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dimanche, 01 décembre 2019

La Droite buissonnière de François Bousquet

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La Droite buissonnière de François Bousquet

par Juan Asensio

Ex: http://www.juanasensio.com

 
Nous avouerons sans peine que l'essai que François Bousquet a consacré à Patrick Buisson, un auteur à réputation médiatiquement sulfureuse que j'avais évoqué dans cette note, se lit non seulement sans peine mais avec un assez vif plaisir : nous sommes là, tout de même, avec La Droite buissonnière, face à un commentateur qui possède ses lettres et sait, à l'occasion, en jouer, à l'inverse des arrivistes incultes que sont Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio pour n'en citer que deux parmi tant d'autres, que Jean-François Colosimo n'hésite pourtant pas à publier au Cerf, sans doute parce qu'il estime que leur surface médiatique est inversement proportionnelle à la qualité de leur prose insipide, et que dire de ce qui leur tient lieu de culture et de pensée. N'oublions pas que cette même Eugénie Bastié a pu être présentée, dans le numéro du mois de juin 2017 de la revue Éléments dont François Bousquet est le rédacteur en chef, comme une authentique insoumise, et que ce dernier a assuré la promotion, à l'occasion d'une conférence au cercle bruxellois Pol Vandromme, du dernier ouvrage d'Alexandre Devecchio, que j'ai surnommé Monsieur Euh... (un Euh... bien appuyé, vous suçant la semelle comme une plaque de gadoue) tant il est incapable d'aligner plus d'un mot sans prononcer celui de son fier patronyme, et qui, habitué du Figaro, n'a pas exactement besoin, euh..., de publicité. Autant de petites raisons, que les nobles âmes jugeront évidemment mesquines et même lamentables ce dont je me contrefous comme il se doit, qui pourraient me faire prendre en grippe une revue qui incarne à peu près tout ce que je déteste : le copinage idéologique à voilure plus ou moins ample, et qui n'épargne à l'évidence aucun organe de la Presse, y compris (surtout sans doute) tel ou tel qui se présente comme absolument pur de toute contamination consanguine.
 
Ajoutons, histoire d'enfoncer le clou ou d'aggraver mon cas ce sera selon, qu'Éléments n'a jamais cru devoir évoquer mon travail si ce n'est il y a fort longtemps, par le biais d'un Ludovic Maubreuil ou d'un Christopher Gérard. Cela ne m'empêche certes pas de dormir, pas plus que mon sommeil n'en a été troublé depuis que j'explore la Zone, mais enfin, quand je vois la place accordée à tant de nullités dont la moindre dégoulinade est tournée en bouche comme un nectar d'intelligence, quand je vois la haute considération entourant le ridicule Renaud Camus, je me dis que cette revue, puisque, à tout le moins, elle ne cesse de se dire indépendante de toute chapelle et de toute alcôve, s'honorerait d'évoquer le colossal travail d'anarque que j'abats depuis des années, et cela sans bénéficier des petites aides et renvois d'ascenseur si communs à droite, à gauche, au centre et aux bords (pour ne pas dire extrêmes). Ces plaisantes saillies, nous le verrons plus loin, ne traduisent pas que mon bannissement de ce type de revue, mais un mal plus profond, en lien direct avec le sujet du livre de François Bousquet : non seulement l'éparpillement des clans, à droite, pouvant peser sur une réflexion politique mais l'absence de véritable socle intellectuel sur lequel en bâtir une, ce qui est infiniment plus grave on me l'accordera.
 
Ce n'est en tous les cas que tardivement que j'ai lu le livre de François Bousquet, alors que je l'avais reçu au mois de mars 2017 en ma qualité de membre du jury de feu le Prix du livre incorrect, qu'André Bonet a récemment sabordé, sans doute pour laisser place nette aux batraciens de L'Incorrect, tout contents de pouvoir ainsi récupérer à moindres frais un intitulé qui leur permettra eux aussi de récompenser les productions de leurs petits copains et seulement elles, voire de les inviter à partager la flache dans laquelle ils barbotent et croassent lorsqu'ils voient passer une blonde à regard vide prénommée Marion, espérant qu'elle daignera leur accorder un chaste baiser qui les transformera aussitôt en Princes de la Chrétienté écrasant de sa superbe germanopratine et de son marteau dialectique le rusé donc fourbe Sarrazin.

FB-drbuiss.jpgMe relisant, je me dis que j'ai finalement du mérite à m'être en fin de compte plongé dans la lecture de l'ouvrage de François Bousquet dont on ne pourra guère m'accuser, du coup, de vanter louchement les mérites qui, sans être absolument admirables ni même originaux, n'en sont pas moins bien réels : mes préventions, toujours, tombent devant ma curiosité, ma faim ogresque de lectures, et ce n'est que fort normal.

J'affirmais que ce gros ouvrage de quelque 400 pages pour une fois à peu près correctement revu (1) se lisait très agréablement, peut-être parce qu'il se place sous les auspice du titre d'un des textes les plus connus de l'excellent critique que fut le regretté Pol Vandromme, sans doute encore parce qu'il évoque bellement des auteurs tels que Georges Bernanos (cf. p. 62) ou encore Pier Paolo Pasolini (cf. p. 36) et Léon Daudet, le gros Léon dont le verbe si extraordinairement pugilesque fut tout sauf rond et bonhomme (cf. p. 64), surtout enfin parce qu'il ne dédaigne pas appeler un chat un chat et une nullité journalistique une nullité journalistique (2) tout en filant, ici ou là, la métaphore, sans trop d'exagération pour que la pratique ne nous paraisse pas une coquetterie censée masquer de véritables lacunes ou faiblesses : «pour le Buisson ardent, le bûcher est toujours allumé» (p. 143) ou bien à propos de l'influent Alain Bauer, dont «l'entregent est transversal et transpartisan» et qui «graisse les gonds des portes du pouvoir ou les grippe au nom des solidarités d'appartenance», les siennes allant «préférentiellement à la franc-maçonnerie et à la police» (p. 348). D'autres font les frais, et c'est heureux, de l'alacrité de François Bousquet, excellent porte-flingue de Patrick Buisson puisque, au rebours des plus basiques règles de la défense rapprochée, il tire avant de désarmer l'adversaire ou plutôt, avec ces guignols malfaisants, l'ennemi. Enfin, un peu d'acidité distillée dans une écriture point aussi insipide que la camomille sirupeuse des sous-pigistes du Figaro et des maréchalistes à jabot transparent, incorrection germanopratine, petits poings roses fermés sous des gants de soie et langue effiloché et filandreuse !

On jugera ces traits de l'esprit des facilités, ce qu'elles ne manquent pas d'être bien sûr, même si elles restent, à une époque où l'essayiste le plus accompli écrit comme un notaire constipé, plus que jamais nécessaires à notre plaisir de lecteur, surtout aussi lorsqu'il s'agit de défendre et d'illustrer l'action d'un conseiller de l'ombre encore vivant sur lequel est tombé à bras raccourci et langue pendue «un syndic d'ambitions médiocres qui ne donnent leur mesure que coagulées contre l'homme seul, qu'il s'appelle le colonel Chabert, le cousin Pons, Vautrin ou Patrick Buisson» (p. 352). C'est sans doute en faire un peu trop dans la paternité d'un homme débarrassé des «affiliations partisanes» et appartenant selon notre commentateur aux irréguliers, aux anarques (tiens !) et aux mauvais esprits (p. 371) pour le coup même si, dans cette défense truculente, François Bousquet est infiniment plus convainquant qu'une Muriel de Rengervé endossant son armure de sainte Pucelle pour porter secours à Renaud Camus emprisonné dans la plus haute tour de son petit château.

Si la forme est agréable, le fond ne démérite pas, puisqu'il se propose d'examiner à l'air libre quelques-unes des racines intellectuelles ayant façonné la pensée politique de Patrick Buisson, que nous pourrions, en collant plusieurs citations de François Bousquet, résumer en peu de mot : une droite, buissonnière donc, autrement dit qui n'a pas eu peur de frôler les pires interdits structurant l'idéologie française et, plus largement, une politique qui «reposera sur l'imitation des pères, par l'émancipation des fils, et proclamera une loi entre toutes supérieure» consistant pour l'homme à s'acquitter, «noblesse oblige» (p. 65), de la charge qu'il a contractée dès sa naissance. Il s'agit donc de sortir, pourquoi pas par l'action du Prince ou plutôt du conseiller du Prince qui est aussi, selon Bousquet, le Prince des conseillers, de l'âge de la «moyennisation» tel qu'elle fut diagnostiquée par le sociologue Henri Mendras, à savoir un «effondrement de la qualité humaine» (p. 91) qui sera ainsi commodément rangée dans les petits tiroirs des pions déconstructeurs maîtres du nouveau monde dans lequel nous sommes d'ores et déjà entrés, où «toutes les identités subsidiaires, voire parodiques», sont recevables, «sauf l'identité nationale» selon les mots mêmes de Patrick Buisson que cite François Bousquet (p. 254).

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Quoi qu'il en soit, le rôle de Patrick Buisson n'est absolument pas à minimiser, malgré l'évidente nullité intellectuelle et la versatilité opportuniste du Président Nabot qu'il a conseillé car, selon François Bousquet, nous avons assisté à un véritable changement «dans l'ordre du discours» et même, n'hésite pas à affirmer l'essayiste, à «une révolution conservatrice», du moins à ses «premières lueurs», Sarkozy en ayant été «l'instrument», «inconscient, somnambulique ou contrarié, comme on voudra» et Buisson le «ventriloque» (p. 364). En fait, tout l'intérêt du livre de François Bousquet, outre celui consistant à reprendre, pour les contrer point par point, les allégations et fantasmes d'une Presse devenue totalement consensuelle et la gardienne du Camp du Bien, aura été de démontrer que «la ligne Buisson», moins que le politique on l'a vu si piètrement incarné par l'époux de Carla Bruni que moque allègrement François Bousquet, se sera efforcée d'agir sur l'ordre symbolique (cf. p. 366), osant de nouveau prononcer, après tant d'années d'une honte si intimement assimilée par les habitants de notre pays démoli qu'elle semble surgir immédiatement prête toutes les fois que naît un Français ne sachant quasiment plus rien de l'histoire grandiose de ce qu'il hésitera à reconnaître comme étant son propre pays, quelques mots chargés de dynamite (autorité, nation, etc.), même si nous avons pour le moins beaucoup de mal à imaginer de quelle façon nous pourrions faire revenir l'assise française, et cela dans ses composantes socio-intellectuelles, dans une «matrice chrétienne» (p. 370) qui ma foi, si elle n'est pas surnaturelle, aura au moins en toute logique théologienne force raison de disparaître, engloutie dans sa médiocrité et sa faiblesse.

Nous touchons-là le centre de l'essai de François Bousquet, que nous pourrions rapprocher des petites remarques ironiques mais pas moins vraies émises en début d'article, et qui n'étaient que faussement superficielles puisque, après tout, le livre de François Bousquet peut se lire, aussi, comme l'analyse spectrale de la droite française ou de ce qu'il en reste : aujourd'hui, le camp de la Réaction que nous opposerons au camp perclus du soi-disant progressisme qui ne fait que du surplace et du rabâchage depuis des lustres, est difficilement tenu par une poignée de petits cercles plus ou moins de droite ou d'extrême droite, mais qui en aucun cas n'accepteront de se fondre en une puissante force capable de porter vers la présidence de la République une personne censée porter et même mettre en pratique ses idées. Nous nous trouvons bien au contraire face à une multitude d'intérêts, parfois profondément contradictoires (la droite royaliste méprise la droite lepéniste qui le lui rend bien, la droite catholique se pince le nez et murmure des oraisons devant la droite païenne qui la trouve fossilisée, la droite anarchiste les regarde toutes de haut), mais qui pourtant ne se privent pas de s'entraider, ou, plus sordidement, de s'entrelécher à l'occasion et suivant les intérêts, petits ou grands. Patrick Buisson a cru ou semblé croire, un temps du moins, que Nicolas Sarkozy, en dépit de sa médiocrité politique et intellectuelle patente, pouvait traduire ces idées de droite, jamais vraiment appliquées, en actes, comme si un homme mille fois plus constant, courageux et intelligent qu'il ne l'aura jamais été pouvait, à lui tout seul, replanter l'arbre français catholique déraciné, conférer une nouvelle harmonie à un organisme privé de vertèbres, de cœur et même de cerveau, pour ne rien dire de l'âme !

BdC-île.jpgReste une autre solution, plus fictionnelle, donc métapolitique, que réellement, modestement politique, sur le papier en tout cas ne souffrant point l'endogamie propre à l'élite française, de droite comme de gauche, solution purement romanesque qu'explore Bruno de Cessole dans son dernier livre, L'Île du dernier homme, et que nous pourrions du reste je crois sans trop de mal rapprocher de la vision de l'Islam développée depuis quelques années par Marc-Édouard Nabe, consistant à trouver, dans la vitalité incontestable des nouveaux Barbares, le sang nécessaire pour irriguer la vieille pompe à bout de force d'un Occident en déclin, d'une France complètement vidée de sa substance, d'un arbre, si cher au Barrès des Déracinés, qui a perdu toutes ses feuilles et ne fait plus de bourgeons. Je doute que cette vision que l'on pourrait à bon droit qualifier de facilement esthétisante ou de dangereusement nihiliste et que je me bornerais pour ma part à prétendre strictement réaliste, ainsi qu'une voie géopolitique méritant, comme une autre, d'être explorée du moins intellectuellement, comme le montre par exemple le propos d'un Michel Houellebecq dans Soumission, je doute donc qu'une telle ligne, fictionnelle au mauvais sens du terme, fictive, puisse être facilement acceptée par Patrick Buisson ou même par son excellent interprète, François Bousquet. Pour ma part, la plus grande des fictions, la plus ridicule des fables serait assurément de croire que la France va être rebâtie autour du sabre et du goupillon : les épées sont de mousse et les curés michetonnent le surnaturel.

Notes

(1) François Bousquet, La Droite buissonnière (Éditions du Rocher, 2017). Je n'ai relevé qu'une seule coquille, outre un détail d'ordre typographique (cf. p. 229) à la page 228, revenue et non pas «revenu» puisque l'auteur évoque la gauche, couvertures de magazines plutôt que «magazine» (p. 356). Notons aussi quelques répétitions malencontreuses de termes à quelques lignes d'écart (comme «jamais» p. 270 ou «également» p. 323).
(2) Mention spéciale à Ariane Chemin, objet, avec sa collègue Vanessa Schneider du Monde du mépris viscéral de l'auteur, en raison de la pseudo-enquête qu'elles ont publiée sur Patrick Buisson en 2015, intitulé Le mauvais génie.

Improvisations européennes

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Improvisations européennes

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Ancien rédacteur des discours du premier président du Conseil européen, le Belge Herman van Rompuy, et auparavant conseiller politique du libéral Frits Bolkestein, le Néerlandais Luuk van Middelaar examine en historien et en philosophe politique le fonctionnement de l’Union dite européenne dans un essai incontournable, Quand l’Europe improvise. Dix ans de crises politiques (Gallimard, coll. « Le débat », 2018, 412 p., 24 €).

Longtemps, l’organisation de Bruxelles a végété dans une rassurante routine. « Traditionnellement, les institutions de l’Union européenne, écrit-il, sont uniquement aménagées en fonction d’une politique de la règle afin de construire et d’équilibrer un marché (p. 25). » Or une série de crises majeures (sort de l’euro, désastre financier grec, guerre dans l’Est de l’Ukraine, arrivée massive des « migrants », Brexit, élection de Donald Trump) bouleverse cette douce torpeur. « Dans ces crises, observe l’auteur, l’Union a dû abandonner le cadre sacro-saint de sa vision éternaliste et agir pour survivre. Une tâche colossale : être prête à faire face aux imprévus et mener une politique de l’événement (p. 222). » Jusqu’à ces moments critiques cruciaux, les instances dites européennes se complaisaient dans la « politique de la règle », car « le projet de construction initial, resté longtemps dominant, poursuit-il, consiste dans la dépolitisation par le droit (p. 19) ». Dans une approche très schmittienne, Luuk van Middelaar pense que « les crises exigent une capacité d’action politique différente de celle que permettent les structures bruxelloises traditionnelles. Elles requièrent non des normes, mais des décisions (p. 18) ». Les dirigeants de l’Union pseudo-européenne ont dû improviser afin de donner un contenu politique pertinent à un ensemble polysynodal en proie à la multiplication des oppositions, des fractures et des contentieux.

