Ce que nous ne voulons pas voir, d’autres, qui nous regardent, le voient pour nous. Nous ferions mieux, tant qu’il en est encore temps, d’écouter ceux au-delà de nos frontières qui nous observent et ont de nous une image que nous refusons de voir. Si vous êtes une âme sensible, cet article ne sera pas pour vous. Si vous souhaitez dormir tranquillement, cet article n’est pas pour vous. Si vous souhaitez poursuivre votre rêve d’une économie saine où tout va bien, cet article n’est pas pour vous.
J’écrivais il y a quelques mois dans un article intitulé « Messieurs les Allemands, sortez les premiers » le texte suivant: « La fin du « business model » des États-providence Les Etats européens, en particulier français, sont bâtis sur l’idée d’Etat-providence. La « providence » signifie que le cours des évènements est issu de l’action bienveillante d’une puissance divine (généralement Dieu). En l’occurrence, la puissance divine qui veille sur nous de la crèche au cimetière, c’est l’État.
L’État qui, à travers les allocations familiales, les pensions de retraite, la sécurité sociale, Pôle emploi, le RSA, les aides au logement, la CMU, est là pour prendre soin de nous. À tous les niveaux, il existe des « amortisseurs sociaux ». La fin du business model de l’État-providence signifie la fin inéluctable de l’ensemble de ces aides. C’est cela la rigueur, sans la planche à billets pour l’adoucir. Or la société française, par son hétérogénéité, ne pourra en aucun cas supporter une cure d’austérité à la grecque. Nos zones sensibles vivent pour beaucoup de la solidarité nationale.
A cette problématique financière se rajoutent des problématiques communautaristes (cf. rapport officiel 2011 de l’Observatoire des Zones Urbaines Sensibles). Lorsque les tensions s’exacerbent, l’histoire humaine prouve que les modérés ne l’emportent jamais. Les fragilités de la société française ne sont pas celles de la société allemande. Pour notre pays, le coût social d’une austérité brutale risque d’être insupportable et de mener à des problèmes intercommunautaires insurmontables. »
Cet article date de décembre 2011. A cette époque, l’affaire « Merah » ne s’était pas encore produite. A cette époque, Nicolas Sarkozy était président de la République. A cette époque, nous refusions d’imaginer que la rigueur puisse devenir une réalité. Nous refusions ne serait-ce qu’un instant d’imaginer que la situation de la Grèce pouvait être un avant-goût de ce que nous pourrions connaître. Après tout les Grecs, eux, l’avaient bien cherché !
Le sociologique et l’économique sont indissociables Celui qui ne regarde dans l’économie que les chiffres, les statistiques financières, les cours de bourse ou même les niveaux d’endettement, ne pourra jamais avoir une vision pertinente d’une économie s’il ne s’intéresse pas aussi aux aspects sociologiques ou sociétaux. La situation économique syrienne était plutôt très favorable il y a encore quelques mois. Le prix de l’immobilier à Damas ou à Alep aurait surpris plus d’un Français par ses niveaux plus que comparables aux nôtres.
La guerre en Irak, qui a poussé de très nombreux Irakiens à l’exil, a fortement contribué d’ailleurs à cette augmentation des prix de l’immobilier. Aujourd’hui, la Syrie est un champ de ruines, un pays ravagé par la guerre civile. Les causes de ce chaos sont d’ordre sociologique et politique et l’économique y est pour bien peu de chose. Vous me direz sans doute « mais quel est le rapport entre la Syrie et la France ? » . Je vous répondrai: aucun, mais cela ne va pas vous rassurer longtemps.
S’il n’y a aucun strictement aucun rapport entre ces deux pays, il y a une constante historique applicable à toutes les nations du monde. Un pays est stable jusqu’à ce qu’il devienne instable et retrouve une stabilité. Il y a deux ans, Angela Merkel disait que le modèle du multiculturalisme était un échec. Exprimé par la Chancelière allemande, ces propos ne sont pas anodins. Loin de là. Ils sont mêmes porteurs d’une grande menace. L’affaire du film « L’innocence des musulmans » a remis le feu aux poudres et propulsé mondialement à la « une » de l’actualité les tensions interreligieuses qui secouent le monde.
La France a découvert pétrifiée que nous abritions sur notre sol quelques milliers de personnes qui ne partagent pas vraiment les idées et les valeurs républicaines qui sont les nôtres. Les salafistes se retrouvaient dès lors sous les projecteurs. L’affaire récente du massacre de deux jeunes gens à Echirolles près de Grenoble a montré à quel point d’ailleurs nos concitoyens d’origines étrangères sont ceux qui souffrent le plus d’un climat qui désormais devient délétère et étouffant. Certains habitants ont interpellé sans ambiguïté le président Hollande lors de sa visite éclair.
Lorsque je parle aux gens, je suis désormais sidéré par la montée des inquiétudes qui s’expriment ouvertement et transcendent l’ensemble des clivages politiques. Je suis également ahuri par la radicalisation de nos concitoyens. Cela signifie qu’il s’opère actuellement, dans notre pays, un vaste mouvement de repli communautaire. En caricaturant un peu les choses (mais à peine), les catholiques se sentent de plus en plus catholiques. De l’autre côté, les musulmans de plus en plus musulmans. Tous oublient qu’ils sont avant tout Français, enfants de la République.
Lorsqu’un Merah assassine froidement des militaires français, portant l’uniforme français, « physiquement issus de la diversité » (c’est l’expression qu’il faut utiliser pour ne pas utiliser le mot « noir » ou « maghrébin »), cela répond à la logique de « tuer du traître », tuer celui qui représente l’image de l’intégration à la République.
