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samedi, 06 août 2022

L'euro numérique et l'argent physique

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L'euro numérique et l'argent physique

Entre l'argent liquide, les soldes bancaires et l'euro numérique

Sjors Remmerswaal

Source: https://remmerswaal.substack.com/p/digitale-euro-en-fysiek-geld?utm_source=twitter&sd=pf

Début juin, les parlementaires néerlandais ont reçu une lettre du ministre des Finances, M. Kaag, indiquant que l'Union européenne travaille à la conception d'un euro numérique et que le régime libéral actuel, toutefois avec un certain nombre de "si" et de "mais", est favorable à cette nouvelle monnaie. Le ministère considère l'euro numérique comme un complément aux formes de monnaie et aux infrastructures de paiement existantes, et non comme un remplacement de celles-ci.

Un rapport de la Banque centrale européenne sur cette question montre que, plus concrètement, il s'agit d'une monnaie numérique de banque centrale, un euro numérique, qui fonctionnera au sein de l'Eurosystème existant. Il s'agira, selon les auteurs du rapport, d'un argent sûr, qui stimulera l'innovation, entraînera une réduction globale des coûts et réduira l'empreinte carbone des systèmes monétaires et de paiement.

Elle viendra donc compléter les formes de monnaie existantes les plus connues, à savoir les espèces (monnaie publique, scripturale) et les dépôts bancaires (monnaie privée, scripturale). L'argent liquide est une créance sur la banque centrale, tandis qu'un dépôt bancaire est une créance sur une banque commerciale. Un euro numérique est une nouvelle forme numérique d'argent liquide: une créance numérique sur la banque centrale. Les consommateurs et les entreprises peuvent utiliser l'euro numérique pour effectuer des paiements.

Les partis directeurs considèrent le développement d'un euro numérique comme une réaction à la récente et plus large numérisation de l'argent. Cette numérisation s'accompagnerait de toutes sortes de nouveaux usages. La Commission européenne a déjà lancé une consultation sur l'euro numérique, destinée aux participants du marché et aux régulateurs, et une proposition législative de la Commission européenne est attendue en 2023.

jeudi, 21 juillet 2022

Les mécanismes de la financiarisation

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Économie:
Les mécanismes de la financiarisation

Par Francesco Marotta    

Source: https://www.grece-it.com/2021/03/25/i-meccanismi-della-finanziarizzazione/?fbclid=IwAR2Tila22vzE_8M4_HuzWSxtI2lBrkkzESNV7MJuGiF6pPw41HkQM8ex804

En distinguant les différents mécanismes de la financiarisation et leur impact, nous pouvons comprendre les effets sur les sphères économique, sociale, politique et de croissance du secteur financier. L'analyse classique pointe du doigt l'augmentation des inégalités, résultat d'un progrès technologique incomplet (la croissance de la main-d'œuvre qualifiée augmentant plus que son offre), n'offre aucune autre explication et n'est donc que partiellement explicative. Pour mieux dire, elle ne repose que sur la thèse qui désigne la croissance du secteur financier comme la cause d'une financiarisation accrue sans en expliquer la dynamique. Mais si l'on ne tient pas compte également des résultats de la transformation financière des revenus, du "système" des investissements, de la dette et de l'épargne de tous les acteurs économiques, il est très difficile de trouver une issue qui ne soit pas seulement une impasse.

L'exemple empirique des États-Unis

L'exemple empirique des États-Unis est un test décisif, mais certainement pas le seul. En Europe, nous nous approchons à grands pas de la même relation consubstantielle entre la financiarisation de la Forme Capitale et l'augmentation des inégalités. Il est clair pour tout le monde dans quelle mesure les accords de Bretton Woods ont réactivé de manière décisive le marché financier avec plus de vigueur. Combien la crise pétrolière des Sundays on Foot des années 1970 a été le moteur de la déréglementation. Nous avons vécu de près les modulations libérales des années 1980 et le contexte qui a joué un rôle clé dans la financiarisation de l'économie contemporaine. Trois étapes importantes et décisives après la crise de 1929 aux Etats-Unis et le 'New Deal'.

Mais quelles sont les quatre tendances de la financiarisation ? a) l'augmentation du secteur financier dans la valeur ajoutée de l'économie, tant sous forme de profits que de salaires, b) la réorientation des sociétés non financières vers les activités financières, c) la soumission des entreprises aux impératifs de la valeur actionnariale, d) l'expansion de l'endettement, notamment des ménages. Et comme c'est souvent le cas aux Etats-Unis puis en cascade en Europe, l'expansion de la dette, en particulier celle des ménages, est utilisée à volonté par certaines minorités qui en font un objet de propagande : les conséquences négatives qui touchent la majorité des citoyens sont déformées de manière à en faire l'objet des faits sur mesure souhaités.

Cela va du mouvement féministe intersectionnel, qui réduit tout à une question d'inégalité mais ne l'attribue qu'à la campagne "Au-delà des stéréotypes" concernant le statut parental, aux franges radicales du mouvement LGBT et aux assimilationnistes. Ils revendiquent les origines ethno-raciales, le mode de vie, la religiosité et les droits des autres, oubliant qu'ils sont chez eux et pensent conformer les immigrants, de la première à la troisième génération, aux normes de l'État d'accueil. Une illusion impossible qui éloigne inéluctablement de la prise de conscience qu'il existe des solutions valables aux quatre tendances de la financiarisation. La fumée dans les yeux d'un problème en amont qui n'a pas de barrières, les deux types de virus humains qui sont beaucoup plus pandémiques que les autres: la mondialisation et la globalisation.

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Et pour être sûrs de ne rien manquer, ils continuent de considérer l'augmentation des inégalités liée à la financiarisation comme un problème concernant des niches financières aux salaires astronomiques, des banquiers de Wall Street à la Silicon Valley, en passant par l'industrie pharmaceutique, à la merci d'une toute petite minorité, principalement composée d'hommes blancs.

Alors qu'il suffit de faire le tour de la planète, des Etats-Unis aux fonds d'investissement internationaux, en passant par les grandes banques, le pétrole, les opérations boursières, l'influence des agences de notation, toute la superstructure financière, pour se rendre compte du ridicule de poser un problème aussi grave en en faisant un contre-sens racial dû aux fautes de l'homme blanc.

Lorsque le modèle capitaliste de financiarisation de l'économie ne tient aucun compte des revendications de la couleur de la peau, des goûts sexuels, sans parler de la mutation anthropologique et "culturelle" de la subversion de l'ordre naturel, de l'héritage biologique, etc. Elle leur est homologue, dans leur fluidité, leur mobilité et leur non-diversité, se déployant sur la planète de la même manière. Incorporer les minorités et les non-minorités. Pour les groupes de pression mentionnés ci-dessus, le phénomène du lobbying n'est certainement pas nouveau.

Par conséquent, il ne suffit pas de tisser des relations différentes des actions d'un lobby traditionnel, médiatisées, directes et immédiates, entre le lobby de référence et le décideur, pensant avoir la solution dans sa poche (lobbying de proximité). Dans le village global, la financiarisation est flanquée de la subjectivisation de l'économie, la seule "garantie" qui est alors une obligation : bien dépeinte par l'espèce d'auto-cooptation spontanée, souvent volontaire, surtout de ceux qui sont convaincus de prendre une autre direction. Un paquet "tout compris" qui exclut ceux qui stimulent le "trickle-down" (la théorie économique du ruissellement), le tic de la mentalité capitaliste qui, en Amérique, n'épargne que peu de gens, à de rares et laborieuses exceptions près.

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Des États-Unis, nous avons importé, progressivement, le peu d'intérêt pour la tendance du capital à faire des profits en dehors de la sphère de production de biens et services non volatils. Et il n'est pas nécessaire d'être un génie pour comprendre comment cette tendance est mise en œuvre : en portant rapidement notre attention sur les investissements et les désinvestissements internationaux, dans l'indifférence des cabinets d'analystes financiers aux lèvres desquels nous sommes suspendus, surtout lorsqu'ils promulguent leurs jugements et évaluations sur les bilans des entités publiques et privées, conditionnant directement les flux d'investissement et l'appréciation du capital qui en découle.

Nous ne nous intéressons même plus aux dommages causés par les "nouveaux" instruments financiers que sont les swaps et les contrats à terme (dérivés), et encore moins aux contrats d'option qui ont presque supplanté les anciens instruments traditionnels de circulation monétaire. Obligations, obligations d'État, actions et fonds d'investissement, qui servent à l'expansion de la circulation des capitaux sur plusieurs marchés en même temps, certains réglementés et d'autres très riches et plus rentables qui échappent totalement aux autorités réglementaires internationales (dark pools).

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Ce qui a la plus grande influence sur la volatilité de l'argent, déclenchant les processus de turbulence du marché, ce sont ces types de transactions, plus la capacité des grandes banques à déplacer d'énormes quantités de liquidités. La somme de toutes ces composantes est la principale cause des crises financières. Par conséquent, s'il est sans doute vrai que la structure des revenus salariaux financiers est inversée, il est également vrai que dès la fin des années 1970, cette mécanique financière a trouvé un terreau fertile chez les salariés au bas des hiérarchies financières de l'époque, dictée par les échelons supérieurs et bien assimilée en aval.

Et comme on pouvait s'y attendre, compte tenu de la nature des avantages acquis par les employés au bas des hiérarchies financières, la situation a considérablement changé. L'augmentation initiale des salaires pour ceux qui se trouvent au bas de la hiérarchie (+35% de salaire par rapport à ceux qui travaillent dans d'autres secteurs), par opposition à ceux qui se trouvent au sommet, avec une augmentation de la contribution mais pas au même niveau que leurs subordonnés (+20%), a fini par être bouleversée. En un peu moins d'une décennie, nous sommes passés au seuil des fatidiques années 1980, à une profession dans le secteur financier qui favorisait ceux qui étaient en haut de l'échelle (+ 60 %) et non ceux qui étaient en bas (+ 10 %).

Ce résultat a été obtenu par une double combinaison: la concurrence accrue entre les acteurs financiers les moins bien classés et la rentabilité du processus de transformation du système économique, qui a vu les aspects purement productifs supplantés par les aspects financiers. Le précurseur de la "finance ouverte" d'aujourd'hui, de la concurrence financière étendue. Une compétitivité tous azimuts qui va même jusqu'à séparer les producteurs des distributeurs de services financiers, à l'intérieur et à l'extérieur du secteur financier, avec l'intention de vouloir étendre les services financiers des Big Tech (Amazon, Apple, Facebook, Alibaba et Tencent, Samsung, Microsoft, Huawei, eBay et Walmart surtout), à l'image de ce qui se passe dans les pays hors UE.

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Tandis que les sociétés non financières sont gagnées par la bancarisation, augmentant sans aucun doute leurs revenus financiers en combinant la vente de leurs biens et produits avec la distribution de crédit. Mais en se soumettant simultanément à la coercition des actionnaires et de la direction, en visant directement la création de valeur pour les actionnaires. Une foi aveugle dans les stratégies du management qui remodèlent progressivement les activités principales des entreprises, externalisent les activités annexes, délocalisent la production dans des pays à bas salaires et annulent les droits fondamentaux des travailleurs.

Les bénéficiaires sont les chefs d'entreprise salariés, qui devraient être affaiblis par la centralisation de l'actionnariat, mais c'est exactement le contraire qui se produit. En réaffirmant et en renforçant leur pouvoir, ils s'assurent en fait qu'ils n'agissent qu'au nom de l'actionnariat. Un pouvoir " éphémère " et conditionné par une rentabilité élevée. Ce n'est pas une coïncidence si les salaires des 350 PDG les mieux rémunérés sont passés de 3 à 30 millions de dollars.

L'endettement est la principale forme de la financiarisation des ménages américains. Pendant de nombreuses années, les ménages les plus pauvres ont été exclus du crédit bancaire, ce qui n'était pas le cas de la classe moyenne. Mais le développement du crédit américain, soutenu par la déréglementation et la titrisation, a été un échec. Elle n'a réussi qu'à faire passer la classe moyenne au-dessus du seuil de pauvreté et la classe inférieure bien au-dessus du seuil de pauvreté.

La classe moyenne bénéficie du développement du crédit principalement pour l'achat d'une maison, tandis que la classe pauvre utilise le crédit pour la consommation. Dans les deux cas, pour l'achat d'un logement ou pour des produits de première nécessité, le problème est le même : le remboursement et le surendettement. L'inclusion dans le crédit américain n'est bénéfique que pour les autres tranches de revenus au-dessus de la classe moyenne, et encore moins pour les ménages en dehors de celle-ci.

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Il en résulte une augmentation de l'inégalité entre les tranches de revenus en termes d'accès au crédit, garanti ou non, qui ne fait certes aucune distinction sur la base de l'origine ethno-raciale mais qui est une source de friction constante entre les différents groupes ethniques et sociaux. Une situation à la limite de l'explosif qui s'ajoute au pourcentage en forte baisse de salariés bénéficiant d'un plan de pension.

En 1980, 55% des employés en bénéficiaient, et en 2014, moins de 40%. De plus, la transformation des plans de pension à prestations définies, avec un calcul de cotisations définies, les rend plus incertains et encore moins rentables. L'état de l'éducation ne jouit pas non plus d'une bonne santé. L'augmentation considérable du coût de l'enseignement supérieur a entraîné une forte hausse de la dette étudiante, étirant les calendriers de remboursement sur de plus longues périodes. Comme on peut facilement le deviner, cela affecte la possibilité de planifier une carrière et une vie future qui n'implique pas le remboursement de la dette à court terme.

La variété et l'unicité de la financiarisation

Au terme de ce bref exposé sur la financiarisation aux Etats-Unis, sur les liens entre les différentes formes de financiarisation, il est urgent de s'interroger sur le caractère unitaire du processus qui implique l'espace et le temps, agissant au sein des différents secteurs de l'économie.

La typologie systémique de la financiarisation de l'économie aux États-Unis est également présente dans d'autres États et entités supranationales comme endémique. La plupart des chocs mondiaux, tels que la fin du système de Bretton-Woods (1971), ont brusquement réactivé le marché des changes, affectant effectivement toutes les économies de marché.

Mais si dans la sphère de la géopolitique les Etats-Unis ont perdu de leur aplomb, ce qui ne peut se déduire d'après les propos des deux derniers présidents en exercice et en excluant du discours les relations sino-américaines et celles avec la Russie, à l'inverse, la place centrale des Etats-Unis dans l'économie mondiale est quasiment intacte.

A toutes fins utiles, ils restent les plus grands diffuseurs de tendances financières telles que la "révolution actionnariale", un système bancaire et d'octroi de crédit qui, après le Glass-Steagall Banking Act (1933) dans lequel des réformes substantielles contre la spéculation financière étaient présentes, a bien pensé à l'abroger, le remplaçant par le Gramm-Leach-Bliley Act (1999), une loi qui allait dans le sens contraire. L'un des nombreux échecs du président Bill Clinton et, par la suite, du réformisme d'Obama, faisant preuve d'une insipidité apocalyptique avec sa "loi de réforme de Wall Street" ou loi Dodd-Frank (2010), avec des résultats embarrassants.

Le fait que des lois comme le Glass-Steagall Act (1933) n'aient jamais été pleinement mises en œuvre en Europe en dit long sur les orientations économiques dictées par la finance, avec les mêmes résultats néfastes outre-mer. Il ne faut pas avoir d'œillères pour comprendre que si une solution est valable et qu'elle est en faveur d'une économie qui s'écarte de la financiarisation, elle peut être mise en œuvre sur le Vieux Continent mais avec ses propres spécifications. Ceci, compte tenu de la situation qui est devenue complètement hors de contrôle. Il faut dire qu'aux États-Unis, il existe des communautés politiques et sociales qui s'écartent diamétralement du "politiquement correct", des hypothèses économico-financières actuelles. Parmi les nombreux, et pour donner un petit exemple, nous trouvons des centres d'études tels que l'Institut Telos-Paul Piccone, mais d'autres qui regardent les choses d'un point de vue non doctrinal.

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Pourquoi n'y aurait-il pas une comparaison avec d'autres réalités qui ne suivent pas les diktats néo-libéraux, qui remontent au drame de l'arbitrage et de la spéculation des années 1970-1980 ? En bref, leur idéologie a conduit à une extension sans précédent de la financiarisation. En Amérique comme en Europe, en Russie, en Chine, en Amérique centrale et du Sud et en Asie, nous trouvons des exemples qualifiés qui sont avant tout écoutés, pour la raison qu'ils étudient correctement les piliers de la financiarisation.

Selon eux, ce qui devrait également être le cas pour nous, l'argument important est de réussir à détricoter les piliers qui ont aboli les règles des anciens agents de change, l'informatisation des transactions et la dérégulation du commerce des produits dérivés. Faire le point : le moment est venu d'avoir une discussion constructive sur le rythme des différentes dimensions de la financiarisation américaine. Qui ne peut faire abstraction de l'unité du phénomène, pour examiner des notions diamétralement différentes.

Après tout, principalement en provenance des États-Unis, des signaux d'alarme nous parviennent sans cesse que nous ne pouvons ignorer. La maximisation des profits a toujours été le but ultime du capitalisme. Mais quelque chose est en train de changer et il y a un risque qu'il se réalise, indépendamment de l'évolution du secteur financier. À l'inverse, le développement "grandiose" de certaines sociétés de gestion d'actifs, comme BlackRock, risque de faire sauter la banque. Les tensions possibles entre le développement du secteur financier et la valeur actionnariale sont en jeu.

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Les ménages qui s'en remettent aux sociétés de gestion d'actifs, échaudés par la crise boursière de 2001, ont déjà abandonné la détention directe d'actions, optant pour des parts de fonds communs de placement ou de fonds de pension. L'actionnaire est de moins en moins une personne physique. Il s'agit plutôt d'une entité abstraite non spécifiée, toujours dans la bouche des opérateurs financiers.

Et comme ces sociétés de gestion d'actifs détiennent de grandes parts de l'économie (en 2018, les trois plus grands groupes de gestion d'actifs possédaient 22 % de l'indice boursier S&P 500), elles pourraient abandonner la logique de maximisation de la valeur actionnariale pour concentrer leurs efforts sur le concept de propriétaire universel, idée formulée à l'origine par le duo James P. Hawley et Andrew T. Williams. Selon eux, dans leur essai publié en 2000 sous le titre sans équivoque The Rise of Fiduciary Capitalism - How Institutional Investors Can Make Corporate America More Democratic, tout le monde peut exploiter une idée innovante. Pour résumer brièvement ce qu'ils affirment, les fonds de pension pourraient être un élément clé du capitalisme démocratique (Soupir !).

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Un discours que nous avons déjà développé dans l'article précédent Le dixième anniversaire du "nouveau monde" capitaliste est un cauchemar, à propos du capitalisme étatique et/ou "démocratique" qui semble trouver une nouvelle vie aux États-Unis, malgré toutes les contradictions. Plus précisément, la volonté de remédier à un capitalisme à multiples facettes sous-estime les implications mêmes des États. Il n'est pas nécessaire de remonter trop loin, il suffit de penser aux montagnes russes des vaccins et à la valse des médicaments.

Tout cela, alors que les sociétés de gestion d'actifs verraient leurs bénéfices augmenter, simplement en se mettant sur un pied d'égalité et avec moins d'exponentialité. En outre, il convient de rappeler qu'aux États-Unis, elles peuvent accélérer une phase initiale de croissance économique dans son ensemble, mais, cela ne fait aucun doute, elles font pencher la balance du côté des externalités "financiarisées" et autres. Certainement pas vers les complémentarités positives d'une activité donnée.

Les sociétés de gestion d'actifs sont des oligarchies capitalistes, pas des bienfaiteurs ! C'est pourquoi ils semblent ne pas s'intéresser à la question pour l'instant, remettant la question à plus tard. Il semble que oui, mais ce n'est pas une fatalité. Afin d'assurer le pouvoir, l'accumulation d'argent et la rentabilité maximale, ils pourraient s'écarter des canons de la maximisation de la création de valeur. Ce que nous constatons depuis plus d'un an maintenant et qui n'a rien à voir avec la valeur actionnariale des entreprises non "financiarisées", encore moins avec la généralisation de l'endettement des ménages américains et l'influence croissante des marchés financiers comme moyen d'intermédiation financière.

Les quatre tendances, on pourrait dire les quatre orientations du marché, suivent chacune leur propre "rythme" mais elles ont toutes un lien spécifique. Il ne tient qu'à nous d'inverser la tendance, le plus rapidement possible. Les ménages italiens et européens ne sont pas mieux lotis que les ménages américains, et ce n'est pas une consolation du tout. Les matrices des filigranes économiques et financiers sont les mêmes, jusqu'à preuve du contraire. Cependant, ce n'est pas ce que diraient les Américains, n'est-ce pas ? Posons une question et donnons une réponse. Et si cela ne suffit pas, que l'on "décide" que les solutions doivent être les mêmes ou que l'on retourne à la macroéconomie britannique du 20e siècle, cela signifie que nous sommes vraiment dans une mauvaise passe.

20:16 Publié dans Actualité, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : économie, actualité, financiarisation | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 19 juin 2022

Ludwig von Mises au-delà de la droite et de la gauche : sur les leçons de l'école autrichienne d'économie

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Ludwig von Mises au-delà de la droite et de la gauche: sur les leçons de l'école autrichienne d'économie

Michael Kumpmann

Source: https://www.geopolitika.ru/de/article/mises-jenseits-von-rechts-und-links-ueber-die-lektionen-der-oesterreichischen-schule-der

Dans mes textes et dans mon entretien avec Stefan Blankertz, je me suis beaucoup référé au texte de Douguine, "Libéralisme 2.0", et j'ai poursuivi les idées qui y sont exposées. Il y a cependant un sujet que j'ai eu tendance à éluder jusqu'à présent. Douguine divisait le libéralisme en trois phases et disait que la première phase, qu'il associait à Hayek et à l'école autrichienne, était encore la plus supportable et un allié potentiel dans la lutte contre le libéralisme de gauche actuel, de type sorosien. Mais jusqu'à présent, j'ai plutôt abordé des auteurs centrés sur la société, comme Leo Strauss, et j'ai évité autant que possible l'économie.  J'aimerais maintenant corriger cette omission et proposer une sorte de "Mises de droite" (ou plutôt "Au-delà de la droite et de la gauche").

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Tout d'abord, le projet d'un "Marx de droite" est plutôt à l'ordre du jour dans les cénacles de la Nouvelle Droite européenne. Les libéraux-conservateurs et certains libertariens de premier plan comme André Lichtschlag (photo), une plume qui s'exprime dans Junge Freiheit (cf.: https://de.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_F._Lichtschlag), s'en émeuvent et demandent que l'on cesse de se rapprocher de Marx et que l'on se dirige plutôt vers Mises et Hayek. Une telle position n'a aucun sens. L'analyse de la position marxiste par des personnalités comme Alain de Benoist a apporté aux milieux non-conformistes de nombreuses informations importantes. Notamment celle selon laquelle l'économisme a été érigé en doctrine politique dans les sociétés libérales et que les métaphores du marché et de la concurrence ont envahi des domaines où elles n'avaient pas leur place. (Le meilleur exemple en est le marché du mariage. La concurrence n'est pas une fin en soi, mais doit remplir des fonctions concrètes dans l'économie. C'est pourquoi de tels "marchés sont aussi des absurdités économiques"). Ou la prise de conscience qu'un impératif invisible prévaut en Occident : les gens doivent vivre pour le marché.  De telles découvertes sont très justes et importantes. C'est pourquoi l'étude de Marx ne peut pas être rejetée au seul profit des Autrichiens (de l'école autrichienne). De plus, des libertaires comme Stefan Blankertz (photo, ci-dessous) ont lancé des analyses similaires de la théorie marxiste. Plutôt que de "détester" Marx, il serait donc probablement plus judicieux de comparer la manière dont de Benoist, Benedikt Kaiser et Stefan Blankertz interprètent Marx et de voir où se situent les différences et les similitudes.

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L'un des problèmes de l'analyse d'Alain de Benoist et de Benedikt Kaiser est cependant qu'ils ne séparent pas assez clairement les composantes économiques et idéologiques du capitalisme. La maxime actuelle "l'économie est la chose la plus importante dans la vie et la meilleure façon de résoudre les problèmes sociaux est de donner des emplois aux femmes, aux migrants, aux handicapés et aux autres minorités et d'ignorer complètement tout le reste (par exemple l'amour, la famille, la religion, etc.) ou même de le dénigrer comme un obstacle à l'activité capitaliste, car seule l'économie compte", n'est pas du tout inhérente à l'économie. Josef Schumpeter, par exemple, considérait l'esprit de famille comme un moteur central de l'économie et de l'entrepreneuriat.

Et bien sûr, il faut également dire que l'économie en général est une incarnation du principe de "vie nue" critiqué par Leo Strauss et Giorgio Agamben. Il est important de noter qu'avant la crise du coronavirus, les économistes étaient au moins aussi impliqués dans la "tyrannie de la vie nue" que les médecins aujourd'hui. C'est pourquoi il serait préférable d'exclure autant que possible les économistes du discours politique.

Mais que peut malgré tout apprendre la 4e position des Autrichiens ?

Douguine a mentionné Henry de Lesquen comme un "hayekien de la nouvelle droite". Lesquen a décrit le libéralisme comme un outil utile, mais sur lequel toute la société ne peut pas être construite seule.  Il utilise ensuite l'idée de Hayek de "présomption de savoir" pour se prononcer en faveur de la tradition. Il affirme qu'un seul homme n'a pas assez de connaissances pour transformer radicalement le monde, mais que la tradition humaine est une collection de nombreuses stratégies qui ont été essayées par de nombreuses générations pendant des milliers d'années et qui se sont révélées les plus utiles.  C'est pourquoi, dans l'esprit de Hayek, il vaut mieux préserver la tradition que d'adopter un utopisme hostile à la tradition [1]. Lesquen fait également remarquer que l'économie libérale (par exemple la "main invisible" de Smith) a été conçue comme une économie nationale et non comme un État mondial globalisé (ce qui implique également que l'avantage de l'entrepreneuriat pour la société réside dans la solidarité de l'entrepreneur avec sa communauté).  Mais en même temps, Lesquen a expressément souligné que les idées libérales ne devaient pas quitter la sphère de l'économie et ne devaient pas s'immiscer dans des institutions telles que la famille, etc.

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Du point de vue de l'existence, la théorie de la valeur subjective ("les choses dans le monde n'ont pas de valeur et de prix objectifs, mais elles ont de la valeur parce que quelqu'un décide qu'elles ont de la valeur à ce moment-là") serait la plus intéressante, car elle se complète parfaitement avec les idées de Husserl, Heidegger, etc. Dans certains cas, la théorie de la valeur subjective est également utilisée pour contester le fait qu'il existe quelque chose qui serait également rationnel pour tous les êtres humains. Un chaman dansant autour d'un feu de brousse ne serait pas plus irrationnel qu'un investisseur de Wall Street.  Ceci est également très important et constitue un bon argument pour remettre en question l'idée d'un progrès linéaire.

Dans la perspective du traditionalisme, l'idée de Carl Menger sur la préférence pour le présent, et en particulier son traitement par Hans Hermann Hoppe, est la plus intéressante. Celle-ci affirme en gros que les systèmes traditionnels tels que la monarchie peuvent très bien planifier sur de longues périodes et sont capables de sacrifier le désir pour des objectifs à long terme ou "éternels". Cependant, les systèmes modernes comme la démocratie libérale ont détruit cette idée et favorisent de plus en plus la satisfaction du désir à court terme, ce qui explique pourquoi ces systèmes perdent lentement leur avenir.  Le mouvement néo-réactionnaire de Mencius Moldbug (photo, ci-dessous; pseudonyme de Curtis Yarvin) utilise précisément cette théorie pour rapprocher les idées libertaires de la tradition intégrale représentée par Guénon et Evola. (Michael Anissimov -photo, ci-dessous- est particulièrement important ici).

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Mencius Moldbug et Michael Anissimov.

La description de Hopper selon laquelle le propriétaire d'un territoire pourrait décider librement des règles et des systèmes politiques sur son territoire, sans être lié par des choses comme les droits de l'homme, et pourrait et devrait "enlever physiquement" toute personne qui n'est pas d'accord avec ses actions, est nettement plus proche de Carl Schmitt que de John Locke. Et sa théorie dit clairement que personne ne peut être forcé d'établir un système libéral sur son territoire.

En ce qui concerne la tradition, il faut dire que l'État organique, dans l'interprétation d'un système "confucianiste" de relations d'obligations informelles réciproques (par exemple parents/enfants, paysans et société, etc.), s'harmonise bien avec la théorie de l'ordre spontané dans de nombreux domaines. (Bien que Rothbard associe plutôt cette idée au philosophe taoïste Zhuangzi) [2].

Guénon a décrit dans le texte La dégénérescence de la monnaie que la monnaie devrait en fait être basée sur l'or et que le "système de papier-monnaie non couvert" ("fiat money") du dollar actuel était une déchéance qui causerait des dommages extrêmes.  Ezra Pound a également critiqué ce système et Haku Zynkyoku a décrit ce système de "Réserve fédérale" comme un "système extrêmement malveillant" qui servirait "Yamata no Orochi", un démon serpent shintoïste qui symbolise la destruction et le déclin et qui vient à intervalles réguliers pour exterminer presque complètement l'humanité.

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Et c'est précisément dans ce domaine qu'il y a une convergence étonnamment élevée avec les objectifs des partisans de l'école autrichienne. En effet, l'un de leurs cris de guerre est exactement: "End the Fed(eral Reserve) ! Le meilleur exemple de cette convergence dans l'espace germanophone pourrait également être le livre "Goldgrund Eurasien".

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Un problème de l'école autrichienne est qu'elle n'est pas objective en raison de la praxéologie de Ludwig von Mises, mais se considère explicitement comme un "individualisme méthodologique". Elle fait donc explicitement partie de la première théorie politique du libéralisme. Pour rendre l'école autrichienne utilisable, il faut d'abord la séparer de la première théorie politique.

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L'ordolibéralisme en Allemagne, influencé par Alfred Müller-Armack (photo, ci-dessus) et surtout Ludwig Erhard, a été explicitement conçu comme une forme de "troisième voie" entre le capitalisme et le socialisme. Dans le même temps, l'école autrichienne a également joué un rôle important.

La Chine est également un exemple connu d'économie de marché illibérale depuis les réformes de Deng Xiaoping. En tant qu'Européen, on a même souvent l'impression que les Chinois respectent davantage la liberté économique que nous, alors que chez nous, les "libéraux" s'occupent plutôt de retentissantes conneries comme le genre (le "gendérisme").

On sait qu'il y avait un lien entre les réformes de Deng et le régime de Pinochet, qui était un étrange croisement entre le libéralisme et le fascisme et qui a été loué par Hayek. (mais son système juridique a été influencé par les théories de Carl Schmitt à la même époque). Le disciple de Hayek, Milton Friedman, était un invité de marque du gouvernement chinois et devait notamment l'aider à lutter contre l'inflation. Friedman a ensuite travaillé à la fin du contrôle des prix par l'État (Une mesure qui est également associée, sous une forme similaire, au miracle économique allemand des années 1950). [3]

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Cependant, Friedman n'appartenait plus à l'école autrichienne, mais à l'école dite de Chicago. L'influence de l'école autrichienne sur la Chine est controversée dans la littérature (Murray Rothbard a cependant déclaré que le gouvernement chinois voulait acheter le plus de livres possible sur le sujet à l'Institut Mises américain). L'essai scientifique "The (Im-)Possibility of Rational Socialism : Mises in China's Market" (L'(im-)possibilité d'un socialisme rationnel : Mises sur le marché chinois) d'Isabella Weber avance la thèse selon laquelle l'économiste chinois Jiang Chunze aurait été un disciple de Ludwig von Mises et aurait voulu profiter de l'échec du "grand bond en avant" de Mao pour combiner les idées autrichiennes avec celles du soi-disant "socialisme de marché". En plus de lui, des paysans comme Jing Rongben et leurs thématisations du soi-disant "problème du calcul socialiste" (soulevé principalement par Mises) auraient été décisifs pour la réforme. (Problème de calcul socialiste = s'il y a un planificateur central qui peut fixer les prix, il n'y a pas de sous-enchère pour produire les choses au meilleur prix, ce qui signifie que les coûts élevés évitables ne sont pas identifiés).

Selon ce document, Rongben aurait eu une idée intéressante pour la 4e théorie politique en examinant ce sujet : il n'existe pas de modèle économique idéal qui fonctionne dans chaque endroit et vers lequel le progrès se dirige inévitablement.  Au lieu de cela, les habitants d'une région doivent trouver eux-mêmes le modèle économique qui leur convient le mieux. Et ils ne pourraient le trouver que s'il existait une possibilité de créer différents modèles et de les tester "de manière compétitive" (Ergo plus généralement : une monoculture progressiste politique globale aboutit également à l'érosion de la concurrence et à l'émergence d'une "mauvaise gestion"). 

Dans le même temps, Rongben écrit que les socialistes doivent abandonner la doctrine de l'égalité. Cependant, il faut dire que les économistes chinois ont conclu que la propriété privée et l'individualisme n'étaient pas indispensables au bon fonctionnement de l'économie et qu'il n'était pas nécessaire de rejeter l'intervention de l'État. Il faut simplement veiller à ce que la concurrence ne soit pas ébranlée. (Il n'est cependant pas nécessairement expliqué QUI doit être en concurrence.) Ils recommandaient cependant d'autoriser au moins un certain degré de propriété privée et de ne pas tout nationaliser. Cela rappelle quelque peu "l'économie du pouvoir" de Thiriart.

L'engagement de Rongben en faveur de la concurrence, pourrait-on dire avec Nietzsche, est en quelque sorte un engagement envers la nature humaine. Et le refus complet de toute concurrence est contraire à la vie. Mais la concurrence ne doit pas être un "chacun pour soi" sans solidarité. On peut très bien dire que la famille, la paroisse, le peuple, etc. devraient former une "équipe" en compétition, qui se comporte de manière solidaire les uns envers les autres et qui devrait également aider les membres les plus faibles. Les meilleurs membres de l'équipe doivent se battre tranquillement pour leur place dans la "tempête", mais les autres membres doivent également être entraînés.

Un tel "von misesianisme à la chinoise" autorise généralement des systèmes de marché sans primauté de l'individu, tels que la doctrine sociale chrétienne, le distributisme de G.K. Chesterton, le strasserisme, les systèmes de gildes prémodernes (tels que ceux représentés par Crowley et Evola) et offre la possibilité de réconcilier les idées de personnes comme Pierre-Joseph Proudhon avec l'école autrichienne.

Le gouvernement chinois a également voulu éviter l'influence des entreprises sur la politique lors des réformes. Ce principe devrait également être adopté, car dans le "libéralisme 2.0" occidental, c'est le principe opposé qui prévaut et des entrepreneurs tels que Bill Gates et George Soros veulent se profiler comme des créateurs de politique et transformer la société par le biais d'ONG. Les entrepreneurs ne devraient toutefois pas pouvoir s'ériger en "plombiers de la société".  L'idée américaine libérale de gauche de l'entrepreneur comme bienfaiteur progressiste qui fait avancer la société peut sembler belle sur le papier. Mais un coup d'œil sur Soros et compagnie, ou sur le fait que les entrepreneurs américains ont soutenu le mouvement eugéniste dans les années 30, montre que le slogan de Friedman "Le seul but de l'entrepreneur est de gagner de l'argent" était peut-être meilleur et plus humain après tout [4].

Un autre problème des Autrichiens est bien sûr que, dans la tradition libérale, tous les individus sont de facto des entrepreneurs qui prennent des décisions libres pour des raisons purement rationnelles. Dans ce contexte, l'idée d'un pauvre prolétaire contraint de faire un "boulot de merde" par nécessité, qu'il ne fait que pour ne pas mourir de faim mais qu'il maudit intérieurement, est absurde, tandis que son patron exploite la nécessité de ce "pauvre type" pour son propre profit. Cela n'apparaît pas chez Mises et consorts. Cela montre que la théorie de l'école autrichienne ne peut représenter qu'une partie de la vérité et qu'elle doit être complétée par d'autres concepts de la deuxième théorie politique et parfois même de la troisième théorie (les travailleurs d'Ernst Jünger).

