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samedi, 01 décembre 2012

Erdogan, perdu corps et bien…

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Erdogan, perdu corps et bien…

Ex: http://www.dedefensa.org/

Le Premier ministre turc Erdogan a semblé s’engager d’une façon radicale dans la crise de Gaza et semblé, dans les un et deux premiers jours, devoir y jouer un rôle important. Cette impression s’est rapidement dissipée, pour être remplacée par celle d’une action d’une importance mineure, notamment au regard du rôle dirigeant de la crise qu’a tenu Morsi. Il s’agit bien entendu d’une question de perception, mais l’on comprend évidemment que cette perception joue un rôle fondamental dans cette époque dominée par la puissance du système de la communication. Au demeurant, la perception, éclairée par divers faits, reflète sans aucun doute une vérité de la situation d’Erdogan.

On donne ici, comme exemple de la situation de la perception deux sources ayant rassemblé des appréciations d’experts sur le rôle qu’a tenu Erdogan. On dispose ainsi d’un matériel de communication pour pouvoir mieux apprécier la position générale d’Erdogan, et tenter de l’expliciter. On découvre qu’Erdogan est critiqué dans tous les sens, à la fois pour avoir tenu un rôle effacé, à la fois pour n’avoir pas assez soutenu les Palestiniens et le Hamas d’une façon efficace, à la fois pour être trop anti-israélien…

• D’un côté, il y a une appréciation générale selon laquelle Erdogan s’est trouvé dans cette crise à la remorque de Morsi, tandis que son attitude durant ces quelques jours est perçue plutôt comme de la gesticulation sans beaucoup de substance. Cette appréciation est surtout sensible en Turquie même, selon un article du New York Times dont PressTV.com donne un résumé, ce 22 novembre 2012, article fait surtout de quelques citations d’experts et d’universitaires turcs.

«The analysts stressed that while Turkey became a vocal defender of Palestinians and a critic of the Israeli regime, “it had to take a back seat to Egypt on the stage of high diplomacy.” “Egypt can talk with both Hamas and Israel,” university professor Ersin Kalaycioglu said, adding, “Turkey, therefore, is pretty much left with a position to support what Egypt foresees, but nothing more.”

»The analysts also criticized Turkish Prime Minister Reccep Tayyeb Erdogan for being initially silent on the outbreak of the Israeli attacks on Gaza and being slow to address the offensive publicly. “While most of the region’s leaders rushed to the nearest microphone to condemn Israel, the normally loquacious prime minister was atypically mute,” said Aaron Stein from a research center based in Istanbul. Stein added that while Erdogan was touring a factory that makes tanks, Egypt President Mohamed Morsi had “put his stamp on world reaction by kicking out the Israeli ambassador and dispatching his prime minister to visit Gaza.”»

• Une autre source, le journaliste Tulin Daloglu, dans le quotidien Al Monitor du 20 novembre 2012, restitue, également au travers d’avis d’experts et d’universitaires, la perception de l’attitude et du comportement d’Erdogan vus d’Israël. Il s’agit d’appréciations très extrêmes et très hostiles, qui impliquent son ministre des affaires étrangères Davutoglu perçu comme une sorte de diabolus ex machina d’Erdogan (ce qui est peu aimable pour la force de caractère qu’on attribue de ce fait à Erdogan). L’article rappelle qu’Erdogan s’est signalé, durant la crise, par une rhétorique enflammée, dénonçant le 15 novembre Israël comme “un État terroriste” puis s’attaquant, le 20 novembre, aux USA et au bloc BAO («Leading with the US, all the West talks about a two-state solution. Where is it? They’re working to vacate Palestine in order to surrender it to Israel […] If we’re going to die, we shall do so as men do. This is not justice.»)

«…“Davutoglu may be right to condemn Israel for excessive use of force, but he also needs to call on Hamas to stop firing rockets into Israel. But he does not,” said Gareth Jenkins, a senior fellow at the Institute for Security and Development Policy. “The fact remains that, while Hamas is firing missiles into Israeli territory, Israel is much more likely to respond militarily. And any violence plays into the hands of extremists on both sides.” […]

»“As Erdogan cannot accept shelling against Turkey, we cannot accept shelling against our one million people in the south part of Israel.” Binyamin Fuad Ben Eliezer, former Israeli defense minister, told Al-Monitor on Nov. 15, just as the sirens went on over the Tel-Aviv area… […]

»[Erdogan] cannot give me conditions. He cannot sit in Turkey and tell me what to do,” says Ben-Eliezer. “Erdogan could have taken the position of one of the most important leaders in the area,” Ben Eliezer said. “I’m sorry that he took a very radical position against Israel.” Still, he does not consider — like many other Israelis — that the Turkish prime minister’s unequivocal alliance with Hamas, a militant group that is recognized by the US and European countries as a terrorist organization — goes as deep as challenging Israel’s right to exist.

»However, Ofra Bengio, a professor at Tel Aviv University, is confident that Turkey’s new position is just that. She argues that both sides have gone too far, and while focusing only on Israel’s mistakes may be politically rewarding for Erdogan, it should not hide Turkish foreign policy’s new attitude toward Israel of vengeance and punishment. “If they’re taking Hamas' position, then it’s quite clear that they’re aiming at the legitimacy [of Israel],” she told Al-Monitor. “Especially, take a look at Davutoglu. If you read his essays, for him, Israel does not exist.”

»Ben Eliezer concurs. “If you ask me where the big change was in [Erdogan's] behavior,” he said, the answer is “Davutoglu! It’s his entry as the foreign minister to the erea, and he was the one who no doubt influenced Erdogan totally against Israel. He has made many mistakes because so far, he could not gain anything.” Before then, he said, he had been able to build a close relationship with Erdogan such that they were able to share jokes and laughter together. He does not believe that Erdogan is anti-Semitic or personally anti-Israel…»

On est donc conduit à observer que, les unes dans les autres, ces appréciations donnent une image extrêmement défavorable du Premier ministre turc, cette image semblant désormais devoir être son nouveau “statut de communication” : un homme qui parle beaucoup, qui s’enflamme, qui agit peu, qui est de peu d’influence et auquel on prête de moins en moins d’attention ; un homme au point de vue anti-israélien extrémiste, mais selon l’influence de son ministre des affaires étrangères et non selon son propre jugement, ce qui implique de très graves doutes sur son indépendance d’esprit et son caractère. De quelque côté qu’on se place, et de quelque opinion qu’on soit dans ces diverses appréciations, le sentiment général sur Erdogan est défavorable : un homme à l’humeur incontrôlable, au caractère finalement faible et très influençable, préférant les mots et surtout les éructations à l’action…

Notre propre appréciation est que ce que nous nommons effectivement la “situation de la perception” d’Erdogan est injuste par rapport à ce qu’il a été et ce qu’il a fait jusqu’ici, – injuste, dans le sens où cela ne “lui rend pas justice”. En même temps, elle constitue un fait et, par là même, se justifie par elle-même et rend compte d’une vérité de situation, – justice ou pas, qu’importe. En d’autres mots, nous dirions qu’Erdogan a perdu, en un an et demi, le formidable crédit qu’il avait construit depuis 2009 par sa politique indépendante, quasiment “gaulliste” dans sa conception. Nous pensions, sans tout de même beaucoup d’espoir, qu’il pouvait, qu’il devait effectivement tenter de redresser cette “situation de perception” durant cette crise de Gaza-II (voir le 15 novembre 2012) : «Le même “Israel is saying… ‘F* You’” ne vaut-il pas également pour Erdogan, qu’on attendait en visite à Gaza, où il entendait affirmer la préoccupation turque pour la défense et l’intégrité des pauvres Palestiniens ? Que va faire Erdogan ? Va-t-il ménager une base arrière pour des “combattants de la liberté” volant au secours des Palestiniens ? Va-t-il affréter une “flottille de la liberté”, comme celle du printemps 2010, pour se rendre à Gaza, sous les bombes israéliennes ? Va-t-il menacer d’envahir Israël comme il menace d’attaquer la Syrie ?»

Le constat est clair et sec. Erdogan n’a pas réussi à “redresser cette ‘situation de perception’”, il a même encore perdu de son crédit. Cet homme semble avoir définitivement chuté avec l’affaire syrienne, dans laquelle il s’est engagé follement. L’indignité et l’illégitimité de l’affaire syrienne, dans le sens où il s’est engagé, a profondément modifié sa “situation de la perception”, nous dirions d’une façon quasiment structurelle qui n’est pas loin d’être irrémédiable. (Cela, d’autant qu’en même temps qu’il tentait cette maladroite “réhabilitation” avec Gaza-II, il continuait sa politique syrienne par son pire aspect, avec l’accord de l’OTAN d’envoyer des Patriot à la Turquie, cela qui met en évidence le stupide jeu des menaces [syriennes] inventées, et le non moins stupide alignement-asservissement de la Turquie aux structures les plus perverses du Système, l’OTAN avec les USA derrière et la quincaillerie technologique.) Erdogan a voulu s’inscrire dans le jeu du Système avec la Syrie, abandonnant la référence principielle d’une politique d’indépendance et de souveraineté, – laquelle suppose qu’on respecte chez les autres (chez les Syriens, certes) les mêmes principes (indépendance, souveraineté) auxquels on se réfère pour soi-même. Il a abandonné la puissance de la référence principielle pour la politique moralisatrice et belliciste que le Système inspire au bloc BAO en général. Ce faisant, il a été totalement infecté et subverti par le Système et s’avère manifestement trop faible pour s’en dégager, si encore il parvient à distinguer la nature et la puissance de l’enjeu.

 

jeudi, 22 novembre 2012

Energie et défense: les vieux amis et les nouveaux ennemis d’Ankara

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Alessia LAI:

Energie et défense: les vieux amis et les nouveaux ennemis d’Ankara

 

Les rapports entre Turcs et irakiens se sont envenimés depuis quelques mois; en revanche, les relations commerciales avec Israël ont repris récemment...

 

L’EPDK, l’autorité turque qui régule le marché de l’énergie, ne permettra vraisemblablement pas à une société du Nord de l’Irak d’exporter du gaz naturel, parce que cette société n’a pas signé à temps un accord prévu de longue date, vu les tensions politiques qui agitent la région. La société turque Siyahkalem Ltd, qui opère sur le marché de l’énergie, avait décidé d’importer du gaz, en commençant par un volume annuel de 700 millions de m3 à partir de 2014, pour arriver à un volume de 3,2 milliards de m3 en 2033. La société devait soumettre une proposition de contrat à l’EPDK dans un délai de 90 jours mais “les vicissitudes politiques qui rythment les rapports turco-irakiens et les rapports entre le gouvernement central de Bagdad et le gouvernement du Kurdistan irakien du Nord du pays ont conduit à l’échec de l’accord”, précise une source de l’Agence Reuters.

 

Au cours de ces dernières semaines, en effet, les tensions ont augmenté entre Bagdad et Ankara, surtout depuis que la Turquie a accordé l’asile politique à l’ancien vice-président irakien Tareq al-Hashemi, condamné à mort pour terrorisme. L’Irak a également demandé à la Turquie de cesser ses attaques contre les forces rebelles kurdes, repliées sur territoire irakien mais dans la région autonome kurde, sur laquelle le gouvernement central de Bagdad exerce peu de contrôle et avec laquelle les Turcs ont forgé des liens assez étroits ces dernières années, surtout dans le domaine des hydrocarbures, cette région possédant les champs pétrolifères les plus productifs de l’Irak. Le gouvernement irakien, pour sa part, a exclu, le 7 novembre 2012, la société nationale turque d’exploitation pétrolière TPAO de toute présence active dans la zone dite du “bloc 9”, tout en niant que cette mesure soit une rétorsion face aux accords signés par la TPAO dans le Kurdistan irakien.

 

Avec une telle toile de fonds, on ne s’étonnera pas que les relations entre la Turquie et Israël soient redevenues amicales. Une société israélienne, qui concevait des systèmes électroniques pour les avions espions turcs avant la crise diplomatique qui a opposé Tel Aviv à Ankara depuis 2009 (à l’époque de l’opération “Plomb fondu” puis de l’attaque contre la flotille “Mave Marmara”) vient de reprendre ses activités. En 2002, le ministère turc de la défense avait commandé auprès de la firme aéronautique américaine Boeing quatre avions espions Aewc 737-700, ainsi qu’un radar de terre, des systèmes de contrôle et d’autres matériels pour l’instruction du personnel et la manutention. Le site internet du quotidien turc “Hurriyet” rapporte que la firme israélienne Elta Systems a décidé de reprendre la fabrication de dispositifs spéciaux pour les avions espions de type Boeing 737 Aewc. Cette décision, d’après le quotidien turc, permet de reprendre la production, ajournée depuis longtemps, de quatre nouveaux 737-Aewc (pour un prix total de quelque 1,2 milliard d’euro). Enfin, cette décision indique la fin de tout interdit frappant les exporations de matériels destinés à la défense entre Israël et la Turquie. Elles avaient effectivement été gelées depuis deux ans.

 

Alessia LAI.

( a.lai@rinascita.eu ; article paru dans “Rinascita”, Rome, le 10 novembre 2012; http://rinascita.eu/ ).

vendredi, 12 octobre 2012

Fehlschuss - Granate stammt aus NATO-Beständen

Fehlschuss - Granate stammt aus NATO-Beständen und wurde laut Zeitungsbericht von der Türkei an die Rebellen geliefert

 

Redaktion

Bei der Granate, die beim Angriff auf die türkische Stadt Akçakale abgefeuert wurde, handelt es sich um ein Modell, das nur bei der NATO verwendet wird und das über die Türkei in die Hände der syrischen Rebellen gelangte, berichtet die türkische Zeitung Yurt. Die Granate tötete am vergangenen Mittwoch eine erwachsene Frau und vier Kinder der gleichen Familie.

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mercredi, 10 octobre 2012

Turkije: van kemalistisch-autoritaire tot islamitisch-autoritaire staat

Turkije: van kemalistisch-autoritaire tot islamitisch-autoritaire staat

Paul Vanden Bavière

Ex: http://www.uitpers.be/

 
Turkije: van kemalistisch-autoritaire tot islamitisch-autoritaire staat
 

Peter Edel, De diepte van de Bosporus. Een biografie van Turkije, uitg. EPO, Berchem, 2012. 344 blz., met kleurenfoto’s. € 24

Sedert 2006, toen hij in Istanbul  in het huwelijk trad met een Turkse, woont Peter Edel in de voormalige Ottomaanse hoofdstad. En maakt hij daar geschiedenis mee, waarover hij in De diepte van de Bosporus, op een boeiende en vlot lezende manier verslag uitbrengt. Tien jaar nadat de islami(s)tische Partij voor Gerechtigheid en Ontwikkeling (AKP) van premier Recep Tayyip Erdogan aan de macht kwam, is ze er nu immers in geslaagd de macht van het kemalistische establishment te breken.

Het had anders gekund voor Peter Edel. Hij studeerde immers fotografie en design in Amsterdam – met succes zoals we merken aan de prachtige kleurenfoto’s in zijn boek – en was dus niet voorbestemd om een specialist in Turkse hedendaagse geschiedenis te worden. Het toeval hielp hier een handje mee. Peter Edel hield het niet bij de kunst, maar publiceerde in 2002, ook bij de uitgeverij EPO, De schaduw van de ster: Zionisme en antizionisme, een boek over Israël dat in Nederland ophef maakte. Van een Turkse vriendin in Amsterdam vernam hij dat een uitgever in Istanbul het boek in Turkse vertaling wou uitgeven. Diezelfde vriendin stelde hem voor aan een vriendin van haar uit Istanbul die op bezoek was. Toen Edel enkele maanden later zijn Turkse uitgever in Istanbul opzocht, ontmoette hij die vriendin-van-een-vriendin opnieuw. En van het een kwam het ander. Zo werd Peter Edel freelance journalist en fotograaf in Turkije.

De politieke veranderingen waren toen al aan de gang, maar ze hadden evengoed  kunnen doodbloeden, want een procureur probeerde in 2008 de AKP te doen verbieden op grond van antiseculiere activiteiten, wat net niet lukte. Stof om over te schrijven was er ook met de nu bijna muurvast zittende onderhandelingen over de toetreding van Turkije tot de Europese Unie en ook over de Koerdische kwestie, die sedert het mislukken van geheime besprekingen tussen de regering en de Koerdische Arbeiderspartij (PKK) vorig jaar opnieuw in een gewelddadige fase is beland.

Staatsideologie

De Turkse republiek werd na de ondergang van het Ottomaanse rijk ten gevolge van de eerste wereldoorlog in 1923 opgericht door Mustafa Kemal, een militair, die daarvoor beloond werd met de titel Atatürk, de vader der Turken. Het werk van de man is indrukwekkend te noemen. Hij schoeide het land op westerse leest en legde voor jaren de officiële staatsideologie vast: Turkije werd een seculiere islamitische eenheidstaat, met één volk en één taal, een populistische staat, met een door de staat geleide economie. Na de dood van Atatürk riep het leger zich uit tot de behoeder van de erfenis van de autoritaire leider, hierbij gesteund door een elite van politici, politiemannen, professoren en andere intellectuelen, journalisten, rechters enz. Samen vormden die de zgn. “diepe staat”, die ondanks de democratisering sedert de jaren 1950 alles onder controle hield en de partijen  binnen de door haar uitgezette lijnen hield. Als politici die lijnen overschreden pleegde het leger staatsgrepen, echte in 1960, 1971 en 1980 en een verkapte in 1997, waarbij de islamistische premier Necmettin Erbakan tot aftreden werd gedwongen. Turkije bleef, ondanks vrije verkiezingen, een autoritaire staat, met beperkingen op de vrijheid van mening en op de vrijheid in het algemeen.

Nochtans kwamen er al vlug afwijkingen van de leer. Vanaf de jaren 1950 maakte de islam geleidelijk aan een terugkeer. In 1980 gingen de militairen zelfs zover de islam openlijk te gaan steunen om het communisme te bestrijden. Maar eigenlijk is Turkije geen echte seculiere staat. Atatürk heeft wel de grote verdienste dat hij de Turken de kans gaf ongelovig of op zijn minst seculier te leven. Turkije was wél een islamitische staat, waarbij de staat de islam controleerde. Naast één taal en één volk moest Turkije ook één godsdienst hebben, en aanvankelijk ook één leider, Atatürk. Als islamitische staat was er nooit een gelijke status voor christenen, alevieten en andere religieuze minderheden. De christenen werden op grote schaal verdreven en weggepest. Ook nu nog worden de weinige resterenden gediscrimineerd. Als islamitische staat ligt de “Armeense kwestie”, dan ook gevoelig. Alhoewel de genocide van 1915 werd uitgevoerd door de leiders van de Ottomaanse staat, en de republiek er niets mee te maken had.

De door de staat geleide economie begon ook al in de jaren 1950 geleidelijk te wijken en is, merkwaardig genoeg, zonder veel verzet van het leger en de kemalisten vrijwel geheel verdwenen om plaats te maken voor een neoliberale economie, waarin ook geen plaats meer is voor gelijkheid.

Één volk, één taal

Het principe van één staat, één volk, één taal is de oorzaak, al van kort na de uitroeping van de republiek, geweest van talrijke opstanden van de Koerden. Dat principe is immers negationistisch: het negeert het bestaan van minderheden, die maar Turks moeten leren, hun identiteit vergeten, en zich integreren in de Turkse maatschappij. De laatste opstand, die nog altijd voortduurt, begon in 1984 toen de Koerdische Arbeiderspartij van Abdullah Öcalan een gewapende opstand begon.

In het kader van de strijd tegen de Koerden organiseerde de “diepe staat” doodseskaders en maakte die staat zich schuldig aan moord en foltering op grote schaal. Iedereen wist dat, maar dat kwam met volle geweld in het openbaar door het Susurluk-incident, ten gevolge van een auto-ongeval in 1996 in het plaatsje Susurluk. Daar botsten een dure Mercedes 600 SEL en een vrachtwagen. In de Mercedes vielen drie doden: een politieofficier en directeur van de politieacademie in Istanbul, Hüseyin Kocodag, een gezochte extreem-rechtse Grijze Wolf en gezochte gangster, Abdullah Catli, die o.a. verantwoordelijk was voor de moord op meer dan 100 Koerdische zakenmannen, die de PKK zouden hebben gefinancierd, en diens vriendin en gewezen schoonheidskoningin Gonca Us. De enige overlevende was Sedat Bucak, een Koerdische clanleider die met duizenden Koerdische dorpswachters de PKK bestreed.
Het gaf geen mooi beeld bij de publieke opinie toen bleek dat de Turkse leiders zich volop in de illegaliteit stortten en samenwerkten met maffiabazen en drugssmokkelaars. Wel toonde het aan hoever de staat wou gaan in het bestrijden van een op zich zeker gerechtvaardigd streven van een volk voor op zijn minst culturele autonomie. Was het niet Erdogan zelf die in 2008 tijdens een bezoek aan Duitsland tegen de Turken daar zei dat “assimilatie een misdaad tegen de menselijkheid” was?

Het Susurluk-incident droeg bij tot de deligitimering van de politieke klasse, die al in diskrediet was geraakt door een catastrofale economische politiek, die tot torenhoge inflatie en achtereenvolgende devaluaties van Turkse lira leidde. Zo werd de weg geopend naar de heerschappij van de AKP.
Die zorgde aanvankelijk voor enkele doorbraken in de onderhandelingen met de EU over toetreding, maar sedert 2005 ligt het proces grotendeels plat. Nochtans heeft Erdogan veel te danken aan de EU, die opkomt voor godsdienstvrijheid. Van die Europese houding heeft Erdogan geprofiteerd om islamiserende maatregelen te nemen, zoals het toelaten van de hoofddoek in openbare gebouwen zoals universiteiten. Het heeft hem electoraal geen windeieren gelegd bij de grotendeels gelovige Turkse bevolking, vooral dan in Centraal-Anatolië, waar hij op de financiële steun kan rekenen van islamitische zakenmannen, die tot dan toe altijd in de schaduw hadden gestaan van hun grootstedelijke collega’s, die gemakkelijker op staatssteun en andere voordelen konden rekenen.

Ook pleitte de EU voor toezicht van de regering op het leger, wat de positie van de militairen  verzwakte. Geen wonder dat dit tot geruchten over het beramen van staatsgrepen door ontevreden officieren leidde. Dat leidde leidde tot de zgn. Ergenekon-affaire, in het kader waarvan vele officieren en andere leden van de “diepe staat” werden opgepakt en gevangen werden gezet in afwachting van een uitspraak in hun proces, die nog lang op zich kan laten wachten. Uiteindelijk wierp de Turkse militaire top vorig jaar uit protest de handdoek in de ring. Waarvan Erdogan gebruik maakte om ze te vervangen en zijn mannen op hun plaatsen te benoemen. Als men daarbij bedenkt dat Erdogan er via een referendum in slaagde greep te krijgen op het gerechtelijk apparaat, dan weet men dat hij momenteel de sterke man is.

Opent dat de weg naar een echt democratisch Turkije? Peter Edel heeft daar sterke twijfels over. “In haar beleid suggereert de AKP dat ze de Turken een autoritair regime wil opleggen”, schrijft hij (blz. 315). En er redenen genoeg om hem te geloven. Er is de islamisering van de republiek, de repressie van alle oppositie (Koerden, militairen…) wat in Turkije mogelijk is onder een wet die “schuld door associatie” bestraft. Nu al zitten ongeveer 8.000 Koerden gevangen omdat ze het eens zijn met bepaalde princiepen van de Koerdische PKK. Hetzelfde geldt voor journalisten, intellectuelen die relaties hadden met personen die in het kader van Ergenekon-onderzoek opgepakte werden. Ook de vrijheid van mening en meningsuiting worden strak aan banden gehouden: een honderdtal journalisten zit in Turkije in de cel, honderden websites zijn geblokkeerd door de regering, en ga zo maar door.

Het ziet er naar uit dat Erdogan elk verzet tegen zijn regering en politiek wil uitschakelen. Ook vroegere medestanders moeten het volgens Peter Edel momenteel ontgelden. Zo werkte Erdogan in zijn strijd tegen de kemalisten jaren lang samen met Fethüllah Gülen de leider van een oerconservatie, anticommunistische en sterk pro-Amerikaanse Turkse organisatie met goede relaties met de CIA. Fethüllah Gülen zelf week na de staatsgreep van 1980 uit naar de Verenigde Staten omdat hij vreesde dat de militairen hem zou aanpakken. Hij woont er nog steeds. In Turkije begonnen zijn aanhangers politie, justitie en onderwijs te infiltreren. Nu de kemalisten uitgeschakeld zijn, ziet het er naar uit dat Erdogan de Gülenbeweging aan het aanpakken is. Vanuit zijn omgeving is al gesuggereerd dat er geen parallelle organisatie kan worden getolereerd. Met andere woorden concurrentie is ongewenst. Het hoofdstuk over de Gülenbeweging in het boek is niet alleen boeiend, maar ook interessant. Ook voor Europa omdat Gülen ondanks zijn fundamentalisme zich niet zonder succes heeft weten op te werpen als een gematigde islam-stem en in dat kader zelfs Israël, waarmee Erdogan op ramkoers zit, ondanks zijn vroeger openlijk antisemitisme, is gaan cultiveren. Vele Amerikaanse en Europese intellectuelen zijn, zoals ook blijkt uit opiniestukken in kranten, gecharmeerd geraakt door hem.

De vraag is of Erdogan erin zal slagen zijn project door te zetten of bij de volgende algemene verkiezingen zal worden afgestraft. Hij heeft Turkije wel een economische boost gegeven, maar Peter Edel meent dat de economie kwetsbaar blijkt. Op andere vlakken heeft Erdogan ronduit tegenslagen gehad. Hij is er niet in geslaagd van zijn “Koerdische opening” iets te maken. Ook zijn project van “zero conflict” , of de zgn. neo-Ottomaande diplomatie van zijn minister van Buitenlandse Zaken Ahmet Davutoglu, met zijn buren staat op de helling. Zowel met Grieken als Armenen geraken de problemen maar niet uit het slop. Vooral zijn bruuske wending in de goede relaties met Syrië, door de kant van de opstandelingen te kiezen, lijkt een ramp te worden: de relaties met Syrië, Irak en Iran, drie belangrijke handelspartners, zijn verzuurd met als gevolg dat ze de PKK steun zijn gaan geven. Met als gevolg dat de Koerden een bruggenhoofd hebben veroveren in de Turkse provincie Hakkari aan de grenzen met Irak en Iran en Turkije aan de grens met Syrië onder druk zetten – de Syrische president Bashar al-Assad heeft hen daar immers feitelijke autonomie gegeven. In eigen land heeft Erdogan er naast de Koerden ook vijanden bij gekregen onder de alevieten, zowat 20% van de bevolking (waaronder ook veel Koerden).

Eigenaardig genoeg is Erdogan erin geslaagd het kemalistisch establishment zeer klappen toe te dienen, maar op een aantal punten loopt zijn politiek gelijk met deze van dat establishment. Dat is zo in de Koerdische kwestie, en uiteindelijk ook in zijn relaties met de Arabische wereld.

 

jeudi, 04 octobre 2012

Das Projekt Neudefinition des Islam: die Türkei als das neue Modell eines »Calvinistischen Islam«

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Das Projekt Neudefinition des Islam: die Türkei als das neue Modell eines »Calvinistischen Islam«

By Mahdi Darius Nazemroaya

Global Research, September 27, 2011

Bei ihrem Vormarsch gegen das Eurasische Herzland versuchen Washington und seine Gefolgsleute, sich den Islam als geopolitisches Werkzeug zunutze zu machen. Politisches und soziales Chaos haben sie bereits geschaffen. Dabei wird versucht, den Islam neu zu definieren und ihn den Interessen des weltweiten Kapitals unterzuordnen, indem eine neue Generation sogenannter Islamisten, hauptsächlich unter den Arabern, ins Spiel gebracht wird.

Die heutige Türkei wird den aufbegehrenden Massen in der arabischen Welt als demokratisches Modell präsentiert, dem es nachzueifern gilt. Unbestreitbar hat Ankara Fortschritte gemacht im Vergleich zu den Zeiten, als es verboten war, in der Öffentlichkeit Kurdisch zu sprechen. Dennoch ist die Türkei keine funktionsfähige Demokratie, sondern eher eine Kleptokratie mit faschistischen Zügen.

Immer noch spielt das Militär in Belangen von Staat und Regierung eine große Rolle. Der Begriff »Tiefer Staat«, der einen Staat bezeichnet, der im Geheimen von Institutionen und Personen beherrscht wird, die nicht zur Rechenschaft gezogen werden können, hat seinen Ursprung in der Türkei. Bürgerrechte werden in der Türkei auch heute nicht geachtet, die Kandidaten für öffentliche Ämter müssen nach wie vor vom Staatsapparat und den kontrollierenden Gruppen zugelassen werden – und die sind bemüht, jeden herauszufiltern, der sich gegen den Status quo in der Türkei wenden könnte.

Die Türkei wird den Arabern nicht wegen seiner demokratischen Qualifikationen als Modell dargestellt. Vielmehr wird sie den Arabern wegen eines Projekts politischer und sozio-ökonomischer »Bida« (Erneuerung), das die Manipulation des Islam einschließt, als Modell präsentiert.

Trotz ihrer großen Popularität konnte die Türkische Partei für Gerechtigkeit und Aufschwung (Adalet ve Kalkinma Partisi oder kurz AKP) 2002 ohne jeden Widerstand von Militär und Justiz in der Türkei an die Macht gelangen. Davor hatte es in der Türkei keine große Toleranz gegenüber einem politischen Islam gegeben. Die AKP wurde 2001 gegründet; der Zeitpunkt der Gründung und der Wahlsieg 2002 standen auch im Zusammenhang mit der geplanten Neuorientierung Südwestasiens und Nordafrikas.

Mit dem Projekt Manipulation und Neudefinierung des Islam soll dieser durch eine neue Welle des »politischen Islamismus«, wie die AKP, den herrschenden kapitalistischen Interessen in der Weltordnung unterworfen werden. Zu diesem Zweck wird eine neue Strömung des Islam gebildet, die man inzwischen als »Calvinistischen Islam« oder »Muslimische Version der protestantischen Arbeitsethik« bezeichnet. Genau dieses Modell wird in der Türkei gefördert, Washington und Brüssel präsentieren es Ägypten und der arabischen Welt als Modell.

Dieser »Calvinistische Islam« hat auch kein Problem mit dem »Reba-« oder Zinssystem, das im Islam verboten ist. Dieses System dient dazu, Einzelne und ganze Gesellschaften durch die Verschuldung gegenüber dem globalen Kapitalismus zu versklaven. Das ist der Hintergrund für die Forderungen der Europäischen Bank für Wiederaufbau und Entwicklung (EBRD) nach so genannten »Reformen« in der arabischen Welt.

Auch die Herrscherfamilien in Saudi-Arabien und den arabischen Öl-Scheichtümern sind daran beteiligt, die arabische Welt durch Schulden zu versklaven. Zu diesem Zweck betreiben Qatar und die Scheichtümer am Persischen Golf die Gründung einer Middle East Development Bank [Entwicklungsbank für den Nahen Osten], die arabischen Ländern Kredite für den »Übergang zur Demokratie« gewähren soll. Diese Mission der Middle East Development Bank zur Förderung der Demokratie ist paradox, denn ihre Mitgliedsländer sind allesamt stramme Diktaturen.

Genau diese Unterwerfung des Islam unter den globalen Kapitalismus führt auch zu internen Spannungen im Iran.

Einer neuen Generation von Islamisten den Weg bereiten

Washington hofft darauf, dass dieser »Calvinistische Islam« bei einer neuen Generation von Islamisten unter dem Banner neuer demokratischer Staaten Wurzeln schlägt. Diese Regierungen werden ihre Länder versklaven, indem sie sie weiter in Schulden treiben und Staatseigentum verkaufen. Sie werden dazu beitragen, die gesamte Region von Nordafrika bis Südwest- und Zentralasien zu unterwandern; die Region also, die nach dem Vorbild Israels unter ethnokratischen Systemen neu geordnet werden soll.

Auch Tel Aviv wird unter diesen neuen Staaten erheblichen Einfluss ausüben. Im Rahmen dieses Projekts werden verschiedene Formen des ethno-linguistischen Nationalismus und religiöser Intoleranz gefördert, um die Region zu spalten. Die Türkei spielt als Wiege dieser neuen Islamisten-Generation ebenfalls eine Rolle. Und Saudi-Arabien hat mit der Förderung des militanten Flügels dieser Islamisten die Hand im Spiel.

Washingtons Umstrukturierung des geostrategischen Schachbretts

Der Iran und Syrien werden im Rahmen der größeren Strategie zur Beherrschung Eurasiens ins Visier genommen. Gegen die chinesischen Interessen wird überall auf der Welt vorgegangen. Der Sudan ist bereits balkanisiert worden, sowohl Nord- als auch Süd-Sudan steuern auf einen Konflikt zu. Libyen ist angegriffen worden und wird derzeit balkanisiert. Syrien wird unter Druck gesetzt, sich zu ergeben und sich anzuschließen. Die Sicherheitsbehörden der USA und Großbritannien werden miteinander verflochten, vergleichbar den anglo-amerikanischen Einrichtungen aus der Zeit des Zweiten Weltkriegs.

Wenn Pakistan aufs Korn genommen wird, so geschieht dies im Zusammenhang mit der Neutralisierung des Iran sowie dem Angriff auf chinesische Interessen und eine künftige Einheit in Eurasien. In dieser Absicht haben USA und NATO auch das Seegebiet um Jemen militarisiert. Gleichzeitig bauen die USA in Osteuropa ihre Festungen in Polen, Bulgarien und Rumänien aus, um Russland und die ehemaligen Sowjetrepubliken zu neutralisieren. Auch Belarus und die Ukraine werden zunehmend unter Druck gesetzt. All diese Schritte sind Teil einer militärischen Strategie zur Einkreisung Eurasiens und der Kontrolle seiner Energieversorgung oder des Energietransports nach China. Selbst Kuba und Venezuela geraten immer mehr ins Visier. Washington zieht die militärische Schlinge weltweit enger.

Wie es scheint, werden von der Saud-Dynastie mit Unterstützung der Türkei neue islamistische Parteien ins Leben gerufen und entwickelt, die in den Hauptstädten der arabischen Welt die Macht übernehmen sollen. Solche Regierungen werden bemüht sein, ihre jeweiligen Staaten unterzuordnen. Für Pentagon, NATO und Israel könnten einige dieser neuen Regierungen sogar als Rechtfertigung für neue Kriege dienen.

Es sei daran erinnert, dass Norman Podhoretz, Gründungsmitglied des Project for a New American Century (PNAC), 2008 ein apokalyptisches Szenario vorgestellt hat, bei dem Israel einen Atomkrieg gegen den Iran, Syrien und Ägypten und seine übrigen Nachbarländer in Gang setzen würde. Davon wären auch Libanon und Jordanien betroffen. Podhoretz beschrieb ein expansionistisches Israel und deutete sogar an, Israel könnte die Ölfelder am Persischen Golf besetzen.

Was 2008 seltsam anmutete, war Podhoretz’ von der strategischen Analyse des Center for Strategic and International Studies (CSIS) beeinflusste Andeutung, Tel Aviv könne einen nuklearen Angriff gegen seinen strammen ägyptischen Verbündeten richten, die Regierung von Präsident Mubarak in Kairo. Das alte Regime ist zwar geblieben, aber Mubarak regiert nicht mehr in Kairo. Noch immer hat das ägyptische Militär das Kommando, doch Islamisten könnten die Macht übernehmen. Und das, obwohl der Islam von den USA und den meisten NATO-Verbündeten weiterhin verteufelt wird.

Unbekannte Zukunft: Was kommt als Nächstes?

USA, EU und Israel versuchen, die Aufstände in der türkisch-arabisch-iranischen Welt zu nutzen, um ihre eigenen Interessen zu fördern, darunter den Krieg gegen Libyen und die Unterstützung für einen islamischen Aufstand in Syrien. Zusammen mit der Familie Al-Saud versuchen sie, die »Fitna« oder Spaltung unter den Völkern Südwestasiens und Nordafrikas voranzutreiben. Die strategische Allianz Israel–Khaliji zwischen Tel Aviv und den arabischen Herrscherfamilien am Persischen Golf ist in dieser Hinsicht von entscheidender Bedeutung.

Der Aufstand in Ägypten ist noch lange nicht vorüber, die Radikalität nimmt zu, was wiederum die Militärjunta in Kairo zu Zugeständnissen veranlasst. Die Protestbewegung wendet sich jetzt gegen die Rolle Israels und dessen Beziehungen zur Militärjunta. Auch in Tunesien wird die Stimmung in der Öffentlichkeit zunehmend radikaler.

Washington und seine Verbündeten spielen mit dem Feuer. Sie mögen der Ansicht sein, diese Periode von Chaos biete ausgezeichnete Chancen für eine Konfrontation mit dem Iran und Syrien. Doch der Aufstand, der die türkisch-arabisch-iranische Welt erfasst hat, wird unabsehbare Folgen haben. Die Standfestigkeit der Menschen in Bahrein und Jemen angesichts der Bedrohung durch die wachsende, staatlich beaufsichtigte Gewalt ist ein Anzeichen dafür, dass sich eine einheitlichere anti-amerikanische und anti-zionistische Protestbewegung artikuliert.

Mahdi Darius Nazemroaya ist ein unabhängiger Schriftsteller aus Ottawa (Kanada), der sich auf den Nahen Osten und Zentralasien spezialisiert hat. Er ist wissenschaftlicher Mitarbeiter des Centre for Research on Globalization (CRG).

 

Dieser Artikel erschien unter dem Titel: The Powers of Manipulation: Islam as a Geopolitical Tool to Control the Middle East

Quelle: Global Research, Centre for Research on Globalization (CRG) vom 2.7.2011

mercredi, 03 octobre 2012

Siria: L’errore di calcolo della Turchia!

Siria: L’errore di calcolo della Turchia!

Dr Amin Hoteit, Mondialisation , al-Thawra

Ex: http://aurorasito.wordpress.com/

Quando la Turchia ha preparato il suo ruolo di “Direttore Regionale della ricolonizzazione” come “potenza neo-ottomana” o “moderno califfato islamico“, ha pensato che avrebbe fatto strada senza problemi, data la mancanza di strategia araba, l’isolamento dell’Iran e l’evoluzione delle condizioni regionali che hanno reso Israele incapace di mantenere consistente il proprio ruolo, secondo le teorie di Shimon Peres, promuovendo l’idea di un “Nuovo o Grande Medio Oriente“, basata sul “pensiero sionista” e il “denaro arabo“.

La Turchia ha veramente pensato che questo fosse il modo migliore per garantirsi la leadership della regione, per iniziare, poi del mondo musulmano … confortata in questo dai suoi punti di forza economici, dalle sue buone relazioni con i popoli di tanti stati indipendenti dell’Asia centrale, il suo passato musulmano assieme a un presente che dimostrerebbe la capacità degli “islamisti” nel prendere le redini dello Stato turco e neutralizzare l’ostacolo dell’Esercito “guardiano della laicità”, istituito da Ataturk!

