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dimanche, 02 mai 2010

Pensée, parole, action dans la tradition indo-européenne

Pensée, parole, action dans la tradition indo-européenne

Jean Haudry

Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

La première partie de cette étude, fondée sur une série de travaux antérieurs de l’auteur, est consacrée à montrer, contre l’opinion qui a prévalu ces dernières décennies, que la célèbre triade avestique pensée, parole, action a des correspondants anciens, le plus souvent hérités, dans plusieurs autres traditions du monde indo-européen, et notamment en Grèce, où la triade figure dans un texte daté du VIIIe siècle, la « Grande Rhètra » de Tyrtée, dans les poèmes homériques et chez Hésiode. Ces correspondants sont restés inaperçus jusqu’à ce jour, en dépit de quelques indications remontant au XIXe siècle, parce que les formes les plus anciennes de la triade sont beaucoup plus libres, et donc beaucoup moins saisissables, que les formes les plus récentes, issues d’un processus de «cristallisation» déjà signalé dans l’une des premières études qui lui ont été consacrées: manifestement, la triade a été vécue et mise en pratique avant d’être formulée et bien avant que sa formulation ne se fixe. L’évolution est sensible de l’Avesta ancien à l’Avesta récent et, à l’intérieur de l’Avesta ancien, des Gâthâs au Yasna aux sept chapitres. Il est apparu d’autre part que la triade présente deux variantes principales: l’une dans laquelle le corps, ou, plus anciennement, l’un de ses constituants, tient la place de l’action (la «triade médicale» indienne, et ses parallèles germaniques), l’autre dans laquelle la vue tient la place de la pensée – à moins que ce ne soit l’inverse.

A partir de ces données a été effectuée une triple reconstruction.

1° Une reconstruction des formes par lesquelles s’expriment les termes de la triade. Elles sont assez unitaires pour la variante principale, dans laquelle les trois notions sont exprimées par les dérivés verbaux et nominaux des racines *men- «penser», *wekw- «parler», *werg̑- «faire», plus flottantes pour les variantes secondaires: il n’y a pas de désignation ancienne du corps, et l’on a supposé récemment que «voir» était le sens premier de la racine *men-, dont le sémantisme apparaît beaucoup plus complexe que celui des deux autres. Outre les formes, on reconstruit une «triade de la conformité» comportant pour chacun des termes une forme de la racine signifiant «adapter, ajuster», et une «triade héroïque» comportant le nom du héros. La triade se présente donc dans une situation intermédiaire entre celle des formules reconstruites réunies par Rüdiger Schmitt et celle d’un groupe de notions comme les «trois fonctions» de Georges Dumézil. De fait, la triade et ses variantes sont largement représentées dans les trois domaines – indo-iranien, grec, germanique – dans lesquels le formulaire traditionnel est bien conservé. On n’en connaît pas d’exemples latins. Il est en revanche un exemple slave dans le mythe du dieu printanier Jarilo, qui par l’éclair a donné à l’homme la pensée, par le tonnerre la parole, par la foudre à la fois le feu et l’éveil, «feu de l’action».

2° Une étude rétrospective de la transmission, envisageant les différentes possibilités, héritage, emprunt à l’Avesta, direct ou indirect (à travers la formule du Confiteor). Il en ressort que des attestations anciennes peuvent résulter d’un emprunt (la triade principale chez Héraclite) et qu’en revanche des attestations plus récentes sont attribuables à un héritage (la «triade médicale» dans les poèmes eddiques).

3° Une étude de la signification des termes reconstruits, de leurs rapports mutuels, et des rapports de la triade avec la société; il en ressort que la variante principale est liée à la «société héroïque» de la période des migrations qui met l’accent sur l’opposition entre la vérité (la loyauté, la fidélité) et le mensonge (la déloyauté, l’infidélité) dans les rapports entre le chef et ses compagnons, et sur le «choix» entre ces deux attitudes. De la provient la prédominance du couple parole (donnée) action. Mais le *ménos y trouve sa place, qu’il s’agisse de l’ardeur du guerrier ou de l’inspiration du poète. Une situation privilégiée est le rituel, où ces trois activités complémentaires ont été institutionnalisées. La variante pensée, parole, corps est devenue la «triade médicale».

La seconde partie montre que les cinq termes impliqués, les trois de la variante principale (pensée, parole, action) et les deux autres (corps, vue), sont étroitement liés au feu, en particulier, mais non exclusivement, à ses formes latentes: il y a un «feu de la vision», lié en partie au «feu du regard»; un «feu de la pensée»; un «feu de la parole»; un «feu de l’action»; et un assez grand nombre de «feux du corps», qu’il s’agisse du «feu de la vie» ou des feux de différents fluides corporels, comme le feu froid du phlegme. On y a joint un chapitre consacré aux «feux de la personne» rassemblant les diverses composantes sociales qui s’ajoutent à l’individualité, en premier lieu le lignage, et qui sont figurées sous la forme d’un «rayonnement» ou d’un feu: feu de la gloire, feu de l’autorité, feu de la fortune. Il y a aussi un «feu du lignage».

Outre les deux conclusions principales, l’antiquité de la triade avec ses variantes et leurs rapports avec le feu, un certain nombre de vues nouvelles ont été exposées chemin faisant:

L’interprétation par la triade du rôle de trois des quatre officiants majeurs du sacrifice védique, le brahman (pensée silencieuse), le chantre (parole chantée), l’officiant manuel (action physique); cette hypothèse concorde avec celle selon laquelle le hotar «oblateur» s’identifie initialement au sacrifiant laïc, et n’est donc pas un officiant et la comparaison avec le *gudjan germanique, désigné lui aussi comme «celui qui verse la libation». Cette tripartition fondée sur la triade se retrouve dans les Mystères d’Eleusis et dans les dénominations islandaises du magicien (§§ 1.2.10, 1.3.4, 1.7.2.4). La triade a eu tendance à s’institutionnaliser.

Le feu physique s’intériorise parfois pour produire l’une ou l’autre des formes du feu de la pensée (§ 3.7). Le tapas, spécifiquement indien, est issu d’un tel processus; mais, au départ, il doit s’agir de la transposition au prêtre du feu de l’action guerrière, beaucoup plus largement représenté (§ 3.4.7.9).

Les différents sens du vieil-indien púruṣa- (homme, géant primordial, pupille de l’œil, âme, feu latent des plantes) ont en commun un rapport direct ou indirect avec le feu, ce qui suggère de rattacher la forme à l’un des noms du feu (§§ 3.3.1, 5.6.3). Il en va de même pour un certain nombre d’autres noms communs de l’homme, du héros, et de noms propres de peuples. Le «feu de la victoire» et la «lumière du héros» sont des formes du feu de l’action (§ 5.5).

A partir du «feu de la parole», le Feu divin est à l’origine du théâtre en Inde, avec Bharata (= Agni) et en Grèce, avec Dionysos, ancien Feu divin «fils de Zeus» (§ 4.9).

Le Feu de la parole s’incarne dans plusieurs personnages mythologiques comme Narāśaṃsa dans l’Inde védique, Nairyō.saŋha dans l’Avesta, dont le nom signifie «proclamation qualifiante des seigneurs» et qui sont une forme du Feu divin du panthéon correspondant; une part de la mythologie du dieu scandinave Loki s’explique aussi par là (§§ 4.8.1 et 4.8.3).

Le genius latin est l’équivalent de l’agni jania «feu lignager» védique (§ 7.4.3).

L’*awgos est un éclat, cf. grec αὐγή « éclat solaire » (§ 7.6.6).

Le nom i.-e. du roi, *rēg̑-, est issu de composés dans lesquels la forme signifie «éclat» (§ 7.6.7).

Plusieurs concordances ont été relevées entre le domaine germanique et le domaine indien: l’homonymie des deux substantifs vieil-islandais bragr «art poétique» et «éminent» et la convergence entre Bráhmaṇas páti «maître de la formule» et Bŕ̥haspáti «maître de la hauteur» (§ 4.2.1); la légende de Thor et Loki et celle d’Indra et Kutsa (§ 4.8.3) ; le feu de l’installation sur un nouveau territoire (§ 3.5.4); le rôle du Feu divin dans la procréation (§ 6.4.1.6). Certaines s’étendent à l’ensemble indo-iranien, et au domaine grec: ainsi la correspondance entre la «Satire contre le noble», les syntagmes sur lesquels se fondent les théonymes Nárāśáṃsa, Nairyō.saŋha, et le nom propre grec Cassandre (§ 4.8.1.9), ainsi que la «triade médicale» précitée. Une concordance formulaire indo-grecque: l’adjectif védique suagní- «qui possède un feu bénéfique» et les Eupuridai (§ 7.3.1).

Ces quelques exemples donnent un aperçu de la fécondité de l’hypothèse proposée pour la reconstruction de la tradition indo-européenne.

Jean Haudry

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mardi, 27 avril 2010

Le monde du tantrisme indien

couple-01.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

Le monde du tantrisme indien

 

Analyse : Helmut UHLIG, Das Leben als kosmisches Fest.

Magische Welt des Tantrismus, Gustav Lübbe Verlag, Bergisch Gladbach, 1998, 304 p., ISBN 3-7857-0952-8.

 

Né en 1922 et décédé en 1997, Helmut Uhlig, historien de l’art, a été pendant toute sa vie fasciné par l’Inde. On lui doit des ouvrages remarqués sur des thèmes aussi diversifiés que la route de la soie, sur le Tibet, sur l’Himalaya, sur l’Anatolie, sur la Grande Déesse, sur le bouddhisme et le tantrisme, etc. Jochen Kirchhoff vient de publier son dernier livre sur le tantrisme, resté inachevé, en le complétant d’une postface remarquable, branchant les réflexes mentaux que nous enseignent les voies tantriques sur les acquis de la physique et de la biologie contemporaines.

 

Premier constat d’Uhlig : le monde occidental est atomisé, handicapé psychiquement. Les Occidentaux et les Asiatiques qui les imitent vivent désormais dans un monde d’illusions et de falsifications, où l’esprit de carrière, l’envie, l’obsession de l’avoir et l’orgueil tiennent le haut du pavé. Il écrit (p. 9) : «…l’homme a perdu son fonds originel (Urgrund) religieux et noumineux, est victime d’une attitude purement matérialiste et pragmatique, qui domine le monde occidental, qui a ses racines intellectuelles dans cette vita activa, issue de l’esprit greco-romain et du christianisme paulinien». Exactement comme Evola, il constate que ce double héritage de l’hellénisme (qui n’est pas la Grèce dorienne des origines, précisons-le ! !) et du paulinisme distrait dangereusement l’homme, qui devient incapable de saisir le noumineux : «Ce sont des éléments que nous pouvons considérer comme des représentations originelles de l’esprit et de la dignité humains qui, au cours des millénaires, n’ont rien perdu de leur force, de leur signification et de leur pouvoir fondateur de sens. Nous les résumons sous le concept de “tantrisme”, un concept encore et toujours mystérieux, à la fois magique et cosmique» (p. 10). Le tantrisme est donc la religiosité qui se réfère immédiatement au “vécu primordial” (Urerlebnis), et n’est nullement cette pâle caricature que certains tenants du New Age et de la spiritualité de bazar en font. Le boom ésotérique de ces récentes années a fait du vocable “tantrisme” un article de marché, une fadeur exotique parmi tant d’autres. Ceux qui l’emploient à tort et à travers ne savent pas ce qu’il signifie, n’en connaissent pas la profondeur.

 

«Je vais tenter dans ce livre d’aborder et de révéler le tantrisme comme un phénomène cosmique, comme l’un des vécus primordiaux de l’homme. Ce qui est nouveau dans mon approche du tantrisme, c’est que je ne vais pas le réduire à ses manifestations historiques, comme celles qui nous apparaissent dans l’espace culturel indien et himalayen mais je vais poser la question des origines et de la puissance de la pensée et du vécu tantriques. Car je crois que, dans le tantra, se cache l’un des phénomènes primordiaux de l’Etre de l’homme. Ainsi, mon texte est une tentative de retrouver la trace de ce phénomène primordial et de sa constitution cosmique, de la rendre visible, car, dans les dernières décennies du deuxième millénaire, elle acquerra une importance toujours croissante et une puissance réelle, y compris pour le monde occidental» (p. 11). Ensuite, il précise son approche du noumineux : «Il existe des aspects de la réalité qui ne sont ni spatiaux ni temporels. Ils n’ont pas de dimension historique. Ils agissent (wirken), mais restent pour nous invisibles, ils viennent du Tout, du cosmos, et sont reconnaissables de multiples manières» (p. 19).  

 

C’est en 1960 que Helmut Uhlig débarque pour la première fois en Inde. Le Brahmane qui le reçoit et le guide lui déclare, quelques jours après son arrivée : «Nous les Indiens, nous sommes assez tolérants. Le mot de Yahvé qu’on trouve dans la Bible : “Tu n’auras pas d’autres Dieux que moi”, personne ne le comprend ici. Et personne ne le suivrait d’ailleurs, vu le très grand nombre de Dieux qui sont enracinés dans la psyché de notre peuple. C’est aussi la raison pour laquelle les missionnaires chrétiens ont à peine été acceptés en Inde» (p. 14). Le culte de Shiva et des autres divinités indiennes prouve combien profondément enracinée dans l’âme hindoue est la propension “à être toujours bien disposé à l’égard de tous les Dieux à la fois, à ne pas se couper d’eux” (p. 21). D’où la religiosité tantrique repose sur une acceptation du monde tel qu’il est dans sa pan-imbrication (Allverflechtung), où monde visible et invisible sont unis par mille et un fils (de tapisserie). Uhlig en conclut que des éléments tantriques ont été présents dans toutes les religions primordiales. Mais cette idée centrale de pan-imbrication de tout dans tout est difficile à expliquer et à comprendre, surtout pour les Occidentaux, habitués à penser en termes de césures et de cloisonnements. Le terme “tantra” lui-même dérive d’une racine étymologique, tan, qui signifie “élargir”, “accroître en dimension et en étendue”. Quant à tana, cela signifie tout à la fois “fils” (au pluriel) et “étendue”. Tantawa signifie “fait de fils”, “tissé”. Le tantrisme indique donc ce qu’est la texture du cosmos : un tapis immense fait de milliards et de milliards de fils (p. 28).  Uhlig : «Nous ne pouvons comprendre et juger correctement le tantrisme que si nous nous libérons de l’emprise des commandements et des principes qui nous sont conventionnels et que l’Etat et la religion ont imposés chez nous depuis la fin du moyen âge. Les critères de valeurs que nous a transmis le christianisme clérical, notamment la doctrine des catégories du bien et du mal, du moral et de l’immoral, troublent notre regard et le grèvent de préjugés, ne nous permettant pas d’entrer dans le monde tel que le saisit et le réalise le tantrisme. Cela vaut surtout pour le jugement que porte l’Occident sur la sphère sexuelle, ses formes d’expression et ses pratiques. Les relations sexuelles entre les personnes ne sont soumises à aucun tabou dans le tantrisme, car elles y sont considérées comme des fonctions centrales et naturelles, qui sont effectivement traduites en actes. Pour la plupart des auteurs occidentaux, qui ont écrit sur le tantrisme depuis une centaine d’années, la sexualité tantrique a suscité d’âpres critiques, formulées dans une terminologie chrétienne, dévalorisant tout ce qui touche à la sexualité. Ainsi, le tantrisme a été dévalorisé sur le plan éthique, ses cultes ont été diabolisés ; les textes critiques des Occidentaux ne tentaient même pas de comprendre le contexte du tantrisme» (pp. 26-27). Cela vaut également pour le contre-mouvement, où une mode pro-tantrique, portée par des oisifs californiens ou des décadents des beaux quartiers de Londres, a superficialisé les dimensions sexuelles, les faisant basculer dans un priapisme vulgaire et une pornographie bassement commerciale. Le tantrisme ne vise nullement à favoriser une promiscuité sexuelle de nature pornographique, à transformer la Cité en lupanar, mais, plus fondamentalement, à appréhender les secrets les plus profonds de la conscience humaine. Uhlig rend hommage au premier Européen, Sir John Woodroffe (alias Arthur Avalon) qui a traduit et explicité correctement les textes tantriques, si bien que les Indiens adeptes du tantrisme le considèrent comme un sauveur de cet héritage.

 

Les pratiques tantriques ont un lointain passé, affirme Uhlig, y compris hors d’Inde. La religiosité visant à appréhender les plus profonds secrets de l’âme humaine se retrouve partout : elle a été occultée par le christianisme ou la modernité. Ainsi, pour Uhlig, est tantrique le mythe sumérien d’Inanna et Tammuz, où une hiérogamie est réalisée au sommet d’un zigourat à huit niveaux (dans bon nombre de traditions, sauf dans le judaïsme pharisien et le christianisme, le “8” et l’octogone indiquent l’harmonie idéale de l’univers ; cf. le château de Frédéric II de Hohenstaufen, Castel del Monte, les Croix de Chevalier inscrites dans un motif octogonal de base et non sur la croix instrument de torture, les plans des églises byzantines, de la Chapelle d’Aix/Aachen ou de la Mosquée El-Aqsa à Jérusalem, le Lotus à huit feuilles de l’initiation à la Kalachakra ou “Roue du Temps”, la division de l’orbe terrestre en quatre fois huit orientations chez les navigateurs scandinaves du haut moyen âge ; pour Marie Schmitt, la religion pérenne privilégie l’harmonie du “8”, les religions coercitives et messianiques, le “7”).

 

Revenons au mythe d’Inanna et de Tammuz. Dans la chambre hiérogamique se trouvent simplement un lit, avec de belles couvertures, et une table d’or. Il n’y a pas l’image d’un dieu. L’essentiel du culte vise la préservation et la revitalisation de la fertilité. Ce culte a frappé les Israélites lors de la captivité babylonienne, ce qui s’est répercuté dans le texte du fameux “Chant des Chants”, où, en filigrane, il ne s’agit nullement de Yahvé, mais bel et bien d’une hiérogamie, tendrement sexuelle et sensuelle. Martin Buber l’a traduit, restituant sa signification originelle, au-delà de toutes les traductions “pieuses”. Pharisaïsme et christianisme paulinien/augustinien s’ingénieront à occulter ce “Chant des Chants”, joyeuse intrusion pagano-tantrique dans l’Ancien Testament. Ainsi, en 553, lors du deuxième concile de Constantinople, Théodore de Mopsuestia, interprète “sensuel” du “Chant des Chants” est banni, son interprétation ravalée au rang d’une hérésie perverse. «… les zélés pères de l’église ont tout fait pour combattre les interprétations mystiques du “Chant des Chants” : à leur tête Origène, suivi plus tard de Bernard de Clairvaux, de Bonaventure et de François de Sales, qui ont rivalisé pour en donner une interprétation dépourvue de fantaisie, fade» (p. 71). «Ici se révèle l’un des fondements de l’attitude anti-naturelle du christianisme, qui détruit l’holicité des sens et de l’Etre, qui débouche sur un ascétisme qui condamne les corps, et auquel l’église tient toujours, puisqu’elle continue à imposer le célibat des prêtres. Non seulement cela a conduit à faire perdre toute dignité aux prêtres, mais cela a rejeté la femme dans les rôles peu valorisants de la séductrice et du simple objet de plaisirs. La dégénérescence de l’antique union sacrée des corps, don de soi à l’unité mystique, dans la vulgaire prostitution en est le résultat, car la femme n’est plus considérée que comme une prostituée» (p. 71). En revanche, Inanna/Ichtar était la déesse des déesses, la reine et la conductrice de l’humanité entière. Ce passage du rôle primordial de “déesse des déesses” à celui de vulgaire prostituée constitue le fondement de l’âge sombre, du Kali Yuga. Il y a assombrissement parce que le culte de la Reine Conductrice est progressivement ignoré, parce qu’il n’y a plus d’hiérogamie sacrée possible car tout accouplement est désormais démonisé.

 

Enfin, après avoir exploré le tantrisme dans toutes ses dimensions, Uhlig rend hommage à Plotin (pp. 214-222). Plotin était également opposé à la gnose et au christianisme, rejetant leur “religiosisme”, leurs simplismes de “croyeux”, hostiles à la philosophie grecque. Plotin commence sa quête en 233, année où il rencontre le philosophe Ammonios Sakkas, dont il sera l’élève pendant onze ans. Pendant cette période, à Alexandrie, il entre en contact (tout comme Origène !) avec des représentants de la spiritualité persane et indienne. Leurs enseignements le fascinent. Si bien qu’il veut aller à la rencontre de leur culture. Il suit l’Empereur Gordien III dans sa campagne contre les Perses, espérant atteindre leur pays et découvrir directement leur religion. Uhlig écrit à ce propos (p. 218) : «L’historiographie de la philosophie en Europe n’a consacré que trop peu d’attention à ce fait et n’a jamais étudié l’influence indienne sur la philosophie de Plotin». Gordien III est assassiné en 244 sur les rives de l’Euphrate par un de ses généraux. Plotin doit fuir vers Antioche puis vers Rome. Son enseignement influence la famille impériale. Il est holiste comme sont holistes les enseignements tantriques. Ses Ennéades évoquent une Gesamtverwobenheit (un tissage cosmique), très proche de la vision tantrique originelle. L’élimination violente des filons néoplatoniciens et plotiniens dans la pensée européenne a commencé par l’horrible assassinat d’Hypathie, philosophe néoplatonicienne d’Alexandrie, par une foule de chrétiens furieux et délirants qui ont lacéré son corps et en ont traîné les lambeaux dans les rues. Elle se poursuit par l’occultation systématique de ces traditions dans nos principaux établissements d’enseignement. Cette élimination est aux sources du malaise de notre civilisation, aux sources de notre nervosité et de notre cinétisme insatiable, de nos désarrois, de notre incapacité à nous immerger dans l’organon qu’est le monde. La tradition néoplatonicienne chante, comme les filons panthéistes et pélagiens celtiques, la “merveilleuse variété” du monde et de la nature (poikilè thaumatourgia). «Il y a aussi des dieux dans la cuisine», disait Héraclite à des visiteurs inattendus, qui l’avaient trouvé près de son feu, sur lequel cuisait son repas.

 

Dans sa postface, Jochen Kirchhoff nous rappelle les exhortations de David Herbert Lawrence dans son plaidoyer pour les religiosités païennes et cycliques, intitulé Apocalypse (1930). Pour Lawrence, il fallait retourner à la cosmicité, raviver nos rapports avec le cosmos. Ensuite, Kirchhoff rappelle les tentatives de Nietzsche de restaurer les dimensions extatiques et dionysiaques de l’Etre pour les opposer au christianisme, ennemi de la vie. L’Etre doit être une “fête cosmique”, entièrement, sans partage, sans dualité.

 

Kirchhoff explore ensuite toutes les possibilités de restaurer la vision tantrique du monde (la pan-imbrication) via les pratiques sexuelles, complétant et actualisant ainsi La Métaphysique du sexe et Le Yoga tantrique d’Evola. Il salue un ouvrage à succès de Margo Anand dans les milieux “New Age” (The Art of Sexual Ecstasy. The Path of Sacred Sexuality for Western Lovers) mais constate rapidement les limites philosophiques de la démarche de cet auteur. Le New Age a produit peu de bonnes choses en la matière. Le travail de Margo Anand est bon, écrit Kirchhoff, utile pour une thérapeutique sexuelle, mais reste superficiel, ne permet pas un approfondissement philosophique et métaphysique. Quant à l’Américain Franklin Jones (alias “Da Free John”, “Da-Love Ananda” ou “Adi Da”), il a poussé la caricature du tantrisme jusqu’au ridicule (cf. son ouvrage le plus connu : Dawn Horse Testament). Finalement, le freudo-marxiste Wilhelm Reich a élaboré une théorie et une thérapeutique de l’orgasme plus valable (Kirchhoff est moins sévère qu’Evola), car sa vision de la bio-énergie ou orgon était au moins omni-compénétrante. Kirchhoff souligne toutefois bien la différence entre les rituels sexuels tantriques et l’obsession moderne de la performance (orgasmique ou non, mais toujours multi-éjaculatoire).  Car, dit-il, «il existe des rituels tantriques qui freinent effectivement l’orgasme féminin comme l’orgasme masculin, visant de la sorte une prolongation contrôlée ou un retardement de celui-ci pour atteindre des objectifs (spirituels) supérieurs ou pour obtenir un accroissement du plaisir» (p. 278). En effet, poursuit-il, l’orgasme et/ou l’éjaculation masculine mettent un terme à l’étreinte sexuelle, limitant la durée du plaisir et des caresses partagés. Retenir ses énergies (et son sperme) permet de jouir du plaisir sexuel et de donner à la femme davantage de joie. C’est dans cet exercice, cette ascèse (ce yoga), que réside la qualité inégalée du tantrisme sur le plan sexuel, le hissant très au-dessus du stupide priapisme rapide et bâclé que nous servent les médias contemporains, véhicules de la pornographie populaire.    

 

Mais c’est dans la physique moderne que Kirchhoff place ses espoirs de voir réémerger une vision tantrique de l’univers. Depuis la consolidation de la physique quantique, le monde apparaît à nouveau comme “pan-imbriqué”. Dans les colonnes d ’Antaios, Patrick Trousson avait déjà démontré l’étroite similitude entre les acquis de l’antique mythologie celtique et ceux de la science physique actuelle. Kirchhoff répète ces arguments, citant Carl Friedrich von Weizsäcker (Zeit und Wissen, 1992), Frithjof Capra (Le Tao de la physique), le physicien indien Amit Goswami (qui a comparé la philosophie du Vedanta et les acquis de la nouvelle physique), le théoricien systémique Ervin Lazslo, le biochimiste Rupert Sheldrake, etc. L’essentiel dans cette physique est de refuser les dualismes segmenteurs, de réfuter les pensées de la césure.

 

En philosophie, Kirchhoff cite l’Américain Ken Wilber (Eros, Kosmos, Logos. Sex, Ecology, Spirituality), qui lutte contre tous les réductionnismes et les dualismes. Wilber est influencé par le bouddhisme tantrique, mais aussi par les Vedanta.

 

Le livre d’Uhlig nous dévoile de manière très didactique tous les aspects de la merveilleuse vision du monde tantrique. La postface de son ami Kirchhoff nous ouvre de très larges horizons : en physique et en philosophie. La lutte d’Uhlig (et la nôtre…) contre les mutilations de la pensée n’est pas terminée. Mais nos adversaires doivent désormais savoir une chose : nos arsenaux sont mieux fournis que les leurs…

 

Detlev BAUMANN.  

 

mercredi, 14 avril 2010

Forme della personalità umana nell'Ellade

Forme della personalità umana nell’Ellade

Autore: Nuccio D'Anna

Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

leonida.jpgUno degli aspetti più caratterizzanti nello studio dell’Iliade e dell’Odissea è la scoperta delle modalità da parte di tutti i personaggi che hanno un rilievo narrativo, di “entrare” in se stessi e di dialogare non solo con gli dèi che si svelano in ogni aspetto dell’accadere umano, ma anche di scrutare i propri sentimenti, di “guardare” il vasto mondo che si muove nella vita interiore. E’ una realtà particolare, non facilmente rinvenibile in altre civiltà antiche e tale da spingere alcuni studiosi del mondo ellenico ad ipotizzare una particolare capacità percettiva, probabilmente caratterizzante l’intero popolo ellenico, tesa a dare significato al senso vivo della personalità umana che già alle origini di quella civiltà ne ha reso unica la visione del mondo.

Agli albori del mondo ellenico l’uomo rappresentato da Omero ci rivela immediatamente quello che è stato definito “il suo vigile e chiaro pensiero“, una speciale capacità di guardare il mondo in modo impersonale pur avendo consapevolezza del valore del proprio Io in quell’atto essenziale, e poi di esprimere un giudizio che tiene conto contemporaneamente della realtà esteriore, della libertà insita in ogni scelta, del fatto che ciò che ne sostanzia il significato è la persona del singolo, l’uomo libero. Per esprimere questa tendenza profondamente connaturata, gli Elleni usavano il termine εύλάβεια = “circospezione”, “cautela”, che invitava ad un atteggiamento di prudente azione, di misurato rapporto prima con gli dèi, poi con il vasto mondo, infine con la comunità degli uomini. Un atteggiamento profondamente vissuto di misurato equilibrio rendeva ogni Elleno incapace di mostrare una eccessiva espansività e dava forza ad ogni loro atto nel quale si riteneva che i sentimenti dovessero dimorare come la sostanza dell’agire umano.

E’ la tragedia greca che rivela questo aspetto particolare del vivere. Qui l’uomo è continuamente messo di fronte a se stesso, alla grandiosità di sentimenti in grado di abbracciare il vasto mondo, ad emozioni che molto spesso sembrano caricarsi di un peso insopportabile, ma che nel punto in cui il protagonista li incanala nell’alveo della tradizione e li articola nella complessa sua vita interiore, risultano essenziali per la valorizzazione di sé, diventano la base per capire il significato del mondo e lo stesso “agire” degli dèi.

Nella stessa poesia lirica i vari poeti manifestano per la prima volta un senso della propria individualità che è un segnale della vivacità intellettuale di quel tempo. Essi parlano di sé, fanno persino conoscere il proprio nome, “esistono” come persone individuabili, con aspirazioni e ideali che differenziano ognuno di loro dagli altri e li caratterizzano come individui coscienti di una personalità irripetibile. Non basta dire che la lirica greca è strettamente legata a forme poetiche pre-letterarie, forse derivate dalla tradizione compositiva scaturita dal mondo del sacro, le cui radici affondano nei canti dei danzatori sacri, nei peana che arricchivano la vita rituale dei vari santuari, oppure nelle stesse canzoni popolari e contadine “ordinate” attorno a ritmi di un mondo antichissimo, tutto un insieme tradizionale che, come ha fatto notare Louis Gernet, costituiva l’elemento fondamentale della vita rituale del primitivo mondo ellenico. Quando la poesia lirica giunge al suo momento di maturità, l’individualità del poeta è chiara, non c’è nessuna possibilità di confondere le poesie di un Alceo con quelle di Saffo, le nitide descrizioni di un Anacreonte con quanto scrivono Bacchilide, Simonide o Stesicoro. Ognuno di loro canta ciò che lo distingue dagli altri e lo rende unico, irrepetibile; il canto è il frutto di una individualità che esprime un mondo interiore e un fluire di sentimenti assolutamente “personale”. La coscienza della propria personalità e del proprio mondo interiore non solo è chiaramente affermata, ma diventa il segno distintivo capace di valorizzare ogni uomo, anche coloro che ascoltano solamente questi canti, ognuno vi ritrova aspetti fondanti della propria vita interiore. Non c’è destino o fato che possa impedire all’Elleno di attingere a questo suo pulsare interiore, dove i sentimenti, gli impulsi e i valori tradizionali sono vissuti secondo modalità irripetibili, si incontrano, danno vita alla personalità individuale, ad un essere umano “completo”.

La grande filologia dell’Ottocento riteneva che nei due grandi poemi delle origini elleniche la coscienza dell’Io fosse poco evidente, qualcuno addirittura ne negava la presenza anche se l’ira di Achille, il ruolo di Ulisse, quello di Patroclo, di Ettore e di tanti altri sembravano smentire con ogni evidenza queste affermazioni, verosimilmente scaturite da una visione evoluzionistica della vita incapace di ammettere che poemi tanto antichi contenessero già tutto ciò che i filologi positivisti ritenevano caratteristico dell’uomo razionale ed “evoluto”, insomma, “moderno”. Ma la primitiva esperienza filosofica greca, la lirica, la tragedia e la stessa commedia ci dicono che la percezione dell’Io per l’Elleno era un fattore essenziale del suo modo di vedere l’universo, di percepire la vita del cosmo, di sperimentarne i ritmi, di guardare con un occhio che andava a penetrare lo stesso significato del vasto mondo.  Da ciò la varietà di termini, tipica del vocabolario ellenico, per esprimere l’atto del “vedere”, verbi che da una percezione puramente fisica a poco a poco ci trasportano in un ambito carico di significati astratti,  poi di simboli, di valori, di spiritualità. L’Elleno classico riteneva che questo suo sentimento dell’Io doveva essere vissuto fino in fondo, percepiva una distanza incolmabile fra ciò che lo caratterizzava in modo irripetibile e gli uomini che vivevano attorno a sé e sperimentavano un identico sentimento della propria specificità. Non concepì l’Io come un limite da controllare o da sopprimere, ma come un valore fondamentale capace di rendere irripetibile la stessa esistenza, caratterizzante anche le personalità divine, persino il modo di essere degli stessi dèi olimpici.

La tragedia ci rappresenta spesso un personaggio-eroe di fronte all’enigma di  sconosciute potenze estranee alla propria vita quotidiana che vorrebbero condizionarne l’esistenza, obbligarlo a scelte non appartenenti alla sua interiorità, al suo naturale atteggiarsi come un essere libero posto di fronte al vasto mondo. In questi momenti l’Elleno attinge al suo Io che “vuole”, alla volontà di determinare la stessa esistenza, di restare fedele al destino che gli è stato assegnato, di non abbandonarsi, di esigere da sé non solo il totale controllo della propria vita, ma anche di affrontare la morte, il momento ultimo dell’esistenza, con la consapevolezza di aver vissuto l’”attimo” irripetibile che è l’essere se stessi forgiando il proprio capolavoro, la propria esistenza. Per questo la sua appartenenza alla polis, ad una comunità completa ed organica, non diminuiva il senso dell’Io, il valore assegnato ad una interiorità ricca e variegata, ma si riteneva che la persona umana e la “ricchezza” di valori che ne distingueva il modo di essere, doveva essere in grado di completarsi nella vita sociale, non di spegnersi o annegare in un  “collettivo statale”.

Questo spiccato senso dell’Io ha una particolarità: il differenziare il soggetto da  un oggetto posto fuori da chi contempla la natura con sue leggi specifiche, non assimilabili a quelle dell’uomo, comporta la capacità di interpretare le leggi di quel mondo, di enucleare una loro formulazione, di astrarre dall’esperienza unica ed irripetibile del singolo delle definizioni logico-razionali che ne dovranno fare capire il significato e le costanti valide non solo per chi ha sperimentato questa capacità, ma anche per coloro che non ne sono consapevoli e restano ai margini della sua ricchezza analitica e descrittiva. Nasce la volontà di astrarre concetti logici, e dunque leggi valide universalmente quand’anche non se ne sappia comprendere il processo costruttivo. La filosofia e la scienza ellenica, il primo risultato di questa attitudine astrattiva, presuppongono un Io che analizza, si pone come soggetto riflessivo che astrae dall’esperienza contenuti ormai spesso persino estranei all’etica e al mondo del sacro. Affiora la prima esperienza di un pensiero laico.

Nella civiltà ateniese che raggiunge il sua apogeo al tempo di Pericle, la consapevolezza del valore della libertà umana è piena e condivisa. La libertà viene considerata un valore oggettivo al quale non è assolutamente possibile rinunciare se non perdendo la propria identità di uomo. E tuttavia Pericle non teme di proclamare che il limite di questa libertà sta nelle leggi che strutturano l’ordinamento giuridico e danno definizione appropriata alla libertà civica, che indirizza ognuno ad essere non solo un uomo libero, ma un cittadino libero che assieme ad altri suoi eguali esercita il proprio diritto. Il rischio di un ordinamento politico come quello dell’Atene del V secolo era che nel punto in cui cessava di essere tutelato da una personalità eccezionale come quella di Pericle, si potevano verificare forme di sfaldamento verso un individualismo esasperato che poteva condurre non solo alla decadenza dello stato, ma al suo diventare preda di avventurieri affascinanti. E’ quello che accadde alla morte di Pericle nella temperie particolare succeduta alla fine delle guerre peloponnesiache, la “guerra civile” del mondo ellenico che condusse gradatamente alla perdita della libertà e alla sottomissione all’impero macedone.

La consapevolezza del valore dell’individualità umana, il dovere di agire secondo coscienza e in piena libertà, non porta l’Elleno a staccarsi dai valori religiosi che ne sostanziano l’esistenza e nel quotidiano arricchiscono la sua vita comunitaria, i ritmi della convivenza cittadina. Quella “legge divina” il cui valore fu potentemente tratteggiato nelle tragedie di Eschilo, attraversa ogni aspetto della vita del singolo e della comunità cittadina (“tutte le leggi umane traggono nutrimento dall’unica legge divina”, egli ci dice), e non c’è abitante della Grecia arcaica, dal più umile dei contadini al più arrogante dei governanti che non ne sia stato consapevole.

Anche se i Sofisti cercarono con i mezzi della dialettica e con una parola onnipervadente di fare sperimentare una diversa dimensione dell’Io completamente staccata dai valori tradizionali; anche se molti membri dell’élite nobiliare ateniese pensarono di aderire a questa nuova realtà capace di svincolare l’Io da ogni legame rituale, di appartenenza o di eredità, la gran parte degli Elleni non si riconobbe in questa nuova predicazione che commisurava ogni cosa alla capacità di persuadere con la parola, di ammaliare, di rendere non significante ogni valore, il vivere individuale e la stessa comunità cittadina tutta. In un’epoca nella quale sembrava trionfare la ricchezza e il potere, Socrate volle ricordare che i valori reali non stavano nell’apparenza e nell’arbitrio individuale, ma nel valore che l’uomo assegnava a se stesso. Socrate valorizza il sentimento dell’Io in rapporto all’interiorità umana, alla ricchezza che riteneva di trovare nell’animo umano e alla possibilità di scoprire il Bene come un elemento essenziale e assolutamente primario nella vita dei singoli e della realtà comunitaria. Certo, il suo insistere nel dialogo con tutti per cercare quella che sembrava l’irraggiungibile verità, poteva farlo sembrare simile ai Sofisti, apparentarlo al loro modo di essere, alla loro sfrenata dialettica, e Aristofane non mancò di ridicolizzare questi aspetti del metodo educativo di Socrate. E tuttavia la sua ricerca ha un fine, mira a stabilire una precisa condizione interiore dell’uomo, a fare emergere una certezza nella quale il Bene si identifica con la coscienza dell’uomo retto. E’ una scoperta dalle conseguenze importanti che Platone non mancherà di sviluppare. Il giusto non può più sottrarsi alla verità che affiora nella propria anima, una verità che vive della certezza di azioni pure e rette, si alimenta nel rispetto della propria interiorità, si nutre di una giustizia non più delegata alle istituzioni, ma resa viva da una vita vissuta come conformità al Vero e al Bene. La grandezza della morte di Socrate, il Giusto che affronta il proprio destino pur nella consapevolezza della sentenza ingiusta decretata da un tribunale ostile e di parte, conclude una vita vissuta secondo giustizia e senza tentennamenti: l’ingiustizia (=la fuga dalla prigione preparata dai suoi discepoli) non può sostituire l’altra ingiustizia, quella che hanno orchestrato i suoi nemici condannandolo a morte. Socrate dimostra con la propria morte accettata consapevolmente e con virilità, che il rispetto delle leggi della patria non deve ridursi ad un atto esteriore “obbligato” dalla forza dello stato, ma è un “modo di essere” scaturente da una forma interiore, dalla consapevolezza che il Giusto coincide con il Bene e dimora nell’animo dell’”uomo nobile”. La legge non è una norma empirica creata per regolamentare una astratta comunità, ma è la “forma formante” della vita degli uomini liberi. L’uomo che vive della propria ricchezza interiore, si nutre di un’etica capace di rendere la vita degna di essere vissuta, non può eludere il richiamo della giustizia. Anche quando ogni cosa parrebbe giustificare la trasgressione e gli altri uomini approverebbero.

E tuttavia, per quanto attento al valore della persona, alla ricchezza dell’interiorità umana, alla consapevolezza che ogni uomo vive in rapporto con una comunità cittadina, in Socrate non troviamo una compiuta dottrina dello Stato e dei rapporti fra i cittadini. Pur nella viva e straordinaria attenzione al senso della comunità e al valore delle leggi comunitarie che l’uomo libero ha scelto, non c’è in Socrate una dottrina dello Stato, almeno non ne è rimasta traccia nelle testimonianze arrivate fino a noi. La sua attenzione al Bene come valore essenziale che giustifica il significato dell’esistenza umana, non si traduce in una riflessione compiuta sul “bene comune”, sulla società e le sue istituzioni.

L’arcaica società ellenica era arrivata alle forme di vita nella polis dopo un lungo processo che aveva trasformato antichissime tradizioni cui erano legati tutti i popoli dell’Ellade. Al centro della vita familiare troviamo il padre che nell’età arcaica copriva aspetti pontificali connessi alla sua funzione di sacerdote domestico. La madre, invece, era la garante della perpetuità del recinto familiare, del prolungamento nel tempo della famiglia, non una somma di individui legati da sentimenti, ma un tipo particolare di confraternita sacra diretta dal capo-famiglia che ne officiava i riti ancestrali conservati con cura e gelosamente custoditi e trasmessi da padre in figlio. Più all’esterno c’era il genos, costituito da tutti i “rami” che praticavano lo stesso rituale e spesso si riunivano attorno ad una tomba-ara gentilizia. La tribù riuniva una serie di genos attorno ad un culto unitario che veniva celebrato da tutti i membri nell’anniversario dell‘eroe eponimo. Quando le tribù elleniche cominciarono ad urbanizzarsi è evidente che tali ordinamenti poggianti su strutture gentilizie e familiari, non potevano più reggere e fu necessario un riadattamento sfociato in quella particolare struttura sociale da Aristotele definita il governo dei “liberi governati”.

Hoplites.jpgLa prospettiva politica di Aristotele muove dalla constatazione che l’organizzazione statale è la condizione stessa del vivere civile. E’ all’interno della polis che l’uomo può soddisfare non soltanto i suoi bisogni materiali, ma anche quelli morali solo che riesca ad equilibrare la libertà della comunità cittadina con la norma o costituzione che regola la vita civile, realizzando la concordia fra i membri dello stato, concordia che permette la partecipazione di “diritto” e di “giustizia” alla vita pubblica. Aristotele non fa altro che teorizzare la vita cittadina nella sua dimensione etica, analizzando oggettivamente una realtà politica ritenuta ormai “normale”. Nella vita comunitaria l’uomo può adempiere a funzioni altrove impossibili; solo nella realtà sociale si concretizza interamente una armonica maturazione della persona umana; solo in rapporto agli altri è possibile commisurare la grandezza di un essere libero. E’ questa dimensione che rende “vera” la celebre definizione di Aristotele secondo cui “l’uomo è un animale sociale”, nella sua interezza concepibile solo in rapporto agli altri uomini e alle istituzioni datesi liberamente da tutti i cittadini. Si tratta di una prospettiva particolare, che in sè rappresenta una novità rispetto ad altre elaborazioni di tipo politico che i vari pensatori greci non avevano mancato di elaborare. Si pensi a questo proposito a Platone e ai fondamenti dello stato da lui delineati, alle tre “classi sociali” che sostanziano il suo ideale di uno stato armonico, un ideale che G. Dumézil ha ritrovato in tutte le civiltà derivate dalla preistoria indoeuropea. Si pensi a questo proposito ai vari legislatori ellenici che in età arcaica, al sorgere delle città, ne hanno dettato i fondamenti giuridici e hanno costituito molto spesso l’elemento fondante delle molte colonie nate dalle ondate migratorie condotte all’insegna della spiritualità apollinea.

