modernes à contrecœur », « déchirés [2] » et « déçus [3] ».

Q : Si la critique du progressisme n’est pas nouvelle, elle semble trouver aujourd’hui en France une vigueur nouvelle – critique des contradictions de la démocratie, du libéralisme sociétal, du « droit-de-l’hommisme », de l’égalitarisme – ce que certains associent de façon négative à l’émergence d’une pensée « réactionnaire ». N’est-ce pas là plutôt le signe d’une certaine crise du progressisme ?

Jean-Pierre Le Goff : Il faut d’abord prendre la mesure des bouleversements qui se sont opérés dans le dernier siècle, face à un optimisme de façade qui tend à dénier la décomposition historique que nous connaissons. Le développement économique, scientifique et technique s’est accompagné de changements sociétaux qui ont mis en question tout une culture humaniste. La Grande Guerre, qui marque l’entrée dans le XXe siècle, et les totalitarismes qui l’ont suivie n’ont pas seulement mis à mal l’idée d’une marche inéluctable de l’histoire vers toujours plus de progrès – dans laquelle communisme et socialisme s’inscrivaient, chacun à leur manière –, ils ont fait peser un doute profond sur les capacités émancipatrices de notre propre culture, comme si les guerres et les totalitarismes du XXe siècle avaient tout dévasté sur leur passage et empêchaient désormais toute réappropriation. Le christianisme, les conceptions des Lumières, l’idée de progrès issue de la Révolution française et du XIXe siècle… sont entrés en crise. C’est tout un creuset anthropologique et culturel, une façon d’être, de se situer par rapport au monde, aux autres, à la collectivité qui se sont érodés et ont été mis en cause. Portée au départ par des « avant-gardes » révolutionnaires et artistiques minoritaires, la rupture avec cet héritage culturel s’est progressivement répandue dans la société.


fin-du-village_3595.jpegDans la seconde moitié du XXe siècle, les sociétés démocratiques ont franchi une nouvelle étape de leur histoire, marquée à la fois par le développement de la production, de la consommation et, dans le dernier quart du siècle, par les « désillusions du progrès [4] » et les préoccupations écologiques. Ce tournant s’est accompagné d’une relecture particulièrement critique de notre propre histoire et une érosion de la dynamique des sociétés démocratiques européennes. Une partie des démocraties européennes s’est ainsi déconnectée de l’histoire, le passé étant considéré sans ressources, obsolète, et l’avenir chaotique et indiscernable. Notre héritage culturel et politique passé n’a pas seulement donné lieu à une relecture réflexive et critique dans un souci de vérité, mais il a été l’objet d’un règlement de compte historique qui l’a rendu responsable de tous les maux de l’humanité. Il s’est ainsi opéré un grand retournement. La remise en cause salutaire de l’ethnocentrisme a basculé vers la perte de confiance en ses propres ressources et la mésestime de soi. Au sein de certains pays européens, particulièrement en France, s’est développé une mauvaise conscience liée à une focalisation sur les pages sombres de notre histoire qui a abouti à une vision pénitentielle qui n’en finit pas.


Le paradoxe de la construction de l’Union européenne est qu’elle s’est développée dans un moment où son héritage premier qui la spécifie comme civilisation s’est trouvé mis à mal. Le défunt traité établissant une Constitution pour l’Europe élaboré en 2004 faisait non seulement peu de cas des nations qui se sont construites suite aux empires, il se référait de façon éthérée dans son préambule à des références certes louables (« dignité humaine », « liberté », « égalité », « solidarité », « démocratie », « État de droit »…) mais sans ancrage historique. Les principales sources et les grands moments qui ont façonné l’Europe et la distinguent des autres civilisations n’étaient même pas mentionnées : culture grecque et romaine, juive et chrétienne, sécularisation et importance des Lumières qui ont fait de l’Europe le « continent de la vie interrogée »... Cette difficulté à assumer sa spécificité historique est allée de pair avec l’importance accordée à l’économie, et plus précisément à une politique économique particulière, néo-libérale, qui acquérait de fait un statut constitutionnel dans le défunt Traité. Cette politique économique se trouvait ainsi promue comme l’une des normes fondamentales de la démocratie, au même titre que les libertés publiques fondamentales et les règles juridiques qui encadrent l’organisation et le fonctionnement des institutions. L’économisme est devenu la grille de lecture dominante de pays européens déboussolés qui ne parviennent plus à réinsérer l’économie dans un creuset historique et culturel qui puissent faire sens pour les peuples.

Q : Dans vos écrits, vous êtes particulièrement critique sur la modernisation et le management tels qu’ils se sont développés depuis les années 1980. N’est-ce pas là la manifestation d’un certain conservatisme qui peut rejoindre la défense des intérêts corporatistes et refuse les réformes ?

Jean-Pierre Le Goff : Il s’agit avant tout de comprendre que le « néolibéralisme », la « modernisation » ou encore les « réformes » se sont développés depuis un quart de siècle dans le cadre global de cette déculturation historique. Celle-ci constitue une situation nouvelle, en rupture avec le libéralisme traditionnel et les modernisations antérieures. À l’origine, le libéralisme est inséparable de la lutte pour la liberté politique et, sur le plan économique, il s’est accompagné de l’idée selon laquelle le marché libre, le libre jeu des intérêts et de la concurrence, entrainaient la prospérité des nations. Quoiqu’on puisse penser de cette conception économique dont je ne partage pas l’optimisme et le caractère utopique, ce libéralisme est né dans une situation historique particulière et il était lié à une visée éducative des individus dans le cadre d’une collectivité historique [5]. Qu’en est-il aujourd’hui de ce libéralisme des origines, avec une mondialisation marquée par la spéculation et une logique de court terme, qui étend considérablement le champ de la concurrence avec des pays hétérogènes, passant outre aux différences du coût du travail, à l’histoire économique et sociale propre à chaque pays ?


Répondre à cette question suppose de sortir de l’économisme et d’une optique technocratique et gestionnaire, pour prendre en compte les bouleversements culturels – en termes d’idées, de valeurs, de représentations et de comportements qui imprègnent la société – qui se sont opérés dans les années 1970 et 1980. Et plutôt que de dénoncer le « capitalisme » ou la « dictature des marchés », il faut poser la question autrement : que s’est-il passé dans le dernier quart du XXe siècle pour que le marché, et avec lui l’entreprise, soient érigés en nouveaux pôles de légitimité sociale et en modèles pour l’ensemble des activités ? Ce qui amène à s’interroger sur les raisons d’un aveuglement qui ont conduit une partie des élites à adhérer si facilement à une conception angélique de la libre concurrence et de la mondialisation. Autrement dit, qu’en est il de nos ressources politiques et morales, intellectuelles et culturelles qui ont constitué autant de garde fous contre le libre jeu de la concurrence et l’hégémonie du modèle marchand ?


Ce nouveau libéralisme et l’économisme qu’il implique dans l’abord des questions de société ont été accompagnés d’une modernisation d’un nouveau genre qui a pratiqué la « fuite en avant » dans tous les domaines, rompant ainsi avec les modernisations antérieures. Après la défaite de juin 1940, la passion modernisatrice de l’après-guerre entendait tirer un trait sur la France de l’avant-guerre, repliée sur elle-même, par une vision d’avenir marquée du sceau du développement économique, scientifique et technique. Cette vision modernisatrice n’en impliquait pas pour autant une dépréciation de l’histoire de France et de sa culture, bien au contraire. L’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 1958 s’est inscrite dans cette modernisation entamée par la IVe République en lui redonnant un nouveau souffle. En fait, le général de Gaulle incarnait une « alliance singulière entre vision classique et moderne » : la modernisation était l’instrument par lequel la France, identité historique séculaire, pouvait rester égale à elle-même en jouant de nouveau un rôle historique dans le monde [6].


Ce « roman national » qui maintenait le lien entre le passé, le présent et l’avenir du pays, se trouve aujourd’hui en morceaux. Dans une situation où ce continuum historique est rompu, où le passé est déprécié, réduit au « devoir de mémoire » et à la dimension patrimoniale, où l’avenir paraît indiscernable, ouvert sur de possibles régressions, le présent est existentiellement flottant, il devient autoréférentiel et le vide qui le sous-tend est alors comblé par un activisme dans tous les domaines de la vie individuelle et collective. Le slogan « le changement, c’est maintenant » exprime bien cette absolutisation du présent en état de sollicitation perpétuelle. Dans cette temporalité devenue folle, individus et collectivités sont constamment sommés de rattraper un retard qui paraît sans fin. Les grands médias audio-visuels fonctionnant en boucle, les nouvelles techniques d’information et de communication renforcent et démultiplient ce phénomène mais ils ne l’ont pas créé.


Désarticulée de l’histoire, la politique a elle-même versé dans l’activisme managérial et « communicationnel », faute de projet plus structurant. Cette façon de faire est particulièrement manifeste dans la succession des réformes menées par les différents gouvernements. Celles-ci s’inscrivent dans ce moment de déculturation où la politique est dominée par une optique étroitement gestionnaire et comptable qui, étant dépourvue de creuset humaniste et de vision historique, apparaît non pas comme un moyen mais comme un fin. Cette déculturation et cette fuite en avant concernent l’école qui s’est trouvée de plus en plus soumise à une logique d’adaptation de courte vue, aux pressions des idéologies et des modes dans les domaines de la pédagogie et des mœurs, comme dans celui des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui exercent une véritable fascination. Pour le modernisme ambiant, la finalité conservatrice de l’école apparaît désormais comme une survivance d’un autre âge, alors qu’elle est un élément essentiel de la transmission, du maintien et du renouvellement d’un monde commun. Ses missions ne se réduisent pas à l’apprentissage de compétences de base, pour importantes qu’elles soient, elles relèvent en même temps de la transmission d’une culture à travers un corpus structuré de connaissances qui ne sont pas seulement scientifiques et techniques, mais aussi historiques, avec une importance particulière accordée à la littérature, aux arts et à la philosophie qui sont indispensables à la compréhension du monde et à l’autonomie de jugement. Pour ces raisons, l’école ne se confond pas avec l’espace public ; elle doit se protéger des communautarismes et des groupes de pression qui font valoir leurs idéologies et leurs intérêts. Dans ce cadre, la défense de la laïcité issue de notre tradition républicaine trouve son bien fondé.


goffR320025988.jpgLa fuite en avant moderniste s’étend également aux mentalités et aux modes de vie emportés dans un changement perpétuel, sans finalité autre que celles de la survie et de la concurrence dans un monde chaotique. Si le monde et notre héritage culturel ne sont pas immuables, on ne saurait faire valoir comme modèle a contrario un mouvement permanent, indéfini, et un multiculturalisme invertébré, à moins de considérer que notre faculté de penser et de juger est désormais hors de propos. C’est précisément ces idées que diffusent les rhéteurs de la postmodernité qui commentent indéfiniment les évolutions et veulent à tout prix apparaître dans le camp d’un « progrès » devenu synonyme de « changement » sans but ni sens. Pour une partie des élites, l’important c’est d’« en être », en faisant du surf sur les évolutions et en essayant de tirer parti d’une telle situation. Face à cette insignifiance, les questions fondamentales : « Qu’est-ce qui est vrai ? », « Qu’est-ce qui est juste ? », « Qu’est-ce que je peux en penser ? » sont devenues des exigence à la fois conservatrices et très actuelles, à l’heure d’une « réactivité » et d’un zapping permanent qui ne permettent plus la distance et brouillent le discernement.


Une partie du pays en a assez, non pas de la modernité, mais de la fuite en avant moderniste dans une logique de remise en cause et d’accélération permanentes. Telles me paraissent être les points aveugles d’un nouveau management et d’un pouvoir informe qui n’ont cessé de déstabiliser les individus et les collectifs, de générer l’angoisse au sein de la société, rendant ainsi plus difficile une reconstruction qui est tout autant économique et sociale que politique et culturelle.

Q : Pourquoi la gauche a-t-elle tendance à tout réduire à la lutte contre les inégalités et à la nécessité d’adapter sans cesse l’homme et la société aux évolutions considérées comme naturellement porteuses de progrès ?

Jean-Pierre Le Goff : Dans sa décomposition actuelle, la gauche bricole un curieux mélange de fuite en avant et de restes morcelés de son ancienne doctrine ; la lutte contre les inégalités est un marqueur d’identité auquel elle se raccroche. Outre le fait qu’il s’agit de prendre en compte de façon pragmatique les effets réels des politiques de lutte contre le chômage de masse et la précarité, l’« égalité » est devenue un mot fourre-tout qui joue de plus en plus un rôle symbolique de démarcation avec la droite. Là aussi, il faut opérer un retour aux sources pour mieux comprendre le glissement qui s’est opéré.


La liberté est la première des valeurs inscrites dans la devise républicaine et l’égalité est d’abord juridique et politique : elle implique l’égalité des citoyens devant la loi et l’élection de leurs représentants par le suffrage universel. La conception de la citoyenneté républicaine met en avant une exigence, celle du dépassement des intérêts particuliers et des appartenances particulières pour se penser membre de la cité. Cette conception a un caractère d’idéalité qui ne peut complètement coïncider avec les faits, mais elle n’en constitue pas moins un « idéal régulateur » face au repli sur les particularismes individuels, sociaux ou religieux. La lutte contre les inégalités économiques s’inscrit dans le cadre d’une « justice sociale » et vise à créer les conditions favorables à cette citoyenneté. C’est en s’inscrivant dans cette perspective que la lutte contre les inégalités prend son sens et ne verse pas dans l’égalitarisme et le ressentiment. Dans cette optique, il s’agit d’améliorer les conditions économiques et sociales, de développer l’éducation, particulièrement en direction des catégories les plus défavorisées, afin d’accroître cette liberté et de former des élites issues du peuple. Les paroles de Carlo Rosselli, socialiste, antifasciste italien, assassiné en 1937, constituent le meilleur de la tradition de la gauche et du mouvement ouvrier : « Le socialisme, disait-il, c’est quand la liberté arrive dans la vie des gens les plus pauvres [7]. » La dynamique historique qu’ont pu représenter le mouvement ouvrier et le socialisme n’est plus, mais cette idée d’une liberté concernant les couches populaires est une exigence à laquelle je demeure attaché. Celle-ci n’a rien à voir avec les revendications du « droit à la réussite pour tous » et des « droits à » de la part des individus ou des groupes communautaires, revendications qui ont été promues de façon démagogique par une gauche en crise d’identité.


Plus globalement, la gauche reste encore largement prisonnière d’une lecture réductrice de la société : le domaine économique et social demeure le fondement de la réalité, le point focal à partir duquel elle interprète les phénomènes. Les questions anthropologiques n’échappent pas à cette problématique. Elles sont encore envisagées le plus souvent comme des phénomènes superstructurels ou des « constructions sociales de la réalité » marqués du sceau des inégalités et de la domination, qu’il faut adapter aux évolutions considérées comme naturellement porteuses de progrès, avec ce même point aveugle de certitude : la gauche est nécessairement dans le camp du progrès et du Bien. Dans l’ensemble, la gauche manque de liberté d’esprit pour aborder ces questions : peu ou prou, il faut relier ces phénomènes à la sphère marchande, aux inégalités, à la domination… pour qu’ils acquièrent une légitimité suffisante et que la gauche puisse s’y retrouver avec des repères sécurisants face la droite, alors que ces questions engagent une conception de la condition humaine dont on ne peut faire abstraction et qui ne recoupe pas les clivages partisans. Les difficultés théoriques de la gauche dans l’abord de ces questions se conjuguent avec la crainte d’être catalogué dans le mauvais camp. On vit dans un « entre-soi » où l’on tient à conserver à tout prix à une image progressiste, de gauche, en ayant peur d’avoir « mauvaise réputation », d’être catalogué comme un « nouveau réactionnaire » ou un suppôt de l’extrême droite. La confusion intellectuelle et le relativisme de bon ton se conjuguent avec une forme de lâcheté face à la pression et aux anathèmes d’un milieu restreint mais influent qui occupe des positions de pouvoir dans les médias et la communication. Dans ces conditions, il s’agit de faire valoir la liberté de pensée et l’autonomie de jugement face à une gauche repliée sur elle-même et sectaire, incapable de comprendre ce qui lui arrive, pratiquant l’invective et se servant de l’extrême droite pour masquer sa propre inconsistance et dénier la réalité. Resituée dans un temps long, cette dégradation me paraît typique de la fin d’un cycle historique, celui du mouvement ouvrier issu du XIXe siècle et du pôle qu’il pu représenter dans la société.

Q : Peut-on dire que le concept de « gauchisme culturel » que vous avez développé et critiqué, s’oppose à la conception d’une gauche positivement conservatrice ?

Jean-Pierre Le Goff : En effet, le gauchisme culturel s’oppose au conservatisme qu’il assimile à la réaction et à l’extrême droite de façon des plus caricaturales. Ce gauchisme culturel paraît pacifique et non violent, dans la mesure où il entend « changer les mentalités » par les moyens de l’éducation, de la communication moderne et par la loi. Mais il n’en véhicule pas moins l’idée de rupture avec le « vieux monde » et de « révolution culturelle », en étant persuadé qu’il est porteur de valeurs et de comportements correspondant à la fois au nouvel état de la société et à une certaine idée du Bien. Plus fondamentalement, il s’inscrit dans un courant déstructurant présent au sein des sociétés démocratiques qui met à mal toute une conception de la condition humaine et un sens commun qui lui était attaché.


goff344_BO1,204,203,200_.jpgLes origines, le contenu et la genèse de ce gauchisme sont inséparables du basculement opéré par le mouvement de mai 68. En France, cet événement multiforme marque un moment de pause et de catharsis dans une société qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, s’est trouvée transformée en peu de temps par la modernisation des Trente glorieuses [8]. Mai 68 a fait apparaître au grand jour la jeunesse adolescente comme nouvel acteur social, il a mis en question les finalités du progrès, mis en cause le moralisme et le paternalisme, les bureaucraties en place, les pouvoirs et les institutions sclérosés… En ce sens, il n’appartient à personne et l’on ne reviendra pas en arrière. Ce qui m’apparaît avant tout en question est ce que j’ai appelé son « héritage impossible » qui comporte une remise en cause radicale des symboles de l’autorité, une conception de l’autonomie érigée en absolu, une vision noire de notre histoire… Cet héritage impossible a été transmis de génération à génération, passant par une dynamique contestataire et transgressive pour aboutir à un nouveau conformisme et à une forme de nihilisme d’affaissement [9].


Les années qui ont suivi mai 68 ont d’abord été marquées par un règlement de compte d’une génération contestataire, celle des « baby boomers », contre l’héritage culturel et politique qui lui avait été transmis, tant bien que mal, dans une société marquée par le développement sans précédent de la production, de la consommation et des loisirs. Les gauchistes de l’époque qui prétendaient faire table rase du passé n’en étaient pas moins des héritiers, des héritiers rebelles mais des héritiers « quand même ». Ils se sont révoltés contre les cultures juive et chrétienne, humaniste et républicaine, mais ils avaient été éduqués dans leur creuset. Toute rupture se voulant radicale est marquée par une référence (fût-elle en négatif) à ce qui est légué par les générations antérieures. N’oublions pas, au demeurant, que Rimbaud, élevé au rang d’icône de la révolte et de l’artiste maudit, n’en a pas moins été d’abord un lycéen brillant qui a obtenu des premiers prix des concours académiques de vers et de discours en latin.


Les générations post-soixante-huitardes ont grandi et ont été formées dans une période critique où les éducateurs et les enseignants assumaient mal leur rôle de transmission d’un héritage avec lequel ils étaient eux-mêmes en rupture. À cette rupture dans la transmission est venu s’ajouter un retournement de la situation avec la fin des Trente glorieuses, le développement du chômage de masse et les préoccupations écologiques. Le premier « fossé des générations » des années 1960-1970 a été suivi d’un second pour qui mai 68 est devenu un sorte de mythe fondateur dans un contexte bien différent. Une culture post soixante-huitarde abâtardie dont le gauchisme culturel est l’héritier, s’est progressivement distillée et installée dans la jeunesse.


Aujourd’hui, les figures du « révolté » et du « rebelle », de l’« artiste maudit » et du « génie méconnu » sont devenues des modèles de référence dans la société du spectacle, aboutissant à un résultat paradoxal : celui d’un nouveau conformisme de la révolte et de la transgression banalisées qui s’étalent dans les milieux médiatiques et branchés. Dans le même temps, les thèmes de la souffrance et de la victime ayant des droits ont pris le dessus.


Au fil de plusieurs générations, tout un public adolescent et post-adolescent a baigné dans une sous-culture historique et idéologique pour qui l’absolutisme, l’esclavagisme, le colonialisme, Pétain et la collaboration, la Shoah… constituent le résumé de l’histoire de la France, de l’Europe et de l’Occident. En contrepoint, les autres cultures du monde exercent leur fascination sous un angle des plus angéliques. Cette sous-culture gauchiste est entretenue et diffusée par des politiques et des journalistes militants, des groupes de pression minoritaires qui font valoir leur statut de victimes pour s’ériger en justiciers du passé, faire prévaloir leur idéologie et leurs intérêts particuliers. Ils encouragent le ressentiment et pratiquent la délation, le lynchage médiatique et les plaintes en justice. De cette façon, ils ont réussi à paralyser une partie de la gauche et l’empêchent de penser librement, en même temps qu’ils laissent le champ libre à l’exploitation populiste des problèmes qu’ils dénient, en faisant de l’extrême droite leur adversaire attitré. Aujourd’hui, ce gauchisme culturel me paraît être parvenu à un point limite. Son agitation et son influence dans certains milieux intellectuels et médiatiques peuvent laisser croire qu’il occupe toujours une place prépondérante alors qu’une bonne partie de la population le rejette ou l’ignore. Au sein de la société, après l’hégémonie culturelle de l’héritage impossible de mai 68, nous assistons à un mouvement de balancier avec des aspects traditionalistes et réactionnaires bien réels, sans qu’on puisse réduire ce mouvement à ces aspects.


Ce qui me frappe le plus, c’est la légèreté et la précipitation avec lesquelles la gauche convertie au gauchisme culturel aborde les questions sociétales au nom de l’égalité sans se rendre compte que cette dernière a changé de registre. La « passion de l’égalité » propre à la démocratie a franchi une nouvelle étape en s’appliquant désormais à des domaines qui relèvent de l’anthropologie. Une donnée de base de la condition humaine reconnue comme telle depuis des millénaires a été mise en question : la division sexuelle et la façon dont les êtres humains conçoivent la transmission de la vie et de la filiation. On s’excusera du peu… En se voulant à l’avant-garde d’une évolution des mœurs problématique, la gauche a ouvert en toute irresponsabilité une boîte de Pandore. Désormais, avec la nouvelle conception de la lutte contre les inégalités, les différences liées à la condition humaine et les aléas de la vie peuvent être considérés comme des signes insupportables d’inégalité et de discrimination. Cette revendication bien particulière de l’égalité a partie liée avec un fantasme de toute puissance qui considère que les problèmes anthropologiques sont une sorte de matière qu’on pourrait modeler à loisir et sans dommage, en fonction des désirs de chacun et des minorités qui font valoir leur statut de victimes ayant des droits. À l’inverse, parce qu’elles mettent en jeu ce qui fait l’humain, ces questions anthropologiques me paraissent devoir être considérées avec prudence et le plus grand soin, pour empêcher que le monde humain se défasse. Le « principe de précaution » – qui est devenu un leitmotiv concernant des espèces en voie de disparition ou de certaines recherches et expérimentations scientifiques et techniques – est mis hors champ concernant l’humain, au nom d’une passion de l’égalité sans limite. Dans ces domaines, le conservatisme est une forme de sagesse, de prudence et de résistance face à un nouvel hubris qui se veut décomplexé dans un climat de confusion intellectuelle et éthique.

- Q : Le conservatisme peut-il être de droite autant que de gauche ?