In base a questa visione, la Turchia, o meglio il Partito per la Giustizia e lo Sviluppo, ha lanciato la sua strategia di “zero problemi“, pensando che le avrebbe permesso di attraversare le frontiere dei confinanti e far dimenticare le tragedie storiche commesse contro diversi popoli e stati della regione, prima di involarsi verso il suo nuovo sogno imperiale… Quindi “conquistata” la causa palestinese, causa centrale per gli arabi e i musulmani [per i popoli e i regimi non asserviti all'Occidente e ad Israele], ha iniziato a tessere relazioni strategiche con diversi paesi della regione, a partire dal più vicino e più importante: la Siria! In effetti, in un libro pubblicato nel 2001, Davutoglu, il teorico del “zero problemi” aveva sottolineato che la Turchia non poteva realizzare i propri progetti imperialistici che partendo dalla Siria, passo preliminare per assicurarsi il sogno della profondità strategica!


In questo caso, si deve rilevare che la Siria ha risposto positivamente alla nuova politica di apertura della Turchia e, in piena fiducia, aveva stabilito una partnership strategica con uno stato ancora membro della NATO, che “coltivava un rapporto speciale con Israele“, pensando che questo nuovo approccio permettesse almeno di garantirsi la sua neutralità nel conflitto con il nemico sionista e, eventualmente, affidargli alcune missioni nel quadro di questo stesso conflitto, in cui non avrebbe più dimostrato un palese sostegno verso Israele.
Ma la Turchia non è stata onesta e aveva previsto l’esatto opposto di quello che offriva, non appena l’aggressione occidentale, agli ordini dei piani degli Stati Uniti basati sulla strategia intelligente del “soft power“, si è abbattuta sulla Siria, è entrata nel suo ruolo di “regista sul campo dell’aggressione” e si è messa a “dare lezioni” avvalendosi della lingua condiscendente dei colonizzatori, come se la Siria fosse ancora parte dell’Impero Ottomano! Ciò fu chiaramente il suo primo errore di calcolo, in quanto la nuova moda neo-ottomana incontrava la resistenza araba siriana, proibendogli di ripristinare un passato che ne ignorasse la dignità e la sovranità; ciò ha innescato la furia e l’odio in cui i leader turchi si sono pubblicamente immersi, nel tentativo di minare dall’interno la Siria.


A questo punto, la Turchia ha svolto il ruolo di cospiratore su due livelli:
· A livello politico, ha sponsorizzato i gruppi di agenti dei servizi segreti di vari paesi e varie figure revansciste cariche di odio o di vendetta, assetate di potere, prima di organizzare un cosiddetto “Consiglio nazionale siriano” [CNS], che in realtà è al soldo di servizi ed interessi stranieri in Siria. In questo modo, pensava che questo falso consiglio sarebbe stata un’alternativa alle legittime autorità siriane… Secondo errore di calcolo, poiché essendo il CNS nato come strumento della discordia straniera, si è evoluto verso una discordia interna maggiore, trasformandosi in un cadavere putrefatto, così divenendo un peso per i suoi creatori, e per la Turchia per prima!


· Sul piano militare, si è trasformata in una base di raccolta dei terroristi di tutte le nazionalità, attaccando la Siria prima dell’esecuzione di un’operazione militare internazionale di cui sarebbe stata la punta di lancia, raccogliendone i frutti trasformandola nel cortile dell’impero neo-ottomano rinato dalle ceneri… Terzo errore di calcolo manifesto, dopo che una simile operazione, cosiddetta “internazionale”, si era rivelata impossibile, ciò ha spinto la Turchia a non concentrarsi che su sordide azioni terroristiche sul suolo siriano! Il partito al governo in Turchia aveva, infine, puntato tutte le sue speranze sul terrorismo internazionale, e aveva immaginato che la Siria sarebbe crollata in poche settimane, aprendo la via di Damasco al nuovo sultano ottomano… Quarto errore di calcolo, davanti a una Siria in cui tutte le componenti statali e civili resistevano alla marea terroristica, ritenuta infrangibile, la  Turchia è ritornata a quella dura realtà che non si era degnata di prevedere.
In effetti, la Turchia aveva immaginato che la difesa siriana e quella dei suoi alleati regionali dell’”asse della resistenza“, in perfetto accordo con il fronte del rifiuto emergente sulla scena internazionale, non avrebbe potuto resistere nel caso di uno scontro così ben condotto e che, in ogni caso, l’avrebbe dovuto affondare… Quinto errore di calcolo, particolarmente pericoloso vista l’evoluzione del teatro delle operazioni a scapito delle sue velleità. Non citeremo che le conseguenze fondamentali:

1. Definitivo fallimento della Turchia nella sua guerra terroristica contro la Siria, condotta congiuntamente al “campo occidentale degli aggressori“… Inoltre, ora è fermamente convinta che non è possibile rovesciare il governo siriano, il popolo siriano è l’unico in grado di deciderlo.


2. Fallimento degli sforzi della Turchia a favore di un intervento militare diretto, volto a trasformare la prova, ora che tutti i suoi tentativi di creare  “zone di sicurezza“, “zone cuscinetto“, “corridoi umanitari” o qualsiasi altra scusa che consentisse l’intervento militare straniero in Siria, sono falliti miseramente di fronte alla resistenza siriana, alla fermezza iraniana e alla coerenza russa nel loro rifiuto concertato di un tale risultato, anche se avessero dovuto arrivare a un confronto militare internazionale, mentre la Turchia ed i suoi alleati non erano preparati a tale possibilità.


3. La grave angoscia della Turchia sul futuro dei gruppi terroristici che ha accolto sul suo territorio e diretto contro la Siria sotto la supervisione degli Stati Uniti; ciò dovrebbe ricordarci che il fenomeno degli “afghani arabi” è diventato un problema per il paese che li ha spinti a combattere contro l’Unione Sovietica in Afghanistan, dove una volta che le truppe sono partite sono diventati dei “veterani disoccupati“, minacciando ogni sorta di pericoli; una situazione non molto diversa da quella che potrà incontrare la Turchia, oggi! E’ per questo motivo che si è affrettata a chiedere il soccorso degli Stati Uniti nell’aiutarla a prevenire questa probabile piaga… E’ per questo motivo che recentemente le forze di sicurezza dei due paesi si sono incontrate e che, contrariamente a quanto è stato riportato dai media, non hanno parlato dello sviluppo dei preparativi finali per l’intervento militare in Siria, ma di difendere la Turchia, che teme per la propria incolumità in caso di una controffensiva lanciata dalla cittadella siriana che resiste alla sua violenta aggressione per mezzo di interposti terroristi.


4. L’ansia non meno grave della Turchia per certi dossier che sono sul punto di esplodere, mentre cerca di nasconderli con la sua presunta politica di “zero problemi” trasformata in pratica nella politica di “zero amici“; il più pericoloso di questi casi è l’ostilità dei popoli, di gran lunga superiore a quella dei governi. Così, quattro temi principali minacciano l’essenza dello Stato turco e perseguitano i suoi dirigenti:
· Il dossier settario: la Turchia ha ritenuto che accendendo il fuoco settario in Siria, si sarebbe salvata dall’incendio. Ha dimenticato che la sua popolazione è ideologicamente e religiosamente eterogenea, e che lo stesso fuoco potrebbe bruciare data la sua vicinanza geografica; cose che sembra aver capito ora…
· Il dossier nazionalista: la Turchia ha pensato che potesse contenere il movimento nazionalista curdo… un altro errore di calcolo, perché questo movimento è diventato così pericoloso che l’ha costretta a riconsiderare seriamente la sua politica globale nei confronti di esso.
· Il dossier politico: la Turchia ha immaginato che basandosi sulla NATO potesse ignorare le posizioni dei paesi della regione e d’imporre la sua visione basata sui propri interessi, ma ora è sempre più politicamente isolata, i paesi sulla cui amicizia sperava di contare nell’aggressione contro la Siria, si sono allontanati per paura della sua smisurata ambizione, e i paesi che ha trattato da nemici, al punto di pensare che potesse dettargli i propri ordini o di schiacciarli, si sono dimostrati in grado di resistere con una forza che l’ha sconcertata… lasciandola nella situazione inaspettata di “zero amici“!
· Il dossier della sicurezza: la Turchia cerca invano di negare il declino della sicurezza nel suo territorio, diventata estremamente penosa per i suoi commercianti e soprattutto per coloro che lavorano nel settore del turismo e che hanno perso più del 50% delle loro entrate normali nel corso degli ultimi sei mesi!


Tutto ciò mostra che la Turchia si trascina dietro gli USA, supplicandoli di farla uscire dal pantano in cui è sprofondata! Non solo ha fallito nella sua aggressione contro la Siria, e ha rivelato la falsità della sua politica e di tutte le sue dichiarazioni, ma non è neanche più sicura di salvare le carte che ancora pensa di detenere, ora che gli eventi di Antiochia, le rivendicazioni armene, gli attacchi curdi, gli oppositori interni alle politiche del governo attuale, e la mancanza di cooperazione assieme alla sfiducia dei paesi della regione, sono diventati fattori che, tutti insieme, possono generare turbolenze verso i piani imperialistici di Erdogan e del suo ministro degli Esteri; ricordando, in questo caso, l’aneddoto del giardiniere innaffiato!

Il dottor Amin Hoteit è un analista politico, esperto di strategia militare e generale di brigata in pensione libanese.

Traduzione di Alessandro Lattanzio – SitoAurora

samedi, 15 septembre 2012

Erdogan et la nouvelle Turquie

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Robert Steuckers:

Erdogan et la nouvelle Turquie

 

Conférence prononcée à la tribune de l’ASIN (“Association pour une Suisse Indépendante et Neutre”), Genève, 3 novembre 2011

 

Recension: Jürgen P. FUSS, Erdogan – Ein Meister der Täuschung – Was Europa von der Türkei wirklich zu erwarten hat, Bublies Verlag, D- 56.290 Beltheim/Schnellbach, 2011. Internet: http://www.bublies-verlag.de/

Adresse électronique pour toute commande: bublies-verlag@t-online.de .

 ISBN 978-3-937820-16-3.

 

Recep Tayyip Erdogan a fait advenir sur l’échiquier politique planétaire, et plus spécifiquement proche-oriental, une Turquie nouvelle, dans la mesure où sa politique intérieure n’est plus déterminée par le laïcisme kémaliste et par le pouvoir réel de l’armée (= l’“Etat profond”) et où sa politique étrangère n’est plus systématiquement alignée sur les concepts convenus de l’OTAN (du moins en apparence).

 

Une effervescence nouvelle

 

Ce glissement s’est opéré au moment où s’installait dans la région une effervescence plus complexe que celle impulsée jusqu’ici par le seul conflit israélo-palestinien et israélo-arabe. Cette effervescence nouvelle anime le Moyen Orient (Irak, Iran et Afghanistan compris), l’Asie mineure (avec le Caucase) et le Bassin oriental de la Méditerranée. En effet, à Chypre, le conflit greco-turc pour la maîtrise de l’île, qui avait conduit à l’invasion de l’été 1974, se double désormais d’un conflit pétrolier pour le partage des eaux territoriales et le partage des éventuelles nappes pétrolifères à découvrir dans le sous-sol de la Méditerranée. Ces nappes se situent à cheval sur les eaux territoriales libanaises et cypriotes, israéliennes et cypriotes, sur la portion de mer octroyée à la Bande palestinienne de Gaza. La Turquie, puissance occupante de la moitié septentrionale de Chypre, est le seul Etat au monde à reconnaître le “République turque de Chypre du Nord” et n’est pas autorisée à forer mais fait néanmoins valoir des “droits” sur les nappes à découvrir et exploiter, ce qui entraîne la constitution d’un nouvel axe Athènes/Nicosie/Tel Aviv, dirigé contre Ankara. Pour l’Europe, les menaces turques contre Chypre sont une menace directe contre un Etat appartenant à l’UE, qui, de surcroît, risque de devenir un fournisseur d’hydrocarbures. Ce qui ne devrait pas être pris à la légère.

 

En Syrie, en août 2011, le ministre turc des affaires étrangères, Davutoglu, a proposé au pouvoir baathiste de Bachar El Assad une alliance “néo-ottomane” afin de ré-ancrer la Turquie dans le monde arabo-musulman. Il a essuyé une fin de non recevoir car le baathisme syrien demeure une idéologie et une pratique laïques, fondées sur une option “arabiste”, excluant, modernisme oblige, toute notion archaïsante et néo-fondamentaliste de “Djalliliyâh” (n’a pas droit à l’existence toute forme d’organisation politique née en dehors de l’islam, que ce soit avant la prophétie ou après) et toute confrontation entre religions. Ensuite, Davutoglu ne proposait rien de concret pour réduire le “stress hydrique” que connaît la Syrie, où le débit des fleuves, le Tigre comme l’Euphrate, est considérablement diminué par l’installation, au temps d’Özal, de barrages en amont, sur territoire turc.

 

En Egypte, en Libye et en Tunisie, la disparition des pouvoirs laïques ou militaires semble faire place à de nouveaux pouvoirs, assez largement déterminés par les Frères Musulmans, qui peuvent prendre soit un visage “modéré”, et adopter dans ce cas le “modèle turc”, soit un visage plus radical et se rapprocher du wahhabisme saoudien voire d’Al Qaeda. Le voyage d’Erdogan en Tunisie semble avoir donné le coup d’envoi au parti “Ennahda”, posé comme “islamiste modéré”. L’exportation de ce “modèle turc” correspond souvent aux intérêts géostratégiques de la Turquie néo-ottomane.

 

Dans le Kurdistan irakien, les Kurdes d’Irak semblent vouloir, paradoxalement, devenir des vassaux de la Turquie, contrairement à leurs cousins d’Anatolie orientale, organisés par le PKK. L’alliance tacite entre l’Iran et la Turquie entraîne, semble-t-il, une alliance entre le PKK et les révoltés kurdes d’Iran.

 

Les gazoducs

 

A tout cela s’ajoutent les innombrables problèmes soulevés par le tracé des futurs oléoducs et gazoducs: 1) le North Stream qui achemine le gaz russe vers l’Allemagne via la Baltique; 2) le South Stream qui achemine le gaz russe vers l’Europe, en passant par l’Europe centrale; ces deux gazoducs ne concernent pas immédiatement la Turquie; 3) le tracé dit “Nabucco”, lui, doit acheminer du gaz de la région caspienne/caucasienne, voire des hydrocarbures en provenance d’Asie centrale ex-soviétique, vers l’Europe en passant par la Turquie, donnant ainsi à ce pays, un formidable atout géostratégique qu’il ne possédait pas auparavant; l’objectif, soutenu par les Américains, est de ne pas faire transiter de gaz ou de pétrole par l’Iran ou par la Russie, voire de verrouiller l’acheminement d’hydrocarbures vers l’Europe au cas où un éventuel conflit surviendrait entre une Europe, jugée trop russophile ou trop alignée sur le BRIC, et les Etats-Unis (où ceux-ci joueraient immédiatement, contre nous, la “carte islamique modérée”, et la “carte qatarie”, et, pour les sales travaux, la carte d’Al Qaeda, comme en Libye); enfin, 4) le tracé dit “Blue Stream”, qui doit acheminer le gaz russe en direction de la Turquie, pauvre en hydrocarbures. Le projet “Blue Stream” explique, qu’en dépit d’une inféodation à l’OTAN, d’une fidélité réelle à l’alliance américaine malgré le rideau de fumée de la diplomatie néo-ottomane et islamisante, la Turquie compose avec la Russie, même si celle-ci s’oppose au tracé “Nabucco” et privilégie le tracé “South Stream”, qu’elle estime suffisant. Les rapports russo-turcs ont toutefois été troublés par la fameuse affaire “Ergenekon” (cf. infra), mise en exergue par le gouvernement Erdogan, qui y voyait un complot contre la nouvelle orientation néo-ottomane et néo-islamisante que son parti, l’AKP, impulsait. Le mouvement “Ergenekon” aurait été une nouvelle mouture du panturquisme laïque, jadis anti-soviétique et anti-russe (avec les généraux Enver et Çakmak), mais devenu pro-russe sous l’influence du nouvel eurasisme, théorisé actuellement en Russie, notamment par le penseur politique Alexandre Douguine.

 

Voilà pour la nouvelle donne sur le théâtre proche-orientale et est-méditerranéen.

 

Du “Tanzimat” à Atatürk

 

Pour comprendre la dynamique à l’oeuvre, il faut expliciter préalablement quelques mots-clefs. Sous le sultanat, au 19ème siècle, des esprits “éclairés” (inspirés par les acquis positifs du despotisme éclairé de la seconde moitié du 18ème en Europe) suggèrent des réformes visant à redonner de la puissance à l’Empire ottoman en recul; ce train de réformes s’est appelé “Tanzimat” et s’est inspiré, dans la deuxième phase de son développement, des réformes impulsées par l’ère Meiji au Japon. C’est l’époque où les Ottomans se maintiennent dans les Balkans mais perdent la Roumanie, première puissance orthodoxe, jadis inféodée à l’Empire ottoman, qui accède à l’indépendance, avec l’appui européen mais surtout russe. La réforme “Tanzimat” vise un réaménagement intérieur sans toutefois pouvoir arrêter la déliquescence dans les Balkans, pièce maîtresse de l’Empire et principal réservoir humain (non musulman!). Cette ère de réformes culminera en 1908 avec la révolution des “Jeunes Turcs”, suite à l’annexion du centre névralgique des Balkans, la Bosnie-Herzégovine, par l’Autriche. En dépit de leur volonté première de s’aligner sur l’Occident français et anglais, les “Jeunes Turcs”, qui sont hostiles à la Russie, troisième puissance de l’Entente, basculent dans l’alliance allemande, ce qui induit Londres et Paris à faire éclore en Syrie et au Liban un “nationalisme arabe libéral” pour fragiliser l’Empire ottoman au Levant et le couper ainsi de ses possessions arabes, saoudiennes et égyptiennes. Dans le sillage des “Jeunes Turcs” naît l’idéologie panturquiste ou pantouranienne, visant l’unification en un seul bloc de tous les peuples turcs depuis l’Anatolie jusqu”au “Turkestan chinois” (le Sinkiang actuel). La première guerre mondiale, on le sait, conduit au démantèlement de l’Empire ottoman. Il est bon de le rappeler dans le contexte actuel car ce démantèlement avait contraint les Turcs à ne plus évoquer l’ottomanisme (phase de leur histoire considérée comme “révolue”). Aujourd’hui, le concept refait surface et l’abolition du califat, consécutive de la victoire des nationalistes kémalistes au début des années 20, est subrepticement rendue caduque, du moins en idée, par le recours à un “cadre islamique”, dans lequel la Turquie envisage de jouer un rôle majeur, comme au temps du califat, officiellement défunt. Au-delà de toutes les vicissitudes vécues par la Turquie de 1922 à l’avènement d’Erdogan, début du 21ème siècle, une Turquie strictement nationaliste, ethniquement turco-centrée, repliée sur le seul territoire anatolien, est une Turquie sans pétrole, sans réels débouchés pour son industrie en plein développement, puisqu’elle a renoncé aux régions kurdes et pétrolifères de Kirkouk et de Mossoul lors de la signature du Traité de Lausanne en 1923. Le néo-ottomanisme vise à renouer avec les zones ayant jadis appartenu à l’Empire ottoman et à sortir du cadre de plus en plus étroit de l’Anatolie ( vu la démographie galopante et le boom économique).

 

Laïcisme et hittitisme

 

Le sursaut kémaliste, après le désastre de la première guerre mondiale, est aussi et surtout une réaction à l’invasion grecque de 1921-22, laquelle avait annexé la Thrace et la région de Smyrne qui permettait à l’armée grecque de lancer aisément des promenades militaires dans les profondeurs territoriales anatoliennes. On lira avec profit le livre que l’historien et écrivain anglais Giles Milton a consacré à la tragédie de Smyrne, abandonnée par les Britanniques et les Américains à l’invasion turque. Pour surmonter l’émiettement potentiel du nouvel Etat turc fort hétérogène dans sa population (47 groupes ethniques et religieux) sans recourir à l’islam, qu’il détestait, Kemal Atatürk invente un “mythe hittite”: le nouvel Etat est l’héritier, non pas des hordes turques venues d’Asie centrale, non pas des bandes arabes qui y ont amené l’islam, mais d’un peuple indo-européen qui a bâti un empire en Anatolie et a fait face aux autres empires (souvent sémitiques) de son époque et à l’Egypte des Pharaons. Kemal Atatürk s’inscrivait ainsi, ou croyait s’inscrire, dans le club des nations modernes européennes. Son laïcisme et son “hittitisme”, version turque “mythologisée” du modernisme européen, doivent constituer un bastion contre l’obscurantisme arabe/sémitique, comme l’Empire hittite avait été une civilisation indo-européenne face à des empires plus autoritaires et plus hiérarchisés, en tout cas de facture non “européenne”. Cette vision sera d’abord contestée par le panturquisme ou pantouranisme qui se revendiquera des hordes de la steppe, tout en demeurant laïque comme l’était par ailleurs Atatürk. Avec Erbakan et Erdogan, l’idéologie d’Etat glisse à nouveau vers l’islam et se revendique du double héritage turc et islamique, celui où la steppe s’est alliée au Califat de Bagdad au 11ème siècle.

 

Pendant la deuxième guerre mondiale, la Turquie, au départ, proclame sa neutralité, après avoir récupéré sur la France cette portion de la Syrie que l’on appelait alors le “Sandjak d’Alexandrette” (1939). Au moment où les armées allemandes victorieuses s’enfoncent dans le territoire soviétique, s’approchent du Caucase et de la Volga lors de la “Vormarsch” de 1942, un groupe de militaires panturquistes, regroupés autour du Général Çakmak, chef de l’état-major, proposent aux Allemands à Berlin une entrée en guerre de la Turquie, moyennant cession du Caucase et de toutes les républiques soviétiques turcophones d’Asie centrale. Ces projets sont jugés délirants à Berlin. L’Allemagne aurait servi de “janissaire” pour la création d’un Empire pantouranien, sans recevoir de réelles compensations et, pire, en voyant ces conquêtes sur l’URSS menacées exactement aux mêmes points que l’était l’ancienne Russie d’Ivan le Terrible à Catherine la Grande. En 1945, au moment où la Turquie déclare la guerre à l’Allemagne, les comploteurs panturquistes sont arrêtés, condamnés à de lourdes peines de prison mais rentrent chez eux au bout de quelques semaines... Parmi eux, un homme qui fera parler de lui: le Colonel Türkes du parti MHP.

 

Après 1945: démocratie, retour du religieux et destin tragique d’Adnan Menderes

 

Après 1945, la Turquie opte pour l’inféodation à l’OTAN. Pour prouver sa bonne volonté, elle paie le prix du sang, en envoyant plusieurs bataillons en Corée pour appuyer les Américains. Les pertes ont été lourdes. L’installation en Turquie de missiles américains pointés sur la Crimée et l’Ukraine entraîne la crise de Cuba de 1962: les Soviétiques ripostent en installant chez Castro des engins ballistiques équivalents, pointés sur le Texas et la Floride. Cependant, selon leur bonne habitude, les Etats-Unis réclament dès 1945 l’installation d’une démocratie pluripartite à l’occidentale en Turquie. L’installation d’un tel régime a tout de suite impliqué le retour de la religion, auquel aspirait une bonne partie de l’électorat dans les campagnes anatoliennes. Adnan Menderes, à la tête de son “Parti Démocratique”, gouverne la Turquie de 1950 à 1960 et édulcore la rigidité des principes laïques kémalistes, à la fureur des militaires et des nationalistes panturquistes, qui ont dû lâcher du lest en abandonnant sous pression américaine leur parti unique, le “Parti Républicain du Peuple”. Ces principes kémalistes, posés comme intangibles par les fondateurs de la République, sont au nombre de six: laïcité, nationalisme, populisme, étatisme, république, révolution. En 1961, un putsch renverse Menderes: il est condamné à mort et exécuté. Le putsch de 1961 sert de modèle régulateur à la démocratie turque: si le système pluripartite génère de l’anarchie ou enfreint l’un des six “principes”, l’armée intervient, rétablit l’ordre puis réinstalle la démocratie sur des bases rénovées. En 1971, l’armée interviendra à nouveau, suite aux conflits idéologiques et aux violences entre factions d’extrême-gauche et factions d’extrême-droite. En 1981, nouveau putsch rectificateur, sous l’impulsion du Général Kenan Evren, qui fait quelques concessions en faveur de la religion, permettant notamment de l’enseigner dans les écoles et lycées d’Etat. En 1997, les chars paradent, menaçants, dans les rues pour évincer l’islamisant Erbakan. Le recours au putsch constitue donc un expédient récurrent dans le fonctionnement de la démocratie turque, imposée au pays, fin des années 40, par les Etats-Unis, qui ferment les yeux quand les chars sortent de leurs casernes car la Turquie, membre de l’OTAN, est “un Etat sur la ligne de front”.

 

Trois facteurs idéologiques majeurs

 

Toute la période de l’histoire turque, avant Erdogan, est donc déterminée par trois facteurs idéologiques majeurs: 1) le laïcisme républicain (ou “kémalisme”), très intransigeant quant au respect de ses principes, une intransigeance qui a notamment imposé au parlement et au pouvoir civil certaines prérogatives de l’armée qui, entre autres choses, soumet son budget aux députés qui n’ont pas le droit de le contester; 2) le panturquisme laïc, représenté politiquement par le MHP, mais plus diffus dans la société et dont la laïcité a été édulcorée, elle aussi, dans la mesure où ce parti déclare représenter 2500 ans d’histoire turque, mille ans d’islam turc et quelques décennies de nationalisme républicain, comme couronnement et formule définitive de l’histoire du pays; 3) la religion, qui, avant Erdogan, subit deux échecs dans sa volonté de se ré-affirmer, d’abord avec Menderes, qui a fini tragiquement suite au putsch de 1961, ensuite avec Erbakan, démissionné sous la pression de l’armée. Face à ces deux échecs, comment expliquer, dès lors, qu’Erdogan a pu prendre le pouvoir, s’y accrocher et refouler le laïcisme républicain voulu par Mustafa Kemal?

 

Erbakan, Erdogan et le mouvement “Milli Görüs”

 

Pour comprendre la révolution erdoganienne, il faut commencer par situer le personnage. Il passe sa jeunesse dans les quartiers pauvres du port d’Istanbul. A quinze ans, il adhère au mouvement national-religieux “Milli Görüs”, dont Erbakan est une figure de proue. Il fréquente ensuite une école du réseau “Hatip”. Ce réseau scolaire forme des imams et des prédicateurs et axe son enseignement sur la rhétorique. Il communique à ses étudiants une synthèse islamiste, conservatrice et nationaliste. Les activités de “Milli Görüs” en Europe sont surveillées, notamment par le “Verfassungsschutz” allemand car il compterait 87.000 adhérents rien qu’en Europe occidentale, ce qui, d’après les estimations, représenterait 300.000 électeurs au moins (qui ont presque tous la double nationalité), car dans le système turc, très patriarcal, c’est le chef de famille qui décide du comportement politique des siens. Le mouvement anime également 514 centres culturels et de prière en Europe, dont 323 en Allemagne. La force d’Erdogan, grâce aux talents de rhétoricien qu’il a acquis dans le réseau scolaire “Hatip”, c’est d’avoir réinterprété le message: la synthèse islamiste, conservatrice et nationaliste de “Milli Görüs” et du réseau “Hatip” débouchera, via Erdogan, sur l’idéal d’une “nouvelle grande Turquie”, sur un conservatisme islamisant servant de modèle à toutes les anciennes composantes musulmanes de l’Empire ottoman (cf. le néo-ottomanisme du Prof. Davutoglu) et sur une ré-islamisation de la société turque envers et contre les volontés de l’armée et des forces laïques. Pour y parvenir, dans une première phase, Erdogan donnera à son gouvernement un “masque démocratique” qui va séduire l’UE.

 

L’ouverture aux techniques et aux sciences chez Saïd Nursi

 

Erdogan a reçu d’autres influences, qu’il me paraît important d’évoquer, pour bien comprendre les ressorts qui animent aujourd’hui la “Turquie néo-ottomane et ré-islamisée”. Pour Jürgen P. Fuss, un journaliste allemand qui a vécu et publié longtemps en Turquie, Erdogan a subi également l’influence d’un penseur turc (ethniquement kurde), Saïd Nursi. Ce penseur du 19ème siècle ottoman estime que l’islam, en tant que religion et que vision du monde, doit correspondre aux temps qui courent, tirer profit des innovations techniques et scientifiques pour ne pas les laisser en exclusivité aux autres, à ses ennemis. Saïd Nursi s’aligne ainsi sur d’autres penseurs du monde musulman de son époque comme l’Egyptien Abd al-Rahman al-Djabarti (1754-1825) ou l’Indien Sayyid Ahmad Khan (1817-1898). Pour donner corps à son idée, Saïd Nursi crée le “Jama’at-Un”, mouvement réformateur et religieux qui inclut dans ses réflexions la technique et les sciences modernes (européennes), ce qui doit déboucher sur une synthèse rationnelle, appelée à fortifier le mouvement “Tanzimat”, équivalent ottoman de l’ère Meiji japonaise. Vingt millions de musulmans appartiendraient aujourd’hui à ce mouvement fondé jadis par Saïd Nursi, qui avait amorcé ses réflexions au départ d’un constat, celui du recul général de l’aire civilisationnelle musulmane au 19ème siècle, face aux puissances occidentales. Atatürk s’est inspiré de lui mais a rejeté son message religieux. Erdogan accepte le message de Nursi, tant sur le plan rationnel (technique et scientifique) que sur le plan religieux.

 

L’influence de Fethullah Gülen

 

Erdogan a ensuite bénéficié de toute l’influence de Fethullah Gülen, un industriel turc milliardaire, prônant l’ascétisme et l’appliquant à lui-même, se nourrissant exclusivement de soupe et de yoghurt. Pour Gülen, l’origine de toute décadence se trouve dans la soif de luxe, l’extravagance et le déclin spirituel. Pour faire triompher ses visions spirituelles et ascétiques, Gülen a financé 200 fondations dans 54 pays; il a sponsorisé cinq universités en Asie centrale turcophone; il dirige simultanément 500 entreprises et possède une banque, l’”Asya Finans Bankasi” (= “Banque financière d’Asie”). Il est très actif dans le secteur immobilier, contrôlant 300 agences, 46 foyers créés pour activités diverses et seize instituts d’enseignement, sans compter d’innombrables commerces. Dans le domaine des médias, Gülen contrôle 25 stations de radio, l’hebdomadaire “Aksyon” (= “Action”), sur le modèle du “Spiegel” allemand, et le quotidien “Zaman”. Il est le chef de la fraternité des “Nourdjou”, dont les racines sont profondes dans l’histoire turque et ottomane. Au départ, Gülen avait soutenu le parti “Refah” d’Erbakan puis, après sa rupture avec ce dernier car il avait des vues différentes quant aux méthodes politiques (comme par ailleurs Erdogan), il a soutenu les partis sociaux-démocrates. Il influence également le mouvement des Naksibendis, créant un lien entre “Nourdjou” et “Naksibendis”, deux mouvements religieux très influents, notamment en Bosnie. Un bon tiers des Naksibendis soutient aujourd’hui l’AKP d’Erdogan.

 

Fethullah Gülen prêche “l’amour et la tolérance”, du moins en apparence car ce masque “boniste” camoufle un discours dirigé contre les militaires, diffusé pour opérer à terme un changement de régime, une dislocation de l’“Etat profond”, dirigé par les militaires laïques: le but est révolutionnaire même si le discours peut parfois paraître lénifiant. Gülen a notamment dirigé une campagne hargneuse contre un professeur d’origine turc de l’Université de Münster en Allemagne, Muhammad Sven Kalisch, qui enseigne la théologie islamique mais dont le message était jugé trop “libéral”. Le système conceptuel pensé par Gülen se veut application de la “taqiyya”, estime Fuss, c’est-à-dire de l’art de la dissimulation, inspiré, dans toute l’aire civilisationnelle arabo-musulmane par le “Livre des ruses”. Selon cette optique, il faut travailler avec patience et opiniâtreté pour renverser un Etat dominé par l’adversaire, en l’occurrence les militaires et les laïques, sans se faire repérer par ceux-ci. D’où, il faut présenter un extérieur moderne et affable, tout en cultivant, en secret, une intériorité ultra-conservatrice (islamiste), visant le changement de régime, au nom de la religion. Toujours d’après Jürgen P. Fuss, les deux influences, celle de Nursi et celle de Gülen, sont également déterminantes dans l’éclosion de l’erdoganisme.

 

La carrière politique malheureuse d’Erbakan

 

Comment Erdogan va-t-il déployer sa carrière politique? Dans un premier temps, il se mettra dans le sillage de Necmettin Erbakan (1926-2011), décédé au début de cette année, le 27 février. Erbakan a été un politicien maladroit. Sa carrière est une longue suite d’échecs, alors qu’il avait bien des atouts en main. Jugeons-en:

En 1970, Erbakan fonde le MNP (=”Parti de l’Ordre National”), qui, un an plus tard, est interdit sous pression des militaires.

En 1973, il fonde le MSP (= “Parti du Salut National”) qui lui permettra d’être vice-premier ministre dans plusieurs gouvernements de coalition entre 1974 et 1978.

En 1980, Erbakan est arrêté après le putsch du Général Evren. Tous les partis politiques sont interdits.

En 1982, Erbakan est condamné à dix ans d’interdiction politique.

En 1987, il devient le président du “Refah” (= “Parti du Bien-être”), avec lequel il connaîtra plus de succès.

En 1996, il devient premier ministre et, l’année suivante, il est “démissionné” sous pression des militaires. Le 20 mars 1998, il est condamné à un an de prison. Il fonde ensuite plusieurs partis qui ne donnent rien et, en 2003, il est condamné pour corruption à deux ans de prison.

 

La carrière d’Erbakan se solde donc par un échec politique total, qui est aussi l’échec d’une première vague de ré-islamisation. De 1969 à 2004, soit en trente-cinq ans d’activités politiques à haut niveau, Erbakan aura été premier ministre pendant 367 jours! Conclusion de Fuss: Erbakan n’a pas appliqué le “Livre des ruses”.

 

Après Erbakan, une nouvelle politique conservatrice et islamique

 

Lorsqu’Erdogan avait trente-deux ans, il était membre du comité exécutif du “Refah”. Il se dispute alors avec Erbakan, sans doute jaloux de l’ascension rapide et de l’ascendant de son cadet. Erbakan ne cessera plus de lui mettre des bâtons dans les roues, lors de sa candidature à la mairie d’Istanbul et lors d’élections législatives pour le Parlement d’Ankara. Erdogan veut gommer les apsérités du discours de ré-islamisation sans renoncer aux principes de base, comme l’enseigne le réseau scolaire “Hatip”. Mais le but ultime est de jeter bas la constitution laïque imposée jadis par Atatürk. Erdogan va déclarer vouloir “parachever l’oeuvre d’Atatürk” pour aboutir à un “nouvel empire ottoman” réalisé “dans la paix et la démocratie”. Quelle hypothèse pourrait-on émettre face à une telle déclaration, renforcée depuis par l’accession en mai 2009 au poste de ministre des affaires étrangères d’Ahmed Davutoglu, un géopolitologue surnommé le “Henry Kissinger” turc? Ce néo-ottomanisme ne recevrait-il pas le soutien indirect des Etats-Unis, grillés dans le monde arabe et soucieux de se faire discrets dans la région? Ensuite, les Etats-Unis, qui souhaitent malgré tout renouer des liens avec l’Iran, en dépit des discours bellicistes prononcés dans les médias, ne servent-ils pas de la Turquie comme intermédiaire? Ce soutien à un néo-ottomanisme ne vise-t-il pas à restaurer sous d’autres formes et d’autres signes l’aire couverte jadis par le “Pacte de Bagdad”, prélude à une unification, sous l’égide américaine, du “Grand Moyen Orient”, comprenant les anciennes républiques musulmanes et turcophones de l’Asie centrale ex-soviétique? Edward Luttwak, historien et géopolitologue dont l’oeuvre inspire toujours les grands stratégistes américains autour de Zbigniew Brzezinski, ne vient-il pas de sortir un nouveau chef-d’oeuvre, intitulé, “La stratégie de l’Empire byzantin”, une stratégie impériale (et de résistance impériale longue face à de multiples adversités) qui a été appliquée sur l’espace même que couvrait l’Empire ottoman en pleine ascension, notamment face aux incursions arabes et face à l’Empire perse?

 

Revenons à la carrière politique d’Erdogan, bien esquissée par Fuss. A quinze ans, en 1969, il est un jeune militant de “Milli Görüs”; en 1975, à 21 ans, il est le président des jeunes du MSP d’Erbakan dans le district portuaire de Beyoglu dans le Grand Istanbul. En 1976, à 22 ans, il est le Président des jeunes de tout le Grand Istanbul. En 1983, dès que les partis politiques sont à nouveau autorisés, il rejoint le “Refah” d’Erbakan. En 1989, il se heurte à Erbakan et réussit à s’imposer. En 1994, il est élu maire d’Istanbul et le restera jusqu’en 1998. Dans la gestion de la grande ville, il montre des qualités incontestables, comme Chirac à Paris dans les années 70. Il concentre ses efforts sur la propreté (une fois de plus comme Chirac avec son armée de balayeurs africains), sur la mobilité, sur l’approvisionnement en eau, obtient des crédits remboursés par des publicités sur les bus et dans les espaces publics et inaugure le métro (même si ce n’est pas lui qui a fait commencer les travaux). Parallèlement à ces travaux d’édilité à la romaine, il tente d’imposer les premières mesures “islamistes”, en interdisant la vente et la consommation d’alcool aux terrasses, sous prétexte d’éliminer les poivrots de la rue. Ce sera un échec. Ensuite, il essaie de supprimer les bus scolaires mixtes: ce sera un nouvel échec. Pour Faruk Sen, professeur allemand d’origine turque, et président de l’“Association des Etudes Turques” à Essen dans la Ruhr, le bilan du mayorat d’Erdogan à Istanbul est marqué d’ambivalence: il a effectué d’excellents travaux d’édilité mais son projet intime, celui de ré-islamiser la ville, a été un échec. Sa popularité, il la doit à des mesures pragmatiques, non tributaires de l’idéologie religieuse néo-islamiste qu’en revanche il n’a pas réussi à imposer. Cependant, il est parvenu à se donner une excellente présence médiatique.

