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jeudi, 16 octobre 2025

Le projet eurasiatique de la Hongrie

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Le projet eurasiatique de la Hongrie

Alan Herchhoren

Source: https://mpr21.info/el-proyecto-euroasiatico-de-hungria/

« Nous savons comment ils luttent. Ils utiliseront tous les moyens nécessaires, promettant des emplois, des bourses, la reconnaissance, la célébrité, le pouvoir et l’argent. Ils menacent, si nécessaire, avec de l’argent, des amendes, des sanctions financières et le retrait du droit de vote». Celui qui prononce ces paroles n’est pas un révolutionnaire. C’est Viktor Orbán, président de la Hongrie, dans un discours au sujet de l’Union européenne.

Il existe un proverbe espagnol qui dit: « Quand le navire coule, les rats sont les premiers à le quitter. » Le navire, c’est l’Union européenne et l’Occident et, depuis le début de l’Opération Militaire Spéciale (OMS) en Ukraine, tous les Européens ont pu constater comment le prix du panier de la ménagère, de l’essence pour leurs voitures ou du gaz qui chauffe leurs maisons a considérablement augmenté. L’Union européenne s’est tirée une balle dans le pied et a décidé d’appliquer des sanctions au gaz et au pétrole russes pour ensuite les acheter aux États-Unis, augmentant ainsi considérablement le coût de leur acquisition.

Tandis qu’en Europe occidentale on suit à la lettre les directives de Washington, certains pays commencent à remettre en question les décisions américaines et européennes. Dans le cas hongrois, il ne faut pas se tromper. Il ne s’agit pas d’une révolution, mais d’une question économique. Les comptes ne sont plus équilibrés et la bourgeoisie hongroise cherche des portes de sortie au naufrage, plus que prévisible, du navire européen.

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L’intérêt hongrois pour l’Asie n’est pas récent, il faut le chercher assez loin dans le passé: il remonte à près de 150 ans. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, une théorie appelée « touranisme » est apparue (en référence à Touran, un territoire au nord de l’Iran dénommé ainsi au Moyen Âge). Il ne faut pas oublier que le hongrois est une langue d’origine asiatique qui n’a aucun lien avec les langues européennes: son origine est ouralo-finnoise (tout comme le turc, le finnois ou l'estonien). Cette théorie naît à une époque où émerge le concept d’« identité », avec la naissance des nationalismes et du concept d’État-nation.

Cette théorie a eu un certain écho parmi les élites hongroises de l’Empire austro-hongrois, mais la défaite lors de la Première Guerre mondiale l’a reléguée au second plan. Cependant, pendant l’entre-deux-guerres, les cercles dans lesquels elle s’est diffusée étaient les mêmes qui combattaient la progression du Parti communiste hongrois. Ce furent les mêmes qui soutinrent le coup d’État de l’amiral Horthy (soutenu par la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et les grands capitaux allemands) contre le jeune gouvernement de la République socialiste de Béla Kun en 1921. Les mêmes qui sont restés jusqu’en 1944, moment où l’Armée rouge a libéré la Hongrie du joug nazi-fasciste.

Cependant, l’époque actuelle est différente. Cela ne signifie pas que Viktor Orbán soit un leader révolutionnaire cherchant la souveraineté et l’indépendance de son pays. Bien au contraire – comme nous l’avons dit plus haut, il s’agit d’une question économique.

La Hongrie, tout comme la Turquie, aspire à être un intermédiaire entre l’Europe et l’Asie. Elle souhaite être, à l’image des Turcs qui le sont traditionnellement, le marchand avec qui l’on négocie. C’est pour cette raison qu’elle joue un double rôle. D’un côté, elle participe à l’Union européenne et à l’OTAN (sans quitter ces structures), et de l’autre, elle cherche à maintenir des relations cordiales avec la Russie, regarde vers l’Asie et mise sur l’entrée des capitaux chinois en Europe.

En raison de ses positions ambiguës vis-à-vis de l’Ukraine, l’Union européenne a sanctionné la Hongrie à hauteur de 200 millions d’euros et a retiré une partie de son financement. Selon l’UE, cela est dû à sa politique migratoire, au manque de droits et de liberté d’expression… Pourtant, l’Italie a appliqué les mêmes politiques sans être sanctionnée de la sorte. Il s’agit d’une punition pour sa position ambivalente. Ces sanctions ont incité le gouvernement de Budapest à se tourner vers l’Asie et, en particulier, vers la Chine.

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En décembre 2023, l’entreprise chinoise de véhicules électriques BYD (Build Your Dreams) a annoncé l’implantation dans le sud du pays de la plus grande usine de la marque en Europe, qui deviendra son centre d’opérations sur le continent. En mai 2024, un accord de partenariat stratégique a été signé entre Pékin et Budapest après la visite de Xi Jinping en Hongrie.

Par ailleurs, Budapest continue de miser sur une relation cordiale avec la Russie, regardant toujours vers l’Est, conséquence du déclin de l’Occident. Par exemple, en 2024, le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjártó, a assisté au Forum du gaz à Saint-Pétersbourg, confirmant que « Budapest entend suivre une ligne de souveraineté énergétique par le dialogue direct avec Moscou ».

D’autre part, la Hongrie semble avoir son propre agenda. En 2019, elle est devenue membre observateur du Conseil turc et de l’Assemblée parlementaire des pays turcophones. Pendant le conflit du Haut-Karabakh, la Hongrie a soutenu ouvertement l’Azerbaïdjan et s’est engagée à financer la reconstruction des zones occupées par les Azerbaïdjanais.

En 2024, le pays magyar (avec l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Bulgarie et la Roumanie) a créé une entreprise pour la construction d’une ligne de transmission électrique depuis la mer Caspienne à travers la Géorgie, destinée à fournir de l’électricité à la Roumanie et à la Hongrie. La même année, l’entreprise hongroise MOL (troisième actionnaire d’Azeri-Chirag-Deepwater Gunashli (ACG)) a signé un accord d’exploration et d’exploitation dans le champ pétrolier et gazier de Shamakhi-Gobustan (Azerbaïdjan).

Budapest aspire à négocier d’égal à égal avec l’OTAN et l’Union européenne. L’histoire récente ne manque pas d’exemples de gouvernements ayant voulu se placer au même niveau que les grandes élites occidentales, avec des résultats désastreux. Les élites hongroises semblent – ou veulent – ignorer que l’Occident ne connaît pas de relations entre égaux: chose que l’Orient, lui, connaît.

samedi, 04 octobre 2025

La rivalité entre Moscou et Washington dans le monde turcophone

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La rivalité entre Moscou et Washington dans le monde turcophone

Stefano Vernole

Source: https://telegra.ph/La-rivalit%C3%A0-tra-Mosca-e-Washingto...

Le grand partenariat eurasiatique représente en effet la seule carte dont disposent Moscou et Pékin pour concilier leurs projets d’infrastructures dans la région.

Tandis que l’administration Trump joue la carte de la séduction face aux «swing states» en les attirant avec de nouveaux accords énergétiques — comme celui proposé à la Turquie pour l’achat de son GNL, devenu manifestement moins attrayant après le doublement de la connexion énergétique russo-chinoise — et dans les secteurs de la technologie nucléaire civile et de l’aviation, ou proposé au Kazakhstan et à l’Ouzbékistan, avec 12 milliards de dollars dans les secteurs aérien, ferroviaire et dans celui des matières premières, la Russie mise sur une stratégie globale et promeut le concept « Altaï, patrie des Turcs » ainsi que le projet « Grand Altaï » comme contrepoids à l’Organisation des États turciques (OTS). Par le biais de conférences, d’expéditions et d’initiatives soutenues par l’État, Moscou cherche à se positionner non comme un acteur marginal dans le monde turc, mais comme son centre historique et culturel, notamment après la médiation nécessaire atteinte avec Istanbul en Syrie après la chute d’Assad.

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Selon divers documents publiés, la Russie commence à percevoir l’OTS comme un défi à sa présence en Asie centrale, et la narration de l’Altaï présente la région Sayan-Altaï comme le berceau des langues, des États et de la culture turcs aux 6ème-7ème siècles. Les historiens et fonctionnaires russes soulignent combien l’Altaï est le lieu d’origine sacré des peuples turcs et représente un espace de coexistence entre communautés slaves et turques au nom d’une origine eurasiatique commune.

Cette vision de la translatio imperii permet à Moscou de se présenter en «gardienne» du patrimoine turc, tout comme la Turquie l’a fait, à l’inverse, avec la gestion de Sainte-Sophie à Istanbul.

Des conférences comme le Forum international de l’Altaï à Barnaoul, la publication de la Chronique de la civilisation turque et des programmes pour la jeunesse en turcologie donnent à ce récit un certain poids académique. Cette approche met en lumière le rôle de la Russie comme centre de civilisation et non comme périphérie.

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Moscou promeut le projet « Grand Altaï » comme une initiative transfrontalière reliant la Russie, le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine. Les objectifs proclamés du projet en matière d’écologie, d’échanges scientifiques et de renaissance culturelle s’alignent sur des objectifs politiques plus larges: renforcer le patrimoine turc dans une identité eurasiatique; étendre le soft power russe à travers des projets transfrontaliers; démontrer la capacité à établir des plateformes d’interconnexion alternatives.

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En juillet 2025, le Premier ministre Mikhaïl Michoustine a accueilli à Manzherok, en République de l’Altaï, des dirigeants venus du Kazakhstan, d’Arménie, de Biélorussie et d’autres pays. Bien que présenté officiellement comme un forum environnemental, l’événement a aussi servi de plateforme pour discuter d’intégration et de commerce, révélant ainsi sa nature géopolitique sous couvert culturel.

Les États d’Asie centrale cherchent à équilibrer prudemment les deux cadres.

Le Kazakhstan a reconnu l’Altaï comme une « patrie sacrée de la civilisation turque », tout en s’engageant activement dans des projets lancés par l’Organisation des États turciques (OTS), tels que le livre d’histoire turc commun et l’alphabet unifié. L’Ouzbékistan et le Kirghizistan participent à des festivals et expéditions sur l’Altaï, obtenant une légitimité culturelle sans engagements politiques plus profonds.

Pendant ce temps, les initiatives de l’OTS continuent de progresser. Le livre d’histoire, coordonné par l’Académie turque, est en cours de rédaction et l’alphabet unifié, approuvé en 2024, est introduit progressivement. La Russie observe les deux initiatives avec suspicion, craignant que le nationalisme turcophone ne soit utilisé contre l’intégration eurasiatique.

Plutôt que d’affronter directement l’OTS, la Russie insère l’Altaï dans des stratégies eurasiatiques plus larges, y compris les programmes culturels de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et le dialogue avec l’Union économique eurasiatique (UEE). La compétition concerne cependant moins l’interprétation historique que la définition de futures constellations d’influence.

La stabilité de l’Asie centrale est devenue une composante essentielle de la stabilité même de la République populaire de Chine. Le Traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération éternelle, signé à Astana le 17 juin 2025, engage six parties à ne pas s’aligner l’une contre l’autre, à la modération réciproque, aux consultations et à l’élargissement de la coopération en matière de sécurité et d’économie, tout en intégrant les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale, et en permettant des liens opérationnels plus profonds.

Les récents sommets de Xi’an et d’Astana ont créé 13 plateformes de coopération et mis en place un Secrétariat pour en coordonner la mise en œuvre. En juillet 2025, la Chine et ses partenaires d’Asie centrale ont inauguré des centres de coopération au Xinjiang pour la réduction de la pauvreté, l’échange éducatif et la prévention de la désertification. Leur mission est pratique: emplois ruraux, formation professionnelle, transfert de technologies et gestion environnementale afin de réduire les racines de l’insécurité.

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Les corridors économiques terrestres à travers le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan revêtent aujourd’hui une importance stratégique. L’Asie centrale offre à Pékin une diversification des routes, des tampons physiques contre les chocs maritimes et un accès aux marchés adjacents. La Chine a approuvé la troisième connexion ferroviaire Chine-Kazakhstan, a avancé la ligne Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan après des décennies de négociations et a amélioré les routes avec le Tadjikistan. Les services de conteneurs se sont étendus et le corridor transcaspien a vu sa capacité et sa coordination améliorées. Pékin combine la logistique au pilotage sécuritaire: gestion des frontières, partage de données et formations conjointes, souvent sous l’égide de l’OCS.

Le grand partenariat eurasiatique représente en effet la seule carte dont disposent Moscou et Pékin pour concilier leurs projets d’infrastructures dans la région, fournir à l’Asie centrale la connectivité nécessaire à son essor économique et empêcher les États-Unis d’y créer un foyer de déstabilisation de toute l’Eurasie.

La stratégie du président Vladimir Poutine de centraliser le pouvoir dans la Fédération de Russie a des implications particulières pour les régions frontalières russes, qui ont poursuivi un dialogue avec les États voisins. Le territoire de l’Altaï et la République de l’Altaï — deux régions frontalières russes du sud-ouest de la Sibérie — participent ainsi à une initiative régionaliste avec les régions voisines de la Chine, du Kazakhstan et de la Mongolie. Cette alliance régionale multilatérale entre administrations infranationales vise à coordonner les politiques de développement économique dans la sous-région des monts Altaï. Ses perspectives dépendent en grande partie du soutien politique et économique des autorités fédérales russes, mais aussi du consensus chinois et de l’élaboration d’un soft power eurasiatique plus que jamais nécessaire au vu des défis géostratégiques actuels.

mercredi, 01 octobre 2025

Les sanctions et les droits de douane sont utiles. À ceux qui les ignorent

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Les sanctions et les droits de douane sont utiles. À ceux qui les ignorent

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/le-sanzioni-e-i-dazi-servono-a-...

Les sanctions sont sans aucun doute utiles. Elles renforcent ceux qui ne les imposent pas. Tout comme les droits de douane. Les exportations de viande bovine américaine vers la Chine ont atteint une valeur de 8,1 millions de dollars en juillet et de 9,5 millions en août. L'année dernière, leur valeur était respectivement de 118 et 125 millions de dollars.

Les Chinois sont-ils devenus végétariens ? Non, les exportations de viande bovine australienne ont atteint 221 millions de dollars en juillet et 226 millions en août. Soit une augmentation d'environ 80 millions par mois par rapport à l'année dernière. Les exportations de viande brésilienne vers la Chine ont également augmenté.

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Le problème pour les États-Unis est que la viande australienne coûte moins cher que la viande américaine et que les consommateurs chinois risquent de continuer à préférer la viande australienne même après un éventuel accord sur les droits de douane entre Washington et Pékin.

Cela vaut pour la viande bovine en Chine, mais aussi pour tout autre produit partout ailleurs dans le monde. Si les consommateurs russes s'habituent à des fromages « faux italiens » qui coûtent moins cher que les originaux, ils pourraient continuer à les acheter même après la fin des sanctions.

C'est pourquoi les sanctions sont contre-productives pour ceux qui les appliquent. Et seuls des idiots finis, ou de mauvaise foi, peuvent ne pas comprendre l'absurdité du chantage de Trump à l'Europe: les États-Unis imposeront des sanctions très sévères à Moscou si l'Europe cesse d'acheter du gaz et du pétrole à la Russie.

Et où l'Europe devra-t-elle s'approvisionner? Chez son allié américain, bien sûr. Au même prix? Bien sûr que non. Un peu plus cher. Seulement quatre ou cinq fois plus cher.

Ainsi, après avoir perdu le marché russe, l'Europe devra perdre encore plus de compétitivité sur la scène mondiale. Et les europhiles, bien sûr, ont dit OUI.

lundi, 29 septembre 2025

Les racines profondes de la géopolitique actuelle

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Les racines profondes de la géopolitique actuelle

Peter Turchin

Source: https://geoestrategia.eu/noticia/45185/geoestrategia/las-...

Chine, Russie et Iran : quel est leur dénominateur commun ? Le plus évident est qu’ils sont aujourd’hui les principaux rivaux géopolitiques des États-Unis. Comme l’a récemment écrit Ross Douthat dans une tribune du NYT, intitulée "Qui est en train de gagner la guerre mondiale ?", « il est utile que les Américains considèrent notre situation à l’échelle globale, avec la Russie, l’Iran et la Chine formant une alliance révisionniste qui met à l’épreuve notre puissance impériale » (voir: https://www.nytimes.com/2025/07/12/opinion/trump-russia-c... ).

La publication d’aujourd’hui porte sur une similitude beaucoup moins reconnue entre ces trois puissances challengeuses, liée à l’histoire profonde de ces empires eurasiens.

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Comme je l’ai soutenu dans une série de publications au cours des vingt dernières années, et que je soutiendrai de manière plus détaillée dans mon prochain livre, le principal moteur de « l’impériogenèse » (les processus sous-jacents à l’essor des empires) est la compétition interétatique. L’intensité de cette compétition est, à son tour, amplifiée par les avancées dans les technologies militaires. Chaque révolution militaire génère ainsi une série de méga-empires. Nous vivons aujourd’hui encore à l’ombre de deux anciennes révolutions militaires majeures.

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La révolution de la cavalerie bardée de fer remonte à environ 1000 av. J.-C. Bien que l’équitation et la fonte du fer aient été inventées indépendamment (et dans des régions différentes, voir l’infographie ci-dessous), vers 500 av. J.-C., elles se diffusaient conjointement (pour voir les cartes d’expansion, voir les figures 2 et 3 de notre article « L’essor des machines de guerre ») (ici: https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/jour...). L’histoire détaillée de cette révolution militaire et de ses effets profonds sur l’histoire mondiale se trouve dans mon livre Ultrasociety.

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En résumé, la révolution de la cavalerie bardée de fer a transformé la Grande Steppe eurasienne en une zone motrice d’impériogenèse. Ce cœur continental était le foyer de pasteurs nomades, dont la principale force militaire reposait sur des archers montés à cheval. La plupart des méga-empires prémodernes se trouvaient sur les « rives » de cette « mer d’herbe » (voir la seconde infographie ci-dessous).

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L’un de ces ensembles impériaux, le nord de la Chine, bordait la région steppique orientale (Grande Mongolie). Un autre, l’Iran, faisait face à la steppe centrale (Turkestan). Le troisième, la Russie, s’est développé sous l’influence de la steppe occidentale (région pontique-caspienne). Le nord-est de l’Europe a été intégré un peu tardivement, ses régions forestières n’ayant adopté l’agriculture que vers la fin du premier millénaire de notre ère. Mais ce qui unit ces trois régions impériales – Chine, Iran et Russie – c’est leur développement en interaction étroite avec l’Asie intérieure.

L’autre révolution déterminante fut, bien sûr, celle qui a pris naissance en Europe occidentale autour de 1400 apr. J.-C. Ses deux composantes furent les armes à poudre et les navires transocéaniques. C’est pourquoi je l’appelle la « Révolution des canonnières ». Les parallèles entre ces deux révolutions sont frappants. Les Asiatiques de l’intérieur montaient à cheval et tiraient des flèches, tandis que les Européens naviguaient et tiraient des boulets de canon. L’océan mondial a joué le même rôle que la « mer d’herbe ». Les historiens ont noté ces similitudes. Par exemple, l’historien du Sud-Est asiatique Victor Lieberman a qualifié les Européens d' « Asiatiques de l’intérieur de race blanche ».

Les lecteurs familiers des théories géopolitiques de Mackinder, Mahan, Spykman et autres (sinon, consultez cet article Wikipédia: https://en.wikipedia.org/wiki/Geopolitics) reconnaîtront immédiatement les similitudes entre ce que j’aborde ici et plusieurs concepts géographiques centraux de ces théories (le Heartland, le Rimland, les îles…). Mon analyse historique montre que le conflit entre l’Empire américain et la Chine, la Russie et l’Iran a été marqué par les deux grandes révolutions militaires, ce qui éclaire et affine les théories géopolitiques traditionnelles.

Ainsi, la Grande Steppe (considérée comme une région cruciale par diverses théories géopolitiques) n’a aujourd’hui que peu d’importance, sauf par son impact historique. Vers 1900, la Russie et la Chine l’avaient complètement dominée. Aujourd’hui, elle abrite un groupe d’États faibles et insignifiants sur le plan géopolitique, comme la Mongolie et les « -stans ». Les successeurs des anciens méga-empires qui se sont formés aux frontières de la steppe sont aujourd’hui les véritables détenteurs du pouvoir eurasiatique.

Le second pôle de pouvoir est l’Océanie, qui est né sur les côtes occidentales de l’Eurasie au 16ème siècle (Portugal, Espagne, Pays-Bas et îles Britanniques), puis s’est étendu à travers l’Atlantique pour devenir aujourd’hui un empire global, gouverné depuis Washington, avec Bruxelles comme capitale secondaire (même si des fissures existent entre ces deux centres de pouvoir à cause des politiques de Donald Trump). Une bonne façon de visualiser cette entité géopolitique est une carte des bases militaires américaines.

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Autres cartes: https://www.basenation.us/maps.html

La logique géopolitique de l’Océanie — l’encerclement des empires eurasiatiques — est évidente.

Comme je l’ai mentionné précédemment, l’unité de cette Océanie a été en partie sapée par les politiques de Donald Trump. Mais il ne faut pas non plus surestimer l’unité de la ceinture impériale eurasienne. La principale raison de l’alliance étroite actuelle entre la Chine et la Russie est la pression géopolitique exercée par les États-Unis et leurs alliés. L’Iran est le membre le plus faible de cette triade et le moins intégré avec les deux autres (même s’il est probable que cela change à l’avenir, car il subit une forte pression du tandem Israël/États-Unis).

