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samedi, 20 mars 2021

Comment interpréter le concept de liberté utilisé par Freedom House?

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Comment interpréter le concept de liberté utilisé par Freedom House?

Leonid Savin

https://rebelion.org/

Traduction par Juan Gabriel Caro Rivera

Bien que Freedom House (FH) prétende être une organisation non gouvernementale, 70 à 80% de son budget total provient du gouvernement américain. Par conséquent, une grande partie du travail effectué par cette ONG est le reflet des politiques américaines. Récemment, FH a publié son dernier rapport annuel dans lequel il analyse l'état des libertés civiles dans le monde (1). Le rapport se fonde sur le concept occidental de ‘’liberté négative’’, qui conçoit la liberté comme l'absence d'obligations et de restrictions dictées par les relations sociales.

Les pays sont divisés en trois catégories: les libres, les ‘’partiellement libres’’ et les non libres. D'ici 2020, la FH prévoit qu'il y aura 82 pays libres, 59 pays partiellement libres et 54 pays non libres.

Pour avoir une idée de l'approche utilisée par Freedom House pour classer les différents États, il suffit de noter que des pays comme la Russie, la Turquie, le Kazakhstan, la Chine et le Vietnam sont considérés comme non libres, tandis que l'Ukraine, le Royaume du Maroc, le Pakistan et l'Inde sont classés comme partiellement libres ; les vaches sacrées de la démocratie sont les pays d'Europe occidentale et les États-Unis.

L'Estonie est le pays qui s'en approche le plus, avec un total de 94 points, ce qui est étrange, car cette démocratie balte est connue pour le fait qu'elle considère que la population russe ne fait pas partie de la citoyenneté estonienne, ce qui porte atteinte aux droits de l'homme pour des raisons ethniques, mais l'Estonie est considérée comme un pays libre par les employés de Freedom House. La même discrimination existe en Lettonie, mais ce pays reçoit un total de 89 points.

Le rapport note que le niveau des libertés démocratiques a sensiblement diminué au cours de l'année écoulée dans un total de 45 pays (2). La FH fait référence à plusieurs pays, notamment la Biélorussie.

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Aux États-Unis, le niveau de liberté individuelle s'est dégradé, ce qui a fait tomber ce pays loin derrière la Lettonie et l'Estonie (le score en matière de libertés civiles aux États-Unis est passé de 94 à 83 au cours de l'année écoulée), mais c'est la faute à Donald Trump.

Le rapport note également que l'épidémie de coronavirus a eu un impact négatif sur la promotion de la liberté, cela est clair en ce qui concerne des pays comme la Hongrie, la Pologne, l'Algérie, l'Égypte, l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Inde, la Chine, le Canada, l'Argentine, le Brésil, le Venezuela, la Colombie, l'Iran, la Thaïlande et les Philippines. ...

Le système de classement est plutôt biaisé. Par exemple, le rapport est caractérisé par des jugements tels que ceux-ci : "Les ennemis de la liberté défendent l'idée fausse que la démocratie est entrée dans un processus de déclin parce qu'elle est incapable de répondre aux besoins du peuple. En fait, la démocratie est en déclin pour une autre raison : parce que ses représentants les plus éminents ne font rien pour la défendre. Les démocraties doivent de toute urgence commencer à se montrer solidaires les unes des autres afin de conserver leur leadership mondial. Les gouvernements qui défendent la démocratie, y compris la nouvelle administration à Washington, doivent se réunir le plus rapidement possible..."

Que signifie "ne pas faire assez pour défendre la démocratie"? Bombarder la Yougoslavie, envahir l'Irak et l'Afghanistan, détruire l'État libyen, tenter de renverser le président de la Syrie, promouvoir un coup d'État en Ukraine? Soutenir une dictature brutale au Bahreïn afin d'assurer la présence de la cinquième flotte de la marine américaine?

À peu près au même moment où le rapport de Freedom House a été publié, le directeur du renseignement national des États-Unis a rendu public un rapport spécial sur l'implication du gouvernement saoudien dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. Le meurtre s'est produit en octobre 2018 au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul. Le rapport indique que le prince héritier Mohammed bin Salman a donné le feu vert à une opération visant à capturer et à tuer ce journaliste saoudien, mais les États-Unis n'ont imposé aucune sanction contre l'Arabie saoudite ou contre le prince héritier (Washington s'est limité à imposer quelques sanctions contre l'ancien chef des services de renseignement saoudiens Ahmad al-Asiri).

Il n'est pas non plus important que les employés de Freedom House écrivent sur l'état des libertés civiles dans les pays non libres (comme l'Arabie saoudite), puisque ces pays sont, dans l'ensemble, des vassaux des États-Unis. Les vassaux sont autorisés à faire certaines choses que les autres ne peuvent pas faire, et ces choses doivent inclure la suppression des libertés civiles, comme cela se passe actuellement en Ukraine avec l'approbation du gouvernement américain (3).

Notes :

  1. (1) https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2021/democracy-under-siege
  2. (2) https://freedomhouse.org/explore-the-map?type=fiw&year=2021
  3. (3) https://www.fondsk.ru/news/2021/03/01/ozhestochennaja-borba-so-svobodoj-...

Source : https://www.fondsk.ru/news/2021/03/07/o-nesvobodnoj-rossii-i-otnositelno...

vendredi, 19 mars 2021

Sur le projet OTAN 2030

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Sur le projet OTAN 2030

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Dans une lettre ouverte à Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, plusieurs haut gradés de l'Armée regroupés au sein du Cercle de Réflexion Interarmées s'élèvent contre le projet OTAN 2030 qui affaiblit selon eux la souveraineté de la France. Nous la reproduisons ici. Il va sans dire que nous sommes pleinement d'accord avec cette lettre.

TRIBUNE LIBRE

Le jeudi 18 février 2021 l'étude "OTAN 2030", produite à votre demande, vous a été présentée. Elle indique ce que doivent être les missions de l'OTAN pour les dix prochaines années. D'entrée, il apparaît que toute l'orientation de l'OTAN repose sur le paradigme d'une double menace, l'une russe, présentée comme à l'œuvre aujourd'hui, l'autre chinoise, potentielle et à venir. Deux lignes de force majeures se dégagent de cette étude.

La première, c'est l'embrigadement des Européens contre une entreprise de domination planétaire de la Chine, en échange de la protection américaine de l'Europe contre la menace russe qui pèserait sur elle.

La deuxième, c'est le contournement de la règle du consensus, de plusieurs manières: opérations en coalitions de volontaires; mise en oeuvre des décisions ne requérant plus de consensus; et surtout la délégation d'autorité au SACEUR (Commandant Suprême des Forces Allièes en Europe, officier général américain) au motif de l'efficacité et de l'accélération de la prise de décision.

Mais la lecture de ce projet «OTAN 2030» fait clairement ressortir un monument de paisible mauvaise foi, de tranquille désinformation et d'instrumentalisation de cette "menace Russe", «menace» patiemment créée puis entretenue, de façon à «mettre au pas» les alliés européens derrière les États-Unis, en vue de la lutte qui s'annonce avec la Chine pour l'hégémonie mondiale.

C'est pourquoi, Monsieur le Secrétaire général, avant toute autre considération sur l'avenir tel qu'il est proposé dans le projet OTAN 2030, il est important de faire le point sur les causes et la réalité de cette menace russe, par les quelques rappels historiques ci-dessous.

En effet, l'histoire ne commence pas en 2014, et c'est faire preuve d'une inébranlable mauvaise foi historique concernant les relations euro et américano-russes, que de passer en une seule phrase (au tout début du paragraphe "Russie") directement du "partenariat constructif" lancé par l'Otan au début des années 90 à l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, comme s'il ne s'était rien passé entre 1991 et 2014, entre « la gentille Russie » de l'époque, et le méchant «Ours russe» d'aujourd'hui.

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C'est bien l'OTAN qui, dès les années 1990, s'est lancée à marche forcée dans son élargissement vers l'est, certes à la demande des pays concernés, mais malgré les assurances données à la Russie en 1991 lors de la signature du traité de Moscou (2), et qui d'année en année a rapproché ses armées des frontières de la Russie, profitant de la décomposition de l'ex URSS.

C'est bien l'OTAN qui , sans aucun mandat de l'ONU, a bombardé la Serbie (3) pendant 78 jours, avec plus de 58 000 sorties aériennes, et ceci sur la base d'une vaste opération de manipulation et d'intoxication de certains services secrets de membres importants de l'Alliance, (le prétendu plan serbe « Potkova » et l'affaire de Racak ), initiant ainsi, contre toute légitimité internationale, la création d'un Kosovo indépendant en arrachant une partie de son territoire à un état souverain, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, humiliant ainsi la Russie à travers son allié serbe.

Ce principe serait-il à géométrie variable, lorsqu'il s'agit de la Crimée composée à plus de 90% de Russes, et rejoignant la Russie sans un coup de feu?

C'est bien l'OTAN qui en 2008, forte de sa dynamique «conquête de l'est», refusa la main tendue par la Russie pour un nouveau « Pacte de sécurité européen » qui visait à régler les conflits non résolus à l'est de l'Europe (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud), en échange d'une certaine neutralité de la Géorgie, de l'Ukraine, de la Moldavie - c'est à dire de l'immédiat « hinterland » russe - vis-à-vis de l'OTAN.

Et c'est toujours avec ce même esprit conquérant, perçu comme un réel étranglement par la Russie, qu'il a été choisi, en 2010, d'encourager les graves troubles de l'« Euromaïdan », véritable coup d'état qui a abouti à l'élimination du président ukrainien légalement élu,  jugé trop pro-russe, en vue de continuer la politique de rapprochement de l'Ukraine avec l'OTAN.

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On connaît la suite, avec les sécessions de la Crimée et du Donbass.

C'est bien l'OTAN qui au début des années 2000, après avoir associé la Russie à une défense anti-missiles de théâtre censée « protéger les États-Unis et ses alliés, dont la Russie » , d'une attaque de missiles tirés par des «États voyous» , notamment l'Iran et la Corée du Nord (sic), transforma de facto en 2010 lors du sommet de Lisbonne, ce système en une architecture globale de défense antimissile balistique en Europe (BMDE), non plus de théâtre, mais en un véritable bouclier tourné cette fois-ci contre la Russie et non pas la protégeant.

C'est encore l'OTAN qui donna l'assurance à la Russie que les sites de lancement des missiles antimissiles balistiques (ABM) ainsi déployés devant sa porte ne pourraient jamais être retournés en sites offensifs contre son territoire tout proche, « oubliant de préciser » qu'en réalité ces lanceurs (MK 41) de missiles ABM pouvaient tout aussi bien servir à tirer des missiles offensifs Tomahawk contre son territoire (nucléaires ou conventionnels de portées supérieures à 2000 km selon les versions) en contradiction flagrante avec le traité INF toujours en vigueur à l'époque de leur déploiement; on dépassait là, et de loin la question de savoir si le 9M729 russe portait à 480 km ou à 520 !

La menace potentielle ainsi exercée sur la capacité de frappe en second de la Russie, base de sa dissuasion nucléaire, a sérieusement remis en cause l'équilibre stratégique américano-russe , poussant alors la Russie à suspendre toute coopération au sein du COR (Conseil OTAN-Russie) fin 2013, donc dès avant l'affaire de la Crimée de 2014,  laquelle sera ensuite utilisée par l'OTAN pour justifier – a posteriori – la protection BMDE de l'Europe face à la nouvelle « menace russe » !

Alors oui, Monsieur le Secrétaire général, au terme de ces vingt années d'efforts soutenus de la part de l'OTAN pour recréer « l'ennemi russe», indispensable à la survie d'une organisation théoriquement purement défensive, oui, la Russie a fini par se raidir, et par chercher à l'Est la coopération que l'Ouest lui refusait.

L'entreprise de séparation de la Russie d'avec l'Europe, patiemment menée au fil des années, par vos prédécesseurs et par vous-même sous l'autorité constante des États-Unis, est aujourd'hui en bonne voie, puisque la Russie, enfin redevenue « la menace russe » , justifie les exercices les plus provocateurs comme Defender 2020 reporté à 2021, de plus en plus proches de ses frontières, de même que les nouveaux concepts d'emploi mini-nucléaires les plus fous sur le théâtre européen sous l'autorité de...l'allié américain qui seul en possède la clef.

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Mais non, Monsieur le Secrétaire général, aujourd'hui, et malgré tous vos efforts, la Russie avec son budget militaire de 70 Md€ (à peine le double de celui de la France), ne constitue pas une menace pour l'OTAN avec ses 1000 Md€ , dont 250 pour l'ensemble des pays européens de l'Alliance! Mais là n'est pas votre souci car ce qui est visé désormais à travers ce nouveau concept OTAN 2030, est un projet beaucoup plus vaste: à savoir impliquer l'Alliance atlantique dans la lutte pour l'hégémonie mondiale qui s'annonce entre la Chine et les États-Unis.

La vraie menace, elle réelle, est celle du terrorisme. L'étude y consacre bien un développement, mais sans jamais se départir du mot « terrorisme », ni en caractériser les sources, les ressorts, les fondements idéologiques et politiques.

Autrement dit, on n'aurait comme menace, en l'occurrence, qu'un mode d'action, puisque telle est la nature du « terrorisme ». On élude donc une réalité dérangeante, celle de l'islamisme radical et de son messianisme qui n'a rien à envier à celui du communisme d'antan. Le problème est que ce même messianisme est alimenté par l'immense chaos généré par les initiatives américaines post Guerre Froide , et qu'il est même porté au plan idéologique tant par la Turquie d'Erdogan, membre de l'Otan, que par l'Arabie Saoudite, allié indéfectible des États-Unis.

Comme on pouvait s'y attendre, il apparaît dès les premières lignes que ce document n'augure rien de bon pour l'indépendance stratégique de l'Europe, son but étant clairement de reprendre en mains les alliés européens qui auraient seulement pu imaginer avoir une once d'un début d'éveil à une autonomie européenne.

Ce n'est pas tout, car non seulement vous projetez de transformer l'OTAN, initialement alliance défensive bâtie pour protéger l'Europe face à un ennemi qui n'existe plus, en une alliance offensive contre un ennemi qui n'existe pas pour l'Europe, (même si nous ne sommes pas dupes des ambitions territoriales de la Chine, de l'impact de sa puissance économique et du caractère totalitaire de son régime) , mais ce rapport va plus loin, carrément vers une organisation à vocation politique mondiale, ayant barre sur toute autre organisation internationale.

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Ainsi, selon ce rapport:

-  L'OTAN devrait instaurer une pratique de concertation entre Alliés avant les réunions d'autres organisations internationales (ONU, G20, etc..) , ce qui signifie en clair « venir prendre les instructions la veille» pour les imposer le lendemain massivement en plénière !

- L'OTAN doit avoir une forte dimension politique, qui soit à la mesure de son adaptation militaire. L'Organisation devrait envisager de renforcer les pouvoirs délégués au secrétaire général, pour que celui-ci puisse prendre des décisions concrètes concernant le personnel et certaines questions budgétaires.

- L'OTAN devrait créer, au sein des structures existantes de l'Alliance, un mécanisme plus structuré pour la formation de coalitions. L'objectif serait que les Alliés puissent placer de nouvelles opérations sous la bannière OTAN même si tous ne souhaitaient pas participer à une éventuelle mission.

- L'OTAN devrait réfléchir à l'opportunité de faire en sorte que le blocage d'un dossier par un unique pays ne soit possible qu'au niveau ministériel.

- L'OTAN devrait approfondir les consultations et la coopération avec les partenaires de l'Indo-Pacifique : l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée,

- L'OTAN devrait commencer de réfléchir en interne, à la possibilité d'établir un partenariat avec l'Inde.

Monsieur le Secrétaire général,

C'est parce que cette organisation lorsqu'elle a perdu son ennemi, n'a eu de cesse que de se lancer à corps perdu dans la justification politique de la préservation de son outil militaire, en se reforgeant son nouvel ennemi russe, qu'elle tend aujourd'hui à devenir un danger pour l'Europe.

Car, non contente d'avoir fait manquer à l'Europe l'occasion d'une véritable paix durable souhaitée par tous, y compris par la Russie, l'OTAN animée du seul souci de sa survie, et de sa justification par son extension, n'a fait que provoquer un vaste réarmement de part et d'autre des frontières de la Russie , de la Baltique à la Mer Noire, mettant en danger la paix dans cette Europe, qu'elle ne considère plus désormais que comme son futur champ de bataille,

Et maintenant, à travers ce document OTAN 2030, et contre la logique la plus élémentaire qui veut que ce soit la mission qui justifie l'outil et non l'inverse - les Romains ne disaient-ils pas déjà « Cedant arma togae » ? - vous voudriez, pour l'avenir, justifier l'outil militaire de cette alliance en le transformant en un instrument politique, incontournable, de gestion de vastes coalitions internationales, au profit d'une véritable gouvernance planétaire, allant même jusqu'à passer outre les décisions de l'ONU et écrasant les souverainetés nationales!

Alors non, Monsieur le Secrétaire général! Il faut stopper ce train fou, avant qu'il ne soit trop tard! La France, quant à elle, dans le droit fil des principes énoncés voici plus d'un demi-siècle par le général de Gaulle, ne saurait, sans faillir gravement, se prêter à cette entreprise d'une acceptation aventureuse de la tutelle américaine sur l'Europe.

Pour le Cercle de Réflexion Interarmées (4), le Général de Brigade aérienne (2S) Grégoire Diamantidis

Notes.

1- Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, structure militaire de l'Alliance Atlantique.

2- Traité de Moscou: ou « traité deux plus quatre », signé le 12 septembre 1990 à Moscou, entre les représentants des deux Allemagnes et ceux des quatre puissances alliées de la Seconde Guerre Mondiale, est le «traité portant règlement définitif concernant l'Allemagne» qui a ouvert la voie à la réunification allemande et fixé le statut international de l'Allemagne unie.

3-Opération «Force Alliée» . Cette opération, décidée par l'OTAN, après l'échec des négociations entre les indépendantistes kosovars et la Serbie sous l'égide de l'OSCE (Conférence de Rambouillet 6 février-19 mars 1999) , fut déclenchée sans mandat de l'ONU, le 24 mars sur la base d'une vaste campagne dans les médias occidentaux, concernant un plan d'épuration ethnique (plan Potkova) mené à grande échelle au Kosovo par la Serbie. Plan qui se révéla par la suite, avoir été fabriqué de toute pièce par les services secrets bulgares et allemands .

4- Le Cercle de Réflexion Interarmées (CRI), est un organisme indépendant des instances gouvernementales et de la hiérarchie militaire. Il regroupe des officiers généraux et supérieurs des trois armées ayant quitté le service et quelques civils et a pour objectif de mobiliser les énergies, afin de mieux se faire entendre des décideurs politiques, de l'opinion publique et contribuer ainsi à replacer l'Armée au cœur de la Nation dont elle est l'émanation.

Source https://www.capital.fr/economie-politique/otan-2030...

jeudi, 18 mars 2021

Peut-on interpréter le retour au pouvoir des "élites" comme une incohérence du populisme?

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Peut-on interpréter le retour au pouvoir des "élites" comme une incohérence du populisme?

Entretien avec le Prof. Marco Tarchi

Propos recueillis par Filippo Romeo

Source : https://www.ariannaeditrice.it

Le terme "populisme" est l'un des plus récurrents dans le débat politique actuel. Il est fréquemment utilisé comme un élément de discrimination à l'encontre de telle ou telle force politique, présente sur l’échiquier politique. Pour libérer le terrain des interprétations trompeuses, nous reproposons une interview donnée par le professeur Marco Tarchi en novembre 2017 (et publiée sur le portail vita.it), réactualisée en ce mois de mars 2021 à la lumière du nouveau cadre politique installé en Italie depuis quelques semaines. Édité par Filippo Romeo.

Entretien de 2017

Comme vous êtes l'un des plus grands spécialistes du phénomène populiste, pourriez-vous nous donner une définition appropriée du terme "populisme" ?

La définition que j'en ai donnée dans mon livre Italia populista est la suivante : "la mentalité qui identifie le peuple comme une totalité organique artificiellement divisée par des forces hostiles, lui attribue des qualités éthiques naturelles, oppose son réalisme, son travail et son intégrité à l'hypocrisie, à l'inefficacité et à la corruption des oligarchies politiques, économiques, sociales et culturelles et revendique sa primauté comme source de légitimation du pouvoir, au-dessus de toute forme de représentation et de médiation". Presque trois ans plus tard (ndt : après la parution du livre), je la trouve plus appropriée que jamais.

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Quelles sont les conditions idéales qui permettent à ce phénomène de s'enraciner et de se développer?

Des situations de crise et de méfiance généralisée envers la classe politique, qui peuvent être déterminées par les facteurs que j'ai indiqués dans la définition que je viens de mentionner. En ce sens, le populisme n'est pas, comme on le prétend souvent, un facteur d'usure des systèmes politiques démocratiques, mais un produit de leurs insuffisances.

Quels sont les objectifs politiques poursuivis par ses promoteurs ?

Dans l'abstrait - ou, si l'on préfère, à long ou très long terme - la restauration de cette unité et de cette harmonie du corps populaire qui est à la base de leur imagination. Concrètement, et à moins long terme, la conquête du pouvoir, du gouvernement, en espérant qu'il soit le seul à ne pas avoir à subir de conditionnements et d'entraves, pour mettre en œuvre les réformes qu'ils jugent essentielles pour atteindre les objectifs ultimes. Habituellement, parmi les premières mesures espérées, figure le lancement de procédures de démocratie directe qui remplaceront progressivement les institutions fondées sur le principe de la représentation indirecte, qui, aux yeux des populistes, n'est rien d'autre qu'un mécanisme visant à exproprier le peuple des prérogatives d'autogestion auxquelles il a droit. Évidemment, ces projets sont complétés par d'autres dans divers domaines, toujours orientés vers l'objectif principal.

Le populisme peut-il être incarné par les membres des institutions ? Si oui, pouvez-vous donner quelques exemples ?

Si nous nous référons aux institutions représentatives traditionnelles, il est certainement possible que ceux qui en font partie ou qui les dirigent utilisent le jargon et la rhétorique du populisme ; mais il s'agit généralement d'utilisations instrumentales, qui ne se rapportent pas à la mentalité que j'ai mentionnée. De nos jours, pas mal de politiciens professionnels, représentants de ce que les populistes appellent l'establishment, réalisant l'emprise que certains arguments typiquement populistes ont sur des secteurs importants de l'opinion publique, les empruntent pour affronter ces adversaires sur leur propre terrain. Cela explique pourquoi Renzi, par exemple, a souvent recours à des attaques verbales virulentes contre des sujets que les populistes mettent au pilori : les "bureaucrates de Bruxelles", "l'Europe des banques et de la finance", etc.

Dans votre livre "L'Italie populiste", vous définissez notre pays, l’Italie, comme un laboratoire du populisme. Pouvez-vous nous donner les raisons de cette évaluation ?

Il me semble que l'histoire politique de l'Italie républicaine démontre abondamment que les formes les plus diverses de populisme ont été expérimentées sur notre sol : le qualunquisme, le laurisme, certains aspects du radicalisme panéliste, le légaïsme, le dipyethrisme, le réseau d'Orlando, le berlusconisme, les Girotondi, jusqu'aux formes de prédication propres à Beppe Grillo ; et la liste pourrait continuer. Dans mon livre, j'ai essayé de mettre en évidence toutes les caractéristiques, communes et spécifiques, de ces phénomènes, qui autorisent à parler d'un véritable laboratoire. Mais avant moi, l'historien latino-américain Loris Zanatta, à qui nous devons la création de l'expression, l'avait remarqué. L'historien et politologue français Guy Hermet est allé plus loin en parlant de l'Italie, pour les mêmes raisons, comme du "paradis des populistes".

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Loris Zanatta et deux de ses ouvrages sur le populisme en Argentine.

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Est-il correct d'interpréter les récents événements politiques en Europe et aux États-Unis comme une vague populiste ?

Oui, à condition de ne pas mettre dans un même sac tous ces mouvements qualifiables de « populistes » et de savoir distinguer la spécificité de chacun des phénomènes qui l'ont caractérisée: dans le Brexit, dans l'élection de Trump et dans les succès des partis de Marine Le Pen, Geert Wilders et Hans-Christian Strache, il y a des éléments communs mais aussi des différences que l’on ne peut nullement considérer comme secondaires.

Les mouvements et partis de "droite radicale" qui progressent dans diverses régions d'Europe peuvent-ils être inclus dans la catégorie du populisme ?

Cela dépend. Je me méfie de l'étiquette très utilisée qui entend désigner les "partis de la droite radicale populiste", car, comme je l'ai démontré de manière argumentée dans le livre que vous avez cité, la droite radicale ou l'extrême droite - et là aussi on se heurte au caractère glissant des classifications, sur lesquelles, dans le domaine scientifique, il n'y a pas de consensus, loin s'en faut - se distingue du populisme sur un grand nombre d'aspects. Après tout, dans une sphère, on peut parler d'une véritable idéologie, tandis que dans la seconde, on est confronté à une mentalité caractéristique : ce sont des entités différentes. Cela explique pourquoi ils attribuent des significations différentes à des concepts fondamentaux, tels que le peuple, la nation, l'État, la société, l'individu, le dirigeant, l'élite, la démocratie, le marché - et les utilisent par conséquent de manière parfois opposée. Cela ne nous empêche pas d'enregistrer certaines contiguïtés ou chevauchements dans leurs positions ou campagnes, ou l'identification de cibles polémiques communes. Mais, pour donner un exemple, il y a une nette différence, en Allemagne, entre l'AfD (Alternative für Deutschland), populiste, et la Npd (Nationaldemokratische Partei Deutschlands), d'extrême droite, ou en Italie entre Lega Nord et Forza Nuova.

Quels sont les partis ou mouvements en Italie que l'on pourrait définir comme populistes? Et pour quelles caractéristiques?

Les caractéristiques, évidemment, doivent être celles qui figurent dans la définition dont je suis parti. Si nous parlons de populisme pur, aujourd'hui en Italie, je vois deux manifestations: la Ligue du Nord et le discours politique de Grillo, que je sépare de l'action politique du Mouvement 5 étoiles parce que plusieurs fois, sur des questions qui ne sont pas secondaires, les " grillini " ont pris des chemins différents de ceux indiqués par leur " garant " ou leur " mégaphone " (il suffit de penser au problème de l'immigration). Cependant, je n'ai pas une vision monolithique du populisme : étant une mentalité, par nature fluide, on peut le trouver en différents pourcentages dispersés chez différents acteurs du système politique, et il se peut que le M5S finisse par en absorber de telles doses qu'on puisse l'attribuer à cette catégorie, comme le pensent déjà divers autres chercheurs, ou qu'il s'en débarrasse progressivement, en se détachant de l'empreinte du fondateur.

Addendum de 2021

Au cours de la dernière décennie, le phénomène populiste a alterné entre des moments de grand succès et des moments de déclin, parmi lesquels la victoire du Leave en Grande-Bretagne en 2016 ou l'ascension de Trump et sa récente sortie de scène. Quel bilan peut-on tirer de ce phénomène politique ?

Le populisme a toujours eu un schéma cyclique: explosion, succès, déclin, disparition, puis à nouveau explosion. Ce n'est pas un hasard si un spécialiste attentif comme Loris Zanatta l'a comparé à une rivière karstique, qui suit un long parcours souterrain pour ensuite réapparaître à la surface. Cela dépend de sa nature en tant que phénomène de protestation: il recueille des soutiens lorsque les choses vont mal et, s'il existe des leaders et des mouvements efficaces pour l'interpréter, il gagne des positions; lorsque le scénario s'améliore ou que les préoccupations qui l'avaient motivé sont dépassées par d'autres, il perd de la force. Dans les cas que vous avez mentionnés, cela s'est passé comme suit: en Grande-Bretagne, le seul objectif de Farage était de quitter l'Union européenne. Ayant atteint cet objectif, ses partisans se sont tournés vers d'autres questions, que ni l'Ukip ni le Brexit Party n'ont pu aborder efficacement. Trump a été vaincu par la pandémie, face à laquelle il s'est montré peu préparé et peu rationnel ; cela ne l'a pas empêché d'élargir sa base électorale mais l'a rendu incapable d'attirer les électeurs indécis et indépendants. En général, la Covid-19 a vu les populistes indécis sur ce qu'ils devaient faire et fluctuants dans leurs choix. Mais dans tous les pays, cela ne les a pas fait reculer dans la faveur populaire. Il est donc impossible de dresser un bilan net, et il est probable que leur présence persistera, avec des hauts et des bas, pendant longtemps, dans des régimes politiques qui, comme les démocraties occidentales, continuent à lutter pour résoudre des problèmes ayant un impact social grave.