C’è in Platone una preminenza dello stato rispetto ai cittadini giustificata nella prospettiva dello “stato ideale”, di un ordinamento ideale che si ritiene possa essere il solo a conservare l’eredità più antica dell’Ellade, agli occhi di Platone l’unico in grado di garantire l’equilibrio del corpo sociale. Nelle sue tre opere politiche, la Repubblica, Le Leggi e il Politico, lo stato è la “forma” capace di dare ordine ad una sostanza=demos che lasciata a se stessa rischia di restare amorfa poichè in sé contiene elementi di dispersione e di disordine che impediscono ogni pur piccolo tentativo di erigere una società ordinata. E’ anche per questo motivo che lo stato ideale di Platone diviso nelle sue tre “classi sociali”, non fa che riflettere le tre “potenze dell’anima” che costituiscono il complesso della vita interiore di ogni uomo retto. L’ordinamento dello stato ideale, quello che probabilmente doveva attualizzare sul piano filosofico una arcaica consuetudine un tempo ben viva presso tutti i popoli indoeuropei, oggettiva l’armonia che regge la vita dell’uomo arcaico, un “corpo sociale” capace sul proprio piano di riprodurre la gerarchia delle “potenze” che ritmano la vita interiore dell’organismo umano.

La prospettiva delle Leggi è diversa. Platone qui sembra più attento a dare indicazioni perché si formi uno stato che nella realtà delle condizioni decadenti della Grecia del suo tempo possa adempiere alla sua funzione formativa, uno stato capace hic et nunc di enucleare le leggi e gli ordinamenti che devono essere come la “spina dorsale” di un corpo vivo il cui compito continua ad essere quello di dare “forma” all’informe. Proprio per queste ragioni qui è possibile trovare alcuni cenni a tradizioni antichissime nelle quali predominavano aspetti iniziatici che intendevano trasformare il giovane in un guerriero pienamente integrato nella propria comunità. A questo proposito è forse utile fare un cenno a Sparta e alla sua struttura cittadina per le oggettive similitudini che è possibile rinvenire con alcuni aspetti delle dottrine platoniche. L’ordinamento elaborato da Licurgo, che si incentrava sulla supremazia degli Spartiati e sulla selezione più rigorosa per ottenere un’élite dirigente presso la quale le caratteristiche guerriere dovevano essere assolutamente predominanti, non era altro che il tentativo di perpetuare in una società urbanizzata, strutture iniziatiche appartenenti al passato guerriero delle tribù doriche che in un’epoca ormai confinata nel mito avevano invaso il Peloponneso. Non si tratta solo della rigida educazione guerriera che, d’altronde, anche le altre città elleniche possedevano e aveva formato quei magnifici combattenti che avevano fermato l’assalto dei Persiani salvando la civiltà ellenica. Il fondamento statale spartano restava il rigido senso della comunità, la preminenza data allo stato e alla patria, la consapevolezza che la libertà del singolo non significava nulla fuori di quel contesto comunitario, il senso della custodia di valori antichissimi trasmessi mediante metodi educativi i quali, quanto ai fini, in parte è possibile trovare anche in altre aree culturali.

La prospettiva di Aristotele, questo straordinario discepolo sostanzialmente “infedele” di Platone, tuttavia è cambiata. Al centro della sua riflessione non c’è più lo stato, il genos, la fratrìa o le arcaiche famiglie con i loro culti e i loro rituali ancestrali. Lo stesso stato acquista un rilievo particolare, perde la sua preminenza sulla società e diventa l’elemento di coesione e di identità della comunità cittadina. Al centro ora troviamo il cittadino di una città che molto spesso ha eliminato tutte le tracce degli ordinamenti antichi e che non intende più ordinarsi attorno alle tradizioni custodite dalle famiglie patrizie. E’ un rivolgimento che rende molto diversa la prospettiva aristotelica e giustifica la sua attenzione al cittadino senza radici di una città cosmopolita e tesa ad aperture verso mondi nuovi che necessariamente in antico non era possibile neanche concepire. Il cittadino deve esplicare la sua libertà individuale nell’ambito di ordinamenti liberamente accettati e condivisi, deve vivere una vita sociale che è come il segno distintivo della sua ricchezza creativa, deve concorrere ad ordinare il mondo circostante e i suoi concittadini con piena aderenza allo spirito e alla lettera delle leggi, ormai diventate la vera  “ossatura” dello stato, alle quali egli stesso ha concorso.

Secondo Aristotele l’unità dello stato e la concordia dei cittadini, ossia l’equilibrio dell’organismo che egli ha in vista, non può essere conservata a lungo se le famiglie e i gruppi sociali sono economicamente dipendenti, se vige un sistema economico incapace di garantire l’autonoma esistenza dei vari corpi sociali e dei singoli cittadini. L’enucleazione del principio della proprietà privata come elemento assolutamente indispensabile per il libero esercizio della libertà individuale è uno degli elementi che danno alla dottrina aristotelica dello stato quei caratteri di “modernità” che da sempre ne hanno reso importante lo studio e la riflessione. I proprietari, sostiene Aristotele, proprio per la loro attività amministrativa, sono abituati a rispettare il diritto, a chiedere che le leggi abbiano una definizione chiara e non discussa, a decidere autonomamente e liberamente l’utile per se stessi e per la comunità cittadina tutta. L’attenzione aristotelica per questi aspetti della libera espressione della personalità umana, in sé una forma di “allargamento” e di consolidamento dello spazio di libertà individuale, si potrebbe definire come una prima delineazione di forme di sussidiarietà che solo le moderne encicliche papali hanno sviluppato in modo consequenziale.

E tuttavia il cittadino-proprietario che intende rimanere estraneo alla vita politica della propria città non può far parte del sistema politico che Aristotele ha in mente. Il cittadino deve partecipare delle decisioni politiche, il suo contributo alla vita comunitaria costituisce uno dei momenti essenziali della sua stessa vita di uomo libero, ne contrassegna il modo di essere e alcune delle stesse finalità esistenziali. L’ideale pan-ellenico del “governo dei governati” non può realizzarsi se non nel presupposto di un cittadino libero che esprime il proprio punto di vista, partecipa alla vita sociale e concorre alle decisioni dello stato. L’assunzione di responsabilità è insita in questa condizione di libertà individuale. Non potrebbe esserci per Aristotele un governo rappresentativo al quale delegare la vita legislativa. Non c’è delega che il cittadino della polis possa accettare, egli deve concorrere liberamente alla formazione delle leggi, ne deve vedere i risvolti, persino convincere gli altri di eventuali errori: il dialogo sociale è la forma della partecipazione diretta in un organismo che ha eretto al centro della propria esistenza un sistema di valori da tutti condivisi.

Nuccio D'Anna

samedi, 10 avril 2010

Jünger, los mitos y el mar

Jünger, los mitos y el mar

Ex: http://losojossinrostro.blogspot.com/ 

Me encuentro inmerso en la lectura de “Mitos griegos”, un libro de Friedrich Georg Jünger, el hermano de Ernst, que fue editado en España el año pasado por la editorial Herder. Surcando sus páginas alcancé un pasaje realmente especial, por su extraordinaria fuerza evocadora (al menos por lo que a su humilde servidor respecta). Es precisamente eso lo que hace de ese libro algo interesante; los mitos no se presentan como reliquias del pasado, como equivalencias despojadas de poder fascinador y ambiguo (Apolo=sol, Marte=guerra) y petrificadas por el proceso alegórico. No; los mitos aquí son algo vivo, real, palpitante, pletórico de belleza y terror a partes iguales.

El pasaje está dentro del fragmento que hace referencia a dos titanes, Océano y Tetis. Océano está vinculado, como otros titanes, con los fenómenos elementales. Se relaciona con las aguas, con la corriente universal que envuelve la tierra, con un rumor fluido y pacífico –Océano es el único que no interviene en la lucha entre Crono y Urano- pero también persistente. Siempre es igual a sí mismo y, también como los otros titanes, es presa de un “eterno retorno” (hay un inconfundible eco nietzscheano en la prosa de Jünger). Tetis es su esposa, madre de las oceánides y divinidades del agua.

Pero es cuando habla de Poseidón cuando aparece este pasaje, abismado en la contemplación de las formas marinas:


circunvoluciones y curvaturas. Determinadas criaturas marinas poseen una estructura estrictamente simétrica a partir de la cual configuran formas estrelladas y radiales, imágenes en las que también el agua interactúa con su fuerza moldeadora, radial y estrellada. Otras, como las medusas, son transparentes, su cuerpo entero está bañado en luz y avivado por exquisitos tornasoles. A todo lo nacido en el agua le es propio un esmalte, un color y un brillo que sólo el agua puede conferir. Es iridiscente, fluorescente, opalino y fosforescente. La luz que penetra a través del agua se deposita sobre un fondo sólido que refleja las delicadas refracciones y los destellos de la luz. Este tipo de brillo se observa en el nácar y aún más en la perla misma. Al mar no le faltan joyas, es más, todas las alhajas están en relación con el agua, poseen también una naturaleza acuática que les confiere un poder lumínico. En él los colores son más bien fríos“El reino de Poseidón está mejor ordenado que el de Océano. Es más suntuoso y armonioso. La corriente universal que fluye poderosamente lo encierra con un cinturón, lo encierra como centro a partir del cual la entera naturaleza marítima adquiere su forma (…) Todo lo que procede del mar muestra un parentesco, tiene algo en común que no oculta su origen. Los delfines, las nereidas, los tritones, todos emergen del medio húmedo y su complexión muestra el poder del elemento del que proceden. Las escamas, las aletas, las colas de pez únicamente se forman en el agua y, por el modo en que se mueven, están en correspondencia con la resistencia de las corrientes. Algo parecido muestran las conchas y las caracolas en sus formas planas, en sus y aún así resplandecientes, y se reflejan los unos en los otros. Prevalecen el verde y el azul, oscuros y claros a través de todos los matices. Al agitarse, las aguas se tornan negras y arrojan una espuma color de plata. También allí donde asoma el rojo, o el amarillo en estado puro, el agua participa de su formación.

Al que contempla estas formas admirables y a primera vista, a menudo, tan extrañas, le recuerdan ante todo los juegos de las nereidas. Son los juegos que ellas juegan en las aguas cristalinas, en sus cuevas verdes. Al nadador, al bañista le vienen a la mente estos juegos y lo serenan. La fertilidad del mar oculta un tesoro de serenidad; por mucho que se extraiga de él, siempre permanecerá inagotable. Quien descienda a las profundidades, sentirá el cariño con el que el mar se apodera del cuerpo y lo penetra, sentirá los abrazos que reparte. De la caracola en forma de espiral hasta el cuerpo blanco y níveo de Leucótea, de la que se enamoró el tosco Polifemo cuando la miraba jugar con la espuma de la orilla, todo sigue en él la misma ley. También Afrodita Afrogeneia emergió del mar; su belleza y su encanto son un obsequio del mar.

Del ámbito de Poseidón, del reino de Poseidón depende todo esto. Todo lo que se halla bajo la tutela del tridente tiene algo en común y muestra un parentesco inconfundible, Fluye, se mueve, es luminoso, transparente, cede a la presión y ejerce presión. Se eleva y se hunde rítmicamente, y en su formación revela el ritmo que lo impregna.”

¡Cuántas imágenes ha conjurado este texto en mi imaginación! Recuerdo aquel verano en la Costa Brava, hace ya muchos años, en el que me dediqué casi exclusivamente a recoger erizos de mar entre las rocas; era como una obsesión. Trataba de encontrar algo reconocible entre ese bosquecillo de púas, hasta que finalmente pasaba el dedo por él... y las púas respondían con un parsimonioso movimiento, todas hacia un mismo punto. Probablemente estuve haciendo eso durante horas y horas; alrededor había también estrellas y caballitos de mar, organismos que en su singularidad no pueden más que asombrar a los niños.

Por supuesto, recuerdo también el brillo de los corales y las procesiones de destellos plateados, y recuerdo también su nuca, cuando nadamos juntos aquella noche, hace ahora algo más de un año… el agua acariciaba nuestros cuerpos pero también infundía un terror primordial; era, de nuevo, una danza de sexo y muerte. Hubo otras muchas noches antes en que fuimos mecidos por ese rumor… todas iguales y diferentes a un tiempo.

Ah, me vienen tantas imágenes a la cabeza...

dimanche, 04 avril 2010

Evola e la "notte dei lunghi coltelli"

Evola e la ”notte dei lunghi coltelli”

     

di: Luigi Carlo Schiavone

Ex: http://www.rinascita.eu/

evola.jpgIn un articolo del marzo 1935 dal titolo “Il nazismo sulla via di Mosca?” apparso sul quotidiano “Lo Stato”, Julius Evola, allora umile pensatore ai margini del fascismo italiano, prendendo spunto dalle vicende occorse il 30 giugno del 1934 in Germania storicamente note come “Notte dei lunghi coltelli” e cioè la decapitazione sanguinosa, da parte della “destra” hitleriana, delle S.A., le Squadre di Assalto di Roehm e di Strasser che volevano – conquistato il potere – che la rivoluzione nazionalsocialista mettesse in opera il programma sociale, la cosiddetta “seconda rivoluzione” - muove una profonda critica alle posizioni espresse da Carl Dryssen nella sua opera “Fascismo nazionalsocialismo, prussianesimo”, considerato da Evola come il testo guida delle volontà dei rivoluzionari delle SA, facenti capo ad Ernst Röhm, nel quale si rintracciava la linea che essi volevano imporre al movimento nazionalsocialista.
Dryssen, partendo da considerazioni di carattere prettamente politico- economico, delinea due mondi contrapposti, l’Oriente e l’Occidente, che, oltre a risultar divisi da un punto di vista ideologico, trovano in Dryssen anche una frontiera naturale rappresentata dalla linea del Reno.
Il mondo dell’ “Occidente”, in cui Dryssen inquadrava gli Stati Uniti, la Francia e la Gran Bretagna, è identificato come la patria del liberalismo, della democrazia, dell’internazionalismo e del capitalismo, fondamenta del libero commercio e dell’imperialismo finanziario. Un mondo in cui, secondo Dryssen, vigevano due principi: quello dell’individualismo che ne regolava i rapporti in ambito interno e quello dell’imperialismo su cui venivano fondati i rapporti verso l’esterno a servizio di un liberalismo “ipocrita”, generatore di un’azione egemonica o distruttrice a danno di altri popoli.
Radicalmente opposti risultavano essere, nella visione del Dryssen, i tratti caratterizzanti il mondo orientale. Nell’ “Oriente”, identificato territorialmente nella Germania, vigeva un diverso tipo di Stato caratterizzato da un ampio spirito sociale ed essenzialmente agrario sorretto da un’economia di consumo fondata, principalmente, sulla relazione del “Blut und Boden” (sangue e suolo); un’impostazione, questa, totalmente diversa dall’economia imperialistica ed internazionalistica tipica dello Stato Occidentale.
È in forza di suddette considerazioni che Dryssen fornisce una versione della prima guerra mondiale vista, dall’autore, come un’aggressione dell’Occidente ai danni dell’Oriente dettata da una volontà individualista-capitalistica di piegare l’unica parte d’Europa che ancora le resisteva. Dal caos ideologico scaturito nel dopoguerra, inoltre, Dryssen vede il sorgere di due visioni contrapposte che identifica nella corrente riformistica-romana, incarnatasi nel fascismo, e nella corrente germanico-rivoluzionaria, propria del movimento nazionalsocialista.
Secondo Dryssen, infatti, il movimento fascista, sebbene caratterizzato da originari tratti rivoluzionari e socialistici, non avrebbe avuto la forza di travolgere l’antico sistema di marca romana, base del sistema occidentale, ma vi avrebbe apportato solo delle modeste correzioni identificabili nell’instaurazione di un “capitalismo autoritario” sottoposto al controllo dello Stato, evitando così la rivoluzione. Un’altra motivazione, caratterizzante la volontà del movimento fascista di non rivoluzionare ma solo di riformare l’antico sistema, è da trovarsi, secondo l’autore tedesco, nel mantenimento dell’imperialismo. Questa nuova Roma, quindi, considerata da Dryssen come “salvatrice del capitalismo occidentale” viene avvertita come un nuovo ostacolo per la tradizione anticapitalista e socialistica tedesca; compito del nazionalsocialismo, quindi, era quello di dar vita ad una rivoluzione “social prussiana” che, rifacendosi al motto di luterana memoria, Los von Rom! (via da Roma!) avrebbe tutelato la tradizione germanica dalla minaccia occidentale e capitalistica e da Roma, ultimo baluardo di un mondo ormai agonizzante. Ad Adolf Hitler, innalzato da Dryssen a novello Vidukind, (il duce sassone che si oppose a Carlo Magno) il compito di orientare la Germania verso il socialismo nazionale e improntarla su una visione “eroica” e non prettamente economica dell’esistenza. […]
In merito al fascismo, invece, sono altri gli elementi che Evola cita per smantellare l’impostazione di Dryssen: dall’ “educazione guerriera” impartita alle nuove generazioni, ai processi di agrarizzazione e alla lotta contro l’urbanizzazione oltre alla concezione del diritto di proprietà del fascismo, che trasforma il detto, di proudhoniana memoria, “la proprietà è un furto” in la “proprietà è un dovere”.
La proprietà in Evola assume, quindi, una caratterizzazione differente rispetto alla considerazione che se ne ha nella visione “occidentale” data da Dryssen; considerata come una delle condizioni materiali imprescindibili per la dignità e l’autonomia della persona è opportunamente ridimensionata in un sistema, come quello fascista, non asservito al capitalismo e che mira a capovolgere la dipendenza della politica all’economia subordinando nuovamente quest’ultima alla prima in forza di un’idea superiore rappresentata in un primo momento dalla Nazione e successivamente dall’Impero.
Un ulteriore errore da parte di Dryssen, e di alcuni esponenti di spicco dello N.S.D.A.P., è da rintracciarsi, secondo Julius Evola, nell’errata considerazione del binomio individualismo-personalità. Se è lecito, secondo Evola, opporsi all’individualismo, concezione maturata in seno al liberalismo, non alla stessa stregua deve essere considerata la personalità, elemento essenziale per il recupero di buona parte dei valori indoeuropei. Se il socialismo e l’individualismo possono essere considerati come due facce della stessa medaglia in quanto figlie di un’unica decadenza materialistica, antiqualitativa e livellatrice, infatti, diversi sono i tratti tipici del pensiero indoeuropeo miranti alla realizzazione di realtà organiche e gerarchiche che, caratterizzate proprio dall’ideale di personalità libere, virili e differenziate, mirino, ciascuna nel proprio ambito, ad assegnare ad ogni cittadino una propria funzione e una propria dignità. Un ideale, questo, che Evola considera superiore sia al liberalismo che al socialismo, che si è protratto nel tempo approdando dalla comune matrice indoeuropea alla tradizione classica prima e alla tradizione classico-germanica poi, per consolidarsi, infine, nella tradizione romano-germanica medioevale.
Per quel che concerne l’antiromanità professata da Dryssen, essa è da considerarsi, secondo Evola, come diretta emanazione di quel processo di allontanamento della Germania che, come già citato, ebbe inizio con Lutero e che in quel determinato periodo storico favoriva esclusivamente un riposizionamento della stessa a favore della Russia, che a detta dello stesso Dryssen, era l’unica grande potenza ad essersi elevata contro l’Occidente e contro Roma oltre che al capitalismo. L’assenza di reali frontiere spirituali fra l’Elba e gli Urali avrebbe favorito, inoltre, una maggior unione fra il nazionalsocialismo e il bolscevismo. La fusione dell’antico sistema tedesco dell’Almende e del Mir slavo avrebbe finito, secondo Dryssen, per patrocinare una nuova forma di collettivismo che, in Russia come in Germania, sarebbe stato tutelato da uno Stato agrario socializzato ed armato. Nella visione di Dryssen, inoltre, Evola rintraccia un ulteriore parallelismo tra l’ateismo sovietico e la riforma luterana.
L’ateismo sovietico, infatti, mutuerebbe dalla riforma luterana la volontà di battersi contro una religiosità ufficiale, mondanizzata, legata alle ricchezze e romanizzata; solo dalla rivolta, pertanto, sarebbero potute nascere nuove religioni interiori e a favore del popolo al pari degli effetti che Lutero anelava dalla sua riforma.
A favore di suddetta visione, che porterebbe la Germania all’accordo con la Russia, Dryssen evoca più volte, secondo Evola, lo spauracchio dell’imperialismo italiano quasi come se esso fosse una tendenza esclusivamente romana e non riscontrabile presso altri popoli. Dimenticando, quindi, il primo verso dell’inno tedesco (Deutschland Deutschland über alles, über alles in der Welt) e ponendosi negativamente contro l’universalità romana Dryssen, secondo Evola, accettava implicitamente l’internazionalismo bolscevico all’interno del quale, ricorda il filosofo tradizionalista, scarso posto trovavano i concetti di Patria e di Nazione e ancor meno quello di tradizione nel senso più ampio del termine, tutti e tre più volte ripresi dallo stesso Dryssen. […]
Antiromanità, antiaristocrazia, antitradizione, sono gli elementi che si trovano alla base della visione di quanti, secondo Evola, volevano che il Reich volgesse lo sguardo verso la Russia e concludendo il suo articolo auspicava invece che l’Italia fascista tracciasse una propria strada che si trovasse ad egual distanza dall’Occidente delineato da Dryssen che dalla Russia bolscevica.
Che ci si ritrovi maggiormente nelle posizioni di Carl Dryssen o in quelle espresse da Julius Evola, è indubbio lo stupore di fronte a simili analisi volte ad individuare, tramite profonde riflessioni e ricerche, le soluzioni migliori per l’attuazione di piani politici volti a cesellare, come si trattasse di statue antiche, i tratti ed i caratteri di interi popoli. Uno stupore che si fa ancora più grave se si pensa che tali analisi vennero svolte in quell’epoca che tutti additano come la più oscura d’Europa mentre oggi, nell’epoca delle libertà, si è costretti ad assistere ad ignominiosi spettacoli nei quali, oltre ad essere ripetuti costantemente i medesimi mantra salvifici, l’individuo, sempre più asservito alla tecnocrazia di jungeriana memoria, non è più essere da formare ma tifoso da consolidare.

lundi, 15 mars 2010

Codreanu: "La domination absolue de l'Esprit sur le corps..."

La domination absolue de l'Esprit sur le corps...

Timbru_Codreanu.jpg"(...) Il y a deux aspects, pour la clarification desquels il faut avoir présent à l’esprit le dualisme de l’être humain, composé d’un élément matériel naturaliste et d’un élément spirituel. Quand le premier domine le second, c’est l’enfer. Tout équilibre entre les deux est chose précaire et contingente. Seule la domination absolue de l’esprit sur le corps est la condition normale et la prémisse de toute force vraie, de tout héroïsme véritable. Le jeûne est pratiqué par nous parce qu’il favorise une telle condition, affaiblit les liens corporels, encourage l’auto-libération et l’auto-affirmation de la volonté pure. Et quant à cela s’ajoute la prière, nous demandons que les forces d’en haut s’unissent aux nôtres et nous soutiennent invisiblement. Ce qui conduit au second aspect : c’est une superstition que de penser que dans chaque combat seules les forces matérielles et simplement humaines sont décisives ; entrent en jeu au contraire également les forces invisibles, spirituelles, au moins aussi efficaces que les premières. Nous sommes conscients de la positivité et de l’importance de ces forces. C’est pour cela que nous donnons au mouvement légionnaire un caractère ascétique précis. Dans les anciens ordres chevaleresques aussi était en vigueur le principe de la chasteté. Je relève toutefois qu’il est chez nous restreint au Corps d’Assaut, sur la base d’une justification pratique, c’est-à-dire que pour celui qui doit se vouer entièrement à la lutte et ne doit pas craindre la mort, il est bien de ne pas avoir d’empêchements familiaux. Du reste, on reste dans ce corps seulement jusqu’à 30 ans révolus. Mais, en tout cas, demeure toujours une position de principe : il y a d’un côté ceux qui ne connaissent que la “vie” et qui ne cherchent par conséquent que la prospérité, la richesse, le bien-être, l’opulence ; de l’autre, il y a ceux qui aspirent à quelque chose de plus que la vie, à la gloire et à la victoire dans une lutte tant intérieure qu’extérieure. Les Gardes de Fer appartiennent à cette seconde catégorie. Et leur ascétisme guerrier se complète par une dernière norme : par le vœu de pauvreté auquel est tenu l’élite des chefs du mouvement, par les préceptes de renoncement au luxe, aux divertissements creux, aux passe-temps dits mondains, en somme par l’invitation à un véritable changement de vie que nous faisons à chaque légionnaire."

Corneliu Zelea Codreanu

Platon et les trois fonctions indo-européennes

Platon et les trois fonctions indo-européennes

platon.jpgEx: http://tpprovence.wordpress.com/ 

On trouve de tout chez Platon, comme au rayon bricolage du BHV (à ne pas confondre avec le BHL, où l’on ne trouve rien d’autre que le vide abyssal de la non-pensée nombriliste) : le mythe de la caverne, l’Atlantide et même … les trois fonctions indo-européennes.

LES TROIS FONCTIONS CHEZ LES INDO-EUROPÉENS

C’est Georges Dumézil qui a découvert, en 1938, l’existence d’une véritable « idéologie » indo-européenne, d’une structure mentale spécifique se manifestant par une même conception du monde. « Suivant cette conception, que la comparaison de documents pris dans la plupart des vieilles sociétés indo-européennes permet de reconstituer, écrira-t-il, tout organisme, du cosmos à n’importe quel groupe humain, a besoin pour subsister de trois types hiérarchisés d’action, que j’ai proposé d’appeler les trois fonctions fondamentales : la maîtrise du sacré et du savoir avec la forme du pouvoir temporel qu’elle fonde, la force physique et la valeur guerrière, la fécondité et l’abondance avec leurs conditions et leurs conséquences » (1).

Sur le plan social, l’on retrouve cette tripartition dans tout l’espace indo-européen, de l’Inde à l’Irlande, les trois fonctions correspondant schématiquement aux prêtres-rois, aux guerriers ainsi qu’aux producteurs, paysans et artisans. C’est ainsi que dans l’Inde traditionnelle les Brahmânes correspondent à la 1ère fonction, les Kshatriyâs à la 2 ème et les Vaishyâs à la 3 ème. A l’extrême ouest de l’aire couverte par les indo-européennes, chez les Celtes, César nous apprend que la société gauloise se composait des Druides, des Equites ou Chevaliers, et de la Plebs, le Peuple…

Reste le cas de la Grèce antique, qui a tendu très tôt à éliminer toute trace de l’idéologie trifonctionnelle. Si l’on en croit Dumézil, « la Grèce n’est pas généreuse envers nos dossiers. M. Bernard Sergent a fait un bilan critique des expressions de la structure des trois fonctions, la plupart du temps isolées, en voie de fossilisation, qu’on a proposé d’y reconnaître : c’est peu de chose, comparé aux richesses qu’offrent l’Inde et l’Italie » (2). Toutefois, un lecteur attentif de l’œuvre de Platon peut y découvrir la preuve d’une survivance de la tripartition fonctionnelle dans la Grèce classique.

LA CITÉ IDÉALE PLATONICIENNE

Dans La République, Platon, s’interrogeant sur la cité idéale, affirme que « les classes qui existent dans la Cité sont bien les mêmes que celles qui existent dans l’âme de chacun pris individuellement » (3). Au terme d’une analyse psychologique de la nature humaine, le philosophe grec reconnaît dans l’homme trois sortes d’âmes ou de dispositions à agir : la raison, située dans la tête, qui lui permet de penser ; le sentiment, situé dans le cœur, qui conduit à aimer ; et le désir, situé dans le ventre, qui le pousse à se reproduire. Elles impliquent trois vertus qui représentent l’excellence de chacune des âmes : la sagesse, le courage et la tempérance. Selon lui, la constitution de la cité n’est que la projection de la constitution de l’âme soumise à son exigence de justice, cette dernière étant à son tour, l’articulation harmonieuse des trois vertus.

Concrètement, le philosophe distingue au sein de la cité trois fonctions. D’abord, « ceux qui gardent entièrement la Cité, aussi bien des ennemis de l’extérieur que des amis de l’intérieur » (4), les Gardiens, qui correspondent à la tête, siège de l’intelligence et de la raison, le Logos. Ensuite,  « les auxiliaires et assistants des décisions des gouvernants » (5), qui correspondent au cœur, siège du courage, le Thymos. Enfin les Producteurs, artisans et paysans, qui correspondent au ventre, siège des appétits. « Vous qui faites partie de la Cité, précise Platon,vous êtes tous frères, mais le dieu, en modelant ceux d’entre vous qui sont aptes à gouverner, a mêlé de l’or à leur genèse ; c’est la raison pour laquelle ils sont les plus précieux. Pour ceux qui sont aptes à devenir auxiliaires, il a mêlé de l’argent, et pour ceux qui seront le reste des cultivateurs et des artisans, il a mêlé du fer et du bronze » (6).

« Une cité semble précisément être juste, souligne Platon, quand les trois groupes naturels présents en elle » exercent « chacun sa tâche propre » (7). Effectivement, de même que l’homme doit soumettre le ventre au cœur, puis le cœur à la raison, les arts qui sont au service du ventre doivent être soumis à l’art des guerriers, qui lui-même doit obéir à celui des magistrats, c’est à dire à la Politique – cette dernière étant inséparable de la philosophie, car les magistrats doivent être philosophes. Il distingue également trois sortes de régimes politiques, dont chacun est lié à l’une des fonctions de la cité et, par conséquent, à l’une des parties et des facultés de l’organisme humain : la monarchie, ou gouvernement d’un seul, et l’aristocratie, gouvernement des meilleurs, régimes commandés par la raison ; la timocratie, ou gouvernement des guerriers, est quant à elle commandée par les passions nobles, celles du cœur ; enfin la démocratie, ou gouvernement du plus grand nombre, régime caractérisé par les passions les plus basses de l’âme humaine et les appétits matériels…

Pas de doute : cette cité idéale platonicienne reposant sur trois classes strictement hiérarchisées, reproduit l’organisation traditionnelle de la société en trois fonctions propre aux indo-européens. En effet, dans une Grèce qui semble avoir totalement oublié la tripartition, Platon confie la vie politique de la cité à des philosophes-rois ,les Gardiens, assistés d’une caste militaire, les Auxiliaires, qui règnent sur les basses classes productives.

Platon est convaincu que seuls les Gardiens, c’est-à-dire les sages, ont la capacité d’user équitablement de la raison pour le bien commun, alors que les hommes ordinaires ne peuvent s’élever au-dessus de leurs passions et de leurs buts personnels. En contrepartie, les membres de ce qu’il faut bien appeler la caste dirigeante doivent mener une vie entièrement commune, sans propriété privée ni famille, autant d’éléments de tentation égoïste, de division et, au final, de corruption. « Nul bien ne sera la possession privée d’aucun d’entre eux, sauf ce qui est de première nécessité » décrète le philosophe, qui préconise en outre « qu’ils vivent en communauté, comme ceux qui sont en expédition militaire » , et que parmi les habitants de la cité « ils soient les seuls à n’avoir pas le droit de prendre une part, ou de toucher l’or et l’argent, les seuls à ne pouvoir entrer sous un toit qui en abrite, en porter sur eux comme ornement, ou boire dans un récipient d’or ou d’argent » (8).

« Car, ajoute-t-il, dès qu’ils possèderont privément de la terre, une habitation et de l’argent, ils deviendront administrateurs de leurs biens, cultivateurs au lieu d’être les gardiens de la cité, et au lieu d’être les compagnons défenseurs des autres citoyens,  ils en deviendront les tyrans et les ennemis, remplis de haine et eux-mêmes haïs, ils passeront leur vie conspirant contre les autres et deviendront objets de conspiration, et ils redouteront bien davantage et plus souvent les ennemis de l’intérieur que ceux de l’extérieur, se précipitant vers la ruine eux-mêmes et l’ensemble de la cité » (9). En outre, leurs enfants seront enlevés dès la naissance afin de recevoir une éducation collective de type militaire.

Ce « communisme platonicien », un communisme viril et ascétique sans rapport avec les cauchemars messianiques à la Marx et Trotsky, n’est pas sans rapport avec le national-communautarisme spartiate. D’ailleurs, Montesquieu ne soulignera-t-il pas avec justesse que « la politique de Platon n’est pas plus idéale que celle de Sparte ».

Edouard Rix, Réfléchir & Agir, hiver 2009, n°31.

NOTES

(1) G. Dumézil, L’oubli de l’homme et l’honneur des dieux et autres essais. Vingt-cinq esquisses de mythologies, Gallimard (Coll. « Bulletin des sciences humaines »), 1985, p.94.

(2) Ibid, p.13.

(3) Platon, La République, Flammarion (Coll. « Le monde de la philosophie »), 2008 p. 262.

(4) Ibid, p. 199.

(5) Ibid, p. 200.

(6) Ibid, p. 201.

(7) Ibid ,p. 245.

(8) Ibid,p. 205.

(9) Ibid, pp. 205-206.

vendredi, 12 mars 2010

Zadruga: un groupe nationaliste et païen en Pologne

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1989

Zadruga: un groupe nationaliste et païen en Pologne

 

Explications de Jaroslaw Tomasiewicz et réponses d'Antoni Wacyk

 

zadruga.jpgFondé en 1937 par Jan Stachniuk, la revue et le mouvement Zadruga ont voulu, dans la Pologne catholique, exprimé et illustré une sensibilité païenne, ont perçu l'essentiel dans l'enraciment dynamique et évolutif dans une terre, dans la localisation précise des hommes et des peuples, localisation d'où s'élance un déploiement harmonieux et créatif. Cet enracinement/localisation constitue la culture proprement dite: les théories, idées, systèmes, principes qui ne reposent pas sur ce locus primordial relèvent de la non-culture, dont le père spirituel est Socrate. Les idéaux du socratisme sont vidés de toute concrétude et brisent l'élan de l'homo creans enraciné. Les grands systèmes religieux et/ou philosophiques (bouddhisme, islam, christianismes) relèvent de la non-culture.

Pour une approche complète des idées de Zadruga, on lira avec profit l'ouvrage de

Stanislaw Potrzebowski,

Zadruga. Eine völkische Bewegung in Polen,

Institut für angewandte Sozialgeschichte, Bonn, 1982, 325 S., DM 66,90, ISBN-3-923428-00-6.

Malgré les vicissitudes de l'histoire polonaise, l'occupation allemande et le régime communiste, Zadruga existe toujours. Ce n'est plus qu'un cercle très réduit, nous explique Jaroslaw Tomasiewicz, regroupant cinq à sept intellectuels adultes et beaucoup de jeunes sympathisants. Il rencontre des difficultés énormes d'ordre financier et technique et appelle les mouvements d'inspiration païenne et néo-droitiste à l'aider à se diffuser. Notamment par le biais de photocopies. Les anciens membres de Zadruga continuent sans répit à écrire articles, poèmes, manifestes, lettres, etc. mais sans pouvoir rien publier à grande échelle. Jaroslaw Tomasiewicz tente de faire passer le message dans les masses en militant dans des mouvements politiques et dans des associations culturelles, notamment sur la scène de la pop-culture. Celles-ci font notamment paraître une revue Kolomir, (le nom slave de la croix irlandaise), destinée à la jeunesse et consacrée à la musique et aux idées politiques. Elles organisent entre autres choses des soirées de danses populaires traditionnelles et diffusent des cassettes audio, de musique engagée rock'n'roll et folk. Tomasiewicz songe à créer un magazine de littérature fantastique et un journal sportif. Au niveau de la «culture des élites», J. Tomasiewicz entretient d'excellents contacts avec les grands peintres nationalistes et païens comme Konarski et Fraczek et un écrivain comme Nienacki. Par son intermédiaire, nous avons pu transmettre dix questions à Antoni Waczyk, le principal collaborateur de Stachniuk aux débuts de l'histoire de Zadruga.

 

1. Qu'en est-il de votre mouvement Zadruga aujourd'hui?

 

AW: Fondé par Jan Stachniuk (1905-1963), Zadruga est un mouvement culturel et non politique. Le terme Zadruga signifie «communauté» (au sens holiste). Aujourd'hui nous existons à l'état embryonnaire. Notre objectif est de déclencher une révolution culturelle, assise sur une conception de l'homme et de l'humanité diamétralement opposée à celle du christianisme, de l'hindouisme, du bouddhisme et des autres idéologies décadentistes, le communisme y compris.

 

2. Quelles sont les sources d'inspiration de Zadruga? Herder? Nietzsche?

 

Notre inspiration ne nous vient ni de Nietzsche ni de Herder. Dans l'histoire des idées en Pologne, nous nous référons dans une certaine mesure à Stanislaw Brzozowski (1878-1911). Mais pour l'essentiel nous nous inspirons des écrits de Stachniuk lui-même.

 

3. Le groupe Zadruga défend-il un principe ethniste? Si oui, quel type d'institutions suggéreriez-vous pour votre peuple?

 

Oui, Zadruga défend le principe ethnique. Quant aux institutions, je crois qu'il est encore trop tôt pour y penser. C'est un problème qui est encore fort éloigné...

 

4. Comment le groupe Zadruga explique-t-il l'émergence des peuples slaves en Europe orientale?

 

Les peuples slaves sont d'origine indo-européenne et leur foyer préhistorique initial s'étendait entre l'Oder et la Vistule.

 

5. Comment le groupe Zadruga explique-t-il la christianisation de la Pologne?

 

La christianisation de la Pologne était inévitable puisque le catholicisme en expansion avait pour lui la gloire de feu l'Empire Romain et la puissance militaire des Allemands récemment convertis.

 

6. Comment jugez-vous le phénomène politique qu'est Solidarnosc?

 

Solidarnosc est un facteur politique traditionnel en Pologne, animé qu'il est par des prêtres. C'est une garantie de stagnation assurée pour le peuple polonais.

 

7. La Pologne est coincée entre deux géants, l'Allemagne et la Russie. En tenant compte de ce fait géographique, comment voyez-vous l'avenir de votre pays?

 

C'est difficile à dire. Cela dépend du temps que mettront ces deux géants, nos voisins, à résoudre leurs propres problèmes. Mais une chose est sûre, si une nouvelle agression venait de l'Est, il y aurait appaisement à l'Ouest.

 

8. Les frontières de la Pologne sont à nouveau objet de discussion dans le monde? Quelle est votre position?

 

Les frontières de la Pologne sont inviolables.

 

9. Comment jugez-vous les événements d'URSS (la perestroïka), de Tchécoslovaquie (l'accession de Vaclav Havel à la Présidence), en Hongrie et en Allemagne de l'Est?

 

Nous saluons la perestroïka russe comme un phénomène positif. Mais nous avons des doutes quant à son succès final... Vaclav Havel? He is the right man in his place. C'est l'homme de la situation. Les Hongrois retourneront à l'Europe bien avant nous. Quant aux Est-Allemands, ils ont droit à la réunification.

 

10. La presse occidentale, ignorant la plupart du temps les réflexes profonds des peuples slaves, parle abondamment d'un mouvement russe appelé Pamyat et le décrit comme «populiste»? Qu'en pensez-vous?

 

Pamyat est un mouvement ethno-nationaliste russe et, en tant que tel, ne peut qu'être populiste.

jeudi, 11 mars 2010

Hermann Wirth e Julius Evola, un profondo rapporto culturale

Tratto da CentroStudilaRuna di Silvio degli Aurelli:

Continuando una serie di pubblicazioni brevi, ma estremamente interessanti, le benemerite Edizioni del Veltro di Parma hanno appena stampato il libro di Arthur Branwen, Ultima Thule. Herman Wirth e Julius Evola (coll. “I Quaderni del Veltro”, pp. 110, € 13,00). Si tratta in assoluto del primo ed unico studio che intende delineare i rapporti fra lo studioso tedesco-olandese e l’esoterista italiano. Herman Wirth è poco conosciuto in Italia. Di origini olandesi, nel 1910 ottenne la cittadinanza tedesca e nel primo dopoguerra si dedicò allo studio delle tracce dei popoli preistorici europei. La conoscenza di una cospicua quantità di diversificate lingue antiche e moderne, e una straordinaria preparazione sulla preistoria, gli consentì di avvicinarsi ai reperti che man mano studiava con una mentalità molto lontana dalle usuali prospettive accademiche. Non solo, ma per dirla con Evola, “il Wirth ha preteso di ricostruire non solo la storia della razza nordico-atlantica, ma altresì la sua religione. Sarebbe stata una religione già superiore, monoteistica, assai distinta dall’animismo e dal demonismo degli aborigeni negreidi o finno-asiatici, senza dogmi, di una grande purezza e potenzialmente universale”.
Utilizzando tutta una serie di dati e di testimonianze tratte dalla storia delle religioni, dal folklore, dalla paletnologia e dalla linguistica il Wirth pensò di poter dimostrare che alle origini dell’attuale umanità si trovasse un continente artico abitato da un popolo che incentrava la propria vita religiosa sul percorso solare e sui significati cosmico-spirituali che il tracciato dell’astro diurno disegna ogni anno. Il Wirth giunse ad enucleare una serie di segni primordiali che chiamò “serie sacra”, servita a questo popolo preistorico non solo come strumento espressivo, ma anche come un sistema di simboli e di notazioni astrali che articolavano il percorso del sole, i ritmi rituali, le forme espressive e probabilmente anche un sistema arcaico di scrittura derivato da questi segni cosmico-sacrali.
Herman Wirth

Julius Evola ha ammesso in molte occasioni la profonda influenza che l’opera del Wirth esercitò sul suo sistema speculativo,wirth.jpg ma nessuno aveva osato tentare di chiarire fin dove era arrivata questa influenza. Anzi, la quasi totalità dei biografi, degli estimatori o dei denigratori di Evola, ha solamente utilizzato quanto lo stesso Evola ha detto a questo proposito, non riuscendo neanche a leggere le opere dello studioso tedesco-olandese e restando paghi di quanto ha scritto lo stesso Evola.

Un’attenta comparazione dei testi permette ad Arthur Branwen di chiarire fin dove è arrivata questa influenza, cosa ha diviso i due studiosi, i limiti delle interpretazioni wirthiane, quelle che Evola riterrà confuse e farraginose. D’altronde, il punto di vista di Evola si era arricchito della lettura degli scritti di René Guénon che in quel tempo mostravano un diverso modo di studiare le dottrine spirituali e addirittura osavano indicare una superiorità dell’Oriente su un Occidente privo di ogni base rituale e religiosa. Persino l’interpretazione evoliana del mondo romano a poco a poco sembra riposizionarsi sulle prospettive wirthiane e l’arrivo dei Latini nel Lazio diventa un prolungamento delle invasioni nordico-atlantiche che cambieranno la stessa struttura morfologica dei popoli e delle tante tradizioni spirituali che ne deriveranno.

Il testo di Arthur Branwen è ben documentato, contiene una serie di dottissime note che da sole avrebbero avuto bisogno di ampliamenti dottrinali ed esplicativi capaci di trasformarle in altrettanti capitoli. La documentazione è abbondante, precisa, attenta e l’autore non si fa sfuggire l’occasione di puntualizzare la portata di studiosi come Frobenius, Pettazzoni, Altheim, Schmidt, Rasmussen, ecc. L’autore ci ha confidato che sta conducendo uno studio parallelo su Evola e Bachofen, e coloro che intendono capire la portata della cultura fiorita fra le due guerre e le prospettive che ne sono derivate, non possono che plaudire ad un’opera che mostra la superficialità di quegli interpreti evoliani (e sono molti) che in realtà non hanno mai studiato veramente il vasto retroterra sul quale sono state costruite le opere dell’esoterista romano.

