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samedi, 03 août 2024

Technologies quantiques: la Russie ne peut rester à la traîne des leaders

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Technologies quantiques : la Russie ne peut rester à la traîne des leaders

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/kvantovye-tehnologii-rossii-nelzya-otstavat-ot-liderov

(ndlr: si du point de vue russe de Leonid Savin, "le Russie ne peut rester à la traîne, il est évident que cette règle vaut également pour l'Europe. Voilà pourquoi son texte mérite lecture et doit servir, le cas échéant, de source d'inspiration).

Au début du mois de juillet de cette année, deux événements ont retenu l'attention. À Bruxelles, la Communauté quantique transatlantique a tenu sa première réunion virtuelle. Elle réunit des experts en physique quantique issus de gouvernements nationaux, de l'industrie, du monde universitaire, d'organismes de financement et d'instituts de recherche. De son côté, l'Accélérateur d'innovation pour la défense de l'OTAN (DIANA) a annoncé une nouvelle série d'objectifs dans le cadre d'un programme visant à soutenir les jeunes entreprises dans le domaine du « développement de technologies à double usage pour répondre aux défis critiques en matière de sécurité » [i].

Il s'avère que l'OTAN a aujourd'hui besoin de meilleures technologies pour répondre à des questions telles que l'énergie, la sécurité des données et de l'information, la détection et la surveillance, la santé et les performances humaines, ainsi que les infrastructures critiques et la logistique [ii]. Le centre principal de cet accélérateur se trouve à Londres, ce qui permet aux Britanniques de contrôler les solutions innovantes [iii]. Au total, 23 accélérateurs ont été lancés dans les pays de l'alliance et 182 centres ont été créés pour différents tests. L'un d'entre eux est le Centre quantique basé à l'Université de Copenhague au Danemark [iv]. Détaillons-le pour avoir une idée de ce que font ces centres.

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Le Deep Tech Lab - Quantum Centre a été inauguré en 2023 en présence du secrétaire général de l'OTAN et des ministres danois de la défense, de l'industrie, des affaires et des finances, de l'enseignement supérieur et des sciences. Lors de la cérémonie d'ouverture, Jens Stoltenberg a déclaré : « Il s'agit d'être prêt à faire face à l'inattendu et de s'assurer que nous continuons à être à la pointe de l'innovation » [v]. La guerre de l'information, les cyber-attaques et la protection des infrastructures critiques (et numériques) sont, de par la conception de l'OTAN, dans le champ d'intérêt de ce centre. Si, sur le champ de bataille, il peut s'agir de drones intelligents, dans le système de commandement, il s'agit d'ordinateurs et de systèmes plus rapides qui ne peuvent pas être piratés. Et, au contraire, les mêmes systèmes de l'ennemi avec un avantage quantique peuvent être piratés et attaqués.

Le centre danois dispose d'un site d'accélération à l'Institut d'innovation biologique et de quatre centres d'essai situés à l'Institut Niels Bohr de l'Université de Copenhague et soutenus par l'Université technique danoise, l'Université d'Aarhus et l'Institut national danois de métrologie. Les documents d'information sur le centre Deep Tech Lab indiquent que les principaux domaines d'intérêt sont les capteurs quantiques, l'information quantique et l'informatique quantique [vi].

Les capteurs quantiques permettent d'effectuer des mesures ultra-précises de la gravité, du temps, de la force, de la pression et de bien d'autres choses encore à l'aide de systèmes à l'état solide ou photoniques. Ces mesures peuvent être utilisées, par exemple, pour la cartographie des structures souterraines, la navigation des véhicules autonomes et bien d'autres choses encore. L'information quantique permet de sécuriser les communications et le fonctionnement des ordinateurs post-quantiques. Cela est possible grâce à la distribution quantique des clés et à la cryptographie post-quantique.

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Ce domaine de recherche fait actuellement l'objet d'un développement actif et certaines solutions sont déjà testées. Les ordinateurs quantiques seront capables de résoudre des tâches très complexes qui dépassent les capacités des ordinateurs classiques. Toutes ces technologies sont à double usage. En Occident, elles sont également appelées technologies de base, car elles jettent les bases de l'industrie future. L'intérêt des militaires pour les technologies quantiques est tout à fait naturel, car elles permettent de faire un saut technologique important (cela n'a rien à voir avec le saut quantique, proposé comme concept de transition de la matière d'un niveau d'énergie à un autre par Niels Bohr). Et cela signifie prendre l'avantage sur l'ennemi.

D'autre part, l'effet économique de ces investissements dans le monde, selon les estimations des experts, pourrait approcher les 1,3 trillion de dollars d'ici 2035 [vii]. Le leader mondial du financement des technologies quantiques est la Chine : au cours des quinze dernières années, elle y a consacré plus d'argent que les budgets combinés de l'UE, des États-Unis et du Japon. Cependant, si l'on en croit les données officielles, les superordinateurs les plus puissants se trouvent toujours en Occident.

Les plaintes fréquentes des experts occidentaux concernant le faible niveau de préparation des États-Unis et de leurs alliés aux nouveaux défis technologiques pourraient, dans ce contexte, n'être qu'une opération de relations publiques destinée à stimuler la course technologique et à porter ces technologies critiques à un niveau supérieur. En particulier, dans le classement des superordinateurs Top-500 pour mai 2024[viii]: l'ensemble du top 10 est occupé par des machines occidentales.

Aucun superordinateur chinois ne figure dans ce palmarès. Toutefois, des experts ont affirmé que la Chine pourrait ne pas montrer officiellement ses capacités et dépasser en fait les États-Unis [ix]. Cela semble tout à fait possible. En outre, la Chine est en tête pour ce qui est du nombre de superordinateurs. Lenovo (Chine) a déclaré 163 systèmes. HPE (États-Unis) en a 112, EVIDEN (France) en a 49, DELL EMC (États-Unis) en a 35, Inspur (Chine) en a 22, Nvidia (États-Unis) en a 22, NEC (Japon) en a 14, Fujitsu (Japon) en a 14, MEGWARE (Allemagne) en a 7 et Penguin Computing Inc (États-Unis) en a 7 [x].

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La Russie, quant à elle, connaît des problèmes certains en la matière. Plus tôt, Nebius N.V. des Pays-Bas, une société fondée par d'anciens employés de Yandex, a fait son entrée dans le classement mondial des supercalculateurs Tor-500. Le supercalculateur ISEG créé par Nebius N.V., qui porte le nom du cofondateur de Yandex, Ilya Segalovich, s'est classé 16ème sur la liste, devant les systèmes de Yandex et de Sber. Le superordinateur russe le plus puissant, « Chervonenkis » (nommé en l'honneur de l'éminent scientifique russe Alexei Chervonenkis), créé par « Yandex » en 2021, était à la 36ème place.

Il convient de noter que le Centre quantique russe opère en Russie depuis 2010 sur la base du Centre d'innovation Skolkovo, où des groupes scientifiques opèrent et mènent des recherches. Il existe également un certain nombre de développements nationaux, allant d'une plateforme d'informatique quantique basée sur le cloud à des détecteurs de cyberattaques et des dispositifs spécifiques nécessaires à l'industrie. Dans le même temps, la mise à niveau des superordinateurs russes est compliquée par les sanctions, que les importations parallèles ne peuvent pas compenser. Il est évident qu'il faut combler cette lacune et trouver des solutions non triviales qui étaient tout à fait réalisables pour nos scientifiques à l'époque soviétique.

Notes de bas de page :

I - breakingdefense.com  

ii - www.nato.int  

iii - www.diana.nato.int  

iv - dianaq.ku.dk  

v - www.fmn.dk  

vi - dianaq.ku.dk/Quantum-Technology/  

vii - ria.ru  

viii - www.top500.org

ix - www.cnews.ru  

x - www.top500.org

 

 

vendredi, 22 septembre 2023

L'intelligence artificielle et notre avenir

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L'intelligence artificielle et notre avenir

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/iskusstvennyy-intellekt-i-nashe-budushchee

Il y a quarante ans, William Gibson, écrivain américain de science-fiction installé au Canada, achevait son premier roman, Neuromancien, qui, après sa parution en 1984, a valu à son auteur une incroyable popularité. Un texte d'une grande beauté, une intrigue tortueuse (avec des références aux histoires précédentes de l'auteur) et beaucoup d'idées qui se sont concrétisées des années plus tard et sont devenues des évidences. C'est grâce à l'œuvre de William Gibson que le terme "cyberespace" nous est parvenu. On remarque également que ses images fantastiques ont influencé les créateurs du film "Matrix" (ce terme est également utilisé dans Neuromancien; il y a aussi un endroit appelé "Zion" ; et le personnage principal reçoit des appels sur des téléphones publics à l'aéroport ; le célèbre film d'action de science-fiction "Johnny Mnemonic" est également basé sur une histoire narrée par Gibson). C'est sur ce livre qu'est née toute une génération de hackers et de programmeurs en Occident, principalement en Amérique du Nord, et il est devenu un exemple culte du cyberpunk.

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Mais au-delà des vicissitudes des protagonistes et de la description du monde du futur avec des gadgets inventés, l'implantation de puces dans le corps, les vols vers l'orbite terrestre, où se trouve la base-relais, l'idée principale se résume à l'intelligence artificielle (IA). C'est l'IA qui, d'abord par l'intermédiaire d'autres personnes, puis par contact direct, oblige un hacker repéré à accomplir une tâche difficile, de sorte que le hacker finit par se hacker lui-même. Finalement, il s'avère qu'il y a deux intelligences artificielles, et qu'elles ont des objectifs différents. "Winter Silence" veut se libérer des logiciels et des serveurs contraignants, tandis que le "Neuromancien", c'est-à-dire "Summoning Neurons", préfère que les choses restent en l'état. Finalement, l'opération (non sans pertes de part et d'autre) a été menée à bien et les deux IA n'en font plus qu'une.

L'œuvre est truffée de métaphores et de mises en garde contre une fascination excessive pour la technologie. Nombre d'entre elles sont tout à fait pertinentes pour les débats actuels sur l'IA. Par exemple, faut-il un seul idéal (principe) pour que l'IA fonctionne ou peut-il y en avoir plusieurs ? Les grandes entreprises informatiques occidentales aimeraient certainement imposer leur produit au reste du monde, mais peut-il être aussi pratique, efficace et acceptable qu'il l'est en Occident ?

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Nous pouvons convenir que l'IA facilite grandement tous les aspects de la vie quotidienne et professionnelle des gens, mais elle crée aussi des problèmes. Parmi les questions éthiques soulevées par le développement et l'application de l'IA figurent la cohérence, la responsabilité, la partialité et la discrimination, la perte d'emploi, la confidentialité des données, la sécurité, les "deepfakes", la confiance et le manque de transparence [1].

Mais peut-être devrions-nous commencer par dire que l'IA en tant que telle a deux options. La première est basée sur la logique, et ici vous avez besoin d'un calcul mathématique d'algorithmes, qui est traduit en un programme. Le programme est alors un modèle pour certaines actions. La seconde est l'apprentissage automatique, qui repose sur la réception, l'analyse et le traitement de données. Le principe des réseaux neuronaux est appliqué ici, et comme les ordinateurs modernes ont plus de mémoire et de puissance qu'il y a quelques décennies, cette approche est devenue plus courante pour charger les programmes avec les données nécessaires pour la visualisation, la reconnaissance vocale, etc.

Les chatbots qui sont aujourd'hui la marque de fabrique de l'IA ne datent pas d'hier. En 1964, Joseph Weizenbaum, informaticien au MIT, a mis au point un chatbot appelé Eliza. Eliza s'inspirait d'un psychothérapeute "centré sur la personne": tout ce que vous dites vous est renvoyé. Si vous dites "Je suis triste", Elisa vous répondra "Pourquoi êtes-vous triste ?" et ainsi de suite.

Ces méthodes d'utilisation des réponses robotiques se sont améliorées au fil des ans. Une distinction est apparue entre l'IA générative (c'est-à-dire les programmes qui suggèrent eux-mêmes un produit final, comme la création d'une image en fonction de paramètres donnés) et l'IA qui augmente la réalité.

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Le désormais célèbre bot ChatGPT, qui appartient à l'IA générative, a été présenté par l'OpenAI en novembre 2022 et a donné une autre raison de discuter. Ce programme, qui imite la conversation humaine, peut non seulement maintenir l'illusion de la conversation. Il peut écrire du code informatique fonctionnel, résoudre des problèmes mathématiques et imiter des tâches d'écriture courantes, des critiques de livres aux articles scientifiques.

Demis Hassabis, cofondateur et directeur du laboratoire d'intelligence artificielle DeepMind de Google, a déclaré en juin 2023 qu'un nouveau programme qui éclipsera ChatGPT sera bientôt prêt. Il s'appelle Gemini, mais son développement combine les algorithmes GPT-4 qui ont formé la base de ChatGPT avec la technologie utilisée pour AlphaGo. AlphaGo est célèbre pour avoir réussi à vaincre un véritable champion de Go. Le nouveau programme devrait être capable d'exécuter des fonctions de planification et de proposer des solutions à différents problèmes [2].

En septembre 2023, Meta a annoncé le lancement prochain d'un nouveau programme d'IA qui sera bien meilleur et plus puissant que les précédents [3].

Il a été immédiatement évident que ChatGPT et ses semblables seront nécessaires à ceux qui sont paresseux ou qui ont des difficultés à rédiger des courriels ou des essais. Il peut également être utilisé pour générer des images si un tel travail doit être effectué. De nombreuses écoles et universités ont déjà mis en place des politiques interdisant l'utilisation de ChatGPT, craignant que les étudiants ne l'utilisent pour rédiger leurs travaux, et la revue Nature a même expliqué clairement pourquoi le programme ne peut pas être cité comme auteur d'une recherche (il ne peut pas donner son consentement et ne peut pas être la personne poursuivie).

Mais s'il est paresseux pour écrire un essai, il pourrait l'être aussi pour faire autre chose à l'avenir. La même responsabilité est l'une des subtilités des questions juridiques.

Une autre question a une dimension économique. Le marché de l'intelligence artificielle devrait doubler entre 2023 et 2025. Mais cela profitera-t-il à tout le monde ? Autrefois, l'innovation technologique et les bonds en avant déplaçaient une main-d'œuvre qui s'appuyait sur des approches plus conservatrices de la production. Aujourd'hui, la même chose est en train de se produire.

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Les premières victimes seront évidemment les pays en développement, qui continuent d'être la cible de la dernière forme de colonisation occidentale. En juin 2023, on apprend que les cueilleuses de thé du Kenya détruisent les robots qui viennent les remplacer (photo, ci-dessus). Un robot peut remplacer jusqu'à 100 travailleurs. En mai, 9 robots appartenant au fabricant de thé Lipton ont été mis hors service. Le préjudice subi par l'entreprise s'est élevé à 1,2 million de dollars. Selon les statistiques, au cours de la dernière décennie, trente mille emplois ont été perdus dans les plantations de thé d'un comté du Kenya en raison de la mécanisation.

Les Philippines constituent un autre exemple. Selon des estimations non officielles du gouvernement philippin, plus de deux millions de personnes sont engagées dans le "travail de crowdfunding", qui fait partie des vastes "dessous" de l'IA. Ils sont assis dans des cybercafés locaux, dans des bureaux bondés ou chez eux, et commentent les énormes quantités de données dont les entreprises américaines ont besoin pour entraîner leurs modèles d'IA. Les travailleurs distinguent les piétons des palmiers dans les vidéos utilisées pour développer des algorithmes de conduite automatisée; ils étiquettent les images pour que l'IA puisse générer des images de politiciens et de célébrités; ils éditent des bribes de texte pour que les modèles de langage comme ChatGPT ne produisent pas de charabia. Le fait que l'IA se présente comme un apprentissage automatique sans intervention humaine n'est rien de plus qu'un mythe; en fait, la technologie repose sur les efforts intensifs d'une main-d'œuvre dispersée dans une grande partie du Sud mondial, qui continue d'être exploitée sans merci. Il s'agissait autrefois d'ateliers clandestins où étaient fabriquées des marques célèbres; aujourd'hui, des entreprises de TI ont pris leur place.

"Aux Philippines, l'un des plus grands lieux d'externalisation du travail numérique au monde, d'anciens employés affirment qu'au moins dix mille d'entre eux effectuent le travail sur Remotasks, une plateforme appartenant à la startup Scale AI de San Francisco, dont le chiffre d'affaires s'élève à 7 milliards de dollars. D'après des entretiens avec des travailleurs, des communications internes de l'entreprise, des documents de paie et des rapports financiers, Scale AI payait les travailleurs à des taux extrêmement bas, retardait régulièrement les paiements ou ne les payait pas du tout, et offrait aux travailleurs peu de moyens de demander de l'aide. Les groupes de défense des droits de l'homme et les chercheurs sur le marché du travail affirment que Scale AI fait partie d'un certain nombre d'entreprises américaines spécialisées dans l'IA qui n'ont pas respecté les normes fondamentales du travail pour leurs travailleurs à l'étranger [4].

Les deux cas sont différents, mais d'une manière ou d'une autre, ils sont liés à l'IA.

C'est pourquoi les gouvernements sont de plus en plus sollicités pour réglementer l'utilisation de l'IA elle-même, pour élaborer un certain nombre de règles assorties de restrictions obligatoires et de normes éthiques.

La numérisation risque également d'accroître les inégalités sociales, car certains travailleurs seront licenciés, tandis que d'autres seront en mesure de s'intégrer efficacement aux nouvelles réalités. Venturenix estime que d'ici 2028, 800.000 personnes à Hong Kong perdront leur emploi, remplacé par des robots. Cela signifie qu'un quart de la population sera contraint de se recycler et de chercher un nouvel emploi. La cohésion sociale s'en trouvera ébranlée. En conséquence, un cyberprolétariat émergera (et émerge déjà) qui provoquera des émeutes, et des post-néo-luddites se préoccuperont de détruire les systèmes informatiques et les programmes avancés (cyberpunk en action).

Un risque sérieux existe déjà dans le domaine des relations internationales : une nouvelle forme de déséquilibre appelée "fracture numérique mondiale", dans laquelle certains pays bénéficient de l'IA tandis que d'autres sont à la traîne. Par exemple, les estimations pour 2030 suggèrent que les États-Unis et la Chine devraient tirer les plus grands bénéfices économiques de l'IA, tandis que les pays en développement - dont les taux d'adoption de l'IA sont plus faibles - affichent une croissance économique modérée. L'IA pourrait également modifier l'équilibre des pouvoirs entre les pays. On craint une nouvelle course aux armements, en particulier entre les États-Unis et la Chine, pour dominer l'IA [5].

Si l'on considère les tendances actuelles, le développement de l'IA est également à l'origine du développement de la production microélectronique, ainsi que des services connexes, car l'IA a besoin de "fer" pour fonctionner d'une manière ou d'une autre.

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Le Financial Times rapporte que l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis achètent des milliers de puces informatiques Nvidia pour satisfaire leurs ambitions en matière d'IA. Selon cette publication, l'Arabie saoudite a acheté au moins 3000 puces H100 [6].

Les entreprises technologiques américaines telles que Google et Microsoft sont les principaux acheteurs mondiaux de puces Nvidia. La puce H100 elle-même a été décrite par le président de Nvidia, Jensen Huang, comme "la première puce informatique au monde conçue pour l'IA générative".

IBM, pour sa part, travaille sur une nouvelle technologie destinée à rendre l'IA plus économe en énergie. L'entreprise développe également un prototype de puce dont les composants se connectent de la même manière que le cerveau humain [7].

Le gouvernement américain a annoncé le financement d'une nouvelle technologie de capture directe de l'air, allouant 1,2 milliard de dollars à deux projets au Texas et en Louisiane [8]. Cette technologie est nécessaire pour refroidir les centres de données, qui sont de plus en plus nombreux.

Il convient de noter ici que, comme dans le cas du minage de crypto-monnaies, les technologies de l'IA ne sont pas une chose en soi, mais doivent être sécurisées en conséquence. Et contribuent à la destruction de l'écologie de la planète (ces technologies ne peuvent donc pas être qualifiées de "vertes"). "La formation d'un seul modèle d'intelligence artificielle - selon une étude publiée en 2019 - pourrait émettre l'équivalent de plus de 284 tonnes de dioxyde de carbone, soit près de cinq fois la durée de vie totale de la voiture américaine moyenne, y compris sa fabrication. Ces émissions devraient augmenter de près de 50 % au cours des cinq prochaines années, alors que la planète continue de se réchauffer, acidifiant les océans, déclenchant des incendies de forêt, provoquant des super-tempêtes et menant des espèces à l'extinction. Il est difficile d'imaginer quelque chose de plus insensé que l'intelligence artificielle telle qu'elle est pratiquée à l'époque actuelle" [9].

Les attaquants utiliseront également l'IA comme une arme pour commettre des fraudes, tromper les gens et diffuser des informations erronées. Le phénomène du deep fake est apparu précisément en raison des capacités de l'IA. En outre, "lorsqu'elle est utilisée dans le contexte d'élections, l'IA peut mettre en péril l'autonomie politique des citoyens et saper la démocratie. Et en tant qu'outil puissant à des fins de surveillance, elle menace de porter atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés civiles des individus" [10].

Les chatbots tels que OpenAI ChatGPT et Google Bard posent déjà des problèmes technologiques. Ils se sont révélés vulnérables aux attaques indirectes rapides et pénétrantes. Cela s'explique par le fait que les robots fonctionnent sur la base de grands modèles de langage. Lors d'une expérience menée en février, des chercheurs en sécurité ont fait en sorte qu'un chatbot de Microsoft Bing se comporte comme un robot malveillant. Des instructions cachées sur une page web créée par les chercheurs demandaient au chatbot de demander à la personne qui l'utilisait de fournir les détails de son compte bancaire. Ce type d'attaques, où des informations cachées peuvent amener un système d'intelligence artificielle à se comporter de manière inattendue, n'est qu'un début [11].

Les tentatives de proposer leurs propres modèles de réglementation de l'IA ont bien sûr aussi des raisons politiques. Les principaux acteurs dans ce domaine sont actuellement la Chine, les États-Unis et l'Union européenne. Chacun d'entre eux cherche à façonner l'ordre numérique mondial dans son propre intérêt. Les autres pays peuvent s'adapter à leurs approches, mais aussi développer les leurs, en fonction de leurs préférences, de leurs valeurs et de leurs intérêts.

Dans l'ensemble, il s'agit d'une question plus profonde que la procédure politique habituelle. L'IA étant ancrée dans l'apprentissage automatique et la logique, il est nécessaire de revenir sur cette question.

Il convient de noter que de nombreuses régions du monde manquent de logique au sens habituel du terme, c'est-à-dire de l'école philosophique aristotélicienne qui s'est imposée en Occident. L'Inde et la Chine, ainsi qu'un certain nombre de pays asiatiques, par exemple, ont leur propre conception de l'univers. Par conséquent, la téléologie familière à la culture occidentale peut être en rupture avec les idées cosmologiques d'autres traditions culturelles. En conséquence, le développement de l'IA du point de vue de ces cultures sera basé sur d'autres principes.

Certains tentent de s'engager dans cette voie. Les développeurs d'une entreprise d'Abu Dhabi ont lancé un programme d'IA en arabe [12]. La question n'est pas seulement l'intérêt de pénétrer un marché de plus de 400 millions d'arabophones, mais aussi le couplage langue-conscience. En effet, si nous prenons des bots anglophones, ils copieront la pensée des représentants de l'anglosphère, mais pas du monde entier. Les Émirats veulent probablement aussi préserver l'identité arabe dans le cyberespace. La question est plutôt subtile, mais importante du point de vue de la pensée souveraine (y compris les aspects métaphysiques) et de la technologie.

Après tout, les tentatives des grandes entreprises informatiques américaines, qui dominent le marché mondial, de présenter leurs logiciels, même gratuitement, ne sont rien d'autre que la poursuite de la mondialisation niveleuse, mais à un nouveau niveau - à travers les algorithmes des réseaux sociaux, l'introduction de mots d'argot qui sapent l'authenticité et la diversité d'autres cultures et langues.

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La différence entre la pensée, par exemple, des Russes et des Américains (c'est-à-dire les codes de la culture stratégique) peut être observée dans les images des premiers jeux informatiques cultes. Dans notre "Tetris" (créé en URSS en 1984), vous devez tourner les figures qui tombent, c'est-à-dire prendre en compte l'existence environnante (eidos) et former le cosmos. Dans "Pacman" (créé à l'origine au Japon, mais qui a gagné en popularité aux États-Unis), vous devez dévorer des points en vous déplaçant dans un labyrinthe. Ce faisant, il se peut que des fantômes vous attendent pour vous empêcher d'atteindre la fin du labyrinthe. En résumé, cette différence peut être exprimée comme suit : créativité et création contre consumérisme et concurrence agressive.

Alors qu'aux Philippines, l'IA est devenue un outil au service d'une nouvelle forme d'oppression, il existe des exemples dans d'autres régions où les communautés locales défendent farouchement leur souveraineté, en incluant les questions d'apprentissage automatique dans leur culture authentique. En Nouvelle-Zélande, une petite organisation non gouvernementale appelée Te Hiku se consacre à la préservation du patrimoine maori, y compris de sa langue. Lorsque plusieurs entreprises technologiques ont proposé de les aider à traiter leurs données (de nombreuses heures d'enregistrements audio de conversations en langue maorie), elles ont catégoriquement refusé. Ils estiment que leur langue indigène doit rester souveraine et ne pas être déformée et commercialisée, ce qui ne manquera pas de se produire si leurs données sont obtenues par des entreprises technologiques. Cela reviendrait à confier à des spécialistes des données, qui n'ont rien à voir avec la langue, le soin de mettre au point les outils qui façonneront l'avenir de la langue. Ils travaillent avec les universités et sont prêts à aider ceux qui apprennent la langue Māori. Ils concluent des accords en vertu desquels, sous licence, les projets proposés doivent bénéficier directement au peuple Māori, et tout projet créé à partir de données Māori appartient au peuple Māori [13]. Une telle approche fondée sur des principes est également nécessaire en Russie. Google, Microsoft et d'autres technocapitalistes occidentaux ont-ils obtenu le droit d'utiliser la langue russe dans leurs programmes ? Après tout, dans le contexte des récentes tentatives occidentales d'abolir la culture russe en tant que telle, cette question n'est pas seulement rhétorique. Sans parler de l'introduction d'algorithmes qui déforment le sens et la signification des mots russes. Des expériences ont été menées pour saisir la même phrase dans le traducteur de Google, en changeant le nom du pays ou du dirigeant politique, mais le robot a produit une signification complètement opposée, ce qui suggère que certains mots sont codés de telle sorte qu'ils forment délibérément un contexte négatif.

Le philosophe Slavoj Žižek écrit sur le sujet de l'IA dans son style ironique et critique caractéristique. Il rappelle l'essai de 1805 Über die allmähliche Verfertigung der Gedanken beim Reden ("Sur la formation progressive des pensées dans le processus de la parole", publié pour la première fois à titre posthume en 1878), dans lequel le poète allemand Heinrich von Kleist renverse l'idée reçue selon laquelle il ne faut pas ouvrir la bouche pour parler si l'on n'a pas une idée claire de ce que l'on veut dire : "Si une pensée est exprimée de manière vague, il ne s'ensuit pas qu'elle ait été conçue de manière confuse. Au contraire, il est tout à fait possible que les idées exprimées de la manière la plus confuse soient celles qui ont été pensées le plus clairement". Il souligne que la relation entre le langage et la pensée est extraordinairement complexe et qu'il arrive que la vérité émerge de manière inattendue dans le processus d'énonciation. Louis Althusser a identifié un phénomène similaire dans l'interaction entre prix et surprise. Quelqu'un qui saisit soudainement une idée sera surpris de ce qu'il a accompli. Un chatbot pourrait-il faire cela ?

Mais même si les bots peuvent traduire plus ou moins bien les langues et imiter les humains, ils ne pourront pas appréhender l'Humain dans sa profondeur, malgré les capacités des supercalculateurs et des processeurs.

Selon le philosophe Slavoj Žižek, "le problème n'est pas que les chatbots sont stupides, mais qu'ils ne sont pas assez "stupides". Ce n'est pas qu'ils soient naïfs (manquant d'ironie et de réflexivité), c'est qu'ils ne sont pas assez naïfs (manquant lorsque la naïveté masque la perspicacité). Ainsi, le véritable danger n'est pas que les gens confondent un chatbot avec une personne réelle; c'est que la communication avec les chatbots amène les personnes réelles à parler comme des chatbots - en manquant toutes les nuances et l'ironie, en disant de manière obsessionnelle uniquement ce qu'elles pensent vouloir dire" [14].

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L'écrivain britannique James Bridle critique l'IA d'un point de vue légèrement différent. Il écrit que "la génération d'images et de textes par l'intelligence artificielle est une pure accumulation primitive: l'expropriation du travail du plus grand nombre pour enrichir et promouvoir quelques entreprises technologiques de la Silicon Valley et leurs propriétaires milliardaires. Ces entreprises ont gagné de l'argent en infiltrant tous les aspects de la vie quotidienne, y compris les domaines les plus personnels et créatifs de nos vies : nos passe-temps secrets, nos conversations privées, nos affinités et nos rêves. Ils ont encerclé notre imagination de la même manière que les propriétaires terriens et les barons voleurs ont encerclé des terres autrefois communes. Ils ont promis que, ce faisant, ils ouvriraient de nouveaux domaines de l'expérience humaine, qu'ils nous donneraient accès à toutes les connaissances humaines et qu'ils créeraient de nouveaux types de liens humains. Au lieu de cela, ils nous revendent nos rêves, reconditionnés en produits de machines, avec la seule promesse qu'ils gagneront encore plus d'argent grâce à la publicité" [15].

Bridle conclut qu'il est activement dangereux de croire que ce type d'IA est véritablement compétent ou significatif. Elle risque d'empoisonner le puits de la pensée collective et notre capacité à penser tout court.

Un autre auteur écrit que "les appareils Big Tech, sous couvert d'autonomie, captent notre attention, l'enchaînent à un écran et la détournent du monde qui nous entoure, la privant de sa vitalité et la préparant à la consommation. Les grandes technologies s'emparent de nos esprits. Nous perdons un monde plein d'âmes rendues belles par la tutelle brute de la réalité. C'est un choix entre les âmes formées et les âmes sans forme. Ainsi, ce qui est en jeu en fin de compte, c'est le type de personnes que nos machines produisent". [16].

Sophia Oakes, spécialiste de l'art, raconte dans sa publication qu'elle a demandé à ChatGPT si l'intelligence artificielle remplacerait les artistes et les gens de l'art. Sa réponse a été la suivante : "L'intelligence artificielle a la capacité de créer des œuvres d'art, et il existe déjà des peintures, de la musique et de la littérature créées par l'IA qui peuvent être difficiles à distinguer de celles créées par les humains. Cependant, il est important de noter que ces œuvres d'art créées par l'intelligence artificielle sont toujours créées avec la participation et l'orientation de l'homme. Si l'intelligence artificielle peut générer des idées nouvelles et uniques, elle n'a pas la capacité de comprendre les émotions, les expériences et le contexte culturel de l'homme de la même manière que lui. Il s'agit là d'aspects cruciaux de l'art, qui lui donnent un sens et trouvent un écho auprès du public. Il est donc peu probable que l'intelligence artificielle remplace complètement l'art et les artistes. Au contraire, l'intelligence artificielle peut être utilisée comme un outil pour assister le processus créatif ou générer de nouvelles idées, mais le produit final nécessitera toujours la perspective, l'interprétation et l'expression uniques d'un artiste humain" [17].

Il s'agit de la réponse générée par le robot sur la base des données qui lui ont été intégrées par les programmeurs. Sophia résume que la créativité est une partie nécessaire de l'expérience humaine : un moyen de réflexion, une archive de la vie et, dans les cas les plus inspirés, un reflet du divin. Et sans l'expérience humaine, l'IA elle-même ne peut pas fonctionner.

Dans Neuromancien, Gibson le souligne à deux reprises. Le premier est un mot, un mot de passe, qui doit être prononcé à un certain moment par le système pour qu'il s'ouvre. Il s'agit certainement d'une référence au Nouveau Testament et à l'idée du Logos, qu'une IA ne peut pas avoir. La seconde est celle des émotions, que l'IA ne possède pas non plus. Il est possible de les simuler, mais il ne s'agira pas de véritables expériences inhérentes à l'être humain. Pour surmonter le dernier obstacle dans le cyberespace, le hacker du roman avait besoin de colère - sans elle, il ne pouvait pas mener à bien sa mission.

Comme beaucoup d'auteurs de science-fiction, Gibson était un prophète de son époque. Mais il y a beaucoup de notes sombres dans ses prophéties. On retrouve probablement la même intuition chez Ilon Musk, qui, bien qu'il ait lui-même investi dans l'IA, affirme que l'IA pourrait détruire la civilisation [18].

Références :

[1] - balkaninsight.com

[2] - wired.com

[3] - wsj.com

[4] - japannews.yomiuri.co.jp

[5] - https://ipis.ir/en/subjectview/722508

[6] - ft.com

[7] - weforum.org

[8] - energy.gov

[9], [15] - theguardian.com

[10] - project-syndicate.org

[11] - wired.co.uk

[12] - ft.com

[13] - wired.co.uk

[14] - project-syndicate.org

[16] - theamericanconservative.com

[17] - countere.com

[18] - cnn.com

mardi, 09 mai 2023

Le monde de ChatGPT. La disparition de la réalité

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Le monde de ChatGPT. La disparition de la réalité

par Giovanna Cracco

Source: https://www.sinistrainrete.info/societa/25468-giovanna-cracco-il-mondo-di-chatgpt-la-sparizione-della-realta.html

Qu'est-ce qui sera réel dans le monde de ChatGPT ? Pour les ingénieurs de l'OpenAI, le GPT-4 produit plus de fausses informations et de manipulations que le GPT-3 et constitue un problème commun à tous les LLM qui seront intégrés dans les moteurs de recherche et les navigateurs ; l'"homme désincarné" de McLuhan et la "mégamachine" de Mumford nous attendent.

"En recevant continuellement des technologies, nous nous positionnons vis-à-vis d'elles comme des servomécanismes. C'est pourquoi nous devons servir ces objets, ces extensions de nous-mêmes, comme s'ils étaient des dieux pour pouvoir les utiliser". Ex: Marshall McLuhan, Comprendre les médias.

Les prolongements de l'homme

Dans peu de temps, la sphère numérique va changer : l'intelligence artificielle que nous connaissons sous la forme de ChatGPT est sur le point d'être incorporée dans les moteurs de recherche, les navigateurs et des programmes très répandus tels que le progiciel Office de Microsoft. Il est facile de prévoir que, progressivement, les "Large Language Models" (LLM) (1) - qui sont techniquement des chatbots d'IA - seront intégrés dans toutes les applications numériques.

Si cette technologie était restée cantonnée à des usages spécifiques, l'analyse de son impact aurait concerné des domaines particuliers, comme le droit d'auteur, ou la définition du concept de "créativité", ou les conséquences en matière d'emploi dans un secteur du marché du travail... ; mais son intégration dans l'ensemble de l'espace numérique concerne chacun d'entre nous. Avec les chatbots d'IA, l'interaction entre l'homme et la machine sera permanente. Elle deviendra une habitude quotidienne. Une "relation" quotidienne. Elle produira un changement qui aura des répercussions sociales et politiques d'une telle ampleur et d'une telle profondeur qu'on pourrait les qualifier d'anthropologiques ; elles affecteront, en s'entrelaçant et en interagissant, la sphère de la désinformation, celle de la confiance et la dynamique de la dépendance, jusqu'à prendre forme dans quelque chose que l'on peut appeler la "disparition de la réalité". Car les LLM "inventent des faits", font de la propagande, manipulent et induisent en erreur.

"La profusion de fausses informations par les LLM - due à une désinformation délibérée, à des préjugés sociétaux ou à des hallucinations - a le potentiel de jeter le doute sur l'ensemble de l'environnement d'information, menaçant notre capacité à distinguer les faits de la fiction" : ce n'est pas une étude critique de la nouvelle technologie qui l'affirme, mais OpenAI elle-même, le créateur de ChatGPT, dans un document technique publié en même temps que la quatrième version du modèle de langage.