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Comment évoluent les forces qui, aux États-Unis et en Europe, sont devenues les protagonistes du "moment populiste" ces dernières années ?

Une réponse qui comprendrait pleinement leur dynamique est impossible, car une autre caractéristique de ces formations est la relation presque exclusive qu'elles entretiennent avec leur contexte national spécifique: chacune ne parle qu'à son propre peuple, sans élaborer de projets et de propositions à une échelle qui dépasse les frontières de l'État dans lequel elle opère. Ainsi, chacun d'entre eux suit une stratégie spécifique et met en œuvre les choix tactiques qui en découlent: il y a ceux qui radicalisent les tonalités anti-establishment et ceux qui les atténuent, ceux qui envisagent une opposition rigide aux gouvernements sociaux-démocrates ou libéraux et ceux qui cherchent plutôt à obtenir une place dans les coalitions gouvernementales de même signe. Cela dépend des opportunités qui se présentent, mais aussi de ce que l'on appelle en sciences politiques la variable idiosyncratique, c'est-à-dire le caractère, la psychologie, les ambitions de leurs dirigeants. Il n'y a donc pas d'évolution commune ; les chemins peuvent être très différents.

Peut-on interpréter le retour au pouvoir des "élites" comme une incohérence du populisme?

Tout d'abord, c'est un signe de la force de ces mêmes élites - ou oligarchies, comme les populistes préfèrent les appeler -, qui continuent à détenir des ressources considérables de pouvoir, à commencer par leur poids financier, qui, à une époque où la politique est si fortement conditionnée par la logique économique qu'elle lui apparaît presque toujours subordonnée, compte de manière décisive. Ces élites ont également, et exercent, un grand pouvoir dans la sphère culturelle, et par ce biais, elles influencent massivement la mentalité générale des populations, les attirant vers leurs propres choix et solutions. Et puis, bien sûr, il y a les insuffisances de ces partis populistes qui, ayant réussi à exercer (plus souvent en commun qu'en propre) des fonctions gouvernementales, n'ont pas tenu une partie plus ou moins grande des promesses qu'ils avaient faites. Et cela tient aux faibles ressources en termes d'expertise technique que possèdent les populistes, à leur habitude de traiter les questions complexes de manière simpliste : un défaut auquel ils n'ont pas pu remédier jusqu'à présent et qui les met en difficulté face à "ceux d'en haut".

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L'expérience populiste italienne, avec l’ex-alliance M5S/Lega, en fin de partie, conduit à la formation de ce que beaucoup appellent déjà le "Gouvernement des élites". Quelles conclusions peut-on en tirer?

Cette institutionnalisation est le grand ennemi des mouvements populistes (à supposer que le M5S puisse réellement être considéré comme tel): elle risque de les transformer en partis comme les autres et leur enlève toute envie de remettre en cause l'establishment.

Extraits les plus significatifs de la dernière revue de presse de Pierre Bérard

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Extraits les plus significatifs de la dernière revue de presse de Pierre Bérard

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Au sommaire :

Rétablir l’autorité pour restaurer l’unité de la nation; c’est le pari que veut faire l’avocat Thibault de Montbrial, président de Centre de réflexion sur la sécurité intérieure et auteur de Osons l’autorité récemment paru aux éditions de L’Observatoire. Délinquance, radicalisation islamisme, ensauvagement, tous ces signes de délitement sont en expansion rapide et ne trouvent face à eux qu’une réponse pénale insuffisante dont nos gouvernants sont les premiers responsables (anarcho-tyrannie). Il est ici interviewé par Sputnik :

https://www.youtube.com/watch?v=FFeBY4EucHc&t=1074s

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Julien Langella, l’un des fondateurs de Génération Identitaire et présentement porte parole d’Academia Christiana publie un livre-manifeste intitulé Refaire un peuple, pour un populisme radical aux éditions de La nouvelle Librairie. Un excellent ouvrage présenté ici sur le site de Breizh-info :

https://www.breizh-info.com/2021/03/04/160063/refaire-un-...

Rudy Reichstadt et Tristan Mendès-France épinglé par l’OJIM pour leur « Complorama » mis en scène par Franceinfo sur la Russie, la Chine et l’Iran qui ourdiraient un vaste complot géopolitique et antisémite mondial:

https://www.ojim.fr/pour-complorama-un-complot-geopolitiq...

La tyrannie des minorités. Michel Onfray était l’invité de l’émission de Laurent Ruquier samedi 6 mars pour la dénoncer. Mieux que de la dénoncer, il faut évidemment la combattre et pour ce faire voici les recettes suggérées par la fondation Polémia :

https://www.polemia.com/michel-onfray-attaque-la-tyrannie...

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Jean-Paul Brighelli retrace dans un entretien sans concession le délitement accéléré de l’école de la maternelle à l’université et le place dans l’évolution de notre civilisation, qu’il dit à bout de souffle et dans la voie d’une décadence comparable à celle de la Rome antique. Excellente vidéo de Vincent Lapierre :

https://www.youtube.com/watch?v=H8p-7N_DNVk

L’écrivain Pierre Jourde qui anime son blog sur le site de L’Obs se déchaîne à propos  des collaborateurs de l’islamo-gauchisme qui bien sûr n’existe pas, et leur envoie une bonne volée de bois verts, sans mâcher ses mots. Ici commenté par Pascal Tenno :

https://fl24.net/2021/03/08/un-ecrivain-francais-massacre...

Cordicopolis, cité où le coeur a tous les droits à condition qu’il évolue exclusivement dans le camp du « bien ». Olivier Amiel sur le site de Causeur met en cause les Woke (les éveillés) en s’inspirant des réflexions du génial Philippe Muray. Il les désigne comme les principaux coupables de la mise sous tutelle de la jeunesse par les schémas de la cancel culture et les désignent  comme des maître subversif à l’instar de ceux qui embrigadait les jeunes générations dans les Hitlerjugend ou les Komsomol.

https://www.causeur.fr/cancel-culture-empire-du-bien-phil...

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Jean-Marc Jancovici face à Natacha Polony. Pourquoi les médias ne comprennent-ils rien aux questions d’énergie ? Une réflexion pleine de subtilité :

https://www.youtube.com/watch?v=WOd9hVICzBg

Jean-Marc Jancovici. Climat, quelle équation pour la chaine alimentaire? Brève intervention lors d’une conférence organisée par la Coopération agricole :

https://www.youtube.com/watch?v=cyvQWDG8mUo

Les hommes sont trop nombreux sur terre. Didier Barthès, porte-parole de l’association Démographie responsable, tire la sonnette d’alarme. N’est-il pas trop tard pour agir ? Le mode de vie des populations les plus riches est-il un problème ? L’Afrique, souvent pointée du doigt, est elle une bombe à retardement ? En incitant à limiter la natalité, l’invité de « Politique & Eco » milite pour la stabilisation de la population, qui a déjà eu lieu en Europe. Une démarche qui pourra provoquer nombre de croyants et pourtant nécessaire si nous voulons avoir quelques chance de maintenir un planète durable :

https://www.youtube.com/watch?v=bj8cBp4smXQ

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Dans une excellente critique des films de Jean-Pierre Melville (notamment Le Cercle Rouge), Jean-Loup Bonnamy découvre avec talent la nostalgie de la France d’avant qui n’était ni moisie ni rance comme se plaisent à nous la conter des idéologues mal intentionnés mais respirait au contraire la joie de vivre :

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/50-ans-apres-pourquoi...

Régis de Castelnau, avocat pénaliste, invité par Élise Blaise fait une bonne radiographie de la justice à l’époque du système Hollande-Macron:

https://www.youtube.com/watch?v=_gumsDKH8PA

Une évolution qui séduit Rokaya Diallo. On attend avec impatience un acteur noir dans la peau d’Adolf Hitler :

«Castings colorblind» : pourquoi de plus en plus d’acteurs et actrices non-blancs sont choisis pour interpréter des personnages historiques dans des séries - Fdesouche

 

mercredi, 17 mars 2021

Si les populistes ne disparaissent pas, ils sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés"

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Si les populistes ne disparaissent pas, ils sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés"

par Franco Cardini

Source : https://www.lintellettualedissidente.it/

Sur le thème du populisme, nous présentons aujourd’hui un interview du professeur Franco Cardini, historien de renommée internationale. Déjà en 2017, il était intervenu sur le sujet (avec une interview publiée sur vita.it que nous reproduisons ici sous une forme actualisée) "prophétisant" le reflux des mouvements populistes et soulignant les différences avec les mouvements populaires. Aujourd'hui, à la lumière du nouvel ordre politique, social et géopolitique, également déterminé par l'avènement de la pandémie de la Covid-19, Cardini exclut une "résurrection à court terme" du phénomène populiste désormais "englouti par la politique" et, surtout, ne voit pas d'opportunités pour l'Europe subordonnée au dessein hégémonique des États-Unis. Édité par Filippo Romeo en 2017.

Ces derniers temps, nous assistons à une croissance exponentielle du populisme. Pourriez-vous nous aider à cadrer le phénomène d'un point de vue historique en expliquant ce qu'il est, où il est apparu et comment il s'est développé ?

Je crois que l’on a déjà répondu cette question de manière exhaustive : mon ami et collègue Marco Tarchi, avec lequel je suis entièrement d'accord, y a précisément répondu et je reconnais son extraordinaire compétence en la matière.

Quelle a été son évolution en Italie ?

Je ne remonterai pas trop loin, et en particulier je n'aborderai pas la question de savoir si le fascisme était un populisme ou s'il avait un quelconque caractère y afférant. Il va sans dire qu'en Italie les grands mouvements "populaires" (y compris le communisme, qui se présentait comme classiste mais ne l'était pas en réalité) n'étaient pas populistes dans la mesure où du populisme ils n'avaient pas un caractère fondamental: la méfiance et/ou la lassitude et/ou le mépris de la politique. Le fascisme lui-même, qui avait en commun avec le populisme classique (boulangisme, par exemple) le mépris de la politique comme praxis ou comme revendication "démocratique", résolvait ce mépris en termes de hiérarchie et de discipline dans le militantisme ; de même, étant anti-classe et inter-classe, il résolvait cette position en termes corporatifs, s'inspirant de théoriciens très proches de la doctrine sociale de l'Église (Toniolo).

515i91eUP4L._SX333_BO1,204,203,200_.jpgQuant aux mouvements "populistes" actuels, leur parabole a déjà été parcourue au cours des vingt dernières années par la "Lega" et est en train d'être parcourue par le "M5S" : succès initial soudain, dû à la nouveauté, insistance sur quelques thèmes de propagande facilement déclinés avec quelques variables (anti-islamisme, xénophobie, anti-européanisme, "anti-politique", moralisme, etc.), lassitude vis-à-vis de la politique politicienne démocratique habituelle, due à la routine d’une politique professionnelle et incompétente, puis impasse et crise dues à une détérioration rapide – à un vieillissement. L'absence de véritables programmes et surtout d'une authentique tension civique conduit fatalement à un échec cyclique mais peut-être aussi à une résurrection rapide sur des modules récurrents (le berlusconisme et le recyclage des thèmes et sympathies de l'ex-Ligue dans le grillisme en sont la preuve).

En Europe, outre l'avancée du populisme, nous assistons à une croissance exponentielle des partis et mouvements nationalistes. Quelles sont les implications de ces phénomènes ?

Je n'ai aucune estime ni confiance dans les mouvements néo-micro-nationalistes: la seule issue possible pour un mouvement nationaliste sérieux dans un pays européen, dans les décennies entre les années 1950 et aujourd'hui, aurait été de viser, avec des mouvements nationalistes similaires, une identité européenne sérieuse, la construction d'un patriotisme européen et d'une conscience civique européenne. Sur ce sujet, il y avait eu quelques tâtonnements dans les années 1960 (le mouvement de Jean Thiriart, héritier en grande partie du "socialisme européen" de Pierre Drieu La Rochelle). La constellation de groupes et de personnalités du petit monde de la culture - je ne veux pas les appeler "intellectuels" parce que je n'aime pas ce terme - qui, depuis les années 70, a trouvé un catalyseur en Alain de Benoist, aurait pu reprendre ces thèmes: elle a choisi une autre voie, très intéressante cependant. Je n'attends rien du développement et peut-être du succès électoral des groupes néo-micro-nationalistes, sinon une utilisation hystérique et en même temps instrumentale de la xénophobie. Si et quand certains de ces groupes prendront comme objectif principal la nécessité d'une sérieuse reprise en mains de la souveraineté nationale, ce qui implique avant tout la sortie de l'OTAN, alors nous pourrons relancer le débat sur une base plus sérieuse et concrète. Jusque-là, je ne vois que des vœux pieux et une chasse aux sièges.

790x1200.jpgLe populisme peut-il être lu comme la énième désintégration d'une pensée européenne construite sur des cathédrales, des monastères et des universités ?

La pensée "européenne" de la chrétienté occidentale - celle qui est chantée dans un célèbre essai de Novalis - est celle qui s'est exprimée précisément dans les cathédrales, les monastères et les universités. C'est une pensée fondée sur la métaphysique, sur les distinctions hiérarchiques et sur le communautarisme. La modernité, qui est essentiellement l'individualisme et le primat de l'économique et du technologique, l'a détruit. Le monde moderne, celui de l'économie-monde, de "l'échange symétrique" et de l'exploitation généralisée de l'homme par l'homme (c'est ce qu'est la mondialisation) n'est pas né d'un développement harmonieux de ce qui existait auparavant, mais d'une révolution: la Révolution individualiste et matérialiste. Il faudra une autre Révolution pour le détruire. Sur le plan social et anthropologique, le mot grec qui exprime le mieux le caractère de ce type de Révolution est Metanoia.

La définition de "populiste" a été adoptée, par des spécialistes faisant autorité, également par le pontificat du pape Bergoglio. A votre avis, peut-on parler d'un moment populiste dans l'Eglise catholique ?

Mario Jorge Bergoglio a été péroniste dans sa jeunesse : il a donc connu un mouvement aux caractéristiques populistes-charismatiques assez explicites et avancées. Lorsqu'il est entré dans la Compagnie de Jésus, il a certainement gardé intacte cette tension vers la justice qui avait très probablement caractérisé son expérience péroniste, mais il l'a métabolisée, précisément, en termes de Metanoia. Je ne vois aucune trace de populisme dans la pensée de Bergoglio : j'y vois une profonde vocation eschatologique et une vocation prophétique-apocalyptique. Je ne sais pas si Bergoglio est le "dernier pape" prophétisé par Malachie : je sais qu'il est un pape des derniers temps, qui invite à vivre l'Eschata.

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Propos complémentaires de 2021

Dans votre interview de 2017, vous avez prédit de manière prophétique le flux et le reflux des mouvements populistes. Face à la situation socio-politique actuelle, quelle direction le phénomène prendra-t-il ? Et sous quelle forme pourrait-elle ressusciter ?

Il n'y avait pas de prophétie: c'est la tendance, parfaitement observable, des mouvements populistes qui soit échouent en tant que tels, soit sont réabsorbés par la politique (politicienne établie). Max Weber dirait que, puisqu'ils sont à leur manière du côté du "charisme", tôt ou tard, l'"institution" a raison d'eux. D'autre part, comme les révolutionnaires et les extrémistes, les populistes, s'ils ne disparaissent pas, sont condamnés à se transformer en conservateurs ou en progressistes "modérés". Maintenant, à part les boutades de Grillo qui - au moins aujourd'hui - est le premier à ne pas y croire, le gros du M5S prendra la voie des mécontents vaguement de gauche, à part une certaine frange de droite qui reviendra à sa position initiale. Sans aucun doute, le choix de Giorgia Meloni, outre le fait qu'il était obligatoire si elle voulait éviter de faire partie de l’inutile charrette de queue du nouveau gouvernement, était politiquement intelligent : Lorsque la "lune de miel" entre Draghi et la majeure partie de la politique italienne (ne parlons pas de la "vraie" société civile, qui ne se distingue même plus, submergée par les clameurs des médias) sera terminée, c'est-à-dire dans quelques semaines ou quelques mois, l'ancien M5S réapparaîtra fragmenté ou du moins redimensionné, à l'exception des politiciens les plus compétents qui le composent et qui font déjà la queue pour s’engager dans un PD, qui, à son tour, entre également en crise. Une "résurrection populiste" à court terme n'est pas prévisible : la métabolisation du mouvement « pentastellé » (Cinq Etoiles) devenu un semi-parti sera lente.

Peut-on considérer l'institutionnalisation comme un facteur de déclin des mouvements populistes ?

C'est généralement la règle: soit ils réussissent et se transforment en forces politiques, soit ils disparaissent. Le fait est qu'ils ont raison de se méfier de la politique, qui est injuste et malhonnête. C'est pour cette raison qu'elle a toujours raison d'eux: elle les engloutit, aussi parce qu'en général, à leur tête, il y a des gens qui meurent d'envie de faire de la politique, en se transformant d'outsiders en leaders.

La pandémie de la Covid 19 a accéléré certains processus qui ont affecté l'architecture géopolitique, et révélé, s'il en était encore besoin, la limite des modèles actuels d'organisation économique et sociale. À votre avis, à quoi ressemblera la prochaine mondialisation ? Les nouveaux changements pourraient-ils être une opportunité pour l'Europe ?

Franchement, je ne vois pas de changement qui pourrait constituer une opportunité. Draghi a été très explicite: volontairement ou non, il a énoncé un programme et un projet très clairs, parlant d'atlantisme et d'européanisme. Par "atlantisme", Draghi entend la fidélité aux pactes constitutifs de l'OTAN, qui sanctionnent la subordination politique et militaire, et donc diplomatique, de l'Union européenne au dessein néo-hégémonique américain, une caricature du "multilatéralisme" auquel Obama croyait peut-être sérieusement, caractérisée par un retour au programme "classique" du parti démocrate américain: le "gendarme démocratique" américain qui surveille et sanctionne le monde entier, au nom du principe axiomatique selon lequel la paix et la prospérité du monde (c'est-à-dire de 10% de la population mondiale, qui possède et gère 90% des richesses de la planète entière), donc la stabilité du statu quo, coïncident avec les intérêts des États-Unis. Par "européanisme" Draghi entend précisément le statu quo, c'est-à-dire une "Union" économico-financière/technologique qui doit considérer l'OTAN comme son bras militaire (dont la politique est dictée à Washington) et ne jamais rêver d'atteindre l'indépendance et la souveraineté politique en se transformant en une Fédération ou une Confédération souveraine capable de développer une position internationale propre, ce qui serait très utile et louable, soit une position de médiation entre les deux blocs de la nouvelle "guerre froide" qui se prépare entre les États-Unis d'un côté, la Russie et la Chine de l'autre.

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Pour autant que je sache, le lancement d'une véritable Fédération européenne - maintenant que le projet de constitution, lancé il y a des années, a lamentablement échoué sur le faux obstacle du préambule relatif aux "racines chrétiennes" - n'est plus à l'ordre du jour ni à Bruxelles ni à Strasbourg; aucun signe de mouvement politique européiste à l'horizon; la seule personne qui a eu l'intelligence concrète de relancer un discours politique pro-européen unitaire, en écartant explicitement la formule fédéraliste, inadaptée à l'histoire européenne, et en parlant plutôt d'un possible projet confédéré, a été Giorgia Meloni. Il s'agissait d'un appel nouveau et intelligent, lancé une seule fois à ma connaissance et qui n'a été repris par personne. En revanche, Meloni ne peut rien faire: elle est "sous la claque" et le sait très bien. Si, dans quelque compétition électorale future, elle parvenait à dépasser les 15%, aussitôt quelque part exploseraient quelques bombes sous un monument à la Résistance, contre les murs de quelque synagogue, apparaîtraient quelques croix gammées, l'ANPI se mettrait aussitôt en branle, la "question morale antifasciste" renaîtrait et elle serait à nouveau formellement isolée. D'autre part, avec un "Parlement européen" comme celui-ci, expression des parlements des différents pays et marionnette de la volonté des Etats-Unis, on fait peut-être une politique des "fonds de relance", mais on ne va pas aller au-delà de l'euro. C'est la fin du projet européiste inauguré il y a des décennies par De Gasperi, Adenauer et Schuman.

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L’université française contre elle-même

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L’université française contre elle-même

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Le monde universitaire ne supporte pas la contradiction. À peine sa ministresse de tutelle dénonce-t-elle l’emprise de l’islamo-gauchisme dans les facultés qu’une pétition parrainée par la sociologue Dominique Méda et l’économiste Thomas Piketty recueille six cents signatures de chochottes bardées de diplômes et de titres grandiloquents. Ce texte publié dans Le Monde du 20 février dernier dénonce les propos de Frédérique Vidal. Celle-ci provoque par ailleurs une vive controverse au sein même de la Macronie entre son courant progressiste – libertaire et sa faction libérale – autoritaire.

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La ministresse de l’Enseignement supérieur a demandé au CNRS d’enquêter sur l’influence de ce qui s’appelait dans les années 1970 – 1980 l’« islamo-progressisme » et dans les décennies 1990 – 2000 l’« islaméricanisme ». On observe maintenant l’arrivée à maturité d’un croisement surprenant de l’islam politique, de l’idéologie égalitaire et des tares conceptuelles venues d’outre-Atlantique (multiculturalisme, politiquement correct, féminisme, gendérisme, intersectionnalisme, écriture inclusive, études post-coloniales ou décoloniales, etc.). Les pétitionnaires s’élèvent contre ce qu’ils estiment être un inacceptable empiètement de leurs « libertés universitaires ». Véritable Titanic de la recherche française, le CNRS a rendu son travail vingt–quatre heures après sa saisie. Cette rapidité confirme l’inquiétude des soutiens d’une autre pétition elle aussi publiée dans Le Monde du 24 février. Les signataires tels que Pierre-André Taguieff, Jacques Julliard, Pierre Manent ou Gilles Kepel réclamaient que l’enquête diligentée revînt au Haut-Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Le CNRS répond en effet que l’islamo-gauchisme n’est pas une réalité scientifique pertinente. La théorie du genre, l’appropriation culturelle et le privilège blanc sont-ils scientifiquement prouvés ? Le croire serait une preuve manifeste de grande naïveté.

Tout ce cirque médiatique risible prouve le délabrement avancé des universités. Cela fait longtemps déjà que l’enseignement supérieur n’est plus un espace de liberté intellectuelle. Il y a plus de vingt ans, en novembre 2000, une commission Théodule de luxe révoquait de sa fonction de chargé de recherche du CNRS Serge Thion (1942 – 2017). Ce sociologue dissident spécialiste de l’Asie du Sud-Est, proche de Dieudonné et de Kémi Séba, soutenait dans les années 1970 les Khmers rouges. Il contestait ouvertement depuis les années 1980 certains événements marquants du XXe siècle dont les exactions pol-potistes commises au Cambodge.

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Le 15 novembre 2001, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Jack Lang, créait une « Commission sur le racisme et le négationnisme à l’Université Jean-Moulin Lyon – III ». Présidée par Henry Rousso, elle se composait d’Annette Becker, de Philippe Burin, de Florent Brayard et de Pierre-André Taguieff. Les successeurs chiraquiens de Lang, Luc Ferry et François Fillon, encouragèrent son enquête. Elle rendit son rapport final, le 5 octobre 2004, soit trois ans plus tard.

Dans ce document, ses membres reconnaissaient volontiers que « son champ d’investigation touche à la question de la liberté d’expression des universitaires – la “ liberté académique ” qui s’exerce dans le cadre de leur métier, à celle de l’autonomie réelle des universités, au mode d’évaluation des travaux scientifiques ou d’attribution des diplômes, ou encore aux procédures du recrutement (p. 9) ». Il s’agissait en réalité d’évaluer la présence d’une fantasmatique « extrême droite » au sein de Lyon – III. Président de cette université de 1979 à 1987, Jacques Goudet, converti à l’Orthodoxie, était connu pour être un ardent gaulliste, militant à l’UNI et au SAC.

À Lyon – III officiaient des esprits libres : Bruno Gollnisch, Bernard Lugan, Pierre Vial, Jean Haudry, Jean-Paul Allard, Jacques Marlaud, Bernard Notin. L’Institut d’études indo-européennes était particulièrement visée tant ses apports novateurs démontaient la doxa officielle. En page 231 du rapport, ses auteurs se permettent de mettre entre guillemets le mot « civilisation » quand ils l’associent aux Indo-Européens ! Un bien bel exemple de négationniste valorisé. À l’époque, aucune voix autorisée ne s’éleva contre cette honteuse ingérence.

Rongée par les vagues successives de gauchisme et les modes incessantes déferlant des côtes Est et Ouest des États-Unis, l’université hexagonale pâtit de sa massification. Trop d’étudiants s’inscrivent dans des impasses professionnelles. Il serait temps que le baccalauréat devienne un véritable concours d’entrée en première année d’études supérieures. Il serait aussi approprié que les jeunes majeurs que sont les étudiants puissent noter chaque semestre leurs enseignants. L’université devrait enfin s’ouvrir à une plus grande diversité des opinions et des expressions. Ces trois mesures de bon sens redonneraient en une génération un lustre nouveau à des universités aujourd’hui sinistrées.

Georges Feltin-Tracol.

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 205, mise en ligne sur TVLibertés, le 9 mars 2021.

Guerre d’Espagne : un passé qui ne passe pas

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LA NEF n°334 Mars 2021 (version longue et intégrale de l’article paru dans La Nef)

Guerre d’Espagne : un passé qui ne passe pas

par Arnaud Imatz

Longtemps l’Espagne des années 1975-1985 a été considérée comme l’exemple « historique », « unique », presque parfait, de transition pacifique d’un régime autoritaire vers la démocratie libérale. Elle était  le modèle unanimement salué, louangé, par la presse internationale occidentale. Depuis, bien de l’eau est passée sous les ponts. La belle image d’Épinal n’a cessé de se détériorer au fil des ans cédant la place aux silences et réserves, puis aux critiques acerbes de nombreux « observateurs » et « spécialistes » politiques. Certains, parmi les plus sévères, n’hésitent plus à réactiver les vieux stéréotypes de l’increvable Légende noire, vieille de cinq siècles, que l’on croyait pourtant définitivement enterrée depuis la fin du franquisme. Mais qu’elle est donc la part de réalité et de fiction dans ce sombre tableau qui nous est désormais décrit?  

L’Espagne d’aujourd’hui  

L’Espagne apparaît faible, chancelante et impuissante ; elle n’a jamais été autant au bord de l’implosion. Les nationalismes périphériques, les séparatismes, qui la déchirent sont de plus en plus virulents. L’économie du pays souffre de maux graves : manque de compétitivité, détérioration de la productivité, rigidité du marché du travail, taux de chômage le plus élevé de l’UE (en particulier celui des jeunes avec beaucoup de diplômés forcés de s’exiler), coût excessif des sources d’énergie, système financier grevé par l’irrationalité du crédit, déficit public considérable, pléthore de fonctionnaires dans les diverses « autonomies », gaspillage de l’argent public… la liste des problèmes est désespérément longue. Avant la mort du dictateur, Francisco Franco, pendant la première phase du « miracle économique (1959-1975), l’Espagne s’était hissée au 8e rang des puissances économiques mondiales, position qu’elle avait conservée jusqu’à la crise de 2007. Mais elle a par la suite singulièrement décroché pour se retrouver reléguée au 14e rang.  

