mercredi, 18 novembre 2009
Pour un nouveau Regnum Francorum
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997
POUR UN NOUVEAU REGNUM FRANCORUM:
Bilan critique et perspectives des relations franco-allemandes
Intervention de Louis Sorel lors du séminaire d'Ile-de-France de «Synergies Européennes», 26 octobre 1997
Se féliciter de l'excellence des relations franco-allemandes est devenu le point de passage obligé de la rhétorique politique française, officielle du moins, et l'axe Paris-Berlin est le support de représentations angéliques dont on ne peut comprendre le sens sans retour à l'histoire. On sait combien l'antagonisme franco-allemand aura pesé sur le destin de l'Europe moderne. Dans Les empires et la puissance, le général Jordis von Lohausen voit en la dissolution de l'empire carolingien, de 843 à 880, l'origine première de la grande catastrophe européenne: «la lutte des frères jumeaux francs, écrit-il, de guerre en guerre, appelle à la rescousse des alliés influents jusqu'au moment —en 1945— où ces derniers prennent le gouvernail en main. L'Europe n'est plus qu'une province. La tragédie du Royaume franc désuni a pris fin». Et fort justement, au lendemain des lointaines conséquences de la division entre Francs de l'Est et Francs de l'Ouest, Winston Churchill affirme: «Il n'y aura pas de renouveau européen sans la grandeur spirituelle de la France, sans la grandeur spirituelle de l'Allemagne» (Discours de Zurich, 1946).
Après le long face à face de la période 1870-1945, l'axe franco-allemand (France-RFA) est donc devenu la colonne vertébrale du projet européen. Cette relation pérenne n'en est pas moins soumise aux paradoxes éléatiques depuis la réunification allemande. On en parle sans cesse, sans que pour autant elle ne semble véritablement progresser. Cette intervention se veut une modeste contribution à la formation d'une communauté de destin entre nos deux nations sœurs, un nouveau Regnum Francorum, dans une optique résolument grand-européenne. Après avoir dressé le bilan des relations franco-allemandes, nous jetterons les bases d'un nouveau départ et examinerons les formes possibles d'un futur Regnum Francorum.
Les rapports politico-stratégiques franco-allemands
Le bilan critique des rapports politiques et stratégiques entre la France et l'Allemagne commencera par un bref historique de ces relations depuis 1945. Encore qu'à cette date, il n'y ait pas, stricto sensu, de relation entre nos deux pays. L'Allemagne est considérée comme un simple objet de notre politique extérieure qui poursuit des objectifs classiques: rattachement de la Sarre, contrôle de la Rhénanie et morcellement territorial. Conformément au programme de Richelieu, il s'agit de fixer l'anarchie allemande. La rupture américano-soviétique vient contrarier ces projets. La nation allemande divisée par le rideau de fer, Washington entend bien relever la toute jeune RFA et l'arrimer à l'«Ouest» (entrée dans l'OTAN en 1954). La France lâche donc prise et la question de la Sarre est réglée en 1956. C'est alors que débutent les relations franco-allemandes —par Allemagne, nous entendons RFA— au sein desquelles nous distinguerons quatre phases: la réconciliation, entre 1954 et 1963; divergences et statu quo, de 1963 à 1974; le temps du «couple franco-allemand», de 1974 à 1989; la fin de l'idylle, depuis les «ratés» qui ont accompagné et suivi la réunification.
La réconciliation s'opère, à la fin de la IVième République, dans un cadre atlantique et sous l'égide des Etats-Unis. Le retour au pouvoir du général De Gaulle, en 1958, contrarie bien l'avancée de quelques projets de coopération —dans le domaine nucléaire notamment— mais les hésitations de l'Administration Kennedy en matière de politique européenne amènent Paris et Bonn à concevoir une communauté politique et stratégique franco-allemande. Signé par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer le 22 janvier 1963, le traité de l'Elysée prévoit, dans un cadre inter-gouvernemental, le développement d'une étroite coopération diplomatique, militaire et éducative. Cet ambitieux traité est contré par Washington et les pressions sur la classe politique ouest-allemande amènent le Bundestag à voter un préambule rappelant le primat des solidarités transatlantiques et occidentales sur l'alliance franco-allemande, la prééminence de l'OTAN et la nécessité d'élargir la CEE à la Grande-Bretagne. Le traité de l'Elysée est vidé de sa substance.
Suit jusqu'en 1974 une phase de statu quo. La RFA refuse d'avoir à choisir entre la France et les Etats-Unis et le retrait des troupes françaises de l'OTAN (1966) amplifie les divergences. De Gaulle parti et Georges Pompidou élu (1969), les choses ne s'améliorent pas. Très méfiant tant vis à vis du Deutschmark que de l'Ostpolitik de Willy Brandt, le nouveau président français entame un rapprochement avec la Grande-Bretagne qui entre dans la CEE en 1974.
De Schmidt-Giscard à la réunification
Vient ensuite le temps du «couple franco-allemand», incarné par Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt de 1974 à 1981, puis François Mitterrand et Helmut Kohl jusqu'à la réunification. Dans les années quatre-vingt, ce resserrement est particulièrement spectaculaire lors de la crise des euromissiles (discours de François Mitterrand au Bundestag, 1983). Il se traduit par la réactivation de l'UEO (Déclaration de Rome en 1984, Plate-forme de La Haye en 1987) et la relance du projet européen (Acte unique, 1986). C'est à la fin de la décennie que le cours de l'histoire bifurque et vient contrarier cet itinéraire soigneusement balisé.
En 1989, les événements se précipitent. Sous l'effet des contradictions du gorbatchévisme, la RDA se délite et la perspective de l'unité allemande, prévue par les Accords de Londres et de Paris (1954), est difficilement vécue à Paris. F. Mitterrand se précipite à Kiev le 6 décembre pour jouer un mauvais remake de l'alliance franco-russe, puis à Berlin-Est le 20 du même mois. Cette diplomatie erratique échoue à maintenir un statu quo qui déjà n'existe plus et la réunification est officielle en droit international le 3 octobre 1990. Depuis, l'alliance franco-allemande, bien qu'irréfragable, ne va plus de soi dans les esprits et il faut remettre l'ouvrage sur le métier.
Il n'y pas de création ex nihilo et au terme de quarante ans d'étroites relations franco-allemandes, il nous faut procéder à l'inventaire, pour ensuite refonder l'alliance entre nos deux pays. Nos deux nations héritent des structures de coopération intergouvernementales mises en place dans le cadre du traité de l'Elysée: sommets semestriels des Chefs d'Etat et de gouvernement; réunions trimestrielles des ministres des affaires étrangères et de la défense; commission interministèrielle dans chacun des deux pays pour coordonner l'action gouvernementale. Ce dispositif a été complété par le protocole du 22 janvier 1988, de nouvelles instance voyant le jour: Conseil franco-allemand de défense et de sécurité; Conseil franco-allemand économique et financier; Haut-Conseil culturel et Collège franco-allemand pour l'enseignement supérieur. Cet édifice se double d'une coopération étroite en matière d'armement. L'Institut de Saint Louis a été fondé en 1959 —il préfigure la future agence européenne de l'armement— et depuis, de très nombreuses réalisations ont vu le jour. Pour le proche avenir, nous ne mentionnerons que le projet de réseau spatial de renseignement stratégique (Hélios II et Horus) dont les partenaires discutent encore. Les acquis sont donc réels mais ce trop rapide inventaire appelle deux remarques. Tout d'abord, la multiplicité des structures de coopération et des projets n'empêche pas les divergences; les structures ne sauraient pallier à la volonté politique. Ensuite, il apparaît que le rapprochement des sociétés civiles n'a pas suivi: peu de collaboration d'entreprises allemandes et françaises; peu d'échanges d'hommes; peu d'échanges culturels et linguistiques. Dans nombre de secteurs d'activité, Français et Allemands s'ignorent réciproquement et beaucoup reste à faire.
Par ailleurs, l'alliance franco-allemande —que l'on justifie rituellement par le souvenir des guerres civiles européennes et l'impératif de paix entre nos peuples quand il faudrait renouer avec l'audace de la puissance— ne va pas sans arrières-pensées que la pudeur nomme «malentendus».
Via une étroite coopération avec la RFA, la France cherche à l'encadrer et l'utiliser comme levier de puissance, pour prendre la direction de l'Europe occidentale. En somme, l'instrumentaliser à la manière de feu la Confédération du Rhin. Ceci explique les «ratés» diplomatiques de 1989 et le traité de Maastricht, notamment les dispositions relatives à l'Union économique et monétaire, peut légitimement être interprété comme une dernière tentative, illusoire, de lier l'Allemagne. C'est là son vice constitutif. De son côté, l'Allemagne s'est appuyée sur les Etats-Unis pour contrebalancer le poids de la France en Europe occidentale. Aujourd'hui, le conflit Est-Ouest achevé, les Etats-Unis jouent la carte du «partnership in leadership» (Bill Clinton) et la tentation de l'axe germano-américain est forte outre-Rhin, dans certains milieux monétaro-atlantistes. Le blocage, que l'on espère temporaire, du projet Hélios II s'explique pour partie par cette tentation.
Chacun des deux partenaires cherche donc à se placer au point d'intersection du système européen et du système atlantique, pour le plus grand profit des Etats-Unis, et l'alliance franco-allemande demeure incertaine, pour paraphraser Georges-Henri Soutou. Il nous faut donc faire fructifier les acquis des dernières décennies et pour cela jeter les bases d'un nouveau départ.
Les bases d'un nouveau départ
Toute réflexion sur l'avenir des relations franco-allemandes doit partir des bases géopolitiques, géo-économiques et géo-culturelles de l'axe Paris-Berlin, colonne vertébrale du projet européen.
Les bases géopolitiques tout d'abord. Dans son maître-ouvrage, J. von Lohausen souligne l'importance, dans le cours de l'histoire politique européenne, de la «communauté d'espace franc». Cet espace-noyau (le «Kernraum») correspond au territoire français et à la partie occidentale du territoire allemand qui réunis forment le «pays-tronc» du continent européen. Pour montrer l'importance de cette plaque tournante entre les péninsules européennes, de ce pont entre les mers qui baignent notre continent, J. von Lohausen recourt à l'image de «la paume dont les cinq doigts sont la Scandinavie, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie et les Balkans». Au cœur de l'Ancien Occident, au sens médiéval du terme, la «communauté d'espace franc» est l'épicentre de la Grande Europe. Il n'y aura donc pas de structuration politique d'une unité de sens et de puissance paneuropéenne sans entente et harmonie entre la France et l'Allemagne.
A l'échelle planétaire, ces deux pays partagent une même situation géopolitique. On sait que Alfred T. Mahan, Halford MacKinder, Nicholas Spykman et Karl Haushofer interprètent l'histoire du monde à partir de quelques schèmes fondamentaux: l'opposition entre puissances maritimes-thalassocratiques et puissances continentales-telluriques; le rôle pivot de la masse eurasiatique, le Heartland, base géographique de la puissance continentale; l'affrontement entre Terre et Mer pour contrôler le Rimland, ces territoires périphériques et péninsulaires qui, de la Norvège à la Corée, ceinturent le Heartland. Pour déchiffrer le système-Monde post-guerre froide, ce corpus de représentations géopolitiques doit être remanié. L'univers est globalisé, c'est-à-dire unifié par les liaisons océaniques, aériennes et spatiales, et dans ce monde océano-spatial, la géographie des systèmes de graphes (systèmes de relations) compte tout autant que la configuration des terres et des mers. Situé en marge de ce maillage planétaire, l'espace russo-sibérien est déclassé. L'ancien Heartland n'est plus la puissance émergente du début du siècle mais une «aire des possibles».
Le danger des thématiques atlantistes
Pivot du système-Monde, les Etats-Unis sont aujourd'hui le nouvel Heartland. Au cœur des flux planétaires flux de marchandises, de capitaux et d'information, ils sont les seuls à pouvoir intervenir militairement à l'autre bout du monde et se placent au sommet du «grand triangle» Amérique du Nord/Union européenne/Japon-NPI (la Triade de Kenichi Ohmae). Dans cette configuration planétaire, la France, l'Allemagne et tous les Etats Européens sont géopolitiquement subordonnés. Périphérie orientale d'un Nouvel Occident américano-centré, l'Europe est toujours un rimland, non plus eurasiatique aujourd'hui mais euratlantique. Plateforme d'influence américaine, elle est instrumentalisée par les Etats-Unis dans leur entreprise de refoulement de la Russie (roll-back) et de désenclavement de la masse continentale eurasiatique; à cet égard, la lecture du dernier ouvrage de Zbigniew Brzezinski est édifiante. Masquée par un ensemble de représentations illusoires —thématiques de la «communauté atlantique» et des «droits de l'homme»—, cette situation est dommageable aux intérêts de nos deux nations. Elle interdit toute politique indépendante sur les marges méditerranéennes et moyen-orientales de notre continent, et entrave l'émergence d'un partenariat russo-européen profitable aux deux parties.
Les bases de l'alliance franco-allemande sont aussi géo-économiques. Terme clef de l'après-guerre froide, la mondialisation ne doit pas dissimuler la constitution de nouvelles territorialités économiques et espaces préférentiels d'échanges, les régions planétaires ou macro-régions. Sur une carte de la Triade, l'Union européenne et son hinterland apparaissent comme l'une des trois têtes économiques et financières du système-Monde. Au cœur, le binôme franco-allemand, noyau dur de la géo-économie européenne. Les deux autres têtes sont le Japon, flanqué des NPI d'Asie-Pacifique, et les Etats-Unis, qui polarisent l'ALENA.
On sait que le «turbo-capitalisme» américain (Edward N. Luttwak) a retrouvé son dynamisme et la diplomatie-Clinton vise avant tout conquérir des marchés et instituer une économie mondiale ouverte (diplomatie de négoce). Ce libre-échangisme tous azimuts vise à interdire la marche géopolitique vers la macro-régionalisation et ces conceptions géo-économiques états-uniennes sont contraires à celles des Européens. Rappelons que l'objectif du traité de Rome était de constituer un marché commun, c'est-à-dire un espace économique autocentré.
Il est vrai que le traité de Maastricht a mis à mal le principe de préférence communautaire mais il semble que, face à l'objectif américain de dissolution de l'Union européenne dans le marché-monde libéral, Français et Allemands puissent se battre pour faire prévaloir un libre-échange maîtrisé. Les projets américains sont des plus concrets. La «Déclaration sur les relations entre la Communauté européenne et les Etats-Unis» de novembre 1990 stipule que les parties s'engagent à «promouvoir les principes de marché, repousser le protectionnisme, élargir, renforcer et poursuivre l'ouverture du système commercial multilatéral». En 1995, la Commission européenne et le Département du commerce ont lancé le «Dialogue transatlantique des affaires», préalable à la signature la même année d'un «Nouvel agenda transatlantique» prévoyant la mise en place d'une zone de libre-échange euro-américaine. De telles perspectives ne manqueraient d'ouvrir plus encore le Grand Continent aux firmes d'outre-Atlantique qui seraient en mesure de faire prévaloir leurs propres normes de fabrication. Une riposte franco-allemande et plus largement européenne est indispensable; il y va de nos équilibres économiques, écologiques (viande aux hormones, organismes génétiquement modifiés) et sociaux.
Le choc des civilisations de Samuel Huntington
Reste à envisager les bases géo-culturelles de l'alliance franco-allemande. Dans un ouvrage fondamental, Le choc des civilisations, beaucoup moins simpliste que certains critiques ne l'ont affirmé, Samuel P. Huntington souligne le rôle fondamental des données ethno-linguistiques et religieuses dans un univers globalisé où sons et images relient les différentes «îles» de l'archipel-monde, aires de civilisation et sous-blocs culturels. L'occidentalisation des sociétés du Sud, qu'il distingue de leur modernisation, ne serait selon cet auteur qu'un vernis superficiel et la fin de la guerre froide signifiant aussi la fin d'un monde objectivement euro-centré, les temps présents seraient aux résurgences et à l'affirmation identitaires. En conséquence, l'instance culturelle deviendrait un champ majeur de confrontation.
Dans le découpage de S.P. Huntington, l'Europe occidentale et centrale ainsi que l'Amérique du Nord appartiennent à la même aire de civilisation, issue de la Chrétienté latine. L'Europe orientale, les Balkans et l'espace russo-sibérien relèvent de l'aire slave-orthodoxe, elle-même issue de la Chrétienté byzantine. C'est à notre sens tenir pour quantité négligeable les communes racines grecques de la civilisation européenne, au Levant comme au Couchant du Grand Continent. Inversément, si l'on ne peut nier que l'Amérique soit la fille de l'Europe, on ne saurait non plus faire l'impasse sur les rapports complexes d'attraction-répulsion qu'entretiennent les deux rives de l'Atlantique. A tout le moins, il nous semble judicieux de distinguer au sein de la «civilisation occidentale», vaste ensemble aux contours bien flous et aux solidarités relâchées depuis la disparition de tout adversaire global, une aire européenne et une aire anglo-saxonne.
Au cœur de l'espace européen, la France et l'Allemagne partagent donc une même identité de civilisation que de trop longues dissertations sur latinité et germanité ont partiellement oblitérée après 1870. Les origines franques de la nation française et le commun passé carolingien ont été refoulés mais le dessous finit toujours par prendre le dessus et l'on ne peut que louer le travail d'anamnèse fait par Dominique Venner et la revue Enquête sur l'histoire. Cette prise de conscience historique jointe à une commune appréhension de l'espace —penser en termes de siècles et penser en termes de continents sont une seule et même chose, rappelle J. von Lohausen— déterminera l'avenir de l'alliance franco-allemande. Dans l'immédiat, nos deux pays sont pareillement menacés par le modèle culturel américain, composante à part entière de la stratégie intégrale de Washington. L'exercice du soft power (pouvoir de persuasion et de séduction) contribue au déracinement et à la dislocation de nos sociétés, annihile la volonté de puissance de nos nations en nous privant de nos «énergies rétroactives» et, en dernière instance, «habille» et légitime la domination américaine. Pareillement confrontés aux stratégies culturelles de Washington, Paris et Berlin devraient forger en commun leur riposte et élaborer leur propre stratégie.
Au terme de cette partie, il semble évident que la France et l'Allemagne vivent dans le même espace-temps géopolitique —même situation et mêmes menaces— et sont toutes deux objets de la stratégie intégrale des Etats-Unis. Cette communauté d'origine, d'espace et de civilisation débouche nécessairement sur une communauté de destin et c'est sur la base de cette vérité première qu'une plage d'intérêts communs peut être définie.
Vers un nouveau regnum francorum
Nous appelons «regnum» une communauté de peuples et de nations soudée par un même destin géopolitique. Entre la France et l'Allemagne, cette communauté de destin peut prendre deux formes: celle d'un «noyau» dur au sein de l'Union européenne ou celle d'une confédération entre nos deux pays, dans le cas où les Européens ne parviendraient pas se doter d'un toit politique. Sur les bases que nous avons précédemment jetées, la France et l'Allemagne ont vocation à former un «noyau dur» au sein d'une Union européenne réformée et élargie à l'Est. Cette nouvelle extension risque en effet d'entraîner une dilution, l'Union européenne évoluant vers une zone de libre-échange dépourvue de capacités diplomatiques et stratégiques. La solution, très officiellement recommandée par la CDU (document Schäuble-Lamers/1994), consiste à donner la possibilité aux Etats qui le veulent d'aller de l'avant. Alors qu'aujourd'hui, le Conseil européen vote à l'unanimité dans les domaines politique, diplomatique et stratégique, le droit de veto serait restreint à quelques questions —admission d'un nouvel Etat membre, révision des traités et réforme des institutions, signature d'un nouveau traité...— ce qui permettrait d'éviter la paralysie pour tout ce qui relève de l'action extérieure. En contrepartie, il existerait une option de sortie pour les Etats désireux de s'en tenir au cercle de droit commun et ne voulant pas participer à une quelconque initiative diplomatico-stratégique (une intervention militaire par exemple). La contrainte serait donc évitée. C'est le principe des «coopérations renforcées»: nul ne doit pouvoir s'opposer aux entreprises diplomatico-stratégiques des Etats volontaires; nul ne doit en contrepartie y être contraint. Cette avant-garde à laquelle participeraient au premier chef la France et l'Allemagne constituerait, au nom de la «raison d'Etat européenne» (Konrad Adenauer), un conseil de sécurité aux pouvoirs effectifs. Le recours à la géométrie variable, incontournable à quinze et plus encore à trente, serait donc contrebalancé par le principe du «noyau dur» sans lequel l'Europe à plusieurs vitesses deviendrait une Europe à la carte, où les forces centrifuges finiraient par l'emporter. A cette condition, l'Union européenne pourrait acquérir une personnalité politique et l'«européanisation de l'OTAN», dossier que nous ne développerons pas ici, ne serait pas une vaine entreprise.
Si le récent traité d'Amsterdam a retenu le principe des «coopérations renforcées», il reste cependant soumis à un vote préalable à l'unanimité. Les résultats de la conférence intergouvernementale de Turin sont donc maigres et il en va de même de la réforme de l'Alliance atlantique. Le primat des structures politiques de l'Alliance (Conseil atlantique) sur les structures militaires (OTAN) et la continentalisation des chaînes de commandement indispensables pour que les Européens puissent mener en toute souveraineté les actions militaires qu'ils jugent nécessaires et justifiées - demeurent à l'état de perspective. Certes les meilleurs coups, en stratégie comme aux échecs, se jouent longtemps à l'avance et la reconquista européenne sera le travail d'une génération. Il nous faut pourtant envisager d'autres «possibles».
Au cas l'Union européenne échouerait à se muer en un Grand Espace continental, il nous resterait, dans le prolongement du traité de l'Elysée, à explorer la voie de la «confédération franco-allemande» (Christian Saint-Etienne)/de la «République gallo-germanique» (Michel Korinman).
Cette voie exige au préalable que l'on prenne la juste mesure des changements intervenus depuis 1989. Principale puissance économique européenne, la nouvelle Allemagne est aujourd'hui un sujet politique et stratégique pleinement souverain. Elle a pris du poids et ne saurait être utilisée comme levier d'Archimède par la France. Le projet d'une Europe française a donc vécu mais, symétriquement, l'heure de l'Europe allemande n'a pas sonné. Si l'on élargit l'horizon, la vision fantasmatique que nationaux-jacobins et gaullo-maurrassiens entretiennent complaisamment se dissipe. En termes économiques, l'Allemagne représente 45% du Japon. Elle ne possède pas de force de frappe, toujours utile par ces temps de prolifération nucléaire, sa population vieillit et rêve d'une «Grande Suisse». Bref, l'Allemagne ne peut s'en sortir seule et, en cas d'échec du projet européen, une union franco-allemande serait profitable aux deux parties.
Une identité fondée dans les héritages qui la fondent:
Ce projet carolingien nécessiterait l'harmonisation des structures économiques et politiques de nos deux pays. Sur le plan économique, les choses sont déjà bien avancées, la France ayant renoncé aux fausses facilités du binôme inflation-dévaluation et fait sienne la culture de la stabilité qui domine chez ses voisins d'outre-Rhin. Il reste donc à rendre compatible nos systèmes politiques. Tout d'abord, travailler à une théorie franco-allemande de la nation qui fasse la synthèse de Herder et Rousseau: le «consentement actuel» des populations mis en avant par Ernest Renan ne saurait s'inscrire dans la durée sans une combinaison d'éléments objectifs (le sang, le sol, la langue, la religion, l'histoire) étudiés avec précision par la philosophie politique allemande (et le grand historien républicain Jules Michelet en France). Pas de corps sans âme mais pas d'âme sans corps, ainsi que le démontre Henry de Lesquen et le retour au droit du sang en matière de nationalité doit accompagner la promotion d'une identité française ancrée dans les héritages qui la fondent.
Une nouvelle architecture du territoire français:
Autre chantier, l'harmonisation de nos structures politico-institutionnelles. Il nous appartient d'œuvrer à une nouvelle architecture du territoire français, articulée sur les identités régionales et les patries charnelles, et pour cela s'inspirer du fédéralisme allemand ou, à tout le moins, des pratiques espagnoles de décentralisation (l'Espagne est un «Etat asymétrique de communautés autonomes») et du nouveau modèle britannique («dévolution des pouvoirs»). Ce dernier exemple est particulièrement intéressant la Grande-Bretagne étant jusqu'alors un Etat-Nation tout aussi ancien et centralisé que la France. Précisons qu'il ne s'agit pas d'aligner la France sur l'Allemagne mais de lui permettre de redécouvrir la totalité de son histoire, d'explorer des options politico-culturelles jadis négligées et de se ressourcer. En contrepartie, la France apporterait dans la corbeille une nostalgie active de la grandeur, une volonté affirmée d'indépendance dans un cadre planétaire et une forte culture stratégique qui fait contraste avec la «culture stratégique d'intégré» de l'Allemagne (Bruno Colson).
Fondée sur les principe du «grand-gaullisme», cette union serait dotée d'un toit politique. A l'opposé de tout constructivisme, il s'agirait de rechercher des articulations, de combiner des potentiels, de développer des synergies et non de fondre en un seul ensemble les deux principales nations européennes. Mettre en œuvre le cadre confédéral prévu d'abord par le plan Fouchet et ensuite par le traité de l'Elysée serait déjà ambitieux.
Sur le plan extérieur, ce Regnum Francorum adopterait la posture géopolitique recommandée par J. von Lohausen, celle du dos-à-dos. Cette recommandation ne doit pas être comprise comme un strict partage géographique des tâches entre une Allemagne continentale et une France plus maritime. La France a des intérêts propres et légitimes en Europe centrale et orientale et l'Allemagne outre-mer. Là encore, il s'agit de combiner et articuler au mieux nos dispositifs diplomatique, stratégique et géo-économique pour assurer à une nouvelle unité de sens et de puissance, que l'on qualifiera de «carolingienne», une présence continentale, océanique et spatiale.
Reste à s'interroger sur la faisabilité politique de nos thèses. Il n'y a pas en effet de métapolitique sans prise en compte de la dimension temporelle et stratégique des combats à mener et c'est cette volonté d'incarner nos idées dans le réel qui fait de nous des révolutionnaires-conservateurs.
Dans le cadre actuel, celui de l'Union européenne et des systèmes de pouvoirs existants, des avancées semblent possibles, jusqu'à un certain seuil du moins. La juste critique de l'eurocratie et de son pendant français ne doit pas nous amener à «jeter le bébé avec l'eau du bain». On ne peut cependant ignorer, particulièrement dans le cas français, la décrépitude des structures politico-institutionnelles et la mise sous influence d'une très large partie de la classe politique. On ne peut pas plus faire l'impasse sur le surgissement de forces potentielles de renouveau, populistes et identitaires, que l'on qualifiera pour faire simple de néo-nationalistes. Il nous faut donc clarifier notre positionnement idéologique vis-à-vis de ces forces.
Nous sommes les héritiers du gibelinisme médiéval
Il est clair que tout en étant attaché à nos patries respectives, la nation n'est pas notre ultima ratio politique mais un «tout partiel». Notre vision, celle d'un Grand Espace européen organisé sur le modèle d'un empire, nous place «au-delà du nationalisme» (Thierry Maulnier). Continentalistes, animés par un puissant patriotisme de civilisation, nous sommes les héritiers du gibelinisme médiéval. Pour autant, le retour des nations à l'avant-scène de l'histoire est une saine réaction à la pression des forces de nivellement et d'homogénéisation. Ainsi que Julius Evola l'a écrit, il n'y a pas de stabilité du tout sans stabilité des parties et la constitution d'un ensemble européen organique passe par la reconstruction politique des nations. Sur la base de ce «nationalisme restaurateur», prélude à la résurrection de valeurs vertébrantes et à la reconstitution d'un ensemble impérial, des rapprochements sont possibles, voire souhaitables, avec les néo-nationalismes mais il faudrait au préalable se donner les moyens d'exercer une action de formation et de rectification du «mouvement national», et pour cela, un certain nombre de canaux de communication existent, sont à réactiver ou investir. L'essentiel reste à faire.
Du Traité de l'Elysée à la Respublica europeæ
Môle géopolitique d'une future Respublica europeæ, la France et l'Allemagne ont donc vocation à se constituer en un nouveau Regnum Francorum. Sous la forme d'un noyau dur, condition sine qua non pour que l'Europe-puissance polarise l'Europe-espace. A défaut sous la forme d'une confédération, bâtie sur le socle du traité de l'Elysée. La première option, celle d'un directoire franco-allemand de l'Europe, est bien évidemment préférable à la seconde, solution de repli. Encore faudrait-il prendre garde à laisser ouvert, sur la base des «coopérations renforcées», un éventuel directoire européen, faute de quoi les Etats-Unis ne manqueraient pas d'instrumentaliser les rancœurs des Etats continentaux s'estimant lésés et marginalisés. Le rattachement de l'Espagne à l'espace-noyau carolingien, par exemple, constituerait une percée géopolitique majeure. Un axe Paris-Madrid-Berlin structurerait un ensemble territorial continu, du détroit de Gibraltar à la mer Baltique. Rassemblant les principales composantes romanes et germaniques de l'Europe, cet ensemble serait ouvert sur l'Atlantique, la Méditerranée et l'Orient européen. Très vite, il serait appelé à s'élargir à la Pologne, qui déjà participe au «triangle de Weimar» (Paris-Berlin-Varsovie), pour devenir la colonne vertébrale du Grand Continent.
Au-delà de ces computations politico-stratégiques, il ne faut pas perdre de vue notre objectif final, celui d'une Europe impériale. Une tel ensemble ne serait pas un simple bloc de puissance réductible à ses bases matérielles; tout empire se veut fils de Dieu ou de l'Histoire. Les philosophies modernes de l'histoire ayant fait déroute, il n'y aura donc pas d'empire européen sans renaissance spirituelle. Nous retrouvons là une antique vérité —pas de Cité sans Sacré— mais en la matière la géopolitique est impuissante. Il nous faut porter le regard sur l'horizon et appeler une renaissance du sacré.
Louis SOREL.
Cette communication a été présentée à Paris, le 26 octobre 1997, dans le cadre du séminaire francilien de Synergies Européennes consacré aux relations franco-allemandes.
* Leon Brittan, commissaire européen au commerce extérieur, a lancé en mars 1998 son projet de «nouveau marché transatlantique» (NMT). La création d'une vaste zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne permettrait, si l'on en croit Leon Brittan, d'ouvrir le marché nord-américain aux entreprises européennes et de leur assurer 1000 milliards de francs de débouchés supplémentaires au terme de cinq années d'application. Le fait est que le NMT a été accueilli avec une certaine réserve à Washington. Non pas par désintérêt pour l'axe commercial nord-atlantique mais parce que ce projet n'incluait pas immédiatement les secteurs audiovisuel et agricole, deux des principaux postes exportateurs de l'économie des Etats-Unis. La mise en place d'une zone de libre-échange euro-américaine demeure au centre de la diplomatie Clinton et si le Conseil européen a officiellement ajourné le NMT (26 avril 1998), force est de constater que les Etats-Unis contrôlent l'agenda politique. Washington ouvrira ce nouveau front en date et heure voulues.
ADDENDUM: la question de l'Euro
Centrée sur la nécessaire structuration politique d'une Europe-puissance, sur une base franco-allemande, notre communication du 26 octobre 1997 n'aborde pas la question de l'euro. Depuis, le sommet de Bruxelles des 1 et 2 mai 1998 a lancé la troisième phase de l'Union économique et monétaire prévue par le traité de Maastricht. Onze pays membres de l'Union européenne ont été retenus, la Grèce ayant été «recalée» et le Danemark, la Grande-Bretagne ainsi que la Suède préférant s'abstenir. L'euro sera donc émis à compter du premier janvier 1999 et la disparition des monnaies nationales est prévue pour juillet 2002. Cette nouvelle étape est d'importance et d'aucuns attendent beaucoup des implications politiques de l'euro. Les européistes à la Monnet recourent au fonctionnalisme pour expliquer que la monnaie unique «produira» mécaniquement de l'identité politique. En la matière, l'euro-scepticisme est de bon aloi.
Précisons tout d'abord que l'on ne saurait rester indifférent aux avantages «techniques» d'une «monnaie d'empire»: disparition des coûts de transaction et accroissement des échanges intra-communautaires, formation d'un vaste marché européen des capitaux et baisse des taux d'intérêt; transparence des prix et mise en concurrence des systèmes fiscaux, réduction de la contrainte extérieure et affirmation de l'euro comme nouvelle devise-clef du système monétaire international. Nous ne sommes pas de ceux qui pleureront sur une «exception française» à base de fiscalisme, de déficits publics et d'économie administrée. Ceci dit, les inconvénients et zones d'ombre de l'UEM ne doivent pas être négligées. Les Onze ne constituent pas ce que les économistes appellent une «zone monétaire optimale»: les structures de production sont hétérogènes, les niveaux de salaires disparates et la mobilité de la main d'œuvre quasi nulle (hors une petite élite de cadres). Les ajustements entre nations ne pourront donc se faire par des transferts de main d'œuvre et moins encore en dévaluant sa monnaie. Reste comme variable d'ajustement le chômage.
Les prolongements politiques de l'UEM sont également hypothétiques. On remarquera tout d'abord que l'on a mis la charrue avant les bœufs; battre monnaie est un acte de souveraineté et, en toute bonne logique, la réforme des institutions aurait du précéder le lancement de l'euro. Il faut ensuite insister sur le fait que l'Euroland, expression d'origine américaine lourde de sens, est un non-être politique. Le scénario retenu est celui d'une zone euro pilotée par une banque centrale européenne toute-puissante —flanquée d'un Conseil de l'Euro aux pouvoirs incertains— face à des Etats diminués. Partisan d'un référendum sur la monnaie unique et le traité d'Amsterdam, Charles Pasqua a résumé la situation: «Il ne restera plus aux Etats nationaux qu'à enterrer les morts et soigner les blessés». Les forces du marché jointes à l'expertise financière des technostructures européennes cogéreraient l'Euroland .
Ce scénario dit du «wonderland*» laisse songeur. Les inévitables variations de la conjoncture économique européenne affectant différemment les Onze, ces «chocs asymétriques» ne manqueraient pas de susciter des tensions entre Etats de la zone euro mais aussi entre unités infra-nationales —«zones économiques naturelles» (Kenichi Ohmae), les régions font aujourd'hui figure d'acteurs économiques constitués— le tout sur fond d'animosité croissante entre eurocrates et opinions publiques. Sans puissance publique dotée de pouvoirs effectifs pour arbitrer et décider, en un mot sans gouvernement européen, l'Euroland pourrait bien rejoindre le cimetière des unions monétaires dépourvues de directoire politique. Pas de monnaie d'empire sans Imperium! La question du devenir politique de l'Union européenne est toujours ouverte.
Louis SOREL.
* Voir Yves Mény, «Embarquement pour l'inconnu?», Le Monde, 5 mai 1998. Yves Mény est directeur du Centre Robert Schumann, à l'Institut universitaire européen de Florence.
Bibliographie indicative:
Livres:
- Blot Yvan, L'héritage d'Athéna. Les racines grecques de l'Occident, Les Presses Bretonnes, 1996.
- Brzezinski Zbigniew, Le grand échiquier, Balland, 1997.
- Chaliand Gérard et Rageau Jean-Pierre, Atlas stratégique, Complexe, 1991.
- Colson Bruno, Europe: repenser les alliances, ISC-Economica, 1995.
- Colson Bruno, La stratégie américaine et l'Europe, ISC-Economica, 1997.
- De Lesquen Henri, Qu'est-ce que la nation ?, Etudes et documents du Club de l'Horloge, 1989.
- Evola Julius, Essais politiques, Pardès,1988.
- Foucher Michel (Dr), Fragments d 'Europe, Fayard, 1993.
- Huntington Samuel P., Le choc des civilisations, Odile Jacob, 1997.
- Luttwak Edward N., Le rêve américain en danger, Odile Jacob, 1995.
- Maillard Pierre, De Gaulle et l'Allemagne. Le rêve inachevé, Plon, 1990.
- Maillard Pierre, De Gaulle et l'Europe. Entre la nation et Maastricht, Tallandier, 1995.
- Soutou Georges-Henri, L 'alliance incertaine, Fayard, 1996.
Revues
- «Quarante siècles d'identité française», Enquête sur l'histoire, n°l, hiver 1991-1992.
- «L'Europe, une histoire de famille», Enquête sur l'histoire, n°l1, été 1994.
- «La vérité sur Clovis», Enquête sur l'histoire, n°17, automne 1996.
- «L'Allemagne, de Charlemagne à Helmut Kohl», Enquête sur l'histoire, n°20, printemps 1997.
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mardi, 17 novembre 2009
La chute du Mur: et après?
La chute du Mur : et après ? |
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« Il y a vingt ans, il n’y eut, pour déplorer la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’empire soviétique, que les inébranlables de l’utopie communiste. Certains se sont évidemment cramponnés à la possibilité d’expériences de ce qu’on a appelé le socialisme réel. D’autres ont critiqué le triomphalisme du nouvel ordre mondial incarné par George H.W. Bush. Et le manque d’égards que l’Allemagne de l’Ouest a manifesté vis-à-vis des décombres de l’Allemagne de l’Est n’était pas loin de ressembler à de la cruauté. […] Nombre d’idéaux de la social-démocratie, notamment la justice sociale et l’égalité, s’inspirent du marxisme, et on les a jetés, comme le fameux bébé, avec l’eau du bain communiste. […] Les revers économiques de ces dernières années semblent donner raison à Mikhaïl Gorbatchev, qui s’alarme de ce que le “capitalisme occidental, privé de son vieil adversaire, ne se voie comme le champion incontesté et le héros du progrès global, et ne s’apprête à précipiter les sociétés occidentales et le reste du monde dans une nouvelle impasse historique”. […] L’ère Thatcher-Reagan et son ultralibéralisme avait mis les choses en chantier bien avant la chute du mur de Berlin. Margaret Thatcher n’avait-elle pas déclaré, avec sa fameuse formule, que la société n’existait pas, et que seuls comptaient l’individu et sa famille ? C’était l’injonction du chacun pour soi. […] L’ultralibéralisme a porté atteinte au rôle de l’Etat, en réduisant sa contribution à une société meilleure, plus juste et plus égale. Les néolibéraux ont moins le culte de la justice que celui de l’efficacité, de la rentabilité, ou du bénéfice. Pendant que les néolibéraux occupaient le terrain en bafouant et en rompant de vieux pactes sociaux-démocrates, les énergies de la gauche se consumaient en politiques culturelles, problèmes d’“identité” et autre multiculturalisme idéologique. […] Pour beaucoup de gauchistes de la fin du XXe siècle, la défense des cultures du tiers-monde, issues du néocolonialisme, avait pris le pas, quel que soit le degré de barbarie de ces cultures, sur la défense de l’égalité et de la démocratie. […] Résultat : les politiques qui se réclamaient, même de très loin, du marxisme, ont perdu tout crédit, et ont fini par mourir en 1989. »
Ian Buruma, Project Syndicate, novembre 2009 |
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L'Allemagne à la croisée des chemins
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997
L'Allemagne à la croisée des chemins
Intervention de Robert Steuckers au séminaire d'Ile-de-France de «Synergies Européennes», le 26 octobre 1997
Généralement, les observateurs des réalités allemandes en dehors de l'espace linguistique germanophone sont assez peu attentifs à certaines définitions que les Allemands donnent d'eux-mêmes. Certes, la culture allemande mettant principalement l'accent sur le particulier, ces définitions varient à l'infini: elles dépendent des options idéologiques ou philosophiques personnelles des auteurs, de leurs idiosyncrasies. Mais il en est une qui résume bien l'inquiétude voire la névrose allemande: c'est la définition de l'Allemagne comme “verspätete Nation”, comme nation retardée, comme nation “en retard”, comme nation “tard-venue” sur l'échiquier européen et international. Ce concept de “verspätete Nation” a été forgé par le philosophe Helmuth Plessner, peu connu des germanistes français et a fortiori du grand public, malgré qu'il ait été un opposant au régime hitlérien, contraint à l'exil. Pour Plessner, les Allemands, en tant que “tard-venus” sur la scène politique internationale, ne parviennent pas à rattraper le retard qui les sépare des Français ou des Anglais, voire des Russes, essayent de développer des idéologies de l'accélération, cherchent désespérément à se débarrasser de ballasts du passé, conservent une certaine immaturité politique (qui se traduit par le moralisme, le chauvinisme, l'exaltation, etc.), due à l'absence de “grandes idées incontestables” (au sens où l'entendaient en France Hauriaux ou Charles Benoist).