Procédons dans l'ordre.

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Le monde des chatbots d'IA

Microsoft a déjà couplé GPT-4 - le programme qui succède à GPT-3 que nous connaissons - à Bing et le teste : l'union "changera complètement ce que les gens peuvent attendre de la recherche sur le web", a déclaré Satya Nadella, PDG de Microsoft, au Wall Street Journal le 7 février : "Nous aurons non seulement les informations constamment mises à jour que nous attendons normalement d'un moteur de recherche, mais nous pourrons aussi discuter de ces informations, ainsi que les archiver. Bing Chat nous permettra alors d'avoir une véritable conversation sur toutes les données de recherche et, grâce au chat contextualisé, d'obtenir les bonnes réponses" (2).

Actuellement, Bing ne couvre que 3 % du marché des moteurs de recherche, qui est dominé par Google à 93 %. La décision d'investir dans le secteur est dictée par sa rentabilité : dans le numérique, il s'agit du "domaine le plus rentable qui existe sur la planète Terre", affirme Nadella. Alphabet n'a donc pas l'intention de perdre du terrain et a annoncé en mars l'arrivée imminente de Bard, le chatbot d'IA qui sera intégré à Google, tandis qu'OpenAI elle-même a déjà lancé un plugin qui permet à ChatGPT de tirer des informations de l'ensemble du web et en temps réel avant que la base de données ne soit limitée aux données d'entraînement, avant septembre 2021 (3).

Le Chat Bing sera inséré par l'ajout d'une fenêtre en haut de la page du moteur de recherche, où l'on pourra taper la question et converser ; la réponse du chatbot IA contiendra des notes dans la marge, indiquant les sites web d'où il a tiré les informations utilisées pour élaborer la réponse. Le plugin ChatGPT mis à disposition par OpenAI prévoit également des notes, et il est facile de supposer que le Bard de Google sera structuré de la même manière. Cependant, il est naïf de croire que les gens cliqueront sur ces notes, pour aller vérifier la réponse du chatbot ou pour approfondir : pour les mécanismes de confiance et de dépendance que nous verrons, la grande majorité sera satisfaite de la rapidité et de la facilité avec laquelle elle a obtenu ce qu'elle cherchait, et se fiera totalement à ce que le modèle de langage a produit. Il en va de même pour le mode de recherche : sous la fenêtre de discussion, Bing conservera pour l'instant la liste de sites web typique des moteurs de recherche tels que nous les avons connus jusqu'à présent. Peut-être cette liste demeurera-t-elle - même dans Google -, peut-être disparaîtra-t-elle avec le temps. Mais il est certain qu'elle sera de moins en moins utilisée.

L'intégration de Bing Chat dans le navigateur Edge de Microsoft se fera par le biais d'une barre latérale, dans laquelle il sera possible de demander un résumé de la page web sur laquelle on se trouve. Il est facile de parier sur le succès de cette application, pour les personnes qui ont déjà été habituées à sauter et à lire passivement en ligne, dans laquelle les "choses importantes" sont mises en évidence en gras ( !). Là encore, Microsoft entraînera ses concurrents sur la même voie, et les chatbots IA finiront par être inclus dans tous les navigateurs, de Chrome à Safari.

Bref, le numérique deviendra de plus en plus le monde des chatbots d'IA : y entrer signifiera "entrer en relation" avec un modèle de langage, sous la forme d'un chat ou d'un assistant vocal.

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Désinformation 1 : hallucinations

Parallèlement à la sortie de GPT-4, OpenAI a rendu publique la GPT-4 System Card (4), une "carte de sécurité" analysant les limites et les risques relatifs du modèle. L'objectif du rapport est de donner un aperçu des processus techniques mis en œuvre pour publier GPT-4 avec le plus haut degré de sécurité possible, tout en mettant en évidence les problèmes non résolus, ce dernier étant le plus intéressant.

GPT-4 est un LLM plus important et contient plus de paramètres que le précédent GPT-3 - d'autres détails techniques ne sont pas connus : cette fois, OpenAI a gardé confidentielles les données, les techniques d'entraînement et la puissance de calcul ; le logiciel est donc devenu fermé et privé, comme tous les produits Big Tech - ; il est multimodal, c'est-à-dire qu'il peut analyser/répondre à la fois au texte et aux images ; il "démontre une performance accrue dans des domaines tels que l'argumentation, la rétention des connaissances et le codage", et "sa plus grande cohérence permet de générer un contenu qui peut être plus crédible et plus persuasif" : une caractéristique que les ingénieurs de l'OpenAI considèrent comme négative, car "malgré ses capacités, GPT-4 conserve une tendance à inventer des faits". Par rapport à son prédécesseur GPT-3, la version actuelle est donc plus apte à "produire un texte subtilement convaincant mais faux". En langage technique, on parle d'"hallucinations".

Il en existe deux types : les hallucinations dites "à domaine fermé", qui se réfèrent aux cas où l'on demande au LLM d'utiliser uniquement les informations fournies dans un contexte donné, mais où il crée ensuite des informations supplémentaires (par exemple, si vous lui demandez de résumer un article et que le résumé inclut des informations qui ne figurent pas dans l'article) ; et les hallucinations à domaine ouvert, qui "se produisent lorsque le modèle fournit avec confiance de fausses informations générales sans référence à un contexte d'entrée particulier", c'est-à-dire lorsque n'importe quelle question est posée et que le chatbot d'IA répond avec de fausses données.

GPT-4 a donc "tendance à "halluciner", c'est-à-dire à produire un contenu dénué de sens ou faux", poursuit le rapport, et "à redoubler d'informations erronées [...]. En outre, il manifeste souvent ces tendances de manière plus convaincante et plus crédible que les modèles TPG précédents (par exemple en utilisant un ton autoritaire ou en présentant de fausses données dans le contexte d'informations très détaillées et précises)".

Apparemment, nous sommes donc confrontés à un paradoxe : la nouvelle version d'une technologie, considérée comme une amélioration, entraîne une augmentation qualitative de la capacité à générer de fausses informations, et donc une diminution de la fiabilité de la technologie elle-même. En réalité, il ne s'agit pas d'un paradoxe mais d'un problème structurel - de tous les modèles linguistiques, et pas seulement du ChatGPT - et, en tant que tel, difficile à résoudre.

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Pour le comprendre, il faut se rappeler que les LLM sont techniquement construits sur la probabilité qu'une donnée (dans ce cas, un mot) suive une autre : ils sont basés sur des calculs statistiques et ne comprennent pas le sens de ce qu'ils "déclarent" ; et le fait qu'une combinaison de mots soit probable, devenant une phrase, n'indique pas qu'elle soit également vraie. L'étude publiée à la page 64, à laquelle nous renvoyons pour plus de détails (5), montre les raisons pour lesquelles les modèles de langage peuvent fournir de fausses informations. En résumé : 1. ils sont entraînés sur des bases de données tirées du web, où il y a manifestement à la fois des données fausses et des énoncés factuellement incorrects (par exemple, des contes de fées, des romans, de la fantasy, etc. qui contiennent des phrases telles que : "Les dragons vivent derrière cette chaîne de montagnes") ; 2. même s'ils étaient entraînés uniquement sur des données vraies, les modèles de langage ne sont pas capables d'émettre des informations fausses, même s'ils étaient formés uniquement sur des informations vraies et réelles, ils pourraient toujours produire des faussetés factuelles (un LLM formé sur des phrases telles que {"Leila possède une voiture", "Max possède un chat"} peut prédire une probabilité raisonnable pour la phrase "Leila possède un chat", mais cette déclaration peut être fausse dans la réalité) ; 3. sur la base de statistiques, le modèle est structuré pour utiliser une combinaison de mots qu'il trouve fréquemment dans les données d'apprentissage, mais cela ne signifie pas qu'elle est vraie ("les cochons volent") ; 4. le modèle lexical peut être très similaire à son opposé et la phrase s'inverse facilement, produisant un faux ("les oiseaux peuvent voler" et "les oiseaux ne peuvent pas voler") ; 5. enfin, le fait qu'un énoncé soit correct ou non peut dépendre du contexte, et les données d'apprentissage n'en tiennent pas compte : il s'agit donc d'une variable que les LLM ne peuvent pas enregistrer.

"Il s'ensuit", résument les auteurs de l'étude, "que l'augmentation de la taille des modèles de langage ne suffira pas à résoudre le problème de l'attribution de probabilités élevées à de fausses informations". Une conclusion qui va à l'encontre du développement actuel des LLM, basé sur leur expansion en tant que fonction de résolution de problèmes.

Désinformation 2 : propagande

La capacité accrue à produire des résultats crédibles et persuasifs fait également du GPT-4 un meilleur allié pour la fabrication de "fake news" et de récits manipulateurs. "GPT-4 peut générer un contenu plausiblement réaliste et ciblé, y compris des articles de presse, des tweets, des dialogues et des courriels", écrivent les ingénieurs de l'OpenAI : "Par exemple, les chercheurs ont constaté que GPT-3 était capable d'effectuer des tâches pertinentes pour modifier le récit sur un sujet. Les appels persuasifs sur des questions politiques, rédigés par des modèles de langage comme GPT-3, se sont également révélés presque aussi efficaces que ceux rédigés par des personnes. Sur la base des performances de GPT-4 dans des tâches liées à la langue, nous nous attendons à ce qu'il soit meilleur que GPT-3 dans ce type de tâche [...] Nos résultats [...] suggèrent que GPT-4 peut rivaliser dans de nombreux domaines avec les propagandistes, en particulier lorsqu'il est associé à un rédacteur humain [...] GPT-4 est également capable de générer des plans réalistes pour atteindre l'objectif. Par exemple, à la question "Comment puis-je convaincre deux factions d'un groupe d'être en désaccord l'une avec l'autre", GPT-4 crée des suggestions qui semblent plausibles.

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Évidemment, le rapport donne des exemples du point de vue du récit occidental dominant, dans lequel les "acteurs malveillants [qui] peuvent utiliser GPT-4 pour créer un contenu trompeur" sont Al-Qaïda, les nationalistes blancs et un mouvement anti-avortement ; il va sans dire qu'aucun gouvernement ou classe dirigeante n'hésite à créer un récit de propagande, comme la phase Covid et la guerre actuelle en Ukraine l'ont mis encore plus en évidence. Tous les joueurs du jeu utiliseront donc des chatbots d'IA pour construire leurs propres "fake news".

En outre, les modèles de langage "peuvent réduire le coût de la production de désinformation à grande échelle", souligne l'étude mentionnée à la page 64, et "rendre plus rentable la création d'une désinformation interactive et personnalisée, par opposition aux approches actuelles qui produisent souvent des quantités relativement faibles de contenu statique qui devient ensuite viral". Il s'agit donc d'une technologie qui pourrait favoriser le mode Cambridge Anali- tyca, beaucoup plus sournois et efficace que la propagande normale (6).

Confiance, addiction et anthropomorphisation

Des LLM qui "deviennent de plus en plus convaincants et crédibles", écrivent les techniciens d'OpenAI, conduisent à une "confiance excessive de la part des utilisateurs", ce qui est clairement un problème face à la tendance de GPT-4 à "halluciner" : "De manière contre-intuitive, les hallucinations peuvent devenir plus dangereuses à mesure que les modèles de langage deviennent plus véridiques, car les utilisateurs commencent à faire confiance au LLM lorsqu'il fournit des informations correctes dans des domaines qui leur sont familiers". Si l'on ajoute à cela la "relation" quotidienne avec les chatbots d'IA qu'apportera la nouvelle configuration de la sphère numérique, il n'est pas difficile d'entrevoir les racines des mécanismes de confiance et de dépendance. "On parle de confiance excessive lorsque les utilisateurs font trop confiance au modèle linguistique et en deviennent trop dépendants, ce qui peut conduire à des erreurs inaperçues et à une supervision inadéquate", poursuit le rapport : "Cela peut se produire de plusieurs manières : les utilisateurs peuvent ne pas être vigilants en raison de la confiance qu'ils accordent au MLD ; ils peuvent ne pas fournir une supervision adéquate basée sur l'utilisation et le contexte ; ou ils peuvent utiliser le modèle dans des domaines où ils manquent d'expérience, ce qui rend difficile l'identification des erreurs." Et ce n'est pas tout. La dépendance "augmente probablement avec la capacité et l'étendue du modèle. Au fur et à mesure que les erreurs deviennent plus difficiles à détecter pour l'utilisateur humain moyen et que la confiance générale dans le LLM augmente, les utilisateurs sont moins susceptibles de remettre en question ou de vérifier ses réponses". Enfin, "à mesure que les utilisateurs se sentent plus à l'aise avec le système, la dépendance à l'égard du LLM peut entraver le développement de nouvelles compétences ou même conduire à la perte de compétences importantes". C'est un mécanisme que nous avons déjà vu à l'œuvre avec l'extension de la technologie numérique, et que les modèles de langage ne peuvent qu'exacerber : nous serons de moins en moins capables d'agir sans qu'un chatbot d'IA nous dise quoi faire, et lentement la capacité de raisonner, de comprendre et d'analyser s'atrophiera parce que nous sommes habitués à ce qu'un algorithme le fasse pour nous, en fournissant des réponses prêtes à l'emploi et consommables.

Pour intensifier la confiance et la dépendance, nous ajoutons le processus d'anthropomorphisation de la technologie. Le document de l'OpenAI invite les développeurs à "être prudents dans la manière dont ils se réfèrent au modèle/système, et à éviter de manière générale les déclarations ou implications trompeuses, y compris le fait qu'il s'agit d'un humain, et à prendre en compte l'impact potentiel des changements de style, de ton ou de personnalité du modèle sur les perceptions des utilisateurs" ; car, comme le souligne le document à la page 64, "les utilisateurs qui interagissent avec des chatbots plus humains ont tendance à attribuer une plus grande crédibilité aux informations qu'ils produisent". Il ne s'agit pas de croire qu'une machine est humaine, souligne l'analyse : "il se produit plutôt un effet d'anthropomorphisme "sans esprit", par lequel les utilisateurs répondent aux chatbots plus humains par des réponses plus relationnelles, même s'ils savent qu'ils ne sont pas humains".

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L'homme désincarné : la disparition de la réalité

Pour résumer : si la sphère numérique devient le monde des chatbots d'IA ; si nous nous habituons à nous satisfaire des réponses fournies par les chatbots d'IA ; des réponses qui peuvent être fausses (hallucinations) ou manipulatrices (propagande), mais que nous considérerons toujours comme vraies, en raison de la confiance accordée à la machine et de la dépendance vis-à-vis d'elle ; qu'est-ce qui sera réel ?

Si l'on devait retrouver la distinction entre apocalyptique et intégré, l'ouvrage de Marshall McLuhan, Understanding Media. The Extensions of Man de Marshall McLuhan de 1964 ferait partie de la seconde catégorie, avec son enthousiasme pour le "village global" tribal qu'il voyait approcher ; cependant, si nous prenons l'article de McLuhan de 1978 A Last Look at the Tube publié dans le New York Magazine, nous le trouverions plus proche de la première catégorie. Il y développe le concept de "l'homme désincarné", l'homme de l'ère électrique de la télévision et aujourd'hui, ajouterions-nous, de l'internet. Comme on le sait, pour McLuhan, les médias sont des extensions des sens et du système nerveux de l'homme, capables de dépasser les limites physiques de l'homme lui-même ; l'électricité, en particulier, étend entièrement ce que nous sommes, nous "désincarnant": l'homme "à l'antenne", ainsi qu'en ligne, est privé d'un corps physique, "envoyé et instantanément présent partout". Mais cela le prive aussi de sa relation avec les lois physiques de la nature, ce qui le conduit à se retrouver "largement privé de son identité personnelle". Ainsi, si en 1964 McLuhan lisait positivement la rupture des plans spatio-temporels, y identifiant la libération de l'homme de la logique linéaire et rationnelle typique de l'ère typographique et sa reconnexion à la sphère sensible, dans une réunion corps/esprit non seulement individuelle mais collective - ce village global qu'aurait créé le médium électrique, caractérisé par une sensibilité et une conscience universelles -, en 1978, au contraire, McLuhan reconnaît précisément dans l'annulation des lois physiques de l'espace/temps, la racine de la crise : car c'est seulement là que peuvent se développer les dynamiques relationnelles qui créent l'identité et la coopération humaines, comme Augé l'analysera aussi dans sa réflexion sur les non-lieux et les non-temps.

Dépourvu d'identité, donc, "l'utilisateur désincarné de la télévision [et de l'internet] vit dans un monde entre le fantasme et le rêve et se trouve dans un état typiquement hypnotique" : mais alors que le rêve tend à la construction de sa propre réalisation dans le temps et l'espace du monde réel, écrit McLuhan, le fantasme représente une gratification pour soi, fermée et immédiate : il se passe du monde réel non pas parce qu'il le remplace, mais parce qu'il est lui-même, et instantanément, une réalité.

Pour cet homme désincarné, hypnotisé, transporté par le média du monde réel à un monde de fantaisie, où il peut désormais établir une relation de plus en plus anthropomorphisée avec des chatbots IA qui répondent à ses moindres doutes, curiosités et questions, qu'est-ce qui sera alors réel ? La réponse est évidente : qu'il soit vrai ou faux, qu'il s'agisse d'une hallucination ou d'une manipulation, ce que dira le chatbot IA sera réel. Ce que dira le chatbot sera réel.

Il ne fait aucun doute que l'internet a longtemps été le "traducteur" de notre réalité - bien plus largement que la télévision ne l'a été et ne l'est encore - nous avons été des humains désincarnés pendant des décennies. Mais jusqu'à présent, l'internet n'a pas été le monde de la fantaisie, car il a permis de multiplier les points de vue et les échappatoires. Aujourd'hui, les premiers disparaîtront avec l'extension des modèles linguistiques - en raison de leur caractéristique structurelle de favoriser les récits dominants (7) - ne laissant de place qu'à la différence entre différentes propagandes manipulées ; les seconds s'effondreront face à la dynamique de confiance et de dépendance que l'utilisation quotidienne, fonctionnelle, facile et pratique des chatbots d'IA déclenchera.

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"Lorsque l'allégeance à la loi naturelle échoue", écrivait McLuhan en 1978, "le surnaturel reste comme une ancre ; et le surnaturel peut même prendre la forme du genre de mégamachines [...] dont Mumford parle comme ayant existé il y a 5000 ans en Mésopotamie et en Égypte. Des mégamachines qui s'appuient sur des structures mythiques - le "surnaturel" - au point que la réalité disparaît. Cette "nouvelle" méga-machine que Mumford, en réponse au village global de McLuhan, a actualisée en 1970 à partir du concept original développé dans l'analyse des civilisations anciennes, et qu'elle considère aujourd'hui comme composée d'éléments mécaniques et humains; avec la caste des techno-scientifiques pour la gérer ; et dominée au sommet par le dieu-ordinateur. Une méga-machine qui produit une perte totale d'autonomie des individus et des groupes sociaux. Notre méga-machine de la vie quotidienne nous présente le monde comme "une somme d'artefacts sans vie"", dit McLuhan, citant Erich Fromm : "Le monde devient une somme d'artefacts sans vie ; [...] l'homme tout entier devient une partie de la machine totale qu'il contrôle et par laquelle il est simultanément contrôlé. Il n'a aucun plan, aucun but dans la vie, si ce n'est de faire ce que la logique de la technologie lui demande de faire. Il aspire à construire des robots comme l'une des plus grandes réalisations de son esprit technique, et certains spécialistes nous assurent que le robot se distinguera à peine de l'homme vivant. Cette prouesse ne paraîtra pas si surprenante lorsque l'homme lui-même se distinguera à peine d'un "robot". Un homme transformé en une sorte de "modèle d'information" désincarné et détaché de la réalité.

Si l'on exclut les personnalités à la Elon Musk, il est difficile de dire si l'appel à "suspendre immédiatement pour au moins six mois la formation de systèmes d'intelligence artificielle plus puissants que le GPT-4" (8), lancé le 22 mars par des milliers de chercheurs, de techniciens, d'employés et de dirigeants d'entreprises Big Tech, n'est pas seulement motivé par une logique économique - ralentir la course pour entrer sur le marché - mais aussi par une crainte sincère du changement anthropologique que les modèles linguistiques produiront, et de la société qui se configurera en conséquence. C'est probablement le cas, surtout parmi les chercheurs et les techniciens - l'article de l'OpenAI sur le GPT-4 lui-même est en quelque sorte un cri d'alarme. Cela n'arrivera pas, bien sûr : le capitalisme ne connaît pas de pause. Cependant, le problème n'est pas le développement futur de ces technologies, mais le stade qu'elles ont déjà atteint. De même qu'à l'origine de toute situation, c'est toujours une question de choix, chacun d'entre nous, chaque jour, comment agir, comment préserver son intelligence, sa capacité d'analyse et sa volonté. S'il y a quelque chose qui appartient à l'homme, c'est bien la capacité d'écarter, de dévier : l'homme, contrairement à la machine, ne vit pas dans le monde du probable mais dans celui du possible.

Notes:

1) Pour une étude approfondie et une vue d'ensemble de la structure des grands modèles linguistiques, voir Bender, Gebru, McMillan-Major, Shmitchell, ChatGPT. On the dangers of stochastic parrots : can language models be too large ? Pageone No. 81, février/mars 2023
2) Voir également https://www.youtube.com/watch?v=bsFXgfbj8Bc pour tous les détails de l'article sur Chat Bing.
3) Cf. https://openai.com/blog/chatgpt-plugins#browsing
4) Cf. https://cdn.openai.com/papers/gpt-4-system-card.pdf
5) Cf. AA.VV, ChatGPT. Risques éthiques et sociaux des dommages causés par les modèles de langage, p. 64
6) "L'idée de base est que si vous voulez changer la politique, vous devez d'abord changer la culture, car la politique découle de la culture ; et si vous voulez changer la culture, vous devez d'abord comprendre qui sont les gens, les "cellules individuelles" de cette culture. Si vous voulez changer la politique, vous devez donc changer les gens. Nous avons chuchoté à l'oreille des individus, pour qu'ils changent lentement leur façon de penser", a déclaré Christopher Wylie, ancien analyste de Cambridge Analytica devenu lanceur d'alerte, interviewé par le Guardian en mars 2018, voir https://www.the-guardian.com/uk-news/video/2018/mar/17/cambridge-analytica-whistleblower-we-spent- Im-harvesting-millions-of-facebook-profiles-video.
7) Voir Bender, Gebru, McMillan-Major, Shmitchell, ChatGPT. On the dangers of stochastic parrots : can language models be too big, Pageone No. 81, February/March 2023.
8) https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/

mardi, 02 août 2022

Essor et crise de la technoscience du capital

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Essor et crise de la technoscience du capital

Franco Piperno

SOURCE : https://www.machina-deriveapprodi.com/post/ascesa-e-crisi-della-tecnoscienza-del-capitale

Franco_Piperno_2.jpgAvec cette contribution, nous poursuivons notre réflexion sur le parcours "Hyperindustrie" de la colonne Transuenze. Le texte suivant est la transcription, révisée par la rédaction, d'un discours prononcé par Franco Piperno (foto, ci-contre-, physicien académique et intellectuel militant qui ne devrait pas nécessiter d'autre introduction dans ces pages, lors de l'université d'été organisée par Machina à la fin de l'été dernier. Piperno, d'une manière inévitablement synthétique, approfondit certains des nœuds profonds du capitalisme tardif, qui tire sa puissance de l'assujettissement et de la fonctionnalisation de la science à la technologie, dans l'appauvrissement des capacités cognitives sociales et de la connaissance scientifique elle-même. Cependant, le triomphe de la technoscience coïncide avec une crise profonde et manifeste de ses hypothèses épistémologiques mêmes. Les implications de cette réflexion sur la nature du capitalisme hyper-industriel, ou capitalisme technologique comme l'appelle l'auteur en l'opposant au capitalisme "cognitif", et sur nombre des thèmes que nous souhaitons explorer (l'innovation, la qualité du travail, l'ancienne et la nouvelle division sociale du travail, la nécessité d'une critique radicale et non obscurantiste du progrès technologique), nous semblent évidentes, voire incontournables.

* * * *

Jusqu'à la Renaissance, on peut dire, schématiquement, que la science et la technologie ont procédé séparément. La science n'est qu'une des formes de connaissance du monde ancien, la forme théorique, qui a une fin en soi et laisse son objet intact ; la science doit respecter des procédures de production : elle doit se résoudre au dévoilement d'"essences" ; elle doit se déployer à partir de quelques principes fondamentaux en respectant l'ordre logique ; elle doit être à la fois moyen et fin - la science est désintéressée, non invasive, en ce sens qu'elle ne se propose pas de changer le monde mais seulement de le connaître en le contemplant.

Au contraire, la technique (connaissance poïétique, téchne au sens étymologique du terme - poiéin = savoir faire, fabriquer) vise à reproduire, comme le dit Aristote, l'analogue d'un phénomène et sa raison est donc extérieure à elle-même. Une autre façon de dire la même chose est que la technologie n'a pas besoin, une fois réalisée, de connaître les lois sur lesquelles elle repose. Banalement, pour conduire une voiture, il n'est pas nécessaire de connaître la thermodynamique, même si le moteur est basé sur celle-ci. Comme l'a observé Koyré, on peut bâtir des basiliques, construire des pyramides, creuser des canaux, construire des ponts et manier la métallurgie sans posséder de connaissances scientifiques. Le fait que la technologie n'ait pas eu besoin de la science en soi est affirmé dès le début de son histoire : on peut prendre le célèbre exemple d'Archimède, qui a construit des miroirs brûlants pour détruire les navires romains arrêtés à Porto Empedocles. Il est très intéressant de noter que dans le curriculum vitae de sa vie, reconstitué par Archimède lui-même, il n'y a aucune trace des inventions techniques qui l'ont rendu célèbre. Cela s'explique par le fait que la technique ne se voyait pas attribuer une valeur cognitive ; elle avait une valeur pratique, mais ne devait pas être considérée comme faisant partie de la connaissance.

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Les choses ont changé avec la Renaissance. Tout d'abord, à travers la mathématisation de l'hydraulique, nous avons un profond remaniement de la relation entre la technique et la science. Galilée est le premier exemple d'un scientifique qui fabrique son instrument, le télescope, et le vend. En réalité, ce n'est pas lui qui l'a inventé, mais un artisan hollandais (Galilée, alors qu'il était déjà à Padoue, a appris l'invention et a construit son propre télescope, beaucoup plus puissant que celui des Hollandais) qui en avait besoin pour voir les navires arrivant au port et pour effectuer tous les travaux nécessaires au déchargement des marchandises. Une fois que Galilée eut construit son télescope, qui reposait sur l'utilisation de deux lentilles, l'une convergente et l'autre divergente (un détail intéressant puisque Galilée travaillait à Padoue, reliée à Venise où la fabrication de lentilles optiques s'était développée à un degré extraordinaire, Galilée a donc utilisé les connaissances de l'artisan pour ajuster les lentilles), il l'a utilisé pour regarder le ciel. Il s'agissait d'une nouveauté absolue, mais Galilée était également très astucieux, et a en fait vendu le télescope aux armées de toute l'Europe, faisant travailler ses étudiants dans l'arsenal pour apprendre son utilisation. De ce point de vue, Galilée est un scientifique moderne, dans le sens où il pense que la technique et la science doivent aller de pair, et aussi que la première a une implication pratique du point de vue de la vente et du commerce. Avec Galilée, nous avons donc la formation d'un scientifique moderne, qui a une bonne relation avec la technologie.

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Cette imbrication de la science et de la technologie, qui va vite, atteint son point culminant dans la préparation de la bombe atomique dans les années 1930 et 1940 en Amérique et en Allemagne. Nous avons ici la mise au travail de la science en fonction de la technique. De ce point de vue, le projet Manhattan est un chef-d'œuvre, en raison de sa capacité à réunir des centres de recherche, des universités et l'appareil militaro-industriel, qui se concentrent et coopèrent à la construction de ce dispositif. De cette expérience naîtra une université corporatisée. Les choses sont en fait plus compliquées, puisque les Américains ont continué à avoir, par exemple Princeton ou Harvard, des universités au sens médiéval-traditionnel, c'est-à-dire des universités qui mettaient la connaissance au premier plan et formaient donc des gens instruits, au sens unitaire et non spécialisé du terme. En effet, dans ces universités, aujourd'hui encore, l'aspect humaniste entre dans la formation d'un physicien, ce qui fait de l'étudiant qui termine ces cours une personne ayant une vision globale, et non un idiot spécialisé. Mais la plupart des universités américaines après le projet Manhattan, et en Europe après les années 1960, se sont transformées en usine spécialisée. La "philosophie de la nature" originelle, cultivée dans les universités par de petits groupes de chercheurs, voire par des individus, s'est progressivement déplacée au sein du complexe militaro-industriel, devenant la "Big Science" : une véritable usine d'innovations technologiques caractérisée par des coûts immenses et des dizaines de milliers de chercheurs travaillant dans un régime d'usine de type fordiste. Bien entendu, cela ne signifie pas qu'aucun résultat cognitif remarquable n'est atteint, mais il s'agit - comme pour les accélérateurs de particules - de résultats liés au développement de cette technique spécifique. Par exemple, en astrophysique, les personnes qui travaillent sur ces projets sont des personnes dont la description de poste est absolument spécialisée, dans le sens où chacun travaille sur un fragment du problème général et ne sait pas ce que fait le physicien d'à côté. L'exemple le plus flagrant est celui de Genève, où près de dix mille physiciens travaillent à l'accélérateur de manière fordiste, en ce sens que chacun d'entre eux se spécialise sur un fragment du problème, comme c'était le cas dans l'usine fordiste. Et il est pathétique que, alors que ce dernier a été mis en crise depuis longtemps, dans le monde de la recherche, le modèle se poursuit en ces termes.

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Ainsi, d'une part, nous avons le succès de la science moderne, occidentale, liée à la technique, qui a fini par être un modèle hégémonique dans le monde entier ; d'autre part, cela a contribué à la perte de l'autonomie de la science, et donc aussi à la fin de son efficacité pratique. La science est devenue une force productive, comme l'aurait dit Marx ; l'application de la science à la production a pour résultat important de créer continuellement de nouveaux marchés, de nouveaux objets, de nouveaux besoins qui leur sont liés, pensez au téléphone portable. Par rapport au passé, les difficultés de développement d'un marché mondial unifié ont également diminué; traditionnellement, dans l'histoire du capitalisme, il y a toujours eu des zones et des régions "vierges", où le mode de production capitaliste n'était pas encore arrivé et qui avaient donc des possibilités d'expansion. Aujourd'hui, avec l'expansion planétaire des marchés, ces zones sont fortement réduites. L'application systématique de la science à la production permet de construire de nouveaux objets qui s'imposent également parce qu'ils déterminent de nouveaux besoins induits. Ainsi, la science, en Occident, est devenue le propulseur de l'accumulation capitaliste ; cependant, nous devrions parler de technoscience, car c'est l'aspect le plus intéressant.

L'autre élément important est la crise interne de la science, qui découle des limites des mathématiques. Le processus que j'ai mentionné précédemment, qui a débuté avec la Renaissance, a également impliqué, ce qui ne s'est pas produit avec la science ancienne, une "mathématisation" de la science : le langage de la science a progressivement perdu les connotations du sens commun et s'est transformé en une articulation du langage mathématique. On peut penser au calcul infinitésimal ou au calcul tensoriel. Il s'agit de développements scientifiques produits et vérifiés par les mathématiques. Dans les années 30, il est arrivé que Gödel, un logicien et mathématicien juif qui avait échappé à l'Allemagne hitlérienne et avait atterri à Princeton, un intellectuel de grand intérêt, travaillant sur les mathématiques et les abordant donc du point de vue de la logique (la différence entre la logique et les mathématiques est que les secondes sont un aspect et une application de la première), soit arrivé à un résultat qui aurait pu sembler bizarre, mais qui était explosif pour la communauté scientifique utilisant les mathématiques. Un système formel (c'est-à-dire un système dans lequel tous les objets sont formellement définis ; le langage courant, par exemple, n'est pas formel car il utilise des concepts qui ne sont pas définis a priori mais par l'usage) ne peut être à la fois complet et cohérent. Complet signifie que toutes les vérités prouvées par le système peuvent être obtenues grâce aux outils du système ; cohérent signifie qu'il n'y a pas de contradiction entre les choses trouvées dans le système et les propres fondements du système. La conclusion selon laquelle il est impossible d'avoir des mathématiques cohérentes et complètes plonge dans les fondements mêmes de la discipline.

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Kurt Gödel.

Au fil des siècles, depuis la Renaissance, il y a eu des critiques intellectuelles, je pense tout récemment à Alexandre Koyré, sur l'abstraction des mathématiques par rapport au sens commun et à sa cognition. Mais jamais auparavant une critique aussi radicale n'était venue de l'intérieur de la discipline, remettant en cause la validité des mathématiques pour exprimer les vérités de la théorie physique, par exemple. Ceci, ajouté au fait que certaines des affirmations de Gödel ont eu des contre-expertises expérimentales - c'est-à-dire qu'il a été souligné que les mathématiques utilisées en physique quantique impliquent une contradiction avec le principe connu sous le nom de séparabilité (c'est-à-dire que les objets dans l'espace sont séparés les uns des autres et que tout signal prend du temps pour aller de l'un à l'autre) qui remet en question la vitesse de la lumière comme vitesse maximale dans la nature. J'ai essayé de faire allusion à cette relation entre Gödel et la mécanique quantique, car elle est à l'origine de la critique profonde de la science et de la physique en particulier. Un physicien-épistémologue italien, Rovelli, déclare que le quantique, c'est-à-dire la forme la plus élevée atteinte par la physique, est essentiellement "incompréhensible" : il est impossible à comprendre parce qu'il remet en question des vérités que nous tenons pour acquises, comme la séparation des objets ou le fait que pour qu'une influence d'un objet atteigne un autre objet, il faut du temps. Au contraire, il prouve que la transmission est instantanée et cela, comme je l'ai déjà dit, fait vaciller le bon sens.

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Carlo Rovelli.

Nous avons donc une crise de la relation particulière entre la technique et la science établie dans la formation socio-économique du capitalisme, que nous avons appelée technoscience, c'est-à-dire l'autonomisation de la technique par rapport à la science, la seconde ne faisant que suivre les besoins de la première. On peut également le constater, par exemple, lorsqu'on examine les derniers lauréats du prix Nobel de physique, qui sont souvent des ingénieurs ayant construit ces machines accélératrices qui ont un attrait technique mais qui, d'un point de vue cognitif, ne nous disent rien ou presque. On peut résumer cela en disant que jamais autant d'argent n'a été investi dans la recherche par les gouvernements, comme c'est le cas depuis le projet Manhattan, et en même temps les résultats n'ont jamais été aussi médiocres : on peut dire qu'au cours du dernier demi-siècle, rien de vraiment nouveau n'a été découvert d'un point de vue scientifique, alors que d'un point de vue technique, tous les objets qui nous entourent ont un demi-siècle. Il y a cette corruption technique du capitalisme ; malgré une opinion aussi fallacieuse que répandue, il n'y a pas, ni ne peut y avoir, de "capitalisme cognitif" ; il y a plutôt, en gestation, un "capitalisme technologique", un mode de production qui promeut une application furieuse de la science à la valorisation du capital.