À cela est venu s’ajouter l’effet désastreux de la pandémie de coronavirus et la gestion déplorable de la crise sanitaire. Le président Sánchez et les porte-paroles du palais de la Moncloa ont d’abord prétendu sans vergogne : « le machisme tue plus que le coronavirus », puis, ils ont affirmé triomphalement : « nous avons mis le virus en déroute ». Mais le bourrage de crâne des propagandes politiciennes ne dure qu’un temps. La dure réalité des faits a fini, comme toujours, par s’imposer. On le sait, le bilan provisoire est parmi les plus calamiteux: un effondrement du PIB (-12%), une destruction de plus de 620 000 emplois, près de 4 millions de chômeurs officiels dont un chômage de plus de 40% chez les jeunes, un secteur hôtelier à l’abandon, au bord de la ruine, un recul du tourisme à un niveau plus bas qu’il y a vingt ans, une récession qui est la plus forte du monde occidental après l’Argentine, enfin, une surmortalité liée à la covid 19 s’élèvant à 60 000 voire 110 000 morts (selon les sources).  

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Le gouvernement Sanchez II.

Cela étant, il convient de préciser tout de suite que la pandémie, événement mondial, grave mais néanmoins conjoncturel, n’a fait qu’aggraver une crise générale préexistante. On ne saurait trop insister sur le rôle d’un facteur structurel, déterminant dans l’involution récente du pays : la défaillance de la classe ou de l’oligarchie politique (droites et gauches de pouvoir confondues) qui n’a jamais été aussi médiocre, corrompue et irresponsable. Le second gouvernement de Pedro Sánchez (2020-), coalition du parti socialiste (PSOE), du Parti communiste (PCE/IU) et de Podemos (un parti « populiste » d’extrême gauche, pro-immigrationniste, dont les leaders se réclament à la fois de Lénine, de Marx et du régime vénézuélien, ce dernier les ayant financés lorsqu’ils étaient dans l’opposition), n’est jamais que l’expression voire l’aboutissement d’un processus de détérioration, de dégénérescence, de vassalisation et de perte presque totale de souveraineté, qui s’est accéléré après le tournant du siècle.  

Bien sûr, le cas espagnol ne saurait être expliqué sans une remise en perspective globale. Toutes les démocraties occidentales sont aujourd’hui exposées aux dangers redoutables que sont la révolution culturelle, le politiquement correct, la nouvelle religion séculière postchrétienne et l’émergence du «totalitarisme light ». Mais pour ne pas excéder notre propos, tenons-nous en ici au rôle et à la part de responsabilité de la classe politique espagnole. On ne saurait vraiment saisir la nature et l’ampleur de cette responsabilité dans le collapsus général, politique, social, économique et moral (mais aussi dans le suicide démographique ; le taux de fécondité étant le plus bas de l’UE : 1,17, voire 1,23 en incluant l’indice de natalité des immigrés), sans évoquer quelques événements clefs de la transition démocratique et du tournant du siècle. Ce rappel permettra de mieux comprendre pourquoi tout ce qui touche à la guerre civile de 1936-1939 est devenu un sujet de division beaucoup plus violent aujourd’hui qu’il y a encore quinze ans, alors que le temps aurait dû contribuer à apaiser les passions.  

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De l’esprit de la transition démocratique au retour de la mentalité de guerre civile  

Un point d’histoire est indiscutable: c’est la droite franquiste (mélange complexe et subtil de carlistes-traditionalistes, monarchistes conservateurs et libéraux, phalangistes, conservateurs-républicains, démocrates-chrétiens, radicaux de droite et technocrates) qui a pris l’initiative d’instaurer la démocratie. Cette transition démocratique n’a pas été une conquête des ennemis de la dictature, elle a été un choix délibéré de la grande majorité de ceux qui avaient été jusque là ses principaux leaders. L’intelligence politique de la gauche (le PSOE de Felipe González et le PCE de Santiago Carrillo), a été de renoncer à ses revendications maximalistes, pour embrasser la voie du réformisme et joindre ainsi ses forces au processus démocratique amorcé par la droite franquiste. Les faits parlent d’eux même : Le décret-loi autorisant les associations politiques fut édicté par Franco en 1974, un an avant sa mort. La loi de réforme politique fut adoptée par les anciennes Cortes « franquistes » le 18 novembre 1976 et ratifiée par référendum populaire le 15 décembre 1976. La loi d’amnistie fut adoptée par les nouvelles Cortes « démocratiques » le 15 octobre 1977. Elle reçut l’appui de la quasi totalité de la classe politique (en particulier celle des leaders du PSOE et du PCE). N’oublions pas la présence dans les Cortes de la première législature de personnalités exilées d’extrême gauche aussi significatives que Santiago Carrillo, Dolores Ibarruri (la Pasionaria) ou Rafael Alberti. Enfin, c’est le Congrès (l’organe constitutionnel) qui a adopté la Constitution actuelle, qui a été ensuite ratifiée par référendum le 6 décembre 1978 (avec 87% de voix pour).  

La Transition démocratique reposait sur une parfaite conscience des échecs du passé et sur la volonté de les dépasser. Il ne s’agissait pas d’oublier et encore moins d’imposer le silence aux historiens ou aux journalistes, mais de les laisser débattre et de refuser que les politiciens s’emparent du sujet pour leurs luttes partisanes. Deux principes animaient cet « esprit de la transition démocratique », aujourd’hui dénoncé, tergiversé et caricaturé par les gauches, le pardon réciproque et la concertation entre gouvernement et opposition. Il était alors inconcevable que des politiciens de droite ou de gauche s’insultent en se traitant de « rouge » ou de « fasciste ».  

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Un premier durcissement dans les polémiques partisanes devait néanmoins se produire lors des législatives de 1993. Mais la vraie rupture se situe trois ans plus tard, en 1996, lorsque le PSOE avec son leader Felipe González (au pouvoir depuis 14 ans mais en difficulté dans les sondages), a volontairement joué la carte de la peur, dénonçant le Parti Populaire (PP), parti néolibéral et conservateur, comme un parti agressif, réactionnaire, menaçant, héritier direct du franquisme et du fascisme. Les Espagnols se souviennent encore d’une fameuse vidéo électorale du PSOE qui représentait le PP en doberman ou pitbull enragé et sanguinaire.  

Pendant toute la décennie 1990, un véritable raz de marée culturel, néo-socialiste et postmarxiste, a submergé le pays. Les nombreux auteurs autoproclamés « progressistes », tous défenseurs du Front populaire de 1936, ont inondé les librairies de livres, occupé les chaires universitaires, monopolisé les grands médias et gagné largement la bataille historiographique. La nation, la famille et la religion  sont redevenues des cibles privilégiées de la propagande semi-officielle. Paradoxalement, cette situation s’est maintenue sous les gouvernements de droite de José Maria Aznar (1996-2004). Obsédé par l’économie, « L’Espagne va bien ! », Aznar s’est désintéressé des questions culturelles ; mieux, il a cherché à donner des gages idéologiques à la gauche. A vrai dire, beaucoup de gens de droite lui donnaient raison lorsqu’il rendait hommage aux Brigades internationales (pourtant composées à 90% de communistes et socialistes marxistes), ou lorsqu’il condamnait le franquisme, voire le soulèvement du 18 juillet 1936 (alors qu’il est le fils d’un phalangiste et qu’il a été lui-même dans sa jeunesse un admirateur déclaré de José Antonio, un militant de la Phalange indépendante et dissidente). La droite « la plus bête du monde » (comme on aime à dire en France), acquiesçait aussi lorsqu’il encensait le ministre et président du Front populaire, Manuel Azaña, un franc-maçon, farouchement anticatholique, l’un des trois principaux responsables du désastre final de la République et du déclenchement de la guerre civile, avec le républicain catholique Niceto Alcalá-Zamora et le socialiste Francisco Largo Caballero, le « Lénine espagnol ». Les leaders du PP, régulièrement et injustement accusés d’être les héritiers du franquisme et du fascisme, croyaient pouvoir désarmer l’adversaire et trouver leur salut dans une continuelle profession de foi antifranquiste. Une erreur crasse, qu’ils finiront par payer vingt ans plus tard, lorsqu’en 2019 le parti populiste Vox surgira sur la scène politique.  

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Mais dans les années 2000, l’imprévisible allait se produire en dehors de la droite politique. Au nom de la liberté d’expression, d’opinion, de débat et de recherche, un groupe d’historiens indépendants, avec à leur tête l’américain Stanley Payne (voir notamment La guerre d’Espagne. L’histoire face à la confusion mémorielle, un livre incompréhensiblement épuisé et non réédité en France depuis des années) et l’ex-communiste Pio Moa (auteur de best-sellers tels Los mitos de la guerra civil, un livre vendu à plus de 300 000 exemplaires, encore inédit en France, qui démontre notamment que le soulèvement socialiste de 1934 a été l’antécédent direct du soulèvement national du 18 juillet), mais aussi toute une pléiade d’universitaires, dont un bon nombre de professeurs d’histoire de l’université CEU San Pablo de Madrid, se sont insurgés contre le monopole culturel de la gauche socialo-marxiste. Quelques années plus tard, d’autres travaux incontournables ont été publiés tels ceux de Roberto Villa García et Manuel Álvarez, sur les fraudes et les violences du Front Populaire lors des élections de février 1936, de César Álcala sur les plus de 400 « Checas » (centres de tortures organisés par les différents partis du Front populaire dans les grandes villes pendant la guerre civile), ou les recherches de Miguel Platon sur le nombre des exécutions et assassinats dans les deux camps (57 000 victimes parmi les nationaux / nacionales et non pas nacionalistas/nationalistes, comme on le dit à tort en France, et 62 000 victimes parmi les front-populistes ou républicains) et sur le nombre des victimes de la répression franquiste de l’après-guerre (22 000 condamnations à mort dont la moitié commuées en peines de prison). Citons également ici l’œuvre de référence, bien que beaucoup plus ancienne, d’Antonio Montero, sur la terrible persécution religieuse (près de 7000 religieux assassinés de 1936 à 1939 ; 1916 martyrs de la foi ayant été béatifiés et 11 canonisés par les papes entre 1987 et 2020, en dépit des pressions des autorités espagnoles).  

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Au lendemain de son accession au pouvoir, en 2004, plutôt que de contribuer à effacer les rancœurs, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, ami déclaré des dictateurs Fidel Castro et Nicolas Maduro, a ravivé considérablement la bataille idéologique et culturelle. Rompant avec le modérantisme du socialiste Felipe González, il a choisi délibérément de rouvrir les blessures du passé et de fomenter l’agitation sociale. En 2006, avec l’aide du député travailliste maltais, Léo Brincat, il a fait adopter par la commission permanente, agissant au nom de l’assemblée du Conseil de l’Europe, une recommandation sur « la nécessité de condamner le franquisme au niveau international ». Dès la fin de la même année, diverses associations « pour la récupération de la mémoire », ont déposé des plaintes auprès du Juge d’instruction de l’Audience nationale, Baltasar Garzón. Elles prétendaient dénoncer un «plan systématique » franquiste « d’élimination physique de l’adversaire » « méritant le qualificatif juridique de génocide et de crime contre l’humanité». Garzón, juge à la sensibilité socialiste, s’est déclaré immédiatement compétent mais il a été désavoué par ses pairs et finalement condamné à dix ans d’ « inhabilitation » professionnelle pour prévarication par le Tribunal suprême.  

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Baltasar Garzon.

La loi de mémoire historique de 2007  

Un an plus tard, en 2007, se voyant dans l’impossibilité de faire taire les nombreuses voix discordantes d’historiens et de journalistes, Zapatero et ses alliés ont choisi, sur l’initiative des communistes d’Izquierda Unida, de recourir à la loi « mémorielle ». La « loi de mémoire historique », adoptée le 26 décembre 2007, se veut et se justifie comme une « défense de la démocratie »,  contre un possible retour du franquisme et des « idéologies de haine ». En réalité, elle est une loi discriminante et sectaire en rien démocratique. Elle reconnaît et amplifie justement les droits en faveur de ceux qui ont pâti des persécutions ou de la violence pendant la guerre civile et la dictature (des normes en ce sens ayant déjà été édictées par des lois de 1977, 1980, 1982 et 1984), mais dans le même temps, elle accrédite une vision manichéenne de l’histoire contrevenant à l’éthique la plus élémentaire.  

L’idée fondamentale de cette loi est que la démocratie espagnole est l’héritage de la Seconde République (1931-1936) et du Front populaire (1936-1939). Selon son raisonnement, la Seconde République (avec le Front populaire), mythe fondateur de la démocratie espagnole, a été un régime presque parfait dans lequel l’ensemble des partis de gauche a eu une action irréprochable. La droite serait en définitive la seule responsable de la destruction de la démocratie et de la guerre civile. Pour couronner le tout, mettre en cause ce mensonge historique ne saurait être qu’une apologie exprès ou déguisée du fascisme.  

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Cette loi effectue un amalgame absurde entre le soulèvement militaire, la guerre civile et le régime de Franco, qui sont autant de faits bien distincts relevant d’interprétations et de jugements différents. Elle exalte les victimes et les assassins, les innocents et les coupables lorsqu’ils sont dans le camp du Front populaire et uniquement parce qu’ils sont de gauche. Elle confond les morts en action de guerre et les victimes de la répression. Elle jette le voile de l’oubli sur les victimes « républicaines » qui sont mortes aux mains de leurs frères ennemis de gauche. Elle encourage tout travail visant à démontrer que Franco a mené délibérément et systématiquement une répression sanglante pendant et après la guerre civile. Enfin, elle reconnait le légitime désir de beaucoup de personnes de pouvoir localiser le corps de leur ancêtre, mais refuse implicitement ce droit à ceux qui étaient dans le camp national sous prétexte qu’ils auraient eu le temps de le faire à l’époque du franquisme.  

Théoriquement, cette loi a pour objet d’honorer et de récupérer la mémoire de tous ceux qui furent victimes d’injustices pour des motifs politiques ou idéologiques pendant et après la guerre civile, mais en réalité, non sans perversité, elle refuse de reconnaître que sous la République et pendant la guerre civile beaucoup de crimes ont été commis au nom du socialisme-marxiste, du communisme et de l’anarchisme et que ces monstruosités peuvent être qualifiées elles aussi de crimes de lèse humanité (il en est ainsi, notamment, des massacres de Paracuellos del Jarama et des « Checas », et des hécatombes lors de la persécution des chrétiens). Dès sa promulgation, la « loi de mémoire historique » a d’ailleurs été systématiquement interprétée en faveur des représentants et sympathisants du seul camp républicain ou front-populiste et de leurs seuls descendants.  

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Le retour au pouvoir de la droite, trois ans après le début de la crise économico-financière de 2008, ne devait guère changer la donne. Le président Mariano Rajoy (2011-2018), ancien conservateur des hypothèques devenu un politicien professionnel roué mais dépourvu de tout charisme, s’est contenté de suivre le précepte bien connu des néolibéraux: ne pas toucher aux réformes culturelles ou sociétales « progressistes » mais défendre d’abord et avant tout les intérêts et les idées économiques et financières des eurocrates et de l’oligarchie mondialiste. Rajoy n’osera ni abroger, ni modifier la loi de mémoire. Un ami, philosophe Argentin à l’humour cinglant, résumait son idéologie par ces mots : « L’important c’est l’économie… et que mon fils parle l’anglais ». Mais encore faut il ajouter que cette attitude à courte vue a été largement partagée par son électorat. Historiquement, les droites espagnoles ont toujours été marquées par la forte empreinte du catholicisme, mais dans une société sécularisée, dans laquelle la hiérarchie de l’Église ne résiste pas mais donne au contraire au quotidien l’exemple du renoncement, de l’abdication et de la soumission, l’électorat de droite se retrouve inévitablement passif, apathique, désemparé, sans protection. Bon gestionnaire en période de calme, mais dépourvu des qualités de l’homme d’État, Rajoy s’est avéré incapable d’affirmer son autorité en pleine tourmente. Ébranlé politiquement par le référendum d’indépendance de la Catalogne (2017), organisé par les séparatistes sans la moindre garantie juridique, il a chuté finalement à l’occasion d’une motion de censure (2018) suite à l’implication du PP dans divers scandales de corruption.  

Vers la nouvelle « loi de mémoire démocratique » de 2021   

Avec l’adoption de la « loi de mémoire historique », la boîte de Pandore a été ouverte. Élu à la présidence, en juin 2018, le socialiste Pedro Sánchez, n’a pas tardé à en faire la démonstration. Pour rester au pouvoir, Sánchez, qui représente la tendance radicale du PSOE opposée aux modérés, a accepté les voix de l’extrême gauche et des indépendantistes alors qu’il avait juré avant les élections ne jamais le faire. Arriviste, allié par opportunisme à Podemos et au PC/IU, il doit donner régulièrement des gages à ses associés les plus radicaux (y compris aux nationalistes-indépendantistes) tout en ménageant Bruxelles et Washington, qui ne manqueraient pas de siffler la fin de la récréation si la ligne rouge venait à être franchie en matière économique.  

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Le premier gouvernement socialiste de Sánchez s’est engagé, dès le 15 février 2019, à procéder au plus vite à l’exhumation de la dépouille du dictateur Francisco Franco enterré quarante-trois ans plus tôt dans le chœur de la basilique du Valle de los Caídos. Le 15 septembre 2020, moins d’un an après avoir réalisé le transfert des cendres, malgré le chaos de la pandémie et le caractère prioritaire de la gestion sanitaire, le second gouvernement de Sánchez, une coalition de socialistes, de communistes et de populistes d’extrême gauche (PSOE-PC/IU-Podemos), a décidé d’adopter, au plus tôt, un nouvel « Avant-projet de loi de mémoire démocratique », qui devrait abroger la « loi de mémoire historique » de 2007. Au nom de la « justice historique » et du combat contre « la haine », contre « le franquisme » et « le fascisme », le gouvernement entend promouvoir la réparation morale des victimes de la guerre civile et du franquisme et « garantir aux citoyens la connaissance de l’histoire démocratique ».  

Cet avant-projet de loi prévoit plus précisément : la création d’un parquet spécial du Tribunal suprême compétent en matière de réparation des victimes ; l’allocation de fonds publics pour l’exhumation des victimes des franquistes enterrées dans des fosses communes et leur identification a partir d’une banque nationale ADN ; l’interdiction de la Fondation Francisco Franco et de  toutes les « institutions qui incitent à la haine » ; l’annulation des jugements prononcés par les tribunaux franquistes ; l’inventaire des biens spoliés et des sanctions économiques pour ceux qui les ont confisqués ; l’indemnisation des victimes de travaux forcés par les entreprises qui ont bénéficié de leur main d’œuvre ; la révocation et l’annulation de toutes les distinctions, décorations et titres nobiliaires concédés jusqu’en 1978 ; l’effacement et le retrait de tous les noms de rue ou d’édifices publics rappelant symboliquement le franquisme ; l’actualisation des programmes scolaires pour tenir compte de la vraie mémoire démocratique et pour expliquer aux élèves « d’où nous venons » afin que « nous ne perdions jamais plus nos libertés » ; l’expulsion des moines bénédictins gardiens  du Valle de los Caidos ; l’exhumation et le déplacement des restes mortels de José Antonio Primo de Rivera ; la désacralisation et la « resignification » de la basilique du Valle de los Caídos qui sera reconvertie en cimetière civil et musée de la guerre civile ; enfin, aux dire de la vice-présidente, Carmen Calvo, il  sera menée une « réflexion » sur l’éventualité de la destruction de l’immense croix surmontant le temple. Pour couronner le tout, des amendes de 200 euros à 150 000 euros sont prévues afin de réprimer toutes les infractions à la loi.  

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Carmen Calvo.

Dans un langage typiquement orwellien, la première vice-présidente Carmen Calvo n’a pas manqué de souligner que ce texte favorisera la « coexistence »  et permettra aux Espagnols de « se retrouver dans la vérité ». La réalité est pourtant tragique : cet avant-projet renouvelle et renforce l’utilisation de la guerre civile comme arme politique. Il discrimine et stigmatise la moitié des espagnols, efface les victimes de la répression front-populiste, refuse l’annulation même symbolique des sentences prononcées par les tribunaux populaires républicains et ignore superbement la responsabilité de la gauche dans certaines des atrocités les plus horribles commises pendant la guerre civile. Seule la vision « progressiste » du passé définie par les autorités en place est démocratique, l’histoire des « autres » devant disparaître comme dans le cas de l’histoire manipulée de l’Union soviétique.  

On ne saurait pourtant « se retrouver dans la vérité », comme le dit Calvo, en écartant d’un trait de plume toute recherche historique rigoureuse. Contrairement à ce que prétend la vice-présidente, le soulèvement militaire de juillet 1936 n’est pas à l’origine de la destruction de la démocratie. C’est au contraire parce que la légalité démocratique a été détruite par le Front populaire que le soulèvement s’est produit. En 1936, personne ne croyait en la démocratie libérale et certainement pas les gauches. Le mythe révolutionnaire partagé par toutes les gauches était celui de la lutte armée. Ni les anarchistes (qui s’étaient révoltés en 1931, 1932 et 1933), ni le parti communiste, un parti stalinien, ne croyaient en la démocratie. La majorité des socialistes avec leur leader le plus significatif, Largo Caballero, le « Lénine espagnol », préconisait la dictature du prolétariat et le rapprochement avec les communistes. Le PSOE était le principal responsable du putsch d’octobre 1934 contre le gouvernement de la République, du radical Alejandro Lerroux.  

Un seul exemple suffit pour illustrer le caractère révolutionnaire du courant alors majoritaire au sein du PSOE. Le 17 février 1934, la revue Renovación, publiait un « décalogue » des Jeunesses socialistes (mouvement dirigé par le secrétaire général Santiago Carrillo, qui devait fusionner avec les Jeunesses communistes, en mars 1936). Dans son point 8, on pouvait lire : « La seule idée que doit avoir aujourd’hui gravée dans la tête le jeune socialiste est que le Socialisme ne peut s’imposer que par la violence, qu’un camarade qui propose le contraire, qui a encore des rêves démocratiques, qu’il soit petit ou grand, ne saurait être qu’un traître, consciemment ou inconsciemment ». On ne saurait être plus clair ! Quant aux gauches républicaines du jacobin Manuel Azaña, elles s’étaient compromises dans le soulèvement socialiste de 1934, et ne pouvaient donc pas davantage être tenues pour démocrates. Ajoutons encore que, dès son arrivée au pouvoir en février 1936, le Front populaire ne cessera d’attaquer la légalité démocratique. Le Front populaire espagnol était extrémiste et révolutionnaire. Le Front populaire français était, en comparaison, modéré et réformiste. Telle est la triste réalité que le gouvernement socialiste espagnol cherche aujourd’hui vainement à cacher derrière un épais rideau de fumée.  

L’avant-projet de loi de « mémoire démocratique » de la coalition socialo-communiste n’est pas seulement antidémocratique ou autoritaire, il est proprement totalitaire. En poursuivant la « rééducation » pour ce qui concerne le passé, il porte gravement atteinte à la liberté d’expression et d’enseignement. Il est anticonstitutionnel, mais de cela bien évidemment ses rédacteurs se soucient comme d’une guigne dans la mesure où à plus long terme ils souhaitent imposer une autre constitution plus « révolutionnaire » et, par la même occasion, se débarrasser de la monarchie.   

Outre ce texte de loi de mémoire démocratique, le gouvernement espagnol de Pedro Sánchez a l’intention de soumettre prochainement au parlement tout un ensemble de projets de lois (sur l’euthanasie, l’interruption de grossesses, l’éducation, le choix en matière de genre, etc.), qui heurte de front les conceptions chrétiennes de la vie. Les autorités espagnoles ne recherchent plus la paix qu’à travers la division, l’agitation, la provocation, le ressentiment et la haine; la justice prend la forme de la rancœur et de la vengeance. L’Espagne semble s’enfoncer inexorablement dans une crise globale d’une ampleur dramatique.  

Arnaud Imatz  

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mardi, 16 mars 2021

L’Europe aux cent drapeaux ou l’élection régionale comme identification territoriale européenne

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L’Europe aux cent drapeaux ou l’élection régionale comme identification territoriale européenne

par Franck BULEUX

L’Europe aux cent drapeaux, de la Bretagne à la Normandie

En préambule, quelques mots sur ce titre et son origine, L’Europe aux cent drapeaux… Il s’agissait de l’Europe rêvée par le militant breton, Yann Fouéré, qui a rendu célèbre cette expression, souvent reprise par le Normand Jean Mabire, lors de la parution d’un essai en 1968. Yann Fouéré s’affirmait alors comme un théoricien de l’idée européenne et surtout comme l’annonciateur du réveil des peuples européens. Dans cet essai, le militant breton réclame l’Europe politique et rappelle que celle-ci a déjà existé au Moyen Âge, définissant alors une véritable et innovante « supranationalité » au profit d’un empire. Appelant de ses vœux la « troisième Europe », libérée des forces, à l’époque américaine et soviétique, il souhaite l’effacement des États-nations au profit des peuples et des régions naturelles, véritable nature de l’Europe. Yann Fouéré nous rappelle que la politique nationale doit être une question d’identité, et que cette identité ne correspond pas nécessairement parfaitement à la division politico-géographique de l’Europe en États-nations, conséquence de traités rédigés par les éphémères vainqueurs de batailles. Par exemple, notre identité culturelle et nationale en tant qu’Anglais est distincte de notre statut de citoyen du Royaume-Uni. Son travail pose ainsi une question centrale, nous y reviendrons peut-être, entre l’état de national et celui de citoyen, débat totalement occulté aujourd’hui puisque ces deux notions ne se distinguent pas, laissant à tout citoyen le droit d’être un membre à part entière de la communauté nationale.

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La région, comme expression identitaire de base

Cent drapeaux c’est un choix que l’on peut contester, que l’on peut espérer : c’est à la fois une institution de base, la région qui s’impose et se démultiplie pour représenter une entité géographique naturelle, l’Europe. Cette conception, ce choix écarte celui, exclusif, de l’État-nation. Ne regardons pas cela avec les yeux de 2019 : l’Europe éternelle n’est pas l’Union européenne, il ne s’agit pas ici de combattre toute forme de nationalisme, il s’agit plutôt de le redéfinir et surtout de comprendre le modèle civilisationnel qu’est l’Europe. Notre déterminisme est, ici, d’abord géographique, nous sommes Normands, Français et Européens. Dans l’ordre que vous voulez.

Introduire notre échange par le concept d’enracinement me semble nécessaire. Or, pour s’enraciner, il est pertinent de réunir trois composantes cumulatives : des individus, un territoire et un lien commun entre les deux précédents éléments, les hommes et la terre.

Une terre, un peuple et un déterminisme

Prenons d’abord l’élément le plus immuable, le plus naturel, c’est-à-dire ce qui est maintenu à travers le temps, sauf catastrophes naturelles, la terre. Sans cet élément, aucune ambition humaine collective ne peut s’exprimer. Cette terre peut représenter une nation le plus souvent considérée comme un État au sens moderne du terme, mais aussi une région. Elle va, quoi qu’il en soit, s’identifier à un groupe d’hommes et de femmes.

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L’homme (et la femme) représente la population, celle qui va s’installer (la période de sédentarisation des peuples) sur la terre, qui va mettre en valeur ce sol, l’incarner. Ainsi, les Scandinaves qui arrivent ici, en Normandie, à la fin du IXe siècle vont incarner la terre du Nord. Le territoire préexistait mais n’était que partie de la Neustrie, son incarnation, et la permanence de celle-ci, date de 911 grâce à Rollon, le père de la Normandie. Il y a ici une fécondation de la terre par un peuple qui va générer, initier une existence concrète, celle du pays des hommes du Nord.

Mais la terre et l’homme ne sont pas suffisants, il manque un lien entre eux, un lien commun. C’est ce lien qui va profondément, dans le temps et dans l’espace, fonder le territoire comme incarnation d’un peuple.

Sans le cumul de ces trois éléments, il n’est pas de réalité d’un territoire. La reconnaissance que l’on peut évoquer comme quatrième élément provient de la puissance, c’est-à-dire des trois éléments précédents, l’incarnation d’un peuple sur une terre marque une volonté de puissance et donc une marque de distinction, de différenciation entre nous et les autres.

Une fois cette symbiose réalisée, il s’agit, subsidiairement, de qualifier, administrativement, le territoire : une région, une nation, une province, un État-nation…

Oublions l’affreux terme romain de province, division territoriale d’un État placée sous l’autorité d’un délégué du pouvoir central, qui vient du latin pro vincere et qui sert d’appellation régionale médiatique à l’ensemble de nos territoires décentralisés. Laissons cette expression aux animatrices de la météorologie et aux commentateurs parisiens pour qui la traversée du périphérique est une aventure qui mène inexorablement vers le XXIe arrondissement qu’est Deauville.

