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mardi, 11 mars 2025

La chanson française ou la déconstruction en douceur

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La chanson française ou la déconstruction en douceur

par Daniel COLOGNE

Texte préalablement paru sur le site Europe Maxima, le 29 novembre 2020

En 1860 est fondé le cabaret montmartrois « Le Lapin agile » (initialement « Lapin à Gilles », du nom de son fondateur André Gilles). Un siècle plus tard, Claude Nougaro y fait ses débuts, tandis que Jacques Brel et Georges Brassens chantent dans des cabarets concurrents comme « Les trois baudets » ou « Patachou ».

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Bien que traversée par des courants très divers, la chanson française séculaire puise son inspiration dans l’amour du pays, de sa capitale, de ses terroirs, de son histoire souvent tourmentée et de ses paysages métamorphosés par les cycles saisonniers.

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Des gens qui sont de quelque part

Rappelons-nous la Douce France de Charles Trénet et La Paimpolaise de Théodore Botrel qui exalte sa Bretagne comme Tino Rossi célèbre son « Île de Beauté ». De Fréhel à Édith Piaf en passant par Damia et Berthe Sylva, la chanson misérabiliste rend hommage au petit peuple parisien, à ses ouvrières qui meurent trop jeunes (Les Roses blanches), à ses gamins affligés d’un handicap (Le petit bosco), à ses accordéonistes qui demandent l’aumône sur les quais de la Seine en jouant l’air de L’Hirondelle du faubourg, des Petits pavés ou de la Valse brune.

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Vainqueur du premier concours Eurovision en 1956, André Claveau est la figure emblématique de cette chansonnette bien enracinée, amoureuse du petit train montagnard qui part pour son dernier voyage, nostalgique de la diligence qui mettait une semaine pour aller de Paris à Tours. Avec leur souvenir de la marelle enfantine sous les cerisiers roses et les pommiers blancs, ces refrains peuvent paraître surannés, mais savent parfois se revêtir d’une parure sensuelle de bon goût (Domino). Claveau change de registre lorsqu’il ravive la mémoire des combats vendéens (Les Mouchoirs rouges de Cholet, Prends ton fusil, Grégoire). Dans Trop petit, mon ami s’exprime une ferveur chrétienne qui rappelle La petite église de Jean Lumière.

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Après la Seconde Guerre mondiale s’affirme la brillante génération des chanteurs nés vers 1930, dont les répertoires glorifient encore souvent les lieux qui les ont vus naître. Pensons par exemple à Gilbert Bécaud, à ses Marchés de Provence ou à ce petit chef-d’œuvre intitulé C’est en septembre. Mais dans certaines discographies se glissent déjà des thèmes qui annoncent la « grande libéralisation » (David Goodhart) censée conduire vers l’Eldorado du village planétaire.

« Quand on n’a que l’amour »

Mon admiration pour cet artiste hors normes comporte sans doute une part de chauvinisme patriotique. Jacques Brel a fait revivre le Bruxelles des gibus et des crinolines. Il a dépeint les « chemins de pluie » du « plat pays » flamand. Il a saisi l’étrange atmosphère d’une cité wallonne figée par les rigueurs des nuits hivernales (Il neige sur Liège). Mais il ne faut pas oublier les maladresses de ses premiers « 78 tours » (La Foire, Au printemps, Il peut pleuvoir). Que serait-il advenu de lui sans la soudaine notoriété que lui confère une chanson de 1956 rivalisant d’audience radiophonique avec le Bambino de Dalida et le Deo d’Harry Belafonte ?

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Quand on n’a que l’amour annonce déjà les appels d’aujourd’hui à accueillir toute la misère du monde.

« Quand on n’a que l’amour

À offrir à ceux-là

Dont l’unique combativité

Est de chercher le jour. »

Brel confond, comme la bien-pensance actuelle, le légitime désir d’éradiquer la misère et la glorification du délinquant, dans la ligne du Victor Hugo des Misérables (le bon Valjean, ex-bagnard, contre le méchant policier Javert).

« Quand on n’a que l’amour

Pour habiller matin

Pauvres et malandrins

De manteaux de velours. »

Mieux encore qu’aux Misérables hugoliens c’est aux Voyous de velours de Georges Eekhoud qu’il faut ici se référer. Et voici un autre couplet :

« Quand on n’a que l’amour

Pour parler aux canons

Et rien qu’une chanson

Pour convaincre un tambour. »

Arrivé à Paris en 1953, Brel est comme une éponge qui s’imbibe du pacifisme germano-pratin, des appels à la désertion de Boris Vian et de Mouloudji, du dégoût existentialiste inspiré par les guerres d’Indochine et d’Algérie. Mais cet irénisme va conduire l’Europe à oublier le vieil adage romain Si vis pacem, para bellum et notre continent deviendra un nain géopolitique dominé à l’Ouest par le pragmatisme anglo-saxon, menacé au Sud par un terrorisme religieux et condamné à l’Est à se heurter au Rideau de fer, puis à la muraille de Chine.

Quelques thèmes déconstructeurs seront ainsi charriés par le répertoire brellien que nous continuerons toutefois d’aimer jusque dans l’ultime petit chef-d’œuvre intitulé Orly et la dernière exclamation du grand Jacques trop tôt disparu :

« Mais nom de Dieu que c’est triste

Orly le dimanche

Avec ou sans Bécaud. » 

« Je suis blanc de peau »

Les interprètes les plus mièvres se surpassent quand ils évoquent leur lieu de naissance : par exemple, Marseille et son accent que Mireille Mathieu a gardé depuis qu’elle a vu le jour dans la cité phocéenne.

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Que dire alors de Claude Nougaro, sublime quand il célèbre Toulouse : sommet d’un répertoire à forte personnalité, où se marient le jazz et la java, où les rythmes de La Nouvelle-Orléans s’intègrent au texte sans nuire à sa qualité poétique et où il est bien légitime que le fils d’un artiste lyrique du Capitole (« Papa, mon premier chanteur de blues ») rende hommage à Louis Armstrong. Mais pourquoi donc dénier à la race blanche l’aptitude à l’élan mystique ?

« Quel manque de pot

Je suis blanc de peau

Pour moi, rien ne luit là-haut

Les anges zéro

Je suis blanc de peau. »

 

« Il faut tourner la page

Déchirer le cahier

Le vieux cahier des charges. »

Vive l’humanité exonérée de ses devoirs ! C’est ce que semble s’écrier cette autre chanson, plus tardive, elle aussi bien construite, comme Quatre boules de cuir. Amoureux de la boxe, comme Maurice Maeterlinck, Nougaro se souvient que dans sa « ville rose » où « l’Espagne pousse un peu sa corne », « même les mémés aiment la castagne ». « Ici, si tu cognes, tu gagnes. » De la très bonne chanson, où se faufile insidieusement un embryon de la guerre des races où les villageois planétaires veulent nous entraîner.

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« Entre copains de tous les sexes »

La chanson « idiote » d’autrefois ne se moque pas seulement – et gentiment – des homosexuels, comme Fernandel dans Il en est. Milton brocarde les cocus et les couples mal assortis. Georgius ridiculise l’enseignement (Le lycée Papillon). Les jongleries verbales d’Ouvrard (« J’ai la rate qui se dilate », « Les rotules qui ondulent », etc.) sont une trouvaille de jeune recrue voulant se faire réformer.

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Comme ils disent (1972) de Charles Aznavour est à mi-chemin entre Il en est et les gay prides échevelées qui dégénèrent en paradodies de fêtes nationales. Le personnage retrouve chaque matin « son lot de solitude » après ses amours « dérisoires et sans joie », après son numéro de déshabillage finissant en nu intégral, après sa virée nocturne avec « des copains de tous les sexes » qui « lapident » les gens qu’ils « ont dans le nez » avec « des calembours mouillés d’acide ».

Voici donc l’immense Aznavour précurseur de la théorie du genre et de la multi-parentalité. Ces fleurons de la cynique ultra-modernité s’insinuent discrètement dans une œuvre gigantesque bercée par la nostalgie de la musique tzigane (Les deux guitares), obsédée par la rupture sentimentale (Et pourtant, Sur ma vie, Il faut savoir, Deux pigeons, Que c’est triste, Venise), magnifiée par le rappel du génocide arménien trop longtemps occulté.

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« C’est une romance d’aujourd’hui »

Restons en 1972. Le grand succès de l’été est la Belle Histoire de Michel Fugain. C’est la rencontre d’un nomade et d’une citoyenne du monde. Ils s’étreignent au bord d’une route avant de repartir, l’un vers les brumes du Nord, l’autre vers le Soleil du Midi. La Providence est convoquée pour adouber cet amour éphémère. Plus tard, Fugain nous invitera à « marcher sur la tête pour changer les traditions ».

Il y a des années-charnières, des points d’inflexion de l’histoire de tous les secteurs, y compris ceux du sport, du cinéma et de la chanson. L’arrêt Bosman de 1995 transforme les équipes de football en tours de Babel, alors qu’en Belgique, par exemple, jusqu’en 1961, un joueur étranger devait évoluer une saison parmi les réserves avant d’accéder à une place de titulaire.

À partir de 1966 et de La Grande Vadrouille, les films détenant le record du nombre d’entrées dans les salles obscures sont presque exclusivement des comédies, alors qu’auparavant, le même record est détenu par Les Misérables, Quai des Orfèvres et Autant en emporte le vent. 1972 pourrait être le millésime-tournant de l’histoire de la chanson et 1974 celui de l’Eurovision. Vive le groupe Abba. Oubliés Jacqueline Boyer, Jean-Claude Pascal, Isabelle Aubret, France Gall et sa poupée offerte par Gainsbourg, le vainqueur espagnol de 1968 en qui l’on voyait un futur « Aznavour catalan ».

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« Car le monde et les temps changent. »

Il nous grise avec son histoire de marin qui revient au pays. Il nous fait partager son émotion pour Céline et sa colère contre L’Épervier. Il nous conte une mésaventure sentimentale survenue quand refleurissent les jonquilles et les lilas. Il laisse gravé dans notre mémoire le « fameux trois-mâts » où Dieu est seul maître à bord (Santiano). Mais dans une de ses nombreuses adaptations de Bob Dylan, Hugues Aufray enjoint aux parents de « rester crachés ». « Vos enfants ne sont plus sous votre autorité », reprend l’icône noire Joséphine Baker peu avant son décès. « Le monde et les temps  changent. »

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Sans aller jusqu’aux répertoires actuels, que je connais trop mal, on peut déceler la même ambiguïté chez des chanteurs nés vers 1950. Bernard Lavilliers peut à la fois se faire l’aède du nouveau nomadisme (On the road again) et exalter les travailleurs aux « mains d’or » de la sidérurgie de Thionville. Laurent Voulzy aime se produire dans les cathédrales où sa Jeanne trouve un décor de rêve, mais Le Pouvoir des Fleurs illustre l’utopique naïveté d’une certaine jeunesse d’après-guerre.

« Changer les choses

Avec des bouquets de roses. »

Mais revenons à Huges Aufray avec une autre chanson de la mer, au texte élaboré, au rythme entraînant, au contenu quasi messianique.

« Le jour où le bateau viendra »

C’est l’histoire d’un navire qui débarque sur un littoral imaginaire. Elle s’adresse aux hommes de la Fin des Temps. Ils pourront reposer sur le sable « leurs pieds fatigués », tandis que, planant au-dessus des dunes, « les oiseaux auront le sourire » et qu’au grand large, les pharaons sont promis à la noyade.

Ce navire a peut-être un lien avec « le bateau pensant et prophétique » de Léo Ferré, qui prend « le chemin d’Amérique », c’est-à-dire « le chemin de l’amour ». Il s’en va avec une Madone attachée « en poupe par le col », mais à son retour, il porte dans la même position une Madone « d’une autre couleur ».

Le bateau espagnol est un des plus beaux textes de poésie française mise ne musique, mais il n’est pas interdit d’y voir jaillir une des premières étincelles du feu que certains se plaisent à attiser aujourd’hui : celui de la guerre des races sur fond de revanchisme post-colonial.

Daniel COLOGNE

vendredi, 07 mars 2025

Les grèves ont toujours existé...

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Les grèves ont toujours existé...

Jan Huijbrechts

Quelle: https://www.facebook.com/jan.huijbrechts.9

Les prochains jours, semaines et peut-être même mois seront largement marqués par l’agitation sociale, avec des manifestations et des grèves contre les projets du gouvernement De Wever. Cela pourrait vous surprendre, mais les grèves ont existé de tout temps. La plus ancienne grève documentée de l’histoire a eu lieu pendant la construction des pyramides de Khéops, quelque part entre 2551 et 2472 avant notre ère. Lorsque les ouvriers de cet immense chantier ont constaté que leurs rations contenaient de moins en moins d’ail – l’assaisonnement local par excellence – ils ont spontanément cessé le travail. Mille ans plus tard, leurs descendants, qui bâtissaient plusieurs monuments pour le pharaon Ramsès III dans la Vallée des Rois, se mirent en grève après de graves retards dans l’approvisionnement alimentaire. Ils ne reprirent leurs marteaux et leurs burins qu’après la résolution définitive de ces problèmes.

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Dans la Rome antique existait la secessio plebis, une forme d’action informelle exercée par les plébéiens – citoyens ordinaires, souvent agriculteurs ou artisans propriétaires de terres – dans leurs conflits avec les patriciens, la classe dirigeante. Les plébéiens cessaient le travail et quittaient massivement la ville avec leurs familles. Une tactique qui mettait les patriciens, dépendants de la plèbe, dans une position difficile et qui porta ses fruits pour la première fois en 495 avant notre ère. Cette grève visait le sévère homme d’État aristocratique Appius Claudius Sabinus Irregillensis et un droit réglementant les dettes, que l'on jugeait injuste. Ce n’est qu’après l’annulation de leurs dettes et l’octroi d’une partie du pouvoir patricien à un tribun du peuple représentant la plèbe que les grévistes revinrent à Rome et reprirent le travail. La secessio plebis, utilisée avec succès en 449 et 287 avant notre ère, s’imposa comme un puissant moyen de pression permettant aux plébéiens d’obtenir davantage de droits et de lois en faveur du peuple.

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Durant le Moyen Âge tumultueux, l’Europe fut le théâtre de tensions socio-économiques récurrentes. Le comté de Flandre et le duché de Brabant se distinguèrent particulièrement par une agitation sociale qui, dans certains cas, déboucha sur de véritables révoltes. Jusqu’à la fin du 14ème siècle, lorsque les comtes de Flandre et les ducs de Brabant commencèrent à accorder des privilèges à leurs villes, les tensions politiques et sociales s’intensifièrent. La concentration de population, de pouvoir et de capitaux entraîna des conflits fréquents. Associé à une prise de conscience politique croissante, ce contexte donna naissance à une tradition quasi révolutionnaire dans les villes flamandes et brabançonnes, où la grève devint une arme redoutable. Dès 1240, on observe, notamment dans les grandes villes, les premières grèves. Les travailleurs – en particulier les fileurs, foulons, tisserands et teinturiers – mirent en place des bussen, sortes de caisses de solidarité destinées à venir en aide aux familles de compagnons décédés. Les autorités, craignant qu’elles ne servent aussi de caisses de grève, interdirent ces fonds. Cette crainte était fondée: après 1302, les guildes et corporations gagnèrent non seulement en autonomie, mais aussi en pouvoir politique. Elles soumirent des pétitions ou des lettres de doléances aux autorités et organisèrent des manifestations. Ces actions étaient souvent suivies de grèves ou de takehans, des confrontations directes avec les pouvoirs en place. Lorsqu’un arrêt de travail se produisait, on parlait de ledichganck. Parfois, les travailleurs organisaient une uutganck, une « sortie » massive vers une autre ville, comme les plébéiens romains lors de la secessio plebis. Pour éviter l’anarchie et le chaos, les villes conclurent des accords interdisant l’accueil d’ouvriers en grève venus d’ailleurs.

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Sous l’Ancien Régime, la grève demeura un instrument de lutte sociale. L’exemple le plus célèbre est celui des grèves du printemps 1717 à Gand, Anvers, Malines et Bruxelles contre les nouvelles taxes exorbitantes imposées par les autorités de Vienne à nos provinces. À Bruxelles, les doyens des nations et des guildes invoquèrent les anciens privilèges urbains pour rejeter catégoriquement ces impôts. Lorsque cette vague de grèves menaça de se transformer en révolte ouverte, la ville fut occupée par les troupes impériales et une répression brutale s’ensuivit. Cela n’empêcha pas une nouvelle grève en 1719, accompagnée d’émeutes. Pour rétablir l’ordre, cinq doyens des corporations bruxelloises furent emprisonnés pendant six mois, et l’un d’eux, Frans Anneessens, âgé de 60 ans, fut décapité sur la Grand-Place le 19 septembre 1719 pour son rôle de leader dans les troubles.

Les grèves furent totalement interdites par Napoléon Bonaparte, qui exécrait l’agitation sociale. Peu après la Révolution française, le 14 juin 1791, la loi Le Chapelier fut adoptée en France, supprimant les guildes et autres organisations professionnelles, interdisant les syndicats et criminalisant les grèves. Après l’occupation française de nos territoires, cette loi fut intégrée dans le Code Napoléon et appliquée ici aussi.

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Dans la jeune Belgique, la loi Le Chapelier fut largement considérée – à juste titre – comme une atteinte au droit constitutionnel d’association et fut abrogée le 25 mai 1867. Cela ne signifiait cependant pas que les grèves étaient tolérées: l’article 310 du code pénal, qui remplaça la loi Le Chapelier, rendait toujours les grèves illégales. Cela n’empêcha pas la première vague de grèves, entre 1868 et 1880, souvent réprimée avec violence par la gendarmerie, l’armée et la garde civique. Ces confrontations sanglantes firent de nombreux morts.

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Avec la fondation du Parti Ouvrier Belge (POB) en 1885, la véritable organisation du mouvement ouvrier commença. Cette structuration exerça sans doute une pression supplémentaire, mais n’apporta pas immédiatement d’amélioration des conditions de travail ni des salaires, parmi les plus bas d’Europe.

Au fil des décennies suivantes, les syndicats eurent de plus en plus recours aux grèves générales ou massives, qui devinrent une composante essentielle de l’histoire sociale du pays. Les grèves générales de 1886, 1893, 1902, 1913, 1936, 1941, 1950, 1960-61 et 1993 mobilisèrent de larges pans de la population active. Ces actions débouchèrent souvent, mais pas toujours, sur des avancées sociales significatives.

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lundi, 03 mars 2025

Comment la CIA est à l'origine du commerce moderne de la drogue en Amérique

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Comment la CIA est à l'origine du commerce moderne de la drogue en Amérique

Source: https://dissident.one/hoe-de-cia-de-moderne-drugshandel-i...

Cette semaine, des responsables anonymes ont informé les principaux médias américains du nouveau rôle « bienveillant » de la CIA: faire voler des drones MQ-9 Reaper au-dessus du Mexique pour espionner les cartels de la drogue. Qu'est-ce qui cloche avec ce narratif?

Ces rapports soigneusement rédigés, publiés à 24 heures d'intervalle, interviennent après que le département d'État a désigné huit grands réseaux de trafiquants de drogue latino-américains comme « organisations terroristes mondiales », rapporte Sputnik.

Malheureusement pour la CIA, toute personne un tant soit peu familiarisée avec ses activités sait que l'agence est un allié plutôt qu'un ennemi des trafiquants de drogue qui sèment la violence et la mort dans les communautés américaines.

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En 1985, le scandale Iran-Contra a éclaté au grand jour. Il a révélé que l'administration Reagan avait facilité des ventes secrètes d'armes à l'Iran pour financer les rebelles au Nicaragua. En outre, la CIA a été impliquée dans le trafic de cocaïne de la Contra vers les États-Unis.

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En 1996, le journaliste d'investigation Gary Webb a confirmé, après avoir travaillé de manière indépendante et fourni une étude détaillée, les allégations selon lesquelles l'épidémie de crack dans les quartiers défavorisés des États-Unis était liée à des trafiquants de drogue bénéficiant de la protection de la CIA.

Le gouvernement fédéral et les principaux médias américains ont enquêté sur le reportage de Gary Webb, mais toute information sur l'implication de la CIA a été balayée. Webb a été retrouvé mort à son domicile en 2004, tué de deux balles dans la tête. Sa mort a été considérée comme un suicide.

L'affaire Iran-Contra n'était qu'une petite partie de l'empire mondial de la CIA en matière de trafic de drogue. Examinons d'autres faits avérés:

Paul Helliwell, avocat, banquier, officier de l'OSS et de la CIA, a été qualifié de « pionnier du trafic de drogue de la CIA ».

En 1962, Paul Helliwell a fondé la Castle Bank & Trust aux Bahamas pour soutenir les opérations de la CIA contre le Cuba de Castro et d'autres forces anti-américaines en Amérique latine. Auparavant, il avait dirigé Overseas Supply, une société écran de la CIA qui faisait passer en contrebande de l'opium de Birmanie pour financer une sale guerre contre la Chine.

Le scandale des Bahamas a éclaté en 1973 lors d'une enquête de l'IRS sur des fraudes fiscales, au cours de laquelle Richard Nixon a tenté de couper les ailes de la CIA en créant la Drug Enforcement Agency (DEA). Certains pensent que cette initiative, combinée à l'obsession de Nixon pour l'assassinat de JFK, est à l'origine du Watergate et de la démission ignominieuse du président en 1974 (Nixon savait pour les Juifs, il est plus probable que ce soit la raison - Dissident).

Barry Seal, célèbre trafiquant américain de drogue et d'armes, a passé de la drogue en contrebande pour le compte du cartel de Medellin et a été recruté comme agent double, selon les autorités américaines. Mais le journaliste d'investigation Alexander Cockburn et d'autres ont affirmé que Seal était un agent de la CIA depuis la Baie des Cochons et la guerre du Vietnam, et qu'il était impliqué dans la collaboration avec les Contras.

En 2017, Juan Pablo Escobar, fils du tristement célèbre fondateur du cartel de Medellin, a confirmé que son père « travaillait pour la CIA » et a affirmé que de la drogue était passée en contrebande, par Seal et d'autres, directement vers une base militaire américaine en Floride.

Le journaliste indépendant Manuel Hernandez Borbolla a documenté la formation de grands cartels mexicains sous l'égide de la Direction fédérale de la sécurité, que le journaliste a décrite comme étant « pratiquement des employés de la CIA, ainsi que certains anciens présidents mexicains ».

Les liens étaient si complexes, rappelle Hernandez Borbolla, que le célèbre agent de la CIA Felix Ismael Rodriguez était présent lorsque des membres du cartel de Guadalajara ont torturé et tué l'agent de la DEA Kiki Camarena en 1985, après avoir découvert des activités de contrebande de drogue et d'armes liées aux Contras.

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La CIA aurait également été impliquée dans le meurtre, en 1984, du journaliste mexicain Manuel Buendia, qui enquêtait sur le trafic de drogue de la CIA et l'implication de fonctionnaires corrompus.

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En 2012, le journaliste chilien Patricio Mery a découvert un complot de la CIA visant à faire passer de la cocaïne de la Bolivie vers le Chili, l'Europe et les États-Unis. Il voulait ainsi récolter des fonds pour financer des opérations de déstabilisation du gouvernement du président équatorien Correa.

La CIA n'est d'ailleurs pas la seule agence américaine à trois lettres impliquée dans le trafic de drogue et la coopération avec les cartels de la drogue.

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En 2010, le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (communément appelé ATF) a été accusé d'avoir « délibérément permis à des marchands d'armes agréés de vendre des armes à des acheteurs de paille illégaux, dans l'espoir de remonter jusqu'à des chefs de cartels mexicains et de les arrêter », sans qu'aucune arrestation n'ait jamais eu lieu. L'affaire, communément appelée « Opération Fast and Furious », a été qualifiée par Forbes d'être un « Watergate » potentiel pour l'administration Obama.

Quelques années plus tard, El Universal a publié des documents judiciaires montrant que la DEA a coopéré avec le cartel de Sinaloa, dirigé par Joaquin « El Chapo » Guzman, entre 2000 et 2012. La DEA a ainsi fermé les yeux sur l'introduction clandestine de drogues aux États-Unis en échange d'informations sur les cartels rivaux.

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jeudi, 27 février 2025

Les relations entre les grandes puissances à l'aube du nouveau millénaire

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Les relations entre les grandes puissances à l'aube du nouveau millénaire

L'ère des puissances hégémoniques et maritimes [1500 - 2000] touche à sa fin

par Youri Tavrovski

Source: https://unser-mitteleuropa.com/160279

Le décès du président américain Jimmy Carter le 29 décembre 2024 nous rappelle à nos souvenirs de l'ancien « mariage de raison » entre la Chine et les Etats-Unis. Tout a commencé en 1979 avec la visite aux États-Unis de Deng Xiaoping, le président du conseil militaire du comité central du Parti communiste chinois.

Un mois seulement après avoir été confirmé comme premier homme de facto de la Chine lors du 3ème plénum du 11ème Comité central du Parti communiste chinois, qui s'était tenu du 18 au 22 décembre 1978, Deng Xiaoping s'est rendu à Washington. Il s'agissait de la première visite d'un dirigeant chinois aux États-Unis depuis la proclamation de la République populaire de Chine en 1949.

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Deng Xiaoping disposait du soutien des dirigeants de son pays pour mettre en œuvre une série de réformes qui nécessitaient également une aide extérieure et qui ont été connues par la suite sous le nom de « socialisme à la chinoise »:

    - L'Union soviétique a aidé Mao Zedong à jeter les bases d'un système socialiste.

    - Selon Deng Xiaoping, les États-Unis devaient contribuer à compléter l'économie socialiste par une économie capitaliste et à ouvrir le marché mondial à la Chine.

Lors de sa rencontre à Washington, Deng Xiaoping a fait au président américain Jimmy Carter « une offre qu'il ne pouvait pas refuser » :

    - Mettre en place un « front mondial anti-hégémonique » contre l'URSS et ses alliés !

La construction de ponts entre Washington et Pékin avait commencé au début des années 1970 avec la diplomatie dite du « ping-pong ». Elle a été couronnée par la visite du président Richard Nixon [et de Henry Kissinger] en Chine et sa rencontre avec Mao Zedong. Pour diverses raisons, ce « mariage » n'a toutefois pas permis d'obtenir des résultats tangibles immédiats.

La visite de Deng s'est étalée sur plusieurs jours. Un point particulier du programme, comme la visite de Deng au quartier général de la CIA, n'a toutefois pas été rendu public :

    - Il a été convenu de faire installer des stations d'écoute américaines dirigées contre l'URSS dans le nord-ouest de la Chine.

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L'accord proposé par Deng Xiaoping dans son ensemble était si vaste que cinq sommets et des dizaines de réunions de diplomates de haut niveau ont été nécessaires. Des documents importants ont été signés, tels que :

    - le traité de coopération scientifique et technique;

    - le traité de coopération culturelle.

Les deux pays ont convenu de coopérer dans les domaines de l'éducation, du commerce et de l'espace. Les chefs d'État ont également convenu de compléter les relations diplomatiques établies en décembre 1978 par des relations consulaires et d'établir des consulats généraux.

La preuve la plus éloquente de la décision de la RPC de se ranger du côté du camp impérialiste dans la résistance contre le monde socialiste sera la guerre de la Chine contre le Vietnam:

    - La guerre sino-vietnamienne du 17 février au 16 mars 1979 a commencé deux semaines après le retour de Deng Xiaoping des Etats-Unis le 17 février 1979 !

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La formule de « partenariat raisonnable » créée par Jimmy Carter et Deng Xiaoping correspondait aussi bien aux intérêts nationaux des États-Unis qu'à ceux de la RPC et a tenu pendant environ trois décennies.

Avec l'aide de l'Occident, la Chine a élargi son potentiel économique, mais « est restée dans l'ombre » [des États-Unis], sans mener de politique étrangère indépendante. Dans le même temps, Pékin soutenait ouvertement ou non l'Occident dans sa confrontation avec l'Union soviétique. Cela a contraint Moscou à se préparer à une guerre sur deux fronts.

Finalement, Deng Xiaoping a mis Jimmy Carter au pied du mur: avec l'aide des États-Unis et de tout l'Occident, lui et ses partisans ont fait du pays la deuxième économie mondiale. Washington n'a pris conscience de ces conséquences inattendues du « mariage de raison » que sous la présidence de Barack Obama. Après s'être rendu à Pékin en 2009, Obama a proposé de créer une nouvelle architecture des puissances selon une formule dite «G-2»:

    - Cela aurait été l'équivalent d'une domination commune américano-chinoise sur le monde, mais avec les États-Unis à sa tête !

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Cette formule a été rejetée par la Chine et le soi-disant « endiguement » de la Chine allait bientôt être proclamé [par l'Occident]:

La stratégie américaine « Pivot to Asia » [Pivot vers l'Asie] a été lancée, qui prévoyait la concentration des forces globales des États-Unis et de leurs alliés dans la région du Pacifique. L'accord de partenariat transpacifique (TTP) devait isoler l'Empire du Milieu sur le plan commercial et économique afin de tenir à l'écart la première puissance commerciale de la région et du monde, c'est-à-dire la Chine.

Ces stratégies n'ont toutefois jamais été entièrement mises en œuvre en raison de l'implication des États-Unis dans des conflits dans différentes parties du monde. Dans le même temps, un affrontement entre les anciens participants au « mariage de raison » semblait inévitable :

    - Le « divorce avec fracas » a commencé en 2018, lorsque le président Donald Trump a fait adopter le premier grand train de sanctions contre les marchandises chinoises !

