jeudi, 12 octobre 2023
L'expansion russe au-delà de l'Oural et en Amérique
L'expansion russe au-delà de l'Oural et en Amérique
Un historien avait calculé naguère qu’entre la fin du XVe siècle et la fin du XIXe, l’Empire russe s’était accru au taux de 130 km2 par jour !
Bien évidemment, pour devenir le plus grand empire continental que le monde ait connu, l’Empire russe ne limita pas sa poussée à la partie septentrionale de la Sibérie. Il exista jusqu’au 30 mars 1867, date de la vente de l’Alaska aux Etats-Unis par les Russes, ce qu’il convient d’appeler une « Amérique russe ».
Cette Amérique russe dont le but fut de ranimer les échanges avec la Chine, mais par mer cette fois, conduisit à une extraordinaire aventure commerciale, la Compagnie russe d’Amérique créée le 8 juillet 1799 à Saint-Pétersbourg.
Cette étude du regretté professeur Yves Caron (photo), s’agrémentant d’un intermède nécessaire portant sur les plus audacieux navigateurs européens, nous fait parcourir plus de quatre siècles d’expansion russe avec une rigueur inégalée concernant l’exactitude des protagonistes, des lieux, des distances, mais aussi des chiffres commerciaux.
Si le professeur vous disait qu’une idylle ibéro-russe a failli faire passer la Californie à l’Empire des Romanov, que lui répondriez-vous ? Un livre passionnant.
Pour commander le livre:
http://www.ladiffusiondulore.fr/index.php?id_product=1385&controller=product
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vendredi, 06 octobre 2023
Russophobie et hispanophobie: des histoires presque parallèles
Russophobie et hispanophobie: des histoires presque parallèles
Luis Fraga
Source: https://geoestrategia.es/noticia/41544/opinion/rusofobia-e-hispanofobia:-historias-casi-paralelas.html
Les visiteurs de la bibliothèque du monastère de l'Escorial peuvent voir, près du portrait de la belle Isabelle du Portugal, plusieurs cartes de l'Eurasie datant du 16ème siècle voire d'avant. L'Espagne dominait le monde à cette époque et il est compréhensible que la plus riche bibliothèque de l'Empire contienne les meilleures cartes de ce qui était alors le monde cartographié. Quiconque veut chercher la Russie sur ces cartes de l'Escorial ne la trouvera pas. De fait, vous ne la trouverez pas. À la place, vous verrez "Tartarie". Les Russes qui visitent la bibliothèque s'en amusent beaucoup.
Russophobie ? Non. Il n'y avait pas de russophobie au 16ème siècle parce que ce que nous appelons aujourd'hui la Russie n'existait pas. En revanche, il y avait une très forte hispanophobie encouragée par les Hollandais, les Anglais et les Français, alors ennemis de l'Espagne. L'hispanophobie avait le vent en poupe. Une Légende Noire créée pour une seule raison : l'Espagne était la puissance dominante du monde et, de plus, elle défendait la foi de Rome contre les hérésies dogmatiques anglo-teutoniques contre Rome qui avaient surgi en particulier dans le Nord de l'Europe (un Nord plus tard dominateur).
Il est bien connu que la Légende Noire de l'Espagne est sans aucun doute la première et la plus intense et longue opération de propagande orchestrée au niveau international contre une grande nation. C'est une campagne qui a duré plusieurs siècles et qui se poursuit encore aujourd'hui, poussée par Hollywood et les médias anglo-saxons, contre tout ce qui est hispanique en Amérique espagnole, héritière de l'Espagne. Mais cette hispanophobie, cette guerre culturelle séculaire contre tout ce qui est hispanique, a été couronnée de succès. Et, pire que tout, même certains Espagnols sans cervelle (et même certains Russes ou Ukrainiens sans cervelle, ou divers imbéciles dans d'autres pays) ont fini par croire tous les mensonges contre l'Espagne et tout ce qui est hispanique.
Des mensonges en effet. "L'Espagne était brutale, sanguinaire et génocidaire", disent les propagandistes. Faux à l'extrême. L'Espagne a construit son empire sur l'idée du respect des habitants des terres conquises. Un génocide ? Nous, Espagnols, avons su nous mélanger, dans un métissage exemplaire et sur un pied d'égalité, avec les habitants locaux. En revanche, le génocide américain des Indiens d'Amérique a été réel. Ou le génocide anglais en Inde et en Asie. Ou encore le génocide le plus cruel de tous : celui de la Belgique au Congo.
Pendant ce temps, l'Espagne créait des universités, des hôpitaux et des institutions de justice dans les Amériques, qui n'étaient jamais des colonies (comme celles des Belges, des Néerlandais, des Britanniques ou des Français), mais de véritables vice-royautés, dans le style noble et solide de la Rome exemplaire, avec des droits de citoyenneté égaux partagés avec les nouveaux Espagnols. Pendant ce temps, dans la métropole de la péninsule, de grandes controverses intellectuelles (l'embryon de ce que l'on appellera plus tard les "droits de l'homme") se développent sur le traitement des nouveaux Espagnols de l'autre côté de l'océan. Et chaque vice-roi, gouverneur ou maire revenant d'Amérique était soumis à un rigoureux "juicio de residencia" à son arrivée dans la péninsule, afin de vérifier sa droiture à l'égard des habitants de sa vice-royauté respective. Foutaises et mensonges : voilà en quoi consiste l'intense campagne d'hispanophobie menée depuis des siècles par les ennemis de l'Espagne, en particulier les Anglo-Saxons.
Aujourd'hui, c'est au tour de la Russie. Depuis la légende noire contre l'Espagne, jamais dans l'histoire autant de mensonges, de diffamations et de faussetés n'ont été déversés contre une grande nation que de nos jours contre la Russie. Avec au moins une différence: tout est accéléré par l'importance décisive des nouvelles technologies de l'information, le cinéma, la télévision et la presse écrite étant contrôlés par les grands groupes anglo-saxons d'aujourd'hui. À Hollywood, la manipulation est constante: ce sont toujours les Russes (ou les Hispaniques) qui sont les méchants. Dans les réseaux sociaux, c'est un peu la même chose, même si la Russie (et aussi l'Espagne) s'y défend un peu mieux. Et mieux vaut ne pas parler des grands médias: il est gênant d'avoir honte de l'immense manipulation des imbéciles qu'ils exercent sans vergogne, avec leurs messages et leur propagande constamment vomis.
Les origines de la russophobie
Mais d'où vient tant de russophobie ? Revenons un instant à la bibliothèque de l'Escorial. On y lit "Tartarie" pour désigner la situation géographique occupée aujourd'hui par la Russie. Mais pendant que Philippe II construisait son monumental monastère et son palais, la Russie (elle ne s'appelait pas ainsi à l'époque, mais la Principauté de Moscou) envahissait la véritable Tartarie musulmane des Tartares. Elle le fait sous Ivan IV, le Terrible. Terrible, cruel et brutal, certes, mais l'un des plus grands tsars que la Russie ait jamais eus. Un tsar qui, comme nous, Espagnols, lors de la reconquête contre l'Islam, a vaincu les Tartares musulmans (ceux de Kazan, mais aussi ceux de Crimée), a commencé à s'étendre en Sibérie et a construit la magnifique cathédrale Saint-Basile, symbole de Moscou que l'on voit sur les cartes postales de la Place Rouge.
Est-ce le début de la russophobie? Peut-être oui, mais seulement à l'état embryonnaire, et non pas parce qu'Ivan était terrible, mais parce que la Russie commençait à devenir grande. Ivan le Terrible était cruel, excessif, déséquilibré et brutal; il a assassiné ou emprisonné la plupart de ses nombreuses épouses, battu à mort son propre fils et héritier, et il avait pour habitude de décapiter, empaler ou torturer à mort ses ennemis intérieurs et ses prisonniers de guerre. Mais à l'exception de quelques chroniques antirusses sur les pays ou les groupes ethniques que la Russie avait vaincus au combat, il n'y a guère eu d'opération de propagande majeure contre la Russie à l'époque. Pourquoi ? Parce que la Russie compte peu en Europe. Elle s'étendait en Asie. Cela n'avait pas d'importance en Europe.
Pendant ce temps, l'Espagne se développe et consolide sa position en Amérique et dans le Pacifique (en concurrence avec les Anglais, les Français, les Néerlandais et les Portugais), défend ses territoires européens et se bat dans les Flandres. Cela inquiète beaucoup les Anglais, les Néerlandais et les Français, qui concoctent l'immense propagande anti-espagnole à travers la Légende noire. L'Espagne, contrairement à la Russie, a compté. Et elle dominait le monde. Il fallait s'en débarrasser.
Si la véritable russophobie trouve son embryon avec les triomphes militaires du terrible Ivan, la véritable campagne de propagande commence à être orchestrée un siècle et demi plus tard. Il s'agit donc d'un processus beaucoup plus récent. Et voici que ses principaux instigateurs sont les mêmes que ceux qui ont perpétré les calomnies à l'encontre de l'Espagne. D'abord, l'Angleterre et la France. Au 20ème siècle, ils ont été rejoints par les continuateurs et alliés des Britanniques : les États-Unis.
Quand commence la véritable russophobie ? Lorsque la Russie a commencé à se tourner vers l'Europe. C'est-à-dire au 18ème siècle, un siècle et demi après le terrible Ivan. Pierre Ier le Grand, le grand réformateur et le véritable père de la Russie d'aujourd'hui, régnait alors. C'est d'ailleurs ce tsar qui rebaptise la Principauté de Moscou et ressuscite la "Russie" de la Kievan Rus du 9ème siècle, qui modernise la Russie, l'européanise, fonde et construit Pétersbourg et déplace la capitale de Moscou vers sa nouvelle ville. Plus proche de l'Europe occidentale.
Le tsar Pierre n'est pas moins terrible que son maître Ivan: il exécute tous ceux qui s'opposent à ses réformes et met à mort son propre fils, non plus à coups de bâton mais à coups de fouet. Mais là encore, la campagne de russophobie que les Britanniques et les Français entamaient à l'époque n'était pas due à la force de caractère du tsar, mais à ses exploits militaires, notamment lorsqu'il a vaincu la Suède, alors puissante, à Poltava.
Soulignons à nouveau le parallèle avec l'Espagne. Nos ennemis séculaires étaient la France et la perfide Albion. Ce sont elles qui avaient lancé, deux siècles plus tôt, la campagne d'hispanophobie. Et c'est notre défensive néfaste, ainsi que les trahisons (de l'Angleterre, d'une part, et de la France et des abjects Bourbons Charles IV et Ferdinand VII, d'autre part) qui ont détruit l'Espagne et son Empire suite aux guerres napoléoniennes au début du 19ème siècle. Mais la campagne anti-espagnole se poursuit, implacable, dans un monde déjà dominé par les Français et les Britanniques. Il leur restait à s'emparer de Cuba, de Porto Rico, des Philippines et de nos îles du Pacifique. C'est ce que feront, près d'un siècle plus tard, les successeurs transatlantiques des Britanniques.
L'Espagne étant presque épuisée, les Français et les Britanniques unissent leurs forces contre le nouvel ennemi: la Russie. Sous Napoléon, ce dernier publie en France l'une des premières "fake news" de l'histoire moderne: un testament de Pierre le Grand dans lequel il fait référence de manière propagandiste à un prétendu plan russe d'invasion de l'Europe. Le document était un faux. Russophobie. Sans parler des efforts puérils des très intelligents propagandistes des Lumières à la Diderot, qui qualifiaient les Espagnols et les Russes de peuples "barbares et vulgaires" alors qu'eux, pompeux détenteurs de la vérité, étaient les Lumières qui avaient apparemment éclairé le monde.
La russophobie s'intensifie
À partir du 19ème siècle, tout s'est intensifié contre la Russie. La raison: la Russie comptait déjà beaucoup en Europe. Ne nous attardons pas (ce serait trop long) sur la guerre de Crimée. Le 19ème siècle. Grande trahison de l'Europe par les Français et les Britanniques. Ils s'allient aux Ottomans musulmans pour vaincre la Russie. Ils y parviennent, tant sur le plan militaire que sur celui de la propagande.
Le 20ème siècle, le plus atroce de tous les temps en termes de millions de morts, est essentiel pour comprendre la russophobie d'aujourd'hui. Outre les Français (déjà sur le déclin), les Britanniques et les Américains (en pleine ascension après avoir vaincu l'Espagne en 1898 et nous avoir volé le reste de l'Empire), il y a un nouvel ennemi de la Russie: l'Allemagne. L'Allemagne facilite en effet le retour du malheureux Lénine en Russie. Le communisme est né. L'URSS émerge. Guerre mondiale. L'Allemagne envahit la Russie. Des millions et des millions de morts. C'est la guerre froide. Plus de russophobie. Romans et films américains ou anglais propagandistes sur les espions et conspirateurs russes (les "méchants", toujours) qui voulaient apparemment mettre fin au monde. Peur de la catastrophe nucléaire. Prolifération des abris antiatomiques. Peurs. Russophobie multipliée par mille.
Implosion de l'URSS à partir de 1989, tout simplement parce que le communisme ne fonctionnait pas. Convulsions dans la Russie d'Eltsine qui ont fait chanter victoire aux ennemis de la Russie.
Mais non. Arrive Poutine, aujourd'hui diabolisé. Il prend les rênes. Et c'est là que le bât blesse: le monde a changé. Après l'effondrement de l'URSS, il est dominé par une seule puissance: les États-Unis. Mais la Russie a également changé. Et le type de russophobie aussi. Car si, auparavant, la russophobie, en particulier à l'égard de l'URSS, était due à la crainte, fondée ou non, que la Russie nous envahisse tous, les raisons sont désormais différentes, et peut-être beaucoup plus fortes et très différentes, et sans aucun doute aussi beaucoup plus profondes.
Que s'est-il passé ? Voyons ce qu'il en est. L'hégémonie des États-Unis après l'effondrement de l'URSS nous a conduits à un monde unipolaire et homogène, qui fonctionne avec soumission selon les valeurs et les principes des États-Unis. Des valeurs et des principes hypocritement utilisés comme une arme pour assurer non pas la domination militaire, mais la plus importante : la domination mentale. Et c'est cela qui est nouveau.
La Russie refuse donc de sauter dans les cerceaux. Ni l'idéologie trans, ni la doctrine LGTBIQ+, ni le mariage homosexuel, ni les portes ouvertes aux immigrants (ils en ont déjà assez avec les citoyens des autres nations de l'ex-URSS), ni le wokisme, ni les autres inventions et puritanismes des idéologies prédominantes aux États-Unis, qui soutiennent avec tant de moyens des individus super-riches comme Soros, Gates, l'inquiétant Forum de Davos ou ses cousins Bilderberg et un groupe similaire de marchands opulents qui ne cherchent qu'à accroître leur fortune dans un monde nouveau, celui de la "Big Reset", à laquelle ces magnats aspirent afin d'augmenter leur pouvoir tandis que les inégalités sociales se creusent. Mais la Russie tient bon. Elle renonce à ces nouvelles idéologies. Elle ne les avale pas.
Et la Russie abhorre toutes ces histoires dont on ne sait pas où elles mènent. Et elle suit une autre voie : la tradition. Révolution conservatrice. Reconstruction des églises, qui sont pleines le dimanche. Familles traditionnelles. Valeurs traditionnelles. Une autre voie. Inacceptable pour le "nouvel ordre mondial" que les États-Unis et leurs magnats tentaient d'imposer. Inacceptable pour les groupes médiatiques anglo-saxons de ce qu'on appelle l'"Occident". C'est pourquoi la russophobie est plus forte que jamais. Sans parler de l'invasion de l'Ukraine. La Russie est désormais l'ennemi à abattre.
Une situation complexe, qui s'accompagne d'une terrible guerre qui fait rage en Ukraine. Une guerre très dangereuse - à cause des armes nucléaires - qui sera très longue. Une guerre qui, par l'usure à long terme et pour aucune autre raison, aboutira à la défaite de l'ennemi de la Russie (l'OTAN, pas l'Ukraine) et à la possible partition du pays.
Et la russophobie, insistons-y, à des niveaux jamais connus auparavant, pas même pendant l'URSS et la guerre froide.
Tout ce qui est russe est annulé. Sa musique. Sa littérature. Statues démolies. Sanctions le matin et le soir. Listes noires. Censure en Europe des médias russes, désormais fermés par décret. Vols annulés. Interdiction de faire du commerce et d'exporter. Des médias grand public en Europe et aux États-Unis qui, jour après jour, débitent des mensonges que personne de sensé ne peut croire. La discrimination à l'encontre des Russes est à l'ordre du jour. Des centaines de citoyens russes voient leurs comptes bancaires en Europe annulés ou bloqués pour la seule raison qu'ils sont russes. Un désastre.
Les responsabilités de la Russie
Or, la Russie a aussi sa part de responsabilité dans ce désastre. Pourquoi ? Parce qu'elle manque de ce que les Espagnols appellent "mano izquierda" (main gauche) et les Italiens "finezza" (finesse). La Russie n'a pas su ni voulu montrer son bon côté. Sa population, un excellent peuple qui n'a rien d'anti-européen, a du mal à comprendre que le Kremlin se soit refermé sur lui-même. Un héritage de l'époque soviétique.
Revenons à la comparaison avec l'Espagne. Après les bouleversements du 20ème siècle, l'Espagne, avec la démocratie, a su développer une ingénieuse politique de soft power (facteur que la Russie est incapable de comprendre) dans un monde qui oublie peu à peu la Légende Noire. Notre politique au sein de l'UE, notre coopération au développement et notre renforcement institutionnel, les sommets ibéro-américains et le "Secrétariat général ibéro-américain" (SEGIB), qu'Aznar a proposé et mis en œuvre, se distinguent à cet égard. Jusqu'à Aznar, l'Espagne maîtrisait la bonne carte de visite et une image raisonnable dans le monde. Et aussi vis-à-vis de la Russie, d'ailleurs: aucun pays de l'UE n'a été plus favorable à l'assouplissement et même à la suppression des exigences en matière de visa pour les citoyens russes, pour donner un exemple de geste amical à l'égard de la Russie. Un geste que Moscou n'a pas rendu aux Espagnols, soit dit en passant. Montrer un visage amical. C'est la clé. C'est aussi simple que cela. La Russie, elle, n'a pas envie de le faire. C'est son talon d'Achille. Sa principale erreur.
Malgré d'excellents diplomates, elle fait semblant d'être inamicale. Comme s'ils étaient fiers de jouer les mauvais garçons dans la cour d'école.
"Si vous ne pouvez pas vous faire aimer, faites-vous au moins craindre", semble être leur maxime. Un énorme non-sens. Les exemples ne manquent pas. Souvenez-vous d'Ivan le Terrible et du cruel Pierre le Grand. La Russie n'arrive pas à se débarrasser de l'air de brutalité qui l'accompagne depuis ses débuts. Regardez ses déclarations publiques aujourd'hui: intelligentes, mais inutilement agressives. Voyez sa politique de visas pour les Européens: hostile, paranoïaque et sans queue ni tête. Regardez sa réaction institutionnelle aux médias d'État russes cinglants contre l'Espagne à propos du coup d'État indépendantiste en Catalogne: des platitudes mielleuses, prétendument neutres, émises froidement depuis le Kremlin. De faibles déclarations qui ne leur ont pas valu la sympathie de l'Espagne. Berlin, Paris et même Washington se sont montrés plus fermes à l'égard du séparatisme catalan.
Moscou ne comprend pas le soft power. La projection de ses vertus dans le monde semble se limiter à de coûteux spectacles cosaques, à des balalaïkas, à des chœurs de moines, à des ballets et à tout cet attirail. Un bel attirail, sans aucun doute, mais qui n'a que peu de valeur publicitaire. Ils ont fait plus pour leur image dans le monde avec la Coupe du monde ou les Jeux olympiques de Sotchi. Mais le soft power, c'est autre chose. Finezza, répétons-le, est le mot italien qui le définit. Savoir qui vous soutient et qui ne vous soutient pas, et prendre davantage soin de ceux qui sont avec vous. Mieux expliquer les choses. Et de bonnes campagnes dans les médias et dans les pays étrangers.
Bref, la Russie a sa part de responsabilité dans la russophobie qui sévit aujourd'hui partout. La Russie apprendra-t-elle de ses erreurs? Leur espoir est de gagner cette guerre. Et celui qui gagne, semble-t-il, convainc. Mais la question de savoir s'ils apprendront ou non reste ouverte.
Luis Fraga a été sénateur du PP pendant 21 ans, entre 1989 et 2011. Il a publié plusieurs articles en Russie, où il a également été conférencier en langue russe.
Source : El Manifiesto
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mercredi, 27 septembre 2023
Aux origines du monde LGBT: le mouvement de réforme sexuelle dans la République de Weimar
Aux origines du monde LGBT: le mouvement de réforme sexuelle dans la République de Weimar
par Sara (Blocco Studentesco)
Source: https://www.bloccostudentesco.org/2023/09/27/bs-movimento-riforma-sessuale-rep-weimar/
La République de Weimar, période historique qui s'étend de 1919 à 1933 en Allemagne, est souvent rappelée pour son instabilité politique et économique. Ce que beaucoup ignorent, c'est que la République a constitué un terrain particulièrement fertile pour une petite révolution sexuelle, notamment dans la ville de Berlin.
En haut, le Dr.Magnus Hirschfeld; au centre, l'un de ses ouvrages; en bas, le Dr. Erwin Gohrbandt, chirurgien spécialisé dans les opérations de transsexualité. Il s'adaptera au nouveau régime en 1933, sera accusé de crimes de guerre, vu les expériences médicales qu'il aurait pratiquées sur des détenus du camp de Dachau mais il présidera néanmoins plusieurs instituts médico-chirurgicaux après guerre.
En juillet 1919, l'Institut für Sexualwissenschaft (Institut pour la science sexuelle) a été fondé à Berlin, dédié à la communauté LGBT allemande et à l'éducation sexuelle des citoyens. Cet institut a été fondé par Magnus Hirschfeld (1836-1935), médecin et sexologue d'origine juive, qui a été l'un des premiers à développer la théorie du "troisième sexe", un concept représentant une identité de genre intermédiaire autre que l'homme ou la femme. Hirschfeld était lui-même travesti et homosexuel. En collaboration avec le chirurgien Erwin Gohrbandt, les premières opérations de transition homme-femme ont été réalisées à l'institut. Les patients se voyaient également prescrire une thérapie hormonale, une pratique encore utilisée aujourd'hui pour les personnes souhaitant changer de sexe. L'Institut des sciences sexuelles disposait également d'une vaste bibliothèque sur la sexualité, qui comprenait des livres, des diagrammes et des protocoles pour la transition chirurgicale de l'homme à la femme. En outre, il disposait d'un musée de la sexualité, connu sous le nom de musée Hirschfeld, dont les murs étaient décorés de photographies d'homosexuels habillés de manière excentrique, avec de grands chapeaux, des boucles d'oreilles et du maquillage, ainsi que de femmes habillées en hommes avec des chapeaux haut de forme.
Pendant la République de Weimar, Berlin était considérée comme une Mecque pour les communautés trans et homosexuelles. Dans les années 1920, une centaine de bars gays ont vu le jour à Berlin, également fréquentés par des transsexuels, des lesbiennes et des prostituées. Des boîtes de nuit telles que le Mikado, le Zauberflöte et le Dorian Gray sont devenues des hauts lieux internationaux, tandis que les danses homosexuelles élaborées de la ville ont attiré l'attention du monde entier. Les Anglais parlent de "coutume allemande", les Français de "vice allemand" et les Italiens d'"hommes et de femmes homosexuels". L'Allemagne devient la capitale de l'homosexualité européenne et attire de nombreux artistes, dont le poète Marsden Hartley et l'architecte américain Philip Johnson.
Le mouvement de réforme sexuelle, soutenu par des membres des partis libéral, social-démocrate, socialiste et communiste, lutte également pour l'accès à l'avortement, interdit par les articles 218 et 219 du code pénal allemand de 1871, dans le sillage de la Russie soviétique, qui a rendu l'avortement légal et financé par l'État le 18 novembre 1920.
Quelques mois après l'accession d'Hitler à la chancellerie, les nazis ferment les clubs de gays, de lesbiennes et de travestis. Les magazines homosexuels ont été interdits et les documents sur les homosexuels ont été retirés des librairies dans le cadre de la "Campagne pour un Reich propre" des nazis. En mai 1933, des étudiants nazis ont pris d'assaut l'Institut des sciences sexuelles de Magnus Hirschfeld et ont pillé sa bibliothèque, qui contenait plus de 12.000 ouvrages. Avec l'aide des sections d'assaut, ils ont brûlé les livres dans les rues de Berlin, détruisant ainsi une grande partie de la documentation historique sur la vie homosexuelle avant la Seconde Guerre mondiale.
La situation dans la République de Weimar n'est pas restée un cas isolé, mais a trouvé des similitudes dans les États-Unis des années 1960 avec le mouvement hippie de libération sexuelle. Ce phénomène n'est pas resté confiné, mais a influencé tout l'Occident. Ces dernières années, nous avons assisté à l'explosion du mouvement LGBT, qui concerne de plus en plus de jeunes. Avant la pandémie de Covid-19, environ 90 % des jeunes se considéraient comme hétérosexuels, mais ce pourcentage est tombé à 79% après l'urgence sanitaire.
Qu'est-ce qui a provoqué un changement aussi soudain en si peu de temps? Une grande partie de ce changement peut être attribuée aux longues heures passées par les jeunes sur les médias sociaux, où certains contenus sont largement mis en avant, en particulier sur TikTok, pendant la période d'isolement à la maison. Depuis des décennies, l'homosexualité a été progressivement normalisée et acceptée, tout comme l'accès facile à la pornographie sur les sites web, qui sont consultés quotidiennement par 40 % des jeunes.
Homosexualité, transsexualité, hyper-sexualisation et pornographie : autant d'éléments qui étaient déjà présents sous la République de Weimar et qui se manifestent aujourd'hui sous un jour différent. Dans un monde de plus en plus polarisé, où les tensions sociales et politiques augmentent, où ces questions occupent de plus en plus le devant de la scène, on peut se demander si ce renversement du naturel peut ne pas être accepté de peur d'être taxé de bigot ou d'opposant au "progrès".
20:19 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sexologie, histoire, république de weimar, années 20 | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 18 septembre 2023
Les espions allemands qui rêvaient de guerre sainte
Les espions allemands qui rêvaient de guerre sainte
Andrea Muratore
Source: https://www.ilgiornale.it/news/cultura-e-spettacoli/spie-tedesche-che-sognavano-guerra-santa-2080885.html
Les agents du Kaiser, pendant la Grande Guerre, ont tenté de soulever les musulmans d'Asie contre l'Empire britannique. Peter Hopkirk le rappelle dans Secret Services to the East of Constantinople.
Des espions en mouvement dans le grand espace de l'Asie centrale pendant la Grande Guerre. Un rêve: prêcher la grande alliance entre l'empereur Guillaume II et la Sublime Porte de l'Empire ottoman pour déclencher la guerre sainte chez les musulmans. Le théâtre de l'affrontement: la Perse, l'Afghanistan, l'Inde, le Turkestan russe. C'est cette histoire pratiquement inconnue en Italie que les éditions Settecolori ont eu le mérite de révéler en traduisant Services secrets à l'est de Constantinople, l'essai de l'historien britannique Peter Hopkirk conçu par l'auteur du Grand Jeu comme une suite naturelle de son œuvre la plus connue.
Services secrets
Pendant la Grande Guerre, l'Allemagne et l'Empire ottoman sont alliés. Grâce à la pénétration de ses espions et de ses diplomates dans les "trous noirs" du Grand Jeu du 19ème siècle entre la Russie et l'Empire britannique, Berlin espère plaider la cause du Kaiser en tant que protecteur des musulmans du monde. Aux visées allemandes s'ajoutent les velléités nationalistes et panturques du leader Jeune Turc Enver Pacha, terriblement connu comme stratège du génocide arménien et homme de grande ambition personnelle, qui, en tant que dictateur de facto de l'Empire ottoman, rêve d'une expansion de la Turquie en alliance avec l'Allemagne.
Hopkirk n'a pas perdu de vue l'histoire de l'Asie profonde après avoir étudié la dynamique du Grand Jeu. Les ambitions impériales du Kaiser et le rêve de rédemption hégémonique des nouveaux dirigeants ottomans se sont combinés pour cibler l'Inde britannique, de la même manière que les espions tsaristes ont ouvert des brèches dans le Turkestan dans l'espoir de futures descentes cosaques vers l'Indus et le Gange. Pendant la Grande Guerre, le jeu des espions allemands et de leurs alliés turcs visait à créer le chaos par l'entremise des musulmans de l'Inde britannique et à retourner contre les patrons de Londres les dirigeants de l'Afghanistan, envahi à deux reprises par les troupes de la reine Victoria au cours du 19ème siècle.
Il s'agirait, comme le voulaient des hommes oubliés depuis longtemps et impliqués dans des jeux occultes très complexes, d'un objectif encore plus grand que celui que Thomas Edward Lawrence a atteint en menant la révolte arabe contre les Turcs. Il ne s'agissait pas en effet de surfer sur une révolte déjà éclatée en lui donnant une couverture politique et une organisation, mais plutôt de mettre le feu aux poudres, de faire exploser la marmite sacrée de l'islam militant, de faire des ravages contre l'Empire britannique au sein même de son joyau indien. Et, de surcroît, mettre le feu à l'Asie touranienne que la Russie avait difficilement pacifiée au 19ème siècle.
Un grand jeu entre Téhéran, Samarcande, Kaboul et Calcutta auquel l'Allemagne a consacré tous ses efforts. En déployant le charismatique et impitoyable agent et consul Wilhelm Wassmuss (photo), actif dans les raids de la lointaine Perse pour exciter les tribus locales contre Londres ; en envoyant une courageuse et ambitieuse mission dirigée par le capitaine Oskar von Niedermayer pour exciter l'émir d'Afghanistan Habibullah; en rêvant d'une alliance impériale au nom de la protection de l'Islam en application d'une manœuvre qui avait son esprit à Berlin et son élaboration stratégique à Constantinople. Hans von Wangenheim, ambassadeur allemand à la cour ottomane, fut entre 1914 et 1915, année de sa mort, l'éminence grise de cette stratégie.
"Deutschland Über Allah" est la devise attribuée (de manière tout à fait apocryphe) au Kaiser par un cercle d'intellectuels et de militaires qui, dès la chute d'Otto von Bismarck, le père de l'Allemagne unie qui a quitté la chancellerie en 1890, ont commencé à concevoir un plan audacieux pour menacer la domination britannique sur le continent indien et qui a été mis en œuvre avec le déclenchement de la Grande Guerre.
L'enthousiasme islamique du Kaiser est enflammé par une visite en Turquie en 1889, à laquelle Bismarck s'oppose au motif qu'elle alarmerait gratuitement les Russes. Guillaume rencontre le sultan Abdul Hamid II et apprécie les sinueuses contorsions des danseuses circassiennes dans son harem de Constantinople. En 1898, Guillaume retourne dans l'Empire ottoman et se rend à Jérusalem par une brèche spécialement aménagée dans les murs pour inaugurer la nouvelle église du Rédempteur, construite par des protestants allemands. Quelques années plus tard, la grande épopée du djihad turco-allemand commence. Un phénomène alimenté par un régime nationaliste qui avait pris le pouvoir à Constantinople et qui, paradoxalement, cherchait à se moderniser en adoptant des caractéristiques occidentales, et par un État militariste et impérialiste fermement enraciné dans le sol et la terre d'Europe.
La complexité du monde islamique, l'étroitesse des forces déployées et les revirements diplomatiques et militaires britanniques, ainsi que les retournements de fronts dans les secteurs caucasien et mésopotamien de la guerre, font que le plan ne verra jamais le jour. Mais, loin de l'opinion publique, les autorités britanniques ont tremblé à plusieurs reprises devant l'hypothèse du déclenchement de la guerre sainte par des troupes turco-allemandes infiltrées dans les pays neutres et les colonies.
En 1916, John Buchan publie son best-seller Greenmantle, qui imagine un complot allemand visant à réveiller les légions orientales de l'Islam contre l'Empire britannique assiégé et ses cent millions de sujets musulmans. Le livre a allégé les heures d'emprisonnement du tsar Nicolas II de Russie avant son assassinat en 1918 par les bolcheviks.
Il s'agit de la description la plus probable d'un attentat qui a réellement eu lieu. Et qui, si elle avait été réalisée, aurait pu changer l'histoire. Tout comme un défi direct en Arabie (qui a failli avoir lieu en 1916) entre Lawrence et une autre légende de la guerre, le général turc Mustafa Kemal Ataturk, aurait pu changer l'histoire. Lawrence disposait d'un empire établi derrière lui pour renforcer un soulèvement. Les Allemands et les Turcs ont tenté, en vain, d'en déclencher une. Cependant, ils ont contribué à la croissance des sentiments autonomistes contre la Grande-Bretagne dans toute l'Asie centrale et au renforcement de l'animosité des musulmans contre l'Occident, ce que la Grande-Bretagne allait payer lors de sa tentative de renversement de la révolution bolchevique en Russie en 1918.
Les plus grands perdants, cependant, sont les peuples chrétiens de l'Empire ottoman, contre lesquels les Jeunes Turcs d'Enver se sont livrés à un véritable génocide en raison de prétendus complots ourdis avec la Russie tsariste. Grecs du Pont, Assyriens et surtout Arméniens sont les victimes qui ont le plus souffert, bien qu'indirectement, des conséquences de l'alliance fatale entre le militarisme allemand et le nationalisme expansionniste turc. Tous deux furent tentés d'opérer l'une des plus colossales instrumentalisations de l'Islam jamais tentée dans l'histoire récente. Et qui allait avoir de nombreuses et douloureuses suites jusqu'à aujourd'hui.
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dimanche, 17 septembre 2023
Développement/Adaptation: pourquoi les uns réussissent-ils et pas les autres?
Développement/Adaptation: pourquoi les uns réussissent-ils et pas les autres?
Peter W. Logghe
Source: Nieuwsbrief Knooppunt Delta, n° 182, septembre 2023
La proposition selon laquelle les sociétés s'adaptent, changent, enfonce une porte ouverte. Nombreux sont ceux qui pensent que le changement est toujours une amélioration. Selon certains, les sociétés s'adaptent "naturellement" aux nouvelles circonstances. Il existe également des sociétés, des communautés, des peuples et des cultures qui sont contraints par des États étrangers d'évoluer dans une direction particulière. L'Europe de l'Est en est un exemple: après la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques l'ont enfermée dans une camisole de force communiste. L'Europe occidentale, quant à elle, a subi une américanisation profonde, également une adaptation sous la pression de l'étranger.