Le pouvoir des mots : de la région à la nation

Les autres mots peuvent sembler concurrents : région, nation, État-nation. Pourquoi État-nation, parce qu’un État peut être constitué de plusieurs nations. Cela peut nous sembler anticonstitutionnel, à nous Français dont notre nation, « une et indivisible » est née de la révolution jacobine. Pourtant le Royaume-Uni, mère de la démocratie parlementaire, est un État qui unit plusieurs nations, l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord. La conception libérale britannique inclut donc, au sein d’un État monarchique constitutionnel, quatre nations qui bénéficient d’autonomie politique importante, notamment par l’existence de gouvernements nationaux représentant des territoires. Plus au sud, les communautés autonomes (en espagnol : comunidades autónomas, abrégé en CC AA) sont le premier niveau de subdivision territoriale du royaume d’Espagne. Au nombre de 17, auxquelles il faut ajouter les villes autonomes de Ceuta et Melilla, en terre marocaine, elles bénéficient toutes d’un régime d’autonomie interne. Toujours au Sud, en 1970, l’Italie est l’un des premiers pays européens à mettre en place un modèle de décentralisation permettant la valorisation et le développement des ressources économiques et culturelles locales ainsi qu’une plus grande démocratisation du pays et une meilleure efficacité administrative. Je pourrais aussi évoquer les Länder allemands.

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En résumé, région et nation ne sont pas forcément distinctes. Selon les États, ce dernier peut être constitué de régions ou de nations. Le problème n’est pas tant l’appellation que la délégation de pouvoirs de l’État central vers l’entité régionale. Le nerf de la guerre est évidemment le budget, il ne peut pas y avoir de politique sans financement, de pouvoir sans moyens de son exercice.

Rappelons : région et nation ne sont pas forcément distinctes. Selon les États, ce dernier peut être constitué de régions ou de nations. Le problème n’est pas tant l’appellation que la délégation de pouvoirs de l’État central vers l’entité régionale. En règle générale, on fait appel au principe dit de subsidiarité.

Les pouvoirs des communautés autonomes s’étendent dans tous les domaines qui ne sont pas expressément assignés à l’État par la Constitution. L’exemple de la Catalogne est intéressant : le droit à l’autonomie gouvernementale est inscrit dans la Constitution espagnole (article 2). Cet article indique que la Constitution « reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles».

En revanche, le droit à l’indépendance est interdit par ce même article qui rapporte que : « La Constitution a pour fondement l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols ». L’organisation d’un référendum en faveur de l’indépendance a été fatale aux dirigeants catalans. L’autonomie a ses limites, celles qui sont définies par l’État central, seul fixateur des règles.

indexgal.jpgLe lien nécessaire entre la terre et la population

Enfin, l’essentiel réside dans le lien qui fonde le pacte entre le territoire et la population, c’est-à-dire ce qui les lie, au-delà des structures qui ne sont que les conséquences des éléments ou des valeurs communs. Entre des hommes et des femmes et une terre, il peut exister un certain nombre d’éléments qualitatifs :

• la langue, c’est un des éléments les plus répandus, l’unité linguistique est un des éléments les plus fondateurs. On parle de pan-ethnisme, doctrine qui vise à réunir sous un même drapeau tous les peuples locuteurs d’une même langue. Chaque ethnie, fondée sur la langue, permettrait d’apporter des solutions aux minorités nationales, notamment à l’Est mais il faut reconnaître qu’un État peut être multi-linguiste et, a contrario, une même langue peut être la langue officielle de plusieurs États, y compris sur des continents différents. Sur ce dernier point, on peut concevoir l’importance des langues européennes à travers le monde. On peut aussi évoquer l’origine indo-européenne des individus qui composent notre continent.

• l’ethnie, au sens racial, est un élément plus controversé, ne serait-ce qu’à cause des mouvements géographiques des peuples. Du moins peut-on considérer qu’à une époque, cette évolution était plus liée à des catastrophes naturelles ou à l’esprit de conquête qu’au rêve allocataire du Sud vers le Nord. On peut toutefois noter que, malgré l’image de lutte progressiste des Basques, l’identité de ce peuple fut d’abord strictement fondée sur le sang. Mais la théorie du sang a ses limites spatiales et temporelles et résiste guère à l’épreuve du temps.

• une conquête territoriale : une volonté d’un peuple de conquête peut représenter la naissance d’un territoire, d’une nation; la conquête pouvant être liée à une « terre promise », comme les États-Unis, nation fédérale composée, elle-aussi, de plusieurs États fédérés.

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Ces considérations, quelles qu’elles soient, demandent aussi un continuum, une espèce de référendum permanent de vie commune. C’est cette permanence, ce continuum qui peut poser question, voire problème dans certaines conceptions étatiques fondées sur des éléments ou des critères peu perceptibles ou peu valorisants. La question de l’identification d’un groupe d’individus à une terre doit se renouveler. Il est possible que le critère ethnique soit assez puissant pour maintenir un lien plurimillénaire, il se peut aussi que des difficultés, celles par exemple du « vivre ensemble », comme l’on dit aujourd’hui, se fasse ressentir, visant ici à contrarier une fragile unité.

Cette possibilité rejoint pour moi la nécessité de l’existence d’une Europe aux cent drapeaux, un France aux aspirations régionales… Car c’est précisément lorsqu’un État, parfois constitué de manière fragile et imparfaite à coup de traités internationaux, se remet en cause que renaît la pensée identitaire régionale, la fameuse question du localisme.

Le respect de la diversité national-étatique a un sens, il s’agit moins ici de séparatisme que de maintien d’une structure étatique (même si l’on peut lui reprocher de nombreuses choses) à travers sa richesse ethnique. L’acceptation de l’autonomisme est souvent le meilleur vaccin contre le séparatisme.

22f06908d9a7b0ed7015cd221436fb40.jpgEt cette diversité représente les cent drapeaux d’une Europe non pas éclatée, mais unie dans l’esprit de sa diversité. L’exemple corse montre aux peuples de France l’exemple au moins institutionnel à suivre. Savez-vous que Jean Mabire a été obligé d’arrêter de donner des libres propos dans National Hebdo, l’ancien journal du Front national (FN) parce qu’il y avait affirmé l’existence du peuple corse, en 1991 ? La difficile affirmation d’une identité française surannée laisse, de facto, liberté aux peuples de France à la libre expression. Les seules minorités ethniques reconnues constitutionnellement sont des communautés ultra-marine, or la terre d’Europe, dont la terre française fait partie, est fertile en peuples, en nations non-étatiques.

L’Île de Beauté a conquis, par les armes et par les urnes dans un esprit politico-militaire, un exécutif territorial; Wallis-et-Futuna a conservé ses trois rois traditionnels; la Polynésie est dirigée par un gouvernement disposant de larges pouvoirs autonomes; quant à la Nouvelle-Calédonie, les référendums vont se succéder pour que l’on tente, grâce ou à cause du gel de l’électorat, d’obtenir, par la voie pacifique dite des urnes, le « oui » à l’indépendance. Pourquoi ces règles admissibles ailleurs mais dans l’espace français, ne pourraient-elles pas être semblables au sein de ce que les médias appellent l’Hexagone ?

Et si l’on admettait la France et l’Europe dans leur ensemble comme des territoires féconds, multiples ?

Bien sûr, ce choix peut être lourd de conséquence.

L’affirmation continentale, vers quelle Europe ?

Le principal problème est celui de l’affirmation continentale face aux nations. On reproche trop souvent aux tenants du régionalisme de vouloir à la fois limiter l’expression nationale et promouvoir la machine européenne, c’est-à-dire l’Union européenne (UE). La notion d’empire peut alors être une alternative, il apparaît évident que trois structures verticales semblent difficiles en matière de coexistence : Europe, nation, région. L’échelon national est parfois contesté, l’exemple de l’Écosse est éclairant à ce sujet. De la même façon, certains élus régionaux préfèrent s’adresser aux institutions européennes qu’aux représentants de leur propre nation, au moins du point de vue de la reconnaissance. La Catalogne a fait appel à l’Union européenne, comme hier certains élus corses.

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L’Esprit européen, titre d’une revue qui hélas a cessé de paraître [NDLR Europe Maxima : revue semestrielle de treize numéros entre 2000 et 2005 animée sous pseudonymes par Jacques Marlaud et Georges Feltin-Tracol, à laquelle Franck Buleux était abonné et dont le site Europe Maxima en est l’héritier], nous appelle d’abord à une certaine transcendance, celle de faire fi des guerres civiles européennes menées sur notre sol et cause de la fin de notre leadership mondial. Le futur débat est politique mais aussi humain. Deux positions sont passionnantes à cet effet :

• L’assimilation de tout type d’immigration, ou plus clairement encore l’assimilation de l’immigration maghrébine ou noire à l’immigration italienne ou polonaise : longtemps et encore aujourd’hui, les tenants de la social-démocratie mondialisée ont tenu ce discours pour contenir l’électoral national-populiste. Cette barrière aurait pu être levée plus rapidement si l’esprit européen avait soufflé plus fortement !

• Autre débat, celui qui consiste à se sentir plus proche d’un Ivoirien que d’un Finlandais, c’est l’approche, par exemple, d’Asselineau et de l’UPR. Pourquoi pas ? Sans doute fonde-il cette appréciation sur l’histoire coloniale ou la langue française qui, de toute façon, est de moins en moins parlée ou comprise, ici comme là-bas.

Ces deux thématiques n’ont pour but que de nous éloigner les uns des autres, soit en tentant d’unir l’ensemble des Français de non-souche, soit en divisant les populations immigrées tout en choisissant la lointaine plutôt que celle avec laquelle nous avons des racines communes.

Hier, les Boches mangeaient les enfants, aujourd’hui les autres Européens ne sont que des immigrés de la génération précédente et annonciatrice du remplacement qui vient. Nos élites sont-elles aussi européennes que l’on veut bien l’entendre ?

Une Europe non-européenne

L’autre danger serait de constituer une Europe dont nous ne voulons pas, celle qui se fonderait selon un modèle purement économique, sans volonté d’empire. Cette Europe, nous l’avons, elle est prête à accueillir le Kosovo, État conçu par les États-Unis de Clinton pour servir de « pourboire » à des musulmans yougoslaves malmenés par leurs voisins, parfois cousins, Serbes ou Croates. L’Europe, gavée au plan Marshall ou l’Europe, adepte du Pacte de Varsovie, ne s’identifie pas à notre continent aux identités charnelles.

Face à ces entreprises de refus d’Europe ou d’Europe matérialiste, il doit exister une autre voie, celle d’une Europe où l’identité serait à la fois multiple et liée, celle où la fierté nationale pourrait se cumuler avec la fierté régionale et l’exigence continentale. Car cela nous est reproché parfois, à nous défenseur de l’idée régionale, d’être trop pro-européen. Le slogan « Small is beautiful » fut repris par les élites lors de la mise en place de l’État-croupion, le Kosovo. Mais les cent drapeaux qui flottent dans nos esprits et dans nos cœurs sont ceux des patries charnelles, celles qui ont créées le continent, terre qui a enchanté le monde.

Le danger mondialiste au cœur de l’identité régionale

Il est aussi de bon ton, lorsque l’on commet un texte, de définir une auto-critique. Le régionalisme peut être, dans certains cas si l’on n’y prend pas garde, un exécrable salmigondis mondialiste. L’exemple nous vient, par exemple mais cet exemple n’est hélas pas exhaustif, de la Catalogne où de nombreux militants et sympathisants s’estiment tellement catalans qu’ils rejettent de manière définitive tout ce qui provient de l’État madrilène. Cette position pousse les régionalistes, enfin certains, à défendre, y compris physiquement, les populations migrantes, de telle façon que l’on pourrait qualifier : non aux Espagnols, oui aux migrants. Cette situation condamnable me semble refléter une différenciation entre les modes de régionalisme, entre les fondements utilisés par les défenseurs des territoires, le nationalisme anti-colonial inspire encore, trop souvent, ces mouvements. Dans mon essai, j’essaie de réaliser une distinction entre l’origine des régionalismes, entre le régionalisme issu d’une envie d’identité et le régionalisme dont l’axe se limite à faire diminuer la fiscalité (Barcelone paie pour Madrid, par exemple). Cette distinction mériterait d’être affinée, mais prenons garde de cette vision identitaire forcément et fermement opposé aux valeurs qui forgent souvent notre communauté de destin. Opposer l’identité nationale, elle-même composée d’identités régionales ou locales, à ces dernières n’est pas la solution idoine.

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Yann Fouéré.

De l’Europe à l’Europe, retour vers Yann Fouéré

C’est en puisant au plus profond de nos racines communes, celles évoquées notamment par Georges Dumézil, que notre continent reprendra sa force et sa vigueur.

Terminons donc ce désir d’Europe par cette phrase du Breton Yann Fouéré, puisque nous avons commencé avec lui :

« L’Europe ne doit pas être stérilisée dans une société purement matérialiste où les chiffres de production seraient le seul critère de progrès. Derrière l’extérieur froid des figures et le monde des économistes, il y a des êtres humains et des citoyens, avec les communautés naturelles auxquelles ils appartiennent. Il y a l’infinie richesse culturelle de l’Europe qui naît de sa diversité. »

Ainsi, ce plaidoyer pour une Europe à la fois diverse et une, où le tout côtoie l’infime, où les peuples se jouent des structures institutionnelles, se termine.

Un clin d’œil en hommage à Guillaume Faye

Il y a trente ans s’effondrait le Mur de Berlin, donnant ainsi un signe d’unité. Il est temps qu’aujourd’hui s’effondre le Mur de l’incompréhension entre Européens, ce mur qui a marqué nos peuples à travers les guerres et les haines. Bien plus solide que le communisme, le mondialisme, véritable système à tuer les peuples est toujours debout.

Franck Buleux.

• Ce texte fut l’objet d’une conférence donnée par l’auteur le 30 novembre 2019.

• D’abord mis en ligne sur Meta Infos, le 24 février 2021.

lundi, 15 mars 2021

Chronique européenne: TransEuropa#2, avec Robert Steuckers - L'Europe encerclée ?

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Chronique européenne: TransEuropa#2, avec Robert Steuckers

L'Europe encerclée ?

Second épisode de notre série TransEuropa, spécialement consacrée à l'Europe. Depuis son bunker belge, le conférencier et essayiste Robert Steuckers (Oncle Bob pour les intimes) abordera différents sujets à propos de notre continent. Histoire, politique, littérature, grands mythes et bien d'autres sujets qui nous l'espérons raviront les auditeurs et leur donneront des clés de compréhension à propos de l'Europe. Aujourd'hui: l'Europe est-elle encerclée ? Bonne écoute et place à oncle Bob ! #géopolitique #international #Europe
 
 
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Extrait musique: © Kraftwerk-Trans Europa Express (1977)
Réalisation: ©Radio Lorraine Enragée 2021

Macron est-il un agent des USA ?

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Macron est-il un agent des USA ?

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
Le titre est volontiers putassier, mea culpa. Néanmoins, je vous enjoint de lire l'article qui suit. C'est une théorie qui, d'après ce que j'ai pu voir en l'ascension fulgurante de Macron, tient la route. Seule une révélation de wikileaks pourrait étayer cette thèse. A voir d'ici les semaines à venir, donc...
 
CETTE QUESTION SERA-T-ELLE AU CENTRE DE LA PROCHAINE REVELATION DE  JULIAN ASSANGE ?

Avertissement : Cette publication est longue. Ne ratez pas sa lecture car elle  vous explique comment Macron a pu arriver, en une dizaine d’années, dans les plus hautes sphères de la République, comment sa stratégie politique d’alliance gauche-droite et son programme économique néolibéral ont été décidés ailleurs qu’en France. Cet article est le fruit de recherches et d’analyses. Il fait référence à des travaux universitaires dont vous trouverez les indications en bas de page . Il est quasiment impossible d’écrire aujourd’hui sur la CIA sans se faire traiter de complotiste. Cela arrange beaucoup de gens et particulièrement ceux qui sont visés. Cet article n’est en aucun cas complotiste ou confusioniste. Tout est vérifiable, point par point, y compris la mise en synergie des éléments.   Bonne lecture.

Propos liminaires

Quand on parle d’ingérence russe dans la campagne électorale française et qu’elle vise particulièrement Emmanuel Macron, on peut faire le postulat (pour les grincheux, ce n’est qu’un postulat!) que les cyber attaques russes sont une réalité. Dès lors, il faut se poser la question de savoir pourquoi la Russie s’intéresse à un personnage qui vient d’arriver sous les projecteurs dans le paysage politique français. Les russes sauraient ils qui est Macron depuis longtemps ? Ont-ils suivi son ascension ?

Le questionnement est renforcé quand au début du mois de février 2017, Julian Assange, le patron de WikiLeaks confie au quotidien russe Izvestia: “ Nous possédons des informations intéressantes concernant l’un des candidats à la présidence française, Emmanuel Macron. Les données proviennent de la correspondance privée de l’ex secrétaire d’État américain, Hillary Clinton”. Et comme si Assange tenait à nous donner des indices, quelques jours plus tard, il nous informe qu’en 2012 la CIA avait demandé à la NSA (centrale d’écoute et de tri du renseignement) de suivre de près la campagne présidentielle française et ses différents protagonistes.

Assange veut il nous faire comprendre que Macron a été ciblé en 2012 par la CIA comme un candidat à promouvoir et à soutenir pour les élections présidentielles de 2017 ?

Peut – être. Dans ce cas on comprend mieux l’inquiétude des russes qui le considèrent alors comme un agent de l’influence américaine en Europe. Mais cette hypothèse est elle plausible ? En cherchant un peu, on trouve, quand même, des éléments troublants dans le parcours de Macron.

Il n’échappe à personne que la campagne de Macron est habitée par deux objectifs: tout faire pour créer un pôle social libéral par une l’alliance droite–gauche et rester dans un schéma de la mondialisation de l’Économie. Comme beaucoup, vous croyez que ces idées sortent de la tête de ce brillant énarque? Eh bien vous vous trompez ! La stratégie de Macron est dans la droite ligne de celle définit par les États Unis et la CIA dans les années 80 s’agissant de ce que doit être la démocratie et l’économie dans le monde.

Des hauts fonctionnaires, des chefs d’entreprise, des banquiers, relais d’influence de la stratégie américaine en France, ont choisi Macron et l’ont façonné pour qu’il entre exactement dans ce schéma. Vous ne le croyez pas ? Ce sont des élucubrations, des supputations, des délires ? Lisez bien ce qui est écrit, c’est surprenant !

L’histoire incroyable de MACRON, le nouveau messie français.

Le contexte

Le National Endowment for Democracy (NED) (en français, Fondation nationale pour la démocratie) est une fondations privée à but non lucratif des Etats Unis, fondée en 1983 conjointement par les républicains et les démocrates (ça ne vous dit rien cette alliance gauche-droite?), bien que son orientation générale soit celle du mouvement néoconservateur. Son objectif déclaré est le renforcement et le progrès des institutions démocratiques à travers le monde. En fait, et vous l’aurez deviné, il s’agit d’un instrument de l’hégémonie américaine. La NED finance de nombreux think tanks dans la monde. Ce sont les chambres de commerce américaines et les multinationales (Chevron, Coca Cola, Goldman Sachs, Google, Microsoft etc.) qui abondent son budget. Et comme une évidence cet organisme a été créé spécialement pour servir de substitut à la CIA, car c’est la centrale qui s’occupait de cette stratégie auparavant.Rassurez vous, elle n’est pas loin. Parmi ses membres on y croise, des élus du Congrès, des patrons de multinationales, des lobbyistes, mais aussi des membres de la CIA.

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L’action de la NED dans le monde va avoir pour effet la promotion de l’alliance droite-gauche dans le domaine de la production des élites « démocratiques ». Après 1989, cette politique s’impose dans les institutions de promotion de la démocratie en Europe. Elle s’inspire de l’idée de créer une classe d’experts de la démocratie et de leaders politiques professionnels (vous avez bien lu ?) qui puissent réaliser la transformation des régimes totalitaires (par un autre… plus soft celui-là ?) et consolider le fonctionnement des nouvelles démocraties (l’Ukraine ?). Évidemment, l’action de la NED ne se limite pas à la transformation des régimes totalitaires, elle incite aussi à lutter contre« les populismes » (tiens, tiens,) et les extrêmes.

La mobilisation de cette organisation contre le « populisme » et les « extrêmes » a eu son illustration à l’occasion du référendum sur la Constitution Européenne.

En effet, en décembre 2005, l’Aspen Institute de Lyon, un think tank néoconservateur américain, a réuni plusieurs think tanks français et européens, de gauche comme de droite, inquiets des « non » français et néerlandais à la Constitution européenne. Ils ont, ensemble, reconnu la nécessité de mettre au point une stratégie commune de communication et d’éducation des cadres pour contrer la vague populiste en Europe.

Vous avez bien lu ? Le « NON » à la constitution européenne serait donc le fait d’une vague populiste !

Vous avez donc compris que les américains sélectionnent, forment et financent des individus afin de promouvoir une alliance « droite-gauche » contre les « populismes » et les extrêmes pour éviter que leurs desseins ne soient remis en cause par des « manants » qui s’attaqueraient au libéralisme et à la mondialisation de l’économie.

Bon. Maintenant que vous avez le contexte, il faut raconter l’histoire immédiate du jeune énarque, que des parrains bien intentionnés ont calibré, jour après jour, en« leader politique professionnel » au service de la cause néoconservatrice américaine.

Macron entre dans la cour des grands

Brillant élève comme chacun le sait désormais (on nous bourre le crâne depuis quelques mois), Macron réussit au concours d’entrée à l’ENA en 2002. Durant sa scolarité, il doit effectuer un stage dans l’appareil de l’État. Il le fait au côté du Préfet de l’Oise. Ce dernier le convie à une réunion ayant pour objet l’établissement d’une zone commerciale.

Le patron concerné par cette réunion n’est autre que le richissime rocardien Henry Hermand qui a fait fortune dans la création de supermarché. Homme de réseaux et d’influence, compagnon de route du PS, il fait rapidement de Macron son fils spirituel. Cette rencontre va être déterminante pour l’avenir de Macron.

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Macron et Henry Hermand.

Un détail qui n’est pas anodin. C’est Hermand qui fait adopter par Macron l’expression « progressiste » (que vous avez entendu répéter ad vomitem durant le début de sa campagne) au détriment des notions de « social libéralisme » ou « social réformisme », dont Macron se réclamait dans les premiers temps. Ce changement sémantique est en fait un alignement de planètes destiné à mettre Macron sur la même orbite que les progressistes américains dont John Podesta, relation de Hermand, est le représentant au travers du Center for American Progress (CAP) le think tank « progressiste » qu’il préside. Rappelons que John Podesta a été conseiller spécial de Barak Obama et qu’en 2016, il a été chargé de la campagne d’Hillary Clinton.

Macron calibré au programme de la NED

  1. Le formation politique : l’alliance gauche-droite de Jean-Pierre Jouyet

En 2004, à la sortie de l’ENA, Macron rejoint l’Inspection des Finances. L’un de ses chefs est Jean-Pierre Jouyet (proche de Sarkozy, de Fillon et de Hollande, rien que ça). Jouyet le prend sous sa protection. Pourquoi? A-t-il déterminé à cet instant que ce sera lui le messie libéral de demain? Il n’y a aucun doute. A l’inspection des finances Jouyet est une sorte de chasseur de tête. Les hommes l’inspirent plus que les idées, dit-on (ça promet). Il mise sur le jeune énarque.

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Jean-Pierre Jouyet.

Jouyet est aussi engagé dans l’Aspen Institut, l’un des plus influents cercles de réflexion “néo-cons” aux Etats Unis. Il présidera, jusqu’en 2013, la section française créée par Raymond Barre. Il en est aujourd’hui le président d’honneur. (Voir en infra, L’Aspen à propos du “non” à la constitution européenne).

Suivant à la lettre les préconisations de la NED s’agissant de la formation de « leaders politiques professionnels », Aspen France propose un cycle de programmes dit « Leaders Politiques d’Avenir ». Inutile de vous dire qui sont les intervenants et les sujets abordés (voir le site Aspen France) c’est édifiant! Laurent WAUQUIEZ , Jérôme GUEDJ, Olivier FERRAND, Cécile DUFLOT, Najat VALLAUD-BELKACEM, Jean Vincent PLACE sont les membres le plus connus des promotions depuis 2006. On n’y trouve pas Macron. Mais lui il était en prise direct avec le président.

Pour être plus concret, Michael Bloomberg,  ancien maire de New York et 8 ème fortune mondiale a rencontré Macron le jeudi 9 mars 2017 à son QG de campagne pour parler économie. Bloomberg au travers de « Bloomberg Philanthropies » travaille depuis de nombreuse années en partenariat avec l’Institut Aspen.

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Michael Bloomberg.

Dans la droite ligne de la stratégie de la NED, lors de l élection présidentielles 2007 Jouyet et d’autres fondent le groupe « les Graques », composé d’anciens patrons et de hauts fonctionnaires qui appellent à une alliance gauche – droite entre Royal et Bayrou . Il y entraine Macron. L’objectif est d’appeler la gauche au réveil libéral européen puis prôner deux pôles, l’un conservateur, l’autre social libéral avec les verts et l’UDF. Partisan de l’économie de marché, ils ont saisi la percée de Bayrou pour construire avec lui le pôle social libéral. Bien évidemment leur stratégie est la prise de pouvoir de la gauche libérale au PS et, dans un second temps, le faire imploser. On y est

2. Le formation économique : la mondialisation de l’économie de  Jacques Attali.

Cette même année, Jouyet va suggérer le nom de Macron à Jacques Attali pour être rapporteur de la Commission pour la libération de la croissance française dite « commission Attali ». Mise en place par Sarkozy, cette commission est le saint des saints de libéralisme européiste. Socialistes et libéraux s’y retrouvent (la plupart sont aujourd’hui des soutiens de Macron).

Quel est l’objectif de Jacques Attali? Défenseur des la constitution et de l’établissement d’un état de droit mondial, condition pour lui de la démocratie et des droits de l’Homme (tu parles!), il pense en postulat que l’économie régulée par une institution de surveillance financière mondiale peut être une solution à la crise. Cette institution financière serait une première étape vers l’instauration d’une gouvernance démocratique mondiale dont l’Union Européenne peut devenir un laboratoire. Tout est dit. Emmanuel Macron a bien compris la leçon puisqu’il propose  dans son programme en 2017 la création d’un ministre de l’Économie européen, d’un parlement économique européen et d’un budget européen.

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Macron et Jacques Attali.

C’est grâce à cette commission que Macron va développer ses réseaux. Il va notamment y rencontrer Serge Weinberg, homme d’affaire proche de Fabius. Weinberg est non seulement banquier, mais il est aussi membre de la “Trilatérale” dont les objectifs ont inspiré Attali.

Cette organisation privée a été créée en 1973 à l’initiative des principaux dirigeants du groupe Bliderberg et du Council Foreign Relations, parmi lesquels David Rockefeller, Henri Kissinger, Zbigniew Brzezinski. Son but est de promouvoir et construire une coopération politique et économique entre l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord et l’Asie du Pacifique (trois zones clés du monde, pôles de la Triade. À l’instar du groupe Bilderberg, il s’agit d’un groupe partisan de la doctrine mondialiste, auquel certains attribuent, au moins en partie, l’orchestration de la mondialisation économique.

En 2008, Jacques Attali et Serge Weinberg présente Macron à François Henrot ami intime de Wienberg. Henrot est le bras droit de David de Rothschild à la banque d’affaires Rothschild.

Macron est recruté, il est maintenant à bonne école. François Henrot, son patron, est membre du conseil d’administration de la French-American Foundation.