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Il en résulte de fortes tensions entre le Conseil européen, la Commission, le Parlement européen, les agences supranationales, voire la Banque centrale de Francfort et la Zone euro en tant que telle. Ces différents, parfois virulents, sont légitimes puisque « l’Union regroupe une diversité d’États qui apportent chacun leurs intérêts, leurs valeurs et leur expérience à la table des négociations (p. 230) ». L’auteur a-t-il saisi l’essence des rouages eurocratiques ? Dans un entretien accordé à la revue Nationalisme et République (n° 2, automne 1990), le professeur Julien Freund déclarait déjà : « Ce qu’il importe que les Européens comprennent, c’est que leur civilisation n’a jamais reposé sur une équivalence, mais sur des possibilités de contestations, de conflits et par conséquent sur des compromis vivifiants dans le respect des différences de vivre des divers peuples qui composaient l’Europe. » Un embryon de souveraineté s’ébaucherait-il au moyen des réunions fréquentes du Conseil européen ? Cette assemblée regroupe les chefs d’État et de gouvernement des États membres ainsi que son propre président et celui de la Commission; elle devient ainsi l’exécutif collectif ultime hors de toute classification constitutionnelle habituelle. Le Conseil européen prend à partir d’un consensus unanime (ou presque !) des initiatives déterminantes qui peuvent outrepasser la lettre des traités européens.

LVM-livreNL.jpgL’auteur justifie cette primauté institutionnelle. « L’Union est une alliance d’États et non un État. Les moyens humains et matériels de la politique étrangère demeurent en grande partie entre les mains des membres. Cela vaut tant pour les diplomates que pour les forces armées, les services d’espionnage ou les fonds alloués (p. 319). » Mieux, depuis 2009, le Conseil européen n’accepte plus les ministres des Affaires étrangères. « Ce retrait […] revêt une signification bien plus large : la politique européenne n’est plus de la politique étrangère, elle est devenue avant tout politique intérieure (p. 282) ». Pour y participer, « on envoie le chef de l’exécutif politique (p. 279) ». Mais Luuk van Middelaar ne maîtrise pas le droit constitutionnel; il oublie qu’en période de cohabitation française ou polonaise peuvent siéger côte à côte les deux responsables nationaux, chef d’État et chef de gouvernement.

Luuk van Middelaar remarque qu’« en plus d’être un fait historique et juridique, l’Europe politique n’a cessé d’être une promesse, la promesse d’une nouvelle ère, de “ plus jamais la guerre ” (p. 237) ». Il lui manque une maturité acquise de manière tragique. Cependant, « dans des situations anormales, la politique sous-jacente sort de l’obscurité pour se manifester sur le devant de la scène (p. 15) ». Les quelques crises qu’il évoque ne sont qu’un tout petit aperçu des prochaines tempêtes.

Tenant d’une « souveraineté européenne », Emmanuel Macron l’a-t-il compris, lui qui annonce dans The Economist la « mort cérébrale de l’OTAN » ? L’auteur l’anticipe. À ses yeux, « pour la France et l’Europe, la question décisive se trouve à Berlin. Si les Américains replient leur parapluie nucléaire, où les Allemands iront-ils chercher refuge ? Dans la neutralité ? Dans un nationalisme de puissance moyenne ? Ou dans un système européen garanti au fond par la force de frappe française ? La dernière option, pour l’instant la plus probable, redistribuerait les cartes entre Paris et Berlin et pourrait même entraîner des quid pro quo, des échanges de bons procédés sur d’autres plans, y compris celui de l’euro (p. 407) ». Or, il relève aussi l’éclatant contraste d’ordre ethnopsychologique entre les Français et les Allemands. « Les différences de caractère entre ces peuples rejaillissent dans leur façon d’interpréter les concepts “ règle ” et “ événement ”. En Allemagne, la règle équivaut à l’équité, l’ordre, l’intégrité. En France, par contre, le centre de gravité sémantique du mot se déplace légèrement, passant de la protection à l’obstruction : et voilà que la règle renvoie à la coercition et à la soumission. […] Face aux règles, Paris a tendance à plaider en faveur d’un surcroît de flexibilité, tant pour les autres que pour elle-même. La France justifie de préférence la violation d’une règle en avançant des “ circonstances exceptionnelles ”. Berlin, qui observe cette attitude depuis quatre décennies, l’estime irresponsable, opportuniste et témoignant de mauvaise foi. Aux Allemands, qui donnent la priorité à une juste application de la même règle budgétaire par tous, on reproche d’être rigides et bornés quand on n’attaque pas leur obsession historique de l’inflation (p. 232). » Ces divergences fondent-elles pour autant une souveraineté contractuelle commune ?

Luuk van Middelaar oublie seulement de mentionner que même isolationnistes, les États-Unis n’accepteront jamais une quelconque indépendance stratégique de l’ensemble européen. Il n’est pas anodin que des pans entiers des industries d’aéronautique, d’armement, d’informatique, de bio-technologie du continent européen soient dès à présent dans les mains des entreprises étatsuniennes. Le rêve des nationalistes yankees à la Steve Bannon serait de remplacer l’OTAN par des accords bilatéraux de défense conclus entre Washington et chacune des quelque trente capitales soumises du Vieux Continent. L’émancipation de l’Europe n’est pas pour demain, ni même pour après-demain.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 149, mise en ligne sur TV Libertés, le 25 novembre 2019.

samedi, 30 novembre 2019

Les Européens n'ont pas encore compris le rôle vital de l'espace

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Les Européens n'ont pas encore compris le rôle vital de l'espace

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Si l'Europe a quelques chances de survivre dans les prochaines années en tant que puissance géopolitique majeures, face aux Etats-Unis, la Russie la Chine et désormais l'Inde, elle le devra à une politique spatiale reposant principalement sur les réalisations de la France, notamment le lanceur Ariane.

Après deux reports, Ariane vient de réussir le 26 novembre 2019 un nouveau lancement à partir de la base spatiale de Kourou en Guyane française 1). Il s'agit d'un 250e lancement depuis le premier ayant eu lieu le 24 décembre 1979. Depuis ses premiers vols, Ariane a été régulièrement optimisée pour rester compétitive. C'est la société Arianespace qui est responsable des lancements.

Les médias ont à juste titre fait une certaine publicité à ce succès, après avoir pendant des années multiplié les critiques contre de telles opérations, au prétexte qu'elles coûtaient cher et ne rapportaient rien aux yeux au regard des intérêts politiques et économiques dominants.

Ce fut Charles de Gaulle qui a lancé la politique spatiale française lors d'un voyage en Guyane en mars 1964. Neuf ans après seulement, dix pays européens ont décidé de créer l'Agence Spatiale Européenne ou ESA (European Space Agency) et d'entreprendre le développement d'un lanceur de satellites baptisé Ariane. Le vol inaugural du lanceur Ariane 1, le 24 décembre 1979, a permis à l'Europe d'acquérir son autonomie et de prendre une place significative sur le marché mondial du spatial, en réalisant plus de la moitié des lancements commerciaux dans le monde.

Malgré une concurrence internationale très largement financée par les gouvernements respectifs, Arianespace devrait procéder à 11 nouveaux lancements d'ici 2022. Pour rester compétitif, le groupe Ariane étudie actuellement une nouvelle version d'Ariane, dite Ariane 6, dont le premier vol, à titre d'essai, devrait se faire très prochainement, à partir de mi-2020. Le groupe étudie aussi un moteur à bas coût et à poussée variable appelé Prometheus, ainsi que Themis, un démonstrateur de récupération d'étage. Pour faire face à la concurrence, Ariane 6 compte sur trois avantages : elle sera moins chère, mieux adaptée aux satellites européens et, avec son moteur réallumable en cours de mission, elle pourra réaliser des opérations complexes, par exemple au service des constellations de satellites.

elonmlusk.jpgElon Musk

De Kourou le 26 novembre, Stéphane ­Israël, président exécutif ­d'Arianespace, a alerté sur l'offensive tous azimuts de l'américain Elon Musk, allant des satellites au lanceur. qui s'appuie sur les contrats institutionnels américains. Ceux-ci sont bien plus nombreux et à des prix plus élevés que les références européennes. Cette stratégie lui permet de casser les prix de ses lancements de fusées pour les clients hors des Etats-Unis. Dans son dernier projet, il envisage de construire, lancer et opérer 42 000 mini-satellites qui occuperont l'orbite terrestre basse  allant jusqu'à 2 000 kilomètres d'altitude. La présence de ces satellites représentera un danger permanent pour les satellites de taille normale.

L'Europe doit continuer de financer des projets d'une ampleur suffisante pour faire face à ceux annoncés non seulement par les Etats-Unis mais par la Chine. Ne pas le faire signifierait un abandon de souveraineté considérable. L'espace est devenu le support d'un nombre croissant d'activités dans la vie courante. . Si on y ajoute l'exploration des planètes et les missions militaires, c'est désormais une grande part de la survie des pays en tant que puissance qui s'y joue.

Il est difficile d'estimer le montant des crédits que les Etats européens devraient chaque année consacrer au spatial. Aujourd'hui, le budget de la seule Agence spatiale européenne est de l'ordre de 5,7 milliards d'euros soit cinq fois moins que celui de la Nasa qui est  de 22 milliards de dollars. La Commission européenne envisage de consacrer une enveloppe de 16 milliards d'euros en 3 ans pour développer le programme spatial, tous domaines confondus. Les vingt-deux ministres chargés de l'espace des pays membres de l'ESA qui se sont retrouvé à Séville, les  27 et 28 novembre, ont obtenu une hausse de 20 % de leur budget, par rapport à celui accordé à Lucerne (Suisse) lors de la dernière conférence en décembre 2016.

Mais si l'on considère que ces ministres devront partager ce budget sur trois ans entre les différents projets couvrant l'accès à l'espace, l'exploration, la compétitivité industrielle, les sciences, la sûreté et la sécurité, il faut admettre que ces sommes sont loin de permettre à l'Europe de rester compétitive face aux Etats Unis et à la Chine. Ne mentionnons pas les projets plus lointains mais essentiels de station lunaire habitée et de stations scintifiques martiennes permanentes. Concernant les Etats-Unis, s'ils sont en manque de ressources dans d'autres domaine que le spatial, ils veulent continuer à y assurer leur domination (spatial dominance)

Notes

1) Deux satellites de télécommunications ont été placés en orbite par le lanceur Ariane 5, mardi 26 novembre, pour le compte du gouvernement égyptien et d'un opérateur britannique, Inmarsat. La fusée a finalement été lancée depuis Kourou, en Guyane, après deux reports. Ces satellites sont dénommés TIBA-1 et GX5. TIBA-1 est un satellite de télécommunications civiles et gouvernementales lancé par Arianespace pour l'Égypte. Le satellite a été développé par Thales Alenia Space et Airbus Defence and Space. GX5 est un satellite de télécommunications mobiles, construit par Thales Alenia Space pour l'opérateur britannique Inmarsat. Il « supportera la hausse rapide de la demande de services de ses clients en Europe et Moyen-Orient, en particulier pour les connexions Wi-fi sur les vols commerciaux et pour les services maritimes commerciaux » avait indiqué par communiqué Arianespace.

2) On apprend le 29/11 que l'Allemagne est devenue le premier contributeur au budget de l'ESA, devançant de peu la France. 
Voir La Tribune

vendredi, 29 novembre 2019

F.B Huyghe : "Il y a un retour de la censure !"

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F.B Huyghe : "Il y a un retour de la censure !"

 
 
 
François-Bernard Huyghe, politologue, essayiste français et auteur de ce livre "L'art de la guerre idéologique" (ed du Cerf) est l'invité d'André Bercoff sur Sud Radio !

FRANCE (NOVOpress / https://fr.novopress.info )
François-Bernard Huyghe, politologue, essayiste français et auteur du livre “L’art de la guerre idéologique” (ed du Cerf) était l’invité d’André Bercoff sur Sud Radio.

Les actions des mouvements extrêmes, comme ceux des étudiants vegans qui refusent de s’asseoir dans une pièce où il y a un tableau de chasse du XVIIème siècle, traduisent “un mépris de la liberté” pour Bernard-François Huyghe. “Mais, au-delà de ça, il y a un retour de la censure” qui vient “de la post-gauche” et répond à un modèle “américain où les étudiants, au nom de leur sensibilité, se donnent le droit d’interrompre des conférences ou des expositions“.

Ce qui est intéressant, c’est pas qu’on soit devenu hyper-moraux, c’est qu’on le fait au nom d’une sensibilité de ceux à qui une opinion inverse serait insupportable“, explique l’auteur qui estime qu’on “rétablit un peu la crime-pensée” aujourd’hui.

Il y a une “américanisation de la vie intellectuelle” actuellement en France et une indignation permanente à laquelle “les réseaux sociaux contribuent beaucoup en permettant à chacun d’être un petit Jean Moulin“. Il y a également un “éclatement idéologique“, “une spécialisation“. Or “moins on est structuré idéologiquement, moins on a une représentation complète, plus on a tendance à dénoncer violemment l’autre pour des crimes qui seraient spirituels“.

 

«Le Nihilisme» par Pierre le Vigan

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«Le Nihilisme» par Pierre le Vigan

 

18:03 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nihilisme, philosophie, pierre le vigan | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 28 novembre 2019

Chroniques d'une fin de cycle : Les enfers parodisiaques

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L'anthologie des écrits de Pierre-Emile Blairon aux éditions du Lore !

Chroniques d'une fin de cycle : Les enfers parodisiaques

Pour toute commande: http://www.ladiffusiondulore.fr/home/781-chroniques-d-une-fin-de-cycle-les-enfers-parodisiaques.html

PEB-portrait.jpgDans le monde d’avant 1968, point de photographie du Président de la République française enlacé par deux jeunes hommes noirs, torses nus ; encore moins de plug anal géant défigurant la très distinguée place Vendôme à Paris. Et s’il n’y avait que cela…

Par quel « sortilège » de telles aberrations se présentent-elles comme banalités quotidiennes aux yeux d’une population aveuglée, presque éteinte ? Notre antique Kalos kagathos (le beau pour le bien) aurait-il été remplacé par « le laid pour le mal » ?

Les êtres différenciés observent que leurs familles, collègues de travail, voisins, semblent avoir perdu tout bon sens. Nous soustraire à ce processus de lobotomisation générale, telle est l’ambition à laquelle aspire l’auteur.

Vivre dans ce monde tout en n’étant pas de ce monde : c’est ainsi que Pierre-Emile Blairon propose au lecteur quelques clefs afin de comprendre le fonctionnement de l’ennemi.

Un ouvrage efficient à l’heure où sida mental et cancer moral semblent s’imposer.

L’auteur :

Né en 1948, Pierre-Emile Blairon réside près d’Aix-en-Provence.

HYPER003.jpgIl partage ses activités littéraires entre deux passions :

 - Les spiritualités traditionnelles : il anime la revue Hyperborée qui se consacre à l’histoire spirituelle de l’Europe et à son devenir. Son livre La Roue et le sablier résume la vue-du-monde de l’auteur et des collaborateurs de la revue.

 - La Provence : il anime la revue Grande Provence, a écrit plusieurs ouvrages sur la Provence secrète : La Dame en signe blanc, Le Guide Secret d’Aix-en-Provence, Le Guide Secret de la Côte d’Azur et deux biographies sur deux grands Provençaux : Jean Giono et Nostradamus.

SOMMAIRE

 Introduction

Chapitre I : Origines

-          Les solstices

-          Nos ancêtres ? Rien n’a changé, ce sont toujours les Gaulois !

-          Spiritualité païenne

Chapitre II : L’Algérie

-          Algérie française : la France doit être fière de l’œuvre accomplie !

-          1962 : l’abandon de l’Algérie ouvrait la porte au déferlement des populations africaines sur l’Europe

Chapitre III : La Provence

-          Nostradamus, le messager des dieux

-          De l’Avent à Caramentran

-          Provence et Tradition, entretien avec Thierry Durolle

-          Pour une « Grande Provence »

-          Homo festivus sur le cours Mirabeau

Chapitre IV : Chevaucher le tigre

-          Légitime défense et défense immunitaire : tout peuple qui se renie disparaît

-          La police de la pensée dans l’affaire Piquemal

-          Vergogna à tè chì vendi a terra !

-          17 novembre : fronde des automobilistes ou nouvelle Révolution française ?

-          Gilets jaunes : jacquerie française ou révolution planétaire ?

-          Guillaume Faye : un météore de la pensée vient de s’éteindre

Chapitre V : La décomposition

-          La République est-elle une valeur française ?

-          Aide aux « migrants » : compassion ou collaboration ?

-          Passeurs de clandestins : la mafia en cause

-          Voulez-vous manger des cafards ?

-          Signes religieux distinctifs : la kippa et… la mini-jupe

-          Le système à remplacer Dieu

-          Made for sharing : qui « partage » encore le respect de la langue française ?