L'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est n'étaient que des objets du changement dans ces processus. Dans l'hebdomadaire conservateur allemand Junge Freiheit, Ludwig Witzani pose la question intéressante de la capacité des sociétés à se transformer selon des plans et des principes préétablis. Les nations, les peuples parviennent-ils à s'approprier les réalisations des autres et à les utiliser à leurs propres fins ?
Il existe plusieurs exemples connus de ce phénomène dans l'histoire moderne. Il y a la tentative de modernisation de la Russie rurale sous le tsar Pierre le Grand, les tentatives de modernisation de la Turquie sous Kemal Atatürk, et la construction d'une "grande civilisation" en Iran sous le Shah Reza Pahlevi. Ces tentatives ont toutes échoué à un degré plus ou moins important. Si ces États ont pu accroître leur puissance économique et politique dans le monde, cela s'est généralement accompagné d'une répression interne sévère et d'un processus de dissolution intérieur, qui a finalement conduit à une réaction, à une guerre civile.
Ludwig Witzani écrit que dans ce type de processus de changement, le problème principal pourrait bien être le suivant: le socle de valeurs de la société en mutation entre en conflit avec la rationalité des nouvelles compétences technologiques et les empêche ainsi de se développer. Le socle de valeurs de l'Iran a conduit à une révolution religieuse qui a anéanti une grande partie de la modernisation. Il en va de même pour la Turquie.
Le Japon et la mission Iwakura de 1871
L'exemple du Japon est tout à fait différent. Ce pays asiatique a connu un processus d'adaptation extraordinaire à la fin du XIXe siècle, devenant une superpuissance en l'espace d'une seule génération et parvenant à implanter sans faille des technologies et des processus de production venus d'Europe (et d'Amérique) dans une société qui n'en était pas affectée dans son essence.
Cependant, la situation au Japon n'était pas particulièrement prometteuse. Après le shogunat Tokugawa (vers 1600), l'île asiatique s'est coupée du monde extérieur pendant environ 250 ans. Jusqu'à ce que les puissances occidentales accèdent de force au Japon (l'amiral américain Perry en 1854, par exemple) et que le Japon soit contraint de signer les "traités inégaux".
Quelques années plus tard, le Japon a connu la restauration Meji (1868), au cours de laquelle l'empereur japonais a pris le pouvoir. Les élites japonaises ont rapidement compris que le pays devait s'adapter aux nouvelles technologies et aux nouveaux processus de production auxquels l'Occident devait sa supériorité économique, militaire et politique. La mission japonaise Iwakura, qui a parcouru le monde de 1871 à 1873 en tant qu'ambassadeurs et scientifiques avertis, a joué un rôle central dans ce processus de changement. Outre le prince Iwakura Tomoni, la compagnie comptait 107 personnes - l'idée est venue de l'ingénieur et missionnaire néerlandais Guido Verbeck. La mission comprenait non seulement des membres clés du gouvernement, mais aussi des spécialistes du droit, de l'éducation, des linguistes et une soixantaine d'étudiants. Plusieurs étudiants sont d'ailleurs restés sur place pour compléter leur formation dans ces pays qui leur étaient étrangers (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne). Il semble que les aciéries allemandes de Krupp aient fait une impression particulièrement forte sur les Japonais.
Les impressions de voyage se traduisent par un plan d'action
Il ne s'agissait pas seulement d'un voyage de promotion du Japon dans le monde, mais surtout d'un voyage d'apprentissage. Les impressions du voyage ont été méticuleusement consignées et intégrées dans un plan directeur. Le savoir-faire britannique en matière de construction de flottes, les systèmes éducatifs français et allemand, l'organisation militaire et le système médical prussiens, la technologie américaine en matière d'armement: le Japon a tout adopté et l'a implanté dans sa propre communauté. En 1894, le petit Japon a vaincu le géant chinois, et en 1904/1905, il a fait de même avec la Russie. Des résultats directs, en d'autres termes.
La question fondamentale est donc de savoir pourquoi le Japon a réussi alors que la Russie de Pierre le Grand, l'Iran du Shah et la Turquie d'Atatürk n'ont pas réussi ou beaucoup moins bien. L'auteur Ludwig Witzani y voit principalement deux raisons. La première est l'autorité religieuse et politique de l'empereur japonais, qui se tenait comme un dieu vivant au-dessus de tous les changements. Cette autorité n'était celle ni du tsar russe, ni du shah perse, ni de Kemal Atatürk en Turquie. Bien au contraire, leur autorité politique a été davantage sapée par les changements sociaux en cours, ce qui n'a pas été le cas au Japon.
La deuxième raison semble encore plus importante. Pierre le Grand, parallèlement aux changements technologiques, a fait venir dans son pays du personnel issu des puissances occidentales - ce qui est un peu comparable à ce qui s'est passé dans les Émirats arabes unis - alors que la société japonaise s'est avérée capable de développer elle-même les compétences nécessaires pour accompagner et même renforcer les développements technologiques. "En sociologie, on fait la distinction entre l'importation de technologies et l'importation de valeurs. Le système de valeurs japonais (avec son sens aigu de la communauté et sa mentalité d'obéissance) a été préservé".
Que ce soit précisément la devise de notre magazine TeKoS et d'un penseur conservateur renommé comme Edmund Burke : "Changer pour préserver". Un projet révolutionnaire conservateur en d'autres termes.
Peter Logghe
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mercredi, 06 septembre 2023
Les relations entre l'Italie et la Libye à l'époque Andreotti-Kadhafi
Les relations entre l'Italie et la Libye à l'époque Andreotti-Kadhafi
S'appuyant sur les documents d'archives de l'homme politique romain conservés à l'Institut Luigi Sturzo, le livre, que nous recensons ici, décrit les relations entre Rome et le dirigeant libyen arrivé au pouvoir en 1969.
par Andrea Scarano
Source: https://www.barbadillo.it/110864-i-rapporti-tra-italia-e-libia-nella-stagione-andreotti-gheddafi/
Une analyse systématique des relations bilatérales entre États suppose un examen approfondi des facteurs qui influencent leurs principales lignes d'évolution dans le temps.
Les évaluations politiques, les besoins géostratégiques, les différends remontant au passé colonial et les intérêts économiques largement liés à la question de l'approvisionnement énergétique constituent le cœur du livre Andreotti, Gheddafi e le relazioni italo-libiche, publié en 2018 par la maison d'édition Studium et édité par Massimo Bucarelli et Luca Micheletta avec la contribution d'autres auteurs.
Se concentrant sur la documentation d'archives de l'homme politique romain conservée à l'Institut Luigi Sturzo, le volume décrit ses relations avec le leader libyen arrivé au pouvoir en 1969, identifiant entre des personnalités de tempérament opposé un point commun dans la foi monothéiste.
Les États-Unis et l'"obsession" libyenne
Dans un contexte d'instabilité croissante de l'espace méditerranéen (installation de missiles Pershing et Cruise sur la base militaire de Comiso, objet de récriminations à plusieurs reprises de la part de Kadhafi, qui ne cache pas son hostilité aux accords de Camp David, au dialogue entre l'Egypte et Israël, ce qui lui donne la volonté de se rapprocher "tactiquement" de l'URSS), la détérioration des relations entre les exécutifs de Washington et de Tripoli est déclenchée par l'aggravation du différend sur la souveraineté du golfe de Syrte.
L'embargo commercial et pétrolier a été le prologue de la décision de Reagan - soutenue par le consensus de la grande majorité de l'opinion publique, mais longtemps "incubée" en raison de désaccords internes au sein de son administration - de résoudre la question par la force, en soumettant les villes ennemies à des bombardements aériens au plus fort de l'opération El Dorado Canyon (1986), "justifiée" par des attentats terroristes antérieurs impliquant des citoyens américains sur le sol européen.
Inquiète d'éventuelles représailles contre les bases américaines sur son territoire (ce qui s'est ponctuellement produit à Lampedusa sans conséquences fâcheuses), l'Italie s'est limitée - conformément au comportement des pays membres de l'Alliance atlantique et de la CEE, à l'exception évidente de la Grande-Bretagne - à approuver des sanctions diplomatiques, alors que l'image de Washington était fortement ternie par le scandale Iran-Contras.
Bien que les auteurs reconnaissent la difficulté d'en établir la substance réelle, un canal diplomatique a été activé par l'ambassadeur américain auprès du Saint-Siège, William Wilson, qui a ensuite été contraint à la démission par le Département d'Etat. Convaincu que les désaccords et l'interruption des négociations provenaient du fait que l'intéressé s'adressait directement au Conseil national de sécurité, Andreotti - qui avait proposé une définition du litige à la Cour internationale de justice de La Haye, rejetée par les Américains - nota en privé la volonté de confrontation de Kadhafi, imprévisible mais pas "fanatique", contrairement à l'image qu'en donnaient les médias.
L'affaire provoqua des frictions entre la Secrétairerie d'Etat et le leader démocrate-chrétien, conscient que Reagan ne voulait pas, délibérément, explorer une solution multilatérale à la crise (ce n'est pas par hasard qu'il boycotta la tentative maltaise d'organiser une conférence des Etats riverains de la Méditerranée centrale), mais plutôt affirmer la priorité de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme - un phénomène abordé sans trop d'hésitation en Libye - en les plaçant dans le cadre d'une véritable urgence nationale.
Les relations italo-libyennes
L'examen de la politique italienne à l'égard de la Libye à partir des années 1970 reflète avant tout la nécessité de la recherche constante - bien que problématique - d'un point de convergence entre la solidarité atlantique et la sauvegarde des équilibres en Méditerranée, ces derniers étant étroitement liés à la question israélo-palestinienne.
Malgré les expulsions massives et la confiscation à grande échelle des biens de l'importante communauté italienne, les caractéristiques de la politique dite de la "double voie" apparaissent comme une propension à maintenir ouverte la confrontation avec un interlocuteur gênant, dans le sillage de la ligne substantiellement pro-arabe adoptée par Moro.
Alors que la Rai, déterminée à reprendre par étapes forcées le contrôle de l'industrie énergétique nationale, obligeait les compagnies étrangères - de concert avec les autres pays membres de l'OPEP - à accepter l'augmentation du prix de référence du pétrole, la ratification des accords de coopération économique, scientifique et technologique répondait, du côté italien, à la nécessité d'obtenir des conditions avantageuses en matière d'approvisionnement, en garantissant à l'ENI le maintien des concessions qu'elle détenait et en lui permettant de se prévaloir de la production directe à l'étranger. Le différend sur les mécanismes de compensation, dans le secteur pétrolier, des crédits dus aux entreprises italiennes, périodiquement suspendus par le régime lors de fréquentes périodes économiques défavorables, a longtemps fait l'objet de débats.
Persuadé d'avoir affaire au "moindre mal" d'un pays non aligné, Andreotti fut confronté dès ses débuts de Premier ministre à l'attitude du colonel, plus enclin à l'ouverture par commodité que par conviction sincère et capable d'alterner flatteries et menaces, comme lorsqu'il conditionna la conclusion de certains accords pétroliers à la fourniture d'armes et d'autres équipements militaires.
Révélateurs de l'énorme difficulté d'archiver définitivement les scories du passé, les contentieux qui s'éternisent depuis des décennies confirment combien le chemin vers la normalisation des relations achevée par le traité d'amitié, de partenariat et de coopération d'août 2008 a été semé d'embûches.
Les demandes répétées de Tripoli pour la réparation des dommages matériels et moraux produits par l'Italie depuis 1911 - y compris ceux causés par les vieilles bombes de la Seconde Guerre mondiale, pour lesquelles Rome s'est engagée à coopérer au déminage - doivent être encadrées dans la stratégie visant à obtenir une règle de droit international condamnant le colonialisme; loin de boycotter sérieusement la recherche de coopération, le rais aurait ainsi satisfait ses ambitions de s'ériger en champion du mouvement panarabe dans les pays d'Afrique du Nord.
Si des indemnités symboliques avaient déjà été prévues au titre de l'aide à la reconstruction dans l'ancien accord de coopération économique de 1956, la thèse selon laquelle les réparations résultant d'une domination coloniale illégitime ne constituaient pas un motif de transfert de ressources au profit des pays en développement était soutenue par l'universitaire Guido Napoletano, chargé par la Farnesina d'étudier la question sous l'angle du droit international.
En revanche, l'épineuse affaire des réfugiés italiens rapatriés de Libye, qui, ayant obtenu ce statut légal en 1974, ont d'abord eu l'illusion de pouvoir être indemnisés par le colonel, plutôt prêt à attaquer une communauté surprise par le fait qu'une querelle idéologique désormais dépassée puisse s'enraciner avec virulence même en Italie, avec des accusations méprisantes de colonialisme et de fascisme, a été complètement occultée. Des réglementations inadéquates et des critères de procédure lourds, des estimations à la baisse des biens confisqués par les experts des différents ministères italiens et des indemnisations incomplètes en raison de l'inflation galopante ont facilité l'amnésie des gouvernements et de l'opinion publique.
Des divergences importantes et des sensibilités différentes ont caractérisé les positions des principaux acteurs politiques: en tant que Premier ministre, Bettino Craxi a souvent mis l'accent sur l'aspect politique du terrorisme, minimisant le rôle éventuel de Kadhafi dans le processus de paix au Moyen-Orient, également pour maintenir une majorité solide dans laquelle les partis fortement caractérisés par un sens pro-atlantique (républicains et libéraux) revendiquaient une visibilité; Andreotti, pour sa part, a utilisé des tons plus critiques à l'égard des États-Unis, réitérant la nécessité de ne pas pousser l'OLP vers des positions extrémistes.
Les épisodes du détournement du bateau de croisière Achille Lauro et de la crise de Sigonella qui s'en est suivie ont été largement minimisés: les tensions ont été largement dramatisées par Spadolini, à l'époque ministre de la Défense prenant parti pour les États-Unis et Israël, mais elles n'ont pas produit - malgré les clameurs des médias - de clivages destinés à durer, confirmant plutôt une approche différente sur la manière de se comporter à l'égard des pays arabes.
Les turbulences provoquées par certaines situations de crise (comme l'échec de la mission multinationale au Liban, à laquelle l'Italie avait également participé malgré les protestations de Kadhafi) et l'implication plus ou moins directe de membres des services libyens, d'abord dans les attentats terroristes palestiniens de Rome et de Vienne, puis dans ceux de Lockerbie et de Tenerè, ont déterminé l'isolement progressif de la Libye.
Malgré le blocage des relations avec l'Italie et la diffusion par les services anglo-américains d'informations selon lesquelles le régime (qui s'est ensuite rangé du côté de l'Occident pendant la guerre du Golfe) produisait des armes chimiques, Rome a favorisé la mise en place de structures de coopération telles que l'Initiative pour la Méditerranée occidentale. Ces tentatives devaient s'avérer éphémères puisque deux résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sanctionnaient en 1992 le gel du trafic aérien, l'interdiction des ventes d'armes et l'expulsion des citoyens impliqués dans des actes de terrorisme, tandis que le rais tentait d'exploiter la médiation italienne avec la Grande-Bretagne et les États-Unis dans l'affaire de Lockerbie pour redonner de la vigueur aux relations bilatérales et tenter de se réintégrer dans la communauté internationale.
La Libye et le Saint-Siège : un pont pour la paix en Méditerranée
Andreotti s'est également taillé un rôle non négligeable dans le difficile et progressif processus de dialogue qui s'est concrétisé en 1997 par la reconnaissance de relations diplomatiques entre la Libye et le Saint-Siège.
Les auteurs reconstituent les liens d'amitié profonde avec le cardinal Sergio Pignedoli (photo), président du Secrétariat du Vatican pour les non-chrétiens, créateur des premières rencontres qui ont eu lieu à Tripoli entre des représentants de l'islam et du christianisme, ainsi que les phases de l'enlèvement du franciscain Giovanni Martinelli, libéré par la suite à Malte ; le rôle stratégique de l'île en tant que "pont de paix en Méditerranée" a en outre été parrainé par la Libye et surtout par l'Italie, sûre de l'importance de sa position géographique dans une perspective antisoviétique.
L'action, probablement destinée à solliciter l'intervention du Vatican pour condamner les opérations que les Etats-Unis préparaient, n'était pas dirigée contre le gouvernement italien (l'ambassadeur Reitano a averti la Farnesina de l'intention de Kadhafi d'utiliser l'affaire pour retarder la restitution des passeports), mais contre des religieux individuels accusés de recueillir des informations pour le compte de services secrets étrangers non identifiés.
Le chemin de révision profonde du fondamentalisme islamique initié par le colonel et son désaveu progressif du califat ont encouragé les initiatives d'Andreotti et de Raffaello Fellah (homme d'affaires et réfugié juif de Libye), qui ont convergé dans le projet "Trialogue", une association d'éminents représentants des trois religions monothéistes engagés dans la lutte contre les conflits au Moyen-Orient.
Bien structuré et riche en idées, l'ouvrage approfondit les mérites et les limites de l'action politique d'Andreotti (et en arrière-plan de toute la classe dirigeante de la Première République) sans trop céder à des tendances hagiographiques assez en vogue aujourd'hui, mais il est parfois alourdi par la superposition de thèmes analysés en même temps dans les différentes monographies. Le lien identifié entre les deux protagonistes, fondé sur une sensibilité commune au dialogue interreligieux avant le dialogue politique, apparaît faible, car il manque de débouchés immédiats et concrets.
Andrea Scarano
19:49 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, italie, libye, afrique du nord, europe, afrique, affaires africaines, kadhafi, méditerranée, politique internationale, giulio andreotti | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 17 août 2023
1973-2023. Adriano Romualdi et l'union de l'Europe et de la politique
1973-2023. Adriano Romualdi et l'union de l'Europe et de la politique
Etudiant ayant suivi attentivement les études historiques de Renzo De Felice, et de Giuseppe Tricoli et ayant acquis une vision traditionaliste du monde par la lecture de Julius Evola, Adriano Romualdi fut le plus jeune et le plus brillant intellectuel de sa génération.
par Gennaro Malgieri
SOURCE: https://www.barbadillo.it/110706-1973-2023-adriano-romualdi-e-il-connubio-europa-politica/
Adriano Romualdi (extrait du site web d'Azione Tradizionale)
Le "choix" européen, la réappropriation de la politique, la tentative de créer et d'imposer de nouvelles hégémonies peuvent-ils être les éléments de l'engagement de celui qui n'a pas manqué d'adhérer aux valeurs "objectives" à l'heure de la transmutation du sens et du bien commun ? L'ensemble de l'œuvre d'Adriano Romualdi, dont la jeune vie a été interrompue sur la Via Aurelia, dans un terrible accident de voiture, il y a cinquante ans, à seulement trente-trois ans, le 12 août 1973, est la réponse affirmative à cette question "cruciale". Une réponse qui, au vu de ce qui se passe dans le monde, mais surtout en Europe, nous semble la plus pertinente et la plus actuelle.
Étudiant ayant suivi attentivement les études historiques de Renzo De Felice et de Giuseppe Tricoli et ayant acquis une vision traditionaliste du monde par la lecture des oeuvres de Julius Evola, Adriano Romualdi a été l'intellectuel le plus jeune et le plus brillant de sa génération, un auteur aux vertus culturelles spécifiques, qu'il a maintenues derrière un militantisme politique non moins intense, lié à l'étude et à l'engagement d'un vaste corpus littéraire dans lequel nous puisons encore comme si un demi-siècle ne s'était pas écoulé : un jeune maître, en somme. Et les pierres angulaires de son œuvre sont celles énoncées par le culte des origines comme référence d'une civilisation qui voyait se perdre ses connotations originelles, ce qu'il a dénoncé avec une lucidité qui séduit encore aujourd'hui et qui fait de lui notre contemporain.
Le choix européen
Le "choix" européen de Romuladi, synthèse de sa vision politique et culturelle, est d'abord une manière d'être. Il s'exprime suite à la prise de conscience de la décadence de l'Europe, essentiellement comprise comme un creuset de culture, et dans le rejet de la civilisation qui en découle, produit par le sentiment de lassitude que nourrit la "souffrance du monde". La réaction à la "mythologie" du renoncement - typique de tous les temps dits derniers, et donc aussi du nôtre - ne peut trouver sa substance que dans la renaissance des idéaux actifs qui ont marqué la naissance et la formation de la civilisation européenne, avant tout la renaissance d'une volonté de puissance spécifique et différenciée, non seulement capable de garantir un "ordre politique" au Vieux Continent, mais aussi - et surtout - comme nécessité de redonner un rôle équilibrant à l'Europe à l'époque du relativisme éthique et du colonialisme économico-financier. Une vision déduite de la révolution conservatrice que Romualdi a "importée" en Italie à grand renfort de publicité.
L'Europe, dans ce contexte, se révèle donc être une idée plutôt qu'une simple expression géographique, à jeter dans la mêlée de la contestation "impériale" où le besoin de "paix européenne" (à l'époque de la grande confrontation planétaire et de la montée en puissance de la Chine) devient chaque jour plus urgent face à la transformation en champ de bataille (à l'époque "stratégique") de la vaste zone qui s'étend de l'Oural aux rives de l'Atlantique. A côté de cette perspective de défense, il y a aussi celle de la reconquête d'une identité européenne spécifique déformée par un "lavage de caractères" qui a commencé en 1945 et n'a jamais cessé, s'il est vrai que l'Europe a perdu son identité propre pour se reconnaître dans une Union sans âme gouvernée par des puissances méconnaissables et éloignées de l'esprit des peuples.
Le "choix" européen n'est pas étranger à la réappropriation du politique. Si toutes les idéologies hégémoniques ont été -et sont encore plus aujourd'hui- en crise ou ont disparu, c'est essentiellement en raison de l'échec de leur application à la gestion politique et de leur faiblesse intrinsèque. La négativité des modèles marxiste et libéral-démocrate est essentiellement due à la superposition de schémas fictifs et intellectualistes aux éléments "naturels" présents dans les communautés humaines qui ont produit l'annulation politique des subjectivités qui, submergées, n'ont cependant pas cessé d'exister et qui aujourd'hui, semble-t-il, réapparaissent de manière envahissante sur la scène "sociale", causant un traumatisme incontestable aux apologistes de la "vérité idéologique". Reprendre possession du politique, c'est donc essentiellement interpréter, organiser et représenter les "nouvelles subjectivités" qui sont alors la colonne vertébrale de la reconstruction communautaire, instance ultime de la refondation de l'ordre politique.
C'est aux "nouveaux sujets" qu'il revient de recomposer les fragments du "social" au nom de l'hégémonie politique et d'une nouvelle politique des valeurs qui tienne compte de l'"objectivité" de ce social: une opération qui n'est certainement pas facile après des siècles de nominalisme débridé qui ont conduit au relativisme désolant d'aujourd'hui, une lande immorale dans laquelle non seulement toute dimension sacrée a été détruite, mais où l'on a nié toute légitimation du pouvoir qui ne soit pas liée à une "politique" d'intérêts et d'égoïsmes particuliers. Qui peut décider aujourd'hui - et sur la base de quels critères - qui est l'hostis et qui est l'amicus ? Les catégories fondamentales de l'ordre politique ont disparu, ou plutôt se sont transformées et le jugement de valeur est formulé exclusivement sur la base de considérations utilitaires et mercantiles, même en l'absence d'une légitimité éminemment politique se référant à une "éthocratie" reconnaissable et acceptable, c'est-à-dire représentative des valeurs civiles, historiques et culturelles d'un peuple, d'une communauté.
Cependant, dans la chute verticale des anciennes idéologies "hégémoniques", des idées niées refont surface. La nation est l'une de ces idées niées. Dans la perspective de la "grande politique", il est intéressant de suivre sa transformation: aujourd'hui, la nation n'est plus le type du 19ème siècle que nous a transmis la culture du Risorgimento, mais elle s'identifie à une patrie plus vaste et plus complexe : l'Europe.
C'est ainsi que les trois moments - "choix" européen, réappropriation de la politique, nouvelles hégémonies - sont étroitement liés et compris dans l'œuvre de Romualdi qui, bien qu'il n'ait pas élaboré de théorie spécifique à cet égard, s'y est appliqué précisément en vue de la formulation de ce que nous appelons la "nouvelle culture" et la "grande politique". Deux concepts qui représentent les pistes sur lesquelles court une "projectualité" de renaissance civile et/ou communautaire qui se situe à un moment extrêmement contradictoire en termes de culture et de politique, mais les deux profils, comme il est facile de le voir, sont étroitement liés.
Si, d'une part, nous assistons à la reprise, par les courants de pensée les plus divers, de thèmes philosophiques et littéraires de nature révolutionnaire-conservatrice, essentiellement comme un symptôme de la crise des idéologies soutenant les "magnifiques destins et progrès de l'humanité", d'autre part, se répand une coutume culturelle tendant au dialogue - en soi très positive - dans laquelle semblent toutefois manquer le pathos de la différence, la reconnaissance des origines, la conscience de l'appartenance et la recherche d'une identité spécifique. Je crois que le dialogue et la tolérance ne sont pas synonymes d'abdication ou de recherche impossible de manières d'être, de statuts sociaux, de styles de vie totalement détachés d'un terreau. Si la plante n'est pas enracinée dans un humus plus que fertile, tôt ou tard elle se fane, elle meurt. Il y a environ deux siècles, Donoso Cortés parlait de "négations absolues et d'affirmations souveraines", une expression qui sonne comme un reproche au régime de médiation qui caractérise les affaires des démocraties soumises au mercantilisme, mais malgré cette habitude répandue, les raisons du décisionnisme radical semblent plus fondées que jamais aujourd'hui. C'est, à y regarder de plus près, la contradiction la plus tangible de notre époque, qui est celle des grandes décisions où les suggestions de la nostalgie s'accordent très mal avec les attraits d'un possible "should be".
La réflexion historico-politique
La réflexion historique et politique de Romualdi est certainement un point de référence pour ceux qui cherchent des réponses radicales dans le mouvement d'idées contemporain, caractérisé par une complaisance malsaine à l'égard d'un certain rejet nihiliste auquel Romualdi a voulu réagir en rejetant la logique compromettante de l'égalitarisme et de la massification, la marchandisation de l'âme et de l'esprit, la destruction de "notre" Europe, la profanation de la Tradition, la profanation de la mémoire historique des "vaincus", la négation des raisons les plus intimes de la vie de l'homme, dans le but plus général d'adapter "les valeurs de toujours" à la réalité changeante.
C'est ce patrimoine idéal que toute une génération a fait sien, cette génération née au début des années 50 qui considérait Romualdi comme un "frère aîné", orphelin de pères nobles ; et pour cette génération, le jour de la mort d'un jeune savant aimé marque la date du début d'un voyage "hors tutelle" qui verra les idées de Romualdi parcourir des chemins très différents avec les jambes de jeunes intellectuels qui, en tout cas, n'ont pas oublié sa "leçon" au fil du temps.
Le problème des origines
Le problème des racines, des origines, lié à la recherche d'une identité unitaire des Européens, a été le grand souci et la grande passion de Romualdi. Pensant largement et fort d'une conception géopolitique qui dépassait les limites étroites du nationalisme, Romualdi accordait une importance primordiale à la question de l'unité européenne. Il s'agit pour lui de donner un sens à l'idée d'Europe en redécouvrant les raisons et les éléments lointains de son existence et en les projetant dans le présent et l'avenir de manière à donner le sentiment d'une communauté culturellement, historiquement et politiquement accomplie.
Ce n'est pas une tâche facile car Romualdi lui-même n'a pas caché que, pour certains, la tradition européenne s'identifie au rationalisme, pour d'autres au christianisme et pour d'autres encore au classicisme. Tous ces aspects, quelle que soit la manière dont on veut les considérer, sont limités et particuliers. Il faut remonter beaucoup plus loin, selon Romualdi, pour dégager de l'ensemble de l'histoire spirituelle européenne le sens d'une tradition. Romualdi désigne le monde indo-européen comme le principe unificateur des peuples du Vieux Continent. Un monde caractérisé par un ordre spirituel fondé sur l'inégalité et des éléments agrégatifs naturels : la famille, la communauté, l'État, la religion, le droit. Dans cet ordre indo-européen, observe Romualdi, l'esprit de l'homme et les pouvoirs les plus élevés collaborent. L'intelligence humaine n'est pas contredite, mais complétée par la présence d'une intelligence de la nature et de l'univers. D'où l'impératif qui pousse cette rationalité humaine à devenir action, unifiant dans sa lutte les motifs de l'ordre humain et de l'ordre divin".
Nous sommes en présence, on le voit bien, d'une conception sacrée de l'existence. Une conception qui prévoyait, dans les temps dits "traditionnels", le déroulement de l'année, les fêtes, les règles morales et spirituelles, jusqu'à la culture des champs et l'entretien des maisons : un ordre cosmique dans lequel l'homme vivait en tant que membre d'une agrégation consciente d'avoir un destin différent de celui des autres communautés.
L'ordre indo-européen a connu des aurores et des couchers de soleil, des réapparitions fugaces et des oublis persistants, des siècles absents et des éclairs de lumière. Mais sa veine subtile ne s'est jamais totalement éteinte. Aujourd'hui encore, au milieu de nous, cet ordre métaphysique vit dans la possibilité constante de renaître : nous devons être capables de le "reconnaître" dans ses formes modifiées et, si possible, d'adapter la praxis politique à la métapolitique du comportement.
Sur le fascisme
La réflexion de Romualdi sur les mouvements nationaux européens qui sont nés et se sont développés entre les deux guerres renvoie également au schéma des valeurs primaires typiques de la civilisation européenne et, en ce sens, il a abordé la critique des idéologies égalitaires et du siècle des Lumières. Dans l'essai Le fascisme en tant que phénomène européen, il écrit: "Le fascisme n'était pas seulement une doctrine expansionniste. Il incarnait une nostalgie des origines à une époque où se manifestaient des tendances qui nivelaient toute structure organique et spirituelle. En d'autres termes, le fascisme était la réaction d'une civilisation moderne qui risquait de périr précisément à cause d'un excès de modernité". La fin du fascisme, cependant, n'a jamais constitué une raison valable pour Romualdi de se plier à l'acceptation de l'historiographie de la défaite, ni pour lui de considérer le fascisme comme une "parenthèse" dans l'histoire européenne.
Au contraire, notre érudit a contemplé la décadence avec l'esprit militant de celui qui veut une renaissance, avec l'attitude de celui qui sait qu'au-delà des ténèbres du présent, il y a des horizons qu'il faut discerner, quel qu'en soit le prix. Pour Romualdi, l'horizon de la renaissance européenne ne pouvait être que la renaissance d'un mythe, de la "grande politique" comme expression d'une volonté de puissance.
C'est pourquoi le schéma d'aurores et de couchers de soleil qui caractérise l'histoire européenne, et dont Romualdi était pleinement conscient, n'a jamais abouti à son acceptation du nihilisme comme condition inéluctable de l'homme européen. Nietzschéen et fidèle à la vision cyclique de l'histoire, Romualdi a toujours cru aux événements historiques régénérant la conscience et la vie des peuples. La considération même de l'avènement des mouvements fascistes est le symptôme le plus clair de l'application d'une "méthode nietzschéenne" à l'analyse des grands événements. C'est également à Nietzsche que Romualdi doit la conception d'une "grande politique" à laquelle la droite italienne s'est souvent référée au début des années 1970. Il ressort des écrits de Romualdi - et en particulier de ceux que nous reproduisons ci-dessous - que son militantisme culturel et civique était entièrement projeté dans la mise en œuvre pratique d'un projet idéal et existentiel : la formulation non pas d'une théorie, d'une doctrine, d'une idéologie, mais d'une vision du monde et de la vie.
Les "Leitbilder", les images directrices que Romualdi a poursuivies dans son itinéraire intellectuel, faisaient toutes partie d'une Weltanschauung à lancer non seulement comme un défi à notre époque, mais aussi comme une proposition "active" et concrète de renaissance spirituelle. La vision du monde est le tournant ultime et nécessaire face au babel linguistique et conceptuel qui domine notre époque. Il ne s'agit pas d'éviter de comprendre les lacérations existant dans d'autres appartenances, de s'ouvrir au monde, de jouer des jeux culturels et politiques sur les mêmes tables. Réaffirmer la validité et la persistance de la vision du monde en tant que facteur discriminateur des différentes identités est plutôt une manière de se reconnaître, de savoir où l'on veut aller et avec qui construire. La vision du monde peut et doit être synonyme d'agrégation. Au contraire, tout sera plus difficile, la perspective nihiliste est devant nos yeux.
La "nouvelle culture"
Que sont la "nouvelle culture" et la "grande politique" sinon la mise en œuvre d'une vision du monde qui contient en elle-même - quoique dans la mutabilité des conditions opérationnelles - les clés d'un dessein culturel et civil ? À quoi se réduit l'effervescence de la spécification des nouvelles essences de la politique si le scénario ultime dans lequel les concrétiser fait défaut ? Le démon de l'intellectualisme qui contamine l'Occident depuis trois siècles semble avoir pris racine là où personne ne l'aurait imaginé: c'est une victoire de la civilisation bourgeoise, issue du rationalisme des Lumières, qui a substitué la dictature des philosophes à la tension spirituelle, avec tout ce que ce mot signifie. "Autrefois la pensée était Dieu, puis elle est devenue homme, aujourd'hui elle est devenue plèbe", écrivait Nietzsche.
La métaphore de Nietzsche rend bien le climat et le contexte d'aujourd'hui. Un monde d'absences nous entoure. Mais il est difficile, impossible, de s'habituer à vivre avec le néant. Surtout pour ceux qui, comme Adriano Romualdi, ne cessent de croire en la pérennité des valeurs de la civilisation européenne.
L'œuvre de Romualdi, bien qu'inachevée, est toute imprégnée de ces thèmes. Deux courts écrits, plusieurs fois réédités, sont très utiles à lire et à relire: La Destra e la crisi del nazionalismo et Idee per una cultura di destra. Ces deux essais clarifient - dans une certaine mesure - ce que peuvent et doivent être les éléments de soutien d'une "nouvelle culture" et d'une "grande politique". Ils doivent bien sûr être lus en perspective. Et surtout, en tenant compte du fait que la droite italienne, dans ses composantes les plus cultivées et les plus dynamiques, a abandonné le bagage nostalgique et ritualiste, l'anticommunisme vide de sens et viscéral (ainsi que stérile et ne constituant finalement qu'un alibi), la mentalité douteuse qui ne cesse de se poser en victime, redécouvrant sérieusement ses racines, surmontant les tentations de fermeture et de méfiance, s'ouvrant à une nouvelle conception de l'Europe, des blocs et du Tiers-Monde.
Romualdi a vu avant les autres ce qui allait arriver. Et ce que nous observons, c'est ce qu'il nous a fait croire. Pour tout cela, il est vivant et il serait bon de ne pas l'oublier.