Notes:

[1] En Allemagne, une économie très attachée aux familles et à la tradition a été créée après 1945 sous la direction de Ludwig Erhard (photo), influencé par l'école autrichienne. Et dans des pays comme le Japon, l'économie s'est également souvent bien intégrée à la tradition sous l'influence des "Autrichiens", au lieu de l'attaquer.

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[2] Il est intéressant de noter que des personnes comme Lee Kuan Yew (Singapour) ont très souvent enseigné un mélange d'idées de Hayek et de Confucius.

[3] L'exemple de la Chine montre que le concept de "socialisme monétaire pour une inflation délibérément générée" inventé par Roland Baader est assez stupide.

[4] Le libéralisme 2.0 doit de toute façon être considéré comme une campagne de marketing visant à faire accepter le capitalisme libéral à la gauche. Ce système d'ONG d'un Soros ou d'un Gates blanchit la position de l'entrepreneur.  La politique des minorités y est toujours liée à l'affirmation implicite que c'est précisément le capitalisme qui aide les "minorités pauvres et discriminées". Il en résulte toutefois que l'"homo economicus" pénètre dans des domaines sociaux où il n'a pas sa place.

jeudi, 16 juin 2022

Le Bitcoin: une utopie libertaire ou un outil aux mains de la finance mondiale?

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Le Bitcoin: une utopie libertaire ou un outil aux mains de la finance mondiale?

Pietro Bottazzi

SOURCE : https://www.theunconditionalblog.com/bitcoin-unutopia-libertaria-o-uno-strumento-nelle-mani-della-finanza-globale/

Selon une information récente, l'État du Salvador a légitimé l'utilisation du bitcoin dans le pays comme moyen de paiement - à côté de la monnaie officielle qui est le dollar américain -, ce qui en fait le premier État au monde à avoir rendu les crypto-monnaies légales dans son système économique et financier [1]. Depuis un certain temps déjà, dans les pays qui se caractérisent par une infrastructure bancaire médiocre ou qui n'ont que peu ou pas d'accès au crédit, les gens utilisent des monnaies numériques en remplacement des monnaies officielles pour leurs besoins quotidiens [2].

Qu'est-ce qui est nouveau dans la sphère monétaire au niveau mondial, au point que les régulateurs institutionnels sont obligés de bouger, alertés par les taux de développement très élevés de cette technologie ?

Le monde des bitcoins est complexe et pour le comprendre, il faut avoir une vue d'ensemble distincte, qu'il n'est pas facile d'embrasser d'un seul coup.

Il faut d'abord se demander: le bitcoin est-il une monnaie ? Si pour ses admirateurs la question n'a même pas besoin d'être posée car le bitcoin est non seulement une monnaie mais sera la monnaie du futur, en réalité il ne remplit aucun des attributs qui identifient la monnaie, c'est-à-dire en résumé: être une unité de compte qui fixe les prix des biens, émise par une autorité centrale qui agit comme garant, et qui se réfère à un actif sous-jacent qui assure sa valeur, qui peut être une denrée rare (comme l'était l'or jusqu'à la fin des accords de Bretton Woods) ou la puissance économique et militaire d'une nation. Le bitcoin n'a pas ces exigences et ne devrait pas les avoir car il a été inventé pour se conformer à une dynamique stricte de pair à pair (face à face) qui priverait les banques et les institutions de leur centralité dans le mouvement de l'argent. La structure qui permet cela est une blockchain, la véritable âme révolutionnaire de ce produit. La blockchain est le registre public de toutes les transactions qui ont lieu en bitcoin, sur lequel la transaction financière est identifiée et son historique enregistré de manière inaltérable.

Mais si le bitcoin n'a pas d'organe financier pour protéger son existence et n'a pas de réserve de valeur comme garantie, et ne peut même pas entrer dans la définition plus traditionnelle de la monnaie, d'où tire-t-il sa valeur ? Dit autrement : qui est chargé de noter l'origine d'un bitcoin ?

Un bitcoin est un actif numérique fini (rare) qui est produit par minage (extraction), lequel consiste à résoudre une chaîne alphanumérique imposée par un algorithme. Cela peut sembler complexe mais c'est très simple. Au départ, une communauté s'est formée autour d'une idée conçue par un personnage fictif japonais dont le rêve, après la crise mondiale de 2008 déclenchée par l'éclatement de la bulle des prêts hypothécaires à risque, était de se libérer du pouvoir des banques et des financiers. Il a conçu un protocole, soutenu par une petite fraternité d'adeptes, qui se déroulait comme suit: un algorithme produit des quiz numériques (chaînes alphanumériques à décrypter), ceux qui partagent cette idée s'organisent pour avoir la capacité de décrypter, de résoudre ces quiz. En contrepartie, ils recevront un enregistrement sur un registre public (la blockchain), une authentification ou un "tampon".  La valeur de ce cachet (c'est-à-dire ce déverrouillage ou cette authentification numérique de la solution) est donnée par la reconnaissance de cette capacité de calcul par la communauté. Au départ, il fallait peu d'énergie et de temps pour résoudre chaque défi généré par l'algorithme, peu de personnes participaient et la valeur du "timbre" était faible. Aujourd'hui, elle est beaucoup plus compliquée, compte tenu de l'intérêt suscité et du plus grand nombre de personnes impliquées, et nécessite des équipements beaucoup plus puissants.  En fait, sa valeur a connu une croissance exponentielle suivant la règle selon laquelle plus la demande d'une denrée rare est forte, plus son prix est élevé.

L'or pourrait bien servir de contre-valeur équivalente à la monnaie en raison de sa rareté et de la dépense d'énergie humaine à mettre dans son extraction, et ces propriétés sont également présentes dans la structure du bitcoin.  Le protocole élaboré par son créateur fait en sorte que leur production soit limitée, c'est-à-dire que l'algorithme fournit 25 bitcoins par bloc et pas plus, pour un total de 21 millions de bitcoins au-delà duquel il n'est plus possible de les extraire.

Les bitcoins ainsi frappés sont placés au-dessus des États et des banques - et c'est là leur motif idéologique le plus fort, à savoir utiliser un système qui supprime l'arbitraire des gouvernements et le considérer comme un moyen de se libérer d'un système économique qui a fait de la dette un outil d'esclavage. Néanmoins, elles en viennent à jouer un rôle commercial et financier, car leurs détenteurs, par le biais de plateformes d'échange, peuvent les utiliser, lorsqu'elles sont acceptées, pour acheter des biens et des services, ou les convertir en d'autres devises. C'est donc ce double aspect d'être une monnaie désintermédiée mais utilisable comme contre-valeur pour le commerce qui en fait un instrument sur lequel l'attention de beaucoup se porte, augmentant sa diffusion à l'échelle mondiale.

D'autre part, dans le monde globalisé d'aujourd'hui, où émergent une nouvelle guerre froide technologique et de nouvelles stratégies géopolitiques pour la sécurité des États basées sur le contrôle et la possession de l'information, il ne faut pas s'étonner que la valeur d'une monnaie soit centrée sur une chaîne informatique contenant des informations (bit = information).

Si cette technologie peut susciter la perplexité, force est de constater que toute la finance devient de plus en plus une affaire de lignes de code et d'algorithmes. La plupart des fonds d'investissement sont devenus des fonds "passifs", c'est-à-dire des fonds qui investissent et désinvestissent, laissant la fonction de suivi des indices boursiers à des algorithmes complexes.

Le système bitcoin est donc un Janus à deux visages: il peut être à la fois une opportunité et un autre outil du système financier mondial, la chasse gardée d'une petite élite, qui reproduit l'argent par l'argent et contourne les systèmes fiscaux des différents pays.  D'une part, dans les pays où les structures bancaires/financières ne sont pas développées, comme mentionné au début, ou qui sont souvent soumis à des politiques monétaires externes agressives, la possibilité d'utiliser un moyen de paiement libre et neutre affecte le mode de vie des gens. En outre, l'utilisation de la monnaie numérique protège l'épargne des taux de dévaluation des monnaies nationales - souvent l'objet de spéculations de la part des grands fonds mondiaux - et annule les frais bancaires liés au transfert d'argent d'un pays à l'autre, qui peuvent affecter la valeur de la transaction jusqu'à un tiers.  Pour le deuxième aspect, il est également évident que les banques privées, après les premiers moments de perplexité, et même si cela échappe à leur contrôle, ont flairé que le bitcoin pouvait être un instrument de spéculation.

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L'anthropologue français Etienne Perrot (photo) affirme qu'avec l'adoption des crypto-monnaies à grande échelle, une mutation anthropologique est en train de se produire, qui, avec la suppression des intermédiaires classiques grâce à l'utilisation de la blockchain, pousse à l'extrême la tendance culturelle qui s'articule autour de l'individualisme, caractéristique du système néo-libéral, en dévaluant l'instance politique fondée sur la communauté [3]. Mais l'idée originale de son inventeur - connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto - était consécutive à une vision économico-politique d'une société alternative, à savoir celle d'une démocratie directe exprimée dans une société basée sur une approche coopérative entre les personnes, dans laquelle certains biens sont considérés comme n'étant pas susceptibles d'être possédés par quiconque. Il s'agit d'une alternative à la vision plus traditionnelle d'une société fondée sur des autorités centrales exerçant de vastes pouvoirs et sur l'interrelation entre public et privé (avec toutes les distorsions auxquelles le bien public est soumis dans cet échange).

En l'état actuel des choses, pouvons-nous attribuer cette fonction aux crypto-monnaies, ou ne s'agit-il pas fondamentalement d'une autre tournure vers la spéculation ?

L'esprit anarchique de l'origine s'est largement perdu. Les "mineurs" solitaires sont désormais rejoints par des "pools miniers", de puissantes sociétés de haute technologie qui ont tendance à acquérir de gros pourcentages de la capacité minière et donc de la propriété du bitcoin.

Cependant, sa révolution n'est pas terminée. Pensons simplement à la possibilité pour ceux qui n'ont pas accès au crédit d'établir un régime commercial fonctionnel et autonome, libre de la finance traditionnelle. Ou ceux qui ont subi des interdictions comme Wikileaks, dont le site a été fermé en 2010 et qui a été empêché d'effectuer des transactions financières par les principaux circuits de crédit, et qui ne survit que parce que son fondateur Julian Assange reçoit la moitié de ses dons en bitcoins et autres monnaies virtuelles.

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L'originalité réside également dans le fait d'avoir une valeur symbolique qui diffuse un autre récit sur la monnaie, qui peut revenir à rassembler une communauté au lieu d'en créer un semblant autour de la consommation sans fin de biens. Pour ce message utopique, nous le considérons comme apparenté à ceux qui professent la souveraineté monétaire, bien que de nombreux facteurs les différencient.

Un inconvénient de toutes les technologies informatiques/numériques dont font partie les bitcoins - que les politiciens n'ont pas le moins du monde compris, entichés et possédés par le nouvel esprit de la numérisation du globe -, est qu'elles sont extrêmement énergivores et ne sont pas du tout au service de l'inversion du changement climatique. Les installations s'entassent dans des cloud cities [4], véritables villes spécialisées dans le stockage de données.

Si l'on ne peut construire une idée de la société exclusivement autour de l'argent, il ne fait aucun doute, en revanche, du pouvoir coercitif qu'il exerce sur les États et les populations par le biais des organismes internationaux, qui exercent un néocolonialisme candide et feutré sur les pays qui tentent de se sortir de la pauvreté et reçoivent en retour un assujettissement économique et politique par la force.

Pietro Bottazzi

17:11 Publié dans Actualité, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, économie, monnaies numériques, bitcoin | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Lagarde saborde l'Europe

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Lagarde saborde l'Europe

par Luigi Tedeschi

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/lagarde-affossa-l...

La tempête du tout récent vendredi noir sur les bourses européennes s'est fait attendre. Les décisions de Lagarde de relever les taux de 25 points et la fin du programme d'achat de titres de la BCE ont conduit à cet effondrement: en Europe, on a enregistré des pertes de 265 milliards de capitalisation, dont 39 milliards à la bourse de Milan, qui a été la pire de l'UE avec une chute de 5,17 %.

Les effets de la hausse des taux de la BCE étaient entièrement prévisibles. L'inflation aux États-Unis a atteint 8,6 %, le pic le plus élevé depuis 40 ans. Dans le cadre des récentes hausses de 75 points des taux américains et des nouvelles hausses attendues dans les mois à venir dans le cadre du programme de la Fed, l'Europe aussi aurait dû s'adapter tôt ou tard, étant donné l'interconnexion économico-financière entre les États-Unis et l'UE. Également afin d'éviter la fuite massive des capitaux en euros attirés par des taux plus rémunérateurs dans la zone dollar.

Il s'agissait de mesures monétaires destinées à contenir l'inflation qui s'était manifestée dans la phase de reprise post-pandémique avec la hausse des prix de l'énergie et la pénurie de semi-conducteurs pour l'industrie. Les banques centrales ont prédit que ce phénomène inflationniste était temporaire, car il était dû à la demande excédentaire apparue à la fin de la pandémie et à l'énorme quantité de liquidités émises par les banques pour faire face à la crise du COVID 19. La hausse de l'inflation persiste et semble inarrêtable.

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La guerre en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie ont accentué les effets d'une crise déjà en cours. Toutefois, il faut considérer que les causes de l'inflation américaine par rapport à l'inflation européenne diffèrent considérablement. Aux États-Unis, l'inflation a été causée par une demande excessive et doit donc être considérée comme un phénomène congénital d'une phase de croissance accentuée. Ce n'est pas un hasard si la thérapie anti-inflationniste américaine est beaucoup plus agressive qu'en Europe. Cependant, le gouverneur de la FED, Jerome Powell, contrairement à Lagarde, a également annoncé des mesures pour permettre un "atterrissage en douceur", c'est-à-dire pour compenser les effets de la hausse du coût de l'argent, afin de ne pas compromettre la croissance économique. Les résultats de ces choix restent toutefois à voir. En Europe, en revanche, le phénomène inflationniste est dû à la hausse du coût des matières premières, avec un impact important sur les coûts de production et la perte de compétitivité des exportations. L'inflation érode également le pouvoir d'achat des citoyens, ce qui entraîne une dépression de la consommation. Ainsi, une phase économique de stagflation apparaît en Europe, avec une croissance et une inflation faibles.

Le relèvement des taux de la BCE s'avère donc être une mesure qui affectera négativement les perspectives de reprise de l'économie européenne. En fait, Mme Lagarde n'a annoncé qu'un relèvement des taux, qui sera suivi d'une nouvelle hausse de 50 points en septembre, sans aucun garde-fou pour la croissance. Les perspectives incertaines de l'économie européenne s'intensifient et la réaction négative des marchés ne s'est pas fait attendre. Le défaut fondamental de la politique de la BCE se trouve dans l'approche exclusivement monétaire qu'elle a adoptée pour traiter les problèmes d'inflation, ignorant les effets secondaires qui ne tarderont pas à se manifester dans l'économie réelle. Giulio Sapelli note à cet égard dans une interview récente : "Ceux qui croient que ce sont des problèmes qui peuvent être résolus avec les outils dont dispose une banque centrale, les fameux whatever it takes, se ridiculisent tout simplement. Encore plus pour le fait que la BCE est tout sauf une banque centrale. Nous pouvons la définir comme une institution financière qui, jusqu'à présent, achète des obligations d'État en imprimant de la monnaie commune au profit des nations signataires d'un traité, qui ne modifie toutefois ni les politiques fiscales ni le bien-être. La hausse des prix est uniquement déterminée par les attentes des marchés boursiers, qui tirent vers le haut".

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En effet, Lagarde n'a pas annoncé, en même temps que la hausse des taux, la création simultanée d'un bouclier anti-spread, c'est-à-dire d'un programme visant à sauvegarder la soutenabilité des dettes publiques des Etats membres de l'UE qui, à ce stade, pourraient faire l'objet de vagues spéculatives agressives, avec pour conséquence des crises financières qui pourraient se propager dans toute la zone euro. En fait, il faut garder à l'esprit que les effets de cette augmentation s'ajoutent à ceux liés à la décision de mettre fin au programme QE, avec lequel, par l'achat indirect de titres par la BCE et donc par des émissions périodiques de liquidités, la banque centrale avait soutenu la dette des États membres dans les phases déflationnistes qui ont suivi la crise de 2008 et la crise pandémique. Ces mesures peuvent peut-être freiner l'inflation, mais au détriment de la reprise économique et pourraient produire des augmentations incontrôlables des spreads. Les prévisions de croissance pour l'Italie ont été revues à la baisse : 2,6% pour 2022, 1,6% pour 2023 et 1,8% pour 2024.

Mais la création d'un bouclier anti-spreads, déjà invoqué dans divers forums afin d'empêcher la spéculation financière sur les dettes souveraines, semble irréalisable. La BCE devrait en fait acheter des titres de créance italiens à haut risque et vendre en même temps des titres de créance allemands hautement sécurisés afin de garantir la dette publique des États membres de la zone euro. La proposition de créer un bouclier anti-propagation se heurterait à l'hostilité catégorique des pays frugaux. Cependant, certaines remarques spécifiques doivent être faites à propos du moralisme financier rigide prêché par les pays frugaux (Allemagne & C.). La crise de la dette italienne n'a-t-elle pas été déclenchée par la vente de 7 milliards de titres détenus par la Deutsche Bank, qui ont ensuite atterri dans les valeurs refuges de la dette allemande ? Face à de telles manœuvres spéculatives, ouvertement déstabilisantes pour un Etat membre, il n'y a eu aucune critique moralisatrice ni aucune alarme face à la perspective d'un défaut de paiement de l'Italie. Au contraire, ces perspectives ont déclenché de nouvelles spirales spéculatives sur les produits dérivés. Cependant, c'est l'Italie qui a subi les effets de la politique d'austérité imposée par l'UE à travers le gouvernement technique de Mario Monti.

Devant l'impossibilité de mettre en place un bouclier anti-spread européen, l'hypothèse de déléguer la gestion des dettes publiques des Etats au MES a refait surface dans les milieux financiers européens. En réalité, la BCE n'est pas une véritable banque centrale, elle n'a pour mission que d'assurer la stabilité financière de la zone euro, elle ne remplit pas de fonctions de politique économique et n'a pas le rôle de prêteur en dernier ressort. Par conséquent, toute intervention sur les écarts de taux étant en dehors de ses attributions statutaires, cette fonction devrait être déléguée au MES, un organisme extérieur à l'UE qui peut intervenir dans les crises de la dette en imposant des conditionnalités capricieuses dans le versement des prêts, puisqu'elles peuvent être modifiées en fonction de situations qui varient dans le temps : le MES peut également imposer des mesures de restructuration de la dette qui pourraient conduire au défaut des États. L'expérience de la boucherie sociale de l'austérité à laquelle la Grèce a été condamnée est éclairante en ce qui concerne les conditionnalités imposées par le MES.

Dans les phases de crise, les limites, les contradictions et les conflits irréconciliables au sein de l'UE refont surface, une structure financière rigide imposée à l'Europe et, surtout, qui s'est avérée inadaptée pour fonctionner dans des contextes géopolitiques mondiaux en constante évolution.

Avec la hausse des taux d'intérêt et la fin du QE, le cauchemar du spread est réapparu en Italie. L'écart entre les obligations italiennes et le Bund allemand a augmenté de 233 points, le plus haut depuis février 2014. Les prédictions de Giulio Sapelli, exprimées dans l'interview susmentionnée, sont très pessimistes: "L'Italie se dirige vers une situation qui ne ressemble pas tant au défaut de l'Argentine qu'à celui du Liban. Et donc nous nous retrouverons avec les mêmes partis à la tête du pays, même au niveau économique, le gouvernement Draghi sera reconduit et il y aura une division du territoire économique entre les banques françaises et les industries allemandes. Le traité du Quirinal signé entre Rome et Paris sera suivi d'un traité italo-allemand, ce qui conviendra particulièrement à Berlin et, je vous en dirai plus, même d'un traité italo-espagnol".

Lors du Black Friday, les plus fortes baisses ont été enregistrées dans le secteur bancaire, avec des pertes de 8,6 %. Ce secteur a enregistré des baisses globales d'environ 22% depuis le début de l'année. Cette tendance négative est en lien direct avec la performance des titres de la dette publique. Les banques détiennent 400 milliards de BTP dans leur portefeuille. L'augmentation de l'écart a entraîné une dévaluation importante des obligations d'État dans les actifs des banques. Ces diminutions pourraient entraîner une détérioration progressive des ratios de fonds propres du système bancaire italien, ce qui pourrait gravement affecter leur capacité à fournir des crédits aux entreprises et aux citoyens. Les effets dévastateurs sur l'économie réelle sont évidents. L'augmentation du coût de l'argent pèse sur les entreprises à un stade déjà extrêmement critique pour l'économie italienne. De plus, la hausse des taux d'intérêt se répercute sur l'augmentation des intérêts des prêts hypothécaires, ce qui pèse lourdement sur le budget des familles, décimé par l'inflation qui, de plus, affecte les salaires dont le pouvoir d'achat était déjà bien inférieur à la moyenne européenne dans la phase d'avant-crise. Nous assisterons à la multiplication des insolvabilités qui, en plus de détruire économiquement des milliers de familles, contribueront à créer davantage d'instabilité dans le système bancaire.

Le problème de la dette des Etats est insoluble, car ces derniers restent à la merci des vagues spéculatives de la finance mondiale. Seule une croissance structurelle planifiée de l'économie réelle pourrait assurer la viabilité de la dette publique.

Il est vrai que le versement des fonds NG-EU sous forme de subventions et de prêts à des taux très bas aura pour effet de réduire les besoins de l'État d'environ 50 % et donc de réduire l'émission d'obligations d'État. Mais l'impact dans la reprise économique des fonds européens sera toujours diminué par l'inflation et un ralentissement de la croissance dû aux événements géopolitiques qui changeront les perspectives économiques dans un avenir proche. Une révision de la NG-EU serait nécessaire pour l'adapter aux nouvelles situations. Il serait également nécessaire de créer de nouveaux fonds européens pour faire face à une crise énergétique qui entraînera des changements structurels dans l'économie européenne. Ces propositions ne semblent pas trouver un soutien adéquat dans les organes institutionnels de l'UE, étant donné l'hostilité des pays frugaux.

Même les perspectives de développement de l'euro semblent incertaines. La hausse des taux aurait dû entraîner des entrées de devises et donc une appréciation de l'euro par rapport au dollar. Au lieu de cela, l'euro s'est déprécié de 2,2 % en 48 heures. En cas de crise, le capital cherche des havres de sécurité. Par conséquent, comme l'euro n'offre pas de garanties suffisantes de stabilité dans ce contexte, les capitaux affluent vers la zone dollar, qui en sort renforcée.

L'ère de l'argent à coût zéro est-elle donc révolue ? Giulio Tremonti déclare dans une interview au Giornale du 11/06/2022 : "Ce qui aurait pu être une technique d'urgence, est devenu une technique de longue date. Cela a duré 10 ans, avec une satisfaction illusoire et universelle. Et c'est ainsi que le tout-venant est devenu un tout-venant. Il y a deux ans, à l'Eurotower, pour la passation de pouvoirs entre les présidents, dans le public qui applaudissait se trouvaient les chefs d'État et de gouvernement de toute l'Europe. Il aurait été difficile de voir De Gasperi ou Adenauer, Mitterand ou Cossiga courir pour applaudir les "banquiers". ... 'L'image que cette iconographie nous transmet est la suivante : l'axe du pouvoir s'est déplacé des peuples et des gouvernements vers la finance. Aujourd'hui, le pouvoir des banquiers est remis en question par le marché et la réalité. C'est la fin d'une décennie. Dix années qui ont commencé par l'austérité et sont passées par la magie, qui à un moment donné a également évolué vers l'idée d'une bonne dette. Et maintenant, le processus s'est arrêté".

En réalité, l'offre illimitée de liquidités et les taux d'intérêt nuls, voire négatifs, ont été les instruments financiers grâce auxquels on a pu échapper à la crise de 2008. Ils ont constitué les conditions de la survie du capitalisme financier mondialiste pendant plus d'une décennie. Cependant, en Europe, ces instruments financiers extraordinaires, qui ont été adoptés tardivement par rapport aux États-Unis, ont eu des effets limités, au-delà de la rhétorique pro-Draghi. En fait, la croissance européenne a été bien plus faible qu'en Chine et aux États-Unis (la croissance de l'Italie a été presque inexistante), l'économie européenne n'a jamais retrouvé ses niveaux d'avant 2008 et, dans la phase déflationniste, l'inflation européenne n'a pas réussi à atteindre les 2 % prévus. Giulio Tremonti remarque avec sarcasme : "L'objectif était même trop ambitieux : il était de 2 pour cent, nous avons déjà atteint 8 pour cent".

Des financements extraordinaires ont été nécessaires pour préserver un système néo-libéral toujours identique, au-delà des échecs répétés. Après la crise de 2008, le système économique mondial aurait dû être réformé et réglementé en profondeur. Mais au lieu de cela, la déréglementation financière mondiale s'est intensifiée, les liquidités émises pendant la phase de pandémie ayant largement afflué vers les marchés financiers, au détriment du soutien à l'économie productive. Nous avons assisté à des performances record répétées des marchés financiers, mais celles-ci ont été assorties d'une récession mondiale de l'économie réelle.

Verrons-nous, avec la hausse des prix de l'énergie, l'inflation galopante et la montée en flèche des spreads, cette tempête parfaite par laquelle le capitalisme génère sa restructuration créative ? La tempête parfaite est un dogme idéologique néolibéral répétitif et dépassé. Les transformations géopolitiques en cours conduiront à un monde multipolaire avec des scénarios sans précédent et imprévisibles. Il pourrait y avoir une réduction de la zone dollar et une réduction de la zone d'influence politique et économique de l'Occident dans le monde. La mondialisation mondialiste pourrait se décomposer en de nombreuses mondialisations régionales ou tout au plus continentales.

Cette fois, des horizons inconnus et sombres se préparent également pour l'avenir du capitalisme.

mardi, 14 juin 2022

L'UE et son secteur énergétique après l'Ukraine

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L'UE et son secteur énergétique après l'Ukraine

Par Ivelina Dimitrova

Source: https://www.eurasia-rivista.com/leu-ed-il-suo-settore-energetico-dopo-lucraina/

Le conflit militaire en Ukraine a considérablement affecté non seulement les parties directement impliquées, mais aussi l'ensemble de l'Europe et, dans un sens, le monde entier, car il entraîne des changements généraux dans la structure économique, financière et géopolitique en place à l'échelle mondiale.

On s'attend généralement à ce que le conflit militaire et les sanctions que l'Occident et la Fédération de Russie s'imposent continuellement l'un à l'autre approfondissent la division et conduisent à la création d'un monde multipolaire, où quelques superpuissances diviseront le monde en régions, chacune d'entre elles dominant ses propres territoires géographiques d'influence. Cette théorie est particulièrement populaire parmi les groupes de réflexion analytiques russes, où elle a commencé à être discutée il y a plus de deux décennies (après le 11 septembre 2001, qui a été un tournant symbolique précédant la fin du monde contrôlé uniquement par les États-Unis).

Les analystes européens ont commencé à discuter de ce scénario plus tard et il n'a été présenté officiellement aux médias et au grand public qu'après le début du conflit en Ukraine. Le ministre russe des affaires étrangères lui-même, Sergueï Lavrov, lors de son premier voyage à l'étranger après le début du conflit, qui s'est déroulé, non par hasard, à Pékin, a annoncé que "la Russie et la Chine veulent un ordre mondial multipolaire, équitable et démocratique".

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On ne sait pas encore si ce scénario pour le développement du monde se réalisera ou non, mais certains points importants sont devenus clairs depuis lors et méritent d'être mentionnés. Tout d'abord, le conflit militaire entre la Russie et l'Ukraine, qui est par essence un conflit à un niveau bien plus profond que l'aspect militaire et qui oppose en fait la Russie et l'Occident, a conduit à un point de non-retour entre les parties impliquées. La situation actuelle est différente de celle qui prévalait lors de l'annexion de la Crimée quand, bien que tendues, les relations entre Moscou et l'Occident collectif ont réussi à se normaliser, notamment sous la présidence de Donald Trump. Aujourd'hui, la Russie a joué "va banque", c'est-à-dire a parié sur le "tout ou rien", et il est clair qu'il lui est impossible de revenir à la situation antérieure, notamment parce que Moscou ne le souhaite pas, comme le montrent ses actions. Une autre chose, qui est déjà claire, c'est que l'Occident collectif (le monde anglo-saxon et l'Union européenne) ne peut plus unir le reste du monde autour de ses positions. Ce qui est bon pour le monde occidental n'est pas nécessairement bon pour le reste du monde. Des régions telles que l'Amérique latine, l'Asie et l'Afrique n'étaient pas intéressées par l'imposition de sanctions à l'encontre de la Russie (car cela va à l'encontre de leurs intérêts économiques), pas plus qu'elles n'étaient intéressées ou impliquées dans le conflit militaire en Ukraine en général. Ce fait montre que le monde n'est déjà plus monopolistique et que le reste des régions du globe ose désormais exprimer des positions politiques différentes de celles de l'Occident. À l'avenir, cette tendance sera de plus en plus patente. Le troisième fait que ce conflit a montré est que le système financier tel qu'il existe actuellement va changer radicalement. La demande de Moscou de payer le gaz en roubles, la monnaie russe, montre que de nouvelles monnaies (y compris électroniques) vont gagner en popularité et que l'hégémonie absolue du pétrodollar touche à sa fin. Avec elle aussi la domination économique et politique de Washington.

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Et si le scénario d'un monde multipolaire divisé en régions se réalise, la seule question ouverte est la suivante : qui seront les nouvelles superpuissances et quelles seront leurs régions d'influence ? Pour l'instant, trois des superpuissances apparaissent assez clairement sur l'échiquier - les États-Unis, la Fédération de Russie et la Chine. Il est également très probable que l'Inde devienne une nouvelle superpuissance avec sa propre sphère d'influence.

La situation de la Grande-Bretagne est tout à fait incertaine. Le Brexit a montré que Londres avait de grandes aspirations à maintenir ses positions et sa ligne politique indépendante de Bruxelles pour lui permettre de faire partie des nouvelles grandes puissances. Cependant, la question est de savoir si elle y parviendra ou non: c'est encore bien incertain. Londres continue à avoir et à jouer un rôle important dans la région de l'Asie centrale, au Pakistan et en Turquie (le Grand Turan), mais il se trouve qu'elle n'a plus les mêmes positions en Inde.

Le sort de l'UE et la manière dont son projet se développera à l'avenir ne sont pas clairs non plus. D'une certaine manière, le premier signe que le monde change, et qui a dû être analysé en profondeur à Bruxelles, a été le Brexit.  La sortie de Londres a remis en question l'existence même de l'UE, l'essence de son avenir, le concept même du projet européen et a créé un précédent très dangereux. La fin de l'ère Merkel, qui était considérée comme une figure centrale de la politique européenne, a montré que, pour l'instant, l'UE n'a pas de leadership fort capable de donner des orientations politiques à tous les États membres.  Par conséquent, l'avenir de l'Europe après le conflit en Ukraine est plus incertain et plus vulnérable car on ne sait toujours pas si l'UE maintiendra sa relation étroite (et dans une certaine mesure sa dépendance) avec Washington, si elle deviendra plus indépendante et si elle conservera sa forme politique actuelle.

Cependant, quel que soit le monde après l'Ukraine, une chose est sûre pour l'instant : une fois de plus, après le printemps arabe au Moyen-Orient, le Vieux Continent est la région qui sera la plus touchée en raison de sa proximité avec la zone de conflit et de ses liens économiques étroits avec l'Ukraine et la Russie. Surtout, l'UE sera affectée économiquement en raison des sanctions imposées à et par la Russie. Il n'est pas exclu que, dans le pire des scénarios possibles de famine et de pénurie alimentaire (l'Ukraine et la Russie sont les principaux fournisseurs de céréales pour la région du Moyen-Orient et l'Afrique), l'Europe soit à nouveau frappée par des vagues de migration en provenance de ces régions. Mais même sans que ce sombre scénario ne se réalise, il existe un risque réel que dans le nouvel ordre mondial et le nouvel équilibre des pouvoirs, l'Europe soit potentiellement la grande perdante - tant sur le plan géopolitique qu'économique. Elle a également le plus à perdre étant donné que, jusqu'à présent, la qualité de vie sur le Vieux Continent est la plus élevée au monde.

Il ne fait aucun doute que l'un des plus grands défis et l'une des plus grandes préoccupations de l'UE après le conflit en Ukraine seront les approvisionnements en énergie eux-mêmes et la hausse des prix des ressources énergétiques entraînant une très forte inflation au niveau mondial et, de là, une crise économique structurelle. Certains des défis pour le secteur de l'énergie sont directement liés à la crise en Ukraine, alors que d'autres ne le sont pas. Et même si Bruxelles essaie de parler d'une seule voix en termes de politique énergétique contre la Russie, les intérêts des membres de l'UE dans le secteur de l'énergie sont très différents. Cela est dû au fait que l'impact économique des sanctions diffère d'un pays à l'autre. Par exemple, un pays comme l'Espagne sera beaucoup moins touché que la Bulgarie, car le premier est moins dépendant des approvisionnements énergétiques russes, alors que le second en est encore presque totalement dépendant. Pour cette raison, un regard plus détaillé sur la carte énergétique de l'Europe sera proposé afin d'esquisser des scénarios possibles de ce à quoi nous pouvons nous attendre.

Le tableau 1 montre la production d'électricité par habitant en Europe par type de combustible. Les données datent de 2013 et bien qu'il y ait quelques variations et changements une décennie plus tard, il est important de prendre ce tableau en considération alors que le resserrement des conditions économiques et les sanctions contre la Russie, principal fournisseur de ressources énergétiques de l'Europe, mettent en danger le Green Deal et la transition de l'Europe vers une économie à zéro émission. Au cours de la dernière décennie, l'UE a fait d'énormes progrès vers une économie verte et a considérablement augmenté la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique. Mais en période d'aggravation de la crise économique dans le monde, de montée en flèche des prix des ressources énergétiques et, de surcroît, de restrictions sévères imposées à son principal fournisseur d'énergie - l'Europe risque de revenir aux sources de production d'énergie d'avant la transition verte. En fait, les premiers signes sont déjà là : après avoir limité autant que possible les importations d'énergie en provenance de Russie et afin de compenser l'écart créé, certains pays ont annoncé leur intention de rouvrir la production d'énergie non verte. Par exemple, la plus grande économie d'Europe, l'Allemagne, après avoir fermé ses derniers réacteurs nucléaires et après le début du conflit en Ukraine, a annoncé qu'elle pourrait ne pas éliminer progressivement ses centrales électriques au charbon comme prévu initialement. Le pays fortement dépendant des importations de gaz en provenance de Russie a annoncé en mars 2022 qu'il créait des réserves stratégiques de charbon qui permettraient aux centrales électriques de fonctionner sans importations pendant 30 jours d'hiver [1].

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Tableau 1; Source : https://ec.europa.eu/energy

Le Green Deal qui envisage une économie écologiquement neutre en Europe d'ici 2050 nécessite d'importants investissements dans les nouvelles technologies et la restructuration énergétique, qui, en période de conflits militaires, d'inflation élevée et de crise économique à venir, pourraient ne plus être disponibles. De nombreux pays de l'UE soutiennent l'Ukraine en lui fournissant une aide militaire et humanitaire. Les pays frontaliers tels que la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie et la Slovaquie acceptent également un grand nombre de migrants ukrainiens, et les fonds destinés à la transition énergétique et aux innovations dans le secteur de l'énergie pourraient ne plus être disponibles, du moins dans un avenir proche. Plus encore en période de hausse des prix mondiaux des denrées alimentaires et des matières premières, une transition stricte vers l'émission zéro en Europe rendra les économies de l'UE non compétitives à l'échelle mondiale, car le coût de l'énergie pour la production en Europe deviendra encore plus élevé que dans le reste du monde. Enfin, quel serait l'impact écologique mondial si l'Europe devenait zéro émission mais que les régions environnantes comme le Moyen-Orient, la Russie, la Turquie et l'Afrique du Nord ne le faisaient pas ?