Cela m’amène à une dernière observation. Contrairement aux puissances terrestres impériales, les puissances maritimes ploutocratiques sont traditionnellement réticentes à utiliser leurs propres citoyens comme chair à canon. Ainsi, les républiques marchandes italiennes faisaient appel à des mercenaires. L’Empire britannique préférait employer des troupes indigènes, comme les fameux Gurkhas. Aujourd’hui, l’Empire américain hésite à engager des soldats américains dans des guerres ouvertes et tend donc à recourir à des États clients : Taïwan contre la Chine, l’Ukraine contre la Russie et Israël contre l’Iran.

jeudi, 25 septembre 2025

Chine, simulacres et mort de l’authenticité

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Chine, simulacres et mort de l’authenticité

Quand les copies triomphent et que la dernière braise du goût s’éteint

Alexander Douguine

Alexander Douguine affirme que la Chine ne produit que des simulacres, exposant ainsi la vacuité des prétentions occidentales à l'authenticité et révélant que le vrai discernement appartient uniquement à l'esprit aristocratique.

Si l'on observe attentivement la Chine, il devient évident qu’elle ne produit que des simulacres. On peut goûter au whisky chinois ou conduire une voiture chinoise. Cela ressemble à la chose, et pourtant ce n’est absolument pas la chose. Ici, nous sommes désemparés. Après Deng Xiaoping, les Chinois ont appris à copier absolument tout avec une précision parfaite. Mais ils ne créent rien de nouveau. Savez-vous pourquoi ? Parce que, dans la tradition chinoise — dans le confucianisme, le taoïsme, et même dans le bouddhisme, qui est d’origine indo-européenne mais a été domestiqué par la Chine — ce qui est nouveau appartient au domaine maudit. Et c'y est justement placé.

Copier est sûr. Créer est dangereux. C’est pourquoi, comme l’a justement remarqué le critique d’art Dmitri Khvorostov, l’art chinois — même l’art d’avant-garde — ne produit que de l’ornement. Là où l’Européen éprouve une rupture psychique (ou esthétique), le Chinois produit de l’ornement. Rien de plus.

Les Chinois sont un peuple profondément sain d’esprit. C’est pourquoi ils ne produisent que des simulacres.

Mais comment distinguer l’authentique du faux ? Ici, la question va bien au-delà de la Chine.

Pour quelqu’un dont le Dasein¹ existe de façon inauthentique, originaux et contrefaçons n’existent pas. Il n’a tout simplement aucune capacité à distinguer le vrai de la cheap imitation. Parce qu’il est lui-même un faux. Même s’il est au sommet de la richesse et possède d’énormes sommes d’argent. Les super-riches sont entourés de misérables babioles contrefaites, tout en étant convaincus de vivre au milieu de pièces originales. Parce que leur être même est sans valeur. Leur Dasein existe comme le "On", das Man², et donc leur goût et leur capacité de discernement sont profondément plébéiens.

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Ce qui distingue un aristocrate d’un plébéien, ce n’est ni le statut social ni la richesse, mais la capacité de discernement. Je crois que c’est exactement ce que Lord Henry disait à Dorian Gray, bien que je n’en sois pas sûr. Evgueni Vsevolodovitch Golovine³ me l’a définitivement dit (ou peut-être pas ; je commence à confondre histoire personnelle et histoire du monde…). Il soulignait, avant tout, la capacité à distinguer la copie de l’original. C’est en ce sens que nous avons L’Exemple de Henri Suso⁴. Qu’une chose existe en tant qu’exemplaire n’est donné que par une expérience intérieure subtile. L’expérience de Dieu.

Les Chinois ont réglé la question: ils produisent des contrefaçons, mettant de côté le mystère de l’original. Ce n’est pas leur affaire.

Les consommateurs russes sont encore plus naïfs — ressemblant à de joyeuses villageoises ukrainiennes des bourgades les plus reculées: elles respirent l’arôme, savourent le goût, distinguent le cher du bon marché. Pourtant, elles-mêmes ne sont rien de plus que des babioles, objets produits en masse avec plus ou moins de défauts.

Pour les Chinois, cela ne pose aucun problème. En fait, pour eux, il n’y a aucun problème.

La capacité européenne à distinguer l’original du faux est la dernière braise vacillante du goût aristocratique. Un écho lointain d’une époque où cela avait encore de l’importance. Seule, peut-être, la princesse Vittoria de Aliata⁵ avec son merveilleux château ou le père de notre splendide grand-duc Georges Mikhaïlovitch⁶ sont capables de percevoir cette différence. Les autres — pas du tout.

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C’est précisément pour cela que la Chine est invincible. Elle a ôté le voile dont se parait l’Occident moderne. L’Occident revendique l’authenticité, tout en n’en ayant pas la moindre compréhension.

Baudrillard était très perspicace. Nous vivons dans le troisième ordre des simulacres⁷. Il ne faut pas revendiquer l’authenticité. Cela ne fait que vous rendre plus ridicule et vulgaire.

Le whisky, le vin et le parfum n’ont désormais plus d’autre saveur que celle qu’on vous dit qu’ils ont.

Abandonnez cette chimère de conscience — les responsables des ventes pensent à votre place.

(Traduit du russe vers l'anglais et annoté par Constantin von Hoffmeister)

Notes du traducteur :

(1) Note du traducteur (NT) : Dasein (« être-là ») est le terme de Martin Heidegger pour désigner l’existence humaine comprise comme le déploiement même de l’Être. Dans L'Être et le Temps (1927), Heidegger l’utilise pour décrire la modalité unique d’être par laquelle l’humain rencontre le monde et dévoile le sens.

(2) NT : Das Man (« le On ») est le terme de Heidegger pour désigner l’existence inauthentique, où les individus se conforment à des normes sociales impersonnelles plutôt que de choisir de manière authentique. Cela désigne la condition quotidienne de dissolution dans la voix collective anonyme de la société.

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(3) NT : Evgueni Vsevolodovitch Golovine (1938-2010) était un poète, essayiste et penseur ésotérique russe, associé au Cercle de Youjinsky, un groupe intellectuel underground à Moscou des années 1960 aux années 1980. Puisant dans l’hermétisme, le romantisme allemand, le mysticisme médiéval et la philosophie nietzschéenne, Golovine a cultivé une esthétique aristocratique opposée au matérialisme soviétique et à la société de masse. Connu pour brouiller la biographie personnelle et le mythe historique, il devint une figure culte de la culture ésotérique post-soviétique.

(4) NT : Henri Suso (Heinrich Seuse en allemand, env. 1295-1366), mystique dominicain allemand, a écrit L’Exemple comme traité mystique autobiographique. Rédigé à la troisième personne pour éviter l’orgueil, il présente le « Serviteur de la Sagesse Éternelle » (Suso lui-même) comme un modèle vivant pour l’ascension de l’âme à travers la souffrance, la renonciation et l’union divine. En invoquant Suso, Douguine suggère que la capacité à reconnaître l’authentique dépend d’une perception intérieure affinée, proche du discernement mystique.

(5) NT : La princesse Vittoria Colonna di Paliano de Aliata (1953–2012) fut la dernière résidente de la Villa Valguarnera à Bagheria, en Sicile, l’une des grandes villas aristocratiques de l’île. Plus qu’une noble, elle fut aussi traductrice d’Ernst Jünger et participante active des milieux traditionalistes européens. Sa villa devint un lieu de rencontre pour écrivains, artistes et penseurs, y compris des représentants de la Nouvelle Droite européenne, et elle-même était proche de Guido Giannettini et d’autres intellectuels italiens de droite.

(6) NT : Le grand-duc Georges Mikhaïlovitch Romanov (né en 1981) est le fils unique de la grande-duchesse Maria Vladimirovna de Russie, héritière de la lignée Romanov, et du prince Franz Wilhelm de Prusse, membre de la dynastie allemande des Hohenzollern. Son père s’est converti à l’orthodoxie orientale lors de son mariage, prenant le nom de Mikhaïl Pavlovitch, et a été titré grand-duc dans les cercles monarchistes. Par sa mère russe et son père allemand, Georges unit les traditions des Romanov et des Hohenzollern, deux des plus grandes dynasties européennes, et sa famille demeure associée aux mouvements monarchistes et traditionalistes. Aujourd’hui, Georges réside principalement à Moscou, tandis que son père vit en Allemagne.

(7) NT : Jean Baudrillard (1929-2007) était un philosophe et théoricien culturel français surtout connu pour son concept de simulacres et d’hyperréalité. Par le « troisième ordre des simulacres », il entendait un stade où les signes et images ne représentent plus la réalité mais génèrent leur propre réalité autoréférentielle.

19:49 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, alexandre douguine, chine | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 24 septembre 2025

La Chine ouvre la route polaire. Destination: Europe du Nord

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La Chine ouvre la route polaire. Destination: Europe du Nord

Source: https://www.destra.it/home/la-cina-apre-la-rotta-polare-d...

La Chine a officialisé le premier service régulier de transport de conteneurs sur la Route maritime du Nord, reliant la Chine à l’Europe occidentale en seulement 18 jours. La société Haijie Shipping amorcera la nouvelle liaison avec un voyage inaugural à la fin du mois de septembre, déjà totalement réservé, en utilisant le porte-conteneurs Istanbul Bridge d’une capacité de 4890 EVP. L’itinéraire, baptisé « China-Europe Arctic Express », prévoit des départs de Qingdao, avec escales à Shanghai et Ningbo-Zhoushan, puis un transit par l’Arctique jusqu’au port britannique de Felixstowe, avec des destinations ultérieures à Rotterdam, Hambourg et Gdansk.

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Le passage par l’Arctique sera saisonnier, la fenêtre d’exploitation étant limitée de juillet à novembre, jusqu’à ce que des navires de la classe supérieure des brise-glace soient disponibles, permettant d’étendre le service à l’hiver et au printemps. L’objectif est de réduire drastiquement les délais par rapport aux 28 jours habituels que dure le voyage par Suez, de capter le pic des importations européennes liées à la saison de Noël et de soulager les goulets d’étranglement dans les principaux terminaux.

Selon la compagnie, la réduction des temps de trajet permet aux fournisseurs de livrer plus rapidement, de réduire les coûts de stockage et d’accélérer les flux de capitaux. Le choix des ports européens a également été fait en fonction de la rapidité des opérations de débarquement et de manutention. Ce nouveau service représente un tournant: jusqu’à présent, les liaisons conteneurisées via l’Arctique étaient limitées à des voyages uniques entre la Chine et la Russie, tandis que la société China-Europe Arctic Express introduit un modèle plus proche des lignes régulières, avec plusieurs escales en Asie et en Europe.

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L’intérêt chinois pour la route arctique est également confirmé par le lancement d’un nouveau service de surveillance satellitaire des glaces, développé par le ministère des Transports et l’Observatoire météorologique maritime de Tianjin, qui améliore la sécurité et la prévisibilité de la navigation.

Parallèlement, la Corée du Sud a également annoncé son intention de lancer des tests opérationnels sur la Route maritime du Nord à partir de l’été 2026, en créant une division gouvernementale spécifique dédiée à ce projet. Pour les ports méditerranéens (y compris italiens), une phase extrêmement complexe et délicate s’ouvre.

mardi, 23 septembre 2025

La victoire de l’Ours, de l’Éléphant et du Dragon

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La victoire de l’Ours, de l’Éléphant et du Dragon

Alexandre Douguine

Animateur : Le sommet de l’OCS est sans doute l’événement numéro un, deux et trois, probablement, au monde aujourd’hui : du point de vue de la géopolitique, de l’économie, de la sécurité et de sa place dans l’espace médiatique. Selon vous, qu’est-ce qui prime dans ce cas, quand on commence à parler du sommet de Tianjin ?

Alexandre Douguine : Oui, c’est quelque chose de fondamental. Peut-être que ce sera précisément le point de bascule. En gros, le multipolarisme, tel qu’il est incarné dans l’OCS et les BRICS, repose sur trois piliers principaux: la Russie, la Chine et l’Inde. Trois États-civilisations incontestés. Trois pôles autonomes. Voilà ce qu’est le multipolarisme. Au départ, ce multipolarisme s’est construit prudemment, pourrait-on dire. L’idée était de le créer en dehors de l’Occident, mais pas contre l’Occident. Et si l’Occident l’avait accepté, on ne peut exclure qu’il aurait eu sa place dans ce monde multipolaire.

Mais ensuite est survenu un moment très intéressant. L’arrivée de Trump après Biden et les mondialistes, qui rejetaient catégoriquement le monde multipolaire et tentaient de préserver l’unipolarité, — Trump est arrivé avec un programme très complexe. D’un côté, il disait: je suis contre le mondialisme, je suis pour l’ordre agencé par les grandes puissances. On pouvait donc supposer qu’il s’intégrerait d’une certaine manière dans ce programme multipolaire, en essayant de maintenir le leadership des États-Unis, mais en renonçant aux plans mondialistes. Mais cela ne s’est pas produit. Trump a commencé à menacer les BRICS, à imposer de nouvelles sanctions, à poser des ultimatums à la Russie avec divers délais, à imposer des tarifs à tout le monde, et bien sûr, le point culminant a été l’imposition d’un tarif de 50% contre l’Inde parce qu'elle achetait prétendument du pétrole russe. En réalité, l’Occident achète lui-même ce même pétrole russe à l’Inde, et la Chine, qui achète également du pétrole russe, ne prête aucune attention aux menaces américaines, alors que Trump ne lui impose pas de tels tarifs élevés. Cela donne une image très contradictoire de la politique étrangère américaine. On a l’impression que l’Occident est en crise, d’autant plus qu’il y a des adversaires mondialistes qui sont contre Trump et contre le monde multipolaire, donc encore plus dangereux. Et Trump paraît osciller entre ce mal absolu et le multipolarisme. Un pas d’un côté, un pas de l’autre. Au début, il semblait qu’il accepterait, et même Marco Rubio a déclaré que nous vivions dans un monde multipolaire, que l’Amérique se fasse grande, que les autres rendent grandes l’Inde ou la Chine — on ne parlait pas de la Russie, mais en tout cas, pourquoi ne serions-nous pas de la partie? Ils se rendent grands, eux, et nous aussi, sans demander la permission à personne. Il semblait que ceci pouvait se passer pacifiquement. Mais ensuite, la situation a basculé: Trump a commencé à détruire cela, à saboter, à attaquer, à faire pression. Et là, une chose intéressante s’est produite: les tentatives de Trump — naïves, sporadiques, incohérentes — de détruire le monde multipolaire ont commencé à le renforcer.

Dans la structure du monde multipolaire, il existait des contradictions substantielles entre l’Inde et la Chine. Mais après l’introduction des tarifs contre l’Inde, que ne paient pas les Indiens eux-mêmes, mais ceux qui achètent les produits indiens en Occident, donc aux États-Unis — c’est-à-dire les contribuables américains, même si le volume des exportations va bien sûr diminuer —, l’Inde, en tant qu’État-civilisation souverain, ce que Modi souligne de toutes ses forces en parlant de la nécessité de décoloniser la conscience indienne, se voit obligée non seulement de se rapprocher de nous, ce qui se produit déjà, mais aussi de se rapprocher de son concurrent régional — la Chine. Modi n’était pas allé en Chine depuis six ans, et voilà qu’il vient au sommet de l’OCS, rencontre Xi Jinping. Il s’avère donc que Trump, en cherchant à détruire le monde multipolaire et en menaçant de nouvelles sanctions les pays qui refusent le dollar, contribue à sa formation, malgré lui. Plus il agit agressivement, plus les pays cherchant à promouvoir la multipolarité passent à des règlements dans leurs propres monnaies, plus ils se consolident. Si l’on ajoute à cela l’attitude scandaleuse de Trump envers le Brésil, on obtient un autre pôle important. Le Brésil ne participe pas à l’OCS, mais dans les BRICS c’est un pays clé. Le monde islamique et l’Afrique observent cela.

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Ainsi, le sommet de l’OCS met en lumière un détail important: la construction du monde multipolaire, la formation de nouveaux pôles civilisationnels souverains se déroule dans toutes les situations — aussi bien lorsque l’Occident n’y fait pas obstacle, en allégeant la pression, que lorsqu’il y fait obstacle. On peut comparer cela à la navigation à la voile. Ceux qui ont déjà dirigé un voilier savent qu’on peut aller vers le même but dans la même direction, quel que soit le vent. S’il est favorable, on positionne les voiles d’une façon; s’il est latéral, d’une autre; même un vent de face permet d’avancer efficacement vers l’objectif, si l’on est un bon marin.

Ainsi, Poutine, Xi Jinping et Modi démontrent une maîtrise brillante de l’art de la navigation. Quelle que soit la situation à l’Ouest, qui est déjà en train de s’effondrer, avec ses protestations internes, Trump ne donnant plus signe de vie depuis plusieurs jours — beaucoup en Amérique se demandent: que lui est-il arrivé? Lui qui ne passait jamais une journée sans publier sur les réseaux, sans prononce de discours, sans donner d'interview, et le voilà soudainement absent. L’Occident est en crise: tantôt certaines de ses composantes meurent, tantôt non, tantôt elles se tirent dessus, tantôt elles soutiennent les uns, puis les autres, créent des conflits et des guerres. Mais le voilier du monde multipolaire va vers son but, indépendamment de la tempête qui secoue cet Occident manifestement à la dérive. C’est très important d'en prendre bonne note.

Navarro1-file-sh-ml-240220_1708457652020_hpMain-1772157896.jpgAnimateur : Permettez une question en complément. Peter Navarro (photo), économiste et ancien conseiller de Trump, a récemment accusé l’Inde d’arrogance. Vous venez d’évoquer l’opposition. Il a déclaré, avec une assurance étonnante: pourquoi ne nous rejoignent-ils pas, ces Indiens? Pourquoi achètent-ils du pétrole russe? Etc. Ma question est la suivante: est-ce, selon vous, encore une incompréhension de la mentalité des Chinois, des Indiens, des Russes et de ces civilisations en général, ou bien s’agit-il d’une pression obstinée et délibérée, d’un vent contraire, quoi qu’il arrive ?

Alexandre Douguine : Si nous avions affaire à des mondialistes, c’est-à-dire à l’administration démocrate — Biden, Kamala Harris — ou aux politiciens qui tirent les ficelles en Europe, je répondrais sans hésiter: ils ne considèrent personne d’autre qu’eux-mêmes comme des sujets à part entière. Ils imposent leur propre programme, et tout ce qui s’en écarte doit, selon eux, être détruit, brisé, transformé, convaincu par la pression ou la tromperie. Tout doit se faire selon leur plan: il ne doit y avoir qu’un seul pôle — le pôle global, tous les autres doivent être dissous, les élites, surtout économiques, intégrées à la classe dirigeante globale, tout doit être monopolisé, contrôlé. Leur seule forme d’interaction avec l’Inde, avec nous, avec la Chine, est donc de dire et de répéter: "Rendez-vous!". Si vous ne vous rendez pas aujourd’hui, ce sera demain, si ce n’est pas demain, ce sera après-demain. Mais vous devez vous rendre, comprendre que, hormis l’idéologie libérale mondialiste, rien n’existe, il n’y a pas de souveraineté, pas d’intérêts régionaux, il n’y a qu’un sujet global du développement, une économie globale, le BlackRock global avec ses bulles et pyramides financières qui absorbent et détruisent l’économie réelle. C’était ainsi jusqu’à récemment, et dans une certaine mesure cela le reste.

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Mais quand Trump est arrivé, il a dit: j’agirai autrement. Lui et ses proches partisans — J.D. Vance, Elon Musk, Tulsi Gabbard, des gens du mouvement MAGA (Make America Great Again) — ont déclaré: le modèle mondialiste ne nous convient plus. Nous allons nous concentrer sur nos problèmes internes, renforcer l’Amérique comme un pôle autonome. Au début, il y avait des allusions, voire des formulations explicites: que les autres se débrouillent. S’ils veulent leur souveraineté, tant mieux, s’ils veulent mener leur propre politique, qu’ils négocient ou qu’ils s’opposent à nous. Nous saurons repousser les conflits, nous saurons apprendre à négocier. C’est un modèle tout autre. Le trumpisme, du moins au départ, reconnaissait la qualité de sujet (autonome) à l’Inde, à la Chine, à la Russie. D’où la volonté de mettre fin aux interventions, aux conflits, au financement d’organisations terroristes comme en Ukraine actuelle. Mais, à en juger par les neuf premiers mois de l’administration Trump, ils n’ont pas poursuivi cet objectif. Ils sont sans cesse ramenés à l’ancien mondialisme, via les néoconservateurs.

Par des gens comme Navarro — d’abord, il n’est pas porte-parole officiel, ensuite, Elon Musk disait qu’il n’y avait personne de plus stupide que Navarro dans l’entourage de Trump. Ils s’échangent des commentaires peu flatteurs, mais il y a des gens autour de Trump qui, sans être mondialistes, sont trop primitifs, pensent à court terme, dans l’immédiateté. Leur logique déstabilise à la fois le mondialisme et le trumpisme initial. Prenons l’anecdote du clignotant défectueux: un conducteur idiot demande à un autre, encore plus idiot, de vérifier si le clignotant fonctionne. Il répond: ça marche, ça marche pas, ça marche, ça marche pas. Navarro et ce segment de l’entourage de Trump raisonnent de la même façon — par cycles courts. S’ils étaient un peu plus intelligents, ils diraient: le clignotant fonctionne, il clignote, c’est son but. Mais eux évaluent la politique — vis-à-vis de l’Inde, de la Russie, de la Chine, du Venezuela, du Moyen-Orient, de l’Europe, du Brésil — selon le principe: ça marche, ça marche pas. Aujourd’hui amis, dans 15 minutes ennemis. Pour les mondialistes, si tu échappes à leur contrôle, tu es un ennemi, on te détruira, si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera plus tard. Les mondialistes agissent de façon cohérente, sans hésitation, cherchant à maintenir le monde unipolaire, empêchant l’émergence du multipolarisme. C’est le mal pur, une politique suicidaire, qui refuse de reconnaître la réalité. Mais au moins elle est cohérente. Les mondialistes corrompent les élites, détruisent les sujets politiques, fomentent des révolutions de couleur, déclenchent des guerres, diabolisent. Mais l’entourage de Trump n’agit de façon cohérente ni comme les mondialistes, ni comme ils l’avaient promis au départ. Cela provoque de la confusion, du désarroi, de l’embarras. Le comportement actuel de l’administration Trump, c’est de susciter de l’embarras, c'est ne faire ni l’un ni l’autre. Ni du pur mondialisme, ni le trumpisme crédible.