Silvio degli Aurelii

vendredi, 26 février 2010

Plantes médicinales: le frêne et la sauge

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

Plantes médicinales: le frêne et la sauge

 

frene.jpgDans cette rubrique, que j'ouvre cette année en tant qu'animatrice de l'«Amicale Ecologique Européenne» et des ateliers “écologie” de Synergies Européennes, je veux surtout dégager l'écologie de toutes les formes de carcans idéologiques qui l'enserrent, de toutes les idéalisations niaises, en me basant exclusi­vement sur des donnés empiriques: l'homme a un besoin profond de s'immerger dans la nature et de co-participer à ses cycles. Si les temps modernes ne permettent plus une telle immersion totale, il demeure néanmoins possible, sinon impératif, de chercher à (re)faire quelques pas en direction de Mère-Nature. Par exemple, en cherchant à connaître ce monde silencieux qui a survécu au sein même ou en marge de notre civilisation et qui se renouvelle au fil des siècles: je veux parler du monde des plantes et des fleurs; c'est là un monde qui décore et enlumine notre modernité en dépit de tout, qui embellit nos maisons, nos rues, nos villes, qui fait partie de notre vie quotidienne sans que nous ne nous en rendions plus compte. Ma collaboration à cette rubrique “écologie” consistera à présenter chaque fois un arbre et une fleur (ou une herbe), par une fiche technique brève nous permettant de l'identifier et de connaître les légendes et les traditions qu'ils ou elles ont suscitées.

 

Je commence donc par un arbre, que les peuples nordiques considéraient comme magique: le Frêne. En effet, l'arbre cosmique Yggdrasill est un frêne pour l'antique paganisme scandinave; il soutient le monde et son feuillage couvre tout le territoire de la Terre. Ses branches demeurent toujours vertes et symboli­sent l'éternité, en s'étendant aux quatre coins du ciel. Ses racines plongent dans trois directions diffé­rentes: l'une vers le domaine des Ases, l'autre vers celui des Géants et la troisième vers le monde infer­nal. Le frêne Yggdrassil représente ainsi l'élévation de la Terre vers le Ciel; c'est la verticalité et, simulta­nément, l'antagonisme entre le tellurique et le céleste, entre le matériel et le spirituel.

 

Ensuite, le frêne est lié à des animaux emblématiques comme l'aigle, symbole d'élévation et de connais­sance des secrets du ciel, et au loup, incarnation des menaces obscures de l'ordre cosmique. Ce sont là des images de puissance et de vitalité par lesquelles on mesure la “vertu” (au sens romain du terme) des héros.

 

La tradition scandinave nous rappelle quelques usages médicinaux du frêne, auquel on attribue la capa­cité de guérir des fièvres, des vertus diurétiques, laxatives, cicatrisantes. On croit que son bois, sous forme de sciure, déposé sur une morsure de serpent peut contrecarrer les effets du venin.

 

De nos jours on utilise l'essence du frêne comme diurétique contre l'obésité, la cellulite et le cholestérol (dose: trois tasses par jour, dont une le matin à jeun; mettre en infusion 200 g de feuilles dans un litre d'eau bouillante pendant dix minutes). L'écorce et les graines servent à faire tomber la fièvre. La sève du frêne a des vertus laxatives, si on en prend 2 g mélangés à une petite cuiller de confiture, le matin à jeun. Contre la mauvaise haleine, il suffit d'en mastiquer une feuille frâiche ou préalablement déssechée, à la place de l'habituel bonbon à la menthe! Enfin, une curiosité: il semble que la tisane de frêne (infusion de 40 g de feuilles séchées dans un litre d'eau bouillante) soit capable de ralentir le vieillissement de l'organisme.

 

Mais où trouve-t-on cet arbre précieux? Dans les forêts et sur les terrains fertiles jusqu'à une hauteur de 1400 mètres.

IDENTIFICATION: L'arbre mesure de 20 à 30 mètres. Son tronc est droit et son écorce, grise cendrée et lisse. Son arborescence est étendue, ses branches, grises, ses bourgeons, noirs, et ses feuilles impari­pennées de 7 à 15, vertes foncées sur la face supérieure et plus pâles sur la face inférieures; elles sont dentées. Il fleurit d'avril à mai et ses fleurs sont en forme d'épi. Il n'a pas d'odeur et sa saveur est amère.

PARTIES UTILISÉES: graines, feuilles, sève, écorce des branches jeunes.

L'herboristerie alchimique classe le frêne sous l'égide de Jupiter et, en tant que tel, l'estime capable d'intervenir sur l'hypothalamus et donc de réguler depuis ce centre les diverses fonctions vitales, en les rééquilibrant.

 

La sauge

 

Toujours sous l'égide de Jupiter, nous trouvons la SAUGE, une plante pérenne connue de tous pour son utilisation en cuisine, mais qui n'est généralement pas appréciée à sa juste valeur. Je ne veux pas déni­grer l'arôme précieux qu'elle procure aux rôtis: je voudrais surtout en dire davantage sur cette plante utili­sée depuis la plus haute antiquité. De la sauge, les Romains disaient: Salvia salvatrix, naturae consiliatrix (Sauge salvatrice, conciliatrice de la nature). En fait, à l'origine, le nom de la sauge dérive du latin salus (le salut) ou salvus/salva (sain, en bonne santé; ndlr: on aperçoit directement la proximité sémantique, comme en germanique heil, “salut”, heilen, “guérir” ou heilkunde, “art de guérir”, “médecine”, en néerlan­dais), étymologie qui rappelle les propriétés médicinales de cette plante. L'antiquité nous a légué un autre proverbe, en usage d'Europe jusqu'en Chine: Cur moriatur homo, cui crescit salvia in horto? (Pourquoi meurt l'homme, qui possède un jardin où croît la sauge?), ce qui souligne le pouvoir qu'aurait cette plante de donner la longévité.

 

sauge.jpgDiverses traditions, dans différentes régions et cultures, prêtent à la sauge un pouvoir de guérison extra­ordinaire. Chez les Gaulois, la sauge était considérée comme une véritable panacée. Les druides l'utilisaient pour guérir les fièvres, les toux, les rhumatismes, ainsi que pour favoriser conception et ac­couchement. Ils n'oubliaient jamais d'ajouter à ses effets, ceux de l'hydromel. Pour les Romains, la sauge était également une plante sacrée, qu'ils récoltaient selon un rituel précis: les personnes désignées pour aller la cueillir faisaient préalablement un sacrifice de pain et de vin puis se revêtaient d'une tunique blanche, allaient pieds nus et bien lavés. Il fallait (et il faudrait toujours!) éviter d'utiliser des outils de fer parce que les composants du fer sont incompatibles avec les essences de la sauge. Au moyen-âge, on contait que la sauge avait été bénie par la Madonne parce qu'un massif de cette plante avait caché le Sainte Famille en fuite vers l'Egypte, poursuivie par les soldats de Hérode. Des chroniques antiques ra­content que durant la terrible peste qui ravagea Toulouse en 1630, quelques voleurs avaient trouvé le moyen de s'emparer des biens de ceux qui venaient de mourir de la peste sans attraper la mortelle mala­die. Ces voleurs ont été surpris et arrêtés, mais on leur a tout de suite promis la vie sauve s'ils révélaient le secret qui les préservait de la contagion. Les voleurs se sont confessés: il suffisait, dirent-ils, de s'enduir le corps d'un vinaigre dans lequel on avait préalablement fait macérer beaucoup de sauge, avec un petit peu de romarin, de thym et de lavende. Les voleurs ont sauvé deux fois leur peau: de la peste et du gibet. C'est ainsi qu'est né le “Vinaigre des Quatre Larrons”, beaucoup utilisé en France et recom­mandé en cas d'épidémie et de grippe. Enfin, au XVIIième siècle, ce “Vinaigre” était tant apprécié des Chinois que les marchands hollandais affirmaient pouvoir échanger trois corbeilles de thé contre une seule de sauge.

 

Au fil des temps, la réputation de la sauge s'est maintenue inaltérée, mais s'il est utile de rafraîchir un peu les mémoires de la plupart de nos contemporains.

UTILISATION MÉDICINALE: la sauge est efficace pour guérir les états de dépression (infusion de 20 g de feuilles séchées dans un litre d'eau pendant dix minutes, deux à trois tasses par jour), les crises d'asthme et les bronchites (feuilles de sauge séchées et découpées, fumées sous forme de cigarettes ou en pipe). Elle peut également être utilisée en cas d'affaiblissement généralisé ou pendant une convales­cence, à la suite d'une longue maladie: il faut alors prendre un pichet de vin de sauge après les repas. Ce vin s'obtient en faisant macérer 100 g de feuilles de sauge séchées dans un litre de vin rouge pendant dix jours et puis en le filtrant. Cette plante extraordinaire est également utile pour rééquilibrer les flux san­guins au cours des menstruations: il faut alors prendre deux tasses par jours d'une infusion de 15 g de sauge dans un litre d'eau bouillante pendant dix minutes, tout au long de la première semaine qui suit l'apparition des menstruations. Enfin, la sauge intervient dans les bains stimulants, notamment contre les douleurs rhumatisales: dans de tels cas, il faut préparer une infusion de 400 g de sauge à faire infuser dans quatre litres d'eau bouillante pendant quinze minutes, puis filtrer et verser dans la baignoire au mo­ment où l'on y entre.

 

USAGE COSMÉTIQUE: la sauge tonifie et revitalise la peau. On peut obtenir un tonifiant naturel en fai­sant macérer 60 g de cette plante dans un litre d'eau de Cologne pendant six semaines; on filtrera ensuite cette solution et on l'utilisera après avoir laver le visage, en se badigeonnant à l'aide d'un bout d'ouate lé­gèrement imbibé. A base de sauge, on peut également se fabriquer un dentifrice naturel, donnant un bel éclat de blancheur aux dents, en se frottant tout simplement les dents et les gencives avec une feuille de sauge. Enfin, après un shampooing, il faut rincer les cheveux avec une infusion de sauge, ce qui rend à ceux-ci leur couleur sombre.

 

Ultime curiosité: placée en sachets d'étoffe dans les armoires, la sauge protège les vêtements et les tis­sus des mites.

 

IDENTIFICATION: d'une hauteur de 30 à 70 cm, la sauge a de grandes feuilles oblongues, pétiolées, vertes-blanchâtres, assez épaisses; les fleurs apparaissent en mai-juin et sont bleues violacées; elles se présentent sous forme d'épis de trois à six fleurs; la plante possède une odeur et une saveur arôma­tique.

PARTIES UTILISÉES: les feuilles et les extrémités florales; à conserver dans des récipients se fermant hermétiquement.

 

Laura SILURI.

 

Bibliographie:

- Ouvrage collectif, Segreti e virtù delle piante medicinale, Selezione dal Reader's Digest, 1980.

- Gianna CHIESA-ISNARDI, I miti nordici, Longanesi.

- Lesley BREMNESS, Il grande libro delle erbe, De Agostini, 1994.

- Padre Atanasio DA GRAUNO, Piante ed erbe medicinale della Regione tridentia, Ardesi, 1937.

- Giovanna BELLI, Erbe e piante, Mondadori, 1993.

- Marc QUESTIN, La médecine druidique, Belfond-L'Age du Verseau, 1990.

- Alfredo CATTABIANI, Erbario, Rusconi, 1985.

mercredi, 03 février 2010

Le secret polaire de l'Ordre du Temple

silhouette-de-templier.jpgLe secret polaire de l'Ordre du Temple

par Paul-Georges Sansonetti

Ex: http://www.hyperboreemagazine.fr/

Comment évoquer l’ésotérisme chrétien en passant sous silence l’Ordre du Temple ?
On sait qu’il fut fondé par le chevalier Hugues de Payens (un nom qui en dit peut-être long sur les orientations secrètes de cette famille) et huit autres compagnons d’armes. Il est également bien connu que la désignation de leur Ordre est venue du fait que ces chevaliers se virent confier la garde des ruines du temple de Salomon. L’Ordre fut officiellement reconnu en 1118 mais, selon certaines sources, la fondation daterait de 1111, autrement dit 111 ans après l’an Mil marquant le milieu de l’ère astrologique des Poissons. Inutile de revenir sur la signification éminemment polaire du 111. Cette date de 1111 aurait donc été judicieusement choisie pour signifier, à ceux susceptibles de comprendre, l’affiliation de l’Ordre au courant johannite et, de la sorte, à la tradition primordiale. Ce nombre se retrouve à plusieurs reprises – mais toujours de façon occulte - dans l’emblématique templière. Ainsi pour le premier sceau de l’Ordre représentant le célèbre « Dôme du Rocher » à Jérusalem (illustration 1).
Pourquoi donc choisir un édifice musulman (surtout aussi fondamental pour l’Islam) ? Est-ce à dire, comme l’écrirent plusieurs auteurs, que des liens occultes auraient uni les Templiers à la religion de Mahommet ? Leurs affrontements avec les Maures disent tout le contraire. Précisons que, s’il y eut entente réelle, car fondée sur un ésotérisme identique, entre le Temple et une organisation moyen-orientale, ce fut avec l’Ordre des Ashasshins créé à l’initiative du mystérieux Hassan Saba et dont le siège, Alamût, en Perse, était une formidable citadelle. La réponse concernant la représentation de cette mosquée sur le sceau du Temple serait à la fois plus simple et plus inattendue. Le sommet du dôme est exactement à 111 pieds du sol. Ce nombre étant celui du Pôle, on comprend que le monument en question ait servi à masquer une signification d’une importance essentielle. Le décor de Jérusalem dissimulait la véritable « Terre sainte », celle qui fut au commencement de l’Histoire des peuples d’Europe ainsi que d’autres continents. Comme l’écrit René Guénon, « il existe une « Terre sainte » par excellence, prototype de toutes les autres, centre spirituel auquel tous les autres sont subordonnés ».

Citons un second exemple de cryptage montrant que l’Ordre du Temple se référait à la notion de Pôle. Ce cryptage concerne l’étendard des Templiers appelé « Beauçant », un nom singulier qui a suscité de multiples interprétations. On l’a parfois orthographie « Beaucéant », ce qui pourrait s’interpréter comme « beau céans », c’est-à-dire « beau dedans », « belle intériorité ». Formule qui, dans le domaine initiatique, serait allusive à l’intériorité d’un être ou même de l’Ordre. Il s’agirait de quelque chose de non visible car demeurant dans l’être (on songe à l’âme, sinon au Soi immortel) ou qu’on ne révèlerait point en dehors des murailles templières. Mais l’on est en droit de se demander si, en fait, ce nom de « Beaucéant » ne concerne pas l’étendard lui-même. Ce qui est « beau » se révèlerait alors contenu dans (la signification de) cette enseigne. On sait que l’étendard était noir et blanc et il est loisible de supposer que la partie noire en occupait le bas et la blanche le haut. En rapport avec l’alchimie, pareilles couleurs énoncent les deux premières phases du Grand Œuvre nommée nigredo (« noirceur ») et albedo (« blancheur »). Il suffit de faire la guématrie de ces deux termes latins pour comprendre ce que signifie Beaucéant : n (14) + i (9) + g (7) + r (18) + e (5) + d (4) + o (15) = 72 et a (1) + l (12) + b (2) + e (5) + d (4) + o (15) = 39. Ce qui nous donne 72 + 39 = 111. Aux yeux de ceux (Johannites) qui savaient, le Beaucéant proclamait l’existence du 111. Les Templiers manifestaient ainsi secrètement leur appartenance à la Tradition polaire.
Toutes ces données, parmi d’autres que nous révèlerons lors d’un numéro de la présente revue consacré à la notion de chevalerie et aux Templiers en particulier, montrent que l’Ordre du Temple fut avant tout une organisation souchée sur ces notions synonymes que sont le Pôle, l’Âge d’Or et le Centre suprême. En conséquence, une telle organisation n’a strictement rien à voir - et surtout ne doit pas être confondue ! - avec l’idéologie humanistico-mondialiste de certaines sociétés (supposées) initiatiques et qui prétendent inscrire leur action dans la continuité du templarisme.
En attendant, donc, une étude plus détaillée et pour bien montrer le lien existant entre la doctrine ésotérique du Temple et une connaissance issue du paganisme germanique, il suffit de mettre en parallèle deux images. La première, est présente sur une bractéate qui, remontant à la période dite des invasions, fut trouvée à Pliezhausen (Wurtemberg), ainsi que sur le casque d’un chef saxon enterré à Sutton-Hoo, dans le Suffolk (Grande-Bretagne). Elle montre un Germain combattant à cheval tandis que, le secondant en maintenant sa lance, on voit un petit personnage positionné derrière lui. Il s’agit de ce que le monde viking dénommera la fylgja, (illustration 2) terme que l’on traduit par l’« accompagnatrice » - on pourrait dire le Double - et qui désigne l’aspect supérieur de l’âme d’une personne (à la condition, bien entendu, que cette personne ait la capacité de se hisser à ce niveau).
La seconde image n’est autre que le célèbre sceau templier (illustration 3). Sceau ayant succédé à celui évoqué plus haut et représentant deux chevaliers sur un même cheval. On a prétendu que ce cheval pour deux symbolisait la pauvreté des chevaliers du Temple mais, sachant quelle était la richesse de l’Ordre à l’époque où ce sceau était en usage, une telle explication prête à sourire. En réalité l’image se veut la transcription de la notion germanique de fylgja.
La preuve de ce que nous avançons est peut-être sur les écus semblables des deux cavaliers ou, plus exactement, du Templier et de son Double. On remarque en effet que le motif qui orne la surface de chaque bouclier et que l’on nomme en héraldique « raie d’escarboucle » est formé de deux croix superposées marquant les huit directions de l’espace. (illustration 4)
L’une +, représentant l’être terrestre, corporel, et l’autre, dite de saint André, X, symbolisant l’être céleste (autrement dit le Double spirituel du premier). Telle est en fait la signification du célébrissime dessin de Léonard de Vinci reproduit maintenant sur la pièce de 1 euro italien. Par ce sceau, l’Ordre du Temple résumait tout un ensemble doctrinal repris du passé païen de l’Europe et en rapport avec le concept de terre originelle, lieu de l’Âge d’Or et siège du Centre suprême.

 

 

 

 

Revue "Hyperborée": Qu'est-ce que l'ésotérisme?

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SOMMAIRE DU N°9

ÉDITORIAL

Qu’est-ce que l’ésotérisme ?

DOSSIER L’ÉSOTÉRISME CHRÉTIEN

Ganagobie : des mosaïques pas très catholiques
Thulé sous le masque chrétien
L’image du Golgotha et les mythes nordiques
Le secret polaire de l’Ordre du Temple
Les saints du calendrier et le symbole zodiacal
La religion orthodoxe, gardienne de la Tradition

LU, VU, ENTENDU

Charbonneau-Lassay et le Bestiaire du Christ
La chanson populaire
Page solaire
Le feu de Naciketas
Les alignements du Ménec
Vincenot, de Pierre Vial
Célestin et Amycus

ORIGINES

La Nwyvre, l’énergie procréatrice des origines
Pensée, parole, action dans la tradition européenne

NOTRE EUROPE

La Sardaigne : du temps et des dieux
L’Irlande - 2e partie : Du génocide à la reconquête

EDITORIAL DU N°9

Qu'est-ce que l'ésotérisme ?


Qu’est-ce que l’ésotérisme ? C’est le monde tel qu’il existe et tel que le voient certains êtres selon une logique et une vision qui ne sont pas apparentes ou reconnues par les autres. Nietzsche disait que le philosophe exotérique voit les choses d’en bas, tandis que le philosophe ésotérique les voit d’en haut. Cette explication n’est guère satisfaisante ; l’ésotériste n’est pas, dieu merci, un philosophe, tout au moins, dans son acception actuelle. Et, les choses, il ne les voit ni d’en haut ni d’en bas, il les voit à travers, superposées, ou comme à la lecture d’un palimpseste. Don Juan, le chaman yaqui de Castaneda, assimilait la connaissance aux peaux d’un oignon qu’il faut éplucher pour en découvrir le secret (… en pleurant). On peut tout aussi bien s’en référer à l’image de la peau humaine ; on ne voit des êtres que leur apparence physique. La peau humaine comporte elle aussi plusieurs couches ; sa fonction permet de protéger – quelquefois de refléter – l’intérieur. L’étymologie du mot ésotérisme renvoie à ce dernier mot, intérieur, avant de signifier caché. Mais il n’y a pas lieu d’opposer exotérisme et ésotérisme, comme il n’y a pas lieu d’opposer science moderne et ancienne qui sont deux aspects d’un même corpus. Evidemment, l’accélération de notre fin de cycle fait que l’on n’a guère le loisir de pousser l’investigation plus loin que les apparences.
Le monde est régi par un ensemble de lois qui ne sont pas édictées par les hommes. Lorsque le temps fut venu de les occulter, puisqu’on entrait dans l’« âge sombre », ces lois et principes furent conservés sous forme de symboles, architecturaux, artistiques, ou autres, sous forme de transmission orale, ou écrite, de traditions rituelliques ou autres perpétuées depuis le fond des âges. Eliade, Evola, Dumézil, ou Guénon et bien d’autres ont largement contribué à expliquer ces modes de transmission dans les sociétés anciennes ou celles contemporaines, qu’on nomme « primitives » mais chez lesquelles perdurent encore bien des signes d’un savoir oublié. L’ésotérisme est donc la science qui étudie les connaissances qui ne sont pas accessibles à une perception immédiate, tout en incluant celles qui le sont – qui peut le plus peut le moins – et qui structurent le monde en profondeur. Et dès l’origine. Ces connaissances étant éternelles et universelles, l’ésotérisme peut encore se définir comme la voie de leur transmission.
De ce fait, les connaissances exotériques contemporaines, telles que les hommes les pratiquent d’une manière qu’ils définissent comme « rationnelle » ou « cartésienne » et qu’ils appellent « scientifiques », ces connaissances somme toute superficielles - « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » - ne sont qu’une infime partie du matériau intellectuel, et spirituel, que les hommes ont à leur disposition, de même que nous n’exploitons qu’une infime partie des potentialités de notre cerveau. Un domaine – celui le plus en pointe - de ces nouvelles sciences a inclus, ou plutôt rejoint, nous dirions presque spontanément, naturellement, certaines de ces anciennes connaissances ; c’est celui de la physique quantique, qui fausse justement ces règles de logique scientifique qu’on pensait indétrônables et incontournables. Le serpent se mord la queue. La science et la tradition se sont rejoints et ont un bel avenir commun.

L’ésotérisme chrétien

« Y a-t-il ésotérisme chrétien ou christianisme ésotérique ? dans le premier cas, le christianisme est fondamentalement un ésotérisme qui s’est dégradé en religion ; dans le second cas, le christianisme est une religion qui comporte quelques éléments ésotériques et a pris quelques formes ésotériques ».
Quant à nous, nous n’avons pas opposé exotérisme ou science à ésotérisme ou spiritualité. Il conviendrait tout autant de ne pas opposer paganisme et christianisme, en vertu d’une tradition de continuité redécouverte dans le présent numéro d’Hyperborée par Paul-Georges Sansonetti ; car il existe un ésotérisme chrétien qui énonce, lorsqu’on y prête attention, les mêmes vérités que professaient les spiritualités anciennes, que le christianisme dogmatique (ou religieux, comme l’écrit Riffard ) a tenté d’éradiquer par l’épée et le feu. Pour dire autrement, la Tradition s’est maintenue au sein même de ce qui pouvait être considéré comme son plus implacable ennemi. Ce qui nous permet, à nous, d’être encore là, nous référant à ces quelques bribes de savoir, tout aussi précieuses que la moindre molaire d’un mammouth qui permet aux archéologues de reconstituer le mastodonte dans son ensemble. Et à quelques injections d’ADN de faire marcher les spécimens congelés dans un proche avenir.
Et l’on s’attend, au jour du Jugement dernier, comme diraient les chrétiens, à voir se lever et s’animer toutes ces figures de pierre patiemment et délicatement sculptées dans la fraîcheur et la pénombre des cloîtres par des hommes courageux dont la mission était de transmettre ces connaissances primordiales, au nez et à la barbe (blanche) des Pères de l’Eglise.
Mais cela aurait-il pu se produire s’il n’y avait eu dans les fondements même du christianisme quelques éléments qui auraient permis cette continuité, à commencer par le personnage du Christ ?
Et même la vaste entreprise de récupération décidée d’une manière systématique par l’Eglise n’a-t-elle pas permis de sauvegarder certains vestiges ? On peut penser, bien sûr, à ces temples païens, eux-mêmes construits sur des lieux telluriques et qui ont été détruits, certes, mais aussi marqués, par l’emplacement d’une chapelle ? ou à cette surabondance de saints, destinés à remplacer les anciens dieux, lesquels étaient, rappelons-le encore une fois, des principes. Le coucou chrétien n’aurait, dans ce cas, fait que garder le nid au chaud pour le retour de l’aigle.
Pour illustrer ce qui vient d’être dit, voici le récit d’une petite expérience, que chacun peut faire sur le site de n’importe quel édifice chrétien près de chez lui.
J’ai découvert sur un tourniquet de l’unique bistrot d’un village perdu de la Drôme provençale une revue fort bien faite par une équipe d’érudits locaux qui s’appelle Mémoire d’Ouvèze, du nom de la rivière qui arrose les villages de ce pays aux confins de la Drôme et du Vaucluse, et qui a sinistre « mémoire » puisque c’est elle qui a emporté une partie de Vaison-La Romaine il y a quelques années. Ce numéro était consacré aux chapelles du Val d’Ouvèze et recense une trentaine de ces bâtiments qui sont souvent des petites merveilles d’architecture (voir encadré).

Notre dossier sur « l’ésotérisme chrétien » n’est évidemment pas exhaustif, nous aurions par exemple aimé évoquer la grande figure de Rudolf Steiner dont nous avons parlé à maintes reprises dans cette revue ; ce n’est que partie remise.

mardi, 02 février 2010

La Chandeleur et l'argent

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La Chandeleur et l’argent

 

Ex: http://fortune.fdesouche.com/

Étymologiquement parlant, la chandeleur, (autrefois la chandeleuse), vient du mot chandelle.

L’une des origines de la Chandeleur remonte aux Parentalia romaines: fête annuelle en l’honneur des morts, et au cours de laquelle ils veillaient, éclairés de cierges et de torches, en honorant Pluton et les dieux.

Chandeleur est aussi reliée au dieu Pan. Durant une nuit, les adeptes parcouraient les rues de Rome en portant des flambeaux. La chandeleur c’est aussi une croyance née d’une symbolique d’origine celte. La crêpe symbolise la roue solaire et le don aux divinités sans lequel le blé serait altéré.

Dans la religion catholique la Chandeleur est le jour de la présentation de Jésus au temple, 40 jours après Noël, jour de sa naissance. Cette christianisation de la Chandeleur se fait en 472, lorsque le pape Gélase Ier organise des processions aux chandelles qui symbolisent « Jésus lumière d’Israël ».

La crêpe elle-même évoque le disque solaire, ainsi que les offrandes alimentaires. La Chandeleur marque l’ouverture de la période de Carnaval. C’est en même temps, un signe de renaissance, de promesse d’avenir. La crêpe est censée exorciser la misère et le dénuement.

Il faut pour cela garder la première qui sera, tout au long de l’année, jusqu’à la Chandeleur suivante, garante de la prospérité. Cette crêpe que l’on ne mange pas est la survivance du rite de l’offrande. On mettait parfois un « louis d’or » dans la crêpe.

Cette coutume de la Chandeleur varie selon les pays et les régions, ainsi dans certaines régions cette crêpe était ensuite pliée autour de la pièce d’or et placée sur le haut de l’armoire de la chambre du maître de maison. Les débris de la crêpe de l’an passé étaient alors récupérés et la pièce qu’elle contenait donnée au premier pauvre rencontré. Si on respectait tous ces rites on était assuré, disait-on, d’avoir de l’argent toute l’année.

Une autre coutume de la Chandeleur consistait à tenir une pièce d’or dans la main gauche, tandis que de la droite on faisait sauter la première crêpe. Si la crêpe retombe correctement retournée dans la poêle on ne manquera pas d’argent pendant l’année.

Aujourd’hui où les pièces d’or sont rares on a pris l’habitude de faire sauter les crêpes en tenant dans une main la pièce de monnaie la plus importante en possession de la famille.

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vendredi, 29 janvier 2010

De zwarte zon - Religie en extreem-rechts in de VS

De zwarte zon

 

Religie en extreem-rechts in de VS

 

De VS kennen een gevarieerde fauna van blank en niet-blank racisme, vaak ingebed in bizarre religieuze wereldbeelden. In een nieuw boek probeert Nicholas Goodrick-Clarke dit ideologisch landschap te beschrijven, of althans het blanke segment ervan. Objectief blijven blijkt in de behandeling van dit sensatiethema echter erg moeilijk.

 

Koenraad Elst

 

 

Black%20Sun.jpgDe Brit Nicholas Goodrick-Clarke maakte naam met zijn proefschrift, The Occult Roots of Nazism.  Daarin doorprikt hij eigenlijk de theorie die in de titel vervat is, als zou occultisme de wortel van het nazisme vormen.  Dat was dus niét zo, want elk van de componenten van het nazisme had een basis in de algemene tijdsgeest: teleurstelling in de democratie, blank superioriteitsgevoel, eugenisme, jodenhaat.  Democratische landen waren pioniers in de eugenetica (Zweden, VS) of pasten rassendiscriminatie toe.  Nazibestrijder Winston Churchill was een overtuigd racist, Jozef Stalin en Charles de Gaulle hadden iets tegen de joden.  Het gepraat over nazi-occultisme wekt de valse indruk dat het nazisme op iets buitenissigs gebaseerd was, terwijl het eigenlijk een extreme toepassing was van destijds wijdverbreide politieke en biologische opvattingen.

 

Goodrick-Clarke had het best bij die eerste nuchtere bevinding gelaten.  Hij was echter op een goudmijn gestoten en is die sindsdien blijven uitbaten.  Zijn boek Hitler’s Priestess behandelde Maxiami Portas (1905-82), beter bekend als Savitri Devi.  Zij was een Frans-Griekse nazi, in 1941-45 ook spionne voor de Japanners in Calcutta, zenuwcentrum van de geallieerde campagne tegen Japan.  Haar asurn werd bijgezet in het schrijn van de Amerikaanse Nazipartij.  Bovendien was zij een radicale ecologe, wat Goodrick-Clarke inspireert tot een kritiek op de nazi-banden van de milieubeweging.  Adolf Hitler vaardigde immers de eerste moderne milieuwetgeving uit.  Tip voor een anti-Gaia-leuze: “Hitler was óók voor de dierenrechten.” 

 

 

Zon en bliksem

 

Goodrick-Clarke’s nieuwste boek betreft de neo-nazi’s in de Angelsaksische wereld, vooral in de VS: Black Sun. Aryan Cults, Esoteric Nazism and the Politics of Identity.  De titel, “zwarte zon”, verwijst naar een middeleeuws siermotief, een soort twaalfarmige swastika, dat in zwarte uitvoering op de vloer van het SS-hoofdkwartier prijkte.  Het schutblad toont zwart op goud een zonsverduistering met dito bliksemschicht, een verwijzing naar Savitri Devi’s boek The Lightning and the Sun.  In haar wereldbeeld torenen drie individuen boven de rest van de mensheid uit: farao Echnaton was de zon, Dzjengis Khan de bliksem, en Adolf Hitler combineerde de diepzinnigheid van de farao met het militaire genie van de khan (sic).

 

Dit boek behandelt hoofdzakelijk drie stromingen.  De eerste is het eigenlijke occultisme.  Deze stroming is niet intrinsiek racistisch of antisemitisch (ze integreert juist gretig weetjes uit Aziatische en joodse tradities) maar in de praktijk soms wel.  Goodrick-Clarke gaat een heel rijtje af van Hitler-“channelers” (mediums) en ufologen die de hemel afspeuren naar de in 1943 naar Aldebaran vertrokken nazi-ruimteschepen, jawel.

 

Ten tweede is er een christelijk-apocalyptisch racisme, met groepen als de Ku Klux Klan en Christian Identity.  Tot voor kort werden slavernij, raciale apartheid en jodenhaat moeiteloos met bijbelteksten gerechtvaardigd, en christelijke racisten houden dit vol.  Het bijbelboek der Apocalyps inspireert velen tot eindtijdfantasieën met concrete implicaties, zoals collectieve sektezelfmoorden.  Bij christelijke racisten wordt dit de verwachting van een eindstrijd tussen de rassen, die vaak een eigen leven gaat leiden bij mensen die voorts het geloof achter zich gelaten hebben.

 

Het voorbeeld bij uitstek is het boek The Turner Diaries van William Pierce, dat de eindstrijd beschrijft tussen de krachten der duisternis (waarin men moeiteloos de joden herkent) en het Arische uitverkoren volk.  Het inspireerde Timothy McVeigh tot zijn bomaanslag in Oklahoma City die 168 mensen doodde.  Noteer echter dat McVeigh voor zover bekend niets tegen kleurlingen had (zijn bom doodde hoofdzakelijk blanken) en in Hitler een tiran zag die net als Bill Clinton het privé-wapenbezit trachtte te verbieden.

 

 

Odin

 

De derde stroming is het odinisme.  Goodrick-Clarke stelt het ten onrechte zo voor dat dit soort religieuze nostalgie naar de voorouderlijke cultus van Odin een politiek project is.  In het zeer Germaanse IJsland bijvoorbeeld, waar Savitri Devi tot haar teleurstelling geen enkel gehoor vond voor haar neonazisme, is het odinisme hersticht zonder enige politieke connotatie (en trouwens als religie erkend, zodat een odinistische huwelijksvoltrekking er rechtsgeldig is).  In de VS zelf doen sommige odinisten zoals Kveldulf Gundarsson alle moeite om hun religie gescheiden te houden van politieke recuperatie in het algemeen en blank racisme in het bijzonder.

 

Gundarsson wijst erop dat uit het voorouderlijke heidendom geen uiting van racisme of jodenhaat bekend is.  Toen de Germanen naar warmere streken uitzwermden, assimileerden zij zich meestal binnen één generatie met de plaatselijke bevolking.  Apartheid was aan hen niet besteed.  Pro dictatuur waren ze evenmin: de meeste odinisten, inbegrepen de racisten onder hen, vermelden trots op hun webstek dat founding father Thomas Jefferson de moderne republiek als een herleving van de oude Saksische principes beschouwde.  Hitler daarentegen dreef in Mein Kampf de spot met de nieuwheidense “zwerfgeleerden”, die vaak ook pacifist, provinciaal separatist of anarchist waren.  Hij vond het juist on-Germaans om in het verleden te leven en zelfs om aan religie überhaupt tijd te verspillen.  Daarom gelastte hij in 1935 de ontbinding van alle odinistische en andere alternatief-religieuze groeperingen.

 

Niets van dat alles bij Goodrick-Clarke, die het net van “neonazisme” zo breed mogelijk uitwerpt.  Hij merkt bijvoorbeeld niet op dat zelfs een racist geen nazi hoeft te zijn (zie Churchill).  Nochtans blijkt dat vele racistische groeperingen in de VS elke associatie met Hitler verwerpen: omdat ze als libertaire Amerikanen zijn autoritair systeem niet lusten, omdat hij hun Slavische rasgenoten als Untermenschen behandelde, of omdat hij een oorlog op gang bracht die vooral blanken doodde.  Echte neonazi’s zijn zelfs in het racistische milieu een kleine minderheid.

 

            Black_Sun_svg.pngGoodrick-Clarke verduivelt echter achteloos talloze mensen en groeperingen als “neonazi”, wat in het huidige opinieklimaat op een maatschappelijk doodvonnis neerkomt.  Zo betrekt hij in zijn amalgaam herhaaldelijk “de New Age-beweging”.  Op die brede stroming valt weliswaar veel aan te merken, maar ze is wel individualistisch, pacifistisch, feministisch en xenofiel, dus diametraal tegengesteld aan het nazisme.

 

 

Rangen sluiten

 

Op die manier wordt Goodrick-Clarke’s kruistocht tegen de alom loerende neonazi’s contraproductief.  Bovendien ontgaat hem het belangrijkste feit omtrent de stroming die racisme met religie combineert, hoewel hij het in de inleiding heel terloops aanstipt.  Wie regelmatig met immigrantengemeenschappen omgaat, herkent het patroon: als gemeenschap de rangen sluiten, je dochters overtuigen om vooral niet met iemand van buiten de gemeenschap te trouwen, je religie (die je in het thuisland misschien verwaarloosde) extra in de verf zetten.  Wel, nu blanken op steeds meer plaatsen in een minderheidspositie komen, ontwikkelen zij ditzelfde patroon.  Blanken die zich generen voor dat ongenereuze racisme van destijds, stellen vast dat racisme bij de minderheden wèl getolereerd wordt en keren er zelf naar terug eens zij zich ook minderheid beginnen te voelen.  En omdat racisme op zich maar armzalig is als ideologische ruggengraat, combineert men het met religie, soms in occulte variant.

 

 

Nicholas Goodrick-Clarke: Black Sun. Aryan Cults, Esoteric Nazism and the Politics of Identity, New York University Press, 2002, ISBN 0-8147-3124-4, 371 pp.

 

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mardi, 26 janvier 2010

Les Géants

gayant.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1988

Les Géants

 

Les Géants apparaissent dans toutes les mythologies comme l'incarnation d'une Race Primordiale. Psychologiquement, ils reflètent en quelque sorte les premières perceptions que ressent l'enfant face au monde adulte. Pour les enfants, les adultes apparaissent tantôt comme des êtres bienveillants tantôt comme des êtres malveillants, comme les détenteurs d'une grande sagesse ou de pouvoirs magiques. Les Géants le sont eux aussi.

 

Les Indiens de l'époque védique croyaient en un Age d'Or, Age de Géants soustraits au péché, sages et vivant de très longues vies. Ils pouvaient vivre mille ans car, à leur époque, la vie était «centrée dans le sang», c'est-à-dire dans le sang immortel de la déesse.

 

Cette croyance se reflète également dans le récit de Thor partant en voyage pour le pays des Géants afin d'apprendre les secrets de leur magie immémoriale. Thor ne put trouver le chemin de ce pays avant d'avoir traversé une rivière formée du sang menstruel de la déesse.

 

Les Titans, progéniture de la Terre-Mère et du Ciel-Père, étaient les Géants des Grecs. Le Ciel-Père devint jaloux de ses enfants et tenta de les

étouffer. La Terre-Mère suggéra à son fils de castrer et de tuer son père. Plus tard, Cronos épousa Rhéa et avala tous ses enfants, sauf un, car il craignait de subir le même sort. L'enfant sauvé, Zeus, finit par attaquer son père. Le thème œdipien de la rivalité père/fils est un trait commun à tous les mythes mettant en scène des Géants.

 

Les Chrétiens ont engrangé des profits colossaux en spéculant sur les pouvoirs soi-disant miraculeux des ossements des Saints Innocents, victimes du Roi Hérode. Lorsque des esprits sceptiques signalèrent que les ossements en question étaient trop grands pour avoir appartenu à des enfants de moins de deux ans, les hommes d'église répondirent, sans rire, que les humains étaient plus grands du temps d'Hérode car plus rapprochés de l'Age des Géants!

 

Les Irlandais croyaient en une race géante vivant sous les collines de Tara. Tara était le siège du Grand Roi d'Irlande. La race des Géants était le Tuatha De Danann, le peuple de la déesse Dana, constructeur des temples de pierre. Cette déesse a survécu dans le folklore médiéval sous le nom de Titania, la Reine féérique. Curieusement, on observe qu'avec le temps les Géants sont devenus fées, lutins, membre du «peuple des petits». Cette réduction de taille reflète le déclin du paganisme face au christianisme.

 

L'Angleterre, elle aussi, a eu ses Géants. Le Géant Cerne Abbas du Dorset est une énorme déité de la fertilité. Tenant une massue dans la main droite avec, sans doute, à une époque antérieure, une cape qui recouvrait sa main gauche, il est une représentation de Hercule/Helith, une déité solaire. Avec leurs noms biblisés, Gog et Magog sont deux autres Géants dont les figures furent sculptées sur la pente du Plymouth Hoe et qui donnèrent leur nom aux collines Gogmagog dans le Cambridgeshire. Geoffrey of Monmouth nous raconte qu'ils ont été défaits au cours d'une bataille par le Géant Corineus. Corineus reçut en guise de récompense le Pays de Cornouailles et lui donna son nom. Gog et Magog sont toujours perçus comme les «protecteurs» de Londres et, lors de tout festival civique, leurs images sont promenées dans les rues de la ville. Comme nous ne connaissons pas les anciens noms de ce Gog et de ce Magog qui apparaissent dans le folklore anglais et cornique, penchons-nous sur l'étymologie hébraïque de leurs noms. En hébreux, «og» signifie «celui qui va en un cercle». De ce fait, on peut déduire que Gog et Magog sont en réalité des représentations du Soleil et de la Lune («Ma» était féminin) plutôt que deux Géants mâles comme nous le rapporte Geoffrey of Monmouth.

 

Julia O'Laughlin.

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dimanche, 03 janvier 2010

Le nombre "5" dans la tradition indo-européenne

Alberto LOMBARDO :

Le nombre « 5 » dans la tradition indo-européenne

 

Le nombre 5 est un nombre important, tant pour son symbolisme que pour son étymologie : les deux registres se complètent d’ailleurs parfaitement. Selon les reconstructions opérées à l’unanimité par les linguistes, le terme, qui désigne le nombre « 5 », dérive d’une racine indo-européenne *penkwe, que l’on retrouve dans plusieurs aires linguistiques. Comme pour les autres nombres, on constate des formes différentes dans les différentes langues indo-européennes : l’irlandais « coïc » et le gallois « pimp » ; le gothique et le vieil haut allemand « fimf », le lituanien « penki » et le slave ancien « petr », le tokharien A « päñ », le tokharien B « pis », le latin « quinque » et l’ombrien « pumpe » (nas) ; le grec antique « pente », l’arménien « hing » ; le persan avestique « panca » et le sanskrit « panca » dérivent tous de cette unique racine phonétique, qui, selon une interprétation, serait composée de *pen et de *-kwe ; cette dernière syllabe est un suffixe indiquant une conjonction copulative ou plutôt enclitique, c’est-à-dire qui se place à la fin d’une série de termes : ce type de conjonction est encore bien présente en latin, « -que » (ndt : dans la formule « Senatus populusque romanus »).

 

Ces précisions ne relèvent pas seulement de la simple curiosité philologique parce que c’est en réfléchissant sur la signification de ce *kwe/-que que l’on a pu émettre la théorie qu’aux temps archaïques les Indo-Européens comptaient non sur base décimale, comme nous le faisons aujourd’hui, mais sur la base du nombre 5 ; leurs calculs se terminaient donc par une expression pour désigner le nombre final, que nous devrions plutôt traduire par « et 5 », *penkwe / lat. : quinque - it : cinque. L’explication la plus simple est que cinq est le nombre des doigts de la main, sur base de laquelle on effectuait les calculs. Ensuite, le symbolisme du nombre cinq désigne aussi l’homme (le « microcosme ») ; ce chiffre, outre le nombre de doigts, représente aussi la somme de la tête et des quatre membres (ou des quatre extrémités des membres inférieurs et supérieurs, soit les mains et les pieds). Le pentacle ou pentagone, inscrit dans un cercle, fut l’un des symboles les plus prisés du pythagorisme car c’est sur une base de 5 que l’on accède à l’harmonie universelle de l’échelle d’or. On ne s’étonnera pas qu’un symbole aussi riche de signification ait été inversé, comme aujourd’hui, où l’on retourne le pentacle et où on le place pointe vers le bas, devenant ainsi l’emblème des divers groupes de « satanistes » dont bien peu comprennent la sens réel du symbole dont ils se sont emparé.

 

La fleur à cinq pétales indique la « quintessence » ; chez les rosicruciens, la rose à cinq pétales est placée toute entière dans une rose à huit pétales. En Inde, le nombre 5 revêt une importance particulière car il rappelle les couleurs primordiales et les sens de la perception, c’est-à-dire les éléments subtils et bruts. Dans la culture nordique antique (et dans d’autres cultures), le 5 est le nombre de l’équilibre puisqu’il est la somme de 2 et de 3, représentation de l’humain et du divin. L’homme et le divin, tout est dans le nombre 5 : ainsi le microcosme et le macrocosme, le haut et le bas.

