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dimanche, 10 avril 2022

L'homme habite géopolitiquement la Terre

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L'homme habite géopolitiquement la Terre

par Gennaro Scala 

Source : Gennaro Scala & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/geo-politicamente-abita-l-uomo

0-15116.jpgLe livre en question est une réflexion "métapolitique" sur la géopolitique, c'est-à-dire qu'il dépasse les questions spécifiques que traite cette discipline pour s'interroger sur le "pourquoi", sur les questions fondamentales dont découlent les questions géopolitiques et politiques tout court. Pourquoi s'occuper de géo-politique ? D'un point de vue immédiat, chaque État ne peut ignorer les questions géopolitiques, sous peine de graves conséquences. Un certain niveau de connaissances géopolitiques, c'est-à-dire des relations entre les États, est nécessaire à la classe politique de chaque État. Cependant, tous les États n'en ont pas besoin et ne peuvent pas l'utiliser de la même manière, cela dépend de la capacité d'action, qui dépend à son tour de la puissance d'un État. Un État qui est totalement subordonné aux politiques internationales d'un autre État, et il en existe, il faut le savoir, n'a guère besoin de connaissances géopolitiques puisque la décision sur les politiques internationales sera dictée par d'autres. Mais ce peu ne signifie pas zéro, un certain degré de connaissances géopolitiques est toujours nécessaire, une marge de manœuvre subsiste toujours, même si elle est devenue beaucoup plus étroite que la "souveraineté limitée" dont a bénéficié l'Italie de l'après-guerre jusqu'à l'effondrement de l'URSS. Mais si c'est le niveau immédiat d'où découle le besoin de connaissances géopolitiques, on ne peut s'y arrêter, sinon nous aurions une géopolitique purement nationaliste.

Ce n'est pas le cas de Fabio Falchi pour qui la géopolitique découle de notre "être au monde" et d'une certaine manière d'"habiter la terre". En tant que mortels, nous habitons "poétiquement" la terre, le mot étant la "maison de l'être" et concernant donc notre être chez nous dans le monde, mais nous sommes des êtres situés entre le ciel et la terre, donc le poétique présuppose l'impoétique, autant l'homme habite poétiquement la terre, autant il l'habite géo-politiquement. Ce "poétique vs. impoétique" se traduit philosophiquement dans l'opposition "Heidegger vs. Schmitt" (chapitre II), Schmitt venant rappeler que l'occupation de la terre par l'homme se fait à partir d'une partition, et la géopolitique s'en occupe, mais c'est donner la prévalence à "l'être-contre-les-autres". En jouant dialectiquement Heidegger contre Schmitt et vice versa, cependant, la priorité "ontologique" de "l'être-avec-les-autres" est rétablie (p.52), tout en reconnaissant l'être contre une possibilité toujours présente dans les relations humaines.

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Fabio Falchi veut retrouver l'opposition terre-mer de Schmitt, tout en rejetant, avec Heidegger, l'opposition ami-ennemi comme opposition ultime, ontologique, fondatrice de la politique. Je pense plutôt qu'il s'agit d'un mythe taillé dans le conflit Allemagne-Angleterre, l'histoire n'est pas marquée par cette éternelle opposition entre les puissances terrestres et maritimes (à ces dernières s'ajoutent, avec la technologie moderne, des puissances qui s'appuient sur le contrôle du ciel), cette opposition ne s'applique guère à l'histoire ancienne, comme le reconnaît aussi Falchi, et même avec la "révolution spatiale" qui a eu lieu avec la découverte des Amériques et la navigation sur l'ensemble du globe, elle ne devient pas plus valable. Le problème est plutôt de surmonter le mondialisme, le rêve de domination mondiale, qui est né de l'expansion mondiale des puissances européennes. L'Allemagne du siècle dernier était certes une puissance qui s'appuyait davantage sur des forces terrestres, mais elle a hérité du rêve de la domination mondiale anglo-saxonne, qu'elle a finalement voulu réaliser "par voie terrestre" par l'invasion de la Russie, pour laquelle elle s'est inspirée de la "conquête de l'Ouest".

Ainsi, s'il est juste de rétablir le fondement universaliste de l'appartenance humaine commune, tout en reconnaissant que c'est précisément le fait d'être ensemble qui peut aboutir à être contre, ou à la possibilité toujours présente d'un conflit, comment l'appartenance commune peut-elle prévaloir sur la tendance également inhérente au conflit ? Ce qui, traduit en termes géopolitiques universels, signifie pour moi aujourd'hui: comment éviter le choc des civilisations ? À cette fin, il est notamment essentiel de rétablir le sens de la limitation humaine par rapport à la volonté illimitée de puissance qui a donné naissance à la technologie. Et à cet égard, Heidegger est si utile, étant parmi ceux qui se sont le plus concentrés sur le problème, si trompeur car la différence ontologique et l'oubli de l'être sont à mon avis de mauvaises réponses. Le concept de différence ontologique de Heidegger est celui qu'il faut le plus dépasser; il crée une fracture entre l'être et le devenir, reproduisant les anciens dualismes. Identifier l'être à tout ce qui n'est pas l'être signifie une dé-substantiation de l'Être, qui est au contraire ce qu'il y a de plus réel, c'est l'ens realissimus. Pensé à travers la différence ontologique, l'être est la non-entité, la ni-entité. Identité donc de l'être et du néant. Et nous revenons ici au célèbre début de la Science de la Logique, d'où partent les réflexions de Heidegger. Il y aurait un discours à faire sur la nature problématique de la dialectique hégélienne que nous ne pouvons pas faire ici, sur lequel Enrico Berti a écrit des pages fondamentales. Certes, l'être ne peut être réduit à une entité déterminée, mais c'est ce que nous faisons dans la mesure où nous parlons de l'être avec l'article déterminatif.

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L'être ne peut être oublié car, en tant qu'êtres humains limités, nous ne pouvons pas l'embrasser, mais ce que nous ne pouvons pas oublier, c'est que notre connaissance de la nature, et notre capacité à connaître et à contrôler certains phénomènes naturels, est toujours petite comparée à la puissance infinie de la Nature qui nous a engendrés. L'Être est le monde infini qui a également engendré l'homme; il ne peut être embrassé par un être fini tel que l'être humain, mais seulement pensé comme un au-delà. Nous n'approchons l'être qu'à travers l'être de manière finie et déterminée, mais il s'agit toujours d'une réduction, car, et c'est l'une des acquisitions les plus importantes de la science moderne, même le grain de sable a des déterminations infinies si on l'analyse en profondeur. Réfléchir sur l'être, c'est réfléchir sur les limites de la connaissance humaine, mais aussi sur le caractère merveilleux de cette connaissance. Que serait un monde s'il ne présentait pas plus de défis et de mystères à l'homme?

Fabio Falchi conclut son ouvrage en rappelant que le rétablissement du sens de l'émerveillement envers la Physis est fondamental face à un appareil technocratique qui voudrait réduire le monde à quelque chose d'entièrement manipulable et contrôlable. Une "question métaphysique" que la pensée faible (pensiero debole) d'un Vattimo voudrait plutôt effacer, montrant une convergence fondamentale avec la pensée néo-libérale à laquelle il dit vouloir s'opposer. Cacciari saisit entre autres un point crucial lorsqu'il rappelle le double sens du terme grec Thauma, qui désigne un rapport au monde dans lequel la terreur et l'émerveillement ont la même origine. D'autre part, Heidegger (et Severino lui-même) n'a privilégié que l'aspect de l'angoisse inhérente à la finitude de l'être humain, qui est "in-éradicable", mais c'est précisément cela qui peut être transformé en émerveillement devant le monde, qui transforme le court voyage de la vie en quelque chose qui a un sens et une valeur.

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Cependant, si nous devons rétablir l'idée de la subordination inévitable de l'être humain à la Nature, nous ne pouvons pas rétablir le "sens du sacré" des anciens, qui découlait du sens naturel, pour ainsi dire, de la subordination de l'être humain à la Nature. L'être humain s'est libéré de sa dépendance à l'égard de certains phénomènes naturels, ce qui a été un chemin positif et, dans l'ensemble, obligatoire, puisque l'"animal nu" appelé homme, qui n'a pas de griffes pour se défendre ni de membres rapides pour courir, a dû développer la technologie. Cette voie a toutefois abouti à la domination de la Technique, qui est une forme d'hybris, l'illusion de pouvoir contrôler et manipuler le monde à volonté. Dans cette voie, le sentiment de subordination de l'être humain à la Nature doit être reconstitué sur une nouvelle base.

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Établir une relation adéquate avec la transcendance de la Nature, avec l'Être, avec Dieu, ou quelle que soit la façon dont on souhaite désigner le monde infini qui nous a engendrés, est également fondamental pour la géopolitique. Car établir une relation adéquate avec la transcendance signifie rétablir le sens de la limite pour l'être humain. En termes géopolitiques, cela signifie une inversion de l'absurdité du projet occidental de contrôle total des êtres humains sur la Terre. Il y a des limites à ne pas franchir, et celles-ci devraient être les nouveaux Hercules de demain, qui ne sont plus géographiques mais politiques.

Une limite à ne pas franchir au-delà de laquelle il existe un risque de déclencher un conflit de civilisations, qui pourrait avoir des conséquences imprévisibles. Il convient de rappeler l'extraordinaire pertinence du Canto XXVI de Dante, qui commence par la condamnation de l'impérialisme de Florence qui "per mare e per terra batte l'ale", son désir d'expansion sans limites. Dans "l'in-éliminabilité" de la dimension conflictuelle, qui est une dimension in-éliminable de l'habitation de la terre, comme le souligne à juste titre Falchi, se révèle à mon avis la subordination de l'être humain à la nature. C'est la même conclusion à laquelle Tolstoï est parvenu lorsqu'il a voulu raconter "la guerre et la paix". Cela ne signifie pas que le conflit est inévitable, cela signifie que le conflit doit être "façonné" (pour utiliser la terminologie de Tolstoï), il doit être régi et orienté vers des formes qui ne sont pas destructrices pour tous les prétendants.

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Je considère que celui de Fabio Falchi est un travail de réflexion méritoire et assez rare dans le panorama intellectuel italien asphyxié, pour la profondeur et l'ampleur des vues, sur les fondements de la (géo)politique, cependant, un effort devrait être fait pour surmonter ce bloc de la culture européenne, dont parle Pierluigi Fagan, selon lequel "la philosophie occidentale pratique, sa politique et son éthique sont arrêtées au 19ème siècle". En effet, nous ballottons entre Heidegger, Nietzsche et Marx, souvent dans un mélange de ceux-ci. La philosophie italienne d'après-guerre a fait des pas en avant qu'il faut valoriser par rapport à la philosophie allemande, je pense à la critique de Heidegger par Severini, mais aussi à la critique de la dialectique par Enrico Berti. Heidegger a été "sacralisé" par une certaine intellectualité européenne, surtout de gauche, comme l'écrit Dominique Janicaud dans Heidegger en France, car "la destruction de la métaphysique" correspondait à la nécessité de se débarrasser des "récits" progressistes, une opération certes nécessaire mais qui a ensuite conduit à une adhésion nihiliste aux valeurs fondamentales du néolibéralisme, même si elle était ensuite assaisonnée d'un anarchisme inoffensif, comme l'observe Fabio Falchi à propos de Vattimo. Je ne connais pas suffisamment la philosophie de Vattimo, je ne peux donc exprimer qu'un jugement consciemment sommaire, mais je peux dire qu'en première lecture, le "nihilisme libérateur" de Vattimo ne me convainc pas du tout. Je ne crois pas que "ce qui rend libre est vrai", mais plutôt que la communauté ne peut être fondée que sur une base de vérité. La vérité n'est pas l'imposition du discours dominant. Une formulation qui n'échappe pas à l'objection classique du relativisme, puisqu'elle aussi voudrait être une vérité. Heidegger doit être "dépassé", selon le sens hégélien du terme, sinon notre critique de ses élèves "gauchistes" est nécessairement faible. Le concept de vérité de Vattimo doit être rejeté.

Le problème est que cette faiblesse envers un certain nihilisme découle d'un problème précis qui est un vide difficilement surmontable. Heidegger a pensé et agi du point de vue de la défense de la civilisation européenne, pour laquelle il a pensé utiliser le nihilisme produit par la décadence de cette même civilisation, un court-circuit qui l'a conduit à rejoindre le nazisme, qui a fonctionné comme un accélérateur de la décadence européenne. Pour nous, cependant, cet effondrement est déjà un fait accompli, en effet il n'y a plus rien à défendre, seulement les décombres. Bien que cette question ne soit pas mentionnée dans le livre, je sais bien, connaissant un peu la pensée de l'auteur, qu'elle est en arrière-plan. Il n'est pas mentionné parce qu'il ne s'agit pas d'un problème soluble, mais il reste un problème classé sans être surmonté. La "racine terrestre" ne peut se trouver que dans sa propre culture. Notre culture d'appartenance aurait dû être cette civilisation européenne dans laquelle s'inscrit l'État-nation individuel. Cependant, elle s'est effondrée avec la Première et la Deuxième Guerre mondiale, nous laissant dans l'étrange hybride qu'est la "civilisation occidentale", un non-lieu destiné à se dissoudre. Mais si nous ne pouvons pas penser dans la perspective d'une appartenance à la civilisation européenne, quand bien même cette appartenance n'épuiserait pas ou ne serait pas l'horizon ultime de notre " être au monde ", nous pouvons penser dans la perspective d'une renaissance, dans la conviction d'une renaissance, puisque la civilisation est ce qui renaît toujours des germes laissés par la précédente. Même si cette renaissance ne signifie pas que la civilisation européenne renaîtra comme avant. Je me rends compte qu'il s'agit d'une solution idéale au problème, appartenir à une véritable civilisation est autre chose, mais je ne pense pas que nous puissions faire mieux pour le moment. Je pense donc que l'approche à dominante universaliste du livre est fondée, nous ne pouvons traiter que des "problèmes universels" sachant qu'ils restent déconnectés de l'ancrage à une véritable civilisation. Cet universalisme dans lequel l'intellectualité italienne a déjà dû se confiner en d'autres occasions, comme Gramsci l'a déjà noté. Mais je crois que préserver la perspective de la renaissance nous permet de considérer les problèmes nationaux en perspective, en ayant une direction, dans la collation d'un potentiel futur grand espace européen qui est le sujet et non seulement l'objet de la politique des autres "grands espaces" existant actuellement sur Terre.

samedi, 09 avril 2022

La guerre américaine en Ukraine est en réalité une guerre contre l'Allemagne

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La guerre américaine en Ukraine est en réalité une guerre contre l'Allemagne

Valentin Katasonov

Source: http://geoestrategia.es/index.php/noticias/politica/37335-la-guerra-estadounidense-en-ucrania-es-en-realidad-una-guerra-contra-alemania

Il est connu que toute sanction économique s'accompagne d'un effet boomerang (conséquences négatives pour l'État à l'origine des sanctions). La force de l'impact d'un boomerang varie fortement d'un pays à l'autre. L'effet boomerang est beaucoup plus fort pour l'Europe que pour les États-Unis. Et au sein de l'UE, la propagation des effets négatifs est également très importante.

Les sanctions de 2014 ("pour la Crimée") ont varié considérablement quant à la force de l'effet boomerang. Une étude de Matthieu Crozet et Julian Hinz a tenté de calculer les pertes subies par l'Occident du fait de la réduction des exportations de marchandises vers la Russie jusqu'à la mi-2015. Les pertes se sont élevées à 60,2 milliards de dollars et seulement 17,8 % de ces pertes étaient dues à l'introduction de contre-sanctions par Moscou. Les 82,2 pour cent restants sont des pertes que l'on peut qualifier de "tir dans le pied". 76,7 % de ces pertes (plus de 46 milliards de dollars) ont été subies par les pays de l'UE. Et seulement 23,3% correspondaient au reste des pays occidentaux (USA, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Suède, Suisse, etc.).

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Au sein de l'UE, le résultat négatif de la première vague de sanctions est également très différent. L'étude "Les leçons des sanctions de l'UE contre la Russie en 2014-2015" fournit des estimations des dommages subis par les différents États membres de l'UE jusqu'à la mi-2015. Voici la liste des pays ayant subi les plus grosses pertes (en millions d'euros) : Allemagne - 2 566 ; Italie - 668 ; France - 612 ; Pays-Bas - 591 ; Pologne - 521. Si l'on prend des indicateurs relatifs, il s'avère que pour l'Allemagne (première économie de l'UE), ils sont trois fois plus sensibles que pour la France et l'Italie.

Aujourd'hui, dans le contexte d'une nouvelle guerre de sanctions contre la Russie, nous voyons une image similaire. Début mars, le Kiel Institute for World Economics (Allemagne) et l'Institut autrichien de recherche économique (WIFO) ont préparé un rapport opportun sur les conséquences économiques des sanctions prévues par l'Occident. Selon ce document, les pertes pour les économies de tous les pays initiant des sanctions sont estimées à 0,17 % du PIB total. L'Allemagne et l'Autriche subiront des pertes de 0,4 et 0,3 pour cent du PIB annuel respectivement, tandis que les États-Unis ne subiront que des pertes de 0,04 pour cent. Parmi les alliés, la Lituanie (2,5 pour cent dans le scénario simulé), la Lettonie (2,0 pour cent) et l'Estonie (2,0 pour cent) subiront la plupart des pertes.

Les médias occidentaux affirment que les coûts de la guerre de sanctions contre la Russie sont inévitables, mais pour obtenir la victoire dans cette guerre, il faut résister, ce qui démontrerait l'unité de l'Occident. Cependant, il n'y a pas d'unité. On le voit clairement dans l'exemple des achats de gaz naturel à la Russie. On sait que les fournitures russes à l'UE en 2021 représentaient 45 % des importations de gaz naturel et 40 % de la consommation. Il s'agit d'une moyenne. Pour des pays comme la Bulgarie, la République tchèque, la Lettonie, l'Autriche, la Roumanie et la Slovénie, la dépendance vis-à-vis de la Russie pour les importations de gaz se situe entre 75 et 100 %. Dépendance supérieure à la moyenne de l'UE vis-à-vis de la Russie pour les importations de gaz naturel et de l'Allemagne à hauteur de 49 %. L'Italie en est à 46%.

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Le tableau est également mitigé en ce qui concerne la dépendance à l'égard des importations de pétrole en provenance de Russie. À la fin de 2020, la Russie représentait 24,9 % des importations d'or noir de l'UE. Les pays suivants ont la plus forte dépendance vis-à-vis des importations de pétrole russe (%) : Slovaquie - 78,4 ; Lituanie - 68,8 ; Pologne - 67,5 ; Finlande - 66,8 ; Hongrie - 44,6. Significativement plus élevé que la moyenne de l'UE, l'indicateur de dépendance dans ces autres pays (%) : Roumanie - 32. 8 ; Estonie - 32,0 ; Allemagne - 29,7 ; République tchèque - 29,1 ; Grèce - 26,3. Et la dépendance à l'égard des importations de pétrole russe est nettement inférieure à la moyenne de la deuxième plus grande économie de l'UE : la France (13,3 %), de la troisième économie : l'Italie (12,5 %), des Pays-Bas (21,0 %). Au Royaume-Uni, la Russie ne représentait que 12,2 % des importations de pétrole. Vous pouvez imaginer que les positions de la Hongrie ou de la Finlande sur les restrictions ou les interdictions d'importation d'or noir en provenance de Russie peuvent être très différentes des positions des Pays-Bas ou de la France. Et ils ne coïncident pas vraiment.

Il existe de grandes différences entre les 27 pays de l'UE en termes de dépendance aux importations d'engrais, de céréales, de métaux et d'autres biens. D'où les grandes différences politiques dans l'évaluation par les dirigeants de ces pays de l'opportunité des sanctions de l'UE contre la Russie.

Les États-Unis ne sont pas un participant, mais un initiateur et un organisateur de la guerre des sanctions. Le commerce extérieur entre les États-Unis et la Russie n'a jamais été excellent. L'année dernière, les États-Unis ne représentaient que 4,4 % du chiffre d'affaires du commerce extérieur de la Russie. L'Union européenne a représenté 35,9 %. Même si Washington mettait à zéro ses échanges avec Moscou, cette dernière ne ressentirait pas grand-chose. Mais réduire à zéro le commerce de l'UE avec la Russie pourrait porter un coup tangible et même écrasant. Ainsi, la guerre des sanctions contre la Russie ressemble à ceci : Washington planifie une guerre, introduit de nouvelles sanctions "infernales" contre Moscou, et l'exécution est confiée à Bruxelles, qui transmet les ordres de Washington aux 27 États membres de l'UE.

Toutefois, plus Washington fait pression sur Bruxelles, plus la structure de l'UE se fissure.

Trois camps ont été clairement identifiés en Europe. La première comprend la Hongrie, la Serbie (un pays non membre de l'UE) et plusieurs autres États. Ils indiquent clairement que pour eux, les intérêts nationaux sont au-dessus des intérêts de l'Occident collectif. L'autre camp est représenté par les États baltes et la Pologne. Ils se caractérisent par un fanatisme russophobe. Le troisième camp est représenté par l'Allemagne et la France. Ils essaient de manœuvrer et de se mettre progressivement d'accord sur quelques points avec Moscou. Berlin et Paris comprennent tous deux que si l'UE ne s'effondre pas à la suite de la guerre des sanctions, ce sont eux qui devront payer les dégâts de l'effet boomerang.

Cependant, certains experts prédisent qu'il n'y a aucune chance de sauver l'UE. L'opportunisme de Bruxelles, Berlin et Paris, succombant à la pression de Washington, pourrait aboutir à l'effondrement de l'UE.

Il existe également des lignes de fracture au sein des États membres. Ceci est particulièrement évident dans l'exemple de l'Allemagne. L'équipe du chancelier Olaf Scholz fait tout son possible pour mettre en œuvre les idées de sanctions de Washington. Et des millions d'Allemands protestent contre les sanctions. Les entreprises allemandes protestent également. Le 10 mars, l'Association allemande des petites et moyennes entreprises a exprimé ses craintes que l'apparition de la hausse des prix de l'énergie n'entraîne des faillites massives d'entreprises. Le directeur général de l'association, Markus Jerger, a déclaré : "L'association fédérale des petites et moyennes entreprises craint les faillites d'entreprises et les pertes d'emplois dues aux prix élevés de l'énergie. Les prix de l'énergie sont devenus un problème existentiel pour de nombreux entrepreneurs".

Le fardeau disproportionné de la guerre des sanctions, qui pèse sur l'Europe, est largement évoqué dans les médias. Cependant, la plupart des auteurs décrivent cela comme un coût inévitable dans toute guerre. "Dites, la guerre est la guerre, ce n'est pas le moment de se déguiser, Sue".

Mais certains experts soupçonnent que la Russie n'est pas la seule cible de la guerre de sanctions américaine. A en juger par les pertes que subit l'Europe, il s'avère qu'elle n'est pas considérée comme un allié par Washington, mais bien plutôt comme une cible. C'est l'avis de Yakov Kedmi, qui a déclaré le 30 mars : "Je suis intéressé de voir ce qui se passe en Europe en ce moment. Rappelez-vous comment s'appelait l'Union européenne à l'origine ? C'est ça, la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Où sont le charbon et l'acier maintenant ? Les Européens eux-mêmes oublient ce sur quoi cette union était fondée. Maintenant, l'Europe risque de manquer de charbon et d'acier. Qui applaudit à cela ? Les États-Unis. Il n'y a pas de moyen plus efficace pour affaiblir et mettre à genoux l'industrie européenne que des sanctions contre la Russie. Et les Européens ont obéi. Seule l'industrie américaine en profitera... Les Américains gagnent deux fois : ils vendront leurs ressources énergétiques à l'Europe à des prix exorbitants, rendant son industrie non rentable, et en parallèle, ils développeront leur propre industrie. C'est très simple".

Ce regard, certes nouveau, sur la guerre des sanctions peut être exprimé comme suit : Les États-Unis, après avoir déclenché une guerre, veulent faire d'une pierre deux coups. Non seulement la Russie, mais aussi l'Europe. De plus, Washington a de bien meilleures chances de tuer le deuxième lièvre.

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Et voici un regard sur ce qui se passe par le célèbre économiste américain Michael Hudson. À son avis, ceux qui ont planifié la guerre des sanctions à Washington ne sont pas du tout des imbéciles. Ils ont sérieusement compris que les sanctions ne feraient pas tomber Moscou. Mais l'Europe, elle, est facile à "soumettre". "Abaisser", se débarrasser d'un concurrent dans l'Ancien Monde et prendre sa place. Michael Hudson sur les opérations militaires en Ukraine: "C'est une guerre pour enfermer nos alliés afin qu'ils ne puissent pas commercer avec la Russie. Ils ne peuvent pas acheter de pétrole russe. Ils doivent compter sur le pétrole américain, pour lequel ils devront payer trois à quatre fois plus cher. Ils devront dépendre du gaz naturel liquéfié américain pour les engrais. S'ils n'achètent pas de gaz américain pour les engrais, et si nous ne leur permettons pas d'en acheter en Russie, ils ne pourront pas fertiliser la terre, et sans engrais, les rendements seront réduits de 50 %...".

Et le principal concurrent de l'Amérique, selon Hudson, est l'Allemagne. Si l'Allemagne est "déclassée", le reste de l'Europe s'effondrera tout seul. Hudson conclut: "La guerre américaine en Ukraine est en réalité une guerre contre l'Allemagne... L'Allemagne et l'Europe sont les ennemis. La guerre américaine en Ukraine est en réalité une guerre contre l'Allemagne, et les États-Unis l'ont fait savoir clairement".

jeudi, 07 avril 2022

Les 5 principales tendances géostratégiques du nouvel ordre mondial selon Biden

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Les 5 principales tendances géostratégiques du nouvel ordre mondial selon Biden

Andrew Korybko 

Source: https://novaresistencia.org/2022/04/06/as-5-principais-tendencias-geoestrategicas-da-nova-ordem-mundial-de-biden/?amp=1#.Yk5vPxViPhU.twitter

Quiconque pense que les États-Unis ont tout simplement été vaincus dans le scénario actuel et qu'ils se retireront en Amérique du Nord se trompe. L'élite américaine est déjà en train de calculer ses pertes et de se réorganiser pour prendre la direction du monde post-Ukraine et post-pandémie.

Le président américain Joe Biden a déclaré lundi : "Il va y avoir un nouvel ordre mondial, et nous devons le diriger, et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire". Jusqu'à ce moment-là, l'expression même de "Nouvel Ordre Mondial" (NOM) était traitée comme une supposée "théorie du complot" et impitoyablement supprimée dans le discours médiatique hégémonique, bien que l'ancien président américain George H.W. Bush soit responsable de l'introduction du concept vers la fin de l'ancienne guerre froide. Cependant, maintenant que Biden a publiquement prononcé cette phrase, il n'est plus "politiquement incorrect" d'en parler. En effet, elle pourrait même faire partie du récit officiel dans un avenir proche. L'objectif de cet article est d'identifier les cinq principales tendances géostratégiques du Nouvel Ordre Mondial de Biden et de prédire sa trajectoire future.

Le bloc occidental dirigé par les États-Unis s'est consolidé

La réaction sans précédent et planifiée à l'avance de l'Occident dirigé par les États-Unis à l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine a servi à consolider ce bloc sous l'hégémonie américaine. L'UE a sacrifié sa souveraineté stratégique à son mécène transatlantique sous le prétexte de "se défendre contre la menace russe", bien que cela entraîne d'énormes conséquences économiques, lesquelles sont auto-infligées. Ce résultat sera exploité par l'Axe anglo-américain pour chasser les concurrents de leurs entreprises, racheter certaines de celles qui restent et endommager définitivement la compétitivité globale du bloc dans un avenir prévisible. Le modèle hégémonique activement mis en œuvre par les États-Unis ces jours-ci pourrait également être utilisé pour réduire et finalement rompre les relations entre la Chine et l'UE.

La Russie accélérera sa réorientation stratégique majeure

La grande puissance eurasienne a réorienté son principal axe stratégique vers le Sud depuis le début des sanctions occidentales orchestrées par les États-Unis en 2014, mais elle va accélérer cette tendance car elle n'a littéralement plus le choix. À son crédit, cependant, la Russie a fait des progrès impressionnants dans la région non-occidentale au cours des huit dernières années. En bref, elle se coordonne avec la Chine en tant que moteurs jumeaux de l'ordre mondial multipolaire (OMM) émergent ; elle s'appuie sur la combinaison de son Pivot Oumma avec des pays à majorité musulmane comme le Pakistan et de son partenariat stratégique réaffirmé avec l'Inde, co-leader du Neo-NAM, pour éviter de manière préventive une dépendance disproportionnée vis-à-vis de la République populaire ; elle est devenue un faiseur de roi en Asie occidentale en raison de son rôle irremplaçable en Syrie ; et elle étend rapidement son influence en Afrique et en Amérique latine également.

La neutralité renaît

Le fait que la grande majorité de la communauté internationale ait refusé de sanctionner la Russie, malgré l'immense pression américaine en ce sens, témoigne de sa volonté de rester neutre sur le théâtre de la nouvelle guerre froide en Eurasie occidentale entre la Russie et les États-Unis. De grands pays comme la Chine, l'Inde, l'Iran et le Pakistan n'ont pas non plus voté contre la Russie à l'Assemblée générale des Nations Unies, tout comme certains pays africains. Le renouveau de la neutralité de principe dans les relations internationales, qui sera également pratiqué de manière prévisible lorsque le théâtre eurasien oriental de la nouvelle guerre froide entre l'Amérique et la Chine s'échauffera inévitablement sur le modèle eurasien occidental avec la Russie, prouve que les États-Unis ne sont plus en mesure d'exercer unilatéralement leur volonté sur tous les autres comme dans les années 1990 et au début des années 2000.

Les alternatives non occidentales seront privilégiées

L'armement des plates-formes et systèmes occidentaux contre la Russie dans le cadre de la guerre hybride à spectre complet menée par les États-Unis contre ce pays encouragera le reste du monde qui se trouve encore en dehors de la "sphère d'influence" américaine nouvellement formalisée (c'est-à-dire les pays non occidentaux) à donner la priorité au développement rapide d'alternatives non occidentales. En effet, ils craignent, à juste titre, de finir par devenir "la prochaine Russie" s'ils continuent à affirmer de manière indépendante leurs intérêts nationaux et à rester stratégiquement autonomes. L'effet à long terme de cette tendance est que la domination des États-Unis sur les plates-formes, les systèmes et les normes disparaîtra inévitablement, ce qui pourrait les inciter à initier la "balkanisation" du système international jusqu'ici largement mondialisé avant que cela ne se produise, dans une tentative désespérée d'instrumentaliser le chaos.

Les dimensions idéologiques et systémiques de la nouvelle guerre froide

La dernière tendance qui se dégage des quatre précédentes est la division incontestée du monde entre l'Occident du "milliard d'or", dirigé par les États-Unis, et le Sud global non occidental, qui s'efforce de réaffirmer l'hégémonie unipolaire déclinante de l'Amérique sur les relations internationales ou de mettre enfin en œuvre le Nouvel ordre mondial qui était inscrit dans la Charte des Nations unies mais n'a jamais eu la chance de se concrétiser en raison de l'ancienne guerre froide, puis du bref "moment unipolaire". Actuellement, l'ordre mondial transitoire peut être décrit comme bi-multipolaire selon le modèle introduit par Sanjaya Baru, qui place les superpuissances américaine et chinoise au sommet du système, suivies des grandes puissances comparativement plus petites de l'époque, mais on ne sait pas quelle sera sa forme future.

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Les cinq tendances géostratégiques majeures identifiées dans cette analyse se manifestent également de manière importante dans le cadre de la "Grande Réinitialisation"/"Quatrième Révolution Industrielle" (GR/4IR) en cours, dont les processus de changement de paradigme à large spectre ont été accélérés par les efforts non coordonnés de la communauté internationale pour contenir la COVID-19 ("Guerre mondiale C"), que même la Russie a embrassée dans une certaine mesure conformément à ses propres intérêts tels que ses dirigeants les comprennent. Les observateurs ne doivent pas oublier ce contexte socio-économique, même si les questions géopolitiques et militaires priment aujourd'hui dans la conscience publique. Pris ensemble, ces facteurs vont tout remodeler et constitueront donc sans aucun doute le noyau du Nouvel Ordre Mondial dont Biden a parlé en début de semaine.