Jean-Pierre Le Goff : Aujourd’hui, dans les conditions historiques et idéologiques que je viens de décrire, c’est un courant de pensée pluriel qui n’est pas réductible à un camp ; il me paraît transversal à la droite et à la gauche, même si la droite a pu être son représentant pendant longtemps et si la gauche s’est toujours présentée comme le camp du progrès contre la réaction assimilée au conservatisme. L’écologie qui s’interroge sur l’avenir de la planète et n’appartient pas à un camp politique, est à sa façon conservatrice. Bien plus, tout un courant écologique fondamentaliste est réactionnaire, voire nihiliste, dans sa façon de remettre en cause la prééminence de l’homme sur la nature et ce qui fait précisément la spécificité de l’humain qui n’est pas, contrairement à ce qui est asséné, une « espèce comme les autres ». Il est également un domaine sur lequel une partie de la gauche peut apparaître « conservatrice », c’est celui de la défense d’un modèle social lié à l’État providence qui s’est constitué dans la période dite des Trente glorieuses et qui connaît de sérieuses difficultés aujourd’hui. S’il n’est pas intangible, le modèle social français est le fruit d’une histoire et de conquêtes sociales dont on ne peut faire abstraction en prônant ouvertement une « révolution culturelle » qui le mettrait à bas, comme le fait une partie de la droite libérale. Là aussi, il s’agit de faire la part des choses, de façon pragmatique et non idéologique, à gauche comme à droite, entre ce qui relève des idéologies et des dogmes et d’une adaptation nécessaire d’un modèle auquel je demeure attaché.


goffggghhhgghg.jpgL’économie de marché a ses lois propres, mais elle s’insère aussi dans un creuset anthropologique et historique. L’économisme dominant passe outre cette dimension essentielle à la vie en société et à la politique. Un pays n’est pas une entreprise et la culture n’est pas une sorte de « pâte à modeler » ou de « supplément d’âme » à une société conçue comme une mécanique gérable et adaptable à volonté ; elle est précisément ce qui donne sens à la vie en société.


Cette approche conservatrice qui s’inscrit dans la modernité trouve plus globalement sa pertinence face à un nouvel individualisme désaffilié et autocentré, à une déculturation politique et culturelle. Il s’agit très directement de savoir si nous avons encore des motifs pour croire que nos repères culturels et politiques, transmis tant bien que mal à travers les générations, peuvent encore nous inspirer et nous guider, si notre pays peut encore apporter quelque chose de spécifique à l’Europe et au monde. C’est précisément sur ce point que les choses sont devenues floues pour beaucoup, non seulement parce qu’elles seraient plus « complexes » qu’auparavant, mais, plus simplement et plus fondamentalement, parce que beaucoup ne savent plus trop quoi penser et transmettre.


C’est dans ce cadre, qu’être conservateur peut trouver une signification nouvelle en mettant en question l’insignifiance, en faisant valoir l’importance d’un recul réflexif et critique, inséparable d’une relecture et d’une réappropriation éclairée de notre passé. Il s’agit de sortir du faux choix, sous forme de chantage, dans lequel tout un courant de la gauche, mais aussi de la droite moderniste, enferme l’alternative et le débat entre un passé, un héritage culturel figé et dépassé qui n’auraient plus rien de substantiel à nous apporter, et un présent et un avenir perpétuellement mobiles et fluides auxquels nous n’aurions plus qu’à nous adapter.


Tout un courant intellectuel gauchiste et moderniste réduit bêtement les notions d’« identité » et de « culture » à une conception essentialiste qui nous ramènerait du côté du traditionalisme, de Maurras, de Pétain, de l’extrême droite… L’identité d’un peuple n’est pas une substance immuable qui ne changerait pas avec le temps, mais on ne saurait faire valoir comme modèle a contrario un mouvement permanent et indéfini, sauf à considérer le monde commun comme un chaos et à abdiquer toute prétention à le rendre signifiant. L’idée d’« identité narrative » développée par Paul Ricœur ouvre d’autres perspectives en soulignant l’importance du récit qu’un pays se forge de sa propre histoire. Cette identité n’est pas celle d’une « structure fixe, mais bien celle mobile, révisable, d’une histoire racontée et mêlée à celle des autres cultures [10] ». Cette identité narrative ne signifie pas pour autant un multiculturalisme invertébré et soumis à une recomposition constante ; elle suppose une interprétation qui implique des choix, structure les événements, leur donne une signification et met en valeur des potentialités inexploitées du passé. La France et les pays de l’Union européens n’échappent pas aujourd’hui à cette nécessité.


Le passé n’est pas un patrimoine muséifié, il ne comporte pas seulement en lui du révolu, il contient des ressources et ce que Paul Ricœur appelle des « potentialités inaccomplies », pourvu que nous sachions les redécouvrir et nous approprier le meilleur de nos traditions. En ce sens, être conservateur ne signifie pas être « traditionaliste » ou « réactionnaire », contrairement à ce que voudraient nous faire croire une gauche bien pensante et une droite moderniste. Un pays qui rend insignifiant son passé se condamne à ne plus inventer un avenir discernable porteur des espérances d’émancipation ; un pays qui ne croit plus en lui-même est ouvert à toutes les servitudes. Dans ce cadre, conservatisme et progrès ne me paraissent pas contradictoires, ils constituent les deux pôles d’une modernité éclairée qui rejette le faux dilemme entre traditionalisme et fuite en avant. En fin de compte, il importe avant tout de savoir ce à quoi l’on tient et ce que l’on veut transmettre pour entreprendre un travail de reconstruction. Pour paraphraser la formulation de Kolakowski, je dirai qu’il est possible d’être à la fois conservateur, moderne et social, dans la mesure où aujourd’hui ces orientations ne me paraissent pas antinomiques.

Jean-Pierre Le Goff, propos recueillis par Laetitia Strauch-Bonart (décembre 2014)

Notes

 

[1Sigmund FREUD, Malaise dans la civilisation, PUF, 1971, 1988, p. 64 et 65.

[2Antoine COMPAGNON, Les antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes, Gallimard, 2005, p. 7.

[3Ibid, p. 446.

[4Raymond ARON, Les désillusions du progrès, Gallimard, 1969.

[5Michel GUENAIRE, Les deux libéralismes, Perrin 2011, et Il faut terminer la révolution libérale, Flammarion 2009.

[6Edgard PISANI, « De Gaulle et la modernisation de la France », Cahier de Politique Autrement, octobre 1998.

[7Carlo ROSSELLI, cité par Monique CANTO-SPERBER, Les règles de la liberté, Plon, 2003, p. 13-14.

[8Cf. « Mai 68 : La France entre deux mondes », Le Débat, n° 149, mars-avril 2008.

[9Cf. Mai 68, l’héritage impossible, La Découverte, 1998, 2002, 2006 et 2015.

[10Paul RICŒUR, « Identité narrative et communauté historique », Cahier de Politique Autrement, octobre 1994.

dimanche, 24 mai 2015

« Identité nationale » : qu’est-ce que cela signifie ?

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« Identité nationale »: qu’est-ce que cela signifie?

Par Selim Matar, écrivain et sociologue suisse-irakien

Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Pour un humanisme identitaire

L'EXEMPLE DE L'IDENTITE SUISSE

Malheureusement, l'identité nationale est un sujet très sensible et politisé. En effet, l’identité d’un peuple est un phénomène géographique, historique et culturel avant d’être un dogme politique.

Cet essai tente avant tout de décrire et d’analyser une réalité sociologique. Nous éviterons les deux visions extrémistes :

• Le nationalisme identitaire, de nature haineuse et isolationniste.

L’humanisme nihiliste, mondialiste, abstrait et méprisant l’originalité.

Nous croyons à « un humanisme identitaire » qui défend la diversité culturelle et la reconnaissance de l'identité nationale dans un cadre humaniste et tolérant, respectueux des minorités, de toutes les formes d'identités, et ouvert sur le monde.

Les trois facteurs constitutifs de l’identité

En tout temps et en tout lieu, trois facteurs sont constitutifs des nations et de leur identité :

- la géographie

- l’histoire

- la volonté de se distinguer.

Ces deux derniers facteurs sont en grande partie tributaires de l’environnement géographique.

1. La composante géographique et environnementale

Pour l’individu, le corps est le lieu de son identité. Pour la nation, c’est sa terre. Les nations solidement enracinées dans l’histoire ont toutes des frontières naturelles qui les caractérisent et les séparent des pays environnants. Sans le Nil, l’Egypte ne serait qu’une partie indistincte du désert de Libye. Sans le Tigre et l’Euphrate, l’Irak (la Mésopotamie) ne serait qu’une partie du désert arabique. Sans la Méditerranée, le monde arabe et l’Europe ne seraient qu’un, et sans les Pyrénées, la France et l’Espagne ne seraient qu’une seule nation.

2. L’histoire et l’héritage

Les nations ont leur personnalité culturelle et psychologique forgée par leur histoire et leur héritage propres, eux-mêmes liés à leurs spécificités géographiques et environnementales : montagnes, plaines, forêts, steppes, mers, marécages etc. La population d’un pays montagneux aura une mentalité différente de celle d’un pays désertique ou maritime et vivra des événements historiques également différents.

3. La conscience de l’identité chez les élites

Si la tête dirige le corps de l’homme, ainsi les élites politiques, culturelles, économiques et religieuses dirigent le peuple. La conscience nationale identitaire des élites est décisive pour exploiter les conditions naturelles et l’héritage historique. Ceci afin de forger une nation et de conserver son unité et sa continuité.

Les spécificités de l’identité suisse

Lorsque le sujet de l’identité suisse est évoqué, on entend souvent le même refrain:

« La Suisse est une nation artificielle, qui doit son existence à l’accord des grandes puissances environnantes. »

Dans cet article nous allons montrer, au contraire, que la Suisse n’est pas une création artificielle, mais qu’elle remplit toutes les conditions pour posséder une identité naturelle.

Jusqu’ici, ceux qui ont traité le sujet n’ont pas suffisamment pris en compte les trois facteurs constitutifs mentionnés ci-dessus.

En se fondant sur ces facteurs, on peut considérer que la Suisse et son identité sont d’abord le produit de sa géographie et de son environnement propres:

Elle est constituée d’un plateau, bordé à l’est par une chaîne de montagnes (les Alpes), qui couvre 61 % de sa superficie, et à l’ouest par une autre (le Jura), qui couvre 12 % de sa superficie.

Cette situation géographique a joué un rôle déterminant dans la formation de la Suisse et de son identité. Une Suisse sans le Jura n’aurait jamais existé. Elle aurait été une partie de la France. Sans les Alpes, elle aurait été une partie de l’Italie.

Quant au plateau, il couvre environ 30 % de la surface du pays et s’étend de Genève au sud, jusqu’à Zurich et à la Thurgovie au nord. Il a été tout au long de l’histoire un passage naturel et précieux entre la partie méridionale latine de l’Europe occidentale et sa partie septentrionale germanique.

C’est dans ce plateau que s’est formée l’identité suisse, car le plateau a été le creuset où se sont rencontrés les habitants des Alpes et du Jura.

Portail entre le sud et le nord de l’Europe, il était naturel que le plateau soit divisé en une partie francophone au sud et une partie germanophone au nord.

Du fait qu’il a toujours été historiquement un lieu de passage pour les populations et pour les armées – de Hannibal jusqu’à Napoléon – le plateau a conféré à ses habitants une mentalité ouverte, commerciale et dynamique. Cette particularité géographique et environnementale a joué un rôle essentiel dans la formation des cinq principaux caractères de l’identité suisse que nous tenterons de résumer ici.

1. Une double personnalité : celle des montagnes et celle des plaines

L’identité suisse est le résultat du mélange de ces deux personnalités opposées et complémentaires:

La personnalité montagnarde, particulièrement celle des Alpes, plus importante quantitativement que celle du Jura, est caractérisée par la tendance à la réserve, au repli, à l’isolement et à la circonspection envers l’étranger. Mais aussi par la robustesse, la maîtrise des travaux manuels, le perfectionnisme, le sens pratique et la capacité à affronter les dangers.

La personnalité des plaines, à savoir celle des habitants du plateau confrontés aux étrangers, aux changements et aux évolutions, se caractérise par le dynamisme, l’esprit commercial, la diplomatie et la capacité d’entreprendre.

Cette dualité a contribué à constituer la qualité la plus importante de l’identité suisse: une personnalité qui allie la résistance, le perfectionnisme et le repli sur soi des montagnards au dynamisme et à l’esprit commercial et ouvert des habitants des plaines. Cette complémentarité fait la force de l’identité suisse.

2. La neutralité

La Suisse et l’Autriche sont les seuls pays d’Europe occidentale qui ne possèdent pas de façade maritime. Alors que l’Autriche, dont les plaines sont ouvertes sur l’Europe de l’Est, a compensé son incapacité à entreprendre des conquêtes maritimes par des conquêtes territoriales qui lui ont permis de constituer un empire, la Suisse est non seulement privée de mer, mais entourée par de grandes chaînes de montagnes. Cela l’a préservée des invasions étrangères, mais l’a également empêchée de s’étendre et de participer aux conquêtes coloniales européennes. Cette incapacité n’est nullement due à sa taille, puisque la Hollande et la Belgique, deux pays plus petits, ont pu, grâce à la mer, compter parmi les plus grandes puissances coloniales.

Cette particularité géographique – l’absence de mer – a conféré à la Suisse une importante composante de son identité, qui fait d’elle un cas unique en Europe occidentale: la neutralité!

Comme elle ne pouvait participer aux conquêtes et aux guerres des puissances environnantes, elle s’est limitée, dans sa relation avec l’extérieur, à se préserver des conflits qui faisaient rage à ses frontières. Cette relation s’est construite en dehors de la logique du rapport de force – dominant ou dominé. C’est une relation basée sur l’égalité et la recherche de l’intérêt réciproque.

Ce n’est donc pas un hasard que la Suisse ait vu naître la Croix-Rouge, qu’elle ait hébergé le siège des organisations internationales, et que les conventions internationales humanitaires et les traités de paix aient été signés sous ses auspices. Elle ne l’a pas fait par romantisme ou par vocation humaniste, mais plutôt pour des motifs inconscients: le désir de compenser son incapacité à participer aux jeux, aux conquêtes et aux guerres de ses voisins en faisant justement le contraire: œuvrer à résoudre les conflits, secourir et soigner les combattants.

3- L’art de manœuvrer avec les plus forts

La neutralité suisse est relative, car elle reste une petite nation entourée de nations guerrières et expansionnistes. Elle est donc obligée d’utiliser ses qualités naturelles, la force, la capacité d’adaptation et le dynamisme, pour se protéger et se renforcer.

Anciennement, elle a profité des forces défensives de sa nature montagneuse et de la vaillance de ses hommes. C’était un Etat nain, mais avec lequel les grandes puissances devaient compter à cause de la force de frappe de ses bataillons, qui se battaient aux côtés de la puissance qui payait le mieux. Les mercenaires n’étaient pas que des individus isolés qui choisissaient cette activité pour gagner des sous. La Confédération suisse pouvait aussi décider, par la Diète de Zürich, de l’engagement des Suisses dans un conflit. Il est arrivé que les Suisses obtiennent des territoires contre la promesse qu’ils ne soutiendraient pas telle ou telle puissance. C’était une manière de conquérir des territoires. Comme exemple de l’ampleur de cet engagement militaire au service de puissances étrangères, citons la bataille de Marignan (1515), qui a fait entre 8’000 et 14’000 victimes parmi les soldats suisses qui défendaient Milan contre les Français et les Vénitiens. L’art de manœuvrer avec les plus forts, en jouant de ses contingents de mercenaires, est progressivement devenu économique à travers la place financière suisse.

 

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4. La recherche du consensus et le refus du charisme

La Suisse est un des rares pays, si ce n’est le seul, à n’avoir pas donné naissance à des rois ou à des princes ! Elle a toujours été gouvernée d’une manière quasi communautaire, à part quelques régions qui étaient dirigées par des barons et des comtes. Cette absence d’hommes forts s’explique assurément par la mentalité suisse qui refuse les personnalités charismatiques. Jusqu’à nos jours, elle n’a pas permis l’émergence de leaders politiques – un président, par exemple – religieux ou culturels de renom, qui auraient une forte emprise sur la population. Cela s’explique peut-être par la nature montagneuse de la plus grande partie du pays: les communications étaient difficiles entre les régions habitées, éclatées en de multiples vallées séparées par des barrières difficilement franchissables. Une telle configuration n’était pas favorable à l’émergence d’une personnalité rassembleuse. Seules les villes du plateau auraient pu produire une telle personnalité, mais la composante montagnarde de l’esprit suisse, fier et collectiviste, refusant d’être dominé et mené par une seule personne, s’est opposé à une telle émergence.

5. Le pacifisme

Avec le temps, la tendance au pacifisme et à la neutralité s’est confirmée dans la mentalité suisse. Ce n’est pas un hasard si, depuis plusieurs siècles, la Suisse se distingue considérablement des nations de l’Europe occidentale qui ont connu des guerre destructrices, civiles et internationales, comme les guerres de religion entre protestants et catholiques, les guerres napoléoniennes, en passant par les révolutions populaires et les deux guerres mondiales ! Au milieu de ces nations à feu et à sang, elle a pu étonnamment se protéger des guerres intestines et rester en dehors des conflits internationaux.

La dernière guerre qu’elle a connue est celle du Sonderbund (1847), une guerre civile qui a coûté la vie à moins de 100 soldats, sans faire de victime civile! Le chef de l'armée, le général Dufour, mérite d'être mentionné comme un exemple d'humanisme. Il ordonna à ses soldats: « Je mets donc sous votre sauvegarde les enfants, les femmes et les vieillards et les ministres de la religion. Celui qui porte la main sur une personne inoffensive se déshonore et souille le drapeau.»

6. Le multilinguisme, signe de faiblesse ou de force ?

Le multilinguisme, souvent mentionné comme preuve de la faiblesse de l’identité suisse, peut être vu au contraire comme une force. La plupart des nations, historiquement, étaient multilinguistiques, mais elles ont fini par imposer une seule langue nationale. Au contraire, la nature dynamique de l’Etat et des élites suisses a su gérer humainement et démocratiquement ce multilinguisme.

___

Selim Matar, Genève 2015

1- http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Marignan

2- http://doc.rero.ch/record/177729/files/1947-11-21.pdf

3- http://www.24heures.ch/vaud-regions/1847-La-guerre-civile-de-l-interieur/story/22632307

vendredi, 22 mai 2015

Conversation avec Julien Freund

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"Polemos", par Enrico Garff

Conversation avec Julien Freund

par Pierre Bérard

Ex: http://asymetria-anticariat.blogspot.com


jf1.jpgJulien Freund est mort en septembre 1993. De la fin des années 70 jusqu'à son décès, je l'ai rencontré à maintes reprises tant à Strasbourg que chez lui à Villé et dans ces villes d'Europe où nous réunissaient colloques et conférences. Des heures durant j'ai frotté à sa patience et à sa perspicacité les grands thèmes de la Nouvelle Droite. Il les accueillait souvent avec une complicité rieuse, parfois avec scepticisme, toujours avec la franche indépendance d'esprit qui a marqué toute son existence. Les lignes qui suivent mettent en scène des conversations tenues à la fin des années quatre-vingt. Des notes prises alors sur le vif et des souvenirs demeurés fort intenses m'ont permis de reconstituer par bribe certains de ces moments. Bien entendu, il ne s'agit pas d'utiliser ici le biais de la fiction posthume pour prêter à Julien Freund des propos que les calomniateurs dont on connaît l'acharnement pourraient instrumenter contre la mémoire d'un grand maître. C'est pourquoi j'entends assumer l'entière responsabilité de ce dialogue. Lors de ces entrevues, on le devine, l'ami absent mais souvent évoqué était Alain de Benoist. Ce texte lui est dédié.


J.F. - Vous êtes à l'heure, c'est bien !
Visage plein, barré d'un large sourire, Julien Freund se tient sur le pas de sa porte.
- J'ai réservé à l'endroit habituel, poursuit-il.
Il enfile un anorak, ajuste un béret sur une brosse impeccable et se saisit de sa canne. Regard amusé sur la gîte inquiétante de la voiture que je viens de garer cahin caha sur l'accotement boueux qui jouxte le chemin de terre. Nous descendons en direction du bourg de Villé.
J.F. - Comment va votre ami Alain de Benoist ?
Puis, tout de go, sans même attendre la réponse :
- Comme vous, je suis frappé par l'aboulie de l'Europe. Regardez, les élèves alsaciens choisissent de moins en moins l'allemand à l'école ! Plus l'Europe se construit par une sorte d'engrenage et moins les Européens s'intéressent les uns aux autres. Dans tous les pays de la Communauté, l'enseignement des autres langues européennes régresse au bénéfice de l'anglais. Par dévolution, elle hérite des patries sans réussir à se doter de leurs qualités. Elle fonctionne comme une procédure de dépolitisation. Elle ne veut pas s'assigner de limites géographiques. Elle ne veut pas être un territoire. Un territoire, voyez-vous, ce n'est pas un espace neutre, susceptible d'une dilatation à l'infini. Le territoire est à l'opposé de l'espace abstrait, c'est un site conditionné, habité par une culture. La nouvelle frontière utopique de l'Europe, c'est l'impolitique des droits de l'homme. C'est une notion hyperbolique mais vague... on ne meurt pas pour une notion aussi floue. Cet espace là n'a pas de qualité, pas d'épaisseur, pas de densité. Il ne peut pas susciter l'adhésion. Seul le territoire peut nourrir des liens d'affection, d'attachement. Du fait du particularisme qui lui est inhérent, l'identité collective exige des frontières. Elle entre en crise quand toute démarcation s'efface. Etre Européen, c'est être dépositaire d'un patrimoine spécifique et s'en reconnaître comptable.

Je croyais ardemment à la construction européenne, mais je suis devenu sceptique dans la mesure où cette Europe là risque bien de n'être qu'un vecteur de la dénationalisation générale, la simple conjugaison de nos impuissances. L'Europe semble vouloir expier son ancienne volonté de puissance. Nous sommes au balcon de l'histoire, et nous faisons étalage de nos bons sentiments.

Il suffit de considérer la complaisance avec laquelle nous nous laissons culpabiliser. Comment s'appelle ce monsieur qui a sorti un livre là-dessus ?
P.B. - Pascal Bruckner... " Le sanglot de l'homme blanc "
J.F. - L'avez-vous lu ?
P.B. - Bien sûr... mais si il fustige en effet la mauvaise conscience européenne, c'est au nom des valeurs universelles de l'Occident dont se réclament aussi les Père-Fouettards qui charcutent notre passé afin de le maudire. Les uns et les autres raisonnent à partir des mêmes présupposés. Bruckner est le héraut d'un universalisme fier et conquérant qui, dans le sillage du néo-libéralisme entend imposer le magistère moral de l'Occident à l'ensemble de l'oekoumène. Ce qu'il reproche aux larmoyants, c'est de n'instrumenter les mêmes valeurs que pour nous diminuer. Ce que disent en revanche les détracteurs de l'Europe, c'est que jamais nous ne fûmes dignes de notre mission civilisatrice. A ce gémissement, Bruckner rétorque qu'il nous faut être forts dans le seul but de sermonner le monde et de lui apprendre les bonnes manières...


J.F. - C'est aux antipodes de ce qu'écrit Alain de Benoist dans son livre sur le tiers monde.
P.B. - En effet ; lui a d'autres paradigmes. Il se tient plutôt dans le camp de l'anthropologie culturelle. Du côté du relativisme.
J.F. - Il n'a pas tort d'un point de vue ontologique, car il faut se débarrasser des excès de l'ethnocentrisme, surtout quand il entretient l'exorbitante prétention de se prétendre universel. Mais politiquement il fait fausse route.
P.B. - Et pourquoi ça ?
J.F. - Relisez mon Essence du politique. Si le tiers monde nous désigne comme ennemi ; par exemple en tant qu'ancienne puissance coloniale responsable de tous ses échecs ; alors nous ne pouvons pas nous dérober sous peine de capitulation. L'affrontement politique n'est pas suspendu aux choix des valeurs, mon cher ami...
Julien Freund fait mine de se renfrogner, puis il éclate de rire...Il fouille le menu avec gourmandise.
J.F. - Qu'est-ce que nous avions pris la dernière fois ?
P.B. - Un baeckeofe.
J.F. - je propose donc un jambonneau et comme il n'y a pas de rouge d'Ottrott, nous allons nous rabattre sur un pinot noir...Sur cet universalisme fallacieux qui règne depuis la dernière guerre mondiale, Schmitt s'est exprimé dans les années vingt. Il écrit dans sa Notion de Politique que " le concept d'humanité est un instrument idéologique particulièrement utile aux expansions impérialistes " et que " sous sa forme éthique et humanitaire, il est un véhicule spécifique de l'impérialisme économique ". Bien évidemment les Américains traduisent leurs intérêts nationaux en langage internationaliste, exactement comme le font les Soviétiques. Mais vous le savez bien, si j'accepte de comparer ces deux puissances, ce n'est pas pour les confondre. Cependant, si le despotisme communiste venait à disparaître comme pourraient le laisser prévoir tous ces craquements à l'Est, l'Amérique pourrait être tentée par une hégémonie sans retenue.