5v2GfS2o_400x400.jpgDestinée à favoriser les liens entre la France et les Etats Unis, la French American Fondation est née en 1976, durant ds heures d’antagonisme entre les deux nations. Elle a été baptisée lors d’un dîner aux Etats Unis entre le président Gerald Ford et Valéry Giscard d’Estaing. L’activité de cette fondation est centrée sur le programme Young Leaders dont la mission est de trouver les personnes qui feront l’opinion et qui seront les dirigeants de leurs sociétés respectives. Ils sont né en 1981, avec pour parrain l’influent économiste libéral franco-américain de Princeton, Ezra Suleiman. Le programme financé par des mécènes privés, s’étale sur deux ans, avec un séjour de quatre jours en France, un autre temps équivalent aux Etats Unis, toujours dans des villes différentes, toujours avec des intervenants de très haut niveau. Les Young Leaders français sont (liste non exhaustive): Juppé, Pécresse, Kosciusko Morizet, Wauquiez, Bougrab, Hollande, Moscovici, Montebourg, Marisol Touraine, Najat Vallaut – Belkacem, Aquilino Morelle, Bruno Leroux, Olivier Ferrand, Laurent Joffrin (Nouvel Observateur), Denis Olivennes (Europe 1, Paris Match et du JDD), Matthieu Pigasse, Louis Dreyfus et Erik Izraelewicz (Le Monde).

Coté américain : Bill et Hillary Clinton….Macron sera promu, lui, en 2012.

L’ascension et l’apothéose

Macron est mûr pour être propulsé dans les hautes sphères de la République. En 2012, sous l’impulsion de Jouyet, il devient secrétaire général adjoint de la présidence de la République auprès de François Hollande, puis ministre de l’Économie.

Hermand, Jouyet, Attali, Weinberg, Henrot, ces cinq personnages, chantres des objectifs de la NED et de la Trilatérale, membres de think tanks inféodés à la stratégie américaine ont fait Macron. Il aura fallu un peu plus de dix ans pour le porter à la candidature de la Présidence de la République.

Beau parcours, non?

Le 16 avril 2014 Jean-Pierre Jouyet deviendra Secrétaire Générale de l’Élysée ce qui achèvera la prise de pouvoir de la NED au cœur de la République.

C’est un véritable coup d’État! Soft, certes, mais un coup d’État!

MACRON a-t-il été ciblé par la CIA?

Assange nous a appris qu’en 2012, la CIA a demandé à la NSA de suivre de près la campagne présidentielle française et ses différents protagonistes. WikiLeaks souligne que Macron est cité dans une e-mail d’Hillary Clinton, alors Secrétaire d’État, datant de 2012 où le personnage est décrit avec beaucoup de précision, mentionnant, notamment, qu’il était “un banquier en fusions et acquisitions” chez Rothschild à Paris, diplômé de l’ENA, ayant travaillé à l’Inspection Générale des finances et (pouvant) aussi devenir haut fonctionnaire au ministère de l’Économie”.

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« Pouvant aussi devenir haut fonctionnaire au ministère de l’Economie» est ce que la chose a été bien traduite ? Ne serait ce pas plutôt « pouvant aussi devenir ministre de l’Économie » ?

Pourquoi cette précision ?

Chose troublante, en 2012, Macron avait été pressenti par Hollande pour en faire son Ministre du Budget dans le premier gouvernement, mais il n’avait pas retenu ce choix parce que Macron n’avait pas de mandat électif (étonnant quand on sait qu’il en fera son Ministre de l’Économie deux ans plus tard)…

Comment Hillary Clinton pouvait être au courant de ce choix éventuel?

Au moment de la rédaction du mail, il est écrit que Macron est “banquier en fusions acquisitions chez Rothschild à Paris” C’était donc avant les élections présidentielles et législatives. Macron faisait partie du groupe dit de “La Rotonde” chargé d’alimenter le programme de Hollande, rassemblant des techniciens et les économistes Elie Cohen, Gilbert Cette et Jean Pisani Ferry ceux là même qui ont pondu le programme économique de Macron en 2017. Hollande ne peut pas avoir parlé de ses choix de postes ministériels en public. Car, il est classique d’attendre les résultats des législatives pour  composer le  futur gouvernement.Et au moment de l’envoie de l’e-mail, elles ne pouvaient pas avoir eu lieu.

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Il fallait donc être sacrément au fait de ce qui se passait à haut niveau pour oser ce détail. Qui informe avec autant de précision Hillary Clinton? La CIA via les interceptions  de la NSA ou quelqu’un d’autre?

Mais la question cardinale est de savoir pourquoi ce message porte sur Macron, alors que c’est un quasi inconnu à cette époque? La CIA a-t-elle ciblé Macron ? Car enfin, cet e-mail n’est pas adressé à n’importe qui mais à Hillary Clinton alors Secrétaire d’Etat d’Obama. Pourquoi une personnalité de ce niveau, s’intéresse-t-elle à un soutier du staff de Hollande? 

En 2015, les documents obtenus par WikiLeaks et publiés par Libération et Médiapart révèlent que la NSA a, au moins de 2006 à mai 2012 (pourquoi mai 2012?) espionné Chirac, Sarkozy et Hollande. Ces documents étaient destinés à la CIA. Mais la NSA a affirmé que ces écoutes n’avaient jamais touché les chefs d’État mais leur entourage.

Macron a-t-il était placé sur écoute quand il était secrétaire général adjoint de l’Élysée? Et si oui, les Etats Unis cherchaient ils à conforter leur choix du futur candidat à la Présidence?

Y-a-t-il eu collusion entre les Etats Unis et certains milieux libéraux politico-économiques français quant à la candidature possible de Macron?

A la vue de son parcours, la réponse est oui!

Une  preuve?

L’implosion en cours du PS pour favoriser une alliance droite gauche afin de contrer les « populismes », l’alliance avec Bayrou (après un salto arrière spectaculaire et suspect) et un programme néo libéral, progressiste et européiste soutenu par les milieux politico- financiers. Toute cette stratégie  reposent sur les piliers idéologiques de la NED et de la Trilatérale.

On comprend mieux l’inquiétude des russes qui se retrouvent avec un scénario à l’Ukrainienne dans l’un des deux plus importants pays d’Europe.

Un président français choisi directement par les américains? De Gaulle va se retourner dans sa tombe.

C’est peut-être ce scénario que nous révélera Assange dans les prochaines semaines.

Nota Bene : Ceux qui sont intéressés par cette publication trouveront une nombreuse documentation sur la toile. Mais attention aux sites complotistes ou confusionnistes ! Privilégiez les recherches universitaires!Voici les références des travaux qui ont permis d’écrire cet article :

  • Bulgarie Contre la dérive populiste, des « think tanks de gauche » La Vie des Idées  numéro de mai/juin 2007 La Vie des Idées est rattachée à l’Institut du Monde Contemporain (Collège de France) et dirigée par Pierre Rosanvallon.

  • A propos de la NED, voir Ghilhot Nicolas, « Les professionnels de la démocratie : logiques savantes et logiques militantes dans le nouvel internationalisme américain », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 139, Septembre 2001, pp. 53-65.

  • A propos de  Jacques Attali son livre Demain, qui gouvernera le monde ?, Fayard, 2011.

  • A propos de Jean-Pierre Jouyet article dans Le nouvel Economiste – n°1385 – Du 26 avril au 2 mai 2007 –

  • A propos de tous les protagonistes y compris Macron divers articles de presse recoupés

  • A propos de WikiLeaks , Libération et Médiapart/ 2017

  • A propos de la Trilatérale http://www.monde-diplomatique.fr/2003/11/BOIRAL/10677

 Source: https://networkpointzero.wordpress.com/2017/03/08/macron-cible-par-la-cia/

dimanche, 14 mars 2021

La dorsale des Alpes et le populisme alpin

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La dorsale des Alpes et le populisme alpin

Chorosophie des Alpes

Écrit en 1982, La république du Mont Blanc (réédition Auda Isarn, 2020) s’inscrit à la fois dans les cycles des patries charnelles et de la montagne. Dans ce roman d’anticipation politique, Saint Loup raconte la fuite d’Européens, las d’un monde massifié et métissé, se réfugient au sommet du toit de l’Europe. L’extrême froideur, la vie en haute-altitude et la rareté de l’oxygène déclenchent chez leurs descendants d’incroyables mutations physiologiques.

MtBlancc.pngEn situant cette fiction sur les dernières pentes du Mont Blanc (qui risque bientôt d’être renommé « Mont Arc-en-Ciel »), Saint Loup sait que le nom « Alpes » provient d’une antique racine celtique proche du mot d’origine indo-européenne « albos » qu’on peut traduire aussi bien par « monde blanc », « monde lumineux » et « monde d’en-haut ».

Conséquence récente à l’échelle géologique d’une collusion entre différentes plaques tectoniques, les Alpes s’étend d’Orient en Occident sur huit États actuels (Allemagne, Autriche, France, Monaco, Suisse, Liechtenstein, Italie et Slovénie). Mais la chaîne de montagnes appartient à un ensemble orographique bien plus vaste avec des prolongements montagneux tels que les Alpes dinariques, les Balkans et les Carpates. Très tôt, les géographes ont compris la centralité des Alpes au point de désigner par analogie les chaînes de montagnes en Scandinavie et en Nouvelle-Zélande « Alpes scandinaves » et « Alpes néo-zélandaises ».

Le massif alpin abrite trois bassins hydrographiques majeurs du continent européen. Y prennent en effet naissance le Rhin qui s’écoule du Sud vers le Nord-Ouest et la Mer du Nord, le Danube qui se jette dans la Mer Noire après un parcours d’Ouest en Est, et le Rhône du Nord vers le Sud jusqu’en Méditerranée. Si le Danube fut longtemps l’artère principale des Habsbourg (ne parle-t-on de « double monarchie danubienne » ?), le Rhône matérialise aux premiers âges médiévaux la frontière entre le Royaume de France et le Saint-Empire (Lyon étant ville d’Empire). Quant au Rhin, il structure depuis la fin de l’Empire romain d’Occident les échanges permanents entre la Manche, la Mer du Nord et la Baltique d’une part, et la Méditerranée d’autre part. Au XIIIe siècle, les communes de Champagne accueille de nombreuses foires commerciales à mi-chemin des deux pôles économiques du moment, à savoir la Flandre et l’Italie du Nord.

Aujourd’hui, économistes et géographes mentionnent la persistance d’un espace dynamique urbanisé polarisé par l’axe rhénan et les Alpes qui commence à Londres et se termine en Lombardie. Cette « Dorsale européenne » s’étend au Sud de l’Angleterre, au Bénélux, aux Länder de l’Ouest, à la Suisse, à l’Autriche, et aux régions françaises d’Alsace, du Jura et de Savoie, et à la Haute-Italie.

0000000324L-250x355.jpgLe complexe orographique qui associe les Alpes, les Montagnes dinariques, les Balkans et les Carpates sert en outre de conservatoire ethnique et confessionnel. Les vaudois, les adeptes d’une hérésie médiévale du Lyonnais Pierre Valdo (1140 – 1217) qui annonce la Réforme protestante, s’implantent par exemple dans la vallée alpine de l’Ubaye. On s’exprime toujours en romanche dans le canton suisse des Grisons. Dans le Val d’Aoste de langue française perdure le peuple walser et dans le Trentin – Haut-Adige – Tyrol du Sud germanophone vivent les Ladins. Aux confins des Carpates demeurent encore les Sicules de langue magyare et les Saxons (les lointains enfants des colons allemands du Moyen Âge). Dans les Alpes dinariques et dans les Balkans se rencontrent enfin les Pomaks musulmans, les Valaques (ou Aroumains) ou les Goranci eux-aussi mahométans.

À la fin du XXe siècle, le succès électoral parallèle et quasi-simultané de l’UDC (Union démocratique du Centre) du Suisse Cristoph Blocher, du FPÖ (Parti national-libéral d’Autriche) de Jörg Haider, de la CSU (Union chrétienne-sociale) du Bavarois Edmund Stoiber et de la Ligue du Nord dans la plaine du Pô incitent des politologues à parler d’un « populisme alpin ». La déclinaison française de ce phénomène ne concerne pas le Front national de Jean-Marie Le Pen, mais plutôt l’activisme restreint aux départements de Savoie et de Haute-Savoie de la Ligue savoisienne. En 1998, ce mouvement indépendantiste remporte un siège au conseil régional Rhône-Alpes.

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Le concept médiatique de « populisme alpin » présente la redoutable facilité d’associer sous une acception commune des mouvements fort dissemblables. Cette affirmation politologique douteux met néanmoins en valeur la spécificité des Alpes dans la pensée politique européenne. N’est-ce pas au bord d’un lac montagnard que les représentants de trois cantons se jurent fidélité et assistance mutuelle en 1291, inaugurant ainsi l’actuelle Confédération helvétique ? À l’instar du relief compartimenté de la Grèce qui favorisa l’avènement antique de la polis et de la démocratie, les Alpes contribuent à faire du paysan suisse un citoyen – combattant prêt à mourir pour sa petite patrie. On retrouve ce patriotisme instinctif, civique et charnel lors des réunions des Landsgemeinde (assemblées du pays) dans les cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieures et de Glaris où les citoyens prennent à main levé, l’épée à la ceinture, les principales décisions cantonales.

Colonne vertébrale de l’Europe, les Alpes forment un espace (khoros) essentiel dont la configuration géographique ne peut qu’influencer la sagesse (sophia) collective de ses communautés populaires enracinées. Ce cœur continental symbolique incarne, ô combien !, un socle rocheux fondamental pour le maintien de la civilisation albo-européenne au XXIe siècle.

Les Etats-Unis poursuivent leur croisade contre Nord Stream 2

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Brian Berletic :

Les Etats-Unis poursuivent leur croisade contre Nord Stream 2

https://journal-neo.org/

Malgré le théâtre politique partisan qui se joue à Washington en termes de politique étrangère, pratiquement rien n'a changé avec l'entrée en fonction du nouveau président américain. La rhétorique de la nouvelle administration est à peine différente de celle du prédécesseur.

Qu'il s'agisse des tensions américaines avec la Chine et l'Iran ou de la pression continue exercée sur la Russie, les Etats-Unis poursuivent une politique étrangère singulièrement belliqueuse dans le cadre d'un effort continu pour maintenir un "ordre international" dirigé par les seuls Etats-Unis et pour réaffirmer l'hégémonie américaine partout sur la Terre, surtout là où elle est contestée.

Cela inclut l'Europe occidentale, où les cercles d'intérêts politiques et économiques ont commencé à s'écarter des intérêts américains, voire à les contrecarrer.

Le meilleur exemple en est la participation de l'Allemagne au projet de gazoduc Nord Stream 2 - un effort conjoint entre la Russie et l'Allemagne pour amener le flux d'hydrocarbures directement vers l'Europe occidentale - en contournant les régions potentiellement instables en Europe de l'Est, régions qui sont spécifiquement ciblées par les Etats-Unis pour entraver la coopération russo-européenne.

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Bliken se fait l’écho de Mike Pompeo

Le nouveau secrétaire d'État américain Antony Blinken, lors de son audition première devant le Sénat américain, s'est retrouvé en accord quasi unanime avec les sénateurs américains - républicains ou démocrates - sur la nécessité de maintenir, voire d'étendre, la belligérance américaine dans le monde.

En ce qui concerne Nord Stream 2 en particulier, lorsque le sénateur américain Ted Cruz l'a interrogé sur l'engagement de la nouvelle administration à bloquer le gazoduc russo-allemand, Blinken a répondu :

‘’Le président élu est tout à fait d'accord avec vous pour dire que Nord Stream 2 est une mauvaise idée. Il a été très clair à ce sujet.

Je suis déterminé à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher l'achèvement des cent derniers mètres [du gazoduc]. Je suis tout à fait d'accord’’.

Lorsqu'on lui a demandé si la nouvelle administration allait "résister à la pression allemande" contre tout arrêt du projet, Blinken a répondu :

‘’Je peux vous dire que je sais que [Biden] nous ferait utiliser tous les outils de persuasion dont nous disposons pour convaincre nos amis et partenaires, y compris l'Allemagne, de ne pas aller de l'avant’’.

Selon le site web officiel du sénateur Cruz, Nord Stream 2 est décrit comme suit :

‘’un projet qui, s'il était mené à bien, récompenserait l'expansionnisme agressif et le chantage économique de la Russie, ferait de la sécurité énergétique de nos alliés européens l'otage de la Russie, et porterait atteinte aux intérêts de sécurité nationale de l'Amérique’’.

Pourtant, si tout cela était vrai, pourquoi l'Allemagne accepterait-elle de participer au projet en premier lieu ? Pourquoi l'Allemagne accepterait-elle volontairement de se soumettre au "chantage économique" de la Russie ou de mettre délibérément en danger sa propre "sécurité énergétique" ?

En quoi les États-Unis sont-ils mieux placés que l'Europe elle-même pour évaluer les menaces pesant sur la sécurité énergétique européenne et y répondre ? Et le fait que les États-Unis cherchent à vendre à l'Europe son propre "gaz de la liberté" ne constitue-t-il pas un conflit d'intérêts immense et flagrant ?

Les États-Unis libèrent l'Europe de la liberté de choisir

Comme les États-Unis le font régulièrement, ils créent un écran de fumée rhétorique derrière lequel ils avancent leur programme - souvent un programme qui est en contradiction directe avec leurs arguments rhétoriques - et leur politique de blocage de Nord Stream 2 ne fait pas exception.

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Les États-Unis mettent eux-mêmes en danger la sécurité énergétique européenne en cherchant à couper l’accès des Européens aux hydrocarbures russes bon marché et facilement disponibles et en forçant l'Europe à acheter des hydrocarbures plus chers aux États-Unis - principalement dérivés du processus politiquement et écologiquement controversé de la fracturation. Comme le processus d'extraction et de transport des hydrocarbures des États-Unis vers l'Europe par ce procédé est plus élaboré, il est également plus cher que les hydrocarbures russes.

Ainsi, la "sécurité énergétique" offerte à l'Europe par les États-Unis comme alternative au flux bien établi des hydrocarbures russes se heurte à une opposition politique, environnementale et même économique.

C'est la menace de sanctions et de pressions de la part des États-Unis qui constitue un exemple très réel de "chantage économique".

En fait, le seul élément véridique des objections de Washington contre l'achèvement du Nord Stream 2 est qu'il menace "les intérêts de sécurité nationale de l'Amérique". Mais ceux-ci ne doivent pas être confondus avec la défense réelle des États-Unis - mais plutôt avec la défense du pouvoir et de l'influence des États-Unis à l'étranger - un pouvoir et une influence qui sont à la fois injustifiés et de plus en plus malvenus.

Les manoeuvres de l'Allemagne

Le média d'État allemand Deutsche Welle (DW), dans un article intitulé "Nord Stream 2 : la fondation allemande combat les éventuelles sanctions américaines", décrit les efforts de l'Allemagne pour atténuer l'impact des sanctions américaines.

L'article note :

‘’Au début du mois, le gouvernement de l'État de Mecklembourg-Poméranie occidentale a créé une fondation publique qui pourrait prendre en charge une activité potentiellement sanctionnable, car la fondation "n'a pas à craindre les sanctions", a déclaré à la DW un porte-parole du ministère de l'Énergie de l'État.

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"La fondation pourrait offrir la possibilité d'acquérir des pièces et des machines nécessaires à la construction de pipelines et, le cas échéant, de les mettre à la disposition des entreprises participantes", a déclaré la porte-parole, Renate Gundlach, dans un communiqué. "L'objectif est de sécuriser ces articles hautement spécialisés, que seules quelques entreprises dans le monde produisent avant qu'il ne soit potentiellement plus possible de les acquérir en raison des sanctions."

Étant donné que les sanctions américaines ne visent - pour l'instant - que les entreprises allemandes et non le gouvernement allemand lui-même - la création d'une fondation pour protéger les entreprises privées visées par les sanctions permettrait aux entreprises de contourner les sanctions américaines.

Pour contrer cela, les États-Unis seraient contraints de cibler directement le gouvernement allemand - une décision qui entraînerait probablement une détérioration continue et irréversible des liens entre les États-Unis et l'Europe. Et alors que l'on nous a dit que les liens précédemment tendus entre les États-Unis et l'Europe étaient le résultat de "l'administration Trump", l’escalade devrait avoir lieu sous l'administration Biden, qui a récemment accédé aux affaires.

Cela permettrait de mettre un terme aux manigances des agences à Washington et de révéler pleinement que la politique étrangère américaine est dirigée par les intérêts des grandes entreprises et des financiers - y compris ceux qui cherchent à faire de l'argent en vendant à l'Europe du "gaz de la liberté" fabriqué aux États-Unis.

Pendant des années, les États-Unis ont dépeint des nations comme la Russie, la Chine, l'Iran et d'autres comme des ‘’pays voyous’’ - justifiant tout, des sanctions économiques aux pressions politiques, en passant par la guerre par procuration et les menaces de guerre totale. Cependant, il semble que maintenant, même l'Europe se retrouve elle aussi au bout des artifices de la puissance "douce" : elle subira bientôt la puissance "dure" des Etats-Unis – révélant, par conséquent, que les Etats-Unis et leur exceptionnalisme sont le problème - et non pas les pays qui figurent sur la liste croissante des nations qui refusent de se soumettre à leur ordre du jour et de les "suivre" sans régimber parce qu’ils s’arrogent le droit de ‘’mener la danse’’.

Ironiquement, outre le gazoduc Nord Stream 2 lui-même, la belligérance accrue de l'Amérique à l'encontre de la Russie et de l'Allemagne a fourni à Moscou et à ses voisins d'Europe occidentale un terrain d'entente sur lequel travailler pour contourner les sanctions américaines.

Brian Berletic est un chercheur et écrivain en géopolitique basé à Bangkok, notamment pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

jeudi, 11 mars 2021

Kris Roman meets Robert Steuckers: on Navalny, Klaus Schwab, liberalism, etc.

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Время Говорить

Kris Roman meets Robert Steuckers: on Navalny, Klaus Schwab, liberalism, etc.

(in English)

In the talk show Время Говорить ('Time to Speak'), Kris Roman receives special guests who explain their findings and knowledge on current topics to the general public. In this episode, recorded on 15-02-2021, Robert Steuckers is our guest.
 
He talks about Carl Schmitt, about Navalny, about liberalism, about Klaus Schwab and his plans to ban private property.
Robert Steuckers also talks about his personal experiences with Russia.
 
©Время Говорить/Kris Roman 2021
 
В ток-шоу «Время Говорить» Крис Роман принимает специальных гостей, которые объясняют широкой публике свои выводы и знания по актуальным темам. В этой эфире, записанной 15-02-2021, Роберт Штакерс - наш гость.
 
Он говорит о Карле Шмитте, о Навальном, о либерализме, о Клаусе Швабе и его планах запретить частную собственность. Роберт Штюкерс также рассказывает о своем личном опыте общения с Россией.
 
©Время Говорить/Kris Roman 2021
 

mardi, 09 mars 2021

La Serbie et la Bulgarie construisent le nouveau pôle énergétique des Balkans

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La Serbie et la Bulgarie construisent le nouveau pôle énergétique des Balkans

Andrea Muratore

https://it.insideover.com/

La question soulevée par l'extension de la carte des gazoducs et de leurs infrastructures collatérales, avec lesquelles la Serbie et la Bulgarie visent à se tailler une place dans le jeu de l'énergie en Europe de l'Est reçoit peu d'attention. Belgrade et Sofia travaillent dur pour devenir des plaques tournantes fondamentales pour les routes de l'or bleu et pour se positionner stratégiquement dans la nouvelle géopolitique des gazoducs qui façonnent les routes et les équilibres entre l'Europe de l'Est, la Méditerranée et la région du Caucase.

En décembre, la construction du gazoduc Balkan Stream a été achevée, le complément européen de l'infrastructure Turkish Stream avec laquelle Ankara et la Russie ont créé une nouvelle voie d'accès pour le gaz vers le marché européen. Dans les documents officiels, le gazoduc, dont le nom a été proposé par le Premier ministre bulgare Boyko Borisov, est défini comme "l'expansion de l'infrastructure de transport de gaz naturel de la société Bulgartransgaz, qui s’effectue parallèlement au gazoduc principal du Nord jusqu'à la frontière entre la Bulgarie et la Serbie" : c’est une prémisse nécessaire pour l'expansion du tracé vers la Hongrie que souhaite Viktor Orban.

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Le choix des pays que nous évoquons dans cette analyse va dans le sens de la construction de hubs régionaux destinés à permettre des interactions avec une multiplicité de fournisseurs. Par conséquent, la vision de Borisov et du président serbe Aleksandar Vučić de transformer les deux pays en un centre régional stratégique de distribution de gaz ne peut se limiter à une connexion russo-turque mais doit inclure d'autres options. Tout cela pour finaliser, entre autres, un projet d'expansion de la demande intérieure, et donc la garantie d'un approvisionnement à bas prix pour les populations des deux pays. La Bulgarie, dans le même temps, doit tenir compte de la stratégie énergétique européenne qui ne voit pas d'un bon œil une augmentation de la dépendance vis-à-vis de Moscou.

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Par conséquent, à un niveau intégré, Sofia et Belgrade explorent d'autres options, notamment l'Interconnecteur Bulgarie-Serbie (IBS) "béni" par Bruxelles, dont le chantier a récemment reçu la visite de la ministre bulgare de l'énergie Temenuzhka Petkova et du vice-premier ministre et ministre serbe de l'énergie Zorana Mihajlovic, et qui vise à construire une "liaison" de 120 km reliant les terminaux bulgares de Dimitrovgrad aux terminaux serbes de Nis afin d'ouvrir les portes de l'Europe également au gaz azerbaïdjanais provenant de la région de la mer Caspienne et au gaz naturel liquéfié stocké en Grèce. La société Bulgartranzgas de Sofia a annoncé qu'elle commencerait en mai et poursuivrait jusqu'en 2022 le projet de construction de la plaque tournante qui aboutira dans l'ancienne capitale romaine, la plus grande ville de Serbie orientale, et façonnera de nouveaux équilibres dans les routes énergétiques européennes.

Cette phase ouvrira la porte à un chevauchement entre les routes qui amènent le gaz russe au Vieux Continent et celles qui "pêchent" le gaz azéri, l'amenant à l'Ouest vers l'Italie avec le gazoduc Tap. A cela s'ajoutera le gaz naturel liquéfié dont la Grèce veut devenir un hub euro-méditerranéen avec le projet du Terminal de Stockage et de Regazéification (FSRU) d'Alexandroupolis, détenu à 20% par la société bulgare et qui peut fournir une capacité de stockage de 170.000 mètres cubes. Alors qu’IBS permettra un flux de 1,8 milliard de mètres cubes et aussi la possibilité d'ouvrir un marché sous-régional en ouvrant le flux inverse entre la Serbie et la Bulgarie.

Le projet IBS donne une perspective européenne à la stratégie serbo-bulgare, favorise le dialogue entre Belgrade et Bruxelles et promet d'apporter le développement et la croissance dans le domaine de l'énergie à deux pays aux économies fragiles et éprouvés par la pandémie. Elle témoigne du fait que la plus grande valeur ajoutée sur les marchés de l'énergie aujourd'hui est obtenue sur le front des infrastructures. L'investissement nécessaire de 85,5 millions d'euros verra également l'implication de la Banque européenne d'investissement, à la pointe du financement de projets à fort effet multiplicateur et à forte valeur ajoutée.

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Les conséquences pour la sécurité énergétique européenne peuvent être importantes, ainsi que celles pour la nouvelle perception géopolitique de la zone des Balkans, dans laquelle la Serbie et la Bulgarie peuvent devenir des points de référence sur ce marché stratégique. Ouverture à de nouvelles connexions pouvant intégrer les espaces qui vont de l'Europe de l'Est à la mer Caspienne, en passant par la mer Noire, dans un ensemble uni par la convergence des intérêts énergétiques et économiques. À cheval sur l'Est et l'Ouest, entre des acteurs majeurs tels que l'UE, la Russie et la Turquie, les petits et moyens acteurs régionaux cherchent leur propre espace. Les Balkans sont vivants et ne sont donc pas seulement un "objet" de la grande dynamique historique, comme le confirment d'autres mouvements comme celui posé par la Roumanie dans le domaine énergétique de l'hydrogène. La Serbie et la Bulgarie avancent avec un pragmatisme et un opportunisme qui confirment leur compréhension de l’enjeu en cours.