-          La Morsure des dieux : le mariage de la terre et du ciel

-          La bicyclette est-elle une tradition française ?

-          Les mots qui font peur

-          Le problème des expulsions : une honte française

-          Villages à vendre

-          Architecture contemporaine : le triomphe de la vanité

-          Non, M. Wauquier, la république n’est pas la France !

-          Les nouveaux gladiateurs et l’hymne républicain Les manipulateurs sont au pouvoir

-          This is the end… : Fête de la musique 2018 à l’Élysée

-          La mode : les manipulations physiques de la subversion mondiale

-          L’art de la provocation

-          Les piétons sont-ils des Gaulois réfractaires ?

-          La disparition programmée de la langue française

-          Policiers et paysans : pourquoi se suicident-ils ?

Chapitre VI : Le nouveau cycle

-          Condition animale entre éco et égo, quelle est la responsabilité des humains ?

mercredi, 27 novembre 2019

Guénon, Saint-Point, and Agarttha

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Guénon, Saint-Point, and Agarttha
 
Ex: https://traditionalistblog.blogspot.com
 
A new collection in French casts light on the life of Valentine de Saint-Point (1875-1953), best known for the first part of her life as poet and novelist, Futurist and feminist, but also a convert to Islam (as Rawhiya Nour Eddine) and friend of René Guénon in Cairo. It is Valentine de Saint-Point. Des feux de l'avant-garde à l'appel de l'Orient (Valentine de Saint-Point: From the Fires of the Avant-garde to the Call of the Orient), edited by Paul-André Claudel and Élodie Gaden, and published by the Presses Universitaires de Rennes (2019) at €28.

The book consists of seven sections: artistic beginnings, artistic experiments, “Latin Sisters: Artistic and Theoretical Dialog with Italy,” feminism, politics, influences, and inheritance. Most of these deal with the avant-garde. The call of the Orient is dealt with primarily in the section on politics, in which three of four chapters cover the last three decades of Saint-Point’s life, spent in Cairo, and her Islam. They are by Frédérique Poissonier, Daniel Lançon, and Alessandra Marchi. Poissonier looks primarily at French diplomatic correspondence relating to the attempted expulsion from Egypt of Saint-Point for conducting Bolshevik propaganda, Lançon looks most importantly at Saint-Point’s short-lived Egyptian journal, Le Phœnix. Revue de la renaissance orientale (The Phoenix: Review of the Oriental Renaissance), and Marchi looks at Saint-Point’s conversion to Islam, which she compares to that of an Italian contemporary of Saint-Point, the Italian anarchist (and friend of Benito Mussolini) Leda Rafanelli (1880-1971).

The main source for the relationship between Guénon and Saint-Point is Saint-Point herself, writing in the newspaper L’Egypte nouvelle in 1952, on the first anniversary of Guénon’s death. She had been forewarned of Guénon’s arrival in Cairo, she wrote, and during the years before Guénon’s marriage in 1934 he had visited her weekly, and they spent many hours together. She was not, however, a disciple of his, having made her own study of religions and esotericism before she met him. His work contributed some details to her understanding that were interesting, but “not indispensable.”

One writer who seems to have been more indispensable for Saint-Point was an earlier French esotericist, Alexandre Saint-Yves d’Alveydre (1842-1909), who was also appreciated by Guénon. This, and the fact that the circles Saint-Point had inhabited in Europe connected with those that Guénon had inhabited, probably explains the close relationship between Saint-Point and Guénon.

Saint-Yves was best known for a political system, “synarchy,” that he proposed as an alternative to anarchy. He was also known for his description of Agarttha, a subterranean synarchical utopia located somewhere in Asia, probably in India. Agarttha was described in Saint-Yves’ Mission de l'Inde en Europe, mission de l'Europe en Asie. La question du Mahatma et sa solution (India's mission in Europe, Europe's Mission in Asia: The Question of the Mahatma and its Solution), written in 1886 but withdrawn from the press and then not published until after Saint-Yves’ death, in 1910. Its final publication was the work of Papus (Gérard Encausse, 1865-1916), the founder of the Martinist Order, to which Guénon had once belonged. Encausse had acquired Saint-Yves’ papers.

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Mission de l'Inde does not deal directly with the question of the Mahatma, which may have been added as a subtitle by Papus to improve sales. This question was raised by the Theosophist Helena Blavatsky (1831-91), who claimed to be in receipt of communications from enlightened adepts known as Mahatmas. It was never made clear who these Mahatmas were. Saint-Yves’ book suggests an answer: they were inhabitants of Agarttha, initiates who guarded the ancient, esoteric Tradition (given a capital T by Saint-Yves).

Guénon addressed the issue of Agarttha (now generally spelled Agartha) in Le roi du monde (The King of the World, 1927), treating accounts of it primarily as myth, and comparing them to other, similar myths. It seems, however, that he did on balance accept that Agarttha, or something like it, actually existed. So did Saint-Point, who wrote of Sufism as “anterior to Islam” and as connected to Agarttha. Guénon, of course, also saw Sufism as a repository of ancient, esoteric Tradition, though he would not necessarily have drawn a connection through Agarttha.

Saint-Point and Guénon agreed on a number of other points, too. Both valued Oriental civilization over Western civilization, which both condemned, and both were French converts to Islam. Again, there were differences, however. Saint-Point’s commitment to the Orient was political and activist, unlike Guénon’s. This was the motivation for her journal and the cause of her political difficulties, resolved only through the personal intervention of the French foreign minister, Aristide Briand (1862-1932), who knew Saint-Point’s ex-husband, Charles Dumont (1867-1939), a member of the French Senate who was twice minister of finance. Briand knew that Saint-Point was not a Bolshevik. Her anti-colonial agitation was probably inspired by Theosophy.

Saint-Point’s Islam was also different from Guénon’s. She admired Abd al-Aziz ibn Saud (1875-1953), the founder of the Kingdom of Saudi Arabia, who she saw as a “young patriot” who was “returning Muslimism [Musulmanisme] to its origins, to the Spirit.” She evidently knew little of Ibn Saud’s Wahhabism, and he probably appealed to her romantic view of Islam as “the religion of silence, the Voice that speaks in the desert, the poetry of horizons framed by the sands.”

Those who are interested in Agarttha and do not read French may refer to the English translation of Mission de l'Inde, as The Kingdom of Agarttha: A Journey into the Hollow Earth (Inner Traditions, 2008, $14.95), with an excellent introduction by Joscelyn Godwin which is recommended even to those who do read French.

[This post has been edited to remove a quotation incorrectly attributed to Saint-Point that was actually from Rafanelli.]

Aggravation de la situation militaire en Europe de l’Est

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Aggravation de la situation militaire en Europe de l’Est

Une politique de détente est de plus en plus urgente

Ex: https://www.zeit-fragen.ch

rt. Sans prêter attention à la rhétorique des médias, il est à l’heure actuelle avéré que depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, les Etats-Unis n’ont déclenché aucune nouvelle guerre – contrairement à ses prédécesseurs (Barak Obama: Syrie, Libye, continuation en Irak et Afghanistan; Bush jr.: Irak, Afghanistan). Au contraire, les troupes américaines se retirent de la Syrie, en Afghanistan on tente de trouver une solution pour le retrait, et il semble qu’on assiste à un retour au calme dans la zone de conflit en Ukraine orientale (suite aux bonnes relations entre Trump et le nouveau président ukrainien Zelensky).

Déploiement progressif à l’Est

Ce qui inquiète cependant de plus en plus les citoyens de nombreux Etats européens est le réarmement et le déploiement systématique de forces militaires aux frontières de la Fédération de Russie depuis 2014. Ce sont notamment:

  • le réarmement de plusieurs Etats d’Europe orientale par les Etats-Unis (pays Baltes, Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Moldavie, Bulgarie);
  • l’extension de bases militaires américaines pour l’armée, la marine et les forces aériennes;
  • le réarmement des Etats membres de l’OTAN (2% du Produit intérieur brut1 pour l’armement);
  • la réinstallation tacite de formations de chars allemands (certes pas pour des promenades dans la lande de Lunebourg);
  • les manœuvres de l’OTAN et les exercices de déploiements alliés de plus en plus importants à la frontière de la Russie (Defender 2020 avec 34 000 soldats)
  • la diabolisation systématique de la «Russie» depuis 2014;
  • la rhétorique offensive dans le domaine politique, comme les discours de la ministre allemande de la Défense Kramp-Karrenbauer ou de la nouvelle présidente de la Commission européenne von der Leyen;
  • le manque de volonté pour pacifier la situation de la part des Etats membres de l’UE et de l’OTAN;
  • la suspension d’accords de désarmement existants avec la Russie;
  • la poursuite de sérieuses sanctions contre la Russie, etc.

Champ de bataille en Europe

Le fait que l’armée russe ait entre-temps modernisé ses armes et soit en mesure, en cas de conflit, de déplacer la zone de conflit militaire à 1500 kilomètres vers l’Ouest, c’est-à-dire au cœur de l’Europe occidentale, est devenu évident après son engagement en Syrie.
Alors qu’on peut s’attendre à ce que l’industrie américaine de l’armement et ses lobbys influents aient un certain intérêt à l’escalade militaire pour accroître la production et l’exportation de ses produits, et que la politique américaine ait un intérêt à maintenir les emplois existants à l’intérieur du pays, il est beaucoup plus difficile de comprendre pourquoi la résistance des gouvernements des Etats européens à une telle escalade est si limitée.

Tirer les leçons du passé

Après les nombreuses guerres dévastatrices qu’ont vécues les Etats européens au cours du dernier siècle, il est bien connu et scientifiquement prouvé que les guerres sont systématiquement préparées à long terme et qu’elles sont «voulues» ou planifiées par certains groupes de personnes. Un tel processus peut également s’étendre à plusieurs Etats, par exemple dans le cadre d’une alliance:

  • par l’implication de certaines forces sociales et politiques dans un pays espérant tirer avantage d’une guerre ou pouvant être mis sous pression pour de tels objectifs;
  • en utilisant les médias pour établir et développer au sein de la population une image hostile de l’«ennemi», avec des moyens de la psychologie de masse (PR), pouvant être mobilisé à tout moment.
  • en modifiant successivement les lois ou les articles constitutionnels «dérangeants» et restreignant pour une politique belliciste agressive (p.ex. les réserves parlementaires ou le principe de neutralité);
  • par un réarmement militaire planifié et systématique;
  • par des mesures asymétriques et à bas seuil contre une puissance «hostile» (boycott, sanctions, guerre économique ou persécution «juridique» de personnalités politiques individuels);
  • en faisant de la surenchère médiatique de certains «événements / incidents»;
  • en développant une rhétorique belliciste et menaçante dans les médias et en politique;
  • par la rupture des relations diplomatiques;
  • par des actes de guerre.

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Lors d’un conflit militaire entre les Etats-Unis et la Russie, il semble aujourd’hui évident que l’Europe sera le champ de bataille, car ni les Etats-Unis ni la Russie voudront que les combats militaires aient lieu sur leurs propres territoires.

Tout engagement en faveur de la com­préhension entre les peuples est bénéfique

C’est pourquoi chaque pas contribuant à une désescalade est actuellement de grande importance. Tout effort visant à promouvoir la compréhension et la paix entre les peuples est un pas dans la bonne direction. Tout effort politique en faveur de la compréhension et du respect mutuels est important. Le respect du droit international et des objectifs liés à la création de l’ONU doit être placé de toute urgence au centre de l’engagement politique de tous les Etats.
Compte tenu de l’écart social s’élargissant constamment et de la menace d’une crise économique et financière, les Etats européens profiteraient énormément d’une «dividende de la paix». Celle-ci résulterait d’une politique étrangère et économique pacifique avec tous les Etats – notamment en éliminant toutes les dépenses improductives pour les armements militaires.    •

1 Il ne faut pas se laisser tromper par le chiffre de 2% du PIB. Le produit intérieur brut (PIB) mesure la production de tous les biens et services d’un pays après déduction de toutes les prestations déjà effectuées. En 2018, on a calculé pour l’Allemagne un PIB de 3,344 billions d’euros. Cela signifie que 2% correspondent à environ 66,88 milliards d’euros pour les dépenses militaires (le chiffre actuel est de 38,9 milliards d’euros en 2018). Il s’agit donc d’une énorme augmentation du budget militaire.

«L’OTAN aurait dû disparaître avec le bloc soviétique»

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«L’OTAN aurait dû disparaître avec le bloc soviétique»

Interview de Gabriel Galice,* économiste et politologue, Berne

Ex: https://www.zeit-fragen.ch

Créée pour combattre le communisme, l’OTAN aurait dû disparaître en même temps que l’URSS, estime Gabriel Galice, président de l’«Institut international de recherches pour la paix» (GIPRI) à Genève. Au lieu de cela, déplore-t-il, l’organisation militaire est devenue le bras armé des Etats-Unis.

Echo Magazine: Selon vous, l’«Organisation du traité de l’Atlantique nord» (OTAN) aurait dû être dissoute il y a longtemps. Pourquoi?

Gabriel Galice: Parce que l’ennemi qu’elle était censée combattre n’existe plus.

Comment cela?

Le traité de l’Atlantique nord a été signé en 1949. Son organisation politico-militaire, nommée OTAN, a été constituée l’année suivante par une douzaine d’Etats dont les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Italie et la France, pour parer à une attaque de l’Union soviétique. Or, cette menace a disparu avec l’effondrement de l’Empire soviétique en 1991.

Concrètement, qui était l’ennemi de l’OTAN?

Le pacte de Varsovie. Cette alliance militaire fut créée en 1955 en réaction à l’agrandissement de l’OTAN qui avait incorporé la Turquie, la Grèce et l’Allemagne de l’Ouest. Fondée sous la houlette de Nikita Khrouchtchev, alors premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique, elle réunissait l’URSS, les républiques populaires d’Europe de l’Est et la RDA (cf. encadré). Elle a été dissoute six mois avant l’effondrement effectif de l’URSS, le 1er juillet 1991.

Pourquoi, alors, l’OTAN n’a-t-elle pas été dissoute?

Il y a eu un moment de flottement résumé par cette déclaration d’un ancien amiral de l’OTAN en poste à l’époque: «On a essayé de remplacer l’OTAN par quelque chose, mais on n’a rien trouvé». La Russie avait tenté de se rapprocher de ses voisins en proposant, entre autre, avant la chute du mur en 1988, la «Maison commune européenne». Certains ont songé à refondre l’alliance en incluant l’ancienne puissance soviétique. Un comité Russie-OTAN a même vu le jour. Bref, on a bricolé. Jusqu’à ce que les tendances lourdes reprennent le dessus.

C’est-à-dire?

Les pressions des lobbys du pétrole et de l’industrie de la guerre, la lutte pour le contrôle des ressources naturelles, etc. A la fin des années 1990, les dirigeants de l’alliance militaire, poussés par le gouvernement des Etats-Unis, ont décidé de s’étendre vers l’Europe orientale, rapprochant ainsi dangereusement les troupes atlantistes de la frontière russe. L’ancien président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, décrit cette décision dans un livre paru il y a quelques jours, comme «la plus grande erreur stratégique de l’Occident».

Qu’y a-t-il de si dérangeant à voir l’OTAN s’agrandir si son but est de garantir la paix et la stabilité mondiales?

On confie la paix aux diplomates, pas aux soldats! Je doute que les populations afghane, irakienne et serbe considèrent l’OTAN comme un facteur de stabilité. Dans toutes les régions où ses troupes sont intervenues, les morts se comptent par milliers.
Et pourtant, l’organisation militaire ne cesse de grandir. Elle s’étend aux pays baltes et de l’Est et compte désormais 29 membres…
Si l’on voit l’OTAN, qui vient de fêter ses 70 ans, comme un bouclier contre le communisme, son extension constante à partir de la chute de l’Empire soviétique est incompréhensible. En revanche, si l’on considère cette superpuissance militaire pour ce qu’elle est devenue, un instrument de l’hégémonie américaine, tout devient clair.

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Un instrument de l’hégémonie américaine?

Le siège de l’OTAN est à Bruxelles, d’accord. Mais les Américains financent 70% du budget de cette armée de 3 millions d’hommes en service actif. Viennent ensuite l’Angleterre (6,2%), la France (5%), l’Italie (2,5%), le Canada (2,1%)… Ce n’est un secret pour personne: les Etats-Unis contrôlent cette armée, qui est la plus puissante du monde.
Or que disent les têtes pensantes de la première puissance mondiale, tel l’influent analyste américain Thomas Friedman, chantre de la mondialisation? «La main invisible du marché ne fonctionne pas sans un poing caché qui s’appelle l’armée, la force aérienne, la force navale et les Marines des Etats-Unis.» C’est limpide: la mondialisation va de pair avec un mouvement militaire de conquête des populations et des territoires.