Source : Revue Orientale

mercredi, 06 avril 2022

Sur la procrastination géopolitique

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Sur la procrastination géopolitique

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitica.ru/article/o-geopoliticheskoy-prokrastinacii

La formule de Carl von Clausewitz, selon laquelle la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, a été renforcée au XXIe siècle par la géoéconomie, où les chaînes d'approvisionnement, les technologies prometteuses et le contrôle des actifs financiers et autres ne firent qu'obliger à une prise de décision rapide et à des effets en cascade qui pouvaient survenir dans une situation complexe. L'opération spéciale en Ukraine est une bonne preuve de cette thèse. Si la Russie n'avait pas lancé cette opération, les forces ukrainiennes soutenues par l'OTAN auraient lancé une attaque massive sur le Donbass et même la péninsule de Crimée dans un avenir très proche. Le conflit n'aurait pu être évité, mais la Russie a devancé l'Ukraine et ses sponsors occidentaux. Entre-temps, ce scénario se préparait depuis des mois, mais certains des actifs de la Russie continuaient à être détenus en Occident. Maintenant, ils ont été gelés et seront probablement confisqués. Je concède que l'on aurait pu commencer à les retirer dès décembre, lorsque des propositions sur le reformatage de l'architecture de sécurité européenne ont été envoyées aux États-Unis et à l'OTAN par la partie russe. Cependant, cela n'a pas été fait. On peut difficilement imaginer que l'Occident collectif aurait approuvé l'opération en Ukraine, ou du moins serait resté à l'écart. Des signaux de soutien à Kiev (et par conséquent des menaces indirectes contre Moscou) provenaient de Washington et de Bruxelles depuis huit ans. Les forces armées russes ont été suffisamment préparées, mais il faut admettre que sur certaines questions, la Russie a pris du retard. Elle doit maintenant rattraper son retard, ce qui est beaucoup plus difficile dans le climat actuel.

Cette procrastination n'est pas propre à la Russie. De nombreux États, en Occident et dans d'autres parties du monde, souffrent souvent d'attentes prolongées, de promesses non tenues de la part de leurs partenaires et d'espoirs irréalistes, comme le culte du karma, selon lequel quelqu'un de l'extérieur résoudra leurs problèmes et les rendra heureux dans un avenir très proche. Certains pouvoirs politiques s'appuient sur leurs ressources naturelles, qui peuvent être précieuses et attrayantes. D'autres misent sur la technologie, comme le Salvador, qui a même converti certaines de ses réserves nationales en crypto-monnaies. D'autres s'appuient sur une position géopolitique exceptionnelle, comme dans le cas du Panama. Et la quatrième, comme de nombreux pays occidentaux, sur le statu quo sans fin de leur propre hégémonie, qui s'érode maintenant rapidement.

La crise actuelle exacerbe de nombreuses nuances et nous permet de voir comment les autres acteurs agissent en fonction de leurs intérêts et de leurs capacités. L'Inde a décidé d'augmenter fortement ses achats de pétrole russe, en profitant d'énormes rabais, ce qui démontre son indépendance dans le choix des décisions qui ont une connotation politique claire. Certains pays arabes sont actifs, réagissant avec souplesse aux changements économiques mais ne prenant pas définitivement parti. Dans l'ANASE, il s'agit de manœuvres pragmatiques et calculatrices, conscientes de la puissance croissante de la Chine. Les États-Unis tentent de maintenir la solidarité au sein de l'OTAN et essaient même de projeter des instruments politico-militaires dans la région asiatique, plus proche du Céleste Empire. Les pays de l'UE vacillent, calculant rationnellement les pertes futures mais craignant de prendre des décisions souveraines contraires aux directives américaines et aux affirmations de la bureaucratie de Bruxelles. La Grande-Bretagne semble compter sur une confrontation à long terme avec la Russie, c'est pourquoi elle prend déjà des mesures pour son approvisionnement énergétique. Elle a décidé d'abandonner la construction d'éoliennes, qui étaient prévues comme une transition vers l'énergie verte. Au lieu de cela, de nouvelles centrales nucléaires seront construites. Jusqu'à un quart de l'électricité totale devrait provenir de centrales nucléaires d'ici 2050. Une telle décision est logique, car les approvisionnements en gaz de la Russie pourraient être interrompus.

Mais on ne peut pas dire que l'absence de réponse visible soit une procrastination géopolitique. Il y a aussi le facteur de la culture stratégique, comme dans le cas de la Chine. Bien que les analystes et les observateurs occidentaux aient tiré des conclusions hâtives sur le rôle et la fonction de la Chine dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine (soutenu par l'Occident), en pointant nécessairement Taïwan comme une sorte de parallèle, cette affaire est bien plus complexe et intéressante qu'il n'y paraît à première vue. Les stratagèmes de Sun Tzu et de Wu Tzu sont peu compliqués, mais ils font référence à des événements historiques spécifiques et sont donc associés au passé dans l'esprit des Chinois. Lorsque les auteurs occidentaux établissent un lien entre ces stratagèmes ou d'autres stratagèmes chinois et certains événements actuels, ils commettent une erreur typique de mauvaise perception de la culture orientale, superposée à leur propre hubris. La stratégie chinoise est beaucoup plus multi-couches et ses dirigeants politiques plus patients. Mais leur agilité fait l'envie des pays les plus agiles.

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Les îles Salomon en sont un bon exemple. En 2019, les dirigeants des îles ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan. Des liens ont rapidement été établis avec la Chine. Parallèlement aux tensions diplomatiques, un vieux conflit interethnique s'est rallumé sur les îles. Comme aucune aide n'était apportée par les pays voisins, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, en matière de contre-insurrection (et que le Premier ministre avait fait appel à ces nations), la Chine a été choisie comme futur protecteur. Un traité prévu entre la RPC et les îles Salomon permettrait aux navires chinois de faire escale dans les ports et d'effectuer des réapprovisionnements logistiques. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont immédiatement piqué une sainte colère, accusant la Chine d'établir une base militaire dans leur voisinage, bien qu'aucune disposition de ce type ne figure dans le projet de traité.

Mais si nous parlons de confrontation entre la Russie et l'Occident, l'urgence actuelle serait de couper complètement les livraisons aux pays inamicaux de ces produits, qui sont critiques pour leurs industries ou qui sont impliqués dans les chaînes de production. Pourquoi faire de la procrastination géopolitique et attendre qu'ils trouvent eux-mêmes une solution alternative et imposent avec arrogance de nouvelles sanctions sur ces produits ? Mieux vaut être proactif. La Russie n'est pas aussi centrée sur la consommation que l'Occident. Les restrictions temporaires ne constitueront donc pas une menace pour l'État russe. Au contraire, elle contribuera à mobiliser et à consolider la population et les autorités face aux défis extérieurs.

Vers la multipolarité

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Vers la multipolarité

par Subrata Mukherjee

Source: https://www.ideeazione.com/verso-la-multipolarita/

Le démembrement de la Yougoslavie par l'OTAN et la création du Kosovo en 1999 ont démontré la faiblesse du droit international et des Nations Unies, car les grandes puissances pouvaient s'en tirer dans le cadre d'un ordre international essentiellement anarchique où la puissance a toujours raison.

Ce fut une expérience humiliante pour la Fédération de Russie, car il n'y a pas eu de résolution du Conseil de sécurité approuvant une action suite à une accusation de génocide inventée de toutes pièces. Une Russie relativement faible pourrait constater que l'Alliance occidentale dirigée par les États-Unis la traite davantage comme un pays vaincu que comme un égal qui respecte ses intérêts et reconnaît son statut de grande puissance.

Le projet d'occidentalisation soutenu par Boris Eltsine et le jeune Vladimir Poutine a subi une correction de trajectoire radicale, dont la pierre angulaire était la réaffirmation de la grandeur de la Russie, illustrée par la remarque rageuse d'Eltsine selon laquelle la Russie n'était pas Haïti.

Même l'euphorie initiale des Russes s'est évaporée, et la nation s'est orientée vers l'adoption de la doctrine Primakov qui acceptait la faiblesse relative de la Russie, se préparait avec un plan à long terme pour ressusciter la formation complexe d'alliances, et prenait connaissance de deux atouts inestimables dont jouissait la Russie, son énorme arsenal nucléaire comme force redoutable et son droit de veto au Conseil de sécurité.

Le monde unipolaire actuel étant intrinsèquement instable, déstabilisant et agressif, l'émergence et la consolidation d'un monde multipolaire serait plus juste, pacifique et stable. Le soupçon que l'OTAN est une organisation agressive a été renforcé par son incursion dans le monde non-occidental. Son expansion par étapes jusqu'aux frontières russes et les changements de régime qui ont été tentés en Géorgie et en Ukraine, ainsi que la proclamation ouverte que ces deux pays deviendraient membres de l'OTAN, ont conduit à la promulgation d'une ligne rouge russe déclarant qu'elle ne tolérerait aucune autre expansion de l'OTAN.

Les éléments critiques de cette évolution sont l'expansion de l'UE et l'encouragement et l'implication directe de l'Occident dans le mouvement "pro-démocratique" en Ukraine, qui a débuté avec la Révolution orange en 2004 et a culminé avec la destitution illégale d'un gouvernement pro-russe démocratiquement élu et de son président par un coup d'État qui avait le soutien et l'implication des puissances occidentales.

Poutine considérait le renversement d'un régime légitime comme le franchissement d'une ligne rouge. Il a immédiatement pris le contrôle de la Crimée, dont il pensait à juste titre qu'elle deviendrait une base navale de l'OTAN. C'est le début de la détermination de la Russie à créer un tampon entre l'OTAN et la Russie avec l'Ukraine neutre.

La politique d'expansion de l'OTAN vers l'est menée par l'administration Clinton, contrairement à l'engagement ferme de son prédécesseur, a encouragé l'administration George H. W. Bush à tenter de consolider davantage l'Alliance occidentale.

Alexander Grushko, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, a déclaré que "l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'alliance est une énorme erreur stratégique qui aurait les conséquences les plus graves pour la sécurité paneuropéenne". Poutine n'a pas mâché ses mots, affirmant que cela représenterait une "menace directe" pour la Russie. Il a profité d'une Géorgie faible et divisée en pleine guerre civile, a aidé les séparatistes d'Ossétie du Sud et a pris le contrôle de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud.

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Étonnamment, les États-Unis et leurs alliés européens ont ignoré ces mouvements russes. La Croatie et l'Albanie sont devenues membres de l'OTAN en 2009. L'expansion de l'UE s'est également poursuivie. L'Ukraine étant une énorme masse terrestre, elle revêt une grande importance stratégique pour la Russie. Contrairement à la propagande occidentale, n'importe quel dirigeant russe aurait fait ce que Poutine a fait le 24 février. John J. Mearsheimer commente : "Les grandes puissances sont toujours sensibles aux menaces potentielles à proximité de leur territoire national".

La doctrine de Monroe et la crise des missiles cubains sont de bons exemples de cette intolérance américaine. La réaction russe a été prédite par George Kennan en 1998 lorsqu'il a déclaré, lors de la première phase d'expansion de l'OTAN, qu'il s'agissait d'une "erreur tragique" parce qu'il n'y avait aucune menace perceptible nulle part. Il a ajouté et prophétisé que "les Russes vont progressivement réagir de manière assez négative et réinitialiser progressivement leurs politiques".

Un élan très important de la politique américaine visant à soutenir l'Ukraine et à forcer la Russie à entrer en guerre était un désir caressé par pratiquement tous les présidents, à l'exception de Donald Trump, dans la période de l'après-guerre froide ; ils voulaient un changement de régime en Russie à l'aide de sanctions draconiennes. Mais ils ont oublié que les sanctions imposées à Cuba depuis plus de 60 ans n'ont pas conduit à un changement de régime.

Il en a été de même pour l'Iran et le Venezuela. Si les petites économies pouvaient résister aux sanctions, alors comment une économie énorme, riche, autosuffisante et excédentaire pouvait-elle tomber dans le piège ? L'Ukraine, l'une des nations les plus pauvres d'Europe, est également l'une des nations les plus corrompues au monde.

Loin d'être un exemple brillant de démocratie, de nombreux actes infâmes y sont régulièrement perpétrés. Il existe un fort courant d'instincts fascistes persistants dans un segment influent de la population ; ils apportent un soutien substantiel aux sentiments populistes et anti-russes dans l'est de l'Ukraine. Le gouvernement ukrainien n'a pas mis en œuvre l'accord de Minsk (2015), qui prévoyait un partage raisonnable du pouvoir incluant les Russes et la langue russe, qui est parlée par 30 % de la population.

En 2019, le corps législatif ukrainien, au lieu de prendre des mesures en vue d'une résolution, a réitéré son désir de faire partie de l'OTAN, ce qui est inacceptable pour la Russie. John Maccine a observé un jour que celui qui contrôle le pétrole contrôle le monde. Cela est confirmé par le fait que les États-Unis ont même approché des nations fortement sanctionnées comme l'Iran et le Venezuela pour obtenir du pétrole afin de compenser les sanctions contre le pétrole russe.

Paradoxalement, l'Allemagne et quelques autres pays d'Europe refusent de sanctionner le pétrole russe et la hausse des prix du gaz et de l'essence ferait plus que compenser la contraction de l'économie russe à 7%, bien moins que ce que de nombreuses économies avancées ont subi pendant la pandémie de Covid 19. La limite supérieure de l'inflation en Russie serait de 20 %, alors que dans le cas d'autres pays, dont les États-Unis, elle serait de 10 %.

L'économie russe, avec un rouble sous-évalué et une parité de pouvoir d'achat élevée, atteindrait la normalité en 2024. L'inflation tomberait en dessous de 4 %. La quasi-normalité serait atteinte en 2023. Pour les principaux acteurs de l'Europe continentale, la France et l'Allemagne, le projet des États-Unis d'Europe est de plus en plus considéré avec suspicion, car les différences entre l'Europe occidentale et l'Europe orientale sont fondamentales et infranchissables. Il n'y a pas de terrain d'entente entre le libéralisme et l'illibéralisme, que la Hongrie et la Pologne incarnent désormais.

Pour les Russes, le génocide dans le Donetsk est difficile à digérer, car 14.000 personnes ont été tuées au cours des huit dernières années. Cet acte est comparable aux événements survenus en Géorgie il y a 14 ans. La Géorgie ne fait pas partie du train de sanctions contre la Russie. Les doubles standards occidentaux sont exposés par la précédente accusation de génocide en Yougoslavie et la création du Kosovo.

À l'époque de la guerre froide, l'OTAN adhérait à la doctrine de la première frappe en raison du déséquilibre des forces conventionnelles entre les pays du Pacte de Varsovie et l'OTAN. Mais dans la phase de l'après-guerre froide, lorsqu'il n'y avait pas de telles menaces, l'émergence d'une offensive de l'OTAN au-delà des côtes européennes en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie a conduit à des considérations de sécurité pour la Russie. Si cette demande élémentaire avait été acceptée, la guerre aurait pu être évitée.

Quatre-vingt pour cent du gaz et du pétrole russes sont acheminés vers l'Europe via l'Ukraine. Celle-ci en siphonne une grande partie, qui s'arrêterait maintenant et ferait plus que compenser la perte de l'annulation du projet de gazoduc Nord Stream 2. Le Donetsk et Luganksk possèdent également d'importants gisements de gaz et la Crimée possède des gisements de gaz dans la mer Noire. La pénurie d'eau en Crimée prendrait fin car la rivière locale serait ouverte avec la suppression des blocages. La dénazification des militants Azov pourrait mettre fin aux meurtres raciaux et ethniques. À toutes fins utiles, l'Ukraine serait confrontée à un démembrement et serait pratiquement coupée en deux. La dénazification et la démilitarisation seraient réalisées. Les tentatives ukrainiennes, avec l'aide de l'Occident, de produire des armes biologiques et nucléaires prendraient également fin.

L'Allemagne et la France ont fait de leur mieux pour éviter la guerre, mais n'ont pas eu le courage d'opposer leur veto au projet américain qui a inévitablement conduit à la guerre. La perte à long terme de l'Allemagne due aux sanctions serait sévère. Angela Merkel a apporté une relation commerciale saine qui a profité aux deux parties et qui a été cruciale pour la croissance de l'Allemagne et son rôle central dans l'UE. Avec des coûts d'intrants plus élevés et une augmentation des dépenses de défense, le taux de croissance allemand en souffrirait. Inversement, la perte de la Russie serait minime, car le gaz et les céréales pourraient être détournés vers un marché asiatique en pleine croissance.

Apparemment, dans l'importante relation stratégique entre la Russie et la Chine, cette dernière aurait une plus grande marge de manœuvre. Toutefois, la Russie continuerait d'être stratégiquement autonome et de jouer un rôle clé dans une coalition d'équilibrage. Au final, avec une OTAN plus faible, il pourrait y avoir un plus grand partenariat entre l'Allemagne, la France et la Russie. Le recours excessif aux sanctions et surtout leur utilisation contre la Russie depuis 2014 a conduit à une économie russe autosuffisante à quatre-vingt pour cent en biens de consommation et à des avancées technologiques impressionnantes dans les secteurs du pétrole et du gaz. Elle a également largement bénéficié de la coopération chinoise qui lui a permis de compenser l'impact des sanctions.

La Russie et la Chine ont déjà commencé à remettre en question le maintien du dollar comme monnaie de réserve et cherchent des alternatives. Une grande partie des échanges commerciaux entre la Chine et la Russie se font désormais de manière bilatérale. L'Asean a également commencé à commercer de plus en plus dans ses propres monnaies nationales.

L'Arabie saoudite, qui a aidé individuellement les États-Unis en créant le pétrodollar, pourrait se rapprocher du yuan, ce qui est significatif car les Saoudiens détiennent 25 % du commerce du pétrole avec la Chine. Ceci, ainsi que l'unilatéralisme américain et la montée de la monnaie numérique, sont des indicateurs du processus de changement qui a déjà commencé. De manière significative, les continents entiers d'Afrique et d'Amérique du Sud ne jouent aucun rôle dans le conflit.

Les proches alliés des États-Unis, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ainsi que deux grandes économies d'Amérique du Sud, le Mexique et le Brésil, et l'Afrique du Sud ainsi que l'Inde et la Chine n'ont pas soutenu la résolution de l'Assemblée générale occidentale et se sont abstenus de voter. Ensemble, ils représentent 85 % de la population mondiale. Le moment unipolaire des temps modernes a été déstabilisant et riche en conflits. On s'attend à ce que, après cette guerre, nous assistions au retour d'un monde multipolaire fermement établi qui fournirait un ordre mondial stable.

La Stratégie du Heartland à l'Est : un aperçu des objectifs et des priorités

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La Stratégie du Heartland russe à l'Est: un aperçu des objectifs et des priorités

Alexandre Douguine

Source: https://www.ideeazione.com/la-strategia-orientale-dellheartland-una-panoramica-degli-obiettivi-e-delle-priorita/

Axe Moscou-New Delhi

Déplaçons-nous vers l'est. Nous voyons ici l'Inde comme un "grand espace" à part entière, qui, à l'époque du Grand Jeu, était la principale tête de pont de la domination britannique en Asie. À cette époque, la nécessité de maintenir le contrôle de l'Inde et d'empêcher d'autres puissances, notamment l'Empire russe, d'empiéter sur le contrôle britannique de la région était essentielle pour la "civilisation de la mer". À cela s'ajoutent les épopées afghanes des Britanniques, qui ont cherché à plusieurs reprises à affirmer leur contrôle sur la structure complexe de la société afghane non gouvernée, précisément pour bloquer les Russes dans une éventuelle campagne en Inde. Une telle perspective est théorisée depuis l'époque de l'empereur Paul Ier, qui a virtuellement lancé une campagne cosaque (organisée et planifiée de manière quelque peu naïve) en Inde (en alliance avec les Français), ce qui pourrait être la raison de son assassinat (qui, comme le montrent les historiens, a été organisé par l'ambassadeur britannique en Russie, Lord Whitworth).

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L'Inde mène actuellement une politique de neutralité stratégique, mais sa société, sa culture, sa religion et son système de valeurs n'ont rien en commun avec le projet mondialiste ou le mode de vie de l'Europe occidentale. La structure de la société hindoue est entièrement terrestre, basée sur des constantes qui ont très peu changé au cours des millénaires. Par ses paramètres (démographie, niveau de développement économique moderne, culture intégrale), l'Inde représente un "grand espace" complet, qui est organiquement inclus dans la structure multipolaire. Les relations russo-indiennes après la libération de l'Inde des Britanniques ont traditionnellement été très cordiales. Dans le même temps, les dirigeants indiens ont souligné à plusieurs reprises leur engagement en faveur d'un ordre mondial multipolaire. En même temps, la société indienne elle-même illustre la multipolarité où la diversité des groupes ethniques, des cultes, des cultures locales, des courants religieux et philosophiques s'entendent parfaitement bien malgré leurs profondes différences et même leurs contradictions. L'Inde est certainement une civilisation qui, au vingtième siècle, après la fin de la phase de colonisation, a acquis - pour des raisons pragmatiques - le statut d'"État-nation".

Dans ces circonstances favorables au projet multipolaire, qui font de l'axe Moscou-New Delhi une autre structure de soutien pour l'expression spatiale de la pan-idée eurasienne, un certain nombre de circonstances compliquent ce processus. Par inertie historique, l'Inde continue à entretenir des liens étroits avec le monde anglo-saxon, qui, pendant la période de domination coloniale, a réussi à influencer de manière significative la société indienne et à projeter sur elle ses attitudes sociologiques formelles (notamment l'anglophilie). L'Inde est étroitement intégrée aux États-Unis et aux pays de l'OTAN dans le domaine militaro-technique et les stratèges atlantistes apprécient énormément cette coopération, car elle s'inscrit dans la stratégie de contrôle de la "zone côtière" de l'Eurasie. En même temps, la mentalité même de la société indienne rejette la logique des alternatives rigides de l'une ou l'autre, et il est difficile pour la mentalité hindoue de comprendre la nécessité d'un choix irréversible entre la Mer et la Terre, entre la mondialisation et la préservation d'une identité civilisée.

Au niveau régional, cependant, dans les relations avec ses voisins immédiats - en particulier la Chine et le Pakistan - la pensée géopolitique indienne fonctionne beaucoup mieux et cela devrait être utilisé pour intégrer l'Inde dans la construction multipolaire de la nouvelle architecture stratégique eurasienne.

La place naturelle de l'Inde est en Eurasie, où elle pourrait jouer un rôle stratégique comparable à celui de l'Iran. Mais le format de l'axe Moscou-New Delhi devrait être très différent, en tenant compte des spécificités de la stratégie et de la culture régionales de l'Inde. Dans le cas de l'Iran et de l'Inde, différents paradigmes d'intégration stratégique devraient être impliqués.

La structure géopolitique de la Chine

La structure géopolitique de la Chine est la question la plus importante. Dans le monde d'aujourd'hui, la Chine a si bien développé son économie, trouvant les proportions optimales entre le maintien du pouvoir politique d'un parti communiste réformé, les principes d'une économie libérale et l'utilisation mobilisatrice d'une culture chinoise commune (dans certains cas sous la forme d'un "nationalisme chinois"), que beaucoup lui attribuent le rôle d'un pôle mondial indépendant à l'échelle planétaire et préfigurent un futur "nouvel hégémon". En termes de potentiel économique, la Chine a été classée deuxième parmi les cinq premières économies du monde avec le PIB le plus élevé. Avec les États-Unis, l'Allemagne et le Japon, le pays a formé une sorte de club des principales puissances commerciales du monde. Les Chinois eux-mêmes appellent la Chine "Zhongguo", littéralement "le pays central, du milieu".

La Chine est une entité géopolitique complexe qui peut être divisée en plusieurs composantes principales :

- Chine continentale : les zones rurales pauvres et mal irriguées situées entre les fleuves Huanghe et Yangtze, habitées principalement par des groupes ethniques indigènes réunis par le terme "Han" ;

- les zones côtières de l'Est, qui sont des centres de développement économique et commercial national et des points d'accès au marché mondial.

- les zones tampons habitées par des minorités ethniques (région autonome de Mongolie intérieure, région autonome ouïghoure du Xinjiang, région autonome du Tibet)

- les États voisins et les zones administratives insulaires spéciales dont la population est majoritairement chinoise (Taïwan, Hong Kong, Macao).

Le problème de la géopolitique chinoise est le suivant : pour développer son économie, la Chine manque de demande intérieure (la pauvreté de la Chine continentale). L'accès au marché international par le développement de la zone côtière du Pacifique augmente considérablement le niveau de vie, mais crée des inégalités sociales entre la "côte" et le "continent", et favorise un plus grand contrôle extérieur par le biais des liens économiques et des investissements, ce qui menace la sécurité du pays. Au début du 20e siècle, ce déséquilibre a conduit à l'effondrement de l'État chinois, à la fragmentation du pays, à l'établissement virtuel d'un "contrôle externe" par la Grande-Bretagne et, enfin, à l'occupation des zones côtières par le Japon.

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Mao Tse-tung (1893-1976) a choisi une autre voie : la centralisation du pays et sa fermeture complète. Cela a rendu la Chine indépendante, mais l'a condamnée à la pauvreté. À la fin des années 1980, Deng Xiaoping (1904-1997) a entamé un autre cycle de réformes, qui consistait à équilibrer le développement ouvert de la "zone côtière" et l'attraction des investissements étrangers dans cette région avec le maintien d'un contrôle politique strict de l'ensemble du territoire chinois aux mains du Parti communiste, afin de préserver l'unité du pays. C'est cette formule qui définit la fonction géopolitique de la Chine contemporaine.

L'identité de la Chine est double : il y a une Chine continentale et une Chine côtière. La Chine continentale est tournée vers elle-même et la préservation du paradigme social et culturel ; la Chine côtière est de plus en plus intégrée au "marché mondial" et, par conséquent, à la "société mondiale" (c'est-à-dire qu'elle adopte progressivement les traits de la "civilisation de la mer"). Ces contradictions géopolitiques ont été aplanies par le Parti communiste chinois (PCC), qui doit fonctionner dans le cadre du paradigme de Deng Xiaoping - l'ouverture assure la croissance économique, le centralisme rigide de l'idéologie et du parti, s'appuyant sur les zones rurales pauvres du continent, maintient l'isolement relatif de la Chine par rapport au monde extérieur. La Chine cherche à prendre de l'atlantisme et de la mondialisation ce qui la renforce, et à détacher et écarter ce qui l'affaiblit et la détruit. Jusqu'à présent, Pékin a réussi à maintenir cet équilibre, ce qui l'amène au leadership mondial, mais il est difficile de dire dans quelle mesure il est possible de combiner l'incompatible : mondialisation d'un segment de la société et préservation d'un autre segment sous le mode de vie traditionnel. La solution de cette équation extrêmement complexe prédéterminera le destin de la Chine dans le futur et, par conséquent, construira un algorithme pour son comportement.

En tout état de cause, la Chine d'aujourd'hui insiste fermement sur un ordre mondial multipolaire et s'oppose à l'approche unipolaire des États-Unis et des pays occidentaux dans la plupart des confrontations internationales. La seule menace sérieuse qui pèse aujourd'hui sur la sécurité de la Chine provient uniquement des États-Unis - la marine américaine dans le Pacifique pourrait à tout moment imposer un blocus sur l'ensemble du littoral chinois et ainsi faire s'effondrer instantanément l'économie chinoise, qui dépend entièrement des marchés étrangers. À cela s'ajoute la tension autour de Taïwan, un État puissant et prospère avec une population chinoise mais une société purement atlantiste intégrée dans un contexte mondial libéral.

Dans un modèle d'ordre mondial multipolaire, la Chine se voit attribuer le rôle du pôle Pacifique. Ce rôle serait une sorte de compromis entre le marché mondial dans lequel la Chine existe et se développe aujourd'hui, fournissant une part énorme de ses biens industriels, et sa fermeture totale. Ceci est globalement cohérent avec la stratégie de la Chine qui consiste à essayer de maximiser son potentiel économique et technologique avant l'inévitable affrontement avec les États-Unis.

Le rôle de la Chine dans un monde multipolaire

Il existe un certain nombre de problèmes entre la Russie et la Chine qui pourraient entraver la consolidation des efforts visant à construire une construction multipolaire. L'une d'elles est l'expansion démographique des Chinois dans les territoires peu peuplés de Sibérie, qui menace de modifier radicalement la structure sociale même de la société russe et constitue une menace directe pour la sécurité. Sur cette question, une condition préalable à un partenariat équilibré devrait être un contrôle strict par les autorités chinoises des flux migratoires vers le nord.

La deuxième question concerne l'influence de la Chine en Asie centrale, une zone stratégique proche de la Russie, riche en ressources naturelles et en vastes territoires, mais plutôt faiblement peuplée. L'avancée de la Chine en Asie centrale pourrait également constituer un obstacle. Ces deux tendances violent un principe important de la multipolarité : l'organisation de l'espace sur un axe nord-sud et non l'inverse. La direction dans laquelle la Chine a toutes les raisons de se développer est celle du Pacifique, au sud de la Chine. Plus la présence stratégique de la Chine dans cette région sera forte, plus la structure multipolaire sera forte.

Le renforcement de la présence de la Chine dans le Pacifique entre directement en collision avec les plans stratégiques de l'Amérique pour l'hégémonie mondiale, car dans une perspective atlantiste, la sécurisation du contrôle des océans du monde est la clé de l'ensemble du tableau stratégique du monde vu des États-Unis. La marine américaine dans le Pacifique et le déploiement de bases militaires stratégiques dans différentes parties du Pacifique et sur l'île de San Diego dans l'océan Indien afin de contrôler l'espace maritime de toute la région sera le principal enjeu de la réorganisation de la zone Pacifique sur le modèle d'un ordre mondial multipolaire. La libération de cette zone des bases militaires américaines peut être considérée comme une tâche d'importance planétaire.

La géopolitique du Japon et son éventuelle implication dans le projet multipolaire

La Chine n'est pas le seul pôle dans cette partie du monde. Le Japon est une puissance régionale asymétrique mais économiquement comparable. Société terrestre et traditionnelle, le Japon est passé sous occupation américaine après 1945 à la suite de la Seconde Guerre mondiale, dont les conséquences stratégiques se font encore sentir aujourd'hui. Le Japon n'est pas indépendant dans sa politique étrangère ; il y a des bases militaires américaines sur son territoire, et son importance militaire et politique est négligeable par rapport à son potentiel économique. Pour le Japon, d'un point de vue théorique, la seule voie organique de développement serait de rejoindre le projet multipolaire, ce qui implique :

- L'établissement d'un partenariat avec la Russie (avec laquelle aucun traité de paix n'a encore été conclu - une situation soutenue artificiellement par les États-Unis, qui craignent un rapprochement entre la Russie et le Japon) ;

- restaurer sa puissance militaire et technique en tant que puissance souveraine ;

- une participation active à la réorganisation de l'espace stratégique dans le Pacifique ;

- devenant le deuxième pôle, avec la Chine, de l'ensemble de l'espace Pacifique.

Pour la Russie, le Japon était le partenaire optimal en Extrême-Orient car, démographiquement, contrairement à la Chine, il n'a pas de problèmes de ressources naturelles (ce qui permettrait à la Russie d'accélérer l'équipement technologique et social de la Sibérie au Japon) et il dispose d'une énorme puissance économique, y compris dans le domaine de la haute technologie, qui est stratégiquement important pour l'économie russe. Mais pour qu'un tel partenariat soit possible, le Japon doit faire le pas décisif de se libérer de l'influence américaine.

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Sinon (comme dans la situation actuelle), les États-Unis considéreront le Japon comme un simple outil dans leur politique visant à contenir le mouvement potentiel de la Chine et de la Russie dans le Pacifique. Brzezinski plaide à juste titre en ce sens dans son livre The Grand Chessboard, où il décrit la stratégie américaine optimale dans le Pacifique. Ainsi, cette stratégie prône un rapprochement commercial et économique avec la Chine (parce que la Chine est entraînée dans la "société mondiale" par son intermédiaire), mais insiste pour construire un bloc stratégico-militaire contre elle. Avec le Japon, au contraire, Bzezinski propose de construire un "partenariat" militaro-stratégique contre la Chine et la Russie (en fait, il ne s'agit pas d'un "partenariat", mais d'une utilisation plus active du territoire japonais pour le déploiement d'installations militaro-stratégiques américaines) et de se livrer à une concurrence acharnée dans la sphère économique, car les entreprises japonaises sont capables de relativiser la domination économique américaine à l'échelle mondiale.

L'ordre mondial multipolaire évalue légitimement la situation de manière exactement inverse : l'économie libérale de la Chine ne vaut rien en soi et ne fait qu'accroître la dépendance de la Chine à l'égard de l'Occident, tandis que sa puissance militaire - surtout dans le segment naval - est au contraire précieuse car elle crée les conditions préalables pour débarrasser à l'avenir les océans Pacifique et Indien de la présence américaine. Le Japon, au contraire, est surtout attrayant en tant que puissance économique qui rivalise avec les économies occidentales et qui a maîtrisé les règles du marché mondial (on espère qu'à un moment donné, le Japon pourra utiliser cela à son avantage), mais il est moins attrayant en tant que partenaire dans un monde multipolaire, en tant qu'instrument passif de la stratégie américaine. Dans tous les cas, le scénario optimal serait que le Japon se libère du contrôle américain et entre dans une orbite géopolitique indépendante. Dans ce cas, il serait difficile d'imaginer un meilleur candidat pour construire un nouveau modèle d'équilibre stratégique dans le Pacifique.