La Sibérie, ventre mou de la Russie?

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La Sibérie, ventre mou de la Russie?

Par Tommaso Minotti

http://osservatorioglobalizzazione.it/

77% du territoire russe est formé par une Sibérie sans réelles frontières. Dans cette région inhospitalière, où l'on ne compte que trois habitants au kilomètre carré, se concentrent 70 % des ressources pétrolières et gazières de la Fédération de Russie. Cela fait de la Sibérie une région stratégiquement importante pour Moscou. Le problème est que de plus en plus de Sibériens se sentent exclus des accords commerciaux lucratifs que la Russie et la Chine scellent dans la région. Ce sentiment provoque du ressentiment, surtout envers Moscou, qui est considérée comme une force étrangère, capable seulement d'exploiter la région sans rien donner en retour. Et c'est dans ce contexte potentiellement dangereux pour l'intégrité territoriale et le bien-être économique de la Russie que se développent les pulsions régionalistes, déjà présentes dans l'histoire mais restées longtemps en sommeil.

Contexte historique : quand la Sibérie ne se considérait pas comme russe

Déjà à l'époque tsariste, il y a eu des dérives séparatistes et régionalistes de la part d'éléments de la haute société sibérienne. Le premier d'entre ces contestataires fut Nikolaï Novikov, qui a émis une théorie sur une Sibérie indépendante dès 1838. En 1863, il y a eu une tentative de rendre cette immense région autonome, mais elle a été réprimée. Les principaux théoriciens de cette expérience, certes irréaliste, ont été avant tout Afanasy Shchapov, mais aussi Potanine et Yandritsov. Le premier, surtout, était le principal théoricien de l'oblstnichestvo, c'est-à-dire du régionalisme aux impulsions indépendantistes.

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Un partisan de la Sibérie indépendante fut également l'un des penseurs et fondateurs de l'anarchisme : Bakounine. Pendant la guerre civile russe qui a suivi la révolution d'octobre, les régionalistes sibériens se sont rangés du côté des Blancs, plus précisément de l’Amiral Koltchak. Mais ils ont d'abord créé un gouvernement autonome de Sibérie de courte durée, basé à Tomsk. Le gouvernement a été de courte durée car il a été décidé de soutenir les ennemis des bolcheviks sans essayer d'obtenir l'indépendance de la Sibérie.

À l'époque soviétique, les autorités centrales ont décidé de diviser les provinces de ce territoire sans fin afin d'avoir un contrôle plus efficace sur l’ensemble des terres sibériennes. Les poussées autonomistes semblaient perdre du pouvoir. Cependant, avec l'effondrement de l'URSS et l'arrivée de Poutine au pouvoir, il y a eu un changement de politique dans l'administration du territoire sibérien. Il a été décidé de fusionner les oblasts, ce qui s'avère contre-productif car les velléités régionalistes refont alors surface.

Un danger pour la Russie ?

Les Sibériens développent un certain ressentiment envers Pékin et Moscou, même s'ils ont été culturellement influencés à la fois par la Chine et, bien sûr et dans une bien plus large mesure, par la Russie. En ce sens, nous assistons à une véritable floraison des activités régionalistes dans les domaines les plus variés.

Manifestations, séminaires, propositions de référendum sur une plus grande autonomie de la Sibérie et diverses autres initiatives en ligne. Le web est un véhicule efficace pour les mouvements régionalistes, dont le plus important est celui qui s’est donné pour nom les "Vrais Sibériens". Mais la montée du régionalisme ne se limite pas au web.

Un séminaire sur l'indépendance de la Sibérie a été présenté à l'université d'Irkoutsk. Il aurait été parrainé par un département américano-sibérien, mais aucune information plus détaillée n'est disponible à ce jour. L'exposition d'art "Les États-Unis de Sibérie" a fait beaucoup de bruit, mais seulement en Russie. A côté de ces initiatives culturelles, il y a des mouvements politiques. En plus des initiatives nées sur Internet, il existe également des organisations plus profondément ancrées dans le territoire, dont la plus importante est le ‘’Mouvement sibérien’’. Enfin, il convient de noter un fait intéressant, même s'il n'en est qu'à ses débuts. De plus en plus de gens dans cette partie de la Russie se disent "Sibériens" et de moins en moins "Russes". Des signes petits mais révélateurs de quelque chose qui bouge.

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Drapeau de la région de Novosibirsk.

Protestations en Sibérie

Mais il n'y a pas que les initiatives culturelles et les mouvements politiques dont l'influence réelle est difficile à établir. Des manifestations ont également eu lieu, presque toutes avec un épicentre à Novossibirsk. En 2011 et 2012, la ville a été touchée par des manifestations dont le moteur était également régionaliste. La colère contre Moscou et la politique du Kremlin, perçue comme éloignée des intérêts des Sibériens, était particulièrement vive. En 2014, une marche pour la fédéralisation de la Sibérie a été interdite par les autorités gouvernementales. Un autre symptôme qui indique que quelque chose bouillonne dans la marmite. Enfin, en juillet 2020, à Khabarovsk, entre cinquante mille et quatre-vingt mille personnes sont descendues dans la rue pour protester contre l'arrestation du gouverneur Furgal. Il était très aimé par son propre peuple, mais n'était pas apprécié par les dirigeants du Kremlin, qui le considéraient comme déloyal. La foule, bien que n'ayant pas déclaré d'intentions régionalistes, était cependant hostile à Moscou et à l'État central. Enfin, autre signe de l'attention croissante du gouvernement central, deux blogueurs régionalistes nommés Loskutov et Margoline ont été mis sous étroite surveillance par les autorités judiciaires.

Une question politique

Mais quelles sont les caractéristiques du régionalisme sibérien, particulièrement fébrile à Omsk. Cette ville est devenue le nouveau centre autonomiste de la région. Revenons sur les particularités des poussées qui commencent à se produire en Sibérie. Tout d'abord, il faut dire que le soutien aux nombreuses initiatives qui ont été discutées ci-dessus est politiquement transversal. Le régionalisme n'est pas hégémonisé par un seul parti mais est soutenu par diverses composantes hétérogènes, pour l'instant nettement minoritaires, émanant de presque toutes les organisations politiques présentes sur le territoire. Une autre caractéristique est l'opposition à la politique financière de Moscou dans la région. Comme la région est la principale source de richesse de la Russie, la Sibérie souhaite une baisse des impôts. En bref, on croit, en Sibérie, que les relations ne sont pas équilibrées mais, au contraire, nettement déséquilibrées en faveur de la Russie occidentale. Enfin, le régionalisme bénéficie également d'un certain soutien dans les institutions. On l'a vu dans l'affaire Furgal, où la colère contre la destitution d'un homme politique populaire s'est combinée à une intolérance mal dissimulée envers Moscou, avec des connotations clairement régionalistes.

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Pour l'instant, le Kremlin a réagi en essayant de centraliser le plus possible. Bien que les impulsions régionalistes n'aient pas été jusqu'à présent particulièrement puissantes ou importantes, il est toujours nécessaire de garder un œil sur la situation en Sibérie. Région cruciale pour la Russie, qui tire l'essentiel de ses richesses de cette terre sans limites et peu peuplée, la Sibérie risque de devenir la prochaine cible américano-occidentale pour lancer l'assaut contre la Russie qui a d'abord vu l'effondrement de l'Ukraine puis du Belarus dans son environnement proche. La nouvelle administration américaine veut continuer sur la voie belliciste déjà empruntée par Obama, dont elle a recyclé de nombreux ex-collaborateurs : elle entend, sans fléchir, exercer une pression maximale sur la Russie.

Sans oublier le fait que la Chine bénéficierait elle aussi de la faiblesse de la Russie dans la région. Surtout parce que le Céleste Empire a déjà l’avantage d’une proximité géographique qui facilite l'exercice de son influence. Mais pour l'instant, ce ne sont que des hypothèses. Il n'en reste pas moins que le régionalisme sibérien fait son retour.

À propos de l'auteur / Tommaso Minotti

Né en Brianza en 2000. Étudiant en histoire à l'université de Milan, il est passionné par la politique nationale et internationale. Il s'intéresse principalement aux relations entre les nations. Il s'intéresse particulièrement aux questions sociales et économiques qui lient les différents États et garde toujours un œil sur l'histoire. Il collabore également avec L'Antidiplomatico où il gère l'espace "Un altro punto di vista" (‘’Un autre point de vue’’).

lundi, 08 mars 2021

La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?

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Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/mars/du-monde-harmonieux-au-r-ve-chinois-la-chine-et-sa-strat-gie-de-s-curit

Du "monde harmonieux' au "rêve chinois"

La Chine et sa stratégie de sécurité

La quête de pouvoir de la Chine et le débat sur la puissance nationale. Vers la prééminence mondiale?

Deuxième partie

par Irnerio Seminatore

Texte reparti en deux sous-titres:

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE. GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE

(première partie; cf. : http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/02/28/du-monde-harmonieux-au-reve-chinois-la-chine-et-sa-strategie-de-securite.html

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE?

(deuxième partie)

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TABLE DES MATIÈRES

I. LA CHINE ET SA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE DÉFENSE MODERNISÉE, GUERRE ASYMÉTRIQUE ET STRATÉGIE MILITAIRE (première partie)

Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence

De la "défense passive en profondeur"(Mao) à la "défense active" dans les "guerres locales et limitées" (Deng Tsiao Ping et Xi Jinping)

La puissance nationale comme stratégie

"Vaincre le supérieur par l'inférieur"

Sur la "guerre d'information asymétrique d'acupuncture" et la guerre préventive

Conditions pour l'emporter dans un conflit limité

L'asymétrie, son concept et sa définition

L'asymétrie, le nouveau visage de la guerre et la "double spirale des défis"

II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE ? (deuxième partie)

Normalisation et "diplomatie asymétrique"

De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)

Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations

Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?

De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?

Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique

Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues
L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine

Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises

L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"

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II. LA QUÊTE DE POUVOIR DE LA CHINE ET LE DÉBAT SUR LA PUISSANCE NATIONALE. VERS LA PRÉÉMINENCE MONDIALE? (deuxième partie)

Normalisation et "diplomatie asymétrique"

Depuis la normalisation des relations avec les États-Unis, lors de la visite de Nixon et de Kissinger à Mao Zedong en 1972, nous assistons à une surprenante montée en puissance, civile et militaire, de la Chine, destinée à jouer un rôle de plus en plus grand en Extrême Orient, dans le Pacifique, dans l’Asie du Sud-Est et en Asie centrale, mais aussi à affirmer sa marche vers la prééminence planétaire, par une diplomatie active dont la place centrale est représentée par ses rapports avec les USA.

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Les rapports avec les USA ont été qualifiés par des officiels de Pékin, sous la Présidence Hu Jintao (2003-2013), comme "un partenariat stratégique et constructif tourné vers le XXIème siècle".

Ces déclarations ont constitué le fondement d’une "diplomatie asymétrique", dont la doctrine stratégique reposa sur la politique des "quatre non" : "Non à l’hégémonisme, non à la politique de force, non à une politique de blocs, non à la course aux armements".
En termes opératoires, cela signifia la préférence accordée aux relations bilatérales dans le règlement des contentieux frontaliers, l’utilisation active des relations multilatérales au sein des organisations régionales et, enfin, l’emploi des bénéfices de la croissance pour faire face aux différends politiques croissants avec un esprit de négociation et de compromis

De la stratégie triangulaire (Chine, Union Soviétique, États-Unis) au condominium planétaire (duopole de puissance)

La stratégie triangulaire de la Chine résulta d'une articulation d'objectifs corrélés:

- isoler les USA, en attisant les contradictions entre leur rôle mondial et celui de garant politico-militaire de la sécurité du Japon

- fomenter les craintes encore très vives des pays asiatiques, contre une éventuelle remilitarisation et nucléarisation de l'Empire du Soleil Levant, en mettant en crise le système de sécurité nippo-américain, qui visait à contenir la Chine,

- enfin, faire prendre conscience aux États-Unis que, pour assurer leur influence en Eurasie et pour maintenir leur stratégie de présence en Asie centrale et en Asie-Pacifique, ils devaient réorienter radicalement leurs alliances et opter pour un véritable partenariat géopolitique, de portée mondiale, avec la Chine, puissance de la terre, qui est à considérer, théoriquement, comme l’allié naturel des États-Unis, puissance de la mer.

Ainsi, les relations sino-américaines passeraient de la posture d’un affrontement éventuel, à la posture d’un condominium planétaire, autrement dit à celui d’un duopole de puissance inédit et dés-occidentalisé, asiatisé et sinisé.

Deux problèmes interdépendants se posaient alors aux États-Unis et en Asie Extrême Orientale:
- la définition des "limites" à assigner à la Chine dans son aspiration à devenir une puissance régionale dominante et le seuil de dangerosité acceptable pour accéder au rang de puissance globale.

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Quelle aire d’influence lui serait-elle reconnue? Quel espace de manœuvre avec Taïwan, la Malaisie, la Birmanie, pour le contrôle du détroit de Malacca et du goulet de Singapour, et quel déploiement des capacités militaires permettraient à la Chine d’exercer une maîtrise maritime des voies d’accès du Japon au pétrole du Golfe et du Moyen Orient et aux marchés de l’Europe Occidentale et Orientale ?

En conclusion, beaucoup d’inconnues et d’incertitudes planaient à l'époque sur la stabilité régionale en Extrême Orient ainsi que sur les poussées nationalistes qui tiennent encore en éveil l’Asie, aux immenses disparités, économiques, politiques et culturelles, marquées également par un retour prononcé aux jeux d’influences et à la "Balance of Power".

Paix et Guerre dans une conjoncture de mutations

La politique étrangère chinoise construit l’avenir sur une mutation de taille, dictée par sa transformation de puissance mondiale classique en puissance globale, un type de puissance qui est en même temps pluri-dimensionnelle et « hors limite » ; une puissance terrestre, maritime, spatiale et en réseau.

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Li Zao Xing.

La Chine, d’après le Ministre des Affaires Étrangères, Li Zao Xing se prépare-t-elle à atteindre des "ambitions démesurées grâce à une politique extérieure mesurée"?
Le but de la politique chinoise de construire sur le long terme et au courant du XXIème siècle, "une société d’aisance moyenne", ne peut être atteint que dans un contexte international favorable et celui-ci serait caractérisé par une "paix mondiale prolongée" et "une ère nouvelle, combinant alliances et affrontements: une ère de non guerre (n.d.r.-mondiale ou systémique)".

C’est dans ce contexte de quête de la suprématie globale, que doivent être lus les efforts inhabituels de la "diplomatie de l’apaisement", pour mettre un terme aux multiples tensions territoriales avec les pays frontaliers, le long des lignes de frontières terrestres parmi les plus longues du monde (protocole d’accord entre la Chine et l’Inde du 11 avril 2005, accord de Vladivostok du 2 juin 2005 entre Russie et Chine).

Il s’agit-là d’ententes pacifiques à haute importance stratégique entre les deux puissances majeures de l’Eurasie, la Russie et la Chine, dont la signification a été de
jouer à la pression démographique au Nord, dans les zones inhabitées de la Sibérie Centrale et Orientale et de créer des liaisons d’assurance et de confiance au Sud, dans le but de créer des liens de vassalité et de déférence avec les pays de l’ASEAN.

Une entente pacifique renforcée avec les États-Unis de la part de la Chine? Ou un "rééquilibrage stratégique à distance" de la part des États-Unis?

Ici, l'entente pacifique renforcée, par une stratégie de sécurisation des voies maritimes dans les mers de Chine du Sud, acquiert une dimension plus offensive vers l'Océan Pacifique, par le développement de capacité d'interdictions navales et spatiales, mais cette dimension est encore de théâtre.

En effet la Mer de Chine Méridionale devient un des théâtres géopolitiques parmi les plus critiques de la planète, car se superposent ici les projections d'influence de la Chine, à caractère expansif et le rôle régional des États-Unis, à caractère défensif. Les premières remettent en cause la stabilité régionale, le deuxième préfigure un "soft containment" global d'un type nouveau. Les perspectives changent encore en se plaçant au niveau planétaire ou systémique. A partir de discours d'Obama à Tokyo en novembre 2009, la politique de l'Administration américaine visera à définir les États-Unis comme "une Nation du Pacifique" , ce qui explique le nouveau "grand jeu" qui se dessina à partir de là, entre les États-Unis et la Chine, en mer de Chine méridionale. En effet, le désengagement des USA de l'Irak et du Pakistan permit un réengagement américain en Asie-Pacifique, dans le but d'en faire une priorité géopolitique pour le XXIe siècle.

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Cet réengagement des États-Unis se définira comme projet de partenariat, liant valeurs et intérêts américains, par la création d'une grande aire de libre-échange dans la zone Pacifique et comme renforcement du dispositif et des alliances militaires (ANZUS) défiant les ambitions régionales de la Chine, à propos des îles Paracels. Le cadre de ces disputes territoriales se situait entre Beijing et quatre pays de l'ASEAN (Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei, et Taïwan). Or, dans la perspective d'un monde multipolaire et de plusieurs types de menaces, les États-Unis resteraient en retrait et laisseraient leurs alliés se prendre en charge par eux-mêmes, n'intervenant, par hypothèse, qu'en dernier recours. Il s'agirait dans ce cas d'un "rééquilibrage stratégique à distance". Pourquoi cette ruse et à partir de quelle conception? Christopher Laye a développé en 1997 l’idée selon laquelle, en cas d'hégémonie incomplète, le contrôle régional sur la montée en puissance d'un acteur à vocation hégémonique, visant à maximiser la puissance ou la sécurité, peut être délégué à un État-tiers allié ou à plusieurs États régionaux de première ligne. Dans le cas de la Chine au Japon, à la Corée et à l'Australie. Dans l'hypothèse d'un échec, la puissance hégémonique aurait l'obligation d'intervenir, pour rétablir le "statu-quo" ou la stabilité, directement ou avec son système d'alliances, car la stabilité du système dépendrait de la puissance dominante.

De Deng Xiaoping à Xi Jinping, vers l'inversion de prééminence?

Avec le passage de l'ère Deng Xiaoping à celle de Xi JInping,la Chine est elle passée d'une politique de "modernisation et d'ouverture", axée sur intégration dans l'ordre mondial à une trajectoire de grande puissance, orientée vers une stratégie, une ambition et un grand défi à l'ordre hégémonique, à la quête de sa prééminence? En situation de pente vers un terrain d'affrontement, la Chine est elle prête à en payer le prix, que la sophistication des nouveaux systèmes d'armes rend plausible, celui d'une "guerre nucléaire limitée" ? L'hégémonie américaine est-elle totalement dépassée et la guerre inter-étatique est elle encore une menace pour la paix mondiale? Et surtout a-t-elle encore une fin et laquelle? Au moment où les États-Unis semblent entamer un déclin relatif et la démocratie américaine présente des fissurations illibérales, la reconfiguration du système international, en Europe et en Asie, est susceptible de devenir une source de dangers. Le processus de diffusion de puissance permet l'ascension de nouveaux États forts qui modifient la "Balance of Power" mondiale, créant de nouvelles sources d'instabilités. Le vieux système de la bipolarité, devenu unipolaire, puis tendenciellement multipolaire et, sur fond de démondialisation, tri-penta-polaire, acquerra en perspective et à nouveau un visage bipolaire, à une échelle planétaire amplifiée. La propension à l'instabilité et à la guerre inter-étatique d'une telle configuration est au moins équivalente à sa tendance à la stabilité. l'inconnue objective étant dans la fragmentation politique, interne et internationale et dans les facteurs de violence transnationaux en tout ordre, ethniques, religieux et civilisationnels. Ceux-ci compliqueront les calculs des puissances majeures du système, accroissant le désordre.

Ainsi, face aux résurgences des diplomaties réalistes à raisonner en termes de rapports de forces, de course aux armements et de budgets comme dans les deux grands siècles (XVIIème et XIXème) de l'équilibre de puissances et de la politique de cabinet (ou chambre des boutons nucléaires), la transition géopolitique et stratégique de nos jours, sera difficile à gérer; en particulier entre les États-Unis et la Chine, et entre la Chine et la Russie, et la Chine, le Japon et les deux Corées, sans parler du Pakistan et de l'inde et, au Grand Moyen Orient, entre la Turquie, la Syrie, Israël, l'Iran et les pays du Golfe. La multipolarité d'aujourd'hui, différente en nombre et en dangerosité par rapport à sa forme antérieure, engendrera des instabilités browniennes, qui affecteront à nouveau l'Europe, si les États-Unis s'en retireront et les vieilles méfiances et les vieux antagonismes renaîtront entre les pays du vieux continent. Ça sera à ce point qu'un grand moment d'opportunité venant d'Asie, dominera le péril stratégique à Taïwan et la Chine millénaire pourra alors inverser la prééminence hégémonique, s'affirmant par la force et la glorification de la force.

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Les manœuvres navales conjointes de l'Iran, de la Russie et de la Chine dans l'Océan indien et le Golfe Persique, du 16 février 2021, alors que l'Otan organisait un sommet sur la "rivalité stratégique" à l'encontre de la Russie et de la Chine, ravivent la rivalité avec l' Amérique et provoquent des tensions qui rappellent la mise en place d'une sorte de "guerre froide" à caractère bipolaire, sur fond de lutte d'influences multipolaires. Cette stratégie n'est pas sans rappeler la pertinence des intérêts vitaux de chaque puissance, bref le rappel d'une menace régionale, fondée sur des structures capacitaires asymétriques et en ascension, remettant en cause la présence américaine et sa légitimité.

Il s'ajoute que Xi Jinping lui même a soufflé sur le feu par une rhétorique guerrière à Shautou, port militaire de la Chine méridionale, invitant les soldat de l'ALP à se tenir "prêts à mener une guerre" contre la "province renégate de Taïwan", le 13 octobre 2020.

Le "Rapport Crowe" et l'analogie historique

Dans ce contexte, les théories de la "montée pacifique" et d'un "monde harmonieux" dépendent du niveau d'assurance qui peut être obtenu par la diplomatie et du degré de confiance, induit par la stabilité régionale et locale. Elles peuvent être compromises par le développement de la technologie et des systèmes d'armes, conçus en vue d'acquérir une avancée stratégique significative, qui amène en retour à une course aux armements et à des risques de conflits. C'est au sujet d'une analyse comparée des équilibres internationaux du concert européen du XIXème et des perturbations dans le calcul des rapports de force, successifs à l'unification de l'Empire allemand en 1871, que le débat sur le destin national de la Chine (2007-2010), a suscité une quête sur les sources de la confiance d'un pays millénaire, la tradition, l'idéologie et l'esprit national. L'analyse historique semble avoir démontré que les causes du conflit de la première guerre mondiale en Europe furent moins les structure des rapports de forces issus de l'unification allemande, que les enjeux et les ambitions des élites de l'Empire et, parmi d'autres importants facteurs, le plus influents de tous, le nationalisme et les irrédentismes diffus. La rivalité anglo-allemande, qui se greffait sur cette tension permanente, domina la politique européenne de la fin du XIXème, lorsque le monde se résumait à l'Europe et fut caractérisée par les difficultés d"une diplomatie rigide et sans flexibilité, limitant le champ d'action d'action des principaux pays du concert européen. En effet, compte tenu de l'unification de l'Allemagne montante, qui se sentait entourée d'hostilité et de limites à son influence, poussa le Foreign Office britannique à s'interroger sur la menace objective de l'Empire allemand, pour sa survie et pour la compatibilité de la montée en puissance, surtout navale, d'un pays continental, avec l'existence même de l'Empire britannique.

51s5tOl4y-L._SX355_BO1,204,203,200_.jpgAujourd'hui comme hier la compétition est devenue stratégique et la limitation des espaces de manœuvre consentis, a provoqué la lente création de deux blocs d'alliances rivales, auxquelles le nationalisme ou le souverainisme renaissants fournissent l'aliment idéologique pour les futurs belligérants. En ce qui concerne l'analogie historique, toujours imprécise, entre la situation européenne du XIXème et celle eurasienne du XXIème, la question de fond,qui préoccupait la Grande Bretagne de l'époque et les États-Unis d'aujourd'hui, était de savoir si la crise d'hégémonie et le problème de l'alternance qui iraient se manifester, étaient dus à la structure générale de la configuration du système ou à une politique spécifique de l'un ou de l'autre des deux "compétitors" et si, in fine, l'existence même de l'empire américain serait menacée et avec elle, celle de l'Occident et de la civilisation occidentale, jusqu'à sa variante russo-orthodoxe. Le Mémorandum Crowe, dans le cas de l'Allemagne montante et dans le cadre d'une analyse de la structure de la puissance, concluait pour l'incompatibilité entre les deux pouvoirs, britannique et allemand, et excluait la confiance et la coopération de la part de la Grande Bretagne. Ainsi l'importance des enjeux, interdisait à celle-ci d'assumer des risques et l'obligeait à prévoir le pire.

Deux questionnements et deux interprétations des tensions actuelles et de leurs issues

Dans la situation actuelle, deux questionnements et deux interprétations sont possibles, du coté chinois et du côté américain Du pont de vue historique la Chine et les États-Unis représentent deux États-civilisations qui prétendent à deux types d'universalité et à deux identités hétérogènes. Celles-ci se réalisent dans le Pacifique et dans le monde de manière incompatible et antithétique, excluant la confiance entre deux cultures opposées, une ouverte et directe et l'autre allusive, symbolique et cryptée. Les institutions politiques sont nées, pour l'Amérique du refus du Léviathan et de la logique des contre-pouvoirs et, pour la Chine millénaire, de la divinisation de l’empereur et du principe absolu de hiérarchie, mentale et sociale, justifiant et pratiquant l'obscurité et le secret des propos. Une coopération authentique ne peut naître que la confiance, qu'interdisent l'idéologie politique et les défis intérieurs, de nature démographique, générationnelle et sociale en Chine, et de nature, raciale, sociale et politique en Amérique. Ici la différence capitale est dans la conception de l'ordre social, à obtenir par la concurrence, la mobilité et le progrès économique et scientifique, en Chine dans l'idéologie millénaire de la tradition et dans celle, marxisante, du parti-État, qui exclut contestations et oppositions. Toujours en termes de défis intérieurs, le consensus de masse repose en Amérique dans les classes moyennes en décomposition et en Chine d'une exclusion des droits individuels, subordonnés à la constitution de l’État. La contrainte physique et la privation de la liberté ne peuvent revêtir la même importance en Chine ou en Amérique, car l'origine des droits est en Chine dans l’État et, en Occident, dans l"individus ou dans la fiction du peuple-souverain. La question des droits de l'homme et celle de la stratégie d'endiguement de la Chine, par la réunion d'une ceinture d’États de démocratie formelle, fait partie d'un projet américain d'une reconfiguration de l'Asie et, plus largement de l'Eurasie. En réalité, la présence américaine en Asie est jugée cruciale pour le maintien de la stabilité régionale, car aucun pays en Asie ne veut vivre dans une région dominée par la Chine. La modernisation militaire de l'APL, dont le but stratégique est l'objet d'interrogations multiples, fait de la région Asie-Pacifique, plus encore de l'Asie Centrale, une zone où les risques de confrontation ne sont pas à exclure. Dans ce contexte, les Etats-Unis ont réaffirmé l'engagement de leurs pays aux côtés de certains pays de l'ASEAN et surtout de l'ANZUS (USA, Australie, Nouvelle Zélande conclu en 1951), inquiets de l'influence grandissante de la Chine dans la région Asie-Pacifique, en apportant une réponse au "dilemme chinois" de l'Australie, dont le défi consiste à concilier un ancrage économique de plus en plus oriental avec une diplomatie et une posture militaire clairement occidentale.

L'activisme chinois et les "intérêts vitaux" de la Chine

Cette zone est désormais inclue, d'après le "New York Times", dans le périmètre des "intérêts vitaux" de la Chine au même titre du Tibet et du Taïwan, bien qu'aucune déclaration officielle n'ait étalé cette position.

Or le Linkage entre la mer de Chine Méridionale et la façade maritime du Pacifique est inscrite dans l'extension des intérêts de sécurité chinois.