Le principal problème est que l'Europe, bien qu'augmentant sa part d'énergie renouvelable, reste très dépendante des importations d'énergie, notamment de la Russie. Les données de la Commission européenne [2] montrent que 40% des importations de gaz naturel de l'UE proviennent de Russie, 18% de Norvège, 11% d'Algérie et seulement 4,6% du Qatar. Mais l'Europe est également très dépendante de la Russie pour l'importation de combustibles fossiles et de pétrole (environ 30 % des importations totales proviennent de là). C'est une dépendance qui pourrait être surmontée et remplacée à long terme, mais pas à court terme, sinon l'UE elle-même risque une catastrophe économique. En bref, l'Europe pourrait remplacer les approvisionnements énergétiques en provenance de la Russie, mais pas immédiatement et on ne sait pas encore quel prix social les Européens devront payer pour cela.

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Tableau 2 ; Source : Eurostat, mai 2020

En réalité, malgré toutes les intentions et stratégies de transition énergétique pour la période de 1990 à 2020, l'UE en général a maintenu les mêmes niveaux d'importations d'énergie malgré la forte augmentation de la part des énergies renouvelables. Cela est dû au fait que, dans l'intention de devenir plus verts, de nombreux pays ont fermé leurs secteurs énergétiques à forte intensité de carbone, mais comme ils ne pouvaient pas compenser immédiatement cette fermeture par des énergies renouvelables, ils l'ont compensée par des importations, paradoxalement principalement en provenance de Russie. Le tableau 2 du "Statistical pocketbook for 2020" de la Commission européenne montre les importations des principaux carburants en Europe pour la longue période de 1990 à 2018.

En outre, la dépendance de l'UE à l'égard des importations de gaz naturel a considérablement augmenté entre 1990 et 2018, tandis que les importations de combustibles fossiles et de pétrole sont restées pratiquement inchangées. Et même si la part des importations de ressources énergétiques a diminué pour certains pays en raison de l'augmentation de la production d'énergies renouvelables, la dépendance moyenne pour l'ensemble de l'UE reste considérable. Certains pays comme l'Italie ont diminué leur dépendance aux importations d'énergie, d'autres comme l'Allemagne sont devenus plus dépendants de ces importations.

Les données du tableau 3 [3], établies à partir des statistiques d'Eurostat, confirment unanimement ce qui a été dit précédemment, à savoir que l'Europe a largement remplacé sa production d'énergie par des importations au cours des deux dernières décennies. La transition vers les énergies renouvelables est importante mais encore loin d'être suffisante pour assurer le fonctionnement de l'économie européenne et, en période de crise économique, la mise en œuvre des innovations et des nouvelles technologies peut finir par être ralentie en raison d'un manque de ressources financières.

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Tableau 3; Source : Eurostat

Selon les données d'Eurostat [4], en 2020, l'Union européenne a produit 42 % de son énergie (contre 40 % en 2019) et le reste a été importé. La baisse des importations est due à la crise de Covid et au ralentissement des économies européennes. Le bouquet énergétique de l'ensemble de l'UE est composé de cinq grands types de combustibles : les produits pétroliers, dont le pétrole brut qui représente 35 % du total (près de 30 % est importé de Russie), le gaz naturel représente 24 % du bouquet énergétique total (près de 40 % est importé de Russie), les énergies renouvelables 17 % du bouquet énergétique européen total, l'énergie nucléaire environ 13 % et les combustibles fossiles solides 12 %.

Comme mentionné plus haut, un point important qui empêche Bruxelles de parler d'une seule voix est que les sources d'énergie dans les mix énergétiques varient largement entre les pays, de sorte que chaque pays sera affecté différemment par la situation actuelle et les sanctions contre Moscou. Par exemple, l'Allemagne, malgré l'augmentation des énergies renouvelables, reste fortement dépendante des combustibles fossiles et du gaz naturel (importé à 97%) ; des pays comme Chypre et Malte sont dépendants du pétrole brut, l'Italie et les Pays-Bas sont fortement dépendants du gaz naturel (40% et 38% respectivement) ; le mix énergétique de la France est composé à 41% d'énergie nucléaire ; la Suède et la Lettonie ont la plus grande part d'énergies renouvelables 49% et 40% et la Pologne et l'Estonie sont toujours dépendantes des combustibles fossiles. Il est évident que les pays qui ont une part considérable de gaz naturel, de pétrole et de combustibles fossiles dans leur mix énergétique seront les plus touchés. Même s'ils n'importent pas de Russie, les restrictions russes à l'importation et la demande accrue de ces produits sur le marché international entraîneront une augmentation significative des prix qui aura des conséquences économiques et sociales.

Prenons à nouveau l'exemple de l'Allemagne, qui a été l'un des moteurs du "green deal" européen et dans ce rôle, elle a prévu d'éliminer les combustibles fossiles de son mix énergétique d'ici 2045 ; le gaz naturel était donc considéré comme un pont dans cette transition. Maintenant, avec l'incertitude sur le sort des approvisionnements en provenance de la Russie, Berlin discute des options pour construire des terminaux GNL afin de livrer du gaz provenant de différents fournisseurs, car d'autres pays voisins comme la France, les Pays-Bas et la Belgique possèdent déjà de tels terminaux. Selon les informations de la Commission européenne, les importations de GNL représentaient 20 % des importations totales de gaz de l'UE en 2021, dont la demande est d'environ 400 milliards de m3 par an, ce qui fait de l'Europe le plus grand importateur de gaz au monde. La capacité totale d'importation de GNL de l'UE est d'environ 157 bcm par an et les plus grands importateurs de GNL en Europe sont l'Espagne (21,3 bcm), la France (18,3 bcm), l'Italie (9,3 bcm), les Pays-Bas (8,7 bcm) et la Belgique (6,5 bcm).

Toutefois, le GNL a une empreinte écologique plus importante que le gazoduc ; les processus de refroidissement, de transport et de liquéfaction nécessitent également beaucoup d'énergie. Une autre préoccupation qui déplaît aux organisations environnementales est le fait que le GNL en provenance des États-Unis est basé sur la technologie de fracturation, considérée comme écologiquement hostile et donc interdite dans de nombreux pays européens. Un point positif de l'infrastructure GNL est qu'elle pourrait être utilisée pour la production d'hydrogène lorsque cette technologie sera développée et mise en œuvre pour une utilisation de masse. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le coût de la mise en œuvre des futures technologies de l'hydrogène et le coût de la construction des terminaux GNL à l'heure actuelle. En outre, certaines régions du continent européen telles que le Sud-Est, l'Europe centrale et orientale et la Baltique ne disposent pas encore d'une infrastructure développée pour le GNL, ce qui nécessitera des investissements supplémentaires. La principale préoccupation des utilisateurs finaux de gaz et des gouvernements est que le GNL peut être sensiblement plus cher pour le consommateur final. C'est notamment un problème pour les pays d'Europe de l'Est où la pauvreté énergétique (les consommateurs qui, pour des raisons financières, ne peuvent pas se permettre de payer leurs factures ou ne peuvent pas chauffer leur maison à une température adéquate) est assez répandue. Cependant, malgré ses inconvénients et ses coûts, compte tenu de la situation énergétique actuelle en Europe, la construction de terminaux GNL est une option à planifier et à développer, bien qu'à un prix plus élevé.

Le secteur des énergies renouvelables présente lui-même certaines spécificités qui doivent être analysées plus en profondeur afin que ce secteur ne reste pas bloqué dans cette période difficile. Quand on parle d'énergie renouvelable produite à partir du soleil, du vent ou de l'eau, il faut considérer que chaque pays a des spécificités géographiques qui le rendent moins ou plus apte à développer tel ou tel type d'énergie renouvelable. Par exemple, certains pays ont plus de soleil, d'autres plus de vent ou de ressources en eau et d'autres encore n'en ont pas. Les technologies telles que l'hydrogène pour la production d'énergie doivent encore être développées pour se généraliser en Europe à un prix acceptable. Un autre défi considérable pour le secteur des énergies renouvelables dans l'UE, s'il doit compenser partiellement l'approvisionnement en énergie russe, est le fait que les technologies de stockage de l'énergie doivent être développées et mises en œuvre rapidement, sinon les énergies renouvelables ne sont pas compétitives. Le plus grand inconvénient est que sa production n'est pas stable au cours de la journée et au fil des saisons et qu'il faut donc développer des installations de stockage pour équilibrer, ce qui n'est pas le cas pour l'instant. Le manque d'infrastructures pour le transport et la disponibilité de l'énergie provenant de sources renouvelables est également un problème considérable pour la plupart des pays.

Un autre défi considérable est que la plupart des matériaux utilisés pour la production des technologies d'énergie renouvelable, comme les panneaux solaires, les batteries de stockage, les voitures électriques, sont fabriqués à partir de métaux rares et coûteux que l'Europe importe. Cela signifie, encore une fois d'une manière ou d'une autre, en fonction de facteurs externes. Parmi les métaux clés pour les économies à faible émission de carbone figurent le lithium, le nickel, le cobalt, le manganèse et le cuivre. Ainsi, au lieu d'être à forte intensité de carbone, l'économie européenne peut devenir à forte intensité de métaux, ce qui permet de contenir le risque que le monde connaisse des pénuries de certains d'entre eux dans un avenir proche.

Les graphiques de certains des métaux les plus demandés pour les technologies des énergies renouvelables (ces graphiques ne représentent pas tous les métaux utilisés et nécessaires dans les nouvelles technologies) montrent que les tendances ne sont pas en faveur de l'Europe car elle ne possède pas de réserves substantielles de ces ressources.

Les tableaux suivants montrent où se trouvent les plus grandes réserves de matières premières nécessaires à la production de technologies d'énergie renouvelable[5].

Les pays possédant les plus grandes réserves de cobalt, de lithium et de métaux de terres rares sont indiqués sur les cartes.

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Tableau 4; Source : www.carbonbrief.org

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Tableau 5; Source : www.carbonbrief.org

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Tableau 6; Source : www.carbonbrief.org

Les graphiques sont loin d'être détaillés et n'incluent pas tous les métaux utilisés dans les technologies renouvelables, mais ils montrent clairement le risque potentiel que l'UE échange une dépendance contre une autre. Par exemple, elle pourrait réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et augmenter sa dépendance vis-à-vis des importations de métaux en provenance de pays tels que la République démocratique du Congo ou la Chine. Cela reviendrait à répéter la situation qui s'est produite au cours des deux dernières décennies : de nombreux pays européens ont fermé leurs secteurs énergétiques à forte intensité de carbone mais ont augmenté leur dépendance à l'égard des importations d'énergie en provenance de Russie. Si elle n'est pas étudiée en détail, l'histoire risque de se répéter également avec les énergies renouvelables. Il faut également tenir compte du fait que la Russie détient une part très importante des métaux rares utilisés dans les technologies des énergies renouvelables.

Le dernier, mais non le moindre, des défis auxquels sont confrontées les énergies renouvelables est que le recyclage des métaux usagés n'est pas encore bien étudié et développé. Certains métaux peuvent être recyclés alors que d'autres, comme les métaux rares, ne le sont pas encore. Par conséquent, le recyclage ou le stockage des batteries au lithium, des panneaux solaires et d'autres technologies doit encore être amélioré, ce qui signifie davantage de coûts et d'investissements dans cette direction.

La transition d'une économie à forte intensité de carbone vers une économie à forte intensité de métaux recèle sans aucun doute de nombreux risques, vulnérabilités et empreintes écologiques à côté des avantages que nous connaissons déjà. Et l'Europe doit évaluer à l'avance les vulnérabilités et les dépendances auxquelles elle serait exposée sur la voie du Green Deal.

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Tableau 7; Source : www.world-nuclear.org

L'énergie nucléaire, et en particulier le développement de réacteurs nucléaires de petite et moyenne taille, pourrait être une option acceptable pour de nombreux pays de l'UE, notamment ceux qui possèdent déjà des centrales nucléaires, car ils disposent du savoir-faire et de la capacité technologique pour la mettre en œuvre plus rapidement. L'énergie nucléaire, contrairement aux énergies renouvelables, est très stable à tout moment de l'année et de la journée et, en ce sens, pourrait équilibrer l'énergie provenant de sources renouvelables qui dépend de nombreux facteurs externes tels que le climat. De nombreux pays du Moyen-Orient, dont les plus grands producteurs mondiaux de pétrole et de gaz, ont commencé à construire des centrales nucléaires pour équilibrer leur mix énergétique. Dans l'UE, selon les statistiques d'Eurostat, les centrales nucléaires ont généré environ 24 % de l'électricité totale en 2020, bien que, en raison des problèmes de sécurité et dans le contexte de la transition vers le Green Deal, la tendance soit à la diminution de ce type d'énergie. Actuellement, 13 pays de l'UE ont des centrales nucléaires en activité et pour ceux qui en ont, et pour l'Europe dans son ensemble, les centrales nucléaires pourraient être une solution permettant d'atténuer partiellement la crise de l'approvisionnement énergétique. Les normes de sécurité en Europe sont parmi les plus élevées au monde, et en s'y conformant, l'énergie nucléaire pourrait aider l'Europe dans la situation extrême dans laquelle elle se trouve actuellement.

Le secteur européen de l'énergie avait de nombreux défis à relever dans le cadre de la transition vers le Green Deal et en a deux fois plus aujourd'hui avec le conflit en cours avec la Russie et la montée en flèche des prix des ressources énergétiques dans le monde. On ne sait toujours pas comment se dérouleront les livraisons d'énergie en provenance de Russie, notamment pendant la prochaine saison hivernale. La stabilité sociale et économique du vieux continent est mise en danger en cas de pénurie d'énergie.

Dans cette situation extrême, l'Europe doit rechercher toutes les solutions alternatives pour devenir plus indépendante des importations d'énergie et maintenir la compétitivité de son économie. La transition vers le Green Deal ne doit pas se faire maintenant à n'importe quel prix, mais seulement après une évaluation claire du prix économique et social que les Européens doivent payer pour cela. Dans le contexte des nouveaux équilibres géopolitiques, il est plus important que jamais que l'Europe reste unie, ce n'est qu'à cette condition qu'elle pourra maintenir son importance géopolitique sur la scène mondiale. Mais pour préserver l'Union, Bruxelles doit tenir compte des nouvelles réalités. Les États membres de l'UE sont différents, leur potentiel économique est différent, leurs secteurs énergétiques sont différents, et les intérêts de tous les pays doivent être pris en compte. L'imposition unilatérale du pouvoir par Bruxelles ou la centralisation imposant la volonté des eurobureaucrates de Bruxelles ne fera qu'accroître le scepticisme européen parmi les gouvernements et les citoyens européens.

Plus que jamais, il est important que l'UE élabore son concept d'existence dans le nouveau monde sur la base des intérêts des citoyens européens. Plus que jamais, Bruxelles doit donner la priorité au bien-être économique et social de ses citoyens.  Pour la définition du nouveau rôle et des piliers conceptuels de l'Union, l'Europe a besoin d'une nouvelle philosophie existentielle.  Aujourd'hui plus que jamais, la voix des groupes de réflexion analytiques nationaux, des enseignants universitaires et des scientifiques doit être entendue par les politiciens, tant au niveau national qu'à Bruxelles. En ces temps de turbulences, il convient d'écouter et d'analyser attentivement les différentes opinions en Europe et à Bruxelles, sans oublier que l'anglais n'est plus qu'une langue de convenance dans l'Union.

NOTES:

[1] Euractiv.com, Germany reactivates coal power plants amid Russian gas supply threats, Nikolaus J. Kurmayer, 9 mars 2022, https://www.euractiv.com.

[2] Commission européenne, Direction générale de l'énergie, L'énergie dans l'UE en chiffres : le pocketbook statistique 2020, Office des publications, 2020, https://data.europa.eu/doi/10.2833/29877.

[3] Commission européenne, Direction générale de l'énergie, L'énergie dans l'UE en chiffres : le pocketbook statistique 2020, Office des publications, 2020, https://data.europa.eu/doi/10.2833/29877.

[4] Commission européenne, https://ec.europa.eu/eurostat/cache/infographs/energy/bloc-2a.html?msclkid=da2575f2cf6111ec9aa87e67219bcc8d

[5] https://www.carbonbrief.org/explainer-these-six-metals-ar...

La guerre économique de l'Occident entre le défaut de paiement de la dette russe et la lutte contre le yuan numérique

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La guerre économique de l'Occident entre le défaut de paiement de la dette russe et la lutte contre le yuan numérique

par Domenico Moro

Source : resistenze & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-guerra-economica-dell-occidente-tra-default-del-debito-russo-e-contrasto-allo-yuan-digitale

Ce n'est pas seulement une guerre par des moyens militaires qui se poursuit, par le truchement de l'Ukraine, entre l'Occident et la Russie. La guerre économique, non moins importante, se poursuit elle aussi. Ces derniers jours, des événements importants impliquant non seulement la Russie mais aussi la Chine ont eu lieu. Après tout, la confrontation, sur le plan économique, oppose principalement les États-Unis et la Chine, qui, en plus d'être l'allié stratégique de la Russie, est le plus grand concurrent des États-Unis pour l'hégémonie économique mondiale.

Le premier de ces nouveaux événements est le lancement du sixième train de sanctions de l'UE contre la Russie, qui comprend, entre autres, deux mesures fondamentales : l'exclusion de la plus importante institution bancaire russe, la Sberbank, du circuit Swift, ce qui rendra problématique le paiement à l'étranger des produits russes, et, surtout, l'embargo sur le pétrole russe. Apparemment, après un mois d'impasse, c'est un succès pour le front occidental contre la Russie, qui a réussi à se recomposer malgré l'opposition de la Hongrie à l'embargo. Les sanctions pétrolières sont toutefois soumises à des limites : l'arrêt des importations dans l'UE n'aura lieu qu'à partir du début de l'année prochaine et ne concernera que le pétrole brut importé par voie maritime, tandis que le pétrole brut importé via l'oléoduc Druzhba sera exclu de l'embargo. Cela permettra à la Hongrie, à la Slovaquie et à la République tchèque, pays enclavés, de continuer à s'approvisionner en pétrole brut jusqu'à une date qui reste à déterminer.

Mais les sanctions, qui font grimper les coûts de production dans les pays européens, auront un effet limité sur la Russie. En fait, les sanctions augmentent le prix international du baril de pétrole, ce qui permet à la Russie de réaliser des revenus plus élevés même en cas de réduction des volumes d'exportation. Lorsque la Commission européenne a promulgué le sixième train de sanctions, l'augmentation du prix du baril de pétrole s'est accélérée pour atteindre plus de 125 US$ par baril de Brent. Après tout, le pétrole a augmenté de 75 % en six mois.

Selon Bloomberg, l'embargo pétrolier ne coûterait que 10 milliards d'US$ sur un total de 270 milliards d'US$ que le gouvernement russe attend de l'exportation de produits énergétiques. Mais il n'y a aucune garantie qu'une telle perte de revenus sera effective : la Russie peut compenser les exportations perdues vers l'UE en les réorientant vers d'autres pays. En effet, le délai de mise en œuvre de l'embargo facilite non seulement la recherche de nouveaux fournisseurs par les importateurs européens. La Russie peut donc chercher d'autres débouchés pour ses exportations. En particulier, les exportations russes de pétrole brut se dirigent vers la Chine, l'Inde et d'autres pays, qui ont acheté plus de pétrole brut que d'habitude ces derniers mois. Ce n'est pas un hasard si en mai, les exportations russes de pétrole et de produits pétroliers ont atteint leur plus haut niveau depuis octobre 2019, soit 5,09 millions de barils par jour.

Le deuxième de ces nouveaux événements concerne l'éventuel défaut technique de la dette russe, en raison de l'incapacité de la Russie à payer les intérêts en dollars. L'Europe a également ajouté à la liste des personnes et organisations sanctionnées le National Settlement Depository, qui est une institution financière non bancaire russe et un dépositaire central de titres, par l'intermédiaire duquel Moscou avait décidé de payer les intérêts de la dette publique en dollars. En outre, le 25 mai, les États-Unis ont laissé expirer sans la renouveler la licence qui autorisait jusqu'à présent les investisseurs américains - malgré les sanctions interdisant les transactions financières - à recevoir de Moscou des paiements d'intérêts, de dividendes ou de coupons sur des obligations détenues par la banque centrale russe, le Fonds d'investissement souverain ou le ministère des Finances.

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Il s'agit d'une perte d'image majeure pour la Russie qui, en ne payant pas les intérêts de sa dette publique, se mettrait en défaut de paiement pour la première fois depuis 1917, lorsque les révolutionnaires bolcheviques ont décidé de ne pas payer les dettes contractées par l'État tsariste. En réalité, cette fois-ci, l'État russe a l'argent et la volonté de rembourser la dette, mais en fait, l'UE et les États-Unis l'en empêchent en essayant de forcer l'État russe à la faillite. En pratique, il s'agit d'un "défaut artificiel", comme l'ont souligné les autorités russes.

Le troisième événement à prendre en compte est la proposition récemment soumise au Congrès américain par trois sénateurs républicains, Tom Cotton, Marco Rubio et Mike Braun, visant à interdire aux grands magasins d'applications - à commencer par Google et Apple - d'héberger des applications permettant d'effectuer des paiements par le biais du yuan numérique chinois. La motivation apparente est liée à la sécurité nationale, puisque les rédacteurs du projet de loi craignent que le système de paiement numérique permette à Pékin d'espionner les citoyens américains. La véritable raison, cependant, est autre : on craint que la monnaie numérique chinoise ne réduise le rôle mondial du dollar américain.

Il s'agit d'un grave danger pour l'économie américaine, car ce n'est que grâce à la disponibilité de la monnaie commerciale et de réserve mondiale que les États-Unis peuvent soutenir leur économie, en finançant leur double dette, commerciale et publique. En outre, le système de yuan numérique peut constituer une alternative au système Swift par lequel transitent les transactions internationales en dollars. Cela éliminerait également la possibilité d'imposer des sanctions aux opposants politiques, étant donné qu'un grand nombre de ces sanctions reposent sur l'exclusion des organisations financières russes et autres du système de messagerie Swift. Quoi qu'il en soit, le yuan numérique est dangereux pour le dollar, car il peut devenir une monnaie de référence en dehors de la Chine, en commençant par les pays qui rejoignent le projet de la Route de la soie, puis en s'insérant dans les systèmes de paiement occidentaux comme alternative à Swift.

La Chine est à l'avant-garde de l'utilisation de la monnaie numérique et accumule une avance considérable sur les États-Unis et l'UE, puisque le dollar et l'euro numériques sont encore au stade de projet. Pour avoir l'euro numérique, en supposant qu'il soit adopté, il faudra encore 4 à 5 ans. Le même temps sera également nécessaire pour disposer du dollar numérique, dont l'adoption est encore remise en question par la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, qui est toujours divisée entre partisans et opposants à cette initiative.

La guerre en Ukraine pourrait toutefois accélérer le lancement du dollar numérique, car elle accentue la nécessité de poursuivre la guerre des devises, élément central du conflit économique contre la Russie et, à terme, la Chine. Récemment, la vice-présidente de la Réserve fédérale Lael Brainard a déclaré lors d'une audition au Congrès que le lancement d'une "CBDC [monnaie numérique de la banque centrale, ndlr] peut contribuer à assurer le rôle dominant du dollar" afin que "les personnes du monde entier qui utilisent le dollar puissent continuer à le faire pour les transactions dans le système financier numérique".

Ces faits montrent clairement que la guerre économique entre l'Occident, d'une part, et la Russie et la Chine, d'autre part, s'intensifie et se joue en grande partie autour du rôle mondial du dollar. Le maintien du dollar comme monnaie mondiale est à la fois un moyen et une fin de la guerre militaire et économique en tant qu'élément essentiel de l'hégémonie mondiale des États-Unis. La poursuite de la guerre, visant à affaiblir la Russie et, par conséquent, la Chine, autorise le maintien de la primauté politique et militaire qui permet aux États-Unis de maintenir le dollar comme monnaie mondiale.

Note :

[i] Alessandro Graziani, "Yuan numérique, les États-Unis opposent leur veto à l'utilisation de Google et Apple Pay", Il sole24ore, 3 juin 2022.

lundi, 13 juin 2022

Quand tout affecte tout - La Russie, l'Occident et l'ère de l'instabilité

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Quand tout affecte tout - La Russie, l'Occident et l'ère de l'instabilité

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/06/09/kun-kaikki-vaikuttaa-kaikkeen-venaja-lansi-ja-epavakauden-aika/

"C'est une chose d'affirmer de manière clichée que tout dans le monde est interconnecté. Mais c'est tout autre chose de voir ce qui se passe réellement lorsque ces connexions se rompent", écrit Wolfgang Münchau, directeur du groupe de réflexion Eurointelligence.

Münchau, qui vit à Oxford, au Royaume-Uni, admet que les sanctions occidentales étaient fondées sur le "postulat trompeur selon lequel la Russie est plus dépendante de nous que nous le sommes de la Russie".

Mais la Russie a "plus de blé qu'elle ne peut en manger et plus de pétrole qu'elle ne peut en brûler". La Russie est "un fournisseur de produits primaires et secondaires dont le monde est devenu dépendant". Comme on le sait, le pétrole et le gaz sont les principales sources de revenus des exportations russes.

9783446423459-fr-300.jpgMais c'est dans d'autres secteurs que notre dépendance est la plus forte, souligne M. Münchau : certains produits alimentaires et les métaux des terres rares. La Russie n'en a pas le monopole, "mais lorsque le plus grand exportateur de ces produits disparaît, le reste du monde en souffre immédiatement".

La Russie est le plus grand producteur de gaz naturel au monde, représentant un peu moins de 20 % des exportations mondiales. Pour le pétrole, la Russie vient après l'Arabie Saoudite avec 11% des exportations mondiales. La Russie est également le plus grand fournisseur d'engrais et de blé, la Russie et l'Ukraine représentant près d'un tiers des exportations mondiales de blé.

En termes de métaux de terres rares, la Russie est la plus grande source de palladium au monde. Le palladium est un métal précieux important pour les industries de l'automobile et de l'électronique et est actuellement plus cher que l'or. La Russie est également le premier fournisseur mondial de nickel, nécessaire pour les batteries et les voitures hybrides.

L'industrie allemande a déjà prévenu qu'elle était dépendante du gaz russe, mais aussi d'autres fournitures importantes en provenance de Russie. Ce fait ne sera pas modifié par les fluctuations politiques, mais le gouvernement finlandais, par exemple, ne semble pas s'intéresser à la realpolitik.

Münchau se demande maintenant si cette politique de sanctions a été pensée jusqu'au bout. Les ministres ont-ils imaginé que les crises mondiales en matière d'énergie et de nourriture pouvaient être résolues simplement en pointant du doigt Poutine ? Même pendant la guerre froide entre l'Union soviétique et l'Occident, le commerce se poursuivait et les robinets de gaz restaient ouverts.

Les confinements de l'ère du coronavirus nous ont appris à quel point les différents pays sont vulnérables aux perturbations des chaînes d'approvisionnement. Les Européens n'ont que deux voies pour transporter des marchandises en masse vers et depuis l'Asie : soit par conteneur et par mer, soit par rail via la Russie.

9783446418479-fr-300.jpgMünchau estime qu'il n'existait aucun plan spécifique pour faire face à une pandémie, et encore moins à une guerre. Les conteneurs sont maintenant bloqués à Shanghai et les chemins de fer ont été fermés à cause de la guerre en Ukraine. En tant qu'analyste appartenant au courant dominant, Münchau n'avance cependant pas les raisons les plus radicales de l'état actuel des choses.

Il rappelle que les sanctions économiques occidentales fonctionnaient lorsque le pays cible était suffisamment petit. Il cite en exemple l'Afrique du Sud, l'Iran et la Corée du Nord dans les années 1980. Mais la Russie est une cible beaucoup plus grande et plus difficile à influencer.

Même le PIB n'est pas une mesure suffisamment significative. En termes de PIB, la Russie peut n'avoir que la taille des pays du Benelux ou de l'Espagne, mais cette mesure ne tient pas compte des effets de réseau.

"Ces effets de réseau sont suffisamment importants pour rendre les sanctions économiques insoutenables", déclare Münchau. Il existe des sources d'approvisionnement alternatives pour les biens russes, mais si l'approvisionnement est coupé de façon permanente, les mêmes biens ne peuvent pas être produits dans les mêmes quantités qu'auparavant. L'économie réagira en augmentant les prix et en réduisant l'offre et la demande.

Comme de nombreux commentateurs de la politique mondiale, Münchau est arrivé à la conclusion que tous les pays sont tellement interdépendants que des sanctions ne peuvent être imposées à l'un d'entre eux sans causer d'énormes dommages aux autres, et dans ce cas à l'Occident lui-même.

Et que dire des fanatiques anti-russes qui prétendent que le mal des sanctions en vaut la peine, tant que les conséquences sont subies entre les murs du Kremlin ? Pour le chef d'Eurointelligence, cela semble aussi fou que si "un professeur d'économie soutenait que la hausse du chômage en vaut la peine".

Münchau répète le mantra de l'infoguerre occidentale selon lequel "l'impact direct des sanctions sur la Russie est plus important que sur l'Occident", mais "la différence entre l'impact et notre seuil de douleur est cruciale" ; le seuil de Poutine est, selon le chercheur, beaucoup plus élevé.

L'analyste allemand ne voit pas de solution facile pour sortir de la situation actuelle. Bien que l'objectif ultime de l'administration américaine soit de se débarrasser de Poutine et de le remplacer par un "dirigeant démocratique pro-occidental", cette issue semble peu probable.

9780071634786-fr-300.jpgMême une défaite militaire russe - qui n'est pas à l'horizon, malgré les vœux pieux des militants pro-Ukraine - ne déclencherait pas nécessairement une nouvelle révolution russe dans le sens de la soumission à l'Occident, et les problèmes d'approvisionnement resteraient inchangés.

Münchau pense qu'une sorte d'accord devrait être conclu avec Poutine, y compris la levée des sanctions. Sinon, le monde risque d'être divisé en deux blocs commerciaux, "l'Occident et les autres". Dans son état actuel de dégradation, l'"Occident" n'est plus un dictateur triomphant, mais risque de s'isoler du reste.

Il faut donc un regain de diplomatie et de pragmatisme en politique étrangère. Si les chaînes d'approvisionnement sont réorganisées, l'énergie et les terres rares russes continueront d'être consommées ailleurs, mais "il nous restera les hamburgers Big Mac", s'emporte Münchau.

Pour Münchau, les sanctions économiques ressemblent au "dernier hourra d'un Occident dysfonctionnel". La guerre en Ukraine lui semble être un "catalyseur de la démondialisation massive".

L'analyste doute que l'Occident soit réellement prêt à faire face aux conséquences des politiques étrangères et économiques actuelles, à savoir "une inflation continue, une baisse de la production industrielle, un ralentissement de la croissance et une hausse du chômage".

Personnellement, j'estime que l'actuel "état de désordre" est fondamentalement un problème créé par le système capitaliste et la mondialisation néolibérale. L'effondrement est ralenti par les crises afin de mettre à jour un système obsolète. Les puissances supranationales actuelles ne sont pas prêtes à abandonner les acquis qu'elles ont obtenus.

Les effets de ces politiques destructrices restent à voir. Un challenger au pouvoir occidental de l'argent émergera-t-il ? On pense que la Chine est une puissance qui va reprendre sa place au centre du monde, mais j'ai aussi quelques doutes sur ce scénario.

Même s'il y a un passage à une configuration compétitive basée sur les blocs au niveau des États dans un avenir proche, les agendas transnationaux semblent continuer à progresser. C'est au niveau international qu'un changement radical des objectifs et des actions des différentes institutions serait nécessaire, mais ce n'est certainement pas encore en vue.

dimanche, 12 juin 2022

Mensonge flagrant du gouvernement allemand: la destruction de la richesse nationale et l'inflation sont la responsabilité de la BCE et non de Poutine

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Mensonge flagrant du gouvernement allemand: la destruction de la richesse nationale et l'inflation sont la responsabilité de la BCE et non de Poutine

Source: https://zuerst.de/2022/06/11/lebensluege-der-ampel-regierung-an-wohlstandsvernichtung-und-inflation-ist-die-ezb-nicht-putin-schuld/

Berlin. L'UE va connaître des temps difficiles. L'Allemagne, qui était jusqu'à présent le principal payeur, est confrontée à une inflation et à une destruction de sa richesse d'une ampleur sans précédent. Le gouvernement et les anciens partis accusent la Russie et son président Poutine d'être responsables de cette situation. Mais c'est un mensonge éhonté. Ce qui est vrai, c'est que l'inondation des marchés par les quelque six mille milliards d'euros que la Banque centrale européenne (BCE) a injectés depuis la crise financière de 2008 se retourne contre elle. Ce n'est pas Poutine qui est responsable de la hausse des prix et de la destruction de la valeur de la monnaie européenne, mais un excédent d'argent qui se traduit aujourd'hui par de l'inflation.

Concrètement, le mécanisme peut être illustré de la manière suivante: les six mille milliards d'euros que la BCE a injectés depuis 2008 dans la politique de la dette européenne - et ses responsables ! - la somme d'argent de la banque centrale dans la zone euro a été multipliée par plus de six depuis 2008. Cette expansion monétaire n'est compensée par aucune valeur réelle pour l'économie, c'est-à-dire ni chiffre d'affaires supplémentaire, ni bénéfice supplémentaire, ce qui constitue le "surplus de monnaie". L'inflation est inévitable.

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Le professeur Hans-Werner Sinn, de l'institut Ifo de Munich, chiffre cet excédent à cinq mille milliards d'euros. Il met en garde : "Les cinq billions d'euros sont des barils de poudre dans les sous-sols de la BCE. Sous l'effet de la demande croissante des États qui se sont endettés, une partie des barils a pris feu. L'étincelle a été la raréfaction de l'offre par la pandémie".

Ce qui est fatal, c'est que toutes les promesses gouvernementales ne peuvent pas arrêter le processus, car la cosmétique n'est plus d'aucune utilité face à un déséquilibre très avancé. A cela s'ajoutent des facteurs de crise supplémentaires qui vont aggraver la catastrophe.

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L'un d'entre eux est la crise énergétique, dont les contours commencent à se dessiner. Le journaliste économique Gabor Steingart (ci-dessus) prévoit que "la guerre en Europe, la structure monopolistique des compagnies pétrolières et la dépendance allemande à l'égard de l'énergie importée, aggravée par la concomitance de l'abandon du charbon et du nucléaire, signifient la tempête parfaite pour l'évolution des prix".

A cela s'ajoutent la situation tendue sur les marchés des matières premières, la spirale salariale qui s'enclenchera inévitablement et qui alimentera également la hausse des prix, le manque de discernement des responsables politiques qui continuent à privilégier l'endettement plutôt que les économies, ainsi que la politique de taux zéro de la BCE.

Dans l'ensemble, les perspectives d'avenir sont décevantes. L'expert Gabor Steingart dresse un bilan pessimiste : "La multiplication miraculeuse de l'argent se heurte à ses limites naturelles. La prospérité allemande des 15 dernières années était la meilleure prospérité que l'argent pouvait acheter". Mais c'est désormais terminé. La crise prend de l'ampleur. (se)

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samedi, 11 juin 2022

Un capitalisme de l'urgence dans un monde en désintégration

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Markku Siira:

Un capitalisme de l'urgence dans un monde en désintégration

Source: https://markkusiira.com/2022/06/02/hatakapitalismia-hajoavassa-maailmassa/

"L'accélération du paradigme de l'urgence à partir de 2020 a un but simple mais largement contesté : dissimuler l'effondrement socio-économique", affirme Fabio Vighi, professeur à l'université de Cardiff, en exposant sa thèse sur la façon dont diverses crises bio- et géopolitiques sont utilisées pour ralentir l'effondrement du système capitaliste.

Les grandes entreprises, bien sûr, soutiennent le contraire. Kristalina Georgieva, directrice du Fonds monétaire international (FMI), a déclaré lors de la réunion du Forum économique mondial que "la pandémie, la guerre en Ukraine, l'instabilité croissante des marchés et la menace persistante du changement climatique" constituaient une "interconnexion de catastrophes" qui devaient être abordées simultanément.

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Vighi (photo) affirme que le Forum de Davos n'est pas en soi un centre de conspirations, mais "un porte-parole des réactions de plus en plus alarmistes des élites face à des conflits systémiques incontrôlables". Alors qu'ils insistent sur le fait que la récession à venir est "le résultat d'adversités mondiales qui ont pris le monde par surprise" (de la crise des taux d'intérêt à l'action militaire de la Russie en Ukraine), c'est le contraire qui est vrai : le ralentissement économique est la cause de ces "calamités".