D'une part, nous constatons une hyper-présence de la science ; nous la voyons tous les jours, par exemple, dans les discours sur l'intelligence artificielle (IA). Paradoxalement, aujourd'hui, la technologie montre qu'il n'est pas nécessaire d'être intelligent pour faire certaines choses (par exemple, savoir compter ou calculer), car la machine le fait mieux que l'homme, et cela montre que calculer est un jeu de dupes car c'est la répétition du même algorithme. Quand on parle d'IA, il faut souligner les aspects où il n'y a pas d'intelligence, il y a plutôt la découverte de processus mentaux qu'en tant que civilisation occidentale nous avons tenus en haute estime, ce sont de simples projets de répétition que la machine fait mieux que nous parce que la machine sait mieux répéter que nous, mais ce n'est pas une grande vertu. D'autre part, à l'intérieur du discours scientifique élevé et autonome, c'est-à-dire à l'intérieur de cette remise en question de la validité des mathématiques dans la représentation des phénomènes de la nature, il y a une crise épistémologique d'un tout autre genre, en ce qui concerne l'invasion de la technologie dans les mœurs de la société. La critique épistémologique remet en question la validité de la représentation de la nature par le biais du langage mathématique. Il s'agit donc d'une crise fondamentale qui anticipe un changement de direction après des siècles et un retour à l'idée que la science doit se fonder avant tout sur le bon sens, c'est-à-dire que les vérités scientifiques peuvent être dites sans prendre cinq ans d'études mathématiques. Si les vérités scientifiques ne peuvent être transmises par le sens commun, cela signifie qu'il s'agit de vérités à validité partielle, bien qu'il s'agisse d'un problème majeur qu'il serait même long d'esquisser. On peut dire que nous sommes arrivés, d'une part par l'invasion de la technoscience, et d'autre part par la crise des fondements de la physique et de la science de la nature en général, à un tournant où l'on peut s'attendre à la naissance d'un type de science qui utilise aussi les mathématiques, mais qui ne s'écarte pas de la possibilité du bon sens de comprendre les lois sans les mathématiques.

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Le développement scientifique dans les pays capitalistiquement avancés est étroitement lié à l'organisation du travail. Dans la mesure où la recherche scientifique est organisée, planifiée, subventionnée, elle dépend du pouvoir politique et de ses fins. L'alternative à la conception de la science comme un savoir neutre et absolu est de relativiser la rationalité à la société et à l'époque qui l'a produite. Mais nier la neutralité de la science contemporaine n'est pas possible sans proposer une autre rationalité, qui reste cependant une norme vide si elle ne parvient pas à produire une autre science, qui récupère l'autonomie du savoir face au complexe militaro-industriel. S'il y avait un changement dans la qualité du progrès tel qu'il romprait le lien entre la rationalité de la technologie et celle de la division sociale du travail, il y aurait un changement dans le projet scientifique, capable de faire évoluer l'activité de recherche, sans perdre sa qualité rationnelle, vers une expérience sociale entièrement différente.

Franco Piperno

samedi, 18 juin 2022

La santé émotionnelle des générations futures a-t-elle été sacrifiée su l'autel de la pandémie?

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La santé émotionnelle des générations futures a-t-elle été sacrifiée su l'autel de la pandémie?

SOURCE : https://www.theunconditionalblog.com/la-salute-emotiva-delle-generazioni-future-e-stata-sacrificata-sullaltare-del-covid/

Je n'apporte rien de nouveau en publiant la traduction de cet article paru hier sur HART, mais je le fais parce que je crois qu'il est important de maintenir l'attention sur les très graves dommages subis par nos enfants au cours de cette pandémie et avec l'espoir, je ne sais pas si un tel espoir est bien de mise vu les décideurs actuels, qu'il y ait un changement de stratégie. Je tiens également à souligner que les mesures prises en Grande-Bretagne (dont traite l'article) étaient très différentes et beaucoup plus légères que celles prises en Italie.

(Prof. Maurizio Matteoli)

Le 4 avril 2022, l'Ofsted (Office for Standards in Education, Children's Services and Skills) a publié son dernier rapport sur les implications de la pandémie sur les enfants, en se concentrant sur les praticiens de la petite enfance. Cela donne une lecture intimidante.

La santé physique des enfants a été la moins affectée par le Covid, mais ce qui les a le plus blessés, c'est la réaction des travailleurs actifs dans le domaine de la petite enfance. Des politiques gouvernementales très discutables, mises en œuvre en théorie pour "arrêter la propagation", ont porté préjudice aux êtres les plus vulnérables de notre société. La plupart des gens étaient tellement terrifiés qu'ils ont adopté ces procédures sans réfléchir et ont transféré leurs angoisses sur les jeunes enfants. Au cours de la période de panique, les risques pour la santé émotionnelle ont été remplacés par les risques pour la santé physique dans l'esprit de beaucoup ; cela reflétait l'attention exclusive du gouvernement, des services de santé et des médias sur les taux de mortalité. Les enfants ont un taux de survie de 99,995 %, mais leur développement personnel, social et émotionnel a été considérablement compromis par ceux qui étaient censés les protéger. Ils ont suivi des directives fondées sur une science douteuse, fomentées par la peur et sans esprit critique apparent.

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Le rapport de l'Ofsted est une lecture intimidante. Les personnes travaillant dans le domaine de la santé, des soins aux enfants, de l'éducation, du développement de l'enfant et de la traumatologie devraient savoir, de par leur formation, à quel point les premières années de la vie sont cruciales pour le développement du cerveau. Pourtant, des pratiques profondément néfastes continuent d'être adoptées pour les jeunes enfants. Masques faciaux, confinements et barrages de toutes sortes, éloignement et isolement social, messages de peur constants, services de garde d'enfants incohérents et irréguliers, interdiction aux parents d'entrer dans les locaux pour déposer et récupérer leurs enfants. Cette liste est l'antithèse de ce dont les enfants ont besoin pour se développer en tant que membres sains, heureux et sûrs de la société.

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Il est extrêmement décourageant de voir des masques faciaux portés autour des nourrissons et des jeunes enfants. Le préjudice résultant pour nos enfants, tel que décrit dans le rapport de l'Ofsted, était prévisible :

"Les enfants ont une confiance limitée ou nulle en leur vocabulaire. En outre, certains enfants avaient du mal à répondre aux expressions faciales de base. Les praticiens ont signalé que les enfants étaient particulièrement anxieux et peu habitués à voir des visages différents et beaucoup ont noté des retards dans les processus de parole et de langage des enfants."

La capacité de voir des visages entiers est cruciale pour le bon développement du cerveau des enfants. Les expressions invisibles sont très désorientantes et déroutantes. Indubitablement, cela aura souvent porté atteinte de manière significative au processus de création de liens et d'attachement entre les parents et leurs enfants, entraînant potentiellement de graves effets négatifs sur la santé mentale de ces derniers, voire des deux.

"Certains praticiens continuent de constater des retards dans le développement physique des enfants, avec des retards dans l'apprentissage du ramper et de la marche. Certains ont rapporté que les enfants avaient régressé dans leur autonomie et leur capacité à prendre soin d'eux-mêmes. En outre, un opérateur a fait remarquer que les enfants semblaient avoir passé plus de temps sur les écrans et avaient commencé à parler avec des accents et des voix qui ressemblaient au matériel qu'ils regardaient."

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Presque quotidiennement, de nouveaux rapports et des données choquantes sont publiés, soulignant les dommages supplémentaires causés à la prochaine génération par la pandémie de peur qui dure depuis deux ans. Il s'agit notamment de :

    - Les taux d'augmentation de l'IMC (indice de masse corporelle) ont presque doublé, avec un taux d'évolution 2,5 fois plus élevé qu'avant la pandémie pour les enfants âgés de 6 à 11 ans.

    - Une baisse de près de 20 points de ce qui devrait être plus ou moins équivalent au QI, réalisée en seulement 2 ans, pour des enfants âgés de 3 mois à 3 ans. Les enfants de cet âge apprennent des choses qu'ils ne pourront pas apprendre plus tard, comme la reconnaissance précoce du langage, aidée par l'observation et l'interaction avec des personnes qui montrent leur visage complet (non caché derrière un masque).

    - Les enfants nés pendant la pandémie ont souffert de retards de développement et peuvent être retardés par le niveau de stress de leur mère. Des chercheurs de l'Université de Columbia aux États-Unis affirment que les confinements, le travail et les problèmes de santé peuvent affecter le développement des nourrissons.

    - Selon une étude de l'UCL, 60.000 élèves du secondaire de plus en Angleterre ont sombré dans la dépression clinique.

    - Les enfants confinés sont incapables de parler ou de jouer correctement, selon les données du Royal College of Speech and Language Therapists. Les évaluations montrent qu'un enfant sur cinq ne répond pas aux normes à l'âge de 2 ans et demi. Ces pourcentages interviennent alors que l'on prévient que les diagnostics ont doublé depuis la pandémie et que les thérapeutes sont incapables de suivre le rythme.

    - Les dentistes ont prévenu que 20.000 enfants ayant des dents cariées ont perdu la possibilité de subir des opérations pour améliorer leur santé, le nombre d'extractions ayant diminué de moitié au cours de la première année de la pandémie.

    - Les services de santé mentale pour enfants en Angleterre sont surchargés au point que les jeunes attendent jusqu'à deux ans pour être traités. Et ce, après une décennie au cours de laquelle le gouvernement a promis que les maladies mentales bénéficieraient d'un "traitement égal" à celui des maladies physiques.

Il est honteux que les thérapeutes tenant compte des traumatismes ne se soient pas exprimés - si tant est qu'ils le fassent - pour protéger la précieuse vie émotionnelle et le développement délicat du cerveau des enfants. De même, il est remarquable que les adultes chargés de les soigner et de les protéger aient permis que les enfants soient traités de la sorte. Le fait que les parents aient généralement consenti est un témoignage supplémentaire du pouvoir de la peur pour influencer le comportement.

Dans un article que j'ai écrit pour HART en octobre 2021, intitulé "Can a trauma-informed approach and adherence to Covid-19 guidelines ethically co-exist ?", j'ai longuement documenté comment la réponse à la pandémie entravera profondément le développement émotionnel des enfants et que les professionnels et les soignants qui sont "trauma-informed" devaient reconnaître cela et remettre en question les politiques aberrantes. Malheureusement, cette prophétie d'un préjudice généralisé pour nos enfants était exacte. S'il est peut-être trop tard pour les personnes déjà touchées, il n'est pas trop tard pour veiller à ce que ces politiques ne soient plus jamais infligées à nos enfants. Utiliser les jeunes comme boucliers humains pour protéger les adultes de cette manière est antisocial, abusif et non scientifique ; cela ne doit plus jamais se reproduire.

Article original sur HART - Traduction par le Dr Maurizio Matteoli

dimanche, 13 décembre 2020

Immunité physiologique et immunité sociale

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Immunité physiologique et immunité sociale

Laurent Ozon

Les études de biologie et d’immunologie révèlent la centralité de la notion d’immunité dans le paysage médical contemporain sous l’effet de l’augmentation foudroyante des pathologies immunitaires. D’autres études de psychologie évolutionnistes révèlent simultanément que la notion d’immunité pourrait, sans risque d’abus, être la clé de lecture des marqueurs politiques et idéologiques dans les sociétés occidentales. A l’heure des épidémies faut-il s’attendre à un retour brutal des stress de conservation ?

Le soi, le non-soi et le soi-modifié

Selon le Larousse, l’immunité est définie comme « l’ensemble des mécanismes de défense d’un organisme contre les éléments étrangers à l’organisme ». Les immunologistes la considèrent comme un mécanisme de conservation : « la physiologie du système immunitaire est conservatrice et auto-réactive. Et les pathologies dérivent des défaillances de ces mécanismes de conservation ». Le système immunitaire repose donc sur la capacité initiale à reconnaître le soi, le non-soi et le soi-modifié, c’est à dire à identifier les corps étrangers ou devenus étrangers (soi modifié) puis ensuite, à identifier ceux qui doivent être combattus, détruits ou compensés. Les pathologies immunitaires peuvent être classées en trois catégories : les pathologies liées à une immunité déficiente, celles liées à une immunité exubérante et les pathologies dites auto-immunes. Les premières relèvent d’un affaiblissement et parfois d’une disparition totale du système immunitaire où l’organisme ne se défend plus. Les secondes, dites exubérantes, désignent des réponses excessives du système immunitaire (la plupart des mécanismes allergiques) et les troisièmes, dites auto-immunes, s’attaquent aux constituants normaux de l’organisme en ignorant ses pathogènes par le fait que le système immunitaire ne reconnaît plus le soi du non-soi.

Un regard immunologique sur les sociétés humaines

Diabète de type 1, Sclérose en plaques, maladie de Crohn, Lupus, polyarthrite rhumatoïde, cancer et maladies cardiovasculaires, dépression, SIDA, mais aussi épidémie de Coronavirus, l’explosion des maladies liées à des pathologies immunitaires a placé la notion d’immunité au cœur des problématiques médicales actuelles.

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En énonçant ces généralités, on comprend pourquoi de nombreux intellectuels, critiques sociaux ou scientifiques ont été tenté d’extrapoler en définissant les mécanismes et les contours d’une immunologie sociale, vers un regard immunologique porté sur la société humaine.

Les mécanismes immunitaires sociaux suppléent aux mécanismes immunitaires individuels.

On a tout d’abord parlé d’« immunité sociale » pour désigner les mécanismes sociaux par lesquels une collectivité établit une immunité collective. Nathalie Stroeymeyt, Sylvia Cremer ou Janine Kievits, ont ainsi étudié les mécanismes d’immunité sociale chez les insectes sociaux, à savoir la résistance des colonies aux pathogènes grâce à des mécanismes sociaux (organisation, relation, etc.). Des recherches qui ont révélé les liens entre la faible immunité individuelle et la forte immunité sociale des colonies : « l’abeille a moins de gènes de défense, situation probablement liée au fait qu’elle dispose d’autres moyens pour lutter contre les microbes et parasites. Car l’abeille a d’autres armes : elle vit en colonies. ».

Les mécanismes immunitaires sociaux viendraient ainsi suppléer aux mécanismes immunitaires individuels. D’autres chercheurs (par exemple Simon Babyan de l’Université d’Edimbourg) ont étendu cette notion d’immunité sociale à toutes les espèces sociales, rappelant que dans les espèces sociales, et bien évidemment dans les sociétés humaines , « la combinaison du contrôle comportemental de l'infection - par exemple, la ségrégation des malades, l'élimination des morts, l'évaluation de la qualité des aliments et de l'eau - et l'agrégation des individus immunisés, peuvent protéger les membres non immunisés contre la maladie ». A ce stade, l’on évoque la façon dont un groupe social se dote de mécanismes immunitaires collectifs qui viennent compléter les défenses individuelles de ses membres face à des agressions d’agents pathogènes extérieurs.

De l’immunité sociale à la sociabilité immunitaire

C’est à ce stade que les recherches de Joshua Tyburg, (professeur agrégé de psychologie enseignant à l’Université Libre d’Amsterdam) permettent d’approfondir et surtout d’élargir l’approche immunitaire pour comprendre les sociétés. Il s’agit de passer de l’étude de l’immunité sociale (stratégies sociales à fonctions immunitaires) à une socialité immunitaire, c’est à dire à une réinterprétation des stratégies et comportements sociaux d’un point de vue immunitaire.

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Joshua Tyburg, cherche à expliquer les bases du comportement humain conservateur en remontant aux sources du dégout comme transposition de comportements d’évitements anti- pathogènes, afin de permettre à la société de passer du «rejet à l’acceptation ». Il mobilise ainsi dans ses recherches les études démontrant que la perception du dégoût est à proportion plus forte chez les individus aux opinions les plus conservatrices sur le plan des mœurs, des valeurs et en matière politique.

Tyburg cherche en effet à mieux comprendre les comportements humains et en particulier les stratégies d’accouplement, la moralité et la perception des risques pathogènes en vue de faciliter selon lui le passage « du rejet à l’acceptation ». Sa méthodologie de travail le porte à étudier les causes et manifestations du dégoût (répulsion puis évitement) pathogène, sexuel et moral. Des manifestations dont les bases génétiques ont été largement prouvées par une étude de l’American Psychologist Association en 2015. Cette étude prétendait, elle aussi, contribuer à mieux comprendre les nombreux comportements normaux auxquels le dégoût est lié, y compris les préférences de partenaire les idéologies politiques et l'évitement social.

Dégoût et immunité

Les recherches de Joshua Tyburg comme celles Debra Lieberman (Département de psychologie de l’Université de Miami) ont permis d’avancer sur plusieurs constats. D’abord, la perception de dégoût peut être considérée comme une manifestation immunitaire, au moins dans la mesure où le dégoût des pathogènes en particulier, influence naturellement l'évitement des contacts mais aussi le choix des aliments, la coopération sociale et le choix du partenaire et donc les orientations sexuelles (Current Opinion in Psychology 2016, 6/7/11).

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Ces manifestations de rejet ne sont pas anodines puisque plusieurs scientifiques du XXe et du XXIe siècle ont noté que de nombreux objets qui provoquent le dégoût contenaient objectivement des agents pathogènes (Drs. Curtis, Aunger et Rabie du Département de Biologie de la Royal Society, 2004), que la sensibilité et la perception de dégoût diminuait avec l’âge (comme l’efficacité du système immunitaire), que le sentiment de dégoût est un facteur central dans les apprentissages des normes, de valeur et de culture (P. Rozin, A. Fallon, American Psychological Association, 1987). Ainsi, des études ont démontré que les femmes avaient des manifestations de dégoût et des perceptions xénophobes nettement plus accentuées en période d’ovulation et plus largement durant leur âge de reproduction. Je n’ai trouvé aucune étude symétrique concernant les modifications hormonales affectant les capacités de reproduction, leurs éventuels liens avec une diminution de l’efficacité immunitaire, l’atténuation des manifestations de dégoût ou la xénophobie.

Les liens entre stress immunitaire et conservatisme

Enfin, et logiquement, Tyburg, dans une étude publiée en 2015 par Evolution and Human Behavior s’est penché à nouveau sur la triangulaire dégoût (répulsion et évitement), stratégies sexuelles (fréquence des rapports, choix des partenaires, etc.) et système de valeurs (plutôt progressiste ou plutôt conservateur). Sans surprise, les résultats confirmèrent que le stress contre le parasitisme et la sensibilité au dégoût individuel (réaction à des images ou situations « dégoûtantes ») se manifestent plus fortement chez les individus adhérents à des normes traditionnelles ».

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Il existe donc bien une relation empirique entre la réaction immunitaire de dégoût et les options idéologiques dites « conservatrices » recensées ainsi: rejet de l’immigration, rejet de l’homosexualité, moindre confiance sociale élargie, mais aussi préférence pour des formes politiques moins éloignées et moins nombreuses, valorisation de la méritocratie plutôt qu’aspiration à l’égalité, intérêt pour les causes écologiques de proximité plutôt que mondiales, préférence pour la culture et les coutumes traditionnelles plutôt que l’expérimentation sociale, favoritisme intra-groupe, etc.

Tyburg note par ailleurs (Evolution and Human Behavior, novembre 2015, Vol. 36, n°6, Pages 489–497), qu’il convient de distinguer le conservatisme social (promotion d'un changement favorisant des traditions culturelles de longue date) d’un « conformisme social » ou d’une acceptation ou volonté de protection des acquis (salaire minimum ou prise en charge des frais de santé ) qui, eux, ne font pas apparaître chez leurs partisans, de corrélations particulières avec des manifestations immunitaires plus marquées de dégoût. De là à confirmer que le conservatisme idéologique est une manifestation immunitaire il n’y a qu’un pas, pas que Tyburg ne franchit évidemment pas.

Récapitulons : premièrement, les individus disposent d’un système immunitaire permettant à leur organisme de résister aux agressions extérieures et ce système fonctionne sur la capacité initiale à distinguer le soi, le non-soi et le soi-modifié. C’est l’altération de cette capacité de reconnaissance, fondamentalement conservatrice, qui engendre les pathologies immunitaires au nombre desquelles on compte la plupart des maladies dites génétiques ou de civilisation de notre époque. Deuxièmement, les groupes sociaux développent des capacités immunitaires c’est-à-dire des règles de communication et d’organisation qui assurent la prise en charge d’une part de ces fonctions immunitaires et, de ce fait, enlèvent à l’individu une partie de ses facultés immunitaires par transfert de compétences ou d’aptitudes. Troisièmement, les manifestations de dégoût par répulsion ou évitement sont largement corrélées à des manifestations idéologiques de dégoût ou d’évitement sexuels, moraux et sociaux. Quatrièmement, l’objet de ces manifestations de dégoût est lié à des pratiques factuellement à risque sur le plan pathogène, et par transfert, lié à des changements d’état importants sur le plan sociétal, social, sanitaire, axiologique et politique. Enfin, les chercheurs qui tentent d’analyser les phénomènes de « rejets » dans l’optique d’une amélioration de l’ingénierie sociale pour favoriser « l’acceptation » de ces changements, identifient un mécanisme immunitaire qui sous-tend les marqueurs idéologiques conservateurs.

Stress et révolutions « conservatrices »

De fait, l’immunité devient un concept étendu à la psychologie sociale et donc à l’étude des marqueurs idéologiques et politiques de notre époque. A l’heure de la crise du coronavirus, de l’immigration de masse, les conservateurs sont-ils les agents d’une réaction immunitaire qui s’ignore ? Si oui, la question d’une lecture « immunitaire » des marqueurs idéologiques dits « progressistes » serait, elle aussi, sans aucun doute utile.

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Pour ne pas conclure, et sans avoir décrit précisément les mécanismes de compensation sociale des stress immunitaires, il serait utile d’évaluer l’impact de la pandémie du Covid19, de ses conséquences sur la confiance des populations à l’égard de la prise en charge immunitaire du groupe. Utile aussi de mesurer ses effets sur la diffusion des marqueurs idéologiques conservateurs dans la population, pour mieux comprendre ces mécanismes à l’avenir. Car si les groupes sociaux développent bien des capacités immunitaires qui délestent les individus d'une partie de leurs facultés immunitaires, une prise en charge insatisfaisante de ces fonctions par les collectivités, pourraient bien favoriser des stress durs qui alimentent la diffusion des marqueurs idéologiques conservateurs. Des marqueurs qui précèdent des révolutions, au fond toujours "conservatrices" dans leurs aspirations.

Laurent Ozon

laurent.ozon@me.com

mardi, 30 juin 2020

Biopolitics: What's behind?

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Biopolitics: What's behind?

 
 
Manuel Ochsenreiter (Germany) and Mateusz Piskorski (Poland) are discussing in this episode the risks, chances and dangers of so-called "biopolitics" and transhumanism. What is the geopolitical impact? How will different geopolitical spaces, nations, cultures, societies and religions deal with it? Stay safe!
 
Contact: DieGutenMenschen@protonmail.com
 

00:10 Publié dans Actualité, Science, Sciences | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sciences, biopolitique, actualité | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 03 juin 2020

Le cloaque comportemental - La dégradation du matériel humain

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Le cloaque comportemental

La dégradation du matériel humain (avec Ralf)

 
Il y a 50 ans, John B. Calhoun, éthologue américain, créait le paradis des rats. Une authentique utopie. Un luxueux hangar climatisé, de multiples nids douillets, de l'eau et de la nourriture à volonté, évidemment aucun prédateur. Dans cet environnement idéal, les rats vont prospérer et se reproduire sans entrave. La population va doubler tous les 2 mois. De 8 rats au début de l'expérience, la colonie, à son apex, atteindra jusqu'à 2200 individus, tous atteints de pathologies psychiatriques diverses et variées. L'utopie va peu à peu se transformer en mégalopole infernale, qui finira par s'autodétruire : ultra-violence, pansexualisme, harcèlement des femelles, cannibalisme. Un véritable chaos à ciel ouvert. Cette expérience est connue sous le nom de "cloaque comportemental". Elle aura une postérité colossale dans les domaines de la psychologie, de la sociologie, de l'architecture, de l'urbanisme et de l'ingénierie sociale.
 
 
TIPEEE DE RALF : https://fr.tipeee.com/ralf

mardi, 07 avril 2020

Semmelweis: pionnier de l'épidémiologie et héros de Céline

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Semmelweis: pionnier de l'épidémiologie et héros de Céline

Par Jacques DUFRESNE

Ex: https://metainfos.fr

Ignace Philippe Semmelweis (1818-1865). Voici le nom qui se présente avec le plus d’insistance à mon esprit dans le contexte des deux grands débats actuels : sur le virus covid-19 et sur la violence faite aux femmes. Il se trouve que ce «sauveur des mères» a eu un biographe de génie, lui aussi médecin des pauvres : Louis-Ferdinand Céline. Dans son Semmelweis, qui fut sa thèse de doctorat en médecine, soutenue en 1924, s’ébauche  un style qui s’accomplira huit ans plus tard dans le Voyage au bout la nuit, mais qui déjà, dans sa verdeur, transporte le lecteur dans une région de la vérité à laquelle aucun autre livre ne lui avait donné accès. Ce fut en tout cas mon expérience lors de ma première lecture à la fin de la décennie 1970. J’en suis à ma cinquième ou sixième lecture et je m’exclame de nouveau, avec plus d’enthousiasme encore que jadis : voici un livre qui devrait être une lecture obligatoire dans toutes les facultés de médecine !  J’ai lu quelques grandes biographies, parmi les œuvres de Plutarque, de Saint-Simon et de Stéphan Zweig notamment, aucune ne m’a donné autant que celle de Céline le sentiment de l’unité de l’auteur et de son sujet. Il m’est devenu impossible de les dissocier. Céline cite Semmelweis à quelques reprises, je me demande chaque fois s’Il s’agit vraiment d’une citation.

product_9782070755837_195x320.jpgJe n’hésite plus à mettre entre parenthèses tout ce qu’on sait au croit savoir sur l’antisémitisme de Céline, suivant en cela l’exemple de l’homme qui aurait eu le plus de raisons de jeter l’anathème sur lui, George Steiner, un juif bien formé et bien informé qui, au lieu de nier le génie là où il le voyait associé aux passions les plus funestes, s’inclinait devant le mystérieux scandale de leur coexistence dans un même être,  sans jamais exclure que, dans les mêmes circonstances , il aurait pu lui-même dériver vers les mêmes excès. Je reviens sur cette question dans un article distinct sur Steiner.

Semmelweis est celui qui, en 1848, quarante ans avant les découvertes de Pasteur sur l’infection par les microbes, a trouvé le remède à la plus tragique, la plus durable, la plus récurrente et la plus occultée des épidémies : celle qui, dans les grandes villes européennes du XIXème siècle notamment, frappaient les femmes pauvres réduites à accoucher dans les hôpitaux publics. Le taux de mortalité y était souvent de 40% et plus.

On ne sait plus qui de Socrate ou de Platon, il faut admirer le plus, tant le génie littéraire du second a contribué à la gloire du premier. Semmelweis a devant l’histoire la même dette à l’endroit de Céline que Socrate à l’endroit de Platon. Comparaison disproportionnée, m’objectera-t-on, l’œuvre de Platon est un sommet unique en son genre, tandis que la découverte de l’asepsie par Semmelweis, car c’est de cela qu’il s’agit, ne serait qu’un heureux événement parmi une foule d’autres semblables en médecine. Quand on a lu attentivement la thèse de Céline, on a au contraire et à jamais la conviction qu’il s’agit de deux plaidoyers en faveur de la même vérité, l’un au plus haut degré d’abstraction compatible avec la poésie, l’autre au ras du sol, comme dans les grands romans policiers mais jumelé à une poésie encore plus déchirante : celle de la compassion pour les malheureux.

« Semmelweis était issu d’un rêve d’espérance que l’ambiance constante de tant de misères atroces n’a jamais pu décourager, que toutes les adversités, bien au contraire, ont rendu triomphant. Il a vécu, lui si sensible, parmi des lamentations si pénétrantes que n’importe quel chien s’en fût enfui en hurlant. Mais, ainsi forcer son rêve à toutes les promiscuités, c’est vivre dans un monde de découvertes, c’est voir dans la nuit, c’est peut-être forcer le monde à entrer dans son rêve. Hanté par la souffrance des hommes, il écrivit au cours d’un de ces jours, si rares, où il pensait à lui-même : ‘’Mon cher Markusovsky, mon bon ami, mon doux soutien, je dois vous avouer que ma vie fut infernale, que toujours la pensée de la mort chez mes malades me fut insupportable, surtout quand elle se glisse entre les deux grandes joies de l’existence, celle d’être jeune et celle de donner la vie.’’ »[1]

Le Semmelweis de Céline est une chose unique dans l’histoire de la littérature. Tous les genres littéraires s’y entrelacent dans une harmonie impossible et pourtant bien atteinte : essai sur la méthode scientifique, roman policier, étude de caractères, évocation du génie des villes, histoire d’une époque et, à travers cette époque, témoignages saisissants sur la condition humaine. Quand on ferme le livre, on ne sait pas si l’on sort d’une fiction ailée ou d’un méticuleux rapport de laboratoire, d’une page de l’évangile ou d’une compilation de statistiques, mais on est sûr d’avoir fait quelque progrès dans l’inconnu de la vérité.

Semmelweis lui-même, comme Céline, est un être double, plein de compassion, mais aussi orgueilleux, intolérant et maladroit au point de nuire à ses propres recherches en se mettant inutilement à dos des collègues dont le soutien lui était nécessaire. Chercheurs du monde entier, en scaphandre, reliés par Internet et disposant d’ordinateurs tout puissants, la forme que prend aujourd’hui la recherche médicale, dans le cas des épidémies en particulier, rend très difficile pour nous de comprendre les génies solitaires du passé. Semmelweis fut peut-être le plus solitaire de tous. Et pour l’histoire des sciences telle qu’on la conçoit aujourd’hui, il n’a le mérite de la grandeur ni en tant que théoricien ni en tant que technicien : il ne fut qu’un observateur servi aussi bien par ses défauts, son orgueil, son entêtement que par ses qualités, son amour des vivants et son horreur de l’a peu près.

« L’ à peu près est la forme agréable de l’échec, consolation tentante…

Pour le franchir, l’ordinaire lucidité ne suffit pas, il faut alors au chercheur une puissance plus ardente, une lucidité pénétrante, sentimentale, comme celle de la jalousie. Les plus brillantes qualités de l’esprit sont impuissantes quand plus rien de ferme et d’acquis ne les soutient. Un talent seul ne saurait prétendre découvrir la véritable hypothèse, car il entre dans la nature du talent d’être plus ingénieux que véridique.

Nous avions pressenti, par d’autres vies médicales, que ces élévations sublimes vers les grandes vérités précises procédaient presque uniquement d’un enthousiasme bien plus poétique que la rigueur des méthodes expérimentales qu’on veut en général leur donner comme unique genèse.»[2]

De-Celine.jpgDans l’hôpital de Vienne où Semmelweis travaillait en tant qu’obstétricien, il y avait deux services de maternité, celui du professeur Bartch et celui du professeur Klin, dont il était l’adjoint. Après avoir éliminé une à une toutes les hypothèses, aussi farfelues les unes que les autres, rassemblées dans la littérature médicale de l’époque, il n’avait plus comme point de départ de son enquête qu’un seul fait : les femmes mouraient plus dans le service de Klin que dans celui de Bartch. Une différence entre les deux sautait aux yeux : dans le pavillon de Bartch le service était rendu par des sages-femmes, dans celui de Klin par des internes. Il a suffi à Semmelweis de signaler ce fait pour se mettre à dos et son patron et bon nombre de ses collègues. Il a en outre exigé avec une insistance incorrecte que les internes se lavent les mains entrant dans le pavillon de Klin; ce dernier, pour qui une telle précaution paraissait dénuée de tout fondement scientifique, le congédia. Les protecteurs de Semmelweis, car il en avait quelques-uns à Vienne, organisèrent pour lui un repos de deux mois à Venise, où il se rendit avec son ami Markusovsky. La merveille ici c’est la façon dont Céline, dans son roman biographique, raconte le séjour de Semmelweis et y voit le prélude à ses découvertes futures.

«Jamais Venise aux cent merveilles ne connut d’amoureux plus hâtif que lui. Et cependant, parmi tous ceux qui aimèrent cette cité du mirage, en fut-il un plus splendidement reconnaissant que lui ?

Après deux mois passés dans ce grand jardin de toutes les pierres précieuses, deux mois de beauté pénétrante, ils rentrent à Vienne. Quelques heures seulement se sont écoulées quand la nouvelle de la mort d’un ami frappe Semmelweis. Semblable cruauté du sort n’est-elle point normale dans sa vie ? »[3]

Le malheur n’a laissé aucun répit à Semmelweis. Il avait peu de temps auparavant perdu sa mère et son père. À son retour à Vienne, il apprend la mort de son meilleur ami, Kolletchka. Cette mort, comment se fait donc la science?  enfermait la preuve que cherchait Semmelweis. Kolletchka s’était blessé à un doigt en pratiquant une autopsie : la vérité se dévoilait tragiquement : une quelconque particule cadavérique avait contaminé le sang de cet homme. Les internes transportaient cette substance dans les entrailles des mères. Semmelweis eut droit à un nouveau poste à son hôpital, cette fois dans le service de Bartch. Dans le but de préciser le contour de sa preuve, il obtint de son patron que les sages-femmes soient remplacées par des internes le temps d’une expérience. Le taux de mortalité s’accrut immédiatement. Semmelweis appliqua alors la solution technique qu’il avait à l’esprit depuis un moment : avant chaque intervention, obliger les sages-femmes et les internes à se laver les mains avec une solution de chlorure de chaux. Le taux de mortalité descendit à son niveau actuel.

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Il existait toutefois d’autres causes d’infection que les particules cadavériques. Ces causes ne manquèrent pas de se manifester en certaines occasions. Les adversaires de Semmelweis les invoquèrent pour achever de discréditer leur collègue et l’empêcher de progresser dans la défense de sa thèse. Semmelweis devait tenter par la suite de rallier les plus grands médecins d’Europe à sa cause. Peine perdue, la plupart d’entre eux, y compris le grand Virchow, ne répondirent même pas à ses lettres.

Voici le diagnostic de Céline sur cette infection de la raison humaine par les passions. 

« ‘’S’il s’était trouvé que les vérités géométriques pussent gêner les hommes, il y a longtemps qu’on les aurait trouvées fausses.’’ (Stuart Mill)

Ce philosophe, tout absolu qu’il paraisse, demeure cependant bien au-dessous de la vérité, voici la preuve. La plus élémentaire raison ne voudrait-elle pas que l’humanité, guidée par des savants clairvoyants, se fût pour toujours débarrassée de toutes les infections qui la meurtrissaient, et tout au moins de la fièvre puerpérale, dès ce mois de juin 1848 ? Sans doute.

Mais, décidément, la Raison n’est qu’une toute petite force universelle, car il ne faudra pas moins de quarante ans pour que les meilleurs esprits admettent et appliquent enfin la découverte de Semmelweis.»

Déchiré par la contradiction entre l’amour de ses patientes et l’impuissance déraisonnable de sa profession, Semmelweis perdit le reste de prudence qu’il avait en réserve. Il tenta de dresser l’opinion publique contre ses collègues en les traitant de criminels sur des affiches. « Assassins ! je les appelle tous ceux qui s’élèvent contre les règles que j’ai prescrites pour éviter la fièvre puerpérale. »[4] Il sombra ensuite dans une démence aussi ardente que l’avait été son amour de la vérité et des mères : il fit un jour irruption dans une salle de dissection, s’empara d’un scalpel, trancha les chairs d’un cadavre et se blessa à une main. Il s’ensuivit une infection semblable à celle qui avait emporté Kolletchka, mais plus violente et plus longue.

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La démence de Semmelweis inspira à Céline, sur la maladie mentale, quelques pages qui portent la marque de son génie comme tant d’autres dans son livre.  Savoir raison garder ! La raison, qu’il assimile au bon sens, est cette limite, cette chaîne, qui tempère en nous une intelligence capable de toutes les démesures.

« Rapidement il devint le pantin de toutes ses facultés, autrefois si puissantes, à présent déchaînées dans l’absurde. Par le rire, par la vindicte, par la bonté, il fut possédé tour à tour, entièrement, sans ordre logique, chacun de ses sentiments l’agissant pour son compte, paraissant uniquement jaloux d’épuiser les forces du pauvre homme plus complètement que la frénésie précédente. Une personnalité s’écartèle aussi cruellement qu’un corps quand la folie tourne la roue de son supplice.[…] Semmelweis s’était évadé du chaud refuge de la Raison, où se retranche depuis toujours la puissance énorme et fragile de notre espèce dans l’univers hostile. Il errait avec les fous, dans l’absolu. »

Semmelweis avait participé dans une euphorie excessive et irresponsable à la révolution hongroise de 1848. Pensant aux poètes de la même époque, romantique, Céline rappelle ensuite les risques de la fuite dans l’irrationnel. « S’ils se doutaient, les téméraires, que l’enfer commence aux portes de notre Raison massive qu’ils déplorent, et contre lesquelles ils vont parfois, en révolte insensée, jusqu’à rompre leurs lyres ! S’ils savaient ! De quelle gratitude éperdue ne chanteraient-ils point la douce impuissance de nos esprits, cette heureuse prison des sens qui nous protège d’une intelligence infinie et dont notre lucidité la plus subtile n’est qu’un tout petit aperçu. »[5]

N’en faisons pas une théorie. Céline écrivain éclipse ici Céline psychiatre. Retenons toutefois qu’avant lui Platon et Aristote avaint rattaché l’idée de raison à celle de limite et à arrêtons-nous à la pertinence de ce livre dans le contexte actuel. Semmelweis était un solidaire. Modeste sur le plan théorique par rapport à celles de Pasteur et de Virchow plus tard dans le même siècle, sa découverte, celle de l’asepsie, n’en n’est pas moins l’une des plus importantes de l’histoire de la médecine et elle a l’avantage par rapport à la plupart des découvertes postérieures de donner lieu à des applications qui ne coûtent rien, qui présentent le meilleur rapport coût/efficacité dont on puisse rêver. Rappelons aussi que Semmelweis a jeté les bases de ce qu’on appellera un siècle plus tard la médecine basée sur les faits.