Jf2.jpgEn réponse à ces immenses défis, je suis frappé par le caractère routinier du débat européen. L'Europe se construit d'une manière fonctionnaliste, par une suite d'enchaînements automatiques. Son fétichisme institutionnel permet de dissimuler notre maladie qui est l'absence d'objectifs affichés. Nous sommes par exemple impuissants à nous situer par rapport au monde. Etrange narcissisme ; on se congratule d'exister, mais on ne sait ni se définir, ni se circonscrire. L'Europe est-elle reliée à un héritage spécifique ou bien se conçoit-elle comme une pure idéalité universelle, un marchepied vers l'Etat mondial ? L'énigme demeure avec un penchant de plus en plus affirmé pour la seconde solution qui équivaudrait à une dissolution. Ce processus se nourrit par ailleurs, c'est transparent chez les Allemands, d'une propension à fuir le passé national et se racheter dans un sujet politique plus digne d'estime, une politie immaculée, sans contact avec les souillures de l'histoire. Cette quête de l'innocence, cet idéalisme pénitentiel qui caractérisent notre époque se renforcent au rythme que lui imposent les progrès de cette mémoire négative toute chargée des fautes du passé national. On veut lustrer une Europe nouvelle par les vertus de l'amnésie. Par le baptême du droit on veut faire un nouveau sujet. Mais ce sujet off-shore n'est ni historique, ni politique. Autant dire qu'il n'est rien d'autre qu'une dangereuse illusion. En soldant son passé, l'Europe s'adosse bien davantage à des négations qu'à des fondations. Conçue sur cette base, l'Europe ne peut avoir ni objectif, ni ambition et surtout elle ne peut plus rallier que des consentements velléitaires. Le nouvel Européen qu'on nous fabrique est une baudruche aux semelles de vent. Les identités fluides, éphémères qu'analyse Michel Maffesoli ne peuvent en aucun cas tenir le rôle des identités héritées. Elles n'agrègent que de manière ponctuelle et transitoire, en fonction de modes passagères. Oui, ce ne sont que des agrégats instables stimulés par le discours publicitaire. L'orgiasme n'est pas une réponse au retrait du politique, car il exclut la présence de l'ennemi. Quand il se manifeste, l'ennemi, lui, ne s'adonne pas au ludisme dionysiaque. Si le politique baisse la garde, il y aura toujours un ennemi pour troubler notre sommeil et déranger nos rêves. Il n'y a qu'un pas de la fête à la défaite. Ces tribus là ne sont pas un défi à l'individualisme, elles en sont l'accomplissement chamarré...


Et puis, c'est une Europe de la sempiternelle discussion ... et toujours sur des bases économiques et juridiques, comme si l'économie et le droit pouvaient être fondateurs. Vous savez l'importance que j'accorde à la décision, or l'Europe est dirigée par une classe discutante qui sacrifie le destin à la procédure dans un interminable bavardage qui ne parvient guère à surmonter de légitimes différents. Ce refus de la décision est lié au mal qui frappe nos élites ; elles ne croient plus à la grandeur de notre continent ; elles sont gâtées jusqu'à la moelle par la culpabilité dont elles transmettent l'agent létal à l'ensemble des Européens. D'où cette dérive moralisatrice qui transforme l'Europe en tribunal, mais en tribunal impuissant.


P.B. - Il n'est pas toujours impuissant à l'égard des autochtones...
J.F. - Ca, c'est une autre affaire... Impuissant, car nous prétendons régir la marche du monde vers l'équité, mais nous refusons d'armer le bras de cette prétendue justice. La culpabilité névrotique inhibe l'action.Le problème, c'est que l'Europe est construite par des libéraux et par des socio-démocrates, c'est à dire par des gens qui croient dans l'économie comme instance déterminante. C'est pourquoi la neutralisation du politique est pour ainsi dire inscrite dans son code génétique.
P.B. - L'Europe n'est qu'un tigre de papier.
J.F. - Elle ne fait même pas semblant d'être un tigre ! Depuis plus de quarante ans, elle s'en remet aux Américains pour ce qui est de sa protection. Elle a pris le pli de la vassalité, l'habitude d'une servitude confortable. C'est ce que dévoilent d'ailleurs les choix budgétaires de tous ses gouvernements quelle qu'en soit la couleur : la portion congrue pour la défense, une part grandissante pour les dépenses sociales. En réalité, L'Europe ne peut se construire que sur un enjeu ultime... la question de la vie et de la mort. Seul le militaire est fédérateur, car dans l'extrême danger il est la seule réponse possible. Or ce danger viendra, car l'Europe vieillissante riche et apathique ne manquera pas d'attiser des convoitises. Alors viendra le moment de la décision, celui de la reconnaissance de l'ennemi... Ce sera le sursaut ou la mort. Voilà ce que je pense. M'exprimer de cette manière ne me vaut pas que des amis...
P.B. - Maints ennemis, beaucoup d'honneur...


Julien Freund n'est pas en odeur de sainteté. Des clercs de seconde zone ourdissent à son encontre une campagne de sous-entendus. Ces calomnies reviennent souvent, dans nos ultimes conversations. Pourquoi un tel acharnement ?
J.F. - J'ai cultivé l'indépendance d'esprit, ce qui fait de moi un suspect dans un milieu universitaire de plus en plus contaminé par le conformisme moralisant. Et puis, avec le soutien de Raymond Aron, j'ai introduit en France l'oeuvre de Carl Schmitt.
P.B. - Est-ce que cela suffit à vous frapper d'un anathème sournois ?
J.F. - Et comment ! Schmitt, c'est le démenti des niaiseries contemporaines en matière de philosophie politique. J'ai intronisé le loup ; c'est la panique dans la bergerie de Panurge. La gauche morale est anémique. Elle est déstabilisée par un tel monument. Vous comprenez... C'est une pensée très construite et qui rassemble les plus grandes oeuvres du canon occidental. Ils ne peuvent pas s'en débarrasser d'une pichenette...


jf5.jpgP.B. - Alors comme souvent, quand l'omerta n'est plus tenable, ils déblatèrent.
J.F. - En France, oui, c'est l'invective. Pas en Italie, pas en Espagne. En France, on refuse d'être déniaisé ; on préfère la calomnie venimeuse et les coups de clairon antifascistes. " Schmitt - nazi " ! C'est toujours la même rengaine. Auparavant, les intellectuels libéraux discutaient avec Schmitt. Aron bien sûr, mais regardez Léo Strauss aux Etats-Unis ou Jacob Taubes. Même Walter Benjamin a reconnu sa dette. Ceux d'aujourd'hui subissent l'ascendant de leurs adversaires de gauche et tentent par tous les moyens de s'innocenter. Ils sont les victimes consentantes de la stratégie du soupçon... par lâcheté. Quant à la gauche... depuis que Mitterrand a renoncé à la rupture avec le capitalisme, elle s'est réfugié dans la politique morale ; elle ne pense plus qu'en terme d'antifascisme. La lutte des " places " a remplacé la lutte des classes. " Schmitt-nazi " ; alors on susurre que Freund, c'est du pareil au même.
P.B. - D'autant que vous avez aggravé votre cas...
J.F. - Oui, en vous fréquentant ! J'ai dit publiquement l'intérêt que je portais au travail d'Alain de Benoist. C'est le coup de grâce. Après ça, il n'y a plus de rémission. Je mérite la proscription...


Julien Freund déchaîne un rire espiègle et commande une nouvelle bouteille de pinot noir.
... Ici, certains n'ont pas digéré le débat que j'arbitrais et qui vous avait opposé à eux, Faye et vous, au palais universitaire. Ce fut leur déconfiture... Une Berezina dont ils me tiennent toujours rigueur. Vous comprenez leur exaspération. Ils sont habitués à ressasser leurs mantras sans qu'aucun adversaire à la hauteur ne vienne déranger la litanie et puis là, face au diable, ce qui ne devrait jamais arriver... ce face à face c'est l'interdit majeur. Là donc ils s'effondrent. Et leurs propres étudiants vous applaudissent réduisant leur claque au silence. C'est que... ils se sont enlisés dans la paresse argumentative ; ils ronronnent sans que le moindre désaveu un peu farouche leur soit opposé. Quant aux grands professeurs qui pourraient les contrer, ils existent toujours, mais ils sont tétanisés. La plupart se sont réfugiés dans la pure érudition et songent d'abord à ménager leur carrière... Ils ont déserté l'espace public.Tenez, savez-vous qu'il est question de traduire en espagnol l'ouvrage collectif que j'avais dirigé avec André Béjin sur le racisme ?
P.B. - Le racisme et l'antiracisme... Il y a quelques années le racisme seul suscitait interrogation et condamnation. L'antiracisme allait de soi ; c'était la réponse légitime à la vilenie.
J.F. - Oui, il devient urgent non seulement d'interroger l'antiracisme, mais de le faire parler. La révérence pieuse qui entoure ce prêchi-prêcha est devenue insupportable !
P.B. - Il y a une hésitation de la doxa antiraciste. L'Autre doit-il être envisagé comme le semblable ou comme le différent ?
J.F. - Mais, Bérard, ce n'est pas une hésitation, mais une confusion ! La vulgate antiraciste, c'est un alliage d'insuffisance théorique et d'arrogance rhétorique. Et en prime, l'alibi d'une morale incontestable.
P.B. - Soit. La substance de l'antiracisme est mouvante parce qu'elle est surdéterminée par des manigances tactiques, tantôt assimilationniste sur le mode républicain, tantôt différentialiste dans une perspective qu'on pourrait dire... américaine...
J.F. - Ce sont ces errements qui le rendent difficile à saisir. Je ne suis pas persuadé qu'ils soient seulement tactiques. D'ailleurs les deux discours fonctionnent côte à côte dans un agrégat extravagant de paralogismes. Mais de leur point de vue ça n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est la posture morale. La pureté des intentions est censée cautionner l'échafaudage intellectuel, comme dans le pacifisme. Vous connaissez mes travaux là-dessus.
P.B. - La confusion est renforcée par la polysémie du vocabulaire.
J.F. - Bien sûr. Qu'est-ce qu'une race ? Est-ce une notion scientifique ? Est-ce un pur flatus vocis forgé par l'idéologie ? L'aspect plurivoque de toutes ces choses qu'on ne veut surtout pas définir de façon rigoureuse donne licence aux discours des charlatans. Il y a un dévergondage propre au dégoisement antiraciste. Il manie des idées confuses pour mieux pêcher en eau trouble et intoxiquer les esprits. D'autant que ce galimatias est secondé par la presse qui maintient une pression constante sur l'opinion en interprétant à sa manière le moindre fait divers. Gare aux incartades... Je ne parviens plus à lire Le Monde...


P.B. - J'en reviens quand même à ce que je disais. Il y a donc l'obligation morale d'aimer l'Autre et de l'admettre dans la communauté politique comme un semblable. Par ailleurs, enfin adoubé comme alter ego, il conviendra sans doute de le pourvoir de privilèges compensatoires justifiés par les souffrances que la xénophobie et le racisme lui feraient endurer. C'est la querelle de la discrimination positive qui commence à poindre en plein pathos républicain...
J.F. - L'américanisation comme dit Alain de Benoist.
P.B. - Et, en même temps qu'il se voit invité à entrer dans la maison commune...
J.F. - C'est un spectre, un épouvantail que la gauche agite pour renforcer le vote protestataire.
P.B. - ...Sa promotion de commensal particulièrement choyé à la table citoyenne s'accompagne de la fabrication d'un Autre absolu qu'il est recommandé d'exclure, voire de haïr. Cet Autre brutalement retranché du genre humain, c'est, bien entendu le raciste, le xénophobe... ou, du moins, celui auquel il est avantageux de coller cette étiquette. Ainsi se vérifie cette constante sociologique qui exige que le Nous se construise sur l'exclusion d'un Autre. Et, le paradoxe, c'est que ceux qui font profession de pourfendre l'exclusion sont les premiers à illustrer la permanence de ce principe !
J.F. - Ah... Ce n'est pas un paradoxe, mais comme vous le dites, une vérification, une vérification ironique...


Julien Freund s'esclaffe, longuement, puis se racle la gorge avant de poursuivre.
- ...Ceux qui sont visés, ce sont évidemment les gens d'extrême droite dans la mesure où ils entendent s'affirmer comme des compétiteurs dans le jeu démocratique... mais il se pourrait qu'à l'avenir des strates entières du petit peuple autochtone soient pour ainsi dire la proie de cette exclusion rageuse. En attribuant le racisme aux seuls Européens, l'antiracisme donne de plus en plus l'impression de protéger unilatéralement une partie de la population contre l'autre. Or, en abdiquant le révolutionnarisme lyrique au profit du capitalisme libéral, Mitterrand sacrifie cette clientèle de petites gens bercée jusqu'ici par le discours égalitariste. Vous comprenez, ils ont été habitués à une vision irénique de l'avenir. Et justement, ce sont eux les plus concernés dans leur vie quotidienne, les plus exposés à la présence étrangère. On sait, depuis Aristote, que l'étranger a toujours été un élément conflictuel dans toutes les sociétés. L'harmonie dans une société... disons " multiraciale " est, plus que dans toute autre, une vue de l'esprit. Or, ces gens dont nous parlons, ceux du bistrot, ici, ceux que je rencontre tous les jours à Villé, ils ne participent pas de la civilité bourgeoise. Ils ne subliment pas leurs affects. Leurs réactions sont plus spontanées, leur jactance moins étudiée. Affranchis des règles de la bienséance hypocrite, ils seront les premières victimes des censeurs de cet antiracisme frelaté qui rêve de placer la société sous surveillance. Traquenards, chausse-trapes, procédés de basse police, délations... ce sont ces malheureux qui seront bientôt les victimes de ce climat d'intolérance. L'empire du Bien est un empire policier ou l'on traque le faux-pas, le lapsus, le non-dit et même l'humour...


P.B. - Ils apprendront à se taire, à dissimuler...
J.F. - Ah, mon cher, je suis fils d'ouvrier et je vis dans un village... Ils ne se tairont pas. Il se peut qu'à force on fasse de ces braves gens des bêtes fauves... C'est ma crainte, je l'avoue... D'autant que les soi-disantes autorités morales cherchent à expier notre passé colonial en accoutrant l'immigré africain de probité candide et de lin blanc...
P.B. - C'est la version post-moderne du bon sauvage... que la méchanceté de notre passé doterait d'une créance inépuisable.
J.F. - Ah oui, cette histoire de la dette... c'est un thème sartrien. Mais c'est d'abord une victime qui doit pouvoir bénéficier de certaines immunités. En effet. De pareils privilèges, même symboliques - mais dans une société matérialiste les privilèges ne se contentent pas de demeurer symboliques - ne peuvent que renforcer les antagonismes et puis, surtout, comprenez bien ça, cela heurte l'évangile égalitaire dont les Français ont la tête farcie. En jouant simultanément l'antiracisme et Le Pen contre la droite, Mitterrand va provoquer la sécession de la plèbe. Cela paraît habile... Mitterrand le Florentin et que sais-je encore... mais c'est impolitique. Car, le politique doit toujours envisager le pire pour tenter de le prévenir. J'insiste : si l'étranger est reconnu comme un élément de désorganisation du consensus, il éveille un sentiment d'hostilité et de rejet. Un brassage de population qui juxtapose des origines aussi hétérogènes ne peut que susciter des turbulences qu'il sera difficile de maîtriser.


P.B. - Les rédempteurs de l'humanité sont indécrottables ?
J.F. - Les sentinelles de l'antifascisme sont la maladie de l'Europe décadente. Ils me font penser à cette phrase de Rousseau persiflant les cosmopolites, ces amoureux du genre humain qui ignorent ou détestent leurs voisins de palier. La passion trépidante de l'humanité et le mépris des gens sont le terreau des persécutions à venir. Votre ami Alain de Benoist a commencé d'écrire de bonnes choses là-dessus. Dites-le-lui, il faut aller dans ce sens : la contrition pathologique de nos élites brouille ce qui fut la clé du génie européen ; cette capacité à se mettre toujours en question, à décentrer le jugement. Ceux qui nous fabriquent une mémoire d'oppresseurs sont en fait des narcissiques. Ils n'ont qu'un souci : fortifier leur image de pénitents sublimes et de justiciers infaillibles en badigeonnant l'histoire de l'Europe aux couleurs de l'abjection. Regardez ce qu'écrit Bernard-Henri Lévy sur Emmanuel Mounier... C'est un analphabète malfaisant. En 1942, j'étais avec Mounier à Lyon... en prison ! En épousant l'universel, ils s'exhaussent du lot commun ; ils se constituent en aristocratie du Bien... L'universel devient la nouvelle légitimité de l'oligarchie !


jf6.jpgP.B. - C'est Nietzsche qui écrit dans La volonté de puissance que l'Europe malade trouve un soulagement dans la calomnie. Mais il se pourrait bien que le masochisme européen ne soit qu'une ruse de l'orgueil occidental. Blâmer sa propre histoire, fustiger son identité, c'est encore affirmer sa supériorité dans le Bien. Jadis l'occidental assurait sa superbe au nom de son dieu ou au nom du progrès. Aujourd'hui il veut faire honte aux autres de leur fermeture, de leur intégrisme, de leur enracinement coupable et il exhibe sa contrition insolente comme preuve de sa bonne foi. Ce ne serait pas seulement la fatigue d'être soi que trahirait ce nihilisme contempteur mais plus certainement la volonté de demeurer le précepteur de l'humanité en payant d'abord de sa personne. Demeurer toujours exemplaire, s'affirmer comme l'unique producteur des normes, tel est son atavisme. Cette mélodie du métissage qu'il entonne incessamment, ce ne serait pas tant une complainte exténuée qu'un péan héroïque. La preuve ultime de sa supériorité quand, en effet, partout ailleurs, les autres érigent des barrières et renforcent les clôtures. L'occidental, lui, s'ouvre, se mélange, s'hybride dans l'euphorie et en tire l'argument de son règne sur ceux qui restent rivés à l'idolâtrie des origines. Ce ne serait ni par abnégation, ni même par résignation qu'il précipiterait sa propre déchéance mais pour se confondre enfin intégralement avec ce concept d'humanité qui a toujours été le motif privilégié de sa domination... Il y a beaucoup de cabotinage dans cet altruisme dévergondé et dominateur et c'est pourquoi le monde du spectacle y tient le premier rôle...


J.F. - Je ne crois pas aux facultés démonstratives de la preuve par la mort, quant aux baladins de l'humanitarisme, ces artistes dont vous parlez, mués en prédicateurs citoyens, ils me rappellent un autre aphorisme de Nietzsche qui écrivait dans Le Crépuscule des idoles que si l'on pense que la culture a une utilité, on confondra rapidement ce qui est utile avec la culture. Nous y sommes. Les histrions sont devenus les hussards noirs des temps de détresse...
P.B. - Il y a un autre paradoxe. Au-delà de leurs périphrases lénifiantes pour nier ou euphémiser les ruptures qui travaillent le corps social, les ligues de vertu semblent hypnotisées par l'ethnique et le racial, même si c'est pour le conjurer ; et ils le déversent à grands tombereaux sur une France plutôt placide qui se voit pour ainsi dire sommée de penser les rapports humains dans les catégories que l'antiracisme se donne officiellement pour mission d'abolir...
J.F. - Des écervelés... des têtes de linotte...


P.B. - Diriez-vous aussi qu'ils sont les fourriers d'une racisation démesurée des rapports sociaux ?
J.F. - Moi, je suis du côté de Barrès. Je ne suis pas l'enfant du " pluriculturel " dont on nous abreuve. Je suis né dans une tradition, sur un territoire, dans un groupe déterminé. C'est par ces liens traditionnels que j'accède à la condition humaine. Décrire cela comme une prison, c'est assigner des milliards d'humains à la condition de bagnards. Ceci étant dit... C'est comme ça que cela se passe aux Etats-Unis, non ? Là-bas il y a une congruence du social et du racial, une substantialisation des catégories sociales qui tend à enfermer certains groupes dans un déterminisme sans espoir.
P.B. - Bizarrement, cette thématique trahit chez les antiracistes de profession une sorte de refoulé...
J.F. - Bérard, ne faites pas de psychanalyse à deux sous... Mais c'est vrai qu'ils abusent d'un langage saturé de référents raciaux. Faire l'apologie du métissage, c'est comme honorer la race pure. C'est ramener l'axiologie à la pâte biologique avec, dans les deux cas, le même fantasme prométhéen, celui des ingénieurs du vivant, des biotechniciens.


P.B. - Cela me fait penser aux manuels de confession de la contre-réforme catholique. Ils sont gorgés de descriptions pornographiques. Bien sûr, là aussi c'était pour le bon motif. Mais certains travaux récents montrent que c'est par le biais du confessionnal que les pratiques anticonceptionnelles se seraient répandues dans les campagnes... l'onanisme comme effet pervers de l'interrogatoire ecclésiastique. Le sexe et la race, deux figures de l'obscénité ; tout le monde y pense, personne n'en parle...
J.F. - Ah ça, c'est du Maffesoli !
Julien Freund s'enferme dans une méditation silencieuse qu'il brise après quelques instants d'une phrase dont il hache chaque syllabe avec une componction moqueuse.


J.F. - Je - vais - prendre - un - munster !
P.B. - Je m'exprime plus clairement. Si il y a retour du refoulé, y compris sur le mode d'une dénégation rageuse, cela ne va-t-il pas lever des inhibitions chez ces gens dont vous parliez tout à l'heure ? Et si c'est le cas, installer du même coup nos censeurs dans un rôle rentable de procureurs débordés. L'hétérotélie selon Monnerot...
J.F. - Disons plutôt le paradoxe des conséquences selon Max Weber. Vous savez, mon cher Bérard, ce sont des interdits, plus que des inhibitions. Certes la modernité tardive que j'appelle décadence se veut formellement libertaire. Elle entend bannir tabous et inhibitions au profit d'une spontanéité qui rejette les conventions... La civilité, la politesse, la galanterie... Toutes ces procédures qui cantonnent l'instinct agressif pour lisser l'interface ; en un mot l'élégance sociétale, c'est-à-dire le souci de l'autre. Il y a un risque d'anomie que les thuriféraires de soixante-huit ont largement contribué à magnifier en laissant croire que tous ces codes relevaient d'une aliénation d'essence autoritaire et bourgeoise... Les bourgeois sont d'ailleurs les premiers à s'en émanciper, et avec quel entrain... Ils sont l'avant-garde de l'anomie à venir, des enragés de la décivilisation.


P.B. - Après deux siècles de mimétisme, c'est l'ultime vengeance des bourgeois contre l'aristocratie déchue ?
J.F. - C'est un phénomène plus vaste, sans doute lié à l'individualisme. Ce n'est pas le sujet pensant des adeptes du progrès qui s'émancipe, mais l'ego de coeur et de tripes qui bouscule dans l'ivresse toutes les entraves à l'expression de son authenticité. Le jeunisme, c'est cela ; le " cool ", le sympa, le décontracté, la sacralisation d'une société adolescente libérée des contraintes de la forme. Or la vitalité brute, instinctive, sauvage, célébrée par ce culte de la sincérité et de la transparence, c'est la dénégation de la vie collective et de ces protocoles compliqués qu'on appelle tout simplement la culture. La culture, Bérard, c'est-à-dire depuis Cicéron, ce qui cultive en l'homme social la retenue, la discrétion, la distinction. Le dernier homme ne veut plus être apprivoisé par les usages, et c'est vrai que délesté des impératifs de la règle, il est ainsi persuadé d'avoir inventé le bonheur. La courtoisie, la bienséance, la civilité. Tout cela nous suggère-t-on, ce sont des salamalec, des trucs de vieux, des préjugés d'un autre âge et pire encore des mensonges ; et c'est contre la duplicité que dissimuleraient les rigueurs du savoir-vivre que l'on veut procéder au sacre des penchants.