 

Changements en Turquie

 

En 1998, suite aux démonstrations de force des blindés de l’armée turque et la démission forcée d’Erbakan, Erdogan est jugé et condamné à dix mois de prison et à l’inéligilité à vie par un tribunal militaire qui a préséance sur tous les tribunaux civils. Le motif de la condamnation est “conspiration contre la sûreté de l’Etat”, comme pour Erbakan. Cependant ces condamnations sont prononcées dans un contexte différent de celui des décennies antérieures. La Turquie a changé: les villes, surtout à l’Ouest, étaient généralement en majorité kémalistes, tandis que les campagnes anatoliennes étaient conservatrices et islamisantes; l’exode massif des campagnards vers les villes a installé dans la frange urbaine kémaliste une forte population d’origine rurale et d’idéologie conservatrice-islamiste. C’est cela qui avait déjà fait le premier succès d’Erdogan au mayorat d’Istanbul. C’est ce même glissement d’ordre démographique qui fera également ses succès ultérieurs.

 

On sait qu’Erdogan accorde beaucoup d’importance au port du voile par les femmes (à commencer par sa propre épouse), signe d’anti-kémalisme dans la mesure ou Atatürk avait moqué le port du voile et avait préconisé une mode moderne, différente de l’Europe, turque en son essence, et turque aussi par l’incontestable talent de ses stylistes très originaux, mais forcément non islamique. Le voile est donc signe d’islamité, de refus de l’occidentalisation imposée dès les années 20, signe aussi d’incompatibilité entre styles de vie propres à deux aires civilisationnelles. Nous avons là, dans le chef d’Erdogan, un paradoxe: il se veut “européen” et réclame l’adhésion pleine et entière de son pays à l’UE: il a adopté un style politique “démocratique”, pour plaire aux eurocrates, tout en cassant, par la même occasion, la logique “militariste” et “dirigiste” du kémalisme et des militaires, logique jugée peu démocratique dans les allées des parlements de Bruxelles et Strasbourg. Mais en dépit de cette “européisme”, tout de façade, et dicté par l’intérêt matériel (obtenir des subsides européens et déverser le trop plein démographique anatolien en Allemagne et ailleurs en Europe), il affirme clairement l’incompatibilité absolue entre les deux civilisation, l’islamique et l’européenne.

 

Erdogan et la théorie huntingtonienne du “choc des civilisations”

 

Le “démocratisme” affiché par Erodgan, selon les règles préconisées par le “Livre des ruses”, annulle la possibilité d’un nouveau putsch militaire, qui gèlerait toute négociation avec l’UE. En 1945, les Etats-Unis avaient réclamé la démocratisation mais avaient, chaque fois, minimisé les coups d’Etat de l’armée, les avaient considéré comme de petits dérapages sans grande importance. Erdogan, par son attitude rusée, capable de vendre un islamisme (à la Erbakan) aux Européens séduits par les seules apparences, obtient en 2005 que s’ouvrent les pourparlers en vue de l’adhésion définitive de la Turquie à l’UE, alors que, paradoxalement, il appartient à une sphère idéologique qui souligne sans cesse l’incompatibilité entre les deux aires civilisationnelles, dans la mesure où l’AKP d’Erdogan, selon le turcologue français Tancrède Josseran, “essentialise la notion de civilisation” comme l’avait fait aux Etats-Unis Samuel Huntington, dans un article de “Foreign Affairs” d’abord (en 1993), puis dans un célèbre ouvrage, best-seller dans le monde entier. L’Europe, dans ce contexte où les Turcs s’affirment clairement pour ce qu’ils sont et affirment virilement leurs choix, ne se déclare pas chrétienne, refuse même d’être un “club chrétien” et se pose comme un “carrefour” prêt à accepter en son sein l’islam ou toute autre religion d’origine extra-européenne. Vu d’Ankara, ou de toute autre capitale musulmane, c’est là un aveu de faiblesse, une attitude “femelle” de soumission. Erdogan profite de cette brèche pour introduire, à terme, un islamisme turc virulent et intransigeant dans la sphère de l’UE. Mais simultanément, il s’ouvre au monde arabe, garde des pions en Asie centrale malgré l’échec du pantouranisme de son prédécesseur Özal face au refus du Président kazakh Nazarbaïev, négocie avec l’Iran, s’aligne parfois sur le BRIC, scelle des accords nucléaires civils avec Téhéran au nom de la politique de “zéro problèmes avec les voisins” mise en oeuvre par Ahmed Davutoglu.

 

Sur le plan des droits de l’homme, Ali Bulaç, idéologue de l’AKP, signifie à l’UE que la Turquie a le droit d’exiger un “inventaire”, donc de faire le tri dans le corpus des droits de l’homme. Bulaç rejette par exemple l’idéologie des Lumières, ou, du moins, ce que les idéologues “droit-de-l’hommistes” entendent par là. L’Europe est, dit-il, “décadente” et la Turquie doit avoir la possibilité de s’immuniser contre les bacilles de cette décadence. Chez Erdogan, cela se traduit par: “Nous ne devons pas adopter les imperfections morales de l’Occident”.

 

“Turcs blancs” et “Turcs noirs”

 

La modernisation économique, sous l’impulsion de ce que d’aucuns nomment une sorte de “calvinisme” islamique, correspondant à certains schémes de la pensée de Gülen, s’opère principalement par un assouplissement du dirigisme qui servait de praxis au nationalisme kémaliste et militaire. Elle est portée aussi par le développement récent des zones est-anatoliennes, où les “Turcs noirs”, c’est-à-dire les Turcs pauvres et ruraux du centre et de l’Est de l’Anatolie, antérieurement soumis à la férule des “Turcs blancs” laïcisés et urbains de l’Ouest, ont développé tout un nouveau réseau de petites et moyennes entreprises. C’est dans ces régions jadis excentrées et peu développées que s’est effectué le “boom” économique turc. Les bénéficiaires de ce nouveau réseau anatolien votent pour l’AKP et imposent leur conservatisme islamisant aux anciennes élites laïques des villes de l’Ouest.

 

La nouvelle donne, c’est donc cette nouvelle Turquie, plus développée que dans les décennies de la seconde moitié du 20ème siècle. Voyons quelle a été, en gros, l’histoire politique du pays pendant ce demi-siècle.

 

◊1. Le premier gouvernement de Bülent Ecevit, social-démocrate laïque, est l’amorce d’une brillante carrière, commencée sous un gouvernement de coalition en 1973, avec le CHP (socialiste) et le mouvement d’Erbakan. Ecevit gère la crise de Chypre de 1974 et se montre réticent quant à l’adhésion turque à l’UE jusqu’en 1978. Après cette date, il en sera un fervent adepte.

 

◊2. Avec Süleyman Demirel et sa coalition regroupant l’ANAP (droite libérale), le MHP (ultra-nationaliste; “Loups gris” ou “idéalistes”) et le CHP (le parti du social-démocrate Ecevit), la Turquie recule sur le plan économique, le chômage croît et l’émigration vers l’Europe augmente. Malgré l’idéologie libérale de l’ANAP, le dirigisme turc est, d’après les observateurs libéraux, trop rigide. Les tensions augmentent entre extrême-droite et extrême-gauche, avec affrontements dans les rues. Pour mettre un terme à ce désordre, le Général Kenan Evren fomente et réussit un coup d’Etat qui supprime tous les partis existants. Mais il fait quelques concessions à l’islamisme, dans lequel il perçoit un rempoart contre l’idéologie subversive des gauches radicales et contre la droite radicale, encore panturquiste et laïque. Le Général Evren déploie aussi une première mouture de diplomatie “tous azimuts” vers les pays voisins, dans les Balkans comme au Proche-0rient ou en Egypte, ainsi qu’en direction de l’URSS. En ce sens, il est un précurseur laïque et kémaliste de Davutoglu...

 

◊3. Les militaires, par le truchement du “Conseil de Sécurité Nationale” (CSN), rédigent la nouvelle constitution de 1982. Selon les termes de cette constitution, tout gouvernement doit impérativement s’aligner sur les recommandations de ce CSN, ce qui, pour les observateurs de la CEE, est anti-démocratique. La Constitution du CSN admet toutefois, pour plaire aux religieux, que des cours de religion soient dispensés dans les écoles. En 1983, Türgüt Özal, proche des Nakshibendis, de la finance islamique et de l’idéologie néo-libérale en vogue depuis l’accession de Reagan à la présidence des Etats-Unis, accède au pouvoir. Les entreprises de la nouvelle aire de développement économique en Anatolie se développent jusqu’à la fin de l’ère Özal, qui meurt en 1993. Erbakan lui succèdera brièvement.

 

◊4. Après les soubresauts de l’ère Erbakan, la Turquie vit sous le deuxième gouvernement Ecevit qui est ébranlé par la crise économique de 2001 et par la fragmentation de la gauche turque. Cependant, Ecevit avait, avant 1999, amorcé des réformes, visant à lutter contre l’inflation (qui était de 80 à 100%!). Erdogan va tirer profit des mesures envisagées et amorcées par Ecevit.

 

Les idéologues de l’AKP

 

Dans les restes pantelants du “Refah” d’Erbakan, Gül et Erdogan prennent la direction et ne la lâchent plus. C’est le départ du nouveau mouvement conservateur islamiste, l’AKP. Erdogan est certes condamné à l’inéligibilité à vie, mais il est président du parti. Parmi les autres fondateurs, nous avons: 1) Binali Yildirim, qui milite pour un “internet propre”, donc pour la censure sur la grande toile; 2) Faruk Çelik, organisateur des “Turcs de l’étranger”, qu’il entend lier à la “mère-patrie”, envers et contre toute politique d’assimilation des Etats-hôtes, accueillant une immigration turque; 3) Ali Babacan, responsable des négociations avec l’UE; 4) Abdullah Gül, l’homme de la finance islamique de Djeddah, qui a vécu une expérience professionnelle en Arabie Saoudite et qui aurait des liens avec les Frères Musulmans (comme il l’aurait avoué à Bachar El Assad en août 2011). Gül, qui deviendra président de la Turquie, est un disciple de Necip Fazil Kisakürek, éditeur de la revue “Grand Orient”, proche de “Milli Görüs” et des Nakshibendi (comme Özal), proche aussi jadis du MHP du Colonel Türkes et auteur de nombreux essais et ouvrages visant à développer une historiographie anti-kémaliste. Pour Kisakürek, une conspiration mondiale a été et est toujours à l’oeuvre contre l’Empire ottoman et contre l’islam turc. Le kémalisme fait partie de cette conspiration. Parmi ses disciples, les militants du “Front des Combattants du Grand Orient Turc”, qui, parfois, n’hésitent pas à passer à l’action violente. L’histoire turque, pour Kisakürek et ses disciples, combattants ou non, est l’histoire d’un déclin permanent, une longue succession de “trahisons” et de “démissions”, ce qui doit amener tout théoricien politique lucide à “rejeter tout ce qui est réformiste depuis le 19ème siècle”. Le kémalisme, dans le cadre de cette vaste conspiration, a détruit l’essence spirituelle de la nation turque. L’objectif de cette oeuvre critique de Kisakürek est de faire émerger une nouvelle élite et de renverser les principes et les partisans du kémalisme. Sur le plan pratique, cela signifie qu’il faut, dans l’avenir, développer les relations économiques entre la Turquie et les pays musulmans. Le kémalisme a isolé la Turquie de l’Umma. De plus, le kémalisme est un “racisme” qui détruit tout à la fois l’identité turque et l’identité kurde (Nursi était kurde mais avant tout musulman et hostile à tout conflit kurdo-turc, au nom de l’indispensable unité de l’Umma).

 

On le voit: l’alliance entre Erdogan, Gül, et tous les autres auteurs conservateurs-islamistes cités, dont Çelik, puise à des sources diverses mais convergentes. C’est cette synthèse (ouverte par définition puisqu’elle allie différences et convergences) qui prendra la succession du dernier gouvernement républicain de Bülent Ecevit, devenu impopulaire à cause des mesures d’austérité prises pour contrer la crise. Elles feront trop de mécontents. Dès l’accession de l’AKP au pouvoir, suite aux élections du 3 novembre 2002, Erdogan devient premier ministre, le 9 mars 2003. Ces victoires de l’AKP ont encore été renforcées lors du scrutin suivant du 22 juillet 2007, qui a conduit à l’élection, par le Parlement, de Gül au poste de Président de la république. Le 30 juillet 2008, la cour constitutionnelle, jadis très zélée quand il s’agissait d’interdire des partis qui enfreignaient les principes du kémalisme, décide de ne pas faire dissoudre l’AKP. Pendant cette période des premiers triomphes de l’AKP, cinquante-quatre modifications constitutionnelles sont votées pour détricoter l’héritage kémaliste, permettant notamment de suspendre l’inéligibilité d’Erdogan.

 

2002: les promesses de l’AKP et les chiffres réels

 

Lors de la campagne électorale de 2002, l’AKP promet que tout “ira mieux”. Elle promet une croissance économique, la création d’emplois, la diminution de l’inflation, la réforme de l’assurance sociale, une consolidation démocratique, le renforcement des droits de l’homme et la liberté d’opinion et de presse assortis d’une réforme de la justice (tout cela pour jeter de la poudre aux yeux des eurocrates, pour se tailler un bel alpaga de “démocrate” et pour éliminer les militaires, détenteurs du “pouvoir profond”). En réalité, le bilan du nouveau pouvoir civil et islamisant est plus mitigé: le PIB a certes augmenté (2003: +5,3%; 2004: +9,4%) puis décliné (2009: -4,7%) pour reprendre en 2010 (+4%); l’inflation était de 47% en 2002 (c’est elle qui provoque le départ du dernier gouvernement Ecevit) pour se stabiliser à 8,5% en 2010 (elle avait été au plus bas en 2005: 8,1%), alors que la Roumanie, le plus mauvais élève de l’UE affiche un taux d’inflation de 6,1%. La moyenne de l’UE était de 2,1% en 2002 (Turquie: 47%) et 1,9% en 2010 (Turquie: 8,5%). Le chômage a partout baissé en Turquie mais les emplois offerts ne sont guère durables, pour une main d’oeuvre fort peu qualifiée, vu le haut taux d’analphabétisme. La syndicalisation des travailleurs demeure faible. La démographie galopante augmente sans cesse la masse des sans emploi qui subit en plus la concurrence de l’Asie, notamment dans l’industrie textile. En 2002, le chômage était de 10,3%; en 2010, il est de 12,2%. La croissance, on oublie trop souvent de le dire, est essentiellement due aux sommes versées à la Turquie par l’UE: ainsi, en 2002, l’UE a versé 126 millions d’euros; en 2010, 654 millions d’euro; en 2011, les chiffres prévus sont de 782 millions d’euro et, pour 2013, les prévisions se chiffrent à 935 millions d’euro.

 

Sur le plan de la “démocratisation”, rappelons que l’AKP a imposé le scrutin majoritaire, lui assurant le nombre voulu de sièges. Les victoires qu’il enregistre sont importantes mais le parti ne dépassait pas au départ le tiers du total des voix. En 2007, suite à sa victoire lors des élections de juillet, l’AKP a obtenu 47% des voix mais 62% des sièges: l’écart est plus grand que dans les autres pays européens qui pratiquent le scrutin majoritaire. C’est là un déficit de “démocratie pure”. Sous l’AKP, partis et associations kurdes ont été interdites, comme auparavant sous les divers régimes kémalistes. Plusieurs journalistes kurdes ont été arrêtés et condamnés, dont, en décembre 2010, Eminé Demir, condamnée à 138 ans de prison, et Vadat Kursun, condamné à 525 ans de prison. Chaque condamné était jugé à chaque fois pour chaque exemplaire du journal, où était paru un article jugé “litigieux”, ou pour chaque article incriminé, ce qui explique le nombre impressionnant d’années de prison qu’ils écopaient.

 

En janvier 2011, l’OCDE demande à la Turquie que soit levée l’interdiction faite aux citoyens turcs de visiter 5700 sites de l’internet. A partir de 2010, tout citoyen turc reçoit gratuitement une boîte de courrier électronique mais exclusivement sur le serveur de l’Etat. L’adresse “e-mail” est donc obligatoire et figure sur la carte d’identité. L’UE et l’OCDE en sont demeurés perplexes...

 

Dans le domaine de la justice, l’AKP a nommé 4000 nouveaux procureurs (à sa dévotion?), tout en maintenant les entorses au droit de la défense; ainsi, l’avocat d’un prévenu ne peut pas faire partie d’une association proche de ce dernier, sinon il est suspendu du barreau pour deux ans...! D’où, grosso modo, nihil sub sole novi.

 

Les quatre plans d’Erdogan

 

En fait, selon Fuss, Erdogan et l’AKP visent à parfaire quatre plans.

 

PREMIER PLAN: Détruire le pouvoir des militaires.

Avant 2002, l’armée, que l’on a aussi appelé l’“Etat profond”, détenait dans le pays le pouvoir absolu, avec droit de préséance sur toute politique ou instance civiles. Les années 2002-2006 verront se dérouler les premières escarmouches puis les premiers affrontements sérieux entre le nouveau pouvoir et les restes de l’ancien régime en place. Les dernières victoires des militaires datent effectivement de 2006. Cette année-là, l’AKP lance un procès contre le général Yasar Büyükanit, commandant-en-chef des forces terrestres. Sous la pression de l’armée, la plainte est retirée. Le procureur est suspendu et ne peut même plus travailler comme simple avocat. L’armée, en 2006, est demeurée provisoirement maîtresse de la situation et a conservé sa préséance par rapport à la magistrature. L’AKP va contre-attaquer en 2008, lors de la fameuse affaire “Ergenekon”. Le 21 mars, l’affaire éclate, suivie immédiatement de treize arrestations, dont un recteur, plusieurs journalistes et le président du “Parti Ouvrier”. Le 1 juillet, nouvelle vague d’arrestations. Vingt-et-une persones sont interpellées par la police dont deux généraux d’active et quatre généraux à la retraite, ainsi que le président de l’Association “Souvenir d’Atatürk”, ce qui est très symbolique. D’autres journalistes se retrouvent dans cette “charette”, ainsi que le président de la chambre du commerce d’Ankara. Tous sont accusés de “terrorisme” et passent devant des tribunaux civils, y compris les militaires. Les eurocrates applaudissent: pour eux, c’est une manifestation de “démocratie”. En 2010, 196 officiers sont à leur tour incriminés. Le bras de fer continue. Mais d’ores et déjà, on peut prévoir la victoire de l’AKP mais, contrairement à ce que peuvent bien penser les Européens naïfs, ce n’est pas une victoire démocratique, nous explique Fuss, c’est l’arbitraire qui change de camp.

 

DEUXIEME PLAN: Renforcer l’autonomie des colonies turques en Europe (sous l’impulsion de Çelik).

Ce plan est de loin le plus inquiétant pour les Européens, les autres concernant soit la Turquie (libre d’agencer sa politique comme elle l’entend sur le plan intérieur) soit le Proche- et le Moyen Orient (sphère géopolitique dans laquelle elle se trouve et où elle a le droit de s’affirmer, même si cela contrarie des intérêts européens ou russes; c’est alors aux Européens et aux Russes de se défendre). A l’évidence, ce deuxième plan implique une ingérence directe dans la politique quotidienne de plusieurs Etats d’Europe centrale et occidentale. Les directives de cette politique d’ingérence, à pratiquer par l’intermédiaire des diasporas turques d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Autriche, de Belgique et d’autres pays d’Europe occidentale et centrale ont été lancées par Erdogan lui-même à l’occasion de deux discours, l’un tenu à Cologne en 2008, l’autre à Düsseldorf, cette année, en 2011. Des ressortissants des diasporas belges et néerlandaises étaient présents en masse lors de ces meetings, proches des frontières entre l’Allemagne et les pays du Benelux. Ces deux discours, appelant à refuser toute forme d’intégration et/ou d’assimilation à la culture allemande ou européenne, à constituer des minorités turques de blocage dans les assemblées locales ou nationales, font bien évidemment fi des règles diplomatiques d’usage: on pourrait les interpréter comme des déclarations de guerre (et de guerre sainte, de djihad) à l’encontre des polities européennes, ou, au moins, comme un scandaleux déni des règles de bienséance diplomatique, ce qui est un indice très net que la Turquie cherche à se dégager de l’européisme que voulait lui imposer le laïcisme d’Atatürk. Erdogan, comme Çelik, appelle à créer des “communautés solidaires”, détachées du peuple-hôte et destinées à promouvoir une politique turque en Europe, envers et contre les intérêts naturels des puissances qui ont accueilli des immigrants turcs. Prôner une assimilation des immigrés turcs serait, selon Erdogan, un “crime contre l’humanité”. Les hommes et les femmes politiques d’origine turque, élus par les diasporas dans les communes belges, allemandes ou néerlandaises, doivent se mobiliser pour favoriser les plans de la “mère-patrie”, donc se constituer en “cinquième colonne”, prête à abattre tout pouvoir en place qui ne sacrifierait pas aux caprices de l’AKP. Complot contre la sûreté de l’Etat? Assurément! Mais l’inféodation à l’OTAN, qui inhibe tout réflexe sain dans les pays adhérents, n’autorise pas le lamentable personnel politique en place à réagir vigoureusement contre cette véritable déclaration de guerre, prononcée par un homme cohérent et sûr de lui, qui se permet ce coup d’éclat dans un pays gouverné par des personnages falots et “impolitiques” (Julien Freund), un “impolitisme” dû à une crédulité idéologique imbécile, cultivée depuis des décennies, qui conduit le politicien à perdre tout sens des réalités et à idolâtrer les “nuisances idéologiques” (Raymond Ruyer). A l’évidence, tous les citoyens d’origine turque ne sont pas d’accord avec cette politique d’ingérence, préconisée par Erdogan; bon nombre d’entre eux souhaitent une intégration à la culture du pays-hôte, surtout s’ils sont originaires de la quarantaine de minorités ethniques et religieuses qui compose la population turque, minorités que les pouvoirs en place n’ont jamais ménagées. Mais le poids électoral de la fraction de la diaspora favorable à Erdogan et à ses plans est néanmoins considérable: il suffit de songer aux chiffres, avancés par Fuss, que représentent les militants de “Milli Görüs” en Europe occidentale, en Allemagne en particulier. Enfin dernière remarque, non dépourvue d’ironie: que dirait Erdogan si un premier ministre européen venait à Izmir ou à Konya, voire à Van ou à Diyarbakir, exhorter une minorité anatolienne quelconque à refuser toute assimilation à la turcicité ou au sunnisme? Sous prétexte que ce serait un “crime contre l’humanité” de biffer l’identité kurde, arménienne, araméenne ou alévite?

 

TROISIEME PLAN: Faire de la Turquie une des dix premières économies du globe.

Les dix premières économies du globe sont les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Chine, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, le Canada, la Russie et le Brésil. Devant la Turquie, il y a l’Inde, la Corée du Sud, le Mexique et l’Australie. Cette classification révèle deux choses: 1) d’abord que la Turquie aura bien du mal à dépasser ses concurrents, surtout l”Inde vu son poids démographique; 2) que le boom démographique turc permet l’éclosion d’une masse de consommateurs immédiats, que ne peuvent plus aligner nos vieux pays fatigués et épuisés par deux guerres mondiales où le meilleur de leur population a péri. La Turquie augmente ainsi naturellement le nombre de consommateurs sur son propre marché intérieur, tandis que les vieilles nations européennes sont de plus en plus contraintes de chercher des débouchés à l’extérieur (en Chine par exemple), où la concurrence est dure et où les succès sont toujours aléatoires, non programmables sur le très long terme.

 

QUATRIEME PLAN: Faire de la Turquie une puissance mondiale.

C’est sans doute le noyau du rêve néo-ottoman: l’Empire, créé par Othman au 14ème siècle, était effectivement la principale puissance du globe, avec la Chine, au début du 16ème siècle. Mais elle a été battue à Lépante en 1571 puis à Vienne en 1683 et à Zenta en Hongrie en 1697, notamment grâce à la modernisation des armées autrichiennes et impériales par le génie militaire d’Eugène de Savoie-Carignan. Depuis lors, l’Empire ottoman n’a connu que ressacs et déclins. Erdogan et Davutoglu rêvent de recréer les conditions de la puissance turque d’antan. L’atout majeur des Turcs est la position géostratégique de leur pays, au point d’intersection entre l’Europe, l’Asie (occidentale) et l’Afrique nilotique (avec l’Egypte qu’ils ont dominée de Soliman le Magnifique à 1882, année où l’Angleterre fait du pays un protectorat britannique). L’instrument pour redonner une place incontournable à l’Etat turc est la “diplomatie multidirectionnelle” préconisée par Davutoglu et assortie du principe dit de “zéro conflits aux frontières”. Cela implique:

1)     une alliance avec les pays arabes, battue en brèche depuis la visite d’Erdogan et de Gül en Syrie, où le pouvoir syrien n’a pas voulu renoncer à son laïcisme et à son “arabisme”.

2)     De renforcer le poids de la Turquie dans l’Union Européenne, alors que toute adhésion pleine et entière de la Turquie à l’UE risque de faire imploser celle-ci.

3)     De créer une communauté des Etats turcophones, projet fragilisé par la résistance du Président kazakh qui n’entend pas être inféodé à la Turquie anatolienne et cherche à conserver des liens étroits avec la Russie et, dans une moindre mesure, avec la Chine, au sein du groupe dit “de Shanghai”. La Turquie entend créer cette communauté turcophone pour, à toutes fins utiles, faire contre-poids aux nations arabes au sein de la “Conférence des Etats islamiques”.

 

Le projet néo-ottoman: une belle cohérence

 

On ne peut nier la belle cohérence du projet néo-ottoman d’Erdogan, Gül et Davutoglu. Leurs idées sont incontestablement une bonne synthèse des idéologies turques depuis le “Tanzimat” du 19ème siècle. Mais cette cohérence et cette synthèse sont diamétralement opposées aux intérêts les plus élémentaires de l’Europe réelle, de l’Europe profonde en état de dormition (pour ne pas parler de cette Europe sans épine dorsale qu’est l’UE). Cependant, l’Europe d’aujourd’hui marine dans l’incohérence: elle garde trop de velléités atlantistes et quand elle se veut “eurocentrique”, elle ignore les dynamiques à l’oeuvre chez ses voisins musulmans, en minimise la portée ou les considère avec une condescendance qui n’est pas de mise car ces dynamiques sont portées par des projets idéologiques ou religieux cohérents, réellement politiques, alors que les élucubrations des eurocrates sont marquées d’un impolitisme délétère. Les velléités euro-sibériennes, on les perçoit essentiellement dans les rapports gaziers entre l’Allemagne et la Russie, via la gestion des gazoducs “North Stream” qui passent par les eaux de la Baltique et que co-gère l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder (adepte en son temps de l’Axe Paris/Berlin/Moscou, cher au théoricien de Grossouvre). Les timides rapprochements avec les Etats du groupe BRIC, et surtout avec la Chine, voire l’Inde, nous les retrouvons notamment dans la politique commerciale belge, qui multiplie les “missions” à Pékin. Quant à la chimère euro-méditerranéenne de Sarközy, —réduite à néant par les “printemps arabes”, qui, contrairement aux voeux des eurocrates impolitiques, n’ont pas amené sur les rives méridionales de la Grande Bleue de belles démocraties sur le mode scandinave et n’ont généré que le chaos surtout après la chute de la Libye— elle est désormais à ranger au placard des illusions, surtout qu’en région arabo-méditerranéenne, la politique “islamiste modérée” d’Erdogan a plus de chances d’enregistrer des succès que les rêves sarközystes, saupoudrés par les fadaises et les philosophades de Bernard-Henri Lévy. On a maintes fois souligné l’impossibilité d’une politique étrangère commune à l’Europe: les deux principales puissances occidentales, la Grande-Bretagne et la France qui ont toutes deux droit de veto à l’ONU, posent problème; l’une, parce qu’elle cultive sa “special relationship” avec les Etats-Unis; l’autre, parce qu’elle a toujours eu des velléités anti-impériales hier, anti-européennes aujourd’hui. Elles chercheront toujours à imposer aux autres Européens leurs visions particularistes, et souvent bellogènes, sans jamais tenir compte des intérêts à long terme du continent. Face à cette incohérence européenne persistante, la Turquie d’Erdogan a beau jeu...

 

La problématique des “Droits de l’Homme”

 

En mars 2011, lors de ma première conférence, ici, sur l’état actuel de la Turquie, j’avais, sur base d’un travail réalisé par le député européen Filip Claeys (qui s’occupe de l’agence Frontex), mis en exergue plusieurs facteurs: le risque d’une adhésion turque pour le budget de la PAC (“Politique Agricole Commune”), le déséquilibre démographique entre une population anatolienne sans cesse croissante et une population européenne vieillissante, le laxisme cynique des autorités turques qui laissent passer les flux migratoires en direction de l’espace Schengen, la problématique des droits de l’Homme où les Européens se bornent à appliquer ou faire appliquer la charte telle qu’elle existe depuis 1789 et 1948 (San Fransisco) et où les Turcs veulent faire coexister avec cette charte celle de la déclaration du Caire sur les droits de l’homme musulman. L’application des deux déclarations, celle de 1789/1948 et celle du Caire, s’avère impossible vu les incompatibilités entre la sharia et le droit européen actuel, d’autant plus que l’UE a expressément déclaré que cette sharia islamique était incompatible avec les droits de l’Homme, telle qu’on les entend en Europe. Les deux aires civilisationnelles, l’européenne et la musulmane, ont chacune leurs logiques propres, surtout compte tenu du fait qu’Erdogan, comme l’explique par ailleurs le turcologue français Tancrède Josseran, essentialise le concept huntingtonien de “civilisation”, posant implicitement la Turquie comme puissance-guide du monde musulman, face à un Occident décadent, dont il ne faut pas imiter les principes délétères. La Turquie cherche donc à s’hermétiser (sans doute à rebours du concept premier de “Tanzimat”) et cette hermétisation va de paire avec l’essentialisation des aires civilisationnelles, telles que les avait définies Huntington.

 

Pour devenir puissance mondiale (et non plus régionale), la Turquie possède certes des atouts d’ordre géographique non négligeables, mais elle souffre d’un handicap, celui d’avoir trop de voisins, comme l’Allemagne en 1939, avait, elle aussi, trop de voisins hostiles. Chaque voisin est source potentielle de conflits: la Grèce et Chypre n’entendent pas capituler devant les exigences turques, quoi qu’il pourrait en coûter; dans le Caucase, l’Arménie, allié inconditionnel de la Russie néo-orthodoxe, veille, surarmée et renforcée par la présence de garnisons russes, entre la Turquie et son allié azéri (turcophone), qui pourrait lui offrir une fenêtre sur la Caspienne; l’Iran est certes “neutralisé” pour le moment, au nom de la doctrine de “zéro problème avec les voisins”, mais le contentieux perse/ottoman est ancien, profondément ancré dans les réalités stratégiques régionales et surplombant le vieux conflit sous-jacent entre sunnisme hanafite (réformiste au sens du “Tanzimat”, de Nursi, de Gülen et du triumvirat Erdogan/Gül/Davutoglu) et le chiisme iranien, duodécimain et non quiétiste (depuis Khomeiny); la Syrie reproche à la Turquie de lui infliger un “stress hydrique” (cf. supra) et de mettre en danger son option arabiste et laïque; le conflit avec Israël, depuis l’affaire de la flotille humanitaire turque qui emmenait vivres et matériels vers Gaza, est davantage un “show”, à nos yeux, qu’une inimitié profonde, que ne toléreraient d’ailleurs pas les Etats-Unis. L’escalade verbale avec Israël sert à faire accepter le modèle turc au monde musulman, pour réaliser, au profit du tandem américano-turc, le fameux projet de “Greater Middle East”. La Turquie, sans le soutien discret de l’“administration” Obama, serait un pays encerclé, le “cul entre six chaises”, et sans grands espoirs de se dégager de cette cangue. Quant au pro-arabisme, annoncé par Davutoglu, on voit ce qu’il en est advenu en Syrie, où la Turquie participe désormais à l’encerclement du pays de Bachar El Assad. Et fait donc la politique que réclament les Etats-Unis et, dans une moindre mesure, Israël (qui n’aime pas les changements de donne), et que réclament aussi, dans un concert médiatique assourdissant, tous les thuriféraires du bellicisme occidental contemporain, de Fischer à Cohn-Bendit, et de Verhofstadt à Sarközy, avec la bénédiction du grand prêtre parisien de la jactance “universaliste”, Bernard-Henri Lévy.

 

Le monde est un “pluriversum”

 

Quant à l’Europe, elle oublie que la Déclaration des Droits de l’Homme est avant tout une “Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen”, un citoyen fatalement inclu dans une Cité, qui a des limites géographiques précises, non extensibles à la planète toute entière, et que, par conséquent, cette dernière n’est pas un “universum” politique mais bien un “pluriversum”. Il n’existe pas et n’existera pas de “République planétaire”: ni les Etats-Unis (très protectionnistes en maintes occasions) ni l’UE n’ont sont donc les prémisses. D’autres polities de grandes dimensions coexistent sur la planète et font reposer leurs systèmes juridiques et politiques sur d’autres valeurs ou sur les mêmes valeurs, mais articulées de manière différente pour correspondre à des sensibilités précises et non aliénables, souvent d’ordre religieux ou philosophique. La problématique des Droits de l’Homme (où la notion de “citoyen” est désormais trop souvent escamotée) suscite en Europe des discussions infinies car cette déclaration, revue à la manière simpliste et propagandiste depuis 1978 par une équipe de “nouveaux philosophes”, dont Bernard-Henri Lévy est le plus médiatisé, le plus bruyant et le plus emblématique, est contestée partiellement par certains catholiques ou par ceux qui entendent réhabiliter des libertés et des droits plus concrets, issus de systèmes juridiques vernaculaires (et efficaces) ou par certains observateurs, soucieux du sort global de la planète, qui entendent tenir compte de Déclarations autres, comme celle de Bangkok pour les pays asiatiques ou qui estiment important de réfléchir sur la vision pluraliste des Droits de l’Homme et du droit des gens qu’entend généraliser la Chine.

 

Mais les risques de déséquilibres du budget de la PAC, le risque de voir une immigration désordonnée et débridée ruiner les budgets sociaux de tous les Etats européens en cas d’adhésion pleine et entière de la Turquie à l’UE, la politique d’ingérence dans les affaires intérieures des Etats-hôtes de l‘immigration turque préconisée par Erdogan lui-même à Düsseldorf et Cologne et, enfin, la question cypriote, où la Turquie agresse un Etat membre de l’UE (alors que les principes mêmes du premier “Marché Commun” du Traité de Rome de 1957 stipulaient que les Etats membres ne pouvaient plus se faire la guerre et devaient oublier leurs contentieux antérieurs) sont des motifs suffisants pour exclure la Turquie de toute adhésion pleine et entière à l’UE qui, en revanche, devrait faire de l’“Homme guéri (?) du Bosphore” un partenaire commercial privilégié à l’Est des Balkans.

 

Robert STEUCKERS.

(Forest-Flotzenberg, octobre/novembre 2011; rédaction définitive: août 2012).

 

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-          Carlos O. STOETZER, “Turquia podria ingresar a la Union Europea”, in: Geosur, n°299-300, Marzo-Abril 2005.

-          Stéphane de TAPIA, “Un acteur du Grand Jeu – Le “monde turc” (Türk Dünyasi) existe-t-il?”, in: Diplomatie magazine, n°36, janv.-fév. 2009.

-          Stéphane de TAPIA, “Tigre et Euphrate: les positions turques”, in: Moyen-Orient, n°04, mars 2010.

-          Stéphane de TAPIA, “Comprendre le renouveau géopolitique turc” (entretien), in: Diplomatie magazine, n°52, sept.-oct. 2011.

-          Seyfi TASHAN, “La Turquie et les relations internationale après la guerre d’Irak”, in: Diplomatie magazine, n°4, juillet-août 2003.

-          Bernhard TOMASCHITZ, “La Turquie tourne le dos à l’Occident”, sur http://euro-synergies.hautetfort.com/ . original allemand, in zur Zeit, 25-26/2010.

-          Bernhard TOMASCHITZ, “Les ennuis d’Erdogan”, sur http://euro-synergies.hautetfort.com/ . Original allemand: in zur Zeit, 28-29/2010.

-          Jean-Louis TREMBLAIS, “L’incertitude démographique”, Figaro Magazine, 11 décembre 2004.

-          Jean-Louis TREMBLAIS, “L’Europe vue par les Turcs”, Figaro Magazine, 11 décembre 2004.

-          Garip TURUNÇ, “La Turquie et l’Union européenne: une relation en délitement?”, in: Diplomatie magazine, n°52, sept.-oct. 2011.

-          Sinan ÜLGEN, “La Turquie face à ses défis politiques et économiques”, in: Diplomatie magazine, n°52, sept.-oct. 2011.

-          Semih VANER, “Iran et Turquie: confluences et ambiguïtés”, in: Géopolitique, n°64, janvier 1999.

-          Carter VAUGHN FINDLEY, Turkey, Islam, Nationalism and Modernity – A History, 1789-2007, Yale UP, 2010.

-          Stéphane YERASIMOS & Turgul ARTUNKAL, “La Turquie, permanences géopolitiques et stratégies nouvelles vers le Proche- et le Moyen-Orient”, in Hérodote, n°29/30, avril-sept. 1983.

-          Bahri YILMAZ, “Regionalmacht Türkei. Hat sie ihre Führungsrolle verpasst?”, in: Internationale Politik, 5/1995.

-          Bernhard ZAND, “Scheidung vor der Hochzeit?”, in: Der Spiegel, 40/2005.

-          Aziz ZEMOURI, “Justice: encore un effort”, Figaro Magazine, 11 décembre 2004.

 

Articles anonymes:

-           “Turkey and the Middle East – Erdogan’s travels”, The Economist, May 7th-13th, 2005.

-          “Turkey and the European Union – Mountains still to climb”, The Economist, May 14th-20th, 2005.

-          “Turkish historians – When history hurts”, The Economist, August 6th, 2005.

-          “Turkey’s Kurds – Let Justice be done”, The Economist, Feb. 10th-16th, 2007.

-          “Turkey’s Kurds – Guns and Votes”, The Economist, June 23d, 2007.

-          “Turkey and the Kurds – Terror in the Mountains”, The Economist, Oct. 18th, 2008.

-          “La Turquie, pivot incontournable au Moyen-Orient”, in: Diplomatie magazine, n°44, mai-juin 2010.

-          “Nicosie et Athènes lancent un avertissement à la Turquie”, sur http://euro-synergies.hautetfort.com . Original italien: in Rinascita, 17 juillet 2010.

-          “Les métamorphoses de la Turquie”, sur http://euro-synergies.hautetfort.com/ . Original néerlandais: in ’t Pallieterke, 21 juillet 2010.

-          “Armenia e Israele – limiti e prospettive della politica estera turca”, sur http://www.eurasia-rivista.org , 24 févr. 2011.

 

Ouvrage lu après rédaction:

 

-          Peter EDEL,  De diepte van de Bosporus – Een politieke biografie van Turkije, EPO, Berchem, 2012.

 

dimanche, 10 juin 2012

Volte-face de la Turquie sur la Syrie ?