Plessner et tous ceux qui partagent sa vision de l'histoire allemande constatent que du XVIIième siècle à Bismarck, le Reich est un territoire éclaté, à la merci de toutes les puissances voisines, en dépit de la lente puis fulgurante ascension de la Prusse. Richelieu s'était érigé en protecteur des “libertés allemandes”, entendons par là le protecteur de tous les séparatismes et de tous les particularismes, qui tirent à hue et à dia, empêchant les diverses composantes de la germanité continentale de fusionner en une unité politique cohérente. Churchill en 1945-46 prônait une version britannique de cette stratégie en cherchant à imposer au Reich vaincu un fédéralisme séparatiste, que les critiques allemands nommeront bien vite “fédéralisme d'octroi”. A ce morcellement territorial s'ajoute la division confessionnelle entre catholiques et protestants. Même si cette division s'estompe aujourd'hui, elle a eu des effets calamiteux à long terme sur l'histoire allemande: l'Empereur Ferdinand II, champion du camp catholique, annonçait à tout qui voulait l'entendre qu'il préférait régner sur un désert plutôt que sur un pays peuplé d'hérétiques. La logique d'une guerre civile sans compromis, menée jusqu'à l'absurde et la folie, a frappé l'Allemagne dès les premières décennies du XVIIième siècle. Wallenstein, génial chef de guerre au service de cet Empereur catholique fanatique, s'est rapidement rendu compte de la folie et de l'aveuglement du monarque: il a fait de timides propositions de paix, suggéré un plan de réconciliation. Il a été assassiné.
«Grand siècle» et «Siècle des malheurs»
La mécompréhension fondamentale entre Allemands et Français, qui a débouché sur les trois guerres franco-allemandes de ces 150 dernières années, provient directement des événements terribles du XVIIième siècle. La France a connu à cette époque son grand siècle et y a forgé les puissants ressorts de sa culture et de son prestige. L'Allemagne a été plongée dans l'horreur et la misère. Les manuels scolaires français parlent du “Grand Siècle”, tandis que leurs équivalents belges parlent du “Siècle des malheurs” et que la littérature allemande a produit cette grande fresque tragique de Grimmelshausen, qui brosse un tableau de feu et de cendres: celui des misères de la guerre de Trente Ans, affrontées avec un stoïcisme amer par “Mère Courage”, l'héroïne de Grimmelshausen qui a inspiré Brecht en ce siècle.
Au XVIIIième siècle, quand le mariage entre Louis XVI et Marie-Antoinette induit une trêve dans la guerre séculaire entre la monarchie française, alliée des Turcs, et l'Autriche, porteuse de la dignité impériale, la philosophie de l'histoire de Herder prône un retour aux Grecs, aux Germains, aux héritages pré-chrétiens et aux racines premières des cultures européennes. Cette orientation philosophique s'explique partiellement par une volonté de dépasser les clivages confessionnels, générateurs de guerres civiles atroces et sans solution. Pour éviter la césure protestantisme/catholicisme, pour éviter toute réédition du “siècle des malheurs”, la philosophie se laïcise; le néo-paganisme dérivé d'une lecture anti-chrétienne de Herder (chez Reynitzsch par exemple), le jacobinisme mystique et national de Fichte, sont les manifestations diverses d'une volonté de paix civile: si l'Allemagne dépasse les clivages religieux qui la traversent, si un néo-paganisme dépasse les confessions chrétiennes qui se sont entredéchirées, si l'idéologie idéaliste et nationaliste de l'unité nationale triomphe, paix et prospérité reviendront et la culture s'épanouira, pensent à cette époque les philosophes allemands, avec une certaine dose de naïveté.
De Bismarck à Weimar
Au début du XIXième siècle, le nationalisme radical, exprimé par des figures comme Arndt ou Jahn, est une idéologie unificatrice voire centralisatrice appelé à effacer sur le territoire allemand le morcellement politique dû à la diplomatie de Richelieu. Bismarck, quelques décennies plus tard, fournit à son pays un appareil diplomatique solide, visant un équilibre des puissances en Europe, notamment par des accords tacites avec la Russie. Guillaume II ruinera cet équilibre en multipliant les maladresses. L'effondrement de l'équilibre bismarckien a conduit aux boucheries de la Grande Guerre et, pour l'Allemagne, à la défaite de 1918 et à la proclamation de la République de Weimar.
Cette république de Weimar dispose d'une souveraineté limitée, avec une armée réduite (qui esquive toutefois les clauses du Traité de Versailles en coopérant en Russie avec l'Armée Rouge), avec une monnaie anéantie et une économie “pénétrée” par les capitaux américains. A tout cela s'ajoute une occupation militaire française en Rhénanie et dans la Ruhr, à laquelle succède la démilitarisation de la rive gauche du Rhin. Les Allemands perçoivent cette situation comme une terrible vexation, injuste à leurs yeux car leur nation, disent-ils, est importante et grande sur les plans démographique, culturel et scientifique. Les Alliés, dit la propagande nationaliste sous Weimar, prouvent leur barbarie en confisquant tout avenir aux enfants allemands, en méprisant les productions culturelles et scientifiques allemandes, pourtant indépassables.
1945: finis Germaniae
En 1945, après l'effondrement du IIIième Reich, la défaite est encore plus cuisante et humiliante. La totalité du territoire —et non plus les seules régions de Rhénanie et de la Ruhr— est divisée en quatre zones d'occupation (quant aux provinces de Poméranie, de Posnanie et de Silésie, elles passent sous “administration polonaise” avant d'être purement et simplement annexées). Pendant quatre ans, de 1945 à 1949, le pouvoir est exercée par les Alliés, y compris le pouvoir judiciaire. En dépit de la naissance des deux Etats allemands en 1949, la RFA, à l'Ouest, est jugulée dans sa souveraineté. A partir de 1955, 90% des effectifs de l'armée ouest-allemande sont versés dans les unités de l'OTAN, donc se retrouvent sous commandement américain (seuls quelques régiments de police en Bavière et dans le Baden-Wurtemberg et les régiments de gardes-frontières sont sous commandement allemand autonome). C'est dans les 10% hors OTAN que se sont recrutées récemment les unités de l'Eurocorps.
Il me paraît bon de rappeler sommairement, pour des raisons didactiques, quelques grandes étapes de l'histoire de la RFA:
1. De 1945 à 1949, nous avons donc un système d'occupation totale, sans aucun espace de souveraineté allemand.
2. En 1949, la RFA se donne une constitution fédérale, avec l'approbation des Alliés occidentaux qui croient ainsi affaiblir l'Etat allemand. La zone soviétique se constitue en un Etat de facture soviétique.
3. En 1952, Staline propose la réunification allemande, le rétablissement de la souveraineté allemande dans un Etat démocratique fort, neutre et soustrait à l'influence directe des puissances occidentales.
4. En 1955, la RFA adhère à l'OTAN et récupère la Sarre que la France voulait annexer. Le retour de la Sarre à la mère-patrie allemande a été baptisé la “petite réunification”, dans la mesure où la RFA a mis au point un système d'“annexion monétaire”, répété à plus grande échelle lors de la “grande réunification” de 1989/90. La France s'en tire avec une consolation: elle garde une station de radio (Europe n°1) en Sarre et espère influencer les esprits. Ce sera un échec, mais cette politique est pratiquée aujourd'hui, avec des visées annexionistes au Luxembourg (via RTL), en Wallonie et dans la périphérie de Bruxelles.
5. En 1963, on assiste au rapprochement franco-allemand.
6. En 1967/68, l'Allemagne est secouée par l'effervescence étudiante et contestatrice, qui introduit les manies de 68 dans la société allemande, restée jusque là très traditionnelle et conventionnelle. Cependant, Rudi Dutschke, leader contestataire, est en faveur de la souveraineté nationale, contrairement aux soixante-huitards français, qui ont contribué à torpiller la voie indépendantiste et non alignée du gaullisme des années 60.
7. Après l'effervescence étudiante, s'ouvre l'Ostpolitik (= la politique à l'Est) de la “grande coalition” socialiste et démocrate-chrétienne (CDU + SPD), orchestrée par Kiesinger et Willy Brandt. Cette ouverture au bloc de l'Est inquiète la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, qui craignent un nouveau rapprochement germano-soviétique.
8. De 1980 à 1983, l'affaire des euromissiles secoue durablement la société allemande et interpelle la gauche, dont les intellectuels redécouvrent subitement la valeur “nation”. On voit éclore le “national-pacifisme”, le “national-neutralisme”, discutés avec passion à droite comme à gauche, sans aucune exclusion ni anathème. Dans ces débats innombrables, on propose une réunification allemande dans la neutralité, comme pour l'Autriche, où les Verts rêvent d'une démilitarisation quasi totale, tandis que les nationalistes (de droite) entendent protéger cette neutralité par un surarmement et par un appel à la “nation armée” sur les modèles de la Suisse et de la RDA communiste (Betriebskampfgruppen, etc. [= Groupes de combat organisés dans les entreprises de l'Etat socialiste est-allemand]).
9. En 1985, Gorbatchev annonce la glasnost et la perestroïka, assouplissant du même coup, après la parenthèse du premier mandat de Reagan, les rapports Est-Ouest. L'espoir de voir advenir une réunification et une neutralisation de l'Allemagne augmente.
10. En 1989, la réunification est un fait accompli, mais
a) les esprits n'y étaient pas préparés, aucun des scénarii prévus ne s'est réalisé et
b) le nationalisme traditionnel, qui croyait être le seul à pouvoir suggérer des solutions acceptables, bien ancrée dans lestraditions historiques, a été pris de cours. Quant à la gauche “nationale-pacifiste”, ses scenarii n'ont pas davantage été mis en pratique. La réunification a laissé les intellectuels de droite comme de gauche dans un certain désarroi voire une certaine amertume.
Pôle franco-allemand et alliance avec les “crazy states”
Exemple: figure de proue de la droite conservatrice allemande, Armin Mohler, du temps du duopole américano-soviétique, avait énoncé un projet pour une politique internationale souveraine de l'Allemagne, reposant sur deux stratégies principales:
a) le renforcement du pôle franco-allemand (sa vision gaullienne), pour faire pièce aux Anglo-Saxons et aux Soviétiques et
b) le pari sur tous les Etats que les Américains qualifiaient de “crazy States” (Corée du Nord, Libye, Chine, etc.), pour échapper à l'étranglement de l'alliance atlantique, comme De Gaulle avait développé une diplomatie alternative dans les pays arabes, en Inde, en Amérique latine, en Roumanie, etc. En 1989, la Libye était quasi éliminée de la scène internationale, mise au tapis par les raids américains de 1986. Restait la Chine, mais tout rapprochement germano-chinois ne risque-t-il pas d'envenimer les relations germano-russes, d'autant plus qu'il existe virtuellement un tandem Pékin-Washington dirigé contre Moscou et régulièrement réétabli et renforcé? La Russie, abandonnant ses crispations du temps de la guerre froide, acceptant de bon gré la réunification, pouvait-elle être considérée encore comme un adversaire, ce qu'elle était du temps de la guerre froide?
1989 ou la fin de la foi dans le progrès
En 1989, le projet de Mohler, porté par un souci de dégager et la France et l'Allemagne du clivage Est-Ouest, ne peut se concrétiser. Dans la foulée de la chute du Mur et de la réunification, Hans-Peter Schwarz, éminence grise de la diplomatie allemande, ami d'Ernst Jünger et exégète de son œuvre, principal collaborateur des revues Europa Archiv, et Internationale Politik (équivalent allemand de la revue de l'IFRI français), biographe d'Adenauer, publie un ouvrage important, dont l'idée centrale est de poser l'Allemagne comme une Zentralmacht, une puissance centrale, au milieu d'un continent qui est également une civilisation (au sens où l'entend Huntington). Pour Schwarz, 1989 marque une césure dans l'histoire européenne, parce que:
1. La fin du communisme est aussi la fin de la foi dans le progrès, qui sous-tend l'idéologie dominante de la civilisation occidentale.
a) On ne peut plus croire raisonnablement aux “grands récits”, comme le signale le philosophe français Jean-François Lyotard.
b) On se rend compte des dangers énormes qui guettent notre civilisation, des dangers auxquels elle ne peut pas faire face intellectuellement donc projectuellement, vu ses fixations progressistes. Le bilan écologique de notre civilisation est désastreux (l'écologie est une thématique plus discutée et approfondie en Allemagne, même dans les cercles “conservateurs”, comme l'attestent les travaux de personnalités comme Friedrich-Georg Jünger ou Konrad Lorenz, etc.). La déforestation dans l'hémisphère nord est également catastrophique. L'épuisement des ressources naturelles, la pollution des mers, la persistance de virus non éradicables, le SIDA, le caractère invincible du cancer, prouvent que la finitude humaine est un fait incontournable et que les vœux pieux de l'idéologie progressiste n'y changeront rien.
2. Ce constat de la fin du progressisme induit Schwarz à demander que la RFA, élargie au territoire de l'ex-RDA, soit un Etat postmoderne, dans un concert international postmoderne, c'est-à-dire un Etat reposant sur une idéologie non progressiste, ne dépendant nullement des poncifs du progressisme dominant, dans un concert international où plus personne n'a que faire des vieilles lunes progressistes face au gâchis qu'elles ont provoqué.
3. La tâche d'un tel Etat est de:
- coopérer à la gestion et à l'apaisement des instabilités de l'Est, pour retrouver le sens de l'équilibre bismarckien, qui avait été bénéfique pour tous les peuples européens.
- éviter les deux écueils classiques de la politique allemande:
a) le provincialisme étriqué (souvenir du morcellement territorial), égoïste et refusant de se mettre à l'écoute des tumultes du monde;
b) la grandiloquence matamoresque à la Guillaume II, qui a braqué tous les voisins de l'Allemagne.
Elites défaillantes et routines incapacitantes
Pour Schwarz, l'Allemagne, comme tous les autres pays européens, se trouve au beau milieu d'un nouveau système international.
- Ce système nouveau a permis la réunification —ce qui est positif— non seulement du peuple allemand, mais aussi de tout le sous-continent européen.
- Mais la classe politique dominante n'était pas intellectuellement préparée à affronter ce changement de donne:
a) Sur le plan INTELLECTUEL, elle est inapte à saisir les nouvelles opportunités. Elle a pensé l'histoire et les relations internationales sur le mode de la division Est-Ouest, selon des critères binaires et non systémiques. Cette classe politique rejette, analyse, anathémise; elle ne cherche pas à susciter des synergies, à rétablir des liens refoulés ou tranchés par l'arbitraire de fanatiques, songeant à faire du passé rable rase. Sa pensée est segmentante; elle n'est pas systémique.
b) Cette classe politique entretient des ROUTINES INCAPACITANTES. C'est le grief principal adressé à la partitocratie traditionnelle, allemande, belge ou italienne, tant par les Verts à gauche (Scheer en Allemagne, Marie Nagy en Belgique, etc.), que par les nationalistes à droite.
c) La classe politique a peur de la nouvelle réalité internationale. Elle la commente, elle émet des idées (gedankenreich), mais elle n'agit pas (tatenarm). Cette nouvelle réalité est celle de la globalisation. Le monde est redevenu une jungle en même temps qu'un grand marché, qui n'autorise pas de raisonnements binaires. Il est marqué par le retour d'un certain chaos. La globalisation, en effet, n'est pas la paix, dont avaient rêvée les irénistes et qu'avaient acceptée ceux qui croyaient que les blocages de la guerre froide allaient se pérenniser à l'infini. Pour affronter cette jungle et ce grand marché, il faut une pensée de l'interdépendance entre les nations et les Etats, interdépendance qui implique une riche diversité de liens et de contacts, mais qui est aussi grosse de conflits régionaux, de guerres civiles ou de conflits de basse intensité. Cette pensée politique en termes d'interdépendance est nécessaire car, dit Schwarz, l'Allemagne ne peut être une “grande Suisse”: en effet, elle n'est pas une forteresse alpine, elle compte trop de voisins (qui peuvent lui être hostiles); il y a trop de turbulences à ses frontières (Pologne, Russie, Croatie,...).
Deux hantises: Kronstadt et Rapallo
Ces hostilités potentielles et ces turbulences sont à la base de la grande peur allemande: celle d'être encerclé. Pour Schwarz, deux hantises troublent les relations franco-allemandes: la hantise de Kronstadt (1892) qui terrifie les Allemands et celle de Rapallo (1922) qui terrifie les Français. A Kronstadt, Français et Russes s'entendent contre le Reich et le prennent en tenaille, donnant aux Allemands la désagréable sensation d'être encerclés et étouffés. A Rapallo, Allemands et Russes s'opposent de concert à l'Ouest et rassemblent leurs forces sur un espace de grande profondeur stratégique, coinçant la France contre l'Atlantique, sur une faible profondeur stratégique cette fois, que les forces conjuguées de l'Allemagne et de la Russie, modernisées et motorisées, pourraient aisément franchir d'un coup de boutoir, au contraire des forces terestres et hippomobiles de la seule Allemagne de Guillaume II, arrêtées sur la Marne par Gallieni en 1914.
En 1962, quand Adenauer et De Gaulle forgent l'entente franco-allemande, l'Ouest franc se donne une profondeur stratégique acceptable, capable de faire face à la Russie. Les arguments d'Adenauer ont été les suivants: en 1963, De Gaulle quitte l'OTAN, donc les Allemands doivent éviter qu'il ne négocie avec les Soviétiques et impose à Bonn un nouveau Kronstadt, plus dramatique encore, vu la présence massive des troupes soviétiques en Thuringe, à un jet de pierre du Rhin; de ce fait, argumente Adenauer, les Anglais et les Américains doivent accepter le rapprochement franco-allemand parce qu'il consolide leur dispositif de containment et constitue la garantie que la France demeurera dans le camp occidental.
Cette réorientation du dispositif occidental vers un pôle atlantique anglo-américain et vers un pôle européen franco-allemand a été célébrée par toute une série de manifestations symboliques, d'images fortes et médiatisables, comme le Te Deum à Reims en 1962, le développement d'une mythologie des “Champs Catalauniques” (où reliquats des légions romaines d'Occident et peuples germaniques ont uni leurs forces pour barrer la route à Attila; ces réminiscences de l'oecoumène impérial romain étaient chères à Adenauer), la parade des tankistes allemands à Mourmelon, et, après De Gaulle et Adenauer, la visite de Kohl et de Mitterrand à Douaumont en 1985, en compagnie d'Ernst Jünger.
Le nouveau contexte après 1989
Mais le nouveau contexte d'après 1989 n'est plus celui du tandem franco-allemand de De Gaulle et d'Adenauer. Quel est-il?
- En Pologne:
La Pologne, entre 1920 et 1939, appartient au “cordon sanitaire” entre l'Allemagne et l'Union Soviétique; elle en est même l'une des pièces maîtresses. La politique de Hitler a été de démanteler ce “cordon sanitaire”, par les accords de Munich qui mettent un terme à l'existence de la Tchécoslovaquie et par l'invasion de la Pologne en septembre 1939. En dépit du Pacte germano-soviétique et en dépit de l'hostilité que l'URSS avait toujours porté à la Pologne, alliée de la France, la Russie devient nerveuse en voyant ses frontières occidentales dégarnies, sans plus aucun espace-tampon, avec le géant germanique tout à coup proche de l'Ukraine et des Pays Baltes. Aujourd'hui, le Colonel Morozov, géostratège de l'armée russe, s'inquiète de voir le potentiel militaire polonais (370.000 hommes) inclus dans une OTAN qui compte aussi l'Allemagne, soit un potentiel militaire polonais à pleins effectifs, alors que la Bundeswehr est réduite, elle aussi, à 370.000 hommes pour “raisons d'économie”. Le jeu très habile des Américains consiste à créer un système de vases communiquants: diminution du potentiel allemand et augmentation du potentiel polonais, de façon à contrôler simultanément Russes et Allemands.
- Dans les Pays Baltes:
Les Pays Baltes faisaient partie du “cordon sanitaire”. Les Russes s'inquiètent aujourd'hui de les voir absorbés par l'économie occidentale. Allemands et Suédois investissent énormément dans ces trois petits pays d'une grande importance stratgégique. Les Allemands investissent également dans la région située entre l'Estonie et Saint-Petersbourg (Narva, Lac Peïpous, Novgorod), parce que cette zone-clef de la Russie historique est plus rentable par sa proximité avec la Baltique et que des systèmes de communications peuvent y fonctionner sans trop de problèmes (distances réduites, proximité des ports, grand centre urbain de Saint-Petersbourg, possibilité technique de dégagement des voies ferroviaires et routières en hiver, etc.). Dans cette politique d'investissement, les Allemands partagent les tâches avec les Suédois et les autres pays scandinaves.
- En Hongrie:
Quelques mois et quelques semaines avant la chute du Mur de Berlin, Autrichiens et Hongrois avaient commencé de concert à démanteler le Rideau de Fer le long de leur frontière. Depuis lors, la Hongrie a atteint un niveau économique acceptable, bien que non exempt de difficultés. L'Autriche connaît un boom économique, car elle retrouve son marché d'avant 1919.
Plusieurs options géopolitiques possibles
Dans ce contexte, l'Allemagne se trouve confrontée à plusieurs options géopolitiques possibles:
a) Organiser les PECO (Pays d'Europe Centrale et Orientale) selon deux axes:
1. L'axe Stettin-Trieste, renouant ainsi avec le projet du Roi de Bohème Ottokar II au moyen âge. Le souvenir de la géopolitique d'Ottokar II est le motif qui a poussé la diplomatie allemande à reconnaître rapidement la Slovénie et la Croatie. Géopolitiquement parlant, il s'agit d'unifier toute le territoire européen situé entre l'Istrie adriatique, pointe la plus avancée de la Méditerranée vers le centre du continent, et Stettin, port baltique le plus proche de cette avancée adriatique de la Méditerranée. Cette vision ottokarienne donne véritablement corps à la géopolitique continentale européenne et croise l'axe Rhin-Danube, en rendant potentiellement possible, par adjonction de canaux en Bohème et en Moravie, une synergie fluviale Elbe/Danube et Oder/Danube
2. L'axe Rhin-Main-Danube ou la diagonale Mer du Nord/Mer Noire, sans obstacle terrestre depuis le creusement du Canal Main/Danube en Allemagne. A partir de la Mer Noire, l'Europe entre en contact direct avec le Caucase et ses pétroles et, de là, avec la zone de la Mer Caspienne, avec l'Iran et l'Asie Centrale.
b) Organiser de concert avec la Russie, l'espace pontique (Mer Noire = Pont Euxin, dans la terminologie greco-latine, d'où l'adjectif “pontique” pour qualifier ce qui se rapporte à cet espace maritime et circum-marin) et les systèmes fluviaux russes qui y débouchent à l'Est et à l'Ouest de la Crimée et de la Mer d'Azov, et se branchent sur le Danube, puis, ipso facto, sur l'axe Danube-Rhin, sans passer par la Méditerranée, contrôlée par la VIième flotte américaine. Le blé ukrainien et les pétroles du Caucase sont susceptibles d'apporter à l'Europe l'indépendance alimentaire et énergétique, indispensable corollaire à sa puissance économique et à son éventuel avenir militaire. Les enjeux de cette région sont capitaux et vitaux.
c) Poursuivre le “dialogue critique” avec l'Iran, qu'avait impulsé le Ministre allemand des affaires étrangères Klaus Kinkel. L'Allemagne ne pouvait se permettre de suivre aveuglément la politique d'isolement de l'Iran imposée par Washington. Le “dialogue critique” avec Téhéran est peut-être la seule manifestation concrète, après 1989, de dialogue et de coopération avec les “crazy States”, qu'espérait généraliser Armin Mohler au temps du duopole Moscou/Washington.
d) Le “dialogue critique” avec l'Iran devrait servir de tremplin à un dialogue étroit avec l'Inde, sous-continent en pleine mutation.
e) Entamer un dialogue fécond avec l'Indonésie et Singapour. L'Indonésie permet des investissements rentables (ndlr: du moins avant la crise qui a secoué le pays début 98). En Belgique, l'homme politique flamand Geens avait déjà préconisé une telle politique, arguant que cette réorientation de l'aide belge au développement devait être concomittante à un désengagement progressif en Afrique. L'Indonésie apporterait en échange son soutien aux candidatures allemande et japonaise au Conseil de Sécurité de l'ONU.
Au milieu d'une zone d'effervescences et de synergies
En résumé, dans le cadre strictement européen, l'Allemagne se trouve au beau milieu d'une zone d'effervescences et de synergies potentielles qui partent de Rotterdam pour s'étendre à la Ruhr, au complexe industriel de Karlsruhe et, de là, à Bâle, ou, via le Main, à la place boursière de Francfort, à l'Autriche en expansion, à la Hongrie productrice de surplus agricoles, à la Serbie, la Roumanie et la zone pontique (Mer Noire). La Mer Noire est un espace additionant de multiples atouts: les fleuves russes et les bassins industriels qui se sont constitués sur leurs rives (Donetz, etc.), les “terres noires”, terres fertiles, terres à blé de l'Ukraine, la presqu'île de Crimée (avec son climat méditerranéen), le Caucase et son réseau d'oléoducs conduisant à la Caspienne, l'Iran et l'Asie centrale.
Dans ce nouveau contexte qui restitue à l'Allemagne son aire d'expansion économique naturelle et lui procure de nouveaux alliés plus sûrs et moins enclins à la duplicité que les diplomaties occidentales, les relations franco-allemandes prennent une nouvelle dimension, plus vaste que du temps des accords entre De Gaulle et Adenauer. Les maximalistes du binôme franco-allemand parlaient naguère d'une fusion entre les deux pays, créant à terme la “Frallmagne”. A ces maximalistes s'opposaient les partisans anti-européistes du repli de l'Hexagone sur lui-même ou les partisans d'une Allemagne découplée de l'Ouest.
Pour ou contre la «Frallmagne»?
La revue italienne de géopolitique, Limes, a présenté à ses lecteurs les arguments en faveur et en défaveur de la “Frallmagne”. En France, les partisans d'un binôme franco-allemand accentué presque jusqu'à la fusion, veulent une Europe en mesure de décider. En Allemagne, ils envisagent une intégration démocratique de l'Europe selon le modèle du fédéralisme allemand. Au-delà du binôme franco-allemand, il est évident que l'harmonisation des deux volontés (décision à l'échelle continentale, organisation fédérale de l'ensemble européen) présente une indubitable similitude avec notre projet, résoudrait les problèmes accumulés par les Etats européens depuis quelques siècles. D'autres avocats allemands du binôme et de l'intégration européenne pensent comme Schwarz: la France, l'Allemagne, l'Europe ont besoin d'élites multilingues (s'il n'y a pas connaissance mutuelle, il n'y aura jamais ni intégration ni fusion au niveau des sociétés civiles). Sans élites multilingues, aucun projet européen cohérent n'est possible.
Mis à part les passéismes et la mauvaise foi anti-européiste, le camp des adversaires du binôme et de l'intégration européenne estime, en France, que les problématiques extra-hexagonales, en Allemagne, que les problématiques non “mitteleuropéennes”, sont incompréhensibles pour les Français ici, pour les Allemands là-bas. De ce fait, cette incompréhension rend toute fusion ou intégration non-démocratique, vu que les citoyens sont incapables de juger les res publicae en toute sérénité et connaissance de cause, puis de voter intelligemment. En Allemagne, les adversaires de la “Frallmagne” estiment que leur pays, de par sa centralité géographique, chemine sur un “Sonderweg” (= une “voie particulière”) depuis longtemps et qu'il ne peut pas y renoncer, faute de bloquer des flux naturels et féconds d'échange.
jus sanguinis et jus soli
Le deuxième grand point d'achopement dans l'intégration européenne et dans les relations franco-allemandes, c'est la problématique de la nationalité et de la citoyenneté. Ces termes sont peut-être considérés comme des synonymes en France, mais certainement pas en Allemagne. Rogers Brubaker, dans un travail minutieux publié aux Etats-Unis auprès des presses universitaires de Harvard, a analysé cette problématique. Il écrit qu'en France “nationalité” et “citoyenneté” sont confondues, à cause de toute sorte de facteurs historiques. L'idéologie républicaine avait considéré au départ que le jus sanguinis, le droit du sang, était un acquis révolutionnaire, donnant l'autonomie à l'individu citoyen et le libérant de ses attaches territoriales féodales. Avant la république, l'individu appartient à son seigneur, avec son avènement, il devient autonome et, potentiellement, fondateur d'une lignée issue de son propre sang, à l'instar des nobles et des rois: d'où le jus sanguinis. Sous Napoléon toutefois, une première entorse est faite à ce principe: les enfants nés en France ou les jeunes qui y séjournent deviennent bons pour le service militaire, même si leurs parents sont des étrangers. Les besoins en effectifs valaient bien cette entorse aux principes de la république. Napoléon réintroduisait ainsi une forme de jus soli, de droit du sol. Aujourd'hui, à grands renforts de propagande, on essaie de promouvoir le jus soli comme l'idéal premier de la république, ce qui est historiquement faux. Au départ, le jus sanguinis est un principe de liberté, le jus soli, l'indice d'une servitude. Toute une machinerie propagandiste, articulée depuis Paris, tente d'imposer aux pays d'Europe, au nom de l'idée républicaine, le jus soli post-républicain, dont les origines remontent au césarisme napoléonien. Le jus soli actuel étend à tous les individus qui circulent sur le sol français le droit d'acquérir la citoyenneté française (curieusement confondue avec la nationalité), sans devoirs en contrepartie.
“nationalité” et “citoyenneté”
En Allemagne, “nationalité” et “citoyenneté” ne sont nullement synonymes. Pour les juristes et la pensée politique allemands, la “nationalité” est un fait biologique, linguistique et culturel, un acquis accumulé depuis longtemps, que l'on ne peut pas effacer d'un coup, par une simple déclaration ou un changement d'avis ou une lubie. La nationalité, au sens allemand, est même ineffaçable, elle est constitutive de la personnalité, et, à ce titre, digne de tous les respects et intransmissible. Quant à la “citoyenneté”, pour les Allemands, elle n'est rien d'autre qu'une commodité. A la limite, on peut être citoyen d'un pays sans en avoir la nationalité: on peut avoir la “nationalité” allemande et être citoyen belge à Eupen ou à Saint-Vith, citoyen français en Alsace, citoyen suisse à Bâle, citoyen autrichien ou italien au Tyrol, roumain en Transylvanie, russe ou kazakh dans les républiques ex-soviétiques. Toute personne de nationalité allemande reçoit automatiquement, sur simple demande, la citoyenneté de la RFA. On ne peut nier sa nationalité, on peut renoncer à sa citoyenneté (notons au passage que les droits algérien et turc, par exemple, raisonnent de la même façon et interprètent les textes de loi de manière plus restrictive encore: ainsi, l'Algérie ne reconnaît pas la citoyenneté française des nationaux algériens nés en France ou, plus exactement, estime que la citoyenneté française, simple commodité, n'efface pas la nationalité algérienne, fait fondamental; la Turquie confisque les biens de ses ressortissants qui acquièrent une autre nationalité, pour laisser intact la patrimoine foncier du pays).
Cette différence entre les conceptions de nationalité et de citoyenneté en France et en Allemagne est le principal obstacle au rapprochement franco-allemand. Ou bien on applique partout en Europe le jus sanguinis que Brubaker qualifie de “restrictionniste”, ou bien partout le jus soli qu'il qualifie d'“inclusioniste”. Parce qu'il y a libre circulation au sein de l'UE, il ne peut pas y avoir de pays plus libéral que les autres, ensuite, parce que les pays d'où provient la majorité des immigrés appliquent de manière très restrictive le jus sanguinis, l'option la plus commode semble être l'option républicaine originelle, soucieuse de l'autonomie des personnes et des lignées, ce qui nous conduirait donc à une application très stricte du jus sanguinis, également par respect pour les traditions juridiques des pays d'origine des immigrés. Contrairement à ce que laisse accroire une propagande incessante, martelée à satiété, frisant le délire, le jus sanguinis semble plus universellement accepté que le jus soli, du moins dans le Vieux Monde. La position des partisans du jus sanguinis permet un dialogue plus aisé avec les autorités des pays d'origine des immigrés, également adeptes du jus sanguinis. Cette position est donc plus universelle, à défaut d'être “universaliste”. Une position universelle est une position réaliste. Une lubie universaliste participe de la pensée utopique, de la machine à faire des anges et à broyer les âmes.
Les contours de la future géopolitique allemande selon Heinz Brill
Sur le plan géopolitique, le géopolitologue Heinz Brill, qui a enseigné à l'académie de la Bundeswehr, énumère dans son ouvrage récent qui dresse un bilan géopolitique de l'Allemagne contemporaine, les diverses options qui s'offre au pays aujourd'hui:
1. L'option UE (Union Européenne):
L'option européenne de l'Allemagne postule à terme un élargissement de l'espace géopolitique européen à l'ensemble des territoires des pays de l'OSCE. Cet élargissement, explique Brill, implique une participation américaine, pour faire contre-poids à la France et à la Russie. Cette option privilégie l'alliance américaine, contrairement à l'idéal gaullien-adenauerien du binôme franco-allemand et au national-neutralisme qui voulait la normalisation voire le renforcement des rapports germano-russes. A terme, cette option envisage la consolidation d'une union euro-atlantique, futur pilier le plus puissant de l'ONU.
2. La deuxième option étudiée par Brill est celle du “partners in leadership”. C'est résolument une carte américaine, visant un partage du pouvoir entre Américains et Allemands en Europe, aux dépens de toute synergie avec la France ou la Russie.
3. Brill énumère ensuite diverses autres possibilités, rencontrant davantage nos préoccupations:
a. L'option “Mitteleuropa”, où l'Allemagne focalise son attention sur son environnement centre-européen immédiat, en relâchant ses liens avec l'Ouest.
b. L'“helvétisation”, pour ne heurter aucune autre grande puissance.
c. L'option dite “Zivilmacht”, où l'Allemagne, se borne à n'être plus qu'une puissance civile, comme le Japon.
d. Le repli sur soi, difficile, selon Brill, parce que l'Allemagne est une nation exportatrice de produits finis, non autonome sur le plan alimentaire.
e. L'adhésion à un axe Berlin-Moscou-Tokyo qui serait surtout un tandem germano-russe.
Enfin, on voit se profiler une autre option, que n'évoque pas Brill, et qui est de miser sur les pays asiatiques (Thaïlande, Indonésie, Inde), peu hostiles à l'Allemagne et où aucune propagande germanophobe n'aurait d'effet durable et profond.
Urbanisation et anti-germanisme
Pour le professeur Roberto Mainardi, de l'Université de Milan, l'atout majeur de l'Allemagne, c'est d'occuper une place centrale en Europe. Dans son ouvrage consacré à l'Allemage et ses influences en Europe, Mainardi rappelle, par une rétrospective historique, que l'atout majeur du pays réside dans son urbanisation précoce en Rhénanie et en pays mosellan, dès l'époque romaine. Mainardi s'inscrit dans une tradition catholique et germanophile italienne (exprimée au XVième siècle par Pie II), où l'Allemagne est un pôle de civilisation urbain et technologique positif pour le continent. Sa germanophilie l'éloigne du pastoralisme technophobe d'une certain nationalisme populiste allemand. Mainardi rappelle qu'au moyen âge, l'Allemagne présentait un réseau urbain dense, animé par une petite industrie très performante. L'anti-germanisme, écrit Mainardi, est partiellement la volonté de briser la puissance potentielle de ce réseau urbain, comme l'ont prouvé l'alliance franco-turque inaugurée par François Ier, la politique de Richelieu qui entretenait machiavéliquement les carnages qui détruisaient l'Allemagne, les guerres terroristes de Louis XIV, le blocus anglais de 1919, les bombardements alliés de 1940-45, le Plan Morgenthau, l'entretien d'une vague écologiste utopique ou d'un nationalisme pastoraliste par certains services de diversion occidentaux (utilisant tour à tour les marxistes utopiques et anti-soviétiques recyclés dans l'écologie, les subversifs de 68, la “nouvelle droite” anti-politique et technophobe téléguidée depuis Paris, le religiosisme de théologiens névrosés revu à la sauce verte, etc.).
Le réseau urbain qui caractérise l'Allemagne depuis la romanisation de la Rhénanie est à la base de la solidité de l'économie allemande actuelle, conclut Mainardi. La réunification de 1989-90 fait de la RFA agrandie un aimant qui attire le Bénélux, l'Alsace et la Suisse à l'Ouest, l'Autriche, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie et la Pologne à l'Est.
Mais cette nouvelle attirance de la périphérie pour le centre en Eu-rope, n'est pas exempte de difficultés. L'Allemagne souffre depuis toujours d'une trop grande multiplicité d'options, aujourd'hui elle é-prouve des difficultés à maintenir son système social, parce que les investissements nécessaires pour avoir la paix aux frontières et pour mettre à niveau les nouveaux Länder de l'Est sont énormes; ensuite parce que le modèle spéculatif du néo-libéralisme anglo-saxon bat en brèche le “modèle rhénan” d'économie productrice d'investissements et génératrice d'ancrages industriels locaux. Le succès médiatique de la “bulle spéculative” remet implicitement en question l'atout majeur de l'Allemagne depuis deux ou trois siècles: la culture, tant la culture spéculative des philosophes que la culture pratique des ingénieurs et des techniciens. Le “modèle rhénan” est celui de la concertation sociale et de l'ordo-libéralisme (c'est-à-dire une liberté d'entreprendre assortie de devoirs spécifiques à l'en-droit des secteurs non marchands). L'industrie dans un modèle rhé-nan parie sur l'université et la culture, attend d'elles inspiration et impulsion. Par l'accroissement de la “bulle spéculative”, ce modèle économique est en danger, avait écrit naguère Michel Albert, car il ne permet pas d'engranger autant de bénéfices, aussi vite que par la spéculation en bourse. Pour entrer en compétition avec les pools économiques qui s'adonnent à la spéculation effrenée, les structures économico-industrielles de type rhénan doivent consacrer une partie de leurs bénéfices à la spéculation et réduire en conséquence leur soutien aux secteurs non marchands.
Aux sources du malaise allemand
Immédiatement après 1945, l'Allemagne n'avait plus aucune souveraineté militaire. Mais, après 1989, les effectifs conjugués de la Bundeswehr et de la NVA (Nationale Volksarmee) sont passés de 600.000 hommes à 370.000 (mêmes effectifs que l'armée polonaise). L'Allemagne ne bénéficie toujours pas d'une souveraineté politique complète. Naguère elle était toujours considérée comme un Etat ennemi des Nations-Unies. Au début des années 90, les traités réglementant la nouvelle situation ont certes édulcoré cette clause puisqu'il y a ou a eu des casques bleus allemands en Somalie et en Croatie. Cependant, les Allemands ont l'impression que le seul domaine où leur souveraineté est inaltérée, c'est le domaine monétaire; d'où leur souci de ne laisser se développer aucune inflation, ce qui entraîne les effets pervers d'un chômage des jeunes, d'un malaise social, d'une sinistrose, d'une hostilité à l'Euro car le mark semble être, pour les Allemands, la seule chose qui leur reste, et qu'ils ont construit par leur travail et leur épargne.
Les sources principales du malaise allemand actuel sont donc:
- La difficulté de la classe politique à affronter les nouvelles donnes, ce qui a pour corollaire l'obsolescence des idéologies politiques sociale-démocrate et démocrate-chrétienne.