 

L’étude des proportions et des équilibres de la main, liée étroitement au nombre 5, fait dire à Athanasius Kirchner (Musurgia universalis) : « De même, les éléments, les qualités, les tempéraments et les humeurs se maintiennent de manière constante en des rapports bien définis ».

 

Alberto LOMBARDO.

(article tiré de « La Padania », 23 juillet 2000 ; trad.. franc. : Robert Steuckers, décembre 2009). 

 

 

vendredi, 01 janvier 2010

Symbolisme du cochon chez les Indo-Européens

schweine.jpg

 

Alberto LOMBARDO :

 

Symbolisme du cochon chez les Indo-Européens

 

Les termes pour désigner le porc domestique nous apprennent beaucoup de choses sur notre lointaine antiquité. Dans la langue italienne, il y a trois substantifs pour désigner l’animal : « maiale », « porco » et « suino » (en français : « suidé » ; en néerlandais :  « zwijn » ; en allemand : « Schwein » et « Sau »).  Le dernier de ces termes, en italien et en français, sert à désigner la sous famille dans la classification des zoologues. L’étymologie du premier de ces termes nous ramène à la déesse romaine Maia, à qui l’on sacrifiait généralement des cochons. L’étymologie du second de ces termes est clairement d’une origine indo-européenne commune : elle dérive de *porko(s) et désigne l’animal domestiqué (et encore jeune) en opposition à l’espèce demeurée sauvage et forestière ; on retrouve les dérivées de cette racine dans le vieil irlandais « orc », dans le vieil haut allemand « farah » (d’où le néerlandais « varken » et l’allemand « Ferkel »), dans le lituanien « parsas » et le vieux slavon « prase », dans le latin « porcus » et l’ombrien « purka » (qui est du genre féminin). Ces dérivées se retrouvent également dans l’aire iranienne, avec *parsa en avestique, terme reconstitué par Emile Benveniste, avec « purs » en kurde et « pasa » en khotanais. Quant au troisième terme, « suino », il provient de l’indo-européen commun *sus, dont la signification est plus vaste. La plage sémantique de ce terme englobe l’animal adulte mais aussi la truie ou la laie et le sanglier. Les dérivés de *sus abondent dans les langues indo-européennes : en latin, on les retrouve sous deux formes, « sus » et « suinus » ; en gaulois, nous avons « hwch » ; en vieil haut allemand « sus », en gothique « swein » (d’où l’allemand « Schwein »), en letton « suvens », en vieux slavon « svinu », en tokharien B « suwo », en ombrien « si », en grec « hys », en albanais « thi », en avestique « hu » et en sanskrit « su(karas) ». Dans la langue vieille-norroise, « Syr » est un attribut de la déesse Freya et signifie « truie ».

 

Comme l’a rappelé Adriano Romualdi, « le porc est un élément typique de la culture primitive des Indo-Européens et est lié à de très anciens rites, comme le suovetaurilium romain, ainsi que l’attestent des sites bien visibles encore aujourd’hui ». Les Grecs aussi sacrifiaient le cochon, notamment dans le cadre des mystères d’Eleusis. Chez les Celtes et aussi chez les Germains (notamment les Lombards), nous retrouvons la trace de ces sacrifices de suidés. Le porc domestique est de fait l’animal le plus typique de la première culture agro-pastorale des pays nordiques. Parmi d’autres auteurs, Walther Darré nous explique que cet animal avait une valeur sacrée chez les peuples indo-européens de la préhistoire et de la protohistoire : « ce n’est pas un hasard si la race nordique considérait comme sacré l’animal typique des sédentaires des forêts de caducifoliés de la zone froide tempérée (…) et ce n’est pas un hasard non plus si lors des confrontations entre Indo-Européens et peuples sémitiques du bassin oriental de la Méditerranée, la présence du porc a donné lieu à des querelles acerbes ; le porc, en effet, est l’antipode animal des climats désertiques ». Il nous paraît dès lors naturel que les patriciens des tribus indo-européennes, lors des cérémonies matrimoniales, continuaient à souligner les éléments agraires de leur culture, en sacrifiant un porc, qui devait être tué à l’aide d’une hache de pierre ».  Nous avons donc affaire à un sens du sacré différent chez les Indo-Européens et chez les Sémites, qui considèrent les suidés comme impurs mais qui, rappelle Frazer, ne peuvent pas le tuer ; « à l’origine, explique-t-il, les juifs vénéraient plutôt le porc qu’ils ne l’abhorraient. Cette explication de Frazer se confirme par le fait qu’à la fin des temps d’Isaïe, les juifs se réunissaient secrètement dans des jardins pour manger de la viande de suidés et de rongeurs selon les prescriptions d’un rite religieux. Ce type de rite est assurément très ancien. En somme, conclut Romualdi, « la familiarité de la présence de porcins est un des nombreux éléments qui nous obligent à voir les Indo-Européens des origines comme un peuple des forêts du Nord ».

 

Dans sa signification symbolique, le porc est associé à la fertilité et son sacrifice est lié à la vénération due aux dieux et à la conclusion des pactes et traités. Avec la prédominance du christianisme dans l’Europe postérieure à l’antiquité classique, le porc a progressivement hérité de significations que lui attribuaient les peuples sémitiques, notamment on a finit par faire de lui le symbole de l’impudicité, des passions charnelles, de la luxure, avant de l’assimiler au diable. Dans la Bible, en effet, le « gardien de cochons », image de l’Indo-Européen agropastoral des premiers temps, est une figure méprisée et déshonorante, comme le fils prodigue de la parabole, réduit à garder les porcs d’un étranger.

 

Alberto LOMBARDO.

(article paru dans « La Padania », 30 juillet 2000 ; trad. franc. : Robert Steuckers, décembre 2009).

Le Who's who de la mythologie indo-européenne

olympians.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

Le Who's who de la mythologie indo-européenne

 

Patrick CANAVAN

 

«Tous les peuples qui n'ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid»

Patrice de la Tour du Pin

 

L'Europe contemporaine a une dette immense à l'égard de la mythologie païenne, à commencer par son nom. Aimée de Zeus, la belle et blanche Europe, fille d'Agénor, roi de Phénicie, donna son nom à notre continent après avoir fait trois fils au roi des dieux: Minos, Rhadamante et Sarpédon. Le moindre de nos fleuves, la moindre de nos montagnes portent généralement le nom d'une divinité archaïque. Comme en Europe, toutes les renaissances sont toujours des recours au vieux fonds pré-chrétien (la Renaissance italienne, le Romantisme allemand, etc), on voit que la connaissance de cet héritage ancestral s'impose à quiconque entend construire quelque chose de durable.

 

Le mérite principal du beau Dictionnaire des mythologies indo-européennes  que les éditions “Faits et Documents” viennent de publier est justement d'offrir au lecteur non spécialiste, à l'homme cultivé d'aujourd'hui, un outil de travail permettant de “surfer” à travers les mythologies, de l'lnde à la Baltique, de l'Ecosse à la Mer Noire. C'est la première fois que cet exercice hautement excitant pour l'esprit est possible. Grâce à Jean Vertemont, indianiste et informaticien, collaborateur de la Revue d'Etudes Polythéistes Antaios, nous pouvons déambuler au milieu des mythes, des dieux et des héros de nos origines. La structure intelligente de son superbe livre permet, grâce aux renvois systématiques, de faire le lien avec les diverses correspondances. Prenons un exemple: Odhinn, Père de tous, Ase aux corbeaux, renvoie à Varuna, ce que savent les lecteurs de Dumézil, mais pas nécessairement les non spécialistes, les curieux. A lire le Dictionnaire  de Vertemont, on se prend vite au jeu fascinant des liens et des correspondances et, surtout, l'unité fondamentale de la Weltanschauung  indo-européenne apparaît de façon lumineuse. Le lecteur attentif ressentira rapidement une curiosité, une réelle solidarité pour les mythologies balte, scythe ou irlandaise généralement moins connues.

 

Ce dictionnaire est le premier du genre, d'où quelques menues imperfections (coquilles, imprécisions mineures), mais on n'oubliera pas que l'auteur a fait tout le travail en solitaire et qu'il a travaillé près de trente ans à cet ouvrage de référence, déjà incontournable. Dans une préface subtile, Jean Vertemont montre parfaitement l'importance du socle païen dans l'imaginaire européen. Son retour aux sources est une saine réaction contre toutes les monstrueuses idéologies de la table rase, qui sont à la base de tous les totalitarismes, dont l'utopie communiste, sans aucun doute le mythe le plus sanglant du XXème siècle avec ses cent millions de morts. Il est vrai que le libéralisme ploutocratique pratique lui aussi la table rase: en nous faisant oublier nos racines, grâce aux techniques de brouillage mental propres à la modernité (concerts de rock, vidéos irréelles, culte de la consommation et de la performance imbéciles, désinformation systématique, etc), il nous prive de tout avenir. L'abrutissement télévisuel, la censure des médias, la crétinisation de masse via les “loisirs”, tout cela concourt à noyer les identités dans un nouveau chaos, que l'apologie du métissage vient évidemment couronner: c'est la grande partouze planétaire annoncée par Guillaume Faye. Or, la souveraineté authentique, celle que nos ennemis tentent d'annihiler, a pour préalable obligé une claire conscience de son héritage: la Chine, le Japon, l'lnde en sont de bons exemples. Point de longue durée sans mémoire! Qu'attend l'Europe pour reconstituer son axe et pour affirmer sa volonté? La connaissance approfondie des structures des mythologies indo-européennes n'est donc pas un exercice gratuit réservé à quelques poètes ou à des rêveurs sans prise sur le réel.

 

Vertemont montre bien que les mythes archaïques nous enseignent l'essentiel, nous ouvrent des portes sur des domaines inconnus ou refoulés. Par exemple, au principe d'exclusion (un mot à la mode!) typique des religions monothéistes et dualistes, les paganismes indo-européens préfèrent le principe d'inclusion, nettement plus riche et harmonieux. Or, la multiplication des maladies dégénératives est clairement liée à une grave rupture avec les rythmes cosmiques, que la modernité, dans son désir fanatique de tout nier, de tout “démystifier”, a ignorés. Vertemont exprime bien une vérité très profonde, à savoir que le paganisme est bien plus qu'un stade primitif de notre conscience, mais bien le stade premier... et qui n'a rien de primaire. Ecoutons-le un instant: «Le Dieu unique, régnant sur le monde comme un banquier sur ses débiteurs, est devenu le moteur d'une pandémonie égalitaire de l'échange et de l'interchangeabilité, processus qui n'a pas encore atteint son terme. Que le résultat soit un totalitarisme dur ou un totalitarisme mou, il s'agit immanquablement d'une conséquence de la normalisation monothéiste, et de ses corrélats: l'expulsion de l'âme par le désenchantement du monde, l'universalisation par la raison, l'ethnocentrisme, l'homogénéisation par la domestication des âmes, des esprits, et bientôt des corps».

 

Ce somptueux dictionnaire n'est donc pas un livre de plus à ranger religieusement dans sa bibliothèque sans l'avoir réellement lu: il s'agit d'un instrument de travail, non pas un simple travail d'érudition, tout compte fait secondaire, mais bien d'un travail sur soi. Un travail, souvent douloureux, de redécouverte d'une identité première, antérieure à la coupure judéo-chrétienne (l'an “zéro” dont nous fêterons bientôt les deux millénaires: 2000 ans d'imposture et de malentendu). Telle est la quête païenne: être païen aujourd'hui ne consiste pas à arborer de volumineux marteaux de Thor! Mais bien à rentrer en soi, à se reconstruire, étape préalable à toute action sur le monde. Dans un entretien très dense accordé à la revue païenne Antaios  (n°12, solstice d'hiver 1997), Jean Vertemont nous propose sa définition des dieux du paganisme moderne: «Les Dieux sont des agencements de symboles qui acquièrent de ce fait la qualité de condensateurs de forces ou d'énergies primordiales. Ces forces sont opératives si l'on dispose des formes correctes pour les appréhender et les mettre en action». Son beau livre est fondamental pour la renaissance d'un courant païen qui ne se satisfait pas de pitreries ou d'idéologie: Vertemont convie les esprits libres à se retrouver et à créer.

 

Patrick CANAVAN.

 

Jean VERTEMONT, Dictionnaire des mythologies indo-européennes, Faits et Documents, BP 254-09, F-75424 Paris cedex 09, 365 FF. «Entretien avec J. Vertemont (Les Dieux des Indo-Européens)», cf. Antaios  n°12 (168 rue Washington, B-1050 Bruxelles, 110 FF ou 600 FB).

 

jeudi, 31 décembre 2009

Frithjof Schuon ou l'unité de l'essence-ciel: pour son 90ième anniversaire

Frithjof-Schuon.jpgArchives de Synergies Européennes - 1999

FRITHJOF SCHUON OU L'UNiTE DE L'ESSENCE-CIEL:

POUR SON 90ième ANNIVERSAIRE

 

Frédéric d'HÖLKELUNN

 

«Et telle que serait la folie d'un homme qui, ne sachant ce que c'est que la navigation, se mettrait sur mer sans pilote, telle est la folie d'une créature qui embrasse la vie religieuse sans avoir la volonté de Dieu pour son guide».

(Bossuet)

 

«Il est des hommes qui adorent le soleil parce qu'il est une manifestation de Dieu; il en est d'autres qui refusent de l'adorer parce qu'il n'est pas Dieu, ce qu'il semble prouver par le fait qu'il se couche. Les adorateurs du soleil pourraient faire valoir à bon droit qu'il ne se couche pas, mais que c'est la rotation de la terre qui crée cette illusion; et on pourrait comparer leur point de vue à celui de l'ésotérisme, qui, d'une part, a conscience du caractère théophanique et pour ainsi dire sacramentel des grands phénomènes du monde visible, et, d'autre part, connaît la nature réelle et totale des choses et non tel aspect ou telle apparence seulement.

 

Mais il faut mentionner aussi une troisième possibilité, celle de l'idolâtrie: il est des hommes qui adorent le soleil, non parce qu'il savent qu'il manifeste Dieu, ou que Dieu se manifeste par lui, ni parce qu'ils savent qu'il est immortel et que ce n'est pas lui qui se couche (1), mais parce qu'ils s'imaginent que Dieu est le soleil; dans ce cas, les contempteurs exotéristes du soleil ont beau jeu de crier au paganisme . Ils ont relativement raison, tout en ignorant que l'idolâtrie  —ou plus précisément l'héliolâtrie—  ne peut être qu'une dégénérescence d'une attitude légitime; attitude non exclusive sans doute, mais en tout cas consciente de la situation réelle, au point de vue du sujet aussi bien qu'à celui de l'objet».

 

- (1) “Le fait que le soleil se déplace à son tour, à ce qu'il paraît, n'entre pas en ligne de compte dans un symbolisme limité à notre système solaire”. (Frithjof Schuon, L'Esotérisme comme Principe et comme Voie, page 216).

 

C'est le 18 juin 1997, que “le plus grand philosophe du XXième siècle” selon Jean Biès (1), a discrètement fêté ses 90 printemps, à la lisière des vastes forêts de l'Indiana, près de la petite cité universitaire de Bloomington, aux Etats-Unis, où il vit depuis 1980.

 

Quelques jalons biographiques:

 

Près d'un siècle auparavant, la ville de Bâle en Suisse avait bercé les premières années de son enfance (2-, quasiment au son du violon de son père, d'origine wurtembergeoise. Après un apprentissage de dessinateur d'art sur tissus dans une entreprise de Mulhouse, Frithjof Schuon qui est d'ascendance alsacienne par sa mère, effectue son service militaire dans l'armée française, tout en poursuivant des études d'Islamologie à l'Institut de la Mosquée de Paris. Il voyage au Maroc et en Algérie, approfondi ses connaissances des arts et métiers traditionnels d'Extrême-Orient, et rencontre en 1932 le Shaykh Ahmad al-Alawî, Maître d'une tariquah soufie, dont il deviendra le disciple. Lors d'une escale au Caire en 1938, Schuon rend une visite courtoise à René Guénon avec lequel il entretenait d'importantes relations épistolaires. Pendant plus de vingt ans il sera d'ailleurs le plus proche collaborateur de Guénon auprès de la revue Etudes Traditionnelles.

 

Indépendamment de son engagement au sein de l'Islam, Schuon se lie a quelques-unes des personnalités les plus remarquables des tribus sioux Lakota d'Amérique du Nord, et accompli plusieurs séjours auprès d'elles durant les étés 1959 et 1963. Son journal, ainsi que maintes études d'une acuité exceptionnelle et de splendides fresques peintes témoigneront de son empathie à l'égard de la primordialité de cette civilisation qu'il désignera de l'épithète de “Rubérien” ou “Ruberindien”.

 

Cependant, la déclaration de guerre l'oblige à écourter un voyage en Egypte et en Inde pour servir sous le drapeau tricolore; puis, la lueur des hostilités s'estompant, il gagne la Suisse où il s'établit à Pully, près de Lausanne sur les bords du Lac Léman. C'est sur ces coteaux paisibles que va se peaufiner, pendant près de quarante ans, les linéaments d'une œuvre qui sert l'arc-en-ciel divin de la Vérité parce qu'elle témoigne dans les labours du cœur humain de la Grâce de la Présence.

 

Une œuvre “essence-ciel”

 

Si l'on tente de ceindre  —tant que faire se peut!—  d'un seul regard cette somme (3) spirituelle incomparable, l'éclat premier qui en rejaillit parait s'énoncer autour de trois principes fondamentaux: Le Beau, Le Vrai et Le Bien, qui, à l'instar des lois globales  de la physique, mais avec une dimension —universelle- qui les implique, conditionne toute une hiérarchie des états d'être du microcosme au macrocosme. Platon dans sa célèbre formule “le beau est la splendeur du vrai” avait confirmé le lien indissoluble qui unit la beauté et la vérité. Ce qu'il convient de souligner, c'est que ces notions comme toutes celles présentes dans les différents livres de Schuon, doivent être appréhendées au plus intime de soi, (re)-vécues par chacun, comme une aventure intérieure.

 

Ces éléments donnés pour préciser en quoi dès que l'on aborde les religions, et plus généralement le champs de la transcendance, on ne saurait se passer d'une herméneutique des formes et de la substance symboliques dont sont constituées les Révélations. Faute de quoi les concepts ne véhiculent qu'une sorte de constructivisme intrinsèquement subjectif.

 

Devant l'efflorescence actuelle de groupes néo-païens et l'opacité que recèle l'expression même de paganisme, il convient de nous interroger sur ce phénomène. Comme l'atteste la citation de Schuon en exergue, nul mieux que lui n'est à même de clarifier et rectifier certaines dérives  néo-paiennes, à l'image de celle offerte dans une récente revue de la “nouvelle droite” française. Ainsi se confirmera l'impérieuse nécessité de la perspective schuonienne pour cette fin du second millénaire.

 

Le néo-paganisme selon la “nouvelle droite”:

 

Le n°89 de juillet 1997 d'Eléments pour la civilisation européenne, s'ouvre sur un remarquable éditorial intitulé “sortir du nihilisme” dont le propos se poursuit en quelque sorte au sein d'un entretien avec Alain de Benoist, intitulé «Comment peut-on être païen?». Extrêmement synthétique et pleinement justifié dans son diagnostic, l'éditorial d'Eléments  souffre néanmoins d'une certaine incomplétude en ce qu'il ajourne la logique même qui le sous-tend. En effet, un tel constat ne devrait-il pas déboucher sur un rattachement à l'une des Voies authentiquement traditionnelles? Dans le cas contraire ne demeurons-nous pas simple spectateur-sociologue, d'un discours au demeurant brillant? Ce sont les premières questions que suscite cet éditorial comme l'entretien qu'a accordé Alain de Benoist.

 

En page 10-11 de celui-ci, nous découvrons, on ne sait trop pourquoi ce qui suit: «Les groupes “néopaiens” extrêmement nombreux qui évoluent dans ce milieu échappent rarement à ce syncrétisme (c'est nous qui soulignons), en fait un patchwork de croyances et de thèmes de toutes sortes, où l'on voit se mêler les tarots et les “charmes” karmiques, l'interprétation des rêves et les invocations à la Grande Déesse, les traditions hermétiques égyptiennes et les Upanishads, Castañeda et le roi Arthur, Frithjof Schuon et la psychologie jungienne, le marteau de Thor et le Yi-King (...), etc.».

 

Pour un lecteur peu ou non instruit des Doctrines Traditionnelles, et surtout qui ne dispose pas d'information précise sur Frithjof Schuon, ce qui précède prête à diverses supputations qui ont en commun d'altérer l'image de ce dernier. En effet:

- M. Schuon pourrait passer pour l'un des dirigeants ou conseillers de ces “groupes néo-païens”.

- On pourrait penser que M. Schuon avalise une quelconque idée de néopaganisme, ou cautionnerait l'une des tendances ou formulations du courant “New Age” ou de l'un des auteurs ci-dessus cité.

 

Or tout ceci est contraire à la Vérité et l'œuvre inestimable de Frithjof Schuon en apporte une éclatante réfutation. Mais il y a plus ennuyeux, ce sont les deux termes de “syncrétisme” et de “patchwork” accolé à sa personne qui ne peuvent qu'induire que son propos correspondrait à un (sic) “syncrétisme” ou un (sic) “patchwork”, ce qui est encore une fois l'exacte inverse de la réalité.

 

Il suffit pour s'en convaincre de se pénétrer des deux citations suivantes: “le paganisme c'est la réduction de la religion à une sorte d'utilitarisme” (4); “Le paganisme, s'il ne se réduit pas à un culte des esprits,  —culte pratiquement athée qui n'exclut pas la notion théorique d'un Dieu—  est proprement un “angélothéisme”; le fait que le culte s'adresse à Dieu dans sa “diversité”, si l'on peut dire, ne suffit pas pour empêcher la réduction du Divin  —dans la pensée des hommes—  au niveau des puissances créées. L'unité divine prime le caractère divin de la diversité: il est plus important de croire à Dieu -donc à l'Un- que de croire à la divinité de tel principe universel. L'Hindouisme ne perd pas de vue l'Unité; il a tendance à voir l'Unité dans la diversité et dans chaque élément de celle-ci. On ne saurait donc sans grave erreur comparer les Hindous aux païens de l'antiquité, pour lesquels la diversité divine était quasiment quantitative» (5).

 

Les interprétations limitatives d'Alain de Benoist

 

schuonregards.jpgIl est manifeste qu'Alain de Benoist, sans doute par tempérament, n'a malheureusement jamais étudié (6) les écrits de Frithjof Schuon. C'est regrettable, particulièrement, dans l'optique de cet article, l'ouvrage Regards sur les Mondes anciens (7) et le chapitre (pages 9-35) qui lui donne son titre, de même que le chapitre du même livre «Dialogue entre Hellénistes et Chrétiens» (pages 71-89) qui répond à notre sens bien mieux que ne le fait Heidegger de ce que fut la relation amphibologique mais véritable entre les anciens Grecs et les premiers Chrétiens.

 

Ceci exprimé, il convient d'éclaircir les points suivants:

- Maîtrisant à la perfection les catégories de la Métaphysique Universelle (8), M. Schuon ne saurait de ce fait en aucun cas être suspecté de syncrétisme ou de toute autre idée du même genre. Rappelons que Guénon a plus d'une fois montré la différence entre synthèse et syncrétisme d'une part, et la nécessité d'un rattachement à une tradition religieuse avérée d'autre part. En l'occurrence et comme pour M. Schuon, ce fut le Soufisme au sein de l'Islam Traditionnel.

 

- Quant à la psychologie jungienne et à Jung en particulier (9), nous citerons ce judicieux commentaire de Schuon (l0) à propos de l'exigence d'une “vigilance implacable” quant à “la réduction du spirituel au psychique”: «D'après C. G. Jung, l'émersion figurative de certains contenus du “subconscient collectif” s'accompagne empiriquement, à titre de complément psychique, d'une sensation nouménale d'éternité et d'infinitude; c'est ruiner insidieusement toute transcendance et toute intellection. Selon cette théorie, c'est l'inconscient  —ou subconscient—  collectif qui est à l'origine de la conscience “individuée”, l'intelligence humaine ayant deux composants, à savoir les reflets du subconscient d'une part et l'expérience du monde externe d'autre part; mais comme l'expérience n'est pas en soi de l'intelligence, celle-ci a nécessairement pour substance le subconscient, et on en vient alors à vouloir définir le subconscient à partir de sa ramification. C'est la contradiction classique de toute philosophie subjectiviste et relativiste». Il est difficile d'être plus clair quant à la dénonciation des erreurs de la “psychologie” jungienne, comme des dérives farfelues de groupes néo-paiens!

 

D'autre part, on ne saurait, sans fausser ce qui est présupposé dans toute Révélation ou Tradition authentique, parler des écrits de M. Schuon (11)  —ou de tout autre représentant qualifié de la Sophia perennis  (12)—  de la même façon que ceux des philosophes des XIXième et XXième siècle. Dans le cas contraire, on retomberait dans un relativisme (l3) n'autorisant pas un acte de foi plénier.

 

Métaphysique et philosophie ne sont pas synonymes!

 

On s'interroge sur l'existence distincte de ces deux termes dès lors que quasi toutes les sciences “dures” (sic) ou “humaines” (re-sic) les emploient alternativement et sans se préoccuper un seul instant du sens que ceux-ci avaient à l'origine. Ce confusionnisme (l4) est assez grave car il fausse toute tentative d'interprétation du fait religieux. René Guénon a pourtant définitivement établit la distinction radicale qu'il y a lieu de retenir entre philosophie et Métaphysique (15), et la démarche “quelque peu honteuse et confuse” (16) de Heidegger se trouve renvoyée à sa juste place.

 

Quoique nous estimons beaucoup la pertinence de certaines analyses critiques d'Heidegger sur le sens de la technique dans le monde moderne, nous ne pouvons acquiescer à l'engouement disproportionné que certains lui voue à l'instar du “gourou” de la psychanalyse Jacques Lacan (17). Frithjof Schuon a bien circonscrit les confins de la pensée d'Heidegger, lorsqu'il relève dans Les Stations de la Sagesse (18): «Pour Heidegger, la question de l'Etre “a tenu en haleine l'investigation de Platon et d'Aristote”, et: “ce qui a été arraché jadis, dans un suprême effort de pensée, aux phénomènes, bien que d'une manière fragmentaire et par tâtonnements (im ersten Anlaufen)  est rendu trivial depuis longtemps” (Sein und Zeit).  Or il est exclu a priori que Platon et Aristote aient “découvert” leur ontologie à force de “penser”; ils étaient tout au plus les premiers, dans le monde grec, à estimer utile de formuler par écrit une ontologie.

 

Comme tous les philosophes modernes, Heidegger est loin d'avoir conscience du rôle tout “indicatif” et “provisoire” de la pensée en métaphysique; aussi n'est-il pas étonnant que cet auteur conclue, en vrai “penseur” méconnaissant la fonction normale de toute pensée: «Il s'agit de trouver et de suivre un chemin qui permette d'arriver à l'éclaircissement de la question fondamentale de l'ontologie. Quant à savoir si ce chemin est le seul chemin, ou s'il est le bon chemin, c'est ce qui ne pourra être décidé qu'après coup» (ibid.). Il est difficile de concevoir attitude plus antimétaphysique; c'est toujours le même parti pris de soumettre l'Intellect, qui est qualitatif par essence (19), aux vicissitudes de la quantité, ou en d'autres termes, de réduire toute qualité d'absolu à du relatif. C'est la contradiction classique des philosophes: on décrète que la connaissance est relative, mais au nom de quoi le décrète-t-on?

 

L'estimation d'Evola et celle d'Henry Corbin:

 

Julius Evola rejoint là-dessus Schuon lorsqu'il note que “le sens de l'existentialisme de Heidegger” est “sans ouverture franchement religieuse”, et que lorsque le philosophe de la Forêt Noire “parle du courage qu'il y a à éprouver de l'angoisse devant la mort” (20), nous sommes aux antipodes du type humain que toute religion bâtit dans la tourbe du temps.

 

L'anecdote sympathique (pages 16-17) d'Heidegger procédant à une génuflexion (21) “lorsqu'il entrait dans une chapelle ou une église”, dévoile une signification dont le caractère “historique” précisément, est à comprendre dans la perspective que nous avons jusqu'à présent essayé de présenter et qui se trouve également au cœur du retournement, de la transmutation qu'effectua Henry Corbin lorsqu'il délaissa Heidegger pour l'étude approfondie de Sohrawardî, Shaykh al-Ishrâq. Daryush Shayegan écrit à cet effet: «Ce que Corbin trouvait chez les penseurs iraniens était en quelque sorte un autre “climat de l'Etre” (eqlîm-e wojûd, Hâfez), un autre niveau de présence, niveau qui était exclu pour ainsi dire du programme de l'analytique heidegerienne. Le “retour aux choses mêmes” que préconisait Husserl, les mises entre parenthèses, le retrait hors des croyances admises que prônaient les adeptes de la phénoménologie, ne débouchaient pas sur le continent perdu de l'âme pas plus que Heidegger, analysant les existentiaux du Dasein et la structure de la temporalité, ne parvenait à atteindre ce huitième climat  ou le monde de l'imaginal. Ainsi le passage de Heidegger à Sohrawardî n'était pas uniquement un parcours ordinaire, encore moins une évolution mais une rupture, une rupture qui marquait l'accès à un autre climat de l'être (...) (22)”. C'est avec la publication de la traduction française du livre du sage safavide Sadr al-Dîn Shîrâzî (Mullâ Sadrâ) intitulé Kitâb al-mashâ'ir  (= Le

 

livre des pénétrations métaphysiques), qu'Henry Corbin mis “en parallèle, écrit Seyyed Hossein Nasr, le destin de l'étude de l'être en Occident et en Orient (...)” et “montra (...) dans sa magistrale comparaison entre l'ontologie de celui-ci et celle de Heidegger, que la découverte d'une métaphysique authentique révèle la limitation et l'insuffisance des débats qui occupent les principaux courants de la philosophie occidentale” (23).

 

Ce “climat” ne s'accomplit pleinement dans les tréfonds de l'homme que par le guéret des rites  qui le rétablit dans sa verticalité  chaque fois qu'il y déchoît. Or ceux-ci pour rassasier l'être de l'eau du symbole  —étoile fixe— et générer toute leur efficience, reçoivent leur légitimité seulement de la radicale Transcendance du Tout Autre qui, nous affirme Le Saint Coran “est plus près de lui que sa veine jugulaire” (24), mais il est dans son évanescence  que l'homme ne cesse de l'oublier.

 

C'est pour cette juste mesure que Jean Borella remarque encore: «Un simple regard sur le Parménide  ou le Sophiste aurait dû suffire cependant à leur faire comprendre (parlant de Heidegger et de Derrida) qu'il ne peut y avoir de compréhension (à tous les sens de ce terme) de l'être que du point de vue, qui n'est pas un point de vue, du sur-ontologique. A défaut de s'établir dans le surontologique (on y est ou on n'y est pas), on ne peut jamais parler de l'être, mais seulement à partir de l'être, et bien que la parole elle-même soit alors tout simplement impossible. C'est ici que se trouve la réponse à la question que Derrida pose à Foucault: y a-t-il un “autre” du Logos et quel est-il? Ou bien n'y en a-t-il pas? Et cette réponse est la suivante: c'est le Logos  lui-même qui est l'autre (que l'être), contrairement à ce qu'affirme Parménide qui ne le conçoit que comme parole-de-l'être (ontologos);  sinon, comment serait-il possible de dire ce qui n'est pas?» (25).

 

icon3.jpgBien d'autres remarques seraient à formuler sur cet entretien qu'Alain de Benoist à d'ailleurs renouvelé dans la revue Antaios (26), ce qui justifie à nos yeux la présente mise au point. Ainsi à propos des nuances qu'il y aurait lieu de faire entre aimer et ne pas aimer le monde, dans la référence à la lère Epître de Jean (2, 15) que donne Alain de Benoist en pages 14-15 d'Eléments, mais nous ouvririons alors un autre débat. Néanmoins nous ne poserons qu'une très simple question pour en dégager les prémices: n'est-il jamais arrivé, dans toute son existence, à Alain de Benoist de maudire, et de vouer aux gémonies la terre entière, même l'espace d'un instant?

 

Pareillement nous ne pouvons pas nous accorder avec Alain de Benoist lorsqu'il dit (pages 10-11) qu'“il n'est que trop évident qu'il (= l'ésotérisme) sert aisément de support à tous les délires”, c'est un peu court (27)! En l'occurence un certain néopaganisme véhicule autant sinon davantage de (sic) délires, surtout lorsqu'il refuse de se présenter pour ce qu'il est. C'est pourtant grâce à l'apport guénonien que nous pouvons distinguer entre occultisme et Esotérisme, surtout dans son sens doctrinal. Ne conviendrait-il pas mieux alors de parler de spiritisme (rebaptisé channeling, comme il est indiqué d'ailleurs) ou d'occultisme?

 

Nous ne pouvons supposer qu'un livre de Sel et de vie  —à la dimension impeccablement axiale, et véritable viatique pour l'homme moderne décentré comme l'est L'Esotérisme comme Principe et comme Voie, de Frithjof Schuon, qui vient d'être réédité, véhiculerait (sic) un pareil “délire”? Nous sommes persuadé que tel n'est pas le propos d'Alain de Benoist, et que seul les nécessités de l'entretien lui ont obvié la possibilité de clarifier ce point.

 

Une lettre ridicule du rédacteur en chef d'«Eléments»:

 

A la fin des Actes du XXVIième Colloque national du GRECE, le 1er décembre 1996, intitulé «Les grandes peurs de l'an 2000», Alain de Benoist relève: «Je suis toujours un peu surpris de voir à quel point il est parfois difficile pour chacun d'entendre des points de vue avec lesquels ils ne sympathisent pas. Je suis un peu différent, (...) en général, j'aime bien entendre des gens qui disent des choses que je ne pense pas (...) (28)». Fort de cette belle profession de foi, nous souhaitons que le présent petit écrit soit lu en observant si possible le sens de cette dernière!

 

Suite à un échange de correspondance relativement à ce numéro, son rédacteur en chef m'a fait part de son refus de publier ma mise au point (29) et de quelques objections vaniteuses dénuée de toute pertinence. J'en relèverai trois qui sont symptomatiques d'une clôture épistémologique:

 

a) M. Champetier estime que l'on ne saurait s'autoriser à “déduire quoi que ce soit des limites évidentes de notre constitution humaine”. Mais il ne lui vient pas un seul instant à l'esprit que ces limites ne sont si évidentes que pour lui, et que c'est lui-même qui arbitrairement se les pose!

 

Nous sommes ici en présence de l'aporie kantienne-type qui induit obligatoirement une clôture épistémologique. Kant estimait en effet que “la philosophie est non un instrument pour étendre la connaissance mais une discipline pour la limiter” (30).  Or cette limite réside ici dans l'aperception et la mission octroyée à la ratio. Autrement énoncé, c'est le serpent qui se mord la queue pour emprunter à l'un des épisodes ubuesques de Tintin au Congo l'image qui qualifie au plus près la réflexion du rédacteur d'Eléments.

 

Sur un autre plan, M. Champetier en ne tenant aucun compte des remarques —plus haut—  relatives à la fonction (31) des écrits schuoniens, entérine curieusement un égalitarisme méthodologique en ce qu'il prétend a priori récuser la pertinence de ceux-ci sans se soucier des conséquences que cela implique. En d'autres termes: M. Champetier a-t-il, oui ou non, suivi une Initiation authentique, quel est le degré  et la qualité  de réalisation de celle-ci, et enfin, maîtrise-t-il, oui ou non, tout ce qui découle  —Métaphysique comprise—  d'une Tradition donnée? La réponse à ses diverses questions ne peut qu'être négative et il apparaît dès lors que nous sommes en présence d'un incroyable orgueil dû à une ratio mutilée.

 

b) M. Champetier cite Wittgenstein, manifestement sans l'avoir vraiment lu. Il traduit quasi littéralement tout en la surinterprétant sa formule “sur ce dont on ne peut parler il vaut mieux se taire”. Outre que l'on peut également renvoyer Wittgenstein aux observations citées en a), celui-ci n'infére aucunement  —contrairement aux positivistes du Cercle de Vienne—  d'une impossibilité du langage à désigner une acception alors que son expression la proscrirait. Dans une étude importante (32), Jean-François Malherbe relève: «Nul athéisme donc chez Wittgenstein qui s'en tient strictement à montrer qu'il n'y a pas de savoir sur Dieu, si du moins l'on entend par savoir ce qui peut faire l'objet d'un discours sensé, et à suggérer une possiblité (ineffable) de Dieu. Mais il n'en va pas de même chez les positivistes logiques qui se sont référés au Tractatus comme à une “Bible”. Ce que refusent obstinément les néo-positivistes  —et qui les distingue radicalement de Wittgenstein—, c'est la possibilité que le langage montre des choses qu'il ne peut pas dire. Le problème de Dieu est donc, à leurs yeux, strictement dépourvu de sens, même de ce sens ineffable dont Wittgenstein pensait qu'il pouvait se montrer sans se dire».

 

c) M. Champetier estime que l'on “retrouverait paradoxalement dans l'humanisme moderne” une “démarche d'absoluité propre à la métaphysique”. Ou est-il allé chercher pareille incongruité? Primo, comment entend-il le terme “métaphysique”? Secondo, lorsque nous lisons,  —connivence de vue?—  comme allant de soi, chez Alain de Benoist, l'expression “métaphysique de la subjectivité” (33), nous nous demandons ce qu'il faut comprendre exactement par là? En réalité, l'humanisme moderne nous apparait d'abord marqué par un refus ou une ignorance manifeste de toute dimension de transcendance et à fortiori d'Absolu, ce qui ne l'empêche pas d'absolutiser des concepts purement relatifs,  —le phénomène de la sécularisation—  ce qui constitue sa principale aberration. Frithjof Schuon souligne bien que “l'humanisme (...) exalte de facto l'homme déchu et non l'homme en soi. L'humanisme des modernes est pratiquement un utilitarisme pointé sur l'homme fragmentaire; c'est la volonté de se rendre aussi utile que possible à une humanité aussi inutile que possible” (34), ajoute-t-il avec humour.

 

Présence de Frithjof Schuon à l'aube du 3ème millénaire:

 

Michel Valsan signale qu'“il existe nécessairement un principe d'intelligibilité de l'ensemble, correspondant à la sagesse qui dispose cette multiplicité et cette diversité. Mais ce principe ne peut être que métaphysique” (35). Nous croyons que l'honneur revient à Schuon d'avoir livré, à tous ceux qui s'en montrent dignes, les clefs  —le principe d'intelligibilité—  inestimables des grandes sagesses incréées. Ce faisant, la responsabilité lui est dévolue d'un double écueil: celui d'une interprétation erronée par manque de qualification, et où même la sincérité peut s'avérer un piège, et celui de l'utilisation équivoque et délibérément altérée.

 

Or l'une des vertus proprement traditionnelle est de servir “La Tradition” et non de s'en servir  (36).  Dans cette configuration humaine se déclôt soit l'être transfiguré par l'appel intérieur à la verticalité, ou broyé par l'implosion d'une volonté qui le vampirise. Sur ce choix existentiel, comme sur bien d'autres, quels seraient les autres Métaphysiciens  en cette fin du XXième siècle qui apporteraient dans un langage aussi cristallin les réponses aux questions légitimes que l'humain, parfois pétri d'angoisse, se pose légitimement? C'est dans l'équilibre fragile  où se dévoile les arcanes de la quête que se meut également le mystère de la rencontre de Dieu avec sa créature.

 

Dès lors pourra-t-on approcher, comprendre, notre insistance sur le service et la Grâce dont Schuon est investi pour ce prochain millénaire, alors que partout se généralisent des conflits qui trouvent leur sens originel et par là-même final au sein d'une incompréhension capitale de la relation de l'Un et du multiple? Cette portée ontologique  a entre autre été relevée par Jean Biès (37) à la fin des entretiens que Frithjof Schuon lui avait accordé voici quelques années alors qu'il résidait encore en Suisse. A juste titre, Jean Biès compare la fonction de Schuon avec le Prophète Elie. L'Universalité vraie,  —qui est l'exact contraire de l'universalisme dégénéré abstrait ou cosmopolitisme totalitaire— que Schuon incarne, constitue justement, en cette fin de siècle où se généralise le triomphe de la parodie (38), comme une sorte de miracle. Songe-t-on un instant que l'une des perspectives essentielles d'un livre tel que De l'unité transcendante des religions  est d'offrir le socle inébranlable,  —par delà tous les confusionismes aberrants du New Age—,  et la colonne vertébrale céleste sur laquelle s'édifient et puisent toutes les religions, et à travers cette Unité  qui discerne, d'assécher jusqu'à une certaine limite le stérile jeu des conflits théologiques?

 

indians27a.jpgSelon la doctrine bien connue de Saint Augustin qui est comme l'image inversée du discours d'Alain de Benoist: «En soi, la réalité qu'on appelle aujourd'hui religion chrétienne, existait même chez les anciens, et n'a pas manqué depuis le commencement du genre humain jusqu'à ce que le Christ vînt en la chair, à partir de quoi la religion vraie, qui existait déjà, commença de s'appeler chrétienne» (39). De l'Islam au Christianisme, du Paganisme à l'Hindouisme ou au Bouddhisme, le vêtement de l'exotérique se dissout toujours devant la venue de l'Ineffable. Car comme le formule merveilleusement Schuon, “les antagonismes de ces formes ne portent pas plus atteinte à la Vérité une et universelle que les antagonismes entre les couleurs opposées ne portent atteinte à la transmission de la lumière une et incolore” (40).

 

N'entrons-nous alors pas dans le temps où il nous faudrait concevoir le paganisme non comme un unilatéralisme formel, toujours en opposition, ce qui est le propre d'une expectative qui résèque toute dimension métaphysique et spirituelle  —mais plus simplement et plus véridiquement comme un simple moment de l'être, une goutte dans l'océan du divin?

 

C'est dans ce sillon qu'à l'été de l'année 1980, Georges Gondinet (41), qui actuellement dirige les Editions Pardès, adressait une lettre ouverte à Alain de Benoist, dont les termes nous semble toujours d'actualité: «“Là où existe une volonté, existe un chemin”, déclarait Guillaume d'Orange. Malheureusement, si vous possédez une incontestable volonté, vous vous arrêtez en chemin. A l'imitation de Renan, vous proposez une “réforme intellectuelle et morale”, mais vous la proposez à une société qui appelle sourdement une révolution totale».

 

Puissions-nous miser sur cette révolution du cœur  flamboyant, qui se consume dans la fidélité inébranlable aux Principes de La Tradition.

 

Frédéric d'HÖLKELUNN.

 

NOTES:

(1) Qui écrit ceci: «S'avisera-t-on un jour que le plus grand philosophe (français) du XXème siècle n'était pas parmi ceux que l'on cite partout, mais très probablement celui qui, dans l'indifférence générale et la conjuration d'un silence bien organisé, édifia patiemment, hors de tout compromis, l'une des œuvres décisives de ce temps, la seule qui, à la suite de René Guénon, mais dans une autre tonalité, rend compte en notre langue de la Philosophia Perrenis». Précisons encore une fois  —en regard de la déclaration de Jean Biès—  que Frithjof Schuon est naturalisé Suisse et né en Suisse!