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mardi, 15 août 2023
Un gaullisme des marges
Un gaullisme des marges
par Georges Feltin-Tracol
La vie politique française ne se réduit pas aux grands courants politico-intellectuels transnationaux (socialisme, conservatisme, collectivisme, nationalisme). Le gaullisme est une spécificité politique et historique de l’Hexagone qui procède en partie de la tradition bonapartiste. René Rémond parle dans Les droites en France d’une tradition autoritaire, ce qui est assez juste. Au sein de ce mouvement incarné par la personnalité, l’action et les idées de Charles De Gaulle coexistent différentes facettes, parfois antagonistes. C’est le cas du gaullisme social.
Pierre Manenti examine cette faction assez méconnue. Il avertit néanmoins que « de nombreuses personnalités se sont réclamées et se réclament encore de cet héritage politique et social (Xavier Bertrand, Jean Castex, Gérald Darmanin, Nicolas Dupont-Aignan), mais la filiation directe s’était légitimement étiolée avec le temps ».
Les origines intellectuelles du gaullisme
L’étude s’étend de 1940 à 1995 et dresse un panorama non exhaustif des formations et partis du gaullisme social. Par « gaullisme social », il faut comprendre l’« aile gauche de la droite gaulliste pour certains, retour aux racines gaulliennes pour d’autres, alchimie subtile entre principes gaullistes et sensibilité humaniste, il se définit comme une synthèse, ni vraiment de droite, ni vraiment de gauche, qui s’exprime dans des politiques économiques et sociales. Par sa recherche d’une troisième voie entre capitalisme et socialisme, il est même la réconciliation du capital et du travail. Témoin d’un souci de l’autre, d’une volonté de réunir patronat et syndicats, bourgeois et ouvriers, autour d’un même objectif sociétal, il est surtout imprégné de l’esprit du catholicisme social (1) ». Il est principalement cité sous l’appellation générique de « gaullisme de gauche ». Mais qu’est-ce que le gaullisme ?
Pierre Manenti se penche sur la formation intellectuelle de Charles De Gaulle. Il voit dans le « catholicisme social, une clef de lecture gaulliste ». Ce n’est toutefois pas le seul apport déterminant. On y retrouve quelques constantes maurrassiennes, des aspirations démocrates-chrétiennes, des éléments régaliens radicaux-socialistes ainsi qu’un vitalisme nietzschéen - bergsonien si bien que « l’adjectif “ gaulliste “ incarne tout à la fois une philosophie de l’action, un sens du devoir et de l’unité face au péril (en écho à l’épopée de la France libre), une volonté de dépasser le clivage des partis (caractéristique du parlementarisme honni des Troisième et Quatrième Républiques), enfin le souci d’assurer à la France une juste place dans les relations internationales ».
Charles De Gaulle (1837-1880), érudit celtisant.
Dans la biographie intellectuelle de l’« homme du 18 juin », l’auteur mentionne deux des oncles du Général : Charles De Gaulle (1837 - 1880), un brillant érudit et poète celtisant (2), et Jules De Gaulle (1850 – 1921), un célèbre savant entomologiste, spécialiste des guêpes et des abeilles. Il souligne en outre que dans la décennie 1930, les conceptions militaires du jeune officier, saluées par le colonel anti-conformiste Meyer, attirent l’attention de quelques élus de droite et de gauche dont le député de la Marne, un certain… Marcel Déat.
Cet éclectisme formateur se retrouve aux premières heures de la France libre à Londres. À l’automne 1940, les droites y sont prédominantes avec la présence du député agraire – paysan de la Haute-Loire, Paul Antier (photo). Au fil des circonstances viennent s’agréger des militants de gauche. Un amalgame se réalise. Qu’on pense à André Malraux, soutien des républicains espagnols, qui côtoie Gilbert Renaud alias le colonel Rémy ouvertement monarchiste. Le royaliste mystique Georges Bernanos se rallie très tôt à la France combattante comme d’ailleurs le militant socialiste Louis Vallon qui connaissait déjà le Général avant-guerre. Nullement idéologie, mais plutôt praxis socio-historique à vocation politique, « le gaullisme a […] vécu des “ phases “, nourries par l’actualité, les aspirations des Français et l’évolution du paysage politique. Il y a eu un gaullisme ouvrier et un gaullisme libéral, un gaullisme souverainiste et un néo-gaullisme atlantiste et européen. Ces “ courants “, incarnations des grandes tendances du gaullisme, ont été plus ou moins reconnus par le Général de son vivant et ont longtemps fait l’objet de guerres de chapelles ». Les distinctions ne sont pas aussi tranchées.
Frédéric Le Play.
Le RPF (Rassemblement du peuple français) « emprunta à l’économiste Frédéric Le Play l’idée d’une intervention renforcée de l’État dans les rapports entre le capital et le travail comme élément de convergence vers un compromis social : c’est l’association capital – travail, troisième voie entre capitalisme et communisme ». La référence au sociologue favori du Second Empire constitue un autre point de comparaison entre le gaullisme et le bonapartisme.
Habituel dépassement de la droite et de la gauche
C’est dans un esprit de concorde sociale que le RPF crée l’Action ouvrière (AO), « le nouveau fer de lance du gaullisme social ». Elle édite L’Étincelle ouvrière, qui devient dès 1948 Le Rassemblement ouvrier. L’un de ses responsables, Jean Nocher (photo), porte-parole officiel du RPF, réclame une économie distributive chère aux milieux non-conformistes des années 1930 en Grande-Bretagne, au Canada et en France. Cette proximité théorique avec quelques « relèves manquées » de la décennie précédente (3) renforce la méfiance des autres partis politiques ainsi que de certains gaullistes libéraux-conservateurs.
On croit à tort que le RPF est le premier mouvement gaulliste. Le 29 juin 1946, le professeur de droit constitutionnel et ancien résistant, René Capitant (photo), fonde l’Union des gaullistes pour la IVe République. Les journalistes et les politiciens traitent ce parti éphémère de résurgence de l’extrême droite peuplée d’anciens cagoulards ! On comprend mieux pourquoi « le gaullisme social a été, dès ses origines, le mouton noir de la famille gaulliste et ses représentants au mieux des dissidents, au pire des parias ». Il est cependant vrai que certaines figures majeures de ce gaullisme marginalisé présentent des originalités. Favorable à une troisième voie économique et sociale, Jacques Debû-Bridel (photo, ci-dessous) vient de l’Action Française. Il n’est pas le seul.
Jacques Foccart, le puissant conseiller aux affaires africaines et malgaches auprès de Charles De Gaulle, puis de Georges Pompidou, suit les péripéties d’un allié du Front travailliste d’Yvon Morandat, la Convention de la gauche – Cinquième République (CG-Ve), une « fédération de cinq clubs ». La CG-Ve reste toutefois un « réseau hétéroclite et multiforme » qui accueille « d’anciens barbouzes et [des] personnalités atypiques » à l’exemple de Jean-Jacques Meïer. Ce dernier donne des articles au journal néo-maurrassien Aspects de la France sous le pseudonyme de Philippe Buren. Pierre Manenti avance même que ce « Philippe Buren » aurait plus tard été le bras droit d’un certain Christian Perroux, fondateur de L’Œuvre française… Il aurait pu pour la circonstance consulter l’ouvrage magistral de Philippe Vilgier consacré aux royalistes de gauche (4).
Dès la Libération, Jean-Jacques Meïer milite au Mouvement socialiste monarchique (MSM). Puis il entre vers 1956 au club politique Nouveau Régime qui participe à la fondation de la CG-Ve. Quant à Christian Perroux, Philippe Vilgier nous apprend qu’il « sera exclu de l’Union de la Gauche Ve République pour anti-sionisme. […] Il se rapprochera alors du groupe nationaliste extra-parlementaire de Pierre Sidos, L’Œuvre française. En 1977, il devient rédacteur en chef (avec Francis Dalloux) de la revue La Pensée nationale animée par Charles Saint-Prot (5) ». « L’aile sociale du gaullisme compta toute une faction de “ monarchistes de gauche “, qui trouvaient dans la CG-Ve l’opportunité d’une nouvelle virginité politique. »
C’est aussi le cas pour l’Union pancapitaliste « créée par Marcel Loichot (photo, ci-dessus) en février 1965 pour défendre ses thèses sur la participation. Elle devint l’Union pancapitaliste pour désaliéner le salariat en janvier ». L’auteur ne mentionne pas que Marcel Loichot a travaillé sur ce projet avec l’essayiste, romancier et penseur Raymond Abellio.
Virage à gauche ?
Les vives discussions internes en 1966 – 1967 autour de la participation dans l’entreprise incitent les gaullistes sociaux à réaffirmer « la nécessité de refonder un grand parti social au sein de la famille gaulliste, épousant les formes d’un nouveau catholicisme social » dont la matrice française est pourtant contre-révolutionnaire et néo-corporatiste... Cette origine assez occultée expliquerait-elle que « le gaullisme social s’est […] sans cesse démarqué par sa volonté d’agir en dehors des instances officielles, de s’ouvrir à la gauche […] et de s’opposer à une supposée dérive à droite du parti gaulliste » ?
C’est en 1958 avec l’adhésion de jeunes politiciens prometteurs et d’hommes aux convictions de gauche affirmées que « le gaullisme social devint un “ gaullisme de gauche “ ». Le phénomène est toutefois plus ancien. Agacé de croiser au RPF d’anciens membres des Ligues et des vétérans des Croix-de-Feu, Jacques Dauer (photo, ci-dessus) anime un Mouvement pour la Communauté (MPC) à la fin de la guerre d’Algérie, qui se transformera en 1964 en Front du Progrès (FDP). Il refuse ensuite de se soumettre aux instances gaullistes officielles et entame une carrière marginale de militant activiste. En 1967, « trois réseaux de gauche subsistaient en sous-marin au sein de l’UNR – UDT [Union pour la nouvelle République – Union démocratique du travail] : les gaullistes sociaux du RPF (Baumel, Clostermann, Calméjane, Marcenet), les anciens de la SFIO (Gorse) et les anciens du CRR [Centre de la réforme républicaine] (Barberots, Hamon) ».
Ce net tropisme de gauche n’empêche pas d’autres figures du gaullisme social de coopérer avec des hommes aux fortes idées de droite tels Philippe Malaud du CNIP (Centre national des indépendants et paysans). Le 3 octobre 1976, l’ancien Premier ministre et président du conseil général de la Corrèze, Jacques Chirac, exprime à Égleton « son souhait de voir évoluer le gaullisme vers un “ travaillisme à la française “ », ce qui est un indéniable appel du pied aux diverses tendances gaullistes de gauche. Or, l’année suivante, aux élections municipales à Paris, les listes conduites par le même Chirac vont de « Jean Tibéri, suppléant historique de Capitant, député de Paris, à Robert Bourgine, partisan de l’Algérie française, soutien de Tixier-Vignancour lors de l’élection présidentielle de 1965, rallié au RPR [Rassemblement pour la République] en 1977 ». L’auteur aurait pu ajouter et préciser que ces mêmes listes comptaient aussi des militants du PFN (Parti des forces nouvelles), l’une des premières scissions du Front national de Jean-Marie Le Pen.
Une mouvance divisée et fragmentée
L’hostilité à l’atlantisme réunit une part non négligeable des gaullistes sociaux. L’ancien maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany, commença à militer au Mouvement des démocrates de Michel Jobert. Secrétaire général de l’Élysée entre 1969 et 1973, Michel Jobert s’opposait en compagnie d’Édouard Balladur au duo national-conservateur Marie-France Garaud – Pierre Juillet (6). Plus tard, le jeune RPR sera dirigé sous la supervision lointaine de Chirac par un quatuor redoutable composé de Garaud, de Juillet, d’Yves Guéna et de Charles Pasqua qui déporte le mouvement vers la droite. La contre-performance aux européennes de 1979 « recentre » le parti chiraquien sous l’impulsion conjointe d’Édouard Balladur, de Philippe Séguin et du jeune Alain Juppé (sans oublier le rôle déterminant en coulisse de Bernadette Chirac).
Homme de confiance de Georges Pompidou, Michel Jobert affronte régulièrement un autre conseiller, Philippe Séguin, qui sera de 1985 à 1995, le « nouveau chef des gaullistes sociaux ». Avant de devenir par la grâce du système médiatique le porte-parole du « non » au référendum sur le traité de Maastricht en 1992, Philippe Séguin s’était allié à Charles Pasqua au nom d’un « gaullisme populaire », mélange de patriotisme gaulliste sourcilleux et de gaullisme social. Depuis la réélection de François Mitterrand en 1988 et soumis à la concurrence croissante d’un Front national renouvelé sous l’impulsion de Bruno Mégret, « le RPR était devenu le champ d’une bataille féroce pour l’appropriation culturelle et politique de l’héritage du Général ». En 1990, unis, Séguin et Pasqua tentent de saper l’autorité interne du technocrate libéral pro-européen Alain Juppé. Les magouilles propres à tous les partis politiques permettent lors des assises (congrès) du RPR au duo Chirac – Juppé de l’emporter largement.
Histoire du gaullisme social montre une mouvance politique plus que disparate, éclatée en une multitude de groupuscules plus ou moins éphémères avec le « premier parti gaulliste de gauche giscardien », l’Union gaulliste pour la démocratie (UGD), ou des « giscardiens de gauche, des cousins éloignés ». Apparaissent vers 1982 des « gaullistes (de gauche) mitterrandiens » à l’instar de Michel Jobert, ministre du Commerce extérieur de 1981 à 1983. En 1988, l’ancien ministre giscardien, Jean-Pierre Soisson, bientôt ministre d’ouverture de François Mitterrand, lance France Unie qui attire un temps les orléanistes de gauche de la NAR (Nouvelle Action royaliste). Pierre Manenti néglige la grande porosité entre certains milieux gaullistes de gauche et des courants royalistes. Cependant, les écrits du comte de Paris, Henri d’Orléans (1909 – 1999), La Nation française de Pierre Boutang, le mouvement Patrie et Progrès de Philippe Rossillon, co-auteur de Survivre à De Gaulle (7), ou le militantisme francophone d’un Philippe de Saint-Robert relèvent-ils du champ magnétique du gaullisme social ?
Il constate en revanche avec raison qu’« à partir de 1989, le gaullisme social devient une notion protéiforme écartelée entre une tradition ouvriériste et sociale (aux accents participationnistes) et une nouvelle orientation anti-européenne et souverainiste (inspirée par la campagne de Maastricht de 1992) ». En outre, la fin de la décennie 1980 et la capitulation du RPR devant les idées centristes de l’UDF (Union pour la démocratie française, la confédération giscardienne) marquent un tournant majeur pour ce courant composite. « Devenue floue au début des années 1990, la notion de “ gaulliste social “ perdit […] ses derniers points de repère avec la campagne de Maastricht, dans laquelle s’opposaient fédéralistes et souverainistes, chiraquiens et séguinistes, tantôt inspirés par le discours gaulliste de l’Europe des nations, tantôt guidés par des ambitions plus personnelles. »
En décembre 1994, le séguiniste Florian Longuépée cherche à coordonner les « souverainistes sociaux » au sein d’un Rassemblement pour une autre politique (RAP). Mais l’acceptation finale de leur champion, Philippe Séguin, par ailleurs d’une hostilité permanente envers la droite nationale, aux règles maastrichtiennes ruine cette ultime tentative sociale-gaulliste…
Des méfaits oubliés
Pour Pierre Manenti, « plus que l’aile gauche du gaullisme, le gaullisme social a été un coup politique et une ambition humaine pour ses représentants ». Il en a resté de brillantes individualités. En 2004, le député gaulliste de Seine-et-Marne, Didier Julia (photo, ci-dessus), élu sans interruption de 1967 à 2012, qui participa aux campagnes électorales de René Capitant, qui rejeta l’abolition de la peine capitale et qui refusa la diabolisation du FN, se rendit en Irak baasiste sous embargo international afin de libérer des otages français. Toute la grasse presse le conspua bien évidemment.
L’auteur passe bien trop rapidement sur deux travers gaullistes de gauche. À la fin de la guerre d’Algérie, le pouvoir recrute dans les anciens réseaux de la Résistance et des milieux gaullistes de gauche les barbouzes qui pourchassent l’OAS. Sous les « Trente Glorieuses », maints gaullistes de gauche favorisent le « gaullisme des affaires », des combines politico-financières aux retentissements journalistiques considérables. Dans un autre domaine, Yvon Morandat, secrétaire général de l’AO en 1949, puis secrétaire national du RPF en 1950 et fondateur du Front travailliste en 1965, serait à l’origine de la saisie des manuscrits inédits de Céline au moment de l’Épuration.
La lutte clandestine et un goût évident pour l’entourloupe commerciale favorisent le tropisme franc-maçon. Bien des gaullistes de gauche ont été initiés en loge. Cela explique-t-il l’incroyable morcellement des formations gaullistes de gauche ? Des pages 317 à 328, l’auteur recense « les mouvements et partis du gaullisme social », ce qui accentue l’intérêt de l’ouvrage. L’UDT a existé quatre fois ! Mentor de François Fillon, Joël Le Theule, connu pour son anti-chiraquisme viscéral, milita au Club Technique et Démocratie. Jacques Dauer fonde en mai 1968 un Comité pour la démocratie combattante. Cette appellation singulière fait penser à la faction secrète anarcho-communiste de Georges Fontanis, Organisation – Pensée – Bataille, au sein de la Fédération anarchiste. Dès 1953, cette faction clandestine se transforma en Fédération communiste libertaire aux inclinations nettement léninistes…
Quant paraît Histoire du gaullisme social, Pierre Manenti est le conseiller politique de la ministresse déléguée chargée du Logement, Emmanuelle Wargon (2020 – 2022). On peut s’interroger si cette synthèse souvent pertinente n’aurait pas une dimension politique cachée immédiate. L’auteur voudrait-il désigner de manière implicite que le « macronisme », ce « bobo-populisme » ou cet « extrême centre » autoritaire, serait l’héritier indirect du gaullisme social ? Si cette hypothèse se révèle exacte, ce serait certainement son ultime coup de grâce.
GF-T
Notes
1 : Sur le catholicisme social, cf. Philippe Levillain, Albert de Mun. Catholicisme français et catholicisme romain, du « Syllabus » au Ralliement, École française de Rome, coll. « Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome », n° 247, 1983; Daniel Moulinet, Actions et doctrines sociales des catholiques 1830 - 1930, Éditions du Cerf, 2021.
2 : Sur cet autre Charles De Gaulle, véritable barde celte du XIXe siècle, cf. Robert Steuckers, Pages celtiques., Éditions du Lore, 2017.
3 : Olivier Dard, Le rendez-vous manqué des relèves des années trente, PUF, coll. « Le nœud gordien », n° 367, 2002.
4 : Philippe Vilgier, Le Lys Rouge et les royalistes à la Libération, Éditions du Camelot et de la Joyeuse Garde, 1994.
5 : Idem, note 66, p. 158.
6 : Olivier Faye, La Conseillère. Marie-France Garaud, la femme la plus puissante de la Ve République, Fayard, coll. « Pluriel », 2022.
7 : cf. Jacques Gagliardi et Philippe Rossillon, Patrie et Progrès, Survivre à de Gaulle, Plon, coll. « Tribune libre », n° 46, 1959.
- Pierre Manenti, Histoire du gaullisme social, préface d’Hervé Gaymard, Perrin, 2021, 343 p., 21 €.
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mardi, 25 juillet 2023
De la mafia française depuis 1815
De la mafia française depuis 1815
par Nicolas Bonnal
Macron caracole en tête de cet hexagone promis à la guerre et au Reset avec un personnel politique et technique bourgeois, qui s’est mondialisé et américanisé, mais qui est caractéristique de leur France. En revoyant les Mystères de Paris, les Misérables ou le Comte de Monte-Cristo (extraordinaire version de Claude Autant-Lara) je me suis dit que sur le plan métaphorique ce film exprimait une vérité bien française génialement décrite par Balzac et Joly: le France est dirigée par une mafia – au sens de l’élite de l’ombre - bourgeoise.
Certains l’appellent la caste. On peut dire que la France est dominée par une élite républicaine dangereuse et cruelle, et ce depuis longtemps. C’est une élite de talents (comme on disait fièrement chez les bourgeois) et de diplômes, mais pas seulement. C’est une élite d’argent, de maçonneries, de gens invisibles ou visibles, parfois cooptés mais rudement bien connectés en réseaux. C’est une élite qui conspire et qui joua à la politique : droite et gauche. C’est aussi une élite de familles et dynasties bourgeoises : les enfants sont un signe de richesse, m’a dit un bourgeois. Les bourgeois seront les seuls autorisés à se produire : c’est aussi ça le Grand Reset. Sa mission est d’interdire tout mouvement à l’ancienne masse citoyenne imprudemment mise en avant par la bourgeoisie sauvage de 1789 et 1793. Cette bourgeoisie sauvage (ou mafieuse donc) a eu recours aux guerres pour diminuer-réduire ce peuple, aux guerres coloniales et à l’immigration ensuite. Elle tient sa guerre contre la Russie pour asseoir totalement son pouvoir.
Sa mise en place à cette mafia moderne (anti-aristocratique d’abord, elle s’agrégea la noblesse ensuite) eut un merveilleux descripteur: Balzac. Mais on a aussi Eugène Sue (les bas-fonds de Paris qui décrit l’ascension de la mafia française), le Dumas de Monte-Cristo (horrible société d’après-guerre, d’après la révolution et l’empire donc), le Hugo des Misérables (avec deux pièces maîtresses dans l’échiquier, le flic Javert et le truand Thénardier).
Balzac donc (Z. Marcas, seize pages de vision pure) :
« Il m’a dit en 1831 ce qui devait arriver et ce qui est arrivé : les assassinats, les conspirations, le règne des juifs, la gêne des mouvements de la France, la disette d’intelligences dans la sphère supérieure, et l’abondance de talents dans les bas-fonds où les plus beaux courages s’éteignent sous les cendres du cigare. Que devenir ? ».
Certes il y a des raisons physiques. Trop d’apprentis-bourgeois, trop de diplômés qui veulent (ô mal français) vivre de la manne étatique. Balzac explique :
« Aujourd’hui que tout est un combat d’intelligence, il faut savoir rester des quarante-huit heures de suite assis dans son fauteuil et devant une table, comme un général restait deux jours en selle sur son cheval. L’affluence des postulants a forcé la médecine à se diviser en catégories: il y a le médecin qui écrit, le médecin qui professe, le médecin politique et le médecin militant; quatre manières différentes d’être médecin, quatre sections déjà pleines. Quant à la cinquième division, celle des docteurs qui vendent des remèdes, il y a concurrence, et l’on s’y bat à coups d’affiches infâmes sur les murs de Paris».
Nos professions dites libérales sont décidément très étatisées :
« Dans tous les tribunaux, il y a presque autant d’avocats que de causes. L’avocat s’est rejeté sur le journalisme, sur la politique, sur la littérature. Enfin l’État, assailli pour les moindres places de la magistrature, a fini par demander une certaine fortune aux solliciteurs. »
La Mafia française va se métamorphoser et se grandir avec le bonapartisme et la ploutocratie.
La France est dirigée par une bourgeoisie sauvage (il y avait une bourgeoisie chrétienne plus sage mais les frontières sont poreuses comme disait le Mitterrand des années quarante…) depuis l’Empire. L’Empire marie une haute et féroce fonction publique avec les profiteurs de guerre et la bourgeoisie héritière de la braderie des biens nationaux. Le Second Empire renforce cette société haïssable que Maurice Joly décrit bien mieux que Zola; société qui va s’accommoder comme un charme de la république de 1870.
Ici on vire à la ploutocratie, mais n’est-ce pas la définition de toute bonne société finalement ? On reverra avec plaisir les bas-fonds du très honorable André Hunebelle (Jean Marais et Pierre Mondy), le Comte de Monte-Cristo (toujours Mondy et Louis Jourdan) et le colonel Chabert avec un prodigieux Raimu.
Quant à Marx il a aussi brillamment écrit sur ce sujet bonapartiste qui taraude les rares observateurs :
« Dans ces voyages, que le grand Moniteur officiel et les petits Moniteurs privés de Bonaparte ne pouvaient moins faire que de célébrer comme des tournées triomphales, il était constamment accompagné d’affiliés de la société du 10 décembre. Cette société avait été fondée en 1849. Sous le prétexte de fonder une société de bienfaisance, on avait organisé le sous-prolétariat parisien en sections secrètes, mis à la tête de chacune d’elles des agents bonapartistes, la société elle-même étant dirigée par un général bonapartiste. A côté de « roués » ruinés, aux moyens d’existence douteux, et d’origine également douteuse, d’aventuriers et de déchets corrompus de la bourgeoisie, des forçats sortis du bagne, des galériens en rupture de ban, des filous, des charlatans, des lazzaroni, des pickpockets, des escamoteurs, des joueurs, des souteneurs, des tenanciers de maisons publiques, des porte-faix, des écrivassiers, des joueurs d’orgues, des chiffonniers, des rémouleurs, des rétameurs, des mendiants, bref, toute cette masse confuse, décomposée, flottante, que les Français appellent la « bohème ».
Bohême peut-être, mais qui va s’occuper de tout. L’Etat fort et inefficace n’est pas un vain mythe dans nos contrées latines :
« Ce pouvoir exécutif, avec son immense organisation bureaucratique et militaire, avec son mécanisme étatique complexe et artificiel, son armée de fonctionnaires d’un demi-million d’hommes et son autre armée de cinq cent mille soldats, effroyable corps parasite, qui recouvre comme d’une membrane le corps de la société française et en bouche tous les pores, se constitua à l’époque de la monarchie absolue, au déclin de la féodalité, qu’il aida à renverser. »
Problème :
« Toutes les révolutions politiques n’ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considérèrent la conquête de cet immense édifice d’État comme la principale proie du vainqueur. »
Dans mon livre sur la destruction de la France au cinéma je montre le rôle sinistre du gaullisme (rôle dénoncé par Godard, Tati, Verneuil, etc.) et de ses villes nouvelles déracinées et hors-sol comme on dit, qui a abouti à l’irréel hexagone que l’on sait.
Commandes: https://www.amazon.co.uk/DESTRUCTION-FRANCE-AU-CINEMA/dp/B0C9S8NWXX
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vendredi, 21 juillet 2023
Spengler, Faust et Napoléon
Spengler, Faust et Napoléon
Constantin von Hoffmeister
Source: https://www.eurosiberia.net/p/spengler-faust-and-napoleon?utm_source=post-email-title&publication_id=1305515&post_id=135284357&isFreemail=true&utm_medium=email
"Napoléon avait, dans ses moments les plus graves, un sens aigu de la logique profonde du devenir du monde, et dans ces moments-là, il pouvait deviner dans quelle mesure il était, et dans quelle mesure il avait, un destin".
- Oswald Spengler, Le déclin de l'Occident, vol. I
Au crépuscule des civilisations, tel un voyageur fatigué contemplant l'éclat déclinant d'un soleil couchant, nous discernons la silhouette d'un personnage solitaire se profilant sur la pâleur du passé: Napoléon Bonaparte. Oswald Spengler, philosophe allemand de l'histoire, a postulé l'existence de tels hommes, hérauts d'une époque, qui incarnent l'esprit d'une culture à son apogée, mais qui préfigurent aussi son déclin imminent. Il a dépeint Napoléon comme l'incarnation de l'esprit faustien de l'Occident ou ce que l'on pourrait appeler à juste titre un "homme-destin".
Spengler voyait en Napoléon un homme providentiel, pas seulement un homme d'ambition ou de pouvoir. À ses yeux, le soldat corse était l'expression de la grandeur et de la fatalité de son époque - une âme culturelle incarnée. Napoléon était le rêve fiévreux d'une époque où le désir brûlant de l'infini dansait avec la mélancolie de l'inévitable, tout comme une flamme danse avec l'ombre qu'elle projette.
Dans son ouvrage phare, Le déclin de l'Occident, Spengler a décrit Napoléon comme une force historique, un acteur prédestiné sur la scène de la civilisation occidentale. Il n'est pas considéré comme un créateur, mais comme l'exécutant d'une volonté supérieure, un instrument du destin. Il s'agissait toutefois d'un destin qui ne relevait pas d'une décision divine, mais des rythmes inéluctables de la culture et de la civilisation, aussi fiables que la descente du crépuscule.
Le destin que Spengler attribue à Napoléon s'apparente à l'esprit du temps, ce qu'il appelle l'"esprit faustien". Nommé d'après le personnage légendaire qui vendit son âme pour obtenir un savoir illimité et des plaisirs mondains, l'esprit faustien dénote un effort incessant, une aspiration à l'inaccessible. Napoléon, avec son insatiable désir d'expansion, sa quête incessante du pouvoir et son affirmation de la suprématie de l'individu sur la tradition et les normes établies, était la quintessence de cet esprit.
Cependant, comme dans tous les grands drames, le récit de Spengler ne s'arrête pas au zénith. L'homme-destin, l'acteur héroïque, est en fin de compte une figure tragique, prise dans le cycle de croissance et de décadence qui définit toute culture. Ainsi, l'histoire de Napoléon n'est pas seulement le récit d'une montée en puissance, mais aussi d'une chute dans l'oubli. La fin tragique à Sainte-Hélène est plus que la chute d'un homme, c'est le début de la fin de la culture qu'il représentait.
De plus, Spengler voit en Napoléon la personnification de l'esprit technologique et mécaniste de l'époque. La façon dont Napoléon a systématisé la guerre, dont il a utilisé les progrès de son époque, non seulement en matière d'armement, mais aussi d'administration et de communication, pour exercer son contrôle et étendre son empire, est le pacte faustien de l'homme avec le démon de la technologie. Mais comme toujours, ce pacte a un prix. La mécanisation qui a permis l'ascension de Napoléon devait, selon la prophétie de Spengler, conduire la culture à une ère de matérialisme sans âme.
En fin de compte, Napoléon, tel qu'il est dépeint par Spengler, est la quintessence de la culture qu'il habite. Il était l'écho de sa grandeur et le signe avant-coureur de son déclin. Sa vie est un monument à l'ambition de l'esprit faustien et à la tragédie inévitable qu'elle entraîne. La grandeur était éphémère, la décadence terminale, et dans ce jeu d'ombres et de lumières, Spengler a présenté un portrait de Napoléon aussi obsédant et beau que sinistrement prophétique. À travers l'interprétation cyclique de l'histoire par Spengler, Napoléon n'apparaît pas seulement comme un individu mais comme un symbole, une incarnation de son époque - à la fois son éclat éblouissant et son crépuscule funèbre. Il était un acteur jouant un scénario écrit par les forces du destin, animé par les rythmes d'une culture à la fin de l'automne, annonçant l'approche d'un hiver long et froid.
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mardi, 18 juillet 2023
Il y a 150 ans débutait la "plus grande" dépression économique de l'histoire
Il y a 150 ans débutait la "plus grande" dépression économique de l'histoire
Valentin Katasonov
Source: https://katehon.com/ru/article/150-let-nazad-nachalas-sam...
Les États-Unis, le Canada, la quasi-totalité de l'Europe, ainsi que la Russie, ont été frappés par la crise.
Les ralentissements économiques et les stagnations qui se sont produits et se produisent encore dans le monde ces dernières décennies sont souvent comparés à la crise économique qui a débuté aux États-Unis par une panique boursière en octobre 1929 et qui s'est ensuite transformée en ce que l'on appelle la "Grande Dépression", qui a touché en 1930 la quasi-totalité du monde capitaliste de l'époque. On pense que la "Grande Dépression" s'est terminée au moment où la Seconde Guerre mondiale a commencé (c'est-à-dire le 1er septembre 1939). Il s'avère que la durée de la "Grande Dépression" fut d'environ une décennie. À la suite de cette crise mondiale, le niveau de la production industrielle dans les pays occidentaux a été ramené au niveau du début du 20ème siècle, c'est-à-dire 30 ans plus tôt. Dans les pays industrialisés de l'aire capitaliste, il y avait alors environ 30 millions de chômeurs ; la situation des agriculteurs, des petits commerçants et des représentants de la classe moyenne s'est détériorée. Nombreux sont ceux qui sont tombés sous le seuil de pauvreté ; le taux de natalité a fortement baissé. Le terrain était propice à l'émergence et au renforcement du national-socialisme (et du fascisme) et à la préparation forcée d'une nouvelle guerre mondiale.
Mais il s'avère qu'avant 1929, il existait déjà un terme bien établi, celui de "Grande Dépression". Il s'agissait de la crise économique mondiale qui a débuté en 1873 et a duré jusqu'en 1896. Sa durée a donc été de 22 à 23 ans. C'est plus du double de la durée de la crise mondiale de 1929-1939. Cette dernière a reçu le nom de "Grande Dépression" et, pour la distinguer de la crise de 1873-1896, la crise du 19ème siècle a été rebaptisée "Longue Dépression".
La "Longue Dépression" du 19ème siècle, comme la "Grande Dépression" du 20ème siècle, a commencé par une panique boursière. La panique a éclaté en avril 1873 à la Bourse de Vienne, puis a gagné les bourses d'autres pays européens. Puis, du marché financier, on est passé au secteur réel de l'économie - l'industrie, l'agriculture, la construction, le transport ferroviaire. La crise a surpris par sa rapidité (malgré des communications et des liens financiers et économiques relativement faibles pour l'époque) et s'est étendue au Nouveau Monde, aux États-Unis et au Canada. La panique financière a atteint l'Amérique dès septembre 1873.
Quelles sont les causes de la "Grande Dépression" ? Nous pouvons donner la réponse la plus générale à cette question en nous référant aux ouvrages classiques du marxisme. Selon eux, la crise est une conséquence inévitable du capitalisme ; elle résulte de l'apparition d'un déséquilibre entre l'offre de biens et la demande effective. Il l'appelle "crise de surproduction" et la définit comme l'une des quatre phases successives du cycle capitaliste (le mouvement de l'économie capitaliste): crise (déclin, récession) - dépression (stagnation, marasme) - reprise - embellie.
Avant 1873, l'Ancien et le Nouveau Monde connaissent une période d'essor, généralement qualifiée de "boom" dans la littérature. Après la fin de la guerre civile américaine et la brève récession d'après-guerre (1865-1867), les États-Unis ont connu un boom des investissements lié à la construction de chemins de fer sur les terres publiques de l'Ouest. Les investissements dans l'expansion des réseaux ferroviaires ont été réalisés principalement par des investisseurs européens.
En Europe, le boom a commencé plus tard, après la fin de la guerre franco-prussienne de 1870-71. Sa conclusion, comme on le sait, a conduit à la victoire de la Prusse, à la création d'un État allemand unifié et au versement par la France de 5 milliards de francs-or au vainqueur. Cette somme d'argent gigantesque est restée en partie en Allemagne (le deuxième Reich) et a servi à rembourser les dettes contractées par la Prusse et d'autres États allemands. Enfin, cet argent a été utilisé pour créer de nouvelles entreprises (la création de sociétés par actions, connue en Allemagne sous le nom de "Gründering"). Un boom des investissements s'est alors amorcé, qui a conduit, en termes modernes, à la formation de "bulles" boursières et à des hausses de prix inflationnistes. Ce boom a duré moins de deux ans et s'est terminé par une chute des cours des actions sur les marchés boursiers et par la faillite des sociétés anonymes nouvellement créées.