Trente ans après la chute du mur, ce poing caché se tourne à nouveau vers la Russie…

Oui. L’OTAN assiège désormais la Russie. Ce n’est pas bon pour la paix – on l’a vu en Géorgie, en Ukraine, en Crimée, mais également en Syrie. La défense commune et solidaire (du monde libre, des démocraties) a été remplacée par le concept de sécurité. Beaucoup plus flou, celui-ci autorise les troupes américaines à intervenir partout et en tout temps, bien au-delà de l’Atlantique nord. Le seul fait de menacer une source d’approvisionnement d’un membre de l’alliance peut justifier une attaque. Si la Chine convoite du pétrole au Nigeria, cela peut être un motif d’intervention. Cette alliance non plus défensive, mais offensive, est une menace pour la paix.

L’OTAN a-t-elle un contrepoids aujourd’hui?

Oui. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), créée en réaction à son extension. Signée en 2001 entre Vladimir Poutine et l’ancien président chinois Jiang Zemin, cette alliance militaire et économique comprend également quatre pays d’Asie centrale (cf. encadré). Elle est passée à dix membres en 2016 avec l’arrivée du géant indien et de son voisin pakistanais. Deux puissances nucléaires de plus, auxquelles il faut ajouter une dizaine d’Etats partenaires et observateurs dont la Turquie (également membre de l’OTAN!) et l’Iran. A travers l’OCS, la Chine et la Russie font front commun contre les Etats-Unis et l’OTAN.

Entre l’OCS et l’OTAN, quelle marge de manœuvre pour l’Europe?

Nous devons tout faire pour échapper à cette double emprise – pour garder notre indépendance, mais aussi parce que les Chinois et les Américains pourraient s’entendre à nos dépens. Il faut se rapprocher des Russes qui ne cessent de nous tendre la main et qui, même s’ils sont alliés aux Chinois, se sentent européens. Alors soyons raisonnables, profitons-en pour nous rapprocher de Moscou. Ce serait préférable pour l’Europe et l’équilibre mondial.    •

(Propos recueillis par Cédric Reichenbach)

Source: Echo Magazine no 45 du 7/11/19. www.echomagazine.ch

Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN):
Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Italie, France, Belgique, Danemark, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Luxembourg, Islande (1949). Grèce et Turquie (1952). Allemagne (1955), Espagne (1982), République tchèque, Hongrie et Pologne (1999), Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie (2004), Albanie et Croatie (2009), Monténégro (2017).
Organisation de coopération de Shanghai (OCS):
Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan (2001), Inde et Pakistan (2016) et une dizaine d’Etats partenaires et observateurs dont la Turquie et l’Iran.

 

Quelle interprétation de l’eurasisme ?

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Quelle interprétation de l’eurasisme ?

 

par Yohann Sparfell

Ex: https://www.in-limine.eu

Chez de nombreux nationalistes et dissidents des nations occidentales, qui comprennent toutefois l’importance de prolonger leur idéal en direction du redressement spirituel et politique de la civilisation européenne, le néo-eurasisme est perçu de plus en plus, nous semble-t-il, comme une doctrine politique, géopolitique, et même métapolitique, intéressant exclusivement la Russie. Nous pensons que cette aperception des choses est issue d’une interprétation de cette nouvelle théorie politique qui émane principalement de deux éléments, historique et conjoncturel : d’une part le fait que l’eurasisme soit à son origine, c’est-à-dire au début du XXième siècle, l’aboutissement du travail intellectuel de penseurs russes, certains émigrés en Europe de l’Ouest (Mendeleev, Troubetskoï, Florovsky, Alexeïev, etc.) et, d’autre part, que la majorité des militants européens actuels ne saisissent pas toujours clairement la nécessité, simultanément à leur combat (consistant à stimuler et à affirmer la singularité d’une civilisation, la civilisation européenne, à partir de ce qui subsiste de ses fondements culturels et spirituels), de participer à l’élaboration d’une nouvelle théorie politique universelle propre à proposer de façon adéquatement différenciée à chaque civilisation un devenir qui s’ « abreuve » de la Tradition et qui s’oriente par rapport à la Centralité atemporelle de Celle-ci (cet enjeu hautain se situe donc au niveau supérieur de la doctrine, et au-delà, au niveau d’une vision spirituelle universelle du monde, avant même de pouvoir se situer au niveau inférieur, quoique essentiel, de son adaptation à une civilisation en particulier afin de lui restituer un Centre immatériel inspiré par cette vision supérieur du monde, bref, d’instaurer un Imperium européen).

Le premier élément, historique, ci-dessus mentionné, pourrait sembler surmonté par l’effet du temps, mais en apparence seulement, surtout chez certains nationalistes de l’Europe de l’Est principalement, puisqu’il joue encore, du fait de son origine russe, un rôle répulsif tant il est vrai que l’eurasisme représente pour eux un idéal oriental, asiatique, donc strictement étranger à la culture européenne originelle, et qui plus est, amalgamé au passé bolchévique. Il est exact que l’eurasisme initial s’appuyait grandement sur un « fusionisme » slavo-turco-musulman en phase avec la vision d’une destinée impériale singulière multi-ethnique et multi-nationale de la Russie intégrant ses aspects européen et turco-mongol. Il était effectivement l’aboutissement doctrinal d’une volonté, dans l’esprit de ces penseurs russes exilés, consistant à redonner des perspectives véritablement impériales à la Russie, c’est-à-dire d’en faire le siège du Centre politique et spirituel d’une civilisation prétendument singulière, suite aux enseignements qu’ils ont pu tirer de la révolution bolchevique. Mais le but ici n’est pas d’analyser, même brièvement, cet eurasisme originel car nous pensons pour notre part que le néo-eurasisme, que nous participerons ici à faire mieux appréhender sous le vocable d’« eurasisme », tout simplement, a su dépasser, grâce aux travaux et aux relations internationales soutenus par Alexandre Douguine et bien d’autres, l’espace auquel il s’était donné pour tâche sacrée à l’époque de redonner une Vie spirituellement ordonnée. Il nous faut aujourd’hui « européaniser » cette pensée féconde, car elle est, en réalité, issue de l’Europe même, de l’expérience historique de cet Europe slavo-caucasienne étendue aux nations touraniennes limitrophes.

Le second point, que nous avons qualifiés de conjoncturel, pourrait être lié au fait que la Russie s’affirme de plus en plus comme un acteur majeur du jeu géopolitique mondial actuel. Partant, ce qui est perçu de façon croissante comme une Nation qui non seulement voudrait affirmer sa singularité telle une civilisation en propre mais qui, dans le même temps, est victime d’un ostracisme de la part du cartel des pays occidentaux (sous la pression américaine), se voit bénéficier, et ce d’un point de vue qui peine à comprendre la nécessité actuelle d’une nouvelle démarche spirituel et politique vers l’universel, d’une théorie politique « appropriée » qui serait donc prétendument adaptée à son paradigme culturel, géographique et historique, voire ethnique (ce qui en soit est un non sens puisque la Russie est ethniquement et majoritairement indo-européenne), : l’eurasisme. Dans l’esprit de ces contempteurs de l’univers russe, ainsi d’ailleurs que de beaucoup d’eurasistes russes eux-mêmes, l’eurasisme serait par conséquent le prolongement doctrinal d’une césure civilisationnelle séparant la Russie du reste de l’Europe, position affirmée par Douguine lui-même (qui estime que la Russie est une civilisation orientale fortement influencée par la culture touranienne. Mais nous pourrions répondre que l’Europe, plus à l’ouest et au sud, a aussi été influencée par les cultures touranienne sans pour autant qu’elle n’en reste européenne). Il est tout à fait exact de dire que cette doctrine prend directement en compte les situations géographique et géopolitique russes au sein du Grand Continent Eurasien et la réalité socio-culturelle des peuples divers qui composent la Fédération de Russie aujourd’hui en phase d’affirmation empreinte d’incertitudes et d’hésitations à l’égard du reste de l’Europe. Cette nouvelle théorie politique, et spirituelle (ce qu’elle se doit d’être en tout premier lieu – mais nous y reviendrons), est centrée (et ce terme est d’importance à cet égard) sur une réalité des rapports internationaux actuels et une certaine aspiration qui en découle logiquement (sentiment d’exclusion de la sphère originelle européenne – sanctions, présence de l’OTAN aux frontières occidentales de la Russie, etc.). Il est bien entendu que cette aspiration motivée par la réalité actuelle d’un Occident en perte d’hégémonie ne saurait qu’être mis en parallèle avec l’absence de réelle aspiration autonome d’une Union Européenne engluée dans son atlantisme et son néo-libéralisme destructeur.

La démarche russe vers une vision civilisationnelle auto-centrée est fondée d’après la position centrale de cette immense Nation, position tout autant historique que géographique issue de la rencontre des peuples indo-européens et de peuples touraniens dans leur marche eschatologique respective, les premiers cherchant le levant et les immensités continentales du sud-est, les seconds le couchant et l’ouverture vers les mers occidentales du sud-ouest. Il ne saurait être question de nier l’Histoire, ni d’ailleurs la réalité de la mission historique d’une Nation indo-européenne qui devait pousser vers l’Est et les Grands Espaces eurasiens pour l’affirmation du pouvoir européen en Eurasie. L’eurasisme se fonde sur la reconnaissance des implications de cette aventure humaine guerrière et créatrice ayant finalement abouti à une Fédération de peuples multi-ethniques (mais avec l’ethnos slavo-caucasien au centre de cette dynamique nationale) dont la particularité est d’assumer aujourd’hui à elle seule un rôle de pivot et d’ouverture entre l’Orient et l’Occident. La Russie actuelle, avec les nations indépendantes qui lui sont historiquement, culturellement et économiquement liées, ainsi que spirituellement (soit l’Arménie, la Géorgie, la Biélorussie, l’Ossétie, etc.), participent bien à leur manière d’une civilisation qui s’est étendue historiquement au cœur de l’Eurasie, soit l’Europe, d’où elles jouent en réalité le rôle de lien entre cette dernière et l’Orient (Chine, nations turciques centre-eurasiennes et nations principalement d’origine indo-européennes du Sud eurasien : Iran, Inde). Son héritage européen primordiale, et toujours actif dans la pensée eurasiste même, ne saurait édulcorer une réalité rendue bien plus complexe et diverse par sa rencontre avec l’Orient, d’autant plus assumée de par son extension au sein du continent eurasiatique jusqu’au Pacifique (les Cosaques atteignent le Pacifique en 1640) et le Caucase (annexion de diverses nations caucasiennes au début du XIXième siècle : Arménie, Daghestan, Azerbaïdjan), ce qui a renforcé d’une certaine façon sa singularité par rapport au reste de la Mère Patrie européenne. Mais d’une certaine façon seulement car les liens, pour être distendus, n’en sont pas moins présents vers l’Europe dans une vision partagée de l’homme que l’on pourrait à juste titre relier à un « humanisme » européen originel hérité des traditions pré-chrétiennes aujourd’hui en grande partie dévoyées dans le catholicisme réformé, mais mieux conservés dans l’orthodoxie russe. La Russie est et restera européenne, si l’Europe, et elle-même, le veulent !

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L’eurasisme est donc issu d’une prise de conscience de la généalogie d’une Nation singulière au sein de laquelle ce courant d’idée apparu, avec tout ce qu’une telle connaissance peut être à même d’engendrer au crépuscule d’un monde qui s’efforce de nier la réalité profonde et sacrée de l’affirmation de la personnalité (à l’antithèse de l’individu). L’eurasisme est donc une approche civilisationnelle, impliquant profondément une démarche spirituelle, et géopolitique, pour laquelle importe avant toutes choses que les hommes, ainsi par conséquent que leurs communautés, puissent s’assimiler la force supra-humaine qui les fit naître singulièrement au sein du monde créé, et s’affirmer au travers elle. De Vladivostok à Lisbonne, cette affirmation est européenne. L’eurasisme est d’essence européenne, même si sa portée spirituelle se doit être universelle.

L’eurasisme est donc né d’une prise de conscience de la constitution originelle, spirituelle et singulière d’une Nation eurasienne (dans le mot « Eurasie », il y a Europe autant que Asie !) de la part de penseurs politiques et de philosophes russes qui avaient touché du doigt l’essence sacrée et axiale de sa « présence au monde ». Nous avons vu que cette théorie politique, malgré qu’elle ait pu être inspirée par la singularité de l’Histoire russe et qu’elle soit néanmoins profondément européenne (mais non occidentale), peut avoir pour destinée d’intéresser (dans une volonté mondiale d’instaurer une affirmation et, dans le meilleurs des cas, une harmonie des civilisations) l’ensemble des civilisations humaines, mais surtout d’être un mode de pensée au travers duquel celles-ci sauront à même de pouvoir dominer leur devenir. Il faut bien comprendre que l’eurasisme se veut être une nouvelle théorie dite « politique » qui, pour autant, est d’abord et plus profondément d’essence spirituelle. Elle nous invite en tout premier lieu à nous réorienter par rapport à un Centre qu’il nous sera nécessaire de découvrir au cœur de chaque civilisation comme de chaque communauté et personne la composant. Ce Centre n’est pas fondamentalement différent d’un point à un autre (d’une entité humaine à l’autre), mais il est d’une même Nature spirituelle partout, de formes diverses dans ses manifestations singulières, mais pourtant Un en chaque émanation de l’Être. C’est en cela que l’eurasisme peut représenter le moteur spirituel de l’élévation des esprits vers une nouvelle interprétation de l’universel, un universel qui ne saurait être confondu avec l’uniformité (ou, ce qui revient pratiquement au même, à l’universalisme), à moins de vouloir corrompre ce qui constitue les fondements de cette nouvelle théorie. En d’autres termes, l’eurasisme est une volonté opportune d’orientation vers la Tradition et son Centre céleste que notre civilisation européenne, Russie incluse, situa en Hyperborée, où nous aurons bien le besoin, il va sans dire, de nous ressourcer.

Cette nouvelle théorie, dont on a vu qu’elle est d’essence européenne et d’esprit universel (sans pour autant en faire un nouvel universalisme), est en outre politique et géopolitique, et donc pleinement apte à s’intégrer à l’espace planétaire de la pensée humaine du XXIième siècle qui prend peu à peu conscience de l’inconséquence aporétique dans lequel l’enferme la théorie néo-libérale, seule rescapée et en même temps héritière des fourvoiements idéologiques du XXième siècle. Cette théorie est donc amenée à participer au renouvellement radical (dans le sens réel du terme, c’est-à-dire qui revient à la racine, à l’essence des « choses ») d’une pensée politique qui s’est effectivement articulée jusque présent autours des trois théories politiques que sont le communisme, le nationalisme et le libéralisme, y compris dans toutes leurs variantes, jusque récemment, donc incluant la forme postmoderne du libéralisme : le post-libéralisme impolitique qui s’est de manière insidieuse immiscée en chacune des civilisations de façon à leur ôter toute réelle vocation et leur empêcher de participer à une nouvelle harmonie internationale nommée multipolarité ou encore mieux, polycentricité. Parce que l’eurasisme est aussi, et en second lieu après son approche affirmée d’une réorientation spirituelle du monde, la théorie de la multipolarité civilisationnelle qui, à son tour, intéresse l’ensemble des civilisations ainsi que des communautés humaines en cours de réaffirmation et de ré-identification à leurs fondements originels.

Mais si l’eurasisme est une théorie géopolitique, centrée sur l’essence spirituelle des civilisations et sur les rapports singuliers qu’elles entretiennent à leur propre espace (espace ayant participé à leur fondation charnelle), elle est donc aussi une théorie politique, la Quatrième Théorie Politique, dont la particularité est justement de vouloir redonner au terme même de « politique » une légitimité au regard du devenir des communautés humaines. Le politique doit justement redevenir un Art au travers duquel les personnes pourrons, et même devrons, se réorienter elles-mêmes vers le centre ordonnateur et harmonisateur de chaque communauté dont elles sont membres, vers leur propre manière d’ « habiter le monde ». La décision, qui se doit de se nourrir de la multiplicité des points de vues exprimés librement, retrouvera en dernier lieu une centralité qui la soustraira de toute obscurité liée aux instabilités de la matière (c’est-à-dire des vicissitudes liées au monde inférieur de la nécessité). La centralité et la multiplicité ne devront plus être antinomiques mais devront au contraire pouvoir se réaffirmer conjointement au travers du politique et du compromis qui lui est lié, tout comme du spirituel, qui s’incarneront dans le Bien commun. L’eurasisme est une théorie politique qui porte en elle ce principe hautain visant à élever le politique au-dessus des conflits d’intérêts (notamment économiques) et de le soumettre à la supériorité du spirituel (par le biais du Bien commun tel que nous le comprenons et tel qu’il doit être compris dans l’optique de la Quatrième Théorie Politique), au travers d’une reconnaissance toute singulièrement européenne et de l’inéluctabilité des jeux de pouvoir et de la nécessité de les circonscrire au sein d’une juste hiérarchie.