Actuellement, compte tenu du statu quo, la place du "pôle" Pacifique peut être réservée à deux puissances - la Chine et le Japon. Tous deux ont de solides arguments pour être le leader ou l'un des deux leaders, substantiellement supérieur à tous les autres pays de la région d'Extrême-Orient.

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La Corée du Nord comme exemple de l'autonomie géopolitique d'un État terrestre

Il convient de souligner le facteur de la Corée du Nord, un pays qui n'a pas succombé à la pression occidentale et qui continue à rester fidèle à son ordre sociopolitique très spécifique (juché) malgré toutes les tentatives de le renverser, de le discréditer et de le diaboliser. La Corée du Nord illustre la résistance courageuse et efficace à la mondialisation et à l'unipolarité par un peuple assez petit, et c'est là que réside sa grande valeur. Une Corée du Nord nucléaire qui maintient une identité sociale et ethnique et une réelle indépendance, avec un niveau de vie modeste et un certain nombre de restrictions à la "démocratie" (comprise dans le sens libéral et bourgeois), contraste fortement avec la Corée du Sud. La Corée du Sud perd rapidement son identité culturelle (la plupart des Sud-Coréens appartiennent à des sectes protestantes, par exemple) et est incapable de faire un seul pas en politique étrangère sans se référer aux États-Unis, mais sa population est plus ou moins prospère (financièrement, mais pas psychologiquement). Le drame moral du choix entre indépendance et confort, dignité et bien-être, fierté et prospérité se joue dans deux parties d'un peuple historiquement et ethniquement unifié. La partie nord-coréenne illustre les valeurs du Sushi. Celui de la Corée du Sud illustre les valeurs de la mer. Rome et Carthage, Athènes et Sparte. Béhémoth et Léviathan dans le contexte de l'Extrême-Orient moderne.

Les principaux défis au Heartland russe à l'Est

Le vecteur oriental (Extrême-Orient, Asie) du Heartland russe peut être réduit aux tâches principales suivantes :

- Assurer la sécurité stratégique de la Russie sur la côte Pacifique et en Extrême-Orient ;

- Intégrer les territoires sibériens dans le contexte social, économique, technologique et stratégique global de la Russie (en tenant compte de l'état désastreux de la démographie de la population russe)

- développer le partenariat avec l'Inde, y compris dans le domaine militaro-technique (l'axe Moscou-New Delhi)

- construire une relation équilibrée avec la Chine, en soutenant ses politiques multipolaires et ses aspirations à devenir une puissante puissance navale, mais en prévenant les conséquences négatives de l'expansion démographique de la population chinoise dans le nord et de l'infiltration de l'influence chinoise au Kazakhstan ;

- Encourager par tous les moyens possibles l'affaiblissement de la présence navale américaine dans le Pacifique en démantelant les bases navales et autres installations stratégiques ;

- Encourager le Japon à se libérer de l'influence américaine et à devenir une puissance régionale à part entière, établissant ainsi un partenariat stratégique sur l'axe Moscou-Tokyo ;

- Soutenir les puissances régionales d'Extrême-Orient qui défendent leur indépendance vis-à-vis de l'atlantisme et de la mondialisation (Corée du Nord, Vietnam et Laos).

Le plan américain de guerre en Ukraine implique aussi l'Europe

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Le plan américain de guerre en Ukraine implique aussi l'Europe

par Luciano Lago

Source: https://www.ideeazione.com/il-piano-americano-per-la-guerra-in-ucraina-coinvolge-anche-leuropa/

Les signaux provenant de la table des négociations, après plusieurs cycles de pourparlers entre l'Ukraine et la Russie, pourraient permettre de progresser et de surmonter la phase d'impasse, avec l'acceptation préalable par l'Ukraine de certaines conditions, mais les États-Unis y ont mis leur veto et leur marionnette Zelensky s'est pliée à leurs directives.

Il n'en reste pas moins que la guerre aurait pu être évitée si les États-Unis et l'OTAN avaient adopté une attitude différente face aux demandes de la Russie concernant sa propre sécurité et la nécessité pour l'OTAN de ne pas s'étendre sous ses frontières. Au lieu de cela, quelqu'un a voulu et instigué la guerre, et ce quelqu'un se trouve à Washington et à Londres.

Toutefois, nous attendons de voir si l'administration Biden opposera définitivement son veto aux pourparlers en cours, étant donné qu'elle soutient le régime de Kiev en lui envoyant massivement de nouvelles armes et des prêts financiers.

Il semble clair désormais que les Etats-Unis ne veulent pas la paix en Ukraine mais la poursuite de la guerre, quel qu'en soit le coût, étant donné que le prix sera payé par d'autres, en premier lieu les Ukrainiens, utilisés comme chair à canon pour les intérêts américains, et en second lieu les Européens qui paieront les plus lourdes conséquences de la crise économique et de l'afflux de réfugiés.

La guerre permet aux États-Unis de maintenir leur hégémonie et est donc un fait utile qui produit des affaires pour l'industrie de l'armement et contribue à engager et à affaiblir la Russie. C'est le point de vue du parti de la guerre qui soutient Biden à Washington et prévaut au Congrès.

Dernier développement en date, le même parti de guerre de Washington a enrôlé les caméras d'Hollywood pour diffuser des images de prétendus massacres commis par les troupes russes en Ukraine et gagner la guerre de propagande médiatique. Il s'agit d'une technique habituelle des services de renseignement anglo-américains, déjà adoptée en Syrie avec l'aide des "casques blancs" mais qui, dans ce contexte, n'a pas donné les résultats escomptés. Il n'est pas certain que cette fois-ci elle puisse produire des résultats, mais face à la clameur des fausses nouvelles, elle pourrait se retourner contre ceux qui l'emploient cyniquement.

Les gouvernements européens suivent la ligne américaine même si elle est en conflit évident avec leurs propres intérêts et sans être conscients que cette ligne les mènera vers le chaos, la récession, les troubles sociaux et, en un mot, vers l'abîme. Le poids de cette politique sera supporté par les sections les plus faibles et les plus défavorisées de la population.

L'arrogance américaine et la servilité européenne semblent n'avoir aucune limite.

Ce qui importe aux États-Unis, c'est la poursuite de l'hégémonie, même si elle sape les fondations de leur propre puissance. Les gouvernements européens suivent sans réserve les directives américaines, même au prix d'une dévastation économique dans leur propre pays.

Tout cela ne peut empêcher l'émergence d'un nouvel ordre multipolaire mondial dans lequel les puissances occidentales seront reléguées à un rôle secondaire et non plus dominant sur la scène internationale.

Liés à leur objectif hégémonique, les États-Unis et le Royaume-Uni poursuivent également l'objectif de détruire l'Union européenne dans sa composante économique. Ceci afin de priver l'Europe de son importante industrie, devenue non compétitive en raison des coûts de l'énergie, de réduire l'agriculture et de rendre l'Europe de plus en plus dépendante et intégrée aux États-Unis, une solution qui présente de nombreux avantages pour l'élite du pouvoir américain. En substance, faire de l'Europe sa propre colonie, un marché pour ses propres industries et toujours subordonnée aux directives du patron américain.

De sorte que l'on puisse percevoir que l'UE restera la principale victime de cette guerre, la guerre que les États-Unis ont constamment et méthodiquement déclenchée contre la Russie pendant de très nombreuses années. La stratégie anti-russe et anti-européenne de Washington n'a pas commencé en 2014, ni même en 2008, mais remonte à bien plus tôt.

Le pire cauchemar des États-Unis a toujours été ce projet eurasien lui-même : un immense espace économique ouvert de Lisbonne à Vladivostok. Une économie totalement autosuffisante avec des perspectives de développement incroyables. Une perspective qui, par le passé, avait eu ses partisans parmi certains politiciens européens qui comprenaient le projet. Il est vrai que, même à l'époque, l'Europe était sous le contrôle des États-Unis, mais il était encore possible à l'époque d'avoir une certaine marge de manœuvre pour construire sa propre politique souveraine. Cependant, ce qui s'est passé depuis a produit un changement pour le pire dans les élites européennes, qui sont de plus en plus subordonnées au pouvoir d'outre-Atlantique.

Les nouvelles élites européennes ne sont que des gouverneurs généraux coloniaux qui, en général, ne se soucient pas de leurs pays et de leurs peuples. Ces gens sont prêts à ruiner même l'économie de leur propre pays, juste pour plaire au maître suprême. L'inclusion des pays baltes et de la Pologne dans l'Union européenne s'est avérée très utile, car ils sont littéralement devenus les chefs d'orchestre de la ferme volonté de leur maître d'outre-mer. L'Europe, qui n'était pas complètement libre dans les années d'après-guerre, a été réduite à la subordination et à la vassalité à la puissance américaine.

De plus, il semble que ce processus soit déjà irréversible. L'Europe ne pourra plus échapper à ce piège et, si elle tente de le faire, elle se prépare à un nouvel afflux de réfugiés, ou à une autre surprise. En ce moment, les troupes américaines se déversent en Europe comme un fleuve. Bientôt, il sera tout à fait possible de parler d'occupation directe.

Et s'il y a des politiciens qui ont le courage de résister à ce processus, on peut être sûr qu'il y aura des tentatives pour les éliminer et les destituer comme agents du Kremlin.

mardi, 05 avril 2022

Le jeu de tous les jeux: disputes et dominos dans le monde multipolaire

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Le jeu de tous les jeux: disputes et dominos dans le monde multipolaire

Par Pierluigi Fagan    

Source: https://www.grece-it.com/2022/04/04/il-gioco-di-tutti-i-giochi-le-contese-ed-il-domino-nel-mondo-multipolare/

Quel genre de jeu jouons-nous ? Nous utiliserons ici le terme "jeu" dans le sens de -interrelations compétitives entre joueurs selon des règles pour atteindre un objectif-. Du "Grand Jeu" (Moyen-Orient - Asie) au "Grand Échiquier" de Brzezinski, en passant par mon plus modeste "Jeu de tous les jeux", les questions géopolitiques ont souvent été métaphorisées avec cette définition du "jeu". La théorie des jeux elle-même fait allusion à ces systèmes d'interrelations et peut s'appliquer aussi bien entre individus qu'entre groupes. Au sens commun, le jeu a une saveur différente, ludique, désintéressée, de divertissement, d'amusement. Certains peuvent donc ne pas apprécier de traiter les guerres, les conflits et les tragédies humaines inévitables avec un terme aussi léger. Mais, comme mentionné, le terme est ici utilisé dans le sens analytique. Le "jeu" dans lequel nous sommes tombés est donc le suivant :

1. L'Occident (Europe + Anglo-Saxons) est dans une dynamique de 70 ans dans laquelle son poids démographique ne cesse de diminuer (aujourd'hui seulement 16% du total mondial) et dans laquelle, à un rythme plus lent mais non moins constant, il perd aussi des parts de poids économique et géopolitique. Cela s'explique par le fait que le reste du monde a connu une croissance régulière et significative au cours des soixante-dix dernières années. Tout cela devrait se poursuivre avec une certaine fatalité pendant au moins les trente prochaines années.

2. Tout cela se traduit par une forme d'ordre mondial sans précédent, l'ordre dit "multipolaire". D'après ce que nous savons de la culture de la complexité (y compris la théorie des réseaux), qu'il s'agisse de biologie, d'écologie, de sociologie ou de tout autre domaine qui étudie les formes de vie, tous les systèmes très complexes oscillent autour d'une moyenne souhaitée comme forme d'équilibre (type homéostasie) et leur dynamique interne est répartie entre plusieurs sous-systèmes multi-variétés. Il en existe différents niveaux et poids, avec des connexions plus ou moins importantes, mais comme dans le cas de la biodiversité, les systèmes très complexes sont résilients dans la mesure où ils sont hautement distribués. Bien que certains trouvent le mot "résilience" gênant, il s'agit d'un homologue de la résistance, à ceci près que la résistance est un concept plus propre aux systèmes non viables (par exemple, ceux en fer ou en béton ou autre), la résilience est plus propre aux systèmes qui absorbent une perturbation sans se décomposer et qui retrouvent ensuite l'équilibre qu'ils avaient avant la perturbation, comme c'est le cas dans les systèmes viables, c'est-à-dire basés sur des variétés biologiques.

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3. Cette plus grande répartition d'un ordre multipolaire n'est pas un choix, elle est naturelle, puisque de 2,5 milliards en 1950 nous sommes passés à 7,5 milliards (et plus) d'êtres humains en 2020, avec un passage d'une soixantaine à deux cents Etats souverains. De 7,5 milliards, nous passerons à un peu moins de 10 milliards en 2050. Les interrelations entre les différentes parties se sont également multipliées, si bien qu'en peu de temps, un système très complexe s'est formé, qui relativise le poids de l'Occident.

4. Tout cela mine la forme de notre civilisation qui, depuis l'après-guerre, a connu une période où, partant d'une domination encore très forte sur le monde que nous avons héritée des siècles précédents, ce que nous appelons "l'ère moderne", elle a ensuite connu une lente contraction, avec des prévisions de contraction supplémentaire dans la mesure où de grandes parties du monde s'émancipent et où nous commençons à avoir entre elles des relations croisées de type coopératif. Ils entretiennent des relations de coopération non pas parce qu'ils sont "meilleurs" que nous, qui avons tendance à entretenir des relations de compétition, mais parce qu'ils partent tous de positions de pouvoir et d'intérêts faibles. Ces dernières années, un vaste réseau de ces systèmes non occidentaux s'est formé, des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, et maintenant d'autres comme la Turquie, le Mexique, l'Indonésie, le Pakistan, divers Africains, etc.) à beaucoup d'autres, surtout en Asie, qui représente 60 % du monde, avec une sorte d'alliance d'intention naturelle : celle de favoriser l'avènement - qu'il y aura de toute façon - d'un ordre multipolaire qui leur donne une meilleure chance de se développer avec un certain degré d'autonomie.

5. Cette question a un côté dramatique, non pas tant pour la civilisation occidentale dans son ensemble, mais pour une de ses composantes, l'anglo-saxonne et en particulier l'américaine. En fait, les États-Unis sont plus dépendants que quiconque de la position qu'ils occupaient en 1950, qu'il s'agisse de l'ordre Banque mondiale-FMI ou du dollar ou de Wall Street ou de la suprématie technologique et ensuite de la suprématie militaire ou du soft power (mais seulement après le hard power). S'étant habitués à des ordres bipolaires dans lesquels ils constituaient le pôle dominant, voire à l'idée d'un ordre unipolaire, la multipolarité est pour eux un jeu qui, quelle que soit la façon dont il est joué, promet la perte de la domination, du pouvoir et de la richesse. Je rappelle qu'ils ne représentent que 4,5 % de la population mondiale, mais qu'ils comptent tout de même pour 25 % du PIB mondial. Une grande partie de cette part exorbitante n'est pas donnée par des capacités concurrentielles intrinsèques comme celles de la Chine, du Japon, de l'Allemagne, de l'Inde, etc. mais par des rentes de position dominante. L'ensemble ressemble beaucoup à une position de semi-monopole en matière de marché. Transféré dans le domaine géopolitique, le monopoliste est prêt à partager le pouvoir avec l'oligopole mais pas avec le marché libre et les ordres émergents connexes, comme le théorise le concept de la "main invisible".

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6. S'étant longtemps creusé les méninges pour savoir comment faire face à de tels événements qui, comme on l'a dit, ont une certaine inévitabilité, les Américains ont récemment introduit une version du jeu qu'ils appellent "démocraties contre autocraties". La question n'est pas si précise, l'Inde et le Brésil seraient en théorie des démocraties alors que les alliés de l'Amérique comme l'Arabie Saoudite ou la Turquie, elle-même dans l'OTAN, le sont beaucoup moins. Mais le grand public occidental ne sait pas grand-chose de tout cela, et il est facilement sensible aux simplifications, aux slogans et à la répétition obsessionnelle de concepts, même lorsqu'ils sont incroyables, comme "X lave plus blanc", d'autant plus lorsqu'ils sont des idéaux. Il convient de noter qu'au-delà des inexactitudes, en vérité, les conflits de pouvoir concurrentiels se produisent sans tenir compte de qui est ou est considéré comme "démocratique" ou non. Dans les conflits de pouvoir, les gens ont parfois adopté l'habit de "civilisation contre barbarie" ou "chrétiens contre infidèles" ou "scythes contre sunnites" ou "gens en mission pour Dieu contre le reste du monde", mais l'habit ne sert qu'à couvrir des logiques matérielles beaucoup moins nobles.

7. C'est le premier niveau du jeu dans lequel nous sommes tombés, le plus important, celui où le jeu se joue entre différents types d'ordre polaire uni-bi-multi. Le deuxième niveau est celui pour lequel, depuis plusieurs années, les Etats-Unis ont la Russie dans leur ligne de mire comme leur adversaire le plus insidieux. En effet, bien que le jeu soit à plusieurs niveaux (politique, géopolitique, économique, financier, culturel), les conflits de pouvoir entre États ont historiquement été réglés par les armes. En termes d'armes, les Russes sont de loin inférieurs aux États-Unis, mais ce jeu spécifique est déterminé par la dernière arme que vous pouvez mettre sur la table lorsque vous êtes dos au mur. Cette dernière arme est l'arme atomique et dans cet atout spécifique, les Russes et les Américains sont égaux. Cela conduit les deux parties à éviter le conflit direct parce qu'elles commenceraient, même si elles ne le voulaient pas, à gravir l'échelle du conflit dans lequel aucune d'entre elles ne peut perdre sauf en perdant sa réputation de puissance, c'est pourquoi avant de la perdre elles utiliseraient l'arme interdite, au moins pour se venger. Cela est également très irritant pour les États-Unis, car les Russes adorent se mêler des jeux de pouvoir militaire américains, aidant parfois l'Iran ou la Syrie ou la Libye ou ailleurs selon la logique de "l'ennemi de mon ennemi ...", ce qui est réciproque, comme lors de la première invasion russe de l'Afghanistan, du Caucase ou de l'Asie centrale.

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8. Les États-Unis, seuls ou en version OTAN, ont depuis longtemps tendu le piège de tous les pièges : l'Ukraine. Un anti-Russie à la frontière de la Russie est aussi piquant qu'il peut l'être. Après tant d'escarmouches indirectes, l'Ukraine est le piège le plus prometteur pour les stratégies compétitives américaines. Et cela nous amène au troisième niveau, la guerre en Ukraine.

9. Les Russes ont mordu à l'hameçon non pas parce qu'ils sont stupides, fous ou atteints d'un cancer de la thyroïde, mais parce qu'en termes de danger stratégique concret et de défense de leur réputation, ils ne pouvaient pas faire autrement. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le domaine, le terme "réputation" semblera étrange. Il ne s'agit pas de la réputation de beauté, de justesse, d'attractivité ou d'idéalité d'une personne, mais simplement de la réputation de puissance, le jeton le plus important dans le jeu de la concurrence entre États dans le monde. Il n'est pas nécessaire d'en jouer tout le temps, c'est juste la capacité à en jouer qui confère une réputation de puissance.

10. À ce stade, après avoir joué la réputation qui compte pour nous, Occidentaux, qui habillons les luttes de pouvoir avec des aspirations et des valeurs idéales, les Russes sont devenus les "intouchables", les parias. Les Européens qui partagent la masse continentale avec les Russes, les Chinois, les Indiens, les Musulmans et les Africains (Afro-Eurasie) ne pourront plus avoir quelque relation que ce soit avec le ou les ennemis des Américains dont ils dépendent pour diverses raisons et sous diverses formes, et devront donc adhérer au système américain beaucoup plus qu'avant, au niveau, disons, de l'après-guerre. Ils n'ont aucune possibilité de jouer le jeu selon leur propre intention, également parce qu'ils n'ont pas d'intention unique. Ainsi, du premier au troisième niveau du jeu, le nouveau système occidental, revenu à la splendeur des années 50, se retrouvera à nouveau dans un champ bipolaire avec tous les amis de ce côté et tous les ennemis de l'autre, format guerre froide avec la fin de la mondialisation et son ridicule " village global ", réarmement, économie et finance tentant de couper les ponts de toute interdépendance dans des boucles de rétroaction de renforcement du système occidental contre le reste du monde. Tout cela pour défendre l'essence de l'occidentalité. Ce système politico-économique qui, avec mépris pour le ridicule, aime à s'appeler "démocratie de marché", une forme de pouvoir oligarchique qui, cependant, se déguise en démocratie pour ratifier sa propre confirmation d'"élection". Oligarchie signifie "pouvoir de quelques-uns". L'essence de notre commande consiste à défendre ce "pouvoir de quelques-uns" comme s'il s'agissait de l'intérêt du plus grand nombre.

11. Personne ne soulève le problème de l'augmentation de notre taux de démocratie interne, d'autant plus que nous sommes occupés à défendre sa pâle version occidentale contre "l'agression externe" des autocraties. C'est l'ennemi extérieur qui dicte les priorités et nous fait passer pour des amis intérieurs. En Occident, cependant, la "démocratie" n'a ni les partis qui la promeuvent, ni les intellectuels qui y réfléchissent de manière systémique.

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12. C'est pourquoi la guerre russo-ukrainienne est la seule chose que vous devez regarder ou à laquelle vous devez participer pour "l'agresseur contre l'agresseur", les valeurs occidentales sont en jeu. Ces valeurs idéales méritent le sacrifice des valeurs plus prosaïques que nous avions l'habitude de considérer comme les plus importantes. Vous devez armer et financer les Ukrainiens qui se battent sur la plaine d'Armageddon pour le Bien contre le Mal et les en remercier. Il faut couper le gaz, accueillir des millions de réfugiés, subir la hausse des matières premières, l'inflation, le désastre économique, alimentaire et social, les troubles au plus haut niveau en Afro-Eurasie, y compris sur les côtes méditerranéennes déjà précaires, car l'ordre du monde est en jeu pour les prochaines années. Plus vous agirez ainsi, plus les Russes, pour atteindre leurs impénétrables motifs stratégiques, devront se livrer à des actes immondes - vrais ou supposés, personne ne peut en être sûr avant des décennies - qui détruiront encore davantage leur réputation générale. Ils paieront en réputation générale leur entêtement à défendre leur réputation de puissance. En outre, ils devront se saigner à blanc sur le plan matériel, risquer de ne pas gagner et aussi mettre en jeu leur réputation de puissance sur un plan strictement militaire, douter profondément de leur démarche, remettre en question leur propre leadership. S'ils se retrouvent au pied du mur, les Américains jurent que, selon leurs calculs de la théorie des jeux, ils n'utiliseront pas l'arme du désespoir et ne choisiront donc pas "Samson et tous les Philistins" mais un plus pragmatique "mieux vaut être vivant que mort", en le payant par une perte relative de puissance. Selon eux, il s'agit d'un risque bien calculé et comme ils sont convaincus que le calcul est tout dans la vie, ils disposent désormais de la technologie et des connaissances nécessaires pour atteindre une calculabilité maximale. Le "cas ukrainien" deviendra une leçon pour tous ceux qui veulent contester quelques années supplémentaires de domination occidentale.

Attirés dans le piège ukrainien, les Russes devront perdre des points de réputation, de généralités et de puissance, se séparant violemment des Européens hégémoniques dans un nouveau pacte atlantique (dont la version commerciale apparaîtra bientôt), instaurant le nouveau format "démocraties contre autocraties" qui bipolarisera le monde en ralentissant l'avènement de l'ordre multipolaire. En privant la multipolarité du soutien militaire russe fondamental. Et c'est pourquoi une grande partie du monde ne semble pas avoir la même sensibilité que nous à ce qui se passe en Ukraine. Ils jouent au premier niveau, pas au troisième.

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L'exceptionnelle et inquiétante mobilisation culturelle, informationnelle et politique de nos oligarques est une arme nécessaire pour mener à bien cet ambitieux dessein stratégique qui donnera au moins une décennie (ou plus) de centralité de puissance mondiale aux Etats-Unis, centre gravitationnel renouvelé du système occidental capable de maintenir de larges formes de domination directe ou indirecte sur le monde.

Et de ce jeu, vous devez choisir comment "jouer votre jeu", non pas le troisième niveau ou le troisième plus le deuxième, mais le premier plus le deuxième plus le troisième, tous ensemble.

vendredi, 01 avril 2022

Dix thèses sur le conflit actuel

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Dix thèses sur le conflit actuel

par Marcello Veneziani 

Source : Marcello Veneziani & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/dieci-tesi-sul-presente-conflitto

Mais quelle est, en somme, la raison de votre position dissidente face à la guerre actuelle et à la vulgate dominante en Occident ? La demande m'a été adressée par des élèves du secondaire. J'essaie ici de la résumer en dix thèses, qui ne prétendent pas être des vérités péremptoires mais des interprétations différentes. J'aimerais qu'elles soient acceptés, au moins comme des doutes, afin de lire le cours des événements différemment, et de ne pas s'aplatir sur ce que la Fabrique du Consensus impose ou administre. Mais avec une double prémisse : l'attaque russe contre l'Ukraine doit être condamnée dans tous les cas, de manière claire ; la pitié et l'aide au peuple ukrainien sont sacro-saintes.

1) L'Amérique de Biden ne travaille pas à la cessation du conflit mais à sa perpétuation, car son objectif n'est pas de sauver l'Ukraine mais d'éliminer Poutine. Les attaques continues contre Poutine - "criminel de guerre", "boucher" - ainsi que la fourniture d'armes imposée également aux alliés, servent en réalité à prolonger, aggraver et élargir le conflit, à inciter la Russie à le poursuivre et à faire en sorte que Poutine se sente traqué et prêt à utiliser les armes du désespoir ou à bloquer la Chine. Biden fait regretter à Trump la Maison Blanche.

2) Les dommages causés à la Russie par les sanctions et les représailles causent au moins les mêmes dommages à l'Europe et à l'Italie, et en perspective nous conduisent vers une économie de guerre aux résultats dramatiques. Car les mesures anti-russes ne retombent pas du tout sur les Etats-Unis mais sur leurs alliés ; tout comme la crise géopolitique est subie par l'Europe et certainement pas par les Etats-Unis, en raison de leur éloignement.

3) Si nous n'endiguons pas le conflit et ne travaillons pas à sa fin rapide, nous risquons de subir une crise économique, énergétique puis sociale sans précédent, encore pire que celle produite par le covid. Il est nécessaire d'activer tous les médiateurs possibles pour une solution négociée, en partant de la même volonté exprimée par Zelensky de faire de l'Ukraine une zone neutre, non articulée à l'OTAN.

4) Le réarmement de l'Europe, la constitution d'une armée européenne et l'augmentation des dépenses militaires, pourraient également être une nécessité ; mais le faire sous la dépendance stratégique et militaire de l'OTAN et des États-Unis, avec leur apport et, en fin de compte, avec leurs objectifs, qui ne coïncident pas avec les intérêts européens, est une misérable folie.

5) Poutine ne menace pas l'Europe et l'Occident, mais l'attaque contre l'Ukraine peut être interprétée de deux façons, qui sont également liées : dans la pire hypothèse, Poutine veut restaurer la Grande Russie et l'Union soviétique en annexant l'Ukraine, comme c'est le cas depuis trois siècles, et il est juste d'entraver cette intention ; dans la meilleure hypothèse, il veut empêcher l'Ukraine de devenir une épine dans le pied et une base militaire de l'OTAN dirigée contre la Russie. Et c'est sur cela que devraient porter les négociations. Mais dans les deux cas, l'intention d'"attaquer l'Europe" n'existe pas.

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6) Les précédents de cette guerre sont le coup d'État en Ukraine en 2014, la persécution de la minorité russe, le revanchisme nazi rampant, l'installation de laboratoires biochimiques et de centres d'entraînement américains sur le territoire ukrainien, l'annonce de bases militaires de l'OTAN, ainsi que l'entrée de l'Ukraine dans l'Europe. Que ces raisons soient devenues des prétextes à l'agression de Poutine est possible ; mais cela n'enlève rien au fait qu'elles sont fondées.

7) Si Poutine est un criminel de guerre, il l'est au moins autant que les différents présidents américains et premiers ministres britanniques qui ont bombardé des villes, des hôpitaux et des écoles et tué des populations civiles et des enfants en Irak, en Libye, au Yémen, en Syrie, en Serbie, au Kosovo et dans de nombreux autres endroits. Les tuer parfois même en période de trêve avec l'embargo sur les médicaments et les produits de première nécessité.

8) La ligne de partage des eaux entre le bien et le mal selon l'aune américaine n'est pas la démocratie, la liberté, la protection des droits civils, mais la commodité stratégique. Les États-Unis n'ont aucun scrupule à avoir dans l'OTAN un autocrate, comme ils reprochent à Poutine de l'être, je veux parler du Turc Edogan, et à avoir comme allié traditionnel l'Arabie Saoudite où les droits civils sont foulés aux pieds.

9) Quatre dangers menacent l'Occident : a) l'expansion mondiale des Chinois, la conquête de continents entiers et l'exportation de leur modèle au monde entier ; b) l'expansion démographique et migratoire de l'Islam dans un Occident vidé de ses naissances et de ses valeurs ; c) le suicide assisté de l'Occident lui-même en proie au nihilisme, à la perte de vitalité, à la honte de sa propre civilisation. d) La volonté de toute-puissance des USA qui, avec les Dems au pouvoir, veulent être l'Empire du Bien et les gendarmes du monde, décidant des droits ou désignant les états dits voyous sur la base de leurs intérêts, générant des réactions dans le monde entier.

10) Contrairement à certains partenaires européens récalcitrants et critiques face aux impératifs de Biden, l'Italie de Draghi et des Dems est le pays qui s'est le plus aligné sur les faucons, demandant l'envoi de nos armes et de nos soldats et l'élimination de Poutine en tant que criminel de guerre. Et les tambours de la télévision et des médias, dans leur obsession mono-thématique, comme à l'époque de la propagande de guerre, se sont conformés et n'admettent pas la dissidence. Une ligne qui trahit la tradition politique de prudence et de négociation qui a caractérisé l'Italie et notre République, dirigée par Moro, Andreotti et Craxi. Avoir, en temps de guerre, un haut commissaire euro-atlantique au Palazzo Chigi au lieu d'un leader politique nous expose à ces effets.

Telles sont les raisons de notre dissidence et elles sont motivées. Quiconque conclut que nous sommes pro-Poutine est soit de mauvaise foi, soit un crétin. Nous aimons la vérité et nous sommes pour l'Italie, pour l'Europe et pour un monde équilibré, pacifique et multipolaire.

mercredi, 30 mars 2022

New Delhi peut être soit le sauveur, soit le bourreau du complexe militaro-industriel russe

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New Delhi peut être soit le sauveur, soit le bourreau du complexe militaro-industriel russe

Sergey Atamanov

Source: https://katehon.com/ru/article/nyu-deli-mozhet-vystupit-v-roli-spasitelya-vpk-rossii-libo-v-roli-ego-palacha

Face aux sanctions mondiales, l'Inde devient un partenaire prioritaire de la Russie en matière de développement militaire et technique en ce qui concerne la production d'armements et d'équipements militaires avancés.

L'Inde est le premier importateur d'armes russes depuis des décennies. L'année dernière, la part totale des armes russes dans les forces armées indiennes a atteint 70% et celle de l'aviation 80%. Outre les exportations, les chasseurs T-90S ont été localisés, les chasseurs de quatrième génération Su-30MKI sont assemblés sous licence et le missile hypersonique BraMos-2 est en cours de développement conjoint avec la Russie. Des coentreprises ont été établies avec Rostec pour produire des fusils d'assaut Kalashnikov AK-203 et des hélicoptères Ka-226T. Il est prévu d'accorder une licence pour la production des systèmes de missiles anti-aériens portables Igla-S. Outre la production conjointe, la formation de spécialistes militaires et le transfert de technologies connexes sont en cours. Une "relance" de l'accord visant à créer un FGFA (Fifth Generation Fighter Aircraft) de cinquième génération basé sur le Su-57 est possible.

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La liste est impressionnante. Sachant que l'Inde compte 1,5 million de militaires, l'armée indienne pourrait avoir une force globale comparable à celle de la Russie si l'industrie militaire est financée de manière adéquate. La politique de l'Inde vise le développement intérieur, contrairement à celle de la Chine, qui aspire à une domination économique non seulement dans la région, mais aussi à l'échelle mondiale. Au moins, les gens du pays des épices ne sont pas nos adversaires. Nous avons des racines linguistiques et philosophiques communes. Ici, l'Inde est beaucoup plus proche de nous que tout autre pays, à l'exception des Slaves.

La seule question est sa volonté de poursuivre la coopération. Les pays occidentaux ont toujours utilisé l'Inde comme un satellite pour s'enrichir et siphonner des ressources. En revanche, la Russie et ses prédécesseurs historiques ont toujours soutenu le peuple indien en toute amitié.