Animateur : Il y a donc une multipolarité interne — dans la tête de Trump.

Alexandre Douguine : Oui, cela y ressemble. De plus en plus de gens disent que cela frise le trouble psychique. Exemple du clignotant: aujourd’hui vous êtes amis, demain ennemis. À chacun on donne un délai: dans 10 jours, faites ce qu’on vous dit de faire. Dix jours passent, rien n’est fait, tout est oublié. Cela tangue, ça rappelle la bipolarité. Un pôle — le mal mondialiste, dont Trump semble se distancier, l’autre — la bonne voix: rends l’Amérique grande, cesse les interventions grossières dans les affaires internationales, comme le faisaient tes prédécesseurs. Mais ces voix se recouvrent. On a la sensation d’une personnalité divisée, d’une conscience incapable de se concentrer sur une seule ligne. Dès que Trump suit la bonne voix, la mauvaise se fait entendre, il retombe sur la ligne mondialiste. La deuxième voix dit: tu trahis tes intérêts. C’est, au fond, comme un marin débutant.

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Mais Poutine, Xi Jinping, Modi — ce sont des leaders qui pensent sur le long terme. Ils construisent non seulement la situation internationale, mais aussi les régimes politiques, les idéologies de leurs pays dans une perspective lointaine, au-delà de leur propre vie. Ils sont mortels, mais leurs actions créent un ordre mondial où il n’y aura pas d’alternative au multipolarisme et à la souveraineté civilisationnelle. Trump, lui, est un homme de passage, avec un ego immense. Il ne sait pas où mener l’Amérique, son navire. Il ne veut pas aller là où l’emmenaient les démocrates, mais il ne peut plus aller là où il l’avait promis à ses électeurs.

Animateur : Permettez une question philosophique. Le multipolarisme — si on poursuit la métaphore des navires — ce sont des navires différents. Ils sont construits différemment, ils ont des structures et des voiles différentes, tout diffère — sur le plan religieux, national, géopolitique. Selon vous, où doit se situer le point d’appui, quand on parle d’une telle union géopolitique globale de l’éléphant, de l’ours et du dragon, ces trois grandes puissances ? Sur quoi doivent-elles s’appuyer ?

Alexandre Douguine : Tout d’abord, le principe d’ennemi commun n’a jamais été aboli dans la stratégie mondiale. Et ce n’est pas tout à fait l’Amérique, c’est le mondialisme. Le monde unipolaire mondialiste est une menace concrète qui vise chacune de ces nations. Le dragon, l’ours et l’éléphant ont un ennemi commun, qui veut détruire chacun d’eux, supprimer la souveraineté civilisationnelle de ces pays, de ces civilisations. Sur ce point, face à une telle pression constante — sur nous, sans doute encore plus, puisqu’on nous a imposé une guerre contre notre propre peuple —, cet ennemi commun devient un facteur de cohésion.

De plus, nous sommes prêts à reconnaître le droit à la qualité de sujet de l’autre. Les trois pôles du monde multipolaire sont d’accord: s’il n’y a pas de christianisme en Chine, ce n’est pas grave, c’est leur tradition. Les Hindous estiment que l’absence d’hindouisme en Russie n’est pas un problème. Les Chinois sont sûrs que le confucianisme est pour un système fait pour eux, pas pour l’exportation dans le monde. C’est un aspect important de notre identité, de notre idéologie. Nous rejetons ce qui est imposé de l’extérieur, nous défendons nos paradigmes civilisationnels, mais nous ne les imposons pas aux autres. Cela nous distingue de notre ennemi commun.

L’Occident collectif et mondialiste veut imposer à la Chine, à l’Inde, à nous sa propre vision. Ils ne nous écoutent pas. Notre christianisme orthodoxe ne doit pas exister, pas plus que l’hindouisme ou le confucianisme. Il doit y avoir la promotion des LGBT (interdite en Fédération de Russie), la migration, l’individualisme, l’idéologie des droits de l’homme, Greta Thunberg, l’écologie. Et, bien sûr, BlackRock doit tout diriger. Nous rejetons cela tous ensemble, mais nous n’imposons même pas à nos ennemis notre propre modèle. C’est la différence fondamentale entre la philosophie du multipolarisme et celle du mondialisme.

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Animateur : Parlons de l’Organisation des Nations unies. Vladimir Poutine l’a évoquée dans une interview à l’agence de presse chinoise Xinhua, avant même le début du sommet de l’OCS. La Russie plaide pour une réforme de l’ONU, pour l’intégration des pays du Sud global. Première question, étant donné que le sujet est vaste: quel est, à votre avis, l’anamnèse et le diagnostic de l’état actuel de l’ONU, et une réforme globale est-elle possible dans les conditions actuelles ?

Alexandre Douguine : Il faut faire un bref retour historique. L’ONU est née à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, une époque de vainqueurs et de vaincus. Parmi les vainqueurs, il y avait des forces principales et des forces périphériques. L’ONU est une structure créée par les principaux vainqueurs. En fait, c’est ce qu’on appelle le monde de Yalta, où tous sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres, tous sont souverains, mais pas vraiment.

En réalité, deux blocs de vainqueurs étaient véritablement souverains: l’Occident capitaliste, qui a vaincu l’Allemagne nazie, et l’Est communiste. Cette structure, y compris la représentation des pays au Conseil de sécurité de l’ONU, reflète cet état de fait. Progressivement, à mesure que les blocs oriental et occidental se sont popularisés, un troisième pôle a émergé — le Mouvement des non-alignés, où l’Inde a d’ailleurs joué un rôle important. Mais la situation n’était pas équitable: le troisième pôle oscillait et naviguait entre le pôle communiste et le pôle capitaliste. En réalité, tout était déterminé par l’équilibre des forces entre le communisme et le capitalisme. Voilà ce qu’était l’ONU.

20190718-Andrej-Gromyko-100~_v-gseagaleriexl-1247489507.jpgLa structure du droit international reflétait l’équilibre des forces des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne et le Japon n’y figuraient pas du tout — ils étaient considérés comme des territoires occupés faisant partie de l’Occident capitaliste, et c’est tout. Il n’existait pas d’autres pôles. L’Union soviétique représentait un vrai pôle à part entière. On disait de Gromyko (photo), ministre des Affaires étrangères de l’URSS — qu'il était «Monsieur Non»: car à tout ce que proposaient les capitalistes, il répondait non, chez nous, socialistes, marxistes, l’avis est autre. À chaque thèse correspondait une antithèse, mais la possession de l’arme nucléaire et une certaine parité des armements, surtout stratégiques, excluaient un conflit direct. Les conflits se déroulaient via des guerres par procuration — en Corée, au Vietnam, en Afrique, en Amérique latine. Certains soutenaient un pôle, d’autres l’autre. Le droit international reflétait cet équilibre de forces.

À strictement parler, il n’existe pas de vrai droit international — c’est une illusion de le croire. Il y a ceux qui pouvaient faire quelque chose, et ceux qui ne le pouvaient pas. Entre ceux qui avaient réellement du pouvoir — les souverains —, un accord se nouait dans un système bipolaire, et tous les autres étaient contraints de s’y plier. Voilà ce qu’était l’ONU. Quand l’Union soviétique est tombée, l’un des pôles du système international s’est auto-dissous, s’est évaporé. Dans les années 1990, souvenez-vous de notre politique: nous disions que nous n’avions plus de souveraineté, que l'Occident, lui, était souverain, que nous suivions son sillage, que nous faisions partie de la civilisation occidentale, de la Grande Europe, que nous n’étions plus l'antithèse de l'Occident.

L’Occident alors envisageait de créer une Ligue des Démocraties: pourquoi maintenir ce résidu d’un monde bipolaire, cette chimère, ce membre fantôme? Construisons un système unipolaire, où nous établirons les règles de l’ordre libéral, la fin de l’histoire, l’hégémonie mondiale de l’Occident, et tous les autres devront s’y plier. C’est cela, la Ligue des Démocraties. Mais nous avons résisté un peu, et d’autres pays ne voulaient pas non plus reconnaître officiellement leur statut de vassaux dans ce modèle unipolaire, et l’ONU a ainsi survécu jusqu’à aujourd’hui. Maintenant, nous avons un autre système — ni bipolaire, ni unipolaire comme dans les années 1990, mais multipolaire. C’est la troisième grande configuration. L’ONU ne nous convient plus, car elle reflète encore l’inertie du monde bipolaire et le renforcement du monde unipolaire.

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Poutine a accusé l’ONU d’avoir été prise en main par les partisans du mondialisme, qui refusent de reconnaître d’autres facteurs. L’ONU en elle-même n’est pas une panacée. Le monde multipolaire que nous construisons à travers l’OCS, les BRICS, et d’autres structures, qui sont justement polycentriques, doit devenir le prochain modèle du droit international. Dans la définition de ce qui est bien ou mal, doivent participer l’Occident, nous, les Chinois, les Indiens, les Latino-Américains, les musulmans, les Africains. Voilà ce qu’est le droit international. Si chacun de ces pôles détient une puissance suffisante — économique, militaire, idéologique, diplomatique, industrielle —, alors ce pôle pourra affirmer: je considère que c’est ainsi. Nous ne pouvons pas revenir au système de Westphalie, où chaque État reconnu est souverain — cela n’a jamais réellement fonctionné. Déjà il y a cent ans, au 20ème siècle, les pays étaient répartis en blocs. Il y avait encore le bloc fasciste, mais là non plus, les États individuels n’étaient pas souverains — ils s’effondraient dès que la main d’Hitler s’abattait sur eux. Idem pour notre bloc de l’Est et pour l’Occident global. Après la chute de l’Europe hitlérienne, il restait deux pôles, et il n’y avait plus d’États-nations. Comme l’a bien remarqué Krasner, spécialiste des relations internationales, la souveraineté est une hypocrisie.

Nous comprenons que certains États ne sont pas souverains, mais à l’ONU, leur voix pèse autant que celle de la Chine ou de l’Inde. C’est une parodie, une farce. Ceux qui sont réellement forts et capables de défendre leur souveraineté doivent établir les règles du droit international. L’Occident veut que ce soit seulement lui. Cela ne nous convient pas. Le droit international de demain doit se construire sur les principes du multipolarisme, vers quoi nous tendons. Ce sommet est lié à cet objectif. Pas à pas, d’une démarche assurée et d’acier, les trois grandes puissances bâtissent un monde multipolaire, que d’autres rejoignent. Certains courent vers l’Occident — inutile de montrer du doigt nos anciens amis qui se sont éloignés. Mais beaucoup de pays choisissent le nouveau droit international fondé sur le multipolarisme.

Animateur : D’après votre réponse, la question suivante s’impose. Nous voyons le système des grandes organisations internationales — l’UNESCO, l’AIEA, l’OMC, le CIO, l’OMS, et d’autres. Toutes montrent aujourd’hui leur inefficacité, sont critiquées, surtout l’AIEA, qui, comme on le constate, n’arrive pas à résoudre le problème nucléaire iranien et se trouve toujours à la remorque. Au final, on dirait que les organisations globales deviennent subordonnées à certains blocs. Là où le bloc Russie-Chine-Inde est fort, c’est lui qui dirige l’organisation, sans plus tenir compte de Vanuatu ou du Cap-Vert.

Alexandre Douguine : Vous avez tout à fait raison, mais le fait est que tous ces soi-disant instituts globaux que vous avez cités n’obéissent en réalité qu’à un seul bloc. Ils sont inefficaces parce que l’Occident est devenu inefficace. Ce sont des instruments de l’hégémonie occidentale. Ils ne satisfont plus ceux qui ne sont plus satisfaits par l’Occident. C’est tout. Ce ne sont pas des organisations mondiales, elles n’en ont que le nom. Ce sont des proxies occidentaux. L’Occident et ses représentants dans d’autres pays, la Banque mondiale, l’OMC — tout est construit sur la base des intérêts de l’Occident. Dès que quelque chose ne plaît pas à l’Occident, comme la Chine qui a appris à jouer selon leurs règles et les bat à leur propre jeu, ils changent aussitôt les règles, imposent de nouvelles exigences. Peut-être que Trump a été soutenu, y compris par l’État profond, parce qu’on comprend qu’il faut changer quelque chose. Mais ni les mondialistes, ni Trump ne sont d’accord pour créer un modèle multipolaire juste, et tout est donc bloqué à ce niveau.

Il est nécessaire de construire des structures internationales, des systèmes, des organisations, peut-être des centres missionnaires ou des règles de coopération économique, qui s’appuieront sur nos intérêts souverains. Les pays des BRICS, de l’OCS, les partisans du monde multipolaire ont la chance de créer de véritables systèmes internationaux, soutenus par leur propre souveraineté. C’est vers cela que nous allons. Les structures internationales existantes sont des vestiges du monde unipolaire. Il est révélateur que Trump l’ait compris, menaçant de sortir de l’ONU, de l’OTAN, de l’OMS, de l’OMC. Chaque jour, nous entendons de ce côté-là de l’océan des menaces de retrait de ceci ou de cela. C’est devenu trop évident. Quand une partie se fait passer pour le tout, c’est de la contrefaçon, de l’imposture, et la supercherie devient flagrante. Ces organisations sont le prolongement des services secrets occidentaux, et il n’est donc pas étonnant qu’on ne leur fasse plus confiance. Les nouveaux instituts doivent être créés par ceux qui partagent la vision d’un monde multipolaire.

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Et l’Occident alors ? Qu’il accepte nos règles — pas seulement celles de la Russie, de la Chine ou de l’Inde, mais des règles de consensus. Si l’Amérique veut redevenir grande, elle doit reconnaître l’inévitabilité du multipolarisme. La question est celle de la coordination et du concert de ces civilisations, où l’Amérique et l’Europe, si vous voulez, trouveraient leur place. Mais avec les dirigeants européens actuels, cela ne marchera pas. Ils seront balayés. Ursula von der Leyen, Macron, Starmer, Merz — ce sont les pions d'un gouvernement d’occupation mondial, qui ne respecte pas ses peuples. Ils les traitent pire que les autres. C’est une élite d’occupation. Je pense que les peuples d’Europe — d’Angleterre, de France, d’Allemagne —, lors de soulèvements, lascèreront littéralement ces élites, comme avant, lors des révolutions. En Amérique, la société, Trump et ses partisans montrent qu’ils comprennent la nécessité de sortir de la situation actuelle par d’autres moyens. Dans l’idéologie MAGA, il y a théoriquement la possibilité de participer au concert des pôles mondiaux. Tulsi Gabbard, chef des services de renseignement américains, a décrit à plusieurs reprises comment les États-Unis pourraient s’intégrer dans le monde multipolaire à des conditions privilégiées, en créant de nouveaux instituts internationaux justes, reflétant les intérêts de tous. Il pourrait y avoir des conflits, de la concurrence, mais la Russie, l’Inde, la Chine montrent déjà comment parvenir au consensus. C’est important.

Animateur : En partant de votre réponse, parlons d’intégration. Le sommet de l’OCS a uni le Sud global, mais il s’agit maintenant non pas tant de cela que du défilé militaire et de la célébration du 80ème anniversaire de la victoire sur le Japon. Les États-Unis étaient un acteur clé du théâtre d’opérations du Pacifique, et la capitulation fut signée à bord du cuirassé Missouri. Ils sont membres à part entière non seulement de la coalition anti-hitlérienne, mais aussi de la coalition anti-japonaise. Ma question: l’absence de Trump et de l’Amérique à cette célébration, leur exclusion, ainsi que le silence de Trump sur le sommet de l’OCS — est-ce une erreur de l’Amérique, une action délibérée de l’OCS ou, avant tout, de la Russie et de la Chine ? Comment évaluez-vous ce vide du point de vue américain ?

Alexandre Douguine : Tout d’abord, contrairement à nos adversaires, nous reconnaissons la justesse historique et la contribution de l’Amérique à la victoire sur Hitler et sur le Japon militariste. Nous ne le nions pas. Notre mémoire est juste. Nous nous souvenons que ce sont eux qui ont bombardé Hiroshima et Nagasaki, mais nous leur rendons hommage: dans ce conflit, ils étaient de notre côté. De notre côté, il n’y a eu aucune démarche agressive pour exclure les Américains. Je suis convaincu que c’est leur choix. Ils ne veulent pas avoir affaire au monde multipolaire. Ils voient la Chine, l’Inde, la Russie gagner en puissance, résister sans faiblir aux tarifs et à la pression dans la nouvelle et capricieuse manière d'agir de Trump. Il n’a rien à dire. Frapper du poing sur la table ou lancer une roquette ne marche plus, il doit donc ravaler son agressivité.

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Depuis quelques jours, on a l’impression que la santé de Trump laisse à désirer. Peut-être s’est-il surmené. Alex Jones l’a prévenu : Monsieur le Président, vous avez l’air étrange, votre discours, votre logique… C’est toujours Trump, mais un peu différent. Des rumeurs circulent sur une situation encore plus grave. Nous ne lui souhaitons pas la mort, plutôt un prompt rétablissement. Nous sommes justes même envers nos ennemis. Trump n’est pas le pire qui puisse nous arriver. Il n’a pas pu garder la confiance de beaucoup, a échoué sur de nombreux fronts. Cela pourrait tourner au cauchemar pour les relations internationales, ce n’est pas à exclure. Mais humainement, l’absence de ce vieux dirigeant ne nous réjouit pas. Qu’il se rétablisse, divertisse l’humanité et intègre l’Amérique dans le monde multipolaire, même contre sa volonté. Il est en train de le faire. Nous sommes prêts à composer avec les deux visages de Trump. Si le vent contraire continue, s’il poursuit sa politique de destruction à la façon d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, cela ne nous empêchera pas d’avancer vers notre but. S’il cesse de s’opposer, tant mieux — nous sommes prêts à tendre la main et l’intégrer aux BRICS. Si tout peut se résoudre pacifiquement — parfait. S’il faut poursuivre l’affrontement ou aller vers l’escalade, ce n’est pas notre choix, mais nous sommes prêts. Nous devons répondre à une seule question: comment garantir nos intérêts, renforcer la souveraineté et construire un monde multipolaire. Personne ne doit en douter. C’est la stratégie de notre État. Nous avons choisi cette voie fermement et nous n’arrêterons pas avant la victoire finale.

Comment se comporteront les États-Unis ou d’autres acteurs mondiaux ? — S’ils acceptent le monde multipolaire, ce sera le meilleur scénario. À Anchorage, nous étions proches d’un accord, puis nous nous sommes éloignés. S’ils ne l’acceptent pas, nous combattrons, nous défendrons nos positions. Nous combattons en Ukraine le modèle unipolaire, l’Occident collectif. Tout le monde le comprend. Nous gagnerons — par la paix, si possible, ou par la guerre, mais nous ne dévierons pas de notre chemin. L’élection même de Trump montre qu’ils doutent de la voie mondialiste. Ils ont choisi un homme qui promettait le contraire. Il n’a pas tenu ses promesses, il a reculé. Mais il lui reste trois ans. Nous pouvons voir arriver beaucoup de choses encore. L’essentiel, c’est de miser fermement sur nous-mêmes, sur la Grande Russie, sur notre victoire, notre liberté et notre indépendance.

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dimanche, 21 septembre 2025

Trump et Xi: Rapprochement par la diplomatie pragmatique

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Trump et Xi: Rapprochement par la diplomatie pragmatique

Elena Fritz

Source: https://pi-news.net/2025/09/trump-und-xi-annaeherung-durc...

L’entretien téléphonique entre Trump et Xi vendredi est plus qu’un simple contact épisodique; il signale un retour à la realpolitik dans un monde multipolaire.

L’entretien téléphonique entre Donald Trump et Xi Jinping vendredi constitue un moment marquant dans l’histoire récente des relations sino-américaines. Alors que de nombreux médias occidentaux ne l’évoquent qu’en passant, l’analyse approfondie des sujets abordés – le commerce, le fentanyl, le conflit en Ukraine et TikTok – révèle la logique sous-jacente d’une politique basée sur les intérêts concrets. Ici, il ne s’agit pas d’appels à la morale, mais d’une évaluation sobre des rapports de force et des interdépendances.

Sous les administrations démocrates, la confrontation avec la Chine était au centre des préoccupations, souvent justifiée par la référence à un "ordre international fondé sur des règles". Trump adopte une approche différente: il recherche le dialogue direct avec Pékin, sans s’enliser dans des débats idéologiques. La conversation a été qualifiée par les deux parties de "pragmatique, positive et constructive", ce qui indique une volonté délibérée de désescalade. Au fond, il s’agit de reconnaître les réalités économiques. Les États-Unis dépendent fortement des chaînes d’approvisionnement chinoises, comme l’ont montré les perturbations à propos des terres rares au printemps 2025, qui ont paralysé une partie de l’industrie automobile américaine. Trump reconnaît ces vulnérabilités et mise sur la négociation pour les gérer, plutôt que de les ignorer ou de les aggraver.

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TikTok comme élément de stratégie médiatique et politique

La discussion autour de la problématique TikTok est particulièrement révélatrice. La plateforme compte environ 170 millions d’utilisateurs aux États-Unis, principalement parmi les jeunes générations. Une éventuelle vente à des investisseurs proches de Trump pourrait changer la dynamique du paysage médiatique. Alors que X, dirigé par Elon Musk, est déjà une arène ouverte et que Facebook perd de l’influence, TikTok permettrait à Trump d’atteindre un électorat jusque-là fortement imprégné par les récits démocrates. Ce n’est pas un simple détail, mais un levier stratégique qui pourrait influencer l’équilibre politique interne et, dès lors, qui inquiète légitimement Washington.