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Au vue de ce qui précède, nous considérons qu’il serait tout à fait inopportun d’estimer que l’eurasisme puisse intéresser exclusivement l’univers russe, ou adapté spécifiquement à cet univers « oriental » (par rapport au reste de l’Europe), malgré que cette théorie ait été marquée par cette spécificité depuis son origine pour s’ouvrir inévitablement vers l’universel par la suite. Les militants européens auraient donc toute légitimité à s’en réclamer à l’égard d’une nouvelle affirmation de l’Europe qui paraît encore, somme toute, hypothétique au vue du manque cruel de volonté de ses dirigeants actuels (manque de volonté de se dégager de l’hégémonisme unipolaire américain hérité des deux grandes guerres du XXième siècle, comme du totalitarisme rampant du post-libéralisme « libéré » du politique et des enracinements). Et si la civilisation européenne pouvait avoir une chance de se ré-élever (et redevenir Kultur !) en nous efforçant d’étudier et d’adapter les idées de l’eurasisme (et donc la doctrine d’une Quatrième Théorie Politique européenne), ce ne serait justement pas pour dévier de ce qui fait la singularité du langage et de l’Idée originelle de notre civilisation (puisque l’eurasisme, comme nous l’avons déjà dit, est d’essence européenne selon nous), mais au contraire, pour pouvoir l’affirmer au regard d’une théorie politique et géopolitique qui fait des civilisations et de leur singularité les axes autours desquels devront s’articuler de nouvelles théories et de nouvelles pratiques distinctives au sujet de l’homme et de ses relations à l’Autre et son environnement.

L’eurasisme n’est donc pas étranger à l’Europe car il s’agit là en réalité du nom donné à une nouvelle théorie politique, avec un volet géopolitique crucial, que chaque civilisation devra aborder et s’approprier à sa façon et selon sa propre vision originelle du monde et de l’homme. L’enjeu n’est pas, effectivement, de s’efforcer de regarder le monde par le petit bout de la lorgnette russe, mais bel et bien d’asseoir et d’affirmer notre propre vision du monde originelle européenne (que nous avons en partage avec les nations ethniquement européennes à l’est du Dniepr) tout en nous efforçant de dépasser les chimères qui, jusqu’à aujourd’hui encore, nous servent de guides intellectuels dans nos errements inconséquents.

Nous pouvons d’ailleurs émettre aujourd’hui un autre argument en faveur de l’eurasisme qui puisse en faire un instrument conceptuel, mais aussi réaliste, visant à faire ré-émerger l’Idée européenne (un humanisme originel ayant une vision réaliste de l’homme) des limbes dans lesquelles l’ont plongés les idéologues néo-libéraux. La Russie et les nations qui gravitent historiquement autours, comme précédemment mentionnées, sont primordialement de culture européenne, comme nous avons déjà pu l’exprimer ici. Mais, la réalité géopolitique du monde actuel, incitant à ce que la multipolarité s’affirme dans les rapports internationaux, tendra en outre à faire que les entités nationales de l’ex-URSS et les autres nations européennes se rapprochent de plus en plus de façon à intensifier leurs coopérations et leur intégration face aux tentatives ou potentialités hégémoniques émanant d’autres pôles plus puissants comme l’Amérique du Nord ou la Chine. Elles le devront aussi du fait des menaces qui, déjà, frappent à leur porte, notamment celles concernant l’immigration de masse et le terrorisme islamiste. C’est sans doute, et ce en vertu de la réalité des tendances des relations internationales actuelles, l’ensemble civilisationnel regroupant les nations russo-eurasiennes et européennes (de l’actuel UE), grâce à une coopération étroite et suivie, qui sera le Grand Espace au sein duquel l’eurasisme, dans toute l’Europe, devra s’affirmer une fois dépassés les vieilles rancœurs qui, encore, alimentent les discours officiels de dirigeants et de médias qui restent désespérément accrochés à leurs lubies idéologiques et leurs dépendances (sous)-culturelles. Cela doit être un argument de plus en faveur du fait que l’eurasisme, et la Quatrième Théorie Politique, non seulement ne sont pas exclusivement liés à la Nation russo-eurasienne (la Fédération de Russie et ses nations « satellites »), mais en outre qu’elle peut être à même de permettre de refonder un Grand Espace géopolitique (et spirituel) euro-asiatique (ou eurasien) qui pourra être à même de s’affirmer dans le chaos mondial actuel résultant de la dilution d’un ordre des rapports internationaux qui ne peut résister aux problèmes et contradictions qu’il a lui-même engendré dans le cours hégémonique du néo-libéralisme triomphant (la « Grande Europe » de Rejkjavik à Vladivostok).

L’eurasisme est une arme conceptuelle (tout en étant plus fondamentalement la clef doctrinaire de la réémergence possible du logos originel européen devant ouvrir à une nouvelle conscience spirituelle et communautaire civilisationnelle) qui intéresse primordialement l’Europe et la Russie en tant que Nation européenne, ensembles, unies par une volonté nouvelle d’inspirer un monde capable de dépasser (mais non d’annihiler) l’antagonisme entre l’universel et l’individuel. Ce que nous pourrons fonder de façon préliminaire de par nos relations entre les nations européenne et russo-eurasienne, et de par les relations alors plus assurées entre l’Europe et les autres civilisations mondiales, seront à la base d’un nouvel ordre de rapports internationaux qui devra émaner d’un respect du à chaque singularité et de relations non basées sur l’hégémonie et l’unilatéralisme.

Nous pouvons par conséquent nous réclamer avec force et conviction de l’eurasisme tout en ayant une foi profonde et enracinée à l’égard du devenir de l’Europe, en tant qu’européistes (malgré tous les à priori qu’inspirent ce terme à un certain nombre de néo-souverainistes) . Nous ajoutons même, que l’un engage fortement l’autre puisque l’eurasisme est un engagement en faveur de la renaissance et de la Puissance de notre civilisation européenne dont nous pouvons alors prendre conscience de ses potentialités en tant que pôles géopolitiques prenant une part considérable, si ce n’est fondamentale, au renouvellement radical des relations internationales (d’où l’importance aujourd’hui à ce qu’un Imperium européen post-UE s’associe étroitement aux initiatives russes de redéfinition des rapports internationaux et inter-civilisationnels). L’eurasisme n’est, en effet, pas séparable du projet de construction d’un ordre mondial organisé autour du principe de la multipolarité. Il n’est pas séparable, non plus, d’une vision organique des communautés humaines qui inclus les régions, les nations, les ethnies et les peuples dans un respect de la diversité culturelle, politique et spirituelle qui devra structurer le monde multipolaire à venir. L’eurasisme, si l’on peut dire, est un globalisme de la « périphérie » qui se doit de s’élever contre le globalisme du « centre » imposé, entre autres, par l’arme déstructurant des « droits de l’homme » et par le Marché. Nous pouvons d’ailleurs constater que, de ce point de vue, le mouvement des Gilets Jaunes, d’une certaine façon et de façon relative, s’engage inconsciemment dans cette voie, et est donc partie prenante de ce combat eurasiste.

L’eurasisme n’a aucune « vérité révélée » à imposer d’une façon ou d’une autre aux peuples et aux civilisations car il englobe une prise de conscience de la nécessité de respecter les diverses visions du monde qui construisent les humanités. Sa structure théorique s’appuie sur une appréciation spatiale (non principalement selon le sens anglo-saxon du terme, soit une ambition tournée vers la conquête, horizontale, mais selon une vision « cosmique » qui donne priorité à l’ordre et à l’harmonie, verticale) des civilisations dont l’enjeu primordial est pour chacune d’entre elles de pouvoir bâtir leur devenir à la lumière de leur tradition, tout en participant activement à l’élaboration d’un nouveau type de relations internationales au cœur desquelles s’imposeront une pleine conscience des réalités géographiques (économiques, énergétiques, etc.) ainsi que des différences d’approches culturelles, voire spirituelles et religieuses, plus ou moins reliées à ces réalités.

L’eurasisme est donc un appel à une nouvelle tentative d’harmonisation du monde, dont il est su au préalable qu’elle sera toujours en chantier, et non pas un quelconque espoir en faveur d’un nouvel idéalisme, de nouvelles croyances, soit une nouvelle idéologie abstraite. C’est une nouvelle théorie politique et géopolitique qui est une conscience de ce que le monde ne saurait se plier à la contrainte d’idéologies abstraites sans se sacrifier sur l’autel du vice et du faux (les abstractions sont des constructions inséparables de la pensée qui ne doivent pas pour autant s’imposer dans les esprits comme buts. Comme l’écrivait Heidegger, le mot allemand bauen veut dire bâtir, mais aussi habiter, signifiant en cela que nous ne saurions échafauder sans y trouver profondément un sens dans la réalité en fonction de la singularité de nos être-là, de notre façon d’être-dans-le-monde). C’est en cela que l’eurasisme est un dépassement, une Nouvelle Théorie, qui se positionne entre les fondamentaux de l’homme et ses responsabilités quant à son accomplissement par et pour son monde. L’eurasisme nous offre à ce titre une perspective qu’il appartient à chaque civilisation de mettre en œuvre selon sa propre weltanschauung.

L’eurasisme européen (de Lisbonne à Vladivostok et de Hammerfest à Erevan) peut donc devenir une réalité dans nos cœurs, dans nos pensées et nos actes pour peu que nous sachions bien comprendre ce qui en fait sa force et toute sa potentialité rénovatrice et créatrice. C’est pour cela, en tout cas, que nous-mêmes nous nous reconnaissons en tant qu’eurasiste et que nous désirons contrer la tendance actuelle en Europe à vouloir refouler cette Idée dans les strictes limites d’une « civilisation » russo-eurasienne qui est plutôt, en réalité, une part inespérée et un tant soit peu préservée de l’ancienne Kultur européenne. Puissions-nous en réalité nous inspirer aujourd’hui de cette Sainte Sagesse qui y a été relativement épargnée des affres de la Modernité par une Histoire à mille lieux des chemins perfides de la démocratie libérale.

Il devient indispensable de tourner le dos à une certaine vision de la géopolitique qui en fait toujours l’instrument scientifique au service de l’extension d’une puissance malsaine et illusoire, bref, de l’impérialisme. La géopolitique doit devenir pour nous, et dans le respect des différences culturelles et spirituelles, un outils au service d’une nouvelle harmonie entre les nations et les civilisations. L’Europe et ses nations doivent pouvoir y puiser la force de réorienter leur devenir en accord avec les grands projets mondiaux qui, au fils des ans, changeront radicalement l’ordre du monde (nous pensons ici entre autres au projet de Nouvelle Route de la Soie – Belt and Road Initiative – mené par la Chine) ; mais à la condition que nous ayons acquis au préalable les conditions, tant économiques, politiques que culturelles, de les accueillir favorablement et équitablement.

L’eurasisme est une Idée que les peuples et les civilisations devront s’approprier en fonction de leur propre vision du monde. Elle est donc l’alpha d’un mouvement créateur singulier et propre à chacun dont l’aboutissement, l’omega, devra être le dépassement de limites qu’aujourd’hui nous subissons de par l’hybris mondialiste. Elle est une force, nous le rappelons, qui nous fera élever l’Idée européenne, et qui, en outre, nous fera réinterpréter à la lumière de notre humanisme originel la présence de la France en Europe et dans le monde.

L’eurasisme repose essentiellement sur cette réorientation, et c’est bien la raison pour laquelle il serait injuste de prétendre qu’il ne saurait intéresser que la Nation russe (sinon nous ne parlerions que du sens vulgaire et galvaudé de l’ « intérêt », du sens individualiste). Il sera bien plutôt au centre de l’intérêt (inter-esse, être ensemble) des peuples européens, russe inclus, donc au centre de la Nation européenne sous la forme de l’européisme. Il n’existe pas essentiellement de civilisation russo-eurasienne selon nous, n’en déplaise à notre ami Alexandre Douguine, il existe par contre des cultures, des façon d’ « habiter » le monde, russe, arménienne, française, allemande italienne, islandaise, etc. qu’il s’agit alors d’unir de nouveau sous les Principes intemporelles et « originelles » de la civilisation européenne.

 

Yohann Sparfell

mardi, 26 novembre 2019

Les bobos sont aux commandes. Mais qui sont-ils vraiment?

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UNE CLASSE À PART

Les bobos sont aux commandes. Mais qui sont-ils vraiment?

par Luc Gaffié

Les bourgeois bohèmes sont partout. Ils ont investi l’administration, les médias, la recherche, l’instruction publique. On en parle tout le temps… mais que sait-on d’eux ?


Utilisé à l’origine pour décrire une réalité sociologique américaine bien précise, le terme bobo en est venu à désigner une forme d’esprit et une mentalité qui affecte l’ensemble des nouvelles classes dirigeantes des pays occidentaux.


Le bobo excelle à dissimuler le luxe sous des apparences de simplicité et à affecter une générosité de façade. Il est partisan d’un enseignement public où il évite de placer ses propres enfants. Il milite pour l’immigration et le vivre ensemble, mais vit en milieu fermé. La tête dans les nuées, mais les pieds fermement ancrés dans les ornières du pouvoir et du profit, le bobo est prêt à saper les piliers même de la société qui le nourrit. L’actualité récente en fournit d’éclatants exemples.


Au-delà d’un tableau de mœurs féroce et souvent comique, Luc Gaffié met en évidence des stratégies de caste suicidaires. L’hypocrisie bobo érigée en mode d’être aura-t-elle raison de notre civilisation ?

Essai | Société | ISBN 978-2-88892-199-8 | 13×20 cm., 168 p., 15 €

Is Macron Right? Is NATO, 70, Brain Dead?

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Is Macron Right? Is NATO, 70, Brain Dead?
 

A week from now, the 29 member states of “the most successful alliance in history” will meet to celebrate its 70th anniversary. Yet all is not well within NATO.

Instead of a “summit,” the gathering, on the outskirts of London, has been cut to two days. Why the shortened agenda?

Among the reasons, apprehension that President Donald Trump might use the occasion to disrupt alliance comity by again berating the Europeans for freeloading on the U.S. defense budget.

French President Emanuel Macron, on the 100th anniversary of the World War I Armistice, described NATO as having suffered “brain death.” Macron now openly questions the U.S. commitment to fight for Europe and is talking about a “true European Army” with France’s nuclear deterrent able to “defend Europe alone.”

German Chancellor Angela Merkel, whose nation spends 1.4% of GDP on defense and has relied on the U.S. and NATO to keep Russia at bay since the Cold War began, is said to be enraged at the “disruptive politics” of the French president.
Also, early in December, Britain holds national elections. While the Labour Party remains committed to NATO, its leader, Jeremy Corbyn, is no Clement Attlee, who took Britain into NATO at its birth in 1949.

Corbyn has questioned NATO’s continued relevance in the post-Cold War era. A potential backer of a new Labour government, Nicola Sturgeon of the Scottish National Party, is demanding the closing of Britain’s Trident submarine base in Scotland as a precondition of her party’s support for Labour in Parliament.

Also present in London will be NATO ally Turkey’s President Recep Erdogan.

Following the 2016 coup attempt, Erdogan has purged scores of thousands from his army and regime, jailed more journalists than any other authoritarian, purchased Vladimir Putin’s S-400 missile system as Turkey’s air defense, and ordered the U.S. forces out of his way as he invaded northern Syria, killing Kurdish fighters who did the bleeding and dying in the U.S.-led campaign to crush the ISIS caliphate.

During the Cold War, NATO enjoyed the widespread support of Americans and Europeans, and understandably so. The USSR had 20 divisions in Germany, surrounded West Berlin, and occupied the east bank of the Elbe, within striking distance of the Rhine.

But that Cold War is long over. Berlin is the united free capital of Germany. The Warsaw Pact has been dissolved. Its member states have all joined NATO. The Soviet Union split apart into 15 nations. Communist Yugoslavia splintered into seven nations.

As a fighting faith, communism is dead in Europe. Why then are we Americans still over there?

Since the Cold War, we have doubled the size of NATO. We have brought in the Baltic republics of Estonia, Latvia and Lithuania but not Finland or Sweden. We have committed ourselves to fight for Slovenia, Croatia, Albania and Montenegro but not Serbia, Bosnia or North Macedonia.

Romania and Bulgaria are NATO allies but not Moldova or Belarus.