Il existe d'autres interprétations des raisons pour lesquelles le boom dans l'Ancien Monde a été si éphémère. Le chancelier allemand Bismarck, avant même la guerre franco-prussienne, avait conclu un accord avec les Rothschild : Bismarck demandait de l'aide pour unifier les terres allemandes et créer un État allemand unique, le Deuxième Reich. Les Rothschild demandent à Bismarck de faire du mark allemand une monnaie d'or. En d'autres termes, d'introduire un étalon-or dans le Deuxième Reich. Même après la fin des guerres napoléoniennes, les Rothschild ont tenté d'imposer un étalon-or à l'Europe, mais ils ont échoué. Selon eux, l'étalon-or signifiait que la monnaie ne pouvait être imprimée que pour garantir la réserve d'or de la banque centrale. Et si cette dernière ne disposait pas d'une telle garantie en or suffisante, les Rothschild étaient prêts à donner le métal précieux moyennant un intérêt (après les guerres napoléoniennes, ils avaient concentré entre leurs mains une grande quantité d'or et voulaient qu'il se transforme en capital, c'est-à-dire qu'il rapporte des bénéfices). La première étape a été franchie en 1821, lorsque l'Angleterre, sous la pression de Nathan Rothschild (potrait, ci-dessous - celui-là même qui, en 1815, a pris le contrôle de la Banque d'Angleterre), a introduit l'étalon-or, mais elle a continué à piétiner.
Aucun des rois, premiers ministres et chanceliers européens n'était disposé à se mettre volontairement un étalon-or autour du cou. Et c'est Bismarck qui a conclu ce dangereux accord, dans le but de créer le deuxième Reich. Après l'Allemagne, d'autres pays européens ont commencé à introduire l'étalon-or. Des freins à l'or ont été mis sur les "presses à imprimer" des banques centrales. L'argent nécessaire aux entrepreneurs pour constituer des fonds de roulement et investir dans des actifs fixes est devenu très rare. L'introduction généralisée de la monnaie-or a entraîné une dépression économique prolongée.
Comme on le sait, la "Grande Dépression" du 20ème siècle s'est déroulée en deux phases : une récession économique (crise économique au sens des économistes), qui couvre la période 1929-1933, suivie d'une stagnation (stagnation ou dépression proprement dite au sens des économistes). La première phase de la "Grande Dépression", selon les estimations des historiens de l'économie, a duré 43 mois aux États-Unis.
La "longue dépression" du 19ème siècle s'est également déroulée en deux phases : récession et stagnation. La récession américaine a duré d'octobre 1873 à mars 1879, soit 65 mois. On estime qu'il s'agit de la plus longue récession de l'histoire non seulement des États-Unis, mais aussi de toute l'histoire du capitalisme. C'est aussi la plus longue stagnation (1879-1896), raison pour laquelle la période 1873-96 a été appelée la "longue dépression".
Les historiens et les économistes ont coutume d'appeler la première crise économique présentant des signes de crise mondiale la crise de 1857, qui a débuté aux États-Unis, mais s'est rapidement étendue à l'Ancien Monde et s'est emparée de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la France. Mais en termes de nombre de pays ayant connu une récession, la "longue dépression" dépasse de loin la crise de 1857. Les États-Unis, le Canada, la quasi-totalité de l'Europe ainsi que la Russie ont été frappés par la crise.
Il est vrai que dans certains pays, la stagnation et la dépression ont pu être remplacées par une reprise et même une certaine croissance, mais elles se sont à nouveau arrêtées. Par exemple, dans le cadre de la "longue dépression" aux États-Unis, il y a eu deux récessions prononcées : en 1873-77 (selon certaines sources, 1873-79) et en 1882-85. Dans l'ensemble, entre 1873 et 1896, la plupart des pays ont enregistré des gains de production dans de nombreux produits industriels, mais ces gains étaient modestes par rapport aux taux observés avant 1873.
L'historien britannique Paul Kennedy a évalué le niveau de développement économique des principaux pays au 19ème siècle en utilisant un indicateur tel que le produit national brut (PNB), qui n'existait pas à l'époque (Paul Kennedy, The Rise and Fall of the Great Powers - Fontana Press, 1989). C'est ce qui ressort de la période 1870-1890. Le PNB de l'Autriche-Hongrie a augmenté de 35,4%, celui de la France de 17,3% et celui de l'Italie de 14,6%. Deux pays d'Europe ont été moins touchés par la "longue dépression" : l'Allemagne (59% de croissance du PNB) et la Grande-Bretagne (50%). C'est la Russie qui a le plus souffert, son PNB ayant diminué de près de 8% en deux décennies. La Russie a connu trois récessions au cours de la "longue dépression": 1874-1877, 1881-1886 et 1891-1892, avec une reprise économique partielle entre les deux. Mais dans l'ensemble, au cours de la période 1873-1896, la Russie a eu une nette tendance à rester à la traîne des principaux pays occidentaux.
Le phénomène le plus courant sur l'ensemble de la période et pour tous les pays est la déflation. Il s'agit d'une baisse des prix et de leur maintien prolongé à un bas niveau. Par exemple, entre 1867 et 1894, le prix des céréales sur le marché mondial a chuté de 2/3. Le prix du fer a été divisé par deux en deux décennies, de 1870 à 1890. La faiblesse des prix a été le frein le plus important à l'accélération des investissements et de l'activité de production.
Pour contrer la récession et la stagnation, de nombreux pays ont recours au protectionnisme. Ainsi, en France, le président Adolphe Thiers (photo) abandonne la politique de libre-échange de la période du Second Empire et introduit un régime protectionniste dans la toute nouvelle Troisième République. En 1892, les tarifs douaniers élevés de Melin (du nom de l'avocat français qui les a conçus) sont mis en place. Ces tarifs ont marqué la fin du libre-échange entre l'Angleterre et la France. En Allemagne, des droits de douane protectionnistes ont été introduits dès 1879 (ce qui, soit dit en passant, explique pourquoi l'Allemagne a connu un taux de développement économique aussi élevé pendant la "longue dépression").
Aux États-Unis, la position protectionniste a permis à Benjamin Harrison (portrait) de remporter l'élection présidentielle en 1888. Parmi les pays économiquement développés, seuls le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont restés attachés à la politique des bas tarifs.
Néanmoins, le protectionnisme croissant a sérieusement entravé le développement du commerce international. C'est d'ailleurs à cette époque que certains signes de la transition du capitalisme de libre concurrence vers sa phase la plus élevée ont commencé à apparaître, comme l'a écrit plus tard Lénine dans son ouvrage L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916).
Tout d'abord, pendant la période de la "longue dépression", on a assisté à des faillites massives de petites et moyennes entreprises dans divers secteurs d'activité. Leurs actifs ont été absorbés par les grandes entreprises. Le processus que Lénine a appelé "concentration et centralisation du capital" s'est intensifié. Les grandes entreprises se transforment en monopoles et détruisent les vestiges de la concurrence. L'époque des prix monopolistiques commence - des prix élevés pour les marchandises produites et vendues et des prix bas pour les matières premières achetées.
Deuxièmement, l'aggravation du problème de la vente des biens produits sur le marché intérieur, le manque de matières premières bon marché et la volonté de minimiser les coûts ont donné naissance à une tendance à s'emparer des marchés étrangers, des sources de matières premières et de main-d'œuvre bon marché, des domaines d'application du capital. Il s'agit d'une tendance à transformer le capitalisme monopolistique en impérialisme, à la division économique du monde par des unions monopolistiques - cartels et syndicats.
L'une des conséquences de la "longue dépression" a été un changement significatif dans les forces des différents pays à la fin de l'avant-dernier siècle. C'est d'ailleurs sur cette base que Lénine a introduit plus tard le concept de "loi du développement économique et politique inégal du capitalisme" (dans le même ouvrage "L'impérialisme en tant que stade suprême du capitalisme"). Face aux autres pays, ce sont surtout la Grande-Bretagne et l'Allemagne, ainsi que les États-Unis, qui ont renforcé leurs positions économiques. Et surtout ces derniers. Paradoxalement, mais selon la plupart des économistes et des historiens, ce sont les États d'Amérique du Nord qui ont le plus souffert de la récession qui a débuté en 1873. En effet, à l'époque, ce n'était pas encore un pays industriel (son économie ressemblait un peu à celle de la Russie moderne, qui repose sur l'extraction d'hydrocarbures et leur exportation). Les capitalistes d'outre-mer continuaient à gagner de l'argent aux dépens de l'agriculture, en fournissant des céréales et du coton au Vieux Continent.
Et c'est précisément pour ces produits, dans les années 70 de l'avant-dernier siècle, que la chute des prix a été la plus importante. Il convient ici de rappeler la formule consacrée : "la crise n'est pas seulement un malheur, c'est aussi une chance". Et cette chance, l'Amérique l'a utilisée. Elle s'est lancée dans l'industrialisation, après avoir prudemment créé les conditions nécessaires à cette fin sous la forme d'une barrière douanière élevée. Dans les années 1890, l'Amérique dépasse l'Empire britannique en termes d'industrie et de PIB (selon les estimations rétrospectives des historiens).
Les jeunes impérialismes allemand et américain estimaient que le monde était injustement divisé sur le plan économique et territorial. En tant qu'économies à croissance rapide, ils méritaient davantage. La grande majorité des marchés et des territoires dans le monde continuait d'appartenir aux anciens impérialismes (Grande-Bretagne, France, Belgique, Pays-Bas, etc.). En tant qu'économies capitalistes à croissance rapide, ils (l'Allemagne et les États-Unis) méritaient mieux.
Au tournant du 19ème siècle, la "longue dépression" a pris fin. Une reprise économique générale s'est amorcée, qui s'est ensuite transformée en boom économique. Les principaux pays du monde ont décidé d'utiliser cette reprise et ce boom pour redistribuer le monde économiquement et territorialement en leur faveur. Les préparatifs d'une guerre mondiale commencent.
20:26 Publié dans Economie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, économie, crises économiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 16 juillet 2023
Berlin rencontre l'Extrême-Orient - Rencontre entre le prussianisme, les Lumières berlinoises et la tradition chinoise
Berlin rencontre l'Extrême-Orient - Rencontre entre le prussianisme, les Lumières berlinoises et la tradition chinoise
Michael Kumpmann
Source: https://www.geopolitika.ru/de/article/berlin-trifft-auf-fernost-begegnung-von-preussentum-berliner-aufklaerung-und-chinesischer
Les Lumières sont généralement considérées, à juste titre, comme un mouvement anti-traditionnel dans lequel, comme l'a bien décrit Soljenitsyne, l'homme a fini par "oublier Dieu" et s'est substitué à lui et l'a remplacé par sa technique [1]. Cette révolte "faustienne"/"satanique" contre Dieu a ensuite fait émerger les enfers totalitaires du 20ème siècle et la victoire de plus en plus forte de la conscience technique inhumaine (Gestell) sur l'âme humaine. La barbarie et la terreur anti-ecclésiastiques de la Révolution française n'étaient pas un accident regrettable mais ont traversé, par d'autres moyens, toute l'histoire de l'époque moderne.
Cependant, Douguine a bien décrit le fait que les tendances anti-modernes étaient minoritaires dans chacune des trois théories politiques de la modernité ("Voir Evola dans la Révolution conservatrice et Wirth dans la Troisième théorie politique"). Il est étonnant de constater qu'elles existaient aussi de manière isolée dans les Lumières elles-mêmes. Isaac Newton était un hermétiste dans la tradition de John Dee, qui recherchait les connaissances disparues des anciennes cultures et considérait que l'humanité occidentale était en déclin culturel. Pour lui, le siècle des Lumières avait précisément une mission spirituelle visant à stopper ce déclin intellectuel. La campagne de conquête de Napoléon était aussi en partie un mouvement de restauration de la monarchie et une tentative de création d'un grand empire monarchiste "eurasien" qui réunirait la France, l'Allemagne et la Russie, et lutterait contre les Anglo-Saxons [2]. L'idéalisme allemand, avec sa théorie du Weltgeist [3], réunissait des éléments traditionnels et modernes [4]. Lessing montrait également des éléments traditionnels dans ses œuvres [5].
Statues chinoises à Sanssouci, construites à la demande de Frédéric II [6].
Un autre élément frappant est qu'il y a eu un fort engouement pour la Chine au début du siècle des Lumières allemand autour de Frédéric II, ce qui a conduit des philosophes comme Leibniz et Voltaire [7], ainsi que le roi Frédéric, à déclarer que la Chine antique était le modèle d'un "absolutisme éclairé". La Chine n'est en aucun cas antireligieuse, antitraditionnelle ou antispirituelle. Ce n'est pas pour rien qu'il existe un certain enthousiasme pour la Chine chez les théosophes. Le théosophe américain Edgar Cayce (photo, ci-dessous) a même prédit que la Chine s'élèverait, vaincrait les États-Unis (qu'il considérait comme le dernier vestige de l'Atlantide) et conduirait à une renaissance spirituelle/religieuse de l'humanité.
Mais d'où vient cet enthousiasme éclairé pour la Chine ? Une cause importante est à rechercher dans la dichotomie entre Athènes et Jérusalem décrite par Leo Strauss. Alors que Jérusalem représente ici la religion populaire, qui est une chronique du peuple et de son histoire avec son dieu, le pôle d'Athènes est plutôt la variante d'une religion qui a été fondée et enseignée par un sage, qui est gourou/philosophe. Pythagore, Platon, Hermès Trismégiste et autres ne sont pas des prophètes envoyés par Dieu avec une vision, mais des hommes qui ont acquis des connaissances religieuses (par leur propre logique, par l'enseignement ou par d'autres moyens) et les ont transmises à leurs élèves. Le Christ a alors réuni dans sa position les pôles de la religion populaire (Jérusalem) et de la religion savante (Athènes).
Cependant, l'Église catholique a en partie réprimé et persécuté cette "théologie naturelle" et les vestiges du "pôle athénien" comme l'hermétisme, le gnosticisme ou des personnes comme Hypatie d'Alexandrie [8]. D'autre part, l'Église a intégré ces restes du pôle "Athènes" dans ses systèmes. L'exemple le plus connu est celui de Thomas d'Aquin et de la plupart des néoplatoniciens.
Les pionniers des liens culturels entre l'Europe et la Chine, tous trois décédés et enterrés à Pékin: L'italien Matteo Ricci (1552-1610), qui fit connaître Confucius en Europe et démontra l'excellence de ce système politico-philosophique chinois; l'Allemand Johann Adam Schall von Bell (1592-1666), qui fut directeur du "Tribunal des Mathématiques", instance d'importance capitale dans le Céleste Empire et son successeur le Flamand Ferdinand Verbist (1623-1688).
Le résultat est que l'Église a créé une domination du pôle "Jérusalem" au détriment du pôle "Athènes". Des rapports de missionnaires jésuites ont donné à des philosophes européens comme Leibniz l'idée qu'une alliance avec la Chine pourrait corriger cette anomalie et la dépravation morale de la noblesse et du clergé au 18ème siècle [9] (Leibniz a écrit que pour sauver l'Europe, il devrait y avoir un échange missionnaire dans les deux sens. Les Européens devraient expliquer leur tradition aux Chinois et les Chinois devraient expliquer la leur aux Européens. A l'époque, les Lumières sous cette forme "berlinoise" n'étaient donc pas une idéologie définissant l'"Occident" comme une culture supérieure qui devrait civiliser le reste de l'humanité. Au lieu de cela, on considérait que l'Occident devait également apprendre de l'Asie) [10] [11].
On considérait en effet la Chine comme un parallèle au pôle athénien. Le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme étaient en effet plus comparables aux écoles des philosophes athéniens qu'aux religions monothéistes classiques et à leur "prétention à l'exclusivité". Non seulement parce que ces dernières ont été fondées par des philosophes, mais aussi parce qu'elles ont appris les unes des autres.
Le I Ching (Yi Jing), par exemple, était une théorie confucianiste qui, parce qu'elle suppose que tous les signes peuvent être ramenés à deux symboles de base, a été adoptée par les taoïstes [12]. Le bouddhisme zen, quant à lui, a repris des idées des taoïstes.
Leibniz a d'abord utilisé le I Ching pour prouver l'existence de Dieu et a décrit que tous les nombres (et toute information) peuvent être déduits de zéro et de un. Leibniz a supposé que le zéro correspondrait au chaos de l'horloge du Tohuwabohu, et que le un correspondrait à Dieu. Par conséquent, tout ce qui peut être décrit mathématiquement le serait, contiendrait à la fois des traces du tohu-bohu et de Dieu et de son acte de création [13].
En outre, il y avait une raison plus spécifique à l'engouement pour la Chine: la Chine confucéenne a une culture de fonctionnaires qui étaient très respectés et qui pouvaient conseiller les empereurs. Pour devenir fonctionnaire, l'individu devait d'abord passer un grand examen de keju, où il était testé sur son intelligence et ses connaissances culturelles/traditionnelles. Comme ce poste de fonctionnaire était extrêmement prestigieux, un mouvement culturel s'est développé, grâce auquel les familles ont accordé une attention particulière à l'éducation et ont fait de gros efforts et dépenses pour donner à leurs enfants la meilleure éducation possible [14]. En même temps, l'empereur lui-même devait être un exemple fervent des vertus confucéennes (dont l'éducation est l'une des plus importantes) [15].
Leibniz, Voltaire [16] et d'autres "philosophes des Lumières berlinoises" voyaient dans cette culture la meilleure application pratique de l'État philosophe platonicien qui existait à leur époque. Les dirigeants européens comme Frédéric le Grand devaient essayer d'imiter ce modèle (C'est pourquoi le roi de Prusse rassemblait également des cercles d'intellectuels européens autour de sa cour).
Wilhelm Leibniz (1646 - 1716)
Voltaire (1694 - 1778)
Christian Wolff (1679 - 1754)
Les philosophes des Lumières prussiens tels que Johann Heinrich Gottlob Justi et Christian Wolff [17] considéraient que l'idéal de l'éducation était plus proche de la réalité dans une monarchie traditionnelle avec une équipe de conseillers cultivés que dans une "démocratie libérale" où même le plus stupide peut participer aux décisions et où la voix de "l'idiot du village" a autant de poids que celle d'un professeur diplômé [18].
Leibniz et consorts n'étaient pas non plus anti-religieux, mais rêvaient plutôt d'une alliance entre le christianisme et l'enseignement confucéen. Voltaire était extrêmement anticlérical, mais même lui était contre l'athéisme.
Confucius et l'État fonctionnaire qu'il a inspiré ont également fourni la base de la théorie économique prussienne du caméralisme. Il convient de noter que le fondateur contemporain de l'école "néotraditionnelle" des libéraux, le NR/X, Mencius Moldbug, appelle sa théorie économique le "néocaméralisme". Ce n'est pas un hasard s'il a choisi le nom de plume de Mencius et si ce dernier a été le plus grand successeur de Confucius. Moldbug connaît donc parfaitement le lien entre le prussianisme et le confucianisme [19].
Alors qu'en France en particulier, les Lumières et la Révolution ont tenté de renverser la tradition, la Prusse a adopté une approche nettement plus intégrative et a conservé davantage d'éléments pré-modernes.
Aujourd'hui, la situation qui prévalait alors en Prusse s'est presque inversée. Aujourd'hui, ce sont les Japonais (l'école de Kyoto, dont les fondateurs ont étudié sous la direction de Heidegger à Fribourg) et les Chinois qui chérissent l'héritage intellectuel allemand autour de philosophes comme Heidegger, Carl Schmitt ou Leo Strauss, tandis que chez nous, les dirigeants woke considèrent notre héritage intellectuel européen comme politiquement incorrect et veulent donc l'éliminer [20].
En général, il est également frappant de constater que le PC chinois est composé d'un nombre étonnamment élevé de scientifiques et de personnes instruites, alors que chez nous, dans "l'Occident éclairé et démocratique", on trouve un nombre étonnamment élevé de ratés en matière d'éducation, en particulier chez les Verts. Il est donc possible que, ironiquement, la Chine, en revenant au confucianisme et à la tradition, ait mieux réalisé les idéaux politiques des Lumières que l'Occident démocratique et éclairé d'aujourd'hui, car chez nous, les Lumières tant vantées ont ironiquement conduit au triomphe des incultes.
Mais il faut bien sûr aussi dire que l'idée de "l'État fonctionnaire éclairé" constitue bien sûr aussi un germe de la technocratie comme objectif final et effrayant de la modernité. C'est pourquoi ce "confucianisme occidental" doit être considéré de manière ambiguë et, pour reprendre les termes d'Adorno, "dialectique". Il a été en grande partie une résurgence de la tradition platonicienne en Occident. Mais il a également jeté les bases de la "dictature des experts" de l'"UE-RSS", du régime médical inhumain de l'ère coronaviresque ("Ne réfléchissez pas par vous-même, faites confiance à la science !"), du Cybersyn chilien (un projet dans lequel l'économie nationale devait être contrôlée par un ordinateur central) et d'autres. Et même si la Chine a connu un renouveau confucianiste, elle est jusqu'à présent l'exemple de la première technocratie fonctionnelle au monde [21].
La science n'est jamais objective, comme on l'a vu ces dernières années, mais elle est elle-même soumise à des intérêts de pouvoir.
Il est possible que la religion puisse renverser cette dialectique. Il est possible que la religion soit précisément ce qui empêche un "règne des sages" de dériver vers une gestion scientifiquement planifiée de la "vie nue", et rappelle au sage qu'il y a plus dans la vie que des chiffres, des dates et la simple survie, mais que l'homme possède une dignité inhérente.
Notes:
[1] Robespierre a voulu se couronner lui-même dieu lors d'une cérémonie peu avant sa chute. Au 20ème siècle, les dirigeants de l'entreprise chimique IG Farben se seraient autoproclamés "Conseil des dieux", car ils pensaient avoir acquis un pouvoir "égal à celui d'un dieu" grâce à la science. Ce sont deux exemples de la façon dont l'esprit scientifique éclairé peut développer un élément "luciférien".
[2] D'une certaine manière, nous, Eurasistes, achevons ainsi le "travail" de Napoléon, qui avait lui-même repris la mission de Gengis Khan.
[3] Qui voyait Napoléon en partie comme l'incarnation de ce même esprit du monde (Nietzsche, qui a formé avec Schopenhauer l'autre grand courant "post-kantien" de la philosophie allemande et qui a fourni des bases non seulement à l'existentialisme, mais aussi au traditionalisme, voyait lui aussi Napoléon comme l'incarnation du surhomme).
[4] Voir à ce sujet ces deux articles de Douguine :
https://www.geopolitika.ru/en/article/hegel-and-platonic-jump-down
et https://www.geopolitika.ru/de/node/63972
[5] Julius Evola a décrit dans "Le Mystère du Graal" qu'il existait une histoire parmi les croisés et les musulmans selon laquelle les deux groupes étaient à la recherche d'un anneau magique perdu. Et que cet anneau était en fait une métaphore du Saint Graal. Lessing, quant à lui, a écrit dans son livre "Nathan le sage" ce qu'il appelle la parabole de l'anneau, où le sultan musulman Saladin et le croisé Richard Cœur de Lion se disputent la possession d'un anneau magique. Les parallèles sont ici très frappants.
[6] Image de Deniz Yildiz. Publié sous licence Creative Commons Attribution Share Alike 4.0
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Potsdam_Chinesisches_Teehaus_San...
[7] Voltaire doit cependant être critiqué pour avoir présenté le confucianisme de manière extrêmement erronée, faisant souvent comme s'il n'y avait pas d'éléments surnaturels ou de "vie après la mort". Ce n'est pas vrai. Certains rites confucéens, comme le fait de préparer de la nourriture en offrande pour les ancêtres décédés, n'auraient aucun sens si Voltaire avait raison.
[8] En ce qui concerne cette personne, il est intéressant de noter que Voltaire n'était pas le seul à la mettre en avant, Daria Douguina l'a également fait plus tard.
[9] Au 20ème siècle, le baron Roman von Ungern Sternberg pensait également que la dépravation du clergé et de la noblesse européens (qui aurait contribué à la montée des communistes) pourrait être corrigée par une influence de la Chine et du Tibet.
[10] Une question intéressante serait de savoir si la Prusse a anticipé l'"approche asiatique" allemande, qui a été promue plus tard par le géostratège Karl Haushofer, entre autres (Qui a joué un rôle important dans l'alliance de l'Allemagne avec le Japon, par exemple). L'un de ses principaux domaines de recherche, outre la géopolitique, était la culture japonaise. Par ailleurs, selon des auteurs comme Jacques Bergier, Karl Haushofer était également en contact avec des bouddhistes tibétains.
Un autre parallèle est que les théories de Haushofer ont été en partie responsables du premier rapprochement existant entre le Troisième Reich et l'URSS (Pacte Molotov-Ribbentrop) et qu'il y avait également à l'époque un rapprochement diplomatique entre la Prusse et l'impératrice russe Catherine II.
[11] En ce qui concerne la Prusse et l'"Occident", il convient de noter qu'au début du 20ème siècle, Halford Mackinder considérait explicitement non seulement la Russie, mais aussi l'Empire wilhelminien marqué par la Prusse, comme un pôle opposé à la "communauté de valeurs occidentale". Ce n'est qu'après 1945 que les Allemands se sont considérés comme faisant partie de l'"Occident".
[12] Le philosophe Shao Yong a décrit que les deux symboles de base du I Ching (qui sont également une base de l'écriture chinoise) étaient également identiques aux nombres 1 et 0. Leibniz a repris cette théorie et a développé le système binaire à partir de là. Le système binaire a ensuite été combiné par George Boole avec la logique d'Aristote, de sorte que les énoncés logiques puissent être représentés en binaire. Ceci a servi de base à la théorie de l'information de Claude Elwood Shannon, qui présente le bit (une valeur de zéro ou de un) comme la base de toute information. Toute information est une déclaration selon laquelle, parmi plusieurs possibilités qui pourraient être vraies, l'une est correcte et toutes les autres sont fausses. Par conséquent, le bit (soit le un est faux et le zéro est vrai, soit l'inverse) est la base à partir de laquelle toutes les autres informations peuvent être décomposées.
C'est pourquoi la compréhension occidentale actuelle de ce que signifie la connaissance et l'information est basée sur des idées confucéennes anciennes.
[13] Là encore, Leibniz a probablement fait une erreur. En électronique, un système binaire (vecteur de bits ou de bits dans le langage de conception de puces informatiques VHDL) n'est en réalité pas un système à deux états, mais il existe un troisième état. Le premier état est 0, ce qui signifie que la ligne a moins de 5 volts. Un signifie que la ligne a plus de 5 volts. Il existe également un troisième état, qui signifie "erreur", ou plus spécifiquement qu'il n'est pas possible de déterminer si c'est zéro ou un. Il est probable que ce troisième état d'erreur soit plutôt le tohu-bohu.
Ironiquement, la loi de Moore (le nombre maximal de transistors d'un processeur double tous les deux ans) atteint maintenant sa limite, car les effets électromagnétiques des lignes plus proches rendent cet état d'erreur plus fréquent, ou un zéro peut se transformer spontanément en un et vice-versa. Ce problème de chevauchement ou d'éclatement des états binaires dans les ordinateurs rappelle philosophiquement le concept du postmodernisme et sa résolution des "oppositions binaires". La dissolution du logos occidental dans le chaos, décrite par Douguine dans "la métaphysique du chaos", se produit donc déjà concrètement dans la technologie numérique.
[14] Cela a conduit au cliché de la mère asiatique surmenée qui met la pression sur ses enfants pour qu'ils apprennent le plus possible. En Occident, ce cliché est surtout connu par Amy Chua et son concept de mère tigre, ainsi que par le personnage de Chichi dans le dessin animé Dragon Ball
(L'un des problèmes d'une telle éducation est bien sûr le risque de négliger des compétences concrètes, vitales et pratiques au profit de l'apprentissage de faits abstraits).
[15] En raison de cette philosophie, les rois prussiens se qualifiaient de "premiers serviteurs de l'État", ce qui impliquait également qu'ils devaient devenir en quelque sorte une incarnation de l'État, derrière laquelle leur personnalité humaine devait s'effacer. Dans Horizon of the Ideal Empire, Douguine décrit cela comme une caractéristique du "roi philosophe idéal" en référence à Platon :
http://www.4pt.su/en/content/horizon-ideal-empire
(Dans sa description, Douguine ne fait pas seulement référence aux idées platoniciennes, mais aussi et surtout à l'idée taoïste d'agir sans agir. Ergo : le souverain construit un ordre social qui fonctionne si bien qu'il n'y a pratiquement plus besoin d'interventions correctives de sa part. C'est l'opposé total du principe de gouvernance des démocraties libérales qui se résume à la réforme perpétuelle de ce qui a déjà été réformé plusieurs fois).
[16] Alors que Voltaire était plutôt anti-religieux, Catherine II en Russie avait remarquablement souvent impliqué l'Église orthodoxe dans ces "tâches de fonctionnaires éclairés".
C'est d'ailleurs plus logique, car un État fonctionnaire laïc risque de dégénérer en technocratie et en incarnation du Gestell. Le meilleur exemple à cet égard est l'UE et sa frénésie réglementaire excessive, qui veut même décider à quel point la courbe des concombres doit être courbée. Ou encore la faction des sociologues du genre qui veut planifier scientifiquement comment rééduquer les gens et les manipuler subtilement dans une certaine direction par le biais des médias.
[17] La philosophie de Wolff est devenue populaire auprès des catholiques, alors qu'elle était détestée par les protestants. Cela pourrait également être intéressant en ce qui concerne la manière dont le protestantisme et le catholicisme ont eu un impact différent sur le thème de la tradition et de la modernité. Les protestants sont plus enclins à la modernité et les catholiques à la tradition.
[18] Comme Evola l'a décrit, la Prusse a pu conserver une grande partie des structures féodales prémodernes malgré les Lumières (Ironiquement, mieux que la France absolutiste pré-éclairée, qui a introduit une centralisation extrême, au détriment des structures princières féodales).
[19] https://en.wikiversity.org/wiki/Neocameralism
[20] Voir également cette vidéo de Michael Millerman :
https://www.youtube.com/watch?v=mbC-k6sIuEE
[21] https://www.mpiwg-berlin.mpg.de/research/projects/technocracy-scientocra...
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vendredi, 30 juin 2023
Brain Initiative, le contrôle des cerveaux selon Barack Obama
Brain Initiative, le contrôle des cerveaux selon Barack Obama
Emanuel Pietrobon
Source: https://it.insideover.com/schede/politica/brain-initiative-il-cervello-secondo-obama.html
Les relations internationales sont en train d'être englouties par un événement historique, l'aube de la guerre cognitive, qui à la fois prémisse d'un monde nouveau et promet d'affecter lourdement les trajectoires futures de l'humanité. L'esprit placé au centre, comme jamais auparavant, devient une nouvelle dimension de la conflictualité. Avec toutes les implications que cela implique : guerres cognitives globales - l'Ukraine restera dans les mémoires comme la première guerre de ce type dans l'histoire -, pandémies infodémiques, post-vérités et désinformation permanentes.
Les origines des guerres cognitives remontent aux recherches sur le contrôle mental menées pendant la guerre froide par les blocs américain et soviétique, dont le MKULTRA a certainement été le plus vaste et le plus ambitieux. Mais au-delà des enquêtes militaires, les progrès réalisés dans les domaines du neuromarketing, de la psychologie du consommateur, de l'économie comportementale et de la neurolinguistique ont joué un rôle clé dans le développement des armes cognitives et neuronales.
La recherche sur le fonctionnement du cerveau et de l'esprit n'a jamais cessé. Par intermittence, pour des raisons différentes, elle a été menée par des civils ou par des militaires. Et depuis 2013, aux Etats-Unis, une équipe mixte se penche sur les mystères du cerveau dans le but de faciliter sa compréhension et, à terme, son instrumentalisation à des fins militaires. Il s'agit de la Brain Initiative mise en place par l'administration Obama.
Les origines de la Brain Initiative
La Brain Initiative, ou BRAIN Initiative (Brain Research through Advancing Innovative Neurotechnologies), est née au plus fort d'une période, entamée à la fin de l'ère Bush, caractérisée par la curiosité renouvelée des politiques et des militaires à l'égard des neurosciences.
Deux rapports détaillés, en particulier, allaient contribuer à relancer le thème du contrôle de l'esprit, qui avait été mis en hibernation après la guerre froide: Grand Challenges of Mind and Brain de la National Science Foundation (2006) et From Molecules to Mind : Challenges for the 21st Century du National Research Council et de l'Institute of Medicine (2008). Avec en toile de fond deux projets d'investigation de l'esprit inaugurés au même moment : Decade of the Mind de James Olds et Revolutionizing Prosthetics de la DARPA.
Des laboratoires au Congrès, il n'y aurait eu qu'un pas. L'idée de créer une plateforme de recherche sur le cerveau pilotée par le gouvernement fédéral a été lancée pour la première fois par Miyoung Chun (photo), de la Fondation Kavli, en 2011. Elle a rapidement été soutenue aux États-Unis, où elle a été accueillie favorablement par une série d'acteurs, dont le Bureau de la politique scientifique et technologique, l'Institut médical Howard Hughes, l'Institut Allen pour les sciences du cerveau, Google, Microsoft et Qualcomm.
La pression exercée par des particuliers issus de secteurs très différents a trouvé un débouché institutionnel avec l'avènement de l'administration Obama. Le Bureau exécutif du président est chargé d'élaborer un plan d'étude approfondie du cerveau basé sur une collaboration public-privé. Et en 2013, à la Maison Blanche, la création de la BRAIN Initiative est annoncée au niveau mondial.
Percer les derniers secrets de l'esprit humain
La BRAIN Initiative était ambitieuse dès le premier jour. Avec un budget de démarrage de plus de cent millions de dollars, elle a été immédiatement liée aux plus importants centres de recherche du gouvernement américain - DARPA, NIH et NSF - et a impliqué des bailleurs de fonds et des entités privées, dont l'Allen Institute for Brain Science et la Kavli Foundation.
La présidence Obama, animée par l'objectif de faire des États-Unis le leader de la révolution cognitive, avait convié au projet les sommités les plus célèbres et les plus talentueuses du domaine. Une véritable dream team composée, entre autres, de Cornelia Bargmann - neurobiologie -, William Newsome - processus neuronaux -, David Anderson - neuroscience des émotions -, Emery Brown - neuroscience computationnelle -, Karl Deisseroth - science du comportement -, John Donoghue - interfaces neuronales - et Terry Sejnowski - intelligence artificielle.