- La partitocratie qui implique un jeu rigide et complexe d'élection, de cooptation du personnel politique, entraînant l'avénement et la pérennisation d'“élites sans projet”.
- Le risque de ne pas assimiler les jeunes, a fortiori les immigrés est-européens et turcs.
- Le risque de ne pas pouvoir maintenir sur le long terme le politique anti-inflationniste (répercutée dans le critère des 3% du Traité de Maastricht), qui avait fait la raison d'être du système social et fédéral allemand.
En conclusion, nous pouvons dire que l'Allemagne ne connaît ni plus ni moins de difficultés que ses partenaires européens. Elle connaît tout simplement d'autres difficultés. Les maux qui affectent l'Allemagne se retrouvent à degrés divers dans toute l'Europe: c'est la crise d'une civilisation, où s'accumulent trop de scléroses et où le moindre changement suscite la panique des gouvernants.
Nous nous trouvons dans une période de turbulences de moindre intensité mais de longue durée, ce qui, pour tous les Européens, s'avère incapacitant face au défi américain dans le monde, américano-turc dans les Balkans, le Méditerranée orientale et la Mer Noire, face aux bouleversements qui ont frappé l'Afrique centrale, face à l'Asie et au Proche-Orient. Par conséquent, tout projet européen qui interpelle tant la France que l'Allemagne ou les pays du Bénélux, l'Italie, la Hongrie, la Slovénie, la Croatie que les pays scandinaves doit trouver pour tous une voie commune, reposant sur un principe de liberté, soit une liberté accordée aux communautés réelles (régions, professions, parlements locaux, etc.) et un noyau décisionnel efficace, commun à tous.
Robert STEUCKERS.
Bibliographie:
- Pierre BÉHAR, Du Ier au IVième Reich. Permanence d'une nation, renaissances d'un Etat, Ed. Desjonqueres, Paris, 1990.
- Heinz BRILL, Geopolitik heute. Deutschlands Chancen, Ullstein, Berlin, 1994.
- Rogers BRUBAKER, Citizenship and Nationhood in France and Germany, Harvard University Press, Cambridge-Massachusetts, 1992.
- Marcos CANTERA CARLOMAGNO, «I giochi baltici: staccare San Pietroburgo dalla Madre Russia?», in: Limes, Rome, n°1/1996.
- Dominique DAVID, «Perché Framania conviene alla Francia», in: Limes, Rome, n°2/1995.
- Alfred FRISCH, «Deutsch-französische Kurzschlüsse», in: Dokumente für den deutsch-französischen Dialog, n°1/1994.
- Gary L. GEIPEL (ed.), The Future of Germany, Hudson Institute, Indianapolis, 1990.
- Roberto MAINARDI, L'Europa germanica. Une prospettiva geopolitica, NIS/La Nuova Italia Scientifica, Rome, 1992.
- Wolfgang MANTL (Hrsg.), Die neue Architektur Europas. Reflexionen in einer bedrohten Welt, Böhlau, Wien/Köln, 1991.
- Helmuth PLESSNER, Die verspätete Nation. Über die politische Verführbarkeit bürgerlichen Geistes, Suhrkamp, Frankfurt a. M., 1974.
- Hans-Peter SCHWARZ, Die Zentralmacht Europas. Deutschlands Rückkehr auf die Weltbühne, Siedler, Berlin, 1994.
- Michael STÜRMER, Dissonanzen des Fortschritts. Essays über Geschichte und Politik in Deutschland. Alteuropäische Erinnerung, Aufstieg und Fall des deutschen Nationalstaats. Bundesrepublik, quo vadis?, Piper, München, 1986.
- Paul THIBAUD, «Perché Framania non conviene alla Francia», in: Limes, Rome, n°2/1995.
- Ludwig WATZAL, «Perché Framania non conviene alla Germania», in: Limes, Rome, n°2/1995.
- Ernst WEISENFELD, «Frankreich und Mitteleuropa», in: Dokumente für den deutsch-französischen Dialog, 5/1993.
- Johannes WILLMS, «Perché Framania conviene alla Germania», in: Limes, Rome, n°2/1995.
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mardi, 27 octobre 2009
Général Lebed: Mémoires d'un soldat
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998
Général Lebed: mémoires d'un soldat
Le Général Lebed sera-t-il un jour le Président de la Russie? Nul ne le sait. Mais la parution en français de ses mémoires, consacrés principalement à son séjour en Afghanistan, permet de voir que c'est un homme de caractère. Le livre se termine par une interview réalisée par le Général Henri Paris. A la question: «Est-ce que le capitalisme vous semble un système plus juste? Et si non, quelle est la voie sociale qui vous semble appropriée pour la Russie?», Lebed répond: «Il me semble que le socialisme et le capitalisme appartiennent au passé. Si nous essayons, comme le prônent certains réformateurs actuels, de faire en vingt ans le parcours que le monde occidental a fait en deux cents ans, nous n'arriverons qu'à nous placer encore plus désespérément à la traîne. Rien de bon n'en sortira. C'est pourquoi la voie purement capitaliste est inacceptable. Il y a à cela une autre raison très importante: la population du pays. Les Russes ont été élevés dans les conditions du socialisme. Ils sont très différents des Occidentaux. Les milieux d'habitation sont également différents. Par conséquent, des choses qui semblent évidentes en Occident ne fonctionnent pas en Russie. Je suis arrivé aux conclusions suivantes. Premièrement: même l'expérience la plus remarquable de quelqu'un d'autre est avant tout celle de quelqu'un d'autre, pas la nôtre. C'est pourquoi il est tout simplement impossible de transposer l'expérience d'autrui sur notre sol à nous, de la copier fidèlement. Deuxièmement: le monde entre dans une ère complètement nouvelle, celle de l'information. Il ne faut donc pas se traîner dans la queue des nations développées, mais faire un grand bond par-dessus l'abîme du retard et s'occuper de choses qui ont de grandes perspectives, comme le développement de systèmes informatiques, la création d'un réseau de communications d'importance stratégique entre l'Est et l'Ouest. Alors, nous aurons une chance d'atteindre un bon niveau, de nous placer aux premiers rangs, non pas pour faire peur au monde, mais pour l'équilibrer. Car, actuellement, notre monde penche d'un côté, et un monde unipolaire a déjà fait la preuve qu'il n'était ni sûr ni stable. On ne peut pas être toujours fort, partout et à tout jamais. Il me semble que, pour la Russie, la voie la plus acceptable est de prendre le meilleur de notre expérience du passé (et l'on sait bien que tout n'était pas mauvais chez nous) et le meilleur du libéralisme, de les réunir et de les faire passer à travers le prisme de notre mentalité, pour que cela “prenne racine” sur notre sol. Nous suivrons dans ce cas notre propre voie. J'ai suffisamment étudié la question pour affirmer que chaque pays possède une base nationale qui lui est propre. Il y a une base française, russe, américaine, japonaise. Tout le reste s'y superpose. Les choses ne peuvent pas fonctionner autrement. Imaginez que des pays très démocratiques comme l'Italie ou la Norvège échangent leurs législations respectives. Vous imaginez l'horreur que cela donnerait? Alors, il ne faut pas faire des bêtises aussi évidentes. Voilà pourquoi je m'efforce de construire cette voie du bon sens, cette voie du possible, en attirant ce qu'il y a de meilleur de droite et de gauche, et en essayant de passer au milieu. Je suis convaincu qu'il n' y a pas d'autre chemin».
Pierre MONTHÉLIE.
Général Lebed, Les Mémoires d'un soldat, Editions du Rocher, 1998, 372 pages, 145 FF.
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dimanche, 18 octobre 2009
Unegrande Albanie parrainée par l'Occident
Menace d'un nouveau conflit en Europe: Une Grande Albanie parrainée par l'Occident Par Rick Rozoff | |
Le 10 octobre 2009 | |
L'Europe peut être perchée au-dessus du précipice de son premier conflit armé depuis les 78 jours de bombardement de la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999 et l'invasion armée de la Macédoine qui a suivi lancée à partir du Kosovo occupé par l'OTAN deux ans plus tard. | |
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mercredi, 07 octobre 2009
Politische Information über Portugal
Politische Information über Portugal
Portugal hat ja auch letztes Wochenende gewählt
Dort gibt es auf der "Rechten" (im weitesten Sinne) zwei Parteien,
die rechtsliberalen Sozialdemokraten (in der deutschen Presse oft konservativ genannt)
http://de.wikipedia.org/wiki/Partido_Social_Democrata
http://www.politicadeverdade.com/
und das rechtskonservative demokratisch-soziale Zentrum (in der deutschen Presse oft als Rechtspopulisten erwähnt), die mit über 10 Prozent ein recht gutes Ergebnis einfuhren. Hier ist man katholisch-konservativ, gegen Zuwanderung und Abtreibung...
http://de.wikipedia.org/wiki/Centro_Democr%C3%A1tico_e_Social_%E2%80%93_Partido_Popular
http://www.cds.pt/
Die weitere Parteienlandschaft Portugals ist stark linkslastig. Kommunisten gemeinsam mit Grünen in einem Bündnis gemeinsam im Parlament, und dann neben den regierenden Sozialisten noch ein trotzkistisch beeinflusster Linksblock, zudem gibt es bei den nicht vertretenen Parteien auch mehrere weitere Marxisten.
Ich bin aber noch auf drei weitere interessante rechte Parteien gestoßen, die allerdings alle nicht einen Prozent bei der Wahl bekommen haben.
Die Monarchisten - Partido Popular Monárquico
http://de.wikipedia.org/wiki/Partido_Popular_Mon%C3%A1rquico
http://www.ppm.pt/
(auf die Flagge klicken)
Die "Rechtsradikalen" - Partido Nacional Renovador
(scheint so etwas wie eine gemäßigte NPD zu sein; Übrigens mal ein Beispiel für gelungenen "Entrismus" von rechts)
http://de.wikipedia.org/wiki/Partido_Nacional_Renovador
http://www.pnr.pt/
(die Internetseite war heute nicht vorhanden, gestern war ich aber noch drauf. Vielleicht ein Umbau? Vielleicht sind sie auch enttäuscht vom schlechten Wahlergebnis (ich glaube 0,2 Prozent))
Somit einige Bilder, als sinnliche Ergänzung:
http://3.bp.blogspot.com/_TGTJ1-LWGo4/SFfAPPzhBjI/AAAAAAAAABw/IErlzWF-wIQ/s320/Revista.JPG
http://img242.imageshack.us/img242/7199/pnr2hy6.png
http://ofogodavontade.wordpress.com/2009/08/15/nacional-e-social/
http://portugalmensal.blogspot.com/2008_05_01_archive.html
http://aspirinab.com/ficheiros/eca-pnr.jpg
Am interessantesten erscheint mir allerdings die Partei, die bei der Wahl am allerwenigsten Stimmen erhalten hat. Wirkt irgendwie alles sehr positiv.
Die ökologisch-konservative "Partei der Erde" - Partido da Terra
http://de.wikipedia.org/wiki/Partido_da_Terra
http://www.mpt.pt/mpt2009/index.php
Nun vielleicht ist das für den ein oder anderen interessant, vor allem wenn man Portugiesisch versteht.
00:15 Publié dans Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, affaires européennes, portugal, politique, politique internationale, péninsule ibérique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 24 septembre 2009
Pour un grand espace européen! Sans libre-échange!
Thorsten HINZ:
Pour un grand espace européen ! Sans libre-échange!
Oui à l’Europe ! Non aux eurocrates de Bruxelles !
Le continent a besoin d’une nouvelle volonté de puissance !
Le jugement rendu à Karlsruhe récemment, à propos du Traité de Lisbonne a le mérite de la clarté: le “Sur-Etat”, qui nous tient sous sa tutelle, et dont les gouvernements et les bureaucrates bruxellois visent le parachèvement, n’est pas sanctionnable comme s’il émanait d’un jugement de Dieu. Nous ne sommes pas contraints de l’accepter. Mais survient alors une autre question fondamentale: celle de l’avenir de l’Europe. Le jugement de Karlsruhe n’a en aucune façon réglé ce problème-là, n’a pas tranché la question de savoir si l’Europe et l’eurocratisme bruxellois sont une seule et même chose.
Un simple regard sur la carte, sur les statistiques, sur les rapports de forces et autres ordres de grandeur nous fait voir, sans détours, que les Etats de petites et moyennes dimensions en Europe ne peuvent freiner leur perte de signification à l’échelle du globe que s’ils agissent de concert. D’autres faits sont également patents: les anciens conflits entre Etats européens s’atténuent graduellement, de nouveaux conflits d’intérêts émergent, mais plus aucun de ceux-ci n’est encore existentiel. Si on les mesure à l’échelle du globe, les convergences d’intérêts entre Européens dominent et les divergences passent à l’arrière-plan.
Constituer une puissance hégémonique continentale est un souci, voire un cauchemar, qui hante depuis plus d’un siècle la politique intérieure du sous-continent européen, même si cela peut paraître anachronique face à la domination mondiale qu’exercent les Etats-Unis et à l’émergence de nouveaux centres de puissance en Asie. Se précipiter encore dans des conflits intérieurs à l’Europe et, de surcroît, à l’incitation de puissances extra-européennes, n’aurait qu’un résultat: accroître la puissance des autres et pérenniser la mise sous tutelle de l’Europe.
La crise financière et économique, qui frappe la planète entière, nous apporte quelques arguments supplémentaires en faveur d’une européanisation de la politique en Europe. Cette crise a déjà conduit à réévaluer les phénomènes liés à la globalisation. Bien entendu, soyons clairs, on ne pourra pas réduire à néant les acquis de la globalisation qui a commencé il y a plus de 500 ans par la découverte, l’exploitation et la colonisation du monde par les puissances européennes; cependant, la globalisation ne pourra plus rester, désormais, un but en soi, une idée que personne ne pourra jamais contester. Au cours de ces récentes années, il semblait que la tâche principale des Etats ne consistait plus qu’en une seule chose: se déréguler eux-mêmes, renoncer à toutes leurs fonctions de contrôle et de direction. Capitaux et marchandises devaient s’écouler et vagabonder en toute liberté; la vie humaine, elle, devait se réduire à une existence d’abeilles besogneuses, acceptant la “flexibilité”, en concurrence avec des homologues tout aussi aliénées dans le monde entier. On planifiait une guerre de tous contre tous, dernière conséquence de la victoire totale qu’avait obtenue le modèle anglo-saxon de libre-échange après deux guerres mondiales et une guerre froide.
Il y a deux ans encore, on ne faisait aucun effort intellectuel pour justifier ce modèle: il portait sa légitimité en lui-même. Ceux qui osaient encore le critiquer étaient traités d’incorrigibles passéistes, de réactionnaires, de bornés, de nationalistes, d’anti-modernes, d’ennemis de la liberté, etc. On les ridiculisait. Et voilà que soudain, la charge de la preuve a changé de camp. L’idéologue français Emmanuel Todd, dans “Après la démocratie”, constate “qu’il faudra soit abolir le suffrage universel et renoncer ainsi à la démocratie soit limiter le libre-échange, par exemple en inventant des formes intelligentes de protectionnisme au niveau continental européen, ce qui impliquerait de remettre en question le système économique actuellement dominant”.
La proximité conceptuelle entre le protectionnisme que Todd appelle de ses voeux et l’ébauche d’un “grand espace” continental chez le juriste allemand Carl Schmitt est patente. Pour l’Europe actuelle, l’enjeu n’est pas seulement la démocratie mais porte sur l’ensemble de ses traditions historiques et culturelles, ancrées sur son territoire. Tout néo-protectionnisme européen émergent ne devra pas se limiter au seul domaine de l’économie. Sur les plans politiques et éthiques aussi, la logique du libre-échange devra être jugulée. Avant toute chose, l’Europe devra renoncer à l’universalisme contenu dans ce discours idéologique et banalisé sur les droits de l’homme qui sert de vulgate générale. Cet universalisme avait accompagné l’expansion économique et coloniale des pays d’Europe occidentale mais il a atteint ses limites aujourd’hui (que l’on songe à la Chine...). Aujourd’hui, cet universalisme ne sert plus qu’à une chose: sur les plans politique, moral et juridique, à donner un instrument de pression potentiel à des cultures ou des religions extra-européennes, étrangères au continent européen, pour que celles-ci, à leur tour, mettent en oeuvre une stratégie d’expansion en Europe même. Sur le plan des droits de l’homme, l’Europe a aussi besoin d’un protectionnisme qui entraînerait de donner priorité et protection aux propres citoyens européens dans leur propre “Maison commune”.
C’est pourquoi l’Europe politique future doit s’édifier sur des bases nouvelles, historiques, intellectuelles, culturelles et spirituelles. Car l’universalisme mis en pratique par les eurocrates en poste à Bruxelles est lié étroitement aux mythes fondateurs de l’Union Européenne. Celle-ci, en effet, considère que l’année 1945 constitue un point de départ historique et que les Etats-Unis, avec la forme de libéralisme et de libre-échange qu’ils ont importée dans leur zèle missionnaire, ont été les sauveurs de l’Europe.
Ces positions signifient ipso facto de fonder moralement l’UE sur la victoire emportée sur le pays qui a dû, doit et devra contribuer le plus aux charges financières en vue de structurer le grand espace européen et qui constitue, de surcroît, le pays le plus indispensable de tous à la formation de l’Europe! Par conséquent, tous les autres partenaires de la construction européenne en arrivent à considérer que les contributions allemandes sont des “réparations” à payer pour cause de deuxième guerre mondiale au lieu de les considérer comme des investissements pour un futur commun à bâtir de concert et dans lequel, eux aussi, auraient la responsabilité et le devoir de contribuer à l’intérêt collectif.
En Allemagne, ce malentendu a conduit à une grande lassitude à l’égard de l’Europe: les Allemands, en effet, se sentent grugés et exploités; ils ont l’impression qu’on les maltraite, qu’on exige trop d’eux, tandis que l’élite qui fait fonctionner leur pays accepte pour eux le rôle du financier unique pour maintenir la cohésion d’un tout désormais branlant alors même que cette élite n’est plus capable de lancer des initiatives politiques en faveur de l’Europe. Les Allemands ont expurgé leur passé jusqu’à satiété, placé partout des garde-fous pour que plus aucun dérapage nationaliste ne soit possible: les autres partenaires de l’UE, en cette matière, en ont fait trop peu.
La distance temporelle qui nous sépare aujourd’hui des événements de la seconde guerre mondiale doit nous amener à interpréter la tragédie européenne du 20ème siècle comme une auto-destruction collective, où tous ont eu leur part! Cette auto-destruction procède d’erreurs de jugement sur la situation réelle de l’Europe, au sein même du continent et en dehors de lui, notamment sur une évaluation erronée de l’influence globale qu’exerçait le Vieux Continent. Les bénéficiaires de ces erreurs de jugement ont été la Russie soviétique et les Etats-Unis, deux puissances étrangères à l’espace européen. Si une nouvelle tragédie de même ampleur devait frapper l’Europe demain, d’autres bénéficiaires en tireraient profit et les conséquences en seraient, cette fois, irréversibles.
Si l’Europe ne formule pas bien vite une volonté de puissance commune et la défend de manière crédible, elle ne pourra pas opposer un modèle alternatif au libre-échange actuel. Or le contraire se profile à l’horizon: comme les mythes fondateurs de l’UE sont une fatalité, ils invitent les puissances extérieures à appuyer et favoriser les tensions intérieures en Europe, à les exploiter, à les pérenniser. Derrière l’accord britannique à une adhésion turque se profile l’intention de réduire l’idée européenne à n’être plus rien d’autre qu’une simple acceptation du libre-échange: l’Europe ne serait donc pas un bloc géopolitique autonome, structurée par une identité autochtone, mais une vague zone de libre-échange. La Pologne, la République Tchèque ou l’Italie, qui soutiennent, elles aussi, le désir des Turcs d’adhérer à l’UE, se réjouissent du coup de Jarnac qu’elles infligent ainsi à l’Allemagne et se vantent d’être les partenaires les plus féales des Etats-Unis, procurant du même coup, à ceux-ci, une sorte de levier d’Archimède pour disloquer l’unité européenne.
Une Europe qui reposerait sur de nouvelles bases politiques et spirituelles, qui considérerait que ses formes culturelles et ses modes de vie valent la peine d’être protégés, une Europe qui se montrerait prête à assurer sa défense, deviendrait, aux yeux des Allemands, un objectif digne d’être réalisé et justifierait les paiements disproportionnés qu’ils paient pour l’édification européenne. Mais, dans ce domaine, nous ne devons pas nous limiter aux seuls questions financières.
Voilà pourquoi, nous devons dire “oui” à l’Europe et, dans certaines conditions, à l’UE, mais uniquement si elle constitue une tentative de donner forme au continent. Mais nous devons dire “non”, et cela de manière décisive et tranchée, à la domination des bureaucrates et des idéologues fumeux qui pontifient à Bruxelles!
Thorsten HINZ.
(article paru dans “Junge Freiheit”, n°34/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).
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mercredi, 23 septembre 2009
Le bouclier antimissile américain en Europe relancé?
Le bouclier antimissile américain en Europe relancé ?
PARIS (NOVOpress) – Contrairement à ce que pouvait laisser penser la décision du président Obama de renoncer à implanter un système antimissile en Pologne et en Tchéquie, les Etats-Unis n’ont nullement renoncé à leur projet de bouclier antimissile en Europe, bien au contraire.
En effet, dans un article paru samedi dans The New-York Times, Robert M. Gates, secrétaire à la Défense des Etats-Unis l’affirme très clairement : « nous renforçons la défense antimissile en Europe, nous ne l’abandonnons pas» .
Selon lui, le système qui vient d’être abandonné ne serait pas entré en service « avant au moins 2017 et probablement beaucoup plus tard» alors que le nouveau plan prévoit un déploiement, effectif dès 2011, de missiles d’interception SM-3 embarqué à bord de navires, sans doute en Méditerranée orientale. Une deuxième phase, « vers 2015″, verra, elle, le déploiement d» une version améliorée du SM-3 au sol « en Europe du sud et centrale» .
Bref, la tutelle militaire américaine sur L’Europe, renforcée par le retour de la France dans l’Otan, a encore de beaux jours devant elle.
[cc [1]] Novopress.info, 2009, Article libre de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine
[http://fr.novopress.info [2]]
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jeudi, 17 septembre 2009
Acuerdo bilateral Kosovo-EEUU sobre ayuda economica
Acuerdo bilateral Kosovo-EEUU sobre ayuda económica
Kosovo y Estados Unidos firmaron este lunes su primer acuerdo bilateral de ayuda económica, centrado en las infraestructuras, aunque el monto no fue precisado, anunciaron fuentes oficiales en Pristina.
“La ayuda se destinará al desarrollo (de Kosovo) y en particular a las diferentes infraestructuras, y en consecuencia a la economía, los transportes y la educación”, declaró el presidente kosovar, Fatmir Sejdiu.
El canciller kosovar indicó en un comunicado que otro acuerdo de 13 millones de dólares fue firmado con Estados Unidos para reforzar el Estado de derecho en Kosovo.
El ministro de Relaciones Exteriores, Skender Hyseni, indicó que la ayuda sería empleada en crear “una estructura legal estable” en Kosovo.
Estados Unidos fue uno de los primeros países en reconocer la independencia de Kosovo, proclamada de manera unilateral en febrero de 2008.
Belgrado no reconoce la independencia y considera que Kosovo es una provincia serbia.
Extraído de Univisión.
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mercredi, 02 septembre 2009
Le procès Milosevic ou la "justice à la Potemkine"
“Lecter” / “t’ Pallieterke”:
Le procès Milosevic ou la “justice à la Potemkine”
Beaucoup de sottises ont été débitées à propos de l’ancien président yougoslave Slobodan Milosevic au cours de ces dernières années: des mensonges, des demi-mensonges, des vérités déformées, toute la palette y est passée. C’est du pain béni pour un chercheur qui chercherait à accoucher d’un solide pavé. Son procès devant le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie prend une place à part dans l’histoire. Lorsque ce tribunal a commencé à siéger, l’attention des médias était maximale mais il n’a pas fallu attendre longtemps pour que cet engouerment se mue en indifférence. Quelques mois plus tard, il fallait une grosse loupe pour chercher dans les journaux les quelques rares articulets que l’on consacrait encore à ces procès, du moins dans les médias occidentaux. En ce sens, le livre le plus récent de John Laughland tombe à pic: il comble les lacunes.
Contrairement à ce que l’on affirme si souvent, Slobodan Milosevic n’a pas été le premier chef d’Etat à comparaître devant une cour internationale du genre du tribunal pour l’ex-Yougoslavie. La plupart des journalistes l’ont oublié, ou omis de le dire, mais le premier chef d’Etat à comparaître fut Karl Dönitz en 1945. Certes, à leur corps défendant, on peut dire que Dönitz n’a été chef d’Etat que pendant une semaine. Mais après le suicide de Hitler, à la fin avril 45, il était indubitablement le chef de l’Etat allemand. Quoi qu’il en soit, le lien entre le Tribunal de Nuremberg, qui expédia Dönitz pour dix ans derrière les barreaux, et le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie, est fréquemment mis en exergue. Très souvent, on aime dire que le second de ces tribunaux est le prolongement du premier, qu’il est lui aussi un instrument de la “communauté internationale” pour punir la barbarie qui a ravagé les Balkans dans les années 90. La réalité est bien plus nuancée, ne relève certainement pas de la vision simpliste du bien contre le mal.
Dans cette vision d’idéaliste, le procès contre Milosevic devait être la cerise sur le gâteau. Mais l’affaire, sur plus d’un plan, a tourné au fiasco. Non seulement on peut s’interroger sur la légitimité de ce Tribunal, mais aussi critiquer la manière dont l’enquête a été menée: plus d’un juriste honnête en a les cheveux qui se dressent sur la tête. Finalement, le décès prématuré du prévenu a fait qu’aucun jugement n’a pu être prononcé contre lui. Examinons le dossier depuis ses débuts.
Inspiration idéologique
L’accusation portée contre Slobodan Milosevic a été formulée pour la première fois en 1999. L’OTAN était en train de bombarder copieusement la Serbie et le Kosovo. Ses attaques ne cesseront qu’en juin. Les émotions avaient été suscitées et excitées au maximum de leur intensité, remarque John Laughland, et cette manipulation de grande envergure devait camoufler le jeu totalement idéologisé que l’on entendait déjà jouer. “La guerre de l’OTAN et la plainte contre Milosevic étaient liées entre elles par une démarche et des options idéologiques fondamentales communes (...) Même pendant les bombardements, on trouvait un lien vers les “pages web” de l’OTAN sur le site internet du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie”. Tout un symbole!
On peut écrire des bibliothèques entières sur les intérêts perfides qui ont inspiré les Etats-Unis dans les Balkans, sur les plans géopolitique et idéologique. Beaucoup d’observateurs des relations internationales ne se privent d’ailleurs pas de le faire. Ne dévions pas de notre sujet. L’objet même du livre de Laughland est le procès, et rien que lui.
A plus d’un titre, l’affaire Milosevic suscite l’étonnement, fait lever les yeux au ciel. Pour commencer, cette affaire Milosevic constitue le procès pénal le plus long de l’histoire; il a débuté en février 2002 pour s’étirer jusqu’au samedi 11 mars 2006, soit le jour où le prévenu est tout simplement décédé. Le procès de Nuremberg, auquel on aime tant faire référence, a duré du 20 novembre 1945 au 30 septembre 1946. A la fin du procès Milosevic, les retranscriptions des débats comptaient déjà quelque 50.000 pages. Si l’on y ajoute toutes les pièces apportées par les parties, on en arrive à 1,2 million de pages. A peu près 300 témoins sont venus à la barre. Quant au coût de l’affaire, on n’a jamais pu le déterminer avec exactitude, bien que certaines évaluations semblent plausibles. Le budget annuel total du tribunal s’élève à 300 millions de dollars. En prenant pour principe que 10% seulement de cette somme soient consacrés à l’affaire Milosevic, cela reviendrait à un coût annuel de 10 millions de dollars, soit environ 60 millions de dollars pour la durée totale du procès (ndt: tels sont les chiffres avancés par l’auteur).
Pour avancer un argument tout empreint d’émotion: combien d’estomacs affamés pourrait-on nourrrir avec un tel pactole?
Légitimité?
L’essentiel de l’affaire, il ne faut pas aller le rechercher dans ces chiffres astronomiques qui nous donnent le tournis: dans l’enquête menée par Laughland, ce sont surtout les aspects juridiques qui comptent. La première question qu’il pose à propos de la légitimité du Tribunal est celle-ci: qu’y a-t-il de “légitime” dans l’intervention de l’OTAN au Kosovo et en Serbie? N’est-il pas significatif que les défenseurs de l’intervention insistaient mordicus sur la “légitimité” de l’action belliqueuse de l’OTAN et non sur sa “légalité”? Ce qui s’est passé est donc très douteux sur le strict plan du droit des gens et, par conséquent, la “moralité” doit être invoquée à tour de bras pour faire passer la pilule. Pour Laughland: de la pure hypocrisie.
La constitution du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Laughland la resitue dans le prolongement de l’intervention militaire et de ses inspirations politiques. Il est étrange également que ce soit deux Etats ouvertement musulmans, la Malaisie et le Pakistan, qui trépignaient d’impatience pour financer le projet. Près de 94% des frais ont été pris en charge par ces deux pays au début. Le lien entre cette prodigalité et leur sentiment de solidarité avec leurs coreligionnaires bosniaques n’aurait pas dû échapper aux observateurs. Le Tribunal a toujours été marqué par un puissant affect anti-serbe, aussi quand d’autres pays apportaient leur soutien financier. Finalement, les principaux financiers ont été les Etats-Unis. Leur contribution est quatre fois plus élevée que le numéro deux de la liste des financiers, la Commission Européenne.
Mais quelle est la légitimité juridique du Tribunal? Laughland examine attentivement plusieurs aspects et conclut: il y a lieu de formuler un gros paquet de remarques. Sur ce plan, on compare d’ailleurs souvent ce Tribunal à celui de Nuremberg. Mais c’est erroné, dit Laughland. Homme cultivé, avec un solide bagage de connaissances historiques, il replace l’affaire dans son contexte historique réel. Louis XVI aussi a comparu devant un Tribunal. Le régime de Vichy a fait comparaître les dirigeants de la Troisième République, parce que ceux-ci avaient précipité leur pays dans la guerre sans préparation suffisante. Evoquer des liens historiques est une activité intéressante, consent Laughland, mais alors il faut bien savoir où se trouvent différences et similitudes. D’abord, aucun acte d’accusation à Nuremberg n’a évoqué une “communauté internationale”. Non, il s’agissait de procédures que toutes les puissances alliées avaient commencé ensemble. Lisez les pièces; toutes sont citées nommément.
Les griefs
Ensuite, il y a le procès lui-même. Le paquet de griefs est considérable. “Nulla poena sine lege” (pas de peine sans loi) est un adage qui préside à tout procès pénal. Mais, ici, on a fait preuve de “créativité”. Ensuite, les droits de la défense ont été allègrement foulés aux pieds. A un stade avancé du procès, l’un des juges meurt, ce qui implique, normalement, que tout devrait être recommencé avec un tribunal nouvellement constitué. Cela ne s’est pas passé. Milosevic avait refusé de faire appel aux services d’un avocat. Pourtant, on lui en a imposé un. A certains moments, le procès s’est poursuivi en l’absence du prévenu. Et que faut-il penser de la manière dont on a refusé un traitement médical correct à Milosevic, très sérieusement malade? Bon nombre d’experts sont d’accord pour dire que cette absence de traitement a fait que Milosevic est mort avant la fin de son procès. Comme nous l’avons dit, les griefs sont fort nombreux, tant sur le plan des faits que sur celui du droit.
Et pour conclure: “Déjà au moment de sa constitution, l’illégalité du Tribunal sur l’ex-Yougoslavie était patente. Officiellement, on a déclaré que c’était la volonté de promouvoir la paix qui avait conduit à la constitution de ce Tribunal, en réalité l’objectif était de criminaliser les dirigeants serbes”. Et Laughland poursuit: “C’est une démocratie à la Potemkine que l’on a mis sur pieds en Bosnie, avec pour conséquence que le tribunal sur l’ex-Yougoslavie est le premier cas d’une justice à la Potemkine”.
“Lecter”
(article paru dans “’t Pallieterke”, Anvers, 05 août 2009)
John LAUGHLAND, “Travesty. The trial of Slobodan Milosevic and the Corruption of International Justice”, Londres, Pluto Press, 2007, 214 pages.
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mardi, 01 septembre 2009
Variations autour du thème "Russie"
Robert STEUCKERS:
Variations autour du thème “Russie”
Discours de Robert Steuckers lors du colloque de la “nouvelle alternative solidariste” à Ruddervoorde/Bruges, 11 octobre 2008
La Russie –vous l’entendez et le lisez chaque jour dans les médias du système— est l’objet d’une inlassable propagande, toujours dénigrante et négative, d’un harcèlement permanent des esprits, qui la campent comme un immense foyer où se succèdent sans discontinuité horreurs et entorses à la “bonne gouvernance”; cette propagande a été bien réactivée depuis la “Guerre d’août” dans le Caucase, il y a deux mois. Cette propagande négative, cette “Greuelpropaganda” (“gruwelpropaganda”), n’est pas nouvelle, car, les historiens le savent, elle s’est déjà déployée dans l’histoire des deux derniers siècles, essentiellement pour deux faisceaux de motifs:
Premier faisceau de motifs:
D’abord à cause de l’autocratisme de certains tsars: Paul I, qui voulait marcher avec Napoléon contre l’Inde britannique et démontrait, par cette volonté, que la maîtrise de la Mer Noire et de la Caspienne permettait à terme de déboucher en Inde, arsenal civil et source de profit pour la puissance dominante anglaise; et Nicolas I, qui a entamé la marche des armées russes en direction du Caucase et de l’Asie centrale; ce tsar voulait régler la question d’Orient en liquidant l’Empire ottoman, ce qui a déclenché la Guerre de Crimée. Ce reproche d’autoritarisme fait partie d’un arsenal propagandiste récurrent car il s’adresse également à des tsars d’ouverture tels Alexandre II, qui lance un programme d’industrialisation, de modernisation et de libération des serfs, ou Nicolas II, qui sera tantôt ange tantôt démon, selon les fluctuations de la géopolitique anglaise, qui entendait d’abord ébranler la Russie pour s’emparer des pétroles du Caucase puis s’allier à elle dans le cadre de l’Entente pour faire pièce à une Allemagne devenue ennemie principale, prenant ainsi, au titre de cible première des propagandes dénigrantes, le relais de l’Empire des Tsars comme le démontre d’excellente manière le géopolitologue suédois William Engdahl dans son ouvrage sur la guerre du pétrole (1). Nicolas II partage avec les Mexicains Zapata et Pancho Villa le triste honneur d’avoir été tout à la fois, en l’espace de quelques années seulement, tyran sanguinaire et brave allié. Les deux Mexicains, rappellons-le, voulaient nationaliser les pétroles de leur pays, les arracher aux tutelles britannique et yankee... L’an passé, nous avons eu à déplorer la disparition de Henri Troyat, de l’Académie Française, écrivain de souche russe et arménienne, qui nous a laissé des biographies de tous les tsars: elles nous expliquent en long et en large les grands axes de leur politique, dans un langage clair et limpide, accessible à tous, sans jargon. Je conseille à chacun de vous de s’y référer.
Deuxième faisceau de motifs:
Ensuite à cause du bolchevisme et de la bolchevisation de la Russie, après 1917, la démonisation propagandiste se focalise sur l’idéologie et la pratique du communisme. Elle a la tâche bien plus facile car le tsarisme était moins démonisable que le soviétisme. Le monde catholique belge et flamand, notamment, dépeint la Russie soviétisée comme le foyer du mal absolu, surtout pour empêcher tout envol du communisme en Belgique même; la publication de l’album d’Hergé, “Tintin au pays des Soviets” relève, pour ne donner qu’un seul exemple, de cet anti-communisme catholique et militant des années 20 et 30. Cette propagande anti-soviétique a laissé des traces: en dépit de l’effondrement définitif de l’Union Soviétique et de la débolchevisation de la Russie, les réflexes anti-russes mobilisés pour combattre le soviétisme, notamment la propagande en faveur de l’OTAN, restent ancrés dans les mentalités, incapables d’intégrer les nouvelles donnes géopolitiques d’après 1989. A cet anti-communisme, mis en sourdine à partir de 1941 pour raisons d’union sacrée contre le nazisme et pour couvrir les agissements de la résistance communiste (en tant qu’instrument de la “guerilla warfare”), succède un anti-stalinisme, partagée par certains communistes ailleurs dans le monde; cet anti-stalinisme prête tous les travers du communisme à la seule gestion stalinienne de l’Union Soviétique. Comme Nicolas II, tyran sanguinaire puis “bon père des peuples de toutes les Russies” selon la propagande londonienne, Staline sera un monstre, puis le brave “Uncle Joe”, puis le “petit père des peuples” puis à nouveau un dictateur infréquentable.
Dans mon article, intitulé “La diplomatie de Staline” (cf. http://euro-synergies.hautetfort.com), et dont la teneur m’a été souvent reprochée (2), j’ai souligné l’originalité, après 1945, de la diplomatie soviétique, qui pariait sur des rapports bilatéraux entre puissances et non sur une logique des blocs, du moins au départ. De fait, le pacte de Varsovie nait en 1955 seulement, après la mort du leader géorgien. Ce Pacte a bétonné la logique des blocs et est l’oeuvre du post-stalinisme que Douguine dénonce, aujourd’hui à Moscou, comme une émanation d’un certain “atlanto-trotskisme”. En dépit d’atrocités comme l’élimination des koulaks dans les terres noires et si fertiles d’Ukraine, qui a privé l’Union Soviétique d’une paysannerie capable de lui assurer une totale autonomie alimentaire, et comme les épurations du parti et de l’armée lors des grandes purges de 1937, il faut objectivement mettre à l’acquis de la période stalinienne tardive les notes de 1952, proposant la neutralisation de l’Allemagne sur le modèle prévu pour l’Autriche, en accord avec le filon “austro-marxiste” de la social-démocratie autrichienne.
Déstalinisation et logique des blocs
La volonté de réhabiliter les rapports bilatéraux entre puissances, selon les vieux critères avérés de la diplomatie classique, et le projet de neutralisation d’une large portion du centre de l’Europe entre l’Atlantique et la frontière soviétique, dont l’arsenal industriel allemand appelé à renaître de ses cendres (“les Hitlers vont et viennent, l’Allemagne demeure”), sont deux positions qui ont l’une et l’autre déplu profondément à Washington et entraîné ipso facto une propagande anti-stalinienne puis, dans la foulée, la déstalinisation, au profit d’une logique des blocs parfaitement schématique, qui condamnait l’Europe à la division et la stagnation, au blocage géopolitique permanent. La déstalinisation, en dépit de la “bonne figure” qu’elle se donnait, interdisait de revenir au message de la fin de l’ère stalinienne: diplomatie classique et neutralisation de l’Allemagne.
La Chine actuelle, partiellement héritière de ce communisme de la fin des années 40 et du début des années 50, préconise des relations internationales basées sur des rapports bilatéraux, dans le respect des identités politiques des acteurs de la scène internationale, en dehors de toute formation de blocs et de toute idéologie “immixtionniste” (wilsonisme, stratégie cartérienne et reaganienne des “droits-de-l’homme”, etc.) (cf. nos articles sur la question: Robert Steuckers, “Les amendements chinois au ‘nouvel ordre mondial’” & “Modernité extrême-orientale et modèle juridique ‘confucéen’”; ces deux articles sont repris dans: Robert Steuckers, “Le défi asiatique et ‘confucéen’ au ‘nouvel ordre mondial’”, Synergies Européennes, Forest, 1998; les deux textes figurent dorénavant sur: http://euro-synergies.hautetfort.com).
