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mercredi, 26 octobre 2022

Ingérence américaine dans le Haut-Karabagh?

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Ingérence américaine dans le Haut-Karabagh?

Alexander Markovics

Plus de 100 morts, des vidéos de femmes arméniennes mutilées et des prisonniers de guerre arméniens liquidés: depuis septembre de cette année, le conflit du Haut-Karabagh a repris. Le conflit, qui couve depuis 1991, porte sur l'enclave arménienne au milieu de l'Azerbaïdjan. En 1993, l'Arménie est parvenu à s'approprier le territoire, mais Erevan n'a pas réussi à sécuriser ses conquêtes par des accords diplomatiques, comme le lui avait conseillé la Russie. C'est ainsi que la situation de l'État chrétien du Caucase a radicalement changé depuis 2020: avec des armes turques et israéliennes, notamment des drones, Bakou a réussi à reconquérir de grandes parties de la région enclavée.

Seule une force de maintien de la paix russe a pu éviter le pire. En Arménie même, Nikol Pashinyan, arrivé au pouvoir en 2018 à la suite de la révolution de la soie parrainée par l'Occident, a été accusé d'incompétence dans la conduite de la guerre et de trahison. Mais Pashinyan a réussi à étouffer les protestations et s'est fait réélire Premier ministre en 2021 lors d'élections qu'il a truquées. La situation géopolitique de l'État du Caucase a également changé : auparavant proche allié de la Russie et de l'Iran, Pashinyan a commencé à nommer des membres d'ONG occidentales à des postes gouvernementaux et à signer un accord avec l'UE. Sous son égide, l'Arménie a envoyé des troupes au Kosovo et en Afghanistan pour soutenir le "Partenariat pour la paix" de l'OTAN.

En 2022, l'avancée de l'Azerbaïdjan au Karabagh a de nouveau donné lieu à des manifestations, mais Pachinyan continue de s'accrocher au pouvoir. Tout cela n'est pas le fruit du hasard : comme l'indique le document stratégique "Extending Russia" (Etendre la Russie) du groupe de réflexion mondialiste RAND Corporation, il s'agit de surexploiter les forces de Moscou en l'engageant sur le plus de fronts possible.

Pour ce faire, il est nécessaire de lier les forces russes par des conflits dans le sud de la Russie, en Ossétie du Sud et en Abkhazie, ainsi que dans le Caucase, afin de l'amener à une défaite sur d'autres fronts. Dans ce contexte, la base militaire russe près d'Erevan est une épine dans le pied de Washington, car elle cimente le pouvoir de Moscou dans le Caucase. Le conflit a plusieurs objectifs : Il s'agit de pousser l'Arménie à se retirer de l'OTSC, l'alliance russo-centrée, et de l'éloigner de l'Organisation de Shanghai, qui devient une alternative aux institutions occidentales. Pendant ce temps, une mission de l'OTSC est partie au Karabagh pour analyser la situation.

C'est pourquoi, pour la première fois depuis 1991, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre américaine des représentants, s'est rendue en Arménie pour condamner l'agression de l'Azerbaïdjan. Dans le même temps, Soros fait campagne, via des sites qu'il finance comme "eurasia.net", pour que l'Arménie se détache de la Russie et rejoigne l'OTAN, et l'UE s'est soudainement impliquée en tant que "médiateur". Dans cette agitation, Yerevan peut être sûr d'une chose : L'Occident ne se préoccupe pas du bien-être des Arméniens, mais de porter le drapeau arc-en-ciel plus loin encore à l'Est.

mardi, 25 octobre 2022

Ukraine : les pays du Golfe se détournent de l'Amérique

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Ukraine: les pays du Golfe se détournent de l'Amérique

Source: https://piccolenote.ilgiornale.it/mondo/ucraina-i-paesi-del-golfo-si-allontanano-dallamerica#

Les bourses des pays qui ne se sont pas joints sans réserve à l'affrontement contre la Russie suite à l'intervention en Ukraine connaissent des hausses inconnues de celles de l'Occident, qui vivent au contraire une crise dont aucune sortie n'est en vue. C'est ce qu'indique un article du Il Sole 24Ore, qui enregistre un pic en Turquie, avec + 34%, et des hausses plus modérées mais significatives en Amérique du Sud et surtout dans la péninsule arabique.

Un chiffre qui semble révélateur de la façon dont le conflit pourrait remodeler l'économie mondiale. Dans ce contexte, les pays du Golfe se détachent de leur alliance traditionnelle avec les États-Unis, qui s'est transformée en véritable rupture après le refus de l'Opep d'augmenter la production de pétrole, qui a d'ailleurs été réduite, un rupture qui apparaît plus que significative.

Biden a juré que la volte-face des pays arabes aura des "conséquences", mais la décision risque d'avoir surtout des conséquences plus immédiates pour son parti, puisque les démocrates espéraient que l'augmentation de la production de l'Opep conduirait au moment des midterms à maintenir le pays de Biden sans une récession galopante, ce qui pourrait aliéner l'électorat des démocrates.

Pour remédier à ce malheureux outrage, le président Biden a décidé d'ouvrir les robinets des réserves de pétrole dans l'espoir que cela suffise à lubrifier la machine électorale de son parti (Politico).

Les Saoudiens dans les Brics et les relations entre les Émirats et la Russie

Quant aux conséquences sur les pays arabes, nous devons attendre, car pour l'instant l'establishment américain est concentré sur les midterms, mais des articles contre l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont commencé à paraître dans les médias américains. Peut-être verrons-nous également surgir bientôt des émeutes contre le foulard des femmes ou des choses similaires.

Entre-temps, il y a un autre signe de ce détachement : l'Arabie saoudite a exprimé son désir de rejoindre les BRICS, un organisme économique international qui a la Russie et la Chine comme points de référence. C'est ce qu'a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors d'une visite à Riyad (InfoBrics).

Mais si les bonnes relations entre l'Arabie saoudite et la Russie étaient connues depuis longtemps, plus récentes et surprenantes semblent être celles entre Moscou et les Émirats arabes, autre pays phare du golfe Persique, qui se sont manifestées avec la visite de Mohammed bin Zayed en Russie le 11 octobre.

Voici comment M. K. Bhadrakumar sur Indianpunchline décrit la rencontre entre le président émirati et Poutine : "Il y avait quelque chose de profondément significatif dans le fait que le président des EAU, le Cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, ait entrepris une visite en Russie au milieu de la tempête ukrainienne.

"Conscient du symbolisme, le président russe Vladimir Poutine a reçu mardi le cheikh Mohammed dans un cadre grandiose digne d'un monarque, dans le splendide palais Konstantinovksy de Saint-Pétersbourg, dont l'héritage remonte à Pierre le Grand, symbole de la renaissance de la Russie, de sa culture et de son patrimoine."

Enfin, il faut noter que contrairement à l'Europe, qui est subordonnée aux diktats des faucons américains, les pays du Golfe ont décidé de soutenir l'effort de la Turquie pour initier une médiation entre Russes et Ukrainiens. Un petit pas, mais dans la bonne direction (d'autres, dans la direction opposée, conduiraient le monde au bord de l'abîme).

Le niet du Qatar et les milices libyennes

En ce qui concerne les relations entre l'Occident et le monde arabe, le niet du Qatar à l'égard de l'Europe mérite également d'être souligné : Doha a en effet déclaré qu'il ne détournera pas de gaz vers l'Asie dans le cadre de contrats préexistants afin de le détourner vers le Vieux Continent avide d'énergie.

De toute évidence, cette proposition indécente venait d'Europe, ce qui montre comment la dite "défense des Règles", invoquées par cette partie du monde a modulé leurs applications.

À cet égard, il est intéressant de voir ce que rapporte Rafaa Tabib, professeur à l'École supérieure de guerre de Tunis et expert de la Libye, dans un article publié dans al Manar. Le professeur explique que l'une des plaques tournantes énergétiques sur lesquelles le Vieux Continent mise pour surmonter l'hiver froid qui s'annonce est la Libye.

Mais malheureusement, l'or noir libyen partage la situation chaotique produite dans le pays par l'intervention de l'OTAN contre Kadhafi. Un non-État où, à côté des institutions internationalement reconnues, prospèrent des milices de toutes sortes, contrôlant de vastes zones du territoire et souvent du pétrole.

En achetant sur ce marché-là, explique le professeur, l'Europe fait prospérer ces milices, parmi lesquelles on trouve également des factions et des miliciens liés au terrorisme. Après le bain de sang qui a inondé l'Europe ces dernières années et les promesses solennelles de poursuivre les organisations responsables des attentats, un tel retournement de l'histoire semble une tragique ironie. Nous allons payer cher, nous allons payer pour tout.

 

samedi, 22 octobre 2022

Les Etats-Unis réinitialisent l'Amérique latine

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Les Etats-Unis réinitialisent l'Amérique latine

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/ssha-perezagruzhayut-latinskuyu-ameriku

Le secrétaire d'État Anthony Blinken a effectué une tournée dans trois pays d'Amérique latine. Sa visite témoigne des tentatives de la Maison Blanche d'établir une influence plus douce mais à plus long terme sur les pays de la région.

Le site Web du département d'État a publié l'annonce suivante concernant ce voyage : "Le secrétaire Blinken rencontrera le président Gustavo Petro, la vice-présidente Francia Marquez et le ministre des affaires étrangères Álvaro Leyva en Colombie les 3 et 4 octobre, lundi et mardi. Le secrétaire d'État se concentrera sur nos trois principales priorités communes : soutenir des institutions démocratiques solides, mettre l'accent sur le respect des droits de l'homme dans toute la région et réaffirmer l'approche régionale et holistique de l'hémisphère pour lutter contre la migration irrégulière. Le secrétaire Blinken discutera également des efforts déployés pour faire face à la crise climatique et au trafic de drogue qui touchent la région... Le secrétaire Blinken rencontrera le président Gabriel Borich et la ministre des Affaires étrangères Antonia Urrejol à Santiago, au Chili, le 5 octobre. Il réitérera le soutien des États-Unis à la gouvernance démocratique, aux opportunités bilatérales de commerce et d'investissement, à nos efforts conjoints pour lutter contre le changement climatique, ainsi qu'à la sécurité régionale et à la gestion des migrations.

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Le secrétaire d'État visitera également le Centre national d'électricité du Chili, où des entreprises américaines contribuent à faire avancer nos objectifs communs d'énergie renouvelable et de zéro émission d'ici 2050. Il rencontrera également des anciens élèves de l'initiative Young Leaders of America, parrainée par les États-Unis, pour discuter de la manière dont leurs innovations contribuent à la croissance économique et à un changement positif dans leurs communautés.

Le 6 octobre, le secrétaire Blinken se rendra à Lima, au Pérou, pour diriger la délégation américaine à l'Assemblée générale de l'Organisation des États américains, où il soulignera l'engagement des États-Unis envers l'OEA et le thème de cette année, Ensemble contre l'inégalité et la discrimination.

Le secrétaire s'engagera également avec les partenaires régionaux sur des questions d'intérêt commun. À l'Assemblée générale, il réaffirmera le rôle important de l'OEA dans la promotion de la démocratie, des droits de l'homme, du développement durable et de la coopération en matière de sécurité dans tout l'hémisphère occidental. Le secrétaire Blinken discutera également des efforts déployés pour mettre en œuvre les engagements pris lors du neuvième Sommet des Amériques.

Il rencontrera le président péruvien Pedro Castillo et le ministre des Affaires étrangères César Landa pour discuter de l'amélioration de la sécurité régionale, du renforcement de la gouvernance démocratique, de la protection de l'environnement et de la promotion d'une croissance économique inclusive.

En marge de l'Assemblée générale de l'OEA, le Secrétaire participera à la réunion ministérielle sur la migration à Lima."

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S'agissant des intérêts généraux des États-Unis dans la région, il est clair que Washington tient à rétablir son influence en Amérique latine. Faire à nouveau de ce pays son "arrière-cour" afin de contrôler les processus politiques, d'engager des votes à l'ONU à ses propres fins, d'avoir accès aux ressources naturelles et humaines, et d'empêcher les pays latino-américains d'accroître leur coopération avec la Russie et la Chine.

Ce dernier point est l'un des impératifs de la politique étrangère américaine. Ils ne peuvent pas l'affirmer directement (ni faire respecter toutes leurs exigences), ils pénètrent donc dans les pays d'Amérique latine sous de larges prétextes et des projets susceptibles d'intéresser les gouvernements nationaux. Par exemple, la récente initiative "Build Back Better" lancée par la Maison Blanche, qui tente de concurrencer la "Belt and Road" de la Chine, où les investissements de Pékin sont clairement plus intéressants que les prêts américains.

La Colombie, le Chili et le Pérou sont indicatifs dans le sens où dans ces trois pays, les partis de gauche ont remporté les dernières élections. Mais il ne s'agit pas d'organisations marxistes ou maoïstes classiques (dont certaines, soit dit en passant, luttent encore dans la clandestinité dans un certain nombre de pays). Il s'agit d'un nouveau type de partis de gauche, qui s'inscrivent parfaitement dans l'agenda mondialiste. Ils ont des idées sur les droits des minorités sexuelles, la légalisation du mariage homosexuel au même titre que les drogues, et parlent du changement climatique, ce qui plaît à la fois aux Verts européens et au Parti démocrate américain.

Et ces trois pays peuvent difficilement être qualifiés de stables. En Colombie, bien que le groupe de gauche ELN et le gouvernement aient convenu d'un cessez-le-feu, il est encore trop tôt pour parler du lancement d'un processus de paix. Au Chili, les tentatives de Boric de réformer la constitution se sont soldées par un échec. Et cela a conduit à de nouvelles protestations. En outre, il existe des tendances séparatistes croissantes au sein de la population amérindienne.

Le président du Pérou, Pedro Castillo, a été accusé de corruption. Au cours de son court règne (depuis juillet 2021), quatre chefs de gouvernement ont déjà été remplacés. Incidemment, son conseiller économique est l'ancien fonctionnaire de la Banque mondiale Pedro Franke. L'empreinte mondialiste est donc là, et très clairement.

Quelle a été la première chose dont la Colombie a discuté ? Ils ont d'abord parlé du partage de renseignements et d'autres mesures mutuelles visant à lutter contre les trafiquants de drogue. Bien qu'aucun nouvel accord n'ait été officiellement signé entre les autorités américaines et colombiennes. L'administration Biden est probablement encore en train de tester la volonté de la nouvelle direction colombienne pour une telle coopération. Étant donné qu'il existe déjà des bases militaires américaines dans le pays et qu'une coopération est en cours pour lutter contre le trafic de drogue, la Maison Blanche aimerait utiliser ce canal pour accroître son influence. Bien que Gustavo Petro lui-même ait qualifié d'échec la guerre contre la drogue, qui a été menée par les États-Unis pendant toutes ces années, il a appelé à une nouvelle approche internationale.

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Mais lorsque le président Petro (photo) lui a demandé pourquoi les États-Unis ne retiraient pas Cuba de la liste des États qui parrainent le terrorisme, le secrétaire d'État américain Anthony Blinken a répondu de manière plutôt vague : "En ce qui concerne Cuba et son inscription sur la liste des États qui parrainent le terrorisme, nous avons des lois claires, des critères clairs, des exigences claires, et nous continuerons à les revoir si nécessaire pour nous assurer que Cuba continue à répondre à cette définition." La question risque de rester uniquement entre les mains de Washington, bien que la Colombie elle-même possède des organisations paramilitaires assez importantes qui utilisent la violence contre les structures de sécurité de l'État. Et le trafic de drogue vers les États-Unis reste assez puissant. Mais la Colombie ne figure pas sur cette liste, car elle continue d'être une marionnette obéissante des États-Unis depuis de nombreuses années. Petro est quelque peu sceptique quant à la poursuite d'une telle "coopération". Au moins avant de gagner les élections, il critiquait ouvertement la politique étrangère américaine. Mais ayant fait partie de l'establishment, il fait maintenant des déclarations plus politiquement correctes.

Petro lui-même a déclaré que ce serait une bonne idée de redéfinir la nature de l'assistance militaire américaine. Et il a donné l'exemple d'une force de police pour éteindre les incendies en Amazonie. Il est douteux que les États-Unis redirigent des ressources vers cette activité. Ils ne font que parler de la protection de l'environnement. En réalité, ils ont besoin d'outils de contrôle efficaces. S'il n'y a pas de militaires fidèles aux États-Unis en Colombie, il sera difficile de faire chanter les chefs de gouvernement pour qu'ils suivent la ligne de conduite de Washington.

Au Chili, Blinken semble avoir atteint ses objectifs : Borich donne jusqu'à présent satisfaction aux États-Unis. Le Pérou aussi. Washington n'a manifestement pas l'intention d'exercer une forte pression sur eux, afin de ne pas provoquer une nouvelle montée de la yankeephobie. Le ministre péruvien des affaires étrangères, Cesar Landa, a déclaré lors d'une conférence de presse conjointe avec le secrétaire d'État américain que leur pays cherche des alternatives aux engrais et aux céréales russes. "Nous avons discuté avec Blinken de la possibilité d'une coopération plus étroite dans la fourniture d'urée, qui est nécessaire en grandes quantités pour les vastes terres agricoles du Pérou, principalement pour les petites exploitations familiales", a déclaré M. Landa.

Il semble peu probable qu'il y ait d'autres options pour fournir ces produits dans un avenir proche.

Mais si on l'examine d'un point de vue stratégique, il révèle les tentatives des États-Unis de sécuriser certains secteurs de l'économie pour que les entreprises américaines puissent y entrer ou faire venir un tiers comme sous-traitant.

Les perturbations actuelles de l'ordre mondial sont étroitement liées à la concurrence technologique. Les États-Unis tentent de forger des alliances, comme celle récemment conclue avec Taïwan et la Corée du Sud dans le domaine de la microélectronique, mais les questions de l'énergie, des engrais et de l'accès aux minéraux (le Chili possède les plus grands gisements de minerai de cuivre et le Pérou a une industrie minière développée) ne peuvent être écartées. Et compte tenu de la relative proximité géographique et des liens historiques, il serait plus facile pour Washington de fermer de tels liens et projets.

Un événement important a été la réunion de l'Organisation des États américains (OEA) à Lima, au Pérou. Les États-Unis ont présenté leur prochaine résolution contre la Russie. Avec 24 voix pour et seulement 9 contre, le document a été formellement adopté - une autre résolution condamnant "l'invasion illégale, injustifiée et non provoquée de l'Ukraine" par la Russie. Mais il est révélateur que les plus grands acteurs de la région s'y soient opposés - l'Argentine, le Brésil et le Mexique, ainsi que les partenaires de la Russie que sont le Nicaragua, le Salvador, la Bolivie et le Honduras. Plus la République Dominicaine, Saint Vincent et les Grenades. Le Venezuela et Cuba n'ont pas voté car leur adhésion à l'OEA est formellement suspendue.

Nous ajoutons deux autres nouvelles qui sont importantes dans ce contexte.

On sait que l'administration Biden pourrait assouplir les sanctions contre Caracas en échange de la reprise par Chevron de ses activités dans les champs pétrolifères vénézuéliens. Les États-Unis veulent reprendre l'accès au pétrole, du moins à court terme. Les États-Unis ont précédemment libéré des neveux condamnés du président Maduro dans le cadre d'un "geste de bonne volonté" et le Venezuela a répondu en libérant sept citoyens américains de prison. "Le Wall Street Journal rapporte que le gouvernement de Maduro a accepté de reprendre les pourparlers avec l'opposition sur les conditions d'élections "libres et équitables" en 2024. Un accord supplémentaire visant à débloquer des centaines de millions de dollars sur des comptes vénézuéliens gelés aux États-Unis est également en cours de discussion.

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Et, bien sûr, les dernières élections au Brésil. En tant que première économie d'Amérique latine, ce pays ne peut que présenter un intérêt pour les États-Unis. Jusqu'à présent, tous les sondages et les données officielles de la campagne montrent que Lula da Silva a de réelles chances de remporter le second tour des élections présidentielles. Lula est ouvertement soutenu à la fois par le parti démocrate américain et par George Soros. Et son adversaire Bolsonaro est soutenu par Donald Trump. Bolsonaro n'a d'ailleurs pas hésité à rendre visite à la Russie et, lors d'un récent vote au Conseil de sécurité de l'ONU, le Brésil n'a pas soutenu une résolution américaine sur les référendums dans quatre régions ukrainiennes déjà anciennes. Alors que Lula a condamné l'opération spéciale de la Russie.

Bien que nous ayons une relation pragmatique, il y a toujours le risque que les États-Unis fassent plus activement pression pour des actions anti-russes au Brésil à l'avenir, ainsi que dans la région d'Amérique latine dans son ensemble. Et ils le feront. Un contrepoids à ces tentatives est absolument nécessaire. C'est-à-dire l'expansion de tous les canaux possibles d'interaction avec les pays d'Amérique latine. Proposer des offres lucratives, des investissements mutuels et des échanges de marchandises.

Notes:

I https://www.state.gov/briefing-on-secretary-blinkens-upcoming-travel-to-colombia-chile-and-peru/

II https://www.reuters.com/world/americas/colombia-us-discuss-more-drug-interdiction-sea-enhanced-intel-sharing-blinken-2022-10-03/ I

III https://ria.ru/20221007/oag-1822118892.html

IV https://www.wsj.com/articles/u-s-plans-to-ease-venezuela-...

jeudi, 20 octobre 2022

La Chine et la fin de l'Occident

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La Chine et la fin de l'Occident

Karl Richter

Le monde est en train de vivre un changement de pôle dans la répartition du pouvoir mondial : l'Occident s'en va, quelque chose d'autre arrive. En l'état actuel des choses, des puissances comme la Russie, la Chine et l'Inde jouent un rôle déterminant dans ce processus, tandis que l'Oncle Sam ne jouera plus les premiers violons à l'avenir. C'est une évolution qu'il faut soutenir à tous égards.

Lorsque quelqu'un comme le chef du PC chinois Xi Jinping, qui est en fait le chef d'État de son pays, s'exprime clairement, il faut l'écouter aussi attentivement que Poutine. Les deux ne sont pas des faiseurs de phrases et se distinguent ainsi des pompes à air de Bruxelles, Berlin et Washington. La situation pourrait maintenant devenir passionnante. La réunification de Taiwan avec la Chine ne concerne que les Chinois, a déclaré Xi lors du congrès du PCC dimanche. Dans ce contexte, Pékin a récemment exhorté tous les Chinois vivant en Ukraine à quitter le pays. Le fait que les médias de propagande occidentaux, comme le journal allemand Bild, se soient récemment déchaînés contre Xi de la même manière que contre Poutine, s'inscrit également dans cette logique. Cela signifie que l'homme fait quelque chose de bien.

Les événements se déroulent à plusieurs niveaux. Le niveau politico-militaire n'en est qu'un, le niveau économique en est un autre. Entre-temps - mais en fait depuis un certain temps déjà - on ne peut plus ignorer qu'avec le groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se forme un nouveau grand bloc économique qui se considère comme un "contre-G7". Les principaux participants, en particulier la Russie et la Chine, ont profité de cette période pour faire progresser l'intégration des pays participants et d'autres partenaires, y compris sur le plan technique ; en effet, l'alternative russe au système de règlement américain SWIFT, le système de paiement MIR, est désormais en place et utilisé par un nombre croissant de pays. Parallèlement, de plus en plus de partenaires abandonnent le dollar pour leurs transactions énergétiques (pétrole, gaz), ce qui le rend superflu pour une partie croissante du monde. Si l'on ajoute à cela les chocs croissants auxquels les économies occidentales sont confrontées - par leur propre faute ! - (inflation, pénurie d'énergie, etc.), tout cela tombe très mal pour l'économie mondiale en dollars de l'Occident. On peut à juste titre se demander si l'escalade flagrante à laquelle se livre l'Occident en Ukraine n'est pas une conséquence directe de l'économie financière occidentale menacée d'effondrement.

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Quoi qu'il en soit, la formation du bloc BRICS prendra du temps ; il s'agit plus d'une affaire de décennies que d'années. Néanmoins, les BRICS ont le vent en poupe et sont déjà perçus comme des concurrents. La guerre en Ukraine accélère le mouvement. Pour l'Occident, le train a tendance à s'arrêter.

Taïwan : la Chine est généralement un acteur discret, qui agit avec une prudence extraordinaire. Je ne mettrais pas ma main au feu que Pékin aborde la question de Taïwan dans un avenir proche - mais je peux me tromper (et je ne m'attendais pas non plus à l'attaque russe en février). En fait, les préparatifs chinois ne sont pas encore terminés. Pour l'instant, la marine populaire chinoise manque encore d'un grand nombre de navires de débarquement et de transports de troupes nécessaires, qui ne devraient pas être disponibles avant 2027. Pour le reste, l'armement chinois, malgré des progrès considérables, est encore loin d'être prêt pour que Pékin cherche de son propre chef la confrontation avec les Etats-Unis.

Mais il est possible que Pékin analyse l'impact de la guerre en Ukraine sur les forces armées occidentales. Les armées de l'UE ne sont pas les seules à se "cannibaliser" dangereusement en raison des livraisons excessives d'armes à l'Ukraine. Il y a des mois, l'ex-inspecteur général de l'armée allemande, Kujat, avait déjà mis en garde contre le fait que les livraisons menaçaient massivement sa propre capacité de défense. Indépendamment de cela, le ministère allemand de la Défense a fait savoir ces derniers jours que l'armée allemande ne disposerait de munitions que pour deux jours (!!) en cas d'urgence. Mais même aux États-Unis, les avertissements concernant les stocks de munitions vides et la réduction drastique des stocks d'armes antiaériennes et antichars (Stinger, Javelin) se font de plus en plus entendre. On sait que près de 900.000 munitions pour l'obusier M777 de 155 mm ont été livrées - le Pentagone doit maintenant supplier la Corée du Sud et le Canada de reconstituer les stocks.

En d'autres termes, l'occasion est belle. L'Occident, y compris les États-Unis, est pleinement impliqué en Ukraine et atteint déjà partiellement ses limites. Dans ces conditions, faut-il attendre que la guerre en Ukraine se termine d'une manière ou d'une autre et que l'OTAN puisse souffler un peu ? D'autant plus que l'administration Biden a fait savoir ces jours-ci qu'elle avait l'intention d'équiper Taïwan à l'aide de milliards de dollars et d'en faire un immense arsenal à l'image de l'Ukraine. La guerre en Ukraine montre clairement où cela mène si l'on en arrive là, et Pékin en tirera les leçons.

A cela s'ajoute l'atout que constitue le fait que la Chine (et la Russie à partir de novembre) possède déjà dans son arsenal des missiles hypersoniques à longue portée - qui peuvent être équipés d'armes nucléaires - alors que les Etats-Unis n'en disposent pas encore. Dans ces conditions, on peut se demander si Washington sortirait la carte nucléaire en cas de conflit. Le prix conventionnel d'un engagement militaire serait déjà élevé - avec ses missiles DF-21 et DF-26, considérés comme des "tueurs de porte-avions", ainsi que le glacis avancé construit ces dernières années en mer de Chine méridionale, la Chine dispose désormais de bons moyens pour tenir à distance les unités de porte-avions américaines. On peut raisonnablement se demander si Washington est prêt à prendre le risque d'une confrontation nucléaire à cause de Taïwan.

Nous entrons dans une phase intéressante de changement de pôle politique mondial. Les choses s'accélèrent maintenant. Tout porte à croire que le départ de l'Occident - y compris des régimes satrapes européens - se fera plus rapidement que beaucoup ne l'imaginent. Le plus tôt sera le mieux.

 

mardi, 11 octobre 2022

L'objectif de Biden : l'Ukraine comme tombeau de l'axe franco-allemand

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L'objectif de Biden : l'Ukraine comme tombeau de l'axe franco-allemand

Andrea Muratore & Emanuel Pietrobon

(23 avril 2022)

Les sages disent que le plus grand canular que le Diable ait jamais réalisé a été de convaincre le monde qu'il n'existe pas. C'est ainsi que le Malin peut faire porter aux autres la responsabilité de tous ses méfaits. C'est ainsi qu'il peut agir sans être dérangé, entraîner le mortel de service dans la tentation, et disparaître soudainement comme la brume lorsque le péché a été commis.

Un bon stratège, semblable au rusé Satan dépeint par John Milton dans le poème épique Paradise Lost, est appelé à faire de la nécessité une vertu, à saisir l'opportunité lorsqu'elle se présente et même à la créer à partir de rien lorsqu'on lui en donne l'occasion. Un bon stratège, semblable au vieux démon dépeint par C. S. Lewis dans son oeuvre satirique The Screwtape Letters, sait comment exploiter les faiblesses des autres et sur quelles tromperies antédiluviennes s'appuyer pour condamner l'adversaire au cinquième cercle de l'enfer.