La Turquie négocie un virage diplomatique dans la crise syrienne. Elle y est bien forcée par une contestation interne grandissante de cette prise de position alignée sur celle des USA. Mais quel voisin la croira dorénavant? L'Empire ottoman avorté?

Volte-face de la Turquie sur la Syrie ?

Ex: http://mbm.hautetfort.com/

Des indications de plus en plus précises montrent que la Turquie serait en train de réviser radicalement sa stratégie et sa politique dans la crise syrienne, vieilles de 14 mois, mises sur la même ligne que le bloc BAO. Déjà, au début mai 2012, le 7 mai 2012, M K Bhadrakumar jugeait qu’il y avait des signes convaincants de l’évolution de la Turquie…

«What gives cautious optimism is also that Turkey has been “retreating”. Notably, FM Ahmet Davitoglu has retracted from his rhetoric. He probably sensed that he crossed a red line and there has been adverse reaction in the Arab world, which is historically very sensitive about the Ottoman legacy. Besides, within Turkey itself, the government’s Syria policy has come under heavy fire. A Turkish intervention in Syria can be safely ruled out in the absence of a national consensus within Turkey.»

Le 3 juin 2012, une analyse de DEBKAFiles tend à confirmer cette évolution turque. Elle confirme par ailleurs, plus précisément, une sensation ressentie durant la semaine qui a suivi le massacre de Houla, où la Turquie s’est montrée extrêmement discrète, voire dispensatrice d’un silence assourdissant. Dans le concert humanitariste général des “Amis de la Syrie”, dont elle était un des membres les plus actifs (jusqu’à accueillir le club en mars à Istanboul), la discrétion de la Turquie a constitué un évènement remarquable… DEBKAFiles écrit :

«…In an astonishing about face, Turkey has just turned away from its 14-month support for the anti-Assad revolt alongside the West and made common cause with Russia, i.e. Bashar Assad. […]

»Washington, London and Paris began rushing forward contingency plans for this eventuality upon discovering that Ankara had secretly notified leaders of the rebel Free Syrian Army Thursday, May 31 that it had withdrawn permission for them to launch operations against the Assad regime from Turkish soil. It was then realized that Turkish Prime Minister Tayyip Erdogan and his Foreign Minister Ahmet Davutoglu had stabbed Western-Arab Syrian policy in the back and moved over to help prop Assad up at the very moment his regime was on the point of buckling under international after-shocks from the systematic massacres of his own people.

»That day, Erdogan’s betrayal was confirmed when Davutoglu announced over Turkish NTV: “We have never advised either the Syrian National Council or the Syrian administration to conduct an armed fight, and we will never do so.” He added: “The Syrian people will be the driving force that eventually topples the Syrian regime. Assad will leave as a result of the people’s will.” This was precisely the view voiced this week by Russian President Vladimir Putin, when he spoke out against violent rebellion, military intervention and sanctions to topple the Syrian ruler.

»For the time being, the pro-Assad Moscow-Tehran front, bolstered now by Ankara, has got the better of Western and Arab policies for Syria…»

Avant le texte cité plus haut, le 30 avril 2012, le même M K Bhadrakumar, lors d’un séjour en Turquie, appréciait sévèrement la position turque dans la crise syrienne, jugeant catastrophique pour ce pays de “suivre la voie des USA”, et s’interrogeant sur les choix d’Erdogan («Isn’t Turkey following the footsteps of the US — getting bogged down in quagmires some place else where angels fear to tread, and somewhere along the line losing the plot? I feel sorry for this country and its gifted people. When things have been going so brilliantly well, Erdogan has lost his way.»). La surprenante et assez incompréhensible politique syrienne de la Turquie depuis le printemps 2011 (expliquée par certains, et à notre sens d’une façon très acceptable, par des traits de caractère et d’humeur des deux principaux dirigeants turcs, Erdogan et Davutoglu , – voir le 29 février 2012) serait ainsi en train de changer et l’on pourrait à nouveau applaudir à la politique de ce pays, – parce qu’Erdogan aurait “retrouvé sa voie” un instant égaré.

DEBKAFiles parle de “la trahison d’Erdogan”, ce qui est un bon signe d’une certaine assurance qu’on pourrait avoir de la réalité de ce tournant. Il y a eu, ces derniers jours, un regain de déclarations officielles turques fortement en faveur de l’Iran (voir PressTV.com, le 31 mai 2012), et ceci va évidemment avec cela.

Dans tous les cas, on observera le caractère de volatilité extrême de la crise syrienne, avec l’apparente affirmation de “lignes” très affirmées (pro ou anti Assad), mais plutôt comme éléments de communication. Du point de vue de la politique suivie, il existe une réelle fluctuation pour la plupart des pays dont la politique n’est pas fondée sur des choix politiques clairs et explicitées par des arguments convaincants, cela montrant qu’il n’y a pas non plus de leadership politique impératif (notamment, rien de ce point de vue, pour le parti anti-Assad de la part des USA) mais des décisions suivant les perceptions générales, les intérêts, les humeurs et les influences temporaires, et les réactions des uns et des autres vis-à-vis de la pression constante et très puissante du Système. Cela rend compte de la manufacture particulière de la crise syrienne, où les facteurs d’idéologies de communication (humanitarisme, libéralisme interventionniste) et d’artificialité de certains groupes (nombre de groupes “rebelles” formés de toutes pièces, sans racines intérieures) tiennent une place très spécifique, où le caractère politique principal est la création du désordre et l’opposition aux principes structurants. Au reste, il s’agit bien d’une situation très caractéristique, d’une époque évidemment “crisique”, faite quasi exclusivement de crises diverses, où domine la dynamique d’autodestruction du Système.

samedi, 02 juin 2012

La Turquie face au front Syrie-Irak-Iran

La Turquie face au front Syrie-Irak-Iran

Ex: http://mediabenews.wordpress.com/


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Après avoir «perdu» la Syrie, la Turquie serait elle en train de perdre l’Irak?


- Cérémonie de fin de formation de recrues de l’armée irakienne à Kirkourk, dans le nord du pays. REUTERS/Ako Rasheed. -

Comme un air de déjà vu, déjà entendu. Après Bachar el-Assad, c’est au tour de Nouri al-Maliki, le premier ministre irakien, de renvoyer l’ancienne puissance ottomane dans ses cordes. Alors que les Turcs pouvaient, en Irak comme en Syrie, se prévaloir de beaux succès économiques et d’une percée politico-diplomatique, le climat entre Ankara et Bagdad se dégrade à grande vitesse (après celui entre Ankara et Damas, l’année dernière). La rupture n’est, ici, pas encore totalement consommée. Mais pour combien de temps encore?

Le 9 mai, Ankara refuse de livrer à Bagdad l’ancien vice-président irakien, Tarek al-Hachémi. Recherché pour avoir commandité l’assassinat de plusieurs officiels, objet d’une «notice rouge» d’Interpol, c’est un sunnite qui a regretté que l’Irak soit devenu un véritable couloir d’acheminement d’armes iraniennes à destination de la Syrie.

En avril, un autre rival du Premier ministre irakien, le président de la région kurde autonome d’Irak Massoud Barzani, avec lequel Ankara a noué d’étroits liens (commissions conjointes, ouverture d’un consulat turc, visites de ministres et omniprésence des entrepreneurs turcs) est reçu en grandes pompes.

Il  accuse Nouri al-Maliki de se conduire en dictateur et s’oppose à la vente par les Etats-Unis de F-16 à Bagdad. On voit mal l’ancien peshmerga Barzani lancer des opérations militaires contre le PKK (mouvement séparatiste kurde en guerre contre Ankara depuis 28 ans et dont les bases arrières se situent dans les montagnes d’Irak du nord) – ce serait un suicide politique. Mais le Président de la région kurde autonome d’Irak peut resserrer l’étau logistique et psychologique autour des rebelles qui sévissent, à partir de son territoire.

Les Kurdes d’Irak, partenaires fiables

Paradoxalement, Massoud Barzani, proche des Israéliens, constitue désormais le seul partenaire vraiment fiable des Turcs dans la région.

A peine les troupes américaines parties qu’en janvier, le ton était donné: trois roquettes tirées sur l’ambassade de Turquie à Bagdad. Cette attaque faisait suite au coup de téléphone de  Tayyip Erdogan à  Nouri al-Maliki,  durant lequel le Premier ministre turc se serait inquiété du sort fait au bloc Iraqiya d’Iyad Allawi, un  ancien baassiste, chiite,  opposé à Nouri al-Maliki et soutenu par la Turquie avec financements largement saoudiens. En jeu: l’équilibre confessionnel et politique de  la coalition gouvernementale mise laborieusement sur pied à la suite des élections de mars 2010.

Depuis plusieurs années, la Turquie intervient dans la politique intérieure irakienne, et ne s’en cache pas. Elle  cherche, selon Beril Dédéoglu, professeure turque de relations internationales, à  «limiter l’emprise d’al-Qaïda sur les sunnites et à gagner le cœur des chiites pour les détourner de l’Iran». 

«C’est en prenant de telles initiatives que la Turquie pourrait conduire la région au désastre et à la guerre civile», aurait rétorqué, une fois le combiné raccroché, le Premier ministre irakien.

Nouvelle passe d’armes verbales, crescendo, en avril. Après avoir été  accusé par son alter égo turc de monopoliser le pouvoir, d’«égocentrisme» politique et de discriminations à l’égard des groupes sunnites dans son gouvernement, Nouri al-Maliki  déclare que la Turquie est sur le point de se transformer en un «Etat hostile» pour «tous».

Téhéran, puissance de référence

C’est «la fin d’une période d’innocence: les Turcs commencent à prendre des coups au Moyen-Orient, ce qui n’est pas nouveau, mais ça l’est pour l’AKP (le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002), suggère le chercheur Julien Cécillon. L’Irak et par extension le Moyen-Orient, deviennent plus une zone à risque qu’un espace d’opportunités pour la Turquie», selon le co-auteur de «La Turquie au Moyen Orient, le retour d’une puissance régionale?» (dirigé par D. Schmidt, IFRI, 2011).

En couverture de l’ouvrage publié en décembre 2011, une photo montre R .T Erdogan et N. al-Maliki, debout côte à côte et au garde-à-vous sur le tarmac de l’aéroport de Bagdad. La photo qui veut symboliser le «nouvel espace de déploiement de la puissance turque» ne remonte qu’à 2009. Elle parait pourtant presque «datée», d’une autre époque : quand certains faisaient référence au «modèle turc» et  la Turquie se flattait d’être une «source d’inspiration» pour les pays arabes.

Les Turcs sont en train de réaliser qu’ils ont aussi peu d’influence sur Nouri al-Maliki qu’ils n’en avaient sur Bachar al-Assad. Et que Téhéran reste la puissance de référence,  à Bagdad comme à Damas. Mais «Ankara a déjà les mains pleines avec Assad et  souhaite  éviter un autre scénario de choc!», analyse Sinan Ulgen, également chercheur associé à Carnegie Europe à Bruxelles. Or comme la Syrie, l’Irak est crucial pour les ambitions régionales de la Turquie.

D’abord économiquement: les routes d’Irak sont essentielles pour que les camions turcs –désormais interdits de Syrie— accèdent aux marchés proche-orientaux. L’instabilité politique irakienne empêche la croissance économique du pays sur laquelle misent les hommes d’affaires turcs (la grande majorité des compagnies étrangères en Irak sont turques et ce sont elles qui reconstruisent le pays). De même qu’elle bride l’exploitation des richesses pétrolières et gazières pour l’acheminement desquelles la Turquie constitue un important pays de transit.

Paix froide Ankara-Téhéran

Et puis, «la déstabilisation du pays, quelques mois après le rapatriement des troupes américaines est de mauvaise augure pour le maintien de l’ordre politique en Irak», prédit Sinan Ulgen, directeur d’Edam, un think-thank turc. «Les risques d’une désintégration de l’Irak sont bien plus élevés qu’en Syrie», ajoute la professeure Béril Dédéoglu, et pourraient conduire à la  constitution d’un Etat kurde indépendant au nord du pays. Une perspective que craignent les autorités civiles et militaires turques, en guerre depuis 28 ans contre «leur» propre mouvement séparatiste kurde, le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan).

Soner Cagaptay du  Washington Institute for Near East Policy nuance: «Ankara juge que le gouvernement de Maliki est autoritaire et qu’il prend ses ordres à Téhéran. Mais elle ne s’affole pas autant qu’elle a pu le faire par le passé d’une division de  l’Irak».  

L’idée d’un Kurdistan indépendant au nord de l’Irak ne constitue donc plus un cauchemar absolu pour Ankara. «Pour autant qu’il conserve les gisements pétroliers de Kirkouk, obtienne un quasi contrôle de Mossoul, et ne s’adjoigne pas une partie du territoire kurde de Syrie!», précise Béril Dédéoglu, spécialiste de relations internationales parfois consultée par le gouvernement turc. Lequel aurait eu connaissance des plans d’indépendance «déjà prêts» de Massoud Barzani.

On assiste donc actuellement au réalignement de Bagdad aux côtés du régime syrien et de l’Iran face à une Turquie qui soutient, elle, l’opposition au régime de Bachar al-Assad. «Il est probable que Téhéran continue à encourager Bagdad contre  Ankara,  en espérant qu’en retour la Turquie s’inclinera face à Assad», avertit Soner Cagaptay. Longtemps en «paix froide», les pouvoirs turc et iranien se sont rapprochés ces dernières années, mais en 2011 Téhéran a très mal pris qu’Ankara autorise l’installation du bouclier antimissile aérien de l’Otan sur son territoire.

C’est donc peut-être un front Iran-Irak-Syrie qui se dessine face à une Turquie moins repliée sur elle-même. L’esquisse d’une recomposition régionale?

L’un des scénarios verrait la Turquie à la tête d’un bloc sunnite, peut-être allié à l’Occident, et opposé à l’Iran et son fameux «croissant chiite» dont la continuité territoriale («du Tadjikistan au sud-Liban») aurait été contrariée par la dislocation de l’Irak et la création d’un Etat kurde au nord avec une entité sunnite au centre du pays.

Un tournant stratégique «sunnite» pour la Turquie, dont la politique étrangère à l’égard de la Syrie, et dans une moindre mesure de l’Irak ne fait cependant pas du tout l’unanimité: ni dans son opinion publique (en particulier dans la minorité alévie, une branche proche des chiites) ni pour le principal parti d’opposition (CHP, le parti républicain du peuple) ni même, en ce qui concerne la Syrie, jusqu’au président de la République de Turquie, Abdullah Gül.

Ariane Bonzon

lundi, 19 mars 2012

La Syrie comme cimetière de leurs illusions ?

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Le "Bloc Américaniste Occidentaliste" (BAO) s'est piégé dans la crise syrienne dont il fut l'instigateur. Piégé par lui-même, par les effets incohérents d'un système à la dérive incontrôlable. L'Iran et la Russie jouent la carte de l'habileté en Syrie.

La Syrie comme cimetière de leurs illusions ?

Ex: http://mbm.hautetfort.com/

Il est possible que la crise syrienne évolue vers une véritable guerre, qu’on qualifie d’une façon incantatoire de “civile”, mais qui serait déjà internationalisée, et où la coalition du bloc BAO et de ses alliés arabes (les démocrates saoudiens et qataris), si elle se trouvait impliqués, aurait à faire face à forte partie… C’est pour cette raison qu’il ne faut pas (plus) écarter certaines révisions déchirantes. (Comme on le voit par ailleurs, ce même 19 mars 2012, les présidentielles françaises ont leur rôle à jouer.)

D’autres raisons vont dans le même sens des révisions déchirantes, selon d’autres évolutions sur le terrain, sans nécessairement le transit insaisissable de la “guerre civile“. Ces dernières semaines, la situation, sur le même terrain, a évolué en faveur du régime Assad. DEBKAFiles, le 17 mars 2012, donnent des détails sur cette évolution. (Comme on l’a déjà vu, le site DEBKAFiles, par ailleurs férocement extrémiste lorsqu’il s’agit de l’Iran, se fait notablement plus modéré lorsqu’il s’agit de la Syrie, et assez prompt à publier de ces nouvelles peu favorables aux rebelles que soutient le bloc BAO, nouvelles qui sont en général assez peu proclamées. Les Israéliens ne goûtent pas vraiment, pas plus qu’ils ne l’ont goûtée en Libye, la perspective d’un “régime change” en Syrie, qui pourrait conduire à un chaos d’où des islamistes fort suspects auraient de grandes chances d’émerger en bonne position.) DEBKAFiles, utilisant toutes ses sources, est prompt à faire des deux attentats de Damas du 16 mars (27 morts) une tentative téléguidée par le Qatar et l’Arabie pour tenter de relancer une révolte qui a subi de très sérieux revers bien qu’elle exprimerait, selon la presse-Système unanime dans le bloc BAO, un mouvement irrésistible de libération spontanée, etc.

Par ailleurs, dans la même analyse, DEBKAFiles donne des informations précises d’un très grand intérêt, à la fois sur l’intervention et la présence des Iraniens et des Russes en Syrie. Cela ne peut faire de mal à l’argumentaire général israélien, qui est de dire dans ce cas qu’en entretenant la révolte contre Assad on donne l’occasion aux Iraniens et aux Russes de s’implanter militairement, non seulement dans le pays mais dans la région elle-même. Ainsi l’intervention iranienne, décrite comme massive, est-elle présentée comme une “répétition” d’autres possibles opérations du même genre, – tout cela organisant un boulevard pour les capacités d’expansion de la puissance iranienne. (Au reste, d’autres exemples de cette sorte de “répétition” sont cités, vers Gaza et au Yemen.) Est-ce bien habile, demandent implicitement les Israéliens à leurs alliés du bloc BAO ? (Observons, amère cerise sur le gâteau, sur laquelle nous revenons par ailleurs, la mention de la coopération active des Irakiens avec les Iraniens, malgré des demandes US dans le sens inverse…)

«2. The airlift carrying aid to Assad last month, the biggest Iran had ever organized, was critical in helping him win out over the revolt. As OC US Central Command Gen. James Mattis explained March 3 to the Senate Armed Services Committee: They (Iranians) are working earnestly to keep Assad in power. They have flown in experts. They are flying in weapons. It is a full-throated effort by Iran to keep Assad there and oppressing his own people.”

»DEBKAfile’s military sources add: This effort was made possible by Baghdad’s permission to fly over Iraq directly to Syria. According to our Washington sources, US President Barack Obama tried interceding with Iraqi Prime Minister Nouri al-Maliki to block the Iranian transport flights to Syria only to be turned down.

»The massive air transport of equipment on behalf of Bashar Assad served also as a practice maneuver for Iran to staged airlifts of hardware to Middle East arenas of interest in other potential conflicts, such as hostilities between Syria and Lebanon and Israel.

»This week, therefore, the Iranians took active part in two Middle East conflicts in Syria and the Gaza Strip, where Israelis were partly consoled by the performance of their homemade Iron Dome interceptor in blowing up a large number of Iran-supplied Grad missiles before they landed on their cities. Iran’s heavy involvement in a third area Yemen attracted less attention. Tehran is keeping up a supply of arms and cash to northern and southern Yemeni tribes fighting the government with a view to gaining a foothold in Yemen ports and access to the Red Sea and Bab al-Mandeb Sraits, the meeting point between the Gulf of Aden, the Red Sea and the Indian Ocean.

»3. Tuesday, March 13, Deputy Russian Defense Minister Alexei Antonov vigorously denied accusations that Russian Special Forces were stationed in Syria. He would only admit that “Syria has technical experts of the Russian military,” going on to explain: “For example, where we export tanks… we have to send technical experts to train our foreign counterparts to use the equipment.”

»Intelligence sources confirm that the Russian official mentioned tanks, but not the 50 Pantsyr-S1 interceptor batteries, now the backbone of Syrian air and missile defenses, which Moscow sold Syria or that Russian military crews have since mid-January taken over their operation from Syrian personnel. This is what Gen. Martin Dempsey, Chairman of the US Joint Chiefs of Staff, meant when he pointed out that “Syria's air defenses were five times more sophisticated as those in Libya, making airstrikes riskier and more complicated”…»

… Bref, si l’on peut dire, cette affaire syrienne pourrait tourner en une étonnante composition. Si l’on oublie l’épuisant détail du scénario qui se déroule depuis des mois du côté américaniste-occidentaliste, des rencontres, des réunions, des déclarations solennelles et des menaces à peine voilées, et autour de cela, gravitant comme des satellites inévitables et hostiles, les soupçons, les hypothèses de machiavélisme, les dénonciations d’hégémonie contre ce rassemblement américaniste-occidentaliste qui joue un peu trop sur l’air de la vertu et se croit investi du droit international à lui seul, et être “la communauté internationale” à lui seul, – si l’on écarte tout cela, que reste-t-il à retenir ? Depuis des mois, le bloc BAO, auréolé de toute sa gloire libyenne, fait effectivement bloc pour menacer le monde entier d’une intervention en Syrie, sans faire rien de décisif. Bien entendu, il ne se prive pas d’actions illégales, comme celle de faire intervenir, à peine secrètement, ses sempiternelles “forces spéciales” en soutien des rebelles, mais là non plus rien de décisif.

Contre ces prétentions non suivies d’effets décisifs, les pays les plus concernés ont agi beaucoup plus sérieusement. Ils ont établi des systèmes, organisé une défense, renforcé le régime que l’on juge impérativement, à l’Ouest, comme promis à disparaître (“ce n’est pas une question de ‘si’, mais une question de ‘quand’”). Ainsi apparaît-il aujourd’hui, si l’évolution de la situation se poursuit dans le sens actuel, que l’Iran et la Russie sont en train d’établir en Syrie et alentour, des têtes de pont stratégiques d’importance, plus fondées sur le déploiement de forces diverses et sur des coopérations et des intégrations actives, que sur les discours et des intentions furieuses guère suivies d’effets ; tout cela va les faire prendre, si ce n’est le cas déjà, infiniment plus au sérieux que les acteurs américanistes-occidentalistes de la pièce. A côté de cette situation novatrice et paradoxalement (puisque fondée sur la défensive) offensive, ces deux pays parviennent habilement à passer, l’un (l’Iran) pour une victime en devenir offerte à la vindicte d’une attaque qualifiée à l’avance, et justement, d’illégale et de dévastatrice, et qui n’aura peut-être pas lieu ; l’autre (la Russie), pour une puissance amie de la paix et qui cherche à susciter un arrangement général ; et le plus fort est bien dans ce que ces deux pays, tout en verrouillant leur avantages stratégiques, n’usurpent rien en passant également pour ce qu’on en dit à l'instant.

Le problème du bloc BAO, c’est que, lorsqu’on menace et qu’on veut jouer au gendarme il faut agir et imposer son ordre ; sans cela, on perd son crédit et on donne au reste toute latitude pour agir, y compris une certaine légitimité pour le faire. Mais le bloc BAO est évidemment prisonnier, a la fois du Système qui le soumet, et du discours que cette soumission suscite chez lui pour n’avoir pas trop l’air soumis ; en général, il est admis dans ces milieux que les discours suffiront à réorienter les régions et les pays visés selon les orientations proposées, qui sont confondues avec les évidences de l’ordre international. Rien de tout cela ne fonctionne plus et il se passe que le roi est nu, que les pays du bloc BAO n’ont plus les moyens d’agir d’une façon efficace, que leurs opinions publiques ne les y poussent aucunement et même au contraire, que leurs situations intérieures sont de plus en plus instables et difficiles, et ainsi de suite... (Ce qui aurait pu et a pu paraître à certains comme une “diversion” propre à renforcer les directions politiques face aux difficultés intérieures de ces pays s’inverserait alors complètement pour tendre à devenir une charge impopulaire d’engagements stériles et coûteux, pesant de plus en plus sur ces situations intérieures.)

Le dernier facteur à considérer, comme un autre élément peu habile et peut-être potentiellement catastrophique pour le bloc BAO, c’est l’alliance très activiste de l’Arabie et du Qatar. Ces deux pays se sont transformés en de redoutables interventionnistes, poussés autant par l’ambition colorée d’activisme religieux que par une fuite en avant pour contenir leurs propres désordres intérieurs (cela, pour l’Arabie, essentiellement). Si l’opération syrienne ne donne pas les résultats escomptés, eux-mêmes (surtout l’Arabie, avec le supplément du désordre à Bahreïn) pourraient se retrouver menacés de déstabilisation interne, dont les désordres sporadiques actuels en Arabie seraient un signe avant-coureur.

Là encore, dans ce tableau général, l’Iran et la Russie apparaissent bien plus sérieux et habiles, si l’on fait la comparaison. La différence tient effectivement à la substance même des politiques développées, son insubstance justement du côté américaniste-occidentaliste, en raison des diverses causes signalées plus haut et de l’emploi massif de communication sans but politique précis sinon les slogans humanitaristes dont l’éclat médiatique ne dissimule le vide que pour un temps limité. Dans ces conditions, et en raison des conditions exceptionnelles de l’affaire libyenne en 2011, il se pourrait bien que cette affaire, au contraire du “modèle” (“modèle libyen”) qu’on en a fait, s’avérât être une exception qui aurait alimenté et confirmé une règle en forme d'évolution catastrophique pour le bloc BAO dans toute la région, et qui aurait ainsi servi, du fait même de ce bloc BAO, de leurre, d’illusion et finalement de piège pour lui-même.

 

mardi, 31 janvier 2012

Erdogan règle ses comptes avec l’armée turque

Günther DESCHNER:

Erdogan règle ses comptes avec l’armée turque

Certaines pratiques douteuses du gouvernement d’Erdogan approfondissent les césures qui existent déjà dans le monde politique et la société en Turquie

ilker-basbug.jpgL’arrestation spectaculaire de l’ancien chef de l’état-major de l’armée turque, Ilker Basbug (photo), et la plainte déposée contre l’ancien chef de la direction militaire du coup d’Etat de 1980 et ex-président de la République, Kenan Evren, a crée l’événement et éveillé toutes les attentions, bien au-delà des frontières turques. Cette arrestation et cette mise en examen ont montré clairement combien profondes sont les césures qui déchirent la société et le monde politique dans ce pays, qui est une pierre angulaire de l’OTAN. Le motif qui se profile derrière ces manoeuvres politico-judiciaires est à rechercher dans le fameux procès, qui est en cours depuis 2007, contre le réseau secret “Ergenekon”, auquel les organes du gouvernement d’Erdogan et le procureur général reprochent d’entretenir, par le biais de la terreur, des peurs et des émotions dans la population pour justifier un nouveau putsch militaire.

Avec l’arrestation de Basbug, le cercle des hommes soupçonnés d’intentions putschistes s’accroît. Il faut savoir que l’ancien chef de l’armée du deuxième pays le plus militarisé de l’OTAN, du moins sur le plan quantitatif, est considéré comme un “réaliste” (dans un commentaire publié dans le journal “Hürriyet”), “qui savait que le climat politique en Turquie avait atteint un point où plus aucun putsch militaire n’aurait été accepté, ni en Turquie même ni dans la communauté internationale”. On reproche aujourd’hui à ce général retraité depuis 2010 d’avoir été, en tant que “membre d’une association terroriste”, impliqué “dans un plan visant à renverser le gouvernement islamo-conservateur de l’AKP”.

Basbug se retrouve ainsi dans un aréopage illustre: plus de trois cents personnes —des militaires de haut rang, des professeurs, des recteurs d’université, des avocats et des journalistes— sont désormais considérées comme membres ou comme soutiens d’une ligue soi-disant secrète et incarcérées, pour partie, depuis de nombreuses années. L’opinion publique turque attend en vain, et depuis longtemps, qu’un premier jugement soit rendu ou que des preuves tangibles soient présentées. Plus le cas est trainé en longueur, plus le cercle des “putschistes” supposés va s’accroître et plus les arrestations se succéderont au sommet de la hiérarchie sociale et politique; quant à la crédibilité de l’opération, elle se réduira quasi à néant.

Certains commentateurs remarquent que le système juridique turc est responsable de cette lenteur: les procès durent longtemps parce que le système ne prévoit pas de libération conditionnelle sous caution. D’autres, plus critiques, reprochent au gouvernement d’Erdogan, de se contenter de simples suspicions et d’en profiter pour baillonner définitivement d’éventuels opposants kémalistes. Le procès, pris dans son ensemble, ne servirait en réalité qu’à consolider les positions de l’AKP dans les appareils de la justice et de l’Etat.

Certes, il s’avère exact que la Turquie est un pays où, par trois fois depuis 1960, des putsch militaires ont renversé le gouvernement. On ne peut donc pas dire que tout soupçon, quant à l’éventuelle planification d’un coup d’Etat, soit le fruit de purs fantasmes conspirationnistes. Néanmoins bon nombre d’observateurs pensent que le procès intenté sert surtout à réduire au silence ceux qui critiquent le régime.

Depuis la fondation de la république par le Général Mustafa Kemal, surnommé plus tard “Atatürk”, l’armée turque se pose comme la gardienne des principes séculiers, porteurs du “kémalisme” en tant qu’idéologie d’Etat. A ce titre, l’armée a pu acquérir une influence qui aurait été impensable dans d’autres démocraties. Jusqu’à nos jours, elle a gardé ses positions privilégiées. Au cours des années écoulées, le premier ministre Erdogan a pu réduire quelque peu cette influence, sans que les dirigeants de l’armée cessent vraiment de constituer un facteur de puissance. Ce n’était un secret pour personne: les généraux toisaient avec un grand mépris les politiciens de la “contre-élite” islamique, qui gouvernent aujourd’hui le pays.

Atatürk, fondateur de l’Etat, avait, expressis verbis, donné à l’armée la mission, après sa mort, de maintenir intact le système politique qu’il avait mis en place. Les militaires sont demeurés fidèles à cette mission et, par trois fois, en 1960, en 1971 et en 1980, ils ont renversé des gouvernements élus. Le coup d’Etat du 12 septembre 1980 fut de loin le plus sanglant: la Turquie avait été au bord de la guerre civile; 230.000 personnes furent inculpées; 50 condamnés ont été exécutés; des centainesd’autres sont morts en prison. Des dizaines de milliers de Turcs quittèrent le pays. Les généraux ont alors imposé une nouvelle constitution, dont les dispositions autoritaires ont marqué la Turquie.

Plus de trente ans après ces faits, l’ancien chef des militaires, Kenan Evren, aujourd’hui âgé de 94 ans, et l’ex-général Tahsin Sahinkaya, 86 ans, devront subir un procès. Pendant longtemps, Evren a été protégé contre toute poursuite judiciaire mais, après une modification de la constitution en septembre 2010, il a perdu son immunité. Depuis, plusieurs victimes de la junte militaire ont insisté pour que les officiers putschistes de 1980 soient poursuivis.

Une chose est sûre aujourd’hui: le moral, déjà sérieusement entamé, des dirigeants de l’armée turque, vient de prendre un nouveau coup dur avec l’arrestation de Basbug et l’inculpation d’Evren. Une fois de plus, l’AKP islamique vient de remporter un évident succès dans la lutte qui l’oppose à l’ancienne élite séculière, à laquelle appartient le sommet de la hiérarchie militaire. Le fossé se creuse de plus en plus entre le gouvernement islamisant et l’établissement séculier en Turquie.

Günther DESCHNER.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°4/2012; http://www.jungefreiheit.de ).

mardi, 24 janvier 2012

Survol de la Syrie et des Alaouites

Survol historique de la Syrie et des Alaouites

Ex: http://mediabenews.wordpress.com/

Introduction

La prise du pouvoir par les Alaouites en Syrie marque une rupture profonde avec le passé et l’histoire. Depuis des siècles, l’aire syrienne a été gouvernée, en général depuis Damas, par une bourgeoisie commerçante musulmane sunnite des plus orthodoxes, soumise à l’Empire Ottoman, qui a su par la suite composer, non sans diverses manoeuvres, avec la puissance mandataire avant de profiter de la confusion européenne pour échapper à son emprise et tenter, de façon un peu brouillonne, plusieurs formules de partage oligarchique du pouvoir. Quoi qu’il en soit, Damas demeurait, avec Le Caire, l’un des deux grands pôles de la pensée orthodoxe arabe et musulmane. Quant aux minorités religieuses ou ethniques, Chrétiens, Druzes, Alaouites, Juifs, Kurdes, Arméniens, bien que proportionnellement les plus importantes [1] de la région, ou peut être à cause de cela, elles étaient soigneusement tenues dans un état de marginalité politique et sociale, éloignées géographiquement ou institutionnellement des centres et instruments de pouvoir.

L’erreur fondamentale de la bourgeoisie affairiste et conservatrice sunnite de Syrie est sans doute d’avoir cru que son monopole économique et financier lui garantissait sans risque le contrôle permanent d’un appareil d’État plus conçu comme un lieu d’arbitrage et de représentation que comme un réel instrument de pouvoir. L’appareil de contrainte de l’État, Armée, Police, Administration fiscale ou douanière, avait toujours été dans des mains étrangères et l’on avait bien su s’en accommoder. De fait, il n’était nullement perçu comme un instrument valorisant, facteur de promotion et de contrôle sérieux de la société civile. Les minorités ont su profiter de cette lacune politique et culturelle et, au premier rang d’entre elles, les Alaouites. Hérétiques de l’Islam, méprisés, persécutés, démunis, relégués dans leurs montagnes peu hospitalières surplombant la Méditerranée entre les frontières libanaise et turque, désignés à la vindicte depuis la fatwa d’Ibn Taymiya (1268-1328)[2], les Alaouites ne paraissaient pas les mieux placés pour se lancer à la conquête de l’État syrien. En fait ils n’ont pas eu les hésitations des Chrétiens syriens, en majorité orthodoxes, qui ne bénéficient pas comme les Maronites du Liban d’une solution de repli territorial en cas d’échec. Contrairement aux Druzes, qui sont restés fidèles à leur tradition séculaire de ne jamais se mettre en avant pour ne pas désigner la communauté aux coups, les Alaouites, malgré leur passé et leur passif, ont entrepris de profiter d’une conjoncture favorable qui laissait le pouvoir en partie vacant à l’intérieur du pays et qui, au début des années 50, relativisait le poids de l’Islam dans le monde arabe en faveur d’idéologies peu connotées sur le plan religieux (nationalisme, marxisme).

Depuis le coup d’État du 8 mars 1963, la minorité alaouite de Syrie s’est donc progressivement assuré, sous la conduite de l’un des plus discrets mais des plus déterminés de ses membres, le général Hafez el-Assad, un contrôle étroit du pouvoir, de l’appareil civil et militaire de l’État et aussi des ressources économiques et financières du pays. Cette emprise à la fois communautaire et minoritaire n’est ni revendiquée ni même avouée. Elle s’exerce derrière le paravent, parfois avec l’alibi, d’une organisation centralisée et autoritaire mais qui se proclame résolument égalitariste, moderne et progressiste. En fait, elle met en jeu, tant en Syrie même que dans son contexte régional, les ressorts complexes de stratégies et de tactiques communautaires, tribales, claniques et familiales où dominent les rapports d’obligations interpersonnelles. L’édification de ces rapports, ainsi que la sanction de leur respect ou de leur violation, détermine et rythme depuis trente ans la vie publique intérieure mais aussi la politique extérieure de la Syrie qui y gagnent en cohérence et en détermination ce qu’elles y perdent en termes d’ouverture et d’image. Il reste à savoir si cette longue marche au pouvoir de Hafez el-Assad peut conduire à l’intégration de la communauté alaouite dans le pays et dans le siècle, ou si elle porte les germes de sa dissolution et de sa destruction. Car en sortant de son isolement géographique et social pour assumer le pouvoir d’État, la communauté perd ses repères internes, gomme ses différenciations, confrontée au double besoin de faire bloc pour s’imposer à un environnement hostile et de conclure avec cet environnement des alliances permettant de rentabiliser le présent et garantir l’avenir. Elle est bouleversée en son sein par les démarches de légitimation d’élites nouvelles, dynamiques et conquérantes, bousculant les cadres traditionnels qui puisaient leur pouvoir dans une capacité à gérer des réseaux de soumission et de transaction avec un extérieur dominateur. À mesure que s’affermit, s’étend, mais aussi se disperse le pouvoir alaouite sur l’ensemble du pays, la segmentation tribale de la communauté, fondée sur un état donné d’occupation physique d’un terrain précis, s’estompe au profit d’une segmentation en clans, voire en familles, dont les réseaux de solidarités et d’alliances dépassent les limites traditionnelles internes et externes de la communauté dans un contexte d’accès au pouvoir d’État et aux rentes économiques et politiques qui y sont liées [3]. Au terme d’une histoire presque millénaire d’isolement, de soumission et de discrétion, les Alaouites sont entrés dans le siècle, mais à quel prix pour leur identité et leur devenir ?

Repères

Dès le paléolithique et le néolithique, des groupes humains peuplèrent cette région. Dans la vallée de l’Euphrate, formant avec celle du Tigre la Mésopotamie, apparurent l’agriculture, puis les premières villes, les premiers royaumes, ainsi que l’écriture cunéiforme et l’alphabet.

Syrie - Maaloula : abris-sous-roche ou habitations préhistoriques sous un surplomb rocheux.

La Syrie de l’Antiquité

Du fait qu’elle était un lieu de passage entre l’Égypte et la Mésopotamie, la Syrie fut livrée très tôt aux invasions des grandes puissances commerciales du monde de l’époque.  Soumise à la domination des Sumériens, puis des Akkadiens, la région passa, à la fin du IIIemillénaire, sous l’influence des Amorites, un peuple sémite nomade. Au XIXe siècle avant notre ère, les Amorides fondèrent la première dynastie de Babylone. Hammourabi, roi de Babylone, étendit sa domination sur toute la région au siècle suivant.

À partir du XVIe siècle, l’Égypte des pharaons (la XVIIIe dynastie) prit le contrôle de la Syrie méridionale, tandis qu’au nord s’établirent les Hittites. Au carrefour commercial entre la Méditerranée et l’Asie, la région prospéra grâce à l’activité des marchands phéniciens qui fondèrent de nombreux ports (Tyr, Byblos, Sidon au Liban, Ougarit en Syrie).

L’équilibre fut rompu par l’arrivée des «Peuples de la mer» qui déferlèrent au XIIIe siècle avant notre ère et dévastèrent le littoral. Alors que les Araméens établissaient de petites principautés de la vallée de l’Oronte à celle de l’Euphrate, le royaume d’Israël étendit sa domination sur la région aux Xe et IXe siècles, en créant des liens de vassalité avec les Araméens. Le royaume de Damas fut fondé vers 1000 avant notre ère. Nabuchodonosor II, illustre représentant de la Xe dynastie de Babylone qui s’établit sur les restes de la puissance assyrienne, étendit son pouvoir jusqu’à Jérusalem; maître de l’Orient, il fit de sa langue, l’araméen, l’idiome de tous les peuples sous sa domination.