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La Chine a répondu « point par point » et une guerre commerciale a suivi son cours. Au cours des années suivantes, sous l'administration de Donald Trump et de son successeur Joseph Biden, la confrontation a pris les proportions d'une guerre froide à part entière et s'est même étendue aux sphères militaire, financière, technologique et humanitaire. La confrontation a été exacerbée par la direction actuelle du Parti communiste chinois, dirigée par Xi Jinping: « Xi a corrigé la politique de Deng Xiaoping, qui consistait à faire pression sur les pays occidentaux pour qu'ils adoptent une attitude plus ouverte à l'égard de la Chine:

- soit approvisionner les marchés occidentaux en marchandises chinoises bon marché, au détriment de l'exploitation de son propre peuple, d'une politique étrangère passive et de la méfiance envers Moscou.

A la fin du mandat de Joseph Biden, les relations entre les Etats-Unis et la Chine avaient atteint leur niveau le plus bas depuis la rencontre entre Jimmy Carter et Deng Xiaoping.

Washington, initiateur de cette dégradation constante des relations, ne semble pas prêt à accepter la perte de sa position d'hégémon mondial.

Pékin, en revanche, continue de proposer sa formule de « relations entre grandes puissances », à l'image des relations sino-russes, qui prévoient l'égalité dans les relations bilatérales et internationales ainsi que des responsabilités d'égal à égal en ce qui concerne le destin du monde.

Jimmy Carter et Deng Xiaoping ont gagné leur place dans l'histoire comme symboles de la possibilité de revirements soudains entre grandes puissances.

Mais seul l'avenir nous dira si, comme l'a dit Xi Jinping, « des changements grandioses, comme on n'en a pas vu depuis 100 ans », attendent l'humanité à l'avenir.

lundi, 10 février 2025

Précurseur du syndicat mondial du crime: le commerce de l'opium au 19ème siècle

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Précurseur du syndicat mondial du crime: le commerce de l'opium au 19ème siècle

Source: https://dissident.one/voorloper-van-het-wereldwijde-misda...

Le commerce de l'opium chinois au 19ème siècle a joué un rôle déterminant dans la formation première du syndicat mondial du crime, en le faisant passer à la vitesse supérieure. Selon Russ Winter, il s'agit du modèle idéal d'exploitation criminelle, permettant l'intelligence de l'État profond, et du pillage massif pour lancer, enrichir et connecter les précurseurs du système d'aujourd'hui.

Récapitulons : au cours du premier quart du 19ème siècle, les Britanniques se trouvaient dans une situation désespérée car ils ne pouvaient fournir des biens échangeables aux Chinois. La Chine ne s'intéressait qu'à l'or et à l'argent.

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Sassoon & Sons

C'est là qu'intervint le peu scrupuleux David Sassoon (1792-1864), un négociant juif de Bombay, qui développa le commerce de l'opium. Cette culture de rente convenait parfaitement aux conditions qui régnaient alors aux Indes, notamment au Bengale et à Madras. Sassoon envoya ses agents en Chine et, finalement, ses six fils, qui se révélèrent d'impitoyables criminels, habiles à mener à bien les pillages adéquats. Ils se sont transformés ainsi en « Rothschild de l'Orient ».

Il est d'ailleurs évident que Wikipédia a été nettoyé de fond en comble par « quelqu'un », puisque le rôle de Sassoon dans la création du fonds de l'opium (coté en bourse) de Shanghai n'est que brièvement mentionné. La quasi-totalité du texte est consacrée au filage du coton indien par Sassoon avec l'aide d'esclaves. Une version plus précise est disponible sur Wikispooks.

En réalité, Sassoon et ses agents ont lancé le marché chinois de l'opium en Chine. Comme l'admet sans hésitation l'Encyclopédie juive, ils avaient le monopole du commerce de l'opium en Chine et au Japon. La dite encyclopédie poursuit en disant que Sassoon dut son grand succès à l'utilisation de ses fils comme agents.

Bien entendu, les Britanniques étaient impliqués dans l'affaire et complètement corrompus. Au début, le transbordement vers la Chine était assuré par des entreprises britanniques, telles que Jardine Matheson & Co.

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La première guerre de l'opium a fait de la distribution et de l'exploitation des drogues psychotropes la pierre angulaire de la politique impériale britannique. Quiconque en douterait n'a qu'à se pencher sur cette déclaration de principe faite par Lord Palmerston dans un communiqué de janvier 1841 adressé à Lord Auckland, alors gouverneur général de l'Inde:

"La rivalité des fabricants européens exclut rapidement nos productions des marchés européens, et nous devons essayer sans relâche de trouver de nouveaux débouchés pour notre industrie (c'est-à-dire l'opium - ndlr) dans d'autres parties du monde... Si nous réussissons notre expédition en Chine, l'Abyssinie, l'Arabie, les pays de l'Indus et les nouveaux marchés de la Chine permettront, dans un avenir proche, une extension très importante de la portée de notre commerce extérieur".

En 1839, cette opération criminelle de drogue avait réduit en esclavage et zombifié environ cinq à dix millions de Chinois et avait fait reculer les conditions sociales et économiques de ce pays de plusieurs siècles. Il s'agissait de l'une des meilleures stratégies de division et de conquête jamais conçues par le syndicat mondial du crime.

L'opium était interdit en Chine et l'empereur mandchou n'a pas cédé à la propagation de l'épidémie d'opiomanie sans se battre. Au contraire, il a adopté une approche vigoureuse du phénomène criminel en déversant une fortune en opium marchand dans la baie de Canton et en détruisant les installations de production.

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Sassoon et sa bande ont ensuite fait pression avec succès pour obtenir une intervention militaire. La Grande-Bretagne a envoyé un corps expéditionnaire depuis l'Inde pour intervenir en Chine et a ravagé le littoral chinois au cours d'une série de batailles. Elle finit par dicter les termes d'un accord.

Le traité de Nankin de 1842 a ouvert la voie à une nouvelle expansion du commerce de l'opium, qui s'est poursuivi jusqu'à ce que les communistes maoïstes y mettent un terme un siècle plus tard. À un moment donné, on a estimé qu'au moins 30 millions de Chinois étaient dépendants de l'opium.

En outre, la Grande-Bretagne s'est emparée du territoire de Hong Kong, a fixé unilatéralement les droits de douane chinois à un faible niveau (procédé qui est également connu sous le nom de « libre-échange ») et a fait empocher aux « commerçants » de Canton 3 millions de dollars en compensation de la perte de leurs biens illégalement acquis.

Les affaires de la famille Sassoon se sont ensuite installées à Hong Kong, où elles se développèrent dans le domaine de la banque d'affaires. Plusieurs négociants en opium créèrent la Hong Kong and Shanghai Bank. Avec le temps, la banque - aujourd'hui connue sous le nom de HSBC - étend son champ d'action à la drogue du Moyen-Orient et de l'Amérique latine.

Au cours du 19ème siècle, les familles britanniques Matheson, Keswick, Swire, Dent, Inchcape et Baring, ainsi que les familles Sassoon et Rothschild contrôlent le commerce de la drogue en Chine.

En 1887, les grands clans Sassoon et Rothschild fusionnent par intermariage. Ils opèrent alors depuis Londres, où ils se mêlent à l'aristocratie britannique (à la City of London), sont anoblis et continuent à financer et à promouvoir les mouvements bolchevique et sioniste et Dieu sait quoi d'autre encore.

Le butin revient aux vainqueurs et, au fil du temps, la véritable histoire du commerce de l'opium a été blanchie et occultée par ces puissants intérêts. Ils se sont étendus au contrôle des médias, ce qui explique aujourd'hui la nature criminelle de cette influence à laquelle on ne peut se fier et que je documente constamment.

Il m'est impossible de faire le tour de ce sujet dans cet article introductif, mais je pense qu'il faut au moins prendre conscience de nos intuitions de base sur la façon dont le monde fonctionne. À maintes reprises, vous constaterez que ces acolytes du Syndicat du crime occupent des postes de premier plan dans les services de renseignement et la finance. Depuis sa création, Israël en a abrité de nouvelles manifestations.

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Après avoir essuyé des vents contraires de façon constante, les Britanniques ont mené une deuxième guerre de l'opium en Chine de 1856 à 1860. Avec le temps, l'opium a été cultivé en Chine même, en particulier dans la province du Sichuan, ce qui a permis à une nouvelle génération d'entreprises criminelles de se développer. Cette deuxième guerre a ouvert le marché à de nouveaux acteurs.

Dans un style typiquement moderne, une « campagne de marketing » du syndicat du crime a vu le jour, présentant la consommation d'opium comme un passe-temps à la mode, voire comme un art de vivre sophistiqué. Les opiacés ont joué un rôle important dans le lancement d'un certain nombre de sociétés pharmaceutiques internationales.

Les Américains entrent en scène

La déstabilisation de la Chine et la construction des chemins de fer dans l'ouest des États-Unis ont ouvert la voie à la traite des êtres humains (Shanghai'ing, comme ils l'appelaient) et à l'expansion du commerce de l'opium chinois par les Américains. Les familles américaines Perkins, Astor et Forbes ont gagné des dizaines de millions grâce au commerce de l'opium. Les Perkins ont fondé la Bank of Boston, connue aujourd'hui sous le nom de Crédit Suisse.

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William Hathaway Forbes (photo) était directeur de la Hong Kong Shanghai Bank peu après sa création en 1866. John Murray Forbes était l'agent américain de la famille bancaire Barings, qui finançait la majeure partie du commerce de la drogue à ses débuts. Les héritiers de la famille Forbes ont ensuite lancé le magazine Forbes. J'ai également écrit sur la lignée des secrétaires d'État de la famille John Forbes Kerry.

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Le grand-père du président américain Franklin Delano Roosevelt, Warren Delano (photo), s'est enrichi grâce au trafic d'opium en Chine. Comme le secrétaire d'État américain John Forbes Kerry, FDR a prétendu ne rien savoir à ce sujet.

Le cloaque des « personnes connectées », issues de ce cartel de l'opium composé de l'élite britannique, des brahmanes américains et des Sassoon-Rothschild, est profond et s'est étendu jusqu'à aujourd'hui. Ayant à peine effleuré le sujet, je constate aujourd'hui que je n'ai pas pleinement apprécié le rapport entre l'opium et certains liens de sang.

Est-ce une simple coïncidence si tant de personnes influentes au niveau mondial sont aujourd'hui issues de cette ancienne lignée, spécialisée en activités criminelles ? Il n'y a rien à voir ici, circulez...

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À propos de l’Ère dorée

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À propos de l’Ère dorée

par Georges Feltin-Tracol

Pendant son discours d’investiture du 20 janvier dernier, Donald Trump a plusieurs fois évoqué l’« Ère dorée » des États-Unis. Extraite d’une citation de l’écrivain Mark Twain, cette expression - « Gilded Age » en anglais – équivaut à peu près outre-Atlantique à la « Belle Époque » en Europe occidentale, nonobstant la non-coïncidence des dates.

Cette période charnière de l’histoire des États-Unis commence, selon certains historiens, au lendemain de la Guerre de Sécession avec le temps de la « Reconstruction » (1865 – 1877). Elle s’achève en 1913 à l’entrée en fonction du président démocrate Thomas Woodrow Wilson. Trois phénomènes répétitifs caractérisent ce moment déterminant : une grande instabilité économique due à des crises bancaires fréquentes, de graves conflits sociaux et une expansion territoriale qui s’extrait des mythes de la « Frontière » et de l’« Ouest sauvage ». Le président Andrew Johnson acquiert par exemple en 1867 l’Alaska à la Russie. Le 24 septembre 1869, New York pâtit d’un « vendredi noir », pourvoyeur de faillites d’entreprises en raison d’une spéculation massive sur l’or. Les économistes rappellent volontiers une terrible dépression économique de 1873 à 1896 visible par la fermeture soudaine de nombreuses banques.

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Aux temps de la « Reconstruction » apparaissent les premiers trusts. Intéressé dès 1870 par l’« or noir », John David Rockefeller fonde la Standard Oil. Le succès est si grand qu’en 1892, Rockefeller détient une quarantaine de sociétés souvent en situation de monopole au point qu’en 1900, on le considère comme l’homme le plus riche du monde. De nos jours, ce ne sont plus les hydrocarbures, mais bien la high tech qui permet d’amasser des fortunes colossales. L’« Ère dorée » excite l’appât du gain et stimule le succès rapide. Outre le pétrolier Rockefeller, mentionnons d’autres capitaines d’industrie sans foi ni loi qui construisent des entreprises monopolistiques. Ainsi Jay Gould et Cornelius Vanderbilt investissent-ils dans les chemins de fer et le transport fluvial. Pour sa part, JP Morgan lance un cartel de l’acier dans le cadre de l’United States Steel Corporation. D’autres (James Buchanan Duke, William Andrews Clark ou Marshall Field) font fortune dans le tabac, l’électricité ou l’exploitation du cuivre. La plupart se fait connaître sous le sobriquet de « barons-voleurs » parce qu’ils n’ont aucun scrupule et s’offrent au moyen de la corruption la presse, la politique et la justice.

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L’affirmation de cette véritable oligarchie ploutocratique ne bénéficie pas au plus grand nombre. L’écart entre les revenus est gigantesque et une ambiance de chaos s’installe partout, en particulier dans les mines et dans les usines. Les États-Unis connaissent alors une série de grèves violentes et d’émeutes sanglantes (une vingtaine de morts aux aciéries de Homestead) ainsi que des krach boursiers retentissants. Celui du 27 juin 1893 ouvre quatre longues années de marasme économique. Dans ce contexte difficile, le militantisme syndical se développe en parallèle aux revendications socialistes et à l’agitation libertaire. Des anarchistes assassinent en 1881 le président Garfield, puis, en 1901, le président McKinley. Ces attentats heurtent une opinion publique volatile et incandescente. Dans le même temps, dans l’Ouest émerge un troisième parti, le parti populiste. Le dynamisme des populistes, des socialistes et des syndicalistes n’entame pourtant pas l’hégémonie du parti républicain sur la présidence des États-Unis.

La domination républicaine est presque totale sur quarante-cinq ans. Entre 1869 et 1913, huit républicains logent à la Maison Blanche : Ulysses Grant (1869 – 1877), Rutherford Birchard Hayes (1877 – 1881), James Abram Garfield (1881), Chester Alan Arthur (1881 – 1885), Benjamin Harrison (1889 – 1893), William McKinley (1897 – 1901), Theodore Roosevelt (1901 – 1909) et William Howard Taft (1909 – 1913). Le seul président démocrate s’appelle Grover Cleveland. 22e  président de 1885 à 1889, il perd en 1888 face à Benjamin Harrison, petit-fils du 9e président, William Henry Harrison décédé en 1841 après un mois de présidence. William Harrisson avait tenu que son investiture se fît en extérieur malgré un temps détestable. Il attrapa une pneumonie mortelle. En 1892, Cleveland bat Harrisson et devient le 24e président de 1893 à 1897.

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La mainmise des républicains sur l’appareil administratif fédéral facilite l’épuration systématique des fonctionnaires de sensibilité démocrate. Elle incite aussi à adopter des mesures protectionnistes justifiées par l’ardente obligation de maintenir le niveau de vie des travailleurs étatsuniens. Le tarif McKinley de 1890 donne au chef de l’État le pouvoir d’imposer des droits sur le sucre, les mélasses, le thé, le café et les peaux exportées par un État qui imposerait des droits sur les produits made in USA. En 1909, Taft approuve le tarif douanier Payne – Aldrich qui institue un minimum et un maximum en matière de taux pour les importations. La soumission des républicains aux trusts n’empêche pas des réactions salutaires. Le sénateur républicain de l’Ohio John Sherman fait adopter en 1890 le Sherman Act contre les monopoles économiques qui faussent la concurrence. Si les effets de cette loi ne se manifestent pas immédiatement, elle contraint néanmoins en 1900 l’homme le plus riche du monde, John David Rockefeller, à diviser son empire en trois sociétés distinctes. À l’initiative du président Theodore Roosevelt, l’État, le patronat et les syndicats commencent à se concerter, d’où quelques avancées sociales non négligeables pour les seuls salariés WASP. En revanche, les Afro-Américains et les immigrés récents (Irlandais et Italiens) en sont écartés.

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L’« Ère dorée » contribue à la réflexion géopolitique de l’amiral Alfred Mahan (1840 – 1914). Sa vision thalassocratique mondiale s’appuie sur la construction, dans l’océan Pacifique, d’un domaine maritime qui demeure en 2025 le premier au monde. Déjà en 1857 – 1858, l’US Navy s’était emparée dans le Pacifique central et méridional de l’atoll Baker et des îles Howland et Jarvis riches en guano. En 1867, les États-Unis prennent possession des îles Midway dans le Pacifique Nord. Dès 1898, Washington ordonne l’occupation de Hawaï qui est annexé sept ans plus tard. La même année, suite à une manipulation de l’opinion sous faux-drapeau, éclate la guerre contre l’Espagne. Au traité de Paris de 1898, Cuba s’affranchit de la tutelle espagnole pour devenir un protectorat étatsunien. Les États-Unis versent à Madrid vingt millions de dollars pour obtenir la pleine souveraineté sur les îles micronésiennes de Wake et Guam, Porto Rico dans les Antilles et les Philippines. Le 2 novembre 1899, Washington et Berlin se partagent toujours dans le Pacifique les Samoa. À côté de la constitution d’un État panaméen émancipé de la Colombie et de la réalisation d’une zone du canal sous le contrôle direct des États-Unis, plusieurs interventions militaires yankees s’effectuent à Saint-Domingue en 1905, au Honduras en 1907, à Cuba et au Nicaragua en 1912 et même en Haïti en 1915.

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Aujourd’hui, l’accroissement de territoires vise le Groenland, le canal de Panama, le Canada, voire la planète Mars… La continuité est réelle ! Donald Trump synthétise la doctrine Monroe (1823) qui postule le droit impérieux des États-Unis à s’occuper de tout le continent américain, et la « Destinée Manifeste » aux forts relents messianistes planétaires, d’où un « exceptionnalisme » étatsunien assumé qu’on retrouve dans le passage toponymique du golfe du Mexique en golfe de l’Amérique. Souhaitons seulement que ce changement de nom attise l’annonce prochaine d’un troisième empire mexicain de San José au Costa Rica jusqu’à San Francisco en Californie.

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 142, mise en ligne le 5 février 2025 sur Radio Méridien Zéro.

14:13 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ère dorée, gilded age, états-unis, histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 02 février 2025

L’outre-mer danois d’hier à aujourd’hui

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L’outre-mer danois d’hier à aujourd’hui

par Georges Feltin-Tracol

Les revendications étatsuniennes sur le Groenland rappellent que cette immense île arctique dépend encore du royaume de Danemark. En effet, cet État se compose de trois pays constitutifs: le Danemark proprement dit, le Groenland et, en Atlantique Nord, l’archipel des Féroé.

Le Groenland et les Féroé disposent de leur propre gouvernement et d’un premier ministre distinct de celui de Copenhague. Le lien avec la couronne repose sur un haut-commissaire nommé. En outre, le Groenland et les Féroé ne sont pas membres de l’Union dite européenne. En théorie, la convention de Schengen sur la libre-circulation des personnes ne s’y applique pas. Ces deux territoires dotés d’une large souveraineté interne représentent les derniers vestiges d’un domaine ultra-marin bien méconnu.

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Longtemps, le Danemark fut une puissance scandinave et maritime de premier ordre. L’actuelle famille royale danoise de la branche cadette de la maison d'Oldenbourg, les Schleswig – Holstein – Sonderbourg – Glücksbourg, cousine avec les familles royales britannique et norvégienne. Souvent allié de la France, en particulier au temps de Napoléon Ier, le Danemark regarde plutôt vers l’Atlantique et la mer du Nord, lointaine réminiscence de l’empire nordique de Knut le Grand (985/995 – 1035) qui régnait sur le Danemark, la Norvège et l’Angleterre bien avant l’Union de Kalmar (1397 – 1438 ou 1448) regroupant le Danemark, l’Islande, la Norvège et la Suède. Avant de revenir à l’Écosse en 1468 – 1469, les îles Orcades et Shetland étaient danoises.

À partir de 1536 commence une longue période d’union personnelle entre le Danemark et la Norvège. Vers 1660 apparaît dans ces « royaumes – jumeaux » une structure étatique commune dans laquelle se pratiquaient les langues officielles danoise et allemande sans pour autant limiter l’emploi des autres langues vernaculaires.

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Le Groenland devient danois en 1397 et l’Islande en 1536. Le traité de Kiel en 1814 contraint Copenhague à céder la Norvège à la Suède d’un certain général Bernadotte désormais connu sous le nom de Charles XIV - Jean. Ainsi la Norvège eut-elle des monarques d’origine française jusqu’en 1905, année de la séparation pacifique et de son indépendance nationale.

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Le Danemark ne se contente pas des horizons boréaux. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des navires au service des compagnies commerciales coloniales privées parcourent les océans et fondent, le cas échéant, des postes marchands. La ville de Canton en Chine présente un quartier danois. Les Danois bâtissent vers 1618 au Bengale occidental en Inde Tranquebar et cinq autres comptoirs (dont Serampore) avant de s’emparer en 1756 des îles Nicobar en mer d'Andaman. En Afrique existe dans l’actuel Ghana la Côte-de-l’Or danoise, territoire que convoite la colonisation brandebourgeoise, c’est-à-dire de la future Prusse… Les Danois parcourent enfin la mer des Caraïbes et débarquent vers 1672 sur les îles Saint-Thomas, Saint-John et Sainte-Croix qui forment les îles Vierges danoises (à ne pas confondre avec leurs voisines, les îles Vierges britanniques). Ces trois îles antillaises relèvent alors de la Compagnie danoise des Indes Occidentales et de Guinée.

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Scandinavie, Atlantique Nord, océan glacial Arctique, mer du Nord, Extrême-Orient, Afrique du golfe de Guinée et Petites Antilles, l’expansion coloniale du Danemark est incontestable. Pourtant, les dirigeants montrent assez tôt une lassitude envers ce domaine d’outre-mer qui pourrait, tôt ou tard, leur poser problème. Le Danemark choisit alors de vendre ses territoires ultra-marins. La Grande-Bretagne achète en 1845 Tranquebar, en 1850 la Guinée danoise pour environ 50.000 livres anglaises, et en 1868 l’archipel des Nicobar. En 1917, Washington acquiert pour un montant de vingt-cinq millions de dollars les îles Vierges qui deviennent un territoire non incorporé des États-Unis d’Amérique.

La disparition de l’outre-mer danois se poursuit ensuite au gré des événements historiques. Les visées étatsuniennes sur le Groenland ne sont pas récentes. En 2019 et en 2024, Donald Trump ne fait que reprendre de vieilles revendications. Forts de l’achat de l’Alaska en 1867, les États-Unis proposent cette année-là au Danemark de lui vendre le Groenland et l’Islande. En 1946, le président Truman offre cent millions de dollars pour acquérir le seul Groenland.

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Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Groenland devient un point stratégique occidental crucial dans sa confrontation avec l’URSS. Les accords conclus avec le Danemark autorisent l’implantation de l’US Army qui y installe des missiles à têtes nucléaires. Territoire protégé dans le cadre de l’OTAN, le Groenland est de facto un protectorat des États-Unis. Libérée de toute tutelle danoise, Nuuk, la capitale groenlandaise, serait bien incapable d’adopter une neutralité complète. Plutôt que l’indépendance ou même l’intégration aux États-Unis, un statut d’État libre associé inspiré du cas de Porto Rico ne serait-il pas une solution plus réaliste ?

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Membre fondateur de l’Alliance Atlantique, l’Islande est le seul État de l’OTAN à ne pas avoir d’armée. En 1940, les Britanniques envahissent l’île afin de pouvoir mieux coordonner la lutte sous-marine. Ils sont suivis l’année suivante par les Étatsuniens. Cette occupation favorise l’émancipation envers le Danemark lui aussi occupé par les Allemands. En 1944, le royaume d’Islande dont le souverain est le roi de Danemark est aboli en faveur d’une république indépendante. Cette situation aurait aussi pu concerner les Féroé. En avril 1940, Churchill déclenche l’opération Valentin et permet l’invasion britannique de cet archipel. Cette occupation militaire jusqu’en septembre 1945 est si paisible que des soldats britanniques vont trouver des épouses parmi les Féringiennes. Cependant, à la différence de l’Islande sous influence yankee, Londres y réaffirme la souveraineté danoise. Les Britanniques empêchent les indépendantistes féringiens de rompre avec le Danemark en échange de l’autonomie obtenue dès 1948.

Ces derniers temps, l’idée de l’indépendance redevient tendance au Groenland et aux Féroé où se pratique toujours la chasse à la baleine. Le gouvernement danois n’exprime aucune hostilité à l’égard de l’indépendance peut-être prochaine de ses deux territoires d’outre-mer à la condition sine qua non que les deux futurs États, nonobstant leur indépendance nominale, demeurent dans le giron occidental. D’ailleurs, leurs faiblesses démographiques et économiques en font dès à présent des proies géopolitiques faciles, d’où une surveillance sourcilleuse permanente de la part de l’Oncle Sam et de Sa Gracieuse Majesté. 

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 141, mise en ligne le 28 janvier 2025 sur Radio Méridien Zéro.

mercredi, 22 janvier 2025

Il n'y a pas d'histoire sans philosophie

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Il n'y a pas d'histoire sans philosophie

Alexandre Douguine

L'histoire est une séquence de blocs sémantiques appelés « événements ». Ceux-ci comprennent des personnalités, des processus, des changements, des oppositions, des catastrophes, des réalisations, des paysages sur lesquels tout cela se déroule et, en fin de compte, tout ce riche bloc de réalité à plusieurs niveaux s'élève jusqu'à sa signification. Et la signification d'un événement, à son tour, est inextricablement liée à la signification d'autres événements. C'est ainsi que se tisse la trame de l'histoire. En même temps, le sens d'un événement inclut la richesse infinie de ce qui constitue sa nature, son fondement.

L'histoire est donc quelque chose de spirituel, qui ne se révèle qu'à l'esprit philosophique rompu à la pratique de la contemplation des idées. L'histoire est un concept philosophique et même théologique; ce n'est pas par hasard que l'on parle d'histoire sacrée, où le sens des événements est révélé par des dogmes et des axiomes religieux, qui à leur tour révèlent ces dogmes et ces axiomes de manière détaillée et riche.

Toute l'histoire est structurée comme l'histoire sainte. Seules les versions séculières ont des dogmes et des axiomes différents - athées et matérialistes. Ici, à la place de Dieu, de l'Alliance, de l'Incarnation, du Salut, de la Providence, de l'eschatologie, se trouvent les lois immanentes de la terre, de la société, de la bio- et physio-logie, de la lutte inter- et intra-espèces, du destin, du climat, de la technologie, de la volonté de puissance, des formations historiques, etc.

L'histoire n'existe pas en dehors d'un système religieux ou idéologique

L'histoire n'existe pas en dehors d'un système religieux ou idéologique. Nous sommes aujourd'hui sur la voie des Lumières historiques. Il y a tout un décret présidentiel à ce propos. Mais nous n'avons pas de décret sur l'idée russe et la philosophie russe. Cela reste facultatif. De même, l'histoire reste suspendue dans un vide dogmatique et axiomatique. Pour l'un, cet événement signifie une chose, pour l'autre une autre, un troisième nie la signification même de cet événement, un quatrième en nie la réalité. Et il est impossible de réduire de force ce chaos et cet arbitraire en quelque chose d'unifié par un décret portant sur la seule histoire. Dans le meilleur des cas, un modèle artificiel superficiel sera formé, qui ne vivra de toute façon pas, même s'il est imposé à tous.

Nous devons nous engager à fond dans la philosophie

Jusqu'à présent, les autorités n'y prêtent aucune attention et la société ne s'y intéresse pas. Or, la philosophie, c'est le travail sur le code de programmation de la société. C'est le travail des programmateurs spéciaux de l'Esprit. Si nous n'avons pas de programmateurs souverains de l'Esprit, toutes nos disciplines historiques, sociales et humanitaires seront créées en dehors de la Russie, ce qui signifie que nous ne pouvons pas parler de souveraineté. Si l'État-Civilisation n'a pas de philosophie souveraine, cette souveraineté n'est finalement qu'une fiction.

Les philosophes sont en charge du sens des événements. Cela signifie qu'ils gèrent aussi les événements eux-mêmes. Il n'y a d'histoire à part entière que dans la société où il y a une philosophie à part entière. Sinon, la société et le pays vivent à la périphérie d'une autre civilisation, extérieure, dont les codes sont définis à l'extérieur et restent incompréhensibles. L'absence de souveraineté fait d'une société sans philosophie, et sans histoire, une société contrôlée de l'extérieur.

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C'est pourquoi nous, Russes, n'avons pas de consensus sur les débuts de la Rus - sur les Slaves, Rurik, la tradition pré-chrétienne, l'acceptation du christianisme.

Nous n'avons pas de consensus sur l'État kiévien, ni sur sa fragmentation, ni sur les conquêtes mongoles et l'existence de la Russie en tant que partie de l'empire de Gengis Khan et de la Horde d'or.

Nous n'avons pas de consensus sur Ivan le Terrible, la zemshchina, l'oprichnina et la théorie de Moscou-Troisième Rome. L'interprétation de la relation de notre Église avec le Phanar n'est pas claire.

Nous n'avons pas de consensus sur les premiers Romanov, et nous comprenons encore moins le schisme russe.