Xi Jinping agit depuis une position de souveraineté et de supériorité économique. La Chine contrôle des secteurs clés des chaînes d’approvisionnement mondiales, investit massivement dans la technologie et les infrastructures, tandis que les États-Unis engagent leurs ressources dans le conflit ukrainien. Xi n’agit pas par complaisance, mais parce que la Chine détient les meilleures cartes. L’annonce de futures rencontres – la visite de Trump en Chine, la visite de Xi aux États-Unis, ainsi qu’une rencontre lors du sommet de l’APEC en Corée du Sud fin octobre – souligne le sérieux de ce rapprochement. Dans le même temps, Xi précise sans ambiguïté que Taïwan constitue une ligne rouge non négociable, ce qui montre les limites de ce pragmatisme.

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Message pour l’Europe

L’entretien téléphonique entre Trump et Xi vendredi est plus qu’un simple contact épisodique; il signale un retour à la realpolitik dans un monde multipolaire. Trump démontre ainsi sa capacité à relever les défis de la politique étrangère par des négociations directes tout en consolidant ses avantages internes. Xi souligne l’indispensabilité de la Chine et sa résilience face à l’isolement. Au final, il s’agit d’une réorientation des relations entre les deux principales puissances économiques mondiales – une évolution guidée par des intérêts pragmatiques, qui évite les superstructures idéologiques. En cette période d’incertitude mondiale, cela pourrait être le début d’une coexistence plus stable, quoique marquée de tensions.

Le véritable message de cet appel pour nous, Européens, est le suivant : qui ne formule pas sa propre stratégie devient l’objet de la realpolitik des autres.

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samedi, 20 septembre 2025

La place de l’Indonésie et du Kazakhstan à la porte de Tian’anmen montre l’ouverture de la Chine sur mer et sur terre

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La place de l’Indonésie et du Kazakhstan à la porte de Tian’anmen montre l’ouverture de la Chine sur mer et sur terre

L’Indonésie et le Kazakhstan symbolisent la connexion maritime et terrestre de l’Initiative "Ceinture et Route"

Brecht Jonkers

Source: https://brechtjonkers.substack.com/p/indonesia-and-kazakh...

La disposition des sièges à la porte de Tian’anmen lors du défilé de la Victoire de la Guerre populaire de résistance est quelque chose d’assez intéressant. Après tout, ce genre de symbolisme a son importance en politique ; et vous pouvez être sûr que la Chine n’a pas attribué les places au hasard dans ce sanctuaire de l’histoire chinoise, lors de l’un des événements les plus importants de ces dernières années.

Nous avons donc, à la droite et à la gauche du président Xi Jinping, le président Vladimir Poutine et le secrétaire général Kim Jong-Un, respectivement. Rien de surprenant (même si certains analystes euro-centriques ont malgré tout réussi à être surpris pour une raison ou une autre) : ce sont le principal partenaire géopolitique de la Chine à droite, et l’allié le plus ancien et le plus fidèle de la République populaire, respectivement.

Mais viennent ensuite les places d’honneur secondaires, et c’est là que cela devient intéressant. Le président Prabowo Subianto d’Indonésie d’un côté, le président Kassym-Jomart Tokaïev de l’autre. Ce sont des choix révélateurs, qui montrent sans aucun doute l’accent géopolitique de la Chine dans les années à venir.

Le Kazakhstan est un membre clé de l’Union économique eurasiatique et de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), ainsi que de l’OCS, et constitue un centre névralgique de l’Initiative "Ceinture et Route" reliant l’Est et l’Ouest de l’Eurasie. Il est également un important producteur de pétrole, de gaz, d’uranium et de terres rares.

L’Indonésie est un géant asiatique émergent, le poids lourd de l’ASEAN en Asie du Sud-Est, et elle est intrinsèquement liée aux routes commerciales maritimes dans l’important corridor stratégique entre l’océan Indien et le Pacifique en tant que « Pivot maritime mondial » – un concept avancé pour la première fois par le président Joko Widodo. L’Indonésie est aussi le plus grand producteur mondial de nickel. Et, ce qui n’est pas négligeable sur le plan du soft power, elle demeure le pays le plus peuplé du monde islamique.

En d’autres termes : un partenaire terrestre crucial et un partenaire maritime crucial, stratégiquement invités à la porte de la Paix céleste. Une représentation symbolique de l’Initiative "Ceinture et Route", en effet.

lundi, 15 septembre 2025

Chine: un Etat-Civilisation et ses objectifs stratégiques

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Chine: un Etat-Civilisation et ses objectifs stratégiques

Juan Bautista González Saborido

Source: https://dolarbaratomag.com/1624/china-estado-civilizacional-y-objetivos-estrategicos/

L'ascension de la Chine est peut-être le fait le plus marquant en matière de géopolitique depuis la chute de l'Union soviétique en 1991. Il ne fait aucun doute que la Chine n'est plus une puissance émergente et qu'elle s'est transformée en ce que l'on peut appeler un « État civilisationnel », dont l'ambition est de retrouver une place centrale dans le monde dans les années à venir et qui, pour cela, est prêt à disputer l'hégémonie aux États-Unis afin d'atteindre ses objectifs.

L'ascension géopolitique de la Chine démontre pour nombre de ses idéologues que sa grande force, son caractère unique, réside dans le fait qu'il s'agit d'un « État-civilisation », un concept qui est plus pertinent que jamais maintenant que Pékin tente de recomposer l'ordre géopolitique autour de ses valeurs civilisationnelles pour les opposer à celles d'un Occident qu'il considère en déclin.

Dans ce contexte, une série d'intellectuels proches de Xi Jinping (Yuan Peng, Wang Honggang, Yu Yongding et Chu Shulong, parmi les plus importants) se sont donné pour mission d'apporter des idées au Parti, en synthétisant des notions de la pensée classique chinoise, des concepts des époques socialiste et réformiste, et des lignes directrices adoptées depuis l'intégration de la Chine dans le monde.

Nous tenterons de résumer certains de ces concepts, car les connaître et les comprendre permettrait de mieux saisir la pensée des élites intellectuelles chinoises et, éventuellement, ce que pense le leadership à Pékin lorsqu'il s'agit de décider et de déterminer les objectifs stratégiques de la Chine.

Contexte de changement et de turbulences

La Chine a mis en place un système étatique moderne sans précédent qui comprend un gouvernement, un marché, une économie, un système éducatif, un système juridique, un système de défense, un système financier et un système fiscal unifiés, qui font peut-être de l'État chinois l'un des plus performants au monde.

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Dans ce contexte, il est important de souligner que l'État chinois entretient une relation très différente de celle de l'État occidental avec la société. En effet, il jouit d'une autorité naturelle, d'une légitimité et d'un respect bien plus grands, même si le gouvernement n'accède pas au pouvoir par le vote populaire. Cela s'explique par le fait que les Chinois considèrent l'État comme le gardien, le dépositaire et l'incarnation de leur civilisation.

Ainsi, le processus de modernisation de la Chine présente des caractéristiques propres qu'il convient de souligner. Ces particularités sont au nombre de cinq : a) une population très importante, b) la recherche de la prospérité commune pour tout le peuple, c) la tentative de coordination entre la civilisation matérielle et la civilisation spirituelle, d) la conception d'une coexistence harmonieuse entre l'homme et la nature, et e) l'aspiration à un développement pacifique sur la scène internationale.

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Selon Xi Jinping, le rajeunissement de la Chine (la modernisation de la Chine) est une aspiration commune de tout le peuple depuis le début de l'ère moderne, mais seul le Parti communiste chinois a su trouver les clés nécessaires pour le réaliser, à travers une modernisation socialiste.

Toutefois, les dirigeants chinois doivent continuer à faire avancer les réformes face à la situation internationale et nationale complexe et variée, à la nouvelle vague de révolution scientifique et technologique et de transformation industrielle, et aux nouvelles attentes des masses populaires. À cette fin, à partir de maintenant et pendant un certain temps, ses élites devront s'engager dans une période clé pour promouvoir de manière globale, parallèlement à la modernisation chinoise, la grande cause de la construction d'un pays puissant et de la revitalisation de la nation.

Cela dit, pour l'élite gouvernementale chinoise, le monde est entré dans une période de turbulences et de changements sans précédent depuis un siècle, qui présente des opportunités stratégiques, des risques et des défis, ainsi que des facteurs incertains et imprévisibles pour le développement de la Chine.

En définitive, pour eux, le monde traverse aujourd'hui un changement historique, caractérisé par quatre révolutions: (a) démographique (due à la croissance de la population en Afrique et en Asie), (b) technologique (due au développement d'une quatrième révolution industrielle), (c) climatique (qui entraîne une transition énergétique) et (d) du pouvoir mondial (due au déplacement du pouvoir de l'Occident vers l'Orient). Ces quatre révolutions contextualisent la rivalité entre la Chine et les États-Unis et détermineront le vainqueur.

La Chine réclame la démocratisation des relations internationales et le soutien du Sud global

La Chine aspire à exercer une grande influence sur la conception institutionnelle des organismes internationaux. Face à la conception actuelle des organismes multilatéraux, tels que l'ONU, qui reflète la répartition du pouvoir après la Seconde Guerre mondiale, la Chine réclame systématiquement une réforme. Ainsi, en 2018, lors du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai, le président Xi a déclaré : « Le désir de démocratisation des relations internationales est une tendance mondiale imparable », donnant à cette revendication une importance stratégique.

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Par conséquent, afin de mettre en œuvre la démocratisation des relations internationales et de gagner le soutien du Sud dans sa course à l'hégémonie, Pékin a lancé une série d'initiatives d'investissement dans des infrastructures à l'échelle mondiale. Il s'agit de l'initiative « Belt and Road » (la route de la soie), du groupe BRICS Plus et des trois initiatives mondiales : a) l'initiative de développement mondial, b) l'initiative de sécurité mondiale et c) l'initiative de civilisation mondiale.

L'initiative « Belt and Road » est considérée comme le principal outil de la géostratégie chinoise actuelle, ce qui lui confère une importance capitale dans le domaine de la géopolitique chinoise. Ces initiatives internationales s'inscrivent dans une stratégie globale appelée « la construction d'une communauté d'avenir partagé pour l'humanité ».

Ce concept a pris une place importante dans les documents et discours officiels du gouvernement chinois, en lien avec la proposition de configurer de nouvelles relations internationales, une vision de la communauté internationale à partir d'un nouvel humanisme, la récupération de l'esprit de Bandung et la revendication de la coopération Sud-Sud.

Pour de nombreux penseurs chinois proches du Parti, les facteurs culturels exprimés par les notions de « tradition », « valeurs » ou « civilisation » d'une société sont déterminants pour l'élaboration de sa politique, plus que son organisation économique. Ces « questions de civilisation » constituent désormais l'axe principal proposé par Xi pour redéfinir le modèle chinois, puisque le dirigeant chinois a récemment esquissé son « initiative de civilisation mondiale ».

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Ce processus, outre la recherche d'une refonte des institutions de gouvernance mondiale, vise également à doter ces institutions des principes et des valeurs qui devraient les régir. Comprendre l'idée de « communauté de destin partagé » nous permet d'interpréter la proposition chinoise pour le nouvel ordre mondial qui se dessine actuellement.

Cette idée se veut une proposition civilisationnelle alternative à celle de l'Occident.  Selon eux, cela signifie que le rêve de paix et de prospérité du peuple chinois est intimement lié à celui des autres peuples du monde, de sorte que la réalisation du rêve chinois ne peut se faire sans un environnement international pacifique et un ordre international stable.

Cela implique qu'ils doivent considérer la situation nationale et internationale dans son ensemble, suivre sans dévier la voie du développement pacifique et appliquer sans faillir la stratégie d'ouverture fondée sur le bénéfice mutuel et le principe "gagnant-gagnant", insister sur la conception correcte de la justice et des intérêts, adopter un nouveau concept de sécurité commune, intégrale, coopérative et durable, poursuivre une perspective de développement définie par l'ouverture, l'innovation, l'inclusion et le bénéfice mutuel ; promouvoir des échanges entre les civilisations caractérisés par une harmonie qui n'exclut pas les différences et par l'assimilation sans discrimination de tout ce qui est positif chez l'autre; et configurer un écosystème qui vénère la nature et repose sur le développement écologique, agissant ainsi à tout moment en tant que bâtisseurs de la paix mondiale, contributeurs au développement mondial et défenseurs de l'ordre international.

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Politique économique de double circulation

Dans le cadre de la relance du marché intérieur, le Comité permanent du Politburo du PCC a lancé en mai 2020 la politique économique de « double circulation », qui consiste à augmenter la consommation intérieure et les revenus internes, à améliorer la capacité d'innovation du pays et à réduire la dépendance vis-à-vis du marché extérieur, tout en renforçant les liens entre l'économie locale et l'économie extérieure et en approfondissant l'ouverture économique.

En d'autres termes, le grand cycle interne n'est pas un développement fermé, mais une ouverture de meilleure qualité de la demande intérieure, et la Chine est prête à partager son marché avec les meilleures entreprises du monde entier, en particulier celles qui peuvent participer à l'expansion de la demande intérieure chinoise, promouvoir son amélioration et s'associer aux entreprises chinoises pour former un grand nombre de groupements de chaînes industrielles de haute qualité dans le cycle interne.

Par conséquent, le double cycle national et international implique à la fois un flux entre la production, la distribution, la consommation et la circulation des marchandises et un flux optimal d'allocation des ressources. Le « double cycle » est un choix inévitable pour une réforme plus profonde, une plus grande ouverture et un meilleur développement, et la construction des nouvelles routes de la soie reflète profondément cette connotation caractéristique du double cycle.

Les Nouvelles Routes de la Soie visent également à promouvoir la circulation des biens et des facteurs au niveau interne et à concrétiser les « cinq liens » (communication politique, connexion des installations, commerce fluide, intégration des capitaux et contacts entre les personnes) proposés par le secrétaire général du PCC Xi Jinping au niveau externe.

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Renforcement des investissements dans la technologie

Un autre point décisif est la décision de renforcer les investissements dans la technologie. Cette décision, en particulier les investissements dans la production de semi-conducteurs de pointe, est une conséquence des mesures prises par les États-Unis pour empêcher ou entraver l'accès des entreprises chinoises à des technologies qu'ils considèrent comme stratégiques. Cependant, l'accent mis par le gouvernement chinois sur le progrès technologique est de longue date.

Une étape importante de cette orientation a été franchie en 2015 avec le plan « Made in China 2025 », qui vise à accroître le niveau d'intégration technologique dans la production et les services, et à passer du « Fabriqué en Chine » au « Développé en Chine ». Ce plan prévoyait le développement technologique et industriel, l'absorption de technologies provenant d'investissements étrangers et l'achat d'entreprises étrangères de haute technologie.

Dans son rapport sur le commerce mondial 2020, l'Organisation mondiale du commerce a souligné que le passage à la numérisation et à l'économie fondée sur la connaissance témoignait de l'importance croissante de l'innovation et de la technologie dans la croissance économique. C'est pourquoi les gouvernements ont mis en œuvre de « nouvelles politiques industrielles » afin d'orienter la production locale vers les nouvelles technologies et de faciliter la modernisation des industries matures ou traditionnelles. De même, dans les économies les plus axées sur l'utilisation des données (BigData) et les plus développées sur le plan technologique, l'idée de la nécessité d'une intervention de l'État, d'une planification stratégique et d'un partenariat public-privé se renforce.

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La politique de consolidation et de projection internationale de la Chine s'est traduite par une série de programmes de promotion de l'innovation productive (tels que le plan « Made in China 2025 ») et de substitution des importations de technologies de pointe, comme le montre l'expérience de ces dernières années dans le développement de microprocesseurs de haute technologie (jusqu'à récemment importés des États-Unis).

La stratégie technologique de la Chine vise à consolider son leadership mondial dans les technologies émergentes et à réduire au minimum sa dépendance vis-à-vis de l'Occident. Cette approche se traduit par des investissements publics massifs dans la recherche et le développement, en particulier dans des domaines clés tels que l'IA, l'informatique quantique, la biotechnologie et les énergies vertes. Ces domaines ont été stratégiquement sélectionnés pour surmonter les « goulets d'étranglement technologiques » qui pourraient limiter son autonomie et renforcer son autosuffisance dans des secteurs critiques tels que les semi-conducteurs et la fabrication de pointe.

Le gouvernement chinois a adopté une approche techno-nationaliste centralisée qui contrôle l'innovation technologique et donne la priorité à l'intégration des chaînes d'approvisionnement mondiales. Cette approche vise à renforcer la dépendance des autres pays à l'égard des produits et services technologiques chinois, tout en reconfigurant l'initiative « Belt and Road », lancée en 2013, en élargissant sa portée grâce à la « Digital Belt and Road ».

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Ce projet renforce son influence technologique sur les marchés émergents du Sud, tels que l'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine, en promouvant des infrastructures critiques et en exportant des technologies de pointe. Bien qu'ils aient récemment remporté un succès remarquable avec le lancement de l'application d'IA générative DeepSeek, qui concurrence ChatGPT, Gemini, etc. et qui a provoqué un séisme boursier aux États-Unis

La sécurisation de l'IA impulsée par le gouvernement chinois s'inscrit dans le concept de « sécurité nationale intégrale » promu par Xi Jinping, qui englobe seize types de sécurité différents. Cette stratégie se reflète également dans la centralisation de la gestion des données, considérées comme une ressource stratégique nationale.

Depuis la promulgation de la loi sur la cybersécurité en 2017, la Chine a mis en place des réglementations strictes qui privilégient la sécurité plutôt que la croissance économique. La création de l'Administration nationale des données en 2023 renforce ce modèle en favorisant l'autosuffisance technologique et la modernisation économique, même si elle se heurte à des défis importants, tels que la fragmentation régionale et les obstacles à l'innovation. Ces politiques sont motivées à la fois par des préoccupations historiques concernant le retard technologique du pays et par les tensions liées à la concurrence entre les grandes puissances.

Considérer l'IA comme une question de sécurité nationale offre de nombreux avantages. Tout d'abord, cela permet de mobiliser des ressources importantes et de coordonner les efforts entre les secteurs public et privé, garantissant ainsi un leadership public unique et stratégique. En outre, cette perspective favorise la mise en œuvre de politiques de sécurité strictes, essentielles pour faire face à des menaces telles que l'espionnage, le vol d'informations sensibles, la désinformation et les cyberattaques.

Il y a quarante-cinq ans, le gouvernement chinois avait tenté de « se rajeunir » ou de « se moderniser » en s'inspirant de l'Occident, mais à l'ère de Xi Jinping, la priorité est désormais de concevoir des réponses chinoises aux questions de notre temps.

Il est possible que les « réponses chinoises » aux problèmes de notre époque ne soient que de la propagande, mais il est également possible qu'elles cherchent à proposer une alternative civilisationnelle à celle de l'Occident européen. Tout semble indiquer que la Chine opte pour cette deuxième alternative, car elle travaille d'arrache-pied pour se construire une place dans le monde en termes d'idées.

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Sans préjudice de la proposition civilisationnelle chinoise, à laquelle nous devons nous préparer en nous appuyant sur notre propre tradition et nos propres valeurs culturelles, la phase actuelle de la Chine repose sur cinq éléments : a) la souveraineté nationale (souveraineté sur tous les territoires revendiqués ou non), b) la place de la Chine en tant que pays important sur la scène mondiale (qu'elle ait ou non un poids en tant que centre de pouvoir), d) le niveau technologique et productif (à la pointe ou non), d) le caractère culturel du pays (s'il s'oriente vers l'occidentalisation ou s'il renforce ses propres racines civilisationnelles) et e) le mode de production (socialiste ou capitaliste).

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La Chine serait un pays qui n'a pas encore atteint sa pleine souveraineté (il lui manque Taïwan, la mer de Chine méridionale, etc.), qui est déjà important au niveau mondial (même s'il pourrait l'être davantage), avec un niveau technologique et productif qui se rapproche de plus en plus de la pointe avancée en la matière, avec un caractère culturel sino-centrique issu de l'histoire millénaire de la Chine et avec un mode de production qu'il définit lui-même comme « un socialisme aux caractéristiques chinoises ».

La Chine cherche à gagner en influence et à conquérir l'hégémonie mondiale grâce à une stratégie sophistiquée basée sur la séduction, le commerce et les investissements. Mais pourra-t-elle éviter la confrontation directe dans la lutte pour l'hégémonie ?

D'autre part, sa double stratégie de renforcement de son marché intérieur et de recherche d'une moindre dépendance vis-à-vis de l'étranger sera-t-elle vraiment efficace ? Évitera-t-elle la dépendance vis-à-vis des États-Unis ?

Enfin, dans le domaine culturel et des idées, aura-t-elle la force morale et la qualité de leadership nécessaires pour fonder une pensée propre afin de se construire une place dans le monde sans se laisser entraîner par le consumérisme dépersonnalisant de l'Occident ?

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samedi, 13 septembre 2025

« En Europe, ce sont les juristes qui gouvernent, en Chine, ce sont les ingénieurs » L’Allemagne bricole sa politique et se met rapidement hors-jeu, écrit une chroniqueuse de Die Welt

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« En Europe, ce sont les juristes qui gouvernent, en Chine, ce sont les ingénieurs »

L’Allemagne bricole sa politique et se met rapidement hors-jeu, écrit une chroniqueuse de Die Welt

Source: https://rmx.news/germany/in-europe-lawyers-rule-in-china-...

« L’Allemagne doit démontrer sa capacité d’action », écrit Fatina Keilani dans une tribune rédigée pour la quotidien Die Welt.

« Alors que l’Allemagne débat pour savoir si Markus Söder mange trop de saucisses ou si l’AfD doit être interdite, des nations plus ambitieuses nous dépassent », écrit Fatina Keilani pour Die Welt, expliquant que l’Europe est gouvernée par des juristes tandis que la Chine est dirigée par des ingénieurs.

« En Europe, les juristes gouvernent, en Chine, ce sont les ingénieurs », écrit Keilani.