Il existe également des différences dans la nature de l'interaction. La Chine ne travaille avec nous qu'en termes d'acquisition d'armes et d'équipements militaires. La coopération avec New Delhi est orientée vers la recherche conjointe et sa mise en œuvre ultérieure.

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Dans de nombreux domaines de la politique étrangère et intérieure, les positions de Pékin, New Delhi et Moscou sont similaires, il existe des différences dans certains domaines. Cependant, à l'heure où l'Occident collectif nous désigne clairement comme l'ennemi numéro un, la Chine comme l'ennemi numéro deux et l'Inde est toujours considérée comme "le joyau de la couronne", une consolidation basée sur de nouveaux principes est possible grâce à des efforts conjoints. L'un d'entre eux est le rôle de premier plan joué par l'Inde dans le développement du complexe industriel de défense de la Russie. Premièrement, l'Inde est le plus grand importateur d'armes nationales ; deuxièmement, la localisation établie des armements nationaux nous permet d'obtenir l'équipement dont nous avons besoin pour l'armée sans le produire en Russie (dans les situations d'urgence) ; troisièmement, New Delhi fait partie des leaders en matière de technologie numérique, ce qui nous permet d'étendre considérablement nos capacités d'armement grâce à des projets communs. L'éducation militaire ne doit pas non plus être oubliée. Un grand nombre d'officiers indiens ont été et sont formés par nous. Le renforcement de l'éducation militaire bilatérale crée une condition préalable à l'approfondissement de la coopération militaire, déjà en termes de création d'alliances ou d'alliances et de renforcement des capacités de défense et d'offensive. Un facteur important est que l'Inde peut devenir pour nous un certain "équilibreur" dans les relations avec la Chine, en offrant les conditions les plus favorables comme alternative.

Le programme "Make in India", qui consiste à augmenter la production locale d'armes et d'équipements militaires, pourrait créer certains problèmes. Ce qui peut être résolu en proposant de créer de tels équipements, qu'il serait impossible de produire sans une participation mutuelle.

Nous pouvons alimenter l'intérêt de l'Inde pour le développement mutuel de l'industrie de la défense par le biais des besoins de New Delhi en équipements vieux de plusieurs années ou en termes de caractéristiques tactiques et techniques :

    - le développement de chars légers, tels que le Sprut-SDM1 ;
    - la production de véhicules aériens sans pilote (pour l'instant, bien que l'Inde ait commencé à produire ses drones, par exemple Rustom, Rustom II, dans tous les cas, la "gamme" est extrêmement étroite et ne permet pas de répondre à tous les besoins militaires). Ici, nous pouvons proposer Orion-E, Cub-E et même Okhotnik ;
    - la production de systèmes de défense aérienne basés sur les S-400 et S-500 ;
    - la production d'armes légères de diverses modifications, y compris des armes de sniper ;
    - l'expansion de la constellation orbitale nationale et conjointe.

La deuxième option, l'inverse de celle mentionnée et la plus défavorable pour nous, est également possible. Ici, l'Inde pourrait refuser de poursuivre la coopération militaro-technique. Dans ce cas, non seulement nous perdrions de l'argent sur la fourniture et la maintenance des armes, mais notre propre technologie pourrait également être utilisée contre les développeurs. Jusqu'à présent, rien n'indique que l'Inde ait l'intention de suivre cette voie.

À ce stade, il faut supposer que si l'Inde ne rejoint pas nos adversaires, elle a toutes les chances de devenir notre ressource pour le développement de l'industrie de la défense avec une perspective de transformation en une alliance militaire à part entière. Naturellement, nous prendrons également des mesures réciproques. Toutes les conditions préalables sont réunies pour cela, notamment : les volumes disponibles d'importations d'armes russes, la localisation de la production et le besoin de certains types d'armes et d'équipements militaires dont dispose la Russie. La similitude des visions du monde entre les Russes et les Indiens et le fait que l'Occident considère nos pays comme ses colonies contribuent à ce qui précède.

lundi, 28 mars 2022

L'Inde et la Chine se rapprochent. Si elles parviennent à un accord, l'Europe paiera cher la trahison des majordomes de Biden!

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L'Inde et la Chine se rapprochent. Si elles parviennent à un accord, l'Europe paiera cher la trahison des majordomes de Biden!

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/india-e-cina-si-incontrano-se-trovano-unintesa-leuropa-paghera-a-caro-prezzo-il-tradimento-dei-maggiordomi-di-biden/

Des représentants de l'Inde et de la Chine se sont rencontrés et ont appelé à la fin de la guerre en Ukraine. Fondamentalement une "non-nouvelle" car, en termes journalistiques, la nouvelle aurait été une réunion pour souhaiter une intensification des opérations militaires. Cependant, les médias italiens en ont profité pour souligner que Pékin et New Delhi avaient en fait largué Moscou et Poutine. Quand les espoirs se transforment en analyses commodes.

Car il est vrai que la réunion s'est concentrée sur le conflit en Ukraine, que personne ne souhaite prolonger, mais l'aspect beaucoup plus intéressant est l'harmonie - au moins temporaire - entre les deux pays perpétuellement au bord de l'affrontement. Au lieu de cela, cette fois, l'Inde et la Chine ont mis de côté leur rivalité traditionnelle et se sont tournées vers l'avenir. Elle ne sont pas tant préoccupées du présent, car il est clair pour tout le monde que la guerre en Ukraine ne durera pas trop longtemps. Mais elles ont concentré leurs attentions sur l'avenir.

L'avenir que les majordomes européens de Biden ont donné à l'Asie. L'accord gazier américano-canadien est une effroyable ignominie qui portera préjudice en premier lieu à l'Italie et à l'Allemagne avec la complicité de Sa Divinité Mario Draghi et des journalistes du régime. Grâce à cette ignominie, les ménages italiens paieront plus cher leur énergie et les entreprises seront encore moins compétitives. D'autre part, les entreprises nord-américaines bénéficieront de nouveaux avantages, outre les énormes bénéfices tirés de la vente du gaz, qui sera extrait, liquéfié, transporté depuis l'autre rive de l'Atlantique, regazéifié en Europe et enfin introduit dans les réseaux de distribution. Entre autres, il ne suffira même pas à répondre aux besoins européens et, bien sûr, il remplacera la dépendance au méthane russe par une dépendance au méthane nord-américain. Un véritable coup de maître.

La Russie détournera donc le gaz et le pétrole vers l'Inde et la Chine, qui paieront moins que ce qu'il en coûte à l'Europe. Les deux pays vont donc accroître leur compétitivité. Et la Russie, chassée vers l'Asie par la folle politique européenne au service (payant ?) de Washington, sera incluse dans les stratégies asiatiques établies par New Delhi et Pékin. En d'autres termes, par deux des trois premières économies du monde d'ici quelques petites années.

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Si Pékin, face aux nouvelles perspectives, renonçait à ses politiques expansionnistes et agressives, l'axe Inde-Chine-Russie deviendrait un pôle de très forte agrégation. Des anciens pays soviétiques d'Asie centrale (le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et tous les autres) à l'Iran, mais avec la possibilité d'impliquer également la Turquie et les pays liés à Ankara comme l'Azerbaïdjan. Entre-temps, la Chine a déjà demandé à l'Arabie de payer son pétrole en yuan, commençant ainsi le travail de démolition du pouvoir du dollar. Et la Russie a renforcé sa présence dans le sud de la Méditerranée, où se situe la confrontation avec la Turquie. Avec la Chine de plus en plus impliquée en Afrique, où l'Inde est également présente, mais aussi la Turquie et les Émirats.

En pratique, la seule chance pour l'Europe est que l'Inde et la Chine ne parviennent pas à se mettre d'accord sur une stratégie de collaboration. Mais si les deux grandes puissances asiatiques réalisent qu'il est dans leur intérêt de mettre fin aux tensions, les Européens paieront cher la trahison des majordomes de Biden.

 

vendredi, 25 mars 2022

La carte tatar d'Erdogan

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La carte tatar d'Erdogan

La Turquie dispose d'un avantage considérable par rapport aux autres pays pour servir de médiateur entre l'Ukraine et la Russie. L'activisme d'Ankara est dicté par une stratégie préparée au fil des ans. Un bref excursus.

Emanuel Pietrobon

Source: https://www.dissipatio.it/erdogan-zelensky-pace/

L'Ukraine de Zelensky a dès le départ tenté d'obtenir le statut de membre observateur au sein du Conseil de coopération des pays de langue turque, également connu sous le nom de "Conseil turc", une organisation internationale basée à Ankara. Cette nouvelle n'est en fait pas une nouvelle pour ceux qui ont suivi l'évolution de la dynamique ukrainienne depuis l'ère post-Euromaidan. En gagnant la bataille pour l'Ukraine, l'Occident a réussi à se rapprocher de la réalisation du rêve de Zbigniew Brzezinski d'expulser la Russie de l'Europe, la transformant en un "empire asiatique". Entre ce scénario et sa réalisation finale, il ne reste plus que trois obstacles : le Belarus, la Moldavie et la Serbie.

En bref, ce à quoi nous assistons, c'est à la disparition de tout le système d'États tampons construit par Staline dans l'entre-deux-guerres pour protéger la Russie d'une invasion extérieure. Ce système est sur le point de s'effondrer car il a été incorporé dans l'orbite euro-américaine par l'élargissement de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique. Aujourd'hui, la Russie est encerclée de partout - pas seulement au départ de l'Europe, pensez par exemple à ce qui se passe dans le Caucase du Sud et en Asie centrale. Mais revenons à l'Europe. La Biélorussie est secouée par une grande mobilisation d'une partie ostensible de sa société depuis la nuit du 9 août 2021 ; la Moldavie est un acteur vulnérable en raison de son besoin constant d'investissements étrangers et de la présence d'une minorité turque en Gagaouzie que la Turquie subjugue habilement, tandis que la Serbie est presque entièrement entourée de pays de l'OTAN, même si sa position au sein de l'orbite russe ne semble pas se fissurer pour l'instant (à voir également les manifestations pro-russes de ces jours-ci).

Pour en revenir à l'Ukraine, l'entrée au Conseil turc ne se prête qu'à une seule interprétation : le pays passerait rapidement du monde russe au monde turc. Cette situation ne caractérise pas seulement Kiev, mais de nombreux autres pays, comme les anciens États soviétiques d'Asie centrale et l'Azerbaïdjan, et des régions, comme la Gagaouzie, que je viens de mentionner, et les républiques russes à composition ethnique turque, du Caucase du Nord à la Sibérie. La nouvelle du projet ambitieux du gouvernement ukrainien a été donnée par Emine Dzheppar (photo, ci-dessous), une politicienne ukrainienne d'origine tatare qui a récemment été nommée première vice-première ministre chargée des affaires étrangères. M. Dzheppar, interviewé dans le passé par l'agence de presse turque Demirören, a expliqué que la présidence Zelensky souhaitait rejoindre le Conseil turc parce que :

"Nous sommes des pays voisins. L'Ukraine est l'héritière de la culture turque. Les Tatars de Crimée sont un pont entre l'Ukraine et la Turquie" (Emine Dzheppar).

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S'il est vrai que les Tatars constituent un point de connexion utile entre l'Ukraine et la Turquie, le passage sur la prétendue identité turque de l'Ukraine est discutable. En fait, elle n'est même pas discutable : elle est tout à fait anti-historique. Il s'agit d'une tentative de réécrire à la fois l'histoire et l'identité de l'Ukraine, qui est, était et sera toujours le berceau de la civilisation russe. Les Tatars représentent une très petite minorité - environ 70.000 personnes selon le recensement de 2001 - mais ils sont la clé de voûte de l'Ukraine pour entrer dans les bonnes grâces de la Turquie et de l'Occident.

Dès le départ, la décision de rejoindre le Conseil turc a été précédée de nombreuses autres initiatives et l'entrée finale dans l'organisation n'était que l'étape naturelle d'un voyage entamé par Volodymyr Zelensky en août 2019 par une visite officielle à Ankara. Depuis lors, les deux pays ont rapidement construit un partenariat stratégique très solide qui, aujourd'hui, s'étend du commerce à l'industrie, de la défense à la sécurité régionale, de la politique étrangère à la Crimée. Ce dernier point est particulièrement important pour les deux, car il s'agit d'un moyen de saper la grande stratégie de la Russie pour la mer Noire.

Mais pourquoi, dans le passé, l'Ukraine est-elle sur le point de devenir une partie intégrante du monde turc ? Il ne s'agit pas seulement du Conseil turc, de nombreux autres événements se sont produits au cours des dernières années. En juillet 2021, l'ambassadeur turc à Kiev, Yagmur Ahmet Gulder, a annoncé que la Turquie allait construire une maxi-mosquée au cœur de la capitale ukrainienne. Les négociations concernant le terrain ont déjà été résolues et les travaux devraient bientôt commencer. Une fois terminée, la mosquée sera la plus grande du pays : le projet prévoit une capacité d'au moins 5000 fidèles. Le gouvernement turc a fourni cinq millions de dollars pour sa construction. L'idée de construire une nouvelle mosquée à Kiev ne vient pas de Turquie, mais de Mustafa Dzhemilev, le chef du Mejlis, l'organe représentatif officiel des Tatars, qui a été mis hors la loi en Crimée pour cause d'extrémisme. Selon Dzhemilev, le pays a besoin d'une nouvelle mosquée en raison de l'arrivée de dizaines de milliers de Tatars de la péninsule au cours des six dernières années.

Avec en toile de fond les négociations sur la mosquée, la Turquie travaille depuis des années à la construction d'appartements résidentiels pour des centaines de familles tatares dans les villes de Kharkiv, Lviv, Odessa, Kherson et Dnipro. Ces deux initiatives ont été très bien accueillies par la minorité turque et amélioreront considérablement l'image de Recep Tayyip Erdogan en tant que protecteur du peuple turc et des musulmans en général. Mais avant même l'annonce de la mosquée, un événement historique s'est produit le 18 mai. Zelensky avait inclus deux célébrations islamiques très importantes dans le calendrier national des jours fériés : la fête du sacrifice (Eid al-Adha) et la fête de la rupture du jeûne (Eid al-Fitr).

La date de l'annonce a été soigneusement choisie car l'objectif était d'accroître la portée symbolique de l'acte : en effet, le 18 mai de chaque année, les Tatars observent ce que l'on appelle la "Journée de commémoration des victimes du génocide des Tatars de Crimée". Depuis 2014, cet événement historique est officiellement inclus dans la liste des guerres de mémoire liées à la Seconde Guerre mondiale qui divisent l'Occident et la Russie. Aujourd'hui, cette date, grâce à Zelensky, a pris une importance égale pour les Ukrainiens, les Tatars et les Turcs. Selon le président ukrainien, la reconnaissance officielle des fêtes islamiques est une étape fondamentale vers la construction d'une "nouvelle Ukraine au sein de laquelle chacun peut se sentir citoyen".

Le même jour, M. Zelensky a également annoncé la formation d'un groupe de travail au sein du bureau de la présidence, spécialisé dans les questions relatives aux Tatars. L'objectif était d'améliorer les conditions de vie de la minorité dans le pays. Ce sont donc les Tatars qui ont conduit l'évolution du partenariat turco-ukrainien formé l'année dernière. En août dernier, Zelensky a assisté à l'inauguration d'un bureau de représentation des Tatars de Crimée à Ankara. En février, c'était au tour d'Erdogan à Kiev, où le président turc a annoncé un plan de logement pour les Tatars qui avaient fui la péninsule, réaffirmant que son gouvernement ne reconnaîtrait jamais le nouveau statu quo car "la Crimée est la patrie historique des Tatars".

La carte tatare est utile aux deux parties : Kiev peut améliorer son image à l'Ouest, Ankara peut accroître son prestige dans le monde turc et islamique et, simultanément, élargir sa marge de manœuvre à l'intérieur de l'Ukraine dans l'espoir de combler le vide de pouvoir laissé par le Kremlin. Enfin, comme cela a déjà été écrit, jouer la carte des Tatars est le seul moyen pour les rivaux ou les pacificateurs de la Russie de garder ouverte la possibilité de déstabiliser la péninsule par une insurrection à motivation ethnique - ou, comme c'est le cas actuellement, de servir de médiateur entre les deux prétendants. La Russie est confrontée à un défi historique, car le scénario tant redouté de l'encerclement qui hantait les rêves de Staline est devenu une réalité, et la chute des États de la zone-tampon entraînera un déplacement de l'attention vers les républiques turco-musulmanes de Russie. Le risque d'une implosion de type soviétique est élevé, et les dirigeants du Kremlin sont appelés à élaborer une refonte stratégique globale : il en va de la survie même de la Russie telle que nous la connaissons aujourd'hui.

mardi, 22 mars 2022

Xi Jinping et la Chine donnent une leçon de diplomatie aux États-Unis

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Xi Jinping et la Chine donnent une leçon de diplomatie aux États-Unis

par Giulio Chinappi

Source: http://www.cese-m.eu/cesem/2022/03/xi-jinping-e-la-cina-danno-una-lezione-di-diplomazia-agli-stati-uniti/

Le 18 mars, les chefs d'État des deux principales puissances économiques mondiales ont tenu une vidéoconférence dont le sujet principal était le conflit en Ukraine.

Le sommet virtuel qui s'est tenu le 18 mars entre le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, et le président des États-Unis d'Amérique, Joe Biden, a mis en évidence la stature politique et diplomatique du premier, face à un Biden qui, ces derniers jours, n'a pas su faire grand-chose, sinon lancer des insultes personnelles au président russe Vladimir Poutine.

Alors que les États-Unis continuent à envoyer des armes en Ukraine, faisant du peuple ukrainien de la chair à canon pour leur propre projet hégémonique mondial, la Chine s'efforce de trouver une solution diplomatique au conflit dans l'ancienne république soviétique. Xi Jinping a encouragé les États-Unis et l'OTAN à entamer un dialogue avec la Russie pour résoudre les problèmes sous-jacents de la crise ukrainienne et a exprimé son opposition aux sanctions aveugles imposées à la Russie, tout en exhortant les puissances occidentales à mettre un terme au flux d'armes vers l'Ukraine.

"La crise ukrainienne n'est pas quelque chose que nous voulons voir se perpétuer, et les événements montrent une fois de plus que les pays ne devraient pas en arriver au point de se rencontrer sur le champ de bataille. Le conflit et la confrontation ne sont dans l'intérêt de personne, et la paix et la sécurité sont ce que la communauté internationale devrait chérir le plus", a déclaré Xi Jinping lors de la vidéoconférence.

"Les remarques du président Xi sur la crise ukrainienne ont exposé de manière exhaustive la position de la Chine et, se situant à un niveau supérieur, ont encouragé les pourparlers de paix entre l'Ukraine et la Russie et les pourparlers entre les États-Unis, l'OTAN et la Russie", a déclaré Lü Xiang, chercheur à l'Académie chinoise des sciences sociales, au Global Times. "Je pense que l'entretien de vendredi n'était pas seulement significatif pour les relations sino-américaines, mais aussi pour la situation géopolitique mondiale. Les remarques du dirigeant chinois ont montré aux pays qui suivent de près les États-Unis dans la fomentation de la crise ce qu'une grande puissance responsable devrait faire face aux problèmes", a ajouté l'universitaire.

La situation actuelle ne fait que démontrer que les politiques coercitives menées par les États-Unis et d'autres puissances occidentales contre les pays qu'ils considèrent comme "hostiles" ne peuvent mener à autre chose qu'à l'exacerbation du conflit. Les sanctions imposées à la Russie depuis des années, et en particulier celles qui ont été renforcées ces dernières semaines, se sont avérées totalement inefficaces pour atteindre leur objectif.

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"La question de l'Ukraine est la conséquence des problèmes accumulés entre les États-Unis et la Russie ou de la pression et des défis continus à la sécurité de la Russie par l'OTAN dirigée par les États-Unis. Ainsi, les États-Unis, au fond, ne s'attendent pas à ce que la Chine résolve le problème, mais ils veulent quand même attirer la Chine dans leur pétrin ou lui demander de les aider, car la situation actuelle a dépassé leurs attentes et il deviendra plus difficile pour les États-Unis d'éviter d'y être directement impliqués", a encore dit Lü.

La position de la Chine sur la crise ukrainienne a été longuement réitérée par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Pékin, Zhao Lijian, lors d'une conférence de presse avec des représentants des médias étrangers : "En tant qu'initiateurs de la crise ukrainienne, pourquoi les États-Unis ne réfléchissent-ils pas à leur propre responsabilité et à celle de l'OTAN dans la cause de la crise sécuritaire actuelle en Europe ? Pourquoi ne repensent-ils pas à leur hypocrisie en attisant les flammes de la crise ukrainienne ?" a demandé Zhao de manière provocante.

Zhao a déclaré que la Chine avait de la peine pour les victimes civiles, mais il a également rappelé les victimes des raids aériens des États-Unis et de l'OTAN dans les différents pays que les puissances occidentales ont bombardés depuis 1999 : "Nous nous souvenons tous qu'en mars 1999, sans l'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU, l'OTAN dirigée par les États-Unis a lancé de manière éhontée 78 jours d'attaques en Yougoslavie, tuant 2 500 civils et en blessant plus de 10.000. Au cours des 20 dernières années, les États-Unis ont effectué des milliers de raids aériens en Syrie, en Irak, en Afghanistan et en Somalie", a rappelé le porte-parole, qui s'est demandé si les États-Unis s'inquiéteraient également de la mort de ces civils à la suite de leurs actions militaires.

Alors que les États-Unis et l'Union européenne continuent d'envoyer des armes à l'Ukraine - mercredi dernier, les États-Unis ont annoncé une aide militaire de 800 millions de dollars à l'Ukraine - la Chine a offert une aide humanitaire aux réfugiés civils du conflit, envoyant de la nourriture, du lait en poudre, des sacs de couchage, des édredons et d'autres produits de première nécessité à l'ancienne république soviétique. "La dernière assistance armée américaine à l'Ukraine a-t-elle apporté la stabilité et la sécurité à l'Ukraine ? Ou bien cela entraînera-t-il davantage de victimes civiles ? Le peuple ukrainien a-t-il besoin de plus de nourriture et de sacs de couchage ou de fusils et de munitions ? Il n'est pas difficile pour les personnes dotées de rationalité et de bon sens de faire le bon jugement", a commenté Zhao.

Une fois de plus, la crise ukrainienne démontre l'hypocrisie de l'administration américaine, par opposition à la cohérence et à l'efficacité du gouvernement chinois dans la gestion des crises, comme ce fut le cas avec la pandémie de Covid-19, pour ne citer qu'un incident récent.

Le conflit ukrainien comme premier pas vers la déseuropéanisation / désoccidentalisation du monde

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Le conflit ukrainien comme premier pas vers la déseuropéanisation / désoccidentalisation du monde

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/37066-2022-03-13-21-31-00

Le manque d'autonomie de l'Europe

D'un point de vue géographique, la guerre en Ukraine se déroule en Europe. Mais d'un autre côté, cette guerre est un échec stratégique de l'OTAN, notamment parce que cette alliance atlantique n'a jamais tenu compte des préoccupations et des exigences de la Russie en matière de sécurité (ne pas étendre l'OTAN à l'Est, ne pas inclure l'Ukraine dans l'organisation, couper tous les liens avec le régime russophobe de Kiev, abandonner toute tentative de créer une sorte d'"anti-Russie" à partir de l'Ukraine).

De plus, les pays européens n'ont rien fait pour diminuer les risques de conflit. Lorsque la Russie a demandé aux pays européens de ne pas inclure l'Ukraine dans l'OTAN et de freiner les plans américains d'expansion vers l'est, ils n'ont tout simplement pas pu ou voulu faire quoi que ce soit. Maintenant, l'UE et l'OTAN (à l'exception de la Hongrie) font tout ce qu'ils peuvent pour alimenter ce conflit, qui aura sans aucun doute des répercussions catastrophiques pour l'Europe.

En effet, la guerre affecte déjà l'Europe : les pays de l'UE sont submergés par les millions de réfugiés qui arrivent à leurs portes. Josep Borrell, chef du corps diplomatique de l'UE, affirme qu'il n'est possible d'accueillir que 5 millions de réfugiés. Cependant, à la date du 7 mars 2022, au moins 1.735.068 réfugiés ukrainiens sont arrivés en Europe centrale et orientale selon les rapports de l'ONU (1).

D'autre part, la rupture des liens diplomatiques avec la Russie affectera principalement les pays européens, car la hausse des prix des denrées alimentaires, de l'énergie et de l'inflation se fait sentir dans toute l'Europe. De nombreux analystes affirment que l'UE perdra des centaines de milliards d'euros en raison des sanctions et contre-sanctions contre la Russie. Pendant ce temps, les États-Unis poussent l'UE à imposer des restrictions encore plus radicales, sachant pertinemment que ce sont les Européens qui en souffriront le plus. Bien sûr, une Europe faible sera beaucoup plus facile à manipuler.

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Enfin, le fait que les pays européens soient entraînés dans ce conflit, qui menace de se transformer en une guerre nucléaire touchant principalement le flanc oriental de l'OTAN, laisse beaucoup de perplexité. Pourtant, ce sont les pays de l'Est de l'OTAN qui ont été les plus ardents défenseurs d'une politique dure contre la Russie.

Cette crise est en grande partie due au manque d'autonomie de l'UE. En effet, on peut affirmer que l'Europe est devenue un simple outil au service des États-Unis. La présence accrue des États-Unis en Europe ne fera que continuer à saper la solidité de l'économie européenne, tandis que la guerre sert de prétexte pour persécuter tous les dissidents du continent - en particulier les forces, mouvements et penseurs qui prônent un euro-continentalisme pragmatique. L'objectif est d'empêcher l'Europe de disposer des ressources morales, intellectuelles, militaires et matérielles pour devenir autonome.

L'euro-atlantisme est l'idéologie qui empêche l'autonomie de l'Europe. Les élites européennes sont entièrement à son service, sans compter que les réseaux d'influence américains en Europe l'utilisent à leur avantage. L'Europe pourrait devenir l'un des futurs pôles du monde multipolaire, mais il semble que cela n'arrivera pas de sitôt.

Le Tiers Monde : de la neutralité pacifique à la neutralité armée

L'un des endroits où une bataille diplomatique des plus féroces a été menée est le "tiers monde". Les États-Unis ont cherché à imposer leur interprétation des événements aux petits pays ainsi qu'aux puissances régionales (Pakistan) et mondiales (Chine). Toutefois, cela reflète l'importance croissante des pays non européens, et des pays non occidentaux en général, dans le système international actuel. Par conséquent, de plus en plus de choses dépendent d'eux.

Certains pays ont choisi de ne pas imposer de sanctions afin de préserver leur souveraineté, en maintenant une sorte de neutralité stratégique comme le pratiquent de nombreux pays en Asie, en Afrique et en Amérique latine. La plupart se sont limités à des condamnations verbales qui ont peu d'effet sur la Russie. Cela montre que le monde n'est plus unipolaire, mais que de nouveaux centres de décision y ont émergé.

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Le Premier ministre pakistanais Imran Khan (photo) a répondu aux tentatives des États-Unis et de l'Union européenne pour amener son pays à imposer des sanctions à la Russie par la réponse suivante : "Sommes-nous encore des esclaves à qui on dit comment agir ? (2). Cette réaction du président d'un pays d'Asie du Sud face aux puissances occidentales est symptomatique. L'Inde n'a pas non plus été très enthousiaste à l'idée d'imposer des sanctions à la Russie.

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Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian (photo), a déclaré le 10 mars que Pékin répondrait sévèrement à toute tentative de Washington de punir les entreprises chinoises qui continuent à fournir des services à Moscou. Selon l'agence de presse TASS, M. Lijian a déclaré que "les États-Unis n'ont pas le droit d'appliquer des sanctions contre les entreprises et les fonctionnaires chinois, tout comme ils ne peuvent pas dire à la Chine quel type d'accords elle peut conclure avec la Russie. S'ils essaient d'imposer des sanctions à la Chine, alors nous serons obligés de répondre" (3).

Cette réponse chinoise aux États-Unis démontre l'impuissance de la Maison Blanche face à un monde de plus en plus diversifié. On pourrait dire que les États-Unis sont confrontés à une situation désespérée : s'ils veulent isoler la Russie, ils doivent reconnaître l'existence d'autres centres de pouvoir mondial. Les États-Unis sont contraints de négocier avec les "cinq rois" dont parle Bernard Henri-Levy (l'un des principaux théoriciens du libéralisme actuel), mais en échange de la cession d'une partie de l'hégémonie du monde occidental à d'autres acteurs.

Les États-Unis ont tenté de négocier plusieurs traités avec l'Arabie saoudite afin d'atténuer les conséquences négatives de la dépendance européenne au pétrole russe. Toutefois, les relations des États-Unis avec l'Arabie saoudite se sont considérablement détériorées depuis l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Les États-Unis ont également tenté de tendre la main à des pays tels que l'Iran, l'Inde, la Turquie et même le Venezuela (qui est tout d'un coup considéré comme un acteur légitime), mais en vain. Nombre de ces pays comprennent qu'une fois la Russie vaincue, ils seront les prochains sur la liste.

Les déclarations de la Chine, ainsi que celles de plusieurs pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, montrent qu'aucun d'entre eux n'est prêt à renoncer à ses positions. Cela signifie qu'ils ont assumé une sorte de neutralité armée très similaire à celle assumée par la Russie et d'autres pays européens pendant la guerre d'indépendance américaine à la fin du 18e siècle. La Russie a rejeté le blocus économique que la Grande-Bretagne, la puissance maritime de l'époque, a tenté d'imposer aux États-Unis. Aujourd'hui, les États-Unis, qui sont l'héritier de la "Sea Power" britannique, font l'expérience d'une autre sorte de "neutralité armée", semblable à celle qui leur a sauvé la vie autrefois.

Vers la multipolarité

La neutralité stratégique que de nombreux pays asiatiques ont adoptée à l'égard de la Russie est à leur avantage, car elle leur permet de tirer parti des sanctions que les pays occidentaux imposent à l'économie russe. Il est fort probable qu'une grande partie des échanges que les pays occidentaux avaient auparavant directement avec la Russie (par exemple, le pétrole) et les importations qu'ils effectuaient passeront désormais par elle avant d'arriver à destination. Le pétrole peut être commercialisé via la Turquie, comme le souligne le politologue russe Ivan Starodubtsev (4).

Plus les pays d'Amérique latine, d'Asie et d'Afrique résisteront aux tentatives américaines d'imposer des sanctions, plus ils seront attrayants pour la Russie d'un point de vue économique : cela implique à la fois des investissements russes directs dans ces pays (surtout en ce qui concerne les industries qui n'existent pas en Russie) et l'entrée sur le marché russe pour nombre d'entre eux, d'autant plus que de nombreuses entreprises américaines et européennes quittent la Russie.

Bien entendu, tout cela implique une augmentation de l'interdépendance entre ces économies et la Russie et les menaces que les États-Unis lanceront contre les nouveaux partenaires eurasiens de la Russie. Cependant, les États-Unis ne réussiront qu'à soumettre des pays petits et sans importance. Les plus grands et les plus autonomes resteront indépendants et renforceront leurs liens politiques avec la Russie face à l'incapacité des États-Unis à les déconnecter tous de leur système économique sans détruire le leur. Tout ceci pourrait favoriser la naissance d'un monde multipolaire.

L'Europe est également appelée à devenir une puissance souveraine, mais cela sera impossible tant qu'elle restera dominée par l'élite atlantiste actuelle. Toutefois, ces changements ne dépendent pas uniquement d'aspects matériels : l'Occident a perdu la confiance de la plupart des pays du monde. L'Ukraine est un pays qui a parié sur l'Occident et a perdu, devenant un simple outil aux mains de puissances extérieures et un champ de bataille entre puissances nucléaires. Cela conduira sans doute de nombreux pays à réévaluer leurs propres relations avec les États-Unis.

Le fait que l'Europe soit de plus en plus au bord de la guerre démontre le refus de l'Occident libéral et démocratique d'écouter les arguments et les craintes des Autres (dont la Russie). Cette absence de dialogue a conduit à un véritable conflit ouvert. De même, c'est le manque de dialogue qui empêche les États-Unis et l'Europe de résoudre cette situation, car ils pensent que s'ils cèdent, ils détruiront l'image de grandeur qu'ils ont aux yeux des autres nations du monde. Croire que la voie du développement et du progrès que l'Occident a suivie est le paramètre par excellence de l'évolution humaine pour atteindre la paix et la prospérité (au prix de l'abandon des traditions de nos peuples) n'est qu'un mensonge. L'Occident ne peut pas être une référence morale et éthique pour nous, ce qui devient de plus en plus clair lorsque nous voyons Washington menacer le reste du monde afin d'isoler Moscou. Plus l'Occident fait pression sur les autres pays, plus il rencontrera de résistance.