A travers les mers du sud et les détroits transite 50% des flux mondiaux d'échange, ce qui fait de cette aire maritime un théâtre de convoitises et de conflits potentiels, en raison des enjeux géopolitiques d'acteurs comme la Corée du Sud et le Japon qui constituent des géants manufacturiers et des pays dépendants des exportations.

Une des clés de lecture de cette interdépendance entre zones géopolitiques à fort impact stratégique, est le développement des capacités navales, sous-maritimes et de surface, de la flotte chinoise.

Le "Rapport 2010" et la mission historique des forces armées chinoises

index2010r.jpgL'évaluation des besoins de sécurité et de défense de la Chine est contenue dans le "Rapport 2010" concernant les forces armées du pays.

Dans ce document, intitulé la "Mission historique des forces armées chinoises", énoncé par le Président Hu-Jintao dans sa relation au XVII Congrès du Parti Communiste en octobre 2017, le pouvoir suprême assigne à l'Armée populaire de Libération "le but de construire une nation prospère dotée d'une armée forte" et trace une perspective unifiée pour les capacité de combat et de projection de forces de l'APC. Il définit ainsi, au plan maritime, une stratégie d'interdiction à large spectre, qui n'est plus focalisée uniquement sur Taïwan et inclut désormais la Mer Jaune, dans laquelle patrouillent les flottes du Japon et de la Corée du Sud.

Bien que l'actuelle capacité d'interdiction de la flotte chinoise tienne à distance de la frontière maritime de la Chine les flottes étrangères, la mise en mer de la plus importante flotte sous-marine et amphibie d'Asie est en train de combler et de surmonter les vieilles carences d'un support satellitaire d'appui, pour l'identification des cibles mobiles.
Il s'agit là d'un point-clé opérationnel qui influence la stratégie militaire générale et les capacités de combat dans un contexte informatisé.

Au plan général, la prise de conscience de l’indépendance des rôles entre le premier atelier du monde et le premier consommateur d’énergie et de matières premières de la planète, part de l'acquisition d'un point de force, "la zone économique chinoise", premier pôle mondial de croissance après les USA et avant le Japon et l’Allemagne. Ces objectifs imposent à la Chine une exigence de sécurisation des voies maritimes qui lui dictent une stratégie, dite du "collier des perles", visant à jalonner le couloir maritime des importations pétrolières entre le Golfe et le détroit de Malacca, en modernisant le port de Gwadar et celui de Chittagong en Bangladesh. Cette stratégie a conduit également la Chine à adopter une politique d’approvisionnement et de sécurité énergétique duale, maritime et terrestre.

C'est à partir de cette exigence de sécurisation et d'autonomie stratégique qu'est né à Astana le projet OBOR (One Belt, one Road) de 2013, reprenant le parcours des vieilles  Routes de la Soie.

Puissance de la terre, la Chine, rivalisant avec la puissance de la mer, entend manœuvrer, en cas de conflit, par les lignes intérieures du continent, sans dépendre d'une société extérieure à l'Asie.

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En Eurasie, marquée par la diversités des États et des institutions, la dominance continentale est passée de la Russie à la Chine et le resserrement des alliances prendra la forme d'une activation du réseau des routes de la soie, modifiant le rapport des forces global.

En effet la guerre, selon Sun Tzu, ne se gagne pas principalement à la guerre ou sur le terrain des combats, mais dans sa préparation ou plus modernement dans sa planification. Autre naturellement est la victoire à la guerre selon son concept.

Les risques de conflit instaurent en tout cas une politique ambivalente, de rivalité-partenariat et d'antagonisme.

Il s’agit d’une politique qui a pour enjeu le contrôle de l’Eurasie et de l’espace océanique indo-pacifique, articulant les deux stratégies complémentaires du Heartland et du Rimland.

L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle "Route de la Soie"

Dans la perspective d'un ordre global et à la recherche de formes d' équilibre et de stabilité à caractère planétaire, la Chine, poursuivant une quête d’indépendance stratégique et d'autosuffisance énergétique étend sa présence et sa projection de puissance vers le Sud-Est du Pacifique, l’Océan Indien, le Golfe et l'Afrique, afin de contrer les goulots d’étranglement de Malacca et échapper aux conditionnements extérieures maritimes, sous contrôle américain.

Elle procède par les lignes internes, par la mise en place d'un corridor économique et par une route énergétique Chine-Pakistan-Golfe Persique, reliant le Port de Gwaidar, au pivot stratégique de Xinjiang.

Beijing adopte la gestion géopolitique des théâtres extérieures et resserre ses liens continentaux avec la Russie.

L'influence chinoise est concrétisée par la construction d'une gigantesque "Route de la Soie", reliant le nord de la Chine à l'Europe, via le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Turkménistan.

Rien de semblable, depuis l'époque pré-impériale (VIIème siècle avant J.C.), lorsque commença la construction de la Grande Muraille, achevée par Quin (en 221 avant J.C.), après avoir conquis un à un l'ensemble des Royaumes combattants et avoir unifié ainsi la Chine.

La similitude n'est pas pour dérouter, car l'idée d'unifier l'Eurasie n'est pas lointaine de l'esprit de Xi-Jinping.

Or Obor rassemble à un véritable "Cheval de Troie" de l'âge moderne, destiné à faire basculer l'Histoire du côté de l'Orient Chinois.

Cette entreprise colossale pourrait avoir pour principe un précepte de Maître Sun Tzu. Dans la guerre,"trompe l'ennemi sur tes intentions!" "Une guerre victorieuse repose sur le mensonge". L'art de vaincre précède le conflit armé et l'accompagne. C'est l'art de tromper, dissimuler et manipuler.

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Avec Obor, la Chine entend manœuvrer, à l'intérieur des terres, rivalisant dans tous les domaines, y compris les plus sophistiqués (les numériques), avec la puissance thalassocratique dominante dans l'Océan Pacifique et Indo-pacifique.

Or ce projet de modernisation et de mondialisation, présente l’entreprise de la Chine comme pacifique, une "Initiative" et pas comme une "grande stratégie", pour éloigner toute allusion à la guerre.

Ainsi l’influence de la stratégie chinoise dans les grandes affaires du monde, demeure une "question d’intérêt vital", non seulement pour la Chine et pour la paix, mais également pour la survie de Chung Kuô et la stabilité régionale et mondiale au XXIème siècle.

Bruxelles le 7 mars 2021

samedi, 06 mars 2021

Derrière la Covid, l'Encerclement Total de l'Europe

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Cafe Noir N.13

Derrière la Covid, l'Encerclement Total de l'Europe

Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde.
 
Émission du Vendredi 5 mars 2021 avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed.
 
Émission spéciale avec comme invités Robert Steuckers & Gabriele Adinolfi.
 
Robert Steuckers, 65 ans, est dissident depuis l'âge de 14 ans. Il est traducteur diplômé de langues allemande et anglaise, animateur du blog Euro-Synergie: https://tinyurl.com/3k82r68v
 
Gabriele Adinolfi est un activiste et théoricien politique italien. Il anime les think tank Centro Studi Polaris et EurHope qui ont aboutit au projet de l’Académie Europe (2020). Le but de cette initiative est de créer une élite apte à influer sur la politique européenne à l’échelle continentale.
 
Orchestre Rouge – L’Internationale Terroriste des Années de Plomb de Gabriele Adinolfi chez AVATAR Éditions est disponible ici: https://tinyurl.com/fpj5at6j
 
Disponible sous peu, toujours de Gabriele Adinolfi et chez AVATAR Éditions, la réédition revue et augmentée de Nos Belles Années de Plomb.
 

jeudi, 04 mars 2021

Le désastre du F-35 américain et la soumission européenne

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Le désastre du F-35 américain et la soumission européenne

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Lancé il y a une vingtaine d'années, l'avion de combat américain Lockheed Martin Joint Strike Fighter F 35 n'a pas cessé d'accumuler les retards et les malfaçons. Le programme pourrait à ce jour coûter plus de 1.500 milliards de dollars.

Depuis sa mise en service, le F-35 a accumulé les malfaçons le rendant à ce jour encore incapable d'une utilisation en opération. Il est trop sensible à la température, vulnérable à la foudre, doté d'un revêtement destiné à la furtivité qui se dégrade en vitesse supersonique. De plus il montre des variations brutales de pression à l'intérieur du cockpit qui sont très gênantes pour les pilotes, il court en permanence le risque d'éclatement d'un pneu à l'atterrissage qui détruirait l'appareil ne détruise l'appareil, son réacteur montre une usure prématurée , son canon ventral mal aligné est incapable d'atteindre une cible.

En 2018 un rapport du Directeur des tests opérationnels et de l'évaluation (DOT&E) récemment remis au Congrès énumérait 966 défaillances techniques évidentes.  110 d'entre elles, de première catégorie, étaient alors considérées comme pouvant «porter atteinte à la fiabilité, à la sécurité ou à d'autres exigences critiques» lors de la mise en service de l'appareil.

Malgré cette longue liste de malfaçons, les pays de l'Otan se sont précipités pour acquérir l'appareil avant même sa disponibilité. Au lancement des ventes à l'été 2017, près de 711 commandes à l'export avaient été passées par onze pays. On peut notamment mentionner les Danemark, Italie, Norvège, Pays-Bas et Royaume-Uni. La France avait fait scandale en préférant son programme d'avions de combat Dassault.

Plus tard, d'autres bons clients de l'industrie américaine, tels que la Belgique et la Pologne, franchiront le pas malgré la disponibilité des européens Grippen, Eurofighter et surtout  le Rafale de Dassault. Le plus surprenant est le Japon. En juillet 2020, Tokio a commandé pour 220 millions de dollars l'unité une centaine de F-35 qui pourtant ne correspondent nullement à ses besoins.

En effet, le Japon recherche avant tout des appareils dits de suprématie aérienne, pour faire face à des appareils russes ou chinois, ainsi que des avions capables de mener des attaques contre des navires. Or, le F-35 n'est capable ni de l'un ni de l'autre, ses soutes d'armement étant trop petites pour des missiles anti-navires et doivent être ouvertes de temps à autre afin de pallier à un problème d'échauffement

Le Japon, comme d'autres alliés des États-Unis, s'intéressait davantage au F-22 Raptor. Il s'agit d'un intercepteur, également furtif, mais doté de qualité de vol qui manquent au F-35. Mais le Congrès américain en a interdit la vente à l'export par crainte de voir ses technologies tomber dans des mains chinoises ou russes. Le programme a depuis lors été interrompu.

Comme nous l'avons indiqué précédemment, si le dixième des sommes dépensées pour le F-35 avaient été consacrées à l'exploration spatiale, les Américains disposeraient depuis longtemps de bases permanentes habitables sur la Lune et sur Mars. 

Pourquoi la Turquie ne peut pas faire pression pour normaliser ses rapports avec les États-Unis

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Pourquoi la Turquie ne peut pas faire pression pour normaliser ses rapports avec les États-Unis

Par Salman Rafi Sheikh

Ex : https://geopol.pt

Alors que les liens entre la Turquie et les États-Unis se sont tendus ces dernières années et qu'un divorce stratégique n'est plus complètement irréaliste, la politique étrangère de la Turquie continue de tourner autour de la question de l'équilibre entre l'Ouest et l'Est. Alors que sa situation géographique aux frontières de l'Asie et de l'Europe semble déterminer en grande partie son orientation désormais plus large en matière de politique étrangère, la Turquie sous Erdogan a également acquis, ou du moins essaie d'acquérir, un statut de grande puissance qui lui permettrait d'agir comme un "équilibreur" entre les deux grands pôles de puissance du monde. Mais le positionnement stratégique particulier de la Turquie, inspiré par la volonté de se rétablir en tant qu'empire "néo-ottoman", capable de mener une politique étrangère véritablement indépendante et d'agir comme une grande puissance, a surtout provoqué une scission entre la Turquie et ses alliés de l'OTAN, en particulier les États-Unis. Les États-Unis ont expulsé la Turquie du programme de développement des F-35, et leurs relations bilatérales n'ont jamais été aussi tendues qu'aujourd'hui. Si la principale motivation de la Turquie pour améliorer ses relations avec la Russie était de diminuer sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et d'acquérir ainsi une meilleure position de négociation, elle s'est clairement retournée contre elle ; d'où les tentatives de la Turquie pour rétablir l'équilibre.

Si la Turquie réussit à acquérir les avions F-35 en tant que membre de l'OTAN, cela renforcera considérablement sa capacité de défense aérienne. À cette fin, elle a récemment engagé un cabinet d'avocats basé à Washington pour faire pression en faveur de sa réadmission dans le programme américain d'avions de chasse F-35. Ankara avait commandé plus de 100 chasseurs furtifs et a fabriqué des pièces pour leur production, mais a été retirée du programme en 2019 après avoir acheté des systèmes de défense anti-missiles russes S-400, qui, selon les Etats-Unis, pourraient menacer les F-35.

L'embauche par la Turquie d'une société chargée de représenter ses intérêts démontre qu'une transition politique à la Maison Blanche n'a pas conduit à une transition automatique dans les relations bilatérales entre les deux pays. Cette démarche confirme que leurs désaccords sont fondés sur des différences politiques qui vont bien au-delà des présidents en exercice. Par conséquent, les tentatives de la Turquie de recalibrer ses liens avec les États-Unis ne porteront probablement pas leurs fruits pour une raison : leurs différences ne sont pas politiques ; elles sont stratégiques, et leur convergence théorique, en tant qu'alliés au sein de l'OTAN, est sans cesse mise en balance avec leurs divergences.

Le 23 février, le Pentagone l'a confirmé :

"Il n'y a pas eu de changement dans la politique de l'administration concernant les F-35 et les S-400″. Une fois de plus, nous demandons instamment à la Turquie de ne pas aller de l'avant avec la livraison des S-400".

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La position américaine reste inchangée malgré l'allusion récente du ministre turc de la défense, Hulusi Akar, à la possibilité de trouver une "solution gérable" pour le système S-400.

La position stratégique de la Turquie en tant qu'acteur indépendant, positionné à l'intersection de l'Ouest et de l'Est, est la raison principale de la position inchangée des États-Unis.

D'une part, la rivalité américano-russe est très ancrée dans la ‘’pensée à somme nulle’’, issue de la concurrence de la guerre froide. La Turquie, en revanche, avec sa position géographique très particulière, couplée à sa quête pour traduire les effets de cette localisation en politique étrangère, ne sert pas le jeu à somme nulle des États-Unis contre la Russie.

Le fait que la Turquie ait établi des liens politiques et militaires forts avec la Russie montre que les États-Unis et la Turquie ont des perceptions fondamentalement différentes de la menace. Par conséquent, alors que la Turquie semble croire que le système international actuel n'est plus aussi centré sur l'Occident et dominé par les États-Unis qu'il l'était antérieurement, et que la Turquie devrait poursuivre ses intérêts par un équilibrage géopolitique plus varié, Washington, obsédé qu'il est par la nécessité de trouver remède à la chute des États-Unis en tant que seule superpuissance, considère cette interprétation turque des affaires internationales comme anormale et irréelle. Pour Erdogan et les responsables politiques turcs à Ankara, il s'agit d'un ajustement à la nouvelle normalité de la politique mondiale.

Ces divergences ont également engendré certains points de tension politique, dont la manifestation la plus importante est la crise de longue date entre la Turquie et le Commandement central américain (CENTCOM) à propos de la crise syrienne et de la manière dont les États-Unis continuent à soutenir militairement les milices kurdes, en particulier le GPJ.

Dans ce contexte, l'administration Biden, qui a promis d'œuvrer au rétablissement de la domination américaine au niveau mondial, sera très probablement en mesure de résister aux tentatives de la Turquie d'opérer en tant qu'acteur indépendant au sein de l'OTAN, une organisation qui reste bloquée dans la pensée stratégique propre à la guerre froide et qui continue à s'imaginer inamovible et à se réinventer pour toujours et encore faire la guerre à la Russie en Europe.

Par conséquent, alors que les États-Unis voudraient rétablir les liens avec la Turquie si celle-ci abandonne le système S-400 et retourne à l'OTAN, la Turquie veut effectuer ce rétablissement d'une manière qui amène les États-Unis à l'idée d'accepter la nouvelle réalité géopolitique dans le voisinage de la Turquie, y compris le rôle de la Turquie en Syrie, et les changements plus généraux dans les affaires internationales.

Si un idéaliste préconise de trouver un "terrain d'entente" pour rapprocher les deux pays, il n'en reste pas moins que les États-Unis n'ont aucune raison impérieuse de redéfinir leur vision centrale du monde pour satisfaire la Turquie. Dans l'état actuel des choses, la Turquie n'est pas un allié indispensable de l'OTAN. C'est ce qui ressort du fait que les États-Unis préparent déjà des plans pour déplacer leur base aérienne d'Incirlik en Turquie vers l'île grecque de Crète.

Bien que cette relocalisation constitue un revers majeur pour la Turquie, elle servirait tout de même les intérêts américains dans la région. D'autre part, si la Turquie décide d'abandonner les S-400, cela restera un revers stratégique très important pour son positionnement en tant qu'acteur international majeur capable d'influencer des régions bien au-delà de ses frontières territoriales, et pour son image d'empire "néo-ottoman".

Si la Turquie a proposé de trouver une formule de compromis et de fixer les conditions dans lesquelles les S-400 peuvent être rendus opérationnels et utilisés, l'avenir de cette offre reste tributaire de la manière dont l'administration Biden l'interprète et y répond, ce qui dépend à son tour de la manière dont cette formule peut préserver et renforcer les intérêts américains au niveau régional et mondial.

Un Dix-Huit Brumaire et un Coup d'Etat légal en Italie

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Un Dix-Huit Brumaire et un Coup d'Etat légal en Italie

Wernerius von Lothringen

Lorsque le Président de la République italienne s'adressa aux partis politiques italiens le 3 février 2021, dans le but de former un gouvernement à majorité parlementaire assurée, faisant appel à Mario Draghi comme  Président désigné du Conseil des Ministres, il ne savait pas encore qu'il aurait enclenché un processus de recomposition institutionnelle,  conduisant  à un Coup d'Etat légal.

En effet pour le Chef de l'Etat , la République c'était le Parlement et non pas le pays réel, c'était la fiction de la représentation politique  et non pas l'opinion .Le cap de la boussole historique était la Constitution républicaine et non pas le peuple , la légalité et non pas sa présomption.                                                                                                      

La droite eut beau de faire appel désespérément aux élections,pour mettre en accord légalité et légitimité,représentation et volonté populaire.

La décision du Président de la République affirma légalement le contraire. Légalement mais pas légitimement.

Le Président avait-il prévu que  l'interférence continue de la légalité et de la légitimité, aurait favorisé la transformation de la fonction  du Président du Conseil désigné, en figure consulaire ? L'investiture de ce garant de la dernière chance de la politique italienne  était bien et sans nuance  celle du Sénat de Rome dans les temps sombres de la république romaine, lorsque tombait l'épée de Damoclès sur la sécurité et la perspective de conflit aux portes: "Caveant Consules ne Respublica détrimenti capiat!". Or le Rubicon avait été franchi et dans le ballet des vas et vient des consultations ils ne manquaient que les toges immaculées des sénateurs!

Dans l'arène affolée des nouveaux convertis à la catéchèse du Salut et à son César,  le rôle du procureur des moeurs anciennes , le rôle de Cicéron,  était assuré par un femme, Giorgia Meloni, dans la fonction catilinaire de dissidente et de tribun du peuple.

Elle y assurait la voix de l'opposition et de la démocratie, en solitaire , dans un Parlement devenu soudainement docile et servile, mais globalement  épaté et hostile .

Une voix patriote, anti-unanimiste et de droite qui sera insultée, invectivée et humiliée par un professeur universitaire de gauche, assurant la profondeur de la haine de classe, dans une institution d'enseignement supérieur, publique, laïque et pluraliste. Cette institution  comme les assemblée d'étudiants et la rue en révolte,étaient aux mains, depuis 68, d'une contestation endémique, devenue post-coloniale.

La situation politique grave, d'émergence, anti-politique et insurrectionnelle de l'Italie était semblable à celle d'Espagne, de  France ou du Danemark. Guerrilla urbaine, caillassages, incendies, pillages, vols de masse . Une situation avortée, grâce à Dieu  d'un révolution improbable.

Il manquait le parti révolutionnaire, les révolutionnaires de profession, la volonté d'en finir avec le système et faisait défaut, en particulier,  l'Homme providentiel. Manquait également  la haine instinctive du peuple et la résurgence des sentiments et des préjugés des "larges masses" contre l'Etat.

En fait la défense de l'Etat était assurée par des mesures de police et guère par l'armée, car les problèmes qui étaient posés étaient ceux de la classe politique et pas du pouvoir institutionnel, de la liberté et de la tyrannie .

Les Black- Blocs n'étaient pas l'expression du peuple de souche ,mais de fauteurs de désordre et de chaos, immigrés et déracinées, inintégrables et dangereux. Ils n'avaient rien d'autre à proposer que de la destruction, de la négation et du nihilisme.

La grande nouveauté, c'était, en revanche, la variété de la protestation et l'hétérogénéité de la représentation politique, verbeuse et fragmentée.

Le paradigme du changement n'était plus l'espoir mais le retour à la légalité trahie. C'est pourquoi César et le Chef de l'Etat incarnaient l'avenir du pays et celui du menu peuple.

Le Thermidor de Draghi n"était pas encore là et Lucien Bonaparte ou Sieyès, ne tissaient nullement les ficelles de l'intrigue, derrière le calme apparent de Draghi-Napoléon.

Les petits Bolchéviks de la Ligue et les infimes Menchéviques libéraux-démocrates de  feu le Mouvement 5 Etoiles ne pouvaient préfigurer une insurrection ni une alternative à César, car les réformes du Conte-Kerenski ne pouvaient aller plus loin que les plans de Soros-Bill Gates ou Klaus Schwab de Davos, dans la réinitialisation de l'économie, finalement verte et universelle.

Une économie qui devait  correspondre aux prêches de Greta Thunberg et des coalitions sexiste  LGBT, transgenres, islamo-gauchistes, des groupes progressifs Rock et des mouvements Stormy Six, Komintern, Univers Zéro et post-coloniaux divers.

Une solution inédite en somme , national-globaliste, qui avait  intégré le souverainisme anti-européiste antérieur, rélégant Mattéo Renzi à un rôle de comédien, mode Trotski, condamné à une répétition de sa  ''Révolution permanente" et promu à une fuite en avant sans fin, destinée à s'éteindre à Mexico, par la main violente d'un vrai démocrate.

Le parti fantôme de Zingaretti, qui pensait à exister, après la "guerre ( partisane) de tous contre tous" retarda le Dix-Huit Brumaire de Draghi dans l'attente de l'élection césariste du premier Consul à substitut du Président Mattarella.

D'ici là, quelles seraient les "Ides de Mars " et qui en  sera le Brutus ?

Les tendances, les trois forces et leurs issues

Au delà de l'actualité immédiate, en quoi le "Dix Huit Brumaire" et  le "Coup d'Etat parlementaire" de Mattarella -Draghi ont ils débouchés? Quelles tendances coexistent-elles au sein de la formule politique italienne , susceptible de constituer un modèle inédit ? Et, in fine,  qui et quelle force politique s'imposeront ils?

On peut, grosso modo, identifier dans le "Gouvernement d'urgence" de Draghi trois grandes forces et trois grandes issues possibles:

- Une formule euro-césariste à la de Gaulle, très longtemps renvoyée, à caractère national-globaliste (réformes+management + démocratie restreinte+ unanimisme décisionnel + ''protagonisme européiste'')

-Une modernisation anti-bureaucratique à l'italienne (modèle de Gènes, décentralisation régionale et recentralisation nationale essentielle)

- Un status-quo amélioré (assistentialisme + destruction créatrice + subordination bruxelloise et globaliste)

La première comporterait un appui de la droite européiste et de la Ligue,  en faveur du travail et d'une ré-industrialisation technologique d'avenir, surtout au Nord du pays .

La deuxième, un rééquilibrage entre Régions et Etat et une accalmie des classes moyennes sur-taxées.

La troisième une subordination accrue à l'Union Européenne, désagrégée et sans projet, faisant de l'Italie un pays intermédiaire entre les zones développées et le Tiiers et Quart-monde; en compagnie de l'Espagne socialiste et de la France déclassée, au sein d'une Union européenne au Leadership solitaire et aggravé de l'Allemagne et des pays du Nord de l'Union.

Le Dix-Huit Brumaire du Premier Consul tranchera entre ces tendances et fera là un toilettage de l'esprit, influençant les coups d'Etats post-modernes.

Bruxelles le 2 mars 2021.

mercredi, 03 mars 2021

La dangereuse stratégie USA-OTAN en Europe

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La dangereuse stratégie USA-OTAN en Europe

Par Manlio Dinucci

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

L'exercice OTAN Dynamic Manta de lutte anti-sous-marine se déroule en mer Ionienne du 22 février au 5 mars. Des navires, des sous-marins et des avions des États-Unis, d'Italie, de France, d'Allemagne, de Grèce, d'Espagne, de Belgique et de Turquie y participent. Les deux principales unités participant à cet exercice sont un sous-marin d'attaque nucléaire américain de la classe Los Angeles et le porte-avions français à propulsion nucléaire Charles de Gaulle et son groupement tactique, qui comprend également un sous-marin d'attaque nucléaire. Le Charles de Gaulle, immédiatement après, se rendra dans le golfe Persique.

L'Italie, qui participe à Dynamic Manta avec des navires et des sous-marins, est le "pays hôte" de l'ensemble de l'exercice : elle a mis à la disposition des forces participantes le port de Catane et la station d'hélicoptères de la marine à Catane, la base aéronavale de Sigonella (la plus grande base US/OTAN en Méditerranée) et la base logistique d'Augusta pour l'approvisionnement. Le but de l'exercice est de chasser les sous-marins russes en Méditerranée qui, selon l'OTAN, menacent l'Europe.

Ces mêmes jours, le porte-avions Eisenhower et son groupe de combat mènent des opérations dans l'Atlantique pour "démontrer le soutien militaire continu des États-Unis aux alliés et leur engagement à maintenir les mers libres et ouvertes". Ces opérations - menées par la sixième flotte, dont le commandement est à Naples et la base à Gaeta - s'inscrivent dans la stratégie énoncée notamment par l'amiral Foggo, ancien chef du commandement de l'OTAN à Naples : accusant la Russie de vouloir couler les navires reliant les deux côtés de l'Atlantique avec ses sous-marins, afin d'isoler l'Europe des États-Unis, il soutient que l'OTAN doit se préparer à la "quatrième bataille de l'Atlantique", après celles des deux guerres mondiales et de la guerre froide.

Pendant que des exercices navals sont en cours, des bombardiers stratégiques B-1, transférés du Texas à la Norvège, effectuent des "missions" à proximité du territoire russe, avec des avions de chasse F-35 norvégiens, pour "démontrer l'état de préparation des États-Unis et leur capacité à soutenir leurs alliés".

Les opérations militaires en Europe et dans les mers adjacentes sont menées sous le commandement du général Tod Wolters, de l'armée de l'air américaine, qui est à la tête du Commandement américain en Europe et en même temps de l'OTAN, le poste de commandant suprême des forces alliées en Europe revenant toujours à un général américain.

Toutes ces opérations militaires sont officiellement motivées par la "défense de l'Europe contre l'agression russe", inversant la réalité : c'est l'OTAN qui s'est étendue en Europe, avec ses forces et ses bases, y compris nucléaires, derrière la Russie. Lors du Conseil européen du 26 février, le secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, a déclaré que "les menaces auxquelles nous étions confrontés avant la pandémie sont toujours là", mettant en avant "les actions agressives de la Russie" et, en arrière-plan, une menace de "montée de la Chine".

Il a ensuite souligné la nécessité de renforcer le lien transatlantique entre les États-Unis et l'Europe, comme le souhaite vivement la nouvelle administration Biden, en faisant passer la coopération UE-OTAN à un niveau supérieur. Plus de 90 % des habitants de l'Union européenne, a-t-il rappelé, vivent aujourd'hui dans des pays de l'OTAN (dont font partie 21 des 27 pays de l'UE). Le Conseil européen a réaffirmé "l'engagement de coopérer étroitement avec l'OTAN et la nouvelle administration Biden en matière de sécurité et de défense", rendant ainsi l'UE militairement plus forte.