En 539, Cyrus le Grand, accueilli en libérateur par les peuples sous le joug babylonien, dévasta l’empire chaldéen. La Syrie passa sous domination perse et fut administrée par les satrapes des Grands Rois pendant les deux siècles qui suivirent. Alexandre le Grand l’annexa ensuite à son empire en 333-332 avant notre ère. Sous influence hellénistique, la Syrie échut après la mort du conquérant à Séleucos Ier Nikator, l’un de ses généraux. Une partie de la Syrie s’hellénisa au cours des siècles suivants, car le grec s’est imposé dans la région.

Par la suite, le royaume de Syrie fut envahi par les Romains de Pompée venus en Orient vaincre les Parthes; le royaume devint une province romaine en 64 avant notre ère. Mais la Syrie demeura quand même hellénisée sous la domination romaine, à tel point qu’elle devint l’une des principales provinces de l’Empire. Toutefois, après la fragmentation de l’Empire romain en 395 de notre ère, la Syrie fut intégrée à l’Empire byzantin. Elle connut une période de prospérité économique et de stabilité politique, troublée par les querelles religieuses qui déchirèrent l’Église d’Antioche. À partir de 611, les Perses tentèrent de mettre à profit les troubles religieux pour rétablir leur domination sur la région. Les Byzantins les chassèrent définitivement en 623, pour faire face à une nouvelle menace, celle de l’islam.

La Syrie arabe

Dès le IVe siècle avant notre ère, des tribus arabes venues du sud de l’Arabie s’étaient établies en Syrie. Affaiblis par les luttes qui les opposaient, Byzantins et Perses ne purent résister à l’expansion arabo-musulmane. La victoire du Yarmouk (636) sur les troupes d’Héraclius Ier permit aux Arabes de s’assurer le contrôle de la Syrie, qui s’islamisa et s’arabisa. La dynastie omeyyade (661-750), fondée par Moawiyya, exerça son rayonnement depuis Damas, la capitale. La marine du calife s’empara des îles de la Méditerranée orientale (Chypre, Crète, Rhodes), tandis que les troupes terrestres virent camper sous les murs de Constantinople. L’administration fut réorganisée, les sciences se développèrent, les mosquées et les palais se multiplièrent. Pourtant, les Omeyyades tombèrent sous les coups des Abbassides, qui firent de Bagdad la capitale de leur nouvel empire (750-1258), dont la Syrie devint une simple province. Le pays connut ensuite une période troublée lorsque l’empire commença à se démembrer.

Aux Xe et XIe siècles, le désordre qui régnait dans le pays, divisé entre des dynasties arabes et turques rivales, favorisa l’établissement des croisés occidentaux qui, après la prise d’Antioche (1098) et de Jérusalem (1099), occupèrent le littoral et le nord de l’actuelle Syrie. Les croisés édifièrent une série de châteaux forts tournés vers la mer. En 1173, Saladin, fondateur du sultanat ayyubide, mena la lutte des musulmans contre les croisés et unifia l’intérieur de la Syrie. Affaibli par la guerre opposant croisés et musulmans, le pays subit au XIIIe siècle l’invasion destructrice des Mongols. Les mamelouks, dynastie d’esclaves qui s’était imposée en Égypte, stoppèrent leur avance, expulsèrent les croisés en 1291 et dominèrent la Syrie jusqu’en 1516.

En réalité, la multiplicité des invasions étrangères s’est traduite dans le domaine religieux. Ainsi, si 90 % de la population est devenue musulmane, 10 % de celle-ci est restée chrétienne, avec le maintien de minorités chiite, druze, ismaélienne et surtout alaouite.

La Syrie ottomane

Après avoir pris Constantinople, les Ottomans vainquirent les mamelouks en 1516, annexèrent la Syrie à leur nouvel empire et divisèrent celle-ci en trois, puis en quatre pachaliks ou provinces (Damas, Tripoli, Alep et Saïda). La Syrie ottomane fut gérée au nom du sultan par des gouverneurs nommés pour un an. Cependant, la domination turque se fit principalement sentir dans les villes, les émirs locaux exerçant partout ailleurs leur propre pouvoir.

Durant quatre siècles, la Syrie redevint un carrefour commercial important et développa des relations avec le monde occidental. Puis l’affaiblissement graduel de la puissance ottomane attisa les ambitions territoriales, tantôt du premier consul Bonaparte en 1799, tantôt par les troupes du vice-roi d’Égypte Méhémet Ali en 1831. En 1860, Napoléon II intervint en Syrie afin de favoriser les chrétiens.

Puis ce fut le tour des Britanniques. Ayant gagné l’appui des Arabes syriens, les Anglais promirent l’indépendance du pays en cas de victoire sur l’Empire ottoman. Cependant, le 16 mai 1916, la Grande-Bretagne et la France conclurent des accords secrets, les accords Sykes-Picot, par lesquels les deux puissances se partageaient les terres arabes sous domination ottomane. Cet accord résulte d’un long échange de lettres entre Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, et sir Edward Grey, secrétaire d’État au Foreign Office; par la suite, un accord ultra-secret fut conclu à Downing Street entre sir Mark Sykes pour la Grande-Bretagne et François Georges-Picot pour la France. Cet accord équivalait à un véritable dépeçage de l’espace compris entre la mer Noire, la Méditerranée, la mer Rouge, l’océan Indien et la mer Caspienne. La région fut découpée de la façon suivante:

1) Une zone bleue française, d’administration directe (Liban et Cicilie);
2) Une zone arabe A, d’influence française (Syrie du Nord et province de Mossoul);
3) Une zone rouge anglaise, d’administration directe (Koweït et Mésopotamie);
4) Une zone arabe B, d’influence anglaise, (Syrie du Sud, Jordanie et Palestine);
5) Une zone brune, d’administration internationale comprenant Saint-Jean-d’Acre, Haiffa et Jérusalem.

Bref, la Syrie et le Liban actuels revirent à la France, l’Irak et la Palestine furent attribuées au Royaume-Uni.

Le mandat français (1920-1941)

Les Britanniques et les Arabes participèrent à la prise de Damas en 1918. L’année suivante, les forces britanniques se retirèrent de la zone d’influence revenant à la France, cédant le contrôle aux troupes françaises. En 1920, la Société des Nations (SDN) confia à la France un mandat sur la Syrie et le Liban, lesquels devaient rapidement aboutir, du moins en théorie, à l’indépendance des deux territoires. Toutefois, les nationalistes syriens, organisés depuis la fin du XIXe siècle, espéraient la création d’une Syrie indépendante, incluant la Palestine et le Liban. En mars 1920, le Congrès national syrien (élu en 1919) refusa le mandat français et proclama unilatéralement l’indépendance du pays. Celui-ci devint une monarchie constitutionnelle dirigée par le fils de Hussein, le prince Fayçal.

Néanmoins, en avril 1920, la conférence de San Remo confirma les accords Sykes-Picot, qui légitimaient l’intervention militaire française: les troupes du général Gouraud entrèrent à Damas en juillet. Fayçal, contraint à l’exil, trouva alors refuge en Irak, où il sera couronné en 1921. Ce fut alors l’effondrement du «grand projet arabe» de rassembler autour de Damas les terres arabes autrefois placées sous contrôle ottoman. Alors qu’elle avait été hostile envers les Turcs, la population syrienne développa rapidement un sentiment antifrançais.

Le Mandat français sur la Syrie fut organisé en un «Grand Liban» composé de quatre provinces: l’État de Damas, l’État d’Alep, l’État des Alaouites (1920) et l’État du Djebel druze (1921), auxquels s’ajouta, en mars 1923, le sandjak d’Alexandrette (au nord) détaché d’Alep et peuplé d’une minorité turque. La même année, le général Gouraud créa la Fédération syrienne, qui regroupait Damas, Alep et l’État alaouite, sans le Djebel druze, ni Alexandrette. En 1924, l’État alaouite en fut également séparé. De 1925 à 1927, le Djebel druze entra en état d’insurrection, dirigée par le sultan Pacha-El-Atrache. Le général Sarrail y fut chargé de rétablir l’ordre français. En 1926, le «Grand Liban» devint la République libanaise.

La frontière syro-libanaise fut tracée par les Français, protecteurs traditionnels des chrétiens dans la région, afin de satisfaire les ambitions des maronites à la création d’un «plus grand Liban». La Syrie ne reconnut jamais ce tracé. Sachant proche l’indépendance du mandat français du Levant, la Turquie fit savoir, dès 1936, qu’elle se refusait à ce que la population minoritaire turque du Sandjak d’Alexandrette puisse passer sous l’autorité syrienne indépendante. Paris, soucieux de ne pas contrarier un État dont la position revêtait une grande importance stratégique quant à la défense des intérêts français au Levant, accéda à la demande d’Ankara, et le Sandjak d’Alexandrette (ou république du Hatay) passa sous souveraineté turque le 23 juin 1939, sous le nom de «province du Hatay», au grand dam des nationalistes syriens.

Malgré son hostilité à l’égard de la France, la Syrie se rangea aux côtés des Alliés en 1939. En juin 1940, après la capitulation française, la Syrie passa sous le contrôle du gouvernement de Vichy. En 1941, les forces de la France libre et les Britanniques chassèrent le général Dentz, haut-commissaire du Levant. Le général Catroux, au nom de la France libre, reconnut officiellement l’indépendance de la Syrie, mais les troupes franco-britanniques demeurèrent sur le sol syrien.  Les Français ne se retirèrent totalement du Liban et de la Syrie qu’en 1946, après avoir violemment réprimé de nouvelles émeutes nationalistes et bombardé Damas. Cette même année, la Syrie devient membre des Nations unies.

Soulignons que, lors du mandat français, les Kurdes ne firent l’objet d’aucune mesure répressive. Même s’ils ne jouissaient d’aucun statut officiel, ils pouvaient librement pratiquer leur religion et utiliser leur langue, voire diffuser leurs journaux. C’est dans le Kurdistan syrien que beaucoup d’intellectuels Kurdes persécutés en Turquie vinrent trouver refuge, bien qu’ils ne disposaient d’aucun droit politique. Les Kurdes ont bel et bien demandé leur autonomie à l’intérieur des frontières du pays. Une pétition fut adressée à l’Assemblée constituante de Syrie le 23 juin 1928 et y a inclus les trois demandes suivantes:

1) L’usage de la langue kurde dans les zones kurdes, concurremment avec d’autres langues officielles (arabe et français);
2) L’éducation en langue kurde dans ces régions;
3) Le remplacement des employés du gouvernement de ces régions par des Kurdes.

Les autorités du mandat français ne favorisèrent pas l’autonomie kurde dans cette partie de la Syrie en raison de l’intolérance manifestée par la Turquie et l’Irak à l’égard «d’un territoire autonome kurde» près de leurs frontières. En fait, l’usage du kurde était libre, sans être officielle, dans la région. Mais l’absence de matériel pédagogique en langue kurde aurait rendu l’organisation de l’éducation particulièrement difficile, bien que ce soit des considérations d’ordre politique qui ait joué. 

Quant à la minorité religieuse alaouite, elle fut favorisée par les Français. Longtemps persécutés dans le passé, les alaouites (issus des chiites) purent s’instruire et se faire embaucher dans l’armée coloniale française, ce qui assura leur promotion sociale, dont les élites dirigeront ensuite le Parti Baas à partir de 1963. Les Français avaient créé le «Territoire des alaouites», qui allait devenir l’«État des Alaouites», puis en 1930 le «territoire de Lattaquié» ou «gouvernement de Lattaquié». Afin de faire contrepoids au nationalisme arabe des sunnites, les Français encouragèrent pendant l’entre-deux-guerres le particularisme alaouite, qui prétendait faire des alaouites un peuple à part entière, mais cette politique colonialiste échoua.

LES ALAOUITES

Alep

Dans les années 860, Ibn Nosayr, originaire de Bassorah et disciple du dixième imam chiite Ali al-Hadi, entre en dissidence et prêche une foi chiite extrémiste divinisant Ali [4] au sein d’une sorte de trinité dont Mahomet et son compagnon Salman sont les autres pôles. Fuyant l’Irak, les disciples de Ibn Nosayr sont récupérés par les Hamdanides de Alep qui trouvent expédient de les envoyer stimuler le zèle des tribus vivant aux marches de l’Empire Byzantin en Syrie du Nord. La prédication d’Ibn Nosayr rencontrera un succès inespéré parmi ces populations mal islamisées, encore fortement imprégnées de christianisme oriental chez qui son mysticisme, son culte du martyre et sa doctrine trinitaire provoquent des échos familiers. Il en résultera un syncrétisme mystique incorporant des éléments du chiisme le plus extrême, du christianisme byzantin et de paganisme ou de panthéisme hellénistique.

La constitution des royaumes francs, qui jouaient sur les divisions locales, a favorisé localement l’adhésion au Nosaïrisme et son implantation durable dans le nord-ouest de la Syrie, mais la répression qui a suivi la reconquête musulmane n’en a été que plus féroce. Traqués en tant que traîtres et apostats, les membres des tribus alaouitisées de Syrie se réfugient dans les montagnes surplombant Lattaquieh où elles vivent en retrait du reste du pays, tributaires d’une maigre agriculture de subsistance, en butte à de permanentes persécutions politiques et religieuses, entretenant des relations de dépendance difficile avec les villes de la côte et de l’intérieur. Cette situation, émaillée d’affrontements sporadiques et toujours sanglants avec les autorités de droit ou de fait, durera jusqu’à l’effondrement de l’Empire Ottoman. Des expéditions punitives de Baïbars vers 1360 à l’établissement du mandat français en 1920, les Alaouites se sont figés en collectivités défensives régulièrement décimées dans toutes les hauteurs de la montagne côtière qui s’étend de Tartous à Alexandrette, ne descendant dans la plaine que pour louer leurs services comme ouvriers agricoles ou vendre leurs filles comme servantes [5]. Ce régime de persécutions religieuses et sociales conduit la communauté à se réfugier, comme les Druzes, dans l’hermétisme et la dissimulation. Les secrets ultimes de la religion sont réservés à une petite classe d’initiés et l’ensemble de la communauté intègre au plus haut degré la pratique de la taqiya [6]qui peut aller jusqu’au reniement public de l’appartenance à la communauté et la reconnaissance de l’appartenance à la religion dominante. Cependant contrairement aux Druzes, les Alaouites ne refusent pas les alliances matrimoniales hors de la communauté et même les encouragent quand elles peuvent lui profiter.

On retrouve chez les Alaouites de Syrie toutes les formes les plus classiques des sociétés côtières sédentarisées de la Méditerranée. La structure de base de la communauté est la famille (ahl) au sens élargi, sur laquelle règne sans partage l’autorité patriarcale. La famille est elle-même membre d’un clan (‘ashîra) regroupant plusieurs familles alliées, qui est la véritable unité de base de la communauté en laquelle on se reconnait principalement. Ces clans informels sont, regroupés par agrégation ou seuls suivant leur importance, constitutifs d’une tribu (qabîla) dont l’existence est plus liée aux relations d’alliance et aux solidarités de voisinage qu’à la référence à un lignage attesté ou mythique commun. La sédentarité des Alaouites explique évidemment que, contrairement aux nomades, ils se réfèrent plus au sol qu’au sang et, dans la pratique courante, l’Alaouite se réfère essentiellement à son “village”, entité à la fois humaine et géographique, lieu géométrique de ses relations affectives et sécuritaires. La tribu est dominée par un sheikh “temporel” dont l’autorité ne se confond pas avec celle des chefs religieux. Enfin, la plupart des tribus alaouites sont regroupées en quatre grandes “fédérations” (ahlaf) dont la segmentation, perpendiculaire à la côte, paraît essentiellement due aux contraintes locales de la géographie physique qui conditionnent l’orientation des voies de communication et a contribué à donner des caractéristiques communes aux tribus qui les constituent [7] :

- Les Haddâdîn dans la région de Dreikish et Safita,

- Les Khayyâtîn dans la région de Qadmus et Marqab,

- Les Matawira dans la région de Matwa et Aïn Sharqiyyah,

- Les Jurûd [8] dans le triangle Qardaha-Slenfé-Alexandrette, fédération dont la tribu des Kalbiyyeh, la plus importante en nombre, est celle de Hafez el-Assad qui appartient au clan des Karahil [9].

Ces quatre fédérations regroupent environ 80% des Alaouites de Syrie, les autres se répartissant en tribus au rattachement incertain comme les Bichraghiyyah (du nom de la région de Bichragh dont ils sont les habitants, qui marque la limite entre les tribus du nord du Djebel alaouite et celles du sud aux pratiques religieuses et sociales légèrement différentes) ou en sortes de confréries à vocation plus religieuse que sociale comme les Murchidiyyin ou les Hawakhissa. D’une manière générale, la notion de tribu chez les Alaouites, agriculteurs attachés à leur terroir, apparaît donc plus liée à l’établissement de liens de solidarité et de protection réciproques entre familles élargies voisines qu’à des références communes à des ancêtres ou des passés mythiques qui sont le fondement du tribalisme nomade des pasteurs dans l’hinterland steppique [10]. Il en résulte une certaine perméabilité et un flou des contours, un caractère mouvant des critères de légitimité, une grande disponibilité aux modifications des systèmes d’alliances ou d’antagonismes.

A la tête de la communauté on trouve traditionnellement un “Conseil communautaire des Alaouites” (Majlis al-Milli) qui paraît tenir plus d’un conseil de famille consultatif que d’une autorité exécutive ou contraignante. Composé de dix-huit membres cooptés parmi les cheikhs religieux et temporels des différentes tribus, il rend les grands arbitrages et définit les lignes de conduite générales de la communauté. Sa composition est en principe secrète et il se réunit de façon informelle. Son importance paraît avoir fortement diminué à mesure que se développait le pouvoir personnel de Hafez el-Assad pour lequel a été créé le siège inédit de Président d’honneur.

Premier drapeau de la Syrie sous mandat français (1920-1946)

L’instauration du mandat français en 1920 introduit une rupture brutale dans l’ordre interne de la communauté et dans ses rapports avec le reste du pays. Elle pose en fait les bases de la future accession au pouvoir de la communauté. Le 31 août 1920, la France, fidèle à sa politique de protection des minorités et soucieuse de se prémunir contre un “empire arabe” en jouant sur les divisions régionales, crée le Territoire autonome des Alaouites auquel font pendant diverses entités minoritaires chrétienne ( Liban) et druze (Djebel Druze). Un grand nombre de notables alaouites se rallient avec enthousiasme à l’idée d’une indépendance par rapport à la Syrie sunnite et, malgré quelques fausses notes comme la révolte de 1921 menée par cheikh Saleh al-Alawi, ils iront, en comparant leur sort à celui des Juifs de Palestine, jusqu’à élaborer en 1936 une déclaration de refus de rattachement à la Syrie à laquelle plusieurs centaines d’entre eux, dont le grand-père du Président, souscrivent. Sur le plan religieux et juridique, l’autorité mandataire essaie d’appliquer les principes qu’elle met en oeuvre dans ses autres possessions arabes. Le trop petit nombre et le manque de formation des cadres locaux conduisent, par une assimilation abusive des Alaouites au chiisme, à faire appel à des experts en matière religieuse et de statut personnel issus des communautés chiites du sud du Liban. Ils se sont plutôt bien adaptés, en laissant à la fois leur empreinte et quelques systèmes de relations utiles pour l’avenir quand le désordre interne du Liban conduira la Syrie dominée par des Alaouites à y rendre des arbitrages entre les communautés. C’est auprès de leur chef charismatique, l’Imam Moussa Sadr, que Hafez el-Assad avait d’ailleurs été se faire délivrer , au début des années 70, des brevets d’appartenance de la communauté alaouite à l’Islam chiite (Kramer, 1987:246 sqq.). Enfin, toujours soucieux de s’appuyer sur les minorités pour faire pièce au pouvoir sunnite de Damas, les Français favorisent et organisent la scolarisation, jusque là presque inconnue, des enfants des communautés minoritaires et poussent les plus brillants d’entre eux vers les carrières administratives et, en particulier, le métier des armes.

La confusion européenne au lendemain de la seconde guerre mondiale, le départ sans gloire de la puissance mandataire, suivi peu après de l’affrontement généralisé avec l’État juif nouvellement créé, a contraint la communauté alaouite dans son ensemble à revoir son système d’insertion dans le contexte régional selon trois grandes lignes directrices :

- Les effondrements successifs de l’Empire Ottoman puis des grands États d’Europe intéressés au Levant ont prouvé qu’aucune puissance extérieure à la région ne peut garantir durablement la survie d’une entité alaouite autonome ou indépendante. La communauté doit donc accepter de vivre à l’état de minorité dans l’ensemble arabe et musulman. Cette considération condamnait les notables qui s’étaient ouvertement prononcés, presque en totalité, pour une indépendance sous protection française et, en les dévalorisant, conduisit dans un premier temps et par défaut au renforcement du pouvoir des responsables religieux de la communauté qui avaient eu la prudence de ne pas s’engager sur ce terrain, puis à l’émergence rapide de cheikhs tribaux plus jeunes et plus dynamiques que ne le voulait la coutume.

- L’Islam sunnite demeurant l’adversaire principal, il convenait d’en neutraliser la menace en faisant si possible reconnaître la communauté comme musulmane en “gommant” sa spécificité, donc en adoptant en toutes circonstances des postures qui ne prêtent le flanc à aucune critique tant sur le plan de la religion que de l’arabisme. Cette stratégie conduira la communauté et ses leaders à des positions maximalistes sur tous les dossiers régionaux et internationaux concernant la question nationale arabe et les problèmes musulmans. Ils seront toujours, parfois jusqu’à la caricature, à la pointe des causes du monde arabe et les derniers à faire des concessions dans ce domaine, après que tous les responsables sunnites auront montré l’exemple.

- Enfin il convient de s’assurer le contrôle de l’État syrien afin de se prémunir, puisqu’il va bien falloir vivre avec eux, contre la vindicte prévisible des notables sunnites locaux ou étrangers, contre leur volonté latente d’islamiser les institutions ou de fondre le pays dans un vaste ensemble “arabo-musulman” [11]. Ce contrôle de l’État doit viser essentiellement celui de son appareil de contrainte et tendre à dissocier par tous les moyens le concept d’arabisme de celui d’Islam, en tous cas d’Islam sunnite.

La prise du pouvoir

C’est dans ce contexte et en fonction de ces principes que de jeunes responsables civils et militaires alaouites vont s’emparer du pouvoir en février 1966. Sans verser dans une explication conspiratoire de l’histoire [12], on doit constater qu’ils s’y sont longuement préparés. L’initiative en est venue principalement du nord de la région alaouite, c’est-à-dire de la confédération des Jurûd, probablement pour la double raison qu’ils étaient à la fois les plus humbles de la communauté et les plus exposés au voisinage turc. Dès 1933, Zaki al-Arsouzi, Alaouite d’Alexandrette, fonde une “Ligue d’action nationale” qui se veut nationaliste et socialiste sur le modèle des partis fascistes européens, comme le feront peu après les Maronites avec les “Phalanges” de Pierre Gemayel et les Grecs-orthodoxes avec le Parti Populaire Syrien d’Antoun Saadé. Au-delà de ses objectifs affichés d’indépendance, de réveil culturel et de panarabisme, la Ligue se veut intégratrice. Il s’agit, comme pour le P.P.S., de substituer à la référence religieuse une référence nationale qui permettrait à la minorité de ne plus voir son existence sociale et politique contestée sur une base religieuse. Arsouzi se heurte à la fois aux Français, aux Turcs à qui la puissance mandataire cède en 1939 le Sandjak d’Alexandrette, mais aussi aux notables indépendantistes alaouites des autres confédérations et au pouvoir bourgeois de Damas. Ses idées font cependant leur chemin chez les jeunes Alaouites du nord et chez les Druzes tandis que leur volet social séduit les jeunes Sunnites des provinces périphériques, “oubliés” eux aussi du développement industriel et commerçant des villes. Fin 1940, Arsouzi quitte la Ligue, maintenant exclusivement tournée vers la contestation de l’occupation turque du Sandjak, et crée à Damas une première version d’un “Baath al-Arabi” (Parti de la résurrection arabe), avec une idéologie similaire à celle initiale de la Ligue. Il ne rencontre guère de succès dans la capitale et se retire en 1942 à Lattaquieh où son influence morale reste très grande et d’où il poussera ses jeunes coreligionnaires à adhérer massivement au nouveau Baath, totalement inspiré du sien, que fondent en 1943 le Chrétien Michel Aflaq et le Sunnite Salaheddin Bitar. Panarabe, nationaliste, laïque, social, le Baath séduit à la fois les minorités non musulmanes ou dissidentes de l’Islam et nombre de ruraux musulmans orthodoxes face à l’hégémonie de la bourgeoisie sunnite. Son caractère authentiquement arabe le rend plus attractif et moins sujet à controverse que le “syrianisme” réducteur du P.P.S. ou l’athéisme importé du P.C., autres refuges idéologiques et militants des minoritaires. Pendant vingt ans, le Parti va être patiemment infiltré puis instrumentalisé par les Alaouites au détriment des autres groupes qui le composent (Chrétiens, Druzes, Ismaéliens, Sunnites provinciaux) pour prendre le contrôle de l’appareil militaire, puis politique et enfin économique et financier de l’État syrien.

Là encore, le rôle des Jurûd et, en leur sein, celui des Kalbiyyeh et de la famille Assad est déterminant. Originaire du bourg de Qardaha, la famille Assad, sans être pauvre, vit modestement de l’agriculture. Le père, Ali ben Sleiman, a voulu sortir de sa condition mais n’en a guère les moyens. Comme la plupart des Jurûd, il ne dispose ni des réseaux d’affaires dont bénéficient les Shamsites [13], ni des réseaux de pouvoir en général accaparés par les Matawira. Après la tentative familiale infructueuse de donner des signes d’allégeance aux Français, il mise tout sur ses fils pour lesquels il consentira de lourds sacrifices en vue de leur assurer une instruction la plus complète possible. Intelligent et rusé, discret et opiniâtre, doté d’une force physique peu commune, Hafez el-Assad, né en 1930, adhère au Parti Baath alors qu’il est encore lycéen sur l’instigation de Zaki Arsouzi et de son disciple Wahib Ghanem, également Alaouite d’Alexandrette, qui est un ami de la famille. Après avoir animé la section étudiante du parti au lycée de Lattaquieh, où il rencontre beaucoup de ceux qui seront ses compagnons de route, Hafez el-Assad passe son baccalauréat à Banyas puis se présente à l’école des officiers de Homs en 1950. Nanti de ses épaulettes de sous- lieutenant, il choisit l’aviation et rejoint en 1952 la toute nouvelle école de l’air d’Alep. Comme au lycée, il noue dans ces deux écoles les liens d’amitié, de confiance et de solidarité de promotion, les “réseaux”, qui le conduiront au pouvoir. Si dans son environnement les Alaouites comme son “co-pilote” Mohammad el-Khouli dominent, Assad sait aussi rechercher l’amitié de Sunnites modestes, provinciaux, hostiles aux bourgeois damascènes comme Naji Jamil, originaire de Deir ez-Zor – son équipier à l’Ecole de l’Air dont il fera son premier coordinateur des services de sécurité – ou Moustafa Tlass, né à Rastan – son compagnon à l’Ecole de Homs – qui deviendra son inamovible ministre de la Défense – assez forts pour l’aider, pas assez pour lui nuire…

On voit déjà se dessiner l’esquisse du dispositif ternaire qui reste encore aujourd’hui le schéma de base de toutes les stratégies du Président syrien, toujours entouré de trois cercles concentriques constitués chacun de trois éléments fidèles à sa personne et rivaux entre eux, donc manipulables. Si les Kalbiyyeh sont bien représentés dans son entourage, il sait qu’il lui faut composer avec les autres tribus alaouites qui ne verraient certainement pas d’un bon oeil l’un des moins prestigieux d’entre eux monopoliser le devenir communautaire. Il se lie donc à des représentants d’autres tribus comme Mohammed Omran (jeune cheikh d’un des clans les plus prestigieux des Haddâdîn) et Salah Jedid (du plus puissant des clans Matawira à l’époque), avec lesquels il formera en 1960 le noyau d’un comité militaire hostile à l’union avec l’Egypte, ou Mohammed el-Khouli (Haddâdîn), qui sera le chef de son premier “service de renseignements” personnel quand il sera lui-même le chef de l’armée de l’air. En 1958, il épouse Anisseh Makhlouf, d’une famille aisée de la prestigieuse confédération des Haddâdîn. Elle lui donnera cinq enfants et la collaboration fidèle de tout son clan puisque Adnan Makhlouf, son plus proche cousin, est depuis plus de vingt ans le chef de la garde présidentielle.

Quand, confrontés à la double pression des Anglo-Saxons pour un alignement de la Syrie sur le Pacte de Baghdad et des jeunes officiers subalternes pour une politique encore plus indépendante et nationaliste, les dirigeants bourgeois de Damas, soutenus par la “vieille garde” du Baath, s’en remettent à la tutelle de l’Égypte

Al-Bitar, Louai al-Atassi et Nasser en mars 1963.

nassérienne le 12 janvier 1958, les Alaouites comprennent vite qu’ils sont victimes d’un marché de dupes. Rapidement confirmés dans cette opinion par les maladresses de l’administration égyptienne qui les marginalise aussi bien en tant que minorité que dans leurs privilèges de fonction si difficilement acquis, ils entreprennent une série de manoeuvres souterraines pour sortir de l’union qui reçoivent vite l’adhésion de tous les laissés pour compte de l’unité. Le comité militaire clandestin, alors constitué autour de Omrane, Jedid et Assad, va devenir pour presque dix ans le creuset où va s’élaborer la prise du pouvoir par les prétoriens alaouites aux dépens des Sunnites de Damas d’abord, puis des politiciens du Baath et enfin des “aventuristes” de la communauté. Hafez el-Assad et ses fidèles y développent jusqu’au raffinement l’art de l’action clandestine, les vertus de la patience et de la discrétion, l’habileté des manipulations complexes.

Le 28 septembre 1961, un premier coup d’État militaire à Damas prononce la rupture avec Le Caire et rétablit une République bourgeoise dominée par ses éléments traditionnels contre lesquels la réaction égyptienne ne peut qu’être mesurée. Le 8 mars 1963, un second pronunciamento militaire conduit par le capitaine druze Salim Hatoum renverse le régime civil, rappelle les officiers limogés, dont Hafez el-Assad, pendant la période unioniste ou la république “sécessionniste” et remet le pouvoir au parti Baath renforcé par sa prise du pouvoir en Irak un mois plus tôt. L’armée passe cependant sous le contrôle du comité militaire animé par les Alaouites. Devenu chef de l’Armée de l’Air, Assad y met sur pied, dès 1963 et dans la plus stricte illégalité, un service de renseignements efficace relayé dès 1965 au niveau de l’action par une milice au statut ambigu, les Détachements de Défense (saraya ad-difaa) qu’il confie à son frère Rifaat, passé en 1962 de l’administration des douanes au service de l’Armée. Le 23 février 1966, un nouveau putsch militaire chasse la vieille garde politique du Baath. Le Chrétien Aflaq et le Sunnite Bitar prennent le chemin de l’exil, remplacés par l’aile gauchiste du Parti pilotée par des militaires populistes sous la direction de Salah Jedid. Ce dernier commet l’erreur des bourgeois damascènes en abandonnant le contrôle de l’armée pour se consacrer à une action politique qu’il veut  résolument socialiste et nationaliste sans référence réelle aux intérêts particuliers de sa communauté. Hafez el-Assad devient ministre de la Défense et asseoit son emprise sur l’Armée, laissant son rival s’user en projets généreux et utopiques, sans omettre de saisir toute occasion de saper subtilement son pouvoir et ses plans. Le 25 février 1969, l’Armée prend le contrôle du pays et, sans chasser Salah Jedid, l’oblige à mettre un terme à ses expériences progressistes devenues impopulaires et à son monopole sur les décisions politiques en rappelant aux affaires des membres de l’establishment traditionnel ainsi que des ténors de diverses formations politiques. Jouant sur ce pluralisme qu’il a suscité, Hafez el-Assad, sans apparaître personnellement, fait prononcer le 12 novembre 1970 la destitution de Jedid, l’arrestation des officiers qui lui sont encore hostiles et prend enfin le contrôle de l’État qui lui sera officiellement confié début 1971 par son accession à la Présidence largement plébiscitée.

 Notes

[1] En 1994, la Syrie compte environ 13 millions d’habitants. Les minorités non sunnites et/ou non arabes représentent environ 35% de la population (extrapolations selon la méthode préconisée par Seurat, 1980:92): Alaouites (12%), Chrétiens de diverses obédiences (7%), Kurdes (6%), Druzes (5%), Arméniens (3%), Divers (Juifs, Tcherkesses, Assyriens, etc…environ 2%).

[2] “La guerre sainte est légitime…contre ces sectateurs du sens caché, plus infidèles que les Chrétiens et les Juifs, plus infidèles que les idôlatres, qui ont fait plus de mal à la religion que les Francs…”. (Cité par Pipes 1989:434.)

[3] Si l’on prend cette évolution en considération, les controverses entre Perthes (1992:105-113) et Landis (1993:143-151) ou entre Pipes (1989:429-450) et Sadowsky (1988:168), que l’auteur n’a ni vocation ni surtout autorité à trancher, peuvent apparaître comme la vision d’un même phénomène selon deux perspectives différentes.

[4] D’où le nom d’Alaouites qui leur a été donné par les Sunnites (‘Alawiyyîn, partisans de Ali); comme il a été donné, sans qu’il y ait aucun lien entre eux, à l’actuelle dynastie filalienne marocaine qui revendique sa descendance au Prophète via Abdallah Kamil, l’un des arrière petit fils de Ali et Fatima, qui serait venu s’installer au Tafilalet. Selon les périodes, les Alaouites de Syrie se désignent eux-mêmes sous le nom d’Alaouites quand ils souhaitent entretenir la confusion sur leur appartenance à l’Islam chiite ou sous celui de Nosaïris quand ils entendent être clairement distingués des Musulmans.

[5] Jusqu’aux années 60, les familles aisées des grandes villes de Syrie et du Liban “embauchaient” comme bonnes à tout faire des fillettes alaouites dès l’âge de huit ou dix ans. L’enfant étant mineur, une somme forfaitaire était versée , au titre de sa rémunération et pour solde de tout compte, au père ou au représentant légal qui abandonnait de facto tout élément de puissance parentale au profit de l’employeur. Prise en charge, mais non rémunérée, par la famille d’accueil, l’enfant entrait alors dans une vie de quasi-esclavage. La mémoire collective de cette pratique séculaire courante, que l’on se garde bien d’évoquer aujourd’hui, a pesé extrêmement lourd dans les formes de l’établissement du pouvoir alaouite en Syrie et dans son comportement au Liban.

[6] La taqiya (aussi connue sous le nom persan de ketman) est, très grossièrement, la faculté laissée au croyant de dissimuler son appartenance ainsi que de mentir ou de ne pas tenir ses engagements pour protéger la collectivité ou sa propre personne en tant que membre de la communauté.

[7] Voir carte

[8] Littéralement, “ceux qui habitent le jurd (zone de la montagne où rien ne pousse)”. De fait, avec la cession du Sandjak, cette confédération s’est trouvée pratiquement réduite en territoire syrien à sa composante Kalbiyyeh sous le nom desquels on la désigne usuellement..

[9] Une légende tenace veut que Hafez el-Assad se rattache au clan Noumeïtila de la confédération des Matawira, sans doute parce que ces derniers ont été les premiers de la communauté à investir les circuits de pouvoir en Syrie et qu’il était alors inconcevable qu’un Kalbiyyeh pût avoir des prétentions à ce sujet. On remarque aussi que Qardaha, village situé à l’extrémité sud du territoire des Jurûd, à quelques kilomètres de Matwa, est limitrophe du territoire des Matawiras. La même confusion s’attache à d’autres responsables actuels du régime (Mohammed el-Khouli, Ali Aslan). Voir sur ce point Le Gac (1991:78-79).

[10] Sur le passage d’un référentiel de solidarité à l’autre, voir Khalaf (1993:178-194)

[11] Il convient de noter que de 1946 à 1958 , sous la pression des diplomaties anglo-saxonnes pour la constitution d’un Pacte anti-soviétique ancré à Baghdad et pour la protection des accès aux ressources pétrolières, le Moyen Orient était dominé par les faits séoudite et hachémite. L’édification d’un grand “Royaume arabe” était encore un mythe vivace et la seule alternative offerte était le ralliement, à partir de 1952, au panarabisme nassérien peu sensible aux intérêts minoritaires.

[12] Plusieurs auteurs cités par Pipes (1989:429) font allusion à des réunions “secrètes” tenues dans les années 60 entre responsables civils, militaires et religieux de la communauté pour mettre au point une stratégie clandestine de prise et de gestion du pouvoir organisée dans ses moindres détails. L’impartialité de ces auteurs -quand ils ne se réfugient pas dans l’anonymat – est cependant sujette à caution et ils n’apportent guère d’éléments incontestables permettant d’étayer l’idée d’une démarche aussi élaborée.

[13] Les quatre grandes confédérations alaouites se partagent en “shamsites” (Haddâdîn, Khayyâtîn) et en “Qamarites” (Jurûd, Matawira) suivant des considérations subtiles sur l’importance religieuse respective qu’ils accordent au Soleil (shams) et à la Lune (qamar). Lors de sa brève existence sous le mandat français, l’État des Alaouites s’était doté d’un drapeau représentant un soleil flamboyant sur fond blanc, témoignant à la fois une distance par rapport aux couleurs et symboles traditionnels de l’Islam et la dominance des confédérations du sud.

mercredi, 28 décembre 2011

La France ne défendant plus les chrétiens d’Orient, la Russie a pris le relais

La France ne défendant plus les chrétiens d’Orient, la Russie a pris le relais

Ex: http://mbm.hautetfort.com/

Comme le montre sa politique en Syrie, la Russie place ses pions au Moyen-Orient en soutenant les chrétien d'Orient. Selon Antoine Sfeir, "à travers cette diplomatie parallèle, Moscou a réussi, en une décennie, à se réimplanter en Méditerranée orientale".

 
La Russie a fait de la chrétienté d'Orient une diplomatie parallèlle.

La Russie a fait de la chrétienté d'Orient une diplomatie parallèlle. Crédit Reuters

La Russie veut soutenir les chrétiens d’Orient dans leur ensemble, catholiques et orthodoxes réunis, devant ce qui semble être une posture incertaine de l’Église catholique. En effet, le patriarche d’Antioche et de tout l’Orient maronite, en tentant de donner du temps au régime syrien de Bachar el Assad, s’est fait attaquer par toutes les chancelleries occidentales, et notamment par le président français Nicolas Sarkozy lui-même. Il n’a pas reçu de véritable soutien du Vatican. La position du Vatican s’explique par beaucoup d’hésitations. Certains sont plutôt pour un engagement ferme des chrétiens d’Orient, de plus en plus de laïques devant l’attitude frileuse du Vatican, d’autres arguent qu’il est impossible de secourir le monde entier… Benoît XVI a évoqué ce sujet à plusieurs reprises, il était dans son rôle et n’a pas été repris par les médias. Moscou a voulu s’insérer dans la brèche, sachant que les chrétiens de Syrie craignent la chute du régime et l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans à l’instar de ce qui s’est passé en Libye et qui pourrait également arriver en Tunisie. Malgré le fait qu’un dirigeant historique de l’opposition syrienne Michel Kilo soit lui-même chrétien, l’atomisation des partis d’opposition laïques en Syrie rend en effet les Frères musulmans maîtres du terrain.