Le retour des thématiques anti-autocratiques
Avec Poutine et Medvedev, la propagande habituelle recompose les thématiques de l’anti-autocratisme, de l’hostilité à tout pouvoir non seulement fort mais simplement solide, à celle des résidus de communisme, dans le sens où toute réorganisation des anciennes terres de l’Empire russe et toute velléité de contrôler l’économie et le marché des matières premières s’assimilent à un retour au communisme. Ce sont des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber, en tenant compte des arguments suivants:
- la Russie a besoin d’un pouvoir plus contrôlant que les terres situées à l’Ouest du sous-contient européen, la coordination des ressources de son immense territoire exigeant davantage de directivité;
- dans une perspective européenne et russe, le contrôle pacifique de l’Asie centrale, du Caucase, de la Caspienne et de la Mer Noire est un atout géopolitique et géostratégique important, dont il ne faut pas se défaire avec légèreté, sous peine de voir triompher le voeu le plus cher de la géopolitique anglo-saxonne, dont les fondements ont été théorisés par Halford John Mackinder et Homer Lea dans la première décennie du 20ème siècle;
- la démonisation de la Russie a une forte odeur d’hydrocarbure; chaque étape historique de cette démonisation est marquée par l’un ou l’autre enjeu pétrolier; hier comme aujourd’hui, dans le Caucase;
- le communisme, en tant que messianisme qui s’exporte et ébranle les équilibres politiques des nations voisines, a cessé d’exister et les réflexes défensifs que son existence dictait n’ont plus lieu d’être et vicient, s’ils jouent encore, la perception de la réalité actuelle;
- la propagande anti-russe d’hier et d’aujourd’hui participe de la stratégie immixtionniste et internationaliste mise en oeuvre à Londres hier, à Washington depuis la présidence de Teddy Roosevelt et du système wilsonien; elle a eu pour résultat de torpiller toutes les oeuvres d’unification continentale et de faire, à terme, de l’Europe un nain politique, en dépit de son gigantisme économique.
L’historiographie dominante fait donc de la Russie un croquemitaine et cette historiographie est dictée aux agences médiatiques, à la presse internationale, par des officines basées à Londres ou à Washington. Il s’agit désormais, dans les espaces de liberté comme le nôtre, de contrer les poncifs toujours récurrents de cette propagande et de se référer à une autre interprétation de l’histoire, à une historiographie alternative, différente aussi de l’historiographie soviétique/communiste (liée à l’historiographie anglo-saxonne pour les événements de la seconde guerre mondiale).
Le souvenir de “Pietje Kozak”
Dans le cadre restreint du mouvement flamand, il faut se rappeler que sans les cosaques d’Alexandre I, les provinces sud-néerlandaises n’auraient jamais été libérées du joug napoléonien et que leur identité culturelle et linguistique aurait disparu à tout jamais si elles étaient demeurées des départements français. Si un quartier s’appelle “Moscou” à Gand, c’est en souvenir des libérateurs cosaques, conduits par “Pietje Kozak”, dont les chevaux avaient galopé d’Aix-la-Chapelle aux rives de l’Escaut, en passant par Bruxelles, où ils avaient campé à la Porte de Louvain, l’actuelle Place Madou. Les cosaques n’ont pas laissé de mauvais souvenirs. Ils ne sont pas restés longtemps: ils ont foncé vers Paris, tandis que les Gantois volontaires étaient incorporés dans l’armée prussienne, armée pauvre, levée en masse, selon les consignes de Clausewitz, qui voulait faire pièce à la conscription républicaine puis napoléonienne. Cette armée devait vivre sur la population, notamment sur la rive orientale de la Meuse que la Prusse convoitait, en inquiétant les Anglais, qui voyaient une grande puissance s’approcher d’Anvers et occuper une vallée mosane menant directement au Delta et au Hoek van Holland, à une nuit de navire à voile de Londres, comme au temps de l’Amiral De Ruyter. Les réquisitions prussiennes ont laissé de mauvais souvenirs, surtout en pays de Liège, dans les Ardennes et le Condroz. Les Anglais, eux, payaient tout ce qu’ils prenaient et se taillaient bonne réputation: c’est là qu’il faut voir l’origine de l’anglophilie belge.
Après l’effondrement du système napoléonien qui avait l’avantage peut-être d’unir l’Europe mais le désavantage de le faire au nom des philosophades modernistes de la révolution française, l’Europe acquiert, à Vienne en 1814-15, une sorte d’unité restauratrice. Ce sera la Pentarchie, le concert des cinq puissances (Prusse, Russie, Angleterre, Autriche, France) dont le territoire s’étend de l’Atlantique au Pacifique. Nous avons donc pour la première fois dans l’histoire un espace européen et eurasien entre les deux plus grands océans du globe. La cohérence de cet espace demeure un idéal et une nostalgie, en dépit des faiblesses de cette Pentarchie, sur lesquelles nous reviendrons. Rappellons qu’elle subsistera à peu près intacte jusqu’en 1830 et que les premières lézardes de son édifice datent justement de cette année fatidique de 1830, de la révolte belge de Bruxelles, où Français et Britanniques acceptent les exigences des insurgés, les uns dans l’espoir d’absorber petit à petit le pays; les autres pour briser l’unité des Pays-Bas, qui alliaient de considérables atouts à l’aube de la révolution industrielle: une industrie métallurgique liégeoise, des mines de charbons de Mons à Maastricht, une bonne industrie textile en Flandre et dans la Vallée de la Vesdre, une flotte hollandaise impressionnante et des colonies en voie de développement en Insulinde (Indonésie), un pôle germanique continental et littoral aussi attrayant, sinon plus attrayant, pour les populations d’Allemagne du Nord que la Prusse et le Brandebourg (3). Tandis que Français et Britanniques favorisaient la sécession belge, les autres puissances européennes y voyaient une première entorse à la cohésion “pentarchique” et le triomphe d’un particularisme stérile.
La Doctrine de Monroe contre la Pentarchie
Preuve des potentialités immenses de la “Pentarchie”: c’est à l’époque de sa plus forte cohésion que les puritains d’Amérique du Nord s’en inquiètent, tout en devinant les potentialités de leur propre vocation continentale et bi-océanique dans le Nouveau Monde. La proclamation de la Doctrine de Monroe en 1823 constitue un défi américain à cette formidable cohésion européenne qui s’impose sur la masse continentale eurasiatique (4). Il fallait de l’audace pour oser ainsi défier les cinq puissances de la Pentarchie. Avec un culot inouï, sans avoir à l’époque les moyens de défendre sa politique sur le terrain, James Monroe a osé prononcer ce programme d’exclusion des puissances européennes, à commencer par l’Espagne affaiblie, car si la Pentarchie l’avait voulu, elle se serait partagé le Nouveau Monde en zones d’influence et les treize colonies rebelles n’auraient pas pu dépasser les Appalaches ni atteindre le bassin du Mississippi si Bonaparte n’avait pas eu la funeste idée de leur vendre la Louisiane en 1803.
La Guerre de Crimée (5) va définitivement rompre la cohésion de la Pentarchie et inaugurer l’ère des compositions et recompositions d’alliances qui conduiront à l’explosion de 1914, à la première guerre mondiale et à l’implosion de la culture européenne. Le Tsar Nicolas I entendait parachever le travail de liquidation de l’Empire ottoman, commencé en 1828, où les flottes anglaise, française et russe, de concert, avaient forcé le Sultan à concéder l’indépendance à la Grèce, qui aura un roi bavarois. L’objectif du Tsar était de liquider progressivement l’Empire ottoman, corps étranger à la Pentarchie sur le sous-continent européen, en protégeant puis en accordant l’indépendance aux sujets chrétiens (orthodoxes) de la Sublime Porte. La logique du Tsar est continentaliste: il veut un élargissement de “l’ager pentarchicus” et la ré-occupation de positions statégiques-clefs que les impérialités européennes, romaines et byzantines, avaient tenues avant les raz-de-marée arabe et ottoman. L’élargissement de “l’ager pentarchicus” impliquait, après la parenthèse de l’indépendance grecque soutenue par tous, d’englober tout le territoire maritime pontique et de débouler, partiellement ou par nouvelles petites puissances orthodoxes interposées, dans le bassin oriental de la Méditerranée, avec la Crète et Chypre, à proximité de l’Egypte. La logique de l’Angleterre est, elle, maritime, thalassocratique. Pour le raisonnement impérial anglais, l’Empire des Tsars, avec ses immenses profondeurs territoriales et ses énormes ressources, ne peut pas s’avancer aussi loin vers le Sud, peser de tout son poids sur la ligne maritime Malte-Egypte, au risque de couper la voie vers les Indes, car on compte déjà à Londres percer bientôt l’isthme de Suez.
Le centre névralgique de l’Empire britannique n’est plus en Europe
Les préoccupations anglaises du temps de la Guerre de Crimée (1853-1856) demeurent actuelles, à la différence près que ce sont désormais les Américains qui les font valoir. Pour Londres hier et pour Washington aujourd’hui, la Russie, ni aucune autre puissance européenne d’ailleurs, ne peut avoir la pleine maîtrise de la Mer Noire ni disposer d’une bonne fenêtre sur la Méditerranée orientale. En 1853, Londres prendra fait et cause pour la Turquie, entraînant la France dans son sillage, et les deux puissances occidentales ruinèrent ainsi définitivement la notion féconde et apaisante de Pentarchie: elles sont responsables devant l’histoire de toutes les catastrophes qui ont saigné l’Europe à blanc depuis la Guerre de Crimée. L’unité et la cohésion de l’Europe ne comptent pas pour Londres et Paris, puissances excentrées par rapport au coeur du sous-continent. L’Occident s’alliera avec n’importe quelle puissance ou n’importe quelle peuplade extérieure à l’Europe pour détruire toute force de cohésion émanant du centre rhénan, danubien ou alpin de notre sous-continent. Cette stratégie de trahison et d’anti-européisme avait commencé avec François I, le Sultan et Barberousse au 16ème siècle (6); l’Angleterre vole, elle, au secours de l’Empire ottoman moribond, prolonge la servitude des peuples balkaniques en ne montrant aucune solidarité avec des Européens croupissant sous un joug musulman, parce que le centre névralgique de la puissance britannique ne se situe plus en Europe, ni même dans la métropole anglaise, mais en Inde. L’Angleterre possède donc un empire dont le centre, sur le globe, est le sous-continent indien; bien qu’hegemon, elle se situe en périphérie de l’espace-tremplin initial, du coeur même de son propre empire et combat tout ce qui, autour de l’Inde, pourrait, à moyen ou long terme, en réalité ou en imagination, en menacer l’intégrité territoriale. Les logiques française et anglaise de la seconde moitié du 19ème siècle ne sont donc plus euro-centrées mais exotiques. Ce glissement scelle la fin de la cohésion pentarchique.
C’est à la suite de la Guerre de Crimée que le terme “Occident” devient péjoratif en Russie. Nul autre que Dostoïevski ne l’a expliqué aussi clairement que dans son “Journal d’un écrivain”. En 1856, quand la Russie doit accepter les clauses humiliantes de la paix, une première césure traverse l’Europe pentarchique, une césure qui constitue une première étape vers l’épouvantable cataclysme d’août 1914. En effet, la césure sépare désormais une Europe occidentale (France et Angleterre), d’une Europe centrale et orientale (Prusse, Russie, Autriche-Hongrie). En dépit de la méfiance autrichienne avant et pendant la Guerre de Crimée, qui voyait d’un mauvais oeil la Russie qui tentait de s’installer dans le delta du Danube en prenant sous sa protection les principautés roumaines (Valachie et Moldavie), de confession orthodoxe. Sous l’impulsion de Bismarck, les trois puissances impériales chercheront à reproduire, à elles seules, la cohésion de la Sainte-Alliance. Après l’unification allemande de 1871, on parlera de “l’alliance des trois empereurs” (“Drei-Kaiserbund”). Bismarck exhortera les Autrichiens à ne pas succomber aux tentations occidentales, ce qui sera d’autant plus aisé que l’Autriche n’a jamais eu de colonies extra-européennes.
La crainte de voir renaître un Empire russo-byzantin sur le Bosphore
Le théoricien le plus pertinent de la “Pentarchie” fut incontestablement Constantin Frantz (7): c’est lui qui a démontré que “l’excentrage” exotique de l’Angleterre en direction des Indes principalement et de la France en direction de l’Afrique (Algérie, Saint-Louis/Dakar, Côte d’Ivoire, Gabon, avant 1860) brisait la cohésion de l’Europe et pouvait induire sur son territoire des conflictualités générées ailleurs. La Guerre de Crimée est la première conflagration inter-européenne après 1815, dont les motivations dérivent de préoccupations extra-européennes: l’Angleterre ne veut pas d’une flotte russe en Méditerranée orientale parce que cela menace l’Egypte et comporte le risque de voir s’installer des postes et bases russes en Mer Rouge, avec accès à l’Océan Indien; la France n’en veut pas davantage car une flotte russe dans les bases auparavant ottomanes risque de menacer l’Algérie fraîchement conquise, qui, rappelons-le, était tout de même la base la plus avancée des Ottomans en Méditerranée occidentale au 16ème siècle. La crainte partagée par Paris et Londres en 1853 était de voir se reconstituer, sur les débris de l’Empire ottoman, un empire russo-byzantin rechristianisé capable, avec les réserves russes, de contrôler les principaux points stratégiques à la charnière des masses continentales asiatiques et africaines, et de remplacer ainsi l’Empire ottoman. Cette crainte n’existait pas encore vingt-cinq ans auparavant, au moment de l’accession de la Grèce à l’indépendance: la France n’avait pas encore débarqué ses troupes en Algérie et l’Angleterre escomptait simplement faire de la Grèce un satellite plus solide que le seul petit cordon d’îles ioniennes, dont elle avait fait, en 1815, une république sous protectorat anglais.
Revenons à la propagande anti-russe actuelle: elle remonte à l’époque de la Guerre de Crimée. Aujourd’hui encore, les linéaments de cette propagande et les motifs géopolitiques qu’elle dissimule ou travestit demeurent et s’utilisent toujours. Et montrent plus de virulence dans la sphère anglo-saxonne et en France qu’ailleurs en Europe, mis à part les pays de l’est fraîchement libéré du communisme. Les cénacles, journaux, publications des milieux dits “nationalistes” ou “nationaux-conservateurs” de l’Occident français et anglais évoquent bien moins souvent une alliance euro-russe que leurs pendants d’Europe centrale germanique (Allemagne, Autriche). En Flandre, nous assistons à une contagion anglaise, à une véritable “anglo-saxonnite aigüe”, totalement contraire aux intérêts européens de cette région liée à la Rhénanie-Westphalie, et improductive pour tout combat métapolitique face au danger français, à l’heure où la conquête n’est plus militaire ou culturelle mais économique.
Les “nouveaux philosophes”, instruments de la russophobie
La propagande anti-russe, et aujourd’hui hostile à Poutine, fonctionne à merveille dans la sphère linguistique anglo-saxonne. C’est au départ d’officines de moins en moins britanniques et de plus en plus américaines qu’elle se déploie sur la planète entière. En France, cette propagande se distille, sous un déguisement différent, au départ, non pas de cercles conservateurs ou nationaux-conservateurs, mais de réseaux trotskistes, d’obédience affichée ou infiltrés dans les cénacles syndicaux ou socialistes et surtout au départ des niches médiatiques et journalistiques où s’est incrustée la secte des “nouveaux philosophes”, à cheval entre une gauche nouvelle (les fameuses deuxième et troisième gauches) et une droite atlantiste, molle, libérale et “orléaniste” qui cherche à tourner le dos au gaullisme. Ce bastion, bien positionnée sur le carrefour entre droite centriste et gauche centriste, permet à cette propagande de s’insinuer partout et d’empêcher l’éclosion d’une pensée géopolitique alternative, non atlantiste, qui pourrait émerger dans plusieurs franges politiques potentielles, aujourd’hui houspillées dans les marges de la politique dominante et souvent décriées comme “extrémistes”: communiste, gaulliste (dans le sens de Couve de Meurville), nationaliste, souverainiste ou néo-maurrassienne.
La Guerre de Crimée a donc fracassé définitivement la Pentarchie, la seule cohésion européenne de l’ère moderne et contemporaine. Néanmoins, le conflit dominant, celui dont les enjeux géopolitiques avaient le plus d’envergure territoriale car ils concernaient et la Terre du Milieu (sibérienne et centre-asiatique) et l’Océan du Milieu (l’Océan Indien avec le sous-continent indien), demeurait le conflit russo-britannique. Le conflit franco-prussien de 1870-71, perçu comme essentiel en France ou en Allemagne car il était local, reste marginal, malgré tout, malgré son importance, malgré qu’il est l’une des sources majeures des deux conflits mondiaux du 20ème siècle.
Versailles ou le retour de la politique de Richelieu
Cependant, la permanence du conflit anglo-russe aux confins de l’Hindou Kouch, la rivalité entre Londres et Saint-Pétersbourg en Asie centrale et la volonté française de revanche et de reconquête de l’Alsace et de la Lorraine thioise vont peser d’un poids suffisant pour modifier la donne entre 1871 et 1914. La France va investir en Russie, afin d’avoir un “allié de revers”, comme François I s’était allié au Sultan et aux pirates barbaresques pour prendre le Saint-Empire et l’Espagne en tenaille et faire échouer l’offensive espagnole et vénitienne en Afrique du Nord et en direction de la Méditerranée orientale. On ne mesure pas encore complètement l’impact désastreux de cette politique. La politique française des investissements en Russie, mieux connue sous l’appelation des “emprunts russes” va contribuer à la dislocation progressive de l’alliance des “Trois Empereurs”, ultime résidu de l’esprit de la Pentarchie de 1814. A ce projet de s’adjoindre le “rouleau compresseur russe”, s’ajoutera une volonté maçonnique d’émietter l’espace de la “monarchie danubienne” austro-hongroise, de fractionner l’Europe centrale et orientale en autant de petits Etats que possible, tous condamnés à la dépendance ou à l’inviabilité économique: ce sera une réactualisation de la politique de Richelieu, visant la “Kleinstaaterei” dans les Allemagnes (pluriel!), qui trouvera un nouvel aboutissement dans le Traité de Versailles.
Bismarck serait indubitablement parvenu à maintenir la cohésion de l’alliance des Trois Empereurs. Ses successeurs n’auront pas cette intelligence politique et ce “feeling” géopolitique. Ils laisseront libre cours, sans réagir de manière opportune, à cette politique française de satellisation de la Russie. Quand celle-ci bascule définitivement dans le camp français, la politique alternative de l’Allemagne sera d’aller chercher dans l’Empire ottoman moribond un espace pour écouler les biens d’exportation de sa nouvelle industrie et y puiser des matières premières. Cette politique heurtera la volonté russe de trouver un débouché au-delà des Dardanelles, en direction de la Méditerranée orientale, de Suez et de l’Egypte et la volonté britannique de maintenir ou de créer un verrou partant du Caire pour aboutir à Calcutta au Bengale, afin de parachever, avec les possessions anglaises d’Afrique et d’Australie, une domination absolue sur l’ensemble des rivages de l’Océan Indien.
Une vingtaine d’années pour parfaire l’Entente
Il faudra cependant une vingtaine d’années pour consolider l’alliance que sera l’Entente entre Londres, Paris et Saint-Pétersbourg. Les sources de conflits potentiels demeurent latentes entre l’Angleterre et la France, en Indochine où l’Angleterre accepte, bon gré mal gré, que les Français contrôlent la façade pacifique de cette Indochine mais n’acceptent aucune extension de ce contrôle en direction du Siam et du Golfe du Bengale. De même, l’Angleterre voit d’un mauvais oeil la conquête violente puis la pacification de Madagascar par le Général Gallieni (qu’ils détesteront même au plus fort de la bataille de la Marne en 1914, alors que cette bataille a décidé du sort de la guerre en faveur des alliés). Ensuite, l’affaire de la prise de contrôle par les Britanniques du Canal de Suez ne s’est pas apaisée rapidement, a connu des rebondissements, surtout, notamment, quand l’expédition du Capitaine Marchand en direction de Fachoda au Soudan laissait présager une installation française sur les rives du Nil, axe liant l’Egypte à l’Afrique du Sud.
Une présence française sur le Nil aurait pu briser la cohésion territoriale de l’Empire britannique en Afrique en s’alliant soit à la Somalie sous domination italienne soit à l’Abyssinie chrétienne soit au Congo belge. Il y aurait eu une présence européenne continentale sur une portion importante du littoral africain de l’Océan Indien, avec, d’une part, une grande profondeur territoriale, reliant l’Atlantique à l’Océan du Milieu, et d’autre part, une base navale (et, plus tard, un porte-avion) malgache en face du Mozambique portugais, du Tanganyka alors allemand et surtout des mines d’Afrique du Sud, où demeurait une population boer rebelle, partiellement d’ascendance française. Imagine-t-on aujourd’hui quelle puissance aurait pu avoir un bloc colonial européen, regroupant les colonies françaises, belges, allemandes et portugaises et les Etats indépendants boers? La Mer Rouge aurait été contrôlée à hauteur d’Aden et de Djibouti par une constellation européenne germano-turque, italienne et française. Pour Londres, l’un des résultats les plus intéressants de la première guerre mondiale a été de contrôler la Mer Rouge de Suez à Aden, d’y éliminer toute présence germano-turque et, indirectement, française, la France sortant exsangue de la Grande Guerre.
Ratzel, Tirpitz et le réveil de l’Allemagne
Dans les années 90 du 19ème siècle, les Russes se rendent encore maîtres de l’actuel Tadjikistan et exercent une influence prépondérante sur le “Turkestan chinois” au nord du Tibet. Tandis que pour contrer ce gain de puissance, les Anglais annexent à l’Empire des Indes les régions afghanes aujourd’hui pakistanaises et que l’on appelle la “zone ethnique” pachtoune, actuellement en pleine rébellion et sanctuaire des rebelles talibans en lutte contre l’occupation de l’Afghanistan. Entre 1890 et 1900, rien ne laissait augurer une alliance anglo-russe, tant les conflits potentiels s’accumulaient encore le long des frontières afghanes. Le très beau film “Kim”, d’après une nouvelle de Rudyard Kipling, met en scène un Indien musulman local, fidèle à la Couronne britannique, et des explorateurs russes, soupçonnés d’espionnage et de venir soulever les tribus hostiles à la présence anglaise. Le scénario du film se déroule précisément dans les années 90 du 19ème siècle.
Après la guerre des Boers et l’élimination impitoyable de leurs deux républiques libres d’Afrique australe, période où l’Angleterre victorienne avait été honnie dans toute l’Europe, l’Allemagne devient l’ennemi numéro un, parce qu’elle développe des stratégies commerciales efficaces, concurrence les produits industiels britanniques partout dans le monde, se met à construire une flotte sous l’impulsion du géopolitologue Friedrich Ratzel et de l’Amiral von Tirpitz, exerce une influence prépondérante dans les “Low Countries”, propose une “Union de la Mittelafrika” à la Belgique et au Portugal susceptible de ruiner les projets de Cecil Rhodes et surtout réorganise l’Empire Ottoman pour un faire un espace complémentaire de son industrie (un “Ergänzungsraum”), coupant la route des Russes vers Constantinople et occupant des positions stratégiques en Méditerranée orientale, en prenant, avec l’Autrriche-Hongrie et ses marins dalmates, le relais de Venise la “Sérénissime” dans cet espace maritime, en face de Suez et sur un segment important de la route maritime vers l’Inde.
Mackinder et le “Terre du Milieu”
Malgré l’émergence, pour Londres, d’un “danger allemand”, la Russie demeure implicitement l’ennemi principal dans le dicours que tient Halford John Mackinder en 1904, pour expliquer, par la géographie, la dynamique Terre/Mer de l’histoire, où l’Angleterre tient la Mer et les Indes et la Russie, la Terre et l’Asie centrale, rebaptisée “Terre du Milieu” et posée comme inaccessible à l’instrument naval de la puissance anglaise. Mackinder tire en quelque sorte le signal d’alarme en cette année 1904, parce que, contrairement à l’époque de la Guerre de Crimée, la Russie commence, sous l’impulsion de Sergueï Witte, à se doter d’un réseau de chemins de fer et d’une ligne ferroviaire transsibérienne qui lui procurent désormais la capacité militaire de transporter rapidement des troupes vers la Mer Noire, le Caucase, l’Asie centrale et l’Extrême-Orient. Sur le plan technologique, la donne a donc changé. La Russie, handicapée par l’immensité de ses territoires et les problèmes logistiques qu’ils suscitent, venait d’acquérir un supplément non négligeable de mobilité terrestre. Elle pèse d’un poids plus considérable sur les “rimlands”, dont la Perse et l’Inde, qui donnent accès à l’Océan Indien, “Océan du Milieu”.
De facto, la Russie devient la protectrice de la Chine, après la guerre sino-japonaise de 1895, ce qui lui permet de faire passer le Transsibérien à travers la riche province chinoise de Mandchourie. Cette Russie plus mobile, grâce au chemin de fer, et donc plus “dangereuse”, inquiète l’Angleterre: elle doit dès lors être tenue en échec par une politique d’endiguement et par la constitution d’un “cordon sanitaire” de petites puissances dépendantes de la principale thalassocratie de la planète. Mieux: la politique extrême-orientale de la Russie, face aux anciennes et nouvelles puissances asiatiques de la région, reçoit le plein aval de Guillaume II d’Allemagne, qui détourne ainsi la Russie du Danube et désamorce les conflits potentiels avec l’Autriche-Hongrie; face à ces encouragements allemands, l’Angleterre, qui voit en eux un danger de plus pour ses intérêts, entend ramener, à terme, la Russie en Europe, pour qu’elle agisse contre l’Autriche, principal allié de l’Allemagne montante.
La Russie avance ses pions vers le Pacifique
L’Entente se dessine: la France finance la Russie, mais la lie ainsi à elle, et l’Angleterre dispose de deux “spadassins continentaux” pour abattre la puissance qu’elle juge la plus dangereuse pour elle, avec le sang de leurs millions de conscrits. Sergueï Witte préconisait une politique de petits pas en Extrême-Orient: l’acquisition par l’Allemagne de la base chinoise de Tsingtao précipite les choses, oblige les Russes à abandonner leur modération initiale et à revendiquer et occuper Port Arthur; du coup, les Anglais s’emparent de Weihaiwei. Les puissances s’abattent sur la Chine, grignotent sa souveraineté pluriséculaire, déclenchant une révolte xénophobe, celles des Boxers, soutenue in petto par l’Impératrice douairière. Pour mater cette révolte, les puissances organisent une expédition punitive, au cours de laquelle les Russes prennent l’ensemble de la Mandchourie. Via Kharbin et Moukden, le Transsibérien est prolongé jusqu’à Port Arthur: du coup, la Russie est présente dans les eaux chaudes du Pacifique (8). L’Amiral Alexeïev, gouverneur de la région, entreprend l’exploitation du port et de la nouvelle base navale puis lorgne directement vers la péninsule coréenne, susceptible de fournir un pont territorial entre Vladivostok et Port Arthur. Sur le cours du fleuve Yalou, les Russes découvrent de l’or. La politique d’Alexeïev heurte le Japon qui convoite la Corée. Le scénario est en place pour une nouvelle guerre. Cette fois contre le Japon, avec le désavantage que cette guerre est très impopulaire, ne correspond pas aux mythes politiques habituels du peuple russe, qui veut toujours un élan vers Constantinople, les Balkans et l’Egée.
En 1905, lors de la guerre russo-japonaise, l’Angleterre et déjà les Etats-Unis, soutiennent le Japon, archipel en lisière du “rimland” sino-coréen. Le Japon devient ainsi le petit soldat asiatique de la première politique d’endiguement, immédiatement après le discours de Mackinder. La propagande contre Nicolas II, posé comme “bourreau” de son peuple, bat son plein. Quelques cercles révolutionnaires perçoivent de mystérieux financements. La flotte russe de la Baltique, qui part du Golfe de Finlande pour porter secours à celle du Pacifique, ne peut s’approvisionner en charbon le long de son itinéraire, dans les bases britanniques, les plus nombreuses. Résultat: le désastre de Tchouchima.
Notons, dans ce contexte, l’ignoble hypocrisie de la France, qui avait promis monts et merveilles à son “allié” russe, mais l’a froidement laissé tomber face au Japon, pour ne pas désobliger l’Angleterre. Jeu dangereux car, un moment, cette trahison a failli ramener la Russie dans un système d’alliance comprenant l’Allemagne sans exclure la France. L’Axe Paris-Berlin-Saint-Pétersbourg a failli voir le jour en octobre 1904. La France a refusé et le Tsar, dépendant des fonds français, n’a pas signé. En juillet 1905, deuxième tentative de rétablir une unité européenne avec l’Allemagne, la France et la Russie, lors de l’entrevue entre Guillaume II et Nicolas II dans l’île suédoise de Björkö. Ces entretiens ne relèvent que de la bonne volonté des deux monarques qui ne bénéficiaient d’aucun contre-seing ministériel. Une fois de plus, la France refuse, tablant sur son alliance anglaise et sur les avantages immédiats que lui procurait celle-ci au Maroc. Pour les Anglais, l’affaiblissement de la Russie, suite à sa défaite face au Japon, ne permettait plus aucune manoeuvre dangereuse en direction de l’Inde. Elle n’est donc plus l’ennemi principal.
Terrible année 1905
La Russie, battue par le Japon et fragilisée par les menées révolutionnaires, assouplit ses positions: elle est mûre pour entrer dans l’Entente franco-britannique, signée en 1904. Pire, à l’humiliation militaire succède un dissensus civil de nature révolutionnaire: dès juillet 1904, les nihilistes assassinent le ministre de l’intérieur Plehwe; en janvier 1905, une manifestation menée par le Pope Gapone tourne au carnage; en février 1905, c’est au tour du Grand-Duc Serge d’être assassiné; des troubles surgissent en Mandchourie sur l’arrière des troupes; en juin, des mutineries éclatent sur les bâtiments de la flotte de la Mer Noire, dont le fameux cuirassé Potemkine; en octobre 1905, Lénine organise un premier mouvement révolutionnaire à Saint-Pétersbourg, qui débute par une grève générale; les frondes paysannes procèdent à des “illuminations”, c’est-à-dire des incendies de châteaux ou de bâtiments publics, dans les provinces; les Baltes s’attaquent à l’aristocratie allemande et incendient ses domaines; en décembre 1905, Lénine frappe à Moscou mais les troupes sont revenues de Mandchourie et le mouvement bolchevique est maté. Witte, rappelé aux affaires, lance le “Manifeste d’Octobre”, promettant la création d’une Douma dûment élue et des réformes. En 1906, quand la Russie renonce à sa politique d’expansion extrême-orientale, quand elle accepte de nouveaux prêts français, les troubles intérieurs cessent “miraculeusement”; le Tsar, de “monstre” qu’il était, redevient un “brave homme”.
En 1907, Britanniques et Russes signent un accord sur le dos de la Perse des Qadjars décadents, se partageant le pays en zones d’influence. L’année suivante, 1908, est marquée par deux événements majeurs: l’annexion par l’Autriche de la Bosnie-Herzégovine et la révolution des “Jeunes Turcs”. En dépit des menées franco-britanniques pour créer la discorde entre Vienne et Saint-Pétersbourg, les relations austro-russes étaient au beau fixe. En juin, les Autrichiens envisagent de construire une voie ferrée à travers le Sandjak de Novi Pazar, afin d’organiser la péninsule balkanique selon leurs intérêts. Cette intention provoque imméditement un renforcement des liens entre la Russie et la Grande-Bretagne, suite à l’entrevue entre Nicolas II et Edouard VII à Reval. En juillet, les “Jeunes Turcs” triomphent, réclament une constitution et des élections, auxquelles sont conviés les habitants de Bosnie-Herzégovine, administrés par les Autrichiens mais toujours citoyens ottomans. La Russie craint que les “Jeunes Turcs” donnent une vitalité nouvelle à la Turquie, s’allient aux Français et aux Britanniques, comme lors de la Guerre de Crimée, et reprennent la vieille politique de verrouiller les Détroits. La révolution des “Jeunes Turcs” rapproche Autrichiens et Russes. Ährental et Iswolski, ministres des affaires étrangères, lors des accords secrets de Buchlau en Moravie, seraient convenus de la politique suivante: 1) L’Autriche-Hongrie abandonne ses projets ferroviaires dans le Sandjak de Novipazar; 2) Vienne promet de soutenir tous les efforts russes en vue de déverrouiller les Détroits. Forts de ces accords, les Autrichiens annexent en octobre 1908 la Bosnie-Herzégovine, sans en référer aux Italiens et aux Allemands, leurs alliés réels ou théoriques au sein de la Triplice. Les Bulgares en profitent pour se déclarer totalement indépendants de la Turquie. Les épouses monténégrines de deux Grands-Ducs russes et du Roi d’Italie, hostiles à Vienne, incitent les partis bellicistes et interventionnistes à combattre toute politique autrichienne dans les Balkans. Stolypine ne veut pas la guerre, oblige les bellicistes à la modération, mais la Russie n’a plus aucun appui en Europe pour soutenir ses visées sur les Détroits. Les diplomates britanniques, tels l’Ambassadeur Nicolson et Sir Eyre Crowe, répandront la légende que les Autrichiens, et derrière eux, les Allemands, sont les seuls et uniques responsables du verrouillage des Détroits. En 1909, l’Angleterre appuie les prétentions françaises sur le Maroc, en échange d’une reconnaissance définitive de la prépondérance anglaise en Egypte.
De l’assassinat de Stolypine à l’attentat de Sarajevo
En 1911, avec l’assassinat de Stolypine par un révolutionnaire exalté, toutes les chances d’éviter un conflit germano-russe et austro-russe s’évanouissent. Sazonov, beau-frère de Stolypine et successeur d’Iswolski, opte pourtant pour une politique pacifiste et suscite une dernière entrevue entre Guillaume II et Nicolas II à Postdam, où Bethmann-Hollweg et Kiderlen-Wächter tenteront, pour la dernière fois, de sauver la paix, en proposant aux Russes de se joindre au projet de chemin de fer Berlin-Bagdad et de les associer à une future ligne ferroviaire dans le nord de la Perse. Mais les bellicistes ne désarmaient pas: l’ambassadeur russe à Belgrade, Hartwig, appuie le mouvement grand-serbe contre l’Autriche; Delcassé ordonne la marche des troupes françaises sur Fez au Maroc, bouclant ainsi la conquête définitive du royaume chérifain, où l’Allemagne perd tous ses intérêts; Lloyd George menace directement l’Allemagne. Celle-ci cède au Maroc, en acceptant, pour compensation, une bande territoriale qu’elle adjoindra à sa colonie du Cameroun. En Europe, elle est bel et bien encerclée. Le scénario est prêt: il n’attend plus qu’une étincelle; ce sera l’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914.
En 1918, quand l’Allemagne perd définitivement la guerre et que la Russie devient bolchevique, plusieurs voix s’élèvent, à gauche et à droite de l’échiquier politico-idéologique, pour réclamer une nouvelle alliance germano-russe. Ces tractations conduiront aux accords de Rapallo entre Tchitchérine et Rathenau (1922). L’Allemagne et la Russie maintiendront des rapports privilégiés, notamment sur le plan de la coopération militaire, jusqu’en 1935, date où Hilter décide de réintroduire le service militaire obligatoire, de réoccuper la Rhénanie et de relancer un programme de réarmement.
En 1936, avec l’Axe Rome-Berlin et la création du Pacte Anti-Komintern, les liens sont rompus avec la Russie soviétisée. Quand éclate la guerre civile espagnole, l’Allemagne soutient les nationalistes de “l’Alzamiento nacional” et l’URSS les Républicains du “Frente Popular”, qui comptent les communistes dans leurs rangs. Le soutien à Franco rapproche définitivement l’Allemagne de l’Italie, mais les communistes espagnols et leurs alliés soviétiques se désolidarisent du bloc, d’abord uni, du “Frente Popular” et se heurtent aux autres factions militantes de gauche, anarchistes et trotskistes (POUM), dans les territoires contrôlés par les Républicains espagnols, notamment à Barcelone, contribuant à la ruine définitive du “Frente Popular” et à l’effondrement de ses forces armées. Après la victoire du camp franquiste et l’émiettement du camp des gauches, tout est en place pour rapprocher l’Axe, et plus particulièrement l’Allemagne, de l’URSS. En août, le fameux Pacte germano-soviétique, ou Pacte Ribbentrop-Molotov, est signé à Moscou. L’Allemagne est libre pour tourner toutes ses forces vers l’Ouest, tout en recevant pétrole et céréales soviétiques. L’idylle durera jusqu’en 1941, quand Molotov, déjà inquiet de la politique balkanique des Allemands, ne peut admettre leur contrôle définitif de la Yougoslavie et de la Grèce. Ces dissensus, renforcés par les menaces réelles que les Anglais faisaient peser sur le Caucase à portée des appareils de la RAF, constituent les préludes de l’Opération Barbarossa, déclenchée le 22 juin 1941. Les rapports germano-russes entre 1918 et 1945 méritent à eux seuls qu’on leur consacre un séminaire entier. Ce n’est pas notre propos aujourd’hui. C’est pourquoi je demeurerai bref sur ce thème pourtant capital afin de comprendre la dynamique du siècle (9).
Pas d’Europe libre si la bipolarité Est/Ouest persiste
Après 1945, la Guerre Froide s’installe avec le blocus de Berlin et le coup de Prague. Elle durera plus de quarante ans, imprègnera les esprits car tous imaginaient que cette situation allait perdurer pour les siècles des siècles. Dans ce contexte bipolaire, où l’idéologie semblait dominer, l’Europe était coupée en deux, l’Allemagne était traversée par un Rideau de Fer et partagée en deux républiques antagonistes; le Danube, artère centrale de l’Europe, était bloqué peu après Vienne; l’Elbe, principal fleuve de la plaine nord-européenne, qui mène de Prague à Hambourg, était coupée dès l’hinterland immédiat de ce grand port. Une telle Europe n’était plus qu’un comptoir atlantique. Dans les années 50, elle possédait encore pleinement son poumon extérieur colonial. Dès la décolonisation des premières années des “Golden Sixties”, ce poumon n’est plus garanti et le palliatif des multinationales, qui créent de l’emploi et remplacent les vocations coloniales, plonge l’Europe dans une dépendance dangereuse. Voilà le contexte politique international dans lequel émergera la conscience politique de ma génération. Pour ma part, elle émergera cahin-caha à partir de mes quatorze ans; après cinq ou six années de tâtonnements, vers 1975-76, nos groupes informels, plutôt des groupes de copains, inspirés par la postérité de l’école des cadres de “Jeune Europe”, innervés par de nouvelles lectures et stimulés par de nouvelles donnes politiques, en arrivent à la conclusion générale qu’il est impossible de donner un avenir libre à la portion occidentale de l’Europe si la bipolarité Est/Ouest persiste.
Dans le contexte belge, Pierre Harmel avait tenté une ouverture à l’Est, en multipliant les rapports bilatéraux entre la Belgique et de petites puissances du bloc communiste, telles la Pologne, la Roumanie ou la Hongrie. Il agissait de manière pragmatique, sans s’aligner sur la France de De Gaulle, qui, en tant que France, demeure toujours un danger pour l’intégrité psychologique et territoriale de notre pays (qui est, avec le G.D. du Luxembourg et avec ses frontières complètement démembrées au sud, le dernier lambeau indépendant du Grand Lothier de médiévale mémoire). Harmel n’imitait pas pour autant l’Ostpolitik de Willy Brandt, avec son discours empreint de ce sens allemand de la culpabilité, qui, en Belgique, n’était évidemment pas de mise. Harmel entendait restituer une “Europe Totale”, détacher le sous-continent de la logique figée des blocs. Ces efforts furent malheureusement de courte durée et, dans son propre parti, on ne l’a guère suivi. Après l’ère Harmel, l’ère Vanden Boeynants est arrivée, avec une politique atlantiste, pro-OTAN et philo-américaine. Plus tragique bien que moins visible: l’échec du “harmélisme” diplomatique signifie aussi la fin du catholicisme politique cohérent en Belgique, héritier de la tradition bourguignonne et impériale hispano-autrichienne. La Belgique oublie alors qu’elle a incarné cette tradition dans l’histoire de ces cinq derniers siècles, avec un brio inaltérable, et elle accepte, avec “Polle Pansj” (“Popol Boudin”, alias Vanden Boeynnants) et ses successeurs, le statut misérable de petit pion subalterne sur l’échiquier atlantiste.