Gagner sans se battre. Observer deux ou plusieurs querelles avec la complaisance de ceux qui n'entreront à la fin du spectacle que pour récolter les fruits semés par d'autres. Se dire connaisseur de l'art de la guerre, en effet, ne revient qu'à une seule chose : posséder les connaissances nécessaires pour obtenir un résultat maximal avec un effort minimal. Une connaissance que le duo Biden-Blinken a (dé)montré avoir quand, en faisant capoter les négociations sur les soi-disant garanties de sécurité, il a convaincu un Vladimir Poutine exaspéré par l'échec de la diplomatie de la canonnière de concrétiser l'impensable : l'invasion de l'Ukraine.

En piégeant la Russie dans les sables mouvants ukrainiens, réinterprétation contemporaine du bourbier afghan, la présidence Biden a atteint certains objectifs dans l'immédiat et nourrit l'espoir d'en atteindre d'autres à moyen et long terme, de la fracture du cercle autour de Poutine à la déstabilisation de l'espace post-soviétique, en passant par la consolidation de l'encerclement atlantique de Moscou et, surtout, l'objectif le moins visibilisé à ce jour : l'effritement de l'Entente franco-allemande. Une garantie pour le maintien de l'Europe comme province géostratégique de l'empire américain.

Poutine, le meilleur ennemi de Biden

Si Poutine n'existait pas, Biden aurait dû l'inventer. Approché pour gagner, impulsif quand il est acculé et paranoïaque - toujours. Ne pas vouloir accepter le rejet comme une réponse. Et prévisible, donc, dans ses réactions. Le meilleur ennemi que les États-Unis auraient pu souhaiter à ce moment précis de l'histoire - une période de transition délicate vers un nouvel ordre mondial.

La loi non écrite de tout stratège est de "créer quand c'est nécessaire, d'exploiter quand c'est possible" et le duo Biden-Blinken, en retournant magistralement contre le leader du Kremlin cette diplomatie de la canonnière qu'ils ont utilisée pour appeler à la renégociation de l'architecture de sécurité euro-atlantique et au retour à l'ère des sphères d'influence, a montré qu'il savait l'appliquer. William Burns, ambassadeur du dialogue, bâtisseur de ponts entre Washington et la Russie et gardien de l'appareil du directeur de la CIA, a tenté de prendre la mesure de Moscou en institutionnalisant cette prévisibilité dans un dialogue franc et étroit. Une offre non retenue par Moscou, qui a choisi de se raidir, ouvrant la voie à la contre-attaque américaine.

Faire de la menace une opportunité. L'occasion, dans ce cas, de faire d'une pierre deux coups : affaiblir et la Russie et l'Union européenne. Car cette dernière, en effet, dans la vision américaine n'a de sens que si elle existe dans une position de subalternité au sein du pôle de puissance occidental, en tant que province périphérique de l'Empire ni plus ni moins inhibée dans ses mouvements que l'Amérique latine.

La soi-disant "rupture atlantique" n'allait pas être réparée par la présidence Biden. Elle avait et a des causes (beaucoup) plus profondes. Nous l'avions expliqué dans nos colonnes le 7 janvier 2021, au terme de la courte mais intense ère Trump, que le président du Parti démocrate poursuivrait la politique d'usure de l'ordre hégémonique franco-allemand de ses prédécesseurs. Tout au plus, en raison de la différence de fond idéologique, changerait-il la forme de l'attrition tout en laissant le fond intact.

Biden, nous l'avions prévenu avant qu'il ne prenne ses fonctions à la Maison Blanche, dissimulerait derrière des appels à l'unité apparemment innocents une "cohésion coercitive". L'objectif était évident : "empêcher, ralentir et retarder la réalisation de la soi-disant autonomie stratégique prônée par Macron". Et dans les mois qui suivent, comme prévu, le déclenchement de la bataille des espions, de nouvelles escarmouches diplomatiques et l'adoption de nouvelles sanctions (clairement) coordonnées.

La guerre de Poutine qui ne dérange pas Biden

Le sabotage de l'autonomie stratégique européenne, c'est-à-dire le processus d'émancipation géopolitique de l'UE vis-à-vis des États-Unis, passe inévitablement par trois directions : la Russie, le Royaume-Uni et l'axe Paris-Berlin.

La Russie comme un épouvantail à agiter, et à inciter à la violence si et quand cela est nécessaire - comme en Ukraine -, pour éviter la matérialisation du cauchemar mackinderien d'un axe eurasien avec Berlin comme capitale. Un épouvantail à repousser et avec lequel il faut cesser toute forme de couplage, comme, par exemple sur le plan de l'énergie.

Le Royaume-Uni comme bélier pour exercer une pression tactique sur le ventre mou de l'Empire franco-allemand, en particulier l'espace polono-balte. Le Royaume-Uni, qui, sans surprise, a d'abord participé au boycott des négociations sur les garanties de sécurité, puis a poussé à l'entrée de l'OTAN dans la guerre d'Ukraine et à l'introduction de sanctions sans précédent contre la Russie, de l'exclusion de SWIFT à l'embargo énergétique, en connaissance de l'asymétrie de leurs dégâts. Coup de grâce au parti de la détente dirigé par Emmanuel Macron et soutenu par (quelques) autres.

L'axe Paris-Berlin perpétuellement privée de débouché grâce aux nids de poule et aux impasses, comme le veto américain à la construction d'une armée européenne commune et comme la stratégie, toujours américaine, basée sur le butinage des partis politiques et des forces sociales prônant un atlantisme radical et porteurs d'instances contraires à l'intérêt européen, notamment sur le plan énergétique - de l'importation accrue de GNL nord-américain à une transition verte soudaine et traumatisante. Emblématiques, à ce dernier égard, sont les Verts allemands : nœud coulant autour du cou d'Olaf Scholz, partisans d'une rupture totale avec la Russie et la République populaire de Chine, détracteurs du gazoduc Nord Stream 2 depuis le premier jour et possibles exhumateurs du défunt TTIP et autres propositions pour une plus grande intégration euro-atlantique.

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Que la perspective d'une Ukraine envahie par la Russie ne dérange pas Biden, car elle est utile dans le contexte du boycott de l'autonomie stratégique de l'Europe et de l'usure concomitante de l'Entente franco-allemande, Macron l'avait pressenti dès le départ. C'est la raison de son dynamisme diplomatique en décembre, janvier et février. Et c'est pourquoi, malgré la guerre, il a maintenu actif le canal du dialogue avec Poutine et a continué à fournir une respiration artificielle au parti de la détente européen qui était en état comateux.

L'histoire donnera tort ou raison aux efforts de Macron, mais cette première moitié, quelle que soit la façon dont la guerre en Ukraine se termine, Biden l'a incontestablement gagnée. Il l'a gagnée lorsque Poutine a choisi la voie des armes, forçant l'UE à se plier à la ligne dictée par les États-Unis et assassinant le parti européen de la détente et de l'autonomie stratégique. Et il l'a gagné, non moins important, en plantant les graines de la discorde dans les champs fertiles qui nourrissent l'hégémonie franco-allemande, aujourd'hui affaiblie par des divergences sur les sanctions à appliquer à la Russie et la forme de la sécurité européenne d'après-guerre - davantage d'OTAN ou une armée commune ? - et demain contraint d'affronter l'épreuve du feu : le puissant réarmement de l'Allemagne.

L'Europe franco-allemande meurt-elle à Kiev ?

Vladimir Poutine a sans doute choisi de mettre fin à l'ère de la GeRussie d'Angela Merkel en ouvrant le jeu ukrainien. Mais d'une certaine manière, il a doublement joué le jeu de Washington en accaparant également les perspectives de l'axe franco-allemand. Pas tant par des ruptures entre Paris et Berlin, mais plutôt par la déstabilisation de toute perspective d'une Europe ayant la capacité d'agir autour du leadership de la France et de l'Allemagne. Berlin a choisi la voie atlantique sur le front de la défense, dans le gouvernement d'Olaf Scholz les Verts l'ont emporté, ennemis du gazoduc Nord Stream 2, du dégel avec la Russie, de la diplomatie des ponts, jusqu'à ce que ce soit l'industrie qui rappelle à l'ordre les risques d'un embargo énergétique total. Emmanuel Macron a dû rebondir après ses premières manœuvres de détente, qui ont vu le rival stratégique britannique dans l'arène de l'OTAN et l'adversaire politique polonais dans l'arène européenne l'emporter dans la bienvaillance américaine. Londres et Varsovie sont les capitales de l'Europe atlantique, autour desquelles l'Italie, la Roumanie, la République tchèque, le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande et les républiques baltes se dressent désormais comme porte-drapeau du contraste total avec Moscou.

Paris et Berlin sont métaphoriquement en état de siège. Et Macron l'est aussi sur le front politique : ne nions pas que le rêve inavouable de Washington est une victoire présidentielle de Marine Le Pen qui, aussi lointaine soit-elle, serait pour les Etats-Unis une garantie de la fin définitive, également sur le front politique, de l'axe franco-allemand. Les "mains baladeuses" du scandale du tic-tac de McKinsey et les attaques du gouvernement atlantique contre les initiatives de paix de Macron semblent au moins suspectes dans la campagne électorale. Parce que l'avenir de l'axe franco-allemand, et donc de l'autonomie stratégique européenne, dépend de la réélection de Macron à l'Élysée.

Plus la guerre durera et plus le feu brûlera aux frontières de l'Europe, plus la perspective d'un axe franco-allemand moteur de l'autonomie stratégique européenne s'éloignera. Plus l'Europe sera perçue comme une périphérie de l'Occident sous la bannière étoilée, plus il sera difficile pour une capacité opérationnelle de présenter une sortie de crise menée par la France et l'Allemagne. Plus les États-Unis dictent la ligne de l'OTAN en empêchant l'Europe de choisir la paix ou la guerre, mais en la convainquant de danser à son propre rythme, moins la France et l'Allemagne seront en mesure de jouer un rôle décisif à l'avenir. La fin de l'axe franco-allemand comme moteur de l'Europe est un objectif clair de l'ère Biden, fondé sur la nécessité de reconstruire l'unité du camp occidental sans perspective de déviation de l'orthodoxie de Washington pour les alliés européens. Inexorablement appelé hors de l'histoire. Transformé en périphérie dans l'archipel de la mondialisation dans lequel se prépare la guerre froide 2.0. Dans le camp duquel Washington ne veut pas s'écarter. Et le contrôle de son territoire, grâce à Vladimir Poutine, est plus étroit. Voilà pour les perspectives d'autonomie stratégique européenne.

lundi, 10 octobre 2022

La crise ukrainienne ne concerne pas l'Ukraine mais l'Allemagne

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La crise ukrainienne ne concerne pas l'Ukraine mais l'Allemagne

par Michael Whitney

Source: http://www.cese-m.eu/cesem/2022/09/la-crisi-ucraina-non-riguarda-lucraina-ma-la-germania/?fbclid=IwAR2o2pWcMrLESb5XOqV795oxH7T6JsQE_51pig15Cy6FOYLiDstPOQdXErw

En ce qui concerne le sabotage du gazoduc Nordstream, nous vous proposons cet article prémonitoire qui date de février 2022. 

"La raison primordiale qui a conduit les États-Unis à mener des guerres pendant plus d'un siècle - la Première et la Seconde guerres mondiales et la Guerre froide - a été la relation qui existait entre l'Allemagne et la Russie, car unies, elles sont la seule force qui pourrait nous menacer . Npus avons agi pour faire en sorte que cela ne se produise pas". 
George Friedman, PDG de STRATFOR au Conseil des affaires étrangères de Chicago.

La crise ukrainienne n'a rien à voir avec l'Ukraine. Il s'agit plutôt de l'Allemagne et, en particulier, d'un gazoduc qui relie l'Allemagne à la Russie, appelé Nord Stream 2. 

Washington considère le gazoduc comme une menace pour sa primauté en Europe et a tenté de saboter le projet à chaque étape de sa mise en oeuvre.

Néanmoins, Nord Stream est allé de l'avant et est maintenant entièrement opérationnel et prêt à être utilisé. Une fois que les autorités régulatrices allemandes auront fourni la certification finale, les livraisons de gaz commenceront. Les foyers et les entreprises allemands disposeront d'une source fiable d'énergie propre et bon marché, tandis que la Russie verra ses revenus gaziers augmenter considérablement.

C'est une situation gagnant-gagnant pour les deux parties. L'establishment de la politique étrangère américaine n'est toutefois pas satisfait de ces développements. Ils ne veulent pas que l'Allemagne devienne de plus en plus dépendante du gaz russe, car le commerce crée la confiance et la confiance conduit à l'expansion du commerce. 

À mesure que les relations s'intensifient, davantage de barrières commerciales sont supprimées, les réglementations sont assouplies, les voyages et le tourisme augmentent et une nouvelle architecture de sécurité se met en place.

Dans un monde où l'Allemagne et la Russie sont amies et partenaires commerciaux, il n'y aurait pas besoin de bases militaires américaines, pas besoin d'armes et de systèmes de missiles coûteux de fabrication américaine, et pas besoin de l'OTAN.

En outre, il ne serait pas nécessaire de négocier des accords énergétiques en dollars américains ou de stocker des obligations du Trésor américain pour équilibrer les comptes.

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Les transactions entre partenaires commerciaux pourraient être effectuées dans leurs monnaies nationales, ce qui ne manquera pas de précipiter une forte baisse de la valeur du dollar et un déplacement spectaculaire du pouvoir économique.

C'est pourquoi l'administration Biden s'oppose à Nord Stream. Ce n'est pas seulement un pipeline, c'est une fenêtre sur l'avenir ; un avenir dans lequel l'Europe et l'Asie se rapprocheront dans une zone de libre-échange de grandes dimensions qui augmentera la puissance et la prospérité mutuelles, laissant les États-Unis à l'extérieur de cette dynamique.

Le rapprochement entre l'Allemagne et la Russie marque donc la fin de l'ordre mondial "unipolaire" que les États-Unis ont supervisé au cours des 75 dernières années.

Une alliance germano-russe constitue donc une menace qui accélérera le déclin de la superpuissance, laquelle s'approchera alors de l'abîme.

C'est pourquoi Washington est si déterminé à faire tout son possible pour saboter Nord Stream et maintenir l'Allemagne dans son orbite. 
C'est, pour les Etats-Unis, une question de survie.

C'est là que l'Ukraine intervient. L'Ukraine est "l'arme de choix" de Washington pour torpiller Nord Stream et creuser un fossé entre l'Allemagne et la Russie. La stratégie est tirée de la première page du manuel de politique étrangère des États-Unis, sous le titre : Diviser pour régner.

Washington doit créer la perception que la Russie représente une menace pour la sécurité de l'Europe.

Tel est l'objectif.

Ils doivent montrer que Poutine est un agresseur sanguinaire dont le tempérament n'est pas digne de confiance. À cette fin, les médias ont été chargés de répéter sans cesse : "La Russie prévoit d'envahir l'Ukraine". Ce qui n'a pas été mentionné, c'est que la Russie n'a envahi aucun pays depuis la dissolution de l'Union soviétique, et que les États-Unis ont envahi ou renversé des régimes dans plus de 50 pays au cours de la même période, et que les États-Unis maintiennent plus de 800 bases militaires dans des pays du monde entier.

Rien de tout cela n'est rapporté dans les médias, l'accent étant mis sur le "méchant Poutine" qui a massé quelque 100.000 soldats le long de la frontière ukrainienne, menaçant de plonger toute l'Europe dans une nouvelle guerre sanglante.

Les sanctions économiques rebutent les Allemands qui y voient un signe d'ingérence étrangère. "Pourquoi les États-Unis s'immiscent-ils dans nos décisions en matière d'énergie ?", demande l'Allemand moyen. "Washington devrait s'occuper de ses propres affaires et rester en dehors des nôtres". 
C'est exactement la réponse que l'on attend de toute personne raisonnable.

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Ensuite, il y a celle-ci, publiée par Al Jazeera :

"Les Allemands en majorité soutiennent le projet, seules certaines parties de l'élite et des médias sont contre le gazoduc....".

Plus les États-Unis parlent de sanctionner ou de critiquer le projet, plus il devient populaire dans la société allemande, a déclaré Stefan Meister, expert de la Russie et de l'Europe de l'Est au Conseil allemand des relations étrangères." ("Nord Stream 2 : Pourquoi le gazoduc russe vers l'Europe divise l'Occident", AlJazeera)

Ainsi, l'opinion publique est résolument du côté de Nord Stream, ce qui contribue à expliquer pourquoi Washington a décidé d'adopter une nouvelle approche.

Les sanctions ne fonctionnant pas, l'Oncle Sam est passé au plan B : créer une menace extérieure suffisamment importante pour que l'Allemagne soit obligée de bloquer l'ouverture du pipeline. Franchement, cette stratégie sent le désespoir, mais on ne peut s'empêcher d'être impressionné par la persévérance de Washington. Ils sont peut-être menés de cinq points dans le bas de la neuvième manche, mais ils n'ont pas encore jeté l'éponge. Ils lui donneront une dernière chance et verront s'ils peuvent faire des progrès.
La chancelière allemande a été stupéfaite par les commentaires de Biden qui ne faisaient manifestement pas partie du script original. Néanmoins, Scholz n'a jamais accepté d'annuler Nord Stream et a même refusé de mentionner le gazoduc par son nom. Si Biden pensait pouvoir se débarrasser du leader de la troisième plus grande économie du monde en le coinçant dans un forum public, il s'est trompé.

L'Allemagne reste déterminée à lancer Nord Stream, sans tenir compte des répercussions potentielles dans la lointaine Ukraine. Mais cela pourrait changer à tout moment.

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Après tout, qui sait quels incitants Washington pourrait prévoir dans un avenir proche ? Qui sait combien de vies ils sont prêts à sacrifier pour creuser un fossé entre l'Allemagne et la Russie ? Qui sait quels risques Biden est prêt à prendre pour ralentir le déclin de l'Amérique et empêcher l'émergence d'un nouvel ordre mondial "polycentrique" ? Tout peut arriver dans les semaines à venir. Tout ce que vous pouvez imaginer.

C'est à Scholz de décider comment résoudre cette question. Mettra-t-il en œuvre la politique qui sert le mieux les intérêts du peuple allemand ou succombera-t-il aux pressions incessantes de Biden ?

Tracera-t-il une nouvelle voie qui renforce les nouvelles alliances dans le trépidant corridor eurasien ou apportera-t-il son soutien aux folles ambitions géopolitiques de Washington ?

Acceptera-t-il le rôle fondamental que pourra jouer l'Allemagne dans un nouvel ordre mondial - dans lequel de nombreux centres de pouvoir émergents partageront équitablement la gouvernance mondiale et dans lequel les dirigeants resteront fermement attachés au multilatéralisme, au développement pacifique et à la sécurité pour tous - ou cherchera-t-il à soutenir le système d'après-guerre en lambeaux qui a clairement dépassé sa durée de vie ?

Une chose est sûre, ce que l'Allemagne décidera nous affectera tous.

Cet article a été initialement publié dans The Unz Review .

Michael Whitney est un célèbre analyste géopolitique et social basé dans l'État de Washington. Il a commencé sa carrière de journaliste indépendant en 2002 avec un engagement pour un journalisme honnête, pour la justice sociale et la paix mondiale. Il est associé-chercheur au Center for Research on Globalization (CRG).

samedi, 08 octobre 2022

SCO : un cadre de travail pour la mise en œuvre des politiques de bon voisinage

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SCO : un cadre de travail pour la mise en œuvre des politiques de bon voisinage

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/shos-rabochaya-struktura-dlya-provedeniya-v-zhizn-politiki-dobrososedstva

Le sommet de l'OCS qui s'est déroulé à Samarkand à la mi-septembre 2022 a démontré que le processus en cours de renforcement du monde multipolaire avançait bon train et que l'intérêt croissant d'autres pays pour l'organisation se manifestait nettement. Les dernières étapes avec l'admission de la République islamique d'Iran dans l'organisation élargissent considérablement la portée géographique et démontrent la nature inclusive de l'organisation. Et les candidatures de pays comme l'Argentine démontrent le potentiel d'un engagement mondial au-delà de l'Eurasie.

Il est important de noter qu'il existe un certain nombre d'autres structures similaires, comme l'OTSC, dont les objectifs stratégiques coïncident avec ceux de l'OCS et dont les activités se chevauchent grâce à l'adhésion des États de la zone de responsabilité géopolitique.

Les observateurs étrangers se sont rapidement concentrés sur le sommet, mais peu d'entre eux ont pris la mesure de l'événement, ainsi que de la transformation de l'organisation elle-même. L'Institut allemand pour les affaires internationales et pour la sécurité, qui élabore la stratégie de la politique étrangère de l'Allemagne, a noté que "la fonction la plus importante de l'OCS a toujours été d'assurer un équilibre des intérêts entre ses principaux membres. Ceci est plus pertinent que jamais dans le contexte des confrontations géopolitiques en cours" (i).

En effet, la Russie et la Chine avaient des points de vue quelque peu différents sur les fonctions et l'importance de l'OCS. Pour la Chine, l'intention initiale était d'établir la paix et l'harmonie autour de ses frontières, de résoudre tous les différends avec ses voisins et de gagner un soutien sur les questions de sécurité intérieure. Aujourd'hui, Pékin se positionne comme un acteur important en Eurasie et, dans le cadre de l'initiative "One Belt, One Road", veut étendre son influence en Asie centrale et dans d'autres régions. L'Asie centrale est cependant la sphère d'influence traditionnelle de la Russie. L'OCS, en fait, est une structure stabilisatrice pour les intérêts des deux puissances et des États d'Asie centrale eux-mêmes, qui sont satisfaits de ce format.

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A l'Ouest, la réunion de Samarcande a été perçue comme un fait de plus confirmant le non isolement de la Russie. Toutefois, il convient de souligner que bon nombre des chefs d'État qui ont participé au sommet entretiennent des relations tendues avec l'Occident, de sorte que la réunion s'est déroulée dans une atmosphère favorisant la critique des politiques occidentales en général et insistant sur l'importance de l'OCS en tant que modèle alternatif de gouvernance dans les relations internationales.

Certains représentants de l'OTAN craignent que l'OCS ne se transforme en une alliance anti-occidentale qui deviendrait une sorte d'antithèse de l'hégémonie occidentale, y compris dans les démonstrations de hard power. Toutefois, la valeur de l'OCS est inhérente à son statut de non-alignement, ce qu'a souligné le président de l'Ouzbékistan à l'approche du sommet. C'est pourquoi l'élargissement de l'OCS à des pays comme l'Iran et potentiellement la Turquie, et certains États arabes, est une option extrêmement attrayante pour les pays d'Asie centrale. Ils y voient une occasion d'établir des liens multilatéraux tout en restant dans le cadre géopolitique de l'organisation. Chaque participant conserve à la fois sa souveraineté et gagne un élément supplémentaire, celui de la diversité. Ceci, d'une part, limite les ambitions des membres individuels, mais, d'autre part, montre la différence avec les modèles occidentaux typiques, qui sont construits sur une gestion rigide et la suppression de la volonté des membres subordonnés par le chef-patron.

Examinons les erreurs typiques commises par les experts occidentaux à l'égard de l'OCS. L'Institute for Foreign Policy Studies, basé aux États-Unis, a précédemment souligné qu'il était peu probable que l'OCS s'engage activement en Afghanistan (ii). Il a noté que l'OCS ne pouvait pas combler le vide laissé par le retrait américain car les interventions militaires ne font pas partie du mandat de l'organisation. Il a également été souligné que l'OCS n'a jusqu'à présent pas reconnu officiellement le régime des Talibans et ne les a pas invités au sommet de Douchanbé à la mi-septembre 2021. Les talibans n'étaient pas non plus présents au dernier sommet, bien que la sécurité en Afghanistan ait été l'un des principaux sujets à l'ordre du jour (iii). D'autre part, plusieurs États de l'OCS ont des contacts directs avec les talibans. La Russie est activement engagée dans des pourparlers sur un certain nombre de fronts. Le Pakistan dispose également de mécanismes et de canaux de communication fiables avec les talibans. Il est clair que l'OCS a décidé de ne pas exercer de pression comme le fait l'Occident, mais de trouver des moyens plus délicats de travailler avec l'Afghanistan. Cela montre également la différence d'approche entre les types de projection politique orientaux et occidentaux.

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Il est intéressant de noter que Walter Russell Mead, expert ès-relations internationales et politique publique américaine, a au contraire noté qu'au milieu d'autres événements, tels que la visite de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi en Arménie et la déclaration du président Biden selon laquelle les États-Unis défendraient Taïwan avec des troupes américaines si Pékin lançait une invasion, "la nouvelle la plus importante de la semaine n'est pas venue de Washington". Elle est venue de Samarkand, en Ouzbékistan, la légendaire ville de la route de la soie où les huit pays qui composent l'Organisation de coopération de Shanghai ont tenu leur sommet annuel" (iv).

Bien que son style de déclaration soit assez émotif et plein de récits agressifs.

Selon Asia Times, le message principal de Mead semble être double: premièrement, "l'équilibre des forces en Eurasie est en train de changer", affirme-t-il, c'est-à-dire que le soutien de la Chine à son amie et collègue membre de l'OCS, la Russie, s'amenuise. Pour illustrer cela, il établit une comparaison frappante entre les présidents Xi et Poutine d'une part, et Hitler et Mussolini d'autre part. Deuxièmement, il condamne l'OCS en faisant des éloges, notant qu'avec l'inclusion de l'Inde et du Pakistan "l'organisation est devenue plus importante" ; mais il explique ensuite pourquoi le contraire est vrai : "La Russie, la Chine et l'Iran cherchent un nouveau système mondial, mais ne proposent pas d'agenda positif" (v).

Cette contradiction s'explique par le fait qu'un "agenda positif" peut être compris de différentes manières. L'Occident et l'Orient ont des valeurs différentes, ainsi que des positions différentes sur l'ordre mondial actuel. Alors que les États-Unis tentent par tous les moyens de maintenir une hégémonie unipolaire, les pays de l'OCS considèrent le statu quo comme une continuation du néocolonialisme et de l'oppression avec diverses formes de discrimination (exclusivité raciale, asservissement économique, menaces de force, etc.)

Alors pourquoi des politologues de si haut niveau commettent-ils de telles erreurs et formulations incorrectes ? Mahammadbagher Forugh souligne à juste titre que tous les grands médias et groupes de réflexion occidentaux présentent l'organisation sous un faux jour. Ils ont tendance à utiliser des termes tels que "anti-occidental", "anti-américain", "anti-OTAN", "bloc autoritaire", etc. pour décrire l'OCS. Et cela conduit à une compréhension déformée et aux conclusions correspondantes qui influencent les décisions politiques.

Selon lui, "le problème découle des différentes conceptualisations de la "sécurité". Les références occidentales à l'OCS réduisent la sécurité à la notion conventionnelle de géopolitique en tant que puissance "dure" ou militaire (d'où les comparaisons avec l'OTAN). Mais le concept de sécurité qui sous-tend la mission de l'OCS est beaucoup plus large. Stimulé par le discours de sécurité à multiples facettes de la Chine, ce concept englobe non seulement la sécurité géopolitique dure mais aussi le développement géoéconomique. Cette dernière représente une stratégie à long terme que l'on pourrait appeler 'la sécurité par le développement', qui touche aux stratégies mondiales et régionales de tous les États membres de l'OCS" (vi).

Et c'est là un point très pertinent. Comme on l'a déjà noté à propos de l'OTSC et du Projet Belt & Road de la Chine, il existe une grande variété d'initiatives dans la région qui, d'une manière ou d'une autre, se rapportent ou se chevauchent avec l'OCS. Il y a le "Corridor de transport international Nord-Sud", qui est progressivement développé par l'Iran, la Russie, l'Inde et l'Azerbaïdjan.

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Il y a l'Union économique eurasienne, qui est dirigée de facto par Moscou, bien que toutes les décisions des organes directeurs de l'UEEA soient basées sur le consensus. Il existe des corridors de transport régionaux reliant le Pakistan et les États d'Asie centrale, ainsi que la Turquie. Il existe également des associations professionnelles locales. Et l'OCS devient de plus en plus une plate-forme pour promouvoir ces initiatives et d'autres similaires.

Incidemment, le club international des BRICS comprend trois membres de l'OCS, ce qui doit également être gardé à l'esprit dans le contexte du mouvement du monde vers la multipolarité.

M. Forugh a également souligné avec perspicacité l'existence de deux types de processus qui rapprochent les pays de l'OCS : le premier est un lien négatif à court terme basé sur des griefs géopolitiques communs (tels que les sanctions ou les craintes liées à l'OTAN) contre l'Occident, principalement les États-Unis. Ce lien se situe à un niveau superficiel et bénéficie d'une couverture médiatique importante en Occident. Deuxièmement, et c'est plus important, il y a un lien géo-économique positif à long terme qui est établi grâce aux initiatives d'infrastructure. L'infrastructure cimente les relations, au sens propre comme au sens figuré, entre tous les participants de l'OCS, y compris les États membres, les États observateurs et les États partenaires du dialogue.