Mais la Russie n’a pas attendu les événements de Syrie pour faire de la chrétienté d’Orient en général, et de l’orthodoxie en particulier, une diplomatie parallèle. Forts d’une communauté orthodoxe grecque majoritaire parmi les chrétiens en Syrie, et également fortement présente au Liban (13% environ), les Russes avaient déjà entamé depuis le début du troisième millénaire une approche communautaire de ces populations. Leur importance n’est pas à négliger, puisqu’il s’agit des notables des grandes îles du Proche-Orient, qui détiennent une bonne partie du pouvoir économique. De plus, la Russie a maintenu des contacts étroits avec les orthodoxes émigrés sous prétexte de judaïté en Israël. Ils disposent d’ailleurs d’une télévision ainsi que de deux quotidiens à Ashdod. Les Russes ont également des relations très étroites avec des orthodoxes grecs, naturellement, mais également chypriotes. A travers cette diplomatie parallèle, Moscou a réussi, en une décennie, à se réimplanter en Méditerranée orientale. De plus, l’existence d’une poche de gaz importante au large de la Palestine, d’Israël et du Liban, donne également l’occasion à la Russie, et particulièrement à son bras économique Gazprom, de s’installer durablement, à travers ses réseaux et ses contacts, dans cette partie du monde.

Pour toutes ces raisons, et également parce que le siège du patriarcat grec orthodoxe, d’Antioche et de tout l’Orient, se trouve à Damas, les Russes estiment qu’ils sont incontournables dans la défense des chrétiens d’Orient, d’autant que l’Occident, et notamment la France, à laquelle était naturellement dévolue ce rôle, semble y avoir renoncé : la France a libéré la Libye de Kadhafi pour la livrer au chaos tribal et régional, en défendant la population de Benghazi, mais en laissant massacrer celle de Syrte, laissant le chemin libre à l’Islamisme. Le départ du régime Assad, haï dans toute la région, entraînerait par ailleurs une communautarisation de la Syrie, ce qui ne manquerait pas d’avoir des conséquences directes au Liban, où la partition du pays des cèdres serait institutionnalisée.

A telle enseigne que la visite de l’ambassadeur de France aux communautés chrétiennes de Syrie s’est faite sous les drapeaux russes, ce qui montre à quel point la peur des chrétiens est réelle, et à quel point surtout ils sont prêts à tendre la main à quiconque prétend les protéger.

Le renoncement de la France semble s’être fait dans le cadre d’un choix plus tactique que stratégique, visant le pétrole de Libye et la reconstruction du pays, et espérant, à travers l’opposition syrienne, s’établir fortement dans le Proche-Orient. Les Etats-Unis, plus cyniques, -d’aucuns pragmatiques-, disent déjà à haute voix qu’il ne peut y avoir d’avenir pour les chrétiens en Orient et que ces derniers feraient bien d’émigrer vers les pays occidentaux. Leur pragmatisme est conforté par le fait que la majorité des chrétiens, notamment au Liban, disposent déjà d’une double nationalité, d’un double passeport. Mais certains dirigeants chrétiens, en Egypte, en Syrie et au Liban, ne cachent pas leur amertume devant l’attitude franco-américaine, et préfèrent rappeler ce qu’un ancien dignitaire religieux, le patriarche maronite Pierre-Antoine Arida, avait l’habitude de dire : "Notre destin de chrétien d’Orient n’est-il pas de vivre en permanence au bord du précipice, en luttant toute notre vie pour ne jamais y sombrer ?"

Nul ne peut jouer au prophète, surtout dans cette région du monde. Il serait donc maladroit de se risquer à parler d’avenir. Une chose demeure réelle : sans les chrétiens, la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine ou l’Egypte, ne seraient plus que des pays arabes comme les autres.

dimanche, 25 décembre 2011

La France mise en garde par la Turquie à propos de sa loi sur le génocide arménien

 

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La France mise en garde par la Turquie à propos de sa loi sur le génocide arménien

La France a été alertée par la Turquie des graves conséquences qu’entraînerait l’adoption par le sénat français d’un projet de loi, aujourd’hui (19 décembre), qui pénaliserait le déni du massacre de plus d’un million d’Arméniens par l’Empire ottoman en 1915.

Speaking in Libya on Saturday, Turkish Prime Minister Recep Tayyip Erdoğan urged France to face its own history before judging the history of others, the Turkish press reports.

Erdoğan's strong reaction came in response to a vote by the French Senate to criminalise denial in France of the so-called Armenian genocide of 1915 and make it punishable by a maximum one-year prison sentence and a €45,000 fine – a punishment that would bring denial of the alleged genocide up to par with denial of the Holocaust.

"Today, nobody talks about the 45,000 Algerian deaths in 1945 or the role of France in the massacre of 800,000 people in Rwanda in 1994,” Erdoğan said.

Turkish officials have warned France of grave consequences should the bill be passed by the French Senate. Erdoğan sent a letter to the French President Nicolas Sarkozy on Friday, warning him of the damage the bill would cause to bilateral relations.

“This bill directly targets the state of the Turkish Republic, the Turkish nation and the Turkish community in France and is seen as hostile,” Erdoğan was quoted as saying in the letter, seen by the Anatolia news agency.

Speaking in a joint press conference with Mustafa Abdul-Jalil, chairman of the Libyan National Transitional Council (NTC), Erdoğan repeated Turkey's official stance regarding the Armenian deaths of 1915 as an historical matter that calls for the judgement of historians and academics rather than as a matter of politics to be voted on in parliaments.

French election strategies?

Ankara has also raised doubts regarding Sarkozy's motives in changing his stance regarding the Turkish-Armenian conflict, speculating that the French president might be seeking votes from the strong Armenian community in France to gain an advantage over his Socialist Party rival, François Hollande.

 

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The Socialist candidate is also a known defender of the “Armenian genocide” and said that he would support a law to make genocide denial punishable by French courts.

“The bill is completely against common sense. The toll [in the case the bill passes into law] will be on French firms conducting business in Turkey,” Turkey's EU Affairs Minister Egemen Bağış said on Saturday (17 December).

Business to suffer

Two days before, Turkish Foreign Minister Ahmet Davutoğlu had invited executives from French firms in Turkey to his ministry to discuss the possible results of such a law for French investment in the country.

Apparently unmoved by Ankara's warnings, Sarkozy's ruling party reaffirmed its faith in the bill, expressing support for its passage. Lawmakers interviewed by AFP said that they were “determined at this time” that the bill should not return from the Senate, as it did back in 2006 during a first attempt.

France had previously brought the same bill to the agenda five years ago, but the French Senate refused to discuss it even though France recognised the Armenian deaths of 1915 as genocide in 2001.

EurActiv.com

samedi, 24 décembre 2011

La Turquie, alliée de toujours des Etats-Unis et nouveau challenger

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La Turquie, alliée de toujours des Etats-Unis et nouveau challenger

Par Dorothée SCHMID*, 

 
Ex: http://mbm.hautetfort.com/

* Spécialiste des politiques européennes en Méditerranée et au Moyen-Orient, est actuellement responsable du programme « Turquie contemporaine » à l’Ifri. Ses travaux portent sur les développements de la politique interne en Turquie et sur les nouvelles ambitions diplomatiques turques

Membre de l’OTAN depuis 1952, la Turquie est un allié traditionnel des États-Unis, malgré des désaccords sur des dossiers comme Chypre ou l’Irak. Depuis la fin de la guerre froide, et particulièrement après l’arrivée de l’AKP au pouvoir, les relations entre les deux pays se sont toutefois tendues. Il va désormais falloir trouver un équilibre entre le besoin de reconnaissance d’une Turquie toujours plus ambitieuse à l’échelle régionale et les impératifs de sécurité américains.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com est heureux de vous présenter cet article de Dorothée Schmid publié sous ce même titre dans le n°3:2011 de la revue Politique étrangère (Ifri), pp. 587-599.

L’INTENSE activité de la diplomatie turque, particulièrement au Moyen-Orient, embarrasse depuis quelques années plus d’une puissance établie. Si les Français s’inquiètent de la présence croissante des Turcs sur leurs terrains d’influence arabes, les États-Unis éprouvent quelque difficulté à s’accommoder des ambitions retrouvées d’un allié qui leur fut toujours précieux, mais également de la volatilité nouvelle de ses positions.

Ankara avait en effet habitué Washington à plus de retenue et de régularité. Ayant intégré dès 1952 la communauté disciplinée de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) comme puissance régionale d’appui, elle y rendait aux États-Unis des services intermittents mais rarement négociables, en échange d’un rattachement souple à la sphère de protection américaine. Pilier oriental de l’Alliance, la Turquie assurait la surveillance de sa frontière sud-est, Washington ne se permettant que rarement de commenter les accidents politiques intérieurs turcs, entre coups d’État à répétition et répression des minorités.

Ce gentlemen’s agreement stratégique a duré près de 40 ans, malgré quelques désaccords importants sur Chypre ou l’Irak. Mais la fin de la guerre froide et le 11 septembre 2001 ont créé les conditions de l’émancipation de la diplomatie d’Ankara, au moment même où son rôle central se confirmait au Moyen-Orient. Assumant d’une manière différente sa vocation de pays pivot, la Turquie entame alors une reconversion imprévue : longtemps plate-forme avancée de l’Occident au Moyen-Orient, elle se pose depuis quelques années en porte-parole auprès de l’Occident d’un monde arabo-musulman qui n’en finit pas de se décomposer et de se recomposer, et échappe de plus en plus à la maîtrise de Washington. L’équation stratégique américaine doit intégrer cette échappée orientale, avec des incertitudes majeures : il est en effet encore difficile d’évaluer si la Turquie a les moyens de ses ambitions dans la région et jusqu’à quel point ses intérêts y divergent de ceux des États-Unis.

Une Turquie toujours centrale

L’histoire et la géographie ont assigné à la Turquie une fonction centrale dans le système de la guerre froide : république laïque façonnée par Mustafa Kemal Atatürk sur le modèle des États-nations européens, elle est la sentinelle de l’Occident à sa frontière orientale. Cette fonction de rempart reste essentielle dans le calcul stratégique américain, mais évolue et se complexifie avec le temps.

Les fonctions géopolitiques d’un pays pivot

Les fondements du rapport turco-américain sont d’ordre sécuritaire. La situation géographique de la Turquie définit son importance dans la perception stratégique des États-Unis : le pays est au carrefour de deux continents et de plusieurs zones d’influence historique – russe, iranienne, etc. ; le Bosphore et les Dardanelles sont des verrous ; les principales routes énergétiques désenclavant les ressources de la Caspienne et du Moyen-Orient passent par le territoire turc ; et les sources du Tigre et de l’Euphrate se situent également en Turquie, ce qui en fait le château d’eau du Moyen-Orient. Fardeaux ou atouts, ces éléments offrent à la Turquie un choix de positionnement stratégique : elle peut être frontière, ou intermédiaire. Les décideurs américains tentent, depuis la fin du XXe siècle, de jouer sur ces deux vocations, selon leurs propres objectifs dans la région. La Turquie est pour eux un pays pivot, à même d’articuler des ensembles géopolitiques indépendants, mais aussi vulnérable car exposé, dans une région parcourue de tensions [1]. Le contrôle de la charnière turque est essentiel pour maîtriser la problématique moyen-orientale, en bonne harmonie avec l’ensemble européen. Pendant toute la guerre froide, la Turquie a été le poste avancé de surveillance de l’Occident à l’est, face à l’ennemi soviétique ; dans la décennie qui suit la chute du Mur, elle a été pensée comme bouclier contre l’islam radical.

La Turquie n’était donc pas, jusqu’à l’ouverture de l’ère AKP (Adalet ve Kalkinma Partisi, Parti de la justice et du développement, d’origine islamiste, actuellement au pouvoir) en 2002, un enjeu stratégique en elle-même, mais bien un partenaire pour les dossiers géopolitiques régionaux. La relation bilatérale turco-américaine est fondée sur des intérêts stratégiques partagés, le niveau des relations économiques est faible, le dialogue politique existe, mais apparaît, jusqu’à une période récente, dénué de relief et de complicité. Cependant, Washington sait que la fonction d’intermédiaire géopolitique assignée à la Turquie est fragile et craint aujourd’hui plus que jamais que l’allié ne passe dans l’autre camp. Ancrer la Turquie à l’ouest est donc le premier objectif poursuivi par toutes les Administrations américaines depuis les années 1940. Cela passe, dans un premier temps, par le bénéfice du plan Marshall et par l’intégration à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – alors que la Turquie n’est pas entrée dans la Seconde Guerre mondiale ; par son admission à l’OTAN en 1952, en même temps que la Grèce, pour participer à la guerre de Corée ; puis par le lobbying en faveur du rapprochement de la Turquie avec la Communauté économique européenne (CEE) puis de son adhésion à l’Union européenne (UE). Les États-Unis entérinent ainsi sans état d’âme la double appartenance géographique et identitaire de la Turquie, contrairement à une Europe qui doute encore de ses frontières et dont l’imaginaire collectif reste marqué par des a priori négatifs, héritages des « turqueries » d’un Empire ottoman autrefois menaçant [2].

Un allié traditionnellement remuant

Partenaire stratégique, allié, mais pas forcément ami : c’est ainsi que la Turquie elle-même perçoit les États-Unis, une grande partie de l’opinion turque cultivant un antiaméricanisme de principe qui s’exprime par crises face aux grands événements internationaux. Les sondages d’opinion le démontrent : le sentiment antiaméricain se renforce étonnamment en Turquie au fil des décennies, nourri d’incidents objectifs et de représentations fantasmées, qui heurtent le nationalisme turc [3]. Imprégnées de culture politique européenne, voire française, les élites kémalistes traditionnelles n’ont jamais considéré les États-Unis comme un modèle de société ou d’organisation politique [4]. Ce sentiment antiaméricain est partagé par la gauche turque, sur fond d’anti-impérialisme, et par une bonne partie de l’armée et de la classe politique, qui se sentent négligées par Washington et lui prêtent régulièrement des intentions malveillantes à l’égard de la Turquie ; nombre de théories du complot circulent ainsi, attribuant la paternité des coups d’États militaires successifs à l’intervention occulte des Américains [5].

Seul le président Turgut Özal a fait preuve, dans la classe politique turque, d’une américanophilie réelle, coïncidant dans le temps, heureusement pour Washington, avec la première guerre du Golfe. Cette méfiance traditionnelle vis-à-vis des États-Unis se résorbe cependant en partie depuis l’arrivée de l’AKP aux affaires, ce dernier s’appuyant davantage sur de nouvelles élites anglophones, que leurs origines anatoliennes n’empêchent pas d’être plus en phase avec la mondialisation, et qui prisent surtout le modèle américain de liberté religieuse.

En pratique, la relation stratégique turco-américaine n’a jamais fonctionné de façon impeccable au-delà des années 1950. La Turquie est restée un allié compliqué et les accrocs n’ont pas manqué. La substance de la relation étant d’ordre sécuritaire, l’Administration américaine a longtemps fermé les yeux sur les petits accommodements de la Turquie avec la doxa démocratique occidentale. Les épisodes de confrontation sont en revanche réguliers dans le cadre de l’OTAN. Les Turcs ont ainsi gardé le souvenir très vif de plusieurs désaccords historiques où la puissance américaine a imposé ses vues contre les priorités nationales turques, d’où une amertume persistante. Les États-Unis se sont opposés à la Turquie sur la question chypriote en 1964 et en 1974, décrétant à l’époque un embargo sur les armes à destination de la Turquie ; dans les années 1980, l’aide militaire à la Turquie sera calibrée sur celle accordée à la Grèce, avec un ratio de sept pour dix. Mais les difficultés s’accumulent surtout du côté de l’Irak, où la préférence américaine pour les Kurdes inspire aux Turcs un malaise persistant. Fin 1991, une no-fly zone est établie dans le nord de l’Irak par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni pour protéger les insurgés kurdes irakiens de la vengeance programmée de Saddam Hussein. Les Turcs se résolvent à contrecœur aux opérations Provide Comfort et Poised Hammer, mises en œuvre à partir de la base d’Incirlik, construite près d’Adana, au sud de la Turquie, aux premiers temps de la guerre froide. Les Turcs acceptent également les sanctions prévues contre l’Irak, malgré la perte économique manifeste que cela implique pour eux. Ils assistent surtout à partir de ce moment-là avec inquiétude à l’autonomisation progressive du Kurdistan irakien, où la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan, PKK), active en Turquie depuis 1984, commence à installer ses bases. L’ensemble de ces concessions marque durablement les esprits, et explique bien des réactions turques pour la suite de l’histoire irakienne.

1991-2001 : la décennie du basculement

La Turquie a pu craindre d’être marginalisée par la fin de la guerre froide ; elle s’est au contraire trouvée libérée d’une partie de ses obligations anciennes, tout en gagnant la possibilité de jouer d’autres rôles. La décennie 1991-2001, qui s’ouvre avec la première guerre du Golfe et s’achève avec le 11 septembre, apparaît ainsi a posteriori comme la décennie du basculement de la relation turco-américaine. Pour des raisons tenant à la fois aux circonstances régionales et à la trajectoire nationale des deux partenaires, l’équilibre des forces, traditionnellement très favorable aux Américains, bascule insensiblement du côté de la Turquie.

Dès les années 1990, l’alliance turco-américaine se consolide en se diversifiant ; la Turquie devient un partenaire multifonctions, pouvant contribuer à la résolution de bon nombre des difficultés diffuses posées par un système international instable. Elle est ainsi pleinement intégrée à l’équation de stabilisation de l’Europe balkanique et participe aux forces de maintien de la paix en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine. Mais c’est le 11 septembre 2001 et ses suites qui la poussent au devant de la scène, en faisant un protagoniste essentiel des plans de Washington au Moyen-Orient. Les États-Unis considèrent à l’époque qu’une Turquie laïque, encore largement sous l’emprise des militaires, peut servir de digue contre la vague islamiste. Ce schéma de défense se double après le 11 septembre du fantasme d’une Turquie modèle politique, incarnant la démocratie musulmane avancée que l’Administration américaine rêve de répandre au Moyen-Orient.

L’impact du 11 septembre sur la Turquie est cependant ambigu. Traditionnellement en quête de réassurance identitaire, elle se trouve à l’époque mise en scène comme pays de l’entre-deux par des décideurs occidentaux devenus huntingtoniens, dans un monde découpé en zones antagonistes. Pensée comme « pont » entre les civilisations, ou comme instrument du dialogue avec un monde musulman hostile aux États-Unis, elle prépare dès ce moment sa reconversion et le réveil de sa vocation orientale assoupie.

Le pacte imprécis : la dérive de la relation turco-américaine

La relation turco-américaine traverse manifestement aujourd’hui une phase de réajustement houleux. Depuis le déclenchement de la seconde guerre du Golfe, accidents, désaccords et mésententes s’accumulent entre la première puissance mondiale et l’aspirant challenger qui a fait du Moyen-Orient le laboratoire de son renouveau économique et diplomatique. Cette dérive inquiète Washington, tandis qu’elle semble nourrir une forme d’exaltation à Ankara : la Turquie a cessé d’être un faire-valoir et fait comprendre qu’elle travaille désormais avant tout pour son propre compte.

La crise de 2003, tournant ou révélateur ?

La première crise de confiance significative entre les deux alliés a lieu le 1er mars 2003. Elle prend tout le monde par surprise et laisse le champ libre à des interprétations multiples. Ce jour-là, la Grande Assemblée nationale turque refuse le passage et le stationnement en Turquie de 62 000 militaires américains en route vers l’Irak. Les leaders de l’AKP, qui disposent pourtant d’une solide assise au Parlement, n’ont pas réussi à réunir la majorité absolue des voix ; la discipline de parti n’a vraisemblablement pas été strictement respectée, face à une opinion publique turque massivement opposée à la guerre en Irak. Le lendemain, le chef d’état-major de l’armée turque affirme pourtant qu’il apporte son soutien à l’opération américaine. Le secrétaire d’État américain adjoint à la Défense Paul Wolfowitz qualifie la prise de position turque de « grosse erreur », et les États-Unis agitent des menaces de rétorsion financière [6].

La crise est progressivement surmontée. La Turquie rejoint la coalition du côté des pays fournissant un appui logistique aux opérations, et obtiendra une compensation pour services rendus. Depuis 2003, la moitié des avions cargos militaires à destination de l’Irak sont bien partis de la base d’Incirlik. Mais le vote de 2003, qui a définitivement remis en cause la fiction d’un soutien turc automatique aux décisions de Washington, concentre toute la complexité d’un rapport empoisonné par le ressentiment turc. Pour compenser les brimades subies depuis 1991 sur le dossier kurdistanais, les Turcs ont donné libre cours à leurs divergences internes, et l’anarchie chronique de leur système de décision, que les Américains rebaptisent traditionnellement « instabilité », a accouché d’un blocage. La Turquie a infligé aux États-Unis un traumatisme majeur : elle cesse dès ce moment d’être considérée comme un allié fiable. La relation turco-américaine s’intensifie cependant, car les difficultés bilatérales impliquent de multiplier les consultations, mais tout se joue désormais sur le mode du rapport de forces. Les deux États entrent dans un système de marchandage permanent. La question irakienne devient le baromètre de la relation pendant quelques années de tâtonnements, désaccords et accusations mutuelles de traîtrise – les Turcs accusent les Américains de soutenir le PKK et mènent des opérations au Kurdistan irakien pour y traquer la guérilla, tandis que les Américains soupçonnent les Turcs de faciliter le passage d’Al-Qaida. Tout s’apaise progressivement à partir de 2008 : l’Irak devient le lieu privilégié du redéploiement de la puissance turque, au point qu’elle s’y impose comme relais politique naturel au moment du retrait américain.

Le modèle politique turc, entre « islam modéré » et « islamisme »

Un nouveau paramètre essentiel entre maintenant en jeu pour façonner la perception américaine de la Turquie. Celle-ci est gouvernée depuis 2002 par un parti d’origine islamiste, très préoccupé cependant durant ses premières années tests de démontrer son attachement à la modernité occidentale. L’AKP, que sa sociologie rend plus américanophile que les élites turques classiques, devrait en principe être l’ami de Washington ; il semble a priori être le candidat idéal pour incarner le fantasme américain d’un « islam modéré », ennemi de l’islam radical djihadiste que Washington combat ouvertement depuis le 11 septembre.

La place et l’influence réelle des islamistes dans le système politique turc ont pourtant toujours préoccupé les Américains, et l’État ami musulman a déjà failli basculer du mauvais côté en un moment de l’histoire récente. Parvenu au pouvoir en 1996 grâce à l’une de ces péripéties électorales dont la Turquie est coutumière, Necmettin Erbakan, le leader du Refah Partisi (Parti de la prospérité), parti islamiste ancêtre de l’AKP, s’était rapidement embarqué dans une surenchère islamique en interne comme en politique étrangère. Lorsque l’armée turque le persuada, moins d’un an plus tard, de démissionner, Washington se contenta d’affirmer à la fois son attachement au sécularisme et à la démocratie – deux préférences malaisément démontrables par un coup d’État militaire, fût-il qualifié par les analystes de soft, en comparaison de ceux qui avaient rythmé les décennies précédentes [7].

L’installation de l’AKP aux affaires ouvre une autre période ambiguë. Lorsque ce parti néo-islamiste, qui se décrit volontiers comme « musulman démocrate », à l’instar des démocrates chrétiens européens, gagne largement les élections de 2002 et se retrouve au Parlement en tête-à-tête avec les sécularistes du vieux parti kémaliste, le Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi, CHP), beaucoup d’observateurs craignent une islamisation rapide de la Turquie. Quelques années plus tard, et malgré les gages d’ouverture donnés par l’AKP sur certains dossiers intérieurs qui s’avèrent fondamentaux au moins pour faire avancer le processus d’adhésion à l’UE (droits des Kurdes, place de l’armée dans le jeu politique, etc.), le soupçon d’un « agenda caché » islamique demeure [8].

Le contenu des télégrammes diplomatiques américains récemment révélés par WikiLeaks en dit long sur le malaise américain face à l’expérience AKP. On y lit des descriptions peu flatteuses du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, que l’ambassade américaine à Ankara perçoit comme un fondamentaliste islamique peu cultivé et peu ouvert, obsédé par le pouvoir et développant une tendance à l’autocratie, évoluant de surcroît dans un milieu très corrompu. L’appartenance d’une partie de son entourage à une confrérie islamique dérange les diplomates américains, de même que ses largesses envers des banquiers islamistes et son obstination à ne s’informer que par des journaux islamistes. En bref, le biais religieux imprègne les analyses des décideurs américains, également très inquiets de la montée de l’antisémitisme en Turquie [9].

L’échappée orientale de la diplomatie turque

Si l’évolution du paysage politique turc intéresse désormais plus sérieusement l’Amérique, c’est qu’elle a un impact évident sur les choix de politique étrangère du pays. L’activité diplomatique incessante et tous azimuts de la Turquie fascine beaucoup d’observateurs : puissance montante incontestée dans son environnement régional, elle s’impose sur de nombreux dossiers qui intéressent les États-Unis. À leur arrivée aux affaires, les cadres dirigeants de l’AKP n’avaient, à l’exception du président Abdullah Gül, qu’une faible expérience de l’international. Une décennie plus tard, le bilan diplomatique de l’équipe est impressionnant, mais les nouvelles options turques au Moyen-Orient sont une source régulière d’inquiétude pour Washington.

La politique étrangère turque est menée tambour battant depuis presque trois ans par le ministre Ahmet Davutoglu, ancien universitaire ayant développé une vision originale et turco-centrée du système international. Si ses premiers écrits le rattachent clairement à une généalogie islamiste, sa rhétorique actuelle insiste sur la portée du soft power et met en scène la Turquie comme une puissance bienveillante, acteur majeur dans son environnement régional immédiat mais désireuse d’intervenir bien au-delà [10]. Le Moyen-Orient est devenu le laboratoire d’action privilégié de ce ministre atypique, dont les ambitions ont rapidement été décrites aux États-Unis comme « néo-ottomanes », car se déployant dans les anciens espaces d’influence de l’Empire [11].

La présence turque au Moyen-Orient se renforce de plusieurs façons et embarrasse les États-Unis pour diverses raisons. Pour concrétiser son ambition de soft power, Ankara signe des accords de libre-échange et de libre circulation avec plusieurs pays arabes, dont la Libye et la Syrie, et se confirme comme acteur économique de premier plan sur des terrains encore difficilement praticables pour les entreprises occidentales, comme l’Irak. Sa diplomatie de médiation cherche à se rendre indispensable dans toutes les configurations de conflit : elle intervient comme médiateur entre la Syrie et Israël en 2008, s’interpose régulièrement entre les factions palestiniennes rivales du Fatah et du Hamas, ou entre les parties libyennes après mars 2011 ; défendant le principe d’une solution politique sur le dossier du nucléaire iranien, elle tente, en tandem avec le Brésil, de retarder l’adoption de nouvelles sanctions internationales contre Téhéran. Sa capacité à gérer des relations parallèles avec les différents centres de pouvoir en Irak, de Bagdad au gouvernement régional kurdistanais, tout en défendant les intérêts de la minorité turkmène, montre aussi que la Turquie sait organiser son influence dans le jeu politique interne de ses voisins quand ses intérêts vitaux (énergétiques, mais aussi politiques dans le cas des Kurdes) sont en jeu. La brouille est en revanche consommée avec Israël après l’épisode du Mavi Marmara au printemps 2010 ; la mort de neuf militants turcs lors de l’assaut des forces spéciales israéliennes contre le navire qui tente de forcer le blocus de Gaza propulse la Turquie comme héraut de la cause palestinienne.

Toutes ces avancées confortent le désir d’indépendance de la Turquie et lui permettent de marchander sa coopération avec les États-Unis sur des dossiers essentiels. Si elle s’est immédiatement jointe à la coalition en Afghanistan en 2001, elle s’y met en scène comme seul membre musulman de l’Alliance, n’y a pas envoyé de troupes combattantes et refuse d’y renforcer ses effectifs quand les États-Unis le lui demandent. Son positionnement dans l’OTAN apparaît d’ailleurs de plus en plus décalé. Au printemps 2009, la crise de la nomination du secrétaire général – Ankara bloquant dans un premier temps la candidature de Anders Fogh Rasmussen, l’ancien Premier ministre danois ayant soutenu en 2005 le quotidien Jyllands Posten dans l’affaire des caricatures de Mahomet –, a marqué le début d’une série de coups d’éclat destinés à valoriser son statut d’allié à part. Au sommet de Lisbonne de décembre 2010, la Turquie se rallie au projet de bouclier antimissile, mais obtient que l’OTAN ne désigne pas nommément l’Iran comme menace. Lors de la crise libyenne, la Turquie commence par s’opposer à l’intervention alliée, avant de rentrer tardivement dans le rang. Toutes ces manifestations d’autonomie incitent certains à prédire un possible retrait turc de l’OTAN ; par le passé, des analystes américains ont déjà pu suggérer que le pays n’y avait plus sa place [12]. C’est en tout cas dans cette enceinte multilatérale que se cristallisent le plus violemment les désaccords turco-américains, mais c’est aussi là, désormais, que se redéfinit en permanence le sens de la relation.

Le contenu précis des ambitions turques au Moyen-Orient est difficile à mesurer, de même que la capacité du pays à tenir ces ambitions dans un environnement qui se dégrade chaque jour, mais la rhétorique officielle reste impressionnante. Au soir de son nouveau triomphe électoral du 12 juin 2011, le Premier ministre Erdogan a ainsi prononcé à Ankara un « discours du balcon » illustrant la dimension identitaire de sa nouvelle politique étrangère et le désir de leadership des Turcs dans la région [13]. Dans un élan inédit remarqué des observateurs turcs et internationaux, le Premier ministre turc y affirmait que le résultat des élections turques était salué « à Bagdad, à Damas, à Beyrouth, à Amman, au Caire, à Tunis, à Sarajevo, à Skopje, à Bakou, à Nicosie », citant aussi Ramallah, Naplouse, Jénine, Jérusalem et Gaza, avant de parler de « victoire de la démocratie, de la liberté, de la paix, de la justice et de la stabilité ».

Un effacement américain programmé : quelles responsabilités pour la Turquie au Moyen-Orient ?

Cette confiance retrouvée de la Turquie dans son destin oriental ne devrait pas forcément inquiéter une Amérique qui peine de plus en plus à mettre seule de l’ordre dans la région. La Turquie étant maintenant en position de négocier sa contribution, il faut comprendre si elle est prête à jouer le rôle de puissance d’appui pour accompagner le retrait américain du Moyen-Orient, ou si elle souhaite s’imposer comme une puissance alternative, défendant une vision du monde différente.

S’accommoder de la nouvelle Turquie

L’émancipation rapide de l’allié jusqu’ici docile rend évidemment les calculs américains beaucoup plus complexes que par le passé. C’est, au fond, la réussite turque au sens large qui nourrit le dilemme américain. Washington a longtemps considéré que le pays était doté d’un fort potentiel économique et diplomatique, tout en notant que ses difficultés intérieures l’empêchaient de valoriser ce potentiel. Morton Abramowitz, ancien ambassadeur américain en Turquie sous l’ère Özal et conseiller de Bill Clinton, reprenait en 2000 l’éternelle interrogation américaine – quand ce pays tellement doté allait-il enfin décoller ? –, soulignant que la Turquie était encore plombée par sa dette extérieure, son instabilité politique et ses blocages identitaires, otage d’une classe politique corrompue et enfoncée dans le sous-développement [14]. Dix ans plus tard, l’étoile montante turque, libérée de bien des contraintes et de la plupart de ses tabous, affiche une baraka exceptionnelle et pose finalement bien plus de problèmes à l’ami américain.

Le diagnostic qui s’impose, au vu des accrocs de plus en plus fréquents entre les deux partenaires, est que les États-Unis et la Turquie sont entrés dans une zone de négociation continue afin de trouver un nouvel équilibre qui satisfasse à la fois le besoin de reconnaissance turc et les impératifs de sécurité américains. En dépit de son caractère moins stable, la relation turco-américaine n’a rien perdu de sa qualité stratégique ni de sa portée globale, même si elle se recompose autour de chaque dossier commun. La Turquie ne peut en effet être tenue à l’écart d’aucun des dossiers essentiels sur lesquels les États-Unis sont impliqués au Moyen-Orient. Depuis 30 ans, de l’Irak à l’Afghanistan, elle a aussi démontré qu’elle est un partenaire indispensable pour faire face aux crises imprévues [15]. Lorsque les objectifs concordent, elle demeure un auxiliaire ponctuel indispensable aux États-Unis. De son côté, Ankara ne peut évidemment pas davantage tourner le dos aux États-Unis, car elle ne peut assumer seule des fardeaux stratégiques multiples et dépend beaucoup de l’industrie américaine en matière d’armement [16]. Plus qu’en challenger, elle souhaite s’imposer comme partenaire à égalité.

La relation n’a donc rien perdu de son importance, mais elle a perdu ses automatismes. Rien ne coïncide plus de façon spontanée, en termes de besoins, d’intérêts et de priorités : la fin de l’alignement est/ouest et la diversification du portefeuille diplomatique turc ont introduit de nombreux décalages, que les deux partenaires doivent apprendre à gérer aussi bien que leurs convergences. La conduite de la relation requiert donc désormais une ingénierie humaine et technique exigeante. L’Administration américaine a pris acte de la volatilité nouvelle des Turcs et de leur désir d’être réévalués comme alliés, et se montre prête à mobiliser des compétences et du temps. Les canaux de communication entre les deux pays sont aujourd’hui très nombreux et actifs. Washington a beaucoup élargi son spectre d’interlocuteurs au-delà de l’armée et a appris à prendre au sérieux la classe politique et certains piliers de la société civile turque, comme les multiples think tanks nés ces dernières années. Les visites d’officiels américains se succèdent en Turquie, du président Obama à Hillary Clinton, en passant par le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), Leon Panetta, ou les délégations de parlementaires américains – qui doivent gérer, à leur niveau, un autre point de désaccord potentiel, autour de la question de la reconnaissance du génocide arménien.

Des dilemmes aux responsabilités partagées : une Turquie relais ?

La principale inquiétude concerne finalement les velléités des Turcs de promouvoir un nouvel ordre international allant à l’encontre des intérêts et des valeurs américains. De ce point de vue, la prétention des Turcs à s’ériger en porte-parole du monde musulman, ou à défendre la place des pays émergents dans le système de gouvernance mondial (notamment via le G20), ébranle régulièrement le cadre de discussion bilatéral. Son crédit étant notoirement affaibli au Moyen-Orient dans ce qui est aujourd’hui le périmètre d’influence des Turcs, Washington est évidemment contraint de prendre en compte les messages que la Turquie y diffuse. Le rôle majeur de la Turquie face à l’Iran dans le contexte irakien et sa capacité de médiation en Afghanistan sont des éléments essentiels dans l’équation de stabilisation régionale. S’il ne leur est pas toujours possible de travailler ensemble, la base d’une bonne entente doit en tout cas être maintenue, car la Turquie pourrait servir de relais modérateur sur tous ces terrains [17].

La diplomatie turque semble elle-même au bord d’un syndrome d’overstretch à l’américaine. Présente et active sur tous les terrains à sa portée, du Caucase aux Balkans, elle peine à maintenir sa cohérence et ne déploie pas une vision politique claire. À ce titre, la crise du printemps arabe constitue un test à grande échelle de la capacité des Turcs à assumer leurs responsabilités nouvelles de puissance. La Turquie est apparue absente face aux événements tunisiens, assez distante face à la révolution égyptienne, exagérément hésitante sur les dossiers libyen et syrien. Il est donc trop tôt pour dire si les essais diplomatiques en cours ouvrent des perspectives nouvelles au service d’une stabilité régionale mise à mal par l’expérience néoconservatrice. Les avancées turques au Moyen-Orient semblent encore souvent dictées par un désir de revanche sur l’histoire : reste à définir un projet viable pour l’avenir.

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[1] Cette notion de géopolitique classique est régulièrement appliquée à la Turquie par les stratèges américains ; voir l’analyse de P. Marchesin, « Géopolitique de la Turquie à partir du Grand échiquier de Zbignew Brzezinski », Études internationales, vol. 33, n° 1, 2002, p. 137-157. Le concept d’une Turquie pivot est régulièrement développé dans des ouvrages publiés aux États-Unis après le 11 septembre 2001 ; cf. S. Larrabee et I. O. Lesser, Turkish Foreign Policy in an Age of Uncertainty, Santa Monica, CA, Rand, 2003.

[2] Z. Önis et S. Yilmaz, « The Turkey-EU-US Triangle in Perspective : Transformation or Continuity ? », The Middle East Journal, vol. 59, n° 2, 2005.

[3] Pour une analyse sur plusieurs années des données du Pew Research, voir S. Cagaptay, « Persistent Anti-Americanism in Turkey », Soner’s Desk, 10 janvier 2010, disponible à l’adresse suivante :. On y suit l’impressionnante plongée américaine post-11 septembre, jusqu’à 14 % seulement d’opinions favorables après l’élection de Barack Obama.

[4] « La République : visions franco-turques », interview réalisée par Dorothée Schmid avec Baskin Oran, Paris, Ifri, « Note franco-turque », n° 6, mai 2011.

[5] Ce contexte psychologique très tendu est finement analysé sur plusieurs décennies par C. Candar, « Some Turkish Perspectives on the United States and American Policy Toward Turkey », in M. Abramowitz, Turkey’s Transformation and American Policy, New York, Century Foundation Press, 2000, p. 128. Pour une actualisation du malaise turc après la crise de 2003, voir H. Bozarslan, « L’anti-américanisme en Turquie », Le Banquet, vol. 2, n° 21, 2004, p. 61-72.

[6] « Wolfowitz Says Turkey Made “Big, Big Mistake” In Denying Use of Land », The Turkish Times, avril 2003, n° 317.

[7] S. Arsever, « L’adieu turc à l’ami des Frères musulmans », Letemps.ch, 1er mars 2011.

[8] Mentionnant expressément ce danger, un éditorial récent de la presse anglo-saxonne a fait couler beaucoup d’encre en Turquie avant les dernières élections législatives : « One for the opposition », The Economist, 2 juin 2011.

[9] N. Bourcier, « WikiLeaks : Erdogan jugé autoritaire et sans vision », Lemonde.fr, 30 novembre 2010.