Kissinger “drague” la Chine de Mao
Dans ce contexte, postérieur aux agitations de 1968, la donne générale, sur l’échiquier international, était en train de changer: pour disloquer le bloc communiste eurasien, reposant sur le pilier chinois et le pilier soviétique, pour embrayer sur un conflit bien réel qui venait de surgir au sein de ce bloc rouge, soit la guerre chaude sino-soviétique le long du fleuve Amour, la diplomatie américaine de Kissinger, posant pour principe que Moscou demeure et restera l’ennemi principal, va “draguer” la Chine de Mao et nouer avec elle, dès 1971-72, des relations diplomatiques normales, tout en la soutenant en Asie orientale contre l’URSS. Cette diplomatie repose, une fois de plus, sur les théories géopolitiques de Mackinder et de ses disciples: dans l’optique de ces théories, il convient, le cas échéant, de soutenir une puissance du rimland (ou “inner crescent”), ou une alliance de moindres puissances du rimland, contre la puissance détentrice de la “Terre du Milieu”. Les maoïstes de mai 68 basculeront partiellement dans le camp américain contre les “mouscoutaires”: Washington avait déjà déployé ses propres “communistes”, principalement d’obédience trotskiste ou issus de l’ancien POUM de la Guerre Civile espagnole; à ceux-ci s’adjoindront bientôt des maoïstes, forts de la nouvelle alliance Washington/Pékin.
Avec la disparition, à l’avant-scène, de Harmel et de sa politique des rapports bilatéraux entre petites puissances du bloc occidental et petites puissances du bloc oriental, et avec la disparition, dans les marges militantes de la politique, de “Jeune Europe” de Jean Thiriart, qui visait une libération de notre sous-continent des tutelles américaine et soviétique, aucun champ d’action politique réel et concret ne s’offrait encore à nous. Nous vivions les prémisses de la “Grande Confusion”, avec des lignes de fracture qui scindaient désormais tous les camps qui avaient été présents sur le terrain avant la réconciliation sino-américaine. Cette grande confusion frappait essentiellement les groupes activistes de gauche mais ne permettait pas davantage de clarté dans les petites phalanges européistes et nationales révolutionnaires.
Rapprochement euro-russe, seule solution viable
Dans l’optique de la mouvance “Jeune Europe” des années 60, les deux superpuissances étaient posées et perçues comme également nuisibles à l’éclosion d’une Europe libre. Quand Washington se rapproche de la Chine et que le bloc rouge se scinde en deux puissances antagonistes, “Jeune Europe” ne peut plus préconiser ni des alliances ponctuelles et partielles entre petites puissances des deux blocs (comme lors du voyage de Thiriart en Roumanie) ni une alliance de revers avec la Chine pour obliger l’URSS à lâcher du lest en Europe danubienne. Le bloc sino-américain devient une menace pour l’Europe et, ipso facto, un rapprochement euro-russe apparaît comme la seule solution viable à long terme pour les tenants de la Realpolitik. Ce pas, le Général italien e.r. Guido Gianettinni, Jean Thiriart et l’écrivain franco-roumain Jean Parvulesco le franchiront, en étayant leurs positions d’arguments solides.
Entre-temps, en 1975, les Etats-Unis abandonnent le Sud-Vietnam exsangue au Nord vainqueur et pro-soviétique et déclenchent aussitôt, avec leurs nouveaux alliés chinois, une guerre sur la frontière sino-tonkinoise et arment, via la Chine, le Cambodge de Pol Pot pour harceler en Cochinchine le nouveau Vietnam réunifié. Le Vietnam sera ainsi neutralisé et cessera d’être une “poche de résistance” sur le rimland du Sud-Est asiatique, désormais étendu à la Chine, comme c’était prévu d’ailleurs sur toutes les cartes dessinées par l’école anglo-saxonne de géopolitique de Mackinder à Lea et à Spykman. Plus personne, aujourd’hui, surtout dans les jeunes générations, ne s’imagine encore quel était l’état de confusion mentale au sein des gauches militantes, où se disputaient âprement mouscoutaires, trotskistes, maoïstes pro-albanais, autogestionnaires titistes, maoïstes anti-soviétiques, partisans et adversaires de Pol Pot ou de Ho Chi Minh. Ce chaos a scellé la fin de la gauche militante classique entre 1975 et 1978-79, quand l’émiettement en chapelles antagonistes ne permettait plus de faire émerger un bloc politique offensif et viable. Les gauches dures, juvéniles et révolutionnaires, sont mortes, faute d’avoir eu un raisonnement géopolitique cohérent. Pire, parce qu’elles avaient auparavant accepté des raisonnements géopolitiques étrangers à leur propre nation ou nation-continent.
Carter et les “droits de l’homme”, Reagan et l’ “Empire du Mal”
Avec l’arrivée au pouvoir du démocrate Jimmy Carter à Washington en 1976, nous entrons de plein pied dans la période de gestation de l’univers mental qui règne aujourd’hui et qui est de plus en plus ressenti comme étouffant. Les termes fétiches de la “political correctness” se mettent en place, avec l’introduction de la diplomatie dite des “droits de l’homme” et avec une opposition républicaine qui s’aligne sur les thèses du néo-libéralisme, par ailleurs propagées par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. En 1979, celle-ci inaugure l’ère néo-libérale qui prend fin avec la crise de cet automne 2008. En 1980, quand Reagan accède à la présidence américaine, sa version du néo-libéralisme, les “reaganomics”, vont étayer et non effacer la diplomatie cartérienne des “droits de l’homme”, et la mettre à la sauce apocalyptique en évoquant un “empire du Mal”, prélude à “l’Axe du Mal” de Bush junior.
En Europe, le discours sur les “droits de l’homme” oblitère tout et une partie de la gauche militante émiettée, orpheline, va marcher dans le sens de ce nouveau “subjectivisme” bien médiatisé, base philosophique première de la méthodologie hyper-individualiste du néo-libéralisme de Hayek, Friedmann, etc. Le moteur de cette nouvelle synthèse, dans une France marquée par l’étatisme gaulliste et communiste, sera le discours des “nouveaux philosophes”, porté essentiellement, en ces années-charnières, par deux écrits de Bernard-Henry Lévy, “Le Testament de Dieu” et “L’idéologie française”. Ce dernier constituant un véritable instrument de diabolisation de toutes les forces politiques françaises car, toutes, indifféremment, porteraient en elles les germes d’un fascisme ou d’une dérive menant à un univers concentrationnaire.
Les ingrédients idéologiques des deux manifestes de Lévy, dont les assises philosophiques sont finalement bien ténues, vont houspiller dans la marginalité politico-médiatique les discours plus militants de mai 68 et aussi, ce qui est plus grave parce que plus stérilisant, tout cet ensemble de pensées, de théories et de réflexions que Ferry et Renaud appelleront la “pensée 68”. Cette dernière constitue un dépassement intellectuel séduisant du simple militantisme étudiant et ouvrier de l’époque, qui était imbibé de ces vulgates rousseauistes et communistes (typiquement françaises) et avait reçu la bénédiction du vieux Sartre (“ne pas désespérer Billancourt”).
Potentialités de la “French Theory”, magouilles des “nouveaux philosophes”
Cette “pensée 68”, que les universitaires américains nomment dorénavant la “French Theory”, englobe Deleuze, Guattari, Lyotard et Foucault: elle est accusée, en gros par ses critiques parisiens, néo-philosophes à la Lévy ou néo-quiétistes à la Comte-Sponville, inquisiteurs tonitruants ou apologètes doucereux du ronron consumériste, de privilégier dangereusement la “Vie” contre le “droit”, d’opter tout aussi dangereusement pour des méthodologies généalogisantes et archéologisantes de nietzschéenne mémoire, etc. Pour le réseau, finalement assez informel, des “nouveaux philosophes”, “maîtres penseurs” allemands du 19ème (Glucksmann) et phares de la “French Theory” doivent céder la place à “un marketing littéraire et philosophique” (selon la critique cinglante que fit Deleuze de leur pandémonium médiatique), soit à un “prêt-à-penser” bien circonscrit qui se pose comme l’attitude intellectuelle indépassable qui va mettre bientôt un terme définitif aux horreurs de l’histoire, qui déboucheraient invariablement sur l’univers concentrationnaire décrit par Soljénitsyne dans “L’Archipel Goulag”. Les “nouveaux philosophes” et assimilés sont les “vigilants” qui veillent à ce qu’advienne la fin de l’histoire (Fukuyama) et que l’humanité aboutisse enfin à la grande quiétude antitotalitaire. La clique parisienne des “nouveaux philosophes” et assimilés entend représenter “l’espérance radicale de la disparition du mal”. L’antithèse de la pensée des maîtres penseurs, qui génèreraient l’univers concentrationnaire, se trouve tout entière concentrée dans le discours sur les droits de l’homme, inauguré par Carter, et constitue l’instrument premier pour lutter contre “l’Empire du Mal” et tous ses avatars, comme le voulaient Reagan et, plus tard, le père et le fils Bush. Le discours des “nouveaux philosophes” correspond donc bel et bien aux objectifs généraux de l’impérialisme américain, et son apparition dans le “paysage intellectuel français” n’est certainement pas l’effet du hasard: on peut sans trop d’hésitation le considérer comme une production habile et subtile des agences médiatiques d’Outre-Atlantique, fers de lance du “soft power” américain.
Ce glissement idéologique hors du questionnement inquiétant de la “French Theory”, a été systématiquement appuyé par les médias, qui ont écrasé toutes les nuances et les subtilités du discours politico-idéologique, pire, ne les tolèrent plus au nom d’une tolérance préfabriquée; il s’est opéré dès l’avènement de Thatcher au pouvoir à Londres et s’est considérablement renforcé quand Reagan a accédé à la Présidence américaine. Le passé maoïste militant de certains exposants, majeurs ou mineurs, de la “nouvelle philosophie” de Glucksmann, Lévy et autres homologues avait permis à Guy Hocquenghem d’ironiser dans une “Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary”. L’image est aussi pertinente que percutante: des maoïstes, jadis rabiques admirateurs sans fard des excès de la “révolution culturelle”, sont effectivement devenus “salonfähig”, dès le rapprochement sino-américain de la première moitié des “Seventies”. Dénominateur commun: l’anti-soviétisme. Ce soviétisme que leurs camarades trotskistes appelaient, pour leur part, le “panzercommunisme”. Donc, on peut aisément conclure que nos anciens révolutionnaires trotskistes ou maoïstes des barricades parisiennes avaient bien davantage que quelques points en commun avec Zbigniew Brzezinski. Celui-ci, rappellons-le, était l’avocat, au sein de la diplomatie américaine, d’une nouvelle alliance avec la Chine et le principal partisan d’une destruction de l’URSS par démantèlement de ses glacis caucasiens et centre-asiatiques. Plus tard en Afghanistan, il préconisera une alliance avec les mudjahiddins et, finalement, avec les talibans.
Le grand retour de la pensée slavophile
En Union Soviétique, la période qui va de 1978 à 1982 (année de la disparition de Brejnev) est marquée par une tout autre évolution intellectuelle. On assistait à une véritable “révolution conservatrice”, à un retour aux sources de la “russéité”, aux linéaments de la slavophilie du 19ème siècle, à un retour de Dostoïevski. La figure emblématique de ce renouveau “völkisch” (folciste) et slavophile a été sans conteste l’écrivain Valentin Raspoutine (10). Pour cet écrivain aux accents ruralistes, les notions de mémoire, de souvenir, de continuité sont cardinales et primordiales. Pour Raspoutine, la conscience n’est telle que parce qu’elle se souvient et s’inscrit dans des continuités imposées par le flux vital (et donc par l’histoire particulière du peuple dont le “je” fait partie). Une action humaine n’est justifiable moralement que si elle s’imbrique dans une continuité, que si elle lutte contre les manigances de ceux qui veulent, par intérêt particulier ou égoïste, provoquer des discontinuités. Le thème littéraire du déracinement et de l’aliénation (par rapport aux origines) implique celui de la perte simultané de l’intégrité morale. On l’avait déjà lu chez le Norvégien Knut Hamsun. L’oubli de son propre passé plonge l’homme dans la dépravation morale, la laideur d’âme.
Cette position philosophique fondamentale heurte de front les idéologies modernes de la “tabula rasa”, dont le communisme fut l’avatar le plus caricatural. Du jacobinisme ou du babouvisme français de la fin du 18ème siècle au communisme, court, sans discontinuité aucune, un fil rouge qui ne produit rien de bon, rien que germes et bacilles de déclin et de dépravation. Au moment où l’Union Soviétique atteignait son apogée, le faîte de sa puissance, et justifiait son existence et ses succès par une idéologie “progressiste” qui avait la prétention de laisser derrière elle tous les legs du passé, émergeait au sein même de la société soviétique un éventail de thèmes littéraires dont la teneur philosophique était radicalement différente de l’idéologie officielle. Je me souviens encore, dans ce contexte, avoir acheté, à la “Librairie de Rome”, avenue Louise, et à la “Librairie du Monde Entier”, gérée par le PCB, un exemplaire de “Sciences sociales”, revue de l’Académie de l’Union Soviétique, avec un long article de Boris Rybakov sur le paganisme russe avant la conversion au christianisme, et l’exemplaire de “Lettres soviétiques” consacré à la réhabilitation de Dostoïevski et édité, à l’époque, par Alexandre Prokhanov, l’éditeur de “Dyeïenn” et “Zavtra”, que j’allais rencontrer à Moscou en 1992. Les textes de Rybakov paraîtront dans les années 90 aux PUF.
“Occidentalistes” et “Slavophiles” dans la dissidence et dans l’établissement
Outre les articles de Wolfgang Strauss en Allemagne (11), l’ouvrage le plus significatif, à l’époque, qui explicitait, en le critiquant de manière fort acerbe, ce renouveau slavophile était dû à la plume d’un dissident exilé aux Etats-Unis: Alexander Yanov (graphie allemande: Janow), attaché à l’Institute of International Studies de Berkeley (Université de Californie). Pour donner ici les grandes lignes de l’ouvrage de Yanov (12), disons qu’il subdivisait, de manière assez binaire, le paysage politico-intellectuel de l’URSS de Brejnev, comme le champ d’affrontement entre “Zapadniki” (“occidentalistes”) et “Narodniki” (“populistes” voire “völkische/folcistes” ou, plus exactement, ce que nous appellons, nous, en Flandre, les “volkgezinden” ou au Danemark, les “folkeliger”). Yanov, émigré aux Etats-Unis se posait incontestablement comme un occidentaliste et fustigeait les nouveaux Narodniki ou néo-slavophiles, en les campant comme “dangereux”. Yanov, cependant, expliquait à ses lecteurs américains que la dissidence soviétique comptait en son sein des “zapadniki” et des “narodniki” (dont il convenait de se défier, bien entendu!), tout comme dans les hautes sphères du pouvoir soviétique où se côtoyaient également occidentalistes et populistes. Parmi les grandes figures qui tendaient vers le populisme, Yanov comptait Soljénitsyne. Sa conclusion? En URSS, fin des années 70, les populistes et les étatistes avaient gagné du terrain, par rapport aux occidentalistes, et constituaient in fine la force métapolitique majeure en Union Soviétique, une force certes non officielle et sous-jacente, mais néanmoins déterminante. Cette domination implicite des “Narodniki” sur les esprits devait, selon Yanov et bon nombre de dissidents occidentalistes, inciter les Etats-Unis et les atlantistes à la vigilance car, communiste ou non, la Russie demeurait un danger parce que son essence était intrinsèquement “dangereuse”, rétive aux formes “civilisées” de la gouvernance à l’occidentale ou à l’anglo-saxonne. Cette attitude “russophobe”, Soljénitsyne la fustigera avec toute la véhémence voulue, dans son tonifiant pamphlet “Nos pluralistes”. Nous nous empressons d’ajouter que la critique du “narodnikisme” sous toutes ses formes, nouvelles ou anciennes, et que les tirades haineuses que Soljénitsyne lui-même a dû essuyer, démontrent, toutes, que la russophobie qui visait les tsars du dix-neuvième siècle ou qui se profilait derrière un certain anti-soviétisme n’est pas prête à disparaître dans les discours occidentaux.
L’époque de la fin du brejnevisme était donc marquée par la nouvelle alliance sino-américaine, par le déploiement des thèses de Brzezinski chez les stratégistes du Pentagone et des services secrets, par la mise en place d’une russophobie déjà post-soviétique dans ses grandes lignes, et ensuite par l’alliance entre les Etats-Unis et les fondamentalistes wahhabites et, enfin, par l’élimination du Shah avec la création, de toutes pièces, d’un chiisme fondamentaliste et offensif en Iran. La carte du monde s’en trouve sensiblement modifiée: la cassure nette et duale, propre de l’hégémonisme duopolistique de Yalta, fait place à une plus grande complexité, notamment par l’avènement du facteur islamiste, voulu, dans un premier temps, par les stratégistes américains. Forts de cette alliance avec les mudjahhidins afghans, armés de missiles Stinger, les Etats-Unis tentent d’avancer leurs pions en Europe en déployant leurs fusées Pershing en Allemagne, face aux SS-20 soviétiques. En cas d’affrontement direct entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie, l’Allemagne, le Benelux, l’Autriche, l’Alsace et la Lorraine risquaient d’être vitrifiés. Cette éventualité, peu rassurante, fit aussitôt renaître en Allemagne le mouvement neutraliste, oublié depuis les années 50. Pour nous, le mouvement neutraliste a été incarné principalement par la revue allemande “Wir Selbst”, fondée en 1979 par Siegfried Bublies dans l’intention de dégager le mouvement national de sa cangue passéiste, de ses nostalgies stériles et de ses rodomontades ridicules. Bublies entretenait en Flandre des relations amicales avec les fondateurs de la revue “Meervoud” qui existe toujours.
De la rhétorique des “droits de l’homme” à la guerre permanente
Le combat contre le déploiement des missiles en Europe a connu son apogée dans les années 1982-83, portée essentiellement par une gauche pacifiste, que l’on accusait d’être “crypto-communiste” et, par conséquent, d’être stipendiée par Moscou. Mais cette hostilité au bellicisme de l’OTAN n’était pas le propre des seuls mouvements pacifistes de gauche et d’extrême gauche. Ailleurs sur l’échiquier politique, bon nombre d’esprits s’inquiétaient des nouvelles rhétoriques cartériennes et reaganiennes, qui contaminaient les milieux libéraux et conservateurs, voire d’extrême droite, et avaient pour corollaire évident de miner les principes de la diplomatie traditionnelle. En effet, la rhétorique des “droits de l’homme”, maniée dans les médias par les démocrates cartériens et les “nouveaux philosophes”, ruinait le principe cardinal de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats, propre de la diplomatie traditionnelle. Quand le Républicain Reagan ajoute à cette pernicieuse rhétorique “immixtionniste”, le langage apocalyptique des fondamentalistes religieux américains, les principes de la diplomatie metternichienne, la logique des traités de Westphalie et de Vienne, reculent encore d’une case. Le processus de déliquescence de la diplomatie classique s’achèvera quand les néo-conservateurs de l’entourage de Bush-le-Fils, décrèteront tout de go que le respect de ces principes est un “archaïsme frileux”, indigne des Américains, posés comme “les fils virils du dieu Mars”, et l’indice le plus patent de la lâcheté de la “Vieille Europe”, gouvernée par “les pleutres fils de la déesse Vénus”. Pour nous, à partir de 1983-84, ce sera le Général Jochen Löser, ancien Commandeur de la 24ème Panzerdivision de la Bundeswehr, qui énoncera les lignes directrices de nos argumentaires (13) : la rhétorique des “droits de l’homme” rend impossible l’exercice de la diplomatie classique; les dissensus internes, qu’elle exploite via les médias et les agences qui les informent, ne trouvent plus aucune solution équilibrée, s’en trouvent pérennisés, inaugurant de la sorte des cycles de “guerres longues”; les “droits de l’homme”, contrairement aux apparences, n’ont pas été hissés au rang d’idéologie dominante pour faire triompher sur la planète entière un humanisme de bon aloi, mais pour amorcer un processus infini de guerres, de révolutions et de troubles.
Le mouvement neutraliste, tel que nous le concevions au début des années 80, reposait donc sur trois piliers: 1) le refus du déploiement de missiles en Europe, afin d’éviter la transformation définitive de notre sous-continent en “son et lumière”; 2) le refus de perpétuer la logique des blocs, avec la dissolution de l’OTAN et du Pacte de Varsovie et la création d’un vaste espace neutre en Europe centrale, de la Mer du Nord à Brest-Litovsk et de la Laponie à l’Albanie; cet espace neutre devait organiser un système défensif performant sur le mode helvétique; il ne refusait donc ni les forces armées ni le principe du citoyen-soldat à l’instar des pacifistes de gauche; 3) il entendait revenir aux principes de la diplomatie classique et refusait de ce fait d’embrayer sur les discours imposés par les médias (ou le “soft power”). Le neutralisme, en prenant le contre-pied du prêt-à-penser médiatique, s’avérait un espace de liberté, face à la “novlangue” planétaire, si bien fustigée par George Orwell dans “1984”.
Nous avons eu la naïveté de croire à l’avènement d’une “Maison Commune” européenne
Si le mouvement neutraliste avait pu distiller ses arguments pendant une période plus longue, imprégner plus durablement les esprits, la pensée politique diffuse en Europe aurait pu générer des anti-corps. Mais l’effervescence anti-missiles et les réflexions neutralistes se sont étalées sur quatre années seulement. Dès 1984-85, Gorbatchev lance deux idées: celle, très positive, de “Maison Commune européenne” et, celle, double, de “perestroïka” et de “glasnost”, de réforme et de transparence. Ce changement de discours à Moscou mine définitivement le communisme soviétique traditionnel. Entre 1989 et 1991, en effet, le communisme en tant que bloc monolithique disparaît du paysage politique international. Notre conclusion à l’époque: s’il n’y a plus de communisme, il ne peut plus y avoir d’animosité à l’endroit des peuples d’au-delà de l’ancien Rideau de Fer. Les motifs d’un conflit éventuel n’existaient plus. Nous avons eu la naïveté de croire à l’avènement d’une Maison Commune européenne pacifiée, à l’ouverture d’une ère marquée par un esprit plus ou moins équivalent à celui qui se profilait derrière l’idée de paix perpétuelle chez Kant.
Rapidement, l’idée universaliste armée du communisme soviétique allait faire place à un néo-conservatisme, dérivé de la matrice du trotskisme américain et new-yorkais. Alliant le néo-libéralisme, nouvelle grande idéologie universaliste, à ce trotskisme fidèle à la notion de révolution permanente mais habilement masqué par une phraséologie conservatrice et puritaine, le néo-conservatisme va se consolider en deux étapes: la première, avec Reagan, constituera un “mixtum” de paléo-conservatisme, d’anti-fiscalisme, de néo-libéralisme et, en politique internationale, d’une diplomatie en apparence plus classique qu’avec les droits de l’homme de Carter mais néanmoins érodée par une phraséologie apocalyptique (l’Empire du Mal, etc.). Reagan prend finalement le relais de Nixon, dernier président américain à avoir appliqué plus ou moins correctement les règles de la diplomatie classique. Mais, tout en prenant le relais de Nixon, il doit tenir compte des acquis ou des avancées de l’anti-diplomatie cartérienne, basée sur l’idéologie des droits de l’homme. Cependant, le langage apocalyptique s’atténuera pendant son second mandat.
Le néo-conservatisme crypto-trotskiste met un terme définitif à la diplomatie classique
Avec Bush le père commencent les tentatives de forcer la main aux instances internationales et de passer à de véritables offensives sur le terrain, la Russie d’Eltsine n’opposant aucun veto crédible. Clinton renouera, notamment pendant la Guerre des Balkans contre la Serbie, avec l’idéologie des droits de l’homme, prétendument bafouée par Milosevic dans la province du Kosovo. Avec Bush le fils, le néo-conservatisme crypto-trotskiste met un terme définitif à la diplomatie classique, la brocarde comme une “vieillerie” incapacitante, propre justement de la “Vieille Europe” et de la Russie (posée souvent comme “stalinienne” ou “néo-stalinienne” depuis l’avènement de Vladimir Poutine). Ce rejet de la diplomatie classique et des règles de bienséance internationale est l’indice le plus patent qui permet de démontrer, outre les liens et itinéraires personnels des exposants majeurs du néo-conservatisme, que le néo-conservatisme est en réalité un trotskisme dans la mesure où il affine la notion de “révolution permanente” en abolissant toutes les règles en vigueur, toutes les règles communément acceptées, et en recréant un monde incertain, où le recours aux guerres et aux invasions redevient un mode de fonctionnement tout à fait naturel et acceptable. Le “Big Stick Policy” de Teddy Roosevelt est désormais au service d’une bande trotskiste qui entend plonger le monde dans un chaos permanent (assimilé à la “révolution”).
C’est uniquement avec le recul que l’on perçoit clairement les vicissitudes de cette politique américaine et son jeu d’avancées et de reculs, camouflé par l’alternance des Démocrates et des Républicains au gouvernail du pouvoir. L’accession à la magistrature suprême aux Etats-Unis de Bush le père constitue aussi l’arrivée des pétroliers texans qui savent à tout moment se souvenir que la puissance américaine dérive du contrôle des hydrocarbures dans le monde, et en particulier dans la péninsule arabique et le Golfe Persique. La crainte d’un prochain “pic” pétrolier implique la volonté de contrôler le maximum de puits dans cette région afin de garantir l’hégémonie globale de Washington, au moins jusqu’à la fin du 21ème siècle. D’où le projet PNAC (“Project for a New American Century”). Les chanceleries européennes savent parfaitement que l’Amérique entend perpétuer son hégémonisme en contrôlant les sources d’hydrocarbures moyen-orientales au détriment de toutes les autres puissances du globe et que le rejet de la diplomatie classique finit par être un “modus operandi” commode pour imposer sa volonté sans discussion ni débat ni concertation. Mais ces mêmes chanceleries sont incapables d’opposer, par manque de volonté et de cohérence intellectuelle, par fascination imbécile du modèle américain, une métapolitique européenne générale, un “soft power” européen capable de distiller dans les esprits, via les médias, des raisonnements et de “grandes idées incontestables” contrairement à leur homologue américaine, “grandes idées incontestables” véhiculées par les grandes agences médiatiques d’Outre Atlantique.
Les “blanches vertus” du démocratisme planétaire
L’Amérique est maîtresse du monde non seulement parce qu’elle contrôle les hydrocarbures mais aussi et surtout parce qu’elle forge, répand et impose les opinions dominantes dans le monde, spécialement en Europe. En 1999, quand le “bon apôtre” Clinton, posé comme tel parce que “démocrate” donc de “gauche”, lance ses bombardiers contre Belgrade, les pays européens de l’OTAN emboîtent le pas sans régimber. Depuis Franklin Delano Roosevelt, le démocrate qui avait lancé la croisade contre l’Europe allemande en 1941, la “bonté” politique, les blanches “vertus” du démocratisme planétaire sont incarnées, avant tout, par les démocrates américains. Par conséquent, si on ne suit pas leurs injonctions, on plonge dans le “mal”, dans le “crypto-nazisme” ou dans une résurgence quelconque de l’hitlérisme. Cet immense simplisme est profondément ancré dans les mentalités contemporaines et malheur à qui tente de l’extirper comme une mauvaise herbe! De fait, les réseaux pro-américains sont nés, en Europe, dans les années 40, sous l’impulsion de l’Administration Roosevelt, d’obédience démocrate; l’atlantisme militant avait au départ un ancrage plutôt social-démocrate (à l’exception de Schumacher en Allemagne de l’Ouest), que conservateur ou même libéral au sens européen du terme à l’époque.
La participation des pays européens de l’OTAN, France chiraquienne comprise, aux bombardements des villes serbes, est l’indice d’un parfait “écervèlement politique”: la politique de Clinton et de son adjointe Madeleine Albright (qui a eu pour étudiante Condoleezza Rice; vous avez dit continuité?) réintroduisait indirectement la Turquie dans les Balkans, en détachant de la Serbie comme de la Croatie, et en dépit des peuplements serbes ou croates, les anciennes provinces ottomanes du tronc commun, induisant ainsi l’émergence d’une “dorsale islamique” de la Méditerranée à l’Egée et à la Mer Noire. Tous les Etats voisins s’en trouvaient fragilisés: la Macédoine, la partie de la Grèce entre Thessalonique et la frontière turque, la Bulgarie qui compte de dix à quinze pourcents de musulmans, souvent ethniquement turcs, sans compter la sécession du Kosovo, prévisible dès 1998. De plus, les minorités non musulmanes au sein des nouveaux Etats majoritairement musulmans sont menacées à terme en Albanie, au Kosovo, en Macédoine.
La création délibérée du chaos dans les Balkans n’est pas une politique démocrate, qui s’opposerait à une politique républicaine antérieure. Elle s’inscrit bien au contraire dans une parfaite continuité. Bush le père, Républicain, installe ses troupes en lisière de l’Irak de Saddam Hussein, contrôle l’espace aérien irakien et prépare ainsi la seconde manche, soit l’invasion totale de l’Irak, qui aura lieu, sous le règne de son fils, en 2003. Clinton, Démocrate, lui, s’empare du tremplin de l’Europe en direction du Proche et du Moyen Orient depuis l’épopée d’Alexandre le Grand. La maîtrise des Balkans et celle de la Mésopotamie participent d’une seule et même stratégie grand-régionale. L’empire macédonien-hellenistique d’Alexandre le Grand, l’empire ottoman ont toujours maîtrisé à la fois les Balkans et la Mésopotamie au faîte de leur puissance. C’est une loi de l’histoire. Les stratégistes américains s’en souviennent.
Les réseaux pro-américains étaient au départ socialistes
La guerre contre la Yougoslavie résiduaire de Milosevic en 1999, premier conflit de grande envergure en Europe depuis 1945, est donc le fait d’un président et d’une équipe issus du parti démocrate américain. C’est la raison pour laquelle les puissances européennes, grandes et petites, ont suivi comme un seul homme, contrairement à ce qui allait se passer en 2003, lors de l’invasion de l’Irak. Cette unanimité s’explique tout simplement parce que l’Europe place toujours sa confiance dans une Amérique démocrate, en se méfiant de toute Amérique républicaine. Pourquoi? Parce que, je le répète, les réseaux pro-américains ont émergé, lors de la seconde guerre mondiale, sous la double impulsion du Président américain et de son épouse Eleonor et que l’atlantisme militant, le “spaakisme” dit chez nous le Prof. Coolsaet de l’Université de Gand, avait un ancrage socialiste plutôt que conservateur (Pierre Harmel s’efforcera au contraire de se dégager de la logique des blocs, que Spaak avait bétonné).
En transformant le tremplin balkanique en une zone contrôlée par les Etats-Unis, le tandem Clinton/Albright neutralisait la région à son profit: celle-ci n’allait plus pouvoir constituer un atout pour le bloc centre-européen germano-centré ni pour une Russie régénérée qui aurait fait valoir ses anciens intérêts dans les Balkans. En 1999, l’Europe a perdu tous les atouts potentiels qu’elle avait gagnés à partir de 1989. Elle les a perdus parce qu’elle n’a pas cultivé le sens de son unité, parce qu’elle n’a pas une vision claire de son destin géopolitique. En 2001, suite aux “attentats” de New York, l’Amérique parachève son projet “alexandrin” en s’emparant rapidement de la zone orientale de l’antique Empire du chef macédonien. En 2003, lorque le fils Bush entend terminer le travail de son père en Mésopotamie, l’Europe semble se réveiller et crée autour de Paris, Berlin et Moscou un front du refus que les services américains fragilisent aussitôt en semant le dissensus entre cet “Axe”, nouveau et contestataire, et de petites puissances comme les Pays-Bas, la Pologne, la République Tchèque et les Pays Baltes, tout en bénéficiant de l’appui de la Grande-Bretagne et de la pusillanimité de l’Espagne et de l’Italie. On se souviendra de la distinction opérée entre “Vieille Europe”, aux réflexes dictés par la diplomatie classique, et “Nouvelle Europe”, alignée sur la logique du fait accompli des néo-conservateurs.
“Révolutions colorées” et pétrole
Les services américains et le soft power de Washington, vont s’activer pour vider l’Axe Paris Berlin Moscou de son contenu: de Villepin en France est éliminé de la course à la présidence, à la suite d’un dossier de corruption sans doute préfabriqué, au bénéfice de Sarközy, qui mènera, comme on le sait, une politique pro-atlantiste. Le social-démocrate allemand Schröder devra céder la place à Angela Merkel, plus sceptique face au bloc continental européen, plus prompte à tenir compte des exigences des Etats-Unis. Schröder demeure toutefois en place, en gérant de main de maître les relations énergétiques entre l’Allemagne et la Russie. Les révolutions orange, qui ont éclaté en Ukraine, en Géorgie, en Serbie (avec “Otpor”) ou au Kirghizistan ne sont donc pas les seules interventions des services et du soft power: en Europe occidentale aussi la politique est manipulée en sous-main, l’indépendance nationale et/ou européenne minée à la base dès qu’elle tente de s’affirmer, par le biais de la manipulation des élections et des factions. Dans l’avenir, un bloc européen indépendant devrait s’abstenir de reconnaître les gouvernements issus de “révolutions colorées”.
En Géorgie, le pouvoir mis en place par la “révolution des roses” a pour objectif de garantir le bon déroulement de la politique pétrolière américaine dans le Caucase et en lisière de la Caspienne. Pour les stratégistes américains, la Géorgie doit être un espace de transit pour les oléoducs et gazoducs amenant les hydrocarbures du Caucase et de la Caspienne vers la Mer Noire et vers la Méditerranée via la Turquie. De là, ils parviendraient en Europe sous le contrôle américain. Le malheur de l’Europe, c’est de ne pas avoir de pétrole. Nous devons acheter la majeure partie de nos hydrocarbures en Arabie Saoudite ou dans les Emirats par l’intermédiaire de consortiums américains. L’affrontement russo-géorgien de l’été 2008, à propos de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, a pour enjeu réel l’énergie. Pour échapper à la dépendance énergétique, l’Europe doit tenter, par tous les moyens techniques possibles, d’abord, de réduire cette dépendance pétrolière en pariant sur des sources propres comme l’énergie nucléaire et toutes les autres sources imaginables et réalisables, selon une optique de diversification adoptée mais non parachevée en son temps par la France gaullienne. Les panneaux solaires constituent une première alternative parfaitement généralisable dans notre pays: en effet, pourquoi les ménages qui constituent notre nation ne pourraient-ils pas générer leur propre électricité domestique, ou une bonne part de celle-ci, sans passer par des fournisseurs contrôlés par l’étranger comme “Electrabel”, entièrement aux mains de l’ennemi héréditaire français, qui occupe depuis trois siècles et demi près des trois quarts du territoire du Grand Lothier! Certaines voix nous disent: par année, le nombre de journées d’ensoleillement est trop restreint en Belgique par rapport à la zone méditerranéenne pour constituer une alternative au pétrole. Peut-être. Mais un pays comme la Norvège, disposant pourtant de pétrole propre, la technique des panneaux solaires génère 50% de l’énergie domestique de ses ménages dans un pays où l’ensoleillement moyen est bien plus réduit que chez nous. Notre objectif premier est la réduction graduelle de la dépendance, non pas l’obtention immédiate d’une autarcie totale.
Pacte de Shanghai et initiatives ibéro-américaines
Nous venons de voir que l’emprise américaine sur notre politique étrangère est complète. Elle détermine aussi notre politique énergétique. L’Amérique séduit les esprits (ou plutôt les masses écervelées) par le truchement de son soft power omniprésent. Le princpal danger qui nous guette dans l’immédiat en Europe est la disparition graduelle et silencieuse des espaces encore neutres. Les pays qui ont gardé le statut de neutralité lorgnent de plus en plus vers l’OTAN. Je rappelle que notre position initiale, calquée sur celle du Général Jochen Löser dans les années 80 en Allemagne fédérale, visait au contraire l’élargissement de l’espace neutre en Europe. Non le contraire! Löser entendait élargir le statut de la Suisse, de l’Autriche, de la Yougoslavie, de la Finlande et de la Suède aux deux Allemagnes, aux Etats du Benelux, à la Pologne, à la Tchécoslovaquie et à la Hongrie. Aujourd’hui, ces trois derniers pays font partie de l’OTAN et en sont même devenus les élèves modèles. De fiers représentants de la “Nouvelle Europe”, telle que l’a définie Bush jr. L’Europe, totalement abrutie par les propagandes distillées par le soft power, ne peut constituer, pour l’instant, dans les conditions actuelles, un espace de renouveau politique, exemplaire pour la planète entière. Les seuls môles de résistance cohérents se situent aujourd’hui en Asie et en Amérique latine. En Asie, la résistance s’incarne dans le “Pacte de Shanghai” et en Amérique latine dans les initiatives du Président vénézuélien Hugo Chavez, alliant, avec les autres contestataires ibéro-américains, les corpus doctrinaux péronistes, castristes et continentalistes qui, fusionnés, permettent aux Etats ibéro-américains de créer des structures unitaires capables de refouler l’ingérence traditionnelle des Etats-Unis dans leurs affaires politiques et économiques, au nom d’une idéologie soi-disant panaméricaniste, forgée au temps de la politique du “Big stick” de Teddy Roosevelt.
Sans le “Pacte de Shanghai” et sans la volonté indépendantiste et continentaliste des Ibéro-Américains, la domination américaine sur le monde serait totale, comme elle est quasiment totale en Europe depuis la liquidation du gaullisme par Sarközy et le “mobbing” systématique de la Suisse et de l’Autriche (affaires Waldheim et Haider). Les espaces potentiels de résistance se font de plus en plus rares: il reste des bribes de gaullisme en France, de bons réflexes neutralistes en Allemagne, une volonté de conserver le statut de neutralité en Autriche, en Suisse et en Suède; l’opinion publique en Belgique, d’après un sondage récent, craint davantage les initiatives bellicistes américaines que celles de la Russie de Poutine (en dépit de la propagande russophobe du “Soir”), alors qu’en Allemagne, où la russophilie de bon nombre de cercles établis est plus solidement ancrée, Washington et Moscou sont mis sur pied d’égalité.
“Volksgezindheid” et solidarisme
Pour faire éclore un môle de résistance en Flandre, il me paraît opportun de dire aujourd’hui qu’il devrait reposer sur deux piliers: la “volksgezindheid” (le populisme au sens défini par la tradition herdérienne ou par la tradition slavophile russe) et le solidarisme. La “volksgezindheid” est un sentiment plus profond que le “nationalisme” car il ne découle pas uniquement d’une option politique mais aussi et surtout d’un amour du passé et de la culture du peuple dont on ressort. Le terme “nationalisme”, de surcroît, recouvre des acceptions bien différentes selon les pays (14). L’utiliser peut semer la confusion, tandis que le terme “volksgezind”, lui, indique bien la teneur de notre propre tradition. Le solidarisme est un terme délibérément choisi pour remplacer celui de “socialisme”, désormais grevé de trop d’ambiguïtés ou assimilé à des déviances de tous ordres qui font que les socialistes officiels sont tout sauf socialistes. Le solidarisme devra exprimer dans l’avenir un socialisme sans atlantisme (à la Spaak ou à la Claes), un socialisme sans les “consolidations” à la Di Rupo (quand il s’agissait de privatiser la RTT pour qu’elle devienne “Belgacom”), un socialisme qui défende la solidarité de tous les producteurs directs de biens et de services contre les féodalités administratives et parasitaires. Un tel solidarisme découle aussi, pour ceux qui ont encore une culture classique, de la fameuse “fable de l’estomac” de la tradition romaine: “tous les organes de la communauté populaire servent les autres et construisent de concert l’harmonie”.