George W. Bush kept us out of the 2008 Russia-Georgia clash over South Ossetia and Abkhazia. And Barack Obama refused to send lethal aid to help Ukraine retrieve Crimea, Luhansk or Donetsk, though Sen. John McCain wanted the United States to jump into both fights.

In the House Intel Committee’s impeachment hearings, foreign service officers spoke of “Russian aggression” against our Ukrainian “ally” and our “national security” being in peril in this fight.

But when did Ukraine become an ally of the United States whose territorial wars we must sustain with military aid if not military intervention?

When did Kyiv’s control of Crimea and the Donbass become critical to the national security of the United States, when Russia has controlled Ukraine almost without interruption from Catherine the Great in the 18th century to Mikhail Gorbachev in the late 20th century?

Among the reasons Trump is president is that he raised provocative questions about NATO and Russia left unaddressed for three decades, as U.S. policy has been on cruise control since the Cold War.

And these unanswered questions are deadly serious ones.

Do we truly believe that if Russia marched into Estonia, the U.S. would start attacking the ships, planes and troops of a nation armed with thousands of tactical and strategic nuclear weapons?

Would NATO allies Spain, Portugal and Italy declare war on Russia?

In 1914 and 1939, in solidarity with the mother country, Britain, Canada declared war on Germany. Would Justin Trudeau’s Canada invoke NATO and declare war on Putin’s Russia — for Estonia or Latvia?

Under NATO, we are now committed to go to war for 28 nations. And the interventionists who took us into Iraq, Syria, Libya and Yemen want U.S. war guarantees extended to other nations even closer to Russia.

One day, one of these war guarantees is going to be called upon, and we may find that the American people were unaware of that commitment, and are unwilling to honor it, especially if the consequence is a major war with a nuclear power.

Patrick J. Buchanan is the author of “Nixon’s White House Wars: The Battles That Made and Broke a President and Divided America Forever.”

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Retour sur l’identité juridique française

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Retour sur l’identité juridique française

par Valérie Bugault
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
À quelles conditions l’a-France peut-elle redevenir la France?

Les évolutions juridiques françaises et internationales, invitent à se poser la question du « droit » : quelle est ou quelle doit – ou quelle devrait être – sa nature ? Est-il nécessaire ? Quelles sont les conditions de sa légitimité ? Comment se caractérise-t-il, doit-il être socialement encadré ?

En réalité, répondre à ces questions nécessite d’identifier ce qu’est, fondamentalement, ontologiquement le « droit ».

Le « droit » et sa disparition

Le « droit » au sens continental et traditionnel du terme s’entend d’un pouvoir normatif ayant pour vocation de réguler et d’organiser la vie en commun d’un groupe identifié de personnes. Il doit donc, pour être accepté par tous, développer les outils permettant de rechercher la vérité, l’équité et l’équilibre dans les relations humaines. En ce sens, le « droit » n’est pas et ne saurait ontologiquement être l’imposition par la force d’intérêts privés ; il est, au contraire, la recherche d’une optimisation fonctionnelle des relations qui existent sur un territoire déterminé.

Ainsi compris, le concept de droit n’existe que s’il est vertueux. Pour parler le langage « économiste », la vertu juridique peut être comprise comme étant la recherche du profit social optimal, , qu’il faut comprendre comme le « plus petit dénominateur commun », celui qui bénéficie effectivement à tous.

Le droit doit chercher à rendre « service » à la collectivité à la fois dans ses objectifs, dans ses moyens et dans sa mise en œuvre. Pour remplir cet objectif de vertu sociale, le « droit » doit à l’évidence remplir les conditions générales de la vertu morale : il doit chercher à remplir honnêtement ses tâches, sa mission d’intérêt collectif, en bref, il doit « rester droit ».

Le « droit » a donc, par essence, une vocation politique car il remplit une mission de service et d’ordre public : celle d’organiser la vie en commun dans les meilleures conditions de sérénité.

Le Code civil de 1804 était l’héritier direct du droit ainsi conçu. Ce droit s’est développé en Europe durant la longue période du Moyen-Âge, alors que le continent vivait essentiellement sous régime monarchiste.

Or, la conception du « droit » sous le joug de laquelle la France, l’Europe, l’occident et le monde vivent actuellement est l’exact contraire du concept de « droit » ainsi décrit. Actuellement, le prétendu « droit » est en réalité la manifestation exclusive d’un rapport de force perdu par le collectif au profit d’intérêts particuliers exclusifs. En stricte orthodoxie juridique le « droit » actuellement applicable, de façon dominante pour ne pas dire hégémonique, s’analyse en de la simple « réglementation ». C’est-à-dire que nous avons collectivement, à l’échelle mondiale, assisté à la falsification du concept juridique véhiculé par le mot « droit ».

Le constat de la disparition du « droit » tel que traditionnellement entendu en Europe continentale amène à se poser les questions de la cause, de la pertinence et de la légitimité de la disparition du « droit » ainsi compris. Le « droit » est-il dépassé et inutile ou est-il au contraire nécessaire à une Société politique ? 

La cause de la disparition du droit : la domination anglo-saxonne hégémonique

Il faut partir de constat que le droit, entendu au sens continental du terme (Europe continental) est en voie de disparition. Cette disparition a plusieurs causes, des causes techniques relativement évidentes et une cause politique cachée mais très importante, qui a permis les causes techniques : l’hégémonie anglo-saxonne sur le monde.

La France, première victime de l’hégémonie anglaise

Parmi les causes techniques les plus évidentes figure la tendance, ancienne, à la « commercialisation » du droit commun. Cette tendance a précisément débuté en France en 1807 avec l’apparition du « Code de commerce » conçu comme dérogatoire au droit commun du Code civil de 1804.

Une autre cause technique, plus récente, est la financiarisation alliée à la libre circulation des capitaux. Le mélange détonnant de la liberté de circulation des capitaux – initiée, sous l’influence anglo-saxonne, par les accords de Bretton Woods et mise en œuvre en Europe par les institutions européennes – avec la dérégulation, initiée aux USA dans le courant des années 70 du siècle dernier – a eu pour conséquence, directe bien que retardée, une très nette accélération du processus de disparition du droit en tant que concept normatif visant à permettre l’organisation de la vie en commun dans les meilleurs conditions de sérénité.

Cette évolution s’est manifestée en France par la transformation du droit commun, qui est passé, au fil du temps d’une conception civile à une conception quasi exclusivement commerciale. Cette évolution, loin d’être limitée à la France, est une tendance internationale lourde. Actuellement, les différentes institutions internationales sont des relais efficaces de la disparition du droit tel qu’entendu au sens classique du terme. Cela va jusqu’à la définition même des institutions chargées de dire le droit : en effet, les anciennes « juridictions » deviennent soit des organismes publics (financés par la collectivité) au service des intérêts privés, comme en Union Européenne, soit directement, sur le modèle de l’arbitrage, des organismes privés chargés de trancher des litiges privés. Dans un cas comme dans l’autre – avec des modalités différentes – la finalité de l’évolution reste la transformation d’une justice publique, collective, en une justice privée.

L’explication du phénomène général de perte du sens collectif dans la notion de « droit » est, comme toujours, donnée par l’histoire. Au cours du temps, est apparu une divergence fondamentale, de nature conceptuelle, dans l’évolution du « droit » entre l’Angleterre et l’Europe continentale.
A la suite de l’effondrement de l’empire romain, le droit s’est développé, d’une façon générale en Europe, autour de la double hélice du pouvoir temporel d’une part et du pouvoir spirituel d’autre part. Par pouvoir temporel, il faut comprendre l’aristocratie organisée autour du Roi compris comme le premier d’entre ses pairs (Primus inter pares). Par pouvoir spirituel, il faut comprendre le catholicisme romain organisé à Rome (avec quelques exceptions historiques) autour du pape.

L’Angleterre a, au XVIème siècle (plus précisément en 1531), fait sécession vis-à-vis de cette organisation socio-politique continentale lorsque le Roi Henri VIII, représentant de l’ordre temporel, décida de prendre le pas sur le pouvoir spirituel en le soumettant à sa propre volonté. L’église anglicane – dite catholique réformée c’est-à-dire à mi-chemin entre catholicisme et protestantisme – est née de la scission de l’Angleterre opérée par le Roi Henri VIII avec le pape Clément VII qui refusa obstinément d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon (afin d’épouser Anne Boleyn). A partir de cette date, l’Église anglaise n’est plus soumise à l’autorité du pape catholique romain mais de l’archevêque de Cantorbéry, lequel est, en réalité totalement dépendant du pouvoir temporel, c’est-à-dire du Roi d’Angleterre.

Cette réunion des pouvoirs temporel est spirituel n’a pas eu lieu en Europe continentale où, tout au contraire, chacun des deux pouvoirs temporel et spirituel est resté – du moins jusqu’à la révolution de 1789 – concurrent et indépendant, de force relativement égale (si on lisse l’histoire qui a vu successivement la prééminence de l’un des deux ordres sur le second, et vice versa). Ajoutons, pour être précise et complète, que la porosité structurelle liée au fait que les grandes familles d’aristocrates occupaient, de facto, les postes de dignitaires dans ces deux Ordres – Ordres politiques au sens où ils structuraient effectivement l’organisation de la Société – n’a pas eu pour conséquence une normalisation des intérêts de ces Ordres, qui sont historiquement restés distincts et concurrents.
En Europe continentale le pouvoir temporel avait toujours dû composer avec le pouvoir spirituel, et réciproquement ; en outre, ces deux pouvoirs avaient pour caractéristique d’être organisés de façon hiérarchique, c’est-à-dire verticale, ce qui leur conférait une force sociale et politique équivalente. Il en est résulté que le pouvoir normatif des autorités temporelles, seigneurs et Roi compris, a toujours été limité par le pouvoir normatif de l’autorité spirituelle centralisée à Rome sous l’autorité du pape.

Cette double compétence normative structurelle a sans doute été, depuis la disparition de l’Empire Romain le seul réel point commun des différents pays européens. Nous avions donc, de façon ontologique, en Europe continentale, une organisation politique naturellement organisée autour de l’idée de contre-pouvoirs. Cette organisation politique et sociale qui a caractérisé la période du Moyen-Âge en Europe est la raison principale qui fait que l’ancien régime était, structurellement, beaucoup moins absolutiste que ne le sont les prétendus « régimes démocratiques » actuels, discrètement fondés sur la domination des capitaux, et calqués sur les préceptes dérivés du droit anglais.

Si le droit anglo-saxon est aujourd’hui fondé sur la prééminence économique, il est, ontologiquement depuis le XVIème siècle, mis au service exclusif des puissants ; ce droit ne relève pas d’un quelconque effort intellectuel ou collectif, il est tout simplement la mise en forme écrite de la domination des puissants, politiques dans un premier temps, puis capitalistique depuis Cromwell. Il ne faut donc pas s’étonner de l’absolutisme de la domination actuelle.

Historiquement mis au service du seul pouvoir temporel, le « droit » anglo-saxon s’est peu à peu, à la mesure de la prise du pouvoir politique par les puissances d’argent, mis au service des principaux détenteurs de capitaux.

Cette évolution, commencée en Angleterre, et qui a vu la France être sa première victime, s’est répandue dans le monde entier au cours des XVIIIème, XIXème et XXème siècles. Cette véritable « révolution » qui a eu lieu, en France, en Europe et dans le monde à partir du XVIIIème siècle, a remis en cause l’équilibre politique post impérial issu de l’Europe du Moyen-Âge.

Le Nouvel Ordre Mondial, qui est le résultat de la longue évolution décrite ci-dessus, appelé de leurs vœux par les tenanciers du système économique global, s’apparente à l’anéantissement complet de ce que l’on entendait traditionnellement par le terme de « civilisation », qui suppose un développement collectif et repose, fondamentalement, sur un équilibre des forces et des pouvoirs.

La réunion, en Angleterre, des pouvoirs spirituel et temporel entre les mains du Roi a pavé la route anglaise vers l’impérialisme dominé par les puissances d’argent. La route anglaise a elle-même, à son tour, pavé la future route mondiale. Cette fusion des pouvoirs temporel et spirituel a engendré l’émergence d’une volonté impériale par l’alliance du fer et de l’argent. Oliver Cromwell (1599 – 1658) a en effet mis en place le système politique dans lequel l’hégémonie impériale est financée par les banquiers. Ces banquiers, jusqu’alors installés en Hollande à la suite de leur expulsion d’Espagne sous le règne du Roi Ferdinand et de la Reine Isabelle (voir décret de l’Alhambra signé le 31 mars 1492), ont dès lors commencé à financer le pouvoir temporel anglais.

Selon la « loi naturelle » qui veut que « celui qui donne est au-dessus de celui qui reçoit », cette alliance du fer et du portefeuille a, à son tour, historiquement et mécaniquement, donné naissance à la suprématie des détenteurs de capitaux sur le pouvoir politique. Cette suprématie s’est affirmée au cours des XVIIème et XVIIIème siècle par le financement, par les puissances d’argent, des différentes Compagnies des Indes qui agissaient pour le compte des États, bénéficiaient d’un monopole public et de la force publique.

Il est important de bien comprendre que l’intégrisme financier actuel est le descendant direct, l’héritier fatal, de l’absolutisme du pouvoir anglais qui, en 1531, a fusionné les pouvoirs temporel et spirituel, faisant ainsi disparaître la réalité des contre-pouvoirs.

Depuis l’époque dite des Grandes Découvertes et des grandes aventures maritimes, les détenteurs de capitaux n’ont eu de cesse de développer leur contrôle discret, par la mise en œuvre générale du concept d’anonymat, du pouvoir politique; cette prise de pouvoir fut particulièrement manifeste dans ce qu’il convient d’appeler les « compagnies des Indes ».

En quelques sortes, les Compagnies des Indes préfigurent la distinction, aujourd’hui entrée dans les mœurs économiques occidentales, entre les bénéfices, largement privés, et les charges, financées par la collectivité publique. Avec la précision que, dès l’avènement des différentes Compagnies des Indes, les responsabilités civiles, pénales et politiques des intervenants disparaissent dans le monopole d’État. Les compagnies des Indes sont le premier modèle dans lequel les détenteurs réels du pouvoir, ceux qui profitent de façon ultime des bénéfices des opérations, sont très largement à l’abri de toute mise en cause juridique.

Les détenteurs du pouvoir capitalistique revendiquent aujourd’hui, de façon « naturelle », l’officialisation politique et juridique de la réalité de leur prise de pouvoir. Car il faut bien comprendre que les tenants occidentaux du « Nouvel Ordre Mondial » sont en réalité les émissaires du pouvoir économique caché. Fatalement, ce pouvoir économique caché – derrière les multiples faux semblants de l’anonymat capitalistique et du parlement représentatif – devait tôt ou tard revendiquer officiellement le pouvoir qu’il a officieusement conquis au fil des siècles.

De l’absolutisme financier à l’esclavagisme pour tous

La fusion, à la mode anglaise, du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel a fait disparaître l’équilibre des pouvoirs qui a, seul dans l’histoire du monde, permis l’émergence de la liberté individuelle et, notons-le, de la « bourgeoisie commerçante » en tant que force politique.

Car l’émancipation populaire n’a pu, en occident, voir le jour qu’en raison de l’instable équilibre politique entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Paradoxalement et de façon ironique, c’est précisément sous les coups de boutoirs répétés de la « liberté individuelle », elle-même manipulée à l’extrême, que disparaît la civilisation occidentale caractérisée par la liberté individuelle et par la liberté politique des masses populaires. Rappelons incidemment que l’ultra-individualisme, revendiqué par des mouvements comme les « LGBT », les « droits de l’enfant », « l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge », est l’aboutissement logique de la domination politique absolue des principaux détenteurs de capitaux : ces derniers utilisant à leur avantage exclusif le principe de bonne politique consistant à « diviser pour mieux régner ». Diviser chaque humain en une entité isolée de toute composante sociale pérenne et, au-delà, diviser l’humain et la vie en des entités physiques autonomes, est l’une des armes les plus redoutables utilisées par les tenanciers du pouvoir économique global pour asservir l’humanité. En effet, cette méthode d’asservissement appelée « diviser pour mieux régner » n’est pas seulement utilisée, de manière géopolitique, pour diviser les peuples et les nations mais également, de façon beaucoup plus sournoise et dangereuse, d’un point de vue politique pour faire de chaque humain une entité instable dépourvue de tout supports émotionnels et affectifs stables ; l’humain devenant dès lors un atome aisément manipulable, analogue à un « objet » qu’il convient d’utiliser.

L’autre arme fatale utilisée par les tenanciers économiques du pouvoir réel est le « droit », brandi comme un bouclier antisocial. Car le « droit-réglementation » à la mode anglo-saxonne sert à la fois de prétexte et de justification au renforcement de l’absolutisme financier.