Les scientifiques de la Brain Initiative se sont vu confier diverses tâches, en fonction de leur domaine de spécialisation, notamment la finalisation de la cartographie du cerveau et l'avancement de la neuroinformatique et de la neurotechnologie. Certains ont été et sont impliqués dans le développement de technologies utiles pour la chirurgie non invasive, d'autres dans la recherche de traitements pour les maladies neurologiques, et d'autres encore, moins exposés aux projecteurs, dans l'utilisation des connaissances dérivées des progrès des neurosciences pour trouver de nouveaux moyens de modifier le comportement humain. Guerres cognitives.
La Brain Initiative aujourd'hui et demain
La Brain Initiative a survécu à son créateur, Barack Obama, et est entrée en 2020 dans sa deuxième phase, consacrée à l'application des technologies et des découvertes réalisées au cours des années précédentes, qui devrait s'achever en 2025.
Le soutien aux travaux de l'initiative est bipartisan, transversal, réunissant civils et militaires, organismes publics et acteurs privés. Gagner la course aux cerveaux, l'un des chapitres les plus importants de la compétition entre grandes puissances, est considéré (à juste titre) comme un intérêt fondamental, à poursuivre à tout prix et à protéger, surtout, des risques des alternances quadriennales à la Maison Blanche.
Les contributeurs à la Brain Initiative, ouverte aux partenariats avec le secteur privé depuis 2013, se sont multipliés au fil du temps. En 2022, liste des participants en main, on compte quarante entités impliquées dans des activités de recherche à divers titres : universités, agences gouvernementales, centres de recherche militaires, fonds privés, entreprises technologiques.
Si l'on parle peu de ce projet ambitieux, les scientifiques qui y participent, lorsqu'ils sont interrogés, ont tendance à le comparer, en termes de répercussions potentielles pour l'humanité, à la course à l'espace et au projet Manhattan. Et peut-être que ce qui sortira des laboratoires de la Brain Initiative axés sur les armes cognitives et les neuro-armes sera un croisement entre Apollo et la bombe atomique : extraordinaire et destructeur.
Accordez-nous encore une minute de votre temps !
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dimanche, 25 juin 2023
Mensonges à propos de l'Afrique: histoire non fictive de la traite des esclaves
Mensonges à propos de l'Afrique: histoire non fictive de la traite des esclaves
Par Francesco Borgonovo
Source: https://www.ilprimatonazionale.it/cultura/bufale-africa-tratta-degli-schiavi-114859/
Cet article, qui démonte les canulars historiques qui circulent sur la traite des esclaves africains, a été publié dans Il Primato nazionale d'août 2018.
En 2016, la chaîne History Channel a réalisé un remake de la série télévisée Roots, qui a également été diffusée sur Rete 4 en mai dernier. La production mettait en scène des célébrités telles que Forest Whitaker, Anna Paquin, Laurence Fishburne et Jonathan Rhys Meyers. L'histoire est bien connue : Roots met en scène l'épopée de Kunta Kinte (interprété par Malachi Kirby), un guerrier africain mandingue réduit en esclavage et transporté en Virginie, où il finit par travailler dans une plantation. La nouvelle version de cette saga familiale noire est très bien filmée et franchement crue : l'horreur de l'esclavage y est montrée dans ses moindres détails. En effet, le but de la série est de rappeler les horribles souffrances que les Noirs américains ont dû subir de la part de l'homme blanc.
"L'esclavage n'a pas été éradiqué de cette planète", commente l'acteur LeVar Burton (qui a incarné Kunta Kinte dans les années 1970). "Il existe de nouvelles formes d'esclavage, de nouveaux murs, de nouvelles chaînes, de nouveaux corps jetés à la mer. C'est pourquoi nous avons décidé de présenter à nouveau l'histoire de Roots". L'esclavage est un thème qui a fait fureur ces dernières années, notamment depuis la première candidature de Barack Obama à l'élection présidentielle.
L'antiracisme américain
Le climat intellectuel en Occident est fertile: des mouvements comme Black Lives Matter font rage aux États-Unis; l'explosion des flux migratoires à l'échelle mondiale a soulevé des discussions sans fin sur le racisme généralisé, et l'intelligentsia a réagi en proposant des films, des séries et des livres sur le sujet. Ces dernières années ont vu la sortie de films tels que The Birth of a Nation de Nate Parker, consacré à la rébellion de l'esclave Nat Turner.
Peu avant, c'était au tour de Free State of Jones avec Matthew McConaughey, inspiré du livre de Victoria E. Bynum: il raconte l'histoire d'un hors-la-loi blanc qui, dans le Sud des États-Unis, s'oppose à l'esclavage et à la ségrégation. Mais dans la librairie, on trouve aussi les essais de Ta-Nehisi Coates sur le racisme, les bandes dessinées du super-héros Black Panther (dont a été tiré un autre long métrage célèbre) également scénarisées par Coates avec la même approche idéologique. Et puis le roman sur l'esclavage de Marlon James et un millier d'autres volumes du même acabit.
Le thème de l'esclavage
est un thème très populaire aujourd'hui et
populaire aujourd'hui et a été
traité dans divers films
et œuvres littéraires
Tous ces récits, cependant, manquent quelque chose. Il y a toujours un aspect de l'histoire qui est négligé, éclipsé ou simplement censuré pour ne pas contrarier la version officielle, qui doit être le suivant: les Occidentaux blancs sont racistes jusqu'à la moelle. Ils l'étaient à l'époque des colonies et le sont encore aujourd'hui, car ils discriminent les minorités et n'accueillent pas les immigrants: ils sont afrophobes, islamophobes, xénophobes, etc. Les documents historiques, cependant, racontent autre chose. Ils expliquent que l'esclavage et le racisme n'ont pas été l'apanage des seuls Blancs européens et américains, bien au contraire.
Le rôle de l'islam
Selon l'historien français Olivier Pétré-Grenouilleau, auteur de l'ouvrage de fond Traites négrières (paru en Italie aux éditions Il Mulino), la traite des Noirs telle que nous la connaissons coïncide historiquement avec l'expansion musulmane autour du 7ème siècle de notre ère. "C'est un fait", écrit le professeur. "Personne ne peut dire si la traite aurait pu se développer plus tard, sans ce début, et le problème en lui-même n'a pas d'intérêt. Le monde musulman, en revanche, ne s'est certainement pas contenté de recruter des esclaves noirs. Tout au long de son histoire, il a aussi largement puisé dans les pays slaves, le Caucase et l'Asie centrale". À partir du 7ème siècle, "le djihad et l'établissement d'un empire musulman de plus en plus étendu ont entraîné une augmentation considérable de la main-d'œuvre servile".
Cela s'est produit dans le monde islamique pour deux raisons: "La première est que l'esclavage y existait déjà en tant qu'institution commune et bien établie. La seconde est qu'il était devenu impossible de se procurer des esclaves à l'intérieur de l'empire". Ce sont donc les musulmans qui ont lancé le commerce mondialisé des esclaves noirs. Ne pouvant réduire en esclavage les hommes et les femmes vivant dans les territoires soumis à la loi islamique, ils avaient besoin d'étendre leur emprise le plus loin possible.
Les populations africaines progressivement soumises ont fait le reste (y compris celles déjà christianisées). Obligées de payer un tribut à l'empire musulman, même sous forme d'hommes, elles s'enfoncent de plus en plus profondément dans le continent noir pour se procurer de la marchandise humaine destinée à la traite. Il n'y a pas de quoi s'étonner : aujourd'hui encore, les prédicateurs de l'État islamique théorisent l'esclavage en s'appuyant sur des textes sacrés et menacent les infidèles occidentaux de les réduire à l'état de bêtes de somme.
Selon l'historien français
Olivier Pétré-Grenouilleau
la traite des Noirs
coïncide avec l'expansion
de l'islam au 7ème siècle
Un autre aspect est à prendre en considération: il concerne plus directement la naissance de la discrimination et du racisme. C'est avec l'expansion islamique et le développement de la traite que, comme le dit Pétré-Grenouilleau, "l'image de l'homme noir" change. Presque tous les peuples de l'Antiquité ont pratiqué l'esclavage, mais l'homme noir n'a jamais été considéré comme un être inférieur à tout point de vue en raison de sa couleur. Cependant, "les trajectoires vers le monde musulman et le racisme envers les Noirs se sont développés simultanément".
L'islam a pu créer une véritable civilisation universelle, comme l'explique l'historien Bernard Lewis. Les Arabes, en tant que souverains, se sont positionnés au centre de cet univers et ont commencé à définir les autres peuples en fonction de leur proximité. Les peuples à la peau foncée, les Noirs en particulier, se sont ainsi vu attribuer "une connotation d'infériorité". Des stéréotypes négatifs, on est passé au racisme pur et simple, puisqu'il est devenu courant de voir des Noirs réduits en esclavage dans l'empire musulman. Noir et esclave sont alors devenus synonymes. Il existe de nombreux textes, datant de différentes périodes (entre le 8ème et le 14ème siècle), dans lesquels les érudits islamiques décrivent les Africains à la peau foncée comme semblables à des animaux ou autrement inférieurs. Le grand historien Ibn Khaldoun, par exemple, a écrit que "les nations nègres sont en règle générale dociles à l'esclavage, parce que les Nègres ont peu de ce qui est essentiellement humain". Avec l'expansion de l'islam au cœur du continent africain, il est même devenu nécessaire de lancer une sorte de campagne contre cette conception des Noirs, même si les musulmans africains ont longtemps continué à être considérés comme différents des autres croyants disséminés sur le globe.
Les maladresses de Malcolm X
Il est donc assez curieux que l'islam se soit répandu dans les ghettos noirs d'Amérique en se présentant comme la religion des opprimés, comme la seule voie de rédemption pour les "nègres". C'est ainsi que Malcolm X et les autres représentants de la Nation of Islam, c'est-à-dire les activistes qui n'hésitaient pas à affirmer: "L'homme blanc est le diable". C'est Malcolm X qui s'est insurgé contre les écoles blanches qui ignoraient l'histoire de l'Afrique. "En détestant l'Afrique et les Africains", affirmait-il, "nous avons fini par nous détester nous-mêmes". Peut-être n'avait-il pas lu les textes d'Ibn Khaldoun...
Aujourd'hui, l'Autobiographie de Malcolm X est publiée en Italie par Rizzoli et continue d'être réimprimée. Elle est présentée comme "l'histoire d'un leader charismatique à la pointe de la lutte contre les injustices qui divisent le Nord et le Sud", presque comme s'il s'agissait d'une sorte de dame de charité tiers-mondiste. Cette autobiographie a été écrite par Alex Haley, l'auteur de Roots. Ce dernier a longtemps fréquenté le X, et c'est dans cet environnement radical que la saga de Kunta Kinte a pris forme. Il s'agit, au sens plein, d'une opération idéologique, visant à créer un texte fondateur de la fierté noire et à exciter les esprits contre les Blancs, coupables d'avoir bâti une nation sur le racisme.
Le rôle des Africains
Tout le monde sait que dans les plantations de tabac, puis de coton, les esclaves ont été utilisés à grande échelle. Et il est certain que la "traite atlantique" a entraîné l'intensification du commerce d'êtres humains de l'Afrique vers les États-Unis. Mais les peuples africains, qui pratiquaient déjà ce commerce depuis l'époque de l'empire musulman, y ont largement contribué. Et ils l'ont fait non seulement en procurant des prisonniers pour les vendre aux Américains, mais aussi en les fournissant aux Européens pendant des siècles. C'est ce qu'a raconté, entre autres, le célèbre journaliste David Van Reybrouck dans son best-seller Congo.
L'historien Matthew Restall, quant à lui, a documenté comment les Africains noirs - esclaves mais aussi libres - ont rejoint les Espagnols lors de l'invasion de l'Amérique latine et de l'extermination manu militari des indigènes.
Les mêmes populations
Les populations africaines ont elles-mêmes contribué
à la vente d'esclaves
pour être envoyés en Amérique
On ne sait pourquoi, mais cet aspect de l'histoire de l'esclavage est toujours passé sous silence, pour laisser la place aux méfaits des Blancs occidentaux. Ce sont ces derniers qui font la une des films et des séries télévisées en vogue aujourd'hui. C'est pourquoi il vaut la peine de connaître pleinement la réalité.
Lisez aussi : Il n'y a pas que les Européens : les Africains sont aussi responsables de la traite des esclaves
En ce qui concerne Roots, outre le climat idéologique dans lequel la saga a été écrite, il convient de rappeler quelques autres détails. À l'époque de sa sortie, le roman de Haley (qui a remporté le Pulitzer) a été présenté comme le résultat d'une recherche historique minutieuse. L'écrivain expliquait qu'il avait reconstitué l'arbre généalogique complet de Kunta Kinte et de ses descendants à partir d'une série d'histoires que lui avait racontées sa grand-mère. Or, au début des années 1990, un journaliste d'investigation du Village Voice, Philip Nobile, a démontré que le personnage de Kunta Kinte n'avait en fait jamais existé. Il s'agissait d'une invention littéraire. Haley avait écrit : "À ma connaissance et en toute bonne foi, je déclare que tous les récits de ma lignée contenus dans Roots proviennent de l'histoire orale, soigneusement transmise par ma famille africaine ou américaine, histoire que j'ai pu, dans de nombreux cas, confirmer de manière conventionnelle par des documents". Mais les documents trouvés dans ses archives ont prouvé le contraire. Et ce n'est pas tout. En 1978, Haley a été condamné pour plagiat: il avait copié quelque quatre-vingts passages du roman The African de Harold Courlander. Il s'en tire en payant une amende de 650.000 dollars. Mais tout cela n'a pas entamé son prestige. De telles nouvelles circulent sur le web (même la Repubblica en a parlé en 1993). Mais elles sont occultées par une myriade de tirades de célébration bon enfant. Il est probable que s'il avait écrit sur autre chose, Haley serait aujourd'hui considéré comme un demi-fou. Au lieu de cela, il est un héros, et son travail nous est toujours présenté comme historiquement exact.
Francesco Borgonovo.
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vendredi, 23 juin 2023
Human Ecology Fund, la mission de lavage de cerveau de la CIA
Human Ecology Fund, la mission de lavage de cerveau de la CIA
Emanuel Pietrobon
Source: https://it.insideover.com/schede/storia/human-ecology-fund-missione-lavaggio-del-cervello.html
La pandémie de Covid et la guerre en Ukraine ont définitivement ouvert la voie aux guerres cognitives, un art de la guerre appelé à perdurer en raison de la concomitance de certains facteurs globaux, sociaux et technologiques.
Dans les guerres cognitives, tout est ou peut être une arme: d'un canal Telegram à un groupe Facebook. Et la cible est unique: l'esprit. Ou plutôt, la domination de l'esprit. La science-fiction devient réalité: neuro-armes, technologie menticide, "candidats mandchous" (ndt: "programmés pour des attentats meurtriers"). Déstabilisation de sociétés entières par le biais d'influenceurs, de plateformes sociales, de blogs, d'armées de trolls et de messageries instantanées.
Les origines des guerres cognitives remontent à une époque précise, la guerre froide, dont il faut parler et sur laquelle il faut revenir pour les comprendre. Car les techniques, tactiques et connaissances des neuro-stratèges d'aujourd'hui ne sont que le fruit d'événements d'hier, comme le projet MKULTRA, les expériences de Montréal, les études de Kurt Plötner, Sidney Gottlieb, William Sargant et Donald Cameron, et les enquêtes du Human Ecology Fund.
Le contexte historique
On ne peut comprendre la logique du Human Ecology Fund, une enquête sur le fonctionnement de l'esprit humain financée par la Central Intelligence Agency, sans reconstituer le contexte historique.
Nous sommes dans les années 1960, la confrontation avec l'Union soviétique a atteint son paroxysme et les Etats-Unis, en proie à la peur des rouges, craignent la propagande invisible de l'ennemi et sont persuadés qu'il y a des cinquièmes colonnes partout: du Pentagone à Hollywood. La société était en ébullition, l'explosion prochaine des mouvements contre-culturels était dans l'air, et dans les salles de contrôle, on discutait de la manière de transformer le défi du changement social en cours en une opportunité.
C'est dans le contexte des tensions interraciales, des maxi-manifestations pacifistes et des violences politiques des turbulentes années 1960 que la Maison Blanche a délégué à Langley le soin de trouver une solution à l'infiltration de la propagande soviétique aux Etats-Unis. Une solution que les psycho-guerriers de la CIA ont tenté de trouver dans le domaine émergent des études cognitives.
L'écologie humaine ou l'ingénierie sociale
De ce "Fonds pour l'écologie humaine", l'un des programmes les plus secrets de la CIA connus à ce jour, on sait encore peu de choses. Dates, noms, chiffres, beaucoup de choses sont restées mystérieuses. Ce qui a, bien sûr, contribué à alimenter les théories du complot.
Le HEF aurait été fondé en 1955, sous le nom de Society for the Investigation of Human Ecology, au sein du département de psychiatrie de l'université de Cornell. Le neurologue Harold Wolff (photo) dirigeait cette entité, officiellement axée sur l'étude des techniques d'interrogatoire persuasives.
En 1957, après seulement deux ans, Wolff est démis de ses fonctions et remplacé par James Monroe, un militaire rompu à la guerre psychologique, et Carl Rogers, l'un des plus éminents psychologues de l'époque. Langley, en particulier, était intéressé par une application militaire des théories de Rogers sur la thérapie non directive.
Il aurait été possible de pousser les gens à agir contre leur volonté, par exemple en révélant des secrets sans s'en rendre compte et sans qu'il soit nécessaire de procéder à des interrogatoires musclés. Les psycho-guerriers de la HEF en étaient convaincus. Et la CIA lisait leurs rapports périodiques avec optimisme, d'où la décision d'élargir les collaborateurs du HEF - de l'Office of Naval Research au Geeschickter Fund for Medical Research - et d'étendre le champ des recherches - de la simple psychologie à l'utilisation de stupéfiants et de psychédéliques, dont le diéthylamide de l'acide lysergique (LSD).
Les résultats
À un moment donné, au plus fort de la recherche, le destin du HEF se confond avec le tristement célèbre Allen Memorial Institute de l'université McGill, théâtre des expériences concomitantes de lavage de cerveau menées à Montréal dans le cadre d'un autre projet de la CIA sur l'esprit: MKULTRA. Avec des résultats respectables.
Dans les laboratoires du HEF, qui coïncident souvent avec les cellules des institutions psychiatriques, les théories sur l'ingénierie sociale et la manipulation mentale ont été testées, poussées à l'extrême et dépassées. Des patients catatoniques ramenés à la normale. Des patients sains réduits à la catatonie. Expériences sur le bombardement psychologique, la résistance au stress, la guidance psychique, la modification du comportement. Tout cela au nom de la lutte contre le communisme.
Malgré les succès vantés par les neurologues et les psychologues de la HEF, la CIA ordonnera l'arrêt des travaux en 1965. Peut-être pour les fondre dans la marmite du MKULTRA. Ou peut-être pour poursuivre ses recherches dans le plus grand secret, sous le couvert de la fin des opérations.
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mardi, 20 juin 2023
Sidney Gottlieb, l'homme qui rêvait de contrôler l'esprit
Sidney Gottlieb, l'homme qui rêvait de contrôler l'esprit
Emanuel Pietrobon
Source: https://it.insideover.com/schede/storia/sidney-gottlieb-l-uomo-che-sognava-di-controllare-la-mente.html
Il est impossible de comprendre pleinement la recherche (militaire) la plus longue, la plus ambitieuse et la plus obscure jamais menée sur l'esprit humain, MKULTRA, qui inspire et guide la plume des écrivains et des scénaristes d'Hollywood et des environs depuis des décennies - pensez à Stranger Things -, sans écrire et parler des savants fous, parfois comiques, qui en ont fait partie.
Faire le portrait des visionnaires, et parfois des criminels, des psychiatres, des ingénieurs sociaux et des psychostratèges qui ont façonné l'art de la propagande, c'est-à-dire du lavage de cerveau, à leur image et à leur ressemblance, c'est illustrer leurs motivations profondes, interpréter leurs exploits et, par extension, plonger dans les méandres d'un thème qui ne cessera jamais d'être central: la manipulation de l'opinion publique.
Tout comme raconter Edward Bernays, c'est comprendre le pouvoir et le potentiel de l'ingénierie sociale en temps de paix et de guerre, dans des contextes publicitaires et sur des théâtres d'opérations secrètes - comme le Guatemala de Jacobo Árbenz Guzmán -, se plonger dans la figure du plus anonyme Sidney Gottlieb revient à retracer l'histoire, et les horreurs, du MKULTRA.
Une passion pour la vivisection de l'esprit
Sidney Gottlieb est né dans le Bronx le 3 août 1918. Fils de deux immigrés hongrois de confession juive, Gottlieb est un enfant prodige passionné par le corps humain et la nature, dont il veut étudier le fonctionnement et la manière dont ils interagissent et s'influencent mutuellement.
Après avoir suivi des cours spécialisés à l'université Arkansas Tech, il s'inscrit à l'université du Wisconsin. Dans cette dernière, il entre dans les bonnes grâces d'Ira Baldwin, professeur et conseiller officieux du gouvernement fédéral en bactériologie, dont la recommandation lui permet d'entrer au California Institute of Technology.
En 1943, en moins d'une décennie à l'université, Gottlieb est titulaire d'une maîtrise et d'un doctorat, tous deux décernés avec distinction, et a fréquenté trois universités avec d'excellentes notes. Un cursus précieux, construit à partir de rien, qui reflète son intelligence hors du commun et ses multiples facettes, allant de la botanique à l'agriculture et de la bactériologie à la psychologie. Un cursus qui lui ouvrira toutes grandes les portes de la Central Intelligence Agency.
Dans les programmes de la CIA
Les recherches et les intérêts personnels de Gottlieb, en particulier les effets des champignons, des alcaloïdes et des hallucinogènes sur l'esprit, le conduiront en quelques années du ministère de l'Agriculture à la CIA. C'est dans cette dernière, en pleine révolution impulsée par Dulles, qu'il entrera en 1951 grâce à la recommandation de son mentor, Baldwin.
Au début des années 1950, à l'aube de la guerre froide, l'ancien étudiant et l'ancien professeur travailleront côte à côte au développement de programmes militaires pionniers et en partie complémentaires : bactériologiques, biologiques, chimiques, psychologiques et psycho-chimiques. Baldwin serait resté à Fort Detrick, car il s'était spécialisé dans les bio-guerres, tandis que Gottlieb se serait vu confier l'honneur d'ouvrir la voie à la recherche sur l'esprit, poussé par l'afflux de scientifiques nazis sauvés lors de l'opération Paperclip - tels que Kurt Plötner.
C'est l'époque de la peur des rouges, du maccarthysme, du procès d'Hollywood, de la paranoïa anticommuniste qui règne dans les salles de contrôle, et la CIA, inspirée par les sommités nazies venues dans les fourgons de l'Opération Paperclip, croit avoir trouvé la solution pour imperméabiliser la société américaine, la rendre insensible à l'appel de la faucille et du marteau : le contrôle des esprits.
Gottlieb a été intégré au projet BLUEBIRD, mis en place pour expérimenter de nouvelles techniques d'interrogatoire et de manipulation comportementale sur des prisonniers. Bientôt, sur ordre de Dulles, il sera élargi, tant en termes de dépenses que d'objectifs, et prendra le nom d'Artichaut.
Grâce à la relation d'amitié et d'estime nouée avec Dulles, Gottlieb aura carte blanche au sein des programmes mentaux: reprise des recherches sur le mythologique sérum de vérité - datant de l'époque de l'OSS (l'ancêtre de la CIA), mais abandonnées en raison de leur contre-productivité -, expériences psychologiques, expériences sur la marijuana, la cocaïne, l'héroïne, la mescaline, le LSD.
Gottlieb, un enquêteur hétérodoxe, avait l'habitude de tester sur lui-même ses propres infusions neuro-stupéfiantes. C'est en testant le diéthylamide de l'acide lysergique, vulgairement appelé LSD, que Gottlieb a découvert son potentiel d'amplification (et de manipulation) sensorielle, ouvrant ainsi la voie à son autorisation dans les programmes militaires et au développement d'armes biologiques à base de psychédéliques à Fort Detrick.
L'avènement du MKULTRA
En 1953, après avoir convaincu son ami et collègue Dulles, Gottlieb a assisté à la naissance d'un nouveau programme de recherche, beaucoup plus substantiel, étendu et ambitieux que ses prédécesseurs, à savoir le MKULTRA. Il s'agit d'un programme gigantesque, conçu dans le but d'infiltrer la sphère émergente de la "guerre des cerveaux" - selon l'expression de Dulles -, impliquant des milliers de scientifiques, divisé en une série de sous-projets et mis en œuvre à l'échelle internationale.
Certains des psychiatres et scientifiques les plus controversés de l'époque ont été intégrés au programme, sur la recommandation de Gottlieb, tels que Donald Ewen Cameron - précurseur de la conduite psychique -, Harris Isbell et Frank Olson. Ce dernier, un bactériologiste appelé directement de Fort Detrick, serait mort dans des circonstances mystérieuses quelque temps après avoir été engagé. Mort par suicide, officiellement. Suicide, parce qu'il était bouleversé par les recherches inhumaines du programme, pour les plus sceptiques.
En 1955, après seulement deux ans d'existence, le MKULTRA était devenu le couvercle d'une marmite à l'intérieur de laquelle se trouvaient environ 150 sous-projets, allant du contrôle mental aux armes biologiques, la plupart d'entre eux étant menés à l'étranger, entre le Canada et l'Amérique latine.
L'armée secrète du MKULTRA étudiait tout ce qui promettait de donner des résultats : composés organiques, drogues, hypnose, médias, objets divers, plantes. Gottlieb, conformément à sa formation chimico-botanique, travaillera simultanément sur deux types de projets : le contrôle de l'esprit et les armes chimiques. Grâce à son esprit hors du commun, des armes dignes du cinéma sortiront des laboratoires de MKULTRA: des stylos-plumes remplis de poison, des obus remplis d'explosifs et même, semble-t-il, des "candidats mandchous", c'est-à-dire des hommes transformés en automates programmés pour tuer sur commande.
Intouchable
En 1973, après une vie consacrée à l'étude de l'esprit humain, Gottlieb se retire dans un village reculé de Virginie, Culpeper, pour se consacrer à l'agriculture, à l'élevage, aux voyages et à des œuvres caritatives, notamment la gestion d'un lazaret en Inde.
Gottlieb continuera à recevoir la visite d'anciens collègues, à écouter les mises à jour des programmes mentaux et à prodiguer des conseils. Après une brève apparition devant la Commission ecclésiastique en tant que témoin, sous le pseudonyme de Joseph Schneider, Gottlieb disparaît finalement des feux de la rampe, qui n'ont pourtant jamais souvent été braqués sur lui.
Il meurt le 7 mars 1999, dans des circonstances inexpliquées - une possible crise cardiaque, ni confirmée ni démentie par son épouse -, dans l'indifférence de la grande presse et oublié par les juges qui avaient voulu punir les esprits et les bras du programme-scandale MKULTRA.
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dimanche, 18 juin 2023
Le moine britannique Pélage et le druidisme
Le moine britannique Pélage et le druidisme
Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2023/06/la-doctrina-del-monje-y-teologo.html
Au début du 5ème siècle, le moine et théologien britannique Pélage a remis en question la doctrine promulguée par saint Augustin d'Hippone, selon laquelle les êtres humains étaient si incorrigiblement enlisés dans l'iniquité qu'ils étaient incapables de se racheter, sauf par la grâce divine.
Pélage soutenait qu'une telle dépendance ne faisait qu'exonérer les êtres humains de toute responsabilité pour leurs actions, puisque le fait d'être bon ou mauvais dépendait entièrement de l'octroi ou du refus d'une grâce sur laquelle ils n'avaient aucun contrôle.
Dans ces conditions, la conduite n'a aucune importance, et c'est pourquoi, selon lui, une morale relâchée s'est imposée même au sein de l'Église.
Si Pélage n'aurait guère admis une ligne de pensée proche de celle des druides, il se rapproche de leurs enseignements en ce qui concerne l'idée que l'être humain est responsable de ses actes. Cela nous rappelle la réponse de Cailte à saint Patrick lorsque celui-ci lui demande ce qui le fait vivre : "La vérité qui était dans nos cœurs, la force de nos bras et le contentement de nos langues".
La critique de la doctrine orthodoxe par Pélage témoigne qu'une certaine agitation intellectuelle secouait à l'époque la chrétienté britannique et qu'un désir l'animait pour faire en sorte que ses enseignements reflètent davantage le tempérament national.
Un commentateur français et catholique du 20ème siècle, Dom Louis Gougaud, a même qualifié le pélagianisme d'"hérésie nationale des Britanniques". C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles Pélage a trouvé tant de partisans dans son pays d'origine.
Son point de vue représentait un compromis acceptable entre l'ancien et le nouveau credo, et une leçon peut être tirée du succès de Pélage : les enseignements de l'Église ne seront pas acceptés tant qu'ils continueront à s'identifier à certains aspects de la domination romaine. C'est en Écosse et en Irlande que Pélage a connu ses plus grands succès. Dès la seconde moitié du 2ème siècle, Tertullien de Carthage écrivait que "des parties de la Grande-Bretagne inaccessibles aux Romains ont été conquises pour le Christ".
Les missionnaires sont arrivés dans une société où les druides pratiquaient encore. Bien que nous ne sachions pas exactement quels changements avaient eu lieu dans le druidisme à cette époque ni quels pouvoirs avaient été conservés par les responsables de cette caste sacerdotale celtique, il semble que les missionnaires aient fait preuve d'un grand respect à leur égard. Certains missionnaires, même si leur travail était de nature christianisante, ont adopté certaines pratiques druidiques.
Ils les ont probablement imitées en matière vestimentaire. Peut-être aussi dans leur façon de prier, car alors que les orthodoxes priaient à genoux, les mains croisées, les membres de l'Église gallicane ou celto-franque priaient debout, les mains levées, un geste dont Tacite nous dit qu'il était caractéristique des druides de Môn.
Peut-être les missionnaires ont-ils même imité la tonsure druidique. Au 6ème siècle, ce fut une pomme de discorde entre l'Église romaine et l'Église gallicane en Gaule devenue "France". Les moines de la première avaient adopté la tonsure dite "de Saint-Pierre", qui reproduisait la couronne chauve du saint. Les Gallicans, quant à eux, rasaient une bande de cheveux d'une oreille à l'autre, en commençant par le sommet de la tête et en laissant pousser les cheveux à partir de là.
Selon un ancien manuscrit irlandais, les druides se coiffaient de la même manière, en laissant une seule mèche de cheveux sur leur front. Il est intéressant de noter que l'Église catholique a condamné ce type de tonsure, l'appelant la "tonsure de Simon Magus (ou de Simon le Magicien)".
Simon le Magicien a été dénoncé dans les Actes des Apôtres pour avoir tenté de soudoyer Pierre et Jean afin qu'ils révèlent le secret de la transmission du Saint-Esprit par l'imposition des mains. Presque toutes les pratiques présentant des signes de magie ou de chamanisme - pratiques qui pourraient à juste titre être attribuées au druidisme - ont été reliées par l'Église à Simon le Magicien.
Il n'est pas rare que les missionnaires imitent les coutumes des peuples qu'ils souhaitent convertir à leur foi.
Ward Rutherford : LE MYSTÈRE DES DRUIDES
19:28 Publié dans Histoire, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, traditions, druidisme, pélage, monachisme, christianisme celtique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 14 juin 2023
Henry Murray, la CIA et la connexion de Harvard derrière la naissance de l'Unabomber
Henry Murray, la CIA et la connexion de Harvard derrière la naissance de l'Unabomber
Emanuel Pietrobon
Source: https://it.insideover.com/schede/storia/henry-murray-la-cia-e-l-harvard-connection-dietro-la-nascita-di-unabomber.html
Beaucoup de choses ont été écrites et dites sur le projet MKULTRA, muse d'Hollywood et star de la conspiration. On a découvert qu'il visait à créer des candidats dits "mandchous", c'est-à-dire des assassins sur commande, sous l'influence de certaines théories élaborées à l'époque de l'Allemagne nazie sur la manipulation mentale. Et il s'est avéré que certaines des plus éminentes sommités de la psychologie de l'après-guerre y ont travaillé, éblouies par l'idée de pouvoir tester n'importe quelle théorie, même la plus extrême, sur des cobayes qui ne parleraient jamais.
On sait également que MKULTRA a jeté les bases d'une amélioration extraordinaire des tactiques et techniques de manipulation de la pensée et du comportement qui existaient alors, ouvrant ainsi la voie à l'ère de la guerre cognitive.
Parmi les cobayes sans méfiance de l'enquête la plus ambitieuse de l'histoire sur le fonctionnement de l'esprit humain, MKULTRA, se trouvaient de futurs criminels. Des gens comme le meurtrier en série Charles Manson (photo, ci-dessus), le chef de la mafia James Bulger et le terroriste Theodore Kaczynski, connu sous le nom d'Unabomber. Des personnes qui, peut-être, auraient suivi un chemin différent si leur psychisme n'avait pas été endommagé par les expériences auxquelles elles ont participé.
Écrire sur la LSD Connection concernant Kaczynski, le génie des mathématiques devenu terroriste anti-système, revient à évoquer l'éclectique Henry Murray, psychologue acclamé de Harvard et fondateur de la personnologie.
Le génie de la psychologie
Theodore Kaczynski, également connu sous le nom de Unabomber, n'a pas toujours été un ermite misanthrope aux pulsions meurtrières et aux ambitions terroristes. C'était une personne bizarre et éclectique - comme tout génie - mais absolument paisible au début de sa vie. Du moins jusqu'à ce qu'il entre à l'université de Harvard et devienne le cobaye d'une étude sur la modification du comportement parrainée par la CIA, dirigée par Henry Murray et supervisée à distance par Sidney Gottlieb.
Et si Kaczynski (photo ci-dessus, étudiant), l'enfant prodige doté d'un des QI les plus élevés jamais mesurés et devenu inexplicablement un misanthrope multirécidiviste, était un produit du MKULTRA ? Combien de "bombes humaines à retardement" la CIA a-t-elle créées ? Combien ont explosé et combien attendent de le faire ? Des questions gênantes que le LA Times a posées en 1999 dans une étude approfondie sur les recherches de la CIA en matière de contrôle mental : We're Reaping Tragic Legacy from Drugs (Nous récoltons l'héritage tragique des drogues). Tenter de répondre à ces questions, toujours d'actualité, revient à raconter l'histoire des expériences de Murray.
Henry Alexander Murray est né à New York le 13 mai 1893. Issu d'une famille aisée, sa mère étant l'héritière du célèbre banquier Samuel Denison Babcock, Murray est le deuxième de trois enfants. Il devait également être le moins aimé des trois - telle était en tout cas sa perception de la relation entre ses parents et leur progéniture - d'où sa décision de consacrer sa vie à l'étude des besoins et des déterminants du comportement humain.