Enfin, il convient de rappeler aux sceptiques occidentaux que l'OCS est la plus grande organisation régionale du monde, avec huit membres permanents, dont la Russie, la Chine, le Pakistan et l'Inde, représentant environ 40 % de la population mondiale sur plus de 50 % de la surface du globe, et avec 30 % du PIB mondial. Et ces quatre puissances possèdent des armes nucléaires. Par ailleurs, l'OCS est également un lieu d'aplanissement des contradictions, puisqu'elle comprend des rivaux comme le Pakistan et l'Inde, et que cette dernière a quelques différends avec la Chine. Apparemment, certains de ces pays sont intéressés à rejoindre l'OCS dans l'espoir de trouver un compromis et d'éliminer les griefs historiques. Car il y a encore suffisamment de tensions entre les pays de la région. L'Arménie et l'Ouzbékistan, l'Iran et l'Arabie saoudite, l'Iran et les Émirats arabes unis, la Turquie et l'Irak sont les seuls à être sur l'écran radar. Bien que les perspectives de résolution des différends ne soient pas encore claires, il est peu probable qu'elles soient résolues par des acteurs externes qui agissent habituellement comme des provocateurs et des bellicistes. Pour l'instant, l'OCS reste donc la seule structure opérationnelle pour mettre en œuvre des politiques de bon voisinage.

Notes:

i) I https://www.swp-berlin.org/en/publication/sco-summit-in-samarkand-alliance-politics-in-the-eurasian-region

ii) II https://www.fpri.org/article/2021/09/the-shanghai-cooperation-organization-will-not-fill-any-vacuum-in-afghanistan/

iii) III https://afghanistan.ru/doc/150095.html

iv) IV https://www.hudson.org/research/18228-the-sco-s-clumsy-push-to-disrupt-the-world-order

v) V https://asiatimes.com/2022/09/wsj-pundit-too-easily-dismisses-eastern-led-world-order/

vi) VI https://nationalinterest.org/feature/what-west-gets-wrong-about-sco-204951

 

jeudi, 06 octobre 2022

Les États-Unis vont-ils briser l'Union européenne?

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Les États-Unis vont-ils briser l'Union européenne?

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/10/01/hajottaako-yhdysvallat-euroopan-unionin/

Après la Seconde Guerre mondiale, les capitalistes ont décidé de créer une Europe plus unie comme tremplin vers la "gouvernance mondiale" qu'ils souhaitaient. Ce projet, qui a débuté avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier, a abouti à l'Union européenne, dont l'objectif politique était de former un super-État fédéraliste qui gouvernerait le continent au profit des intérêts capitalistes.

L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), fondée en 1949, est l'instance de défense militaire de l'élite dirigeante occidentale en Europe, dont la tâche a été de contrer la Russie et de contrôler les pays de la zone euro d'après-guerre au nom d'une architecture de sécurité commune.

Jusqu'à présent, l'Union, que les Américains ont contribué à créer, a plutôt bien servi la cause des mondialistes occidentaux, mais afin de maintenir leur pouvoir économique et politique, les élites semblent maintenant vouloir peaufiner la machine occidentale.

Alors que nous avons atteint la fin de la raison d'être de l'OTAN avec la crise ukrainienne (où elle tente de détruire la Russie), des scénarios ont été avancés sur la façon dont les États-Unis se protégeront contre l'éventualité probable que la Russie gagne la guerre. Voici quelques spéculations sur le sujet.

L'Europe se désindustrialise, c'est-à-dire qu'elle décline sur le plan industriel parce qu'elle est idéologiquement liée aux intérêts américains et s'abstient de coopérer et de commercer avec la Russie. Ce n'est pas tant la Russie qui est touchée par la politique des sanctions, mais la production européenne et l'économie européenne.

Cela rendra bientôt plus attrayant pour les entreprises européennes de s'installer aux États-Unis. Ce faisant, ils soutiendront l'économie nationale américaine, contreront la baisse de la valeur du dollar et contribueront à maintenir la compétitivité de l'Amérique face à la Chine.

"Les États-Unis n'ont pas d'amis ou d'ennemis permanents, seulement des intérêts". Henry Kissinger a un jour mis en pratique la ligne brutale de l'"État profond" américain, l'appareil d'État permanent. Washington n'éprouve donc aucune difficulté à trahir ses soi-disant alliés lorsque le besoin s'en fait sentir.

Prenez l'Australie, par exemple, l'État vassal des États-Unis dans l'hémisphère sud. Dans sa guerre hybride contre la Chine, Washington a incité son vassal kangourou à intensifier les tensions avec Pékin, au nom de ses propres intérêts de politique étrangère.

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En conséquence, une Chine irritée a répondu à l'agression australienne par des mesures de rétorsion économique et a cessé d'acheter du charbon à l'Australie. À ce moment-là, les États-Unis ont immédiatement commencé à remplir les carnets de commande et à vendre leur propre charbon à la Chine, en cassant les prix de l'"allié".

Les États-Unis font maintenant la même chose à l'Europe et la première étape consiste à miner délibérément l'UE tout en maintenant l'alliance militaire de l'OTAN en place dans le but de détruire la Russie. Alors que Bruxelles et de nombreux États membres refusent fidèlement de commercer avec Moscou, les États-Unis continuent d'acheter les matières premières dont ils ont besoin à la Russie, même en pleine guerre hybride.

Jusqu'à présent, l'UE a rempli sa mission en mobilisant les pays de la zone euro contre la Fédération de Russie. Cependant, l'économie russe a résisté à la politique de sanctions donc, du point de vue des États-Unis, l'Union ne sert plus son objectif.

Ainsi, l'affaiblissement de l'UE - ou l'éclatement du bloc - ne dérangera pas les États-Unis, dont l'attitude est illustrée par la vieille phrase de Victoria Nuland, aujourd'hui sous-secrétaire d'État, "fuck the EU".

La situation actuelle est illustrée par le fait que même la Finlande, élève modèle de l'UE et contributeur net surendetté, a signé des "accords de coopération en matière de défense" bilatéraux avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. Ceci, vraisemblablement, afin que, même si l'Union s'effondre, les Anglo-Américains aient toujours leurs partenaires stratégiques dans une Europe en déclin, juste à côté de la Russie.

Alors que l'empire américain lutte pour survivre dans un monde multipolaire naissant, il cannibalise de plus en plus ses États vassaux et ses colonies de facto, qui souffrent à cause de l'égoïsme de Washington. Malheureusement, de nombreux Finlandais sont encore tellement aveuglés par la culture populaire et la politique américaines qu'ils ne voient pas où cela mène.

mardi, 04 octobre 2022

Une Europe totalement soumise aux États-Unis

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Une Europe totalement soumise aux États-Unis

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/09/29/yhdysvalloille-alistunut-eurooppa/

Les États-Unis, aux abois, sont prêts à détruire les derniers vestiges de souveraineté de leurs alliés - principalement européens. Même l'Union européenne, autrefois fondée avec le soutien des Américains, est désormais un rival de l'hégémon paranoïaque, un rival qui doit être affaibli.

Bien sûr, la soumission honteuse des gouvernements européens aux ordres de Washington tente toujours d'être camouflée derrière la proclamation d'un "partenariat transatlantique". Ce n'est pas seulement le cas des fervents gouvernements pro-occidentaux des petits États baltes, perpétuellement traumatisés, que sont l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie. L'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne, elles aussi, ont eu tendance à entonner le mantra invraisemblable de "l'unité occidentale".

Même l'explosion des gazoducs Nord Stream n'a pas fait apparaître dans l'opinion publique des politiciens ou des experts qui oseraient remettre en question les actions américaines qui s'apparentent à du terrorisme d'État. La destruction des gazoducs donne aux entreprises américaines un avantage concurrentiel écrasant, mais malgré cela, des commentaires absurdes tels que "il est difficile d'imaginer autre chose que cela relève de la Russie" sont émis en Finlande aussi.

Cette triste tendance n'est pas passée inaperçue chez Vladimir Poutine, qui a déclaré en juin dernier que "si un pays ou un groupe de pays n'est pas capable de prendre des décisions indépendantes, cela signifie qu'il est déjà, dans une certaine mesure, une colonie, et les colonies n'ont historiquement aucun avenir et aucune chance de survivre à une lutte géopolitique féroce".

Comment comprendre que les gouvernements des pays de l'euro soient prêts à transformer leurs pays en champs de bataille et leurs citoyens en chair à canon dans une guerre qui n'est pas la leur mais celle des États-Unis contre la Russie ? La plupart des chefs d'État, des politiciens et des bureaucrates semblent s'être vendus à l'hegemon pour renforcer le pouvoir du dollar.

La belligérance américaine ne prendra pas fin avec la chute de la Russie, mais sera suivie par un état de guerre contre la Chine. Alors que l'hégémonisme est poursuivi jusqu'au bout, il est nécessaire de cesser de prétendre à la souveraineté nationale en Europe et de détruire par ailleurs toute prétention à l'indépendance en Amérique latine et en Asie.

La doctrine Wolfowitz est manifestement toujours en vigueur, et l'administration Biden la met en pratique. La ligne directrice de la politique étrangère américaine consiste toujours à repousser l'avancée des challengeurs et à tenter de maintenir sa position d'unique superpuissance mondiale. Le démantèlement des gazoducs Nord Stream semble également une manœuvre visant à démontrer la domination des États-Unis sur la Russie.

Bien sûr, le sinistre plan à long terme de Washington a déjà été révélé à quiconque a pris la peine d'examiner la situation de manière plus critique. L'objectif est de détruire la Russie et de créer une poignée d'États clients dans sa vaste zone géographique, qui serait également utilisée pour attaquer la Chine.

Pour paraphraser Sauli Niinistö, on pourrait dire que "le masque de la démocratie a été enlevé et que le visage du totalitarisme occidental est visible". Aujourd'hui, même en Finlande, l'unanimité et la victimisation sont de mise, et l'intrigue de l'opération psychologique est assez simple : la Russie est le méchant hors-la-loi, l'Ukraine la victime innocente et les États-Unis l'héroïne de l'histoire.

Les politiques autodestructrices des pays européens sont totalement contraires aux intérêts des citoyens, mais les pouvoirs en place ne semblent pas s'en soucier. Nous sommes passés des affres de l'ère de la pandémie à l'atmosphère de guerre, et avec la crise énergétique, nous avons peur d'un hiver glacial. Est-ce ainsi que nous vivons le rêve américain dans une Finlande de l'OTAN qui s'appauvrit ?

Vers une prospective géopolitique

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Vers une prospective géopolitique

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/k-voprosu-geopoliticheskogo-prognozirovaniya

Les centres d'analyse, les organisations économiques et financières, les groupes politiques, les cabinets de conseil, les banques et même les entreprises commerciales tentent régulièrement de prédire l'avenir. Alors que dans la seconde moitié du 20ème siècle, ces travaux avaient des formulations et des conclusions très claires (comme le rapport du Club de Rome sur l'interdépendance de la croissance démographique et des ressources naturelles limitées, qui a légitimé la théorie du "milliard d'or"), les dix dernières années ont vu un éloignement des conclusions concrètes. Les auteurs des différentes prévisions, qu'il s'agisse de représentants de grandes organisations ou d'individus, préfèrent donner plusieurs scénarios pour l'avenir ou mettre en évidence des tendances alternatives et parallèles dans le développement des sociétés et des États.

En général, dans ces travaux, nous voyons l'application de méthodes qui peuvent être divisées en trois approches énoncées :

- le pronostic ;

- la prévoyance ;

- les prévisions.

Et les conclusions sont déjà données en termes d'options ou de scénarios de tendance. Néanmoins, il a été observé que, comme pour les conclusions sans ambiguïté, ces résultats flexibles servent souvent à la programmation future. Puisque les rapports contiennent le scénario nettement préféré, il est évident que les parties prenantes tenteront de faire en sorte que ce soit celui qui soit réalisé. Cela signifie qu'une telle prévision propose une stratégie d'action, y compris le calcul des fonds et des ressources nécessaires.

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Le Centre américain d'évaluation stratégique et budgétaires (i) suit cette approche dans son travail. Par exemple, le rapport sur l'armement des alliés des États-Unis, basé sur l'expérience historique, contient des recommandations assez spécifiques sur la manière de mettre en œuvre une nouvelle stratégie de dissuasion nucléaire, en tenant compte des deux adversaires perçus - la Chine et la Russie (ii).

Ces études appartiennent à la section sur la guerre future, elles sont donc également de nature futurologique, tout comme les nombreux concepts innovants proposés pour l'armée américaine.

Cependant, l'expérience historique montre que certaines prédictions se sont réalisées, tandis que d'autres non. Prenez l'exemple d'Alain Minc (iii), qui, en 1978, a prédit un monde de communication globale grâce à des ordinateurs en réseau et a rédigé la première stratégie française liée à l'avènement de la révolution numérique.

En 2006, il a fait valoir qu'il existe quatre scénarios géopolitiques pour l'Europe à long terme. "Le premier est une sorte d'atlantisme minimal. La nouvelle administration reviendrait au multilatéralisme clintonien et l'Europe s'unirait, créant une alliance durable entre des États-Unis multilatéraux et une Europe unie, tolérée en tant que tele. Je ne crois pas qu'un tel scénario soit possible. Le deuxième scénario est un divorce violent et l'unification de l'Europe par elle-même, et il est clair que pour que cela se produise, il ne doit pas y avoir de menaces mondiales afin que nous ne soyons pas unis par une préoccupation commune. Le troisième scénario : la domination impérialiste. Les nouveaux États-Unis existent, mais l'Europe parvient à s'unir sous la domination écrasante des États-Unis. Quatrième scénario : un atlantisme fort. Cela impliquerait une crise de nature très dramatique, comme le fait que la Chine veuille utiliser toutes ses capacités stratégiques, nucléaires et économiques pour acquérir une position mondiale, ou cela pourrait être le terrorisme nucléaire. Il est clair que ce nouvel atlantisme n'émergera qu'en raison de l'existence d'une menace très forte. Sa propre prédiction était le cinquième scénario : un divorce en douceur" (iv).

Comme nous pouvons le constater, cette prédiction s'est avérée fausse. Les questions controversées, comme la protection des données personnelles, qui a contraint l'UE ou les frictions entre les pays de l'UE et les États-Unis sous l'administration de Donald Trump, peuvent difficilement être qualifiées de "divorce en douceur". Et la situation en Ukraine indique clairement que les pays de l'UE suivent une logique patron-client. En d'autres termes, ils sont des satellites obéissants des États-Unis, sinon l'Allemagne n'aurait guère mené une politique de sanctions suicidaire en renonçant volontairement à des conditions favorables pour l'achat de gaz naturel russe.

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Un autre exemple est le rapport de la US Intelligence Community sur le changement climatique jusqu'en 2040 (v).

On peut y trouver des déclarations contradictoires. Il est question d'un débat sur les émissions de gaz à effet de serre et la réalisation des objectifs de l'Accord de Paris. Mais la plupart des pays seront confrontés à des choix économiques difficiles et compteront probablement sur des percées technologiques pour réduire rapidement leurs émissions. Et si cela ne se produisait pas ?

Elle signale que "les projections scientifiques indiquent que les impacts physiques croissants du changement climatique jusqu'en 2040 et au-delà seront ressentis de manière plus aiguë dans les pays en développement, qui, selon nos estimations, sont également les moins capables de s'adapter à ces changements". Quelles sont donc ces projections scientifiques ? Aucune donnée pertinente n'est fournie à ce sujet. Étant donné que de nombreux scientifiques considèrent que le réchauffement climatique n'est rien de plus qu'un mythe, des questions se posent.

De même, où sont les critères qui font que les pays pauvres sont les moins aptes à s'adapter à ces changements ? Au contraire, les pays qui ne ressentent pas le besoin de villes intelligentes, d'infrastructures modernes et autres, les gens mènent le même style de vie que leurs ancêtres il y a des siècles.

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Fait révélateur, la consommation de gaz naturel ne devrait augmenter que jusqu'en 2040, tandis que la consommation de pétrole devrait rester à peu près au même niveau. L'utilisation de l'énergie solaire et éolienne augmentera considérablement, tandis que la part de l'énergie nucléaire augmentera également.

Il existe également un parti pris politique évident dans la définition des pays vulnérables au changement climatique. Les catastrophes naturelles ne respectent généralement pas les frontières politiques, mais la communauté du renseignement américaine a estimé que la situation du Sud-Soudan était bien pire que celle du Soudan (bien que ce soit les États-Unis qui aient favorisé la séparation du Sud). Le Nicaragua et la Colombie font partie des pays préoccupants, bien que le Costa Rica, situé entre les deux, ait la même note provisoire pour la résilience climatique que les États-Unis et la Russie (p.12 du rapport). De même, en Asie, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde et le Myanmar sont montrés du doigt, tandis que les pays voisins, le Népal, l'Iran, le Bhoutan et la Thaïlande, présentent des caractéristiques plus positives.

Si nous prenons le rapport global de l'US Intelligence Community sur les tendances mondiales à l'horizon 2040 (vi), nous constatons que la nécessité pour les États de s'adapter sera liée aux catastrophes naturelles, aux catastrophes d'origine humaine, à la propagation des maladies et aux crises financières.

La fragmentation s'accentuera et le système international aura peu de moyens pour répondre aux nouveaux défis. Au sein des nations, le fossé entre les demandes des gens et la capacité des gouvernements et des entreprises va se creuser. Des manifestations de rue auront lieu dans des endroits allant de Beyrouth à Bruxelles en passant par Bogota. La concurrence au sein des sociétés s'intensifiera, entraînant des tensions accrues. Au sein des États, la politique sera plus controversée. En politique mondiale, la Chine défiera les États-Unis et le système international occidental. L'adaptation sera à la fois un impératif et une source clé d'avantages pour tous les acteurs du monde.

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Les pays les plus susceptibles d'en bénéficier sur le plan géopolitique et économique sont l'UE, l'Inde, le Japon, la Russie et le Royaume-Uni.

Il convient ici de garder à l'esprit que les nouveaux défis et problèmes de réponse présentés dans ce rapport sont directement liés à la perte de la puissance américaine. Washington est clairement mal à l'aise avec un système multipolaire, c'est pourquoi pour les auteurs du rapport, il est considéré comme déséquilibré et destructeur. Le problème du parti pris politique peut également être observé dans les prédictions concernant la Russie.

Il est dit que "la Russie restera probablement une puissance destructrice pendant une grande partie ou la totalité des deux prochaines décennies, même si ses capacités matérielles diminuent par rapport à celles d'autres acteurs majeurs. Les avantages de la Russie, notamment ses importantes forces armées conventionnelles, ses armes de destruction massive, ses ressources énergétiques et minérales, sa vaste géographie et sa volonté d'utiliser la force à l'étranger, lui permettront de continuer à jouer le rôle de trouble-fête et de courtier de pouvoir dans l'espace post-soviétique et parfois au-delà. Il est probable que Moscou continuera à essayer de renforcer les divisions en Occident et de nouer des relations en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs. La Russie est susceptible de rechercher des opportunités économiques et d'établir une position militaire dominante dans l'Arctique à mesure que d'autres pays renforcent leur présence dans la région... Le départ du président Vladimir Poutine du pouvoir, que ce soit à la fin de son mandat actuel en 2024 ou plus tard, pourrait compromettre davantage la position géopolitique de la Russie, surtout en cas d'instabilité interne. De même, la réduction de la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie, que ce soit par le biais des énergies renouvelables ou de la diversification vers d'autres fournisseurs de gaz, sapera les revenus et le pouvoir global du Kremlin, surtout si cette réduction ne peut être compensée par des exportations vers les consommateurs d'Asie.

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Cependant, même si elle est aussi catégorique, la communauté du renseignement américaine propose cinq scénarios. "Trois d'entre eux dépeignent un avenir dans lequel les défis internationaux deviennent progressivement plus sérieux et les interactions sont largement guidées par la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Dans le scénario des démocraties montantes, les États-Unis ouvrent la voie. Dans le Monde à la dérive, la Chine est l'État leader mais pas dominant au niveau mondial, et dans la Coexistence compétitive, les États-Unis et la Chine prospèrent et se disputent le leadership dans un monde "bifurqué", à la croisée des chemins. Les deux autres scénarios impliquent un changement plus radical. Tous deux découlent de ruptures mondiales particulièrement graves, et tous deux remettent en question les hypothèses relatives au système mondial. La rivalité entre les États-Unis et la Chine est moins centrale dans ces scénarios, car les deux États doivent faire face à des défis mondiaux plus importants et plus graves et constatent que les structures actuelles ne sont pas à la hauteur de ces défis. Les différents blocs en gestation dépeignent un monde dans lequel la mondialisation s'est effondrée et où des convergences ponctuelles d'ordre économique et des alliances de sécurité apparaissent pour protéger les États des menaces croissantes. Tragédie et mobilisation forment la trame de l'histoire d'un changement graduel et révolutionnaire sur fond de crises environnementales mondiales dévastatrices".

Bien entendu, outre le fait d'essayer de se projeter dans l'avenir en se basant sur les statistiques disponibles et les observations des décennies précédentes, la communauté du renseignement américaine avait d'autres objectifs : 1) identifier des menaces spécifiques afin que les autorités américaines (ainsi que les partenaires de Washington) puissent se concentrer sur celles-ci et allouer les ressources nécessaires aux contractants appropriés ; 2) diaboliser certains États, idéologies et systèmes politiques. Les préoccupations concernant le déclin d'un système international qui profite à l'Occident sont clairement visibles. Et s'il y a des changements majeurs qui diminuent le rôle des États-Unis et de l'UE, cela sera perçu positivement dans la plupart des pays.

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Certains essaient de se limiter délibérément à un minimum d'alternatives pour l'avenir. Par exemple, l'Institut allemand pour la politique publique mondiale, dans sa vision des médias et des technologies jusqu'en 2035, ne propose que deux scénarios (vii). Le premier décrit un avenir dans lequel l'éducation aux médias et la liberté d'expression sont élevées, de sorte que les gens peuvent dire ce qu'ils veulent et que leur contenu est largement diffusé. Ce sont les utilisateurs qui détermineront les règles des plateformes de médias sociaux, et non les États ou les entreprises privées. Il n'y aura pas de règles formelles régissant les flux de données et les questions de souveraineté des données, mais il y aura un effondrement économique et infrastructurel, et avec la montée de l'autoritarisme, il n'y aura pas de libre échange de données. La seconde a les mêmes perspectives en matière de liberté d'expression, mais le cosmopolitisme a gagné le monde. Une pléthore de règles largement utilisées et des investissements dans l'infrastructure garantissent un partage des données libre et sans entrave à l'échelle mondiale.

Des scénarios supplémentaires avec des options intermédiaires sont clairement de mise ici.

Prenons maintenant une perspective à court terme. Au début de l'année 2021, le Council on Foreign Relations a présenté une carte des conflits possibles pour l'année en cours (viii). Il est clair que ces hypothèses étaient fondées sur des biais. Par exemple, nous ne voyons absolument aucune mention de la région Asie-Pacifique, à savoir les pays où les conflits et les organisations insurrectionnelles et terroristes sont actifs - Indonésie, Malaisie et Philippines. Aucune mention n'est faite de la Colombie, où les meurtres réguliers d'anciens membres des FARC se poursuivent. La possibilité d'instabilité dans d'autres pays d'Amérique latine - le Chili et le Pérou, où de nombreuses manifestations ont eu lieu en 2020 - n'est pas non plus analysée.

Elle n'indique pas non plus les points de tension potentiels en Europe, qui sont nombreux. Dans une large mesure, l'étude est construite sur une perception limitée de la réalité d'une part et, d'autre part, sur les priorités qui ont informé la politique étrangère américaine au cours des années précédentes et qui ont été reflétées dans les médias mondiaux (ix).

Début 2022 (x), l'Afghanistan, Haïti, le Liban et le Venezuela figuraient parmi les conflits les plus susceptibles d'avoir un impact moyen sur les intérêts américains. Bien qu'il y ait eu des troubles sociaux et politiques dans tous ces pays, ils n'étaient pas si critiques. En Afghanistan, la stagnation générale s'est poursuivie, en Haïti la situation n'a pas beaucoup changé et au Liban, l'effondrement des institutions étatiques ne s'est pas produit comme prévu par le CFR.

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Taïwan et la Chine, Israël et l'Iran, le Mexique, la Corée du Nord, et seulement à la fin de la liste, la détérioration de la situation dans l'est de l'Ukraine et l'intensification de la confrontation avec la Russie. Mais, comme le temps l'a montré, c'est l'Ukraine qui s'est retrouvée en tête de liste des pays sujets aux conflits, et avec l'aide de la spéculation politique de l'Occident, un effet domino global a touché des coins reculés du monde. La prévision pour l'Irak, dont la probabilité et les conséquences étaient moyennes, ne s'est pas non plus réalisée. Alors que l'escalade liée à l'activité des groupes kurdes et à l'intervention turque se poursuit, elle est aggravée par la dégradation de la sécurité dans la province d'Anbar, la crise parlementaire et les querelles inter-chiites qui ont conduit à l'annonce par al-Sadr de son retrait de la vie politique.

Le conflit arméno-azerbaïdjanais a également été classé au niveau le plus bas de probabilité et de conséquence, bien qu'un nouvel affrontement en septembre 2022 s'étendait clairement à un niveau plus élevé.

Bien que les conflits soient un sujet spécifique avec ses propres subtilités et nuances, il y a eu également des spéculations optimistes non réalisées de la part des institutions financières selon lesquelles le ralentissement économique causé par la pandémie ferait place à la reprise et des histoires de renaissance des puissances occidentales dans la perspective mondiale à court terme (xi).

Il a été affirmé que l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche ramènera les États-Unis à leur rôle traditionnel d'opérateur d'alliances mondiales. Et les institutions multinationales telles que l'OTAN et l'ONU pourraient réviser leurs plans d'urgence pour un retrait rapide des troupes américaines. Enfin, le Royaume-Uni - et, dans une moindre mesure, le reste de l'Europe - pourraient recentrer leurs efforts sur les priorités mondiales à long terme. Mais ces projections se sont révélées erronées.

Cela conduit un certain nombre d'organisations de suivi des tendances à passer à des récits descriptifs, à appliquer la théorie descriptive avec une certaine continuité possible, en évitant les prédictions futuristes faites par leurs prédécesseurs (xii).

Et quelles sont les raisons de toutes ces erreurs ? Outre les intérêts politiques et corporatifs qui influencent les conclusions, il existe des facteurs qui sont de nature ontologique.

Steve Fuller, par exemple, relève plusieurs points qui nient la possibilité même de la prédiction : 1) l'avenir est en principe inconnaissable parce qu'il n'existe pas encore, et on ne peut connaître que ce qui existe ; 2) l'avenir sera différent à tous égards du passé et du présent, peut-être à cause de l'indétermination de la nature, à laquelle le libre arbitre de l'homme contribue également de manière importante ; 3) les effets mutuels de la prédiction et de ses résultats sont si complexes que chaque prédiction génère des conséquences involontaires qui apporteront plus de mal...

Fuller lui-même a parlé de la nécessité de passer de la super-prédiction à la règle forcée, c'est-à-dire d'assumer la responsabilité de ce qui se passe et de proposer des solutions.

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Il convient également de noter que ces prévisions manquent souvent de données statistiques, d'une part, et que, d'autre part, des changements brusques peuvent mettre à mal les faits apparemment exacts qui ont servi de base à l'étude. Par exemple, la Banque mondiale utilise toujours dans ses prévisions les critères du PIB, des taux de change, du classement des pays, etc., qui, à leur tour, peuvent changer, ne pas refléter la réalité ou être le résultat de manipulations spéculatives (comme l'a démontré la crise financière américaine de 2008 et, encore plus tôt, la soi-disant crise des dot-com). Les sanctions occidentales et les contre-sanctions russes en 2022 ont entraîné une forte hausse du prix du gaz naturel, que personne n'aurait pu imaginer en 2021. Les fluctuations de la valeur du pétrole, des métaux précieux et des terres rares, des minéraux, des crypto-monnaies, sur lesquelles se concentrent de nombreux investisseurs, et des produits finis sont devenues trop difficiles à prévoir en termes d'unités de compte.

Enfin, les questions de valeur sont généralement exclues des projections de tendances futures proposées par les organisations occidentales. Bien que des facteurs tels que le nationalisme et le conservatisme se retrouvent souvent dans les rapports, il s'agit toujours davantage d'une catégorie politique et ne reflète pas le sentiment réel. Un échantillon d'enquêtes sociologiques a peu de chances de faire l'affaire, les questionnaires étant eux-mêmes un outil de collecte de données douteux.