Les "menaces" qui nous sont vendues ne sont rien d'autre qu'une "projection idéologique de la limite interne et de la désintégration constante du modernisme capitaliste". Dans un sens systémique, "la dépendance à l'urgence maintient artificiellement en vie le corps comateux du capitalisme". Ainsi, les images de l'ennemi ne sont plus construites pour justifier l'expansion de l'empire, mais "pour dissimuler la faillite d'une économie mondiale endettée".

La mondialisation a progressivement érodé les conditions d'opportunité propres au capital, affirme Vighi. Finalement, le seul remède trouvé à cette tendance maladive a été le "déclenchement d'urgences mondiales", à compléter par "des injections toujours plus grandes de peur, de chaos et de propagande".

Tout a commencé au tournant du millénaire avec "Al-Qaeda, la guerre mondiale contre le terrorisme et le petit flacon de poudre blanche de Colin Powell". Cela a suscité les peurs des Talibans, du terrorisme d'Isis, a provoqué les ravages qui ont frappé la Syrie, la crise des missiles nord-coréens, la guerre commerciale avec propagandes antichinoises, le Russiagate et enfin la crise pandémique.

Il semble maintenant qu'une nouvelle guerre froide, encore plus amère, ait commencé. Vighi est bien conscient des causes et des conséquences du cours des événements : "plus on se rapproche de l'effondrement du système, plus il faut des crises externes pour distraire et manipuler la population, tout en repoussant l'effondrement et en jetant les bases d'un renouvellement autoritaire du système".

L'histoire montre que lorsque les empires sont au bord de l'effondrement, ils se solidifient en systèmes oppressifs de gestion de crise. Ce n'est pas une coïncidence si notre ère d'urgences en série a commencé avec l'éclatement de la bulle informatique - le premier effondrement du marché mondial.

Fin 2001, la plupart des entreprises axées sur la technologie avaient fait faillite et en octobre 2002, l'indice Nasdaq avait chuté de 77 %, révélant les faiblesses structurelles de la "nouvelle économie" axée sur la dette, la finance créative et l'économie réelle.

La crise financière de 2008 a suivi la bulle "It" et a été traitée par des programmes de stimulation quantitative. En 2009-12, la contradiction capitaliste a resurgi sous la forme de la crise de la dette souveraine européenne et, à l'automne 2019, sous la forme d'un piège à liquidités potentiellement dévastateur, la crise du marché des pensions aux États-Unis, qui a officiellement inauguré l'ère du "capitalisme d'urgence".

"Depuis lors, la simulation de la croissance par l'inflation des actifs financiers a été protégée par la fabrication de menaces mondiales, dûment emballées et vendues aux consommateurs par les médias corporatifs", résume M. Vighi dans son étonnante conclusion.

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Le coronavirus a placé la barre de l'urgence encore plus haut, mais cette "crise sanitaire" a été suspendue à nouveau, au moins pour l'été, et les feux du coronavirus se sont éteints. "Au lieu de cela, les personnes (c'est-à-dire les cobayes des grandes entreprises pharmaceutiques) qui attendent de 'nouveaux vaccins plus efficaces' ont été plongées dans la phobie de la guerre par le conflit en Ukraine. La nouvelle maladie qui afflige l'Occident collectif est le vieil ennemi traditionnel, la Russie.

"Comme un virus, la guerre en Ukraine nous protège de la véritable horreur, qui est l'effondrement social total causé par la dette et les krachs boursiers", réitère Vighi, ajoutant que "la bonne conclusion dialectique à cette situation tordue serait de mettre fin à la logique capitaliste autodestructrice qui alimente des urgences désastreuses". Le théoricien ne suggère pas comment cela pourrait se faire.

Vighi rappelle que la "croissance économique" des années 1990 était alimentée par un "mécanisme de recyclage" dans lequel "la demande, le pouvoir d'achat et la production de biens et de services" étaient soutenus par l'argent spéculatif. L'économie réelle ne reposait plus sur les revenus du travail, mais était plutôt alimentée par la spéculation sur les prix des actifs financiers - des "piles fictives d'argent sans valeur".

Cette "spirale de pseudo-accumulation", fondée sur le retour des liquidités financières dans la production et la consommation, est la marque de fabrique du "capitalisme d'urgence" inflationniste et axé sur la dette. Des quantités croissantes de capital fictif finissent inévitablement par soutenir la production, de sorte qu'une proportion croissante de l'accumulation réelle est impliquée dans le processus spéculatif.

"La surévaluation grotesque actuelle de tous les actifs à risque (actions, obligations et immobilier) suggère que l'élite continuera à utiliser le livre de jeu politique pour gagner du temps et retarder l'éclatement de la bulle de la dette, qu'elle a commencé à gonfler des années avant que la pandémie et Poutine ne deviennent des boucs émissaires populaires."

Vighi craint que "les gardiens du saint Graal capitaliste aient planifié pour nous un état de peur éternel, dans une tentative désespérée de retarder le choc de la dévaluation monétaire qui couve depuis des décennies". Même s'ils le font avec des méthodes de plus en plus cyniques, ils semblent au moins comprendre qu'un tel choc mettrait tout le système à genoux.

L'aristocratie financière est prête à faire presque tout pour que notre modèle économique moribond reste en vie. Ce faisant, ils font preuve d'une meilleure compréhension du sombre état des choses que "l'intelligentsia post-marxiste et la gauche post-moderne dans toutes ses variations insignifiantes".

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Vighi, qui a une connaissance approfondie de la pensée de gauche, fustige les idiots utiles de la gauche contemporaine qui "ont depuis longtemps échoué dans leur tâche fondamentale de critique de l'économie politique et sont donc directement complices de la catastrophe qui se déroule". Les fanfaronnades de Vighi font également penser à l'Alliance de la gauche finlandaise, désormais compatible avec l'OTAN, dont les adhérents les plus attachés aux principes ont déjà démissionné.

De manière cruciale, le vieux pouvoir d'argent comprend également que l'effondrement doit avoir lieu sous la forme d'un "effondrement contrôlé" du modèle actuel, qui lui permettra de maintenir sa position dominante dans la "normale capitaliste néo-féodale imminente". Pour certains, c'est le "capitalisme de contrôle", pour d'autres, c'est le "communisme mondial".

"Les "jeunes leaders mondiaux" mis au pouvoir pour des "circonstances exceptionnelles" prennent les décisions difficiles sous la direction de leurs mentors transnationaux. Il serait intéressant de savoir si l'on a dit à la première ministre finlandaise Sanna Marin, qui participe à la réunion de Bilderberg, que l'effondrement du mode de production obsolète ne peut être repoussé que par "un flux constant d'urgences mondiales, une inflation contrôlée dans une économie réelle de plus en plus improductive et une transformation autoritaire de la démocratie libérale" ?

Le rationnement de la nourriture et de l'énergie, la destruction massive, l'évaluation du crédit social et la gestion de l'argent en monnaie numérique sont depuis longtemps les éléments constitutifs du futur proche. Vighi estime que ce scénario fait "probablement déjà partie de notre imagination collective, car on nous assure que de tels développements sont inévitables en raison d'obstacles écrasants".

Pendant l'ère Corona, la menace sanitaire invisible était omniprésente et la sensibilisation à la crise était renforcée par les masques faciaux et autres précautions. La menace d'une escalade de la crise ukrainienne en une guerre majeure est également un élément dissuasif nécessaire pour inspirer l'obéissance du public. Même au milieu d'une économie en chute libre, des cours de renforcement de l'esprit sur la défense nationale sont organisés.

Pour Vighi, il est clair que la guerre sert "le but opposé à celui qu'on nous annonce". L'envoi de sanctions anti-russes et d'une aide militaire n'a pas pour but de défendre l'Ukraine, mais "de prolonger le conflit et d'alimenter l'inflation afin d'écarter le risque d'une catastrophe sur le marché de la dette qui se répandrait autrement comme une traînée de poudre dans le secteur financier".

"La "guerre" de Poutine (comme la "guerre contre le terrorisme" et les mesures de taux d'intérêt avec le blocage des fonds) retarde l'éclatement de "la bulle de tout", raison pour laquelle l'Ukraine est "sacrifiée sur l'autel du massacre au prétexte de la liberté et de la démocratie". Ceci afin d'éviter un nouveau "choc Lehman" qui plongerait le monde dans un chaos encore plus profond.

C'est la surface économique de la gestion de crise extrême selon la théorie de Vighi. Si nous grattons cette surface, nous serons confrontés à "la cause profonde de tous les jeux géopolitiques et de propagande qui se jouent : l'effondrement irréparable de la valeur du capital". Soit tout le monde respecte le scénario, soit l'émission est annulée et tout le système avec.

Dans le récit actuel, Poutine est rendu responsable de l'inflation et de son impact "apocalyptique" sur les pauvres du monde. Si les chocs d'offre négatifs provoqués par les crises exacerbent la dévaluation causée par une politique monétaire laxiste, le problème initial provient de la "monnaie sans valeur" non garantie créée par les banquiers centraux.

Il est courant que les empires subissent une mort lente et douloureuse lorsqu'on nie la cause de leur effondrement. La chute du monde capitaliste dirigé par les États-Unis a commencé il y a plus d'un demi-siècle et n'a été retardée que par des vagues de fausse richesse alimentées par la création d'argent (dette) qui a profité à une petite élite tout en accablant les masses de dettes et de misère.

Le capitalisme financier d'aujourd'hui est basé sur l'impression et la diffusion insensées d'argent pour compenser la disparition rapide de la plus-value. Si les États-Unis ont connu une période de croissance relative dans les années 1990, malgré les bas salaires et la hausse de la productivité, c'est parce que la consommation était de plus en plus soutenue par le crédit.

La mondialisation a permis d'échapper au "mode de production fordiste épuisé", mais elle s'est en même temps liée à des pyramides de dettes toujours plus grandes et à des excès spéculatifs, rendant le système de plus en plus instable.

"La "pandémie" a été utilisée comme un bouclier mondial pour une impression monétaire et des emprunts sans précédent : pendant la crise sanitaire, la Réserve fédérale a imprimé plus de monnaie fiduciaire en un an que dans tous ses programmes de stimulation quantitative depuis 2008.

Toutefois, Vighi estime qu'il est probable que la crise de la dette et des marchés boursiers soit encore retardée. Le grand final - "un effondrement biblique dépassant nos imaginations les plus folles, déclenché par l'explosion d'une hyperbulle sur le marché de la dette" - est actuellement reporté par "le matraquage inflationniste dans l'économie réelle".

Cela signifie que l'"indice de misère" (la combinaison de l'inflation et du chômage) continuera à augmenter. En un sens, nous retournons donc à la "préhistoire du capitalisme", une société de classe composée d'élites riches et de masses de pauvres. La "violence bio- et géopolitique" actuelle (virus, guerre et autres urgences mondiales à venir) fait partie intégrante de ce processus ; une tentative délibérée de contrôler l'effondrement par des moyens autoritaires.

Selon Vighi, qui a lu Marx, nous n'avons qu'un seul véritable choix : soit nous nous libérons de "la marchandise, de la valeur et des formes monétaires, et donc de la forme capital en tant que telle", soit nous sommes entraînés dans "un nouvel âge sombre de violence et de réaction". Compte tenu de la cupidité et de la soif de pouvoir des milieux financiers, la dernière option est malheureusement plus probable.

mercredi, 01 juin 2022

Le mythe de l'"économie collaborative"

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Le mythe de l'"économie collaborative"

Ernesto Milà

Source: http://info-krisis.blogspot.com/2022/05/cronicas-desde-mi-retrete-el-mito-de-la.html

En 2016, Klaus Schwab, président du Forum économique mondial, a lancé, dans son livre sur La quatrième révolution industrielle, l'idée de l'"économie collaborative". Depuis lors, tous ceux - et ils ne sont pas peu nombreux - qui veulent s'acoquiner avec les idées qui "font bouger la modernité", répètent le thème comme des perroquets. Si Schwab l'a dit - "un homme qui sait" - alors cela doit être vrai. L'idée de Schwab est que la "quatrième révolution industrielle" va également modifier l'idée de "propriété". Nous ne chercherons plus à posséder tel ou tel bien ou objet de consommation, mais serons prêts à le partager avec d'autres, puisque nous n'en aurons pas besoin tout le temps. De plus, tout ce qui est inclus dans ce concept d'"économie collaborative" implique l'émergence de "nouveaux modèles commerciaux".

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A force de répéter ces idées encore et encore, voire des milliers de fois, et par des "leaders" issus des secteurs sociaux les plus divers, le concept s'est imposé et semble, même authentique, véridique et applicable actuellement. On dit, par exemple, qu'Uber, la plus grande compagnie de taxis, ne possède pas un seul taxi. Ou que Facebook, le plus grand réseau social qui diffuse du contenu, ne propose lui-même aucun contenu. On se souvient qu'AirBNB, la plus grande société d'hébergement, ne possède pas un seul appartement dans le monde. Il s'ensuit que ces "nouveaux modèles commerciaux" rompent avec les conceptions passées de l'industrie et de la propriété (ce qui est strictement vrai).

De plus, nous nous promenons dans les villes et nous voyons des vélos et des scooters électriques utilisés à bas prix par des centaines de propriétaires. Plutôt que d'acheter un de ces moyens de transport urbain, ils ont opté pour la location. Aujourd'hui, en Espagne, ils pénètrent également dans la location de cyclomoteurs et en Chine, la location de véhicules conventionnels a déjà été testée.

Les "gourous" de la post-modernité nous disent que, dans le futur, personne ne cherchera à posséder une maison: nous vivrons dans des maisons que nous partagerons avec d'autres. Aujourd'hui, nous sommes ici, mais demain, nous déménagerons là-bas. Nous vivrons tranquillement dans un appartement partagé avec d'autres personnes, comme nous, qui auront également besoin de maisons mobiles. Tout ce que nous utilisons, un ordinateur, une console de jeux vidéo, un drone, tout sera rigoureusement utilisé par l'un ou l'autre, loué à l'heure à des prix minimes. Un jour, nous nous rendrons compte que nous n'avons plus besoin de rien qui puisse être considéré comme "nôtre". Dans l'"économie collaborative", tout appartiendra à tous ceux qui en ont besoin et sont capables de payer un loyer minimum par utilisation. Nous le remarquerons à peine. Et cela nous libérera également de la peur de la "propriété" : personne ne pourra voler quelque chose qui est "à nous". Si un objet est volé, il l'aura été dans une société et l'assurance le couvrira sans que nous ayons à nous soucier de quoi que ce soit.

Les gourous nous disent : "à l'ère du numérique, l'économie ne peut être que collaborative". Et, sans surprise, ce modèle est justifié "pour sauver la planète" et créer un "développement durable".

Le modèle est basé sur la "collaboration mutuelle": quelqu'un a quelque chose dont j'ai besoin, et je le lui donne en échange d'une petite compensation qui contraste avec la grande valeur du service qu'il fournit. Ce donnant-donnant est favorisé par les nouvelles technologies de l'information, sans lesquelles l'existence des entreprises mentionnées dans les premiers paragraphes ne serait pas possible. Aujourd'hui, un modeste scooter électrique loué peut être localisé en permanence par GPS. L'idée de propriété et de consommation est modifiée : l'économie collaborative est celle qui correspond à un "modèle durable" : on produit moins, mais ce qui est produit peut être utilisé par beaucoup. Dans l'économie conventionnelle, une bicyclette n'était généralement utilisée que par son propriétaire. Dans l'économie collaborative, un même vélo peut être utilisé par des milliers d'utilisateurs au cours de sa durée de vie. On produit moins et l'environnement est sauvegardé... Comme c'est merveilleux !

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Dans l'économie collaborative, rien n'est jeté avant d'être totalement inutile. D'où la multiplication des applications de vente de biens d'occasion. Si, pour une raison quelconque, nous n'avons plus besoin d'une caméra vidéo, nous trouverons toujours un collectionneur intéressé. Si nous en avons assez d'un vêtement que nous avons trop porté, nous le mettons en vente. Un livre qui a été lu peut être vendu à quelqu'un d'autre qui pourrait être intéressé.

Et nous sommes tous prêts à partager notre vie privée sous forme de données pour améliorer les services dont nous avons besoin. Des entreprises telles que AirBNB, Amazon, Facebook, Alibaba, Uber, Blablacar, etc., modifient le visage économique des sociétés et génèrent de nouveaux modes de relation, de travail, de divertissement, d'achat ou d'information.

Klaus Schwab a donc raison et la quatrième révolution industrielle qu'il prédit est déjà là, en marche, présente parmi nous. Nous allons vers de nouveaux modèles, de nouvelles valeurs, de nouveaux critères de propriété et de consommation, de nouvelles formes de relations sociales... Nous voyons comment l'avenir se construit sous nos yeux et nous pouvons nous-mêmes participer à cette construction.

Tout ce que dit Schwab est répété par des perroquets excités d'être les premiers interprètes de la nouvelle ère et de savoir où elle va.

Mais, à vrai dire, le livre de Schwab contient de nombreuses erreurs et inexactitudes, notamment dans ses prévisions (dont nous parlerons une autre fois). Mais le pire n'est pas cela, mais ce que cela cache: car une chose est le modèle vers lequel nous nous dirigeons, et une autre de dire que cette évolution est "positive" et représente un "progrès".

Tout d'abord, il n'y a pas lieu de s'enthousiasmer pour cette idée d'une "économie collaborative". C'est une vieille idée. Des centaines de sociétés de location de voitures existent depuis longtemps. C'est une bonne idée. Pour ma part, je préfère louer une voiture à certains moments plutôt que d'en posséder une que je n'utiliserai pratiquement pas. Le partage de la maison n'est pas non plus une nouveauté. C'est une pratique qui dure depuis plus de trente ans. Il n'a pas eu beaucoup de succès, à vrai dire. Chaque locataire occasionnel d'un tel bien tente d'y apporter un détail de sa personnalité (le "désordonné" le remettra en désordre, l'"original" introduira des variations discutables dans la décoration, le "sale" le transformera en tas de fumier et le "profiteur" l'utilisera aux meilleures périodes de l'année). Et puis il y a l'"arnaqueur" qui transformera un tel bien en quelque chose d'inutilisable qui n'aura servi qu'à escroquer de l'argent à des personnes bien intentionnées qui ont fait l'erreur de croire à la "bonté universelle". Le leasing automobile, par exemple, est aujourd'hui la meilleure alternative à la "propriété", la plus répandue, la plus ancrée et la plus efficace pour la majorité de la population.

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D'autre part, la nouvelle orientation des technologies va à l'encontre de l'évolution de la société, et contribuera à mettre un terme à certaines formes d'"économie collaborative" : le temps où une chambre d'amis était mise à la disposition des touristes et des voyageurs est en déclin. Tout d'abord, parce que les hôtels ont été contraints de baisser leurs prix et d'améliorer leurs services. Ensuite, parce que de nombreux propriétaires ont constaté que les incivilités, les bizarreries psychologiques, les nuisances générées par nombre de ces loueurs occasionnels, l'emportent de loin sur les avantages de ce concept d'"économie du partage". La location de petits objets pour se déplacer dans une grande ville peut présenter un certain intérêt pour les utilisateurs, notamment les jeunes, mais la location touristique est une autre affaire et il ne semble pas que dans notre sphère culturelle elle puisse avoir le même succès que celui prédit en Chine. Quant aux applications de vente d'occasion, elles ne sont pas nouvelles : aujourd'hui encore, il existe des magasins de vêtements d'occasion qui vendent directement aux personnes économiquement limitées qui ne peuvent pas faire leurs achats dans les grands centres commerciaux.

Ce dernier nous donne un indice sur la véritable nature du problème, celui dont Klaus Schwab n'a pas dit un seul mot : le véritable nœud du problème. L'argent vaut de moins en moins, l'inflation est de plus en plus rapide par rapport à l'augmentation des salaires, et depuis le début des années 1970, cela se traduit par une perte de pouvoir d'achat, notamment des classes moyennes, inexorablement tirées vers le bas. En outre, les citoyens sont confrontés à une gamme de biens de consommation de plus en plus large et ont peur d'être laissés pour compte: à partir des années 1980, la présence d'un ordinateur personnel est devenue une nécessité dans les foyers. Puis vint l'ordinateur portable. Puis sont arrivés le téléphone portable et la tablette. Et les drones. Et puis il y a des centaines de petits gadgets qui permettent de profiter et de s'amuser. Ou pas si petit: même pour ceux qui aspirent à "sauver la planète", la course à la "consommation responsable" les laisse épuisés: la voiture électrique est chère et encore plus chère à entretenir; les produits issus de cultures biologiques et non polluantes, en plus d'être plus chers, sont plus rapidement périssables.

Il ne s'agit pas que les citoyens voient les besoins de l'"économie collaborative", mais plutôt qu'en réalité, la perte de pouvoir d'achat les oblige à se jeter dans ses bras, même s'ils ne le veulent pas. L'évolution dans cette direction ne peut être considérée comme un "progrès", mais comme le signe d'une crise économique irréversible. Si nous ne sommes pas en mesure de payer 40.000 euros pour acheter le dernier modèle hybride, pas même sous forme de leasing, nous pouvons toujours nous bercer de l'illusion que nous "sauvons la planète" en faisant partie des milliers d'utilisateurs du même véhicule qui change de mains chaque jour. Nous ne savons pas si le conducteur est un rustre ou un conducteur responsable, s'il a poussé le véhicule au-delà des limites de ses capacités et nous le prenons sérieusement en défaut.

Ce n'est pas l'optimisme qui génère une observation de la société : si nous avons des yeux et de la compréhension, nous nous rendrons compte que la société n'évolue pas vers des niveaux plus élevés d'éducation, de responsabilité et de civilité, mais le contraire. Une économie collaborative, au mieux, serait viable s'il y avait une conscience civique, une honnêteté, une responsabilité, un sérieux et une stabilité mentale dans les sociétés. Ce sont tous des éléments dont nous nous éloignons à pas de géant. C'est pourquoi les locations de chambres sur des applications sont en déclin, pourquoi les utilisateurs de plateformes d'achat et de vente d'articles d'occasion sont de plus en plus alertés par les arnaques, les escroqueries et les problèmes. C'est pourquoi le "logement en propriété partagée" est en désuétude et n'a jamais vraiment bien fonctionné.

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Le résultat est que le citoyen moyen n'a plus assez d'argent pour payer tous les biens de consommation proposés. Peu importe qu'il travaille dur, peu importe que son salaire soit élevé, il trouvera toujours que certains objets sont au-dessus de ses moyens (dans de nombreux cas pour répondre aux besoins de base). Il n'a donc pas d'autre choix que de se tourner vers le concept de "l'économie du partage". Mais il ne s'agit pas de "progrès", mais plutôt de la reconnaissance d'une crise que l'on habille de l'habituel "sauver la planète" pour la présenter comme une forme d'économie nécessaire à notre époque.

Si la République populaire de Chine est le modèle vers lequel l'élite veut nous conduire, c'est parce qu'elle est une symbiose entre le communisme (qui n'est pas le communisme sous sa forme marxiste-léniniste) et le capitalisme (qui n'est pas non plus le capitalisme libéral conventionnel). Le "collectivisme" pour les masses; la "propriété" pour l'élite. L'"économie collaborative" est une adaptation de l'"économie collectiviste" (tout appartient à tout le monde et personne ne possède rien), mais elle ne découle pas d'une révolution sociale, ni même imposée par une idée de "consommation responsable", mais elle découle de l'impossibilité pour la majorité de profiter des biens dont dispose l'"élite économique".

Nous ne pouvons pas imaginer le Baron de Rothschild partager un Uber avec le rejeton Rockefeller. Le destin de l'élite est ailleurs. Ceux des masses passent par l'"économie collaborative", qui nous sera présentée comme un "progrès technologique", alors qu'elle est en réalité un symptôme de manque et de crise.

lundi, 23 mai 2022

Mythes et réalités de l'économie verte

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Mythes et réalités de l'économie verte

Leonid Savin

Source: https://katehon.com/en/article/myths-and-realities-green-...

Pourquoi les sources d'énergie "écologiques" ne sont pas écologiques, et autres aspects de la décarbonisation

L'UE et les États-Unis, ainsi que de nombreux autres pays, promeuvent depuis longtemps le thème de l'énergie écologique, qui est générée par des systèmes modernes allant des générateurs éoliens et solaires aux turbines sous-marines qui exploitent les marées. Cette approche se fonde sur l'Accord de Paris, selon lequel il est nécessaire de réduire les émissions de dioxyde de carbone. Et récemment, l'énergie verte a été stimulée par la dépendance aux vecteurs énergétiques russes - pétrole et gaz.

Le 14 juillet 2021, la Commission européenne a lancé son prochain paquet, qui comprend un large éventail de propositions législatives visant à obtenir une réduction nette des émissions de gaz à effet de serre dans l'UE d'au moins 55 % par rapport aux niveaux de 1990 d'ici 2030.

La révision de la directive sur les énergies renouvelables fait partie de cet ensemble de propositions interdépendantes. Il est prévu que l'ensemble du paquet soit adopté et entre en vigueur d'ici 2023, ce qui ne laisse que sept ans pour sa mise en œuvre.

Récemment, le Conseil européen s'est également engagé à abandonner la dépendance de l'UE vis-à-vis des importations de gaz, de pétrole et de charbon russes dès que possible, et maintenant la Commission européenne a été chargée d'élaborer un plan de mise en œuvre détaillé d'ici la fin mai 2022. La tâche est double : prendre des mesures immédiates pour l'hiver prochain et pour les 2 ou 3 prochaines années (économies d'énergie, diversification des approvisionnements en gaz, etc.) et prendre des mesures structurelles en révisant la stratégie pour la période allant jusqu'à 2030, en accordant une attention particulière à la réduction de la consommation d'énergie et à l'investissement dans des alternatives à faible émission de carbone, y compris les sources d'énergie renouvelables.

Mais selon une étude réalisée par l'Institut français des relations internationales, il existe des écarts importants entre la théorie de l'énergie verte et les praticiens. Il y a un risque de conflit entre les impératifs environnementaux et climatiques (i), et il faut le résoudre correctement par la cohérence des politiques, car sinon, il continuera à s'éterniser et à entraîner des désaccords.

Pour mettre en œuvre la directive, il est nécessaire de simplifier les processus administratifs excessivement complexes et de surmonter la lenteur de la délivrance des permis pour la mise en service des systèmes qui génèrent de l'énergie verte. D'autres moyens sont l'unification des lieux de travail et des délais, ainsi que l'augmentation du nombre de personnes dans les institutions publiques concernées. La prévision des besoins de raccordement aux réseaux d'énergie renouvelable contribuera également à accélérer le développement du réseau.

Augmenter l'ampleur des sources d'énergie renouvelables à au moins 40 % sans actualiser et numériser l'ensemble du système coûtera très cher aux citoyens. Une approche unifiée du système doit également être inscrite dans les plans de développement du système aux niveaux européen et national, et cette approche unifiée du système doit être appliquée à l'ensemble du paquet.

En outre, les décideurs et les régulateurs doivent être conscients des coûts des retards et des avantages de la rapidité dans un sens plus large, non seulement lorsqu'il s'agit de construire des infrastructures et de nouveaux réseaux, mais aussi lorsqu'il s'agit d'utiliser plus efficacement les réseaux existants. Il faut une approche assortie d'un ensemble d'outils qui tienne compte de l'interaction des technologies d'assistance, y compris le stockage, tant centralisé que décentralisé.

En effet, il existe dans l'UE un certain nombre d'obstacles bureaucratiques à l'introduction rapide de l'énergie verte. Par exemple, l'obtention de permis pour la construction d'éoliennes terrestres en Italie prend en moyenne cinq ans, et non six mois, comme l'exige la loi. Ces retards ont réduit le taux de déploiement à environ 200 MW par an.

Et c'est loin des niveaux requis pour atteindre l'objectif de l'Italie de 70 GW de capacité d'énergie renouvelable d'ici 2030. L'impact sur les investissements est assez évident : le récent appel d'offres de l'Italie pour les sources d'énergie renouvelables a échoué, avec pour résultat que seuls 975 MW ont été alloués à des projets à l'échelle des services publics sur un total de 3300 MW proposés.

Mais aux États-Unis, les objectifs de production d'électricité sans carbone d'ici 2035 sont également menacés en raison de problèmes liés à l'octroi de permis, alors que les projets d'énergie éolienne doivent passer une longue liste d'inspections et de permis. Au niveau fédéral, il s'agit d'inspections ou d'approbations en vertu d'un certain nombre de lois. Les agences fédérales prennent en moyenne 4,5 ans pour rédiger les rapports d'impact environnemental conformément à la loi sur la politique environnementale nationale. Et ce n'est que la première contradiction, qui repose sur des procédures bureaucratiques.

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Hydrogène vert et éco-hybrides

Le rapport du Conseil mondial de l'énergie éolienne définit le rôle de l'hydrogène écologique et des applications Power-to-X pour une décarbonisation profonde des secteurs industriels et pour assurer le stockage à long terme. Il convient de noter que selon un scénario, d'ici 2050, un quart de la production mondiale d'électricité sera orienté vers la production d'hydrogène écologique, ce qui nécessitera environ 10 000 GW d'énergie éolienne et solaire.

Au cours de l'année écoulée, l'intérêt mondial pour l'hydrogène a encore augmenté, et de plus en plus de pays ont annoncé des feuilles de route ou des stratégies nationales dans le domaine de l'hydrogène. En 2021, plus de 30 pays ont commencé à élaborer ou à publier une stratégie en matière d'hydrogène.

À titre d'exemple, la Chine a publié une feuille de route sur l'hydrogène pour le secteur des transports en 2016 et a désigné l'énergie de l'hydrogène comme l'une des plus importantes industries futures dans son plan quinquennal actuel (2021-2025), avec le développement de l'information quantique et de l'industrie aérospatiale. [ii]

L'Inde a lancé sa mission nationale sur l'hydrogène en 2021, visant à étendre la production nationale d'hydrogène respectueux de l'environnement et les mandats potentiels pour les raffineries et les entreprises d'engrais pour introduire de l'hydrogène et de l'ammoniac respectueux de l'environnement dans les processus industriels.

L'UE a inclus "l'hydrogène vert" dans son accord vert européen, qui a été annoncé en 2020, notant que les réseaux d'hydrogène sont essentiels pour une "économie propre et circulaire". [iii]

L'énergie éolienne coopère actuellement directement avec un certain nombre de secteurs industriels afin d'assurer la décarbonisation en utilisant de l'hydrogène écologique comme carburant. Par exemple, Vattenfall a collaboré avec le fabricant d'acier suédois SSAB et la société minière LKAB sur une usine pilote pour la production d'éponge de fer utilisant de l'hydrogène vert. [iv]

Cette interaction conduit à l'émergence de projets hybrides. En général, toutes les énergies vertes gravitent vers les hybrides. Par exemple, les panneaux solaires sont combinés à des aérogénérateurs (car l'absence de lumière solaire ou de vent séparément entraînera inévitablement des temps d'arrêt des équipements, ce qui affectera l'approvisionnement en énergie). Mais l'énergie traditionnelle est aussi en partie liée aux démarches environnementales. Et c'est là la deuxième contradiction.

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Connexion de l'éco-énergie avec les métaux de terres rares

L'ancien secrétaire d'État adjoint américain aux affaires mondiales, Aaron Ringel, note qu'à mesure que les technologies d'énergie renouvelable, notamment les véhicules électriques, les panneaux solaires et les batteries lithium-ion, occupent le devant de la scène, la demande de métaux des terres rares augmente. Mais les États-Unis dépendent presque entièrement des importations de terres rares.

Jusque dans les années 1980, les États-Unis étaient en fait les leaders mondiaux de l'extraction des éléments de terres rares. Mais un virage à courte vue vers les importations a conduit à l'assèchement de la capacité d'extraction nationale de l'Amérique. Le résultat est le contrôle actuel de Pékin sur l'approvisionnement de ces ressources importantes.

La Chine fournit plus de 85 % des réserves mondiales d'éléments de terres rares et abrite environ deux tiers de l'offre mondiale de métaux et minéraux rares tels que l'antimoine et la barytine. [v]

En 2021, un communiqué de presse de l'Office of Fossil Energy du ministère américain de l'énergie indiquait que les États-Unis importent actuellement 80 % de leurs éléments de terres rares directement de Chine, le reste provenant indirectement de Chine par le biais d'autres pays. Les États-Unis sont totalement dépendants des importations de 14 des 35 minéraux les plus importants. Plus récemment, il a été rapporté que des entreprises chinoises sont déjà activement engagées dans l'exploitation minière de l'Afghanistan. La Chine nie toute intention d'utiliser l'exportation d'éléments de terres rares comme une arme - à moins que des intérêts de sécurité nationale ne soient en jeu. [vi]

Le Congrès et l'administration ont récemment pris un certain nombre de mesures pour remédier à cette vulnérabilité. Par exemple, le ministère de l'Énergie explore de nouvelles méthodes de traitement des éléments de terres rares. Et le Congrès cherche à développer la fabrication nationale de haute technologie avec un paquet législatif basé sur la loi sur la concurrence en Amérique.

Il est intéressant de noter que, malgré l'accent mis sur un environnement sûr, l'Amérique continue de dépendre de l'exploitation minière chinoise, décidément peu écologique. Des lacs et des décharges toxiques apparaissent en Chine en même temps que l'exploitation rapide et rentable des gisements de terres rares.

Cette approche est doublement préjudiciable aux intérêts des entreprises qui adhèrent à des mesures strictes de protection de l'environnement dans le monde. Par exemple, la société The Metals Company (TMC), cotée à la bourse du NASDAQ, a démontré la possibilité d'exploiter en profondeur d'importants minéraux. La société a exploré le plus grand gisement connu de métaux adaptés à la fabrication de batteries sur la planète - la zone de Clarion Clipperton dans l'océan Pacifique. Elle réussit maintenant à traiter les métaux clés des batteries, y compris le nickel et le cuivre, à partir des nodules des grands fonds marins, de telle sorte que peu de déchets sont générés pendant le traitement.

Cependant, l'extraction des minéraux et des terres rares n'est que la première étape. Pour obtenir un avantage concurrentiel, il est nécessaire de couvrir l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, y compris le recyclage et l'élimination.

Bien qu'aux États-Unis, certains pensent qu'ils peuvent rétablir leur leadership dans la production de haute technologie - et le faire tout en protégeant l'environnement. Pour ce faire, le président Biden est censé utiliser la loi sur la production de défense afin de lancer l'extraction nationale sécurisée des minéraux les plus importants et des métaux des terres rares. [vii]

Quoi qu'il en soit, l'extraction actuelle des métaux des terres rares pour leur utilisation dans l'énergie verte consiste à créer des mines et des carrières, ce qui ne s'inscrit clairement pas dans les approches environnementales. C'est la troisième contradiction. Et la quatrième est le problème du recyclage des mêmes éoliennes ou panneaux solaires. Il n'existe pas encore de technologie verte pour cela.

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Les contradictions dans l'UE

Mais même avec l'intensification de la construction de nouveaux parcs éoliens et parcs solaires, d'autres contradictions apparaissent. C'est l'une des questions les plus gênantes de notre époque, car la réponse inclut nécessairement des références aux prix du cuivre, de l'acier, du polysilicium et de presque tous les métaux et produits minéraux. En outre, la construction de ces installations prend du temps, plus de temps que, par exemple, le passage au GNL (si vous disposez de terminaux d'importation) ou au charbon.

Et dans le plan récemment publié pour réduire la consommation de gaz russe - ainsi que de pétrole et de charbon - la Commission européenne a fait un gros pari non pas sur l'énergie éolienne et solaire, mais sur davantage de gaz et de charbon.

Il s'agit de la même Europe qui prévoyait de fermer toutes ses centrales électriques au charbon d'ici 2030 afin d'atteindre les objectifs de réduction des émissions de l'Accord de Paris. Cette même Europe mise également sur le remplacement du gaz naturel par du fioul pour remplacer 10 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz russe.

Au total, la Commission européenne semble prévoir de remplacer plus de la moitié de sa consommation de gaz russe par d'autres combustibles fossiles. À titre de comparaison, la part de l'énergie éolienne et solaire dans le remplacement du gaz russe devrait être d'environ 22,5 milliards de mètres cubes, tandis que 10 milliards de mètres cubes proviendront de l'énergie éolienne et 12,5 milliards de mètres cubes de l'énergie solaire. Mais c'est peu pour une région qui aspire à devenir la plus verte de la planète dans les plus brefs délais.