Nous avons une divergence d'opinion totale sur le 18ème siècle pétrinien.

Nous n'avons pas de vision commune du 19ème siècle et de son tournant conservateur. La querelle entre slavophiles et occidentaux est réduite à peu de choses, elle est abandonnée, bien qu'elle ne soit pas terminée.

Il n'est pas surprenant que nous n'ayons pas de consensus sur les événements de 1917. Aujourd'hui, nous ne comprenons apparemment pas la signification de ces événements et sommes enclins à croire qu'ils n'ont pas eu lieu du tout.

Nous ne comprenons pas du tout pourquoi l'URSS a pris fin et comment il se fait que les années 90 ont commencé et que le pays s'est effondré et a perdu sa souveraineté, se transformant en une colonie de l'Occident.

Nous ne comprenons pas comment et d'où vient Poutine en tant que phénomène historique. Nous comptons beaucoup sur lui, mais nous ne sommes pas en mesure de l'expliquer ou de l'interpréter, ni de comprendre les conditions qui ont conduit à son règne. Je veux dire dans le contexte historique où la philosophie fonctionne.

Nous ne comprenons pas la raison d'être de Medvedev, ni ce qu'il fait aujourd'hui sur son canal Telegram.

Nous ne comprenons pas bien pourquoi nous avons commencé l'Opération militaire spéciale en 2022 et pourquoi nous ne l'avons pas fait en 2014. Il n'y a pas de consensus. Chacun à sa manière de voir et d'interpréter l'événement.

Personne n'est déconcerté par le fait qu'au cours des 40 dernières années, presque la même élite russe a changé à plusieurs reprises d'idéologie pour en adopter une autre, mais avec une apparence intelligente et importante, aujourd'hui grise et décrépite, elle continue à enseigner au peuple aveugle quelque chose qui lui est propre et que l'on ne comprend guère. Nous ne pouvons expliquer à personne, et d'abord à nous-mêmes, comment un membre du Komsomol devient un libéral, et un libéral devient un anti-libéral et un patriote, et ensuite, très probablement, un libéral et un anti-patriote à nouveau. La seule clé d'interprétation dont nous disposons est la célèbre chanson de la popstar Instasamka (photo).

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Mais à partir de tout cela, il est tout simplement impossible de tresser le tissu spirituel de l'histoire russe. Et une nation qui n'a pas d'histoire n'a pas d'avenir. Or, l'avenir est aussi l'histoire, sa dimension nécessaire.

Dans un récit de Yuri Mamleyev, il y avait un personnage, une femme victime de violence, qui, lorsque le juge lui demandait s'il y avait eu violence ou non, bégayait soudain et répondait une seule phrase étrange : « C'est tombé tout seul ». C'est à cela que ressemble notre histoire: quelque chose est tombé tout seul. On ne sait pas très bien quoi, quand, où, qui l'a poussé, pourquoi... Mais ce n'est pas ce qu'est l'histoire. Ce n'est pas du tout cela.

mardi, 07 janvier 2025

Le fascisme et la psychanalyse

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Le fascisme et la psychanalyse

Par Chiara (Blocco Studentesco)

Source: https://www.bloccostudentesco.org/2024/12/06/bs-fascismo-e-psicanalisi/

« À Benito Mussolini, avec les salutations respectueuses d’un vieil homme qui reconnaît dans le détenteur du pouvoir un héros de la civilisation ».

Ce qui pourrait sembler être la pensée d’un fervent en chemise noire n’est autre, à la grande surprise générale, qu’une dédicace de Sigmund Freud. En avril 1933, à la suite d’une visite d’Edoardo Weiss et de Gioacchino Forzano dans son cabinet viennois, Freud signa ainsi l’ouvrage « Warum Krieg? » (Pourquoi la guerre ?) écrit avec Albert Einstein.

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Très souvent, avec beaucoup de difficulté, certains ont tenté de justifier cet acte. Ils ont avancé l’argument de la passion de Freud pour l’archéologie et la réhabilitation par Mussolini des forums impériaux. D’autres ont supposé qu’il voyait en lui un possible rempart contre l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne d’Adolf Hitler, récemment élu.

Peut-être, aussi difficile que cela soit à accepter, s’agissait-il d’une admiration sincère et réelle.

Quoi qu’il en soit, environ un mois plus tard, un article paru dans Il Popolo d’Italia révélait que Mussolini considérait la psychanalyse comme une imposture.

La psychanalyse fit son apparition en Italie dès les années 1910. À cette époque, une conception proche de celle de Cesare Lombroso prévalait encore, selon laquelle les névroses avaient une origine organique, ce qui valut à la psychanalyse d’être qualifiée d’anti-scientifique.

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Malgré les nombreuses réticences, la nouvelle discipline trouva un espace à Trieste. Entre les années 1920 et 1930, le psychiatre Edoardo Weiss, formé à Vienne sous la direction de Freud, y exerça dans l’asile de la ville.

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Dans une Trieste encore marquée par son passé austro-hongrois, la psychanalyse devint un phénomène culturel. Italo Svevo en fit le thème central de son roman La Conscience de Zeno. Umberto Saba, qui fut lui-même patient de Weiss, s’inspira de cette thérapie pour écrire son recueil Il piccolo Berto.

Au début des années 1930, Edoardo Weiss s’installa à Rome, où il entama une véritable activité de vulgarisation scientifique de la psychanalyse. C’est ainsi que naquit la première revue spécialisée, la Rivista Italiana di Psicoanalisi.

Cette discipline fut perçue comme une vision du monde alternative à la philosophie néo-idéaliste alors dominante.

Par ailleurs, durant cette même période, un groupe d’intellectuels fascistes favorables à cette nouvelle théorie fonda la revue Il Saggiatore. Ils pensaient que l’humanité traversait une profonde crise de valeurs et que l’idéalisme de Giovanni Gentile était incapable d’offrir les outils nécessaires pour y faire face. Selon eux, la psychanalyse permettrait de rétablir un équilibre entre l’eros et le logos, restituant ainsi à l’homme sa dimension instinctive, émotionnelle et affective.

En revanche, pour des intellectuels tels que Giovanni Gentile et Benedetto Croce, il était inconcevable de placer l’inconscient au-dessus du sujet lui-même. Toutefois, ni l’un ni l’autre ne firent obstacle à la diffusion de la psychanalyse et encouragèrent même la traduction en italien des ouvrages de Freud.

Sans grande surprise, l’opposant principal à la psychanalyse ne fut pas le fascisme, mais l’Église. Celle-ci rejeta son déterminisme et contesta l’idée que la religion était une illusion. De plus, elle se montra extrêmement sceptique quant à l’importance accordée par Freud à la sexualité. Cependant, certains catholiques furent plus nuancés : le père Agostino Gemelli lui attribua le mérite d’avoir reconnu le caractère dynamique de la psyché et le rôle des instincts, tout en restant prudent et réservé.

Mussolini lui-même ne fut pas un partisan de la psychanalyse. On ignore ce qu’il pensait exactement à ce sujet, mais l’article mentionné précédemment dans Il Popolo d’Italia ne laisse guère de place au doute. Il est néanmoins important de noter qu’il était un grand admirateur de Gustave Le Bon, le père de la psychologie des foules, et qu’il avait intégré ses théories.

rivista-1-1932-2-3.jpgLa situation changea en 1934, lorsque la Rivista Italiana di Psicoanalisi fut bannie sous la pression des autorités ecclésiastiques. De plus, avec l’intensification des politiques antisémites, de nombreux psychanalystes, souvent d’origine juive, émigrèrent, mettant fin à cette collaboration intellectuelle. Des articles hostiles à la psychanalyse furent alors encouragés, non par une réelle aversion envers la discipline, mais pour s’aligner sur la politique raciale du régime.

En conclusion, attribuer au fascisme la responsabilité d’avoir combattu la psychanalyse en Italie serait une simplification historique. Bien qu’elle n’ait jamais été pleinement adoptée par le régime, la psychanalyse ne fut pas l’objet d’une véritable campagne de répression. Au contraire, certains intellectuels fascistes y voyaient un outil utile pour affronter la crise de valeurs de l’époque et rétablir un équilibre entre la raison et l’instinct. Ce furent davantage les politiques raciales et l’Église qui limitèrent l’expansion d’une discipline qui, malgré les obstacles, parvint à trouver un écho et des interlocuteurs en Italie, laissant une empreinte significative dans le paysage culturel de l’époque.

lundi, 30 décembre 2024

La vision d'Arnold Toynbee: Moscou héritière de l'Empire romain d'Orient

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La vision d'Arnold Toynbee: Moscou héritière de l'Empire romain d'Orient

Dans « Civilisation by comparison », l'historien anglais prévoyait la Russie d'aujourd'hui, quand Staline régnait encore.

par Paolo Becchi

Source: https://www.barbadillo.it/117638-la-visione-di-arnold-toy...

91lsrijGMzL._SL1500_-3899345205.jpgArnold J. Toynbee dans Civilisation on Trial

La Russie retrouve la dignité qu'elle semblait avoir perdue avec la dissolution de l'URSS. Cette Union a pris fin et, avec elle, le récit du communisme (seulement celui-là: en URSS, le « communisme », au sens de Marx et de Bordiga, n'a jamais existé). Mais la civilisation russe, son héritage byzantin, gréco-chrétien, ne pouvait pas disparaître. Cette civilisation, sœur de la nôtre, n'a pas non plus disparu avec l'URSS. Comme l'a souligné Arnold J. Toynbee en 1948 dans Civilisation on Trial (traduit en italien par Bompiani), la Russie a toujours cherché son salut dans cette institution politique qu'était l'Empire romain d'Orient.

Sauver la façade

« Le Grand-Duché de Moscou a été la forge de cette expérience politique. La tâche accomplie par Moscou, ainsi que sa récompense, était la consolidation, sous son autorité, d'un groupe de faibles principautés en une grande puissance. Cet édifice politique moscovite a été doté à deux reprises d'une nouvelle façade, d'abord par Pierre le Grand, puis par Lénine, mais la structure essentielle est restée inchangée et l'Union soviétique d'aujourd'hui reproduit, comme le Grand-Duché de Moscou au 14ème siècle, les traits saillants de l'Empire romain d'Orient médiéval » (p. 259).

Selon Carl Schmitt

La façade, pour la troisième fois, c'est Poutine. Cet héritage byzantin, avec ses valeurs et traditions chrétiennes-orthodoxes, ne pouvait pas échouer et a été réaffirmé en contraste avec un Occident (ou plutôt avec l'« hémisphère occidental », comme Carl Schmitt l'a défini) de plus en plus corrompu dans ses coutumes, décadent et profane.

la-civilisation-a-l-epreuve-par-arnold-j-toynbee-1951-p162042-0-4223033316.JPGLa capitulation à l'Ouest

En 1989, le mur de Berlin s'effondre. L'année suivante, avec la réunification de l'Allemagne, un État du Pacte de Varsovie, la République démocratique allemande, est annexé à la République fédérale d'Allemagne. Cet État disparaît et devient membre de l'OTAN.

En 1991, l'Union soviétique a implosé, d'une manière qui attend peut-être encore d'être reconstituée historiquement dans tous ses détails. Le jour de Noël de cette année-là, Gorbatchev a démissionné parce que l'URSS n'existait plus et que le « processus de démocratisation » avait commencé, ce qui signifiait alors la capitulation devant l'Occident. Mais le peuple soviétique souhaitait-il cette dissolution ?

Les négociations occidentales avec Gorbatchev ont au moins laissé entendre, pour autant que nous le sachions, que l'OTAN n'irait pas plus loin. L'annexion de l'Allemagne de l'Est aurait pu suffire. Mais nous savons ce qu'il en est advenu.

L'esprit de Vladimir

Boris Eltsine achevait le travail commencé par Gorbatchev en vendant le pays. D'aucuns, aux États-Unis, parlaient même de la fin de l'histoire, c'est-à-dire de la fin de la Russie, alors même que Poutine mettait fin au processus de dissolution. Le destin a voulu qu'un homme incarne de manière hégélienne l'esprit de son monde, le sens d'une civilisation millénaire et s'oppose à sa disparition.

Multiethnique, multiculturel

Poutine se devait de réagir lorsque, dans la perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, alors que l'Alliance atlantique avait déjà intégré les républiques baltes, la sécurité non seulement de la Russie, mais aussi de la Fédération tout entière, aurait été mise en péril. Une Fédération multiethnique et multiculturelle, composée de populations dont la cohabitation est garantie par la Russie. En effet, le phare de la Fédération est toujours le même : Moscou.

Le siège et la sortie

Après la chute de l'URSS, l'Occident a tenté de frapper la Russie, de l'asservir, de lui faire perdre son âme : la Russie ne pouvait que se défendre. Poutine a attendu, accepté des négociations qui, avec le recul, ne visaient qu'à affaiblir le pays. Finalement, il a dû réagir et peut-être a-t-il réagi trop tard.

Pour comprendre le sens de la guerre et pourquoi elle ne peut se terminer qu'avec la capitulation de l'Ukraine, il faut renverser la perspective dominante. La Russie se sent assiégée, elle n'a pas d'autre choix que de se défendre et de défendre sa civilisation. Et elle le fera. Moscou est la troisième Rome, pas la quatrième Washington.

21:23 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire, russie, arnold j. toynbee, byzantinislme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 28 décembre 2024

Dans "Histoire africaine de l'Afrique", nous retrouvons l'écho de Frobenius et Davidson

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Dans "Histoire africaine de l'Afrique", nous retrouvons l'écho de Frobenius et Davidson

Journaliste de la BBC, la Soudanaise Zeinab Badawi élargit le regard sur un continent sous-estimé

Par Carlo Romano

Source: https://www.barbadillo.it/117744-nella-storia-africana-de...

La civilisation africaine (édition italienne: Einaudi, 1971)

Dans un livre qui, depuis la fin des années 1960, est resté une référence pour les lecteurs italiens, l’historien, journaliste et – entre autres qualifications – officier de liaison entre les forces alliées et la Résistance en Ligurie, Basil Davidson, avait formulé cet objectif :

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« Présenter un résumé de ce que l’on sait aujourd’hui des idées et systèmes sociaux, des religions, des valeurs morales, des croyances magiques, des arts et de la métaphysique d’une série de peuples africains, en particulier ceux d’Afrique tropicale. Ensuite, examiner les façons dont ces éléments se sont développés et transformés depuis le passé lointain jusqu’à aujourd’hui. Enfin, replacer ces aspects de la civilisation africaine dans leur perspective contemporaine en tant que parties cohérentes d’un ensemble vital ».

En s’éloignant des préjugés coloniaux, avec La civilisation africaine (Einaudi, 1971) et une vaste œuvre de vulgarisation accompagnée d’une série de documentaires, Davidson a pleinement atteint son objectif. Avec le temps, ce livre – bien qu’il ne soit pas strictement académique, même s’il a été adopté par de nombreuses universités – n’a pas été complété par beaucoup d’autres études. Cependant, une édition actualisée, également intitulée La civilisation africaine, a été publiée en 1997.

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Avant cet ouvrage, on pouvait se référer à Histoire de la civilisation africaine/Kulturgeschichte Afrikas (Einaudi, 1950 et Adelphi, 2013) de Leo Frobenius, ethnologue, fondateur de divers instituts, correspondant avec Ezra Pound sur des questions économiques, et auteur en 1910 du magnifique compendium de légendes africaines Le Décaméron noir (Rizzoli, 1971).

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Ce livre a influencé le concept de Négritude, de Aimé Césaire à Léopold Sédar Senghor, selon lesquels Frobenius « avait restitué à l’Afrique sa dignité et son identité ». La phrase « chaque fois qu’un vieillard meurt en Afrique, c’est une bibliothèque entière qui disparaît » semble illustrer parfaitement le contenu de Der schwarze Dekameron.

Des ouvrages comme ceux de Frobenius et Davidson ont renversé l’idée nuisible du « sauvage noir », réduisant les traditions et les arts africains à de simples visions exotiques, tout au plus décoratives. Cependant, d’autres livres et pamphlets – notamment à partir de Malcolm X – qui ont politisé l’idée même de civilisation africaine, ont parfois montré un préjugé inverse à celui du colonialisme, revendiquant par fierté de prétendues suprématies.

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On pense ici au livre d’un spécialiste de la Grèce ancienne auprès de l’université Cornell, Martin Bernal, dont la publication a suscité de vifs débats, bien que beaucoup se soient arrêtés au titre provocateur, Black Athena (Pratiche Editrice, 1992). Bernal identifiait deux modèles historiographiques: l’« antique », élaboré par les Grecs eux-mêmes, et l’« aryen », imprégné de romantisme et influencé par des éléments extérieurs et idéologiques, comme le racisme. Bernal va même jusqu’à affirmer que les langues indo-européennes auraient un substrat d’origine africaine.

Ses thèses ont été contestées par de nombreux spécialistes du classicisme, notamment dans le volume collectif Black Athena Revisited (1996).

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Avec An African History of Africa/Une Histoire africaine de l’Afrique de la journaliste soudanaise Zeinab Badawi – diplômée d’Oxford, ancienne présidente de la Royal African Society et collaboratrice de la BBC, où elle a présenté The History of Africa, une série de documentaires basée sur les rapports de l’UNESCO et sur l’ouvrage Histoire générale de l’Afrique qui en a découlé – nous avons aujourd’hui un essai de grande vulgarisation. Ce travail intègre l’expérience que l’auteure a acquise aussi bien avec les chercheurs africains qu’avec les gardiens des traditions orales.

L’histoire de l’Afrique est celle des origines de la civilisation humaine, mais on discute peu de son histoire ancienne et moderne, étouffée par les récits occidentaux évoquant la pauvreté, l’esclavage et le colonialisme. Ainsi, les récits fascinants des reines guerrières, des puissantes civilisations, des bâtiments somptueux et des marchés animés restent méconnus, alors que l’Afrique est bien plus que ce que nous imaginons.

jeudi, 19 décembre 2024

La Russie et son double

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La Russie et son double

Ouvrage édité par "Perspectives libres", novembre 2023

Exposé liminaire

par Gérard Conio

J’ai écrit ce livre pour donner de la Russie une autre image que celle propagée par une russophobie délirante fondée sur l’ignorance et le dénigrement systématique.

J’ai voulu montrer tout d’abord l’état rédhibitoire de la Russie que j’ai constaté en 1996 pour qu’on puisse le comparer à l’essor qu’elle connaît aujourd’hui grâce au redressement opéré par Vladimir Poutine, depuis son accession à la présidence.

Ce que j’ai observé d’une manière subjective est confirmé par les statistiques objectives des économistes et des politologues indépendants qui ont refusé de se plier à la doxa officielle.

 

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Le conflit entre la Russie et l’Occident est avant tout un choc des civilisations qui oppose des visions du monde et on peut comprendre que les adorateurs de la démocratie regrettent une évolution qui écarte la Russie de la sacro-sainte liberté individuelle au nom de laquelle elle a été entraînée dans un paradis qui s’est révélé pour elle un enfer.

Les débats fondés sur des axiomes et des pétitions de principe engendrent le déni des réalités vécues par le peuple russe dans son adhésion à une autorité qui lui rendait sa souveraineté et son indépendance en lui apportant une sécurité et une stabilité retrouvées ainsi que l’amélioration de ses conditions de vie détériorées par l’emprise de quelques prédateurs sur la société russe.

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Le narratif occidental sur « l’opération spéciale » a le tort de se polariser sur un moment isolé de son contexte, sans tenir compte de tous les facteurs qui ont pesé sur une rupture dont les conséquences n’ont été sérieusement envisagées ni dans une décision que le président russe jugeait inévitable ni dans les «  sanctions » qu’elle a suscitées et qui se sont retournées contre leurs auteurs.

Une « agression »  aux objectifs limités a provoqué « le basculement du monde », parce qu’elle avait des origines très anciennes.

Ce moment n’est pas né «  par hasard », il s’inscrit dans un devenir historique.

C’est pourquoi j’ai jugé bon de relater mon expérience des stades successifs d’une évolution dont j’ai été le témoin.

Mais, pour éclairer une opinion abusée par la fausse parole, il importe en tout premier lieu de remettre la Russie à sa place sur la carte du monde. 

L’histoire de la Russie est déterminée par «  le fait géographique » qui l’ouvre vers l’Ouest et vers l’Est, l’Europe et l’Asie. Dépourvue de frontières naturelles, elle a dû se défendre contre les invasions qui, depuis des siècles, sont venues se briser contre le Heartland, le coeur du monde, ainsi nommé par Mackinder, le fondateur de la géopolitique au 19ème siècle qui avait déduit le résultat de ses observations dans une formule restée célèbre: «Qui contrôle l’Europe de l’est, contrôle le Heartland, qui règne sur le Heartland, règne sur le monde». Mackinder désignait ainsi l’Empire russe couvrant « la plaine qui s’étend  de l’Europe centrale à la Sibérie occidentale et rayonne sur la mer Méditerranée, le Moyen Orient, l’Asie du Sud et la Chine ». 

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Un géopoliticien américain, Nicolas Spykman (photo), appliquera cette théorie à la deuxième guerre mondiale. Il ajoute au Heartland la bande de terre côtière qu’il appelle le Rimland et il critique Mackinder en parodiant sa formule:  « Qui contrôle le Rimland contrôle   l’Eurasie, qui règne sur l’Eurasie contrôle le destin du monde ». Et il souhaite que les Américains contrôlent le littoral européen afin de contenir l’expansion du Heartland.

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La  vision de Spykman est à la base de la "politique d'endiguement" formulée par le diplomate Georges Kennan (photo) dans son article, The Sources of Soviet Conduct  (juillet 1947) et mise en œuvre par les États-Unis dans la guerre froide.

Il s’agissait « d’endiguer » le Heartland en contrôlant  la zone tampon du Rimland, auquel appartenaient les satellites de la Russie soviétique, dont l’Ukraine était le maillon fondamental.

On tient dans ce schéma tous les paramètres de l’évolution qui a mené la Russie de la chute de l’URSS sous Gorbatchev à sa déliquescence sous Boris Eltsine, puis à son redressement sous Vladimir Poutine. 

La chronologie de cette évolution s’inscrit entre deux catastrophes, la fin de l’URSS et la guerre en Ukraine.

Mais on doit inscrire en filigrane de cette évolution une continuité dans la pensée  géopolitique occidentale manifestée par Mackinder, Spykman, Kennan, et plus tard Brzezinski.

Mackinder se disait convaincu de la suprématie des Anglo-Saxons qui leur donnait le droit de dominer le monde et donc de s’emparer du Heartland. Il opposait les puissances de la terre aux puissances de la mer et redoutait l’émergence d’une Allemagne forte pouvant s’allier à l’Empire russe.

Or, cette obsession a été partagée par les dirigeants américains qui n’ont cessé d’oeuvrer pour empêcher une alliance aussi favorable au développement de l’économie européenne que nuisible à leurs intérêts. Ils l’ont sapée définitivement en détruisant le Nordstream 2 et en privant l’Allemagne d’une source d’énergie indispensable pour son industrie. Aujourd’hui, les entreprises allemandes sont contraintes, pour exister, de se délocaliser aux Etats-Unis.

Spykman, en donnant la primauté au Rimland sur le Hearland, posait déjà la question du rapport de force entre la Russie et l’Union européenne. En se concentrant sur les choix de l’Ukraine, cet antagonisme est à l’origine d’un conflit localisé qui, en s’aggravant, met à présent le monde au bord de l’escalade nucléaire.

Les stratèges américains ont fait fausse route  en misant sur la supériorité du Rimland et en minimisant la puissance du Heartland  russe.

Au lieu d’affaiblir la Russie en instrumentalisant l’Ukraine, l’Occident a démontré sa propre faiblesse dont visiblement il n’avait pas conscience et en s’infligeant des échecs imputables à ses erreurs de calcul.

51ycA9nCaQL._AC_SY780_.jpgMon témoignage sur une Russie qui, dans les années 90, sombrait dans l’anarchie et le chaos, trouve un éclairage paradoxal dans Le Grand Echiquier de Brzezinski  paru en 1997, la veille de la faillite financière de l’État russe sous le gouvernement de Boris Eltsine.

En cette même année 1998, où la Russie a été sur le point de disparaître, Soljénitsyne consignait dans La Russie sous l’avalanche un constat analogue sur le désespoir d’une population décimée par les privatisations et par l’emprise des oligarques qui avaient pris le pouvoir, ces oligarques n’étant que les prête-noms des « bandits dans la loi » qui sévissaient déjà à l’époque soviétique.

En dépit de cette situation désespérée qui semblait ôter tout soupçon de velléité impérialiste,  Brzezinski reprend les idées de Mackinder et de Spykman en les actualisant et il considère que, malgré la disparition de sa puissance,  la Russie, par sa position dominante dans le Heartland, restait une menace pour l’ordre du monde instauré par les Etats-Unis.

Il en avait conclu qu’il fallait séparer l’Ukraine de la Russie pour enlever à celle-ci toutes les chances de redevenir une grande puissance.

Si l’on admet que les analyses de Mackinder et de Spykman trouvaient un fondement dans un empire qui détenait le Heartland en couvrant la moitié de l’Europe, il est plus difficile de sonder les motivations de Brzezinski quand il souhaitait la destruction d’une Russie qui s’était déjà détruite elle-même.

Et il  convient de rappeler que Kennan, pourtant promoteur de la politique d’« endiguement » contre l’URSS, a été très circonspect sur les « guerres humanitaires » menées par des politiciens incompétents et aventureux qui prenaient leurs désirs pour des réalités. On le donne même en exemple aujourd’hui en Russie en l’opposant à la courte vue des dirigeants qui lui ont succédé.

Il a fortement  désapprouvé l’élargissement de l’Otan qui a été le coup d’envoi d’une escalade dont il prévoyait les dangers pour la paix du monde.

On ne saurait comprendre le processus qui a mené de la fin de l’URSS à la guerre en Ukraine, sans faire état du « syndrome occidental » qui a pesé de tout temps sur la mentalité et la politique russe.

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La Russie a été sans cesse confrontée à son double par son désir passionné d’être reconnue par l’Occident comme un partenaire à part entière. Et Vladimir Poutine lui-même n’a pris conscience que fort tard du péril auquel il exposait la sécurité de la Russie en accordant sa confiance à des interlocuteurs qui après la réunification de l’Allemagne, ont refusé la main tendue par les Russes dans l’espoir d’une coopération économique qui devait se substituer à leurs yeux au conflit entre les deux idéologies en lice dans la guerre froide.

En sacrifiant son empire, sans contre partie, la Russie avait donné un gage de sa volonté de devenir une démocratie qui entrerait de plain-pied dans le concert européen.

Et cette coopération s’appuyait sur des intérêts réciproques qui auraient assuré la consolidation de la paix et une meilleure prospérité dans le continent européen.

Mais les passions idéologiques ont pris le pas sur les intérêts économiques et cet espoir a été battu en brèche à trois reprises, lorsque l’Otan n’a pas tenu la promesse de ne pas s’étendre à l’est, lorsque les accords de Maïdan, garantis par la signature de trois ministres européens, ont été violés sans autre forme de procès, et enfin quand les accords de Minsk, destinés à réintégrer à l’Ukraine les républiques séparatistes, ont été signés sans la volonté de les appliquer pour réarmer le gouvernement de Kiev, issu d’un putsch, et continuer la guerre inaugurée par «l’opération contre- terroriste » déclenchée en 2014 par le gouvernement de Kiev contre des populations civiles.

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Même si on juge obsolètes aujourd’hui les prophéties de Fukuyama sur la fin de l’histoire et les assertions de Brzezinski, en 1997, sur la nécessité de mettre un terme au danger potentiel représenté par la Russie, il n’en reste pas moins que ces convictions triomphalistes étaient conformes à la doctrine Wolfowitz (photo) qui, dès 1992, avait annoncé l’invasion de l’Irak pour pérenniser la domination des Etats-Unis sur le monde. 

Si le bellicisme des néo-conservateurs peut s’expliquer du point de vue des Etats Unis, il apparaissait alors contraire aux intérêts de l’Europe, c’est pourquoi la France et l’Allemagne, en accord avec la Russie et la Chine, ont dénoncé une violation du droit international qui ne pouvait mener qu’à un désastre humanitaire.

Mais on est en droit de s’interroger sur les raisons qui poussent aujourd’hui les Européens à ruiner leur économie en participant à fonds perdus à la guerre en Ukraine en se soumettant, contre leurs intérêts, au diktat des Etats-Unis et en reprenant à leur compte les arguments des anciens satellites de l’URSS qui brandissent le spectre d’une menace russe.

L’agression de l’Ukraine confirme à leurs yeux cette menace, qui apparaît d’autant plus irréelle que, nonobstant la supériorité militaire acquise par Vladimir Poutine, la Russie n’aurait pas les moyens de la mettre en exécution, du fait de sa démographie et des rapports de force avec la coalition de l’Otan. 

Et pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la rupture consommée le 24 février 2022, il n’est pas inutile de revenir a posteriori sur les raisons qui poussaient Wolfowitz en 1992 et Brzezinski en 1997 à se lancer dans une confrontation qui met aujourd’hui le monde au bord du gouffre.

On assiste, en effet, à une fuite en avant de la part des néo-conservateurs qui, malgré leurs échecs successifs refusent de voir en face les conséquences planétaires de leur aventurisme. A cause de leurs tentatives mal calculées, mal engagées, ils ont provoqué la méfiance croissante des trois quarts de la planète à l’égard des Etats-Unis qui ne sont plus en mesure d’imposer au monde leur hégémonie par la suprématie du dollar.