Quant à la religion, qui est directement liée aux valeurs, nous sommes confrontés à un dilemme entre rationalité et irrationalité. Et même les nuances irrationnelles peuvent avoir des interprétations différentes. Par exemple, si nous prenons les traditions abrahamiques, les trois - le judaïsme, le christianisme et l'islam - diffèrent dans leurs interprétations de l'avenir. Et au sein de chaque tradition, il existe des branches qui peuvent présenter des contradictions. Et cela affecte directement les processus politiques. Par exemple, la proportion de la population pratiquant l'islam chiite au Nigeria a considérablement augmenté ces derniers temps. Il est douteux que l'Occident tienne compte de ce changement d'équilibre et se préoccupe davantage de répandre la démocratie, d'accroître son influence et son accès aux ressources naturelles. Pourtant, les chiites ont une vision eschatologique spécifique, où l'arrivée du Mahdi marquera la fin des temps et où son armée ainsi que le Christ (qui est vénéré comme un prophète) combattront l'armée du Dajjal (l'Antéchrist). De toute évidence, dans le contexte de la confrontation entre l'Iran et Israël, et au niveau mondial d'un club de pays fondés sur les valeurs traditionnelles et le cartel néolibéral occidental, la montée des adeptes du chiisme affectera également les processus géopolitiques.

Bien sûr, les prévisions resteront demandées, mais leur précision risque de diminuer. Il est probable que certains groupes de réflexion vont réviser leurs méthodologies. Il y aura des tentatives de rationalisation des catégories abstraites et transcendantes. Enfin, les méthodologies proposées par les pays non-occidentaux avec d'autres entrées et formules entreront dans l'arène. Nous tenterons de théoriser une telle méthodologie dans la publication suivante.

Notes:

i https://csbaonline.org/

ii https://csbaonline.org/research/publications/arming-americas-allies-historical-lessons-for-implementing-a-post-inf-treaty-missile-strategy/publication/1

iii Mink a été conseiller de plusieurs gouvernements français et a été membre du conseil d'administration de diverses sociétés telles que le cabinet de conseil AM Conseil, Le Monde, Gucci, Valéo et le groupe de construction Vinci.

iv https://fpc.org.uk/a-transatlantic-divorce/

v https://www.dni.gov/files/ODNI/documents/assessments/NIE_Climate_Change_and_National_Security.pdf

vi https://www.dni.gov/index.php/gt2040-home/summary

vii https://www.ggfutures.net/analysis/ggf2035-global-media-and-information

viii https://www.cfr.org/report/conflicts-watch-2021

ix https://katehon.com/ru/article/karta-vozmozhnyh-konfliktov-po-versii-cfr

x https://cdn.cfr.org/sites/default/files/report_pdf/PPS2022.pdf

xi https://www.morganstanley.com/ideas/global-economic-outlook-2021

xii https://css.ethz.ch/content/dam/ethz/special-interest/gess/cis/center-for-securities-studies/pdfs/ST2022.pdf

xiii Fuller S. Post-vérité. La connaissance comme lutte pour le pouvoir. MOSCOU : HSE, 2021. С. 286.

lundi, 03 octobre 2022

Le monde vu de Samarcande

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Le monde vu de Samarcande

Par Daniele Perra

Source: https://www.eurasia-rivista.com/il-mondo-visto-da-samarcanda/?fbclid=IwAR1jTo6EDLMfC2JpvyhKZvny75SCUv6UohwQEKE19wWQVHc_O2nZ9PI1l1A

"Ne demandez pas au moineau comment vole l'aigle".

(proverbe chinois)

"Il est assez facile de démasquer le pro-américain qui se déguise en Européen. Il use et abuse du mot 'Occident".

(Jean Thiriart)

Les "Occidentaux", déclare l'ancien général des forces aériennes de l'Armée populaire de libération chinoise, Qiao Liang, aiment se vanter qu'il n'y a pas de guerres entre "démocraties" [1]. Cette croyance, pour être juste, est assez réductrice (pour ne pas dire plutôt banale). En fait, comme l'a soutenu le "géopolitologue militant" Jean Thiriart dans les années 1980, s'il est vrai que le grand rival militaire des États-Unis est la Russie, il est tout aussi vrai que son grand rival économique (celui qui représente potentiellement la menace la plus sérieuse pour son hégémonie mondiale) est l'Europe occidentale [2].

Sur les pages de notre revue Eurasia, on a souvent tenté de présenter des preuves (claires) que les États-Unis ne sont pas seulement en guerre contre la Russie, mais plus généralement contre l'Europe dans son ensemble (les attaques, le sabotage, contre les corridors énergétiques Nord Stream 1 et 2 du 27 septembre 2022, qui ont coïncidé avec l'inauguration d'un gazoduc reliant les champs gaziers norvégiens, aujourd'hui épuisés, à la Pologne à travers la mer Baltique pourraient également s'inscrire dans ce contexte) [3].

À l'occasion de l'agression de l'OTAN contre la Serbie, le taux de change entre l'euro (nouvellement créé) et le dollar est passé de 1 pour 1,07 à 1 pour 0,82, soit une chute de plus de 30 %. De même, début février, au plus fort de la pression ukrainienne contre les républiques séparatistes du Donbass et avant le début de l'opération militaire spéciale, l'euro valait 1,14 pour un dollar. Aujourd'hui (au moment de la rédaction de cet article), il se négocie à 0,96 (plus de trois points en dessous de la parité).

Gouvernée par une élite politique collaborationniste prête à faire du Vieux Continent pour les USA ce que l'Inde était pour l'empire colonial britannique, l'Europe semble condamnée à rester figée dans une mentalité de guerre froide de confrontation entre blocs à l'heure où l'accélération imposée aux dynamiques géopolitiques par les événements (la crise pandémique et l'intervention directe de la Russie dans le conflit ukrainien) transforme rapidement le système mondial dans un sens multipolaire.

Si, d'une part, le fait de pousser la Russie vers l'est a (momentanément) séparé ce qui a été défini comme les "deux géants du milieu", d'autre part, il a réalisé l'un des "cauchemars géopolitiques" de Washington : la construction d'un bloc capable d'exclure les États-Unis de l'espace eurasien grâce à une coopération stratégique entre la Russie, la Chine et l'Iran. Cela a contrecarré les efforts de ce Henry Kissinger qui, depuis le début des années 1970, avait tenté (non sans succès) de séparer l'URSS et la République populaire de Chine en attirant Pékin dans l'orbite géo-économique des États-Unis (en tant qu'exportateur de biens bon marché et importateur de titres de la dette américaine), grâce à la politique dite de la porte ouverte (un passage encore facilité par l'administration Clinton avec l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce à des conditions favorables, sauf à bombarder "par erreur" l'ambassade de Chine à Belgrade pour pousser le transfert de capitaux de Hong Kong à Wall Street).

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L'"idylle" sino-américaine, du point de vue néo-libéral occidental, était censée faire de la Chine le centre manufacturier mondial, à condition que l'écart technologique et militaire entre Washington et Pékin reste inchangé et que la balance commerciale ne penche pas trop à l'Est.

Au contraire, la croissance économique de la Chine (qui s'est également traduite par une augmentation des dépenses militaires), augmentant sa puissance relative (notamment en termes de projection et d'influence), en a fait un rival direct des États-Unis. Il va sans dire que, comme l'a montré John J. Mearsheimer, cette rivalité n'a rien à voir avec l'aspect idéologique. Le politologue américain, en effet, dans le sixième chapitre de son texte phare The Tragedy of the Great Powers (2001), donne l'exemple de l'Italie dans la première moitié du 20ème siècle en montrant comment les gouvernements libéraux pré-fascistes n'étaient pas moins agressifs que celui dirigé par Benito Mussolini [4]. Par conséquent, un conflit avec les intérêts français et britanniques dans la zone méditerranéenne ou moyen-orientale aurait été inévitable dans tous les cas (l'Italie, par exemple, avait déjà commencé à fournir un soutien militaire à l'imamat yéménite Taydite contre la pénétration coloniale britannique à Aden dès le milieu des années 1920, à une époque où l'État italien n'avait pas encore pris un caractère totalitaire) [5].

De même, l'Union européenne, la Russie et la Chine, qu'elles soient démocratiques ou autoritaires, libérales ou étatistes en matière économique, importe peu. Ils représentent cependant une menace lorsque leur puissance accrue (militaire ou économique, ou les deux) met en péril le système mondial fondé sur l'hégémonie nord-américaine au sein des institutions internationales (Banque Mondiale et FMI surtout) et sur le pouvoir du dollar comme monnaie de référence dans les échanges commerciaux.

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Si l'Union européenne, otage de sa propre classe dirigeante et de l'Alliance atlantique, a peu de marge de manœuvre pour échapper à l'emprise "occidentale" (bien que certaines tentatives pour l'"isoler" du reste de l'Eurasie, comme le TTIP, aient échoué), la Chine et la Russie construisent les bases d'un nouvel ordre qui rendra inefficaces les efforts occidentaux pour "contenir" leur expansion.

À cet égard, on ne peut oublier qu'au 19ème siècle, la Grande-Bretagne a mené les "guerres de l'opium" précisément pour tenir la Chine à l'écart du commerce maritime. Ainsi, la volonté actuelle du Parti communiste chinois, bien résumée par le discours du président Xi Jinping lors de la réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS, mais plus connue sous son acronyme anglais SCO) à Samarcande (14-16 septembre 2022), se présente également comme une nouvelle expression de résurgence nationale face à cette période sombre de l'histoire chinoise (au tournant du milieu du 19ème siècle au milieu du 20ème siècle) qui reste connue en Chine comme "le siècle des humiliations" et des "traités inégaux".

Dans son discours, Xi, en plus des habituelles références historiques à la Route de la Soie comme source d'inspiration pour une interaction culturelle et commerciale pacifique entre les pays qui ont embrassé le projet et l'OCS, s'est concentré sur plusieurs points cruciaux pour le développement des programmes d'intégration eurasiens. Tout d'abord, il a souligné la nécessité pour les membres de l'Organisation de Shanghai elle-même d'agir en communauté de vues pour contrecarrer les tentatives d'ingérence extérieure dans leurs affaires intérieures. À cet égard, le président chinois a spécifiquement parlé des tentatives de créer des "révolutions de couleur" qui sapent la stabilité régionale [6].

Il n'est pas surprenant qu'au moment où Téhéran a officiellement rejoint l'OCS, une vague de protestations (plus ou moins véhémentes, plus ou moins spontanées) se soit répandue dans tout le pays d'une manière qui rappelle les processus de déstabilisation soutenus par l'Occident sur d'autres théâtres (des anciens pays soviétiques au Moyen-Orient) et aussi en Iran même (pensez au soi-disant "Mouvement vert" de 2009 né après la réélection de Mahmud Ahmadinejad), avec la différence substantielle que la République islamique (en dépit de la crise induite par le régime de sanctions imposé par Trump) semble encore disposer des anticorps et des structures pour faire face à de tels défis (auxquels il faut ajouter les poussées perturbatrices opérées par certains groupes ouvertement soutenus par les services d'espionnage nord-américains et israéliens, notamment au Kurdistan, dans les régions limitrophes de l'Azerbaïdjan et au Beloutchistan, où, depuis le début des années 1980, des groupes séparatistes opèrent sous la tutelle de l'Irak de Saddam Hussein dans une optique à la fois anti-iranienne et anti-pakistanaise).

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Xi a également porté son attention sur l'Afghanistan (présent au sommet en tant que pays candidat au statut de partenaire de dialogue au sein de l'OCS). En effet, Kaboul, aux yeux du président chinois, s'est posé au cœur du projet d'interconnexion continentale après le retrait américain. Cependant, il est crucial pour l'Afghanistan de mettre en place une structure politique large et inclusive qui puisse éliminer le terreau qui alimente le terrorisme et met en danger toute la région d'Asie centrale [7]. La lutte des talibans contre l'autoproclamé "État islamique" (ISIS-Khorasan) et les efforts pour éradiquer la culture du pavot à opium (à laquelle, pour être honnête, le mollah Omar avait déjà tenté de remédier au tournant des années 1990-2000 afin d'être accepté par la "communauté internationale"), après vingt ans d'occupation occidentale au cours desquels la production de drogue non seulement n'a pas diminué mais a augmenté de façon exponentielle (de 70.000 hectares cultivés en pavot en 2001 à 300.000 en 2017) [8], représentent en ce sens un signe clair de la volonté positive des Afghans de coopérer avec les pays voisins (indispensable à l'heure où les Etats-Unis, dans le silence général, ont gelé plus de 9 milliards de dollars que les gouvernements fantoches pro-occidentaux avaient transférés aux institutions de crédit nord-américaines).

Les références de Xi Jinping à la construction d'un système de paiement international dans les monnaies locales respectives, qui accélérerait le processus de dédollarisation des économies eurasiatiques et faciliterait la création prochaine d'une banque de développement interne au sein de l'OCS, n'étaient pas moins pertinentes.

Cette étape est extrêmement importante, étant donné que l'Organisation de Shanghai concerne 40 % de la population mondiale, ¼ du PIB mondial, s'étend sur la plus grande masse continentale du monde et compte pas moins de quatre puissances nucléaires (Chine, Inde, Pakistan et Russie) en son sein. Des chiffres qui augmenteront encore si le système des BRICS est relié à l'OCS.

Paradoxalement, le régime de sanctions imposé à la Russie à la suite de l'opération militaire spéciale, loin de réaffirmer l'unipolarisme (si l'on exclut le contrôle nord-américain sur l'Europe), a accéléré la voie multipolaire. En effet, "l'incapacité, due aux sanctions, d'utiliser les circuits VISA et Mastercard a incité Moscou à utiliser les circuits chinois Huawei Pay et Union Pay, et a redonné un nouvel élan au projet mis en chantier par les BRICS en 2015, consistant en la création de leur propre système unique de paiements transnationaux (Brics Pay) qui permet l'utilisation de leurs monnaies nationales respectives comme base d'échange directe pour les paiements extérieurs, en évitant l'intermédiation du dollar et donc le transit nécessaire par les banques américaines" [9]. Et encore : "En interconnectant les systèmes de paiement (Elo au Brésil, Mir en Russie, RuPay en Inde et Union Pay en Chine ; l'Afrique du Sud ne dispose pas de sa propre infrastructure), Brics Pay est candidat pour supplanter progressivement les circuits VISA et Mastercard dans le quadrant asiatique (où Union Pay a déjà dépassé VISA depuis 2015, en termes de transactions globales, réduisant drastiquement le pouvoir de chantage de Washington [... ]. De même, l'éviction hors du système SWIFT pénalise les établissements de crédit russes, mais démasque l'instrumentalisation de ce qui est configuré comme le principal système de régulation des paiements internationaux aux logiques de pouvoir euro-atlantistes, avec pour résultat de renforcer la tendance à rechercher des solutions alternatives" [10]. Des solutions ont été trouvées dans l'utilisation et le renforcement (voire l'unification) du système déjà existant CIPS - Cross-Border International Payment System (Chine), SPFS - System for Transfer of Financial Messages (Russie), UPI - Unified Payment Interface (Inde).

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En conclusion, Xi a fait l'éloge de l'esprit de Shanghai, qui est toujours fort et ferme après 20 ans. Il se résume en cinq points qui représentent à la fois les piliers du nouveau système multipolaire et ce que la Russie et la Chine ont identifié comme le processus de "démocratisation" des relations internationales. Les cinq points sont les suivants :

    - La confiance politique. Guidés par la vision de forger une amitié et une paix durables entre les États membres de l'OCS, nous respectons les intérêts fondamentaux de chacun et le choix de la voie de développement, et nous nous soutenons mutuellement dans la réalisation de la paix, de la stabilité, du développement et du rajeunissement.

    - Coopération gagnant-gagnant. Nous rencontrons des intérêts mutuels, restons fidèles au principe de consultation et de coopération pour des bénéfices partagés, renforçons la synergie entre nos stratégies de développement respectives, et suivons la voie de la coopération gagnant-gagnant vers une prospérité commune.

    - L'égalité entre les nations. Nous sommes attachés au principe d'égalité entre tous les pays, quelle que soit leur taille, au principe de prise de décision par consensus et au principe de résolution des problèmes par une consultation amicale. Nous rejetons la pratique de la coercition des grands et des forts contre les petits et les faibles.

    - Ouverture et inclusion. Nous soutenons la coexistence harmonieuse et l'apprentissage mutuel entre différents pays, nations et cultures, le dialogue entre les civilisations et la recherche d'un terrain d'entente en mettant de côté les différences. Nous sommes prêts à établir des partenariats et à développer une coopération gagnant-gagnant avec d'autres pays et organismes internationaux qui partagent notre vision.

    - Équité et justice. Nous sommes attachés aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies ; nous abordons les grandes questions internationales en fonction de leurs mérites propres ; et nous nous opposons à la poursuite de notre propre agenda au détriment des droits et des intérêts légitimes d'autres pays [11].

L'énumération des cinq points constituant "l'esprit de Shanghai" dans le discours de Xi Jinping et le choix de Samarcande ("perle de la route de la soie") comme destination du premier voyage officiel à l'étranger du président chinois depuis le début de la pandémie de Covid 19 ont certainement une forte valeur culturelle et symbolique. Tout d'abord, Xi Jinping a voulu envoyer un message stratégique clair aux tentatives américaines d'encercler la Chine en mettant l'accent sur la capacité de projection terrestre (et pas seulement maritime) de la Nouvelle route de la soie, qui est présentée comme un projet complémentaire aux stratégies de développement national des pays membres et aux dialogues avec l'OCS.

Deuxièmement, elle voulait envoyer un message clair aux mêmes membres de l'OCS et partenaires de dialogue dont les intérêts contradictoires ont conduit à une confrontation de guerre ouverte (non sans l'ingérence de l'Occident). C'est le cas de la confrontation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan (un conflit dans lequel la Turquie, partenaire de dialogue de l'OCS, est déjà directement impliquée en tant que principal fournisseur de soutien militaire à Bakou et qui pourrait potentiellement engager l'Iran également), des tensions entre le Tadjikistan et l'Afghanistan et, plus récemment, de l'affrontement Tadjikistan-Kirghizstan, cette dernière étant traversée par le corridor ferroviaire Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan, qui représente un point de jonction crucial pour la Nouvelle route de la soie, étant donné qu'il permettrait, une fois achevé, d'atteindre à la fois le Moyen-Orient (via l'Afghanistan) et l'Europe (via l'Iran et la Turquie) bien avant la ligne déjà existante qui traverse le Kazakhstan.

C'est également dans ce contexte que s'inscrit la position officielle de la Chine sur le conflit en Ukraine, qui est restée (à quelques différences substantielles près) la même depuis 2014: "La partie chinoise maintient une position objective et juste sur la question ukrainienne, insiste sur le respect de l'indépendance, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, s'oppose à toute ingérence de forces extérieures dans les affaires intérieures de l'Ukraine, et soutient la résolution politique du problème ukrainien de manière pacifique". Nous pensons que la solution ultime à la crise ukrainienne réside dans le maintien de deux équilibres, à savoir comprendre l'équilibre entre les intérêts des différentes régions et des différentes nationalités en Ukraine, parvenir à un équilibre des relations avec la Russie et l'Europe, afin de ne pas faire de l'Ukraine un avant-poste de la confrontation, mais plutôt un pont de communication entre l'Est et l'Ouest" [12].

Cela expliquerait également le mécontentement mal dissimulé de Pékin quant au choix de la Russie d'intervenir directement dans le conflit, surtout à la lumière des tentatives répétées de l'Amérique du Nord de l'utiliser comme une arme pour intensifier la propagande de l'affrontement entre les blocs opposés et mettre à genoux le tissu industriel européen. En fait, la Chine n'a pas d'intérêt particulier à voir la récession économique de la zone euro. Tout comme elle n'a aucun intérêt à une césure géographique (bien que momentanée) entre la Russie et l'Europe (ou à une nouvelle spirale de guerre aux issues potentiellement néfastes) au moment où le contrôle russe sur le port stratégique de Mariupol ouvre d'importants scénarios pour l'utilisation de l'infrastructure et du gigantesque complexe industriel Azovstal (ce n'est pas un hasard si les Azovites, avec des civils comme boucliers humains, ont choisi de se barricader juste là, conscients du fait que Moscou n'essaierait pas de détruire complètement la zone) comme instruments d'interconnexion nord-sud et ouest-est du continent.

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En haut, le Sultan Galiev; en bas, Ismail Bey Gaspir Ali.

Du point de vue russe, le sommet de Samarcande a eu le mérite de raviver l'approche stratégique traditionnelle de Moscou, qui se tourne vers l'Est et le monde islamique lorsque l'Europe lui tourne le dos. Même avant des personnalités telles que le théoricien du "communisme national islamique" Mirza Sultan Galiev (1892-1940), le "marxiste atypique" Karl Radek (qui avait invité, lors du Congrès post-révolutionnaire des peuples orientaux, Enver Pasha à rejoindre la révolte "basmatienne" au lieu d'aider à la réprimer) [13], et les exposants de l'eurasianisme classique, cette approche avait été adoptée par Ismail Bey Gaspir Ali (1851-1914). Ce dernier, un Tatar de Crimée et une figure centrale du mouvement connu sous le nom de "jadidisme" (de usul-i-jadid, "nouvelle méthode"), visant à répandre la culture scientifique moderne parmi les peuples musulmans de l'espace impérial russe, comme le voulait aussi Konstantin Leont'ev, pensait que Moscou devait suivre une politique d'alliance mutuellement bénéfique avec des pays comme la Turquie et la Perse. La Russie obtiendrait l'accès tant convoité aux "mers chaudes", tandis que la Turquie et la Perse pourraient se libérer de l'étouffante étreinte européenne qui cherchait continuellement à les monter les uns contre les autres et, alternativement, à favoriser des confrontations directes entre elles et la Russie elle-même. "Une alliance entre le tsar blanc et le calife de l'Islam", a déclaré Ismail Bey "Gasprinsky", "rebatrait complètement les cartes que l'on joue en Europe depuis trois siècles".

Aujourd'hui, comme à l'époque, seule une coopération toujours plus étroite entre des réalités politiques et culturelles extrêmement différentes (comme celles qui existent au sein de l'OCS ou des BRICS) peut permettre de surmonter l'approche occidentale des relations internationales fondée sur la politique du "diviser pour régner".

NOTES:

[1] Qiao Liang, L’arco dell’Impero con la Cina e gli Stati Uniti alle estremità, LEG Edizioni, Gorizia 2021, p. 112.

[2] J. Thiriart, L’impero euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2018, p. 54.

[3] "Des fuites de gaz ont été signalées près de l'île danoise de Bornholm, dans la mer Baltique. Le gouvernement fédéral allemand estime qu'il est possible que les gazoducs Nord Stream aient été endommagés par des "attentats". Voir Fuite de gaz de Nord Stream 1 et 2 : des bulles dans la mer. Opérateur de réseau : "Dommages causés à 3 lignes offshore", 27 septembre 2022, www.rainews.it. Il convient également de préciser que s'il s'agissait d'une opération de renseignement assistée par l'OTAN, on aurait alors affaire à une attaque directe de l'OTAN contre les intérêts vitaux d'un pays membre, même si, à l'heure actuelle, le Nord Stream 1 est hors service pour cause de maintenance et le 2 n'est jamais entré en service.

[4] J. J. Mearsheimer, The tragedy of great powers politics, Northon e Company, New York 2014, p. 171.

[5] F. Sabahi, Storia dello Yemen, Mondadori, Milano-Torino 2010, p. 36.

[6] Vertice di Samarcanda: il discorso di Xi Jinping (trad. Giulio Chinappi), www.cese-m.eu.

[7] Ibidem.

[8] N. Piro, La narrazione dell’oppio afghano è sbagliata, proviamo a riscriverla, www.nicopiro.it.

[9] G. Gabellini, 1991-2022. Ucraina. Il mondo al bivio. Origini, responsabilità, prospettive, Arianna Editrice, Bologna 2022, p. 250.

[10] Ibidem, pp. 250-251.

[11] Vertice di Samarcanda: il discorso di Xi Jinping, ivi cit.

[12] AA.VV., Interpretazione della filosofia diplomatica cinese nella Nuova Era, Anteo Edizioni, Cavriago 2021, p. 33.

[13] Pas du tout victime, contrairement à nombre de ses camarades de parti, d'un parti pris anti-oriental, Radek a déclaré depuis le podium du Congrès : "Camarades, nous faisons appel à l'esprit de combat qui, dans le passé, animait les peuples de l'Est lorsque, conduits par de grands conquérants, ils marchaient sur l'Europe [...] Nous savons, camarades, que nos ennemis nous accuseront d'évoquer la figure de Gengis Khan et des califes de l'Islam [...] et lorsque les capitalistes européens diront que c'est la menace d'une nouvelle barbarie, d'une nouvelle invasion boche, nous leur répondrons: Vive l'Orient rouge !" (dans C. Mutti, Introduzione a N. S. Trubeckoj, L’eredità di Gengis Khan, S.E.B., Milano 2005). L'objectif de Karl Radek était de créer une alliance entre le bolchevisme russe et les nationalismes allemand et turc contre l'ennemi commun : l'impérialisme britannique. À cette fin, il a invité à Bakou Enver Pasha, ancien représentant des Jeunes Turcs et ministre de la guerre de l'empire ottoman pendant les années de la Première Guerre mondiale. Les bolcheviks espéraient, grâce à son aide, mettre fin à la rébellion des Basmatis ("brigands") héritée de la Russie tsariste et qui avait éclaté suite à l'imposition de la conscription obligatoire pour les populations musulmanes d'Asie centrale. Cependant, une fois à Boukhara, Enver Pascia rejoint le soulèvement et en prend la tête avec le titre de "commandant de campagne de toutes les armées musulmanes, gendre du calife et représentant du prophète". Exploitant la propagation des sentiments panislamiques et panprotestants, son idée était de créer un immense État musulman englobant toute l'Asie centrale, plus l'Iran et l'Afghanistan. Cependant, son projet n'a pas duré longtemps. Enver Pasha meurt au combat en 1922, tandis que la révolte s'estompe lentement jusqu'à disparaître complètement dans les années 1930.

[14] G. R. Capisani, I nuovi Khan. Popoli e Stati nell’Asia centrale desovietizzata, BEM, Milano 2007, p. 94.

Entretien avec Claudio Mutti, rédacteur en chef de la revue d'études géopolitiques Eurasia

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Entretien avec Claudio Mutti, rédacteur en chef de la revue d'études géopolitiques Eurasia

Source: https://www.gazzettadellemilia.it/politica/item/38584-intervista-a-claudio-mutti,-direttore-della-rivista-di-studi-geopolitici-%E2%80%9Ceurasia%E2%80%9D?fbclid=IwAR0w9sbHYpqFPxMGzsc9nPZQxr9veJcrJuyGJq8C5au-1S_urTDkcpc7kAQ

La semaine qui s'achève laisse penser que le conflit ukrainien est sur le point de prendre une nouvelle direction et que les scénarios pourraient changer. Pour tenter d'apporter un éclairage, nous avons interrogé un expert en géopolitique, Claudio Mutti, rédacteur en chef du magazine EURASIA.

Par Matteo Pio Impagnatiello Felino (PR)

Au moment où nous nous parlons, la guerre entre l'Ukraine et la Fédération de Russie se poursuit. Pouvez-vous nous dire ce qui se passe réellement dans le scénario de guerre en Europe de l'Est ?

Les États-Unis utilisent l'Ukraine pour creuser un fossé entre la Russie et le reste de l'Europe. Cela ne vient pas de moi, mais d'une source très autorisée, nullement soupçonnée d'anti-américanisme : George Friedman, président de Strategic Forecasting, Inc. connu sous le nom de Stratfor. S'exprimant devant le Chicago Council of Global Affairs, Friedman a déclaré: "L'intérêt premier des États-Unis, pour lequel nous avons mené des guerres pendant un siècle (la Première guerre mondiale, la Seconde et la Guerre froide), est d'empêcher l'Allemagne et la Russie de s'unir, car ensemble, elles représentent la seule force capable de nous menacer. Pour les États-Unis, la crainte fondamentale est que le capital financier et la technologie allemands se soudent aux ressources naturelles et à la main-d'œuvre russes. C'est la seule alliance qui fait peur aux États-Unis, nous essayons de l'empêcher depuis un siècle".

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A la lumière du vote du dimanche 25 septembre en Italie, y aura-t-il des échos sur les relations diplomatiques bilatérales entre l'Italie et la Fédération de Russie ?

Quelques jours avant les élections italiennes, la Pravda écrivait : "La potentielle nouvelle première ministre italienne, Giorgia Meloni, a choisi la voie du chaos (...) elle sera une atlantiste convaincue et une partisane de l'Ukraine". Le diagnostic sévère et réaliste de ce quotidien historique russe a été confirmé le 26 septembre par Meloni elle-même. Au message diplomatique de Dmitry Peskov, porte-parole du président Poutine, qui, parlant de l'Italie, a déclaré : "Nous sommes prêts à accueillir toute force politique capable d'être plus constructive dans les relations avec Moscou", Meloni a répondu indirectement en déclarant son "soutien loyal à la cause de la liberté du peuple ukrainien". Faisant écho à Draghi en niant la validité du référendum visant à annexer les quatre régions ukrainiennes à la Russie, elle a ajouté : "Poutine démontre une fois de plus sa vision néo-impérialiste de style soviétique qui menace la sécurité de l'ensemble du continent européen".

En septembre, d'importantes fuites sous-marines se sont produites dans les pipelines Nord Stream 1 et Nord Stream 2. Comment peut-on les expliquer?