Une volonté de renouveau politique général basée sur la “volksgezindheid” et le solidarisme fera immédiatement se dresser devant elle des ennemis implacables. L’affirmation des valeurs populaires et solidaires implique automatiquement de désigner leurs ennemis, selon la formule de Carl Schmitt. Identifions-en trois aujourd’hui: 1) les médias formatés par le soft power américain; 2) l’idéologie néo-libérale, nouvel universalisme araseur des spécificités populaires et des politiques sociales, permettant le renouveau des élites (au sens où l’entendait Gaetano Mosca et Vilfedo Pareto); 3) l’idéologie festiviste qui noie les peuples dans l’impolitisme.
Le cas Verstrepen
“Volksgezindheid” et solidarisme impliquent de lutter contre tous les phénomènes culturels qui ne découlent pas naturellement d’une matrice populaire (la nôtre ou celle d’un autre peuple réel) mais nous sont imposés par le soft power internationaliste et cosmopolite. Un exemple: vous vous rappelez tous de ce journaliste branché, Jürgen Verstrepen, égaré, on ne sait trop pourquoi, dans le mouvement national flamand, où il s’était fait élire. Dans un entretien récent, accordé à l’hebdomadaire de variétés “Dag allemaal”, ce Verstrepen se plaignait du “passéisme” de ses co-listiers, qui chantaient des chants traditionnels, qu’il posait d’emblée comme “ringards” ou désuets, un “ringardisme” et une désuétude qui suscitait chez lui un avatar de ce même effroi ressenti par les dévots devant les oeuvres réelles ou supposées du Malin. Toute expression de la culture vernaculaire suscite donc en lui, à l’entendre, le dégoût du progressiste, pour qui rien d’antérieur aux panades médiatiques ou de différent d’elles n’a le droit d’exister. Et plutôt que d’aller se recueillir dans une belle abbaye bourguignonne, comme son parti le lui avait suggéré, il préférait flâner dans un “mall” pour se choisir des fringues branchés, des bouts de chiffon marqués d’un logo, en compagnie d’une autre députée-gadget, allergique aux racines. Inconsciemment, dans son entretien à “Dag allemaal”, Verstrepen révélait un état de choses bien contemporain: la lutte entre le vernaculaire matriciel, les racines et la culture traditionnelle, d’une part, et le médiatiquement branché, d’autre part. Reste une question: comment conciliait-il, ce Verstrepen, dans son cerveau soumis à l’homogénéisation postmoderniste, ce culte dévot du médiatiquement branché et son aspiration à lutter contre le “politiquement correct”? On ne peut aduler l’un et lutter contre l’autre: on ne peut, de notre point de vue, que les rejeter tous deux. On ne peut être atlanto-hollywoodien, succomber à la séduction du babacoolisme californocentré et se réclamer simultanément d’un “nationalisme” en lutte contre l’idéologie liberticide du “politiquement correct”. Verstrepen incarne bien l’incohérence de bon nombre de nos contemporains dans la Flandre d’aujourd’hui. Espérons que la crise va leur dessiller les mirettes. Car le soft power a promu le néo-libéralisme, cause de la crise, en même temps que les manipulations médiatiques, les modes (captatrices d’attentions) et le festivisme.
“Volksgezindheid” et solidarisme impliquent donc de lutter contre toutes les formes de néo-libéralisme que l’on nous a imposées depuis Thatcher et Reagan, depuis le début de la décennie 80. Nos admonestations, jusqu’ici, surtout celles, au début de notre aventure, de Georges Robert et Ange Sampieru, n’y ont rien changé. G. Robert et A. Sampieru étaient très attentifs aux productions des éditions “La Découverte” qui amorçaient déjà la critique du libéralisme outrancier qui pointait à l’horizon. Aujourd’hui, dans le monde occidental, l’américanosphère, l’espace euro-atlantique, dans la Commission européenne complètement inféodée à l’idéologie néo-libérale, la domination de cette idéologie est totale. Et la crise de ce début d’automne 2008 laisse entrevoir quelles en seront les conséquences catastrophiques, avec pour seule consolation que le système a appris à freiner les effets des crises et des récessions, à les délayer dans le temps. La crise prouve que la recette néo-libérale ne fonctionne pas: tout simplement. En attendant, les délocalisations perpétrées depuis près d’une trentaine d’années laissent l’Europe privée d’un tissu de petites et moyennes industries, pourvoyeuses de travail, et affligée d’un secteur tertiaire improductif qui n’offre que des emplois détachés du réel de la production et injecte dans les mentalités une idéologie délétère du “non-travail” (dénoncée très tôt par Guillaume Faye dans un texte que de Benoist avait refusé de publier). Cette idéologie du non-travail est aussi celle du festivisme: elle a servi d’édulcorant intellectuel pour justifier le processus de démantèlement de nos tissus industriels locaux, par le truchement des délocalisations vers l’Extrême-Orient, l’Afrique du Nord ou la Turquie (surtout le textile) et pour exalter le travail non productif du secteur tertiaire, devenu dangereusement inflationnaire.
Néo-libéralisme et altermondialisme
L’avènement du néo-libéralisme a été rendu possible par une bataille métapolitique. On se rappellera l’engouement pour Hayek, qu’on exhumait de l’oubli en même temps que les “think tanks” de Mme Thatcher dès la fin des années 70. On insistait principalement sur son pamphlet “The Road to Serfdom” et non pas tant sur les dimensions organiques (et parfois intéressantes) de sa théorie économique, axée sur la notion de “catallaxie” (laisser faire les choses naturellement sans interventions étatiques volontaristes). L’infiltration néo-libérale du discours dominant a surtout été le fait des “nouveaux philosophes”, dont nous venons d’expliciter le rôle, et de personnages ultra-médiatisés comme Jacques Attali, biographe de banquiers, et Alain Minc, propagateur principal de la nouvelle vulgate dans les gazettes conservatrices. Nul mieux que François Brune, collaborateur du “Monde Diplomatique”, n’a défini l’idéologie contemporaine, dans son ouvrage “De l’idéologie, aujourd’hui” (Ed. Parangon/L’Aventurine, Paris, 2003): “L’idéologie est omniprésente: dans les sophismes de l’image, le battage événémentiel des médias, les rhétoriques du politiquement correct, les clameurs de la marchandise. Machine à produire du consentement, elle démobilise le citoyen en le vouant à l’ardente obligation de consommer, de trouver son identité dans l’exhibition mimétique (ndlr: niet waar, Meneer Verstrepen?), sa liberté dans l’adhésion au marché, et son salut dans la ‘croissance’... C’est cela l’idéologie d’aujourd’hui: une vaste grille mentale, faussement consensuelle, qui prescrit à chacun de se taire dans son malheur conforme, et qui aveugle nos sociétés sur la catastrophe planétaire où ses modèles socio-économiques entraînent les autres peuples” (présentation de l’éditeur).
Le système, en lançant l’opération du néo-libéralisme dès la fin des années 70, devinait bien que cette idéologie finirait par rencontrer assez vite des résistances diverses. Deux objectifs allaient dès lors être les siens: 1) empêcher la fusion de ces résistances telles que l’avait préconisée le théoricien ex-communiste Roger Garaudy (soit empêcher les complots “rouges-bruns”, comme s’y sont employés le journal “Le Monde” de Plenel à Paris et certains cercles ou personnalités autour du PTB/PvdA en Belgique); 2) créer une résistance artificielle (l’altermondialisme), de manière à neutraliser toute résistance réelle. L’altermondialisme énonce un tas d’idées intéressantes et séduisantes. Mais il les énonce sans une assise politico-étatique et géographique précise, sans un ancrage tellurique, condition sine qua non pour lui conférer une épaisseur réelle. Tout empire, et tout challengeur d’empire, s’arc-boute sur un terrain: l’hegemon américain d’aujourd’hui ne fait pas exception. Il dispose d’un territoire aux dimensions continentales. Il pratique le protectionnisme et une bonne dose d’autarcie, tout en prêchant aux autres de ne pas adopter les mêmes attitudes et en les maintenant ainsi en état de faiblesse. Si l’hegemon développe un “réseau”, il le fait au départ d’une vaste base logistique, soit au départ de son propre territoire biocéanique, de l’Atlantique au Pacifique, et de son prolongement pacifico-arctique, l’Alaska. Pour créer l’illusion d’une résistance planétaire, les services de diversion ont forgé le concept de “réseau” (qui a séduit le “parigogot” de Benoist, l’homme qui cherche sans cesse le statut de vedette du jour, au détriment de toute rigueur de jugement).
Ce n’est pas le “réseau” qui est contestataire mais les vieilles strucutres étatiques et impériales
L’altermondialisme militant entend être le seul grand réseau contestataire de l’établissement mondial. Mais depuis les émeutes bien médiatisées de Gênes ou de Nice, on ne voit pas très bien quel ébranlement du système en place ce fameux “réseau” a pu produire. La thèse de Michael Hardt et Toni Negri sur l’“Empire”, dont les assises seront “un jour” définitivement sapées par le “réseau altermondialiste”, s’avère un leurre. Au temps de la Guerre Froide, les services américains avaient su faire émerger des “communistes de Washington” (pour reprendre l’expression de Jean Thiriart); il recycle désormais, en la personne de Toni Negri, d’anciens “terroristes” pour une opération de diversion d’envergure planétaire, qui absorbe et neutralise la contestation, en la médiatisant, en la transformant en un pur “spectacle” (Guy Debord), car nos contemporains, formatés comme les citoyens d’Océania, dans le “1984” d’Orwell, croient davantage aux images (télévisées) qu’aux faits (vécus), au spectacle qu’au réel. La résistance au système mondialiste américano-centré ne se retrouve pas, en réalité, dans un “réseau” planétaire de contestataires “babacoolisés” ou de nervis shootés à la cocaïne mais provient bien davantage de structures étatiques et impériales classiques, profondément ancrées dans le temps passé: Groupe de Shanghai avec une Chine aux traditions politiques millénaires, une Russie de Poutine qui retrouve sa mémoire, un indépendantisme ibéro-américain dans l’esprit du Mercosur et du président vénézuélien Chavez.
Combattre le festivisme
Enfin, après le “soft power” et le “néo-libéralisme”, le troisième aspect du système général d’ahurissement des masses et de déracinement, qu’il s’agit de combattre à outrance, est représenté par l’ambiance “festiviste”, celle que dénonçait avec force vigueur le philosophe français, récemment et prématurément décédé, Philippe Muray. Dans son tout dernier ouvrage, “Festivus festivus” (Fayard, 2006), Muray prononce un réquisitoire aussi virulent que tonifiant contre ce qu’il appelle le festivisme, mode de fonctionnement des sociétés occidentales avancées. Dans le long entretien, qu’est ce livre, avec la journaliste et philosophe vraiment non conformiste Elizabeth Lévy, Muray, dans son chant du cygne, fustige une société qui fonctionne uniquement sur le mode de la fiction médiatique, un mode qui vise la désinhibition totale, l’exhibition de tout ce qui auparavant était “privé”, “intime” et “secret” (dont évidemment les attributs et les pratiques sexuels). Le pouvoir, explique Muray, s’exercera avec une acuité maximale, quand les dernières enclaves du “secret” seront divulguées et exhibées, quand les dernières limites et les dernières distances (et les distances sociales font la civilisation, la promiscuité l’abolissant) auront été franchies et supprimées. La télévision avec ses émissions exhibantes (“Loft Story”, etc.) est l’instrument de ce pouvoir qui annonce la fête permanente et l’impudeur universelle, dans l’intention d’évacuer les îlots de “sériosité”, établie ou alternative, afin d’empêcher tout retour à un passé moins trivial ou toute préparation d’un futur cohérent. L’impudeur universelle brouille toutes les frontières et annonce un amalgame planétaire de promiscuité et d’indifférenciation, sous le signe de l’infantilisme “touche-pipi” et de l’ “adultophobie”.
Dans un ouvrage antérieur, intitulé “Désaccord parfait”, Muray qualifiait de “société disneylandisée” toute société “où les maîtres sont maîtres des attractions et les esclaves spectateurs ou acteurs de celles-ci”. Le “soft power” va donc imaginer et préfabriquer des “attractions”, pour tuer dans l’oeuf toute pensée libre, toute spontanéité créatrice ancrée dans le génie populaire, en substituant au créateur libre et spontané issu du peuple (celui de Rabelais et des carnavals contestataires) l’animateur officiel ou subsidié, et subsidié seulement après être passé sous les fourches caudines de l’idéologie imposée, après avoir appris son unique leçon qu’il répétera jusqu’à la consommation des siècles. Le “néo-libéralisme” va prospérer en marge de cette grande fête artificielle, forgée de toutes pièces, bien encadrée par de petits flics à gueule de bon apôtre, en dépit de son désordre apparent, qui étouffera d’emblée toute révolte vraie. Par l’action des anciens contestataires arrivés au pouvoir, le “mixtum compositum” de mai 68 se réduira ainsi progressivement à ses seules dimensions festives, libidineuses et ludiques, tirées, par les agents de l’OSS, du livre “Eros et civilisation” d’Herbert Marcuse voire des vulgates caricaturales issues du freudo-marxisme de Reich, dont ils fabriqueront un “prêt-à-penser” allant dans le sens de leurs desseins. Dans son meilleur ouvrage, désormais un classique, “L’Homme unidimensionnel”, Marcuse craignait l’avènement d’une humanité formatée, réduites à ses seuls besoins matériels; il avait raison; mais les règles de ce formatage, c’est lui, probablement à son corps défendant, qui les a fournies au système. On a formaté et on a trouvé l’édulcorant dans sa définition de l’ “éros”, que l’on a quelque peu sollicitée pour les besoins de la cause. Ce ne sont pas les rigidités du monde totalitaire du “1984” d’Orwell mais le “Brave New World” de Huxley, avec ses paradis artificiels, que l’on tente de nous infliger.
Mort du “zoon politikon” et mort des peuples
Les bourgmestres (ou “maires”) de Paris et de Berlin, Delanoë et Wowereit, ou l’échevin Simons de Bruxelles, tout le socialisme français actuel (surtout à la gauche de Ségolène Royale) ont pour objectif stratégique réel (et à peine occulté) d’occuper les “citoyens” à toutes sortes de festivités, de concerts, de happenings, de “gay prides”, de “zinneke parades”, de manifestations antiracistes ou autres, afin qu’ils ne s’occupent plus directement de politique, afin qu’ils oublient définitivement ce qu’ils sont, la trajectoire dont ils procèdent. L’objectif? Eradiquer l’essence de l’homme qui est, dit Aristote, un “zoon politikon”. Il s’agit de distraire à tout prix l’imaginaire humain de toute tradition ou réalité historique. En Occident, dans le complexe atlantiste franco-anglo-américain selon la définition qu’en donnait mon professeur Peymans fin des années 70, la domination des castes mercantiles ou du tiers-état bourgeois français, a percuté, abîmé et détruit les ressorts les plus intimes des peuples (Irlande exceptée), si bien que Moeller van den Bruck, le traducteur de Dostoïevski, pouvait affirmer que quelques décennies de “libéralisme” suffisaient pour détruire définitivement un peuple.
Le festivisme, mode par lequel s’exprime le despotisme contemporain, contribue à donner l’assaut final aux ressorts intimes des peuples: il en pénètre le noyau le plus profond et y sème la déliquescence. Philippe Muray, pour revenir à lui, réactualise de manière véritablement tonifiante la critique de la “société du spectacle”, énoncée dans les années 60 par Guy Debord et l’école situationniste, tout en jetant un éclairage neuf et très actuel sur le processus de dissolution à l’oeuvre dans la sphère occidentale.
Lega Nord et FPÖ
Pour articuler une résistance à l’échelle européenne, pour traduire dans les faits nos options philosophiques et nos aspirations historiques, deux partis identitaires peuvent nous servir de modèle: la Lega Nord d’Italie du Nord et la FPÖ autrichienne. Je ne vois pas grand chose d’autre. Pourquoi? Parce que ce sont les deux seuls mouvements identitaires de masse qui affichent ou ont affiché clairement des options “non-occidentistes”. La “Lega Nord” et son quotidien “La Padania” ont eu une attitude très courageuse en 1999, quand l’OTAN bombardait la Serbie. Le journal et le “Senatur” Umberto Bossi n’ont pas hésité à fustiger vertement les Américans et leurs complices bellicistes en Europe. Ensuite, à la base de cette ligue, il y a un manifeste, “Come cambiare?” (“Comment changer?”), dû à la plume du grand juriste Gianfranco Miglio. Ce manifeste dénonce les travers de la partitocratie italienne, qui est si semblable à la nôtre. Les leçons de Miglio peuvent donc être directement retenues par tout militant politique de chez nous. La clarté des arguments et des suggestions de Miglio, que j’ai eu l’honneur de rencontrer en 1995 dans sa magnifique bibliothèque privée à Côme, nous permettrait de développer rapidement l’esquisse d’un contre-pouvoir (cf.: “L’Italie toute chamboulée...”, Entretien avec Gianfranco Miglio, propos recueillis par Andreas K. Winterberger, in; “Vouloir”, n°109-113, octobre-décembre 1993; Alessandro Campi, “Au-delà de l’Etat, au-delà des partis: la théorie politique de Gianfranco Miglio”, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; Luciano Pignatelli, “Les idées pratiques de Gianfranco Miglio: comment changer le système politique italien”, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; “Quelques questions à Gianfranco Miglio”, propos recueillis par Francesco Bergomi, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; Robert Steuckers, “La Ligue lombarde”, in: “Le Crapouillot”, nouvelle série, n°119, mai-juin 1994; “L’Etat moderne est dépassé!”, Entretien avec le Prof. Gianfranco Miglio, propos recueillis par Carlo Stagnaro, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°46, juin-juillet 2000; “Pour une Europe impériale et fédéraliste, appuyée sur ses peuples”, Entretien avec le Prof. Gianfranco Miglio, propos recueillis par Gianluca Savoini, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°48, octobre-décembre 2000).
Dans l’orbite de la FPÖ, l’hebdomadaire “zur Zeit”, dirigé par Andreas Mölzer à Vienne, recèle chaque semaine des pages d’actualité internationale sans concession aucune à l’américanisme ambiant. Jörg Haider est décédé ce matin dans un accident d’automobile mais, en dépit de sa rupture récente avec la FPÖ et de son option personnelle en faveur de l’adhésion turque, il demeurera pour moi l’auteur impassable du livre-manifeste “Die Freiheit, die ich meine” (= “La liberté comme je l’entends”). La partitocratie autrichienne présentait, avant les coups de butoir de la FPÖ, d’étonnantes analogies avec la nôtre. La critique générale du système politique autrichien, telle que Haider l’a formulée, est très technique comme celle de Miglio. Mais elle ne recourt à aucun langage abscons. Et suggère des pistes pour sortir de l’impasse politique. La clarté de ces manifestes a donné à la “Lega Nord” et à la FPÖ une formidable impulsion dans les débats publics et, partant, dans les batailles électorales (cf. Robert Steuckers, “Autriche: Haider, le Capitaine du pays”, in: “Le Crapouillot”, nouvelle série, n°119, mai-juin 1994; “Nous sommes en avance sur notre temps!”, Entretien avec Jörg Haider, propos recueillis par Andreas Mölzer, in: “Au fil de l’épée” recueil n°8, février 2000; “Rafraîchir la mémoire des coalisés anti-Haider!”, in: “Au fil de l’épée”, recueil n°8, février 2000; Mauro Bottarelli, “Haider contre Chirac: non à l’UE centraliste et parisienne – la bonne santé de l’économie autrichienne”, in: “Au fil de l’épée”, recueil n°12, août 2000 – article traduit du quotidien “La Padania”, 11 juillet 2000).
Les succès constants de ces partis, leur impact indéniable sur le débat politique et sur les réformes en cours prouvent que les deux manifestes, que j’évoque ici, recèlent bel et bien les bonnes recettes. Si elles valent pour l’Autriche et pour l’Italie, elles devraient valoir pour nous, vu que les systèmes politiques de ces deux pays et leurs dysfonctionnements sont similaires et comparables aux nôtres. Et, qui plus est, la vision géopolitique de ces deux formations est européiste et anti-atlantiste, éléments essentiels pour une critique solide et positive du système en place qu’aucun parti ou mouvement n’a repris chez nous, rendant du même coup caduque toute efficacité concrète.
Les hommes de gauche qui ont opéré les bon aggiornamenti...
Pour nous servir d’inspiration complémentaire, nous ajouterions le corpus établi par des personnalités de gauche, devenues non conformistes au fil du temps, comme la famille de Rudy Dutschke ou son compagnon Bernd Rabehl, qui s’expriment régulièrement dans l’hebdomadaire berlinois “Junge Freiheit”; ou comme Günther Rehak en Autriche, ancien secrétaire du Chancelier socialiste Bruno Kreiski; en Suisse romande, toujours dans l’arc alpin, le mouvement “Unité populaire” parvient à nous livrer chaque semaine sur l’internet des analyses ou des réflexions dignes d’intérêt pour tous ceux qui rêvent à l’avènement d’un solidarisme qui soit capable de dépasser les contradictions et les enlisements du socialisme établi. En Italie, le quotidien romain “Rinascita”, issu du nationalisme classique, se présente actuellement comme le journal de la “sinistra nazionale” et opte pour une perspective européiste et eurasiste, anti-impérialiste et anti-capitaliste. Nos sources d’inspiration ne doivent pas se limiter aux seuls mouvements qui se donnent, à tort ou à raison, les étiquettes de “national”, de “régionaliste” ou d’ “identitaire”. Des cénacles, anciennement ou nouvellement classés à gauche sur les échiquiers politiques en Europe, ont procédé avec intelligence aux bons aggiornamenti: ils ont refusé toutes les involutions en direction des pistes suggérées par la “nouvelle philosophie” et ses satellites et ont rejeté l’attitude de ceux qui, en dépit de leur vibrant militantisme d’il y a quelques décennies, demeurent, par paresse intellectuelle, des “compagnons de route” des partis sociaux-démocrates partout en Europe. La posture du “compagnon de route” est le plus sûr moyen de s’enliser, de faire du sur place, d’entrer dans la spirale infernale du déclin, un déclin engendré par le “mimétisme” qui ne produit plus aucune différence (ni “différAnce” pour faire un clin d’oeil à Derrida), mais reproduit sans cesse, sur un ton morne, le même et le même du même. C’est le plus sûr moyen de devenir les béni-oui-oui du système, ses chiens de Pavlov.
La création d’un espace stratégique euro-sibérien est inséparable d’un remaniement complet de nos institutions nationales, dans le sens de la “volksgezindheid” et du solidarisme, dans le sens de la critique anti-partitocratique de Miglio et Haider, afin d’immuniser totalement ces institutions contre les bacilles du soft power jacobin ou américain.
C’est tout ce que j’ai voulu vous dire cet après-midi.
Robert Steuckers,
Octobre 2008.
NOTES :
(1) William ENGDAHL, “Pétrole – une guerre d’un siècle – L’ordre mondial anglo-américain”, Ed. Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2007.
(2) La parution de cet article, dans une publication du “Parti Communautariste National-Européen” avait induit l’inénarrable comploteur parisien Alain de Benoist, via son zélé vicaire campinois, à exciter un brave citoyen allemand, membre de la “DESG” (= “Deutsch-Europäische Studiengemeinschaft”), une association basée à Hambourg qui s’apprêtait alors à fusionner avec “Synergies Européennes”, à tenter un ultime baroud (de déshonneur) pour torpiller cette fusion. L’homme, honnête, naïf et manipulé, a échoué dans ses manoeuvres. Il s’est dûment excusé quelques mois plus tard, à l’occasion d’un séminaire DESG/Synergies sur les relations germano-russes et euro-russes et sur la problématique de l’eurasisme, tenu à Lippoldsberg. Il avait enfin compris que l’instigateur de cette bouffonerie était un comploteur pathologique et que son vicaire n’était qu’un pauvre bas-de-plafond. Forcément: pour servir un tel maître...
(3) Cf. L. SIMMONS, “Van Duinkerke tot Königsberg – Geschiedenis van de Aldietsche Beweging”, Uitgeverij B. Gottmer, Nijmegen,1980. Voir également: Alan SPANJAERS, “Constant Hansen”, in: “Branding”, n°2/2008.
(4) Dexter PERKINS, “Storia della dottrina di Monroe”, Il Mulino, Bologna, 1960.
(5) Alain GOUTTMAN, “La Guerre de Crimée 1853-1856, la première guerre moderne”, Perrin, 1995; vor également : “The Collins Atlas of Military History”, Collins, London, 2004.
(6) Jacques HEERS, “Les Barbaresques - La course et la guerre en Méditerranée – XIV°-XVI° siècle”, Perrin, Paris, 2001-2008.
(7) Robert STEUCKERS, “Constantin Frantz”, in: “Encyclopédie des Oeuvres philosophiques”, PUF, 1992.
(8) Richard MOELLER, “Russland – Wesen und Werden”, Goldmann, Leipzig, 1941.
(9) L’ouvrage le plus complet pour aborder cette thématique si complexe est le suivant: Gerd KOENEN, “Der Russland-Komplex – Die Deutschen und der Osten 1900-1945”, C. H. Beck, Munich, 2005.
(10) Günther HASENKAMP, “Gedächtnis und Leben in der Prosa Valentin Rasputins”, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1990.
(11) Wolfgang STRAUSS, “Die Neo-Slawophilen – Russlands konservative Revolution”, in: “Criticon”, Munich, n°44, 1977. Cf. Robert STEUCKERS, “Wolfgang Strauss: les néo-slavophiles ou la révolution conservatrice dans la Russie d’aujourd’hui”, in “Pour une renaissance européenne”, Bruxelles, n°21, 1978.
(12) Alexander YANOV, “The Russian New Right – Right-Wing Ideologies in the Contemporary USSR”, Institute of International Studies, University of California, Berkley, 1978.
(13) Cf. Robert STEUCKERS, “Adieu au Général-Major Jochen Löser”, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°50, mars-avril 2001. Cf. également: Detlev KÜHN, “En souvenir d’un soldat politique de la Bundeswehr: le Général-Major Hans-Joachim Löser”, ibidem. Ces deux textes figurent sur: http://euro-synergies.hautetfort.com .
(14) Cf. nos deux études sur le nationalisme: Robert STEUCKERS, “Pour une typologie opératoire des nationalismes”, in: “Vouloir”, n°73/74/75, printemps 1991; Robert STEUCKERS, “Pour une nouvelle définition du nationalisme”, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°32, janvier-février 1998 (texte d’une conférence prononcée à Bruxelles le 16 avril 1997). On peut lire ces deux textes sur: http://euro-synergies.hautetfort.com.
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lundi, 31 août 2009
EEUU renuncia al escudo antimisiles en Polonia y Republica Checa
EEUU renuncia al escudo antimisiles en Polonia y República Checa
La administración del presidente estadounidense, Barack Obama, renunció al despliegue de elementos del escudo antimisiles en Polonia y en República Checa, afirmó este jueves el diario polaco Gazeta Wyborcza, citando varias fuentes de Washington.
“Las señales enviadas por los generales del Pentágono son absolutamente claras: el gobierno de Estados Unidos busca, en lo referente al escudo antimisiles, otras soluciones a las bases en Polonia y en República Checa”, según un miembro del lobby a favor del escudo, Riki Ellison, citado por el diario.
Durante una conferencia de expertos del departamento de defensa hace una semana, “los generales no han mencionado ni una sola vez los planes respecto a Polonia y a la República Checa”, subrayó Ellison.
“Desde hace unas semanas, el gobierno sondea la reacción del Congreso al abandono de los planes de instalación del escudo en Polonia y República Checa”, afirma Gazeta Wyborcza, citando una fuente anónima en el Congreso.
En 2008, Varsovia y Washington alcanzaron un acuerdo sobre el despliegue de aquí a 2013 en Polonia de diez interceptores de misiles balísticos de largo alcance, a lo que se añadía un potente radar en República Checa, un proyecto global al que Rusia se opuso, al considerarlo una amenaza para su seguridad.
La administración de Obama se propone reexaminar el proyecto de escudo antimisiles lanzado por su predecesor, George W. Bush, en respuesta a la amenaza de países como Irán.
Según Gazeta Wyborcza, la administración de Obama desearía instalar misiles interceptores en unos barcos y en bases en Israel y en Turquía, y “quizás en alguna parte de los balcanes”.
Extraído de AFP.
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samedi, 29 août 2009
Turquie: l'affrontement entre islamistes et laïcistes
Andreas MÖLZER:
Turquie: l’affrontement entre islamistes et laïcistes
Fin juillet 2009, deux anciens généraux, très haut placés dans la hiérarchie militaire, quelques journalistes et quelques hommes d’affaires comparaissent devant le tribunal en Turquie. Le procureur général de la République leur reproche d’être membres d’une société secrète de droite, l’Ergenekon, et d’avoir, à ce titre, comploté contre le premier ministre islamiste Erdogan. Outre ce procès, qui vient de commencer, d’autres procédures judiciaires sont en cours contre de présumés membres de l’Ergenekon, qui ont tous, à un moment ou un autre de leur existence, occupé des positions influentes au sein de l’Etat turc.
Ces procédures judiciaires n’ont pas pour objectif de vérifier si oui ou non les accusés ont réellement comploté contre Erdogan. Il s’agit plutôt d’un épisode supplémentaire dans la lutte qui oppose en Turquie les islamistes aux laïcistes. Cela démontre que la Turquie est profondément divisée entre ces deux camps. Dans les cercles laïcistes turcs, on entend apparemment résister à outrance aux mesures d’islamisation préconisées par le gouvernement d’Erdogan. Une petite étincelle suffirait pour faire exploser le baril de poudre. Les procès contre l’Ergenekon recouvrent la Turquie d’un nuage sombre, alors que les fanatiques de l’élargissement, qui pontifient à Bruxelles, veulent faire adhérer ce pays d’Asie Mineure à l’UE sans délais ni débats. Erdogan n’a pas pu balayer le soupçon qui pèse sur lui: ces procès n’ont pas tant pour objectif de poursuivre des comploteurs présumés mais bien plutôt, comme le pensent bon nombre d’observateurs turcs, de faire taire des voix critiques dérangeantes. En effet, c’est un secret de polichinelle à Ankara que le chef du gouvernement entretient des relations plutôt conflictuelles avec l’opposition laïque.
Par ailleurs, la position extraordinairement forte qu’occupent les forces armées dans l’appareil de l’Etat en Turquie démontre clairement que ce pays ne fait pas partie de l’Europe, n’en possède pas la culture politique. Si le soupçon des juges se confirmait, si, de fait, des militaires de haut rang et des personnalités importantes issues des sphères politique et économique considéraient que le putsch était un moyen comme un autre de modifier la donne politique, alors les choses seraient claires: on verrait enfin que la Turquie demeure ancrée dans les traditions et les modes de pensée de l’Orient. Ensuite, le silence de l’UE face aux événements d’Ankara est totalement incompréhensible. La Turquie, tout simplement, n’est pas un pays européen et ne le deviendra pas. Voilà pourquoi il faut abandonner toutes les négociations visant son adhésion à l’UE, dès aujourd’hui, sans attendre demain.
Andreas MÖLZER.
(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°31-32/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).
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mercredi, 15 juillet 2009
Sur la question allemande: un ouvrage indispensable
SYNERGIES EUROPÉENNES - Juillet 1986
Detlev BAUMANN:
Sur la question allemande: un ouvrage indispensable...
Quarante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, il est temps de tirer un bilan politique des événements en Allemagne et d'envisager les potentialités qu'offre l'a-venir et d'affronter les exigences d'un XXIème siècle qui va bientôt s'amorcer. LE politique interpelle les Allemands et il est urgent pour eux de répondre clairement, dans la cohérence, à cette interpellation. En effet, les générations nées après la plus grande cassure qu'ait connue l'histoire alle-mande se sont complues dans un consumé-risme matérialiste; elles sont sorties volon-tairement de l'histoire avec une confondante insouciance. Il en a résulté un dangereux vi-de spirituel, qui menace l'existence du peu-ple allemand plus que toute autre chose. C'est pourquoi un renouveau intellectuel s'impose, afin de reconstruire le pays et de lui donner la place qu'il mérite dans le con-cert international.
Parallèlement à l'effon-drement spirituel allemand dans le consumé-risme, un débat s'est ouvert depuis quelques années, celui qui a pris pour objet "l'identité allemande". Ce débat n'a cessé de s'ampli-fier. A gauche de l'échiquier politique, on est retourné à cette fameuse question natio-nale, préalablement délaissée au nom de l'internationalisme et de l'anti-fascisme. A l'étranger, bon gré mal gré, on commence à se rendre compte que cette question allemande n'est rien d'autre que LA grande question européenne et que la division de l'Allemagne, c'est la division de l'Europe. De plus en plus d'Européens, à l'Est comme à l'Ouest du Rideau de fer, savent désor-mais que les implications de Yalta et Pots-dam doivent être définitivement surmontées.
C'est sur la base de ce triple constat qu'ont décidé d'agir le Professeur Bernard WILLMS et Wigbert GRABERT, directeur des éditions Hohenrain de Tübingen. Dans un projet d'é-dition en trois volumes, ils souhaitent faire le tour de la question allemande et de poser les premiers jalons du renouveau qui s'im-pose. Le premier volume, sorti l'an dernier à l'occasion de la célèbre Foire du Livre de Francfort, rassemble les contributions de treize auteurs (B.WILLMS, M.RASSEM, G. WOLANDT, W.G.HAVERBECK, A. de BE-NOIST, M.VOGT, H.J. von LOHAUSEN, A.SCHICKEL, D.BLUMENWITZ, E. SCHWINGE, H.RUMPF, Caspar von SCHRENCK-NOTZING, A.MöLZER).
Trois contributions ont particulièrement retenu notre attention, d'autant plus que nous écrivons cette recension pour un public non-allemand, guère au courant des arcanes juridiques de la politique allemande, déter-minée par des traités internationaux, géné-ralement co-signés par les quatre puissances occupantes de 1945. C'est sans doute avec quelque tristesse que nous n'évoquerons pas, ici, les contributions de l'historien SCHI-CKEL, directeur du centre de recherches sur l'histoire contemporaine d'Ingolstadt, du ju-riste BLUMENWITZ, spécialiste des traités qui régissent actuellement l'Allemagne et de RUMPF, également juriste, spécialiste de la notion de souveraineté et auteur d'un livre sur Carl SCHMITT et Thomas HOBBES. Mais nous savons d'emblée que commenter, même superficiellement, la situation juridique d'une nation comme la nation allemande excède le cadre d'une simple recension. Plus impor-tantes pour notre propos, sont, à notre sens, les contributions de HAVERBECK, de VOGT et de SCHWINGE.
HAVERBECK aborde le sens philosophique et religieux de la notion de liberté (Freiheit) en langue allemande, en procédant par chro-nologie, c'est-à-dire en analysant ce que "liberté" a signifié à chaque étape de l'his-toire allemande. VOGT analyse la question nationale allemande, telle qu'elle a été per-çue par les milieux socialistes de 1848 à 1985. SCHWINGE analyse le fameux "Plan Morgenthau" et fustige le mépris que les Américains ont affiché à l'égard du droit des gens au temps de l'occupation militaire directe de l'Allemagne.
Le point de départ de la notion de "liberté", pour HAVERBECK, c'est la Réforme portée par LUTHER. Le XVIème siècle voit l'éclo-sion de "la conscience qu'a l'homme de lui-même". Cette éclosion postule le respect de l'identité et de l'auto-détermination des in-dividus et des communautés. L'individu en communauté n'est pas isolé: il est une per-sonne qui sert sa communauté, en déployant ses talents, ses potentialités, son génie. Au XVIIIème, cette liberté s'exprimera de deux manières: chez GOETHE de manière per-sonnaliste et chez HERDER sous l'angle de la communauté populaire, dépositaire d'une spécificité propre. FICHTE prendra le relais dans son "Discours à la Nation Allemande", puis les "nationalistes romantiques et jaco-bins" ARNDT et JAHN vulgariseront, en un langage plus accessible, l'identité philo-sophique entre "déploiement de la per-sonnalité" et "engagement pour le Volkstum (JAHN) ou la Volkheit (GOETHE)". L'ex-pression politique et collective de cette phi-losophie a été le mouvement révolutionnaire des "Burschenschaften" (Corporations d'Etu-diants) qui organisa un grand rassemblement d'universitaires à l'occasion du tricentenaire de la Réforme, en octobre 1817.
Ce mouve-ment étudiant véhiculera, contre l'absolu-tisme, l'idée nationaliste, libertaire et socia-liste, la notion moderne de démocratie orga-nique et directe et rejetera toute construc-tion politique basée sur des oligarchies fer-mées à toute circulation des élites ou tirant leur justification d'un pouvoir étranger, com-me l'Eglise catholique romaine. Héritiers de ces "Burschenschaften" du début du XIXème, sont le mouvement de jeunesse "Wander-vogel" et les "Bündischen". L'idée de liberté germanique s'y est vécue en communauté, entre hommes et femmes libres de déter-miner leur agir. La Nation allemande, dans cette optique "réformée", n'a pas néces-sairement un contenu "biologique": elle re-présente un mode de vie, une conception li-bertaire de l'existence que tous peuvent par-tager, indépendamment de leurs origines eth-niques. Le patriotisme "allemand" qui en dé-coule procède dès lors d'une défense de cette manière de concevoir l'existence, si-multanément universelle et soucieuce des spécificités, créations de Dieu et, comme telles, aimées de Dieu. L'universalité, ici, n'implique pas le culte iconoclaste du bras-sage cosmopolite, du brouet insipide que constituerait le mélange indifférencié de toutes les ethnies, peuples et races de ce monde.
Différence et Universalité font ici bon mé-nage: une double leçon est à tirer de ce constat; 1) les cosmopolites actuels qui se réclament du marxisme ignorent généra-lement que c'est précisément cet arrière-plan luthérien, goethien, herdérien et fich-téen qui est à l'origine des forces populaires qui ont sous-tendu, à ses débuts, le mouve-ment socialiste et que cette ignorance con-duit leurs discours et leurs démarches à la stérilité; 2) l'actuel débat qui tracasse les intellectuels parisiens, rassemblés dans le sillage de la revue Globe, quant à la gran-de lutte manichéienne opposant "univer-salistes" (eux et les néo-libéraux) et "identi-taires" (la "Nouvelle Droite", les régiona-listes, les écolos,...), s'avère pure vacuité pour quiconque possède un minimum de cul-ture "réformée".
Le texte de HAVERBECK recèle en consé-quence une portée universelle: il nous dé-voile les racines de la pensée politique anti-absolutiste du XIXème siècle et nous indique quels organisations politiques et cuturelles l'ont exprimée sans détours.
Michael VOGT aborde, pour sa part, l'histoire du marxisme allemand (le seul marxisme "pur" qui soit) et analyse, dans cette histoire, quels ont été les liens entre les mouvements sous-tendus par la philosophie marxiste et la pensée nationale allemande. Certes, en théorie, le marxisme ne retient pas la "nation" comme catégorie essentielle du jeu politique ou de la nature humaine mais la perçoit comme cadre concret de son action politique, de son combat quotidien. LENINE et STALINE ont eu des mots très durs pour les particularismes nationaux. STALINE réfutait les démonstrations des austro-marxistes RENNER et BAUER, qui revendiquaient l'auto-détermination des eth-nies au sein de l'Empire austro-hongrois. Le "nationalisme" n'est donc, selon STALINE, qu'un esprit de clocher stérile. Mais si ce nationalisme correspond à une libération na-tionale et sociale, dirigée contre la bour-geoisie cosmopolite et se révélant solidaire à l'égard des prolétaires en lutte ailleurs dans le monde, il acquiert, aux yeux de STALINE et des staliniens, une "valeur pra-tique positive".