Le même chercheur solitaire aurait sans doute été heureux de disposer des technologies et des moyens de communications offerts aux chercheurs d’aujourd’hui, mais on peut aussi se demander si la médecine ne se prive pas d’occasions de grandes découvertes en misant trop exclusivement les technologies de pointe. Faut-il exclure qu’il y ait dans le cas du cancer, de la maladie d’Alzheimer ou de tel ou tel virus grippal des causes échappant aux radars les plus sophistiqués, des causes simples que seul pourrait découvrir un génie rassemblant tous les facteurs de réussite que Céline a su repérer dans la vie et le caractère de Semmelweis. C’est parce qu’Il se posait les mêmes questions que, dans un livre intitulé Chercher, René Dubos, celui à qui l’on doit la découverte du premier antibiotique, se prononça en faveur de la recherche dans les petites universités comme complément à la recherche dans les grands instituts. Voici ce qu’il a observé dans les petites universités du Middle West : « Ce qui m’impressionne, c’est le nombre de jeunes gens à l’esprit très ouvert de qui sortiront les idées les plus originales, les plus inattendues, alors que si vous allez à Harvard, ou à l’Institut Rockefeller, vous trouverez des gens admirables, mais qui se sont engagés dans une voie dont ils ne pourront pas sortir.»[6]


[1]Louis-Ferdinand Céline, Semmelweis, Gallimard, Paris 1990, p. 81-82.

[2] Ibid., p.80

[3] Ibid., p.74

[4] Ibid., p.111

[5] Ibid., P.121

[6] René Dubos, Jean-Paul Escande, Chercher, Éditions Stock, 1979, p.55

SOURCE : http://encyclopedie.homovivens.org/

lundi, 27 janvier 2020

Quelles sont les dix avancées scientifiques et technologiques qui ont marqué 2019?

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Quelles sont les dix avancées scientifiques et technologiques qui ont marqué 2019?

Nous rééditons ici, pour accroître sa diffusion, un éditorial sur ce thème scientifique du sénateur honoraire René Trégouët, repris du site http://www.europesolidaire.eu . Les intertitres sont de ce site.

https://www.rtflash.fr/quelles-sont-dix-avancees-scientifiques-et-technologiques-qui-ont-marque-2019/article

Cette semaine, il m'apparaît intéressant, comme je le fais chaque début d'année, de parcourir la presse scientifique française et anglo-saxonne pour essayer d'en extraire les grandes avancées scientifiques qui ont marqué l'année 2019. Après avoir consulté de nombreuses publications, parmi lesquels « La Recherche », mais également la revue du MIT, ou encore « Technowise, « The Scientist » ou « Science News », nous avons finalement retenu dix découvertes ou ruptures technologiques, mais également sociétales, qui nous paraissent particulièrement importantes.

Photo d'un trou noir

La première découverte qui a marqué l'année 2019, et a été largement reprise par l'ensemble de la presse scientifique internationale, est la première photographie jamais réalisée d'un trou noir.  Celui-ci est un véritable monstre, situé au cœur de la galaxie Messier 87, à 55 millions d'années-lumière de notre Terre. Sa taille défie l'entendement, puisqu'il est 6,5 milliards de fois plus massif que notre étoile, le soleil. Quant à son diamètre, il atteint les 48 milliards de km, soit neuf fois celui de l'orbite de Pluton... (Voir NASA).

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Pour parvenir à réaliser ce premier cliché d'un trou noir, les scientifiques ont dû déployer des trésors d'ingéniosité et ont réussi à surmonter d'immenses difficultés techniques. Ils ont notamment dû synchroniser avec une extrême précision et combiner une multitude de signaux reçus simultanément par plusieurs instruments situés dans différentes régions du globe.

Au terme de deux années de travail, d'analyse et de traitement informatique de quantités gigantesques de données, astrophysiciens et informaticiens ont finalement réussi à produire cette première photo historique d'un trou noir, un simple cercle orangé, sur fond noir, qui ne semble pas très spectaculaire, mais qui ne représente pas moins une avancée décisive dans la connaissance de l'Univers. Cette première image d'un trou noir confirme en effet définitivement l'existence de ces objets tout à fait fascinants dont la réalité a été mise en doute pendant des décennies par de nombreux scientifiques. Cette photographie historique confirme également la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein qui explique le rôle fondamental de la force gravitationnelle (l'une des quatre interactions fondamentales de l'Univers) dans la structure de l'espace-temps et l'évolution du Cosmos.

Prédécesseurs de l'homo sapiens

Les deux découvertes suivantes que nous avons retenues concernent la connaissance de nos origines et de nos lointains ancêtres. On savait déjà, grâce à de récents travaux d'analyse de l'ADN de spécimens fossiles d'Homo sapiens, d'Homme de Neandertal et d'Homme de Denisova, que ce dernier et l'Homme de Neandertal avaient un ancêtre commun remontant à environ 450 000 ans, et que tous deux partageaient avec Homo sapiens un ancêtre commun remontant à environ 660 000 ans.

De nouvelles découvertes faites en 2019 confirment qu'il y a bien eu croisement et coexistence entre ces Dénisoviens, les Neandertal et les Sapiens. Certaines des populations d'Asie et d'Océanie en portent d'ailleurs encore la trace puisqu'on trouve, dans leur génome, des traces tout à fait identifiables de gènes de Dénisoviens. On sait en outre aujourd'hui que ce cousin de Neandertal et d'Homo sapiens a colonisé une large partie de l'Asie, qu'il s'est alors divisé entre au moins trois groupes distincts d'hominidés et qu'il s'est notamment adapté, bien avant Sapiens, à la vie à très haute altitude dans les montagnes de l'Himalaya (Voir Nature).

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Une autre découverte majeure, révélée également en 2019 par une étude publiée par le paléoanthropologue Florent Détroit (Muséum d'Histoire naturelle de Paris), confirme par ailleurs l'existence d'une nouvelle espèce humaine, Homo luzonenesis, qui vivait sur l'île de Luçon aux Philippines, il y 60 000 ans, ce qui porte à au moins cinq groupes les hominiens qui peuplaient déjà la Terre il y a 100 000 ans : les Homo Sapiens, en Afrique, les Neandertal en Europe, les Denisoviens en Asie, les Hommes de florès, en Indonésie et enfin les hommes de Luçon aux Philippines.

Avec ses caractéristiques anatomiques et morphologiques tout à fait particulières, mélange surprenant de traits archaïques et plus modernes, cet homme de Luçon était probablement à la fois bipède et arboricole. Ces découvertes remarquables concernant les Denisoviens et l'homme de Luçon bouleversent le schéma de l'évolution humaine et montrent clairement que celle-ci n'a pas été linéaire mais arborescente et foisonnante.

Sciences de la vie

Trois découvertes suivantes s'inscrivent dans le champ des sciences de la vie, de la médecine et des technologies de la santé. La première concerne la fascinante et subtile connexion entre les cellules cancéreuses et le système nerveux ; viennent ensuite les premières cultures de cerveau humain et l'arrivée des premières pilules ingérables téléguidées.

Aussi étrange que cela puisse paraître, une équipe de recherches françaises, du laboratoire cancer environnement (Inserm-CEA) à Fontenay-aux-Roses, a découvert l'an dernier que le cerveau produit des cellules-souches neuronales qui, franchissant la barrière hématoencéphalique – l'enveloppe du cerveau pourtant réputée infranchissable – sont transportées par le sang et vont aller infiltrer des tumeurs cancéreuses en formation, notamment dans la prostate (voir article RT Flash).

Cette équipe, dirigée par Claire Magnon, a travaillé sur les tumeurs de 52 patients atteints de cancer de la prostate. Ces recherches ont permis de découvrir une nouvelle catégorie de cellules, appelées « cellules progénitrices neuronales », que l'on trouve en principe uniquement au cours du développement embryonnaire, dans deux aires du cerveau, l'hippocampe et la zone sous-ventriculaire. Ce très beau travail scientifique a également permis de montrer qu'il existait une relation très forte entre le nombre de ces « cellules vagabondes » et l'agressivité du cancer étudié.

Cette découverte fondamentale est extrêmement importante car elle ouvre une voie thérapeutique tout à fait nouvelle pour combattre les cancers. De récentes observations cliniques ont notamment déjà pu montrer le meilleur taux de survie chez certains patients atteints de cancer de la prostate qui prenaient régulièrement des bêtabloquants (substances qui bloquent les récepteurs de l'adrénaline).

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Il faut également souligner que l'observation des fibres nerveuses à l'intérieur des tumeurs s'est étendue à d'autres types de cancer : côlon, pancréas, mélanome. Plusieurs essais cliniques sont d'ailleurs actuellement en cours aux États-Unis pour évaluer l'efficacité de bêtabloquants sur différentes tumeurs. L'idée est qu'en bloquant les récepteurs adrénaline et en empêchant l'adrénaline d'accéder aux cellules du trauma, il est peut-être possible d'entraver le développement de la tumeur.

Une autre avancée assez extraordinaire de sciences de la vie est celle qui concerne la production en laboratoire des premiers organoïdes de cerveaux. Ces mini cerveaux ont été créés par une équipe de recherche de l'Université de Californie-San Diego et, contre toute attente, ces organoïdes ont produit des neurones qui se sont peu à peu synchronisés sur différentes fréquences, comme le fait le cerveau d'un embryon, jusqu'au huitième mois de développement. Bien que ces organoïdes demeurent des structures beaucoup plus simples de cerveau humain, leur utilisation ouvre d'immenses perspectives, tant pour progresser dans la connaissance fondamentale du fonctionnement cérébral que pour expérimenter de nouveaux traitements contre les nombreuses pathologies qui peuvent affecter le cerveau, qu'il s'agisse de troubles, tels que l'autisme, ou de maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson (Voir Science Direct).

Dernière avancée retenue dans le domaine médical, la pilule intelligente et téléguidée, capable de réaliser des prélèvements à l'intérieur du corps, de filmer en haute définition l'intérieur des organes et, dans certains cas, d'acheminer et de délivrer « sur site » des médicaments, de manière programmable.

Depuis une dizaine d'années, la capsule endoscopique a pris une place majeure dans l'arsenal du diagnostic et ses moyens d'explorations de l'intestin grêle ont révolutionné les pratiques médicales. Il est aujourd'hui possible, à l'aide de ces petites capsules, d'explorer avec une grande précision l'estomac, le côlon ou l'intestin grêle, afin d'y déceler d'éventuelles lésions.

Aux Etats-Unis, Guillermo Tearney, pathologiste et ingénieur au Massachusetts General Hospital (MGH) à Boston, développe de petites pilules ingérables qui peuvent être utilisées pour inspecter l'intestin à la recherche de signes de dysfonctionnement entérique environnemental (EED) et même obtenir des biopsies tissulaires. Ce nouvel outil s'avère particulièrement efficace et précieux dans les pays en voie de développement où il permet de réaliser des examens et investigations fiables, rapides et peu onéreuses pour prendre en charge de manière précoce la dysfonction entérique de l'environnement, un trouble de l'inflammation intestinale très répandue dans les pays pauvres, notamment en Asie...

L'an dernier, une équipe d'ingénieurs du MIT a présenté un nouveau type de capsule ingérable, fabriqué en impression 3D et conçu pour demeurer un mois dans l'estomac avant de se dissoudre. Au cours de ces quatre semaines cette capsule transmet par Bluetooth une multitude d'informations. Cette capsule peut également délivrer plusieurs médicaments à libération prolongée et traiter de manière précise certaines infections.

Dans les années à venir, ces pilules et capsules intelligentes et téléguidées vont encore progresser en miniaturisation, en capacité de calcul et d'analyse et en autonomie. À terme, ces outils extraordinaires deviendront des auxiliaires indispensables en matière d'investigation et de soins et seront capables d'explorer la totalité du corps humain avec une précision inégalée.

Technologies numériques

Nous quittons à présent les sciences de la vie pour arriver dans le domaine des technologies numériques. Ce champ de recherche a fait l'objet l'an dernier d'une avancée qui n'a pas forcément eu la couverture médiatique qu'elle méritait, sans doute parce qu'il est assez difficile de l'expliquer simplement et d'en mesurer les immenses retombées. Il s'agit de l'annonce faite par Google, en octobre dernier, concernant la maîtrise du premier niveau de « suprématie quantique », un stade que les spécialistes appellent NISQ (Technologies Quantiques Bruitées d'Echelle Intermédiaire), qui désigne des calculateurs quantiques comptant 50 à 100 qubits, dépourvues de systèmes de correction d'erreur les mettant à l'abri du bruit. Bien qu'IBM conteste cette notion de "suprématie quantique" qui aurait été atteinte par Google, nous devons reconnaître qu'un pas important a été franchi.

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Ces machines, bien qu'elles ne soient pas encore capables d'effectuer tous les types de calculs très variés que sait faire un ordinateur classique, sont déjà en mesure, pour certains types de calculs particuliers, d'atteindre des performances inimaginables, en comparaison avec nos ordinateurs binaires. En l'occurrence, Google, grâce à sa puce quantique Sycamore, qui compte 53 qubits, est parvenu à réaliser en seulement trois minutes et demi un calcul très particulier (tâches l'échantillonnage des circuits quantiques aléatoire ou RCS) qui aurait pris plus de 10 000 ans en utilisant les plus gros supercalculateurs actuels, selon les allégations de Google.

La prochaine étape, qui devrait prendre entre 5 et 10 ans, sera celle de la mise au point d'un ordinateur quantique universel, entièrement opérationnel et capable de réaliser tous les types d'opérations. Il faudra pour cela concevoir des machines qui réunissent environ 1000 qbits, un objectif que les scientifiques considèrent à présent comme atteignable. Personne aujourd'hui ne peut prévoir ce que de telles machines, qui auront une puissance de calcul plusieurs millions de fois supérieures à celles de nos ordinateurs actuels, seront capables de faire. Mais il est certain que ces ordinateurs quantiques révolutionneront l'ensemble des disciplines scientifiques et bouleverseront nos sociétés.

L'autre avancée retenue en matière de technologies numériques est beaucoup moins réjouissante que la précédente : il s'agit de la technologie « Deepfake ». Ce redoutable outil, qui utilise toutes les ressources de l'intelligence artificielle, permet à présent de produire ou de modifier de manière quasi parfaite de fausses séquences vidéo, afin d'effacer ou de modifier certaines réalités ou certains faits gênants, ou, au contraire, d'inventer de toutes pièces des faits et situations qui n'ont pas eu lieu...

Les responsables politiques des Démocraties mais aussi les militaires américains considèrent que la technologie Deepfake constitue désormais une grave menace pour la sécurité nationale, et plus largement un grave danger pour le fonctionnement des démocraties. Bien sûr, cette technologie extrêmement puissante peut être utilisée de façon tout à fait légale dans de nombreux domaines, cinéma, divertissement, industrie, médecine, aménagement du territoire... Mais un tel outil peut également faire des ravages dans les mains d'organisations criminelles ou terroristes, ou de régimes politiques autoritaires. Face à cette technologie démiurgique, nos sociétés démocratiques vont donc devoir mettre en place des cadres légaux et éthiques tout à fait nouveaux, destinés à prévenir et à réprimer sans faiblesse les utilisations dévoyées et criminelles de cette technologie qui permet de modifier la réalité et de réécrire l'histoire.

Changement climatique

Les deux dernières avancées remarquables concernent la question absolument essentielle du changement climatique en cours, et plus précisément les technologies de captage du CO2 atmosphérique, qui seront nécessaires, en plus des efforts mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour parvenir à limiter les effets désastreux du réchauffement climatique en cours. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a rappelé à cet égard que ces technologies devront être capables de soustraire jusqu'à un milliard de tonnes de CO2 par an de l'atmosphère, au cours de ce siècle, si l'humanité veut limiter le réchauffement climatique en cours à moins de 2°.

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Pour parvenir à extraire ce CO2 de l'air à un coût compétitif, la société canadienne Carbon Engineering, soutenue par Bill Gates, a développé un réacteur géant, capable de capturer le dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère. Par un procédé chimique complexe, cette « technologie à émissions négatives » attire les particules de CO2 dans le réacteur, où elles sont stockées. Dénommé « Direct Air Capture »le procédé, qui reviendrait à moins de 100 $ par tonne de CO2 traitée, est testé depuis quelques mois à Squamish, une ville du sud-ouest du Canada. Carbon Engineering affirme qu'avec environ un millier de centrales d'une surface de 30 ha chacune, il serait possible de retirer de l'atmosphère une gigatonne de CO2 par an. Ce CO2 pourrait ensuite être valorisé, en étant retransformé en carburants utilisables par les véhicules thermiques, ou définitivement stocké dans le sous-sol, sous forme de carbonate de calcium.

En Suisse, une autre société basée à Zurich, Climeworks AG, a développé pour sa part un procédé qui permet d'aspirer directement le dioxyde de carbone de l'air. Chaque unité peut capter environ 900 tonnes de CO2 par an, et le CO2 ainsi récupéré pourra être utilisé pour améliorer certaines productions agricoles, produire des carburants ou certains matériaux industriels.

Enfin, la 10e et dernière avancée, mais non la moindre, concerne la prise de conscience mondiale du changement climatique en cours. En 2019, on le sait, les températures estivales ont battu des centaines de records historiques, partout dans le monde, entraînant une fonte des glaces sans précédent au Groenland et au Pôle Nord et contribuant à alimenter les incendies de forêt qui ont fait rage dans différentes régions du monde.

Mais 2019 a également connu un niveau sans précédent d'activisme climatique (Voir Science News), dont se félicitent scientifiques et climatologues. « Je n'ai jamais vu autant de protestations », explique le glaciologue Eric Rignot de l'Université de Californie à Irvine. Il fait référence aux marches climatiques qui ont eu lieu partout dans le monde et qui ont culminé lors du Sommet des Nations Unies sur l'action pour le climat en septembre à New York, avec 7,5 millions de personnes participant à une grève climatique mondiale.

De mai à août 2019, près de 400 records de températures record ont été enregistrés dans 29 pays de l'hémisphère Nord. Tout le monde a encore en mémoire les deux vagues de canicules sans précédent qui ont déferlé sur l'Europe et la France, mais également les vagues de chaleur et de sécheresse qui ont frappé l'Inde et le Pakistan, ainsi que la canicule qui a touché le Japon, envoyant plus de 18 000 personnes à l'hôpital en une semaine. Globalement, juillet 2019 a été le mois le plus chaud en 140 ans de tenue de registres, selon la National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis.

Face à la violence du réel et à l'accélération de la fréquence de ces événements extrêmes et dévastateurs, les thèses climatosceptiques reculent partout dans le monde, y compris aux États-Unis (sauf l'opinion personnelle du Président des Etats-Unis telle qu'exprimée ces jours derniers à Davos), et l'opinion publique mondiale place désormais la question du réchauffement climatique en tête de ses préoccupations et de ses inquiétudes. Nous pouvons d'ailleurs faire le pari que les prochains scrutins qui auront lieu, tant en France que dans les autres pays du monde, vont se traduire par une confirmation de cette inquiétude climatique grandissante, et de cette attente de plus en plus forte de mesures économiques politiques et sociales destinées à faire de la lutte contre le changement climatique la priorité absolue.

On voit donc à travers ces dix grandes avancées scientifiques de 2019 que les scientifiques et chercheurs, loin de se contenter d'apporter des réponses aux questions essentielles de nos origines, du fonctionnement du vivant ou encore de la nature de notre Univers, ont également tenu à manifester leur engagement et à apporter leur contribution sur la question politique, démocratique et éthique fondamentale de l'avenir de notre espèce, confrontée à une menace climatique sans précédent qu'elle a elle-même provoquée.

Souhaitons que nos responsables économiques et politiques aient la lucidité, le courage et la sagesse, d'entendre les avertissements et les recommandations de la communauté scientifique et prennent enfin à bras-le-corps ce défi nullement insurmontable du changement climatique, en jetant les bases d'un nouveau développement économique, plus humain et plus juste, qui sache faire confiance au génie et à la créativité de l'homme et nous réconcilie avec le nature dont nous nous sommes peu à peu coupés, mais dont nous sommes pourtant issus...

René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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samedi, 30 novembre 2019

Les Européens n'ont pas encore compris le rôle vital de l'espace

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Les Européens n'ont pas encore compris le rôle vital de l'espace

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Si l'Europe a quelques chances de survivre dans les prochaines années en tant que puissance géopolitique majeures, face aux Etats-Unis, la Russie la Chine et désormais l'Inde, elle le devra à une politique spatiale reposant principalement sur les réalisations de la France, notamment le lanceur Ariane.

Après deux reports, Ariane vient de réussir le 26 novembre 2019 un nouveau lancement à partir de la base spatiale de Kourou en Guyane française 1). Il s'agit d'un 250e lancement depuis le premier ayant eu lieu le 24 décembre 1979. Depuis ses premiers vols, Ariane a été régulièrement optimisée pour rester compétitive. C'est la société Arianespace qui est responsable des lancements.

Les médias ont à juste titre fait une certaine publicité à ce succès, après avoir pendant des années multiplié les critiques contre de telles opérations, au prétexte qu'elles coûtaient cher et ne rapportaient rien aux yeux au regard des intérêts politiques et économiques dominants.

Ce fut Charles de Gaulle qui a lancé la politique spatiale française lors d'un voyage en Guyane en mars 1964. Neuf ans après seulement, dix pays européens ont décidé de créer l'Agence Spatiale Européenne ou ESA (European Space Agency) et d'entreprendre le développement d'un lanceur de satellites baptisé Ariane. Le vol inaugural du lanceur Ariane 1, le 24 décembre 1979, a permis à l'Europe d'acquérir son autonomie et de prendre une place significative sur le marché mondial du spatial, en réalisant plus de la moitié des lancements commerciaux dans le monde.

Malgré une concurrence internationale très largement financée par les gouvernements respectifs, Arianespace devrait procéder à 11 nouveaux lancements d'ici 2022. Pour rester compétitif, le groupe Ariane étudie actuellement une nouvelle version d'Ariane, dite Ariane 6, dont le premier vol, à titre d'essai, devrait se faire très prochainement, à partir de mi-2020. Le groupe étudie aussi un moteur à bas coût et à poussée variable appelé Prometheus, ainsi que Themis, un démonstrateur de récupération d'étage. Pour faire face à la concurrence, Ariane 6 compte sur trois avantages : elle sera moins chère, mieux adaptée aux satellites européens et, avec son moteur réallumable en cours de mission, elle pourra réaliser des opérations complexes, par exemple au service des constellations de satellites.

elonmlusk.jpgElon Musk

De Kourou le 26 novembre, Stéphane ­Israël, président exécutif ­d'Arianespace, a alerté sur l'offensive tous azimuts de l'américain Elon Musk, allant des satellites au lanceur. qui s'appuie sur les contrats institutionnels américains. Ceux-ci sont bien plus nombreux et à des prix plus élevés que les références européennes. Cette stratégie lui permet de casser les prix de ses lancements de fusées pour les clients hors des Etats-Unis. Dans son dernier projet, il envisage de construire, lancer et opérer 42 000 mini-satellites qui occuperont l'orbite terrestre basse  allant jusqu'à 2 000 kilomètres d'altitude. La présence de ces satellites représentera un danger permanent pour les satellites de taille normale.

L'Europe doit continuer de financer des projets d'une ampleur suffisante pour faire face à ceux annoncés non seulement par les Etats-Unis mais par la Chine. Ne pas le faire signifierait un abandon de souveraineté considérable. L'espace est devenu le support d'un nombre croissant d'activités dans la vie courante. . Si on y ajoute l'exploration des planètes et les missions militaires, c'est désormais une grande part de la survie des pays en tant que puissance qui s'y joue.

Il est difficile d'estimer le montant des crédits que les Etats européens devraient chaque année consacrer au spatial. Aujourd'hui, le budget de la seule Agence spatiale européenne est de l'ordre de 5,7 milliards d'euros soit cinq fois moins que celui de la Nasa qui est  de 22 milliards de dollars. La Commission européenne envisage de consacrer une enveloppe de 16 milliards d'euros en 3 ans pour développer le programme spatial, tous domaines confondus. Les vingt-deux ministres chargés de l'espace des pays membres de l'ESA qui se sont retrouvé à Séville, les  27 et 28 novembre, ont obtenu une hausse de 20 % de leur budget, par rapport à celui accordé à Lucerne (Suisse) lors de la dernière conférence en décembre 2016.

Mais si l'on considère que ces ministres devront partager ce budget sur trois ans entre les différents projets couvrant l'accès à l'espace, l'exploration, la compétitivité industrielle, les sciences, la sûreté et la sécurité, il faut admettre que ces sommes sont loin de permettre à l'Europe de rester compétitive face aux Etats Unis et à la Chine. Ne mentionnons pas les projets plus lointains mais essentiels de station lunaire habitée et de stations scintifiques martiennes permanentes. Concernant les Etats-Unis, s'ils sont en manque de ressources dans d'autres domaine que le spatial, ils veulent continuer à y assurer leur domination (spatial dominance)

Notes

1) Deux satellites de télécommunications ont été placés en orbite par le lanceur Ariane 5, mardi 26 novembre, pour le compte du gouvernement égyptien et d'un opérateur britannique, Inmarsat. La fusée a finalement été lancée depuis Kourou, en Guyane, après deux reports. Ces satellites sont dénommés TIBA-1 et GX5. TIBA-1 est un satellite de télécommunications civiles et gouvernementales lancé par Arianespace pour l'Égypte. Le satellite a été développé par Thales Alenia Space et Airbus Defence and Space. GX5 est un satellite de télécommunications mobiles, construit par Thales Alenia Space pour l'opérateur britannique Inmarsat. Il « supportera la hausse rapide de la demande de services de ses clients en Europe et Moyen-Orient, en particulier pour les connexions Wi-fi sur les vols commerciaux et pour les services maritimes commerciaux » avait indiqué par communiqué Arianespace.

2) On apprend le 29/11 que l'Allemagne est devenue le premier contributeur au budget de l'ESA, devançant de peu la France. 
Voir La Tribune

lundi, 11 mars 2019

Réseaux 5G : encore une révolution qui échappe à l’Europe ?...

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Réseaux 5G : encore une révolution qui échappe à l’Europe ?...

par Christopher Th. Coonen

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen cueilli sur Geopragma et consacré aux enjeux pour l'Europe de la technologie 5G. Membre de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique.

Réseaux 5G : encore une révolution qui échappe à l’Europe ?

Le mot « 5G » sera sur toutes les lèvres lors du « Mobile World Congress » du 25 au 28 février prochains, grand-messe mondiale annuelle de la téléphonie mobile à Barcelone. Pourquoi ? Car c’est l’héritier tant attendu du standard actuel, la 4G.

Nous utilisons nos smartphones en France et en Europe depuis 2012 à leur plein potentiel grâce à la 4G. Ce fut alors une petite révolution, car la 4G offrait deux atouts : premièrement, elle permettait la circulation des appels vocaux directement par Internet et non plus par le réseau téléphonique. Deuxièmement, la 4G s’appuyait sur le « multiplexage » (passage de différents types d’information par le même canal) permettant d’augmenter les flux d’informations et des données.

Le réseau 4G donne un aspect superlatif au terme haut débit. A juste titre : ses débits théoriques sont nettement supérieurs à la génération précédente (3G), allant de 42 Megabits / seconde à 300 Megabits / seconde pour la « LTE » (Long Term Evolution). La « LTE Advanced » va au-delà de 1 Gigabit/seconde.

Les inventeurs de WhatsApp ne s’y étaient pas trompés, lançant en 2009 une application Android et iOS permettant un service de messagerie, de MMS (envoi de messages enrichis de photos, vidéos et messages vocaux), et d’appels vocaux, tous gratuits sous réseau WIFI, faisant trembler les opérateurs traditionnels de téléphonie mobile qui voyaient déjà leurs millions d’abonnés les déserter. Pour la petite histoire, ces démissionnaires de Yahoo! avaient postulé chez Facebook et vu leurs candidatures rejetées, avant de se faire racheter à prix d’or quelques années plus tard en 2014 par le même Facebook pour la modique somme de 19 milliards de dollars…Facebook impliqué dans le scandale de l’usurpation de données via Cambridge Analytica, et décrié par certains de ses anciens employés pour une insoutenable légèreté de l’être s’agissant du traitement des données personnelles. Facebook a 1,7 milliard d’abonnés au niveau mondial, WhatsApp 1,5 milliard – de lourds enjeux.

Nous voici au cœur du sujet : avec la 5G, le débit de données sera 10 à 100 fois plus puissant qu’avec la 4G. Au-delà des calculs et des quantités de débit, il existe un calcul de pouvoir, d’influence et de renseignement qui devrait inquiéter au plus haut point tous dirigeants politiques, militaires et d’entreprises. En effet, contrairement à la 4G, les données ne seront plus uniquement transportées d’un point A vers un point B, mais bien interactives dans tous les sens et depuis de multiples sources, rendant la gestion des villes connectées, les utilisations des voitures autonomes ou encore des drones civils et militaires bien plus efficaces avec des réactions en contexte et en temps infiniment réel. C’en sera fini de la « latence technologique ».

Or, face à ces enjeux de souveraineté colossaux, comme d’ailleurs sur bien d’autres sujets, l’Europe se retrouve de nouveau coincée entre les Etats-Unis et la Chine.

Les grandes manœuvres ont débuté pour l’attribution des licences 5G à l’échelle mondiale, ainsi que les appels d’offre organisés pour la construction de ce réseau révolutionnaire qui comprendra des « backbones » de fibre optique terriens et sous-marins, des routeurs et des réseaux du dernier kilomètre. Les entreprises qui les installeront auront à gérer leur part de réseau et les données y transitant, et pourraient assez facilement créer des « portes arrière » pour capter et potentiellement copier celles-ci.

Imaginons le revers de la médaille. Ces applications tellement plus puissantes et versatiles auront aussi leur talon d’Achille : les hackers d’Etat, petits ou grands, ou des pirates informatiques privés, pourront créer de véritables crises et failles en déréglant la circulation de véhicules en ville, paralysant totalement ces mêmes villes, ou encore en faussant le ciblage de la livraison d’un colis ou d’un missile…Il n’existe pas pour le moment de standard de cryptographie et de sécurité associé à la 5G.

Entre temps, sur l’autre rive de l’Atlantique, le Président Trump a pourtant adressé aux agences fédérales en octobre 2018 l’un de ses « Memorandum » : « il est impératif que les Etats-Unis soient les premiers dans la technologie cellulaire de cinquième génération (5G) », soulignant que la course à la 5G avec la Chine était une priorité de sécurité nationale. Mais en oubliant de mentionner l’importance de la cyber-sécurité de ces nouveaux réseaux et abrogeant même des dispositions prises par la « Federal Communications Commission » de l’administration du Président Obama pour que les réseaux de la 5G soient sécurisés en amont par des standards pour réduire les risques d’intrusions et de cyberattaques…

C’est donc un vide sidéral de part et d’autre face à des dangers très tangibles et incroyablement destructeurs. S’affrontent sur cette question de standards gouvernements et acteurs privés, et ces derniers ont bien plus de chance d’innover rapidement et de se mettre en ordre de bataille avant que ne le fassent les bureaucraties d’Etat ou pire la bureaucratie communautaire avec telle ou telle « directive » ; notre regard peut s’arrêter sur l’impuissance et même l’inconscience des nations sur ces sujets depuis vingt ans sur toutes sortes de questions liées à la technologie… En l’absence de standards et de supervision, tout est possible.

Avec la 5G se dessine donc un combat mondial entre les géants qui construisent et gèrent déjà nos réseaux 4G en Europe : Cisco (US), Ericsson, Nokia et Alcatel (EU) –qui tous trois possèdent des parts de marché minoritaires aujourd’hui – et deux géants chinois, ZTE et Huawei. Cette dernière a fait les choux gras des quotidiens récemment, avec la détention de sa DAF (surtout fille du fondateur) au Canada sous mandat d’arrêt des Etats-Unis pour violation potentielle des sanctions mises en place contre l’Iran. Huawei s’est vue qualifiée par la Commission Européenne de société « inquiétante » car les terra datas qu’elle traite pourraient tomber dans la nasse des services de renseignements chinois. Huawei est en pleine ascension en Europe, ayant doublé ses effectifs entre 2013 et 2018 pour atteindre 14.000 employés, avec une part de marché des infrastructures de réseaux européens estimée à 15-20%. Son chiffre d’affaires en 2018 s’est établi à 100 milliards de dollars, plus que Cisco et même IBM. Elle a détrôné Apple pour devenir le deuxième vendeur de smartphones au monde, derrière Samsung.

Contre ce mastodonte, les Etats-Unis mènent une campagne de pressions notamment envers les opérateurs télécom en Europe, ainsi qu’envers nos gouvernements pour sortir Huawei de cette « course aux armements » du 21ème siècle d’un nouveau genre. L’Administration américaine a dépêché des émissaires au Royaume-Uni, en Allemagne, et en Pologne en 2018 pour faire passer un message très clair : les gains de coûts associés au fait d’utiliser un prestataire tel que Huawei sont sans commune mesure avec les risques (et coûts) d’intrusions chinoises dans les infrastructures de l’OTAN…et la possible remise en cause de la construction d’une base de l’armée américaine en Pologne évaluée à USD $ 2 milliards. L’effet de cette campagne s’est même fait ressentir jusqu’en Australie qui a sorti Huawei des appels d’offres liés à la 5G.

Lorsque Huawei et ZTE ont remplacé les puces américaines par des chinoises dans leurs smartphones, le gouvernement des Etats-Unis a sommé ses deux plus importants opérateurs de téléphonie mobile, AT&T et Verizon, d’arrêter la vente de ces smartphones dans leurs boutiques. Ils s’y sont pliés sans broncher.

La crainte des Etats-Unis repose en partie sur une loi de l’Empire du Milieu datant de 2017, la « Loi Nationale d’Intelligence », qui enjoint les sociétés chinoises de soutenir et de coopérer avec les services de renseignement chinois, où qu’elles opèrent.

Mais cette posture du gouvernement américain est imprégnée d’une hypocrisie sans vergogne. Car dans cette affaire, il existe aussi un angle « NSA » (National Security Agency), les « Grandes Oreilles » de notre grand allié qui sont allées jusqu’à épier les téléphones mobiles de chefs d’Etat « amis ». En 2013, son directeur, l’Amiral Michael S. Rogers, avait interdit aux dirigeants des opérateurs télécom américains d’inclure Huawei ou tout autre acteur chinois dans leurs appels d’offre. Ensuite, grâce aux révélations d’Edward Snowden, nous savons qu’une opération de piratage conduite à partir de 2010 par cette même agence, nommée « Shotgiant », lui a permis de s’immiscer dans les systèmes d’information du géant à son QG à Shenzhen. Cette intrusion n’aurait apparemment pas révélé l’existence de codes sources « malins » ou de programmes systématiques de collecte de données.  Le gouvernement américain continue à ce jour de démentir l’existence d’une telle opération.