Le futur rôle de la France dans le rétablissement du concept de « droit »

L’évolution mondiale vers l’impérialisme à la mode anglaise a débuté, en France, à la fin du XVIIIème siècle. La Révolution de 1789 a imposé simultanément la disparition :
du principe de régulation économique étatique en imposant les prémisses du libre-échange par le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 (qui renouvelle l’édit de Turgot de 1776 supprimant les corporations et libéralisant le commerce des grains) et la Loi Le Chapelier (14 juin 1791, qui interdit les corporations de métiers et les organisations professionnelles) et le système parlementaire dit représentatif. Dans un souci d’allègement de mon exposé, je ne reviendrais pas ici sur les tenants et les aboutissants de ce double phénomène, que j’ai longuement exposé par ailleurs.

Cette évolution, fatale à la liberté, s’est poursuivie, toujours en France, par :
la dépossession politique actée du pouvoir monétaire qui a été la conséquence de la création, en 1800, de la Banque de France par Napoléon et par l’apparition, en 1807, du Code de commerce conçu comme dérogatoire au Code civil de 1804.

Le parallélisme entre l’évolution juridique et politique française et l’évolution juridique et politique mondiale invite à comprendre que la France a une certaine importance dans l’évolution du droit international et donc du monde.
Rappelons, accessoirement, que le Code civil de 1804 fût la grande œuvre législative française. Elle valut à la France une grande partie de son rayonnement international moderne. A ce propos, il importe de mentionner que la Chine désigne la France par un pictogramme qui signifie « le pays de la Loi ».
 
Du double point de vue ontologique et international, La France sans « la loi », n’existe pas.

Or c’est précisément, ce qui a fait l’identité et la grandeur de la France – et à sa suite celles du monde occidental civilisé – « le droit » construit autour du concept d’équilibre des pouvoirs, qui est, sous nos yeux, en train « de sombrer corps et âme ».

L’émergence actuelle du continent eurasiatique et le prochain avènement des nouvelles routes de la soie donnent à la France une occasion unique de reprendre sa place historique dans les affaires humaines. La France doit retrouver le sens de son existence qui est de faire le « droit », elle doit à nouveau proposer au monde des normes originales et , respectant les principes du droit naturel, qui permettent de gérer le plus sereinement possible les nouvelles interactions entre les peuples que le développement du commerce continental va permettre.
Cela ne sera possible qu’après que la France se sera affranchie de la domination financière d’origine anglo-saxonne. Cette condition est double :
elle nécessitera, d’une part, une remise en cause institutionnelle de l’organisation politique actuelle et elle passera, d’autre part, par une purge des écuries d’Augias qui servent de pouvoir politique à l’a-France.
 
En d’autres termes il faudra, tôt ou tard, rendre aux responsables politiques français la mesure pleine et entière de leur pouvoir, ce qui s’entend de la restauration de leur responsabilité civile et pénale, à titre à la fois personnel et professionnel. Car il faut comprendre que la prétendue responsabilité politique, qui consiste en la sanction des futures élections, n’est qu’un faux semblant permettant, en réalité, la disparition de la responsabilité des acteurs politiques. Ce qui est la conséquence logique du fait que les prétendus acteurs politiques sont en réalité dépourvus de tout pouvoir politique réel, celui-ci étant transféré dans les mains anonymes des puissances économiques dominantes. Or, la « responsabilité » est l’apanage naturel, structurel, du véritable pouvoir politique. Pas de « pouvoir » sans « responsabilité personnelle » de ses acteurs.

Valérie Bugault

A propos de la mort cérébrale de l'Otan

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A propos de la mort cérébrale de l'Otan

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

On sait que le président français Emmanuel Macron avait accordé un entretien à The Economist au début du mois. Il y avait déclaré que l'Otan était en état de “mort cérébrale”.

Il a également appelé à des relations européennes plus étroites avec la Russie et à une politique militaire plus indépendante de l'Amérique. Il a critiqué la politique américaine à l'égard de la Russie comme une “hystérie gouvernementale, politique et historique”.

Voir à ce sujet The Economist ainsi que les commentaires de BBC.News

On notera qu'Angela Merkel s'était immédiatement insurgée contre cette déclaration, qui fut au contraire comme on le devine approuvée par  Maria Zakharova , porte-parole du ministre russe des affaires étrangères. Il en est résulté une aggravation des désormais mauvaises relations entre la France et l'Allemagne. Mais que veut exactement Emmanuel Macron ?

La question sera nécessairement posée lors du sommet des chefs d'État de l'Otan des 3 et 4 décembre à Londres et les grandes manœuvres de l'opération «Defender 2020» prévue l'année prochaine. Outre les manœuvres navales en mer de Chine méridionale, cette opération représentera les plus grands exercices terrestres de l'Otan en Europe depuis 25 ans. 37.000 hommes sont prévus, dont 20.000 soldats américains transportés jusqu'en Europe.

Les responsables de l'Otan, hormis la France, ont souligné à maintes reprises leur accord pour une politique agressive qui viserait la Russie et ce nouveau danger que représente selon eux la Chine. Ils demandent aux Etats-Unis d'y conserver son rôle directeur et veulent que les gouvernements européens augmentent leurs contributions à l'Otan, notamment en termes budgétaires. Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a indiqué que le sujet fera l'objet d'une importante réunion des pays membres avant le sommet de décembre.

Mais que souhaitait indiquer Emmanuel Macron au delà des termes explicites de cette déclaration à The Economist. En vue de conserver un domaine de négociation avec l'Allemagne, il ne l'a pas encore clairement expliqué. L'hypothèse la plus répandue à ce jour est qu'il voudrait que la France, si possible avec l'Allemagne mais au besoin sans elle, remplace les Etats-Unis à la tête de l'Otan. Ainsi la France, qui n'est pas exactement encore une grande puissance mondiale, pourrait le devenir.

Elle pourrait ainsi devenir un partenaire incontournable de la Russie, voire de la Chine, dans la définition de ce l'on nomme un nouvel ordre mondial. Il pourrait en résulter des perspectives de croissance économique considérables, ainsi évidemment qu'un recours plus grand aux solutions offertes par l'industrie militaire française, qui se bat actuellement contre la concurrence de l'industrie américaine, stimulée par un budget de 800 milliards de dollars annuels.

Rappelons que par ailleurs en France les responsables de la politique spatiale s'inquiètent de voir les Etats-Unis décidés à militariser l'espace par la création d'un Space Command aux compétences élargies. Celui-ci, à terme, pourrait dominer non seulement l'espace proche mais l'espace lointain, notamment bientôt la Lune. Il ne devrait pas y avoir ce risque avec la Russie qui a toujours montré sa volonté de négocier avec la France des politiques spatiales communes.

Il y a tout lieu de penser que les autres Etats européens, membres de l'Otan, à commencer par l'Allemagne, montreront très vite leur servilité à l'égard du Pentagone, et refuseront que la France y prenne un rôle directeur. Il ne restera plus à celle-ci qu'a quitter l'Otan, après avoir fait l'erreur, trahissant la politique gaullienne, de demander à y être admise. Mais Emmanuel Macron aura-t-il jusqu'au bout la carrure d'un Charles de Gaulle? 


 

lundi, 25 novembre 2019

Donoso Cortés lu par Carl Schmitt

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Donoso Cortés lu par Carl Schmitt

par Juan Asensio

Ex: http://www.juanasensio.com


Il se peut qu'il faille désormais écrire Cortés au lieu de Cortès, sauf à vouloir être pris pour le dernier des imbéciles dans les petits cénacles réactionnaires parisiens (s'il en reste, ce dont je doute !, ou dans ceux, puant la trouille universitaire se parant du paletot de la distanciation critique, se déclarant non réactionnaires quoique lecteurs d'auteurs réactionnaires), en allant de la sorte contre l'usage orthographique français (1), non seulement le plus ancien mais le plus récent, y compris même au sein de la belle collection La Nuit surveillée dirigée par Chantal Delsol (2).
Il se peut aussi que les universitaires ou les esprits curieux trouvent plus intéressant de lire le très long commentaire, parfois simple paraphrase de Schmitt agrémentée de mots compliqués (3), que Bernard Bourdin inflige à plusieurs textes pourtant assez brefs du grand juriste allemand, plutôt que l'ample présentation que fit jadis du contre-révolutionnaire espagnol Louis Veuillot, et dans un style qui bien sûr n'est point celui de notre commentateur que je qualifierai, pour ne pas l'accabler, de résolument plat.
Dans les deux cas cependant, nous perdons le plaisir de lire un texte écrit en bon français point complètement phagocyté par les notes de bas de page et, hélas, par de bien trop nombreuses et consternantes fautes d'orthographe, et nous gagnons une écriture d'un lyrisme de bibliothécaire constipé, qui ne parvient guère à répondre à cette question par autre chose que de bien pesantes considérations de thésard pour thésard : pourquoi Carl Schmitt s'est-il si visiblement intéressé à Donoso Cortés ?
Certes, faisons justice à Bernard Bourdin, dont les commentaires savants représentent plus de la moitié de l'ouvrage, de bien connaître ce sujet particulièrement ardu qu'est la théologie politique ou encore le «problème théologico-politique» qui, au siècle passé, «est indissociable de la sécularisation» (p. 109), à différencier, apparemment, d'une théologie (ou d'une «anthropologie théologique», p. 136) du politique, tout autant que les textes pour le moins complexes de Carl Schmitt, ce contempteur érudit de l'humanisme libéral et de la «pensée techno-économique» (p. 121), en développant la perspective schmittienne selon laquelle «la théologie a des potentialités politiques, au point de porter les germes de sa propre sécularisation (ou de son immanentisation)» et que, par voie de retour, le politique a «des potentialités théologiques, au risque toutefois de dissoudre les conditions d'exercice de son autonomie» (p. 122). Quoi qu'il en soit, et nous aurons de la sorte résumé l'ample commentaire de Bernard Bourdin, «avec la voie ouverte par Donoso Cortés, puis réhabilitée et systématisée par Schmitt, seul le statut théologique du politique est en mesure de mettre en échec le monopole communiste de l'interprétation de l'histoire ou du siècle» puisque la théologie politique selon Carl Schmitt «lui substitue une interprétation théologique de l'histoire, dont le centre vital est l'Incarnation» (p. 96), un point qui d'ailleurs n'est quasiment pas évoqué par notre exégète. S'il est clair que Carl Schmitt «en appelle à une transcendance théologico-politique» (p. 95), autrement dit, dans les temps troublés qui sont les nôtres, à une décision qui «a une signification imminente ayant un accent eschatologique (qui se confond avec une vision apocalyptique) pour conjurer la catastrophe» (p. 61), nous ne savons pratiquement rien (hormis un passage de quelques lignes s'étendant des pages 23 à 24 du commentaire de Bourdin) de l'idée qu'il se fait du Christ, sur le modèle de la belle étude de Xavier Tilliette consacrée à cette thématique.
donosotimbre.jpgLa deuxième partie de l'ouvrage est consacrée aux textes proprement dits de Carl Schmitt mais il faut attendre la page 157 de l'ouvrage, dans une étude intitulée Catholicisme romain et forme politique datant de 1923, pour que le nom de Cortés apparaisse, d'ailleurs de façon tout à fait anecdotique. Cette étude, plus ample que la première, intitulée Visibilité de l’Église et qui ne nous intéresse que par sa mention d'une paradoxale quoique rigoureuse légalité du Diable (4), mentionne donc le nom de l'essayiste espagnol et, ô surprise, celui d'Ernest Hello (cf. p. 180) mais, plus qu'une approche de Cortés, elle s'intéresse à l'absence de toute forme de représentation symbolique dans le monde technico-économique contemporain, à la différence de ce qui se produisait dans la société occidentale du Moyen Âge. Alors, la représentation, ce que nous pourrions sans trop de mal je crois appeler la visibilité au sens que Schmitt donne à ce mot, conférait «à la personne du représentant une dignité propre, car le représentant d'une valeur élevée ne [pouvait] être dénué de valeur» tandis que, désormais, «on ne peut pas représenter devant des automates ou des machines, aussi peu qu'eux-mêmes ne peuvent représenter ou être représentés» car, si l’État «est devenu Léviathan, c'est qu'il a disparu du monde du représentatif». Carl Schmitt fait ainsi remarquer que «l'absence d'image et de représentation de l'entreprise moderne va chercher ses symboles dans une autre époque, car la machine est sans tradition, et elle est si peu capable d'images que même la République russe des soviets n'a pas trouvé d'autre symbole», pour l'illustration de ce que nous pourrions considérer comme étant ses armoiries, «que la faucille et le marteau» (p. 170). Suit une très belle analyse de la rhétorique de Bossuet, qualifiée de «discours représentatif» qui «ne passe pas son temps à discuter et à raisonner» et qui est plus que de la musique : «elle est une dignité humaine rendue visible par la rationalité du langage qui se forme», ce qui suppose «une hiérarchie, car la résonance spirituelle de la grande rhétorique procède de la foi en la représentation que revendique l'orateur» (p. 172), autrement dit un monde supérieur garant de celui où faire triompher un discours qui s'ente lui-même sur la Parole. Le décisionnisme, vu de cette manière, pourrait n'être qu'un pis-aller, une tentative, sans doute désespérée, de fonder ex abrupto une légitimité en prenant de vitesse l'ennemi qui, lui, n'aura pas su ou voulu tirer les conséquences de la mort de Dieu dans l'hic et nunc d'un monde quadrillé et soumis par la Machine, fruit tavelé d'une Raison devenue folle et tournant à vide. Il y a donc quelque chose de prométhéen dans la décision radicale de celui qui décide d'imposer sa vision du monde, dictateur ou empereur-Dieu régnant sur le désert qu'est la réalité profonde du monde moderne.
Affirmer de notre monde techniciste qu'il n'a pas de tradition, c'est admettre que la pensée qui n'est que technique est purement révolutionnaire car, face à la «logique de la pensée économique, forme politique et forme juridique sont pareillement accessoires et gênantes», en ceci que l'une et l'autre, l'une avec l'autre, convoquent le monde de la représentation, qui est de fait le monde de la hiérarchie et de la verticalité, de «quelque chose de transcendant», autrement dit encore : «une autorité venue d'en haut». Ainsi, «une société construite uniquement sur le progrès technique ne serait donc que révolutionnaire», affirme Carl Schmitt, ajoutant qu'elle «se détruirait bientôt, elle-même et sa technique» (p. 175), probablement parce que la révolution menée méthodiquement jusqu'aux plus profondes racines est le nihilisme triomphateur, auquel la dernière parcelle d'être ne saurait longtemps prétendre résister. L'univers de la verticalité est, par essence, conservateur, alors que celui de la stricte horizontalité rhizomique de la Machine est, par essence aussi si l'on peut imaginer ce que serait l'essence de la technique, révolutionnaire : tournant à vide, la machine se détruit pour construire puis détruire d'autres machines, dans un holocauste de ferraille et de chair réduite à de la nourriture pour ferraille.
C'est dans l'Introduction aux quatre essais composant le texte intitulé Donoso Cortés interprété dans le contexte européen global datant de 1950 que Carl Schmitt, assez bellement, écrit que le nom du philosophe politique espagnol s'est toujours «inscrit dans l'écho de la catastrophe» (p. 187) et même, qu'il se tient «devant notre époque» puisque, «à chaque intensification de l'évolution de l'histoire mondiale, de 1848 et 1918 jusqu'à la guerre civile mondiale globale de notre époque, sa signification a augmenté au fur et à mesure, de la même manière que le danger croît en même temps [que] ce qui sauve» (p. 195; j'ai ajouté que, manquant dans notre ouvrage).
Dans le texte suivant qui est d'ailleurs un extrait de la fameuse Théologie politique de Schmitt, le grand juriste entre dans le vif du sujet en disant de Donoso Cortés qu'il est un décisionniste, lui qui du reste avait qualifié, génialement selon Schmitt, la bourgeoisie parlementaire comme n'étant rien d'autre qu'une «classe discutante», una clasa discutidora (p. 201) : «suspendre la décision au point décisif, en niant qu'il y ait quoi que ce soit à décider, cela devait leur paraître», à Cortés mais aussi à De Maistre, «une étrange confusion panthéiste» (p. 203), Schmitt définissant alors la dictature comme étant non point le contraire de la démocratie «mais de la discussion» puisqu'il appartient «au décisionnisme, dans la forme d'esprit de Donoso, de supposer toujours le cas extrême, d'attendre le Jugement dernier» (p. 204), puisque le «noyau de l'idée politique» est «la décision morale exigeante», et la décision pure, la décision absolue, «sans raisonnement ni discussion, ne se justifiant pas, et donc produite à partir du néant» (p. 206), du néant de la volonté du dictateur qui est capable de trancher face au mal radical que De Maistre tout comme Cortés voyaient à l’œuvre sous leurs yeux.
csdonoso.jpgVoilà bien ce qui fascine Carl Schmitt lorsqu'il lit la prose de Donoso Cortés, éblouissante de virtuosité comme a pu le remarquer, selon lui et «avec un jugement critique sûr» (p. 217), un Barbey d'Aurevilly : son intransigeance radicale, non pas certes sur les arrangements circonstanciels politiques, car il fut un excellent diplomate, que sur la nécessité, pour le temps qui vient, de prendre les décisions qui s'imposent, aussi dures qu'elles puissent paraître, Carl Schmitt faisant à ce titre remarquer que Donoso Cortés est l'auteur de «la phrase la plus extrême du XIXe siècle : le jour des anéantissements [ou plutôt : des négations] radicaux et des affirmations souveraines arrive», «llega el dia de las negaciones radicales y des las afirmaciones soberanas» (p. 218), une phrase dont chacun des termes est bien évidemment plus que jamais valable à notre époque, mais qui est devenue parfaitement inaudible.
C'est le dernier texte, intitulé Donoso Cortés interprété dans le contexte européen global et publié en 1949 qui à nos yeux est le plus intéressant, puisqu'il place l'ambassadeur espagnol dans un «contexte unique d'histoire mondiale qui s'impose de nouveau, depuis 1848, à chaque nouvelle génération de pensée européenne» (p. 238), contexte où des auteurs aussi différents que Bruno Bauer, Friedrich Strauss ou encore Sören Kierkegaard ont exercé leur pensée, ce dernier ayant d'ailleurs, selon Carl Schmitt, porté la critique la plus intense contre son époque : «Il savait qu'à l'époque des masses, ce ne sont pas les hommes d’État, les diplomates ni les généraux, mais des martyrs, qui décident des événements historiques».
Lentement mais sûrement, Carl Schmitt approche de la particularité saisissante du monde dans lequel ont vécu ces penseurs et, plus encore, le lion cherchant qui dévorer qu'ils annonçaient dans leurs textes, à savoir «la reconnaissance distincte de la pseudo-religion de l'humanité absolue, qui a déjà ouvert la voie à une terreur inhumaine». C'est là «un nouveau savoir», poursuit Schmitt, «plus profond que les nombreuses sentences à grande allure de De Maistre sur la révolution, la guerre et le sang» car, en effet, «comparé à l'Espagnol qui a plongé son regard dans l'abîme de la terreur de 1848, de Maistre est encore un aristocrate de la Restauration de l'Ancien Régime, qui a prolongé et approfondi le XVIIIe siècle» (p. 246, l'auteur souligne). Ainsi, «ce que Donoso a à communiquer est autre chose que la philosophie des auteurs conservateurs et traditionalistes, qui pouvaient d'ailleurs l'avoir influencé fortement. Ce sont des éruptions semblables à des éclairs, qui bien des fois fusent d'un nuage, d'une rhétorique traditionnelle de tout autre nature» (pp. 246-7) (5).
Et Carl Schmitt de revenir à ce qu'il pense être le centre ténébreux de l'orage que ces auteurs ont pressenti plus ou moins finement, Donoso Cortés le premier, comme s'il se fût agi d'un très puissant baromètre indiquant une forte baisse de pression que les optimistes ont toujours eu le tort de confondre avec une atmosphère sereine : «Ce qui ne cesse de le remplir d'effroi, c'est toujours le même savoir : que l'homme élevé par les philosophes et les démagogues en mesure absolue de toutes choses n'est aucunement, comme ils l'affirment, une incarnation de la paix, et qu'il combat plutôt, dans la terreur et la destruction, les autres hommes qui ne se soumettent pas à lui» (pp. 247-