 

(2) Pour de plus amples détails biographiques, voir l'étude d'Olivier Dard, parue dansl es colonnes de Vouloir et intitulée: «Frithjof Schuon le Jnâni: transparence et primordialité chez un Métaphysicien et Maître spirituel du XXième siècle», in: Vouloir, n°1 (AS: n°114-118), avril-juin 1994.

 

(3) Au sens où le terme est usité, par exemple, dans le titre de la célèbre Somme Théologique  de Saint Thomas d'Aquin.

 

(4) Voir, F. Schuon, Perspectives spirituelles et faits humains, page 92.

 

(5) Idem, op. cit., page 91.

 

(6) L'un de ses proches collaborateurs nous a d'ailleurs confirmé le fait lors d'un entretien téléphonique!

 

(7) Editions Traditionnelles, Paris, 1980. Cet ouvrage vient d'être réédité aux Editions Nataraj, F-06.950 Falicon, France. Signalons également la réédition de deux ouvrages capitaux de Schuon:

a) L'Esotérisme comme Principe et comme Voie, collection l'Etre et l'Esprit, Edition Dervy, Paris, 1997.

b) L'Oeil du Coeur, Edition l'Age d'Homme, Lausanne.

 

(8) Telle qu'elles sont exposées chez Aristote et que Schuon a corrigé dans le chapitre II/1, «Catégories Universelles», in: Avoir un Centre, pages 73-95, Edition Maisonneuve & Larose, Paris, 1988.

 

(9) Que semble apprécier Alain de Benoist, qui lui avait naguère consacré une chronique dans le Figaro-magazine  en date du samedi 28 février 1981. Cet intérêt porté à l'œuvre de Jung, qui a reçu une réfutation définitive par Titus Burckhardt, ne rejaillit-elle pas sur sa propre conception du paganisme?

 

(10) In: Images de l'Esprit: Shinto, Bouddhisme, Yoga, note 54/ page 111, Edition Le Courrier du Livre, Paris,1982. L'ami d'enfance de Schuon, Titus Burckhardt, a démontré toute l'absurdité du concept d'“inconscient collectif” et la confusion qu'entraine la “psychologie” évolutionniste de Jung dans Science moderne et Sagesse Traditionnelle, c hapitre IV, pages 87-127, Edition Archè-Milano, 1986. Pareillement, nous y découvrons une splendide mise au point de l'incompatibilité totale entre Métaphysique et “théorie” (sic) darwinienne de l'évolution: voir chapitre III, pages 61-87, du même ouvrage.

 

(11) Avec une prétention monstrueuse  —et c'est un euphémisme!—  M. Charles Champetier, rédacteur en chef d'Eléments  nous a donné à mon compatriote Olivier Dard (spécialiste de l'œuvre de Schuon), dans une correspondance privée, que nous réfutons plus loin, les preuves de son étroitesse de vue conditionnée par un réductionnisme désuet en provenance directe des singeries de l'Union Rationaliste!

 

(12) Qui, rappelle Schuon, “désigne la science des principes ontologiques fondamentaux et universels; science immuable comme ces principes mêmes, et primordiale du fait même de son universalité et de son infaillibilité (...)”, in, Sur les traces de la Religion pérenne, page 910, Edition Le Courrier du Livre, Paris, 1982. Parmi ses représentants, outre René Guénon, citons, Titus Burckhardt, Ananda K. Coomaraswamy, Jean Borella, Seyyed Hossein Nasr, Jean Phaure, Julius Evola, etc.

 

(13) Dont Frithjof Schuon a amplement démontré l'inconsistance dans les premiers chapitres de Logique et Transcendance, Edition Traditionnelles, Paris, 1982, pages 7-67, justement intitulés “La contradiction du relativisme”, “Abus des notions du concret et de l'abstrait”, “Rationalisme réel et apparent”, etc. Après une aussi irréfutable démonstration, nous ne pouvons que sourire des “post-kantiens” qui s'amusent encore avec les joujoux du “positivisme” (sic), “logique” ou pas!

 

(14)  A ce sujet, voir l'excellent petit livre de Philippe BOUET, Le Divin commerce: de la croyance à l'intelligence, Editions Harriet-Jean Curutchet, Hélette, 1995. Certains pseudo-paiens devraient en méditer toute la substantifique moëlle!

 

(15) Voir le chapitre VIII, pages 115-133, d'Introduction générale à l'étude des Doctrines Hindoues, Edition Véga, Paris, 1983. Ainsi que: La Métaphysique orientale, seule conférence que Guénon donna à la Sorbonne, Edition Traditionnelles, Paris, 1985.

 

(16) Selon les termes de Georges Vallin dans La Perspective Métaphysique, note 9, page 237, Edition Dervy-Livres, Paris, 1977. Nous ne voyons pas ce que l'extrême imbroglio heideggerien apporte de plus au non-dualisme Védantique? D'ailleurs cette manie de l'a priori qu'ont les modernes  envers La Tradition ne renvoie-t-elle pas à un vieux fond d'ethnocentrisme et d'incapacité à penser l'altérité? Si l'on nous rétorque la même réflexion, nous rappellerons, avec Guénon, que l'on ne peut prendre “la partie pour le tout” ou que le “plus ne peut s'extraire du moins”. La remarque suivante de Schuon nous paraît s'appliquer au mode de fonctionnement et au type de représentation que suscite la verbosité  —pour ne pas dire le galimatias—  de certains textes d'Heidegger auquel des philologues allemands éprouvés nous ont plus d'une fois confirmé ne rien (sic) comprendre! Cette tendance ethnocentrique à plaquer la mentalité moderne sur tout et n'importe quoi: «On fait la “psychanalyse” d'un scolastique par exemple, ou même d'un Prophète, afin de “situer” leur doctrine  —inutile de souligner le monstrueux orgueil qu'implique une semblable attitude—  et on décèle avec une logique toute machinale et parfaitement irréelle les “influences” que cette doctrine aurait subie; on n'hésite pas à attribuer, ce faisant, à des Saints toutes sortes de procédés artificiels, voire frauduleux, mais on oublie évidemment, avec une satanique inconséquence, d'appliquer ce principe à soi-même et d'expliquer sa propre position  —prétendument “objective”— par des considérations psychanalytiques; bref, on traite les Sages comme des malades et on se prend pour un dieu. Dans le même ordre d'idées, on affirme sans vergogne qu'il n'y a pas d'idées premières: qu'elles ne sont dues qu'à des préjugés d'ordre grammatical  —donc à la stupidité des Sages qui en ont été dupes— et qu'elles n'ont eu pour effet que de stériliser “la pensée” durant des millénaires, et ainsi de suite; il s'agit d'énoncer un maximum d'absurdités avec un maximum de subtilité. Comme sentiment de plénitude, il n'y a rien de tel que la conviction d'avoir inventé la poudre ou posé sur la pointe l'oeuf de Christophe Colomb», note 1, chapitre «Chute et déchéance», page 40, in: Regards sur les Mondes Anciens, op. cit. Lorsque Heidegger disserte sur Platon par exemple, on sent bien qu'il ne le considère pas comme ce que l'Académie et son Guide incarnait véritablement en son temps. Voir le témoignage de Diogène Laërce, à ce sujet instructif.

 

(17) Ce n'est pas en vain que nous établissons ce rapport entre Jacques Lacan et Martin Heidegger, et indépendamment du fait que tous deux se sont sentis le besoin de se confectionner un langage imaginaire où ils puissent à la fois se réfugier et jouer par ce moyen ce rôle d'“intellectuels” dominateurs et condescendants envers autrui qui est le propre de l'hyperrationalité du monde moderne. La psychanalyste Elisabeth Roudinesco dans sa biographie de Jacques Lacan, Edition Fayard, Paris, 1993, écrit, page 297, à propos de Jean Beaufret qui était en cure chez le Dr. Lacan: «Quand J. Beaufret se rendit rue de Ulm, il se trouvait dans un grand désarroi. Son amant, en cure chez Lacan, venait de le quitter. (...)» Un peu plus loin: «(...) Lacan portait une attention particulière à Beaufret à cause de la relation privilégiée que celui-ci entretenait avec Heidegger»; elle ajoute, page 298 que, «Lacan accepta, de fait, d'être initié à une lecture de Heidegger qui était celle de Beaufret». Beaufret fut longtemps le chef de file des heideggeriens en France. Question à Alain de Benoist au sujet de l'homosexualité du sieur Beaufret et de ses relations avec un charlatan initiateur d'une secte néo-freudienne: estime-t-il qu'un vice contre-nature additionné de délires logomachiques constituent des aptitudes réelles pour être un grand (sic) “philosophe”? Peut-il nous expliquer pourquoi le “grand” Heidegger ne s'est jamais formalisé de l'inconduite extrêmement choquante de son principal interprête français? D'autre part et de façon non moins déterminante, relevons que l'ontologie heideggerienne ne permet pas d'entrer dans une célébration du sacré, dans une transcendance qui, reliant l'homme à l'Absolu (Dieu), le constitue en même temps gardien de la Règle et réceptacle de la Grâce déifiante ou de l'influence spirituelle de celle-ci. C'est en ce sens qu'il convient d'approcher la réponse du Pasteur Jean Borel, dans Quelle religion pour l'Europe? Un débat sur l'identité religieuse des peuples européens, auquel Alain De Benoist participa, textes et propos rassemblés par Démètre Théraios, Edition Georg, Genève, 1990, en page 289, lorsqu'il dit: “L'objet par excellence de sa quête” (à Alain De Benoist) étant la compréhension du sacré, il ne peut pas ne pas être convaincu, par le sacré lui-même, de se laisser “sacraliser”, pour pouvoir rejoindre le sacré là où il l'attend, son mode d'être déterminant, encore une fois, le mode de son comprendre”.

 

(18) Note 1/, page 53, Edition Maisonneuve & Larose, Paris, 1992.

 

(19) On rappellera la célèbre parole de Maître Eckhart concernant la “prééminence” de l'Intellect sur la ratio: «Aliquid est in anima quod est increatum et increabile; si tota anima esset talis, esset increata et increabilis, et hoc est Intellectus». Saint Thomas d'Aquin dit la même chose dans la Somme Théologique en I, q, 84, a, 5. Le Prophète Muhammad (sur lui la Paix et la Bénédiction de Dieu) exprime: «La prernière chose créée par Dieu a été l'Intellect». Dans la théologie Orthodoxe, notamment chez Maxime le confesseur, l'Intellect s'appelle le "Noûs".  Enfin, le passage suivant de la Bhagavad-Gîta, ref., 14, 3., énonce la même réalité: «La Vaste-immensité (le Principe dont est issu l'Intellect) est la matrice dans laquelle je dépose ma semence. D'elle naît le premier élément, l'Intellect manifesté (...)». Ceci pour souligner que la phrase ci-dessus de Maître Eckhart n'est ni “fausse”, ni en rien “suspecte” comme le prétend tout à fait gratuitement et de façon erronée François Chenique, page 92 et suiv., de son livre Sagesse chrétienne et mystique orientale, Edition Dervy, Paris, 1996. L'un de nos amis, M. Wolfgang Wackernagel, spécialiste de Maître Eckhart auquel il a consacré une thèse publiée chez l'éditeur Vrin, nous a confirmé par écrit la rigoureuse validité de cette importante citation et sa conformité selon les dernières traductions disponibles, entre autre celle qui fait autorité du Pr. Alain Libéra. Vu l'importance de cette citation, et malgré notre admiration pour Francois Chenique, nous ne pouvons accepter qu'il l'expédie laconiquement, pour des motifs personnels qui n'ont pas lieu d'être, et finalement, d'apologétique catholique.

 

(20) Voir Chevaucher le tigre, pages 122-123, Edition Guy Trédaniel, Paris, 1982.

 

(21) Nous connaissons des personnes d'une toute autre envergure —dans tous les sens du terme— que le jeune Champetier ou que le verbeux Heidegger, qui ont procédé de même lors de leur rencontre avec Schuon!

 

(22) C'est nous qui soulignons! Voir pages 41-42, in: Henry Corbin, la topographie spirituelle de l'Islam iranien, Edition de la Différence, Paris, 1990. Rappelons qu'Henry Corbin fut le premier traducteur d'Heidegger...

 

(23) Voir, Seyyed Hossein Nasr, L'Islam traditionnel face au monde moderne, pages 197-204, Ed., L'Age d'Homme, Lausanne, 1993; et Le livre des pénétrations métaphysiques, coll., Biblioth. Iranienne, n°10, Ed., Adrien Maisonneuve, Paris, 1964.

 

(24) Sourate Qaf, L-16.

 

(25) Voir La crise du symbolisme religieux, pages 264-265, Edition l'Age d'Homme, Lausanne, 1990.

 

(26) Voir «Penser le Paganisme, entretien avec Alain de Benoist», pages 10-23, in, Antaios, Hindutva II, n°11, solstice d'hiver 1996.

 

(27) Rappelons que dans le Soufisme (at-Taçawwuf) le mot arabe “bâtin” se traduit par “ésotérique” ou “intériorité”. Voir, Titus Burckhardt, Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam, Ed., Dervy-Livres, Paris, 1985.

 

(28) op. cit., page 120, Ed. du G.R.E.C.E., Paris, décembre 1997.

 

(29) Lettre à M. Olivier Dard du 15 septembre 1997. D'autant plus inadmissible que ce n'est pas la première fois, et que manifestement l'analyse développée dérange le confort intellectuel de M. Champetier. Et à la fin de cette année le GRECE organisait un colloque consacré à la censure!... Rapport de causalité?...

 

(30) Kant, Kritik der reinen Vernunft, page 256, Ed. Hartenstein.

 

(31) Dans le sens Métaphysique de l'expression, ou de la finalité réelle, et de la même façon que l'entend Michel Vâlsan dans L'Islam et la fonction de René Guénon, Ed. de l'Œuvre, Paris, 1984.

 

(32) Voir J.-F. Malherbe, Le langage théologique à l'âge de la science; lecture de Jean Ladrière, page 41, Ed. du Cerf, Paris, 1985. Ce réductionnisme langagier qui s'oppose à Wittgenstein, est défini par M. Schlick dans, Die Wende der Philosophie, Erkenntnis, 1, 1930. J.-F. Malherbe qui avait déjà publié une splendide étude sur Maître Eckhart, nous livre ici un travail de premier plan sur les rapports qu'entretient l'épistémologie scientifique avec la théologie et la Métaphysique.

 

(33) In: «Face à la mondialisation», communication au XXXième Colloque national du GRECE, «Les grandes peurs de l'an 2000», page 13, op. cit. L'expression revient dans l'entretien accordé à la revue Antaios, «Penser le paganisme», op. cit., page 11, pour qualifier le fondement de la modernité. Elle n'est guère heureuse, et nous lui substituerons celle d'“hyper-subjectivisme” ou d'“égo-lâterie”, en pensant bien sûr à Stendhal, qui est bien plus clair.

 

(34) F. Schuon, Avoir un centre, page 12.

 

(35) Voir Michel Vâlsan, L'Islam et la fonction de René Guénon, page 13, op. cit.

 

(36) Le nom islamique de René Guénon était Shaykh Abdel-Wâhid Yahya, qui signifie “Serviteur de l'Unique”...

 

(37) Voir Jean Biès, Voies de Sages, douze maîtres spirituels témoignent de leur vérité, Ed. Philippe Lebaud, Paris, 1996.

 

(38) Qui, par la doublure opérée sur toutes les facettes du réel —la pseudo “réalité virtuelle” en est un exemple extrême— produit au sein de la psyché une division, une dualité, que l'on est en droit d'appeler, respectant en cela l'étymologie, de satanisme (Satan = “celui qui sépare”).

 

(39) Saint Augustin, Retractationes, I, XII, 3; CSEL, t. XXXVI, pp. 58,12.

 

(40) F. Schuon, De l'Unité transcendante des religions, page 14.

 

(41) Voir la revue Totalité,  n°11, «La “Nouvelle droite” à la lumière de la Tradition», page 54.

 

 

 

mercredi, 30 décembre 2009

De la religion des Romains

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

De la religion des Romains

 

Ivo RAMNES

 

Analyse: Renato dal Ponte, La religion des Romains.

La religion et le sacré dans la Rome ancienne.

Editions RUSCONI - Milan 1992 - 304 pages -12 illustrations - Lit. 34.000

 

Au cours de ces dernières années, on a assisté indubitablement à un intérêt accru pour le monde romain, grâce surtout à la nouvelle école archéologique italienne, qui a su «jeter les bases d'une confrontation entre les données de la tradition littéraire (reconsidérées systématiquement) et la situation topographique et archéologique, réexaminée pour obtenir des contextes chronologiquement et fonctionnellement homogènes» (F. Coarelli, Il Foro Romano, periodo arcaico, Rome, 1983, p. 9). Un effort analogue pour une coordination interdisciplinaire, peaufiné par la méthode traditionnelle, sollicité à plusieurs reprises par Julius Evola lui-même, imprègne le livre du Professeur Renato Del Ponte, paru il y a six ans chez Rusconi. Ce livre ranime l'intérêt parmi les spécialistes, les amateurs ou tout simplement parmi tous ceux qui ont le sentiment que leurs racines n'ont pas été définitivement coupées.

 

Après le considérable succès obtenu par Dei e miti italici (Dieux et mythes italiques, 1985, réédité une première fois en 1986, remis à jour et amplifié en 1988), où l'auteur sondait les origines du monde religieux italique; après la Relazione sull'altare della Vittoria di Simmaco (Essai sur l'autel de la Victoire de Symmaque, éditions Il Basilico, Gênes, 1986), où l'auteur se penchait sur une des périodes historiques les plus tourmentées et les plus riches en conséquences pour Rome, pour l'Italie et pour tout l'Occident, voici donc un livre qui nous parle de la «Ville des Dieux». Il est rare de découvrir une œuvre qui, comme celle-ci, est capable d'affronter le monde religieux romain de façon très rigoureuse, aussi bien pour ce qui est de la recherche documentaire que sur le plan déductif, libérée d'une certaine mentalité académique qui, aujourd'hui, du moins en Italie, paraît vide, approximative et même grevée de “déjà-vu”.

 

C'est un livre qui s'adresse à un public averti, pas tellement pour le style, toujours élégant et agréable, mais plutôt pour l'originalité de la thématique qui, comme l'auteur le suggère, implique un changement de mentalité, un “changement intérieur, une sensibilité spécifique pour pouvoir capter et comprendre les constantes du monde religieux romain”. Les sources classiques prédominent, car elles sont clairement incontestées, mais l'auteur consacre un espace important aux études les plus récentes, surtout dans le champ archéologique et philologique; il les confronte toujours ad fontes, n'épargnant pas les critiques, les distinctions subtiles et les précisions, même face à des savant de la taille d'un Georges Dumézil, mais amicus Plato, sed magis amica veritas!

 

Une intuition de Fustel de Coulanges

 

Le livre jouit d'une excellente présentation éditoriale (en jaquette, une photo inédite d'un des Dioscures de Pompei), garnie d'illustrations souvent très rares; il contient cinq chapitres, quatre tables et deux annexes (avec, par exemple, les listes des Souverains Pontifes connus), en plus d'une bibliographie générale et de cinq index de recherche aussi minutieux que précieux. Une indispensable introduction (“Les Origines”) sur la préhistoire des populations latines de souche romaine et sur les printemps sacrés, bien retracés dans le tableau récapitulatif en tant que mises en scène ritualisées des anciennes migrations des peuples indo-européens qui, par la suite, s'installèrent en Italie. Cette réminiscence des “printemps sacrés” nous emmène à envisager l'éventualité d'un printemps sacré primordial, où une tribu est partie de la mythique “Alba” pour aller former les premières implantations dans les sites où, plus tard, naîtra Rome. Quant à la formation de l'Urbs, l'auteur, très opportunément, insiste sur l'acte juridique religieux (La ville qui surgit en un jour);  cette option pour l'acte juridique-religieux constitue une polémique contre les tenants de l'école positiviste/évolutionniste, enfermés dans leur conservatisme obtus. Del Ponte se réfère ainsi partiellement aux heureuses intuitions d'un Fustel de Coulanges (1), qui sont confirmées par les toutes dernières découvertes archéologiques.

 

Del Ponte fait allusion à la découverte, dans l'aire sud-occidentale du mont Palatin, pendant les fouilles dirigées par le Prof. Pensabene, du lieu exact où la Tradition situait la casa Romuli  —la maison de Romulus—  qui, à l'époque historique, avait la forme d'un petit sanctuaire (probablement un sacellum)  près duquel on a trouvé les traces (Cass. Dio XLVIII, 43, 4) d'un sacrifice consommé par les pontifes en l'année 716 de Rome (38 av. J. C.), à la veille de la restauration d'Auguste. Le fait que la résidence d'Auguste fut toute proche de ce lieu vénérable n'est pas un hasard. Naturellement aucune publicité tapageuse n'a accompagné la nouvelle de cette découverte extraordinaire qui, paradoxalement, a été signalée en avant-première par le New York Times.  Plus tard seulement, et probablement de façon détournée, la presse nationale italienne a signalé l'événement sans tambours ni trompettes.

 

Evidemment, pour certains, il est plus rassurant de réduire tout ce qui se réfère à Rome à un simple mythe, au point de refuser même la réalité des données archéologiques et de leur préférer la position arbitraire d'un Momigliano (2), qui semble vouloir faire de l'archéologie romaine “anti-fasciste” dont anti-romaine puisque le fascisme s'est réclamé de Rome. Pourtant Momigliano est un archéologue patenté, il ne peut bénéficier de circonstances atténuantes. Il va jusqu'à définir comme “tristement notoire”  (sic !!!) l'inscription de Tor Tignosa en hommage à Enée (cfr. A. Momigliano, Essais d'histoire de la religion romaine, édit. Morcelliana, Brescia 1988, p. 173). Qu'y a-t-il de triste ou d'affligeant dans une trace archéologique antique, rendant hommage à Enée?

 

Une remarque au passage: alors que, dans le cas de Rome, nous possédons des certitudes substantielles quant à l'existance de son empire, même si elles sont parfois résolument ignorées par bon nombre de savants, dans le cas d'autres traditions  —par ailleurs tout à fait respectables, comme celles qui directement ou indirectement proviennent de la Bible—  on assiste à une démarche contraire: pensons seulement à l'Empire  de David et de Salomon, pour lequel il n'existe que très peu de documents archéologiques, d'aucune nature que ce soit, et qu'aucun des quarante rois, depuis Saul jusqu'à Sédécias, n'a laissé la moindre trace tangible (voir à ce sujet l'excellente et très digne de foi  —même pour le Vatican—  Histoire et idéologie dans l'ancien Israël, de Giovanni Gabrini, édit. Paideia, Brescia, 1986).

 

Lares et Penates

 

La connexion entre feu-ancêtres-Lares  et le culte public et privé constitue la thématique très intéressante du deuxième chapitre de l'ouvrage de Del Ponte, où l'auteur nous démontre qu'il est un détective sage et attentif, capable de recueillir des finesses qui ne sont pas toujours perceptibles de premier abord. Lares et Penates, que l'on a confondu dans le passé sur le plan conceptuel, y compris chez des auteurs éminents trouvent, dans l'analyse détaillée de Del Ponte, une définition meilleure et plus exacte, tant du point de vue rituel que théologique. L'auteur repère dans les dieux Lares  «l'essence spirituelle du foyer domestique», correspondant à la «mémoire religieuse des ancêtres», ces derniers étant perçus aussi comme «l'influence spirituelle» des habitants antérieurs d'un lieu et, par conséquent, comme les «gardiens de la Terre des Pères» (pp. 62-63); dans les Pénates, véritables divinités, il faut par contre reconnaître une nature essentiellement céleste  et propice à un groupe familial au cœur duquel on transmettait le culte de père en fils, tant et si bien qu'ils étaient considérés comme «les dieux vénérés par les pères ou les ancêtres».

 

Un autre chapitre extrêmement intéressant, qui nous aide à mieux comprendre la sensibilité religieuse des Romains et leur approche du domaine du surnaturel, est consacré aux indigitamenta:  il s'agit de listes consignées dans les livres pontificaux “contenant les noms des dieux et leurs explications”. Noms de dieux qui, comme l'observe à juste titre l'auteur, “se réfèrent aux grands moments, ou rites de passage  (...),  indispensables à tout homme et à toute femme au cours de la vie et qui, justement à cause de leur complexité, nécessitent un instrument divin particulier. Ces moments de la vie sont: a) la naissance, avec les moments critiques qui la précèdent et qui la suivent; b) la puberté, avec tout ce qui précède et qui suit; c) le mariage; d) la mort” (pp. 78-79).

 

Cette “sacralisation de chaque manifestation de la vie” est aussi une source de vie pour l'Etat romain et il est donc assez significatif de noter que le livre explicite deux idées-guide:

1) la pax deorum (c'est-à-dire le rapport qui s'est créé avec les dieux au moment précis de la fondation de Rome, avec le pacte conclu par Romulus et pleinement approuvé par Numa Pompilius, pacte impliquant un équilibre subtil, condition indispensable à la réalisation de l'imperium sine fine promis par Jupiter à Enée et ses successeurs) et

2) l'identification des constantes dans les vicissitudes millénaires et sacrées de Rome.

Ces deux idées-guide viennent inévitablement se fondre avec précision dans l'étude sur le Collège Pontifical, et en particulier sur la figure “antithétique” du Souverain Pontife.

 

Le rôle de Vettius Agorius Pretestatus

 

C'est vraiment très captivant de reparcourir l'histoire de ces prêtres qui voulaient, savamment et avec prévoyance, lire dans le futur en défendant et en gardant jalousement, depuis les temps immémoriaux de Numa à ceux extrêmes de Symmaque, les anciens rites, sans jamais les déformer et en adaptant, en l'occurrence, les nouveautés à travers l'intervention régulatrice du Collège des Quindecemvirs, afin qu'elles ne vinssent pas perturber la pax deorum,  en portant atteinte à l'Etat. Elles représentent donc des fonctions vitales, développées par le Collège, mais qui dérivent très probablement, affirme justement Del Ponte, “des stratégies religieuses et politiques qui débouchèrent sur des transformations radicales de l'Etat romain au Ier siècle de la République” (pp. 153-154); des stratégies conçues et mises en pratique par des groupes de l'ancienne aristocratie qui furent, plus tard, constamment présents (aussi parmi les Augustes) au fil des siècles, tant et si bien que même quand le grand pontificat fut assumé par un homme nouveau, issu de la plèbe (T. Coruncanius), la très haute qualification de cette éminente figure sacerdotale ne fit pas défaut.

 

Dans ce sens, nous nous permettons d'articuler l'hypothèse suivante: l'intervention du pontife et quindecemvir Vettius Agorius Pretestatus  —qui eut un rôle de modérateur lors des événements tragiques qui déterminèrent l'élection du Pape Damase I—  était dictée, outre les exigences d'ordre publique, par ses propres prérogatives, qui lui permettaient de réglementer un culte étranger (chrétien en l'occurrence) qui n'était plus considéré comme illicite. Très vraisemblablement, à cette époque (IVième-Vième siècle après JC) les bases furent jetées, qui acceptaient et organisait, sous une autre forme, la survie de l'antiqua pietas. Aujourd'hui nous ne pouvons plus percevoir le mode d'expression de cette antiqua pietas.  Les bases établies par Vettius Agorius Pretastatus remplissaient une fois de plus le devoir primordial, sacré et institutionnel, confié au pontificat par l'auctor  Numa Pompilius, dès l'aurore de l'histoire de Rome.

 

La fonte de la statue de la déesse Virtus, évoquée par Del Ponte dans la conclusion de son livre, nous conduit à une considération amère: Rome ne connaîtra plus ni courage ni honneurs; seul un visionnaire pourrait imaginer l'existence, encore aujourd'hui parmi ses contemporains, de la semence de ces hommes antiques, pratiquant au quotidien ces anciennes coutumes qui firent la grandeur de Rome. Mais à l'approche du 1600ième anniversaire de la funeste bataille du fleuve Frigidus (près d'Aquilée), à l'extrémité du limes  nord-oriental d'Italie, par laquelle se terminait l'histoire militaire de la Rome ancienne, et, où, pour la dernière fois, les images des dieux silencieux s'élevèrent sur le sommet des montagnes. Nous ne pouvons que retenir comme signe des temps,  le travail d'un homme d'aujourd'hui, qui écrit sur la vie de nos Pères, sur leurs Coutumes et sur leurs Dieux. Pères, Coutumes et Dieux qui furent les artisans de tant de puissance.

 

Ivo RAMNES.

(texte issu d'Orion, trad. franç.: LD).

 

Notes:

(1) FUSTEL dc COULANGES, Numa-Denis (Paris 1830, Massy, 1889) Historien français, professeur aux Universités de Strasbourg et de la Sorbonne. Il étudia les principes et les règles qui régissaient la société greco-romaine en les ramenant au culte originaire des ancêtres et du foyer familial. La ville ancienne (cf. La cité antique, 1864) est une sorte d'association sacrée, ouverte exclusivement aux membres des familles patriciennes. Parmi les autres œuvres de Fustel de Coulanges, rappelons l'Histoire des anciennes institutions politiques de l'ancienne France, 1875-79, et les Leçons à l'impératrice sur les origines de la civilisation française, posthume, 1930. Outre leur valeur historique, ces travaux ont assure à Fustel de Coulanges une place dans l'histoire de la littérature pour la clarté et la puissance du style (ndt).

 

(2) MOMIGLIANO Arnaldo (Caraglio, Cuneo, 1908), historien italien. Après avoir enseigné aux universités de Rome et Turin, il est, depuis 1951, titulalre de la chaire d'histoire ancienne à l'University College de Londres. Parmi ses plus importantes études citons: Philippe de Macédoine (1934), Le conflit entre paganisme et christianisme au IVièmùe siècle (1933), Introduction bibliographique à l'histoire grecque jusqu'à Socrate, les essais publiés après 1955 sous le titre de Contributions à l'histoire des études classiques, et le volume Sagesse étrangère, 1975 (ndt).

 

mardi, 29 décembre 2009

Notes relatives à l'"essai sur Pan" de James Hillman

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

Pan_jpg_412053.jpgNOTES RELATIVES A L'«ESSAI SUR PAN» DE JAMES HILLMAN

 

L'HOMME ET SON «ALTER EGO»: NATURE ET ECOLOGIE

 

par Alessandra COLLA

 

1. JAMES HILLMAN ET SON «ESSAI SUR PAN»

 

Hillman, comme tous les psychologues et psychanalystes, sent le soufre, d'après l'opinion d'un certain milieu dominé par une dévotion bornée envers des maîtres à la valeur indiscutable mais aux opinions contestables (la polémique est dirigée manifestement ici contre les évoliens, ou les évolomanes, comme on préfere, mais ne se limite pas à ce seul groupe). Nous ne pouvons ni ne voulons, en ce lieu, entamer une étude poussée sur les théoriciens de la psychanalyse et ses écoles: c'est une thématique qui requiert à tout moment un débat serein, qui exige de mettre entre parenthèses (à la façon de Husserl) les points de vue personnels et les conditionnements idéologiques; autrement dit, dans la thématique qui nous préoccupe ici, il vaut mieux s'abstenir.

 

Revenons à James Hillman: jungien et diablement critique envers la psychanalyse officielle, Hillman pousse les thèses du maître jusqu'aux conséquences les plus radicales en dépassant les limites psychanalytiques les plus rigoureuses de la doctrine de Jung. Hillman atteint ainsi des profondeurs insoupçonnées. Dans cet Essai sur Pan, édité en 1972 (*), Hillman s'interroge sur la signification du mythe de Pan et sur la valeur allégorique de la Grèce en tant que lieu éthéro-temporel mythique par excellence. En examinant l'œuvre de W. H. Roscher, philologue et érudit allemand, ami de Nietzsche, Hillman nous aide à comprendre le sens actuel du retour à la Grèce  et l'impact prodigieux qu'exercent encore aujourd'hui sur nous (et en nous) la mythologie classique en général et, en particulier, la figure de Pan, dieu sylvestre.

 

2. qUI EST PAN?

 

Même les anciens et les classiques ne pourraient répondre avec exactitude à cette question: certes, Pan est le dieu naturel par excellence, aux origines incertaines et au pouvoir de se trouver partout, là où il y a la Nature dans la nature, à tout endroit où la dimension sacrée et divine de la première se reflète et se concrétise dans la seconde. Le milieu de Pan «est en même temps un paysage intérieur et une métaphore, et ne relève pas de la simple géographie. Son lieu d'origine, l'Arcadie, est une localité autant physique que psychique. Les sombres cavernes  où on pouvait le croiser (...) furent élargies par les néoplatoniciens jusqu'à déterminer les replis naturels les plus reculés, où résident les impulsions, les sombres percées mentales d'où naissent le désir et la panique. Son habitat, et celui de ses compagnons, dans le monde ancien et dans ses formes romaines plus tardives (Faune, Sylvestre), était toujours constitué de ravins, de cavernes, de bois et de lieux sauvages; jamais on ne le retrouve dans un village, jamais dans des parcelles cultivées et clôturées par les hommes; seules les cavernes pouvaient abriter ses sanctuaires, jamais des temples édifiés.

 

C'était un dieu des bergers, un dieu des pêcheurs et des chasseurs, c'était un vagabond privé de cette stabilité que procure l'ascendance (...). Son père est, successivement, Zeus (Jupiter), Uranus, Chronos, Apollon, Hermès, ou encore la compagnie des prétendants de Pénélope (...). Une tradition lui donne pour père Ether, la ténue substance invisible, et pourtant ubiquitaire, dont le nom désignait, dans la plus haute antiquité, le ciel lumineux ou le temps à l'heure de midi (p. 50), traditionnellement considéré comme l'heure de Pan (aux moines médiévaux on recommandait de se garder surtout du “Démon de Midi”...).

 

La kyrielle des ascendances probables de Pan suggère la multiplicité de ses attributs, somme toute exprimés par le mot que le nom du dieu évoque: Pan, en grec: tout. Et chaque fois, Pan manifeste toutes les facons d'être de l'homme: artiste, violeur/amant, guerrier, berger... ou, si on préfère, l'homme qui crée, qui aime et possède, qui agit et qui détruit, l'homme qui produit. Dans son essai, Hillman s'attaque aux aspects les plus obscurs de la personnalité complexe de Pan, même aux aspects qui sont probablement les plus désagréables pour l'homme occidental hyper-rationaliste: le cauchemar en tant que manifestation païenne par excellence, l'expérience de la peur totale et irrépressible —ce qu'on appelle la peur panique—  la masturbation, le viol. Ici nous nous occupons éminemment de l'essence de Pan comme dieu de la Nature/nature, dans son acception la plus large et, donc, la plus facilement intégrable à notre temps.

 

3. LE «RETOUR A LA GRèCE»

 

Le préambule choisi par Hillman pour son enquête est le «retour à la Grèce», là où, par Grèce, on entend stricto sensu le berceau de la culture (de la Weltanschauung)  propre à l'homme occidental contemporain. Cette acception de la Grèce, en fait, ne nous satisfait pas pleinement. S'il est vrai que, comme cela paraît être le cas sur base d'innombrables preuves et enquêtes savantes (on songe à Dumézil, à Günther, à Romualdi par exemple), la Grèce en tant que phare de civilisation commence à rayonner après le choc de l'invasion dorienne, c'est-à-dire après la fécondation spirituelle opérée par des peuples venus d'un Nord qui devint immédiatement l'objet de mythes et de légendes (Thule, Hyperborée...). Si tout cela est vrai, alors la polémique entre le Nord et le Sud, entre la Baltique et la Méditerranée me paraît donc privée de tout sens.

 

La matrice est une et, comme d'un même ventre peuvent naître des personnalités tout à fait différentes les unes des autres, il en va de même de la rencontre/collision entre l'ancestrale Weltanschauung des peuples doriques venus du Nord et les réalités concrètes: ethniques, sociales, historiques, géographiques (géopolitiques?).  De cette rencontre-collision peuvent avoir surgi des cultures originales, parfois très éloignées de l'esprit de départ, voire tellement éloignées de l'esprit d'origine qu'elles en représentent l'absolue négation! En tout cas, au-delà des valeurs intérieures de chacun, le fait de vivre en Occident  aujourd'hui  —(c'est une convention, bien sûr, et donc une définition, un quelque chose qui pose des fines, des frontières, des limites)—  implique une série de coordonnées difficilement réfutables et chargées, en bien comme en mal, d'Histoire et d'histoires, de résidus pouvant fixer, sur le plan des faits, le point géométrique que chacun de nous représente. Ensuite, savoir comment chaque individu ressent, comprend et vit le fait d'être un point est une question strictement subjective. Mais revenons à la Grèce en tant que berceau de la culture occidentale. Voici comment Hillman introduit la thématique:

 

« Quand la vision dominante, qui régit une période de la culture, commence à s'ébrécher,1a conscience régresse et se porte vers des réceptacles plus anciens, part en quête de sources de survie qui offrent, en même temps, des sources de renaissance (...), le fait de regarder en arrière permet d'aller en avant, car le regard du passé ravive la fantaisie de l'archétype de l'enfant, fons et origo, qui représente tantôt l'image de la faiblesse désarmée, tantôt l'éclosion du futur (...). Notre culture offre deux voies alternatives de régression auxquelles on a imposé les noms d'hellénisme et d'hébraisme: elles représentent les alternatives psychologiques de la multiplicité et de l'unité (...).

 

Le mental ainsi perturbé souffre, bien entendu, d'autres élucubrations. Les multiples solutions suggérées par l'hellénisme et l'épilogue unique que nous offre l'hébraïsme ne sont pas les seuls aboutissements possibles au dilemme pathologique de la spiritualité occidentale. Il y a la dérive vers le futurisme et ses technologies, la conversion à l'Orient et à l'intimisme, l'évolution de l'Occidental hyper-rationalisé en un être primitif et naturel; il y a aussi l'ascension spirituelle et l'abandon du monde en quête d'une transcendance absolue. Mais ces alternatives sont bien simplistes (...), elles négligent notre histoire et les droits que ses images nous inspirent; en outre, elles incitent à refouler les difficultés au lieu de les affronter sur un terrain culturel fertile à structure variée (...). L'hébraisme ne parvient pas à endiguer le dilemme actuel, simplement parce qu'il est beaucoup trop enraciné, trop semblable à notre vision du monde (1): il y a une Bible dans la chambre à coucher de tout jeune nomade, là où l'Odyssée serait mieux à sa place. Dans la tradition consciente de notre “moi” il n'y a aucun renouveau, il y a seulement l'ancrage d'habitudes stériles issues d'un mental monocentrique qui tente de préserver son univers à l'aide de sermons culpabilisants. Mais l'hellénisme véhicule la tradition de l'imaginaire inconscient (...).

 

Si, dans notre désagrégation, nous ne pouvons pas insérer tous nos fragments dans une psychologie égotiste monothéiste, ou si nous ne parvenons plus à nous illusionner par le futurisme progressiste ou par le primitivisme naturel, qui fonctionnaient si bien avant, et si nous avons besoin d'une quintessence aussi élaborée que notre raffinement, alors nous nous retournons vers la Grèce (...). Mais la Grèce que nous recherchons n'est pas la Grèce littérale (...). Cette Grèce renvoie à une région psychique, historique et géographique, à une Grèce fabuleuse ou mythique, à une Grèce qui vit à l'intérieur de notre mental (...). La Grèce subsiste comme un paysage intérieur (...), comme une métaphore du royaume imaginaire qui abrite les archétypes sous forme de dieux (...). Nous sortons complètement de la pensée temporale et de l'historique pour aller vers une région allégorique, vers une multitude de lieux différents, où les dieux se trouvent maintenant, et non quand ils furent  ou quand ils seront  (p.11-16)».

 

Il nous semble que cette image est indiscutablement claire. Du tréfonds de nos angoisses et de nos égarements, de la désolation de la culture triomphant sur la Nature, de la misère du monde nietzschéen où Dieu est mort, les dieux s'élèvent au premier plan. La puissance de ces figures définies avec dédain comme paiennes est telle qu'elle franchit toute trace moralisatrice ou tout préjugé critique: déjà en des temps insoupçonnés, certains auteurs chrétiens ont subi la fascination de la Grèce, classique ou non classique, tant et si bien que les pères de l'Eglise se chamaillèrent longtemps pour établir si, oui ou non, on pouvait permettre aux chrétiens de lire les textes littéraires et philosophiques païens, ne fût-ce que pour des motifs d'étude.

 

En plein Moyen Age, la religieuse éclairée Hroswitha de Gandersheim aborda le licencieux auteur grécisant Thérence, pour casser le pain de la morale chrétienne à son aride et inculte troupeau de pécheurs. Mais pourquoi choisir précisément Pan comme sceau distinctif de ce rapprochement à la Grèce? Pourquoi choisir exactement l'expression la plus brutale de l'esprit dionysiaque plutôt que la sublime pureté de l'esprit apollinien? Hillman nous explique: «Le choix de Pan comme guide du retour vers la Grèce imaginaire est historiquement correct. Au fait, il a été dit que le grand dieu Pan est mort quand le Christ devint le souverain absolu. Des légendes théologiques les représentent toujours en dure opposition, et le conflit se poursuit éternellement, puisque la figure du Diable n'est rien d'autre que celle de Pan, vue à travers l'imaginaire chrétien.

 

La mort de l'un signifie la vie de l'autre, dans un contraste que nous voulons clairement exprimé dans les iconographies de chacun, en particulier si l'on considère leurs parties inférieures: l'un dans une grotte, l'autre sur la Montagne; l'un possède la Musique, l'autre la Parole; Pan possède des pattes velues, le pied caprin, il exhibe un phallus; Jésus a les jambes brisées, les pieds percés, il est asexué (2). Les implications de l'opposition Pan/Jésus se présentent chargées de difficultés pour le simple individu. Comment approcher l'un sans renverser l'autre de façon tellement radicale que la tentative de rentrer dans le monde “panique” de la fantaisie naturelle ne devienne pas le culte satanique d'un Aleister Crowley?

 

On ne peut se débarrasser de l'histoire chrétienne, mais cela nous emmène à voir le monde de Pan comme une libération idéalisée ou comme quelque chose de païen, de démoniaque qui, dans le langage moderne, devient inférieur, instinctif, involontaire. La façon dont chacun réagit à l'appel de Pan et est mené en Grèce par ce dieu velu des espaces sauvages, dépend entièrement de sa conscience chrétienne civilisée, comme si notre unique possibilité de traverser le pont impliquât de notre part le rejet des préjugés qui tuèrent Pan» (p.18).

 

4. POURQUOI LE MYTHE?

 

Bien entendu, cela peut paraître étrange qu'une discipline considérée comme scientifique (même si c'est à tort) ait recours au mythe. Mais la psychologie analytique théorisée par Jung est bien loin du froid scientisme qui est le propre du milieu psychologique dans son acception moderne et, à plus forte raison, l'orientation de Hillman en est encore davantage éloignée. L'inconscient auquel se réfère le disciple rebelle de Freud est décidément loin de l'inconscient/subconscient théorisé par le fondateur de la psychologie. En fait, d'après Freud et son école, l'inconscient serait une espèce de compartiment du moi  existant en-dessous du seuil de la conscience. Par contre, Jung affirme qu'il existe deux niveaux dans l'inconscient. Il fait, en effet, la distinction entre un inconscient personnel et un inconscient impersonnel ou suprapersonnel (3).

 

Généralement, ce deuxième niveau de l'inconscient est connu comme l'inconscient collectif, justement parce qu'il est détaché de tout ce qui est personnel; il a un caractère universel et ses contenus peuvent être repérés partout (4). Les contenus de l'inconscient collectif sont les “archétypes”, les images originelles et primordiales fixées au cours de l'histoire de l'humanité, qui constituent le patrimoine commun du vécu instinctif, émotionnel et culturel (5). Pour reprendre les paroles de Jung, l'archétype est une sorte de prédisposition à reproduire toujours les mêmes représentations mythiques (ou fort ressemblantes)  (...).