Ainsi, il semble que la réalité de l'approvisionnement et de la consommation d'énergie se réaffirme, alors que l'UE se retrouve dans une crise du gaz. Si son plan implique une consommation beaucoup plus importante de combustibles fossiles, alors ces derniers devraient être plus faciles - et plus rapides - à extraire et peut-être moins chers que l'éolien et le solaire. Sinon, pourquoi les choisir au lieu de sources d'énergie renouvelables ? [viii] C'est la cinquième contradiction complexe.

Des projets prometteurs

Avec le développement des énergies alternatives, la question de leur redistribution se pose naturellement. On suppose que les câbles électriques sous-marins pourraient être utilisés plus souvent à mesure que les gouvernements orientent leurs stratégies énergétiques vers les sources d'énergie renouvelables. Lorsque les pays développeront leur énergie éolienne et solaire, il y aura davantage d'incitations à la construction de câbles sous-marins qui pourront faciliter la distribution de l'électricité entre les régions.

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Il est déjà prévu de poser le premier de nombreux nouveaux câbles majeurs entre le Royaume-Uni et l'Allemagne, pour un coût estimé à 1,95 milliard de dollars. Le projet NeuConnect permettra de transmettre 1,4 GW d'électricité vers et depuis les deux pays via des câbles sous-marins couvrant une distance de plus de 450 miles. Le projet a été appelé "l'autoroute invisible de l'énergie" qui permet la distribution d'électricité entre le Royaume-Uni et l'Allemagne. [ix]

Des contrats clés d'un montant total de plus de 1,5 milliard de livres sterling (1,95 milliard de dollars) ont été attribués pour un important projet d'interconnexion qui reliera l'Allemagne et le Royaume-Uni, alors que les pays du monde entier tentent de renforcer leur approvisionnement en énergie dans le contexte de la crise actuelle en Ukraine.

Le projet NeuConnect est centré sur des câbles sous-marins qui permettront la transmission de 1,4 gigawatts d'électricité dans les deux sens entre le Royaume-Uni et l'Allemagne - les deux plus grandes économies d'Europe. La longueur de l'interconnexion est de 725 kilomètres, soit un peu plus de 450 miles.

Le câble ira de l'île de Grain dans le Kent en Angleterre à la région allemande de Wilhelmshaven, en traversant les eaux britanniques, néerlandaises et allemandes. Après sa construction, il pourra fournir de l'électricité à 1,5 million de foyers.

Les contrats approuvés comprennent des travaux de pose de câbles et de stations de conversion, Siemens et Prysmian ayant tous deux remporté des contrats pour travailler sur le projet. Siemens fournira un système de transmission à courant continu haute tension (CCHT), tandis que le fabricant de câbles italien, Prysmian Group, dirigera la conception, la fabrication, l'installation, les essais et la mise en service de l'interconnexion NeuConnect.

La construction devrait commencer cette année, ce qui permettra au Royaume-Uni de "puiser dans la vaste infrastructure énergétique de l'Allemagne, y compris ses importantes sources d'énergie renouvelable." En outre, "la nouvelle liaison avec le Royaume-Uni contribuera à éliminer les goulets d'étranglement actuels où les éoliennes sont souvent arrêtées en raison de l'excès d'énergie renouvelable produite."

Le consortium NeuConnect, dirigé par Meridiam, Kansai Electric Power et Allianz Capital Partners, discute de ce développement depuis un certain temps, mais les sanctions contre la Russie ont obligé les gouvernements européens à chercher des sources d'énergie alternatives beaucoup plus rapidement. En plus de trouver des sources alternatives d'approvisionnement en pétrole et en gaz, plusieurs gouvernements élaborent des stratégies pour accélérer leurs projets d'énergie renouvelable et discutent même de l'augmentation de la capacité nucléaire pour la première fois depuis de nombreuses années.

Cependant, ce n'est pas le premier câble sous-marin approuvé en Europe, puisque les travaux ont commencé l'année dernière sur un câble sous-marin géant qui devrait relier le Royaume-Uni à la Norvège. Le North Sea Link (NSL), long de 450 miles et d'une valeur de 1,86 milliard de dollars, est une coentreprise entre British National Grid et Norwegian Statnett.

Les deux pays veulent partager les ressources hydroélectriques de la Norvège et les ressources en énergie éolienne du Royaume-Uni, ce qui permettra à chacun d'entre eux d'optimiser sa production pour répondre à la demande. Le National Grid explique : "Lorsque la demande au Royaume-Uni est élevée et que la production éolienne est faible, l'hydroélectricité peut être importée de Norvège."

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Le Royaume-Uni et la Norvège sont tous deux des acteurs majeurs. Mais la Norvège affirme que 98 % de son électricité est produite à partir de sources d'énergie renouvelables, principalement l'hydroélectricité. Pendant ce temps, au Royaume-Uni, le Premier ministre Boris Johnson a annoncé l'objectif de fournir 100 % de l'électricité du pays à partir de sources renouvelables d'ici 2035.

Et les projets de pose de câbles sous-marins se développent non seulement en Europe, mais s'étendent également à différents continents. L'année dernière, la Grèce et l'Égypte ont annoncé qu'elles négociaient un potentiel connecteur sous-marin de 2 GW traversant la mer Méditerranée pour connecter les systèmes électriques des pays. [x]

Il s'agira du premier projet de ce type reliant l'Europe à l'Afrique, ce qui démontre un énorme potentiel d'expansion des liens interrégionaux. La Grèce envisage également de créer un interconnecteur euro-asiatique qui irait d'Israël au continent grec en passant par Chypre.

Une fois achevé, le câble sera long de 1 500 km et transmettra de 1 à 2 GW d'électricité entre les régions, reliant les réseaux électriques d'Israël, de Chypre et de la Grèce. Alors que les premières projections laissaient entendre que le câble serait terminé en 2022, de nouvelles estimations suggèrent qu'il sera achevé en 2024 et qu'il coûtera près de 823 millions de dollars. Le financement proviendra en partie de l'UE et contribuera à mettre fin à l'isolement énergétique de Chypre. [xi]

Mais là encore, la question des risques politiques et technologiques se pose lors de la pose de tels câbles et interconnexions.

La géopolitique de l'électricité

Tout ceci indique que l'importance géopolitique de l'électricité a traditionnellement été sous-estimée, mais avec la transition mondiale vers une énergie plus respectueuse de l'environnement et l'expansion de l'utilisation des sources d'énergie renouvelables ("transition énergétique"), les réseaux électriques deviennent de plus en plus importants et prennent de l'ampleur.

Pékin, en particulier, promeut le système mondial d'approvisionnement en électricité par le biais de son initiative "One Belt, One Road". L'Institut allemand pour les affaires internationales et la sécurité note qu'aujourd'hui, l'impact de l'unification des réseaux électriques sur les relations internationales et la géopolitique mérite d'être étudié de près [xii].

L'étude indique que la zone continentale Europe-Asie (c'est-à-dire l'Eurasie) fait preuve d'une dynamique particulière. De nouvelles configurations de l'infrastructure électrique - sous la forme d'interconnecteurs (c'est-à-dire de lignes de transmission transfrontalières reliant les réseaux) et de réseaux électriques intégrés - reconstruisent l'espace, redéfinissant la relation entre le centre et la périphérie.

Outre les anciens centres d'attraction - la Russie et l'UE - de nouveaux centres émergent. Ceux-ci comprennent non seulement la Chine, mais aussi la Turquie, l'Iran et l'Inde. Leurs réseaux ne sont pas encore aussi étroitement interconnectés qu'en Europe et dans certaines parties de l'ancienne Union soviétique, mais ils prévoient néanmoins de les connecter. Par conséquent, des régions autrefois considérées comme périphériques, telles que la Méditerranée orientale, les régions de la mer Noire et de la mer Caspienne, ainsi que l'Asie centrale, deviennent rapidement des objets de concurrence.

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L'électricité est connectée au réseau. L'électricité se déplace presque à la vitesse de la lumière et relie des points éloignés et couvre de vastes espaces dans un réseau interconnecté. Les réseaux électriques ("infrastructures") façonnent les régions sur le long terme, créant leur propre topographie qui reflète l'organisation de la vie économique et sociale au sein d'une zone géographique. Le système d'alimentation électrique est la base de toute économie, et les réseaux électriques représentent l'infrastructure la plus importante.

L'interaction de trois facteurs - le réseau électrique, l'espace et le pouvoir géopolitique - mérite une attention particulière. Les réseaux d'infrastructure créent des sphères d'influence techno-politiques et techno-économiques. Puisque les espaces énergétiques s'étendent au-delà des frontières des États et des juridictions légales, ils assurent la propagation du pouvoir géopolitique. La vulnérabilité des États à la projection de force et à l'influence extérieure dépend également de la fiabilité et de la stabilité des réseaux électriques.

Et la Communauté européenne et l'Union européenne n'ont jamais été identiques au concept plus général d'"Europe électrifiée". L'extension et la synchronisation du réseau y dépendent encore principalement des conditions économiques et géographiques. Malgré le cadre politique et juridique général, l'intégration technique et commerciale au sein de l'UE s'est déroulée de manière très inégale et avec un certain retard.

Avec la création du marché intérieur, l'UE a également recherché l'intégration et l'harmonisation aux niveaux politique, technique et économique. Mais les nœuds physiques correspondants et les centres de contrôle du pouvoir technique, opérationnel, économique et politique ne se chevauchent ni dans leur localisation ni dans leur structure organisationnelle.

En utilisant l'exemple des métaux de terres rares, on constate que la politique de Pékin montre la perméabilité des espaces et des sphères d'influence, ainsi que le degré auquel le pouvoir politique peut être projeté par le biais de "liens de connexion". La projection du pouvoir, réalisée par l'expansion des lignes électriques et le développement des réseaux, conduit à la réorganisation des grands espaces économiques. Et ils sont certainement caractérisés par des ambitions géopolitiques. Dans un cadre réglementaire aussi volatile, le décalage entre les niveaux d'interconnexion et les approches réglementaires soulève un certain nombre de questions géopolitiques.

Les connexions et réseaux électriques peuvent servir les intérêts géopolitiques de trois manières principales. Les acteurs politiques peuvent les utiliser pour établir une dépendance asymétrique ; ils peuvent les utiliser pour établir une domination du marché, une domination réglementaire et une domination technique et économique ; et, enfin, ils peuvent les utiliser pour atteindre des objectifs mercantiles.

Dans de telles situations, un exemple classique est l'ouvrage de Carl Schmitt de 1939 Völkerrechtliche Großraumordnung (L'ordre des grands espaces en droit international), à savoir qu'il existe un lien au niveau du développement technique et organisationnel entre les grands territoires, les relations économiques et les réseaux énergétiques et électriques.

Cela vaut également pour la mesure de l'énergie verte. Malgré les objectifs déclarés, l'Occident ne dispose pas de suffisamment d'atouts et de ressources pour mettre en œuvre ce projet global sans la participation d'acteurs énergétiques majeurs tels que la Russie, l'Iran et la Chine, où chacun a ses propres atouts. Le même gaz naturel et l'énergie nucléaire peuvent également être considérés comme faisant partie de l'économie verte, la question est de savoir à partir de quelle position considérer ces industries.

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Notes:

[I] https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/nies_eu_plan_renewables_2022.pdf

[ii] https://cset.georgetown.edu/wp-content/uploads/t0284_14th_Five_Year_Plan_EN.pdf

[iii] https://www.fch.europa.eu/news/european-green-deal-hydrogen-priority-area-clean-and-circular-economy

[iv] https://group.vattenfall.com/uk/what-we-do/roadmap-to-fossil-freedom/industry-decarbonisation/hybrit

[v] https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3130990/chinas-dominance-rare-earths-supply-growing-concern-west

[vi] https://www.fpri.org/article/2022/03/rare-earths-scarce-metals-and-the-struggle-for-supply-chain-security/

[vii] https://www.realclearenergy.org/articles/2022/04/05/end_us_dependence_on_mining_in_china_825505.html

[viii] https://oilprice.com/Energy/Energy-General/Why-Renewables-Cant-Solve-Europes-Energy-Crisis.html

[ix] https://www.cnbc.com/2022/04/12/huge-undersea-cables-to-give-uk-germany-first-ever-energy-link.html

[x] https://balkangreenenergynews.com/several-undersea-power-cables-about-to-connect-europe-with-africa/

[xi] https://oilprice.com/Energy/Energy-General/Invisible-Energy-Highways-Could-Usher-In-A-New-Era-Of-Shared-Power.html

[xii] https://www.swp-berlin.org/en/publication/geopolitics-of-...

samedi, 21 mai 2022

Préparatifs pour un nouveau monde : à propos de la "transformation structurelle" de l'économie russe

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Préparatifs pour un nouveau monde : à propos de la "transformation structurelle" de l'économie russe

par Alessandro Visalli

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/preparativi-di-un-nuovo-mondo-circa-la-trasformazione-strutturale-dell-economia-russa

Giovanni Arrighi décrit le revirement des années 1980, dont les porte-drapeaux étaient Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, qui a re-discipliné les travailleurs occidentaux (dont le revenu réel stagne depuis lors [1]) et a été l'effet d'une longue chaîne de causes et de conséquences dont le point central est la décolonisation, dans le contexte de la lutte hégémonique entre l'Est et l'Ouest. La crise des profits et de la compétitivité des biens occidentaux, déclenchée par la modification des termes de l'échange, notamment de certains produits clés (principalement l'énergie), a ensuite entraîné un déséquilibre fondamental de la balance des paiements et de la fiscalité. Ce déséquilibre a été aggravé par les politiques de compensation, visant à sauver le grand capital tout en essayant de préserver la paix sociale, qui se sont accumulées tout au long des années 1960 et 1970, pour finalement atteindre un point de rupture. Puis, avec la dévaluation du dollar (et de la livre sterling) en 1969-73 et la rupture de la parité avec l'or en 1971, un jeu de passe-droit mutuel entre alliés s'est mis en place. Un jeu pour savoir qui finirait par payer pour la crise. C'était notre tour.

Pour éviter la destruction du capital, ils se sont réfugiés dans leur "quartier général", c'est-à-dire les marchés financiers, en essayant de multiplier leurs profits sans passer par la production. Mais, comme l'écrit Arrighi dans Adam Smith à Pékin, de cette façon, en fin de compte, "les États-Unis sont passés du rôle de principale source de liquidités et d'investissements directs étrangers du monde qu'ils avaient joué pendant les années 1950 et 1960, à celui de principale nation débitrice et de puits de liquidités qu'ils n'ont pas abandonné depuis les années 1980" [2]. Ils ont ainsi obtenu les résultats de la fin du millénaire : la défaite de l'URSS et la disciplination du Sud. Les marges de production ont été recréées par la destruction et l'incorporation subalterne de l'industrie du bloc soviétique, qui était en concurrence sur les marchés du Sud ; puis par la récession et l'élargissement des chaînes de production pour occuper l'espace qui s'était ouvert ; enfin, ces événements ont liquidé l'État providence et reconstitué l'armée de réserve industrielle ; les crises financières et de la dette qui se sont répétées tout au long des années 1980 et 1990 ont créé l'espace pour imposer l'ouverture des marchés au capital spéculatif et industriel [3]. Certains ont appelé ce modèle, qui se creuse constamment sous ses propres fondations, la "Grande Modération" [4].

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Ce qui s'est passé dans ce tournant des années, et qui a finalement produit le bouleversement des années 1980-1990, a révolutionné l'ensemble de la société. La direction et la qualité de la consommation ont changé, passant d'un arrangement qui était tiré par la consommation de masse à un arrangement tiré par la consommation "distinctive". L'hégémonie de la classe sociale "aisée", qui exhibe sa consommation en en faisant un élément de son prestige, de sa légitimité à diriger et de sa propre qualité morale, a pris le relais de la précédente semi-hégémonie "populaire". Le procédé a trouvé ses chantres et ses détracteurs [5], mais il était pratiquement irrésistible. Il s'agissait d'une nouvelle Belle Époque basée sur un mécanisme qui, à la base, était sous-tendu par une anticipation continue de l'avenir, c'est-à-dire par une expansion constante des structures financières et donc de la dette, et qui, selon Arrighi, aurait pu conduire à long terme à un "nouvel effondrement systémique" (et en fait beaucoup plus proche, puisque Adam Smith à Pékin est sorti de presse en 2007). En bref, un modèle a été affirmé dans lequel la réduction de la concurrence dominait grâce à l'extension des relations client-fournisseur "captives", fondées sur l'association de monopoles et de monopoles, et l'interconnexion internationale pour échapper aux régimes réglementaires ou les arbitrer [6]. Il s'agit du modèle Walmart des années 1990, sur la base duquel, généralisé, le modèle de la "gig economy" [7] et d'"Amazon" [8] s'imposera dans le nouveau millénaire. Et un renversement complet de la façon dont la société est régulée.

Tout cela touche à sa fin et reste désormais à l'état de fantôme.

Mais, bien sûr, ce qui se passera dans les mois et surtout les années à venir ne peut être que conjecturé. Pour développer ces conjectures, commençons par une interprétation: l'accumulation de capital, dont dépend très étroitement la stabilité politique (à la fois "en haut", en tant que consentement des classes dirigeantes, et "en bas", en tant qu'accès aux ressources des classes subalternes via le travail) dans notre système, est étroitement liée à l'exploitation des dissemblances que le système cultive. Ou, pour le dire autrement, le mouvement du capitalisme génère toujours une dialectique spatiale qui est liée de manière interne à la lutte des classes. Le jeu consiste à toujours chercher de nouveaux débouchés exploitables pour les surplus de capital et de travail qui sont continuellement générés, sans les redistribuer. Pour que les nouveaux débouchés donnent lieu au processus complet d'exploitation du capital (investissement-production-réalisation), une certaine stabilité et, en même temps, un certain contrôle de la part de l'investisseur doivent être présents au moins jusqu'à l'achèvement du cycle de production-réalisation. Lorsque le capital investi traque les opportunités d'investissement en dehors de sa propre zone de contrôle, il doit d'abord l'étendre d'une manière ou d'une autre. C'est ainsi que sont déterminées les formes de dépendance, même réciproques (en fait, toujours réciproques).

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Si l'on se place du point de vue des processus dits de "développement" (c'est-à-dire de la croissance des dotations matérielles et immatérielles, de leur capacité à travailler ensemble et à générer une plus grande efficacité totale des facteurs de production [9]), il faut reconnaître que ceux-ci ne sont pas auto-équilibrés et qu'ils ne dépendent pas essentiellement du simple fait des investissements ou de la disponibilité des technologies [10]. Au contraire, lorsque les investissements sont déséquilibrés par rapport aux caractéristiques de la situation locale, ils provoquent plus souvent la fragilité et la dépendance, notamment lorsqu'ils sont proportionnés aux marchés étrangers ou contrôlés par des centres de pouvoir étrangers [11]. La dynamique d'investissement entraîne souvent une concentration des ressources dans quelques localités émergentes et des "effets de reflux" (positifs, en termes de revenus, ou négatifs, en termes d'épuisement) depuis celles d'origine. Généralement selon une dynamique causale circulaire et cumulative.

L'instabilité potentielle que ces dynamiques complexes génèrent, déterminée par la fluidité du capital (une caractéristique intrinsèque du capital et historiquement entravée par le pouvoir étatique), est tenue en échec par divers mécanismes d'absorption et d'utilisation des surplus et, surtout, par l'organisation internationale et la hiérarchie des nations. C'est-à-dire par un réseau complexe de relations d'exploitation, également créé par le contrôle du capital excédentaire, de son emploi et de sa rémunération. La création et l'exploitation des écarts sont donc une caractéristique inéluctable du capitalisme [12]. Des écarts qui peuvent certes être lus comme caractéristiques d'une stratification fonctionnelle interne aux différents pays, mais aussi de l'exploitation d'un territoire sur un autre.

Ce qu'il faut faire, par conséquent, pour dominer l'instabilité intrinsèque du capitalisme, c'est, du côté des puissances qui entendent dominer leur propre destin, de projeter leur capital, leur technologie et leurs normes, ainsi que leur main-d'œuvre à tous les niveaux (en particulier au plus haut niveau, c'est-à-dire au niveau des cadres), dans des zones contrôlables, dans lesquelles il existe des lacunes et des ressources à mettre "au travail" afin de créer des formes de développement dépendant. Des formes de développement, c'est-à-dire capables de consolider les économies subalternes qui sont empêchées par la domination politique d'activer des mécanismes causaux cumulatifs qui pourraient un jour revenir en tant que concurrents (lorsque cela échoue, par exemple les États-Unis par rapport à la domination britannique, ou l'Allemagne et le Japon par rapport à la domination américaine, il y a une transition hégémonique ou son risque). Un développement dans lequel les bénéfices, en d'autres termes, sont appropriés et transférés (également grâce à des termes de l'échange appropriés [13], plus ou moins imposés) et empêchés de se transformer en capital local.

C'est la géopolitique du capitalisme.

C'est donc l'enjeu du Grand Jeu Triangulaire qui se joue entre les Etats-Unis (mais aussi sa fidèle vassale l'Europe), la Russie et la Chine. La troisième a longtemps été cultivée comme une zone d'investissement pour les surplus de production occidentaux, principalement américains, et les capitaux à la recherche de rendement. Mais la Russie est également un terrain de chasse depuis les années 1990. Cependant, les choses ne se sont pas passées comme l'Occident l'aurait souhaité, car le circuit de l'exploitation et du contrôle, c'est-à-dire le cercle de la dépendance, ne s'est jamais fermé complètement. Les économies russe et chinoise ne sont pas devenues subalternes, et les quelques agents qui ont transmis le contrôle par le biais de leur propre relation avec l'Occident ("entrepreneurs" ou "oligarques", comme on les appelle habituellement) ont, ces dernières années, été ramenés sous le contrôle de la logique étatique, souvent par des moyens peu glorieux. C'est en cela que réside, à y regarder de plus près, l'accusation de "totalitarisme" portée par les libéraux (un régime qui ne laisse pas les entrepreneurs libres est toujours "totalitaire", pas un régime qui asservit les citoyens mais dans lequel le capital circule librement et fait ce qu'il veut, le "paradoxe de l'Arabie saoudite" trouve ici son sens rationnel). Comme c'est souvent le cas, une formule ne semble irrationnelle ou contradictoire que parce qu'elle laisse ses hypothèses implicites, et la formule libérale a pour hypothèse indéfectible que c'est le capital, et pour lui son propriétaire, qui est "libre".

Face à cette faute inexcusable se déplace toute la machine de destruction de l'Occident. La plus formidable que l'humanité ait jamais vue. Une destruction idéologique, morale, culturelle et, bien sûr, matérielle. L'objectif est simple et nécessaire, il s'agit de forcer l'économie des pays déraisonnablement "fermés" à laisser le contrôle interne des investissements être complètement abandonné, à ce que les termes de l'échange soient choisis "par les marchés" (c'est-à-dire que les matières premières soient vendues au prix choisi par l'acheteur et dans la devise qu'il préfère). C'est tout. Bien sûr aussi que les meilleures ressources intellectuelles continuent d'aller dans les universités occidentales, de travailler pour les entreprises occidentales, et que les plus simples et les plus abondantes émigrent au service. Pour cela, il est également nécessaire de briser l'esprit, de montrer qu'ils doivent être heureux d'apprendre du phare de l'humanité comment être dans le monde. Heureux et admiratif d'apprendre la démocratie, la justice, le bien et la vraie vie auprès des maîtres.

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C'est ce qui se passe aujourd'hui. C'est pourquoi, à maintes reprises, le Kremlin nous avertit qu'un monde sans la Russie ne vaudra pas la peine d'exister et que, s'ils y sont contraints, ils le détruiront. C'est certainement emphatique, mais ce que l'Occident collectif veut, c'est effectivement leur mort. La mort en tant que nation et en tant que civilisation, et l'occupation en tant que zone économique, la servitude pour ses habitants. Il ne peut y avoir de souveraineté sans indépendance économique et, d'autre part, il ne peut y avoir de processus d'accumulation stable sans contrôle des espaces inégaux.

Ce qui se passe aux confins de la Russie est donc le siège nécessaire, du point de vue américain, pour contrôler le grand espace russe : le menacer et le forcer à s'ouvrir, lui imposer le choix des clients et des destinations de ses produits (et donc le prix) ; restreindre et dominer sa monnaie et ses entrepreneurs ; enfin, le plonger dans une crise économique, sociale et politique. L'éliminer en tant que grande puissance.

La même chose arrivera, arrive déjà, à la Chine.

Nous savons comment la Russie a répondu militairement à ce défi existentiel, certainement de manière cynique et peut-être imprudente. La façon dont elle a réagi au niveau de la lutte monétaire (une grande partie du défi), nous l'avons également vu dans l'extension des accords "goods-to-ruble" jusqu'à présent réussis [14]. À long terme, cette contre-offensive a le potentiel d'acculer le dollar et, avec lui, la domination américaine.

Mais à moyen terme, l'économie russe a un problème de rétrécissement des débouchés du commerce extérieur. Cela touche un pays apparemment sain, constamment en excédent commercial (avec 45 milliards d'exportations historiques et 24 milliards d'importations), avec des investissements étrangers positifs (à hauteur de 12 milliards) et très peu de dette extérieure (0,4 milliard), un PIB de 1,4 trillion, un taux d'emploi de 71% et un chômage de 4%. Mais c'est aussi un pays aux différences géographiques énormes, gigantesque et avec des zones très pauvres, un revenu moyen par habitant très bas et une population de 145 millions de personnes, donc fortement dépeuplée dans la partie asiatique, dans laquelle ne vit que 23% de la population bien qu'elle soit la plus grande zone.

Comme nous l'avons vu [15], la Banque centrale russe a déclaré que le pays devra passer par une phase de changements structurels majeurs afin de réduire davantage la dépendance vis-à-vis de l'Occident et de permettre la déconnexion. Dans un article récent d'Anastasia Bashkatova [16], la transformation structurelle que la Banque centrale appelle de ses vœux est décrite comme le passage d'un modèle axé sur les exportations (celui de la "Grande Modération" des trente dernières années) à un modèle dans lequel la demande intérieure stabilise le pays. Il s'agit évidemment d'une tâche énorme pour laquelle il faudra des années. Il faudra : restructurer le marché du travail ; changer les secteurs de pointe ; mettre en œuvre ce que l'on a appelé une "double circulation" en Chine. La Banque centrale a prévenu que cela devra impliquer une forte redistribution entre les industries et les professions, ainsi qu'entre les zones économiques géographiques. De nombreux employés de haut niveau des multinationales étrangères perdront leur emploi et devront se délocaliser, tandis qu'il y aura vraisemblablement plus de travail aux niveaux moins sophistiqués. Malgré cela, pour que l'économie se restructure, la masse salariale totale devra augmenter afin de faire croître la demande intérieure.

Le modèle néo-libéral fonctionne exactement à l'inverse. Elle maintient la demande intérieure comprimée, afin de protéger les profits industriels, et recherche la capacité de dépense nécessaire pour assurer la réalisation des biens d'équipement à l'étranger dans une lutte à somme nulle impitoyable. C'est là que réside sa "liberté".

Le pari russe est donc de pouvoir se rabattre sur le modèle inverse, évidemment avec la Chine et de nombreux partenaires. Un modèle qui stabilise son cycle d'appréciation et de reproduction du capital en s'appuyant essentiellement sur le marché intérieur, des salaires élevés et stables, une classe moyenne en hausse. Évidemment, cela inclut un certain contrôle des flux de capitaux et une réticence à être contrôlé de l'extérieur. C'est là que la tradition du pays vient à la rescousse, à savoir la capacité cultivée à l'époque soviétique d'assurer un "large filtrage des projets, en tenant compte des nouvelles circonstances", afin de garantir en fin de compte une augmentation de la productivité totale des facteurs, l'acquisition de nouvelles connaissances, de nouvelles technologies et le développement du capital humain.

Pour le directeur du Centre de mécanique sociale, Mikhail Churakov, il est donc nécessaire de créer l'infrastructure de base, d'assurer la participation, de combler le fossé entre la métropole et les zones rurales intérieures, de garantir un système de commande et de contrôle efficace et de soutenir l'innovation scientifique.

En bref, retour à la programmation économique, sinon à la planification.

Notes:

[1] - Voir, par exemple, le billet " Lawrence Mishel, 'The mismatch between productivity growth and median incomes' ", Tempofertile, 23 novembre 2013 ; " Conflits distributifs et travail : passé et avenir ", Tempofertile, 21 septembre 2015 ; " Mc Kinsey & Company, 'Poorer than Parents ? Des revenus plats ou en baisse dans les économies avancées", Tempofertile, 20 juillet 2016."

[2] - Giovanni Arrighi, "Adam Smith à Pékin", Feltrinelli, 2007, p. 165.

[3] - Ce résumé se réfère à ce qui est écrit dans Alessandro Visalli, "Dépendance", Meltemi 2020, pp. 394 et s. Un résumé dans ce billet, "Dépendance", Tempofertile, 4 novembre 2020.

[4] - Voir le billet " Les compromis sociaux, la 'Grande Modération' ", Tempofertile, 8 mai 2015.

[5] - L'un des plus importants est Pier Paolo Pasolini, dont il a écrit "Scritti corsari", Garzanti, Milan 1975, et "Lettere luterane", Garzanti, Milan 1976, mais aussi C. Lasch, "La ribellione delle élite", Feltrinelli, Milan 1995.

[6] - Pour une lecture très intéressante qui fait usage de ce concept, voir O. Romano, "La libertà verticale. Come affrontare il declino di un modello sociale", Meltemi, Milan 2019.

[7] - Voir l'article "Gig Economy ou Sharing Economy ? Della generalizzazione del Modello piattaforma ", Tempofertile, 16 février 2016 ; " Benedetto Vecchi, 'Il capitalismo delle piattaforme' ", Tempofertile, 20 janvier 2018.

[8] - Voir ce billet, "Amazon et son monopole", Tempofertile, 22 octobre 2017.

[9] - C'est-à-dire, en paraphrasant la définition succincte de Hirschman, au problème de savoir comment une chose ne conduit pas à une autre (par exemple, un investissement dans une centrale électrique et un port ne conduit pas au développement industriel et donc à une augmentation du niveau de vie général).

[10] - Pour une hypothèse contraire, voir R. Solow, Technical Change and the Aggregate Production Function, dans "Review of Economics and Statistics", vol. 39, no. 3, 1957, pp. 312-320. Selon son analyse initiale, à long terme, la croissance ne dépend pas des machines, mais de la technologie. En calculant la croissance par travailleur aux États-Unis, Solow a estimé que pas moins de sept huitièmes dépendaient de la technologie. L'accent mis sur la productivité du travail, dont on déduit la dotation en biens et services par habitant et que l'on fait coïncider avec la croissance, permet de réaliser que la simple croissance du nombre de machines par travailleur est sujette à des rendements décroissants (je ne peux pas mettre la main sur plus d'une machine à la fois). Il s'ensuit, dans les résultats proposés, que les revenus des usines et des machines constituent une part mineure du PIB (environ un tiers), un fait qui se vérifie à peu près des années 1950 aux années 1980. En raison des rendements décroissants, la simple augmentation des machines n'était pas le chemin de la croissance (c'est la "surprise" de Solow), et donc l'épargne ne soutient pas la croissance. Ce qui l'est, c'est le progrès technique. C'est simplement parce que l'évolution technologique permet d'atteindre un niveau de production plus élevé avec la même quantité de travail. La recherche de directions causales simples, modélisées mathématiquement, l'une des spécialités de Solow, l'a conduit, même dans son influent ouvrage ultérieur, à conclure que le progrès technique avait lieu pour des raisons non économiques, puisqu'il dépendait de l'avancement des connaissances scientifiques (voir R. Solow, Growth Theory : An Exposition, Oxford University Press, 1987).

[11] - Par exemple, selon le point de vue de Myrdal, fondé en partie sur d'importantes recherches de terrain sur la discrimination dans le sud des États-Unis (voir G. Myrdal, Il valore nella teoria sociale, Einaudi, 1966 (éd. or. 1958), contrairement aux modèles optimistes de l'économie (par exemple les conséquences de celui de Solow), le jeu des forces du marché laissé à lui-même conduit à la croissance continue des inégalités. Comme il l'écrit : "Si les choses étaient laissées au libre jeu des forces du marché sans intervention de la politique économique, la production industrielle, le commerce, la banque, l'assurance, le transport maritime, presque toutes ces activités économiques qui, dans une économie en développement, tendent à produire une rémunération supérieure à la moyenne - et en outre la science, l'art, la littérature, l'éducation, la haute culture en général - seraient concentrées dans certaines localités et régions, laissant le reste du pays plus ou moins stagnant. Myrdal, Théorie économique et pays sous-développés, Feltrinelli 1959 (éd. ou. 1957).

[12] - Voir aussi le billet, "Immanuel Wallerstein, 'Après le libéralisme'", Tempofertile 11 mai 2022.

[13] - Les "termes de l'échange" sont définis comme le rapport entre l'indice des prix à l'exportation d'un pays et son indice des prix à l'importation. Du point de vue du pays dans son ensemble, il représente la quantité d'exportations nécessaire pour obtenir une unité d'importations. Ainsi, le prix entre deux biens (ou d'un bien et d'un autre par rapport à une unité de mesure commune, par exemple une monnaie acceptée au niveau international comme le dollar) est relatif aux relations de pouvoir qui sont déterminées sur le "marché" et qui dépendent de nombreux facteurs, pas tous économiques. Par exemple, si un pays a un excédent de vin, s'il s'est spécialisé uniquement dans la production pour l'exportation, par exemple de Porto, et que le seul grand marché "libre" sur lequel il peut vendre son produit est la Grande-Bretagne, il devra accepter le prix déterminé par les grossistes anglo-saxons, qui ont le monopole de l'accès au marché, même s'il est un peu plus élevé que son prix de production, l'alternative étant de remplir ses entrepôts et de ne pas avoir l'argent pour acheter, au prix à nouveau déterminé par les commerçants étrangers, en tant que détenteurs d'un monopsone (soutenu par des traités et, le cas échéant, des canonnières), et à la limite de leur capacité de dépense. L'effet est qu'un pays ayant une souveraineté très limitée (l'ayant perdue sur les champs de bataille) s'appauvrit progressivement. Tout cela disparaît dans des formules simplifiées, dans la puissance des mathématiques, et dans les mots ailés de David Ricardo. L'hypothèse, fondamentale pour la discipline de l'économie internationale, selon laquelle le "libre-échange" est toujours mutuellement bénéfique, est, selon les mots de Keen, "une erreur basée sur un fantasme". Cette théorie ignore directement la réalité, connue de tous, selon laquelle lorsque la concurrence étrangère réduit la rentabilité d'une industrie donnée, le capital qui y est employé ne peut pas être magiquement "transformé" en une quantité égale de capital employé dans une autre industrie. Au lieu de cela, il se met normalement à rouiller. En bref, ce petit apologue moral de Ricardo est comme la plupart des théories économiques conventionnelles : "net, plausible et faux". C'est, comme l'écrit Keane, "le produit de la pensée de salon de personnes qui n'ont jamais mis les pieds dans les usines que leurs théories économiques ont transformées en tas de rouille."

[14] - Voir "Qui a tué le cerf ? A propos de la guerre entre l'argent et les matières premières", Tempofertile 25 avril 2022.

[15] - Voir "A propos du rapport de la Banque de Russie à la Douma : déconnexions et fin du système-monde occidental", Tempofertile, 22 avril 2022.

[16] - Anastasia Bashkatova, " La Russie aura sa propre voie économique, mais avec des rebondissements chinois " (У России будет свой экономический путь, но с китайскими поворотами, Nezavisimaya Gazeta), 12 mai 2022.

mardi, 17 mai 2022

La fin du néolibéralisme et le temps du néo-keynésianisme mondial. Du consensus de Washington au consensus progressiste de Davos

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La fin du néolibéralisme et le temps du néo-keynésianisme mondial. Du consensus de Washington au consensus progressiste de Davos

Par Cristian Taborda

Source: https://kontrainfo.com/el-fin-del-neoliberalismo-y-la-hor...