Le réveil de la Russie a été le facteur principal de ce renversement du monde unipolaire auquel l’Occident reste attaché comme le pendu à sa corde.

L’Occident démocratique subit aujourd’hui la même psychose qui a entraîné l’Union soviétique à sa perte.

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On assiste à une inversion des rôles et il faut considérer que, pour redevenir une puissance « normale », uniquement soucieuse de son indépendance et de sa souveraineté, sans céder à la mégalomanie messianique, la Russie devait passer par la cure d’une démocratisation ratée qui alimente encore les rêves de sa minorité libérale.

Après avoir, dans cette première partie, évoqué, à des fins pédagogiques, ce passé douloureux, je me suis appuyé sur quelques-uns de mes travaux pour montrer l’apport de la Russie au patrimoine culturel, artistique et scientifique de l’humanité.

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Dans « La vision russe du cosmos », j’ai indiqué les sources spirituelles du cosmisme russe fondé par le philosophe Nicolas Fiodorov, qui a été le mentor de Tsiolkovski, dont les travaux sur les fusées ont abouti au vol de Gagarine.

Au moment où l’on glose sur la renaissance de la religion pour compenser le vide idéologique, j’ai retracé dans « L’Empire russe et Moscou Troisième Rome », les relations ambivalentes entre l’orthodoxie et l’autocratie.

Dans « La dialectique du double chez Dostoïevski », j’ai analysé dans le thème du double la parodie romanesque de la dialectique de Hegel dans une esthétique de la création verbale qui trouvera son accomplissement chez les futuristes.

Dans « Le dernier dialogue de Bakhtine », j’ai tiré la quintessence des mémoires parlés du grand philosophe russe dans ses entretiens avec Douvakine, professeur de Siniavski et Daniel dont il a pris la défense lors de leur procès.

Puis, j’ai analysé longuement le thème du MLB ( « la plongée dans le sein maternel »)  dans Ivan le Terrible d’Eisenstein et dans sa mise en scène de la Walkyrie au Bolchoï en 1940.

En raison du rôle controversé de la Pologne dans le conflit ukrainien, j’ai tenu à rendre hommage à Wat et Mlosz, deux auteurs polonais que j’ai traduits et commentés pour mettre en exergue leur russophilie qui n’était pas incompatible à leurs yeux avec leur critique du communisme totalitaire. Cette largeur de vue chez ces «dissidents » antisoviétiques tranche sur l’amalgame raciste et imbécile pratiqué aujourd’hui entre la culture et la politique vis-à-vis de la Russie.

Enfin j’ai cité mes interventions à un colloque sur « L’URSS, un paradis perdu ».
Et j’ai mis en conclusion une réflexion sur les deux Russies qui s’opposent aujourd’hui à propos de la guerre en Ukraine.

Chaque livre est une bouteille à la mer et j’espère que celui-ci trouvera les bons lecteurs qui sauront en tirer la substantifique moelle.

 

dimanche, 01 décembre 2024

De Gaulle et le journalisme de collaboration mondialiste

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De Gaulle et le journalisme de collaboration mondialiste

Nicolas Bonnal

« Je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération ».

La presse étatique-ploutocratique en France se mobilise pour notre extermination: elle veut la vaccination à mort, la lutte contre le carbone et les sexes à mort, elle veut l’invasion migratoire à mort (et ce depuis quarante ans), elle veut la censure médiatique à mort, et maintenant en bon petit Hitler elle veut la guerre contre la Russie et contre les USA. Elle est totalement psychopathe.

 Malheureusement ce n’est pas très neuf et c’est ce qui motiva les pamphlets de Céline et les réflexions de Cochin, penseur extraordinaire et génie passé sous silence (mais pourquoi donc ?), que je découvris un beau jour grâce au courageux et isolé (quoique prestigieux) François Furet.

On va citer Cochin avant le Général, président beaucoup moins populaire et idolâtré par le journaliste franchouillard que Macron :

« Avec le régime nouveau les hommes disparaissent, et s’ouvre en morale même l’ère des forces inconscientes et de la mécanique humaine. Celui-ci (le régime) pousse son chemin de désastre en désastre, produisant une forêt de lois contre-nature dont le succès dans les sociétés et le vote à la Convention sont aussi fatals, que leur exécution dans le pays est absurde ou impossible. »

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Le résultat le voilà :

« Le « peuple » parle, c’est-à-dire la foule anonyme, pêle-mêle, d’adeptes, de meneurs machinistes et de simples badauds, entourés, dirigés par les gens de la machine. »

La dissociation morale est déjà là :

« Le patriote est soumis à un travail de dissociation morale qui lui fait perdre et de fait et de droit toute autonomie, toute indépendance personnelle et toute chance de la retrouver jamais pour peu que l’entraînement soit complet. La machine ne peut s’accommoder en effet que d’instruments impersonnels et la dissociation morale dont nous avons essayé de donner une idée est la garantie de cette impersonnalité et le moyen pour l’obtenir. »

Revoir mes textes sur Cochin.

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Je vais citer grâce à l’excellente Echelle de Jacob les réflexions de Charles de Gaulle :

«Le Général me répète, avec encore plus d’énergie, ce qu’il m’a dit déjà plusieurs fois au sujet des journalistes :

« Peyrefitte, je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération. Quand une difficulté surgit, il faut absolument que cette faune prenne le parti de l’étranger, contre le parti de la nation dont ils se prétendent pourtant les porte-parole. Impossible d’imaginer une pareille bassesse – et en même temps une pareille inconscience de la bassesse. Vos journalistes ont en commun avec la bourgeoisie française d’avoir perdu tout sentiment de fierté nationale. »

C’est une donnée à travers les siècles cette perte de fierté nationale, ce besoin de s’inféoder à toutes les puissances du monde, Israël, Washington, Londres, l’ONU de New York, Davos, les fous de Bruxelles ou Moscou-Staline. Céline disait qu’on a toujours été trahi et à toutes les époques encore (voir mon livre). On peut dire que cela avait commencé au dix-huitième siècle (les philosophes des Lumières adorateurs de l’Angleterre) avant de se systématiser et de s’industrialiser grâce à la presse au dix-neuvième siècle, quand le Second Empire puis la République commencent à nous soumettre à la « baleine » anglo-saxonne. Dans mon recueil sur de Gaulle et la Russie j’ai bien insisté sur deux points : un, le Général adorait la Russie ; deux, ce grand amour platonique était impossible. Trop de résistances atlantistes ou autres...

De Gaulle ajoute que la bourgeoisie trahit toujours, trahit partout, rien que pour continuer de bouffer en ville :

« Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. Déjà en 40, elle était derrière Pétain, car il lui permettait de continuer à dîner en ville malgré le désastre national. Quel émerveillement ! Pétain était un grand homme. Pas besoin d’austérité ni d’effort ! Pétain avait trouvé l’arrangement. Tout allait se combiner à merveille avec les Allemands. Les bonnes affaires allaient reprendre. »

Je dis cela alors que mon ami bourguignon Antoine me certifie que toutes les brasseries ferment à Paris-la-frugale-écolo…

Le problème – on retourne à Cochin – c’est que la Révolution a profité à 5%  de la population, ces juristes et députés dont les cousins ont acheté les fameux biens du clergé, et dont les neveux ont écrit l’histoire de la Révolution et de l’Empire ; et de Gaulle enfonce le clou encore :

« Bien sûr, cela représente 5% de la nation, mais 5% qui, jusqu’à moi, ont dominé. La Révolution française n’a pas appelé au pouvoir le peuple français, mais cette classe artificielle qu’est la bourgeoisie. Cette classe qui s’est de plus en plus abâtardie, jusqu’à devenir traîtresse à son propre pays. Bien entendu, le populo ne partage pas du tout ce sentiment. Le populo a des réflexes sains. Le populo sent où est l’intérêt du pays. Il ne s’y trompe pas souvent. »

De Gaulle premier gilet jaune ? On ricane bien sûr. Il résume parfaitement le Truman show (comme dit ma lectrice Amal) de la vie politique républicaine :

« En réalité, il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d’argent, celle qui lit Le Figaro, et la bourgeoisie intellectuelle, qui lit Le Monde. Les deux font la paire. Elles s’entendent pour se partager le pouvoir. Cela m’est complètement égal que vos journalistes soient contre moi. Cela m’ennuierait même qu’ils ne le soient pas. J’en serais navré, vous m’entendez ! Le jour où Le Figaro et l’Immonde me soutiendraient, je considérerais que c’est une catastrophe nationale ! »

Elles ont fusionné ces bourgeoisies avec l’union de Macron et Barnier, du bourgeois catho et du bourgeois homo, du crétin utile catho-souverainiste et du mondialiste branché, festif et fervent.

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Jeff Bezos courageusement et intuitivement a parlé du mur de la réalité. Pour l’instant tout le monde s’en tape en France : il faut mutiler sexuellement les enfants ; il faut raser la Russie de Poutine et l’Amérique de Trump au nom de cette lutte contre l’hitlérisme dont on reprend les marottes (exterminer simultanément si possible les deux plus grandes puissances militaires  du monde) ; il faut exterminer le carbone et faut remplacer la population. Le réel, disait Muray, ce sera pour une autre fois. Déjà leur euro-jacobinisme (jacobinisme qui comme je le prévoyais dans mon Coq hérétique a conquis l’Europe) repousse toutes les lois de la réalité.

Répétons Cochin :

« Avec le régime nouveau les hommes disparaissent, et s’ouvre en morale même l’ère des forces inconscientes et de la mécanique humaine. Celui-ci (le régime) pousse son chemin de désastre en désastre, produisant une forêt de lois contre-nature dont le succès dans les sociétés et le vote à la Convention sont aussi fatals, que leur exécution dans le pays est absurde ou impossible. »

La dissociation morale est déjà là et il ne sert à rien de tempêter contre les automates et les machines-Barbie de la télé. Cochin nous avait déjà prévenus :

« La machine ne peut s’accommoder en effet que d’instruments impersonnels et la dissociation morale dont nous avons essayé de donner une idée est la garantie de cette impersonnalité et le moyen pour l’obtenir. »

L’homme typographique de Macluhan, homme franco-britannique, quelle belle invention…

Sources :

https://strategika.fr/2020/07/19/augustin-cochin-et-le-pi...

https://www.dedefensa.org/article/cochin-et-la-reprogramm...

https://www.amazon.fr/C%C3%A9tait-Gaulle-Alain-Peyrefitte...

https://www.amazon.fr/Autopsie-lexception-fran%C3%A7aise-...

 

samedi, 30 novembre 2024

Holodomor et autres...clarifications

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Holodomor et autres...clarifications

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/holodomor-ed-altre-precisazioni/

J'entends de plus en plus souvent que l'on confond systématiquement la Russie et l'Union soviétique. Confusion peut-être acceptable dans le grand public qui ne s'intéresse pas à l'histoire. Beaucoup moins dans les médias et, pire encore, dans les écrits et les discours des analystes et des commentateurs qui devraient connaître ces circonstances (ainsi qu'un peu d'histoire). Et les traiter avec un minimum, au moins, d'exactitude. Et un minimum d'honnêteté intellectuelle.

Prenons l'exemple de cette immense tragédie que l'on appelait à l'époque l'Holodomor. C'est-à-dire la grande famine qui a frappé l'Ukraine entre 1932 et 1933, causant des millions de morts de faim. Combien de morts ? Difficile à dire. Les estimations vont de deux à trois millions à dix millions, voire plus. C'est tout de même énorme. Et un véritable massacre. Étant donné que Staline et le pouvoir soviétique ont été, en fait, à l'origine de ce massacre. Soit pour concevoir des politiques de collectivisation forcée, soit délibérément parce qu'ils considéraient la majorité des Ukrainiens comme des « réactionnaires ». Pour simplifier, un mélange des deux.

Aujourd'hui, l'Ukraine célèbre, la dernière semaine de novembre, ce génocide. Et en fait une sorte de drapeau à brandir contre la Russie actuelle de Poutine.

Logique, direz-vous. Et juste.

Juste si ce sont les Russes qui ont causé ce massacre. Alors que les responsables devraient être recherchés du côté des dirigeants du parti bolchevique. Où il n'y avait que très peu de Russes.

Bukharine, bien sûr. Mais qui était aussi le seul opposant à la politique de Staline, y compris sur l'Ukraine. Et il l'a payé de sa vie.

Mais les autres ? Staline était géorgien de père et ossète de mère. Drezinski était un noble polonais. Et si nous regardons un peu autour de nous, Zinovev était un juif polonais, comme Trotski et comme la propre mère de Lénine. Qui, du côté de son père, était un Tchouvache....

Et je pourrais continuer à montrer que les Russes n'avaient pas grand-chose à voir avec les dirigeants soviétiques. À tel point que le premier secrétaire russe du PCUS était Mikhaïl Gorbatchev. En d'autres termes, le liquidateur de l'URSS.

En résumé, la tragédie de l'Holodomor - qui, soit dit en passant, fait partie de la Grande Famine qui a frappé toute l'URSS, entraînant la mort de millions de personnes, toutes ethnies confondues - n'était pas la faute des Russes, mais celle de la direction du parti bolchevique. Les Russes y étaient sous-représentés et les Ukrainiens très présents. Cette situation a été causée, intentionnellement ou non, par l'idéologie. Il ne s'agissait pas d'une haine ethnique à l'égard des Ukrainiens.

L'utilisation par Zelensky et ses parrains occidentaux, Biden et associés, de cette tragédie dans un but anti-russe est donc une falsification de l'histoire.

A tel point qu'elle plaît - en l'occurrence - à ces « intellectuels » locaux qui étaient, jusqu'à avant-hier, des admirateurs (disons) de l'Union soviétique. Et qui, aujourd'hui, ont trouvé de nouvelles prébendes et de nouveaux maîtres outre-Atlantique.

Vous ne me croyez pas ? Allez donc lire vous-même ce qu'Alexandre Soljenitsyne dit de l'Holodomor. Qui, rappelons-le, était ukrainien de naissance. Ou, plus précisément, un cosaque ukrainien.

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dimanche, 17 novembre 2024

Comment une génération voulait changer le monde et a bien failli y parvenir

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Comment une génération voulait changer le monde et a bien failli y parvenir

par Peter Backfisch

Encourager le débat au sein des cénacles aujourd'hui non-conformistes a toujours été l’un des objectifs déclarés d'Euro-Synergies. Dans cet article, Peter Backfisch fait référence à la contribution d’Ernst Rahn sur le thème « Jeunes contre Vieux » et décrit comment, selon lui, la jeunesse a modifié l’état du système à partir de 1968.

L’idée du texte ci-dessous est née après la lecture de l’article « Jeunes contre Vieux » d’Ernst Rahn, affiché sur un blog. Contrairement à la thèse de Rahn, selon laquelle une génération (les jeunes) ne pourrait pas changer l’état actuel du système par elle-même, l’auteur soutient que les jeunes générations peuvent effectivement réaliser des transformations profondes, comme l’a montré l’histoire récente. Cependant, ce texte n’est pas une position opposée aux points soulevés par Rahn, qui se concentrent sur la situation actuelle de notre pays, des observations que l’auteur partage en grande partie.

Né en 1954, j’avais 14 ans en 1968 et me considère donc plutôt comme un « post-soixante-huitard », car je n’ai pas pu participer activement aux tensions et ruptures de cette époque en tant qu’acteur politique. Je me souviens cependant de l’attentat de Pâques 1968 contre Rudi Dutschke et des manifestations de Heidelberg contre la guerre du Vietnam, avec leurs nombreux chants « Ho Ho Ho Chi Minh ». Mais à 14 ans, je n’étais certainement pas en mesure de saisir la teneur de toutes ces dynamiques politiques. Pourtant, je vois dans ces événements le début d’un conflit intergénérationnel qui a durablement changé notre système et nos conditions de vie. Mais revenons d’abord en arrière.

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Pour comprendre tout cela, il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La génération des parents des soixante-huitards est revenue de la guerre et de la captivité en 1945 ou après, vaincue et souvent désemparée quant à la suite des événements. Cette génération souhaitait avant tout vivre en se concentrant sur ses propres préoccupations, ce qui signifiait reconstruire le pays détruit, fonder des familles, et accéder à la prospérité dans un ordre de paix et de démocratie. Les notions de démocratie restaient floues, mais la soif de loi et d’ordre prédominait.

Culturellement, un vide s’était ouvert après la chute du Troisième Reich. Les puissances occupantes, en particulier les États-Unis, ont rapidement cherché à le remplir avec leurs propres contenus, visant à ancrer l’Allemagne dans le camp occidental. C’était la première étape, qu’on peut appeler la « rééducation » des Allemands. Cela a été accompagné par l’avènement de la télévision, qui a réellement commencé à influencer et à façonner une hégémonie culturelle chez ceux nés à partir de 1940. On peut citer le mouvement Beatnik, qui s’est transformé en mouvement hippie vers 1967, promettant une vie de liberté par un rejet radical des valeurs traditionnelles de la classe moyenne, qu’il fallait abandonner, voire détruire.

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Famille, tradition, ambition étaient considérées comme rétrogrades et réactionnaires ; il était temps de surmonter l’esprit pesant de l’ère Adenauer. Cette dynamique s’est accélérée après 1968 avec la musique pop, « Street Fighting Man », et des films comme « Easy Rider » qui célébraient la liberté par la drogue, l’abandon des normes de réussite, et l'idéal d’un road-trip à moto à travers les vastes étendues américaines. À partir de 1969, des festivals de pop et de rock ont vu le jour aux États-Unis et en Europe, rassemblant des centaines de milliers de participants. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Woodstock, un événement de trois jours sous la pluie, marqué par l’amour libre, les drogues et de nombreux actes de violence.

Conformément à la pensée d’Antonio Gramsci, le terrain était ainsi préparé pour un passage à l’étape suivante : établir des sphères d’influence politique et initier des changements irréversibles. Le déclencheur fut les protestations des étudiants contre la guerre du Vietnam dans les pays capitalistes occidentaux. En Allemagne, ils s’organisèrent dans le Syndicat socialiste des étudiants allemands (SDS), qui allait devenir la soi-disant opposition extraparlementaire (APO). Les protestations eurent un impact significatif: des gouvernements tombèrent ou s’ouvrirent à des perspectives critiques, débouchant sur divers mouvements pour la paix. L’attribution du prix Nobel de la paix au chancelier allemand Willy Brandt en est un exemple emblématique.

L’influence sur les institutions sociales s’est étendue surtout dans les écoles et universités ainsi que dans les sciences humaines. Tout devait être anti-autoritaire, sans pour autant être non-violent. Un engagement pour une vision du monde de gauche: telle était l'attitude qui dominait. La structure idéologique a été fournie par l’École de Francfort et d’autres groupes de réflexion. Selon eux, la démocratie ne pouvait être authentique que dans un système de conseils, permettant, soi-disant, une domination directe par les masses.

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Comment la génération de l’après-guerre, qui avait acquis une certaine prospérité vers 1970, a-t-elle perçu tout cela ? Elle y a généralement répondu par le rejet et l’incompréhension. Dans les familles, les tensions étaient souvent dures, parfois inconciliables, menant à des déceptions et résignations chez les anciens et des refus d’engagement chez les jeunes, que ce soit à l’école ou au travail, ou à des engagements allant jusqu’au militantisme politique extrême, culminant avec la lutte armée contre le système menée par la RAF (Fraction armée rouge), inspirée par Lénine, Mao, Che Guevara, et d’autres guérilleros d’Afrique et d’Amérique latine.

Au début, jusqu’à la fin des années 1970 environ, l’objectif était encore de renverser le système exploiteur par une révolution guidée par la classe ouvrière, conformément aux enseignements de Lénine. Après une décennie de défaites continues, la gauche militante s’effondra progressivement et se mit en quête de nouvelles méthodes de lutte. La patience et la persévérance devinrent la nouvelle stratégie. L’ancien militant de rue Joschka Fischer mit de côté ses cocktails Molotov et proclama la « marche à travers les institutions », signifiant que toute implication politique devait s'effectuer selon les règles de la démocratie en place. En 1979, le parti des Verts fut fondé et fit son entrée au Bundestag allemand en 1983. Joschka Fischer devint ministre de l’Environnement dans le Land de Hesse.

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Joschka Fischer: un itinéraire étonnant du gauchisme violent, celui des Kravallos, pour aboutir à une dévotion atlantiste et otanesque caricaturale et à un embonpoint ministériel finalement très bourgeois...

Le 27 septembre 1998, la « marche à travers les institutions » triompha : pour la première fois, la coalition rouge-verte obtint la majorité. Mathias Döpfner, rédacteur en chef de Die Welt, déclara que c’était « une journée de victoire pour la génération de 68 », que « pour la première fois, les militants de l’opposition extraparlementaire occupaient les plus hautes fonctions de l’État ».

Ce triomphe a eu des conséquences, et on peut dire que la refonte qui a suivi a fondamentalement transformé le système en Allemagne. Les Verts restèrent fidèles à leurs idéaux de société sociale, voire socialiste. Ils avaient enfin le pouvoir de dicter les thèmes de l’époque. Presque toutes les institutions furent transformées en profondeur: écoles, universités, arts, littérature, médias, éducation, même les églises et la CDU, bastion conservateur allemand, succombèrent à ce nouvel esprit de gauche.

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Je reviens à la question initiale : « Une génération peut-elle changer le système ou même le monde ? » Je laisse la parole à Suze Rotolo, amie de jeunesse de Bob Dylan, qui écrit dans ses mémoires, A Freewheelin' Time : « Nous croyions sincèrement que nous pouvions changer le monde pour le meilleur. » Mais quiconque observe notre pays aujourd’hui sait que Rotolo avait tort : les temps ont changé, mais pas pour le meilleur.

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mercredi, 13 novembre 2024

Edouard Drumont et la France glaciaire

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Edouard Drumont et la France glaciaire

par Nicolas Bonnal

« Il n'est pas possible à l'observateur social de n'être pas frappé de la puissance d'expansion, de la force d'action extérieure  qu'avait cette France d'autrefois. »

76% des froncés solidement contre Trump, s’émerveille l’impayable Figaro. Comme ils sont 99-100% à être contre Poutine…

L’effondrement de la France est évident pour tous, sauf pour les retraités Tartine qui se tapent cent heures de télé par semaine (c’est un minimum en république). Après une brève et contrastée embellie gaulliste (voyez mon livre sur la destruction de la France au cinéma), vite noyée sous les quolibets et les pavés de mai 68 et l’avènement de la société de consumation frivole et socialiste, la France disparaît et elle est suffisamment gâteuse avec ses immigrés, ses bobos et ses vingt-trois millions de retraités fachos-socialos-écolos-rigolos pour défier en ce moment, à la manière d’Hitler (un remix comique de Hitler, on en revient toujours à Marx), l’Amérique et la Russie, sans oublier la Chine. Contrairement à l’Allemagne il ne reste aucune force politique de lucidité qui fasse plus de 0.5%. Seule l’Angleterre éternellement toxique et méphitique peut comme toujours faire pire, et s’en donne à cœur joie.

Mon mal vient de plus loin, comme écrit Jean Racine. Après la raclée de 1870 et l’avènement de ce régime sous-républicain dont on ne s’est jamais remis, Drumont écrit les lignes suivantes sur cet âge glaciaire :

« C'est le contraire absolument de ce que nous voyons se produire aujourd'hui. La France, comme un astre qui s'éteint, entre peu à peu dans la période glaciaire et perd sa puissance de rayonnement. Nous portions jadis tout au dehors, notre langue, nos idées, nos vins; aujourd'hui nous recevons tout de l'Allemagne : ses Juifs, sa bière et sa philosophie, les Bamberger et les Reinach, les  bocks et Schopenhauer. »

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On laisse les juifs de côté car comme je l’ai montré dans mon Céline comme dans mes écrits sur Drumont, ils ne sont qu’un bouc émissaire facile et usagé. Le vrai responsable c’est le Français moderne dont la Révolution et le monstrueux bonapartisme social-impérial ont accouché. Voir mon Autopsie de l’exception française. Un tire-au-flanc vieilli, fumiste, festif et vérolé (au moins moralement), voilà ce dont on a accouché en devenant la lumière du monde. Cochin ou Bernanos en ont parlé mieux que personne.

Les forces de réaction ? Elles sont un leurre éternel. Drumont parle des bien-pensants de Bernanos, de nos conservateurs qui avec Barnier et les souverainistes cathos aux affaires achèveront tranquillement cet hexagone :

« cœurs honnêtes mais sans flamme et sans élan, âmes timides mais voulant sincèrement le Bien, esprits exempts du doute qui a  agité la génération précédente et installés tranquillement dans des croyances religieuses plus solides et moins superficielles qu'on ne l'imagine… voilà les conservateurs. « 

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Drumont a déjà écarté la facile et messianique-comique figure du sauveur (De Gaulle est une figure ésotérique et philosophique, comme l’avait compris mon maître et ami Parvulesco, plus qu’une figure politique – il est resté sans héritiers ou est devenu l'inspirateur de traîtres euro-américains).

« De cette masse grise d'honnêtes gens qui constituent le meilleur de la France, on ne voit sortir aucun dévouement  exceptionnel; on ne voit se former nulle part non plus un de ces courants qui emportent tout ; on ne voit se dessiner aucune de  ces personnalités éclatantes qui semblent désignées par la Destinée pour tout sauver... ».

On entre donc, dit Drumont, dans une période glaciaire (cela correspond au réchauffement climatique auquel ce crétin de pays croit dur comme fer je suppose) :

« La  France, la grande génératrice de généraux, de politiques, de penseurs, ne produit plus d'hommes ; comme les astres dont le foyer s'éteint graduellement, elle semble entrer dans la période glaciaire.

Le sol lui-même, si riche jadis, paraît s'épuiser; nos grands vignobles sont rongés par de mystérieux ennemis. Grâce à la culture  intensive et aux prétendues méthodes scientifiques, la terre, comme nous le disait un cultivateur, ressemblera bientôt à une  armoire: on n'y trouvera plus que ce qu'on y aura mis... »

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Drumont cherche les causes et va citer un philosophe militaire belge qui explique tout grâce au magnétisme passager qui habite les nations:

« Peut-être est-ce une loi inévitable et à laquelle nulle nation n'échappe? C'est la théorie développée dans un livre introuvable et  qui certainement n'a pas été lu par dix personnes en France :  l’humanité, sa durée. Brück, l'auteur, est un inconnu même dans sa patrie, la Belgique ; il n'en a pas moins remué, au milieu d'un fatras confus, des idées très originales et très hautes. »

Un peu de Brück donc :

« D'après lui, c'est le courant magnétique terrestre qui, en se déplaçant, détermine la grandeur et la décadence des nations.

La  civilisation, écrit-il, a sa marche tracée et parcourra successivement toutes les parties du globe par suite du déplacement d'une région nodale mobile de plus grande intensité ou de plus grande activité magnétique qui, durant une période magnétique  séculaire, donne la plus grande activité magnétique ou la plus grande énergie physique et les meilleures prédispositions morales  à toute une région. »

Chaque région connaît ou presque son heure :

« Jusqu'à  ce  jour,  ce  qui  précède  s'est  produit,  si  bien  que dans  les  régions  momentanément  favorisées,  les  populations devenues  dominantes  et  qui  furent  placées  à  la  tête  de l'humanité,  ont  plus  spécialement  brillé  par  l'énergie  physique et  la  puissance  lorsque  la  région  favorisée  était  naturellement sous  l'influence  des  courants  magnétiques  intenses, tandis  qu'elles  ont  plus  spécialement  brillé  par  l'intelligence, par  l'imagination  et  par  leurs  œuvres,  lorsque  les  régions  favorisées,  occupées  par  elles,  étaient  naturellement  sous l'influence  de  circulations  magnétiques  actives. »

Drumont ajoute :

« La  loi,  toujours  d'après  Brück,  est  que  l'évolution d'un  peuple-chef  est  terminée  au  bout  de  mille  trente-deux  ans.  Dans  cet  espace  de  temps  il  a  parcouru toutes  les  phases  de  son  développement,  il  n'a  plus qu'à  décroître,  il  peut  vivre  quelque  temps  tranquille sur  son  passé,  mais  tout  effort  lui  est  funeste  comme toute  imprudence  est  fatale  au  vieillard;  toute  tentative pour  s'agrandir  se  traduit  pour  lui  par  une  diminution de  territoire. »

L’heure de la France moderne allait sonner, quand le pays jouissait encore du prestige impérial :

« C'est  en  1862,  il  faut  noter  la  date,  que  Brück  écrivait à  notre  sujet :

Voilà  un  peuple  riche,  glorieux  et  puissant  qui  se  croit supérieur  à  tous  les  autres  et  qui  a  de  nombreuses  raisons d'être  fier  de  son  passé.  Ses  armées  sont  prêtes  à  renverser  pour  la  troisième  ou  la  quatrième  fois  les  barrières  qu'on pourrait  lui  opposer  en  Europe.

Ce  peuple  tient tous  les  autres  en  armes  et  dans  des  inquiétudes très  grandes  à  la  pensée  des  terribles  événements qu'entraînerait  une  lutte  qu'on  a  pu  le  croire  et  qu'on  le  croit  peut-être  encore  prêt  à  provoquer.

Jusqu'à quel point puis-je dire à ce peuple : Tu es encore formidable aujourd'hui mais songe à la loi ; nul peuple ne vivra comme peuple-chef au-delà de mille trente-deux ans : tu es né en 843 du partage de l'empire franc à 'Verdun ; nous sommes en l'an de grâce 1862: tu as donc mille et dix-neuf ans ; fais ton compte.