Elles sont expliquées à la lumière des menaces explicites proférées au début de l'année par le président Biden et le secrétaire d'État adjoint américain. En fait, le 7 février 2022, M. Biden a promis que si la Russie attaquait l'Ukraine, le Nord Stream 2 n'existerait plus car les États-Unis s'en débarrasseraient définitivement. Le 27 janvier 2022, Victoria Nuland avait anticipé la menace de Biden en garantissant qu'en cas d'attaque russe contre l'Ukraine, Nord Stream 2 ne se ferait pas. Les menaces ont été suivies de manœuvres militaires. Le 2 septembre, l'hélicoptère américain FFAB123, probablement un élément du support aérien installé sur le navire d'assaut USS Kearsarge, a volé le long du tracé de l'oléoduc aux endroits où l'"incident" allait se produire. Le 13 septembre, d'autres avions de chasse américains ont retracé la route dudit hélicoptère. Le jour où "l'incident" s'est produit, un détachement expéditionnaire de navires de la marine américaine dirigé par l'USS Kearsarge se trouvait à une trentaine de kilomètres.

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Volodymyr Oleksandrovyč Zelens'kyj est le président de l'Ukraine, une république semi-présidentielle qui peut difficilement être considérée comme une superpuissance (avec une population d'un peu plus de 40 millions d'habitants et un niveau de vie encore loin des standards de l'Europe occidentale). Néanmoins, il semble que l'influence du président Zelens'kyj (pour être clair, les demandes qu'il renouvelle périodiquement aux pays du bloc atlantique) soit forte, ce qui entraîne des implications importantes pour l'équilibre géopolitique au détriment de la paix. Est-ce le cas ?

Volodymyr Zelens'kyj est devenu président de l'Ukraine grâce à l'oligarque milliardaire Ihor Kolomojs'kyj, ancien gouverneur de l'oblast de Dnipropetrovs'k, fondateur de la PrivatBank, président de la Communauté juive unie d'Ukraine et citoyen israélien, financier du bataillon Aidar et propriétaire de la chaîne de télévision qui a assuré le succès de Zelens'kyj en tant qu'acteur. Immédiatement après son élection, Zelens'kyj a reçu son programme par le biais d'un communiqué de la Fondation Renaissance, qui, avec l'ambassade des États-Unis à Kiev et le tristement célèbre National Endowment for Democracy, est l'un des principaux financiers de l'Ukraine Crisis Media Center, l'organisation qui fournit des informations sur l'Ukraine aux médias occidentaux. Président d'un pays qui, suite au coup d'État de l'Euromajdan, s'est transformé en principal avant-poste occidental contre la Fédération de Russie, Zelens'kyj exerce de manière flagrante la fonction de mégaphone de l'OTAN que lui a assignée Washington.

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Jusqu'à présent, nous avons mentionné les pays belligérants et l'Italie. Voulez-vous développer la stratégie américaine ? Quel rôle les Américains ont-ils joué et jouent-ils en Europe ?

La guerre contre la Russie menée par les États-Unis à travers l'Ukraine trouve son origine dans la même stratégie antisoviétique élaborée à l'époque par le secrétaire d'État américain Zbigniew Brzezinski ; qui, pour illustrer le rôle décisif qu'une Ukraine séparée de la Russie est appelée à jouer dans la stratégie américaine de contrôle total de l'Eurasie, a cité la célèbre formule du géopoliticien britannique Mackinder : "Celui qui a le pouvoir sur l'Europe de l'Est domine le Territoire du Cœur (= Heartland; en gros, la Russie et les régions voisines) ; celui qui a le pouvoir sur le "Territoire du Cœur" domine l'Île-Monde (c'est-à-dire le Vieux Continent) ; celui qui a le pouvoir sur l'Île-Monde domine le Monde". En bref, la "géostratégie pour l'Eurasie" épousée par l'impérialisme américain consiste à empêcher Moscou d'exercer à tout prix son hégémonie sur sa sphère d'influence historique. Et l'Ukraine, véritable "pivot" géopolitique, en existant en tant que pays "indépendant", empêche la Russie de devenir un empire eurasien. En particulier, l'Ukraine "indépendante" garantit au bloc occidental un accès à la région transcaucasienne, où il peut menacer l'Iran à bout portant et assurer la domination régionale d'Israël.

L'Allemagne et la Russie sont ensemble la seule puissance qui peut menacer les États-Unis

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L'Allemagne et la Russie sont ensemble la seule puissance qui peut menacer les États-Unis

par Maurizio Blondet

Source : Maurizio Blondet & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/germania-e-russia-insieme-sono-l-unica-potenza-che-puo-minacciare-gli-stati-uniti

Un de mes articles de 2015 qui expliquait tout

TITRE ORIGINAL :

Notre véritable ennemi est le grand allié. La preuve ultime

Maurizio Blondet, 20 avril 2015

"Pour les Etats-Unis, la peur primordiale, c'est l'alliance est du capital allemand, de la technologie allemande, combinés aux ressources naturelles russes et à la main-d'œuvre russe : c'est la seule combinaison qui a effrayé les Etats-Unis pendant plus d'un siècle" : tels ont été récemment les propos de George Friedman, le fondateur du centre d'analyse stratégique Stratfor, dans le discours qu'il a prononcé au Council on Foreign Relations le 4 février, et dont nous publions ici la vidéo avec notre traduction intégrale (à partir de l'anglais parlé). Il convient de le montrer avec toute l'attention requise, car il mérite la plus large diffusion.

Friedman, qui est un Juif né à Budapest en 1946, est un homme de l'"État profond" américano-militariste : conférencier à l'US Army War College, chercheur à la National Defense University et à RAND (le porte-voix du système militaro-industriel), il exprime ici avec une franchise sans précédent la stratégie que Washington suivra pour maintenir sa domination mondiale. Dans cette stratégie, l'Europe est un simple pion, rien qu'un outil, dont Friedman parle avec un infini mépris. L'arme utilisée sera la déstabilisation: en Ukraine, c'est ce que nous avons déjà fait en Afghanistan. Abandonnons toute ambition d'instaurer la démocratie ; une fois que nous aurons déstabilisé le pays, nous aurons fait notre travail... Cela vaut la peine d'écouter Friedman. Et d'observer son sourire froid, ou son rictus, lorsqu'il expose le programme.

Voici ce qu'a dit Friedman en résumé :

    - L'Europe n'existe pas.

    - Seule l'intégration germano-russe peut nous menacer, nous ne la permettrons pas (1).

    - C'est pourquoi nous soutenons Kiev.

    - L'armée de Kiev est notre armée, à tel point que nous donnons des médailles à leurs soldats.

    - Nous plaçons des armes dans tous les pays d'Europe de l'Est, en profitant de leur russophobie.

    - Bien sûr, nous agissons en dehors du cadre de l'OTAN.

    - Notre objectif : établir un cordon sanitaire autour de la Russie.

    - Nous pouvons envahir n'importe quel pays du monde, alors qu'aucun pays ne peut nous envahir.

    - Cependant, nous ne pouvons pas occuper l'Eurasie ; la tactique consiste à faire en sorte que les pays s'entre-déchirent.

    - Pour la Russie, le statut de l'Ukraine est une menace existentielle.

    - "C'est cynique, c'est amoral, mais ça marche.

    - L'objectif n'est pas de gagner sur l'ennemi, mais de le déstabiliser.

    - La déstabilisation est le seul but de nos actions à l'étranger. Pas pour établir la démocratie ; lorsque nous avons déstabilisé un pays, nous devons dire : "Mission accomplie", et rentrer chez nous.

    - Notre inconnue, c'est l'Allemagne. Que fera-t-elle ? Elle ne le sait même pas. Géant économique et nain politique, comme toujours dans l'histoire.

    - "L'Europe subira le même sort que tous les autres pays : ils auront leurs guerres. Il n'y aura pas des centaines de millions de morts, mais l'idée d'exclusivité chez chacun des peuples européens, à mon avis, conduira à des guerres. Il y aura des conflits en Europe. Il y en a déjà eu, en Yougoslavie et maintenant en Ukraine.

Le site web Saker compare ce programme avec les propos tenus par Vladimir Poutine lors de la très longue émission télévisée en direct du 6 avril (2015), lorsqu'il a répondu aux questions du public russe :

    - La Russie n'attaque personne, elle ne fait que défendre ses intérêts.

    - Nous avons deux bases militaires en dehors de la Russie, ils ont plus de mille bases dans le monde : et nous sommes les agresseurs ? Où est le bon sens ?

    - Le budget militaire du Pentagone est 10 fois supérieur au nôtre, et c'est nous qui menons une politique agressive... Avons-nous des bases à la frontière américaine ?

    - Qui installe des missiles aux frontières de l'autre ?

Le deuxième résultat est que la Russie, puisqu'elle est victime de représailles économiques injustes en violation des règles de l'OMC, peut s'exempter des règles du commerce international dictées par l'OMC elle-même. La première et la plus onéreuse de ces contraintes est que l'OMC interdit de favoriser les industries nationales face à la concurrence des produits étrangers. L'embargo actuel oblige la Russie à augmenter la part de la production nationale dans ses industries et autres activités économiques ; s'il est bien utilisé, il peut être une occasion inespérée de renforcer son système industriel partiellement abrité de la concurrence étrangère, avec des mesures de protection qui ne seraient pas acceptées par la "communauté internationale" ou sa propre population. Les sanctions causent des difficultés ; elles retardent les modernisations déjà en cours (grâce aux accords avec les industries allemandes), de sorte qu'en quelques années, Moscou aurait pu commencer à produire des biens de "qualité allemande" pour le marché dans les secteurs où elle possède des produits de pointe (nés pour des raisons militaires) qu'elle est incapable d'imposer au niveau mondial : chimie, pharmacie, turbines, puces, optoélectronique et microélectronique, logiciels indépendants (issus des portes dérobées de la NSA) etc. (pour une exposition des projets et des possibilités d'excellence de la Russie, voir ici: https://www.les-crises.fr/l-isolement-de-la-russie-3-la-russie-ne-produit-rien/ ).

En bref, la Russie a l'occasion d'activer ces politiques industrielles dont nous, Européens - vassaux lâches et stupides - avons été totalement privés : de la dévaluation rendue impossible par l'euro, au contrôle des changes et à l'opposition à la fuite des capitaux, mesures traditionnelles depuis des siècles de tout gouvernement souverain, et désormais interdites par le traité de Lisbonne, tout comme l'OMC nous interdit de défendre nos industries envahies et dévastées par les marchandises à bas prix. Alors que nous nous permettons de nouer le dernier nœud coulant autour de notre cou : le TAFTA, le traité transatlantique, par lequel nous nous soumettrons aux réglementations américaines même pour ce que nous mangeons.

L'Europe sombre ainsi dans la crise (causée par la finance américaine et son capitalisme terminal) en s'enfonçant dans la vassalité à l'égard de Washington ; complice servile des sanctions, elle perd la grande opportunité de développer elle-même l'économie russe - ce qui serait une tâche immense, qui nécessiterait un financement énorme et donc des investissements étrangers colossaux, qu'hélas la Chine fournira à notre place. Et en retour, qu'obtient cette Europe-croupion de Washington ? Des plans de déstabilisation et de guerres en interne, comme le promet Friedman.

Le dicton de Plotin s'applique à nous : "Que les vils soient gouvernés par les méchants - c'est juste".

Quant à l'Amérique, et à son destin historique et méta-historique, elle devrait craindre un autre dicton : si "Heureux les artisans de la paix", quelle malédiction pèse sur ces semeurs de discorde anti-chrétiens et ces instigateurs géopolitiques de la haine et de la violence ?

Note:

(1) En 1939, le Council on Foreign Relations de Rockefeller, dirigé à l'époque par Isaiah Bowman, est arrivé à la même conclusion : après une étude minutieuse des relations commerciales de la planète entière, il a déterminé que l'Europe continentale (avec la Russie intégrée à l'Allemagne) formerait un "bloc autarcique", ce qui était contraire à l'intérêt national (américain), puisque les méga-corporations des Etats-UNis avaient besoin d'un "libre accès aux marchés et aux matières premières" de cette partie du monde. Un projet d'études sur la guerre et la paix a été créé (avec une centaine d'avocats, d'industriels, de politiciens, de diplomates, de banquiers) qui, grâce à un financement important (la seule Fondation Rockefeller a donné 300.000 dollars à l'époque), a esquissé tout un projet pour faire entrer les États-Unis dans la guerre, et pour établir un nouvel ordre mondial après la guerre : le FMI, la Banque mondiale étaient déjà conçus à l'époque. Présentés à Roosevelt, les résultats de l'étude le convainquent d'entrer dans le conflit contre l'Allemagne et le Japon.

A lire en complément:

Sur George Friedman sur le blog "euro-synergies": http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2016/02/13/etats-unis-une-nouvelle-vision-geopolitique.html

vendredi, 30 septembre 2022

De la forme des images du monde

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De la forme des images du monde

par Pierluigi Fagan

Source : Pierluigi Fagan & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/forme-delle-immagini-del-mondo

La "géopolitique" est généralement née en tant que discipline avec l'article du géographe politique anglais Halford J. Mackinder, intitulé "Geographical Pivot to History", paru en 1904.

Il convient de noter que Mackinder avait un esprit systémique, car il était certes géographe et homme politique, mais il était aussi le premier directeur de la London School of Economics (LSE). Ainsi, à l'époque impériale du Royaume-Uni, Mackinder a lu le monde avec un état d'esprit dans lequel la géographie, la politique et l'économie étaient des descriptions différentes du même objet. La logique de l'empire l'exigeait. Le monde est ainsi fait, tout entremêlé (cum-plexus), c'est nous qui le lisons dans différentes disciplines incommunicantes, une absurdité que beaucoup pensent être la seule façon de développer la connaissance.

Quoi qu'il en soit, Mackinder était obsédé par le danger d'un développement continental amorcé par l'Empire russe de l'époque. Si une puissance territorialement vaste et puissante se formait sur le continent, les Britanniques sur leur île courraient le risque de devenir une périphérie. D'où venait ce sentiment urgent de danger ?

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Il devait y avoir quelque chose d'actuel motivant cette crainte, même si la préoccupation stratégique britannique concernant le danger que les Russes deviennent un hégémon sur de grands espaces continentaux était déjà assez ancienne, voir la guerre de Crimée.

En 1900, lors de l'Exposition universelle de Paris, les Russes ont présenté pour la première fois les plans d'une incroyable ligne de chemin de fer qui devait relier (relier, c'est potentiellement unir), l'extrême ouest à l'extrême est russe. Il s'appelait le Transsibérien et serait achevé juste l'année précédant l'article fondateur de l'Anglais. C'est cette annonce qui a inquiété les élites impériales britanniques et Mackinder en a fait "son propre temps mis en pensée", inventant la discipline. Il y avait eu d'autres lectures de la géographie politique dans le passé, mais par convention, la discipline est née avec son article.

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Il convient donc de dire que la politique entre les nations se lit avec la géographie sur laquelle se trouvent les systèmes. Les systèmes sont les États, mais ce sont leurs interrelations qui affectent les conflits géopolitiques. Les interrelations peuvent être immatérielles, par exemple le partage d'une monnaie, d'un ensemble d'organisations multilatérales, de conventions juridiques générales, ou spécifiques à l'action économique (par exemple la mondialisation à la manière de l'OMC ou aujourd'hui les démocraties contre les autocraties).

Mais elles sont souvent matérielles, par exemple les chemins de fer dans le cas que nous venons de citer, mais aussi les oléoducs et gazoducs, les réseaux Internet (par exemple le nouveau système satellitaire américain Starlink mis à la disposition d'abord des Ukrainiens, maintenant des Iraniens en révolte contre le pouvoir local), les routes maritimes et bien d'autres choses encore.

Les conflits géopolitiques sont donc aussi des conflits portant sur la formation, l'expansion et la sécurité des réseaux reliant les puissances aux systèmes vassaux périphériques. C'est quelque chose, je me permets de le rappeler, que nous avons étudié à l'école quand on nous y parlait des Romains et de leur fixation sur les aqueducs et les routes. Aujourd'hui, nous avons les Chinois avec l'initiative "Belt and Road".

Le monde est multidimensionnel, le conflit est multidimensionnel, notre capacité à lire les questions multidimensionnelles s'affaiblit. Il s'agit d'une intention claire non seulement de vous dire directement ce que vous devez penser, mais aussi d'imposer la manière dont vous pouvez penser. En imposant la manière, vous n'avez même pas besoin de forcer votre pensée dans la direction souhaitée, vous n'avez tout simplement pas d'autre façon de penser. Les poissons ne pensent pas "Je suis dans la mer", ils n'ont tout simplement pas la faculté de penser qu'il y a autre chose au-delà de la mer.

Frapper North Stream 1 et 2, c'est faire comprendre que le découplage entre la demande énergétique européenne et le fournisseur russe doit à l'avenir être irréversible. Puisque l'hiver arrive et que les Européens, frigorifiés, pourraient refroidir leur allégeance aux Etats-Unis dans le cadre du conflit ukrainien, mieux vaut être clair.

Beaucoup ont leur cerveau câblé de telle manière qu'ils penseront immédiatement que les Russes l'ont commis l'attentat. Peu importe que le bouton qui régule les flux de gaz ou les fait circuler soit déjà entre les mains des Russes, qui n'ont eu aucun scrupule à le fermer ou à l'ouvrir selon leurs intentions géopolitiques. Puisque leur cerveau est câblé d'une certaine manière, ils n'auront aucun doute sur le fait qu'au lieu d'ouvrir et de fermer le bouton, il est plus pratique d'aller faire sauter leurs propres tuyaux posés à grands efforts et à grands frais, se créant ainsi, pour eux-mêmes, un problème vraiment sérieux. Vous savez, ce sont des Russes, ils sont mauvais, et les méchants sont souvent aussi stupides. Mais les bons aussi et parfois ce sont les bons qui sont mauvais.

Ou peut-être qu'en ces matières, il ne faut pas appliquer les catégories du bien et du mal, mais seulement celles, plus froides, de l'intérêt géopolitique, désormais inconnu de la plupart de nos contemporains. Alors maintenant, dans la Baltique, les poissons regarderont leur mer et penseront : lisse, étincelante ou ...   

 

mercredi, 28 septembre 2022

Les guerres illégales de l’OTAN

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Les guerres illégales de l’OTAN

par Yannick Sauveur

Source: Eurasia, 4/2022 - Le guerre illegale della NATO.

Les journaux titrent "La guerre en Europe" tout en se gardant bien de préciser que cette guerre en Ukraine n’a pas démarré le 24 février 2022. En informateurs zélés au service de leurs sponsors occidentaux, ils  passent sous silence les tensions qui agitent ce pays au cœur de l’Europe centrale depuis près de 20 ans : révolution orange en 2004, coup d’Etat de 2014, massacre de 14 000 de leurs concitoyens russophones dans le Donbass. Cette guerre n’est pas non plus la première en Europe depuis 1945. Une guerre atroce a accompagné dès 1992  le démantèlement de l’ex-Yougoslavie  avec en point d’orgue les bombardements sur Belgrade en 1999.

Cette guerre au cœur de l’Europe rappelle opportunément le rôle de l’OTAN. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou Traité de Washington est signé à Washington le  4 avril 1949 au début de la guerre froide, en réaction au blocus de Berlin exercé par les Soviétiques (juin-juillet 1948). À l’origine, l’OTAN comprend les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France, les pays du Benelux, le Canada, le Danemark, l’Islande, l’Italie, la Norvège, le Portugal. La Grèce et la Turquie rejoignent l’OTAN en 1952 et l’Espagne en 1982. L’OTAN est généralement présentée comme une alliance défensive face à un ennemi, le bloc soviétique. Or, le Pacte de Varsovie (le pendant de l’OTAN) ne prend forme que six ans plus tard. Signé le 14 mai 1955, il l’est en réaction à l’adhésion de l’Allemagne de l’Ouest (RFA) à l’OTAN (6 mai 1955).

Si la « justification » de l’OTAN résidait dans la menace soviétique, celle-ci n’existant  plus avec la disparition de l’URSS (1991) et concomitamment la dissolution du Pacte de Varsovie (juillet 1991), en toute logique, l’OTAN n’avait plus sa raison d’être. Or, non seulement, l’OTAN continua d’exister mais de surcroît, elle continua de s’étendre contrairement aux engagements pris.

Il n’est pas inutile de rappeler que James Baker, Secrétaire d’État des États-Unis, sous l’autorité du président Ronald Reagan, avait promis à la Russie, par l’entremise de Mikhail Gorbatchev, que l’OTAN allait exclure toute « expansion de son territoire vers l’Est, ou s’approcher des anciennes frontières soviétiques. » Selon les nombreuses sources présentes, il réitéra lors de la signature cette promesse en s’accordant sur l’affirmation de Gorbatchev, selon laquelle l’expansion de l’OTAN est inacceptable, à présent que la guerre froide est terminée, et l’Europe, la Russie et les États-Unis devraient trouver un terrain d’entente sur la voie amenant à la paix et à la prospérité. Baker avait répondu : « lui et les Étasuniens ont compris que ‘non seulement pour l’Union soviétique, mais aussi pour les autres pays d’Europe, il est important de disposer de garanties selon lesquelles, si les États-Unis maintiennent leur présence en Allemagne dans le cadre de l’OTAN, l’OTAN ne devrait pas bouger vers l’Est, c’est-à-dire ne pas s’étendre vers les pays de l’ancien Pacte de Varsovie. ’ 

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Les pays ayant rejoint l’OTAN postérieurement à la fin de l’Union soviétique sont :

- la Pologne, la Hongrie, la République tchèque (1999),

- la Bulgarie, la Roumanie, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Slovaquie, la Slovénie (2004),

- la Croatie, l’Albanie (2009),

- le Monténégro (2017),

- la Macédoine du Nord (2020).

À ces pays, il faut ajouter la Suède et la Finlande, pays neutres, dont la demande d’adhésion à l’OTAN (2022) a été entérinée par l’ensemble de ses membres.  Ce nouvel élargissement de l’OTAN est une provocation supplémentaire à l’égard du voisin russe, la Finlande partageant une frontière de plus de 1300 kms avec la Russie.

Deux autres pays, neutres eux aussi, l’Autriche et la Suisse, bien que ne faisant pas partie de l’OTAN, participent au Partenariat pour la paix (PPP). Pour l’ancien secrétaire à la Défense, William Perry : « La différence entre l’adhésion pleine et entière à l’OTAN et la participation au ˮPartenariat pour la paixʺ doit être aussi ténue qu’une feuille de papier ».  Et pour Daniele Ganser, il ne fait aucun doute que ce PPP est un Partenariat pour la guerre et non un Partenariat pour la paix.

Enfin reste le cas de l’Ukraine, considérée comme un « pivot géopolitique » par Zbigniew Brzezinski  et dont les velléités d’adhésion à l’OTAN sont anciennes puisque déjà en avril 2008, le sommet de l’OTAN à Bucarest actait le principe de l’adhésion de l’Ukraine. L’ancien conseiller du président Carter (1977-1981) est le véritable concepteur de l’élargissement de l’OTAN : « L’élargissement de l’Europe et de l’OTAN serviront les objectifs aussi bien à court terme qu’à plus long terme de la politique américaine. Une Europe plus vaste permettrait d’accroître la portée de l’influence –et, avec l’admission de nouveaux membres venus d’Europe centrale, multiplierait le nombre d’Etats pro-américains au sein des conseils européens –sans pour autant créer simultanément une Europe assez intégrée politiquement pour pouvoir concurrencer les Etats-Unis dans les régions importantes pour eux, comme le Moyen-Orient. » 

L’histoire de l’OTAN est celle d’une succession de guerres depuis 1949 jusqu’à celle en cours de l’Ukraine. Il serait plus juste de parler de l’histoire de l’Empire US car cette « succession de guerres » n’a pas commencé en 1949, loin s’en faut, mais il faudrait remonter à 1846 et à la guerre du Mexique qui a permis aux États-Unis de s’emparer de la moitié du territoire mexicain, qui deviendra le Nouveau-Mexique, l’Utah, l’Arizona, la Californie, le Nevada ainsi qu’une partie du Colorado.  Toutes obéissent toujours au même schéma : déstabilisation de pays cibles, vassalisation desdits pays, mise en place de bases militaires avec un seul et même objectif permanent, l’occupation politico-économico militaire au profit des puissances anglo-saxonnes dont les USA. Rappelons tout d’abord que si l’OTAN est une alliance militaire, celle-ci est, dans les faits, dirigée par les USA : « La seule organisation internationale qui ait jamais fonctionné est l’OTAN. Parce que c’est une alliance militaire et que nous la dirigeons. »  (Richard Nixon). Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a une fonction essentiellement de relations publiques. C’est à ce titre qu’il est connu dans les médias. En revanche, le pouvoir réel est celui militaire qui est exercé au plus haut sommet par des Américains, à savoir le général Christopher G. Cavoli pour le Supreme Allied Commander Europe (SACEUR). Exercice américain sans partage comme en témoigne la demande de la France de voir le commandement Sud de l’OTAN attribué à un officier européen et à laquelle William Cohen, secrétaire d’Etat à la Défense, répondit sans ambiguïté : « c’est clair, c’est catégorique, ce n’est vraiment pas négociable ».  

Dans cette succession de guerres, avant ou après 1949, soit directement, soit par procuration, le mode opératoire de l’Empire US est toujours le même, à base de provocations, de révolutions orange, de mensonges, de corruption, de guerre de l’information (c'est-à-dire de désinformation).

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Si nul n’ignore aujourd’hui la propagande éhontée au sujet des armes de destruction massive , prétexte à l’invasion de l’Irak en 2003, il n’est pas inutile de rappeler, quoique de façon non exhaustive, la longue tradition de mensonges qui jalonne l’histoire des Etats-Unis :

- Le 15 février 1898, le cuirassé américain USS Maine explose dans le port de La Havane provoquant la mort de 266 Américains. Le prétexte est idéalement trouvé pour l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Espagne avec pour conséquence l’annexion de Cuba, de Porto Rico, des Philippines et de l’île de Guam. C’est la première guerre que les Etats-Unis menaient en dehors de leur territoire. En 1911, 13 ans après la fin de la guerre hispano-américaine, l’examen de l’épave USS Maine a montré que les effets conjugués du gaz et de l’électricité avaient détruit le navire de l’intérieur. Les Espagnols n’avaient donc rien à voir avec le naufrage du cuirassé. 

- La guerre du Vietnam. Le président Lyndon Johnson, qui venait de succéder à John Fitzgerald Kennedy, et la CIA voulaient un prétexte pour impliquer les Etats-Unis dans une guerre ouverte contre le Vietnam. Lyndon Johnson a prétendu que le Viet Minh avait attaqué un navire de guerre américain, l’USS Maddox, dans le golfe du Tonkin (4 août 1964). Le 5 août, la guerre commençait officiellement avec les bombardements sur le Nord-Vietnam. En 2005, la NSA (Agence de sécurité nationale) a publié plus de 140 documents jusque-là top secret concernant l’incident du golfe du Tonkin, dont une étude de l’historien Robert Hanyok et qui confirme ce que d’autres soupçonnaient depuis longtemps : il n’y a eu aucune action contre des navires américains dans le golfe du Tonkin le 4 août 1964.  Du reste, de la bouche même des équipages du destroyer américain, l’attaque dans le golfe du Tonkin était une pure invention.

- Le pillage des couveuses et la guerre du Golfe (1991). Le mensonge des « couveuses » est monté par la société de communication Hill & Knowlton. Le 10 octobre 1990, Nayirah, une jeune fille de 15 ans présentée comme une infirmière témoigne en larmes devant le Comité des droits de l’Homme du Congrès que pendant l’invasion, elle travaillait dans un hôpital koweïti et avait vu des soldats irakiens sortir des bébés des incubateurs et les déposer par terre où ils étaient morts. 312 nouveau-nés seraient morts. En réalité, après la guerre, on apprit que l’histoire des couveuses était un mensonge infâme et que Nayirah s’appelait en réalité Nijirah al-Sabah et était la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington.  

Mensonges d’Etat, désinformation, tous les présidents des Etats-Unis impliqués dans des guerres sont des criminels de guerre, qu’il s’agisse d’Eisenhower, Johnson, Nixon, Carter, Reagan, Clinton, Bush père & fils, Obama accessoirement Prix Nobel de la Paix (sic). Aucun de ces présidents n’est allé en prison ou n’a eu à répondre devant la justice des milliers de morts. Il en est de même des dirigeants successifs de la CIA, des conseillers politiques (Madeleine Albright, Henry Kissinger), des chefs d’Etat ou de gouvernement (Margaret Thatcher, Tony Blair). Et la liste est loin d’être exhaustive.