P.B. - Je pense à Norbert Elias... Des siècles de patient dressage bousillés en une génération ?
J.F. - Oui... Et ce sont les élites, les gardiens traditionnels de la civilité qui donnent quitus à la brutalité de masse... C'est pathétique. Ce qui s'exprime aussi dans cette tendance à ramener tous les différends sur le terrain psychologique, c'est le refus de penser politiquement le monde.
P.B. - On ne pense plus en terme de tragédie, mais de mélodrame... C'est le couronnement du bourgeois.
J.F. - La bourgeoisie conquérante était une rude école disciplinaire, voyez encore Max Weber ... Ce type social est mort avec la précellence du désir.
P.B. - Un désir qui est aussi à la base du système marchand. " Prenez vos désirs pour des réalités ", c'est un parfait slogan de supermarché ou d'organisme de crédit ...
J.F. - J'avais de l'estime pour les situationnistes de Strasbourg, des étudiants brillants, un Tunisien surtout...
P.B. - Pas un beur...
J.F - Ah non, il n'avait pas de petite main sur le coeur. Bien sûr le citoyen de la démocratie post-moderne est un consommateur, mais à l'horizon du désir sans borne c'est aussi un être trivial, un rustaud... un goujat et, surtout, surtout, j'y insiste, un être dont la violence instinctive n'est plus médiatisée par rien. Regardez ce qui se passe dans l'école de la République. Elle est " ouverte sur la vie " ; c'est la nouvelle mode, oh combien significative. Cela veut dire quoi ? Qu'elle a renoncé à être le sanctuaire où, à l'écart du monde justement, on entreprend le difficile polissage de l'enfant pour le rendre apte à l'urbanité, à l'entre soi de la cité.


P.B. - C'est la démocratie des enfants gâtés.
J.F. - Ah oui, dans les deux sens du mot ... Mais je reviens à notre propos de tout à l'heure. On a donc d'une part la juxtaposition potentiellement conflictuelle de groupes hétérogènes et d'autre part cette dramatique évolution des sociétés européennes qui débrident leurs anciennes disciplines et font crédit à la spontanéité du désir. Cette conjonction est explosive...Une société forte peut intégrer, mais la nôtre a renoncé à l'autorité....


Julien Freund s'est interrompu. Il considère son assiette avec une moue circonspecte et y promène du bout de son couteau un rogaton de munster.
- Ce fromage n'a pas la texture des munsters d'alpage ; je le trouve assez décevant.
P.B. -En été, quand les vaches sont à l'estive sur les chaumes, j'achète mon munster dans les ferme-auberges. C'est vrai, ce n'est pas le même fromage ; certains tirent même sur le reblochon. Vous le mangez sans cumin ?
J.F. - Là-dessus, je n'ai pas de religion établie. Est-ce que vous connaissez ce plat où mijotent pommes de terre, oignons et munster ? Ca se déguste avec du lard finement tranché et c'est parfait avec un riesling un peu minéral.
P.B. - C'est un plat de la région de Gérardmer, inconnu sur le versant alsacien des Vosges.
J.F. - Vous avez raison, les crêtes constituent aussi une frontière culinaire...Je voudrais préciser mon point de vue sur ce que je viens d'avancer, peut-être un peu trop hardiment. Comme je l'ai souligné dans ma Sociologie du conflit, il y a deux conditions pour qu'une crise dégénère en conflit. D'abord que s'affirme une bipolarisation radicale ; enfin, que le tiers s'efface. Tant que le tiers subsiste et parvient à affirmer son autorité, il n'y a guère de risque que la crise ne débouche sur un affrontement. Dans la société, la crise est une occurrence banale tant qu'il y a inclusion du tiers ; le conflit n'intervient qu'avec son exclusion. C'est cette exclusion qui est polémogène. Dans la situation présente du pays, le tiers est constitué par l'Etat et les différentes institutions qu'il patronne, comme l'école par exemple dont nous avons parlé, or non seulement l'Etat est frappé par la déshérence du politique, ce qui signifie qu'il se déleste de sa fonction cardinale qui est de pourvoir à la sûreté de chacun, mais les institutions subissent une sorte de pourrissement qui les rend de plus en plus inaptes à manifester leur vocation spécifique... Une distance culturelle qu'on ne parvient pas à combler entre l'immigration musulmane et le milieu d'accueil avec un danger de surchauffe violente, et un tiers en voie de dissolution ; cela, voyez-vous, me fait craindre le pire pour les années à venir.


P.B. - Les libéraux pensent que c'est le marché qui est intégrateur.
J.F. - Le goulag en moins, ce qui n'est pas mince, c'est une utopie aussi dangereuse que celle des Léninistes.
P.B. - L'ignominie du communisme, c'est qu'il a fini par rendre le libéralisme désirable !
J.F. - Vous avez le goût des paradoxes affûtés. Vous êtes sensible, je le sais, au phrasé de Baudrillard.
P.B. - Sa Société de consommation est un grand livre, non ?
J.F. -Peut-être, mais je trouve qu'en forçant le trait, il devient abscons. J'étais dernièrement à un colloque avec lui, à Gènes. Je n'ai pas compris où il voulait en venir, mais les Italiens étaient très sensibles à sa musique... Vous avez tendance à beaucoup le citer. Moi, je préfère la manière plus sobre de votre ami de Benoist ; c'est peut-être moins scintillant mais parfait dans l'argumentation, même si je n'adhère pas à certains de ses axiomes. Il a l'étoffe d'un véritable théoricien, et c'est un habile stratège dans le combat intellectuel ... C'est pourquoi je doute que vos adversaires, qui sont souvent les miens, vous le savez bien, commettent à nouveau l'erreur de 1979 et se risquent à vous donner la parole. La nouvelle droite a trop bien mûri ; cela vous condamne, au moins pour un temps, à la solitude... En tous cas, pour répliquer à cette farce du marché comme agent prétendu de l'intégration, il suffit de relire Durkheim. Il n'a pas vieilli sur ce point. Et que dit-il ? Que la prépondérance croissante de l'activité économique est une des raisons de l'anomie, donc, de la détresse de l'identité collective et de la désintégration sociale.
P.B. - Monsieur le professeur...


jf4.jpgJulien Freund s'amuse de cette interpellation surannée. Jamais, cependant, malgré des années de complicité, je ne me suis départi à son égard de ces antiques politesses.
- Monsieur le professeur... Vous n'avez pas réagi à l'hypothèse que je formulai tout à l'heure concernant cette propension du discours antiraciste à favoriser malgré lui l'actualisation dans le quotidien de toute cette latence raciale, ethnique, tribale... Je voulais dire qu'en interpolant dans ses homélies... dans ses admonestations, de constantes références à ces classifications, il sollicitait pour ainsi dire ses destinataires à interpréter les problèmes de cohabitation qu'ils expérimentent dans ces termes-là. En bref, je suis tenté de penser qu'il contribue à " raciser " les tensions. D'autant que ce discours est performatif. Il vient quasiment du ciel...
J.F. - Ce n'est pas le ciel lumineux des idées selon Platon !
P.B. - ... C'est le pouvoir céleste du devoir-être. Sans compter que les curés y mettent aussi du leur.
J.F. - Pensez-vous sincèrement que les gens aient besoin d'être stimulés par ces élucubrations, même de façon oblique, pour ressentir les choses comme ils les ressentent ? Si l'on tient à établir un lien entre l'univers des discours et la manière dont les gens interprètent leur expérience, il y a selon moi quelque chose de plus frappant qui mériterait d'être creusé ; c'est cette occupation obsessionnelle de nos media par la seconde guerre mondiale ; plus exactement par le nazisme. Vous ne pouvez pas vous en souvenir, mais dans les années cinquante, soixante, Hitler était pratiquement oublié. Nous vivions dans l'euphorie de la reconstruction et, notre actualité politique, c'était quoi ? La guerre froide et les conflits coloniaux, c'est-à-dire des évènements concomitants. Les communistes célébraient pieusement le mensonge de leurs 75 000 fusillés et les anciens de la Résistance se retrouvaient rituellement devant les monuments aux morts. C'était tout. Ce passé, pourtant proche, était en cours de banalisation. Rien d'ailleurs que de très ordinaire dans cette lente érosion ; c'est un critère de vitalité. Aujourd'hui, en revanche, ce passé fait l'objet de constants rappels incantatoires. Hitler est partout, accommodé à toutes les sauces. C'est le nouveau croquemitaine d'une société qui retombe en enfance et se récite des contes effrayants avec spectres, fantômes et golem...


P.B. - Vous ne croyez pas aux revenants ?
J.F. - J'incline à penser que ces revenants sont utiles à certains. Hitler est devenu un argument polémique, et pas seulement en politique. A défaut de vouloir faire l'histoire contemporaine, nous fabriquons du déjà-vu, du simulacre, du pastiche. L'Hitlérisation du présent est un symptôme.
P.B. - La paramnésie ou impression de déjà-vu ; c'est un trouble hallucinatoire ; un signe de grande fatigue dit-on. Mais tous ces regards braqués sur le rétroviseur, cela veut dire aussi que l'avenir a perdu de son prestige. Il ne cristallise plus d'attente messianique. Le progressisme prend soudainement un coup de vieux.


J.F. - Sciences et techniques conservent leur ascendant, mais peut-être, effectivement, ne se prêtent-elles plus aux même amplifications eschatologiques qu'autrefois. L'écologisme grandissant est révélateur d'un désaveu. En tout cas ce Hitler qui nous hante, ce n'est pas celui dont nous célébrions la défaite en 1945, ce führer militariste, pangermaniste et impérialiste, ennemi de la France et de la Russie. Non ; celui qu'on commémore à tout instant pour en exorciser les crimes, c'est l'ethnocrate raciste, antisémite et genocidaire.
P.B. - On ne peut pas lui reprocher d'être anti-arabe ; c'est dommage.
J.F. - Anti-arabe, sûrement pas... le grand mufti de Jérusalem et même Nasser...
P.B. - Et Bourguiba parlant à Radio-Bari dans l'Italie de Mussolini.
J.F. - Le fascisme c'est tout autre chose ! Je vous donnerai une communication que j'ai faite à Rome sur ce sujet il y a quelques années.


P.B. - La mémoire imparfaite des nouveaux clercs confond allégrement les deux. C'est d'ailleurs l'épithète stalinienne de " fasciste " qui s'est finalement imposée...
J.F. - Mais vous n'êtes pas de leurs épigones... Bérard... Ce Hitler qui monte sans cesse à l'assaut du présent pour lui donner du sens, ce n'est pas un objet historique. Qu'est-ce qu'un objet historique ? C'est d'abord une matière suffisamment refroidie, tenue à distance des passions, autant que faire se peut. C'est ensuite une matière à travailler selon les règles éprouvées de la scientificité. Il a fallu plus de deux siècles pour les élaborer... et nous en sommes là ! Comme le diable des prêcheurs médiévaux, Hitler est devenu la caution négative d'une mémoire invasive et impérieuse. Il est interdit de se dérober à son appel sous peine de se voir soupçonné d'incivisme, voire d'obscure complicité avec...
P.B. - ... Avec la " bête immonde "...
J.F. - Pauvre Brecht ! Pour lui le ventre fécond, c'était celui de la social-démocratie. Et tous ces ignares qui le citent de travers !
P.B. - L'antifascisme commémoratif avance au même rythme que l'analphabétisme... Nous frisons l'excès de vitesse.
J.F. - Moi, je ne marche pas dans ces combines.


P.B. - La surexposition du nazisme est l'aliment principal de cette mémoire dont vous parliez. Ce qui me frappe, dans une époque qui se flatte d'obéir aux principes de la rationalité, c'est cette abdication de l'histoire face aux injonctions de la mémoire. Comme discipline en effet, l'histoire doit pouvoir rendre compte de ses matériaux et de ses méthodes, qu'il est toujours loisible de contester. La mémoire, elle, est infalsifiable. Elle s'impose comme un bloc de sensibilité. Elle n'a pas de méthodologie explicite. Ses critères sont flous, mais elle ne s'en impose pas moins comme une vérité inéluctable. Comme vous le suggériez à l'instant, il ne nous est pas permis d'en contester l'évidence sous peine d'anathème. Elle ne fait pas le partage entre le vrai et le faux, mais entre les bons et les méchants ; et c'est vrai que dans cette mesure, son triomphe engloutit tout un pan de l'esprit occidental. Cette volonté patiente de savoir, de débusquer le réel accessible, hors de tout préjugé fidéiste, de tout carcan dogmatique. La mémoire parle dans un idiome qui n'est pas universalisable, et, d'ailleurs, personne ne s'offusque de voir se répandre dans le langage courant des syntagmes comme " mémoire ouvrière ", " mémoire de l'immigration ", " mémoire juive ". Autant d'usages qui enregistrent et proclament la fragmentation particulariste dont il est derechef interdit de tirer des conclusions. Toujours, la mémoire s'authentifie comme un idiotisme et l'étrange, dans ces conditions, c'est qu'elle soit devenue l'argument fatal de ceux qui se réclament de l'universalisme...


J.F. - Ah, mon cher Bérard... Je préfère vous comprendre à demi-mot. Mais ce qui me frappe dans cette mémoire dont nous parlons, c'est son arrogance normative et cette morgue explicative, cette infatuation qui l'habilite à conclure en tous domaines.
P.B. - C'est l'ouvre-boîte universel... Comme ce célèbre couteau suisse à manche rouge, propre à tous les usages.
J.F. - Oui, mais en pratique, c'est le fameux couteau de Lichtenberg : il n'a pas de manche et il est dépourvu de lame. La suréminence de cette mémoire prend d'autant plus de relief qu'elle sévit dans une époque de rejet des filiations... d'amnésie massive. Et puis, c'est extraordinaire, son monolithisme sentimental. Un agrégat d'émotions n'est pas susceptible de la moindre tentative d'invalidation. Face à ça, nous demeurons médusés. Le mot qui convient le mieux pour décrire ce climat est celui d'hyperesthésie. Nous sommes à l'opposé de l'ascèse qui préside toujours à l'établissement d'un discours rigoureux. C'est encore Nietzsche qui dans La Volonté de puissance parle de cette irritabilité extrême des décadents... Oui, l'hyperesthésie fait cortège aux liturgies de la mémoire.
P.B. - C'est pourquoi sa carrière ne rencontre pas d'obstacle. Chacun se découvre quand passe la procession du Saint Sacrement. Personne ne veut finir comme le chevalier de la Barre.
J.F. - Voltaire nous manque, ou plus exactement cet esprit d'affranchissement qu'il a su incarner d'une manière si française...


P.B. - L'esprit de résistance ?
J.F. - La Résistance... Vous savez comme je l'ai faite dès janvier 1941. Pourtant, on fait circuler des rumeurs à mon propos... Je pense que cette mémoire manipulée participe de l'entreprise de culpabilisation des Européens.
P.B. - Ce passé ne vous protège pas contre l'infamie ?
Julien Freund laisse échapper un soupir de lassitude. Il regimbe à l'idée d'évoquer la forfaiture de ceux qui l'accablent en catimini.
J.F. - Vous savez, poursuit-il... le Résistant qui fut l'emblème héroïque des années d'après-guerre quitte aujourd'hui la scène au profit d'autres acteurs. Je ne m'en afflige nullement puisque j'ai toujours refusé les honneurs. Le Résistant, c'est un combattant, il fait en situation d'exception la discrimination entre l'ami et l'ennemi et il assume tous les risques. Son image ne cadre pas avec l'amollissement que l'on veut cultiver. C'est peut-être pourquoi on lui préfère aujourd'hui les victimes. Mais assurément, leur exemplarité n'est pas du même ordre. Ce que je voulais vous suggérer, j'y reviens, c'est la simultanéité de ces deux phénomènes ; le ressassement du génocide hitlérien et l'obsession antiraciste. Ils se renvoient sans cesse la balle dans un délire d'analogie. C'est extravagant. La mémoire produit un effet de sidération qui confisque l'immigration et nous interdit d'en parler autrement que dans le langage de son intrigue.


P.B. - La grammaire triomphante du génocide inaugure le règne de l'anachronisme et les nouveaux antiracistes bondissent d'émotion à l'idée d'entrer en résistance contre une armée de spectres.
J.F. - Oui... Ils sont à la fois la résistance et ses prestiges, et l'armée d'occupation avec ses avantages. C'est burlesque.
P.B. - Une mémoire incontinente...
J.F. - Qui épargne les crimes soviétiques, amnistiés avant d'avoir été jugés !
P.B. - Oui, mais leur finalité était grandiose ... la réconciliation définitive du genre humain, comme pour les antiracistes...
J.F. - Le seul communiste que j'ai connu dans la Résistance ; ce fut après mon évasion de la forteresse de Sisteron. Il dirigeait un maquis F.T.P. de la Drome. C'était un alcoolique doublé d'un assassin. A Nyons, il a flanché dans les combats contre les S.S. et je me suis retrouvé seul au feu avec quelques Italiens. Il fut néanmoins décoré d'abondance, et c'est pourquoi j'ai refusé toutes les médailles... à l'exception d'une médaille allemande !
P.B. - Ce qui mobilise la mémoire unique, ce n'est pas tant la liquidation du passé que sa persécution réitérée. Non seulement la mémoire met l'histoire en tutelle mais elle s'érige en tribunal suprême. Sous son regard myope, le passé n'est qu'une conspiration maléfique. On arraisonne les morts pour les accabler de procès posthumes et dénoncer leurs forfaits. Il n'y a jamais de circonstances atténuantes.
J.F. - C'est la rééducation du passé par les procureurs de l'absolu. Cette génération hurlante n'a connu que la paix ; ce sont des nantis de l'abondance qui tranchent sans rien savoir des demi-teintes de l'existence concrète dans les temps tragiques. L'ambivalence et les dilemmes sont le lot de ce genre d'époque. Nos pères ne furent pas des couards.
P.B. - La vertu n'a que faire de la vérité et vous voici, vous, Julien Freund, agoni comme ci-devant Résistant...


J.F. - " Ci-devant Résistant " ! Celle-là, on ne me l'avait jamais faite...
Le rire massif de Freund écrase la salle de sa gaieté. Le restaurant est vide depuis un bon moment déjà, mais le patron, derrière son comptoir, ne moufte pas. A Villé, on ne dérange pas le professeur, ce monsieur tellement affable et qui a écrit tant de gros livres.Penché sur la table dont il a écarté assiettes et couverts, il reprend le fil de ses pensées en martelant les mots.
J.F. - Le Bien ne fait pas de concession. Les croisés du Bien ne connaissent pas le doute. Les fins sublimes qu'ils s'assignent balayent tous les scrupules.
P.B. - La réconciliation définitive après la lutte finale contre la xénophobie...
J.F. - La xénophobie, c'est aussi vieux que le monde ; une défiance de groupe, d'ordre comportementale, vis à vis de l'étranger. L'expression d'un ethnocentrisme universel comme l'a rappelé Lévi-Strauss. On veut aujourd'hui la confondre avec le racisme qui est un phénomène moderne ; la confondre pour lui appliquer à elle aussi le sceau de la réprobation. Certes, il y a aussi des expressions chauvines de l'ethnocentrisme qu'il convient de combattre, mais prétendre le réduire absolument, c'est parier sur un avenir où l'idée de société différenciée avec ses particularismes aurait complètement sombré. Il n'y a d'ethnocentrisme et de xénophobie que dans la mesure où il y a pluralité des mondes. On peut imaginer - pur exercice d'utopie - que l'effacement des communautés et des identités collectives aboutirait à l'extinction de la xénophobie ; mais en fait à quoi ressemblerait cet Eden ? Selon la fiction de Hobbes, ce serait le retour à la lutte de tous contre tous... une lutte implacable et continuelle, dont seule nous protège la constitution de l'humanité en sociétés organisées et rivales.
P.B. - La xénophobie, c'est donc le prix à payer pour prévenir la barbarie.
J.F. - Si vous dites ça comme ça, vous serez vous-même traité de barbare !


jf3.JPGJulien Freund rit longuement, ressert une rasade de pinot noir et s'offre un excursus pointu sur l'origine des différents cépages alsaciens. Et, comme toujours lorsque la conversation prend ce tour grave qui sied au plaisir du boire et du manger, il surligne d'un index didactique ses propos les plus définitifs. Nous buvons...
- Moi aussi, reprend-il après ces longues minutes, je dois être un barbare... La presse italienne, savez-vous, m'accuse avec Alain de Benoist et quelques autres d'être l'inspirateur des récents attentats dans la péninsule... Que répondre à de telles affabulations ? Notre ami répond-il à ces balivernes ?
P.B. - C'est probable, mais les droits de réponse sont souvent caviardés et la procédure judiciaire est coûteuse. Face à nos détracteurs le combat est inégal.


J.F. - Il n'est pas honorable, ni même utile, de se faire passer pour des martyrs ; l'iniquité étant la règle du jeu, il faut, non pas s'en accommoder, mais déplacer le champ polémologique et viser, non pas les ramasse-crottes du journalisme mais ceux qui les inspirent. C'est à l'amont de l'écriture quotidienne du journal que se situent les véritables enjeux... Le reste, comme disait de Gaulle, c'est l'intendance...
Cette question de la Résistance me turlupine, vous savez, et vous me poussez à mieux définir ma pensée. Jonglant avec ce que j'ai appelé ailleurs " fascisme spécifique " et " fascisme générique ", l'agit-prop communiste a fabriqué une conception à la fois fausse et infiniment extensive du fascisme allégrement confondu avec le nazisme... Soit. Le communisme pourrait disparaître mais l'antifascisme parodique survivra à son géniteur, car il arrange trop de monde. Ce fricot, il est toujours sur le feu. Les dispositifs médiatiques de manipulation de l'imaginaire l'ont installé dans l'opinion comme un mode d'interprétation idéaltypique de l'histoire contemporaine. Il faut donc s'attendre à des rechutes à n'en plus finir d'autant que l'analphabétisme historique s'étend au rythme même de l'emprise journalistique sur la culture ambiante. Et ces récidives antifascistes sont d'autant plus inévitables que le fascisme a été érigé en clé de voûte maléfique de tout un appareil de brouillage idéologique et de coercition morale. D'ailleurs le refus de prescrire les crimes qui lui sont liés, et seulement ceux-là, en dit très long sur ce statut d'exception, car c'est toute la tradition européenne du droit qui est ici mise en cause... Une telle adultération de notre humanisme juridique ouvre la voie à des procédures à répétition avec mise en spectacle idoine... Bref, je disais tout à l'heure que le souvenir de la Résistance combattante devait s'effacer parce que son image renvoie d'une manière trop explicite au patriotisme. Il y a donc bien une contradiction entre le recyclage continue d'un fascisme mythique et malfaisant et l'occultation progressive de ceux qui ont combattu le fascisme réel, les armes à la main. Cette bizarrerie tend à montrer que le même mot renvoie bien à des réalités différentes... La Résistance est partie prenante de l'ancien monde, celui des réflexes vitaux qui se mettent en branle lorsque le territoire est envahi par l'ennemi. Les nouvelles de Maupassant montrent très bien cela dans un contexte où le nazisme n'avait pas cours. Or, c'est ce lien quasiment paysan à la terre que l'on prétend aujourd'hui abolir parce que les élites, elles, se sont affranchies de ces attaches... Elles deviennent transnationales et discréditent des liens qui sont pour elles autant d'entraves. Dans ce contexte, le maquisard devient un personnage encombrant... Trop rivé à son sol, à ses forêts, à sa montagne...


P.B. - Un franchouillard à béret basque, un chouan...
J.F. - Sans aller jusque là, il n'est plus le prototype de l'avant-garde historique.
P.B. - Sauf s'il est Arménien, républicain espagnol ou déserteur de la Wehrmacht.
J.F. - Oui, l'Affiche Rouge, qui renvoie à la dimension internationaliste... Le fait que des intellectuels à prétention cosmopolite se mettent à critiquer les programmes de certains mouvements comme celui d'Henri Frenay en leur imputant des arrière-pensées pétainistes est révélateur de ce nouveau climat. Au nom de la démystification, il s'agit de priver la Résistance de son prestige. Non seulement la plupart des Français auraient été attentistes ou collaborationnistes, mais même la petite frange des résistants de la première heure devrait être soupçonnée des pires ambiguïtés.