Par un effet de miroir, à l’autre bout de l’Europe et de l’échiquier politique, un Anders Behring Breivik qui commet la tuerie d’Oslo répond à une logique identique en tout point. Il faut tuer du socialiste, du tolérant, du gaucho-bobo. Lui aussi est le traître à la pureté du pays, puisqu’il accepte l’autre et l’étranger. Dans tout cela, seules les victimes changent. Les logiques funestes restent les mêmes.
J’étais encore jeune lorsque la guerre civile a embrasé les Balkans, quelques années après la chute du mur de Berlin. Mais je me souviens. Je me souviens des massacres, je me souviens d’expressions comme « épuration ethnique », « charnier ». Je me souviens d’un général français debout sur une Jeep disant à des femmes, des hommes et des enfants « nous ne vous abandonnerons pas ». Et je me souviens qu’ils ont été abandonnés. Nous avons même entendu « plus jamais ça, pas en plein milieu de l’Europe ». Et pourtant, cela a eu lieu. Mais nous avons voulu l’oublier.
Nous avons voulu croire que nous ne pouvions pas être « politiquement » serbes ou croates, exactement de la même façon que nous ne voulons pas croire que nous puissions être « économiquement » grecs. Seule une prise de conscience nationale nous permettra d’éviter le cauchemar. Notre avenir est de devenir économiquement grecs et politiquement serbes. Que nos amis serbes me pardonnent cette phrase. Qu’ils ne voient là aucun jugement. Je pense au contraire que nous ne sommes ni mieux ni moins bien et que l’histoire vécue là-bas est en tout point en train de se reproduire ici, chez nous, sous nos yeux inconscients et incrédules.
Alors que la crise menace d’emporter dans un trou noir l’ensemble de l’économie mondiale, qu’avant cela nous devrons passer sous les fourches caudines de la rigueur et de l’austérité, nous devons être conscients que notre avenir proche est plus similaire à celui de la Grèce qu’à un long fleuve tranquille. Nous devons être conscients des dangers qui se profilent à l’horizon et qui potentiellement peuvent faire littéralement voler en éclat la stabilité de notre pays, mais plus généralement de l’Europe.
Pour repousser ce danger, les bons sentiments ne serviront à rien. Ils sont mêmes fondamentalement contreproductifs. Il faut traiter deux aspects. Le premier est bien sur économique. Plus la richesse est présente et partagée, moins les tentations de haines peuvent se développer. Au sens politique du terme, l’austérité est un non-sens. Il faut traiter l’aspect politique et sociologique. Être français, ce n’est pas une couleur de peau. Être français, c’est l’adhésion inconditionnelle au socle de valeurs républicaines. Ces valeurs républicaines de tolérance, d’égalité et de laïcité doivent être défendues avec une force absolue. La République ne doit rien céder à quelques extrémismes que ce soit. Toute démission, tout manque de courage, nous rapprochera de l’abîme.
La réalité ? Toute démission aussi minime soit-elle peut mener à « l’épuration ». Les Suisses, eux, se préparent déjà à la guerre civile européenne. Alors ceux qui ne veulent pas voir, ceux qui pensent que tout le monde est gentil, ce qui croient que nous sommes meilleurs que tous les autres, ceux qui pensent que rien ne peut nous arriver, que la stabilité est éternelle, ne manqueront pas de me dire évidemment que je suis pessimiste. Alors qu’ils sachent qu’effectivement je partage le pessimisme de nos amis suisses.
Les Suisses, conscients de ces risques majeurs pour la stabilité politique de leurs voisins, ont lancé en septembre 2012 un exercice militaire de grande ampleur. Nom de code de ces manœuvres ? STABILO DUE. Scénario ? Suite à un effondrement économique majeur et à la montée des tensions intercommunautaires et interreligieuses, des grands voisins européens, membre de la zone euro, s’enfoncent dans la guerre civile. Des milliers de réfugiés tentent désespérément de trouver refuge en Suisse.
La Confédération Helvétique mobilise dès lors 200 000 réservistes afin de sécuriser ses frontières. Nous pouvons changer les choses Au siècle dernier, les gens de confession juive ont été pourchassés, massacrés, déportés. Nous pourrions ouvrir ce nouveau siècle par le même type d’acte. Si l’histoire se répète, ce n’est jamais de façon vraiment identique.
Mais vous l’aurez compris, et ce que je vais dire est choquant, mais le prochain « juif » pourrait être le « musulman ». Et ne me dites pas que c’est impossible. Tout concourt pour rendre plausible une telle éventualité. Ne me dites pas que c’est impossible en Europe. C’est exactement ce qui s’est passé voilà à peine 10 ans dans les Balkans.
Ne me dites pas que c’est impossible, puisque l’armée suisse se prépare à de telles hypothèses. Dites-moi comment pouvons-nous faire, ensemble, pour que cela n’arrive pas. Si vous niez le problème, si vous niez l’hypothèse, alors cela se produira. La stabilité de notre pays doit être élevée au rang de priorité stratégique absolue et l’intendance « économique » devra suivre.
Cela ne pourra se faire que dans un cadre national et d’un retour à une souveraineté totale. Lorsque nos intérêts vitaux seront en jeux, l’économie, les lobbys et les intérêts corporatistes seront balayés… comme en Syrie. Pour le moment, nous courrons tout droit à la catastrophe. Mais personne ne veut le voir.
Source : Economie Matin