Toutes les guerres de l’OTAN ont été relayées par un unanimisme des medias, de la classe politique, de la majorité des intellectuels, un formatage de l’opinion, le tout sous couvert d’humanitarisme, de bons sentiments moraux avec toujours la même rengaine, l’exportation de la démocratie (cf. ce qu’il advient en Libye, en Irak,…)

Le langage de la propagande ne s’embarrasse pas de subtilités de langage ou de finesse de vocabulaire : Saddam Hussein est un « psychopathe » et/ou un « nouvel Hitler » tout comme le dirigeant libyen Kadhafi. Milosevic est présenté comme un « dictateur sanguinaire » voire « le Führer serbe Milosevic » (Rudolf Scharping, ministre de la Défense allemand) ou « Boucher des Balkans ». Pour les Etats-Unis, la Libye compte avec l’Irak, l’Iran et Cuba parmi les « grands méchants » de la planète. Ces mêmes pays ainsi que la Syrie et le Soudan sont au choix des « Etats-parias » ou « terroristes ». Pour George Schulz, secrétaire d’Etat sous les mandats de Reagan, « Le Nicaragua est un cancer qui s’insinue dans notre territoire, il applique les doctrines de Mein Kampf et menace de prendre le contrôle de tout l’hémisphère ». Quant à Vladimir Poutine, volontiers présenté comme un « dictateur » (Jean-Yves Le Drian, ministre français des affaires étrangères sur TF1), d’aucuns vont jusqu’à faire état d’une continuité supposée entre Joseph Staline et Vladimir Poutine. Pour John McCain, Poutine est un « impérialiste russe et un apparatchik du KGB ». « Fou » ne faisait pas encore partie des éléments de langage, et bien, grâce à Milos Zeman, président de la République tchèque,  c’est fait : il a qualifié jeudi l’invasion russe de l’Ukraine d’« acte d’agression non provoqué », estimant que « le fou doit être isolé  (…) Il y a quelques jours, j’ai dit que les Russes n’étaient pas fous et qu’ils n’attaqueraient pas l’Ukraine. J’avoue que j’avais tort (…). Le fou doit être isolé. Et il s’agit de ne pas s’en défendre uniquement par des mots, mais par des mesures concrètes ».

À l’inverse, et dans le plus pur style orwellien, les Contras, assassins sanguinaires sont présentés comme des « combattants de la liberté » et la guerre de l’OTAN contre la Serbie est une « guerre humanitaire » !

Le coup d’Etat en Ukraine du 20 février 2014

Les Américains tirent les ficelles et ne s’en cachent pas. John McCain est présent à Kiev dans les semaines qui précèdent le coup d’Etat et exhorte les manifestants à renverser le gouvernement ukrainien. Les manifestations de Maïdan sont exploitées sur place par les multiples visites de responsables américains, les conversations téléphoniques entre Victoria Nuland et Geoffrey Pyatt, l’ambassadeur US en Ukraine, au cours desquelles ils ont discuté de la nouvelle composition du gouvernement. C’est au cours de ces conversations interceptées que Victoria Nuland  avait lancé son fameux « Fuck UE ! » Après le putsch, l’objectif des nouveaux gouvernants était de rallier l’Ukraine à l’OTAN. 

La position de la Russie est claire et de bon sens : que l’Ukraine n’accueille jamais de missiles américains et qu’elle n’adhère pas à l’OTAN. Ces demandes ont été rejetées par Victoria Nuland qui a déclaré : « Ce sont des décisions qui appartiennent à l’Ukraine et à l’OTAN, pas au Kremlin. » Et Serguei Lavrov résume la situation : « Toutes nos propositions visant à écarter ces menaces sur la base du respect mutuel des intérêts de la sécurité ont été ignorées par les États-Unis, l’UE et l’Otan. Malgré ses assurances antérieures de non-expansion vers l’Est, l’Alliance a rapproché ses frontières de celles de la Russie à cinq reprises. Nous pouvons assister à une situation similaire avec l’Ukraine. Dans ce pays, on a interdit tout ce qui est russe: la langue, l’éducation, la culture, les médias. »

L’objectif évident des USA est d’encercler toujours plus la Russie et, pour ce faire, intégrer l’Ukraine dans l’OTAN. C’est là que se situe la ligne rouge pour Vladimir Poutine pour qui il en va de la sécurité de la Russie et celle-ci a besoin d’un glacis sécurisé. Il semble que les négociations étaient bien avancées avec l’Ukraine en vue de son intégration dans l’OTAN. Or, parallèlement, non seulement les Américains restaient sourds aux demandes de Vladimir Poutine mais en plus ils envoient  davantage de troupes américaines chez les alliés d’Europe de l’Est de l’OTAN, les exercices de l’OTAN se déroulent à proximité des frontières de la Russie. Il faut rappeler ce contexte pour comprendre que l’opération militaire russe était l’unique solution pour empêcher l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan.

Pour mémoire, on rappellera les quelques dernières guerres de l’OTAN :

- 1991 : agression de la Yougoslavie,

- 1999 : bombardements de la Serbie et du Kosovo,

- 2001 : bombardements massifs en Afghanistan,

- 2003 : sans avoir obtenu l’autorisation du Conseil de sécurité, les Etats-Unis envahissent l’Irak avec comme principaux alliés le Royaume-Uni, l’Australie, l’Italie et l’Espagne. Pour une fois, la France sauve l’honneur,

- 2011 : Intervention en Libye,

- 2011… : Syrie,

- 2014 : Coup d’État en Ukraine,

- 2015 : Le Yémen est attaqué par l’Arabie saoudite sans mandat de l’ONU, avec le soutien des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne, membres de l’OTAN.

Depuis 1945 et la fondation de l’Organisation des Nations Unies (ONU), il est interdit de recourir à la guerre, cette interdiction ne souffrant que deux exceptions : d’une part, le droit à l’autodéfense, d’autre part, l’autorisation d’un mandat explicite du Conseil de sécurité de l’ONU. Il est peu de dire que la Charte des Nations Unies (San Francisco, 26 juin 1945) interdisant à ses membres de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies a été superbement ignorée par la plus grande alliance militaire au monde, l’OTAN, qui a conduit le plus de guerres illégales et ce, en toute impunité.  Guerres masquées, coups d’État, absence de mandat de l’ONU (Serbie 1999, Irak 2003), détournement d’un mandat de l’ONU (Libye 2011, la résolution de l’ONU autorisait une zone d’exclusion aérienne, afin de protéger la population civile. Elle n’autorisait pas un changement de régime et l’assassinat de Mouammar Kadhafi), l’ONU a montré son impuissance comme avant elle la SDN. Est-ce si étonnant ?  Pas vraiment si on en juge par les propos de divers dirigeants américains : Madeleine Albright pour qui « le secrétaire général de l’ONU doit être seulement un administrateur » ou G.W. Bush : « je me demande si l’ONU est indispensable au XXIè siècle (…) ».  Noam Chomsky note pour sa part que « Les plus hautes autorités expliquent avec une brutale clarté que la Cour Internationale de justice, l’ONU et les autres organisations internationales sont devenues sans objet, puisqu’elles n’obéissent plus aux ordres de Washington (…) ».

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Nous faisons nôtres les constats de Daniele Ganser sur les guerres menées par l’OTAN qui sont des guerres au service de l’impérialisme américain. En revanche, nous sommes réservés sur le concept de « légalité ». La question n’est pas celle des guerres illégales, au regard du Droit, certaines peuvent l’être tout en étant des guerres justes, guerres de libération nationale ou celle de la Russie venant au secours des populations russophones du Donbass et d’autres qui ne le sont pas. Dans le cas qui nous occupe, les guerres décrites ici, celles de l’impérialisme américain, sont naturellement des guerres illégales. L’histoire contemporaine a prouvé que l’ONU est incapable de faire respecter le contenu de sa charte. Avec trois membres permanents de l’OTAN (E.U, G.B., F.) sur cinq au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, à moins d’un veto de la Chine ou de la Russie, le résultat est connu et on a vu, hélas, que dans des cas importants (Libye), la Russie et la Chine choisissent l’abstention. Pour les Etats-Unis, la force prime le droit et, se  croyant investis d’une mission universelle, ils continueront à œuvrer comme ils l’ont toujours fait depuis près de 200 ans. L’OTAN a toujours été un outil au service de l’impérialisme américain et le « parapluie » américain en créant une soumission des pays de l’Europe de l’Ouest a empêché que se crée une véritable Europe souveraine et ayant sa propre défense. L’OTAN est une menace pour la paix mondiale et en premier lieu pour l’Europe, territoire convoité mais nain politique et militaire. L’OTAN n’a plus de raison d’être depuis la disparition de l’URSS. Cette organisation guerrière doit être dissoute et à tout le moins sortir de l’Europe. L’intérêt des peuples européens et de la paix en Europe le commande.

Yannick Sauveur

 

lundi, 26 septembre 2022

Samarkand : la voie de la multilatéralité

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Samarkand : la voie de la multilatéralité

par Mario Lettieri et Paolo Raimondi

Source : Mario Lettieri et Paolo Raimondi & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/samarcanda-la-via-della-multilateralita

Les résultats du sommet des chefs d'État des pays de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui s'est tenu le 16 septembre à Samarkand, en Ouzbékistan, méritent d'être analysés sans œillères idéologiques ou sans préjugés préétablies. Elle permettrait d'éviter les erreurs d'appréciation géopolitiques que l'on pourrait regretter par la suite.

L'OCS a été créée en 2001, dans le but de coordonner les activités des pays membres dans la lutte contre le terrorisme, pour la sécurité et surtout pour la coopération économique, technologique et infrastructurelle. Elle compte aujourd'hui neuf membres, dont la Chine, l'Inde et la Russie. Ensemble, ils représentent 40% de la population et 25% du PIB mondial.

Ceux qui essaient de voir dans l'OCS la réalisation d'un Otan d'Eurasie ont tort. Les différences entre les participants sont trop nombreuses et trop profondes. Il serait toutefois tout aussi erroné de sous-estimer leur importance. Il serait profondément trompeur de répéter pour l'OCS les erreurs de jugement que beaucoup font délibérément par rapport au rôle des BRICS.  

Une lecture attentive de la Déclaration finale de Samarkand permettrait de mieux comprendre les processus à l'œuvre. Il convient tout d'abord de noter que parmi les différents chefs d'État, le président chinois Xi Jinping, le Premier ministre indien Narendra Modi et le président russe Vladimir Poutine étaient présents. Et ce, malgré, il faut le noter, l'isolement total de Poutine imposé par l'Occident et par les sanctions contre la Russie.

Il convient plutôt de prendre note de l'évaluation géopolitique et géoéconomique offerte par le sommet. En ce qui concerne la sécurité, il est indiqué que "le monde subit des changements globaux. Ces processus s'accompagnent d'une multipolarité accrue. Le système actuel de défis et de menaces internationales devient plus complexe, la situation dans le monde s'est dangereusement détériorée, les conflits et les crises locales s'intensifient et de nouveaux conflits apparaissent."

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À propos de l'économie, on peut lire: "La fracture technologique et numérique croissante, les turbulences persistantes sur les marchés financiers mondiaux, la réduction des flux d'investissement, l'instabilité des chaînes d'approvisionnement, la multiplication des mesures protectionnistes et d'autres obstacles au commerce international ajoutent à la volatilité et à l'incertitude de l'économie mondiale".

Le concept le plus répété est celui de la "multilatéralité", interpelant ainsi les États-Unis et l'Occident. 

Certains aspects de la coopération économique méritent l'attention. La déclaration indique que les membres de l'OCS, à l'exception de l'Inde, "réaffirment leur soutien à l'initiative chinoise "Une ceinture, une route" (Obor, la route de la soie) et reconnaissent les travaux en cours pour mettre en œuvre le projet et les efforts visant à lier la construction de l'Union économique eurasienne à l'Obor."  L'idée est d'établir un partenariat eurasien élargi impliquant, outre l'OCS, l'UEEA, les pays de l'Asean, d'autres États intéressés et des associations multilatérales.

Le texte fait également référence à l'importance de l'utilisation des monnaies nationales dans les règlements commerciaux et monétaires déjà pratiqués par certains Etats membres. C'est le cas entre la Russie et la Chine, et l'Inde devrait également régler prochainement ses échanges avec la Russie en monnaies nationales.

Cette orientation rapproche l'OCS des politiques des BRICS. En effet, la déclaration finale fait état de l'intention de créer une banque de développement de l'OCS, un conseil des affaires, un fonds de développement au sein d'un accord-cadre pour la coopération dans le domaine du commerce et des services, un programme de développement des infrastructures dans le domaine des transports et de l'énergie, et un plan d'action pour le développement du commerce entre les États membres. Toutes les pratiques déjà éprouvées par les BRICS.

Il n'est pas élégant de se répéter, mais espérons que l'Union européenne et ses États membres ne se limitent pas à de simples commentaires mais participent activement aux projets de développement. Sinon, le sommet de Samarkand ne serait que la confirmation d'une dangereuse division du monde en deux blocs opposés. 

La division en blocs, surtout maintenant qu'il y a une guerre entre la Russie et l'Ukraine, peut encore aggraver la situation. Nous pensons que l'intérêt des peuples de l'UE, à commencer par celui de l'Italie, est au contraire de ne pas interrompre le mince fil des relations entre les différents mondes afin de parvenir à une coopération durable et pacifique.

samedi, 24 septembre 2022

Une réponse révolutionnaire au transatlantisme : la "mission eurasienne" d'Alexander Douguine

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Une réponse révolutionnaire au transatlantisme : la "mission eurasienne" d'Alexander Douguine

par Alexander Markovics

Bron: https://gegenstrom.org/alexander-markovics-eine-revolutio...

Au vu des crises actuelles qui tiennent fermement les États européens comme dans un étau, de nombreux Européens inquiets s'interrogent anxieusement sur l'avenir géopolitique du continent. Alexander Markovics, on le sait, défend avec passion l'idée d'un lien fort entre l'Europe et la Russie. C'est ce qu'il fait également dans l'article suivant, où il explique les domaines de la politique sociale et de la géopolitique et leurs oppositions polaires respectives.

L'Europe souffre de son inféodation aux États-Unis et à la communauté des valeurs occidentales. Que ce soit en termes d'identité (immigration de masse, individualisme, politique de genre) ou de politique économique et énergétique (sanctions contre la Russie), le lien étroit avec les États-Unis et le libéralisme n'offre absolument aucun avenir à l'Europe. Mais à quoi peut ressembler une alternative révolutionnaire au "Nouvel ordre mondial" et à la mondialisation ? Dans son livre "Mission eurasienne", le philosophe russe Alexandre Douguine présente une contre-proposition révolutionnaire à l'ordre mondial occidental, qui promet également un avenir plein d'espoir pour l'Allemagne et l'Europe. Nous allons maintenant exposer les principales idées que Douguine exprime dans ce livre et déterminer si ce dernier peut également intéresser le camp des patriotes en Allemagne.

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Mission eurasienne - une alternative au transatlantisme

Dans cette traduction en français d'un ouvrage déjà paru en anglais en 2014, Douguine décrit d'une part l'évolution de l'idée eurasienne, en commençant par l'eurasisme dans l'entre-deux-guerres, en passant par le néo-eurasisme vers la fin de l'Union soviétique, jusqu'à la Quatrième théorie politique à la fin des années 2000, et d'autre part il explique pourquoi celle-ci constitue une alternative au transatlantisme (ndt: terme allemand pour désigner l'atlantisme), non seulement pour la Russie, mais aussi pour les autres civilisations du monde. Les textes rassemblés pour ce livre couvrent une longue période allant du début des années 2000 ("Manifeste de l'alliance révolutionnaire mondiale") à 2022 (voir ses textes sur l'opération militaire russe en Ukraine) en passant par la fin des années 2000 et le début des années 2010 (textes sur la Quatrième théorie politique, interview de Douguine peu avant la réélection de Poutine en 2012). En outre, l'édition allemande contient également une préface de Peter Töpfer sur le "Sujet radical" de Douguine, qui fait référence à son œuvre philosophique. Nous n'en ferons ici qu'une brève remarque, car cette explication ne figure pas dans l'édition allemande. Ce faisant, les textes abordent également une question cruciale : Qu'est-ce qui fait de l'eurasisme et de la Quatrième théorie politique une réponse révolutionnaire au libéralisme pour l'Allemagne et l'Europe ?

Pour la diversité des peuples, contre l'universalisme occidental

La nature révolutionnaire de l'eurasisme se révèle dans le fait qu'il rejette l'universalisme occidental dans toutes ses dimensions. Chaque peuple doit-il vivre dans une démocratie à l'occidentale ? Toutes les économies doivent-elles obéir aux lois du libre marché et du capitalisme ? Ce sont précisément ces idées que les Eurasistes rejettent radicalement. Cela s'explique en grande partie par l'histoire de leur développement : dans le prolongement des slavophiles qui, dès le 19ème siècle, rejetaient le libéralisme et proclamaient une civilisation russe autonome, bien distincte de l'Occident, les Eurasistes ont commencé à réfléchir à la place de la Russie dans le monde lors de leur exil européen dans les années 1920, après la fin de la guerre civile russe. Les principaux représentants de l'eurasisme, tels Nikolai Trubetzkoy [1], Petr Savitsky [2] et Lev Gumiljov [3], ont rejeté l'exigence occidentale de pérégriner  spirituellement "d'est en ouest" et ont insisté sur leur identité russo-eurasienne si particulière, qu'ils conçoivent explicitement comme une synthèse non seulement des cultures slaves orientales et finno-ougriennes, mais aussi des modes de vie mongol et turc. Une importance particulière est accordée à l'effet passionnel qui, selon Gumiljov, conduit à un mode de vie actif et intense (celui des peuples des steppes) et constitue une mutation génétique au sein de l'ethnos, contribuant à la naissance de passionnés.

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Le monde : pas un univers, mais un plurivers

Par analogie avec le représentant de la Révolution conservatrice Oswald Spengler, ils ont ainsi forgé le concept de "civilisation", par lequel ils entendent non pas une forme de déchéance de la culture, mais un cercle culturel parmi d'autres, auquel différents peuples et cultures peuvent s'unir en raison de points communs dans leur histoire, leur culture et leur religion. Contrairement aux penseurs libéraux occidentaux du 20ème siècle, qui affirmaient qu'il n'existait qu'une seule civilisation occidentale et que tous les autres peuples étaient des barbares, les Eurasistes proclamaient la pluralité des civilisations et donc un plurivers, par opposition à la conception occidentale d'un univers culturel. Ainsi, tout en rejetant l'idée d'un "monde unique", ils considèrent qu'il y a autant de mondes que de peuples dans l'esprit des gens, générés par le langage propre à chacun d'eux et ce, en premier lieu, dans la pensée.

La terre : l'habitat comme influence décisive dans le devenir d'un peuple

En s'appuyant sur la discipline de la géosophie, les Eurasistes ont constaté qu'il ne pouvait y avoir de modèle universel de développement humain, car la multiplicité des paysages sur la Terre engendre également une multiplicité de cultures, chacune avec ses propres cycles, ses propres critères internes et sa propre logique. L'habitat définit donc le peuple qui y vit, les peuples deviennent l'expression du paysage dans lequel ils vivent. En conséquence, les Eurasistes ont plaidé pour que les civilisations soient également analysées selon un axe spatial.

Les néo-eurasistes : eurasisme + traditionalisme + géopolitique

Les néo-eurasistes, qui ont commencé à faire parler d'eux à la fin des années 1980 et dont Alexandre Douguine est l'un des principaux représentants, ont repris les idées de leurs ancêtres en les enrichissant de la pensée de la révolution conservatrice et de la géopolitique. L'émergence de ce mouvement de pensée a été rendue possible par l'érosion de l'Union soviétique qui, après la fin du stalinisme, était prise dans un conflit interne entre les forces réformistes/sociales-démocrates et les faucons aux idées conservatrices. La victoire des forces réformistes a été suivie par l'éclatement de l'URSS et l'émergence d'un État russe dont les élites percevaient la culture russe comme quelque chose d'étranger à assimiler à la culture occidentale. Le national-bolchevisme, né de la collaboration entre d'anciens cadres conservateurs du PCUS et des opposants conservateurs et patriotes, n'était qu'une étape intermédiaire dans le développement du néo-eurasisme. Suivant les leçons de Carl Schmitt, ils comprenaient la lutte entre l'Occident et la civilisation eurasienne comme un conflit entre des puissances maritimes à l'esprit progressiste et mondialiste et des puissances continentales (telluriques) à l'esprit conservateur et traditionaliste. Dans le cadre de ce conflit historique mondial entre la terre et la mer, chaque État et chaque culture peut choisir son camp. Les néo-eurasistes, en tant qu'opposants à l'ordre mondial unipolaire et à la mondialisation, plaident ici en faveur d'une prise de position aux côtés de la puissance terrestre dans la grande guerre des continents. Enfin, l'école de pensée philosophique du traditionalisme, avec ses représentants René Guénon, Julius Evola et Titus Burckhardt, est également d'une grande importance pour le néo-eurasisme, car elle représente un règlement de comptes général non seulement avec le libéralisme et le capitalisme, mais aussi avec l'ensemble de la modernité en tant que telle, qui souligne la primauté de l'idée et de la religion. Par conséquent, le néo-eurasisme est une idéologie anti-impérialiste, anti-moderne et anti-capitaliste, dont l'objectif est de restaurer le mode de vie et de pensée traditionnel au sein de chaque civilisation.

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Grand espace et civilisation comme nouveaux acteurs de la géopolitique

S'appuyant également sur Carl Schmitt, ils considèrent que l'acteur de cette lutte n'est pas l'État-nation, mais le grand espace au sens de la "civilisation", telle qu'ils l'ont définie. Douguine voit l'avenir de l'Etat-nation dans la lutte contre la mondialisation en fonction de trois choix possibles:

    - La dissolution dans un futur État mondial.

    - La résistance à l'unipolarité avec maintien de l'ordre étatique national.

    - L'abolition de l'État-nation dans une formation de grand espace.

Dans le prolongement de Carl Schmitt, Alexander Douguine se prononce en faveur de la civilisation et du grand espace comme forme d'organisation future en géopolitique. Celui-ci ne correspond pas, selon sa logique, au nationalisme qui uniformise et unifie ses citoyens dans la matrice de pensée propre à la modernité (voir par exemple la République française ou, dans l'histoire allemande, le Troisième Reich), mais à celui de l'empire, qui est toujours composé d'une multitude de peuples et de religions et dirigé par un peuple impérial. Douguine constate ici un pluriversum des civilisations, dans lequel non seulement la Russie-Eurasie, la Chine et le grand espace islamique composé de plusieurs civilisations ainsi que l'Amérique du Sud ont une chance de s'émanciper de l'universalisme occidental, mais aussi l'Europe elle-même, qui est pour le moment encore vassale [4] des États-Unis.

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Grand espace, autarcie, autonomie, souveraineté

Les idées d'autarcie et de souveraineté sont fondamentales pour le grand espace: parce qu'un État-nation seul ne peut pas faire face à la mondialisation, plusieurs États-nations doivent s'unir et transférer leur souveraineté à l'échelle du grand espace. Parce qu'un État-nation n'est pas en mesure de s'affirmer face aux sanctions et aux politiques de blocus occidentales, plusieurs d'entre eux doivent s'unir pour garantir leur capacité d'action en cas d'urgence. Le concept d'autonomie, qui s'oppose à l'idée moderne de centralisme, est important à cet égard : le niveau de civilisation prendra certes à l'avenir des décisions importantes en matière de politique étrangère, mais à l'intérieur, les niveaux inférieurs de la grande région seront autonomes dans l'organisation de leurs propres conditions de vie, conformément au principe de subsidiarité et à l'idée "E pluribus unum" ("créer l'unité à partir de la pluralité"), ce qui inclut également l'indépendance culturelle. Dans ce contexte, l'autonomie n'englobe pas seulement le niveau culturel, mais aussi les dimensions religieuse, sociale, économique et ethnique de la vie. En ce qui concerne l'activité économique des grandes régions, le mouvement eurasien de Douguine revendique quatre zones géo-économiques. Contrairement aux penseurs transatlantiques (= atlantistes) qui ne proclament que trois zones et voient dans la Russie-Eurasie un trou noir, les Eurasiens plaident pour l'établissement de la ceinture continentale eurasienne comme quatrième zone géo-économique, à côté des zones géo-économiques américaine, euro-africaine et pacifique. Alors que dans la zone géoéconomique américaine, ils sont favorables à une organisation de la grande région d'Amérique centrale et d'Amérique latine ainsi qu'à un confinement des États-Unis sur eux-mêmes, dans la ceinture euro-africaine, les Eurasiens considèrent que l'indépendance de l'Europe vis-à-vis des États-Unis et la formation de l'Afrique subsaharienne en tant que grande région distincte sont importantes pour l'émergence de la multipolarité. Dans la ceinture continentale eurasienne, le grand espace de la Russie-Eurasie et de l'Islam continental reste à créer, alors que l'Inde et la Chine ont déjà largement constitué les frontières de leur grand espace.

La quatrième théorie politique : au-delà du libéralisme, du fascisme et du marxisme

La dernière étape de l'évolution de l'eurasisme est identifiée par Douguine dans la Quatrième théorie politique. Il s'agit de l'ébauche d'une nouvelle théorie politique centrée sur le Dasein de Martin Heidegger, par lequel Douguine entend le peuple, et dont l'objectif est le dépassement total de la modernité politique. La première théorie politique de Douguine est le libéralisme, la deuxième, le marxisme, et la troisième, le fascisme/national-socialisme [5]. En déconstruisant les idéologies, il les débarrasse de ce qu'il considère comme des éléments problématiques - le capitalisme et l'individualisme pour le libéralisme ; le collectivisme, la pensée de classe et le matérialisme pour le marxisme ; et l'illusion raciale et l'allégeance à l'État pour le fascisme/national-socialisme - pour finalement couler dans un moule nouveau les éléments qu'il considère comme positifs de ces théories. Dans le libéralisme, il reconnaît la "liberté de" comme un élément positif, dans le marxisme, la critique du libéralisme et dans le fascisme, l'ethnocentrisme comme un élément à préserver. Au-delà d'une critique dévastatrice de la modernité - qu'il mène également en s'appuyant sur les connaissances du postmodernisme, puisqu'il veut s'attaquer à la racine du problème - il reste donc une base positive de la Quatrième théorie politique, que chaque peuple et chaque civilisation peuvent désormais utiliser pour préserver/redécouvrir leur identité propre, libérée de la pensée de la modernité et de la contrainte d'aller "d'Est en Ouest", tout en construisant un ordre politique qui la reflète.

La primauté de l'esprit : aller d'ouest en est

Alors que Douguine reconnaît dans la Nouvelle Droite européenne l'expression européenne de la Quatrième Théorie Politique, il voit dans le néo-eurasisme la variante russo-eurasienne de la Quatrième Théorie Politique. A ce niveau, l'eurasisme signifie certes un refus de l'Occident moderne et de la primauté du matérialisme qu'il affirme, en empruntant un chemin qui va "d'Ouest en Est", qui mène à la primauté de l'esprit, ce qui suppose une participation à la noomachie (la guerre de l'esprit) et non une simple position de spectateur. Le pouvoir au sens de l'eurasisme est toujours une idéocratie, c'est-à-dire l'imprégnation de l'État par une idée qui donne un sens à l'ensemble de la construction de la communauté, et non une oligarchie de milliardaires masquée par une démocratie de façade. Cela pose sans aucun doute un grave défi à l'Occident, qui est non seulement le centre du monde (anciennement) unipolaire, mais aussi aux ravages intellectuels qu'il a générés. Comment pourra-t-il renaître de ses cendres après la Grande Réinitialisation ? Là encore, l'ouvrage de Douguine donne les premières indications sous la forme de voies possibles pour les États-Unis vers l'avenir.

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Comment l'Occident peut-il surmonter la modernité ? Une question d'identité

Comme l'Occident ne fait aucun effort pour respecter les spécificités culturelles et les particularités des autres civilisations, mais qu'il cherche au contraire à les niveler par l'universalisme occidental - sans doute le plus visible aujourd'hui avec le libéralisme "branché" 2.0 du Great Reset - Douguine appelle à un soulèvement des civilisations et à un "Grand Réveil" contre l'hégémonie occidentale. Comme nous l'avons vu dans ses écrits sur le Grand Remplacement et la Quatrième Théorie Politique, cela ne s'accompagne pas chez Douguine d'une haine de la culture occidentale en tant que telle, mais seulement d'un rejet de l'Occident moderne, alors qu'il respecte profondément la tradition médiévale et antique de l'Europe occidentale, par exemple. Le modèle identitaire tripartite que le philosophe et ethnosociologue russe présente à propos des États-Unis est également intéressant à ce stade : 1) L'identité diffuse. Douguine entend par là un vague sentiment d'appartenance commune qui est confus, incertain et faible. L'identité diffuse ne se manifeste que dans des situations extrêmes, telles que les guerres, les révolutions et les catastrophes naturelles. 2) L'identité extrême. Elle représente une identité arbitraire et artificielle qui devient une idéologie. Le nationalisme ou l'identité de classe ou cosmopolite en sont des exemples. Alors qu'elle met souvent l'accent sur certaines caractéristiques de l'identité diffuse, elle en laisse d'autres de côté et en constitue une caricature. 3) L'identité profonde, qui se cache sous l'identité diffuse. Elle fait d'un peuple un peuple et en est le fondement. Le peuple n'est pas constitué du présent, mais se déplace du passé vers le futur au niveau de sa langue, de sa culture et de sa tradition. L'identité profonde représente le tout qui se déroule à la fois dans le temps et dans l'espace, c'est l'homme en tant qu'existence. Citant l'ethnologue allemand Leo Frobenius, Douguine note à ce stade que la culture est la terre qui se manifeste à travers l'homme. Alors que les Européens disposent toujours de leur identité profonde, les États-Unis sont confrontés au problème qu'ils ont été créés à l'origine sur une tabula rasa culturelle en Amérique du Nord pour réaliser l'utopie de la modernité. Les États-Unis ont été construits en négligeant le sol qui appartenait en fait aux Indiens. Ainsi, dès le départ, les États-Unis étaient une société hautement mobile de nomades se déplaçant à la surface d'un espace presque inexistant. Le système des deux partis, les démocrates et les républicains, résume leur identité diffuse, qui oscille autour des vecteurs de la liberté, du libéralisme, de l'individualisme et du progrès.