Après avoir écouté le podcast « Interesting Times » du New York Times sur la relation entre les États-Unis, l’Occident et la Chine, Keilani a été particulièrement frappée par le fait que « la désindustrialisation de l’Europe est en fait considérée comme acquise ».

En d’autres termes, l’Europe, et en particulier son moteur économique qu’est l’Allemagne, était largement absente de la conversation, si ce n’est pour noter que la Chine lui a ravi la première place dans la technologie solaire et qu’elle est désormais en train de perdre sa domination dans l’industrie automobile.

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Keilani déplore une Allemagne obsédée par l’interdiction de l’AfD, tandis que tout ce qui faisait l’essence de l’Allemagne est en train de se perdre, attribuant aux divisions sociopolitiques issues de ces gueguerres politiques et de ces mesquineries la responsabilité du mal qui ronge le pays.

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Keilani cite Dan Wang, qui se félicitait volontiers de la puissance de l’ingénierie chinoise lors du podcast où il évoquait son nouveau livre, « Breakneck : China’s Quest to Engineer the Future ».

« À ma grande surprise, la quatrième province la plus pauvre de Chine disposait d’infrastructures nettement meilleures que des régions bien plus riches des États-Unis, comme l’État de New York ou la Californie », a déclaré Wang lors du podcast, se basant sur une traversée à vélo du pays, qu'il avait effectuée.

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« Nous avons vu des ponts élevés tout autour de nous. Nous avons vu un centre de fabrication de guitares. Nous avons vu de nombreuses routes neuves et modernes, le rêve de tout cycliste. Ce n’est qu’avec du recul que j’ai compris à quel point il était étrange que la quatrième province la plus pauvre de Chine – dont le PIB par habitant équivaut à celui du Botswana, bien inférieur à Shanghai ou au Guangdong – ait pu réaliser tout cela », poursuit Wang.

Tout comme le président chinois Deng Xiaoping s’est attaqué avec force à des années de stagnation communiste, « l’Allemagne doit démontrer sa capacité d’action », écrit Keilani.

« Des prix de l’énergie compétitifs, moins de bureaucratie, des investissements ciblés dans la recherche et la technologie, et la sécurisation de la main-d’œuvre qualifiée. Tout aussi importante est la résilience géopolitique: sécurité des matières premières, souveraineté numérique, et moins de dépendance vis-à-vis de la Chine », énumère-t-elle.

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L’Allemagne doit revenir à « des usines, des brevets et des marchés », ajoute-t-elle.

Keilani souligne également un facteur majeur que Wang n’a pas mis en avant: la culture chinoise de la discipline, de l’éducation et de la motivation, qui, selon elle, a fortement décliné en Allemagne.

« Même les compétences de base en mathématiques et en allemand sont en recul, et un débat sur la discipline à l'école est vite perçu comme autoritaire », écrit-elle.

jeudi, 11 septembre 2025

La Chine conteste le fondement juridique de la « liberté de navigation » américaine

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La Chine conteste le fondement juridique de la « liberté de navigation » américaine

par Stefano Vernole

Source: https://www.cese-m.eu/cesem/2025/09/la-cina-contesta-il-f...

Le 11 août 2025, le Département de la Défense des États-Unis a publié son rapport annuel « Freedom of Navigation » (FON) pour 2024, identifiant la Chine comme la principale cible parmi 11 pays ou régions, cible qui énonce les revendications les plus « contestées » et la seule nation prête à répondre à des défis dans plusieurs zones maritimes.

Parmi celles-ci, on compte quatre défis à ce que le Département américain a qualifié de « revendications maritimes excessives » de la Chine continentale, tels que l’obligation d’autorisation préalable pour le passage inoffensif de navires militaires étrangers dans la mer territoriale, sur les lignes de base et selon les droits historiques en mer de Chine méridionale, ainsi que les restrictions dans la zone d’identification de défense aérienne (ZIDA) de la mer de Chine orientale.

Pékin a réagi immédiatement. Un rapport chinois, publié ces derniers jours, démontre que la « liberté de navigation » américaine contient de nombreux éléments du soi-disant droit international coutumier, fondés sur des concepts créés par les États-Unis et des normes auto-imposées, qui sont incompatibles avec le droit international et les pratiques de nombreux pays. Le rapport, intitulé « Évaluation juridique de la liberté de navigation des États-Unis », publié par le China Institute for Marine Affairs du ministère des Ressources naturelles, a examiné les positions et actions juridiques des États-Unis en matière de liberté de navigation, synthétisant les revendications, les caractéristiques et les implications selon le point de vue de Washington.

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Le rapport conclut que « la liberté de navigation des États-Unis n’a aucun fondement en droit international et déforme gravement l’interprétation et le développement du droit international », a déclaré Xu Heyun, directeur adjoint du China Institute for Marine Affairs [1]. « Elle perpétue la logique de la ‘diplomatie de la canonnière’ et reflète la pratique habituelle des États-Unis d’utiliser la force militaire pour faire pression sur d’autres pays », a-t-il souligné, ajoutant que la soi-disant liberté sert les intérêts nationaux et la stratégie géopolitique des États-Unis, menace la paix et la stabilité régionales et bouleverse l’ordre maritime international.

Zhang Haiwen, chercheur de l’Institut et responsable de l’évaluation du rapport, a confirmé que la liberté de navigation américaine comporte des éléments manifestement illégaux : « Dans le processus d’élaboration de leur propre conception de la ‘liberté de navigation’, les États-Unis ont violé les exigences fondamentales du droit international pour l’interprétation de bonne foi des traités et du droit international coutumier. » Zhang a souligné que les États-Unis ont abusé de leur statut de non-partie à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et ont tiré parti du prétendu droit coutumier en appliquant de façon sélective les normes des traités, ce qui compromet l’intégrité de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Cette convention, conçue pour équilibrer les intérêts des différents États côtiers, exige l’acceptation de toutes les dispositions comme un « paquet unique », sans laisser de place à des choix sélectifs ou intéressés.

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Les États-Unis évitent d’adhérer à l’UNCLOS afin de pouvoir imposer des interprétations unilatérales à certaines parties de la convention. Par exemple, les États-Unis tentent d’appliquer le concept de liberté de navigation en haute mer à l’intérieur d’une zone économique exclusive pour mener des activités militaires, maintenant ainsi leurs propres intérêts hégémoniques.

Huang Ying, professeur associé à l’Université d’études étrangères de Tianjin, a renforcé ce concept : « Lorsqu’ils identifient et interprètent les régimes maritimes, les États-Unis ne ménagent aucun effort pour étendre leurs propres droits et libertés par le biais du soi-disant droit international coutumier, qui en réalité n’existe pas. » Le rapport souligne que les États-Unis ont inventé plusieurs « concepts juridiques », tels que celui des « eaux internationales », qui n’a pas de fondement en droit maritime contemporain, et le soi-disant « corridor de haute mer », utilisé pour affaiblir la juridiction des États côtiers sur des zones telles que le détroit de Taïwan. Le rapport souligne également le double standard profondément enraciné des États-Unis. Les avions militaires américains insistent pour jouir de la « liberté de survol » dans les zones d’identification de défense aérienne (ADIZ) d’autres pays, tout en qualifiant de « menaces » des actions similaires d’avions militaires de pays non alliés.

Par exemple, alors que les États-Unis soulignent la « liberté de survol » pour leurs propres avions militaires et contestent à plusieurs reprises la ZIDA chinoise en mer de Chine orientale, y compris plusieurs cas d’avions militaires en transit dans le détroit de Taïwan, ils décrivent en même temps les activités de routine d’avions militaires chinois dans l’espace aérien international à l’intérieur des ZIDA des États-Unis, du Japon et de la Corée du Sud comme des « intrusions » ou des « provocations ». Les doubles standards des États-Unis sur les questions liées aux ZIDA sont clairement en contradiction avec leur engagement proclamé à défendre la « liberté de navigation ».

En dépit des affirmations américaines selon lesquelles leurs « opérations de liberté de navigation » en mer de Chine méridionale ne visent aucun pays en particulier, les statistiques montrent que la Chine a été la cible principale au cours des dix dernières années. Les États-Unis ont continué à s’immiscer fréquemment et illégalement dans des espaces maritimes et aériens relevant de la souveraineté chinoise, sans autorisation. Un rapport non définitif sur les activités militaires américaines en mer de Chine méridionale en 2024, publié par le think tank chinois South China Sea Strategic Situation Probing Initiative, a montré que l’armée américaine a continué à renforcer sa dissuasion militaire contre la Chine l’année dernière, maintenant des opérations à haute intensité en mer de Chine méridionale et dans les zones avoisinantes. Cela comprenait des reconnaissances rapprochées et des transits dans le détroit de Taïwan. En particulier, de gros avions de reconnaissance américains ont effectué environ 1000 vols de reconnaissance rapprochée, soit une augmentation significative par rapport à 2023, selon le rapport.

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Lors de la dernière intrusion récente, le 13 août 2025, le destroyer américain USS Higgins (photo) est entré illégalement dans les eaux territoriales de l’île chinoise de Huangyan sans l’approbation du gouvernement de Pékin. Les forces navales du Commandement du théâtre Sud de l’Armée populaire de libération ont réagi rapidement, organisant des forces pour suivre, surveiller et repousser le navire de guerre, conformément aux lois et règlements du pays.

En mai dernier, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth (qui a visité les Philippines en juillet) a publié une déclaration conjointe avec les ministres de la Défense du Japon, de l’Australie et des Philippines, condamnant « les actions déstabilisatrices de la Chine en mer de Chine orientale (ECS/East China Sea) et en mer de Chine méridionale (SCS/South China Sea) et toute tentative unilatérale de changer le statu quo par la force ou la coercition ».

Les États-Unis ont également annoncé officiellement leur intention de financer et de construire une base navale pour des vedettes rapides sur la côte ouest de l’île de Palawan, un paradis naturel des Philippines, précisément pour contrer les activités de Pékin en mer de Chine méridionale: un projet qui devrait être opérationnel en 2026.

Note: 

[1] Li Menghan, US ‘freedom of navigation‘ lacks basis, “China Daily”, 26 août 2025.

mercredi, 10 septembre 2025

Directive de Douguine: "L’ère des États-civilisations – La Russie, la Chine et l’Inde s’élèvent comme les trois pôles d’un monde multipolaire"

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Directive de Douguine:

"L’ère des États-civilisations – La Russie, la Chine et l’Inde s’élèvent comme les trois pôles d’un monde multipolaire"

Alexandre Douguine

Nos États ne sont pas équivalents: certains ont des avantages démographiques, d’autres en possèdent dans la croissance économique, d’autres encore en géopolitique, en ressources naturelles, en armement ou en technologies. Mais aucun d’eux ne dépend de l’autre. Ce sont trois pôles indépendants, voilà ce qu’est la multipolarité. Chacun d’eux a en son cœur sa propre religion, sa propre identité, sa culture et une histoire très ancienne. Cela revêt une signification colossale.

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La Russie a définitivement pris conscience de ne pas être une partie de l’Occident, mais le centre d’un monde russe autonome. Il en va de même pour l’Inde et la Chine. Au centre de l’identité chinoise se trouve l’idée confucéenne de l’Empire chinois. Le maoïsme et le libéralisme de Deng Xiaoping sont des moyens de moderniser la société dans le but de la défendre contre l’Occident. Le noyau reste immuable – la Chine défend ses principes et sa métaphysique.

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Il en va de même pour l’Inde qui, avec l’arrivée au pouvoir des conservateurs de Narendra Modi et du « Bharatiya Janata Party », prend de plus en plus conscience de son opposition à l’Occident en tant que civilisation védique. Modi a opté pour une décolonisation de la conscience indienne et poursuit résolument cette voie, comprenant que le système occidental ne convient pas à la société indienne, fondée sur d’autres principes.

La civilisation russe plonge ses racines dans l’antique société indo-européenne des temps sarmates et scythes, époque où s’est formé le peuple slave. Mais nous sommes devenus une véritable civilisation en embrassant le christianisme et le byzantinisme, avec son héritage gréco-romain. Nous sommes aussi, toutefois, les héritiers de la culture du code indo-européen.

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Après le Grand Schisme des Églises au 11ème siècle, nos chemins ont divergé de ceux de l’Occident. Nous avons continué à porter ce code, tandis que l’Occident s’en est éloigné. À l’époque moderne, il a bâti une civilisation sur des principes antichrétiens et anti-romains, en rompant avec lui-même. Nous, malgré les reculs des 18ème et 20ème siècles, sommes restés porteurs de la foi orthodoxe dans laquelle le Saint Prince Vladimir nous a baptisés.

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Après la chute de Constantinople, nous sommes devenus les seuls héritiers de ce code. Il nous incombait d’être le bastion de l’orthodoxie. Ce n’est pas un hasard si nous sommes appelés la "Troisième Rome". Nous sommes héritiers non seulement du millénaire, mais d’une histoire bien plus profonde, incluant la Perse et Babylone, comme l’écrit Constantin Malofeev dans son livre « Empire ». Depuis 500 ans, nous, les Russes, portons la Couronne de l’Empire en préservant une civilisation que l’Occident a abandonnée.

Ce n’est pas nous qui sommes une partie de l’Occident, mais l’Occident qui est une version dégénérée de nous-mêmes. Ils se sont séparés de la civilisation, tandis que nous lui sommes restés fidèles. Ils sont les fils prodigues qui se sont éloignés en enfer. Nous, nous portons une culture ancienne, les Chinois la leur, les Indiens la leur.

Après des époques pas toujours favorables, nous, les trois États-civilisations renaissants, nous nous rencontrons à nouveau, conscients de notre profondeur. Face à nous, un ennemi commun: l’Occident. Trump aurait pu devenir un autre pôle souverain s’il avait surmonté l’hégémonie des mondialistes, comme il le prévoyait. Mais il n’y est pas parvenu.

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Les trois pôles du monde multipolaire existent déjà. Mais le club du monde multipolaire est ouvert. Dans les BRICS, format plus large que celui de l’OCS, il y a aussi une place pour les mondes islamique, africain et latino-américain. Plus l’Occident nous attaque, plus nous nous rapprochons. Même Trump y contribue, rendant ce processus irréversible – sous sa pression, l’Inde nous a rejoints.

Il y a là quelque chose d’eschatologique. Nous ressentons de façon aiguë notre identité et notre destin, comme jamais au cours des 300 dernières années. Il en va de même pour les Chinois et les Indiens. L’Inde, ancienne colonie, se réveille enfin pour de bon, tout comme la Chine revient à son noyau confucéen. Ce qui était au commencement se révèle à la fin.

Nous entrons dans l’ère des États-civilisations, tandis que l’Occident, en tentant de conserver sa domination, sombre. Il est désormais évident pour tous que son hégémonie est terminée. C’est l’agonie.

mardi, 09 septembre 2025

Diplomatie des gazoducs aux dépens de l’Europe

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Diplomatie des gazoducs aux dépens de l’Europe

Gregor Jankovič

Source: https://geoestrategia.eu/noticia/45127/geoestrategia/que-... (Extrait)

En adoptant une idéologie et des slogans creux, l’UE a livré sa bouée de sauvetage énergétique à la Chine, non par nécessité, mais par sa propre erreur stratégique et par une subordination totale aux intérêts des États-Unis.

Lors du récent sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Pékin, la Russie, la Chine et la Mongolie ont signé un mémorandum juridiquement contraignant pour le gazoduc « Power of Siberia 2 ». S’étendant sur 2600 km et coûtant 13,6 milliards de dollars, ce gazoduc livrera 50 milliards de mètres cubes de gaz russe par an depuis l’Arctique directement vers le nord de la Chine via la Mongolie, en évitant complètement l’Europe.

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Les implications économiques sont saisissantes. En Europe, 50 milliards de mètres cubes de gaz naturel valent aujourd’hui 16,5 milliards de dollars. Le GNL américain pour le même volume coûterait environ 25 milliards de dollars (Financial Times), tandis qu’un achat direct à la Russie, selon les récents accords de Gazprom avec la Chine, reviendrait à environ 6 à 6,5 milliards de dollars. Le gazoduc russe bon marché, qui a constitué la colonne vertébrale de l’industrie allemande et de l’Europe occidentale, écoulera désormais son flux vers l’est, assurant à la Chine un approvisionnement énergétique stable et abordable.

Les élites dirigeantes anglo-américaines, qui poussent l’Europe à rompre ses liens énergétiques avec la Russie, ont, sans le vouloir (en tout cas apparemment – peuvent-ils être si naïfs – ou bien?), transféré l’influence stratégique à la Chine. L’Europe paie le GNL américain trop cher, perd sa compétitivité industrielle et glisse vers la récession, un scénario idéal pour alimenter les tensions intra-européennes sur fond de difficultés économiques et de ventes d'armes américaines surévaluées.

Le président Xi Jinping a présenté le gazoduc PoS2 comme une pierre angulaire du partenariat stratégique « sans limites » avec la Russie, garantissant à la Chine un corridor énergétique terrestre fiable. Il ne s’agit pas seulement d’un accord énergétique: c’est un réalignement stratégique. La Russie s’assure un acheteur garanti, la Chine sécurise des approvisionnements à long terme, et l’Europe fait face à l’érosion de sa position industrielle et géopolitique.

La cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, illustre parfaitement, dans sa réflexion sur l’histoire, la véritable valeur et la mentalité de la classe dirigeante actuelle de l’UE, fruit d’un projet impérial américain de plusieurs décennies:

« … La Russie s’adressait à la Chine : ‘Russie et Chine, nous avons combattu pendant la Seconde Guerre mondiale, nous avons gagné la Seconde Guerre mondiale, nous avons vaincu les nazis…’ et j’ai pensé : ‘D’accord, c’est nouveau.’ Quand on connaît l’histoire, cela suscite beaucoup de questions. Je peux vous dire qu’aujourd’hui les gens ne lisent ni ne se souviennent beaucoup de l’histoire. On voit qu’ils adoptent ces récits sans réfléchir… »

En se séparant non seulement du bon sens et de la décence, mais aussi du gaz russe abordable sous la pression anglo-américaine, l’Europe a éliminé toute possibilité réaliste de reprise industrielle et d’avenir économique viable. La carte énergétique mondiale est en train d’être réécrite: le déclin de l’Europe s’accélère, les crises internes occidentales s’approfondissent et les élites anglo-américaines risquent de perdre leur influence tandis que les anciennes puissances périphériques et colonies, en particulier la Chine et l’Inde, montent en puissance sur le plan stratégique et économique.

L’Europe est confrontée à l’effondrement final de sa pertinence industrielle et géopolitique, tandis que les élites anglo-américaines perdent leur seul projet historique réellement réussi : le soi-disant « ordre international fondé sur des règles », « indispensable », « inévitable » et « le plus puissant ».

lundi, 08 septembre 2025

Le méga-contrat russo-chinois pour le pétrole et le gaz. Et l’UE reste spectatrice

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Le méga-contrat russo-chinois pour le pétrole et le gaz. Et l’UE reste spectatrice

par Clemente Ultimo

Source: https://www.destra.it/home/geoeconomia-il-mega-contratto-...

En marge du 25ème sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, la Russie et la Chine ont encore renforcé leur partenariat énergétique. Moscou a trouvé dans le marché chinois une alternative au marché européen – fermé suite aux sanctions imposées par l’UE après le déclenchement de la guerre en Ukraine – tandis que Pékin bénéficie du pétrole et du gaz russes comme source d’énergie moins chère pour alimenter son secteur industriel.

Quatre accords ont été signés entre l'entreprise russe Gazprom et la China National Petroleum Corporation, le principal de ces accords concernant la construction du Power of Siberia 2, le gazoduc destiné à approvisionner Pékin en méthane provenant des gisements arctiques russes. La ligne traversera la Mongolie, qui pourra ainsi profiter des droits de transit. L’objectif est de transporter des milliards de mètres cubes de gaz par an, sur la base d’un accord d’une durée de trente ans.

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Gazprom a également donné son feu vert à la demande chinoise d’augmenter les livraisons arrivant en Chine via le Power of Siberia, passant des 38 milliards de mètres cubes actuels à 44 milliards. En tenant compte des autres canaux d’approvisionnement, les livraisons totales de gaz russe devraient passer, dès cette année, de 48 à 56 milliards de mètres cubes.

Les prévisions indiquent qu’avec la mise en service du Power of Siberia 2, les livraisons russes de gaz à la Chine atteindront 106 milliards de mètres cubes. Le seul marché chinois absorbera ainsi presque entièrement les flux de gaz qui, avant le conflit en Ukraine, approvisionnaient les pays de l’Union européenne, soit environ 150 milliards de mètres cubes. À ce propos, il convient de rappeler que la Hongrie et la Slovaquie continuent d’acheter du gaz à la Russie, comme en témoignent les tensions croissantes avec Kiev, qui a frappé à plusieurs reprises, ces dernières semaines, le gazoduc alimentant ces deux nations d’Europe centrale, interrompant ainsi le flux.

À côté des achats chinois, il ne faut pas oublier non plus ceux de l’Inde qui se fournit en pétrole et en gaz russes. Des achats qui se poursuivent malgré les pressions politico-diplomatiques et les droits de douane imposés par les États-Unis. L’Inde a jusqu’à présent rejeté les demandes d’interrompre les importations énergétiques russes, réaffirmant son droit de défendre ses intérêts nationaux en achetant du gaz et du pétrole dans les meilleures conditions du marché.

Enfin, il y a le chapitre des achats effectués par les Européens eux-mêmes, en particulier de pétrole : des achats résultant de triangulations qui permettent de « diluer » l’origine russe des hydrocarbures concernés. Mais cela concerne davantage le registre de l’hypocrisie « made in UE » que le plan économique.

dimanche, 07 septembre 2025

Ombres chinoises

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Ombres chinoises

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/ombre-cinesi-2/

De la dernière réunion de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai) se projettent de nombreuses et grandes ombres.