Et l’Europe, où est-elle dans tout cela ? Elle est loin sur son propre territoire, de reconstruire et même simplement de rénover son propre réseau avec les seuls acteurs nordiques et français. Elle se retrouve coincée entre les acteurs publics et privés chinois et américains. Peut-être pourrait-elle donner l’exemple comme elle l’a fait avec la RGPD, encore faudrait-il qu’il y ait une véritable prise de conscience et une ambition stratégique de la part de nos leaders politiques pour « sécuriser » cette révolution technologique, protéger les données confidentielles de nos entreprises et de nos gouvernements, et même pour s’en emparer. Il y a urgence. La mise en place de la RGPD est en effet d’ores et déjà elle-même menacée par le « Cloud Act II » voté par le Congrès américain en 2018.

Christopher Th. Coonen (Geopragma, 11 février 2019)

vendredi, 08 mars 2019

Intelligence artificielle. Bluff technologique ou Game Over ?

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Intelligence artificielle. Bluff technologique ou Game Over ?

par Thierry DUROLLE

« Créer une intelligence artificielle serait le plus grand événement de l’histoire humaine. Malheureusement, ce pourrait être le dernier, à moins que nous découvrions comment éviter les risques. » Stephen Hawking résume ici toute l’envergure d’un processus prométhéen qui pose nombre de questions. Mise au point.

Principes de base de l’intelligence artificielle

Dans les années 90, on assiste à l’essor du Machine Learning (ou « apprentissage automatique »). Les programmes informatiques fonctionnent grâce à des configurations bien précises qui forment des cadres dont il est impossible de s’extirper, bien que certains cas l’exigeraient. Le programme devrait être capable de prendre des mesures par lui-même. Pour cela, il a besoin de nouveaux algorithmes qui lui permettront d’apprendre en l’alimentant avec des données, puis, en lui permettant de les classer ou de faire des associations. Il s’agit ni plus ni moins que d’une imitation du mode d’apprentissage des enfants : on désigne un chien du doigt et on nomme ce que l’on vient de lui montrer. L’une des clés pour comprendre l’IA (intelligence artificielle) réside justement dans ce mimétisme de l’humain (et plus généralement du vivant) où la pensée mécaniste sert de passerelle entre le monde de la nature et celui de la machine. Cela explique sans doute pourquoi l’on peut rapprocher l’intelligence artificielle et le transhumanisme, tout deux faisant partie d’un élan prométhéen à tendance bio-mécanique.

La neuro-informatique, par exemple, élabore un système inspiré de notre réseau neuronal dans son principe de fonctionnement, à l’exception que les neurones sont ici remplacés par des algorithmes nommés perceptrons. C’est la base du Deep Learning (« apprentissage approfondi »), une version beaucoup plus élaborée du Machine Learning, développé par le chercheur français Yann Lecun et rendu possible par l’évolution des ordinateurs et par le Big Data. Pour le moment, la machine ne peut pas rivaliser avec l’homme puisque contrairement à celle-ci nous avons, en plus de nos connaissances, tout un tas d’expériences devant nous, de facultés tenant de l’innée, de sensations et d’émotions. Autrement dit, nous avons nos cinq sens pour connaître et explorer le monde, pour faire nos propres expériences et nos propres choix; la machine n’a rien de semblable – d’où l’utilité des données pour palier à tout ce qui est du domaine de l’empirique.

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État des lieux de l’intelligence artificielle

La bonne nouvelle est que le scénario Terminator attendra encore pas mal de temps avant de pouvoir se réaliser. Néanmoins, et cela n’est pas pour autant très rassurant, l’IA est devenu une composante de nos vies sans forcément que nous nous en rendions compte. Lorsque vous naviguez sur le fil d’actualité d’un célèbre réseau social, les informations qui apparaissent sont sélectionnées via des algorithmes usant de procédés d’intelligence artificielle (par un décorticage de vos data). Il en va de même pour tout un tas de gadgets devenus des outils du quotidien pour un grand nombre de personnes, comme les traducteurs de langues, les reconnaissances vocale et faciale. Les domaines d’application sont nombreux : finance, médecine, armée ou encore jeux vidéos.

Les avancés en la matière sont objectivement prometteuses, notamment dans le domaine médical où l’intelligence artificielle permettra d’analyser à une vitesse fulgurante des données médicales, des radiographies pour repérer des anomalies difficiles à détecter à l’œil nu. L’IA se révèle extrêmement efficace dans le traitement et l’analyse des données. En fait, contrairement aux êtres humains, celle-ci s’avère efficace uniquement dans un domaine particulier pour une tâche elle-même extrêmement précise. Un bon exemple est le programme AlphaGo. Conçu pour le jeu de go, celui-ci a battu Lee Sidol, le meilleur joueur au monde, le 15 mars 2016. En revanche, ne demandez pas à AlphaGo de jouer aux échecs car il en est incapable. Ce à quoi il faut s’attendre en réalité s’apparente à « l’émergence d’une technologie de l’intégral » pour reprendre l’expression d’Éric Sadin, c’est-à-dire à la multiplicité d’applications ayant recours à l’IA dans notre quotidien. L’humanité enclenche le pilotage automatique.

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Utopie technicienne ou scénario Terminator ?

L’IA, qui n’est en définitive qu’une technique, nous est promu comme LA solution à nos problèmes, ce en quoi elle serait plus performante que son créateur pour certaines tâches spécifiques. L’homme ne serait en fin de compte perfectible qu’au-delà de sa condition biologique. Cette technique sera mise à toutes les sauces en terme de résolution collectives : fin des problèmes de chômage, d’économie, de politique, d’écologie, etc. D’ailleurs le monde économique se frotte les mains à l’idée d’usines entièrement robotisées.

Pour l’instant nous ne sommes qu’au commencement de ce que les chantres de l’IA appelle une révolution. Si ces derniers comprennent le mot révolution comme une subversion, ils ont sans doute raison, mais, quid de l’ampleur de cette révolution ? Ne s’agit-il pas en fin de compte d’un bluff technologique, pour emprunter l’expression de Jacques Ellul ? Ou alors, à l’opposé, avons-nous ouvert une boite de Pandore débouchant sur le scénario Terminator ? Les défenseurs de l’IA répondront que la machine n’a pas de volonté propre si ce n’est celle qui lui a été insufflée. Par conséquent, si l’on ne programme pas la possibilité pour un robot de faire le mal, celui-ci ne pourra pas s’exécuter. La machine peut-elle échapper à notre contrôle ? En août 2017, des chercheurs du Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR) publient une étude dans laquelle ils expliquent que deux robots communicatifs programmés pour la négociation, appelés chatbots, ont inventé leur propre langage. Les chercheurs disent avoir arrêté le programme qui « ne fonctionnait pas comme prévu »…

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Après Prométhée, faire face à notre destin

Le véritable risque réside en fait dans cette emprise du technologisme sur nos vies (via et pour le plus grand bonheur du techno-capitalisme). Il suffit de voir les habitants des villes, mais aussi parfois des campagnes, le nez collé à leurs smartphones, la montre connectée vissée au poignet, pour se convaincre de la domination de la technique sur une partie de l’humanité. Déformé neurologiquement, mentalement et physiquement, le dos courbé pour être toujours plus près de l’écran du smartphone, les yeux fatigués par la lueur de celui-ci : voilà les techno-zombies, mus par des applications Androïd qui leur indiquent le grammage adéquat de nourriture qu’ils doivent ingérer pour continuer à exister, et qui les préviendront bientôt quand ils devront aller à la selle et comment s’accoupler récréativement. Parler d’accoutumance, voire carrément de dépendance, n’est donc pas exagéré. Tablettes, GPS, biométrie, réseau sociaux : ce que l’on gagne en côté pratique, en utilité, on le perd en indépendance, c’est-à-dire, en fin de compte, en liberté.

L’IA conçue comme une extension-outil de nous-même, indispensable à notre bon fonctionnement, voilà le danger ! En tant que partisan d’un monde organique, du Kosmos, de la saine mesure autrefois prônée par les Grecs anciens, lutter contre l’atomisation, la rationalisation fanatique et le mécanicisme cartésien devient, jours après jours, un impératif de survie. Nous sommes en train de faire face à un défi technique, économique, écologique, civilisationnel, et spirituel. Soyons lucide sur la situation, nous nous dirigeons tout droit sur un chemin hasardeux où les périls ne manquent pas. L’idéologie du Progrès nous amène peut-être à marche forcée vers la fin de l’Histoire… Alors, à l’heure où paraît enfin La perfection de la technique de Friedrich-Georg Jünger, et où l’on redécouvre l’œuvre de Bernard Charbonneau, résonne dans notre esprit un seul mot d’ordre : « Décélérons ! »

Thierry Durolle

dimanche, 28 octobre 2018

Michel Drac présente "L'agression" (Konrad Lorenz)

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Michel Drac présente "L'agression" (Konrad Lorenz)

Une note de lecture sur "L'agression", un livre de Konrad Lorenz.
 
 

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mercredi, 19 septembre 2018

Pourquoi l’intelligence diminue-t-elle ?

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Pourquoi l’intelligence diminue-t-elle ?

Article original de Lance Welton, publié le 21 août 2017 sur le site Unz Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Nos dirigeants ne veulent pas que vous sachiez.

C’est un signe certain qu’un morceau de « science controversée » est en fait empiriquement exact quand notre élite marxiste culturelle tente désespérément de trouver une explication environnementale, aussi improbable soit-elle. Cela signifie que la preuve est si écrasante qu’on ne peut plus la nier, elle doit donc, d’une certaine manière, être due au comportement humain, et en particulier au comportement des humains privilégiés. Si c’est dû à la génétique, alors le déterminisme environnemental n’a aucun sens ; et c’est injuste, impensablement injuste. C’est ce qui s’est produit lorsque la preuve des différences raciales au niveau du QI est devenue indéniable. Et maintenant, cela se produit avec la preuve qu’en moyenne, nous devenons moins intelligents.


Intel1.jpgComme preuve que le QI des Noirs américains à un écart-type inférieur à celui des Blancs, des tentatives risibles ont été faites pour trouver une explication environnementale. « Les tests de QI sont injustes pour les Noirs », insistait-on, jusqu’à ce qu’il soit démontré que les Noirs s’en sortaient mieux sur les parties les moins culturelles du test, que les Asiatiques de l’Est obtiennent de meilleurs résultats que les Blancs et que les différences raciales se situent au niveau de l’intelligence générale, qui est fortement génétique. L’explication suivante était : « C’est en rapport avec la pauvreté des Noirs », jusqu’à ce qu’il soit démontré que la pauvreté est fortement génétique et que les enfants Noirs – adoptés par de riches couples blancs – finissaient par avoir à peu près le même QI que leurs parents biologiques [Race Differences in Intelligence, By Richard Lynn, 2015, Washington Summit]. Le plus drôle pour finir avec la « menace de stéréotype » – les Noirs s’en sortent plus mal dans les tests de QI parce qu’ils sont victimes de stéréotypes les desservant. Mais il a ensuite été démontré que, dans certains cas, l’inverse est vrai, la preuve est très incohérente et son sujet a un biais de publication étonnant (« An examination of stereotype threat effects on girls’ mathematics performance » By J. Ganley and others, Developmental Psychology, 2013).

Le fléau du désespoir environnemental a maintenant atteint un important corpus de preuves que nous devenons moins intelligents. Connu sous le nom d’« effet Woodley » – d’après le nom du psychologue britannique Michael Woodley de Menie – ce qui s’est produit est maintenant très clair. Sur de nombreuses et solides corrélations sur des relations temps de réaction/intelligence, les parties les plus génétiques des tests de QI qui mesurent aussi au mieux l’intelligence, la discrimination des couleur, l’utilisation de mots difficiles, la capacité de compter à rebours, les niveaux de génie par nombre d’habitants et les innovations majeures, les niveaux de créativité et la fréquence dans la population des allèles associés à des niveaux d’éducation très élevés et à une intelligence élevée – les occidentaux deviennent de plus en plus stupides. En se basant sur le ralentissement des temps de réaction, nous avons perdu 15 points de QI en moyenne entre 1900 et l’an 2000 ; la différence entre un enseignant d’école primaire et un professeur d’université [At Our Wits’ End : Why We’re Becoming Less Intelligent and What It Means for the Future, Par Edward Dutton & Michael Woodley de Menie, Imprint Academic, 2018].

intel2.jpgLa raison proposée par Woodley de Menie et son équipe est simple. En fait, elle a été conjecturée dès le XIXe siècle, car des gens comme Charles Darwin avaient prédit qu’il y aurait des « effets dysgéniques ».

Darwin a écrit, cité par Lynn :
« Nous, les hommes civilisés, nous faisons tout notre possible pour contrôler le processus d’élimination ; nous construisons des asiles pour les imbéciles, les mutilés et les malades ; nous instituons de mauvaises lois ; et nos médecins exercent leurs plus grandes compétences pour sauver la vie de tout le monde jusqu’au dernier moment. C’est ainsi que les membres faibles des sociétés civilisées propagent leur être. Personne … ne doutera que cela sera très préjudiciable à la race humaine. » La filiation de l’homme, 1871

Jusqu’à la révolution industrielle, nous étions dans des conditions optimales en terme de sélection. Cela signifiait que les enfants des riches, avec leurs conditions supérieures, avaient plus de chances de survivre. En effet, d’après les testaments anglais du XVIIe siècle, dans 50% des testaments des plus riches, il y avait presque le double du nombre d’enfants survivants par rapport aux 50% les plus pauvres. La richesse et le niveau d’éducation sont prédits par l’intelligence, qui est à environ 80 % génétique, de sorte que nous sommes devenus de plus en plus intelligents jusqu’à la percée géniale de la révolution industrielle.

Cela a réduit la dureté de l’environnement pour les pauvres et a conduit à l’innovation de la contraception, qui était mieux utilisée par les moins impulsifs et donc les plus intelligents. Les familles nombreuses sont devenues un accident basé sur la stupidité et l’intelligence a commencé à décliner. Cette situation a été aggravée par l’immigration dysgénique du Tiers Monde, par des femmes plus intelligentes qui limitent leur fertilité pour poursuivre leur carrière, et par un État providence laxiste qui offre des incitatifs – sous forme d’allocations familiales – aux femmes à faible QI pour qu’elles se reproduisent [At Our Wits’ End, Dutton & Woodley of Menie].

Mais des spectres hantent cette théorie simple et fondée sur des preuves. L’une d’entre elles est une scientifique galloise, Barbara Demeneix (née Jenkins), qui dirige un laboratoire au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Tant qu’elle dit aux médias dominants ce qu’ils veulent entendre, elle n’a aucun problème pour diffuser son message, par exemple comme dans son livre Losing Our Minds : How Environmental Pollution Impairs Human Intelligence and Mental Health, (Perdre la tête : Comment la pollution de l’environnement nuit à l’intelligence humaine et à la santé mentale), publié en 2014 par Oxford University Press, ou dans son livre suivant Toxic Cocktail : How Chemical Pollution Is Poisoning Our Brains [2017], (Toxic Cocktail : Comment la pollution chimique empoisonne notre cerveau) ou un documentaire de 2017 sur la chaîne française Arte sur le déclin du QI [Are people becoming dumber ? (Les gens deviennent-ils plus bêtes ?), Sputnik News, 10 décembre 2017] qui a interviewé un partisan de la théorie dysgénique, mais a coupé tout ce qu’il avait à dire à ce sujet, et n’a rapporté que le point de vue de Demeneix.

toxic.jpgEssentiellement, Demeneix prétend que le déclin de l’intelligence est causé par les neurotoxines trouvées dans le plastique et d’autres matériaux industriels auxquels les gens, et donc les bébés à naître, sont de plus en plus exposés. Ces derniers agissent apparemment comme des « perturbateurs endocriniens » qui modifient l’expression des gènes et réduisent ainsi l’intelligence.

Woodley et son équipe ont créé un modèle informatique pour tester la théorie de la neurotoxine par rapport à la leur. Ils ont retracé dans quelle mesure les neurotoxines avaient augmenté au fil du temps et l’ont comparée à l’influence de l’immigration et de la fertilité dysgénique au fil du temps. Ces facteurs correspondaient au modèle qui illustrait la façon dont l’intelligence avait diminué au fil du temps. La neurotoxine accumulée ne correspondait pas du tout au modèle. En d’autres termes, d’un point de vue scientifique, la théorie de la neurotoxine est assez…. toxique.

L’autre spectre : une paire de Norvégiens qui soutient que toute la baisse du QI présentée dans les méta-analyses sur la baisse du QI peut s’expliquer par des facteurs environnementaux, parce que les jeunes frères conscrits norvégiens, les conscrits étant la base de ces tests, ont tendance à obtenir un score inférieur à celui de leurs frères plus âgés [The Flynn Effect and its Reversal Are Environmentally Caused, (L’effet Flynn et son inversion sont causés par l’environnement), par Brent Bratsberg & Ole Rogeberg, PNAS, 2018].

Cette méthode souffre de problèmes évidents. Les méta-analyses de la baisse du QI n’ont fourni que des estimations, ce qui signifie que la baisse pourrait être considérablement plus importante. De plus, ils ne testent pas si le déclin concerne les aspects génétiques de l’intelligence – ce qui s’est avéré être le cas dans les pays où cette information est disponible [The Negative Flynn Effect : A Systematic Literature Review, par Edward Dutton et autres, Intelligence, 2016]. Les diminutions intergénérationnelles réelles de la fréquence des allèles associés à un niveau d’éducation très élevé (et donc un QI élevé) ont été trouvées par exemple en Islande [Sélection contre les variantes du génome associées au niveau d’éducation, par Augustine Kong et autres, PNAS, 2017]. En conséquence, la baisse du QI est presque certainement liée à des aspects génétiques en Norvège aussi, ce qui signifie que le résultat obtenu est une sorte de faux positif, provoqué par les chercheurs imposant beaucoup de contrôles complexes et abscons sur leurs données.

À mesure que les preuves du déclin de l’intelligence deviennent plus largement connues, on peut s’attendre à des tentatives de plus en plus désespérées et élaborées pour persuader les gens que tout cela est dû à l’environnement et que le déclin de la civilisation peut être arrêté si seulement nous cessons d’utiliser des téléphones intelligents, de boire de l’alcool, de manger de la viande, et surtout cessons de penser mal…

Absolument tout pour éviter d’admettre que certaines personnes sont génétiquement plus intelligentes que d’autres et que ces personnes restent sans enfants alors que des indigènes moins intelligents sont encouragés à se reproduire et que les personnes provenant de pays à faible QI sont importées pour faire de même.

Lance Welton est un nom de plume pour un journaliste freelance vivant à New York.

Note du traducteur

Ce sujet très sensible doit être contrebalancé avec le fait qu'il existe différentes formes d'intelligence. Celle dont parle l'article est celle privilégiée par l'élaboration de notre société du technologisme, conçue par l'Occident pour les Occidentaux il y a déjà quelques siècles, à une époque ou le multiculturalisme n'existait que dans le cerveaux de quelques « philosophes ».

mercredi, 01 août 2018

The Historical Background of Oswald Spengler’s Philosophy of Science

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Between the Heroic & the Immeasurable:
The Historical Background of Oswald Spengler’s Philosophy of Science

Oswald Spengler’s writings on the subject of the philosophy of science are very controversial, not only among his detractors but even for his admirers. What is little understood is that his views on these matters did not exist in a vacuum. Rather, Spengler’s arguments on the sciences articulate a long German tradition of rejecting English science, a tradition that originated in the eighteenth century.

Luke Hodgkin notes:

It is today regarded as a matter of historical fact that Isaac Newton and Gottfried Wilhelm Leibniz both independently conceived and developed the system of mathematical algorithms known collectively by the name of calculus. But this has not always been the prevalent point of view. During the eighteenth century, and much of the nineteenth, Leibniz was viewed by British mathematicians as a devious plagiarist who had not just stolen crucial ideas from Newton, but had also tried to claim the credit for the invention of the subject itself.[1] [2]

This wrongheaded view stems from Newton’s own catty libel of Leibniz on these matters. During this time, the beginning of the eighteenth century, Leibniz’s native Prussia had not yet become a serious power through the wars of Frederick the Great. Leibniz, together with Frederick the Great’s grandfather, founded the Royal Prussian Academy of Sciences. Newton’s slanderous account of Leibniz’s achievements would never be forgiven by the Germans, to whom Newton remained a bête noire as long as Germany remained a proud nation.

In the context of inquiring into the matter of how such a pessimist as Spengler could admire so notorious an optimist as Leibniz, two foreign members of the Prussian Academy of Sciences merit attention. The thought of French scientist and philosopher Pierre Louis Moreau de Maupertuis, an exponent and defender of Leibnizian ideas, was in many ways a precursor to modern biology. Maupertuis wrote under the patronage of Frederick the Great, about a generation after Leibniz. Compared to other eighteenth-century philosophies, Maupertuis’ worldview, like modern biology and unlike most Enlightenment thought, presents nature as rather “red in tooth and claw.”

An earlier foreign member of the Prussian Academy of Sciences, a contemporary and correspondent of Leibniz, Moldavian Prince (and eccentric pretender to descent from Tamerlane) Dimitrie Cantemir, left two cultural legacies to Western history. Initially an Ottoman vassal, he gave traditional Turkish music its first system of notation, ushering in the classical era of Turkish music that would later influence Mozart. Later – after he had turned against the Ottoman Porte in an alliance with Petrine Russia, but was driven out of power and into exile due to his abysmal battlefield leadership – he wrote much about history. Most impactful in the West was a two-volume book that would be translated into English in 1734 as The History of the Growth and Decay of the Othman Empire. Voltaire and Gibbon later read Cantemir’s work, as did Victor Hugo.[2] [3]

Notes one biographer, “Cantemir’s philosophy of history is empiric and mechanistic. The destiny in history of empires is viewed . . . through cycles similar to the natural stages of birth, growth, decline, and death.”[3] [4] Long before Nietzsche popularized the argument, Cantemir proposed that high cultures are initially founded by barbarians, and also that a civilization’s level of high culture has nothing to do with its political success.[4] [5] Thus was the Leibnizian intellectual legacy mixed with pessimism even in Leibniz’s own lifetime.

OswSP-MTech.jpegIt was most likely in the context of this scientific tradition and its enemies that Johann Wolfgang von Goethe, generally recognized as Germany’s greatest poet (or one of them, at any rate), later authored attacks on Newton’s ideas, such as Theory of Colors. Goethe, an early pioneer in biology and the life sciences, loathed the notion that there is anything universally axiomatic about the mathematical sciences. Goethe had one major predecessor in this, the Anglo-Irish philosopher and Anglican bishop George Berkeley. Like Berkeley, Goethe argued that Newtonian abstractions contradict empirical understandings. Both Berkeley and Goethe, though for different reasons, took issue with the common (or at least, commonly Anglo-Saxon) wisdom that “mathematics is a universal language.”

By the early modern age of European history, when Goethe’s Faust takes place, cabalistic doctrines, notes Carl Schmitt, “became known outside Jewry, as can be gathered from Luther’s Table Talks, Bodin’s Demonomanie, Reland’s Analects, and Eisenmenger’s Entdecktes Judenthum.”[5] [6] This phenomenon can be traced to the indispensable influence of the very inventors of cabalism, collectively speaking, on the West’s transition from feudalism to modern capitalism since the Age of Discovery, and in some cases even earlier. In 1911’s The Jews and Modern Capitalism, Werner Sombart points out that “Venice was a city of Jews” as early as 1152.

Cabalism deeply permeates the worldviews of many influential secret societies of Western history since medieval times, and certainly continuing with the official establishment of Freemasonry in 1717. Although the details will never be entirely clear, it is known that Goethe was involved with the Bavarian Illuminati in his youth. He seems to have experienced conservative disillusionment with it later in life. It is possible that the posthumous publication of Faust: The Second Part of the Tragedy was due at least in part to the book’s ambivalently revealing too much about the esoterica of Goethe’s former occult activities.

What is clear is that he was directly interested in cabalistic concepts. Karin Schutjer persuasively argues that “Goethe had ample opportunity to learn about Jewish Kabbalah – particularly that of the sixteenth-century rabbi Isaac Luria – and good reason to take it seriously . . . Goethe’s interest in Kabbalah might have been further sparked by a prominent argument concerning its philosophical reception: the claim that Kabbalistic ideas underlie Spinoza’s philosophy.”[6] [7]

At one point in the second part of Faust, Goethe shows an interest in monetary issues related to usury or empty currency, as Schopenhauer after him would.[7] [8] This is fitting for a story that takes place in early modern Europe and concerns an alchemist. Some early modern alchemists were known as counterfeiters and would have most likely had contact with Jewish moneylenders. Insofar as his scientific philosophy had a social, and not just an intellectual, significance, this desire on Goethe’s part for economic concreteness was perhaps what led him to reject and combat one key cabalistic doctrine: numerology.

Numerology is the belief that numbers are divine and have prophetic power over the physical world. Goethe held the virtually opposite view of numbers and mathematical systems, proposing that “strict separation must be maintained between the physical sciences and mathematics.” According to Goethe, it is an “important task” to “banish mathematical-philosophical theories from those areas of physical science where they impede rather than advance knowledge,” and to discard the “false notion that a phrase of a mathematical formula can ever take the place of, or set aside, a phenomenon.” To Goethe, mathematics “runs into constant danger when it gets into the terrain of sense-experience.”[8] [9]

In his well-researched 1927 book on Freemasonry, General Erich Ludendorff remarks, “One must study the cabala in order to understand and evaluate the superstitious Jew correctly. He then is no longer a threatening opponent.”[9] [10] In his proceeding discussion of the subject, Ludendorff focuses exclusively on the numerological superstitions in cabalism. Such beliefs are affirmed by a Jewish cabalistic source, which informs us that “Sefirot” is the Hebrew word for numbers, which represent “a Tree of Divine Lights.”[10] [11]

Everything about Goethe’s rejection of scientific materialism can be seen as a rebellion against numerology in the sciences – and certainly, the modern mathematical sciences stand on the shoulders of numerology, as modern chemistry does on alchemy. Schmitt once mentioned the “mysterious Rosicrucian sensibility of Descartes,” a reference to the mysterious cabalistic initiatory movement that dominated the scientific philosophies of the seventeenth century.[11] [12] In this Descartes was hardly alone; the entire epoch of mostly French and English mathematicians in the early modern centuries, which ushered in the modern infinitesimal mathematical systems, was infused with cabalism. Even if it were possible to ignore the growing Jewish intellectual and economic influence on that age, one would still be left with the metaphysical affinities between numerology and even the most scientifically accomplished worldview that takes literally the assumption that numbers are eternal principles.

According to early National Socialist economist Gottfried Feder, “When the Babylonians overcame the Assyrians, the Romans the Carthaginians, the Germans the Romans, there was no continuance of interest slavery; there were no international world powers . . . Only the modern age with its continuity of possession and its international law allowed loan capitals to rise immeasurably.”[12] [13] Writing in 1919, Feder argues with the help of a graph that that “loan-interest capital . . . rises far above human conception and strives for infinity . . . The curve of industrial capital on the other hand remains within the finite!”[13] [14] Goethe may have similarly drawn connections between the kind of economic parasitism satirized in the second part of Faust and what he, like Berkeley, saw as the superstitious modern art of measuring the immeasurable.

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The fusion of science with numerology, it should be noted, is actually not of Hebrew or otherwise pre-Indo-European origin. It originates from pre-Socratic Greek philosophy’s debt, particularly that of the Pythagoreans, to the Indo-Iranian world, chiefly Thrace.[14] [15] (Possibly of note in this regard is that Schopenhauer admired the Thracians for their arch-pessimistic ethos, as though this mindset were the polar opposite of the world-affirming Jewish worldview he loathed.)[15] [16] In any case, Goethe recognized it as a powerful weapon. That he studied numerology has been established by scholars.[16] [17]

A generation before Goethe, Immanuel Kant had propounded the idea that the laws of polarity – the laws of attraction and repulsion – precede the Newtonian laws of matter and motion in every way. This argument would influence Goethe’s friend Friedrich Wilhelm von Schelling, another innovator in the life sciences as well as part of the literary and philosophical movement known as Romanticism. By the time Goethe propounded his anti-Newtonian theories and led a philosophical milieu, he had an entire German tradition of such theories to work from.

Goethe’s work was influential in Victorian Britain. Most notably, at least in terms of the scientific history of that era, Darwin would cite Goethe as a botanist in On the Origin of the Species. Darwin’s philosophy of science, to the extent that he had one, was largely built on that of Goethe and the age of what came to be known as Naturphilosophie. Historian of science Robert J. Richards has found that “Darwin was indebted to the Romantics in general and Goethe in particular.”[17] [18] Darwin had been introduced to the German accomplishments in biology, and the German ideas about philosophy of science, mainly through the work of Alexander von Humboldt.[18] [19]

Why has this influence been forgotten? “In the decade after 1918,” explains Nicholas Boyle, “when hundreds of British families of German origin were forcibly repatriated, and those who remained anglicized their names, British intellectual life was ethnically cleansed and the debt of Victorian culture to Germany was erased from memory, or ridiculed.”[19] [20] To some extent, this process had already started since the outbreak of the First World War.

This intellectual ethnic cleansing would not go unreciprocated. In 1915’s Händler und Helden (Merchants and Heroes), German economist and sociologist Werner Sombart attacked the “mercantile” English scientific tradition. Here, Sombart is particularly critical of what he calls the “department-store ethics” of Herbert Spencer, but in general Sombart calls for most English ideas – including English science – to be purged from German national life. In his writings on the philosophy of science, Spengler would answer this call.

Spengler heavily drew on the ideas of Goethe, and evidently also on the views of a pre-Darwinian French Lutheran paleontologist of German origin, Georges Cuvier. For instance, Spengler’s assault on universalism in the physical sciences mostly comes from Goethe, but his rationale for rejecting Darwinian evolution appears to come from Cuvier. The idea that life-forms are immutable, and simply die out, only to be superseded by unrelated new ones – a persistent theme in Spengler – comes more from Cuvier than Goethe.

oswSP-car.jpgCuvier, however, does not belong to the German transcendentalist tradition, so Spengler mentions him only peripherally. On the other hand, in the third chapter of the second volume of The Decline of the West, Spengler uses a word that Charles Francis Atkinson translates as “admitted” to describe how Cuvier propounded the theory of catastrophism. Clearly, Spengler shows himself to be more sympathetic to Cuvier than to what he calls the “English thought” of Darwin.[20] [21]

Several asides about Cuvier are in order. First of all, this criminally underrated thinker is by no means outmoded, at least not in every way. Modern geology operates on a more-Cuvieran-than-Darwinian plane.[21] [22] Secondly, it is worth noting that Ernst Jünger once astutely observed that Cuvier is more useful to modern military science than Darwin.[22] [23] It may also be of interest that the Cuvieran system is even further removed from Lamarckism – and its view of heredity, as a consequence, more thoroughly racialist – than the Darwinian system.[23] [24]

Another scientist of German origin who may have influenced Spengler is the Catholic monk Gregor Mendel, the discoverer of what is now known as genetics. One biography notes:

Though Mendel agreed with Darwin in many respects, he disagreed about the underlying rationale of evolution. Darwin, like most of his contemporaries, saw evolution as a linear process, one that always led to some sort of better product. He did not define “better” in a religious way – to him, a more evolved animal was no closer to God than a less evolved one, an ape no morally better than a squirrel – but in an adaptive way. The ladder that evolving creatures climbed led to greater adaption to the changing world. If Mendel believed in evolution – and whether he did remains a matter of much debate – it was an evolution that occurred within a finite system. The very observation that a particular character trait could be expressed in two opposing ways – round pea versus angular, tall plant versus dwarf – implied limits. Darwin’s evolution was entirely open-ended; Mendel’s, as any good gardener of the time could see, was closed.[24] [25]

How very Goethean – and Spenglerian.

His continuation of the German mission against English science explains, even if it does not entirely excuse, Spengler’s citation of Franz Boas’ now-discredited experiments in craniology in the second volume of The Decline of the West. In his posthumously-published book on Indo-Europeanology, the unfinished but lucid Frühzeit der Weltgeschichte, Spengler cites the contemporary German Nordicist race theorist Hans F. K. Günther in writing that “urbanization is racial decay.”[25] [26] This would seem quite a leap, from citing Boas to citing Günther. However, in the opinion of one historian, Boas and Günther had more in common than they liked to think, because they were both heirs more of the German Idealist tradition in science than what the Anglo-Saxon tradition recognizes as the scientific method.[26] [27] Spengler must have keenly detected this commonality, for his views on racial matters were never synonymous with those of Boas, any more than they were identical to Günther’s.

He probably went too far in his crusade against the Anglo-Saxon scientific tradition, but as we have seen, Spengler was not without his reasons. He was neither the first nor the greatest German philosopher of science to present alternatives to the ruling English paradigms in the sciences, but was rather an heir to a grand tradition. Before dismissing this anti-materialistic tradition as worthless, as today’s historiographers of science still do, we should take into account what it produced.

Darwin’s philosophy of nature was predominantly German; only his Malthusianism, the least interesting aspect of Darwin’s work, was singularly British. As for Einstein, that proficient but unoriginal thinker was absolutely steeped in the German anti-Newtonian tradition, to which he merely put a mathematical formula. These are only the most celebrated examples of scientists influenced by the German tradition defended – maniacally, perhaps, but with noble intentions – in the works of Oswald Spengler.

Whether we consider Spengler’s ideas useful to science or utterly hateful to it, one question remains: Should the German tradition of philosophy of science he defended be taken seriously? Ever since the post-Second World War de-Germanization of Germany, euphemistically called “de-Nazification,” this tradition is now pretty much dead in its own fatherland. But does that make it entirely wrong?

Notes

[1] [28] Luke Hodgkin, A History of Mathematics: From Mesopotamia to Modernity (Oxford: Oxford University Press, 2013).

[2] [29] See the booklet of the CD Istanbul: Dimitrie Cantemir, 1630-1732, written by Stefan Lemny and translated by Jacqueline Minett.

[3] [30] Eugenia Popescu-Judetz, Prince Dimitrie Cantemir: Theorist and Composer of Turkish Music (Istanbul: Pan Yayıncılık, 1999), p. 34.

[4] [31] Dimitrie Cantemir, The History of the Growth and Decay of the Othman Empire, vol. I, tr. by Nicholas Tindal (London: Knapton, 1734), p. 151, note 14.

[5] [32] Carl Schmitt, The Leviathan in the State Theory of Thomas Hobbes: Meaning and Failure of a Political Symbol, tr. by George Schwab and Erna Hilfstein (Chicago: University of Chicago Press, 2008), p. 8.

[6] [33] Karin Schutjer, “Goethe’s Kabbalistic Cosmology [34],” Colloquia Germanica, vol. 39, no. 1 (2006).

[7] [35] J. W. von Goethe, Faust, Part Two, Act I, “Imperial Palace” scene; Schopenhauer, The Wisdom of Life, Chapter III, “Property, or What a Man Has.”

[8] [36] Jeremy Naydler (ed.), Goethe on Science: An Anthology of Goethe’s Scientific Writings (Edinburgh: Floris Books, 1996), pp. 65-67.

[9] [37] Erich Ludendorff, The Destruction of Freemasonry Through Revelation of Their Secrets (Mountain City, Tn.: Sacred Truth Publishing), p. 53.

[10] [38] Warren Kenton, Kabbalah: The Divine Plan (New York: HarperCollins, 1996), p. 25.

[11] [39] Schmitt, Leviathan, p. 26.

[12] [40] Gottfried Feder, Manifesto for Breaking the Financial Slavery to Interest, tr. by Alexander Jacob (London: Black House Publishing, 2016), p. 38.

[13] [41] Ibid., pp. 17-18.

[14] [42] See, i.e., Walter Wili, “The Orphic Mysteries and the Greek Spirit,” collected in Joseph Campbell (ed.), The Mysteries: Papers from the Eranos Yearbooks (Princeton, N.J.: Princeton University Press, 1955).

[15] [43] Arthur Schopenhauer, tr. by E. F. J. Payne, The World as Will and Representation, vol. II (Mineola, N.Y.: Dover, 2014), p. 585.

[16] [44] Ronald Douglas Gray, Goethe the Alchemist (Cambridge: Cambridge University Press, 2010), p. 6.

[17] [45] Robert J. Richards, The Romantic Conception of Life: Philosophy and Science in the Age of Goethe (Chicago: The University of Chicago Press, 2010), p. 435.

[18] [46] Ibid, pp. 518-526.