Aidé par les finances familiales, Murray peut se permettre de fréquenter les meilleures universités de l'époque : Harvard, Columbia et enfin Cambridge. Sa passion pour la psychanalyse l'amènera à étudier Carl Jung, de loin préféré à Sigmund Freud, et même à le rencontrer en Suisse.
En 1927, encore doctorant, Murray devient directeur adjoint de la clinique de psychologie de Harvard. Là, s'offre à lui l'occasion unique de mettre en pratique les notions qui lui ont été enseignées, la curiosité et le génie vont le guider dans la formulation de concepts nouveaux et pionniers, tels que l'apperception, le besoin latent et le besoin manifeste, le propulsant dans l'Olympe de la psychologie. Ce qui lui vaut d'être promu directeur en 1937.
1938 est l'année de la percée. Peu après avoir créé le Test d'Apperception Thématique, destiné à devenir le deuxième test de personnalité le plus utilisé au monde, Murray est sollicité par le gouvernement britannique pour fournir des services de conseil. Les théories comportementales révolutionnaires de Murray étaient à la fois une prémisse et une promesse de faciliter le travail d'ingénierie sociale, un autre domaine émergent à l'époque, et Londres voulait savoir si et comment ces théories pouvaient être mises au service de la politique. Le résultat et l'objet spécifique des conseils de Murray au gouvernement de Sa Majesté ne sont pas connus.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Murray quitte (temporairement) Harvard parce qu'il est appelé par l'Office of Strategic Services (OSS), l'ancêtre de la Central Intelligence Agency, pour effectuer des analyses et du profilage. Le travail le plus important du psychologue pour l'OSS sera Analysis of the Personality of Adolf Hitler, écrit en collaboration avec d'autres collègues, qui deviendra bientôt un jalon de la psychologie politique.
En 1947, fort de la notoriété acquise grâce à l'OSS, Murray retourne à Harvard en tant que chercheur en chef et y crée un nouveau laboratoire d'investigation psychologique. En 1962, il est nommé professeur émérite et reçoit la médaille d'or de l'American Psychological Foundation pour l'ensemble de sa carrière. En 1988, à l'âge avancé de 95 ans, il meurt d'une pneumonie.
À la recherche des mystères de l'esprit humain
On se souvient de Murray, entre autres, pour avoir théorisé le système des besoins et fondé un champ d'étude interdisciplinaire entièrement consacré à l'analyse et à l'étude des êtres humains et de leurs besoins: la personnologie.
La thèse cardinale de la personnologie est que la personnalité individuelle se développe de manière dynamique, progressive, en réponse aux stimuli et aux éléments typiques du milieu environnant. En somme, aucune personnalité ne serait jamais fabriquée et finie. Chaque arête peut être lissée. Chaque conviction peut tomber. Chaque trait de caractère peut être modifié. La personnologie, c'est croire que rien n'est inné et que tout est modifiable.
Murray était obsédé par l'idée de pouvoir modifier de façon permanente le comportement des individus. C'est pourquoi, en tant que père fondateur de la personnologie, il a élaboré des hypothèses clés destinées à permettre au chercheur en sciences sociales de modeler l'esprit du patient (ou cobaye) :
- L'organe directeur de la personnalité est le cerveau, c'est pourquoi il est essentiel d'agir sur lui pour modifier le comportement;
- Les gens prétendent vouloir une vie détendue, alors qu'en réalité ils sont constamment à la recherche d'excitation et d'activités passionnantes;
- La personnalité, étant progressive et dynamique, peut être modifiée à tout moment de la vie.
Harvard et ses centres de recherche clinique et psychologique, dirigés par Murray lui-même, deviendront les laboratoires où seront testées les thèses de la personnologie. Des thèses qui, intrinsèquement liées à des thèmes tels que le conditionnement comportemental, la manipulation mentale et le contrôle social, auraient rencontré l'intérêt d'une vieille connaissance de Murray: l'OSS, entre-temps démantelé et renaissant sous le nom de CIA.
Le "créateur" d'Unabomber ?
L'histoire de la connexion avec Harvard, qui a même fait l'objet de livres - comme Harvard and the Unabomber : The Education of an American Terrorist d'Alston Chase -, se déroule dans les laboratoires cliniques de la prestigieuse université entre 1959 et 1962. Les laboratoires en question étaient placés sous l'autorité de Murray, un homme qui jouissait de grandes libertés, et l'on ignore si le conseil d'administration de Harvard était au courant de ce qui s'y passait.
Murray sélectionne vingt-deux étudiants, dont le prodige Theodore Kaczynski, et les persuade de se soumettre à des expériences sur la résistance au stress extrême. Violence verbale. Attaques contre l'estime de soi. Invectives contre les idées et les croyances. Tout est permis pour tester la validité de la personnologie. Tout, y compris l'administration de drogues psychédéliques à de jeunes cobayes - une raison, cette dernière, qui a incité ceux qui ont enquêté sur les expériences de Murray à établir un lien avec le projet MKultra, alors en cours.
Kaczynski, surnommé "lawful" par Murray, c'est-à-dire le "respectueux de la loi", devient rapidement le principal sujet des expériences du professeur excentrique. En raison de son intelligence hors du commun - un QI de 167. Et pour sa nature soumise et introvertie. Le cobaye idéal.
C'est à Harvard que Kaczynski allait devenir l'Unabomber, telle est la conclusion d'une étude de psychiatrie légale du Bureau américain des prisons datant de 1998. Harvard, l'endroit qui a aggravé et radicalisé la colère de Kaczynski à l'égard de sa famille et son mécontentement face aux injustices de la société. Harvard, lieu de développement des premières idées sur la révolution anti-technologique et des expériences du Dr Murray.
C'est à Harvard que se serait construite la personnalité d'Unabomber, thèse à laquelle adhère également le philosophe et psychanalyste Edoardo Toffoletto, sollicité pour donner son avis afin de mieux comprendre les mécanismes de la déviance comportementale et le réalisme des techniques de manipulation mentale. Selon Toffoletto, "Kaczynski était encore adolescent, en pleine formation culturelle, lorsqu'il est arrivé à Harvard" et "cela explique sa suggestibilité, c'est-à-dire la prépondérance de son surmoi, amplifiée par sa biographie - une vie en perpétuelle ostracisation, due à l'hypertrophie intellectuelle entretenue par son père".
Kaczynski était une personne très intelligente mais émotionnellement fragile, qui, en adhérant volontairement aux expériences inhumaines de Murray, a vu "une opportunité de reconnaissance et d'inclusion". Les traumatismes du passé et certaines opinions politiques seraient "exacerbés par le stress psychique des expériences", transformant "l'attrait pour la science" en une "construction paranoïaque à éliminer au nom du bien de Mère Nature".
Au fil des expériences, entre interrogatoires et consommation de drogues, le jeune mathématicien au physique chétif et négligé commence à se transformer inconsciemment en futur Unabomber. Des notes visant à formuler une théorie pour expliquer les origines de son mal-être chronique. Des réflexions, de plus en plus fréquentes, sur la façon dont "la technologie et la science détruisent la liberté et la nature". Et la haine, tant de haine, envers "le système, dont Harvard faisait partie, qui servait la technologie [...] et cherchait à transformer les hommes en automates".
Murray et la Central Intelligence Agency ne pouvaient pas le savoir, mais entre 1959 et 1962, en tentant de percer les arcanes de l'esprit humain, ils allaient construire par inadvertance une bombe à retardement qui exploserait violemment quelques décennies plus tard, faisant trois morts et vingt-trois blessés.
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samedi, 10 juin 2023
De Gaulle face au Kali-Yuga français
De Gaulle face au Kali-Yuga français
par Nicolas Bonnal
« La France et le monde sont dans une situation où il n'y a plus rien à faire; je ne souhaite pas que le référendum réussisse »: le Général de Gaulle face au Kali-Yuga français
J’ai évoqué la chute de la France sous la présidence de de Gaulle: pour un Québec libre d’ailleurs peu suivi d’effet, il a fallu se payer l’industrialisation, la pollution, l’immigration, mai 68, la contestation sociale, le noyautage culturel marxiste (cf. Eric Zemmour sur le rôle sinistre de Malraux), le pays de Cocagne de Pierre Etaix et le Play-Time de Tati, sans oublier l’Alphaville de Godard.
On y créa le froncé abruti, tétanisé, hébété, qui a rompu avec tous les modèles antérieurs et était prêt pour la goberge télé et bagnole. Je vais écrire et publier un livre sur ce thème : la disparition de la France au cinéma. Car de Farrebique ou de Jean Devaivre (découvrez par exemple l’admirable Alerte au Sud sur notre chevalerie coloniale, notre épopée saharienne) aux Valseuses et à Mortelle randonnée, on s’est bien effondré.
Le pire est que le Général, porté aux nues par des politiciens d’extrême-droite (la smalah MLP-Zemmour) qu’il aurait fait fusiller en 44, en est parfaitement conscient. On le sait, le vénérable et pathétique-amusant Debré père qui est lui-même encore plus traumatisé par ce que devient et va devenir la France au cours des années : marxisation culturelle via Malraux (voir livre p. 145), inflation et taux d’intérêt à 15% (livre p. 151), relâchement moral et spirituel (et même militaire: on n’a pas plus d’empire comme me le rappela mon ami historien de Sparte Nicolas Richer), effondrement du christianisme, Debré et de Gaulle sont conscients de tout. L’Histoire de France est terminée et cela va se sentir.
Dans ses Entretiens avec le général, publiés par mon éditeur Albin Michel (moi mon dada c’était Mitterrand, et je ne le regrette pas, j’en reparlerai un jour de Mitterrand), Debré écrit donc (p. 57-58) :
« J’évoque ces forces violentes qui désirent tant l’intégration de la France dans l'Europe, c'est-à-dire en fin de compte la fin de la France, et je crains aussi que les divisions de l'Occident et l'incapacité américaine ne conduisent notre civilisation au déclin décisif. Je parle d'abord des forces qui poussent à l'intégration européenne: tous ceux qui sont hostiles à l'Etat, tous ceux qui ne comprennent pas la nécessité d'une pensée et d'une action indépendantes, se précipitent vers la supranationalité parce qu'ils savent, au fond d'eux-mêmes, que la supranationalité, c'est le protectorat américain ».
On a parfaitement compris donc pourquoi Asselineau et Philippot qui sautent comme des cabris au nom du Général font 1% des voix. La masse veut la supranationalité et sans rire le protectorat américain avec ses armes qui ont cinquante ans de retard.
Dans le livre de Debré d’ailleurs le Général paraît souvent triste, distrait, impuissant (idem pour son fils avec qui j’ai eu l’honneur de discuter aux jardins du Ranelagh si chers à mon maître et ami Parvulesco) ; il est en position non de gourou mais de disciple anxieux et sans maître – comprendre ce que la France devient à cette époque, il faut l’oser en effet, pas vrai ? -
« Le général de Gaulle m'interrompt pour me demander si je crois possible de résister à ces forces. « Il n’y a que vous et moi qui pensons à l’Indépendance de la France.» Je lui réponds que nous devons être, en réalité, plus que deux et j’ajoute qu’il y aura tellement de déceptions à la suite de cette politique d'intégration qu'il ne faut pas douter d'être dans la vérité en expliquant qu'il faut faire l'Europe par l'association des Etats et non par la disparition des nations, à commencer par la disparition de la France. »
Malheureusement les réponses sont et seront matérielles et matérialistes (Pompidou-Giscard – deux traîtres –, immobilier et nucléaire) :
« Que faire pour encourager ce mouvement ?» me dit-il. Je lui expose que les chemins sont clairs pour maintenir aux Français et à la France la volonté de demeurer une nation. Il faut poursuivre notre effort de modernisation industrielle. Il faut poursuivre notre volonté d'être une puissance militaire atomique et il faut aussi ne pas chercher à nous dégager de nos responsabilités africaines. Je lui expose que ses réticences à l'égard des réunions des chefs d’Etat africains d'expression française, réunions qui pourraient avoir lieu autour de lui, aboutissent à couper des liens qui pourraient être renforcés. »
Le grand projet gaulliste est un leurre auquel Kerillis avait très bien tordu le cou.
De Gaulle échoue – mais il en ressort qu’on ne pouvait qu’échouer. Je confirme !
Sur le referendum – sa porte de sortie comme on sait – nous sommes clairement entendus :
«J'expose au Général que le but de ma visite est de préciser les conditions qui peuvent permettre le succès, du référendum. Interruption du Général: «Je ne souhaite pas que le référendum réussisse. La France et le monde sont dans une situation où il n'y a plus rien à faire et en face des appétits, des aspirations, en face du fait que toutes les sociétés se contestent elles-mêmes, rien ne peut être fait, pas plus qu'on ne pouvait faire quelque chose contre la rupture du barrage de Fréjus. Il n'y aura bientôt plus de gouvernement anglais; le gouvernement allemand est impuissant ; le gouvernement italien sera difficile à faire; même le président des Etats-Unis ne sera bientôt plus qu'un personnage pour la parade. Le monde entier est comme un fleuve qui ne veut pas rencontrer d'obstacle ni même se tenir entre des môles. Je n'ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m'en aille et, pour m'en aller, je n'ai pas d'autre formule que de faire le peuple français juge lui-même de son destin (p.112). »
On répète parce que c’est merveilleux :
« Je n'ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m'en aille et, pour m'en aller, je n'ai pas d'autre formule que de faire le peuple français juge lui-même de son destin. »
Vive Pompidou, Beaubourg, Michel Sardou, la loi Veil et Emmanuelle..
C’est qu’il n’y a plus de religion. Debré ajoute ces lignes stupéfiantes :
« Le Général redit son analyse. Ce qui paraît le frapper le plus c'est le fait que les sociétés elles-mêmes se contestent et qu’elles n'acceptent plus de règles, qu’il s’agisse de l'Eglise, de l'Université, et qu'il subsiste uniquement le monde des affaires, dans la mesure où le monde des affaires permet de gagner de l'argent et d'avoir des revenus. Mais sinon il n'y a plus rien (p. 122). »
C’est le Kali Yuga, donc on ne peut rien faire – à part se remplir les poches, en bon vaishya. On peut se demander quand même pourquoi la masse des couillons ne réagit plus. C’est ce que fait le Général :
«Le Général m'interrompt pour me dire, à la suite des exemples que je lui donne : « Comment se fait-il que les chefs d'établissement ou les recteurs n'interviennent pas? ». Je rappelle au Général ce que je disais tout à l'heure. L'autorité n'existe plus de par la volonté délibérée du ministère de l'Education nationale et j'ajoute en outre que, pour ce qui concerne les activités socio-éducatives, les chefs d'établissement ont des instructions formelles de ne point intervenir. Je regrette d'autant plus cette abdication et cette complicité que l'on sent les prodromes d'une réaction. Le corps enseignant, même dans ses éléments gauchisants, ne comprend plus cette anarchie et s'émeut de ses conséquences».
Et puis de Gaulle comprend ensuite que la famille disparait, qu’elle n’est plus la structure unifiant la société chrétienne – puisqu’il n’y a plus de société chrétienne:
Le Général me dit: "Comment se fait-il que les familles ne réagissent pas?".
La vie familiale aujourd'hui n'est plus celle d'hier. L'évolution fait que l’État, le corps enseignant ont pris une responsabilité de plus en plus grande à l'égard des enfants. C'est là une situation à laquelle les familles se sont peut-être trop facilement habituées. Au surplus les réactions des parents se dispersent dans toute une série de directions : le programme, les examens, le comportement des professeurs, et, de ce fait, quand elles s'orientent contre certaines dégradations de l'enseignement, n'ont pas la même force (p. 174). »
La famille, seul Etat qui crée et aime ses citoyens (Chesterton), va disparaître.
C’est là que je cesse toute critique à son encontre (ce qui m’énerve, c’est son culte). Il fallait passer le témoin à un Giscard et aux soixante-huitards. La France moderniste, progressiste et républicaine voulait son Kali-Yuga.
A ce propos et grâce aux talents de Tetyana j’ai scanné la page de Daniélou sur cette question transcendantale:
«C'est armé de ce bagage que j'ai commencé à reprendre contact avec l'Europe qui m'est apparue comme une région malade, atteinte d'une sorte de cancer qui fait que certaines cellules se développent de façon incontrôlée et contaminent peu à peu les autres. Ce développement a forcément une limite. L'espace vital est de plus en plus réduit pour chacun dans ces énormes termitières qui recouvrent peu à peu les campagnes et les forêts. Certains aspects de la vie prennent une place démesurée par rapport à d'autres, créant un profond déséquilibre. La recherche de la prospérité étouffe celle de la sagesse et du bonheur de vivre. Je me suis interrogé sur les raisons qui rendaient les Occidentaux modernes si agités et en somme assez rarement heureux. »
Daniélou prévoit même l’autodestruction européenne que nous vivons – et qui promet d’être inévitable et épouvantable, tant la masse zombie de la société de consommation se laisse faire:
«Les Aryens dont sont issus la plupart des peuples qui ont dominé l'Europe, les Achéens, les Doriens, les Celtes, les Romains, les Germains, les Russes, sont des peuples de prédateurs. Ayant récemment envahi une grande partie de la planète, peuplé les Amériques et l'Australie, imposé leurs langues à l'Afrique et parfois même à l'Asie, ils ont atteint une limite et leur force d'expansion se retourne contre eux-mêmes. Il semble peu probable qu'ils arrivent à se contrôler. C'est un vaste problème d'histoire. Lorsque l'équilibre naturel est rompu, certaines espèces animales tendent à se multiplier jusqu'au point où elles se détruisent elles-mêmes…».
De Gaulle et la vocation de la France ont disparu dans les années soixante (mon enfance) comme le christianisme. On demande à Bruckberger de compléter (voyez mes textes). Il cite Lévi-Strauss dans une interview inouïe. Prince de la science humaine, le vieux savant juif devenu marginal génial répond courageusement à une stupide interview catho :
« Je vous dirai que ce qui se passe dans l'Eglise depuis le dernier concile me trouble. Il me semble vu de l'extérieur, que l'on appauvrit ou que l'on dépouille la foi religieuse (ou son exercice) d'une très grande partie des valeurs propres à toucher la sensibilité, qui n'est pas moins importante que la raison. LE JOURNALISTE. - Par exemple ?
LÉVI-STRAUSS. C'est vraiment l'appauvrissement du rituel qui me frappe. Un ethnologue a toujours le plus grand respect pour le rituel. Et un respect d'autant plus grand que ce rituel plonge ses racines dans lointain passé. Il y verra le moyen de rendre immédiatement perceptibles un certain nombre de valeurs qui moins toucheraient directement l’âme si l'on s'efforçait de les faire pénétrer par des moyens uniquement rationnels, Louis XIV dit, dans son testament, en de s'efforçant justifier le cérémonial de la Cour, des choses assez profondes: qu'on ne peut pas demander à tout le monde d'aller au fond des choses. Il faut qu'il y ait des expressions sensibles qui ne passent pas par le biais de la connaissance discursive".
Le journaliste: Vous pensez que l’affadissement du rituel d’un groupe social est le signe d'une crise de son système des valeurs ?
- J'entends bien que tout rituel doit évoluer. Une société religieusement vivante serait une société capable d'enrichir son rituel. Mais les tentatives de renouvellement du moins ce que j'en vois quand j'assiste à des messes d'enterrement ou de mariage ne paraissent pas très convaincantes.»
Et le courageux Bruckberger, disciple de Bernanos, de conclure :
« On ne peut dire plus clairement, ni avec plus de prudence et de gentillesse, qu'en France, la réforme liturgique issue du dernier concile est un fiasco. Un grand savant agnostique s'en dit troublé. Nos évêques, eux, n'en sont nullement troublés: même si elle devait entraîner la mort du patient, ils nous forceraient à tenir la bouche ouverte jusqu'à ce que toute la potion soit avalée. Un grand savant explique ce qu'Aristote nous avait appris depuis longtemps: qu'il n'est rien dans l'intelligence qui ne soit d’abord tombé sous le sens et que tout ce qui touche la sensibilité, surtout si ça vient de loin, doit être modifié avec la plus grande prudence».
Flanqué de tels esprits le Général ne pouvait qu’exhaler cette grandeur triste (pensez au mage Taliesin) que j’ai retrouvée dans les traits de son fils – honoré par une lettre de Vladimir Poutine hors de son centenaire (les démons doivent en trembler encore), quand je parlais avec lui aux jardins du Ranelagh.
A nous d’en finir maintenant avec les démons déchaînés de l’enfer et de la médiocrité.
Sources :
https://www.amazon.fr/Pourquoi-Gaulle-adorait-Russie-anti...
https://www.amazon.fr/Chroniques-sur-lHistoire-Nicolas-Bo...
https://nicolasbonnal.wordpress.com/2023/05/04/le-reveren...
https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/09/09/lecons-liber...
https://nicolasbonnal.wordpress.com/2022/12/25/joyeuse-mo...
Daniélou – Le Chemin du Labyrinthe (Rocher)
Debré – Entretiens avec le général de Gaulle – Albin Michel
R.P. Bruckberger – Lettre ouverte à Jean-Paul II (Stock)
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mercredi, 07 juin 2023
Un rebelle européen aux racines russes
Un rebelle européen aux racines russes
Yana Panina
L'anarchisme classique à travers les yeux du radical russe Mikhaïl Bakounine
L'histoire du véritable anarchisme avec un arrière-plan russe est étroitement liée à la personnalité de Mikhaïl Bakounine, dont la contribution au destin du monde entier s'est avérée colossale. Véritablement russe, éduqué à la philosophie européenne, son objectif principal était de créer un monde où tous les hommes seraient égaux et libres, et où la vie ne serait pas mesurée par l'épaisseur de la bourse ou la hauteur du piédestal social. Les idées utopiques de Bakounine allaient à l'encontre des pensées de Marx, pour qui le radical n'était soudain plus que "ce gros Russe". Qui était-il donc et sa philosophie est-elle encore vivante aujourd'hui ?
Conditions préalables à la formation de l'anarchisme de Bakounine
Mikhaïl Bakounine a "hérité" des idées de liberté et d'égalité de son éducation au sein d'une famille nombreuse et très conviviale. Une petite communauté de 11 enfants, égaux en termes de conditions et de relations, formait une sorte de commune, où chacun grandissait spirituellement et développait sa propre "personnalité" : "... je veux dire une liberté digne de ce nom, une liberté offrant une pleine possibilité de développer toutes les capacités, intellectuelles et morales, cachées en chaque homme...", décrira plus tard Bakounine.
Mikhaïl Alexandrovitch n'était pas le seul représentant de la "nouvelle pensée révolutionnaire". Sa cousine, Catherine, n'était pas en reste. Selon ses souvenirs, dans sa jeunesse, la jeune fille était plutôt une "jeune fille innocente", mais à l'âge adulte, elle est devenue résolue et forte, une véritable manifestation de l'homme libre, comme Bakounine lui-même l'entendait. À force de persévérance, Catherine réussit à se faire engager comme sœur de miséricorde dans la ville assiégée de Sébastopol pendant la guerre de Crimée. "Je devais résister par tous les moyens et avec toute mon habileté au mal que divers fonctionnaires, fournisseurs, etc. infligeaient à nos malades dans les hôpitaux ; et je considérais que c'était mon devoir sacré de lutter et de résister", a déclaré plus tard Catherine pour décrire son véritable objectif. Son esprit rebelle de résistance à la bureaucratie, sa fermeté et sa persévérance ne sont pas passés inaperçus aux yeux de Nikolaï Pirogov : "Chaque jour et chaque nuit, on pouvait la trouver dans la salle d'opération, assistant aux opérations, alors que des bombes et des missiles traînaient autour d'elle. Elle faisait preuve d'une présence d'esprit difficilement compatible avec la nature d'une femme". Qu'est-ce que cela signifie ? Que Bakounine lui-même, mais aussi tous les membres de sa famille, n'étaient pas seulement de fortes personnalités, mais aussi des personnes qui n'avaient pas peur de s'affirmer, des personnes qui aimaient la liberté et la vérité. L'éducation et l'environnement ont beaucoup influencé le futur anarchiste et révolutionnaire.
Les idées de Mikhaïl Bakounine ont également été fortement influencées par l'esprit révolutionnaire de la Russie dans laquelle il est né et a grandi. Le petit Misha a connu le soulèvement de décembre 1925 à l'âge de onze ans. La société a alors l'espoir d'un changement sérieux de l'État, une grande partie de l'aristocratie russe y voit le véritable salut du pays. Divers cercles se forment, auxquels adhèrent de nombreuses personnalités des arts et des sciences et des membres influents de la noblesse russe. En 1835, après avoir été renvoyé d'une école d'officiers et avoir effectué un service militaire insipide, Bakounine s'est retrouvé dans l'un de ces cercles. C'est le manque de liberté de pensée et d'action, ainsi que la discipline rigide et les règles strictes pendant le service militaire qui, selon certains chercheurs, l'ont amené à penser que l'anarchisme était l'avenir de la Russie et, plus tard, de toute l'Europe.
Installé à Moscou, le jeune penseur se fait de nombreuses connaissances : Stankevitch, Pouchkine, Tchaadaïev, Belinsky, Botkine, Katkov, Granovsky, Herzen, Ogarev, pour ne citer que quelques-uns des membres du cercle social de Bakounine. C'est sous l'influence de Stankevitch que Mikhail Aleksandrovitch approfondit l'étude de la philosophie allemande : il commence à s'intéresser aux idées de Kant et de Fichte. Mais ce qui est vraiment intéressant, c'est que le futur anarchiste est à cette époque convaincu que l'amour de Dieu donne à l'homme la liberté, l'épanouissement personnel et l'indépendance.
À la fin des années 1830, Bakounine est fasciné par les écrits de Hegel qui, selon lui, lui insuffle "une vie complètement nouvelle". Sur la base des doctrines du philosophe allemand, Michael publie un certain nombre de ses travaux sur l'esprit, la connaissance absolue, la réalité et la volonté de Dieu, etc. Inspiré par les enseignements de Hegel, Bakounine s'installe à Berlin en 1840 pour y recevoir une bonne éducation à l'allemande, mais il se désintéresse rapidement de la philosophie théorique et devient un véritable praticien de l'anarchisme, rejoignant les cercles des réformateurs européens, déplaçant "vers la gauche" ses opinions politiques.
Dès 1942, il publie un article intitulé "De la réaction en Allemagne", qui commence à refléter explicitement les idées de l'anarchisme auxquelles il restera fidèle pendant très longtemps: l'égalité sociale et les principes de liberté ne peuvent être atteints que par la destruction complète du modèle d'État politique existant. L'année suivante, Bakounine s'imprègne des idées communistes et publie un article dans lequel il affirme que "le communisme n'est pas une ombre sans vie. Il est né du peuple, et du peuple, une ombre ne peut jamais naître". Les idées plutôt radicales et critiques du "réformateur" ne sont pas du goût des autorités russes et Mikhaïl Bakounine devient littéralement un ennemi public dans son pays, si bien qu'un retour en Russie ne semble plus possible.
Au milieu des années 1840, l'anarchiste rencontre des théoriciens communistes, dont Marx. Ils deviendront bientôt des ennemis jurés pour toujours, mais nous y reviendrons plus tard.
Le rebelle en liberté : le rôle de Mikhaïl Bakounine dans les révolutions européennes de 1848-1849
Mikhaïl Aleksandrovitch a également joué un rôle majeur dans les soulèvements de libération en Pologne. C'est là qu'ont émergé ses idées de panslavisme - l'unification de tous les peuples slaves en une seule fédération. Selon Bakounine, pour construire un monde nouveau et libre, pour une pleine justice politique et sociale, il est nécessaire de couper les systèmes existants avec les racines, de tout détruire jusqu'au sol. Il pensait que grâce aux efforts conjoints des Slaves de l'Ouest et du Sud, il était possible de réaliser un changement en Russie: se libérer du "joug allemand" en renversant les dirigeants qui étaient les principaux ennemis du peuple slave.
L'esprit de rébellion du maître russe des destinées de l'État a trouvé une application, non seulement dans les mots, mais aussi dans les actes. Bakounine attendait avec impatience la vague révolutionnaire en Europe, et il l'a finalement connue. En 1848, il participe activement à ce que l'on appelle le "printemps des nations", qui touche la France, l'Allemagne, la Pologne et d'autres pays. Le radicalisme de Mikhaïl Alexandrovitch a eu l'occasion de se manifester à Dresde. Le destin a voulu que ce noble russe, qui avait l'expérience du service militaire, se retrouve dans une ville saisie par un gouvernement provisoire. La légende veut qu'on lui ait demandé d'aider à organiser la défense et à stimuler l'esprit révolutionnaire des citoyens. Lorsque les troupes royales ont commencé à avancer, Bakounine a proposé des mesures de protection radicales: tout d'abord, accrocher de grandes œuvres d'art, dont la Madone Sixtine, sur les murs de la ville afin que les militaires, élevés dans l'amour et le respect de l'art et de l'histoire, n'osent pas tirer. Et s'ils avaient osé, ils auraient été traités de barbares et de vandales. Un peu plus tard, Mikhaïl Bakounine fait d'autres propositions: brûler les maisons des aristocrates locaux, faire sauter l'hôtel de ville et couper les arbres anciens qui gêneraient les troupes royales. Le gouvernement provisoire, cependant, décide de ne pas recourir aux idées du révolutionnaire russe et se rend sans combattre.
De quoi témoigne cette affaire, décrite plus tard dans les écrits de Herzen ? Tout d'abord, Bakounine pensait que le peuple russe était prêt pour la révolution, car il était pauvre et possédait déjà "les habitudes et les instincts d'une société démocratique", mais que les Européens devaient d'abord se débarrasser des "échos matériels du passé", dont les symboles sont les œuvres de Raphaël, le vieil hôtel de ville et les arbres centenaires. Et cela doit se faire rapidement, pas lentement.
Après cette tentative de renversement du gouvernement à Dresde, Bakounine est envoyé en exil, revient dans son pays et, après 8 ans d'emprisonnement, est envoyé en Sibérie, où il se marie puis s'enfuit en Europe via le Japon en 1861. L'année 1861 marque un nouveau chapitre dans ses activités philosophiques et pratiques. Au cours des 20 années suivantes, le bakounisme va littéralement envahir toutes les rues, même les plus reculées, des villes européennes, et Mikhaïl lui-même va devenir un symbole du mouvement socialiste.
Idées fondamentales de l'anarchisme, du fédéralisme et de l'État sans État
C'est au cours de cette période que se forge définitivement sa vision athée et matérialiste. Pour Bakounine, l'idéalisme conduit inévitablement "à l'organisation d'un despotisme grossier et à une exploitation mesquine et injuste sous la forme de l'Église et de l'État". Il semble que les opinions d'un homme sur de simples questions philosophiques changent parfois radicalement: jeune et encore immature, Bakounine restait fidèle à Dieu, voyant en lui la véritable liberté de l'homme. Mais au bout d'un certain temps, sous l'influence des idées communistes d'égalité et de fraternité, il a renoncé à la religion, montrant que la foi était l'une des manifestations d'une société déjà rassise, dépassée, opprimée, qui ne se tournait vers Dieu que pour supporter les conditions insupportables de la vie. En même temps, le philosophe pensait que la religion est une partie historique inhérente à toute nation et qu'elle doit être traitée avec soin pour ne pas lui nuire. "Avec l'aide de la religion, l'homme est un animal qui, sortant de l'animalité, fait le premier pas vers l'humanité", écrivait-il.
Il est également intéressant de noter qu'un farouche opposant aux lois et au contrôle de l'État n'a pas nié l'existence possible d'un gouvernement provincial (un parlement composé de deux chambres : des représentants de l'ensemble de la population et des communautés), d'une constitution et d'un tribunal. Les communautés réunies en fédérations devaient "coordonner leur propre organisation avec les principaux fondements de l'organisation provinciale et obtenir pour cela l'autorisation du parlement provincial". En même temps, "la loi communale conservait le droit de s'écarter sur des points mineurs de la loi provinciale, mais pas de ses fondements". Dans la construction de l'État, Bakounine a mis en avant le principe de la "pyramide inversée", où les principaux "pouvoirs décisifs sont concentrés localement". Dans le même temps, il ne nie pas l'existence possible d'une structure de pouvoir verticale et note que toutes les actions des communautés doivent servir les intérêts de l'État lui-même.
Les idées de Mikhaïl Alexandrovitch prévoyaient la création d'un gouvernement national qui rédigerait une constitution, tout comme les provinces, à condition que ces dernières puissent s'en écarter sur des points mineurs. Les pouvoirs du Parlement national auraient inclus le contrôle des activités de l'exécutif élu, la rédaction et l'adoption des lois, l'établissement de relations internationales avec d'autres pays, etc. Sur le même principe, une fédération internationale de pays a été envisagée.
Lutte pour l'Internationale : comment d'anciens amis et compagnons d'armes, Marx et Bakounine, sont devenus des ennemis jurés
L'histoire des relations difficiles entre Bakounine et Marx commence en 1864. Mikhaïl Alexandrovitch se rend en Italie pour diffuser les idées de l'Internationale, où il va à l'encontre de la philosophie du prolétariat et tente de créer sa propre "Société révolutionnaire internationale" secrète, où tous seraient frères. Elle repose sur l'idée de détruire tous les États européens, à l'exception de la Suisse, afin d'éliminer le modèle de pouvoir centralisé. Le plan consistait à créer des communautés qui s'uniraient en fédérations à différents niveaux. Parallèlement, l'anarchiste considérait nécessaire le pouvoir du peuple sous la forme d'une communauté autonome de tous les citoyens adultes, en élisant des représentants des différents fonctionnaires, mais avec la condition obligatoire de leur remplacement permanent, ce qui, selon Bakounine, ne donnerait pas un statut privilégié et garantirait les libertés démocratiques. Tous les aristocrates sont exclus, tous les partisans d'un quelconque privilège,...". Car le mot démocratie ne signifie rien d'autre que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, c'est-à-dire la masse entière des citoyens - et à l'heure actuelle, nous devons ajouter les citoyens qui composent la nation", écrit Mikhaïl Aleksandrovitch.
En 1868, Bakounine prépare un projet de "Fraternité internationale", dans lequel il formule les principes de base de l'anarchisme, qui impliquent "la destruction complète de tout État, de toute église, de toute institution religieuse, politique, bureaucratique, judiciaire, financière, policière, économique, universitaire et fiscale".
La transition vers le nouveau système devait être le résultat d'une révolution. Ses principaux moteurs, selon Bakounine, sont la paysannerie et la classe ouvrière, qui vouent une haine instinctive aux couches privilégiées de la société. Et leurs principaux outils sont la rébellion et la lutte pour la liberté. Élevé dans la pauvreté et l'esclavage, le peuple russe a une aversion pour l'État, car son principal désir est la terre libre, le travail commun et l'absence de bureaucratie et de propriété foncière. En même temps, seule une jeune intelligentsia révolutionnaire peut rassembler la paysannerie et la classe ouvrière et canaliser leur puissance dans une cause commune.