Pour la plupart, ce sont des ombres chinoises.

Xi Jinping a pris la parole. Et il a parlé longuement, contrairement à ses habitudes.

Un discours programmatique, qui trace l’avenir de l’OCS et, en même temps, révèle entre les lignes le projet d’expansion chinois.

Car Xi apparaît extrêmement déterminé. Il déclare que la Chine, le géant chinois, entend investir, et investir massivement, dans les pays en développement membres ou proches de l’OCS.

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Une aide à 360°. Qui représente la réponse chinoise aux politiques mises en place par Washington et les Européens à l’égard du soi-disant Tiers-Monde.

Des politiques qui, soyons clairs, ont toujours été fondamentalement prédatrices.

Visant à dépouiller ces pays de leurs richesses naturelles. Exploitant à la fois une politique culturelle dirigée vers leurs classes dirigeantes, et favorisant la corruption systématique de celles-ci.

L’Afrique en a payé, et en paie encore, les conséquences. Et ce n’est qu’un exemple, certes macroscopique, parmi tant d’autres que l’on pourrait tirer d’Amérique latine et d’Asie.

Attention toutefois à ne pas se méprendre. À ne pas commettre l’erreur simpliste de voir la Chine comme la « bonne » puissance et l’Occident comme le choeur des « méchants ».

Une erreur exactement symétrique à l’autre, seulement en apparence opposée. Celle qui voudrait faire de l’Occident un phare de civilisation, et des autres, tous les autres, des barbares primitifs.

Le discours de Xi Jinping est un discours qui prélude à une action parfaitement politique.

Pékin est conscient de la façon dont les classes dirigeantes du Tiers-Monde sont, fondamentalement, inféodées à la culture occidentale.

Culture qui continue d’occuper une primauté incontestable. Étant la base, le fondement, à partir duquel partent les classes dirigeantes de ces pays. Souvent, sinon toujours, formées aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Un lien toujours exploité avec une extrême habilité par le néocolonialisme occidental.

Et la classe dirigeante de Pékin est parfaitement consciente de ne pas être compétitive sur ce terrain.

La culture millénaire chinoise n’est en effet ni transférable ni consommable comme la culture de masse produite par la machine anglo-américaine.

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Pour donner un exemple, en Afrique, en Asie, en Amérique latine, les bandes dessinées américaines sont répandues. Souvent adaptées aux nouveaux contextes pour pénétrer plus profondément dans ces différentes cultures et les inféoder.

Ainsi, Spider-Man, l’Homme-Araignée, est devenu, pour l’Inde, un garçon bengali qui reçoit ses pouvoirs de la Déesse Araignée.

Un respect formel d’une tradition différente, utile cependant pour véhiculer le modèle globaliste.

Ce n’est qu’un exemple, parmi tant d’autres, et d’ailleurs déjà ancien de plusieurs décennies. Mais il sert à démontrer le net avantage de la culture occidentale sur ses concurrentes potentielles.

À Pékin, ils en sont bien conscients. C’est pourquoi ils misent sur autre chose. Pas sur la culture de masse, mais sur le développement économique. Sur l’expansion d’une zone de bien-être croissante, pilotée et guidée par la Chine.

Parce que la conviction des mandarins de Pékin est que la domination américaine sera progressivement brisée par le développement économique du reste du monde.

Et c’est là-dessus qu’ils misent. Le discours de Xi Jinping en est le clair exemple.

Directive de Douguine: "Trump contribue à la formation d’un monde multipolaire, même contre sa volonté"

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Directive de Douguine: "Trump contribue à la formation d’un monde multipolaire, même contre sa volonté"

Alexandre Douguine

Après son accession au pouvoir, Trump aurait pu accepter la nouvelle réalité du monde et tenter de reconquérir une bonne position dominante pour les États-Unis dans un système devenu multipolaire. Au lieu de cela, Trump a choisi la voie de l’agression, et ce sont précisément ses actions — attaques contre la Chine, introduction de droits de douane élevés contre l’Inde, pression sur le Brésil et menaces contre les pays du BRICS, ainsi que la poursuite de l’agression américaine contre la Russie en Ukraine — qui accélèrent la création d’un monde multipolaire, a souligné le directeur de l’Institut Tsargrad, le philosophe Alexandre Douguine :

"Trump ne fait pas cela volontairement, mais sous la contrainte. En tentant de faire échouer la multipolarité et de préserver l’hégémonie américaine, il accélère en réalité sa consolidation".

L’importance du processus en cours ne réside pas seulement dans la rencontre entre Vladimir Poutine et Xi Jinping, rencontre qui symbolise à elle seule l’unité de deux grandes civilisations et puissances, mais aussi dans la présence lors du sommet de l’OCS du Premier ministre indien Narendra Modi, que Trump a profondément heurté par son comportement. À Pékin, lors du sommet de l’OCS, convergent en fait les trois pôles principaux du monde multipolaire: la Chine, la Russie et l’Inde.

Le destin de l’humanité dépendra de la capacité de ces trois pôles à parvenir à une compréhension mutuelle dans ces nouvelles conditions historiques, et non de ce que dit ou fait Trump. Sa mission est déjà accomplie dorénavant : il a poussé la Russie dans les bras de la Chine, et il y a aussi jeté son récent partenaire — l’Inde.

Ces trois grandes civilisations-États s’unissent maintenant. Leur potentiel combiné — économique, démographique, politique, géopolitique, en ressources et en capacités nucléaires — dépasse celui du monde occidental. Voilà la vraie multipolarité, elle était inattendue, mais elle est désormais la réalité.

L’Occident, qui voulait initialement bétonner un monde unipolaire avec l’OTAN pour pièce centrale, la calamiteuse Union européenne et son Israël idiot qui tente de faire valoir sa grandeur sur un petit coin du Moyen-Orient, se trouve face à un contrepoids eurasiatique de grande ampleur. Et personne n’y résistera. À cette nouvelle organisation multipolaire, incarnée par la Russie, la Chine et l’Inde, se joindra aussi le monde islamique — en premier lieu, les chiites d’Iran. Ceux qui hésitent perdront peu à peu toute pertinence, même au niveau régional. Trump voulait s’y opposer, mais il y a finalement contribué lui-même.

La prochaine visite de Vladimir Poutine en Chine, pour le sommet de l’OCS, n’est pas seulement une nouvelle rencontre avec Xi Jinping et Narendra Modi. La situation a changé. L’Occident n’a pas voulu accepter la multipolarité, ce qui signifie que cette multipolarité, désormais, « houspille » l’Occident dans les marges du monde et de l'histoire et le forcera à prendre sa place dans cette hiérarchie, qui ne sera plus en première ligne.

Trump a commencé avec le slogan « Rendons l’Amérique grande à nouveau », en promettant aussi la grandeur pour d’autres pays: faire en sorte qu'eux aussi puissent « redevenir grands ». Mais il n’a pas tenu cette mission, et il a basculé, et c'est navrant, dans une politique néoconservatrice, de mauvais aloi et de bas étage. En tentant de préserver l’hégémonie, il l’a en fait achevée et a transmis l’initiative aux trois pôles d'Eurasie.

Lors du sommet, se réunissent de véritables grandes puissances — la Russie, la Chine et l'Inde. Et c’est eux qui décideront du destin de l’humanité. Que cela plaise ou non, l’avenir appartient à Xi Jinping, à Modi et à Poutine. Ensemble, ils définiront la prochaine ère de l’humanité. Nous inscrivons dans cette nouvelle ère multipolaire nos propres visions. C’est là toute la signification de cette rencontre au sommet de l’OCS.

vendredi, 05 septembre 2025

États-Unis et Chine: une concurrence, deux mondes

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États-Unis et Chine: une concurrence, deux mondes

Derrière les stratégies des États se cachent des actions rationnelles. Cependant, contrairement à ce que prétend généralement la sagesse conventionnelle occidentale, la rationalité n'est pas universellement la même pour toutes les nations: les cultures conditionnent les mentalités et, par conséquent, les processus décisionnels.

Andrés Berazategui

Source: https://politicar.com.ar/contenido/1065/estados-unidos-y-...

La concurrence entre les États-Unis et la Chine met en évidence différentes manières de planifier des stratégies et d'agir. La pensée stratégique, étant quelque chose de complexe, révèle également que les contextes culturels qui sous-tendent les décisions des acteurs internationaux peuvent être très différents. En effet, la stratégie est planifiée en vue d'atteindre des objectifs à l'aide d'un ensemble de moyens utilisés de manière rationnelle. Or, la rationalité des acteurs, c'est-à-dire leur capacité à calculer et à évaluer de manière réfléchie l'utilisation des moyens permettant d'atteindre ces objectifs, n'est pas nécessairement la même chez tous, car les rationalités peuvent être conditionnées par des contextes culturels différents. Par exemple, l'immolation personnelle pour commettre un attentat peut être un moyen parfaitement rationnel pour un certain acteur, alors que pour un autre, c'est tout le contraire. Sans aller jusqu'à cet extrême, nous pensons qu'il est possible d'observer une différence de mentalité dans les stratégies des États-Unis et de la Chine, les deux plus grandes puissances actuelles.

Ce n'est plus un secret pour personne que les États-Unis et la Chine sont en concurrence dans de nombreux domaines de la politique internationale. Citons quelques-uns des thèmes les plus importants : la rivalité dans le commerce international ; les différents discours utilisés par les États-Unis et la Chine pour justifier leurs actions ; la présence militaire du géant asiatique au-delà de ses frontières et en particulier dans la mer de Chine méridionale ; les tensions permanentes autour de Taïwan ; l'alliance de plus en plus étroite entre la Chine et la Russie ; l'activité croissante dans l'espace extra-atmosphérique ; les accusations relatives à la cybersécurité ; les campagnes de « désinformation » ; la concurrence pour les ressources — notamment les minéraux et les métaux critiques — ; les développements en matière de biotechnologie, de semi-conducteurs, d'intelligence artificielle...

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Cependant, les deux pays présentent des différences notables dans la manière dont ils planifient leurs stratégies et défendent leurs intérêts. Même s'il n'a pas été le premier à le remarquer, il convient de rappeler ce qu'a dit Henry Kissinger à propos des différences entre la Chine et l'Occident. Il a illustré son propos en donnant l'exemple des « jeux respectifs auxquels chaque civilisation s'est adonnée » : le wei ki (plus connu sous le nom de go en Occident) en Chine et les échecs dans le monde occidental. Kissinger explique que dans le wei ki, l'idée d'encerclement stratégique est fondamentale. En effet, le nom du jeu peut se traduire par quelque chose comme « jeu de pièces environnantes ».

9782213655062-475x500-1-3485459349.jpgKissinger poursuit : « Les joueurs placent à tour de rôle les pierres à n'importe quel endroit de la grille, créant ainsi des positions de force et s'efforçant en même temps d'encercler et de capturer les pierres de l'adversaire ». Il souligne également comment, au fur et à mesure des mouvements des pièces, les équilibres se modifient progressivement jusqu'à ce que, vers la fin de la partie, « le plateau se remplisse de zones de forces qui s'entrelacent partiellement ». Le wei ki cherche à encercler les pièces de l'adversaire en occupant le plus grand nombre possible d'espaces vides. Le but du jeu n'est pas de « manger des pièces », mais d'obtenir la domination stratégique du plateau en acculant l'adversaire tout au long de la partie, jusqu'à ce qu'il n'ait plus aucune possibilité de faire des mouvements productifs ». Pour sa part, le jeu d'échecs est différent. Kissinger nous dit que, dans ce jeu, on recherche la victoire totale. Et c'est vrai, dans le jeu d'échecs, l'objectif « est le mat, placer le roi adverse dans une position où il ne peut plus bouger sans être détruit ». L'interaction des pièces est directe : elles cherchent à s'éliminer pour occuper des cases bien délimitées. Les pièces se mangent et sont retirées du plateau, épuisant ainsi l'adversaire et orientant les efforts vers l'encerclement de la pièce principale, le roi, jusqu'à ce que, comme nous l'avons dit, celui-ci ne puisse plus bouger sans être détruit.

Dans le wei ki, on cherche à encercler et à contourner, on fait appel à la flexibilité, à l'exploration des espaces sur l'échiquier en essayant d'occuper ses vides : le wei ki a une conception du temps plus liée à des développements fluides et rythmés. La rationalité dans les échecs se manifeste différemment: il s'agit de dominer la zone centrale du plateau, car c'est son « centre de gravité ». Les joueurs cherchent à « tuer » les pièces adverses en les mangeant et en les remplaçant par leurs propres pièces. Aux échecs, on s'affronte pièce par pièce, on cherche donc à être décisif. Une pièce qui est mangée reste à l'extérieur et le temps est mesuré avec plus de précision, car l'élimination d'une pièce ne se fait pas par un détour (tâche qui prend un certain temps), mais elle est mangée à un moment précis, localisable avec exactitude.

sun-tzu-and-carl-von-clausewitz-battle-yesil-2193814496.jpgCe n'est pas un hasard si, d'un point de vue militaire, les plus grands stratèges des deux cultures sont si différents. Sun Tzu et Clausewitz illustrent clairement les différences que nous avons relevées ici, car ils s'appuient tous deux sur des rationalités analogues à celles que nous avons exposées en parlant des jeux.

Sun Tzu explique qu'il faut essayer de subordonner la volonté de l'ennemi, mais si possible sans combattre. Sa maxime selon laquelle « l'art suprême de la guerre consiste à soumettre l'ennemi sans livrer bataille » est bien connue. Sun Tzu recherche ce que l'on pourrait définir comme une patience stratégique, étroitement liée à la notion d'un temps qui s'écoule et se régule au fur et à mesure que ses propres mouvements et ceux de l'ennemi se produisent. C'est pourquoi les questions immatérielles revêtent une telle importance pour le stratège chinois. Si l'idéal ultime est de soumettre sans livrer bataille, on comprend que Sun Tzu accorde autant d'importance à des choses telles que connaître l'ennemi ou recourir au mensonge et à la tromperie. Pour l'Orient, la bataille est très coûteuse en hommes et en ressources, c'est pourquoi il vaut mieux essayer de l'éviter et n'y recourir que lorsqu'il n'y a pas d'autre alternative.

Clausewitz est tout à fait différent, tout comme le reste des stratèges militaires classiques occidentaux. Pour commencer, pour le Prussien, la bataille est cruciale. De plus, l'idéal n'est pas d'éviter les batailles, mais au contraire d'essayer d'en trouver une qui soit décisive. L'objectif de la guerre est de vaincre l'ennemi par la force, car la guerre est avant tout un acte de violence physique. C'est pourquoi Clausewitz accorde une grande importance aux variables matérielles, temporelles et spatiales qui peuvent favoriser au mieux les performances au combat. Dans la pensée stratégique militaire occidentale, la confrontation, la force et l'anéantissement de l'ennemi sont fondamentaux.

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Si nous appliquons cette analyse à la concurrence actuelle entre la Chine et les États-Unis, nous constatons que les schémas de pensée que nous avons exposés se retrouvent dans la manière dont les deux puissances gèrent leurs géostratégies respectives. La Chine cherche principalement à promouvoir des intérêts mutuellement avantageux avec d'autres acteurs — afin de les convaincre qu'il est profitable de s'entendre avec elle —, tout en recourant au soft power pour se présenter comme une puissance bienveillante et diplomatique qui ne recherche que la prospérité commune.

Les mesures coercitives sont généralement des derniers recours que la Chine met en œuvre de manière indirecte et à des degrés d'intensité variables en fonction du contexte. La projection du géant asiatique sur la mer de Chine méridionale ressemble à un coup de wei ki : il occupe des espaces « vides » (de souveraineté pratique relative ou contestée) en construisant des îles artificielles qui s'articulent autour d'une « ligne de neuf points » qui entoure l'espace qu'il entend dominer. La construction de ces îles est menée de manière si soutenue et ferme qu'elle laisse peu de place aux manœuvres politiques des États de la région. Dans le même temps, la Chine, à travers son initiative « Belt and Road », déploie sa puissance sur une vaste zone géographique en générant des investissements et des intérêts communs avec des acteurs qui, en principe, bénéficient du projet. Avec l'initiative « Belt and Road », la Chine étend à long terme son influence et son commerce en attirant un grand nombre de pays avec de bons dividendes.

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Les actions américaines, en revanche, sont clairement différentes. Les États-Unis mettent toujours l'accent sur le hard power, les actions directes et même les menaces publiques. Sa stratégie pour la région indo-pacifique, principal espace de concurrence avec Pékin, consiste généralement en une combinaison d'accords en matière de sécurité et de renseignement avec les pays de la région (AUKUS, QUAD, Five Eyes, ou accords bilatéraux de défense avec le Japon, la Corée du Sud, les Philippines) et de sanctions économiques et de restrictions technologiques à l'égard de la Chine. Les États-Unis s'opposent explicitement à la Chine, au point que la reconnaissance de cette dernière comme principale menace pour les intérêts mondiaux des États-Unis est un point de convergence fondamental entre les partis démocrate et républicain. Le fait que Donald Trump se soit montré un peu plus ouvert au dialogue avec Xi Jinping ne change rien à l'équation, selon nous. La concurrence stratégique entre les deux pays est là pour durer. Chacun agira selon sa stratégie, sa vision du monde et ses valeurs. En définitive, selon son propre esprit.

jeudi, 21 août 2025

Quand la France abandonnera-t-elle l'atlantisme?

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Quand la France abandonnera-t-elle l'atlantisme?

Raphael Machado (*)

Source: https://geoestrategia.eu/noticia/44946/politica/no-tiene-solucion-la-union-europea-y-su-servilismo-ante-estados-unidos.-analisis.html

Il est peu probable que la France puisse imprimer un renouveau stratégique à l'Union européenne, compte tenu de la récente capitulation de Bruxelles face au chantage tarifaire de Trump.

Un nouveau rapport politique français est passé inaperçu de la plupart des analystes géopolitiques, mais il représente un document stratégique fondamental qui pourrait déterminer des changements significatifs dans l'orientation internationale de l'Élysée.

Il s'agit du rapport n°1588 de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale française, consacré aux relations entre l'Union européenne et la Chine. Ce document, élaboré avec la contribution de représentants de tous les partis de l'Assemblée, vise à analyser les relations UE-Chine à la lumière du contexte géopolitique actuel et à suggérer des changements dans leur évolution.

La France, l'un des principaux pays de l'UE, aura tout naturellement une influence plus importante sur la politique étrangère du bloc si l'Élysée adopte les recommandations de la commission de l'Assemblée nationale.

Le point de départ du rapport est le constat que les relations entre l'UE et la Chine n'ont jamais été aussi tendues. Si l'UE a initialement salué l'ouverture économique de la Chine dans les années 1970 et cherché à développer ses relations commerciales bilatérales, aujourd'hui, malgré des échanges importants, la diplomatie est ternie par des déclarations hostiles prononcées par des responsables euro-bruxellois à l'égard de Pékin, comme celle qualifiant la Chine de « rival systémique » en 2019.

Le rapport attribue cette position à l'adhésion aveugle de l'Europe à une politique atlantiste dans le Pacifique, dirigée par Washington et servant principalement ses intérêts. Cette politique a été marquée par le « pivot stratégique » vers l'Asie sous le mandat de Barack Obama, approfondi sous le premier mandat de Donald Trump, l'administration de Joe Biden et le second mandat de Trump, qui a lancé une guerre commerciale avec la Chine par le biais de droits de douane élevés. Par exemple, lors d'un sommet tenu en 2021 au Royaume-Uni, l'UE et les nations du G7 ont publié un communiqué ouvertement sinophobe. Alors que les États-Unis, sous le Parti démocrate, entretenaient des relations plus fluides avec l'UE, Biden a orienté Bruxelles de façon à ce que l'UE traite Pékin comme étant un « défi systémique ».

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En outre, le rapport souligne la tendance de Bruxelles à adopter un ton moralisateur à l'égard de la Chine sous prétexte de défendre les soi-disant « droits de l'homme ». Il existe également de profondes divisions autour de l'Ukraine et de Taïwan.

Cependant, d'une manière que l'UE n'avait jamais prévue, la Chine a connu une croissance rapide, devenant un acteur mondial incontournable. Bien que 21% des importations européennes proviennent de Chine, le pays n'est plus seulement « l'usine du monde »: il est désormais le plus grand centre de R&D en science et technologie de la planète et le principal moteur du développement mondial des infrastructures grâce à l'initiative « Belt and Road », qui inclut même certains pays de l'UE.

Pour l'UE elle-même, le retour de Trump à la Maison Blanche a été un retour forcé à la réalité.

Le rapport souligne : « Les politiques de l'administration Trump ont marqué une rupture forte avec les fondements du multilatéralisme commercial et diplomatique ». Il souligne comment les États-Unis ont imposé des droits de douane élevés à la Chine et à l'UE, contournant les règles de l'OMC, voire menaçant de quitter ce cadre. Mais ce qui choque vraiment les auteurs, c'est le silence de Bruxelles lorsque Trump a menacé d'annexer le Groenland (territoire danois), sans émettre aucune critique quant à ce projet annexionniste et sans exprimer de la solidarité avec Copenhague. Cela soulève des doutes quant à la possibilité de continuer à considérer les États-Unis comme un « allié » et la Chine comme un « rival ».

À la lumière de toutes ces considérations et d'autres encore, la Commission propose 50 recommandations pour orienter la politique étrangère française et, plus précisément, pour que la France exerce une pression sur la politique étrangère européenne.

Parmi ces dizaines de recommandations, certaines se distinguent par un revirement à 180 degrés par rapport à la politique européenne actuelle envers la Chine.

Sur le plan géopolitique direct, par exemple, la recommandation n°11 propose de remplacer l'actuelle stratégie atlantiste appliquée dans la région indo-pacifique par une coopération avec la Chine; la recommandation n°13 propose de remplacer les institutions financières mondiales actuelles par une structure dans laquelle tous les pays seraient représentés de manière égale; la recommandation n°14, quant à elle, préconise la dédollarisation de l'économie mondiale par la création d'un étalon monétaire commun à l'échelle planétaire, afin de faciliter les échanges et le financement des économies nationales.