1862 + 14 = 1876

1876 aurait donc été pour nous le commencement de la fin. »

C’est presque du Jean Phaure (voyez la France mystique de mon vieil ami métaphysicien, et qui adorait la série Le Prisonnier…). Et Brück eut son ère de gloire dans des cercles militaires éclairés. Impossible hélas de mettre la main sur ses livres sur le web. Le froncé s’en remettra…

Drumont toujours aussi visionnaire ajoute :

« Ajoutons,  pour  que  nos  voisins  ne  triomphent  pas trop  de  notre  décrépitude,  que  le  courant  magnétique ne  se  dirige  pas  sur  l'Allemagne,  il  se  porte  vers  l'Amérique. »

Sources :

https://books.googleusercontent.com/books/content?req=AKW...

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas-Remi_Br%C3%BCck

https://www.academieroyale.be/academie/documents/FichierP...

https://www.amazon.fr/Pourquoi-Gaulle-adorait-Russie-anti...

https://www.amazon.fr/DESTRUCTION-FRANCE-AU-CINEMA/dp/B0C...

https://www.amazon.fr/Phaure-jean-mystique-r%C3%A9flexion...

 

lundi, 11 novembre 2024

La Dialectique Protestantisme/Judaïsme comme base de la civilisation occidentale

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La Dialectique Protestantisme/Judaïsme comme base de la civilisation occidentale

Raphael Machado

Source: https://novaresistencia.org/2024/11/03/a-dialetica-protes...

Dans le débat sur les racines de la civilisation occidentale (celle qui dirige les destinées de l'Amérique du Nord et de l'Europe de l'Ouest), il est typique de voir ses apologètes tracer des connexions avec l'Église catholique, la Grèce et Rome. Pourtant, il se pourrait que la Réforme protestante et le Judaïsme soient sous-estimés en tant qu'éléments déterminants.

Il y a quelques jours, on a célébré l'anniversaire de la Réforme protestante. La date en elle-même est discutable car elle ignore le fait que le processus de fracture de l'Église catholique a été graduel, et qu'en un sens, la Réforme s'était déjà propagée à partir de Jan Hus et de John Wycliffe bien avant que Luther ne publia ses Thèses.

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Jan Hus et Jean Calvin.

Cependant, elle représente un jalon important car les actions de Luther et, bientôt, de Calvin, ont acquis un « momentum » qui transforma leur projet en un événement d'échelle civilisationnelle, grâce à la présence d'une série de conditions favorables à cela.

Ce qui m'intéresse toutefois dans ce commentaire rapide de cette date, c'est son rôle dans la construction de ce que nous entendons par « civilisation occidentale ». Malgré les discours réactionnaires sur la « civilisation occidentale » qui font appel artificiellement à la Grèce, à Rome, ainsi qu'à l'Europe médiévale, la réalité est que l'Antiquité et le Moyen Âge constituent des réalités totalement fermées pour la mentalité libérale-conservatrice préoccupée par cette « civilisation occidentale ».

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Si nous prenons ce que Spengler ou Nietzsche ont écrit sur la perspective de l'homme classique, il devient très facile de comprendre combien il est difficile de construire une connexion directe entre Athènes et l'Occident, sauf dans les termes limités de la méthode analogique utilisée par la géopolitique. L'homme classique est un homme de la réalité manifeste, qui pense la nature comme forme et comme floraison de formes; même le fonctionnement de ses sens semblait opérer différemment, comme l'examen du texte de l'Iliade permet de le percevoir en ce qui concerne les couleurs travaillées par Homère.

En pratique, bien que nous soyons habitués à ces efforts pour construire un lien avec l'Antiquité (comme l'effort foucaldien [et d'autres] pour établir un lien entre l'homosexualité et la culture grecque, ou les efforts des démocrates pour faire appel aux motifs grecs dans leur critique de la « tyrannie », etc.), efforts issus du prestige symbolique du monde grec, il y a très peu de choses dans la Modernité que nous devons vraiment, directement, aux Grecs.

En revanche, il est facile de voir comment la Réforme protestante a influencé les Lumières et, par conséquent, la Modernité et toute la civilisation qui en a découlé depuis; et cela, bien qu'il soit nécessaire de souligner le rôle du nominalisme et du jusnaturalisme, ainsi que de la tradition scolastique dans sa phase tardive, dans la construction de ce même processus.

Il est nécessaire, en ce qui concerne la Réforme protestante, de se rappeler du rôle que celle-ci a attribué à la raison humaine et à la pleine capacité de l'individu à interpréter les Écritures; ainsi que de son rejet du caractère communautaire de la relation entre l'homme et Dieu et, en revanche, de l'insistance sur sa subjectivité.

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Descartes et Locke.

Ainsi, bien que Descartes ait été « catholique », sa philosophie serait-elle concevable sans un environnement déjà fondamentalement façonné par le protestantisme, comme celui de la France huguenote ? Ou celle de Locke, sans considérer ses années dans les Provinces-Unies calvinistes ?

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Moses Mendelssohn.

Mais ce qui est moins connu, c'est la « Haskalah », ou « Lumières juives ». Celles-ci ont été influencées par les Lumières « gentilles », dans la mesure où Moses Mendelssohn était un lecteur de Locke et un interlocuteur de contemporains tels que Kant. Cependant, l'impact de Mendelssohn et de la Haskalah a été révolutionnaire par l'affaiblissement de l'autorité du rabbinat traditionnel. L'aboutissement de la Haskalah est le sionisme, bien que le sionisme conserve une dimension religieuse dont les racines sont assez profondes.

Les personnes bien instruites trouveront dans Maïmonide, Rambam, Luria et d'autres sages médiévaux beaucoup des prescriptions encore présentes aujourd'hui dans la mentalité israélienne concernant l'Etat d'Israël et la manière de traiter les Palestiniens.

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Mais Mendelssohn lui-même a été influencé par des figures plus anciennes comme Spinoza, Menasseh ben Israel et Simone Luzzatto, qui ont exercé une grande influence sur la société et la philosophie européennes. Les deux derniers ont eu plus d'influence dans le domaine politique, tandis que Spinoza est l'un des « grands » de la philosophie moderne, étant influencé par Descartes, mais aussi par la riche tradition théo-philosophique juive. Ben Israel et Luzzatto ont joué un grand rôle, tout comme Mendelssohn, dans la propagation des conceptions modernes du sécularisme, en tant que dérivation nécessaire de la « liberté de conscience ». Mendelssohn est allé un peu plus loin, en défendant pratiquement un « indifférentisme religieux » tant au sens métaphysique qu'en tant que « nécessité d'État ».

Mais dans un sens plus large, le rôle de la raison face à la religion et à la tradition révèle une grande influence de l'environnement intellectuel juif dans la construction de la civilisation occidentale. Et cela parce que la tradition rabbinique, telle qu'elle se présente dans le Talmud, la Mischna et les textes théologiques du judaïsme médiéval, a toujours été une tradition de débat intellectuel avec une forte connotation rationaliste.

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À cet égard, si l'influence de la Réforme protestante sur les Lumières est établie dans une certaine mesure, il serait nécessaire de pointer également l'influence directe des exégètes et grammairiens juifs, tels que David Kimhi et Elia Levita. Kimhi a eu une influence particulière, car la Bible « du Roi Jacques » repose en grande partie sur ses commentaires anticatholiques. Quant à Elia Levita, son rôle en tant que « professeur de Kabbale » pour le clergé catholique à la Renaissance présente des parallèles avec l'influence même du kabbaliste Johannes Reuchlin sur Luther.

Cette influence de la Kabbale sur la philosophie moderne semble d'ailleurs s'étendre au-delà, dans la mesure où il existe aujourd'hui une tradition académique soutenant avec de bons arguments que la doctrine des monades de Leibniz a des origines kabbalistiques, avec des preuves documentées démontrant que Leibniz a étudié la Kabbale; et que la doctrine de la tabula rasa ainsi que la perspective progressiste de Locke ont été influencées par le tikkun olam, une idée de « rectification de la nature » par des améliorations graduelles vers la perfection.

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Un autre chemin d'influence réside dans le républicanisme libéral tel qu'il s'est développé aux Pays-Bas, notamment à travers l'œuvre de Petrus Cunaeus, qui a écrit « De Republica Hebraeorum », un texte arguant que le royaume hébreu tel qu'il est présenté dans la Torah constituait la république idéale qui pourrait servir de modèle pour les Pays-Bas récemment « libérés » de l'Empire espagnol. Cunaeus, auteur intéressant, était en dialogue avec l'agent colonial et rabbin déjà mentionné Menasseh ben Israel, ainsi qu'influencé par Maïmonide. Dans le même sens se trouvait l'un des révolutionnaires américains les moins connus, le pasteur Samuel Langdon, qui défendait également l'ancien royaume hébreu comme le modèle idéal à partir duquel construire une république fédérative.

Plus notoires et n'ayant pas besoin de nombreux commentaires, ce sont les textes de Max Weber et Werner Sombart sur les origines du capitalisme, qui abordent respectivement les racines protestantes et juives du mode de production, tant à cause du rôle attribué par le rationalisme que pour la relation assez différente que ces religions auraient tant avec l'accumulation qu'avec l'usure.

C'est pourquoi, en considérant les caractéristiques fondamentales de la civilisation occidentale, ce sont dans ces interactions entre la tradition protestante, la tradition juive et la tradition des Lumières que nous devons chercher les racines de la civilisation moderne actuelle à prétentions planétaires.

dimanche, 10 novembre 2024

États Dés-Unis d’Europe

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États Dés-Unis d’Europe

Par Mario Porrini

Source: https://www.centroitalicum.com/stati-dis-uniti-deuropa/

L’Europe, que beaucoup rêvent souveraine et indépendante, n’est en réalité qu’une colonie des États-Unis. Au XVIIe siècle, le Ius publicum Europaeum s’est imposé, permettant de réaliser un progrès réel en limitant et en circonscrivant la guerre sur le continent. Avec le traité de Versailles et la montée en puissance des États-Unis, le concept de responsabilité de guerre et de crimes de guerre a été introduit, criminalisant et déshumanisant ainsi l’ennemi : une guerre visant l’anéantissement de l’adversaire.

L’indépendance européenne est une pure illusion, car avec l’appartenance à l’OTAN, l’UE est devenue la succursale économique de l’Alliance atlantique sans la moindre prétention à une autonomie, même minimale.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est devenu courant de promouvoir l’idée que les pays européens devraient se fondre en un seul sujet politique. La taille territoriale et la puissance démographique des États-Unis et de l’URSS suggéraient en effet de réunir les nations du Vieux Continent pour pouvoir rivaliser avec ces deux superpuissances. Au fil des ans, diverses hypothèses sur la forme que pourrait prendre cette union d’États se sont succédé sans jamais dépasser le stade des discussions purement académiques. De Charles De Gaulle, qui parlait d’une « Europe des patries », à Altiero Spinelli, fervent défenseur du fédéralisme, de nombreuses idées ont été exprimées, souvent nébuleuses, mais rien de concret n’a jamais été réalisé. Les seuls progrès ont été faits sur le plan strictement économique: en 1951, la Communauté européenne du charbon et de l’acier a été créée, puis en 1957 le traité de Rome (CEE) a permis la libre circulation des marchandises entre les pays membres, jusqu’à la création de l’Union européenne que nous connaissons aujourd’hui.

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Le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine a donné un nouvel élan aux partisans de la création d’une entité ayant une politique étrangère et militaire unique, capable de faire face aux nouveaux scénarios qu’une guerre au centre de l’Europe présente. La réponse à Poutine a globalement été unifiée. Hormis la Hongrie, tous les pays ont adhéré aux sanctions contre le prétendu agresseur, soutenant en parallèle l’Ukraine par des moyens économiques et des livraisons d’armes. La Pologne et les pays baltes, ennemis historiques de la Russie, ont agi avec plus de fermeté et de détermination, tandis que l’Italie, l’Allemagne et la France ont accepté « bon gré mal gré », car ces mesures nuisent principalement à leurs propres intérêts. Tous les autres pays se sont conformés aux directives de Washington avec plus ou moins de conviction. Le point central est bien celui-ci : « les ordres venant de Washington ».

L’Europe, que beaucoup rêvent souveraine et indépendante, n’est en réalité qu’une colonie des États-Unis, lesquels, à travers l’OTAN, imposent une politique étrangère adaptée à leurs propres intérêts, en utilisant des troupes de soutien – à la manière des auxilia de l’armée romaine – fournies par les régions soumises, les colonies de l’empire américain. Cette soumission dure depuis quatre-vingts ans et rien ne semble indiquer que les choses vont changer. Il manque une volonté politique forte pour modifier cette situation. Les dirigeants des différents pays européens ne se montrent pas capables de mener un véritable tournant, ni de s’engager dans une véritable guerre d’indépendance de l’Europe face aux États-Unis. Ils n’en sont pas capables et ne semblent même pas désireux de le faire. Une telle bataille nécessiterait de la détermination, du courage, et surtout du charisme. Or, il n’existe pas de figure politique européenne réunissant ces qualités. Il est beaucoup plus confortable de gouverner au nom d’un tiers, tel un gouverneur de province impériale, en répondant directement à Washington.

L’absence d’une direction politique à la hauteur de cette tâche pourrait, toutefois, ne pas être le problème principal. Le véritable obstacle réside dans la conflictualité qui a toujours caractérisé les relations entre les États européens et la profonde hétérogénéité culturelle, les habitudes, et les traditions des différents peuples qui peuplent le Vieux Continent. L’Histoire nous enseigne qu’une Europe unie n’a jamais existé. L’Empire romain, celui de Charlemagne et le Saint-Empire romain germanique, la domination de Charles Quint, l’empire des Habsbourg n’ont jamais embrassé l’ensemble du continent, mais seulement une partie de celui-ci.

Entre le XVIe siècle et la fin du XIXe siècle, avec la naissance des États-nations, compacts et aux frontières établies, divers motifs de conflits liés aux questions territoriales plutôt qu’économiques ont émergé, créant les conditions pour un enchaînement ininterrompu de guerres de tous contre tous dans une série continue d’alliances sans cesse modifiées et de coalitions en lutte les unes contre les autres. Avec l’époque des grandes explorations géographiques, la découverte du Nouveau Monde et les immenses richesses qu’il offrait, les raisons de conflits se sont multipliées de manière exponentielle.

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Au XVIIe siècle, une série de règles, regroupées sous le terme de Ius publicum europaeum et analysées magistralement par Carl Schmitt, s’est progressivement imposée. Ce cadre juridique permettait de circonscrire les guerres en Europe et de limiter les excès. Les États européens se considéraient réciproquement comme des Justi Hostes et la guerre était toujours considérée comme juste dès lors qu’elle était menée par des armées organisées relevant d’États reconnus par le droit international européen, sur le sol européen et selon les règles du droit de la guerre européen. Ce cadre mettait un frein à la criminalisation et à l’anéantissement de l’ennemi, des comportements qui avaient été courants dans les guerres de religion du XVIe siècle. En cas de conflit, l’objectif était de le canaliser et d’en limiter les excès.

Le Ius publicum en vigueur en Europe perdait cependant sa valeur en dehors du continent, où la lutte devenait illimitée et l’absence de toute restriction juridique en matière de guerre ne laissait prévaloir que le droit du plus fort. Au-delà de cette frontière continentale, la conquête de nouveaux espaces dans les territoires immensément riches du Nouveau Monde pouvait être menée avec un usage libre et impitoyable de la violence, sans aucune considération de nature juridique, morale ou politique. Les traités, la paix et l’amitié ne concernaient que l’Europe, c’est-à-dire le Vieux Monde, à l’intérieur de cette frontière.

Le fait que, au XVIIe siècle, le roi de France, catholique et très chrétien, se soit allié à des hérétiques et pirates sauvages, corsaires et flibustiers, contre le roi très catholique d’Espagne, mettant à feu et à sang les villes espagnoles en Amérique, ne s’expliquait que par le fait que de telles incursions de pirates avaient lieu au-delà de la ligne. De même, l’Espagne et l’Angleterre entretenaient des relations diplomatiques normales sur le continent, tandis que les Sea Dogs (« Chiens de Mer »), également connus sous le nom de corsaires de la reine Élisabeth Ire d’Angleterre, attaquaient et pillaient les galions espagnols qui ramenaient en Espagne de l’or et d’autres matières précieuses.

À la fin du XIXe siècle, avec la montée en puissance des États-Unis, la crise du Ius publicum europaeum commençait. L’irruption de cette jeune puissance sur la scène européenne, oscillant entre un isolationnisme marqué, se tenant en retrait par rapport à l’Europe, et un interventionnisme humanitaire universel, modifiait radicalement la situation. L’entrée en guerre lors de la Première Guerre mondiale et les lourdes ingérences du président Wilson lors de la conférence de paix de Paris bouleversaient les règles du droit européen. La Grande Guerre avait commencé comme une guerre entre États européens à l’ancienne, où les gouvernements des pays belligérants se reconnaissaient mutuellement comme des justi hostes, et le concept d’agression n’existait pas encore dans le droit international. Une déclaration de guerre formelle avait été émise, qui jusqu’alors ne pouvait être considérée comme une incrimination ou discrimination.

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Le traité de Versailles introduisait, de manière rétroactive, une nouvelle notion de guerre, mettant en accusation l’ancien empereur Guillaume II et introduisant le concept de responsabilité de guerre et de crimes de guerre. Selon le Ius publicum europaeum, la guerre entre États souverains n’avait jamais été considérée comme un crime au sens pénal du terme, mais désormais le nouvel ordre imposé par les Américains se référait à la morale et à la politique plutôt qu’au droit, comme il aurait été juste. L’article 227 du traité de Versailles mettait en cause l’empereur Guillaume II pour une infraction indéterminée, menaçant une peine tout aussi indéterminée, avec des délégués américains demandant la condamnation pénale des chefs d’État responsables d’une guerre d’agression comme étant un « crime

Avec le traité de Versailles, une nouvelle notion de guerre fut introduite de manière rétroactive, mettant en accusation l’ancien empereur Guillaume II et introduisant le concept de responsabilité de la guerre et de crimes de guerre. Pour le jus publicum europaeum, la guerre entre États souverains n’avait jamais été considérée comme un crime au sens pénal du terme ; mais désormais, le nouvel ordre imposé par les Américains se référait à la morale et à la politique plutôt qu’au droit, comme cela aurait été juste. L’article 227 du traité de Versailles mettait en cause l’empereur Guillaume II pour un type de crime indéterminé, menaçant d’une peine également indéterminée, tandis que les délégués américains réclamaient la condamnation pénale des chefs d’État responsables d’une guerre d’agression, considérée comme un "crime moral contre l’humanité" — en somme, une véritable aberration juridique.

En 1939, le territoire du Vieux Continent fut une nouvelle fois entraîné dans une guerre entre nations européennes, dont le déroulement marqua la conséquence naturelle de la fin du jus publicum europaeum, remplacé par de nouveaux principes juridiques. La criminalisation et la déshumanisation de l’ennemi ouvrirent la voie à la férocité, chaque action visant l’anéantissement de l’adversaire. La Seconde Guerre mondiale atteignit des niveaux de cruauté qui font frémir. On revint à l’époque des guerres de religion, où les atrocités étaient la norme. Les moyens modernes d’anéantissement produisirent un nombre de victimes civiles sans précédent, et les bombardements anglo-américains terroristes et indiscriminés, visant à affaiblir la population civile, constituent des crimes qu’aucun tribunal de Nuremberg n’a jamais jugés ni condamnés.

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Depuis la fin de la guerre, l’Europe vit en paix sous le joug des États-Unis, qui se sont chargés de la défense militaire contre la menace supposée de l’URSS d’abord, puis de la Russie. Comme nous l’avons dit, aujourd’hui, avec la guerre éclatée au centre du continent, on reparle d’une Europe unie, indépendante et militairement forte. En réalité, ce qui importe, c’est que les pays européens dépensent davantage pour la Défense, au moins 2% du PIB, seuil considéré par les Américains comme le minimum indispensable pour tous les membres de l’Alliance atlantique. Les troupes auxiliaires doivent être en mesure de soutenir adéquatement l’armée de la puissance impériale à laquelle elles sont soumises. L’indépendance se révèle une pieuse illusion; l’appartenance à l’OTAN et à l’UE, qui représente désormais la branche économique de l’Alliance atlantique, anéantit toute velléité, même minime, d’autonomie. Les stratégies, les modalités d’intervention, l’entraînement, l’attribution des postes de commandement, tout est décidé au Pentagone, et les pays membres ne doivent que se plier et obéir.

Une Europe unie et indépendante représente, dans l’état actuel des choses, un objectif difficilement atteignable, tant les différences culturelles, politiques et économiques qui divisent ses peuples sont profondes. Invoquer des racines chrétiennes communes est de peu d’utilité, car d’une part, au nom de la foi, les chrétiens se sont combattus en commettant les pires atrocités, et d’autre part, le relativisme croissant empêche de considérer la religion comme un facteur d’unité. Malheureusement, les Européens continuent de se comporter comme les chapons de Renzo, se disputant pour de misérables futilités, indifférents à la situation de soumission dans laquelle se trouve notre continent.

Pendant des siècles, les États européens combatifs furent en guerre constante les uns contre les autres, mais le Vieux Continent était alors le centre du monde. Aujourd’hui, après quatre-vingts ans de paix, ces nations faibles et résignées sont réduites à de simples provinces périphériques de l’empire américain. Est-ce là notre destin ?

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Demain une guerre civile larvée outre-Atlantique?

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Demain une guerre civile larvée outre-Atlantique?

par Georges Feltin-Tracol

Au moment où sera mise en ligne la présente chronique, des millions d’électeurs des États-Unis auront donné leur voix à l’un des quinze candidats à l’élection présidentielle dont les favoris se nomment Kamala Harris et Donald Trump. La proclamation décentralisée des résultats finaux se déroulera-t-elle avec sérénité ? Difficile de le penser tant les enjeux sont cruciaux.

La médiasphère conforme s’inquiète déjà des éventuelles contestations du scrutin par l’entourage d’un ou des protagonistes. Elle martèle volontiers que l’annonce des résultats susciterait des réactions violentes au sein des « ordures », c’est-à-dire des électeurs de Trump désignés ainsi avec une rare classe par un Joe Biden de plus en plus sénile. En cas de victoire de sa vice-présidente, il est envisageable qu’elle remplace le grand-père gâteux de la Maison Blanche avant la fin de l’année 2024.

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La crainte de violences instillées par le système médiatique d’occupation mentale participe à la théâtralisation dramatique des opérations de vote. En effet, maints essais, articles et reportages radio-télévisés mentionnent une ambiance de pré-guerre civile, quel que soit d’ailleurs le vainqueur final. Faut-il vraiment croire que la première puissance mondiale serait à la veille d’une nouvelle guerre de sécession ?

Non ! Les nouvelles « Tuniques bleues » du Nord ne combattront pas les nouveaux « Ventres gris » de Dixie. Les possibles tensions n’auraient pas une audience nationale, surtout si la censure s’exerce sur les réseaux sociaux et sur Internet. Les éventuelles violences se concentreraient sur les échelles individuelle, familiale, communautaire ainsi qu’au niveau des comtés. La garde nationale de Floride ne luttera pas contre la garde nationale de Californie. Hormis la sanglante Guerre entre les États (1861 – 1865), la conflictualité aux États-Unis s’opère à un niveau territorial plus restreint. L’historien de gauche Howard Zinn en apporte des preuves dans son Histoire populaire des États-Unis (2003).

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Les guerres contre les tribus amérindiennes ne cessent pas au début du XXe siècle. Elles se poursuivent à l’occasion de manœuvres activistes radicales concertées. Du 27 février au 8 mai 1973, le FBI assiège la réserve amérindienne de Wounded Knee dans le Dakota du Sud. En 1890, la cavalerie étatsunienne y massacra plus de trois cents Amérindiens. Des activistes de l’AIM (Mouvement indien américain) exigent l’application complète des traités signés avec la Maison Blanche. On dénombre deux morts. En août 1979, des agents du FBI tuent deux autres Amérindiens dans la réserve d’Akwesasne.

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Outre les guerres contre les tribus amérindiennes, la dernière guerre de l’Ouest que raconte Loris Remondeau dans un bref essai historique disponible sous ce titre pour 6 euros (et 8 € de port) sur le site de la courageuse librairie ponote Arts enracinés se passe au Wyoming dans le dernier tiers du XIXe siècle. Dans un territoire où triomphe la loi du plus fort se déroule une variante de la « Guerre des Plaines » : la « Guerre du comté de Johnson ». Les grands éleveurs de bétail, surnommés les « barons de la viande », montent la WSGA (Wyoming Stock Growers Association), un puissant groupe de pression qui corrompt autorités politiques et judiciaires. Cette association s’oppose aux petits éleveurs qui gardent l’habitude de s’approprier des animaux non marqués, et les fermiers – cultivateurs qui enclosent leurs champs. La WSGA fait venir du Texas et d’autres contrées de l’Ouest des pistoleros qui écartent définitivement tout récalcitrant, toujours en état de légitime défense. Petits éleveurs et farmers résistent, s’organisent et combattent les hommes de main des « barons-voleurs ». Ces événements inspireront le film de Michael Cimino, La Porte du paradis (1980).

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On peut rapprocher cette guerre civile localisée à une autre micro-guerre survenue en 1920 – 1921 en Virginie-Occidentale dans le massif des Appalaches. Les compagnies propriétaires des mines de charbon répriment toute constitution de sections syndicales créées par l’IWW (Travailleurs industriels du monde), l’AFL (Fédération américaine du travail) et les Chevaliers du Travail. Elles recrutent des truands, soudoient les forces de police et font pression sur l’entourage des militants syndicaux. Les syndicalistes et les mineurs s’exaspèrent de ces menées. Ils se rendent dans le bourg de Logan où ils affrontent à balles réelles agents de police et briseurs de grève. Mobilisées, les troupes fédérales interviennent dans la bataille de Blair Mountain. Elles tirent à la mitrailleuse lourde et ordonnent un bombardement aérien. Au final, les autorités légalisent la présence syndicale dans les mines.

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Avant que commence la Guerre de Sécession se manifeste une « Guerre des frontières » aux confins du Kansas et du Missouri entre 1854 et 1861 à propos de l’esclavage. Les anti-esclavagistes, appelés Free Soilers ou Free Staters, bientôt dirigés par un illuminé fanatique selon Abraham Lincoln lui-même, John Brown (1800 – 1859), combattent les Border Ruffians. De 1704 à 1865, tout homme blanc valide en âge de porter les armes dans les États esclavagistes pouvait servir dans des patrouilles à cheval de trois à six personnes qui rattrapaient les esclaves en fuite et châtiaient les auteurs de ces évasions.

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L’année 1856 est riche en confrontations moléculaires. John Brown tue à coups de sabre cinq Border Ruffians qu’il qualifie de « serviteurs de Satan » à Pottowatomie Creek. Le 30 avril, il tente sans succès de protéger le bourg d’Osawatomie (Kansas) d’un raid massif de Border Ruffians (photo). La Guerre civile incite les belligérants à former des unités paramilitaires telles, du côté sudiste, les bushwhackers avec William Quantrill ou les frères James.

L’histoire sociologique de la violence politique aux États-Unis rapporte aussi quelques journées sanglantes. Une fusillade de la police contre des cheminots en grève de Chicago fait une vingtaine de morts, le 24 juillet 1877. Neuf ans plus tard, toujours dans la même ville, éclatent de nouveaux incidents dont le souvenir sera à l’origine de la fête du travail, le 1er mai. Les usines McCormick sont en grève. Les grévistes réclament la journée de huit heures. La police et les détectives privés de l’agence Pinkerton font feu sur les piquets de grève (deux morts et cinquante blessés). Le 4 mai, le massacre de Haymarket Square provoque douze morts dont huit policiers et cent trente blessés.

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Sait-on que la fameuse Gay Pride ou « Marche des fiertés » célèbre des émeutes survenues à New York ? Le 28 juin 1969, la police de la ville descend au Stonewall Inn. Ce bar de Greenwich Village, tenu par la mafia, accueille un public uraniste. Le raid policier inattendu suscite cinq jours d’émotions populaires. Pourquoi l’Alt Right nord-américaine ne ferait-elle pas chaque 6 janvier sa propre « Marche de l’identité, des libertés et de la vérité » en l’honneur des nombreux otages de l’État profond étatsunien ? Ce serait une répétition bien plus grande de la belle démonstration de Charlottesville.  

Il existe bien sûr d’autres exemples comme les cinquante-et-un jours de siège par le FBI du ranch de Waco au Texas qui se solda par la mort de quatre-vingt-quatre davidiens. Tous ces cas indiquent que la société étatsunienne ne s’inscrit pas dans le temps, mais plutôt dans l’espace. Il est possible que la victoire de Donald Trump ou de Kamala Harris déclenche de puissants mécontentements. Les violences sont inhérentes à l’égrégore des États-Unis. C’est un fait que ne pourra effacer aucun wokisme.

GF-T  

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 132, mise en ligne le 5 novembre 2024 sur Radio Méridien Zéro.