Notes
(1) La visibilité de l’Église, Catholicisme romain et forme politique, Donoso Cortés interprété dans le contexte européen global. Quatre essais, constituent ce volume disposant d'un très long commentaire de Bernard Bourdin, à vrai dire un essai à part entière qui s'étend des pages 11 à 137. J'ai parlé d'un nombre assez élevé de fautes orthographiques qui affligent les longs commentaires de Bernard Bourdin (note 1 p. 41, mise et non mis en cause; confrontée et non confronté à la page 46, le et non la premier thème, p. 48, etc.), d'incorrections et d'usages impropres de termes (comme le verbe incombe mal employé à la page 29) sans compter des maladresses de style (un en inutile à la page 30), mais il faut aussi remarquer que l'auteur ne sait visiblement pas de quelle manière insérer une citation au sein de son propre commentaire. Je note que les traductions elles-mêmes de Carl Schmitt, qui constituent la seconde partie de l'ouvrage, portent elles aussi beaucoup de fautes, dont la plus consternante est un «la loi» en lieu et place de «le roi» (p. 214). Soit le texte de cet ouvrage n'a pas été relu et nous voyons là, une fois de plus, les effets désastreux d'économies de bout de chandelle, puisqu'un relecteur/correcteur, du moins faut-il le supposer, l'eût amendé. Soi ce texte a bel et bien été relu et, alors, il faut renvoyer au collège les auteurs responsables d'une telle mauvaise copie.
(2) Rappelons en effet que Théologie de l'histoire et crise de la civilisation était le titre d'un recueil de textes de Juan Donoso Cortés paru, donc, dans cette collection des éditions du Cerf. J'ai rendu compte de ce beau volume ici. Saluons la cohérence d'une politique éditoriale qui, après nous avoir présenté certains des textes du théoricien contre-révolutionnaire, nous donne à lire ses commentaires par le juriste conservateur.
(3) Comme «transcendance théologico-politique» (p. 95), «anthropologie pessimiste» (p. 105) ou même «anthropologie théologique du politique» (p. 136), union de trois termes qui, à eux seuls, mériteraient une thèse !
(4) «Le Diable aussi, pour le nommer, a sa légalité, il n'est pas le néant, par exemple, mais quelque chose, même si c'est quelque chose de lamentable. S'il n'était rien, le monde ne serait pas mauvais, mais le néant. Le Diable n'est pas la négation de Dieu, mais sa pauvre et méchante singerie, qui trouve son châtiment en ce qu'elle a sa propre et épouvantable légalité de développement» (p. 151).
(5) Comme il se doit, une énième faute dépare ce passage, traditionaliste étant orthographié avec deux n.

Alexander Markovics: "Zukunft der Europäischen Zivilisation"

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Alexander Markovics: "Zukunft der Europäischen Zivilisation"

 
Rede von Alexander Markovics auf der Veranstaltung "Zukunft der Europäischen Zivilisation"
(Wien. 25.1.2018)
www.bachheimer.com
www.suworow.at
 

Quand la Chine bouscule l’ordre capitaliste et géopolitique mondial

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Quand la Chine bouscule l’ordre capitaliste et géopolitique mondial

Ex: https://lautjournal.info

La Chine connaît une progression économique et technologique fulgurante, perçue par les États-Unis comme une menace à leur hégémonie mondiale.

Des chiffres : en parité de pouvoir d’achat, le PIB de la Chine s’élevait, en 2017, à 21 219 milliards de dollars; celui des USA : 17 762.  Entre 1980 et 2015, le PIB chinois par habitant est passé de 194 $ à 9 174$ (en dollars constants de 2015).

Plus encore, cette montée en puissance de la Chine et de son modèle de développement capitaliste à forte teneur nationaliste ébranlent les certitudes libre-échangistes néolibérales et obligent tout le monde à repenser l’ordre géopolitique international instauré par les États-Unis à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale.

De leur côté, les États-Unis de Trump versent également dans le nationalisme économique. Donald Trump critique durement ses prédécesseurs, les accusant d’avoir «mené une politique agressive de globalisation [qui] a déplacé nos emplois, notre richesse et nos usines à l’étranger». Il dénonce «une classe dirigeante qui vénère le globalisme plutôt que l’américanisme». Il propose l’américanisme : America First! Comment y parvenir? Trump croit que c’est en réduisant le déficit commercial des États-Unis, ce qui aurait pour effet de ravigoter la production nationale.

La guerre des tarifs pour forcer l’ouverture de la Chine aux produits made in USA

Trump s’attaque donc principalement à la Chine, le pays avec lequel la balance commerciale des États-Unis s’avère la plus déficitaire : plus de 380 milliards de dollars annuellement.

Il accuse la Chine d’enfreindre les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Et il blâme l’OMC de ne point contraindre la Chine à ouvrir davantage son marché aux produits et services états-uniens.

En janvier 2018, un an après son installation à la Maison Blanche, Trump engage le combat qui pourrait se révéler comme le grand affrontement du XXIe siècle. Il impose des tarifs douaniers d’abord sur les panneaux solaires et des appareils ménagers que les États-Unis importent par centaines de millions. Puis en mars, il signe un décret instaurant des tarifs de 25% sur l’aluminium et 10% sur l’acier. La Chine riposte en imposant à son tour des tarifs là où ça fait mal : les produits agricoles. S’ensuit une escalade préjudiciable pour les deux parties qui décident de négocier. À ce jour, les négociations n’aboutissent pas, car Trump veut faire plier la Chine, pour finalement l’affaiblir et la replonger dans le sous-développement. Mais le dragon ne reculera pas.

Dans cette guerre des tarifs, le peuple chinois s’est massivement rangé derrière ses dirigeants, malgré les inconvénients qu’il en subit et le régime dictatorial qui lui est imposé. Pourquoi ? Parce que cette guerre commerciale apparaît aux Chinois comme une réplique de l’odieuse Guerre de l’opium. Si les Occidentaux ont aujourd’hui oublié ou minimisé ce conflit qui a mis la Chine à genoux, les Chinois, eux, se souviennent.

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La Guerre de l’opium pour forcer l’ouverture de la Chine aux produits made in Britain

Elle se voyait comme le cœur du monde. La Chine, le fier et autosuffisant Empire du Milieu, qui avait inventé la soie, la porcelaine, l’imprimerie, la boussole… et le thé. Pour se procurer ces produits de luxe, l’Europe d’alors, technologiquement arriérée, avait ouvert un long corridor terrestre : la Route de la soie.

Au début du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne importe une quantité toujours croissante de thé, de soie et de porcelaine - significativement appelé china en anglais. Elle paie en lingots d’or et d’argent. La Chine n’accepte pas d’autres paiements. Quand les Anglais voulurent lui vendre certaines marchandises pour équilibrer leur balance commerciale, les Chinois s’excusèrent : «Nous n’avons besoin de rien».

Qu’à cela ne tienne! Les commerçants britanniques, impatients de pénétrer ce prodigieux marché de 400 millions d’habitants, décident d’y aller par la bande. Un vaste réseau de contrebandiers s’organise. Le produit phare de ce commerce illégal provient de l’Inde, la colonie britannique voisine : le pavot, d’où l’on extrait l’opium.

Dans les années 1830, il entre en Chine une quantité fabuleuse d’opium : 1 400 000 tonnes annuellement. Les fumeries se multiplient. Au point que les effets dépravants de l’opium se font sentir sur les travailleurs. L’économie devient moins productive.

En 1839, l’empereur décide d’intervenir. Cette fois, il prend les grands moyens : interdiction absolue d’importer et de consommer de l’opium, accompagnée de sanctions sévères, pouvant aller jusqu’à la peine de mort. Il ordonne la destruction des fumeries et fait brûler ou jeter à la mer les tonnes d’opium trouvées dans le pays.

À Londres, les membres du Parlement de mèche avec les marchands contrebandiers s’en offusquent : casus belli!. Il faut déclarer la guerre à «ce pays obstructionniste qui refuse les bénédictions du libre-échange».

Bientôt, les canonnières britanniques se pointent et bombardent les ports chinois. L’empereur ne dispose pas d’une marine capable de les repousser. En 1841, un détachement anglais prend possession de l’île de Hong Kong.

Obligé de négocier, l’empereur se soumet. Il signe, en 1842, le Traité de Nankin, qui cède Hong Kong aux Britanniques, ouvre cinq ports au libre-échange et à la libre entrée de l’opium qui va inonder encore davantage le pays. Les États-Unis, la France et une douzaine de pays prédateurs profiteront de cette brèche ouverte par l’Angleterre pour s’y engouffrer et prélever leur part du gâteau.

Le traité de Nankin, le premier des traités inégaux imposés à la Chine, entame pour celle-ci un siècle d’humiliations. Elle restera dominée par les puissances occidentales jusqu’en 1949.

En 1911, la Chine impériale, millénaire, inventive, s’effondre. Elle s’ouvre à la rapacité de l’Occident et entre bon gré mal gré dans l’ère industrielle.

Aujourd’hui encore, les Chinois appellent cette période coloniale, qui a duré de 1839 à 1949, «le siècle de l’humiliation». En Chine, nombre de livres d’histoire divisent l’histoire du pays en deux grandes époques; non pas celles d’avant et d’après Mao, comme on pourrait s’y attendre, mais celles d’avant et d’après les Guerres de l’opium.   

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Que veut la Chine d’aujourd’hui?

Aujourd’hui, que cherche la Chine de Xi Jinping[1]? Lui et les dirigeants chinois poursuivent trois objectifs majeurs :

  • La Chine veut abord s’affranchir définitivement de la dépendance envers les puissances étrangères et de leur domination. Comment? En maîtrisant les filières technologiques les plus avancées dans tous les domaines. Le fer de lance, emblème de cette politique, c’est Huawei. Une compagnie privée devenue le premier fournisseur mondial d’équipements pour les entreprises de téléphonie et d’internet. Elle détient une avance notable dans le développement de la téléphonie mobile, ultra rapide, de cinquième génération : le 5G. De quoi affoler les élites états-uniennes qui considèrent la haute technologie numérique comme la ligne de front dans la guerre pour l’hégémonie mondiale. C’est la raison pour laquelle Trump a demandé au gouvernement canadien de procéder à l’arrestation de madame Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, qui faisait une escale à Vancouver.  Justin Trudeau, en fidèle tâcheron de l’Oncle Sam, a obtempéré. Mal lui en prit, car la Chine ne lui pardonne pas cette intrusion et punit le Canada.
  • Deuxièmement, la Chine veut reprendre sa place au centre des affaires du monde. Derrière la guerre commerciale en cours se profile une guerre de pouvoir[2]. Contrairement à l’URSS qui, au temps de la guerre froide, visait à renverser les États-Unis et le système capitaliste, la Chine ne vise pas le renversement des États-Unis, ni la destruction du capitalisme. Alors que L’URSS boudait les organisations internationales, la Chine y adhère de plain-pied… à sa manière. Elle s’inscrit dans la globalisation capitaliste, tout en maintenant jalousement son indépendance.
  • Troisièmement, la Chine vise à consolider son hégémonie régionale sur toute l’Asie du Sud-Est : du Japon à l’Australie en passant par l’Indonésie.  Pour ce faire, elle parraine deux imposantes organisations : 1) Le Partenariat économique régional global (PERG) lancé en 2012, qui regroupe 15 pays; un accord de libre-échange qui laisse plus d’autonomie aux gouvernements nationaux, contrairement au néolibre-échange occidental qui fait primer le marché sur le politique. 2) L’Organisation de Coopération de Shanghai, créé en 1996, qui regroupe six pays : La Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghzistan, le Tadjikistan et Ouzbékistan. Il s’agit d’une alliance politique, économique et militaire eurasienne. En outre, elle lance des initiatives pharaoniques, comme la nouvelle Route de la soie, dont le but est de relier la Chine à l’Europe, en passant par l’Afrique.

Le retour des nations

Devenue une actrice majeure de la mondialisation économique, la Chine s’est mise en frais de refonder les règles du capitalisme. C’est ainsi que nous voyons se redessiner sous nos yeux une nouvelle articulation entre l’économique et le politique. Alors que la classe politique occidentale embrasse sans réserve la doctrine néolibérale qui prône la primauté du marché sur le politique, les dirigeants chinois ont une autre vision, très claire : l’économie au service de la grandeur de la Chine et du recouvrement de sa position de grande puissance au cœur des affaires du monde. Pour cela, elle fait intervenir la main visible de l’État, plutôt que de laisser faire la main invisible du marché.

Partout dans le monde, du Chili au Liban en passant par l’Algérie, les peuples se soulèvent pour recouvrer la maîtrise de leur destin. Serait-ce le retour de la souveraineté des nations trop longtemps sacrifiée sur l’autel du néolibéralisme et du néolibre-échange?  

jacquesbgelinas.com


[1] Voir à ce sujet l’article de Odd Arne Westad, «The Sources of Chinese Conduct», dans la revue  Foreign Affairs, septembre-octobre 2019.

[2] Voir Philip S. Golub, «Entre les États-Unis et la Chine, une guerre moins commerciale que géopolitique», Le Monde diplomatique, octobre 2019.