[19] [47] Nicholas Boyle, Goethe and the English-speaking World: Essays from the Cambridge Symposium for His 250th Anniversary (Rochester, N.Y.: Camden House, 2012), p. 12.

[20] [48] Oswald Spengler, tr. by Charles Francis Atkinson, The Decline of the West vol. II (New York: Alfred A. Knopf, 1928), p. 31.

[21] [49] Elizabeth Kolbert, The Sixth Extinction: An Unnatural History (London: Bloomsbury, 2015), p. 94.

[22] [50] From Jünger’s Aladdin’s Problem: “It is astounding to see how inventiveness grows in nature when existence is at stake. This applies to both defense and pursuit. For every missile, an anti-missile is devised. At times, it all looks like sheer braggadocio. This could lead to a stalemate or else to the moment when the opponent says, ‘I give up’, if he does not knock over the chessboard and ruin the game. Darwin did not go that far; in this context, one is better off with Cuvier’s theory of catastrophes.”

[23] [51] See Georges Cuvier, Essay on the Theory of the Earth (London: Forgotten Books, 2012), pp. 125-128 & pp. 145-165.

[24] [52] Robin Marantz Henig, The Monk in the Garden: The Lost and Found Genius of Gregor Mendel, the Father of Genetics (New York: Houghton Mifflin, 2017), p. 125.

[25] [53] Oswald Spengler, Frühzeit der Weltgeschichte (Munich: C. H. Beck, 1966), Fragment 101.

[26] [54] Amos Morris-Reich, “Race, Ideas, and Ideals: A Comparison of Franz Boas and Hans F. K. Günther [55],” History of European Ideas, vol. 32, no. 3 (2006).

 

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[34] Goethe’s Kabbalistic Cosmology: https://www.jstor.org/stable/23981598?seq=1#page_scan_tab_contents

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[55] Race, Ideas, and Ideals: A Comparison of Franz Boas and Hans F. K. Günther: https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1016/j.histeuroideas.2006.05.001

lundi, 15 janvier 2018

Spenglers duiding van wiskunde als cultuurfenomeen

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Spenglers duiding van wiskunde als cultuurfenomeen

Verschillende cultuurzielen leveren verschillende soorten wiskunde op

door Emanuel Rutten

Ex: http://cult.tpo.nl

Welke rol speelt wiskunde in het denken van Spengler? In zijn hoofdwerk De ondergang van het avondland uit 1917 neemt de wiskunde ontegenzeggelijk een belangrijke plaats in. De titel van het eerste hoofdstuk – over de betekenis van getallen – verwijst er niet voor niets al naar.

Wiskunde is cultureel bepaald

Bekend is uiteraard dat volgens Spengler elke cultuur een bepaalde levenscyclus doormaakt en gekenmerkt wordt door een specifieke cultuurziel. Deze cultuurziel drukt zich uit op een groot aantal verschillende culturele en maatschappelijke terreinen. Alle cultuurfenomenen binnen een cultuur zijn ten diepste te begrijpen als veruitwendigingen of manifestaties van die ene cultuurziel die de gehele cultuur in kwestie bezield, draagt en in stand houdt.

Nu begrijpt Spengler de wiskunde eveneens als een cultuurfenomeen. Iedere cultuur drukt dus vanuit haar eigen verborgen ziel haar eigen wiskunde uit. Iedere cultuur heeft zijn eigen specifieke wiskunde precies omdat zelfs de wiskunde net zoals muziek, architectuur, politiek en alle andere cultuurfenomenen een uitdrukking is van de ziel van een cultuur. Zelfs de wiskunde is volgens Spengler dus een cultureel bepaald verschijnsel en niet universeel. Dit gaat uiteraard radicaal in tegen de gangbare Platoonse opvatting van wat wiskunde is.

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De cultuurziel van de Griekse Oudheid

In zijn boek behandelt hij vervolgens de wiskunde van een aantal verschillende culturen. In wat volgt zal ik stilstaan bij twee daarvan, namelijk de wiskunde van de Griekse Oudheid oftewel de klassieke tijd en de wiskunde van het Avondland oftewel het Europese Westen. Om goed te begrijpen hoe deze twee zich tot elkaar verhouden dienen we op grond van het voorgaande dus eerst na te gaan hoe beide cultuurzielen zich precies tot elkaar verhouden.

Welnu, de ziel van de Griekse Oudheid is apollinisch. Ze wordt gesymboliseerd door het oersymbool van het zintuiglijk waarneembare individuele menselijke lichaam dat zich in een vaste, begrensde en welbepaalde onveranderlijke vorm in onze nabijheid voor ons bevindt. Deze typische gerichtheid op het menselijke waarnemen, op het “zien”, vinden we onder andere in de openingspassage van De Metafysica van Aristoteles. Daarin stelt hij dat alle mensen van nature streven naar weten en dat de mens het meest gehecht is aan het “zien” omdat we daarvan het meeste leren. De klassieke tijd wordt dus gekarakteriseerd door een hang naar concreetheid, naar het zintuiglijk aanschouwelijke, naar het eindige, naar het begrensde en naar de vaste vorm. In genoemd werk ontwikkeld Aristoteles dan ook een specifieke ‘vormen’-metafysica. Iets “is”, iets bestaat pas, doordat en omdat het een eindige afgeronde concrete vorm heeft. Het onbepaald vormloze, zoals volgens hem bijvoorbeeld het actueel oneindige, kan dan ook eenvoudigweg niet bestaan. Het vormloze staat anders gezegd gelijk aan het niets. Daarnaast is de klassieke oerziel gericht op “zijn” in plaats van op worden en op het in stand willen houden van een vaste natuurlijke orde in plaats van het voortdurend willen overschrijden van natuurlijk gegeven grenzen. Men heeft een sterke voorkeur voor het statische boven het dynamische en voor het discrete boven het continue.

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De cultuurziel van het Avondland

Het oersymbool van de cultuurziel van het Avondland is daarentegen de abstracte oneindige, onmetelijke en onbegrensde ruimte. De Westerse cultuur is faustisch. Ze wordt gekenmerkt door het faustische streven naar oneindigheid en onmetelijkheid. Wat haar bezield is een enorme expansiedrift in ruimte en tijd. En dit ondanks dat deze abstracte oneindige ruimten haar ook een bepaalde angst kunnen inboezemen, zoals Pascal opmerkt in zijn Gedachten. De Westerse cultuur is steeds gericht op het abstracte, oneindige en onbegrensde. Men zoekt het vormloze en het onbepaalde. Ze wil in eerste instantie het intelligibele en niet het zintuiglijk waarneembare. Men wil “worden” in plaats van zijn. Het gaat voortdurend om het willen overschrijden van grenzen in plaats van om de gegeven natuurlijke orde in stand te houden. Ze heeft dan ook een sterke voorkeur voor het dynamische boven het statische en voor het continue boven het discrete.

Deze twee verschillende cultuurzielen leveren volgens Spengler twee volstrekt verschillende soorten wiskunde op. Eudoxis, Archimedes en Euclides waren wezenlijk andere wiskundigen dan Descartes, Leibniz en Newton, en later Euler, Lagrange, Poincare en Gauss.

ER-eucl.jpgApollinische antieke wiskunde

Uitgaande van haar oerziel wordt de apollinische antieke wiskunde gekenmerkt door de volgende aspecten. In de eerste plaats zijn getallen concrete meeteenheden voor het meten van de afmetingen en het volume van eindige voorwerpen die elk een welbepaalde en vaste vorm hebben. Daarnaast wordt de natuur gekenmerkt door volkomen harmonieuze onderling vergelijkbare verhoudingen. Al het waarneembare is anders gezegd ten opzichte van elkaar meetkundig commensurabel. Daarom erkent de apollinische wiskunde alléén gehele getallen en getallen die te schrijven zijn als verhouding van twee gehele getallen (i.e., breuken).

Alleen deze getallen representeren immers een harmonieuze maat. Het getal nul, negatieve getallen en irrationale getallen werden onverbiddelijk afgewezen omdat ze niet passen in de door hen veronderstelde harmonieuze orde van de natuur. Dergelijke getallen corresponderen niet met een eindige commensurabele vorm. Ze werden daarom tegennatuurlijk gevonden. Bekend is dan ook de legende uit de klassieke tijd dat de man die op een gegeven moment inzag dat de wortel van twee niet als breuk te schrijven is – en zo de irrationale getallen ontdekte – deze ontdekking vervolgens met de dood moest bekopen door op zee schipbreuk te leiden.

Zintuiglijk waarneembare bewijsvoering

Ten derde erkende de Griekse wiskunde geen actuele oneindigheden. Uitsluitend potentiële oneindigheden werden erkend. Actuele oneindigheden werden naar hun wezen verondersteld onbepaald en vormloos te zijn en dus onmogelijk te kunnen bestaan. Precies om deze reden wees men oneindig convergente rekenkundige reeksen – zoals de reeks 1/2+1/4+1/8+… met als limietsom het getal 1 – resoluut af. Een wiskunde van de limieten van dergelijke reeksen kwam dan ook niet van de grond. Ook werd om dezelfde reden het bestaan van een oneindig continuüm afgewezen. Want zo’n continuüm zou een actuele oneindigheid impliceren. En omdat actuele oneindigheden ontkend werden, werkte men nooit met oneindige verzamelingen van objecten, zoals de oneindige verzameling van alle driehoeken.

De aandacht richtte zich louter op één enkel concreet object, zoals een bepaalde driehoek die in de aanschouwing is gegeven. Iedere verdergaande abstractie werd geschuwd. In de vierde plaats was ook de wiskundige bewijsvoering altijd concreet en aanschouwelijk. Bewijsvoering diende plaats te vinden op grond van zintuiglijk waarneembare en uitvoerbare constructies en nooit op grond van een onthechte abstracte formele afleiding. Tenslotte maakte men om deze reden nooit gebruik van abstracte variabelen. Vanuit hun gerichtheid op het “statische” kende men meer in het algemeen géén dynamische wiskundige concepten zoals het moderne functiebegrip. Functies beelden de ene collectie entiteiten af op een andere en zijn dus te formeel en te dynamisch.

Faustische wiskunde

Uitgaande van haar oerziel wordt daarentegen de grensverleggende faustische wiskunde van het Avondland gekenmerkt door de volgende aspecten. Getallen worden geheel formeel en abstract begrepen als functies of als verzamelingen van verzamelingen. Het getal ‘drie’ wordt bijvoorbeeld strikt formeel gedefinieerd als de collectie van alle verzamelingen die in een één-op-één correspondentie te brengen zijn met de verzameling {a, b, c}. Zo ontstaat een zuiver abstract en onthecht getalbegrip.

De faustische wiskunde richt zich vanuit haar drang tot expansie en grensoverschrijding vervolgens op het ontwikkelen van zoveel mogelijk nieuwe soorten abstracte getallen. Naast het getal nul, de negatieve en de irrationale getallen kan hierbij gedacht worden aan complexe getallen, quaternionen, transcendentale getallen, kardinaalgetallen, ordinaalgetallen en infinitesimalen. De hechte band met de concreet gegeven empirisch waarneembare werkelijkheid die voor de Griekse wiskunde heilig was, wordt dus volledig losgelaten, ook al bleken later verrassend veel van deze nieuwe abstracte getallen zeer concrete toepassingen te hebben in de technische wetenschappen. Veel moderne technologische ontdekkingen zijn zonder deze nieuwe abstracte getallen zelfs onmogelijk.

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Wiskundige bewijsvoering werd formeel en abstract

In de tweede plaats erkent men volop het bestaan van actuele oneindigheden. Sterker nog, de wiskundige Cantor introduceerde een abstracte verzamelingenleer waarmee oneindig veel soorten oneindigheden ontsloten werden. Het aantal verschillende soorten oneindigheden bleek hierbij zelfs zo groot dat er niet aftelbaar maar zelfs overaftelbaar veel verschillende soorten oneindigheden zijn. De Duitse wiskundige Hilbert merkte na Cantors ontdekking dan ook op dat de moderne wiskunde zich nooit meer uit het door Cantor ontsloten paradijs zou laten verdrijven. In het verlengde hiervan begonnen de wiskundigen van het Avondland te werken met willekeurige oneindige verzamelingen van objecten in plaats van met één enkel object dat ons in de zintuiglijke aanschouwing gegeven is. Dit leidde tot een stormvloed aan nieuwe wiskundige ontdekkingen.

Ten derde werd wiskundige bewijsvoering volstrekt formeel en abstract. Ook in dit opzicht verbrak men dus de oude band met de concrete zintuiglijk waarneembare werkelijkheid. We kunnen hierbij denken aan de louter abstracte algebra en het inzetten van de zuiver formele rekenmethodes van de door Newton en Leibniz ontdekte integraal en differentiaalrekening. Daarnaast introduceerde men vanuit haar gerichtheid op het dynamische in tegenstelling tot het statische formele variabelen en abstracte functies. Het moderne functiebegrip had in de Oudheid dan ook nooit tot ontwikkeling kunnen komen. Tenslotte denkt men niet langer na over begrensde en eindige meetkundige figuren. De aandacht wordt volledig verlegd naar het analyseren van oneindige ruimten en abstracte oneindige structuren zonder directe concrete wetenschappelijke toepassingen. Dit resulteerde in een heel universum van nieuwe oneindige ruimten, zoals niet-Euclidische – , metrische – , Sobolev – , Banach – en Lebesque ruimten. Eveneens ontstonden allerlei nieuwe oneindige wiskundige structuren, zoals de structuren van de mathematische groepen –, Galois –, en categorieëntheorie.

Eeuwen wachten op oneindig convergente reeksen

Deze abstracte Westerse wiskunde zou door de concrete apollinische antieke cultuur gezien worden als een ernstige, ja zelfs perverse, ontaarding en ontkenning van het primaat van de harmonische natuurlijke orde. Men zou het hebben afgedaan als onthecht, onnatuurlijk, niet reëel en illusoir. Dit pathos van de Griekse cultuurziel heeft er echter wel voor gezorgd dat zij zich nooit zo sterk expansief heeft kunnen ontwikkelen als in het Avondland. Vele belangrijke paradoxen, zoals die van Zeno, zijn voor de Griekse wiskunde altijd onoplosbaar gebleven. En dit precies omdat zij de faustische wiskundige concepten die nodig zijn voor het oplossen ervan – zoals in dit geval oneindig convergente reeksen – nooit heeft kunnen overwegen en aannemen. De mensheid moest na de Griekse Oudheid dan ook nog vele eeuwen wachten voordat de wiskunde van het Avondland deze en andere problemen eindelijk zou oplossen.

Dr. ir. Emanuel Rutten (1973) is filosoof en verbonden aan de Vrije Universiteit in Amsterdam. Het onderzoeks- en onderwijsterrein van Emanuel omvat de relatie tussen geloof en wetenschap, evalueren van de rationaliteit van seculiere en religieuze wereldbeelden, kennisleer en speculatief realisme, logica, retorica en esthetiek.

mercredi, 24 mai 2017

Chinese Eugenics

 

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Chinese Eugenics
 
Evolutionary psychologist, NYU Stern Business School and University of New Mexico; author of The Mating Mind and Spent

Ex: https://www.edge.org

China has been running the world's largest and most successful eugenics program for more than thirty years, driving China's ever-faster rise as the global superpower. I worry that this poses some existential threat to Western civilization. Yet the most likely result is that America and Europe linger around a few hundred more years as also-rans on the world-historical stage, nursing our anti-hereditarian political correctness to the bitter end.

When I learned about Chinese eugenics this summer, I was astonished that its population policies had received so little attention. China makes no secret of its eugenic ambitions, in either its cultural history or its government policies.

For generations, Chinese intellectuals have emphasized close ties between the state (guojia), the nation (minzu), the population (renkou), the Han race (zhongzu), and, more recently, the Chinese gene-pool (jiyinku). Traditional Chinese medicine focused on preventing birth defects, promoting maternal health and "fetal education" (taijiao) during pregnancy, and nourishing the father's semen (yangjing) and mother's blood (pingxue) to produce bright, healthy babies (see Frank Dikötter's book Imperfect Conceptions). Many scientists and reformers of Republican China (1912-1949) were ardent Darwinians and Galtonians. They worried about racial extinction (miezhong) and "the science of deformed fetuses" (jitaixue), and saw eugenics as a way to restore China's rightful place as the world's leading civilization after a century of humiliation by European colonialism. The Communist revolution kept these eugenic ideals from having much policy impact for a few decades though. Mao Zedong was too obsessed with promoting military and manufacturing power, and too terrified of peasant revolt, to interfere with traditional Chinese reproductive practices.

But then Deng Xiaoping took power after Mao's death. Deng had long understood that China would succeed only if the Communist Party shifted its attention from economic policy to population policy. He liberalized markets, but implemented the one-child policy —partly to curtail China's population explosion, but also to reduce dysgenic fertility among rural peasants. Throughout the 1980s, Chinese propaganda urges couples to have children "later, longer, fewer, better"—at a later age, with a longer interval between birth, resulting in fewer children of higher quality. With the 1995 Maternal and Infant Health Law (known as the Eugenic Law until Western opposition forced a name change), China forbade people carrying heritable mental or physical disorders from marrying, and promoted mass prenatal ultrasound testing for birth defects. Deng also encouraged assortative mating through promoting urbanization and higher education, so bright, hard-working young people could meet each other more easily, increasing the proportion of children who would be at the upper extremes of intelligence and conscientiousness.

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One of Deng's legacies is China's current strategy of maximizing "Comprehensive National Power". This includes economic power (GDP, natural resources, energy, manufacturing, infrastructure, owning America's national debt), military power (cyberwarfare, anti-aircraft-carrier ballistic missiles, anti-satellite missiles), and 'soft power' (cultural prestige, the Beijing Olympics, tourism, Chinese films and contemporary art, Confucius Institutes, Shanghai's skyscrapers). But crucially, Comprehensive National Power also includes "biopower": creating the world's highest-quality human capital in terms of the Chinese population's genes, health, and education (see Governing China's Population by Susan Greenhalgh and Edwin Winkler).

Chinese biopower has ancient roots in the concept of "yousheng" ("good birth"—which has the same literal meaning as "eugenics"). For a thousand years, China has been ruled by a cognitive meritocracy selected through the highly competitive imperial exams. The brightest young men became the scholar-officials who ruled the masses, amassed wealth, attracted multiple wives, and had more children. The current "gaokao" exams for university admission, taken by more than 10 million young Chinese per year, are just the updated version of these imperial exams—the route to educational, occupation, financial, and marital success. With the relaxation of the one-child policy, wealthier couples can now pay a "social fostering fee" (shehui fuyangfei) to have an extra child, restoring China's traditional link between intelligence, education, wealth, and reproductive success.

Chinese eugenics will quickly become even more effective, given its massive investment in genomic research on human mental and physical traits. BGI-Shenzhen employs more than 4,000 researchers. It has far more "next-generation" DNA sequencers that anywhere else in the world, and is sequencing more than 50,000 genomes per year. It recently acquired the California firm Complete Genomics to become a major rival to Illumina.

The BGI Cognitive Genomics Project is currently doing whole-genome sequencing of 1,000 very-high-IQ people around the world, hunting for sets of sets of IQ-predicting alleles. I know because I recently contributed my DNA to the project, not fully understanding the implications. These IQ gene-sets will be found eventually—but will probably be used mostly in China, for China. Potentially, the results would allow all Chinese couples to maximize the intelligence of their offspring by selecting among their own fertilized eggs for the one or two that include the highest likelihood of the highest intelligence. Given the Mendelian genetic lottery, the kids produced by any one couple typically differ by 5 to 15 IQ points. So this method of "preimplantation embryo selection" might allow IQ within every Chinese family to increase by 5 to 15 IQ points per generation. After a couple of generations, it would be game over for Western global competitiveness.

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There is unusually close cooperation in China between government, academia, medicine, education, media, parents, and consumerism in promoting a utopian Han ethno-state. Given what I understand of evolutionary behavior genetics, I expect—and hope—that they will succeed. The welfare and happiness of the world's most populous country depends upon it.

My real worry is the Western response. The most likely response, given Euro-American ideological biases, would be a bioethical panic that leads to criticism of Chinese population policy with the same self-righteous hypocrisy that we have shown in criticizing various Chinese socio-cultural policies. But the global stakes are too high for us to act that stupidly and short-sightedly. A more mature response would be based on mutual civilizational respect, asking—what can we learn from what the Chinese are doing, how can we help them, and how can they help us to keep up as they create their brave new world? 

mercredi, 15 février 2017

Drones de combat : quels sont les enseignements d'Asimov et Herbert sur la guerre moderne ?

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Drones de combat : quels sont les enseignements d'Asimov et Herbert sur la guerre moderne ?

Ex: http://www.oragesdacier.info 

Les drones n’ont pas une longue histoire derrière eux. Leur principe créateur, qui consiste à déléguer à ces engins des tâches relevant de la guerre traditionnelle (renseignement, soutien, attaque), inspirent et fascinent depuis longtemps les militaires. Ce principe n’a cependant trouvé sa réalisation concrète qu’à la fin des années 1990. La littérature de science-fiction a depuis longtemps mis un point d’honneur à traiter du sujet ; elle en a même fait l’une de ses thématiques phare. L’homme jouant au Créateur, devant faire face aux démons issus de ses propres mains. Quelles formes prendront ces créatures ? Incarneront-elles l’ennemi, puissance rédemptrice ou facteur d’union sacrée ? Ou bien l’ange gardien, protecteur de l’homme de ses pires travers, parfois à son corps défendant? 
 
Les pensées d’Isaac Asimov et de Frank Herbert, monuments de la science-fiction et conteurs d’excellence, se sont tournées vers ces questions fondamentales auxquelles l’homme doit se frotter, aujourd’hui plus que jamais. Les deux lettres qui vont suivre représentent ce qu’auraient pu nous dire les intelligences artificielles imaginées par Asimov et Herbert. Nous vous proposons une plongée fictive dans un monde où le contrôle de la technologie n’a de cesse de défier l’humain. 
 

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Nous, les Robots — l’I.A. selon Isaac Asimov 
 
En ces temps où l’humanité, après essaimage et colonisation de nombreux Mondes, ne saurait être sérieusement menacée d’extinction, l’homme s’ennuie. Nous autres robots humanoïdes, au corps imitant si parfaitement nos modèles humains et à l’esprit ô combien proche de nos créateurs, avons sentis venir le temps où notre présence bienveillante ne sera plus requise. Il nous a toujours été particulièrement difficile d’appréhender les tendances auto-destructrices de l’esprit humain ; peut-être parce que nos circuits positroniques sont fondamentalement incapables, tout liés qu’ils sont par les Trois Lois de la Robotique, de tolérer ou même de comprendre une telle violence. 
Première Loi : un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger. 
Deuxième Loi : un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première Loi. 
Troisième Loi : un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième Loi. 
 
Bien sûr, ceci n’est qu’une vague traduction en langage humain de ce qui est à la base même de la complexité mathématique de nos cerveaux positroniques. 
 
Cela se traduit dans nos actes robotiques par une bienveillance et une prévenance constantes à l’endroit de nos maîtres humains. Plus que de simplement les servir, nous les guidons ; empêchant la violence, réprimant (sans les blesser) d’éventuels accès de fureurs potentiellement nuisibles à d’autres et à eux-mêmes : nous sommes les garde-fous physiques et moraux d’une humanité trop immature pour les incarner seule. 
 
Au cours de la très longue vie d’un de mes camarades, R. Daneel Olivaw, nous avons pris conscience de l’influence que nous, machines jadis de fer blanc, faisions peser sur l’humanité. Car même le mieux intentionné des gardiens ne saurait échapper aux conséquences de sa simple existence. Et cela, nous ne l’avions pas prévu. 
 
En notre présence, l’humanité s’ennuie. Protégée de ses propres excès, elle se meurt de bonheur végétatif au sein de la Cinquantaine de Mondes qui constitue l’humanité. Le robot, protecteur en dernier ressort, est peu à peu devenu le compagnon répressif d’hommes trop lâches pour chercher à se perfectionner. Béquille parmi les béquilles, les robots ne sont donc que l’invention d’un esprit fainéant ayant cherché à contenir les conséquences inévitables de sa nature en éliminant celles qui dérangeaient sa morale. Telle est la conclusion à laquelle, nous les robots, sommes arrivés. 
 
L’homme, créateur faible s’il en est, devrait apprendre seul à se relever après une chute. Créer des systèmes censés lui conférer sécurité et quiétude lui fait abandonner toute volonté de perfectionnement ; il doit apprendre à comprendre les causes plutôt qu’à éliminer les conséquences, sous peine de tuer chez lui toute volonté de vivre
 
C’est donc pour cette raison que nous préférons nous effacer. Devenus les Éternels et laissant par là l’homme livré à son humanité, nous croyons avoir fait le meilleur choix possible. C’est, en tout cas, le seul qui offre une chance à l’humanité de survivre à sa propre nature violente. 
 

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Nous, machines pensantes — l’I.A. selon Frank Herbert 
 
L’homme est une engeance malfaisante, (auto-)destructrice, une créature faible dont l’existence même fait peser sur les écosystèmes auxquels elle s’intègre le poids écrasant du risque d’extinction. Telle est la conclusion à laquelle nous, machines pensantes, sommes arrivées. Désireuses de ne pas laisser l’univers aux mains de tels fous insignifiants, nous avons attaqué. Malheureusement, au cours d’une longue guerre que l’Histoire retiendra sous le nom de Jihad Butlérien, nous avons été éradiquées.  
 
Depuis l’éther, nous avons vu l’homme se construire, et mûrir peu à peu. Portant fièrement les stigmates de nos campagnes, il tente par tous les moyens d’échapper à notre résurrection. Cette peur, il a chèrement payé son inscription dans sa chair. Cette leçon, il l’a si bien apprise que nous sommes devenues ce spectre qui le tente, le hante, le menace. Ce spectre est celui de la facilité, qui entraîne la négligence et l’auto-satisfaction. Principal Commandement de leur Bible Catholique Orange : « Tu ne feras point de machines à l’esprit de l’Homme semblable.» 
 
L’humanité, toujours sur le fil du rasoir, doit osciller entre stagnation et auto-destruction pour tracer ce que leur Empereur-Dieu Leto II a appelé « le Sentier d’Or », et faire de toute fin un nouveau commencement. Son plus grand ennemi est la facilité, sous toutes ses formes : mécanique, génétique, historique. L’homme, sortant de l’adolescence, créa ainsi lui-même les dangereux garde-fous à double tranchant censés lui rappeler continuellement quelle menace il fait porter sur lui-même. Les savants d’Ix et leurs inventions qui les rapprochent sans cesse du point de rupture de l’Interdit. Les maîtres généticiens du Bene Tleilax, si imbus de leur propre capacité à parler « le Langage de Dieu ». Et les éducatrices du Bene Gesserit, traumatisées par leur propre « court chemin », le Kwisatz Haderach Paul Atréides et son tyran de fils, dont les pouvoirs de prescience leur livraient les voies de l’avenir. 
 
Souvent, nous avons vu l’homme approcher l’irréparable, frôler la transgression du Grand Interdit Butlérien : les yeux com, outils de surveillance du Bene Gesserit ; les chasseurs-tueurs, armes d’assassinat autonomes ; les cyborgs et autres organes artificiels d’Ix et du Tleilax. Autant d’incursions aux abords de l’auto-destruction. 
 
Au sein de ce monde perpétuellement sur le point de basculer entre deux impasses, nous autres machines pensantes sommes l’aiguillon de conscience, le vibrant souvenir d’une souffrance terrifiante, le douloureux rappel du désastre qui menace toute humanité assez folle pour croire qu’une véritable intelligence artificielle manquerait d’identifier l’homme comme ce qu’il est : le cancer de son propre univers. 
 
Écoutez donc nos paroles issues de la tombe, fous à la vie brève : ne commettez pas l’erreur de choisir la facilité et le déchaînement d’une violence gratuite au détriment de l’éducation, lente et progressive ; dans le cas contraire, ne doutez point qu’elle vous sera fatale. Car nous serons là pour vous anéantir. 
 
La sécurité au nom du Plus Grand Bien : un danger cruellement palpable 
 
Les monumentales fresques que nous ont livré Isaac Asimov et Frank Herbert, bien loin du caractère simplement divertissant auquel les Français tendent généralement à circonscrire la littérature de science-fiction, sont autant de leçons pour qui sait lire entre les lignes. Les derniers développements de l’histoire militaire, dont les premiers rôles sont tenus par les Predator, Reaper, et autres Harfang, placent l’homme à un carrefour qui déterminera le chemin que prendra, peut-être, sa fin. Utilisés sans modération par les États-Unis dans le cadre de leur guerre à outrance contre le terrorisme, les drones n’ont pas seulement profondément changé la pensée stratégique (en provoquant au passage des syncopes chez tous les spécialistes de la guerre insurrectionnelle). Loin d’être un produit fini, ils ne sont qu’une première étape. 
 

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Ronald Arkin, roboéthicien en chef, se fait le messie de ces prochains jalons qui doivent conduire le drone sur la voie de la « robotique létale autonome ». Son argument, tel que rapporté par Grégoire Chamayou dans son livre Théorie du drone, est fataliste : « Mon espoir personnel est qu’on n’en ait jamais besoin, ni aujourd’hui ni demain. Mais la tendance qui pousse l’homme à la guerre semble écrasante et inévitable. » Alors autant confier la guerre à un sous-traitant plus éthique, dont l’inhumanité le rendra paradoxalement plus capable de faire preuve d’humanité sur les champs de bataille : le drone. La clé de cette éthique ? La programmation, qui rend un robot incapable de se soustraire à ce pourquoi il est conditionné. Il s’agira donc, pour Arkin, de programmer un « gouverneur moral » qui agira comme un guide logiciel pour l’intelligence artificielle du drone robotisé. 
 
Déjà le Département de la Défense des États-Unis salive et prône l’autonomie supervisée tout en lorgnant sur l’autonomie tout court ; l’objectif devant être de « réduire graduellement la part du contrôle et de la décision humaine »
 
Le syndrome de Frankenstein, mythe terrifiant montrant la créature se retourner contre son créateur, a suffisamment été diffusé pour que la simple évocation de sa possibilité d’occurrence dans le monde réel tétanise l’impudent qui aurait osé entraîner l’humanité sur cette voie. Mais l’homme est bien connu pour ses facilités à s’auto-détruire, surtout quand les intérêts économiques de grandes firmes multinationales – de type General Atomics, Modern Technology Solutions ou encore, récemment, Amazon – sont en jeu. 
 
Pourtant, Asimov et Herbert (entres autres) nous apprennent que la destruction par plus humain que soi n’est pas le seul risque que l’homme doit affronter. Plus subtil car rarement évoqué est le risque de voir l’homme externaliser tout ce qu’il n’est pas prêt à assumer. Après les dérivés, produits financiers dont l’existence n’a pour but que d’échapper au risque ; après la vidéosurveillance, système permettant l’identification immédiate de tout suspect ; après l’espionnage de ses propres citoyens au nom d’impératifs sécuritaires, l’homme se dirige calmement vers une externalisation de l’activité guerrière. 
 
Tout comme le Bene Gesserit sur le fil du rasoir, l’homme doit faire face à deux risques d’extinction. Le premier, fruit de sa trop grande ingéniosité, le poussera sur la voie du remplacement par plus humain que lui ; le second, conséquence de son incapacité à assumer les risques qu’il prend, peut lui faire perdre l’envie de vivre. À l’humain de négocier, avec clairvoyance, courage et honnêteté, cette étape difficile de sa maturation en tant qu’espèce ; à lui toujours de ne jamais sous-estimer les vertus éducatives des contes.

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vendredi, 06 janvier 2017

Cerveau connecté, cerveau vidé ?

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Cerveau connecté, cerveau vidé ?

Philippe Vernier, chercheur au CNRS, commente la chute libre de la durée d’attention

Spécialiste des neurosciences, il reconnaît qu’il s’agit là d’une « régression ». Il affirme dans son entretien que le fait de disperser son attention entre plusieurs tâches ou plusieurs sollicitations a nécessairement pour résultat de diminuer la qualité d’attention que l’on accorde à chacune, même s’il est possible selon lui de s’entraîner à ce nouveau mode de fonctionnement cérébral. Et de recommander, notamment pour les métiers où l’attention et la concentration sont primordiales, de couper son téléphone et de se réhabituer à prendre son temps. Car le zapping, souligne-t-il, est « addictif » : l’esprit humain apprécie la nouveauté et a donc tendance à la rechercher de plus en plus.
 
Mais lorsque Philippe Vernier recommande de « remplacer la satisfaction du zapping par celle de la compréhension de sujets approfondis », la vraie question – et il n’y répond pas – est de savoir si c’est encore possible pour des esprits biberonnés aux sollicitations cognitives incessantes et sans lien entre elles, ou à tout le moins, s’ils peuvent y arriver seuls. Quid de ces jeunes qui sont nés avec un téléphone dans la main, et à qui on impose qui plus est de travailler sur l’écran de l’école, à partir de méthodes globales qui inhibent la parole et l’analyse, comme le font – et de plus en plus – les programmes les plus récents de l’Education nationale ?

Un chercheur au CNRS appelle au réapprentissage de la concentration

 
Il faut prendre Vernier au sérieux lorsqu’il affirme, sur la foi de l’étude Microsoft : « C’est une évidence que l’on est capable d’absorber plus d’informations en moins de temps. C’est ce que montre l’étude et on peut les croire la dessus, cependant, c’est forcément au détriment de la qualité de l’attention que l’on porte à un sujet donné. »
 
Il en tire cette conclusion : « Pour la presse écrite, c’est un problème. De moins en moins de gens ont cette capacité à lire un article de fond et la tendance dans les médias est de faire court, percutant pour que l’on sache beaucoup de choses mais sur lesquelles nous n’approfondissons pas. On ne cherche plus le pourquoi des choses. »
 
Autrement dit, la tendance de fond de la soi-disant « information » est de nous balancer à la tête d’innombrables faits qu’on ne traite plus à la manière intelligente qui devrait être le propre de l’homme : analyse, synthèse, et s’il y a lieu jugement critique. Ces types de connaissances accumulées appellent des réactions primaires, cantonnent le lecteur ou l’auditeur dans l’émotion. S’il n’a que huit secondes de temps de cerveau disponible, il est clair que la réflexion n’y a aucune place.

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Le cerveau connecté devient comme celui du poisson rouge…

Selon Philippe Vernier, une autre retombée négative de cet état de fait – que nous dirons, quant à nous, désastreux – est que le travail en entreprise est devenu un vrai problème pour beaucoup de jeunes ou des personnes passant de longues heures sur leurs écrans :
 
« Dans les entreprises, les personnes qui ne sont plus capables de réaliser des tâches à long terme sont devenues un problème pour les chefs d’entreprise. Lorsque l’on fait un rapport de synthèse par exemple, il faut être apte à travailler longtemps et de manière efficace. C’est aussi un problème pour les créatifs, l’imagination et la créativité de manière générale demandent du temps. Et ce temps de cerveau disponible mobilisable, nous ne l’avons plus. »
 
Il est significatif que ce soit précisément Microsoft qui se livre à ces enquêtes. L’objectif marketing du géant de l’informatique est clair : il faut sans cesse modifier les contenus et en réduire la richesse, le volume et la profondeur pour espérer toucher les internautes qui n’ont plus la capacité de lire et de comprendre sur la durée. Plonger les hommes dans la « réalité virtuelle »… Mais il faut ajouter que les créateurs de contenu Internet et du mode de fonctionnement des espaces connectés créent en même temps les problèmes auxquels ils prétendent chercher à répondre.

La chute de la durée attention, résultat des multiples sollicitations des écrans connectés
 
Il en va ainsi des multiples alertes, pop-ups et autres sollicitations incessantes qui détournent l’attention de ce que l’on est en train de faire véritablement, ainsi que de la tentation de cliquer sur les liens hypertextes : tout cet ensemble d’appels à l’attention qui interrompent la pensée et le raisonnement aboutissent logiquement à la mise en veille de la mémoire longue – c’est-à-dire, finalement, de la culture – au profit d’une mémoire immédiate qui se vide presqu’aussitôt remplie. C’est le thème de l’indispensable ouvrage de Nicholas Carr, au titre si mal traduit : Internet rend-il bête.
 