[10] Dans sa thèse de doctorat, le ministre A. Davutoglu proposait une lecture islamisante du système international qui suscita tardivement des commentaires inquiets outre-Atlantique : Alternative Paradigms : The Influence of Islamic and Western Weltanschauung on Political Theory, Lanham, University Press of America, 1994 ; voir M. Koplow, « Hiding in Plain Sight », Foreign Policy, 2 décembre 2010. L’ouvrage majeur d’A. Davutoglu, Stratejik derinlik : Türkiye’nin uluslararasi konumu [Profondeur stratégique : la position internationale de la Turquie], Istanbul, Küre Yayinlari, 2001, dans lequel il expose sa vision du monde à 360 degrés à partir du territoire turc, n’a pas été traduit en anglais.

[11] O. Taspinar, « Turkey’s Middle East Policies : Between Neo-Ottomanism and Kemalism », Washington, DC, Carnegie Endowment for International Peace, Middle East Center, septembre 2008, « Carnegie Paper », n° 10.

[12] B. Badie, « L’appartenance de la Turquie à l’OTAN est devenue plus coûteuse qu’utile », Lemonde.fr, 15 juin 2011 ; D. Pipes, « Does Turkey Still Belong in NATO ? », Philadelphia Bulletin, 6 avril 2009.

[13] J.-P. Burdy, « Retour sur le “discours du balcon” et sur la victoire d’un nouveau leader régional », Observatoire de la vie politique turque (OVIPOT), 26 juin 2011, disponible à l’adresse suivante : < ovipot.hypotheses.org/5873>.

[14] M. Abramowitz, op. cit., introduction.

[15] Entretien avec Kadri Gürsel, éditorialiste au quotidien Milliyet, juillet 2011.

[16] R. Weitz, « Whither Turkey-US Arms Sales ? », Turkey Analyst, vol. 4, n° 11, 2011.

[17] E. Alessandri, « Turkey and the West Address the Arab Spring », The German Marshall Fund of the United States (GMF), « Analysis », 8 juin 2011.

samedi, 03 décembre 2011

Turquie : un faux miracle économique ?

Ex: Le Courrier des Balkans (balkans.courriers.info/ )

Turquie : un faux miracle économique ?

 
En quasi banqueroute il y a dix ans, la Turquie est aujourd’hui une puissance régionale incontournable, tant sur le plan économique que politique. Croissance qui flirte avec les 10% en 2011, dette publique de moins de 40% et inflation contenue, la santé d’Ankara contraste avec les déboires de la zone euro. Pourtant, ce « miracle économique » cache une réalité bien moins reluisante. Analyse.
 
Par Vincent Doumayrou et Simon Rico
 
La Turquie connaît depuis quelques années un succès économique spectaculaire. Le PIB a augmenté de plus de 5% par an ces dix dernières années, et atteignait près de 9% au premier semestre 2011. La dette publique est passée de plus de 75 % du produit intérieur brut (PIB) en 2001 à 40 % aujourd’hui, bénéficiant des retombées de la politique d’austérité drastique menée par l’AKP. Le taux officiel d’inflation est également passé de plus de 100 % au milieu des années 1990 à moins de 5 % aujourd’hui, notamment parce que la Banque centrale s’est émancipée du Trésor.
 
Cette bonne santé économique, qui contraste avec la crise financière du début des années 2000, explique en bonne partie les succès électoraux de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002. Il donne également à la Turquie les moyens de sa politique extérieure de rayonnement régional dans le Caucase, dans les Balkans, dans le monde arabe. Le Premier Ministre Recep Tayyip Erdoğan a même fixé comme objectif à la Turquie de faire partie des dix premières puissances économiques mondiales en 2023 - l’année où le pays fêtera le centenaire de la République fondée par Mustafa Kemal sur les décombres de l’Empire ottoman.
 
Une puissance fragile ?

17e puissance économique mondiale avec un PIB de 1.105 milliards de dollars (2010) selon le FMI et membre du G20, la Turquie est devenue en moins de dix ans un poids lourds émergent, aux côtés de la Chine, l’Inde ou du Brésil. La croissance de l’économie turque offre un contraste singulier avec la stagnation de l’Union européenne, et tout particulièrement avec la grande dépression que subit son voisin et rival grec. Mais alors que la crise de l’euro est observée avec une certaine joie rentrée par les dirigeants turcs, la santé économique du pays pourrait s’avérer fragile. D’abord parce que la moitié des exportations de la Turquie se fait, précisément, vers l’Union européenne. Une chute de la demande serait donc particulièrement préjudiciable pour les entreprises qui travaillent avec les 27.

De manière plus générale, la Turquie a une balance des paiements qui fait plus penser à celle de la France qu’à celle de la Chine. Son déficit courant, qui a atteint le chiffre record de 72,5 milliards de dollars en juin pourrait atteindre les 10 % du PIB d’ici la fin de l’année de l’aveu même du ministre de l’Économie. Ce rythme, intenable sur le long terme, signifie que la consommation des ménages et des entreprises dépend des financements extérieurs, et donc de la confiance que les investisseurs internationaux mettent dans le pays. On estime que le pays aura besoin de 200 milliards de dollars de financements extérieurs en 2012.
« Nous n’allons pas laisser la crise nous affecter psychologiquement, notre économie est loin d’être fragile » a expliqué, confiant, Recep Tayyip Erdoğan au cours de l’été. Dix ans après l’intervention du FMI pour éviter la banqueroute, Ankara peut s’enorgueillir de son succès. Système bancaire assaini - les banques ont un taux de solvabilité bien supérieur à leurs homologues européennes -, inflation en (forte) baisse, une dette publique contenue, la santé économique turque fait pâlir de jalousie la zone euro.

« Le message de M. Erdoğan est d’autant plus fort qu’après la chute du PIB en 2009 (-4,8%) le rebond de l’économie turque a été immédiat », constate Güldem Atabay, analyste chez UniCredit avant de préciser que « la Turquie n’est pas pas immunisée contre la crise. L’économie va ralentir et il y a encore un énorme problème de déficit courant ». Rétrospectivement, la profonde crise de 2001 a été une chance pour Ankara, lui permettant d’assainir son secteur bancaire à temps, avant que n’explose la bulle des subprimes en 2008.
 
De nombreux problèmes structurels

Aujourd’hui, un nouveau spectre guette le pays : celui de la hausse des crédits à la consommation au moment où la demande intérieure explose, comme en témoignent la joie des vendeurs de téléphones mobiles ou de voitures. Or ce boom - réel - est basé avant tout sur une hausse du crédit et non sur l’augmentation des revenus. Et tout le monde sait la bombe à retardement que peut représenter un endettement privé excessif pour la santé économique et sociale d’un État. Plus inquiétant, depuis un peu plus d’un an, les capitaux spéculatifs envahissent le marché turc, faisant craindre une bulle financière. En outre, la facture énergétique pourrait s’avérer lourde dans ce pays qui dépend largement des importations russes, que ce soit pour le pétrole ou pour le gaz.

La Turquie fait aussi face à divers problèmes d’ordre structurel. Elle pâtit d’un manque de compétitivité qui pourrait entraver sa croissance dans les années à venir. Le salaire moyen, qui atteint les 450 dollars mensuels, est plus élevé que dans la plupart des nouveaux États membres de l’UE alors que le pays dispose d’une main d’œuvre faiblement qualifiée. Le coût du travail est donc excessif au regard de la productivité. De plus, le pays n’a pas été capable de faire monter en gamme ses principales industries (textile, électronique de base, chimie, automobile), largement concurrencées à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, plus de la moitié des 15-19 ans ne sont pas scolarisés, ce qui freine la mise en place de filières locale de recherche et développement.
 
Deux Turquies : industrielle à l’Ouest, rurale à l’Est

De même, le boom économique ne doit pas cacher le creusement des inégalités entre une Turquie urbaine à l’Ouest, qui bénéficie des avancées liées à la croissance, et une Turquie rurale à l’Est, marginalisée. Le salaire moyen dépasse désormais les 8.000 dollars à Istanbul, quatre fois plus que dans la zone jouxtant l’Iran. De même, « les femmes sont totalement exclues de la création de richesse nationale », rappelle Deniz Ünal, économiste au Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII). À peine 30% sont actives, et les deux tiers ne sont plus scolarisées après 15 ans.

Officiellement, le taux de chômage atteint 11,5% de la population, mais on estime qu’à peine 50% de la population active participe à l’économie, le reste étant constitué d’un secteur informel hypertrophié. « Il existe aujourd’hui une vraie dualité entre les grandes entreprises internationales, qui déclarent leurs salariés, et les PME qui emploient au noir », explique Sinan Ülgen, chercheur à l’ONG Carnegie Europe et président du think tank turc EDAM. La rigidité du marché du travail - procédure de licenciement très encadrée, quasiment pas d’intérim - favorise le travail au noir, de même que les charges élevées (impôts, cotisations sociales) qui atteignent 45% du salaire brut contre une moyenne de 38% en Europe.
Si la Turquie veut atteindre son objectif d’intégrer d’ici douze ans le cercle des dix nations les plus riches du monde, Ankara va devoir procéder à de nombreux ajustements, notamment pour accroître sa compétitivité et monter en gamme. Sinon, le pays risque de voir sa croissance stagner à moyen terme, quand des concurrents à bas coûts capteront ses parts de marché. Pour le moment, le futur géant dont rêvent les dirigeants de l’AKP a encore des pieds d’argile.

(Avec l’Expansion, la Tribune et The Financial Times)

mardi, 25 octobre 2011

Bashar el Assad: dernier bastion contre le néo-ottomanisme d’Ankara

Alessia LAI:

Bashar el Assad: dernier bastion contre le néo-ottomanisme d’Ankara

Le projet du Premier Ministre turc Erdogan de faire de la Syrie aussi une “démocratie” islamo-modérée a échoué: Damas a dit “non”!

L’arabisme contre l’ottomanisme: tel est l’enjeu aujourd’hui au centre des débats au Proche Orient. Le défi est le suivant: pour être au diapason du grand projet occidental, il faudra forger une aire proche-orientale totalement rénovée et ravalée, avec partout des pays alliés à Washington, souples à l’égard d’Israël, qui, de surcroît, ne seraient plus que des réservoirs énergétiques, prompts à satisfaire les exigences de l’économie globale. Après les révolutions d’Afrique du Nord —qui ont été habilement déviées et orientées vers des objectifs fort différents de ceux qu’espéraient voir se réaliser les protagonistes premiers de ces effervescences révolutionnaires et populaires— la pièce maîtresse qui devait rapidement tomber, pour faire triompher le projet occidental, était la Syrie. Cependant, il s’est vite avéré impossible de renverser El Assad par une simple révolte populaire téléguidée: une bonne partie des Syriens continue à appuyer le gouvernement, surtout quand on s’aperçoit, à l’évidence, que les “manifestations pacifiques” contre le régime ne sont en réalité et dans la plupart des cas que des actes terroristes de facture islamiste perpétrés contre les autorités du pays. Damas résiste donc à toutes les tentatives de déstabilisation intérieure comme à toutes les menaces extérieures. Et Damas résiste surtout aux pressions qui voudraient faire perdre au régime ses dimensions laïques pour faire du pays une nouvelle pièce dans la mosaïque d’Etats islamistes modérés, qui devraient tous devenir les meilleures alliés de l’américanosphère occidentale. Le modèle que l’on suggère aux Syriens est le modèle turc et c’est justement Ankara qui s’est mis en tête de gérer cette “islamisation modérée” que l’on peut parfaitement définir comme un “néo-ottomanisme”.

Il y a quelques semaines, le premier Ministre turc Erdogan s’est rendu dans les pays du “printemps arabe”, l’Egypte, la Tunisie et la Libye. Cette tournée diplomatique a été célébrée par les médias turcs comme une volonté d’amorcer de nouvelles relations avec les gouvernements issus de cette “révolution”, dans l’optique de réaménager les équilibres au Proche Orient. Au même moment, Erdogan a changé de ton vis-à-vis de la Syrie et, quelques jours plus tard, en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York, il a, lors d’un entretien avec Obama, officialisé le “changement de front”, en annonçant “qu’il avait bloqué les pourparlers entamés avec Damas” et qu’il était désormais prêt à participer aux sanctions que l’on imposerait à la Syrie. Mais ce ne sont pas les violences présumées que l’on attribue au régime syrien qui ont poussé Erdogan à se ranger contre un ancien allié de la Turquie, posé désormais comme ennemi. Il s’agit bien plutôt du “non” catégorique qu’a opposé Bashar El Assad au projet turc de subvertir subrepticement le caractère laïque de la république arabe syrienne. C’est au cours du mois de juin 2011 que la rupture réelle a eu lieu, quand “le premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan a proposé au Président syrien Bashar El Assad de réserver un quart voire un tiers des postes de ministre dans son gouvernement aux Frères Musulmans et d’user alors de toute son influence pour mettre un terme à la rébellion, si Assad s’exécutait”. Erdogan a essuyé un refus clair et net. C’est ce qu’a révélé un diplomate occidental à l’AFP, du moins d’après ce que rapportait, vendredi 30 septembre, le quotidien libanais en langue anglaise, The Daily Star.

Cette nouvelle a été confirmée par un autre diplomate européen, qui a, lui aussi, préféré garder l’anonymat: “Les Turcs, dans un premier temps, proposèrent que les Frères Musulmans occupassent quatre ministères importants, en arguant que les Frères sont une partie importante du paysage politique syrien”. Les Frères Musulmans, en réalité, ont été mis hors la loi en Syrie dès 1980, à la suite d’une campagne terroriste particulièremet sanglante que leurs affidés avaient menée à cette époque-là; aujourd’hui, ils font partie de ceux qui, ouvertement de l’extérieur et clandestinement depuis la Syrie elle-même, sèment la terreur dans toutes les régions du pays. Le 9 août 2011, le Ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu a indirectement confirmé l’alliance de facto entre les Frères et les néo-ottomans turcs en confiant au Président syrien un message écrit par le Président turc Abdullah Gül, dans lequel ce dernier explique qu’avant de former le parti pour la Justice et le Développement, actuellement au pouvoir à Ankara, il avait appartenu à une organisation proche des Frères Musulmans. Dans un débat face à face avec le Président syrien, Davutoglu a, une fois de plus, “réclamé le retour des Frères Musulmans en Syrie”. El Assad a répondu qu’à titre individuel, certains Frères pourraient récupérer leur citoyenneté syrienne mais ne pourraient pas se constituer en parti politique parce qu’un tel parti serait basé sur des principes religieux incompatibles avec le caractère laïque de la Syrie”.

Revenu en Turquie, dès son débarquement à l’aéroport d’Ankara, Ahmet Davutoglu, bien loin de révéler le contenu de ses discussions avec El Assad, a lancé un ultime message à Damas: “Nous espérons que certaines mesures seront prises dans les prochains jours pour mettre fin aux effusions de sang et pour ouvrir la voie à un processus de réformes politiques”. Vingt jours plus tard, le 28 août 2011, le Président turc Gül affirmait qu’Ankara avait “perdu confiance” en la Syrie. Peu de temps auparavant, lors d’une rencontre avec une délégations des associations chrétiennes du Moyen Orient, El Assad avait déclaré —et ses déclarations avaient été répercutées par de nombreux médias— “qu’il avait refusé que l’ottomanisme se substitue à l’arabisme et qu’Ankara redevienne le centre majeur de décision pour le monde arabe”. El Assad répétait ainsi son opposition à toute participation des partis religieux dans la politique syrienne, parce que “cela permettrait aux Frères Musulmans, qui ont un siège à Ankara, de contrôler toute la région”. Toutes les démarches qui ont suivi vont dans le sens d’un rejet par l’alliance américano-turque de ce laïcisme arabiste: les sanctions prises par la Turquie contre Damas; la Syrie devenue un pays ennemi de l’Occident car trop laïque pour s’insérer dans le nouveau Moyen Orient islamo-modéré voulu par Washington et les projets atlantistes.

Alessia LAI.

( a.lai@rinascita.eu ).

(article paru dans “Rinascita”, Rome, 1 & 2 octobre 2011 – http://www.rinascita.eu ).

mardi, 04 octobre 2011

Erdogan et le “printemps arabe”

 

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Matthias HELLNER:

Erdogan et le “printemps arabe”

Le voyage qu’a récemment entrepris le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan en Egypte, en Tunisie et en Libye a suscité la méfiance des observateurs occidentaux. Il ne s’agit pas tant de la visite d’un chef d’Etat mais de la réorientation générale de la politique extérieure turque pour les prochaines années. Comme l’adhésion de la Turquie à l’UE ne se fera pas dans de brefs délais, en dépit des avocats de cette candidature à Bruxelles, Erdogan cherche un nouveau champs d’action. D’après le député européen des Verts, Daniel Cohn-Bendit, qui participe allègrement au lobbying pro-turc qui sévit au Parlement européen, “Merkel et Sarközy ont tout fait pour que la Turquie ne puisse adhérer prochainement”. L’Europe aurait ainsi refusé pendant trop longtemps l’intégration de la Turquie et Erdogan n’a plus guère d’autre choix: il doit jouer la carte de la “puissance régionale” dans le monde arabe, prétend Cohn-Bendit, pour qui les dérapages d’Erdogan s’expliquent “par l’attitude intransigeante d’Israël”.

Or c’est bien par sa nouvelle politique à l’égard d’Israël qu’Erdogan pourra effectivement réussir à installer solidement la Turquie dans le rôle d’une puissance régionale et d’asseoir sa crédibilité en tant que telle. Déjà, la Turquie semble être un pays plus démocratique et plus séculier que les autres dans la région et, ainsi, servir de modèle pour tous les Etats qui se trouvent aujourd’hui dans une phase de transition. C’est pourquoi, sans doute, les insurgés libyens prétendent désormais avoir la Turquie pour modèle, quand ils bâtiront leur nouvel Etat post-Khadafi. “Nous voulons devenir un pays démocratique et musulman selon le modèle turc”, a déclaré le chef du “Conseil de Transition”, Moustafa Abd al-Djalil, lors d’une rencontre avec Erdogan. On aurait toutefois pu penser que la visite d’Erdogan en Libye aurait soulevé bon nombre de complications car Erdogan a pendant très longtemps soutenu l’ancien régime libyen de Khadafi – à ce propos, il faut mentionner qu’il y a eu des manifestations anti-Erdogan à Benghazi. Cependant, Erdogan se trouvait en Libye pour affaires commerciales: des consortiums turcs de la construction avaient signé des contrats pour des milliards avec le régime de Khadafi. Il s’agit bien entendu de sauver ces contrats dans le cadre de l’ère nouvelle. La Turquie entend égalemet intensifier ses relations économiques avec l’Egypte. Les investissements turcs pourraient, en deux ans, passer de 1,1 milliard à 5 milliards de dollars.

Sur le plan politique, l’effet que fait aujourd’hui la Turquie, modèle qui inspirent les acteurs du printemps arabe, semble intact et inaltéré. D’après le journal “Zaman”, proche des milieux gouvernementaux turcs, un grand nombre d’intellectuels égyptiens plaident pour que leur pays suive le modèle turc et mette un terme aux relations qu’il entretient avec Israël. Pour ne pas envenimer encore davantage le conflit qui oppose dorénavant la Turquie à Israël et pour ne pas alourdir les liens déjà fort distendus avec l’UE, Erdogan a renoncé à rendre visite aux Palestiniens de la Bande de Gaza. Il a toutefois rencontré le président palestinien pour soutenir la requête en reconnaissance qu’a formulée l’entité palestinienne auprès de l’ONU et qui a été présentée fin septembre à New York.

Matthias HELLNER.

(Article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°38/2011 - http://www.zurzeit.at/ ).

lundi, 03 octobre 2011

La Turquie demeure l’ “homme malade du Bosphore”

 Richard MELISCH:

La Turquie demeure l’ “homme malade du Bosphore”

Analyse des rapports entre la Turquie et le monde arabe et entre la Turquie et Israël

Depuis les pentes de l’Atlas jusqu’aux rivages de l’Océan Indien, de l’Europe centrale jusqu’à la première cataracte du Nil et jusqu’aux littoraux de la Caspienne et de la Mer Rouge, toutes les traditions, que ce soient celles des Arabes ou des Berbères, des Kurdes ou des Arméniens, des Grecs ou des Hongrois, des Serbes ou des Autrichiens, parlent de raids turcs ou de rafles d’esclaves pendant les cinq ou six siècles qu’a duré la terrible domination ottomane. Les oppresseurs turcs suscitaient rejet et horreur, au point que lorsqu’éclate la première guerre mondiale et que le Sultan Mehmet V, calife des musulmans, appelle à la guerre sainte contre les puissances de l’Entente, aucun peuple ou tribu du monde musulman sous domination française ou britannique, que ce soit en Afrique ou en Inde, ne se déclare prêt à se joindre à une djihad sous l’égide turque. Au contraire: la plupart des cheiks arabes et des princes musulmans se sont rangés derrière les Britanniques (qui, bien entendu, ont promis et donné subsides et formulé moults promesses).

En 1919, après que les vainqueurs de la première guerre mondiale soient parvenus à imposer aux Allemands, aux Autrichiens et aux Hongrois vaincus les clauses scandaleuses des “Diktate” de Versailles, de Saint Germain et du Trianon, ce fut le tour des Turcs à Sèvres un an plus tard. Les conditions imposées à la Turquie étaient si inacceptables qu’un mouvement nationaliste turc, sous la houlette de Mustafa Kemal, a pu appeler la population à la révolte et à la résistance. Kemal a réussi à rassembler derrière sa personne les restes de l’armée ottomane et, pendant l’été 1921, à arrêter et à repousser la puissante offensive grecque en direction d’Ankara. En 1923, Kemal devint le premier Président de la République turque. En 1924, il put signer à Lausanne un traité de paix favorable à son pays. Le successeur de Kemal, Inönü, a réussi, pour sa part, à maintenir la Turquie hors du second conflit mondial, grâce à une magistrale et habile politique d’équilibre entre les puissances occidentales, l’Union Soviétique et le Troisième Reich.

N’importe quel touriste qui visiterait les pays arabes du Machrek ou du Maghreb pourrait admirer les monuments prestigieux construits jadis par les Anciens Egyptiens, les Phéniciens, les Babyloniens, les Grecs ou les Byzantins mais chercherait en vain les témoignages tangibles de la culture turque... alors que les Turcs ont dominé souverainement ces pays du 14ème au 20ème siècle. La mémoire vive de tous les peuples de la région retient en revanche l’oppression et l’exploitation qu’ils ont subies par la volonté des pachas ottomans et par l’arbitraire des sultans auxquels ils ont été soumis pendant plusieurs générations.

Ces mauvais souvenirs légués par l’histoire font en sorte, aujourd’hui, que les anciennes colonies ottomanes, devenues des Etats arabes souverains, ne prêtent finalement qu’une oreille assez inattentive aux chants de sirène que profèrent les dirigeants turcs actuels, qui leur promettent d’avantageuses alliances. A cela s’ajoute qu’au ballast de l’histoire, s’ajoute un nouveau ballast:

-          La Syrie réclame aux Turcs le retour de la province d’Hatay, avec le port d’Iskenderun (Alexandrette) et la ville d’Antakya (l’antique Antioche), qu’elle avait dû céder à la Turquie à l’époque du mandat français, en 1939. La France avait cédé cette province arabe/syrienne contre la promesse turque de ne pas se ranger derrière le Troisième Reich pendant la guerre.

-          Les Etats arabes, surtout les pays qui se trouvent en état de guerre permanente avec Israël, comme la Syrie, le Liban, l’Egypte ainsi que le mouvement de libération de la Palestine, n’oublieront jamais que la Turquie, membre de l’OTAN, est restée neutre (au mieux) au cours de quatre guerres israélo-arabes dans la région, mais, si l’occasion s’était présentée, aurait été tout aussi prête à se tenir aux côtés d’Israël. En 1996, la Turquie a signé un traité d’alliance avec Israël. Et, lorsque, la même année, les troupes de Tsahal entrèrent une nouvelle fois en territoire libanais, les Turcs organisaient des grandes manoeuvres le long de la frontière syrienne, afin de clouer au Nord les régiments de Damas.

-          Les Irakiens, qui, comme on le sait, ont été “libérés” par les Américains, n’oublieront jamais que les Turcs ont cherché l’appui américain pour obtenir la sécession des provinces du Nord de l’Irak autour des régions pétrolifères de Kirkouk et Mossoul. Les Turcs espéraient faire de ces provinces kurdes de l’Irak un Etat kurde “indépendant et souverain”, qui aurait eu la bénédiction de Washington et d’Ankara. De cette façon, les Turcs auraient pu devenir indirectement une puissance pétrolière, entrer dans le club du “Big Oil” et, par la même occasion, refouler vers cette nouvelle république “souveraine” kurde, les révoltés kurdes d’Anatolie orientale, que les autorités d’Ankara baptisent “Turcs des Montagnes”.

-          Plus de 70% des entreprises agricoles syriennes et irakiennes dépendent des barrages anatoliens (sur territoire turc) que les autorités d’Ankara ont construits sur le cours supérieur des deux fleuves mésopotamiens que sont le Tigre et l’Euphrate. Ces fleuves prennent leur source dans le massif montagneux anatolien. Pour les Syriens comme pour les Irakiens, il est plus qu’évident que les Turcs jouent sur le niveau et le débit des deux fleuves, selon que les positions politiques ou militaires de Damas ou de Bagdad leur conviennent ou leur déplaisent. A plusieurs reprises, les Turcs ont d’ailleurs prétexté de “pannes techniques” pour stopper temporairement l’alimentation en eau. Tout cela constitue pour les Mésopotamiens de dangereux précédents. Leur question est dès lors la suivante: que se passera-t-il si le temps de la mise à sec de nos fleuves dure plus longtemps? La Turquie va-t-elle toujours accorder la quantité convenue de 500 m3 par seconde ou va-t-elle consacrer la bonne eau de ses barrages à l’agriculture et à l’industrie d’Anatolie centrale, dont les besoins ont centuplé?

Tandis que le creuset urbain et métropolitain d’Istanbul était dominé par une “élite”, superficiellement occidentalisée, d’affairistes levantins de tous poils bénéficiant de relais internationaux, 90% du peuple entre Üsküdar et Kisilçakçak demeuraient constitué de pauvres paysans et artisans, restant fidèles au Coran, qui voyaient d’un très mauvais oeil les campagnes de modernisation entreprises par le gouvernement laïque.

L’ “élite” levantine pensait pouvoir recouvrir d’un fin vernis d’européisme la Turquie tout entière au fil des décennies. Mais ce vernis présentait de plus en plus de lézardes et de fissures au fur et à mesure que l’on s’éloignait de la Corne d’Or pour s’enfoncer loin dans les territoires de l’Asie mineure. Au cours des deux dernières décennies, des partis politiques islamistes se sont constitués et ont ainsi contribué à affaiblir les détenteurs du pouvoir qui jouaient aux occidentalisés.

C’est un secret de polichinelle de dire que toute la politique turque, jusqu’à un passé encore fort récent, était entièrement formatée à Washington. Pour les partisans de la globalisation, la Turquie représentait l’un des meilleurs tremplins territoriaux contre les “Etats voyous” qu’étaient l’Irak, la Syrie et l’Iran, d’une part, et l’hegemon régional russe, réveillé, d’autre part. C’est surtout pour cette raison que les Etats-Unis exerçaient une pression constante sur l’UE pour que celle-ci accepte l’adhésion et l’intégration politique et économique de la Turquie, pays musulman dont le territoire se situe à 95% en Asie.

Les Turcs se sont mis à régimber progressivement et à refuser cette inféodation à la politique globalisatrice et ce rôle de vassal au service des Etats-Unis, au fur et à mesure qu’ils se laissaient influencer par les effets de leur renaissance islamique. Ils se sont rappelé leur rôle d’antan, celui d’une puissance hégémonique, à la fois spirituelle et géopolitique.

Dans les années 90 et jusqu’en 2010, les plans GAP (Great Anatolian Projects) avaient été conçus pour faire accéder la Turquie à un âge d’or économique, où un nouveau Jardin d’Eden verrait le jour en Anatolie. Ces projets devaient réduire à néant le retard turc et faire fondre la légende de “l’homme malade du Bosphore”. On allait exporter de l’électricité, des productions industrielles et agricoles, des véhicules automobiles modernes et du matériel pour chemin de fer loin au-delà des frontières turques, vers les pays de l’espace transcaucasien, vers l’Asie centrale pour faire advenir une nouvelle civilisation touranienne, qu’on dominerait sans problème. Hélas, cette grande offensive axée sur l’exportation a échoué lamentablement. Les acheteurs et clients potentiels se sont vite aperçu que la qualité des produits turcs, comparés aux produits européens, laissait à désirer, que leurs prix avaient été gonflés, que les délais de livraison et les garanties n’étaient que rarement respectés. Après cet échec, les Turcs ont essayé de prendre pied sur les marchés très convoités des riches Etats pétroliers du Golfe Persique mais ont subi, là aussi, la même déveine qu’en Asie centrale, et pour les mêmes raisons. Le rêve de faire partie de la “ligue des champions” du “Big Business” mondial s’était évanoui.

En l’an 2000, la Turquie a voulu faire des affaires avec Israël: en échange d’une livraison annuelle de 50 à 100 millions de m3 d’eau potable, les Israéliens devaient s’atteler à moderniser l’arme blindée turque. En mars 2002, le journal turc en langue anglaise, “Daily News” annonçait: “Il y a longtemps déjà que nous parlons avec les Israéliens à propos de la vente d’eau. Ils s’insurgent contre les prix trop élevés. En réalité, ils craignent que nous collaborions avec un autre Etat musulman et ils voudraient avoir l’eau pour rien. Maintenant, ils veulent ajouter à ce contrat six contrats supplémentaires pour la construction de systèmes d’irrigation...”. Cette transaction a elle aussi échoué.

Après la victoire de son parti politique, l’AKP, Recep T. Erdogan est devenu premier ministre en mars 2003; l’islam avait acquis le pouvoir au sein de l’Etat turc. Depuis lors, Ankara a pratiqué une politique étrangère en zigzag, tant et si bien que la Turquie se trouve aujourd’hui entre six chaises, sans avoir trouvé sa place! En effet:

·         le fait que la Turquie soit membre de l’OTAN fait d’elle une sorte de “mouton noir” dans la communauté des Etats musulmans;

·         sa nouvelle politique d’islamisation rigoureuse lui interdit l’accès à l’UE;

·         Moscou n’abandonnera jamais ses visées, désormais pluriséculaires, de contrôler au moins un port en eaux chaudes dans les Dardanelles;

·         en souvenir d’expériences douloureuses, vécues dans le passé, les Arabes n’offriront jamais une place pleine et entière à la Turquie;

·         Israël ne considèrera jamais la Turquie comme un partenaire égal;

·         les positions islamistes, assez tranchées, que prennent Erdogan et l’AKP puis la menace proférée par le premier ministre turc de geler les relations entre la Turquie et l’UE si la république de Chypre assume la présidence de l’UE pendant six mois de juillet à fin décembre 2012 comme le veut la règle de fonctionnement des institutions européennes, lesquelles prévoient un changement de présidence tous les semestres; cette attitude intransigeante exclut définitivement la Turquie de toute adhésion à l’UE;

·         les Etats-Unis, qui ont protégé la Turquie pendant des décennies, ont eux-mêmes besoin d’aide, et d’urgence.

Alors, quo vadis, Osman?

Richard MELISCH.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°38/2011; http://www.zurzeit.at/ ).

dimanche, 02 octobre 2011

Les anxiétés anti-européennes de la Turquie

 Andrea PERRONE:

Les anxiétés anti-européennes de la Turquie

Ankara persiste dans sa demande d’adhésion à l’UE mais, simultanément, élève la voix contre Bruxelles et contre Chypre

La Turquie est prête à respecter n’importe quelle décision de l’UE quant à la demande d’adhésion turque, même un “non”, mais le processus des négociations doit être mené jusqu’au bout. Telle est la teneur de la requête formulée récemment à Berlin par le président turc Abdullah Gül, au cours d’une visite de quatre jours en Allemagne, pays où vivent 3,5 millions de personnes d’origine turque, et en présence de son homologue allemand, Christian Wulff. “Nous accepterons de ne pas être membres de l’UE si le peuple d’un seul pays de l’UE le refuse ou considère que la Turquie constituera un poids”, a souligné Gül lors d’une conférence de presse, en présence de Wulff; Gül se référait à l’éventualité d’organiser des référendums nationaux à propos de l’adhésion d’Ankara à l’Union. “Je pense que les débats récents sur l’adhésion ou la non adhésion de la Turquie ne sont pas nécessaires. Avant toute chose, la Turquie doit recevoir la possibilité de mener les négociations jusqu’au bout”, a poursuivi Gül. Ces paroles ont reçu l’accord du président allemand, qui semble avoir pris ses distances par rapport à la Chancelière Merkel, qui demeure ferme dans son opposition claire et nette à toute adhésion turque. Pendant le dîner officiel organisé en l’honneur de son hôte turc, Wulff a affirmé que les négociations en vue d’une adhésion à l’UE doivent être menées de manière plus correcte, plus ouvertes aux espérances turques. “L’UE, elle aussi, doit travailler de manière plus active, afin que le processus d’adhésion puisse progresser, et doit également garantir à ses interlocuteurs turcs une attitude réceptive jusqu’au moment où la Turquie, finalement, aura concrétisé toutes les conditions nécessaires pour entrer dans l’Union”, a souligné le chef de l’Etat allemand.

Madame Merkel, tout comme le chef de l’Elysée Nicolas Sarközy, propose un partenariat privilégié entre l’UE et la Turquie, soit un projet que Gül a défini “difficile à comprendre”, vu que l’Union douanière en vigueur consent déjà des rapports privilégiés. Ankara, en 2005, avait entamé les négociations en vue de l’adhésion après avoir reçu le feu vert unanime des partenaires de l’Union. Mais ces négociations se déroulent au ralenti: seuls treize chapitres sur vingt-cinq ont été abordés. Qui plus est, la Chancelière allemande a exprimé au Président turc ses préoccupations à propos des tensions croissantes entre Ankara et le gouvernement israélien, tiraillements qui ont miné les rapports entre les deux pays du Proche Orient.

Lors de l’entrevue qui eut lieu dans les bureaux de la Chancellerie, les deux parties ont réitéré leurs positions quant à l’entrée de la Turquie dans l’UE et abordé ensuite la question du printemps arabe. Gül a répété publiquement que la Turquie demeurait toujours candidate à devenir membre à part entière de l’UE. Officiellement, l’Allemagne est ouverte à cette éventualité mais le parti de la Chancelière, la CDU, entend offrir aux Turcs une forme différente d’association, c’est-à-dire un partenariat stratégique qui excluerait l’adhésion à plein titre à l’UE. Au cours de la même journée, les interlocuteurs ont abordé aussi les attaques proférées par le ministre turc des affaires étrangères Ahmet Davutoglu contre les pays européens, accusés par lui de donner asile aux séparatistes kurdes du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) qui, au départ de l’Europe, continuent à financer des activités terroristes, à procéder à du recrutement, à diffuser de la propagande et à se livrer au trafic d’armes. Cette attaque du chef de la diplomatie turque s’est effectuée à l’occasion d’une conférence sur la lutte internationale contre le terrorisme, qui s’est tenue à New York pendant la 66ème Assemblée générale des Nations-Unies. Davutoglu a expliqué qu’au cours de ces derniers mois, la Turquie a été confrontée à une recrudescence des attaques du PKK, une formation politique, a-t-il ajouté, “qu’Ankara continuera à combattre avec toutes les mesures qui s’avèreront nécessaires”, toutefois dans le respect des principes démocratiques.

Mais les tensions entre Ankara et Bruxelles ne se limitent pas à la question kurde. Il y a aussi les rebondissements dans la question cypriote: Nicosie entend aller de l’avant dans les travaux de prospection, lancés en vue de découvrir des gisements d’hydrocarbures dans la zone économique exclusive de la République de Chypre. Or cette zone d’exclusivité cypriote, les Turcs la réclament pour eux aussi. Un fonctionnaire responsable de l’énergie auprès du département du commerce à Nicosie a confirmé que la firme “Noble Energy”, basée à Houston, a commencé ses explorations en vue de trouver pétrole et gaz au large de la côte méridionale de Chypre. Entretemps, un communiqué, publié sur le site du ministère des affaires étrangères de Nicosie, a répété “que la République de Chypre maintient ses propres droits souverains sur la plateforme continentale en accord avec les lois internationales et aucun autre accord ou aucune décision de la part de la Turquie aura des conséquences sur l’exercice de ces droits”. Et le communiqué souligne: “L’annonce faite par la Turquie constitue un nouvel acte de provocation contraire aux lois internationales”. Ces termes condamnent expressis verbis la décision du gouvernement turc de faire surveiller par des navires de guerre et des avions militaires, prêts à intervenir, les opérations de forage et de sondage que Chypre vient d’entamer en mer. Ces moyens militaires devront en outre défendre le bon déroulement de travaux de même nature que la Turquie commencera très prochainement.

Les tensions actuelles éloignent encore davantage dans le temps le projet de réunifier l’île, divisé en un sud grec-cypriote et un nord colonisé par les Turcs. Ankara a en outre menacé de suspendre les relations avec l’Union Européenne si, l’an prochain, Bruxelles concède à Chypre la présidence des institutions européennes, à laquelle l’île a droit selon le principe de rotation en vigueur. Nous faisons donc face à une ligne politique, délibérément choisie par Ankara, qui contribue à éloigner toujours davantage la Turquie de l’UE. La Turquie a donc bel et bien opté pour une stratégie néo-ottomane visant le contrôle direct et absolu d’Ankara sur toute les zones voisines, au Proche Orient comme en Méditerranée orientale.

Andrea PERRONE;

( a.perrone@rinascita.eu ).

(article paru dans “Rinascita”, Rome, 21 septembre 2011; http://www.rinascita.eu ).

vendredi, 30 septembre 2011

„Türken genießen keine Minderheitenrechte“

„Türken genießen keine Minderheitenrechte“

Ex: http://www.zurzeit.at/

Professor Karl Albrecht Schachtschneider über rechtliche Probleme durch einen möglichen Beitritt der Türkei zur EU

Herr Professor Schachtschneider, immer wieder ist ein baldiger EU-Beitritt der Türkei im Gespräch. Was sind Ihrer Ansicht nach die möglichen Folgen eines EU-Beitritts der Türkei?

Karl Albrecht Schachtschneider: Der Beitritt der Türkei würde die Europäische Union weiter wirtschaftlich überfordern, denn obwohl die Türkei ja durchaus einen gewissen wirtschaftlichen Aufstieg erlebt, ist sie doch immer noch ein sehr armes Land und es würden nicht nur viele Türken in die europäischen Länder kommen, insbesondere nach Deutschland und Österreich, sondern sie würden auch die überzogenen Sozialleistungen in der Europäischen Union in Anspruch nehmen können. Das wird im Wesentlichen eine Sozialwanderung sein, eine Sozialmigration, die für uns nicht mehr zu verkraften ist.

Ganz davon abgesehen, würde es die Zahl der Muslime in der Europäischen Union erheblich erhöhen und damit die islamische Gefahr für Europa verstärken.