La crise mondiale de 2008 a infligé une blessure mortelle à la politique économique menée depuis le choc pétrolier de 1973. La faillite de Lehman Brothers et ses conséquences n'ont pas été un événement mineur. En plus d'exposer les échecs du modèle de spéculation financière avec les obligations de pacotille et la bulle spéculative dérivée des prêts à risque, il a exposé la corruption et l'obscénité des entreprises multimillionnaires aux dépens des travailleurs, qui ont fini par en payer le prix par le biais du sauvetage par l'État de la classe des affaires avec l'approbation de la classe politique. Il est clair que nous parlons du cas des États-Unis. L'arrivée de Donald Trump a été le coup de K.O., imposant un modèle de production dont les politiques vont du libéralisme classique au protectionnisme de l'industrie locale. Les conséquences ne se sont pas fait attendre : le pays qui avait créé le nouvel ordre international d'après-guerre sur la base de l'institutionnalisme des organisations internationales et initié le modèle financier spéculatif se tournait vers la production et l'industrie, rompant avec les organisations qu'il avait créées. La pandémie a été l'acte de décès du modèle néolibéral ou du moins de sa version déjà intolérable et intolérante, la montée des mouvements nationaux et identitaires avec des politiques de protection sociale ou économique, le mécontentement social et les crises successives ont rendu ce modèle impraticable, aggravé par l'irruption du coronavirus qui sert d'excuse parfaite à la Grande Réinitialisation.

Néo-keynésianisme mondial*.

Ce mécontentement n'a pas émergé en 2008, mais c'était le tournant, l'usure avait déjà commencé bien avant avec les politiques anti-ouvrières et pro-élites, avec le processus de délocalisation et de désindustrialisation au profit de la financiarisation, avec la paupérisation des classes moyennes et la concentration des richesses dans les mains d'une minorité oligarchique. Des personnalités importantes de l'establishment international en ont pris note et ont prévu des "troubles dans la culture" ainsi que dans leurs poches. Il est frappant de constater que l'on oublie que ceux qui ont soutenu le statu quo néolibéral sont aujourd'hui ses plus farouches détracteurs ou les prédicateurs d'une "économie sociale", "plus humaine". Dans un acte de transformisme politique, les intellectuels, les "philanthropes" et les économistes sont passés du néolibéralisme aux hérauts du progressisme, du consensus néolibéral de Washington au consensus progressiste de Davos. Des dix points de Williamson aux dix-sept points de l'Agenda 2030.

Après le consensus de Washington, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, les critiques à l'égard du modèle financier spéculatif se sont multipliées et la vision du monde inspirée par une "mondialisation plus humaine", slogan avancé par l'administration de Bill Clinton dans le cadre de sa proposition de "troisième voie", a commencé à trouver un écho. Bill Clinton et Tony Blair se sont tous deux présentés, à l'époque, comme l'opposition au néolibéralisme de Reagan et Thatcher respectivement. L'alternance entre la social-démocratie et le néolibéralisme va commencer.

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Parmi les dissidents du bloc néolibéral qui ont commencé à forger l'économie mondiale du consensus post-Washington, on trouve même les auteurs très intellectuels de ce consensus, comme Paul Krugman ou Jeffrey Sachs, aujourd'hui membre de l'Académie pontificale des sciences sociales, qui est l'une des principales vedettes du réformisme progressiste, laissant derrière lui son passé de consultant du FMI et des gouvernements néolibéraux, comme sa collaboration à l'architecture des programmes d'ajustement structurel ou la paternité des programmes "Choc" appliqués dans les pays d'Europe de l'Est et d'Amérique latine au cours des années 1980 et 1990. Joseph Stiglitz (photo), lauréat du prix Nobel d'économie, qui a été le conseiller économique de Bill Clinton et l'économiste en chef de la Banque mondiale lorsqu'il en était le vice-président, est sans doute aujourd'hui l'un des plus critiques du modèle néolibéral, le théoricien et l'auteur le plus en vue du néo-keynésianisme. Il a suggéré un "nouveau modèle pour le capitalisme mondial" (La mondialisation et ses mécontentements, 2002) en appelant à davantage de réglementations supervisées par des organismes supranationaux ou à la construction d'un État transnational pour une économie mondiale.

Un autre des plus importants dissidents est le principal visage du Forum économique mondial de Davos, le milliardaire et magnat devenu philanthrope George Soros, qui a fait fortune sur la base de la spéculation financière. À la fin des années 1990, Soros a écrit plusieurs livres à succès critiquant le "fondamentalisme du marché", auquel il a eu recours toute sa vie pour gagner de l'argent, et appelant à un modèle de "gouvernance mondiale" et de régulation financière. Il a même présenté un modèle de réformes pour divers organismes tels que le FMI, la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce, appelant à une économie et une société ouvertes au niveau mondial (On Globalization, 2002).

Capitalisme progressif

Ces propositions pour une "mondialisation plus humaine", un "capitalisme à visage humain", une "troisième voie" ou tout autre adjectif édulcorant, portées par des technocrates et des organismes supranationaux, ne sont rien d'autre que ce que l'Italien Antonio Gramsci pourrait bien appeler un "réformisme préventif", des changements effectués du haut vers le bas face à la crise et à la menace du "populisme". Un projet de réforme qui laisse intacts les fondements du modèle néolibéral. Ces réformes de l'establishment mondial recherchent le consensus des classes populaires dans le but de réorganiser et de former un nouveau bloc, où idéologiquement l'hégémonie est progressiste, politiquement elle s'exprime à travers la social-démocratie et économiquement le néo-keynésianisme prime. La mondialisation néolibérale a ainsi cédé la place à un mondialisme progressiste.

Le bloc néolibéral a éclaté, mais l'hégémonie reste mondialiste. Le projet de gouvernance économique mondiale selon le modèle néo-keynésien est présenté comme un moyen de sortir de la crise pandémique avec une plus grande intervention de l'État, mais pas dans l'économie, mais dans le secteur financier et, ce qui est pire, dans la vie des gens. C'est le retour à un État policier dédié au contrôle et à la gestion administrative, asservi à la finance mondiale, dépouillé de toute politique.

Le capitalisme progressif est la roue de secours du modèle néolibéral, un hybride entre le marxisme et le libéralisme qui tente de rapiécer la déréglementation, la spéculation et la financiarisation ou, du moins, essaie de les gérer sans résoudre les problèmes de l'économie, comme s'il n'y avait pas d'issue. Ullrich Beck, dans son livre "What is globalisation" (2008), met en garde :

    "Le mondialisme est un virus mental qui s'est installé dans tous les partis, toutes les rédactions, toutes les institutions. Son dogme n'est pas que nous devons agir économiquement, mais que tout - politique, économie, culture - doit être subordonné à la primauté de l'économie. À cet égard, le mondialisme néolibéral ressemble à son ennemi mortel, le marxisme. En fait, il s'agit du renouveau du marxisme en tant qu'idéologie de gestion. **

*Robinson, William. Une théorie du capitalisme mondial. Production, classes et État dans un monde transnational. Ed. Desde Abajo, 2007.

**Beck, Ullrich, Qu'est-ce que la mondialisation ? Falacias del globalismo, respuestas a la globalización. Ed. Paidos, 2008.

dimanche, 15 mai 2022

L'économie politique de la vitesse

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L'économie politique de la vitesse

par Carlos Perona Calvete

Source: https://www.ideeazione.com/leconomia-politica-della-velocita/

Le Nu descendant un escalier n° 2 de Marcel Duchamp n'est pas un nu, comme le souligne le théoricien français de la culture Paul Virilio. C'est un flou perçant. Nous ne voyons pas un corps, mais une séquence. Il ne s'agit pas non plus d'une séquence telle que nous nous en souvenons - le moment où quelqu'un regarde en bas du haut de l'escalier, sa main se posant un instant sur la rampe à mi-hauteur, etc. Il s'agit de la séquence en un seul travelling abstrait.

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Le Dynamisme d'un joueur de football de Boccioni est différent. Le futuriste calabrais abstrait également la forme humaine, plus que Duchamp, mais il prend ces angles fragmentés et les assemble en quelque chose comme une sphère. Son dynamisme est une entité unique avec un centre. Un joueur de football, habituellement si direct, est présenté en position et pourtant en mouvement. Si nous devions imaginer un artiste martial démontrant son habileté sans avoir besoin d'un adversaire, cela ressemblerait à la vision de Boccioni. Ici, le dynamisme est vraiment un nom, une entité, plutôt qu'un verbe. Ses nombreux vecteurs de mouvement n'ont pas non plus d'arêtes vives et dentelées. Ils sont un peu comme un tissu balayé par le vent.

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Paul Virilio, auteur, entre autres, de Vitesse et politique, a écrit que "si le temps est de l'argent, la vitesse est le pouvoir". Nous pouvons suggérer que le succès d'un ordre politique (y compris le quatrième pouvoir) à utiliser la vitesse dépend de sa capacité à générer de la nouveauté. Pour maintenir l'attention d'une population sur quelque chose, il doit y avoir l'apparition de signaux objectifs cohérents indiquant l'urgence, de préférence croissante, de cette question. Les nouvelles doivent être diffusées en continu et une certaine mesure de robo-anonymisation est nécessaire si l'on veut éviter la désensibilisation. La succession de crises dans lesquelles l'état d'urgence de Schmidt prend le pas sur les normes légalement et socialement établies, comme le note Agamben, est précisément pertinente ici. Nous constatons que la politique a besoin d'un élan, craignant que si elle s'immobilise, elle ne soit pas en mesure de se relever (pour fabriquer à nouveau un consensus).

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En ce qui concerne les dommages extrêmes que cette utilisation politique de la vitesse peut avoir sur une population, nous pouvons réfléchir à l'apparence que prend la nouveauté constante au bord de la route depuis l'intérieur d'une voiture en excès de vitesse. Elle tend vers l'obscurcissement. C'est ce que note Paul Virilio. Pour notre part, nous pouvons le relier à l'estompement de la différenciation humaine, au point qu'une civilisation peut devenir tellement enivrée par la propulsion du "progrès" qu'elle se sent capable non seulement d'abolir les frontières, mais même de légiférer sur des réalités telles que le genre. Il ne les voit plus, tout est confus.

En termes de géopolitique, l'agilité logistique est l'une des raisons pour lesquelles "la vitesse, c'est le pouvoir". La possibilité de transporter des marchandises de la Chine à Londres, par exemple, donne l'impression d'une présence réelle et permanente. Les articles chinois qui remplissent les étagères des magasins sont toujours nouveaux, mais on peut les concevoir comme des éléments permanents de son caddie car ils sont réapprovisionnés de manière fiable. La rapidité et la stabilité de la logistique - en l'occurrence les chaînes d'approvisionnement - créent de la présence. La Chine est présente à Londres parce qu'elle peut s'expédier elle-même de manière rapide et cohérente. Le centre d'où provient cet envoi n'est apparent que lorsqu'il ne le fait pas, et les acheteurs sont obligés de réfléchir à ce contexte parce qu'ils ne connaissent généralement pas les rouages d'un iPhone.

La vitesse produit donc la dépendance, et la dépendance peut être comprise comme une dynamique de pouvoir si l'entité sur laquelle on compte a accès à des marchés alternatifs alors que l'entité dépendante n'en a pas. Ceci étant, il est logique que les puissances montantes cherchent à hériter non seulement du matériel mais aussi de l'élan des structures précédentes. Lorsque Jan Huyghen van Linschoten et Cornelis de Houtman ont découvert les routes commerciales portugaises, celles-ci ont été reprises par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Lorsque la domination britannique sur le commerce maritime mondial a décliné, les Japonais ont commencé à desservir les routes commerciales du Pacifique que la Grande-Bretagne abandonnait. Mais les retards dans ce transfert ont donné le temps d'établir des relations commerciales alternatives. Par conséquent, les vides de pouvoir doivent être momentanés ; les transitions doivent être transparentes.

Une implication souvent négligée est que ce ne sont pas toujours les acteurs politiques qui déterminent le contenu idéologique de l'ordre mondial. Le fait que le pouvoir d'un acteur soit basé sur le fait de devenir le nouveau garant des besoins existants va profondément conditionner le projet de cet acteur. Aujourd'hui, il serait absurde pour la Chine, par exemple, de ne pas s'insérer dans les structures mondiales existantes et de renoncer à la tâche de construire des arrangements alternatifs (sauf en cas de nécessité). Ce qui est plus intéressant, cependant, c'est que la Chine ne maintient pas seulement la structure de l'ordre mondial, incluant potentiellement une monnaie ancrée dans le pétrole (du moins à moyen terme), mais aussi sa direction.

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L'Agenda 2030 des Nations Unies est pertinent ici. Il convient de noter que cette transformation ambitieuse de l'économie mondiale a lieu précisément à un moment où nous semblons assister au déclin définitif de l'hégémonie (mais pas nécessairement de la prééminence) des États-Unis. Dans son discours d'ouverture du Forum économique mondial en janvier dernier, le président chinois Xi Jinping a souligné l'importance des diverses priorités politiques de l'organisation, des vaccins COVID-19 et des nouvelles technologies telles que la 5G à la réalisation de la neutralité carbone, mais il a spécifiquement fait référence à la nécessité de ne pas ralentir le rythme de l'économie mondiale. Il doit continuer car l'alternative est de risquer le déraillement : "Si les grandes économies freinent ou font volte-face dans leurs politiques monétaires, il y aurait de sérieuses répercussions négatives. Pourtant, c'est aussi une force de la nature, un fait historiquement déterminé qui ne peut être arrêté : la mondialisation de l'économie est la tendance du moment. Il y a certes des contre-courants dans une rivière, mais aucun ne peut l'empêcher de couler vers la mer. Les forces motrices renforcent l'élan de la rivière, et la résistance peut encore améliorer son débit. Malgré les contre-courants et les dangereux hauts-fonds qui jalonnent son parcours, la mondialisation économique n'a jamais changé de cap et ne le fera jamais".

Cela s'est accompagné d'un éloge familier de l'intégration économique mondiale comme un bien moral en termes de significations fluctuantes telles que "ouverture", "union" et "vitalité".

Nous devons supprimer les barrières, et non ériger des murs. Nous devons nous ouvrir, et non nous fermer. Nous devons rechercher l'intégration, et non le découplage. C'est la voie à suivre pour construire une économie mondiale ouverte... pour rendre la mondialisation économique plus ouverte, inclusive, équilibrée et bénéfique pour tous, et pour libérer pleinement la vitalité de l'économie mondiale.

À cette fin, les structures existantes doivent rester en place, et les nouvelles technologies dans lesquelles ces structures se sont déjà engagées doivent être poursuivies :

Nous devrions... soutenir le système commercial multilatéral avec l'Organisation mondiale du commerce en son centre. Nous devrions établir des règles généralement acceptables et efficaces pour l'intelligence artificielle et l'économie numérique sur la base d'une consultation complète, et créer un environnement ouvert, équitable et non discriminatoire pour l'innovation scientifique et technologique.

Ces structures assurent l'unité mondiale.

Nous sommes tous d'accord pour dire que pour faire passer l'économie mondiale de la crise à la reprise, il est impératif de renforcer la coordination des politiques macroéconomiques. Les grandes économies doivent considérer le monde comme une seule communauté, penser de manière plus systématique, accroître la transparence des politiques et le partage d'informations, et coordonner les objectifs, l'intensité et le rythme des politiques fiscales et monétaires, afin d'éviter que l'économie mondiale ne s'effondre à nouveau.

La Chine, semble-t-il, est déterminée à maintenir la dynamique des tendances actuelles de l'économie mondiale, dirigée par les Nations Unies, face au COVID-19 et, pourrait-on ajouter, malgré la possible transition du pouvoir de l'hégémonie américaine, dont le discours de Xi Jinping à Davos est une indication. Nous avons noté que le président chinois fait référence aux dangers de freiner et de faire demi-tour par rapport aux développements actuels dans le monde.

Il n'y a rien d'extraordinaire dans cet accent rhétorique sur la croissance, le déterminisme historique, la vertu de l'ouverture et l'unité d'action mondiale. Encore une fois, ceux-ci articulent la logique inhérente des institutions à travers lesquelles le pouvoir mondial se manifeste, et seront donc les piliers de tout acteur qui cherche à obtenir la prééminence mondiale principalement en utilisant de telles institutions.

Nous avons l'habitude de considérer les structures de pouvoir dominantes comme idéologiquement engagées de manière à répondre à une sensibilité spécifiquement occidentale, mais cela risque de masquer la mesure dans laquelle des initiatives mondiales telles que l'Agenda 2030 représentent une opportunité économique de créer, promouvoir et établir une domination a priori sur de nouvelles industries - la soi-disant "quatrième révolution industrielle". (La question de savoir si les technologies associées représentent une valeur ajoutée du point de vue de la prospérité humaine est entièrement différente - elles pourraient probablement être utilisées de manière édifiante, si cette utilisation était sélective, mais nous débattons de leur diffusion massive prévue).

Bon nombre des objectifs de développement durable des Nations unies sont clairement orientés vers la réalisation d'entreprises d'ingénierie sociale conformes à une vision du monde spécifique, mais l'opportunité économique évidente de lancer la 5G, l'Internet des objets ou les véhicules à conduite autonome est une incitation en soi. Si nous devions tenter une évaluation neutre de l'impact que l'application massive de ces technologies à une série d'activités quotidiennes est susceptible d'avoir (qu'elle soit menée sur la scène mondiale par Biden ou Xi Jinping), nous pourrions parler d'une expansion radicale des capacités de surveillance et de collecte de données, ou - plus subtilement - d'une atrophie des facultés relationnelles et réflexives de l'homme.

En outre, on peut suggérer que des éléments spécifiques de la postmodernité occidentale (tels que le libertinage sexuel ou l'appel à la migration de masse comme exercice de charité collective et de justice historique) transcendent la généalogie des idées qui les ont générés, ayant une valeur en tant que technologies de contrôle social, compte tenu de conditions spécifiques. Peu importe que les innovations les plus excentriques de l'Occident en matière de déconstruction de la tradition aient été réalisées par le biais d'un courant intellectuel spécifiquement occidental : si elles contribuent à atomiser la société et à accroître le contrôle de l'État ou des entreprises, elles seront incitées à être reprises par les élites de sphères culturelles très différentes.

Cela étant, on peut imaginer qu'ils survivent aux élites politiques qui les soutiennent actuellement et qu'ils soient tactiquement employés par une certaine élite rivale. Au-delà, le brouillage des catégories humaines peut être intrinsèque à l'utilisation de la technologie génératrice de nouveauté sensorielle dans les médias de masse (cerveau Zoomer accro à Internet), et donc au pouvoir que ceux-ci permettent à leurs responsables d'exercer sur une population.

La question posée par ce qui précède est de savoir comment ramener la politique, ou l'exercice délibéré de l'éthique de la vertu au niveau collectif, dans les affaires mondiales, soit 1) en perturbant la dynamique actuelle sans infliger ces "retombées négatives" dont Xi Jinping met en garde les populations vulnérables, soit 2) en faisant un usage sélectif de la dynamique existante d'une manière qui pourrait éventuellement la transformer.

Si nous revenons à notre représentation futuriste d'un joueur de football, la clé ici pourrait être de s'assurer que le dynamisme (plutôt que la distorsion) agit comme un voile pour une entité qui est clairement localisée, ressemblant aux courbes de tissu de Boccioni autour d'un centre, plutôt que de fusionner des formes ensemble sur un spectre. Ceci est probablement inséparable du rejet de la croissance et de l'innovation en tant que portails à travers lesquels nous pourrions recevoir une vision du bien - elle ne viendra pas dans l'image floue de l'espace qui se courbe autour de nous, mais dans le raffinement d'un dynamisme figé. Nous devrons déterminer comment la technologie peut être intégrée au mieux dans un sens clairement défini de la santé sociale. Des structures alternatives conformes à cette éthique, offrant une production et des chaînes d'approvisionnement locales résilientes, devront être établies afin que les changements dans le commerce mondial ne nuisent pas aux communautés.

Dans les relations internationales, cela peut se traduire par l'émergence de blocs de pays dont l'intérêt est de "changer de vitesse" sur la mondialisation, comme le dit Ha-Joon Chang,

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Le plus grand mythe de la mondialisation est qu'il s'agit d'un processus mû par le progrès technologique ..... Toutefois, si la technologie est ce qui détermine le degré de mondialisation, comment expliquer que le monde était beaucoup plus mondialisé à la fin du XIXe et au début du XXe siècle qu'au milieu du XXe siècle ? ... La technologie ne fait que fixer la limite extérieure de la mondialisation ... C'est la politique économique (ou la politique, si vous préférez) qui détermine exactement le degré de mondialisation et dans quels domaines.

Il existe, bien sûr, des pressions positives très claires dans ce contexte. Les récentes crises autour de la pandémie de COVID-19 et de la pénurie d'équipements médicaux, ou la vulnérabilité de l'approvisionnement énergétique de l'Europe en raison de la guerre en Ukraine, peuvent amener les gouvernements à favoriser un raccourcissement des chaînes d'approvisionnement et à s'orienter vers une relative autarcie. Cela saperait l'architecture de l'ordre mondial existant et la capacité de toute puissance mondiale à en tirer profit et à exercer une influence par ce biais. C'est pourquoi la Chine a tenté de dissuader les décideurs de cette option lors du Forum économique mondial. Au contraire, cela pourrait conduire à une version économiquement plus robuste de ce que nous avons déjà.

Des développements positifs pourraient être servis par l'attrait d'engagements idéologiques explicites face aux appels technocratiques au bien neutre du progrès, par le pouvoir galvanisant de la rébellion contre les dynamiques de pouvoir que ces appels dissimulent, et par le pouvoir doux exercé par une culture qui se désengage de la vitesse toujours croissante de la politique. Pour l'instant, cependant, nous devons être clairs sur le fait que ce type d'alternative, s'il est à l'horizon, n'est pas encore arrivé sur la scène des affaires mondiales.

7 mai 2022

vendredi, 13 mai 2022

La nécessité d'un véritable nouveau Bretton Woods

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La nécessité d'un véritable nouveau Bretton Woods

par Mario Lettieri et Paolo Raimondi 

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-necessita-di-una-vera-nuova-bretton-woods

La guerre en Ukraine, avec ses drames, où la désinformation et la guerre psychologique sont prépondérantes, tend à masquer le véritable affrontement géopolitique et géoéconomique mondial, profond, qui se déroule depuis des années.

Qui aura le rôle hégémonique sur l'économie, la monnaie, la finance, et pas seulement la sécurité du monde? La prétention des Etats-Unis à être la seule puissance capable, à elle seule, de déterminer les processus économiques et stratégiques et de gérer les relations internationales est objectivement mise à mal face aux nouvelles réalités émergentes.

La question la plus troublante est la suivante : la nouvelle hégémonie sera-t-elle établie par le vainqueur d'une guerre mondiale, comme par le passé, ou y aura-t-il une confrontation rationnelle et constructive entre tous les acteurs habitant notre planète ?

À cet égard, il est important de noter que depuis quelque temps déjà, même aux États-Unis, on se demande s'il faut organiser un nouveau Bretton Woods. En 1944, un accord pour un nouveau système monétaire international, centré sur le dollar, a été conclu pour donner de la stabilité aux relations économiques internationales et pour aider au développement et à la reconstruction d'après-guerre. L'accord de Bretton Woods, cependant, a été conclu par les vainqueurs de la guerre, sans l'Union soviétique, laissant de côté tous les grands pays du soi-disant tiers-monde, en particulier l'Inde et la Chine.

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Janet Yellen (photo), secrétaire au Trésor américain et ancienne présidente de la Fed, en a également parlé récemment dans un discours prononcé devant l'Atlantic Council. Elle a décrit un nouvel ordre commercial, toujours dirigé par les États-Unis, dans lequel les autres pays "ne seront pas autorisés à utiliser leur avantage commercial dans les matières premières, les technologies et les produits clés pour perturber notre économie ou exercer une influence géopolitique indésirable". Il est clair que cette préoccupation concerne la Chine, ainsi que la Russie. Le nouvel ordre se concentrera sur l'accès sécurisé aux matières premières stratégiques telles que le pétrole, le gaz, les métaux, les matériaux rares et les denrées alimentaires.

La garantie d'un approvisionnement sûr sera plus importante que son prix d'achat. Afin de sécuriser les réserves de matières premières, les pays industrialisés, y compris l'Italie et l'UE, auront, en conséquence, des problèmes de pénurie de capitaux, et donc davantage de dettes. Ce scénario est plus géopolitique qu'économique.

Bien que le dollar reste la principale monnaie dans les affaires économiques mondiales, il a perdu depuis longtemps son rôle et sa crédibilité de monnaie de confiance, de garantie et de certitude.

Selon la Fed, le dollar est encore utilisé dans divers secteurs pour environ 70%, l'euro pour 30% et le yuan chinois pour seulement 3%. Cet indice ne tient toutefois pas compte de l'utilisation croissante du troc et des monnaies nationales dans les transactions commerciales et financières des pays du Brics et d'autres économies émergentes. Par exemple, bien avant le conflit actuel, l'utilisation du dollar pour les paiements des exportations russes vers les autres pays du Brics avait chuté de 95% en 2013 à moins de 10% en 2020.

La dévalorisation internationale du dollar est très évidente dans la composition des réserves monétaires mondiales, à tel point qu'elle est passée de 71% à 59% au cours des deux dernières décennies. Dans les réserves monétaires de plusieurs banques centrales, la valeur de l'or dépasse celle des dollars. Il n'est donc pas surprenant que ce renversement ait déjà eu lieu en 2020 en Russie.  

Il ne faut pas oublier que les sanctions économiques majeures prises à l'encontre de la Russie pour l'invasion de l'Ukraine, y compris le gel de ses réserves de change et la suspension du système SWIFT dans les paiements internationaux, ont effectivement fait du dollar une "arme militaire" dont les conséquences mondiales seront de plus en plus visibles au fil du temps.

Par conséquent, un nouveau Bretton Woods ne peut être une réplique du précédent, un accord entre les seuls "amis" de l'Amérique, il devra impliquer la Chine, l'Inde, les pays émergents du Sud et même la Russie. Dans un tel accord, l'Union européenne devrait avoir un rôle central de médiation et de proposition, qu'elle aurait déjà dû jouer naturellement dans cette phase délicate de la guerre en Ukraine, si elle était un acteur politique, autonome et réellement indépendant.

Sans être impertinents, rappelons que déjà en 2004, par une motion spécifique à la Chambre des députés, votée à la quasi-unanimité, nous avons demandé au gouvernement d'agir dans les enceintes internationales compétentes pour entreprendre "les initiatives nécessaires à la convocation d'une conférence au niveau des chefs d'État et de gouvernement, similaire à celle de Bretton Woods, pour définir globalement un nouveau système monétaire et financier plus juste".  

En vérité, il devrait s'agir d'un nouvel ordre mondial, commençant par le système monétaire et financier et s'étendant à la réduction contrôlée des armes nucléaires, au commerce à rendre plus équitable, à la lutte contre les grandes pandémies, à la protection du travail, du climat et de l'environnement. Il ne s'agit donc pas seulement d'argent, ni d'armes, étant donné que "tout est tenu" pour assurer la paix et la viabilité dans les différentes parties de la planète.

mardi, 10 mai 2022

L'internaute en tant que travailleur: le marxisme et le capitalisme du 21ème siècle

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L'internaute en tant que travailleur: le marxisme et le capitalisme du 21ème siècle

Konrad Rekas*

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/37495-el-usuario-de-internet-como-trabajador-marxismo-y-capitalismo-del-siglo-xxi

Rosa Luxemburg, avec une certaine incrédulité, a un jour décrit le moment de la fin du capitalisme (plus précisément que Marx, qui n'a jamais traité de l'imagination romantique de l'effondrement du capitalisme, et plus correctement que Lénine, étant trop souvent le leader théorique). Le capitalisme prendra fin dans un moment d'accumulation totale, c'est-à-dire dans un monde divisé uniquement en capitalistes et prolétaires, où il n'y aura plus rien à répartir de l'extérieur.

Producteur ou consommateur ?

Attendez, dira quelqu'un, mais les travailleurs sont probablement presque partis, non? Eh bien, quelque part il y en a, des usines.... Mais en gros, il s'agit d'opérateurs d'équipement et de trucs avancés, et tout le reste, peut-être en Asie du Sud-Est, et certainement pas chez nous ! Qui que vous demandiez, personne ne s'identifie comme un travailleur.  Nous sommes davantage déterminés par le niveau et l'ampleur de la consommation, et non par le rapport au mode de production. La classe ouvrière a tellement disparu que même la gauche, organiquement issue d'elle, a abandonné ses vieilles habitudes et trouvé d'autres objets d'intérêt. Mais l'indice est que les travailleurs n'ont pas totalement disparu. Au contraire, nous sommes presque tous... eux maintenant. Je poste ce texte sur FB, vous le lisez et faites défiler le contenu publicitaire, votre fils adolescent jouant d'un côté du monde virtuel et votre femme préparant le dîner dans un monde réel. Nous sommes presque tous des travailleurs, comme dans un rêve luxembourgeois. Alors, le moment de l'effondrement est-il proche ? Ne tombons pas dans l'optimisme brouillon. Personne n'a jamais soutenu que le capitalisme s'effondrera de lui-même sans une organisation adéquate et sans travail investi dans ce domaine. Et le travail est toujours le domaine des travailleurs.

Chris Harman a estimé la taille mondiale de la classe ouvrière à deux milliards. Une partie importante de celle-ci se trouve à la périphérie. Certains travailleurs ne sont pas largement reconnus comme tels en raison de l'évolution du mode de production, et ne s'identifient pas non plus comme tels. Cela suit la distinction dialectique d'Intere (classe en soi et classe pour soi). Cela signifie que l'homme peut appartenir à la classe ouvrière même sans le savoir, car il s'agit d'une catégorie objective, définie par rapport au mode de production, tandis que la conscience est un état subjectif, de plus, elle implique une organisation, comme l'a dit György Lukács. Dans les réalités du capitalisme moderne, les entreprises elles-mêmes, en tant que ses sujets, ont un rôle de création de classe. Les rangs de la classe ouvrière sont ainsi gonflés par l'accumulation par dépossession, l'accaparement des terres et des espaces verts, déjà décrite par Luxemburg ; la paupérisation de la classe moyenne inférieure, qui, à son tour, correspond au moins en partie au concept de précarisation et est due à la financiarisation et à la marchandisation d'activités auparavant considérées comme non marchandes.

L'iPhonisation au lieu du fordisme

Même les partisans de Marx l'accusent parfois de ne pas s'intéresser suffisamment aux questions de progrès technologique. Cependant, Marx n'a pas eu à s'engager dans la casuistique, ni à se plonger dans le futurisme. Il a étudié et décrit les mécanismes sociaux qui, en règle générale, ne changent pas, car ils dépendent de la propriété et du mode de production, et non de l'évolution exacte des moyens de production. C'est pourquoi le marxisme est parfaitement à l'aise dans les réalités numériques, faisant œuvre de pionnier en y trouvant des relations typiques entre le travail et le capital, qui influencent des activités humaines qui n'étaient pas connues auparavant ou qui sont désormais réalisées différemment.

Pour comprendre comment le champ de l'exploitation s'est élargi, mais que ses principes n'ont pas changé, il convient de reconnaître le terme "accumulation flexible" proposé par David Harvey. Déjà dans les années 1970, on s'éloignait du fordisme comme voie dominante du développement capitaliste. Non seulement les nouvelles technologies ont été autorisées, mais de nouvelles tendances de consommation connexes ont commencé à prendre forme, ce qui a finalement conduit à l'émergence de nouveaux marchés. Finalement, le fordisme a été remplacé par l'"Appleisme" ou l'"iPhonisation". Les débuts du capitalisme ont été caractérisés par une séparation presque totale des positions du travailleur et du consommateur. Dans l'étape suivante, une synthèse travailleur-consommateur a été créée pour la survie du système. Aujourd'hui, les rôles du consommateur et du producteur/travailleur ne peuvent être clairement séparés dans un même but. En outre, le travailleur-consommateur est également devenu, en un sens, une partie de la marchandise échangée. Pour reconnaître ces processus, il était nécessaire de rappeler la définition marxiste de la valeur du travail et d'examiner comment comprendre l'aliénation, selon Marx, qui accompagne intrinsèquement l'exploitation.

L'heure des prosumers

Le début de cette approche a été la recherche sur la position de l'audience envers les médias de masse d'un point de vue économique, menée par Dallas Smythe, maintenant poursuivie notamment par Christian Fuchs et Vincent Mosco. Il est populaire de nos jours de dire que "si quelque chose est gratuit, cela signifie que vous êtes le produit". Il s'est avéré correct de reconnaître les caractéristiques des relations de la radio et de la télévision avec des téléspectateurs compris comme une ressource nécessaire pour obtenir une plus-value, par exemple par l'échange de messages publicitaires. L'émergence des réseaux sociaux a permis de conclure que leurs destinataires ne sont pas seulement une ressource, mais aussi une force de travail non rémunérée qui crée une plus-value, ce qui équivaut à une exploitation. Et comme les participants eux-mêmes ignorent en grande partie leur position dans le processus de production, ne possèdent pas les produits de leur travail et ne les reconnaissent même pas, nous pouvons appeler cela une aliénation presque parfaite.

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À quoi ressemble une telle synthèse dans la pratique : nous pouvons suivre l'exemple de Google, Facebook, Twitter, etc. Leurs utilisateurs sont les producteurs de leur contenu, créant ainsi une plus-value. Ils deviennent des prosumers. Partager des données directement par le biais de ces plateformes et être actif sur celles-ci, ce qui permet la collecte de données nous concernant: nous travaillons pour le capital qui a mis ces outils à disposition. Ceci a été confirmé par l'affaire Fraley v. Facebook, 2011, dans laquelle le tribunal a traité de la valeur des contributions des utilisateurs aux Sponsored Stories, étant un type de publicités distribuées par FB. Cependant, malgré ces manifestations de résistance, il ne sera pas possible de parler de l'émergence réelle de la conscience du prosommateur sans comprendre pleinement la nature de classe de cette lutte. La lutte, qui (pas seulement d'un point de vue marxiste ou de classe) doit être menée contre l'exploitation numérique, mais pas seulement et pas principalement de manière purement virtuelle. Car annoncer la soi-disant révolution uniquement sur Internet a la même dimension véritablement révolutionnaire que de faire du Che, de Marx et de Lénine uniquement des avatars de la vente croissante de marchandises qui multiplient les profits du capital...

Pendant ce temps, les luttes ont lieu sur Internet, bien sûr dans les jeux, étant aussi une forme de travail pour le capital. Et pas nécessairement de manière inconsciente. Il y a quelques années, j'ai participé à une discussion dans une université écossaise sur les parcours professionnels des adolescents locaux. Plusieurs d'entre eux ont confirmé qu'ils voulaient devenir des joueurs professionnels. Et ils n'avaient aucun doute sur le fait que c'est du travail. Et il s'agit du travail au sens de l'emploi, et non de l'occupation, ou du travail concret de Marx, pour utiliser la distinction reconnue dans le discours. Et si, chez les personnes plus âgées, ces choix de jeunesse suscitent souvent quelque chose entre l'amusement et la pitié, l'intuition ne fait pas exactement défaut à ceux qui sont plus contemporains. Bien sûr, ils se considèrent comme des indépendants (qui ne comprennent pas non plus pleinement leur position sur le marché) ou même des "entrepreneurs du jeu", mais certainement pas comme des travailleurs ! Eh bien, vous savez, ce sont les aciéries, et en général, il n'y a plus de classes, avec un accent particulier sur la classe ouvrière, comme tout le monde le sait..... Parallèlement, la valeur que les joueurs apportent sous la forme de leur temps, de leur participation à des jeux en ligne, qui sont aussi des sortes de spectacles interactifs, où les participants achètent eux-mêmes des ressources et des moyens de production, de la génération directe de rustines, de modes, de la co-création de jeux virtuels, tout est financiarisé et maximise la plus-value pour le capital.

Capitalisme à domicile

Quoi qu'il en soit, comme pour les freelances, les participants à des projets d'économie collaborative, etc., nous avons été décrits de manière assez complète avec l'intérêt particulier de la question du précariat. Mais ce n'est pas du tout une nouvelle question. Le mécanisme lui-même a déjà été décrit par..... Engels.