Il en résultera une société sans aucune autorité, où les gens se soumettront à l'autorité de l'opinion publique, et où les paysans et les ouvriers deviendront les seules classes existant en harmonie - "les uns sont propriétaires du capital et des instruments de production, les autres - de la terre, qu'ils cultivent de leurs mains ; les uns et les autres s'organisent, motivés par leurs besoins et leurs intérêts mutuels, également et en même temps absolument libres, nécessaires et naturels, se contrebalançant réciproquement".
La polémique de Bakounine avec Marx consistait principalement en des perspectives différentes. Tout d'abord, Mikhaïl Bakounine a déclaré que la dictature du prolétariat aboutirait au même résultat que celui auquel les révolutionnaires s'opposaient. En d'autres termes, le gouvernement et le régime politique changeraient, mais leur essence resterait la même, sauf que le pouvoir serait désormais concentré entre les mains du prolétariat. L'État est le vrai mal : "Là où commence l'État, finit la liberté individuelle, et vice versa... S'il y a État, il y a nécessairement domination, donc esclavage ; un État sans esclavage, ouvert ou déguisé, est impensable - c'est pourquoi nous sommes ennemis de l'État.
L'affrontement entre Bakounine et Marx culmine dans la tentative du premier de tirer à lui la couverture d'influence de l'Internationale. En fin de compte, la bataille d'idées s'est transformée en une guerre personnelle entre deux personnalités puissantes de l'époque. Marx estimait que les activités des bakounistes sapaient les idées de la dictature du prolétariat et, en 1972, les partisans de Mikhaïl Alexandrovitch ont été expulsés de l'Internationale.
Les adeptes contemporains du bakounisme
De nos jours, les idées du grand rebelle appartiennent au passé, bien que les adeptes de l'anarchisme russe existent toujours. Aujourd'hui, cependant, il ne s'agit pas seulement d'une alliance contre l'État, mais aussi d'une lutte idéologique contre certains problèmes mondiaux de l'humanité, tels que l'écologie et la protection de l'environnement. Dans le même temps, on observe une certaine crise parmi les anarchistes : il y a de moins en moins d'adeptes en raison du manque d'unité et d'intégrité du mouvement.
En Russie, l'Union anarchiste russe a joué un rôle important à cet égard, car elle a fondé ses idées sur l'anarchisme national et ethnique. En d'autres termes, il s'agit d'une association de personnes de la même nationalité vivant sur le même territoire. Cela inclut le panslavisme de Bakounine et l'idée d'anti-ethnicité de Kropotkine. Oui, les gens croient encore à l'accomplissement de la révolution, et les protestations et les révoltes en sont le principal outil. Mais au début du XXIe siècle, le mouvement des adeptes de Bakounine, de Kropotkine et d'autres philosophes et figures révolutionnaires s'est transformé en une sorte de sous-culture et, dans l'esprit de la plupart des Russes, il est désormais associé à l'impuissance et à l'anarchie. Comme au 19ème siècle, les adeptes de l'anarchisme se positionnent comme un mouvement en dehors de toute force politique, mais en même temps, ils ne sont pas encore devenus une force motrice sérieuse capable d'influencer l'esprit des jeunes et de la société dans son ensemble.
Les idées de Mikhaïl Bakounine sont-elles pertinentes aujourd'hui ? Probablement pas. Dans le contexte actuel de lutte politique permanente, il est nécessaire de disposer d'une autorité centralisée claire, capable de maintenir l'unité du peuple. Même si l'on peut dire que des tentatives de liberté totale ont eu lieu dans les années 1990, il s'agissait d'un défi sérieux à la pérennité de l'État.
Malheureusement, les idées utopiques sur l'existence de fédérations composées de communautés de personnes sont impossibles. On peut être d'accord ou non, mais nous vivons une période de "guerre froide", où chaque pays se bat pour ses propres ressources et intérêts plus que pour des vies humaines. Pour survivre, il faut non seulement s'unir, mais aussi éviter que l'État ne soit détruit par l'absorption de ses petites "communautés", comme lors du schisme féodal. L'appartenance à une nation ne fera qu'engendrer davantage de disputes et de conflits. Certes, la liberté fait partie intégrante de la société démocratique à laquelle chacun aspire aujourd'hui. Mais en même temps, l'émergence d'une plus grande liberté dans certains domaines s'accompagne aussi de l'émergence de plus grands interdits dans d'autres. L'existence de l'anarchisme dans le contexte moderne est donc fortement remise en question. Et qu'elle reste ouverte...
12:46 Publié dans Histoire, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, philosophie, philosophie politique, politologie, sciences politiques, mikhail bakounine, bakounine, 19ème siècle, anarchisme, révolution, russie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 30 mai 2023
Du sable dans les rouages de la fraternité d'armes: la Pologne rappelle à Kiev le massacre de Volhynie
Du sable dans les rouages de la fraternité d'armes: la Pologne rappelle à Kiev le massacre de Volhynie
Source: https://zuerst.de/2023/05/25/sand-im-getriebe-der-waffenbruederschaft-polen-erinnert-kiew-an-wolhynien-massaker/
Varsovie . La Pologne est le soutien le plus actif de Kiev dans la guerre actuelle en Ukraine. Pourtant, il existe des blessures ouvertes dans l'histoire mouvementée des deux pays - et elles continuent de se manifester même dans la guerre actuelle. Aujourd'hui, le porte-parole du ministère polonais des Affaires étrangères, Lukasz Jasina, a créé la surprise en demandant au président ukrainien Zelensky d'assumer ses responsabilités et de s'excuser pour les massacres de Volhynie (1942/43).
L'affaire doit être abordée "au plus haut niveau", car Kiev bloque toute discussion à ce sujet dans les contacts entre les deux pays: "Je suis désolé et je vous prie de me pardonner. Cette formule fonctionne très bien mais dans le cas des relations polono-ukrainiennes, elle fait toujours défaut", a déclaré Jasina.
Le porte-parole du ministère a également souligné que Varsovie avait déjà assumé la responsabilité "des crimes commis par notre Etat contre les Ukrainiens": "Une telle responsabilité fait défaut du côté de l'Ukraine".
Jasina a toutefois reconnu que Zelenskij avait actuellement d'autres préoccupations et que les massacres de Volhynie n'étaient pas le sujet le plus important pour le peuple ukrainien en ce moment.
En Pologne, cependant, le sujet, qui s'apparente à un traumatisme national, est placé très haut. Ce n'est qu'en 2016 que la Diète polonaise a adopté une résolution reconnaissant les massacres de Volhynie comme un génocide. Le 11 juillet, date de l'un des événements individuels les plus terribles, a été déclaré à cette occasion journée de commémoration nationale.
Lors des massacres en Volhynie et dans certaines régions de Biélorussie en 1942 et 1943, entre 100.000 et 300.000 paysans polonais ont été tués dans le dos de la Wehrmacht par des membres de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), la branche militaire de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) (mü).
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vendredi, 19 mai 2023
Eric Zemmour et la destruction de la culture française (par Malraux) sous de Gaulle
Eric Zemmour et la destruction de la culture française (par Malraux) sous de Gaulle
par Nicolas Bonnal
Dans sa Mélancolie française, Zemmour a entre autres très bien parlé du caractère méphitique de la politique culturelle de Malraux. Et cela donne, sur fond d’étatisme culturel-financier et de messianisme à deux balles (France, lumière du monde, terre de la liberté, etc.):
« En 1959, le général de Gaulle offrit à son « génial ami », André Malraux, un ministère de la Culture à sa mesure, sur les décombres du modeste secrétariat aux Beaux-Arts de la IVe République. Dans l’esprit de Malraux, la France devait renouer avec son rôle de phare révolutionnaire mondial, conquis en 1789 et perdu en 1917; devant en abandonner les aspects politiques et sociaux à l’Union soviétique et aux pays pauvres du tiers-monde, elle consacrerait toute son énergie et tout son talent à propager la révolution mondiale par l’art. »
Un peu ironique, Eric ? Voyez donc :
« Nouveau Monsieur Jourdain, Malraux faisait du « soft power » sans le savoir. »
Et de rappeler le rôle jusqu’alors prestigieux de ce pays (l’ancienne France donc) jusqu’alors sans « ministère de la culture » :
« La France ne manquait pas d’atouts. Dans la première moitié du XXe siècle encore, Paris demeurait la capitale mondiale de la peinture moderne; le cinéma français fut le seul (avec l’allemand) à résister au rouleau compresseur d’Hollywood, et les grands écrivains américains venaient en France humer l’air vivifiant de la première puissance littéraire. « Il n’y a qu’une seule littérature au monde, la française », plastronnait alors Céline. Dans les années 1960 encore, la chanson française – Aznavour, Brel, Brassens, Ferré, Barbara, Bécaud, etc. – s’avérait la seule à tenir la dragée haute à la déferlante anglo-saxonne partout irrésistible par l’alliage rare de talents exceptionnels et de puissance commerciale et financière. »
Les ennuis commencent sous De Gaulle donc :
« De Gaulle ne pouvait qu’être séduit ; il laissa la bride sur le cou à son glorieux ministre. Pourtant, le Général, par prudence de politique sans doute, sens du compromis avec les scories de l’époque, « car aucune politique ne se fait en dehors des réalités », amitié peut-être aussi, ne creusa jamais le malentendu qui s’instaura dès l’origine entre les deux hommes. »
Puis Zemmour souligne le hiatus entre les deux immenses esprits visionnaires:
« De Gaulle était, dans ses goûts artistiques, un « ancien » ; il écrivait comme Chateaubriand, goûtait la prose classique d’un Mauriac bien davantage que celle torrentielle de son ministre de la Culture ; il préférait Poussin à Picasso, Bach à Stockhausen. La France était pour lui l’héritière de l’Italie de la Renaissance, et de la conception grecque de la beauté. Malraux, lui, était un « moderne » ; hormis quelques génies exceptionnels (Vermeer, Goya, Rembrandt), il rejetait en vrac l’héritage classique de la Renaissance, et lui préférait ce qu’il appelait « le grand style de l’humanité », qu’il retrouvait en Afrique, en Asie, au Japon, en Amérique précolombienne.
Il jetait pardessus bord la conception gréco-latine de la beauté et de la représentation, « l’irréel », disait-il avec condescendance, et remerciait le ciel, et Picasso et Braque, de nous avoir enfin ramenés au « style sévère » des grottes de Lascaux ou de l’île de Pâques. La révolution de l’art que porterait la France serait donc moderniste ou ne serait pas. »
Elle est même archaïque et îlienne, sa conception de la culture des arts premiers ! Malraux (que plus personne ne lit) saccagera donc le « jardin à la française » et va piéger la France sans le vouloir :
« Loin de créer un “contre-modèle” solide et convaincant au marché capitaliste de l’entertainment, comme les gaullistes et les marxistes français l’espérèrent de Malraux ministre et de ses successeurs socialistes, la politique culturelle inaugurée par l’auteur des Voix du silence parvenu au pouvoir, en d’autres termes la démocratisation du grand art du modernisme, s’est révélée, au cours de son demi-siècle d’exercice, un accélérateur de cela même qu’elle se proposait d’écarter des frontières françaises: l’afflux d’une culture de masse mondialisée et nivelée par le bas et le torrent des images publicitaires et commerciales déracinant tout ce qui pouvait subsister en France, dans l’après-guerre 1940-1945, de vraie culture commune enracinée comme une seconde nature par des siècles de civilisation. […] »
On se rapproche de la phrase : « il n’y a pas de culture française » de Macron. C’est vrai au moins depuis le Général et son ministre vociférant. Zemmour cite Fumaroli, auteur de L’Etat culturel :
« Pour Fumaroli, l’Amérique ne pouvait pas perdre ce duel autour de l’« art moderne », qu’elle incarnait presque d’évidence, par sa puissance industrielle, ses gratte-ciel, son vitalisme économique et scientifique. La France de Malraux, au lieu de rester sur ses terres d’excellence de l’art classique, des mots et de la raison (héritées de Rome), vint jouer sur le terrain de l’adversaire, des images et des noces ambiguës de la modernité avec l’irrationnel primitif, même rebaptisé « premier ». L’échec était assuré. »
Entre cette culture déracinée, les villes nouvelles, les banlieues, les autoroutes et les stations-services, le métro-boulot-dodo et la télé pour tous, on se demande ce qui pouvait rester de français à la fin de la décennie gaullienne : les Shadocks peut-être ?
Source:
https://www.babelio.com/livres/Zemmour-Melancolie-francaise/167956
20:09 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art, art moderne, art primitif, andré malraux, charles de gaulle, france, politique culturelle, histoire, années 60 | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 15 mai 2023
Les quatre phases de l'ère post-soviétique
Les quatre phases de l'ère post-soviétique
par Fulvio Bellini
Source: https://www.sinistrainrete.info/geopolitica/25467-fulvio-bellini-le-quattro-fasi-dell-era-post-sovietica.html
Avant-propos : les trois niveaux de lecture de La fin de l'histoire et le dernier homme
En 1992 est paru un livre singulier qui a immédiatement suscité un débat passionné, divisant le terrain entre opposants déclarés et admirateurs secrets: La fin de l'histoire et le dernier homme de Francis Fukuyama. Malgré son succès auprès du public, il s'agissait d'un livre dédié à la classe dirigeante occidentale, et en particulier aux États-Unis, célébrant la "prétendue" victoire, et nous expliquerons pourquoi prétendue, du soi-disant monde libre sur l'Union soviétique et le bloc du socialisme réel. Dans les années 1990, les élites occidentales ont été envahies par un authentique délire de toute-puissance que Fukuyama a eu l'esprit courtisan mais aussi l'indéniable courage de traduire en livre pour le revêtir d'une noble robe tissée de philosophie de l'histoire. Le politologue américain, au nom et pour le compte des élites occidentales, annonçait urbi et orbi que l'histoire universelle de l'humanité, entendue non pas comme une concaténation chronologique d'événements, mais comme le mouvement d'ensemble de l'humanité exprimé dans le terme allemand de Weltanschauung, avait enfin atteint son épilogue. Cette thèse du livre, qui n'est évidemment pas la seule, se concentre sur l'analyse des raisons qui ont déterminé les défaites mondiales du "totalitarisme communiste" d'une part et des régimes dictatoriaux de droite d'autre part, défaites qui ont ouvert la voie, comme si les eaux de la mer Rouge s'étaient à nouveau ouvertes devant Moïse, à l'affirmation mondiale de la démocratie libérale et de son indissoluble "compagnon de route" : le capitalisme de libre marché. Soumis à une critique marxienne, il est possible de discerner trois niveaux de lecture dans le livre de Fukuyama : celui qui concerne l'interprétation philosophique déformée de l'histoire dans les années 1990 ; celui qui relève plus proprement de la définition d'une idéologie du monde occidental ; et celui qui identifie involontairement un nouveau cycle historique.
Du point de vue de la philosophie de l'histoire, le texte de Fukuyama est tout à fait discutable ; il s'agit de la célébration d'une séquence d'événements des années 1990 qui pourrait donner lieu à l'interprétation de la victoire américaine dans la guerre froide. Mais contrairement à la victoire d'Octave Auguste sur Marc-Antoine, la fin de la confrontation de plusieurs décennies entre les États-Unis et l'URSS n'a pas du tout été suivie de la "Pax Americana", mais plutôt d'une série brutale de règlements de comptes et de conflits de type "gangster". En d'autres termes, la victoire des démocraties libérales et de leur partenaire inséparable, le libéralisme sauvage, a immédiatement entraîné un désastre des deux côtés du rideau de fer. Sur le banc des accusés de la lèse-majesté contre la Maison Blanche se sont retrouvés, à des titres divers et avec des condamnations diverses : la République démocratique allemande, l'Italie, la Yougoslavie, l'Irak, et même à un titre la Grande-Bretagne avec la mort controversée de la princesse Diana Spencer, ex-épouse du Prince de Galles, qui a servi de viatique aux gouvernements plus que collaborationnistes de Tony Blair et de Gordon Brown. Contrairement à son analyse philosophique et historique risible, l'échafaudage idéologique fourni par Fukuyama aux classes dirigeantes américaines dans le besoin et européennes subordonnées est un échafaudage qui imprègne encore aujourd'hui la culture politique du monde occidental. En effet, jamais auparavant, dans la crise de l'empire américain, la "fin de l'histoire et le dernier homme" n'ont fourni un ciment idéologique à une bourgeoisie en déclin et donc de plus en plus despotique des deux côtés de l'océan Atlantique. Fukuyama écrit les tables de la loi : la démocratie libérale fondée sur les partis est la seule forme possible de représentation de la volonté du peuple ; le système capitaliste est la seule forme fiable d'organisation économique ; la préservation de certaines formes de droits est la raison suprême de faire de la politique. Pour le politologue, ces droits sont de trois sortes, citées dans le texte : les droits civils "l'exemption de contrôle (par l'Etat ndlr) du citoyen en ce qui concerne sa personne et sa propriété" ; les droits religieux "l'exemption de contrôle en ce qui concerne l'expression des opinions religieuses et la pratique du culte" ; et les droits politiques "l'exemption de contrôle dans les affaires qui n'affectent pas le bien-être de la communauté dans son ensemble de manière si évidente que le contrôle lui-même est nécessaire". Les droits économiques et sociaux, à savoir ceux du travail, d'une fiscalité équitable et d'une redistribution adéquate des revenus, qui devraient théoriquement être les pierres angulaires d'une politique sociale-démocrate au sein d'un système de démocratie libérale, sont absents de l'appel. Sur ce point, cependant, Fukuyama est clair et péremptoire : "Faire pression pour la reconnaissance de divers droits économiques de deuxième et troisième classe, tels que le droit au travail, au logement et aux soins de santé, a été une pratique courante dans tous les pays socialistes. Mais un tel élargissement de la liste pose un problème majeur, à savoir l'incompatibilité de la reconnaissance de ces droits avec celle du droit de propriété et du libre-échange". Ce passage fondamental est à la base du divorce définitif entre droits civils et droits sociaux, disjonction nécessaire pour élever les privilèges et les vices de la classe bourgeoise dirigeante au rang de droits civils, phénomène qui a trouvé son accomplissement à notre époque. Un autre concept de Fukuyama est aujourd'hui à la base du processus de mythification du système démocratique, qui ne devrait pas être substantiel mais seulement formel : "La démocratie, en revanche, est le droit universel à une part du pouvoir politique, c'est-à-dire le droit de tous les citoyens de voter et de participer à l'activité politique....". Pour déterminer quels pays sont démocratiques, nous nous en tenons à une définition strictement formelle de la démocratie. Un pays est démocratique s'il permet à ses citoyens de choisir le gouvernement qu'ils souhaitent par le biais d'élections périodiques, multipartites, à bulletin secret et basées sur le suffrage universel et égal. Le vote n'est plus le moyen d'exprimer la volonté du peuple pour faire prévaloir une ligne politique particulière, mais un acte pour lui-même puisque l'électeur est confronté au choix de partis dont les programmes sont sensiblement identiques. C'est la raison pour laquelle il est juste de dire que la démocratie libérale encourage l'abstention. Arrêtons-nous là pour ce qui concerne cet article. Il ne reste plus qu'à souligner que, à titre d'exemple et au-delà des distinctions purement folkloriques, ces principes idéologiques unissent en Italie les Néocons de Giorgia Meloni et les Radicaux Chic d'Elly Schlein qui, dans le théâtre de notre politique, sont envoyés sur scène avec les costumes de la droite néo ou post-fasciste et de la gauche sociale-démocrate ; la tromperie exécrable qui persiste alors que la transformation de l'Italie en un pays sud-américain du siècle dernier progresse rapidement, un changement promu par les États-Unis par l'intermédiaire de leur légat Mario Draghi.
Le troisième niveau de lecture de "La fin de l'histoire" est enfin l'objet de cet article. Fukuyama, conscient du fait que les nombreux nobles pères de la démocratie libérale et du libéralisme en économie ont été maintes fois démentis par la théorie et la pratique, rappelle continuellement les grands penseurs et révolutionnaires du camp adverse, en commençant par Hegel lui-même, et en continuant avec Marx, Lénine et le produit de l'action révolutionnaire de ce dernier : l'Union soviétique. Cette étrange nécessité de l'auteur nous incite à considérer le 25 décembre 1991, date de l'abaissement définitif du drapeau soviétique au Kremlin, comme une sorte d'année zéro d'une certaine vision de l'histoire récente, dans laquelle nous avons assisté à l'imposition d'une certaine idéologie, celle précisément contenue dans le livre de Fukuyama et qui règne aujourd'hui en maître dans le seul monde occidental. Cependant, n'étant qu'une idéologie, elle n'a pas pu endiguer les autres visions de l'histoire qui se sont affirmées, et il y a une raison précise pour laquelle des visions plurielles se sont déjà produites au tournant du siècle, puisque dans La fin de l'histoire et le dernier homme se cache un grand mensonge qui est enfin mis en lumière : les États-Unis n'ont jamais gagné la guerre froide.
Première phase : l'illusion occidentale de la victoire
Le 20 mars 2023, date de la visite du président chinois Xi Jinping au président russe Vladimir Poutine à Moscou, s'ouvre la quatrième phase de l'histoire post-soviétique de notre planète. Si nous sommes entrés dans la quatrième phase, cela signifie qu'il y en a eu trois auparavant, et pour les expliquer de manière succincte mais aussi claire que possible, nous utiliserons l'intéressante division des événements en différentes phases utilisée par Fosco Giannini lors de ses réunions publiques : la première, au cours de laquelle les États-Unis semblaient affirmer leur hégémonie sur le monde entier et qui leur permettait de régler leurs comptes avec tous ceux qui ne s'étaient pas "bien comportés" au cours des décennies précédentes de la guerre froide ; la deuxième où il y a eu une réaction inattendue à la "non Pax americana" de la part d'un groupe de pays sud-américains, de la Russie du nouveau cours imprimé par Vladimir Poutine et de l'affirmation du socialisme aux caractéristiques chinoises ; la troisième où les États-Unis ont réagi durement à ces formes d'insubordination ; la quatrième, toute récente et proposée par l'auteur, marquée par la définition d'un éventuel "casus belli". Une dernière remarque : il est impossible de définir des frontières précises et uniformes pour les trois premières phases historiques ; si nous avons une date de départ, la transition vers les phases suivantes est marquée par des chevauchements temporels et des différenciations géopolitiques. Pour être plus clair : alors qu'en Amérique du Sud les expériences socialistes que nous verrons appartenir à la deuxième phase étaient en cours, aux États-Unis, en Europe et, par extension, en Chine, nous étions déjà entrés dans la troisième, celle de la réaction américaine. Les années 90 sont liées à la première phase, et même aujourd'hui, ce sont des années peu étudiées, enveloppées d'un halo mythique donné par l'empreinte idéologique prônée par un monde intellectuel et politique qui a évolué à l'unisson avec Francis Fukuyama. Si en Italie, par exemple, les États-Unis ont exigé la fin de l'économie mixte, et donc des partis qui la protégeaient, surtout la Démocratie chrétienne, même le Parti communiste italien n'a pas été gracié, son exécution capitale a simplement été confiée à des dirigeants et collaborateurs internes plutôt qu'au Parquet de Milan, comme ce fut le cas pour la DC et le PSI. Il s'agit de condamnations à mort de systèmes politiques et économiques qui ont été exécutées de différentes manières, tout d'abord dans les deux principaux "pays voyous" de l'époque de la guerre froide : l'Italie, coupable d'avoir créé un système économique subversif au sein du capitalisme, et la RDA, coupable d'avoir créé un système de socialisme réel potentiellement attrayant pour le monde occidental. Dans le cas allemand, toujours à titre d'exemple, on peut citer le célèbre assassinat du président de la Deutsche Bank, Alfred Herrhausen, le 4 décembre 1989, attribué à la Rote Armee Fraktion mais probablement inspiré par les services secrets de Bonn. L'intérêt du gouvernement allemand était d'éliminer le maître d'œuvre de la stratégie d'unification centrée sur le principe "un Etat - deux systèmes" en faveur de la ligne d'Helmuth Kohl de liquidation de la RDA et de son annexion à la République fédérale "manu militari". L'assassinat de Herrhausen a marqué un tournant fondamental dans l'histoire de l'Europe, car le modèle d'annexion adopté en Allemagne a été reproduit pour l'essentiel à l'égard de tous les autres pays de l'ancien bloc soviétique. Ce modèle d'annexion, qui prévoyait l'annulation totale de l'organisation productive et sociale des pays de l'Est et leur assimilation brutale et immédiate aux systèmes occidentaux, rendait toutefois l'ancienne organisation de la Communauté européenne obsolète et inadéquate, et c'est la raison qui a conduit les 12 gouvernements de l'ancienne CEE à adopter d'urgence le traité de Maastricht le 7 février 1992.
L'Europe occidentale voulait participer au banquet de la richesse industrielle des pays de l'Est, laissant aux États-Unis le repas principal : la Russie de Boris Eltsine. Grâce à cet accord tacite, l'Allemagne réunifiée a pu construire sa puissante organisation industrielle qui en fait aujourd'hui encore la locomotive de l'Europe. L'acquisition à prix cassés de complexes industriels de l'Est, comme dans le cas du tchèque Skoda qui a rejoint le groupe Volkswagen dès 1991 avec sa main-d'œuvre qualifiée, a permis aux Allemands de délocaliser la chaîne d'approvisionnement en produits semi-finis et en composants vers des pays performants mais à main-d'œuvre bon marché, en concentrant la production à haute valeur ajoutée en Allemagne où les coûts de main-d'œuvre étaient plus élevés. Ce schéma concernait également l'Italie du Nord, dont les petites et moyennes entreprises, ayant perdu à jamais leurs grands clients publics, devaient se tourner vers les conglomérats teutons naissants et, pour ce faire, comprimer le coût de leur main-d'oeuvre, un processus qui a commencé immédiatement avec la suppression de l'escalator, le 31 juillet 1992. Non contente de réaliser cette chaîne de valeur industrielle, Berlin a envisagé dès 1998 de se doter de voies d'importation directe de gaz naturel russe bon marché, afin d'approvisionner sa structure manufacturière en énergie abondante. Ce projet s'est concrétisé le 6 septembre 2011 avec la mise en service du Nord Stream 1, que la chancelière Angela Merkel a tenté de faire suivre du Nord Stream 2 afin de rendre l'industrie allemande encore plus performante. Mais le gouvernement allemand a changé entre-temps, tout comme les intérêts américains, et le sabotage des deux gazoducs par les Américains en septembre de l'année dernière a mis fin au système de création de valeur de l'"Europe centrale".
Les années 1990, en revanche, ont été des années fastes pour l'Allemagne unifiée et son système continental, qui n'était plus la CEE et pas encore l'Union européenne, à tel point qu'elle a mérité, malgré elle, le titre inconfortable de "perle" de l'empire américain. Petite parenthèse à ce sujet. Le terme "perle" d'un empire fait référence à un pays qui, pour diverses raisons, économiques surtout, mais aussi stratégiques et géopolitiques, représente le cœur battant de tout un système de domination, quelle qu'en soit l'extension. La perte de la "perle" détermine également la perte du statut d'"hégémon", c'est-à-dire d'un pays au centre d'un pouvoir politique, financier et économique diffusé à la fois directement dans les territoires dominés et indirectement vers les pays tiers. Prenons quelques exemples historiques : la perle de l'empire vénitien (de petite taille parce qu'il adhérait au modèle phénicien) était l'île de Crète, dont la perte en 1689 a déterminé la disparition définitive de la Sérénissime en tant qu'acteur majeur de la politique européenne. La perle de l'empire espagnol, et cela peut surprendre, n'a jamais été ses vastes domaines américains ou les Philippines, mais les Flandres, et leur perte à la paix d'Utrecht en 1713 a déterminé la fin du rôle hégémonique de l'Espagne en Europe et le passage définitif du témoin en faveur de la Grande-Bretagne. Les colonies britanniques d'Amérique du Nord n'ont jamais représenté la "perle" de l'Empire britannique et, en fait, leur perte en 1776 n'a provoqué aucune crise dans le rôle hégémonique croissant de Londres. La perle de l'Empire britannique était l'Inde et sa perte, le 15 août 1947, a conduit à la liquidation de tous les dominions britanniques et au transfert du rôle hégémonique aux États-Unis. Washington a également sa "perle", l'Allemagne : la défense de cette possession a déterminé la politique américaine d'après-guerre, à commencer par le choix du front à fermer après la défaite militaire fondamentale au Viêt Nam. Ce n'est pas un hasard si le secrétaire d'État américain de l'époque, Heinz Alfred Kissinger, dit Henry, né à Fürth en Bavière, n'avait aucun doute sur la nécessité de fermer le front chinois et de se concentrer sur l'Europe contre l'URSS jusqu'à la "victoire" de 1991 grâce à l'utilisation massive de l'arme du "dollar inconvertible". Or, cette victoire recèle un mystère qu'il convient d'explorer. Si les États-Unis ont vaincu l'URSS et ses alliés, si le dollar a conquis de nouveaux marchés pour les matières premières et les biens de consommation et a réussi à mettre la main sur les immenses actifs soviétiques par l'intermédiaire d'Eltsine et d'anciens fonctionnaires corrompus devenus oligarques, pourquoi les trois principaux indicateurs macro-économiques américains se sont-ils dégradés au cours de cette décennie de "succès" planétaire. La dette publique fédérale s'élevait en 1990 à 3233 milliards de dollars, en 1995 à 4973 milliards de dollars, pour atteindre 5556 milliards de dollars en 1999 ; la balance commerciale était négative en 1990 à hauteur de 77,58 milliards de dollars, en 1995 à hauteur de 89,76 milliards de dollars, et fin 1999 dans le rouge à hauteur de 259,55 milliards de dollars ; enfin, la balance des paiements était négative en 1990 à hauteur de 78,95 milliards de dollars, en 1995 à hauteur de 113,56 milliards de dollars, pour finalement atteindre en 1999 un déficit de 286,62 milliards de dollars. Dans les années 1990, la contradiction d'un pays officiellement vainqueur d'un conflit acharné avec l'autre superpuissance, mais qui se retrouve avec les résultats budgétaires d'un pays "presque vaincu", à l'instar de ce qui est arrivé à la Grande-Bretagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, est devenue évidente. Pourtant, les bénéfices de cette "victoire" se sont traduits par un doublement substantiel du PIB américain au cours de cette décennie : de 5963 milliards de dollars en 1990 à 9631 milliards de dollars en 1999. Comment expliquer cette contradiction ? Peut-être que les États-Unis n'ont pas gagné la guerre froide avec l'URSS, mais qu'une paix distincte a été obtenue entre les deux superpuissances, sans tenir compte des intérêts de leurs alliés mutuels. Pour des raisons différentes, Washington et Moscou avaient tous deux intérêt à clore ce chapitre excessivement coûteux de l'histoire européenne. Ainsi, alors que Fukuyama et toute l'intelligentsia et les politiciens occidentaux célébraient la victoire sur le socialisme réel, les États-Unis ont dû, au cours de cette décennie, esquisser les principaux scénarios stratégiques: en Europe, en permettant à l'Allemagne réunifiée de faire preuve d'un activisme politique plus que tolérable; en Asie, en permettant à Pékin d'entamer la longue marche qui la conduirait à devenir l'actuel atelier du monde; et, de manière surprenante, en Amérique latine, considérée comme son propre jardin privé.
La deuxième phase : l'Amérique latine n'est plus l'arrière-cour de Washington
Sans parler de la tristement célèbre doctrine Monroe, pour laquelle les États-Unis s'étaient déjà définis comme protecteurs de l'ensemble du continent en 1823, il ne fait aucun doute qu'au cours du XIXe siècle, les États-Unis ont directement ou indirectement incité les anciennes puissances coloniales européennes, à savoir l'Espagne, la Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, la France, à céder le contrôle des Amériques aux seuls États-Unis. Cependant, les États-Unis n'ont fait que remplacer les anciens maîtres européens dans la même relation d'exploitation en contrôlant des gouvernements locaux plus ou moins corrompus, despotiques et souvent criminels, mais surtout sans politique étrangère propre qui ne soit pas dictée par Washington. Au-delà de l'expérience de la révolution mexicaine de 1910, la véritable rupture historique avec ce système a sans doute été la révolution socialiste de Fidel Castro à Cuba en 1959. Mais les États-Unis de l'époque ont réussi à circonscrire cette "infection" par rapport au reste de l'Amérique latine jusqu'à l'expérience de Daniel Ortega au Nicaragua en 1985-1990, qui concernait pourtant un petit pays marginal. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, alors que l'impérialisme américain est théoriquement au maximum de sa puissance, on assiste au contraire à de nombreuses expériences "socialistes" en Amérique du Sud, initiées par Hugo Chavez au Venezuela de 1999 à 2013, suivies par celles de Lula da Silva au Brésil de 2003 à 2011 (il reviendra au pouvoir en 2023), d'Evo Morales en Bolivie de 2006 à 2019, et de Rafael Correa en Équateur de 2007 à 2017. Pendant une brève période, même un État traditionnellement nazi comme le Paraguay a connu une expérience "socialiste" avec la présidence de Fernando Lugo de 2008 à 2012, qui a été rapidement démis de ses fonctions. L'expérience de ces hommes politiques a profondément marqué l'histoire de l'Amérique du Sud, notamment parce qu'ils ont réussi à convaincre la caste militaire, réservoir traditionnel des putschistes soutenus par les États-Unis, qu'ils pouvaient jouer un rôle plus important que celui de simples "Carabineros de Gringos". Les "socialistes sud-américains" ont offert aux dirigeants militaires la possibilité d'assumer un rôle dans la nouvelle classe dirigeante consacrée à la poursuite des intérêts nationaux et capable d'élever ces pays à des rôles de plus en plus importants sur l'échiquier international. C'est la raison fondamentale pour laquelle un Chavez pourrait provenir de l'armée vénézuélienne et qu'aucun général brésilien n'a songé à renverser Lula da Silva. En d'autres termes, les dirigeants socialistes de ces pays ont réussi à rompre l'association séculaire entre les hautes hiérarchies des forces armées et la grande bourgeoisie locale, représentante et courroie de transmission des intérêts de Washington, en faisant passer les premières de leur côté. Il ne faut cependant pas négliger la perte de contrôle des États-Unis sur l'Amérique latine au tournant du siècle ; les États-Unis des années 1970 auraient immédiatement mis un Augusto Pinochet au Venezuela, au Brésil, en Bolivie et en Équateur. Un autre signe du déclin de la puissance américaine dans les années 1990, masqué par la grandeur de la victoire sur le socialisme réel, réside dans la manière dont l'Afrique du Sud est sortie du régime de l'Apartheid, un système social similaire à celui en vigueur dans les Etats du sud de l'Union dans les années 1960 et 1970, et toujours en vigueur, de manière beaucoup plus répressive et sanglante, en Israël. Dès 1994, dans l'ombre de Nelson Mandela, le Parti communiste d'Afrique du Sud a immédiatement rejoint l'Alliance tripartite avec le Congrès national sud-africain et le Congrès des syndicats, restant fermement dans la majorité et participant aux gouvernements de Pretoria. Le rôle des communistes a ensuite été décisif dans le choix de l'Afrique du Sud de rejoindre une association particulière d'États, née comme une alternative au G7 occidental, appelée BRICS, acronyme pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Ces pays ont commencé à se fréquenter plus assidûment et dans un esprit de coopération marquée à partir de septembre 2006 à New York, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies. Par la suite, les ministres des affaires étrangères des pays du BRIC, à partir de leur rencontre en mai 2008 en Russie, se sont réunis périodiquement à l'Assemblée générale des Nations unies. C'est là qu'en septembre 2010, il a été convenu d'inviter l'Afrique du Sud à participer aux réunions des BRIC, ce qui a entraîné le changement de l'acronyme en BRICS. La première position commune pertinente dans l'arène internationale a été l'abstention significative au Conseil de sécurité sur la Libye en mars 2011, tandis que la première réunion au niveau des chefs d'État et de gouvernement a eu lieu à Toyako (Japon) le 9 juillet 2008, lors d'une réunion du G8. Ce type de relations internationales spéciales échappant au contrôle des États-Unis a constitué un nouvel avertissement pour Washington quant à la nécessité de se débarrasser de la ternissure que nous avons décrite et de passer à une contre-offensive forte et décisive sur tous les fronts mondiaux.