Comme l'a souligné le Premier ministre italien Mario Draghi dans son discours, ce renforcement doit se faire dans un cadre de complémentarité avec l'OTAN et de coordination avec les États-Unis. Le renforcement militaire de l'UE doit donc être complémentaire de celui de l'OTAN, qui, à son tour, est complémentaire de la stratégie américaine. Elle consiste en fait à provoquer des tensions croissantes en Europe avec la Russie, de manière à accroître l'influence des États-Unis dans l'Union européenne elle-même.

Un jeu de plus en plus dangereux, car il pousse la Russie à se renforcer militairement, et de plus en plus coûteux. Ceci est confirmé par le fait qu'en 2020, au plus fort de la crise, les dépenses militaires italiennes sont passées de la 13e à la 12e place dans le monde, dépassant ainsi celles de l'Australie.

L’islamo-gauchisme, les limites d'une alliance

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L’islamo-gauchisme, les limites d'une alliance

Par Franck BULEUX

Ex: https://metainfos.com

L’expression « islamo-gauchisme » a fait son apparition dans les médias mainstream. Je l’évoque dans mon essai La guerre sociale qui vient (Éditions Dualpha, 2020) mais il était, jusqu’à l’intervention de la ministre, politiquement incorrect de suggérer l’existence de cette alliance, au moins sémantique, au-delà des cercles classés à droite de la droite. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a le mérite d’avoir soulevé la réalité des faits et fait révéler les soutiens de cette mouvance politico-religieuse au moins au cœur des universités françaises.

Car l’intérêt premier de cette affaire est le suivant : de l’absence de reconnaissance du concept, nous sommes passés à la liste des « pratiquants », tous ces pétitionnaires qui se sont dévoilés pour exiger (sic) la démission de la ministre. Donc, l’islamo-gauchisme existe puisqu’il a touché des « chercheurs » ou, plus exactement, des enseignants, c’est-à-dire des personnes qui délivrent une parole écoutée des futurs cadres de la France.

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Frédérique Vidal dénonce « le militantisme » de certains qui privilégient « l’opinion » sur « la recherche ». Il sera difficile de donner une stricte définition à cette « alliance » qui recouvre, dans la réalité, le fait pour des intellectuels d’extrême gauche, à la Plenel, d’utiliser l’Islam comme « la religion des prolétaires » du monde. En contrepartie, la défense systématique du port du voile dans les universités semble s’opposer dans les établissements scolaires avant le baccalauréat…

L’islamo-gauchisme revient, si nous devions utiliser les termes de cette mouvance, aux dérives du colonialisme tant décrié : ce sont des Blancs (pour la plupart) qui manipulent des populations d’origine immigrée dans le but de résister à toute intégration ou, pire, assimilation. Le nobliau du Vivarais Geoffroy Daniel de Lagasnerie, figure de la nouvelle gauche radicale, théorise ses concepts décoloniaux en faveur des populations « racisées « et la famille Traoré, emmenée par Assa, égérie du pavé parisien, rameute les troupes, y compris d’ailleurs pendant les périodes de restriction des libertés dues à la crise sanitaire. Il doit y avoir une impunité dans certaines situations. Ce partage des tâches est saisissant, il y a les penseurs et les marcheurs. Dès le milieu des années 1990, l’Organisation communiste international (OCI) avaient théorisé cette alliance et dès le début des années 2000, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) de Besancenot et Krivine présentait des femmes voilées aux élections. Pas parce qu’elles étaient femmes mais parce qu’elles étaient voilées.

Couv-Revue-des-Deux-Mondes-octobre-2018-645x1024.jpgL’extrême gauche culturelle ne sait plus, ne peut plus mobiliser un Mai-68. En revanche, elle peut renvoyer une identité magnifiée à des populations dont l’existence varie entre la mosquée, les produits stupéfiants (qui viennent du « bled ») et le Mac-Do.

Sur le fond, que révèle cet alliage « islamo-gauchiste » ? Outre la stratégie d’une certaine gauche de mobiliser des populations, y compris lors des élections pour « faire barrage » aux candidats considérés comme « trop à droite », cet amalgame politique nous montre la faiblesse d’une idéologie que les Français ont tendance à surestimer, du fait de l’impunité que procure, à certains, le dispositif législatif.

Car s’il est plausible de comprendre les nouvelles « lumières » de cette gauche, dont le but n’a été de cesse de mettre à bas les valeurs traditionnelles (celles de l’Occident), il est plus complexe de s’interroger sur l’Islam. Ce mouvement conquérant (sic) ne serait plus que le porteur d’eau d’intellectuels en manque de résonnance. L’islam n’aurait de valeur que dans le nombre, la force (certes essentielle) de la démographie qui, peu à peu, livre nos quartiers à des bandes mettant en place des systèmes de valeurs en contradiction avec la parité femmes-hommes ou l’égalité des enfants au sein des foyers ou bien encore la liberté du choix du conjoint…

L’Islam comme symbole du prolétariat ? Qu’en pensent le protégé des États-Unis, Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie Saoudite ou le Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar qui pratique l’islamo-sportif de manière ostentatoire ?

Le prolétariat est bien porté sur les maillots des joueurs du Paris-Saint-Germain. Cette simple démonstration pose les limites de cette engeance « islamo-gauchiste ». L’islamo-gauchisme ne se veut que le fer de lance de l’ethno-masochisme européen (blanc si vous préférez, les États-Unis n’étant qu’une excroissance européenne en matière de population). Notre faiblesse nourrit leur force.

VALEURS-ACTUELLES-ISLAMO-GAUCHISME.jpgAu-delà de cet état des lieux, que révèle cette controverse de l’Islam à part la faiblesse intrinsèque de cette idéologie politico-religieuse ? Sans l’appui des forces progressistes et surtout la protection des lois (l’islamophobie, c’est-à-dire la peur d’une religion est en train de devenir un délit…), l’Islam serait une identité limitée à des croyances archaïques.

Un dernier point sur une affaire sur laquelle nous ne manquerons pas de revenir : les universitaires d’extrême gauche ont retrouvé un prolétariat et on peut penser qu’ils militeront pour la « discrimination positive », pour développer leur présence au sein des universités (ce sont les Blancs qui préparent des CAP ou des brevets professionnels, vous savez l’électorat de Le Pen…) mais ce que nos universitaires oublient, c’est le principe du « renvoi de l’ascenseur ». Dans l’islamo-gauchisme, il y a ceux qui essaient de rester sur le devant de la scène et ceux qui veulent conquérir les corps (et les esprits). Entre islam et gauchisme, il est probable qu’à terme, l’un des deux termes sera de trop et le voile se porte mieux, dans les quartiers sensibles, que l’épinglette de Trotski. C’est ainsi et à terme, les gauchistes devront eux-aussi céder leur place, les homos rentrer dans leur placard mais le romancier Michel Houellebecq n’avait-il pas déjà tout prédit avec d’avance ?… 

En complément :

L’Europe comme troisième voie

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L’Europe comme troisième voie

par Georges FELTIN-TRACOL

En ce premier quart du XXIe siècle, le projet européen ne passionne guère les jeunes; il n’enthousiasme plus les anciens; il indispose les peuples. Son évocation ne suscite que sarcasmes, critiques, agacements et indifférences. La crise sanitaire covidienne révèle les dysfonctionnements initiaux majeurs de son union marchande, dépolitisée et moralisante. Déclassée en économie, en sciences et dans les techniques de pointe, cet ensemble bureaucratique déclinant fidèle aux dogmes éculés du libre-échange global et infesté par les lobbies prend chaque jour un peu plus l’aspect d’un asile psychiatrique peu rutilant, ce qui n’empêche pas l’afflux croissant de masses envieuses de l’ancien Tiers Monde.

Certains répliquent à cette décadence manifeste en prônant d’abord une sortie nationale, puis ensuite la formation d’une Europe des États, des patries, des nations, voire des régions économiques. Cette option est vaine, car perdurent encore les filaments d’une civilisation inestimable qui souffre d’une longue et pénible dormition. L’Europe reste en outre la patrie de nos nations, de nos peuples et de nos terroirs. Sa survie conditionne leur existence, leur pérennité et leur avenir.

Le réveil européen ne passera que par l’avènement de son propre grand espace. Il ne correspondra ni à l’actuel grand espace occidental euro-américain qui s’articule autour de l’Alliance Atlantique et de son bras armé, l’OTAN, ni au grand espace eurasiatique, voire eurasien, en cours de constitution par le biais de la coopération entre Moscou et Pékin. Le renouveau européen ne proviendra ni d’une intégration militaire, économique et technique en cours tournée vers une pensée liquide propice aux surfaces océaniques, ni d’un ralliement bancal au seul horizon terrestre « steppien ».

Devant l’échec patent de la sociale-démocratie, du libéralisme social et du progressisme pragmatique, les Européens soucieux du bien commun, de l’intérêt général et de l’esprit européen se doivent de bâtir un grand foyer continental considéré comme un projet civilisationnel de puissance. Cette grande ambition nécessite la redécouverte politique, sociale, économique et géopolitique d’un non-alignement fondamental, d’un dépassement des oppositions désuètes. Au slogan politique « ni droite ni gauche » doivent désormais s’ajouter le mot d’ordre socio-économique « ni collectivisme ni individualisme », et l’orientation géopolitique « ni Est ni Ouest » (ou mieux encore « et Terre et Mer » du fait de la configuration côtière complexe de ce « petit cap de l’immense Eurasie »), soit les fondements d’une vision du monde découlant de la troisième voie.

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On retrouve ce riche concept sous des formulations socio-historiques et politiques variées dans maintes sociétés européennes. Plus qu’une position attentiste ou qu’un parti-pris vaguement « neutraliste », l’Europe envisagée en tant que troisième voie intégrale se veut une réaction à la segmentation technicienne de la vie quotidienne, son artificialisation, aux affres toujours plus brutales du « spectaculaire intégré » et à l’occultation encouragée des différences essentielles au profit de différences superficielles égotiques. La troisième voie européenne se comprend principalement comme une prise en compte de la mesure à l’aune d’un être enchâssé dans ses communautés d’appartenance charnelles, historiques, professionnelles et territoriales qu’il doit d’ailleurs retrouver, réhabiliter et fructifier.

Se revendiquer de la mesure n’implique cependant pas de végéter dans la torpeur (ou dans la tiédeur), de gesticuler avec fébrilité à la première occasion ou de lancer des propos péremptoires à la face du monde. L’attachement à la mesure dans une perspective clairement tercériste suppose plutôt d’investir la notion dans tous les champs possibles de l’existence humaine. Par exemple, refuser le mondialisme et l’État-nation pour insister sur le principe de l’Empire, soutenir l’essor des entreprises coopératives, la participation des travailleurs au destin de leur communauté de production, l’affranchissement des producteurs de la tyrannie du salariat, la mise en place au-delà du parlementarisme, du présidentialisme et de la partitocratie d’institutions novatrices avant-gardistes, associant rigueur aristocratique et aspirations populaires.

Des plans Fouchet de 1961 – 1962 à l’Initiative des Trois-Mers sans oublier le Groupe de Visegrad et les tentatives eurafricaines, bien des essais de troisième voie parsèment l’histoire européenne. Faute d’une dynamique suffisante et d’une élite préparée, tous ces plans ont échoué. Près du Minuit de leur devenir commun, seuls des Européens convaincus peuvent provoquer une nouvelle aurore civilisationnelle, une aube hespériale, en confrontant leur époque et les défis qu’elle charrie aux exigences de la réflexion, de la persévérance et de l’action.

Georges Feltin-Tracol

• D’abord mis en ligne sur Vox NR, le 9 février 2021.

mardi, 02 mars 2021

L’Europe, les GAFAM et l’impuissance régulatoire

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L’Europe, les GAFAM et l’impuissance régulatoire

par Charles Thibout
Ex: https://chronik.fr
  • Ce texte est issu de l’audition de Charles Thibout sur « la régulation européenne du numérique », dans le cadre de la réunion des commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Bundestag (12 février 2021).

L’Europe continue de briller par son absence parmi les puissances publiques et privées nées de la troisième révolution technologique. A défaut, elle tente de renouer avec l’une fonctions modernes de la puissance publique : la régulation. Les deux règlements dévoilés par la Commission européenne – le DSA (Digital Services Act) et le DMA (Digital Market Act) sont précisément censés réguler le marché du numérique et limiter les abus des grandes entreprises de la tech. Ces textes annoncent-ils l’avènement d’une Union européenne érigée en puissance régulatrice du numérique ?

L’Europe, c’est-à-dire ici les institutions de l’UE et ses États membres, est prise dans un faisceau d’injonctions contradictoires, dès qu’il est question des grandes entreprises transnationales du numérique, en particulier d’origine américaine (GAFAM) et chinoise (BATHX). Pourtant, les déclarations des dirigeants européens sont à l’unisson (ou presque) : ces entreprises brideraient la croissance endogène de l’UE et entameraient sa « souveraineté », du moins son indépendance.

La souveraineté numérique via la régulation numérique

Pour remédier à cette situation, un mot clef, « magique », est martelé : la régulation, soit l’encadrement par des instruments normatifs plus ou moins contraignants d’un marché considéré comme défaillant. Ainsi, la Commission européenne, via le Digital Market Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), a affiché sa volonté de contrer la puissance de ces entreprises en s’attaquant à leur position dominante (on retrouve là le souci quasi-idiosyncrasique de la concurrence libre et non faussée chère à la « machine bruxelloise »). Au-delà du marché, la Commission s’intéresse aussi à l’espace public que représentent ces plateformes, qui, avouons-le, ont joué un rôle majeur dans la démocratisation de l’information et de l’accès à l’information, en dépit de tous les problèmes réels et préoccupants qu’elles ont soulevés par ailleurs.

Les mesures envisagées par la Commission sont-elles utiles, nécessaires, voire efficaces ? D’abord, reconnaissons qu’elles sont ambitieuses et tranchent avec certaines attitudes passées. Ambitieuses quand on songe aux obligations d’interopérabilité des plateformes et à la portabilité des données des utilisateurs, notamment des professionnels, qui sont inscrites en l’état dans le DMA. Tout cela éveille l’intérêt. Il n’est pas certain, en revanche, que cela règle le problème du déficit d’innovation des entreprises européennes et des faibles performances technologiques du continent. L’on peut également douter que les procédures de contrôle et de sanction, prévues dans les deux textes, soient un jour menées à terme, en raison des difficultés techniques et géopolitiques qui ne manqueront pas de se poser.

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Quant au DSA, il est globalement plus raisonnable et mieux équilibré que certaines aventures législatives que nous avons connues par le passé – et que certaines majorités nationales continuent de promouvoir avec exaltation. Songeons particulièrement au fait que l’article 14 sur les mécanismes de notification et d’action ne mentionne pas de délais de traitement précis des signalements : c’est un choix heureux de la part de la Commission. Autrement, vu le nombre de notifications adressées à la firme et le peu de temps pour les traiter, l’on s’acheminerait inéluctablement vers des procédures de censure a priori par la plateforme, ce qui poserait un grave problème pour la liberté d’expression et pour la démocratie.

Pour la liberté d’expression, puisque l’on contraindrait ces entreprises à exercer de facto un pouvoir censorial, qui plus est absolument arbitraire et sans doute démesuré, en ceci qu’elles n’auraient d’autre choix que de retirer un contenu signalé comme « illicite » – voire suspendre le compte d’un utilisateur –, et ce, tout simplement par manque de temps pour se conformer à la législation. Heureusement, ce délai n’est pas mentionné. Cela ne signifie pas, pour autant, que tout risque de ce type est écarté car, malgré tout, l’on octroie ainsi à ces plateformes un pouvoir traditionnellement dévolu à l’autorité judiciaire, qui est, rappelons-le, le gardien des libertés individuelles et, partant, l’un des piliers de la démocratie. Or, cette privatisation et cette dénationalisation de la justice et du pouvoir de censure sont tout ce sur quoi repose l’édifice juridique du DSA : par conséquent, il apparaît nécessaire de réfléchir attentivement aux transformations que cela impliquerait pour nos institutions.

De façon apparemment paradoxale, les États membres voient aussi s’accroître leur capacité d’empiéter sur les droits fondamentaux de leurs citoyens en consacrant leur pouvoir de surveillance. L’article 7 du DSA affirme, certes, que les « fournisseurs de services intermédiaires ne sont soumis à aucune obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». Cependant, comme le note fort justement Marc Rees pour NextINpact, tout dépendra de l’interprétation qui est faite par les autorités nationales de l’expression « surveillance généralisée ». D’autant que le considérant 28 précise avec une clarté toute technocratique que l’interdiction de surveillance généralisée « ne concerne pas les obligations de surveillance applicables à un cas spécifique et, notamment, cela ne fait pas obstacle aux injonctions des autorités nationales émises conformément à la législation nationale ». L’UE demeure bien une organisation intergouvernementale ; les gouvernants savent imposer leurs conditions lorsque leurs intérêts sont en jeu.

Un enjeu géopolitique pour les Etats-Unis

Plus globalement et de façon quelque peu contre-intuitive, l’ambition de ces textes paraît excessive. Ils semblent s’affranchir tout à fait d’un élément de contexte pourtant central : la pression exercée par la puissance américaine sur le processus décisionnel européen – en témoigne l’épisode pathétique de la crise transatlantique autour du déploiement des équipements 5G de Huawei. En d’autres termes, il est peu probable que Washington accueille d’un œil bienveillant ces dispositions qui, au moins dans le principe, reviennent à entamer son développement économique, sa supériorité technoscientifique et sa capacité de projection sur le reste du monde ; bref, les principes cardinaux de sa puissance.

Les grandes entreprises technologiques américaines représentent un levier de pouvoir incontournable pour l’État fédéral, qui pourrait répliquer brutalement à toute tentative de leur barrer la route. Dans le même temps, l’essor général, et en particulier technologique de la Chine, ainsi que les stratégies parfois contradictoires des entreprises américaines avec les intérêts de leur État de tutelle, ouvrent une fenêtre d’opportunité historique pour les Européens pour parvenir au rééquilibrage de leurs relations avec les États-Unis et, peut-être, au recouvrement de leur autonomie.

Occident/Russie : déconnexion totale

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Occident/Russie : déconnexion totale

par Alain RODIER

Ex: https://cf2r.org

Les néoconservateurs américains, suivis par leurs homologues européens, ont gagné. Il semble que les liens entre l’Union européenne et la Russie sont désormais bien coupés. Il reste bien le projet North Stream II, qui doit approvisionner l’Allemagne en gaz russe, mais nul doute que les lobbies vont tenter de le torpiller en imposant des sanctions aux entreprises qui y participent. Résultat, l’Allemagne risque de finir par être dépendante des énergies ayant reçu le blanc-seing des écologistes radicaux. En résumé, fourniture d’électricité par les centrales au charbon, appel au gaz de schiste américain et à divers apports extérieurs dont le nucléaire français.

L’inflexion de la politique étrangère américaine

Il convient de constater que la nouvelle administration en place à la Maison-Blanche applique la maxime : « America is back ! ». En attendant de s’attaquer au « dur » de sa politique étrangère – les relations avec la Chine et l’Iran -, Joe Biden a en tout cas trouvé là un slogan censé rompre avec son prédécesseur et indiquer la marche à suivre pour les prochaines années. Il convient que les États-Unis soient à nouveau « prêts à diriger le monde, pas à s’en éloigner, prêts à affronter nos adversaires, pas à rejeter nos alliés, et prêts à défendre nos valeurs. ».

Le programme est le suivant : le retour à l’ordre international tel que les États-Unis l’ont défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À la doctrine du désengagement de guerres au faible rapport coût/efficacité voulue par Donald Trump, Biden propose une ancienne doxa modifiée à l’aune des « valeurs » progressistes dont il s’est fait le champion lors de sa campagne : le monde se porte mieux quand l’Amérique en assume la direction. Plus néoconservateur, on ne fait pas ! En premier lieu, il a pris le contre-pied de l’alliance passée par son prédécesseur avec l’Arabie saoudite emmenée par le prince Mohammed Ben Salman. La décision la plus spectaculaire a été le gel des livraisons d’armes à Riyad, engagé dans une longue guerre contre les insurgés houthis au Yémen. Il s’agit de « faire en sorte que les ventes d’armes par les États-Unis répondent à nos objectifs stratégiques » a souligné un porte-parole du département d’Etat, tout en qualifiant cette mesure de « routine administrative typique de la plupart des transitions. » le nouveau président a toutefois réaffirmé, le 26 janvier dernier, l’engagement de Washington « à aider notre partenaire, l’Arabie saoudite, à se défendre contre les attaques sur son territoire. » C’est que derrière l’effet d’annonce, le montage diplomatique bâti par Trump autour de la reconnaissance d’Israël et incluant désormais les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan, mérite probablement d’être prolongé. D’autant plus que les Russes sont embuscade en mer Rouge, région éminemment stratégique où ils font les yeux doux au Soudan afin de trouver un point d’appui pour leur flotte.

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Joe Biden a également décidé de prendre le contre-pied de son prédécesseur concernant l’OTAN et, en particulier concernant la présence militaire américaine en Allemagne. Trump, qui avait de mauvaises relations avec la chancelière Angela Merkel, avait annoncé en 2020 vouloir diminuer d’environ 9 000 hommes ce contingent qui compte près de 35 000 militaires. Cette décision avait été présentée comme une sanction envers Berlin – mais aussi indirectement à l’encontre des autres pays membres de l’OTAN – accusé de ne pas mettre assez la main à la poche.

Le retour de l’« ennemi » russe

Surtout, Joe Biden semble décidé à remettre les pendules à l’heure avec la Russie suspectée d’ingérences multiples, lors des élections américaines et dans bien d’autres pays. Ce n’est pas le retour à la Guerre froide mais cela y ressemble furieusement avec une nuance que ne soulignent généralement pas les experts : le Kremlin ne veut plus envahir l’Europe pour la convertir au marxisme-léninisme. Pour Washington, le temps des « indulgences » est fini. Lors de son premier appel à Vladimir Poutine, Biden n’a pas hésité à aborder les sujets qui fâchent : le sort de l’opposant Alexeï Navalny et de ses partisans, le piratage d’institutions fédérales américaines, les récompenses offertes aux talibans afghans tueurs de soldats américains – selon des informations dont une partie est, au moins sujette à caution. Il y est même allé d’un avertissement à peine voilé : « J’ai clairement dit au président Poutine, d’une façon très différente de mon prédécesseur, que le temps où les Etats-Unis se soumettaient face aux actes agressifs de la Russie, l’ingérence dans nos élections, les piratages informatiques, l’empoisonnement de ses citoyens, est révolu. Nous n’hésiterons pas à en augmenter le coût pour la Russie et à défendre nos intérêts vitaux et notre peuple ». Ce discours est à l’évidence à usage interne car il n’a aucune chance d’être entendu puisque, pour les responsables russes, l’agresseur, c’est Washington.

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Les médias pro-Biden – en particulier européens – ont applaudi, insistant beaucoup sur le soutien apporté aux « démocrates » russes. Vladimir Poutine a, comme d’habitude, gardé son calme, préférant se féliciter d’un accord ouvrant possiblement l’extension pour cinq ans du dernier traité de réduction des arsenaux nucléaires (New START), mais rien n’est encore signé : « Prenons d’abord connaissance de ce que les Américains proposent et nous ferons ensuite un commentaire » a tempéré, le porte-parole du président russe. Il sait qu’en dépit de l’enthousiasme quasi unanime affiché lors de la victoire de Biden, nombre d’Européens ne sont pas encore totalement soumis à Washington.

Plus grave encore, il semble, selon Moscou, que les néoconservateurs ont décidé d’exploiter l’affaire Navalny dans l’ambiance explosive crée par la pandémie de la Covid-19. Ces derniers espèrent, en jetant des milliers de manifestants dans la rue – chiffres pour le moment invérifiables -, provoquer une situation de chaos en Russie, dans le but de renverser le pouvoir en place qui ne leur convient pas car il n’est pas « aux ordres ». Cette manière de procéder est loin d’être nouvelle pour les États-Unis qui prennent toujours garde d’intervenir par proxiesinterposés.

La Russie est ainsi redevenue, que l’on le veuille ou non, l’« ennemi conventionnel » suite aux mesures prises par Washington.

Selon Arnaud Dubien, fin connaisseur de la Russie, « 2014 avait marqué la fin des illusions sur la convergence entre la Russie et l’Occident, processus généralement compris comme l’adoption par Moscou du modèle et des règles du jeu édictées à Bruxelles et Washington ». Autant dire un asservissement aux règles édictées par ces entités. Il est compréhensible que les Russes, de culture orthodoxe et encore imprégnés d’un héritage marxiste, aient été réticents à adhérer aux systèmes de pensée occidentaux jugés décadents et pervers.

Alors que doit répondre Moscou ? Toujours selon A. Dubien « ce qui s’est passé à l’occasion de la visite de Josep Borrell au début février à Moscou indique que la Russie n’est pas demandeuse de dialogue politique, en tout cas pas selon l’agenda et les modalités voulues par Bruxelles. Le Kremlin se sent fort, laissera venir et avisera ».

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En résumé sur le plan politique, économique, culturel, etc. la Russie n’attend plus rien de l’Union européenne, considérée comme étant en train de se saborder, à tous points de vue. Peu à peu, ce qui était acheté en Europe est fourni localement ou, à défaut, importé d’autres pays, comme la Chine. Il ne pas se faire d’illusions, les agriculteurs européens en général et français en particulier ne vendront plus rien en Russie dans les années à venir.

Sur le plan militaire, les jeux de « gros bras » se poursuivent, l’OTAN et la Russie continuant à se tester mais sans intention de conquête de part et d’autre. La Pologne et les Etats baltes ont beau agiter la menace représentée par l’Ours russe – qui certes a récupéré la Crimée jugée comme vitale par le Kremlin -, la Russie ne va pas envahir ces pays. Par contre, il n’est pas exclu que Moscou agisse comme le fait Washington, en procédé à des « révolutions de couleur », en y organisant des troubles via des tiers (ONG, sympathisants) afin de maintenir les pouvoirs politiques locaux dans l’incertitude voire l’inquiétude.

Le Grand Nord, nouvel enjeu ?

Sans évoquer sur les opportunités économiques – en partie liées au réchauffement climatique – que beaucoup citent, jusqu’à présent, le Grand Nord était le terrain de jeu quasiment exclusif des bombardiers stratégiques russes.

Mais les forces américaines ont récemment montré leur intérêt pour cette région qui ne peut plus être considérée comme une « zone tampon » pour les États-Unis. En 2020, pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide, l’US Navy a envoyé quatre navires (USS Donald Cook, Porter, Roosevelt et USNS Supply) en mer de Barents, point de départ des sous-marins russes opérant dans l’espace océanique appelée GIUK (Groenland/Iceland/United Kingdom), d’une importance capitale pour les liaisons maritimes entre l’Europe et l’Amérique du Nord.

De son côté, l’US Air Force a mené plusieurs exercices dans la région, notamment en y dépêchant des bombardiers B-1 Lancer (qui n’ont plus de capacité nucléaire) qui ont survolé la Norvège et la Suède. En 2021, l’armée de l’air américaine a l’intention de déployer quatre de ces appareils en Norvège. Ils seront stationnés sur la base aérienne d’Ørland. Cette mission devrait officiellement améliorer l’interopérabilité avec les alliés et les partenaires de Washington en Europe et habituer les forces aux opérations dans le Grand Nord. « La disponibilité opérationnelle et notre capacité à soutenir nos alliés et nos partenaires et à réagir rapidement sont essentielles au succès », a déclaré le général Jeff Harrigian, commandant des forces aériennes américaines en Europe et en Afrique. « Nous apprécions le partenariat durable que nous avons avec la Norvège et attendons avec impatience les opportunités futures pour renforcer notre défense collective », a-t-il ajouté.

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Force est de constater que la rupture Occident/Russie est consommée. Elle était prévisible. Il y a déjà longtemps que Moscou a retiré ses observateurs de l’OTAN. Le divorce est également acté avec l’Union européenne, suite au récent voyage de Josep Borell à Moscou et au les prochaines sanctions prévisibles suite à l’affaire Navalny.