VOGT va alors démontrer que, dans la tra-dition marxiste, le nationalisme allemand a quasiment toujours été considéré comme une valeur pratique positive. Chez LASSALLE, chef du mouvement ouvrier allemand jus-qu'en 1864 (année où il meurt en duel), le socialisme triomphera lorsqu'il sera garanti par la monarchie contre les égoïsmes de la bourgeoisie. Ce socialisme monarchiste, por-té par l'alliance de la couronne et des orga-nisations de base ouvrières, n'avait bien en-tendu rien de marxiste; néanmoins, il dé-signe l'ennemi commun du pouvoir politique pur et des masses déshéritées: l'indivi-dualisme bourgeois, libéral et égoïste, cos-mopolite et sans patrie.
Chez les pères fondateurs directs du mar-xisme, MARX et ENGELS, le nationalisme allemand, en tant qu'idée pratique, apparaît clairement, voire crument. Dès le "Manifeste du Parti Communiste" de 1848, ils réclament "la constitution d'une république grande-alle-mande unitaire et indivisible". En 1884, trente-six ans après, ENGELS n'a pas changé d'avis, nous rappelle VOGT: il refuse la prussianisation de l'Allemagne dans le cadre du Reich petit-allemand (sans l'Autriche ger-manique) de BISMARCK pour réclamer une "république unitaire et révolutionnaire" qui comprendra l'Autriche. L'oeuvre de BIS-MARCK est critiquée parce qu'incomplète. ENGELS pourtant ne considère pas cette oeuvre comme négative; pour lui, BIS-MARCK crée le cadre étatique où se dérou-lera la future révolution, en éliminant les privilèges des petits princes et en domptant les églises et la bourgeoisie, forces centri-fuges qui ne visent que leurs intérêts par-ticuliers. ENGELS critique sévèrement la condamnation du bismarckisme par les sociaux-démocrates regroupés autour de LIEBKNECHT: "Vouloir, comme Liebknecht, faire revenir l'histoire à la situation d'avant 1866, c'est de la bêtise...".
C'est ENGELS, en fait, qui est à l'origine du patriotisme unanimiste de la classe ou-vrière allemande en août 1914. La sociale-démocratie vote les crédits de guerre, afin de lutter contre l'autocratisme tsariste, en-nemi des libertés et du socialisme, et contre la France qui, malgré son républicanisme reste "bonapartiste". Seule une infime frac-tion, regroupée autour de Rosa LUXEM-BURG et Karl LIEBKNECHT s'affirme hos-tile à la guerre. Cette fraction n'aura le dessus qu'en 1918, quand des "conseils" (Räte) d'ouvriers, de soldats et de matelots déclencheront la révolte spartakiste. Cette révolte, ce seront les sociaux-démocrates embourgeoisés qui la materont et l'écrase-ront. Pour VOGT comme pour l'historien Hellmut DIWALD, réputé conservateur, le spartakisme, nonobstant ses discours interna-tionalistes, aurait pu forger une nation so-cialiste, créer un socialisme authentiquement allemand. VOGT poursuit: "Avoir écrasé la révolution rouge fut la grande faute de la République de Weimar; avoir négligé de ré-concilier les matelots rouges avec les sol-dats des corps francs dans le cadre d'un so-cialisme allemand, a été la grande erreur de la SPD. Elle a au contraire donné l'ordre aux corps francs, d'extrême-droite, d'écraser la révolution. Et pourtant, les hommes de ces corps francs, qui avaient expérimenté, dans les tranchées de la Grande Guerre, un socialisme frontiste, caractérisé par une ca-maraderie de soldats dépassant les clivages de classe, ne faisaient montre d'aucune nos-talgie monarchiste, n'avaient pas le moindre scrupule réactionnaire. L'histoire allemande a raté là une chance unique, celle de conci-lier les idéaux socialistes avec un patrio-tisme intransigeant. C'est pourquoi matelots révolutionnaires et combattants des corps francs demeurèrent des ennemis; le socia-lisme et le patriotisme devinrent des valeurs antagonistes".
LENINE, qui venait de triompher en URSS, se montrait aussi agressif que les natio-nalistes allemands à l'égard du Traité de Versailles: "une paix d'usuriers et d'é-trangleurs, de bouchers et de bandits". Le KOMINTERN, dont le représentant en Alle-magne est alors Karl RADEK, donne l'ordre à ses filiales d'embrayer sur le discours na-tionaliste allemand. Cette politique atteint son sommet lors de l'occupation de la Ruhr et de l'exécution d'Albert Leo SCHLA-GETER par les autorités militaires fran-çaises. Mais malgré Rapallo (1922), cette orientation du KPD s'enlise dans la querelle qui l'oppose aux "sociaux-fascistes" (STA-LINE) de la SPD. Pourtant le KOMINTERN demeure favorable en gros à un nationalisme puissant en Allemagne: en 1924, le parti communiste polonais est rappelé à l'ordre parce qu'il n'a pas inscrit dans son pro-gramme le retour des terres silésiennes et ouest-prussiennes (le "Corridor") à l'Alle-magne. En 1930, les communistes polonais et tchèques obéissent aux injonctions de Moscou et promettent le retour de la Haute-Silésie et des Sudètes au Reich. Le 10 janvier 1933, le KOMINTERN fait savoir qu'il sou-tient les revendications allemandes en ce qui concerne les révisions du Traité de Ver-sailles, qu'il soutient le combat du PCF pour l'autonomie alsacienne, du PCB pour les droits à l'auto-détermination du peuple fla-mand et des populations d'Eupen-Malmédy.
Ces proclamations patriotiques valent au KPD un regain de popularité et de sièges au Reichstag. Mais les communistes avaient perdu trop de temps, entre la Doctrine Ra-dek et l'opposition au Plan Young, soutenue par STALINE à l'extérieur et... HITLER à l'intérieur. Nazis, communistes et nationaux-conservateurs s'y opposent avec énergie. Plus tard, en 1935, le secrétaire général du KOMINTERN, Georgi DIMITROFF avoua que la stratégie et la propagande communistes avaient été inefficaces, mal adaptées aux besoins et aux aspirations du peuple. Selon DIMITROFF lui-même, les Nazis avaient mieux joué et s'étaient montrés plus cré-dibles. Wilhelm PIECK, futur Président de la RDA, prononcera la même auto-critique. L'accession de HITLER au pouvoir et l'éli-mination du KPD de la vie politique al-lemande rafraîchiront les relations germano-soviétiques et permettront à l'interna-tionalisme gauchiste de prendre pied au sein des PC occidentaux. Les relations germano-soviétiques seront restaurées en août 1939, malgré les événements de la guerre d'Es-pagne, où STALINE n'avait pas pris les Ré-publicains au sérieux et où HITLER traitait FRANCO de "marchand de tapis venu du Maroc" (allusion au débarquement aérien des premières troupes franquistes en Andalousie). L'invasion allemande de juin 1941 mettra fin au tandem Moscou-Berlin, dirigé au fond contre les puissances occidentales.
VOGT analyse ensuite les projets de STALINE à l'égard de l'Allemagne. Dès mai 45, le chef de l'Union Soviétique proclame sa volonté de ne pas diviser l'Allemagne. Après que la coalition anti-hitlérienne se soit ef-fondrée avec la guerre froide, STALINE ne changera jamais d'avis et réitérera régu-lièrement ses propositions de voir se consti-tuer une Allemagne unie et neutre. Après lui, les Soviétiques reviendront à la charge en 1954 et en 1955. L'épisode tragique de la révolte ouvrière de Berlin en juin 1953, VOGT l'interprète comme une revendication légitime du prolétariat patriotique berlinois mais aussi comme un débordement incon-trôlé, satisfaisant pleinement les Américains qui gardent prudemment le silence, débor-dement qui a obligé les Soviétiques à réagir violemment, donnant prétexte aux pro-oc-cidentaux, regroupés derrière ADENAUER, à rejeter les propositions soviétiques de réu-nification. VOGT analyse méticuleusement le contenu des notes de STALINE, de BERIA et de KHROUTCHEV et signale que les diri-geants de la RDA n'ont jamais renié l'ob-jectif final de la réunification au profit de leur "état partiel". En témoigne notamment le testament politique laissé par Walter UL-BRICHT.
En dehors des cercles communistes orthodo-xes et de la SED est-allemande, l'idéal na-tionaliste a également été porté par la "gauche non dogmatique", surtout celle re-groupée autour de Rudi DUTSCHKE. Cette gauche s'opposait autant à l'occupation so-viétique en RDA qu'à l'occupation améri-caine en RFA. DUTSCHKE et son camarade RABEHL adoptèrent, au sein du SDS ("Sozia-listischer Deutscher Studentenbund" ou Fédé-ration des Etudiants Socialistes Allemands), des positions assez proches du nationalisme plus classique: ils organiseront une marche de protestation contre le Mur érigé en 1961 et une marche du souvenir en mémoire du massacre de juin 1953. En juin 1967, DUTSCHKE suggère un plan pour la réuni-fication allemande, partant d'une "république des conseils" berlinoise, d'une "Commune" semblable à celle de Paris en 1871. DUTSCHKE, comme d'ailleurs bon nombre de partis classés très hâtivement par les stratèges de l'ignorance à "l'extrême-droite" en Europe occidentale, parle de la com-plicité objective des deux super-gros, du ca-pitalisme yankee et de l'asiatisme soviétique (allusion aux théories de Karl A. WITT-VOGEL sur le despotisme oriental). Pour DUTSCHKE, il ne saurait être question de considérer le problème allemand comme clos. Ce serait renier le dynamisme inhérent à la vision socialiste de l'histoire et opter pour une approche fixiste des réalités poli-tiques.
La "gauche non dogmatique", depuis la dis-parition de DUTSCHKE, ne déploie plus le même sérieux, ne démontre plus le même souci pour les problèmes de "grande poli-tique", n'entretient plus la conscience histo-rique de ses militants, en mettant en exer-gue que l'aliénation économique et sociale de la vie quotidienne est le produit direct et immédiat d'une aliénation globale et na-tionale, produit de l'impérialisme étranger. La gauche a désormais opté, en majorité, pour la flexibilité théorique de l'écologisme. Mais dans ce magma un peu fumeux, le no-yau dur demeure "national", dans le sens où il prône le départ des troupes d'occupation. Dès 1979, la problématique des missiles américains passe à l'avant-plan, montrant à quel point la RFA n'a plus la moindre sou-veraineté (et pas seulement la RFA...). Un regain d'intérêt pour la question nationale saisit depuis lors l'ensemble des milieux po-litiques allemands. En conséquence, écrit VOGT, il faudrait remercier les présidents américains CARTER et REAGAN d'avoir dé-claré sans circonlocutions, que l'Europe Cen-trale, en cas de conflit, sera inévitablement atomisée et versée au bilan négatif, sa-crifiée sur l'autel de la démocratie libérale. Le libéralisme économique, la consommation effrénée, les productions cinématographiques de Hollywood valent-ils autant que le plus modeste des vers de GOETHE? J'en doute..
Le Dr. jur. Erich SCHWINGE commente deux livres américains d'Edward N. PETER-SON et John H. BACKER, consacrés à l'his-toire de l'occupation américaine en Alle-magne au lendemain de la seconde guerre mondiale. La conclusion des deux auteurs américains est très négative: "Malgré les ef-forts du Général Lucius D. CLAY, la poli-tique d'occupation américaine a été un la-mentable échec. Les Américains ont l'art de toujours gagner les guerres mais aussi de toujours perdre la paix". Cette dernière phrase signifie que la diplomatie américaine s'avère incapable de créer un "ordre" juste dans les régions du monde où elle est ame-née à intervenir militairement.
L'échec de la diplomatie américaine en Eu-rope Centrale était prévisible quand on se souvient des plans abracadabrants élaborés dans l'entourage de ROOSEVELT quant à l'avenir de l'Allemagne. EISENHOWER vou-lait liquider 3000 à 3500 dirigeants alle-mands (militaires, policiers et membres de la NSDAP). Joseph PULITZER, lui, rêvait de faire fusiller ou pendre 1.500.000 individus, industriels et banquiers compris.
Mais la palme du ridicule macabre revient indubitablement au Ministre américain Henry MORGENTHAU. Des militaires américains avaient élaboré un plan prévoyant la remise sur pied rapide de l'industrie allemande après les hostilités. Y avait notamment col-laboré le Ministre de la Guerre Henry Lewis STIMSON. Ce plan, serein, conforme à cer-taines tendances de la diplomatie américaine des années 20, ROOSEVELT le rejeta comme "mauvais", parce qu'il ne "punissait" pas les Allemands, ne prévoyait pas leur castration et leur éradication biologique (sic!). ROOSEVELT ne pouvait souscrire qu'à un plan farfelu, conforme à ses fantasmes; ce fut le "Plan Morgenthau". ROOSEVELT don-na l'ordre de retirer le plan Stimson de la circulation et donna aussitôt des directives à MORGENTHAU: 1) les Allemands ne pou-vaient plus posséder d'avions; 2) plus per-sonne en Allemagne ne pouvait porter d'uni-forme; 3) plus aucun défilé, plus aucune pa-rade ne pouvait avoir lieu en Allemagne. On mesure là la puérilité du Président des Etats-Unis. Mais, pour MORGENTHAU, l'es-sentiel était de briser définitivement les reins de l'industrie allemande. Le Reich, en conséquence, devait être transformé en "Etat agricole", de façon à ce que les in-dustries britannique et belge puissent prospé-rer. Les 18 millions de travailleurs alle-mands superflus devraient alors être dépor-tés en Afrique Centrale pour "y travailler" ou nourris par les cuisines roulantes de l'ar-mée d'occupation américaine (sic!). Les installations industrielles et les carrières de minerais devaient être dynamitées, les mines de charbon noyées, la Ruhr internationalisée, la Sarre annexée à la France, etc.
Après la mort de ROOSEVELT, survenue le 12 avril 1945, et l'accession à la présidence de TRUMAN, les idées farfelues de MOR-GENTHAU firent long feu. Les Britanniques (CHURCHILL excepté) considérèrent d'em-blée ces spéculations comme irréalisables et insensées. Ce sera STIMSON qui accom-pagnera TRUMAN à Potsdam. Mais l'esprit de MORGENTHAU continua à hanter bon nombre de cerveaux américains. Le régime d'occupation allait, malgré les efforts de STIMSON et de CLAY, ressentir les effets de la propagande orchestrée autour du Plan Morgenthau.
Les démocraties occidentales considéraient leur participation à la guerre comme une croisade en vue de rétablir le droit. Il y a tout lieu de rester sceptique à l'encontre de telles intentions, écrit SCHWINGE, lorsque l'on étudie la praxis réelle de l'occupation. Les Américains ont agi de manière systè-matique contre les conventions de La Haye. Celles-ci n'ont été en vigueur que tant que subsistait une situation de belligérance et un gouvernement allemand, en l'occurence celui de DöNITZ. Celui-ci cesse d'exister par dé-cret des quatre puissances occupantes le 5 juin 1945, décision confirmée lors de la con-férence de Potsdam, le 1 août 1945. Le gouvernement allemand est remplacé par une Commission interalliée qui représentera seule l'autorité jusqu'au début des années 50. Par l'inexistence d'un gouvernement, les limites que le droit international impose norma-lement aux occupations militaires tombent. Les alliés procèdent sans que n'existent des normes juridiques valables. En fait, l'Al-lemagne n'existait plus et, en conséquence, il n'y avait plus de "prisonniers de guerre" allemands; ceux-ci étaient traités comme des apatrides, comme des sujets dépourvus de droits.
SCHWINGE dénonce, dans son texte, trois pratiques en contradiction avec les con-ventions de La Haye: 1) L'arrestation auto-matique des suspects et leur concentration dans des "camps d'internement"; 2) rien n'avait été prévu pour le traitement des pri-sonniers de guerre en Allemagne; des cen-taines de milliers d'hommes sont massés sans abris, ne reçoivent aucune nourriture digne de ce nom et ne disposent pas des moindres installations d'hygiène; par ailleurs, les Français négocient avec certains Amé-ricains la livraison d'un million de pri-sonniers de guerre allemands, afin de "re-construire la France". CLAY s'y opposera, traitant ce maquignonnage de "marché d'es-claves". 3) La justice militaire américaine procède de manière incohérente, selon la plus ahurissante des fantaisies; elle devait essentiellement traiter des affaires de droit commun mais parfois aussi des cas plus compliqués, pour lesquels ses juges n'avaient aucune compétence.
Ces abus sont des conséquences directes des élucubrations de MORGENTHAU. Caspar von SCHRENCK-NOTZING, dans sa contribution, explique les implications politico-culturelles de l'occupation américaine: la "rééducation" (euphémisme pour "lavage de cerveau") et son corollaire immédiat, la crise d'identité qui a ravagé une ou deux générations d'Al-lemands et fait perdre à l'ensemble des Eu-ropéens toute compréhension globale de leur histoire.
L'initiative du Professeur WILLMS et de Wigbert GRABERT, mérite certes une plus grande attention que cette simple recension. L'ampleur des interrogations, la pertinence des bilans qui font ce livre montrent à quel point cette "question allemande", non réso-lue, récapitule le malaise européen, les nos-talgies libertaires qui tourmentent tous les peuples soucieux de leur auto-détermination, la crise actuelle du marxisme, détaché de ses racines historiques et perdu dans des spéculations souvent sans objets...
Detlef BAUMANN.
Bernard WILLMS (Hrsg.), Handbuch zur Deutschen Nation, Band 1, Geistiger Bestand und politische Lage, Hohenrain-Verlag, Tü-bingen, 1986, 457 S., 49,80 DM.
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mercredi, 10 juin 2009
Le "Rhin de Fer": un axe ferroviaire vital pour Anvers et pour la Flandre
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997
Le «Rhin de fer»: un axe ferroviaire vital pour Anvers et pour la Flandre
En marge de l'affaire Dutroux, de la Commission “Rwanda”, de l'enquête sur les tueurs fous du Brabant wallon, etc., les travaux du parlement de la communauté flamande sont passés à l'arrière-plan de l'actualité. C'est injuste car cet organe de représentation prend souvent des initiatives politiques importantes. Parmi celles-ci, il y a sans nulle doute la résolution sur le Rhin de Fer —une ligne de chemin de fer devant relier le port d'Anvers à la Ruhr et à la grande voie fluviale européenne “Rhin-Main-Danube”— qui a été acceptée quasiment à l'unanimité par les députés flamands, toutes tendances confondues, au-delà de tous les clivages idéologiques, pourtant tenaces en Belgique. Mais l'histoire de cette ligne de chemin de fer est fort longue et mouvementée.
Quand, à la fin des années 30 du siècle passé, le chemin de fer commençait à s'imposer sur le continent européen, les Pays-Bas (Hollande + Belgique) vivaient un divorce tragique. La Prusse étendait sa puissance en Allemagne et cherchait à consolider ses positions commerciales en s'implantant surtout à Anvers. Pour faciliter ces nouvelles relations entre Anvers et la Prusse, on a songé très tôt à construire un axe ferroviaire Est-Ouest entre le grand port sur l'Escaut et la région de la Ruhr, qui démarrait son développement industriel. A l'époque, le chemin de fer était un moyen de transport révolutionnaire et la ligne envisagée a rapidement été surnommée le “Rhin de fer”. La ligne devait traverser une région pauvre, la Campine (en néerl.: “de Kempen”), passer par la localité de Neerpelt puis se diriger vers les villes nord-limbourgeoises de Weert et de Roermond, pour franchir ensuite la frontière allemande et passer par Dalheim, Rheydt et Mönchengladbach. A Duisburg, la ligne aurait dû aboutir sur les rives du Rhin et y aurait trouvé une connexion avec le transport fluvial, d'une part, avec le réseau de chemin de fer allemand, à l'époque en pleine croissance.
Quand, en 1939, la séparation des Pays-Bas entre le Nord (les Pays-Bas actuels) et le Sud (la Belgique) est définitivement sanctionnée par les puissances européennes, le Limbourg du Nord devient néerlandais. Du coup, le libre passage d'un chemin de fer essentiellement “belge” pose problème. A ce moment, le “Rhin de fer” n'était encore qu'un projet, mais les grandes puissances n'avaient pas l'intention de nuire aux intérêts de la Prusse. Le Traité de Londres, qui réglementait la séparation de la Belgique et de la Hollande, prévoyait expressis verbis le droit de passage des chemins de fer à travers le territoire nord-limbourgeois. Pour bon nombre d'observateurs (dont l'homme politique libéral anversois Delwaide), cette disposition du traité était due à la clairvoyance du Premier Ministre britannique Palmerston, lui aussi un libéral. Mais il nous paraît plus juste de dire, en accord avec toute l'histoire de la diplomatie en Europe, que c'est davantage le génie politique prussien qui a imposé à La Haye le libre passage de la ligne ferroviaire Anvers-Duisburg.
Les débuts du “Rhin de fer”
A partir de 1879, dès que la ligne est mise en œuvre, jusqu'en 1914, le “Rhin de fer” ne connait que des succès. Le développement phénoménal du port d'Anvers, qui avait résolument choisi d'être un port accessible par chemin de fer, et les excellentes relations entre la Belgique nouvelle et l'Allemagne unifiée ont fait du “Rhin de fer” l'une des lignes du continent les plus usitées pour le transport des marchandises. Quand éclate la première guerre mondiale et que les Pays-Bas restent neutres, la ligne cesse d'être utilisée pendant quatre ans. Les Allemands organisent alors une autre ligne, plus longue, passant par Aix-la-Chapelle (Aachen/Aken), Visé (Wezet) et Tongres (Tongeren). Aujourd'hui encore on appelle cette ligne, la ligne Montzen. Celle-ci constitue un fameux détour passant par le territoire wallon et est désavantagée par les nombreuses pentes abruptes qui jalonnent son parcours. Sur certaines parties du trajet, on devait à l'époque utiliser deux locomotives, ce qui entraînait des coûts supplémentaires et des retards considérables.
Après 1918, on continue, curieusement, à utiliser la ligne Montzen, au détriment du Rhin de fer, pourtant plus court et moins cher. Certes, la politique néerlandaise des tarifs y est pour quelque chose, mais c'est surtout la sottise fondamentale de la politique belge (belgiciste et francophile jusqu'au délire) qui a fait que l'on a persisté à maintenir en service la seule ligne Montzen, mise en place par l'armée allemande d'occupation! Dans les cercles francophiles dominants de l'époque, où le verbe et les discours étaient plus prisés que les saines réalités économiques, le “Rhin de fer” était considéré comme une “ligne boche”, alors qu'elle avait surtout avantagé Anvers et la Belgique! Il fallait donc “oublier” le Rhin de fer. Du point de vue flamand, on peut dire que le détour par la ligne Montzen, avec ses hangars, ses locomotives supplétives et ses autres services complémentaires donnaient du travail à des cheminots wallons. Pendant ce temps, le Rhin de fer tombait en quenouille. Entre 1940 et 1944, les Allemands le rétablissent mais uniquement pour des raisons militaires. Quand la Wehrmacht se retire, elle sabote la ligne; les Américains la remettent en état, mais les autorités belges cessent de l'utiliser après les hostilités!
Une liaison très utile
Pourtant, le Rhin de fer est sans nul doute l'une des liaisons ferroviaires les plus utiles d'Europe en ce moment. Le port d'Anvers qui cherche depuis longtemps à se relier à l'hinterland allemand est le principal demandeur d'une remise en service. Depuis la chute du Rideau de fer, les pays de l'ancien bloc de l'Est deviennent pour nous d'importants partenaires commerciaux. Les flux d'échanges entre ces pays et le reste de l'Europe et du monde passent pour une bonne part à travers l'Allemagne et se dirigent vers Anvers. Le transport par route est de plus en plus problématique vu les bouchons et sa lenteur. Il ne peut plus faire face seul aux flux d'échanges nouveaux. Le chemin de fer acquiert dès lors de nouveaux atouts.
Mais il n'y a pas qu'Anvers qui est demandeur. Zeebrugge aussi, sur la côte flamande de la Mer du Nord face à l'Angleterre, estime qu'il est important désormais d'avoir une bonne liaison Est-Ouest. Les Ouest-Flamands de Zeebrugge réclament donc, de concert avec les Anversois, la ressurection du Rhin de fer. Mieux: le Rhin de fer pourrait être l'un de ces grands projets européen en matière de transport de marchandises. L'Europe veut en effet imposer des axes ferroviaires internationaux à grande vitesse desservant les principaux ports et zones industrielles du continent. La ligne Londres-Dunkerque-Zeebrugge-Gand-Anvers-Duisburg serait un bon prolongement du Rhin de fer.
Rotterdam a compris depuis longtemps qu'il devait avoir une bonne liaison directe avec l'Allemagne. Le port néerlandais veut installer une nouvelle ligne Betuwe, qui coûtera des millions et sacrifiera, hélas, bon nombre d'hectares dans les réserves naturelles du pays.
Sur le plan psychologique, il me paraît important qu'un port qui cherche à “se vendre” aux armateurs et aux transbordeurs puisse présenter de bonnes liaisons avec l'hinterland, permettant de débarquer les marchandises, de les transporter directement, sans détours inutiles, à des prix compétitifs, de quai à quai. La ligne Montzen, que les autorités des chemins de fer belges (SNCB) se sont sottement obstinées à maintenir, n'est pas d'une grande utilité pratique pour les ports flamands de Zeebrugge et d'Anvers.
Les initiatives
Les nationalistes flamands du Vlaams Blok ont estimé important de s'engager pour la ressurection du Rhin de fer. Ils ont pris l'initiative au niveau parlementaire. Ils ont réclamé la remise en œuvre du Rhin de fer. Un mois à peine après l'installation du nouveau Parlement flamand, j'ai proposé personnellement une résolution relative au Rhin de fer, où j'ai demandé au gouvernement flamand d'entamer sans tarder des pourparlers avec la SNCB, dans le but de remettre en fonction cette ligne vitale. Un an plus tard, c'est plutôt le dossier du TGV qui focalisait toute l'attention du secteur des transports. Nous ne nous sommes pas découragés, nous avons continué à intervenir et à formuler des propositions dans le sens d'une remise en service du Rhin de fer. Il a fallu attendre juin 1997 pour que le Parlement flamand daigne enfin ouvrir le dossier.
Dans la Commission de l'Aménagement du Territoire, des Travaux Publics et des Transports, nous nous sommes rapidement aperçus que nous pouvions compter sur un consensus en la matière. Comme je viens de le dire, tant Zeebrugge qu'Anvers sont sur la même longueur d'onde. Les Limbourgeois se sont rangés sans hésiter à leurs côtés, car le projet du Rhin de fer leur plait. Sur le plan du transport des personnes, le Limbourg a toujours été traîté par dessus la jambe par la SNCB belge. Le Rhin de fer pourrait dès lors contribuer à désenclaver cette province flamande.
Le gouvernement flamand a donc étudié la “faisabilité” du projet. En février 1997 déjà une étude du bureau Tractebel, Technum et Prognos avait démontré qu'avec un petit investissement de 1,3 à 5,7 milliards, on pouvait s'attendre à engranger des bénéfices de l'ordre de 15% à 93%.
Du coup, sans tergiverser, sans discuter, la Commission a adopté avec le plus parfait consensus une résolution basée sur les propositions des nationalistes du Vlaams Blok. Pour l'essentiel, le Parlement flamand demande aux instances compétentes de remettre sans tarder le Rhin de fer en service. Cette résolution est l'une des rares initiatives du Vlaams Blok qui n'ait pas été torpillée par les autres députés. Dans le projet du Rhin de fer, les députés flamands se sont montrés unanimes, le “cordon sanitaire” établi autour des nationalistes, que l'on s'obstine à ignorer, n'a pas fonctionné. Seul un député d'AGALEV (parti écologiste) s'y est montré hostile.
Et l'avenir?
Les anciens partisans du Rhin de fer, le directorat-général pour les transports de l'Union Européenne et la Deutsche Bahn, continuent à appuyer avec enthousiasme le projet. Les Néerlandais, au départ assez réservés, viennent de déclarer par la bouche de leur ministre des transports Jorritsma, qu'ils ne s'y opposeraient pas. Seule la SNCB rétrograde et son ministre de tutelle francophile Daerden —un socialiste appartenant à un parti de corrompus ayant sans cesse maille à partir avec la justice— continuent à s'opposer aux lois naturelles de la géopolitique, à privilégier des idées fumeuses (parisiennes évidemment) au détriment des réalités économiques les plus évidentes. L'établissement belge ne se soucie guère d'une résolution du Parlement flamand. Cependant, celle-ci a été acceptée à l'unanimité. Il est donc temps que l'établissement flamand, que les dynamiques entrepreneurs anversois frappent du poing sur la table et imposent le Rhin de fer en toute indépendance, en exigeant par exemple la “défédéralisation” de la SNCB et le transfert de ses compétences à la Flandre et à la Wallonie.
Jan PENRIS.
(article paru dans Vlaams Blok, n°9/1997).
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mardi, 09 juin 2009
"The Economist about Belgium
"The Economist" About Belgium
http://www.economist.com/world/europe/displaystory.cfm?story_id=13743268
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lundi, 08 juin 2009
Bruselas ocupa un lugar central en el espionaje
Bruselas ocupa un lugar central en el espionaje
Ex: http://labanderanegra.wordpress.com/
Bruselas es un nido de espías. El fin de la guerra fría no solo no ha reducido la actividad de los servicios secretos extranjeros en la capital belga, sino que ha multiplicado sus acciones y sus objetivos. Y es tan intensa que la Comisión Europea difundió hace poco una nota interna entre sus directivos para que tomaran medidas ante los intentos repetidos y crecientes de “obtener documentación confidencial y delicada” de la actividad del Ejecutivo comunitario.
La nota indicaba que “algunos países, grupos de presión, periodistas y agencias privadas intentan obtener informaciones protegidas”. Y precisaba que “personas vinculadas a servicios secretos” actúan bajo la cobertura de “becarios, periodistas, funcionarios de los estados de la Unión Europea (UE) agregados a la Comisión Europea y técnicos informáticos”.
“Bruselas es, junto a Washington y Ginebra, una de las tres ciudades clave para los servicios de espionaje de todo el mundo”, explica Kristof Clerix, autor del libro Los servicios secretos extranjeros en Bélgica. “Los métodos siguen siendo los mismos de la guerra fría: ganar la confianza y después explotar esa confianza. Lo que ha cambiado es el uso de las nuevas tecnologías y la importancia cada vez mayor de las cuestiones económicas”, precisa Clerix, periodista de la revista belga de política internacional MO. “Los grandes países no dudan en utilizar sus servicios secretos para promocionar y defender sus intereses económicos e industriales en un mundo globalizado”, añade.
“Aún más interesante”
“En asuntos políticos y militares, Bruselas es aún más interesante para los espías que en la época de la guerra fría”, destaca Clerix. La OTAN ya no se limita a la defensa de los aliados, sino que ha emprendido operaciones militares en Bosnia, Kosovo y Afganistán y ha extendido su influencia a las antiguas repúblicas soviéticas de Asia central. La UE tiene competencias en política exterior y defensa y también desarrolla operaciones militares y políticas de envergadura (Bosnia, Kosovo, Macedonia, Congo, Somalia).
Además de estas cuestiones políticas y militares clásicas, hay otros tres factores que refuerzan el interés de Bruselas para los servicios de espionaje extranjeros: la presencia en Bélgica de centros tecnológicos de uso espacial y militar, el papel del país como retaguardia del terrorismo internacional y las nutridas comunidades inmigrantes turcas, marroquís y de África central, muy activas políticamente y que son vigiladas de cerca por los gobiernos de sus países de origen.
Retaguardia del terrorismo
“En los últimos 20 años Bélgica ha desempeñado un papel importante en el terrorismo internacional. Es un país pequeño, del que es fácil huir, con una importante comunidad inmigrante musulmana”, señala Clerix. “El primer manual de yihad en la UE fue publicado en Bélgica, los asesinos del líder rebelde afgano Ahmad Sha Masud tenían pasaporte belga y quienes realizaron los atentados de Madrid tuvieron vínculos con Bélgica”, detalla Clerix.
China es uno de los nuevos actores más activos en el tablero del espionaje en Bélgica, con un interés muy marcado en la obtención de informaciones científicas y tecnológicas, pero vigilando también la cuestión tibetana, los opositores políticos y el movimiento religioso Falun Gong. Asimismo, China es especialista en utilizar a sus estudiantes para obtener informaciones, asegura Clerix.
Al margen del espionaje estadounidense a las transacciones bancarias mundiales a través de la empresa Swift –que continúa pese al escándalo que levantó–, el caso reciente más grave de espionaje se produjo en el Consejo de Ministros de la UE de forma continuada durante ocho años, hasta su detección en 2003.
Un conjunto de cinco cajas instaladas durante la construcción del edificio permitía interceptar las conversaciones telefónicas de las delegaciones de España, Francia, Alemania, Italia, el Reino Unido y Austria. Fuentes diplomáticas responsabilizaron a Israel, pero nadie se atrevió a formular una acusación oficial y los investigadores belgas recibieron instrucciones de no profundizar demasiado, según fuentes próximas al caso.
El sector privado también es víctima reiterada de los espías. En los últimos años, por ejemplo, nueve empresas del parque tecnológico de Lieja han sido víctimas del robo de discos duros y ordenadores con datos técnicos clave, mientras que los ladrones desestimaron la sustracción de material muchísimo más valioso.
Eliseo Oliveras
Extraído de Xornal.
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samedi, 06 juin 2009
"Deutschland wurde nie richtig souverän"
„Deutschland wurde nie richtig souverän“
Staatsrechtler Karl Albrecht Schachtschneider über die internationale Stellung der Bundesrepublik und warum die Parteien und der „Kampf gegen rechts“ gegen das Grundgesetz verstoßen
Ex: http://www.zurzeit.at
Das Grundgesetz ist ein Provisorium, das nun schon seit 60 Jahren besteht. Wie lebt es sich damit?
Karl Albrecht Schachtschneider: Mit dem Grundgesetz würde es sich gut leben lassen, und ich halte es für eine gute Verfassung. Am Anfang waren die Grundprinzipien des Rechts – also Freiheit, Gleichheit, Brüderlichkeit, Demokratie – gut verwirklicht. Aber seit den späten 60er Jahren stimmt unsere Verfassungswirklichkeit zunehmend weniger mit dem Grundgesetz überein, ja man kann sagen, daß das Grundgesetz gegenwärtig eigentlich bedeutungslos geworden ist.
Und was ist der Grund dafür?
Schachtschneider: Der Grund ist natürlich die Integration in die Europäische Union. Denn ein erklärtes Ziel der ganzen europäischen Integration war ja immer die Einbindung Deutschlands, weil die Mächtigen dieser Welt nie bereit waren, Deutschland eigenständig werden zu lassen.
Wirklich souverän ist Deutschland nie geworden, trotz des Deutschlandvertrages 1955 und auch nicht durch den 2+4-Vertrag 1990. Das zeigt sich schon daran, daß Deutschland sich nicht eigenständig militärisch entfalten kann, also z. B. gar nicht in der Lage wäre, sich zu verteidigen, es kann sich nicht so bewaffnen, wie gegebenenfalls Angreifer bewaffnet wären, und ein solches Land ist nicht wirklich eigenständig souverän. Aber die Europäische Integration diente ganz entschieden auch der Einbindung Deutschlands, weil man auch ohne Deutschland schlecht Europa beherrschen kann und ohne Europa schlecht Eurasien und ohne Eurasien schlecht die Welt.
Ohne die Zustimmung der Westmächte gäbe es das Grundgesetz nicht und damit keine Bundesrepublik wie wir sie heute kennen. Ist die Bundesrepublik, provokant formuliert, so ein Projekt der Sieger des Zweiten Weltkrieges?
Schachtschneider: Das ist sie zumindest auch. Aber man darf auch nicht übersehen, daß sehr viele kulturelle Elemente Deutschlands da eingeflossen sind. Der Text wäre höchstwahrscheinlich nicht viel anders gewesen, wenn die Alliierten keinen Einfluß genommen hätten. Die hatten die Besatzungsmacht und die Hoheit, aber die deutschen Parlamentarier, also der Parlamentarische Rat, haben großen Einfluß gehabt und den Alliierten viel abgerungen, insbesondere Carlo Schmid, der wesentliche Aspekte formuliert hat. Daher würde ich sagen, daß nach dem Zusammenbruch des Deutschen Reichs das Grundgesetz eine Fortsetzung der nie in Kraft getretenen Verfassung von 1849 und auch der Weimarer Reichsverfassung ist und in der Kontinuität deutscher Verfassungsgeschichte steht und keine oktroyierte Verfassung ist. Wenn man z. B. die Definition der Freiheit nimmt, dann wird sie mit dem Sittengesetz definiert uns ist nun mal reiner Kantianismus und sehr deutsch. Und der Föderalismus ist amerikanisch, aber auch deutsch und auch österreichisch.
In der Charta der Vereinigten Nationen gibt es noch immer die Feindstaatenklausel. Ist Deutschland eigentlich ein Mitglied zweiter Klasse der internationalen Gemeinschaft?
Schachtschneider: Ja, allemal! Solange die Feindstaatenklausel in der Charta der Vereinten Nationen steht, ist Deutschland kein voll akzeptiertes Mitglied.
Und was sind die Folgen?
Schachtschneider: Die Folgen sind sicherlich die schon angedeutete Politik, daß man eben darauf achtet, daß Deutschland militärisch nicht eigenständig ist, weil Deutschland als Problem empfunden wird. Ich denke, daß im Ernstfall auf Deutschland, falls es die Einbindung in die europäische Integration aufkündigen würde, ein ganz erheblicher Druck, auch von den Vereinigten Staaten ausgeübt werden würde. Und sollte Deutschland bei dieser Politik bleiben, dann bestünde die Gefahr militärischer Maßnahmen. Also ist Deutschland zu dieser Politik gezwungen und kann nicht Mitglied des Sicherheitsrates mit vollem Stimmrecht sein und vieles andere mehr.
Aber dafür darf Deutschland zahlen.
Schachtschneider: Zahlen darf man immer! Das ist ganz klar. Deutschland muß sich immer das Wohlwollen erkaufen und leider ist die deutsche Öffentlichkeit da auch wenig informiert und auch nicht so wirklich interessiert. Das ist durch einen erheblichen Wohlstand ermöglicht worden und ich höre und hörte immer wieder den Satz: „Wenn es uns doch gut geht, wen interessieren die politischen Ereignisse“.
In Österreich wird immer kritisiert, daß die Demokratie von einem Parteienstaat überdeckt und geschwächt wird. Trifft dieser Befund auch auf die Bundesrepublik zu?
Schachtschneider: Uneingeschränkt! Also ich halte den Parteienstaat, so wie wir ihn haben, für eine Fehlentwicklung der Demokratie und eine Verfallserscheinung der Republik im alten aristotelischen Sinne. Wären die Parteien anders strukturiert, nämlich freiheitlich, dann wäre das in Ordnung. Es wird immer Parteien geben, sie aber zu einem Strukturelement des politischen Systems zu machen, wie es von der Gesetzgebung mit Förderung durch das Bundesverfassungsgericht geschehen ist, widerspricht dem Grundgesetz, wonach die Parteien bei der Willensbildung mitwirken. Das Problem ist, daß die Parteien innerlich nicht offen, sondern festgefügt sind. Offene Mitgliedschaften und innere Demokratie sind nicht durchgesetzt worden, und statt dessen wurden – auch vom Bundesverfassungsgericht – Führung, Geschlossenheit und Gefolgschaft zu Strukturprinzipien der Parteien erklärt.