 

Les archétypes ne sont en apparence pas seulement les traces d'expériences typiques sans cesse répétées: ils agissent aussi, même si c'est de façon empirique, comme des forces  ou des tendances  aspirant à répéter toujours les mêmes expériences. Chaque fois qu'un archétype apparaît dans un rêve, dans l'imaginaire ou dans la réalité, il est assorti d'une certaine influence, ou d'une force, grâce à laquelle il agit numineusement, c'est-à-dire comme une force ensorcelante ou comme une incitation à l'action» (6). La manière dont Jung parvint à développer la psychanalyse dans une direction qu'il serait bon de définir comme traditionnelle  est donc claire: la mise au premier plan de l'importance capitale des symboles et des mythes qui leur sont liés.

 

La très particulière psychologie des profondeurs  jungienne (7) par ailleurs, se réfère à la mythologie de façon tout à fait originale: pour elle, les thèmes et les personnages de la mythologie ne sont pas de simples objets de connaissance, mais plutôt des réalités vivantes de l'être humain, qui existent en tant que réalités psychiques ajoutées, peut-être même avant leur expression historique et géographique. La psychologie des profondeurs se réfère à la mythologie surtout pour se comprendre soi-même dans le présent plutôt que pour apprendre sur le passé des autres (p.27). Naturellement, cette définition du mythe et son étude sont nettement en opposition avec les théories académiques conventionnelles sur ce thème. Hillman condamne surtout ce qu'il considère lui-même comme prééminent parmi les différentes erreurs de lecture, c'est-à-dire  —ajouterions nous—  la simplification outrancière de la psychologie et de la psychanalyse à une clé d'interprétation minimo-matérialiste: «la complexité d'un mythème ou d'un de ses personnages est présentée comme la description d'un procès social, économique ou historique, ou encore comme le témoignage pré-rationnel d'un certain engagement philosophique ou d'un enseignement moral. Les mythes sont considérés comme des exposés métaphoriques (et primitifs) de sciences naturelles, de métaphysique, de psychopathologie ou de religion» (p. 28).

 

Cette interprétation, outrageusement scientiste, dépouille le mythe de toutes ses valeurs transcendantes et l'oblige à suivre une optique stérile, asservie à des normes d'interprétation d'une valeur objective douteuse et à des modalités idéologiques et culturelles patentes. Au contraire, la grandeur du mythe réside justement dans le fait d'être un mythe:  l'académisme pur, avec sa manie dévastatrice d'affirmer et d'imposer des compétences scientifques, oublierait-il (ou fait-il semblant d'oublier) qu'avant chaque imputation de la signification mythique, il y a le mythe lui-même et l'effet absolu qu'il produit dans l'âme humaine laquelle, avant toute chose, a créé le mythe et par la suite l'a perpétué en l'enrichissant?...

 

Et l'âme recommence à rêver de ces thèmes dans sa fantaisie, dans ses structures comportementales et méditatives» (p. 28). A ce point surgit, dans toute sa vitalité, la force hiératique du mythe dans sa dimension propre, et non dans une dimension fanée de légende. Cette dimension vitale et propre déborde d'une authentique réalité psychique et d'un vécu émotionnel concret. Et, d'après Hillman, c'est là justement que naît la possibilité d'accès au mythe: «L'approche primaire du mythe doit donc être psychologique car le psychique est aussi bien sa source originaire que son contexte perpétuellement vivant (...) Une approche psychologique signifie textuellement ceci: une voie psychique vers le mythe, une connexion avec le mythe qui opère à travers l'âme (...). Seulement quand le mythe prend une importance psychologique, il devient une réalité vivante, nécessaire tout au long de la vie» (p. 28-29).

 

5. MYTHE, RAISON ET RELIGION.

 

La connaissance est réciproque. On peut donc dire: le mythe à travers nous et nous à travers le mythe. Même aujourd'hui, surtout  aujourd'hui quand les instances illuministes ramenées aux conséquences extrêmes, mettent à plat, avec leurs illuminations soi-disant démystifiantes, les contours des cathédrales de l'esprit d'avant 1492 (8), il y a grand besoin de mythes. En absence d'autre chose, on s'accroche aux superstitions, aux bigoteries, aux parodies du sacré. Tout est bon, du moment qu'on n'est pas seuls face au désert...

 

Deux millénaires d'empoisonnement par les béatitudes  n'ont pourtant pas suffi à déraciner du tréfonds de notre âme l'appel ancestral des mythes et des dieux, oubliés mais non pas anéantis pour autant: en plein positivisme, entre le XIXième et le XXième siècle, le philologue Roscher, dans son Lexique général de la mythologie grecque et romaine,  réunit et catalogue minutieusement tout le précieux passé païen que le judéo-christianisme s'était juré de déloger»  (p.33-34).

 

De déloger mais pas de supprimer. On ne peut pas faire abstraction du mythe: «Nous devons reconnaître les dieux et les mythes qui nous tiennent (...). Quand le Christ était le Dieu agissant, il suffisait de reconnaître ses configurations et celles du Diable. Pour nos méditations, on disposait de la structure chrétienne» (p. 34-35). Mais le mythe-Christ s'est dispersé (éventuellement, on peut s'étonner qu'il ait pu se développer dans des zones géographiques et culturelles tellement éloignées de celle de son origine et qu'il ait pu durer si longtemps), et d'autres (pseudo)mythes, humains trop humains, l'ont remplacé; au moment où tout est en passe de s'effondrer, au moment où rien ne paraît plus avoir de signification, voilà que le mythe d'une époque qui était déjà antique quand le Dieu Unique fit son apparition semble assez ancien et fondateur pour contenir une vérité encore actuelle qui mérite d'être étudiée, peut-être même recèle-t-elle une nouvelle foi sur laquelle tabler son futur credo. La boucle se resserre.

 

6. NATURE ET CULTURE

 

james%20hillman.jpgLes racines de la dichotomie nature/culture plongent dans un passé des plus anciens: plus loin que la philosophie des Lumières, plus loin que Descartes, plus loin même que le Christianisme. Il faut peut-être remonter à Platon, pour qui “rien n'est nature” mais “tout est réflexe hyper-ouranien”, ou même encore plus loin: «La tradition philosophique occidentale, depuis ses débuts pré-socratiques et dans l'Ancien Testament, a gardé un préjugé contre les images (...) leur préférant les abstractions de la pensée. Au cours de la période qui voit l'essor de Descartes et des Lumières, pendant laquelle on assiste au maintien de ce caractère purement conceptuel de la pensée occidentale, la tendance récurrente du mental à procéder à la personnification des concepts fut dédaigneusement rejetée et accusée d'anthropomorphisme. L'un des principaux arguments contre le mode mythique de la pensée était de prétendre que celui-ci progressait par images, qui sont purement subjectives, personnelles et sinueuses (...). Personnifier signifiait penser avec véhémence, de façon archaïque, pré-logiquement» (p.55-56) (9).

 

De même, parmi les nombreuses religions, connues et inconnues, que notre planète a vu naître et disparaître, la presque totalité de celles dites païennes ou polythéistes ont reconnu et attribué une grande importance à la Nature et à ses manifestations: rochers, plantes, animaux et phénomènes atmosphériques  —autant de morceaux d'une mosaïque aux proportions grandioses ou, du moins, hors d'atteinte du croyant. Seuls les monothéistes négligent de prendre en considération le naturel  —le matériel—  et lui préférent l'au-delà de la terre, le spirituel, dans un rejet arbitraire et castrateur de la fusion réelle qui existe entre ces deux aspects: «Le mythe grec instaura Pan comme dieu de la Nature (...). Tous les dieux avaient des aspects naturels et pouvaient être retrouvés dans la Nature, c'est ce qui a induit certains observateurs à conclure que l'ancienne religion mythologique était essentiellement une religion naturelle; quand celle-ci a été refoulée et exclue, par l'avènement du Christianisme, l'effet majeur fut de réprimer le représentant principal de la Nature dans le panthéon antique, Pan, qui bientôt devint le Diable velu aux pieds de bouc» (p.49).

 

Cette attitude dévoyante dans la pensée a caractérisé des siècles de culture occidentale, en lui apposant de façon irréversible le sceau de la partialité et du malaise: «Quand l'humain perd la connexion personnelle avec la Nature personnifiée et l'instinct personnifié, l'image de Pan et l'image du Diable s'enchevêtrent. Pan ne meurt jamais, affirment plusieurs commentateurs de Plutarque, il a été destitué» (p.59). Ce n'est qu'aujourd'hui, et péniblement, qu'on (re)découvre la Nature, le milieu où nous vivons: ainsi est née l'écologie. Mais c'est quelque chose de trop récent et que la plupart des hommes perçoivent encore improprement.

 

Ce qui importe, c'est que Pan, qui n'est pas mort mais a été destitué, continue à vivre dans nos cœurs. Il faut donc comprendre l'énorme portée de la reconnaissance (même inconsciente) de Pan en tant que symbole des forces les plus naturelles  qui soient  —et souvent réprimées à cause même de leur naturalité; et ces forces sont latentes bien que très vivantes dans nos cœurs à nous, si civilisés, si “comme-il-faut”, si maîtres de nous-mêmes, si détachés de tout ce qui frémit et de tout ce qui s'agite à l'intérieur de nos cœurs, si supérieur à cause de notre cerveau plein de morgue! Même si on ne s'en rend pas vraiment compte, ou même si on refuse a priori une telle éventualité, que cela nous plaise ou non, “en tant que Dieu de toute la Nature, Pan personnifie pour notre conscience ce qui est absolument, ou tout simplement, le naturel pur. Le comportement naturel est divin, c'est un comportement qui dépasse le fardeau que s'imposent les hommes, celui des buts à atteindre, des performances à viser: le naturel est entièrement impersonnel, il est objectif et inexorable» (p. 52).

 

Ce n'est donc pas un hasard si Pan, en tant que dieu naturel/dieu de la Nature rebondit soudain et revient  solliciter l'attention de l'homme cultivé, dans le cadre de cette même confrontation avec le problème sexuel qui émergeait alors (entre 1890 et 1910) chez bon nombre de psychologues (...): Havelock, Ellis, Auguste Forel, Ivan Bloch et évidemment Freud; pour ne pas parler de l'œuvre de peintres et sculpteurs qui, à la fin du siècle, redécouvraient le phallique satyre à la silhouette de bouc dans les états les plus intimes des pulsions humaines» (p.49).

 

Et ce n'est pas par hasard non plus si Pan, comme nous le prouve la spécialiste Patricia Marivale (11), a été la figure grecque préférée de la poésie anglaise  (p.49), surtout au siècle passé: n'y a-t-il pas de meilleure revanche de la Nature sur la froideur compassée, hypocrite et puritaine d'Albion? Non licet bovi quod licet lovi:  ce dont il n'était pas permis de parler dans les salons de la bonne société était soudain bien accepté dans la bouche des poètes et des intellectuels, dont la divine folie était déjà évoquée par Hölderin, et devenait même l'objet d'enquêtes philosophiques grâce à Schelling.

 

7. LA FACE CACHÉE DE PAN

 

On ne peut pas parler de Pan et de sa charge irrésistible de vitalité animale sans évoquer d'autres figures qui font fonction de contrepoids à la férocité et à l'âpre rusticité du dieu velu et cornu: les nymphes. Sans elles, Pan ne pourrait pas expliquer son agressivité (même sexuelle) et, en l'absence de Pan, les nymphes ne seraient plus, comme le suggère Roscher, que “la personnification de ces filaments et de ces bancs de brouillard suspendus sur les vallées, les parois des montagnes et les sources, qui voilent les eaux et qui dansent au-dessus d'elles”» (p. 103). Un autre spécialiste, W. F. Otto (12)  —tout en acceptant l'hypothèse étymologique du mot nymphe  dans sa signification de jeune fille accomplie  ou de demoiselle, puisque le mot signifie se gonfler, comme le fait un bourgeon; il est donc proche de notre adjectif nubile  (= célibataire), mais non du mot nébuleux—   rattache la nymphe de façon mythique à Artémis et au sommet grec de l'Aidos, la honte, une discrète timidité, une tranquille et respectueuse peur de et pour la Nature. W. F. Otto représente ce sentiment comme le pôle opposé à la convulsivité prépondérante de Pan (aussi dieu de l'épilepsie)» (p. 103-104).

 

La plupart des nymphes n'ont pas de nom: elles nous sont connues dans leur ensemble impersonnel, en tant que symboles du paysage intérieur que nous évoquions plus haut. Parmi celles qui ont un nom, rappelons Seringa (liée à l'invention de l'instrument musical homonyme, cher à Pan, la flûte ou syringa);  Pitis (nymphe du pin: la pomme de pin, ne l'oublions pas, est symbole de fertilité en raison de sa forme et de son abondance de graines); Eco (dépourvue d'existence autonome; dans son rapport avec Pan, elle n'est autre que Pan lui-même, revenu sur soi, comme une répercussion de la Nature qui se réfléte sur elle-même, p. 105); Euphème, nourrice des Muses (le nom d'Euphème signifie gentil dans le langage, bonne réputation, silence religieux. A partir de cette racine, nous avons le terme euphémisme, le bon usage de la parole, où la malignité et le malheur sont transformés et atténués par un “bon usage” du verbe. L'usage approprié de l'euphémisme nourrit les Muses et il est à la base de la transformation de la Nature en Art; p. 105-106).

 

Mais au-delà du symbole, comment peut-on superposer la figure hétérogène des nymphes à la figure totale/totalisante (13) de Pan? Hillman rappelle la “thèse orphique” d'après laquelle “les opposés sont identiques”. «Pan et les nymphes ne forment qu'un tout» (p. 105). Nous suggérons l'hypothèse que Pan est la Nature dans sa globalité subtile, dans son irrépressible séquence de phénomènes souvent incompréhensibles auxquels l'homme, étonné, attribue des spécificités menaçantes, violentes, aveuglément furieuses, voire de destruction immotivée; les nymphes, qui acquièrent un sens, de la consistance et même un nom seulement à travers leur relation avec Pan, sont les arbres, les ruisseaux, les rochers, comme une manifestation paisible, réflétant cette Nature elle-même, toujours prête à secourir ses créations: «(...) Pan et les nymphes avaient (...) leur fonction dans un type spécial de divination thérapeutique. Les sources et les lieux de convalescence thérapeutique pour les malades avaient leur spiritus loci:  d'habitude étaient personnifiés par une nymphe (p. 112)». Voilà pourquoi Pan et les nymphes ne font qu'un: ils existent l'un en fonction des autres et vice-versa, dans un jeu inépuisable de réflexes et de renvois. Les Orphiques, Héraclite, Kali en Inde, qui crée et qui détruit: c'est la ronde cyclique, c'est la Loi.

 

8. SI PAN MEURT, LA NATURE MEURT

 

C'est à Plutarque qu'on doit le récit qui annonce la mort de Pan et propage la nouvelle dans l'ancien monde du Bas-Empire, désormais envahi par le Christianisme. Avec Pan disparaissent aussi les jeunes filles qui exprimaient librement les vérités naturelles, puisque la mort de Pan signifie aussi celle des nymphes. Et pendant que Pan se transformait en diable chrétien, les nymphes se changeaient en mégères et la prophétie devint sorcellerie. Les messages que Pan envoyait au corps de l'homme deviennent des impulsions diaboliques, et toute nymphe évoquant de telles attirances ne pouvait être autre chose qu'une sorcière» (p. 111-112). La mort de Pan est la mort des nymphes et, avec elles, disparaît aussi la Nature dans son acception la plus représentative et la plus contemplatrice. La Nature ne mourra probablement jamais mais elle est en train de fléchir, minée comme elle est par la négligence et l'arrogance de l'homme. Mais la Nature, comme dit Hillman, n'est pas seulement celle qui est là, dehors, celle que des millénaires de conditionnement nous présentent comme quelque chose de totalement différent de nous, de “ganz anderes”  au sens de “diabolique” et de “caduc”.

 

La Nature/nature est aussi en nous et la comprendre pleinement (ou du moins essayer de se mettre en syntonie avec elle) signifie reconnaître et accepter la présence en nous du dieu sylvestre et des nymphes, de la vitalité instinctive qui est évidemment irrationnelle, et de la sereine réflexion médiatrice entre impulsion et action. La voie vers l'équilibre, à l'intérieur et à l'extérieur de nous, passe par la conscience d'être nous-mêmes porteurs de mythes, de vérités aussi anciennes que le chaos primitif, pour rester dans le champ de la mythologie classique. A cette époque, l'Univers est réellement une composition faite de contrastes, c'est le dépassement des divergences dans la transcendance de nos limites trop rationnelles et donc trop humaines.

 

Sans Pan, il n'y a pas de nymphes, et sans la perception globale de la Nature, il n'y a pas d'approche de la Nature: «Il n'y a pas d'accès à la psychologie de la Nature, s'il n'y a pas de connexion avec la psychologie naturelle de la nymphe. Mais quand la nymphe est devenue sorcière et la nature n'est plus qu'un nouveau champ d'investigation objectif, il en résulte une science naturelle, dépourvue d'une psychologie naturelle (...) .Mais la nymphe continue à œuvrer dans notre psyché. Quand nous faisons de la magie naturelle, nous recourrons à des méthodes de soin naturelles et nous devenons très sensibles à l'égard des faits de pollution et nous nous engageons pour la sauvegarde de la Nature; quand, par exemple, nous éprouvons de l'affection pour un certain arbre, un certain site, un certain endroit, quand nous essayons de recueillir des significations particulières dans le souffle du vent, ou encore quand nous nous adressons aux oracles en quête de réconfort, c'est alors que la nymphe accomplit son œuvre» (p. 112-113). Si la nymphe ne meurt pas, alors le grand Pan est toujours vivant.

 

9. SAUVER LA NATURE

 

Comment peut-on sauver la nature à l'extérieur de nous-mêmes et la Nature qui est en nous, en d'autres mots, sauver l'Homme dans l'homme? Hillman affirme que “le dieu qui porte la folie peut aussi nous délivrer d'elle”, et c'est justement à cette thématique qu'est dédié le dernier chapitre de son essai. Voici les passages les plus significatifs, pour clôturer ces notes, sans autres commentaires.

 

«Peut-être devrions nous relire la prière de Platon à Pan, citée comme épitaphe dans cet essai:

Socrate:

O cher Pan!

Et vous, les autres dieux de ce lieu,

donnez-moi la beauté intime de l'âme et,

quant à l'extérieur, qu'il s'harmonise avec mon intérieur

(Platon, Phèdre, 279 b).

La prière est formulée par Socrate dans un dialogue dont l'objet principal (très controversé) est la meilleure façon de débattre de l'éros et de la folie. Le dialogue, qui avait débuté sur la sombre berge d'un fleuve près d'une localité consacrée aux nymphes, s'achève avec Pan. Socrate s'allonge dans ce lieu, pieds nus. Il commence à parler en évoquant, comme d'habitude, le fait d'être toujours confronté à l'adage Connais-toi toi-même et à son sentiment d'ignorance devant sa véritable nature d'origine. A la fin, jaillit la prière qui exprime son appel à la beauté intérieure et qui pourrait mettre un terme à l'ignorance, puisque dans la psychologie platonique la vision de la véritable nature des choses détermine la vraie beauté.

 

Donc, Pan est le dieu capable de conférer ce type particulier de connaissance dont Socrate a tant besoin. C'est comme si Pan était la réponse à la question apollinienne sur la connaissance de soi. Pan est la figure qui constitue une transition et qui empêche ces réflexions de se scinder en des moitiés déconnectées, devenant ainsi le dilemme d'une nature sans âme et d'une âme sans nature: une matière objective là dehors  et les procès mentaux subjectifs à l'intérieur de nous. Pan et les nymphes gardent nature et mental ensemble (...). Toute institution, toute religion, toute thérapie qui ne reconnaît pas l'identité de l'âme et de l'instinct, comme Pan nous les présente, en préférant l'une à l'autre, insulte Pan et ne guérit pas (...) .

 

La prière à Pan de Socrate est aujourd'hui plus actuelle que jamais. En fait, nous ne pouvons pas restaurer un rapport harmonieux avec la Nature en nous limitant simplement à l'étudier. Et malgré le fait que nos préoccupations prioritaires soient d'ordre écologique, nous ne pourrons jamais les résoudre uniquement à travers l'écologie. L'importance de la technologie et de la connaissance scientifique pour la protection des phénomènes et processus naturels est hors de discussion, mais une partie du terrain écologique réside dans la nature humaine, dans le mental duquel dérivent les archétypes.

 

Si, dans le mental, Pan est refoulé, nature et psychè sont vouées à la dispersion totale, quels que soient nos efforts au niveau rationnel pour garder les choses en place. Si on veut restaurer, conserver et promouvoir la nature là dehors, la nature qui est en nous  doit aussi être restaurée, conservée et promue en mesure égale. Dans le cas contraire, notre perception de la nature extérieure, les actions que nous entreprenons envers elle et nos réactions vis-à-vis d'elle, continueront à connaître, comme pour le passé, les mêmes excès déchirants d'inadaptation instinctuelle. Sans Pan, nos bonnes intentions pour corriger les erreurs du passé auront pour seul effet de les perpétrer sous d'autres formes (p. 127-130).

 

Alessandra COLLA.

(Article paru dans Orion  n°48, septembre 1988, pages 500-507; trad. franç.: LD).

 

(*) J. Hillman, Essai sur Pan, Adelphi, Milan 1977; les numéros de pages entre parenthèses en fin de citations entre guimées, se réferent à cette édition, sauf indication différente.

 

1. Sur le rapport entre Occident, nihilisme et christianisme voir l'essai de Omar Vecchio Essence nihiliste de l 'Occident chrétien, Barbarossa, Saluzzo 1988.

 

2. A propos de ces dernières caractéristiques, qui diversifient Pan de Jésus, pensons aux brûlantes polémiques concernant le film de Martin Scorsese La dernière tentation du Christ, où la dernière tentation serait justement celle d'une vie pleine, en homme, pour le Dieu incarné: une vie génitale, procréatrice, productrice; d'ailleurs, sur la croix, Jésus s'imagine faisant l'amour avec Madeleine, se mariant avec elle, lui donnant des enf~nts, travaillant dans l'atelier de menuiserie et vieillissant avec les souvenirs. Mais cette plénitude abstraite, souhaitée et concédée même au dernier des pécheurs, apparaît comme un blasphème quand elle se réfère à celui qui, incarné, est contrait de goûter seulement aux bouchées les plus amères et déchirantes de l'humanité, conscient de l'impossibilité d'éloigner de soi cette coupe empoisonnée: c'est, du moins, la version officielle que l'Eglise nous offre du Christ et, par conséquent, le film de Scorsese ne peut qu'être mis à l'index. Cela suffirait à démontrer que, après tout, Scorsese n'était pas très loin de la vérité.

 

3. Carl Gustav Jung, Psychologie de l 'inconscient, Boringhieri, Turin, 1970, pages 115-116.

 

4. Ivi, page 116.

 

5. Cfr. D. D. Runes, Dictionnaire de philosophie, Mondadori (Oscar Studio), Milan, 1975, voix: lNCONSCENT COT .T FCTLF. Dans le même ouvrage, à la voix ARcHEmE ~ on peut aussi lire: les archétypes sont les images primitives déposées dans l'inconscient en tant qu'ensemble des expériences de l 'espace et de la vie animale qui les devancèrent.

1

 

6. G. Jung, oeuvre citée, p. 120 .

 

7. Le terme PSYCHOLOGE DU PROFOND veut indiquer les différentes formes de psychologie scientifque des phénomènes inconscients, et plus précisément la psychanalyse de Freud, la psychologie analytique de Jung et la psychologie individuelle de Adler. Cfr.: D. D. Runes, oeuvre citée, voix PSYCHOLOGE DU PROFOND.

 

8. Ici nous prenons l'année de la découverte de l'Amérique comme date de début de l'Ere Nouvelle, dans son acception la plus courante, avec tous ses apports humanistes et destructeurs pour chaque classification supérieure.

 

9. Le savant français Lucien Lévi-Bruhl appelle pré-logique la mentalité du primitif, qui serait caractérisée par l'absence de certaines structures logiques fondamentales, comme le principe de non-contradiction et le principe de raison suffisante; au contraire, la mentalité du primitif se conformerait au principe de participation, une espèce d'immense mysticisme envers la nature et dans le collectif (...) . Ces observations audacieuses tombèrent devant la réalité des faits: l'existence universelle du langage avec la surprenante richesse grammaticale et de syntaxe (...), la constatation, tout aussi universelle, de la production technique intentionnelle des instruments et la valeur certaine d'autres éléments culturels, qui indiquent clairement, même auprès des primitifs, la présence d'une rationalité pleine et normale. Le même Lévi-Bruhl reconsidéra les points fondamentaux de sa théorie dans une publication posthume en 1949 à Paris (Carnets de L. L.-B., P. U. F., aux soins de M. Leenhardt - nd.r.) (Guglielmo Guariglia, L'etnologia Ambito, conquiste e sviluppi., extrait, Editions PIME, Milan, s.i.d., p 17-18).

 

10.Rappelons en passant que la première partie du terme dérive du grec oikos et oikia (Cfr. :Indien ancien: veças; Latin: vicus; Gothique: vehis; Haut Allemand nouveau: Weich-bild = territoire), qui signifie demeure, temple, caverne, patrie (Cfr.: Gemoll, Vocabolario grecoitaliano).

 

1 l.Patricia Merivale, Pan the Go-at-God: His Myth in Modern Times, Cambridge, Harvard, 1969. Cité par Hillman.

 

12.Walter Friedrich Otto, historien des religions, auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Die Musen (Darmstadt 1945), auquel Hillman se référe, et Der Geist der Antike und die cristl, Welt 1923 (traduction ital.: Spirito classico e mondo cristiano, La Nuova Italia, épuisé).

 

13.Une étymologie plausible du nom Pan est celle qui le fait dériver de l'adjectif grec pan (neutre, substantif; masculin: pas; féminin: pasa) qui signifie toute chose, tout, le tout. Mais Gemoll, à la voix :PAN, donne l'étymologie suivante: mot onomatopéique = père. En ce moment il m'est impossible de consulter les ouvrages de Rocci ou de Liddell-Scott.

 

 

 

lundi, 28 décembre 2009

Sagesse dans le paganisme

CHOUETTE%20ANTIQUE.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

 

ETAYER LE MONDE: CONNAISSANCE ET SAGESSE DANS LE PAGANISME

 

 par Bernard NOTIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PLAN

 

DE L'HOMOLOGIE

 

PRINTEMPS  ET AURORE

HARMONIE ET VÉRITÉ

1. Cycles temporels et vérité

2. D'un cycle à l'autre: la rénovation

3. La décadence et le mensonge

4. Bâtir l'harmonie

 

L'ORDRE CONCRET: LE DEVOIR

 

LES HÉROS: IDÉAL-TYPE

NUIT ET PRINCIPE VITAL

LE SILENCE DES SAGES

 

UNE TRADITION, DES INSTITUTIONS

 

LA FAMILLE

NI DIEU NI LOI

ORGANISER LA DIVERSITÉ: CASTES ET COMMUNAUTÉS

 

En pratique, des institutions a-temporelles sont le cadre du polythéisme. Elles assurent la transmission d'une tradition dont l'origine remonte au déploiement de cet univers-ci (non à sa création. Ou, du moins, cette création suit un chaos préalable).

 

En pensée, le polythéisme recourt au symbole, moyen de relier les niveaux de réalité selon la double logique de l'équivalence et de la hiérarchie. Tout est toujours à un carrefour: horizontalement, verticalement. Aux extrêmes règnent d'une part l'ouverture vers l'inconnu, d'autre part soit le Chaos (par exemple en Grèce), soit le principe neutre (en Inde notamment). La diversité du monde est intégrée par l'homologie.

 

DE L'HOMOLOGIE

 

«Pour représenter quelque chose en termes de quelque chose d'autre on a besoin d'un système de correspondances» (1). Or tous les aspects de la vie proviennent de principes communs. On a des équivalences et des parallélismes entre sons, formes, nombres, couleurs, idees, etc. Le modèle fondamental de représentation du monde est le cycle, qui commence toujours en “ouvrant” une porte.

 

PRINTEMPS ET AURORE

 

L'aurore du cycle cosmique est homologue de l'aurore de l'année et, initialement, de l'aurore quotidienne. Pour les Grecs, par exemple, Eos était l'aurore quotidienne. Les deux autres fonctions (année et cosmos) et tout ce qui s'y rattache, ont été attribuées à Aphrodite qui est aussi devenue la déesse de l'amour. Dans l'Illiade, le retour du printemps est symbolisé par l'union amoureuse de Zeus et Héra. Le lieu, la montagne, est essentiel. La “montagne” de l'année est celle où se manifeste le retour du soleil; celle dont sortent les “Aurores de l'année”, comme, dans le Véda, les Aurores du cycle cosmique sont sorties de la caverne Vala.

 

HARMONIE ET VÉRITÉ

 

Les cycles temporels, cycles homologues du jour, de L'année et du cosmos sont le cadre du culte, mais aussi dans une large mesure son objet. Assurer le retour régulier du soleil et des saisons sont une préoccupation servant de modèle cosmique à la Vérité et à l'ordre social.

 

1 - Cycles temporels et vérité

 

Le nom des saisons, en védique, est rtavah, apparenté au nom de la vérité, rta, l'un et l'autre se rattachant à la racine *AR: «Ajuster, articuler, adapter correctement». Peut-être, écrit J. Haudry, faut-il voir dans cette conception l'effet de la difficulté rencontrée jusqu'aux temps historiques, pour déterminer exactement l'année et faire concorder le cycle solaire avec les douze mois lunaires. L'année est donc porteuse de vérité; année et saison proviennent d'une même racine qui renvoie à une conception technique. La Vérité est ce qui est concordant, bien ajusté. Le retour régulier des saisons, en particulier celui de la belle saison, répondant à l'attente des hommes, est l'image de la vérité qui est le pilier de l'ordre du monde. La verité fonde l'ordre social et implique le respect des serments, des contrats, de l'hospitalité, etc... (2).

 

Retenir “l'ajustement correct” comme définition de la Vérité est une caractéristique profonde de la civilisation polythéiste. Julien Freund en présentait encore les principales conséquences dans son ouvrage La décadence.  L'idée de recherche de la vérité qui a conditionné l'essor prodigieux de la science et de la technique et façonné l'esprit critique et philosophique est sous-tendue par la préoccupation d'ajuster, d'articuler. Il n'y a pas de corps de vérités toutes faites qui seraient imposées, de toute éternité, par un pouvoir politico-religieux. La vérité est restée, jusqu'à il y a peu, l'objet d'un libre-examen, d'une recherche indéfinie, mettant sans cesse en cause l'acquis.

 

2 - D'un cycle à l'autre: la rénovation

 

La religion cosmique pense les forces qui assurent la rénovation du monde. Pour passer d'un cycle à un autre, à quelque échelle que ce soit, jour, année, cosmos, il faut que certains Dieux changent de parti. Au quotidien, la journée symbolise la vie alors que la nuit représente la mort. L'homologie entraîne qu'à l'échelle annuelle l'hiver est une mort, tandis qu'à la dimension cosmique le chaos est la nuit des temps, d'où émerge la vie. L'élément rénovateur est différent selon les ères culturelles. Par exemple, il est incarné en Inde par le Dieu Agni et en Grèce par Zeus, mais selon un schéma différent.

 

Le monde nocturne et les entités spatio-temporelles de cette phase cosmique sont considérées comme lieuses: elles retiennent captifs le Soleil, les Aurores, les Eaux, etc. Le pouvoir des “forces de la nuit” est de lier. Elles sont donc, au plan social et par homologie, les garantes des serments, les protectrices des liens sociaux, naturels et contractuels. Les entités nocturnes sont des dieux auquels on rend un “culte négatif”: il suffit de ne pas les offenser pour les honorer. Dans ce cadre, le sens de mentir, tromper, est issu de celui de rompre un engagement.

 

Le passage d'une phase du cycle à l'autre suppose l'affrontement entre les puissances de la rétention qui ravissent à la communauté des dieux ou des hommes les richesses de la belle saison et les forces de la restauration qui s'efforcent d'en rétablir la circulation et le bon usage. La menace suprême, ce que les polythéistes craignent le plus, c'est le chaos, “le renversement des hiérarchies, la perversion du système de valeurs qu'elles expriment et entretiennent, une désorganisation profonde de l'ordre normal des choses” (3).

 

La rénovation passe par les paroles de vérité qui créent les dieux et fournissent l'énergie pour fracturer les forces de rétention. Il faut “fendre la montagne par la formule pour délivrer la lumière cachée” (4). La parole de vérité prend plusieurs formes: la parole sacrée, rituelle, celle du brahmane par exemple; la parole inspirée par l'émotion, la peur, la transe; la formule réfléchie, pensée longuement et qui n'est pas prononcée à la légère, comme les “mantra”; la voix qui invoque ou crie, chante et charme, à laquelle se rattache le chant et la poésie. Le renouvellement nécessite le recours à des assertions de vérité. L'opération de vérité permet de FAIRE par la pensée et la parole. Il ne s'agit pas d'assertions ordinaires. Elles désignent aussi la “concordance chronologique”, par exemple entre une cérémonie et un jour particulier. Les assertions de vérité sont superlatives et paradoxales. La notion d'énigme joue ici un rôle essentiel pour concilier des assertions contradictoires. En trouver la clef est la façon d'en faire apparaître la vérité profonde. Certaines assertions de vérité sont des “flèches”, discours sans ambiguïte, sans arrière-plan, dans lequel tout est dit, rien ne reste dans l'ombre et, par là-même, ces flèches sont efficaces (touchent leur cible). Mais la vérité renvoie aussi à la parole courbe, celle de la poésie notamment, située entre mensonge et vérité. Il existe des vérités profondes, valables à un niveau supérieur de réalité, par la formulation desquelles on induit en erreur qui ne sait pas les interpréter. La poésie est donc entre mensonge et vérité; mais il faut se méfier des mensonges qui déclenchent la décadence.

 

3 - La décadence et. le mensonge

 

La violation des contrats est l'un des signes de la fin du cycle cosmique selon l'EDDA (5), l'histoire du monde commence par un parjure des Dieux vis-à-vis du maître-ouvrier qui leur a construit la Valhalle. Cet acte marque le début de la décadence aboutissant au Ragnarök. L'initiateur du parjure est le Dieu Loki, personnification de la parole de feu des calomniateurs.

 

Le mensonge est associé au chaos cosmologique, à la nuit et à l'hiver des cycles journaliers et annuels; à la retention, aux ténèbres et au froid climatique. Les haines et les mépris sont le résultat de la parole “fourbe” des sorciers qui brisent l'esprit d'entente unissant le groupe. Les ennemis déclarés du culte et de l'ordre social pratiquent la calomnie et l'imprécation.

 

Alors que l'ordre social, le rta  védique, n'est pas personnifié, les entités de la religion de la vérité le sont. Il existe une classe de Dieux liés à cette éthique, les Adityas  védiques. Descendants d'Aditi, déesse qui signifie liberté (i.e. non liée), ils sont au nombre de six (6): Mitra (contrat) et Varuna (serment); Aryaman, spécialiste du don qui veille à la solidité des liens qui unissent les sociétés; bhaga (lot); Amsa (part); Daksa  (énergie réalisatrice). Or, ces dieux sont aussi les dieux du rta, de l'ordre global, de l'harmonie. On distingue donc l'éthique de la vérité, lorsque la surveillance du respect des engagements et des comportements sociaux incombe à des divinités qui ont d'autres rôles, et qu'on honore en évitant de les offenser, de la religion de la verité caractérisée par des Dieux auxquels on rend un culte positif. L'éthique de la vérité, respect des engagements, vaut pour les contrats et les serments, le lien social, la juste répartition.

 

4 - Bâtir l'harmonie

 

La réalité est une notion bâtie à partir du verbe être, alors que la vérité repose sur la racine *AR. Les deux se rejoignent dans certaines circonstances: s'il s'agit de prévoir et que la prévision se réalise; à propos de faits passés, l'histoire réelle et véridique. Dans une société harmonieuse, la réalité désigne aussi le comportement conforme qui dépend de la position sociale et des fonctions remplies. Il s'agit d'un idéal qui norme le comportement, qu'il faut ranimer chaque jour au lever du soleil, chaque année pour sortir de la ténèbre hivernale, au cours des siècles pour lutter contre le chaos. Le chemin vers la vérité, comme la recherche du comportement parfait selon son rang et sa fonction, mènent vers l'ordre, vers l'harmonie.

 

Quel que soit le point de départ d'une vie, elle peut monter vers la perfection, vers l'absolu. Les relations amicales au sein d'une communauté, les rites qui lient le connu et l'inconnu, traduisent la foi en cette démarche. Aussi, pourquoi l'abandonner en chemin et se convertir à autre chose? Le divin est dans l'homme. Il peut l'éveiller à partir de n'importe quel emplacement ou situation, à condition de suivre un chemin qui retrace, symboliquement, la course du soleil. Tous les chemins sont acceptables, ce qui fonde la tolérance. Le chemin part du donné concret et monte vers l'abstrait et le divin.

 

La rénovation de l'harmonie est quotidienne, annuelle, cosmique et suppose l'existence d'excellents artisans possédant la qualité d'artiste. Car ces belles qualités sont indispensables pour que le nouveau jour, la nouvelle année façonnée soient, en tous points, similaire (et non identique) au cycle écoulé. En Inde, les Rbhu remplissent cette fonction. Chez les anciens Germains, ce sont les Alfes dont la fête se déroule à l'époque du solstice d'hiver et qui survivent au Ragnarökr. A Rome, on raconte l'histoire de Veterius, capable de fabriquer 11 boucliers semblables (représentant les 12 mois de l'année). L'harmonie se bâtit par la compétence technique, mais aussi par l'habileté de ceux qui manipulent la parole. Ils ont à lutter contre le mensonge et les dieux du mensonge par les paroles de vérité et le recours aux dieux guerriers qui frappent, par la massue ou le marteau, les calomniateurs. L'attitude mentale qui préside à la vérité et favorise l'harmonie repose sur l'absence de malignité, le refus du “mauvais esprit”.

 

L'ORDRE CONCRET: LE DEVOIR

 

De même que la Vérité résulte d'un ajustement en sorte que la qualité d'artiste, de poète et de technicien est nécessaire pour y parvenir, de même le devoir de chaque être humain contribue a l'harmonie sociale. Si chacun respecte son devoir, la société sera bien ajustée. L'harmonie résulte de l'interdépendance entre trois fonctions sociales: la souveraineté, la force, l'abondance. Chaque membre d'une fonction doit accomplir son devoir et faire en sorte que ses actes soient accomplis en conformité avec l'idéal de la fonction.

 

- Le souverain doit faire prévaloir un droit équitable, repousser les batailles à l'extérieur, écarter la grande mortalité. Les attributs du souverain tiennent au mérite, non à la naissance, car le souverain qui faillit à ses devoirs usurpe le droit de gouverner (7).

- Le guerrier a un devoir spécifique, dont rend compte par exemple l'histoire d'Heraclès en Grèce. Il commet trois fautes: hésite devant l'ordre de Zeus, tue lâchement un ennemi surpris, exprime une passion amoureuse coupable. Les trois fautes renvoient aux trois fonctions: sacré, force, abondance, suivant l'ordre hiérarchique décroissant. L'histoire d'Héraclès met en relief les périls de l'exploit, la souillure qu'il secrète parfois, l'outrance et les fautes qu'il favorise. Il n'en reste pas moins que, dans les civilisations polythéistes, l'exploit fut un bon placement. Militaire ou sportif, scénique ou intellectuel, accompli au profit ou sous les couleurs de la collectivité, il fait un héros.

- L'abondance, troisième fonction, a aussi une dimension spécifique, dont l'exemple romain fournit une représentation pertinente. La croissance (Cérès) en est le principe, traduit en actes par des personnes patronnées par Quirinus.

 

LES HÉROS: IDÉAL-TYPE

 

Les héros ont réussi à s'engager sur la “voie des Dieux”, aboutissant à l'immortalité solaire. L'enseignement originel est transmis par “les Upanisads”, où il est expliqué qu'il existe deux voies après la mort: la voie des pères (des ancêtres); la voie des Dieux.

* La voie des pères. Les morts s'en vont dans la fumée et séjournent dans un endroit ténébreux (l'Hadès chez les Grecs). Cette voie passe par la nuit, les six mois de l'année où le soleil

descend vers le Sud. L'âme y reste.

* La voie des Dieux. Les morts s'en vont dans la flamme. Cette voie passe par le jour, les six mois de l'année où le soleil monte vers le Nord. L'âme jouit alors d'une immortalité solaire.

 

Les héros forment un ensemble composite. On y trouve:

Des hommes illustres décédés. Ils se sont élevés au-dessus de leur condition humaine en étant “les premiers” dans une activité quelconque. Il existe des héros devins, poètes, médecins, artisans, guerriers...

Des hommes illustres vivants (en particulier chez Homère). Ils ne sont des héros que par anticipation.

Des génies locaux. Ce sont des puissances désignées par leur fonction. Les Grecs ont assimilé ces puissances à des hommes s'élevant au-dessus de leur condition. Ex.: le héros de Marathon.

Des Dieux parfois grands (Dionysos) mais souvent déchus. On en trouve plusieurs chez Homère: Castor et Pollux; Agamemnon (qualificatif de Zeus). L'Inde a théorisé le phénomène: les Dieux indiens sont “descendus” pour s'incarner dans les héros du Mahabharata.

 

Dans le monde polythéiste, hommes et Dieux sont deux pôles entre lesquels existe une infinité d'intermédiaires: des hommes proches des Dieux; des Dieux proches des hommes; des hommes qui s'élèvent; des Dieux qui s'abaissent. Lorsque Hommes et Dieux se rejoignent, les Héros apparaissent. Ils sont nécessairement “premiers” dans leur domaine quel qu'il soit: Médecin; Inventeur; Fondateur d'une lignée, d'une corporation... Tous échappent à la “seconde mort” de l'anonymat.

 

NUIT ET PRINCIPE VITAL

 

Georges Dumézil (8) a rappelé que l'Aurore chasse l'informité noire, refoule l'hostilité, les ténèbres “comme un archer héroïque chasse les ennemis”. Les Aurores écartent et chassent la ténèbre de la nuit. La ténèbre est assimilée à l'ennemi, au barbare, au démoniaque, à l'informité, au danger, etc. La division entre monde nocturne et diurne est valable pour de multiples fonctions. Elle vaut pour les combats: combats techniques/combat inspiré; pour la poésie et le chant: aspect technique (diurne), aspect inspiré, trembleur, excité (nocturne). La distinction de Nietzsche entre Apollon et Dionysos  est du même ordre: été, hiver.

 

Une entité nocturne se dédouble en une entité cosmique et en une entité sociale. Au plan social, les entités nocturnes sont des dieux. auxquels on rend un “culte négatif” (il suffit de ne pas les offenser pour les honorer). Au plan cosmique, le monde indien établit une correspondance entre l'entité nuit et le principe vital. “La Ténèbre, au commencement, était couverte par la Ténèbre; il n'y avait que l'Eau, indistincte. Et l'Un, par le seul pouvoir de son ardeur, y pris naissance, Principe-en-devenir que le vide recouvrait” (9). L'Un constitue le principe vital latent de toute la création. Il porte en lui l'énergie qui permettra au monde d'émerger de la ténèbre originelle. Le principe vital (ASU) est lié à la Ténèbre, à la nuit. La religion cosmique permet de comprendre cette situation.