P.B. - Jusqu'en 1942 au moins, beaucoup de résistants ne se définissent pas comme opposants à Pétain et il y a parmi eux de nombreux officiers et même des camelots du roi.
J.F. - Bien sûr, les frontières demeurent floues et c'est justement ça que l'antifascisme rétrospectif ne peut pas comprendre, car il ne fonctionne que dans le cadre d'un manichéisme reconstruit à partir du légendaire communiste. En dépouillant la Résistance de son aura, on dépossède les Français d'un passé glorieux pour les assigner à leur essence perfide. Ils sont déshérités et reconduits à la guerre civile latente et permanente... et par ceux-là même dont la fonction est de fabriquer du consensus.
P.B. - Même au prix du mensonge ? Car enfin, les résistants, comme les collaborateurs, ne furent qu'une minorité.


J.F. - Mais oui, mon cher Bérard, au prix du mensonge !
Dépourvu d'afféterie, Julien Freund s'amuse à jouer avec ces blasphèmes innocents. Son visage alors se craquelle de mille rides et se pétrifie dans un rictus silencieux. Il fixe longuement l'interlocuteur puis cède d'un seul coup à la plus franche hilarité.
- Le mensonge, tonne-t-il à nouveau tandis que le masque se fait plus sévère... C'est Machiavel qu'il faut suivre. Certes, il n'y a pas de politique morale, mais il y a une morale de la politique qui implique parfois le mensonge quand celui-ci est utile à la concorde intérieure... Une fois désenchantée, la Résistance ne peut plus être un gisement de mémoire et l'opprobre inocule désormais toute notre histoire... Vous comprenez, la sphère du politique n'est pas celle de l'histoire. L'histoire obéit à des méthodes critiques qui aboutissent nécessairement au désenchantement ; son rôle est démystificateur. Sous son emprise le passé devient trivial. Mais là, c'est autre chose... C'est autre chose pourquoi ? Mais parce que le changement de perspective auquel nous assistons n'est pas le produit de la réflexion historique. Ceux qui le conduisent sont indifférents aux archives ; ce ne sont pas des chercheurs, mais des idéologues. D'ailleurs, aucun chercheur ne pourrait disposer de l'écho médiatique dont ils jouissent. Cet écho démesuré montre que leur discours entre en résonance avec les intérêts du pouvoir, pour des raisons que j'ignore...De même que le résistancialisme des années cinquante permettait de blanchir le passé, et d'amnistier les collaborateurs, la profanation du mythe résistant, d'une France toute entière insurgée contre l'occupant permet de le noircir. De la magie blanche à la magie noire, il y a comme une transfusion de signification, mais on demeure dans la magie ; pas dans l'histoire. Car, si le sens du récit bascule, on ne le doit pas à des découvertes inattendues, à des connaissances nouvelles. Seule change l'interprétation. Hier, elle servait à bonifier. Aujourd'hui, elle s'acharne à péjorer. C'est toujours de la prestidigitation !


Julien Freund soupire, mais son regard pétillant de malice dément l'impression d'accablement qu'un observateur distrait pourrait tirer d'une pareille attitude. Sa respiration exhale un bruit de forge. Il s'éclaircit la voix, finit son verre et poursuit.


- Le mensonge de l'immédiat après-guerre colportait la fable d'une France occupée rassemblée derrière de Gaulle. Le mythe était soldé par la condamnation hâtive d'une poignée de traîtres choisis parmi les figures les plus visibles de la littérature et de la politique. Cette imposture avait une finalité politique honorable ; c'était une thérapie collective pour conjurer la discorde et abolir le risque d'une guerre civile sans cesse perpétuée... Le tournant s'est opérée dans les années soixante-dix, à la fin justement des Trente glorieuses. Ce qui n'était jusque là qu'une poignée de brebis galeuses est devenue l'expression la plus éloquente d'un peuple de délateurs et de renégats. C'est alors qu'on a commencé de parler d'une épuration bâclée et trop rapidement conclue. Epilogue fatal : puisque le crime était collectif, c'est bien la nation dans son essence qui était viciée. Il lui fallait donc expier massivement. C'est aussi à cette époque que de l'Inquisition aux Croisades et aux génocides coloniaux l'ensemble de notre histoire s'est trouvée indexée à la collaboration et à ses turpitudes... Maintenant elle envoûte de sa malédiction l'ensemble du passé... Peut-être est-ce lié au progressisme qui situe le meilleur dans l'avenir et doit en toute logique déprécier le passé pour le ravaler à l'obscurantisme et à la sauvagerie ? Mais les Trente glorieuses pourtant ont été furieusement prométhéennes sans que n'y sévisse ce masochisme extravagant. Il s'agit donc bien d'un phénomène plus profond qu'il faut rapporter à cette morbidité européenne dont nous parlions tout à l'heure.Ce que je constate, voyez-vous, c'est que durant trente ans, les élites, usant d'un pieux mensonge... oui, un bobard... ont célébré un peuple exemplaire en le dotant d'un passé glorieux. Et, simultanément, ces élites se montraient capables d'entraîner le pays dans une oeuvre imposante de reconstruction, jetant les bases d'une véritable puissance industrielle, promouvant la force de frappe nucléaire, s'engageant dans la réconciliation avec l'Allemagne et l'édification d'un grand espace européen tout en soutenant plusieurs conflits outre-mer. Nonobstant certaines erreurs, ce fut un formidable effort de mobilisation stimulé par une allégresse collective comme la France n'en avait pas connue depuis longtemps...


P.B. - Tout cela malgré les faiblesses dont on stigmatise la quatrième république.
J.F. - Je connais ces critiques puisque, comme vous le savez bien, je suis gaulliste comme je suis aussi européen et régionaliste... mais la nature des institutions n'a ici qu'une faible pertinence. C'est la pâte humaine qui est décisive et les grands courants d'idée et d'humeur qui traversent la population. La rhétorique n'est pas sans conséquence ; il y a des récits toniques et d'autres qui, en revanche, nourrissent la neurasthénie. Dans l'ordre du discours, nous sommes passés de l'éloge à la disgrâce, de la gratification à l'affliction. Pareto associait déjà la décadence et le mépris de soi. C'est dans Les systèmes socialistes qu'il écrivait : " On éprouve une âpre volupté à s'avilir soi-même, à se dégrader, à bafouer la classe à laquelle on appartient, à tourner en dérision tout ce qui, jusqu'alors, avait été cru respectable. Les Romains de la décadence se ravalaient au niveau des histrions. "


jf7.jpgLa mémoire livresque de Julien Freund est surprenante. Il détient dans ses réserves des milliers d'extraits, parfois très longs. Il en émaille sa conversation savante avec le souci constant de rembourser sa dette vis à vis de grands textes. L'art de la citation est toujours chez lui un exercice d'humilité, une manière de reconnaître que beaucoup d'autres ont inscrit leur empreinte dans sa propre pensée. C'est dire tout ce qui le distingue de l'enflure pédante de ces clercs qui abritent leur arrogance derrière le rempart des signatures prestigieuses. Julien Freund, lui, ne cède pas au goût du décor ; il fait vibrer la pensée des Anciens et, c'est toujours amarré à ces références patiemment ruminées qu'il affronte les problématiques du présent. Car, en effet, il rumine, triture et mâchonne comme le conseillait Nietzsche. Lenteur délibérée de la méditation ; tempo ralenti d'une pensée qui se construit par sédimentation et élagage ; discipline de la prudence, exercice du doute probatoire... Tout un univers qui fait contraste avec l'impulsion qui étend partout son empire au nom d'une authenticité factice et d'urgences fantasmatiques.


Machiavel, raconte Julien Freund, fut proscrit plusieurs années dans une bourgade, à bonne distance de Florence. Dans une lettre datée de son exil, il confie comment après avoir vaqué durant la journée aux affaires quotidiennes, il regagne le soir sa maison, revêt ses habits princiers et pontificaux pour se retrouver en compagnie des grands auteurs du monde antique. " Je les interroge et ils me répondent ", écrit-il superbement... Si donc, la citation chez Julien Freund n'est jamais pontifiante, elle veut en revanche signifier que dans la guerre des idées, il n'est pas un voyageur sans bagage. Les auteurs qui lui répondent en attestent. Entre eux et lui se nouent des amitiés posthumes où l'on voit s'esquisser le motif de la tradition. La tradition ; non pour s'embourber dans une répétition stérile - référence n'est pas révérence - mais pour suggérer ces permanences essentielles auxquelles nous avons donné le nom de civilisation. Acquiescer à l'héritage et l'enrichir à des sources nouvelles. Julien Freund est aussi un passeur. Il contribue à la réception française de Max Weber, de Vilfredo Pareto et surtout de Carl Schmitt ; et dans ce dernier cas, il n'hésite pas à franchir l'Achéron à ses risques et périls. La citation n'est pas toujours une occupation de tout repos.


- Nous sommes entrés dans un nouveau cycle, poursuit Julien Freund. Aux laudes de l'après-guerre les élites ont substitué une autre musique en vouant nos prédécesseurs aux gémonies. En bref, elles vitupèrent et sermonnent, embarquant le pays dans une véritable industrie du dénigrement. Et, qu'est-ce qui accompagne cette remontrance continuelle, qu'est-ce qui fait cortège à cette mémoire mortifiante ? Depuis les années soixante-dix, c'est une dénatalité préoccupante, un délitement alarmant du lien social, une extension de l'anomie et de la violence sauvage, une croissance structurelle du chômage installant des millions de nos concitoyens dans l'assistance et l'irresponsabilité, alourdissant le poids de l'Etat-providence, et pour clore la litanie des décombres, une démobilisation civique effrayante... Et je n'évoque que pour mémoire la détresse du politique, si révélatrice de l'aboulie de la volonté.


Oui, je maintiens qu'en politique il faut savoir mentir à bon escient ; non pour dissimuler la corruption du pouvoir comme on le voit faire si souvent aujourd'hui, mais pour doter les vivants d'un passé supportable, rasséréner l'identité collective, renforcer l'estime de soi. Des élites qui accablent les morts pour fustiger leur peuple ne sont pas dignes de le gouverner. " Salus populi suprema lex esto ", mon cher ; cet adage, Pareto le rappelle après Hobbes, c'est le but de la politique. La protection de la collectivité par la ruse comme par la force. La ruse du discours afin de servir un roman national suffisamment vraisemblable pour ne pas laisser le champ libre au persiflage et suffisamment gratifiant pour agréger les énergies. La force étant ici celle, pondérée, de l'institution, distincte de la violence caractéristique, elle, du chaos qui s'avance.Je note, par ailleurs, qu'après ce qu'on a appelé leur " miracle ", l'Italie comme l'Allemagne connaissent aujourd'hui une évolution comparable à la nôtre. En Allemagne notamment, la diffamation du passé a pris une dimension délirante qui n'épargne même pas la Prusse du despotisme éclairé, un Etat qui fit l'admiration de tous nos philosophes de Voltaire à Renan... Toute réminiscence y renvoie à la faute et au procès au point que les jeunes générations se trouvent condamnés au plus extrême dénuement historique... Des orphelins privés d'héritage et soumis au joug d'un éternel présent !


Rappelez-vous ce que dit le dernier homme de Zarathoustra. Il dit " Jadis tout le monde était fou ". Et il ajoute en clignant de l'oeil : " Qu'est-ce qu'aimer ? Qu'est-ce que créer ? Qu'est-ce que désirer ?" Il exprime en même temps le sentiment de supériorité de l'homme moderne et son incapacité à donner sens aux verbes aimer, créer, désirer ; les actions élémentaires de l'existence. L'homme moderne en rupture d'antécédant est condamné à l'indigence et à la stérilité ; il n'est plus créateur... Vantardise et impuissance voilà son apanage ! En l'occurrence, pour ce qui concerne l'Allemagne, l'hyper morale y secrète une fausse conscience qui confine à une dénationalisation brutale et dangereuse... Oui, la pénitence est devenue tout à la fois l'outil imparable et le solennel alibi d'un vandalisme inédit.
P.B. - C'est la furia teutonica enrôlée cette fois contre ses propres assises. Il ne s'agit pas tant de révoquer l'histoire que de la rendre présente, sans cesse, comme un remord incurable. Jusque dans la tombe l'oeil réprobateur pétrifie le Caïn germanique pour lui inspirer une honte éternelle... Il lui est interdit de boire les eaux du Léthé...


jf8.jpegJ.F. - Les Anciens connaissaient les vertus pacifiantes de l'oubli ; mais les nouveaux prédicateurs veulent-ils la paix ?
P.B. - Harcelés par des antécédents criminels mais pressés de se faire admettre dans l'humanité post-totalitaire, les Allemands se sont faits récemment les oblats opiniâtres d'une nouvelle coquecigrue ; le patriotisme constitutionnel à la Habermas...
J.F. - Du point de vue sociologique, c'est une absurdité, car il n'y a pas de société qui pourrait être une création ex-nihilo. Il n'y a pas d'être-ensemble sans ancrage identitaire. Les groupes humains ne peuvent pas vivre en apesanteur. La théorie d'Habermas, c'est une nouvelle version du syndrome utopique qui travaille les idéologues depuis le XVIème siècle, mais elle est révélatrice d'une aporie. Elle prétend en effet fonder son patriotisme sur l'abjuration des pères. Il s'agit donc de tout autre chose que de patriotisme...


P.B. - Illustration de la pseudomorphose selon Spengler. Le mot demeure incrusté dans la langue, mais il a changé de signifié.
J.F. - Il ne désigne plus que des nuées... Déguisé en Ayatollah de la vertu, Habermas profère des fatwas. Il se félicite de la débâcle des méchants qui depuis toujours auraient précipité l'Allemagne dans un bellicisme sanglant...
P.B. - Depuis que les Chérusques firent un mauvais sort aux légionnaires romains de Varus ?
J.F. - Pourquoi pas, pendant qu'on y est ! Après avoir déblatéré sans répit, quand tout a été déblayé, épuré, à quel fondement accrocher l'être collectif allemand ? Les fondements nous précèdent nécessairement. Mais quand tout ce qui nous précède est condamné à la débandade, sur quoi fonder la légitimité ? Sans doute sur un futur immaculé puisque imaginé selon les seuls mécanismes de la raison désincarnée... C'est l'essence même de l'utopie progressiste.


P.B. - Si nous résumons nos propos, nous pouvons dire que recru de brimades, le passé est aujourd'hui en déroute. Ajoutons qu'on en exhume les fonds de tiroirs que dans le seul but de nous jeter à la face les preuves de notre constante cruauté. Mais il y a autre chose. A propos des Allemands vous venez de parler de génération orpheline. La scélératesse des pères empêche en effet qu'on s'en réclame ingénument. Les mères en revanche paraissent mieux s'en tirer. Le discours contemporain, encore une fois depuis les années soixante-dix, tient de toute évidence à les disculper. Et pour ce faire, il les enrôle sous la bannière du féminisme, dans ces catégories souffrantes que les " mâles, blancs, morts ", comme on dit sur les campus américains, auraient depuis toujours tenues sous leur férule.
J.F. - Ma réflexion ne m'a jamais conduit vers ces questions, mais vos remarques sur le féminisme me ramènent à Auguste Comte, un penseur que j'ai beaucoup pratiqué. Comte, vous le savez, est l'inventeur du concept de sociologie. Comme les contre-révolutionnaires de son temps, il est conscient de la béance ouverte par la Révolution de 1789 ; c'est ainsi qu'il parle de l'immense gratitude des positivistes vis à vis de Joseph de Maistre et qu'il révoque les faux dogmes de l'individualisme et de l'égalitarisme. Il se veut tout autant l'héritier que le liquidateur de la Révolution. Comment surmonter l'individualisme dissolvant des modernes ? C'est à cette question qu'il tente de répondre et il le fait de manière mixte. En effet, à la différence des contre-révolutionnaires qui proposent une solution rétrograde assise sur la restauration du trône et de l'autel, Comte partage la certitude des Lumières selon laquelle l'humanité tend irrésistiblement vers l'unité cosmopolite. Cette convergence planétaire qu'il voit s'accomplir, comme les libéraux, par le truchement de l'économie, il entend la parachever et la corriger au moyen d'une nouvelle religion. Pour lui, il ne fait pas de doute qu'une communauté humaine ne peut assurer la fonction intégratrice nécessaire à la durée que par le lien religieux. Cette nouvelle religion fait la part belle aux savants, aux prolétaires et surtout aux femmes qu'il dépeint comme les préceptrices idéales de l'altruisme. Le féminisme de Comte reflète la prépondérance qu'il attribuait au sentiment. Une telle assimilation lui vaudrait sans aucun doute les sarcasmes, voire l'ire des féministes d'aujourd'hui.


Julien Freund débride un de ces rires énormes dont il n'est pas avare. L'effet désopilant du topique comtien sur les pétroleuses contemporaines excite sa gaieté. Puis, comme de coutume, il brise net l'hilarité et poursuit son exposé...


Bref, c'est la puissance affective impartie au coeur féminin qui permet de recoudre les lambeaux d'une société mise à mal par le bouleversement de 1789. Comme l'a montré Robert Nisbet, c'est toute la problématique de la sociologie naissante. Qu'est-ce qui peut relier les hommes quand ils ne sont plus confinés dans les ordres traditionnels et leurs réseaux d'obligations réciproques, quand l'obéissance ne va plus de soi ? Ce n'est pas tant la réponse constructiviste, en fait une religion d'intellectuel, qui fait l'originalité de Comte que le rôle souverain qu'il confère aux femmes, prophétesses d'une humanité régénérée. Cimentée par la religion de l'humanité, sa société positive met un terme aux errements de l'histoire humaine et ce dénouement... c'est ça qui est important, correspond avec la consécration du genre féminin.


P.B. - Culmination sociale de la femme et fin de l'histoire composent donc un système cohérent ?
J.F. - Pour Auguste Comte, c'est une évidence ; avec la techno-science et la tyrannie du sentiment. C'est comme cela qu'il se figure l'émancipation définitive. Ce qui est capital, c'est l'amalgame notifié par Comte entre féminisme et accession à un universel réalisé. Il inaugure un épisode dans lequel nous continuons de patauger.


Ceci étant dit, pour interpréter l'irruption conquérante du féminin dans le registre du politique, il faut aller au-delà du discours de Comte même si quelque chose d'inaugural se manifeste chez lui. En effet, comme chacun sait, la société traditionnelle pose la figure du père au centre de son imaginaire collectif. Il n'y a là nulle misogynie mais un partage des rôles qui attribue à la masculinité tout ce qui relève de la verticalité. Dans ces communautés, seuls les pères disposent du pouvoir symbolique d'engendrer, aussi bien le père de famille dans le domaine du privé, que le roi, père de ses peuples, dans la sphère du politique. De même Dieu est-il posé en père de l'humanité. Le modèle est organique et c'est la puissance d'engendrement du père qui justifie son pouvoir symbolique, même si, je le concède volontiers, il en va tout autrement dans l'ordre concret du domestique où les maîtresses-femmes n'étaient pas plus rares qu'aujourd'hui. Mais, ce n'est pas le concret quotidien avec ses multiples compromis qui importe ici, mais la métaphore qui traverse tant l'imaginaire des Anciens.


Au rebours de cette représentation qui inscrit le social dans l'ordre de la nature et de la reproduction, la société démocratique des modernes est supposée s'engendrer elle-même. Elle rejette la loi organique qui régit l'ensemble du cosmos et prétend, insolemment, ne devoir son existence qu'à la libre volonté de ses sociétaires. C'est un nouveau régime mythique qui se met en place. La société y survient ex-nihilo... à partir d'une table rase, d'où sa difficulté à concevoir des antécédents susceptibles de la déterminer. Récusant la naissance, faisant son deuil du fardeau de l'ascendance, elle veut lire dans ses origines séraphiques la promesse de son émancipation infinie.


La nature est ici congédiée au bénéfice de l'artifice et du fantasme de la maîtrise. Les modernes ont substitué l'artifice à la nature et leur société étant conçue idéalement comme une construction purement volontaire est du même coup considérée comme indéfiniment malléable, perfectible à souhait sur le modèle de la technique. L'idée d'une sociabilité intrinsèque à la nature humaine se trouve supplantée par la fiction d'un contrat fondateur d'essence marchande prescrit par la convergence des intérêts, qui elle-même commande la résolution des individus contractants. Les sociétaires sont libres d'en amender les termes pour autant que l'utilité l'exige. Cette philosophie qui ne veut voir dans la société que le produit de conventions arbitraires, quoiqu'elles soient dictées, en dernière instance, par les déterminants économiques, implique aussi bien la réforme que la révolution, les ajustements empiriques que les bouleversements violents...


P.B. - Bien sûr, le rejet de tout principe transcendant conduit au marivaudage législatif... Issue donc du miracle contractuel, la société se laisse interpréter comme une parfaite épiphanie. Sans père, sans mère, sans généalogie, elle tombe toute faite, non pas de la cuisse de Jupiter, mais du ciel des idées. Mais alors, pourquoi ce retournement des polarités ? Pourquoi passe-t-on d'une symbolique verticale et masculine quand on honorait les racines, le lignage, la continuité à une modernité d'autant plus réfractaire à l'image paternelle qu'elle décline toute obligation à l'égard de la souche générique ? Car il ne fait guère de doute que notre présent se reconnaît dans l'allégorie féminine. La métaphore féminine imbibe la lecture du social et du politique.

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J.F. - La femme comme genre, sans doute ; pas la femme comme mère, toujours plus occultée... évacuée du système référentiel.
P.B. L'individu contractant exige la reconnaissance de ses droits mais ne veut admettre aucune dette. La déliaison est la fausse monnaie inéluctable de sa liberté. Donner, recevoir, rendre : c'étaient les trois séquences du système de don qui instituait le lien communautaire. L'économie était alors sous la coupe du social et du politique. Ce lien se dissout aujourd'hui au rythme de l'extension démesurée de l'ethos libéral et des procédures de marché. De même la conscience historique se décompose-t-elle dans le refus présentiste de l'héritage. De même qu'on se refuse à reconnaître toute obligation dans la dimension horizontale, celle qui implique les contemporains ; on s'y soustrait également dans la dimension verticale, celle des générations successives. Ni les ancêtres, ni les successeurs ne font sens. L'obligation de rendre est devenue une corvée, une servitude que seul l'impôt, paradoxalement de plus en plus lourd, se charge d'assumer dans l'anonymat bureaucratique. La transmission est en jachère... Nous payons très cher la rançon de la liberté moderne. Vous avez raison ; la mère après tout est aussi bien légataire que le père...


J.F. - L'individualisme... l'individualisme de masse est en train de déglinguer l'Europe. Mais je ne suis pas décliniste comme certains le prétendent : nous ne sommes pas surplombés par les exigences mystérieuses du fatum. Et, disant cela, nous nous affirmons aussi comme des modernes. La volonté n'a pas dit son dernier mot... Ce monde, voyez-vous, ne tolère que la louange. A cette mise en berne de l'audace critique, il faut opposer toujours le libre examen radical ; celui qui n'hésite pas à fouailler les origines... Je suis surpris par la paralysie de l'insolence chez les jeunes intellectuels. Ne forment-ils pas une de ces tribus maffesoliennes d'approbateurs loufoques... Ils croient s'opposer quand ils ne font que surenchérir sur la logique du système contemporain. Et puis, il y a l'aléa ; tout ce qui vient gâter le bel ordonnancement des plans, des projections, des programmes toujours dictés par la vue basse et le conformisme. Le désespoir serait une sottise. Il ne faut pas abdiquer. Il nous faut... Il faut se battre sans trêve. Notre liberté cherche son emploi ; elle n'est pas ce concept flou qui trône au sommet des formules. Notre liberté à nous, c'est une disponibilité pour la pensée et pour l'action ! Cela je l'ai écrit dans ma conclusion de " La décadence ". Je l'ai écrit pour des gens comme vous avec la certitude que vous sauriez me lire. L'Europe, pour se ressaisir et prendre en charge son destin, dispose de toutes les ressources nécessaires.


P.B. - Je reviens à cette Allemagne dont nous parlions. La mue post-totalitaire s'est opérée là-bas sous le signe de la déchéance des pères. Leur débâcle fut d'autant plus facile à solder que tous avaient porté l'uniforme des maudits. La damnation collective qui les frappait leur arrachait également ces titres consacrés par le temps qui les avaient depuis toujours porté à transmettre et à incarner. Avec l'autorité, principale cible de la dénazification, cette vocation leur était définitivement déniée. Ils sont devenus des producteurs et des consommateurs prosaïques, rivés dans leur mutisme, aussi consciencieux dans la voie de la " normalisation " qu'ils l'avaient été dans celle du " Sonderweg ". L'Allemagne, me semble-t-il, a surjoué le parricide, non pour se délester du fardeau de la culpabilité - cela lui est interdit - mais pour en alléger le poids. En se débarrassant de géniteurs encombrants, elle tentait de prouver sa bonne foi démocratique. N'oublions pas que les fascismes ont souvent été interprétés comme des manifestations du syndrome machiste... Le style fougueusement viril du Ventennio est, il est vrai, significatif à cet égard...