Notes :

  1. 1) https://www.rbc.ru/rbcfreenews/622617139a7947c327f07f24?utm_source=yxnews&utm_medium=desktop
  2. 2) https://www.firstpost.com/world/is-islamabad-their-slave-pm-imran-khan-slams-eu-for-asking-pakistan-to-vote-against-russia-10437...
  3. 3) https://tass.ru/mezhdunarodnaya-panorama/14019401
  4. 4) https://t.me/turkey_is/1624

Source : https://katehon.com/ru/article/konflikt-na-ukraine-i-de-evropeizaciya-de-vesternizaciya-mira

lundi, 21 mars 2022

La révolution du transport fluvial en Russie : un projet aux ramifications géopolitiques

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La révolution du transport fluvial en Russie : un projet aux ramifications géopolitiques

Tim Kirby

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/empresas/36775-2022-02-08-18-16-31

Récemment, le gouvernement russe a dévoilé un plan visant à modifier radicalement le transport de marchandises au sein de la Fédération, qui pourrait même avoir un impact géopolitique international. On cherche à révolutionner le transport de marchandises dans le monde entier.

Aujourd'hui, si l'on observe ce qui existait au 20e siècle, la technologie ressemble encore beaucoup à ce qu'elle était au début de la guerre froide. Nous avons des camions sur les routes, des trains, des bateaux et des avions à réaction. Il est vrai que toutes ces grandes formes de transport de marchandises sont devenues plus efficaces, il existe désormais des trains très rapides et, en termes d'expédition, tout est beaucoup moins cher que jamais. Cela a contribué à l'essor de la Chine d'aujourd'hui. Sans exportations maritimes bon marché, ils vivraient dans une nation très différente et moins riche, et c'est exactement la raison pour laquelle Washington et ses amis prennent des initiatives comme ce magnifique accord AUKUS et enserrent la mer de Chine méridionale du mieux qu'ils peuvent.

Washington veut que la Chine soit encerclée afin d'avoir la possibilité de couper l'accès de Pékin aux lignes commerciales. C'est pourquoi les Chinois ont eu l'idée de l'initiative "Belt and Road". Cela permet à la Chine de contourner l'encerclement de l'OTAN et pourrait constituer l'un des projets de "plan B" les plus importants et les plus coûteux de l'histoire de l'humanité.

De l'autre côté du monde, une sorte de pseudo-révolution verte des transports est en cours, essentiellement portée par le brillant sens du spectacle d'Elon Musk et ses suggestions pour le public analphabète. Les semi-remorques autonomes et le mystérieux "HyperLoop" sous-tendent les cours gonflés des actions de son empire. Cette tendance croissante au "vaporware" dans toutes les formes de développement en Occident, où le sentiment et l'enthousiasme pour une technologie l'emportent sur sa viabilité et sa faisabilité, est un phénomène plutôt intéressant. Le concept du Green New Deal est vraiment l'apogée de cette façon de voir la technologie et le développement, sur base de l'équation "sentiments = réalité". Bien que la méthodologie puisse être erronée, il est certainement intéressant pour l'Occident de continuer à chercher un nouveau développement dans le domaine des transports qui puisse changer les règles du jeu.

Ainsi, la Chine, en termes de transport, veut maximiser et diversifier les itinéraires, l'Occident cherche une sorte de réponse verte futuriste à zéro carbone à un problème qui n'existe peut-être pas, et la Russie va mettre un gros paquet sur la forme la plus médiévale de transport de marchandises - le transport fluvial. Nous vivons une époque intéressante.

Le gouvernement russe envisage d'investir jusqu'à 10,3 milliards de dollars pour améliorer les capacités de fret fluvial du pays. Compte tenu du fait que le transport fluvial est pratiquement mort (ou du moins extrêmement limité à l'échelle) dans la plupart des régions du monde, cette décision semble étrange. Le canal Ohio et Erie, près de mon lieu de naissance, en est le parfait exemple. C'était un moyen lent, à capacité limitée et étonnamment coûteux de transporter des marchandises, qui repose sur une infrastructure très "organique" et sensible aux inondations, aux sécheresses et à toutes sortes d'autres problèmes que les trains et les camions ne connaissent pas. En fait, il combine la nature linéaire du transport ferroviaire avec la capacité limitée et les facteurs climatiques qui affectent les semi-remorques, ce qui donne le pire des deux mondes. Alors pourquoi les Russes ont-ils investi autant d'argent dans une technologie qui était obsolète aux États-Unis avant le début de la Première Guerre mondiale ?

Si vous lisez certains journaux, la logique ressemble à ceci. Moyennant quelques modifications, notamment l'élargissement et l'approfondissement de certaines écluses et la mise à niveau d'autres infrastructures, le miracle du transport ultra bon marché par cargo en haute mer pourrait fonctionner en Russie même. Essentiellement, il s'agit de prendre ce modèle de transport maritime chinois et de le placer sur des rivières et des canaux préexistants en Russie même, ce qui peut être réalisé relativement "bon marché" selon les normes des projets gouvernementaux. La longueur du réseau fluvial russe lui permettrait de devenir presque comme un nouveau canal de Suez ou de Panama pour certaines nations.

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Image : De nombreux navires utilisent déjà la route en rouge ; avec quelques améliorations, les porte-conteneurs pourraient également l'utiliser.

Ce projet peut sembler très petit et interne à la Russie, mais il a le potentiel d'avoir un effet géopolitique énorme sur le monde. À tout le moins, il a été souligné qu'avec la mise en œuvre de ces améliorations d'infrastructure, une sorte de méga-cargo pourrait voyager librement entre la mer Noire/mer d'Azov, la mer Caspienne, la mer Baltique et la mer Blanche. Cela ferait de l'Iran un voisin de l'Europe dans le sens du transport du jour au lendemain et donnerait certainement à Téhéran un peu de répit, car sa géographie le rend très "bloquable" par la mer. Elle pourrait également contribuer à atténuer certaines des difficultés liées à l'enclavement du Kazakhstan.

Historiquement, la Turquie et la Russie ont souvent été en désaccord et leur capacité à bloquer la mer Noire a toujours été un problème. Il serait donc à l'avantage de la Russie de disposer d'un autre moyen de transport maritime à partir de la mer Noire si nécessaire.

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Image : Les Russes veulent développer l'Arctique. Le fait d'avoir de nombreux fleuves importants s'étendant du nord au sud aide sûrement à le relier au reste du pays.

Les rivières de Sibérie ont le potentiel de pouvoir prendre les richesses de cette région et de les transporter sur des porte-conteneurs dans le monde entier, jusqu'à ce que ces navires puissent atteindre l'océan Arctique et ne pas s'échouer. Poutine a été un fervent défenseur du développement de l'Arctique pour de nombreuses raisons, celle-ci étant l'une d'entre elles. Si la Sibérie est célèbre pour ses minéraux et son bois, elle produit également beaucoup de nourriture. Cette infrastructure aidera la Russie à poursuivre sa croissance en tant que titan de la production alimentaire, ce qui est un facteur de la grande relation entre Moscou et Pékin. Les capacités de production alimentaire de la Sibérie méridionale dépassent l'entendement, mais elles ont été maintenues en sommeil par l'isolement de la région.

Si cela est fait correctement, les larges rivières et les canaux préexistants de la Russie, moyennant quelques améliorations, pourraient avoir un impact sur le commerce international et créer certaines routes maritimes auparavant impossibles. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais c'est un élément à surveiller pour les zélateurs de la géopolitique, qui, ironiquement, remonte à la naissance de la Russie, qui a fait un usage intensif du transport fluvial depuis sa création jusqu'à la chute de l'URSS. La Russie est née avec cette infrastructure en grande partie en place, il est maintenant temps pour les Russes de s'assurer que les méga porte-conteneurs peuvent commencer à l'utiliser.

Ukraine : une guerre qui amorce la grande transition géopolitique et civilisationnelle

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Ukraine : une guerre qui amorce la grande transition géopolitique et civilisationnelle

Manuel Monereo

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/geoestrategia/37126-2022-03-19-14-12-04

"De plus, tout indique que des puissances économiques comme la Russie et la Chine doivent être domptées ou écrasées pour que les grandes économies capitalistes puissent avoir un nouveau souffle. C'est une perspective effrayante".

Michael Roberts 14 mars 2022

La guerre en Ukraine continue. Ce n'est qu'un début. La ligne de front ? La dimension spatio-temporelle des intérêts stratégiques américains ; c'est-à-dire la planète. L'objectif est de conserver le pouvoir et de s'opposer farouchement à ceux qui contestent l'hégémonie euro-américaine, ce que Samir Amin a appelé l'impérialisme collectif de la triade.

Biden a organisé, j'insiste, organisé deux territoires géopolitiquement bien définis : l'un, le principal, se situe en Asie, dans la mer de Chine méridionale ; l'autre, le secondaire, a l'Ukraine comme ligne de front. Les deux sont interconnectés politiquement et militairement par les États-Unis. Les États-Unis imposent une stricte division du travail : l'OTAN est chargée de réduire la Russie ; le monde anglo-saxon est chargé de l'Asie. C'est la Doctrine Monroe complétée de celle d'Alfred T. Mahan : le Pacifique est l'affaire exclusive des Américains et de leurs alliés de confiance ; en dehors de l'Union européenne et, plus précisément, de la France. Un troisième scénario se profile à l'horizon, celui du Sahel, qui commence à dire adieu aux forces expéditionnaires françaises et, je crois, aux autres forces expéditionnaires européennes.

Lorsque le brouillard de la guerre se dissipera, il sera nécessaire de cartographier les dégâts. Les conséquences, le rôle des acteurs et les éléments déterminants d'un nouvel équilibre des pouvoirs devront être identifiés avec précision. Un fait avant tout : le marché économique-productif et financier mondial va-t-il s'effondrer ? C'est ce qu'il semble. La possibilité de construire un pôle de puissance autour de la Chine est motivée par la nécessité de répondre aux sanctions contre la Russie et, surtout, à leurs conséquences collatérales, qui obligent déjà à se définir. Biden joue dur, très dur.  Les jours de la domination du dollar sont peut-être en train de prendre fin et la multipolarité est plus proche qu'il n'y paraît.

Une chose semble claire : aujourd'hui plus de gaz russe est vendu à l'Allemagne qu'avant le conflit. Ce couloir fonctionne malheureusement beaucoup mieux que le couloir humanitaire. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il existe des contacts économiques, financiers et militaires. Il y a encore une chance de parvenir à des accords, d'arrêter la guerre et de mettre fin à la mort qui rode en Europe aujourd'hui. Nous en savons de plus en plus. Lors de la réunion des 27 à Versailles, toujours à la gloire électorale de Macron, il a été décidé que l'Ukraine ne rejoindrait pas l'Union européenne pour le moment ; ce "pour le moment" peut être très long et équivaut à (presque) jamais. Quelques jours plus tard, notre inoubliable Haut représentant de l'UE, Josep Borrell, a reconnu ses erreurs. La plus importante avait été d'ouvrir la possibilité d'une entrée de l'Ukraine dans l'OTAN. Il ne faut pas faire des promesses qui ne peuvent être tenues, a déclaré l'ancien grand espoir de la social-démocratie espagnole.

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Comme Luciano Canfora a raison lorsqu'il dit qu'il ne faut pas parler de démocratie lorsqu'il s'agit du pouvoir mondial ; ne pas parler de paix lorsque la guerre se prépare. Il faudra le dire et le redire, avec force même au prix d'être minoritaire : face à un discours dominant unique - qui devient disciplinaire - il faut affirmer que cette guerre est une guerre entre l'OTAN et la Russie, et que l'Ukraine fournit le territoire, la population et la plupart des morts et des blessés. Zelenski doit maintenant se rendre compte de ce que signifie être un allié inconditionnel des États-Unis et un instrument actif d'une stratégie qui n'a rien à voir avec les intérêts de son peuple. Proposer, comme il le fait, une intervention directe ou indirecte de l'OTAN, c'est jouer avec le feu et nous faire tous brûler.

Il a été dit (Thomas Fazi, Olga Rodriguez) que la guerre en Ukraine a été la plus annoncée, analysée et anticipée de l'histoire européenne récente. Tous les grands spécialistes l'ont étudié et analysé pendant des années (Kennan, Kissinger, Mearsheimer, Jack F. Matlock) et leur conclusion a toujours été la même : essayer de faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN signifierait une réponse politico-militaire russe et la guerre. Le 13 mars de cette année, Carlos Sánchez, dans El Confidencial, a interviewé un spécialiste de la stratégie - influent au sein du ministère de la Défense - qui n'a pas voulu donner son nom. Le plus surprenant dans ses déclarations est qu'elles coïncident avec celles d'autres géopoliticiens - militaires ou non - qui critiquent le conflit ukrainien et s'inquiètent particulièrement de l'avenir de l'Europe dans un monde en mutation rapide.

Tout le monde s'accorde à dire, premièrement, que nous sommes à un tournant d'une ère caractérisée par un déclin relatif de l'hégémonie américaine et l'émergence de nouvelles puissances qui remettent objectivement en question l'ordre organisé et défini par les États-Unis. Les dimensions et le rythme du processus ne sont pas pacifiques. Deuxièmement, on s'accorde à dire que nous sommes dans une transition vers un monde multipolaire qui implique une redistribution substantielle du pouvoir au niveau mondial.  Troisièmement, on s'accorde également à dire que les États-Unis sont la première puissance économique mondiale et, surtout, qu'ils ont une nette domination politico-militaire au niveau planétaire. En d'autres termes, il existe une inégalité structurelle des forces (commerciales, financières, technologiques et militaires) entre le bloc de pouvoir dirigé par les États-Unis et les forces qui tendent à contester son hégémonie. La question clé est le timing. Biden (et le groupe oligarchique qu'il dirige) cherche à anticiper, à prendre l'avantage et à se positionner au moyen d'une stratégie préemptive selon le principe : faites-le maintenant, demain il sera peut-être trop tard. Ils ne font pas mystère de leurs objectifs, à savoir renverser le système de pouvoir dominant en Russie et en Chine au moyen d'instruments économiques, technologiques, hybrides ou de la zone grise.

Quatrièmement, il y a un consensus sur le fait que le grand perdant dans ce conflit est l'Europe. L'UE est incapable de représenter les intérêts stratégiques de ses États et de ses peuples et reste - comme la crise ukrainienne le montre clairement - un allié subordonné des États-Unis. La cinquième question concerne le rôle géopolitique de l'Espagne. Les préoccupations sont nombreuses. Le conflit entre le Maroc et l'Algérie s'aggrave ; au traditionnel problème migratoire s'ajoute celui du gaz dans un contexte propice à la prétention du Maroc de devenir une puissance régionale en relation étroite avec les Etats-Unis et la France. En arrière-plan, la question sahraouie est non résolue. En cas de conflit avec le Maroc, nous, les Espagnols, serons livrés à nous-mêmes ; ni l'OTAN ni l'UE ne nous seront d'aucune utilité.

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Une question plus complexe est la relation entre la Chine et la Russie, toujours médiatisée par la tension avec les États-Unis. Kissinger et Brzezinski ont mis en garde très fermement contre le danger d'une alliance entre l'Iran, la Russie et la Chine. Pourtant, toute la politique étrangère américaine - sauf sous Donald Trump - s'est consacrée à la favoriser. Aujourd'hui, avec la montée de la russophobie, il faut souligner que l'avenir des relations internationales sera déterminé par la direction dans laquelle penche la Russie. La Russie a clairement et sans ambiguïté opté pour un partenariat stratégique avec la Chine. Les deux économies se complètent et leurs capacités militaires se multiplient dans l'alliance. La Chine aidera la Russie à surmonter les sanctions, tout comme l'Inde, le Pakistan, l'Indonésie, une grande partie de l'Amérique latine, à commencer par le Brésil et l'Argentine, et la plupart de l'Afrique, Afrique du Sud en tête ; sans oublier l'Arabie saoudite qui décide actuellement de facturer le pétrole en monnaie chinoise. Peut-on imaginer la carte ? C'est le nouveau monde qui émerge contre l'ancien, celui des grandes puissances coloniales.

Pour l'Europe, c'est une tragédie. Ils sont fatigués de le dire ces jours-ci, il n'y a pas de sécurité en Europe sans la Russie. C'est vrai. La Russie revient à une alliance eurasienne explicite avec l'objectif clair de défier une Pax basée sur la puissance euro/américaine. Une fois encore, c'est l'ancien qui ne mourra pas et le nouveau qui ne naîtra pas. Entre les deux, le conflit pour le pouvoir mondial.

"Le réveil politique mondial est historiquement anti-impérial, politiquement anti-occidental et émotionnellement anti-américain à doses croissantes. Ce processus provoque un déplacement majeur du centre de gravité du monde, qui, à son tour, modifie la répartition mondiale du pouvoir, avec des implications majeures pour le rôle des États-Unis dans le monde", écrivait Zbigniew Brzezinski en 2007.

Le vieux faucon américano-polonais savait de quoi il parlait. Il n'y a pas de retour en arrière possible.

L'Asie centrale "persane" : la relation spéciale Iran-Tadjikistan

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L'Asie centrale "persane" : la relation spéciale Iran-Tadjikistan

Par Carlo Parissi

Source: https://osservatorioglobalizzazione.it/osservatorio/lasia-centrale-persiana-la-relazione-speciale-iran-tagikistan/

Depuis l'Antiquité, l'Asie centrale entretient de longues relations avec la région jadis plus connue sous le nom de "Perse", tant pour des raisons de proximité géographique que pour les diverses dominations, qui se sont succédé au cours de l'histoire dans une portion plus ou moins vaste de la zone, par les empires qui avaient pour centre politique l'actuel Iran (Empire perse, Empire sassanide, etc.). 

Des cinq États d'Asie centrale, le Tadjikistan est sans doute celui qui a le plus de liens ethniques et linguistiques avec Téhéran, car tous deux sont de culture iranienne et les langues des deux pays sont mutuellement intelligibles [1].

Brève histoire des relations Iran-Tadjikistan

Les relations bilatérales entre les deux États ont été établies le 9 janvier 1992 et l'ambassade d'Iran à Douchanbé a été ouverte le même mois [2].

Pendant les années de la guerre civile au Tadjikistan (1992 - 1997), la République islamique n'a soutenu aucun camp, malgré les menaces de Šomdon Yusuf [3] de demander l'aide de Téhéran en cas d'intervention des troupes de la Communauté des États indépendants [4], et a soutenu la nécessité de parvenir à une solution politique pour mettre fin au conflit [5]. Le 27 juin 1997 à Moscou, les pourparlers inter-tadjiks ont également été suivis par Ali Akbar Velayati, alors ministre iranien des Affaires étrangères, qui a signé l'Accord général sur l'établissement de la paix et de l'entente nationale au Tadjikistan [6].

Depuis la fin du 20e siècle, les relations bilatérales n'ont cessé de s'améliorer, notamment l'expansion des relations commerciales, mais elles se sont arrêtées et refroidies dans la première moitié des années 2010 en raison de deux événements spécifiques. 

La première, qui remonte à 2013, concernait Bobak Zanjoni, un milliardaire iranien reconnu coupable de blanchiment d'argent par le biais de banques tadjikes et chinoises, qui aurait vendu deux milliards et demi de dollars américains à certains partenaires de l'État d'Asie centrale. Lorsque Téhéran a exigé la restitution de la somme, les autorités de Douchanbé ont répondu en déclarant que "la partie iranienne n'a envoyé aucun document sur le capital du milliardaire Zanjoni dans les banques du Tadjikistan" [7].

En 2016, le point le plus critique dans les relations a été atteint, en raison du second événement : la participation de Mukhitdin Kabiri, chef du Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan (PRIT), à un séminaire islamique organisé fin 2015 dans la capitale de la République islamique, au cours duquel il avait rencontré l'ayatollah Ali Khamenei. En septembre de la même année, les autorités tadjikes ont accusé le PRIT de préparer un coup d'État et ont par conséquent interdit les activités du mouvement. Après la réunion susmentionnée à Téhéran, tous les programmes de coopération ont été partiellement interrompus [8].

En 2019, il y a eu un revirement de situation grâce à la visite officielle du ministre tadjik des Affaires étrangères Sirojiddin Mukhriddin dans ce pays du Moyen-Orient le 1er juin, au cours de laquelle il a rencontré le président Hassan Rohani et son homologue Javad Zarif. Bien qu'il n'y ait pas eu d'actions concrètes par la suite, cet événement a représenté le début du rapprochement entre le Tadjikistan et l'Iran [9]. 

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Le 17 septembre 2021, à l'occasion du 21e sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui s'est tenu à Douchanbé, le président Ebrahim Raisi, à l'invitation d'Emomali Rakhmon, s'est rendu au Tadjikistan, où il a conduit une délégation de haut niveau composée de cinq ministres [10]. Les deux chefs d'État se sont rencontrés le lendemain et ont appelé à une nouvelle saison des relations bilatérales [11]. Au cours de la conférence de presse conjointe qui a suivi, les deux dirigeants ont évoqué la situation de l'Afghanistan voisin, déclarant que l'ingérence d'acteurs extérieurs a causé plusieurs problèmes au fil des ans et que le nouvel exécutif du "Tombeau des Empires" devrait être inclusif et représenter tous les groupes politiques et ethniques du pays [12].

Les deux États sont membres de plusieurs organisations régionales, dont l'OCS susmentionnée, l'Organisation de coopération économique (OCE) et l'Organisation de coopération islamique (OCI).

Relations entre l'Iran et le Tadjikistan

Les relations entre Téhéran et Douchanbé sont régies par plus de 160 documents signés au cours des 30 dernières années. 

D'un point de vue économique, les échanges commerciaux se sont élevés à plus de 31 millions de dollars US en 2021 [13]. Le coton brut est le principal produit tadjik exporté, suivi du papier revêtu de kaolin et des produits chimiques. Au contraire, les importations de la République islamique sont variées et comprennent principalement des articles en plastique, des articles en céramique et du fer ou de l'acier [14] [15]. Quant aux investissements iraniens au Tadjikistan, ils ont atteint un pic (77,146 millions de dollars US) en 2014, tandis que la période triennale 2016-2018 a connu le point le plus bas, déterminé par l'absence de capitaux persans [16]. En outre, Téhéran a financé la construction de plusieurs infrastructures tadjikes de la plus haute importance, comme le tunnel d'Anzob, un tunnel d'un peu plus de cinq kilomètres qui relie la capitale à la deuxième ville du pays, Khojand, évitant ainsi de passer par l'Ouzbékistan. Les dirigeants des deux pays ont déclaré qu'ils aspiraient à atteindre l'objectif de 500 millions de dollars US d'échanges commerciaux dans les années à venir [17].

La coopération dans le domaine militaire a débuté fin 1997, après la signature d'une lettre d'intention - la première entre le pays d'Asie centrale et un État non membre de la Communauté des États indépendants (CEI) - selon laquelle l'Iran devait former et éduquer le personnel militaire de Douchanbé [18]. Plus récemment, le 8 avril 2021, lors d'un sommet dans la capitale de la République islamique, auquel ont participé le ministre tadjik de la Défense, le colonel général Šerali Mirzo, et le commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique, Mohammed Bagheri, la création d'une commission conjointe de défense a été établie, dont le but premier serait de combattre le terrorisme [19]. En outre, une éventuelle exportation d'armes iraniennes vers le Tadjikistan a été envisagée [20].

Un autre domaine d'importance est l'énergie, dont le résultat le plus important peut être identifié dans la centrale électrique Sangtuda-2 sur la rivière Vakhš, qui a été achevée en 2011 et officiellement inaugurée trois ans plus tard [21]. La coopération dans ce secteur est principalement axée sur la construction de centrales hydroélectriques, qui ont généré en 2019 environ 40 % de la production totale d'électricité [22]. Les 2 et 3 décembre de cette année-là, dans le cadre de la 13e Commission mixte Iran-Tatar, les ministres de l'énergie avaient discuté de la possibilité de financer la construction d'une nouvelle centrale électrique au barrage de Rogun, ainsi que l'achat et la vente d'électricité [23]. En juin de l'année dernière, un accord a été conclu selon lequel les réseaux des deux pays asiatiques seraient connectés [24]. 

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Conclusions et développements futurs (possibles)

Malgré le ralentissement décrit ci-dessus, les relations entre les pays examinés sont dans l'ensemble bonnes et en progression, surtout après les événements dramatiques survenus en août dans le turbulent Afghanistan. Le dégel "récent" et la phase actuelle peuvent conduire à un certain nombre d'avantages mutuels à l'avenir.

À cet égard, certains observateurs ont fait valoir que, par exemple, le Tadjikistan peut contribuer à l'intégration de Téhéran au sein de diverses organisations régionales ou internationales, tout en étant un précieux promoteur de la coopération entre le pays du Moyen-Orient et d'autres États d'Asie centrale ; inversement, la République islamique peut affecter de manière significative, et de diverses manières, le développement de Douchanbé, notamment sur le plan économique : par exemple, en ouvrant ses ports sur le golfe Persique en tant que route alternative pour les marchandises tadjikes vers les pays du Moyen-Orient et d'Europe, ou en investissant dans la création de nouveaux emplois (par la délocalisation ou la construction à partir de zéro d'entreprises dans la région), diminuant partiellement les taux de chômage et d'émigration, le second étant fortement influencé par le premier. [25]

En résumé, à l'avenir, un réseau de relations pas si différent de celui qui existe entre l'Azerbaïdjan et la Turquie ("Une nation, deux États") pourrait être créé.

Notes

[1] Bien que le farsi et le tadjik fassent partie du même continuum linguistique (persan) que le dari, l'intelligibilité mutuelle entre les deux langues n'est présente qu'au niveau oral, puisque le tadjik utilise (principalement) l'alphabet cyrillique, tandis que le farsi utilise l'alphabet persan-arabe.

[2] https://mfa.tj/ru/main/view/28/otnosheniya-tadzhikistana-s-iranom

[3] Chef du Parti démocratique du Tadjikistan et l'un des dirigeants de l'Opposition tadjike unie pendant le conflit. En 1993, son parti a été interdit et il a été contraint de fuir en Iran.

[4] Жирохов М. А., Семена распада : войны и конфликты на територии бывшего СССР, Санкт-Петербург, БХВ-Петербург, 2012. (Žirohov M. A., Les graines de la chute : guerres et conflits sur le territoire de l'ex-URSS, Saint-Pétersbourg, BHV-Peterburg, 2012, p 191).

[5] Ibid, pp 214 - 215.

[6] https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/TJ_970627_GeneralAgreementontheEstablishmentPeaceNationalAccordinTajikistan.pdf

[7] https://tajikta.tj/ru/news/iran-ne-dokazal-nalichiya-v-bankakh-tadzhikistana-deneg-svoego-milliardera-zandzhoni

[8] https://cabar.asia/en/tajik-iranian-relations-under-the-new-conditions 

[9] Ibidem

[10] https://en.irna.ir/news/84473192/President-Raisi-arrives-in-Tajikistan

[11] https://en.irna.ir/news/84474655/Boosting-interactions-to-elevate-Iran-Tajikistan-regional-cooperation

[12] https://en.irna.ir/news/84474878/New-era-in-Iran-Tajikistan-relations-underway-President

[13] https://nbt.tj/ru/payments_balance/analytical_table.php

[14] https://oec.world/en/profile/bilateral-country/tjk/partner/irn

[15] https://tajtrade.tj/menu/index/28?l=en#:~:text=Principaux%20partenairescommerciaux%20de%20la,%2C%20Turkménistan%2C%20USA%20et%20autres.

[16] https://www.ceicdata.com/en/tajikistan/foreign-direct-investment/foreign-direct-investment-iran

[17] https://en.irna.ir/news/84475001/Iran-Tajikistan-target-500m-of-trade

[18] https://reliefweb.int/report/tajikistan/tajikistan-iran-sign-defense-accord

[19] https://www.tehrantimes.com/news/459612/Iran-Tajikistan-agree-to-establish-joint-defense-committee

[20] https://irangov.ir/detail/361457

[21] https://silkroadnews.org/en/news/tajikistan-launched-sangtuda-2

[22] https://www.iea.org/countries/tajikistan

[23] https://caspiannews.com/news-detail/iran-helps-power-tajikistan-with-hydroelectric-power-2019-12-4-35/

[24] https://en.irna.ir/news/84360536/Iran-Tajikistan-agree-on-electricity-networks-connection

[25] https://cabar.asia/en/tajikistan-iran-new-trends-against-the-background-of-a-change-of-government-in-afghanistan

mercredi, 16 mars 2022

Nord Stream 2: le noeud géopolitique qui nous lie à la Russie

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Nord Stream: le noeud géopolitique qui nous lie à la Russie

Salvatore Recupero 

Nord Stream n'est pas seulement un gazoduc, mais surtout le résultat d'un accord géopolitique qui lie la Russie à l'Europe de manière stable. L'Europe peut-elle se passer du gaz russe ?

SOURCE : https://www.centrostudipolaris.eu/2022/03/10/nord-stream-il-nodo-geopolitico-che-ci-lega-alla-russia/

Nord Stream n'est pas seulement un pipeline, mais un véritable "cordon ombilical reliant Moscou et Berlin" (1). (1) Il ne s'agit pas seulement d'une infrastructure, mais du résultat d'un accord géopolitique qui lie la Russie à l'Europe de manière stable. Voyons pourquoi.

Comment fonctionne Nord Stream

Nord Stream (2) est un gazoduc de 1224 km de long composé de deux canalisations parallèles par lesquelles la Russie exporte une partie de son gaz vers l'Europe. L'infrastructure commence à Vyborg, en Russie, et se termine à Lubmin-Greifswald, en Allemagne, en reposant sur le fond de la mer Baltique.

La principale source de gaz alimentant Nord Stream est située sur la péninsule de Yamal, en Sibérie occidentale. Il s'agit d'un champ géant, couvrant une superficie d'environ 1000 km2 et contenant des réserves de gaz estimées à 4,9 trillions de m3. Nord Stream est capable de transporter 55 milliards de m3 par an vers l'Allemagne, soit 27,5 de m3 par gazoduc, répondant ainsi idéalement à la demande annuelle de gaz de plus de 26 millions de foyers. À titre de comparaison, en Italie, nous consommons 70 milliards de m3 par an.

Ces chiffres donnent déjà une idée de l'importance de ce pipeline, mais il y a plus. Nord Stream a été reconnu comme une infrastructure stratégique pour l'Union européenne dès 2000, sa construction a débuté en 2010 et les deux premiers pipelines sont entrés en service respectivement en 2011 et 2012.

Quant au cycle de vie, le pipeline devrait rester en service pendant au moins 50 ans. Inutile de dire que les Américains se sont toujours méfiés de ce projet. Le lien Moscou-Berlin est comme de la fumée dans les yeux pour Washington. 

Malgré cela, Mme Merkel a tellement cru au projet qu'elle a doublé la mise. C'est ainsi que Nord Stream 2 est né.

Qu'est-ce que Nord Stream 2 ?

Nord Stream 2 a été construit à partir de 2018, en suivant pratiquement le même itinéraire que son jumeau Nord Stream 1, et a été achevé en septembre 2021, bien que son approbation soit toujours en attente. 

Il se compose également de deux gazoducs et pourrait potentiellement transporter 55 milliards de m3 de gaz supplémentaires par an vers l'Europe. Si et quand il sera mis en service, la quantité totale de gaz circulant de la Russie vers l'Allemagne pourrait atteindre 110 bcm par an. Cependant, son fonctionnement est actuellement bloqué.

Questions géostratégiques

Le choix de faire passer le "tuyau" par la Baltique n'est pas un hasard. Cela permet à la Russie de contourner le transit des nations qui lui sont le plus hostile. Dans le même temps, il renforce l'Allemagne car lorsque (et si) Nord Stream 2 entrera en service, elle deviendra la principale plaque tournante du gaz en Europe.  Du point d'arrivée de Nord Stream et de Nord Stream 2 partent en fait deux artères de distribution fondamentales : l'une se dirige vers le Benelux et les pays bordant la mer du Nord et l'autre va vers le sud, où elle se connecte à un autre grand centre gazier, en Autriche. 

Comme nous le verrons plus tard, les avantages du Nord Stream et de son doublement concernent tous les Européens, et pas seulement Berlin.

L'Europe peut-elle se passer du gaz de la Russie ?

Commençons par une hypothèse. Avec une part d'environ 40 % des importations totales, Moscou est le plus grand fournisseur de gaz de l'UE, qui en est dépendante. Pire encore, elle n'est pas en mesure de le remplacer. 

Pour l'instant, il est peu probable que la Russie réagisse aux sanctions en fermant les robinets de gaz. À tout le moins, c'est contre-productif. Le PIB russe dépend de la vente d'hydrocarbures, et l'Europe est le principal marché cible. La Chine n'est pas aussi proche que les gens le pensent. D'autre part, avec l'attaque contre Kiev, le Kremlin a montré qu'il ne prête pas trop d'attention aux répercussions économiques. Alors que faire ?

À long terme, on peut penser à des alternatives (que nous verrons plus tard), mais à court et moyen terme, il est difficile de trouver des solutions viables. Supposons le pire des scénarios : les Russes, fatigués des sanctions, bloquent tout. D'où vient le gaz ? 