Und damit wären eigentlich die Parteien grundgesetzwidrig …
Schachtschneider: Ich halte es für grundgesetzwidrig. Denn im Grundgesetz steht, die innere Ordnung der Parteien muß demokratischen Grundsätzen entsprechen. Das tun sie aber nicht, denn demokratische Grundsätze bedeuten nicht nur, daß die Funktionäre gewählt werden, sondern zur Demokratie gehört auch, daß demokratische Grundsätze gelebt werden, etwa das Recht der freien Rede. Dieses Recht der freien Rede hat man aber nicht in der Partei, und es gibt auch keinen Rechtsschutz. Die Parteigerichtsbarkeit geht in Deutschland über drei Instanzen und erst danach können Sie mit sehr geringen Rechtsschutzmaßstäben zu ordentlichen Gerichten gehen. Also haben sie praktisch keinen Rechtsschutz in den Parteien den wichtigsten politischen Institutionen.
Im politischen Leben der Bundesrepublik spielt der sogenannte „Kampf gegen Rechts“ eine große Rolle. Inwieweit ist dieser eigentlich mit dem Grundgesetz vereinbar?
Schachtschneider: Überhaupt nicht! Es ist unfaßbar, daß sich das in dieser Formulierung etablieren konnte. Daß extremistische Parteien, wenn sie die verfassungsmäßige Ordnung der Bundesrepublik Deutschland oder die öffentliche Ordnung gefährden, zurückgedrängt werden, steht im Grundgesetz und dafür gibt es ein Verfahren. Aber wie schwer sich das Bundesverfassungsgericht bei Verbotsverfahren tut, zeigte sich bei der NPD. Aus guten Gründen hat das Bundesverfassungsgericht den Verbotsantrag abgelehnt, weil Äußerungen nicht der NPD, sondern dem Verfassungsschutz zugeordnet werden mußten. Und auch die Medien spielen eine unheilvolle Rolle: Anstatt die freie Rede und das freie Wort zu pflegen, gibt es wieder diesen für Deutschland typischen Moralismus – und Moralismus ist genau das Gegenteil von Moral. Also das ist Robespierrescher Tugendterror, natürlich sind die Terrormaßnahmen nicht ganz so schlimm, aber man wird öffentlich ruiniert, und der Druck ist ganz enorm. Ich erfahre es ja selbst, daß einem vorgeschrieben wird, wo man reden darf und wo nicht. Aber ich nehme darauf keine Rücksicht, denn ich habe einfach die innere Einstellung, mir nicht von irgendwelchen Zeitungen vorschreiben zu lassen, mit wem ich reden darf.
Das Gespräch führte Bernhard Tomaschitz.
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jeudi, 04 juin 2009
El desinterés y desconocimiento auguran une altisima abstencion en los comicios europeos en el bloque del Este
El desinterés y desconocimiento auguran una altísima abstención en los comicios europeos en el bloque del Este
Europa central y oriental apenas acudirá a votar en las elecciones europeas del 7 de junio. Al menos, eso vaticinan las encuestas. La grave crisis económica y financiera internacional, que ha colocado a países como Letonia, Hungría y Rumanía al borde de la quiebra, monopoliza la preocupación de unos ciudadanos con poca cultura democrática y escasa información sobre la naturaleza de la UE y sus órganos legislativos, y que se dejan arrastrar con bastante facilidad por la demagogia populista, que tienen adeptos tanto en las filas de la derecha como de la izquierda en países como Polonia, Chequia, Bulgaria, Rumanía o Hungría.
La debilidad de una UE dividida entre países ricos y pobres, fuertes y débiles, desanima también a muchos ciudadanos. Diez de los 27 países que acuden a las elecciones europeas (Lituania, Letonia, Estonia, Eslovenia, Hungría, Polonia, Chequia, Eslovaquia, Rumanía y Bulgaria) pertenecen al antiguo bloque del socialismo real. La mayoría ingresó en la Unión en 2004 y Bucarest y Sofía lo hicieron en 2007. Es la segunda vez que participan en comicios para renovar el Parlamento Europeo. Bulgaria y la República Checa, presidenta semestral de la UE, celebrarán las elecciones el 5 y 6 de junio, respectivamente, y Eslovaquia también el sábado.
Elecciones de segunda
El primer ministro búlgaro, el socialista Serguei Stanishev, fue el encargado de dar el pistoletazo de salida para las europeas el pasado martes en el país más pobre de la UE, donde los electores confían siete veces más en los eurodiputados que en sus parlamentarios nacionales. Pero en general los países del Este consideran las europeas como unas elecciones de segunda división, y la crisis económica juega en contra del 7-J. Los analistas políticos vaticinan por ello una campaña electoral pobre en recursos y aún más escasa en movilización y entusiasmo de la ciudadanía.
Según el Eurobarómetro, Polonia y Rumanía, los dos países del Este con mayor peso político e institucional en la UE -50 y 33 eurodiputados, respectivamente- se colocan entre los estados más europeístas, pero sus poblaciones se sitúan entre los europeos que menos acudirán a votar el 7-J. Se prevé que sólo el 13% de los polacos acudirá a las urnas, En el caso de Hungría, la abstención podría ser del 70% y del 60% en Bulgaria.
Paco Soto
Extraído de Diario Vasco.
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mercredi, 03 juin 2009
Bürokratischer Wahnsinn
Bürokratischer Wahnsinn
Acht Milliarden Euro gibt die EU allein für die Verwaltung aus
Von Andreas Mölzer
Sondersituationen wie die gegenwärtige Wirtschaftskrise erfordern Sondermaßnahmen. Alle Ausgabenposten sind auf ihre Zweckmäßigkeit hin zu überprüfen, und gegebenenfalls ist der Rotstift anzusetzen. Dabei ist das Einsparungspotential im Bereich der Beitragszahlungen Österreichs an die Europäische Union besonders groß, weshalb die Republik dringend Maßnahmen ergreifen muß, um nationale Steuerungsmaßnahmen ergreifen zu können anstatt abhängig vom Brüsseler Diktat Gelder verteilt zu bekommen. Natürlich hat Österreich als eine der reicheren Volkswirtschaften Europas einen Beitrag zur EU zu leisten – aber nicht in der Höhe und nicht in dieser Form.
In den vergangenen Jahren belief sich der österreichische Nettobeitrag auf rund 600 bis 700 Millionen Euro. Der geschätzte Nettobeitrag unseres Landes wird in der EU-Haushaltsperiode 2007 bis 2013 übrigens 6,02 Milliarden Euro betragen, was in alter Währung 83 Milliarden Schilling sind. Angesichts der gewaltigen wirtschaftlichen und finanziellen Herausforderungen, vor denen Österreich steht, wäre es mehr als sinnvoll, den heimischen Nettobeitrag auf 300 Millionen Euro zu reduzieren. Überhaupt sollte die Wirtschaftskrise – nicht nur von Österreich, sondern auch von den übrigen Mitgliedstaaten – zum Anlaß genommen werden, Zuständigkeiten und und Höhe des Haushalts der Europäischen Union auf ihre Sinnhaftigkeit hin zu überprüfen. Schließlich hat sich die EU in den vergangenen Jahrzehnten zu einem bürokratischen Monster entwickelt, das Unsummen an Steuergeldern verschlingt. So belaufen sich etwa die Verwaltungskosten auf acht Milliarden Euro, was kein Wunder ist, wenn man bedenkt, daß 40.000 Beamte im Sold Brüssels stehen. Und mit der Gier nach immer mehr Kompetenzen ist ein undurchdringlicher Dschungel an Vorschriften entstanden: Insgesamt sind es fast 130.000 Richtlinien, und das Amtsblatt der EU umfaßt 800.000 Seiten. Keine Überraschung ist, daß dieser bürokratische Wahnsinn Mißbräuchen Tür und Tor öffnet. Allein im Vorjahr entstand durch mehr als 12.000 gemeldete Unregelmäßigkeiten ein Schaden in der Höhe von 1,2 Milliarden Euro.
Die einzige Möglichkeit, um diesen Mißstand abzustellen, besteht in weitreichenden Renationalisierungen. Denn je mehr Kompetenzen die Nationalstaaten haben und je näher die Entscheidungen beim Bürger getroffen werden, desto eher werden Sparsamkeit und Zweckmäßigkeit Einzug halten.
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mardi, 02 juin 2009
UE: toujours plus loin de la démocratie
Union Européenne : toujours plus loin de la démocratie... |
Lundi, 25 Mai 2009 - http://unitepopulaire.org/ | |
« La campagne pour le scrutin parlementaire qui se tiendra du 4 au 7 juin est lancée. La menace de l’abstention est forte, tant l’Union est accusée d’être une machine bureaucratique Rien de tel que des perspectives floues pour saboter une élection cruciale. A travers les vingt-sept pays de l’Union européenne, la campagne pour l’élection au Parlement européen lancée dimanche risque de ressembler à une opération massive de déminage. Trois cent septante-cinq millions d’électeurs sont convoqués, du 4 au 7 juin, pour élire les 736 eurodéputés qui les représenteront pendant cinq ans à Strasbourg et Bruxelles. Or, tandis que les sondages prédisent déjà une abstention record – supérieure à 60% – la confusion attendue pour la fin d’année 2009 rend assez impossible la mission des candidats. A une exception près: celle du camp eurosceptique, emmené par le parti Libertas du magnat irlandais Declan Ganley, leader du collectif noniste à l’origine du rejet du Traité de Lisbonne dans son pays lors du référendum du 12 juin 2008. Tout découle, justement, du suspense qui entoure toujours ce fameux texte, successeur de la défunte Constitution européenne enterrée par les non français et néerlandais de mai-juin 2005. […] La conséquence de ce flou politique est de brouiller encore plus l’image d’une Union déjà accusée d’être une machine bureaucratique éloignée des citoyens. La preuve est faite que le Parlement européen, plus puissant que les parlements nationaux dans les domaines de compétence communautaire, fonctionne sur la base de coalitions gauche-droite et d’alliances nationales éloignées des slogans de campagne. La probabilité est forte que la nomination de la future Commission, qui devra être avalisée par les eurodéputés, soit reculée à la fin 2009 pour tenir compte du référendum irlandais sur le Traité de Lisbonne, ce qui augmentera d’ici là les manœuvres en coulisses entre les Etats membres. » Le Temps, 18 mai 2009 |
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vendredi, 22 mai 2009
Eslovenia-Croacia: cainismo ex-yugoslavo
Eslovenia-Croacia: cainismo ex-yugoslavo
Diferendo con Eslovenia le complica a Croacia su acercamiento con la Unión Europea
En el piso de una taberna en los Balcanes, el dueño trazó una raya amarilla: a un lado queda Eslovenia; al otro, Croacia, de modo que quienes piden un bistec de cerdo y una jarra de cerveza en un país de la Unión Europea, salen de las fronteras comunitarias un rato después, en busca de los baños. Y el asunto es motivo de risa para los parroquianos.
La anécdota, contada por el diario británico The Independent, sirve para recordar que ambos países, escindidos de Yugoslavia a principios de los años 90, todavía tienen un litigio fronterizo. Se trata de la bahía de Piran, un espacio de apenas 13 kilómetros cuadrados que está complicándole a Croacia el avance hacia su integración en la UE.
Sí, porque desde diciembre pasado Eslovenia bloquea el proceso, hasta tanto no se resuelva el contencioso. «¡Tanto lío por cinco o seis cuadras!», pensará el lector no enterado, pero sucede que ese espacio tan reducido es prácticamente lo único con que cuentan los eslovenos para poder acceder a aguas profundas, pues el país está geográficamente aprisionado entre Italia y Croacia, a las que, si algo les sobra, es agua salada…
El diferendo esloveno-croata cumple ya 19 años, y aunque Ljubljana y Zagreb han tenido tiempo de sobra para definir por dónde pasa la línea amarilla, hasta ahora «nananina». Con un pequeño detalle: la primera entró a la UE en mayo de 2004, mientras que la segunda está aún a la puerta.
¿Qué significa eso? Pues que, para admitir a un nuevo miembro en el bloque comunitario, tienen que levantarse 27 manos para aprobarlo, y la de Eslovenia se ha quedado abajo a última hora, cuando se preveía que las negociaciones terminarían a finales de 2009, y que Croacia ingresaría en 2011.
No será la primera vez que se utiliza esta ventaja para frenar la adhesión de un país candidato: poco tiempo atrás, Chipre bloqueó las conversaciones con Turquía, porque esta decidió no permitir el acceso de barcos y aeronaves chipriotas a su territorio. Otro caso, el de la Antigua República Yugoslava de Macedonia, puede sentarse a esperar las calendas griegas, porque —¡vaya coincidencia de palabras!— Grecia no permitirá su adhesión hasta que aquella quite de su denominación oficial el nombre «Macedonia». Atenas recela de futuras pretensiones anexionistas hacia su norteña provincia homónima, patria de aquel belicoso Alejandro que conocemos por los libros de historia…
De pronto, la UE suena el silbato de árbitro. Olli Rehn, comisario europeo para la Ampliación, propone un plan: cinco jueces —de ellos, uno esloveno y otro croata— tendrán a su cargo la partición exacta de la frontera. Croacia querría dividir la bahía en partes iguales, pero a Eslovenia le parece que ello obstaculizaría la navegación de sus barcos. Entonces, con esta suerte de «ni pa’ ti, ni pa’ ti», la Comisión Europea pone en manos de los dos la resolución del conflicto por vías más expeditas. Y los croatas, que consideraban llevar el asunto a la Corte Internacional de Justicia de La Haya, han dado el sí. Falta ahora su contraparte…
Paradójicamente, si a alguien le beneficiaría salir rápido de este asunto y no enredarse en La Haya, es a Zagreb. Con la crisis económica apagando los embullos de los países eurocomunitarios de recibir a nuevos miembros (por regla general, cortos de billete), y mientras los pronósticos internos dicen que la economía se encogerá en un 3,7 por ciento y que el de-
sempleo subirá rápidamente (ahora ronda el 14 por ciento), tal vez al país de la corbata más le valdría ahorrarse papeleos y correr cuanto antes bajo el paraguas de Bruselas. Es lo que hará, previsiblemente, Islandia.
Debe ser por eso que algunos políticos de los países miembros de la UE confiesan que, en verdad, les importa un pepino ácido el tema de la bahía de Piran, y más les preocupa sumarse un nuevo socio que vendría con el pico abierto, como los pichones en el nido, en un momento en que hay muy poca lombriz que repartir. Otros, entretanto, se fijan más en un aspecto hasta aquí no mencionado: la rampante corrupción y la amenaza del crimen organizado, que ha sacado de escena, bombas mediante, lo mismo a periodistas que a abogados.
El sitio web oficial de la UE lo refiere: «En Croacia, la corrupción afecta sobre todo a los sectores de la salud, la construcción, la economía y las ciencias, así como al aparato judicial y a la administración local y pública», mientras que el propio comisario Rehn, la pasada semana, dedicó un aparte en un discurso a recordarle al país balcánico que «aún tiene mucho que hacer en cuanto a la reforma judicial y el combate a la corrupción».
Quizá sea tiempo de que Zagreb pregunte al tabernero por dónde le aconseja pasar la rayita amarilla, y de poner la cabeza en asuntos más urgentes.
Luis Luque Álvarez
Extraído de Juventud Rebelde.
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vendredi, 03 avril 2009
De Sarajevo (1914) a Sarajevo (2009) en passant par Sarajevo (1993)
De Sarajevo (1914) à Sarajevo (2009) en passant par Sarajevo (1993)
Hasardeux, dans un tel exercice, que de prétendre totalement à l’objectivité. Les voix de la vérité clament en général moins passionnément que celles de la tribu. La France a toujours prétendu intervenir, et n'a jamais hésité à verser le sang de ses soldats dans le sud-est européen. Or, relativement à cette région du monde, on éprouve la plus grande difficulté à trouver rationnelle sinon la patrie de Descartes dans son ensemble, du moins la conduite de ses dirigeants et diplomates. Ce pays dans lequel j’ai grandi, que j’aime profondément et que je persiste, sans joie mais avec discipline, à alimenter de mes contributions fiscales, mon pays par conséquent, croit avoir inventé le système métrique. On peut se rendre au pavillon de Breteuil à Sèvres où se trouve un bon vieux mètre étalon en alliage de platine et d’irridium, qui régna sur les définitions scientifiques de 1889 à 1960. Or nous reconnaissons pour gouvernants, souvent d’arrogants et inutiles énarques, des gens qui ne savent mesurer ni l’enjeu ni les conséquences des conflits aux lisières de l'Europe et de la Turquie. Ils se révèlent incapables d’évaluer, ici plus qu’ailleurs, et plus dangereusement que partout dans le monde, car menaçant nos propres cités : le poids du péril islamiste, de la pression turque et du passé ottoman.
Aujourd’hui par conséquent, nous pouvons, nous devons établir le bilan de la catastrophe qui s’est produite ces 20 dernières années sur les lieux d’apparition de la première guerre mondiale, lieux de rivalités séculaires et mortifères entre le germanisme et le slavisme, mais également d’intrigues permanentes de Londres, de Paris, de Vienne ou de Venise.
La pseudo fédération, organisée en 1949 par l’aventurier trotskiste Tito sur la base d’un maillage pervers de 6 soi-disant républiques et 2 régions prétendument autonomes, ne pouvait durer.
Elle survécut chaotiquement quelques années à la mort du dictateur. Une certaine doctrine Badinter de 1991 crut pouvoir ériger en sujets de droit international les parts de ce découpage artificiel. Au bout du compte, sont apparues, à ce jour, 7 nouvelles petites entités étatiques dont 2 d'ores et déjà gouvernées par des musulmans.
Rassurerais-je les profiteurs de tous les conflits en rappelant que d’autres pourront leur permettre de vendre des avions ou des kalashnikov ? Restent encore à partager les 3 composantes de la fragile Bosnie-Herzégovine, issue des accords de Dayton de 1996, dont on juge actuellement à La Haye l’un des signataires. Plus tard on pourra d'ailleurs imaginer encore de dépecer les territoires hongrois de la Voïvodine, juridiquement de même statut que l’ancienne région autonome du Kossovo-Metohidja, dont on a proclamé l'indépendance, l’appellation de Kosmet étant oubliée, mais aussi la zone de peuplement turc dite sandjak de Novi-Pazar, et encore la province de Tetovo en Macédoslavie.
Que d’inextricables complications en perspective !
Que de belles occasions pour les souverainistes de notre Hexagone ! Cela leur permettra de ricaner grassement des impuissances bruxelloises et strasbourgeoises, auxquelles ils émargent confortablement eux-mêmes. Et le si péremptoire général Gallois dénoncera jusqu’à son dernier souffle la faute, dans toutes ces affaires, des méchants Allemands, en espérant trouver, enfin, des clients pour le "meilleur avion du monde", Serge Dassault dixit, mais qu’aucune armée du monde n’a encore acheté. Le monsieur te dit : c’est la faute aux Allemands. Peut-être même pourra-t-on soupçonner celle des Luxembourgeois. Va savoir avec tous ces paradis fiscaux.
Faut-il applaudir à ce bilan, le juger comme très positif pour l’idée européenne ? Qu’on me permette de ne pas le considérer tout à fait.
Aujourd’hui précisément après plus de douze années de fonctionnement occulté la fédération croato-musulmane de Bosnie-Herzégovine semble à la veille d’exploser. La joyeuse petite supportrice de la photo fêtait à Mostar, en juin 2008 la victoire, sportive donc pacifique de la Turquie sur la Croatie. Des dizaines de blessés furent quand même hospitalisés à la suite des incidents qui en résultèrent.
Aujourd’hui dans la même région, les musulmans de Bosnie après s’être alliés aux (gentils) catholiques croates pour éliminer les (méchants) Serbes orthodoxes humilient de plus en plus, et marginalisent leurs alliés d'hier.
Le discours islamiste de Bosnie accorde une grande place à un passé plus ancien, celui du paradis ottoman, et se réjouissent à l'idée de son retour. Le nationalisme bosniaque trouve même ses fondements dans une curieuse thèse historique. Il existerait, nous assure-t-on, une continuité entre l’hérésie dualiste des bogomiles du Moyen Âge, celle qui donna naissance au catharisme occitan, et le ralliement au conquérant turc. Par cela, on entend souligner que les descendants de ces Européens devenus musulmans détiendraient, sur la Bosnie, une sorte de droit primordial exclusif de celui des Serbes et des Croates, tournés vers Belgrade et Zagreb. Qu'on puisse les considérer comme des traîtres à l'Europe, eux qui se tournent vers Ankara ou La Mecque, voilà au contraire une pensée impie, unzeitgemässig, intempestive. Étrangement, on cite un certain nombre de dignitaires islamiques qui se sont ralliés à cette théorie, sans peut-être mesurer combien elle devrait résonner faux du point de vue de leur propre religion : citons le chef spirituel des musulmans de Bosnie, le "Reis-ul-Ulema", Mustafa efendi Ceric, mais également le mufti de Mostar Seid efendi Smajkic ou le représentant de l'ancienne "Narodna uzdanica" , disparue en 1945, réapparue sous le nom de "Preporod" , le professeur Munib Maglajlic.
D'autres se tournent plus explicitement encore vers l'avenir radieux par la voix de Dzemaludin Latic appelant à la "révolution culturelle bosniaque et proclamant Sarajevo capitale religieuse et culturelle de tous les musulmans des Balkans et d’Europe :
"la culture ottomane est en train de renaître dans toute sa splendeur et son élan, comme un soleil lors d’un jour nuageux, sur le continent européen. Quand aura-t-on un État puissant et ordonné, notre propre système musulman des médias, notre foyer bosniaque, pour cesser de trembler devant les bottes et les tanks étrangers ?"
Sa réponse et son espoir se fondent sur "la revitalisation de la civilisation islamique et ottomane" et sur la perspective "qu’après l’adhésion de la Turquie et des Balkans à l’Union européenne, un habitant sur trois de cette Union sera musulman."
D'autres enfin se rallient au wahhabisme importé d'Arabie saoudite et financé par elle.
Le 19 mars dernier la protestation des Croates contre cette pression de plus en plus arrogante passait à un nouveau stade par la voix d'un certain nombre de mouvements croates l’association Un gouvernement alternatif et l’ONG Croatia Libertas qui ont choisi Leo Plockinic pour leur porte parole :
"Le sort des Croates est le pire des trois groupes principaux de Bosnie et ils sont soumis à l’assimilation par la majorité musulmane. L’un des problèmes les plus importants en Bosnie est la fusion de la politique bosniaque et de l’islam, qui transforme la Bosnie en État gouverné par la charia.
En Bosnie-Herzégovine et à Sarajevo, l’islamisation est mise en œuvre à pleine vitesse, et cela nuit aux Croates et aux Serbes, ainsi qu’à la demande d’accession du pays à l’Union européenne."
Rappelons qu’en 1913 le régime autrichien en vigueur à Sarajevo organisait les nationalités sur la base des confessions religieuses. Or il ne recensait dans ce pays qu’une petite minorité de confession mahométane, etc.
Faut-il se satisfaire, à près de 15 ans de retard sur l’encyclique Ut unum sint de Jean-Paul II de 1995 des progrès de l’unité chrétienne ?
Ne mélangeons pas tout direz-vous, l’Europe et le christianisme.
Je me demande au contraire si l’Europe n’a pas d’abord à se réconcilier avec sa propre histoire et avec des conflits idéologiques dont la trace remonte à l’apparition de l’Utopie étatiste au XVIe siècle, puis à cette catastrophe qu'on appelle la Guerre de Trente ans, et aux alliances que, pour des raisons de rivalités intérieures à notre propre civilisation certains hommes d’État en position de faiblesse et de trahison sont allés chercher auprès de l’ennemi commun.
Ainsi l’Espagne fut-elle livrée à ses conquérants de 711, qui l’occupèrent huit siècles. Ainsi s’apprête-t-on à faire de même dans le sud est européen plateforme pour la conquête et l'asservissement de nos capitales.
JG Malliarakis
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mercredi, 01 avril 2009
Le mythe de la "respectabilité" turque
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995
Le mythe de la “respectabilité” turque
Faut-il considérer la Turquie comme une alliée de l'Occident ou un danger pour l'Europe? Voilà une question à laquelle les Européens du Sud-Est, ceux qu'on imagine discréditer ou disqualifier en les nommant “Balkaniques”, connaissent la réponse, comme sans doute dans les villes allemandes, ou dans certains faubourgs de Belgique ou d'Alsace, on commence à la découvrir. Mais en Europe, d'une manière générale, on prétend ne pas se préoccuper de ce que sont les populations turques, dont on découvre, pour la circonstance, qu'elles comprennent des Kurdes, et dont on nous apprend, par exemple, que les 1,8 million de Turcs recensés comme vivant, officiellement, en Allemagne, 400.000 seraient des Kurdes. On prétend ne vouloir considérer que la respectabilité d'unb Etat via l'apparence de sa diplomatie.
Or, la première chose que les Européens doivent comprendre, c'est le cynisme incroyable dont font preuve, en toutes circonstances, les diplomates turcs.
Je prendrai un simple exemple qui remonte au 1er mars dernier. Ce jour-là, la Turquie rejetait, par la voix de M. Ferhat Ataman, les accusations selon lesquelles elle violerait l'embargo international imposé à l'Irak par l'ONU, après l'occupation du Koweit par les troupes de Bagdad en août 1990. Embargo que nous considérons comme parfaitement injuste désormais, et même fondamentalement abject. Mais en “allié de l'Occident”, et des émirs, le gouvernement turc, non seulement s'était déclaré du côté de la coalition, mais avait, on s'en souvient, ou on devrait s'en souvenir, demandé la protection de l'OTAN contre la menace que lui faisait courir l'Irak expansionniste de Saddam Hussein...
Le porte-parole de la diplomatie turque jura alors ses grands dieux que «toutes les thèses selon lesquelles la Turquie adopterait une position qui violerait l'embargo sur l'Irak sont erronées. Celles-ci sont inadmissibles pour la Turquie. Elle respecte entièrement l'embargo».
Or il ne s'agissait là que de répondre à une question, apparemment anodine, et sur laquelle, répétons-le, nous sommes particulièrement dépassionnés —sur le commerce frontalier entre la Turquie et l'Irak du Nord. Ce commerce consiste en l'importation par les camionneurs turcs du mazout irakien dans des réservoirs spécialement montés sur leurs véhicules— pour revendre moins cher que le mazout vendu sur le marché turc en échange du transport vers le Nord de l'Irak de produits alimentaires.
M. Ataman répondait par conséquent que «le commerce des camions turcs en direction de l'Irak du Nord est destiné à satisfaire les beoins du peuple de la région menacé de famine. Ils importent du pétrole en petites quantités mais cela ne signifie aucunement la violation de l'embargo». Et il ajoutait, sans sourciller, cette réflexion dont on appréciera le réalisme que «les camionneurs turcs doivent avoir un bénéfice pour se rendre en Irak du Nord». Voilà sur de petits faits comment la Turquie conçoit son rôle de défenseur de la démocratie et de la légalité internationale au Proche-Orient, rôle que depuis des dizaines d'années les dirigeants de l'Occident prennent très au sérieux. Aucune autre pays dans le monde ne pourrait se permettre la même désinvolture vis-à-vis de ses propres contrebandiers. Est-il besoin de dire qu'au-delà de ce petit dossier, le petit cynisme et le petit mensonge de la Turquie devient d'autant plus grand que ses interlocuteurs sont lâches ou volontairement myopes.
Chaque fois qu'un attentat endeuille un pays occidental les téléscripteurs des agences de presse crépitent des communiqués de condoléances de la présidence de l'Etat turc et des ambassades turques. Ainsi lors de l'attentat du RER à Paris cette semaine... Ainsi lors de l'attentat d'Oklahoma City, bien entendu aucun mauvais esprit ne vient trouver cette diligence suspecte et personne ne parle jamais de “piste turque”... Au contraire l'image de respectabilité de ce pays en est largement propagée... Or cette image et cette respectabilité sont totalement factices. Mais il s'agit d'habituer les Européens à l'idée que la Turquie fait partie de la famille et ceci, notamment, en perspective du grand affrontement qui se dessinera en Asie centrale dans le XXIième siècle, autour notamment des pays musulmans de l'ex-Union Soviétique, pays dont on voudrait, à Washington, faire des satellites directs de la Turquie —en imaginant que, de la sorte, ils seraient des satellites indirects des grandes compagnies américaines, de Coca-Cola, de CNN et de la General Motors. Tout cela coûtera très cher en déconvenues comme les paris insencés de la France vont bientôt hélas coûter très cher à son industrie, à son complexe militaro-industriel, ceci pour ne rien dire de son honneur — ou de ce qui en tient lieu sous les auspices de M. Juppé.
Jean-Gilles Malliarakis.
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mercredi, 18 mars 2009
L'implication des Etats-Unis en Europe de l'Est à travers les conflits yougoslave et kosovar
L’implication des Etats-Unis en Europe de l’Est à travers les conflits yougoslave et kosovar
Durant l’été 98, suite à des accrochages avec la police serbe et des actions de représailles de celle-ci, l’UçK lance des opérations militaires dans la province. Ces opérations vont déboucher sur un état de guerre, des campagnes de purification ethnique (celles-ci furent menées par la Serbie, aujourd’hui elles sont menées par les albanais du Kosovo) et les frappes aériennes de l’OTAN.
Le premier interlocuteur envoyé auprès des autorités serbes n’est pas formellement de l’ONU mais est le « groupe de contact » représenté par les délégués américains Richard Holbrooke et Christopher Hill. Le groupe qui tente de s’imposer dans un premier temps pour une médiation va par la suite (malgré des divergences avec la Russie) joindre son action diplomatique aux pressions et actions militaires de l’Alliance Atlantique. Dans le mois de juin 98, alors que Richard Holbrooke rencontrait des officiers de l’UçK au Kosovo à l’initiative du premier ministre albanais, Bill Clinton pris une décision qui allait avoir une influence sur la suite des évènements. William Cohen son ministre de la Défense avait demandé aux experts et au comité militaire de l’OTAN de préparer une intervention militaire, ce à quoi Clinton donna son soutien et son autorisation.
A ce stade du conflit, deux acteurs majeurs émergent, les Etats-Unis et l’OTAN, l’ONU a pour sa part une implication qui paraît bien plus superficielle. Le poids des Etats-Unis se renforce : d’un côté par ses médiateurs envoyés à Belgrade formant l’essentiel de l’action diplomatique, de l’autre par des contacts entre le Pentagone, la CIA et l’UçK. Les tractations menées par le premier ministre albanais Fatos Nano avec son allié américain semblent être assez fructueuses, les Etats-Unis commencent à prendre en compte l’UçK comme acteur à part entière. L’organisation kosovare jouira d’un soutien mais limité dans un premier temps.
La cause de la limitation de ce soutien vient de divergences dans le gouvernement américain. Madeleine Albright (secrétaire d’Etat) et William Cohen ne s’entendent pas sur les buts de l’OTAN, l’utilité de frappes aériennes ou encore le rôle à donner à l’UçK. Ces débats internes ne doivent pas masquer un fait essentiel : même si l’action militaire de l’OTAN était discutée, elle l’était seulement sur ses modalités et n’était aucunement remise en question. L’OTAN dans ses préparatifs et évaluations a recours à des informations prises sur le terrain par l’UçK elle-même. Les informations sur les positions ou mouvements de troupes serbes étaient transmises par des téléphones cellulaires fournis aux officiers kosovars par l’Alliance Atlantique.
La stratégie adoptée vise à terme la marginalisation de l’ONU. Les Etats-Unis ne peuvent passer par l’ONU et son Conseil de Sécurité qui risqueraient de freiner voire stopper son action. Le veto russe est envisagé et la France a déclaré qu’une intervention de l’OTAN ne devrait se faire que dans le cadre d’un mandat du Conseil de Sécurité L’offensive serbe reprit durant l’été 98, l’ONU avait peu de prise sur la situation aussi bien que sur les négociations. Le groupe de contact sert d’émissaire officiel auprès de Milošević et jouit du total soutien de l’OTAN dans ses négociations. Cela signifie plus nettement que l’accord provisoire et ceux qui suivraient s’accompagneraient de pressions militaires s’ils devaient s’imposer par la force. Durant le mois de janvier 99, une réunion se tint à Bruxelles au siège de l’Alliance Atlantique et portait encore sur les conditions d’exercice de l’OTAN, les Etats-Unis plaidant l’autonomie et la France défendant une implication majeure de l’ONU et du Conseil de Sécurité.
Parallèlement aux réunions, le 30, Robin Cook (le ministre britannique des Affaires Etrangères), se rendait auprès de Milošević et des leaders albanais du Kosovo afin de leur remettre une convocation pour venir négocier à Rambouillet la semaine suivante.
Les négociations se tenaient du 6 au 23 février puis du 15 au 20 mars à Paris sans qu’on aboutisse à un quelconque résultat. La délégation albanaise accepta la constitution d’une force multinationale sous commandement de l’OTAN. Parallèlement le 23 février le rôle primordial de l’OTAN était réaffirmé par Madeleine Albright et suscitait la désapprobation de la Russie. L’accord était placé sous la menace de sanctions militaires si une des parties ne signait pas. Le refus serbe de signer et la signature tactique des délégués kosovars amenait l’OTAN à intervenir par le biais de frappes aériennes le 24 mars et ce, pour plus de deux mois.
Le retrait des troupes serbes et la « fin » du conflit s’amorcent durant le mois de juin 99. Le Conseil de Sécurité de l’ONU adopte le 10 juin la résolution 1244. Comme le rappelle Evette Guendon, cette résolution 1244 « …a officialisé la mission de la présence de sécurité internationale fournie par la KFOR et celle de la présence civile internationale provisoire ou MINUK… ».
Pour la MINUK qui est l’administration civile des Nations Unies envoyée dans la province il est tout à fait normal que son action soit légitimée par une résolution du Conseil de Sécurité. En revanche pour la KFOR cette situation est un peu plus particulière. Etant un contingent multinational sous commandement de l’OTAN et du siège de l’Alliance Atlantique à Bruxelles (donc aucun lien avec l’ONU), l’organisation atlantique est fortement intégrée et influencée par le gouvernement américain et son administration dans les prises de décisions stratégiques. La résolution revient à légitimer dans ce cas une action unilatérale qui dès le début a tendu à marginaliser le système des Nations Unies et contourner le Conseil de Sécurité pourtant seul acteur légitime.
Le 12 juin 1999, la KFOR rentrait au Kosovo et le 21 juin, l’UçK s’engageait par un accord (signé au quartier général de la KFOR à Priština) à déposer les armes et changer de statut. L’OTAN s’était imposé de manière décisive dans le conflit par le groupe de contact au début, par l’action diplomatique américaine menée à l’ONU ou auprès de certains Etats (soutien britannique, alliances, déploiements de troupes en Grèce, Albanie) et n’avait pas hésité à user de la force.
Durant les attaques aériennes de l’OTAN sur différents objectifs en Serbie (usines de Pančevo, sites industriels, officiels ou symboliques de Belgrade) et au Kosovo (sur les troupes serbes ou les frappes sur des colonnes de réfugiés qualifiées de « dommages collatéraux ») Brzezinski exposait au journal Le Monde du 17 avril 1999 l’enjeu du conflit et la stratégie employée: « Le fait est que l’enjeu dépasse infiniment désormais, le simple sort du Kosovo. Il n’est pas excessif d’affirmer que l’échec de l’OTAN signifierait tout à la fois la fin de la crédibilité de l’Alliance et l’amoindrissement du leadership mondial américain. »
Aussi bien en Bosnie qu’au Kosovo, l’OTAN fut à la tête de chaque intervention soit en parallèle avec l’ONU soit de manière très autonome. Cette coopération militaire transatlantique semble être de plus en plus préjudiciable à la crédibilité de l’ONU et aux gouvernements européens, à leurs intérêts et à leur capacité de gérer des crises. Le général Jean Cot souligne que l’action militaire menée par l’OTAN avait donné au début l’illusion d’une coopération entre les Etats-Unis et leurs alliés européens mais ce sentiment changea suite à des déconvenues. Un rapport du ministre français de la Défense se plaignait du fait que les américains définissaient souvent des cibles de manière unilatérale sans en informer leurs alliés européens. Cet exemple est révélateur et illustre le problème qui est posé à l’Europe, notamment en matière de défense : elle semble être privée de toute initiative au profit d’un Etat tiers (les Etats-Unis) ou d’une coalition dirigée par ce même Etat et ses intérêts dans la résolution d’un conflit ne sont pas pris en compte alors qu’il s’agit de la stabilité, de l’avenir et de l’unité de notre continent européen.
L’émergence d’un véritable organisme de défense européenne ne peut qu’être freinée par cet état de fait. Les 23 et 24 avril 1999, le Conseil de l’Atlantique du Nord réaffirmait les buts de l’OTAN et les liens entre Etats-Unis et Europe dans la Déclaration de Washington. Ceci n’est pas fait pour aller dans le sens d’un véritable système européen de défense indépendant, donc apte à gérer les crises survenant en Europe sans que les intérêts d’une puissance tierce n’interfèrent. L’hostilité américaine au concept de défense européenne est assez marquée au point que Richard Holbrooke ne réduise les conflits européens et leur résolution qu’à la volonté des Etats-Unis : « Que nous le voulions ou non, nous sommes une puissance européenne. L’histoire de ce siècle nous démontre que lorsque nous nous désengageons, l’Europe verse dans une instabilité qui nous oblige à y retourner ».
Du point de vue de la politique extérieure (et d’actions militaires qui peuvent parfois y être liées) de l’Union Européenne, la présence d’une entité a là aussi des conséquences néfastes. Le dossier irakien en est le meilleur exemple et illustre la division de l’Europe qui n’a pas pu adopter de vraie position sur le sujet. Les trois pays baltes, la Pologne (le plus gros contributeur de ce groupe de pays membres de l’OTAN), la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie ont envoyé des troupes en Irak. Comme l’analyse Jacques Rupnik dans Le Point du 16 janvier 2004 le lien entre la « nouvelle Europe » et les Etats-Unis a été permis par «… la peur d’un couple franco-allemand trop puissant. » Le concept d’Europe indépendante, jouant le rôle de contrepoids aux Etats-Unis et menée par le tandem franco-allemand n’intéresse pas l’Europe de l’Est bien au contraire. Les pays d’Europe de l’Est craignent que leurs voix et leurs intérêts soient mineurs dans un tel système (on peut repenser à la réaction peu diplomatique de Jacques Chirac concernant ces pays suite à leurs choix pro-américains).
L’identité de l’Europe est remise en cause tout comme sa stabilité dans un contexte international qui a changé. Depuis la Guerre Froide, les relations entre les Etats-Unis et l’Union Européenne ont muté au point que Jacques Rupnik affirme de manière révélatrice : « Pour la première fois depuis la guerre, l’administration américaine ne considère plus son soutien à l’intégration européenne comme une priorité. Au contraire, elle érige la division européenne en vertu de la relation transatlantique ».
Sur ce sujet on pourra notamment se référer aux ouvrages suivants :
* Bianchini, Stefano (1996). La question yougoslave. Firenze : Giunti/ Casterman.
* Brzezinski, Zbigniew (1997). Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde. Paris : Hachette/Pluriel.
* Laurent, Eric (1999). Guerre du Kosovo. Le dossier secret. Paris : Plon.
* Volkoff, Vladimir (1999). Désinformation- flagrant délit. Monaco : Editions du Rocher.
* Sous la direction de Chiclet, Christophe(1999). Kosovo- n°30 de Confluences Méditerranée. Paris : L’Harmattan.
* Sous la direction du Général Gallois, Pierre-Marie (2002). Guerres dans les Balkans. La nouvelle Europe germano-américaine. Paris : Ellipses.
* Gubert, Romain et Bran, Mirel (16 janvier 2004).Europe de l’Est, l’OPA américaine et entrevue avec Jacques Rupnik. Le Point n°1635.
Rodion Raskolnikov
00:40 Publié dans Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, etats-unis, otan, yougoslavie, serbie, kosovo, balkans, géopolitique, stratégie | | del.icio.us | | Digg | Facebook