J.F. - Je ne pense pas qu'il soit judicieux de parler d'un art fasciste. Regardez le Trocadéro...
P.B. - Pour en rester au bannissement des pères, je me souviens parfaitement des termes dans lesquels la Fraction Armée Rouge revendiquait ses exécutions. Pour elle, en effet, il s'agissait, certes, d'épurer l'Allemagne de ces pères indignes que l'orthodoxie kominternienne désignait comme des monstres d'autant plus exemplaires que leur adhésion au capitalisme redoublait leur passé nazi. Mais en prime, on pointait leur phallocratisme comme un motif d'exécration irrévocable.
J.F. - Vous savez... Justifiant les noyades de Nantes, le conventionnel Carrier proclamait déjà que c'était par " principe d'humanité " qu'il purgeait " la terre de la liberté de ces monstres "...Porté à l'incandescence idéologique le concept d'humanité comme n'importe quel autre peut devenir une incitation au meurtre. Il n'y a pas d'idée tolérante ; il n'y a que des comportements tolérants. Toute idée porte en elle l'exclusivisme, et les énoncés mirobolants d'aujourd'hui n'échappent pas à cette règle.
P.B. - Si demeure en Allemagne une forme potentielle de despotisme, c'est bien celui de la guimauve. Au Führer Prinzip, caricature du principe masculin, succéderait un Etat d'essence maternelle. Après le big-brother totalitaire, la big-sister maternante.


J.F. - La boutade est amusante, mais ce que vous décrivez n'est pas un épiphénomène allemand. C'est une évolution qui touche l'ensemble de l'Occident. Ses origines ne sont pas réductibles à un terreau national particulier.
P.B. - Je suis d'accord, mais savez-vous, pour l'anecdote, qu'en Allemagne justement, dans les toilettes mixtes, les hommes sont exhortés à uriner assis. Cet exemple saugrenu montre que la parité taille sa route par des détours insolites.
J.F. - Ils sont obsédés par l'hygiène, comme les Américains du nord. Descartes notait déjà ce trait dans la Hollande calviniste du XVIIème siècle. Mais il ne faut pas s'y tromper : c'est toute la modernité qui dévale cette pente. Il y a une revendication démesurée des droits qu'un Etat ramolli et bienveillant s'efforce de satisfaire, car cette demande qui lui est adressée, elle contribue aussi à le légitimer. Le droit à la santé par exemple s'intègre dans cette extension illimitée, d'où le risque d'un despotisme thérapeutique. Car, enfin, la gratuité des soins conduit automatiquement l'Etat, dispensateur et gestionnaire du système de santé, à organiser une prévention collective toujours plus vigilante au nom de la rentabilité. La société du contrôle total est au bout de l'idéal hygiénique. Aboutissement qui n'est pas antinomique d'un Etat faible, d'un Etat apathique en tous cas dans le registre des fonctions régaliennes...


P.B. - L'oxymore de la puissance faible...L'Etat omnipotent et impotent.
J.F. - Oui, c'est ça. La santé ... L'obligation sanitaire pourrait être dans un proche avenir au fondement d'une nouvelle forme de totalitarisme. Le refus pathologique du vieillissement et de la mort, intimement lié à cet effacement de la transcendance dont nous parlions laisse aisément présager l'aptitude de nos contemporains à consentir au cauchemar climatisé dont parlait Bernanos. Le harcèlement que nous subissons à propos de l'alcool et du tabac donne un mince avant-goût de ce que nous pourrions subir. Nous sommes talonnés par des instruments de surveillance toujours plus sophistiqués, sans que cela ne soulève de réelles protestations. C'est la face noire du jeunisme qui nous assaille. Et le sportif exemplaire, la star athlétique, le dieu du stade, objet de toutes les sollicitudes publicitaires, c'est le point de mire de toute cette mécanique. C'est l'icône pathétique d'une propagande qui promet la rédemption du corps par un nouveau régime de salubrité imposé.


jf10.jpgP.B. - Un sportif bourré d'hormones et d'anabolisants.
J.F. - Oui, c'est le triomphe du modèle artificialiste au nom d'une santé " naturelle " qui n'a rien à voir avec la nature.
P.B. - On pourrait gloser sur l'usage de plus en plus massif des psychotropes et sur cette diététique de facture industrielle qui vient briser les identités alimentaires. Autant de remèdes qui contribuent à détruire l'entre-soi sociétal et à renforcer le conditionnement individualiste. Dans le premier cas le dépressif est fortifié dans sa solitude par la camisole chimique ; ce n'est pas la relation aux proches qui le délivre de son mal. Dans le second cas, c'est la liturgie des repas familiaux et la commensalité amicale qui sont sacrifiés au nom du " régime ", de la " forme ", cette condition favorable aux performances, dont l'horizon s'éloigne sans cesse, avivant la déprime et le dégoût de soi. Derrière tout cela se profile la boulimie, bien réelle celle-là, des grands groupes pharmaceutiques et des multinationales de l'agroalimentaire. C'est l'obsession hygiéniste qui génère leurs profits ; c'est aussi pourquoi ils sont si prompts à sponsoriser l'élite sportive.


J.F. - Je préfère " parrainer " plutôt que " sponsoriser ".
P.B. - Mais le sportif n'est pas seulement un slogan vendeur. Il introduit ses admirateurs dans l'univers frelaté des records à produire. Son corps est en fait une machine souffrante et lucrative entièrement finalisée par l'empire du rendement... Un succédané que l'innocence du vivre a irrémédiablement déserté. De l'olympisme grec aux aristocrates britanniques, le sport fut toujours l'expression d'un otium ; avec la modernité tardive, il entre dans l'orbe du dressage productif ; il est rivé au negotium.
J.F. - L'économie comme destin ainsi que l'écrit Alain de Benoist...Vous savez, dans la perspective de ce que vous disiez tout à l'heure concernant big-sister, il faudrait se pencher sur ces deux évolutions parallèles, l'infestation de tout l'édifice social par l'économique et cette montée en puissance, non tant de la femme mais du féminin. Il faudrait réfléchir à cela en partant de l'étymologie du mot " économie ".
P.B. - L'oikos, évidemment. Chez les Grecs, c'est à la fois la gestion du domestique et le territoire imparti au règne de l'épouse. Si l'on suit les analyses de Louis Dumont, cet ensemble constitue un espace hiérarchiquement subordonné à l'espace politique qui est par définition celui des hommes, des citoyens. Si l'on en croit les éthologistes, cette répartition des rôles doit venir de très loin. Ce n'est d'ailleurs pas une raison pour la sacraliser. Cette répartition a été très consciemment réfléchie par les penseurs grecs dans le souci de distinguer le privé du public. Elle implique une inégalité des sexes qui n'est pas tant une inégalité des personnes qu'une sévère hiérarchie des fonctions que la tradition leur attribue. S'ajoute à cela dans le récit mythologique, décrypté par Vernant, l'idée d'une dangerosité spécifique au sexe féminin. C'est ce qu'exprime clairement le mythe de Pandore. Une propension à l'hybris que le politique a pour mission de contenir. Le christianisme s'est greffé sur cet héritage mythique avec la morale du péché. Chez les Grecs, la femme est seconde du fait de ses activités ; dans la théologie chrétienne, elle est ontologiquement dépréciée du fait de son rapport privilégié avec le péché. Ce qui préoccupe les Grecs, ce n'est point la morale ; c'est le destin politique de la cité. Bien sûr, il est tentant de déchiffrer notre époque en nous adossant à ces origines. Il est évident que l'assomption de l'économie, le déclin du politique y préludent à la primauté du principe féminin. Mais je sais que vous vous défiez des analogies...


J.F. - Celle-là peut paraître lumineuse, mais il faut se garder des simplifications.
P.B. - Je risque néanmoins un essai d'interprétation... Si l'on emboîte le pas au discours classique de la psychanalyse, pour nos sociétés de tradition patriarcale, c'est bien la figure tutélaire du père qui dit non à la libre expression du désir. En tançant la libido anarchique de l'enfant, il lui permet de se construire comme adulte socialisé. Le père fait barrage par sa censure aux convoitises et aux aspirations débridées. L'interdit qu'il impose instaure un mouvement dialectique entre le désir et la règle où le jeune sauvage, celui qui expérimente le monde dans l'innocence du caprice, finit par trouver ses marques. Sans la négation incarnée par le père, la concupiscence demeure dans son état barbare de pulsion primitive et la société... mais s'agit-il encore d'une société ? la société donc, se trouve plongée dans une concurrence anarchique des désirs. Une guerre civile endémique où rien ne fait droit sinon le rapport de force.


J.F. - Le libéralisme a popularisé jusqu'à la confusion la notion de permissivité en cherchant à dissoudre l'idée d'interdit qui est constitutive de toute société et de toute cohabitation humaine.
P.B. - Dans une optique freudienne, on dira que jusque dans un passé récent, l'économie psychique des individus était organisée par le refoulement. A l'inverse, la nouvelle économie psychique serait celle de la jouissance. Dans l'hyper-modernité, l'individu en effet ne supporte plus la frustration qu'il perçoit spontanément comme un déni de ses droits. Reflet de cette révolution silencieuse, le droit lui-même tend à basculer pour donner un cours légal à des jouissances toujours plus nombreuses.L'éviction des pères est évidemment la condition de ce fonctionnement inédit. Il est aussi tentant de rapprocher cet état de chose et de la logique du marché et du discours libertaire soixante-huitard. Dans le premier cas, on dira que la machine désirante, la fièvre compulsive de l'achat sont devenues les principaux moteurs d'une croissance consacrée comme l'alpha et l'oméga de toute action gouvernementale. Dans le second cas, on constatera que les slogans mis en orbite par les barricadiers ont légitimé la consommation sans entrave en lui conférant une signification " progressiste " et émancipatrice que le capitalisme disciplinaire d'autrefois axé sur le travail et l'épargne était bien incapable de lui attribuer.L'hybridation libérale-libertaire ne tient pas du hasard. Elle est l'expression idéologique de ce nouveau régime psychique. La cristallisation libérale-libertaire en nouvel horizon indépassable suppose des individus conformés pour n'avoir d'yeux, effectivement, que pour cet horizon, là.Dans cette perspective, le père symbolique, cette allégorie du négatif, cette autorité qui réfrène et oblige la pulsion au sursis pour la traduire en aménité sociale... ce père devient un obstacle au fonctionnement du système. A la limite, il est un frein à la croissance. Comme le sont aussi l'instituteur et le professeur qui ne se résignent pas à devenir les auxiliaires " cool et sympa " de l'industrie des loisirs. D'où cette image répulsive du père forgé depuis vingt ans : père-la-pudeur, père fouettard et autre croquemitaine et aussi cette caricature colportée par ces légions de " psy ", salariés de l'actuel, sur la forteresse familiale, ultime bastion du totalitarisme. Bref... le père c'est le fascisme !Un quotidien comme " Libération " est emblématique de cette convergence. Féministe, libertaire, libéral ; le tout étant articulé au bénéfice du capital.


J.F. - Vos propos sont trop tranchés... Ils détonnent avec ce que l'on peut lire dans Eléments qui se positionne toujours, à ma connaissance, pour la réhabilitation de la femme, en réaction à l'héritage chrétien qui, d'une manière évidente, véhicule une conception péjorante du féminin quoi que puisse dire les théologiens sur le culte marial. Ma génération, vous le savez, a été très marquée par la première guerre mondiale et ce que j'ai pu constater, c'est qu'en l'absence des hommes massivement mobilisés, les femmes surent alors élever leurs enfants selon des principes qui sont ceux que vous assignez, de façon trop systématique, au pôle masculin. L'évolution contemporaine dont vous soulignez à raison les carences éducatives... cette évolution disais-je, touche l'ensemble des individus par-delà leur genre. Et puis, fondamentalement, dans l'élevage de l'enfant, la mère incarne, au moins autant que le père, cette instance du négatif qui raffine l'instinct afin de le transmuer en un désir compatible avec les nécessités de la vie sociale. Quant à la famille... bien sûr, elle est vilipendée. Mais ce n'est pas nouveau. Souvenez-vous de Gide. Pour certains, elle apparaît comme la butte-témoin d'un ordre obsolète contrevenant à l'individualisme radical. Mais elle résiste tant bien que mal s'adaptant avec souplesse à toutes les inflexions du monde moderne. Cette résistance organique et l'adhésion que lui témoignent les gens imposent un démenti cinglant aux extravagances du nihilisme idéologique. Ceci étant dit, l'idée d'un hybris moderne couplé à cette arrogance dont nous parlions me paraît assez juste... Nous allons finir la bouteille et revenir chez moi.


jf11.jpgP.B. - L'hybris des Grecs était étroitement normée par le religieux. Comme le carnaval médiéval annonçant quarante jours de carême. Après avoir couru la forêt plusieurs jours durant, la ménade dionysiaque regagne sagement son foyer. Le désordre n'est qu'une brève séquence vécue collectivement sous le contrôle du divin. Il agit comme une cure salvatrice où se décharge la part maudite. Il en va de même pour le carnaval qui ne promeut la subversion que pour renforcer l'ordre social. Il est ce moment de chaos, inscrit dans le comput et rejoué chaque année durant la saison morte et il prélude à une rigoureuse recréation du lien hiérarchique. Dans un cas comme dans l'autre, l'excès a pour but la restauration, c'est-à-dire l'éternel retour de l'ordre. Comme le montre Baudrillard, la société traditionnelle raffermit ses principes en traitant le mal par le mal. A cette stratégie ironique Baudrillard oppose celle, piteuse, de nos modernes, ces héros d'un sublime toujours voué à l'échec, car ils ne veulent braver le mal que par l'usage du Bien. C'est cette antique faculté de rénovation du social que le moralisme nous a fait perdre. Car l'harmonie, toujours relative, exige que l'on bride aussi bien le mal inévitable que l'exigence morale. L'arrogance du Bien est cause des plus grands maux. L'hybris individuel de masse défait la société pour bénir le marché. Mais qu'est-ce qu'un marché sans substruction sociale ? Le marché sans les entraves du lien, c'est le chaos.


J.F. - Avec les années, votre critique du libéralisme s'est sans cesse accentuée. A ses débuts, la nouvelle droite était bien moins radicale. J'ai conservé d'ailleurs certains textes de cette époque ; vous ne pourriez plus vous y reconnaître. Je songe à ces odes à l'homme faustien dont vous étiez coutumiers ; toute cette quincaillerie qui fonde la supériorité de la culture européenne sur ses seules aptitudes scientifiques et techniques. L'arraisonnement du monde dont nous sommes évidemment les champions est un mécanisme équivoque qui révèle aujourd'hui toute son ambivalence. La logique économique s'empare de la planète, comme l'avait annoncé Spengler, mais ses effets sont pour l'Europe probablement mortifères. Vous ne croyez plus à cette supériorité en trompe-l'oeil... Vous ne communiez plus dans le dithyrambe faustien.


P.B. - Je ne récuserai pas le risque d'un pacte avec le malin, mais je suis mécréant et je ne crois ni à dieu ni à diable... Cependant, vous avez raison : nos paradigmes ont évolué au fur et à mesure que - j'espère le dire sans forfanterie - que notre réflexion s'approfondissait. Par exemple, je ne pourrais plus parler de supériorité intrinsèque de l'Europe. Un tel jugement n'est concevable que dans une perspective universaliste. Pour que les hiérarchies fassent sens, il faut bien que les valeurs qui permettent de les établir soient unanimement partagées. Or, les valeurs étant l'expression de cultures différentes, toute tentative de classement trahit un ethnocentrisme effronté. Ce que l'on baptise pompeusement l'universel, qu'est-ce donc d'autre, sinon la culture et les préjugés des conquérants ?
J.F. - Vous êtes relativiste !


P.B. - J'incline à penser que l'écart entre les cultures ne relève pas d'une différence de degré, mais d'une distinction de nature, même si, bien entendu, il n'y a qu'une seule espèce humaine. D'où ma réserve, pour ne pas dire plus, vis à vis de cette arrogance occidentale qui pulvérise le pluriversum planétaire avec, il faut bien le dire, la complicité extasiée de la plupart de ses victimes. Ultimes sectateurs de cette occidentalisation, les croisés des droits-de-l'homme ne sont pas ses thuriféraires les plus naïfs. Le moralisme chevillé au corps, ils couronnent un processus qui n'a fait que s'accentuer pour le plus grand malheur de l'humanité. Car, enfin, concrètement, ce qu'on appelle prétentieusement le développement, qu'est-ce d'autre que la métamorphose de la pauvreté en misère. Qu'est-ce donc que la misère ? C'est la pauvreté sans le secours apaisant du groupe, sans les racines partagées, sans l'assurance d'un entre-soi solidaire.
J.F. - Nous parlions du libéralisme.


P.B. - Pour ce qui concerne la critique du libéralisme, il y a des rapprochements terriblement éloquents. Au nom de la concurrence et de la rentabilité du capital, on exige une flexibilité toujours plus grande des acteurs économiques. La mobilité, le nomadisme sont devenus des facteurs déterminants de la réussite et du même coup des signes de la distinction dans les élites. Si je reprends l'exemple de la famille devenue cette institution fragile et mouvante dont nous parlions tout à l'heure, il est évident que sa forme classique marquée par la stabilité est aujourd'hui perçue comme une rigidité incompatible avec les nouvelles contraintes du salariat. La loi du capital mondialisé et de la compétition sans frontière, c'est l'entière disponibilité des agents aux exigences de l'entreprise. Il faut accepter la logique des flux ou périr. Le schéma idéologique qui justifie l'adaptabilité dans les relations de travail donne également raison à la mobilité affective qui déstructure la cellule familiale et sacrifie l'éducation des enfants. Plus s'affirme l'hégémonie libérale, plus ses valeurs tendent à instrumenter les individus et à irriguer le tissu social, et plus l'on voit les bases les plus élémentaires de " la vie bonne " se déliter.
J.F. - Il y a une confusion fallacieuse entre capitalisme et libéralisme. Une confusion récente, puisque à la fin du XIXème siècle encore, Leroy-Beaulieu s'élevait contre cet amalgame. Je réfléchis à cela pour mon prochain livre sur l'essence de l'économique.Je vous ai souvent cité ces passages de Marx dans lesquels il glorifie les capacités révolutionnaires du développement capitaliste...la profanation du vieux monde à laquelle il se livre. La logique du capitalisme est en effet destructrice et créatrice. Comme Marx le souligne toujours, il bouscule les structures sociales et les mentalités qui font obstacle à son déploiement. Marx se réjouissait de ce maelström continuel, car il y voyait les prémisses de la révolution à venir, mais il ne soupçonnait pas l'aptitude du système à triompher de ses contradictions en se renouvelant au gré des oppositions rencontrées. Cette aptitude à la régénération plaide d'ailleurs pour lui ; mieux que les systèmes rivaux, il a su capter certaines constantes de la nature humaine afin de s'en fortifier. Ceci étant dit, on voit bien que l'économie, aujourd'hui, excède sa vocation et tend à annexer ou à dissoudre des activités dont l'existence et l'autonomie sont nécessaires à l'équilibre de la cité. De toute évidence, les soubassements de la vie collective, à commencer par l'identité culturelle, sont mis en péril par les tourbillons que provoque son déchaînement contemporain. Il y a là une violence économique qui infirme le préjugé de Montesquieu et de sa descendance libérale sur les vertus pacifiantes du doux commerce.


P.B. - Les libéraux répondent à cela que l'abondance et la paix surviendront effectivement lorsque le marché aura triomphé des pesanteurs - traduire : les vestiges encore agissant de l'ancien monde - et des trop tenaces préjugés de ses adversaires. En clair, lorsqu'il sera venu à bout de la nature humaine. Ce plaidoyer est une théodicée. Comment en effet se persuader de l'excellence du système compte tenu des maux qui semblent la démentir ? En interprétant ces maux comme autant d'épreuves à surmonter avant la rédemption promise. C'est un discours comparable à celui des marxistes pur sucre selon lesquels le socialisme réellement existant n'est qu'une caricature de leur mirifique utopie. Jamais la vérité du dogme n'est mise en cause. En revanche, on invoque la figure perturbatrice du mal - par exemple, les structures agraires de la Russie de 1917, l'empreinte orthodoxe dans les mentalités, la paranoïa de Staline... Autant d'accidents historiques passibles d'une remédiation. N'oublions pas que pour les trotskistes, l'U.R.S.S. demeure, malgré tout, un Etat prolétarien. Ces modes de raisonnement sont caractéristiques d'une dérive magique de l'entendement. Une pensée close qui entend contraindre le réel par des formules rituelles. Le sorcier qui ne parvient pas à faire tomber la pluie a toujours une explication. Une formule, une incantation, une puissance, supérieures et contraires aux siennes, se sont interposées entre son savoir-faire et les phénomènes qu'il prétend régenter. Grâce au mauvais génie, la raison magique n'est jamais prise au dépourvu. Au contraire même, ses échecs la renforcent. L'implosion annoncée du communisme et le déclin, sinon la ruine, des espérances sécularisées, qui sont en soi une excellente nouvelle, livrent l'espace planétaire à un libéralisme de plus en plus débridé. Par défaut d'adversaire, le voilà abandonné à sa propre ivresse. Le monopole n'incite pas à la prudence. Face à son empire ne demeurent plus que des ethno-résistances désarticulées et qui, par définition, ne peuvent pas constituer un front commun.


J.F. - La France et l'Europe ne semblent pas devoir subir ce monopole impérieux. Les régimes mixtes qui combinent aspirations libérales et aspirations social-démocrates y sont solidement enracinés et le libéralisme, dont l'influence s'accroît effectivement, y paraît très édulcoré.
P.B. - Deux aspirations qui ont ceci en commun d'être issues de la matrice des Lumières et de surestimer le rôle de l'économie au point de toujours privilégier la croissance comme un sésame en dépit des ravages qu'elle exerce aussi bien sur la biosphère que dans la sociosphère. Il s'agit de deux inflexions d'un même système, comme vous l'avez d'ailleurs écrit à plusieurs reprises. A tour de rôle, chacun de ces deux sous-systèmes est mis en avant pour corriger les excès de l'autre, mais on ne met jamais en question la matrice commune et ses paradigmes. C'est pourquoi les frères ennemis jouissent d'un bail emphytéotique sur ce qui nous reste de vie politique.


J.F. - C'est ce qui conduit Alain de Benoist à relativiser la pertinence du clivage gauche-droite.
P.B. - Oui, c'est un clivage obsolescent quant au fond, un simple label pour identifier des commissions de gestionnaires rivaux ; mais les élites dépensent des trésors de communication pour le maintenir sous perfusion. Il y va de leur intérêt.Cette hégémonie n'est même pas sérieusement contestée par les chapelles d'extrême-gauche dont la présence très active dans ce qu'un de vos collègues appelle les nouveaux mouvements sociaux, prend pour cible privilégiée la famille, l'armée, la religion, l'école autoritaire, etc... Autant de proies chétives, d'objectifs cacochymes, de leurres, que l'évaluation libérale-libertaire du capitalisme s'est depuis longtemps employée à déconsidérer et dont les vestiges, objets de railleries consensuelles, ne peuvent plus être considérés comme des forces agissantes et, à fortiori, comme des instruments d'oppression. En blasphémant des idoles déchues, ils participent de cette " insignifiance " dont parle Castoriadis pour qualifier ce présent où nous avons à vivre.
J.F. - Mon cher Bérard ; nous allons finir cette bouteille, il faut sustenter cette péroraison...
Julien Freund arbore un large sourire.