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lundi, 04 novembre 2024

Le vieux rêve occidental: la destruction de la Russie

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Le vieux rêve occidental: la destruction de la Russie

Filip Martens

Bien que la Russie n'ait jamais attaqué l'Occident au cours de son histoire séculaire et qu'elle ait au contraire toujours été désireuse de coopérer avec lui, elle a toutefois dû se défendre contre des attaques occidentales à plusieurs reprises: par l'Ordre de Livonie en 1240-1242, par la Suède en 1708-1709, par la France en 1812, par l'Allemagne en 1914-1918 et en 1941-1945, par l'Ukraine par procuration des États-Unis en 2022 jusqu'à aujourd'hui. En effet, les puissances occidentales voyaient et/ou considèrent la Russie comme une superpuissance compétitive. Depuis l'industrialisation, on s'est également rendu compte que la Russie possédait d'innombrables matières premières en quantités gigantesques. Ainsi, les puissances occidentales voulaient et veulent toujours avoir accès aux incommensurables ressources minérales de la Russie, car elles sont nécessaires à leur industrie.

Pour ce faire, l'Occident emploie toujours une stratégie de balkanisation de la Russie. Cet article donne un aperçu des différentes tentatives occidentales visant à diviser la Russie en une multitude de petits États sans pouvoir et, par conséquent, facilement dominables.

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1916-1918 : la première tentative allemande

La stratégie occidentale de démembrement de la Russie et de pillage de ses ressources a été lancée par l'Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. En avril 1916, la Ligue des nationalités allogènes de Russie est fondée à Lausanne. Le statut de neutralité de la Suisse donne à la Ligue l'apparence d'un non-alignement pendant la Première Guerre mondiale qui était en cours. Financée par le ministère allemand des affaires étrangères, la Ligue a pour objectif la destruction de la Russie tsariste par la création de mouvements séparatistes. Ceux-ci étaient censés « libérer » les peuples de Russie. Pour conserver l'apparence de la neutralité, la Ligue cherche à obtenir le soutien des Alliés, des États centraux [1] et des États neutres. Avec le traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918 entre les pays du centre et l'URSS nouvellement créée, l'Allemagne acquiert une série d'États satellites à sa frontière orientale (États baltes, Pologne, Ukraine et Finlande). Ces États satellites dépendent économiquement de l'Allemagne et sont contraints de lui fournir des matières premières. À la suite de ce traité, la Russie a perdu environ un tiers de ses terres agricoles, plus de la moitié de son industrie et la grande majorité de ses mines de charbon. Lorsque l'Allemagne elle-même s'est effondrée en novembre 1918, elle a immédiatement perdu tous ces acquis.

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1918-1939: Le prométhéisme et la stratégie d'Intermarium de la Pologne

Toujours en 1918, Jozef Pilsudski, le fondateur de la Pologne nouvellement rétablie, a lancé le prométhéisme. Ce projet visait également à balkaniser la Russie - désormais sous la forme de l'URSS - en soutenant les mouvements séparatistes parmi les peuples non russes de l'URSS. Pilsudski lui-même avait choisi le nom de « prométhéisme » en référence au Titan Prométhée de la mythologie grecque. Prométhée a volé le feu aux dieux et l'a donné aux humains. Pour cela, il a été puni pour l'éternité par Zeus. Par analogie, Pilsudski voyait la Pologne comme le Christ des peuples: de même que Jésus-Christ a apporté la lumière aux hommes, le peuple polonais apporterait la lumière aux peuples non russes qui - du moins selon la Pologne - étaient « opprimés » par l'URSS.

Le prométhéisme repose donc sur l'idée arrogante et méprisante que la petite Pologne est le leader naturel de l'Europe centrale et orientale, ce qui est une utopie compte tenu des capacités économiques et militaires limitées de la Pologne. Alors que l'ancien Commonwealth polono-lituanien (1569-1795) était territorialement le plus grand pays d'Europe, il s'agissait politiquement d'un État bi-confédéral très faible, impuissant et divisé à l'intérieur, Etat qui n'a pu exister que parce que le Brandebourg-Prusse, la Moscovie-Russie et l'Empire des Habsbourg étaient de petits États à l'époque. Une fois que ces trois États sont devenus des superpuissances, le Commonwealth polono-lituanien a disparu de la carte assez rapidement. Néanmoins, Pilsudski voyait en la Pologne une superpuissance potentielle capable de dominer les autres nations « inférieures ». C'est d'ailleurs exactement ce que le prométhéisme reprochait à l'URSS. La Pologne devait donc mobiliser et soutenir les nombreux peuples non russes de l'URSS afin de devenir elle-même dominante.

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Le prométhéisme était étroitement lié à la stratégie géopolitique de l'Intermarium de Pilsudski. Ce concept visait à réunir les États d'Europe centrale et orientale au sein d'une fédération placée sous la direction de la Pologne. Cela impliquait que ces États renoncent à leur souveraineté. En effet, Pilsudski rêvait d'une restauration territoriale et politique de l'ancien Commonwealth polono-lituanien, qui s'étendait entre deux mers (la mer Baltique et la mer Noire). D'où le nom latin « Intermarium » donné à cette vision romantique de la politique polonaise.

Dès 1918, la Pologne a soutenu des mouvements séparatistes en Carélie, dans les Pays baltes, en Biélorussie, en Ukraine, dans le Caucase et en Asie centrale. Même après l'annexion de la plupart de ces régions par l'URSS en 1921, la Pologne a continué à apporter un soutien matériel aux séparatistes émigrés.

Le prométhéisme a été une ligne directrice de la politique étrangère de la Pologne pendant l'entre-deux-guerres. En 1934, la Pologne a fondé l'organisation Prometeusz. Son siège se trouvait à Paris. Il existait des antennes à Berlin, Varsovie, Vilnius, Helsinki, Téhéran et Harbin. Cette organisation apportait un soutien financier et technique aux mouvements séparatistes des peuples non russes en URSS.

Après 1939, le prométhéisme disparaît, d'une part parce que la Pologne - une fois de plus - disparaît de la carte et, d'autre part, en raison du manque d'intérêt des Alliés. À partir de 1944, la Pologne est,une fois de plus, rétablie mais devient un État satellite de l'URSS et ne peut donc pas reprendre ses activités prométhéistes.

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1941-1945 : la deuxième tentative allemande

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne tente une nouvelle fois de détruire la Russie en lançant l'opération Barbarossa. Cette invasion à grande échelle de l'URSS visait à éliminer l'URSS en tant que superpuissance compétitive, en annexant certains pays et en en colonisant d'autres, en expulsant et en soumettant en partie la population, ainsi qu'en prélevant des produits agricoles et des matières premières. Pour balkaniser l'URSS, l'Allemagne utilise le pantouranisme, une idéologie turque qui cherche à réunir tous les peuples turcs et autres peuples altaïques en une seule unité politique et/ou culturelle sous le nom de Touran.

Un plan de propagande pan-turc émanant de la Turquie a rendu de grands services à l'Allemagne dans les régions occupées de l'URSS. L'Allemagne a ainsi recruté des « Osttruppen » pour la Wehrmacht (environ 250.000 hommes) et pour la Waffen-SS (environ 8000 hommes) [2] parmi les soldats soviétiques faits prisonniers de guerre, qui provenaient des peuples turcs d'URSS. En échange, l'Allemagne promet de rendre indépendantes les régions de l'URSS habitées par les Turcs. La guerre se termine par la destruction complète de l'Allemagne et la prise de Berlin par les troupes russes.

De 1991 à aujourd'hui: l'attaque américaine via les séparatistes, les salafistes, les pseudo-dissidents et les ONG

Lorsque l'URSS, après des décennies d'inertie économique à la fin de la guerre froide, s'est désintégrée en plusieurs États pour la plupart impuissants, dont les économies déjà faibles se sont ensuite complètement effondrées au cours des années suivantes, cela a évidemment offert d'énormes perspectives stratégiques aux États-Unis en tant que seule superpuissance restante. Après tout, toutes les anciennes républiques soviétiques pouvaient désormais être facilement infiltrées et déstabilisées. Depuis lors, les États-Unis et leurs alliés européens ont déstabilisé, (tenté de) changer de régime, semé la mort et la destruction dans les pays de l'ex-URSS pendant des décennies, dans leur vaine tentative de détruire géopolitiquement la Russie. En Géorgie, au Kazakhstan, en Ukraine, en Ouzbékistan, en Russie et au Belarus, entre autres, les Américains ont clairement laissé leur marque. Et aujourd'hui, l'infiltration américano-européenne en Arménie et en Moldavie est évidente.

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Mais les États-Unis visent surtout à détruire la Russie. Pour ce faire, ils soutiennent des mouvements séparatistes, souvent salafistes (en Tchétchénie en 1991-2006, au Daghestan en 1999-2012, en Bachkirie en 2005,...). Par ailleurs, les États-Unis tentent - en vain - d'établir des mouvements dissidents en Russie. Le recrutement d'un personnage d'extrême droite et raciste comme Aleksey Navalny, qui a ensuite été présenté à l'Occident comme un « combattant contre la corruption » et un « leader de l'opposition démocratique », est bien connu.

En outre, les États-Unis déstabilisent la Russie par l'intermédiaire de diverses organisations non gouvernementales (ONG). Il s'agit d'organisations qui ont l'apparence d'être indépendantes des gouvernements mais qui sont en réalité contrôlées par le département d'État américain.

Il y a par exemple la National Endowment for Democracy (NED), un outil américain issu de la CIA pour saper les gouvernements dans tout le monde non occidental, instiguer des révolutions de couleur et promouvoir des changements de régime. Cette ONG est directement financée par le gouvernement américain. La NED s'est immiscée dans les élections russes et a constitué une menace pour les institutions constitutionnelles de l'État, la défense et la sécurité nationale de la Russie. Sur la base de la loi de 2012 sur les agents étrangers - qui a été remplacée en 2015 par la loi sur les organisations indésirables [3] - la NED est devenue la première organisation à être interdite en Russie en 2015.

L'ONG Freedom House (FH) est également financée par le département d'État américain. FH finance diverses organisations subversives et des politiciens pro-américains dans des pays du monde non occidental, y compris en Ukraine avant le coup d'État américain de 2014 déguisé en « révolution de Maïdan ». Dans le même temps, la FH sympathise fortement avec les régimes pro-américains. Il n'est donc pas surprenant que cette ONG ait été interdite en Russie en mai 2024 sur la base de la loi susmentionnée sur les organisations indésirables.

L'ONG bien connue mais controversée Amnesty International (AI) est financée par la Commission européenne, la Fondation Ford, la Fondation Rockefeller et les gouvernements britannique, américain et autres. Amnesty International a la sombre réputation de publier des rapports inexacts sur les pays, de collaborer avec des organisations dont le bilan en matière de droits de l'homme est douteux, de faire preuve de partialité idéologique et de politique étrangère, ainsi que de pratiquer une forte discrimination institutionnelle au sein de sa propre organisation. De nombreux États, dont la Russie, ont critiqué l'évaluation de leurs politiques par AI, estimant qu'il s'agissait de rapports partiaux ou d'une réticence à voir les menaces pour la sécurité nationale [4].

En outre, l'Open Society Foundation (OSF) de George Soros, financier notoire des changements de régime, est également interdite en Russie - en tant que troisième organisation en vertu de la loi sur les organisations indésirables - depuis le 1er décembre 2015. En effet, les activités de l'OSF et de l'Open Society Institute Assistance Foundation constituent une menace pour le système constitutionnel et la sécurité nationale de la Russie. L'OSF est un réseau international de financement basé aux États-Unis qui dispose de plusieurs milliards de dollars provenant de la fortune de Soros.

Les objectifs des États-Unis sont primo d'éliminer un rival géopolitique (en divisant la Russie en toute une série d'États impuissants et ipso facto facilement manipulables) et secundo d'avoir accès à l'incommensurable richesse en ressources de la Russie (dont l'industrie occidentale a besoin). Toutefois, les peuples que les États-Unis sont censés vouloir « libérer » n'ont jamais indiqué qu'ils souhaitaient quitter la Russie.

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2022-présent: renaissance du prométhéisme et de la stratégie Intermarium en Pologne

Parallèlement aux États-Unis, la Pologne poursuit à nouveau la balkanisation de la Russie. Le 22 novembre 2007, une statue de Prométhée a été inaugurée à Tbilissi, la capitale géorgienne, par le président géorgien Mikhaïl Saakachvili et le président polonais Lech Kaczynski. Cette statue n'a pas été érigée en Géorgie par hasard, car selon la mythologie grecque, Prométhée aurait été enchaîné à une colonne et torturé par Zeus dans le Caucase. La statue symbolisait les efforts de la Pologne et de la Géorgie pour obtenir leur indépendance de la Russie et de l'URSS.

Le prométhéisme est redevenu d'actualité au début de la guerre russo-ukrainienne en 2022. Le Forum des nations libres de l'après-Russie (FNRF) est un mouvement basé en Pologne composé d'hommes politiques et de militants libéraux exilés de Russie, de mouvements régionalistes et séparatistes, ainsi que de sympathisants étrangers. Les membres du FNRF sont inconnus du public russe et connaissent peu la société russe.

Le FNRF, fondé en 2022, prône la dissolution de la Russie – dans pas moins de 34 Etats ! – et dans certains cas même pour la dérussification de certaines régions russes. Divers hommes politiques, diplomates et analystes occidentaux participent souvent au FNRF. Le 31 janvier 2023, une réunion du FNRF a même eu lieu au Parlement européen à Bruxelles. Le 31 mars 2023, le FNRF a été interdit par la Russie en tant qu'« organisation indésirable » (cf. supra).

Les activités du FNRF confirment la rhétorique du gouvernement russe selon laquelle l’Occident veut diviser et détruire la Russie. Le professeur Marlène Laruelle de l'Université George Washington a averti que les hommes politiques occidentaux ne devraient pas confondre les déclarations radicales des exilés politiques avec les opinions des citoyens russes, faisant explicitement référence à l'appel du FNRF à « la libération des nations prisonnières », une expression qui remonte à la Première Guerre mondiale (cf. supra).

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Le 25 juillet 2022, Ramzan Kadyrov, président de la République russe de Tchétchénie, s'est longuement moqué du FNRF: « Il y a plus de 20 ans, l'Occident a commis la première violation de l'intégrité de la Russie en République tchétchène, en alimentant les terroristes étrangers avec de l'argent et en inventant une légende sur la liberté. (…) En général, messieurs les pseudo-libéraux, je ne peux que vous remercier d’avoir confirmé les propos des plus hauts dirigeants russes sur les tentatives de désintégration du pays» [5].

La Pologne prométhéiste continue ainsi de promouvoir la sécession des peuples non russes en Russie dans le but ultime de la dissolution et de l'élimination complète de la Grande Russie, afin qu'elle ne puisse plus constituer une menace pour l'aspiration polonaise à l'Intermarium, à nouveau bien vivante en Pologne. Par exemple, le 15 février 1991, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie ont fondé le Groupe de Visegrad en tant qu'organisation de coopération régionale. Le 6 août 2015, le président polonais Andrzej Duda a annoncé la création d'une alliance régionale des États d'Europe centrale selon l'idée d'Intermarium. Celui-ci est devenu l'organisme consultatif régional Initiative des Trois Mers, qui réunit douze États membres de l'UE entre les mers Baltique, Noire et Adriatique.

La Pologne se considère toujours supérieure à la Lituanie et à l’Ukraine, entre autres. Ces autres peuples devraient encore accepter la domination polonaise, ce qui est insultant, voire humiliant.

Puisque les États-Unis veulent déplacer leurs ressources militaires et financières vers l’Asie du Sud-Est, où ils veulent affronter la Chine, ils penchent actuellement vers l’externalisation de la guerre en Ukraine et menacent la Russie par le truchement de son État satellite, l’Allemagne, contrôlé par les Etats-Unis depuis 1945. Les troupes allemandes sont utilisées et très strictement surveillées par les services de renseignement américains. Cela se reflète dans l’installation de bases militaires allemandes en Lituanie et en Pologne et dans divers projets du gouvernement allemand visant à développer considérablement l’armée. Par exemple, entre 2015 et 2020, les dépenses de défense ont été augmentées pour moderniser l’armée et augmenter le nombre de soldats (jusqu’à 185.000), de véhicules blindés de transport de troupes, de sous-marins et d’avions. Au cours de la période 2020-2030, d’importants investissements supplémentaires seront réalisés dans des troupes supplémentaires et de nouveaux équipements. En 2023, le nombre de soldats avait encore augmenté (de 7000). 20.000 soldats supplémentaires ont été ajoutés en 2024. Dans le même temps, le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius a annoncé que l'Allemagne devait être prête à la guerre d'ici 2029. Il s’agit de la première expansion militaire allemande depuis la fin de la guerre froide.

En outre, l’Allemagne encourage à son tour la Pologne, future superpuissance, à promouvoir la stratégie Intermarium pour tenter d’affaiblir la Russie. Il semble donc qu’une troisième tentative allemande soit en route…

Notes:

  1. (1) Les centres étaient constitués de l'Allemagne, de l'Autriche-Hongrie, de la Bulgarie et de l'Empire ottoman.
  2. (2) DECORDIER (B.), The Fedayeen of the Reich : Muslims, Islam and collaborationism during World War II, dans : China and Eurasia Forum Quarterly, volume 8, no. 1, 2010, pp. 28.
  3. (3) La loi russe sur les organisations indésirables du 23 mai 2015 donne aux procureurs le pouvoir de déclarer les organisations étrangères et internationales « indésirables ». Cette loi prévoit l'interdiction de mener des activités en Russie, de lourdes amendes et des peines de prison en cas de non-respect de la loi, ainsi que l'interdiction pour les citoyens russes de maintenir des liens avec ces organisations. Cette loi a été votée pour contrer les nombreuses organisations libérales occidentales qui menaient des activités subversives en Russie.
  4. (4) LARUELLE (M.), Putin’s war and the dangers of Russian disintegration, dans : Foreign Affairs, 9 décembre 2022.
  5. (5) Compte Telegram de Ramzan Kadyrov, dd. 25 juillet 2022.

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Le concept de « civilisation » et ses labyrinthes

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Le concept de « civilisation » et ses labyrinthes

Raphael Machado

Source: https://novaresistencia.org/2024/10/23/o-conceito-de-civilizacao-e-os-seus-labirintos/

Le mot « civilisation » est utilisé librement comme si sa signification était évidente. Mais le contenu du concept de « civilisation » varie et on peut se demander s'il est même possible de parler de « civilisation » au singulier.

Comme il est très courant au Brésil que tout débat soit extrêmement tardif, on débat aujourd'hui de la question de savoir si le Brésil est « occidental » ou non. Certains grands Brésiliens, en avance sur leur temps, comme Gilberto Freyre, Darcy Ribeiro, Sérgio Buarque de Holanda, Plínio Salgado, entre autres, considéraient comme un point de paix que le Brésil fasse partie d'une civilisation « latino-américaine » (dans un autre texte, j'ai déjà expliqué pourquoi je rejetais ce terme au profit d'« ibéro-américaine »), et pas d'une autre.

Mais comme les générations nées et éduquées dans la Sixième République (brésilienne) sont, malheureusement, moins brillantes que les précédentes, surtout dans leurs couches intellectuelles, nous voilà en train d'essayer de réinventer la roue et de redécouvrir le feu - et, pire encore, de fulminer, de s'agiter et de se débattre quand un étranger, raisonnablement intelligent et plus versé que nous dans notre littérature ibéro-américaine, vient nous dire : « vous n'êtes pas Occidentaux, mais quelque chose d'autre, quelque chose de nouveau et de particulier ».

Le concept même de civilisation est controversé, car le mot a été utilisé par différents auteurs et à différentes époques pour signifier différentes choses.

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Pour Norbert Elias, il ne sert qu'à décrire un processus de « domestication humaine » au fil du temps par le progrès technique, la bureaucratisation et la centralisation des relations humaines. Chez Morgan, Engels, Comte et d'autres, elle apparaît comme une « phase » dans une évolution des formes sociales, généralement après la « sauvagerie » et la « barbarie ». Pour eux, comme pour la quasi-totalité des penseurs des Lumières et de la modernité, il n'y a qu'une seule civilisation, la civilisation « humaine », et l'histoire de l'humanité est l'histoire des progrès de cette seule civilisation.

Les « penseurs du soupçon » comme Nietzsche ont heureusement enterré tout l'optimisme positiviste et scientifique du 19ème siècle et ont irrévocablement oblitéré toute notion philosophique de « progrès », d'« humanité » et d'autres insanités similaires - qui n'ont réussi à prospérer dans la période de l'après-Seconde Guerre mondiale non pas par mérite philosophique, mais par imposition.

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La civilisation apparaît chez Oswald Spengler comme le « miroir » de la culture, avec un sens pluraliste. Les civilisations seraient les phases tardives et mécanistes des cultures, qui auraient un caractère plus organique et spontané. C'est ainsi qu'il apparaît déjà chez Richard Wagner, par exemple, et qu'il apparaîtra également chez Thomas Mann. Ici, les civilisations sont déjà locales, territorialisées, comme des systèmes historico-culturels complexes supra-ethniques à grande échelle, dotés d'une même vision du monde, d'un même fondement paradigmatique.

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D'autres auteurs comme Nikolai Danilevsky (qui a précédé Spengler), Arnold Toynbee, Pitirim Sorokin, et d'autres grands théoriciens des civilisations ne travailleront pas avec une distinction aussi rigide entre Culture/Civilisation (qui est un thème typique de la pensée allemande), mais ils consacrent cette notion territorialisée, pluraliste et synchronique des civilisations.

Nulle part, dans aucun auteur, n'apparaît la notion d'équivalence entre « civilisation » et « hémisphère ». Il n'y a évidemment pas deux civilisations sur la planète, l'une « occidentale » et l'autre « orientale » - donc parler de « civilisation occidentale » ne présuppose pas une « civilisation orientale » et vice-versa. En fait, j'imagine qu'aucun théoricien de la civilisation n'a jamais envisagé cette possibilité, mais c'est pourtant ce qui guide les réflexions brésiliennes sur la place du Brésil dans ce débat.

Dans cette logique, Brésiliens, Américains, Anglais, Portugais, Tupis et Yorubas appartiennent à la même « civilisation occidentale » - ce qui implique que Polonais, Ethiopiens, Persans et Japonais appartiennent à la même « civilisation orientale ». Quiconque le peut devrait essayer de comprendre un tel raisonnement.

Cette vision pluraliste, synchronique et organiciste des civilisations est presque toujours associée aux « théories des cycles sociaux ». Les théoriciens des civilisations sont presque toujours aussi les tenants d'une vision cyclique du développement des structures socioculturelles humaines, inspirée aussi bien par Giambattista Vico, Hegel et Ibn Khaldun que par les perspectives antiques du passage des « âges ».

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Pour Nikolaï Danilevsky, les civilisations sont les suivantes : 1) égyptienne, 2) assyrienne-phénicienne-babylonienne, 3) chinoise, 4) chaldéenne, 5) indienne, 6) iranienne, 7) hébraïque, 8) grecque, 9) romaine, 10) arabe, 11) romano-germanique (européenne). Danilevsky considère que le type historico-culturel slave en est encore à ses balbutiements, mais qu'il a pour mission de mûrir en tant que civilisation. Selon lui, une « civilisation américaine » émergerait également à terme.

Pour Oswald Spengler, on peut parler des cultures suivantes : 1) égyptienne, 2) babylonienne, 3) indienne, 4) chinoise, 5) mésoaméricaine, 6) gréco-romaine (apollinienne), 7) perso-arabo-byzantine (magique), 8) occidentale (faustienne), 9) russe. Spengler n'a pas nié l'existence d'autres cultures, et cette liste n'est pour lui qu'un exemple. Il n'en retient d'ailleurs que trois, l'apollinienne, la magique et la faustienne dans ses analyses, mais remarque avec intérêt que l'on assiste à la naissance d'une nouvelle civilisation, la russe. Spengler a en effet eu un grand impact sur l'Amérique latine, notamment sur le Brésil dans les années 30.

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Arnold Toynbee en énumère un nombre beaucoup plus important : 1) minoenne, 2) shang, 3) indienne, 4) égyptienne, 5) sumérienne, 6) andine, 7) maya, 8) hellénique, 9) syrienne, 10) sinique, 11) indienne, 12) hittite, 13) babylonienne, 14) yucatèque, 15) mexicaine, 16) occidentale, 17) orthodoxe-russe, 18) orthodoxe-byzantine, 19) iranienne, 20) arabe, 21) chinoise, 22) japonaise-coréenne, 23) hindoue.

Il existe également d'autres listes et classifications, comme celles de Gobineau, Leontiev, Quigley, Sorokin, Koneczny, Bagby et Coulborn, et certaines très célèbres et récentes, comme celle de Samuel Huntington, qui énumère les civilisations suivantes : 1) l'occidentale, 2) l'orthodoxe, 3) l'islamique, 4) la bouddhiste, 5) l'hindoue, 6) l'africaine, 7) la latino-américaine, 8) la sinique, 9) la japonaise.

La classification de Huntington est curieusement controversée pour un certain nombre de raisons contradictoires. Certains atlantistes lui reprochent de « nier » le projet panaméricain, qui fait partie de la géopolitique atlantiste depuis la doctrine Monroe. Chez certains catholiques latino-américains, en revanche, cette théorie nierait notre appartenance à la « civilisation judéo-gréco-romaine », qui serait la civilisation « occidentale » à laquelle ils pensent appartenir. Les atlantistes slaves reprochent également à Huntington de vouloir que leurs pays (même la Russie !) soient considérés comme faisant partie de la « civilisation occidentale ».

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Mais de notre point de vue, la classification de Huntington, héritée par exemple par Douguine, est extrêmement méritoire et peut être considérée comme un triomphe de l'« Arielisme » de José Enrique Rodó, l'un des premiers ouvrages à esquisser avec force et exhaustivité une opposition radicale et fondamentale entre l'Amérique anglo-saxonne et l'Amérique ibérique/latine comme appartenant à des civilisations différentes.

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Cet Arielisme, qui fonctionne en distinguant les figures archétypales d'Ariel et de Caliban, déduites des œuvres shakespeariennes, opposera le spiritualisme latino-américain au matérialisme anglo-saxon, tout en soulignant une pluralité d'autres oppositions qui font qu'il est impossible de concevoir les deux sphères comme appartenant à la même vision du monde. Cet Arielisme influencera toute la pensée de José Vasconcelos, Manuel Ugarte, Haya de la Torre et des Brésiliens cités plus haut.

Ce « détachement » ibéro-américain de l'Occident, quand « Occident » signifie « Amérique du Nord », est un mouvement similaire à celui qu'Alain de Beonits, Claudio Mutti, Giorgio Locchi ou encore Régis Debray ont tenté d'opérer pour détacher l'Europe et sa civilisation de l'Occident nord-américain.

En ce sens, il n'y a pas de rupture dans la négation de notre occidentalisation, puisque l'Occident est lui-même la négation de l'Europe. Et comme, bien sûr, il serait absurde de prétendre être « européens » (même si nous sommes clairement des fruits de l'Europe et des héritages de sa civilisation) ou de nier nos racines indigènes et africaines, il n'y a aucun moyen de nier, de contrer ou de surmonter notre statut de Latino-Américains, d'Ibéro-Américains.

En fait, la confusion entre Notre Amérique et l'Occident (dans un Occident qui, lui-même, confond déjà l'Amérique du Nord et l'Europe) est devenue un élément central d'un récit atlantiste et néoconservateur, commun à l'« alt-right », qui, par « civilisation occidentale », entend la défense d'une vision du monde individualiste, thalassocratique, matérialiste et commerciale, qui inclut également des éléments étrangers aux racines judéo-sémitiques.

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mardi, 08 octobre 2024

Octobre 1993, Eltsine au service de l'atlantisme bombarde le parlement russe

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Octobre 1993, Eltsine au service de l'atlantisme bombarde le parlement russe

Luca Bagatin

Source: https://electomagazine.it/ottobre-1993-eltsin-al-servizio...

En octobre de l'Année Horrible 1993, alors qu'en Italie sévissait ce que Bettino Craxi a appelé à juste titre la « fausse révolution de Tangentopoli » qui, en éliminant sous la hache politico-médiatique les partis démocratiques de gouvernement, à savoir la DC, le PSI, le PSDI, le PRI et le PLI, a mis fin à 50 ans de démocratie dans le pays, il s'est produit à peu près la même chose dans la Russie néo-eltsinienne. Mais de manière plus violente et plus sanglante.

C'était les 3 et 4 octobre 1993, lorsque des troupes russes, sur ordre de Boris Eltsine, ont bombardé le bâtiment du Parlement, c'est-à-dire le Congrès des députés du peuple.

C'était le point culminant de ce coup d'État libéral et blanc, qui s'attaquait au cœur de la démocratie russe, c'est-à-dire à la République socialiste fédérative de Russie (RSFR).

Près de 2500 personnes ont été tuées.

Tout commence par la crise constitutionnelle du 21 septembre 1993, lorsque Eltsine, président de la RFSR, décide de dissoudre le Congrès des députés du peuple et son Soviet suprême, accusant les députés d'être « trop communistes ».

Un acte totalement anticonstitutionnel, autoritaire, un coup d'État, mais que les médias occidentaux ont fait passer pour un acte de grande démocratie, comme l'ont été tous les actes néfastes d'Eltsine. Il s'agit du plan de vente des actifs de l'État soviétique et de leur répartition ultérieure entre oligarques et criminels.

Le parlement russe s'est opposé à ce plan, honteusement qualifié de « réformiste ».

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Le vice-président Alexandre Routskoï - qui a pris la défense du Parlement - a dénoncé le programme libéral d'Eltsine en le qualifiant de « génocide économique », notamment parce qu'il appauvrissait la population de façon dramatique et spectaculaire.

Le Parlement - après la demande de dissolution - s'est donc empressé de remplacer Eltsine par Routskoï, mais le Président a répondu, les 3 et 4 octobre, en envoyant des forces spéciales et des chars, qui ont bombardé le siège de la démocratie soviétique, les députés étant enfermés à l'intérieur.