Contrairement aux opinions populaires, dans la perspective marxiste, le précariat ne constitue pas une classe distincte, mais s'inscrit dans le concept d'une armée de réserve industrielle entretenue par le capital et représentant aujourd'hui environ 60 % de l'ensemble de la main-d'œuvre. Parmi les travailleurs salariés, 60 % supplémentaires sont employés à temps partiel, dans le cadre de contrats temporaires, et environ 22 % sont formellement indépendants, sans que leur position au sein de la classe ouvrière ne change. Plus d'un quart des travailleurs gagnent encore moins de 2 dollars par jour, et cette proportion est deux fois plus élevée dans les pays du Sud. Les licenciements et les lock-out sont une méthode reconnue pour augmenter la valeur et le rendement des actionnaires dans la théorie moderne de la gestion. Et parallèlement à la multiplication de la surpopulation relative et au changement de la structure de la classe ouvrière, son exploitation et son degré de subordination au capital augmentent également.

Aucune formule d'organisation d'une entreprise capitaliste, y compris l'économie collaborative, ne protège le travailleur de l'exploitation. Comme le montrent les exemples d'Airbnb, Uber, Deliveroo, DiDi, le travailleur ne doit plus être séparé de ses moyens de production. Comme pour les indépendants, leur situation est encore aggravée par la nécessité de financer ses propres moyens de production afin de maximiser la propre valeur ajoutée de l'employeur, ce qui ramène presque ces formes de travail prétendument modernes à la situation de l'accumulation primaire. En prenant l'équation de Marx de

taux de profit = plus-value / (capital constant + capital variable)

dans un tel système, il existe un déséquilibre encore plus net en faveur de la plus-value et du taux de profit, certains coûts étant transférés au travailleur lui-même. L'essence de l'utilisation de moyens de production appartenant à l'État est leur dépendance à l'égard de la plate-forme numérique. En outre, la situation du travailleur est encore aggravée par le système de rémunération à la pièce adopté, qui ne fait qu'augmenter la valeur ajoutée.

Les travailleurs culturels, le prolétariat journalistique et les Stepford Wives

Un appareil conceptuel similaire peut être utilisé pour tester la validité de l'analyse marxiste par rapport aux médias et à la culture financés par l'espace numérique.  Nicole S. Cohen l'a exprimé dans le parallèle parfait du "travailleur culturel" et du "prolétariat journalistique", exploités à la pièce.  L'enseignement universitaire est également devenu un maillon de la chaîne capitaliste depuis que la fourniture de connaissances est devenue une marchandise. L'aliénation du travailleur par rapport au produit tel qu'il est marchandisé s'applique également aux principales plates-formes d'accès aux publications universitaires, grâce auxquelles, entre autres, cet essai a été rédigé. Cette liste doit être complétée par d'autres objets d'exploitation, tels que les étudiants, les chômeurs ou les retraités, les femmes au foyer et toutes les personnes exerçant une activité reproductive non rémunérée.

Engels notait déjà les fondements économiques, et non biologiques, de la domination masculine sur les femmes, considérant les femmes dans les relations conjugales dans la position du prolétariat opprimé. En fait, le processus d'objectivation des femmes faisait partie d'une accumulation brutale et primitive, réalisée dans la continuité pour maintenir la domestication des femmes. L'élément patriarcal était également présent dans les autres formes d'accumulation primaire : la conquête coloniale, l'esclavage et la domination raciale. La dépossession des femmes a toujours lieu, comme Maria Mies l'a décrit en mettant en relation la question du genre avec les relations Nord-Sud, la question raciale, ainsi que d'autres conflits entre les sociétés du Nord. Nous avons donc la féminisation de l'étape productive de la chaîne d'approvisionnement mondiale, avec des travailleurs exploités de manière sexuée, racialisée et classée. Le capitalisme lui-même présuppose, crée et maintient la principale et la plus importante inégalité. Et les autres, également ceux qui présentent des caractéristiques non économiques, comme l'inégalité entre les sexes et les races, restent interdépendants du capital. Dans le même temps, nous sommes confrontés à la tentative de dissimuler la productivité réelle des femmes au sein de la reproduction sociale sous quelque chose comme le système "The Stepford Wives", ce que Mies appelait la "housewifisation". Ainsi, la reproduction sociale est financiarisée, mais la valeur du travail investi est par conséquent exclue du système salarial standard. Et pourtant, dans la conception marxiste, le salaire n'est pas la même chose que la valeur du travail, n'étant que son coût, alors que la valeur du travail des femmes au foyer, mesurée en temps consacré à la reproduction sociale, est indiscutable. Et une compréhension similaire est nécessaire pour leur subsidiarité actuelle vis-à-vis du capital qui surexploite également les travailleurs non rémunérés. Les anciennes divisions entre travail formel et informel, local ou mondial - dans le cadre de la mondialisation libérale - ont perdu leurs anciennes désignations. C'est pourquoi le contexte contemporain de la dichotomie entre travail productif et improductif doit être repensé.

COVID : assassinat de la société

La question du rôle reproductif des activités précédemment exclues de l'analyse de la relation travail-capital devient encore plus importante dans le contexte de la crise de la pandémie de COVID-19. Les critiques s'accordent à dire qu'elle a exposé de nombreuses faiblesses du système capitaliste et du marché libre, ainsi que l'inefficacité des États axés sur le capital. Cependant, les conclusions et les prévisions basées sur l'expérience de 2020-2022 diffèrent considérablement. Seuls quelques auteurs, au lieu de prédire la fin du capitalisme, compris peut-être à tort comme la dernière grande tentative d'assurer sa survie, ont examiné de plus près et plus profondément le cours de la pandémie. Bien qu'il ait averti (ou plus précisément, surestimé) la rupture de la chaîne d'approvisionnement capitaliste, exposant les faiblesses du système de soins, soumis à la financiarisation. Cependant, les effets de la pandémie au sens socio-économique sont répartis en fonction des inégalités dans les relations capital-travail, y compris les facteurs raciaux et de genre.

Les personnes de couleur font partie des travailleurs de première ligne les plus vulnérables qui n'ont pas pu bénéficier de la protection du travail à domicile ou des salaires d'abstention. L'inégalité globale s'est également renforcée.  La suspension temporaire d'une partie de l'activité de travail des sociétés du Nord est compensée par le travail acharné des travailleurs exploités du Sud pour maintenir l'approvisionnement en marchandises. En particulier aux États-Unis, les quelques boucliers contre le COVID-19 n'ont pas couvert la majorité des Noirs, des Latinos et des indigènes, notamment les femmes, qui doivent en plus assumer des tâches ménagères accrues, l'apprentissage en ligne, etc. Au Royaume-Uni, sous le nom de key workers, elle a simplement dissimulé le sacrifice de la vie des travailleurs faiblement rémunérés, le prolétariat moderne : les employés des maisons de retraite, les vendeurs des supermarchés, les nettoyeurs, les chauffeurs, les coursiers et bien d'autres. Il s'agit souvent de retraités, de personnes handicapées et d'immigrants. Leurs décès s'ajoutent à l'accumulation au fil du temps de la pandémie.

En termes de satisfaction des besoins vitaux, ces groupes ont été poussés encore plus bas qu'avant. Pendant ce temps, la fortune des 1% les plus riches continue de croître. Comme on peut le constater aujourd'hui, le travail est principalement effectué par des travailleurs sélectionnés en fonction de leur sexe et de leur race. La charge des travaux ménagers a augmenté de façon spectaculaire, surtout pour les femmes. Et le ralentissement périodique, voire la suspension de la croissance, ne peut être perçu comme un progrès permanent, surtout si l'on considère les tentatives de rétablir la production et de maintenir la consommation inchangée. La pandémie a rappelé que la politique du capital ne s'écarte jamais du "Sozialer Mord" (Meurtres sociaux) d'Engels comme méthode de survie et de consolidation du capitalisme.  Les profits gigantesques réalisés par Amazon ou les Tönnies et autres sont obtenus non seulement en augmentant l'exploitation mais aussi en risquant directement la vie des travailleurs.

Dans le même temps, la situation de nombreuses personnes transférées vers le travail à domicile doit être considérée comme un exemple supplémentaire de l'extension de la relation capital-travail à des activités auparavant improductives. Le travail à domicile dépasse imperceptiblement les heures de bureau. La valeur du travail est constamment transférée au capital, et la charge du travailleur augmente au détriment d'autres aspects de sa vie. La pandémie n'a fait qu'accélérer et renforcer la tendance des femmes à rester au foyer. La reproduction sociale est financiarisée et commercialisée, mais la valeur du travail investi est par conséquent exclue du système salarial standard. Et une compréhension similaire est nécessaire pour la subsidiarité actuelle des processus de reproduction sociale au capital qui surexploite les travailleurs non rémunérés. Les anciennes divisions entre travail formel et informel, local ou mondial dans le cadre de la mondialisation libérale ont perdu leurs anciennes désignations. C'est pourquoi le contexte contemporain de la dichotomie entre travail productif et improductif doit être repensé. En effet, une personne enchaînée à Facebook ou Netflix (ce qui était et est la quotidienneté intensifiée de la pandémie), devient sans le savoir un travailleur exploité du grand capital.

Et pourtant, selon Marx, l'état naturel de l'homme pour lequel il veut et aime travailler est... le loisir. En fait, nous vivons et fonctionnons à une époque où nos plaisirs sont devenus imperceptiblement addictifs et deviennent ainsi notre travail. Et ce qui est pire, un travailleur exploité. Prendre conscience de cet état est le premier pas vers l'organisation, et l'organisation est la base de la résistance. Cela sera malheureusement de plus en plus difficile, car Giorgio Agamben suppose à juste titre que la faiblesse supposée de l'État est en fait un paravent pour un changement de paradigme, mais dans la direction opposée à celle supposée par les illusionnistes. L'actuel "état d'exception" deviendrait désormais une formule permanente, accroissant les inégalités. Et puisque l'État néolibéral n'apparaît que comme un agent du capital, tout renforcement potentiel du gouvernement ne se ferait pas aux dépens du capital, mais à son profit.  Si quelque chose dure deux ans, ce n'est plus une "urgence" ou une "période de transition", mais une nouvelle normalité. La nouvelle normalité du vieux capitalisme, avec toujours le sang des travailleurs sur les mains.

*Journaliste et économiste polonais

vendredi, 29 avril 2022

Où l'Occident trouvera-t-il des roubles?

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Où l'Occident trouvera-t-il des roubles?

par Luciano Lago

Source: https://www.ideeazione.com/loccidente-dove-trovera-i-rubli/

Poutine a ordonné que le marché monétaire national de la Russie soit préparé au passage au règlement en roubles des livraisons à l'exportation, pour l'instant, notamment du gaz naturel. Cette demande devient urgente car les banques des "pays hostiles" (un terme technique qui inclut l'UE et la plupart des pays anglophones) retardent délibérément et volontairement les paiements pour l'énergie russe. Par conséquent, les livraisons sont désormais effectuées à crédit - un crédit basé sur le rouble !

Entre-temps, le taux de référence de la banque centrale russe est passé à 17%, contre 20% précédemment, mais quand même ! Il semble que quelqu'un de pas très intelligent fasse tout pour faire grimper les prix de l'énergie. Entre-temps, les paiements reçus pour les exportations de pétrole et de gaz ont été réduits de moitié, ce qui rend probable que ces mêmes exportations (vers des "pays hostiles") seront également réduites de moitié. À ce stade, certains historiens pourraient sortir de vieux livres poussiéreux et prétendre que ce genre de politique commerciale folle était la cause de la Grande Dépression. Je ne suis pas d'accord et je l'appelle l'effondrement des entreprises, qui suit l'effondrement financier avec sa perte d'accès au crédit causée par un risque de contrepartie excessif.

Poutine aimerait que ce problème soit résolu. Il veut que l'Europe soit maintenue en vie car la Russie n'a pas besoin d'un énorme cadavre en décomposition à sa frontière occidentale. Le problème avec le décret de Poutine est que les banques russes feront office d'agents de change dans le règlement du programme "marchandises contre roubles" et que les transactions de conversion auront lieu sur le marché des devises de la Bourse de Moscou au sein du système financier russe, et que ce système connaît une grave pénurie d'acheteurs de devises étrangères.

Poutine n'est pas un magicien, et il ne peut pas générer à partir de rien une armée de zombies qui voudront emprunter des roubles et acheter avec eux des dollars et des euros qu'il n'y a aucun moyen d'investir de manière rentable pour rembourser les intérêts de la dette libellée en roubles; pas avec une inflation à deux chiffres dans la zone euro et la zone dollar; pas avec un taux d'intérêt d'au moins 17% sur le rouble. Sauf une, sur laquelle je reviendrai plus tard.

Si ce ne sont pas les zombies, alors qui élargira ses positions en dollars et en euros à une échelle aussi gigantesque?

Des importateurs russes? Non, les importations représentent la moitié des exportations, sans parler des problèmes logistiques et contractuels dus aux sanctions.

Le peuple russe? Certainement pas! La mode consistant à conserver un stock de billets de 100 dollars sous le matelas a disparu depuis longtemps, tout comme celle consistant à conserver des comptes en dollars dans les banques russes. Tout le paradigme monétaire a changé et il n'y a pas assez de monnaie libre parmi la population russe pour absorber les flux d'exportation.

Des entreprises russes ? Parmi eux, seuls les exportateurs disposent de ressources importantes, mais leur faire accepter des dollars ou des euros les ramène à la case départ et ne fait qu'exacerber leur problème en les obligeant à vendre 80 % de ces dollars et euros en roubles. Et le problème est encore pire pour les exportateurs russes, qui doivent maintenant essentiellement vendre 100 % de leurs revenus en dollars et en euros pour des roubles.

Les banques russes? C'est une possibilité ce mois-ci, mais pas dans les mois à venir. Les banques servent les intérêts de leurs clients et ceux-ci, ayant été coupés du système financier occidental, n'ont plus besoin de dollars ou d'euros. Et comme ils ont eux-mêmes été coupés du système financier occidental, ils n'ont pas non plus besoin de ces monnaies. Ils liquident leurs actifs en dollars et en euros.

Oh, et enfin, les étrangers n'ont pas accès au marché des changes russe. Cela rend les choses vraiment simples, n'est-ce pas?

Il ne reste plus que la banque centrale russe et le gouvernement russe qui la possède et l'exploite. Alors qu'auparavant ils se contentaient d'accumuler des réserves en dollars et en euros, la définition des réserves a été modifiée pour exclure ces deux éléments. Si une accumulation de réserves de change devait avoir lieu maintenant, ce serait en yuan, et alors tous ces roubles excédentaires passeraient directement des mains des acheteurs d'énergie des "nations hostiles" aux mains amicales des exportateurs chinois.

On pourrait penser que les Chinois polis seraient prêts à accepter des dollars et des euros en échange de leurs exportations vers la Russie, ce qui leur permettrait de gagner des roubles en utilisant ces deux monnaies. Malheureusement non, la Chine et la Russie ont passé des accords pour transférer leurs échanges commerciaux vers le rouble et le yuan, excluant spécifiquement le dollar.

J'ai bien peur de ne pas avoir d'idées brillantes à proposer pour résoudre ce problème, comme l'a ordonné Poutine. Il y a cependant une idée. Il est possible d'obtenir des crédits en roubles très bon marché dans le but de remplacer les importations. Le plan consiste donc à emprunter des roubles, à les utiliser pour acheter des dollars ou des euros, puis à utiliser ces dollars ou ces euros pour acheter, emballer et expédier en Russie des usines et des équipements occidentaux capables de fabriquer des produits pour lesquels il existe une demande en Russie et dans les pays amis de la Russie.

Bien sûr, les gouvernements occidentaux tenteront très probablement de bloquer ce plan. Ils n'ont plus beaucoup d'occasions de se tirer une balle dans le pied, mais ils vont certainement continuer à essayer. Et la Russie se retrouvera avec un énorme cadavre en décomposition à ses frontières occidentales. J'espère que quelqu'un trouvera le moyen d'exécuter l'ordre de Poutine, mais je n'ai aucune idée de ce que cela pourrait être.

26 avril 2022

mardi, 26 avril 2022

La guerre hybride de l'argent

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La guerre hybride de l'argent

par Roberto Pecchioli

Source : Ereticamente & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-guerra-ibrida-del-denaro

La guerre en Ukraine est un désastre. Nous devons respecter la souffrance de la population et le sacrifice des soldats des deux côtés. Il faut cependant sortir d'un récit de guerre déséquilibré, manichéen, propagandiste, qui a généré une forme d'hyperréalité dans laquelle l'opinion publique est plongée dans un climat de mensonge, de distorsion, de tension permanente dont le but est de faire accepter de nouveaux sacrifices, de nouvelles privations de liberté. Une approche testée avec succès lors de la pandémie et appliquée selon un scénario de guerre.

Il est essentiel de regarder l'ensemble du tableau pour tenter de comprendre les événements d'un point de vue politique, économique, financier et géopolitique, c'est-à-dire d'analyser le véritable pouvoir, le "grand jeu" contemporain qui se moque des peuples, de la vie humaine et de la destruction. Suivre l'argent est un excellent critère pour observer les événements comme des mouvements sur un échiquier aussi grand que la planète. L'un des premiers effets de l'affrontement entre l'Occident - les États-Unis, l'Anglosphère et les vassaux européens - et le reste du monde est l'émergence probable d'un système financier alternatif, soutenu par une monnaie numérique basée sur un panier mixte de monnaies nationales et de ressources naturelles. L'objectif sous-jacent est de vaincre l'unipolarité occidentale et le pouvoir du dollar, monnaie de référence du commerce international.

Les signes de cet affrontement - non moins titanesque que celui des armes - sont déjà visibles: l'expulsion de la Russie du système interbancaire Swift, l'autoroute numérique sur laquelle fonctionnent les échanges et les paiements liés aux importations, aux exportations et aux services internationaux; le blocage des fonds russes en Occident (un vol déguisé en sanction) et la réponse de Moscou, avec la demande de paiements en roubles. Dans le même temps, la création de systèmes financiers et monétaires et d'instruments techniques détachés de l'hégémonie américaine progresse. Ce sont les enjeux d'un jeu dans lequel la guerre n'est qu'un des champs de bataille.

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L'opération, selon ses inspirateurs, permettra de libérer le Sud du monde de la dette occidentale et de l'austérité imposée par le Fonds monétaire international. L'un des protagonistes de la tempête géopolitique et géoéconomique est Sergey Glazyev (photo), un Russe, l'un des économistes les plus influents du monde, responsable de l'intégration macroéconomique de l'Union économique eurasienne, l'espace économique financier formé par la Russie, le Belarus, l'Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizstan. Le défi consiste à concevoir un système monétaire/financier grâce à un partenariat entre l'UEE et la Chine, en contournant le dollar américain. Le projet est une sorte de Bretton Woods de l'Est du monde alternatif au Consensus de Washington libéral et dominé par le dollar. Selon Glazyev, l'oligarchie dirigeante américaine joue son dernier atout dans la guerre hybride contre la Russie. Le gel des réserves de change de la Russie pourrait toutefois avoir sapé le statut du dollar, de l'euro et de la livre en tant que monnaies de réserve, accélérant ainsi la fin de l'ordre mondial basé sur le dollar.

Des travaux sont en cours pour passer à un système alternatif fondé sur un échange de devises virtuelles basé sur un indice des devises des pays participants. Le panier de devises est complété par la valeur d'au moins vingt matières premières négociées en bourse, afin de maintenir un haut degré de résilience et de stabilité. Dans le même temps, les gouvernements d'Eurasie et la Chine ont entamé des pourparlers pour créer une coalition internationale de contre-attaque dans la guerre hybride pour la domination mondiale déclenchée par l'élite dirigeante américaine contre les pays qui échappent à son contrôle impérial. Glazyev a expliqué la nature de cette guerre dans un livre publié en 2016 (The Last World War : The United States to Move and Lose) et a fait valoir son caractère inévitable, fondé, selon lui, sur les lois objectives du développement économique à long terme, qui entraînerait la défaite de l'ancien pouvoir en place.

indexlgla.jpgLes États-Unis luttent pour maintenir leur hégémonie, mais comme la Grande-Bretagne avant eux, qui a provoqué deux guerres mondiales mais n'a pu maintenir son empire et sa position dominante en raison de l'obsolescence de son système économique colonial, ils sont voués à l'échec. Le système colonial britannique basé sur l'exploitation massive et directe a été supplanté par les États-Unis et l'URSS, qui ont été plus efficaces dans la gestion du capital économique et humain au sein de systèmes intégrés verticalement qui ont divisé le monde en zones d'influence. Après la désintégration de l'URSS, une longue transition a commencé, qui touche à sa fin avec la défaite imminente du système basé sur le dollar, le linteau de la domination mondiale des États-Unis.

Le nouveau système économique convergent qui émerge entre la Chine, la Russie et l'Inde est pour Glazyev la prochaine phase inévitable. Elle combine les avantages de la planification stratégique centralisée avec l'économie de marché et le contrôle par l'État de l'économie monétaire et physique, des infrastructures et de l'esprit d'entreprise. Le nouveau paradigme vise à unir ces sociétés en augmentant la prospérité au-delà du modèle occidental.  Ce succès est la principale raison pour laquelle Washington ne serait pas en mesure de gagner la guerre hybride qu'il a déclenchée. Le système financier centré sur le dollar sera remplacé par un nouveau mécanisme fondé sur le consensus entre les pays qui y adhèrent.

Dans la première phase de la transition, ces pays se contenteront d'utiliser les monnaies nationales et leurs mécanismes de compensation, soutenus par des échanges bilatéraux de devises. La formation des prix sera toujours déterminée principalement par les performances des bourses, qui sont libellées en dollars. Cette phase toucherait à sa fin: après le gel des réserves russes en dollars, euros, livres et yens, il est peu probable qu'un pays souverain continue à accumuler des réserves dans ces monnaies, remplacées par l'or et les monnaies nationales.

La deuxième phase de la transition impliquera des mécanismes de tarification qui ne se réfèrent pas au dollar. La fixation des prix en monnaies nationales pose des problèmes considérables, mais peut être plus attrayante que le risque politique des monnaies devenues traîtresses comme le dollar, la livre sterling, l'euro et le yen. L'autre monnaie mondiale, le yuan chinois, ne les remplacera pas en raison de son inconvertibilité et de son accès externe limité aux marchés de capitaux chinois. L'utilisation de l'or comme référence de prix est limitée par les inconvénients des paiements et le contrôle exercé par l'anglosphère (galaxie Rothschild).

La troisième étape de la transition vers le nouvel ordre économique impliquera la création d'une monnaie numérique résultant d'un accord international fondé sur des principes de transparence, d'équité, de bonne volonté et d'efficacité. Cette monnaie pourrait être émise par un panier de réserves monétaires des pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), que d'autres pays pourraient rejoindre. Le poids de chaque devise serait proportionnel au PIB de chaque pays (pondéré à la parité de pouvoir d'achat), à la part dans le commerce international, à la population et au territoire des participants. Il contiendrait également un indice des prix des principales matières premières négociées à la bourse: or, métaux précieux et industriels, hydrocarbures, céréales, sucre, eau et autres ressources naturelles. Pour soutenir la monnaie, d'importantes réserves de ressources internationales seraient créées. La nouvelle monnaie serait utilisée exclusivement pour les paiements transfrontaliers et émise sur la base d'une formule prédéfinie. Les pays participants utiliseraient leurs monnaies nationales pour la création de crédits, pour financer les investissements et l'industrie nationale, et pour les réserves de richesse souveraine. Les flux de capitaux transfrontaliers resteraient soumis aux réglementations nationales.

Un projet d'une énorme ambition, destiné à modifier la carte du pouvoir sur la planète: il y a une vie au-delà de l'Occident. La transition vers le nouvel ordre économique mondial, selon ses architectes, s'accompagnera peut-être d'un refus d'honorer les obligations en dollars, euros, livres et yens. Cela n'est pas sans rappeler l'exemple des pays occidentaux qui ont confisqué les réserves monétaires de l'Irak, de l'Iran, du Venezuela, de l'Afghanistan et de la Russie, une véritable confiscation de la richesse d'autrui.

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Le système vise à rester flexible, en accueillant ses membres indépendamment de leurs dettes en dollars, euros, livres et yens, dont le défaut éventuel n'affecterait pas leur notation dans le nouveau système financier. La nationalisation de l'industrie extractive est recommandée, un changement de paradigme par rapport au modèle de privatisation qui a dominé après la fin de l'Union soviétique. Les pays qui utilisent une partie de leurs ressources naturelles pour soutenir le nouveau système augmenteraient leur poids dans le panier de devises de la nouvelle unité monétaire, accumuleraient des réserves et obtiendraient une plus grande solvabilité. En outre, les lignes d'échange bilatérales avec les partenaires fourniraient un financement adéquat pour les co-investissements et les initiatives commerciales. Il s'agirait d'une architecture extrêmement importante, déplaçant l'axe du pouvoir et de la prospérité vers l'est et le sud et orientant le nouvel ordre financier et le système de règlement des paiements dans une direction bipolaire: l'Ouest contre le Sud-Est du monde.

Pour M. Glazyev, la Russie ne peut plus jouer selon les règles du système du dollar "après que les réserves monétaires de la Russie ont été capturées par l'Occident. Les agents d'influence occidentaux contrôlent les banques centrales de la plupart des pays, les forçant à appliquer les politiques prescrites par le FMI, qui sont manifestement contraires aux intérêts nationaux de ces nations". "Au sein des groupes de direction de la Banque centrale russe, il y a un affrontement permanent entre les partisans du consensus de Washington et les partisans du nouveau système. Entre-temps, la BCR a dû faire face à la réalité et créer un système interbancaire national indépendant du réseau Swift, ouvert aux banques étrangères. Des lignes d'échange intermédiaires ont été mises en place avec les principales nations participantes. La plupart des transactions entre les États membres de l'Union eurasienne sont désormais libellées en monnaies nationales.

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Une transition similaire est en cours dans le commerce avec la Chine, l'Iran et la Turquie. L'Inde a également manifesté son intérêt. De nombreux efforts ont déjà été faits, accélérés ces derniers mois, pour développer des mécanismes de compensation pour les paiements en monnaies nationales. Parallèlement, des tentatives sont faites pour développer un système de règlement numérique non bancaire lié à l'or et à d'autres matières premières négociées en bourse (stablecoin).

La BCR a longtemps conseillé aux producteurs d'or russes de vendre sur le marché de Londres pour obtenir un prix plus élevé que celui que le gouvernement ou la banque centrale elle-même paierait, en suivant les recommandations du FMI. Le résultat a été dévastateur, le gel de près de 400 milliards de dollars de réserves de change. Les soi-disant oligarques russes auraient détourné des sommes incalculables vers des destinations offshore. Suivant les indications du grand public, la BCR a cessé d'acheter de l'or ces dernières années, obligeant l'industrie minière à exporter la totalité de sa production de 500 tonnes par an. L'erreur et les dégâts sont évidents. Aujourd'hui, la BCR a repris ses achats d'or et les dirigeants politiques exigent des politiques plus conformes à l'intérêt national, plutôt qu'un contrôle strict de l'inflation au profit des spéculateurs internationaux, comme cela a été le cas au cours de la dernière décennie.

Le gel des réserves russes en réponse à la guerre est une mesure gouvernementale qui a pris les banques centrales au dépourvu, un retour de la politique qui a surpris les autorités monétaires, qui sont perplexes et irritées. Sergei Glazyev est favorable au remplacement des dollars, des euros, des livres et des yens dans les réserves monétaires par de l'or, qui est produit en abondance en Russie. Cependant, seul le scénario de guerre semble mettre à l'ordre du jour ses suggestions, qui ont jusqu'à présent été rejetées par Elvira Nabiullina, qui a récemment été confirmée à la tête de l'institut d'émission.

Le partenariat stratégique russo-chinois se renforce de jour en jour comme moyen de contrer l'unipolarité américaine et la domination du dollar. Les analystes indépendants se rallient à l'idée que l'élite américaine a lancé une guerre hybride mondiale pour défendre sa position hégémonique dans le monde, en ciblant la Chine comme principal concurrent économique et la Russie comme principale force de contrepoids. Au départ, les efforts géopolitiques américains visaient à créer un conflit entre la Russie et la Chine. Cependant, les intérêts souverains de la Russie et de la Chine ont conduit à une coopération stratégique croissante pour faire face aux menaces de Washington.

La guerre tarifaire américaine contre la Chine et l'ampleur des sanctions financières contre la Russie ont accru les inquiétudes et démontré le danger tant du point de vue chinois que russe. Rien n'unit plus qu'un ennemi commun. Guerre mise à part, nous verrons bientôt si l'axe tiendra sur le long terme et si le processus de dédollarisation façonnera l'histoire économique et financière du 21e siècle. Les précédents historiques ne manquent pas: c'est l'URSS qui a soutenu la Chine contre l'occupation japonaise et dans la première industrialisation d'après-guerre, avant qu'émergent les divergences entre les deux puissances communistes. Le présent parle aussi de la Route de la Soie, le grand projet chinois de pénétration vers l'Occident par le biais de gigantesques infrastructures routières, portuaires et ferroviaires, et aussi de la tentative russe de construire des navires capables de suivre la route de l'Arctique, en contournant les voies du commerce international.

Le conflit en Ukraine n'est qu'un des scénarios d'une confrontation planétaire à multiples facettes, dont l'Europe reste étrangère, tout simplement parce qu'elle n'existe pas. Colonie des États-Unis, incapable de mener une politique commune et de défendre ses propres intérêts concrets, elle vit la dernière phase d'un déclin qui a commencé avec le carnage de la Première Guerre mondiale. Au retour de la grande politique - dont la guerre est parfois la continuation par d'autres moyens - nous sommes spectateurs et victimes d'un choc financier, économique, culturel et civilisationnel. Les absents ont toujours tort.

 

dimanche, 24 avril 2022

Schumpeter et l'État fiscal

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Schumpeter et l'État fiscal

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2022/04/19/schumpeter-och-skattestaten/

Joseph Schumpeter (1883-1950) est probablement mieux connu aujourd'hui pour sa théorie de la destruction créatrice en tant que caractéristique du capitalisme, il était toutefois un éminent théoricien social d'une valeur significative pour notre époque. Rappelant, entre autres, ce qui a été perdu lorsque le terme "économie politique" a été remplacé par "économie", Schumpeter se déplaçait naturellement entre les disciplines universitaires, utilisant la psychologie sociale, l'économie et les sciences politiques pour comprendre la société. Nous avons déjà écrit sur Schumpeter comme un penseur de droite potentiellement très intéressant, en partie dans la tradition machiavélienne (voir sur ce site, en ce même jour).

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Une perspective intéressante a été introduite par Schumpeter en 1918 dans The Crisis of the Tax State (en allemand Die Krise der Steuerstaates). Il est parti de discussions et d'affirmations selon lesquelles la saga de l'État fiscal était terminée et qu'il ne pouvait pas se relever après la guerre mondiale. Sa distance presque méprisante mais néanmoins séduisante par rapport à l'époque était évidente dans des phrases comme "cette discussion, désagréable comme presque toutes les expressions de la culture d'aujourd'hui ou de son absence, va prouver qu'il reste une libre concurrence au moins dans les slogans: le moins cher gagne".

Schumpeter a mis en évidence la perspective de Goldscheid, intitulée sociologie fiscale, et l'importance centrale des impôts sur le plan historique. Si le système fiscal change, la société change, et vice versa. Schumpeter cite ici Goldscheid : "le budget est le squelette de l'État dépouillé de toute idéologie trompeuse".

Son approche est historique, dans l'essai il décrit comment l'état fiscal a un début (et une fin). Il a été précédé par le monde féodal, organisé d'une manière différente. Schumpeter affirme ici qu'avant l'État moderne, les catégories du public et du privé n'existaient pas. Aux 14e et 15e siècles, les princes se retrouvent souvent en difficulté financière ; celle-ci est de nature structurelle. Il s'agissait de l'augmentation des coûts de la guerre, et plus particulièrement des salaires des mercenaires. Celles-ci étaient à leur tour nécessaires pour faire face aux forces numériquement supérieures des Turcs (cf. Wittfogel). Un processus s'engage dans lequel les princes font appel au soutien des États, car après tout, c'est pour le bien commun que les différents ennemis sont combattus. Souvent, les États accordaient ces appels, mais le processus a historiquement conduit à ce que l'exception devienne la règle et à l'essor de l'État fiscal.

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Schumpeter mentionne ici un processus parallèle qui aurait pu faire "bondir" l'État moderne, à savoir la création de ses propres institutions par les États. Il écrit ici que "les domaines de Styrie et de Carinthie, par exemple, ont beaucoup fait pour les écoles publiques et qu'en général une vie culturelle libre, attrayante et autonome s'est développée". Le caractère illibéral de Schumpeter apparaît clairement dans la suite: "Il est vrai que tout cela a servi la liberté, la culture et la politique d'une classe. Le paysan était réprimé d'une main de fer. Pourtant, c'était la liberté, la culture et la politique appropriées à l'esprit de l'époque. Il faut toute l'étroitesse d'esprit de l'historien de type "libéralisateur", partial en faveur de la bureaucratie princière, pour prendre le parti du prince dans cette lutte entre prince et domaines". Les domaines ont été envahis par les princes et l'État moderne a pris le relais. D'abord contrôlés par les princes avec l'aide de bureaucrates, puis gouvernés démocratiquement (Schumpeter a toutefois noté que "l'on pourrait dire plus fréquemment de la bureaucratie qu'elle était l'État").

51GJ95T4F6L._SX287_BO1,204,203,200_.jpgL'impact de l'État fiscal sur la société et l'histoire semble être important. Schumpeter s'est notamment penché sur la relation entre les taxes et la montée de l'État moderne, ainsi que sur la manière dont l'État a utilisé les taxes pour remodeler la société. "Les impôts n'ont pas seulement contribué à créer l'État. Ils ont contribué à sa formation. Le système fiscal était l'organe dont le développement entraînait les autres organes. Facture fiscale en main, l'État a pénétré les économies privées et a gagné une domination croissante sur celles-ci. L'impôt apporte l'argent et l'esprit de calcul dans des coins où ils ne se trouvent pas encore, et devient ainsi un facteur formateur de l'organisme même qui l'a développé". L'aspect fiscal de l'histoire et de la culture, à la fois comme symptôme et comme cause, a été grand. "L'esprit d'un peuple, son niveau culturel, sa structure sociale, les actes que sa politique peut préparer - tout cela et plus encore est écrit dans son histoire fiscale, dépouillée de toute expression. Celui qui sait écouter son message discerne ici le tonnerre de l'histoire du monde plus clairement que partout ailleurs". Fait intéressant, la relation entre les impôts et la migration, Schumpeter a écrit que "notre peuple est devenu ce qu'il est sous la pression fiscale de l'État. Ce n'est pas seulement que la politique économique a, jusqu'au début du siècle, été motivée principalement par des considérations fiscales: des motifs exclusivement fiscaux ont déterminé, par exemple, la politique économique de Charles Quint; ont conduit en Angleterre jusqu'au XVIe siècle à la domination des marchands étrangers sous la protection de l'État; ont conduit dans la France de Colbert à la tentative de soumettre tout le pays à la guilde et ont conduit dans la Prusse du Grand Électeur à l'installation des artisans français. Tout cela a créé des formes économiques, des types humains et des situations industrielles qui ne se seraient pas développés de cette manière sans cela". Les politiques de l'État suédois en matière de fiscalité et d'immigration peuvent également être mentionnées, bien que la logique soit plus complexe. Des impôts élevés afin d'avoir une forte immigration, et derrière cela d'autres intérêts.

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Schumpeter est en partie intéressant pour les libéraux classiques, car, en partie, sa perspective rappelle celle des marxiens. Il a écrit, entre autres, que l'État fiscal est contraint de rester dans certaines limites pour son propre bien, "dans ce monde, l'État vit comme un parasite économique. Il ne peut se retirer de l'économie privée que dans la mesure où cela est compatible avec la poursuite de l'existence de cet intérêt individuel dans chaque situation socio-psychologique particulière". Il a également décrit comment les taxes peuvent être utilisées par des acteurs puissants pour changer la société, "une fois que les taxes existent, elles deviennent une poignée, pour ainsi dire, que les pouvoirs sociaux peuvent saisir afin de changer cette structure", comparant par exemple les taxes sur le carburant à la lutte des classes et au démantèlement de la société libre.

L'affinité avec la perspective marxienne est évidente dans des formulations telles que "la pleine fécondité de cette approche se manifeste particulièrement à ces tournants, ou mieux ces époques, au cours desquelles les formes existantes commencent à mourir et à se transformer en quelque chose de nouveau, et qui impliquent toujours une crise des anciennes méthodes fiscales". Nous sommes au milieu d'un tel "tournant", où l'Occident relativement libre et relativement égalitaire est activement attaqué par les couches d'élite pour être transformé en quelque chose de complètement différent (comparez Lasch et Kotkin).