Si cela se produit, l'Europe peut compter sur ses propres stocks, mais cela ferait grimper le prix du gaz et entraînerait une hausse inévitable de l'inflation. Certains proposent le gaz liquéfié ou GNL comme alternative. Mais peut-il vraiment remplacer 40% de nos besoins ? Difficilement.

Les problèmes du GNL

Le gaz naturel liquéfié ou GNL pose deux problèmes aux Européens (3) : sa disponibilité et la capacité à le recevoir. Le GNL est amené à l'état liquide, puis transporté, généralement par voie maritime. Et voici le premier obstacle : il faut des re-gazéificateurs pour pouvoir le mettre dans les tuyaux. Aujourd'hui, notre capacité de re-gazéification n'est pas suffisante pour répondre à nos besoins et est concentrée dans quelques pays seulement : l'Espagne et, dans une moindre mesure, la France et l'Italie. L'Allemagne, première économie d'Europe, n'en a pas du tout. Sommes-nous sûrs qu'arrêter la locomotive allemande est bon pour tous les Européens ? Il serait stupide de le penser. 

Cependant, certains pourraient penser que nous pouvons nous concentrer sur la distribution. Par exemple, nous re-gazéifions en Espagne et acheminons le gaz en Allemagne. Mais l'infrastructure fait défaut et ne peut être construite en quelques mois. Il y a un dernier problème : les fournisseurs. 

Les principaux exportateurs mondiaux de GNL, de l'Amérique au Qatar, sont incapables d'augmenter la disponibilité du GNL sur le marché. Non pas parce qu'ils ne peuvent pas produire plus, mais parce qu'ils ne pourraient pas le commercialiser : leur capacité d'exportation est pratiquement saturée, et l'étendre prendrait des années. 

En bref, aucun producteur de GNL ne dispose de volumes suffisants pour remplacer complètement les volumes russes en Europe. C'est pourquoi Nord Stream et son doublement sont cruciaux pour l'Europe et pas seulement pour Berlin. 

La solution est la diversification

Cependant, on ne peut pas continuer comme si le conflit actuel n'existait pas. C'est pourquoi la Commission européenne (4) a promu un plan d'action permettant d'éliminer la dépendance de l'Union européenne au gaz russe avant 2030. Entre autres, dans un contexte de forte augmentation des prix de l'énergie, l'exécutif communautaire entend assouplir les règles relatives aux aides d'État, permettre la régulation des prix de l'énergie au niveau national, et promouvoir le stockage du gaz sur le territoire européen. 

Pour y parvenir, les approvisionnements en gaz doivent être diversifiés, non seulement par une augmentation des importations de gaz liquéfié, mais aussi par une production accrue de biométhane et d'hydrogène renouvelable. Il est également nécessaire de réduire plus rapidement l'utilisation des combustibles fossiles dans les ménages, l'industrie et le système énergétique en augmentant l'efficacité énergétique et l'utilisation des énergies renouvelables.

Selon la Commission européenne, ces choix pourraient réduire de deux tiers la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe d'ici la fin de l'année. Dans le même temps, afin d'éviter le risque de pénurie de gaz pendant l'hiver, Bruxelles a l'intention de présenter d'ici avril un texte législatif qui obligera les pays membres à disposer de réserves souterraines pleines à 90 % le 1er octobre de chaque année. L'exécutif européen veut promouvoir la solidarité entre les gouvernements nationaux dans ce cas. 

Enfin, la Commission européenne a l'intention d'utiliser l'article 107 des traités pour permettre une utilisation plus large des aides d'État dans le but "d'aider les entreprises les plus touchées par la crise, en particulier celles qui doivent faire face à des coûts énergétiques élevés".

Tout cela sera-t-il suffisant pour nous rendre indépendants de la Russie ?

Salvatore Recupero.

Notes:

1. La Gérusse. L'horizon brisé de la géopolitique européenne. Salvatore Santangelo Castelvecchi 2016

2. À propos de nous Site officiel de Nord Stream, https://www.nord-stream.com/about-us/

3. L'Europe peut-elle se passer du gaz russe ? Par Marco Dell'Aguzzo Start Mag 06 mars 2022, https://www.startmag.it/energia/europa-gas-russia-alternative/

4. Gaz, l'UE prévoit de réduire les importations russes de deux tiers d'ici un an. Par Beda Romano Il Sole 24 Ore 08 mars 2022, https://www.ilsole24ore.com/art/gas-ecco-piano-ue-tagliare-due-terzi-l-import-russia-entro-anno-AEMAwkIB

dimanche, 13 mars 2022

George F. Kennan : l'élargissement de l'OTAN, l'erreur la plus fatale

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George F. Kennan : l'élargissement de l'OTAN, l'erreur la plus fatale

Source: https://www.pi-news.net/2022/03/george-f-kennan-nato-erweiterung-verhaengnisvollster-fehler/

Par KEWIL | George F. Kennan (1904 - 2005) a été l'un des responsables de la politique étrangère américaine les plus influents du siècle dernier. Il a connu Staline et Hitler, a été ambassadeur à Moscou, Berlin, Prague, Lisbonne et Londres, a travaillé au Département d'État de Washington pendant la Guerre froide, et la politique d'endiguement était son idée. Plus tard, il a enseigné comme professeur à l'université de Princeton et également à Berlin, a écrit des livres et a reçu de nombreux prix.

Le 5 février 1997, George F. Kennan, âgé de 93 ans, a écrit un long article dans le New York Times intitulé "A Fateful Error". L'administration Clinton réélue prévoyait justement d'intégrer la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie dans l'OTAN, sans aucune raison dictée par l'actualité.

L'opinion, exprimée par Kennan, est, pour le dire crûment, que l'élargissement de l'OTAN serait l'erreur la plus désastreuse de la politique américaine de tout l'après-guerre.

imagkkkges.jpgL'extension de la puissance américaine jusqu'aux frontières de la Russie laisse présager que les tendances nationalistes, anti-occidentales et militaristes s'enflammeront dans la pensée russe, qu'elles auront une influence néfaste sur l'évolution de la Russie, qu'elles rétabliront l'atmosphère de guerre froide dans les relations entre l'Est et l'Ouest et qu'elles forceront la politique étrangère russe à prendre des directions qui nous déplairont résolument.

Enfin, l'extension de la puissance américaine pourrait rendre impossible la ratification des accords Start-Il par la Douma russe, ce qui empêcherait à son tour toute nouvelle réduction des armes nucléaires.

Il serait évidemment malheureux que la Russie soit confrontée à un tel défi. D'autant plus que le gouvernement russe se trouve actuellement dans un état de grande incertitude. C'est d'autant plus malheureux si l'on considère que cette mesure n'est absolument pas nécessaire.

Avec toutes les possibilités d'espoir qu'offre la fin de la guerre froide, pourquoi les relations Est-Ouest devraient-elles se concentrer sur la question de savoir qui pourrait être allié avec qui, et donc contre qui, dans un futur conflit militaire imaginé, totalement imprévisible et improbable ?

Voilà un extrait de l'article prophétique de Kennan, qui montre une fois de plus que même les Américains, du moins dans le passé, avaient parfois des opinions différentes de celles de leur gouvernement ! La traduction vient d'ici: https://corona-transition.org/nato-osterweiterung-verhangnisvollster-fehler-der-us-politik-in-der-gesamten Plus d'infos et l'original en anglais ici: https://www.infosperber.ch/politik/welt/1997-2007-2017-20-jahre-fehlpolitik-der-usa/ . L'élargissement de l'OTAN à l'Est était certainement une erreur !

Analyse du conflit en Ukraine

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Analyse du conflit en Ukraine

Par Daniele Perra

Source: https://www.eurasia-rivista.com/analisi-del-conflitto-in-ucraina/

L'analyse suivante est divisée en trois sections distinctes et tente d'évaluer le conflit à travers les aspects du droit international, de la doctrine militaire et des données économiques. Plus précisément, tout en reconnaissant que, comme l'affirmait Karl Haushofer, la géopolitique n'est pas une science exacte, on tentera de démontrer que l'action russe, loin d'être "ratée" ou mal planifiée (comme elle est présentée dans un Occident toujours plus éloigné de la réalité), est le produit d'un calcul froid et rationnel , tenant compte des coûts et des avantages.

Sur le point de droit

Il est très difficile d'évaluer selon les critères d'un droit international essentiellement américano-centré ce qui apparaît comme l'agression militaire d'une puissance non occidentale. Toutefois, il convient de rappeler que la Russie, dans le passé (intervention en Syrie et annexion de la Crimée sous le concept de "Responsabilité de protéger"), a souvent essayé de se présenter comme un État agissant précisément en accord avec ce droit.

Tout d'abord, le droit international actuel peut être considéré comme une sorte de jus contra bellum à opposer au concept de justa causa belli. Cette approche théorique antimilitariste est, bien entendu, foulée aux pieds sans que cela ne choque particulièrement l'opinion publique lorsque la guerre est menée par la puissance hégémonique au niveau mondial (les États-Unis) ou l'avant-poste occidental au Levant (Israël). À cet égard, il faut se rappeler qu'il existe quelques exceptions à la violation de l'intégrité territoriale d'un État (théoriquement) souverain. Ceci est permis soit en cas d'autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, soit en cas de légitime défense collective nécessaire. Cette autodéfense (cas de la Russie) doit répondre à deux critères: a) la nécessité ; b) la proportionnalité.

Il est clair que l'intervention russe est le produit inévitable du mépris par l'Occident à l'égard du droit plus que légitime à la sécurité de la deuxième puissance militaire du monde. Moscou ne peut tolérer une nouvelle expansion de l'OTAN vers l'Est, avec l'installation conséquente de systèmes de missiles en Ukraine capables de frapper le territoire russe en quelques minutes (la nucléarisation de l'espace géographique russe est le rêve des dirigeants militaires américains depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale) ; Moscou ne peut tolérer l'installation de laboratoires biologiques militaires américains à ses frontières [1]. Il est tout aussi évident qu'une intervention militaire russe (pas plus de 70.000 soldats) peut (du moins en théorie) répondre au critère de proportionnalité.

Jusqu'à présent, nous restons dans le domaine très complexe de "l'attaque préventive" utilisée à plusieurs reprises par des homologues occidentaux (Israël en 1967, les Etats-Unis en 2003 en Irak sur la base de fausses preuves). Des sources au sein des services de Moscou font également référence à une éventuelle opération ukrainienne de grande envergure dans le Donbass (grâce à l'utilisation de miliciens formés en Pologne par l'OTAN) qui aurait été empêchée par une action russe. Au-delà, il existe deux autres cas d'intervention "légitime" : (a) la violation du principe de diligence raisonnable ; (b) l'usurpation.

La première s'applique en réponse aux attaques de groupes terroristes et de bandes armées (c'est-à-dire d'acteurs non étatiques) lorsque l'État ayant juridiction sur ces acteurs ne prend pas les mesures qui s'imposent (l'Ukraine face à des groupes paramilitaires, selon l'interprétation russe). La seconde s'applique lorsqu'un État (l'Ukraine) exerce des fonctions gouvernementales sur le territoire d'un autre État (les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk reconnues comme indépendantes par Moscou à une époque précédant le conflit). A cela s'ajoute, et cela semble sans doute être l'argument le plus fort en faveur de Moscou, le non-respect des accords de Minsk et les actions militaires ukrainiennes répétées (aussi brutales soient-elles) pour rétablir l'ordre dans les régions orientales du pays, qui ne sont pas par hasard également les plus industrialisées et riches en ressources.

À la lumière de ce qui a été écrit jusqu'à présent, il est clair que toute justification de l'intervention militaire russe au niveau du droit international est pour le moins assez faible. En fait, il s'agit plutôt d'une tentative de surmonter le positivisme normatif (et l'hypocrisie substantielle) du droit international américano-centrique au nom d'une idée de nomos de la terre liée à un concept historico-spirituel de possession et d'appartenance à l'espace géographique.

Enfin, outre le fait que le droit international lui-même est souvent interprété (surtout par les grandes puissances) à leur guise, on ne peut oublier la suggestion que Iosif Staline a faite à Chiang Ching-kuo, délégué de la République de Chine auprès de l'URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale: "tous les traités sont du papier brouillon, ce qui compte, c'est la force" [2].

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Aspects militaires

L'ancien militaire et analyste de la Fondation pour la défense des démocraties, Bill Roggio, a affirmé que la propagande occidentale a conduit à une incompréhension totale de la stratégie militaire russe en Ukraine (3). En particulier, Roggio souligne que l'Occident s'est concentré à tort sur la thèse selon laquelle l'échec de la prise de Kiev dans les premiers jours du conflit signifierait inévitablement l'échec de l'action russe.

Certes, Moscou pensait que l'entrée de ses troupes en territoire ukrainien aurait pu générer un effondrement immédiat du gouvernement de Kiev. Toutefois, cela ne signifie pas qu'une stratégie n'avait pas été prévue qui aurait pu ignorer cet événement. L'analyse des forces sur le terrain, dans ce cas, parle très clairement.

Depuis plusieurs jours, on parle d'une colonne de chars russes de plus de 60 km de long stationnée immobile à la périphérie de Kiev. Pourquoi n'est-elle pas attaquée par l'armée ukrainienne ? Pourquoi n'entre-t-elle pas dans Kiev ?

A la première question, l'ancien général Fabio Mini a répondu que ladite colonne n'est pas attaquée simplement parce que Moscou contrôle l'espace terrestre et aérien [4]. C'est pourquoi Kiev continue de réclamer une No Fly Zone qui n'arrivera jamais (à condition que le fanatisme des franges les plus extrémistes de l'atlantisme choisisse d'opter pour une guerre mondiale). L'entrée dans Kiev, avec le risque de finir écrasée dans une guérilla urbaine entre des factions ukrainiennes qui se combattent déjà (le meurtre d'un négociateur plus enclin au compromis en est la démonstration la plus évidente), n'est pas nécessaire, étant donné que la réunification entre les forces russes arrivant du nord et celles arrivant du sud couperait l'Ukraine en deux, rendant impossible le ravitaillement des troupes et milices opérant sur le front le plus chaud, celui de l'est. Empêcher l'entrée dans les centres urbains et contrôler les infrastructures énergétiques reste l'objectif principal de l'opération militaire russe. L'attaque de la centrale électrique de Zaporizhzhia a été mentionnée à plusieurs reprises. Eh bien, aucun analyste ne semble avoir remarqué que juste au-dessus de la centrale se trouve le canal qui, en 2014 (après l'annexion de la Crimée), a été fermé dans le but précis d'étrangler la péninsule de la mer Noire en lui refusant tout approvisionnement en eau. Le contrôle de cette infrastructure est crucial pour rétablir l'approvisionnement en eau de la région.

À ce stade, à la lumière du succès de propagande de l'ancien acteur Volodymyr Zelenskyi, dont les profils sur les plateformes sociales sont une apothéose de fake news et de déclarations de soutien de l'élite de l'atlantisme (von der Leyen, Biden, Draghi), du sionisme et des multinationales qui leur sont liées, on peut se poser une autre question : pourquoi Moscou s'attaque-t-il aux répétiteurs de télévision mais ne ferme-t-il pas Internet ?

C'est là que la question se complique. Comme l'a souligné l'ancien général de l'armée de l'air chinoise Qiao Liang, la guerre du XXIe siècle est avant tout une cyber-guerre indissociable de son appareil technologique. Les armées (celle de la Russie n'est pas différente) sont dépendantes des technologies de l'information. Ce facteur, selon Qiao, peut être à la fois un avantage et un inconvénient. La technologie de l'information, en effet, est basée sur les puces et la possibilité d'éviter la dépendance à ces instruments est désormais inexistante. Cela rend la protection des données de plus en plus problématique, et l'incapacité à surmonter les faiblesses potentielles découlant du haut niveau d'informatisation représente un risque permanent pour la durabilité des capacités et des actions militaires. C'est pourquoi le choc des puissances au XXIe siècle (et le conflit en Ukraine, avec son mélange de guerre traditionnelle et de cyberattaques, en est le principal indicateur et anticipateur) se déroulera principalement dans ce qu'on appelle le cyberespace.

En conclusion, l'action de Moscou (conçue pour ne pas être trop longue mais pas trop courte non plus) vise toujours à imposer ses propres conditions sur la table des négociations : neutralisation de l'Ukraine et reconnaissance de l'annexion de la Crimée et de l'indépendance des républiques dans l'est de l'Ukraine actuelle. Il ne faut pas oublier qu'il a fallu à la Wehrmacht plus d'un million d'hommes et cinq semaines pour vaincre la Pologne en 1939. À cette occasion, tant les Allemands que les Polonais se sont peu souciés de la population civile. Aujourd'hui, la Russie a choisi de limiter au maximum les attaques contre les centres de population et d'établir (en accord avec son homologue de Kiev) des corridors humanitaires qui, pour l'instant, ne semblent pas fonctionner au mieux en raison de l'obstructionnisme des groupes paramilitaires ukrainiens (le tristement célèbre Bataillon Azov surtout).

Si Moscou a une stratégie précise à long terme, il est tout aussi vrai que l'Occident en a une aussi. En fait, il n'est pas exclu que l'Occident se soit déjà préparé à l'éventualité d'un gouvernement ukrainien en exil. L'envoi d'armes et la facilitation du voyage vers ce pays d'Europe de l'Est de mercenaires et de terroristes internationaux peuvent être interprétés par la volonté précise de poursuivre la déstabilisation de la région si Moscou parvient à ses fins.

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Le fait économique

Le fait que le Premier ministre israélien Naftali Bennett se soit rendu à Moscou le jour du Shabbat pour rechercher une médiation dans la crise a provoqué des remous. Outre le facteur géopolitique (montrer son amitié envers la Russie pourrait s'avérer utile en Syrie contre la présence iranienne), il ne faut pas négliger les profonds intérêts économiques et de stabilité interne que l'entité sioniste a dans le conflit. En fait, une grande partie de la population d'Israël, qui est entre autres l'un des principaux importateurs de blé ukrainien, est originaire des républiques qui faisaient autrefois partie de l'Union soviétique. C'est pourquoi une éventuelle prolongation de l'affrontement n'aiderait en rien l'équilibre entre les différentes communautés ex-soviétiques au sein de l'entité sioniste et une économie qui, malgré les mythes de la propagande mensongère, vit déjà largement de l'aide étrangère.

Lorsque l'on parle des données économiques, on ne peut bien sûr pas ignorer le sujet des sanctions. Puisqu'il a été question d'"actions sans précédent" de la part de l'Union européenne, il sera bon d'analyser les effets réels que ces actions peuvent avoir. À cet égard, on peut partir du fait que la Russie dispose d'un trésor de 630 milliards de dollars qui peut être dépensé pour supporter le fardeau des "actions sans précédent" que je viens de mentionner. Il convient également de rappeler que ces dernières années, peut-être en préparation de la guerre et de la réponse occidentale, la Russie a réduit son ratio dette/PIB (la dette publique russe représente 12,5 % du PIB, alors que la dette américaine est de 132,8 %) ; elle a réduit sa dette extérieure ; elle a accumulé de grandes quantités d'or (2300 tonnes), l'actif refuge qui prend de la valeur en même temps que les crises géopolitiques ; et elle a sciemment cédé des titres de la dette américaine. À cela s'ajoutent l'énorme disponibilité de matières premières et la relation étroite avec les deux plus grands pays fabricants du monde (la Chine et l'Inde, qui n'ont guère l'intention de suivre la vulgate des sanctions).

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A l'abondance de matières premières s'ajoute la production avancée d'aluminium, de titane (le groupe russe Vsmpo-Avisma couvre largement les besoins en titane de Boeing et Airbus) et de palladium (50% de la production à l'échelle mondiale). Sans parler de la production de céréales, dont le blocus à l'exportation met déjà en crise le secteur italien des pâtes (un sujet pour une éventuelle étude approfondie sur la géopolitique de l'alimentation). Cela signifie que toute contre-sanction russe aurait des effets potentiellement dévastateurs sur l'économie européenne, déjà à genoux après deux années de gestion désastreuse de la crise de la pandémie. Tout cela pour le plus grand plaisir de Washington qui, en jetant les bases de ce conflit, avait vu une belle opportunité de se débarrasser du principal concurrent à l'hégémonie du dollar : l'euro. C'est pourquoi elle invite encore ses vassaux européens à approvisionner Kiev en avions de combat. L'objectif, en fait, est d'élargir le conflit à l'ensemble du continent.

NOTES

[1] Voir Le pentagone bio-armes, www.dylana.bg.

[2] Liu Xiaofeng, La nouvelle Chine et la fin du droit international américain, www.americanaffairsjournal.org.

[3] Poutine n'est pas fou et l'invasion russe n'est pas un échec. L'illusion de l'Occident sur cette guerre, www.fdd.org.

[4] Ukraine, l'ancien général Fabio Mini : "Regardez le ciel, pas la longue colonne de chars. Si c'est une attaque contre Kiev, elle viendra de là", www.ilfattoquotidiano.it.

samedi, 12 mars 2022

L'Europe suspendue entre l'être et le non-être : est-ce une patrie commune ou un cadavre atlantique ?

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L'Europe suspendue entre l'être et le non-être: est-ce une patrie commune ou un cadavre atlantique?

par Luigi Tedeschi

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-europa-sospesa-tra-essere-e-non-essere-e-una-patria-comune-o-un-cadavere-atlantico

L'avènement du multilatéralisme dans la géopolitique mondiale place l'Europe devant un dilemme existentiel entre: être une patrie commune ou ne pas être un cadavre atlantique. L'histoire impose parfois des choix cruciaux et inéluctables.

La nécessaire neutralité de l'Ukraine

La guerre en Ukraine a des origines lointaines. Elle est le résultat de tensions de longue date qui ont explosé en raison de l'ineptie européenne et de la politique expansionniste de l'OTAN, qui ont empêché l'existence d'un équilibre stable entre la Russie et l'Occident. Avec l'effondrement de l'URSS et l'indépendance des républiques d'Europe de l'Est qui faisaient déjà partie de l'ancien empire soviétique, la logique de partition déjà éprouvée à Versailles en 1919 avec le démembrement des empires centraux s'est reproduite. L'Europe était en fait fragmentée en de nombreux États, souvent artificiels, et de nombreux peuples, très différents sinon hostiles les uns aux autres, étaient contraints de vivre ensemble. Comme on le sait, Versailles a jeté les bases de la Seconde Guerre mondiale.

L'ouest de l'Ukraine est peuplé de catholiques ukrainophones qui veulent être intégrés à l'Europe, tandis que l'est est habité par une population majoritairement orthodoxe et russophone qui s'identifie à la Russie. Pour Kissinger, l'indépendance de l'Ukraine était un facteur d'instabilité politique potentielle. Soljénitsyne, qui considérait que l'Ukraine faisait partie intégrante de l'histoire et de l'identité russes, s'y opposait. Une réconciliation pacifique entre les deux âmes de l'Ukraine s'est avérée impossible, en raison de l'expansion progressive de l'OTAN à l'est, qui envisageait l'intégration de l'Ukraine à l'Ouest en hostilité ouverte avec la Russie, qui, elle, voyait sa sécurité menacée. Le coup d'État pro-occidental de Maidan en 2014 en est une preuve objective.

Il était possible de parvenir à un équilibre géopolitique qui empêcherait cette guerre d'éclater : la médiation européenne aurait pu favoriser l'entrée de l'Ukraine dans l'UE, à condition qu'elle ne rejoigne pas l'OTAN. Une telle perspective aurait impliqué une rupture entre l'Europe et l'Alliance atlantique. Mais l'Europe n'est pas une entité géopolitique indépendante ; au contraire, elle ne trouve son unité que dans le contexte atlantique.

En effet, l'Ukraine est déjà associée à l'UE depuis 2017 et a bénéficié d'un financement européen de plus de 5 milliards, en plus des 1,2 milliard déboursés récemment. Par ailleurs, les accords de Minsk de 2014 (jamais respectés par l'Ukraine), entre la Russie et l'Ukraine, qui prévoyaient l'autonomie des républiques russophones du Donbass, ramenées à la souveraineté ukrainienne, ont été signés sous les auspices de l'OCDE. Afin d'éviter un conflit russo-ukrainien, l'Europe pourrait exiger que la partie ukrainienne les respecte. Mais l'Europe a brillé par son ignorance coupable.

Cette guerre entraînera une redéfinition des frontières entre l'Occident et la Russie, évoquant un retour au rideau de fer qui a marqué l'époque de la guerre froide. Mais les similitudes sont plus apparentes que réelles. Pendant la guerre froide, deux puissances mondiales, les États-Unis et l'URSS, se sont affrontées en tant que systèmes idéologiques, politiques et économiques alternatifs, entre lesquels les affrontements (jamais directs) alternaient avec les négociations. Aujourd'hui, les États-Unis et la Russie sont tous deux des puissances capitalistes. Les Américains ne reconnaissent pas le statut de puissance mondiale de la Russie et ne concluent donc pas d'accords avec Poutine, qui n'est pas considéré comme un partenaire égal. Avec la dissolution de l'URSS et la dissolution du Pacte de Varsovie, l'OTAN, en tant qu'alliance de défense de l'Occident contre la menace soviétique, aurait également dû être liquidée. L'expansion dans les pays d'Europe de l'Est et les guerres "humanitaires" menées par l'OTAN sur une période de 30 ans ont réfuté la nature défensive de l'Alliance atlantique. Il faut également considérer que l'OTAN a été fondée en 1949, tandis que le Pacte de Varsovie a vu le jour en 1955. Donc, entre les États-Unis et l'URSS, qui a dû se défendre contre qui ? La nature agressive de l'OTAN n'était-elle pas génétique ?

Cette guerre aurait pu être évitée si la nécessaire neutralité de l'Ukraine avait été reconnue. La stabilité et la sécurité de la région ne peuvent être garanties que par la neutralité ukrainienne, comme l'a observé Henry Kissinger : "Trop souvent, la question ukrainienne se présente comme une épreuve de force : l'Ukraine choisit-elle de rejoindre l'Est ou l'Ouest ? Mais si l'objectif de l'Ukraine est de survivre et de prospérer, elle ne peut être l'avant-poste de deux factions qui se combattent - elle doit être un pont." Kissinger, en 2014, était également un prophète facile lorsqu'il a déclaré qu'en l'absence d'une politique de réconciliation, "la dérive vers le conflit va s'accélérer, et à ce rythme, elle se produira assez rapidement". 

L'Amérique, une puissance en crise entre pacifisme et russophobie

Cette guerre a éclaté parce qu'elle a été déclenchée par le désir de la Russie de sauvegarder sa sécurité et de contrer l'avancée de l'OTAN à l'est et par le désir des États-Unis d'éradiquer toute relation entre l'Europe et la Russie et de réaffirmer ainsi leur domination sur l'Europe elle-même. Les États-Unis ont en fait facilité l'invasion russe en déclarant leur réticence à s'engager dans une intervention militaire directe et en refusant tout accord avec Poutine. L'Amérique de Biden est pacifiste. Les divisions au sein de la société américaine ont eu pour effet de paralyser la politique étrangère américaine. L'aile libérale de la côte américaine ne veut pas la guerre pour des raisons pacifistes-idéologiques, pas plus que la population intérieure, patriotique par nature mais désormais fatiguée et désabusée par la succession des défaites américaines dans le monde.

L'Occident veut donc contrer la Russie avec l'arme des sanctions. Avec l'éviction de la Russie du système de paiement rapide et l'embargo économique, elle veut provoquer l'implosion financière de la Russie, avec le défaut de paiement russe associé. Mais la Russie est déjà sous le coup de sanctions depuis 2014. L'arme des sanctions provoque nécessairement des représailles et s'est toujours révélée inefficace. Au contraire, les sanctions politiques renforcent la cohésion interne des nations et encouragent la production de biens pour remplacer les produits étrangers qui ne sont plus importés. En outre, la Russie a été bien équipée au fil des ans pour faire face à de telles éventualités. Devenue économiquement vulnérable lors de la crise de 2014, la Russie a adopté ses propres contre-mesures. Depuis 2016, l'économie russe a enregistré une croissance annuelle du PIB de plus de 4 %, augmenté ses réserves de 631 milliards de dollars, principalement en devises autres que le dollar, contre une dette de 350 milliards de dollars, augmenté ses réserves d'or de 196 %, réalisé d'importants investissements dans le numérique, et le commerce avec la Chine s'élève désormais à 140 milliards de dollars, avec l'objectif d'atteindre 200 milliards de dollars.

Les sanctions ont évidemment aussi un impact majeur sur l'Occident, étant donné l'interdépendance des marchés mondiaux. L'Europe dépend du gaz russe pour 40 % de ses besoins et, puisque les approvisionnements de Gazprom ont été exclus des sanctions, paradoxalement, l'UE finance indirectement les dépenses militaires russes pour l'invasion de l'Ukraine avec les revenus de l'énergie. Alors que la bourse russe a été fermée pour cause de baisse excessive et que le rouble est à son plus bas niveau historique, les marchés européens ont enregistré des pertes de plus de 20 % depuis janvier. Standard & Poor's a rétrogradé la dette publique de la Russie au statut de "junk", mais cette dette ne représente que 20 % du PIB. La crise énergétique, avec des prix du gaz et du pétrole à des niveaux records et une inflation galopante, ainsi que la hausse des prix des matières premières, causent des dommages importants à l'économie européenne. Par le biais de sanctions, l'Occident veut amener la Russie à faire défaut, mais toute implosion russe impliquerait aussitôt l'Europe, étant donné l'exposition du système bancaire européen à la Russie (l'Italie seule est exposée pour plus de 25 milliards), et le blocage des flux commerciaux avec la Russie elle-même. Pour l'Europe, les dommages causés par les mesures de sanction sont encore incalculables.

L'expansion progressive de l'OTAN en Eurasie occidentale est conforme à une stratégie américaine bien connue, poursuivie depuis 1991. La pénétration de l'Atlantisme en Eurasie entraînerait la déstabilisation de la Russie. Les guerres qui ont déjà éclaté en Géorgie et en Tchétchénie, ainsi que la révolution colorée en Ukraine, sont des événements fonctionnels à une stratégie globale : la décomposition de la Russie en de nombreux petits États et leur insertion dans le contexte de l'OTAN, avec l'exploitation indiscriminée de leurs ressources, sous l'égide de la domination américaine.

L'objectif est de reproduire en Russie la stratégie qui a conduit à la fragmentation de l'ex-Yougoslavie (qui a également été expérimentée sans succès au Moyen-Orient). Mais quelqu'un a-t-il prévenu Biden et son équipe que la Russie n'est pas comparable à la Yougoslavie ? Le défaut de paiement et la déstabilisation économique de la Russie devraient être suivis d'une déstabilisation politique, avec la défenestration de Poutine par un complot ourdi par les oligarques russes sanctionnés. Mais les États-Unis, qui ont été incapables de faire tomber Saddam, Assad ou Milosevic, pourront-ils un jour faire tomber Poutine et avec lui tout l'appareil politique et militaire russe ?

À l'ONU, la résolution condamnant la Russie, outre l'unité des talibans européens pro-OTAN et son approbation par 141 voix, a enregistré 35 abstentions et 5 voix contre. Parmi les abstentions figurent la Chine, l'Inde, l'ensemble du monde islamique (à l'exception du Qatar et du Koweït), l'Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique et le Congo. Il est donc nécessaire de réfléchir à l'importance économique et géopolitique de ces pays (qui, par ailleurs, détiennent une grande partie des matières premières mondiales et représentent la moitié de la population mondiale). La Turquie elle-même n'appliquera pas de sanctions à la Russie et Israël s'est déclaré prêt à jouer un rôle de médiateur dans le conflit : les intérêts d'Israël ne coïncident manifestement pas toujours avec ceux des Américains. Le front abstentionniste est donc hostile à l'Occident et constitue une démonstration tangible que la Russie n'est nullement isolée dans le contexte géopolitique mondial. La politique de l'Occident américain est inspirée par une profonde russophobie, qui conduira à l'isolement de l'Occident lui-même et à sa réduction géopolitique.

La politique expansive de l'OTAN a favorisé la création d'un partenariat russo-chinois qui pourrait devenir stratégique. La Chine a adopté une politique d'attention prudente dans le conflit russo-ukrainien. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Ukraine, mais il faut surtout noter que 90 % du commerce de l'Europe avec la Chine passe par la Russie et l'Asie centrale. Cette guerre pourrait être un coup mortel pour l'économie européenne. Mais le plus important est que l'intensification des relations économiques et politiques de la Chine, de l'Inde et du monde islamique avec la Russie entraînerait une contraction drastique de la zone dollar, qui a jusqu'à présent dominé le commerce mondial. Et, à cet égard, on peut s'interroger : mais l'euro n'a-t-il pas été créé comme monnaie alternative au dollar afin de libérer l'Europe de la tyrannie financière américaine ? Cependant, des changements systémiques dans l'économie mondiale nous attendent.