 

Pour passer d'un cycle cosmique à un autre cycle cosmique, il faut que certains Dieux, changent de parti. De même que Zeus (ciel diurne) ne pourra accéder au règne suprême qu'après le renversement d'Ouranos  (ciel nocturne), certains Asuras (divinités) du ciel nocturne abandonneront ce parti “ténébreux” pour le parti lumineux d'Indra, chef des Devas. Le ciel nocturne possède les éléments de sa propre transformation. La nuit est donc féconde.

 

A l'échelle quotidienne, la journée symbolise la vie tandis que la nuit représente la mort. Le sommeil est assimilé à une petite mort. Le dormeur revient de l'autre monde. Lorsque l'être s'éveille, la nuit se dissipe, la lumière revient. L'être reprend possession de son principe vital (ASU). Le principe vital ASU se manifeste soit comme potentiel patent (lors de l'éveil), soit comme potentiel latent, après la mort (et le sommeil). ASU désigne simultanément l'esprit vital latent dans l'autre monde, celui de la nuit et de la mort, et la réserve de principe vital pour la vie à venir. C'est dans la nuit et la mort que se trouvent l'origine et la fin, les deux n'étant pas dissociables. Si l'ASU représente l'essence de l'être (c'est-à-dire un esprit porteur de potentialité), celle-ci est de nature ambivalente: à la fois essence vitale active, source du monde de la vie; et associée au monde de la mort par la puissance fécondante des esprits (10).

 

Le silence des sages

 

Le sommeil sert de base à la reconnaissance du rôle du silence. Le sommeil est une phase du cycle journalier et, par homologie, de l'année et du cosmos. Il a une fonction organisatrice: il prépare le terrain pour un rajeunisssment du monde qui interviendra avec 1'arrivée de la belle saison. Durant le sommeil, la vie se ralentit jusqu'à l'inactivité. Le sommeil facilite la mort de la saison précédente: il est actif. S'il laisse dans un premier temps le champ libre aux forces obscures (en particulier aux sorciers), il est aussi la phase dans laquelle germe le renouveau.

 

Le silence, assimilé au sommeil, laisse le champ libre aux “sorciers” spécialisés dans le mensonge, équivalent de la nuit et de l'obscurité. Mais il évite aussi que la terreur, répandue par les forces obscures, mauvais magiciens et infâmes, ne détruise ce qui est en germe. L'inactivité des êtres de lumière, dans la période de silence, empêche la foudre brandie par les sorciers de détruire les germes du renouveau. Une condition est nécessaire: accompagner le silence d'une illumination intérieure par la connaissance, sous toutes ses formes. Vérité et Lumière ne pourront ressortir qu'à cette condition. Rien de mécanique donc. Le silence doit être actif. Il est une phase nécessaire lorsque la nuit s'est abattue sur le monde avec la tyrannie des sorciers infâmes. Il doit s'accompagner d'une concentration de la pensée.

 

UNE TRADITION DES INSTITUTIONS

 

Les sectes monothéistes cherchent à intégrer les individus dans la communauté des croyants. Fondées sur le dogme de la création, elles affirment que l'homme est donné, rigide, inchangeable, et qu'elles peuvent agir sur le destin des autres par leurs propres forces car “la foi soulève les montagnes” et les sublimes codes juridiques (civil et pénal) permettent de façonner le comportement (assassinat judiciaire des infidèles). Ces religions ne prêchent pas la liberté pour chacun de se réaliser selon sa nature. Ce sont des sectes rivales, au service d'hommes avides de puissance, qui cherchent à imposer des dogmes absurdes, des contraintes inhumaines, pour assurer leur pouvoir.

 

Selon les Polythéismes, l'important, pour chacun de nous, est de chercher à se comprendre lui-même, puis de se réaliser. Pour ce faire, la Théologie est séparée de l'Eglise. L'autorité ecclésiastique suprême des sectes monothéistes est remplacée par une tradition des institutions: castes, familles, etc. L'homme est libre de penser comme il l'entend, il lui suffit d'accomplir les rites qui constituent le devoir social, le lien entre les générations, la continuité de la tradition. Il est normal de boycotter ceux qui méprisent les traditions tout en acceptant de vivre dans la société...

 

LA FAMILLE

 

L'idée que le couple est la base de la stabilité sociale est une idée pernicieuse qui ne correspond pas à la nature de l'homme et fait de la famille une sorte de prison. C'est le groupe familial qui constitue la famille. Il comprend les frères, les oncles, leurs épouses. La famille est sacrée au point qu'on glorifie le groupe entier auquel on appartient. Envisagée comme une institution, la famille est régie par des lois (en Inde, ce sont les lois de Manou) et par divers préceptes religieux. Les lois sont plus strictes et rigides pour les hautes castes. La famille élargie est une union morale et matérielle dont les membres vivent selon une minutieuse hiérarchie qui fixe à chacun ses droits, ses devoirs, jusqu'à sa tenue et sa manière de parler aux aînés et aux plus jeunes que soi.

 

Chaque individu est fier de ses ancêtres, et fait remonter sa génération aux hommes glorieux, par exemple un saint homme (un pieux ermite), un héros... Chacun regarde les parents avec un religieux respect. Il est inconcevable qu'on leur désobéisse. Il est impossible qu'on agisse en quoi que ce soit sans avoir leur approbation formelle car ils sont, sur le plan humain, l'Autorité suprême. Ils sont le lien réel entre tous les membres vivants de la famille et les ancêtres, dont le culte est célébré journellement. Le culte des ancêtres consiste avant tout à respecter et à transmettre le double héritage, génétique et culturel, qu'ils nous ont légués.

 

Le mariage est arrangé selon les règles concernant la caste, le clan, la lignée. Le mariage n'est pas simplement un permis, une légalisation de rapports sexuels. C'est un acte responsable et ritualiste qui a pour but la procréation d'un nouveau chaînon d'une lignée. Vu dans une telle optique, le mariage entre individus appartenant à divers groupes ethniques et raciaux est donc un outrage à la création, à l'harmonie du monde.

 

NI DIEU, NI LOI

 

Les grands penseurs de la Chine sont connus pour leurs études traitant de la stabilité sociale. Tout d'abord, l'accent est mis sur les symboles et les attitudes, plutôt que sur les mots soumis à des glissements sémantiques. Puisque l'homme et la nature ne font qu'un, l'ordre universel est réalisé par la discipline civilisatrice que chacun s'impose et dont le résultat est la participation active des hommes à l'ordre cosmique. Les habitudes comportementales, la civilisation des mœurs, sont les fondements de la vie sociale. Ainsi, le confucianisme n'est ni une religion, ni une philosophie, mais enseigne l'acceptation par chacun du respect des supérieurs. “L'ordre politique et social est censé être fondé sur des rapports harmonieux entre supérieurs et inférieurs, identiques dans la vie civile à ceux qui règlent les relations familiales. Les rapports de père à fils, d'ainé à cadet ne sont pas de nature fondamentalement différente des rapports de souverain à sujets. Au respect des uns doit répondre la sollicitude des autres” (11). La civilisation chinoise repose sur un système hiérarchique, réseau de devoirs et d'obligations pour lequel mœurs et lois sont essentiels. La contrainte est évidemment que les “inférieurs” ne soient pas durablement déçus par la qualité des supérieurs qui leur sont proposés. Cette société polythéiste n'est donc pas tributaire d'un dieu, d'une religion, d'une loi révélée.

 

Organiser la diversité: castes et communautés

 

Louis Dumont (12) a clairement montré qu'aucune stabilité sociale n'est possible sans qu'un système “idéologique” ne hiérarchise la société. L'Inde a mis au point le système des castes qui “divise l'ensemble de la société en un grand nombre de groupes héréditaires distingués et reliés par trois caractères: séparation en matière de mariage et de contact direct ou indirect; division du travail, chacun de ces groupes ayant une profession traditionnelle ou théorique dont ses membres ne peuvent s'écarter que dans certaines limites; hiérarchie enfin, qui ordonne les groupes en tant que relativement supérieurs ou inférieurs les uns aux autres”. Les différents statuts des multiples groupes hiérarchisent l'ensemble de la société et imposent l'interdépendance et la complémentarité. Pour ceux qui refusent les avantages et inconvénients de l'organisation sociale, le système a prévu la voie du renoncement. L'individu sort du monde social et s'intéresse à son salut personnel en donnant l'exemple et créant, s'il le souhaite, un “groupe” (une secte) dont il sera le gourou. Le renonçant donne tous ses biens, preuve que son action et ses enseignements ne sont pas des escroqueries intellectuelles intéressées. Son enseignement est crédible car il a renoncé aux biens de ce monde et pratique l'ascèse.

 

De l'Islande à la vallée de l'Indus, hier et aujourd'hui, la volonté de penser la diversité du monde et d'harmoniser le Tout est au centre du parcours des polythéistes. Régulièrement, des esprits simples et des sectes ambitieuses profitent de la tolérance païenne pour s'insinuer puis, une fois en place, détruire par tous moyens ce monde harmonieux dans lequel leur place, quoique reconnue, n'est pas considérée d'emblée et a priori comme primordiale. Les forces d'harmonie et de renouveau ont toujours à lutter pour faire advenir la lumière contre les mensonges “pieux”; contre le chaos social; contre la ruse élevée en règle de vie.

 

En cette fin de XXième siècle, l'Inde, la Chine, le Japon,... montrent que l'organisation sociale sans Dieu ni Loi révélée, avec souci d'accorder à chacun une place dans le Tout permet de supporter un accroissement de population sans que la société ne se désagrège. Le chaos y est amené par les sectes monothéistes qui utilisent, depuis 2000 ans, des méthodes semblables. Dans le monde indien et asiatique, c'est le colonialisme, notamment le colonialisme britannique, qui a amené le monothéisme de facteur occidental. Généralisé au sous-continent indien, il aurait fait des désastres. Heureusement, l'Inde et la Chine ont résisté, sont restés imperméables à la pénétration d'une religiosité schématique, incapable de gérer l'immense diversité des phénomènes du monde.

 

Un polythéiste d'aujourd'hui observe que l'Occident est entré dans un processus de crétinisation de masse piloté par les mafias capitalo-théocratiques et que la triade infâme théologo-nigologie (13); génocide judiciaire; crimes en tous genres (contre la pensée, contre le peuple, contre la nature) durera quelques temps encore. Il appartient aux esprits rebelles à l'abrutissement conceptuel des sectes qui contrôlent l'Occident de repartir en quête du divin. Ils doivent aussi revivifier les institutions qui libèrent les hommes de leur condition de troupeau d'esclaves guidés par une race supérieure: les banksters et leurs serviteurs.

 

Bernard NOTIN.

 

Notes:

(1) Alain DANIELOU: Le polythéisme hindou, Buchet Chastel, 1975, p. 19.

(2) Jean HAUDRY: La Religion cosmique des Indo-Européens, Arché/Les Belles Lettres, 1987.

(3) Philippe JOUET: L'Aurore celtique, Editions du Porte-Glaive, 1993, p.123.

(4) Patrick MOISSON: Les Dieux Magiciens dans le RigVeda, Edidit, 1993, p.83.

(5) Jean HAUDRY: «La religion de la Vérité dans le monde germanique», Etudes Indo-Européennes, 10ième année, 1991, pp. l25-166.

(6) Georges DUMEZIL: Les Dieux Souverains des Indo-Européens, Gallimard, 1986.

(7) Les monarques de droit divin sont une superstition monothéiste.

(8) Georges DUMEZIL: La religion romaine archaïque, Payot, 1987, p. 67-69.

(9) Jean VARENNE: Cosmogonies védiques, Paris-Milan, 1982, p. 225.

(10) Patrick MOISSON: «Le védique ASU “principe vital”, “esprit des morts” et l'étymologie d'ASURA», Etudes Indo-Européennes, 1992, pp.113-140.

(11) Jacques GERNET: Le monde chinois, A. Colin, 1972.

(12) Louis DUMONT: Homo Hiérarchicus. Essai sur le système des castes, Gallimard, 1966.

(13) Adaptation “libre” du Candide  de Voltaire...

 

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jeudi, 24 décembre 2009

Symboles: du monde païen au monde chrétien

Symboles.gif

 

 

 

Archives de SYNERGIES EUROPPEENNES - 1999

 

SYMBOLES, DU MONDE PAïEN AU MONDE CHRETiEN

 

Marie BRASSAMIN

 

Depuis la nuit des temps, l'homme use de symboles: les dessins rupestres sont symboles religieux et non, comme on l'a cru longtemps, des fresques narratives. La symbolique évolue en fonction du degré de la civilisation: on peut distinguer quatre étapes qui se chevauchent et/ou coexistent.

 

1) Le symbole matérialise un concept philosophique ou religieux inaccessible autrement au commun des mortels. En général, le symbole est inclus dans une narration, mythe, conte, légende, épopée...

 

2) Le symbole représente une chose concrète ou abstraite et se substitue à elle par souci de poésie (neige et vieillesse), par pudeur ou tabou (avoir la puce à l'oreille), par similitude de forme (ventre et grotte), par recouvrement de caractère (rat et avarice)...

 

3) Le symbole masque une vérité que l'on ne veut pas ou que l'on ne peut pas exprimer en clair: ésotérisme (alchimie), sociétés secrètes ou sectes (franc-maçonnerie), politique, psychanalyse...

 

4) Le symbole permet les jeux de mot, sur les armes (Hugues Capet, abbé de Senlis, élu roi, pris pour écu un semis de lys  —cent lis—  sur champ d'azur  —le fleuve—); les rébus, le pictionary (contraction de picture et dictionary).

 

La deuxième série permet d'obtenir quelques renseignements sur les mœurs, la troisième est inexploitable sauf par les personnes concernées directement, la quatrième catégorie, un temps utilisée pour favoriser l'éveil des enfants à leur langue matemelle, a été abandonnée par suite de trop nombreuses confusions de sens et d'orthographe.

 

Universalité des symboles philosophiques

 

Les symboles philosophiques et religieux sont remarquables par leur universalité. Du Mexique au Danemark, du Japon à la France, de Chine en Australie, le même animal, la même plante expriment la même idée. Aucune explication rationnelle ne peut être avancée sinon l'observation: mais est-ce vraiment une explication? En effet, à partir d'une même observation, il est possible d'entreprendre différentes études qui déboucheront sur des enseignements différents; or, les anciennes civilisations ont une sorte d'uniformité de vue! Ces symboles, dont certains remontent au néolithique, ont été repris ou absorbés par la religion chrétienne, mais, l'Europe seule est réellement concernée car, la christianisation de l'Amérique s'est faite par le vide (massacres importants, isolation des autochtones, non-souci de conversion); celle de l'Afrique n'a concerné que les zones non-musulmanes, les massacres furent politiques, et, du point de vue religieux, les idoles ont cédé le pas aux rituels (“Gospel” par exemple); en Asie, comme dans le monde islamisé du temps passé, il y a eu coexistence (pas forcément pacifique) des anciennes religions et de la nouvelle.

 

Sanctuaires mariaux et déesses-mères païennes

 

D'une facon générale, on remarque que les sanctuaires mariaux les plus importants se situent sur les zones d'influence d'une déesse païenne: Lourdes et la Vénus de Cauterets, et, plus troublant, les régions ayant opté pour le protestantisme sont les aires de tribus guerrières où les femmes ne jouaient aucun rôle dans l'organisation sociale (épouses et mères seulement), alors que les pays actuellement catholiques et fortement attachés à la Vierge furent des nations dévouées à une déesse-mère toute puissante (Maeva en Irlande).

 

Le nomadisme et le fractionnement en petites unités sociales ont aussi joué un rôle dans l'essaimage des symboles et leur amalgame au christianisme. Jusqu'en l'an 500, les mouvements migratoires répondent à des impératifs alimentaires plus que conquérants, même si l'on se bat souvent. Si, durant une période de 30 à 50 ans aucune épidémie ou catastrophe naturelle ne décimait la tribu, il y avait surpopulation, d'où nécessité d'éliminer le surnombre d'individus par un départ concerté. Pour accroître les chances de survie des exilés, plusieurs tribus regroupaient leurs migrants, et se mettait en marche une horde qui, en cours de route, s'augmentait souvent. Chaque groupe avait son langage, ses dieux, ses coutumes, mais, chemin faisant, progressivement et inconsciemment, tout cela se mêlait. Ils allaient ainsi, parfois en un voyage de plusieurs décennies, jusqu'à ce qu'ils trouvent une terre vierge pouvant les nourrir: partis des Monts de Thuringe vers la Pologne puis la Biélorussie, descendant vers l'Ukraine pour revenir sur leurs pas par la Slovaquie, la Hongrie, atteindre la vallée du Rhône, la descendre, suivre la côte méditerranéenne jusqu'à l'Andalousie, tel fut le périple des Wisigoths d'Espagne! (Une partie de la troupe s'installa sur une bande de terre de l'Italie du Nord à la Croatie actuelles, en gros). Au terme du voyage, ceux qui étaient partis étaient morts en route, ceux qui arrivaient ne savaient pas leur origine, la culture initiale s'était diluée au contact d'autres cultures (haltes, compagnons de voyage, unions...); le temps est facteur d'oubli.

 

Le CYGNE:

Sous la forme de cet oiseau, Zeus féconda Léda. Dans la Grèce antique, le cygne n'est pas un animal local, mais, le pays est situé sur un axe de migration: les gens ont pu voir un animal, fatigué ou blessé, lors d'une pause. La rareté, la beauté ont fait naître l'idée de l'associer à Zeus. Sur l'axe de migration, en Europe centrale, les devins étudiaient le vol des cygnes pour en tirer un présage pour l'année nouvelle (qui commençait au printemps). Pour les peuples familiers des cygnes, plus que la grâce et la blancheur, le fait marquant était sa disparition durant les mois de froidure. Il devint donc symbole de pureté et de jeunesse: de nombreuses légendes mettent en scène des hommes-cygnes (Lohengrin en Allemagne; Andersen d'après des traditions orales, au Danemark;...). Il est à noter que le cygne est associé à une femme (épouse, sœur) mais que la femme elle-même n'est que rarement cygne.

 

Ces légendes orales ont atteint des régions où le cygne est très rare, voire inexistant, il a donc été remplacé logiquement par l'oie et le canard. L'oie était associée au dieu Mars dans la Rome antique (les oies du Capitole). Sequana est représentée debout, un canard dans ses bras ou à ses pieds: le long de la vallée de la Seine, il existe plusieurs représentations de la Vierge au canard, (av. le XIIième siècle). Très tôt, les tribunaux ecclésiastiques, (l'Inquisition), se sont élevés contre cette imagerie: le canard a toujours joui de mœurs sexuelles douteuses, contre sa volonté sûrement!!! Extrait d'un texte religieux du XIIième, en français moderne: «L'oie est un animal blanc extérieurement, mais sa chair est noire; Notre Seigneur l'a mise parmi les hommes afin qu'ils ne se laissent pas duper par ces faux croyants dont l'apparence de pureté cache l'âme la plus noire; la Très Glorieuse Mère de notre Sauveur ne saurait être représentée au côté de cet animal ou de tout autre lui ressemblant». Le rapport cygne-pureté ou cygne-protection divine est aussi linguistique. Au VIième siècle, on constate dans des traductions latines, un glissement entre Algis = cygne et Hal ghis  = protection du sanctuaire (actuelle Allemagne). Plus tard, le gothique oublié, pour garder cette association, on liera étymologiquement swen = blanc et sunn = soleil (mot féminin) (XIième).

 

Le SANGLIER:

Lui aussi est un animal courant et va englober dans sa symbolique la laie, le cochon et la truie. Dans la Grèce, la mythologie représente le sanglier comme instrument des dieux: il est tueur ou tué selon que le héros a été condamné par les dieux ou testé (Héraclès, Adonis, Attis...). Le sanglier était attribut de Déméter et d'Atalante. Dans les cultures germano-nordiques, il est attribut de Freya, et Frey, son frère, a pour monture un sanglier aux poils d'or. C'est peut-être Freya qui est devenue en terres erses et celtiques la déesse Arwina, figurée avec un sanglier, et qui, en France, a donné son nom aux Ardennes et à l'Aude, ainsi que divers prénoms: Aude, Audrey, Aldouin, Ardwin... En outre, en Irlande et en France, le sanglier représente symboliquement la classe des druides et, plus tard, les prêtres: il figure à ce titre sur un des chapiteaux de la basilique de Saulieu —21—. Parce que lié à la fécondité, de nombreuses légendes mettent en scène des héros élevés par des suidés; parce que lié à la force mâle, sa chasse fut longtemps initiatique.

 

L'Eglise a tenté d'intervenir, mais sans succès cette fois, pour quatre raisons essentielles:

1) trop répandus, sangliers et porcs sont une ressource alimentaire importante; la peau, les défenses, les ongles, les os... tout ce qui n'est pas mangeable sert à l'artisanat utilitaire;

2) il est associé à trop de saints populaires: Antoine, Emile, Colomban...;

3) mettre l'interdit sur les porcs serait avoir la même attitude que les juifs,

4) en Allemagne, il y eut confusion étymologique entre Eber = sanglier et Ibri, ancêtre mythique des Hébreux et donc du Christ, parfois représenté sous forme de sanglier (à Erfurt notamment).

 

Le CERF:

Le dernier élément du bestiaire symbolique que je présente est le CERF (élan, renne, chevreuil, daim...). «Au pied de l'Arbre du Monde, quatre élans broutaient...», ainsi commence la légende germano-nordique. La Bible, Cantique des Cantiques, développe l'association femme-gazelle, laquelle correspond très exactement à l'association femme-biche. Héraclès chasse la Biche aux Pieds d'Airain tandis qu'Artémis se promène dans un char tiré par quatre biches. De nombreuses légendes mettent en scène des femmes-biches: Ossian en Irlande, naissance de la Hongrie... Gengis Khan serait né d'une biche et d'un loup! La biche, sous son apparente douceur, reste un animal inquiétant, toujours doté de pouvoirs magiques: fée ou sorcière se transformant ou innocente victime d'un maléfice.

 

Les mâles, par contre, sont symboles de force et de courage, image issue de tribus où la chasse est vitale. Leur ramure est associée aux rayons du soleil: le dieu celte Esus porte une ramure de cerf. C'est ce rapport qu'il faut voir dans le char (symbole solaire également) du Père Noël, tiré par des rennes (solstice d'hiver). Quant aux cornes des cocus, elles sont historiques et honorifiques! Lorsque les rois, puis empereurs, de Byzance prenaient pour favorite, concubine ou maîtresse une femme mariée, des cornes d'or étaient apposées sur la façade de la maison de l'époux, en signe de haute distinction. L'Eglise a tenté de gommer ces cerfs gênants parce que trop païens, sans plus de succès qu'avec les sangliers, parce que:

1) le cerf était un gibier noble, uniquement chassé par les nobles et le dévaloriser était s'attaquer à la force politique et militaire;

2) de ce fait, ils étaient, aux yeux du peuple, nobles et sacrés (peine de mort pour le manant qui abattait un cerf);

3) trop de saints populaires l'avaient pour attribut: Hubert, Meinhold, Oswald, Procope...

 

Cependant, le travail de sape des ecclésiastiques a donné un résultat inattendu, l'expression “couard comme un cerf”, en dépit du bon sens.

 

De la symbolique des plantes

 

Pour la symbolique des plantes, la signification est plus ciblée, car, jusqu'au XVIIIième siècle, la classification n'existait pas, et, deux plantes voisines peuvent être dissemblables alors que deux plantes sans parenté peuvent se ressembler. La situation géographique, climat et géologie, influe plus sur les plantes que sur les animaux. Enfin, une plante est statique, et frappe moins l'imagination qu'un animal. Donc, les plantes symboles sont médicinales ou comestibles, avec une restriction: nous devons garder à l'esprit que durant plusieurs millénaires la plante-mère a évoluée par sélection naturelle ou intervention humaine (l'épeautre a une action bénéfique sur le système nerveux que le blé n'a pas).

 

Le CHARDON:

Le CHARDON, plante médicinale (il en existe plusieurs variétés), et légume en période de disette (avant l'artichaut ou en son absence), a frappé l'imagination parce qu'il pousse dans des conditions extrêmes (terrain pauvre, résistance aux chaleurs et aux froidures)... Il a donc été symbole de la résistance à l'oppresseur (en Ecosse) et étalé sur les portes ou posé sur les cheminées pour chasser les mauvais esprits. Le chardon acaule s'ouvre ou se resserre en fonction du taux d'humidité de l'air: ne sachant à quoi attribuer ces mouvements de corolle, certains peuples l'utilisèrent comme oracle: on posait une question au chardon et on revenait le lendemain, si le chardon était ouvert la réponse était favorable. Il fut aussi symbole de la femme-mère protectrice du foyer en référence à la carde (qui servait à carder la laine). Les gnomes et autres esprits domestiques s'en servaient pour punir (mis dans les litières, paillasses, chaussures...) ou pour aider (carder, guérir...). Les ronces et le citronnier ne poussant pas partout, il fut Couronne d'Epines du Christ.

 

La TANAISIE:

La TANAISIE est un chrysanthème, qui, comme le chardon, se dessèche sans faner. De cette qualité d'immortelle et de sa couleur jaune, elle fut très tôt associée au soleil, d'autant qu'elle fleurit en été, puis, aux débuts de la christianisation, à la vie éternelle. L'odeur très forte qu'elle dégage dut être liée à des pratiques magiques avant que l'homme ne s'avise qu'elle éloigne bon nombre de “parasites” (avec plus ou moins d'efficacité): puces, poux, mouches, moustiques... La médecine progressant, de l'usage externe, on passa à l'usage interne, tisanes et décoctions vermifuges: l'Eglise suivit, et la tanaisie devint symbole de la foi missionnaire. Mais, en faire des bouquets que l'on pendait dans les étables ou les pièces d'habitation en fit, très tôt aussi, une fleur ornementale et le symbolisme y perdit sa force et sa valeur.

 

L'EGLANTINE:

L'EGLANTINE (et la rose), sont symboles de jeunesse inaltérable, de noblesse et de pureté; ces fleurs furent naturellement attributs de la Vierge; en Grèce, rattachées au mythe et au culte d'Adonis, elles expriment la métamorphose et la renaissance. Souvent représentées en quintefeuilles sur les écus, bas-reliefs, chapiteaux, linteaux, guirlandes..., ces fleurs font intervenir un autre type de symbole, plus profond peut-être, celui des chiffres: 5 = 3 + 2, c'est l'association du concept mâle (3) et du concept femelle (2).

 

Arbres-symboles

 

Très peu nombreux sont les arbres symboles paiens devenus symboles chrétiens: peut-être parce que dans l'esprit des hommes anciens il n'existait que deux types d'arbres, ceux que l'on pouvait utiliser (chauffage, construction, teinture, alimentation...) et ceux qui ne servaient à rien; les premiers étaient trop “matérialistes”, les seconds “inexistants” pour qu'ils aient valeur symbolique.

 

Le CHENE:

Cependant, le CHENE, par son aspect majestueux et la qualité de son bois s'est imposé. Il est toujours associé à un dieu majeur: Thor dans les civilisations nordiques, Donar en Allemagne, Perkunas en Lithuanie, Zeus en Grèce, Jupiter à Rome; arbre isolé représentant le dieu lui-même, bois sacrés ou forêts sanctuaires. Si, en Grèce le chêne était la demeure des dryades (nymphes), en Europe Centrale il se transformait en une sorte de sirène-vampire. Pour les chrétiens, il est symbole d'immortalité: le bois de la Croix fut longtemps en chêne! Le chêne sous lequel Saint Louis rendait la justice est sûrement plus symbolique qu'historique.

 

Le SAPIN:

Le SAPIN, a un parcourt plus tortueux et moins net. A l'origine, le pin noir est attribut d'un dieu ou déesse des batailles, sur une grande partie des pays nordiques et baltes: il était habituel de pendre les dépouilles (sauf le cadavre) des soldats vaincus aux branches de ces arbres; il est bien difficile de démêler le rite social du rite religieux d'un tel comportement, les deux étant probablement liés: image tangible de la victoire et offrande. Au moment de la christianisation de ces régions, cette pratique s'était effacée, mais, devaient subsister, de façon occulte, des “dons” à un arbre représentant une divinité, sortes d'ex voto. Par quelles arcanes de la mémoire collective cette coutume a-t-elle transitée? Car, ce n'est qu'au XIXième siècle que le Sapin de Noël (un épicéa, le plus souvent), a resurgi, les branches couvertes d'offrandes, mais associé au christianisme sans être élément religieux. Il faut noter que le “mai” a une autre origine, reprise par les “Rameaux”.

 

Les choses-symboles

 

Les choses symboles sont innombrables et surtout reflet de civilisation. Il nous est difficile, à nous, hommes modernes, d'imaginer ce que tel objet pouvait représenter pour les hommes anciens: un pot, c'est toujours un pot, un récipient pour cuire ou conserver. Il y a mille ans, un pot était signe d'aisance, objet utilitaire et précieux que l'on transmettait en héritage; c'était aussi la recherche de la meilleure argile, du décor; c'était encore l'angoisse de la cuisson dernière épreuve pouvant anéantir bien des heures de travail; c'était enfin l'image d'une famille réunie dans l'assurance d'un repas; c'était... peut-on savoir?

 

Le CŒUR:

Dans l'imagerie religieuse, sans cesse revient le CŒUR. Il était courant de prêter à ce muscle les qualités du cerveau, à ce point que, de nos jours, restent toute une série d'expressions qui en atteste: agir selon son cœur, va où le cœur te porte... Les premières formes d'écriture en Europe sont des idéogrammes dont certains subsisteront jusqu'au XIIIième siècle avec valeur de lettre (runes), d'autres disparaîtront: le cœur est de ceux-là. Il était symbole de la femme puisqu'il représente en réalité les organes génitaux externes stylisés, symbole étendu à tout ce qui est d'essence féminine, il est associé à la terre et au soleil, au cycle de reproduction et de culture. L'iconographie chrétienne en a largement usé et abusé comme représentation de l'Amour, siège des pensées et sentiments nobles... au point que le cœur dans tous ces états (sauf celui de viande!) s'étale depuis des siècles dans une certaine littérature qui fut tour à tour courtoise, galante, romanesque avant d'être rose, grivoise ou X!

 

L'ANCRE:

L'ANCRE n'est pas présente dans les anciennes cultures, et pour cause, c'est un objet récent. Sans que rien le laisse prévoir, l'ancre est apparue associée à la Vierge sur quelques représentations moyenâgeuses, sporadiquement et spontanément, puis est retombée dans l'oubli. Cette bizarrerie n'en est que plus suspecte, d'autant que les dites Vierges, en pied sur l'ancre, surgissent dans les terres, loin de la mer et des voies d'eau navigables: il faut y voir la transposition d'une déesse (Freya?) debout sur le marteau de Thor. Beaucoup plus tard, les mariniers reprirent cette image, en toute logique. Quant aux croix ancrées, il s'agit d'un système de fermeture de porte et non d'une ancre; les croix ancrées sont apparues tout d'abord sur les écus, dans les armes et signifiaient “je garde au nom du Christ”.

 

Le MARTEAU:

Puisque le MARTEAU est cité, autant signaler que lui n'a jamais quitté la symbolique païenne; Thor, juge impitoyable des guerriers, a transmis, tel quel, son instrument aux hommes contemporains: le marteau siège au tribunal! Avant d'être utilisé, également avec le sens de sentence rendue, par les commissaires priseurs, il servit, toujours avec ce sens, a entériner les mariages. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, on pouvait trouver dans les campagnes françaises des “forgeux”: forgerons véritables qui, en plus de leur métier somme toute banal, chassaient les esprits; le malade (souvent névrosé ou psychotique) était étendu nu sur une table dans la forge; le “forgeux” abattait sur lui sa masse la plus effrayante et arrêtait son geste au ras de la poitrine ou du ventre. Ou on était débarrassé de toute psychose ou on devenait complètement fou de terreur!

 

Les premières sociétés humaines dressèrent des axes de vie ou axes du monde, symbole du lien des dieux avec les hommes. Sous différents aspects, ce symbole est universel et perdure: menhir, lingam, pyramide, totem, arbres ou pieux sculptés... La Croix et les cierges (avec la flamme en plus) sont chargés de ce sens.

 

L'évolution n'est donc que la prise de conscience des phénomènes et leur enrobage dans diverses enveloppes fournies par la société. Notre esprit est le même que celui de Lucy!

 

Marie BRASSAMIN.

 

 

mercredi, 23 décembre 2009

"Antaios", fer de lance de la reconquête païenne

sep.gifArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

"Antaios", fer de lance de la reconquête païenne

 

Anne MUNSBACH

 

«... les légions de nos vieilles légendes accourues à l'appel de leur dernier empereur païen».

Jean Raspail, Septentrion.

 

Infortunés Dieux! Les dévots de la Bonne Parole leur jettent l'anathème, les prophètes leur lancent blâmes et malédictions, les Grands Prêtres de l'Exégèse manifestent intransigeance et haine, des rires moqueurs fusent. Il y a donc fort à faire pour soulever la chape de clichés qui recouvre depuis des lustres les lumières du Paganisme. Pourtant, il existe une revue du nom d'Antaios qui résiste avec autant de superbe que d'ironie. Elle s'entend à éclairer la véritable signification du Paganisme, à le dépouiller de son aura de scandale et à ainsi le réhabiliter. Sous le regard lucide de son directeur, l'helléniste Christopher Gérard, se révèlent alors les prophètes pour ce qu'ils sont: des cabotins, renvoyés à la niche dans un grand éclat de rire, écho souverain du fameux rire des Dieux chanté par Homère.

 

Antaios, Revue d'Etudes Polythéistes

 

C'est à l'occasion du 1600ème anniversaire de l'interdiction par l'Empereur Théodose de tous les cultes païens (8 novembre 392) qu'a été fondée Antaios, Revue d'Etudes Polythéistes. Pourquoi ce nom? Antaios est un géant de la mythologie grecque. Fils de Gaïa (la Terre) et de Poseidon (l'Océan), il vivait dans le désert de Libye et terrassait tout voyageur traversant son territoire. Seul Héraclès en vint à bout. Il avait en effet découvert le secret de la vigueur miraculeuse du géant: tant qu'il touchait la Terre, l'élément primordial dont il était issu, il était invulnérable. Pour l'anéantir, il suffisait donc de l'en séparer. «La symbolique de ce mythe est claire: c'est en gardant le contact avec notre sol que nous resterons nous-mêmes, capables de relever tous les défis, d'affronter toutes les tempêtes. En revanche, si nous nous coupons de nos origines, si nous oublions nos traditions, tôt ou tard nous serons balayés, tels des fétus de paille, privés de force et de volonté... Ce sol protecteur, ce sol vivifiant, c'est le Paganisme immémorial, c'est l'antique fidélité à nos Dieux. Non point des Dieux personnels et miséricordieux, jaloux et intolérants, image ô combien dégradée et infantilisante du Sacré mais des principes intemporels, des modèles éternels qui doivent nous permettent de nous projeter dans un avenir grandiose, digne de nos aieux». Voilà présenté avec une concision lumineuse le manifeste d'Antaios.

 

La reconnaissance du patriarche de Wilflingen

 

Antaios est aussi le nom de la revue fondée en 1959 par Ernst Jünger et Mircea Eliade. Les deux hommes s'y sont interrogés sur la nature du Sacré et ont montré que, par la connaissance des mythes, il était possible «de rééquilibrer la conscience humaine, de créer un nouvel humanisme, une anthropologie où microcosme et macrocosme correspondraient à nouveau. Ils témoignaient ainsi de cette certitude qu'un redressement spirituel était encore envisageable dans les années soixante, et qu'il pouvait mettre fin à la décadence ou aux affres d'un temps d'interrègne»  (1). Dans le dernier volume de ses mémoires, Ernst Jünger saluait l'heureuse initiative de Christopher Gérard de perpétuer Antaios  et l'encourageait vivement à poursuivre (2). Il soulignait, dans plusieurs lettres adressées à la revue, qu'il en appréciait l'esprit. Précieuse reconnaissance d'un écrivain qui, par-delà la mêlée, a toujours su rester fidèle à lui-même! Fort de cette filiation, son directeur a rapidement imprimé sa marque à Antaios. Cette publication, dont la réflexion rigoureuse se nourrit des disciplines les plus pointues, est en effet plus qu'une simple revue érudite. Elle a su sortir du cercle des livres et des discussions désincarnées pour se forger une méthode personnelle à mille lieues de tout académisme. Cette méthode est tout à la fois savoir “tactile” capable d'écouter la pierre et d'extraire la légende du marbre, érudition sauvage glanant ses repères hors des boulevards des idées convenues, regard sensible à la poésie du monde, surtout connaissance vivante née de l'expérience “sui generis”. Cela a déjà valu aux lecteurs d'Antaios cinq années de lectures souvent intenses, en tout cas jamais insignifiantes.

 

Le Paganisme, religion cosmique

 

Lorsqu'au IVe siècle le Christianisme accéda au statut de religion reconnue et protégée par l'Etat romain, l'évangélisation ne se développa réellement que dans les centres urbains. Les campagnes quant à elles restèrent imperméables à l'influence chrétienne. Antaios revendique hautement le titre de “païen” que les Chrétiens donnèrent alors, par dérision, à leurs adversaires. Ce furent en effet les gens de la campagne, les pagani  (les ruraux), qui les derniers restèrent fidèles aux enseignements du Polythéisme: eux seuls saisissaient encore le sens de l'univers. Vivant en symbiose avec la nature, les sociétés rurales avaient en effet une perception aiguë des cycles cosmiques et des éléments naturels qui imposent leur empreinte à la terre. Cette perception de ce qu'elles nommaient le Divin éclatait sans cesse à leurs yeux. Rien ne leur était dès lors plus étranger que l'idée d'un Dieu lointain, et plus encore d'un Dieu caché. Pour établir comme interlocuteurs et alliés ces forces naturelles, les sociétés rurales apprirent à les apprivoiser et à les respecter. C'est pourquoi fut mise en œuvre toute une structure du Sacré. La personnification des forces naturelles sous forme d'entités divines était un élément essentiel de cette structure. Les rites, qu'ils fussent de reconnaissance, de protection, de coercition ou encore de conciliation, permettaient quant à eux d'établir tout un réseau de relations avec le roc, la foudre, l'arbre ou la rivière. De nos jours, il n'est plus question «de croire dans les esprits ou les différentes entités de la nature. En revanche, le sens du fonctionnement normal du cycle naturel, cosmique, est essentiel pour replacer l'homme dans l'univers» (3). Or, les forêts sont saccagées, et Gaïa se transforme en désert. La déperdition du tellurique au profit de l'auto-extension sans frein du technologique explique l'impuissance accrue de l'homme à faire surgir des significations d'une nature intemporelle L'homme ne parvient donc plus à percevoir le lien l'unissant au Cosmos, il s'est coupé de ses Dieux. Il se met alors à confectionner des abstractions ou à imaginer des Dieux hors du monde.

 

Le Sacré

 

«Les seules expériences du Sacré seraient stériles si l'homme ne possédait des structures intellectuelles et imaginaires pour les recueillir. Celles-ci lui permettent, en premier lieu, la perception, la préhension de la manifestation du Sacré. En deuxième lieu, sa com-préhension par le fait même de donner un sens à ses expériences et, en troisième lieu, sa transmission, sa communication par les structures de la tradition, par le rite et le mythe» (4). Structurer le Sacré passe donc par sa mise en forme au travers de symboles, de mythes et de rites, notions qu'Antaios décrypte à diverses reprises (5) et qu'il est essentiel d'évoquer ici avant de poursuivre plus loin. «L'expérience du Sacré étant, par essence, indicible et non rationnelle, elle ne saurait faire l'objet d'aucune description concrète et nécessite dès lors le recours à la symbolique»  (6), sous forme d'images  —ce sont les symboles—, et sous forme de récits  —ce sont les mythes. D'où notre besoin d'artistes et de poètes, dont Antaios  offre un récital éblouissant (7): ils se font porte-parole des Dieux en les rendant sensibles. Loin d'être des distractions stériles pour intellectuels blasés, symboles et mythes suggèrent le Sacré par effet rétroactif: ils sont donc sources inépuisables de connaissances et de recherches de significations. Une troisième mise en forme du Sacré est le rite. Le rite, constitué de gestes ou d'actes ordinaires sublimés et codifiés, «a pour fonction essentielle d'amener les hommes et les Dieux à communier, à fonder l'Ordre du monde dans une présence commune, génératrice de l'ordre social» (8). Structurer le Sacré permet ainsi de penser et d'ordonner l'univers et, au-delà, de vivre en harmonie avec lui, de s'y fondre.

 

Un lieu, un peuple, des Dieux

 

Face à la pluralité de paysages, de climats et de végétations qui existent de par le monde, on comprend aisément qu'en fonction de chaque lieu s'instaurent des modalités de vie différentes et donc, pour chaque peuple et, a fortiori, pour chaque culture, des manières différentes d'appréhender le Divin, de structurer le Sacré et ainsi, de penser et d'ordonner l'univers. Sont dès lors générés des Dieux, symboles de l'histoire conjointe d'un lieu et d'un groupe humain qu'il soit famille, genos,  phratrie, dème ou cité. Ces Dieux, ces genii loci  intensifient le sentiment de communion sociale et par là-même s'enracinent dans une culture. Voilà qui explique l'attachement irréductible du Païen à sa terre et son amour pour une communauté historique. Le Paganisme est donc une religion de lieu et de corps, inscrite dans la mémoire collective. Antaios  souligne d'ailleurs qu'il n'y a pas qu'un Paganisme, mais des Paganismes: chacun correspondant à une société donnée  —ou à une personne donnée—  et à un moment précis, répondant à des interrogations sans cesse mobiles et à des conditions de vie toujours changeantes. Et Christopher Gérard d'expliquer que la vision qu'il expose n'est qu' «une approche du Paganisme, en l'occurrence celle qui est la mienne, hic et nunc. Je n'entends donc nullement me poser en représentant de la totalité du courant néo-paien contemporain. Je suis d'ailleurs convaincu qu'il existe autant d'approches paiennes que de Paiens. Et n'est-ce pas dans la nature des choses, puisque le propre des divers Paganismes, anciens ou nouveaux, est précisément cette exaltation de l'infinie pluralité de l'être» (9).

 

Terre d'Europe

 

La vision officielle de l'Europe  —cette fameuse U.E.—  est erronée et fatale car elle axe toute sa démarche sur la puissance économique, oubliant volontairement ses valeurs ancestrales. Cette vision ne peut dès lors qu'aboutir à la création d'une superstructure sans racines populaires, un monstre froid condamné à disparaître. Elle nie en effet l'essence de l'Europe: cet équilibre entre des peuples et des cultures qui, comme les cités de l'antique Grèce, communient dans une sphère culturelle commune sans cependant désirer, ni être capables de se fondre dans le même moule. Dans ce cadre qui ne reconnaît plus d'autre fin que le profit, d'étranges cultes et de terribles perversions apparaissent. C'est le temps des faux Dieux: «de nouvelles Divinités féroces et implacables ont surgi sous les traits du machinisme envahissant, de l'efficacité et de la rentabilité, des contrats sociaux, de l'esprit des lois, du culte de l'Etat-Providence, du décalogue des Droits de l'homme, des slogans du marketing électoral. L'homme, écrasé, domestiqué, asservi comme jamais il ne l'a été, n'a plus aucun accès au Sacré pour consoler son coeur et éclairer son esprit, il a seulement le culte du vulgaire matérialisme où tout se juge à l'aune du profit et d'un bien-être illusoire, sans aucune spiritualité» (10). Face à ce crépuscule matérialiste, les Dieux peuvent nous aider. Non qu'ils nous offrent une panacée, un nectar qui soigne tous nos maux, mais ils représentent notre héritage le plus ancien et le plus riche. Ils sont le substrat sur lequel peuvent croître les solutions qui conviennent aux défis actuels et futurs. Il faut donc retrouver ces Dieux, ceux de la forêt celtique comme les porteurs de lumière méditerranéens. Il faut retrouver nos mythes, ces récits fondateurs du mental européen: c'est dans leur esprit que se trouve le souffle de notre avenir. Pour défendre ces héritages les plus lointains, Christopher Gérard et son équipe travaillent sans relâche. C'est leur façon de demeurer fidèles à nos Dieux et de témoigner de leur présence. C'est leur façon de nous rappeler que toute Renaissance est un appel à la plus ancienne mémoire, qui est païenne: l'histoire de la civilisation européenne le montre. Pour nous tenir en éveil, Antaios  est d'ailleurs composée “à la dure”, avec des phrases concises, sculptées d'images flamboyantes. Pas d'hésitations, ni de langueurs. Pas de mauvaises graisses, mais des protéines pures. Et un français de qualité!