Des affrontements violents ont eu lieu, même dans les rues, entre les forces spéciales et les citoyens venus défendre - avec des drapeaux rouges frappés de la faucille et du marteau et des portraits de Lénine à la main, mais aussi avec des drapeaux tsaristes - la légitimité du Parlement et ce qui restait des conquêtes socialistes et soviétiques.

Des conquêtes soutenues par les néo-monarchistes tsaristes, qui se sont battus avec leurs anciens ennemis, les communistes, pour défendre ce qui restait de la démocratie russe.

Malgré une résistance populaire héroïque, les forces d'Eltsine ont encerclé la Maison Blanche, siège du Parlement, qui a été conquis.

La suite de l'histoire est connue.

Les opposants au coup d'État libéral d'Eltsine se regroupent au sein du Front patriotique ou Front de salut national, composé de plusieurs partis communistes nouvellement créés, dont les communistes dirigés par Gennady Ziouganov et les Bolcheviks nationaux dirigés par l'écrivain Eduard Limonov, qui avait participé activement à la défense du parlement, tandis que son épouse de l'époque, la chanteuse et poétesse Natalya Medvedeva, avait lancé un appel contre le coup d'État - également publié dans la presse française de l'époque - et signé par de nombreux artistes et intellectuels russes.

Malgré cela, l'oligarchie libérale-capitaliste l'a emporté.

En Russie, le communisme, qui a émancipé le peuple depuis 1917, est, sinon interdit, du moins assimilé au fascisme. Et le bradage de l'État et le démembrement des anciennes républiques soviétiques, devenues la proie des oligarques, des hommes d'affaires, des mafiosi et des néo-nazis, se poursuivent. Un bradage qui n'a pas pris fin avec la transition entre Eltsine et Poutine, qui a poursuivi le démantèlement du système social et économique soviétique.

Aujourd'hui encore, la majorité des citoyens russes n'a pas oublié. Et de nombreuses familles des victimes de l'époque, ainsi que de nombreux citoyens, défilent encore avec des pancartes portant les photos de leurs proches, de leurs amis, de leurs parents et de leurs connaissances tués lors des affrontements.

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En 1993, un essai intéressant intitulé « L'énigme Gorbatchev », écrit par Egor Ligatchev, que j'ai mentionné ici, a été publié en Italie par l'éditeur Roberto Napoleone : https://amoreeliberta.blogspot.com/2023/02/egor-ligaciov-il-riformista-leninista.html

Ligatchev, représentant réformiste du PCUS, puis âme réformiste et modérée de l'opposition menée par le Parti communiste de la Fédération de Russie, a très bien expliqué la tension de ces années et les raisons qui ont conduit à cette tension, qui perdure encore aujourd'hui à l'Est, avec des guerres fratricides qui semblent dramatiquement ne pas avoir de fin. Voir le conflit russo-ukrainien.

Ces passages de Ligatchev sont très intéressants : « Le véritable drame de la perestroïka réside dans le fait que ses dirigeants, au lieu d'utiliser l'arme normale de la critique contre les soi-disant conservateurs, leur ont fait la guerre et, engagés dans cette voie, n'ont pas vu - ou n'ont pas voulu voir - le vrai, le grand, le principal danger qui montait progressivement : le nationalisme et le séparatisme ».

Les conclusions de Ligatchev sur la nécessité de récupérer l'idée socialiste démocratique, qui a été détruite au milieu des années 1990, tant en Italie (avec la destruction du PSI de Bettino Craxi et du PSDI de Pietro Longo, un leader malheureusement oublié auquel j'ai consacré plusieurs articles) que dans le reste de l'Europe (après la disparition de Mitterrand et des grands leaders socialistes européens des années 1970 et 1980) sont très intéressantes : « Je suis convaincu que le socialisme est l'une des voies qui mènent au progrès universel. Comment est-ce que je comprends le socialisme ? Une société dans laquelle l'homme et la démocratie sont prioritaires. La base économique du socialisme est la propriété sociale des moyens de production, mais sous des formes différenciées: l'homme devient copropriétaire, et la planification et le marché libre coexistent.

La base politique de ce régime est le soviet à tous les niveaux et l'État de droit. Sur le plan moral, c'est une société où les valeurs individuelles sont sublimées en valeurs socialistes ; sur le plan social, c'est un régime de justice sociale, sans oppression ni injustice, une société où il n'y a pas de chômage et où le droit au travail est garanti à chacun ».

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lundi, 07 octobre 2024

De Theodor Herzl au sionisme contemporain

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De Theodor Herzl au sionisme contemporain

Par Robert Steuckers

Jean Mabire, me dit-on, était fasciné par les « éveilleurs de peuple », Grundvigt, Petöfi, Pearse, etc. Par l’Abbé Cyriel Verschaeve mais aussi par le personnage juif viennois Theodor Herzl qui a lancé l’idée d’un retour à une terre pour les populations juives d’Europe centrale et orientale, et, au départ, ce n’était pas nécessairement la Palestine alors sous administration ottomane. Examinons d’abord le contexte dans lequel Herzl a évolué à Vienne à la fin du 19ème siècle : c’est tout d’abord le fameux « mouvement des nationalités » qui a animé toute l’Europe depuis l’effondrement des projets napoléoniens suite à la campagne désastreuse de Russie et à la bataille de Waterloo. L’émancipation par les idées universalistes des Lumières et de la révolution française ne fait plus recette. Les peuples entendent se libérer en adoptant des valeurs qui leur sont propres, dans des territoires matriciels, légués par leurs ancêtres, organisés par le droit coutumier (et non plus par les codes dérivés de l’idéologie des Lumières). Herzl nait dès lors dans un monde juif, travaillé lui aussi par les idées du « mouvement des nationalités ». Des penseurs juifs comme Léon Pinsker et Moses Hess ont pensé, sans succès, l’émancipation juive, l’hypothèse sioniste et la problématique des langues à adopter bien avant Herzl, de loin leur cadet.

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Moses Hess, né à Bonn en 1812, sera d’abord un compagnon de route de Karl Marx et de Friedrich Engels, les accompagnera dans leurs exils à Bruxelles puis à Paris. Il sera un théoricien du socialisme qui finira toutefois par critiquer l’idée marxienne de la « lutte des classes » pour le remplacer par la « lutte des peuples » voire la « lutte des races ». Hess, conscient que les populations juives ne seront jamais pleinement acceptées en Europe, théorisera un socialisme, non plus basé sur les idées révolutionnaires habituelles, mais sur des fondements scientifiques, biologiques, qui conduisent à rejeter l’universalisme, introuvable si on adopte une démarche scientifique, et à explorer les particularités réelles, tangibles, concrètes de chaque population. Pour ses lecteurs juifs, ce recours aux particularités ethniques (ou ethno-religieuses) implique une ré-immersion dans le judaïsme traditionnel. Hess développera toutefois un système de pensée plus complexe : le judaïsme est une « nationalité » (biologique) avant d’être une religion ; le modèle à suivre est celui du Risorgimento italien de Mazzini, parce que l’unification italienne confirme le primat de la nationalité sur les entités étatiques jugées par lui obsolètes, parce que dominées par l’étranger ou par des dynasties ; le judaïsme d’avant-garde mêlera, selon Hess, socialisme (national) et aspiration à la construction d’un Etat propre « sur la terre des pères » et, en attendant, les juifs peuvent, s’ils le souhaitent, se replier sur l’orthodoxie religieuse pour conserver leur identité profonde, tout en rejetant le « judaïsme réformiste » et libéral, lié aux idéaux éthérés des Lumières.

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Léon Pinsker, né en 1821 en Pologne russe, était médecin de profession. Son engagement intellectuel fut profondément influencé par l’antisémitisme pogromiste russe qui sévissait au 19ème siècle, surtout après l’attentat qui coûta la vie au Tsar Alexandre II, émancipateur des paysans et conquérant de l’Asie centrale. La violence des pogroms et la judéophobie (qu’il perçoit comme une maladie psychique héréditaire, perceptible dans toute l’Europe et pas seulement en Russie) le conduisent à rejeter le judaïsme assimilationniste et humaniste du mouvement libéral Haskala au profit d’une vision « auto-émancipatrice » qui réclamera l’avènement d’un « Etat juif » quelque part dans le monde. Ses idées trouveront un cénacle, en Roumanie et à Odessa, qui les discutera et cherchera à les faire avancer dans les esprits, le Chovevei Zion ou Chibbat Zion qui rejoindra les « Congrès sionistes » lancés par Herzl et sera dissous par les Bolchéviques dès qu’ils arriveront au pouvoir.

Telles sont les racines majeures du sionisme (il y en a d’autres) avant l’entrée en scène du personnage qui nous intéresse au premier plan aujourd’hui. Les ambitions du jeune Theodor Herzl étaient, au départ, de devenir un « écrivain allemand », auteur de pièces de théâtre populaires. Il se décarcassera de toutes les façons pour promouvoir ses œuvres et les faire jouer par les théâtres allemands et autrichiens : il ne connaîtra qu’un succès très mitigé. Il déménage en France en 1891 où il exerce la fonction de correspondant à Paris du quotidien viennois Die Neue Freie Presse. Mais le contexte social et politique, qu’il observe dans la capitale française en tant que journaliste politique, le force à réfléchir sur sa judéité : en 1892, le marquis de Morès, lors d’un meeting antisémite, « réclame l’expulsion de Rothschild de la Banque de France » et « l’interdiction aux étrangers et aux Juifs du sol français ». En même temps, le journal La libre parole d’Edouard Drumont, lancé en 1892, publie une série d’articles, signés « Lamasse », dénonçant « l’influence juive dans l’armée ». Drumont est provoqué en duel et est blessé. Pour le venger, le marquis de Morès défie le témoin adverse, le Capitaine Armand Mayer, qui sera mortellement blessé lors du duel. Tels furent les prémisses de l’affaire Dreyfus. Le ministre de la guerre, Charles de Freycinet, fustige la volonté des antisémites de dresser les officiers les uns contre les autres pour des raisons d’ordre confessionnels. Mais les admonestations du ministre ne diminuent pas la virulence antisémite qui secoue la France de l’époque. Drumont redouble de zèle, accuse les députés d’être soudoyés par Alphonse de Rothschild. Le député radical Auguste Burdeau le traîne en justice et c’est Théodor Herzl qui couvre le procès pour son journal viennois. Ensuite, la même année, le procès du scandale de Panama, suscite à nouveau les passions (antisémites) : la « Compagnie du Canal de Panama » a fait faillite en dépit du prestige de Ferdinand de Lesseps (artisan du Canal de Suez). L’ingénieur et son fils sont cités devant les tribunaux parisiens, de même que les financiers Jacques de Reinach et Cornélius Herz (naturalisé américain). Les deux banquiers sont de confession israélite. Herzl assiste au procès pour le compte de son quotidien. Drumont dénonce la corruption de nombreux parlementaires. C’est là que tout va basculer : Herzl constate que si aucun des administrateurs de la Compagnie n’est juif, la présence des deux banquiers de confession mosaïque déclenche la fureur des actionnaires floués et des masses.

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Il prendra ainsi conscience de sa judéité et abandonnera progressivement ses vues assimilationnistes, propres aux Juifs libéraux. Il hésite toutefois à se convertir, lui et ses enfants, pour échapper à la vindicte antisémite. Mais il ne franchit pas le pas : « J’offenserai mon père par cela » et « on ne doit pas abandonner le judaïsme quand il est attaqué ». La conversion totale est impossible, constate-t-il. Drumont est donc en quelque sorte le déclencheur de ce mouvement sioniste qui réussira finalement, le sionisme antérieur, balbutiant, n’étant qu’un jeu intellectuel, propre à quelques rêveurs lettrés que les Juifs de base, tant en Europe centrale et orientale qu’en France ou ailleurs en Occident, ne comprennent guère. A l’ouvrage pamphlétaire de Drumont, Le Testament d’un antisémite (1891), et à celui du boulangiste Gabriel Terrail (alias « Mermeix »), Les antisémites en France, Herzl estime qu’il faut apporter une réponse et, en même temps, trouver une solution originale à l’antisémitisme qu’ils propagent dans le public.  Herzl estime, suite à sa lecture attentive de la presse antisémite française, que les cataclysmes, que l’antisémitisme peut provoquer, seront finalement un « rude mais bonne épreuve ».

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En janvier 1893, Regina Friedlander propose à Herzl de diriger le journal Das Freie Blatt, organe de la ligue autrichienne contre l’antisémitisme. Il va toutefois décliner cette offre car, écrit son biographe Rozenblum (cf. infra), « il ne croit pas à l’efficacité des sempiternelles protestations contre les déchaînements antisémites ». Que faire alors ? Se fondre dans le peuple par le truchement de la conversion ? L’idée le stimule un moment. Avec le baron Leitenberger, de la ligue autrichienne contre l’antisémitisme, il concocte le plan d’aller trouver le pape pour lui demander d’aider les Juifs contre la hargne qui les poursuit partout, en échange de lancer, au sein de toutes les communautés israélites, un vaste plan pour pousser les Juifs à la conversion au christianisme.

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Les événements, qui se succèdent à un rythme effréné, le distraient encore du projet sioniste qu’il rumine en ses heures creuses. Ainsi, à la fin de l’été 1894, après avoir couvert le procès de l’anarchiste italien Sante Caserio qui avait poignardé à mort le Président de la République, Sadi Carnot, il retourne pour quelques semaines de vacances à Vienne. Dans la capitale de l’empire austro-hongrois, l’antisémitisme fait également recette : le maire de la ville, Karl Lüger, avait surfé sur la judéophobie latente du petit peuple viennois, déclenchant, dans la foulée, une série d’incidents et d’agressions hostiles à des personnalités juives dont Nothnagel, président de la ligue contre l’antisémitisme. Lüger, qui fut, au début de sa carrière, l’avocat des pauvres, avait été élu trois fois maire de Vienne sans obtenir l’aval de l’empereur. Sous pression du Pape Léon XIII, Lüger, qui se définissait comme « chrétien-social », finit par être nommé bourgmestre de la capitale autrichienne, qu’il gouvernera de main de maître, tout en lançant des projets urbanistiques grandioses qui ne furent que partiellement réalisés car la Grande Guerre rétrogradera la métropole impériale au rang de capitale d’un petit Etat alpin enclavé. Antisémite avéré qui fustigeait à la fois les banquiers, les immigrants juifs miséreux venus des ghettos du monde slave et les journalistes critiques de sa politique (étiquetés « juifs de l’encrier » / « Tintenjuden »), Lüger était parfaitement et machiavéliquement conscient de la portée de ses discours : il percevait l’antisémitisme comme un excellent tremplin électoral, comme une stratégie d’agitation efficace et comme un « sport aimé de la populace » (« Pöbelsport »).

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La double expérience de Herzl, la parisienne et la viennoise, confirment ses sentiments et ses appréhensions. Cela l’amène à commencer une longue enquête journalistique sur l’histoire des communautés juives en Russie, en Galicie (province austro-hongroise à l’époque), en Bohème et en Hongrie. Conclusion : « Les Juifs sont sortis matériellement du ghetto, mais l’enceinte de celui-ci continue de clôturer leur esprit. Le ghetto n’existe plus, mais il subsiste dans les mentalités ». Il tente de lancer une nouvelle pièce de théâtre, justement intitulée Le Ghetto, qui devra amorcer dans les esprits (juifs) une « politique juive ». Les thèmes qui ont mûri dans sa tête tourmentée apparaissent dans la pièce : l’idée d’une conversion personnelle ou collective est rejetée et les personnages explicitent sa pensée en phase de germination ; ainsi, le personnage du Rabbin Friedheimer s’exprime dans la pièce : « Nous jouissons de la protection des lois. Il est vrai qu’on nous regarde de nouveau de travers, comme autrefois, quand nous vivions dans le ghetto, mais les murailles n’en sont pas moins tombées ». Friedheimer plaide toutefois pour un judaïsme rabbinique et traditionnel et en chante les vertus, disparues ou du moins édulcorée depuis la grande vague d’émancipation. Le personnage Samuel Jacob, lui, cherche une solution autre, est conscient que le ghetto générait des « vices », qu’il déplore. Il veut le quitter ce ghetto, le visible comme l’invisible et meurt dans un duel, tué par son adversaire, un hobereau prussien. La pièce déplait car Herzl n’y aurait pas mis assez de personnages juifs sympathiques. Il le justifie par sa misanthropie viscérale.

Vient ensuite l’affaire Dreyfus, qui porte l’antisémitisme français au pinacle. La politique d’assimilation révolutionnaire, née en 1789, a fait faillite. Une fois de plus, c’est Drumont qui conforte Herzl dans ses convictions : dans un article de La libre parole, il appelle les Juifs « à retourner en Orient ». Dans le cadre de cette « affaire Dreyfus », Herzl rencontre Alphonse Daudet, antisémite, avec qui il a toutefois une discussion amicale. Daudet le dissuade d’écrire qui soit un enquête sur la condition juive mais plutôt un ouvrage qui ressemblerait à La case de l’Oncle Tom. La suggestion fait mouche chez Herzl. Il entend dès lors écrire un livre où, rappelle son biographe Rozenblum, « il ne s’agirait plus de susciter la compassion mais d’agir », de « ne plus retracer un itinéraire individuel mais de suggérer un projet collectif ». Pour étayer son projet, il va s’adresser au Baron Moritz de Hirsch, riche banquier philanthrope qui a fait fortune dans le financement des chemins de fer dans les Balkans, en Russie et en Turquie. Hirsch finance la formation professionnelle et technique de jeunes juifs de Galicie et de Bukovine, plus tard de Russie, appelés à émigrer dans le Nouveau Monde, notamment en Argentine, pour y fonder des colonies agricoles. Les adeptes de la société Hovevei Zion plaide pour l’envoi de ces jeunes émigrants en Palestine mais Hirsch refuse car il se doute bien que le Sultan ottoman ne cèdera en rien. Edmond de Rothschild, en revanche, finance les colonies juives de Palestine. Herzl constate que les colonies d’Argentine et du Brésil ne suscitent guère d’enthousiasme et demande audience à Hirsch pour lui expliquer son projet car « c’est avec des idées à la fois simples et extraordinaires qu’on touche les hommes ».  

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Herzl, face à son interlocuteur, n’y a pas été avec le dos de la cuiller. Véhément, il décrit le projet généreux du Baron Hirsch comme « complètement nuisible » car les bénéficiaires de sa philanthropie ne sont que des « mendiants » (des « Schnorer ») qui ne survivent dans leurs lointaines colonies sud-américaines ou canadiennes que grâce à sa générosité. L’entrevue avec Hirsch dévoile un trait de caractère de Herzl qui ne s’était jusque-là jamais manifesté : l’exaltation. Le petit dramaturge sans grand succès, le journaliste modéré, le juif timide qui avait envisagé de se convertir pour échapper aux fureurs antisémites, devient le plaideur enflammé qui veut convaincre des milliardaires, des diplomates et des ministres (et même le Kaiser !) à accepter l’idée d’une émigration générale des Juifs vers une « terre promise », afin qu’ils n’aient plus à subir un antisémitisme indéracinable. L’idée lui est venue de convoquer « un congrès juif international « afin d’insuffler de l’enthousiasme à un peuple peureux et démoralisé ». Herzl veut « éveiller ». Il entend s’adresser à de jeunes professionnels juifs ne trouvant pas d’emploi (pour diverses raisons dont l’antisémitisme) et dès lors déchus en un « prolétariat intellectuel » : « C’est avec eux », écrit Herzl, « que je formerai l’Etat-major et les cadres de l’armée destinée à repérer, à reconnaître et à édifier le futur pays ».

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C’est à Munich, dans les chambres du fameux Hôtel des Quatre Saisons (où siègera plus tard la Société Thulé !), que se tiendront de longues discussions entre Herzl, d’une part, le Rabbin Moritz Güdemann et le banquier berlinois Heinrich Meyer-Cohn, d’autre part, suite auxquelles le livre programmatique de Herzl commencera à s’esquisser. Le rabbin et le banquier sont tous deux très sceptiques et constatent qu’ils ont affaire à un exalté. Mais Herzl convaincra vaguement le rabbin, qui se ravisera, à défaut d’emporter l’enthousiasme du banquier berlinois. Rabbi Güdemann conseille alors à Herzl de lire un roman d’un utopiste juif, Theodor Hertzka, natif, lui aussi, de Pest en Hongrie. Ce roman s’intitule Eine Reise nach Freiland (« Un voyage au pays de la liberté »), édité en 1883 à Leipzig. Ce pamphlet, suivi d’un autre édité à Dresde en 1890 (Freiland, ein soziales Zukunftsbild / Pays de la liberté, une vision sociale de l’avenir) évoque des phalanstères agricoles formées d’hommes libres vivant d’une propriété collective. Préfiguration des kibboutzim, bien évidemment. Mais les tentatives d’appliquer les idées utopiques de Hertzka au Kenya, colonie britannique, ont tourné au fiasco. Herzl apporte des corrections à ce plan phalanstérien qui apparaissent plus rationnelles et donc plus réalisables. Il a conscience que son projet ne peut en rien relever de l’utopie mais du droit et de l’économie. Infatigable commis voyageur de sa propre idée, Herzl rencontre le Français Narcisse Leven, vice-président de l’Alliance israélite universelle, qui demeure aussi sceptique que Güdemann, mais lui donne quelques conseils : contacter le grand rabbin de France Zadoc Kahn, le colonel anglais Albert Goldsmid (qui a voulu affréter des bateaux pour reconquérir la Palestine) et surtout de lire les travaux de Léon Pinsker (cf. supra).

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Finalement, Herzl écrit son livre, Der Judenstaat, dont un résumé, avant publication, paraîtra à Londres dans les colonnes de Jewish Chronicle, le 17 janvier 1896. Le lendemain, la maison d’éditions viennoise Breitenstein accepte le manuscrit. L’idée sioniste est née, elle fera son chemin. Un journaliste viennois, Alexander Scharf, tente de le retenir : « Vous êtes un second Christ qui fera beaucoup de mal aux Juifs (…). Si j’étais Rothschild et si je ne savais qu’on ne peut vous acheter, je vous offrirais cinq millions pour ne pas publier votre pamphlet. Ou je vous ferais assassiner car vous allez causer un dommage irréparable ». Le 14 février 1896, Herzl apprend que les 500 premiers exemplaires des 3000 copies prévues sont mises en vente. Sa réaction ? « Maintenant ma vie prend peut-être un tournant ».

La parution de l’ouvrage ouvre la voie à l’organisation des premiers « Congrès sionistes » : Bâle (1897, 1898, 1899, 1901 et 1903), Londres (1900). Dès le premier congrès de Bâle en 1897, l’organisation sioniste mondiale est créée. Le 2 novembre 1898, Herzl est reçu en audience par le Kaiser à Jérusalem mais l’empereur Hohenzollern ne veut en aucun cas créer une rupture diplomatique avec les Ottomans. En 1899 se crée à Londres le Jewish Colonial Trust Limited, visant, à terme, à créer, dans l’esprit du sionisme naissant, des colonies juives dans des territoires sous tutelle britannique. Après la mort de Herzl, le 7ème Congrès sioniste de Bâle, rejette la proposition anglaise d’offrir un territoire aux Juifs en Afrique de l’Est. En 1903, une commission d’enquête envisage, mais sans lendemain, de fixer un peuplement juif au Sinaï.

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A partir de 1905, le second retour des juifs selon l’historiographie sioniste a lieu. Le premier s’était déroulé après 1881, soit après l’assassinat du Tsar Alexandre II par des nihilistes russes, adeptes du révolutionnaire radical Netchaïev (avec le soutien des services anglais ? On peut avancer l’hypothèse). Cette première migration vers les vilayets ottomans de Palestine était composée de sionistes avant la lettre, animés surtout par l’idée socialiste, souvent utopique. La seconde, de 1905, fait suite à la révolution avortée, déclenchée après la défaite russe face au Japon, soutenu à l’époque par les puissances anglo-saxonnes. Elle est essentiellement le fait de révolutionnaires radicaux issus des shetls (communautés) de l’empire tsariste, de cette vaste région comprenant la Biélorussie et l’Ukraine actuelles que l’on appelle parfois le Yiddishland. La troisième migration juive vers la Palestine viendra après la révolution bolchévique de 1917 et la guerre civile russe qui s’ensuivit : elle comprenait certes d’autres éléments sociaux-révolutionnaires mais aussi des mencheviks et des éléments de droite qui donneront naissance à la droite sioniste, puis à la droite israélienne, dont le théoricien principal fut Vladimir Zeev Jabotinsky, originaire de la communauté juive d’Odessa, italianiste de bon niveau et admirateur du fascisme italien, officier britannique dans la Jewish Legion pendant la première guerre mondiale et churchillien fascistoïde pendant l’entre-deux-guerres. La cinquième grande migration amène, après 1933 et 1938, des juifs de langue allemande qui quittent le Reich après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes et l’Autriche et la Bohème-Moravie après l’Anschluss et l’annexion du pays des Sudètes. La sixième émigration a suivi la deuxième guerre mondiale et permis la création de l’Etat d’Israël.

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Après la mort de Theodor Herzl, survenue le 3 juillet 1904 en Basse-Autriche, on constate, en dépit de la fidélité de bon nombre de Juifs d’Allemagne au Reich de Guillaume II, un tropisme pro-britannique dans les milieux sionistes, avant et pendant la première guerre mondiale, à mettre en parallèle à un tropisme pro-sioniste au sein de l’élite anglaise, frottée à une idéologie bibliste induite par le protestantisme puritain.  Ainsi, Philipp Kerr, directeur de l’influente revue impérialiste britannique Round Table, influence le diplomate Mark Sykes, qui est à l’origine des accords dits « Sykes-Picot » de 1916, Picot étant son homologue français.  Sykes était ce que l’on peut appeler un « bibliste sioniste » anglais, rêvant de redonner aux Juifs le territoire qu’ils avaient perdu suite aux révoltes des années 70 et 135 contre l’empire romain, révoltes qui, selon le récit sioniste, avaient provoqué la dispersion des Juifs dans le monde méditerranéen, en Mésopotamie et ailleurs. Le raisonnement de Kerr est purement géopolitique et prend le relais de projets jadis encore confus d’intervention anglaise en Méditerranée orientale. L’une d’entre elle avait été couronnée de succès : le soutien aux Ottomans contre les Russes, les Bulgares et les Roumains avait permis de s’emparer de Chypre en 1878, afin de disposer d’une base proche du Canal de Suez, porte vers les Indes, creusé en 1869. En 1882, alliés singuliers des Ottomans auxquels ils taillent de sérieuses croupières sans coup férir, les Britanniques obtiennent le protectorat sur l’Egypte qui avait été rebelle depuis Mehmet Ali, ôtant à la France toute opportunité de contrôler à son profit la zone du Canal. La Palestine, si elle est judaïsée, serait un atout supplémentaire de l’empire dans cette région hautement stratégique.

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Pour Kerr, une Palestine judaïsée et sous tutelle britannique constituerait « une charnière entre trois continents » (Europe, Asie, Afrique), au point névralgique qui permet de surveiller la route vers les Indes. Pour le Sultan ottoman, qui craint, à juste titre, les visées russes sur les détroits et le soutien apporté par Saint-Pétersbourg aux Slaves révoltés des Balkans ottomans, l’accueil des réfugiés juifs « proto-sionistes » représente un apport de populations hostiles à la Russie pogromiste, ainsi que des cadres potentiels (médecins, ingénieurs) pour son empire moribond (« l’homme malade du Bosphore » selon Bismarck). La première réaction arabe-palestinienne, d’ampleur toutefois modeste, date d’avant le livre-manifeste de Herzl : de l’année 1891.

Les efforts de Kerr et de Sykes conduisent à la fameuse « Déclaration Balfour », du nom du ministre britannique qui l’a émise. Balfour promet aux sionistes la création d’un « foyer juif en Palestine », ce qui est différent de la promesse d’un « Etat juif », tel que formulé dans le livre de Herzl. Mais les Britanniques jouent sur deux tableaux : ils soutiennent simultanément les Hachémites du nord de la péninsule arabique et les sionistes engagés dans la Jewish Legion où servait le futur fascisant Vladimir Zeev Jabotinsky. Les Hachémites recevront les trônes d’Irak et de Jordanie (de Transjordanie dans le vocabulaire de l’empire britannique pendant l’entre-deux-guerres) mais n’obtiendront rien des Français en Syrie qui opteront pour un mandat à l’enseigne de l’idéologie républicaine, laïque et maçonnique qui entraînera la violente révolte druze entre 1925 et 1928. A Versailles, les Britanniques obtiennent un mandat sur l’Irak, la Transjordanie et la Palestine, tandis que les Français exercent leur propre mandat sur le Liban et sur une Syrie amputée en ultime instance de la région de Kirkouk et de Mossoul parce que les Anglais y avaient découvert des gisements de pétrole. Le sionisme est rapidement devenu un instrument de l’impérialisme britannique, en dépit de l’hostilité à l’Angleterre que cultiveront certains maximalistes à partir de 1931 (cf. infra).