Trois possibilités pour les Américains de trouver leur identité profonde

En conséquence, Douguine voit trois possibilités pour les États-Unis : 1) Le retour à l'identité européenne. N'ayant pas de sol propre, les Américains peuvent se débarrasser de leur identité moderne et considérer leur situation dans le sens d'un autre camp existentiel du point de vue de la matrice-mère qu'est l'Europe. Cela signifierait pour les Américains d'origine européenne l'âge adulte d'une existence authentique au sens de Martin Heidegger. 2) L'Américain reste américain, mais cherche son identité dans le sens du logos américain individualiste. Cela le conduit, dans l'esprit du protestantisme, à ce que l'individu, manquant d'enracinement, cherche ses racines dans le ciel sous la forme d'un Dieu individuel qui lui est propre et qu'il doit se créer lui-même, librement, selon Friedrich Nietzsche. Les nombreuses sectes protestantes aux États-Unis peuvent être considérées comme un exemple de la recherche de Dieu par l'individu. C'est à travers elles que l'individu de l'époque moderne trouve sa profondeur. Enfin, 3) la voie de l'existentialisme américain, la préoccupation individuelle pour la mort, rendue possible par le fait que la société rend l'individu libre de tout, mais aussi libre pour le néant. C'est en s'occupant de sa propre fin que l'on peut finalement éveiller le contenu de son être.

Une lecture fascinante, importante pour la compréhension de l'eurasisme et du monde multipolaire

Dans l'ensemble, "Mission eurasienne" d'Alexandre Douguine est une lecture fascinante qui permet de mieux comprendre l'eurasisme et le monde multipolaire qui se dessine. Compte tenu des perspectives que l'eurasisme offre à l'Allemagne et à l'Europe, nous espérons qu'il sera souvent lu et encore plus souvent discuté. L'Allemagne et l'Europe ont besoin d'alternatives au transatlantisme qui s'effondre - ce livre peut en fournir une.

Le livre est disponible aux éditions Arktos (https://arktos.com/product/eurasische-mission/).

Notes:

[1] 1890 - 1938, linguiste russe, historien et fondateur de la morphophonologie. Un des leaders du mouvement eurasien, connu pour son livre "L'Europe et l'humanité".

[2] 1895 - 1968, co-fondateur du Mouvement Eurasien, économiste et géographe. A combattu le communisme aux côtés du général Wrangel pendant la guerre civile russe.

[3] 1912 - 1992, historien et ethnologue soviétique. A rejeté la thèse du joug mongol en ce qui concerne l'histoire russe et a évalué positivement la symbiose entre les Russes et les peuples turcs comme les Mongols.

[4] Le terme "vassal" désignait à l'origine l'engagement volontaire d'un homme à servir son seigneur, son duc ou son prince, c'est-à-dire l'expression d'une loyauté et d'un soutien mutuel, tout comme le principe de suzeraineté. Aujourd'hui, le terme "vassalité" a plutôt une connotation négative et désigne une sorte de lien involontaire entre un pays et un autre plus puissant. (NDLR)

[5] Douguine lui-même fait une distinction entre les deux concepts et leurs sujets respectifs - l'État pour le fascisme, la race pour le nazisme), mais reconnaît leur matrice idéologique commune faite de nationalisme, de militarisme, de collectivisme et de culte du chef.

 

 

jeudi, 22 septembre 2022

La conflit oublié du Karabakh

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Le conflit oublié du Karabakh

Peter W. Logghe

Bron: Nieuwsbrief Nr 172 - September 2022 - Knooppunt Delta Vzw

L'invasion de la Russie et la guerre en cours en Ukraine ont relégué au second plan - dans les médias en tout cas - d'autres conflits sur notre planète. L'escalade militaire du conflit du Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan au mois d'août jette une lumière claire sur la situation particulièrement tendue dans la région. Les acteurs géopolitiques du Caucase du Sud, outre les deux adversaires que sont l'Arménie (qui revendique le Karabakh) et l'Azerbaïdjan, sont la Turquie, l'Iran et la Russie. La guerre en Ukraine, par exemple, amène la Russie à réduire ses effectifs dans et autour du Karabakh, modifiant ainsi l'équilibre des forces existant.

Dans les derniers jours de juillet, le conflit, qui avait commencé en 2020, s'est rallumé. Suite à des bombardements mutuels, l'armée azerbaïdjanaise a très récemment lancé une offensive éclair et pris le contrôle de plusieurs endroits stratégiques. Ce qui a fait que le gouvernement des nationalistes arméniens à Stepanakert (capitale du Karabakh) a décidé de déclarer immédiatement la mobilisation générale.

Les tensions géopolitiques croissantes persistent

Le conflit militaire enfle donc à nouveau, préoccupant Téhéran, Constantinople et Moscou. Ce qui pouvait ressembler aux premiers pas vers une solution stable avec un cessez-le-feu en 2020 s'est toutefois progressivement transformé en un fouillis de passages frontaliers peu clairs et de prétendues troupes de maintien de la paix de la Turquie et de la Russie.

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En novembre 2020, les gouvernements d'Arménie, de Russie et d'Azerbaïdjan ont conclu un cessez-le-feu. Le retrait des troupes arméniennes des territoires occupés en Azerbaïdjan et le stationnement de troupes russes dans la région étaient à peu près les principaux éléments constitutifs au cœur de la trêve. Cela a permis au président russe Poutine de souligner son rôle de "courtier honnête de la paix" et aussi de faire comprendre aux Arméniens à quel point leur situation était désespérée (sans l'aide de la Russie).

La Russie, cependant, a dû laisser assez rapidement la place à une autre superpuissance (régionale). La Turquie, sous la direction de son très ambitieux président Recep Erdogan, avait utilisé des drones technologiquement avancés et agressifs pour influencer le cours de la guerre en faveur de son partenaire et allié, l'Azerbaïdjan. Sans la participation de l'Arménie, les troupes turques ont pu accéder aux territoires contestés. Alors qu'elles devaient rester en dehors des zones véritablement arméniennes, les troupes turques étaient désormais également aux commandes du centre de contrôle qui était censé aider à surveiller le cessez-le-feu.

Sans surprise, le début des hostilités entre la Russie et l'Ukraine suite à l'invasion de la Russie a été suivi avec un intérêt particulier en Azerbaïdjan. Encore et encore, des attaques (limitées) azéries contre des soldats et des civils arméniens ont eu lieu dans la région. On a remarqué que de plus en plus de prisonniers ont été faits. Les observateurs occidentaux pensent que l'Azerbaïdjan est occupé à poser des mines dans de nouvelles zones pour préparer une nouvelle offensive. L'Azerbaïdjan espère qu'une offensive bien préparée et coordonnée lui permettra d'avancer si rapidement que le Karabakh arménien pourra être entièrement placé sous son contrôle. Cela permettrait à l'Azerbaïdjan non seulement de forcer l'entrée au Nakhitchevan (une exclave de l'Azerbaïdjan prise en sandwich entre l'Arménie et l'Iran), mais aussi d'établir une liaison terrestre avec la Turquie. Aux dépens des Arméniens, qui perdraient ainsi non seulement le Karabakh, mais aussi d'importantes portions de leur territoire à l'est (où leurs terres s'étendent jusqu'à la frontière de l'Iran).

Et nous en arrivons ainsi au troisième partenaire dans le jeu d'échecs géopolitique. L'Iran a clairement montré son mécontentement face aux escarmouches entre ses voisins. L'ayatollah Ali Khamenei a clairement indiqué que si l'Iran était très heureux que l'Azerbaïdjan ait repris le contrôle de vastes zones de son territoire, une modification des frontières irano-arméniennes: non, Téhéran ne veut pas de ça. Selon l'Iran, il s'agit d'"une route commerciale millénaire" - lisez : redessiner ces frontières est trop délicat.

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Dans la région, l'Iran a longtemps été considéré comme un ami à moitié caché de l'Arménie. Les deux pays partagent une aversion historique pour la Turquie et entretiennent de bonnes relations avec les Russes. Après le discours de Khamenei, des troupes iraniennes ont été immédiatement envoyées dans la zone frontalière. Pour l'information de nos lecteurs, plus d'Azéris vivent en Iran qu'en Azerbaïdjan même. Ainsi, les sentiments pan-turcs qu'Erdogan ne cesse de jouer ne sont pas seulement particulièrement bienvenus et sensibles en Azerbaïdjan, mais aussi dans certaines provinces iraniennes. Une offensive militaire turque réussie dans le Caucase du Sud pourrait être particulièrement menaçante pour l'État pluripolaire qu'est l'Iran.

mercredi, 21 septembre 2022

Martin Sörös, spécialiste de la Chine: "Nous vivons dans un désordre mondial unipolaire"

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"Nous vivons dans un désordre mondial unipolaire"

Martin Sörös, spécialiste de la Chine, évoque les points de vue et les stratégies chinoises dans la compétition avec les États-Unis et le potentiel économique de la Chine

Propos recueillis par Bernard Tomaschitz

Source: https://zurzeit.at/index.php/wir-leben-in-einer-unipolaren-welt-unordnung/

Dans le cadre des sanctions contre la Russie, l'Occident doit constater qu'il est seul. A l'inverse, la Chine est très active, par exemple dans le cadre du groupe des pays BRICS ou de l'Organisation de coopération de Shanghai. Comment la Chine considère-t-elle l'Occident ? La Chine voit-elle l'Occident décliner ?

Martin Sörös : La Chine est actuellement en état d'observation et suit avec inquiétude beaucoup de choses qui se passent dans le monde. La Chine n'a pas peur des Etats-Unis, la Chine n'a pas peur de l'UE, la Chine n'a peur de personne en principe, mais on enregistre qu'il y a maintenant une sorte de développement qui ne correspond pas aux intérêts de la Chine. La Chine est un pays qui s'est fait la guerre à elle-même dans les années 1940, mais qui n'a jamais déclenché une guerre extérieure de son propre chef. La Chine veut le calme, la Chine veut l'amitié, la Chine veut le développement commun de projets économiques et n'est pas heureuse de ce qui se passe actuellement. Tout cela dans un contexte où la Chine comprend très bien la stratégie qui se cache derrière. C'est toujours lorsque l'Europe est faible que les États-Unis sont les plus heureux. L'Europe n'a jamais été aussi faible que celle qu'elle est actuellement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si vous parlez aux gens en Chine, ils disent qu'il semble que M. Biden ait appelé Mme von der Leyen et lui ait dit : "Tu dois te défendre maintenant, sinon Poutine va attaquer la Pologne". Cela repose sur un pacte commun entre M. Biden et Mme von der Leyen et, qui plus est, sans l'accord de la population européenne. Comme je l'ai dit, la Chine observe, la Chine s'inquiète et, en réalité, la Chine aimerait bien jouer les médiateurs : la Chine a également la possibilité d'agir en tant que médiateur, car M. Poutine, qui, selon moi, agit également sans peur, ne veut certainement pas d'un conflit à l'Ouest et d'un conflit à l'Est. Cela signifie que Poutine voudra toujours s'entendre avec la Chine, parce que les pays du BRICS - nous parlons d'une part de 41,5 % de la population mondiale - représentent un pouvoir politique, social et économique très important.

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Martin Sörös, né en 1962, vit à Vienne et en Basse-Autriche et travaille depuis plus de trois décennies en tant que journaliste national et international (notamment pour le quotidien KURIER pendant environ un quart de siècle) et en tant qu'auteur. Ses domaines de prédilection sont le sport, la politique et la Chine.

Dans quelle mesure la compétition entre l'Occident et la Chine porte-t-elle aussi sur des conceptions différentes ? C'est-à-dire l'ordre mondial unipolaire avec les États-Unis comme puissance dominante et l'ordre mondial multipolaire, tel qu'il est promu par la Chine, de l'autre côté.

Sörös : Tout d'abord, je ne qualifierais pas l'ordre mondial actuel d'ordre mondial unipolaire, mais de désordre mondial unipolaire. Si tout était en ordre, c'est-à-dire si les États-Unis et les pays de l'UE étaient tous heureux, si l'économie était florissante, tout irait bien. Mais aujourd'hui, c'est un désordre mondial unipolaire, car je pense que les États-Unis s'efforcent d'affaiblir les autres d'une certaine manière. C'est quelque chose que l'on observe avec incompréhension et colère en Chine. Les États-Unis se voient constamment en concurrence avec la Chine pour la meilleure place au soleil en ce qui concerne l'économie mondiale. Mais la Chine ne veut pas de cette concurrence et n'en a pas besoin. La Chine souhaiterait coopérer plus intensément avec les États-Unis. Je voudrais rappeler qu'aujourd'hui, si les États-Unis et la Chine mettent fin à leur coopération économique du jour au lendemain, un Américain sur cinq perdra son emploi. Je pense que les États-Unis ont commis une grave erreur après le départ de Trump. Après le départ de Trump, la joie internationale a été très grande et on a dit que le meilleur président de tous les temps arrivait. Mais je voudrais juste rappeler que dans sa première interview, qui a eu un retentissement international, Biden a dit que le prince héritier saoudien était un assassin. Dans sa deuxième interview, Biden a dit que la Chine était un ennemi et dans sa troisième interview, que Poutine était un criminel. Les ennemis extérieurs rendent les gens populaires auprès de leur propre électorat, mais les États-Unis ont une responsabilité mondiale, et Biden ne l'a pas assumée.

    Les États-Unis sont constamment en concurrence avec la Chine pour la meilleure place économique au soleil.

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Dans quelle mesure l'histoire ou le contexte culturel jouent-ils un rôle dans la stratégie chinoise ? Je pense au confucianisme, où l'harmonie joue un rôle important, ou aux expériences historiques négatives comme le "siècle de la honte".

Sörös : Tout cela joue bien sûr un rôle. Mais une chose a un effet apaisant : dans le monde entier, il y a eu et il y a encore des guerres et des conflits en raison de différences religieuses. Mais cela ne joue de facto aucun rôle en Chine, car le thème de la religion y est considéré de manière beaucoup plus détendue. Je vous rappelle que la Chine compte 85,5 millions de membres du parti communiste et 87 millions de chrétiens. Le siècle de la honte a certainement marqué la Chine, la question de Hong Kong y joue un rôle, les conflits avec le Japon y jouent un rôle. La Chine ne veut plus jamais revivre cela, la Chine veut continuer à se développer, la Chine veut la paix, la Chine ne développe pas non plus de jalousie, car il existe en Chine une incroyable conscience de soi et une confiance en soi dans ce que font les dirigeants politiques. Il y règne un tout autre état d'esprit et on ne se rend pas compte ici en Europe que la Chine est un pays très positif.

    La Chine compte 200 millions d'habitants de plus que le G7 et l'Union européenne réunis.

Quelles leçons la Chine tire-t-elle de la guerre de la Russie contre l'Ukraine et des sanctions occidentales, notamment en ce qui concerne la question de Taïwan, qui revient sans cesse sur le devant de la scène ?

Sörös : Tout cela forme un ensemble. La Chine voit d'abord les sanctions antirusses d'un mauvais œil. La Chine - et beaucoup de gens en Autriche - aurait été très heureuse si le conflit entre la Russie et l'Ukraine n'avait pas éclaté sous cette forme. Ce conflit aurait très bien pu être évité. Si, en tant qu'OTAN, j'installe des armes nucléaires à la frontière d'une puissance nucléaire, je ne dois pas m'étonner, en tant qu'OTAN, de la réaction de la Russie à un moment donné. Si la Russie, l'Ukraine et les États-Unis s'étaient réunis et avaient dit : créons une garantie que l'Ukraine ne rejoindra jamais l'OTAN, faisons un pacte de coopération, cette guerre aurait pu être évitée. En outre, en Chine, on sait que les sanctions n'aboutissent à rien. En ce qui concerne Taïwan, les États-Unis multiplient les provocations. En ce qui concerne Taïwan, la Chine applique le principe d'une seule Chine, qui est également reconnu dans les traités internationaux avec la Chine et également par l'ONU. Lorsque les États-Unis affirment que la Chine veut mener une guerre d'agression, cela n'a aucune logique. Car pourquoi la Chine attaquerait-elle son propre pays ? Par conséquent, ce qui se passe dans le détroit de Taïwan est une provocation qui ne profite à personne et ne fait que diviser encore plus le monde. Sur ce point, les États-Unis et l'OTAN se surestiment également sur le plan militaire. Lorsque la ministre allemande des Affaires étrangères, Mme Baerbock, affirme que "nous défendrons Taiwan par tous les moyens", cela montre une grave sous-estimation des possibilités dont disposerait la Chine dans le domaine militaire. Mme Baerbock est là en plein dans le discours américain, "nous sommes forts, nous sommes bons, nous sommes unis". Tout comme, en Autriche, la ministre Edtstadler, qui a récemment déclaré qu'elle n'avait jamais vu l'UE aussi unie qu'en ce moment avec les sanctions contre la Russie. C'est un non-sens total, l'UE n'a jamais été aussi divisée que maintenant ! La question de Taïwan pèse certainement sur les Chinois, mais ils ne la résoudront pas militairement. Mais ils ont les moyens militaires de répondre aux provocations.

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Dans le commerce bilatéral avec d'autres pays, la Chine mise de plus en plus sur l'utilisation des monnaies nationales, comme le yuan. La Chine a-t-elle une stratégie à long terme de dédollarisation de l'économie mondiale?

Söros : La Chine est devenue un acteur mondial, la moitié de l'Afrique appartient à la Chine, jusqu'au port du Pirée, et c'est pourquoi la Chine connaît déjà très bien sa position et la défense de sa place. Sur le plan monétaire, il a été annoncé que les Chinois achètent en yuans et en roubles, et que les Chinois font de même avec d'autres pays avec lesquels des partenariats sont mis en place. Une alliance est en train de se former, qui ne se limite pas aux BRICS. Il y a aussi le groupe ASEAN qui se renforce de plus en plus. Autre chose : si vous additionnez la population des pays du G7 et celle de l'UE, il vous manque encore 200 millions d'habitants pour atteindre celle de la Chine. Rien qu'en termes de main-d'œuvre, de puissance économique et de croissance économique, la Chine a des possibilités qui dépassent clairement celles des États-Unis. La Chine répondra toujours, non pas par la force des armes, mais avec beaucoup, beaucoup de détermination.

L'entretien a été mené par Bernhard Tomaschitz.

lundi, 19 septembre 2022

A propos de Piłsudski  et de l'Intermarium

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A propos de Piłsudski  et de l'Intermarium

par Danny Sguera

Source : Danny Sguera & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/intermarium-30382

La politique extrémiste et belliciste de l'OTAN et des États-Unis n'est rien d'autre, aujourd'hui sur fond de conflit russo-ukrainien, qu'une répétition de la stratégie militaire conçue au début du 20ème siècle par le général polonais Piłsudski (connu pour le "Miracle de la Vistule") qui soulignait la nécessité de canaliser une union de nations non russes afin d'encercler la Russie (voir l'extension récente de l'OTAN) qui appartenait alors, comme aujourd'hui, à partir de l'après-guerre, à la sphère tsariste ou du Pacte de Varsovie. Ces pays s'étendaient de la Baltique à la Caspienne et au Caucase et auraient dû recevoir comme tâche précise de stabiliser leurs souverainetés, celles-ci étant toutefois hétéro-dirigés par les diktats étrangers franco-britanniques à l'époque et placés sous l'égide des États-Unis aujourd'hui (le garant de la Pologne, à l'époque, était l'entente franco-britannique qui a misérablement abandonné Piłsudski en poussant le chef de l'ethnat ukrainien Skoropads'kij, à l'époque, vers la Russie pour réduire les empires allemand et austro-hongrois).

Piłsudski croyait, par le biais de la vision de l'INTERMARIUM et des méthodes propres à son idéologie PROMETHEISTE, qu'il était indispensable de stabiliser le territoire ukrainien afin de contenir les visées de l'Empire tsariste d'abord, puis du régime soviétique, de manière à rompre toute relation avec l'Est et à proclamer ensuite la Pologne, porte d'entrée du monde slave, gardienne de ce rôle de premier plan. Piłsudski préférait être un franc-tireur méfiant tant à l'égard de l'Est que de l'Ouest, car il était conscient qu'il pouvait être écrasé par les empires de l'époque, notamment celui des Habsbourg et l'empire allemand qui étaient en constante progression. Aujourd'hui, comme à l'époque, il est possible de tracer les similitudes avec le rôle assumé par la Pologne dans le domaine géostratégique, qui, en cohabitation avec d'autres Etats vassaux (Ukraine, Finlande, Lettonie, Lituanie, Géorgie, en partie Azerbaïdjan), exerce certes des politiques d'intérêt mutuel mais aussi et surtout des politiques coïncidant avec les intérêts des Américains. Ces États jouent le rôle de chiens enragés envers la Russie en soutenant les politiques les plus militaristes de la zone européenne.... mais pas seulement. En fait, aujourd'hui comme à l'époque, la Pologne, à la lumière du récent conflit interne avec l'Union européenne, peut encore conserver des espaces d'autonomie obtenus grâce à l'hégémon américain, du moins tant qu'elle restera subordonnée aux plans géopolitiques de la superpuissance qui, en échange, lui permettra d'exprimer un revanchisme nationaliste axé principalement sur la détestation de la Russie.

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La politique actuelle à courte vue des États-Unis vise, comme il y a quelques décennies et pendant tout le siècle dernier, à espérer une chute progressive et providentielle du système régissant la Fédération de Russie, comme elle l'a fait avec l'URSS pour des raisons endogènes, par l'effondrement politico-économique dû à la course aux armements, au système économique dépassé de planification contre l'économie de marché et avec, en prime, quelques raids ici et là des états de l'INTERMARIUM exerçant une force perturbatrice qui n'est pas vraiment efficace mais utile pour gagner du temps afin que les deux premières causes, déjà expliquées dans le présent article, se réalisent finalement dans le temps (voir aujourd'hui le déploiement et l'effort militaire en Ukraine plus les glissements de terrain entre la Géorgie et le Nagorno Karabagh combinés avec les sanctions occidentales).

Ces théories politiques du maréchal et ministre de la guerre polonais en 1915-1918 ont laissé leur empreinte sur le modus operandi euro-américain en produisant des crises successives qui se répercutent aujourd'hui sur tout notre continent en raison des grandes similitudes avec les conflits de 2008 en Géorgie et de 2014 en Ukraine. Une approche insensée qui, en élargissant le front de l'OTAN, a rassemblé tous les États dits "prométhéens" (selon la définition donnée par les idéologues autour de Pilsudski) qui, en réitérant leurs provocations au fil du temps, entendent contrecarrer la forte résurgence de la Russie dans le monde eurasien, résultat de la politique de réaffirmation de Vladimir Poutine.

Le fait est qu'entre-temps, le monde a changé, la Russie n'est plus ni un empire ni l'URSS, même si cela arrange le monde occidental de lui coller des étiquettes du siècle dernier pour ne pas avoir à dire la vérité ou du moins à avouer les changements historiques à ses citoyens. Les espoirs d'un effondrement socio-économique à la manière de l'URSS, complétés par des théâtres de guerre pour user et harceler la Russie, révèlent un Occident vieux, malade et fortement colonialiste qui préfère se bercer d'illusions en retournant inlassablement à de vieilles pages du passé tout en éludant les changements structurels internationaux qui, sauf en cas de conflit mondial, sont INÉVITABLES.

Le système économique russe a changé et adopte désormais un modèle hybride de marché et de souveraineté. Mais, à côté de cela, tout un monde a changé avec les BRICS.  L'Inde mais surtout la Chine offrent des opportunités de marché qui font voler en éclats les politiques d'isolement dépassées et rétrogrades que l'on veut appliquer contre la Russie. Au contraire, par une propagande immorale, l'Américanosphère a convaincu ses citoyens qu'il y a un monstre de l'autre côté de la ligne, et par des décisions politiques précises, elle a choisi obtusément de faire sauter tout un échafaudage économique et culturel, en se retranchant, comme elle l'a fait jadis pour l'URSS, dans une économie fermée (SEV/COMECON), qui non seulement n'a pas de débouchés économiques en politique étrangère, mais fait de ses Etats membres des sujets politiques soumis au pouvoir hypercentralisé de Washington. En bref, des Etats fantoches sans autonomie ni réel pouvoir législatif en matière internationale !

Le monde multipolaire esquissé par Xi, Poutine et Modi à Samarkand

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Le monde multipolaire esquissé par Xi, Poutine et Modi à Samarkand

Source: https://piccolenote.ilgiornale.it/mondo/il-mondo-multipolare-delineato-da-xi-putin-e-modi-a-samarcanda

L'assemblée de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarkand, en Ouzbékistan, a fait la une des journaux en raison de la rencontre entre Poutine et Xi Jinping, duo désormais identifié comme l'actuel axe du mal (avec différentes modulations).

Et il a été dit que Poutine a subi un nouveau camouflet à cette occasion, car il n'a pas bénéficié du soutien inconditionnel du président chinois, qui le condamnerait même à un abandon imminent du pouvoir.

Poutine - Xi : simul stabunt simul cadent

Cela fait partie de l'art de la guerre de présenter les adversaires comme des perdants et cette technique a été adoptée avec beaucoup d'effet dans la guerre d'Ukraine. Il suffit de penser à l'époque où, au début du conflit, tous les médias parlaient de la prétendue maladie incurable du tsar, ce qui a été démenti, mais seulement quelques mois plus tard, par le chef de la CIA.

Pourtant, malgré tout, il n'est pas courant de transformer ses espoirs en nouvelles certaines, comme c'est le cas ici. Mais, pour en revenir aux faits, il faut répéter que Xi et Poutine ont désormais un lien indissoluble, grâce aussi à la politique étrangère américaine qui les a longtemps mis tous les deux dans le collimateur, favorisant ainsi leur proximité, sachant bien que simul stabunt simul cadent.

À tel point que les deux présidents ont désormais modelé un horizon commun : renforcer l'élan vers un monde multipolaire, sortant ainsi de la sphère étroite de l'unipolarisme actuel, né après 1989 et alimenté par des guerres sans fin, qui soumet la planète à l'hégémonie et aux caprices cruels des États-Unis. Un horizon ouvertement déclaré même à Samarkand.

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Pour donner une idée plastique de la proximité entre les deux pays, il y a eu aussi l'exercice conjoint des marines respectives dans le Pacifique, commencé, sous l'œil attentif de Poutine, dans la semaine précédant le sommet et poursuivi pendant la réunion de Samarcande.

L'Inde à l'OCS dans un monde polarisé par le conflit ukrainien

Mais, au-delà des relations entre la Chine et la Russie, il convient de souligner certains aspects de cette rencontre d'une certaine pertinence.

Tout d'abord, il s'agit certainement de la réunion la plus importante depuis sa création, comme en témoigne le fait que Xi y a assisté en personne, quittant son pays pour la première fois depuis le début de la pandémie.

Il convient également de noter que la présence de Narendra Modi est apparue plus importante à cette occasion qu'aux précédentes, précisément parce que la guerre d'Ukraine, qui polarise le monde, semble indiquer que la présence du président indien constitue une sorte de choix de camp.

Pas tant un choix pro-russe, mais un choix décisif - et on pourrait dire inébranlable (à moins d'une révolution de couleur à l'indienne) - en faveur de la perspective multipolaire soutenue par la Chine et la Russie.

Pas seulement : la présence indienne renforce cet apaisement avec la Chine qui avait déjà été mis en évidence avec le terme mis aux escarmouches entre les deux pays à la frontière himalayenne, qui avaient fait des dizaines de victimes des deux côtés. Un apaisement dans lequel les deux géants asiatiques acceptent de contenir leur rivalité - fondée sur le chevauchement de leurs projections géopolitiques respectives en Asie - afin de travailler ensemble sur la perspective multipolaire.