L'Europe sortira-t-elle de son hibernation historique ?

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec les accords de Yalta et de Potsdam, l'Europe est divisée en deux zones d'influence : l'américaine à l'ouest et la soviétique à l'est. Alors que l'Europe de l'Est a souffert de l'occupation soviétique et de ses régimes totalitaires, l'Europe occidentale a accepté la domination américaine avec un large consentement. Le régime pro-américain de souveraineté limitée a ensuite été étendu, après 1989, aux pays de l'ancien bloc soviétique et s'est étendu à l'UE elle-même, au point de déterminer une identification parfaite entre l'Europe et l'OTAN.

L'Europe a ainsi renoncé à son indépendance et à un rôle puissant dans le contexte géopolitique mondial. Le statut de l'Europe est comparable à celui d'un colonialisme consentant, c'est-à-dire un groupe de pays économiquement avancés, à la prospérité généralisée, mais politiquement aseptisés, culturellement américanistes, dépourvus de pouvoir de décision et de responsabilité en matière de défense et de politique internationale, délégués aux États-Unis. Ce statut colonial, perpétué jusqu'à ce jour, a représenté la sortie de l'Europe de l'histoire.

Ce modèle socio-politique, qui a présidé à la fondation de l'UE elle-même, trouve sa pleine réalisation en Allemagne, qui, en vertu de sa suprématie économique continentale, l'a imposé à l'ensemble de l'Europe. Depuis 70 ans, l'Allemagne vit dans la dimension de la post-histoire. Le diplomate allemand Thomas Bagger a effectivement déclaré que "la fin de l'histoire était une idée américaine, mais une réalité allemande". Dans un article paru dans Limes, Ulrike Franke affirme que, pour la génération des millennials allemands, l'histoire est un récit d'événements passés, et non un processus dynamique en constante évolution. L'oubli de la mémoire historique a condamné les nouvelles générations à vivre dans une dimension existentielle absorbée par l'éternel présent. Il s'agit d'une dimension nihiliste, qui implique l'impossibilité de concevoir des réalités historiques et des horizons futurs comme des alternatives à celle-ci. Le progrès, le bien-être, le cosmopolitisme libéral pacifiste et le marché mondial sont les traits distinctifs d'un modèle économique et social occidental post-historique, qui a néanmoins généré dans la génération post-1989 l'idée de vivre dans le meilleur des mondes possibles.

Ulrike Franke dit : "Et la fin de l'histoire a pris notre avenir. Après tout, nous savions tous comment cela allait se terminer. La politique est devenue ennuyeuse - une activité administrative plutôt qu'une compétition idéologique. Et cela peut aussi nous aider à comprendre pourquoi tous les partis allemands prétendent toujours être du centre. Il semble qu'il ne soit pas nécessaire de penser stratégiquement à l'avenir. Une telle vision ahistorique de la réalité a été transmise à l'ensemble de l'Europe, qui est devenue un continent dépourvu de toute identité culturelle et sans aucune perspective d'avenir".

L'avènement de la post-histoire est lié à une époque où la souveraineté politique de l'Europe était dévolue au protectorat atlantique. L'UE elle-même a été créée en tant qu'organe supranational intégré à l'OTAN à l'extérieur et en tant que structure financière qui a établi un système économique d'extrême compétitivité entre les États à l'intérieur. L'UE n'a pas favorisé le développement et l'émancipation, mais a créé un système de domination économique de l'Allemagne et de ses satellites dans lequel la croissance allemande s'est accompagnée d'une dépression dans les pays du sud. Mais aujourd'hui, l'Europe est confrontée à un ordre géopolitique considérablement modifié. Les États-Unis poursuivent des objectifs qui ne sont pas compatibles, voire conflictuels, avec l'Europe.

Les États-Unis, qui se sont engagés à contenir la Russie et la Chine, n'ont plus l'intention de soutenir les dépenses militaires pour la défense des pays européens, qui sont tenus de consacrer 2 % de leur PIB à l'armement. L'objectif géopolitique poursuivi par les Américains n'est en fait pas la défense de l'Ukraine contre l'invasion russe, mais la restauration de leur domination politique absolue dans l'espace européen, en rompant les relations entre l'Europe et la Russie et en interrompant les flux commerciaux entre l'Europe et la Chine. Une Europe, dévastée par la crise économique provoquée par l'urgence énergétique et réduite dans son rôle de puissance économique dans le monde (surtout en ce qui concerne ses exportations vers les USA), pourrait être réduite à une condition de subordination totale aux USA. Les États-Unis pourraient alors imposer à l'Europe un traité de libre-échange transatlantique capricieux, semblable au tristement célèbre TTIP.

Le retrait américain d'Afghanistan a entraîné un changement substantiel de la stratégie géopolitique américaine. La politique étrangère de Biden, dans la continuité de celle d'Obama et de Trump, n'envisage pas d'interventions militaires dans le monde, sauf si les intérêts américains sont directement menacés. Par conséquent, des déploiements politico-militaires de dimension continentale ont été mis en place pour sauvegarder les zones d'influence de l'Amérique dans le monde. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie géopolitique américaine, à travers le pacte abrahamique, la nouvelle OTAN du Moyen-Orient a été établie, dirigée par Israël et avec la participation de nombreux pays arabes. Et aussi l'AUKUS, qui est une alliance militaire dans la zone Indo-Pacifique qui vise à contenir la puissance chinoise. La décision de l'Allemagne d'allouer 100 milliards d'euros aux dépenses d'armement doit être interprétée de la même manière. Jusqu'à hier, le réarmement allemand aurait suscité l'inquiétude de tout l'Occident. L'Europe, sous la direction de l'Allemagne, devrait devenir une puissance continentale au sein de l'OTAN dans une fonction anti-russe. Mais il semble hautement improbable que la société allemande accepte de mourir pour l'Ukraine, comme la société japonaise le ferait pour Taïwan.

La phase post-historique de l'Europe touche donc à sa fin. Une perpétuation de l'hibernation historique de l'Europe est inconcevable. Nous devons occuper une place dans une histoire en constante évolution, sinon l'histoire elle-même s'occupera de nous, c'est-à-dire que d'autres décideront pour nous en fonction de leurs propres intérêts. Et dans notre cas, ce seront les Américains qui décideront.

L'Europe à la croisée des chemins entre multilatéralisme et abandon de l'histoire

Le conflit entre Poutine et l'Occident a pris la dimension d'une opposition d'époque de nature historico-idéologique. Depuis la crise de 2014, la réaction de Poutine au tournant pro-occidental en Ukraine a été interprétée par le courant dominant officiel comme la renaissance d'une conception de la politique du XIXe siècle, qui a été reproposée à travers la résurrection du nationalisme russe comme une réaction à une Russie assiégée et visant à défendre ses frontières et à sauvegarder son indépendance nationale. Ces concepts étaient considérés par l'intelligentsia libérale comme relégués à des époques historiques dépassées. Poutine est donc considéré comme un leader anti-historique.

Cependant, nous voyons dans le conflit ukrainien une opposition géopolitique et un affrontement idéologique, qui avaient déjà émergé dans l'histoire récente. L'Occident est dominé par un système néolibéral et une culture postmoderne qui postulent l'individualisme absolu, les droits de l'homme, la primauté de l'économie sur la politique, l'éradication des cultures identitaires et la dissolution des États. Ainsi, le conflit entre l'Occident et la Russie, selon l'idéologie libérale, est interprété comme le choc entre liberté et répression, progrès et réaction, démocratie et autocratie, laïcité et obscurantisme.

L'émergence de nouvelles puissances continentales telles que la Russie, la Chine, l'Inde, l'Iran et d'autres puissances mineures, qui revendiquent au contraire leur propre identité nationale, la valeur de la patrie en tant que destin commun des peuples, leurs racines historiques et culturelles, a mis en évidence depuis longtemps le déclin de l'idéologie libérale comme seul canon d'interprétation de la réalité dans une clé post-historique, individualiste et progressiste. La défense des droits de l'homme et l'imposition du système libéral-démocratique au niveau mondial constituent donc les valeurs en vertu desquelles l'Occident revendique sa suprématie morale dans le monde. Ces principes constituent la légitimation idéologique du "Nouvel Ordre Mondial". Les conflits qui ont eu lieu au cours des dernières décennies démentent les hypothèses idéologiques sur lesquelles repose le "Nouvel Ordre".  C'est ce que dit Alberto Negri dans son article dans "Il Manifesto" du 13/02/2022 : "Cette fois, l'atlantisme est nu. Comme le roi" : "Quel "ordre" libéral les États-Unis et l'OTAN préconisent-ils? Celle qui a incité Washington à utiliser les djihadistes contre l'URSS dans les années 1980? Celle de l'Afghanistan 2021? L'"ordre" de l'intervention fabriquée en Irak en 2003? L'"ordre" de la guerre en Libye en 2011, dont les désastres sont encore sous nos yeux?

L'"ordre" américain qui nous a valu des attaques en Europe et des millions de migrants traités comme des objets et repoussés dans le désespoir, tout en nous privant des ressources énergétiques de nos voisins? L'"ordre" de la Turquie, un pays de l'OTAN utile pour massacrer les Kurdes sous le sultan Erdogan? L'"ordre" qui réduit au silence et efface les Palestiniens?

Les Américains et les atlantistes s'arrogent le droit de décider de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, s'accrochant à des principes d'autodétermination des peuples qu'ils sont les premiers à violer.

Prenez la Syrie : pendant des années, Washington et Bruxelles ont déclaré que "Assad devait partir", mais pour le déstabiliser, ils ont encouragé Erdogan à envoyer des milliers d'égorgeurs djihadistes de l'autre côté de la frontière. Ils ont demandé à la Syrie de rompre ses liens avec l'Iran, puis la Russie, alliée historique de Damas, est intervenue.

Que voulait l'Occident, peut-être le bien des Syriens, toujours maintenus sous un embargo dramatique? Que voulaient les Américains de l'Afghanistan? Pour se venger du 11 septembre 2001, comme Biden l'a lui-même admis? Eh bien, après avoir tué Ben Laden, ils auraient pu partir, mais ils sont restés et ont tué plus de civils que les talibans, à qui ils ont rendu le pays, et maintenant ils se vengent sur la population en gelant les fonds afghans et en entravant l'acheminement de l'aide humanitaire.

L'unilatéralisme américain a généré de nouveaux conflits dans le monde entier entre les États dominés par le néolibéralisme et les États dominés par la souveraineté, entre les gagnants et les perdants de la mondialisation, entre l'Occident post-moderniste et l'Orient traditionaliste. Ce conflit irréductible est également présent au sein de la société occidentale. Les classes dominantes sont idéologiquement libérales et mondialistes, les classes subalternes revendiquent les valeurs communautaires, l'État-providence, les cultures identitaires.

Le monde occidental s'est révélé anti-historique dans la mesure où il n'a pas su comprendre l'esprit de notre époque, dans laquelle un nouvel ordre multipolaire émerge dans la géopolitique mondiale. Et c'est la cause du déclin progressif de l'unilatéralisme américain.

Nous sommes au seuil d'un tournant historique, annoncé prophétiquement par Alexandre Douguine dans son ouvrage La quatrième théorie politique: "La seule alternative plausible, aujourd'hui, se trouve dans le contexte d'un monde multipolaire. Le multipolarisme peut garantir à chaque pays et civilisation de la planète le droit et la liberté de développer son propre potentiel, de s'organiser intérieurement selon l'identité de sa culture et de son peuple, de fournir une base acceptable pour un système de relations internationales justes et équilibrées entre les nations du monde. La multipolarité doit être fondée sur le principe d'équité entre les différentes organisations politiques, sociales et économiques des diverses nations. Le progrès technologique et l'ouverture croissante doivent favoriser le dialogue entre les peuples et les nations et leur prospérité, mais ne doivent pas pour autant mettre en péril leur identité. Les différences entre les civilisations ne doivent pas nécessairement culminer dans un affrontement inévitable - contrairement à ce que pensent de manière simpliste certains auteurs américains. Le dialogue - ou plutôt le polylogue - est une possibilité réaliste que nous devrions tous explorer.

L'avènement du multilatéralisme dans la géopolitique mondiale place l'Europe devant un dilemme existentiel entre être une patrie commune ou ne pas être un cadavre atlantique. L'histoire impose parfois des choix cruciaux et inéluctables. 

Opération militaire en Ukraine : Analyse géopolitique

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Opération militaire en Ukraine : Analyse géopolitique

En toute exclusivité: la perspective russe selon Alexandre Douguine

Alexandre Douguine

Source: https://katehon.com/en/article/military-operation-ukraine-geopolitical-analysis?fbclid=IwAR3Y3lIY5eabLUPz3tvclSDLIcGNl6PFCv0d4vj71c0Avnjof-Ojj7AzSBM


La question ukrainienne à l'origine de la géopolitique

La place de l'Ukraine dans la confrontation géopolitique entre la Terre et la Mer a déjà fait l'objet de nombreux écrits et de descriptions détaillées. Il est d'ailleurs symbolique que le fondateur de la géopolitique, Halford J. Mackinder, ait été le haut commissaire de l'Entente pour l'Ukraine pendant la guerre civile en Russie. Et à cette époque-là, dans le gouvernement blanc de Wrangel, le fondateur de l'eurasisme, le géographe Piotr Savitsky, qui fut le premier, dans le journalisme de langue russe, à mentionner lui-même le terme "géopolitique" et à exposer les points principaux de cette méthodologie, travaillait comme assistant du ministre des Affaires étrangères Peter Struve.

La géopolitique : la guerre continuelle entre la terre et la mer

Mackinder a formulé la théorie de la grande guerre des continents, l'opposition entre la civilisation de la Mer (l'Occident en général, l'Empire britannique plus spécifiquement) et la civilisation de la Terre (Heartland, Russie-Eurasie) quelques années plus tôt, en 1904, dans son célèbre ouvrage The Geographic Pivot of History.  Terre (Rome, Sparte) et Mer (Carthage, Athènes) représentent deux civilisations antagonistes, opposées en tout - traditionalisme et modernité, spiritualité et matérialisme, esprit militaire et esprit commercial. Le conflit qui les oppose est une constante de l'histoire du monde.

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L'Eurasie, théâtre d'affrontements géopolitiques

Au cours des derniers siècles, lorsque le Grand Jeu, la confrontation entre les empires britannique et russe, battait son plein, la grande guerre continentale s'inscrivait dans l'espace de l'Eurasie. Dans cet espace, le "Heartland", c'était la Russie. Et la "civilisation de la mer" était portée par l'Angleterre. L'Angleterre tentait d'enserrer l'Eurasie de l'extérieur, depuis les océans. La Russie se défendait de l'intérieur, en essayant de briser le blocus.

La principale bande territoriale où se multipliaient les tensions se nommait alors, dans le langage spécial de la géopolitique mackindérienne, le Rimland, la "zone côtière". Elle s'étendait de l'Europe occidentale à l'Asie du Sud-Est, comprenait l'Inde et la Chine, en passant par le Moyen-Orient et l'Asie centrale.

L'objectif de la Mer était de subjuguer le Rimland. L'objectif de la Terre était de briser cette influence et de déserrer l'anneau de l'anaconda thalassocratique qu'il fallait rétrécir. C'est la raison de l'avancée de la Russie en Asie centrale et en Extrême-Orient.

D'où la formule principale de la géopolitique: "Qui contrôle l'Europe de l'Est contrôle le Heartland. Qui contrôle le Heartland, contrôle le monde". Telle est la théorie.

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Le démembrement de la Grande Russie

De par sa position de Haut Commissaire de l'Entente, Mackinder tenta de mettre la théorie en pratique. La guerre civile russe a donné à la civilisation de la mer une nouvelle chance de repousser les frontières du Rimland vers l'est, aux dépens des territoires qui quittaient alors la sphère de la puissance russe - la Finlande, la Pologne et, surtout, l'Ukraine.

Mackinder (comme Savitsky) avait compris que la victoire des bolcheviks conduirait inévitablement à une confrontation avec l'Occident et à une tentative de recréer l'Empire russe sous une nouvelle forme (et c'est exactement ce qui s'est passé). Et face à cette perspective, Mackinder a exigé que le gouvernement britannique soit plus actif dans l'aide aux Blancs [1], il a tenté de convaincre les dirigeants anglais de la nécessité de soutenir l'indépendance de l'Ukraine. Il a également élaboré un plan visant à séparer de la Russie la grande région du Caucase méridional, la Biélorussie, l'Asie centrale, ainsi que la Sibérie orientale et même un certain nombre de territoires du sud de la Russie. Plus tard, en 1991, l'effondrement de l'URSS permet, dans une large mesure, de réactiver le plan de Mackinder.

L'Ukraine et le cordon sanitaire

L'Ukraine jouait un rôle majeur dans le plan géopolitique de Mackinder. Ce territoire, avec la Pologne et les pays d'Europe de l'Est, faisait partie du "cordon sanitaire", une zone stratégique qui devait être sous le contrôle direct de l'Angleterre et de la France (les alliés de l'Entente à l'époque) et empêcher tout rapprochement entre la Russie et l'Allemagne. Retenue par un "cordon sanitaire", la Russie-Eurasie ne pouvait pas devenir un Empire à part entière. Sans l'Ukraine, la Russie n'est pas un Empire. Et de plus, l'Ukraine, rendue hostile à la Russie et placée sous le contrôle direct des Anglo-Saxons, couperait la Russie de l'Europe continentale, où l'Allemagne, à son tour, était un Heartland, mais pas un Heartland mondial (comme la Russie), mais local, européen. Le conflit de l'Angleterre avec l'Allemagne (aussi avec l'Autriche) était une constante de la géopolitique européenne.

En conséquence, le projet d'une Ukraine indépendante était initialement dirigé contre la Russie et était supervisé par les Anglo-Saxons.

Les bolcheviks créent et démantèlent simultanément l'Ukraine

Nous savons que pendant la guerre civile, les Blancs ont adhéré à une politique de restauration d'un Empire uni et indivisible. En même temps, ils dépendaient du soutien de l'Entente, qui leur imposait certaines conditions. Quoi qu'il en soit, le gouvernement britannique, n'étant pas d'accord avec Mackinder sur la nécessité d'un soutien fort aux Blancs en échange de leur accord à la sécession de l'Ukraine, les Blancs ont perdu la guerre. Dans cette configuration, le sujet a donc été écarté de l'ordre du jour.

Les bolcheviks, quant à eux, ont d'abord soutenu l'Ukraine et encouragé activement les cercles nationalistes en pensant qu'ils s'étaient orientés contre le "tsarisme", mais ils ont ensuite opté pour une politique centraliste, voyant que l'Ukraine n'allait pas accepter le pouvoir bolchevique sans se plaindre et cherchait à céder aux Anglo-Saxons (ce qui signifiait alors le "capitalisme mondial"). Par conséquent, comme Mackinder l'avait prévu, Lénine a commencé la saisie directe de l'Ukraine, qui n'avait pas eu, dans son passé, une histoire d'État indépendant et était une proie relativement facile pour les Rouges. Les Rouges n'ont pas réussi à conquérir la Pologne par le même stratagème. Mais le territoire de la Biélorussie, qui était revendiqué par la Pologne de Piłsudski, est resté aux mains des Rouges.

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Ensuite, déjà sous l'autorité des bolcheviks en 1922, Lénine a donné à la République socialiste soviétique d'Ukraine les vastes territoires qui avaient toujours fait partie de l'Empire russe - Slobozhanshchina, Donbass, Novorossiya, ainsi que de vastes zones au nord (oblast de Tchernigov) et à l'ouest (Petite Russie proprement dite). La Galicie est restée sous la tutelle de la Pologne, la Bucovine faisait partie de la Roumanie. La Crimée appartenait à la RSFSR.

Mais cet arrangement territorial de l'Ukraine n'impliquait pas véritablement la création d'un État. Le pouvoir bolchevique s'étendait à tous les territoires de l'URSS et, dans l'esprit de l'idéologie internationaliste, il ne pouvait être question d'un statut d'État pour les différentes républiques. Il s'agissait presque d'une division purement administrative dans le cadre d'un pouvoir solidement unifié. C'est exactement ce que Mackinder avait craint.

Les bolcheviks ont à la fois créé l'Ukraine et l'ont abolie (en tant qu'État indépendant).

L'Ukraine dans l'URSS après la Grande Guerre patriotique

La Galicie, la Volhynie et la Bukovine ont été annexées à l'Ukraine juste avant la Grande Guerre patriotique et la Transcarpathie - juste après la guerre. Mais à ce moment-là, la Russie-Eurasie sous la forme de l'URSS s'est déplacée de manière significative vers l'ouest, déplaçant la frontière du pays au détriment du Rimland, et établissant son contrôle sur l'Europe de l'Est, qui était toute entière sous le pouvoir de Moscou. L'URSS a ainsi réduit à néant et totalement aboli le "cordon sanitaire" de Mackinder et de Lord Curzon, s'installant directement en Europe continentale et s'emparant, en fait, des territoires de l'ancienne Prusse/Brandebourg (RDA).

Dans une telle position - profondément à l'arrière de ce rimland européen de l'Eurasie et donc dans le Heartland eurasien - l'Ukraine a existé jusqu'en 1991. Dans le même temps, pour des raisons de convenance purement administrative dans les limites d'un État absolument unitaire, Khrouchtchev a transféré en 1954 la Crimée à Kiev. Du point de vue géopolitique, cependant, cela ne signifiait rien, car toutes les frontières entre les sujets de l'URSS, les républiques fédératives, étaient conditionnelles et ne signifiaient rien du tout dans la pratique.

L'atlantisme et le monde bipolaire

Pendant la guerre froide, l'Occident est revenu à sa pratique particulière de la géopolitique. C'est ainsi qu'en 1949, suivant les modèles mise au point par Mackinder, l'OTAN (l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) a été créée. Le terme "Atlantique" ayant été introduit dans le sigle de l'organisation militaire, le vocable "atlantisme" devient synonyme de "civilisation de la mer", de thalassocratie, dans le sens exact où Mackinder l'entendait. L'"atlantisme", c'est l'Occident et ses alliés, le monde capitaliste avec un noyau dur anglo-saxon, dont le centre, au XXe siècle, s'est progressivement déplacé de Londres à Washington, de l'Angleterre aux États-Unis.

La carte dessinée par Mackinder correspondait parfaitement à l'équilibre des forces dans la guerre froide, et les deux camps - le communiste et le capitaliste - étaient strictement alignés sur les critères attribués à la Terre et à la Mer. Le bloc de l'Est était la Terre, avec l'URSS en son centre, le Heartland. Le bloc occidental était la Mer, centrée sur l'Atlantique (les Anglo-Saxons), mais comprenait les colonies stratégiques d'après-guerre des États-Unis - les pays d'Europe, le Japon et d'autres États du tiers-monde qui proclamaient leur allégeance au capitalisme. Ils étaient disposés en ordre dispersé en Asie, en Afrique et en Amérique latine, qui constituaient la carte géopolitique de la confrontation mondiale. Terre et Mer s'affrontaient rarement directement (comme lors de la crise des missiles de Cuba), et agissaient généralement par le biais de leurs mandataires, les régimes pro-soviétiques ou pro-américains. Et si la Terre était directement impliquée dans un conflit - comme en Tchécoslovaquie, en Afghanistan, etc., alors la Mer s'y opposait par le biais de mandataires, de "proxies", de groupes et de mouvements antisoviétiques sans intervenir directement. Et quand la Mer intervenait ouvertement - comme en Corée et au Vietnam -  la Terre aidait indirectement, avec des conseillers, la diplomatie, l'économie, etc.

Le problème du Rimland

Pendant la guerre froide, le problème du Rimland est redevenu extrêmement pertinent. Ainsi, le géopolitologue américain Nicholas Spykman, révisant les théories de Mackinder, arrive à la conclusion que c'est le Rimland qui est la principale zone de confrontation. Il formule la loi de la géopolitique comme suit : "Celui qui contrôle le Rimland contrôle le monde". Mais il ne s'agit pas d'une nouvelle géopolitique, mais d'une réinterprétation - mineure - du poids des zones principales dans la théorie de Mackinder. D'autant plus que Mackinder lui-même a commencé par énoncer une théorie sur "l'Europe de l'Est", c'est-à-dire sur ce qui deviendra le "cordon sanitaire", et que celui-ci appartient au Rimland.

Quoi qu'il en soit, la guerre froide, d'un point de vue géopolitique, était une bataille pour le Rimland. Moscou a tenté d'étendre son influence - par le biais de partis et de mouvements de gauche - en Europe, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique et en Amérique latine. À une certaine époque, la Chine maoïste faisait également partie d'un camp socialiste unique, c'est-à-dire du Heartland eurasien.

L'attaque de l'Atlantisme

Lorsque l'URSS a commencé à s'affaiblir, les géopoliticiens atlantistes (Z. Brzezinski, R. Gilpin, etc.) ont commencé à penser et à agir de manière plus avant-gardiste. Outre le modèle bipolaire et le déplacement partiel de l'équilibre à la périphérie du monde et le long des contours de l'Eurasie, ils ont commencé à élaborer des concepts plus audacieux, évoquant un monde unipolaire. Ainsi, les idées de Mackinder ont retrouvé leur fraîcheur et leur pertinence. Pour obtenir la victoire décisive et finale de la civilisation de la mer, il fallait briser le bloc de Varsovie, puis de préférence l'URSS, et enfin ce qu'il en restait. En d'autres termes, faire progresser de manière significative le Rimland dans les profondeurs de la terre, en le bridant et en bloquant l'accès aux "mers chaudes", vers lesquelles la Russie tentait constamment de se porter.

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L'un des géopoliticiens atlantistes les plus constants était Zbigniew Brzezinski. À l'époque bipolaire, il soutenait farouchement les forces antisoviétiques en Afghanistan, jusqu'à et y compris Al-Qaïda. Au début des années 80, Brzezinski et Kissinger se sont efforcés de rompre définitivement les derniers liens que la Chine entretenait encore avec l'URSS, en cherchant à l'inclure dans l'économie mondiale et à l'intégrer progressivement dans la civilisation de la mer.

Lorsque les processus destructeurs de l'URSS ont commencé à agir, les atlantistes ont augmenté la pression sur l'Europe de l'Est, provoquant, fomentant et soutenant par tous les moyens possibles des sentiments artificiellement antisoviétiques/russophobes. D'un point de vue géopolitique, le soviétique et le russe coïncidaient à l'époque.

Avec Gorbatchev, l'effondrement rapide du camp socialiste a commencé. La Terre reculait, la Mer avançait. Nous ne devons donc pas être surpris que l'expansion de l'OTAN vers l'Est ait commencé et se soit parachevé. Cette expansion était à l'origine inscrite dans la théorie géopolitique de l'atlantisme. On ne pouvait rien attendre d'autre de la politique atlantiste.

La création de l'anti-Russie

Lorsque l'on a assisté à l'effondrement de l'URSS, les projets de Mackinder visant à démembrer la Russie-Eurasie, redevenaient toujours plus pertinents. Les frontières conditionnelles des républiques au sein d'un État unitaire, entièrement et étroitement contrôlé par le parti communiste, se sont soudainement transformées en frontières d'États-nations souverains. Tous les États post-soviétiques ont été créés selon les moules atlantistes. Ces entités n'ont d'autre sens que d'être anti-russes. L'une de ces "Anti-Russie" était la Fédération de Russie elle-même. Mais parce que la Fédération de Russie occupait le territoire du Heartland, même si elle s'est considérablement réduite, elle représente toujours la Terre ennemie aux yeux des géopoliticiens atlantistes, c'est-à-dire de l'ennemi thalassocratique. Et pour achever l'ennemi, il a fallu pousser l'OTAN plus loin vers l'Eurasie, et aussi tenter de démembrer la Russie elle-même (la première campagne de Tchétchénie, la vague des séparatismes internes à la Fédération de Russie, etc.)

La Russie ne pourra jamais se relancer sans l'Ukraine.

Tous ces processus, Brzezinski les a compris et a contribué à les mettre en pratique (comme Mackinder l'avait fait auparavant). Dans son célèbre livre Le grand échiquier, Brzezinski parle ouvertement de la nécessité de démembrer davantage la Russie, de renforcer le "cordon sanitaire", etc. Plus important encore, Brzezinski comprend le rôle de l'Ukraine dans cette question. Brzezinski dit à son propos que la chose la plus importante est :

    - d'arracher irrévocablement l'Ukraine, alors hésitante, à la Russie,
    - d'en faire un avant-poste de l'Atlantisme et
    - d'imposer à son peuple le nationalisme russophobe comme idéologie principale.

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Sans l'Ukraine, la Russie ne sera jamais en mesure de devenir une puissance souveraine à part entière, un Empire, un pôle indépendant du monde multipolaire. Ainsi, le sort de l'unipolarité et du globalisme (pour Brzezinski, c'est presque la même chose), dépend de la capacité de l'Occident à mettre en œuvre la séparation de l'Ukraine d'avec la Fédération de Russie. Après tout, si la Russie et l'Ukraine s'unissent - d'une manière ou d'une autre, l'unipolarité s'effondrera et la carte géopolitique changera à nouveau de manière irréversible.

La bataille pour l'Ukraine et contre la Russie est une constante historique dans la stratégie géopolitique de l'Occident. Cela explique tout, de la déclaration d'indépendance à la révolution orange Iouchtchenko-Timochenko, en passant par le Maïdan et huit années de préparation intensifiée par Kiev, sous la houlette des instructeurs atlantistes, aux opérations militaires visant à s'emparer du Donbass et de la Crimée.

La naissance de la géopolitique en Russie : L'Eurasie comme sujet

Depuis le début des années 1990 en Russie, juste au moment de l'effondrement de l'URSS et de l'arrivée au pouvoir des agents atlantistes (l'ancien ministre des Affaires étrangères Andrey Kozyrev a directement admis qu'il était un atlantiste), contrairement à l'attitude politique et idéologique de base envers le libéralisme et l'occidentalisme, la Russie - principalement dans les cercles militaires (en particulier, à l'Académie d'état-major militaire) - a commencé à développer sa propre école géopolitique. Elle était basée sur l'eurasisme, car ce sont les premiers Eurasiens russes qui, dans les années 1920, ont décrit la carte géopolitique de la confrontation entre la Russie et l'Occident, en dehors de l'idéologie communiste (les Eurasiens étaient des Blancs). Leurs idées sont les plus adaptées à la situation actuelle, face à l'offensive de l'OTAN à l'Est et aux propres politiques incompréhensibles (par endroits perfides) de Moscou. Les militaires ne pouvaient pas prendre pour amis ceux dont ils enregistraient toutes les heures les intentions et les actions agressives contre la Russie. Mais le gouvernement libéral est resté sourd à la géopolitique. Néanmoins, l'école géopolitique ne pouvait être détruite. Tout le monde était occupé par les processus fascinants de la corruption totale.

La géopolitique expliquait parfaitement ce qui se passait en Europe de l'Est et dans l'espace post-soviétique dans les années 1990 (l'écrasement par la mer de la terre, l'expansion des "cordons sanitaires" et du territoire du Rimland), mais cette compréhension restait à l'intérieur des cercles militaires, qui n'appréciaient guère la politique officielle, mais qui n'avaient à l'époque aucun poids ni aucune influence politique. Les atlantistes, en revanche, ont méthodiquement poursuivi leur cause, nourrissant et renforçant l'anti-Russie, à la fois à l'extérieur et, en partie, au sein même de la Fédération de Russie.

Poutine change le vecteur géopolitique

Tout a changé lorsque Poutine est arrivé au pouvoir. Il a commencé par restaurer la souveraineté de la Russie, à se débarrasser des agents atlantistes qui étaient à la tête du pays, à concentrer et à développer son potentiel militaire, et à renforcer l'unité de la Russie. La deuxième campagne de Tchétchénie, l'introduction des districts fédéraux et les changements dans la législation ont renforcé l'intégrité territoriale et la verticalité du pouvoir. Poutine a progressivement commencé à s'opposer de plus en plus à l'Occident et à mener une politique d'intégration eurasienne dans l'espace post-soviétique. En bref, Poutine a rendu à la Russie le statut de sujet de la géopolitique, et a anénati son état de déréliction, qui faisait d'elle un objet de la géopolitique globale, atlantiste. Il a rejoint de manière consciente et responsable la grande guerre continentale au nom de la Terre.

Cela n'a pas échappé à l'Occident et a entraîné une pression accrue sur les pays post-soviétiques pour qu'ils adoptent une position de plus en plus anti-russe, pour qu'ils s'intègrent plus rapidement aux structures occidentales. Cela a touché tous les pays post-soviétiques, mais surtout l'Ukraine. Il dépendait de l'Ukraine de déterminer si la Russie serait capable ou non de restaurer pleinement sa souveraineté géopolitique. Selon les lois de la géopolitique, sans l'Ukraine, la Russie n'est pas un Empire, pas un pôle, pas une civilisation, mais avec l'Ukraine, elle est un Empire, un pôle et une civilisation. Et cette formule peut être lue depuis deux positions - celle des yeux de la Mer et celle des yeux de la Terre. De toute évidence, Poutine l'a lue avec les yeux de la Terre, car il était et reste le dirigeant du Heartland, conscient et puissant.