L'accent est également mis sur la création d'entreprises mixtes franco-chinoises et d'associations de coopération, en particulier dans les secteurs de haute technologie, comme le montrent les recommandations 6, 34 et 37, ainsi que sur la proposition de promouvoir la langue chinoise dans les écoles françaises et les associations universitaires, comme le montrent les recommandations 46, 48, 49 et 50. Le document est empreint de réalisme et surprend donc à la lumière des décisions contre-productives prises en permanence par Bruxelles dans ses relations extérieures.

Toutefois, compte tenu du leadership eurocratique actuel, incarné par Ursula von der Leyen, il est peu probable que la France puisse imprimer un renouveau stratégique à l'Union européenne, compte tenu de la récente capitulation de Bruxelles face au chantage tarifaire de Trump.

(*) éditeur, analyste géopolitique et politique, écrivain spécialisé dans les questions latino-américaines.

mercredi, 13 août 2025

La Chine défie l'ultimatum pétrolier de Trump – et l'Europe regarde

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La Chine défie l'ultimatum pétrolier de Trump – et l'Europe regarde

Par Elena Fritz

Source:  https://www.compact-online.de/china-trotzt-trumps-oel-ult...

L'Empire du Milieu ne veut pas renoncer aux matières premières russes et iraniennes. Une nouvelle ère commence : la division géopolitique des flux énergétiques. Pour en savoir plus : COMPACT-Spécial « Les États-Unis contre la Chine » – la lutte finale pour le nouvel ordre mondial. En savoir plus ici: https://www.compact-shop.de/shop/compact-spezial/compact-...

Alors que Washington brandit des menaces et durcit ses droits de douane, Pékin reste imperturbable: la Chine rejette l'ultimatum américain de renoncer au pétrole russe et iranien à l'avenir. Lors des dernières négociations commerciales à Stockholm, il est apparu clairement que le nouvel ordre mondial ne se décide plus depuis longtemps avec des armes, mais avec des contrats, des droits de douane et des matières premières. Et que la Chine est prête à en payer le prix.

L'emprise impériale

Le ministre américain des Finances, Scott Bessent, n'a laissé planer aucun doute lors de la conférence de presse finale: si la Chine continue d'importer du pétrole russe, Washington imposera des « sanctions secondaires », si nécessaire avec des droits de douane pouvant atteindre 100%. Un projet de loi au Congrès américain prévoit même des droits de douane pouvant atteindre 500%. L'accusation lancée depuis Washington est la suivante: ceux qui achètent du pétrole russe contournent de facto les sanctions occidentales et sapent la « pression internationale » sur Moscou.

Mais Pékin a réagi avec une clarté remarquable: la Chine est un État souverain qui a ses propres besoins énergétiques, et les décisions relatives aux importations de pétrole relèvent exclusivement de la politique intérieure chinoise. M. Bessent a lui-même cité cette phrase, avec un mécontentement perceptible.

La carotte et le bâton – et la réalité

La stratégie des États-Unis est un mélange de menaces et de chantage moral: on invoque le prétendu « danger pour la sécurité de l'Europe » que représenterait le commerce entre la Chine et la Russie, tout en mettant en garde contre une perte d'image auprès de l'opinion publique occidentale. Mais la réalité est plus prosaïque: la Chine s'assure des approvisionnements énergétiques à long terme auprès de partenaires qui ne sont pas sous l'influence des États-Unis. Et elle est prête à accepter des désavantages économiques pour y parvenir.

Les droits de douane punitifs brandis par Trump ne garantissent aucun effet politique. Au contraire: le projet de loi est actuellement gelé, car même les républicains jugent les risques économiques pour les entreprises américaines « inacceptables ». Ce qui est présenté comme une menace n'est pour l'instant que du vent.

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La rupture stratégique

Ce qui se profile ici est plus qu'un différend bilatéral. C'est le début d'une nouvelle ère: la division géopolitique des flux énergétiques. L'Occident veut isoler la Russie et menace de sanctions économiques les États qui ne s'y plient pas. Mais ces menaces perdent de leur efficacité à mesure que des acteurs tels que la Chine, l'Inde ou le Brésil gagnent en assurance.

Le cas de la Chine montre que ceux qui ne se laissent pas intimider gagnent en pouvoir d'influence. Pas à court terme mais à long terme. Car l'énergie n'est pas une arme comme un fusil: c'est une infrastructure, une sécurité de planification, un avenir.

L'Europe : absente et divisée

Et l'Europe ? Elle ne joue jusqu'à présent qu'un rôle mineur dans cette épreuve de force stratégique. Si certains gouvernements insistent sur le respect des sanctions, la réalité est tout autre: l'Italie importe à nouveau du gaz liquéfié russe, la Hongrie maintient ses contrats énergétiques avec Moscou et les entreprises allemandes tentent de conserver leur accès aux matières premières russes via des pays tiers.

Au lieu d'une stratégie commune, nous assistons à une Europe tiraillée entre appel moral et réflexe de survie économique. Le gouvernement fédéral allemand donne l'impression d'être un spectateur dans un match dont les règles sont écrites par d'autres.

Que reste-t-il ?

À Stockholm, la Chine a clairement fait savoir qu'elle poursuivrait sa politique d'indépendance énergétique, même contre la volonté de Washington. Les droits de douane annoncés par les États-Unis semblent pour l'instant davantage des gestes symboliques que des outils de realpolitik. Et l'Europe ? Elle devrait se demander si elle continuera à soutenir une politique énergétique dictée par d'autres ou si elle commencera à définir elle-même ses intérêts stratégiques.

Un nouveau conflit majeur se profile : avec le numéro spécial de COMPACT « USA contre Chine – La lutte finale pour le nouvel ordre mondial », nous vous fournissons toutes les informations de fond importantes pour comprendre ce conflit. Toujours disponible ici en version électronique: voir lien ci-dessus. 

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lundi, 04 août 2025

Le conflit énergétique va déterminer l'ordre mondial

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Le conflit énergétique va déterminer l'ordre mondial

Les deux jours de négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine se sont achevés à Stockholm sans avancée notable.

Par Elena Fritz

Source: https://pi-news.net/2025/07/im-energiestreit-entscheidet-...

Alors que Washington brandit des menaces et durcit ses droits de douane, Pékin reste imperturbable: la Chine refuse l'ultimatum américain de renoncer au pétrole russe et iranien. Lors des dernières négociations commerciales à Stockholm, il est apparu clairement que le nouvel ordre mondial ne se joue plus depuis longtemps avec des armes, mais avec des contrats, des droits de douane et des matières premières. Et que la Chine est prête à en payer le prix.

Le ministre américain des Finances, Scott Bessent, n'a laissé aucun doute lors de la conférence de presse qui a clôturé les négociations: si la Chine continue d'importer du pétrole russe, Washington imposera des « sanctions secondaires », si nécessaire avec des droits de douane pouvant atteindre 100%. Un projet de loi au Congrès américain prévoit même des droits de douane pouvant atteindre 500%. L'accusation est dès lors la suivante: ceux qui achètent du pétrole russe contournent de fait les sanctions occidentales et sapent la « pression internationale » sur Moscou.

Mais Pékin a réagi avec une clarté remarquable: la Chine est un État souverain qui a ses propres besoins énergétiques, et les décisions relatives aux importations de pétrole relèvent exclusivement de la politique intérieure chinoise. M. Bessent a lui-même cité cette phrase, avec un mécontentement perceptible.

La carotte et le bâton – et la réalité

La stratégie des États-Unis est un mélange de menaces et de chantage moral: on invoque le prétendu « danger pour la sécurité de l'Europe » que représenterait le commerce entre la Chine et la Russie, tout en mettant en garde contre une perte d'image auprès de l'opinion publique occidentale. Mais la réalité est plus prosaïque: la Chine s'assure des approvisionnements énergétiques à long terme auprès de partenaires qui ne sont pas sous l'influence des États-Unis. Et elle est prête à accepter des désavantages économiques pour y parvenir.

Les droits de douane punitifs brandis par Trump ne garantissent aucun effet politique. Au contraire: le projet de loi est actuellement gelé, car même les républicains jugent les risques économiques pour les entreprises américaines « inacceptables ». Ce qui est présenté comme une menace n'est pour l'instant que du vent.

La rupture stratégique

Ce qui se profile ici est plus qu'un différend bilatéral. C'est le début d'une nouvelle ère: celle de la division géopolitique des flux énergétiques. L'Occident veut isoler la Russie et menace de sanctions économiques les États qui ne s'y plient pas. Mais ces menaces perdent de leur efficacité à mesure que des acteurs tels que la Chine, l'Inde ou le Brésil gagnent en assurance.

Le cas de la Chine montre que ceux qui ne se laissent pas intimider gagnent en pouvoir d'influence. Pas à court terme, mais à long terme. Car l'énergie n'est pas une arme comme un fusil: c'est une infrastructure, une sécurité de planification, un avenir.

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L'Europe : absente et divisée

Jusqu'à présent, l'Europe ne joue pratiquement aucun rôle dans cette épreuve de force stratégique. Si certains gouvernements insistent sur le respect des sanctions, la réalité est tout autre: l'Italie importe à nouveau du gaz liquéfié russe, la Hongrie maintient ses contrats énergétiques avec Moscou et les entreprises allemandes tentent de continuer à accéder aux matières premières russes via des pays tiers.

Au lieu d'une stratégie commune, nous assistons à une Europe tiraillée entre appel moral et réflexe de survie économique. Le gouvernement fédéral allemand donne l'impression d'être un spectateur dans un match dont les règles sont écrites par d'autres.

Que reste-t-il ?

À Stockholm, la Chine a clairement fait savoir qu'elle poursuivrait sa politique d'indépendance énergétique, même contre la volonté de Washington. Les droits de douane annoncés par les États-Unis semblent pour l'instant davantage être des gestes symboliques que des outils de realpolitik. Et l'Europe ? Elle devrait se demander si elle veut continuer à soutenir une politique énergétique dictée par d'autres ou si elle veut commencer à définir elle-même ses intérêts stratégiques.

jeudi, 26 juin 2025

La proposition en quatre points de Xi Jinping pour apaiser le conflit au Moyen-Orient

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La proposition en quatre points de Xi Jinping pour apaiser le conflit au Moyen-Orient

Giulio Chinappi

En pleine escalade de grande envergure entre Israël et l’Iran, Pékin propose une feuille de route vers la paix visant un cessez-le-feu immédiat, la protection des civils, la relance des négociations politiques et le soutien actif de la communauté internationale.

SOURCE première de l'ARTICLE : https://giuliochinappi.wordpress.com/2025/06/21/la-propos...

Jeudi 19 juin 2025, dans l'après-midi, le président chinois Xi Jinping a eu un entretien téléphonique avec le président russe Vladimir Poutine, au cours duquel les deux dirigeants ont échangé leurs points de vue sur la situation au Moyen-Orient. Xi Jinping a présenté une proposition en quatre points: le cessez-le-feu doit devenir une priorité urgente, garantir la sécurité des civils doit être la priorité absolue, le dialogue et la négociation sont les solutions fondamentales, et les efforts de paix de la communauté internationale sont indispensables. Cet échange a eu lieu dans un contexte critique, alors que le conflit entre Israël et l’Iran ne cesse de s’intensifier. La coordination des positions entre Xi et Poutine reflète non seulement la profondeur de la coopération stratégique entre la Chine et la Russie, mais envoie aussi un message clair à la communauté internationale: un appel à contenir les tensions et à préserver la paix régionale.

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La crise actuelle au Moyen-Orient a dépassé les limites d’un conflit conventionnel. Lors d’une nouvelle série d’attaques aériennes jeudi 19, Israël a visé trois installations nucléaires iraniennes, tandis qu’un missile lancé par l’Iran a frappé un hôpital en territoire israélien. Les deux parties ont promis des représailles, et le risque d’une escalade incontrôlable s'avèrerait gravissime.

Pendant ce temps, les États-Unis, malgré leur influence déterminante sur Israël, n’ont pas joué un rôle constructif. Au contraire, ils ont continué à alimenter le conflit, allant jusqu’à indiquer leur disponibilité à « intervenir directement », ce qui mine sérieusement les attentes de la communauté internationale en matière de désescalade. La situation étant devenue telle que « rien ne peut être exclu », la fenêtre d’opportunité pour éviter le pire est désormais très étroite.

Une fois que le conflit échappe à tout contrôle, il sera beaucoup plus difficile d’en inverser la trajectoire. Dans ce contexte, la Chine a été la première grande puissance à proposer un plan global et visionnaire, capable de répondre à la fois aux besoins immédiats et aux solutions à long terme, faisant preuve d’un fort sens des responsabilités.

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La « proposition en quatre points » est ciblée et va au cœur des enjeux actuels. Elle exhorte en premier lieu les parties en conflit, en particulier Israël, à arrêter rapidement les opérations militaires pour éviter que de nouveaux dégâts soient infligés aux civils. Elle invite ensuite à soutenir fermement une solution politique à la question nucléaire iranienne, et sollicite la communauté internationale, et en particulier ces pays qui exercent une plus grande influence sur les belligérants, à faire des efforts pour apaiser les tensions.

De nature orientée vers le problème, cette proposition ne se limite pas à identifier les voies fondamentales pour la résolution de la crise, mais trace également des parcours efficaces pour atténuer le conflit. Elle met au centre la recherche d’une paix durable et d’une sécurité collective, dans le respect total de l’ordre et de l’équité internationaux. Elle reflète l’analyse précise de Pékin et s’aligne sur les sollicitations répandues dans la communauté globale, en proposant un cadre d’action concret et réalisable.

La Chine a toujours agi comme facteur de paix et de stabilité au Moyen-Orient, comme en témoignent des gestes concrets: faciliter la réconciliation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, soutenir le retour de la Syrie à la Ligue arabe, défendre la cause des droits nationaux palestiniens, promouvoir la paix à Gaza et l’unité palestinienne, contribuer à des missions de maintien de la paix régionales ou aux aides humanitaires. En tout état de cause, Pékin a basé ses actions sur les principes de justice et sur les intérêts fondamentaux des populations du Moyen-Orient, proposant un nouveau modèle de sécurité commune, inclusive, coopérative et durable.

De l’autre côté, les accords de réconciliation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran signés à Pékin, ainsi que la déclaration palestinienne d’unité, témoignent de la confiance de la région dans la position impartiale de la Chine et dans l’esprit de sa nouvelle conception de la sécurité. La récente « proposition en quatre points » de Xi sur le conflit entre Israël et l’Iran confirme cette ligne morale, visant à favoriser concrètement la paix au Moyen-Orient.

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Avec une région instable, la paix mondiale reste un objectif difficile à atteindre. Les efforts pour promouvoir un cessez-le-feu et engager des négociations ne sont pas seulement nécessaires pour la région, mais indispensables à la stabilité mondiale. Cela requiert coordination et consensus entre les grandes puissances. La récente conversation téléphonique entre Xi et Poutine illustre cette étroite communication et coordination entre la Chine et la Russie sur les grandes questions internationales. En tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, Pékin et Moscou coopèrent main dans la main sur la scène mondiale, jouant un rôle stabilisateur pour la paix régionale et mondiale. Cela met en évidence non seulement la contribution des pays émergents à la gouvernance globale, mais indique aussi la voie correcte pour que les grandes puissances coexistent dans un esprit de responsabilité partagée.

La crise au Moyen-Orient confirme que le monde est entré dans une « époque de turbulences et de transformations », et la « proposition en quatre points » représente la perspective cohérente de la sécurité selon les vues chinoises. De la guerre russo-ukrainienne à la question israélo-palestinienne, il est évident que les propositions de Pékin sont de plus en plus adoptées par de nombreux pays. Maintenant que des nuages de tension obscurcissent le Moyen-Orient, il est à espérer que la communauté internationale passe des paroles aux actes, en adoptant la « proposition en quatre points » de la Chine. Celle-ci se déclare prête à renforcer la communication et la coordination entre toutes les parties, à construire un consensus, à lutter pour la justice et à jouer un rôle constructif dans le rétablissement de la paix dans la région.

Le socialisme de marché de Chen Yun

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Le socialisme de marché de Chen Yun

Luca Bagatin

Source:  https://electomagazine.it/il-socialismo-di-mercato-di-che... 

Chen Yun (1905 – 1995) fut un homme d'État et révolutionnaire important qui contribua à construire l'économie socialiste dans la République populaire de Chine, à la moderniser et à la guider vers le progrès.

Cette année marque le 120ème anniversaire de sa naissance, et le président chinois Xi Jinping a voulu lui rendre hommage et le remettre en mémoire, lors d’un discours prononcé le 13 juin dernier dans la Grande Salle du Peuple à Pékin.

Inscrit au Parti communiste chinois (PCC) depuis 1924, Chen Yun fut élu en 1930 comme membre suppléant du Comité central du PCC. Quatre ans plus tard, il entra dans le Bureau politique du parti, puis dans le Comité permanent.

Dans les années 40, il fut nommé responsable économique des zones occupées par les communistes, et après la fondation de la République populaire en 1949, il fut nommé Vice-Premier ministre jusqu’en 1966, s’occupant des secteurs liés à l’économie, aux finances et aux infrastructures. Entre 1956 et 1958, il occupa le poste de ministre du Commerce.

Chen Yun, que l’on pourrait, à mon avis, qualifier de « Roberto Tremelloni chinois » en raison de son pragmatisme et de ses compétences économiques, a occupé, durant à peu près les mêmes années, les mêmes fonctions que notre excellent ministre de l’Économie social-démocrate. Contrairement à Mao, Chen Yun pensait que le socialisme ne pouvait se développer qu’à travers l’économie de marché et une décentralisation accrue. Avec le temps, les faits leur donneront raison.

En réalité, Chen Yun, critiqué pour ses idées lors de la Révolution culturelle, fut un soutien de Deng Xiaoping dans les années suivant la mort de Mao, et, avec lui, l’un des promoteurs de la nouvelle voie réformatrice du socialisme chinois.

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En 1979, il fut à nouveau nommé Vice-Premier ministre et, sous la direction de Deng Xiaoping, il lança les réformes économiques qui ouvrirent la Chine au marché, tout en maintenant les secteurs clés sous contrôle public et en préservant la planification économique.

Ce sera la recette du succès de la République populaire chinoise: non pas la transition vers le capitalisme, mais le renouvellement et le renforcement du socialisme par la libération des forces productives du pays.

L’action de Chen Yun fut et demeure une source d’inspiration pour les générations suivantes de dirigeants communistes chinois, de Jiang Zemin à Hu Jintao, jusqu’au président actuel, Xi Jinping.

Dans son discours commémoratif du 120ème anniversaire de la naissance de Chen Yun, le président Xi a rappelé son ardeur de révolutionnaire ouvrier et marxiste, qui contribua à libérer la pays de l’oppression et du chaos.

Il a notamment souligné que « le camarade Chen Yun a consolidé et maintenu des idéaux et des convictions solides, un esprit fort et des principes de parti, un style pragmatique et une recherche de la vérité, un sens simple du service public et l’esprit d’étudier avec diligence, qu’il a cultivés et conservés tout au long de sa longue carrière révolutionnaire, incarnant les nobles qualités des communistes. Il a affirmé : « La chose la plus agréable pour une personne est de participer à la révolution et de lutter pour les intérêts du peuple. Quiconque abandonne le peuple et le parti ne peut rien réaliser ». Lors de moments critiques, il a toujours maintenu la position politique correcte, exprimé clairement ses attitudes, et quand le développement de la cause du parti rencontrait des difficultés, il a toujours su garder sa lucidité, présenté des opinions originales sur la base d’une réflexion attentive, et trouvé des moyens efficaces de résoudre les problèmes».

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Le Chine d’aujourd’hui, d’ailleurs, regarde avec fierté et confiance son socialisme aux caractéristiques chinoises, qui a des racines anciennes et solides, et qui est le fruit des efforts de ceux qui ont contribué à le bâtir. Elle est, par ailleurs, en première ligne pour la paix, la coopération et le bénéfice mutuel entre les pays, dans un monde de plus en plus à la dérive et irresponsable.

Comme l’a écrit notre ami le professeur Giancarlo Elia Valori, grand ami de la Chine et de la coopération internationale, dans un récent article: « En 2023, le président Xi Jinping a solennellement proposé l’Initiative pour la Civilisation mondiale, soutenant la promotion des valeurs communes de toute l’humanité, soulignant l’héritage et l’innovation des civilisations, et renforçant les échanges et la coopération internationale dans les sciences humaines. (…) Premièrement, il faut défendre l’égalité des civilisations, afin qu’il n’y ait pas d’ethnies hiérarchisées avec des cheveux blonds et des yeux bleus qui dominent sur les autres, car il n’y a pas de supériorité ou d’infériorité des civilisations. Les chemins de développement et les systèmes sociaux de tous les peuples doivent être respectés; il faut rejeter les conflits entre civilisations; s’opposer à l’ingérence dans les affaires intérieures; résister à l’arbitraire unilatéral; préserver l’équité et la justice; et partager la dignité égale ».

« Il est un devoir de soutenir un multilatéralisme authentique ; d’appuyer l’ONU dans son rôle important dans la promotion du dialogue entre civilisations; de remplacer la confrontation par la coopération; de faire en sorte que le système gagnant-gagnant prévaut sur celui à somme nulle; et d’adopter la voie de la coexistence pacifique entre différentes civilisations ».

« Deuxièmement, il faut promouvoir les échanges entre civilisations. La communauté internationale doit renforcer ces échanges et l’apprentissage mutuel; tirer la sagesse du dialogue entre les civilisations pour résoudre les problèmes mondiaux et élargir le chemin de la modernisation mondiale. (…) Troisièmement, il faut promouvoir le progrès de la civilisation (…) Seul le dialogue compose la mélodie de l’intégration et peut bâtir une civilisation humaine meilleure, qui soit la synthèse de toutes les réalités ethniques et culturelles de notre seule planète habitée».

Des paroles sages en une époque où la sagesse — de « notre côté » — semble avoir disparu. Remplacée par un vide assourdissant rempli d’idéologie, de fanatisme, d’ignorance, d’irresponsabilité, de préjugés, de haine et de violence.

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samedi, 21 juin 2025

RAND analyse l'expérience de l'Ukraine et recherche les vulnérabilités de la Russie

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RAND analyse l'expérience de l'Ukraine et recherche les vulnérabilités de la Russie

Leonid Savin

La société américaine RAND Corporation continue de publier régulièrement des rapports sur l'opération militaire spéciale de la Russie, qui peuvent être intéressants en termes d'évaluation du conflit armé, des perspectives de son achèvement, ainsi que des intentions futures à l'égard de la Russie.

Dans cet article, nous examinerons trois études. La première, intitulée « Conséquences de la guerre entre la Russie et l'Ukraine et évolution du conflit », présente les principales conclusions suivantes :

« Le principal effet géostratégique de la guerre entre la Russie et l'Ukraine a été d'affaiblir les relations entre l'Europe et la Russie et, dans une moindre mesure, entre l'Europe et la Chine, tout en offrant l'occasion de renforcer les relations entre les États-Unis et leurs alliés européens. Si ces effets se maintiennent, ils retarderont l'objectif de la Russie et de la Chine de créer un monde multipolaire où l'influence occidentale serait réduite. Au-delà du sang et des trésors qu'un tel retard entraînerait, le coût stratégique pour le Kremlin sera plus important.

– La Russie et la Chine sont désormais davantage incitées à saper l'alliance transatlantique. Bien que la Russie semble toujours disposée à reprendre ses relations commerciales d'avant-guerre avec l'Europe, les décisions de l'Europe de rechercher des alternatives à long terme aux importations d'énergie russe et d'imposer des sanctions radicales ne seront pas faciles à inverser. Pékin, pour sa part, semble de plus en plus intéressé par des opérations diplomatiques et d'information visant à affaiblir l'alliance transatlantique.

- Les États-Unis et leurs alliés doivent s'adapter pour se préparer à de futurs conflits prolongés à grande échelle et préserver la dissuasion étendue. Les adversaires des États-Unis ont pris note des difficultés liées au maintien du soutien à l'Ukraine et pourraient à nouveau remettre en question la capacité et la volonté des États-Unis de mener une guerre prolongée. Si les adversaires estiment que leurs systèmes industriels et politiques sont mieux adaptés à un conflit prolongé que ceux des États-Unis, et s'ils considèrent que leurs intérêts peuvent encore être satisfaits à un coût acceptable, il pourrait en résulter un affaiblissement de la dissuasion élargie des États-Unis.

- La communauté de défense américaine pourrait négliger les implications de la guerre en Ukraine pour les contingences futures au-delà de la région indo-pacifique, y compris en Europe. Les États-Unis tirent les leçons des opérations en Ukraine et les appliquent à la région indo-pacifique, mais ils accordent moins d'attention à la manière dont ces leçons pourraient remodeler l'approche américaine en matière de défense des alliés sur d'autres théâtres, en particulier, et ironiquement, en Europe. La recherche d'un moyen rentable et asymétriquement avantageux de dissuader l'agression de l'adversaire s'applique de la même manière à tous les théâtres d'opérations.

Ces conclusions semblent évidentes, même si l'accent mis sur la transition vers la multipolarité et les intérêts de la Chine trahit le véritable désir de Washington de maintenir sa propre hégémonie.

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Dans le même temps, les auteurs notent que la situation sur le champ de bataille peut évoluer dans différentes directions et que les voies diplomatiques peuvent donner lieu à différents scénarios.

Dans l'ensemble, on observe un effort visible pour diaboliser la Russie, en suggérant que Moscou pourrait utiliser des armes nucléaires tactiques à l'intérieur de l'Ukraine ou des armes antisatellites cinétiques en orbite basse contre les satellites commerciaux que l'Ukraine utilise pour obtenir des renseignements. Il est également noté que la Chine pourrait accroître son soutien à la Russie en lui fournissant des armes létales.

Il est intéressant de noter que les conclusions indiquent que « cette évolution suggérerait un consensus sur le fait que le soutien matériel et économique à l'Ukraine ne peut à lui seul permettre d'atteindre les objectifs de sécurité régionale ».

En ce qui concerne la fin du conflit, trois scénarios possibles sont évalués : 1. La Russie atteint son objectif initial en imposant militairement un changement de gouvernement à Kiev ; 2. L'Ukraine réussit à repousser l'offensive russe et regagne le territoire occupé ou contesté par les forces russes depuis 2014 ; 3. L'Ukraine et la Russie conviennent de mettre fin aux hostilités, mais le territoire ukrainien reste divisé et des combats de faible intensité persistent.

Il est évident que le premier scénario est souhaitable pour Moscou, tandis que l'Occident le redoute ; le deuxième, au contraire, est bénéfique pour l'Ukraine et l'Occident, mais n'est clairement pas réalisable, et le troisième reflète la réalité de la situation.

En termes de recommandations, les auteurs insistent pour que le gouvernement américain prenne les mesures suivantes :

- Renforcer la collaboration, la divulgation d'informations et la planification avec les alliés européens afin de répondre aux préoccupations mondiales des États-Unis ;

- Accorder une plus grande attention interinstitutionnelle et davantage de ressources à la protection des systèmes politiques américains et alliés contre les opérations d'information adverses ;

- Continuer à affiner les outils de coercition économique des États-Unis et de leurs alliés.

Le département américain de la Défense devrait prendre les mesures suivantes :

- Concentrer les investissements dans la base industrielle de défense (DIB) sur les besoins à long terme. Les efforts américains et européens visant à renforcer les capacités de production donnent la priorité aux besoins actuels de l'Ukraine en matière de guerre et au réapprovisionnement des pays donateurs ;

- Mettre à jour les plans de dissuasion des États-Unis et de l'OTAN à l'égard de la Russie afin d'intégrer davantage les enseignements tirés des combats en Ukraine, en particulier dans la région indo-pacifique, ainsi que le rôle et les capacités accrus des UAS ;

- Évaluer comment le recours croissant aux UAS influence la perception qu'ont les adversaires des capacités des États-Unis et des alliés de l'OTAN.

Il est également suggéré que les forces aériennes américaines en Europe (Air Forces Africa, U.S. Air Force et U.S. Space Force) :

- Examinent les possibilités de tirer parti des améliorations réelles et proposées de l'industrie, de la recherche et du développement (DIB) et des infrastructures européennes pour soutenir les opérations aériennes distribuées des États-Unis.

- Collaborent avec les forces aériennes ukrainiennes et alliées afin d'intégrer les enseignements tirés de la guerre dans les exercices et les entraînements nationaux, bilatéraux et de l'OTAN.

Cela ne fait que démontrer la volonté claire des forces impérialistes de poursuivre la guerre par procuration menée par l'Ukraine contre la Russie et d'utiliser l'expérience acquise pour améliorer leur capacité de combat, qui pourrait être utile dans une future guerre avec la Chine.

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Un autre rapport de RAND, intitulé « Dispersed, Disguised, and Degradable » (Dispersé, déguisé et dégradable), aborde directement les implications de l'expérience ukrainienne qui présentent un certain intérêt pour les forces armées américaines.

« La guerre entre la Russie et l'Ukraine est une occasion et une motivation importantes pour les États-Unis d'apprendre l'utilisation et l'interaction de diverses forces et capacités dans un conflit de haute intensité d'une manière qui était auparavant impossible », indique l'étude.

Bien qu'elle note que l'Ukraine est différente des États-Unis, il ne sera donc pas possible de copier directement l'expérience.  Dans le même temps, le rapport note que « la Russie et la Chine diffèrent considérablement dans ces domaines, et même dans un conflit avec l'OTAN, la Russie pourrait choisir une manière de faire la guerre différente de celle utilisée en Ukraine... et les États-Unis se préparent à une guerre entre la Russie et l'OTAN et à une guerre entre les États-Unis et la Chine, qui implique également les alliés et partenaires américains dans le Pacifique ».

Autrement dit, il n'y a ici aucune intention cachée concernant une guerre potentielle avec la Chine.

Sur la base des enseignements tirés, les auteurs suggèrent qu'à l'avenir, la distinction entre les systèmes aériens sans pilote (UAS) et les missiles de croisière risque de s'estomper. Pour l'instant, les missiles de croisière conservent des avantages en termes de vitesse, de charge utile et de résistance au brouillage par rapport aux UAS, mais les progrès technologiques permettront probablement de développer des UAS équipés de moteurs plus rapides. Les deux armes pourraient donc être combinées en fonction de missions spécifiques.

L'équilibre entre l'attaque et la défense pourrait changer radicalement, de sorte que ce ne sera pas nécessairement une guerre d'usure, comme c'est le cas en Ukraine. Pour l'instant, le défenseur sera probablement aussi facile à repérer que l'attaquant.

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L'importance d'une surveillance continue et d'un tir à longue portée est soulignée, ce qui augmente l'efficacité des mesures défensives traditionnelles telles que les champs de mines. Mais la même dynamique peut s'appliquer à d'autres domaines et régions géographiques.

Un conflit prolongé nécessite une approche spécifique en matière de moyens rentables, et en Ukraine, les deux camps ont dû s'adapter spontanément, en reconstruisant leurs bases industrielles de défense, leur approvisionnement externe et leurs concepts opérationnels pour s'adapter à la réalité des types de munitions et de systèmes dont ils disposent. Il est donc essentiel de développer des armes pouvant être produites en série à faible coût.

« Les compétences sont tout aussi importantes, sinon plus, que la technologie : les comparaisons purement techniques des capacités militaires russes et ukrainiennes avant la guerre n'auraient pas permis de prédire la situation actuelle. Les combats en Ukraine ont démontré l'importance continue de la maîtrise tactique, d'une planification opérationnelle solide et d'une stratégie cohérente. » Cela est indéniable. Mais cette approche ne peut être copiée, et chaque cas sera unique.

Il a également été noté que « la supériorité aérienne est essentielle : bon nombre des dilemmes mis en évidence en Ukraine découlent de l'incapacité des deux belligérants à établir une supériorité aérienne, qui est cruciale pour la manœuvrabilité sur le champ de bataille ». Il est également ajouté qu'« à un certain moment, la taille même de l'armée russe et sa grande résistance à l'usure pourraient compenser les mêmes facteurs intangibles qui ont donné à l'Ukraine son avantage militaire au début de l'invasion à grande échelle ».

Les risques pour les États-Unis dans la région indo-pacifique et pour les pays de l'OTAN en cas de guerre avec la Russie sont également indiqués : l'Occident ne sera pas en mesure d'assurer une suprématie aérienne totale et de mettre en place un système de défense aérienne fiable.

Les conclusions du rapport sont similaires à celles du précédent : investissements dans le développement et la production d'armes et de munitions, en particulier celles à longue portée ; poursuite du développement de constellations de satellites proliférées et d'architectures spatiales hybrides ; introduction de systèmes de lutte contre les drones, tant cinétiques qu'électroniques ; étude du potentiel des champs de mines navales ; et choix des priorités en cas de conflit prolongé.

Le troisième rapport, intitulé « L'armée russe après l'Ukraine », est consacré à la restauration et à la réorganisation potentielles des forces armées russes. Il identifie quatre approches ou voies possibles que la Russie pourrait emprunter pour reconstituer ses forces armées après la guerre en Ukraine.

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Ces quatre scénarios possibles sont les suivants :

Voie 1 : le plan Shoigu. Cette voie reflète les idées de reconstitution et de cessez-le-feu présentées par l'ancien ministre russe de la Défense.

Voie 2 : revisiter les anciens modèles. Cette voie consisterait à revenir à une armée d'avant le « New Look », en mettant l'accent sur la masse et en s'appuyant fortement sur la conscription, la mobilisation, les capacités nucléaires et la production nationale.

Voie 3 : Un nouveau « New Look ». Cette voie impliquerait la reconstruction d'une force plus petite, mais qualitativement supérieure.

Voie 4 : Un nouveau modèle opérationnel. Cette voie impliquerait la mise en œuvre de réformes industrielles majeures.

La recherche note l'expérience historique : l'effondrement de l'URSS et la réorganisation de l'armée russe, la guerre en Tchétchénie et la nouvelle expérience acquise dans ce cadre, les tentatives de modernisation pendant le mandat de Sergueï Ivanov en tant que ministre de la Défense, et la guerre en Géorgie en 2008, qui a été le catalyseur de véritables réformes.

À la suite de cette analyse, les auteurs sont parvenus à la conclusion suivante :

■ La manière dont la guerre en Ukraine prendra fin déterminera les leçons que la Russie tirera du conflit et, par extension, les décisions qu'elle prendra en matière de reconstitution.

■ Les relations de la Russie avec ses principaux partenaires, notamment la Chine, l'Iran, la Biélorussie et la Corée du Nord, joueront un rôle particulièrement influent dans le processus de reconstitution.

■ La décision de la Russie de restructurer l'économie du pays en vue de la guerre a créé des dépendances au sein de la base industrielle de défense qui seront difficiles à inverser.

■ Bien que les alliés des États-Unis suivent de près les efforts de reconstitution de la Russie, ils se concentrent davantage sur la rapidité de la reconstitution que sur la nature de l'armée russe reconstituée.

Et, en conclusion finale : « Une armée russe partiellement reconstituée continuera de représenter une menace importante pour les intérêts américains et occidentaux sur le théâtre européen. »

Il était difficile d'imaginer une autre conclusion à la fin de cette étude. Nous le savons depuis l'époque de la Russie impériale : une Russie forte est redoutée. Et c'était peut-être la raison principale du coup d'État en Ukraine en 2014 et du début de la guerre par procuration menée par l'Occident collectif.

Pour nous, Russes, les derniers rapports de la RAND devraient nous rappeler les véritables intentions de nos anciens partenaires et nous inciter à opérer les changements nécessaires tant dans le domaine militaire que dans la société elle-même.

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vendredi, 20 juin 2025

La rigueur d'une politique de retenue : pourquoi la Chine n’interviendra pas

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La rigueur d'une politique de retenue : pourquoi la Chine n’interviendra pas

Source: https://dissident.one/de-brutaliteit-van-terughoudendheid...

Une question qui m’est posée à plusieurs reprises – récemment en lien avec Gaza ou l’Iran – est la suivante : pourquoi la Chine n’intervient-elle pas ? Ou, si elle ne participe pas directement sur le plan militaire, pourquoi ne cesse-t-elle pas au moins le commerce avec Israël ou ne soutient-elle pas l’Iran avec en fournissant des armes pour son autodéfense ?

Honnêtement, je n’ai pas de réponses simples, écrit Arnaud Bertrand. Et je mentirais si je prétendais en avoir. La règle de base est: quiconque affirme avoir une compréhension de la pensée stratégique des dirigeants chinois est un hâbleur. Ces stratégistes chinois ne lâchent rien – littéralement personne en dehors de leur cercle intérieur ne sait ce qu’ils pensent. Donc, toute personne dans les médias occidentaux citant des sources anonymes prétendument proches des délibérations secrètes qui se tiennent à Pékin diffuse probablement des absurdités. Même des employés de haut rang de Xinhua, l’agence de presse officielle de la Chine et porte-voix du Parti communiste, n’ont pas un accès privilégié aux délibérations de la direction du parti. Il est totalement exclu que des journalistes occidentaux en aient.

Ce que nous pouvons toutefois savoir – et cela pourrait être découvert par quiconque fait un peu de recherche – c’est l’histoire de la Chine et ce que le pays a lui-même rendu public au sujet de sa politique étrangère. Quiconque s’y intéresse sérieusement trouvera des réponses étonnamment claires.

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Historiquement, la Chine a été impliquée dans précisément cinq conflits armés internationaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale: la guerre de Corée (1950-1953), dans laquelle elle a combattu aux côtés de la Corée du Nord contre les États-Unis ; la guerre du Vietnam, où 300.000 soldats chinois ont soutenu le Nord-Vietnam ; la guerre de la frontière avec l’Inde en 1962, provoquée par des incursions indiennes dans des zones contestées comme l'Aksai Chin ; des conflits militaires avec l’Union soviétique à la fin des années 1960, par exemple lors de l’incident de l'Oussouri ; et la courte mais sanglante guerre contre le Vietnam en 1979, suite à l’invasion vietnamienne du Cambodge.

D’autres événements, comme la crise à Taïwan, l’invasion du Tibet en 1950-1951 ou les récents incidents frontaliers dans la vallée de Galwan avec l’Inde, sont considérés selon le droit international comme des différends internes ou locaux, et non comme des interventions militaires.

Le modèle est clair: la Chine n’intervient militairement que lorsque sa propre intégrité territoriale ou sa sécurité est menacée. Dans son histoire millénaire, elle n’a jamais mené d’intervention militaire en dehors de son environnement immédiat – surtout pas dans des conflits qui ne touchent pas directement à sa sécurité. Il est extrêmement improbable qu’un dirigeant chinois rompe ce schéma profondément ancré dans l’histoire.

Il est également intéressant de noter que deux des cinq guerres menées par la Chine l'ont été contre les États-Unis – et qu’elle a gagné dans les deux cas, malgré le fait qu’à l’époque, elle était encore l’un des pays les plus pauvres du monde. Un souvenir qui pourrait ne pas déplaire aux faucons chinois à Washington.

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Cela nous amène aux principes. Au cœur de la politique étrangère chinoise se trouve un principe de stricte non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États. Même lorsqu’il y a un agresseur évident, la Chine refuse toute ingérence, car cela violerait la souveraineté – même si moralement, elle prend le parti de la victime. Ce qui est souvent perçu comme un cynisme pragmatique dans la politique occidentale, est, dans la vision de la Chine, l’expression d’un principe cohérent : les principes s’appliquent, même quand cela ne leur profite pas.

La question qui se pose est dès lors la suivante: respectez-vous la souveraineté d’un pays uniquement si vous êtes d’accord avec sa politique? Ou même si vous n’êtes pas d’accord? La Chine tente la dernière option. Elle maintient sa souveraineté, même si cela est difficile – par exemple dans le cas d’Israël ou de l’Iran.

Ce comportement crée une paradoxe: en n’intervenant pas, la Chine facilite la tâche aux autres États pour le faire à leur tour. Pourtant, la Chine croit que les principes prévalent par la crédibilité et l’exemplarité – pas par la force ou la contrainte. Une intervention sélective ferait de la Chine une nouvelle puissance hégémonique qui violerait à volonté les règles.

La Chine veut projeter une image d’un ordre mondial dans lequel un État peut exercer son influence sans recourir à la puissance militaire. Le modèle occidental – selon la contre-image chinoise – repose sur la violence, l’hypocrisie et les doubles standards. L’alternative chinoise: respecter les principes, faire preuve de patience et de retenue. L’objectif est la crédibilité à long terme, pas le gain à court terme.

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La Chine rejette également toute politique de blocs. Le président Xi Jinping a répété à plusieurs reprises la condamnation de la pensée qui régentait le monde pendant la Guerre froide, avec l'établissement de zones d’influence et de la confrontation. Une aide militaire à l’Iran ou à Gaza placerait immédiatement la Chine dans un bloc anti-américain – exactement selon la logique bipolaire qu’elle veut éviter. Cela minerait non seulement la quête chinoise d’un ordre mondial multipolaire, mais aussi sa crédibilité en tant que puissance non-hégémonique – surtout dans le Sud, où elle est vue comme une alternative à la domination occidentale.

Une parabole historique de 288 av. J.-C. illustre la pensée stratégique de la Chine: deux royaumes chinois rivaux, Qin et Qi, se sont tous deux proclamés détenteurs de l'impérialité chinoise. Cependant, l’État le plus bienveillant, Qi, a perdu son avantage moral à cause de cette démarche – et a finalement été détruit par Qin. La leçon à retenir: celui qui agit en tant que co-hégémon perd son statut spécial.

Le multilatéralisme est également un principe central de la politique étrangère chinoise. La Chine vise à une véritable organisation multilatérale soutenue par l’ONU. Elle n’interviendra pas unilatéralement, même si le système est bloqué. Quiconque ignore le système de l’ONU détruit toute autorité qu’il pourrait utiliser pour le défendre.

Stratégiquement, la Chine évite également l’expansion excessive, qui a jadis conduit l’Union soviétique à sa chute et affaibli les États-Unis aujourd’hui. Plutôt que de gaspiller des ressources dans des interventions lointaines, la Chine se concentre sur le développement national – un modèle réussi qu’elle souhaite préserver. Des aventures militaires au Moyen-Orient donneraient aussi aux États-Unis des munitions pour lutter contre la présence chinoise en Asie de l’Est et autour de Taïwan – ce qui nuirait à Pékin.

La réunification avec Taïwan, objectif stratégique supérieur de la Chine, exige une image de stabilité et de supériorité – pas celle d’un hégémon agressif. Quiconque s’engage militairement partout dans le monde perd cette image.

En résumé : que ce soit d’un point de vue historique, principiel ou stratégique, tout milite en faveur de la non-intervention de la Chine. Cela irait à l’encontre de son identité politique, compromettrait sa crédibilité et mettrait en danger ses objectifs stratégiques. Reste à voir si cette approche sera plus efficace à long terme que les démonstrations de puissance occidentales. Mais c’est une alternative réaliste à un système qui se termine trop souvent par la violence, l’intervention et l’hypocrisie.

Et aussi douloureux que cela soit de voir l’inaction face à des tragédies humaines comme celle de Gaza, la tentative de la Chine de modeler un rôle différent en tant que grande puissance mérite au moins du respect. Peut-être même de l’admiration – pour la cohérence radicale et le courage de résister à la spirale de la violence.

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