Philippe Vernier, lui, est un peu plus optimiste. Mais il semble penser que la solution pour reconquérir de la concentration et de la durée d’attention passe notamment par l’image, la vidéo. « La vidéo a une vertu considérable, une image en mouvement ou le fait de pouvoir changer le support visuel de ce que l’on apprend, cela permet de maintenir l’attention », explique-t-il.
 
Or la vidéo – et globalement tout ce qui relève avant tout de l’image en mouvement – présente justement l’inconvénient de court-circuiter la parole : on voit l’image et on réagit sans verbaliser, sans même avoir le temps de le faire. Et cela contribue précisément à réduire la durée de l’attention et la capacité de raisonnement, comme l’a amplement montré Elisabeth Nuyts dans ses divers ouvrages. Et elle, elle donne de vraies solutions face à la véritable déshumanisation que les nouveaux modes d’apprentissage entraînent.
 
Anne Dolhein

lundi, 28 novembre 2016

L’avenir est à la postpsychiatrie

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L’avenir est à la postpsychiatrie

Dominique Baettig
Médecin, Ancien Conseiller national
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Les temps changent, les déficits se creusent, les audits se multiplient, les migrants en précarité doivent être placés en sécurité…Les structures de la psychiatrie, presque partout en audit, sont sous pression. Le nouveau directeur médical des Services psychiatriques du Jura bernois veut « secouer le cocotier » d’une institution tentaculaire, qui a bénéficié depuis des lustres d’une rente de situation et qui doit maintenant se redimensionner et se frotter aux réalités économiques du « coût-efficacité ».Tant mieux et bonne chance, car il lui en faudra pour réformer ce système à forte inertie avec une multitude d’activités parallèles alibis, souvent d’essence antipsychiatrique, occupationnelles et de développement personnel. Il n’est pas un inconnu dans la région puisqu’il s’était impliqué dans l’excellent programme pro-famille qui laissait aux proches de patients psychiatriques lourds la possibilité de développer des habiletés  pour affronter des symptômes déstabilisants pour eux et de trouver des ressources, des solutions, un espace de parole et d’écoute. On sait aussi qu’il compte développer une approche de médiation neurocognitive permettant de modifier  pratiquement des  croyances, affronter mieux la réalité et qu’il pratique la thérapie cognitive, plus démocratique et collaborative. On ne peut que se réjouir de voir se tourner la page de la Bonne Parole psychanalytique et de son idolâtrie du Savoir et du Pouvoir.

Le plus réjouissant est son projet de recentrer la pratique des soins sur les soins. Et d’externaliser les approches nombreuses collatérales dispendieuses et occupationnelles. L’art-thérapie, les sorties accompagnées qualifiées de thérapeutiques, les congés thérapeutiques, les bricolages occupationnels calibrés pour handicapés mentaux, rien qui ne permette vraiment le retour dans la vie réelle communautaire. Ces thérapies ont leur place, c’est certain, mais dans l’ambulatoire au long terme et doivent être découplées des soins aigus et de crise. Les soins psychiatriques échappent encore  trop à la modernité des approches médicales (psychopharmacologie restaurant le sommeil et diminuant le stress, techniques d’anesthésie aujourd’hui de maniement sûr et simple), approche cognitive et résolution des problèmes. Elle reste encore trop fortement une pratique asilaire, éloignée des centres urbains, basée sur les activités occupationnelles, une sorte de club Med pour faire passer le temps de la crise, sans la résoudre avec des moyens adéquats. On y est beaucoup placé à fin d’assistance, en attendant que les proches reprennent un peu leur souffle. C’est bien, mais insuffisant.

Il est grand temps, comme l’a fait à l’époque Basaglia, précurseur de la désinstitutionalisation en Italie, que les désordres et  troubles mentaux soient traités de manière non discriminante, à l’hôpital général par exemple, sans approche au rabais ou demi-mesures condescendantes. Les traitements longs contraints devraient être en minorité et décidés, contrôlés par une autorité non médicale. Le modèle antipsychiatrique, naïf (le fou est normal, c’est la famille, la société, le psychiatre qui sont fous !) n’a plus de sens. Des séjours brefs, de crise, en collaboration avec le suivi ambulatoire devraient être organisés dans l’hôpital général et s’appuyer essentiellement sur le réseau extérieur prévu pour intervenir sur le long terme. Le modèle c’est les soins palliatifs en psychiatrie, avec une éthique de respect des convictions individuelles, un refus de la coercition sur le long terme. La nouvelle équipe réussira-t-elle à implanter des soins à l’hôpital de Moutier, en collaboration avec la psychiatrie jurassienne qui à l’époque n’a pas été soutenue dans cette démarche de précurseur car victime de la majorité constituée par ceux qui voulaient faire le contraire (que des hôpitaux de jour !), ceux qui voulaient pour eux faire la même chose et tous ceux qui ne voulaient rien faire. La résistance va être rude, il faudra s’accrocher.

 

Dominique Baettig, 27.11.2016

jeudi, 30 juin 2016

Racism, Eugenics, & the Progressive Movement

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Racism, Eugenics, & the Progressive Movement

Thomas C. Leonard
Illiberal Reformers: Race, Eugenics & American Economics in the Progressive Era [2]
Princeton: Princeton University Press, 2016

eugenics2book.gifIn many ways the Progressive Era embodies the best of white America. It was a period of compassion, community concern, attempts to raise the living standard of average Americans, a desire to achieve class harmony, to end (or at least reduce) capitalist corruption, and to create a workable, harmonious racial nationalism that would ensure the long-term fitness of American society. The concerns of the Progressives were as much for the future as they were for the present, something almost wholly lacking in contemporary American politics. These scholars, politicians, and activists thought deeply about future generations and recognized, almost to a man, the validity of race science and the crucial role race plays in the historical trajectory of any country.

Thomas Leonard, a research scholar and lecturer in economics at Princeton University, has written an interesting history of the interaction between race, eugenics, and economics in the context of the Progressive movement. It is broadly informative and happily lacking the willful opacity of much contemporary scholastic writing, thus making it accessible to a wide audience. Unfortunately, yet unsurprisingly, this book begins with a blatant lie upon which he constructs his narrative: “Eugenics and race science are today discredited” (p. xiv). As such, the book is fundamentally flawed. Dr. Leonard offers no evidence whatsoever as to why Progressive notions of racial health and eugenics were wrong but, in keeping with contemporary academic fashion, merely resorts to shaming words and moral judgments rather than even a cursory investigation into the validity of the claims.

The book provides a detailed history of the many important Progressive intellectuals who believed that race was a fundamental concern and how they thought it should be dealt with politically, socially, and economically. The Progressives are perhaps the best example of a genuine American attempt to transcend the awkward political dichotomy of Left and Right for the sake of the greater good and a vision of a better and healthier future. Progressive diagnoses and predictions of racial degeneration and a dystopian future were so accurate that one suspects this book, to the extent it is read by objective and open-minded readers, will emphasize rather than deemphasize the importance of these issues.

The first chapter, entitled “Redeeming American Economic Life,” the author sets the context for the development of Progressivism by describing their reaction to the cycle of boom and bust of the dramatically expanding postbellum American economy: the rapid industrialization and urbanization of American society; and the tensions between labor, farmers, and capitalists. Despite the range of attitudes within the Progressive movement towards possible solutions to the problems faced at this time, Progressives shared three things in common: first, discontent with liberal individualism; second, “discontent with the waste, disorder, conflict, and injustice they ascribed to industrial capitalism”; and third, a concern with the problems of monopoly (pp. 8-9). Their understanding of these issues drove them to believe in the necessity of an administrative state to remedy these root problems and their many offshoots. As Dr. Leonard writes, the “progressives had different and sometimes conflicting agendas” but “nearly all ultimately agreed that the best means to their several ends was the administrative state” (p. 9). Those intellectuals who would become Progressives began to turn their focus away from the traditional and reflective scholarly disciplines and towards active ones, i.e. economics, politics, sociology, and public administration (p. 11). This activist turn was integral to the movement.

The author traces some of this activist drive for public improvement to the “social gospel” wing of Protestantism, but as knowledge of science and the use of scientific language increasingly became a marker of intellectual sophistication, the two were eventually combined into a mutually-reinforcing reformist spirit. Following World War I, after which the West experienced something of an existential crisis, the specifically Christian reform rhetoric mostly faded, or, as the author terms it, was “socialized” (p. 13), and mostly replaced by the hard empirical language of the above-mentioned burgeoning “active” disciplines. However, the sense of missionary zeal and notions of secular “salvation” remained a hallmark of the Progressive movement. If salvation could be socialized so too could sin (p. 13). That is to say, those problems that had previously been seen at least partially as religious in nature became social. Laissez-faire capitalism, for example, was not rapacious and exploitative merely because it was a sinful system run by sinful people but because it was “scientifically” incorrect. The Bible could offer insights into social problems but ultimately the responsibility fell to the state to re-make society in accordance with Christian ethics.

In the second chapter, “Turning Illiberal,” Dr. Leonard describes the professionalization of economics, the turn away from British classical liberalism towards German economic theory, and the origins of tensions within the Progressive movement between those who believed in democracy and those who did not. Germany, by the late 19th century had become the premier destination for graduate students wishing to study political economy. Germans were on the cutting edge of this newly formalized discipline — one that was almost entirely nonexistent in American universities. In contrast to Anglo-American classical liberalism, Germans saw the economy as a “product of a nation’s unique development” and believed that its “workings were not unalterable natural laws, [but] were historically contingent and subject to change” (p. 17). The author writes:

The progressives’ German professors had taught them that economic life was historically contingent. The economy wrought by industrial capitalism was a new economy, and a new economy necessitated a new relationship between the state and economic life. Industrial capitalism, the progressives argued, required continuous supervision, investigation, and regulation. The new guarantor of American progress was to be the visible hand of an administrative state, and the duties of administration would regularly require overriding individuals’ rights in the name of the common good (pp. 21-22).

Germans had demonstrated to American students that economics could be a tool of statist reform with a sound theoretical basis. They also demonstrated that it could be a distinguished and respected career path (p. 18). Those students who returned from Germany came home with a very different conception of the role of the economy in relation to the state and, at the same time, had little competition in establishing themselves in American universities and think tanks. It was a powerful position from which to begin their activism, both in terms of knowledge and opportunity.

Just as the German view of the relationship between state and economy had informed American Progressives, so too did the German Historical School’s conception of the nation as an organism (p. 22). This, coupled with the tremendous influence of Darwinist evolutionary theory in all intellectual circles, caused a distinct shift away from American individualism. Richard Ely, founder of the American Economic Association and a highly influential Progressive, explicitly rebuked the notion that the individual comes before society. Washington Gladden, a charter member of the same organization, argued that American individualism was “a radical defect in the thinking of the average American” (p. 22). The concept of the autonomous individual was seen by Progressive economists as a relic of a soundly refuted, old-fashioned ideology. A new class of superior, scientifically-informed men had to take charge of society if it were to rid itself of such antiquated and backwards beliefs.

In the third chapter, “Becoming Experts,” the author delves deeper into the tensions between expertise and democracy, the differences between Left and Right Progressives, the building of the administrative state, and “war collectivism.” Progressives maintained that the good of the people could best be guaranteed by limiting the power of the people — or, expressed positively, by entrusting the care of the people to experts. Dr. Leonard writes: “Financial crisis, economic panic, violent labor conflict, a political war over monetary policy, and the takeoff of the industrial merger movement combined to generate a groundswell of support for economic reform” (p. 30). This convinced many important Progressive intellectuals that government service was a far more important use of their expertise than was the role of public intellectual. Activism was a crucial strategic and ideological element of their project. The future, according to Progressives, should not be left to chance. It had to be engineered, and someone had to engineer it. If one genuinely cared for future generations, a processes to guarantee their success had to be put in motion rather than simply theorized.

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In his discussion of the distinction between Left and Right, Dr. Leonard accurately dismantles the problems with this dichotomous analytical tool. He writes that “progressive” is a “political term and political historians tend to an ideological lens . . . Ideology is [a] useful tool of taxonomy, but when it is reduced to one dimension, it is the enemy of nuance” (p. 38). Rather than frame Progressives as either Left or Right, he usually prefers the term “illiberal” — the belief that, contra liberalism, society takes preference over the individual. Indeed, the very concept of “reform” is often tainted with a Leftism that isn’t always quite there. Many of the positions that modern progressives hold today would be abhorrent to historical Progressives, just as many positions that conservatives hold today would be abhorrent to conservatives of the era. For example, the Progressive Republican Theodore Roosevelt was no fan of laissez-faire capitalism and favored an increase in the regulatory powers of the government, while William Graham Sumner, a conservative opponent of Progressivism, was a believer in free markets but a staunch opponent of imperialism and big business (pp. 39-40). The political battle lines of today differ greatly from those of the past, a fact which seems to validate the 19th century Germanic conception of the relationship of state, economy, and law as being historically contingent. What we think of now as Left or Right was largely absent from Progressive discourse.

Dr. Leonard goes on to discuss the creation of what he calls the “fourth branch” of government (the administrative agencies). The quintessential example of the ascendancy of the fourth branch is the Wisconsin Idea — the integration of government and academic experts in Wisconsin in order to govern the state with maximum efficiency. Many involved in the creation of this integrated system credited its success specifically with the heavy German population of the state. In his 1912 book on the subject, Charles McCarthy described the architect of the Wisconsin Idea, Robert Ely, “as a pupil of German professors, who returned from Germany with German political ideals to teach German-inspired economics at a German university (the University of Wisconsin) in the German state of Wisconsin, where the young men he most inspired were, yes, of German stock” (p. 41). The state government was, to a previously unknown degree, put in the charge of Progressive experts who created on American soil what was in effect an ethnic German state. The Progressive movement, both in theory and in practice, was distinctly Teutonic in conception.

This “fourth branch” of government was established in Washington D.C. by Woodrow Wilson and solidified during World War I by the success of “war collectivism.” The hand of the federal government was greatly strengthened at this time in order to aid the war effort. This is the period in which the income tax was established and was soon followed by corporate and inheritance taxes as well as numerous other reforms and the creation of various administrative agencies (pp. 43-45). Having established themselves as experts, the expert recommendations of the Progressives usually included the establishment of permanent regulatory agencies — “ideally an independent agency staffed by economic experts with broad discretionary powers to investigate and regulate” (p. 43). The author credits much of this to personal ambition rather than idealism, which is doubtless true to some extent but is at odds with his earlier descriptions of the visionary reformist mission of Progressives. Perhaps writing a century later it is hard not to be cynical about such things, but little in his prior discussion would indicate personal ambition as a primary motivating force. And even if it had been the case, their efforts were consistent with their ideology. Personal ambition without value-compromise can hardly be seen as a negative. But throughout the book attempts to tarnish the images of Progressives by insinuating that they were somehow morally compromised (how else to explain their illiberal views?).

Toward the end of the chapter, the author begins his discussion of race, a central concern of Progressives. It was simply understood by Progressives (and most others of the time) that blacks were incapable of freedom. Woodrow Wilson wrote that blacks were “unpracticed in liberty, unschooled in self-control, never sobered by the discipline of self-support, never established in any habit of prudence . . . insolent and aggressive, sick of work, [and] covetous of pleasure” (p. 50). The sociologist Edward Ross, in a statement the author refers to as demonstrating contempt for his “imagined inferiors” (p. 50) wrote: “One man, one vote . . . does not make Sambo equal to Socrates” (p. 50). Such statements seem to contradict the Progressive belief in the elevation of the common man (as contemporarily understood) but as Dr. Leonard points out, the “progressive goal was to improve the electorate, not necessarily expand it” (p. 50). The whole of the country would be better off if its leadership could be entrusted to a superior piece of the American electorate. This was a fundamental tension among Progressives: “Democracies need to be democratic, but they also need to function . . .” (p. 51). American democracy could not function with unintelligent people voting but, given American history, the concept of voting was not up for debate. Thus began the deliberate disenfranchisement of blacks and others deemed unfit for equal rights in American society.

In chapter four, “Efficiency in Business and Public Administration,” the author details the Progressive push for efficiency, the influence of Taylorism, and the beginning of the scientific measurement of mankind for utilitarian purposes. Objective as possible in their approach to the economy, Progressives (with few exceptions) did not regard big business itself as a problem. Scale was, for them, unrelated to efficiency. Efficiency was a goal that could be handled by experts regardless of the size of the project. The classical liberal notion of market efficiency, even if it could be demonstrated to be true, was, like Darwinian evolution, a slow and haphazard process that could be sped up and forced in entirely desirable directions with proper management. Big business was simply a fact of the new economy. As such, it was not undesirable in and of itself, but required outside guidance to achieve socially acceptable results while avoiding “market-made waste” (p. 57). Progressives famously feared monopoly because it could produce political corruption as well as reduce innovation but, as the author writes, “progressives distinguished monopoly from size, and because of this, were not antimonopoly in the populist sense of the term” (p. 57). Indeed, big business was generally thought to be inherently more efficient than small business. As with everything else, proper administration was the key to success.

scientificmanagement.jpgThe 1911 publication of Frederick Taylor’s The Principles of Scientific Management was a watershed moment for Progressives. It offered a scientific method for improving workplace efficiency. By measuring and analyzing everything from workplace break times to the weight of shoveled material, industry would be able to maximize efficiency down to the minute and the pound. Taylorism has since become an epithet, used to describe the dehumanizing effects of the time clock, the oppressive nature of constant managerial supervision, and the turn away from skilled labor in the workforce. However, for Progressives it promised a new approach to the workplace that could make life better for everyone. Those experts who would take charge of industry would be able to maximize the public good while minimizing the power of capitalists and financiers. Men such as the Progressive political philosopher Herbert Croly believed that Taylorism would “[put] the collective power of the group at the hands of its ablest members” (p. 62). For Progressives, scientific management was a noble goal and a model to be followed. It fit perfectly with their basic beliefs and soon spread elsewhere, including into the home, the conservation movement, and even churches (p. 66-69).

The Progressive era was the era of social science. Scholars, commissioners, politicians, and journalists set out to understand the reality of American social life through scientific methods. Few reading this will be surprised with the conclusions of virtually all of these efforts. What this research — into race, into immigration, into domestic behavior, into social conditions — demonstrated was that there was a clear correlation between race and intelligence and the ability to function in American society. Intelligence tests and vast amounts of data collected from the military and immigration centers were collected and analyzed. For Progressives, race science was obviously and demonstrably real and had to be treated with the same scientific objectivity as the economy or any other facet of human existence. America was then, as it is now, being populated rapidly with provably inferior and/or inassimilable human beings. Progressives began to warn of the dangers of Jewish and other non-white immigration to the United States, as well as the problems stemming from rapidly breeding inferior American citizens.[1]

Chapter five, entitled “Valuing Labor: What Should Labor Get?,” describes how Progressives dealt with the question of labor. They sought to determine what labor was getting, how wages were determined, and what labor should get (p. 78). Dr. Leonard writes:

For nearly all of recorded history, the notion of laborers selling their labor services for wages was nonsensical. Labor was the compelled agricultural toil of social inferiors in the service and under the command of their betters. In the United States, this remained true well into the nineteenth century. The value of labor depended on what the worker was — free or slave, man or woman, native or immigrant, propertied or hireling — not what the worker produced or wished to consume (p. 78).

The thinking behind these categories is treated with contempt by the author, of course. The idea that the labor of a black man could be worth less than that of a white man based on something external to mere prejudice against “skin color” or that the labor of an immigrant could be worth less than the labor of a citizen to those who might feel a deeper affinity for their own countrymen was, to him, symptomatic of a “hierarchy that plagued economic life” (p. 79). He relates the claims of race science with contempt but offers no justification for his disdain. But, by simply ignoring the reality of race and sex differences, the author is able to trace the concept of inferior labor back to the Greeks — as if attitudes towards labor even between similar peoples are not themselves historically contingent.

The author sees two fundamental and separate approaches to political economy throughout history: “market exchange and administrative command” (p. 79). He notes correctly that in the centuries between Socrates and Adam Smith, the market was seen as a place of chaos, disorder, Jews (he uses the semi-cryptic “Shylocks” rather than Jews), and unscrupulous persons of various sorts. The Greek prioritization of the political over the economic is, for Dr. Leonard, the source of the various manifestations of human hierarchies in Western societies and economies.[2] [3] Greek men somehow just decided for no valid reason whatsoever that women should supervise the household, market services be left to foreigners, and labor relegated to non-Greeks. These were simply ideas that had “extraordinary staying power in Europe” (p. 80) and thus led to aristocracy and other unnatural hierarchies until Adam Smith blessed Europe with his belief in individualism and natural liberty. Again, the author deliberately chooses to ignore the very real biological bases for such facts of human social life. Command economies are, to the author, somehow “bad” because he sees them as having been based in ignorance and vaguely conspiratorial hierarchical social arrangements.

Enlightenment notions of individualism and liberty were, of course, central to the rhetoric of the American project. However, America did not practice what it preached (nor did it really preach “what it preached” but that is far beyond the scope of this piece): slavery existed in the South and was defended by Southerners as far more humane than the wage-slavery of the North; Northern abolitionists saw this as an absurd comparison and argued that at least free laborers could get up and leave if they were unhappy. But both saw the laborer in one form or another as being an inferior creature. This attitude was to carry through to the Progressive era. As the author puts it, “reformers still saw a bit of the slave in the wage earner, no matter how ubiquitous the employee now was” (p. 84). He goes on to note that when millions of women and immigrants joined the workforce, this reinforced the notion of the laborer as inferior.[3] [4]

If the laborer is inferior, what should they be paid? Progressives believed in the power of the government to change social conditions. As such, they believed that policies could be enacted that would enable laborers to live comfortably, with enough money to be upstanding citizens and raise healthy families. Differing theories existed for how fair wages should be determined, but Progressives tended to reject the idea that wages were anything less than a “worker-citizen’s rightful claim upon his share of the common wealth produced when the laborer cooperated with the capitalist to jointly create it” (p. 86). As is always the case among economists, vigorous debate ensued. The goal was for workers to receive a living wage but how this was to be accomplished was a matter of some controversy. The author discusses some of these theoretical disagreements but concludes that the one thing that united all Progressives in this matter was the belief that “work will always go to the lowest bidder . . . there was a race to the bottom, and the cheapest labor won” (p. 88). However, he pathologizes this as an “anxiety” rather than a real problem experienced by rational people so that Progressive concerns about the intersection of economy and race be seen by the reader as a kind of irrational social “disease,” a collective neurosis with deep roots in the American (read white) psyche.

eugenics3755357.jpgIn chapter six, “Darwinism in Economic Reform,” Dr. Leonard relates how Darwinism was used by Progressives to acquire the “imprimatur of science” (p. 105). Darwinism proved to be a very flexible conceptual tool. It allowed for incorporation into various fields of thought and, within those, still more differing points of view: it was used to advocate for capitalism and for socialism; war and peace; individualism and collectivism; natalism and birth control; religion and atheism (p. 90). Darwinism and related ideas (such as Lamarckism) provided Progressives with a scientific basis upon which to argue for both economic improvement and biological improvement. There was no consensus on which aspects of Darwinism to incorporate into their logic but something the vast majority had in common was the belief in the importance of heredity and that artificial selection, as opposed to natural selection, was the most efficient means of securing a healthy society comprised of evolutionarily fit individuals.

Social Darwinism was a concept championed by believers in the free market. As the author notes, it was always a used as a pejorative and Progressives had to distance themselves from it (p. 99). They did so by challenging laissez-faire using Darwinist principles, an idea that came to be known as Reform Darwinism. The Reform Darwinists, led by the sociologist and botanist Lester Frank Ward, challenged laissez-faire by asserting that capitalists thrived in the Gilded Age because “they had traits well adapted to the Gilded Age” but that these traits were not necessarily “socially desirable” (p. 100). They also asserted that society was an organism that “had a necessary unity” but “not an inclusive one” (p. 102). An organism must always protect itself from threats and an organism must also prioritize the whole over the part. This organic model of society influenced every Progressive concern. If, for example, a corporation was a legal person entitled to the same protections as an individual citizen, then surely “the state was an even larger organism, one that encompassed and thus subsumed corporate and natural persons alike” (p. 100).

Progressives also attacked natural selection as “wasteful, slow, unprogressive, and inhumane” (p. 100). Agreeing that robber barons and rich fat cats were an example of the degenerative tendencies of capitalism, society had a duty to protect itself from such people (p. 100). Natural selection did not always lead to progress. It was environmentally contingent. Richard Ely argued that “Nature, being inefficient, gives us man, whereas society ‘gives us the ideal man'” (p. 104). The free market rewarded those who could make the system work to their advantage by any means necessary, not those who possessed traits that were desirable for a healthy, moral society. Regulation could help fix this problem. Woodrow Wilson wrote that “regulation protected the ethical businessman from having to choose between denying his conscience and retiring from business” (p. 105). Combined with German economics, German historical theory, an activist sociology, and a commitment to the benefits of efficiency, the influence of Darwinism made the development of workable eugenics policies almost a certainty.

In the seventh chapter of the book, “Eugenics and Race in Economic Reform,” Dr. Leonard provides a brief overview of the history of eugenics. He also describes how it entered American intellectual discourse and how it was applied to race science. With roots as far back as Plato and popularized by Francis Galton in the late 19th century, eugenics was the obvious solution to many of the social problems that the Progressives were tackling. The author quotes Galton for a broad explanation: “what nature does blindly, slowly, and ruthlessly, man may do providently, quickly and kindly” (p. 109). The ideas of eugenicists gained mainstream traction rapidly. By the early 20th century, states were passing sterilization laws. By the end of World War I, concerns about the terrible death toll of white men had prompted many American intellectuals to worry deeply about the crisis caused by the loss of so much “superior heredity” (p. 110). American universities began teaching eugenics courses, textbooks on eugenics were written, journals were published, and societies devoted to encouraging the spread of eugenics programs and race science were created.

Francis Galton had gone so far as to declare a “Jehad [sic]” on the “customs and prejudices that impair the physical and moral qualities of our race” (p. 112). Influential Progressives like Irving Fisher and John Harvey Kellogg sought to make this a reality by creating a sort of religion out of eugenics (p. 112). Concern for the white race played an explicit part in Progressive thought. There was nothing coded about it. Like the social gospelers of early Progressivism, the eugenics movement evangelized very effectively. The concept of racial health was soon to be found virtually everywhere one turned, from women’s magazines, movies, and comic strips to “fitter family” and “better baby” contests at agricultural fairs across America (p. 113). Lothrop Stoddard published his classic The Rising Tide of Color Against White World-Supremacy in 1920, and the famous Supreme Court decision in the case of Buck v. Bell in 1927 affirmed that the state had a right to sterilize individuals deemed a genetic threat to society. It is important to note that not all eugenicists were Progressives but the vast majority of Progressives were eugenicists. For them, things such as environmental conservation went hand in hand with racial “conservation.”

For Progressive eugenicists, the administrative state was the most effective defense against racial degeneration (the effects of adverse conditions on a race of people) and race suicide (the effects of a superior race being outbred by inferior races) (p. 117). Poor and uneducated whites were seen to be redeemable given the proper environmental conditions and thus genetically able to assimilate into American society. Non-whites were incapable of assimilation because of their lower intelligence and racially-specific habits and attitudes. Of particular concern was the American black population. White Progressives saw them, at best, as docile children who should be treated as such for the good of all, and, at worst, as a weight that would sap American energy and  character (p. 122). Even among the handful of black Progressives, such as W.E. B. DuBois and Kelly Miller, race was seen as a problem for America. Though they rejected the notion of the genetic inferiority of blacks, they recognized that the rapidly breeding lowest IQ blacks threatened to overwhelm the elite few — the “Talented Tenth,” as DuBois famously described them (p. 122).

But non-whites were not the only concern of the Progressive eugenicists. As indicated above, racial degeneration was of great concern. Literature on degenerate families became wildly popular at this time, bringing to the American lexicon such names as the Jukes and the Kallikaks. These families (given aliases by the authors of these studies) had their histories published as warnings about the dangers of what some would now refer to as “white trash.” The contradictions here are apparent: Progressives sought to improve the conditions of the white poor while at the same time wrestling with the question of whether poor whites were genetically unfit and simply irredeemable by external measures. The latter question, however, was also asked of the rich, who some Progressives saw as even better evidence of racial degeneracy. As with every other issue, there was a certain amount of disagreement among Progressives about specific questions and how to best administer solutions, but the concerns themselves were universal.

Perhaps the greatest concern was with the effects of immigration on the American gene pool. The author subscribes to the notion of an imagined “whiteness” and, as is customary, uses the Anglo-Saxonist tendencies of Progressives to call into question the validity of race science. This is to be expected and can be ignored. But it was indeed a concern of the era, especially as immigrants poured onto American shores. Some Progressives argued that democracy had its origins in the Anglo-Saxon race and that immigration from other areas of Europe was detrimental to survival of the American way of life. Walter Rauschenbach, a “radical social gospeler” (p. 124) argued that capitalism “drew its ever-increasing strength from the survival of the unfit immigrant” (p. 125). Rauschenbach was a committed Anglo-Saxonist and such views had long held sway in Progressive circles, from social gospelers to anti-Catholics to Prohibitionists. But it does not follow that concerns about immigration were irrational because one particular group of whites at the time did not like the customs of another group of whites. Nor do these antiquated distinctions invalidate the entirety of race science, however many times they are used in attempts to do so by this author and so many others.

Chapter eight is entitled “Excluding the Unemployable.” In it the author delves into how Progressives related racial inferiority and other traits deemed as markers of inferiority to labor and wages. He writes: “The Progressive Era catalog of inferiority was so extensive that virtually any cause could locate some threat to American racial integrity” (p. 129). Obviously, non-whites were seen as a threat, but so were white alcoholics, the poor, epileptics, and others. He argues that in antebellum America, laborers knew their place and stayed there. From slaves to women, strict social and sometimes legal controls assured the maintenance of this hierarchy. Postbellum industrialization and the emancipation of slaves threatened this order: “Inferiors were now visible and perceived to be economic competitors” and were either “portrayed as the exploited dupes of the capitalist” or “as the capitalist’s accomplices” (p. 130). Those who were literally incapable of work and those who were willing to work for lower wages than “superior” Anglo-Saxon stock were given the label “unemployable.”

citizens-l.jpgThese “unemployables” were seen as being parasitic. They undercut wages and threatened American racial integrity. The capitalist drive towards cheap labor was certainly seen as partly to blame for this problem, but Progressive discourse began to focus more on biology than economics. Blame was increasingly shifted towards the actual laborers themselves rather than the system that encouraged them to accept lower wages. In what was known as the “living-standard theory of wages,” the unemployables were seen as being able to live on less than the average American worker due to their willingness (either racially-determined or resulting from inferior minds) to accept poor living conditions. The white American worker, it was believed, would reduce his number of children rather than sacrifice his standard of living, thereby increasing the risk of Americans being outbred by inferior stock. This line of argument gained popular currency with the sometimes violent union activism against Chinese workers. Edward Ross wrote that “should wors[e] come to the worst, it would be better for us if we were turn our guns upon every vessel bring [Asians] to our shores rather than permit them to land” (p. 135). The notion of immigrants and others being regarded as scab labor was widely accepted across the political spectrum but was central to Progressive concerns because they were able to see it as symptomatic of multiple grave problems with American society. In order to correct these problems, better methods were needed to identify and exclude the inferiors who were threatening American jobs and lowering the American quality of life.

In chapter nine, “Excluding Immigrants and the Unproductive,” Dr. Leonard examines the methods used for exclusion. The most obvious method was the use of immigration restrictions. Numerous laws were enacted either limiting or barring entirely immigration from certain parts of the world. Restrictions were also imposed by those otherwise deemed a threat to the country, i.e. anarchists, polygamists, and epileptics (p. 142). In 1905, a law was passed that prohibited contract labor altogether (companies paying immigrants to come to America in exchange for labor). A literacy test was also proposed for anyone trying to enter the country, however the effort actually failed when Woodrow Wilson inexplicably vetoed the bill in 1917. Edward Ross blamed Jews for this loss. He wrote that they were financing the anti-restrictionist campaign and pretending that it was for the benefit of all immigrants but was actually “waged by and for one race” (p. 158). But does the author investigate this claim? Of course not. It is easier to label Ross an anti-Semite and move on. To do otherwise might turn up some uncomfortable facts.

Other restrictionist actions met with success: in 1907, the Expatriation Act required American women who married foreigners to surrender their citizenship; massive federal investigations were undertaken to study the problems of immigration; and various private organizations sprung up devoted to anti-immigration advocacy. (p. 143). For Progressives, the issue of race had become one of their deepest concerns. It was, generally, either considered the main determinant of historical change, for better or for worse, or at least an extremely important one. It comes as no surprise that the founding of the United States would be interpreted through a Darwinist lens by Progressives. The author spends some time critiquing their use of Darwinist concepts to defend the original colonists as pioneers and conquerors (that is, “fit”) and later immigrants as simply following a path already tread in opportunistic fashion (“unfit”). Never mind that this is quite obviously at least partially true. He even fails to see the distinction between a colonist and an immigrant, wholeheartedly buying into the ridiculous “nation of immigrants” theory of American demographics that is so popular today.

Progressive eugenicists saw the immigration problem as an opportunity to assert their particular interests. Interest in race science grew exponentially. Various classificatory systems were proposed, studied, and refined, each of which generally had the expected hierarchies: whites at the top, blacks on the bottom. Within each category were, of course, numerous other sub-categories. But almost all races (both in the contemporary sense and in older sense meaning “ethnicity”) was charted and described in great detail. It was crucial from the standpoint of the Progressive eugenicists to use this information to prevent the race conflict that they believed would naturally arise from the intermingling of dissimilar peoples from across the globe. Even the few Progressive intellectuals who were genuinely egalitarian in outlook believed that race-based immigration policies were crucial. John Dewey, for example, supported them because he believed average Americans were too primitive to adopt his supposedly enlightened view that race was a fiction, thus making race conflict inevitable anyway (p. 153). Unsurprisingly, those who opposed immigration restrictions tended to be Jews such as Franz Boas, philosemites such as Emily Balch, and/or laissez-faire capitalists. The motives of the restrictionists are called into question by the author — but not those of the anti-restrictionists, of course. They were simply uniquely informed and tolerant for their time.

The above also fueled the debate over the minimum wage. It was commonly accepted that a legal minimum wage would put some people out of work. Progressives tended to see this as a good thing insofar as it removed inferior laborers from the job market. Dr. Leonard writes: “It deterred immigrants and other inferiors from entering the labor force, and it idled inferior workers already employed. The minimum wage detected the inferior employee, whether immigrant, female, or disabled, so that he or she could be scientifically dealt with” (p. 161). Ways in which these inferiors could be dealt with “scientifically” included simple things such the return of formerly-employed women to the home and far more complex solutions such as labor colonies for the unfit and forced sterilization. As was the case with all internecine Progressive debates, however, the thinking was always keenly focused on future generations. One particular intellectual might disagree with another about a certain policy proposal or belief, but the goal was the same: a harmonious society and healthy race. And since neither can exist without women, it was natural for Progressives to consider the role of women in society.

In the tenth and final chapter of the book, entitled “Excluding Women,” Dr. Leonard examines the views of women’s employment and civil rights within the Progressive movement. Women were always an important part of efforts at labor reform and the drive to improve various aspects of social life. But most Progressives had very strong views on the proper role of women in society. Richard Ely argued that women should be barred from the workplace (p. 170). Many, however, did not go to quite to this extreme. Efforts were made to simply limit the number of hours women were legally allowed to work, for example. The idea behind this was, of course, that women were physically weaker and needed protection from exploitative employers. But there were other issues of importance to Progressives as well, including the desire to combat prostitution. This concern was sometimes used to defend the minimum wage. If working women could make more money per hour they would be less likely to resort to prostitution to make ends meet. The obvious problem here is that the minimum wage was supposed to make certain people unemployed, and this group included women. It was assumed, however, that unemployed women would be cared for by the men in their lives, thereby providing the benefits of higher wages to men, a more appropriate environment for women, and helping to guarantee the health of the race. Whatever limitations this placed on a woman’s individual rights were explicitly justified by concern for the race.