La troisième phase : la contre-offensive américaine et l'endettement sans fin
Comme nous l'avons dit dans l'introduction, la scansion des trois phases n'est pas homogène, et si dans le reste du monde la phase deux a duré jusqu'à la fin des années 2010, en Europe la phase trois a commencé dès le début des années 2000, comme théâtre principal de la contre-offensive américaine à la fois pour reprendre le contrôle de la "perle" de son empire, l'Allemagne, et parce qu'elle était mécontente du nouveau cours pris par la Russie de Vladimir Poutine, qui est devenu président le 7 mai 2000. Il faut reconnaître que l'opération menée par les États-Unis en Europe a été magistrale, reposant sur un mécanisme qui a permis à Washington d'atteindre trois résultats stratégiques en une seule manœuvre : ramener l'activisme politique excessif de l'Allemagne dans des limites acceptables ; substituer sa propre influence politique à celle des pays d'Europe occidentale face aux régimes formellement démocratiques et essentiellement fascistes et anti-russes d'Europe de l'Est ; et avancer les frontières de l'OTAN de manière menaçante jusqu'à la frontière russe. Dans les années 1990, les seigneurs de Bruxelles avaient renoncé à la bannière étoilée. Dès cette décennie, l'élargissement de l'Union européenne vers la Russie par la voie baltique avait commencé (adhésion de la Suède et de la Finlande en 1995). Mais c'est à partir de 2004 que les États-Unis ont articulé un mécanisme prévoyant l'entrée des anciens pays du bloc de l'Est dans l'OTAN, avec la promesse d'être tenus par les riches nations occidentales, la France et l'Allemagne en premier lieu. À cet égard, les dates sont éclairantes pour la stratégie américaine : la Pologne et la République tchèque ont rejoint l'OTAN en 1999 et l'UE en 2004 ; les républiques baltes, la Hongrie, la Slovaquie et la Slovénie ont rejoint l'OTAN et l'UE la même année, également en 2004 ; la Bulgarie et la Roumanie ont rejoint l'OTAN en 2004 et l'UE en 2007. Mission accomplie : la Communauté européenne telle qu'on la connaissait jusqu'à la fin du siècle dernier n'existait plus, à sa place était née l'Union européenne, une pléthore de pays désunis sur presque tout, avec peu d'estime mutuelle et encore moins de compréhension, mais unis par leur soumission consciencieuse à la puissance impériale américaine et contraints de s'enfermer dans la camisole de force de l'OTAN. La contre-offensive en Europe a été un succès et, une fois de plus, les indicateurs macroéconomiques américains n'en ont tiré aucun bénéfice. Au cours des sept premières années du nouveau siècle, la dette publique américaine est passée de 5674 milliards de dollars en 2000 à 9007 milliards de dollars en 2007; une dette qui a presque doublé en l'espace de sept ans. 2008 est l'année décisive, Washington saisit la crise des Subprimes déclenchée par la faillite de la banque Lehmann Brothers pour retourner contre la Chine les terribles conséquences de la violente contraction des marchés mondiaux qui a suivi le krach financier. Les stratèges de Washington comptent sur la forte interdépendance entre les exportations chinoises vers les États-Unis, la création d'une dette supplémentaire par le Trésor pour les payer et le maintien du rôle de la Chine en tant que principal souscripteur d'obligations américaines. Pour Washington, Pékin n'aurait pas été en mesure de gérer l'effondrement des commandes américaines et la crise industrielle, économique et donc financière qui en aurait résulté, à l'instar de ce qui se passait en Europe. La Chine, en revanche, a montré qu'elle était capable de surmonter la crise en se tournant vers le développement de son propre marché intérieur, en investissant environ 600 milliards de dollars dans des travaux et des infrastructures domestiques. Le système de planification économique, élément distinctif du socialisme, a donné à la Chine les outils nécessaires et utiles pour repousser l'attaque à l'expéditeur, en causant des dommages irréparables aux États-Unis: une production démesurée et incontrôlée de dollars pour soutenir d'abord l'attaque contre Pékin et ensuite les conséquences de sa faillite. Les chiffres de la croissance de la dette fédérale dans les années qui ont suivi la crise des subprimes sont impressionnants : 10.024 milliards de dollars en 2008, 13.561 milliards de dollars en 2010, 18.150 milliards de dollars en 2015, 22.719 milliards de dollars en 2019 à la veille de la pandémie de Covid-19. Les chiffres de l'augmentation de la dette américaine au cours des trois dernières années sont encore plus retentissants : de fin 2019 à fin 2022, c'est-à-dire pendant les deux années de la pandémie et l'année du conflit en Ukraine, les États-Unis ont contracté de nouvelles dettes à hauteur de 8.209 milliards de dollars, ce qui porte la dette fédérale à 30.928 milliards de dollars. Pour utiliser un terme élégant, les États-Unis sont manifestement en situation de défaut de paiement, mais si l'on regarde la réalité en face, les données suggèrent une définition beaucoup plus prosaïque mais adéquate: la faillite et la fraude. Pourquoi la faillite? Parce que pas un seul dollar de la dette actuelle de 31.703 milliards ne sera jamais remboursé ; pourquoi frauduleux? Parce que, pour être sûr que le sujet ne sera même pas soulevé par un créancier international, les trois dernières années ont été caractérisées par des crises continues et terribles: deux années de Covid-19 dans le monde entier et une année de guerre par procuration en Ukraine, des crises qui ne cesseront pas tant que le monde n'aura pas résolu sa relation avec le dollar.
La quatrième phase : la procession vers la Cité interdite
Selon Fukuyama, l'histoire est linéaire mais pas éternelle ; elle s'est achevée avec la chute du mur de Berlin. Nous savons que ce n'est pas du tout vrai, mais il est vrai qu'il y a des dates marquantes qui changent le cours des événements historiques. L'une de ces dates vient de se produire: le 20 mars 2023, date du début de la visite d'État du président Xi Jinping à Moscou, au cours de laquelle l'amitié et l'alliance substantielle entre la Russie et la Chine ont été annoncées au monde. Pour les classes dirigeantes occidentales, la cloche d'Ernest Hemingway a commencé à sonner et, prises de panique, elles cherchent à savoir à qui appartient la cloche qui sonne en premier. La grande frayeur dans les rangs des vassaux européens des États-Unis est attestée par la procession immédiate de ces derniers à Pékin dans l'espoir d'obtenir la sympathie et le pardon pour leurs méfaits atlantistes de la part du président chinois Xi Jinping, devenu à leurs yeux effrayés et déconcertés "l'empereur céleste". Il n'est pas du tout anodin que le premier à frapper à la porte de la Cité interdite ait été le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, le 30 mars, sans même laisser le temps à Xi, affolé, de défaire ses valises alors qu'il revenait de Moscou. L'évaluation par la presse espagnole du voyage de M. Sanchez à Pékin est éclairante, car elle révèle peut-être inconsciemment la vénération naturelle qu'un dirigeant d'un petit pays européen éprouve pour le souverain céleste: pour le journal El País, "le périple de Sánchez", qui passera par le Forum asiatique de Boao dans l'île de Hainan avant d'atterrir à Pékin, "doit être interprété en termes espagnols comme le déficit commercial chronique et croissant face au premier exportateur mondial, le faible poids du commerce espagnol à valeur ajoutée, l'accès au marché chinois ou la réouverture du tourisme....". Du point de vue chinois, en revanche, ... l'Espagne "est un pays sympathique, relativement important au sein de l'Union européenne, mais pas trop impliqué dans des questions telles que les droits de l'homme. Pour cette raison, ils nous reçoivent par la grande porte", comme l'a rapporté Ants le 30 mars 2023. El Pais pèche par excès de modestie, ne confondant pas l'Espagne avec l'Italie, le vrai pays occidental qui ne compte plus. Le premier ministre espagnol, lui, revient du 28ème sommet des Amériques qui s'est tenu à Saint-Domingue le 24 mars 2023, en présence des chefs d'État et de gouvernement des 22 pays de langue et de culture ibériques, dont le roi Philippe VI d'Espagne.
L'absence des présidents brésilien Lula da Silva et mexicain Obrador a montré que la politique atlantiste, même si elle n'est pas aussi vulgaire et grossière que celle de Rome, n'est pas favorable à Madrid dans ses relations avec l'Amérique latine. A travers les pays latino-américains, l'Espagne a immédiatement saisi le changement de climat dans la politique internationale dû au sommet de Moscou qui se tenait les mêmes jours. Immédiatement après la visite de Sanchez, le président français Emmanuel Macron a frappé à la porte de la Cité interdite, lui aussi en quête de compréhension et de bénédiction de la part du "céleste" Xi, à la fois pour être un dirigeant à la recherche constante d'un "centre de gravité permanent", comme l'aurait dit Franco Battiato, ayant changé d'avis et de position sur la guerre en Ukraine à plusieurs reprises, et pour être mal-aimé dans son pays, pour ne pas dire plus, à la suite du coup d'État contre le Parlement lors de l'approbation récente de la réforme des retraites. Manifestement foudroyé sur le chemin de Pékin, Macron de retour de Chine déclare : "Les Européens ne doivent pas être les vassaux des Etats-Unis, nous devons éviter de nous impliquer dans les crises des autres" ....
L'Europe doit réduire sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et éviter d'être entraînée dans un conflit entre la Chine et les Etats-Unis sur Taiwan: le président français Emmanuel Macron, dans une interview accordée à politico.eu et à deux journalistes transalpins dans l'avion qui le ramenait d'une visite d'État de trois jours en Chine, a souligné sa théorie de l'"autonomie stratégique" pour l'Europe, vraisemblablement dirigée par la France, afin de devenir une "troisième superpuissance". "Si les tensions entre les deux superpuissances s'exacerbent, nous n'aurons ni le temps ni les moyens de financer notre autonomie stratégique et nous deviendrons des vassaux", tels sont les mots du président français, nous apprend le Fatto Quotidiano du 10 avril ; on attend le prochain changement de sa position. Mais même les atlantistes purs et durs se sont rendus au palais du "céleste" Xi, ne serait-ce que pour réaffirmer leur loyauté absolue et aveugle à Washington. C'est ce qu'a fait la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui était en compagnie de Macron sans que personne ne le remarque, comme le rapporte Italia Oggi le 12 avril 2023 : "Une UE que Macron aime : Ursula humiliée à Pékin par le protocole, contredite par Xi Jinping et contrainte de rentrer en avion de ligne... Alors que Macron, à son arrivée, a été accueilli avec tous les honneurs par Xi Jinping lui-même, Ursula a été reçue par le ministre de l'Environnement de Pékin, qui n'est pas son pair". De plus, alors que Macron a rencontré plusieurs fois Xi Jinping, allant même jusqu'à avoir une conversation de quatre heures en tête-à-tête avec lui, en présence des seuls interprètes, Ursula von der Leyen n'a participé qu'à l'entretien à trois, adoptant une position sur Taïwan à laquelle Xi s'est opposé et que Macron n'a pas entièrement partagée. Le fossé entre les deux représentants européens est devenu flagrant lors du voyage de retour: Ursula a pris un vol régulier, tandis que Macron a voyagé à bord du Cotam Unité, l'Air Force One français, où il a donné une interview à trois journalistes sur la nécessité d'une autonomie stratégique de l'UE dans un contexte anti-américain, ce qui a évidemment été très bien accueilli par la Chine". D'autre part, entendre von der Leyen répéter comme un perroquet la position du dominus américain sur Taïwan était évidemment irritant pour Xi Jinping et embarrassant pour le versatile Macron. Lorsque l'on évoque le fanatisme idéologique qui imprègne La fin de l'histoire et le dernier homme, qui caractérise aujourd'hui les bourgeoisies occidentales de plus en plus effrayées, enragées et despotiques, on se réfère également à la visite ultérieure de la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, le 14 avril. Si l'importance politique de la visite de Mme Baerbock n'a pas été mentionnée, il convient de souligner son extrémisme inquiétant, tel qu'il a été rapporté par les médias suivants, tous en date du 14 avril; entre autres: "Dites à la Russie d'arrêter la guerre.... C'est une bonne chose que la Chine ait exprimé son engagement en faveur d'une solution, mais je dois dire franchement que je me demande pourquoi la position chinoise n'inclut pas jusqu'à présent un appel à la Russie, l'agresseur, pour qu'elle mette fin à la guerre" (Euronews); ou "Baerbock à Pékin évoque le "scénario d'horreur" si la Chine attaque Taiwan" (Le Formiche); enfin "J'ai expliqué à mon homologue, lors de nos discussions bilatérales, que nous sommes préoccupés de voir que les espaces de liberté de la société civile en Chine continuent de se rétrécir et que les droits de l'homme sont en train de diminuer" (Il Sole 24 Ore). Bref, un chapelet d'insultes, d'injonctions et de remarques désagréables, au point d'obliger le ministre chinois des affaires étrangères, compatissant, à réprimander son collègue: "Ce dont nous n'avons absolument pas besoin, ce sont les petits maîtres de l'Occident" (La Repubblica). En guise de coda au spectacle du leader des Verts allemands, il convient de noter que la dangereuse soudure entre Neocon et Radical Chic, dont Baerbock est un illustre représentant, sur les principes dictés par Francis Fukuyama est également en cours en Allemagne.
La quatrième phase : la fuite du dollar et le problème du "casus belli"
Le journaliste Pepe Escobar, dans l'Anti Diplomatico du 13 avril, nous parle du dernier livre publié par l'économiste américain Michael Hudson, The Collapse of Antiquity, dans lequel il analyse le rôle de la dette dans le déclin des grandes civilisations grecques et romaines de l'Antiquité. Manifestement inspiré par son nouveau livre, Hudson explique de manière succincte mais significative la situation actuelle de la politique internationale : "L'Amérique a effectué une révolution de couleur au sommet, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre et en France, essentiellement, où la politique étrangère de l'Europe ne représente pas leurs intérêts économiques (...) L'Amérique a simplement dit : "Nous sommes déterminés à soutenir une guerre d'agression : - Nous sommes déterminés à soutenir une guerre de (ce qu'ils appellent) la démocratie (par laquelle ils entendent l'oligarchie, y compris le nazisme de l'Ukraine) contre l'autocratie (...) L'autocratie est tout pays suffisamment fort pour empêcher l'émergence d'une oligarchie de créanciers, comme la Chine a empêché l'oligarchie de créanciers". Hudson soulève la question du rôle de la dette comme cause, indépendamment de la volonté des classes dirigeantes américaines et européennes, du retrait inévitable du dollar de son rôle de monnaie de réserve mondiale. Mais ce n'est pas seulement la question de la dette hors de contrôle qui sape le rôle du billet vert; au moins deux autres facteurs liés au conflit en Ukraine ont contribué à cet affaiblissement. Dans son article intitulé "Explication des sanctions de l'UE contre la Russie", le site web du Conseil européen explique avec une certaine prosopopée que "l'Union européenne a interdit toutes les transactions avec la Banque centrale nationale russe liées à la gestion de ses réserves et de ses actifs". Suite au gel des avoirs de la Banque centrale, celle-ci ne peut plus accéder aux avoirs détenus par les banques centrales et les institutions privées de l'UE. En décembre 2022, l'UE a ajouté la Banque russe de développement régional à la liste des entités détenues ou contrôlées par l'État russe qui font l'objet d'une interdiction totale de transactions. En février 2022, les réserves internationales de la Russie s'élevaient à 643 milliards de dollars (579 milliards d'euros)... En raison de l'interdiction des transactions en provenance de l'UE et d'autres pays, on estime que plus de la moitié des réserves de la Russie sont gelées. L'interdiction a également été imposée par d'autres pays (tels que les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni) qui détiennent également une partie des réserves de change de la Russie". Le Conseil européen nous informe, comme s'il s'agissait d'une évidence, que l'UE a saisi à elle seule quelque 320 milliards de dollars de biens de la Banque centrale russe, et qu'elle l'a fait pour se conformer à des normes de justice qu'elle s'est elle-même imposées, également inspirées par La fin de l'histoire. L'UE n'a toutefois pas tenu compte du fait que cette décision a également été évaluée avec soin, et certainement pas de manière positive, par d'autres acteurs financiers majeurs tels que la Chine et les États du golfe Persique. Si les démocraties libérales décident, du jour au lendemain, que Pékin ou Riyad ou même Téhéran ont dépassé une certaine limite décrétée motu proprio et sans aucune contradiction en termes de respect des droits de l'homme ou des droits civils (mais Israël n'est jamais remis en question), il est alors possible d'appliquer des sanctions en gelant et même en confisquant les dépôts et les investissements des institutions financières publiques et privées de ces pays dans le système bancaire occidental. Dans le cas russe en question, il s'agissait donc pour les pays occidentaux de geler en raison des sanctions liées au conflit ukrainien; pour les propriétaires légitimes des capitaux, il s'agissait simplement de donner à l'opération son nom exact: le vol de plus de 320 milliards de dollars. Les dépôts de capitaux importants et les investissements étant basés sur la confiance, il est difficile de croire que le "spectacle" offert par l'UE et les banques européennes ait été ignoré par les grands investisseurs susmentionnés, et pas seulement eux; il est également difficile de croire que nombre d'entre eux n'aient pas pris la peine de commencer à réclamer leur argent avant qu'un quelconque Baerbock ne décide que Pékin est le nouvel empire du mal et qu'il est juste de voler, pardon de geler, leurs fonds déposés en Allemagne, dans l'Union européenne ou en Suisse. Résultat de la stratégie de Bruxelles ? La Stampa du 9 février 2023 titrera: "Credit Suisse, perte de plus de 7 milliards en 2022", ou "Ubs achète Credit Suisse: 3 milliards de renflouement. Des obligations pour 16 milliards anéanties. Accord conclu pour le sauvetage: sur la table également 100 milliards de liquidités extraordinaires et des garanties gouvernementales sur les poursuites et les pertes en capital", Il Sole 24 Ore du 19 mars 2023; ou encore : "Crise bancaire, même la Deutsche Bank tremble. L'effet domino va-t-il s'abattre sur les marchés ?", Valeurs du 24 mars. Nous nous limitons au système bancaire européen, regardons maintenant à l'étranger. Il Sussidiario.net du 17 avril titre "L'hégémonie mondiale du dollar en danger". Yellen: "La faute aux sanctions imposées". La domination mondiale du dollar pourrait être menacée, comme l'a fait savoir hier Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain. La faute en incombe aux nombreuses sanctions imposées par l'Occident à la Russie au cours de l'année écoulée, depuis le début du conflit, ainsi qu'à d'autres pays tels que la Chine, la Corée du Nord et l'Iran. Au micro de la chaîne américaine CNN, Yellen a avoué: "Il y a un risque, lorsque nous utilisons des sanctions financières liées au rôle du dollar, qu'avec le temps elles puissent saper l'hégémonie du dollar... Bien sûr, cela crée un désir de la part de la Chine, de la Russie, de l'Iran de trouver une alternative". Résultat de la stratégie de Washington? "Xi-Poutine, après la rencontre de Moscou, l'hypothèse de la monnaie yuan pour l'Afrique prend forme" (Milano Finanza du 22 mars); ou encore : "Lula s'envole vers Xi Jinping : le projet de remplacer le dollar par la monnaie chinoise. Le leader de Pékin accueille cordialement le président brésilien: les accords commerciaux et la crise en Ukraine sont à l'ordre du jour. Mais aussi le projet de sortir de la "dépendance" au dollar avec la Novo Banco de Desenvolvimento, la banque des Brics, dirigée par Dilma Rousseff". Enfin, plus sensationnel encore: "L'Arabie saoudite et la Chine étudient comment utiliser le yuan dans les ventes de pétrole. Cette nouvelle aurait des conséquences majeures pour le monde pétrolier, qui a toujours utilisé la devise américaine comme monnaie officielle. Il s'agirait de l'alliance du plus grand importateur de pétrole, la Chine, avec le plus grand exportateur, l'Arabie saoudite, avec pour conséquence le passage du pétrodollar au pétroyuan". Il n'a pas du tout cité les gros titres, mais c'est le véritable "casus belli" que les États-Unis ont contre la Russie, la Chine, le Brésil et l'Arabie saoudite. Un processus s'est enclenché par lequel le dollar, pur papier accepté uniquement parce qu'il est sponsorisé par l'armée américaine, est progressivement rejeté au profit d'autres monnaies. La stratégie américaine en 2022, qui se poursuit encore aujourd'hui, était de décharger ses tensions inflationnistes sur la zone euro sous prétexte de sanctions contre la Russie, mais l'an dernier, les intentions de ces grands acteurs internationaux de ne plus utiliser le dollar n'étaient pas encore aussi explicites. Cette année, elles le sont devenues et peuvent conduire à cette explosion inflationniste du billet vert, potentiellement bien plus dévastatrice que la crise du Papier Mark de 1923. Les Etats-Unis se trouvent donc à un carrefour fatal: accepter le risque que tôt ou tard, et tout d'un coup, le dollar se dissolve dans une crise inflationniste, entraînant l'économie et la société américaines dans l'abîme; ou finalement atteindre l'objectif de déclencher un conflit étendu et significatif, peut-être une troisième guerre mondiale, sans en payer l'addition mais seulement en récolter les bénéfices, comme cela s'est produit dans les deux conflits du 20ème siècle. La première option présente un terrible danger, la seconde est un vœu pieux et la Maison Blanche est réellement confrontée à ce dilemme. Cependant, il est possible de discerner la stratégie que le cabinet Biden souhaite adopter dans les mois à venir, et la poursuite de la guerre en Ukraine y jouera un rôle important. Les Ukrainiens à enrôler et à envoyer à l'abattoir commencent à manquer: Avvenire du 25 mars, qui n'est pas tendre avec les Russes, doit admettre: "Même Kiev doit compter avec les militaires qui, à partir de l'automne, risquent de commencer à manquer. Pour y remédier, des garçons de 17 ans sont déjà recrutés, appelés dans des camps d'entraînement en vue d'être déployés sur le champ de bataille après leur majorité. Pour de nombreuses familles, c'est une véritable tragédie. Et à Odessa, comme dans d'autres villes, la police militaire a souvent été vue en action pour convaincre, par la ruse, ceux qui ne veulent pas aller au combat et en revenir handicapés ou dans un cercueil. Sur certains marchés, jusqu'au mois dernier, on vendait des plâtres de jambe pour prétendre être temporairement inapte à l'entraînement et éviter l'enrôlement". Sur la table du bureau ovale, on discute probablement d'une nouvelle stratégie selon laquelle les forces armées européennes seraient déployées, mais pas au sein de l'OTAN, afin de ne pas impliquer les États-Unis, par le biais d'accords bilatéraux, par exemple, entre Kiev et des capitales individuelles telles que Varsovie, Sofia, Bucarest. Ces pays enverraient des soldats réguliers déguisés en milices volontaires, ce qui exempterait l'OTAN de toute implication, du moins dans un premier temps. Toutefois, il n'est pas exclu que quelques pays d'Europe de l'Ouest viennent grossir le conflit tout en maintenant le délicat accord de non-implication de l'Alliance atlantique. Il faudrait cependant choisir un pays qui se prête à d'énormes risques pour la sécurité nationale. En l'état actuel des connaissances, il existe deux suspects, dont les gouvernements sont absolument soumis aux souhaits de la Maison Blanche et qui ont déjà tenté de faire la guerre à la Russie pendant la Seconde Guerre mondiale. Personnellement, je doute qu'après le choc de deux défaites militaires au 20ème siècle, les Allemands soient prêts à se sacrifier pour les États-Unis, mais le gouvernement d'Olaf Scholz serait tout à fait disposé à le faire avec enthousiasme. En revanche, j'ai moins de doutes quant à l'implication du pays le plus influencé politiquement par Washington, à parts égales entre le chef du gouvernement et celui de l'opposition, et le fait qu'il s'agisse de femmes n'a aucune importance. Il s'agit du pays dont l'état de décadence l'expose à toute aventure de la part de tiers, un pays dont la Constitution a été suspendue de facto, et toujours ignorée : l'Italie. Fantaisie politique ? Espérons-le. Pour les États-Unis, en revanche, la question est sur la table : le casus belli est déjà là, la nécessité d'une guerre prolongée, y compris nucléaire. Le problème est de savoir comment mettre en œuvre cette stratégie en limitant le plus possible leur implication, et c'est à mon avis le thème fondamental de cette année, car le temps joue contre les Américains, la fuite du dollar a déjà commencé, et la conséquence inévitable est la dissolution du dollar à cause de l'hyperinflation.
19:08 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, europe, affaires européennes, union soviétique, urss, russie, chine, états-unis | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 13 mai 2023
Quand Emmanuel Kant dénonce la dette et le colonialisme occidental…
Quand Emmanuel Kant dénonce la dette et le colonialisme occidental…
par Nicolas Bonnal
Projet de paix perpétuelle : un texte célèbre et mal lu. Car le plus grand esprit du siècle tord le cou aux Occidentaux : voyons ce qu’il dit de la dette (qui en Occident signifie la richesse de la nation, plaisante Marx dans le Capital, VI) :
« Chercher des ressources au dedans ou au dehors dans l’intérêt de l’économie du pays (pour l’amélioration des routes, la fondation de nouvelles colonies, l’établissement de magasins pour les années stériles, etc.) ne présente rien de suspect. »
Mais la menace arrive avec l’Angleterre, qui bâtit son empire et ses guerres napoléoniennes avec sa dette immonde ; Kant s’inquiète :
« Mais il n’en est pas de même de ce système de crédit, — invention ingénieuse d’une nation commerçante de ce siècle, — où les dettes croissent indéfiniment, sans qu’on soit jamais embarrassé du remboursement actuel (parce que les créanciers ne l’exigent pas tous à la fois) : comme moyen d’action d’un État sur les autres, c’est une puissance pécuniaire dangereuse ; c’est en effet un trésor tout prêt pour la guerre, qui surpasse les trésors de tous les autres États ensemble et ne peut être épuisé que par la chute des taxes, dont il est menacé dans l’avenir (mais qui peut être retardée longtemps encore par la prospérité du commerce et la réaction qu’elle exerce sur l’industrie et le gain). »
Qui dit dette dit en effet guerre, et une guerre éternelle comme celle menée par les pays anglo-saxons :
« Cette facilité de faire la guerre, jointe au penchant qui y pousse les souverains et qui semble inhérent à la nature humaine, est donc un grand obstacle à la paix perpétuelle… »
La paix perpétuelle ne peut se faire que sans l’Occident : on le sait maintenant. Un total écroulement financier et économique de ce tordu pourra seul établir la paix dans le monde. Voilà pour la dette.
Et puis Kant pousse plus loin : il se rend compte des mauvaises manières (on ne dit pas encore coloniales) des Occidentaux. Et cela donne :
« Si maintenant on examine la conduite inhospitalière des États de l’Europe, particulièrement des États commerçants, on est épouvanté de l’injustice qu’ils montrent dans leur visite aux pays et aux peuples étrangers (visite qui est pour eux synonyme de conquête). L'Amérique, les pays habités par les nègres, les îles des épiceries, le Cap, etc., furent, pour ceux qui les découvrirent, des pays qui n'appartenaient à personne, car ils comptaient les habitants pour rien. »
Kant dénonce le désordre et le chaos amené partout par les « civilisateurs occidentaux » :
« Dans les Indes orientales (dans l’Indoustan), sous prétexte de n'établir que des comptoirs de commerce, les Européens introduisirent des troupes étrangères, et par leur moyen opprimèrent les indigènes, allumèrent des guerres entre les différents États de cette vaste contrée, et y répandirent la famine, la rébellion, la perfidie et tout le déluge des maux qui peuvent affliger l’humanité. »
Après des pays plus lointains et plus puissants se méfient – et comme on les comprend :
« La Chine et le Japon, ayant fait l’essai de pareils hôtes, leur refusèrent sagement, sinon l’accès, du moins l'entrée de leur pays ; ils n’accordèrent même cet accès qu’à un seul peuple de l’Europe, aux Hollandais, et encore en leur interdisant, comme à des captifs, toute société avec les indigènes. »
Mais la Chine sera économiquement anéantie au siècle suivant (perdant 90% de sa capacité productive grâce toujours à la civilisatrice Angleterre qui affame l’Inde) et le Japon finira en 1945 comme on sait après avoir mal copié l’Occident et avoir été poussé à faire la guerre à la Russie en 1905.
Et Kant note le caractère dérisoire de ce développement à l’occidentale :
« Le pire (ou, pour juger les choses au point de vue de la morale, le mieux), c'est que l’on ne jouit pas de toutes ces violences, que toutes les sociétés de commerce qui les commettent touchent au moment de leur ruine, que les îles à sucre, ce repaire de l'esclavage le plus cruel et le plus raffiné, ne produisent pas de revenu réel et ne profitent qu’indirectement, ne servant d'ailleurs qu’à des vues peu louables, c’est-à-dire à former des matelots pour les flottes et à entretenir ainsi des guerres en Europe, et cela entre les mains des États qui se piquent le plus de dévotion et qui, en s’abreuvant d’iniquités, veulent passer pour des élus en fait d'orthodoxie. »
On note au passage l’allusion à la tartuferie occidentale. Comme dira Trotski dans un texte célèbre que j’ai recensé :
« L’histoire favorise le capital américain: pour chaque brigandage, elle lui sert un mot d’ordre d’émancipation. »
Eh bien c’est enfin en train de se terminer.
Sources :
https://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9taphysique_des_m%C5...
https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/220117/comment-tr...
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jeudi, 11 mai 2023
René Baert: esthétique et éthique
René Baert : esthétique et éthique
C’est la réédition d’une rare pépite des éditions nationales-socialistes belges de La Roue solaire que nous annonce également le Cercle. L’épreuve du feu, à la recherche d’une éthique fut publié en mars 1944 par René Baert, critique littéraire et artistique du Pays réel, aux éditions qu’il cofonda, un an plus tôt.
A sa sortie, ce livre fut présenté élogieusement dans la presse d’Ordre Nouveau, notamment par Le Nouveau Journal dont Robert Poulet fut le rédacteur en chef : « C’est à [la révolution nationale et sociale] que se consacre René Baert dans son livre L’épreuve du feu, qui porte en sous-titre : à la recherche d’une éthique.
Il s’agit d’une suite de courts essais dont le lien et l’unité sont évidents. Livre un peu aride, sans doute, –mais la facilité n’est plus de mise en ces temps de fer, et puisque, justement, c’est contre l’esprit de facilité qu’il faut d’abord lutter. Livre d’utile mise au point. L’essentiel de notre combat sur le plan de la pensée et de l’éthique, se trouve condensé dans de brefs chapitres qui s’intitulent notamment : La mesure du monde, Liberté chérie, Apprendre à servir, Le salut est en soi, Mystique de l’action, L’homme totalitaire, Le sens révolutionnaire.
On n’entreprendra pas ici de résumer un message qui se trouve déjà fortement condensé dans ces pages, et dont la signification essentielle tient peut-être dans ces quelques lignes :
“Le révolutionnaire est celui qui lutte pour que nous ne connaissions plus jamais un temps comme celui que nous avons connu avant cette guerre… Ah ! combien à ce temps exécrable préférons-nous celui que nous vivons aujourd’hui ! Ce n’est pas que nous soyons heureux d’avoir fait les frais d’une aventure qui ne nous concernait pas, ce n’est pas que nous bénissions l’épreuve qui nous condamne à étaler toutes nos misères aux yeux d’autrui, –mais ce qui nous enchante, c’est d’être entrés de plain-pied dans la lutte, c’est de participer dans la faible mesure de nos moyens au gigantesque travail de l’avènement de l’Europe… Le sens révolutionnaire de notre époque extraordinaire se traduit précisément dans l’immense besoin de quelques-uns de sauver leur patrie malgré elle… La tâche, plus que jamais, doit appartenir aux révolutionnaires. C’est toujours à la minorité combattante qu’appartient l’initiative de la lutte. Mais qu’on n’oublie pas que seuls pourront y participer ceux qui n’auront pas préféré leurs petites aises au risque qui fait l’homme.”
Cette tâche, elle est politique et sociale, mais elle est aussi spirituelle, éthique. Aussi bien est-ce à la recherche d’une éthique révolutionnaire que s’applique l’auteur de L’épreuve du feu. Il ne le fait pas sans se référer à de hauts maîtres, tels que Nietzsche ou, plus près de nous, l’Allemand Ernst Jünger (dont René Baert analyse lucidement l’œuvre et l’enseignement dans un chapitre intitulé Le travailleur), les Français Drieu la Rochelle ou Montherlant (entre lesquels il établit un remarquable parallèle). » (Le Nouveau Journal, 6 avril 1944).
René Baert, réfugié en Allemagne en 1945 où il tentait de se préserver des générosités assassines de la Libération, est arrêté et fusillé sans autre forme de procès par des militaires belges. On ne dispose que de peu d’éléments biographiques sur lui bien qu’il existe un site modeste qui lui est consacré (cliquez ici: https://renebaert.wordpress.com/biographie/).
L’épreuve du feu, de René Baert, est ressorti aux éditions du Lore et est disponible directement chez l'éditeur: http://www.ladiffusiondulore.fr/index.php?id_product=1031&controller=product
22:06 Publié dans Belgicana, Histoire, Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, belgique, belgicana, lettres, littérature, lettres belges, littérature belge, deuxième guerre mondiale, livre, rené baert | | del.icio.us | | Digg | Facebook