 

Une vision impériale pour l'Europe de demain

 

La vision européenne d'Antaios table sur une société “polythée” qui, en ce sens, est «celle qui permet l'existence de communautés indépendantes, autonomes, voire rivales, mais dont les rapports sont strictement codifiés afin d'éviter que les inévitables conflits dégénèrent en guerre. Pour citer le cas yougoslave, pareille tragédie pourrait être évitée au sein d'une structure de type “polythée”, voire impériale, à savoir un ensemble hétérogène de peuples relativement homogènes, où les droits des minorités seraient garantis. Sur le plan politique, le Polythéisme prend en compte, avec beaucoup de réalisme, ce désir inné d'autarcie et de complétude» (11). La meilleure forme politique pour notre continent serait donc celle d'un bloc aux dimensions impériales, bâti sur des structures fédérales, où identités et spécificités, véritables ciments cohésifs des sociétés, seraient préservées. Se constituerait ainsi une pluralité de patries charnelles sous l'égide d'une instance impériale dont les rôles seraient ceux d'arbitre souverain et de protecteur, fonctions profondément ancrées dans la conception européenne du Politique. Seule cette structure peut être garante de l'indépendance et de la puissance de l'Europe, structure «dont on retrouve les prémices chez l'Empereur Julien (331-363), dans sa théorie des Dieux ethnarques (nationaux), où il fonde un type de cosmopolitisme impérial» (12): l'organisation politico-religieuse de la société s'y fait le reflet de l'organisation du monde divin. Beau témoignage d'une société fondée en harmonie avec le Cosmos!

 

L'axe eurasiatique

 

Dans chacun de ses numéros, Antaios propose des dossiers thématiques solidement charpentés. Ont ainsi été présentés aux lecteurs deux dossiers sur l'“Hindutva” (13). «Ce terme sanskrit désigne l'Hindouité, c'est-à-dire l'identité de l'Inde essentielle —l'Inde védique— qui a survécu, tout en évoluant, à plus de quatre millénaires de turbulences: invasions musulmanes, colonisation anglaise  —comme l'Irlande—,  agissements de diverses missions chrétiennes et enfin assauts d'une modernité particulièrement destructrice... Récemment, le concept d'“Hindutva”, qui ne se réduit pas au seul Hindouisme, a été utilisé par V. D. Savarkar, l'une des grandes figures du mouvement national indien, pour inciter les Hindous à recourir à leur héritage védique, celui de l'Inde antérieure, la plus grande Inde» (14). Il s'agit d'une tradition proche de la nôtre car issue du même tronc indo-européen, tout en en étant séparée par l'influence de la culture autochtone dravidienne et des millénaires d'histoire. Il n'empêche que l'Hindouisme a su conserver l'antique sagesse de nos ancêtres indo-européens, de mieux en mieux connus aujourd'hui «malgré le discrédit causé par des distorsions opérées au XIXème siècle pour justifier l'expansionnisme pangermanique, malgré aussi de maladroites tentatives de nier l'antique patrimoine ancestral qui est le nôtre, ou encore de le vider de son sens au nom d'une idéologie spirituellement correcte (15)... Les Védas, autant qu'Homère ou les Eddas, constituent nos textes sacrés car ils renvoient tous à une religiosité primordiale, la religion cosmique de la tribu indo-européenne encore indivise, notre tradition hyperboréenne. En Inde, cet héritage n'a pas été saccagé, falsifié et nié comme en Europe ou, en tout cas, la résistance a été plus vive. L'acculturation causée par la christianisation toute superficielle de notre continent, datant surtout de la Contre-Réforme (et de l'avènement de l'Etat moderne) n'a pas eu lieu aux Indes. La tradition paienne y est ininterrompue et le lien toujours possible avec les Brahmanes, les frères de nos Druides. Zeus et Indra, Shiva et Dionysos peuvent, et doivent, se retrouver pour assurer à l'Europe le dépassement du nihilisme qui la ronge. Le recours à cette source pure n'est en rien l'imitation imbécile d'une civilisation à bien des égards fort lointaine. Nous n'avons pas à nous convertir servilement, comme tant d'Occidentaux déboussolés, à un Hindouisme de pacotille; nous n'avons pas à nous réfugier dans les bras de gourous, par un phénomène de régression infantile ou de néo-primitivisme» (16), piège qu'avait brillamment évité Alain Daniélou dont l'étude de l'œuvre constitue la ligne directrice des dossiers “Hindutva”. Indianiste, sanskritiste, musicologue, Alain Daniélou «reste l'un des rares Européens à avoir été accueilli non pas dans un ashram, mais dans la société traditionnelle de l'Inde, et ce, pendant plus de quinze ans... Son œuvre et sa vie constituent un pont sans doute unique entre deux civilisations ou plutôt deux conceptions de la place et du rôle des sociétés humaines sur la planète: l'une, régissant la dernière civilisation traditionnelle vivante, a cherché à établir un équilibre non seulement entre les groupes humains, mais entre ceux-ci et le monde naturel, considéré comme la patrie des Dieux. C'est la civilisation polythéiste, celle du temps cyclique et des mythologies. L'autre conception, infiniment plus récente, est celle du temps linéaire, du Monothéisme. Elle prône l'instabilité économique, politique et sociale, l'anéantissement des différences et le rejet des traditions, dans un but de domination de la nature et de Progrès» (17). Face à cette morne réalité, «l'Inde nous appelle à retrouver le regard de l'homme archaïque pour mieux affronter les défis du prochain millénaire, qui sera à la fois postchrétien et postrationaliste. Tout le monde connaît, sans l'avoir vraiment lue, la phrase souvent tronquée de Malraux: “La tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu'ait connue l'humanité, va être d'y réintégrer les Dieux”. Or l'Inde n'a jamais rompu le contrat avec ses Dieux, cette “Pax Deorum”, qui est le fondement de toute société traditionnelle. L'“Hindutva” possède aussi une vocation universelle, et non pas universaliste car il ne s'agit pas de réductionnisme mais bien de la persistance du vieux singularisme paien: l'acceptation des différences et des saines alternances, fondatrices d'une civilisation qui honore et respecte le divers autrefois chanté par Segalen» (18). Dans ce domaine, le témoignage d'Alain Daniélou est décisif. Ce qu'il nous apprend des fondements philosophiques, historiques et sociaux du système des castes est remarquable d'intelligence et de pondération: «le système des castes, dans l'Inde, a été créé dans le but de permettre à des races, des civilisations, des entités culturelles ou religieuses très diverses de coexister. Il fonctionne depuis près de 4000 ans avec des résultats remarquables. Quels que soient les défauts qu'il présente, ce but essentiel ne doit pas être oublié. Le principe fondamental de l'institution des castes est la reconnaissance du droit de tout groupe à la survie, au maintien de ses institutions, de ses croyances, de sa religion, de sa langue, de sa culture, et le droit pour chaque race de perpétuer, c'est-à-dire le droit de l'enfant de continuer une lignée, de bénéficier de l'héritage génétique affiné par une longue série d'ancêtres. Ceci implique l'interdiction des mélanges, de la procréation entre races et entités culturelles diverses. “Le principe de toute vie, de tout progrès, de toute énergie, réside dans les différences, les contrastes”, enseigne la cosmologie hindoue. “Le nivellement est la mort”, qu'il s'agisse de la matière, de la vie, de la société, de toutes les formes d'énergie. Tout l'équilibre du monde est basé sur la coexistence et l'interdépendance des espèces et de leurs variétés. Encore de nos jours, une des caractéristiques du monde indien est la variété des types humains, leur beauté, leur fierté, leur style, leur ‘race’, et ceci à tous les niveaux de la société. Tout groupe humain, laissé à lui-même, s'organise selon ses goûts, ses aptitudes, ses besoins. Ceux-ci étant différents, l'essentiel de la liberté, de l'égalité, consiste à respecter ces différences. Une justice sociale digne de ce nom ne peut que respecter le droit de chaque individu, mais aussi de chaque groupe humain, de vivre selon sa nature, innée ou acquise, dans le cadre de son héritage linguistique, culturel, moral, religieux qui forme la gangue protectrice permettant le développement harmonieux de sa personnalité. Toute tentative de nivellement se fait sur base d'un groupe dominant et aboutit inévitablement à la destruction des valeurs propres des autres groupes, à l'asservissement, à l'écrasement physique, spirituel ou mental des plus faibles. Ceux-ci, par contre, s'ils sont assimilés en assez grand nombre, prennent leur revanche en sabotant graduellement les vertus et les institutions de ceux qui les ont accueillis ou asservis. C'est ainsi que finissent les Empires» (19).

 

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Face à cette déliquescence se bâtiront de nouveaux Empires, dans le respect de l'autonomie, de la personnalité et des croyances des différentes ethnies qu'ils chapeauteront. Dans ce contexte, l'Inde est appelée à jouer un rôle actif aux côtés d'une Europe assumant son antique vocation impériale et grande-continentale, elle «constitue l'une des clefs de voûte d'un édifice appelé à braver les siècles: le grand espace eurasiatique qui reposera, pour nos régions, sur un pôle carolingien (franco-allemand) enfin réactivé» (20). Seul ce bloc impérial peut faire front aux visées expansionnistes des Etats-Unis et, par-delà, au projet d'homogénéisation planétaire.

 

Une éthique au service de l'Imperium

 

La puissance d'une nation repose sur la force de ses citoyens. En ce sens, les Dieux, en tant que personnifications des forces naturelles et par-delà, symboles de la plénitude des valeurs, sont des modèles à suivre pour tout citoyen, lequel choisit une ou plusieurs Divinités tutélaires, incarnations de ses exigences morales et spirituelles. Les Dieux sont donc d'authentiques archétypes qui nous renvoient à notre singularité, à notre aspiration au dépassement. Le Polythéisme permet «aux hommes, tous uniques, d'adorer le Dieu correspondant à leur nature profonde (Sol et Luna par exemple), à leur héritage (un Bantou ou un Lapon n'adoreront pas les mêmes divinités qu'un Mexicain), à l'étape de leur quête spirituelle (sans pour autant forcer quiconque à en mener une, comme dans certain Catholicisme hypocrite), à l'âge de la vie... A chacun selon ses possibilités et ses désirs»  (21).

 

Qui parle de modèles, doit parler de mise en critique, seule capable de faire avancer la pensée: se dessine alors la réflexion philosophique, avec sa volonté de chercher et de choisir en toute liberté d'esprit. Instigateur d'une démarche et d'un engagement, le Polythéisme est donc la religion par excellence de l'homme responsable qui, par son action, contribue à l'équilibre de la société et au-delà à celui du Cosmos. A chacun dès lors de jouer pleinement le rôle que lui a assigné le Destin dans l'Ordre sociocosmique. En ce sens, le respect des contrats et des engagements, la fidélité à la parole donnée sont essentiels, comme le sont le maintien des diversités, la reconnaissance de tous les dons et talents. La multiplicité des rôles est en effet le gage du plein épanouissement de toute société: «tous les hommes sont égaux en droit (au singulier). Cela ne signifie pas qu'ils aient les mêmes droits. Etant extraordinairement différents, et chacun n'ayant droit qu'à ce dont il est capable (sans léser autrui), les hommes ont des droits différents. Une société fondée sur l'égalité des chances aboutirait ainsi à l'émergence d'une aristocratie naturelle»  (22). Cette vision doit pousser chacun de nous à devenir celui qu'il est destiné à devenir, à conquérir le Royaume invisible qu'il porte en lui. Le fameux adage “Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les Dieux” (le Gnôthi seauton hellénique) prend alors tout son sens. Cette éthique souveraine s'oppose à la présomption des religions de la Révélation où, pour être admis à participer au Divin, l'homme doit recevoir la grâce d'un Dieu personnel. Le Polythéisme est donc porteur d'une plénitude de sens dont les religions schématiques ont écrasé la richesse. La caractéristique principale des Monothéismes est en effet «la réduction: le Monothéisme coupe, tranche, réduit les éléments de la vie pour n'en garder que ce qu'il considère comme essentiel. Voilà l'essence du Monothéisme: aux capacités multiples de la Déité, il n'en retient que telle ou telle. La différence avec le Polythéisme grec est nette: le Monothéisme judéo-chrétien fonctionne sur la réduction. Et la modernité n'est que la forme laïcisé de cette réduction monothéiste judéo-chrétienne, avec la Parousie, les conceptions sotériologiques,... qui trouvent leur aboutissement, et peut-être leur achèvement, dans la forme profane qu'est le rationalisme moderne» (23). Apparaissent les vérités uniques, leurs ukases et ostracismes, comme les idées collectives, catéchismes niais à l'usage des masses. Le Polythéiste quant à lui reconnaît la richesse et la pluralité du monde. Il sait que “sa” religion n'est qu'une approche et ne refuse pas de prendre en compte celle des autres, d'où son absence de prosélytisme: «l'essence même du Polythéisme est la tolérance, l'essence du Monothéisme est l'intolérance et le fanatisme qui l'accompagne. Il suffit de se pencher sur l'histoire des religions pour s'en convaincre. Jamais on ne pourra me citer une religion polythéiste qui ait fait de l'intolérance son principe fondamental. Et qu'on ne vienne pas nous parler des persécutions, car, outre le fait que nombre d'entre elles sont de pures inventions des auteurs des Actes des Martyrs, elles n'avaient pas un caractère religieux, mais politique... Alors que tous les génocides de l'histoire, même s'ils n'ont que rarement pu aller jusqu'à une solution finale, aussi bien que les ethnocides, se sont perpétrés au nom d'une idéologie monolâtrique. Sans compter le fait que tout Monothéisme est destructeur de toute tradition ancestrale. Ainsi en a-t-il été dès que les Chrétiens ont triomphé. Dois-je citer la destruction des civilisations de l'Amérique latine, et surtout le plus grand génocide de l'histoire, celui des Indiens de l'Amérique du Nord par les trop fameuses tuniques bleues, et le plus petit, mais le plus complet, celui des Tasmaniens par le colonisateur anglais? De l'idéologie monothéiste sont nées les idéologies réductionnistes politiques, tout aussi destructrices, j'entends le national-socialisme et le communisme, si proches dans leurs principes et leur finalité, que je m'étonne qu'on puisse encore se dire communiste après les crimes dont cette idéologie s'est souillée» (24). Face aux folies et à l'“hybris”, les Dieux nous ont toujours montré la juste voie. Avec eux, les totalitarismes, héritiers d'une conception aliénante de la relation homme-nature, esprit-corps, raison-sentiments, n'auraient pu prendre racines: la sagesse du “juste milieu” (le remarquable mèden agan delphique: rien de trop) les aurait immédiatement refoulés!

 

Amor Fati

 

Pour les Païens, il n'existe pas de transcendance absolue, de Toute Puissance, tel Big Brother, distribuant châtiments et saluts, béquilles d'une humanité incapable de faire face à ses responsabilités. Les Dieux sont nés du chaos initial : ils sont des émanations du monde où ils se manifestent. La perspective d'un au-delà, au sens chrétien, est donc totalement absurde pour un Païen, nous rappelle Christopher Gérard dans le premier Cahier d'Etudes Polythéistes  (25). Le Païen conçoit plutôt l'ici-bas comme lieu d'enchantements multiples: il suffit d'ouvrir les yeux pour en être convaincu. D'où l'importance  —maintes fois soulignée dans Antaios—  du regard, de ce que les Grecs, nos maîtres, appelaient théôria,  l'observation des manifestations du Divin: la splendeur d'un orage, l'éclat du soleil, la clarté de la lune dans une clairière enneigée, les flammes rousses d'un grand feu dans la nuit, une vague déferlante, le rire d'un enfant, la beauté d'une femme,... Non, le monde n'est pas désenchanté! C'est le regard de la plupart des hommes d'aujourd'hui qui est dévitalisé. Les manifestations du Divin éclatent partout: à nous de les honorer par nos actes et nos œuvres, nous rendons ainsi grâce aux Dieux. L'esprit souffle en tous lieux: à nous de découvrir nos “lieux de mémoire”, lieux d'attaches et de souvenirs. «Pour ma part, je ne peux passer par Rome sans aller saluer le Panthéon, qui me paraît représenter, je ne sais pourquoi, l'esprit du Paganisme. Dans la Ville, je rends toujours une visite émue au Mithraeum souterrain de san Clemente et, flânant sur le Forum, je pense aux cendres d'Henry de Montherlant, fidèle de Sol Invictus. Je rends aussi visite à la Curie: je n'ai pas oublié que c'est là que Symmaque et toute l'aristocratie paienne siégèrent et, lors de l'Affaire de l'Autel de la Victoire, défendirent la liberté de conscience contre les diktats de l'Eglise. A Mistra, j'ai arpenté les rues de la ville fantôme en invoquant les mânes de Georges Gémisthe Pléthon, le philosophe néo-paien. Brocéliande, les Iles d'Aran, Athènes (l'Hephaisteon), et tout récemment Bénarès, la Ville Sainte, m'ont transporté d'enthousiasme et permis de percevoir les manifestations du divin. Expérience que l'on peut aussi vivre dans d'humbles sanctuaires celtes ou gallo-romains, et même dans de petites églises de campagne» (26), Christopher Gérard s'en fait le témoin: l'enchantement réside en nous-mêmes et dans le clair regard sur ce monde auquel nous sommes inextricablement liés.

 

L'homme libre tâche donc de se réaliser hic et nunc: «la valeur a à être donnée à la vie. La vie n'a pas de valeur par elle-même mais par ce que l'on en fait. On refuse de se laisser porter par la vie. La vie doit être vécue en volonté, sur le fond d'une décision résolue de création. Car la manière de donner de la valeur à la vie ne peut être la répétition du même, la répétition du morne, mais la création. Si je ne fais que me répéter, qu'importe l'interruption de la mort? Mais si je crée, de telle sorte que, par la mort, ce qui pouvait être cesse définitivement de pouvoir être, en ce cas, il y a bien une perte absolue... Certes! Mais il s'agit, précisément, de donner la plus haute valeur à ce qui doit périr» (27). Tel est le sens du Tragique, élément fondamental de la conception païenne du monde, claire conscience du Destin qui tranche implacablement la vie porteuse de fruits. Cet inexorabile Fatum  cher à Virgile se manifeste aussi à tout homme qui voit ses choix et ses actes, pris dans l'engrenage de l'Ordre inviolable du monde, tout à la fois le dépasser et avoir des répercussions qu'il ne peut contrôler. Malgré la conscience aiguë de ces limites, nul pathos, nul fatalisme n'accablent le Païen. Sans cesse il surmonte l'adversité, il maintient le cap, garde l'allure, ne comptant que sur lui (bel exemple du fameux meghin nordique: la foi en ses propres capacités). Tel est son honneur.

 

On comprend donc qu'Antaios  soit lue par les cherchants, les esprits libres, que la revue fasse place large à des écrivains non-conformistes et francs-tireurs (28). Face aux personnes dociles, adaptées aux dogmes cauteleux du politiquement correct, face aux baudruches qui voudraient nous dicter nos modes d'agir et de réfléchir, Antaios  éclate d'un rire incoercible qui n'a rien à voir avec la dérision confortable et en fin de compte résignée qui envahit ce monde vétuste. Frondeur, le rire d'Antaios conserve toute sa force dévastatrice: à chaque page, on bute sur une observation qui oblige à revoir positions faciles et plates certitudes. Par ces temps de pensée unique, il importe bien de marteler impitoyablement conformismes et dogmes...

 

Repenser la tradition païenne

 

La spiritualité païenne n'est en rien «la nostalgie de l'Age d'Or, du paradis avec son désir puéril de retour vers un état préscientifique, trop proche du mythe chrétien du péché originel. Elle n'est pas non plus une fuite hors du monde, qui serait la négation de notre esprit héroico-tragique: le Paien est de ce monde. Nulle macération, nul masochisme dans son impérial détachement. Le Paganisme n'est pas non plus un retour à des superstitions révolues, une sorte d'irrationalisme archéologique: nul refus de la science, de la technique, bien au contraire. Nul rejet de la raison, qu'il nous faut utiliser et intégrer comme outil dans notre Quête. Etre Paien au XXe siècle ne consiste pas à se livrer à des pratiques bizarres de “magie” ni à des cérémonies où l'exhibitionnisme le dispute au grotesque. En ce sens, le Paganisme ne s'identifie nullement à sa forme dégénérée, la sorcellerie, comme le prétendent divers mouvements américains» (29).

 

Antaios  est tout sauf une revue prospérant dans la rengaine nostalgique: ni repli dans une tour d'ivoire, ni regret frileux du passé, ni sentiment d'impuissance face à la modernité. Au contraire, elle fait le lien entre notre héritage ancestral et les exigences les plus novatrices du XXIème siècle. Car être Païen ne signifie pas tant renier le monde moderne que rechercher en lui la profondeur de ses racines, véritables garantes contre le triomphe de la superficialité, la durée éphémère des modes, le diktat de l'immédiateté, tous privilégiés, au nom du sacro-saint Progrès, par notre société. C'est par la mémoire que l'homme échappe à cette tyrannie de l'instant pour vivre dans l'éternité. La mémoire est chère au savant, à l'artiste et au lettré qui se remémorent pour mieux inventer et créer, elle l'est au citoyen qui se souvient des expériences passées pour mieux agir et décider. Par contre, le projet révolutionnaire de faire du passé table rase, comme le chantent les attardés de l'Internationale et les apôtres de l'amnésie consumériste, est un projet nihiliste et destructeur de l'homme dans ses racines. Comme si en coupant les anciennes racines de l'arbre, celui-ci pouvait prospérer sur ses plus récentes radicelles, jouets d'une saison, sans doute inaptes à soutenir la succession des orages et les pluies de l'adversité! Antaios  se fait le chantre de la mémoire. Son directeur explique qu'il se considère comme une sorte d'“archéologue de la mémoire” (30). Au travers d'Antaios,  il recherche en effet le noyau intérieur de notre culture et opère recours à sa spécificité et à ses Dieux, toujours vivants: «nous autres Paiens concevons le temps comme cyclique, à l'image des cycles cosmiques (solaire par exemple, avec les équinoxes et les solstices)... Le temps des Paiens est celui de l'Eternel Retour, pareil à la grande Roue qui tourne et tourne sans répit... Pour nous, il n'y a pas d'apocalypse, mais bien d'innombrables fins de cycles, éternellement recommencés. Une succession sans début ni fin de naissances, de croissances et de déclins, de crépuscules suivis de rénovations, de cataclysmes suivis de renaissances, au sein d'un Ordre (en grec: ‘Kosmos’) intemporel, où hommes et Dieux, mortels et Immortels, ont leur place et leur fonction. Le mythe du Progrès n'est pas le nôtre. Nous ne croyons pas au sens de l'histoire (concept à mes yeux totalitaire), à la ‘fin’ du Paganisme, à la ‘mort’ des Dieux... Si le temps est linéaire, comme le prétendent les théologies judéo-chrétienne et rationaliste, le Paganisme est impensable puisque ‘mort’, et scandaleux puisqu'allant à l'encontre du sacrosaint sens de l'histoire. Mais si comme nous le pressentons, le temps est cyclique, la perspective change du tout au tout... Si ses formes anciennes (liturgies, temples,...) ont cédé la place à d'autres qui s'en sont souvent largement inspiré, les archétypes, qui sont eux éternels, demeurent» (31).

 

Recourir aux Dieux ne signifie donc ni les embaumer, ni inventer des cultes incertains, mais s'alimenter à leur flamme et les repenser à la lueur de nos propres idéaux, attitudes qui nous préservent d'une hypertrophie de la mémoire et de créations pastiches, sans souffle, comme le sont le New Age et son cosmopolitisme niveleur, le rosicrucisme avec ses "initiations" payantes, la Wicca avec sa complaisance pour le "luciférisme" et autres miasmes putrides (32),... Les Dieux ne doivent pas devenir un refuge contre le monde contemporain, mais s'affirmer comme le creuset du Volksgeist  de notre époque, ce qu'Antaios  a compris: «le Paganisme a changé depuis les origines et il continuera à changer: les Paiens du IIIème millénaire seront à la fois proches et différents de leurs ancêtres celtes, grecs ou slaves. Car, au contraire des vieilles religions monothéistes figées dans les écritures de moins en moins lues et des dogmes risibles, le Paganisme est éternellement jeune puisqu'il évolue avec les peuples» (33).

 

Face au monde d'aujourd'hui, Antaios rappelle encore que la recherche du sens de l'univers est aussi liée à la science. Non pas une science mue, tel un pantin, par un déterminisme draconien, mais une science qui apprend l'humilité face à la nature. Un monde scientifique qui, lorsqu'il se tourne vers l'infiniment grand et l'infiniment petit, constate que l'horizon, loin de se rétrécir, s'élargit dans une perspective immense. Un monde scientifique qui se tient sur un seuil et se sent alors pris de vertige, je dirais: émerveillé. Comment pourrait-il en être autrement? Si, au-delà de démonstrations toujours incertaines et fragmentaires, la science ne peut indiquer à l'homme de certitudes, elle peut cependant l'aider à se déployer et, en tout cas, lui permettre de “sentir” l'Infini. La science (logos)  se rapproche alors du mythe (muthos) comme mode de connaissances, producteur de sens (34)...

 

Fides Aeterna: «c'est ce qui me frappe chez mes amis Hindous: cette fidélité à leur héritage plurimillénaire, ce refus de la rupture que constituerait la conversion, ce reniement. Je pense à ceux qui refusèrent de céder: les Saxons de Verden, les ‘pagani’ de nos campagnes, ces philosophes d'Athènes chassés de l'Université d'Athènes en 529 et un temps réfugiés en Perse... Je pense à cette chaîne, interrompue certes, de Paiens, fidèles aux Dieux, parfois clandestins, toujours résistants, qui rythment l'histoire de notre continent. En maintenant Antaios, je leur rends l'hommage qui leur est dû» (35). Fides Aeterna, telle est la belle devise d'Antaios qui, dans un monde voué aux ruptures, renoue les liens essentiels et offre à ses lecteurs un fil d'Ariane dans la confusion de notre temps. Saluons Antaios,  comme l'ont saluée, l'été dernier, les Brahmanes de Bénarès qui, à l'instar d'Ernst Jünger, encouragèrent Christopher Gérard à persévérer dans une œuvre appelée à triompher du temps...

 

Anne MUNSBACH.

 

Pour tout renseignement: Antaios, 168/2 rue Washington, B-1050 Bruxelles. Email: antaios-bru@hotmail.com

 

Notes:

 

(1) Isabelle ROZET, Le Mythe comme enjeu: la revue Antaios de Jünger et Eliade in Antaios 2, équinoxe d'automne 1993, p.17.

 

(2) Ernst JUNGER, Siebzig verweht V, Klett-Cotta, Stuttgart 1997, p.191. Dans chaque numéro d'Antaios, Christopher Gérard salue Ernst Jünger à travers la chronique «Jüngeriana» qui fait le point sur tout —ou presque tout— ce qui se dit et s'écrit sur ce guerrier de l'esprit.

 

(3) Relire Grimm. Entretien avec Jérémie Benoit in Antaios 12, solstice d'hiver 1997, p.22.

 

(4)-(6)-(8) Patrick TROUSSON, Le Sacré et le mythe in Antaios 6/7, solstice d'été 1995, p.30-31.

 

(5) Sur ce sujet, on lira, entre autres, l'entretien que le philosophe Lambros Couloubaritsis a accordé à Antaios  6/7.

 

(7) Ainsi, une passionnante étude sur Marc. Eemans, peintre et poète surréaliste thiois, éditeur de la revue méta ou para-surréaliste Hermès (1933-1939), les textes à la langue singulière et onirique du très nietzschéen Marc Klugkist, la fascinante figure des frères Grimm, l'anarque Guy Féquant, l'étrange François Augiéras, Henri Michaux, et tant d'autres...

 

(9) Christopher GERARD, Trouver un ciel au niveau du sol. Par-delà dualisme et nihilisme: une approche paienne, Cahiers d'Etudes Polythéistes 1, Ides de mai 1997, p.111. Qu'ils soient islandais, grec, letton, lithuanien, autrichien, Antaios fait place, au fil de ses numéros, aux différents courants d'une renaissance païenne. On se reportera aussi à l'entretien que Jean-François Mayer a accordé à Antaios: Penser la théopolitique. Entretien avec Jean-François Mayer in Antaios 10, solstice d'été 1996, pp.36-48, il y parle, entre autres, du renouveau païen dans diverses régions du monde.

 

(10) Jean VERTEMONT, Méditations sur la religion in Antaios 6/7, solstice d'été 1995,p.58.

 

(11)-(12) Christopher GERARD, Penser le Polythéisme in Antaios 6/7, solstice d'été 1995, p.47. Pour davantage de précisions, on lira L'Empereur Julien, Contre les Galiléens. Une imprécation contre le Christianisme, Ousia, Bruxelles 1995, dont Christopher Gérard nous propose une traduction dépoussiérée, accompagnée de commentaires pertinents ainsi que d'une introduction campant un contexte historique complexe. Dans la postface de l'ouvrage, Lambros Couloubaritsis analyse avec beaucoup d'acuité le sens philosophique et politique de ce traité antichrétien.

 

(13) Antaios 10, solstice d'été 96 et Antaios 11, solstice d'hiver 1996. A travers une série d'entretiens avec des penseurs de la mouvance hindouiste, ces numéros présentent, entre autres, les thèses du nationalisme hindou.

 

(14)-(16)-(18) Christopher GERARD, “Hindutva”  in Antaios 10, solstice d'été 1996, pp.3-5.

 

(15) Dans chaque numéro d'Antaios, la chronique “Etudes indo-européennes” passe au crible d'une critique avertie les ouvrages récents consacrés à la “res indo-europeana”.

 

(17) Jean-Louis GABIN, La Civilisation des différences in Antaios 10, solstice d'été 1996, p.87.

 

(19) Alain DANIELOU, Castes, égalitarisme et génocides culturels in Antaios 10, solstice d'été 1996, p.102. Les textes d'Alain Daniélou publiés dans Antaios le sont avec l'aimable autorisation de son héritier Jacques Cloarec. Ce dernier a créé un site Internet multilingue dédié à l'œuvre d'Alain Daniélou: http://www.imaginet.fr/-jcloarec/danielou. Une traduction italienne des textes sur le système des castes a été publiée par les éditions Barbarossa: Alain DANIELOU, Caste, egualitarismo e genocidi culturali, Società Editrice Barbarossa, Milano 1997.

 

(20) Christopher GERARD, “Hindutva”  in Antaios 10, solstice d'été 1996, p.5. Pour davantage de précisions sur cette vision impériale, on se reportera aux théories géopolitiques de Karl Haushofer. On lira aussi à ce sujet, Jean PARVULESCO, L'Inde et le mystère de la Lumière du Nord in Antaios  8/9, solstice d'hiver 1995, pp.103-115, qui évoque le rôle réservé à l'Inde dans cet Empire à construire.

 

(21 ) Christopher GERARD, Penser le Polythéisme in Antaios  6/7, solstice d'été 1995, p.46.

 

(22) Entretien avec le philosophe Marcel Conche in Antaios  8/9 solstice d'hiver, 1995, p.34.

 

(23) Eloge du savoir dionysien. Entretien avec Michel Maffesoli  in Antaios 10, solstice d'été 1996, p.27.

 

(24) Le Pèlerinage de Grèce. Entretien avec Guy Rachet in Antaios 10, solstice d'été 1996, pp.16-17. Sur le sujet des totalitarismes, on lira aussi l'entretien que l'ethnologue Robert Jaulin, résistant acharné à toute forme d'ethnocide, avait accordé à Antaios lors de la sortie de son dernier livre L'Univers des totalitarismes (Editions Loris Talmart 1996): L'Univers des totalitarismes. Entretien avec Robert Jaulin in Antaios 10, solstice d'été 1996, pp.33-35.

 

(25) Christopher GERARD, Trouver un ciel au niveau du sol. Par-delà dualisme et nihilisme: une approche paienne,  Cahiers d'Etudes Polythéistes 1, Ides de mai 1997. Ce premier Cahier a été publié à la suite d'une conférence prononcée dans les Ardennes lors d'un colloque “oecuménique” sur le thème de l'au-delà.

 

(26) Paganisme. Entretien avec Christopher Gérard, directeur d'Antaios in Solaria 10, hiver 1997-98, pp.15-16. Pour obtenir ce numéro, contacter le “Cercle Européen de Recherches sur les Cultes Solaires”, 63 rue Principale, F-67260 Diedendorf.

 

(27) Entretien avec le philosophe Marcel Conche in Antaios 8/9, solstice d'hiver 1995, p.35.

 

(28) Au fil des numéros d'Antaios, on suit ainsi la trace de l'insolent Michel Mourlet ou encore de l'inclassable Gabriel Matzneff. On lira notamment l'entretien que chacun des deux écrivains a accordé à Antaios: Entretien avec un Paien d'aujourd'hui: Michel Mourlet in Antaios 1, solstice d'été 1993, pp.11-14 et Portrait d'un anarque. Entretien avec Gabriel Matzneff in Antaios 12, solstice d'hiver 1997, pp.6-12.

 

(29) Christopher GERARD, Paganus  in Antaios 3, équinoxe de printemps 1994, p.21 .

 

(30) Paganisme. Entretien avec Christopher Gérard, éditeur d'Antaios in Solaria 10, hiver 1997-98, p.13.

 

(31 ) Christopher GERARD, Trouver un ciel au niveau du sol. Par-delà dualisme et nihilisme: une approche paienne, Cahiers d'Etudes Polythéistes 1, Ides de mai 1997, pp.V-VI.

 

(32) Antaios  a publié une excellente mise au point de son directeur sur la question des rapports entre Paganisme et Satanisme: Christopher GERARD, Wicca et Satanisme: des chemins qui ne mènent nulle part in Antaios 11, solstice d'hiver 1996, pp.37-44.

 

(33) Christopher GERARD, Paganus in Antaios 3, équinoxe de printemps 1994, p.22.

 

(34) Antaios  n'hésite pas à plonger au cœur des thèmes de prédilection des sciences physiques comme l'espace-temps, la logique, la cosmologie,... pour aboutir au constat qu'il existe des concordances entre science et mythe: ils forment les deux faces d'une même pièce qui serait le réel. Qu'on ne s'y méprenne pas: concordance ne signifie pas identité. Ce qui apparaît, c'est que ces deux approches différentes arrivent à exprimer des points de vue similaires, ou tout au moins complémentaires. Nous recommandons la lecture de l'étude du “conseiller scientifique” d'Antaios , le Docteur ès Sciences Physiques Patrick TROUSSON, Le Sacré et le mythe in Antaios 6/7, solstice d'été 1995, pp. 24-40, un chapitre y est consacré aux rapports entre mythe et science. On lira aussi l'entretien que Jean-François Gautier a accordé à Antaios au sujet de son essai L'Univers existe-t-il? (Actes Sud 1994), où il aborde la question des limites de la science: Entretien avec Jean-François Gautier. L'Univers existe-t-il? in Antaios 10, solstice d'été 1996, pp.54-63.

 

(35) Paganisme. Entretien avec Christopher Gérard, éditeur d'Antaios  in Solaria 10, hiver 1997-98, p.14.

 

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mardi, 24 novembre 2009

Le rapport politique-ésotérisme: entretien avec le Prof. G. Galli

magier.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Le rapport politique-ésotérisme

Entretien avec le prof. Giorgio Galli

 

Pendant de nombreux siècles, les rois, les empereurs, les hommes politiques, toujours isolés de leurs contemporains, ont demandé les conseils de “mages”, d'astrologues, de voyants, d'alchimistes, avant de prendre des décisions importantes. Ces curieux conseillers étaient toujours présents, plus ou moins officiellement, dans l'orbite des hommes qui les consultaient fidèlement. La révolution scientifique nous a fait croire que le mystérieux filon occulte qui s'insère entre la politique et les pratiques ésotériques s'était dilué et avait disparu. Mieux vaut être prudent avant de l'affirmer péremptoirement! Même à notre époque pleinement sécularisée, marquée par un grand scepticisme, par l'athéisme généralisé, on peut repérer les liens obscurs unissant de mystérieuses congrégations aux hommes du pouvoir.

 

Giogio Galli, professeur d'histoire des doctrines politiques à l'Université de Milan, s'est préoccupé de ces thématiques, en écrivant des livres qui ont suscité la curiosité, l'intérêt mais aussi causé une certaine inquiétude. Nous lui avons demandé de nous expliquer dans quelle mesure l'ésotérisme influence les lieux du pouvoir dans le monde occidental, au seuil du troisième millénaire.

 

GG: «Les rapports entre l'ésotérisme et la politique n'ont plus de nos jours la continuité qu'ils avaient dans les temps passés, mais le phénomène n'est pas pour autant épuisé depuis l'avènement de la révolution scientifique. Il est moins apparent, mais il est néanmoins présent. En notre siècle qui s'achève, à côté des idéologies de masse qui ont favorisé l'avènement de l'homme nouveau, dominateur de la technique et de la science, forgé dans l'acier des fabriques et prêt à se jeter dans les tempêtes d'acier comme l'a décrit Ernst Jünger, nous voyons réémerger des cultures anciennes qui, bientôt, influeront les événements historiques. De la mystérieuse figure de Raspoutine installée à la cour des Tsars aux voyants consultés par Hitler pendant la guerre, on constate que les hommes à la tête de la politique mondiale contemporaine ont consulté des astrologues connus: autant de phénomènes qui contredisent l'apparent cynisme de notre société contemporaine et démontrent que l'homme, même s'il est puissant, a besoin de croire en quelque chose».

 

Q: Depuis plusieurs années, vous avez étudié les rapports entre la culture politique et les anciennes cultures ésotériques. En lisant vos livres consacrés à cette thématique, comme Hitler e il nazismo magico, La politica e i maghi, Alba magica,  des pans obscurs des époques historiques récentes se révèlent et j'ai noté que l'ésotérisme en politique intéresse davantage la droite que la gauche. Comment cela se fait-il?

 

GG: «Je crois plutôt que la présence de l'occultisme est transversale et se retrouve dans tous les camps politiques, même si divers penseurs auxquels la droite extrême fait constamment référence, comme Julius Evola ou Ernst Jünger, ou l'entourage des SS de Himmler, ou les savants nationaux-socialistes qui se préoccupaient du Graal, se sont profondément intéressés aux arts ésotériques. Les écrivains Pauwels et Bergier, auteurs d'un livre devenu rapidement très célèbre, Le matin des magiciens, ont donné une définition lapidaire du national-socialisme: «C'est Guénon plus les Panzerdivisionen». René Guénon fut un grand connaisseur des cultes traditionnels pré-chrétiens et est devenu une sorte de “phare illuminant” pour certains cercles de la droite dure en Europe. Ces phénomènes idéologico-politiques nous amènent à constater ce que vous venez d'évoquer dans votre question: l'ésotérisme semble être un engouement des droites dures, mais, à l'analyse, on doit constater qu'il est présent dans toute la sphère politique et n'est nullement un apanage exclusif des droites. La recherche de l'irrationnel est profondément ancrée dans l'âme humaine. La science ne peut pas expliquer aux hommes pourquoi ils sont nés, pourquoi ils tombent amoureux, pourquoi ils meurent, etc.».

 

Q.: D'aucuns prétendent que lorsque l'on ne croit plus en Dieu, on croit en tout le reste...

 

GG: «Nous nous trouvons face à une grande crise des religions institutionalisées de modèle occidental. Le christianisme s'est transformé, alors que le mystère nous accompagne tout au long de notre vie. Le sacré connait une éclipse, aussi parce que l'Eglise catholique ne réussit plus à donner une réponse convaincante aux questions que les hommes lui posent. L'illusion des Lumièresa réduit les mystères de l'univers, ce qui s'est avéré une erreur. En outre, dans le monde entier, on assiste à un retour aux peurs ataviques de la fin des temps, parce que nous approchons le passage d'un millénaire à un autre. Toutes ces situations sont le terrain de culture de doctrines plus ou moins ésotériques, présentes en filigrane dans la société moderne: de l'homéopathie au New Age, de la prolifération des cartomanciennes aux prédicateurs itinérants. Ce vaste champ, qui a été jusqu'ici ignoré des historiens et des sociologues, pourrait être défini comme celui de la “fantapolitologie”: il pourrait révéler des indices intéressants sur la société actuelle. C'est pour cette raison que j'étudie le phénomène avec une attention soutenue».

 

Q.: Les symboles utilisés par les mouvements politiques peuvent avoir une signification dépassant le message politique proprement dit et renouer avec des mythes très anciens. Que pensez-vous de la récupération par la Lega Nord de Bossi des traditions celtiques et lombardes-germaniques? Et du symbole de la Padanie, le “Soleil des Alpes”?

 

GG: «Il me semble que la Ligue, qui existe depuis bientôt quinze ans, a connu des évolutions diverses. Le concept de Padanie est très récent et s'est imposé dans une phase de l'évolution du mouvement, où l'aspect symbolique est devenu plus important, où l'on assiste à la réémergence graduelle de cultures alternatives, y compris dans le champ politique. Aujourd'hui, la Ligue cherche à créer une identité padanienne, mais qui ne pourra pas se profiler sur une base seulement économique, religieuse ou linguistique, vu que la Padanie n'est pas l'Ecosse. D'où le projet de fonder cette identité sur un symbole fort. Indubitablement, la symbolique padanienne semble jouir d'un certain succès: la couleur (le vert) et le symbole (le Soleil des Alpes) sont immédiatement et clairement perceptibles. Evidemment, nous ne sommes pas en mesure de jauger de l'efficacité d'un tel message à court terme. Je ne crois pas que la référence à la culture celtique soit adaptée à la Padanie actuelle. Les Celtes possédaient une vision du sacré fortement liée à la nature. Les prêtresses druidiques y jouaient un rôle important. Les croyances celtiques n'ont rien de commun avec la culture des habitants de la Padanie en 1997».

 

Q.: De quoi parlera votre prochain livre?

 

GG: «Il traitera d'un aspect social particulier de l'Italie contemporaine. Je vais me référer au premier livre que j'ai écrit et j'intitulerai mon nouvel ouvrage Italia e meriggio dei maghi  (= L'Italie et le midi des mages). Je parlerai des innombrables personnes qui se sont rapprochées des cultures restées jusqu'ici marginales dans la société post-industrielle. Je vais démontrer que ces personnes n'ont pas choisi cette voie parce qu'elles se défient de la science, ou qu'elles ne l'ont pas empruntée uniquement en raison d'une telle méfiance. En Italie, un quart de la population se tourne désormais vers la médecine alternative, croit aux horoscopes, visite les cartomanciennes ou se rapproche des philosophies orientales. L'Italie est en train de changer, sous bon nombre d'aspects».

(propos recueillis par Gianluca Savoini, parus dans La Padania, 22 oct. 1997; trad. frtanç.: Robert Steuckers).