P.B. - C'est un fait, la clameur " contestataire " enfle au rythme où s'épuise son imaginaire révolutionnaire. On notera par ailleurs que cette clameur trouve un écho complice dans ce qu'il faut bien appeler la presse " patronale ", ce qui est tout dire de la capacité subversive que lui reconnaissent les classes dirigeantes.En vociférant contre les vestiges de l'ancienne société, la dissidence de confort apporte sa modeste contribution à l'entreprise de bazardement qui doit faire place nette aux stratégies de recomposition d'un capitalisme mondialisé. Leurs diatribes contre la France frileuse, le repli identitaire, le tribalisme xénophobe... c'est cela : la version jeuniste, lyrique et bigarrée d'une raison libérale qui a fait le choix de la globalisation et considère, en conséquence, les frontières comme des obstacles à effacer. Favoriser la porosité des territoires pour que demeure seulement un espace homogène de consommation. Le monde sans frontière dont rêvent les gauchistes ressemble furieusement à un terrain de jeu pour multinationales en goguette.


J.F. - Vous dites " en goguette " et moi j'entends " en maraude ".
P.B. - Monsieur le Professeur... C'est que vous avez l'ouïe trop perçante... Le libre-échange intégral exige l'abolition des limites et il s'accommode de plus en plus difficilement d'un monde hérissé de différences. Sa logique, c'est le lisse, l'homogène, le transparent. Le cosmopolitisme est devenu son cri de guerre publicitaire. Ce cosmopolitisme frivole et marchand dont on nous abreuve en escomptant que notre ignorance nous fera confondre le rappeur de banlieue avec l'intellectuel juif viennois qui, il y a un siècle, s'exprimait avec préciosité en trois ou quatre langues sans compter le latin et le grec et s'abreuvait à deux ou trois cultures dont il maîtrisait toutes les subtilités...
J.F. - Vous savez ce qu'est la " world music " ?
P.B. - Pillage et plagiat. Une louche de samba, une cuillerée de rock, une pincée de tam-tam africain, le tout synthétisé par les ingénieurs des multinationales du divertissement et promu sous le label irréprochable de l'antiracisme.


J.F. - Vous avez remarqué, comme on n'entend plus ni Brel, ni Brassens à la radio ? Pour moi, le cosmopolitisme, ce sont les humanistes de la Renaissance, les aristocraties de cours du XVIIIème siècle, Voltaire plaisantant avec le roi de Prusse, ou ces artistes juifs de la Mittel-Europa dont vous parlez. C'est un apprentissage exigeant à l'opposé de ce laisser-aller qui s'exprime en " broken-english " et qu'on fabrique effectivement pour des consommateurs déracinés et pressés. Comme tous les démocratismes, la démocratisation du cosmopolitisme est une duperie. Ceux qui prônent le cosmopolitisme de masse sont en fait allergiques à la diversité. C'est Paul Morand qui écrivait avant-guerre : " La vitesse tue la couleur ; le gyroscope quand il tourne vite fait du gris ".


P.B. - Pour en conclure avec les gauchistes, je voudrais dire un mot sur ce que des détracteurs trop frivoles appellent leur opportunisme. Assurément, nombre d'entre eux se sont " ralliés " au système qu'ils croyaient combattre. Beaucoup font " carrière " dans la publicité, le journalisme et les appareils. On les découvre au sommet des " partis de gouvernement ", des syndicats et même du C.N.P.F. Il y a comme un gauchisme d'Etat et beaucoup se gaussent de ces itinéraires. Pourtant, je ne parlerai pas d'apostasie, mais plutôt d'une vocation aboutie. L'hypothèse de la palinodie n'est en effet recevable qu'à deux conditions. D'abord, considérer que la polarité gauche-droite permet de rendre compte de toutes les opinions. Ensuite, rattacher le libéralisme à la droite historique. Or, aucune de ces deux conditions n'est réalisée. A partir du moment où l'on veut bien s'extraire de ce double carcan, les soi-disants revirements prennent une autre coloration. Mon interprétation, c'est que les gauchistes recyclés dans les principaux organes de propagande du système n'ont pas trahi leurs idéaux de jeunesse mais manifestent, enfin, avec éclat, l'impensé que charrie depuis toujours leur conception du monde. Leur succès métapolitique, leur capacité à fournir le système dominant en cadres efficaces, la propension des classes dirigeantes à les accueillir en leur sein, sont autant d'épreuves de vérité quant à la nature réelle du libéralisme contemporain et quant aux concepts que le gauchisme véhicule.
J.F. - Toujours la vérification ironique.


P.B. - En effet, il n'y a pas de convergence innocente. Libre circulation des capitaux et des marchandises, libre circulation de la force de travail renvoient au même imaginaire.La mondialisation capitaliste est conviée à recycler indéfiniment, à son profit, les déchets d'un internationalisme décrépit. C'est dans la grammaire libérale que doivent désormais s'interpréter les anciennes revendications internationalistes du prolétariat. Quant aux prolétaires réellement existants, dont les experts de connivence se plaisent à souligner la disparition, ils devront s'arranger avec un monde qui reprend d'autant plus volontiers leurs anciens mots d'ordre qu'il les sacrifie à l'avenir radieux de la marchandise;
J.F. - Il se fait tard, nous allons rentrer boire un schnapps ...


P.B. - Une dernière chose... Il faut y insister. Les crypto-repentis ont fait don à l'oligarchie d'un inestimable présent, le verrou qui scelle toutes les volontés transgressives... Cet antifascisme concocté jadis dans le chaudron stalinien, ragaillardi par son alliage tout neuf avec la religion des droits de l'homme. Commence l'âge du virtuel et nous voici surplombé par le surmoi antifasciste qui impose à tous effroi et tremblements. Pour les authentiques opposants, le choix, c'est le silence des proscrits ou la médiatisation fatale réservés aux épouvantails.
J.F. - Cette convergence, est-ce le retour à la matrice d'origine ? Ce serait un signe d'épuisement, le symptôme d'une saturation. L'idée est à creuser. Il se pourrait que les Lumières aient accouché de toutes leurs potentialités, d'où la crispation de l'agonisant.
P.B. - Oui... le stade sénile et sombre des lumières. La loi Le Chapelier pactisant avec la loi des suspects ; 1791 définitivement réconcilié avec 1793.
J.F. - La seule morale d'un monde sans morale...Mais ne cultivons pas ce pessimisme qui est l'échappatoire des avortons ou l'alibi de la paresse. La messe n'est jamais dite, et beaucoup de tâches nous requièrent.


Généralement, nos rencontres se terminent dans le salon de Julien Freund. Une grande pièce décorée de toiles de son beau-père, le peintre René Kuder. La conversation s'y poursuit autour d'un verre de cet alcool blanc dont le val de Villé cultive depuis des siècles le savoir-faire. Souvent, nous parlons de ces étudiants que je lui ai présentés et auxquels régulièrement il fait don de son savoir et de ses analyses. Sa disponibilité est entière, mais son jugement féroce. Volonté de transmettre, refus d'abdiquer, Freund est un stoïque romain, campé sur le limes du combat intellectuel. Il est bien tard quand je reprends ma voiture. Il est sur son perron. Son regard m'enveloppe de recommandations paternelles.
J.F. - N'oubliez pas de transmettre mon amitié à Alain de Benoist !


Demain, je téléphonerai à Fabrice pour lui donner des nouvelles de notre Julien Freund.

lundi, 18 mai 2015

L’Etat profond américain , le nouveau livre de Peter Dale Scott

L’Etat profond américain , le nouveau livre de Peter Dale Scott

Ex: http://www.breizh-info.com

EDL_Couve-EPA-Recto-Web.jpgDocteur en sciences politiques et ancien diplomate, le Canadien Peter Dale SCOTT est l’auteur de nombreux ouvrages (dont La Route vers le nouveau désordre mondialet La Machine de guerre américaine) analysant la politique étrangère américaine, les narcotrafics et les opérations secrètes. Ses recherches et écrits mettent en lumière le concept de ce qu’il définit comme le « supramonde », qui influence l’État public via le système de « l’État profond ».

Porte-parole du mouvement antiguerre lors du conflit vietnamien, il cofonda le programme d’études « Paix et Conflit » de la prestigieuse Université de Berkeley, où il enseigna la littérature anglaise durant près de 30 ans. Primé pour ses recherches en géopolitique, SCOTT est également un auteur reconnu pour son œuvre littéraire dans le domaine de la poésie.

S’appuyant sur plus de quatre décennies de recherches, Peter Dale SCOTT nous offre une analyse inédite de l’« État profond américain », un système informel et méconnu, dont l’influence sur l’Histoire contemporaine est absolument majeure. En dehors du cadre légal, celui-ci conditionne secrètement, souvent illégalement, les politiques officielles de l’Etat public à Washington – voire les contredit ou les neutralise.

Observateur politique de premier plan, SCOTT décrit le processus de militarisation croissante des États-Unis, en particulier depuis le 11-Septembre. Il explique également l’origine de la « dérive sécuritaire » (écoutes et surveillance illégales, détentions arbitraires massives, usage de la torture, assassinats ciblés) et de l’accroissement des inégalités de revenus que connaît ce pays depuis la guerre du Vietnam.

scott-peter-dale.jpgL’État profond constitue aujourd’hui un système quasi institutionnalisé dans des agences (comme la CIA et la NSA) qui échappent au contrôle démocratique. Mais il ne se limite pas à ces services secrets, et l’auteur décrit notamment l’influence excessive d’entreprises privées telles que Booz Allen Hamilton (l’ex-employeur d’Edward Snowden) et la SAIC, 70 % des budgets du Renseignement aux États-Unis étant aujourd’hui sous-traités.

Derrière ce système opaque, où la distinction entre « public » et « privé » semble pour le moins ténue, il retrace l’influence traditionnelle des banquiers et des avocats de Wall Street alliés aux « supermajors », les plus grandes compagnies pétrolières internationales. Il explique ainsi comment les pétromonarchies du Golfe persique, les entreprises de défense états-uniennes et Wall Street ont formé ensemble et progressivement un État profond supranational – qui mène des politiques parfois radicalement opposées aux intérêts nationaux des États-Unis, de son peuple et de ses institutions.

Un travail remarquable qui clôt avec brio la trilogie entamée avec La Route vers le nouveau désordre mondial etLa Machine de guerre américaine

L’Etat profond Américain – Peter Dale Scott – Editions Demi Lune – 25 €

lundi, 11 mai 2015

Identités nationales contre uniformisation des marchés

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Identités nationales contre uniformisation des marchés : la révolte grandissante des peuples contre les élites dans la mondialisation

Entretien avec Michel Guénaire

Ex: http://www.atlantico.fr

L'émergence de nouvelles puissances conduit à repenser la mondialisation. La Chine, l'Inde ou la Russie veulent défendre tant leur identité que leurs parts de marché.

Atlantico : Dans votre dernier livre, Le retour des Etats, vous défendez l'idée que la crise de la mondialisation oblige à repenser un monde où les Etats sont au centre du jeu. Peut-on aller jusqu'à parler de fin de la mondialisation ou "démondialisation "?

Michel Guénaire : Je ne crois pas que l'on puisse parler d'une fin de la mondialisation, mais plutôt d'une transition. La mondialisation se poursuit, mais les acteurs changent. Ce ne sont plus les entreprises et les banques souveraines par leur richesse et leur liberté, aux côtés de nations contraintes de se plier à l'ordre néo-libéral, qui règlent la marche du monde. Ce sont des Etats qui expriment les intérêts de leur population contre la logique des marchés, et ce sont surtout des Etats de l'est du monde qui viennent défier les Etats de l'ouest du monde. La mondialisation n'est plus synonyme de l'adoption par tous les pays du monde du même régime politique, économique et social qu'ont promu les Occidentaux depuis trente ans.

Elle se durcit. Elle est un jeu disputé. Elle obéit à la nouvelle loi d'un monde multipolaire réaliste, où des puissances comme la Chine, l'Inde et la Turquie, la Russie, l'Iran ou encore le Brésil, s'organisent avec une volonté propre et des initiatives diplomatiques déliées des préjugés des vieilles chancelleries européennes.

Comment le retour des Etats se manifeste-t-il ?

Le retour des Etats correspond à une défense des intérêts des peuples. Il se manifeste donc par des positions affranchies et volontaires au nom de ces intérêts. Derrière la défense de ses intérêts, il y a la prise de conscience que chaque nation doit retrouver le chemin de son développement et sa propre identité. La nouvelle géopolitique du monde est déterminée par un retour des Etats qui lui-même entraîne ou porte un retour des cultures. Le village planétaire redécouvre qu'il a des quartiers.

Si face aux désordres engendrés par la crise, l'attachement des individus pour les Etats et leur besoin de protection se sont clairement manifestés, les chefs d’État, après avoir été longtemps complices du système financier se sont montrés relativement impuissants à le réguler. Le désir d’État des peuples est-il vraiment partagé par les élites politiques et économiques ?

C'est la question. Les peuples ou les sociétés civiles aspirent à un rôle fort et recentré de leurs Etats, mais les élites nationales continuent de se satisfaire du monde émollient du libre-échange. Par intérêt à leur tour, ou par inconscience ? Disons que, dans le meilleur des cas, elles ne réfléchissent pas. Il est frappant de voir à quel point, particulièrement en Occident, et pour ne pas le citer, dans un pays comme la France, les responsables politiques restent aveuglément attachés au monde d'avant la crise de la mondialisation. Ils y voient toujours le seul horizon de leur politique. Voici pourquoi aussi je crois que le projet politique de demain naîtra de la société civile, et non d'un énième programme d'une classe politique déphasée ou dépassée.

Alors que vous indiquez que le levier des monnaies, de la diplomatie et des ressources naturelles, sont la clef du destin des Etats, l'Union européenne ne semble pas avoir rompu avec l'angélisme de la mondialisation. L'Europe est-elle en train de sortir de l'Histoire ?

Si l'expression politique des grandes régions du monde repose sur l'instrument de l'Etat, l'Europe est effectivement en train de sortir de l'Histoire. L'Europe n'a pas le pouvoir décisionnel propre d'un Etat. Dans mon livre, je fais une proposition pour revenir à une Europe décidant par un nombre limité d’acteurs. En s’inspirant du Conseil de sécurité des Nations unies, je propose la constitution d’un Conseil européen de six membres : l’Allemagne et la France en seraient les deux membres permanents, quatre autres membres représenteraient quatre groupes d’Etats déterminées par zones géographiques. Cette nouvelle Europe des Six permettrait à l’Europe toute entière de franchir un pas. Celui d’une cohésion décisionnelle. Elle permettrait à la belle idée de la construction européenne d’atteindre son but. Celui d’une puissance active à côté des autres grandes puissances dans le monde.

Selon vous, la voie de l'avenir ne ressemble pas à l'esquisse du traité de Rome. Dans le nouvel équilibre du monde qui se dessine quelle doit-être la place de l'Europe ?

L'Europe doit prendre la place d'une région du monde organisée politiquement, ainsi que je viens de le dire. Ni plus, ni moins. L'Europe doit ainsi se réapproprier son modèle de développement, parce que ses peuples le lui demandent. L'Europe ne peut plus limiter ses interventions à la promotion des règles du libre-échange mondial. De ce point de vue, j'avance dans mon livre, comme corollaire de l'institution d'un Conseil européen de six membres, le retour de la Commission à un simple statut d'administration ou de secrétariat général du Conseil. L'un des égarements de la construction européenne aura été, durant ces trente dernières années, la bureaucratisation du fonctionnement des institutions européennes, dont la Commission aura été l'agent avec, il faut le souligner, la lâcheté complice des gouvernements nationaux.

Vous précisez que le retour des Etats ne signifie pas nécessairement le retour de l’État planificateur des Trente Glorieuses ou celui de l’État-nation qui s'était fait l'arbitre des relations internationales après la Seconde guerre mondiale. Quel sera, selon vous, le visage de l’État du XXIe siècle ?

Un Etat fort et recentré, disais-je tout à l'heure, mais d'abord et avant tout un Etat politique dans le meilleur sens du terme. Les responsables politiques européens ont dévergondé l'idée d'Etat depuis trente ans, en l'étendant dans des secteurs de la vie de la société où il n'avait rien à faire, mais surtout en le considérant ou en le faisant fonctionner comme un acteur marchand. L'Etat a des compétences et des moyens qui doivent lui rester propres. Il doit conduire une action qui doit lui être propre. L'Etat, ou les Etats de retour, ne sont pas des Etats providence mais des instruments de reconquête d'une volonté politique des nations.


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http://www.atlantico.fr/decryptage/identites-nationales-contre-uniformisation-marches-revolte-grandissante-peuples-contre-elites-dans-mondialisation-michel-900580.html#Fd6kTDOYhlGP3Uoh.99

Carl Schmitt’s War on Liberalism

Carl Schmitt’s War on Liberalism

Reinhard Mehring, trans. Daniel Steuer, Carl Schmitt: A Biography [5] (Polity Press, 2014), 700 pp., $45.00.

csarton403.jpgOVER THE past few years, the conviction that the end of the Cold War inaugurated an era of great-power peace to accompany the inevitable spread of democratic capitalism has been shattered. In Georgia and Ukraine, thousands have died as Washington’s attempt to fence in Russia with NATO allies and affiliates has been answered by Moscow’s determination to rebuild a Eurasian sphere of influence. In East Asia, China’s growing assertiveness has alarmed its neighbors and collided with America’s determination to remain the dominant power in the region. Regime-change efforts sponsored by the United States and its allies in Iraq, Libya and Syria have created power vacuums and bloody regional proxy wars, to the benefit of Al Qaeda and the Islamic State.

In geoeconomics, too, the Pax Americana and the neoliberal version of capitalism are increasingly contested. China, with the help of India, Russia, Brazil and other countries, has sought to organize alternatives to global economic and development institutions like the World Bank and the IMF, which are still dominated by the Western powers. In different ways, Xi Jinping’s China, Vladimir Putin’s Russia and Narendra Modi’s India represent an alternative economic model, in which free markets and state capitalism are blended under strong executive rule.

This moment of crisis for global liberalism coincides with the translation into English of a fresh appraisal of Carl Schmitt, a leading twentieth-century German thinker who, in the course of a long life, was a consistent critic of political and legal liberalism and American hegemony. In Carl Schmitt: A Biography, published in German in 2009 and published in English late last year, Reinhard Mehring, a professor of political science at Heidelberg University of Education, has provided the most thorough study yet of the anfractuosities of the political theorist known to his detractors as “Hitler’s Crown Jurist.”

SCHMITT, WHO was born into a Catholic family in Westphalia in 1888, rose to prominence as a conservative legal academic in the 1920s. His discipline of Staatslehre is much more than narrowly technical “law” or “jurisprudence,” including as it does elements of political philosophy and political science.

Schmitt’s intellectual allies were, by and large, the conservative nationalists of the Weimar Republic, not the more radical Nazis. In his diaries after the Second World War, Schmitt not inaccurately described Hitler as “an entirely empty and unknown individual” who rose “out of the pure lumpenproletariat, from the asylum of a homeless non-education.” However, following Hitler’s seizure of power, Schmitt joined the Nazi Party in May 1933. Thanks to the sponsorship of Hermann Goering, Schmitt was appointed state councilor for Prussia, president of the Union of National Socialist Jurists, editor-in-chief of the German Jurists’ Journal and a professor at the University of Berlin, where he replaced Herman Heller, a Jewish social-democratic legal theorist who had been forced into exile.

At the height of his brief prominence, Schmitt was even received by Mussolini. Schmitt would recall:

I had a longer conversation in private with Mussolini in the Palazzo Venezia on the evening of the Wednesday after Easter. We talked about the relationship between party and state. Mussolini said, with pride and clearly directed against national socialist Germany: “The state is eternal, the party is transient; I am a Hegelian!” I remarked: “Lenin was also a Hegelian, so that I have to allow myself the question: where does Hegel’s world historical spirit reside today? In Rome, in Moscow, or maybe still in Berlin after all?”

Schmitt did not consider the possibility that the world-historical spirit might have taken up residence in Washington, DC.

As Hitler consolidated his tyranny, Schmitt became more abject. He defended Hitler’s Night of the Long Knives on June 30, 1934, and described the anti-Semitic Nuremberg laws against Gentile-Jewish intermarriage as “the constitution of freedom,” even though, according to Mehring, in his youth he had briefly hoped to marry a Jewish woman, Helene Bernstein.

Some of Schmitt’s newly adopted “racial” rhetoric was so excessive—he proposed that the word “Jew” be placed next to the names of Jewish authors in footnotes in legal texts—that some hostile expatriates and devout Nazis alike believed they discerned in his writing not the zeal of the convert, but the cynicism of the opportunist. In 1936, the journal of the SS, Das Schwarze Korps, published several articles questioning his true commitment to Nazi ideology. Schmitt’s friendship with Goering and Hans Frank, who was later hanged for his war crimes as governor-general of German-occupied Poland, saved him from the clutches of the SS. He withdrew into recondite scholarship, which included musings on a Monroe Doctrine for Europe that would justify German expansionism and a history of the alleged struggle among maritime and continental great powers. Detained for a time by the Allies after the war, Schmitt explained: “In 1936, I was publicly defamed by the SS. I knew a few things about the legal, semi-legal and illegal means of power employed by the SS and the circles around Himmler, and I had every reason to fear the interests of the new elite.”

In a legal brief for Friedrich Flick, a German industrialist who had collaborated with the Nazis, Schmitt, having used arguments about the limits of positive law to justify the Hitler regime, opportunistically deployed them to justify war-crimes trials (though preferably not for his client): “Here, all arguments of natural sense, of human feeling, of reason, and of justice concur in a practically elemental way to justify a conviction that requires no positivistic norm in any formal sense.” The Allied occupation authorities were unmoved and imprisoned Flick until 1950, but after detaining Schmitt twice, once for more than a year, they decided that he had been too marginal a member of Hitler’s system for prosecution to be worthwhile.

Like the philosopher Martin Heidegger, who had also disgraced himself by enthusiastically welcoming the Nazi dictatorship when he became rector of Freiburg University in 1933, Schmitt was banned from teaching in German universities from 1945 to his death in 1985. Schmitt nevertheless managed to gather a small coterie of disciples and exercise some influence on German jurisprudence. He continued to write and also had distinguished visitors, including the philosopher Alexandre Kojève. In his old age in his native Plettenberg, Schmitt named his home “San Casciano” after the Tuscan village where Machiavelli spent his final years in exile. In his intellectual diary, the Glossarium, Schmitt bitterly complained: “How harmless were those who sensed the opportunity for intellectual change at the awakening in Germany in 1933, in comparison to those who took intellectual revenge on Germany in 1945.”

In the decades before his death in 1985, Schmitt interpreted current events in terms of what he described and dreaded as “the legal world revolution”—a world order, promoted by the United States and symbolized by the European Union, in which legalistic concepts like human rights and the rule of law became the only source of political legitimacy. What most liberals view as triumphant progress, Schmitt viewed as the disastrous marginalization of continental European statism as an alternative to the maritime liberalism of the Anglo-American world: “World politics reaches its end and is turned into world police—a dubious kind of progress.”

IF SCHMITT were merely one of many German conservatives of the Weimar era who disgraced themselves by collaborating with the Nazis, he would be of interest only to historians. Instead, Schmitt’s reputation as a major thinker endures, sometimes in surprising quarters. American law professors wrestle with Schmitt’s theories about constitutionalism and power, while the Western Left is impressed by his denunciation of liberal globalism as a mask for Anglo-American and capitalist imperialism. In the late twentieth century, the American journal Telos, a meeting place for heterodox leftists and paleoconservatives, helped further the revival of interest in Schmitt’s thought, along with studies by G. L. Ulmen, Joseph J. Bendersky, Gopal Balakrishnan and many others. Some claim, absurdly, that Schmitt influenced the neoconservative movement by way of the political philosopher Leo Strauss, a respectful critic and correspondent in the 1920s.

This interest is justified, because Schmitt is a classic thinker—perhaps the key thinker—of modern antiliberalism. Antiliberalism can be contrasted with preliberalism as a variety of nonliberalism.

Confronted with Enlightenment liberalism in its various versions, preliberalism finds itself at a disadvantage in the battle for modern public opinion, because appeals to preliberal sources of social authority—divine revelations, local customs and traditions—are unlikely to persuade those who are not already believers. Unable to hold their own in debate with liberals, adherents of preliberal worldviews tend to withdraw into sectarianism, which may be defensive and quietist like that of the Amish, or manifested in millenarian violence, like the Salafist jihadism of Al Qaeda and the Islamic State.

In contrast with preliberalism, modern antiliberalism like Schmitt’s seeks to defeat liberal thought on its own chosen ground of public debate, using its own preferred weapons, rational analysis and secular scholarship. It is modern because it takes for granted the post-Enlightenment intellectual environment of secularism and science. And it is antiliberal because it defines itself against modern liberalism, on point after point. It is a reaction to liberalism that would not exist without liberalism—a Counter-Enlightenment, not an ancien régime.