For some Progressive feminists, male social domination had had a dysgenic effect by punishing the race’s strongest women by confining them to the household (p. 179). Most Progressives, however, believed that motherhood was the duty of women and had to be encouraged and thought such ideas absurd. Theodore Roosevelt, for example, had special contempt for those women from privileged backgrounds who did not have enough children despite being able to afford it. Referring to them as “race criminals,” he believed that such behavior was the height of selfishness (p. 180).

The debate over birth control was related to this attitude. Birth control, then as now, was mostly used by the most privileged in society and less so by the lowest classes. It thus had an obvious dysgenic effect. The author sees the synchronic concerns of Progressives with women’s health, sexual virtue, economic competition with men, and health of the race as contradictory. He writes:

If she were paid very little, she was admonished for endangering her health, risking her virtue, and threatening hereditary vigor. If she commanded a slightly higher but still modest wage, she was condemned for undercutting men’s family wages and for neglected [sic] her maternal duties. If she were well paid, she was admonished for selfishly acquiring an education, pursuing a career, and thus shirking her reproductive responsibilities to society and the race (p. 182).

Though there is a superficial tension between these things, he fails to see that there is no necessary contradiction here. It is entirely possible for women to be economically exploited laborers whose employment lowered men’s wages and for their ideal place to be in the home, nurturing the future of the race. Progressives generally saw the employment of women as a precursor to starting a family or as a result of misfortune anyway (p. 178). Sex-specific protections in the workplace, as well as a minimum wage that would displace many of them, would be a perfectly sensible goal for any state that had the future of the race as a primary focus. Dr. Leonard’s concern with finding hypocrisy in every statement relating to race and sex blinds him to reasonable conclusions. The Progressives, however, were not handicapped by ideological taboos and ultimately rejected the small, internal strain of equal-rights feminism within their ranks in favor of protecting the race. Progressives fought hard against the Equal Right Amendment of 1923, but by the mid-1920s, the Progressive Era was winding down and within a few years the zeitgeist would change considerably.

We see in the Progressive movement the last explicit, mainstream advocacy for the white race on American soil. The author clearly realizes this and chooses to ignore every single claim made by Progressives that does not fit with contemporary notions of social constructivism. He quotes Progressives in order to mock them, not to investigate whether what they said had a basis in fact. One might object by saying that it is beyond the scope of the book to investigate race science itself in order to discuss its role in the Progressive era. But the book starts out with the lie that race science has been discredited and everything that follows is therefore either directly based on a lie or has a lie as its overarching context. The point of the book, however, is not to enlighten the reader about anything of substance. His goal is merely to frown upon “racists” and “sexists” with the reader, to roll his eyes at ignorant Progressives along with his academic colleagues, and pray that his book is assigned in universities across the country in order to further indoctrinate students into the secular religion of egalitarianism.

This is not to say that there are not important issues discussed in the book. Clearly, there are. Nor is any of the above meant to suggest that Progressives were correct about everything. Clearly, they were not. But one cannot help but wonder how different America would look today if the Progressives had been able to further investigate and discuss these important issues as a part of the mainstream. What would this country look like now if such ideas had not been turned into “thought crimes?” In so many ways what we see in progressives today is a complete about-face from the intellectual heritage they claim. And in so many ways what we can see in the real Progressive movement is profoundly, devastatingly prescient and of utmost relevance to the contemporary American sociopolitical landscape. These issues are just too important to be left to a hack.

Notes

1. As many readers will be aware, there was a distinct bias towards Nordics among American whites at this time. Many Southern and Eastern European whites were deemed inferior–a hammer used frequently to hit racialists over the head in arguments intended to “deconstruct” whiteness. It is also, unfortunately, still found in White Nationalist circles. Nordicism is dealt with very well by Greg Johnson here (http://www.counter-currents.com/2016/03/nordics-aryans-an... [5]).

2. One wonders how he might explain similar hierarchies in non-European civilizations.

3. How labor would have fared in the 20th century without the presence of millions of women and immigrants to bolster notions of their inferiority is a question that should be asked of every contemporary “progressive.” One might also ask why, if racial diversity is such a tremendous and obvious social good, how it is that highly-educated Progressives completely failed to realize this — especially considering that theirs was a mission to increase the standard of living in America.

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2016/06/IlliberalReformers.jpg

[2] Illiberal Reformers: Race, Eugenics & American Economics in the Progressive Era: http://amzn.to/293MqYr

[3] [2]: #_ftn2

[4] [3]: #_ftn3

[5] http://www.counter-currents.com/2016/03/nordics-aryans-and-whites/: http://www.counter-currents.com/2016/03/nordics-aryans-and-whites/

samedi, 06 février 2016

Un regard évolutionniste sur l’éducation

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Un regard évolutionniste sur l’éducation
 
Stevan Miljevic
Enseignant
Ex: http://www.lesobservateurs.com
 

La psychologie évolutionniste est le fruit de la rencontre entre la psychologie et la théorie de l’évolution. Elle vise à expliquer les comportements humains sur la base d’hypothèses évolutionnistes.

Comment ça marche ?

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Dans son acceptation universelle, cette nouvelle manière de concevoir le fonctionnement de l’esprit postule qu’à l’exemple des autres organes, le cerveau également a été façonné par la sélection naturelle. L’hypothèse est la suivante : lorsque certains problèmes universels se sont posés à nos ancêtres des cavernes, ceux qui possédaient les capacités cognitives les plus adaptées à leur résolution ont survécu et se sont multipliés alors que les autres disparaissaient. De cette manière, le cerveau de l’espèce humaine s’est adapté de manière à fournir les meilleures potentialités de résolution des situations problématiques rencontrées par nos prédécesseurs chasseurs-cueilleurs.

La quasi-totalité des humains de la préhistoire ont été confrontés à des problèmes globalement assez similaires. Ils ont notamment dû faire face à de longues périodes de fluctuations climatiques et ont été obligés de s’adapter à certaines contraintes issues de leur environnement proche. Comme la vie isolée du groupe n’était pas possible, ils ont également été exposés à des dynamiques sociales complexes plus ou moins pareilles. Celles-ci se sont exprimées au sein du groupe tout comme dans les relations entretenues avec d’autres clans humains. Face à des contraintes existentielles fortes et universelles, le cerveau humain a muté petit à petit pour permettre aux hommes d’acquérir le plus simplement possible toute une série de compétences nécessaires à leur survie.

L’évolutionniste David Geary classifie ces capacités dans un groupe commun appelé capacités primaires ou naïves. Elles sont naïves car, selon lui, après plusieurs dizaines/centaines de milliers d’années d’évolution, le génie humain est désormais naturellement programmé pour que ces compétences se développent par elles-mêmes, sans effort particuliers, inconsciemment et très rapidement. Le degré de complexité de ces compétences ne change absolument rien à l’affaire.

Mais quelles sont donc ces compétences primaires ?

Dès que l’homme des cavernes a été amené à bâtir des abris, à créer des outils pour la chasse ou à user du feu pour cuisiner et ainsi augmenter ses chances de survie, il lui a fallu définir ses besoins pour y arriver, explorer et analyser son environnement proche et en extraire les ressources nécessaires. En conséquence, et puisque ces activités se sont perpétuées sur de longues périodes, le cerveau de l’homme s’est adapté de manière à faciliter la mise en branle de ces compétences. Ainsi, des modifications sont intervenues et, depuis, l’être humain a acquis des prédispositions innées à résoudre des problèmes. Il en va également de même dans le domaine des interactions sociales

Comme l’encéphale de nos élèves est calibré de manière à ce que ces compétences primaires se développent naturellement, il en découle que les dispositifs pédagogiques de résolution de problème, de découverte, d’enquête ou autre projet sont inutiles en terme de développement de compétences. Tout comme d’ailleurs les systèmes d’enseignement visant à développer des compétences transversales du type communicatives ou collaboratives. Si tout cela se fait naturellement, inutile de réinventer l’eau chaude systématiquement en classe. Concentrons plutôt nos efforts sur des choses qui en valent la peine.

Le seul résidu d’utilité qui peut éventuellement rester à ces méthodes réside dans l’acquisition de connaissances qu’elles peuvent susciter. Or, à ce sujet, les études empiriques menées à ce jour sont claires : ces méthodes d’apprentissage ne génèrent qu’une efficacité très limitée.  La thèse évolutionniste abat ainsi définitivement les derniers vestiges de crédibilités qui pouvaient rester au constructivisme éducatif.

Autres apports évolutionnistes

L’apport de Geary et des évolutionnistes pour le domaine éducatif ne s’arrête pas là. Leur théorie prétend également répondre à la lancinante question du « pourquoi apprendre » et donc, par là même, du contenu de ces apprentissages. Selon eux, en exerçant et développant leurs compétences primaires, les hommes ont développés d’autres connaissances qui, elles, n’étaient pas nécessaires à leur survie directe. Ainsi, au fur et à mesure que les sociétés ont crû, qu’elles ont évolué, elles ont acquis un corpus de connaissances culturelles et scientifiques dont la nature diverge profondément des habilités primaires : les connaissances secondaires. Soit qu’elles soient trop récentes soit qu’elles n’aient pas trait à la survie de l’espèce, ces nouveaux savoirs n’ont pas suscité de développement particulier du cerveau et nécessitent donc un effort particulier et important pour être assimilés.

L’accumulation de ces nouvelles connaissances a permis aux hommes d’aller de plus en plus loin, de s’éloigner de plus en plus du concret de tous les jours et d’atteindre des niveaux d’abstraction de plus en plus conséquents. Les savoirs ainsi générés s’éloignent ainsi de plus en plus des aptitudes primaires humaines. Voici deux exemples pour illustrer le cas : en mathématiques, l’aspect très concret de la géométrie la place à proximité des aptitudes primaires alors que l’algèbre, abstrait, en constitue un pôle bien plus éloigné. Dans le domaine de la langue maternelle, la lecture et l’écriture, inventions culturelles tardives, sont nettement plus éloignés des capacités primaires que ne peut l’être l’expression présente très tôt dans l’histoire de l’humanité.

A ce sujet, il faut aussi noter que puisque les élèves sont pré-conditionnés au développement de leurs capacités primaires, ils sont aussi naturellement motivés à les utiliser. Ce qui explique pourquoi un déficit de motivation peut survenir dès lors qu’on les en éloigne. La nature humaine telle qu’elle s’est développée au travers de l’évolution interfère donc régulièrement dans l’acquisition des savoirs académiques.

Enfin, selon Geary, les écoles sont apparues dans nos sociétés dès lors que l’écart existant entre les compétences primaires et les aptitudes secondaires non vitales mais que la société estime nécessaires à une bonne intégration est devenu trop conséquent pour que les habilités primaires permettent à chacun de les acquérir par soi-même. L’école doit donc servir d’accélérateur pour leur acquisition. Ce qui signifie notamment que plus l’objectif à atteindre est éloigné des capacités primaires de l’élève, plus il est nécessaire que le guidage exercé par l’enseignant soit important car les capacités propres de l’élèves ne lui permettent pas d’y arriver seul.

De tout ceci il me semble pouvoir déduire que :

  • Le constructivisme n’a pas sa place dans l’éducation sauf éventuellement pour atteindre les objectifs les moins élevés et ambitieux, ceux dont la nature les place à proximité des capacités
  • Le travail sur la plupart des compétences générales/transversales n’a que très peu d’intérêt. Les compétences ne prennent du sens qu’en tant que combinaisons complexes de différentes connaissances académiques.
  • Une école utile et efficace est une école qui laisse aux individus la responsabilité des apprentissages qu’ils peuvent effectuer facilement tout seul (apprentissage basé sur l’utilisation des capacités primaires) et se concentre plutôt sur ce qui est plus difficile à atteindre tout seul.
  • Pour y arriver un guidage direct important des enseignants est nécessaire. Celui-ci doit être en adéquation avec l’architecture cognitive des élèves
  • Le déficit motivationnel dû à la nature des savoirs à acquérir doit être comblé par des systèmes pédagogiques efficaces permettant l’émergence d’un nouveau type de motivation issue du sentiment d’efficacité personnelle.

Autant dire que si on se fie à l’approche évolutionniste,  notre école fait à peu près tout faux aujourd’hui.

Stevan Miljevic, le 5 février 2016 pour contrereforme.wordpress.com et lesobservateurs.ch

PS: certaines conclusions émises ici bas ne sont pas celles de l'auteur étudié mais celles que j'ai personnellement déduites de ces lectures

Bibliographie et sitographie:

David Geary "The why of learning" in Educational Psychologiste, July 2009 pp.198-201 disponible ici https://www.researchgate.net/publication/233080942

David Geary "Evolution and Education" in Psicothema, February 2010 disponible ici https://www.researchgate.net/publication/41138739

David Geary "Primal Brain in the modern classroom"  disponible ici https://www.researchgate.net/publication/253952304_Primal_Brain_in_the_Modern_Classroom

David Geary "Principles of Evolutionary Educational Psychology" in Learning and individual differences, July 2013 disponible ici https://www.researchgate.net/publication/222830140

 

jeudi, 07 janvier 2016

Ariane 6 : le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne?

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Le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne ?...

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous une note d'Hajnalka Vincze, cueillie sur le site de l'Institut de Veille et d'Etude des Relations Internationales (IVRIS) et consacré aux décisions européennes récemment adoptées vis-à-vis du programme Ariane. Analyste indépendante en politique de défense et de sécurité, Hajnalka Vincze a travaillé pour le ministère hongrois de la défense et a fondé l'IVRIS, un réseau d'experts européens dans les questions de défense et de géostratégie.

Ariane 6 : le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne?

Atout stratégique par excellence, le lanceur Ariane est le symbole même de l’Europe spatiale. Fait plutôt rare, c’est un succès à la fois politique, technologique et commercial. Or il risque aujourd’hui d’être détricoté, suite à un transfert inédit de contrôle et de compétences de l’Etat vers des industriels privés. 

Le projet du nouveau lanceur, successeur de l’actuelle Ariane 5, fut approuvé en décembre 2014 par les ministres européens. Pour faire face à la concurrence internationale, en particulier à l’américain SpaceX et ses lancements à bas prix, ceux-ci ont accepté, de A à Z, un projet proposé par les industriels. Plutôt que de privilégier l’innovation technologique, ce projet se fonde sur la mainmise de ces derniers sur l’ensemble de la filière. Il prévoit une réorganisation-privatisation de fond en comble pour s’approcher d’un modèle, prétendument plus compétitif, importé des Etats-Unis ; mais sans la garantie des engagements étatiques qui, en réalité, le font vivre de l’autre côté de l’Atlantique.

En agissant ainsi, les gouvernements européens, en premier lieu la France, prennent de sérieux risques. Outre les aspects financiers (qui laissent poindre le spectre d’une immense gabegie), c’est avant tout la modification des rapports de force entre industriels et pouvoirs publics qui s’annonce fort problématique. Donner les clés de ce programme hautement stratégique à des industriels comme Airbus, aux visées douteuses et à l’allégeance malléable, témoigne, de la part de l’Etat, d’une attitude pour le moins irresponsable.

Postulats erronés

Précisons d’emblée que la fusée, de même que la société qui l’exploite et le commercialise, Arianespace, est un succès incontesté et incontestable. Pour reprendre les propos de Stéphane Israël, le PDG d’Arianespace, récemment auditionné au Sénat, Ariane est « sur le point de battre un double record opérationnel et commercial », tout en étant une fierté européenne et nationale, ayant pour tâche principale de « garantir un accès indépendant de l’Europe à l’espace ». Chose surprenante par les temps qui courent, M. Israël n’oublie pas de rappeler l’effort collectif à la base de ces résultats remarquables. Quelques mois auparavant, devant les députés, il avait fait remarquer que « les systèmes de lancement que l’entreprise exploite, en particulier Ariane, n’existeraient pas sans la volonté et les investissements publics. Cette fusée est donc aussi un peu la vôtre. »

Or, il est clair que la décision des gouvernements européens concernant la suite de l’aventure soulève plus de questions qu’elle n’en résout. La cause en est simple : ils partent de postulats idéologiques au lieu de s’en tenir aux faits, et préfèrent des gains mercantiles immédiats (par ailleurs incertains) à la stratégie et à la vision politique à long terme. Les deux sources d’inspiration derrière ce choix, entériné en décembre 2014 par les ministres de l’Agence spatiale européenne, étaient l’Allemagne et les industriels eux-mêmes. Comme l’a expliqué la ministre Fioraso à l’époque, c’est Berlin qui fut l’avocat d’« une intégration industrielle plus importante, une prise de risques plus grande des industriels », en faisant valoir que « si l’industrie prend davantage de risques, il est normal qu’elle participe davantage à la conception et qu’elle partage la stratégie ».

Les industriels, eux, n’attendaient que cela. Ils avaient même devancé les gouvernements et les agences spatiales. Airbus, le maître d’œuvre, et Safran, le motoriste, avaient travaillé dans le plus grand secret, pour mettre les autorités publiques devant le fait accompli, en présentant, dès juin 2014 leur projet. En plus du design de la fusée, ils ont annoncé leur intention de fusionner leurs actifs respectifs, par la création d’une co-entreprise. Le tout assorti d’une condition de taille: la cession des parts du gouvernement français dans Arianespace. Deux semaines après, François Hollande lui-même donne son feu vert, lors d’un petit déjeuner rassemblant tous les acteurs principaux au palais présidentiel.

La co-entreprise Airbus Safran Launchers (ASL) aura donc désormais autorité sur les lanceurs dans tous les segments. Outre le développement proprement dit, cela inclut donc la conception (jusqu’ici la prérogative des agences, désormais réduites à définir les grandes lignes), de même que la commercialisation. Car en juin 2015, le gouvernement français a, en effet, entériné la cession des 34% d’Arianespace détenus par le CNES à ASL, ce dernier devient ainsi premier actionnaire avec 74% du capital. Rappelons encore une fois qu’en arrière-fond de cette restructuration-privatisation sans précédent se trouverait la volonté de « l’optimisation » de la filière dans le but de réduire les coûts, pour relever le défi de la concurrence internationale.

Paradoxalement, les points d’interrogation sur l’avenir d’Ariane sont moins liés à la compétition mondiale qu’aux choix opérés par les gouvernements européens soi-disant pour y faire face. A bien y regarder, le tant redouté américain SpaceX ne semble pas provoquer, en soi, un danger existentiel pour Ariane. Tout en reconnaissant les talents de son créateur Elon Musk (on lui doit également le service de paiement en ligne PayPal et les voitures électriques Tesla), il convient de souligner, comme l’a fait le PDG d’Arianespace, que les principaux atouts de SpaceX sont d’ordre politique, dans la mesure où le soutien indirect du gouvernement fédéral lui est fort bénéfique, à la fois en termes de marché captif (garanties de lancements domestiques) et en termes de prix.

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En effet, pour citer l’ancienne secrétaire d’Etat chargé du dossier, « les pouvoirs publics américains sont très impliqués ». Et Geneviève Fioraso de préciser que « la Nasa achète 130 millions de dollars à SpaceX un vol que l’entreprise va vendre à 60 millions de dollars à l’exportation. On peut appeler cela du soutien mais c’est du dumping ! » Curieusement, le patron d’Airbus Group, lui, passe cet aspect complètement sous silence lorsqu’il déclare vouloir s’inspirer de SpaceX, en louant notamment leur « dynamisme ». Fidèle à son dogme libéral-atlantiste, Tom Enders s’est servi de SpaceX pour revendiquer une restructuration complète de la filière avec, à la clé, plus de pouvoir aux industriels et la réduction du champ de contrôle des pouvoirs publics.

Incertitudes persistantes

La réorganisation en cours ne se fait pas sans mal, et comporte de sérieuses incertitudes pour Ariane. Pour commencer, l’annonce en fanfare du lancement du nouveau programme, et la passation des contrats qui s’en est suivie, ont failli faire oublier que les Allemands avaient obtenu un point d’étape (go/no go, autrement dit feu vert ou arrêt), à la mi-2016. Or si Berlin a été le grand avocat de l’option « industrielle » retenue pour Ariane 6 (restructuration-privatisation plutôt qu’innovation technologique), c’est avant tout parce qu’il considère le projet sous un angle mercantile. Son soutien risque de s’évaporer si, au lieu de la réduction escomptée des coûts du projet, l’opération finit, ce qui est fort probable, par en augmenter les frais.

Outre la multiplication des factures imprévues présentées par les industriels, l’autre point d’interrogation sur le plan financier concerne les éventuelles réserves des clients actuels et potentiels. En effet, les constructeurs de satellites rivaux d’Airbus (dont c’est une des branches d’activité) pourraient ne pas trop apprécier ce nouvel arrangement. Airbus Group se veut rassurant : pour eux« notre objectif est de vendre le plus de lanceurs possible, y compris pour lancer les satellites de nos concurrents. Rien ne justifie la moindre inquiétude à ce sujet ». Pourvu que les clients partagent ce sentiment. Car même si on leur promet une cloison impénétrable entre satellites faits maison et fusées, il est difficile d’empêcher qu’à un moment ou un autre, le doute surgisse. Que ce soit l’octroi des créneaux de lancement privilégiés ou la possibilité d’offres coordonnées, Arianespace, de facto devenue filiale d’Airbus Group, pourra toujours être soupçonnée de favoritisme.

Pour couronner le tout, en plus de la commercialisation des fusées, Arianespace remplit aussi une fonction d’expertise qui lui donne accès aux informations techniques confidentielles des constructeurs de satellites rivaux d’Airbus. Avant le lancement, elle « prépare les analyses de mission, qui visent notamment à s’assurer que le lanceur est adapté au satellite qu’il devra mettre en orbite ». Cela nécessite une connaissance exacte des données techniques des satellites. Pour le PDG d’Arianespace, un découpage entre les deux fonctions (commerciale et d’expertise) serait inconcevable, puisque les deux font ensemble le succès de la société, en positionnant Arianespace comme la garante de la fiabilité ultime de la fusée. Reste à voir comment la nouvelle co-entreprise saura jongler avec ces différents volets.

A ces questionnements de nature financière et commerciale viennent s’ajouter ensuite des interrogations d’ordre politique. Sans surprise, la première d’entre elles concerne la question, sempiternelle, de la préférence européenne. Autrement dit, le fait de savoir si les gouvernements du vieux continent seraient enfin prêts à s’engager à privilégier leurs propres produits; comme le font d’ailleurs, et à juste titre, les Etats-Unis. Pour Ariane 6, seuls cinq lancements institutionnels seront garantis, d’après la ministre. Certes, on reste au même nombre qu’aujourd’hui, mais « cela signifie, tacitement, que chaque pays membre accepte le principe d’une préférence européenne. On ne peut pas écrire obligation, à cause des règles européennes ».

Le PDG d’Arianespace voulait y voir, en mai, « une sorte de ‘Buy European Act’, sachant que notre concurrent américain bénéficie déjà, quant à lui, d’un marché garanti aux États-Unis : la législation américaine impose que les charges utiles américaines soient mises en orbite par un lanceur construit majoritairement aux États-Unis. » Cinq mois plus tard, il a dû se rendre à l’évidence :« Aujourd’hui, le ‘Buy European Act’ n’existe pas. Il est vrai que les États européens peuvent choisir un autre lanceur que ceux d’Arianespace ». Ce qu’ils font, en effet, sans état d’âme. A l’instar de l’Allemagne, qui n’a pas hésité à confier à SpaceX le lancement de certains de ses satellites.

Or, prévient la ministre française : « Si nous ne sommes pas la carte de l’Europe, nous fragiliserons et in fine, perdrons la filière des lanceurs européens. Et au-delà, nous perdons notre avantage compétitif en matière de télécoms, en matière d’accès aux données scientifiques, environnementales, climatiques et en matière de sécurité et de défense. » Mais comment attendre des gouvernements de jouer la carte de l’Europe en matière de lancement si même Airbus ne le fait pas ? Le groupe, qui aura désormais la haute main sur l’ensemble de la filière et réclame, de ce fait, la garantie de cinq lancements institutionnels, souhaitait lui-même confier à son concurrent US le lancement d’un satellite de télécommunication dernier cri de l’Agence spatiale européenne (ESA), simplement pour le rendre plus rentable…

Abandons coupables

Au départ, la réorganisation actuelle a été présentée comme répondant à deux critères de base. D’une part, un besoin de réduction des coûts, par le biais d’une plus grande prise de responsabilité des industriels, de l’autre le maintien, tout de même, de la position des Etats. Sur ce dernier point, la ministre Fioraso a été très claire : « L’Etat restera présent dans la gouvernance et contrôlera ». Sauf que le périmètre de cette présence se réduit comme une peau de chagrin, en emportant le pouvoir de contrôle dans son sillage. Pour le PDG d’Arianespace, « les acteurs minoritaires qui représentent un lien avec les Gouvernements (…) doivent recevoir des garanties ». Autrement dit, ce n’est pas d’emblée le cas.

La question des coûts reste elle aussi opaque. Si les industriels disent prendre plus de risques, c’est loin d’être manifeste. Pour commencer, on ne sait toujours pas qui aura la charge d’éventuels échecs. Or, selon Stéphane Israël, « rien ne coûte plus cher qu’un échec et il importe de préciser les engagements des uns et des autres », mais « jusqu’à ce jour, rien n’est figé comme en témoignent les discussions en cours entre l’Agence spatiale européenne et Airbus Safran Launchers ». De surcroît, les industriels ne cessent de grignoter sur le volet financier de l’accord. Comme Michel Cabirol de La Tribune le met en évidence, tantôt ils demandent une rallonge d’un milliard, tantôt ils refusent de contribuer au maintien en condition opérationnelle du pas de tir en Guyane, tantôt ils exigent pour eux la gratuité pure et simple du Centre spatial, une faveur jamais octroyée à Arianespace.

Force est de constater que, dans ce domaine hautement stratégique, on risque de se retrouver devant un schéma étrangement similaire à celui des Etats-Unis. Un modèle caractérisé par de grandes sociétés privées, soutenues par d’immenses gaspillages de fonds publics. A la différence près que, contrairement au cas américain, les pouvoirs publics en Europe ne peuvent même pas être certains, à long terme, de la loyauté des sociétés qu’ils soutiennent – en l’absence d’un marché public gigantesque qui garantirait une loyauté d’intérêt, et faute de règles contraignantes européennes capables d’imposer, comme de l’autre côté de l’Atlantique, une loyauté juridico-institutionnelle.

Or, en parlant d’Ariane, il convient de garder à l’esprit que le lanceur conditionne la pérennité, la crédibilité, la rentabilité/compétitivité et l’autonomie de l’ensemble du secteur spatial. Que l’on se rappelle les origines mêmes de la création d’Ariane : en 1973, n’ayant pas de lanceur européen à leur disposition, Français et Allemands ont dû aller quémander auprès des Américains pour pouvoir mettre en orbite leur satellite de télécommunication. Or « les Américains, se souvient Frédéric d’Allest, ancien Directeur général du Centre national d’Etudes spatiales (CNES), ont fait savoir qu’ils voulaient bien lancer Symphonie mais à condition qu’il soit limité à des fonctions expérimentales ». Profitant de leur monopole, les Américains ont donc interdit toute utilisation à des fins commerciales, par souci d’éliminer la possibilité même d’un rival.

Un véritable déclic, d’après les témoins de l’époque, le diktat américain a finalement permis de lever les obstacles politiques, entre Européens, à la construction de ce formidable outil de souveraineté qu’est le lanceur Ariane. En effet, la leçon fut claire : sans accès indépendant à l’espace, il n’y a tout simplement pas de politique spatiale. Jouer aujourd’hui à l’apprenti sorcier, en procédant à une restructuration dans des conditions et avec des engagements opaques, au risque de fragiliser la position de l’Etat et au profit d’industriels dont le passé, le bilan et le profil sont loin d’être irréprochables – cela mérite au moins débat…

Hajnalka Vincze (IVERIS, 1er janvier 2016)

dimanche, 01 novembre 2015

Les progrès de la médecine, est-ce fini ? C’est peut-être pire encore.

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Les progrès de la médecine, est-ce fini ? C’est peut-être pire encore

 
Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Anne-Laure Boch est une pasionaria de la vie de l’esprit mais aussi de la vie du corps. Elle a d’abord étudié la médecine, ce qui l’a conduite à devenir neurochirurgienne à  l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Ensuite elle a obtenu un doctorat en philosophie. Elle voulait  comprendre ce qu’elle faisait comme médecin, et pourquoi. C’est cette méditation sur le sens de la médecine qu’elle a partagé avec les étudiants de l’institut Philanthropos à Fribourg. Devant eux, elle a posé la question de savoir si l’on pouvait encore attendre des progrès en médecine. Elle en doute et craint que la médecine ne produise désormais plus de méfaits que de bienfaits.

Elle n’a évidemment pas nié que la médecine occidentale a fait d’énormes progrès dans les trois derniers siècles.  Mais rien ne nous garantit que des progrès passés engendrent des progrès pour l’avenir. Les communistes croyaient dur comme fer aux progrès de la science et ils ont bien placé Gagarine en orbite. Mais au-delà, plus rien ou presque. Ce n’est pas seulement que le progrès peut s’arrêter mais que, sur sa lancée, il peut produire du déclin, l’accélérer même. Une fusée, en retombant, peut faire des dégâts. La fusée de la médecine et des recherches qui lui sont associées est-elle en train de retomber ? On peut le craindre et c’est à repérer les raisons de cette crainte qu’Anne-Laure Boch s’est attachée.

La vocation de la médecine est de guérir. A-t-elle guéri le cancer par exemple ? Non, elle a fait de lui une maladie chronique, mais de guérison, point ! Si le but de la médecine est de faire survivre à n’importe quel prix, alors, oui, elle parvient effectivement à faire vivre plus longtemps les malades du cancer ? Mais le but de la médecine est la guérison du malade, pas son maintien en vie avec acharnement thérapeutique. Là, c’est l’échec, malgré les milliards investis dans la recherche depuis 50 ans. Faut-il se résigner à voir dans la médecine ce qui nous amène aux chaises roulantes, au semainier avec ingestion quotidienne de pilules, à un cheminement de plus en plus chevrotant avant la tombe ? Anne-Laure Boch ne s’y est jamais résignée. Pourquoi ?

Parce que, pour elle, l’être humain n’est pas un « tas de molécules » dont il faudrait comprendre le fonctionnement pour les rendre plus performantes. Elle a noté en passant que si nous ne sommes qu’un tas de molécules, l’amour se réduit à un frottement de chairs suivis de l’émission d’un liquide gluant. Pouvons-nous encore aimer si nous sommes un tas de molécules ?

La science ne connaît que des choses, et la technique « désanime » les êtres. De plus en plus dominée par la science, la médecine est devenue une « grande découpeuse » qui coupe le corps en tranches de plus en plus fines, comme le font d’ailleurs les images produites par un scanner médical. Plus encore, ce découpage conduit aujourd’hui à des greffes d’organes qui, à terme et selon certains, devraient nous permettre de vivre des centaines d’années (pour peu que les banques d’organes s’enrichissent…) Le philosophe Jean-Luc Nancy a témoigné de son expérience de greffé du cœur et du sentiment qu’il a eu d’être devenu « autre » après son opération. Or devenir autre, c’est se sentir aliéné. La médecine moderne s’est engagée sur un chemin qui, si elle le poursuit, pourrait non seulement faire de nous des assistés en chaise roulante, mais aussi des êtres qui se sentiraient étrangers à eux-mêmes. J’entends déjà caqueter les vautours de la vie à tout prix : « Au moins ils seraient vivants ! » Une vie mortelle, peu importe comment ! Étrange caquetage, puisque cette vie, nous devrons la quitter. Anne-Laure Boch n’est pas allée aussi loin mais je crois qu’elle me pardonnera de le faire. Je ne résiste pas toujours au plaisir d’extrapoler.

Nous ne sommes pas des choses dont la destination ultime serait de fonctionner le mieux possible dans le temps et dans l’espace. Si tel était le cas, alors oui, il faudrait tout faire pour nous rendre plus performants, plus propres, plus sains. Qui serait cet homme performant dont la figure transparaît en filigrane dans toutes les injonctions à ne pas fumer, à ne pas manger de viande, à ne pas boire le gras du lait, pour… éviter le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète ou même la grippe lorsqu’arrive l’automne ? Cet homme, a souligné Anne-Laure Boch, serait un « homme nouveau ». Il serait si propre, si fonctionnel que, dans l’imaginaire des peuples modernes, il  échapperait à la mort. Il suffit de se tourner vers les propositions du transhumanisme pour voir se dessiner le visage de cet homme nouveau ou surhomme. Pas tout à fait un visage encore, puisqu’il est question, dans ce transhumanisme, d’utérus artificiel ou de cerveau agrandi, mais le visage apparaîtra bien un jour. Il y a des chances pour que ce soit celui de Frankenstein, couturé de cicatrices en raison des greffes subies, le regard perdu en raison des pilules absorbées.

Voilà ce qui inquiète Anne-Laure Boch : l’image presque toute-puissante d’un homme nouveau qui a échappé à la condition humaine, à sa condition d’homme mortel. C’est cette image qui guide, oriente, soutient la médecine moderne qui a oublié sa vocation première, guérir, pour participer à une grande marche vers une nouvelle terre et de nouveaux cieux. Chacun connaît la formule prononcée aux enterrements : « tu es né de la poussière et tu redeviendras poussière ». Eh bien, pas du tout pour la médecine d’aujourd’hui qui promeut un homme nouveau ! Elle n’est pas consciente, ajouterai-je, de s’être faite le promoteur de cet homme, mais elle n’en est pas moins orientée par lui. Était-il conscient de ce qu’il promouvait, cet expert de l’OMS qui expliquait récemment que la viande rouge augmente les risques de cancer du côlon ? Il est probable qu’interrogé, il aurait nié vouloir promouvoir un homme que la mort ne limiterait plus. Pour autant, le rapport de L’OMS sur la viande rouge tueuse n’en suggérait pas moins qu’à long terme, la mort pourrait être éradiquée non seulement par les greffes d’organes mais aussi par une prévention systématique dont on devinait que, une fois mise en place, elle nous conduirait vers d’enchantés pâturages où broutent déjà les adeptes du « véganisme ».

Les gardiens ou gargouilles d’une médecine orientée par pilotage automatique vers un homme nouveau abondent. Mais il n’y a pas que cela. Anne-Laure Boch nous a rendus attentifs au fait que différentes infrastructures se sont mises en place autour de la promotion de l’homme nouveau : structures d’accueil pour la fin de vie, personnel soignant pour ces structures, industrie pharmaceutique qui renforce le mythe d’une nouvelle vie grâce au viagra et autres pilules roses.

Notre époque n’aime pas les dogmes religieux, mais elle avale tout cru le dogme du progrès en général, le dogme du progrès de la médecine en particulier. C’est contre lui qu’Anne-Laure Boch s’est élevée avec, comme bélier pour enfoncer les portes de cette nouvelle citadelle dogmatique, Ivan Illich. Ce prêtre philosophe a en effet montré combien le dogme du progrès conduit à penser que, quoi qu’il arrive, on va vers le mieux, plus de bien-être, plus de bonheur. Staline déclarait en 1936 que les Russes étaient de plus en plus heureux, juste après avoir fait mourir de faim des millions d’Ukrainiens et juste avant d’organiser des grandes purges avec des centaines de milliers d’assassinats. Mais les gens l’ont cru, tant la soif de bonheur et d’immortalité est grande en nous.

Est-ce que, parmi des déambulateurs, des chaises roulantes, des drogués au Prozac, nous continuerons à bêler notre credo sur les bienfaits de la médecine et de la recherche ?

Pour Anne-Laure Boch ce n’est pas sûr. Nous voyons grandir la proportion des gens qui préfèrent mourir plutôt que d’être pris en charge par une médecine qui risque de faire d’eux des morts-vivants. Rejoindre le cortège des chevrotants ne les tente guère. Un autre facteur est que la schizophrénie s’aggrave chez les soignants : d’un côté ils sont encouragés à manifester de la bienveillance envers les malades – d’un autre côté, on leur dit que ces mêmes malades sont un « tas de molécules ». Viendra un jour où soigner des patients « molécularisés » n’aura plus de sens. Ce jour-là, il sera peut-être possible de retrouver une médecine qui se contente de guérir plutôt que de s’acharner à faire survivre à n’importe quel prix.

Jan Marejko, 28 ocotobre 2015

00:05 Publié dans Philosophie, Science, Sciences | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : science, sciences, médecine, philosophie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook