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mercredi, 10 décembre 2008

L'univers de G. K. Chesterton

L’univers de G.K. Chesterton

L’univers de G.K. Chesterton

petit dictionnaire raisonné
Philippe Maxence
24,00 €

Auteur de plus de cent livres, maître du suspense, de l’humour et de la polémique, le romancier et poète Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) a bâti une œuvre qui a vite traversé les frontières de son Angleterre natale.
En dépit de sa série des “Father Brown”, son héros de prêtre détective, aujourd’hui traduite dans le monde entier, il manquait cependant un aperçu audacieux de ses thèmes et de ses bons mots.

Voici le libre abécédaire de cet univers étoilé de bonheur, de bon sens, de paradoxe et d’excentricité : une occasion unique de découvrir l’homme de cœur et de conviction.
“Chesterton est l’un des premiers écrivains de notre temps et ceci non seulement pour son heureux génie de l’invention, pour son imagination visuelle et pour la félicité enfantine ou divine que laisse entrevoir chaque page de son œuvre, mais aussi pour ses vertus rhétoriques, pour sa pure virtuosité technique.”
Jorge Luis Borge

Passionné par le monde anglo-saxon, Philippe Maxence est notamment l’auteur de Baden-Powell, éclaireur de légende et fondateur du scoutisme (Perrin, 2003), du Monde de Narnia décrypté (Presses de la Renaissance, 2005), et de Pâques 1916, renaissance de l’Irlande. Il est rédacteur en chef du bimensuel L’Homme Nouveau.

 

http://www.librairiecatholique.com

jeudi, 04 décembre 2008

L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine

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L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine

par Jacques d'ARRIBEHAUDE

A l'origine d'un esprit de révolte qu'il analyse ici re-marquablement, François Richard évoque les baro-ques et les libertins du XVIème et du XVIIème sièc-les, diversement suspects aux pouvoirs en place et dé-jà "non conformes". Il signale à juste titre la "Sa-ti-re Ménippée", mais, très vite, en vient à son vrai sujet, qui tient à l'esprit et au rôle de ceux qu'il ran-ge parmi les anarchistes de droite de la fin du siècle dernier à nos jours. "En fait, écrit-il, l'anarcho-droi-tis-me se révolte contre la montée et la tentative d'in-car-nation des idéaux démocratiques, mais cette op-po-sition n'englobe pas sa pensée dans son entier. El-le n'en est qu'un des aspects: sur cette humeur ré-tive, ce refus viscéral, croît et se développe une atti-tude philosophique globale qui, dans sa lucidité, sa vio-lence et son appétit de liberté, a engendré l'un des flamboiements littéraires les plus contestés et les plus impressionnants de ce temps".

Soutenu par un excellent choix de citations, le livre s'ar-ticule en six chapîtres de lecture aisée et capti-van-te, qui vont du "refus de la démocratie" à la "chas-se à l'absolu". Il est évident que la révolution de 89, dont les masses se voient sommées, à leurs pro-pres frais de contribuables, de célébrer le bicente-naire, est ici une charnière, un point de rupture fon-damental. Parmi beaucoup d'autres, on peut retenir cette appréciation de Léautaud: "Au total, une bande de coquins et d'imbéciles sans en excepter un seul... Voilà pourtant ce qu'on glorifie, voilà les créateurs de la France, de la France d'aujourd'hui, les précur-seurs des bavards et des sots qui nous gouver-nent...". Drumont avait déjà parfaitement constaté que "la Société fonctionnant en mode subversif, tout ce qui semblerait devoir protéger les honnêtes gens concourait en réalité à assurer aux gros voleurs le succès d'abord, l'impunité ensuite". La caractéristi-que de tous ces hommes que leur forte individualité sé-pare et rend parfois hostiles les uns aux autres, c'est le refus des mots creux, des abstractions gro-tes-ques imposées comme valeurs suprêmes du Pro-grès à majuscule et d'une république considérée par Léon Bloy comme "le droit divin de la médiocrité absolue". C'est aussi, dans un siècle où l'idéal se ré-duit de plus en plus à "la même chose pour tout le monde", l'appel spontané à la contradiction et la vo-lonté farouche de rejeter les crédos de plus en plus suspects, les vulgates les plus agressivement niaises d'une intelligentsia aussi sotte que perverse en ses pe-sants rabâchages. On conçoit dans ces conditions le cri de Nimier et de quelques autres, qui eurent vingt ans en 45. "Plus l'Apocalypse s'est rappro-chée de l'Allemagne et plus elle est devenue ma pa-trie". On conçoit aussi que, dans l'asphyxie du confor-misme ambiant, étayé d'un appareil judiciaire et po-licier parfaitement au point, appuyé à tous les cré-neaux possibles par des aboyeurs médiatiques, des enseignants abrutis et l'armée socialisante d'une plé-tho-rique fonction publique où nul ne semble avoir jamais vu l'ombre d'un prolétaire, le moindre pro-pos d'un Drumont, d'un Céline, d'un Rebatet, et, plus près de nous, d'un Nabe ou d'un Micberth, soit aussitôt perçu comme une menace intolérable. A l'Est, il y a pour ces criminels les fameux "asiles psy-chiatriques". Dans nos démocraties de progrès, de tolérance et de droits de l'homme, c'est tout simplement l'assassinat par étouffement, piqures d'é-pin-gle, inquisition fiscale, persécutions admi-nistra-tives, incarcération sur motifs fabriqués, le tout dans "ce grand silence de l'Abjection" si bien évoqué ja-dis par Châteaubriand.

 

De Gobineau à Micberth en passant par Drumont, Bloy, Darien, Léautaud, Daudet, Céline, Rebatet, Mar-cel Aymé, Bernanos et bien d'autres, François Ri-chard éclaire à merveille le talent, la vigueur po-lé-mique et la fécondité d'un courant qui, en dépit de toutes les censures, de tous les éteignoirs, et de l'im-mense peur des bien-pensants de tous bords, appa-raît "comme l'une des tendances politiques, morales et intellectuelles les plus stimulantes de notre moder-ni-té".

 

Où l'auteur de cette excellente étude s'égare un peu, me semble-t-il, c'est lorsqu'il cite Louis Pauwels en bonne place parmi ces irréductibles briseurs de ta-bous dont il souligne pourtant bien, par ailleurs, le ca-ractère irrécupérable. Certes Pauwels est honni et abreuvé d'injures par les tout puissants foutriquets de ce qu'il nomme si justement la "gauche caviar", qui ne sauraient lui pardonner ses ricanements à pro-pos du "sida mental" dont il les voit atteints. Mais Pauwels est une institution qui se recommande, tout comme ses adversaires et détracteurs, de la démo-cra-tie, de la République, et de l'épilepsie moralisante de nos cardinaux judéo-chrétiens. Je distingue mal le rap-port avec Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy, Da-rien, Rebatet, Micberth, etc. Je regrette, en revan-che, que François Richard ait omis de citer Brigneau, Gripari, Marc-Edouard Nabe, Willy de Spens, d'autres peut-être, qui appartiennent, sans conteste, par l'éclat, le talent et le caractère, à cette flamboyante aristocratie de réprouvés qu'il s'est atta-ché à dépeindre. Mais ne boudons pas notre satis-faction dès lors qu'il s'agit là du premier ouvrage sérieux sur un sujet pratiquement tabou jusqu'à ce jour.

 

Jacques d'ARRIBEHAUDE.

 

François RICHARD, L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine,  PUF (coll. "Littératures mo-dernes"), Paris, 1988, 244 pages, 130 FF.

 

 

samedi, 15 novembre 2008

J. EVOLA : L'action sans désir - La loi causale

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Julius Evola:
L'action sans désir. La loi causale.
Il faut maintenant porter notre attention sur un aspect particulier de l'attitude que nous examinons ici, aspect qui peut s'appliquer à un domaine plus large et qui n'est pas nécessairement exceptionnel : le domaine de la vie active, entendu comme celui des œuvres, des activités et des réalisations dont l'individu prend délibérément l'initiative. II ne s'agit plus ici de la simple expérience vécue, mais de processus ordonnés en vue d'une fin. La conformation de notre type d'homme, telle que nous l'avons décrite, doit aboutir, dans ce domaine, à une orientation dont le monde de la Tradition avait déjà résumé l'essence dans deux maximes fondamentales. La première de ces maximes dit qu'il faut agir sans avoir égard aux fruits, sans tenir pour déterminantes les perspectives de succès ou d'insuccès, de victoire ou de défaite, de gain ou de perte, non plus que celles de plaisir ou de douleur, d'approbation ou de désapprobation d'autrui.

On a appelé aussi cette forme d'action, l' « action sans désir », et la dimension supérieure, dont on suppose la présence en soi, s'y affirme dans la capacité d'agir avec une application, non pas moindre, mais au contraire plus grande que celle dont peut faire preuve un type d'homme différent dans les formes ordinaires de l'action conditionnée. On peut encore parler ici de « faire ce qui doit être fait », de façon impersonnelle. La coexistence des deux principes, qui est nécessaire pour cela, apparaît encore plus nettement dans la seconde des deux maximes traditionnelles dont nous venons de parler : « agir sans agir ». C'est une manière paradoxale, extrême-orientale, d'indiquer une forme d'action qui n'entraîne ni ne « meut » le principe supérieur, l' « être » en soi, qui reste pourtant le vrai sujet de l'action, celui à qui elle doit sa force motrice primaire et qui la soutient et la guide du début à la fin.

Il est évident qu'une telle orientation s'applique surtout au domaine où s'exerce sans obstacle l'influence déterminante, à la fois de la « nature propre » et de tout ce qui découle de la situation particulière que l'on a activement assumée, en tant qu'individu, dans l'existence. C'est même précisément à ce cadre que se réfère essentiellement la maxime qui veut que l'on agisse sans penser aux fruits et que l'on fasse ce qui doit être fait : le contenu d'une telle action n'est pas donné par des initiatives qui naissent du néant de la pure liberté, mais il est défini par la loi naturelle et intérieure de la personne.

Alors que l'attitude « dionysiaque » concerne principalement l'aspect réceptif de l'épreuve et de la confirmation de soi au sein du devenir et, éventuellement, devant l'imprévu, l'irrationnel et tout ce qui est problématique, l'orientation dont nous venons de parler se rapporte à l'aspect spécifiquement actif et, en quelque sorte, extérieur, du comportement et de l'expression personnelle. Une autre maxime du monde de la Tradition peut s'appliquer à ce second cas : « être entier dans le fragment, droit dans ce qui est courbe ». Nous y avons fait allusion en évoquant toute une catégorie d'actes qui, en réalité, sont périphériques et « passifs », qui n'engagent pas l'essence, sont presque des réflexes automatiques et des réactions irréfléchies de la sensibilité. Même la prétendue plénitude de la simple « vie », en grande partie biologiquement conditionnée, n'appartient pas, au fond, à un plan beaucoup plus élevé. L'action qui part du noyau profond de l'être, supra-individuel en quelque sorte, et qui prend la forme d'un « être-en-tant-qu'on-est-en-acte », offre un tout autre caractère. On est tout entier dans ces actions, quel qu'en soit l'objet. Leur qualité est invariable, indivisible et inmultipliable : c'est une pure expression de soi, dans l'œuvre la plus modeste d'un artisan comme dans un travail de mécanique de précision, ou dans l'action adéquate accomplie devant le danger, dans un poste de commandement ou de contrôle de grandes forces matérielles ou sociales. Péguy n'a fait qu'énoncer un principe largement appliqué dans le monde de la Tradition, quand il a dit que le travail bien fait est une récompense en lui-même et que le véritable artisan exécute avec le même soin un travail qui sera vu et un travail qui ne le sera pas. Nous reviendrons sur cette question dans un des chapitres suivants.

Un point particulier qui mérite peut-être d'être mis en évidence concerne la véritable signification de cette idée que ni le plaisir, ni la douleur, ne doivent entrer en ligne de compte, comme mobiles, quand on doit faire ce qui doit être fait. Ceci pourrait facilement faire penser à une ligne de con-duite voisine d'un « stoïcisme de la morale », avec l'aridité et le manque d'élan que celui-ci comporte. L'homme qui agit en partant de la « vie » et non pas de l' « être », réussira difficilement à s'imaginer, en effet, qu'une orientation de ce genre soit possible quand on n'obéit à aucun norme abstraite, à aucun « devoir » superposé à l'impulsion naturelle de l'individu, parce que cette impulsion inciterait, au contraire, à chercher le plaisir et à fuir la douleur. Il s'agit là, toutefois, d'un lieu commun né d'une généralisation arbitraire de certaines situations, où le plaisir et la douleur sont envisagés en soi, comme quelque chose de détaché, que des considérations d'ordre rationnel transforment en mobile d'action. Mais dans toute nature « saine » (c'est ici le cas d'employer cette expression) des situations de ce genre sont, après tout, moins fréquentes qu'on ne le croit : il arrive souvent que le point de départ ne soit pas une réflexion, mais un certain mouvement vital, qui, en se développant, aura pour résonance le plaisir ou la douleur. Et l'on peut effectivement parler d'une « décadence » vitale quand on ne place au premier plan, dans la conduite de sa vie, que les valeurs hédonistes et eudémonistes. Ceci implique une scission et une « désanimation » qui rappellent la forme que peut prendre le plaisir amoureux pour le dépravé et le vicieux; ce qui jaillit naturellement du mouvement de l'eros quand celui-ci trouve son accomplissement dans la possession de la femme et dans l'étreinte, devient chez lui un but détaché, auquel le reste sert de moyen.

De toute façon, l'important est d'établir la distinction — que connaissent les enseignements traditionnels — entre le bonheur (ou plaisir) avide et le bonheur (ou plaisir) héroïque (nous employons ici le terme « héroïque » sous les réserves déjà faites), distinction qui correspond aussi à deux attitudes et à deux types d'hommes opposés. La première sorte de bonheur ou plaisir appartient au plan naturaliste et se caractérise par la passivité vis-à-vis du monde des impulsions, des instincts, des passions et des inclinations. Le fond de l'existence naturaliste a été traditionnellement décrit comme une convoitise, et le plaisir avide est celui qui est lié à la satisfaction du désir et signifie l'apaisement momentané de la soif ardente qui pousse la vie en avant. Le plaisir « héroïque » est au contraire celui qui accompagne une action voulue, qui part de l' « être », du plan supérieur à la vie; d'une certaine façon, il se confond avec l'ivresse spéciale dont nous avons déjà parlé.

Le plaisir et la douleur dont le principe de l'action pure interdit de tenir compte, sont ceux du premier type, c'est-à-dire du type naturaliste. Mais l'action pure comporte l'autre sorte de plaisir ou de bonheur, de sorte qu'il serait faux de prétendre qu'elle se déploie dans un climat aride, abstrait et sans vie; en elle aussi il peut y avoir un feu et un élan, mais d'un genre très particulier, caractérisé par une présence et une transparence constantes du principe supérieur, calme et détaché, qui est ici, comme nous l'avons dit, le vrai principe agissant. Il est important, dans cette perspective, de ne pas confondre la forme de Faction (c'est-à-dire sa signification intime, la valeur qu'elle revêt pour le moi) et son contenu. Tout ce qui peut servir d'objet au plaisir avide et passif peut, en principe, être aussi objet du plaisir héroïque et positif, et vice versa. Nous disons « en principe », car il s'agit d'une dimension différente, qui peut tout contenir, y compris des possibilités étrangères au domaine de l'existence naturelle, conditionnée. En pratique, la chose reste souvent vraie et possible à la seule condition que se produise ce changement de qualité, cette transmutation du sensible en hypersensible, dans laquelle nous venons de voir un des aspects principaux d'un dionysisme complété et rectifié.

Il convient de relever, enfin, l'analogie qui existe entre le plaisir positif et héroïque et celui qui, même sur le plan empirique, accompagne une action parfaite dans tous les cas où son style est, à un degré quelconque, « engagé » et « intégral ». Ainsi, c'est une expérience banale que celle du plaisir particulier que procure, en général, l'exercice d'une activité, quand, après les efforts qui ont été nécessaires pour se l'assimiler sans être poussé par l'idée d'un « plaisir avide », elle devient une habileté, une spontanéité d'ordre supérieur, une maîtrise, presque un jeu. Tous les éléments que nous avons considérés dans ce paragraphe se complètent donc réciproquement.

Nous ajouterons quelques considérations relatives à un domaine plus extérieur, celui des interactions auxquelles s'expose l'individu, même « intégré », au sens que nous donnons à ce terme, dans la mesure où il est placé dans une société, une civilisation et un milieu cosmique déterminés.

Action pure ne signifie pas action aveugle. La règle qui interdit de tenir compte des conséquences vise les mobiles affectifs individuels, et non pas les conditions objectives dont l'action doit tenir compte pour être, autant que possible, une action parfaite, ou, du moins, pour ne pas être vouée à l'échec dès le début. On peut ne pas réussir : ceci est secondaire, mais ne doit pas résulter d'une ignorance de tout ce qui conditionne l'efficacité de l'action, c'est-à-dire, en général, des rapports de causalité, et de la loi des actions et réactions concordantes.

On peut élargir cette perspective, afin de préciser l'attitude que peut adopter, sur tous les plans, l'homme intégré, après avoir éliminé les notions courantes du bien et du mal. Le dé-passement objectif du plan de la morale, sans pathos ni polémique, se réalise, en effet, par la connaissance, la connaissance des causes et des effets, et par une conduite qui n'a que cette connaissance pour base. A la notion morale de « péché » doit ainsi se substituer la notion objective de « faute », ou, plus précisément, d' « erreur ». Pour qui a placé son propre centre dans la transcendance, l'idée de « péché » a donc aussi peu de sens que les notions courantes et d'ailleurs variables du bien et du mal, du licite et de l'illicite. Toutes ces notions sont brûlées, ne peuvent plus réapparaître. Elles perdent, si l'on préfère, leur valeur absolue et sont mises objectivement à l'épreuve en fonction des conséquences de fait découlant d'une action intérieurement libérée de ces notions.

De même que pour les autres formes de comportement déjà mentionnées, qui conviennent à une époque de dissolution, on trouve, ici encore, une correspondance précise dans certains enseignements traditionnels. On peut se reporter notamment à cette conception assez connue mais presque toujours mal comprise, du fait de superfétations moralisantes, qu'on a appelée la loi du karma. Elle concerne les effets produits sur tous les plans par des actes déterminés, de façon naturelle et neutre, sans aucun caractère de sanction morale positive ou négative, mais simple-ment parce que ces actes en contiennent déjà la cause. C'est l'ex-tension du caractère propre aux lois physiques, telles que les conçoit la science moderne : elles n'impliquent aucune contrainte intérieure quant à la conduite à suivre après qu'on les ait reconnues. Pour ce qui concerne le « mal », il y a un vieux proverbe espagnol qui exprime cette idée : « Dieu a dit : prends ce que tu veux et paies-en le prix. » Et le Koran dit aussi : « Celui qui fait le mal, ne le fait qu'à soi-même. » Il s'agit donc d'envisager la possibilité de certaines réactions objectives; si on les accepte, même lorsqu'elles sont négatives, l'action reste libre. On peut observer qu'en principe les déterminismes propres à ce qu'on a appelé le « destin » dans le monde traditionnel et qui servaient de base à diverses formes de divination et d'oracles, furent, eux aussi, considérés sous cet angle : il s'agissait de certaines directions générales objectives des événements, dont on pouvait tenir compte ou non après avoir mesuré l'avantage et le danger qu'il y avait à se décider dans un sens donné. Par analogie : sachant que les prévisions météorologiques sont défavorables, on peut abandonner ou maintenir un projet d'ascension difficile ou de vol. Si l'on ne change pas de projet, on accepte le risque dès le départ. Mais la liberté reste. Aucun facteur « moral » n'entre en jeu. Dans certains cas la « sanction naturelle », le karma, peut être partiellement neutralisé. Toujours par analogie : on peut savoir d'avance qu'une certaine façon de vivre entraînera probablement des maladies. On peut ne pas s'en soucier et recourir ensuite, le cas échéant, à la médecine, pour en neutraliser les effets. Alors tout se réduira à un jeu de réactions diverses et l'issue dernière dépendra de celle qui sera la plus forte. La même perspective et le même comportement sont également valables sur le plan non matériel.

Dans le cas d'un être qui a atteint un haut degré d'unification, tout ce qui ressemble à une « sanction intérieure » peut être interprété de la même façon — sentiments positifs dans une certaine ligne d'action, sentiments négatifs dans une ligne d'action opposée, c'est-à-dire, selon que cette ligne est conforme ou non au « bien » ou au « mal » en fonction du contenu concret que peuvent avoir ces concepts par rapport à une société ou une classe sociale, une civilisation ou une époque données. En dehors des réactions purement externes, sociales, on peut souffrir, éprouver un sentiment de faute ou de honte quand on agit à rencontre de la tendance qui, malgré tout, prévaut au fond de soi (pour l'homme ordinaire, c'est toujours son conditionnement héréditaire et social, agissant dans son subconscient) et n'a été qu'apparemment réduite au silence par d'autres tendances et par l'arbitraire du moi physique »; quand, au contraire, on suivra cette tendance, on éprouvera un sentiment de satisfaction et d'apaisement. Enfin, la « sanction intérieure » négative peut intervenir au point de provoquer une catastrophe dans le cas déjà signalé où, partant de la vocation considérée comme la plus profonde et la plus authentique, on avait choisi un certain idéal et une certaine ligne de conduite, mais que l'on a cédé ensuite à d'autres tendances et que l'on constate passivement sa propre faiblesse et son échec, en laissant subsister la dissociation interne due à la pluralité non coordonnée des tendances.

Ces réactions affectives ont un caractère et une origine purement psychologiques; elles peuvent être indifférentes à la qualité intrinsèque des actes, elles n'ont pas de signification transcendante, c'est-à-dire un caractère de « sanction morale ». Elles n'ont, à leur façon, qu'un caractère « naturel » et on ne doit pas leur superposer une mythologie d'interprétations morales, si l'on atteint la vraie liberté intérieure. C'est précisément en ces termes objectifs que Guyau, Nietzsche et plusieurs autres ont parlé de ces phénomènes de la « conscience morale », sur lesquels divers auteurs ont cherché à fonder presque expérimentalement — passant illégitimement du plan des faits psychologiques à celui des valeurs pures — une éthique qui ne fût pas basée ouvertement sur des impératifs religieux. Cet aspect disparaît automatiquement quand l'être est devenu un et que l'action part de cette unité — précisons pour éliminer complètement tout ce qui impliquerait une limite ou un appui quelconque : quand l'être est devenu un en le voulant, en ayant choisi l'unité : car, ici aussi, on suppose un choix dont l'orientation n'est pas obligatoire. On peut accepter ou vouloir aussi la non-unité; dans la catégorie des types supérieurs dont nous nous occupons, il peut y en avoir qui peuvent se le permettre. En pareil cas, l'unité, au fond, n'est pas réellement absente, mais plutôt se dématérialise, subsiste sur un plan plus profond, invisible.

On peut enfin rappeler, par parenthèse, que, dans la tradition même à laquelle se rattache la doctrine du karma, on n'a pas exclu la possibilité d'une disparition, non seulement des réactions émotives dont nous venons de parler (« impeccabilité », neutralité intérieure dans le bien et dans le mal) mais encore de la neutralisation « magique » (si Ton peut s'exprimer ainsi) des réactions proprement karmiques chez un être qui aurait réellement brûlé l'homme naturel en lui, qui se serait donc activement désindividualisé.

Cette partielle digression contribuera peut-être à faire ressortir plus clairement de quelle manière on peut éliminer impersonnellement le plan « moral », sans aucun pathos, en prenant en considération la loi de causalité envisagée dans toute son extension. Auparavant, nous avions examiné le domaine de l'action extérieure, où s'impose déjà la connaissance de cette loi. Dans le domaine intérieur, il s'agit de savoir quels « coups pour le moi » peuvent éventuellement résulter de certains comportements et de se décider en conséquence, avec la même objectivité. Le complexe du « péché » est une concrétion pathologique née sous le signe du Dieu-personne, du « Dieu de la morale ». La conscience d'une erreur commise remplaçant le sentiment du péché a été, au contraire, un des traits caractéristiques des traditions à caractère métaphysique, et c'est un thème que l'homme supérieur peut faire sien à l'époque actuelle, au-delà de la dissolution des résidus religieux, en suivant la ligne précédemment indiquée. Les observations suivantes de F. Schuon apportent, sur ce point, un éclaircissement complémentaire : « Les Hindous et les Extrêmes-Orientaux n'ont visiblement pas la notion du « péché » au sens sémitique du terme : ils distinguent les actions, non sous le rapport d'une valeur intrinsèque, mais sous celui de l'opportunité en vue des
réactions cosmiques ou spirituelles, et aussi sous celui de l'utilité sociale; ils ne distinguent pas entre le « moral » et l' « immoral », mais entre l'avantageux et le nuisible, l'agréable et le désagréable, le normal et l'anormal, quitte à sacrifier le premier — mais en dehors de toute classification éthique — à l'intérêt spirituel. Ils peuvent pousser le renoncement, l'abnégation, la mortification jusqu'aux limites de ce qui est humainement possible, mais sans être « moralistes » pour autant. »


On peut conclure sur ces remarques la partie principale de notre recherche. En résumé, l'homme pour qui la nouvelle liberté ne signifie pas la ruine parce qu'il possède déjà, du fait de sa structure spéciale, une base solide en lui-même ou parce qu'il est en mesure de la conquérir grâce à une rupture existentielle de niveau qui rétablira le contact avec la dimension supérieure de l' « être », cet homme fera sienne une vision de la réalité dépouillée de l'élément humain et moral, libérée des projections de la sentimentalité et de la subjectivité, des suprastructures conceptuelles, finalistes et théistes. Cette réduction au pur réel sur le plan de la vision générale du monde et de l'existence sera précisée par la suite. Elle a pour contrepartie le fait que la personne elle-même se réfère à l'être pur : la liberté de l'existence pure sur le plan extérieur fera pendant à l'assomption nue de sa propre nature, dont on tirera sa propre norme, norme dont on fera sa propre loi, dans la mesure où, dès le départ, l'être n'est pas un, où des tendances secondaires et divergentes coexistent et où des facteurs externes cherchent à exercer une influence.

Pratiquement, dans le domaine de l'action, nous avons considéré un régime d'expériences qui comportent deux degrés et deux fins : la connaissance-épreuve de soi, d'abord en tant qu'être déterminé, puis en tant qu'être chez qui est effectivement présente la dimension de la transcendance. Celle-ci constitue le fondement dernier de la loi propre à chaque être et, par là même, sa suprême justification. Après l'écroulement de tout, dans un climat de dissolution, le problème d'une signification inconditionnée et intangible de la vie ne comporte qu'une solution : assumer, directement, son être nu en fonction de la transcendance.

Quant à la forme générale de comportement à adopter vis-à-vis du monde, une fois obtenues, de la façon indiquée, une clarification essentielle et une confirmation de soi-même, nous avons vu qu'elle consiste en une ouverture intrépide à toute expérience possible, sans liens, étroitement confondue avec le détachement. Du fait qu'elle implique une haute intensité de vie et un régime de dépassement propres à raviver et à alimenter en soi le calme principe de la transcendance, cette orientation a quelques traits communs avec ce que Nietzsche a appelé l'état dionysiaque : mais, étant donné la façon dont cet état doit être complété, le terme d'« apollinisme dionysiaque » est peut-être plus adéquat. Quand, cependant, dans les rapports avec le monde, il s'agit, non de l'expérience vécue en général, mais d'une manifestation de soi à travers des œuvres et des initiatives actives, l'attitude adéquate consiste à être tout entier dans chaque acte, à agir de façon pure et impersonnelle, « sans désir », sans attachement.

Nous avons aussi parlé d'un état particulier d'ivresse lucide lié à toute cette orientation et tout à fait essentiel pour le type d'homme que nous étudions ici, car il remplace l'animation qui, dans un monde différent, pourrait lui être donné par un milieu formé par la Tradition, plein de sens par conséquent, ou par l'adhésion sub-intellectuelle à l'affectivité et aux impulsions, au fond vital de l'existence, au pur bios. Nous avons, enfin, consacré quelques commentaires au réalisme de l'action et au régime de la connaissance qu'il convient de substituer à la mythologie des sanctions morales intérieures et du « péché ».

Le lecteur qui connaît nos autres ouvrages pourra relever la correspondance qui existe entre ces perspectives et certaines règles qui caractérisèrent autrefois des écoles et des courants du monde de la Tradition, mais relevaient presque toujours de la seule « doctrine interne ». C'est uniquement, répétons-le, pour des raisons contingentes, des raisons d'opportunité, que nous avons examiné les thèmes développés par quelques esprits modernes, par Nietzsche en particulier : plus précisément, en vue d'établir une liaison avec les problèmes dont se sont préoccupés des esprits européens qui avaient déjà prévu la venue du nihilisme, du monde sans Dieu, et avaient essayé de le dépasser de façon positive. Il doit être bien entendu, en effet, que nous aurions pu nous passer complètement de semblables références. De même, ce n'est qu'en vue d'établir un semblable rapprochement avec ce qui a été plus ou moins confusément pressenti par quelques auteurs contemporains, que nous jugeons opportun de traiter brièvement de ce courant connu sous le nom d'existentialisme, avant d'étudier certains domaines particuliers de la culture et des mœurs d'aujourd'hui pour préciser l'attitude qu'il convient d'adopter à leur égard.

Julius Evola
Extrait de Chevaucher le tigre

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dimanche, 02 novembre 2008

Misère des intellectuels de "droite"

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ARCHIVES DE SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Misère des intellectuels de “droite”

 

L'option métapolitique de la “nouvelle droite” est, dans l'espace culturel germanique, une importation française. La ND, regroupée autour d'Alain de Benoist, a tenté d'adapter à la droite la théorie du communiste italien Antonio Gramsci, à un moment de l'évolution de cette droite, moment où elle se demandait quels étaient les véritables ressorts de la société. Point de départ de Gramsci: la société n'est mue que partiellement par les groupes politiques visibles, c'est-à-dire les partis. Plus essentielle est la superstructure idéelle de la société, où sont façonnées valeurs, morale et idées. La tâche des “intellectuels organiques” serait alors de mener un combat culturel au sein même de cette superstructure, combat dont le but ultime ne peut être que la révolution. D'après Gramsci, on ne peut donc révolutionner une société que si l'hégémonie culturelle qui la régente est brisée, c'est-à-dire quand les tenants de cette hégémonie ne croient plus en eux-mêmes. C'est alors que les valeurs révolutionnaires prennent le pas sur les valeurs dominantes fragilisées et deviennent graduellement hégémoniques. Le combat culturel mené par les intellectuels devient dans une telle optique la stratégie principale du “révolutionnement” politique de la société.

 

Dieter Stein, le directeur de l'hebdomadaire néo-conservateur berlinois Junge Freiheit, a analysé très justement cette vision gramscienne de la révolution, qui ne survient que par le biais de la culture; au bout de son analyse, il lance un avertissement: une telle vision de la révolution culturelle pourrait déboucher sur une “political correctness” de droite (cf. JF n°8/97). Si je trouve la critique de Stein pertinente, cela ne veut pas dire que je juge le point de vue de Gramsci incorrect. C'est aujourd'hui précisément que nous constatons que la “superstructure intellectuelle”, c'est-à-dire les médias, a acquis une puissance bien trop considérable, tant et si bien que les hommes politiques ne sont plus que des figurants pour les émissions d'actualité. La puissance qu'ont acquises les émissions de “talkshows” est emblématique et révèle un phénomène inhabituel, soit la “pluralisation totale” de la société mais avec pour corollaire paradoxal la réduction de tout aux idéaux du plus grand nombre, du “brave quidam”, du “Gutmensch” (ndt: ce terme est ironique; il a été forgé par les critiques allemands de la “PC”). C'est cette contradiction qui produit la “political correctness” (PC), qui, lorsqu'elle aura atteint son stade idéal, sera une censure bien installée dans l'intériorité même des citoyens. Cette nouvelle intériorité auto-contrôlée produit un discours mortifère, un discours assassin, qui frapperait abruptement toute personne qui, pour une raison ou une autre, serait déclarée non “politiquement correcte”. Tous ceux qui entendent ignorer les gestes symboliques et rituels de la PC, tous ceux qui ne se sentiraient pas “concernés” par ses gestes et ses agitations, tous ceux qui avanceraient un certain type d'arguments non conventionnels seraient purement et simplement “morts”, du moins au sens figuré.

 

Pourtant, à droite, beaucoup de militants souhaiteraient, eux aussi, l'avènement d'une telle “censure intérieure”. Mais qui serait tout simplement de signe opposé. Ceux qui ne détiennent aucune puissance politique développent souvent des fantasmes de toute-puissance, mais d'une toute-puissance basée sur d'autres critères que ceux maniés par la toute-puissance en place. Quoi d'étonnant, dès lors, que le concept narcotique d'“hégémomie culturelle” ait été importé de France en Allemagne par des groupuscules qui ont voulu, dans un premier temps, divulguer les aspects intéressants de la nouvelle droite française, mais se sont enlisés, finalement, dans la prédication d'une “stratégie rédemptrice” et, pire, ont fini par aller faire de la formation dans des groupuscules néo-nazis interdits.

 

La trajectoire du néo-droitisme gramscien est triste, mais cette tristesse provient de plusieurs causes:

1. Il n'existe pas de “nouvelle droite” unitaire.

2. Si, au départ, les intellectuels de droite se voulant gramsciens ont souhaité l'émergence d'un débat, ils se sont rapidement enlisés dans la recherche d'une “Weltanschauung” idéale.

3. La “Révolution conservatrice” n'est pas pour eux une mine de concepts intéressants pour affronter le monde actuel, mais, plus prosaïquement, l'occasion de répéter à satiété un discours invariable, fait d'invocations stériles.

4. Ces intellectuels de droite se sont créé un petit monde, hermétiquement protégé de l'effervescence du réel.

 

Il n'existe pas “UNE” nouvelle droite. C'est pourtant clair: il suffit de comptabiliser tout ce que l'on vend au public sous cette appelation. Dans ce bric-à-brac, il y a toujours quelque chose de “plus neuf”. Dans les années 60, on disait des nationaux-révolutionnaires allemands qu'ils étaient la “nouvelle droite”. Mais, il n'est pratiquement rien resté de cette école nationale-révolutionnaire. Son espace idéologique était à l'intersection de la gauche et de la droite. Les nationaux-révolutionnaires affirmaient qu'ils n'étaient ni de droite ni de gauche: ils n'ont pas survécu sur la scène politique. Hennig Eichberg, qui, à cette époque, était la tête pensante de cette “nouvelle droite”, se considère aujourd'hui comme un homme de gauche. Beaucoup de nationaux-révolutionnaires de ces années 60 se retrouvent aujourd'hui chez les Republikaner.

 

Quant à la “nouvelle droite” la plus récente, elle a fini par démontrer qu'elle était au fond “conservatrice”, mais elle s'adresse à de plus larges catégories sociales que ses ancêtres de la nouvelle droite de 1968 qui tentaient d'apporter une réponse aux intellectuels de gauche et à la sottise de la vieille droite. Plus typés étaient les néo-droitistes  —quelques personnes et quelques journaux—  qui voulaient et veulent faire de leur nouvelle droite un projet de modernisation de l'extrême-droite. Cette catégorie de “néo-droitistes” reste la plus problématique, car, au fond, elle se borne à sortir de la naphtaline la “pensée anti-démocratique” de l'époque de Weimar (telle que l'a définie Kurt Sontheimer). Par cet exercice, elle veut hisser la pensée de l'extrême-droite à l'excellent niveau et à la belle forme, acquis par la “révolution conservatrice” sous Weimar.

 

A côté de ces “requinqueurs” de vieux corpus, s'est regroupée une autre “nouvelle droite”, composée pour l'essentiel de conservateurs (en Allemagne) ou de nationaux-libéraux et de conservateurs (en Allemagne et en Autriche). Ils ont abordé sans complexe la pensée moderne, ils ont, en ce sens, été conséquents, ont modulé leur action sur ce choix et ont investi les territoires politiques assignés par convention sociale à ces idéologies bourgeoises, bien ancrées et établies. Ces entristes, qui ont pénétré dans les rouages de la CDU, de la CSU ou de l'ÖVP, voire de la FDP ou de la FPÖ, sont de braves citoyens, ils sont tout simplement un petit peu à droite que les autres.

 

Si l'on mélange ces deux courants sous l'appelation commune de “nouvelle droite”, on débouche évidemment dans un beau désordre, sinon dans une aporie intellectuelle. Les “nouvelles droites” ancrées dans les diverses formes d'extrémismes droitiers confondent la volonté de débattre intellectuellement avec la proclamation impavide d'une Weltanschaunng ancienne, dont elles ont la nostalgie. Pour sortir de cette impasse, on recourt généralement à deux stratagèmes, dont on use et on abuse:

- soit on recommence à se référer directement aux racines théologiques du politique, en tentant de formuler un nouveau projet de “théologie politique”, dans le sens où l'entendait Carl Schmitt,

- soit on s'efforce de séculariser ce besoin d'absolu.

Dans ce cas, on se tourne vers d'autres certitudes, des certitudes immanentes, comme le “peuple” (Volk), des certitudes idéalistes, comme cette “science des citoyens d'Empire” de facture hégélienne, plus exactement mi-hégélienne-de-gauche, mi-hégélienne-de-droite, à l'usage de citoyens qui ne vivent plus dans un Reich et ne souhaitent certainement pas y revivre, les plages de Torremolinos ou des Baléares ayant pour eux plus d'attraits... Les multiples expressions de ces exercices para-théologiques ou “hégélisants” varient considérablement: les plus “sortables” ne sont “que” autoritaires, mais, dans la plupart des cas, le mode totalitaire est bien vite accepté, illustré et défendu...

 

C'est dans ces recherches et ces tâtonnements qu'il faut replacer l'engouement pour la “révolution conservatrice” de l'entre-deux-guerres. Soyons clairs et honnêtes: cette “révolution conservatrice” est une mine d'or, elle ne cesse de susciter les intérêts des philosophes et des politologues, à juste titre; il est intéressant d'en étudier tous les aspects si l'on veut connaître l'archéologie de certaines pensées aujourd'hui classées à “droite”, si l'on veut se plonger dans des corpus entièrement différents de l'idéologie dominante actuelle, si l'on veut lire de “mauvais livres” au regard des catégories politiques contemporaines. En pratiquant ainsi une forme de transversalité, indubitablement, on se forme l'esprit, on acquiert un sens critique, on aiguise ses intuitions. La “révolution conservatrice” nous apprend que les hommes de droite n'ont pas toujours été bêtes. Mais, en réceptionnant la “révolution conservatrice” de cette sorte, on ne doit pas non plus oublier qu'elle fut un échec. Ni oublier qu'elle fut, en bon nombre de ses aspects, antidémocratique et partiellement extrémiste. Aujourd'hui, notre regard doit se porter sur elle avec le même sens critique que sur les corpus de gauche de la même époque. Malheureusement, pour beaucoup d'hommes de droite actuels, de militants, cette “révolution conservatrice”, dans ses innombrables variantes, n'est que prétexte à répétitions, à dévotions naïves et bigotes, répétitions et dévotions qui remplacent toute intellectualité autonome ou permettent des exercices pénibles comme réitérer une attitude antidémocratique classique en citant des extraits d'auteurs “révolutionnaires-conservateurs”, pour faire intelligent ou pour donner le change.

 

Le résultat de tout cela est lamentable, car une telle nouvelle droite paraît toujours bien vieille, elle parait truffée de science, elle se gargarise de sa belle Weltanschauung  prête-à-porter, mais elle n'est quasi pas branchée sur la réalité. Car la belle Weltanschauung néo-droitiste n'est qu'une construction intellectuelle consolatrice pour tous ceux qui sont laissés-pour-compte dans la société réellement existante. Les plus lucides d'entre eux savent certes que le “peuple” (Volk) de leur idéologie n'est pas le peuple réel qui circule dans les rues d'Allemagne. Mais ce sont les “autres” qui sont coupables de cette inadéquation. Le peuple devrait correspondre à leur image du peuple: nous n'avons plus affaire là à de la nostalgie, à la nostalgie d'une “hégémonie culturelle” de droite, conservatrice, mais la rage de voir partout l'inadéquation génère subtilement une sorte de totalitarisme, camouflé derrière un verbiage conservateur, qui se veut apaisant, moral et “traditionnel”.

 

Au bout du compte, nos intellectuels de la “nouvelle droite” sont soit des modernisateurs de l'extrémisme, soit des bourgeois à un âge où il n'y a plus de bourgeois classiques, cultivés et conventionnels. Cette alternative, dont les deux termes sont également figés, est le résultat de la ghettoïsation des droites. Elles marinent dans leur jus. Alors que reste-t-il de la “nouvelle droite”?

 

Il reste sans doute quelques intellectuels de droite, qui se posent en anarchistes pour ne pas sombrer dans le dogmatisme, pour ne pas se laisser aveugler par les illusions. La réalité prosaïque, c'est qu'il n'y a dans le monde ni consolation ni rédemption. Mais, justement, ce n'est pas la tâche des intellectuels de droite de proposer de la consolation et d'annoncer une rédemption: au contraire, ils devraient se donner pour seule mission de déconstruire systématiquement toute idéologie de la consolation et de la rédemption. Travail difficile: en effet, c'est la meilleure façon de se faire mal aimer de tous; les uns détestent le “déconstructiviste” parce qu'il ne partage par leur illusion et n'apporte donc pas de quoi l'alimenter, de quoi entretenir la consolation; les autres le détestent tout autant parce qu'ils sont de gauche ou libéraux, qu'ils appartiennent à des espaces politico-philosophiques dans lesquels, forcément, le déconstructiviste n'aimera pas aller mariner: au contraire, il aimera les détricoter avec une égale délectation. Le véritable intellectuel de la nouvelle droite devrait être celui qui d'emblée se définit comme l'homme sans aucune illusion.

 

Nos sociétés souffrent d'une absence de créneau critique. Pourtant, aujourd'hui plus qu'auparavant, le terme “critique” est le vocable le plus prisé des hommes de gauche, au point qu'ils identifient les mots “gauche” et “critique”. L'école de Francfort, réservoir idéologique de la gauche, s'est effectivement auto-dénommée “critique”. Mais la gauche ne critique plus, elle accepte le statu quo et gère la crise. Automatiquement, dans un tel contexte, la pratique de la critique incombe alors à la droite. Pire, si un homme de gauche pratique encore la critique, il sera désormais traité de “fasciste” ou de “crypto-fasciste” par ses coreligionnaires (Botho Strauss, même Peter Handke, le cinéaste Fassbinder, le dramaturge Heiner Müller, héritier du théâtre de Brecht).

 

Pour nous, la démarche “critique”, c'est d'affronter les aléas du réel sans s'embarresser de tabous. L'actuelle “political correctness” instaure de nouveaux tabous et aboie son hostilité à l'égard de tout discours, de tout débat, et justifie ces tabous et ces aboiements au nom d'idées de gauche. Forcément, l'homme de droite sera celui qui s'opposera avec énergie à ces tabous et à ces aboiements: il se dira de droite parce que ces tabous et ces aboiements se disent de gauche. Il rejettera la “political correctness” parce qu'elle refuse tout discours et tout débat. Il restaurera le débat par le simple fait de prendre la parole de force, en avançant des arguments de signes nouveaux ou de signes contraires. Cet acte de prise de parole constitue une pluralisation volontaire du discours et place l'homme de droite  —nouveau contestataire radical—  au centre même de la vie sociale en danger de rigidification définitive. Il reconnaît alors que la confrontation des idées n'est possible que dans une société marquée du sceau du pluriel. L'intellectuel de droite prend dès lors position pour un ordre social où règne la liberté et où s'épanouit la diversité. Il défend cette liberté précisément parce que ses idées sont bannies et ostracisées dans une société qui devient de moins en moins plurielle et différenciée. Sa tâche consiste à réfléchir et à chercher. Car celui qui connaît les réponses avant de formuler ses questions, tombe dans le piège du totalitarisme.

 

Que reste-t-il de la “nouvelle droite”? Sans doute un homme de droite qui n'est plus un homme de droite au sens conventionnel du terme. Un homme qui part à l'aventure dans la vie ou dans les épaisses forêts de la pensée, car il sait que rien n'est définitivement sûr, que ce savoir de l'incertitude universelle fait de lui le meilleur critique des conventions figées de la société, mais d'une société dont il connaît les ressorts (organiques), parce qu'il en est issu.

 

Jürgen HATZENBICHLER.

(Correspondant de “Synergies Européennes” en Carinthie, responsable de la chronique politique de Junge Freiheit/Autriche; article paru dans Junge Freiheit, n°16/97; traduction et adaptation françaises de Robert Steuckers).

mercredi, 29 octobre 2008

H. von Hofmannsthal et "l'enténèbrement du monde"

Hugo von Hofmannsthal et « l’enténèbrement du monde »

mercredi, 22 octobre 2008

Culinair conservatisme

Culinair conservatisme

dimanche, 17 août 2008

Etranges conservatismes américains

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Etranges conservatismes américains

 

Par Herbert AMMON

 

En dépit des impulsions culturelles venues des Etats-Unis via Hollywood et la Pop culture, le paysage idéologique et politique de la seule puissance globale (dixit Zbigniew Brzezinski) demeure « terra incognita » pour la plupart des Européens. Les césures spécifiquement américaines, qui séparent les « liberals » des « conservatives » ne se perçoivent jamais clairement, tant et si bien qu’on les classe en Europe de manière binaire : entre une gauche et une droite. Les problèmes s’accumulent lorsque l’on cherche à établir une bonne taxinomie des écoles politiques et idéologiques américaines : les slogans et mots d’ordre sont si nombreux, reçoivent tant de définitions particulières qu’on ne s’y retrouve plus, surtout si l’on évoque une ancienne droite et une nouvelle droite, soit des paléo-conservateurs et des néo-conservateurs.

 

Pour définir les camps politico-idéologiques américains, les définitions habituelles ne sont guère de mise (sauf quand il s’agit, par exemple, du conservatisme tel que l’a défini jadis un Russell Kirk). Européens et Américains ont une expérience différente de l’histoire, nomment donc les choses politiques différemment, ce qui conduit aux confusions et quiproquos actuels. « Cum grano salis », on peut distinguer quelques différences majeures entre conservatismes européens et américains : d’abord, les conservatismes européens sont devenus sceptiques quant à l’histoire à venir ; les conservatismes américains sont nettement orientés vers le futur, sont, dans le fond, anti-historiques, dans la mesure où ils entendent maintenir l’idée fondamentalement américaine d’une société contractuelle (ils n’envisagent pas d’autres modèles). Ensuite, les conservatismes américains sont fiers de leur tradition historique continue, non brisée, que les Européens jugent « courte » ; les conservatismes européens, eux, sont contraints de tenir compte d’une longue histoire, marquée par des ruptures successives. Enfin, les conservateurs américains perçoivent de façon positive le rôle de puissance mondiale que joue leur pays, alors que les Européens se souviennent constamment du « suicide de l’Europe » (dixit Paul Ricoeur) en 1914. Et, last but not least, les conservateurs américains acceptent sans hésitation l’idée libérale d’un libre marché sans entraves, alors que les conservatismes européens critiquent tous le libéralisme.

 

Adhésion sans entraves au libre marché

 

La genèse des notions de « liberal » et de « conservative » nous ramène à l’ère Roosevelt (1933-1945). Les partisans de la politique social-réformiste et interventionniste / étatique du New Deal rooseveltien se dénommaient « liberals ». Les adversaires de Franklin D. Roosevelt venaient d’horizons divers : parmi eux, on trouvait des libéraux au sens économique le plus strict, qui se posaient comme les seuls véritables libéraux ; il y avait ensuite des critiques de la bureaucratie (du « big government »), en train de devenir pléthorique à leurs yeux. Enfin, du moins jusqu’à l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, il y avait les défenseurs de l’isolationnisme. Murray Rothbard, un « libertarien », soit un extrémiste du marché, désigne cette coalition hostile à Roosevelt sous le nom de « Vieille Droite » (« Old Right »). D’après Rothbard, le terme « conservateur » n’était guère usité aux Etats-Unis avant la parution en 1953 de « Conservative Mind », le grand livre de Russell Kirk.

 

Les « conservateurs », qui suivaient la forte personnalité de Robert A. Taft, sénateur de l’Ohio (de 1939 à 1953) et rival républicain de Dwight D. Eisenhower en 1952, renonçaient à toute élévation du débat intellectuel en politique. Attitude qui n’a guère changé en dépit de l’émergence de courants de pensée conservateurs mieux profilés. Libéral et théoricien peu original, Peter Viereck, dans « Conservatism Revisited » (1949) s’est posé comme critique des idéologies totalitaires, le « communazisme ». Russell Kirk (1918-1994) fut donc le premier à se positionner comme explicitement conservateur et à être reconnu comme tel par l’établissement « libéral ». En se référant à Edmund Burke, le critique de la révolution française de 1789, perçue comme rupture de la Tradition, Kirk mettait l’accent sur l’origine « conservatrice » de la révolution américaine. Dans ses écrits, Kirk citait, en les comparant à Thomas Jefferson, les pères fondateurs « conservateurs », tels John Adams et les auteurs des « Federalist Papers », se référait également aux critiques européens de la révolution comme Burke ou Tocqueville. Kirk se posait également comme un conservateur écologiste, pratiquant la critique de la culture dominante, ce qui fit de lui une exception parmi les conservateurs américains, optimistes et orientés vers le futur.

 

« On pourrait, pour simplifier, résumer comme suit l’histoire du conservatisme américain : Russell Kirk l’a rendu respectable ; William Buckley l’a rendu populaire et Ronald Reagan l’a rendu éligible » (citation de J. v. Houten). En effet, les conservateurs doivent à William F. Buckley, né en 1925, d’avoir pu accroître leurs influences au sein du parti républicain et d’avoir percé pendant l’ère Reagan. Ils doivent ces succès au réseau de revues et de « think tanks » que Buckley a tissé dès les années cinquante, dont l’ « American Heritage Foundation », créé en 1973.

 

Buckley, comme le rappelle son livre « God and Man at Yale » (1951), était un catholique fervent. Il débarque un beau jour à Yale dans le bastion du « liberalism » à l’américaine, dominé par les agnostiques, les athées et les unitariens post-chrétiens, variante du protestantisme aligné sur l’idéologie des Lumières. En 1955, ce fils d’un millionnaire du pétrole fonde la « National Review », autour de laquelle se rassembleront des personnalités très diverses, toutes étiquetées, à tort ou à raison, comme « conservatrices » : des libertariens à Kirk lui-même. Dans ces années-là, où la « New Left » connaissait son apogée, le groupe « Young Americans for Freedom », lancé par Buckley, constituaient déjà un contrepoids politique. Et puisque Buckley, récemment, a critiqué les stratégies de Bush, quoique de manière très modérée, on peut le considérer aujourd’hui comme un représentant des « paléo-conservateurs ».

 

Le conservatisme américain, nous l’avons constaté, est un champ fort vaste dont les idéologèmes et les stratégies ne se sont cristallisés que depuis quelques décennies, contrairement à ce que l’on observe chez les conservateurs européens. Aujourd’hui, c’est évidemment George W. Bush qui domine l’univers conservateur américain. Bush se déclare « conservateur », plus exactement le continuateur de l’œuvre politique de Reagan que tous vénèrent en oubliant qu’il était au départ un « liberal ». Les Républicains doivent leurs succès électoraux depuis Reagan à un courant profond, agitant toute la base aux Etats-Unis, courant qui englobe le patriotisme (la fierté de s’inscrire dans une tradition de liberté) et les « valeurs » conservatrices (la famille, la religion, la morale, l’assiduité au travail, etc.).

 

Les hommes politiques qui veulent réussir en tant que « conservateurs » sont dès lors contraints de chercher le soutien de la « droite chrétienne ». Par ce vocable, il faut entendre cette immense masse d’électeurs liés aux mouvements religieux du renouveau protestant, animé par les « évangélisateurs ». Ce conservatisme théologien, partiellement fondamentaliste, rassemble des groupements où l’on retrouve les « Southern Baptists », le plus grand groupe protestant organisé, les pentecôtistes (notamment les « Assemblies of God ») et, bien sûr, les « méga-églises » des télé-évangélistes. Tous ensemble, ces mouvements évangéliques alignent quelque 80 millions de croyants, ce qui les place tout juste derrière les catholiques, qui restent le groupe religieux chrétien le plus nombreux aux Etats-Unis.

 

Certains évangélistes toutefois, et pas seulement les Afro-Américains, estiment que leur foi peut s’exprimer chez les démocrates. Religion et race se mêlent souvent : ainsi, Pat Robertson, étiqueté de « droite », et Jesse Jackson, étiqueté de « gauche », appartiennent tous deux au mouvement qui soutient les Baptistes et le sanglant « seigneur de le guerre » Charles Taylor au Libéria.

 

Malgré la très forte pression que la « droite religieuse » exerce aux niveaux locaux, voire dans certains Etats, elle n’a presque aucune influence au niveau fédéral. Ainsi, le candidat à la Présidence, Mitt Romney, appartient à la secte des Mormons, considérée comme éminemment conservatrice, ce qui ne l’a pas empêché d’être élu gouverneur du Massachusetts, Etat à majorité « libérale ». Le pentecôtiste John D. Ashcroft, représentant notoire de la « droite religieuse », fut ministre de la justice dans le premier cabinet de George W. Bush. Il serait faux, toutefois, de dire qu’après le choc du 11 septembre 2001, le bellicisme de l’actuel président américain, qui prétend être un « chrétien re-né » tout comme son adversaire Jimmy Carter, découle en droite ligne de sentiments religieux qui lui seraient propres.

 

La politique extérieure américaine est marquée depuis longtemps par les néo-conservateurs, comme on le constate sous le républicain Reagan avec Jean C. Kirkpatrick ou sous le démocrate Bill Clinton avec Madeleine Albright. Sous Bush Junior, les « neocons » tirent toutes les ficelles seulement depuis le retrait de Colin Powell. L’exécutif qui a programmé la politique moyen-orientale et déclenché la seconde guerre d’Irak alignait des hommes comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et Richard Perle.

 

Tous ceux qui ont forgé le vocable « neocons » viennent à l’origine, comme d’ailleurs aussi bon nombre de paléo-conservateurs, du camp de la gauche (des « liberals ») ; on trouve dans leurs rangs des intellectuels de la gauche progressiste, issu des milieux juifs, qui se sont détachés du Parti démocrate au cours des années 70. Les meilleurs plumes de ce groupe furent Irving Kristol, avec sa revue « The Public Interest », Norman Podhoretz, avec « Commentary », et le sociologue Daniel Bell (« La fin des idéologies », 1970).

 

La définition usuelle du néo-conservatisme nous vient de Kristol : « Un conservateur est un homme de gauche, qui a été frappé de plein fouet par le réel ». Ce bon mot ne nous révèle que la moitié de la « réalité » : il pose le néo-conservateur, ex-homme de gauche, simplement comme celui qui n’accepte plus et critique les programmes sociaux pléthoriques lancés par les Démocrates. En fait, le néo-conservateur veut surtout une politique étrangère musclée : ainsi, le fils d’Irving Kristol, William Kristol (revue : « The Weekly Standard ») veut que cette politique étrangère américaine instaurent partout une « démocratisation », selon des critères déterminés depuis longtemps déjà par la vieille gauche interventionniste.

 

Pat Buchanan : vox clamans in deserto

 

Les « anciens conservateurs », ou paléo-conservateurs, qui avaient jadis forcé la mutation sous Reagan, entre 1981 et 1989, ont perdu depuis bien longtemps toute influence. Ainsi, Pat Buchanan n’est plus qu’une voix isolée dans le désert depuis des années, alors qu’il fut l’un des rédacteurs des discours de Nixon, puis conseiller de Reagan. Il tenta, rappelons-le, de lancer un parti réformiste et échoua dans sa candidature à la présidence en 2000. Il est redevenu républicain par la suite. En politique intérieure, Buchanan, catholique traditionnel, dont on se moque en le traitant de « conservateur paléolithique », lutte contre les « libertés » nouvelles que veulent imposer les « liberals » et les libertariens (avortement, mariage homosexuel, euthanasie).

 

Buchanan est protectionniste, s’oppose à la société multiculturelle et à l’immigration qui modifie de fond en comble le visage de l’Amérique. Sur le plan de la politique extérieure, il défend un isolationnisme modéré et s’inquiète des pièges que recèle l’interventionnisme global voulu par les « neocons ».

 

Il me reste à mentionner –et à saluer-  un combattant isolé, qui pourfend le « culte de la faute » choyé par de nombreux « liberals » (et par leurs homologues allemands), culte qui sert à promouvoir l’idéologie de la « correction politique » (les « Gender studies », les codes anti-discriminatoires de tous acabits, le multiculturel, etc.) : ce combattant n’est autre que l’historien des idées Paul Gottfried. Mais, malgré Buchanan et Gottfried, les paléo-conservateurs n’ont plus aucun influence notable, ni dans les universités ni dans les médias, a fortiori dans l’établissement politique.

 

Quelles conclusions peut-on tirer de la topographie que je viens d’esquisser ici ? Après la disparition graduelle des paléo-conservateurs, les nationaux-conservateurs allemands auront bien des difficultés à trouver des alliés Outre-Atlantique. Sans doute, seuls les chrétiens à la foi très stricte trouveront des frères en esprit pour toutes les questions morales chez les évangélisateurs ou les conservateurs catholiques.

 

Personnellement, je ne trouve, dans ce camp conservateur américain (toutes tendances confondues), aucune position qui me sied. Si je suis éclectique, je trouverai peut-être quelques points d’accord avec Russell Kirk, mais seulement quand il appelait en 1976 à voter pour le « démocrate de gauche » Eugene McCarthy. Quand je pense à l’idéologie qui domine la RFA aujourd’hui, je suis souvent d’accord avec Paul Gottfried, qui avait dû quitter, enfant, le IIIième Reich national-socialiste. Enfin, je lis toujours avec beaucoup d’intérêt les textes des intellectuels américains qui s’opposent à l’interventionnisme.

 

Vu que nous assistons à une orientalisation, soit une islamisation croissante de l’Europe occidentale les analyses clairvoyantes de nos temps présents par Samuel P. Huntington méritent que nous y consacrions toute notre attention ; Huntington nous annonce le déclin de l’Occident en général et la perte d’identité européenne des Etats-Unis. Aujourd’hui âgé de 80 ans, ce professeur de Harvard n’est toutefois pas étiqueté « conservative » mais considéré comme un représentant du « liberal establishment ».

 

S’intéresser aux relations intellectuelles transatlantiques est une bonne chose et permet de se comprendre réciproquement. Jusqu’ici, le monde universitaire s’est limité à importer en Allemagne et en Europe le prêchi-prêcha du « politiquement correct » des « liberals », y compris les expressions du mépris que vouent les gauches à Bush qui, quand elles sont satiriques, satisfont leur orgueil blessé. Une poignée de conservateurs allemands critiquent aujourd’hui l’idéologie importée des « liberals » (qui s’expriment en Allemagne sous des oripeaux «écologistes ») mais cette démarche est insuffisante. Face à l’immigration de masse qui menace directement l’existence du peuple allemand, en tant que peuple porteur d’histoire et en tant que nation historique et politique, et l’avenir même de l’Europe toute entière, nous devons, en première instance, procéder à une analyse factuelle et objective de la situation et ne pas ergoter et pinailler sur nos préférences intellectuelles ou rêver à d’hypothétiques coalitions qui ne viendront jamais.

 

La politique extérieure américaine se caractérise depuis l’immixtion des Etats-Unis dans la politique mondiale (au moins depuis 1917) par la double nature de la puissance et de la morale qu’elle révèle. La conscience qu’ont les Américains de mener à bien une « mission » inspire cette politique globale ou planétaire, et vice-versa, dans la mesure où les démarches concrètes de cette politique étayent la vision messianique que distille la religiosité américaine.

 

Henry Kissinger était une exception : il se posait comme « réaliste » et les notions de « mission » ne l’intéressaient pas vraiment. Depuis la montée en puissance des « neocons », qu’ils soient adhérents des démocrates ou des républicains, l’aspect idéologique et para-religieux de la politique extérieure des Etats-Unis est passé à l’avant-plan. Force est de constater que les assises fondamentales de la politique extérieure des Etats-Unis réconcilient, in fine, les « liberals » et les « conservatives » : il nous suffit d’énumérer les grands événements de ces quinze ou vingt dernières années, avec l’élargissement de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale, avec la politique balkanique (de Madeleine Albright), avec l’appui qu’apporte Washington à la candidature turque à l’UE, aux conflits qui ensanglantent le Proche- et le Moyen-Orient, etc.

 

Par ailleurs, la politique extérieure américaine se montre souvent fort dépendante des fluctuations de l’opinion publique intérieure. Hillary Clinton et d’autres candidats à la Présidence commencent à caresser cette opinion dans le sens du poil, en songeant à l’investiture de 2008, car, en effet, si les troupes américaines doivent se retirer d’Irak aussi peu glorieusement qu’elles se sont retirées du Vietnam, la politique extérieure américaine se trouvera confrontée à ses propres misères, aux monceaux de ruines qu’elle aura provoquées.

 

Quel rôle jouera la Turquie dans ce scénario ? Rien n’est certain. Quoi qu’il en soit, la paix entre Israël et la Palestine sera, une fois de plus, remise aux calendes grecques.

 

Herbert AMMON.

(article extrait de « Junge Freiheit », n°29/2007; trad. franç. : Robert Steuckers). 

 

jeudi, 07 août 2008

Révolution conservatrice et "fondamentalisme esthétique"

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Révolution conservatrice et "fondamentalisme esthétique"

Qu'est-ce que le “fondamentalisme esthétique”? Il convient de répondre d'emblée à cette question, pour comprendre ce que l'on entend par là. Le “fondamentalisme esthétique”, d'après Stefan Breuer, est une attitude d'opposition contre la culture et la technique modernes, c'est une critique pure et dure de la civilisation. En ce sens, il est part intégrante d'une tradition intellectuelle qui n'a pas cessé d'être active depuis le romantisme jusqu'aux critiques contemporaines du “pan-technicisme”. Le “fondamentalisme esthétique” a connu son apogée entre 1890 et 1910. Dans son livre consacré à ce filon de l'histoire intellectuelle allemande, Breuer aborde surtout les auteurs de cette époque.

Au centre de son enquête figurent essentiellement le poète Stefan George et sa revue Blätter für die Kunst. Ensuite, il aborde d'autres personnalités importantes et d'autres cercles de la fin du XIXième et du début du XXième: Hugo von Hofmannsthal, les “Cosmiques”, le philosophe-écologue Ludwig Klages, le “théoricien de la sagesse” Georg Simmel et l'“anti-roi” par rapport à George, Rudolf Borchardt, pour n'en citer que quelques-uns. Breuer analyse la personnalité des “maîtres” et des “disciplnes” et examine les structures de domination qui en découlent, de même que l'impact extérieur de ces groupes.

Au centre de cette enquête, nous trouvons un questionnement sur la signification politique de ces poètes et penseurs. Breuer lui-même souligne qu'il serait faux de voir dans ce “fondamentalisme esthétique” un courant parallèle à la “révolution conservatrice”. Hugo von Hofmannsthal a certes forgé le concept de “révolution conservatrice”, mais il entendait par là un “conservatisme culturel” dirigé contre la civilisation moderne, c'est-à-dire quelque chose “de totalement différent du néo-nationalisme qui opérait sous la même étiquette” et qui “rien que pour mener jusqu'au bout sa politique d'expansion devait exploiter à fond les atouts de la civilisation moderne” (p. 5). Les “esthètes fondamentaux” de ce conservatisme n'ont dès lors pas été en 1914 des adeptes du patriotisme belliciste, car des “esprits pertinents comme George ou Klages ne se sont jamais fait d'illusion: cette guerre allait être menée avec les moyens de la civilisation et même dans le cas d'une victoire improbable de l'Allemagne, la question fondamentale n'aurait pas reçu de réponse décisive: que faire de la civilisation et de ses effets dans notre pays même...?” (p. 212).

 

Nous avons donc affaire à des esthètes conservateurs, dont l'hostilité à la modernité doit éveiller l'attention des écologistes. La vision du monde de Klages représente en effet un fondamentalisme écologique radical et tout-à-fait pur, souligne Breuer: «Pour Klages, les choses étaient claires: les sciences exactes, et l'idée de “progrès” qui en dérivait, dépendaient étroitement d'un ordre économique centré sur l'argent et le capital... Comme en témoignent ses écrits posthumes, c'est dans son œuvre que, longtemps avant que n'existe le cercle de George, Klages s'était intensément préoccupé des relations entre le christianisme, le capitalisme et le rationalisme; c'est également dans cette œuvre de Klages que le désavantage majeur des Allemands, leur “barbarité” (Barbarentum), a été inversé en une positivité” (pp. 196 et ss.).

 

La pire des barbarités n'était pas pour ces esthètes fondamentaux l'“arriération culturelle” mais la sur-exploitation moderne du monde: c'est la raison pour laquelle les cercles tournant autour des personnalités de George et de Klages ont salué l'“instinctuel” et le “tellurique” comme les qualités essentielles des Allemands, tandis que le protestantisme et le prussianisme étaient radicalement dévalorisés au titre d'expressions de la modernité rationaliste. George, en se référant à Max Weber, soulignait qu'il existait un lien étroit entre le protestantisme et le capitalisme: «Partout où la forme protestante du christianisme trouve accès, elle capitalise, industrialise et modernise les peuples» (p. 200).

 

Il m'apparait particulièrement intéressant de suivre la tentative de Breuer de classer ces penseurs et poètes dans le paysage politique de la première moitié du XXième siècle: «Le fondamentalisme esthétique, empiriquement parlant, comme le montre l'exemple de la “république des poètes” de Bavière en 1919, peut parfaitement se manifester sous une forme de “gauche”. Mais nous voyons alors éclore une tension entre les orientations universalistes-éthiques et les orientations esthétiques, où les premières finissent par avoir le dessus, si bien que les formes de gauche sont le plus souvent des formes de transition, tandis que la qualité spécifiquement esthétique et a-éthique postule une attitude particulariste, laquelle, traduite en option politique, révèle une affinité avec la droite politique» (p. 226).

 

Breuer examine de ce fait les intersections possibles entre le fondamentalisme esthétique et les prémisses de droite de la “révolution conservatrice”, du nationalisme et du national-socialisme. Mais dans l'enquête de Breuer manque (ndlr: comme d'habitude serait-on tenté de dire...) la référence aux diverses formes du fédéralisme qui, au début du XXième siècle, n'était nullement un phénomène marginal en Allemagne du Sud. La “version populaire” de l'esthétisme des cercles conservateurs, le “Heimatkunst” (l'art du terroir), cultivait de fortes sympathies pour ce fédéralisme. Ni George ni Hofmannsthal n'ont été actifs dans les mouvements régionalistes, mais ce non-engagement ne constitue pas une preuve, car ils ne se sont pas engagés davantage dans les formations nationalistes.

 

Ensuite, on peut affirmer sans se tromper que leur vision du monde était en opposition très nette avec celle de la “révolution conservatrice”. Quand Ernst Jünger manifestait une ivresse de technophilie et quand Moeller van den Bruck, dans le but de construire une Allemagne puissante, acceptait sans hésitation et sans a priori des phénomènes tels la croissance exponentielle de la population, les mégapoles, l'industrie et le prolétariat, “dans les cercles du fondamentalisme esthétique, ces phénomènes étaient jugés purement et simplement comme les expressions du ‘contre-monde‘” (p. 230).

 

En bref: «L'objectif (de la révolution conservatrice) était de voir éclore une autre modernité ou plutôt une modernité autre» (p. 230). Tandis que les fondamentalistes esthétiques exigeaient la “négation totale de la modernité”, allant jusqu'à postuler, avec Borchardt, “de réduire en poussière les mégapoles allemandes”.

 

Dans cette hostilité de principe contre toutes les manifestations et les phénomènes de la modernité, nous trouvons, clairement exprimée, la différence qui oppose ce fondamentalisme esthétique au national-socialisme, car, écrit Breuer, “le national-socialisme se distingue du fondamentalisme esthétique par le fait qu'il accepte pleinement l'esprit du temps. Le national-socialisme ne procède pas, comme l'ont répété sur le mode du moulin à prière tibétain Thomas Mann et Georges Lukacs, d'une vulgarisation de l'anti-rationalisme ou de l'irrationalisme, mais, bien au contraire, d'une vulgarisation du rationalisme; il ne nie pas fondamentalement la modernité, mais ne la nie que sectoriellement” (p. 237).

 

Ce constat posé par Breuer est très important: il campe clairement les véritables clivages politiques de notre époque contemporaine, où nous avons, d'un côté, des progressistes et des rationalistes de droite et de gauche et, de l'autre, des conservateurs. Raison pour laquelle les “esthètes” peuvent être considérés non pas comme les précurseurs des bruns, mais comme les précurseurs des verts. “Avec le national-socialisme, nous avons un mouvement qui accède au pouvoir, en poursuivant en bien des points celui du XIXième siècle, dont les adeptes voulaient frapper George à mort et faisaient de cette intention l'une de leurs missions les plus urgentes. Ce mouvement comprenait les goûts artistiques petits-bourgeois de Hitler et, plus encore, sa conception positiviste des sciences, son enthousiasme pour la technique moderne et, en tout premier lieu, son obsession pour les idées d'eugénisme et d'hygiène raciale” (p. 233).

 

En même temps, cette critique fondamentale du progressisme chez les “esthètes” les distinguent des pires manifestations que l'on observe dans le camp conservateur, notamment cette propension à croire que la technique, le rationalisme et la politique de puissance ne sont pas mauvais en soi, mais qu'il importe qu'ils tombent dans de bonnes mains (c'est-à-dire dans des mains allemandes).

 

Ce qui rapproche les esthètes des fascistes, pense Breuer, “c'est la grande valorisation de la dimension charismatique” (p. 238). Mais les preuves qu'il avance pour soutenir ce point de vue laissent à désirer et son argumentation est nébuleuse. Elle semble cadrer avec cette douteuse tradition intellectuelle qui fait miroiter à l'horizon une “ligne” au-delà de laquelle se situerait le “malheur”, le “mal”, l'“innommable”. Type de raisonnement que les scientifiques feraient bien d'oublier...

 

La conclusion de Breuer, toutefois, est pertinente: le fondamentalisme esthétique est effectivement le concept qui s'oppose le plus “purement” et le plus radicalement à toutes les tendances progressistes, cherchant à imposer la modernisation (p. 241). Breuer admet qu'à une époque comme la nôtre où la crise écologique est d'une indéniable évidence, où les ressources se raréfient, où le prix à payer pour survivre est de plus en plus élevé, pour maintenir à flot cette foi déraisonnable dans les progrès techniques et autres, l'idée progressiste se grève de lourds paradoxes. Raison pour laquelle, nous devons reconnaître que les œuvres de Klages, George et Hofmannsthal “ont reconnu bien avant le mouvement écologiste les dangers que recelait cette idée” (p. 242).

 

Heinz-Siegfried STRELOW.

 

(article paru dans Ökologie, n°1/1997; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

Stefan BREUER, Ästhetischer Fundamentalismus. Stefan George und der deutsche Antimodernismus, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1995.

 

jeudi, 19 juin 2008

Evola, l'antimoderno

EVOLA, L’ANTIMODERNO

 

Julius Evola è uno di quegli uomini della riflessione, che siam soliti chiamare filosofi, di cui spesso si sente parlare anche a sproposito all’interno di certi ambienti culturali, ma che, fondamentalmente viene dai più completamente accantonato. Come si è avuto modo di spiegare in più circostanze e come è sempre bene ribadire, ogni pensatore vive di sé e degli altri che con lui si pongono in confronto. Non è possibile inquadrare né tantomento catalogare nelle strettoie di un incartamento becero ed infantile, la portata straordinaria di ciò che ogni uomo del pensiero ci offre con le proprie osservazioni, con le proprie intensità e con le proprie sensazioni, sempre inserite nel tempo e figlie di un divenire, che non può disconoscere la sua essenzialità ontologica. Se un grande insegnamento la filosofia cosiddetta continentale ci ha dato, è proprio quello connesso al carattere prospettico e impersonale della realtà che ci circonda: senza dilungarci troppo sul valore fondamentale della riflessione ermeneutica dobbiamo comunque osservare il contesto in cui Evola storicamente si inserisce, il tratto storico-teoretico che tutta la riflessione occidentale ha vissuto come compimento della parabola cominciata decenni prima con l’irruenza antimetafisica di Friederich Nietzsche, forgiata attraverso la fenomenologia di Husserl, portata a concretizzazione da Heidegger e proseguita da Gadamer, senza che niente venisse scalfito dai mille eventi che avevano nel frattempo radicalmente cambiato la situazione europea (due guerre mondiali, indipendentismi, processo di Norimberga, terrorismo, sessantotto e via dicendo).

La reazione contro la metafisica tradizionale, il ritorno ai pre-socratici (Eraclito, Parmenide, Anassimandro…), la decostruzione dell’antropocentrismo, il superamento del rapporto soggetto-oggetto, la critica della Ragione, il nichilismo quale fenomeno onto-storico e destino improcrastinabile di un’umanità ormai irretita nell’ambito dei vecchi e degenerati schemi del pensiero occidentale (la sottile linea antropocentrico-escatologica che legava platonismo, ebraismo, cristianesimo, illuminismo, empirismo, marxismo ed idealismo), il circolo ermeneutico come unica fonte di conoscenza, il rifiuto del mondo della tecnica quale dominio scellerato ed invasivo della volontà di potenza ai danni del mondo reale e tradizionale, erano tasselli su cui tutto il pensiero Novecentesco si è mosso, sin dai suoi albori. La morte di Nietzsche, avvenuta esattamente nell’anno 1900, e le sue profetiche e terrorizzanti parole (“Quella che vi sto per raccontare è la storia dei prossimi due secoli…”), hanno segnato indubbiamente un’epoca che ha vissuto sulla paura e sulla desolazione completa, in ogni angolo della cultura, filosofico, ovviamente, letterario, artistico, umanistico e politico. Per quanto, stracitato e spesso chiamato in causa anche oltre gli stessi intenti dell’autore, basti pensare all’importanza rivestita da un testo fondamentale come “Il tramonto dell’Occidente” di Oswald Spengler. Proprio da quest’ultimo, Julius Evola sembra particolarmente colpito, nel momento in cui, comincia a formarsi. La tormentata e controversa personalità del filosofo romano, stava attraversando un periodo particolarmente tragico, al momento del ritorno (nel 1919) dal fronte.

Vicino al suicidio, affermò (come leggiamo nel suo Il cammino del cinabro), di aver rinunciato a questo gesto, dopo l’illuminazione in seguito alla lettura di un testo buddhista. Questo incontro, sulle stesse orme che mossero anni prima Schopenauer, non si esimerà dall’essere foriero di una nuova impostazione, che lo porterà a conoscere l’induismo e le teorie dell’Uno, così tanto sconosciute nel profondo e così tanto occidentalizzate, commercializzate e spudoratamente violentate nel corso degli ultimi decenni dalla cosiddetta new age o next age. A questo interesse si accompagnano i mai sopiti spunti esoterici e gnostici che lo hanno accompagnato. Testi come Imperialismo Pagano e soprattutto il più conosciuto Rivolta contro il mondo moderno, pubblicato in piena era fascista, non gli valsero le simpatie, ma anzi gli procurarono diverse noie e pure delle censure. Fu scomodo, per molti gerarchi, per quei cosiddetti fascisti della seconda ora, quelle fazioni conservatrici e burocrati, soggiunte a Fascismo ormai assestato e definito. La sua visione del resto ha sempre rimarcato un carattere sovra politico, anzi impolitico, che poco aveva a che spartire con la brutale normalità istituzionale ed amministrativa, e che mirava in alto, verso la più pura teoresi di quel mondo della Tradizione, da lui decantato e osannato. Ma cosa era in realtà questa Tradizione? E a cosa si contrapponeva?

Fu nel dopoguerra, e precisamente nel 1951 che Evola, venne chiaramente coinvolto nel processo al movimento paramilitare ai FAR, organizzazione neofascista, quale presunto teorico e intellettuale di riferimento. Fu naturalmente assolto con formula piena, malgrado l’isteria antifascista di tutto il dopoguerra avesse persino portato sul banco degl imputati, una persona totalmente estranea ai fatti, senza prove, senza legami espliciti o meno, ma solo sulla base di una presunta connessione intellettuale. Da quel tipo di difesa e da quel distacco intrapreso verso tutto ciò che riguardava la dimensione politica nel senso più strettamente partitico del termine, possiamo subito capire che le origini del pensiero evoliano, nascevano molto più indietro e avevano radici ben salde in una sorta di filosofia della storia, che (non di rado ispirata da Guenon), rileggeva il passato del corso temporale attraverso una disamina chiara e precisa, che poneva in netto contrasto due principi: il mondo della Tradizione da un lato, ed il mondo dell’antiTradizione dall’altro. L’umanismo nel mezzo, a far da mezzavia, era indicato come il momento critico, il punto dell’irreversibilità antitradizionale, nel quale vengono poste le basi per lo sviluppo del cosiddetto homo hybris, nel quale scompare ogni richiamo al Sacro, ogni senso gerarchico, ogni assoluto.

La trascendenza, quale mezzo di coglimento per l’uomo della Tradizione, svanisce sotto i colpi del laicismo, sotto i colpi dei miti del progresso e dell’homo faber fortunae suae, tipici della tendenza trionfante all’interno della pur vasta cultura umanistico-rinascimentale. L’individualismo trasudante e baldanzoso, che uscì fuori da questa rivoluzione catastrofica, si traslò sul piano più strettamente ideologico nel liberalismo, nell’anarchismo sociale, nel marxismo e nel totalitarismo, sia democratico sia dittatoriale. Riprendendo Guenon, l’umanismo era esattamente la sintesi del programma che l’Occidente moderno aveva ormai inteso seguire, per mezzo di una vasta opera di riduzione all’umano dell’ordine naturale: qualcosa di presuntuoso e sconvolgente, la cui precisa critica mostra chiaramente i punti di contatto con la Genealogia della morale affrontata da Nietzsche e con i Saggi di Heidegger. La Rivolta evoliana è qualcosa che, probabilmente resta indietro rispetto ai maestri tedeschi, e in parte paga ancora un lascito terminologico alla metafisica che invece Egli intendeva abbattere, ma indubbiamente il valore, il nisus, il punto ottico di osservazione teoretica pare quasi essere lo stesso.

Il progresso è niente altro che una “vertigine”, un’illusione, con la quale l’uomo moderno viene ammaliato e ingannato: una auto illusione, che lo porta in una dimensione di progressivo oblio dell’essere autentico (ancora Heidegger, come vediamo), in favore dell’ormai avvenuto e sempre più imbattibile matrimonio con l’antropomorfizzazione del mondo. La Tradizione, con i suoi valori gerarchici (“dall’alto verso l’alto”), con il suo carattere cosmologico e ciclico (indistinzione uomo-natura, homo hyperboreus e circolarità storica – ancora Nietzsche con l’eterno ritorno), con la sua concezione sacrale-trascendentale, si mostrava come la sola vera arma in condizione di opporsi alla degenerazione causata dai miti metafisici, antropocentrici e razionalistici, e da fenomeni sociali quali il progressismo, la secolarizzazione, il laicismo e l’ateismo materialista. “Umanistica è quella cultura nella quale principio e fine cadono entrambi nel semplicemente umano: è quella cultura priva di qualsiasi riferimento trascendente o in cui tale riferimento si riduce a vuota retorica, che è priva di ogni contenuto simbolico, di ogni adombramento di una forza dall’alto. È umanistica la cultura profana dell’uomo costituitosi a principio di sé stesso, quindi metafisicamente anarchico e intento a sostituire a quell’eterno, a quell’immutabile e a quel super-personale, di cui egli ha finito col perdere il senso, i fantasmi vari e mutevoli dell’erudizione o dell’invenzione dell’intelletto o del sentimento, dell’estetica o della storia”: in queste riflessioni potremmo sintetizzare il pensiero più radicale ed interiore di Evola, osservando in esse il carattere tradizionale, che lo portò a negare la validità del darwinismo, dell’evoluzionismo e dell’ugualitarismo, in favore di una weltanschauung forgiata sui significati antichi di imperialità, gerarchia e razzismo (o meglio ancora, razzialismo) spirituale.

La morte di Dio, annunciata dal folle deriso nella Gaia Scienza di Nietzsche, è un punto di partenza ineludibile, per comprendere cosa significhi nel profondo la perdità dell’ordine, il senso di sconforto per l’abbattimento dei valori tradizionali e il senso di disorientamento, quale destino onto-storico (il nichilismo come ospite indesiderato) di una civiltà autodistruttiva come quella umana, appunto, affidatasi volitivamente a nuovi (dis)valori, in aperto contrasto con quella che è l’essenza più autentica dell’ordine naturale del mondo, abbandonando ogni senso atemporale ed ontologico del pensiero, e sviluppando una concezione calcolante, transeunte e mercantile della ragione umana, finalistica e teleologica, individualista e materialista. Pensare di poter ricondurre il suo pensiero alla mera dimensione politica, sarebbe una violenza inaccettabile, così come tentare di elasticizzarne le asperità o le parti più scomode. Di fronte ad un grande uomo del pensiero, abbiamo sempre un grande tesoro, forte di un’apertura semantica continuamente attingibile e sempre esplorabile attraverso nuove chiavi di lettura. Non chiudiamone il raggio, non limitiamoci a ciò che più interessa ad ognuno di noi, non compriamone una parte per buttarne via delle altre: non siamo al mercato, non siamo mercanti, non siamo clienti. Siamo uomini.

Comunità Militante Perugia
Associazione Culturale Tyr
http://www.controventopg.splinder.com

jeudi, 12 juin 2008

Entretien avec Jacques d'Arribehaude

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Entretien avec Jacques d'Arribehaude, un «Français libre»

Q.: Dans Un Français libre (L'Age d'Homme, 2000), vous me­nez, sous le couvert d'un journal intime, une quête qui n'est autre que l'antique gnôthi seauton hellénique: la recherche et l'étude de soi. Qui êtes-vous donc? Fran­çais ou Gascon? Moderne ou d'Ancien Régime? Du XVIIe ou du XIIe siècle?

Né au pied des Pyrénées à l'extrême sud-ouest de la Fran­ce, d'une mère basque et d'un père gascon, je suis Français d'éducation, de tradition et de culture, mais ouvert depuis toujours au grand large, à l'esprit d'aventure et de recher­che de nos grands ancêtres navigateurs et conquérants. J'ap­partiens une famille dont les archives remontent au XIIe siècle par mon père, avec des attaches en Béarn, Gascogne et Navarre. On trouve mes ascendants sur les Sceaux gas­cons de la Tour de Londres sous Edouard III, puis sur les rô­les d'armes de Gaston Phébus du Béarn au XIVe siècle, mais dans un déclin constant durant les guerres de Religion et les désordres de la Fronde au XVIIe siècle. Sous la Révo­lu­tion, Jean d'Arribehaude, beau-frère de Raymond de Seze, dé­fenseur de Louis XVI à la Convention, renonce à ses sei­gneuries de Lasserre, d'Orgas et autres lieux pour échap­per à la guillotine, et la ruine du patrimoine familial a­chève de se consommer au fil des générations. Mon enfance n'en est pas moins marquée par la forte empreinte des in­sti­tuteurs au lendemain (très illusoirement victorieux) de la grande guerre 14-18, ces «hussards de la République» qui met­taient tout leur cœur à exalter la nation comme un mo­dèle insurpassable de civilisation pour la terre entière. Le dé­sastre sans précédent de 1940 (j'avais tout juste 15 ans), m'éloigne à tout jamais du régime qui l'a provoqué, qui m'in­spire dès lors le plus définitif dégoût.

Q.: Très jeune, vous avez vécu quelques expériences peu banales: voir défiler les Prussiens de la Totenkopf, tra­verser les Pyrénées, croupir dans une geôle hispa­ni­que, découvrir les clans d' Alger, goûter à toutes sortes de propagandes et même, naviguer ("Il est nécessaire de naviguer"). N'est-ce pas beaucoup pour un jeune homme encore tout frotté de littérature? Quel était donc son état d'esprit le 8 mai 1945?

Que faire, quand on a dix-sept ans, que l'on n'accepte pas l'humiliation d'une telle défaite, que l'on baille au lycée de Bayonne aux trois-quarts occupé par l'administration de la Kommandantur et de la Gestapo, et qu'il y a quelque part une France qui se déclare encore libre, sinon vouloir à tout prix la rejoindre? Cela me vaudra de connaître la prison de Badajoz au fond de l'Espagne, d'où la Croix-Rouge me tire à grand peine, puis le spectacle des querelles politiques d'Al­ger, jusqu'à mon embarquement sur un pétrolier battant pa­villon US, et dont un équipage français remplace un é­quipage américain défaillant et rapatrié sur New York, mais toujours armé de canonniers américains. Je figure, en qua­li­té d'écrivain de bord  —interprète faisant fonction de com­missaire— au carré des officiers, ne regrettant guère d'a­voir été déclaré «inapte au service armé» par la 1ère Di­vision Française Libre que j'avais fini par rejoindre en Li­bye, ni la Direction du service Géographique de l'Armée, qui voulait me retenir comme dessinateur à Alger. Le spec­tacle de l'Italie dévastée, de la corruption qui sévit partout sur fond d'épuration, de misère et de prétendu retour à la morale m'est odieux. J'oublie mes déceptions en décou­vrant, dans les ruines d'une librairie italienne, Le voyage au bout de la nuit où le génie imprécateur de Céline contre la guerre confirme ce que je ressens devant le bourrage de crâne universel. La «France libre» dont je rêvais et dont j'ai suivi au fur et à mesure les querelles de clans et mesquines péripéties n'est que le retour des hommes et du régime dont l'incompétence et la nullité nous ont conduit au dé­sastre. Je ne puis que le vomir et remettre tout en que­stion. J'ai vécu au bout du compte dans l'Italie éventrée de 44-45, la Grèce et la Yougoslavie exsangues et déchirées, la fin malheureuse de l'engrenage suicidaire de 1914 au seul profit d'un communisme aussi criminel que le nazisme, et du mercantilisme américain dont la façade démocratique recouvre une exploitation éhontée de la planète. On ne m'y re­prendra plus.

Q.: Quels furent vos maîtres?

Je dévore Céline dont la force comique fortifie ma lucidité et apaise ma colère dans le sentiment de ne pas être seul au monde à refuser l'imposture de ce temps. Je revois mon ancien professeur Louis Laffite qui, sous le nom de Jean-Louis Curtis, commence à se faire un nom en littérature, et qui m'encourage à écrire. Jusqu'à sa mort, il y a quelques an­nées, il soutiendra mes efforts dans ce sens et j'aurais maintes fois l'occasion d'apprécier son talent, son humour, et la solidité de son amitié. Dès l'enfance, j'ai la passion de la lecture et vais selon une humeur très vagabonde des Mémoires d'un âne à La Condition humaine en passant par Les trois mousquetaires, L'île au Trésor, Robinson Crusoë, Croc-Blanc, Guerre et Paix, Les Mille et une Nuits de Mar­drus (lus par surprise à la bibliothèque municipale) et Gil Blas. L'été de mes 16 ans, en 41, grand emballement pour Au­tant en emporte le vent et le personnage de Rhett But­ler, dont le refus d'être dupe, le joyeux cynisme et la sé­duc­tion s'offrent en modèle idéal à ma naïve adolescence. Il me faut l'épreuve de la guerre et de la maladie pour élar­gir ce modeste horizon. C'est au sanatorium de Leysin, où je suis admis sur le Fonds Européen de Secours aux étu­diants, en Suisse, que je me plonge durablement dans Bal­zac, Stendhal, Flaubert, mais aussi Saint Simon, aussi bien que dans les grands romanciers américains et russes et en particulier Dostoïevski. De là date aussi mon goût pour les correspondances et journaux intimes, au plus près de la vie, telle que la restitue dans son intensité, l'extraordinaire vision de Saint Simon.

Q.: Vous avez fréquenté le monde des Lettres, approché Céline à Meudon, Roland Laudenbach rue du Bac, et mê­me un certain André Malraux. Qui étaient ces trois hom­mes si différents? Et "La Table ronde", cette maison my­thique, quel était donc son esprit?

Accoutumé dès le départ à la solitude, c'est à Roland et De­nise Tual, rencontrés au Festival du film maudit à Biarritz en 1949, que je dois la rencontre de Malraux, de Cocteau, de René Clair, de Roger Nimier, de Roland Laudenbach et autres figures de l'époque, sans que je puisse dire avoir vraiment et durablement fréquenté le monde des lettres. De Malraux, j'ai surtout retenu la volonté qui me semblait exemplaire de «transformer en conscience l'expérience la plus large possible», qui m'incita à prendre du champ en m'exilant près de trois ans dans ce qui était alors le terri­toire du Tchad dans l'Afrique Equatoriale Française, comme agent de l'unique société chargée de l'exploitation du co­ton. Malraux se souvint de moi et m'accorda sa sympathie lorsque je lui adressai Semelles de vent, et intervint plus tard quand je tentai d'entrer à l'ORTF, où le désordre de 1968 me permit finalement de pénétrer de façon durable. "La Table Ronde" se distinguait alors par l'anticonformisme de ses publications, un éloignement ironique à l'égard de l'idéologie dominante et l'engagement à sens unique prôné par Sartre qui nous semblait le comble du grotesque, de la nuisance imbécile, et de l'aveuglement artistique. J'y ren­con­trai, auprès de Laudenbach, Alexandre Astruc, Jacques Lau­rent, et publiai, avant Semelles de vent, La grande va­drouille, bien accueilli par la critique, mais sans succès com­mercial, et dont Laudenbach eut le tort de vendre le ti­tre —sans que je puisse m'y opposer— à une production ci­nématographique sans le moindre rapport avec l'ouvrage.

Q.: La lecture de Proust ne vous a pas illuminé. Dieux mer­ci, je ne suis pas le seul à avoir bâillé d'ennui! Ras­surez-moi, donnez-moi des arguments contre le sno­bis­me proustien!

Je dois à la lecture d'avoir échappé à plusieurs reprises au découragement et à la dépression. C'est le cas avec La re­cher­che du temps perdu, quelles que soient mes réserves sur les vaines contorsions de Proust pour transposer et dé­gui­ser la réalité de son personnage. Il a beau prendre un soin infini à masquer l'origine presque exclusivement juive du «monde» auquel il a accès par l'intermédiaire d'une ma­da­me Strauss ou de Caillavet, d'un Gramont de mère Roth­schild, ou de princes moldo-valaques à généalogie dou­teu­se, pourquoi ne pas dire carrément que les grands noms dont il se pâme ne sont plus que le reflet de la souverai­ne­té triomphante de Mammon, accommodée au snobisme é­per­du et niais des élites républicaines dont il fait partie. Mal­gré cela, et en dépit de tout ce qu'il peut y avoir d'ar­tificiel et de faux dans la société qu'il dépeint, sa difficulté d'être lui inspire des pages déchirantes sur la souffrance, l'amour malheureux, «l'enchantement des mauvais souve­nirs», et son œuvre s'impose par la création de personnages atteignant la force de types universels, qu'il s'agisse de Char­lus, de madame Verdurin, Norpois, Cotard, Nissim Ber­nard, Bloch, etc. La sacralisation contemporaine de mœurs considérées naguère comme honteuses et la révérence ob­ligée devant tout ce qui semble relever particulièrement de la «sensibilité juive» ajoute sans doute à l'universelle re­nom­mée de Proust, et l'encombre d'une vague de snobisme et d'exaltation parfaitement insupportable, mais on oublie de souligner la verve comique qui nourrit souvent les meil­leures pages de son œuvre, et que le personnage de Bloch dans son évolution révèle admirablement l'identité profon­de et mal acceptée du narrateur dans tout le grotesque de son pathos verbal, de son arrivisme mondain, et de ses pa­thétiques affectations. Au total, un grand écrivain, qui ne saurait être négligé, mais dont la vision analytique et cri­ti­que de la société est plus partiale et limitée qu'il semble le croire, et très en deçà du fantastique, prophétique et sou­verain constat de l'œuvre de Céline quelques années plus tard. Marcel Proust, nanti de la République (éminente no­tabilité du père dans les hautes sphères de la maçonnerie et des riches alliances juives), confond ainsi pieusement, dans Le Temps retrouvé, l'effondrement des Empires cen­traux avec «la victoire de la civilisation sur la Barbarie» (sic). Le conformisme niais de cet aveuglement sur la tra­gé­die de l'Europe et l'incapacité démocratique à concevoir une paix durable relativise la pertinence de son ironie sur le patriotisme de ses salonnards familiers et les propos hé­roïques de la Verdurin trempant son croissant matinal dans un café au lait qui échappe aux restrictions de l'heure. Nous sommes loin de la dénonciation autrement puissante et impressionnante du Voyage et du grand souffle célinien balayant les clichés de «cette immense entreprise à se fou­tre du peuple» !

Q.: Dans votre journal, vous avouez une sympathie cou­pable pour la mythologie germanique. Quand on est né vers 1925, qu'on appartient manifestement à une caste d'exploiteurs du peuple (et même si on a porté le bon uni­forme, celui des vainqueurs), ce genre de déclaration vous rend hautement suspect. Expliquez-vous!

J'ai noté dans mon Français libre l'impression profonde, tous drapeaux confondus, de la rengaine nostalgique de la Wehrmacht Lili Marlene durant la guerre. L'affirmation pro­vocante du Sanders de Nimier  —«Plus l'Apocalypse s'est rapprochés de l'Allemagne et plus elle est devenue ma pa­trie!»—  était la mienne alors même que je vivais la victoire de notre croisade de la liberté sous pavillon US à bord du pétrolier «Eagle». La sottise et l'énormité mensongère de la propagande m'exaspéraient. A l'étalage massif et sempiter­nel des exclusives horreurs nazies je ne pouvais m'em­pê­cher de mettre en parallèle toutes les images qu'on nous cachait, et dont il n'existe aucune trace, de l'anéan­tis­se­ment systématique de Dresde et de villes entières, de po­pulations errantes, exténuées, massacrées, ou mourant de faim et de misère sur les routes dévastées. Quelles qu'aient été les aberrations de Hitler, ce désastre était aussi celui de l'Europe et donc le nôtre. A cette impression se mêlait ma compassion pour les vaincus au terme d'une lutte hé­roïque contre le monde entier, et pour les causes perdues.

Mon goût des légendes, inhérent aux contes du pays basque transmis dès l'enfance par ma grand-mère, m'inclinait natu­rellement aussi à une sorte de familiarité fraternelle avec la mythologie germanique et l'exaltation wagnérienne de Lohengrin sur fond d'honneur, de loyauté et d'amour trans­cendant. Ce genre d'impression n'était pas destiné à m'ou­vrir le meilleur accueil et l'on eût trouvé plus naturel de me voir tirer parti de mon engagement sous ce que vous ap­pelez très justement «le bon uniforme», dont je me sou­ciais comme d'une guigne. Mais la solitude était le prix de ma liberté et j'acceptais dès le départ qu'il en soit ainsi.

Q.: Vous aggravez votre cas en déclarant à Mauriac en 1951: «il y a une étude à faire sur l'aide américaine, dans le sens où l'on peut considérer la démocratie amé­ricaine comme le ferment le plus empoisonné, le plus stu­pidement pervers et le plus efficace du désordre mon­dial». Seriez-vous —je n'ose y croire— hostile au prin­cipe même de l'ingérence humanitaire?????

J'ai participé à l'ouvrage collectif Nos amis les Serbes, pu­blié à l'Age d'Homme, pour protester contre l'infamie de la guerre de l'Otan dans les Balkans et la criminelle stupidité de notre alignement sur les Etats-Unis dans ce qui relève de leur seul intérêt avec la création et l'entretien ruineux d'un abcès incurable, étranger à notre culture et à notre civili­sa­tion au cœur de l'Europe. De la même manière, notre strict intérêt était de refuser toute intervention dans la guerre du Golfe et d'en laisser la charge et les dépenses aux Etats-Unis, uniques bénéficiaires. C'est assez dire que je suis résolument contre toute «ingérence humanitaire» qui n'est que le masque grossier de combinaisons sordides et parfaitement étrangères aux intérêts de l'Europe.

Q.: Vous n'êtes tout de même pas de droite? Je vous de­mande cela car j'ai lu quelques phrases ambiguës sur les empires centraux et la monarchie. A nouveau, rassurez-nous!

On classe volontiers parmi les «anarchistes de droite» tous ceux qui n'adhérent pas au conformisme de la pensée uni­que et de l'idéologie dominante qui s'affiche aussi bien à gauche que dans la droite honteuse depuis le triomphe des «Lumières». C'est ainsi que je figure dans l'essai de François Richard, paru il y a quelques années dans la collection "Que sais-je?" (n° 2580). Je ne récuse nullement cette appella­tion, mais qui se soucie aujourd'hui de savoir si Dante, Sha­kespeare ou Cervantès, ont pu être de droite ou de gauche? Sans la moindre prétention, je me contente de croire que celui qui tente de témoigner pour son temps dans l'iso­le­ment d'une création artistique échappe à toute classifi­ca­tion sommaire. Je constate en tout cas que nombre d'écri­vains des années trente parmi les meilleurs, Chardonne, Mon­therlant, Drieu, Morand, Jouhandeau et quelques au­tres, sans parler bien entendu de Céline, arbitrairement clas­sés à droite, et qui ont payé pour cela, n'en faisaient pas moins les délices de Mitterrand, qui avait le bon goût de ne pas cacher sa paradoxale prédilection. Mitterrand, icône de la gauche officielle, était au fond tranquillement fidèle à sa jeunesse monarchiste, et mérite considération et sympathie pour tout ce que nos médias lui ont haineu­se­ment reproché à la fin de sa vie (ferme refus de «repen­tance», émouvante et brillante improvisation, au Parle­ment de Berlin, sur le «courage des vaincus», etc.). Les pre­miers mots dont je me souviens ont été ceux d'une ber­ceuse basque toujours populaire en faveur de don Carlos, "el Rey neto", soutenu par la tradition navarraise contre la farce constitutionnelle de l'oligarchie prétendument pro­gres­siste attachée au règne factice d'Isabel. Curieusement, Marx a exprimé son estime et sa préférence pour l'insur­rection carliste, dont les "fueros" populaires, nobles et pay­sans étroitement mêlés et solidaires, offraient l'image d'une démocratie autrement juste et authentique que le si­mulacre bourgeois hérité de nos mystifications révolution­naires. C'est à cette image, bien évidemment de droite pour nos éminents penseurs professionnels, que je me suis toujours voulu fidèle.

 

(propos recueillis par Patrick Canavan).

 

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vendredi, 30 mai 2008

E. Jünger, lecteur de Léon Bloy

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Alexander PSCHERA:

Ernst Jünger, lecteur de Léon Bloy

Les sept marins du “renversement copernicien” sont un symbole, qu’Ernst Jünger met en exergue dans la préface des six volumes de ses “Journaux”, intitulés “Strahlungen”. Les notes de ces “Journaux”, rédigées pendant l’hiver 1933/1934 “sur la petite île de Saint-Maurice dans l’Océan Glacial Arctique” signalent, d’après Jünger, que “l’auteur se retire du monde”, retrait caractéristique de l’ère moderne. Le moi moderne est parti à la découverte de lui-même, explique Jünger, conduisant à des observations de plus en plus précises, à une conscience plus forte, à la solitude et à la douleur. Aucun des marins ne survivra à l’hiver arctique. Nous avons énuméré là quelques caractéristiques majeures des “Journaux” de Jünger. Celui-ci rappelle simultanément les pierres angulaires de l’œuvre et de l’univers d’un très grand écrivain français, qu’il a intensément pratiqué entre 1939 et 1945: Léon Bloy.

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Léon Henri Marie Bloy est né le 11 juillet 1846 à Périgueux. Il est mort le 3 novembre 1917 à Bourg-la-Reine. Il se qualifiait lui-même de “Pèlerin de l’Absolu”. Converti au catholicisme sous l’impulsion de Barbey d’Aurevilly en 1869, il devient journaliste, critique littéraire et écrivain et va mener un combat constant et vital contre la modernité sécularisée, contre la bêtise, l’hypocrisie et le relativisme, contre l’indifférence que génère un ordre matérialiste. Bloy remet radicalement en question tout ce qui fait les assises de l’individu, de la société et de l’Etat, ce qui le conduit, bien évidemment, à la marginalisation dans une société à laquelle il s’oppose entièrement.

Pour Bloy, Dieu n’était pas mort, il s’était “retiré”

Conséquences de la radicalité de ses propos, de son œuvre et de sa langue furent la pauvreté extrême, l’isolement, le mépris et la haine. Sa langue surtout car Bloy est un polémiste virulent, à côté de beaucoup d’autres. Son Journal, qui compte plusieurs volumes, couvre les années de 1892 à 1917; sa correspondance est prolixe et bigarrée; ses nombreux essais, dont “Sueur de sang” (1893), “Exégèses des lieux communs” (1902), “Le sang du pauvre” (1909), “Jeanne d’Arc et l’Allemagne” (1915) et surtout ses deux romans, “Le désespéré” (1887) et “La femme pauvre” (1897) forment, tous ensemble, une œuvre vouée à la transgression, que l’on ne peut évaluer selon les critères conventionnels. La pensée et la langue, la connaissance et l’intuition, l’amour et la haine, l’élévation et la déchéance constituent, dans les œuvres de Bloy,  une unité indissoluble. Il enfonce ainsi un pieu fait d’absolu dans le corps en voie de putréfaction de la civilisation occidentale. Ainsi, Bloy se pose, à côté de Nietzsche, auquel il ressemble physiquement, comme l’un de ces hommes qui secouent et ébranlent fondamentalement la modernité.

L’impact de Bloy ne peut toutefois se comparer à celui de Nietzsche. Il y a une raison à cela. Tandis que Nietzsche dit: “Dieu est mort”, Bloy affirme “Dieu se  retire”. Nietzsche en appelle à un homme nouveau qui se dressera contre Dieu; Bloy réclame la rénovation de l’homme ancien dans une communauté radicale avec Dieu. Nous nous situons ici véritablement  —disons le simplement pour amorcer le débat—  à la croisée des chemins de la modernité. Aux limites d’une époque, dans le maëlström, une rénovation s’annonce en effet, qu’et Nietzsche et Bloy perçoivent, mais ils en tirent des prophéties fondamentalement différentes. Chez Nietzsche, ce qui atteint son sommet, c’est la libération de l’homme par lui-même, qui se dégage ainsi des ordonnancements du monde occidental, démarche qui correspond à pousser les Lumières jusqu’au bout; chez Bloy, au contraire, nous trouvons l’opposition la plus radicale aux Lumières, assortie d’une définition eschatologique de l’existence humaine. Nietzsche a fait école, parce que sa pensée restait toujours liée aux Lumières, même par le biais d’une dialectique négative. Pour paraphraser une formule de Jünger: Nietzsche présente le côté face de la médaille, celle que façonne la conscience.

Bloy a été banni, côté pile. Il est demeuré jusqu’à aujourd’hui un auteur ésotérique. Ses textes, nous rappelle Jünger, sont “hiéroglyphiques”. Ils sont “des œuvres, pour lesquelles, nous lecteurs, ne sommes mûrs qu’aujourd’hui seulement”. “Elles ressemblent à des banderoles, dont les inscriptions dévoilent l’apparence d’un monde de feu”. Mais malgré leurs différences Nietzsche et Bloy constituent, comme Charybde et Scylla, la porte qui donne accès au 20ième siècle. Impossible de se décider pour l’un ou pour l’autre: nous devons voguer entre les deux, comme l’histoire nous l’a montré. Bloy et Nietzsche sont les véritables Dioscures du maëlström. Peu d’observateurs et d’analystes les ont perçus tels. Et,dans ce petit nombre, on compte le catholique Carl Schmitt et le protestant Ernst Jünger.

Si nous posons cette polarité Nietzsche/Bloy, nous considérons derechef que l’importance de Bloy dépasse largement celle d’un “rénovateur du catholicisme”, posture à laquelle on le réduit trop souvent. Dans sa préface à ses propres “Strahlungen” ainsi que dans bon nombre de notices de ses “Journaux”, Ernst Jünger cite Bloy très souvent en même temps que la Bible. Car il a lu Bloy et la Bible en parallèle, comme le montrent, par exemple, les notices des 2 et 4 octobre 1942 et du 20 avril 1943. C’est à partir de Bloy que Jünger part explorer “le Livre d’entre les Livres”, ce “manuel de tous les savoirs, qui a accompagné d’innombrables hommes dans ce monde de terreurs”, comme il nous l’écrit dans la préface des “Strahlungen”. Bloy  a donné à Jünger des “suggestions méthodologiques” pour cette nouvelle théologie, qui doit advenir, pour une “exégèse au sens du 20ième siècle”.

Mais Jünger place également Bloy dans la catégorie des “augures des profondeurs du maëlström”, parmi lesquels il compte aussi Poe, Melville, Hölderlin, Tocqueville, Dostoïevski, Burckhardt, Nietzsche, Rimbaud, Conrad et Kierkegaard. Tous ces auteurs, Jünger les appelle aussi des “séismographes”,  dans la mesure où ils sont des écrivains qui connaissent “l’autre face”, qui sentent arriver l’ère des titans et les catastrophes à venir ou qui les saisissent par la force de l’esprit. Dans “Le Mur du Temps”, Jünger nous rappelle que ces hommes énoncent clairement leur vision du temps, de l’histoire et du destin. Trop souvent, dit Jünger, ces “augures” s’effondrent, à la suite de l’audace qu’ils ont montrée; ce fut surtout le cas de Nietzsche, “qu’il est de bon ton de lapider aujourd’hui”; ensuite ce fut aussi celui de Hamann qui, souvent, “ne se comprenait plus lui-même”. On peut deviner que Jünger, à son tour, se comptait parmi les représentants de cette tradition: “Après le séisme, on s’en prend aux séismographes” —modèle explicatif qui peut parfaitement valoir pour la réception de l’œuvre de Jünger lui-même.

Le chemin qui a mené Jünger à Bloy ne fut guère facile. Jünger le reconnait: “Je devais surmonter une réticence (...)  —mais aujourd’hui il faut accepter la vérité, d’où qu’elle se présente. Elle nous tombe dessus, à l’instar de la lumière, et non pas toujours à l’endroit le plus agréable”. Qu’est-ce donc que cet “endroit désagréable”, qui suscite la réticence de Jünger? Dans sa notice du 30 octobre 1944, rédigée à Kirchhorst, Jünger écrit: “Continué Léon Bloy. Sa véritable valeur, c’est de représenter l’être humain, dans son infamie, mais aussi dans sa gloire”. Pour comprendre plus en détail cette notice d’octobre 1944, il faut se référer à celle du 7 juillet 1939, qui apparaît dans toute sa dimension drastique: “Bloy est un cristal jumelé de diamant et de boue. Son mot le plus fréquent: ordure. Son héros Marchenoir dit de lui-même qu’il entrera au paradis avec une couronne tressée d’excréments humains. Madame Chapuis n’est plus bonne qu’à épousseter les niches funéraires d’un hôpital de lépreux. Dans un jardin parisien, qu’il décrit, règne une telle puanteur qu’un derviche cagneux, qui est devenu l’équarisseur des chameaux morts de la peste, serait atteint de la folie de persécution. Madame Poulot porte sous sa chemise noire un buste qui ressemble à un morceau de veau roulé dans la crasse et qu’une meute de chiens a abandonné après l’avoir rapidement compissé. Et ainsi de suite. Dans les intervalles, nous rencontrons des sentences aussi parfaites et vraies que celle-ci: ‘La fête de l’homme, c’est de voir mourir ce qui ne paraît pas mortel’ “.

Bloy descend en profondeur dans le maëlström, les yeux grand ouverts. Cela nous rappelle la marche de Jünger, en plein éveil et clairvoyance, à travers le “Foyer de la mort”, dans “Jardins et routes”. Ce qui m’apparaît décisif, c’est que Bloy, lui aussi, indique une voie pour sortir du tourbillon, qu’il ressort, lui aussi, toujours du maëlström: “Bloy est pareil à un arbre qui, plongeant sa racine dans les cloaques, porterait à sa cime des fleurs sublimes” (notice du 28 octobre 1944). Cette image d’une ascension hors des bassesses de la matière, qui s’élance vers le sublime de l’esprit, nous la retrouvons dans la notice du 23 mai 1945, rédigée à la suite d’une lecture du texte de Bloy, “Le salut par les juifs”: “Cette lecture ressemble à la montée que l’on entreprend dans un ravin de montagne, où vêtements et peau sont déchiquetés par les épines. Elle trouve sa récompense sur l’arête; ce sont quelques phrases, quelques fleurons qui appartiennent à une flore autrement éteinte, mais inestimable pour la vie supérieure”.

“On doit prendre la vérité où on la trouve”

Dans la pensée de Bloy, Jünger ne trouve pas seulement une véhémence de propos qui détruit toutes les pesanteurs de l’ici-bas, mais aussi les prémisses d’un renouveau, d’une “Kehre”, soit d’un retournement, des premières  manifestations d’une époque spirituelle au-delà du “Mur du temps”, quand les forces titanesques seront immobilisées et matées, quand l’homme et la Terre seront à nouveau réconciliés. Nous ne pouvons entamer, ici, une réflexion quant à savoir si Jünger comprend la pensée sotériologique de Bloy de manière “métaphorique”, comme tend à le faire penser Martin Meyer dans son énorme ouvrage sur Jünger, ou s’il voit en Bloy la dissolution du nihilisme annoncé par Nietzsche —cette thèse pourrait être confirmée par la dernière citation que nous venons de faire où l’image de l’épine et de la peau indique un ancrage dans la tradition chrétienne. Mais une chose est certaine: Bloy a été, à côté de Nietzsche, celui qui a contribué à forger la philosophie de l’histoire de Jünger. “Les créneaux de sa tour touchent l’atmosphère du sublime. Cette position est à mettre en rapport avec son désir de la mort, qu’il exprime souvent de manière fort puissante: c’est un désir de voir représenter la pierre des sages, issue des écumes les plus basses, des lies les plus sombres: un  désir de grande distillation”.

Alexander PSCHERA.

(article tiré de “Junge Freiheit” n°09/2005; trad. franç. : Robert Steuckers).

Alexandre Pschera est docteur en philologie germanique. Il travaille actuellement sur plusieurs projets “jüngeriens”.

 

jeudi, 22 mai 2008

Het verdriet van rechts

Het verdriet van rechts

(Bitterlemon) Erik van Goor -Afgelopen maanden vonden er in rechtse kringen twee opmerkelijke begrafenissen plaats. Die van het paleoconservatisme en die van het traditioneel conservatisme. Begin april verklaarde professor Paul Gottfried het paleoconservatisme voor dood in een essay op het paleoconservatieve Takimag.com. Niet lang daarna deed professor Claes Ryn hetzelfde met het traditioneel conservatisme in het toonaangevende blad Modern Age.

Twee begrafenissen in slechts enkele maanden tijd. Twee tegenstanders van Mei ’68 zijn niet meer en liggen onder de grond. Althans volgens haar volgelingen. Niet dat dit volgens Paul Gottfried en Claes Ryn het einde betekent van een conservatieve, rechtse beweging; hierover straks nog een enkel woord. Maar toch zit er iets definitiefs in hun aankondigingen. Het deed me denken aan een soortgelijke proclamatie van Peter Sloterdijk tijdens het zogenaamde Eugenetica-debat met onder meer Jürgen Habermas. Sloterdijk sprak toen de gedenkwaardige woorden:

“De Kritische Theorie is gestorven. Ze was al geruime tijd bedlegerig, de kribbige oude dame, nu is ze van ons heengegaan. We zullen samenkomen aan het graf van een tijdperk om de balans op te maken, maar ook om het einde van een hypocrisie te gedenken.”

Tja, wat is dat nu, vraagt u zich misschien af? De Kritische Theorie hoorde toch bij de revolutie van Mei ’68? En die is nu dood verklaard? En ondertussen zijn haar belangrijkste tegenstanders ook overleden? Maar wat leeft er dan nog wel? Waarmee zitten wij dan opgezadeld? Nu de moeder van alle revoluties, deze laatstgeborene, is heengegaan, zal het gebrul van de tijger – die elke revolutie toch is – dan eindelijk verstommen?

Peter Sloterdijk ziet het goed: de tijger van Mei ’68 is dood. Want elke revolutie, elke tijger doodt zichzelf nadat ze de meeste van haar kinderen heeft opgegeten. Deze kinderen van de revolutie zijn vaak rechts, conservatief, dom en naïef. De overgebleven kinderen zullen huilen. En in hun gewetens zal de tijger blijven brullen. Ziehier de huidige toestand van rechts na Mei ‘68 in een notendop.

Maar goed, de mokerslag van Mei ’68 is enorm geweest. Zo krachtig dat bijna alles eraan is overleden. Als laatste Revolutie heeft ze haar werk grondig gedaan. Rechts, traditioneel, conservatief Europa heeft zulke klappen opgelopen dat reanimatie geen zin meer heeft. Daar ligt hij, die zielige oude, rechtse Europeaan, naast die oude, tandeloze vrouw met de naam christendom. Vergeten en veracht.

De rechtse meneer is zwak geworden. Hij is te zwak om nog na te kunnen denken. Hij is verzwakt omdat hij dacht de tijger te kunnen berijden, maar werd zelf door dit beest aangevallen. En hij blijft zwak door het aanhoudende mitrailleurvuur van de moderniteit. De gehele toestand van rechts na de revolutie van Mei ’68 is te vervatten in deze drie geluiden: Het geluid van een brullende tijger, het geluid van een huilende krokodil en dat van aanhoudend mitrailleurgeweer.

Allereerst de huilende krokodil. Het verdriet van rechts is dat er niet zoiets te horen is als het geluid van ècht verdriet. Rechts doet alsof ze treurt, maar wie goed kijkt, ziet enkel krokodillentranen. Men verafschuwt de revolutie, maar stiekem adoreert men de vruchten ervan. Ook rechts is bevrijd van de bevoogding door kerk, traditie en familie. Ook rechts kan nu geloven, zeggen, schelden, denken en roepen wat men wil. De ballast van de geschiedenis, van kruistochten, inquisitie, vrouwenonderdrukking, geweld en scheppingsbijgeloof is afgeworpen. Toch knaagt het ons aan. Rechts zonder traditie is immers niks? En elke keer als we voorzichtig opkomen voor het gezin, voor de heteroseksuele normaliteit – steeds weer brult de tijger van de revolutie ons toe in elk debat, in elke aantijging in een De Morgen of in een De Standaard. En bovenal: ze brult in onze gewetens.

De kinderen van Mei ’68 hoeven zich nooit te verdedigen. Ze hoeven dat ook niet, want ze hebben gewonnen. En ze kunnen dat ook niet, want de tijger is dood. De revolutie heeft zich vereenzelvigd met het gewone leven en heeft daardoor alles wat rechts is belachelijk gemaakt.

Rechts is dus stiekem blij – blij over de verworvenheden van de revolutie – èn stiekem bang – bang voor de wraak van haar verleden. Bovendien schaamt rechts zich voortdurend. En daar heeft ze ook reden toe. Want hoe vaak heeft rechts niet geprobeerd de tijger te berijden? Toen de Amerikaans-Nederlandse historicus James Kennedy de Mei ’68 revolte in Nederland onderzocht, in zijn proefschrift Nieuw Babylon in aanbouw, viel hem vooral dit op: in tegenstelling tot wat de mythe van de historici ons leerde, werd de culturele revolutie van de jaren ’60 in Nederland niet in gang gezet door studenten, krakers en hippies, maar door het conservatieve establishment zelf. Regenten en bisschoppen dachten de tijger te berijden door het initiatief over te nemen. En dit is historisch gezien niets nieuws. De tijger profiteert altijd van de kracht van de stommiteiten van rechts. Liberalen, socialisten, communisten, nationaal-socialisten, neomarxisten – allen hebben ze geprofiteerd van de kracht èn van de stupiditeit van rechts. En daarvoor schamen we ons nog steeds. De tijger is dood, maar in onze slaap, in onze gewetens brult ze nog steeds.

We zeiden het al: het verdriet van rechts is dat er geen werkelijk verdriet is. En daarin lijkt ze op de wereld van de revolutie waarin immers ook geen verdriet wordt gekend. De revolutie kent geen verdriet, enkel frustratie. Geen blijdschap, maar cynisme. Ze heeft de vrolijkheid verruilt voor enthousiasme. Nederigheid voor mondigheid; rechtvaardigheidsgevoel voor ressentiment; roepingsbesef voor fanatisme. Het kenmerk van de revolutie is haar tweedimensionale geestesgesteldheid van oppervlakkige emoties met daaronder een constante, smeulende woede.

Neem bijvoorbeeld de persoon van Hugo Claus, schrijver van “Het verdriet van België”. Dit grootste stuk verdriet van België kenmerkte zich door veel dingen: vuilbekkerij, spot, blasfemie, pornografie, ressentiment en woede. Alleen niet door verdriet. Wel door weerzin. En deze weerzin keerde zich uiteindelijk tegen zijn eigen lichaam. Want de moderniteit vreet altijd zichzelf op. Claus kende geen verdriet. En hij kon daarom niet barmhartig zijn naar zijn opvoeding en naar het verleden toe. Enkel en alleen was er ook bij hem de smeulende woede die eindigde in smerige taal en die uiteindelijk bij hem de hand aan zichzelf deed slaan.

Hugo Claus was een duidelijk exemplaar van de tweedimensionale mens die er sinds Mei ’68 is opgestaan: een oppervlakte van frustratie die enkel en alleen diepte krijgt door de duistere diepten van vuiligheid en haat af te tasten en dit op te tuigen met een hoop overbodige informatie. Het resultaat: de moderne roman. Of de moderne column. Of iets dergelijks.

De generatie van Hugo Claus heeft ons doen willen geloven dat de strijd van ’68 de strijd was tegen het fascisme. Hoe lang zullen we dit nog geloven? Volgens Götz Aly, die als student een rol speelde in het Duitse Mei ’68, moeten we dit beeld bijstellen. Volgens hem week de vernietigingdrang van de Mei ’68 generatie niet af van die van de nazi’s enkele decennia eerder. In zijn boek, Unser Kampf 1968, merkt deze veteraan van “Mei ‘68” op dat er meer overeenkomsten waren tussen de neomarxisten van Mei ’68 en hun nationaal-socialistische ouders en grootouders dan men denkt. Hij noemt een aantal zaken waaronder het gemeenschappelijke streven naar tabula rasa. Een streven dat zich niets aantrekt van historie, traditie, natuur en religie. Integendeel, al deze genoemde zaken werden juist verdacht gemaakt en in een kwaad daglicht gesteld omdat deze zaken ontwikkeling en vooruitgang van inzicht in de weg zouden staan. Behalve dat Götz Aly de mythe ontzenuwt dat de naoorlogse generatie Duitsers de oorlog verzweeg, keert hij het om: juist de neomarxistische studentengeneratie verdrong de oorlog en legde daarentegen eenzelfde pathos aan de dag als de nazi’s deden: dwepen met nieuwe waarden om de oude te vernietigen. En ik voeg daar aan toe: om uiteindelijk ook de nieuwe waarden los te laten.

Mei ’68 heeft politiek, recht en cultuur losgeweekt van de fundamenten zonder daar andere waarden voor in de plaats te bieden. Men heeft oude waarden, zoals tolerantie, vrijheid en vertrouwen, ontdaan van de basis – ontdaan van de oorspronkelijke betekenis en inhoud. Waar voorheen deze waarden een positieve betekenis hadden, en slechts konden worden verstaan in de bedding van een Europese, christelijke cultuur, hebben de revolutionairen van Mei ’68 deze begrippen veranderd van waarden in anomalieën – onmogelijkheden. Eén zo´n anomalie van de moderniteit is die van het moderne vertrouwen.

De moderne maatschappij eist steeds meer grenzeloos vertrouwen van de burger in de systemen terwijl het natuurlijke fundament voor dit vertrouwen afneemt. De moderniteit vraagt immers steeds meer vertrouwen van de burger in de grote onpersoonlijke machten en processen? Zonder vertrouwen klopt ons systeem niet meer, ik verwijs hiervoor naar het werk van Niklas Luhmann. Maar het ongefundeerde vertrouwen is problematisch aan het worden.

De Nederlandse minister van justitie Hirsch Ballin heeft het geweten. In de nasleep van de discussie over de film “Fitna” van Geert Wilders toverde hij, zoals u misschien nog kan herinneren, opeens een notitie tevoorschijn waaruit zou moeten blijken dat Wilders van tevoren het kabinet had medegedeeld dat hij in zijn film ook pagina’s uit de Koran zou scheuren. Wilders was ziedend en zei dat hij zoiets nooit had gezegd. Volgens hem loog het kabinet. En een groot deel van de bevolking wist achteraf niet meer wie de waarheid had gesproken. De vele oproepen tot vertrouwen in politiek en bestuur en de afgedwongen overgave aan de machten van politiek en justitie blijken in onze tijd opeens geen basis meer te bezitten – ze zweven als het ware. Nog nooit is het vertrouwen van de Nederlandse burger in de politiek zo laag geweest. Mei ’68 heeft met haar vernietigende kritiek de basis van gezond vertrouwen vernietigd. Haar kritiek heef het volk structureel wantrouwend gemaakt. En dit wantrouwen keert zich nu tegen het postrevolutionaire establishment.

De tijger van Mei ’68 is gestorven. Haar erfenis bestaat uit twee dingen. Ten eerste het gebrul in het collectieve geweten van onze cultuur – ik heb dit reeds kort aangestipt. Ten tweede is er haar nalatenschap in de vorm van een machine: een machinegeweer. Het geluid van de moderniteit is een constant mitrailleurvuur. De generatie van Mei ’68 heeft een mitrailleur gebouwd die als een machine alles wat boven het maaiveld uitkomt, neer maait. Met een stelsel van politieke correctheid, gelijkheidsdenken en antidiscriminatiewetgeving heeft ze een mitrailleur ontwikkeld die constant haar schoten afvuurt op de samenleving. Door haar ressentiment van een politiektechnisch instrumentarium te voorzien, heeft Mei ’68 de tijger vervangen door een mitrailleur om zo de geschiedenis af te sluiten en op te heffen.

Politiek gezien bestaat het mitrailleurvuur uit de constante druk van gelijkheidsdenken, antidiscriminatiebepalingen, politiekcorrect denken op alle niveaus van ons bestaan. Technisch gezien bestaat het mitrailleurvuur uit bijvoorbeeld een medium als Internet dat al onze stappen onuitwisbaar maakt, en elke levensloop transparant kan maken.

Ik maak nu een omslag, en wel als volgt: Ik geloof steevast dat de machine van Mei ’68 ooit uit elkaar zal knallen. Links ondergraaft zichzelf namelijk voortdurend. Ze creëert een abstracte samenleving die slechts gedijt op grenzeloos vertrouwen, maar ondertussen ondergraaft ze zelf alle voorwaarden voor dat vertrouwen. En links roept voortdurend om de noodzaak van nieuwe gemeenschapsvormen, maar ondertussen ondergraaft ze elke voorwaarde voor elke vorm van gemeenschap. De vraag is dus niet òf de linkse machine zal ontploffen, de vraag is wanneer en of wij dat nog mee zullen maken. Want wij moeten natuurlijk wel overleven.

Met andere woorden: zijn wij in staat om het gebrul van de tijger in onze gewetens te doen verstommen, om onze verlamming te doorbreken, het krokodillengehuil te vervangen door echt verdriet en onze agenda niet meer te laten bepalen door het mitrailleurvuur van media en politiek? Zijn wij nog in staat om tegenover een linkse cultuur van ressentiment, ondankbaarheid en woede een tegencultuur te poneren van dankbaarheid, eer en verdriet? We zullen wel moeten, en de vraag is dan ook alleen: hoe?

Om te overleven en een begin te maken met het herstel zullen we ons moeten onttrekken aan de revolutie die nog steeds het straatbeeld domineert. De agressieve moderniteit met haar mitrailleurvuur brengt ons alleen maar op slechte ideeën. Ze put ons uit door onze hoop te vestigen op pamfletten, activisme en politisering. Ze daagt ons voortdurend uit om ons bloot te geven en ons via Internet ongeschikt te maken voor elke gang door de instituties. Rechts heeft een schreeuwend gebrek aan luwte. Hoe komen we aan deze luwte die ons denken weer op orde kan brengen?

Daarvoor keer ik terug naar het begin van mijn verhaal. Naar de begrafenis van het paleoconservatisme en dat van het traditioneel conservatisme door Claes Ryn en Paul Gottfried. Rechts is volgens hen dood omdat ze zich heeft laten verleiden door pragmatisme, doordat ze teveel is opgegaan in de waan van politiek en actualiteit, en door tal van andere redenen. Èn doordat ze lui is en het denken aan links overlaat en bovendien verstoken is van enige vorm van verbeeldingskracht waardoor onze kinderen alleen nog maar romans lezen van verbitterde lieden als Hugo Claus en consorten.

De Kritische Theorie van links is dan wel dood en begraven, maar ze heeft haar uitwerking niet gemist. En de cultuur is dan wel een lachertje geworden, maar we leven er ondertussen wel middenin. En de nieuwe generaties weten niet beter dan dat alles om hen heen normaal is en nooit anders is geweest en ook niet anders kan.

Professor Ryn wijst op de noodzaak van theorievorming en verbeeldingskracht. Rechts moet, volgens Ryn, haar huiver voor theorievorming overboord gooien. En we moeten nadenken hoe het komt dat de culturele inbreng van rechts in onze tijd nihil is. Waarom reageren we alleen nog, maar zijn we niet in staat om mensen te veranderen en ze ongeschikt te maken voor de revolutie?

Rechts bekeert geen mensen omdat ze het vermogen mist beslag te leggen op mensen. En om beslag te kunnen leggen op de moderne mens voeg ik nog een derde element bij de twee die professor Ryn reeds noemde, namelijk “gemeenschapsvorming”. Het intellectuele, het artistieke en het sociaal-emotionele leggen alle beslag op de mens. Maar het gaat om het integrale geheel waarbij de “gemeenschap” zowel onderdeel is als kader van het geheel. De glasheldere theorie, het vertrouwenwekkende van de gemeenschap en het intrigerende van de roman, leggen beslag, laten een indruk achter, smeden banden voor het leven.

Die gemeenschapsvorm is cruciaal. Want hoe doe je anders aan theorievorming als je geen academie hebt? Hoe doorbreek je een sfeer van provincialisme en activisme waarbij iedereen z’n eigen straatje veegt, maar waarbij geen enkel straatje nog naar Rome voert? En er dus geen culturele en ideologische synthese meer mogelijk schijnt?

Dat kan door een structuur op te zetten van virtuele koffiehuizen en virtuele discoursen die uitgroeien tot een netwerk van kleinschalige initiatieven. Want zowel het kunstwerk als de theorie hebben eenzelfde geboortegrond: een sterke cultuur van intellectuele vriendschap. Daar ontstaan de ideeën die in de vorm van romans en van theorieën vorm kunnen krijgen. Met als tussenstap een essayistisch klimaat.

Rechts zal zich moeten onderscheiden in een oefening die zowel het gewone leven omsluit als de kunsten. Om de brullende tijger in ons geweten het zwijgen op te leggen zullen we eindelijk eens schoon schip moeten maken met de ballast van ons verleden. En alleen een culturele en ideologische synthese verhindert een koelbloedige afrekening met dat verleden. Een cultuur van dankbaarheid en van echte emoties zal het tegen de cultuur van ressentiment moeten opnemen. En alleen door de politiek naar het tweede plan verwijzen, zullen we het geluid van het mitrailleurvuur stoppen.

Veertig jaar Mei ’68 vraagt dus om concrete stappen van ons. Ik hoop dat deze bijeenkomst daartoe zal bijdragen.

Ik dank u.

Bron: Bitterlemon

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