Bestehen zusätzlich zu den wirtschaftlichen auch ernsthafte rechtliche Bedenken gegen einen EU-Beitritt?

Schachtschneider: Im Prinzip ist durch die Kopenhagener Kriterien der Weg zu einem EU-Beitritt für die Türkei geebnet, wenn sie die Bedingungen der Kriterien erfüllt. Damit ist aber noch kein Anspruch begründet, auch wirklich Mitglied zu werden. Das verlangt vor allem die politische Entscheidung aller 27 Mitgliedsstaaten. Alle EU-Staaten müssen dem Beitritt der Türken zustimmen.

Darüber hinaus müssen auch die europäischen Organe ihre Zustimmung erklären, hier im Wesentlichen das Europäische Parlament und der Rat. Jeder Mitgliedstaat der Europäischen Union ist frei darin, die Aufnahme der Türkei zu befürworten oder abzulehnen. Die Verlobung durch den Kopenhagener Beschluß ist nicht schon die Eheschließung. Eine Verlobung muß nicht zur Ehe führen und sollte es in diesem Fall auch nicht! Rechtlich muß auch über den Europa-Begriff diskutiert werden, bevor eine Aufnahme der Türkei möglich ist. Die Türkei gehört mit einem ganz kleinen Teil, zu Europa. Die Türkei ist ein Teil Asiens. Die EU will Europa miteinander verbinden, aber nicht die ganze Welt, auch nicht den Nahen Osten mit Israel und die nordafrikanischen Staaten, wie das propagiert wird.

Herr Professor, wie bewerten Sie den Einfluß und die rechtliche Stellung des Islam in Mitteleuropa derzeit?

Schachtschneider: Der Einfluß des Islam in Mitteleuropa ist tatsächlich sehr groß. Er ist vor allem durch das Mißverständnis der sogenannten Religionsfreiheit so groß geworden. Dem Islam sind durch dieses Mißverständnis die Tore weit geöffnet.

Das Hauptproblem ist, daß es diese Religionsfreiheit, nämlich zu leben und zu handeln, wie es die Religion gebietet, so das Verständnis des Bundesverfassungsgerichts Deutschlands, gar nicht gibt. In keinem Menschenrechtskatalog, in keinem Grundrechtskatalog ist eine solche Freiheit geschützt. Geregelt ist vielmehr eine Glaubensfreiheit. Diese Glaubensfreiheit kann man keinem Menschen nehmen. Eine Bekenntnisfreiheit – die gerne als „Bekennensfreiheit“ mißverstanden wird, nämlich daß man durch sein Leben und Handeln seine Religion bekennen kann, ein solches Grundrecht gibt es nicht.

Bekenntnisfreiheit heißt, daß man das jeweilige Glaubensbekenntnis frei wählen kann. Etwa das katholische oder das protestantische oder auch ein anderes Bekenntnis, wie auch eine andere Weltanschauung. Das kann einem niemand nehmen, das sind innere Glaubensfragen, Gedankendinge. Aber das Grundrecht der ungestörten Religionsausübung im täglichen Handeln ist scharf eingeschränkt durch den Vorrang der staatlichen Gesetze. Jedenfalls in Deutschland. Das wird in Österreich nicht anders ein. Die Säkularisierung des Politischen ist die Bedingung des Religionspluralismus. Das Politische hat den klaren Vorrang vor dem Religiösen und es gibt kein Grundrecht, die Politik einer Religion zu unterwerfen oder die Politik an der eigenen Religion auszurichten, etwa gar eine Theokratie aufzubauen. Ein solches Grundrecht ist nirgends gewährleistet und würde die entscheidende Errungenschaft Europas aufheben, nämlich die Säkularität des Politischen und des Religiösen. Und jedermann weiß, daß der Islam die Säkularität nicht akzeptiert. Der Islam ist ein politisches System, daß eben auch religiös begründet ist. Aus diesem Grunde halte ich den Islam mit unseren Verfassungstexten und unseren Verfassungen für nicht vereinbar, keinesfalls mit der freiheitlichen demokratischen Grundordnung. Ich habe das in meinem Buch, „Grenzen der Religionsfreiheit am Beispiel des Islam“, näher dargelegt.

Was halten Sie von den Forderungen von Ministerpräsident Recep Erdogan nach umfassenden Minderheitenrechten der türkischen Einwanderer in Deutschland?

Schachtschneider: Auch die Türken, die in Deutschland leben, die Muslime in Deutschland, mögen ihren Glauben haben und mögen ihr Bekenntnis haben. Sie können aber nicht besondere Rechte beanspruchen.

Für sie gelten die allgemeinen Gesetze, die für alle Menschen in einem Rechtssystem gemacht sind. Auch die Muslime müssen sich diesen Gesetzen fügen. Irgendeine Privilegierung einer Bevölkerungsgruppe wegen der Religion kommt nicht in Frage, genausowenig übrigens für Katholiken und Protestanten oder allen anderen Religionen. So stark ist das vermeintliche Grundrecht der Religionsfreiheit eben nicht, weil es ein solches Grundrecht überhaupt nicht gibt. Die Religionsausübung wird freilich im Rahmen der allgemeinen Gesetze geschützt und gefördert. Politische Sonderrechte geben die Religionsgrundrechte nicht her, nicht einmal das Recht, religiös orientiert zu wählen, um die Politik auf die eigene Religion auszurichten. Bei den Wahlen geht es um die allgemeine Freiheit, die durch die Gesetze verwirklicht werden soll.

Derartige Minderheitenrechte sind also grundsätzlich abzulehnen. Es sind den Türken und Muslimen aber auch keine Volksgruppenminderheitenrechte einzuräumen, wie sie etwa die Dänen in Schleswig-Hohlstein oder andere anerkannte Minderheiten haben. Die Türken und Muslime gibt es überall in Deutschland und sie sind inzwischen ein Teil der Bevölkerung geworden und müssen sich somit auch den Gesetzen Deutschlands und Österreichs unterwerfen. Da gibt es keinerlei Zweifel!

Das Gespräch führte Matthias Hellner.

dimanche, 25 septembre 2011

Turchia e Qatar: i nuovi leader regionali?

Turchia e Qatar: i nuovi leader regionali?

Hamze JAMMOUL


Ex: http://www.eurasia-rivista.org

Dopo la cosiddetta “Primavera Araba” che ha contagiando diversi paesi arabi, il Vicino Oriente sta vivendo la mancanza di un leader. Questa situazione permette alla Turchia e al Qatar di assumere un ruolo strategico, che alla fine potrebbe portare ad un conflitto politico tra i due ambiziosi stati.

La Turchia sogna i tempi degli Ottomani

È chiaro che quello che accade nel mondo arabo abbia influenzato la politica turca che da molto tempo cerca di riprendere il suo ruolo nel Vicino Oriente. Il grande sogno turco affrontava degli ostacoli rappresentati dal continuo ruolo strategico dell’Iran in Libano, in Siria e in Iraq, e dalla solida alleanza tra i due paesi Arabi più influenti: l’Arabia Saudita e l’Egitto.

Ma l’attacco israeliano contro la nave turca Marvi Marmara nel maggio 2010 e l’inizio della rivoluzione tunisina nel 2011, hanno contribuito alla modifica della mappa geopolitica del Vicino Oriente aggiungendo nuovi attori desiderosi di ricoprire un ruolo di primo piano nella geopolitica vicino e mediorentale.

Il rifiuto di Israele di presentare le scuse al popolo turco, e l’inaspettato risultato della commissione Ballmer, che ha considerato legittimo l’embargo israeliano contro Gaza, affermando che quanto accaduto nel luglio 2010 contro la flotilla non è un atto terroristico e criminale come sostiene Ankara, ma un semplice uso eccessivo della forza, hanno portato il governo turco ad espellere l’ambasciatore Israeliano e a congelare i rapporti commerciali con Tel Aviv.

Il primo ministro turco Recep Tayyip Erdoğan ha inoltre annunciato l’inizio di una campagna legale presso il tribunale penale internazionale con l’obbiettivo di condannare i crimini israeliani.

L’azione turca nei confronti di Israele arriva dopo diversi tentativi da parte di Ankara di assicurarsi un ruolo strategico nella regione e di apparire come la salvatrice della democrazia, il frutto della “ Primavera Araba ” .

La domanda che ci si può porre è la seguente: riuscirà Ankara a riprendere il suo potere nel Vicino Oriente ?

Vi sono numerosi elementi che possono aiutare la diplomazia turca a riacquistare un ruolo importante nella regione:

a. L’attuale mancanza di un paese arabo leader. Tale mancanza è dovuta al fatto che l’Arabia Saudita sta affrontando un conflitto politico all’interno della famiglia reale; L’Egitto dopo la caduta del governo di Mubark è occupato a portare avanti le riforme interne; mentre la Siria sta affrontando una grave situazione interna.

b. La notevole ambizione dell’amministrazione turca che, dopo le fallite trattative con l’Unione Europea, ha preferito concentrarsi nel Vicino Oriente. Nel 2006 Ankara ha condannato il severo attacco israeliano contro il Libano, nel 2009 ha condannato l’attacco israeliano contro Gaza ed ha considerato l’embargo illegale e disumano.

c. La vittoria di Giustizia e Sviluppo, il partito “laico -Islamico” di Erdoğan, nelle ultime elezioni ha consolidato il suo potere e ha indebolito il potere dell’esercito considerato il primo alleato di Israele. Tutto ciò permette a quest’uomo di grande potere e alla sua squadra di realizzare il loro progetto sulla nuova Turchia ricca ed influente.

d. L’importanza strategica che gli Stati Uniti e l’Europa danno alla Turchia. Attraverso l’accoglimento della richiesta NATO di installare il “sistema radar di difesa”, il leader turco continua a giocare un ruolo fondamentale tra l’Occidente e il Vicino Oriente.

e. La crescita dell’economia turca che ha permesso al Paese di occupare il tredicesimo posto nell’economia mondiale.

Tutti questi sono elementi che possono aiutare la Turchia ad assumere un potere strategico specialmente dopo la rivoluzione sentimentale che sta portando avanti Erdoğan nel mondo arabo e islamico, una rivoluzione il cui obbiettivo è dire no a Tel Aviv.

Alla luce di quanto segue, sembra che la Turchia stia andando nella direzione giusta per conquistare il cuore del popolo arabo.

Non bisogna però sottovalutare ciò che stanno sottolineando gli analisti, ossia il fatto che gli Arabi non hanno dimenticato la sofferenza che hanno vissuto durante l’occupazione dell’impero Ottomano. La nomina della Turchia come leader nel mondo arabo e islamico, potrebbe affrontare delle difficoltà rappresentate dalla futura ripresa dell’Egitto e della Siria e dall’attuale ruolo che sta assumendo un nuovo stato ambizioso, il Qatar.

Il Qatar alla ricerca di un ruolo strategico

Il Qatar che ha conquistato una fama internazionale nel settore commerciale e del Gas, l’anno scorso ha voluto dimostrare la sua capacità di organizzare i mondiali del 2022. Con l’inizio delle “rivoluzioni” nel mondo arabo, il Qatar ha preso una posizione politica tramite la sua Al Jazeera, il più noto canale televisivo arabo.

Tale posizione ha creato nuovi amici e nuovi nemici all’Emiro che, come hanno riferito i quotidiani arabi, il mese scorso si è salvato da un attacco suicida nella capitale Ad Dawhah.

Cosa vuole il Qatar della “Primavera araba”? Questa è una domanda che ormai si pongono tutti sia nel mondo arabo che in Occidente. La risposta è chiara: il Qatar ambisce ad avere un ruolo strategico nella regione. Da anni il Qatar ha iniziato un programma politico per uscire dal gruppo dei paesi non influenti e attraverso tale piano vuole diventare un nuovo leader arabo.

L’emirato è stato il primo paese arabo ad ospitare il congresso mondiale per la ricostruzione della Libia, oltre ad essere stato l’unico componente della lega Araba ad avere preso parte alla guerra con i suoi aerei militari e ad aver finanziato i ribelli contro Gheddafi.

Il canale satellitare Al Jazeera, ha seguito gli eventi in Tunisia ed Egitto sin dal primo giorno, ed in Siria si considera il primo nemico mediatico del governo di Bashār al-Asad.

Al Jazeera che ha voluto proteggere le “rivoluzione arabe” e i diritti umani non ha reagito nello stesso modo quando è scoppiata la rivoluzione in Bahrein, alleato dell’Emiro e dell’Arabia Saudita. Tale comportamento ha messo a rischio la professionalità del canale e ha fatto sorgere dei dubbi sui reali obiettivi dell’emirato.

 

Gli elementi sopracitati, a cui si aggiunge il fatto che il paese non è stato ancora soggetto a manifestazioni, sono elementi che rafforzano la teoria secondo la quale il Qatar è alla ricerca di un nuovo ruolo strategico nella regione. Tale ruolo però si scontrerà alla fine con la volontà dell’Egitto di riprendere il suo ruolo e con il sempre più crescente ruolo politico di Ankara, fenomeno confermato dal fatto che nei giorni scorsi il primo ministro turco ha concluso la sua missione in Egitto, Tunisia e in Libia, aprendo un nuovo rapporto con i paesi della cosidetta “Primavera araba”.

*Hamze Jammoul, giurista Libanese, esperto nella gestione dei conflitti internazionali

vendredi, 23 septembre 2011

Erdogan in Nordafrika: Türkei kehrt Europa den Rücken

Erdogan in Nordafrika: Türkei kehrt Europa den Rücken

http://de.rian.ru/

Der türkische Premier Recep Tayyip Erdogan scheint ein diplomatisches Genie zu sein.


Die Ergebnisse seiner Nordafrika-Reise in der vergangenen Woche haben die Erwartungen übertroffen. Bei seinen Reden in Kairo, Tunis und Tripolis traf er den richtigen Ton. Der türkische Regierungschef wird als Held der arabischen Revolutionsmassen gefeiert.

Obwohl Ankara sich nicht aktiv an der Anti-Gaddafi-Offensive beteiligt hatte (es stellte lediglich ein Schiff für die Evakuierung der Einwohner Misratas zur Verfügung), wurde der türkische Premier auch in Tripolis herzlich empfangen. Die Türkei ist mit Libyen vor allem durch Bau-Projekte im Wert von etwa 15 Milliarden Dollar verbunden und bemüht sich darum, sie zu erhalten.

Türkei gewinnt an Bedeutung in der islamischen Welt

Alle seine Aufgaben hat Erdogan glänzend erfüllt. Er hat die internationale Rolle seines Landes unter Beweis gestellt und es als eine der islamischen Führungskräfte in der Nahost-Region etabliert. Der Premier zeigte deutlich, dass es in der islamischen Welt eine Alternative statt den radikalen Vektor gibt: die islamische Demokratie auf türkische Art. Außerdem gewann er an Stellenwert in seinem Land und in der ganzen arabischen Welt.

Es wäre jedoch naiv zu glauben, dass nur die Begeisterung der arabischen Revolutionsanhänger die Türkei zu einem Führungsland zwischen Zentralasien und Maghreb machen. Erdogan wird nur von den Volksmassen gefeiert, die die Türkei für einen vorbildhaften islamischen säkularen Staat halten, der eine starke Wirtschaft hat und seinen Bürgern einen hohen Lebensstandard bietet.

Die Herrscher sind gegenüber Erdogan eher skeptisch eingestellt. Ägypten hat nach der Revolution noch immer keine starke Führung, die dortigen Militärs wollen offenbar nicht ihre Macht verlieren. Auch in Saudi-Arabien oder im Iran sind die Machthaber nicht gerade von den Aktivitäten Ankaras begeistert. Die Begeisterung der Volksmassen ist eine vorübergehende Erscheinung, besonders wenn es sich um arabische Länder handelt.

Man sollte auch bedenken, dass die Türken in der arabischen Welt traditionell nicht besonders beliebt sind. Deshalb kommt Ankara als regionale Supermacht vorerst nicht infrage.

Demokratie auf türkische Art als Vorbild

Arabische Politiker sollten sich aber überlegen, warum Erdogan als gemäßigter Islamist und konservativer Liberale bei den Volksmassen so beliebt ist. Zumal sie von ihm etwas lernen könnten.

Die islamisierte Demokratie auf türkische Art ist in Wirklichkeit etwas wirklich Einmaliges, genauso wie die „souveräne Demokratie“ in Russland.

Die einmalige Mischung aus Islamismus und Demokratie bei einer ständig wachsenden Wirtschaft ist das, was auch Ägypten, Libyen und Tunesien guttun würde. Aber in keinem dieser Länder gibt es derzeit solche Kräfte, die das entstandene Machtvakuum füllen könnten. Dafür ist viel Zeit erforderlich.

Erdogan will seinerseits von den Möglichkeiten profitieren, die ihm der „arabische Frühling“ bietet. Er könnte an Einflusskraft gewinnen, weil Ägypten, Syrien, Libyen und der Irak schwächeln. Dabei geht es vordergründig um die Wirtschaft - Erdogan verkündete in Kairo, dass die türkischen Investitionen in Ägypten von 1,5 auf fünf Milliarden Dollar wachsen werden. Politisch gesehen hat Ankara jedoch keine großen Chancen auf die Führungsrolle in der islamischen Welt.

Erdogans politische Karriere hat zudem einige Kratzer. Bevor er 2003 seine Partei für Gerechtigkeit und Aufschwung ins Leben gerufen hatte und zum Premier gewählt wurde, war er Mitglied der islamistischen Tugendpartei gewesen, die 1997 verboten wurde. Damals wandete er sogar für die nationalistische Propaganda vier Monate ins Gefängnis.

Darüber hinaus war der begeisterte Empfang des türkischen Premiers in Nordafrika der Beweis, dass die USA und Westeuropa ihre Einflusskraft in der Region endgültig verloren haben.

Nicht zu vergessen ist, mit welcher Begeisterung 2009 der frischgebackene US-Präsident Barack Obama in Kairo empfangen wurde. Damals versprach er, Washingtons politischen Kurs zu ändern und die Interessen der Araber mehr zu berücksichtigen, Israel zu mäßigen und zu einem Friedensabkommen mit den Palästinensern zu überreden sowie die Bildung eines unabhängigen Palästinenserstaates zu fördern. Nichts davon ist jedoch in Erfüllung gegangen. Angesichts dessen ist die Unbeliebtheit der Amerikaner in der arabischen Welt nicht verwunderlich.

Erdogan gewann an Popularität wegen seiner Schritte gegen Israel. Er hatte sich  de facto für die Unterbrechung der diplomatischen Beziehungen mit Tel Aviv entschieden, die Teilnahme israelischer Kampfjets an Manövern in der Türkei verboten und die bilateralen Militärkontakte eingestellt.

Während seines Besuchs in Tunis warnte Erdogan sogar, er würde türkische Kriegsschiffe an die israelische Küste schicken, wenn Tel Aviv weiterhin Schiffe mit Hilfsgütern für den Gaza-Streifen abfangen sollte.

Wenn man bedenkt, dass die Türkei Nato-Mitglied ist, sind Erdogangs Worte starker Tobak. In der arabischen Welt wurden sie aber mit Begeisterung aufgenommen.

Abwendung von Europa


Erdogans Nordafrika-Reise hat noch einen wichtigen Aspekt. Er zeigte den Europäern deutlich, was sie verlieren, wenn sie der Türkei den EU-Beitritt verweigern.

Ankara hatte 1987 die EU-Mitgliedschaft beantragt, wurde aber erst 1999 bei einem EU-Gipfel in Helsinki als Anwärter anerkannt. Seit dieser Zeit haben entsprechende Verhandlungen keine großen Fortschritte gebracht.

Niemand hat den Türken bisher deutlich gemacht, dass es für sie in Europa keinen Platz gibt. Aber Deutschland und Frankreich wollen nicht, dass in der Europäischen Union weitere 60 Millionen Muslime leben. Deshalb wurden Ankara Bedingungen gestellt, die es unmöglich erfüllen kann, um EU-Mitglied zu werden. So verlangte Frankreich, dass die Türken den Völkermord an Armeniern im Jahr 1915 anerkennen.

So etwas kann sich Erdogan nicht gefallen lassen. Jetzt kehrt er Europa allmählich den Rücken. Im Grunde tut er das, was er zuvor versprochen hatte.

Die Meinung des Verfassers muss nicht mit der von RIA Novosti übereinstimmen.

La diplomatie-missile d’Erdogan

Turquie vs Israël. Erdogan met le feu aux poudres de l'OTAN en refusant d'installer le Ballistic Defense Missile Europe à Kurecik (ABM).

La diplomatie-missile d’Erdogan

Ex: http://mbm.hautetfort.com/

Le rythme de la diplomatie du gouvernement turc et de son Premier ministre Erdogan devra-t-il être inscrit comme un des facteurs fondamentaux du “printemps arabe”, au même titre, par exemple, que la place Tahrir au Caire ? Poser la question, c’est y répondre. Les Turcs sont à l’offensive sur absolument tous les fronts, avec un objectif de facto, qu’on doit constater comme évident s’il n’est à aucun moment énoncé comme tel ; il s’agit de la destruction de l’“ordre” du bloc BAO, essentiellement tenu par Israël et son “tuteur” US, – l’un et l’autre désormais privés de soutiens de taille, comme celui de l’Egyptien Moubarak.

Les derniers développements sont particulièrement remarquables, en ce qu’ils haussent le niveau de l’offensive turque au plus haut, avec la question de l’attitude turque vis-à-vis de l’affaire palestinienne à l’ONU et l'affaire des forages en Méditerranée orientale, qu’on connaît bien ; mais surtout, affaire nouvelle venue dans sa dimension polémique, celle de l’engagement turc dans le réseau anti-missiles de l’OTAN (BMDE, pour Ballistic Defense Missile, Europe, – dénomination initiale US qu’on peut aussi bien garder, pour réumer les explications et les réalités de la chose). Il s’agit désormais, avec le réseau BMDE dans la forme que prend cette affaire, de questions stratégiques majeures impliquant la Turquie et l’OTAN, c’est-à-dire les USA, et les autres qui vont avec. Voyons les nouvelles…

• Le quotidien d’Ankara Hurriyet Daily News donne plusieurs informations exclusives, ce 19 septembre 2011. D’une part, le journal annonce que le cabinet turc ne prendra pas de décision définitive sur l’installation de la base de détection radar du réseau BMDE en Turquie, avant le retour du Premier ministre Erdogan, en visite aux USA, notamment pour la séance plénière annuelle de l’Assemblée des Nations-Unies. Erdogan rencontre Obama aujourd’hui. Puis l’ONU doit se prononcer sur la demande palestinienne de reconnaître l’Etat palestinien. La décision turque de retarder sa décision sur la base du réseau BMDE en Turquie intervient alors que Washington avait d’abord demandé à Ankara d’accélérer sa décision (selon DEBKAFiles, voir plus loin), et la chronologie désormais établie ressemble fort à une conditionnalité implicite ; tout se passant comme si Erdogan laissait entendre que cette décision turque dépendrait de l’attitude US dans la question palestienne à l’ONU. Cette position n’est pas à prendre comme telle, mais elle représente un acte de défiance des Turcs vis-à-vis des USA, au moins affirmé du point de vue de la communication.

Hurriyet Daily News va plus loin, au rythme de la diplomatie turque, en dévoilant que l’acceptation possible/probable de déploiement de la base du réseau BMDE sera accompagnée, très rapidement, d’une mission d’information auprès de l’Iran. Un comble, du point de vue du bloc BAO, puisque le réseau BMDE est déployé théoriquement contre une menace future possible de l’Iran (ainsi va le narrative du complexe militaro-industriel, donc il faut bien la rapporter) ; pire encore, si c’est possible, la rencontre entre Erdogan et Mahmoud Ahmadinejad, jeudi à l’ONU, à New York, avec la question du réseau BMDE au menu des conversations. … Pourquoi ne pas faire participer l’Iran au réseau, se demanderaient certains, pour protéger ce pays contre ses propres futurs missiles ? (Tout cela, après l’annonce par le ministre turc des affaires étrangères Davutoglu que la Turquie refusera le partage avec Israël des informations obtenues par la station radar sur son sol…)

«The agreement envisions the deployment of a U.S. AN/TPY-2 (X-band) early warning radar system at a military installation at Kürecik in the Central Anatolian province of Malatya as part of the NATO missile-defense project. Obama and Erdogan will likely discuss the fate of the agreement, which has been described by anonymous U.S. officials as the most strategic deal between the two allies in the last 15 to 20 years.

»A swift approval of the deal is needed to carry out the technical phases of the radar system’s deployment before the end of this year, as suggested by the U.S. Department of Defense. U.S. warships carrying anti-ballistic missiles are expected to take up position in the eastern Mediterranean Sea in the upcoming months, U.S. media outlets have reported. As part of the project, missile shield interceptors and their launching system will be deployed in Romanian and Polish territory, in 2015 and 2018, respectively.

»Senior Turkish officials who are planning to visit Tehran in the coming weeks will seek to diffuse growing Iranian concerns about the deployment of the radar system on Turkish soil. Hakan Fichan, chief of the National Intelligence Organization, or MIT, is expected to be the first visitor, followed by Erdogan.»

DEBKAFiles annonce effectivement, ce 19 septembre 2011, qu’un envoyé spécial du président Obama, le directeur du renseignement national (coordination et supervision de toutes les agences de renseignement US) James Clapper, se trouvait en visite surprise et d’urgence, samedi soir à Ankara. Clapper venait presser Erdogan de réduire son soutien au Palestinien Abbas, d’adopter un ton moins menaçant dans l’affaire des forages en Méditerranée orientale, impliquant Chypre et Israël, etc. Clapper venait aussi demander une accélération de la réponse turque concernant la base radar du réseau BMDE ; puis, devant les déclarations du ministre des affaires étrangères Davutoglu dimanche, il avertissait la Turquie que le partage des informations avec Israël était une condition sine qua non de l’installation de la base en Turquie…

«Following Davutoglu's statement on the X-band radar, Clapper was authorized to warn the Erdogan government that if it barred the sharing of information with Israel, the plan for its installation in Turkey would have to be abandoned. The entire missile shield system is based on a network of advanced radar stations scattered across the Middle East, including the Israeli Negev, and Israel's highly-developed ability to intercept Iranian ballistic missiles.»

• On signalera également l’article du New York Times du 18 septembre 2011, où le ministre Davutoglu annonce un “ordre nouveau” au Moyen-Orient avec l’axe entre la Turquie et l’Egypte. La dynamique de la diplomatie turque prend une forme de plus en plus structurée, et de plus en plus officiellement affirmée.

• On signalera également (suite) la forme extraordinairement agressive, anti-turque, que prennent certaines interventions de commentateurs proches d’Israël par divers liens, y compris ceux de l’idéologie de l’“idéal de puissance”. L’un d’entre eux est certainement David P. Goldman (dit “Spengler” pour ATimes.com), qui publie un virulent article anti-turc (anti-Erdogan) sur le site Pyjama Media, le 18 septembre 2011 ; et un autre article dans sa chronique “Spengler” de ATimes.com, le 20 septembre 2011, où il fait un procès véritablement “spenglérien” de l’état social et culturel de l’Egypte, particulièrement méprisant pour la valeur intellectuelle et économique de ce pays et de ses habitants. Il s’agit de discréditer autant les ambitions turques que l’alliance égyptienne, exprimant en cela une frustration peu ordinaire d’Israël et du bloc BAO, appuyés sur cet “idéal de puissance” cité plus haut. (Cet “idéal” forme le tronc idéologique et darwinien commun aux diverses entités du bloc, toutes autant les unes que les autres attachées aux conceptions de puissance, – en général des frustrations psychologiques anglo-saxonnes aux visions caricaturales diverses de “la volonté de puissance” nietzschéenne.) Nous ne sommes pas loin des neocons, des ambitions impériales américanistes et des arrières pensées eschatologiques du Likoud. Cette soupe, rescapée de la première décennie du XXIème siècle, se concentre pour l’instant en une appréciation absolument toxique de ce qui est considéré par le noyau dur du bloc BAO comme une trahison de la Turquie d’Ataturk “kidnappée” par les islamistes d’Erdogan. Dans ce cas, les durs israéliens sont évidemment particulièrement concernés, avec leurs alliés neocons qui furent des auxiliaires attentifs, au niveau du lobbying bien rétribué, de l’ancien régime turc. (Richard Perle était l’un des principaux lobbyistes des Turcs à Washington dans les années 1990, appuyé sur les ventes d’armement à la Turquie, notamment de Lockheed Martin, qui finance les même neocons. C’est un aspect important des réseaux américanistes et pro-israéliens, et pseudo “spanglériens” pour le cas qui nous occupe, qui est en train de s’effondrer avec l’énorme défection turque.)

…Tout cela commençant à signifier clairement qu’en quelques semaines, depuis la mi-août pratiquement, la Turquie a complètement basculé pour se retrouver au rang de premier adversaire du bloc BAO (Pentagone + Israël, principalement) au Moyen-Orient, – à la place de l’Iran, et dans une position infiniment plus puissante que celle de l’Iran. Le renversement est fantastique, tout comme l’est potentiellement cette affaire du réseau BMDE qui implique les intérêts stratégiques de tous les acteurs au plus haut niveau. Pour le Pentagone, l’accord turc sur la station radar à installer dans la base de Kurecik, en Anatolie centrale, est présenté d’abord comme “le plus important accord stratégique entre les deux pays depuis 15 à 20 ans” ; puis il s’avère, cet accord, tellement chargé de conditions turques, comme le refus de partager les informations avec Israël, que le Pentagone doit envisager d’annuler son offre (pardon, celle de l’OTAN) ; ce qui nous permet au passage de nous interroger pour savoir qui contrôle quoi dans le réseau OTAN si les Turcs estiment avoir un droit de veto sur la disposition des radars qui seraient installés à Kurecik… Cela, jusqu’à l’annonce des assurances et des informations données à l’Iran, ce qui ne doit pas entrer dans les plans généraux du Pentagone ni de l’OTAN, ni de nombre de membres de l’OTAN qui cultivent dans leur arrière-cour la narrative de la menace iranienne.

En plus des diverses querelles et crises en développement dans l’énorme chamboulement du Moyen-Orient, l’affaire du réseau BMDE de l’OTAN, et de la Turquie, nous est précieuse parce qu’elle permet l’intégration potentielle de plusieurs crises, bien dans la logique de la Grande Crise de la Contre-Civilisation (GCCC, ou GC3). A un moment ou l’autre, la Russie ne va-t-elle pas se manifester, elle qui déteste le réseau BMDE et qui prétend avoir des relations très moyennes avec l’OTAN, et plutôt bonnes avec la Turquie ? On aura alors un lien très ferme établi avec la question de la sécurité européenne, et de l’engagement européen dans des réseaux stratégiques contrôlés par la puissance en cours d’effondrement des USA… Et que va donner cette affaire du partage avec Israël d’informations stratégiques du réseau BMDE, alors que les Turcs le refusent, alors que les Turcs ont mis leur veto à l’installation d’une délégation de liaison d’Israël à l’OTAN…

D’une façon générale, avec cet élargissement de la crise et le passage à la dimension stratégique fondamentale, on comprend alors que la Turquie est de plus en plus orientée pour tenir le rôle que la France gaullienne tenait en d’autres temps. Face à cela, la France, qui n’a réussi qu’à placer son président-poster un jour avant la visite d’Erdogan en Libye, apparaît sous la lumière impitoyable d’une dissolution totale ; son ministre des affaires étrangères, qui fut en son époque “le plus intelligent de sa génération”, s'emploie actuellement à la tâche hautement louable et profitable de faire en sorte que les USA n'apparaissent pas trop isolés lors de leur vote à l'ONU contre la reconnaissance de l'Etat palestinien.... Il est temps que les Français aillent aux urnes, pour s’occuper, puisque la Turquie s'occupe de tout. (Ce qui est effectivement et concrètement le cas : d’une façon générale, les journalistes français de “politique étrangère” des organes-Système les plus réputés, lorsqu’ils sont sollicités par des organismes internationaux pour des visites, des conférences, des rencontre, etc. répondent depuis septembre qu’ils sont totalement mobilisés par l’élection présidentielle. C’est effectivement là que se passent les choses…)

jeudi, 01 septembre 2011

Pour un grand empire turkmène contre Staline

Wolfgang KAUFMANN:

Pour un grand empire turkmène contre Staline

 

L’historien allemand Jörg Hiltscher a analysé les plans secrets des Turcs pendant la seconde guerre mondiale

 

seconde guerre mondiale, deuxième guerre mondiale, Turquie, panturquisme, pantouranisme, Proche Orient, Asie mineure, Asie, affaires asiatiques, Au début du mois de juillet 1942, tout semblait accréditer que la Wehrmacht allemande courait à la victoire définitive: l’Afrika Korps de Rommel venait de prendre Tobrouk et se trouvait tout près d’El Alamein donc à 100 km à l’ouest du Canal de Suez; au même moment, les premières opérations de la grande offensive d’été sur le front de l’Est venaient de s’achever avec le succès escompté: la grande poussée en avant en direction des champs pétrolifères de Bakou pouvait commencer. Tout cela est bien connu.

 

Ce qui est moins connu en revanche est un fait pourtant bien patent: au moment où les Allemands amorçaient leur formidable “Vormarsch” de l’été 42, un autre déploiement de troupes de grande envergure avait lieu au Sud-Ouest des frontières géorgiennes et arméniennes. Sur l’ordre du chef de l’état-major de l’armée turque, Fevzi Çakmak, 43 divisions, totalisant 650.000 hommes, avançaient vers les régions orientales de l’Anatolie. Il ne s’agissait évidemment pas de défendre l’intégrité territoriale de la Turquie contre une attaque potentielle de Staline car celui-ci ne pouvait opposer, dans la région transcaucasienne, que 80.000 soldats (dont des bataillons féminins et des milices arméniennes).

 

Çakmak agissait surtout comme un militant des cercles panturquistes, qui rêvaient d’une alliance avec les forces de l’Axe victorieuses, surtout l’Allemagne et le Japon, pour réaliser leurs propres ambitions de devenir une grande puissance. Ces ambitieux étaient grandes, et même fort grandes, comme l’atteste une note des affaires étrangères de Berlin, rédigée après une conversation avec le panturquiste Nouri Pacha: “De tous les territoires jusqu’ici soviétiques, ils revendiquent en premier lieu l’Azerbaïdjan et le Daghestan située au nord de ce dernier; ensuite, ils réclament la Crimée, de même que toutes les régions situées entre la Volga et l’Oural”. Une revendication complémentaire concernait “le Turkestan, y compris la partie occidentale de l’ancien Turkestan oriental, appartenant officiellement à la Chine mais se trouvant actuellement sous influence soviétique”. En plus de tout cela, Nouri réclamait “les régions peuplées d’ethnies turcophones dans la partie nord-occidentale de l’Iran, jusqu’à la ville d’Hamadan et une bande territoriale frontalière dans le nord de la Perse, depuis la pointe sud-orientale de la Mer Caspienne le long de l’ancienne frontière soviétique”. Nouri n’oubliait pas non plus de revendiquer “la région irakienne de Kirkouk et Mossoul”, de même “qu’une bande territoriale située dans le protectorat français de Syrie”.

 

En tentant de créer un grand empire de cette ampleur, la Turquie se serait bien entendu placée entre toutes les chaises... D’une part, elle serait entrée en conflit avec l’Allemagne et avec le Japon, parce que Berlin et Tokyo briguaient certaines de ces régions. D’autre part, tout ce projet constituait une déclaration de guerre implicite à l’URSS et à la Grande-Bretagne. Pour cette raison, il s’est tout de suite formé à Ankara une forte opposition aux aventuriers panturquistes, regroupés autour de Çakmak et du Premier Ministre Refik Saydam, surtout que plusieurs indices laissaient accroire qu’ils préparaient un putsch pour s’emparer de tout le pouvoir.

 

Cette situation explique pourquoi Saydam, dans la nuit du 7 au 8 juillet 1942 a eu une soudaine et très mystérieuse “crise cardiaque”, qui le fit passer de vie à trépas, et que son ministre de l’intérieur et chef des services secrets, Fikri Tuzer, qui partageait la même idéologie, a connu le même sort, quelques jours plus tard. A la suite de ces deux “crises cardiaques” providentielles, le Président anglophile et neutraliste, Ismet Inönü, fut en mesure de chasser tous les autres panturquistes du cabinet et d’isoler Çakmak. Ensuite, Inönü annonça lui-même officiellement devant la grande assemblée nationale turque qu’il disposait des moyens nécessaires pour éliminer les orgueilleux qui nuisaient aux intérêts de la Turquie.

 

Ces événements sont étonnants à plus d’un égard: si les panturquistes avaient réussi leur coup, ils auraient peut-être pu changer le cours de la guerre car la Turquie, pendant l’été 1942, disposait d’une armée d’1,2 million d’hommes, et étaient par conséquent le poids qui aurait pu faire pencher la balance. Pourtant l’historiographie a généralement ignoré ces faits jusqu’ici;  ce qui est encore plus étonnant, c’est que Hitler n’a pas appris grand chose de cette lutte pour le pouvoir à Ankara. Le Führer du Troisième Reich n’a pas été correctement informé des vicissitudes de la politique turque parce que les quatorze (!) services de renseignement allemands qui s’occupaient de glaner des informations sur la Turquie se sont montrés totalement inefficaces.

 

Le travail de l’historien Jörg Hiltscher mérite dès lors un franc coup de chapeau. Sa thèse de doctorat est enfin publiée; elle concerne, comme nous venons de le voir, la politique intérieure et extérieure de la Turquie pendant la seconde guerre mondiale. Elle démontre aussi l’inefficacité de la direction nationale-socialiste face aux questions turques. La façon de travailler de Hiltscher mérite d’être évoquée dans cette recension: notre historien a fourni un effort sans pareil, lui qui travaille dans le secteur privé; il a dépouillé et exploité près de 200.000 documents, sans avoir jamais reçu le moindre centime d’une instance publique ou d’un quelconque autre mécène. Ce qui nous laisse aussi pantois, c’est la rigueur et l’acribie avec lesquelles il a dressé un synopsis du chaos que représentait les services de renseignements du Troisième Reich. Il est le seul à l’avoir fait jusqu’ici.

 

Face à l’intensité de ce travail, nous pouvons affirmer que le titre de la thèse de Hiltscher est un exemple d’école de modestie exagérée car jamais il ne dévoile à ses lecteurs le caractère inédit et unique de ses recherches. La retenue dont Hiltscher fait preuve contraste avec l’emphase dont font montre certains historiens universitaires fats, comme Peter Longerich, qui ressassent éternellement les mêmes banalités et puisent toujours aux mêmes sources (cf. “Junge Freiheit”, n°14/2011) mais vendent leurs recherches comme de formidables exploits scientifiques ouvrant des pistes nouvelles.

 

Wolfgang KAUFMANN.

(article paru dans “Junge Freiheit”, n°33/2011; http://www.jungefreiheit.de/ ).