La relation entre l'Inde et la Chine est une question géostratégique cruciale pour le destin du monde, comme le montre la prudence avec laquelle l'Occident aborde les démentis de l'Inde à ses diktats sur l'Ukraine et autres, l'Amérique ne peut tout simplement pas risquer d'effilocher ses relations avec New Delhi, car cela jetterait les Indiens dans les bras de la Chine, ce qui ouvrirait la voie au "siècle asiatique", au détriment de l'hégémonie mondiale américaine/occidentale.

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L'équidistance de la Russie par rapport aux grands rivaux asiatiques est également propice à l'apaisement, ce qui lui a permis de jouer un rôle de médiateur lorsque des problèmes sont survenus entre les deux pays (ce qui explique également le détachement apparent entre Xi et Poutine, qui est fonctionnel dans une perspective plus large).

La portée de l'OCS et l'Iran

Un autre point à souligner est la portée de l'OCS, qui, dans les médias grand public, est normalement abordée comme un organe géopolitique de faible importance mondiale.

Les différents participants donnent pourtant une idée de sa portée. Ses membres sont l'Inde, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Chine, la Russie, le Tadjikistan, le Pakistan et l'Ouzbékistan. Les États observateurs sont l'Afghanistan, le Belarus, l'Iran et la Mongolie, les partenaires de dialogue sont l'Azerbaïdjan, l'Arménie, le Cambodge, le Népal, la Turquie et le Sri Lanka. Et lors du sommet de 2021, la procédure a également été lancée pour accorder le statut de partenaire de dialogue à l'Égypte, au Qatar et à l'Arabie saoudite...

Un autre aspect important du sommet de Samarkand a été la signature de l'adhésion officielle de l'Iran à l'OCS, une nouvelle qui a fait le tour du monde, comme s'il s'agissait de quelque chose de sensationnel, alors qu'il ne s'agissait que d'une étape formelle, puisqu'en fait Téhéran était déjà un participant à part entière.

Téhéran avait jusqu'à présent évité cette étape, craignant qu'elle ne donne en quelque sorte à ses adversaires américains matière à renforcer leur pression contre le rétablissement de l'accord sur le nucléaire iranien. Maintenant que les États-Unis ont clairement fait savoir qu'une telle mesure n'est plus à l'ordre du jour, ils ont fait ce qu'ils voulaient faire depuis longtemps (nous reviendrons sur l'échec de la signature de l'accord nucléaire dans une autre note).

L'OCS et la détente dans l'espace post-soviétique

Aucune importance n'a cependant été accordée à trois aspects tout à fait positifs du sommet. Tout d'abord, au cours de la réunion, le Kirghizistan et le Tadjikistan ont convenu de mettre un terme aux désaccords qui avaient provoqué certains affrontements frontaliers entre les deux pays.

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La seconde est qu'avant le sommet, l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont trouvé le moyen de mettre fin aux affrontements entre les deux pays, notamment parce qu'Erdogan, qui soutient la position de l'Azerbaïdjan, ne pouvait pas venir à la réunion, où Poutine était présent, avec ce conflit non résolu, le Tsar étant irrité par la déstabilisation qu'il produit aux frontières de son pays (ce dont se réjouissent, en revanche, les néoconservateurs américains, comme l'écrit Responsible Statecraft et comme le souligne l'annonce par Pelosi de son prochain voyage dans la région, la présidente de la Chambre étant un vecteur délirant dans la propagation de conflits).

Le dernier aspect important du sommet concerne toujours Erdogan, qui, avant de partir pour Samarkand, avait exprimé son souhait de rencontrer Assad, si le président syrien se rendait à l'assemblée, ce qu'il n'a pu faire pour des raisons de sécurité.

Ceci a été rapporté par Reuters dans une note d'agence reprise par Haaretz, qui conclut de manière significative: "Toute forme de normalisation entre Ankara et Damas remodèlerait la guerre de Syrie qui dure depuis des décennies".

En effet, la Turquie a été l'un des parrains du changement de régime en Syrie et a été utilisée comme plaque tournante par des puissances étrangères qui l'ont alimenté en envoyant des miliciens, des armes et de l'argent par son territoire (un peu comme ce qui se passe en Ukraine, où les plaques tournantes sont plus dispersées et sous le contrôle total de l'OTAN).

La Russie et le dégel syrien

Mais à Samarkand, Erdogan a apparemment réitéré son intention, disant même qu'il était prêt à se rendre en Syrie pour rencontrer Assad. Et ce serait un coup fatal pour les partisans des guerres sans fin, qui ont rencontré leur premier échec en Syrie, après leurs succès en Libye et en Irak, Assad ayant survécu à l'assaut.

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Ce qui est encore plus significatif, c'est ce qui est rapporté ailleurs dans la note, qui donne une idée de la façon dont une telle perspective n'est en aucun cas aléatoire : "Le rapport [sur l'intention d'Erdogan] a été publié après que quatre sources différentes ont déclaré à Reuters que le chef des services de renseignement turcs avait eu plusieurs réunions avec son homologue syrien à Damas ces dernières semaines, un signe des efforts russes pour encourager un dégel entre les États qui se sont opposés dans la guerre en Syrie".

Un tel dégel ne serait pas de trop pour le peuple syrien, qui souffre encore des conséquences de la dévastation et des deuils causés par la guerre et par les sanctions occidentales, qui pèsent encore tragiquement et de manière tout à fait arbitraire sur lui.

Malheureusement, beaucoup (qui sont puissants) de ceux qui s'arrachent aujourd'hui les cheveux pour le salut de la pauvre Ukraine ont participé - et participent - à la légion étrangère qui a alimenté la boucherie syrienne. Et ils feront tout pour empêcher le dégel susmentionné. Nihil sub sole novum.

Ps. Alors que le Kazakhstan accueillait l'assemblée de l'OCS, le pape François se trouvait également dans ce pays asiatique, en visite apostolique. Une simple coïncidence dans le temps, bien sûr, mais qui suscite autant de curiosité que d'intérêt.

dimanche, 18 septembre 2022

La guerre de 30 ans et la guerre de 100 ans des États-Unis contre la Russie

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Troupes américaines à Vladivostok, 1919.

La guerre de 30 ans et la guerre de 100 ans des États-Unis contre la Russie

Par Alfredo Jalife Rahme

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/la-guerra-de-30-anos-y-la-guerra-de-100-anos-de-eeuu-contra-rusia-por-alfredo-jalife-rahme/

Récemment, j'ai affirmé: "Aujourd'hui, nous constatons de plus en plus l'importance cardinale et géostratégique de l'Ukraine, qui représente, selon les engouements chronologiques, une nouvelle guerre de 30 ans - qui aurait commencé en 1991, se serait poursuivie en 2014 et aurait atteint son paroxysme en 2022 - ou une guerre de 100 ans (https://bit. ly/3D3L91J ) qui vise la balkanisation et la désintégration de la Russie, sur base de l'axiome énoncé par le géographe britannique Sir Halford J. Mackinder en 1904 dans son livre Geography as the Pivot of History (https://bit.ly/3BrfXs5 )".

Au début de l'"Opération militaire spéciale" (selon Poutine) visant à dénazifier et démilitariser l'entéléchie qu'est Ukraine, j'ai postulé qu'il pourrait s'agir d'une nouvelle "guerre de 30 ans" - comme celle qui a opposé les protestants aux catholiques et s'est terminée par le traité de Westphalie de 1648 qui a donné naissance au concept de "souveraineté" qui est le pilier fondateur de l'ONU, aujourd'hui plus dysfonctionnelle que jamais (https://bit.ly/3RttkgQ ).

Récemment, le nonagénaire Kissinger, âgé de 99 ans, a soutenu que la guerre Russie-Ukraine pouvait être assimilée à une nouvelle "guerre de 30 ans" (https://bit.ly/3RQU5LW ).

Le très imprudent Michael Springmann, ancien diplomate, aujourd'hui avocat et commentateur américain réputé, a publié un essai inquiétant intitulé The 100 Year War : America's Attempts to Destroy Russia.

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Springmann a à son actif trois révélations décoiffantes sur la politique étrangère pharisaïque du département d'État américain : 1) Il a accordé depuis son poste en Arabie saoudite, pendant les administrations Reagan et Papa Bush, plus de 100 visas aux terroristes djihadistes d'Al-Qaïda qui ont perpétré le très controversé 11 septembre 2001 (https://amzn.to/3x53Puf ). De toute évidence, Springmann a été défenestré par le département d'État ; 2) dans son livre volcanique Goodbye Europe ? Hello Chaos? : Merkel's Migrant Bomb (https://amzn.to/3B8N7eO ), il affirme que "la politique étrangère américaine a créé la crise" afin de "déstabiliser l'Union européenne en général et l'Allemagne en particulier" ; et 3) il avertit les Yéménites de ne pas faire confiance à Biden, qui a promis dans sa campagne de mettre fin à la guerre de l'Arabie saoudite au Yémen (https://bit.ly/3AUBVly ).

Dans son long essai sur la guerre centenaire entre les Etats-Unis et la Russie (soviétique ou non), il expose la "genèse" des cent ans de guerre depuis que le président démocrate Woodrow Wilson, en juillet 1918 - 14 ans après le livre de Sir Halford Mackinder, est intervenu "contre les bolcheviks, contre ce que l'URSS était en train de devenir" en envoyant "13.000 soldats américains" pour soutenir les "Russes blancs", c'est-à-dire les tsaristes, contre les "Russes rouges" bolcheviques. L'intervention de l'"Empire britannique" avec plus de 57.000 soldats et 5000 autres soldats canadiens était à ne pas manquer !

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Springmann dévoile les contacts américains, en vue d'espionnage, avec des dissidents en Ukraine - lorsque celle-ci faisait partie de l'URSS - à la fin de la Seconde Guerre mondiale, indépendamment du fait qu'ils étaient alliés aux nazis. Il expose ensuite l'opération "Aérodynamique" de la CIA et sa machine de propagande depuis New York sous la couverture de Prolog Research Corp. avec le groupe ex-pro-nazi Bandera/Lebed. Par la suite, la CIA a déplacé ses agents en Ukraine avant le "coup d'État de 2014" perpétré par ses ONG bien huilées.

Il cite le journal mondialiste Guardian, très proche de George Soros, qui exulte que "la campagne américaine est derrière les troubles à Kiev" alors que la "révolution orange" était "une création américaine, un exercice sophistiqué et brillamment exécuté de branding et de marketing de masse occidental (https://bit.ly/3Bps6O2 )". Selon le cinéaste Oliver Stone, il s'agit de la "technique de soft power" appelée "Regime Change 101".

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Springmann expose l'opération de censure massive menée par les États-Unis pour dissimuler le "meurtre de 14.000 Russes ethniques au Donbass" jusqu’en 2022, alors que l'OTAN s'était étendue des Baltiques aux Balkans.

Avec les enseignements d'Al-Qaïda, le tragique comédien khazar Zelensky a créé la "Légion internationale de défense du territoire" avec 20.000 combattants provenant de 52 pays, dont Israël". Et que diable fait Israël là-bas? La Russie ne le pardonnera pas.

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La Russie se tourne vers l'Asie

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La Russie se tourne vers l'Asie

par Leonid Savin

Source: https://www.ideeazione.com/volgersi-ad-est/

La Russie est le pays du Soleil Levant, a déclaré le président russe Vladimir Poutine le 5 septembre lors d'une rencontre avec des militants au forum environnemental du Kamtchatka. Le même jour, le gouvernement russe a décidé de se retirer des accords jadis conclus avec le Japon sur la procédure des visites réciproques et des facilités sur les îles de Kunashir, Iturup et de la Petite Crête des Kouriles accordées aux citoyens japonais vivant sur ces îles et les membres de leur famille. Cet accord était en vigueur depuis 1999.

Le même jour, le Forum économique oriental s'est ouvert à Vladivostok, auquel ont participé de nombreux délégués non seulement de Russie, mais aussi d'autres pays, y compris des fonctionnaires de haut rang. Au même moment, les exercices militaires Vostok-2022 étaient en cours, impliquant cinq camps d'entraînement et les eaux de deux mers, la mer d'Okhotsk et la mer du Japon. Deux pays pourtant ennemis de longue date, la Chine et l'Inde, étaient impliqués.

Même isolés, ces événements semblent assez impressionnants. Et les décisions prises seront lourdes de conséquences. Bien que ce soit habituellement une façon de s'exprimer par des actions hostiles, dans ce contexte, il est possible de parler d'aspects positifs de la politique russe. La perspective s'ouvre de créer une autre ville en Extrême-Orient avec une zone économique libre. Des mesures de stimulation financière et économique sont mises en œuvre. D'autres perspectives s'ouvrent également pour l'activité économique à l'étranger.

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Le Myanmar (dont les dirigeants étaient présents au forum de Vladivostok) prévoit d'acheter du pétrole russe. Dans le contexte de la diversification des approvisionnements énergétiques, le nouvel accord entre la Russie et la Chine sur le passage complet au rouble et au yuan dans les règlements mutuels est une nouvelle importante. La quantité totale de gaz naturel fournie passera à 48 milliards de mètres cubes par an. En comparaison, la capacité des deux pipelines Nord Stream est de 55 milliards de mètres cubes par an. Même si le volume total des approvisionnements de l'Europe et de la Turquie s'élève à 135,75 milliards de mètres cubes (chiffres pour 2020).

Ainsi, la Chine pourra acheter à elle seule plus de 30 % du volume de gaz européen. Cela indique un véritable virage vers l'Est. Plus précisément, vers l'Asie du Sud-Est, qui est en train de devenir le moteur de l'économie mondiale.

Uhtomsky_Esper.jpgIl convient de noter que le concept de se tourner vers les pays asiatiques remonte à l'époque de l'Empire russe. La doctrine de l'"orientalisme" a été proposée par le prince Esper Ukhtomsky (photo). Dans son petit mais perspicace ouvrage intitulé "On Events in China: On the Relations of the West and Russia with the East", Ukhtomsky a noté l'importance de l'interaction avec les pays de cette région, les tentatives des puissances occidentales d'y semer la méfiance à l'égard de la Russie, et une incompréhension générale du potentiel de ces pays de la part des politiciens européens. Déjà à l'époque, Esper Ukhtomsky notait que la Chine ne dormait pas, comme le croyaient les impérialistes d'Europe occidentale, mais qu'elle s'éveillait au mouvement ; le pays était "si puissant et énorme qu'il est difficile d'imaginer ce qu'il deviendra dans quelques décennies" (ndt: le Prince Ukhtomsky est en quelque sorte un précurseur d'Alain Peyrefitte qui écrivit en français un livre qui fit, à l'époque, beaucoup de bruit, Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera...).

Comme nous pouvons le constater, les prédictions d'Ukhtomsky sont devenues réalité. Tout comme l'eurasisme, un autre mouvement idéologique né il y a un siècle parmi les émigrants blancs, est en train de devenir une réalité. Les Eurasistes ont critiqué la culture et la politique européennes décadentes pour leur nature explicitement raciste et ont proposé le concept de Russie-Eurasie en tant qu'unité culturelle et historique distincte, séparée à la fois de l'Europe et des cultures asiatiques uniques ayant leur propre identité.

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Le renforcement de la souveraineté de la Russie, comme l'a noté Vladimir Poutine lors du Forum économique oriental, fait partie du concept d'eurasisme, d'autant plus que la Russie est le fleuron de l'Union économique eurasienne, qui vise à réintégrer l'espace post-soviétique. En tant qu'État souverain, la Russie souhaite renforcer ses relations avec les États également souverains sur la base du principe du respect mutuel. Les vassaux et les satellites des États-Unis ne veulent pas d'un tel scénario, car ils veulent que ces Etats se contentent du statut et du rôle de client qui leur a été imposé. Par conséquent, s'ils adhèrent encore et toujours aux mirages occidentalistes, ils continueront à perdre leur souveraineté, cette fois sous le prétexte de renforcer la défense collective contre la Russie (ou la Chine).

À cet égard, le président Poutine a déclaré que "l'épidémie a été remplacée par d'autres défis, également de nature globale, qui menacent le monde entier. Je fais référence à la frénésie des sanctions qui agite l'Occident, à ses tentatives flagrantes et agressives d'imposer des modèles spécifiques de comportement aux autres pays, de les priver de leur souveraineté et de les soumettre à sa volonté. Il n'y a rien d'inhabituel à cela: c'est une politique que l'Occident collectif mène depuis des décennies. Le catalyseur de ces processus a été le déclin de la domination mondiale des États-Unis en politique et en économie, associé au refus obstiné et à l'incapacité des élites occidentales à voir et à reconnaître les réalités objectives...

Des changements irréversibles, on pourrait dire tectoniques, se sont récemment produits dans le système des relations internationales... Nous n'avons rien perdu et nous ne perdrons rien. En termes de ce que nous avons gagné, je peux dire que le principal gain a été le renforcement de notre souveraineté, et c'est le résultat inévitable de ce qui se passe maintenant. Bien sûr, une certaine polarisation a lieu, tant dans le monde qu'au sein du pays, mais je crois que cela ne sera que bénéfique, car tout ce qui est inutile, nuisible et qui nous empêche d'avancer sera rejeté. Nous allons accélérer le rythme du développement car le développement moderne ne peut être fondé que sur la souveraineté. Toutes nos démarches visent à renforcer la souveraineté".

Enfin, tout ceci se déroule sur fond d'aggravation de la crise énergétique en Europe et d'une hausse significative de l'inflation aux États-Unis. Il est déjà clair que si la confrontation géopolitique collective de l'Occident avec la Russie se poursuit, il ne sera pas en mesure d'obtenir des ressources énergétiques bon marché, comme c'était le cas auparavant. L'absence de réserves suffisantes de gaz naturel détruira des secteurs économiques importants, tels que la métallurgie, les machines-outils, la transformation, la pétrochimie, réduira considérablement le secteur agricole en raison des prix élevés de l'électricité et des engrais, et affectera directement le bien-être des ménages. Il semble que l'Occident va bientôt sombrer dans le chaos et les ténèbres. Et la Russie continuera à se tourner vers l'Est, au sens large du terme.

Publié initialement dans Oriental Review.

samedi, 17 septembre 2022

Rêve américain: le conflit en Ukraine poserait aussi des problèmes à la Chine

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Rêve américain: le conflit en Ukraine poserait aussi des problèmes à la Chine

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/09/11/amerikkalaishaave-ukrainan-konfliktista-ongelmia-myos-kiinalle/

Hal Brands, spécialiste américain de la politique étrangère et partisan de l'atlantisme, affirme que "les mauvais résultats de la Russie en matière de combat posent également de sérieux problèmes à la Chine".

En lisant de telles analyses, il est bon de se rappeler que le chercheur regarde les choses à travers une lentille biaisée, celle de la politique étrangère et de sécurité américaine. Brands (photo) est également le co-auteur, avec Michael Beckley, d'un livre qui évalue l'escalade du conflit entre les États-Unis et la Chine dans un avenir proche.

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Brands spécule et imagine que le président chinois Xi Jinping est probablement consterné que Poutine ait lancé une attaque aussi maladroite et incompétente contre l'Ukraine peu de temps après que Xi ait signé une déclaration d'"amitié illimitée" avec Poutine. Par ailleurs, on soupçonne que le Kremlin aurait informé les Chinois de ses plans à l'avance.

Du point de vue américain, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a causé des "revers stratégiques" à Pékin. Sous l'administration Biden, les États-Unis ont commencé à investir à Taïwan, les dépenses de défense dans la région indo-pacifique ont augmenté et la Chine a été menacée de nouvelles sanctions si Pékin venait à aider Moscou.

Toutefois, M. Brands estime que Pékin ne peut pas rester totalement inactif si la belligérance de la Russie en Ukraine prend un tournant défavorable à Moscou, car cela conduirait à tout le moins à une Russie affaiblie qui serait un allié moins utile et moins capable de distraire Washington.

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À l'extrême, l'instabilité politique en Russie pourrait causer des difficultés pour le "partenariat stratégique" entre les deux pays, sur lequel Xi a tant investi, selon Brands. On craint également un effet domino, où les problèmes politiques du Kremlin se répercuteraient sur les pays partenaires de la Russie.

Selon M. Brands, la meilleure option des États-Unis dans la compétition contre la Chine est d'essayer de faire en sorte que la Russie ne gagne pas en Ukraine. Cela laisserait Xi dans une situation où il n'y aurait pas d'options faciles.

Le chercheur américain suppose que Poutine cherchera davantage de soutien de la part de la Chine si la position de la Russie se détériore. Si Pékin ne trouve pas le moyen d'apporter ce soutien, le partenariat entre les deux pays pourrait être fracturé. La Chine est-elle prête à soutenir plus ouvertement la Russie, même si elle souffre économiquement et politiquement de cette alliance ?

Officiellement, la Chine a mis l'accent sur une solution diplomatique comme voie vers le rétablissement de la paix, et la République populaire ne s'est pas rangée du côté de la Russie contre l'Ukraine, bien que certaines déclarations chinoises aient laissé entendre que l'Occident, et non la Russie, était l'instigateur ultime du conflit ukrainien. Comme la Russie, la Chine a critiqué les ambitions expansionnistes de l'OTAN.

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Bien qu'un changement de direction ait été envisagé depuis des années, l'opération ukrainienne n'a fait qu'accélérer l'orientation de la Russie vers l'Asie, plutôt que vers l'Europe et l'Occident. S'exprimant lors du Forum économique oriental le 7 septembre, Poutine a souligné la "montée en puissance de l'Asie et du Pacifique" et a laissé entendre que l'Occident était "sur le déclin".

Ces dernières années, Poutine a signalé des "changements tectoniques irréversibles" dans les relations internationales. L'ordre libéral est en crise et le monde inflationniste est à bien des égards dans la tourmente: la crise ukrainienne fait également partie de cet enchevêtrement de problèmes.

La Russie peut-elle alors perdre la bataille contre les forces et les armements secrets de l'Occident, de l'OTAN, en Ukraine ? C'est le résultat espéré en Occident, où les médias ont salué chaque petit succès en Ukraine comme un tournant dans le cours des événements.

Pour autant, les mouvements opérationnels russes sont menés avec des effectifs très limités et aucun bombardier de type américain ne survole l'Ukraine. Le fait que le conflit se déroule selon les termes d'une crise économique et d'un démantèlement contrôlé du système actuel n'est pas quelque chose que dit Brands, en tant que répétiteur du récit politique dominant.

Vladimir Poutine et Xi Jinping se rencontreront prochainement lors de la réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai à Samarkand, en Ouzbékistan, les 15 et 16 septembre. Les présidents se sont rencontrés pour la dernière fois en février lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'hiver de Pékin. Après les Jeux, la Russie a lancé son "opération militaire spéciale" en Ukraine et un nouveau rideau de fer est apparu pour diviser l'Est et l'Ouest.

lundi, 12 septembre 2022

L'alternative eurasienne: la vision d'Alexandre Douguine pour l'ère post-américaine

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L'alternative eurasienne

Lectures à méditer : la vision d'Alexandre Douguine pour l'ère post-américaine

A propos de l'édition allemande de "Mission Eurasie"

Karl Richter

Il y a quelques semaines, le journaliste, philosophe et géopoliticien russe Alexandre Douguine s'est brièvement retrouvé sous les feux de l'actualité dans son pays, lorsque sa fille Daria a été victime d'un attentat à la bombe non loin de Moscou en août.

Dans ce contexte, les médias occidentaux ont qualifié à plusieurs reprises Douguine, né en 1962, d'homme qui murmure à l'oreille des puissants, voire qui serait le "cerveau de Poutine" ("Putin's brain"). C'est sans aucun doute exagéré. Ce qui est vrai, c'est que Douguine, qui s'était déjà fait un nom dans la Russie post-soviétique dans les années 1990 en tant que penseur patriotique et révolutionnaire, était au tournant du millénaire le conseiller de Gennady Selesnov, alors porte-parole de la Douma.

Dans les années qui ont suivi la fin de l'Union soviétique, il a été l'un des premiers à évoquer le concept d'un ordre mondial "multipolaire" comme alternative au "One World" dominé par les États-Unis, concept que la politique étrangère russe a également adopté à l'époque. Au fil des années, Douguine a élargi son approche à la philosophie, voire à la spiritualité, et il est considéré aujourd'hui en Russie comme un éminent inspirateur d'idées. Il est également vrai que la politique étrangère russe suit depuis quelques années un cours de plus en plus "impérial", qui tient compte des nécessités géopolitiques. Douguine, qui a publié une douzaine de livres et d'innombrables articles dans des revues depuis les années 1990, a sans aucun doute contribué à cette évolution.

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Son dernier livre, intitulé Eurasische Mission, vient de paraître en traduction allemande et se veut une "introduction au néo-eurasisme". Il est déjà clair que l'"eurasisme" ou la "pensée eurasienne" n'est pas vraiment une nouveauté. Douguine fait référence à une poignée de penseurs et de scientifiques russes du siècle dernier comme étant ses fondateurs, tels le philologue et linguiste Nikolai S. Troubetskoï (1890 - 1938), l'historien Lev Nikolaevitch Gumilev (1912 - 1992) ou l'historien de la culture et philosophe Ivan A. Ilyine (1893 - 1954) ; ce dernier a été honoré il y a des années par Poutine lors d'une petite cérémonie ; il est considéré comme une sorte de "philosophe maison" par le chef du Kremlin.

Selon Douguine, l'eurasisme a été formulé très tôt comme une idée reflétant les origines "multiculturelles" et supranationales de la Russie, c'est-à-dire l'oblitération par les Mongols et les Tatars pendant des siècles. L'idée eurasienne est donc également en certaine contradiction avec le concept de nationalisme occidental et bourgeois: "Cette originalité de la culture et de l'État russes (qui présente des traits à la fois européens et asiatiques) définit (...) la voie historique particulière de la Russie et son programme national et étatique, qui ne coïncide pas avec celui de la tradition d'Europe occidentale".

D'un autre côté, cela représente une grande chance, surtout aujourd'hui: car l'idée eurasienne montre une voie praticable pour que de grands espaces culturels et géographiques puissent trouver un ordre intérieur pacifique, fondé sur le respect et la diversité, même sans guerres d'extermination (USA!) ni nivellement culturel (One World!).

C'est la thèse centrale de Douguine : si le monde veut survivre à l'effondrement inévitable de l'ordre mondial américano-capitaliste, il doit se mettre d'accord sur un contre-projet radical qui permette fondamentalement une coexistence pacifique: "Le mouvement eurasianiste est un lieu de dialogue multilatéral égalitaire pour des sujets souverains. (...) Nous devons unir nos efforts pour dessiner une carte accessible pour les peuples d'Eurasie pour le nouveau millénaire".

Remarquable : même l'UE, avec sa tendance à la formation d'États supranationaux, semble utile dans cette voie - elle pourrait contribuer à ce que l'Europe retrouve un rôle autonome, indépendant des États-Unis, dans son propre environnement géopolitique.

Mais en fin de compte, Douguine ne se fait pas d'illusions : il n'y aura pas de coexistence pacifique avec l'hégémon mondial américain. Car celui-ci, suivant sa logique capitaliste libérale, ne tolère pas de cultures, de peuples et d'espaces économiques autonomes à côté de lui. Les États-Unis sont le "pays du mal absolu". "L'empire américain devrait être détruit, et tôt ou tard, il le sera".

4cf3b1bcfbc588bb5646b3a5f78a9fdaea992c10-00-03.jpegFace au cancer de la mondialisation occidentale, le contre-projet "eurasiatique" a la fonction d'un message révolutionnaire qui peut encore tout changer pour le mieux à la douzième heure : "L'idée eurasiatique est un concept révolutionnaire au niveau mondial qui doit servir de nouvelle plate-forme de compréhension mutuelle et de coopération pour un grand conglomérat de puissances différentes : États, nations, cultures et religions qui rejettent la version atlantiste de la mondialisation".

La guerre en Ukraine, que Douguine voit comme une conséquence inévitable des provocations atlantistes continues, n'a fait qu'accélérer cette évolution. La guerre se joue en fin de compte sur le visage futur du monde. Douguine ne cache pas que la Russie est ici "destinée à prendre la tête d'une nouvelle alternative globale, eurasienne, à la vision occidentale de l'avenir du monde".

Pour certains lecteurs de "droite", tout cela est très fort de tabac - d'autant plus que Douguine déclare explicitement que l'État-nation classique est dépassé. Les droitiers occidentaux peuvent ne pas être d'accord. D'un autre côté, l'Allemagne dispose, avec le Saint Empire romain germanique, d'une vision d'empire vieille de plusieurs siècles, qui présente de nombreux points communs avec le concept eurasien de Douguine.

Au final, son livre - dont Constantin von Hoffmeister a assuré une traduction fluide et agréable - est une lecture captivante et inspirante pour tous ceux qui en ont assez de l'Occident, de l'OTAN, des gay prides et de l'obsession du genre. Certes, Douguine n'est pas un "homme de droite", encore moins un "nationaliste". Mais c'est un penseur visionnaire du 21ème siècle. Tout porte à croire qu'il aura raison. L'ère "multipolaire" n'en est qu'à ses débuts.

Karl Richter