In the Weimar Republic, Schmitt was associated with Catholic conservatives. Relations were strained when he divorced his first of two wives, Pawla Dorotic, whom he met when she was a Spanish dancer in a vaudeville theater. The Vatican was not impressed by his request for an annulment, on the grounds that the Munich-born Protestant dancer had lied to him about having an aristocratic pedigree as the daughter of a Croatian baron. Moreover, according to Mehring, Schmitt did not attend church during the Nazi years.

But those who argue for his lifelong affinity with strains of Catholic reactionary politics can make a good case. Notwithstanding his embrace of Nazi racism, Schmitt’s sympathies lay with Latin authoritarianism rather than Teutonic totalitarianism. His only child, his daughter Anima, born to his second wife, married a Spanish law professor belonging to Franco’s Falangist party, and she translated some of Schmitt’s writings into Spanish. In Political Theology, he praised the nineteenth-century Catholic counterrevolutionary thinker Juan Donoso Cortés. In later life, he understood modern world events in terms of apocalyptic imagery borrowed from Christian thought, including the idea of a “katechon,” a figure who, by maintaining order, delays the end of the world. The katechon might be thought of as Schmitt’s answer to Thomas Hobbes’s metaphor of the Leviathan.

BUT SCHMITT did not think that the answers to modern problems could be found in Thomism or a restoration of papal authority. There was no going back to the Middle Ages. Schmitt embraced modern populism and tried to turn it to antidemocratic, illiberal ends. In his Verfassungslehre (Constitutional Theory) of 1928, for example, Schmitt praised the French revolutionary thinker Abbé Sieyès, author of What is the Third Estate?, for distinguishing between the pouvoir constituant and the pouvoir constitué, the maker of constitutional government and the constitutional government that is made.

The idea that constitutions exist at the will—and for the benefit—of the sovereign people or nation was central to the French and American Revolutions and goes back to the social-contract theory of John Locke and his successors. It was stated not only by Sieyès but also by Thomas Jefferson, in the Declaration of Independence:

That to secure these rights, Governments are instituted among Men, deriving their just powers from the consent of the governed, That whenever any Form of Government becomes destructive of these ends, it is the Right of the People to alter or to abolish it, and to institute new Government, laying its foundations on such principles and organizing its powers in such form, as to them shall seem most likely to effect their Safety and Happiness.

As William E. Scheuerman and Renato Cristi point out in their contributions to a 1998 anthology edited by David Dyzenhaus, Law as Politics: Carl Schmitt’s Critique of Liberalism, Schmitt puts an antiliberal spin on the theory of popular sovereignty. Sieyès, like the American Founders, takes it for granted that the exercise of popular sovereignty operates under constraints, even if it is not constrained by constitutions or statutes. Even when acting in revolutionary fashion, by discarding one government and forming another, a sovereign people cannot violate natural law (in the version found in early modern social-contract theory, that is, not the natural law of premodern Scholasticism). Moreover, in a revolutionary interim between governments, the people are expected to act through representative, consultative bodies, such as constitutional conventions. The sovereign people’s natural, extralegal right of revolution is not an excuse for either communal atrocities or the dictatorship of an individual.

By dispensing with these constraints, Schmitt turns the theory of popular sovereignty into a rationale for Caesarist dictatorship. The cryptic first sentence of Political Theology, “Sovereign is he who decides the exception,” shows that the sovereign people have been conflated with the sovereign executive. Social-contract theorists would have written, “Sovereign are they who decide the exception.”

Schmitt does not mean that any malcontent colonel who manages to carry out a putsch is the “sovereign.” Instead, the sovereign is a charismatic leader who saves the people from danger by acting decisively, outside of the law if necessary. Because the paralysis of parliamentary politics can itself pose a danger to the nation, in the view of Schmitt and other antiliberals, the eighteenth-century French and American method of a quasi-parliamentary constitutional convention to represent the sovereign people must seem to be merely the attempted correction of one weak debating society by another.

The decisive leader creates the new order by deeds, not chatter. The Schmittian leader is a plebiscitarian ruler who can have his actions ratified by the acclamation of a grateful people, but he does not act on their instructions. In his Constitutional Theory, Schmitt argued that “the natural form for the direct expression of the popular will is the yea-saying or nay-saying shout of the assembled crowd.” Cristi notes that Schmitt “comes to accept and recognizes the pouvoir consituant of the people only because he has found a way to disarm it.”

THE “FRIEND/ENEMY” distinction is another original concept in Schmitt’s antiliberalism. All political theories that do not advocate for a global government must have some way of determining who belongs in particular polities and who does not. In deciding on the boundaries of new states formed from the partition of dynastic or colonial empires, the standard in international law has been the so-called Latin American doctrine: the borders of newly independent successor states in general should follow the boundaries, however arbitrary, of administrative or political units within the former, larger state.

cs69175327.gifAn alternative approach, the so-called Central European approach, favors redrawing arbitrary political boundaries to create more homogeneous ethnic or linguistic groups. Neither doctrine is inherently illiberal. In his Representative Government, John Stuart Mill thus argued that liberal, representative government is most likely to succeed in countries in which most of the citizens share at least a common language, a thesis that the continuing disintegration of multiethnic states in our time would appear to confirm. In Mill’s words, “Free institutions are next to impossible in a country made up of different nationalities. Among a people without fellow-feeling, especially if they read and speak different languages, the united public opinion, necessary to the working of representative government, cannot exist.” Neither approach to defining the citizens of sovereign states equates political independence of one community from another with inherent and unremitting enmity.

In keeping with his decisionist approach to law and politics, Schmitt is not interested in adumbrating general rules like these. The people are more than a collection of human beings in a common territory or sharing various characteristics like language and ethnicity. Rather, for Schmitt, the people must have a mystical solidarity defined by the recognition of common public enemies, who may be external or internal or both. The friend/enemy distinction in a particular context, like the exception or state of emergency in a particular situation, by its nature cannot be identified or limited in advance. Rather, it is the essence of great leadership to grasp, at any given time, which approach to legality or its opposite and which set of public enemies is in the interest of the nation.

Schmitt is sometimes compared to Hobbes as an authoritarian thinker. But the temperaments and mentalities of the two were quite different. The Hobbesian sovereign, while prepared for war and anarchy, prefers peace and quiet. Schmitt’s authoritarianism is histrionic and apocalyptic. What is most extreme is most authentic. The exception is the rule. The emergency is the norm. The nation is constantly on the verge of collapse and threatened by enemies without and within. Parliament is the problem, not the solution. The times demand leaders who can take bold and decisive action, not waste time in idle debate. Quoting Schmitt on parliamentary democracy (“The value of life stems not from reasoning; it emerges in a state of war where men inspirited by myths do battle”), Stephen Holmes observed in 1993, “That is Mussolini, not Hobbes.”

Or worse. The potential for toxic interaction among Schmitt’s ideas about mythicized politics and extralegal power is illustrated by his own short and sordid career as a Nazi apologist. Following the Night of the Long Knives, Schmitt published an article entitled “Der Führer schützt das Recht” (“The Führer protects the law”). In identifying and eliminating enemies of the state, “The Führer protects the law against the worst forms of abuse when, in the moment of danger, he immediately creates law by force of his character as Führer as the supreme legal authority.” In that one sentence, Schmitt collapses executive prerogative, martial law and constituent power into arbitrary, uncontrollable tyranny.

REGIMES THAT resemble Nazi Germany in detail are unlikely to appear again. But antiliberalism in some form, in liberal democracies themselves as well as authoritarian states, will be around as long as liberalism endures, deploying arguments like Schmitt’s as weapons.

Defenders of the liberal constitutional tradition would be well advised to respond to those who are antiliberal thinkers like Schmitt in two ways. To begin with, they need to take seriously the challenges to legality and constitutionalism posed by the hard cases that he dwells on. The reply should be that the tradition of constitutional liberalism within itself has the resources to deal with extreme situations, by means of concepts like the natural right of revolution exercised by constitutional conventions, and executive emergency powers which are adequate in their flexibility without being unconstrained by law or legislative oversight. (Schmitt himself distinguishes “commissarial dictatorship,” or emergency measures to save a constitutional order, from “sovereign dictatorship” that creates a new constitution.)

In addition, constitutional liberals can turn the tables on Schmitt by reversing his assignment of strength and weakness. For Schmitt, as for other antiliberals, pluralistic democracy is weak and dictatorship is strong. But one need only contrast West Germany with East Germany during the Cold War, or South Korea and North Korea today, to contest this image of democratic fragility and authoritarian stability. The United States and United Kingdom survived the abortive Nazi empire and the Soviet Union in part because their looser, more consensual systems, with greater opportunities for self-correction by means of dissent and debate, made it easier for them to avoid or recover from strategic blunders.

At this moment in history, there is no significant intellectual challenge to Western liberalism comparable to fascism or Communism, notwithstanding the mixes of liberalism and nonliberalism in China and Russia and the millenarian violence of the preliberal Salafist jihadist movement. But the public philosophy of liberal, constitutional democracy has always left many people, even in its historic homelands, unsatisfied and in search of an alternative. Outside of fundamentalist religious sects, that alternative in generations ahead is likely to be found in some version of modern, secular, antiliberal thought. The greatest challenge to liberalism in the future may not come from outside of the liberal West but rather from within, in the form of reasoned argument by erudite and articulate intellectuals. Carl Schmitt was a model of the sophisticated modern antiliberal thinker. There will be more to come. 

Michael Lind is a contributing editor at The National Interest, cofounder of the New America Foundation and an ASU New America Future of War fellow.

Links:
[1] http://nationalinterest.org/feature/carl-schmitt%E2%80%99s-war-liberalism-12704
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samedi, 09 mai 2015

Le corporatisme : genèse et perspectives

Le corporatisme: genèse et perspectives

Entretien avec Jean-Philippe Chauvin

Entretien du Cercle Henri Lagrange avec Jean-Philippe Chauvin (professeur d’Histoire, animateur du blog nouvelle-chouannerie.com)

vendredi, 08 mai 2015

Le Cercle Proudhon: le sursaut de l'esprit français

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Entretien avec Pierre de Brague

Le Cercle Proudhon: le sursaut de l'esprit français

Ex: http://zentropa.info

brague.jpgJeune historien et membre d'Egalité et Réconciliation, Pierre de Brague oeuvre à la redécouverte d'une expérience politique les plus originale du XX siècle : Le Cercle Proudhon.

Rivarol/ Quelles sont les origines idéologiques du Cercle Proudhon ?

Le Cercle Proudhon est à mon sens l’incarnation française la plus aboutie qui soit (au niveau de la formulation intellectuelle) de la conjonction des deux non-dits de la matrice bourgeoise issue de 1789 à savoir cette escroquerie philosophique (les Lumières), politique (la démocratie) et économique (l’exploitation capitaliste) qui constitue notre actuelle mythologie officielle. Face à ce « système », certains ont plébiscité l’appui sur le « monde d’avant », l’Histoire et la Tradition, devenant alors d’affreux réactionnaires pour le libéralisme (dont la définition pourrait être : la dictature du présent), et d’autres ont voulu bâtir le « monde d’après », arc-boutant leurs aspirations Révolutionnaires sur la défense des intérêts du prolétariat, devenant alors l’alibi progressiste de toutes les compromissions socialistes… Lorsqu’elles furent intègres, radicales et authentiques, les mouvances monarchistes et syndicalistes ont représenté, chacune à leur manière, la quintessence des alternatives à cette « civilisation » bourgeoise. Ainsi de l’Action Française et du syndicalisme révolutionnaire. Le Cercle Proudhon est la réunion de certains militants - à mes yeux les meilleurs éléments - de ces organisations ; la crème de la crème de la radicalité patriote : une sorte d’union sacrée anti-démocratique, anti-capitaliste, anti-bourgeoise et anti-Lumières qui nous apparaît impensable au premier abord, mais qui se révèle conforme à ce que le véritable « esprit politique français » a produit (et doit produire) de manière plus ou moins explicite au fil des époques.

Rivarol / Pourquoi reprendre Proudhon comme figure tutélaire?

À première vue, rien de plus éloigné des monarchistes catholiques de l’AF et des syndicalistes révolutionnaires que le supposé anarchiste libertaire se revendiquant de 1789 que serait Pierre-Joseph Proudhon. Mais c’est se borner aux délimitations malhonnêtes du conditionnement intellectuel de ne pas faire l’exégèse profonde de l’homme et de son œuvre. Le Cercle ne tombe évidemment pas dans cet écueil et s’il peut arborer légitimement le sulfureux patronage du penseur franc-comtois c’est par une fidélité quasiment métapolitique à « l’esprit proudhonien », cet esprit parfaitement français, à la fois traditionnel et révolutionnaire, qui, par une vive et libre opposition des antagonismes, se transcende et trouve l’équilibre, cette notion fondamentale à la richesse insoupçonnée (et pour le coup quasiment métaphysique).

proudhon.0.jpgSi l’on s’en tient aux théories, Proudhon, par son fédéralisme, son mutualisme, sa critique acide de la démocratie et de la propriété capitaliste, ainsi que son caractère de farouche pourfendeur de la culture bourgeoise, a su permettre –malgré les tentatives de récupération des socialistes républicains- « à des Français, qui se croyaient ennemis jurés, de s’unir pour travailler de concert à l’organisation du pays français ». Nous touchons là un point essentiel : Proudhon était un homme d’ordre et non cet anti-étatiste anti-théiste et anti-propriétaire primaire que l’on veut nous faire accroire… C’est en tant que prophète de « l’ordre social français » que les membres du Cercle célèbrent ce « grand réaliste », ce « Maître de la contre-révolution », ce « Proudhon constructeur » à l’esprit et à la foi révolutionnaire. J’arrête ici, c’est certainement déjà trop de dialectique pour les quelques placides intellectuels de « gôche » qui prétendent s’accaparer la figure de ce rude fils de paysan, viril et guerrier, inaltérable et hardi défenseur du Travail, de la Famille et de la Terre (qui a dit Patrie ?) ; je ne voudrai pas être désigné responsable de l’ataraxie mentale dont ils souffrent, si peu nombreux soient-ils.

Rivarol / Cette alliance de royalistes et de syndicalistes révolutionnaires a-t-elle reçue le soutien de leurs « maîtres »  Charles Maurras et  Georges Sorel ?  Quelles furent les principaux animateurs du cercle ?

Allons immédiatement, si vous le voulez bien, au fond du sujet : Proudhon, Maurras et Sorel, incarnent pleinement et précisément, chacun à leur manière, avec des variations et des idiosyncrasies propres -que nous n’ôterons pour rien au monde à l’histoire et à la fortune de l’humanité- cet « esprit politique français » si précieux à mes yeux. Ils le personnifient par leurs « êtres », par leurs pensées, par leurs authenticités mêmes. Ils sont, ensemble et chacun de leur côté, cet esprit révolutionnaire conservateur français qui configure certainement le pire affrontement possible pour la pseudo-« civilisation » ploutocratique actuellement bourgeoise et soi-disant démocratique et libérale dans laquelle nous baignons depuis bien trop longtemps.

Pour être concret tout en restant succinct : que l’on songe aux conjonctions profondes qui animent cette si belle triade. Que ce soit sur l’Action, sur l’Intelligence, sur l’Organisation ou même sur l’État, les concordances, les filiations, les accords, les rapprochements et les frottements sont finalement prégnants ! Et ce jusqu’à constituer une philosophie politique véritablement française, foncière et radicale, qui se définirait par la recherche de l’organisation sociale qui rendra le plus justice à la dignité des travailleurs français et à la défense de leurs libertés et de leurs intérêts spirituels et matériels. J’invite le lecteur à reprendre un par uns les mots de cette dernière phrase et à y déceler une quelconque résonance avec notre contemporanéité…

Il n’y avait donc aucun problème de fond à ce que Maurras et Sorel soutiennent l’initiative de leurs meilleurs (ou atypiques selon l’angle de vue) disciples, surtout lorsqu’elle se fit sous ce glorieux patronyme de Proudhon. Cessons ici tout essentialisme pour revenir aux réalités et aux contextes : il n’était pas question pour les « maîtres » de fusionner leurs mouvements ou de participer activement et personnellement à ce genre « d’expériences » conférant pratiquement à l’aventure. Les maîtres respectifs sont restés à l’écart, en retrait, accompagnant d’abord avec entrain et bienveillance, mais également avec méfiance, la « tentative » du Cercle Proudhon. Notons néanmoins que c’est Sorel qui a fait le premier pas « officiel » dès 1908 dans une revue syndicaliste italienne en dressant l’éloge pragmatique de l’AF, considérée alors comme une vraie force vivante pour l’avenir de la France. Remarquons aussi que Maurras prononça une allocution à la première réunion du Cercle, qui fut tenue à l’Institut d’Action Française, donc dans ses locaux, le 17 décembre 1911.

Dans la pure lignée de cet « esprit proudhonien », à l’instar, et peut-être plus encore que leurs aînés, Georges Valois et Édouard Berth furent les principaux protagonistes du Cercle, lui donnant une vie et une aura rares, représentant et formulant magnifiquement la Combativité et la Vitalité française, comme, ai-je l’impression, la France savait -malgré tout- encore en produire il y a quelques décennies… Citons les autres fondateurs et participants rédacteurs aux Cahiers du Cercle : Henri Lagrange, Gilbert Maire, René de Marans, Marius Riquier, André Pascalon et Albert Vincent.

Rivarol/ Le rejet de la Démocratie est-il commun aux deux mouvances ?

Et comment !

Qualifiée de « plus grande erreur du siècle passé »,  de « maladie mortelle » et de « plus sotte des rêveries », la démocratie est mise en cause par ces deux écoles pour des raisons propres qui sont finalement similaires. À droite, on rejette la république démocratique car c’est le régime et le système politique de l’avènement de la classe bourgeoise, soit ce gouvernement des intérêts étrangers et anti-traditionnels, et à gauche parce que c’est l’alibi majeur de l’exploitation capitaliste. Le Cercle va directement à l’essentiel en attestant de la consubstantialité des institutions démocratiques, des « valeurs » bourgeoises et de la domination socio-économique.

La démocratie libérale bourgeoise est explicitement vomie en tant que « totalité » pour des raisons politiques et économiques, et en dernière instance parce qu’elle n’est que le symbole d’une vision du monde hypocrite et mortifère. Si l’on accepte de l’utiliser comme un terme générique, cette Démocratie (qui est encore la nôtre aujourd’hui) n’est qu’une fable avilissante, abrutissante, précaire, anti-Production et anti-Culture.  « Ramenée parmi nous pour instaurer le règne de la vertu, elle tolère et encourage toutes les licences. Elle est théoriquement un régime de liberté ; pratiquement elle a horreur des libertés concrètes, réelles et elle nous a livrés à quelques grandes compagnies de pillards, politiciens associés à des financiers ou dominés par eux, qui vivent de l’exploitation des producteurs. » Voilà comment le Cercle Proudhon définissait la démocratie dans sa première Déclaration !

Rivarol / Les animateurs du cercle insistaient sur les vertus viriles, vitalistes et héroïques.  L'aspect guerrier était-il au coeur de la démarche de ce groupe ?

Proudhon restera l’immortel auteur de La Guerre et la Paix, ouvrage majeur par lequel il établit que toute construction humaine –et toute humanité- tient son origine dans la guerre. Il s’agit ici d’exalter le sentiment guerrier, mobilisateur, générateur « du sublime, de la gloire, de l’héroïsme, de l’idéal et de la poésie » et non de vanter la barbarie ou les va-t-en-guerre. Cet esprit combattant se retrouve transposé chez Sorel via ses Réflexions sur la Violence et le mythe de la « grève générale » où l’ouvrier devient le nouveau héros ; quant à Maurras et son Si le Coup de Force est possible, les vertus aristocratiques qu’il défend ne pouvaient que tomber en accord avec cette aspect. Tout ceci évidemment en opposition dialectique avec les pseudo « valeurs » bourgeoises bien-pensantes hypocrites et maniérées que seraient le pacifisme, l’humanitarisme et l’intellectualisme.

Rivarol / L'équipe de rédaction n'hésitait pas à attaquer la finance anonyme et vagabonde. En quoi l'anti-capitalisme était-il un élément fondamental de la démarche du cercle ?

Anonyme, anonyme… Pas tant anonyme que ça si l’on en croit certains textes ! L’anti-capitalisme est effectivement un élément fondamental de la démarche du Cercle, au même titre que l’anti-démocratisme, et pour cause : ils sont indissociables, et ce constat n’a pas échappé aux militants du Cercle, bien au contraire. Admettant l’alliance des démocrates et des financiers, comme aujourd’hui celle des socialistes bobos et des néo-libéraux bling-bling, le Cercle y oppose une alliance des royalistes et des syndicalistes révolutionnaires, et ce sans forcer sa cohésion car la mise à bas du « régime de l’Or » (par opposition au « Sang ») est une thématique forte chez les partisans de Maurras. Georges Valois lui-même, le principal initiateur du Cercle, la « recrue prolétarienne » de l’AF, fut toute sa vie durant l’homme d’un combat, celui de l’Humain contre l’Argent, et ce quoique l’on en dise.

Citons encore une fois la si concise prose du Cercle : « La démocratie enfin a permis, dans l’économie et dans la politique, le rétablissement du régime capitaliste qui détruit dans la cité ce que les idées démocratiques dissolvent dans l’esprit, c’est-à-dire la nation, la famille, les mœurs, en substituant la loi de l’or aux lois du sang. La démocratie vit de l’or et d’une perversion de l’intelligence. » Nous retrouvons ici le véritable moteur métapolitique du Cercle : c’est le combat de la Vie et de la Civilisation contre son placebo fantoche aliénant et destructeur.

Rivarol/ L'accusation d'antisémitisme lancée contre le Cercle Proudhon est-elle valable ?

Plus largement, comment analysez-vous l'antijudaisme présent dans le mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle ?

L’antijudaïsme du mouvement ouvrier, comme celui du Cercle Proudhon, de Proudhon lui-même ou de beaucoup d’autres, fut rarement racial ou théologique. La question juive s’y présente comme un problème essentiellement économique et social, perçu sous l’angle de la lutte des classes. Concernant le Cercle, si attester de la place prééminente de la bourgeoisie juive dans la société française suite à sa prise de pouvoir au sein même de cette classe bourgeoise (par l’instauration de la république démocratique) est un fait suffisant pour être taxé d’antisémitisme, alors oui le Cercle est antisémite !

Rivarol /  Pour vous, en quoi consiste le mélange de Réaction et de Révolution qui incarne l'esprit français ?

Il convient de manier les termes avec exactitude, comme dirait un certain Professeur. Il est question de Tradition et non de Réaction. Comme expliciter plus haut, toute la vérité de cet « esprit français » résulte de la libre opposition des antagonismes, que ce soit au point de vue politique ou individuel. Ce qui, à mon avis, définit le mieux l’esprit français tient en un mot : l’équilibre, auquel nous devons impérativement accoler une qualité chérie par Proudhon lui-même, je veux parler de l’ironie. Définition simple mais subtile, et qui se décline à une multiplicité de niveaux. En dehors de ses théorisations politiques, Proudhon devient ici le symbole de la France éternelle, celui qui mêle « esprit classique et christianisme fondamental », ce révolutionnaire patriote, ce gaulois frondeur et spirituel, ce mélange unique et réussi entre la rudesse et la légèreté. Un « miracle français » reconnu dans le monde entier et qui engendrait, il y a encore peu de temps, une vision du monde, une identité et une mentalité propres que les agressions répétées du libéralisme mondialisé anti-humain ont mis à mal, illustrant cette « mutation anthropologique » que Pasolini constatait dans son pays dès les années 1970.  Faire revivre l'esprit de la France, voilà ce qui importe !

Propos recueillis par Monika Berchvok.  (Rivarol)

A lire :

Les Cahiers du Cercle Proudhon, préface de Pierre De Brague, Editions Kontre Kulture (http://www.kontrekulture.com/) , 2014, 496 pages – 18 euros.

Le numéro 68 de la revue Rébellion avec un important dossier sur Sorel, le syndicalisme révolutionnaire  français et le Cercle Proudhon ( 5 euros – Rébellion c/o RSE BP 62124 31020 Toulouse cedex 02)