Dans cet essai, nous rencontrons également Schumpeter en tant que critique acerbe des couches qui prônent le "socialisme" sous la forme d'un État administratif doté de son propre personnel. Le mépris de Schumpeter pour ces derniers l'a même conduit à utiliser des guillemets: "Pourtant, d'autres attendent une "économie administrée" façonnée par nos "intellectuels". Le recours des intellectuels à des impôts élevés, explique-t-il, est dû au fait qu'ils sont des petits bourgeois mentaux, "le profane, bien sûr, considère les gros revenus comme des sources presque inépuisables d'impôts. Et notre intellectuel, dont toute la vision est fondamentalement petite-bourgeoise, est enclin à fixer la limite qui délimite les gros revenus juste au-dessus du rang de salaire ou autre revenu qu'il espère atteindre lui-même". Quant à Marx lui-même, Schumpeter, qui a tenu le discours le plus juste, à savoir que "l'émancipation de la classe ouvrière doit être son propre travail", a estimé que "Marx lui-même, s'il vivait aujourd'hui... se moquerait sinistrement de ceux de ses disciples qui accueillent l'économie administrative actuelle comme l'aube du socialisme - cette économie administrative qui est la chose la plus antidémocratique qui soit".

9782228883177_1_75.jpgLa conclusion de Schumpeter était que l'État fiscal, et avec lui l'économie libre, survivrait à court terme. À plus long terme, cependant, c'était moins probable, un thème qu'il a développé dans Capitalisme, socialisme et démocratie deux décennies plus tard. Quoi qu'il en soit, la perspective présentée par Schumpeter, celle de la sociologie fiscale, est enrichissante et nous rappelle à quel point la société et les gens sont affectés et façonnés par les impôts. La relation entre l'État fiscal et l'immigration n'est pas la moins pertinente aujourd'hui, les intérêts qui se cachent derrière ses mécanismes incluant le phénomène historique que Marx a décrit avec le terme fuidhir (et Tolkien avec le plus germanique wrecca). Lors d'un "tournant" schumpétérien, l'immigration est utilisée par les couches d'élite pour créer de nouvelles relations sociopolitiques qui remplacent ensuite les anciennes. "Le but n'a jamais été que les immigrants deviennent des Suédois, le but était que les Suédois deviennent des immigrants (et perdent la revendication de la terre au profit de l'élite)".

vendredi, 22 avril 2022

Au bord de la rupture? L'effondrement du dollar et des alliés des États-Unis

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Au bord de la rupture? L'effondrement du dollar et des alliés des États-Unis

par Luciano Lago

Source: https://www.ideeazione.com/sullorlo-della-rottura-il-crollo-del-dollaro-e-gli-alleati-degli-usa/

Le partenariat transatlantique continue de vaciller ouvertement: les alliés se chamaillent sur l'instabilité du dollar et les sanctions contre la Russie. Selon le représentant du département du Trésor américain, Wally Adeyemo, un autre problème des initiateurs des sanctions contre la Russie a été l'incapacité de parvenir à un compromis sur la question des restrictions économiques contre la Fédération de Russie. La guerre des sanctions lancée contre l'économie russe est devenue une véritable pomme de discorde entre les alliés autrefois solides: les pays de l'Occident collectif, l'UE en particulier.

Elle atteint le point où l'absence de consensus peut même conduire à la désunion du système économique mondial, dont ces pays sont les principaux acteurs. De telles prédictions sont ouvertement exprimées par certains alliés européens des États-Unis qui, dans le cadre d'une politique étrangère dépendant de l'hégémonie mondiale des États-Unis, sont contraints de suivre l'agenda fixé par Washington au détriment de leurs propres intérêts.

Le secrétaire adjoint au Trésor américain, Wally Adeyemo, a souligné à juste titre que de nombreux partenaires étrangers reprochent aux États-Unis le fait que la nouvelle réalité économique (vraisemblablement dure) pour la Russie ne fera que devenir une incitation à la formation d'un nouveau système économique.

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Un politicien d'un avis similaire n'est pas d'accord et tente toujours de promouvoir l'idée que Washington démontre ainsi une fois de plus au monde entier l'importance et l'exceptionnalité de la structure économique mondiale actuelle dans laquelle il joue un rôle dominant. L'Occident, a-t-il dit, montre à la Russie et à tous les autres pays combien il est coûteux de s'isoler de ce système financier.

À Washington, on craint également l'effondrement du dollar en raison des sanctions anti-russes et le renforcement potentiel de la Fédération de Russie et de son lien avec la Chine. En outre, la position de pays tels que l'Inde et l'Arabie saoudite, qui indiquent qu'ils effectuent leurs paiements dans des devises autres que le dollar, constitue un facteur de risque pour la stabilité du système financier dominé par les États-Unis.

Selon Adeyemo, la devise américaine conserve son statut, mais tout peut facilement changer en raison de l'imprévisibilité de la situation géopolitique.

L'impact de la coopération énergétique stratégique entre les États-Unis et l'Union européenne

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L'impact de la coopération énergétique stratégique entre les États-Unis et l'Union européenne

par Giulio Chinappi, Ding Yifan & Shi Junqi

Source: https://www.ideeazione.com/limpatto-della-cooperazione-strategica-usa-ue-sullenergia/

Ding Yifan et Shi Junqi, chercheurs à l'Institut Taihe de Pékin, ont publié un article analysant la dépendance énergétique de l'Europe et, en particulier, la coopération énergétique entre les États-Unis et l'UE à la lumière des récents événements en Ukraine. Vous trouverez ci-dessous une traduction de l'article.

Introduction

Lors du voyage du président américain Joe Biden en Europe, les États-Unis et la Commission européenne ont conclu un accord pour mener une coopération stratégique en matière d'énergie visant à atteindre l'indépendance vis-à-vis des combustibles fossiles russes, et un groupe de travail conjoint sur la sécurité énergétique a été créé pour définir les paramètres de la coopération. La coopération stratégique actuelle entre les États-Unis et l'Union européenne dans le domaine de l'énergie est encore entravée par des facteurs tels que l'inertie du commerce du gaz naturel, la capacité américaine de produire du gaz naturel liquéfié (GNL) et les différences au sein des États membres de l'UE. Cependant, la volonté politique affichée par les États-Unis et la Commission européenne a déstabilisé la coopération énergétique entre l'UE et la Russie et a créé des implications de grande envergure pour les stratégies énergétiques, industrielles et monétaires de l'UE.

L'UE pourrait devenir dépendante de l'énergie américaine

Après la fin de la guerre froide, l'UE a pris l'initiative d'entamer une coopération énergétique avec la Russie. Derrière cette démarche se cachait une politique rationnelle en matière d'énergie et de sécurité: l'UE était déjà le plus grand importateur d'énergie de la Russie et celle-ci ne menaçait donc pas la sécurité de l'UE. En conséquence, les éventuelles menaces de sécurité provenant de l'Est ont été davantage atténuées et l'UE a pu allouer d'importantes dépenses financières, autrement utilisées pour la défense nationale, à la poursuite du développement économique.

Contrairement aux importations en provenance du Moyen-Orient, les importations d'énergie russe offraient à la fois des coûts inférieurs et une meilleure stabilité de l'approvisionnement, ce qui a renforcé la compétitivité internationale de l'économie européenne. En d'autres termes, la coopération énergétique entre l'UE et la Russie a contribué à jeter les bases de l'autonomie stratégique de l'UE. Malgré la pression américaine, l'ancienne chancelière allemande Angela Merkel a fait avancer le projet de gazoduc Nord Stream 2 afin d'augmenter l'approvisionnement stable en gaz naturel directement depuis la Russie et de contourner la Pologne et l'Ukraine, toutes deux sensibles à l'influence américaine.

Non seulement les États-Unis ont désapprouvé la mise en œuvre de l'autonomie stratégique par l'UE, mais ils ont activement cherché des occasions de perturber la coopération énergétique UE-Russie. Ces dernières années, les États-Unis ont vendu du pétrole et du gaz de schiste à l'UE sous le couvert du "renforcement de la sécurité énergétique européenne", occultant ainsi leur véritable agenda qui consiste à forcer l'énergie russe à quitter le marché européen.

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Actuellement, l'énergie russe détient une part de marché plus importante que l'énergie américaine sur le marché de l'UE. En 2021, l'UE avait importé 155 milliards de mètres cubes de gaz naturel de Russie, dont 140 milliards de mètres cubes de gaz naturel par gazoduc et 15 milliards de mètres cubes de GNL, soit 45 % de ses importations totales de gaz naturel. Bien que le volume total des exportations américaines de GNL vers l'UE ait atteint un nouveau record au cours de la même période, avec un total de 22 milliards de m3, cela ne représentait que 6 % des importations totales de gaz naturel de l'UE.

Cependant, le 25 mars 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président américain, Joe Biden, ont publié une déclaration commune sur la sécurité énergétique européenne, qui a démontré la volonté politique de la Commission européenne de déplacer sa dépendance énergétique de la Russie vers les États-Unis.

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Le nouvel accord énergétique entre les États-Unis et l'Union européenne verra les États-Unis s'engager à garantir des volumes supplémentaires de gaz naturel liquéfié (GNL) pour le marché européen d'au moins 15 milliards de mètres cubes en 2022, avec d'autres augmentations prévues au fil du temps. Ainsi, les États-Unis ont pratiquement déclaré qu'ils remplaceraient toutes les commandes de GNL russe auprès de l'UE, qui s'élevaient également à 15 milliards de m3 de GNL en 2021. En effet, un haut fonctionnaire du gouvernement américain a déclaré publiquement que le pacte énergétique entre les États-Unis et l'UE "visait à rendre l'UE indépendante du GNL russe dans un délai très court".

Outre les accords susmentionnés, la Commission européenne a indiqué qu'elle travaillerait avec les États membres de l'UE pour garantir une demande stable de GNL américain supplémentaire d'environ 50 milliards de mètres cubes par an jusqu'en 2030 au moins. Dans le plan REPowerEU dévoilé le 8 mars, la Commission européenne a proposé que l'UE importe chaque année 50 milliards de mètres cubes supplémentaires de GNL en provenance du Qatar, des États-Unis, d'Égypte, d'Afrique occidentale et d'ailleurs. Selon la déclaration commune, la Commission européenne semble avoir attribué l'intégralité du "quota" d'importations supplémentaires de GNL aux États-Unis. Si le plan ci-dessus est mis en œuvre et que l'UE parvient à réduire sa demande de gaz naturel de 100 milliards de m3 d'ici 2030, le GNL américain pourrait représenter environ 30 % des importations totales de gaz naturel de l'UE à ce moment-là.

Les deux parties ont également confirmé leur détermination commune à mettre fin à la dépendance de l'UE vis-à-vis des combustibles fossiles russes d'ici 2027. Cela a interrompu la stratégie de longue date de l'UE visant à atteindre l'"indépendance énergétique" grâce à la coopération énergétique entre l'UE et la Russie au cours des trois dernières décennies et a considérablement augmenté la susceptibilité de l'UE à être "manipulée" par les États-Unis dans les domaines de l'énergie et de la finance.

La compétitivité des industries européennes pourrait diminuer

Ces dernières années, et surtout après l'apparition de la pandémie covidienne, les États-Unis et l'UE ont pris conscience de l'importance de la réindustrialisation. Bien qu'ils restent de fidèles partenaires d'alliance, les États-Unis et l'UE sont désormais engagés dans le jeu à somme nulle de la concurrence pour attirer les entreprises industrielles sur leurs marchés intérieurs respectifs. Les États-Unis se sont transformés en exportateurs d'énergie et éclipsent l'UE en termes de puissance financière. Toutefois, l'ampleur de l'évidement de la chaîne industrielle américaine est bien plus grave que celle de l'UE. C'est pourquoi l'accès à un approvisionnement énergétique stable et abordable est devenu un domaine clé pour les deux parties qui s'affrontent dans le processus de réindustrialisation.

En tant qu'importateur d'énergie, l'UE est dans une position relativement désavantageuse. Le graphique ci-dessus montre qu'après la déclaration États-Unis-UE de juillet 2018, lorsque le GNL américain est entré pour la première fois sur le marché européen, le prix moyen du gaz naturel exporté par Gazprom vers l'Europe était relativement élevé. En 2019, l'Espagne, la France et les Pays-Bas, positionnés le long de la côte atlantique, sont devenus les trois premiers acheteurs de GNL américain au sein de l'UE, position qu'ils conservent aujourd'hui (NB : les Pays-Bas ont acheté plus que la France en 2021).

Au milieu de l'année 2021, l'UE a commencé à promouvoir le paquet Fit-for-55 et le mécanisme d'ajustement à la frontière du carbone (CBAM), dans le but d'appliquer le gaz naturel importé par la Russie à bas prix à partir de 2020 comme un "antidouleur" industriel pendant sa transition vers une économie verte. Depuis sa transition, l'UE a imposé d'énormes tarifs carbone aux pays exportateurs d'énergie, ce qui a contraint le prix moyen du GNL de Gazprom à dépasser celui du GNL américain exporté vers l'Espagne, les Pays-Bas et la France. En tant que tel, le passage de la Commission européenne au GNL américain a une certaine justification économique mais ne compense pas le risque significatif d'une dépendance accrue à l'énergie américaine.

Plus important encore, une fois que les États-Unis et l'Europe auront établi une relation stable entre l'offre et la demande de GNL, l'économie de l'UE sera très probablement confrontée à la situation difficile de coûts de production plus élevés et d'une compétitivité industrielle plus faible que celle des États-Unis. Après tout, le prix moyen du gaz naturel sur le marché industriel intérieur américain est bien inférieur à celui du GNL exporté des États-Unis vers l'Espagne, les Pays-Bas et la France. Contrairement au gazoduc russe, qui a déjà bénéficié de l'investissement initial dans l'infrastructure, les importations de GNL par l'UE impliquent des frais de transport maritime et des coûts de construction et d'exploitation des terminaux GNL. Depuis le déclenchement du conflit entre la Russie et l'Ukraine, le coût de la construction du terminal GNL de Brunsbuttel en Allemagne est passé à plus d'un milliard d'euros, dépassant de loin les 450 millions d'euros précédemment estimés.

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En outre, le prix de l'énergie a entraîné une baisse de la compétitivité industrielle de l'UE, et les risques de sécurité posés par le conflit entre la Russie et l'Ukraine ont augmenté la probabilité que l'industrie des pays en développement gravite vers les États-Unis plutôt que vers l'UE. Cela ne désavantagera pas seulement l'UE dans la compétition pour la réindustrialisation avec les États-Unis, mais aura un impact considérable sur l'économie de l'UE. La combinaison de l'affaiblissement de la réindustrialisation de l'UE, des hausses de taux d'intérêt plus élevées que prévu par la Réserve fédérale américaine et de la fuite des capitaux de l'UE causée par le conflit entre la Russie et l'Ukraine pourrait encore affaiblir l'effet stimulant des investissements dans l'économie européenne. Ainsi, l'impact de l'inflation élevée dans la zone euro, qui a atteint 7,5 % en mars 2022, indique que les États membres de l'UE risquent de répéter les erreurs commises par d'autres pays développés au début du siècle dernier et de tomber dans la stagflation où l'intervention du gouvernement ne parvient pas à inverser la contraction économique.

La domination du dollar sur l'euro pourrait encore se consolider

Depuis son introduction, l'euro a contesté la domination du dollar. Le mode de règlement des transactions sur les marchandises, que ce soit en dollars ou en euros, affecte directement la proportion et le statut de la monnaie dans le système de paiement international. Étant donné que les échanges entre l'UE et la Russie peuvent être réglés en euros, la coopération énergétique entre l'UE et la Russie a non seulement accru l'utilisation de l'euro dans la communauté internationale, mais a également réduit les réserves en dollars des États membres de l'UE pour les achats d'énergie. Récemment, le chancelier allemand Olaf Scholz a réaffirmé que l'Allemagne refuse d'acheter du gaz naturel à la Russie en roubles, soulignant que la plupart des contrats d'approvisionnement en gaz naturel allemand prévoient un paiement en euros, une petite partie seulement étant libellée en dollars.

À la suite du conflit russo-ukrainien, l'Allemagne a non seulement suspendu le processus de certification du projet germano-russe Nord Stream 2, mais a également décidé de construire un nouveau terminal GNL à Brunsbuttel d'une capacité de 8 milliards de mètres cubes par an, destiné à soutenir la nouvelle demande énorme d'importations de GNL en provenance de pays autres que la Russie. Si la déclaration commune des États-Unis et de la Commission européenne du 25 mars est mise en œuvre, les deux parties pourraient avoir des commandes supplémentaires de GNL allant jusqu'à 15 milliards de mètres cubes en 2022, pouvant atteindre 50 milliards de mètres cubes par an jusqu'en 2030 au moins. Ces commandes de GNL seront très probablement réglées en dollars plutôt qu'en euros, ce qui aura un impact majeur sur le statut international de l'euro.

Publié sur World Politcs Blog

lundi, 18 avril 2022

Que nous réserve la région Asie-Pacifique ?

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Que nous réserve la région Asie-Pacifique ?

Un rapport de l'ONU révèle une baisse de la croissance économique

Source: https://katehon.com/ru/article/chto-zhdet-aziatsko-tihookeanskiy-region

La reprise économique dans la région Asie-Pacifique après la pandémie et d'autres chocs mondiaux devrait être basée sur un "nouveau pacte social" complet pour protéger les personnes vulnérables dans les années à venir, selon un rapport publié mardi 12 avril par la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l'Asie et le Pacifique (CESAP).

Outre la pandémie, le rapport montre que les économies régionales sont confrontées à "plusieurs risques baissiers" liés à une chaîne d'approvisionnement mondiale non durable, à "des pressions inflationnistes croissantes, à la perspective d'une hausse des taux d'intérêt, au rétrécissement de l'espace fiscal" et aux conséquences économiques mondiales émergentes de la crise en cours en Ukraine.

La croissance économique des pays en développement de cette vaste région devrait se contracter à 4,5 % en 2022 et à 5 % en 2023, en baisse par rapport à un taux de croissance antérieur de 7,1 % en 2021.

La perte de production cumulée due à la pandémie pour les économies en développement de la région est estimée à près de 2000 milliards de dollars de 2020 à ce jour.

L'étude met en garde contre les réductions des dépenses publiques dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la protection sociale "afin de protéger les acquis du développement des dernières décennies et d'empêcher un nouveau creusement des inégalités dans la région".

Le rapport note que la pandémie a privé plus de 820 millions de travailleurs informels dans la région de la CESAP et plus de 70 millions d'enfants issus de familles à faibles revenus d'un accès adéquat aux revenus et à la scolarité. "Ce résultat aura un impact négatif sur le potentiel de gain futur de ces personnes et sur la croissance globale de la productivité", indique le communiqué de presse de l'ESCAP, alors que 85 autres millions de personnes dans la région Asie-Pacifique ont déjà été poussées dans l'extrême pauvreté en 2021.

"Alors que les pays en développement de la région vont de l'avant, apprenant à vivre avec le virus, en trouvant un équilibre entre la protection de la santé publique et les moyens de subsistance, il est temps de jeter les bases d'un avenir plus équitable avec des chances égales et des résultats inclusifs", a déclaré Armida Salcia Alisjahbana, Secrétaire exécutive de la CESAP, dans un communiqué.

La Commission recommande un "programme politique à trois volets" visant à construire une économie inclusive pour la région. Tout d'abord, au lieu de procéder à des réductions, les pays en développement de la région devraient orienter les dépenses publiques vers les soins de santé universels de base, continuer à progresser vers l'éducation primaire et secondaire universelle et étendre la couverture de la protection sociale. La Commission fait valoir qu'une politique fiscale "intelligente" peut améliorer l'efficacité et l'efficience globales des dépenses publiques et de la perception des recettes. Dans le même temps, il convient d'explorer de nouvelles sources de revenus, comme la taxation de l'économie numérique, et de déplacer la charge fiscale vers les ménages à hauts revenus.

Deuxièmement, l'étude 2022 soutient que les banques centrales de la région peuvent et doivent modifier leurs politiques monétaires traditionnelles pour promouvoir un développement inclusif. Tout en restant concentrées sur le maintien d'une inflation faible et stable, les banques centrales peuvent investir une partie de leurs réserves officielles dans des obligations sociales, étudier comment la monnaie numérique d'une banque centrale peut élargir l'accès aux services financiers, et encourager des instruments financiers plus innovants pour assurer la protection sociale.

Troisièmement, les gouvernements peuvent également guider, façonner et gérer activement la transformation économique structurelle de plus en plus induite par la révolution numérique de la robotique et de l'intelligence artificielle pour obtenir des résultats plus inclusifs. Cela comprend le soutien au développement de technologies à forte intensité de main-d'œuvre, l'accès inclusif à une éducation de qualité, le recyclage, le renforcement des capacités dans les négociations du travail et les planchers de protection sociale.

L'Étude économique et sociale de l'Asie et du Pacifique, publiée pour la première fois en 1947, est l'enquête économique et sociale annuelle la plus ancienne et la plus complète des Nations Unies, qui sert de base à l'élaboration des politiques dans la région.

Quelle leçon la Russie peut-elle en tirer, compte tenu de sa confrontation avec l'Occident? Seule une poignée d'États de la région nous ont imposé des sanctions. Les autres sont favorables à la coopération, d'où la possibilité d'ouvrir de nouvelles niches de coopération, compte tenu des risques mentionnés et de la baisse des taux de croissance. Les pays d'Asie-Pacifique peuvent tirer parti de l'évolution de l'environnement mondial et offrir des biens et services de substitution identiques à ceux que nous recevions auparavant de l'Occident collectif. À son tour, la région a un besoin constant de ressources énergétiques, que la Russie possède en abondance. Tout compte fait, une réorientation vers l'Est est nécessaire à long terme en raison de la croissance de la technologie, de la main-d'œuvre et de l'accumulation de richesses dans cette partie du monde.

lundi, 11 avril 2022

La Chine et la Russie, une menace pour la suprématie financière américaine

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La Chine et la Russie, une menace pour la suprématie financière américaine

par Sherish Khan

Source: https://www.ideeazione.com/cina-e-russia-una-minaccia-per-la-supremazia-finanziaria-americana/

Le système financier mondial est actuellement sous pression sous différents angles. La structure du commerce mondial est compliquée. L'une des principales raisons est que les intérêts des États-Unis et de l'Europe ont été gravement endommagés. En termes de commerce, la Chine a dépassé ces deux régions du monde. Les Chinois en sont convaincus et sont par ailleurs habitués à la production de masse. La Chine dans son ensemble est également appelée "l'usine du monde". La capacité à concurrencer la Chine dans le processus de production n'est actuellement pas possible pour les États-Unis et l'Europe. L'une des principales raisons est que la Chine a fait des efforts systématiques pour se procurer des matières premières dans différentes régions du globe ; elle importe de grandes quantités de matières premières d'Afrique, d'Asie et d'autres régions. Ce processus a renforcé non seulement son statut économique, mais aussi son statut politique et social. Les États-Unis sont actuellement préoccupés par la manière de maintenir leur domination sur la politique et l'économie mondiales, notamment dans le domaine de la finance. La Chine et la Russie deviennent une menace pour la suprématie financière des États-Unis.

La Russie a tiré la plus retentissante sonnette d'alarme pour le système financier mondial contrôlé par l'Occident. Les États-Unis et l'Europe ont tenté de renforcer leur position en imposant des sanctions économiques à la Russie en riposte à une intervention militaire russe en Ukraine. La Russie a été exclue du système de paiement international Swift. Dans ce système, tous les paiements sont effectués en dollars et en euros. Les États-Unis ont déclaré que la Russie ne pouvait plus mener ses affaires financières en dollars. L'exclusion de Swift signifie qu'aucune entreprise russe ne peut percevoir de quelqu'un un paiement quelconque en dollars ou payer quelqu'un en dollars. Dans ce cas, quelle option a la Russie ? Que peut-elle faire pour briser le monopole du dollar ? La Russie est un exportateur majeur. Ses exportations comprennent l'aluminium, le palladium, le nickel et d'autres métaux, le pétrole brut, le gaz, les diamants, le charbon et de nombreuses autres matières premières importantes. La part de la Russie dans le commerce mondial est d'environ 22%. Un pays dont le statut commercial est aussi important ne peut être facilement négligé. Maintenant, la Chine parle de conclure des accords pétroliers avec la Russie en roubles. D'autre part, l'Arabie saoudite, dans certains cas, semble être jalouse d'une configuration comme Swift, et si la Russie commençait à faire tout son commerce en roubles ? La position mondiale du dollar serait affaiblie. Si la Russie réussit, d'autres pays devront également commercer dans leur propre monnaie. Les plus grands exportateurs de pétrole brut sont l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Que se passerait-il s'ils décidaient de vendre leur pétrole dans leur propre monnaie ?

Tout comme la Chine a accepté de commercer avec la Russie en roubles et en yuans. Si deux ou trois autres pays agissent de la sorte, il sera très dangereux pour le dollar de monter. Au moment de l'invasion russe de l'Ukraine, le monde entier avait l'impression qu'un nouveau bloc était sur le point d'émerger, qui serait anti-occidental et donnerait du fil à retordre à l'Occident. Le monde musulman, y compris le Pakistan, est très important à cet égard, car c'est sur la base de nos décisions que les caractéristiques de ce bloc deviendront claires. Il importe peu que l'Inde ne soit pas d'accord. Beaucoup de choses changeront si la plupart des pays du monde musulman se rangent du côté de la Chine et de la Russie. Dans ce cas, les États-Unis ne seront pas en mesure de maintenir leur position dans la politique et l'économie mondiales. La véritable préoccupation pour les États-Unis et l'Europe est que la Russie et la Chine détiennent toutes deux une part importante du commerce mondial. En tant que plus grand moteur manufacturier du monde, la Chine et, à côté d'elle, la Russie se démarquent des États-Unis et de l'Europe.

La question clé est maintenant de savoir ce que veulent les États-Unis et l'Europe. Sont-ils prêts à faire des concessions au reste du monde ? Le monde occidental est-il prêt à impliquer d'autres puissances émergentes dans la politique et l'économie mondiales ? La tête de cet Occident global n'a pas l'air d'y penser. L'attitude des superpuissances à chaque époque est la même que celle des États-Unis et de l'Union européenne. Tous deux ne sont pas prêts à reculer. Les États-Unis ne sont pas favorables à l'idée de céder la place à la Chine et à la Russie ; cela ne signifie pas que leur puissance est intacte, même s'il y a eu un déclin de la puissance, ils ne veulent pas donner l'impression qu'ils s'affaiblissent. Si la Chine et la Russie devaient mettre de côté le système de paiement international actuel et développer un système alternatif pour elles-mêmes, la supériorité financière des États-Unis et de l'Europe serait gravement affectée. Si les États arabes ou du Golfe sont également intéressés par l'adoption de ce système alternatif, beaucoup de choses seront inversées. La Russie parle depuis longtemps de rétablir le système de troc, c'est-à-dire de remplacer les marchandises par des produits de base. Si un tel système est introduit, la position décisive du dollar sera gravement compromise.

 

L'auto-sabotage de l'Union européenne en 8 points

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L'auto-sabotage de l'Union européenne en 8 points

Source: https://jornalpurosangue.com/2022/03/13/a-autossabotagem-da-uniao-europeia-em-8-pontos/

De GPOShorts

Ce court article examine les perspectives immédiates de l'Europe en huit points, à la lumière de l'opération spéciale de la Russie en Ukraine.

1) Tout événement majeur provoque des spasmes dans le monde entier ; les événements actuels en Europe provoquent des ravages sur tous les marchés mondiaux. Sans surprise, c'est en Europe que les conséquences de l'action du Kremlin se font le plus sentir et ce, pour une multitude de raisons. Confrontée à la flambée des prix du carburant, à un tsunami d'immigrants et à un nouveau rideau de fer, l'Europe est au cœur des plus grandes transformations depuis 70 ans. Malgré toute la sympathie que l'on peut avoir à première vue, un regard sur l'histoire récente nous aide à comprendre comment les événements mondiaux ont amené la situation là où elle est aujourd'hui.

2) Autant le conflit qui balaie actuellement ce qui était il y a quelques décennies la puissance industrielle et agricole du sud de l'Union soviétique est le résultat de la malfaisance des États-Unis et de l'Ukraine, autant il est aussi en partie la faute de l'Europe occidentale. Un coup d'État mené par les États-Unis et huit années de guerre ont été largement ignorés par les gouvernements européens et leurs peuples, étant perçus comme "la guerre des autres", mais cela signifiait simplement que, pour l'essentiel, les États-Unis, Bruxelles et les autres centres politiques fermaient les yeux sur un problème croissant à leurs frontières. Le fait que les faits connus aient été ignorés au profit des relations avec Washington s'est avéré être une très mauvaise décision géopolitique, mais malgré toutes les preuves, les dirigeants européens ont continué non seulement à soutenir aveuglément huit années de "fausse paix", mais aussi à supprimer toute voix qui remettait en question leur soutien continu non seulement à un gouvernement fantoche, mais aussi à tout ce qu'il représente.

3) Cet article ne porte pas sur le contrôle de la politique européenne par Washington, mais on ne peut ignorer le fait que les Européens restent absolument à l'écoute des États-Unis, à leur détriment absolu. En 2002, des centaines de millions d'Européens ont subi un bouleversement majeur lorsque l'Union européenne a mis en place l'euro à la place des monnaies nationales, mais 20 ans plus tard, au lieu d'utiliser l'euro, le bloc européen négocie toujours en dollars. Cette situation n'ayant pas été assez mauvaise, elle permet encore à la Maison Blanche et à l'OTAN de dicter la politique étrangère de toute nation qui finit par irriter Washington, ce qui a culminé avec la guerre qui ravage actuellement l'Ukraine. Alors qu'aux États-Unis, les répercussions de la guerre poussent les automobilistes américains à se plaindre des prix de l'essence, en Europe, elles représentent un véritable tsunami, les prix des carburants augmentant aussi vite que le nombre d'immigrants. Il est connu que beaucoup de ceux qui ont conduit l'Europe sur cette voie ont des affiliations étroites avec "l'establishment" du continent, mais les questions quant à savoir où cette voie mènera sont actuellement sans réponse. Cette absence de réponses entraîne toutefois une nouvelle vague de questions très urgentes, des questions auxquelles l'Europe occidentale doit répondre le plus rapidement possible.

4) Pendant près d'une décennie, l'Europe occidentale a soutenu les États-Unis dans leurs efforts pour tenir tête aux Russes, mais contrairement à l'affirmation de John McCain selon laquelle la Russie n'est que la "station-service d'un pays", une rupture soudaine des relations Ouest-Est s'avère être un véritable casse-tête pour les Occidentaux à bien des égards. Nous savons tous à quel point la Fédération de Russie joue un rôle important sur le marché mondial de l'énergie, mais comme elle est aussi (et surtout) un grand exportateur agricole, les prix d'un certain nombre de produits alimentaires importants vont également monter en flèche dans les mois à venir. En soi, ce n'est pas un problème si grave, car les nations occidentales sont capables d'adapter leurs propres industries agricoles pour compenser, du moins en partie, le déficit. Ce qui est grave, en revanche, c'est que la Russie est également un acteur clé du marché mondial des engrais. Même si l'Occident devait restructurer son secteur agricole, il a toujours besoin de matières premières, en l'occurrence des engrais, pour le faire et les prix élevés des engrais aggravent considérablement une situation déjà assez mauvaise. Cerise sur le gâteau, avec la pénurie mondiale, la Russie pourra toujours vendre ce qu'elle peut produire, mais à des prix beaucoup plus élevés. Washington voit peut-être la Russie comme la station-service du monde, mais les dirigeants européens sauront-ils calmer l'ire de leurs consommateurs face à l'explosion des prix et au début d'une période de stagflation ?

5) Comme nous l'avons examiné précédemment, la situation des matières premières devient beaucoup plus aiguë d'un côté de l'Atlantique que de l'autre, mais malgré cela, les figures de proue de Bruxelles veulent restreindre davantage leurs échanges avec la Russie. Outre le carburant, les denrées alimentaires et les engrais, la Russie est également un acteur majeur dans le domaine des minéraux. Le fer, le nickel et le titane sont plus importants en tant que matières premières pour l'Occident qu'en tant qu'exportations pour la Russie, mais l'UE a tout fait pour rendre de plus en plus difficile l'accès aux biens requis par ses industries nationales. Bien que les économies européennes soient différentes, la fabrication de produits finis de qualité est importante dans plusieurs États membres de l'UE et les pénuries de matériaux pourraient à terme entraîner la disparition de nombreuses entreprises. La raison pour laquelle Bruxelles voudrait se tirer une balle dans le pied est une question sans réponse, mais il est certain que cette démarche fait le bonheur de nombreuses personnes à Washington.

6) Il ne fait aucun doute que les mesures actuelles appliquées contre la Russie affectent l'Europe beaucoup plus profondément que les États-Unis, ce qui est reconnu depuis longtemps par les experts en affaires mondiales. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis représentaient plus de la moitié des exportations mondiales, mais au cours des huit dernières décennies, la Chine et l'Europe ont érodé l'avantage antérieur de Washington, la "ceinture d'acier" des États-Unis ayant rouillé, obligeant l'Oncle Sam à compter sur d'autres pays pour fournir une grande partie de ce qui est consommé dans le pays. La rivalité entre Washington et Pékin n'est pas examinée ici, mais la situation actuelle, si elle ne favorise pas Washington, a certainement un effet très négatif sur l'Europe, ce n'est pas la première fois que les États-Unis tentent de prendre le dessus en repoussant les autres. Pour toutes les affaires entre Washington et Bruxelles, et entre l'Est et l'Ouest, il y a néanmoins un assez gros éléphant - soit un problème délibérément ignoré en dépit de sa lourde évidence-  dans la pièce qui ne fera que grossir en raison des circonstances actuelles.

7) Alors que les Occidentaux se plaignent de la Russie en Ukraine, la véritable douleur économique est encore à venir. Sauf, bien sûr, en Chine, où des contrats à long terme entre Moscou et Pékin permettront de minimiser les pics de courant. Les relations entre Moscou et Pékin ayant atteint un sommet historique, le commerce entre les deux se poursuivra sans entrave. Les contrats précédemment conclus sur toute une série de matières premières sont toujours en vigueur, mais si la Chine a besoin de plus, elle sera certainement gratifiée. Le gouvernement chinois payant les prix convenus pour tout cela, la Chine se trouve désormais dans une position très avantageuse par rapport au commerce mondial, les économies liées au marché occidental voyant leurs prix s'envoler. Avec cette alliance qui se renforce d'année en année, l'amitié mutuelle signifie à son tour un avenir mutuellement assuré, et dans le climat actuel, à des prix qui n'ont jamais été aussi compétitifs. N'oubliez jamais que si cela favorise l'Est d'une manière jamais vue auparavant, cette situation est absolument un produit de la politique occidentale.

8) Malgré toutes les jérémiades des Occidentaux, le conflit en Ukraine et ses conséquences dans le monde entier ont été créés par ce même Occident. Une décennie à essayer de mettre le plus grand pays d'Europe hors jeu en faveur des intérêts américains aboutit à une situation de plus en plus désagréable pour le monde occidental. Avec la coupure de tous les approvisionnements en carburant vers l'Europe, Bruxelles fait face au canon d'un pistolet économique avec son propre doigt sur la gâchette. Si la situation devait encore se détériorer, la Russie pourrait bien fermer le Nord Stream 1, ce qui aggraverait encore une situation déjà désespérée. Malgré toute l'ampleur des mesures prises contre Moscou, la Russie a prouvé qu'elle avait un éventail tout aussi large d'exportations à proposer sur le marché international. Le fait que le jeu de Washington nuit à l'Europe autant qu'à la Russie n'est pas passé inaperçu pour certains, mais tant que les consommateurs européens ne s'en rendront pas compte, il faudra s'attendre à peu de changements. En attendant, le soleil de l'Est semble effectivement se raffermir dans le ciel, les économies chinoise et russe se réjouissant des conditions imposées par Washington. Il est fort probable qu'à l'avenir, l'Europe se rende enfin compte qu'elle a été manipulée pour se saboter elle-même.