Le nationalisme ukrainien comme outil géopolitique de l'Atlantisme

Dans le même temps, l'initiateur des cataclysmes en Ukraine était l'Occident atlantiste. Même les politiques neutres, modérément pro-occidentales - multi-vectorielles - de Kuchma ou de Yanukovich ne convenaient pas aux atlantistes. Ceux-ci ont fait pression sur Kiev pour que l'Ukraine se transforme le plus rapidement possible en une anti-Russie agressive et radicale, attaquante. Dans cette logique, Kiev devait attaquer. 

Cela explique la Révolution orange, le Maïdan et les raisons de l'opération militaire russe actuelle.

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L'Occident se battait pour l'Ukraine. Il faut tenir compte du fait que l'Ukraine n'a pas du tout d'histoire en tant qu'Etat inscrit dans la durée, et que les territoires dans lesquels elle se trouve sont historiquement accidentels et sont le résultat de la créativité administrative des bolcheviks. Lorsque Poutine a justifié l'opération militaire en Ukraine en disant que "Lénine a créé l'Ukraine", il avait parfaitement raison. Cependant, Lénine n'a pas créé l'Ukraine en tant que telle, mais une des zones de contrôle bolchevique parmi d'autres. La nationalité, selon la théorie bolchevique, devait être complètement dépassée dans une société internationale socialiste. Lénine a créé l'Ukraine et l'a en fait immédiatement abolie.

Par conséquent, après 1991, il y avait sur le territoire de l'Ukraine des peuples et des territoires ayant chacun une histoire, une identité, une langue et une culture complètement différentes. La moitié d'entre eux n'étaient pas du tout différents des Russes. La seconde moitié était constituée d'Ukrainiens plus ou moins russifiés. Et seule une écrasante minorité professait une idéologie nationaliste autoproclamée. Mais seule cette minorité était capable, selon les géopoliticiens occidentaux, de transformer les Ukrainiens en une "nation" et ce, à un rythme accéléré. Il s'agissait d'un projet géopolitique atlantiste. Dans d'autres pays, l'Occident a soigneusement éradiqué le nationalisme, surtout dans ses formes radicales. En Ukraine, cependant, l'Occident a agi exactement à l'inverse, soutenant activement toutes les formes de nationalisme jusqu'aux plus extrêmes. Selon les stratèges atlantistes, c'était le seul moyen d'accélérer la formation d'une construction artificielle, rigidement russophobe, un simulacre virtuel de nation. C'est pourquoi la sphère de l'information était si importante, car elle inculquait de manière obsessionnelle aux Ukrainiens une haine infondée des Russes et de tout ce qui unissait nos peuples. Toutes les inepties étaient utilisées, jusqu'à "l'ancienne civilisation des anciens Ukrainiens", ce qui n'aurait provoqué qu'une totale perplexité en Occident. Cependant, toute l'opération était supervisée par les services secrets atlantistes, et c'est pourquoi l'Occident a créé une image artificielle de l'Ukraine comme une jeune démocratie ouvertement vulnérable, souffrant de la menace russe. En fait, un état d'esprit nazi s'est affirmé de manière obsessionnelle dans la société, inextricablement lié à l'atlantisme et même au mondialisme libéral (peu importe combien ces systèmes se contredisent, car le mondialisme nie l'État, et le libéralisme toute identité collective, et surtout l'identité nationale).

L'affrontement final

Le virage russophobe prononcé de Kiev et de l'ensemble de la société ukrainienne est le résultat des événements de Maidan de 2013-2014, qui ont culminé avec l'expulsion et la fuite du président Ianoukovitch. Ianoukovitch n'était ni un politicien pro-russe ni un eurasiste. C'était plutôt un pragmatique à courte vue, mais même cela, du point de vue de l'Occident, était tout aussi inacceptable. L'Occident voulait "tout et pas tout". En regardant la Russie de Poutine se renforcer et en tenant compte des événements de 2008 en Géorgie, où l'Occident a également opposé Saakashvili à la Russie, mais où le résultat n'était clairement pas en faveur de la civilisation de la Mer, les Atlantistes ont décidé d'agir par les méthodes les plus radicales.

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L'actuel président américain Joe Biden, alors vice-président, et d'autres membres de son équipe, comme Victoria Nuland, etc., ont participé très activement au renversement de Ianoukovitch et à la préparation du Maïdan. L'objectif était le même que celui de Mackinder et Brzezinski : arracher enfin l'Ukraine à la Russie et préparer le terrain pour un conflit violent entre Kiev et Moscou.

Poutine a répondu en ramenant la Crimée dans le giron russe et en soutenant le Donbass, mais cela n'a pas résolu le problème sur le plan géopolitique. Poutine a déjoué le plan visant à accélérer l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, notamment celui qui visait à expulser la marine russe de Sébastopol, il a ensuite empêché les génocides en Crimée et dans le Donbass, mais l'ampleur de l'Ukraine était trop importante pour qu'il puisse poursuivre son offensive eurasienne en 2014 et mener la défense du monde russe à sa conclusion logique. À ce moment-là, la Terre a cessé de réagir. Le processus des accords de Minsk avait commencé, mais d'un point de vue géopolitique, il était évident qu'aucune solution pacifique ne pourrait être trouvée et qu'une confrontation directe se produirait inévitablement tôt ou tard. En outre, les services de renseignement russes ont reçu des informations selon lesquelles la partie ukrainienne ne faisait que profiter de ce report pour préparer une opération militaire dans le Donbass, puis en Crimée.

Les forces nationalistes qui avaient remporté le coup d'État de 2014 à Kiev haïssaient encore plus la Russie, déployaient une propagande massive pour laver le cerveau de la population, lançaient une opération punitive brutale contre les habitants du Donbass, victimes d'un génocide systématique, et préparaient une attaque contre le Donbass et la Crimée d'ici le printemps 2022. Dans le même temps, Kiev, en collaboration avec l'Occident, élaborait des plans pour construire ses propres armes nucléaires. En outre, il y avait des laboratoires biologiques dispersés dans toute l'Ukraine, engagés dans des expériences illégales pour produire des armes biologiques.

Tout cela faisait partie d'une même géostratégie atlantiste.

[1] L'armée blanche (également connue sous le nom de Gardes blancs ou simplement Blancs) était des forces militaires qui ont combattu le régime bolchevique pendant la guerre civile russe.

Les limites de la patience russe

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La limite de la patience russe

Par Claudio Mutti

Source: https://www.eurasia-rivista.com/il-limite-della-pazienza-russa/

"Patrie de la patience, terre des Russes !"
Fyodor Ivanovič Tjutčev

Il y a environ trente ans, en 1993, le politologue américain John Mearsheimer posait l'éclatement d'un conflit entre la Russie et l'Ukraine comme inévitable. "La situation, écrit-il dans Foreign Affairs, est mûre pour qu'une vive rivalité sécuritaire éclate entre les deux pays. Les grandes puissances divisées par une ligne frontalière très large et non protégée, comme celle qui sépare la Russie et l'Ukraine, entrent souvent en conflit poussées par la crainte pour leur propre sécurité. La Russie et l'Ukraine pourraient surmonter cette dynamique et apprendre à vivre ensemble en harmonie, mais une telle solution serait très inhabituelle (1).

A cette approche, basée sur un modèle "étatiste" de l'école réaliste, Samuel Huntington reproche d'ignorer le fait historique des "liens historiques, culturels et personnels étroits qui unissent la Russie et l'Ukraine et le fort degré d'assimilation mutuelle qui existe entre les populations des deux pays" [2] ; soulignant plutôt la "profonde césure culturelle qui divise l'Ukraine orthodoxe orientale et l'Ukraine uniate occidentale" [3], le théoricien du "choc des civilisations" a appelé à envisager la possibilité d'une scission du pays en deux parties, mais a jugé improbable une guerre russo-ukrainienne.

Presque simultanément, l'ancien conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski, se référant ouvertement à la célèbre formule de Sir Harold Mackinder ("Celui qui gouverne l'Europe de l'Est gouverne le cœur du monde ; celui qui gouverne le cœur du monde gouverne le monde insulaire [4] ; celui qui gouverne le monde insulaire gouverne le monde" [5]), a illustré la fonction stratégique fondamentale qu'une Ukraine séparée de la Russie pourrait jouer pour faciliter le renforcement du contrôle américain sur l'Eurasie.

"L'Ukraine, nouvel espace important sur l'échiquier eurasien", a soutenu Brzezinski dans Le Grand Échiquier, "est un pivot géopolitique parce que son existence même en tant que pays indépendant contribue à transformer la Russie. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un empire eurasien. (...) Si Moscou reprend le contrôle de l'Ukraine, avec ses cinquante-deux millions d'habitants et ses grandes ressources, ainsi que l'accès à la mer Noire, la Russie trouve automatiquement un moyen de devenir un puissant État impérial, s'étendant sur l'Europe et l'Asie" [6].

La "géostratégie pour l'Eurasie" [7], proposée par Brzezinski aux États-Unis, impliquait donc qu'il fallait à tout prix empêcher Moscou d'exercer son hégémonie sur sa sphère d'influence historique. L'Ukraine, à laquelle Brzezinski a assigné la fonction de bloquer la Russie à l'ouest et au sud, est ainsi devenue le "bouclier défensif" de l'Europe centrale (un concept réitéré dans les mêmes termes, vingt-cinq ans plus tard, par le président ukrainien Volodymyr Zelensky à la Conférence de Munich sur la sécurité [8]) ; une autre tâche de l'Ukraine serait de maintenir le Belarus sous un contrôle constant. Enfin, bien que Brzezinski se soit rendu compte que la Russie aurait "incomparablement plus de mal" [9] à accepter l'entrée de l'Ukraine dans l'alliance militaire hégémonisée par les États-Unis, Kiev fournirait à l'OTAN des bases militaires et lui garantirait l'accès à la mer Noire. Ainsi, avec l'affaiblissement de la Russie, l'Ukraine aurait été le canal permettant de relier le bloc occidental à la région de la Transcaucasie et lui aurait donc permis de menacer la République islamique d'Iran à bout portant.

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Le projet élaboré par Brzezinski constitue le contexte stratégique du document que l'OTAN et l'Ukraine ont elles-mêmes signé en 1997 pour formaliser leur partenariat. Dans ce document, on peut lire que "le rôle positif de l'OTAN consiste à maintenir la paix et la stabilité en Europe, à promouvoir une plus grande confiance et une plus grande transparence dans la zone euro-atlantique, et à ouvrir la coopération avec les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, dont l'Ukraine est une partie inséparable". Plus tard, en novembre 2002, les relations entre l'OTAN et l'Ukraine seront approfondies et élargies avec l'adoption du plan d'action OTAN-Ukraine, "qui renforce les activités de réforme de l'Ukraine en vue de sa pleine intégration dans les structures de sécurité euro-atlantiques" [10].

Dans le projet géostratégique de Brzezinski, le rôle attribué à l'Ukraine s'inscrivait dans un panorama européen caractérisé par l'élargissement de l'OTAN à l'Est et l'élargissement complémentaire de l'Union européenne, "tête de pont géopolitique essentielle de l'Amérique en Eurasie"[11]. L'élargissement de l'Union européenne n'aurait donc pas dû inquiéter outre mesure la Maison Blanche, bien au contraire. "Une Europe plus grande - a assuré Brzezinski - élargira le champ de l'influence américaine (...) sans créer en même temps une Europe, si intégrée politiquement qu'elle pourrait bientôt défier les États-Unis dans des affaires géopolitiques de grande importance pour l'Amérique ailleurs dans le monde, notamment au Moyen-Orient" [12].

En offrant à l'Ukraine la perspective d'adhérer à l'Union européenne, en s'ingérant sans vergogne dans les affaires ukrainiennes pour aider les subversifs de Maïdan à transformer l'Ukraine en un pays hostile à la Russie, en apportant un soutien politique et militaire au régime issu du coup d'État, et en soutenant les initiatives anti-russes des administrations américaines, l'Union européenne et les gouvernements de certains pays européens ont activement collaboré à la consolidation de la "tête de pont démocratique" requise par le projet américain de pénétration du continent eurasien.

Enfin, après plus de 20 ans de patience, la Russie a été contrainte de réagir. Même un ancien soldat de l'OTAN, le général Marco Bertolini [13], a admis: "Les États-Unis ne se sont pas contentés de gagner la guerre froide, ils ont également voulu humilier la Russie en prenant tout ce qui se trouvait d'une certaine manière dans leur zone d'influence. La Russie a vu les États baltes, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie entrer dans l'OTAN : face à l'Ukraine, qui lui aurait ôté toute possibilité d'accès à la mer Noire, elle a réagi" [14].

Bien avant de franchir le Rubicon, Vladimir Poutine avait averti l'Occident. Déjà en 2007, lors de la conférence annuelle sur la sécurité de Munich, il avait dénoncé le caractère agressif et provocateur de l'expansion de l'OTAN. En Bulgarie et en Roumanie, dit-il, il y a des bases américaines dites avancées avec environ cinq mille hommes chacune. Il s'avère que l'OTAN a déployé ses forces avancées en direction de nos frontières, tandis que nous, tout en continuant à remplir nos engagements en vertu du traité [15], nous ne réagissons en aucune façon. Je pense qu'il est évident que l'expansion de l'OTAN n'a rien à voir avec la modernisation de l'Alliance elle-même ou la sécurisation de l'Europe. Au contraire, elle représente un sérieux facteur de provocation qui réduit le niveau de confiance mutuelle. Et nous avons le droit de demander : contre qui cette expansion a-t-elle lieu ? Et qu'est-il advenu des déclarations faites par nos interlocuteurs occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces déclarations aujourd'hui ?" [16].

NOTES

[1] John J. Mearsheimer, "The Case for a Nuclear Deterrent", dans Foreign Affairs, n° 72, été 1993, p. 54.

[2] Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations et le nouvel ordre mondial, Garzanti, Milan 2001, pp. 38.

[3] Samuel P. Huntington, op. cit. p. 39.

[4] L'île-monde est, pour Mackinder, la masse continentale qui comprend l'Europe, l'Asie et l'Afrique.

[5] "Qui gouverne l'Europe de l'Est commande le Heartland ; qui gouverne le Heartland commande l'île-monde ; qui gouverne l'île-monde commande le monde" (H. J. Mackinder, Democratic Ideals and Reality. A Study in the Politics of Reconstruction, [1919, 1942], National Defense University, Washington 1996, p. 106.

[6] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard. American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, New York 1997, p. 46.

[7] Zbigniew Brzezinski, op. cit. p. 197.

[8] "L'Ukraine est le 'bouclier de l'Europe' contre l'armée russe. C'est ce qu'a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de la conférence sur la sécurité de Munich" (ANSA, Berlin, 19 février 2022).

[9] Zbigniew Brzezinski, op. cit. p. 121.

[10] https://www.nato.int/docu/sec-partnership/sec-partner-it.pdf

[11] Zbigniew Brzezinski, "A Geostrategy for Eurasia", Foreign Affairs, septembre-octobre 1997, p. 53.

[12] Zbigniew Brzezinski, op. cit, p. 199.

[13] Le général Marco Bertolini était, entre autres, le chef d'état-major de la "force d'extraction" de l'OTAN en République de Macédoine (ARYM) pour la récupération éventuelle des vérificateurs de l'OSCE au Kosovo.

[14] www.liberoquotidiano.it, 24 février 2022.

[15] Le Traité adapté sur les forces armées conventionnelles en Europe, signé en 1999.

[16] Discours de Vladimir Poutine à la 43e Conférence de Munich sur la sécurité, Eurasia. Journal of Geopolitical Studies, 2/2007, p. 251.

vendredi, 11 mars 2022

Deoorlog in Oekraïne en de geopolitieke rol van Europa

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mercredi, 09 mars 2022

L'alliance franco-russe de Louis XVI relègue le projet de l'Union Européenne au niveau d'un bac-à-sable d'école maternelle !

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L'alliance franco-russe de Louis XVI relègue le projet de l'Union Européenne au niveau d'un bac-à-sable d'école maternelle !

Par Frédéric Andreu

La tragédie qui secoue l'Europe ne veut absolument rien dire par elle-même. Sans le recours au temps long de l'Histoire, ces images de guerre qui nous martèlent nuit et jour ne font qu'imposer leur vérité. Or, une vérité, surtout lorsqu'elle est martelée par des médias partisans, n'est pas une découverte, c'est même exactement le contraire.

Ce modeste article reflète au contraire une découverte, résultat de l'“effet puzzle” produit par l'emboitement de plusieurs pièces, alors même que les bombes pleuvent sur Kiev.

Il y a quelques années, j'avais traversé la Biélorussie à bicyclette, puis l'Ukraine du nord au sud, jusqu'à la Crimée encore territoire ukrainien. Je me souviens que le passage de la frontière avait été rendu possible par une liasse de billets glissée dans la poche du douanier. Mon voyage sur les routes défoncées s'acheva au-dessus des falaises blanches d'où s'étalait une mer magnifiquement bleue pourtant appelée “mer noire”.

Ces souvenirs de voyages, ces images, ces rencontres, se sont emboitées à une carte, à des lectures, pour se transformer en pistes intuitives.

En lisant ces lignes, vous pouvez vous demander : quels rapports entretiennent les vociférations anti-russes de Biden, la guerre en Ukraine, Louis XVI, Catherine II ? Apparemment aucun ! Et pourtant.

On peut se dire : L'Ukraine de Poutine sera-t-elle le bourbier espagnol de Napoléon ? La résistance farouche des Ukrainiens est-elle comparable à celle des résistants pendant l'occupation allemande ? Tous ces rapprochements infusent en nous des émotions, éclairent des feux, mais qui n'éclairent finalement pas grand chose. La première des choses qui compte dans l'univers des compréhensions politiques, ce sont les contraintes géographiques, ce sont elles qui déterminent aussi bien les rapports entre voisins que le mindscape des peuples qui y habitent.

Or, l'Ukraine n'est pas une péninsule comme l'Espagne, ni un “finisterre” comme la France, mais une zone de contact continental avec deux polarités, l'Occident et la Russie (voire, trois si l'on y ajoute la Turquie) à la fois différentes et complémentaires. L'axe Estonie-Ukraine est une ligne de fracture qui oppose deux géopolitiques antagonistes, la première arrimée au Etats-Unis le “Sea-power" et la seconde, au "Land-Power" incarné par l'immense Russie. Puissances de la mer et puissances et la terre, d'un côté, une Europe gagnée par l'imaginaire libéral-américain ; de l'autre, une Russie pan-continentale, siège de la “troisième Rome”. Ce sont ces deux mondes qui s'affrontent aujourd'hui en Ukraine.

Tout cela dépasse, bien sûr, les personnes et les passions. Mais il faut connaître un peu les hommes car l'Histoire est aussi faite d'imaginaire, de personnalité, de passions et d'irrationnel.

Les masses humaines, lorsqu'elles sont guidées par des élites illégitimes, se limite au niveau du bas-ventre. Les Ukrainiens se trouvent aujourd'hui devant le choix du ventre devant celui de l'âme. Ils sont partagés entre, d'un côté, la perspective d'un salaire à 150 Euros qu'implique le rattachement au grand frère russe et, de l'autre, les paillettes de l'Occident...

Le problème, c'est que la stratégie insidieuse  des Etats-Unis et de l'Otan oblige à cette alternative diabolique entre mourir à 50 ans dans une église orthodoxe ou à 75 dans un supermarché Carrefour.

Cela c'est la victoire posthume de Brzezinski, le merlin noir des élites étatsuniennes. A ce jeu-là, il n'est pas impossible que la guerre fratricide qui se déroule en Ukraine s'achève par la scission du pays de son territoire au niveau du fleuve Dniepr. L'Ukraine pays-tampon entre Europe et Russie est en train de se transformer en deux Ukraines rivales, instrument d'affrontement entre l'Occident et la Russie. Il y a une différence  majeure entre les deux scénarios qui déterminent deux géopolitiques mondiales. Le second scénario rimerait avec le martyr des minorités de part et d'autre. A la vérité, ce martyr a déjà commencé dans l'Est du pays, le Donbass. Huit ans de guerre où les villes russophones sont bombardées par un gouvernement ukrainien à la botte de l'Etat profond américain ; non par quelques obus égarés, mais par un bombardement systématique, ciblé, visant les populations civiles et non militaires.

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En d'autre terme, un nettoyage ethnique qui ne semble pas émouvoir nos bonnes âmes droits-de-l'hommistes. Au cours de mon séjour en Russie, j'avais rencontré des Ukrainiens du Donbass (ukrainiens russophones) traumatisés par les frappes, les immeubles éventrés, les enfants contraints de vivre dans des caves.

On peut comprendre, sans diplôme de géopolitique, qu'une Ukraine à couteaux tirés, arrange les affaires de Washington puisque le but des Etats-Unis est de diviser l'Europe et la Russie et pour se faire, détacher l'Ukraine de la Russie.

Le camp des “non-alignés”

Les politiques assez lucides pour refuser cette  fatalité sont nombreux à droite. On connait François Fillon, Philippe de Villiers, favorable à une “Europe de l'Altantique à l'Oural”. Mais tous ne sont pas issus des rangs de la droite. Jean-Luc Mélenchon, fervent défenseur du non-alignement, ancien député socialiste, certes, mais pas plus ni moins que ne l'était Marcel Déat avant guerre, étonne par ses positions. Les candidats patriotes de droite et de gauche veulent chasser du pouvoir la classe politique embourgeoisée et technocratique qui règne à Paris et à Bruxelles. Ces politiques, capables des pires traîtrises et des pires contre-sens historiques, déclaraient, encore hier, tous en coeur : “Avec nos sanctions, nous allons isoler la Russie !”.

Ont-ils tort ? Ces idiots utiles des Multi-nationales américaines pensent sanctionner, comme on le ferait à un mauvais élève, un “pays-continent” dont la superficie est 35 fois celle de la France, allié de surcroît de la Chine, voire de l'Inde, dont le réservoir démographique correspond à la moitié de la population mondiale ! Une super union économique basée sur l'étalon or et indépendante du dollar.

Bref, le conséquence de cette union, c'est la mort lente de l'Europe, continent déclassé, vieilli, asséché par 50 ans de planification technocratique.

L'Europe aurait alors pour seul avenir d'être un marché américain. Certes, elle l'est déjà depuis 1945 mais cette dépendance s'amplifierait de manière exponentielle. Elle distillerait le poison consumériste, le wokisme, la culpabilisation, pilules abortives des ventres et des âmes. Mais que les démographes se rassurent, l'Afrique pourra toujours suppléer au manque démographique des Européens : les populations noires déracinées pourront se déverser, toujours plus nombreuses, sur le Vieux Continent, avec la bénédiction d'un pape tiers-mondiste et des élites européennes métissolâtres.

Nul doute que ce grand remplacement de populations aidera à l'harmonie entre les peuples, fera augmenter le nombre de prix Nobel. Oui, lorsque cette classe de libéraux-traitres non élue qui dirige l'Union Européenne parle de "paix", il faut entendre : “Lgbtisme”, “pensée unique”, “matérialisme pratique”, “MacDonaldisation” de la société, autant de dissolvants de la société traditionnelle. Ces technocrates incarnent parfaitement les deux vers écrits par le poète :

“Ils refusent le halo autour des choses

Ils appellent solidarité la cohabitation”.

Avec la mise au ban de la Russie, l'Europe sera en donc “paix”, mais sans halo autour des choses, soumis au communisme libéral de l'UE à la puissance dix. Voici le contenu des mots “paix” et “démocratie” pour la génération à venir ! Voulez-vous de cette “paix” là ? Alors, dites adieu à Homère et à Pic de la Mirandole et dites bonjour au clown Mac-Do !

La “triple alliance” France-Autriche-Russie, contingence historique ou “alignement de planètes” géopolitiques ?

Les partisans d'une autre paix que celle imposée par les instances de l'OTAN savent que l'Europe a au contraire tout intérêt à s'ouvrir à cette Russie frappée de l'aigle à deux têtes, l'”empire bicéphale”, janus bifrons orient-occident et symbole de l'union des polarités grand continentales.

En effet, on ignore complétement, dans le pays qui a coupé la tête au roi, que le projet du Roi Louis XVI était non seulement d'en finir avec la rivalité Bourbon/Habsbourg, mais aussi de créer une alliance commerciale, voire plus, avec la Russie de Catherine II. Il m'a fallu tomber sur le livre de Jean Savant: Louis XVI et l'alliance russe pour en arpenter l'histoire différemment. On y apprend que l'ambassadeur français, le comte de Ségur, signa de nombreux échanges commerciaux entre Paris et St Petersbourg.

imagel16s.jpgQuant à la fameuse expédition de La Pérouse dans le Pacifique, elle fut rendu possible grâce à une alliance de facto entre la France, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les Russes explorent le Pacifique et installent un comptoir de pêche à Hawaï. Ils se rendent maître de l'Alaska et poussent jusqu'en Californie. Sensible à l'ouverture vers les mers, Catherine II crée une politique monde du Pacifique à la Mer Noire...

La Crimée et l'Ukraine, déjà objets de toutes les convoitises au XVIIIème siècle

On sait peu de choses du comte Louis-Philippe de Ségur sinon qu'il a été une pièce maitresse dans le projet d'alliance franco-russe. Il faut comprendre que l'histoire officielle de la France écrite après la Révolution, a cherché à faire la part belle aux Lumières et à la République. Elle a cherché a discréditer Louis XVI et la Royauté en général jusqu'à la caricature. Très peu d'études ont été consacrées à la politique de Louis XVI, sinon pour, au bas mot, la dénigrer. Nous savons donc peu de choses sur les motivations de Ségur. Nous savons cependant que Ségur accompagna Catherine II en Crimée. C'est sur les rives de la Mer Noire que Ségur aurait eut la pré-science d'une relation étroite entre la Russie, l'Autriche et la France... Nous savons qu'en France, Necker y fut opposé et retarda la projet. Des accords étaient sur le point d'être noués lorsque la Révolution, qui plongea la France dans 10 ans de guerre civile, mis brutalement un terme au projet.

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Portrait de Louis-Philippe de Ségur

A l'époque, les aristocrates russes et européens ne phosphoraient pas dans un anglais d'aéroport, de taux d'inflation et de statistiques. Ils pratiquaient l'art de la conversatio dans le Français de Molière. De quoi parlaient-ils ? De découvertes d'îles, de Nouveau Monde, de philosophie, de vin et de Belles Lettres. Le comte de Ségur, poète, jouait, paraît-il, les pièces qu'il écrivait lui-même, dans le théâtre privé de l'Impératrice...

Au-delà des anecdotes, la politique du dernier Roi Bourbon, reposa sur un tissage diplomatique de longue date qui a laissé des traces dans le vocabulaire. Les mots russes pour “bagage”, “étage”, “chauffeur”, “ambassade” sont tous des mots d'origine française. Les mots parlent d'eux-mêmes. On imagine bien que ce champs lexical (russe mais aussi suédois et autres) reflète, bien mieux que des thèses universitaires illisibles et politisées, l'intense activité diplomatique de la France des XVIIème et XVIIIème siècle.

Au fond, qu'a fait Napoléon, sinon poursuivre la politique des Bourbons ?

Même si les choses ne sont, là encore, jamais présentées comme cela, la même politique pan-continentale inspira l'Empereur des Français même si Napoléon fut - bien malgré lui - contraint de la réaliser... sur les champs de bataille.

Cherchant à nouer des alliances, Napoléon aurait sans doute épousé la grande duchesse Anna Pavlovna, la soeur du Tsar, si le camp de Talleyrand ne l'avait emporté sur celui de Cambacéres. Cependant, cherchant à créer une dynastie européenne, il épousa la nièce de Marie-Antoinette d'Autriche, imitant ainsi Louis XVI. Bien que rival des Bourbons, il aimait à rappeler qu'il était le “neveu du Louis XVI !”.

Bref, les deux tentatives françaises avortées n'empêchèrent pas la IIIème République de poursuivre des relations avec la Russie, mais le rêve d'alliance grand continental fut oublié au profit de la soumission à l'Angleterre et de l'aventure coloniale. Au lieu d'un rapprochement organique avec la Russie, ce sont des peuples africains et asiatiques qui ont été, aux cours du XIXème Siècle, la proie des exploitations honteuses de la bourgeoisie industrielle et cela, au détriment de la paysannerie française.

Le grand tremblement géopolitique déclenchée par la guerre en Ukraine oblige à revoir notre Histoire officielle. Il serait temps de ressortir des cartons ce plan d'alliance datant de Louis XVI. On s'apercevra alors que Louis XVI était loin d'être le chef d'Etat poussif décrit par la propagande républicaine. En réalité, ce roi si dénigré relègue le petit projet néolibéral de l'UE à un bac-à-sable d'école maternelle. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette grande politique est inscrite dans le destin de la France, à la fois géographiquement, politiquement et aussi spirituellement. Oui, il ne s'agit pas seulement d'échanges économiques, il s'agit de faire passer l'oxygène du poumon gauche (l'Europe) au poumon droit (la Russie) et vice-versa. Deux mondes différents et organiquement complémentaires qu'un demi-siècle de guerre froide ont rendus incompréhensibles. Ce projet est d'ailleurs inscrit dans la géographie car, lorsqu'on ouvre une carte, on s'aperçoit que la France commence le Grand Continent et que la Russie, le termine. Louis XVI, catholique pratiquant et Catherine II, impératrice d'origine allemande, n'ignoraient rien de cette géopolitique. Cherchant à s'extirper du rapprochement anglo-prussien, Catherine qualifie la France de “nation privilégier de la Russie”. Louis XVI parlera à cet endroit de “politique naturelle”. Les acteurs politiques de cette époque n'étaient pas de vulgaires technocrates interchangeables, ils incarnaient aussi et surtout des principes cosmiques reliant la terre et les peuples.

Des révolutions très opportunes...

Cette voie pan-continentale reliant la France à la Russie a pu émerger ici ou là dans le cours méandreux de l'Histoire. Nous avons ciblé ici les accords qui précédèrent de quelques mois la Révolution Française. Mais il y a une différence entre des accords conjoncturels et un tropisme géopolitique profond, or, l'alliance franco-russe et ceux qui s'y opposent, oppose également la puissance de la terre à la puissance de la mer. La seule fois où elle fut en voie de réalisation concrète c'est au cours de l'année 1788, début 1789, mais ô surprise, une révolution éclata à Versailles qui allait renverser le roi... Au lendemain de la prise de la Bastille, élément rhétorique du coup d'Etat libéral téléguidée par les ennemis de la France, Catherine II coupa toute relation avec la France.

La seconde fois dans l'Histoire où une coalition d'alliance franco-russe aurait pu se réalisé, c'est dans les années qui précèdent la première guerre mondiale mais la révolution bolchevique de 1917 en décida autrement. La troisième fois, dans les années 2012 / 2015, un scénario similaire se produisit. Vladimir Poutine, conseillé par son merlin en politique, Alexandre Douguine, inspira cette politique de rapprochement ; des pipelines de gaz allaient été construits, des liens diplomatiques, renforcés, mais une autre révolution éclata. Non pas à Paris ni à Moscou, mais à Kiev. La révolution dite de Maïdan.

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Fomentée par un gouvernement ukrainien pro-américain et par un étrange conglomérat composé de néo-nazis auto-proclamés et de sionistes activistes, la révolution “orange” présentée dans les mass-média occidentaux comme une révolution populaire et spontanée, reste en réalité mal connue. Elle mériterait une étude approfondie.

Retenons simplement la coïncidence troublante entre les projets d'alliance et ces révolutions – toujours téléguidées de l'extérieur - qui éclatent presque toujours au moment où une alliance constructive va être scellée... Alors que les planètes semblaient alignées une nouvelle fois pour une alliance trans-continentale qui auraient pu renverser le nouvel ordre mondial, Maïdan fait en effet figure d'une enième révolution “de couleur”.

Aujourd'hui, l'Ukraine subit une guerre téléguidée par des puissances étrangères, une sale guerre où résonne plus que jamais les mots de Paul Valéry : “La guerre, c'est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne  se massacrent pas”. Notre article peut aider à montrer les enjeux géopolitiques énormes qui s'y déroulent visant l'isolement de la Russie, enjeux que ne montrent ni les caméras ni les commentaires à chaud, de part et d'autre.

Et si le rêve pan-continental pouvait encore inspirer l'avenir ?

Si le vieux rêve du dernier roi capétien et de l'Empire Français reprenait vie dans le moment dramatique que traverse aujourd'hui l'Europe, par un socialiste franc-maçon d'inspiration révolutionnaire ? Alors, Jean-Luc Mélenchon, ou un autre candidat qui réaliserait ce dessein, resterait dans l'Histoire d'abord et avant tout comme Français !

Contact : fredericandreu@yahoo.fr