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Dans la Palestine mandataire, les Britanniques vont tenter de faire cohabiter les Arabes palestiniens et les immigrants juifs venus pour l’essentiel d’Europe centrale et orientale. Les révoltes arabes, soutenue par le jeune Mufti de Jérusalem se succèdent, de même que les représailles sionistes : les troupes britanniques doivent maintenir l’ordre. Sous l’impulsion de Vladimir Zeev Jabotinsky, officier britannique finalement loyal, s’organise alors le « sionisme militarisé ». Pour éviter des troubles aux abords du Canal de Suez et des puits de pétrole irakiens, les Britanniques, sans pour autant abandonner leur idée d’un « foyer juif en Palestine » vont limiter l’immigration juive dans le territoire de leur mandat. En 1939, un « Papier blanc », émanant du Foreign Office, limite l’immigration à 75.000 âmes pendant les cinq années à venir, en dépit des innombrables candidatures juives à l’émigration hors d’une Europe centrale sous contrôle national-socialiste. Simultanément, les autorités britanniques mettent un frein au zèle potentiel des sionistes en restreignant l’accès des Juifs à la propriété foncière en Palestine mandataire.

La militarisation du sionisme commence très tôt : dès 1920, les immigrants juifs de Palestine forment la Haganah, ou Irgun Haganah (= « Organisation de Défense »). En 1931, les maximalistes sionistes se séparent de cette organisation pour former l’Irgun dont les objectifs ne sont plus de contenir l’agressivité des foules arabes mais d’opter pour une politique plus agressive, en opposition à un sionisme social-démocrate ou communisant plus conciliant à l’égard des Arabes et de la puissance mandataire. Un de leurs chefs fera carrière : Menahem Begin. Mais la politique pourtant musclée de l’Irgun ne fait pas longtemps l’unanimité : en 1940, alors que le Royaume-Uni est en guerre avec l’Allemagne et l’Italie, une fraction plus radicale encore fait sécession, le Lehi que les Anglais nommeront le « Stern Gang » ou le « gang à Stern », du nom son principal activiste, Avraham Stern, qui entend combattre frontalement les troupes britanniques stationnées en Palestine et en Transjordanie, tout en demandant l’aide de l’Italie mussolinienne et de l’Allemagne hitlérienne ! Stern est abattu sans autre forme de procès par les policiers britanniques en 1942.

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La mort de Stern ne met pas un terme à l’hostilité des « sionistes militarisés », inspirés par les théories de l’IRA irlandaise de Michael Collins, envers Londres. En mai 1941, se constitue le Palmach, organisation de combat regroupant 2000 hommes et femmes bien déterminés. Plus prudents que Stern et son Lehi, les militants du Palmach se bornent à quelques opérations coups de poing contre la présence britannique, tout en continuant une guerre d’usure contre la population palestinienne, annonçant l’expulsion des Arabes en 1947-48, que les Palestiniens nomment la Nakba (ou « catastrophe »). Dès le 10 octobre 1945, le Palmach reprend les hostilités en attaquant le camp de détention pour immigrants juifs clandestins d’Atlit, libérant 200 détenus qui rejoignent évidemment ses rangs.

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L’idéologie du « sionisme militarisé » ne provient pas de Herzl, utopiste exalté, mais de Max Nordau et de Vladimir Z. Jabotinsky. Max Nordau, également natif de Pest en Hongrie, avait organisé le premier congrès sioniste de Bâle avec Herzl en 1897. Il deviendra l’une des principales chevilles ouvrières des congrès ultérieurs. Orateur apprécié, il théorise l’abandon de la posture du « juif nerveux » ou « juif talmudique », être purement intellectuel, pour favoriser l’avènement, via le sionisme, d’un « juif de muscles » qui doit s’inspirer des principes hébertistes français ou des « sociétés de gymnastique » de l’Allemand Jahn (à l’époque napoléonienne dans le cadre de la nouvelle armée prussienne de 1813). Ceux qui le suivent fondent alors la société de gymnastique viennoise, l’Hakoah. Dans un premier temps, Nordau (de son vrai nom Maximilian Simon Südfeld), n’était pas nécessairement favorable à l’établissement des futurs émigrants sionistes en Palestine : il avait montré son intérêt pour le plan britannique d’installer les colonies sionistes en Ouganda. Le 19 décembre 1903 à Paris, un maximaliste, favorable à l’installation des Juifs en Palestine, Chaim Selig Louban, jeune juif de Russie, tire deux balles de revolver dans sa direction mais le rate. Sujet autrichien, il doit quitter dare-dare la France dès la déclaration de guerre en 1914 et se réfugie à Madrid. Après la guerre, il s’installe à Londres où il fait la connaissance de Chaim Weizmann, qu’il avait avant-guerre critiqué pour ses positions modérées, et de Vladimir Z. Jabotinsky. Jusqu’à sa mort en 1923, Nordau défendra des idées radicales, plus proches du futur national-socialisme que de la social-démocratie professée par la plupart des intellectuels juifs non communistes. Social-darwiniste, il défend le colonialisme européen et admet, en radicalisant Moses Hess (cf. supra), le bien fondé des théories raciales en vogue à son époque. Lecteur des ouvrages de l’Italien Cesare Lombroso, il développe, dans son sillage, une théorie intéressante sur la « dégénérescence », phénomène mortifère qui s’est révélé dans la littérature dès la fin du 19ème siècle et qui annonce, à terme, pour les décennies à venir, une catastrophe sans précédent pour la civilisation européenne. Les phénomènes de dégénérescence vont s’amplifier et provoquer la mort de nos cultures. Nordau évoque aussi le « parasitisme » et l’ « illusionnisme », maux dont souffre l’humanité, et qui doivent être vaincus par le savoir factuel et les principes social-darwinistes de solidarité (et non pas de lutte de tous contre tous).

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Jabotinsky a été son disciple, lui qui réclamait la constitution, en Palestine, d’un « mur de fer fait de baïonnette juives » contre les autochtones arabes. Il fait la connaissance de Herzl lors du sixième congrès sioniste, alors qu’à proximité de sa ville natale d’Odessa, un pogrom a lieu à Chisinau en Moldavie. Jabotinsky deviendra le porte-parole des Juifs de Russie en butte aux dérapages des foules dans l’empire des Tsars.  Actif dans l’empire ottoman, où les Juifs sépharades bien intégrés ne se soucient guère de l’idée sioniste, il passe ensuite en Egypte au service des Britanniques qui, en 1917, permettront la création de la Jewish Legion, au sein de laquelle il commandera une compagnie et participera à des combats dans la vallée du Jourdain. Déçu par les réticences britanniques à conserver des unités entièrement juives en Palestine mandataire, il crée le mouvement de jeunesse du Bétar et fonde le mouvement des « sionistes révisionnistes ». Le terme « révisionniste » désigne ici un maximalisme radical, hostile non pas tant au mandat britannique (Jabotinsky reste loyal au pays qui lui a donné le grade de capitaine en son armée) mais à la politique modérée de Weizmann et des gauches sionistes de Palestine. Par exemple, Jabotinsky entend étendre le territoire du futur « Etat juif » aux deux rives du Jourdain, ce que Weizmann juge totalement irréaliste. Jabotinsky rejette également le projet du sioniste Chaim Arlosoroff (1899-1933) qui avait conduit aux accords dits « Ha’avara » avec les nouvelles autorités nationales-socialistes, qui auraient permis aux Juifs d’Allemagne d’émigrer en Palestine tout en y favorisant l’importation de produits industriels allemands. A son retour d’Allemagne, Arlosoroff est assassiné.

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Petit à petit, sa fidélité initiale à ses patrons britanniques s’estompera et il prendra le commandement de l’Irgun, où militait Menahem Begin qui sera son successeur, après son décès fortuit aux Etats-Unis, où il cherchait à recruter des combattants juifs pour la cause sioniste.

Après la guerre sionisto-britannique qui fit rage en Palestine entre 1945 et 1948, l’Etat d’Israël est créé et fut gouverné jusqu’en 1977 par des majorités sociales-démocrates (« travaillistes »). En 1977, Menahem Begin accède au pouvoir suite à la victoire de la droite israélienne, rassemblée dans le Likoud. Ce fut la victoire posthume de Nordau et de Jabotinsky. Le sionisme le plus radical prend le gouvernail en Israël. Mais cette victoire des droites israéliennes qui connaîtra de multiples avatars, avec des dissidences religieuses souvent encore plus radicales, induit un certain nombre d’intellectuels et d’historiens israéliens à critiquer le narratif sioniste, devenu doctrine d’Etat.

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Benny Morris, Colin Shindler, Ilan Pappé et Shlomo Sand (francophone et par ailleurs spécialiste de Georges Sorel) sont les principales figures du mouvement que l’on appelle désormais « post-sioniste ». Pour eux, le sionisme est une construction idéologique arbitraire où certains intellectuels juifs du 19ème siècle ont cherché à imiter les nationalistes européens en imaginant une « essence de la judaïté » comme il y avait une « essence de la germanité » chez les post-romantiques allemands ou de la « russéité » chez les slavophiles russes. Shlomo Sand explique que cette essence est imaginée au départ du récit de Flavius Josèphe, écrivain latin de l’antiquité romaine, qui avait décrit l’exil des Juifs après la destruction du temple par les légions de Titus. Le récit sioniste évoque une Judée martyre et, par suite, un « peuple judéen » dispersé dans le monde antique qui résumerait entièrement le fait juif. Sand, en explorant l’histoire de la Palestine antique, démontre qu’il y avait une judaïté « hasmonéenne » hellénisée puis romanisée qui pratiquait la conversion forcée de tribus sémitiques voisines et ne pratiquait pas un monothéisme rigoureux. Cette population hasmonéenne n’a pas été dispersée. Ensuite, au-delà de l’école post-sioniste, la thèse d’Arthur Koestler sur la 13ème tribu tend à accréditer, suite à une conversion de masse, l’origine khazare de nombreux Juifs de Russie et d’Ukraine dont les ancêtres n’ont jamais vécu dans la Judée romaine. Une guerre culturelle sévit donc en Israël entre tenants du récit sioniste et historiens post-sionistes.

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Le sionisme a donc bel et bien été un instrument de l’empire britannique d’abord, de l’impérialisme américain ensuite, isolant le peuplement juif au Proche-Orient et le posant comme ennemi de tous les Etats arabes de la région. Israël a donc, de ce fait, une position que le célèbre historien anglais Arnold J. Toynbee qualifiait d’ « hérodienne », c’est-à-dire non sioniste selon le narratif sioniste, dans la mesure où les Hérodiens juifs de l’antiquité, hellénisés, romanisés et alliés de l’empire romain, s’alignaient sur la géopolitique implicite d’un empire situé à l’Ouest de la Méditerranée, comme le sera aussi l’empire britannique du début du 19ème siècle à 1956 (lors de l’affaire de Suez) et le seront ensuite les Etats-Unis qui, d’après l’historien et géopolitologue Luttwak se posent comme les continuateurs de la géopolitique romaine dans le bassin oriental de la Méditerranée, tout en sachant que les Romains puis les Byzantins avaient pour objectif d’empêcher l’empire perse, parthe ou sassanide de déboucher sur le littoral de la Grande Bleue.

La critique du sionisme doit immanquablement passer par une étude des travaux des historiens israéliens de l’école post-sioniste, très sévères à l’endroit de la « Nakba » subie par les Palestiniens en 1948. Sinon toute critique de ce filon idéologique juif risque bien de ne reposer que sur des slogans, des dérapages antisémites sans fondements, donnant raison, rétrospectivement, à Léon Pinsker qui les qualifiait de « maladies mentales incurables ».

Bibliographie :

Alain BOYER, Les origines du sionisme, PUF, Paris, 1988.

Franco CARDINI, Lawrence d’Arabia, Sellerio Editore, Palermo, 2019.

Maurice-Ruben HAYOUN, Le judaïsme moderne, PUF, 1989.

Serge-Allain ROZENBLUM, Theodor Herzl – Biographie, Kiron/Editions du Félin, Paris, 2001.

Shlomo SAND, Les mots et la terre – Les intellectuels en Israël, Champs/Flammarion, Paris, 2010.

Colin SHINDLER, The Triumph of Military Zionism – Nationalism and the Origins of the Israeli Right, I. B. Tauris, London, 2010.

Richard WILLIS, « The Hebrew Insurgency », in : History Today, Vol. 72, Issue 6, June 2022.

16:40 Publié dans Histoire, Judaica | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, palestine, israël, sionisme, postsionisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Et les « Royals » devinrent british…

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Et les « Royals » devinrent british

Pendant la première guerre mondiale, la famille royale britannique, de souche allemande, est devenue les »Windsor »…

Xaver Warncke

Les Anglais tiennent beaucoup à leurs « Royals » et peu d’institutions sont aussi représentatives de la Grande –Bretagne que la famille royale. Mais il y a en fait tromperie sur l’étiquette en ce cas précis. Car la monarchie anglaise n’est pas aussi britannique qu’on ne le croit. Si l’on jette un regard plus pénétrant sur le cas de cette monarchie, celle-ci est bel et bien la seule et unique monarchie allemande qui existe encore en Europe. Alors que le dernier Empereur d’Allemagne a abdiqué en 1918.

Voici les faits : jusqu’à la moitié du 19ème siècle quatre lignées de la haute noblesse allemande se sont incrustées dans la famille régnante en Grande-Bretagne. Les historiens anglais le savent pertinemment bien : ils nous parlent, à ce propos, de « trois invasions » de la noblesse allemande sur l’île.

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La première de ces invasions fut celle de la Maison des Saxe-Cobourg-Gotha. Ce petit duché dans la région frontalière entre la Thuringe et la Franconie était dirigé par une lignée qui pratiqua une habile politique matrimoniale si bien qu’elle devint une dynastie de dimension européenne. En 1840, le Prince Albert de Saxe-Cobourg fut promis à sa cousine, la future Reine Victoria qui devint la régente de cet Empire britannique aux dimensions planétaires, comme nous le narrent les livres d’histoire. Albert resta toute sa vie dans l’ombre de son épouse mais conquit néanmoins le cœur des Britanniques. En témoignent aujourd’hui le « Royal Albert Hall », qui lui doit son nom,  et le monument qui lui est dédié à Hyde Park.

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Georges I.

Mais les politiques matrimoniales des lignées allemandes avaient commencé bien plus tôt sur l’île au-delà de la Manche. Déjà en 1714, les Guelfes du Hanovre s’étaient montrés très actifs en Angleterre. Ils prirent la succession de la dynastie des Stuarts. Cinq rois d’Angleterre, Georges I, Georges II, Georges III, Georges IV et Guillaume IV furent tout à la fois princes électeurs du Hanovre et y dirigèrent les affaires au nom d'une union personnelle guelfe-britannique. Il fallut attendre l’absence d’un héritier mâle et l’accession au trône de Victoria en 1837, pour assister à l’éclipse des Hanovriens et à la montée des Saxe-Cobourg.

Pour être complet, il faut évoquer deux autres lignées princières allemandes qui ont joué un rôle non moins glorieux dans l’histoire de la monarchie britannique. D’abord la lignée hessoise des Battenberg a poussé le Prince Philippe à devenir l’époux de la reine Elizabeth II, si bien qu’il est le grand-père des actuels princes William et Harry. Philippe descend également, côté paternel, de la Maison du Schleswig, une lignée parallèle de la Maison nord-allemande des Oldenbourg.

Pendant la Première Guerre mondiale, les liens qui unissaient depuis des siècles la haute noblesse européenne se sont dissous, au cours de ces quatre années de conflits entre les peuples. Le nom de Battenberg a ainsi cessé d’être accepté en Grande-Bretagne. Il fallait absolument que l’on traduise ce nom en « Mountbatten ».

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Cette transformation ne s’est pas bien passée. Elle ne témoigne pas de la tolérance que l’on prête généralement aux Britanniques. Les Battenberg jouissaient, avant la guerre, d’une très haute estime et avaient accumulé les mérites. Le Prince Ludwig-Alexander von Battenberg servait depuis 1868 dans la marine de guerre britannique et était devenu, à la fin de l’année 1912, amiral et premier Sealord. Il avait dès lors le grade le plus élevé de la Royal Navy.

Ludwig-Alexander von Battenberg avait œuvré à augmenter considérablement les capacités de la flotte britannique et l’avait préparée à une guerre future. Ce fut son grand mérite. Mais cela ne compta plus dès le déclenchement de la guerre en 1914, quand les Allemands devinrent soudain l’ennemi. Une campagne de presse anti-allemande d’une violence inouïe secoua le pays, activée, notamment, par le germanophobe le plus calamiteux de toute l’histoire anglaise : le ministre de la marine d’alors, Winston Churchill (dont le douteux palmarès fut, après la deuxième guerre mondiale, d’avoir ruiné l’Empire). Quoi qu’il en soit, Battenberg, qui n’avait rien à se reprocher, fut démis de toutes ses fonctions le 27 octobre 1914. Il dut même renoncer à son titre de prince et changer son nom.

Mais on ne se limita pas à ce lynchage. Georges V était sur le trône depuis 1910. Il était un homme assez affable mais, lui aussi, avait la marque de Caïn : il avait un nom d’origine allemande.

Le Roi était fort navré d’avoir dû, à son corps défendant, assister à la chute de Battenberg : c’est pourquoi il nomma l’homme tombé en disgrâce membre du « Conseil secret de la Couronne » (Privy Council) et lui conféra le titre de Marquis de Milford Haven. Bien sûr, cette initiative royale alimenta encore plus la rage germanophobe qui sévissait au Royaume-Uni. Le Times n’hésita pas à injurier la Maison royale en l’accusant d’être « déterminée par l’étranger ».

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Le cours ultérieur de la guerre fit que les choses devinrent pires encore. La situation s’aggrava en décembre 1916 avec l’accession aux affaires du premier ministre nationaliste David Lloyd George (tableau, ci-dessus). Lorsque Georges V convia le nouveau chef du gouvernement à présenter son rapport, Lloyd George aurait dit, ironiquement : « Je suis très impatient de savoir ce que mon petit ami allemand va me dire ». Le roi Georges entra alors dans une violente colère. « Il se peut que je ne donne pas l’impression d’être particulièrement authentique mais que je sois maudit si je suis un étranger », aurait-il dit en protestant.

Pendant un an, le Roi tint bon face à la pression de l’opinion publique mais il dut céder. Le 17 juillet 1917, il proclama qu’il abandonnait le nom de la dynastie des Saxe-Cobourg-Gotha pour adopter celui, qui sonne très anglais, de « Windsor ». Le nom était tiré d’un des lieux de résidence de la famille royale, le château de Windsor, construit au début du 14ème siècle dans le Comté de Berkshire situé à la lisière ouest de Londres.

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Le passé « allemand » de la dynastie britannique prenait ainsi fin de manière abrupte. De manière ostentatoire, toutes les bannières de guerre allemandes furent enlevées de la Chapelle Saint-Georges du château. Ce qui est plus important encore : par sa proclamation de juillet 1917, Georges V renonçait officiellement, pour lui et pour tous les descendants de la Reine Victoria, à son nom et à ses titres allemands. Ce ne fut qu’à ce moment-là que la campagne de presse prit fin. D’un jour à l’autre, l’atmosphère changea et Georges V fut à nouveau accepté.

De l’autre côté de la Manche et de la Mer du Nord, l’Empereur Guillaume II, lui aussi petit-fils de la Reine Victoria, commenta avec son sens personnel de l’humour les événements qui venaient de se dérouler en Angleterre : il proposa de changer le titre de la célèbre comédie de Shakespeare « Les joyeuses commères de Windsor » en « Les joyeuses commères de Saxe-Cobourg-Gotha ». A l’heure où j’écris ces lignes, cent ans se sont écoulés depuis la métamorphose des Saxe-Cobourg d’Angleterre en Windsor.

(article tiré de Zuerst, n°8-9/2017).

 

vendredi, 04 octobre 2024

L'équilibre géopolitique des puissances il y a 2500 ans

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L'équilibre géopolitique des puissances il y a 2500 ans

Les rapports de force géopolitiques en tranches chronologiques

Maxim Medovarov

Il y a exactement 2500 ans, en 477/476 avant J.-C., s'annonçaient de sérieux changements dans l'équilibre des forces sur le Vieux Continent. Alors que 500 ans plus tôt, Israël et la Chine étaient les leaders mondiaux, la situation s'était inversée. Les Juifs étaient désormais les sujets obéissants du gigantesque empire perse achéménide, à l'époque le plus grand de l'histoire en termes de superficie et de puissance. La Chine était toujours gouvernée par la dynastie Chou, descendante directe de Mu-wang, comme elle l'avait été 500 ans plus tôt, mais son pouvoir était désormais confiné au minuscule district de Loi, sur le Huang He central, au-delà duquel la prétention rituelle de Wang à être le Fils du Ciel ne signifiait plus rien. En 476 avant J.-C., il y a 2 500 ans, Jing-wang II mourut, remplacé par son fils Yuan-wang, ce qui coïncide étrangement avec la coupure abrupte des annales d'État de Chunqiu (Printemps et automnes). À partir de ce moment, il est d'usage de compter la période de transition vers l'ère des Royaumes combattants, caractérisée par des luttes de plus en plus vives entre les clans régionaux de princes (gongs) et de ducs (hou) pour l'hégémonie dans la région.

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Face au déclin apparent de la Chine, au chaos des cités-États en Inde et à la stagnation misérable de l'Égypte, de la Judée et de la Mésopotamie sous la domination perse, l'avantage des Iraniens semble indiscutable. Jamais la puissance perse n'avait été aussi forte et monolithique qu'il y a 2500 ans. Le roi Khshayarshya, appelé Xerxès par les Grecs, raconte avec arrogance dans des inscriptions comment il a éliminé les adorateurs du diable, les adorateurs des dévas. À la place des dévas sont apparus les dieux (pers. « baga »), un scénario repris littéralement par les Slaves. Même en dehors de l'Iran, sur le lac de Van, le roi perse a gravé une inscription retentissante : « Baga vazraka Auramazda, khwa mati sta baganam, khwa imam boom im ada, khwa avam asmanam ada, khwa martiyam ada, khwa shiyatim ada, martiakhya hya Khshayarsham khshayatiyam, akunaush aivam parunam shayatiyam. Adam Hshayarsha, hshayatiyyah vazraka, hshayatiyyah hshayatiyanam, hshayatiyyah dahyunam paruv zananam, hshayatiyyah ahyaya bumya va zrakaya duraiyyah, apiy Darayavahaush hshayatiyyahya, pucha Hahamanishya. ». « Ahuramadza est le grand dieu, le plus grand parmi les dieux, qui a créé la terre, qui a créé le ciel, qui a créé l'homme, qui a créé le bonheur pour l'homme, qui a créé le roi Xerxès, le roi de tout, le seul souverain de tout. Je suis Xerxès, grand roi, roi des rois, roi des rois, roi de tous les peuples de toutes origines, roi de cette terre, grande et vaste, fils du roi Darius, Achéménide ».

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Notons toutefois que la nouvelle idéologie royale des Achéménides n'est en aucun cas d'origine purement iranienne, indo-européenne. Dans ses inscriptions, Xerxès parle directement de la « grâce » monarchique qu'il répand sur les peuples conquis. Cette grâce - « kithen » - est un mot élamite, un terme clé de l'idéologie politique élamite. Il ne faut pas oublier que les Perses de l'époque de Darius et de Xerxès étaient un peuple à moitié mélangé avec des Élamites, et que l'élamite est restée la deuxième langue d'État avec le vieux-persan, les inscriptions royales étant gravées en deux et même trois langues (en tenant compte de l'akkadien en tant que langue de communication internationale du Moyen-Orient).

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Dans ses efforts pour répandre la lumière de son bon « kytene », le roi s'était heurté, deux ou trois ans auparavant, à la résistance acharnée de la coalition athénienne et spartiate, qui lui avait infligé de terribles défaites. En 477 avant J.-C., la guerre se poursuit. Cette année-là, Athènes, à peine remise de la conflagration perse, achève la construction du port du Pirée, centre de sa puissance navale, et le commandant Kimon débarque en Asie Mineure et lance une offensive contre les Perses sur le continent. Le grand poète grec Simonide de Kéos, qui avait inspiré les victoires athéniennes, trouve une nouvelle occupation : il se rend d'urgence en Sicile en tant qu'artisan de la paix. Les Grecs d'Italie, les colons de la Grande Grèce, ne se préoccupent pas encore beaucoup des affaires de leurs compatriotes de l'Est. Ils avaient leurs propres guerres intestines. En 477, le tyran syracusain Hieron prend d'assaut Locra à Rhegium et poursuit sa guerre contre le tyran argygentien Théron. C'est à ce moment-là que Simonide de Keos arrive et, grâce à son autorité poétique, réconcilie Hieron avec Theron en 476.

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À quelque 800 kilomètres au nord de leurs escarmouches, une guerre brutale et éprouvante opposait deux cités-états naines qui ne contrôlaient chacune que 500 km2 de territoire. La première ville s'appelait Veiès et était habitée par les Étrusques, bien qu'elle fût défendue par des troupes de tribus rurales alliées qui parlaient des dialectes latins: les Volsques et les Éques. La deuxième ville était la Rome latine. De Rome à Veiès, il n'y a que 18 kilomètres en ligne droite (par la route, c'est une fois et demie plus long). À mi-chemin, la petite rivière Cremère, sur la droite, se jette dans le Tibre. Un peu plus loin se trouve le grand village de Fidenae (Fidénes). C'est là qu'était extrait le sel, dont dépendait l'hégémonie géoéconomique de Rome ou de Veiès sur l'ensemble du bassin du Tibre. Depuis l'époque de Romulus, les Romains avaient fait la guerre à Veiès de temps à autre. Mais avec l'arrivée au pouvoir du clan des Fabiens (Fabii), ils s'y attaquèrent sérieusement. Les Fabii étaient une ancienne famille patricienne qui se considérait comme la descendante d'Hercule et qui était ainsi nommée en l'honneur de la fève (faba en latin). Ils étaient d'ardents partisans du pouvoir oligarchique de la noblesse à Rome, se disputaient désespérément et vicieusement les masses plébéiennes et finirent (probablement en 480) par tuer le commandant favori et invincible du peuple, le sauveur répété des Romains, Spurius Cassius. Ses enfants furent dégradés par les Fabii: de patriciens, ils furent contraints de devenir plébéiens. Les Fabii ont contrôlé le pouvoir à Rome pendant sept ans, occupant des postes de consul.

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Cependant, la haine populaire à l'égard des Fabii a atteint un tel niveau que les plébéiens ont refusé de combattre Veiès pour contrôler les gisements de sel. En 477, les Fabii ont décidé de faire la guerre contre le gré de leurs propres concitoyens, en envoyant tous les hommes adultes de leur clan à la guerre. Les historiens ultérieurs font état de 306 Fabii et de 4000 soldats auxiliaires, ce qui ressemble étrangement aux 300 Spartiates et aux 3900 soldats auxiliaires aux Thermopyles, trois ans plus tôt. En fait, la Rome de l'époque ne pouvait tout simplement pas compter sur des troupes aussi nombreuses (la population romaine totale atteignait à peine quelques milliers de personnes), et ces chiffres devraient donc être considérablement réduits. Cela n'affecte cependant pas l'essentiel de ce qui s'est réellement passé. Les Fabii de la famille des Vibulani (dont le nom dérive probablement d'un toponyme local) ont construit une fortification en bois près de l'embouchure de la Cremère, à 8 kilomètres de Veiès, et étaient bien retranchés, mais pour une raison quelconque, ils ont divisé leur armée entre la forteresse et la colline qui se trouvait à proximité. Les Étrusques de Veiès et leurs alliés italiques profitent de la médiocrité des frères Kaeso et Marcus Fabius Vibulanus, anciens consuls et généraux actifs (leur troisième frère Quintus avait été tué à Veiès trois ans plus tôt). Les Véiens prennent le retranchement à leur tour et massacrent les deux composantes des détachements fabiens. Ce jour-là, le 18 juillet 477 avant J.-C., il y a exactement 2500 ans, tous les hommes du clan des Fabii (qu'ils soient trente ou trois cents) sont tombés sur les rives de la Cremère. Seul l'adolescent Quintus le Jeune, fils de Marcus, resté à Rome, survécut. Les maigres et tragiques lignes de Tite-Live nous sont parvenues : « Fabii caesi ad unum omnes praesidiumque expugnatum. Trecentos sex perisse satis convenit, unum prope puberem aetate relictum, stirpem genti Fabiae dubiisque rebus populi Romani saepe domi bellique vel maximum futurum auxilium ».

Après la catastrophe, la redoute de la Cremère est détruite et les troupes du consul Menenius sont également vaincues. Les Étrusques pénètrent dans Rome, assiègent l'Esquilin et brûlent les villages des deux rives du Tibre. Bien qu'ils soient repoussés de la porte Colline et même expulsés de la rive gauche au cours de l'été 476, les objectifs de leur guerre ne sont pas atteints. Les Étrusques se retirèrent à Fidènes et au-delà de la Cremère, mais les Romains restèrent silencieusement dans leur ville et ne célébrèrent pas la victoire, faute de l'avoir obtenue. À ce stade, Rome n'a pas été en mesure de remporter la bataille du sel. Il lui faudra attendre encore quatre-vingts ans de guerre persistante et épuisante avec Veiès pour survivre, si brutale et parsemée de défaites fréquentes dues à des commandants sans talent, que les Romains n'ont jamais connue auparavant et à laquelle, en détruisant Veiès, seul Camillus, perçu par le peuple comme un faiseur de miracles et un demi-dieu, sera capable de mettre fin. Mais ce sera une autre époque. En attendant, il y a exactement 2500 ans, la moisson sanglante dans les champs de bataille du Latium, de la Sicile et de l'Ionie préparait le terrain pour le déclin des puissances majeures de l'époque comme l'Iran et la montée en puissance de nouveaux hégémons régionaux.